A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

    
EE, e, s. m. c'est la cinquieme lettre de la plûpart des alphabets, & la seconde des voyelles. Voy. les articl. ALPHABET, LETTRE, & VOYELLE.

Les anciens Grecs s'étant apperçus qu'en certaines syllabes de leurs mots, l'e étoit moins long & moins ouvert qu'il ne l'étoit en d'autres syllabes, trouverent à-propos de marquer par des caracteres particuliers cette différence, qui étoit si sensible dans la prononciation. Ils désignerent l'e bref par ce caractere E, , & l'appellerent , epsilon, c'est-à-dire petit e ; il répond à notre e commun, qui n'est ni l'e tout-à-fait fermé, ni l'e tout-à-fait ouvert : nous en parlerons dans la suite.

Les Grecs marquerent l'e long & plus ouvert par ce caractere H, , èta ; il répond à notre e ouvert long.

Avant cette distinction quand l'e étoit long & ouvert, on écrivoit deux e de suite ; c'est ainsi que nos peres écrivoient aage par deux a, pour faire connoître que l'a est long en ce mot ; c'est de ces deux E rapprochés ou tournés l'un vis-à-vis de l'autre qu'est venue la figure H ; ce caractere a été long-tems, en grec & en latin, le signe de l'aspiration. Ce nom èta vient du vieux syriaque hetha, ou de heth, qui est le signe de la plus forte aspiration des Hébreux ; & c'est de-là que les Latins prirent leur signe d'aspiration H, en quoi nous les avons suivis.

La prononciation de l'èta a varié : les Grecs modernes prononcent ita ; & il y a des savans qui ont adopté cette prononciation, en lisant les livres des anciens.

L'université de Paris fait prononcer êta. Voyez les preuves que la méthode de P. R. donne pour faire voir que c'est ainsi qu'il faut prononcer ; & sur-tout lisez ce que dit sur ce point le P. Giraudeau jésuite, dans son introduction à la langue greque ; ouvrage très-méthodique & très-propre à faciliter l'étude de cette langue savante, dont l'intelligence est si nécessaire à un homme de lettres.

Le P. Giraudeau, dis-je, s'explique en ces termes, pag. 4. " L'èta se prononce comme un ê long & ouvert, ainsi que nous prononçons l'ê dans procès : non-seulement cette prononciation est l'ancienne, poursuit-il, mais elle est encore essentielle pour l'ordre & l'oeconomie de toute la langue greque ".

En latin, & dans la plûpart des langues, l'e est prononcé comme notre e ouvert commun au milieu des mots, lorsqu'il est suivi d'une consonne avec laquelle il ne fait qu'une même syllabe, coe-lèbs, mèl, pèr, pa-trèm, omnipo-tèn-tèm, pès, èt, &c. mais selon notre maniere de prononcer le latin, l'e est fermé quand il finit le mot, mare, cubile, patre, &c. Dans nos provinces d'au-delà de la Loire, on prononce l'e final latin comme un e ouvert ; c'est une faute.

Il y a beaucoup d'analogie entre l'e fermé & l'i ; c'est pour cela que l'on trouve souvent l'une de ces lettres au lieu de l'autre, herè, herì ; c'est par la même raison que l'ablatif de plusieurs mots latins est en e ou en i, prudente & prudenti.

Mais passons à notre e françois. J'observerai d'abord que plusieurs de nos grammairiens disent que nous avons quatre sortes d'e. La méthode de P. R. au traité des lettres, p. 622, dit que ces quatre prononciations différentes de l'e, se peuvent remarquer en ce seul mot détèrrement ; mais il est aisé de voir qu'aujourd'hui l'e de la derniere syllabe ment n'est e que dans l'écriture.

La prononciation de nos mots a varié. L'écriture n'a été inventée que pour indiquer la prononciation, mais elle ne sauroit en suivre tous les écarts, je veux dire tous les divers changemens ; les enfans s'éloignent insensiblement de la prononciation de leurs peres ; ainsi l'ortographe ne peut se conformer à sa destination que de loin en loin. Elle a d'abord été liée dans les livres au gré des premiers inventeurs : chaque signe ne signifioit d'abord que le son pour lequel il avoit été inventé, le signe a marquoit le son a, le signe é le son é, &c. C'est ce que nous voyons encore aujourd'hui dans la langue greque, dans la latine, & même dans l'italienne & dans l'espagnole ; ces deux dernieres, quoique langues vivantes, sont moins sujettes aux variations que la nôtre.

Parmi nous, nos yeux s'accoûtument dès l'enfance à la maniere dont nos peres écrivoient un mot, conformément à leur maniere de le prononcer ; de sorte que quand la prononciation est venue à changer, les yeux accoûtumés à la maniere d'écrire de nos peres, se sont opposés au concert que la raison auroit voulu introduire entre la prononciation & l'ortographe selon la premiere destination des caracteres ; ainsi il y a eu alors parmi nous la langue qui parle à l'oreille, & qui seule est la véritable langue, & il y a eu la maniere de la représenter aux yeux, non telle que nous l'articulons, mais telle que nos peres la prononçoient, ensorte que nous avons à reconnoître un moderne sous un habillement antique. Nous faisons alors une double faute ; celle d'écrire un mot autrement que nous ne le prononçons, & celle de le prononcer ensuite autrement qu'il n'est écrit. Nous prononçons a & nous écrivons e, uniquement parce que nos peres prononçoient & écrivoient e. Voyez ORTOGRAPHE.

Cette maniere d'ortographier est sujette à des variations continuelles, au point que, selon le prote de Poitiers & M. Restaut, à peine trouve-t-on deux livres où l'ortographe soit semblable (traité de l'Ortogr. franç. p. 1.) Quoi qu'il en soit, il est évident que l'e écrit & prononcé a, ne doit être regardé que comme une preuve de l'ancienne prononciation, & non comme une espece particuliere d'e. Le premier e dans les mots empereur, enfant, femme, &c. fait voir seulement que l'on prononçoit émpereur, énfant, féme, & c'est ainsi que ces mots sont prononcés dans quelques-unes de nos provinces ; mais cela ne fait pas une quatrieme sorte d'e.

Nous n'avons proprement que trois sortes d'e ; ce qui les distingue, c'est la maniere de prononcer l'e ou en un tems plus ou moins long, ou en ouvrant plus ou moins la bouche. Ces trois sortes d'e sont l'e ouvert, l'e fermé, & l'e muet : on les trouve tous trois en plusieurs mots, fèrmeté, honnêteté, évêque, sévère, échèlle, &c.

Le premier e de fèrmeté est ouvert, c'est pourquoi il est marqué d'un accent grave ; la seconde syllabe me n'a point d'accent, parce que l'e y est muet ; té est marqué de l'accent aigu, c'est le signe de l'e fermé.

Ces trois sortes d'e sont encore susceptibles de plus & de moins.

L'e ouvert est de trois sortes ; I. l'e ouvert commun, II. l'e plus ouvert ; III. l'e très-ouvert.

I. L'e ouvert commun : c'est l'e de presque toutes les langues ; c'est l'e que nous prononçons dans les premieres syllabes de père, mère, frère, & dans il appèlle, il mène, ma nièce, & encore dans tous les mots où l'e est suivi d'une consonne avec laquelle il forme la même syllabe, à moins que cette consonne ne soit l's ou le z qui marquent le pluriel, ou le nt de la troisieme personne du pluriel des verbes ; ainsi on dit examèn, & non examén. On dit tèl, bèl, cièl, chèf, brèf, Josèph, nèf, relièf, Israèl, Abèl, Babèl, réèl, Michèl, mièl, plurièl, criminèl, quèl, naturèl, hôtèl, mortèl, mutuèl, l'hymèn, Sadducéèn, Chaldéèn, il viènt, il soûtiènt, &c.

Toutes les fois qu'un mot finit par un e muet, on ne sauroit soûtenir la voix sur cet e muet, puisque si on la soûtenoit, l'e ne seroit plus muet : il faut donc que l'on appuie sur la syllabe qui précede cet e muet ; & alors si cette syllabe est elle-même un e muet, cet e devient ouvert commun, & sert de point d'appui à la voix pour rendre le dernier e muet ; ce qui s'entendra mieux par les exemples. Dans mener, appeller, &c. le premier e est muet & n'est point accentué ; mais si je dis je mène, j'appèlle, cet e muet devient ouvert commun, & doit être accentué, je mène, j'appèlle. De même quand je dis j'aime, je demande, le dernier e de chacun de ces mots est muet ; mais si je dis par interrogation, aimé-je ? ne demandé-je pas ? alors l'e qui étoit muet devient e ouvert commun.

Je sai qu'à cette occasion nos Grammairiens disent que la raison de ce changement de l'e muet, c'est qu'il ne sauroit y avoir deux e muets de suite ; mais il faut ajoûter, à la fin d'un mot : car dès que la voix passe, dans le même mot, à une syllabe soûtenue, cette syllabe peut être précédée de plus d'un e muet, REDEmander, REVEnir, &c. Nous avons même plusieurs e muets de suite, par des monosyllabes ; mais il faut que la voix passe de l'e muet à une syllabe soûtenue : par exemple, de ce que je redemande ce qui m'est dû, &c. voilà six e muets de suite au commencement de cette phrase, & il ne sauroit s'en trouver deux précisément à la fin du mot.

II. L'e est plus ouvert en plusieurs mots, comme dans la premiere syllabe de fermeté, où il est ouvert bref ; il est ouvert long dans grèffe.

III. L'e est très-ouvert dans accès, succès, être, tempête, il èst, abbèsse, sans-cèsse, profèsse, arrêt, forêt, trève, la Grève, il rève, la tête.

L'e ouvert commun au singulier, devient ouvert long au pluriel, le chéf, les chèfs ; un mot bréf, les mots brèfs ; un autél, des autèls. Il en est de même des autres voyelles qui deviennent plus longues au pluriel. Voyez le traité de la prosodie de M. l'abbé d'Olivet.

Ces différences sont très-sensibles aux personnes qui ont reçu une bonne éducation dans la capitale. Depuis qu'un certain esprit de justesse, de précision & d'exactitude s'est un peu répandu parmi nous, nous marquons par des accens la différence des e. Voyez ce que nous avons dit sur l'usage & la destination des accens, même sur l'accent perpendiculaire, au mot ACCENT. Nos protes deviennent tous les jours plus exacts sur ce point, quoi qu'en puissent dire quelques personnes qui se plaignent que les accens rendent les caracteres hérissés, il y a bien de l'apparence que leurs yeux ne sont pas accoûtumés aux accens ni aux esprits des livres grecs, ni aux points des Hébreux. Tout signe qui a une destination, un usage, un service, est respecté par les personnes qui aiment la précision & la clarté ; ils ne s'élevent que contre les signes qui ne signifient rien, ou qui induisent en erreur.

C'est sur-tout à l'occasion de nos e brefs & de nos e longs, que nos Grammairiens font deux observations qui ne me paroissent pas justes.

La premiere, c'est qu'ils prétendent que nos peres ont doublé les consonnes, pour marquer que la voyelle qui précede étoit breve. Cette opération ne me paroît pas naturelle ; il ne seroit pas difficile de trouver plusieurs mots où la voyelle est longue, malgré la consonne doublée, comme dans grèffe, & nèfle : le premier e est long, selon M. l'abbé d'Olivet, Prosod. p. 74.

L'e est ouvert long dans abbèsse, profèsse, sans-cèsse, malgré l's redoublée. Je crois que ce prétendu effet de la consonne redoublée, a été imaginé par zèle pour l'ancienne ortographe. Nos peres écrivoient ces doubles lettres, parce qu'ils les prononçoient ainsi qu'on les prononce en latin ; & comme on a trouvé par tradition ces lettres écrites, les yeux s'y sont tellement accoûtumés, qu'ils en souffrent avec peine le retranchement : il falloit bien trouver une raison pour excuser cette foiblesse.

Quoi qu'il en soit, il faut considérer la voyelle en elle-même, qui en tel mot est breve, & en tel autre longue : l'a est bref dans place, & long dans grace, &c.

Quand les poëtes latins avoient besoin d'allonger une voyelle, ils redoubloient la consonne suivante, religio ; la premiere de ces consonnes étant prononcée avec la voyelle, la rendoit longue : cela paroît raisonnable. Nicot dans son dictionnaire, au mot aage, observe que " ce mot est écrit par double aa, pour dénoter, dit-il, ce grand A françois, ainsi que l' grec ; lequel aa nous prononçons, poursuit-il, avec traînée de la voix en aucuns mots, comme en Chaalons ". Aujourd'hui nous mettons l'accent circonflexe sur l'a. Il seroit bien extraordinaire que nos peres eussent doublé les voyelles pour allonger, & les consonnes pour abréger !

La seconde observation, qui ne me paroît pas exacte, c'est qu'on dit qu'anciennement les voyelles longues étoient suivies d's muettes qui en marquoient la longueur. Les Grammairiens qui ont fait cette remarque, n'ont pas voyagé au midi de la France, où toutes ces s se prononcent encore, même celle de la troisieme personne du verbe est ; ce qui fait voir que toutes ces s n'ont été d'abord écrites que parce qu'elles étoient prononcées. L'ortographe a suivi d'abord fort exactement sa premiere destination ; on écrivoit une s, parce qu'on prononçoit une s. On prononce encore ces s en plusieurs mots qui ont la même racine que ceux où elle ne se prononce plus. Nous disons encore festin, de fête ; la bastille, & en Provence la bastide, de bâtir : nous disons prendre une ville par escalade, d'échelle ; donner la bastonnade, de bâton : ce jeune homme a fait une escapade, quoique nous disions s'échapper, sans s.

En Provence, en Languedoc & dans les autres provinces méridionales, on prononce l's de Pasques ; & à Paris, quoiqu'on dise Pâques, on dit pascal, Pasquin, pasquinade.

Nous avons une espece de chiens qu'on appelloit autrefois espagnols, parce qu'ils nous viennent d'Espagne : aujourd'hui on écrit épagneuls, & communément on prononce ce mot sans s, & l'e y est bref. On dit prestolet, presbytere, de prêtre ; prestation de serment ; prestesse, celeritas, de praesto esse, être prêt.

L'e est aussi bref en plusieurs mots, quoique suivi d'une s, comme dans presque, modeste, leste, terrestre, trimestre, &c.

Selon M. l'abbé d'Olivet, Prosod. p. 79. il y a aussi plusieurs mots où l'e est bref, quoique l's en ait été retranchée, échelle : être est long à l'infinitif, mais il est bref dans vous êtes, il a été. Prosod. p. 80.

Enfin M. Restaut, dans le Dictionnaire de l'Ortographe françoise, au mot registre, dit que l's sonne aussi sensiblement dans registre que dans liste & funeste ; & il observe que du tems de Marot on prononçoit épistre comme registre, & que c'est par cette raison que Marot a fait rimer registre avec épistre : tant il est vrai que c'est de la prononciation que l'on doit tirer les régles de l'ortographe. Mais revenons à nos e.

L'é fermé est celui que l'on prononce en ouvrant moins la bouche qu'on ne l'ouvre lorsqu'on prononce un e ouvert commun ; tel est l'e de la derniere syllabe de fermeté, bonté, &c.

Cet e est aussi appellé masculin, parce que lorsqu'il se trouve à la fin d'un adjectif ou d'un participe, il indique le masculin, aisé, habillé, aimé, &c.

L'e des infinitifs est fermé, tant que l'r ne se prononce point ; mais si l'on vient à prononcer l'r, ce qui arrive toutes les fois que le mot qui suit commence par une voyelle, alors l'e fermé devient ouvert commun ; ce qui donne lieu à deux observations. 1°. L'e fermé ne rime point avec l'e ouvert : aimer, abîmer, ne riment point avec la mer, mare ; ainsi madame des Houlieres n'a pas été exacte lorsque dans l'idylle du ruisseau elle a dit :

Dans votre sein il cherche à s'abîmer ;

Vous & lui jusques à la mer

Vous n'êtes qu'une même chose.

2°. Mais comme l'e de l'infinitif devient ouvert commun, lorsque l'r qui le suit est lié avec la voyelle qui commence le mot suivant, on peut rappeller la rime, en disant :

Dans votre sein il cherche à s'abîmer,

Et vous & lui jusqu'à la mer

Vous n'êtes qu'une même chose.

L'e muet est ainsi appellé relativement aux autres e : il n'a pas, comme ceux-ci, un son fort, distinct & marqué : par exemple, dans mener, demander, on fait entendre l'm & le d, comme si l'on écrivoit mner, dmander.

Le son foible qui se fait à peine sentir entre l'm & l'n de mener, & entre le d & l'm de demander, est précisément l'e muet : c'est une suite de l'air sonore qui a été modifié par les organes de la parole, pour faire entendre ces consonnes. Voyez CONSONNE.

L'e muet des monosyllabes me, te, se, le, de, est un peu plus marqué ; mais il ne faut pas en faire un e ouvert, comme font ceux qui disent amène-lè : l'e prend plûtôt alors le son de l'eu foible.

Dans le chant, à la fin des mots, tels que gloire, fidele, triomphe, l'e muet est moins foible que l'e muet commun, & approche davantage de l'eu foible.

L'e muet foible, tel qu'il est dans mener, demander, se trouve dans toutes les langues, toutes les fois qu'une consonne est suivie immédiatement par une autre consonne ; alors la premiere de ces consonnes ne sauroit être prononcée sans le secours d'un esprit foible : tel est le son que l'on entend entre le p & l's dans pseudo, psalmus, psittacus ; & entre l'm & l'n de mna, une mine, espece de monnoie ; Mnemosyne, la mere des Muses, la déesse de la mémoire.

On peut comparer l'e muet au son foible que l'on entend après le son fort que produit un coup de marteau qui frappe un corps solide.

Ainsi il faut toûjours s'arrêter sur la syllabe qui précede un e muet à la fin des mots.

Nous avons déjà observé qu'on ne sauroit prononcer deux e muets de suite à la fin d'un mot, & que c'est la raison pour laquelle l'e muet de mener devient ouvert dans je mène.

2°. Les vers qui finissent par un e muet, ont une syllabe de plus que les autres, par la raison que la derniere syllabe étant muette, on appuie sur la pénultieme : alors, je veux dire à cette pénultieme, l'oreille est satisfaite par rapport au complément du rithme & du nombre des syllabes ; & comme la derniere tombe foiblement, & qu'elle n'a pas un son plein, elle n'est point comptée, & la mesure est remplie à la pénultieme.

Jeune & vaillant héros, dont la haute sages-se.

L'oreille est satisfaite à la pénultieme, ges, qui est le point d'appui, après lequel on entend l'e muet de la derniere syllabe se.

L'e muet est appellé féminin, parce qu'il sert à former le féminin des adjectifs ; par exemple, saint, sainte ; pur, pure ; bon, bonne, &c. au lieu que l'e fermé est appellé masculin, parce que lorsqu'il termine un adjectif, il indique le genre masculin, un homme aimé, &c.

L'e qu'on ajoûte après le g, il mangea, &c. n'est que pour empêcher qu'on ne donne au g le son fort ga, qui est le seul qu'il devroit marquer : or cet e fait qu'on lui donne le son foible, il manja : ainsi cet e n'est ni ouvert, ni fermé, ni muet ; il marque seulement qu'il faut adoucir le g, & prononcer je, comme dans la derniere syllabe de gage : on trouve en ce mot le son fort & le son foible du g.

L'e muet est la voyelle foible de eu, ce qui paroît dans le chant, lorsqu'un mot finit par un e muet moins foible :

Rien ne peut l'arrêter

Quand la gloire l'appelle.

Cet eu qui est la forte de l'e muet, est une véritable voyelle : ce n'est qu'un son simple sur lequel on peut faire une tenue. Cette voyelle est marquée dans l'écriture par deux caracteres ; mais il ne s'ensuit pas de-là que eu soit une diphtongue à l'oreille, puisqu'on n'entend pas deux sons voyelles. Tout ce que nous pouvons en conclure, c'est que les auteurs de notre alphabet ne lui ont pas donné un caractere propre.

Les lettres écrites qui, par les changemens survenus à la prononciation, ne se prononcent point aujourd'hui, ne doivent que nous avertir que la prononciation a changé ; mais ces lettres multipliées ne changent pas la nature du son simple, qui seul est aujourd'hui en usage, comme dans la derniere syllabe de ils aimoient, amabant.

L'e est muet long dans les dernieres syllabes des troisiemes personnes du pluriel des verbes, quoique cet e soit suivi d'nt qu'on prononçoit autrefois, & que les vieillards prononcent encore en certaines provinces : ces deux lettres viennent du latin amant, ils aiment.

Cet e muet est plus long & plus sensible qu'il ne l'est au singulier : il y a peu de personnes qui ne sentent pas la différence qu'il y a dans la prononciation entre il aime & ils aiment. (F)


E(Ecriture) dans l'italienne & la coulée, c'est la sixieme & la septieme partie de l'o, & sa premiere moitié. L'e rond est un demi-cercle, ou la moitié de l'o, auquel il faut ajoûter un quart de cercle qui fasse la seconde partie de cet e. Les deux premiers e se forment d'un mouvement mixte des doigts & du poignet. L'e rond s'exécute en deux tems. Voyez les fig. de ces différens e dans nos Planches, & dans nos exemples d'Ecriture.


E REGIONEterme d'Imprimerie ; on se sert fort souvent de ce mot dans l'Imprimerie, en parlant des choses qui s'impriment les unes vis-à-vis des autres, soit en diverses langues, soit lorsqu'on met différentes traductions en parallele pour l'instruction des lecteurs. On a souvent imprimé l'oraison dominicale en diverses langues, è regione. (D.J.)


EACÉESadj. f. pl. pris subst. (Myth.) étoient des fêtes solemnelles qu'on célébroit à Egine en l'honneur d'Eaque qui en avoit été roi, & qu'on disoit avoir dans les enfers la fonction de juge, parce qu'il s'étoit distingué sur la terre par sa droiture & son équité. Voyez FETE, &c. ENFER.


EALÉS. f. (Hist. nat.) animal à quatre piés dont Pline donne la description suivante, à la suite de celles du lynx, du sphynx, & d'autres animaux d'Ethiopie. " L'éalé, dit-il, est de la grandeur de l'hippopotame (voyez HIPPOPOTAME) ; elle est noire ou rousse ; elle a la queue de l'éléphant (voyez ELEPHANT) ; la mâchoire de sanglier (voyez SANGLIER), & les cornes mobiles & longues d'une coudée & davantage ; elle combat tantôt avec l'une, tantôt avec l'autre, & s'en sert comme d'une arme offensive & défensive ". Nous ne connoissons aucun animal qui ait cette mobilité de cornes.


EAQUES. m. (Myth.) un des trois juges des enfers. Il étoit fils de Jupiter & d'Europe ; d'autres disent d'Egine. Il se montra pendant sa vie si équitable envers les hommes, qu'après sa mort Pluton l'associa à Minos & à Rhadamante, pour les juger aux enfers. Voyez ENFER & EACEES.


EARLDORMANS. m. (Hist. d'Angl.) le premier degré de noblesse chez les Anglo-Saxons. Comme l'origine de cette dignité, de ses fonctions, & de ses prérogatives, répand un grand jour sur les premiers tems de l'histoire de la Grande-Bretagne, il n'est pas inutile d'en fixer la connoissance, qui ne se trouve dans aucun dictionnaire françois.

Ce mot, qui dans son origine ne signifie qu'un homme âgé ou ancien, vint peu-à-peu à désigner les personnes les plus distinguées, apparemment parce qu'on choisissoit pour exercer les plus grandes charges, ceux qu'une longue expérience en pouvoit rendre plus capables : méthode que nous ne connoissons guere. Ce n'est pas seulement parmi les Saxons que ces deux significations se trouvent confondues ; on voit dans l'Ecriture-sainte, que les anciens d'Israël, de Moab, de Madian, étoient pris parmi les principaux de ces nations. Les mots, senator, sennor, signor, seigneur, en latin, en espagnol, en italien, & en françois, signifient la même chose.

Les ealdormans ou earldormans étoient donc en Angleterre les plus considérables de la noblesse, ceux qui exerçoient les plus grandes charges, & par une suite très-naturelle, qui possédoient le plus de biens. Comme on confioit ordinairement à ceux de cet ordre les gouvernemens des provinces ; au lieu de dire le gouverneur, on disoit l'ancien earldorman d'une telle province : c'est de-là que peu-à-peu ce mot vint à désigner un gouverneur de province, ou même d'une seule ville.

Pendant le tems de l'heptarchie, ces charges ne duroient qu'autant de tems qu'il plaisoit au roi, qui dépossédoit les earldormans quand il le jugeoit à-propos, & en mettoit d'autres en leur place. Enfin ces emplois furent donnés à vie, du moins ordinairement : mais cela n'empêcha pas que ceux qui les possédoient, ne pussent être destitués pour diverses causes. Il y en a des exemples sous les regnes de Canut, & d'Edoüard le Confesseur.

Après l'établissement des Danois en Angleterre, le nom d'earldorman se changea peu-à-peu en celui d'earl, mot danois de la même signification ; ensuite les Normands voulurent introduire le titre de comte, qui bien que différent dans sa premiere origine, désignoit pourtant la même dignité : mais le terme danois earl s'est conservé jusqu'à ce jour, pour signifier celui qu'en d'autres pays on appelloit comte. Voyez COMTE.

Il y avoit plusieurs sortes d'earldormans : les uns n'étoient proprement que des gouverneurs de province ; d'autres possédoient leur province en propre, comme un fief dépendant de la couronne, & qu'ils tenoient en foi & hommage ; de sorte que cette province étoit toûjours regardée comme membre de l'état. L'histoire d'Alfred le Grand fournit un exemple de cette derniere sorte d'earldormans, qui étoient fort rares en Angleterre. C'est ainsi qu'en France, vers le commencement de la troisieme race de nos rois, les duchés & les comtés qui n'étoient auparavant que de simples gouvernemens, furent donnés en propriété sous la condition de l'hommage.

Les earldormans, ou les comtes de cette espece, étoient honorés des titres de reguli, subreguli, principes ; il n'est pas même sans exemple, qu'on leur ait donné le titre de rois : quant aux autres, qui n'étoient que de simples gouverneurs, ils prenoient seulement le titre d'earldormans d'une telle province. Les premiers faisoient rendre la justice en leur propre nom : ils profitoient des confiscations, & s'approprioient les revenus de leur province. Les derniers rendoient eux-mêmes la justice au nom du roi, & ne retiroient que certains émolumens qui leur étoient assignés. Le comte Goodwin, quelque grand seigneur qu'il fût d'ailleurs, n'étoit que de ce second ordre.

A ces deux sortes de grands earldormans, on peut en ajoûter une autre ; savoir, de ceux qui sans avoir de gouvernement, portoient ce titre à cause de leur naissance, & parce qu'on tiroit ordinairement les gouverneurs de leur ordre : ainsi le titre d'earldorman ne désignoit quelquefois qu'un homme de qualité.

Il y avoit encore des earldormans inférieurs dans les villes, & même dans les bourgs : mais ce n'étoient que des magistrats subalternes qui rendoient la justice au nom du roi, & qui dépendoient des grands earldormans. Le nom d'alderman, qui subsiste encore, est demeuré à ces officiers inférieurs, pendant que les premiers ont pris le titre de earl ou de comte.

La charge d'earldorman étoit civile, & ne donnoit aucune inspection sur les affaires qui regardoient la guerre. Il y avoit dans chaque province un duc qui commandoit la milice : ce nom de duc, pris du latin dux, est moderne. Les Saxons appelloient cet officier heartogh : celui-ci n'avoit aucun droit de se mêler des affaires civiles. Son emploi étoit entierement différent & indépendant de celui de comte ; on trouve néanmoins quelquefois dans l'histoire d'Angleterre, que tantôt le titre de duc, tantôt celui de comte, sont donnés à une même personne : mais c'est qu'alors les deux charges se trouvoient réunies dans un même sujet, comme elles le furent assez communément vers la fin de l'heptarchie. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


    
    
EARNE(Géog. mod.) lac d'Irlande dans la province d'Ulster, au comté de Fermanagh.


EAST-MEATH(Géog. mod.) contrée d'Irlande dans la province de Leinster ; elle a titre de comté : Kelly en est la capitale.


EASTRÉou EASTRE, s. f. (Myth.) déesse des anciens Germains, en l'honneur de laquelle ils célébroient une fête au mois d'Avril. Comme ce terme Eastré vient de celui de résurrection, les détracteurs des fêtes de la religion chrétienne ont abusé de ce rapport, pour assûrer que nous tenions la célébration de la pâque des Eastrées gauloises : idée creuse, s'il en fut jamais, dans ce genre de conjectures.


EAUS. f. (Phys.) est un corps fluide, humide, visible, transparent, pesant, sans goût, sans odeur, qui éteint le feu, lorsqu'on en jette dessus en une certaine quantité, &c. Voyez FLUIDE, FEU, &c. Nous disons que l'eau est fluide & humide, car ces deux qualités ne sont pas identiques : le mercure, par exemple, est fluide sans être humide, &c. Voyez HUMIDE.

Nous ne parlerons point ici de l'utilité de ce fluide : elle est assez connue. L'eau étoit un des quatre élémens des anciens, voyez ELEMENS ; & Thalès la regardoit comme le principe de toutes choses. Cette opinion de Thalès étoit même plus ancienne que lui ; & M. l'abbé de Canaye a prouvé, dans une excellente dissertation, tome X. des mém. de l'académie des Belles-lettres, que le mot grec , dont les partisans de cette opinion se servoient pour désigner cette propriété prétendue de l'eau, signifie, non un principe purement méchanique & physique, mais une cause efficiente & primitive. Mais il ne s'agit point ici de ce que les philosophes anciens ou modernes ont pensé ou rêvé sur cette matiere ; il s'agit de recueillir les faits les plus certains, & les propriétés physiques de l'eau les mieux connues.

On peut distinguer trois sortes d'eaux : eau de pluie, qui forme les mares, les citernes, & plusieurs lacs : eau de source, qui forme les fontaines, les puits, les rivières, &c. eau de mer, qui est bitumineuse, amere, salée, & impotable. De cette division, il s'ensuit que l'eau n'est jamais absolument pure. L'eau de pluie même, en traversant l'air, & l'eau de source en traversant les terres, se chargent nécessairement d'une infinité de parties hétérogenes. Voyez EAUX MINERALES. L'eau la plus pure est celle qui coule à-travers un sable bien net & sur des caillous. Ce sont les particules hétérogenes dont l'eau est remplie, qui se combinant avec les particules de certains corps, ou s'insinuant dans leurs pores, changent ces corps en pierre, le fer en cuivre, &c. Il y a lieu de croire que l'eau de mer contient quelque chose de plus que du sel ; car en jettant du sel dans de l'eau commune, on n'en fera jamais d'eau de mer. On purifie l'eau de diverses manieres ; par filtration ou colature, voyez ces mots ; par congelation, parce que tout ce qu'il y a de spiritueux dans l'eau ne se gele pas, & que la gelée sépare de l'eau la plus grande partie des corps hétérogenes qui s'y trouvent ; par l'évaporation, qui éleve les parties aqueuses, & laisse tomber en-embas les parties grossieres ; par clarification, en y mêlant des corps visqueux, comme des jaunes d'oeuf, du lait, &c.

Si on met de l'eau pure dans des boules de métal que l'on soude ensuite, & qu'on veuille comprimer ces boules avec une presse, ou les applatir à coups de marteau, on trouvera que l'eau ne peut être condensée, mais qu'elle suinte en forme de rosée par les pores du métal : c'est-là le phénomene si connu qui prouve l'incompressibilité de l'eau. On peut conclure de-là, selon M. Musschenbroeck, que les particules de l'eau sont fort dures : ce que le même physicien prouve encore par la douleur qu'on sent en frappant vivement la surface de l'eau avec la main, & par l'applatissement des balles de fusil tirées dans l'eau.

Les parties de l'eau ont entr'elles beaucoup d'adhérence ; voyez ADHERENCE, COHESION, & les mém. de l'ac. de 1731 : c'est pour cela que des feuilles de métal appliquées sur la surface de l'eau, ne descendent point, parce que la résistance des particules de l'eau à être divisées, est plus grande que l'excès de pesanteur spécifique de ces feuilles sur celle d'un pareil volume d'eau. M. Musschenbroeck, article 607 de son essai de physique, rapporte une expérience qui prouve qu'un morceau de bois d'un pouce quarré, est attiré par l'eau avec une force de 50 grains.

La pesanteur spécifique de l'eau est à celle de l'or, comme 1000 est à 19640, ou environ comme un à 19 3/5. Mais l'eau est un peu plus pesante d'environ 1/60 en hyver, qu'en été ; parce qu'en général la chaleur raréfie les corps. Voyez CHALEUR, DILATATION, &c. De-là il s'ensuit que l'eau a beaucoup plus de pores que de matiere propre, au moins dans le rapport de 20 à 1, & probablement beaucoup au-delà. Voyez PORE, &c.

Les particules de l'eau, quoique très-fines, puisqu'elles pénetrent les métaux, ne peuvent presque pénétrer le verre. A l'égard du degré de finesse de ces parties & de leur figure, c'est ce que les Philosophes ne peuvent, & peut-être ne pourront jamais déterminer. L'eau échauffée se raréfie de la vingt-sixieme partie de son volume, à compter du point d'où elle commence à se geler, jusqu'à ce qu'elle soit bouillante. Bacon a prétendu que l'eau bouillie s'évapore moins que celle qui ne l'est pas. L'eau s'évapore moins que l'eau-de-vie, mais plus que le mercure ; & l'eau courante, moins que l'eau dormante. La vapeur de l'eau échauffée a une grande vertu élastique. Voyez les mots EOLIPILE, DIGESTEUR, EBULLITION, FEU, VAPEUR, &c. Voyez aussi MACHINES HYDRAULIQUES, & POMPE. On trouve même que cette vapeur a une force supérieure à celle de la poudre à canon : c'est ce que M. Musschenbroeck prouve par une expérience, rapportée §. 873 de son essai de physique ; 140 livres de poudre ne font sauter que 30000 livres pesant ; au lieu qu'avec 140 livres d'eau changée en vapeur, on peut élever 77000 livres. Plus la vapeur est chaude, plus elle a de force. La cause de ce phénomene, ainsi que de beaucoup d'autres, nous est entierement inconnue. La vapeur de l'eau, quoique comprimée par le poids de l'atmosphere, ne laisse pas de se dilater au point d'occuper un espace 14000 fois plus grand que celui qu'elle occupoit, & par conséquent elle se dilate bien plus que la poudre, puisque cette derniere, suivant les observations les plus favorables à sa raréfaction, ne se raréfie que 4000 fois au-delà de son volume. Il ne faut donc pas s'étonner si la vapeur de l'eau s'insinue si aisément dans les pores des corps. Sur les phénomenes de l'ébullition de l'eau, voyez EBULLITION.

Lorsqu'on a pompé l'air de l'eau, si on y remet une bulle d'air, l'eau l'absorbe bien vîte ; elle absorbera de même une seconde bulle, & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'elle soit tout-à-fait imprégnée d'air : mais cet air ne se change jamais en eau, puisqu'on peut toûjours l'en retirer : comme aussi l'eau ne donne jamais d'autre air que celui qui s'y trouvoit, ou qu'on y a mis. Il se trouve dans notre atmosphère divers fluides élastiques, qui s'insinuent aussi dans l'eau. L'eau pleine d'air ou sans air, est à peu-près de la même pesanteur spécifique ; mais l'eau pleine d'air est seulement un peu plus raréfiée : d'où M. Musschenbroeck conclut que l'air enfermé dans l'eau, est à peu-près aussi dense que l'eau. Sur les phénomenes chimiques de l'eau, voyez la suite de cet article ; voyez aussi DISSOLUTION, EVAPORATION, &c.

L'eau éteint le feu, selon M. Musschenbroeck, parce que les corps ne brûlent qu'au moyen de l'huile qu'ils renferment, que l'huile brûlante a une chaleur de plus de 600 degrés, & que l'eau ne pouvant avoir une chaleur de plus de 212 degrés, n'en peut communiquer à l'huile. Il en rapporte encore d'autres raisons, qu'on peut voir dans son ouvrage, & que nous ne prétendons point garantir ; d'autant plus que l'eau jettée en petite quantité sur un grand feu, l'augmente au lieu de l'éteindre ; & qu'il y a des corps en feu, comme la poix, l'huile, &c. qu'on ne peut refroidir par le moyen de l'eau.

Sur les phénomenes de l'eau glacée, voyez CONGELATION, GLACE, GELEE, & DEGEL.

M. Mariotte prétend que l'état naturel de l'eau est d'être glacée, parce que la fluidité de l'eau vient du mouvement d'une matiere étrangere qui agite les parties de l'eau, & que le repos de cette matiere produit la glace. Il faudroit pour que cette raison fût bonne, 1°. que l'on connût bien certainement la cause de la congelation, 2° que le repos fût un état plus naturel aux corps que le mouvement. Voy. l'essai de physique de M. Musschenbroeck, d'où nous avons extrait la plus grande partie de cet article. (O)

EAU, (Hydraul.) L'eau, de même que les autres liqueurs, se tient de niveau dans quelque position qu'on la puisse mettre, c'est-à-dire en égale distance du centre de la terre.

Les eaux viennent ordinairement de sources naturelles, de ruisseaux, ou de machines qui les élevent des rivieres, des puits, & des citernes.

" Excepté les minérales & les intercalaires, elles se distinguent en eaux naturelles, artificielles, courantes, plates, jaillissantes, forcées, vives, dormantes, folles, eaux de pluie ou de ravines.

Les eaux naturelles sont celles qui sortant d'elles-mêmes de la terre, se rendent dans un réservoir & font joüer les fontaines continuellement.

Les artificielles ou machinales sont élevées dans un réservoir par le moyen des machines hydrauliques.

On appelle eaux jaillissantes, celles qui s'élevent en l'air au milieu des bassins, & y forment des jets, des gerbes, & des bouillons d'eau.

Les eaux plates sont plus tranquilles ; elles fournissent des canaux, des viviers, des étangs, des miroirs, & des pieces d'eau sans aucun jet.

Les eaux courantes, produites par une petite riviere ou ruisseau, forment des pieces d'eau & des canaux très-vivans.

Les eaux vives & roulantes sont celles qui coulent rapidement d'une source abondante, & que leur extrême fraîcheur rend peu propres à la boisson.

Celles qui fournissent aux jets d'eau sont appellées forcées ; elles se confondent avec les jaillissantes.

Les eaux dormantes, par leur peu de mouvement sujettes pendant l'été à exhaler de mauvaises odeurs, sont peu estimées.

On appelle eaux folles, des pleurs de terre qui produisent peu d'eau, & sont regardées comme de fausses sources qui tarissent dans les moindres chaleurs.

Les eaux de pluie ou de ravine sont les plus legeres de toutes ; elles ne sont pas les plus claires, mais elles se clarifient & s'épurent dans les citernes & les étangs qu'elles fournissent " Théorie & pratique du Jardinage, pag. 323. Voyez HYDRAULIQUES, DEPENSE, &c. (K)

EAU, (Jardin.) L'eau ne sera point ici considérée comme élément, mais par rapport à sa bonne qualité pour la conservation des plantes & de la santé.

Elle doit être transparente, legere, insipide : on l'éprouve avec la noix de galle ; & on observera qu'el le mousse avec le savon, & ne laisse aucune tache sur une assiette bien nette.

Par rapport au jardinage, il faut expérimenter si les légumes y cuisent facilement ; il y a de certaines qualités d'eau, où ils durcissent plutôt que de cuire.

On doit encore en consulter le goût, eu égard aux fruits, étant certain qu'ils conservent, ainsi que les légumes, celui que l'eau y a communiqué, en se filtrant à-travers les terres.

Dans le cas où les sources & l'eau de riviere manquent, on a recours aux eaux de pluie ramassées dans des citernes : elle est la plus legere, & imprégnée du nitre de l'air : elle est plus féconde & plus pure.

Si on est réduit à l'eau de puits, il faut absolument pour en corriger la crudité, la laisser dégourdir ou attiédir aux rayons du soleil dans un bassin, dans des cuvettes, ou dans des tonneaux défoncés & enfoüis dans la terre : on pourroit même y jetter un peu de colombine ou de crotin de mouton pour l'échauffer, avant que d'en arroser les plantes. (K)

EAU, (Chimie) cette substance appartient à la Chimie à plusieurs titres :

Premierement, comme principe constituant des corps naturels & des composés & mixtes artificiels, & l'un des derniers produits de leur analyse absolue.

L'eau considérée sous cet aspect est un élément ou premier principe, un corps particulier, simple, pur, indivisible, inproductible, & incommutable, que je prens ici dans son être solitaire & distinct, en un mot le corpuscule primitif de cet aggregé que tout le monde connoît sous le nom d'eau, & dont les propriétés physiques ont été exposées dans l'article EAU (Physique).

J'observe 1°. à propos de la doctrine des élémens ou premiers principes, adoptée ici formellement, que cette doctrine est directement opposée à l'opinion regnante, qui admet une matiere premiere, homogene, commune, universelle ; mais qu'une pareille matiere me paroît un être purement abstrait, & dont on doit nier l'existence dans la Nature. Voyez le mot PRINCIPE.

J'observe 2°. à propos des qualités d'inproductible & d'incommutable accordées à l'eau, que le dogme qui fait de cette substance le principe universel de tous les corps, & qui suppose par conséquent sa commutabilité, n'est qu'une opinion fondée sur des spéculations & des expériences illusoires ; que l'histoire si connue du saule de Vanhelmont, qui paroît avoir dû son accroissement & sa formation à l'eau seule ; celle de la citrouille élevée de la même maniere par Boyle ; le fait beaucoup plus décisif du chêne élevé dans l'eau par notre célebre académicien M. Duhamel ; les distillations répetées de l'eau, qui présentent toûjours un petit résidu terreux : que tout cela, dis-je, ne prouve pas que l'eau puisse être changée en terre, fournir seule des sels & des huiles, &c. car il n'est pas difficile de déterminer l'origine de la terre qui a formé les squeletes de ces végetaux, & qui a concouru à la production de leurs sels & de leurs huiles (V. VEGETATION) : que les savantes recherches dont M. Eller a composé son second mémoire sur les élémens (hist. de l'ac. roy. de Prusse, ann. 1746.), ne paroissent point assez décisives contre le sentiment que je défens : que c'est évidemment la vapeur de l'eau, comme telle, & non pas de l'eau changée en air, qui a fait descendre le mercure dans la jauge appliquée à une machine pneumatique, dans le récipient de laquelle ce savant médecin introduisit de l'eau en vapeur après l'avoir vuidé d'air : que c'est la vapeur de l'eau qui a constamment imposé, pour de l'air, à tous les physiciens qui ont crû que l'eau pouvoit être changée en air ; que c'est la vapeur de l'eau, & point du tout un air produit par l'eau, ou même dégagé de l'eau, qui agit dans la pompe à feu. Voyez VAPEUR, POMPE A FEU.

Personne ne pense plus aujourd'hui que l'air puisse devenir de l'eau en se condensant ; que les gouttes d'eau qui paroissent sur les vîtes d'un appartement dans certaines circonstances, soient de l'air condensé ; que les fontaines soient dûes à l'air condensé dans des concavités soûterraines, &c. (voyez AIR, FONTAINE, & VAPEUR) : tout ceci sera traité dans une juste étendue à l'article PRINCIPE, où il trouvera sa place plus convenablement qu'ici, lorsque nous établirons dans cet article l'improducibilité & l'incommutabilité des élemens ou premiers principes en général. Voyez PRINCIPE.

Je ferai encore une observation particuliere sur les qualités de corps pur, simple, & existant solitairement, que j'attribue à l'eau principe : il faut remarquer que ce ne sont pas ici des considérations abstraites, mais que l'eau existe physiquement dans cet état de pureté & de division actuelle, absolue, & qu'on pourroit appeller radicale, & que toute combinaison réelle de ce corps suppose cette division & cette pureté. Voyez MENSTRUE & PRINCIPE.

L'idée que la saine Chimie nous donne de l'eau principe étant ainsi déterminée, voici l'histoire chimique de cette substance.

L'eau concourt comme principe essentiel à la formation des sels, des huiles, des esprits ardens, & de toutes les matieres inflammables, de toutes les substances végétales & animales, & vraisemblablement des pierres proprement dites, & de tous les fossiles, excepté des substances métalliques.

L'eau constitue la base de toutes les humeurs animales ; de la seve & de tous les sucs végétaux, des vins, des vinaigres ; de la rosée, & de toutes les matieres connues en Physique sous le nom de météores aqueux. L'eau est essentielle à toute fermentation. Voyez SEL, HUILE, ESPRIT, FLAMME, PIERRE, FOSSILE, SUBSTANCES ANIMALES, VEGETAL, SUBSTANCES METALLIQUES, HUMEUR, SEVE, VIN, VINAIGRE, ROSEE, PLUIE, NEIGE, GRELE, FERMENTATION.

Boerhaave, & plusieurs autres physiciens, disent que l'eau est cachée dans un grand nombre de corps où il est merveilleux de la trouver, & cela (car Boerhaave s'explique) parce que ces corps n'ont aucune des qualités extérieures de l'eau, qu'ils ne sont ni mous ni humides, mais au contraire très-secs & très-compactes, tels que le plâtre employé, le vieux mortier, les parties très-dures des animaux, les bois les plus durs gardés dans des lieux secs & chauds pendant des siecles entiers, &c. Ceci est admirable en effet, comme tous les phénomenes naturels sont admirables, comme l'existence de l'univers est admirable, mais non pas étonnant, unique, incroyable ; puisque c'est au contraire un fait dérivé très-naturellement de cette observation générale, que les principes constituans des corps ne sont jamais sensibles, tant qu'ils sont actuellement combinés, & que l'eau ne se manifeste pas plus par ses caracteres sensibles dans l'esprit-de-vin rectifié, ou dans une huile, qui dans le tartre ou la stalactite, quoique les premieres substances soient liquides & humides, & que les dernieres soient seches & consistantes : en un mot, que l'eau puisse être renfermée dans des corps secs & durs, cela n'est un phénomene isolé, un objet d'admiration, stupendum, mirabile, (Boerhaave, el. chem. de aquâ, t. I. p. 314. ed. de Cavelier) que pour quiconque ne sait envisager un corps que sous l'image d'une masse revêtue de qualités sensibles, pour qui l'eau est toûjours une substance molle & fluide (sous une certaine température), un corps physique, un aggregé. Nous insistons sur les inconvéniens de cette mauvaise & très-peu philosophique acception, toutes les fois que l'occasion s'en présente, parce qu'on ne sauroit trop rappeller aux amateurs de la chimie (lectori philochimico), que la façon de concevoir contraire, est absolument propre & nécessaire au chimiste. Voyez la partie dogmatique de l'article CHIMIE.

Nous disons donc, mais sans annoncer cette vérité par une formule d'admiration, que l'eau est un des matériaux de la composition de plusieurs corps très-secs & très-durs. Nous savons ceci très-positivement, soit parce que quelques-uns de ces corps se forment sous nos yeux, que nous disposons nous-mêmes leurs principes à la combinaison, comme lorsque nous gachons le plâtre, que nous préparons le mortier, &c. (voyez PLATRE, MORTIER) ; soit parce que nous savons retirer cette eau de ces produits de l'art, & de plusieurs corps naturels, par le moyen du feu, & que nous en retirons en effet du plus grand nombre des corps secs & solides, à la formation desquels nous avons avancé que l'eau concouroit comme principe essentiel ; soit enfin parce que nous établissons par des analogies très-séverement déduites, l'origine de certains composés dont la Nature nous cache la formation, sur leur rapport avec d'autres corps dont l'eau est un principe démontré ; c'est ainsi que nous sommes fondés à admettre l'eau pour un des principes constituans de toutes les pierres qui ne sont pas produites ou altérées par le feu, par les phénomenes qui leur sont communs avec certaines substances salines. Voyez SEL & PIERRE.

Si l'on ne peut pas établir démonstrativement que l'eau fait dans ces corps consistans, la fonction d'une espece de mastic, qu'elle est le vrai moyen d'union de leurs autres matériaux, qu'elle soûtient & lie leur aggrégation ; on peut au moins se représenter assez exactement, sous cette image, sa maniere de concourir à la formation de ces corps. Quoi qu'il en soit, c'est à ce titre que nous l'employons dans la préparation du plâtre, du mortier, des colles, &c.

Secondement, l'eau appartient à la Chimie comme menstrue ou dissolvant. Voyez MENSTRUE.

L'eau est le dissolvant de tous les sels, des extraits des végétaux, des gommes, des mucilages, des corps muqueux, de certaines couleurs végétales telles que celle des fleurs de violette, du bois de Brésil, &c. d'une partie des gommes-résines, des esprits ardens, des savons, des sucs gélatineux & lymphatiques des animaux, & même de leurs parties solides, si on l'applique à ces dernieres substances dans la machine de Papin. Voyez MACHINE DE PAPIN ou DIGESTEUR.

Quoique l'eau ne dissolve pas le corps entier des terres, cependant elle prend quelques parties dans la plûpart des matieres terrestres, & sur-tout dans les terres & pierres calcaires ; elle agit très-efficacement sur la chaux (V. CHAUX) ; elle se charge de beaucoup de parties des terres & pierres gypseuses, calcinées ou non calcinées ; elle a aussi quelque prise sur les chaux métalliques, & même sur les substances métalliques inaltérées, principalement sur le fer, le mercure, & l'antimoine, ce qui est prouvé par les vertus médicinales des décoctions de ces substances. Tous les métaux triturés avec l'eau, passent pour fournir un certain sel ; l'or même, le plus fixe des métaux, par une longue trituration avec l'eau pure, fournit un sel jaune, selon la prétention de plusieurs habiles chimistes. M. Pott propose le doute suivant sur l'origine de ce produit, de l'existence duquel on pourroit peut-être douter aussi légitimement : an hic effectus tantum diutino triturationis motui, sali etiam ut vocant insipido in aquâ contento attribuendus sit, adhuc haereo. (Pott, historia particular. corporum solutionis, §. 3.) Bécher dit que l'eau distillée un grand nombre de fois devient si corrosive, qu'elle dissout les métaux. Phys. subt. sect. V. cap. xj. L'auteur de la chimie hydraulique a des prétentions singulieres sur cet effet de la trituration avec l'eau. Voyez HYDRAULIQUE, (Chimie).

Quoique l'eau ne dissolve pas proprement le soufre, les huiles, les baumes, les résines, les graisses, les beurres, les bitumes, &c. elle extrait pourtant quelque chose de toutes ces substances, & principalement des huiles par expression, des baumes, & des bitumes. Voyez HUILE.

Les pierres vitrifiables, comme le vrai sable, le caillou, &c. le bon verre, les émaux, les terres argilleuses bien cuites, le charbon, ne donnent absolument rien à l'eau.

Il faut observer sur ce que nous venons de dire de l'eau considérée comme menstrue, 1°. que selon la loi la plus générale de la dissolution (voyez MENSTRUE), l'eau ne dissout que des quantités déterminées de tous les corps consistans, que nous avons dit être entierement solubles par ce menstrue ; elle s'en charge jusqu'à un terme connu dans l'art sous le nom de saturation, & au-delà duquel la dissolution n'a plus lieu, tout étant d'ailleurs égal. Voyez SATURATION.

Le sucre est de tous les corps connus celui que l'eau dissout en plus grande quantité ; une partie d'eau tient deux parties de sucre en dissolution sous la température moyenne de notre climat ; car la même quantité d'eau très-chaude en dissout bien davantage (voyez MENSTRUE, SIROP) La quantité de la plûpart des sels requise pour saturer une certaine quantité d'eau, a été observée : Voyez SEL.

2°. Qu'on n'observe point une pareille proportion entre l'eau & les différens liquides avec lesquels elle fait une union réelle ; mais qu'au contraire une quantité d'eau quelconque se combine chimiquement avec une quantité quelconque d'un liquide auquel elle est réellement miscible. Un gros d'eau se distribue uniformément dans une pinte d'esprit-de-vin, & y éprouve une dissolution réelle, comme une pinte d'eau étend un gros d'esprit-de-vin, & contracte avec ce dernier liquide une union réelle ou chimique. En un mot, l'eau se mêle à tous les liquides solubles par ce menstrue, comme l'eau s'unit avec l'eau, l'huile avec l'huile, &c. Quelques chimistes, du nombre de ceux qui ont considéré les phénomenes chimiques le plus profondément, ont fait du mêlange dont nous parlons, une espece particuliere d'union, qu'ils ont distinguée de la dissolution ou union menstruelle : mais ce n'est pas ici le lieu d'examiner combien cette distinction est légitime. V. MENSTRUE.

C'est par la propriété qu'a l'eau de dissoudre certaines substances, qu'elle nous devient utile pour les separer de divers corps auxquels elles étoient unies. C'est par-là qu'elle fournit un moyen commode pour retirer les sels lixiviels de parmi les cendres, le nitre des platras, les extraits des végétaux, &c. en un mot, qu'elle est un instrument chimique de l'analyse menstruelle, dont l'application est très-étendue. Voyez MENSTRUELLE (Analyse). C'est à ce titre qu'elle a mille usages oeconomiques & diététiques ; qu'elle nous sert à blanchir notre linge, à dégraisser nos étoffes, à nous préparer des bouillons, des gelées, des sirops, des boissons agréables comme orgeat, limonade, &c. qu'elle nous fournit plusieurs remedes sous une forme commode, salutaire, & agréable. Voyez EAU, Pharmacie.

Il est essentiel de se ressouvenir que l'eau que le chimiste emploie à titre de menstrue doit être pure, & que celle que la Nature peut lui fournir ne l'est pas ordinairement assez pour les opérations qui demandent beaucoup de précision. La distillation lui offre un moyen commode & suffisant pour retirer de l'eau la moins chargée de parties étrangeres, telle que l'eau de neige, d'en retirer, dis-je, une eau qu'il peut employer comme absolument pure. L'eau de neige distillée est donc l'eau pure des laboratoires ; l'eau de pluie, l'eau de riviere, & même une eau commune quelconque, acquiert aussi par la distillation un degré de pureté qui peut être pris pour la pureté absolue.

L'ordre d'affinité de l'eau & de quelques-unes des substances que nous avons nommées, est tel que l'acide vitriolique & l'alkali fixe doivent être placés au premier rang, sans qu'on puisse leur assigner un ordre entr'eux ; car lorsqu'on verse un de ces deux corps sur une eau chargée de l'autre, il agit sur ce dernier avec tant d'énergie, qu'il est impossible de distinguer s'il en opere la précipitation avant la dissolution, comme cela s'observe sensiblement de l'alkali versé sur une dissolution de cuivre.

L'acide vitriolique a plus de rapport avec l'eau, que tous les autres acides ; il le leur enleve, il les concentre. L'ordre de tous ces autres acides entr'eux, quant à leur affinité avec l'eau, n'est pas connu, & n'est peut-être pas connoissable.

Les esprits ardens (ordinairement représentés dans les expériences chimiques par l'esprit-de-vin) occupent le second rang, du moins par rapport à l'alkali fixe ordinaire qui les déphlegme.

Je dis, du moins par rapport à l'alkali fixe, pour ne rien établir sur l'acide vitriolique, duquel on ne sait pas en effet s'il y a plus de rapport avec l'eau que l'esprit-de-vin ; car on n'apprend rien sur ce point par les phénomenes de la préparation de l'éther vitriolique (voyez ÉTHER VITRIOLIQUE), & je crois que personne ne s'est encore avisé de mêler de l'acide vitriolique concentré, à de l'esprit-de-vin foible, pour s'instruire du degré d'affinité dont il s'agit.

Je dis en second lieu, l'alkali fixe ordinaire ; car l'ordre de rapport de l'alkali fixe, de soude, de l'eau, & de l'esprit-de-vin, n'a pas été observé que je sache, & il ne paroît pas qu'il doive être le même que celui de l'alkali fixe ordinaire.

L'alkali volatil uni à l'eau est précipité par l'esprit-de-vin rectifié, comme il est évident par la production de l'offa de Vanhelmont. Voyez OFFA DE VANHELMONT.

Plusieurs sels neutres dissous dans l'eau, sont précipités par l'esprit-de-vin.

Plusieurs sels neutres unis à l'eau, sont précipités par l'alkali fixe, selon les expériences de M. Baron. (Voyez mém. étr. de l'acad. roy. des Scienc. vol. I.) Les sels neutres ont donc moins de rapport avec l'eau, que l'alkali fixe & que l'esprit-de-vin. Ils ont aussi avec ce menstrue une moindre affinité sans doute, que tous les acides minéraux ; mais ceci n'a pas été déterminé par des expériences, non plus que l'ordre d'affinité de toutes les autres substances solubles par l'eau.

Le chimiste qui se proposera d'étendre autant qu'il est possible, la table des rapports de M. Geoffroy, nous fournira sans doute toutes ces connoissances de détail, & il aura fait un travail très-utile.

Nous retirons dans les travaux ordinaires quelques utilités pratiques du petit nombre de connoissances que nous avons sur cette matiere : nous réduisons sous une forme concrete, des sels neutres très-avides d'eau, par le moyen de l'esprit-de-vin ; nous concentrons l'acide nitreux par l'acide vitriolique ; nous déphlegmons l'esprit-de-vin par le sel de tartre. Voyez la table des rapports au mot RAPPORT ; voyez PRECIPITATION.

Troisiemement, le chimiste employe l'eau comme instrument méchanique, ou, si l'on veut, physique ; il l'interpose entre le feu & certains corps auxquels il veut appliquer un feu doux, & renfermé dans l'étendue des degrés de chaleur dont ce liquide est susceptible. Cet intermede (que j'appellerai faux, voy. INTERMEDE) est connu dans l'art sous le nom de bain-marie (voyez FEU, Chimie). L'eau sert de la même façon dans la cuite des emplâtres qui contiennent des chaux de plomb. Voyez EMPLATRE.

L'eau est l'instrument essentiel de la pulvérisation philosophique, qu'on appelle aussi pulvérisation à l'eau. Voyez PULVERISATION.

Le lavage par lequel on sépare une poudre plus legere d'une poudre plus pesante, est encore une opération méchanique que le chimiste exécute par le moyen de l'eau. Voyez LAVAGE.

Il est aisé d'appercevoir que l'eau, dans les derniers usages que nous venons de rapporter, agit comme liquide, & non pas comme liquide tel ; & voilà pourquoi elle est dans ces cas un agent physique, & non pas un agent chimique. Voyez la partie dogmatique de l'article CHIMIE. (b)

Eau douce ou eau commune. L'eau que la nature nous présente sous la forme d'un corps aggregé, est encore un objet chimique, entant que les différentes substances dont elle est toûjours mêlée, ne peuvent être découvertes & définies que par des moyens chimiques.

L'eau qui paroît la plus pure, c'est-à-dire la plus limpide, la plus inodore & la plus insipide, celle que tout le monde connoît sous le nom d'eau douce ou d'eau commune, n'est pas exempte de mêlange, n'est pas un corps simple ou homogene. La distillation de la plus pure de ces eaux présente toûjours un résidu au moins terreux.

Les Naturalistes & les Médecins distinguent les différentes especes d'eau douce par divers caracteres extérieurs, & sur-tout par leur lieu ou leur origine. Nous adoptons cette division, puisqu'en effet c'est du lieu & de l'origine des eaux que dépendent les différences qui les spécifient chimiquement.

Il faut remarquer que nous ne comptons point parmi les matieres qui alterent la simplicité de l'eau douce, celles qui la troublent, qui sont simplement confondues avec l'élement aqueux, qui en sont séparables par la filtration, comme on les sépare en effet des eaux qu'on destine à la boisson. Voyez FILTRE & FONTAINE DOMESTIQUE.

Les principales especes d'eau douce, selon cette division, sont l'eau de pluie & de neige, l'eau de fontaine, l'eau de puits, l'eau de riviere, & l'eau croupissante.

Nous exposerons dans un instant la composition la plus ordinaire de chacune de ces eaux, d'après les connoissances positives que nous avons acquises sur cette matiere par divers moyens chimiques ; savoir la distillation, l'évaporation, & l'application de certains réactifs. Mais nous ne rapporterons ici que les résultats des recherches faites sur les eaux par ces moyens, nous réservant d'exposer leur emploi, leur usage & leur maniere d'agir, à l'article MINERALE, (Eau) ; car les eaux minérales étant plus manifestement & plus diversement composées que les eaux douces, les effets des moyens chimiques seront plus marqués, plus évidens, plus distincts.

La légereté de l'eau est un signe de sa pureté. On détermine la gravité spécifique d'une eau, en la comparant à l'eau très-pure des Chimistes ; savoir l'eau distillée de pluie ou de neige, par le moyen de divers aréometres. Voyez AREOMETRE.

Il est, outre ces moyens exacts, quelques signes auxquels on peut reconnoître la pureté des eaux ; & ces signes sont très-suffisans, quand il ne s'agit de la déterminer que relativement aux besoins ordinaires de la vie : les voici tels qu'ils sont rapportés dans Rieger, introductio ad notitiam rerum naturalium, d'après les anciens auteurs de Médecine, d'Histoire naturelle & d'Oeconomie rustique.

" Cette eau est bonne ou pure, qui étant roulée dans un vaisseau de cuivre, n'y laisse point de taches ; qui ayant boüilli dans un chauderon, & en ayant été versée par inclination, après qu'on l'y a laissée reposer un certain tems, n'a laissé au fond de ce vaisseau ni sable ni limon ; dans laquelle les légumes sont bientôt cuits ; dans le cours de laquelle il ne naît ni mousse ni jonc, & qui n'y laisse aucune espece d'ordure ; qui ne donne point un mauvais teint à ceux qui en font leur boisson ordinaire, qui les laisse joüir au contraire d'une santé robuste, d'une couleur fraîche & vermeille ; qui n'affecte ni leurs jambes, ni leurs yeux, ni leur gorge. Une couleur parfaitement limpide, une insipidité parfaite, & un manque absolu d'odeur, sont encore des caracteres essentiels à la bonne eau ; ensorte que Pline a eu raison de dire que la bonne eau devoit être en quelque maniere semblable à l'air.... Ajoutez à cela qu'elle dissout parfaitement le savon, qu'elle nettoye mieux le linge, qu'elle nourrit les meilleurs poissons, qu'elle tire mieux les teintures des diverses substances auxquelles on l'applique, comme le thé ; qu'elle est la plus propre à faire du bon mortier ; & qu'enfin on en prépare la plus excellente biere. Les eaux qui réunissent toutes ces propriétés, sont appellées légeres, vives, douces, subtiles, molles, mites, lenes ; celles qui ont les qualités contraires, sont appellées dures, crues, pesantes "

Eau de pluie & de neige. L'eau de pluie est ordinairement très-pure, elle a été élevée dans l'atmosphere par une véritable distillation ; cependant, soit qu'elle ait volatilisé une partie des matieres auxquelles elle étoit unie avant son élevation, soit qu'après avoir été parfaitement épurée par ce moyen, elle se soit chargée de nouveau de diverses substances répandues dans l'air, il est démontré par de bonnes expériences, que l'eau de pluie, dans le plus grand état de pureté où il paroisse possible de l'obtenir, contient encore quelques principes étrangers.

Si l'on veut recueillir de l'eau de pluie dans la vûe de l'examiner chimiquement, il faut pourvoir avec les soins les plus scrupuleux à ce qu'elle ne puisse contracter pendant cette opération le moindre mélange, la moindre altération : on doit la recevoir dans des vaisseaux de verre auparavant rincés avec de l'eau distillée, & exposés immédiatement à la pluie, après que l'air a été suffisamment purgé par une pluie précedente, dans un lieu écarté & découvert : on doit encore avoir soin d'enfermer cette eau dans des bouteilles de verre bien propres, dès qu'il a cessé de pleuvoir. C'est avec ces précautions que M. Marggraf a ramassé pendant l'hyver de 1751, l'eau de pluie sur laquelle ce savant chimiste a fait les expériences qu'il rapporte dans l'histoire de l'académie de Berlin, (année 1752) sous le titre d'Examen chimique de l'eau. Le résultat de cet examen, exécuté par le procédé le mieux entendu & le plus démonstratif, est que " cent mesures, chacune de trente-six onces d'eau de pluie, ont donné cent & quelques grains d'une terre blanche tirant sur le jaunâtre, & fort subtile, qui dans toutes ses relations & qualités ressembloit parfaitement à une véritable terre calcaire.... un vrai sel en forme de petite pique, tout-à-fait semblable au nitre, &.... quelques crystaux cubiques qui ne différoient en rien du sel commun de cuisine. Ces deux sels pesoient seulement quelques grains, & ils étoient d'une couleur brunâtre ; indice clair que cette eau, malgré toutes les précautions prises pour la recueillir, étoit cependant encore mêlée de particules visqueuses & huileuses ; ce qui ne pouvoit guere être autrement, puisque notre air en toute saison de l'année est abondamment rempli de diverses exhalaisons, comme les pluies de l'été le font très-souvent connoître par leur seule odeur.... Les parties salines & terrestres qui sont contenues dans l'eau de pluie recueillie très-pure, se découvrent assez manifestement, si on fait pourrir l'eau de pluie en l'exposant à la chaleur du soleil.... Je l'y exposai pendant les mois de Mai, Juin, Juillet, Août, jusqu'à la moitié de Sept. de l'année 1752, pendant lesquels mois il fit un tems assez chaud. Dans le commencement je n'observai aucun changement remarquable ; mais au bout d'un mois j'apperçûs un mouvement intérieur & de l'agitation : il s'élevoit de petites bulles, & on voyoit un limon verdâtre, assez semblable à celui qui couvre la surface de l'eau lorsqu'on dit qu'elle fleurit. Ce limon s'augmentoit de plus en plus, & s'attachoit en partie au fond, en partie aux côtés du vase. Si donc les parties susdites de notre eau de pluie étoient exemptes de mélange, & sur-tout que cette eau ne contînt point de parties mucilagineuses & huileuses, il n'y seroit arrivé aucune putréfaction ; mais la lenteur avec laquelle cette putréfaction arrive, en comparaison de celle qu'éprouvent d'autres eaux plus impures, vient de ce qu'il ne s'y trouve qu'une très-petite quantité des parties susdites : car l'eau poussée par la concentration de la même eau de pluie, faite en distillant, ayant été pareillement exposée à une égale chaleur du soleil, ne laissa pas appercevoir le moindre mouvement, bien loin d'éprouver la putréfaction & la séparation des parties terrestres.

Cent mesures d'eau de neige recueillie avec les précautions dont nous venons de parler pour l'eau de pluie, fournirent à M. Marggraf, par les mêmes moyens, soixante grains d'une véritable terre calcaire, & quelques grains de sel qui tenoient plus du sel de cuisine que du sel nitreux ; en quoi il différoit du sel extrait de l'eau de pluie, lequel avoit plus de rapport avec le nitre. Toute la différence donc entre l'eau de pluie & l'eau de neige, n'est d'aucune importance, & se réduit à ce que l'acide de l'eau de pluie est plus nitreux, & qu'elle renferme plus de terre calcaire ; au lieu que l'eau de neige a plûtôt un acide salin que nitreux, & contient une moindre quantité de terre calcaire. Au reste le peu de sel que j'avois tiré de l'eau de neige, étoit pareillement d'une couleur brunâtre ; ce qui est un indice qu'il y a aussi des parties mucilagineuses & huileuses. Ayant exposé mon eau de neige à la chaleur du soleil pendant l'été de cette année, il lui arriva exactement les mêmes accidens qu'à l'eau de pluie, & elle vint aussi à putréfaction ".

Vanhelmont rapporte, & c'est un fait très-connu à-présent, que l'eau la plus pure dont on approvisionne nos navires, éprouve sous la ligne une véritable putréfaction ; qu'elle devient roussâtre, ensuite verdâtre, & enfin rouge ; que dans ce dernier degré d'altération elle répand une puanteur insupportable, & qu'elle se rétablit ensuite d'elle-même en peu de jours. Le même phénomene observé par M. Marggraf sur l'eau de neige & sur l'eau de pluie, l'une & l'autre beaucoup plus pure que celle qu'on charge sur nos vaisseaux, rend le premier beaucoup moins singulier. La putrescibilité de nos meilleures eaux est toûjours cependant une de leurs propriétés qui mérite le plus d'attention. Voyez PUTREFACTION.

Voilà des expériences exactes, qui établissent une grande analogie entre l'eau de pluie & l'eau de neige ; ensorte que l'on doit au moins douter que l'opinion qui fait regarder l'eau de pluie comme très-salutaire pour la boisson, & l'eau de neige très- insalubre au contraire ; que cette opinion, dis-je, soit suffisamment fondée : ou penser au moins que l'insalubrité, la prétendue dureté, crudité, &c. des eaux des neiges ou des glaces fondues, dépendent de certains accidens arrivés à la neige pendant qu'elle couvroit la surface de la terre, qu'elle étoit retenue sur-tout pendant de longs hivers sur le sommet des montagnes.

Au reste il est très-raisonnable de penser que la composition de la pluie & de la neige doivent varier dans les différens pays, dans les différentes saisons, par les différens vents, & par les autres circonstances qui modifient diversement l'état de l'athmosphère. M. Hellot recueillit au mois d'Août 1735, dans des terrines isolées avec soin, de l'eau d'orage qui avoit une odeur sulphureuse, & qui précipitoit l'huile de chaux, comme auroit fait un esprit de vitriol très-affoibli. M. Grosse a eu du tartre vitriolé, en faisant dissoudre du sel de tartre pur dans de l'eau d'orage qu'il avoit ramassée à Passy en 1724. Voyez mémoire sur le phosphore de Kunckel, &c. à la fin ; mém. de l'académie royale des Sciences, année 1737.

L'eau de pluie & l'eau de neige se conservent très-bien, si on les ramasse avec les précautions rapportées à l'article CITERNE.

L'eau distillée de pluie ou de neige est inaltérable, si on l'expose même à la chaleur du soleil & à l'abord libre de l'air, selon l'expérience de M. Marggraf, que nous avons rapportée ci-dessus en passant, & dont nous faisons mention ici plus expressément, pour confirmer ce que nous avons avancé de la pureté de cette eau dans l'article EAU, (Chimie)

Eau de fontaine. Les variétés des eaux de fontaine sont très-considérables, parce que les entrailles de la terre que ces eaux parcourent, renferment une grande quantité de diverses matieres dont l'eau peut se charger par une vraie dissolution. Si quelques-uns de ces principes sont contenus dans une eau de source en une proportion suffisante pour altérer sensiblement les qualités extérieures de l'eau pure, une pareille eau est appellée minérale, voyez MINERALE, (Eau) Si au contraire elle n'est altérée par aucun principe qui se manifeste par des caracteres sensibles, tels que l'odeur, la saveur, la couleur, certains dépôts, des vertus médicinales évidentes, &c. elle est rangée parmi les eaux douces.

On trouve des eaux de fontaine qui sont autant ou plus pures que l'eau de neige : celles-ci naissent ordinairement dans les contrées où les pierres de la nature des grais, des quartz, des cailloux, sont dominantes. Les sources d'eau douce qui sortent d'un banc d'argile pure, sont aussi communément assez simples. Les pays où l'on ne trouve que des pierres & des terres calcaires, comme marbre, pierres coquilleres, craie, marne, &c. fournissent au contraire des eaux chargées d'une terre de ce genre, qui s'y trouve en partie nue, & en partie combinée avec un peu d'acide vitriolique sous la forme de selenite. La raison de ceci, c'est que la terre vitrifiable & la terre argilleuse ne sont que peu solubles, peut-être même absolument insolubles, par l'élément aqueux & par l'acide dont il peut être chargé, au lieu que les terres calcaires sont soûmises à l'action de ces menstrues.

Eau de puits. Il paroît que l'eau de puits ne doit pas différer originairement de l'eau de fontaine, & que si on la trouve plus communément chargée de terre & de diverses substances salines, c'est qu'étant ramassée dans une espece de bassin où elle est peu renouvellée, elle se charge de tout ce que l'eau qui vient de la surface de la terre, lui amene par une espece de lixiviation, & des ordures que l'air peut lui apporter sous la forme de poussière. Cette conjecture est d'autant plus fondée, que c'est une ancienne observation que l'eau de puits devient d'autant plus pure, qu'elle est plus tirée.

L'eau des puits varie considérablement dans les différens pays, & dans les différens lieux du même pays ; nouvelle preuve que sa composition lui vient principalement des couches de terre supérieures à celle dans laquelle se trouvent les sources du toît. Quoi qu'il en soit, on trouve des puits qui fournissent une eau aussi pure que la meilleure eau de rivière, mais toûjours avec la circonstance de les tirer sans interruption.

L'eau des puits de Paris est prodigieusement seleniteuse & chargée de terre calcaire ; dans quelques puits même, au point d'en être trouble. M. Marggraf a trouvé l'eau des puits de Berlin très-chargée de terre calcaire, & d'une petite portion de terre gypseuse : ces eaux lui ont fourni aussi du vrai sel marin & du nitre. Ce dernier produit mérite une considération particuliere, relativement à une prétention sur l'origine du nitre, contredite par un fait rapporté dans les mémoires de l'académie royale des Sciences, & par celui-ci. Voyez NITRE.

Eau de rivière. La composition de l'eau de rivière, en exceptant toûjours les matieres qui la troublent après les inondations, est dûe 1°. aux principes dont se sont chargées, dans les entrailles de la terre, les diverses fontaines dont les rivières sont formées : 2°. aux matieres solubles qu'elles peuvent détacher du fond même de leur lit : 3°. aux plantes qui végetent dans leur sein, & aux poissons qui s'y nourrissent : 4°. enfin aux diverses ordures, que les égoûts & les fossés qui s'y dégorgent peuvent leur amener des lieux habités, des terres arrosées, &c.

Comme les eaux de fontaine pures sont plus ordinaires que celles qui sont très-terreuses, & que ces dernieres se purifient vraisemblablement dans leur course, l'eau de rivière doit être peu chargée de matieres détachées de l'intérieur de la terre ; elle varie davantage, selon la nature du terrein qu'elle parcourt. Celle qui coule sur un beau sable, sur des gros caillous, ou sur une couche de pierre vitrifiable, est très-pure. Celles qui, comme la Marne, coulent dans un lit de craie, ou dans un terrein bas & marécageux, comme la plûpart des rivières de la Hollande & celles de la Marche de Brandebourg, selon Fréd. Hoffman ; celles-ci, dis-je, sont très-impures. La rapidité des rivières est encore une cause très-efficace de la pureté de leurs eaux, tant parce qu'elles s'épurent, qu'elles éprouvent une précipitation spontanée, une vraie décomposition par le mouvement intérieur de leurs parties, que parce que les rivieres rapides ne sont point poissonneuses, & qu'il ne peut croître que très-peu de plantes dans leur lit. Le Rhin, le Rhone, & presque toutes les grandes rivières du royaume, fournissent des eaux très-pures ; parce qu'elles coulent dans un beau lit, qu'elles sont rapides, & peu poissonneuses. Les rivières très-lentes & très-poissonneuses d'Hongrie, roulent une eau très-chargée de divers principes qui la disposent facilement à la corruption. Deux plantes dangereuses, l'hippuris & le conferva, ou mousse d'eau, s'étant extrèmement multipliées dans le lit de la Seine en l'année 1731, qui fut très-seche, il régna à Paris des maladies qui dépendoient évidemment de la qualité que ces plantes avoient communiquée à l'eau, selon l'observation de M. de Jussieu (Mém. de l'acad. roy. des Sc. ann. 1733). Toutes les immondices que les égoûts des villes peuvent porter dans une grande riviere, ne l'alterent pas au point qu'on l'imagine communément. L'eau de la Seine, prise au-dessous de l'hôtel-Dieu & de tous les égouts de Paris, & même dans le voisinage de ces égouts, & au-dessous des bateaux des blanchisseurs, n'est point sensiblement souillée ; la masse immense & continuellement renouvellée d'eau, dans laquelle ces ordures sont noyées, empêche qu'elles n'y soient sensibles : en un mot l'eau de la Seine, puisée sur le bord de la riviere, entre le pont-neuf & le pont-royal, sans la moindre précaution, est excellente pour la boisson & pour l'usage des arts chimiques ; & l'auteur des nouvelles fontaines domestiques a eu raison d'attribuer aux fontaines de cuivre, les dévoiemens qu'éprouvent assez ordinairement, par la boisson de l'eau de la Seine, les étrangers nouvellement transplantés à Paris, au lieu d'en accuser l'impureté de cette eau.

Eau croupissante, stagnans. Le degré d'impureté auquel ces eaux -ci peuvent parvenir, n'a d'autres bornes que leur faculté de dissoudre, jusqu'à saturation, toutes les matieres qu'elles peuvent attaquer, les plantes, les poissons, les insectes, les fumiers, & toutes les matieres répandues sur la surface d'un terrein habité & cultivé. Leur état de composition se décele à la vûe, à l'odeur, & au goût. Nous ne saurions entrer dans un plus grand détail sur cette matiere. (b)

Eau salée, eau de la mer, des fontaines, & puits salans. Voyez MARIN (Sel), MER, PUITS SALANT, LINELINE.

Eaux minérales & médicinales, voyez MINERALES (Eaux).

EAU COMMUNE, (Pharm.) l'eau sert d'excipient dans un très-grand nombre de préparations pharmaceutiques. Il est celui des potions, des apozèmes, des bouillons, des tisanes, &c. On la prescrit souvent dans les remédes magistraux, sans dose déterminée, ou en s'en rapportant à l'expérience de l'apothicaire. Aquae communis quantum satis, ou quantum sufficit, dit-on dans ce cas : formule qui s'abrege ainsi, Aq. C. Q. S. Dissolve, dit-on encore, ou coque in sufficienti quantitate aquae communis, qu'on abrege ainsi, in S. Q. Aq. C. C'est souvent de l'eau de fontaine que les Médecins demandent dans ces cas ; & on trouve communément dans les ordonnances aqua fontana, au lieu d'aqua communis ; mais l'eau commune pure de fontaine, de cîterne, ou de riviere, est également bonne pour tous les usages pharmaceutiques.

L'eau a un usage particulier dans la cuite des emplâtres. Voyez EMPLATRE.

Elle est la base des émulsions, du plus grand nombre de sirops, &c. Voyez EMULSION & SIROP. (b)

EAU, (Med.) L'eau douce, ou l'eau commune, appartient, à la Médecine à deux titres : premierement, comme chose non-naturelle, ou objet diététique : secondement, comme un remede. Nous allons la considérer sous ces deux points de vûe dans les deux articles suivans.

EAU COMMUNE, (Diéte) Personne n'ignore les principaux usages diététiques de l'eau ; l'eau pure est la boisson commune de tous les animaux : & quoique les hommes l'ayent chargée dès long-tems de diverses substances, comme miel, lait, extrait leger de quelques plantes, diverses liqueurs fermentées, &c. que plusieurs même lui ayent absolument substitué ces dernieres liqueurs, il est cependant encore vrai que l'eau pure est la boisson la plus générale des hommes.

Cette boisson salutaire a été de tout tems comblée des plus grands éloges par les Philosophes & par les Médecins ; la santé la plus constante & la plus vigoureuse a été promise aux buveurs d'eau, comme un ample dédommagement des plaisirs passagers que l'usage des liqueurs fermentées auroit pû leur procurer. La loi de la nature interpretée sur l'exemple des animaux, a fourni aux apologistes de l'eau un des argumens, sur lesquels ils ont insisté avec le plus de complaisance. Plusieurs médecins de ce siecle nous ont donné des explications physiques & méchaniques des bons effets de l'eau. Mais il est un autre ordre de médecins qui échangeroient volontiers ces savantes spéculations, contre une bonne suite d'observations exactes. Nous nous en tiendrons avec ceux-ci, à ce que nous apprend sur ce point important de diéte, un petit nombre de faits dont la certitude est incontestable.

Premierement, nous n'avons aucun moyen d'apprécier au juste l'utilité de l'eau, considérée génériquement comme boisson, mise en opposition avec la privation absolue de toute boisson. Les exemples des gens qui ne boivent point, sont trop rares pour que nous puissions évaluer contradictoirement les effets absolus de l'eau dans la digestion, la circulation, la nutrition, les secrétions. Il est prouvé cependant par plus d'une observation, qu'on peut vivre & se bien porter sans boire.

Secondement : les bûveurs d'eau, mis en opposition avec les bûveurs de vin (selon la maniere ordinaire de considérer les vertus diététiques de l'eau), joüissent plus communément d'une bonne santé que ces derniers. Les premiers sont moins sujets à la goutte, aux rougeurs des yeux, aux tremblemens de membres, & aux autres incommodités, que l'on compte avec raison, parmi les suites funestes de l'usage des liqueurs spiritueuses. Voyez VIN, (Diete)

Les bûveurs d'eau sont peu sujets aux indigestions ; l'eau est, selon la maniere de parler vulgaire, le meilleur dissolvant des alimens. La plûpart des personnes qui se portent bien, éprouvent après le repas, pendant lequel elles n'ont bû que de l'eau, cette légereté de corps & cette sérénité paisible de l'ame, qui annoncent la digestion la plus facile & la meilleure.

En mangeant des fruits ou des sucreries, il faut boire nécessairement de l'eau ; le palais même qui est le premier juge des boissons & des alimens, décide par un sentiment très-distinct en faveur de l'eau.

Les bûveurs d'eau passent pour très-vigoureux avec les femmes, dans l'exercice vénérien ; mais peut-être ne se sont-ils fait une réputation à cet égard, que par la comparaison qu'on a faite de leur talent avec l'impuissance des hommes perdus d'ivrognerie. Voyez VIN, (Diete)

Au reste, il n'est personne qui n'apperçoive que ce sont moins ici les propriétés réelles de l'eau, que l'exemption des inconvéniens qu'entraîne l'usage immodéré des liqueurs fermentées. Voyez l'article VIN, (Diete)

Il n'est pas vrai que les paysans des pays où les liqueurs vineuses manquent, soient plus forts & plus laborieux que ceux où ces liqueurs sont si communes, que le paysan en peut faire sa boisson ordinaire. Voyez VIN, (Diete) & CLIMAT, (Med.)

En général, il vaut mieux boire l'eau froide que chaude. Dans le premier état, elle remplit mieux les vûes de la nature, c'est-à-dire, qu'elle pourvoit mieux au besoin que l'on cherche à satisfaire en bûvant de l'eau ; elle appaise la soif, & ranime davantage, reficit ; elle plaît à l'estomac sain, comme au palais. L'eau chaude, au contraire, ne desaltere point & ne ranime point ; elle ne plaît point à l'estomac, non plus qu'aux organes du goût : les nausées & le vomissement qu'elle excite, quand elle est échauffée à un certain degré, en sont une preuve. Cette observation générale n'empêche point que dans certains cas particuliers, dans celui où se trouvent, par exemple, les personnes qui ont l'estomac trop sensible, ou pour exprimer un état plus évident, les personnes qui ont éprouvé que l'eau froide dérangeoit leur digestion, ou même leur causoit des coliques, des hoquets, &c. accidens qu'on observe quelquefois chez des femmes vaporeuses, & chez certains mélancoliques, on ne doive user d'eau chaude. V. COLIQUE, HOQUET, HISTERIQUE (Passion), MELANCOLIE, HIPPOCONDRIAQUE.

Il n'est pas si évident que, dans le cas des simples rhûmes, où l'on est assez généralement dans l'usage de chauffer l'eau qu'on boit, cette pratique soit aussi nécessaire que dans le cas précédent. Dans le premier, elle est fondée sur un fait : dans le dernier, ce pourroit bien n'être que sur une prétention ; il sera cependant toûjours prudent de boire chaud pendant qu'on est enrhûmé, jusqu'à ce qu'il soit décidé par des bonnes observations, que la boisson de l'eau froide n'est pas dangereuse dans les rhûmes. On a prétendu en Angleterre, qu'elle étoit curative. Voy. l'article suivant.

Au reste, en continuant à reclamer les observations, nous établirons que dans les sujets sains, la boisson de l'eau froide, & même à la glace, ne produit aucun mal connu ; & que l'usage habituel de l'eau chaude (ou des infusions théiformes qui sont la même chose, à quelque legere nuance d'activité près), affoiblit l'estomac, rend le corps lourd & paresseux, & l'esprit sans chaleur & sans force.

Ce que nous venons d'établir, ne détruit point cette sage loi diététique, qui défend de boire de l'eau froide quand le corps est très-échauffé par un exercice violent : mais dans ce cas même, la boisson de l'eau froide est sujette à peu d'inconvéniens, si l'on continue à s'échauffer après avoir bû. Les chasseurs des pays chauds, suans à grosses gouttes, boivent sans s'arrêter de l'eau des fontaines qu'ils trouvent sur leur chemin, & ils prétendent qu'ils ne s'en sont jamais trouvés mal. Il ne seroit pourtant pas prudent de boire de l'eau trop froide, même avec cette précaution.

L'eau bûe en trop grande quantité pendant les chaleurs de l'été, dispose à suer, & affoiblit singulierement. Voyez CLIMAT, (Med.) Plus on la boit chaude, plus elle produit ces effets.

L'eau la plus pure est la meilleure pour la boisson. Voyez ci-dessus, à l'article EAU DOUCE (Chimie), quelle est la plus pure des différentes eaux douces, & à quels signes on la reconnoît. Nous n'en savons pas plus sur le choix des eaux, que ce qu'en ont écrit les anciens médecins. Nous sommes, avec raison ce semble, de l'avis de Celse sur cette matiere. Voici comme il s'en explique. L'eau la plus legere, dit-il, (c'est-à-dire la meilleure à boire, levissima stomacho, minime gravis), est l'eau de pluie ; ensuite l'eau de source, de riviere, ou de puits ; celles que fournissent les neiges & les glaces fondues, viennent après celles-là. Les eaux de lac sont plus pesantes (sous-entendez à l'estomac) que celles-ci ; & les plus lourdes sont enfin les eaux d'étang ou de marais, ex palude.

Les eaux des neiges & des glaces fondues, passent pour la principale cause des goëtres & des tumeurs écroüelleuses, auxquelles sont sujets les habitans des montagnes. Voyez GOETRE & ECROUELLES. Les eaux croupissantes, palustres, causent aux hommes qui les boivent les maux suivans, qu'Hippocrate a très-bien observés & décrits dans son traité, de aere, aquis & locis : toute eau qui croupit, dit ce pere de la Médecine, doit être nécessairement chaude, lourde, & puante en été ; froide, & troublée par la neige & la glace (sur-tout par le dégel) en hyver ; ceux qui la boivent ont des rates amples & engorgées, & les ventres durs, resserrés, & chauds ; les clavicules, les épaules, & la face déprimées ; ils sont maigres, mangeurs, & altérés ; leurs ventres ne peuvent être évacués que par les plus forts médicamens ; ils sont sujets en été à des dissenteries, des cours de ventre & des fievres quartes : ces maladies étant prolongées, disposent de pareils sujets à des hydropisies mortelles. En hyver, les jeunes gens sont sujets à des péripneumonies, & à des délires ; & les vieillards, à des fievres ardentes, à cause de la dureté de leur ventre. Les femmes sont sujettes à des tumeurs oedémateuses ; elles conçoivent difficilement, & accouchent avec peine de foetus grands & bouffis : les enfans de ces pays sont sujets aux hernies ; les hommes aux varices & aux ulceres des jambes. Il est impossible que des sujets ainsi constitués, puissent vivre long-tems ; & en effet, ils vieillissent & meurent de bonne-heure, &c.

On a imaginé divers moyens de purifier les mauvaises eaux. Le meilleur & le plus praticable est de les faire bouillir après les avoir exposées à la putréfaction, & ensuite de les filtrer, ou de les laisser déposer par le repos. Voyez FONTAINE DOMESTIQUE. On peut aussi les faire bouillir, sans les avoir laissées pourrir ; mais la dépuration sera alors moins parfaite. Voyez PUTREFACTION.

L'application extérieure de l'eau est encore de notre sujet. L'immersion totale du corps dans l'eau est généralement connue sous le nom de bain. Voyez BAIN. L'habitude de laver tous les matins, ou dans d'autres intervalles reglés, les piés, les mains, & la tête avec de l'eau froide, a été célébrée par plusieurs auteurs. Locke propose, dans son traité de l'éducation des enfans, de les y soûmettre dès l'âge le plus tendre ; cet illustre Anglois s'appuie sur l'exemple de tous les peuples du Nord, où on nous assûre que c'est une pratique absolument établie depuis long-tems. Les partisans de cet usage prétendent que non seulement il peut procurer au corps une vigueur peu commune, mais encore qu'il met presque absolument à l'abri de tous rhûmes, fluxions, douleurs, & autres incommodités qui sont dûes dans les sujets ordinaires, à leur sensibilité au froid, & à l'humidité de l'air, auxquels on est inévitablement exposé. Ces avantages sont très-grands assûrément, & il paroît assez raisonnable de ne pas les regarder comme des promesses vaines. Nous avons déjà, ce qui est beaucoup, une forte présomption qu'au moins cette méthode est sujette à peu d'inconvéniens réels. Il est peu de personnes saines, qui ayant essuyé une longue pluie qui a percé leurs habits jusqu'au corps, ayent été réellement incommodées par cet accident. L'habitude doit rendre l'application extérieure de l'eau froide, moins dangereuse encore sans contredit. On a poussé les prétentions plus loin, en faveur de l'application dont il s'agit ; on l'a érigée en remede de la foiblesse de tempérament actuelle, même chez les enfans.

Les femmes, pendant le tems des regles ou des vuidanges, ne doivent point tremper les piés ou les mains dans l'eau froide, ni s'exposer d'aucune autre façon au contact immédiat de l'eau froide. On a vû souvent ces évacuations s'arrêter par cette cause, avec tous les accidens dont ne sont que trop souvent suivies ces suppressions. Voyez REGLES & VUIDANGES. C'est cependant encore ici une cause de maladie, que l'habitude rend sans effet. Les femmes du peuple font leur ménage, lavent leur linge, &c. sans inconvénient, pendant leurs regles & pendant leurs vuidanges : mais leur exemple en ceci, comme sur tous les autres points de régime, ne conclut rien pour les personnes élevées délicatement, pour les corps qui ne sont pas familiarisés avec ces sortes d'épreuves.

Tout le monde sait que les personnes qui sont exposées par état à souffrir la pluie, à garder long-tems des habits mouillés sur le corps, à dormir sur la terre humide, quelquefois dans une vraie boue, ou même dans l'eau, &c. tels que les soldats, les pêcheurs de profession, les chasseurs passionnés, ceux qui travaillent sur les rivieres, &c. que ces personnes disje, sont très-sujettes aux douleurs rhûmatismales, & même à certaines paralysies. Voyez RHUMATISME & PARALYSIE.

Les ouvriers & les manoeuvres, qui ont continuellement les jambes dans l'eau, sont particulierement sujets à une espece d'ulceres malins qui attaquent cette partie, & qui sont connus sous le nom de loups. Voyez LOUPS (Chirurgie).

EAU COMMUNE, (Mat. med.) Ce n'est rien que les éloges qu'on a accordés à la boisson ordinaire de l'eau pure, dans l'état de santé, en comparaison de ceux qu'on lui a prodigués à titre de remede ; elle a réuni les suffrages des Medecins de tous les siecles ; Avicenne & ses disciples ont été les seuls qui ayent paru en redouter l'usage dans les maladies.

C'est contre cette crainte systématique, qui avoit apparemment séduit quelques esprits au commencement de ce siecle, que Hecquet s'éleva avec tant de zele & de bonne-foi. Personne n'ignore l'excès jusqu'auquel il poussa ses prétentions, plus systématiques encore, en faveur de la boisson de l'eau : la mémoire toute récente de sa méthode, & plus encore le portrait le plus ressemblant que nous a tracé l'ingénieux auteur de Gilblas, sous le nom du docteur Sangrado, rendent présente cette singuliere époque de l'histoire de la Medecine, à ceux même qui ne connoissent point les écrits aussi bisarres que fanatiques de ce medecin. Fridéric Hoffman entreprit à peu-près dans le même tems d'établir, dans une dissertation faite à dessein, que l'eau étoit la vraie medecine universelle : mais ce célebre medecin, peut-être plus blamable en cela, mais cependant moins dangereux qu'Hecquet, ne pratiqua point d'après ce dogme ; il employa beaucoup de remedes, il eut même des secrets ; il ne fut qu'un panégyriste rationnel de sa prétendue medecine universelle. Quelques auteurs modernes, beaucoup moins connus, nous ont donné aussi des explications physiques & méchaniques des effets de l'eau. L'opinion du public, & sur-tout des incrédules en Medecine, est encore très-favorable à ce remede ; & enfin quelques charlatans en ont fait en divers tems un spécifique, un arcane.

En reduisant tous ces témoignages, & les observations connues à leur juste valeur, nous ne craindrons pas d'établir.

1°. Que la méthode de traiter les maladies aiguës par le secours de la boisson abondante des remedes aqueux, des délayans dont l'eau fait le seul principe utile (V. DELAYANT), est vaine, inefficace, & souvent meurtriere ; qu'elle mérite sur-tout cette derniere épithete, si on soûtient l'action de la boisson par des fréquentes saignées ; que l'eau n'est jamais un remede véritablement curatif.

2°. Que la nécessité, & même l'utilité de la boisson dans le traitement des maladies aiguës, à titre de secours secondaire, disposant les organes & les humeurs à se préter plus aisément aux mouvemens de la nature, ou à l'action des remedes curatifs ; que l'utilité de la boisson, dis-je, à ce titre n'est rien moins que démontrée ; qu'aucune observation claire & précise ne reclame en sa faveur ; & qu'on trouveroit peut-être plus aisément des faits, qui prouveroient qu'elle est nuisible dans quelques cas.

3°. Que certaines méthodes particulieres, nées hors du sein de l'art, & qui ont eu une vogue passagere dans quelques pays, telles que celle d'un ecclésiastique anglois nommé M. Hancock, & celle du P. Bernardo-Maria de Castrogianne capucin sicilien ; que ces méthodes, dis-je, ne sauroient être tentées qu'avec beaucoup de circonspection, & même de méfiance, par les Medecins légitimes. Le premier des deux guérisseurs que nous venons de nommer, donnoit l'eau froide comme souverain fébrifuge ; & il prétend avoir excité, dans tous les cas où il a éprouvé ce remede, des sueurs abondantes qui prévenoient les fievres qui auroient été les plus longues & les plus dangereuses, telles que la fievre maligne, &c. si on donnoit le remede à tems, c'est-à-dire dès le premier ou le second jour de la maladie, & qu'il l'enlevoit même quelquefois lorsqu'elle étoit bien établie, c'est-à-dire si elle étoit déjà à son quatrieme ou à son cinquieme jour. Le capucin a guéri toutes les maladies aiguës & chroniques, en faisant boire de l'eau à la glace, & observer une diete plus ou moins severe. M. Hancock guérissoit par les sueurs ; le capucin avoit grand soin de les eviter, il ne vouloit que des évacuations par les selles. On trouvera ces deux méthodes exposées dans le recueil intitulé vertus de l'eau commune ; la premiere dans une dissertation fort sage & fort ornée d'érudition médicinale ; & la seconde avec tout l'appareil de témoignages qui annoncent le charlatanisme le plus décidé. Le remede anglois contre la toux, savoir quelques verres d'eau froide prise en se mettant au lit, qui est un rejetton du système du chapelain Hancock, dont quelques personnes font usage parmi nous, ne sauroit passer pour un remede éprouvé.

4°. Les vertus réelles & évidentes de l'eau se réduisent à celles-ci : l'eau chaude est réellement un sudorifique léger & innocent ; les infusions théiformes, qui ne sont que de l'eau dont la dégoutante fadeur est corrigée, excitent doucement la transpiration de la peau & des poumons (voyez SUDORIFIQUE) ; elles sont stomachiques (voyez STOMACHIQUE). L'eau tiede fait vomir certains sujets par elle-même, & facilite l'action des vomitifs irritans dans tous les sujets (voyez VOMITIF) ; prise en abondance elle nettoye l'estomac des restes d'une mauvaise digestion, & remédie quelquefois aux indigestions, en faisant passer dans le canal intestinal la masse d'alimens qui irritoit ou affaissoit l'estomac. L'eau froide calme, du moins pour un tems, la chaleur de l'estomac & les légeres ardeurs d'entrailles ; elle appaise la soif ; elle rafraîchit réellement & utilement tout le corps, en certains cas, comme dans ceux où l'on a contracté une augmentation de chaleur réelle par l'action d'une chaleur extérieure, ou par l'usage des liqueurs fermentées ; elle remet très-efficacement l'estomac qui a été fatigué par un excès de vin, hesternâ crapulâ. Un ou deux verres d'eau fraîche pris deux heures après le repas, préviennent les mauvais effets des digestions fougueuses chez les personnes vaporeuses de l'un & de l'autre sexe (voy. PASSION HYSTERIQUE & MELANCOLIE HYPOCONDRIAQUE). Des personnes qui avoient l'estomac foible & noyé de pituite ou de glaires, se sont sort bien trouvées de l'habitude qu'elles ont contractée d'avaler quelques verres d'eau fraîche le matin à jeun.

Nous n'avons parlé jusqu'à présent que des effets de l'eau prise intérieurement ; ses usages extérieurs ne sont pas moins étendus, peut-être sont-ils plus réels, au moins plus efficaces. L'eau s'applique extérieurement sous la forme de bain. (voyez BAIN & ses diverses especes, DEMI-BAIN, LOTION DES PIES, pediluvium, LOTION DES MAINS & DU VISAGE, aux articles BAIN & LOTION.

L'eau froide jettée avec force sur le visage, arrête les évanoüissemens (voyez EVANOUISSEMENT) ; elle produit quelquefois le même effet, au moins pour un tems, dans certaines hémorrhagies (voyez HEMOSTATIQUE) ; mais plusieurs autres liqueurs froides procureroient le même soulagement. (b)

EAUX DISTILLEES, (Chimie médicinale) Les eaux distillées dont il est ici question, sont le produit le plus mobile de la distillation des végétaux & des animaux, celui qui se sépare de ces substances exposées au degré de chaleur de l'eau bouillante, & même à un feu inférieur à ce degré.

La base de ces liqueurs est de l'eau ; & même la partie qui n'est pas eau, dans celles qui sont le plus chargées de divers principes, est si peu considérable, qu'elle ne sauroit être déterminée par le poids ni par la mesure.

Les différens principes qui peuvent entrer dans la composition des eaux distillées, sont 1°. la partie aromatique des plantes & des animaux : 2°. une certaine substance qui ne peut pas être proprement appellée odeur ou parfum, puisqu'elle s'éleve des substances même que nous appellons communément inodores, mais qui se rend pourtant assez sensible à l'odorat pour fournir des caracteres plus ou moins particuliers de la substance à laquelle elle a appartenu ; cette partie aromatique & cette substance beaucoup moins sensible, sont connues parmi les Chimistes sous le nom commun d'esprit recteur, que Boerhaave a remis en usage : 3°. les alkalis volatils spontanées des végétaux : 4°. la partie vive de plusieurs plantes, qui a imposé à Boerhaave & à ses copistes pour de l'alkali volatil, telle que celle de l'ail, de l'oignon, de la capucine, de l'estragon, &c. 5°. l'acide volatil spontanée que j'ai découvert dans le marum, & qu'on trouvera peut-être dans quelques autres plantes.

C'est pour l'usage médicinal que l'on prépare communément les eaux distillées, & l'on expose au feu les matieres desquelles on les retire, dans un appareil tel qu'il est impossible de pousser la distillation au-delà de la production de ces eaux, qui sont l'unique objet de cette opération. L'artiste retire de cette méthode beaucoup de commodité, puisqu'il est toûjours sûr de son opération, sans qu'il soit obligé à gouverner son feu avec une attention pénible, & qui pourroit souvent être insuffisante.

Les produits qu'un plus haut degré de feu détacheroit des sujets de l'opération dont il s'agit, mêlés, quoiqu'en petite quantité, à une eau distillée, la coloreroient, lui donneroient une odeur d'empyreume, altéreroient ses vertus médicinales, & la disposeroient à une altération plus prompte : voilà précisément les inconvéniens qu'on évite dans le procédé que nous avons annoncé & que nous allons exposer.

On exécute cette opération dans deux appareils différens ; la maniere de procéder par le premier appareil consiste à placer les matieres à distiller dans une cucurbite de cuivre étamé, ou d'étain pour le mieux, à adapter cette cucurbite dans un bain-marie, à la recouvrir d'un chapiteau armé d'un réfrigérant, & à distiller par le moyen du feu appliqué au bain, jusqu'à ce que la liqueur qui passe soit trop peu chargée d'odeur ou trop peu sapide. V. les Pl. de Chim.

On peut exécuter aussi cette opération par l'application du feu nud, au moyen d'un ancien alembic appellé chapelle ou rosaire, voyez CHAPELLE. Boerhaave expose ses matieres au feu nud ; voyez son premier procédé, el. chim. tom. II. & il est obligé de mesurer par le thermometre le degré de chaleur qu'il employe, ce qui est d'une pratique très-incommode.

Dans le second appareil on met les matieres à distiller dans une cucurbite de cuivre étamé ; on verse sur ces matieres une certaine quantité d'eau ; on recouvre la cucurbite d'un chapiteau armé de son réfrigérant, & on retire par le moyen du feu appliqué immédiatement à la cucurbite, une certaine quantité de liqueur déterminée par une observation transmise d'artiste à artiste, & conservée dans les pharmacopées. Voyez les Planches de Chimie.

On traite ordinairement par le premier procedé les fleurs odorantes, telles que les roses, les oeillets, la fleur d'orange, celle de muguet, de tilleul, &c. On distille toûjours, selon le même procedé, le petit nombre de substances animales dont les eaux distillées sont en usage en Médecine ; savoir ; le miel, le lait, la bouse de vache, le frai de grenouilles, l'arriere-faix, le jeune bois de cerf, les limaçons, &c.

Les eaux distillées de cette premiere maniere, sont connues dans quelques livres sous le nom d'eaux essentielles.

On distille aussi au bain-marie, & sans addition, les plantes cruciferes, telles que le cochlearia & le cresson, pour faire ce qu'on appelle les esprits volatils de ces plantes. On distille ces mêmes plantes par le même procédé, mais en ajoûtant de l'esprit-de-vin pour faire leurs esprits volatils. On a coûtume d'ajoûter aussi un peu d'eau dans la distillation des fleurs d'orange au bain-marie.

On traite de la seconde maniere toutes les autres substances végétales, dont on s'est avisé de retirer des eaux distillées, plantes fraîches & seches, fleurs, calices, semences, écorces, bois, racines, &c. & même la plûpart de celles que nous venons de donner pour les sujets ordinaires de la distillation au bain-marie.

Les produits de cette derniere opération s'appellent proprement eaux distillées.

Il faut observer que lorsque ces dernieres eaux sont bien préparées, & sur-tout lorsqu'elles ont été très-chargées des principes volatils des plantes par des cohobations répetées (voyez COHOBATION), elles ne retiennent que bien peu de l'eau étrangere qui a été employée dans leur distillation, & qu'elles sont comprises par conséquent dans la définition que nous avons donnée des eaux distillées en général, qui paroîtroit, sans cette réflexion, ne convenir qu'aux eaux essentielles.

Les eaux essentielles, retirées des substances odorantes, sont cependant plus aromatiques & plus durables que celles qui sont retirées des mêmes substances par l'addition de l'eau. Cela vient, pour la partie aromatique, de ce que dans la premiere opération toute la partie aromatique du sujet traité passe avec l'eau essentielle ; au lieu que dans la seconde, une partie de ce principe reste unie à une huile essentielle qui s'éleve avec l'eau dans la distillation du plus grand nombre des plantes odorantes (voyez HUILE ESSENTIELLE). Les eaux distillées par la seconde méthode sont moins durables, parce que l'eau qu'on employe à leur distillation, & le plus haut degré de feu qu'on leur applique, volatilisent une certaine matiere mucilagineuse qui forme des especes de réseaux ou nuages qui troublent après quelques mois la limpidité de ces eaux, & qui les corrompt à la fin, qui les fait graisser. Les eaux les plus sujettes à cette altération, sont celles qu'on retire des plantes très-aqueuses, insipides, & inodores ; telles sont l'eau de laitue, l'eau de pourpier, de bourache, de buglose, &c.

Voilà donc les principales différences des deux opérations : l'addition d'une eau étrangere & un feu plus fort, distinguent la derniere de la premiere. On verra à l'article FEU, qu'un corps exposé à la chaleur de l'eau, dans l'appareil que nous appellons bain-marie, ne prend jamais le même degré de chaleur que le bain, & par conséquent qu'il ne contracte jamais celui de l'eau bouillante.

Après avoir donné une idée générale de ces opérations, voici les observations particulieres que nous croyons les plus importantes.

Premierement, il importe très-fort pour l'exactitude absolue de la préparation, & plus encore pour son usage médicinal, que les vaisseaux qu'on employe à la distillation des eaux dont il s'agit, ne puissent leur communiquer rien d'étranger, & sur-tout de nuisible. C'est pour se conformer à cette regle (qui n'est qu'une application d'une loi générale du manuel chimique), que nous avons recommandé de se servir de cucurbites d'étain autant qu'il étoit possible : il est plus essentiel encore que les chapiteaux soient faits de ce métal, que les principes les plus actifs élevés dans la distillation dont nous parlons n'attaquent point, du moins sensiblement, au lieu que le cuivre est manifestement entamé par plusieurs de ces principes. Voyez CHAPITEAU.

La pauvreté chimique ne permet pas de penser aux chapiteaux d'argent ou d'or, qui seroient sans contredit les meilleurs. Les alembics de verre, recommandés dans la pharmacopée de Paris pour la distillation des plantes alkalines, ne peuvent servir que pour un essai, ou dans le laboratoire d'un amateur, mais jamais dans celui d'un artiste qui exécute ces distillations en grand : car la fracture à laquelle ces vaisseaux sont sujets, la prodigieuse lenteur de la distillation dans les alembics dont on ne peut presque pas rafraîchir les chapiteaux, l'impossibilité d'en avoir d'une certaine capacité ; tout cela, dis-je, rend cette opération à-peu-près impraticable. On a eu raison cependant de préferer les vaisseaux de verre aux vaisseaux de cuivre, malgré tous les inconvéniens de l'emploi des premiers ; mais l'étain, comme nous l'avons déjà observé, n'est pas dangereux comme le cuivre, & il en a toutes les commodités.

2°. Si le réfrigérant adapté au chapiteau d'étain, ne condense pas assez au gré de l'artiste certains principes très-volatils, il a la ressource du serpentin ajoûté au bec du chapiteau. Voyez SERPENTIN.

3°. Si les substances à distiller sont dans un état sec ou solide, il est bon de les faire macérer à froid ou à chaud, pendant un tems proportionné à l'état de chaque matiere. Les bois & les racines seches doivent être rapés, les racines fraîches pilées ou coupées par rouelles ; les écorces seches, comme celles de canelle, concassées, &c. N. B. Que les bois, les racines, & les écorces se traitent par le second procédé.

4°. L'on doit avoir soin dans la distillation avec addition d'eau, de ne remplir la cucurbite que d'une certaine quantité de matiere, telle que le plus grand volume qu'elle acquerra dans l'opération, n'excede pas la capacité de la cucurbite ; car si ces matieres en se gonflant passoient dans le chapiteau, non-seulement l'opération seroit manquée, mais même si le bec du chapiteau venoit à se boucher, ce qui arrive souvent, dans ce cas le chapiteau pourroit être enlevé avec effort, & l'artiste être blessé ou brûlé. Les plantes qu'on appelle grasses, & sur-tout celles qui sont mucilagineuses, font sur-tout risquer cet accident.

5°. Aucun artiste n'observe les doses d'eau prescrites dans la plûpart des pharmacopées, & il est en effet très-inutile d'en prescrire : la regle générale qu'ils se contentent d'observer, est d'employer une quantité d'eau suffisante, pour qu'il y ait au fond du vaisseau, sous la plante, le bois ou l'écorce traitée, toutes matieres qui surnagent pour la plûpart ; qu'il y ait, dis-je, au fond de la cucurbite trois ou quatre pouces d'eau, plus ou moins, selon la capacité du vaisseau, ou un ou deux pouces au-dessus des bois plus pesans que l'eau, comme gayac, &c.

6°. On ne voit point assez à quoi peut être bonne l'eau demandée dans la pharmacopée de Paris, dans les distillations exécutées par notre premier procédé : il semble qu'il vaudroit mieux la supprimer.

Les eaux distillées sont ou simples ou composées. Les eaux simples sont celles qu'on retire d'une seule substance distillée avec l'eau : les eaux composées sont le produit de plusieurs substances distillées ensemble avec l'eau.

Nous n'avons parlé jusqu'à présent que des eaux distillées proprement dites, c'est-à-dire de celles qui ne sont mêlées à aucun principe étranger, ou tout au plus à une petite quantité d'eau commune, qui est une substance absolument identique avec celle qui constitue leur base.

Il est outre cela dans l'art plusieurs préparations, soit simples soit composées, qui portent le nom d'eau spiritueuse, ou même d'eau simplement, & qui sont des produits de la distillation de diverses substances aromatiques avec les esprits ardens ou avec le vin ; telles sont l'eau de cannelle spiritueuse, l'eau de mélisse ou eau des carmes, l'eau de la reine d'Hongrie, &c. On prépare ces eaux comme les eaux distillées proprement dites : les regles de manuel sont les mêmes pour les deux opérations ; il faut seulement ne pas négliger dans la distillation des eaux spiritueuses, les précautions qu'exige la distillation des esprits ardens. Voyez VIN.

Au reste, toutes les préparations de cette espece ne sont pas connues dans l'art sous le nom d'eau ; cette dénomination est bornée par l'usage à un certain nombre : plusieurs autres exactement analogues à celles-ci portent le nom d'esprit (voyez ESPRIT) ; ainsi on dit eau de cannelle & esprit de lavande, de thim, de citron ; eau vulneraire & esprit carminatif de Sylvius. N. B. qu'il faut se servir scrupuleusement de ces noms, quelque arbitraires qu'ils soient ; car si vous dites eau de lavande, par exemple, au lieu de dire esprit de lavande, vous désignerez une autre préparation très-arbitrairement nommée aussi, savoir la dissolution de l'huile de lavande dans l'esprit de vin.

On trouvera un exemple de distillation d'une eau essentielle à l'article ORANGE, d'une eau distillée simple au mot LAVANDE, d'une eau distillée composée proprement dite au mot MENTHE, d'une eau spiritueuse simple au mot ROMARIN, d'une eau spiritueuse composée à l'article MELISSE. On fera d'ailleurs mention des différentes eaux distillées dans les articles qui traiteront en particulier des matieres dont on retire ces eaux, ou qui leur donnent leur nom. Les eaux qui sont connues sous des noms particuliers tirés des vertus qu'on leur attribue, ou de quelque autre qualité, auront leur articles particuliers, du moins celles qui sont usuelles ou qui méritent de l'être ; car nous ne chargerons point ce Dictionnaire de la description d'une eau générale, d'une eau impériale, d'une eau prophylactique, d'une eau épileptique, d'une eau de lait alexitere, &c.

De tous les remedes inutiles dont l'ignorance & la charlatanerie remplirent les boutiques des apothicaires, lors de la conquête que fit la Chimie, de la Médecine & de la Pharmacie, nul ne s'est multiplié avec tant d'excès que les eaux distillées. Les vûes chimériques de séparer le pur d'avec l'impur, de concentrer les principes des mixtes, d'exalter leurs vertus médicinales qu'on crut principalement remplir par la distillation ; ces vûes chimériques, dis-je, nous ont fourni plus d'eaux distillées parfaitement inutiles, que les connoissances réelles des propriétés de diverses plantes ne nous en ont procuré dont on ne sauroit trop célebrer les vertus.

Les eaux distillées des plantes parfaitement inodores, sont privées absolument de toute vertu médicinale, aussi-bien que les eaux distillées des viandes, du lait, & des autres substances animales dont nous avons fait mention au commencement de cet article. Elles ne different de l'eau pure que par une saveur & une odeur herbacée, laiteuse, &c. & par la propriété de graisser, dont nous avons déjà parlé. Zwelfer a le premier combattu la ridicule confiance qu'on eut pour ces préparations, & sur-tout le projet de nourrir un malade avec de l'eau distillée de chapon (Voyez CHAPON, Diete & Matiere médicale) ; & Gédéon Harvée a mis tous ces remedes à leur juste valeur, dans l'excellente satyre qu'il a faite de plusieurs secours inutiles employés dans la pratique ordinaire de la medecine, sous le titre de Ars curandi morbos expectatione. Les Apothicaires de bon sens ne distillent plus la laitue, la chicorée, la pariétaire, la trique-madame, ni toutes ces autres plantes dont on trouve une longue liste dans la nouvelle pharmacopée de Paris, p. 182. Au reste si on pouvoit se nourrir expectatione, comme on peut guérir expectatione, l'eau de chapon, dont la mode est passée, auroit bien pû être encore pendant quelques générations une grande ressource diététique, comme les eaux distillées inodores paroissent destinées à occuper encore pendant quelque tems un rang dans l'ordre des médicamens.

Les eaux distillées aromatiques sont cordiales, toniques, antispasmodiques, stomachiques, sudorifiques, emmenagogues, alexiteres, & quelquefois purgatives, comme l'eau -rose (voyez ROSE.) Voyez ce que nous disons de l'usage particulier de chacune, connoissance plus positive que celle de toutes ces généralités, aux articles particuliers des différentes plantes odorantes employées en Medecine.

Les eaux distillées des plantes alkalines ou cruciferes de Tournefort, sont principalement employées comme antiscorbutiques ; elles ont aussi plusieurs autres usages particuliers, dont il est fait mention dans les articles particuliers : voyez sur-tout COCHLEARIA & CRESSON.

Les eaux distillées spiritueuses possedent toutes les vertus des précédentes, & même à un degré supérieur ; & de plus elles sont employées dans l'usage extérieur, comme discussives, repercussives, vulnéraires, dissipant les douleurs : on les respire aussi avec succès dans les évanoüissemens legers, les nausées, &c.

Outre toutes ces acceptions plus ou moins propres du mot eau, on l'employe encore dans un sens bien moins exact pour désigner plusieurs substances chimiques & pharmaceutiques : on connoît sous ce nom des infusions, des décoctions, des dissolutions, des ratafiats, des préparations même dont l'eau n'est pas un ingrédient, telles que l'eau de Rabel, l'eau de lavande, &c. Les principales eaux chimiques ou pharmaceutiques très-improprement dites, sont les suivantes :

EAU ALUMINEUSE, n'est autre chose qu'une dissolution d'alun dans des eaux prétendues astringentes.

Prenez des eaux distillées de roses, de plantain & de renoüée, de chacune une livre ; d'alun purifié trois gros : faites dissoudre votre sel, & filtrez : gardez pour l'usage.

EAUX ANTIPLEURETIQUES (les quatre) sont les eaux distillées de scabieuse, de chardon-beni, de pissenlit, & de coquelicot.

On peut avancer hardiment que de ces quatre eaux, trois sont absolument incapables de remplir l'indication que les anciens medecins se proposoient en les prescrivant ; savoir d'exciter la sueur. Ces trois eaux sont celles de scabieuse, de pissenlit, & de coquelicot. Ces eaux ne sont chargées d'aucune partie médicamenteuse des plantes dont elles sont tirées (voyez EAU DISTILLEE, SCABIEUSE, PISSENLIT, PAVOT ROUGE). L'eau distillée de chardon-beni (du moins celle du chardon-beni des Parisiens), a une vertu plus réelle. Voyez CHARDON-BENI.

Que peut-on espérer en général des premieres & de la derniere dans le traitement de la pleurésie ? Ceci sera examiné à l'article Pleurésie. Voy. PLEURESIE.

EAU DE CAILLOUX : on appelle ainsi une eau dans laquelle on a éteint des cailloux rougis au feu. C'étoit autrefois un remede, aujourd'hui ce n'est rien.

EAU DE CHAUX (premiere & seconde) voyez CHAUX.

EAU DES CARMES ou DE MELISSE composée, voyez MELISSE.

EAU DE CASSE-LUNETTE, (Pharm.) on a donné ce nom à l'eau distillée de la fleur de bluet. Voy. BLUET.

EAUX CORDIALES, (les quatre) les eaux qui sont connues sous ce nom dans les pharmacopées, sont celles d'endive, de chicorée, de buglose & de scabieuse. Ces eaux ne sont point cordiales ; elles sont exactement insipides, inodores & sans vertu. Voyez l'article EAUX DISTILLEES, vers la fin.

EAU-FORTE : c'est un des noms de l'acide nitreux en général. Les matérialistes & les ouvriers qui employent l'acide nitreux, appellent eau-forte l'acide retiré du nitre par l'intermede du vitriol. V. NITRE.

EAU DE GOUDRON, c'est une infusion à froid du goudron. Voyez GOUDRON.

EAU MERCURIELLE : les Chirurgiens appellent, ainsi la dissolution de mercure par l'esprit de nitre, affoiblie par l'addition d'une certaine quantité d'eau distillée. Voyez MERCURE.

Il est essentiel d'employer l'eau distillée, pour étendre la dissolution du mercure dont il s'agit ici ; car il est très-peu d'eaux communes qui ne précipitent cette dissolution.

EAU-MERE : on appelle ainsi, en Chimie, une liqueur saline inconcrescible, qui se trouve mêlée aux dissolutions de certains sels, & qui est le résidu de ces dissolutions épuisées du sel principal par des évaporations & des crystallisations répetées. Les eaux-meres les plus connues sont celle du nitre, celle du sel marin, celle du vitriol, & celle du sel de seignette. Voyez NITRE, SEL MARIN, VITRIOL, SEL DE SEIGNETTE.

EAU DE MILLE-FLEURS, (Pharmac.) on appelle ainsi l'urine de vache, aussi-bien que l'eau que l'on retire par la distillation de la bouse de cet animal. Voyez VACHE.

EAU PHAGEDENIQUE : prenez une livre d'eau premiere de chaux récente, trente grains de mercure sublimé corrosif, mêlés & agités dans un mortier de marbre : c'est ici un sel mercuriel précipité. Voyez MERCURE.

EAU DE RABEL, ainsi nommée du nom de son inventeur, qui la publia vers la fin du dernier siecle.

Prenez quatre onces d'huile de vitriol, & douze onces d'esprit de vin rectifié ; versez peu-à-peu dans un matras l'acide sur l'esprit-de-vin, en agitant votre vaisseau, & gardez votre mélange dans un vaisseau fermé, dans lequel vous pouvez le faire digérer à un feu doux.

L'eau de Rabel est l'acide vitriolique dulcifié. Voyez ACIDE VITRIOLIQUE, au mot VITRIOL.

EAU REGALE : le mélange de l'acide du nitre & de celui du sel marin, est connu dans l'art sous le nom d'eau régale. Voyez REGALE (Eau)

EAU SAPHIRINE, EAU BLEUE, ou COLLYRE BLEU, (Pharm. & mat. med. externe) Collyre, c'est-à-dire remede externe ou topique, destiné à certaines maladies des yeux. Voyez COLLYRE, TOPIQUE, MALADIE DES YEUX, sous le mot OEIL.

En voici la préparation, d'après la pharmacopée universelle de Lemery.

Prenez de l'eau de chaux vive filtrée, une chopine ; de sel ammoniac bien pulverisé, une dragme : l'une & l'autre mêlés ensemble, seront jettés dans un vaisseau de cuivre, dans lequel on les laissera pendant la nuit ; après quoi on filtrera la liqueur, qui sera gardée pour l'usage.

L'eau saphirine n'est autre chose qu'une eau chargée d'une petite quantité d'huile de chaux, & d'un peu d'alkali volatil, coloré par le cuivre qu'il a dessous. Voyez SEL AMMONIAC & CUIVRE.

Cette eau est un collyre irritant, tonique & dessicatif. Voyez les cas particuliers dans lesquels il convient, à l'article MALADIE DES YEUX, sous le mot OEIL.

EAU VERTE ou EAU SECONDE : les ouvriers qui s'occupent du départ des matieres d'or & d'argent, appellent ainsi l'eau -forte chargée du cuivre qu'on a employé à en précipiter l'argent. Voyez DEPART.

EAU-DE-VIE, produit immédiat de la distillation ordinaire du vin. Voyez VIN.

EAU VULNERAIRE, V. VULNERAIRE (Eau). (b)

EAU-DE-VIE, (Art méchan.) fabrication d'eau-de-vie. La chaudière dont on se sert pour cette distillation, est un vaisseau de cuivre en rond, de la hauteur de deux piés & demi, & de deux piés de diamêtre ou environ, dont le haut se replie sur le dedans en talus montant, comme si elle devoit être entierement fermée, & où pourtant il y a une ouverture de neuf à dix pouces de diamêtre, avec un rebord de deux pouces ou à-peu-près : on appelle l'endroit où la chaudiere se replie avec son rebord, le collet. Cette chaudière contient ordinairement quarante veltes, à huit pintes de Paris la velte. Cette mesure est différente en bien des endroits où l'on fabrique de l'eau-de-vie. Il y a des chaudieres plus grandes & plus petites.

Cette chaudiere est placée contre un mur, à un pié d'élévation du sol de la terre, dans une maçonnerie de brique jointe avec du mortier de chaux & de sable, ou de ciment, qui la joint & la couvre toute entiere jusqu'au bord du tranchant du collet, sauf le fond qui est découvert. Cette chaudière est soûtenue dans cette maçonnerie par deux ou trois ances de cuivre, longues chacune de cinq pouces, & d'un pouce d'épaisseur, qui sont adhérantes à la chaudière. Cette maçonnerie prend depuis le sol de la terre ; & le vuide qui reste depuis le sol de la terre jusqu'à la chaudiere, s'appelle le fourneau. Ce fourneau a deux ouvertures, l'une dans le devant, & l'autre au fond : celle du devant est de la hauteur du fourneau, & d'environ dix à onze pouces de large : c'est par-là qu'on fait entrer le bois sous la chaudiere. L'ouverture du fond est large d'environ quatre pouces en quarré ; elle s'éleve dans une cheminée faite exprès, par où s'échappe la fumée. Il y a à chacune de ces ouvertures, une plaque de fer que l'on ôte & que l'on replace au besoin, pour modérer l'action du feu : on en parlera ci-après.

C'est cette chaudière qui contient le vin, où il boût par l'action du feu que l'on entretient dessous. On ne remplit pas en entier la chaudiere de vin, parce qu'il faut laisser un espace à l'élévation du vin, quand il boût, afin qu'il ne surmonte pas au-dessus de la chaudiere. L'ouvrier (que l'on nomme un brûleur, ce sont ordinairement des tonneliers) qui travaille à la conversion du vin en eau-de-vie, sait l'espace qu'il doit laisser vuide pour l'élévation du vin bouillant. La plûpart de ces brûleurs, pour connoître ce vuide, appliquent leurs bras au pli du poignet sur le tranchant du bord de la chaudiere, & laissent pendre leur main ouverte & les doigts étendus dans la chaudiere ; & lorsqu'ils touchent du bout du doigt le vin qui est dans la chaudiere, il y a assez de vin, & il n'y en a pas trop.

Ce vuide est toûjours ménagé, quoiqu'on mette autre chose que du vin dans la chaudière ; car il faut savoir qu'après la bonne eau-de-vie tirée, il reste une quantité d'autre eau-de-vie (qu'on appelle seconde), qui n'a presque pas plus de force ni de goût que si on mêloit dans de bonne eau-de-vie 4/5 d'eau commune ; dans laquelle seconde pourtant il y a encore une partie de bonne eau-de-vie que l'on ne veut pas perdre, & que l'on retire en la faisant bouillir une seconde fois avec de nouveau vin dans la chaudière : on appelle cette seconde fois, une seconde chauffe ou une double chauffe, parce qu'ordinairement on remet dans la chaudiere tout ce qui est venu de la premiere chauffe, soit bonne eau-de-vie ou seconde ; ainsi il faut moins de vin à cette double chauffe qu'à la premiere. Il y a des gens qui à toutes les chauffes mettent à part la bonne eau-de-vie qui en vient : on appelle cela lever à toutes les chauffes. Pour la seconde chauffe ils ne mettent que la seconde qui est venue de la premiere chauffe : il y a quelquefois jusqu'à 60 ou 70 pintes de seconde, plus ou moins, suivant la qualité du vin. On dira ci-après comment on connoît qu'il n'y a plus d'esprit dans ce qui vient de la chaudière, & que ce qui y reste n'est bon qu'à être jetté dehors.

Lorsque la chaudière est remplie jusqu'où elle doit l'être, on met du feu sous le fourneau ; on se sert d'abord de bois fort combustible, comme du sarment de vigne, du bouleau ou autre menu bois, qui donnant plus de flamme que le gros bois, a une chaleur plus vive : on en met sous le fourneau, & on l'y entretient toûjours vif, autant qu'il en faut pour faire bouillir cette chaudière ; on appelle cela, en termes de l'art, mettre en train. Quand la chaudière commence à bouillir, c'est-à-dire quand elle est assez chaude pour ne pouvoir plus y souffrir la main, on la couvre d'un autre vaisseau que l'on appelle un chapeau. Ce chapeau est un vaisseau de cuivre fait en cone applati, dont la partie étroite entre dans le bord du collet de la chaudière, & s'y joint le plus juste qu'il est possible. Ce cone applati & renversé, peut avoir douze à treize pouces. Le diamêtre de la partie étroite est celui du collet de la chaudière, sauf la liberté d'entrer dans ce collet ; & le diamêtre du haut peut avoir sept à huit pouces de plus. Il y a à ce chapeau une ouverture ronde, de quatre pouces de diamêtre, à laquelle est joint & bien soudé un tuyau de cuivre qu'on appelle la queue du chapeau, d'environ deux piés de long, qui va toûjours en diminuant jusqu'à la réduction d'un pouce de diamêtre au bout.

On couvre cette chaudière avec le chapeau : on appelle cela coiffer la chaudière, pour empêcher l'exhalaison de la fumée du vin, parce que c'est dans cette fumée que se trouve l'esprit du vin qui fait l'eau-de-vie. On fait ensorte qu'il ne reste entre le chapeau & le collet de la chaudière aucune ouverture par où la fumée puisse s'échapper ; & pour y réussir, après que le chapeau est entré & bien enfoncé dans le collet de la chaudière, on met de la cendre seche autour du collet, pour la fermer presque hermétiquement.

Ce tuyau ou cette queue de chapeau va se joindre dans un autre vaisseau de cuivre ou d'étain, que l'on appelle serpentine, parce qu'elle est faite en serpent replié. C'est un ustensile fait de différens tuyaux adaptés & soudés les uns aux autres en rond & en spirale, qui n'en font qu'un. Ce tuyau peut avoir un pouce & demi de diamêtre à son embouchure, & est réduit à un pouce à son extrémité ; il est composé de six à sept tournans en spirale, élevés les uns sur les autres d'environ six à sept pouces, ensorte que la serpentine, dans toute sa hauteur appuyée sur ses tournans, peut avoir trois piés & demi ou environ. Ces tuyaux tournans sont assujettis par trois bandes de cuivre, ou du même métal dont est la serpentine, qui y sont jointes du haut en-bas pour en empêcher l'abaissement.

On unit la queue du chapeau à la serpentine, en faisant entrer le petit bout de la queue du chapeau dans l'ouverture du haut de la serpentine, où cette queue entre d'un pouce & demi ou environ : on lutte bien l'un & l'autre avec du linge & de la terre grasse bien unie, afin qu'il ne sorte point de fumée qui vienne de la chaudière.

Cette serpentine est, comme l'on doit le comprendre, éloignée du corps de la chaudière & de la maçonnerie qui l'environne, de l'espace de dix pouces ou environ : elle est placée dans un tonneau ou autre vaisseau de bois fait en forme de tonneau, que l'on appelle pipe en bien des endroits. Cette serpentine y est posée debout & à-plomb, penchant néanmoins tant-soit-peu sur le devant, pour faciliter l'écoulement de la liqueur qui y passe : elle y est assujettie ou par des pattes de fer, des crampons & des pieces de bois qui, sans l'endommager, peuvent la rendre immobile & la tenir dans un état stable. Il y a à cette pipe trois trous ou ouvertures, l'un au haut, du côté de la chaudière, par lequel sort de la longueur d'un pouce le bout d'en-haut de la serpentine ; l'autre trou au bas, dans le devant de la pipe, par où sort de la longueur de trois pouces ou environ, le petit bout de la serpentine ; & un autre trou dans le derrière de la pipe, où l'on a ajusté une fontaine ou gros robinet. Lorsque la serpentine est bien posée dans la pipe, & que la pipe elle-même est bien assujettie en équilibre, on bouche bien les trois trous de la pipe : on calfeutre les deux premiers avec de l'étoupe ou de vieilles cordes effilées ou épluchées, autour du tuyau sortant de la serpentine ; & le troisieme, qui est celui de derrière, doit être bien fermé par la fontaine que l'on y a fait entrer.

Pour savoir si la serpentine est bien posée & a assez de pente, on prend une balle de fusil qui ne soit pas d'un trop gros calibre, & on la laisse couler dans la grande ouverture de la serpentine ; elle doit rouler aisément, faire tous les tours de la serpentine, & sortir par le petit bout : alors elle est bien posée. Si la balle s'arrête dans la serpentine, ce qui peut quelquefois être causé par un grain de soudure des tuyaux, que le poëlier aura laissé échapper dans le dedans des tuyaux, en la soudant, ou parce que la serpentine n'est pas bien soudée : il faut faire sortir cette balle ; & pour y réussir, il faut mettre dans le trou de la serpentine la queue du chapeau renversé, c'est-à-dire son vuide en-dehors, & jetter dans ce chapeau environ un seau d'eau, laquelle s'écoulant à force dans cette serpentine, entraînera avec elle la balle qui y est restée ; & si la pipe n'est pas droite ou posée comme il faut, il faut la rétablir, & remettre cette balle jusqu'à ce qu'elle passe.

Pour savoir s'il n'y a point de petits trous à la chaudière, au chapeau ou à la serpentine, il faut, pour la serpentine, la remplir d'eau avant de la mettre dans la pipe, boucher bien le trou d'en-bas avec un bouchon de liége qui ferme bien juste, & souffler par le gros bout avec un soufflet qui prenne bien juste : s'il y a quelque sinus, l'eau sortira par-là, attendu que le vent du soufflet la presse vivement : alors il faut faire souder cet endroit avant de la mettre dans la pipe ; s'il n'y a point de trou, on sentira que l'eau fait résistance au vent du soufflet : on le retire, parce que la serpentine est bien jointe & bien soudée. Pour le chapeau, il faut le mettre entre ses yeux & le jour, le vuide du côté des yeux ; s'il y a des sinus, on les verra ; s'il n'y en a point, le chapeau est en bon état. Pour la chaudière on s'apperçoit qu'il y a un ou des trous, quand on voit dégoutter du vin dans le feu, ou quelqu'endroit de la maçonnerie mouillé : il faut alors demaçonner la chaudière, pour réparer le mal.

Quand tous les ustensiles sont en ordre, on remplit la pipe d'eau froide, n'importe de quel fond elle vienne, soit de rivière, de puits, de pluie, ou de mer : celle de mer est la moins bonne, parce qu'elle est plûtôt chaude. Il faut que l'eau surmonte la serpentine d'environ un pié. Cette eau sert à rafraîchir l'eau-de-vie qui sort bouillante de la chaudière, en s'élevant en vapeur vers les parois du chapeau, s'écoule par l'ouverture du chapeau, passe dans la queue de ce chapeau, & de-là dans les tours de la serpentine, & en sort par le petit bout, où elle est reçûe dans un bassiot couvert, qui est dans un trou en terre au bas de la pipe, & où elle entre au moyen d'un petit vase de cuivre ou d'autre métal, qui est fait en forme d'un petit entonnoir plat, que l'on place sur le petit bout de la serpentine : cet entonnoir est percé à l'autre bout d'un trou, sous lequel il y a une petite queue ou douille, qui entre dans un trou fait exprès au bassiot, par où se vuide l'eau-de-vie qui vient de la chaudière. On appelle le trou en terre où l'on place le bassiot, faux bassiot. On donne à ces ustensiles les noms qui sont en usage dans la province où l'on s'en sert.

On a dit que cette eau dans la pipe sert à rafraîchir l'eau-de-vie avant qu'elle entre dans le bassiot ; car quand elle y entre chaude, elle est ordinairement âcre, ce qui lui vient des parties du feu dont elle est remplie en sortant de la chaudière ; & plûtôt elle se décharge de ces parties ignées, & plus l'eau-de-vie est douce & agréable à boire, sans rien perdre de sa force : ainsi il est à-propos de rafraîchir cette eau de la pipe de tems en tems, en y en mettant de nouvelle, afin qu'elle soit toûjours froide s'il est possible : car plus l'eau-de-vie vient froide, & meilleure elle est. Il faut toûjours de nouvelle eau à toutes les chauffes.

Ce bassiot est fait avec des douves, comme sont celles des tonneaux ; il est lié avec des cerceaux, comme on lie les tonneaux ; il est fermé ou foncé dessus & dessous pour la conservation, & empêcher l'évaporation de l'eau-de-vie qui y entre. Ce bassiot a deux trous sur son fond d'en-haut, qui ont chacun leur bouchon mobile ; l'un des trous est celui où entre la queue du petit entonnoir, & l'autre sert pour sonder & voir combien il y a d'eau-de-vie de venue. Ce bassiot est jaugé à la jauge d'usage dans le pays, afin que l'on puisse savoir précisément ce qu'il contient. On sait ce qu'il y a dedans d'eau-de-vie, quoiqu'il ne soit pas plein ; on a pour cela un bâton fait exprès, sur lequel on a mesuré exactement les pots & veltes de liqueur que l'on y a mise, à mesure qu'on l'a jaugé, tellement que quand il n'y a dans le bassiot que quatre, cinq, six, sept pots plus ou moins de liqueur, en coulant le bâton dedans & l'appuyant au fond du bassiot, l'endroit où finit la hauteur de la liqueur qui est dans le bassiot, doit marquer sur le bâton le nombre des pots ou veltes qui y sont contenues, & cela par des marques graduées & numérotées, qui sont empreintes ou entaillées sur ce bâton. Ce bassiot doit être posé bien à-plomb & bien solide dans le faux bassiot. On sait que pour un pot il faut deux pintes, & que la velte contient quatre pots.

On a dit qu'au fourneau qui est sous la chaudiere, il y avoit deux ouvertures ; l'une pour y faire entrer le bois, & l'autre pour laisser échapper la fumée. Ces deux ouvertures ont chacune leur fermeture de fer ; celle de devant par une plaque de fer, avec une poignée, pour la placer ou l'enlever à volonté : on appelle cette plaque, une trappe. L'ouverture de la fumée a également sa fermeture, mais elle n'est pas placée à l'orifice du trou ; on sait que par ce trou, la fumée du feu monte dans la cheminée pour se répandre dans l'air ; la fermeture de ce trou est placée au-dessus de la maçonnerie de la chaudiere, un peu sur le côté : ensorte que le tuyau de cette fumée, qui prend sous la chaudiere, est un peu dévoyé, pour gagner le conduit de la cheminée. Cette fermeture consiste dans une plaque de fer, longue environ d'un pié, & large de quatre pouces & demi, ce qui doit boucher le tuyau de la cheminée : ainsi ce tuyau ne doit avoir que cela de largeur, & être presque quarré ; on appelle cette fermeture, une tirette, parce qu'on la tire pour l'ôter, & on la pousse pour la remettre, c'est-à-dire pour ouvrir & fermer ce trou, qui répond au-dehors au-dessus de la chaudiere par une fente, dans le mur du tuyau de la cheminée ; il ne faut pas néanmoins que cette tirette bouche tout-à-fait le tuyau de la cheminée, parce que pour l'entretien du feu, il faut qu'il s'en exhale un peu de fumée, sans quoi il seroit étouffé sous le fourneau : ainsi il peut rester autour de la tirette une ligne ou deux de vuide.

Ces deux plaques de fer servent pour entretenir le feu sous le fourneau dans un degré égal de chaleur ; & quand il n'y a pas assez d'air, on tire tant-soit-peu la tirette ; s'il y en a trop, on la pousse tout-à-fait : de façon que le feu qui est sous la chaudiere, n'étant point animé par un air étranger, brûle également, & entretient le bouillon de la chaudiere dans une égale effervescence, ce qui fait que l'eau-de-vie vient toûjours presque également & doucement ; ce qui contribue beaucoup à sa bonté.

Quand la chaudiere est coiffée, on continue à mettre du menu bois sous le fourneau, jusqu'à ce que la vapeur qui sort du vin, & qui monte au fond du chapeau, soit entrée dans la serpentine, & soit sur le point de gagner les tours de la serpentine ; ce que l'on connoît en mettant la main sur le bout de la queue du chapeau, du côté de la serpentine : s'il est bien chaud, c'est une preuve qu'il y a passé de la vapeur assez considérablement pour l'échauffer : alors on met du gros bois sous le fourneau ; ce sont des bûches coupées de longueur, pour ne pas exceder celle du fourneau, & ne pas empêcher que l'on n'en ferme bien l'ouverture avec la trappe ; on y met de ce gros bois autant qu'il en faut pour remplir le fourneau presqu'en entier, & assez suffisamment pour faire venir toute la bonne eau-de-vie ; car le fourneau une fois fermé, on ne doit plus l'ouvrir : on laisse cependant parmi ces bûches assez de vuide pour l'agitation de l'air. On appelle cela, garnir la chaudiere. Lorsque le fourneau est rempli, on met la trappe pour en boucher l'ouverture d'entrée, & on pousse la tirette pour en fermer l'ouverture de la cheminée : ce que l'on n'avoit pas fait, lorsque l'on mettoit la chaudiere en train ; l'eau-de-vie alors vient tranquillement, & le courant ne doit avoir qu'une demi-ligne ou environ de diametre ; plus le courant est fin, & plus l'eau-de-vie est bonne. C'est au brûleur, comme conducteur de la chaudiere, à voir comment ce courant vient : car quelquefois, surtout dans le commencement, il est trouble & gros, parce que l'on n'a pas garni & fermé les ouvertures assez tôt ; & le feu alors ayant trop d'activité, fait monter le vin de la chaudiere par son bouillon, par l'ouverture du chapeau, qui passe ainsi dans la serpentine, & en sort de même : quand on a un ouvrier entendu & soigneux, cela n'arrive point ; mais si cela arrivoit, il faudroit sur le champ jetter un peu d'eau froide sur le chapeau & sur la serpentine, pour arrêter & réprimer cette vivacité du feu : cela ordinairement ne dure qu'un bouillon, parce que le gros bois qu'on a mis dans le fourneau sous la chaudiere, & la suppression de l'air par les fermetures des trous, amortit cette vivacité. S'il étoit entré de cette liqueur trouble dans le bassiot, il faudroit l'ôter en la vuidant, pour ne pas la laisser mêlée avec la bonne eau-de-vie, car cela la rendroit trouble & défectueuse. Lorsque c'est une premiere chauffe que l'on repasse une seconde fois dans la chaudiere, cette liqueur trouble mêlée avec l'autre, n'y fait rien : car on remettra le tout dans la chaudiere pour une seconde chauffe. L'on doit savoir que le grand nombre des brûleurs & de ceux qui font convertir leurs vins en eaux-de-vie, font deux chauffes pour une, la simple & la double ; la simple, c'est la premiere fois ; la double, c'est la seconde fois, dans laquelle on repasse tout ce qui est venu dans la premiere avec de nouveau vin, autant qu'il en faut pour achever de remplir la chaudiere jusqu'au point où elle doit l'être. Supposé que l'on s'apperçoive que le bois ne brûle point sous la chaudiere par le défaut de sa qualité, & qu'il n'a pas assez d'air, il faut lui en donner en tirant un peu la tirette : cela le ranimera ; mais d'abord que l'on s'apperçoit que l'eau-de-vie vient mieux, & par conséquent que le bois brûle mieux, il faut repousser cette tirette & fermer. Il ne faut presque jamais ôter la trappe pendant que l'eau-de-vie vient, on couroit des risques de faire venir trouble : car le feu étant animé par l'air qui entre sous le fourneau, peut tellement prendre de l'activité, que le bouillon du vin en devienne trop élevé, & qu'il ne surmonte jusqu'au trou du chapeau, & de-là ne coule dans la serpentine. Il peut même arriver encore d'autres accidens plus funestes : car le bouillon du vin étant très-violent, peut faire sauter le chapeau de la chaudiere, & répandre le vin qui prend feu alors comme la poudre, ou comme l'eau-de-vie même, ce qui peut mettre le feu dans la maison, brûler les personnes, & causer un incendie des plus fâcheux ; car le feu prenant dans la chaudiere, il s'en éleve une flamme que l'on ne peut éteindre qu'avec de très-grandes peines & beaucoup de danger, & tout ce qui se rencontre de combustible est incendié. Ce sont des malheurs qui arrivent quelquefois par l'ignorance, l'imprudence, ou la négligence de l'ouvrier brûleur ; c'est à quoi il faut bien prendre garde, & on y veille dès qu'on coiffe la chaudiere, en assujettissant bien le chapeau, le calfeutrant bien avec de la cendre, & prenant dans la suite garde à ménager bien son feu : c'est pourquoi il faut bien visiter la serpentine & le chapeau, pour voir s'il n'y a point de trou ; car s'il y en avoit un, quelque petit qu'il pût être, cela causeroit de la perte par l'écoulement de l'eau-de-vie, & exposeroit aux accidens du feu, qu'il faut éviter.

Quand la chaudiere est en bon train, que le bassiot pour la réception de l'eau-de-vie est bien posé, on laisse venir l'eau-de-vie tout doucement, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'esprit supérieur dans le vin ; car il faut savoir que dans le vin il y a trois sortes de choses, un esprit fort & supérieur, un esprit foible ou infirme, & une partie épaisse, compacte & flegmatique. L'esprit fort & supérieur, est celui qui forme l'eau-de-vie, qui est inflammable, évaporable, fort, brûlant, savoureux, brillant comme du crystal, qui avec sa force a de la douceur, qui est agréable à l'odorat & au goût, quoique violent : cet esprit, quand le feu le détache par son activité des parties grossieres qui l'enveloppent, forme une liqueur extrêmement claire, brillante, vive, & blanche ; ce que nous appellons eau-de-vie, la bonne & forte eau-de-vie. L'esprit foible & infirme, est celui qui s'exhale des parties épaisses, après que l'esprit fort comme plus subtil est sorti : cet esprit foible est assez clair, blanc, transparent ; mais il n'a pas, comme l'esprit fort, cette vivacité, cette inflammabilité, cette saveur, ce bon goût & cette bonne odeur qu'a l'esprit fort : cet esprit n'est dit foible & infirme, que parce qu'il est composé de quelques parties d'esprit fort, & de parties aqueuses & flegmatiques, lesquelles étant supérieures de beaucoup à celles de l'esprit fort, l'absorbent & le rendent tel qu'on vient de le dire ; & comme il y a encore dans ce mêlange des particules de l'esprit fort que l'on veut avoir, & qui feront, comme le pur esprit fort, de bonne eau-de-vie, c'est ce qui fait qu'après la bonne eau-de-vie tirée, on laisse venir jusqu'à la fin cet esprit foible, pour le repasser dans une seconde chauffe. On appelle cet esprit foible, en terme de fabrication d'eau-de-vie, la seconde, c'est-à-dire la seconde eau-de-vie. La troisieme partie du vin, qui est le reste du dedans de la chaudiere, après que ces deux esprits en sont sortis, est une matiere liquide, trouble & brune, qui n'a aucune propriété pour tout ce qui regarde l'eau-de-vie : aussi la laisse-t-on couler dehors par des canaux faits exprès, où elle se vuide par un tuyau de cuivre long d'un pié & de deux pouces de diametre, qui est joint & soudé à la chaudiere sur le côté près le fond, afin que tout puisse se bien vuider ; lequel tuyau est bien & solidement bouché pendant toute la chauffe. On appelle cette derniere partie du vin, la décharge, c'est-à-dire cette partie grossiere qui chargeoit les esprits du vin, & que le feu a séparée & divisée.

On laisse venir cette eau-de-vie dans le bassiot jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'esprit fort ; & pour le connoître, on a une petite bouteille de crystal bien transparente, longue de quatre à cinq pouces, d'un pouce de diametre dans son milieu, & d'un peu moins dans ses extrémités : on l'appelle une preuve, parce qu'elle sert à éprouver ; avec laquelle bouteille on reçoit du tuyau même de la serpentine, cette eau-de-vie qui en vient ; on emplit cette bouteille jusqu'aux deux tiers ; & en mettant le pouce sur l'embouchure & frappant d'un coup ou deux ferme dans la paume de l'autre main, ou sur son genou, & non sur une matiere dure, parce qu'on casseroit la bouteille, on excite cette liqueur, qui devient bouillonnante, & qui forme une quantité de globules d'air dans le haut de cette liqueur : c'est par ce moyen & la disposition, grosseur, & stabilité de ces globules, que les connoisseurs savent qu'il y a encore, ou qu'il n'y a plus de cet esprit fort à venir ; & même avant qu'il soit tout venu, c'est-à-dire quand il est proche de sa fin, ces globules de la preuve commencent à n'avoir plus le même oeil vif, la même grosseur, la même disposition, & la même stabilité ; & quand tout cet esprit fort est venu, il ne se forme plus ou presque plus de globules dans la preuve ; & quoique l'on frappe comme ci-devant, elle ne forme plus qu'une petite écume, qui est presqu'aussi-tôt passée qu'apperçûe. Les ouvriers d'eau-de-vie appellent cela, la perte ; ainsi on dit, la chaudiere commence à perdre, ou est perdue, c'est-à-dire qu'il n'y a plus d'esprit fort & de preuve à venir : & ce qui vient ensuite est la seconde.

Quand on veut avoir de l'eau-de-vie très-forte, on leve le bassiot dès qu'elle perd ; on n'y laisse entrer aucune partie de seconde : on appelle cela, couper à la serpentine, ou de l'eau-de-vie coupée à la serpentine. Et pour recevoir ensuite la seconde, on place un autre bassiot où étoit le premier, qui reçoit cette seconde, comme le premier avoit reçu la bonne eau-de-vie.

Mais comme cette eau-de-vie coupée à la serpentine n'est pas une eau-de-vie de commerce, où on ne la demande pas si forte ; quoiqu'on l'y reçoive bien, quand on la vend telle ; les brûleurs-marchands-vendeurs y laissent venir une partie de la seconde, qui tempere le feu & la vivacité de cette premiere eau-de-vie.

Il y a eu dans une province du royaume (l'Aunis) où l'on fabrique beaucoup d'eau-de-vie, des contestations au sujet de ce mêlange de la seconde avec la bonne eau-de-vie, ou de l'eau-de-vie forte ; les acheteurs disoient qu'il y avoit trop de seconde, & que cela rendoit l'eau-de-vie extrêmement foible au bout de quelques jours, sur-tout après quelque transport & trajet sur mer ; les vendeurs de leur côté disoient que non, & qu'ils fabriquoient l'eau-de-vie comme ils avoient toûjours fait, & que s'il y avoit de la fraude, elle ne venoit pas de leur part : ensorte que cela mettoit dans ce commerce d'eau-de-vie des contestations qui le ruinoient ; chacun crioit à la mauvaise foi, chacun se plaignoit, & peut-être les deux parties avoient raison de se plaindre l'une de l'autre. Sur ces contestations, & pour rétablir & faire refleurir cette branche du commerce, le Roi, par les soins & attentions de M. de Boismont, intendant de la province, a interposé son autorité ; & par son arrêt du conseil du 10 Avril 1753, sa Majesté a ordonné, art. 1. que les eaux-de-vie seront tirées au quart, garniture comprise, c'est-à-dire que sur seize pots d'eau-de-vie forte il n'y aura que quatre pots de seconde. Pour entendre ceci, il faut se rappeller ce que l'on a ci-devant dit ; que la forte eau-de-vie venoit dans le bassiot ; qu'elle étoit forte jusqu'à ce qu'elle eût perdu ; que pour savoir ce qui en étoit venu, & combien il y en avoit dans le bassiot, on avoit un bâton fait exprès, sur lequel il y avoit des marques numérotées qui indiquoient la quantité de liqueur qu'il y avoit dans le bassiot : ainsi supposant qu'en sondant avec le bâton, il marque qu'il y a de la liqueur jusqu'au n°. 20, cela veut dire qu'il y a vingt pots d'eau-de-vie dans le bassiot ; ainsi y ayant vingt pots d'eau-de-vie forte, on peut la rendre & la conserver bonne, marchande, & conforme à l'arrêt du conseil, en y laissant venir cinq pots de seconde, qui se mêlant avec les 20 pots d'eau-de-vie forte, en composent 25 : c'est ce qu'on appelle lever au quart, parce que le quart de 20 est 5, & que l'on ne leve le bassiot qu'après que ces 5 pots de seconde sont mêlés avec les 20 pots d'eau-de-vie forte : & ainsi soit qu'il y ait plus ou moins d'eau-de-vie forte de venue dans le bassiot, on prend le quart de ce qui est venu pour la laisser venir en seconde. Ces pots de seconde sont appellés la garniture, par l'arrêt du conseil.

Lorsque cette eau-de-vie est venue avec sa garniture, on leve le bassiot sur le champ pour y en placer un autre, afin de recevoir tout le reste de la seconde ; & l'on peut dès ce moment vuider ce premier bassiot, & mettre cette bonne eau-de-vie dans un tonneau ou futaille, appellée barrique ou piece ; & l'on peut dire qu'il y a dans cette barrique 25 pots de bonne eau-de-vie marchande, & faite conformément aux intentions du Roi.

Cette futaille, piece, ou barrique, doit être fabriquée suivant le réglement porté par l'arrêt du conseil du 17 Août 1743, rendu aux instances de M. de Barentin, intendant alors de la province, qui vouloit soûtenir ce commerce, où il voyoit dès-lors naître des contestations qui le ruineroient infailliblement, si l'on n'alloit au-devant par l'interposition de l'autorité souveraine ; ces futailles doivent donc être faites conformément à ce réglement, pour qu'elles puissent jauger juste & velter juste, en terme de commerce, ce qu'elles contiennent ; ce que l'on sait par le moyen d'une jauge ou velte numérotée & graduée suivant toutes les proportions géométriques, & approuvée par la police des lieux, laquelle velte l'on glisse diagonalement dans la barrique par la bonde d'icelle.

Il y a pour ce commerce d'eau-de-vie des courtiers auxquels on peut s'adresser : ces gens-là sont chargés de la part des marchands-commissionnaires, ou autres, de l'achat de cette liqueur ; & comme dans les contestations reglées par l'arrêt du conseil de 1753, les courtiers avoient été compris dans les plaintes respectives, le Roi par son édit a établi dans la ville de la Rochelle des agréeurs, pour l'acceptation & pour le chargement des eaux-de-vie : ensorte que sur le certificat des agréeurs à l'acceptation, les eaux-de-vie sont réputées bonnes ; & sur le certificat des agréeurs au chargement, les eaux-de-vie ont été embarquées & chargées bonnes, & cela afin de faire cesser les plaintes des marchands-commettans des provinces éloignées, qui se plaignoient qu'on leur envoyoit de l'eau-de-vie trop foible.

C'est ainsi que se fabrique & se commerce l'eau-de-vie, qui a un flux & reflux continuel dans le prix.

Comme l'on veut conserver tout ce qui est esprit dans le vin que l'on brûle, on fait l'épreuve à la fin de la chauffe, pour savoir s'il y a encore quelque esprit dans ce qui vient de la chaudiere ; & pour cela l'ouvrier brûleur reçoit du tuyau de la serpentine dans un petit vase, un peu de la liqueur qui vient ; & une chandelle flambante à la main, il verse de cette liqueur sur le chapeau brûlant de la chaudiere, & presente la flamme de la chandelle au courant de cette liqueur versée : si le feu y prend, & qu'il y ait encore quelque peu de flamme bleuâtre qui s'éleve, c'est une marque qu'il y a encore de l'esprit dans ce qui vient, & on attend qu'il n'y en ait plus. Quand la flamme de la chandelle n'y prend point, ce n'est plus qu'un flegme inutile : ainsi on leve le chapeau de la chaudiere, & on laisse échapper par le tuyau qui est au-bas de la chaudiere, toute la décharge, c'est-à-dire toute cette liqueur grossiere, impure, & inutile qui reste dans la chaudiere, qui s'écoule dehors, ou dans des trous ou fossés faits exprès, où elle se perd dans les terres ; après quoi on recharge la chaudiere avec de nouveau vin, on y met la seconde que l'on a reçue, & on fait la chauffe comme la premiere fois. Il faut 24 heures pour les deux chauffes, la simple & la double.

Lorsque l'on a deux chaudieres, on les accole l'une contre l'autre ; mais il faut autant de façon à chacune, c'est-à-dire il faut les mêmes ustensiles, un fourneau à part, une cheminée à part, & une conduite & un gouvernement à part. Si on a plusieurs chaudieres, on peut les construire dans le même endroit, mais toûjours chacune doit être garnie de ses ustensiles particuliers.

Les termes dont on s'est servi pour la fabrication & le commerce de cette eau-de-vie, peuvent être différens dans les différentes provinces où l'on fait de l'eau-de-vie : mais le fond de la fabrique & du commerce, est toûjours le même. Voyez l'article DISTILLATION, & la Planche du Distillateur.

EAUX-FORTES, (Chimic) dans la préparation du salpetre, & d'autres opérations de la même nature, on donne le nom d'eaux-fortes à celles qui sont très-chargées ou de sel, ou plus généralement des matieres qui y sont en dissolution.

* EAUX SURES, (Teinture) eau commune, aigrie par la fermentation du son : c'est une drogue non colorante. On donne le même nom au mêlange d'alun & de tartre, qui sert à éprouver les étoffes par le débouilli. Voyez DEBOUILLI & TEINTURE.

EAU DONNER, (Teinture) c'est achever de remplir la cuve qui ne jette pas du bleu, & y mettre de l'indigo pour qu'elle en donne.

EAUX AMERES DE JALOUSIE, (Hist. anc.) il est parlé dans la loi de Moyse, d'une eau qui servoit à prouver si une femme étoit coupable ou non d'adultere.

Voici comment on procédoit : le prêtre présentoit à la femme l'eau de jalousie, en lui disant : " Si vous vous êtes retirée de votre mari, & que vous vous soyez souillée en vous approchant d'un autre homme, &c. que le Seigneur vous rende un objet de malédiction, & un exemple pour tout son peuple, en faisant pourrir votre cuisse & enfler votre ventre ; que cette eau entre dans vos entrailles, pour faire enfler votre ventre & pourrir votre cuisse ". Et la femme répondra, ainsi soit-il. Le prêtre écrira ces malédictions dans un livre, & il les effacera ensuite avec l'eau amere. Lorsqu'il aura fait boire à la femme l'eau amere, il arrivera que si elle a été souillée, elle sera pénétrée par cette eau, son ventre s'enflera, & sa cuisse pourrira, &c. Que si elle n'a point été souillée, elle n'en ressentira aucun mal, & elle aura des enfans. Num. cap. v. Voilà une pratique qui prouve certainement que Jehova n'étoit pas seulement le Dieu des Juifs, mais qu'il en étoit encore le souverain, & que ces peuples vivoient sous une théocratie. Chambers. (G)

EAU LUSTRALE, (Myth.) ce n'étoit autre chose que de l'eau commune, dans laquelle on éteignoit un tison ardent tiré du foyer des sacrifices. Cette eau étoit mise dans un vase, qu'on plaçoit à la porte ou dans le vestibule des temples ; & ceux qui y entroient s'en lavoient eux-mêmes, ou s'en faisoient laver par les prêtres, prétendant avoir par cette cérémonie acquis la pureté de coeur nécessaire pour paroître en présence des dieux. Dans certains temples il y avoit des officiers préposés pour jetter de l'eau lustrale sur tous les passans ; & à la table de l'empereur, ils en répandoient quelques gouttes sur les viandes. Dans toute maison où il y avoit un mort, on mettoit à la porte un vase d'eau lustrale, préparée dans quelqu'autre lieu où il n'y avoit point de mort : on en lavoit le cadavre ; & tous ceux qui venoient à la maison du mort, avoient soin de s'asperger de cette eau, pour se préserver des souillures qu'ils croyoient contracter par l'attouchement ou par la vûe des cadavres. Chambers. (G)

EAU-BENITE, (Hist. ecclésiast.) eau dont on fait usage dans l'Eglise romaine après l'avoir consacrée avec certaines prieres, exorcismes & cérémonies. Celle qu'on fait solennellement tous les dimanches dans les paroisses, sert pour effacer les péchés véniels, chasser les démons, préserver du tonnerre, &c. c'est ce que dit le dictionnaire de Trévoux.

Les évêques grecs ou leurs grands vicaires font le 5 Janvier sur le soir l'eau-benite, parce qu'ils croyent que Jesus-Christ a été baptisé le 6 de ce même mois ; mais ils n'y mettent point de sel, & ils trouvent fort à redire (on ne sait pas pourquoi) que nous en mettions dans la nôtre. On boit cette eau-benite, on en asperge les maisons, on la répand chez tous les particuliers ; ensuite le lendemain jour de l'épiphanie, les papas font encore de l'eau-benite nouvelle qui s'employe à benir les églises prophanées & à exorciser les possédés.

Les prélats arméniens ne font de l'eau-benite qu'une fois l'année ; & ils appellent cette cérémonie le baptême de la croix, parce que le jour de l'épiphanie ils plongent une croix dans l'eau, après avoir récité plusieurs oraisons. Dès-que l'eau-benite est faite, chacun en emporte chez soi ; les prêtres arméniens, & sur-tout les prélats, retirent de cette cérémonie un profit très-considérable.

Il y avoit parmi les Hébreux une eau d'expiation dont parle le chap. xjx. du livre des nombres. On prenoit de la cendre d'une vache rousse, on mettoit cette cendre dans un vase où l'on jettoit de l'eau, avec laquelle on faisoit des aspersions dans les maisons, sur les meubles, & sur les personnes qui avoient touché quelque chose d'immonde. Telle est apparemment l'origine de benir avec de l'eau, vers le tems de pâques, dans quelques pays catholiques, les maisons, les meubles, & même les alimens.

Enfin les Payens avoient aussi leur eau sacrée. Voyez l'article EAU LUSTRALE.

Il est assez vraisemblable, comme le prétend le P. Carmeli, que la connoissance qu'on avoit des vertus de l'eau, engagea les hommes à s'en servir pour les cérémonies religieuses. Ils observent que cet élément entretenoit, nourrissoit & faisoit végéter les plantes ; ils lui trouverent la propriété de laver, de nettoyer & de purifier les corps. Ils regarderent en conséquence les fleuves, les rivieres & les fontaines, comme des symboles de la divinité ; ils porterent dès-lors jusqu'à l'idolatrie le respect qu'ils avoient pour l'eau, & lui offrirent un encens sacrilége. Enfin elle fut employée dans les rits sacrés presque par tous les peuples du monde ; & cet usage est venu jusqu'à nous. Il ne faut donc point douter que l'eau d'expiation des Juifs, l'eau lustrale des Payens, & l'eau-benite des Chrétiens, ne partent du même principe ; mais l'application en est bien différente, puisque nous ne sommes ni Juifs ni Payens. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EAUSE(Géog. mod.) ville d'Armagnac en Gascogne. C'est la capitale de l'Eausan. Long. 17. 42. lat. 43. 56.


EAUX ET FORESTS(Jurispr.) On comprend ici sous le terme d'eaux les fleuves, les rivieres navigables, & autres ; les ruisseaux, étangs, viviers, pêcheries. Il n'est pas question ici de la mer ; elle fait un objet à part pour lequel il y a des reglemens & des officiers particuliers.

Le terme de forêts signifioit anciennement les eaux aussi-bien que les bois, présentement il ne signifie plus que les forêts proprement dites, les bois, garennes, buissons.

Sous les termes conjoints d'eaux & forêts, la Jurisprudence considere les eaux, & tout ce qui y a rapport, comme les moulins, la pêche, le curage des rivieres ; elle considere de même les forêts, & tous les bois en général, avec tout ce qui peut y avoir rapport.

Les eaux & forêts du prince, ceux des communautés & des particuliers, sont également l'objet des lois, tant pour déterminer le droit que chacun peut avoir à ces sortes de biens, que pour leur conservation & exploitation.

On entend aussi quelquefois par le terme d'eaux & forêts les tribunaux & les officiers établis pour connoître spécialement de toutes les matieres qui ont rapport aux eaux & forêts.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que les eaux & forêts ont mérité l'attention des lois ; il paroît que dans tous les tems & chez toutes les nations, ces sortes de biens ont été regardés comme les plus précieux.

Les Romains qui avoient emprunté des Grecs une partie de leurs lois, avoient établi plusieurs regles par rapport aux droits de propriété ou d'usage que chacun pouvoit prétendre sur l'eau des fleuves & des rivieres, sur leurs rivages, sur la pêche, & autres objets qui avoient rapport aux eaux.

La conservation & la police des forêts & des bois paroît sur-tout avoir toûjours mérité une attention particuliere, tant à cause des grands avantages que l'on en retire par les différens usages auxquels les bois sont propres, & sur-tout pour la chasse, qu'à cause du long espace de tems qu'il faut pour produire les bois.

Aussi voit-on que dans les tems les plus reculés il y avoit déjà des personnes préposées pour veiller à la conservation des bois.

Salomon demanda à Hiram roi de Tyr, la permission de faire couper des cedres & des sapins du Liban pour bâtir le temple.

On lit aussi dans Esdras, lib. II. cap. ij. que quand Nehemias eut obtenu du roi Artaxercès surnommé Longuemain, la permission d'aller rétablir Jerusalem, il lui demanda des lettres pour Asaph garde de ses forêts, afin qu'il lui fît délivrer tout le bois nécessaire pour le rétablissement de cette ville.

Aristote en toute république bien ordonnée desire des gardiens des forêts, qu'il appelle , sylvarum custodes.

Ancus Martius quatrieme roi des Romains, réunit les forêts au domaine public, ainsi que le remarque Suétone.

Entre les lois que les décemvirs apporterent de Grece, il y en avoit qui traitoient de glande, arboribus, & pecorum pastu.

Ils établirent même des magistrats pour la garde & conservation des forêts, & cette commission étoit le plus souvent donnée aux consuls nouvellement créés, comme il se pratiqua à l'égard de Bibulus & de Jule-César, lesquels étant consuls, eurent le gouvernement général des forêts, ce que l'on désignoit par les termes de provinciam ad sylvam & colles ; c'est ce qui a fait dire à Virgile : Si canimus sylvas, sylvae sunt consule dignae. Voyez Suétone en la vie de Jule-César.

Les Romains établirent dans la suite des gouverneurs particuliers dans chaque province pour la conservation des bois, & firent plusieurs lois à ce sujet. Ils avoient des forestiers ou receveurs établis pour le revenu & profit que la république percevoit sur les bois & forêts, & des préposés à la conservation des bois & forêts nécessaires au public à divers usages, comme Alexandre Severe, qui les réservoit pour les thermes.

Lorsque les Francs firent la conquête des Gaules, ce pays étoit pour la plus grande partie couvert de vastes forêts, ce que nos rois regarderent avec raison comme un bien inestimable.

La conservation des bois paroissoit dès-lors un objet si important, que les gouverneurs ou gardiens de Flandres, avant Baudoüin surnommé Bras-de-fer, étoient nommés forestiers, à cause que ce pays étoit alors couvert pour la plus grande partie de la forêt Chambroniere : le titre de forestiers convenoit d'ailleurs aussi-bien aux eaux qu'aux forêts.

Les rois de la seconde race défendirent l'entrée de leurs forêts, afin que l'on n'y commît aucune entreprise. Charlemagne enjoignit aux forestiers de les bien garder ; mais il faut observer que ce qui est dit des forêts dans les capitulaires, doit quelquefois s'entendre des étangs ou garennes d'eau, qui étoient encore alors comprises sous le terme de forêts.

Aymoin fait mention que Thibaut Filetoupe étoit forestier du roi Robert, c'est-à-dire inspecteur général de ses forêts. Il y avoit aussi dès-lors de simples gardes des forêts, appellés saltuarios & sylvarios custodes.

La plus ancienne ordonnance que l'on ait trouvée des rois de la troisieme race, qui ait quelque rapport aux eaux & forêts, est une ordonnance de Louis VI. de l'an 1115, concernant les mesureurs & arpenteurs des terres & bois.

Mais dans le siecle suivant il y eut deux ordonnances faites spécialement sur le fait des eaux & forêts ; l'une par Philippe-Auguste, à Gisors en Novembre 1219 ; l'autre par Louis VIII. à Montargis en 1223.

Les principaux réglemens faits par leurs successeurs, par rapport aux eaux & forêts, sont l'ordonnance de Philippe-le-Hardi, en 1280 ; celle de Philippe-le-Bel, en 1291 & en 1309 ; celle de Philippe V. en 1318, de Charles-le-Bel, en 1326 ; du roi Jean, en 1355 ; de Charles V. en 1376 ; de Charles VI. en 1384, 1387, 1402, 1407 & 1415 ; de François I. en 1515, 1516, 1518, 1520, 1523, 1534, 1535, 1539, 1540, 1543, 1544 & 1545 ; d'Henri II. en 1548, 1552, 1554, 1555, 1558 ; de Charles IX. en 1561, 1563, 1566 & 1573 ; d'Henri III. en 1575, 1578, 1579, 1583 & 1586 ; d'Henri IV. en 1597 ; de Louis XIII. en 1637, & de Louis XIV. au mois d'Août 1669.

Cette derniere ordonnance est celle qu'on appelle communément l'ordonnance des eaux & forêts, parce qu'elle embrasse toute la matiere, & résume ce qui étoit dispersé dans les précédentes ordonnances. Elle est divisée en trente-deux titres différens, qui contiennent chacun plusieurs articles. Elle traite d'abord dans les quatorze premiers titres, de la compétence des officiers des eaux & forêts ; savoir de la jurisdiction des eaux & forêts en général, des officiers des maîtrises, des grands-maîtres, des maîtres particuliers, du lieutenant, du procureur du roi, du garde-marteau, des greffiers, gruyers, huissiers-audienciers, gardes généraux, sergens & gardes des forêts & bois tenus en grueries, grairies, &c. des arpenteurs, des assises, de la table de marbre, des juges en dernier ressort, & des appellations.

Les titres suivans traitent de l'assiette, balivage & martelage, & vente des bois ; des recollemens, des ventes, des chablis & des menus marchés ; des ventes & adjudications ; des panages, glandées & paissons ; des droits de pâturage & panage ; des chauffages & autres usages des bois, tant à bâtir qu'à réparer ; des bois à bâtir pour les maisons royales & bâtimens de mer ; des eaux & forêts, bois & garennes tenus à titre de doüaire, &c. des bois en gruerie, grairie, tiers & danger ; des bois appartenans aux ecclésiastiques & gens de main-morte ; des bois, prés, marais, landes, pâtis, pêcheries, & autres biens appartenans aux communautés & habitans des paroisses ; des bois appartenans à des particuliers ; de la police & conservation des forêts, eaux & rivieres ; des routes & chemins royaux ès forêts & marche-piés des rivieres ; des droits de péages, travers & autres ; des chasses, de la pêche, enfin des peines, amendes, restitutions, dommages-intérêts & confiscations.

Nous avons crû ne pouvoir mieux faire que de rapporter ainsi les titres de cette ordonnance, pour faire connoître exactement quelles sont les matieres qu'elle embrasse, & que l'on comprend sous les termes d'eaux & forêts.

Depuis l'ordonnance de 1669, il est encore intervenu divers édits, déclarations & arrêts de réglemens, pour décider plusieurs cas qui n'étoient pas prévûs par l'ordonnance.

Les tribunaux établis pour connoître des matieres d'eaux & forêts, & de tout ce qui y a rapport, sont, 1°. les juges en dernier ressort, composés de commissaires du parlement, & d'une partie des officiers de la table de marbre, pour juger les appellations des maîtrises, grueries royales, grueries particulieres non royales, & de toutes les autres justices seigneuriales, sur le fait des réformations, usages, abus, délits & malversations commis dans les eaux & forêts, & sur les faits de chasse au grand-criminel ; 2°. les tables de marbre du palais de Paris, de Roüen, Dijon, Bordeaux, Metz & autres, pour juger les appellations ordinaires des maîtrises ; 3°. les maîtrises particulieres ; 4°. les grueries royales, 5°. les grueries en titre, non royales, & les autres justices seigneuriales, lesquelles, sans avoir le titre de gruerie, en ont tous les attributs.

La compétence de chacun de ces tribunaux sera expliquée en son lieu, aux mots GRUERIE, JUGES EN DERNIER RESSORT, MAITRISE, TABLES DE MARBRE, & JUSTICE SEIGNEURIALE.

Les officiers des eaux & forêts étoient anciennement nommés forestiers, maîtres des garennes, & depuis, maîtres des eaux & forêts.

Ceux qui ont présentement l'inspection & jurisdiction sur les eaux & forêts, sont les grands-maîtres, les maîtres particuliers, les gruyers, verdiers.

Il y a aussi dans les tables de marbre, maîtrises & grueries, d'autres officiers, tels que des lieutenans, un procureur du roi, un garde-marteau, un greffier, des huissiers-audienciers, des sergens-garde-bois, des sergens-gardes-pêche, des arpenteurs, des receveurs & collecteurs des amendes, &c. Nous expliquerons ce qui concerne ces différens officiers, soit en parlant des tribunaux où ils exercent leurs fonctions, soit dans les articles particuliers de ces officiers, pour ceux qui ont une dénomination propre aux eaux & forêts, tels que les gardes-marteau, gardes-chasse, sergens-à-garde, sergens-forestiers, sergens-gardes-pêche.

Plusieurs matieres des eaux & forêts se trouvent déjà expliquées ci-devant aux mots AIRE, ALLUVION, ATTERISSEMENT, BAC, BALIVEAUX, BATARDEAUX, BOIS, BRUYERES, BUCHERONS, BUCHES, CANAUX, CAPITAINERIES, CEPEES, CHABLIS, CHARMES, CHASSE, CHEMINS, CHENE, CHOMMAGE, COLLECTEUR DES AMENDES, CORMIERS, COUPES, CURAGE, DANGER, DEFFENDS, DEFRICHEMENT, DELITS, DOUBLEMENT.

Nous expliquerons le surplus ci-après, aux mots ECUISSER, ECLUSES, ENCROUER, ESHOUPER, ESSARTER, ETALON, ETANT, ETANG, FAUCHAISON, FLOTTAGE, FORETS, FOSSE, FOUEE, FRAY, FURTER, FUTAYE, GARENNES, GISANT, GLANDEE, GORDS, HALOTS, HAUTE-FUTAYE, LANDES, LAPINS, LAYES, MARTEAU, MARTELAGE, MERREIN, MOULINS, NAVIGATION, PAISSONS, PALUDS, PANAGE, PARCS, PAROI, PATURAGE, PATIS, PEAGES, PERTUIS, PECHE, PIES-CORMIERS, POCHES, POISSON, RABOUGRIS, RABOULIERES, RECEPAGE, RECOLLEMENS, RESERVES, RIVERAINS, RIVIERE, ROUTES, RUISSEAU, SEGRAIRIES, SOUCHETAGE, TAILLIS, TERRIERS, TIERS & DANGER, TIERS-LOT, TRIAGE, VENTE, VISITE, USAGE, USAGERS, & plusieurs autres termes qui ont rapport à cette matiere. (A)

EAU, (Jurispr.) suivant le droit romain, l'eau de la mer, celle des fleuves & des rivieres en général, & toute eau coulante, étoient des choses publiques dont il étoit libre à chacun de faire usage.

Il n'en est pas tout-à-fait de même parmi nous : il n'est pas permis aux particuliers de prendre de l'eau de la mer, de crainte qu'ils n'en fabriquent du sel, qui est un droit que nos rois se sont réservé.

A l'égard de l'eau des fleuves & des rivieres navigables, la propriété en appartient au roi, mais l'usage en est public.

Les petites rivieres & les eaux pluviales qui coulent le long des chemins, sont aux seigneurs hauts-justiciers : les ruisseaux appartiennent aux riverains.

Il est libre à chacun de puiser de l'eau dans les fleuves, rivieres & ruisseaux publics ; mais il n'est point permis d'en détourner le cours au préjudice du public ni d'un tiers, soit pour arroser ses prés, pour faire tourner un moulin, ou pour quelqu'autre usage, sans le consentement de ceux auxquels l'eau appartient.

Le droit actif de prise d'eau peut néanmoins s'acquérir par prescription, soit avec titre ou sans titre, comme les autres droits réels ; par une possession du nombre d'années requis par la loi du lieu.

Mais la faculté de prendre de l'eau ne se prescrit point par le non-usage, sur-tout tandis que l'écluse où l'on puisoit l'eau est détruite.

Celui qui a la source de l'eau dans son fonds, peut en disposer comme bon lui semble pour son usage ; au-lieu que celui dans le fonds duquel elle ne fait simplement que passer, peut bien arrêter l'eau pour son usage, mais il ne peut pas la détourner de son cours ordinaire. Voyez au code de aquaeduct. Franç. Marc, tome I. quest. dlxxxjx. & dxcvij. Henrys, tome II. liv. IV. quest. xxxv. & xxxvij. Basset, tome II. liv. III. tit. vij. ch. 1 & 7. (A)

EAU BOUILLANTE, (Jurispr.) servoit autrefois d'épreuve & de supplice. Voyez ci-après EPREUVE DE L'EAU BOUILLANTE, & aux mots BOUILLIR, PEINE, SUPPLICE.

EAU CHAUDE, voyez ci-dev. EAU BOUILLANTE.

EAU FROIDE, voyez ci-après EPREUVE DE L'EAU FROIDE. (A)

EAU, (Marine) Faire de l'eau, en terme de marine, ou faire aiguade, c'est remplir des futailles destinées à contenir l'eau nécessaire pour les besoins de l'équipage pendant le cours du voyage. Il faut, autant qu'il est possible, ne choisir que des eaux de bonne qualité & saines, tant pour éviter les maladies que les mauvaises eaux peuvent causer, que parce qu'elles se conservent mieux, & sont moins sujettes à se corrompre.

Eau douce, on donne ce nom aux eaux de fontaine, de riviere, &c.

Eau salée, c'est l'eau de la mer.

Eau saumache, c'est de l'eau qui, sans avoir tout le sel & l'âcreté de l'eau de mer, en tient cependant un peu ; ce qui se trouve quelquefois, lorsqu'on est obligé de prendre de l'eau dans des puits que l'on creuse sur le bord de la mer : on ne s'en sert que dans un grand besoin.

Eau basse, eau haute ou haute eau, morte eau, se disent des eaux de la mer lorsqu'elle monte ou descend. Voyez MAREE.

Faire eau, terme tout différent de faire de l'eau : il se dit d'un vaisseau où l'eau entre par quelqu'ouverture, de quelque cause qu'elle provienne, soit dans un combat par un coup de canon reçû à l'eau, c'est-à-dire dans les parties qui sont sous l'eau ; soit par quelques coutures qui s'ouvrent, ou toute autre voie par où l'eau pénetre dans la capacité du vaisseau.

Eau du vaisseau, c'est la trace que le navire laisse sur l'eau dans l'endroit où il vient de passer ; c'est ce qu'on appelle le sillage, l'oüaiche ou la seillure. Lorsqu'on suit un vaisseau de très-près, & qu'on marche dans son sillage, on dit être dans ses eaux.

Mettre un navire à l'eau, c'est le mettre à la mer, ou le pousser à l'eau de dessus le chantier, après sa construction ou son radoub. Voyez LANCER. (Z)

EAU DE NEF, terme de Riviere, est la portion d'eau qui coule entre deux bateaux sur lesquels sont posées deux pieces de bois, par-dessus lesquelles on décharge le vin.

EAU, (Manége) envisagée par ses usages relativement aux chevaux.

1°. Elle en est la boisson ordinaire.

Je ne sai comment on pourroit accorder les idées d'Aristote, & de quelques écrivains obscurs qui n'ont parlé que d'après lui, avec celles que nous nous formons des effets que cet élément produit dans nos corps & dans celui des animaux. Ce philosophe, à l'étude & aux observations duquel Alexandre en soûmit une multitude de toute espece, ne me paroît point aussi superieur dans les détails, qu'il l'a été par rapport aux vûes générales. A l'en croire, les chevaux & les chameaux boivent l'eau trouble & épaisse avec plus de plaisir que l'eau claire ; la preuve qu'il en apporte, est qu'ils la troublent eux-mêmes : il ajoûte que l'eau chargée de beaucoup de particules hétérogenes, les engraisse, parce que dès-lors leurs veines se remplissent davantage.

La seule exposition des faits allégués par ce grand homme, & des causes sur lesquelles il les appuie, suffiroit aujourd'hui pour en demontrer la fausseté ; mais peut-être des personnes pénétrées d'une estime aveugle & outrée pour les opinions des anciens, me reprocheroient de n'avoir qu'un mépris injuste pour ces mêmes opinions : ainsi je crois devoir, en opposant la raison à l'autorité, me mettre à l'abri du blâme auquel s'exposent ceux qui tombent dans l'un ou dans l'autre de ces excès.

Il est singulier que le même naturaliste, qui, pour exprimer le plaisir que le cheval ressent en se baignant, le nomme animal philolutron, philydron, soit étonné de voir qu'il batte & qu'il agite communément l'eau au moment où il y entre, & n'impute cette action de sa part qu'au dessein & à la volonté de la troubler, pour s'en abreuver avec plus de satisfaction. Il me semble qu'en attribuant ces mouvemens, que nous ne remarquons que rarement dans les chevaux accoûtumés à boire dans la riviere, au desir naturel à l'animal philolutron, de faire rejaillir par ce moyen l'eau sur lui-même, ou de s'y plonger, on ne se seroit pas si éloigné de la vraisemblance.

L'expérience est mille fois plus sûre que le raisonnement. Présentez à l'animal de l'eau trouble, mais sans odeur ou mauvais goût, & de l'eau parfaitement limpide, il s'abreuvera indifféremment de l'une ou de l'autre : conduisez-le dans une riviere, dès qu'il sera véritablement altéré, il boira sur le champ, & ne cherchera point d'abord à en troubler l'eau : permettez-lui de la battre & de l'agiter à son gré, il s'y couchera infailliblement : examinez enfin ce dont ont été témoins nombre d'écrivains qui ont enrichi le recueil curieux qui a pour titre, Scriptores rei rusticae veteres, &c. & ce dont vous pouvez vous assûrer par vous-même, vous verrez que beaucoup de chevaux brûlant d'une soif ardente, ne sont point pressés de l'étancher, lorsqu'on ne leur offre à cet effet qu'une eau sale & brouillée. Aristote, Crescentius, Ruellius & quelques autres, prêtent donc à l'animal une intention qu'il n'a point, & ont laissé échapper celle qu'il a réellement, & qui lui est suggérée par un instinct & par un goût qu'ils reconnoissoient néanmoins en lui.

Il n'est pas douteux que c'est ce même goût qui le sollicite & qui l'engage à plonger sa tête plus ou moins profondément dans l'auge ou dans le seau qui contient sa boisson. Cette action, à laquelle il ne se livre que lorsque l'altération n'est pas considérable, a cependant occasionné de nouveaux écarts. Pline en a conclu que les chevaux trempent les nazeaux dans l'eau quand ils s'abreuvent. Jerôme Garembert, quest. xlv. a avancé qu'ils y plongent la tête jusqu'aux yeux, tandis que les ânes & les mulets hument du bord des levres. Un naturaliste moderne, qui sans doute n'a vérifié ni l'un ni l'autre de ces faits, & qui n'a peut-être prononcé que sur la foi des Naturalistes qu'il a consultés, n'a pas craint de regarder la froideur de l'eau qui frappe la membrane muqueuse de l'animal au moment où il boit, comme la cause d'une maladie dont la source n'est réellement que dans le sang : il suggere même un expédient assez particulier pour la prévenir. Il conseille à cet effet d'essuyer les nazeaux du cheval chaque fois qu'il a bû. Telle est la triste condition de l'esprit humain, les vérités les plus sensibles se dérobent à lui ; & des écrits dans lesquels brillent l'érudition & le plus profond savoir, sont toûjours semés d'une foule d'erreurs.

Ce n'en seroit pas une moins grossiere que d'imaginer sur le nom & sur la réputation d'Aristote, que l'eau trouble engraisse le cheval, & lui est plus salutaire que d'autre. Pour peu que l'on soit éclairé sur le méchanisme des corps animés, on rejette loin de soi le principe pitoyable sur lequel est établie cette doctrine. Il seroit très-difficile de découvrir la sorte d'élaboration à la faveur de laquelle des corpuscules terrestres & grossiers aideroient à fournir un chyle balsamique, & propre à une assimilation d'où résulteroit une homogenéité véritable. Non-seulement le fluide aqueux dissout les humeurs visqueuses, entretient la fluidité du sang, tient tous les émonctoires convenables ouverts, débarrasse tous les conduits, & facilite merveilleusement la plus importante des excrétions, c'est-à-dire la transpiration insensible ; mais sans son secours la nutrition ne sauroit être parfaitement opérée : il est le véhicule qui porte le suc nourricier jusque dans les pores les plus tenus & les plus déliés des parties. Il suit de cette vérité & de ces effets, que les seules eaux bienfaisantes seront celles qui, legeres, pures, simples, douces & claires, passeront avec facilité dans tous les vaisseaux excrétoires ; & nous devons penser que celles qui sont crues, pesantes, croupissantes, inactives, terrestres, & imprégnées en un mot de parties hétérogenes grossieres, forment une boisson très-nuisible, attendu la peine qu'elles ont de se frayer une route à travers des canaux, à l'extrémité desquels elles ne parviennent jamais sans y causer des obstructions. J'avoue que celles-ci, eu égard à la construction de l'animal, à la force de ses organes digestifs, au genre d'alimens dont il se nourrit, &c. ne sont point aussi pernicieuses pour lui que pour l'homme : nous ne devons pas néanmoins nous dispenser de faire attention aux différentes qualités de celles dont nous l'abreuvons. Les eaux trop vives suscitent de sortes tranchées, des avives considérables. Les eaux de neige provoquent ordinairement une toux violente, un engorgement considérable dans les glandes sublinguales & maxillaires ; elles excitent en même tems dans les jeunes chevaux un flux considérable par les nazeaux, d'une humeur plus ou moins épaisse, & d'une couleur plus ou moins foncée.

Le tems & la maniere d'abreuver ces sortes d'animaux, sont des points qui importent essentiellement à leur conservation.

On ne doit jamais, & dans aucune circonstance, les faire boire quand ils ont chaud, quand ils sont essoufflés, & avant de les avoir laissé reposer plus ou moins long-tems. L'heure la plus convenable pour les abreuver, est celle de huit ou neuf heures du matin, & de sept ou huit heures du soir. En été on les abreuve trois fois par jour, & la troisieme fois doit être fixée à environ cinq heures après la premiere. Il est vrai qu'eu égard aux chevaux qui travaillent & aux chevaux qui voyagent, un pareil régime ne sauroit être exactement constant ; mais il ne faut point absolument s'écarter & se départir de la maxime qui concerne le cheval hors d'haleine, & qui est en sueur. Nos chevaux de manége ne boivent qu'une heure ou deux après que nos exercices sont finis ; le soir on les abreuve à sept heures, & toûjours avant de leur donner l'avoine : cette pratique est préférable à celle de leur donner le grain avant la boisson, à moins que le cheval ayant eu très-chaud, on ne lui donne une mesure d'avoine avant & après qu'il aura bû.

Plusieurs personnes sont en usage d'envoyer leurs chevaux boire à la riviere ; cette habitude, blâmée d'un côté par Xénophon, & loüée de l'autre par Camerarius, ne sauroit être improuvée, pourvû que l'on soit assûré de la sagesse de ceux qui les y conduisent, qu'on ne les y mene pas dans le tems le plus âpre de l'hyver, & qu'on ait l'attention à leur retour, non-seulement d'avaler avec les mains l'eau dont leurs quatre jambes sont encore mouillées, mais de leur essuyer & de leur sécher parfaitement les piés.

Ceux qui abreuvent l'animal dans l'écurie doivent, en hyver, avoir grand soin de lui faire boire l'eau sur le champ & aussi-tôt qu'elle est tirée. Dans l'été au contraire il est indispensable de la tirer le soir pour le lendemain matin, & le même matin pour le soir du même jour. Je ne suis point sur ce fait d'accord avec Camerarius ; il invective vainement les palefreniers qui offrent à boire à leurs chevaux de l'eau qui a séjourné dans un vase, parce qu'elle a été exposée à la chûte de plusieurs ordures ; il veut qu'elle soit tirée fraîchement & présentée aussi-tôt à l'animal : mais les suites funestes d'une pareille méthode observée dans le tems des chaleurs, n'ont que trop énergiquement prouvé la séverité avec laquelle elle doit être proscrite. On peut parer cependant à la froideur de l'eau & à sa trop grande crudité, soit en y trempant les mains, soit en y jettant du son, soit en l'exposant au soleil, soit en la mêlant avec une certaine quantité d'eau chaude, soit enfin en l'agitant avec une poignée de foin, autrement on couroit risque de précipiter le cheval dans quelque maladie sérieuse. J'ajoûterai qu'il est essentiel de s'opposer à ce qu'il boive tout d'une haleine ; on doit l'interrompre de tems en tems quand il s'abreuve, de maniere qu'il ne s'essouffle pas lui-même, & que sa respiration soit libre ; c'est ce que nous appellons couper, rompre l'eau à l'animal.

Une question à décider, est celle de savoir s'il convient mieux d'abreuver un cheval dans la route, ou d'attendre à cet effet que l'on soit arrivé au lieu où l'on doit s'arrêter. Si l'on consultoit M. de Soleysel sur cette difficulté, on trouveroit qu'il a prononcé pour & contre. Dans le chapitre xxjx. de la seconde partie de son ouvrage, édition de l'année 1712, chez Emery, il charge le bon sens de conclure pour lui, que les chevaux doivent boire en chemin, par la raison que s'ils ont chaud en arrivant, on est un tems infini sans pouvoir les faire boire, & que la soif les empêchant de manger, une heure ou deux s'écoulent, ensorte qu'ils sont obligés de repartir n'ayant ni bû ni mangé, ce qui les met hors d'état de fournir le chemin. Dans le chapitre suivant il recommande expressément de prendre garde aux eaux que les chevaux boivent, particulierement en voyage, car de-là dépend, dit-il, la conservation de leur vie ou leur destruction ; or le bon sens indique ici une contradiction manifeste : en effet, si je dois d'une part abreuver mon cheval dans la route, plûtôt que de patienter jusqu'au moment où j'arriverai ; & si de l'autre il est très-important que je considere la nature des eaux dont je l'abreuve, je demande quels seront les moyens par lesquels je jugerai sainement de la différente qualité de celles que je rencontrerai en cheminant. Je crois donc que la seule inspection n'étant pas capable de donner des lumieres suffisantes pour observer avec fruit, la prudence exige qu'on ne fasse jamais boire les chevaux à la premiere eau que l'on découvre. Il vaut mieux différer jusqu'à ce que l'on soit parvenu dans l'endroit où l'on s'est proposé de prendre du repos & de satisfaire ses autres besoins. Les habitans de ce lieu instruits par l'expérience des eaux plus ou moins favorables à l'animal, dissiperont toutes nos inquiétudes & toutes nos craintes à cet égard ; nous ne nous exposerons point, en un mot, au danger d'abreuver nos chevaux d'une eau souvent mortelle pour eux, telles que celles de la riviere d'Essone sur le chemin de Fontainebleau à Paris, d'une autre petite riviere qui passe dans le Beaujolois, & d'une multitude de petits torrens dans lesquels nul cheval ne boit qu'il ne soit atteint de quelques maladies très-vives & très-aiguës. Le moyen de parer l'inconvénient de la trop grande chaleur & de la sueur de l'animal lorsqu'il arrive, est très-simple : il ne s'agit que de ralentir son allure environ une demi-lieue avant de terminer sa marche ; alors il entre dans son écurie sans qu'on apperçoive aucuns signes de transpiration & de fatigue, & un quart-d'heure de repos suffit, pour qu'il puisse sans péril manger les alimens qu'on lui présente, & ensuite être abreuvé. On doit en user de même relativement aux chevaux de carosse, & aux autres chevaux de tirage. Il est rare qu'ils puissent boire commodément en route, les uns & les autres étant attelés ; mais la précaution de les beaucoup moins presser à mesure que l'on approche de l'alte, est très-utile & très-sage. Celle d'abreuver les chevaux avant de partir, n'est bonne qu'autant que la boisson précede d'environ une heure l'instant du départ ; des chevaux abreuvés que l'on travaille sur le champ, cheminent moins aisément, avec moins de vivacité & de legereté, & ont beaucoup moins d'haleine.

Selon Aristote, les chevaux peuvent se passer de boisson environ quatre jours ; je ne contredis point ce fait dont je n'ai pas approfondi la vérité : il en est qui boivent naturellement moins les uns que les autres : il en est qui boivent trop peu, ceux-ci sont communément étroits de boyaux : il en est aussi que la fatigue, le dégoût, empêche de s'abreuver ; en cherchant à aiguiser leur appétit par différentes sortes de masticatoires, on réveille en eux le desir de la boisson : il en est enfin que des maladies graves mettent hors d'état de prendre aucune sorte d'alimens solides ou liquides ; nous indiquerons en parlant de ces maladies, & quand l'occasion s'en présentera, les moyens d'y remédier.

Je ne place point au rang de ces maux les excroissances qui surviennent dans la partie de la bouche que nous nommons le canal, & que l'on observe à chaque côté de la langue, précisément à l'endroit où se termine le repli formé par la membrane qui revêt intérieurement la mâchoire inférieure. Ces excroissances, assez semblables par leur figure à des nageoires de poissons, sont ce que nous nommons barbes ou barbillons. On doit les envisager uniquement comme un allongement de cette membrane, qui toûjours abreuvée par la salive, & plus humectée qu'ailleurs par la grande quantité d'humeurs que les glandes sublinguales filtrent & fournissent à cet endroit, peut se relâcher dans cette portion plus aisément que dans le reste de son étendue, le tissu en étant d'ailleurs naturellement très-foible. Ce prolongement empêche les chevaux de boire aussi librement qu'à l'ordinaire ; ainsi lorsqu'ils témoignent non-seulement quelque répugnance pour la boisson, mais un desir de s'abreuver qu'ils ne peuvent satisfaire que difficilement & avec peine, il faut rechercher si les barbillons n'en sont pas l'unique cause ; en ce cas on tient la bouche du cheval ouverte par le moyen du pas-d'âne (voyez PAS-D'ANE), & l'on retranche entierement avec des ciseaux la portion prolongée de la membrane ; on peut laver ensuite la bouche de l'animal avec du vinaigre, du poivre, & du sel : pour cet effet on trempe dans cet acide un linge entortillé au bout d'un morceau de bois quelconque ; on en frotte la partie malade, après quoi on retire le pas-d'âne, & on fait mâcher le linge pendant un instant au cheval. Nombre de personnes ajoûtent à cette opération, celle de lui donner un coup de corne (voyez PHLEBOTOMIE) : dès-lors on n'employe point le vinaigre ; & on se contente, quand une suffisante quantité de sang s'est écoulée, de présenter du son sec à l'animal.

Pour opérer avec plus de succès, & sans offenser les parties voisines de celles qu'on doit couper, il est bon de se servir de ciseaux dont les branches soient tellement longues, que la main de l'opérateur ne soit point empêchée par les dents du cheval sur lequel il travaille ; il faut encore que l'extrémité des lames au lieu d'être droite soit recourbée, non de côté, mais en-haut, & que chaque pointe de ces mêmes lames ait un bouton. Voyez ONGLEE.

Il est des circonstances dans lesquelles nous sommes obligés de communiquer à l'eau simple & commune, dont nous abreuvons les chevaux, des vertus qu'elle n'auroit point, si nous n'y faisions quelques additions & des mêlanges appropriés aux différens cas qui se présentent.

L'eau blanche est, par exemple, la boisson ordinaire des chevaux malades. Elle ne doit cette couleur qu'au son que nous y ajoûtons ; mais il ne suffit pas pour la blanchir d'en jetter, ainsi que plusieurs palefreniers le pratiquent, une ou deux mesures dans l'eau dont est rempli le seau ou l'auge à abreuver. Elle n'en reçoit alors qu'une teinture très-foible & très-legere ; & elle participe moins de la qualité anodine, tempérante & rafraîchissante de cet aliment, dont elle est plûtôt empreinte par la maniere dont on l'exprime, que par la quantité que l'on en employe très-inutilement. Prenez une jointée de son ; trempez vos deux mains qui en sont saisies dans l'auge ou dans le seau ; exprimez fortement & à plusieurs reprises l'eau dont le son que vous tenez est imbû, le liquide acquerra une couleur véritablement blanche ; laissez ensuite tomber le son dans le fond du vase ; reprenez, s'il en est besoin, une seconde jointée, & agissez-en de même, la blancheur du liquide augmentera ; & le mêlange sera d'autant plus parfait, que cette blancheur ne naît que de l'exacte séparation des portions les plus déliées du solide, lesquelles se sont intimement confondues avec celles de l'eau.

Nous n'en usons pas ainsi, lorsque pour soûtenir l'animal dans des occurrences d'anéantissement, nous blanchissons sa boisson par le moyen de quelques poignées de farine de froment. Si nous précipitions sur le champ la farine dans l'eau, elle se rassembleroit en une multitude de globules d'une grosseur plus ou moins considérable. Si nous l'y trempions comme le son, pour exprimer ensuite le fluide, il en résulteroit une masse que nous aurions ensuite une peine extrême à diviser ; il faut donc, à mesure que l'on ajoûte le froment en farine, le broyer sec avec les doigts, & le laisser tomber en poudre, après quoi on agite l'eau & on la met devant l'animal, qui s'en abreuve quand il le peut ou quand il le veut.

L'eau miellée forme encore une boisson très-adoucissante ; il ne s'agit que de mettre une plus ou moins forte dose de miel dans l'eau que l'on veut donner à boire au cheval, & de l'y délayer autant qu'il est possible. Il est néanmoins beaucoup de chevaux auxquels elle répugne, & qui n'en boivent point.

Souvent aussi la maladie & le dégoût sont tels, que nous sommes contraints de ne nourrir l'animal qu'en l'abreuvant. Alors nous donnons à la boisson encore plus de consistance, en y faisant cuire ou de la mie de pain, ou de l'orge mondé, ou de la farine d'orge tamisée ; nous passons ensuite ces especes de panades, & nous les donnons au cheval avec la corne.

Du reste nous employons les décoctions, les infusions, les eaux distillées, &c.

Je ne puis rapporter qu'un seul exemple de l'efficacité des eaux minérales données en boisson à l'animal ; mais je suis convaincu qu'elles lui seroient très-salutaires, si on les prescrivoit à-propos, & si on ajoûtoit ce secours à tous ceux que nous avons tirés de la Medecine du corps humain. Il étoit question d'un cheval poussif ; les eaux minérales du Mont-d'or, très-propres à la cure de l'asthme, le rétablirent entierement.

2°. Les avantages que l'animal retire de l'usage extérieur de l'eau sont sensibles.

On peut dire que ses effets relativement à l'homme & au cheval sont les mêmes. Si l'eau froide excite dans les fibres une véritable constriction, si elle contraint les pores de la peau à se resserrer, c'en est assez pour pénétrer les raisons de la prohibition des bains entiers, eu égard à tout animal en sueur, & pour être instruit du danger éminent qu'il y auroit de le tenir alors le corps plongé dans une riviere. Si en même tems ce fluide doit être envisagé toûjours à raison de sa froideur comme un repercussif, on ne doit point être étonné qu'on le prescrive dans les cas de fourbure, de crampes, d'entorses récentes, &c. & qu'on ordonne de l'employer en forme de bains pédilaves, lorsqu'à la suite d'un certain travail ou de trop de repos, ou d'autres causes quelconques, on veut prévenir ou dissiper l'engorgement des jambes en augmentant la force & la résistance des solides, & en les disposant à résister à l'affluence trop promte & trop abondante des humeurs sur ces parties.

Ce seroit perdre un tems précieux, que de rechercher ce que les anciens ont écrit sur cette matiere : quel fruit pourrions-nous en attendre ? d'une part nous verrions Buellius soûtenir gravement que dès les premiers cinq mois on doit mener le poulain à l'eau, & le faire souvent entrer entierement dans la riviere afin de lui enseigner à nager : de l'autre nous ne serions que surpris du ton dogmatique & imposant avec lequel Columelle & Camérarius énoncent tous les principes qu'ils ont affecté de répandre sur ce point ; l'un dans son traité sur les chevaux, chapitre v ; & l'autre dans son hippocom. Abandonnons donc ces auteurs ; les propriétés que nous avons assignées à l'eau froide suffiront pour indiquer les cas où elle nous conduira à la guérison de l'animal.

Je ne conçois pas pourquoi nous bannissons ou nous oublions les bains d'eau chaude. Il est constant qu'ils ne peuvent que ramollir des fibres roides, tendues, & resserrées par les spasmes ; ils procurent un relâchement dans toute l'habitude du corps ; ils facilitent la circulation, ouvrent les pores, raréfient le sang, facilitent la dilatation du coeur & des arteres, & disposent enfin l'animal aux effets des médicamens qui doivent lui être administrés dans nombre de maladies. Je les ai employés très-souvent ; & les épreuves que j'en ai faites m'ont persuadé que les succès qui suivroient cette pratique, sont tels qu'ils doivent nous faire passer sur les difficultés que nous offrent d'abord l'appareil & les préparations de ces sortes de remedes. Les douches d'eau simple & commune, froide ou chaude, injectée de loin sur l'animal avec une longue & grande seringue, semblable à celle dont les Maréchaux se servent communément pour donner des lavemens, ou versée de haut par le moyen d'une forte éponge que l'on exprime, sont encore d'une ressource admirable dans une multitude d'occasions. Celles d'eau commune dans laquelle on a fait bouillir des plantes qui ont telles & telles qualités selon le genre des maux que l'on doit combattre, ne sont pas d'une moindre utilité ; & personne n'ignore les effets salutaires des fomentations & des bains artificiels résolutifs, astringens, anodins, fortifians, émolliens, &c. suivant les vertus communiquées à l'eau par les plantes médicinales auxquelles on l'associe. Plusieurs se servent de tems en tems du bouillon de tripe ou de l'eau dans laquelle on a lavé la vaisselle, mit harspuolen, pour laver les jambes des chevaux : ces especes de fomentations onctueuses ne sont pas à dédaigner ; elles maintiennent les fibres dans un degré de souplesse qui en facilite le jeu, & elles préviennent ces retractions fréquentes des tendons qui arquent la jambe, & qui boutent ou boulletent presque tous les chevaux après un certain tems de service.

Les douches d'eaux minérales enfin, les applications des boues ou des sédimens épais de ces mêmes eaux, sont des remedes recommandables. J'ai vû deux chevaux de prix entierement délaissés à la suite d'un effort de reins, auquel on n'avoit pû radicalement remédier, & qui pouvoient à peine traîner leur derriere lorsqu'ils avoient cheminé l'espace d'une demi-lieue ; les douches des eaux d'Aix en Savoie leur rendirent toute leur force & toute leur vigueur.

Chevaux qui craignent l'eau, chevaux qui s'y couchent. Rien n'est plus incommode que le vice dont sont atteints les premiers, & rien n'est en même tems plus dangereux que le défaut des seconds ; je suggérerai ici en peu de mots les moyens de corriger l'un & l'autre.

Les chevaux qui redoutent l'eau au point de se défendre vivement, lorsqu'on veut les faire entrer dans une riviere, soit pour les abreuver, soit pour les y baigner, ou pour la leur faire guéer dans une route, ne peuvent être la plûpart affectés de terreur que conséquemment au bruit ou à la vivacité de son cours. Il ne s'agiroit que d'y accoûtumer leurs oreilles & leurs yeux prudemment & avec patience : la dureté, les coups, la rigueur, la surprise, sont de vaines armes pour les vaincre ; & l'expérience nous apprend que l'effroi des châtimens est souvent plus préjudiciable, que celui du premier objet appréhendé. Tâchons donc toujours de leur donner l'habitude de reconnoître & de sentir l'objet qu'ils craignent. Si nous n'imputons leur desobéissance qu'à l'étonnement que leur cause le bruit de l'eau lorsqu'ils en abordent, il est bon de les attacher pendant quelque tems dans le voisinage d'un moulin, insensiblement on les en approche, & enfin on les tient vis-à-vis la roue de ce même moulin, entre deux piliers, régulierement une heure ou deux dans la journée, ayant soin de les flater & de leur donner du pain, ou quelques poignées d'avoine. On pratique ensuite la même chose, relativement à l'effroi qu'occasionne en eux la rapidité des eaux qui roulent ; après quoi on tente de les conduire dans la riviere même, en observant d'y faire entrer un autre cheval avant eux, & de le leur faire suivre en les caressant. On doit avoir attention de ne les y point d'abord mener trop avant ; il n'est question dans le commencement que de les déterminer à obéir : on les y maintient plus ou moins de tems, & on les ramene à l'écurie. On gagne par cette voie peu-à-peu l'animal ; & non-seulement, si les coups n'ont pas précédé cette méthode & ne l'ont pas rebuté, il n'aura pas besoin de l'exemple d'un autre cheval pour se soûmettre, mais il passera enfin sans peine la riviere entiere, dès que le cavalier qui le monte l'en sollicitera.

Il en est qui par une forte exception au terme générique d'animal philolutron, se gendarment au moindre attouchement & à l'impression la plus legere de l'eau, ou de quelqu'autre liquide sur leur peau. Cette répugnance quelquefois naturelle, mais provenant le plus souvent de la brutalité des palefreniers qui les épongent, cessera de subsister, si on les mouille legerement & avec douceur, & si les caresses accompagnent cette action, qu'il faut répéter dans l'écurie presque toutes les heures, & qui doit nécessairement précéder celle de les mener à l'eau. Au surplus, si cette crainte a sa source dans la nature de l'animal, il redoutera la riviere. Quand elle n'a pour cause que la rigueur des traitemens qu'il a essuyés, il y entre & y nage franchement sans aucun effroi : c'est ce dont j'ai été témoin plusieurs fois, & spécialement eu égard à un cheval qu'un écuyer sexagénaire s'occupoit à châtier & assommer de coups de foüet à l'écurie, sous prétexte de le mettre sur les hanches, & le tout tandis qu'on lui lavoit les crins. Cet animal qu'il faisoit baigner trois fois par jour pendant une heure au moins, dans l'espérance, disoit-il, de l'apprivoiser, sembloit se plaire dans l'eau : mais dès qu'on l'abordoit en tenant une éponge, & qu'on vouloit sur-tout entreprendre d'en peigner & d'en mouiller la criniere, il se défendoit avec fureur. Ce même écuyer m'ayant consulté, & m'ayant ingénument avoüé qu'il étoit l'auteur des desordres de son cheval, j'imaginai de l'en corriger, en l'exposant plusieurs jours sous une gouttiere, de maniere que l'eau qui en tomboit frappoit directement sur son encolure. Dans ce même tems, un palefrenier le flattoit, lui présentoit du pain, lui manioit les crins ; il y passa bien-tôt l'éponge & le peigne, & l'animal fut enfin réduit.

Quelquefois l'appréhension du cheval que l'on veut embarquer, naît de l'aspect seul du bateau : alors on doit le familiariser avec l'objet ; quelquefois aussi elle est suscitée par le bruit que font les piés sur les planches : en ce cas il faut recourir à une partie de l'expédient que j'ai proposé dans mon nouveau Newkastle, pour dissiper la frayeur dont sont saisis quelques chevaux, qui refusent & se défendent, lorsqu'ils ont à peine fait deux pas sur un pont de bois : substituez des plateaux de chêne au pavé qui garnit la place qu'ils occupent dans l'écurie, le cheval étant sur ces plateaux, ses piés feront le même bruit que lorsqu'il entrera ou remuera dans le bateau, & il sera conséquemment forcé de s'y accoûtumer.

On risque souvent sa vie avec ceux qui se couchent dans l'eau. Il en est qui se dérobent à cet effet si subtilement, & d'une maniere si imperceptible, que le cavalier n'a pas même le tems de se servir de sa main & de ses jambes pour les soûtenir & pour les en empêcher. On ne sauroit leur faire perdre ce vice sans une grande attention à leur mouvement, qu'il est nécessaire de prévenir. Je dois néanmoins avertir qu'il est rare que les éperons & les autres châtimens suffisent pour les en guérir ; mais j'ai éprouvé sur un des plus beaux chevaux limousins, dont cette dangereuse habitude diminuoit considérablement le prix, un moyen qui le rendit très-docile, & qui lui ôta jusqu'au desir de se coucher. Je le montai, après m'être pourvû de deux ou trois flacons de verre recouverts d'osier, & remplis d'eau ; je le menai à un ruisseau, & je saisis exactement le tems où il commençoit à fléchir les jambes, pour lui casser sur la nuque un de ces mêmes flacons : le bruit du verre, l'eau qui passoit au-travers de l'osier, & qui couloit dans ses oreilles, fit sur lui une telle impression, qu'il se hâta de traverser ce ruisseau ; je le lui fis repasser, & j'usai du même châtiment : au bout de cinq ou six jours, l'animal gagnoit avec rapidité, & sans aucun dessein de s'arrêter, l'autre côté du torrent : & depuis cette leçon il n'a jamais donné le moindre signe de la plus legere envie de se plonger dans l'eau. On peut encore prendre, au lieu des flacons, deux balles de plomb, percées & suspendues à une petite ficelle ; on les lui laisse tomber dans les oreilles lorsqu'il est prêt à se coucher ; & s'il continue son chemin, on les retire. (e)

EAUX, (Manege & Maréchall.) maladie cutanée qui tire sa dénomination du premier de ses symptomes, & à laquelle sont très-sujets les jeunes chevaux, qui n'ont pas jetté ou qui n'ont jetté qu'imparfaitement, ainsi que tous les chevaux de tout âge qui sont épais, dont les jarrets sont pleins & gras, dont les jambes sont chargées de poils, & qui ont été nourris dans des terreins gras & marécageux, &c.

Elle se décele par une humeur foetide, & par une sorte de sanie, qui sans ulcérer les parties, suintent d'abord à-travers les pores de la peau qui revêt les extrémités inférieures de l'animal, spécialement les postérieures. Dans le commencement, on les apperçoit aux paturons : à mesure que le mal fait des progrès, il s'étend, il monte jusqu'au boulet, & même jusqu'au milieu du canon ; la peau s'amortit, devient blanchâtre, se détache aisément & par morceaux ; & le mal cause l'enflûre totale de l'extrémité qu'il attaque. Selon les degrés d'acrimonie & de purulence de la matiere qui flue, & selon le plus ou le moins de corrosion des tégumens, la partie affectée est plus ou moins dégarnie de poil : l'animal qui ne boitoit point d'abord, souffre & boite plus ou moins : & il arrive enfin que la liaison du sabot & de la couronne à l'endroit du talon, est en quelque façon détruite.

Lorsque je remonte aux causes de la maladie dont il s'agit, je ne peux m'empêcher d'y voir & d'y reconnoître le principe d'une multitude d'autres maux que nous ne distinguons de celui-ci qu'attendu leur situation, & dont les noms & les divisions ne servent qu'à multiplier inutilement les difficultés, & qu'à éloigner le maréchal du seul chemin qui le conduiroit au but qu'il se propose. Tels sont les arêtes ou les queues de rat, les grappes, les mules traversines, la crapaudine humorale, les crevasses, le peigne, le mal d'âne, &c. qui ne sont, ainsi que les eaux, que des maladies cutanées, produites par une même cause générale interne, ou par une même cause générale externe : quelquefois par l'une & l'autre ensemble.

Supposons, quant à la premiere, une lymphe plus ou moins âcre, & plus ou moins épaisse ; sa viscosité l'empêchant de s'évaporer par la transpiration, elle gonflera les tuyaux excrétoires de la peau, & elle ne pourra que séjourner dans le tissu de ce tégument, sur lequel elle fera diverses impressions, selon la différence de son caractere. Si elle n'est pas infiniment grossiere & infiniment visqueuse, les embarras & les engorgemens qu'elle formera, ne seront pas fort considérables : il en résultera une crasse farineuse, comme dans ce que nous nommons peignes secs. Est-elle chargée de beaucoup de parties sulphureuses, qui par l'évaporation de ce qu'il y avoit de plus tenu & de plus aqueux, s'unissent & se dessechent, & ses sels sont-ils fortement embarrassés & émoussés par ces parties ? elle produira des croûtes : c'est ce que nous voyons dans les arêtes ou queues de rat crustacées. Enfin est-elle imprégnée de beaucoup de sels dont l'action se développe, attendu le peu de parties sulphureuses qu'elle contient, & qui seules pourroient y former obstacle ? elle déchirera, elle rongera le tissu de la partie où elle sera arrêtée, les houpes nerveuses & les petits vaisseaux cutanés, corrodés ; l'animal ressentira ou des douleurs ou des picotemens incommodes : il en découlera une sanie plus ou moins épaisse, & plus ou moins foetide : & telle est celle qui suinte dans la maladie qui fait l'objet de cet article, dans les arêtes humides, dans les peignes avec écoulement, & dans toutes les autres affections qui ne partent que d'une seule & même source. Que si d'un autre côté ces maladies auxquelles non-seulement le vice de la lymphe, mais encore l'obstruction des tuyaux excrétoires donnent lieu, ont été simplement occasionnées par des causes externes, capables de favoriser cette obstruction, elles seront plus aisément vaincues ; & ces causes externes n'étant que la crasse, la boue, & d'autres matieres irritantes, il s'ensuit que nous pouvons placer, sans crainte de nous égarer, les porreaux & les javarts dans la même cathégorie, soit que nous les envisagions comme ayant leur principe dans l'intérieur, soit que nous les considérions comme provenant de l'extérieur. Du reste, s'il y a cause externe & cause interne tout ensemble, le mal sera plus rebelle : mais le succès ne sauroit en être douteux. J'avoue cependant que les eaux ont été quelquefois suivies de maux extrêmement dangereux, comme de fics, ou crapauds, de javarts encornés, &c. Mais cet évenement n'a rien d'étonnant, lorsque l'on considere que toutes les maladies qui ont jusqu'ici extérieurement attaqué l'animal, n'ont été combattues qu'avec des remedes externes, comme si la cause ne résidoit pas dans l'intérieur : or s'attacher simplement à dessécher des eaux, des solandres, des crevasses, &c. c'est pallier le mal, c'est négliger d'aller à son principe, c'est détourner seulement, & jetter sur d'autres parties l'humeur, qui ne peut acquérir que des degrés de perversion, capables de susciter des maladies véritablement funestes.

On doit débuter dans le traitement de celle-ci, par les remedes généraux, & non par l'application des dessiccatifs, plûtôt nuisibles dans les commencemens, que salutaires ; il faut conséquemment pratiquer une legere saignée à la jugulaire ; le même soir du jour de cette saignée, donner à l'animal un lavement émollient, afin de le disposer au breuvage purgatif qu'on lui administrera le lendemain matin, & dans lequel on n'oubliera point de faire entrer l'aquila alba, ou le mercure doux. Selon les progrès du mal, on réitérera le breuvage, que l'on fera toûjours précéder par le lavement émollient. Le cheval suffisamment évacué, on le mettra à l'usage du crocus metallorum, donné chaque matin dans du son (car on lui retranchera l'avoine) à la dose de demi-once, dans laquelle on mêlera d'abord trente grains d'oethiops minéral fait sans feu, que l'on augmentera chaque jour de cinq grains jusqu'à la dose de soixante ; on continuera le crocus & l'oethiops à cette même dose de soixante grains, encore sept ou huit jours, plus ou moins, selon les effets de ces médicamens : effets dont on jugera par l'inspection des parties, sur lesquelles le mal avoit établi son siége. La tisane des bois est encore, dans ces sortes de cas, d'un très-grand secours ; on fait bouillir de salsepareille, squine, sassafras, gayac, égale quantité, c'est-à-dire trois onces de chacun, dans environ quatre pintes d'eau, jusqu'à réduction de moitié ; on passe cette décoction ; on y ajoûte deux onces de crocus metallorum ; on remue, & l'on agite bien le tout ; on humecte le son que l'on présente le matin à l'animal, avec une chopine de cette tisane que l'on charge plus ou moins proportionnément au besoin & à l'état du malade ; & si le cheval refusoit cet aliment ainsi détrempé, on lui donneroit la boisson avec la corne. La poudre de vipere n'est pas d'une moins grande ressource : on prend des viperes desséchées, on les pulvérise, & l'on jette la poudre d'une vipere entiere, chaque jour, dans le son. Souvent elle répugne au cheval : alors on la mêle avec du miel, & l'on en fait plusieurs pilules, que l'on fait avaler à l'animal.

Quant aux remedes qu'il convient d'employer extérieurement, on ne doit jamais en tenter l'usage, que lorsque l'animal a été suffisamment évacué, & qu'on la tenu quelques jours à celui du crocus & de l'oethiops, ou de la tisane, ou des viperes. Jusque-là il suffit de couper le poil, de graisser la partie malade, & il est important de laisser fluer la matiere morbifique ; mais une partie de cette même matiere s'étant échappée au moyen des purgatifs, & par les autres médicamens qui ont provoqué une plus abondante secrétion de l'humeur perspirable, il est tems alors d'en venir aux remedes externes : ceux-ci ne peuvent être suggérés que par le plus ou le moins de malignité des symptomes qui se manifestent au-dehors. Il est rare qu'après l'administration des médicamens que j'ai prescrits, ils se montrent tels qu'on les a vûs ; souvent l'enflûre est dissipée, la partie se desseche d'elle-même, & il ne s'agit alors que de la laver avec du vin chaud, & de la maintenir nette & propre : quelquefois aussi on apperçoit encore un leger écoulement : dans cette circonstance il s'agit de substituer au vin dont on se servoit, de l'eau-de-vie & du savon ; & si le flux est plus considérable, on bassinera l'extrémité affectée avec de l'eau, dans laquelle on aura fait bouillir de la couperose blanche & de l'alun, ou avec de l'eau seconde ; & l'on ne craindra pas de repurger l'animal, qui parviendra à une entiere guérison sans le secours de cette foule de recettes d'eaux, d'emmiellures, & d'onguens, vainement prescrits par M. de Soleysel, & par Gaspard Saunier.

J'ai observé qu'il peut arriver que la liaison du sabot & de la couronne commence à se détruire : alors on desséchera les eaux à cet endroit seul, en y mettant de l'onguent pompholix, & on les laissera fluer par-tout ailleurs, jusqu'au moment où on pourra recourir aux remedes externes que j'ai recommandés. Il peut se faire aussi qu'ensuite des érosions & des plaies faites conséquemment à la grande acrimonie de l'humeur, les chairs surmontent : alors on se servira de legers caustiques, que l'on mêlera avec de l'aegyptiac pour les consumer, & on suivra dans le traitement la même méthode que dans celui des plaies ordinaires.

Les eaux qui endommagent quelquefois la queue, qui occasionnent la chûte des crins dont le tronçon est garni, & qui en changent la couleur, doivent être regardées comme une humeur dartreuse, contre laquelle on procédera en employant les remedes avec lesquels on a combattu les autres eaux. Cette sorte de dartre qui reconnoît les mêmes causes, est quelquefois tellement opiniâtre, que je n'ai pû la dissiper qu'en frottant tout le tronçon dont j'avois fait couper les crins avec l'onguent napolitain, après néanmoins avoir administré intérieurement les remedes généraux & spécifiques.

La crainte de ne pas trouver l'occasion de parler dans le cours de cet ouvrage, des arêtes ou queues de rat, des crevasses, & de la crapaudine humorale, m'oblige à en dire un mot ici ; d'autant plus que ces maladies ayant, ainsi que je l'ai remarqué, le même principe que celle sur laquelle je viens de m'étendre, ne demandent pas un traitement différent.

Le siége des arêtes ou queues de rat est fixé sur la partie postérieure de la jambe, c'est-à-dire le long du tendon. Il en est de deux especes : les unes sont crustacées, les autres coulantes. Les premieres sont sans écoulement de matiere ; les secondes se distinguent par des croûtes humides & visqueuses, qui laissent des impressions dans le tissu de la peau, d'où il découle une sérosité ou une lymphe roussâtre, âcre, & corrosive, qui ronge communément les tégumens. Ces croûtes qui rarement affectent les extrémités antérieures, & qui sont plus ou moins élevées, sont appellées, par quelques personnes, des grappes.

Les crevasses sont situées dans le pli des paturons, soit au-devant, soit au derriere de l'animal ; elles sont comme autant de gersures ou de fentes, d'où suintent des eaux plus ou moins foetides, & qui sont accompagnées souvent d'enflûre & d'une inflammation plus ou moins forte. Quelques-uns les confondent avec ce que nous nommons mules traversines : mais l'erreur est d'autant plus excusable, que les unes & les autres ne different que par la situation ; car les dernieres s'annoncent par les mêmes signes dans le pli de l'articulation du paturon avec le boulet. L'onguent pompholix succédant aux remedes intérieurs, est un dessiccatif des plus convenables & des plus efficaces.

La crapaudine humorale naît le plus souvent de cause interne, & elle est infiniment plus dangereuse que cette sorte d'ulcere que nous appellons du même nom, & qui ne provient que d'une atteinte que le cheval se donne lui-même à l'extrémité du paturon sur le milieu de cette partie, en passageant & en chevalant : cette atteinte se traite de la même maniere que les plaies. Quant à la crapaudine dont il est question, elle est située comme l'autre sur le devant du paturon, directement au-dessus de la couronne : d'abord on apperçoit sur cette partie une espece de gale d'environ un pouce de diametre, le poil tombe, & la matiere qui en découle est extrêmement puante ; elle est même quelquefois si corrosive & tellement âcre, qu'elle sépare l'ongle & qu'elle provoque la chûte du sabot. Voyez PIES. On conçoit par conséquent combien il importe d'y remédier promtement, & d'en arrêter les progrès ; ce que l'on ne peut faire qu'au moyen des médicamens ordonnés pour les eaux. Elle produit encore des soies ou piés de boeuf. Voyez SOIES, PIES, &c. (e)

EAU, chez les Jouailliers, est proprement la couleur ou l'éclat des diamans & des perles. Elle est ainsi appellée, parce qu'on croyoit autrefois qu'ils étoient formés d'eau. Voyez PIERRE PRECIEUSE, &c.

Ainsi on dit, cette perle est d'une belle eau. Voyez PERLE. L'eau de ce diamant est trouble. Voyez DIAMANT.

Ce terme s'employe aussi quelquefois, quoique moins proprement, pour signifier la couleur d'autres pierres précieuses. Voyez PIERRE PRECIEUSE, &c. Chambers.

* EAU, (donner l') Drap. Teintur. Tann. Chapel. Cette maniere de parler est synonyme à lustrer ou à apprêter. On lustre une étoffe en la mouillant légerement, & en la passant, soit à la presse, soit à la calendre à froid ou à chaud.

EAU, (donner une) Plumas. c'est passer les plumes naturellement noires dans un bain de teinture, moins pour les teindre que pour les lustrer, & leur communiquer plus d'éclat.

EAU-FORTE, (jetter l') Relieur. On met l'eau-forte mitigée avec trois quarts d'eau sur le veau qui couvre les livres, lorsque l'on veut faire paroître sur le veau de grosses ou petites taches, ou d'autres figures, selon que le relieur la dirige. Elle imite aussi les taches du caffé au lait, quand la jaspure est plus serrée.

Les cartons & le veau étant battus, on glaire le livre ; & quand la glaire est seche, on jette l'eau forte par grosses ou petites gouttes. On dit, jetter l'eau-forte.

EAU DE SENTEUR, (Distillat.) On appelle ainsi la partie odoriférante de différentes substances, telles que l'orange, la mille-fleur, le nard, le napse, la rose, l'oeillet, &c. qui en sont extraites par la distillation ou l'infusion, ou l'expression, que les distillateurs de profession & les parfumeurs vendent, ou dont ils se servent pour donner de l'odeur à leurs marchandises. Voyez l'article DISTILLATION.


EBARBERv. act. terme de Fondeur de caracteres d'Imprimerie ; c'est ôter avec un canif les bavures qui s'échappent quand le moule où l'on a fondu la lettre n'est pas exactement fermé, & que le visiteur content de la fonte de la lettre en a fait la rompure, c'est-à-dire qu'il a assez paré le jet de la lettre qui n'y tient que par un petit lien gros à peine d'une demi-ligne. Lorsque la lettre a été ébarbée, on l'écrene, si elle est de nature à être écrenée. Voyez ECRENER ; voyez aussi les Planches du Fondeur de caracteres.

EBARBER, en terme de Doreur, c'est ôter les parties superflues qui excedent le relief d'une piece d'ouvrage. On ébarbe à la lime. Voyez LIME.

* EBARBER, (Manufact. en drap.) c'est couper au ciseau les grands poils qui excedent les bords des lisieres à toutes les étoffes en laine qui les ont étroites. On donne cette façon aux étoffes en blanc avant la teinture ; on ne la donne aux autres qu'au sortir de la presse : c'est communément l'ouvrage des garçons drapiers.

EBARBER, (à la Monnoie) c'est couper ou unir à-peu près les lames brutes, après qu'elles sont refroidies & sorties des moules ; on se sert de serpes pour emporter les parties qui bavent le long des lames lors de la fonte.

EBARBER, terme de Papeterie : c'est rogner légerement avec de gros ciseaux les mains de papier, avant que de les empaqueter par rames. Voyez PAPIER.


EBARBOIRS. m. (Chauderonnerie, & autres Arts où le terme & l'opération d'ébarber ont lieu) petit instrument de fer un peu courbe par le bout & très-tranchant, à l'usage des droüineurs ou des petits chauderonniers qui courent la campagne. Ils s'en servent pour ébarber les cuilleres & les salieres d'étain qu'ils fondent dans des moules de fer qu'ils portent avec eux. Voyez CHAUDERONNIER.


EBARBURESEBARBURES


EBAROUIadj. (Marine) Vaisseau ébaroüi se dit d'un bâtiment qui, pour avoir été exposé trop longtems aux grandes sécheresses & à l'ardeur du soleil, se trouve assez desseché pour que les bois travaillent, & que les bordages en se retirant fassent entr'ouvrir les coutures. Pour éviter cet inconvénient, on fait jetter beaucoup d'eau de tous côtés pour bien mouiller & abreuver les bois. (Z)


EBAUCHEESQUISSE, s. f. termes techniques. L'ébauche est la premiere forme qu'on a donnée à un ouvrage ; l'esquisse n'est qu'un modele incorrect de l'ouvrage même qu'on a tracé légerement, qui ne contient que l'esprit de l'ouvrage qu'on se propose d'exécuter, & qui ne montre aux connoisseurs que la pensée de l'ouvrier. Donnez à l'esquisse toute la perfection possible, & vous en ferez un modele achevé. Donnez à l'ébauche toute la perfection possible, & l'ouvrage même sera fini. Ainsi quand on dit d'un tableau, j'en ai vû l'esquisse, on fait entendre qu'on en a vû le premier trait au crayon que le peintre avoit jetté sur le papier ; & quand on dit, j'en ai vû l'ébauche, on fait entendre qu'on a vû le commencement de son exécution en couleur, que le peintre en avoit formée sur la toile. D'ailleurs le mot d'esquisse ne s'employe guere que dans les arts où l'on passe du modele à l'ouvrage ; au lieu que celui d'ébauche est plus général, puisqu'il est applicable à tout ouvrage commencé, & qui doit s'avancer de l'état d'ébauche à l'état de perfection. Esquisse dit toûjours moins qu'ébauche, quoiqu'il soit peut-être moins facile de juger de l'ouvrage sur l'ébauche que sur l'esquisse. Voyez ESQUISSE.

EBAUCHE, en Architecture ; c'est la premiere forme qu'on donne à un quartier de pierre ou à un bloc de marbre avec le ciseau, après qu'il est dégrossi à la scie & à la pointe, suivant un modele ou un profil. C'est aussi un petit modele de terre ou de cire taillé au premier coup avec l'ébauchoir, pour en voir l'effet avant de le terminer. (P)

EBAUCHE, ébauches en Gravûre, c'est l'action de préparer & de mettre par masses les ouvrages de gravûre au premier trait de burin. Voyez MASSES.

EBAUCHE, ébaucher en Peinture, c'est disposer avec des couleurs les objets qu'on s'est proposé de représenter dans un tableau, & qui sont déjà dessinés sur une toile imprimée, sans donner à chacun le degré de perfection qu'on se croit capable de leur donner, en les finissant. Les peintres ébauchent plus ou moins arrêté ; il y en a qui ne font qu'un leger lavis de couleur & de térébenthine, ou même de grisaille ou camayeu. Les Sculpteurs disent aussi, ébaucher une figure, un bas-relief. (R)


EBAUCHERv. act. en terme d'Epinglier fabriquant d'aiguilles pour les Bonnetiers, est l'action d'aiguiser en pointe avec une lime rude l'aiguille du côté seulement où l'on fera le bec. Voyez BEC.

EBAUCHER, en terme d'Epinglier, c'est l'action de dégrossir la pointe d'une épingle sur une meule tailladée en gros, pour la préparer à recevoir le degré de finesse qui lui est propre. Voyez la figure dans la I. Planche de l'Epinglier. On voit, même Planche, le tourneur qui fait tourner la meule par le moyen d'une grande roue sur laquelle & sur la poulie de la meule passe une corde sans fin. Voyez la figure de la meule représentée en particulier dans la Planche du Cloutier d'épingles.

EBAUCHER, en terme d'Eventailliste, c'est peindre d'une couleur un peu plus légere que celle dont on s'est servi pour coucher ; ou plûtôt c'est former les premieres ombres. Voyez PEINTURE.

EBAUCHER, chez les Filassiers, se dit de la premiere façon qu'on donne à la filasse, en la faisant passer sur un seran dont les pointes sont fort grosses, & que l'on nomme ébauchoir de l'usage qu'on en fait ; on donne d'abord cette préparation à la filasse pour commencer à fendre les pattes, & la faire passer successivement sur des serans plus fins.

EBAUCHER, c'est, en terme de Formier, l'action de dégrossir ou d'enlever du bois encore en bloc le plus gros, & lui donner la premiere apparence de forme.

EBAUCHER, en terme de Lapidaire, c'est donner la premiere façon aux pierres & aux crystaux bruts & grossiers sur une roue de plomb hachée, pour les préparer à être taillées dans la forme qu'on veut leur faire prendre.

EBAUCHER, en terme de Planeur ; désigne proprement l'action d'éteindre les coups de tranche des marteaux à forger, de tracer les bouges, marlies, &c. de les dégager, & de donner à la piece en gros la forme qu'elle doit avoir après sa perfection. Voy. BOUGES, MARLIES, &c.


EBAUCHOIRS. m. (Arts méchaniq.) outil commun à tous les ouvriers qui ébauchent leurs ouvrages, avant que de les finir.

EBAUCHOIR des Charpentiers, est un ciseau à deux biseaux qui leur sert à ébaucher les mortoises, les pas, les embrevemens. Voyez la Planche des outils du Charpentier.

EBAUCHOIR, c'est un seran que les Filassiers appellent ainsi, parce que ses dents assez rases & grosses ne sont propres qu'à ébaucher ou donner la premiere façon au chanvre. Voyez l'article SERAN, l'article CHANVRE, & les Planches du Cordier.

EBAUCHOIR, c'est une espece de ciseau à manche dont se servent les sculpteurs qui travaillent en stuc & en plâtre, pour ébaucher leurs ouvrages. Voy. l'article STUCATEUR, & la Planche de Stuc, fig. 4.

EBAUCHOIRS, outils de Sculpture ; ce sont de petits morceaux de bois ou de buis, qui ont environ sept à huit pouces de long ; ils vont en s'arrondissant par l'un des bouts, & par l'autre ils sont plats & à onglets. Il y en a qui sont unis par le bout, qui est onglet, & ils servent à polir l'ouvrage ; les autres ont des ondes ou dents. On les appelle ébauchoirs bretelés ; ils servent à bretter la terre. Voyez les Planches de Sculpture.


EBou JUSSANT, s. m. (Marine) il se dit du mouvement des eaux lorsque la mer descend, & qu'elle reflue. (Z)


EBENES. m. (Hist. nat.) est une sorte de bois qui vient des Indes, excessivement dur & pesant, propre à recevoir le plus beau poli ; c'est pour cela qu'on l'employe à des ouvrages de mosaïque & de marqueterie, &c. Voyez BOIS, MOSAÏQUE, &c.

Il y a trois sortes d'ébenes ; les plus en usage parmi nous, sont le noir, le rouge & le verd : on en voit de toutes ces especes dans l'île de Madagascar, où les naturels du pays les appellent indifféremment hazon mainthi, c'est-à-dire bois noir. L'île de Saint-Maurice, qui appartient aux Hollandois, fournit aussi une partie des ébenes qu'on employe en Europe.

Les auteurs & les voyageurs ne sont point d'accord sur l'arbre dont on tire l'ébene noir ; suivant quelques-unes de leurs observations, on pourroit croire que c'est une sorte de palmier. Le plus digne de foi est M. de Flacourt, qui a résidé pendant plusieurs années à Madagascar en qualité de gouverneur. Il nous assûre que cet arbre devient très-grand & très-gros ; que son écorce est noire, & ses feuilles semblables à celles de notre myrte, d'un verd-brun foncé.

Tavernier nous atteste que les habitans des Isles ont soin d'enterrer leurs arbres lorsqu'ils sont abattus, pour les rendre plus noirs. Le P. Plumier parle d'un autre arbre d'ébene noir qu'il a découvert à Saint Domingue, & qu'il appelle spartium portulacae foliis aculeatum ebeni materiae. L'île de Candie produit aussi un petit arbrisseau connu des Botanistes sous le nom d'ebenus cretica.

Pline & Dioscorides disent que le meilleur ébene vient d'éthiopie, & le plus mauvais, des Indes ; Théophraste préfere au contraire celui des Indes. De toutes les couleurs d'ébenes, le noir est le plus estimé. L'ébene le plus beau est noir comme jayet, sans veine & sans écorce, très-pesant, astringent, & d'un goût âcre.

Son écorce infusée dans de l'eau, est, dit-on, bonne pour la pituite & les maux vénériens ; c'est ce qui a fait que Matthiolus a pris le guaïac pour une sorte d'ébene. Lorsqu'on en met sur des charbons allumés, il s'en exhale une odeur agréable. L'ébene verd prend aisément feu, parce qu'il est gras : lorsqu'on en frotte une pierre, elle devient brune. C'est de ce bois que les Indiens font les statues de leurs dieux & les sceptres de leurs rois. Pompée est le premier qui en ait apporté à Rome, après avoir vaincu Mithridate. Aujourd'hui que l'on a trouvé tant de manieres de donner la couleur noire à des bois durs, on employe moins d'ébene qu'autrefois.

L'ébene verd se trouve à Madagascar, à Saint-Maurice, dans les Antilles, & sur-tout dans l'île de Tabago. L'arbre qui le produit est très-touffu ; ses feuilles sont unies, & d'un beau verd : sous sa premiere écorce il y en a une seconde, blanche, de la profondeur de deux pouces ; le reste, jusqu'au coeur, est d'un verd foncé, tirant sur le noir : quelquefois on y rencontre des veines jaunes. L'ébene ne sert pas seulement aux ouvrages de mosaïque, on l'employe encore dans la teinture, & la couleur qu'on en tire est un très-beau verd.

Quant à l'ébene rouge, appellée aussi grenadille, on n'en connoît guere que le nom.

Les Ebénistes, les Tabletiers, &c. font souvent passer pour de l'ébene le poirier & d'autres bois, en les ébénant ou leur donnant la couleur noire de l'ébene. Pour cet effet ils se servent d'une décoction chaude de noix de galles, de l'encre à écrire, d'une brosse rude, & d'un peu de cire chaude qui fait le poli ; d'autres se contentent de les chauffer ou brûler. Dict. de Comm. de Trévoux, & Chambers.

EBENE FOSSILE, (Hist. nat.) Agricola & quelques autres Naturalistes ont donné ce nom à une espece de terre alumineuse fort noire, à cause de sa ressemblance avec le bois d'ébene. Peut-être aussi est-ce une espece de terre bitumineuse, analogue au jayet. (-)


EBENFORT(Géog. mod.) ville de l'archiduché d'Autriche en Allemagne.


EBÉNISTES. m. Menuisier qui travaille en ébene. On donne le même nom à ceux qui font des ouvrages de rapport, de marqueterie & de placage, avec l'olivier, l'écaille & autres matieres.

Ces matieres coupées ou sciées par feuilles, sont appliquées avec de la bonne colle d'Angleterre sur des fonds faits de moindres bois, où elles forment des compartimens. Voyez MARQUETERIE.

Quand les feuilles sont plaquées, jointes & collées, on laisse la besogne sur l'établi ; on la tient en presse avec des goberges, jusqu'à-ce que la colle soit bien seche. Les goberges sont des perches coupées de longueur, dont un bout porte au plancher, & dont l'autre est fermement appuyé sur la besogne avec une cale ou coin mis entre l'ouvrage & la goberge.

Les Ebénistes se servent des mêmes outils que les autres Menuisiers ; mais comme ils employent des bois durs & pleins de noeuds, tels que les racines d'olivier, de noyer & autres, qu'ils appellent bois rustiques, ils ont des rabots autrement disposés que dans la Menuiserie ordinaire, qu'ils accommodent eux-mêmes selon qu'ils en ont besoin ; ils en font dont le fer est demi-couché, d'autres où il est debout, & d'autres dont les fers ont des dents. Lorsqu'ils travaillent sur du bois rude, ils se servent de ceux dont le fer est à demi-couché : si le bois est extraordinairement rude & dur, ils employent ceux dont le fer est debout ; & lorsque la dureté du bois est si excessive qu'ils craignent de l'éclater, ils se servent de ceux qui ont de petites dents, comme des limes ou truelles brettées, afin de ne faire que comme limer le bois, ce qui sert aussi à le redresser.

Lorsqu'ils ont travaillé avec ces sortes d'outils, ils en ont d'autres qu'ils nomment racloirs, qui s'affutent sur une pierre à huile ; ils servent à emporter les raies ou bretures que le rabot debout & celui à dents ont laissées, & à finir entierement l'ouvrage. Dict. de Comm. & Chambers.


EBERBACH(Géog. mod.) ville du palatinat du Rhin, sur le Neckre en Allemagne.


EBERSTEIN(Géog. mod.) partie de la Soüabe en Allemagne ; elle a titre de comté : le château d'Eberstein en est le chef-lieu.


EBIONITESS. m. pl. (Théol.) anciens hérétiques qui parurent dans le premier siecle de l'Eglise, & qui entr'autres choses nioient la divinité de J. C. Voyez ARIENS. La plus commune opinion est que leur chef s'appelloit Ebion, & qu'ils en ont tiré leur nom : ils parurent vers l'an 75 de J. C.

Selon quelques-uns, le mot Ebionites vient du mot hébreu ebion, qui signifie pauvre, & fut donné à ces hérétiques à cause des idées basses qu'ils avoient de J. C. étymologie un peu forcée.

Les Ebionites se disoient disciples de S. Pierre, & rejettoient S. Paul, sur ce qu'il n'étoit pas Juif d'origine, mais un Gentil prosélyte. Ils observoient, comme les fideles, le dimanche, donnoient le baptême & consacroient l'Eucharistie, mais avec de l'eau seule dans le calice. Ils soûtenoient que Dieu avoit donné l'empire de toutes choses à deux personnages, au Christ & au diable ; que le diable avoit tout pouvoir sur le monde présent, le Christ sur le siecle futur ; que le Christ étoit comme l'un des anges, mais avec de plus grandes prérogatives ; que Jesus étoit né de Joseph & de Marie par la voie de la génération, & qu'ensuite, à cause de ses progrès dans la vertu, il avoit été choisi pour fils de Dieu par le Christ, qui étoit descendu en lui d'en haut en forme de colombe. Ils ne croyoient pas que la foi en Jesus-Christ fût suffisante pour le salut, sans les observances légales, & se servoient de l'évangile de S. Matthieu, qu'ils avoient tronqué, sur-tout en en retranchant la généalogie. Ils retranchoient aussi divers autres endroits des Ecritures, & rejettoient tous les prophetes depuis Josué, ayant en horreur les noms de David, Salomon, Isaïe, Ezéchiel, Jéremie, &c. ce qui, pour le dire en passant, prouve combien ils étoient différens des Nazaréens, avec lesquels on les a quelquefois confondus ; car les Nazaréens recevoient comme Ecritures-saintes tous les livres contenus dans le canon des Juifs. Enfin les Ebionites adoroient Jérusalem comme la maison de Dieu : ils obligeoient tous leurs sectateurs à se marier, même avant l'âge de puberté, & permettoient la polygamie. Fleuri, hist. ecclés. tome I. liv. II. tit. xlij. pag. 236 & suiv. (G)


EBIZELERdans l'Horlogerie & les autres arts méchaniques, signifie la même chose que chamfriner. Voyez CHAMFRINER.


EBOTTERest le même qu'éteter. Voy. ETETER.


EBOUGEUSES. f. (Manuf. en laine) femme qu'on employe dans ces manufactures, à ôter avec des pincettes de fer, les noeuds, pailles & bourats qui se trouvent aux étoffes au sortir du métier.


EBOULERv. act. & neut. (Jardin.) se dit d'une terrasse, d'un mur ou d'une berge de terre tombée faute de soûtien ou de bonne construction. (K)


EBOURGEONNERv. act. (Jardin.) L'ébourgeonnement est l'art de supprimer avec autant d'oeconomie que de connoissance, les bourgeons surnuméraires d'un arbre, pour lui donner une belle forme, contribuer à sa santé & à sa fertilité : c'est le but de l'ébourgeonnement.

C'est encore par le moyen de l'ébourgeonnement qu'on ôte la confusion des branches d'un arbre pour le soulager, pour lui faire rapporter de plus beaux fruits, de meilleur goût, & pour le faire durer plus long-tems.

La Quintinie veut qu'on ébourgeonne les buissons comme les arbres d'espalier & de contr'espalier.

On ne doit ébourgeonner les arbres que quand les bourgeons ont environ un pié de long, pour laisser aux arbres jetter leur feu, pour ainsi dire, & amuser la séve ; sans cette précaution l'ébourgeonnement est nuisible aux arbres.

Il faut couper avec la serpette, tout près de l'écorce, les bourgeons ; ce qui fait aller de pair cette opération avec la taille. Ceux qui cassent avec les doigts & arrachent les bourgeons, laissant de petites esquilles, & faisant des plaies inégales à chaque endroit, occasionnent l'arrivée de la gomme aux fruits à noyaux, ce qui cause leur perte certaine.

L'ébourgeonnement doit toûjours être accompagné du palissage, il n'y a que les mauvais jardiniers qui en usent autrement. On doit ébourgeonner tout ce qui pousse par-devant & par-derriere un arbre, pour le faire jetter des deux côtés. Les branches chiffonnes, celles de faux bois, sont du nombre de celles qu'on doit ébourgeonner, à moins qu'il n'y ait une nécessité d'en laisser quelques-unes pour garnir l'arbre.

Si l'on faisoit réflexion à la quantité de branches que l'on coupe à un arbre, soit en le taillant, soit en l'ébourgeonnant, & en retranchant les branches de devant & de derriere à chaque pousse, on verroit qu'on en supprime au moins les trois quarts. Si donc à cette prodigieuse suppression de tant de parties d'un arbre, on joint encore celles des extrémités de tous les rameaux, il sera impossible qu'ils s'allongent : c'est le moyen de les faire souvent avorter, ou du moins de les rendre stériles.

Ces rameaux ainsi ménagés prennent de l'étendue, & procurent au centuple ce qu'ils ont coûtume de donner.

Il faut donc, en ôtant aux arbres toutes les branches de devant & de derriere, qui font la moitié d'eux-mêmes, les dédommager, en leur laissant pousser par les côtés les rameaux dans toute leur longueur, & les étendant suivant la force des arbres.

Quand on ôte à la séve les vaisseaux & les récipiens qui sont les instrumens de son ressort & de son jeu, on lui ôte les moyens d'agir, & il faut nécessairement que la disette ou la mortalité suivent d'un pareil traitement.

Par le moyen de l'allongement des branches des côtés, on répare en quelque sorte, & autant qu'il est possible, ce qu'on est forcé de couper aux arbres par-devant & par-derriere.

On doit ébourgeonner les vignes, alors ce mot doit s'entendre autrement que pour les arbres fruitiers : on ébourgeonne les vignes, non-seulement quand on supprime les bourgeons surnuméraires, mais encore quand on arrête par-en-haut les bourgeons. Il en est de même quand on détache en cassant les faux bourgeons qui poussent d'ordinaire à chaque noeud à côté des yeux, à commencer par le bas. (K)


EBOUZINERen Architecture, c'est ôter d'une pierre ou d'un moilon, le bouzin, le tendre, les moies, & l'atteindre avec la pointe du marteau jusqu'au vif. (P)


EBRAISOIRS. m. terme de Chauff. & d'autres ouvriers de la même espece ; espece de pelle de fer dont on se sert pour tirer la braise des fourneaux, quand on veut en diminuer le feu, ou conserver la braise qui s'y consumeroit sans effet : on employe aussi le même instrument à attiser les bois, dont la flamme se réveille quand on en détache les charbons.


EBRANCHÉadj. (Jardin.) il se dit d'un arbre qui a une branche rompue, ou à qui l'on a coupé une branche. L'arbre est ébranché, lorsque la branche qui manque a été détruite par accident ou par la main du jardinier.

EBRANCHE, adj. en terme de Blason, se dit d'un arbre dont on a coupé les branches.

Dorgello en Westphalie, d'or à deux troncs d'arbre ébranchés, arrachés & écotés de sable en deux pals.


EBRANLERverbe act. c'est par des secousses réitérées communiquer du mouvement, & faciliter le déplacement d'un ou de plusieurs corps fortement arrêtés par des obstacles : il se dit aussi au figuré. On ébranle un homme fort ; on ébranle un rocher. Dans cette métaphore l'effet des moyens moraux est comparé à celui des moyens physiques.

EBRANLER UN CHEVAL, (Manége) terme qui n'est pas généralement adopté, & qui ne sauroit être regardé comme un des mots propres de l'art : quelques écuyers l'employent le plus souvent, relativement aux chevaux qu'ils mettent entre les piliers, soit qu'ils commencent à les faire ranger & mouvoir de côté & d'autre ; soit qu'ensuite de cette premiere leçon, & après les avoir insensiblement fait donner dans les cordes, ils les attaquent légerement de la chambriere, pour en tirer quelque tems de piaffer. Ceux-là pratiquent bien, parce qu'ils pratiquent avec ordre & avec douceur. J'en ai connu que l'on regardoit comme de grands hommes, sans doute parce qu'on en jugeoit par le rang qu'ils tenoient, qui débutoient en les assommant de coups, qui les gendarmoient, les estrapassoient, & en forçoient les reins & les jarrets, ne prétendant néanmoins que les ébranler par ce moyen. Voy. PILIERS. (e)


EBRASEMENTS. m. (Coupe des pierres) élargissement intérieur des côtés du jambage d'une porte ou d'une fenêtre. Les portes des anciennes églises de Paris & de Reims son ébrasées en-dehors. (D)


EBRASERv. act. (Architecture) c'est élargir en-dedans la baie d'une porte ou d'une croisée, depuis la feuillure jusqu'au parpain du mur, ensorte que les angles de dedans soient obtus : latin, explicare. Les ouvriers disent embrasser. (P)


EBRBUHARITEou EBIBUHARIS, s. m. pl. (Hist. mod.) sorte de religieux mahométans, ainsi nommés d'Ebrbuhar ou Ebibuhar leur chef. Ils sont grands contemplatifs, & passent presque toute leur vie dans leurs cellules à se rendre dignes de la gloire céleste, par un grand détachement des biens du monde, & par des moeurs fort austeres. La pureté de leur ame leur rend, disent-ils, le saint lieu de la Mecque aussi présent dans leur cellule, que s'ils en faisoient réellement le pélerinage, dont ils se dispensent sous ce prétexte ; ce qui les fait regarder comme des hérétiques par les autres Musulmans, chez qui le voyage de la Mecque est un des principaux moyens de salut. Ricaut, de l'Empire Ottom. (G)


EBRE(Géog. mod.) fleuve qui a sa source dans les montagnes de Santillane, sur les confins de la vieille Castille en Espagne ; traverse l'Aragon & la Catalogne, & se jette dans la Méditerranée au-dessus de Tortose.


EBRETAUDERv. act. (Drap.) terme usité dans les manufactures de Normandie : c'est tondre une étoffe de laine en premiere voie, ou façon, ou coupe ; car on dit l'un ou l'autre indistinctement.


EBREUIL(Géog. mod.) ville d'Auvergne en France ; elle est sur la Scioule. Long. 20. 40. latit. 46. 5.


EBRILLADES. f. (Manége) terme imaginé par Salomon de la Broue, le premier écuyer françois qui ait écrit sur la science du Manége. Il l'a employé pour exprimer le mouvement desordonné du cavalier qui, tenant une rêne dans chaque main, n'agit que par secousse avec l'une ou l'autre de ces rênes, lorsqu'il veut retenir son cheval, ou plus communément lorsqu'il entreprend de le tourner. On conçoit que la barre sur laquelle se transmet l'impression de cet effort dur & subit, ne peut en être que vivement endommagée. Ce mot, dont la signification est restrainte à ce seul sens, a vieilli, ainsi que beaucoup d'autres : il est rarement usité parmi nous. Ce n'est pas que la main de nos piqueurs, & même celle de nombre d'écuyers qui pratiquent de nos jours, soit plus perfectionnée & moins cruelle que celle des piqueurs & des maîtres qui étoient contemporains de la Broue ; mais nous nous servons indifféremment du terme de saccade, qu'il n'a néanmoins appliqué que dans le cas de la secousse des deux rênes ensemble, pour désigner toute action soudaine, brutale & non mesurée, capable d'égarer une bouche, ou tout au moins de falsifier l'appui ; soit qu'elle parte d'une main seule, soit qu'elle soit opérée par toutes les deux à la fois. Après ce détail, on trouvera peut-être singulier que plusieurs auteurs, & la Broue lui-même, ayent conseillé de recourir aux ébrillades, comme à un châtiment très-propre à corriger le cheval dans une multitude d'occasions. (e)


EBROUEMENTS. m. (Manége) mouvement convulsif produit par l'irritation de la membrane pituitaire, soit en conséquence de l'acrimonie du mucus, soit ensuite de l'impression de certaines odeurs fortes, ou de certains médicamens que nous nommons errines.

Il ne peut & ne doit être véritablement comparé qu'à ce que nous appellons, relativement à l'homme, éternuement.

Aristote a recherché pourquoi de tous les animaux, celui qui éternue le plus souvent est l'homme. Probl. sect. x. probl. 49. ibid. sect. xxxiij. probl. 11.

Cette même question a excité la curiosité d'Aphrodisée, liv. I. prob. 144.

Schoock, après avoir réfléchi sur la difficulté de désigner positivement les animaux dans lesquels cette sorte de convulsion a lieu, nomme les chiens, les chats, les brebis, les boeufs, les ânes, les renards, & les chevaux.

Quoi qu'il en soit, la comparaison de l'ébrouement & de l'éternuement me paroît d'autant plus juste, que le méchanisme de l'un & de l'autre n'a rien de dissemblable. D'abord la poitrine de l'animal est fortement dilatée, il inspire une grande quantité d'air ; mais cet air bientôt chassé, sort avec véhémence & avec impétuosité, en balayant les fosses nazales, & en emportant avec lui la mucosité qu'il rencontre sur son passage. Or je dis que les particules âcres du mucus, des ptarmiques, ou des corps odorans qui suscitent ce mouvement convulsif, appliquées sur le nerf nazal, y font une impression dont participent l'intercostal & le vague, & conséquemment tous les nerfs qui se distribuent aux muscles de la respiration. Ces nerfs agités, les uns & les autres de ces muscles se contractent, les inspirateurs entrent les premiers en contraction ; de-là la dilatation subite & extraordinaire du thorax, dilatation qui est promtement suivie d'un resserrement violent : car les expirateurs, dont les nerfs toûjours irrités augmentent la résistance, l'emportent bientôt sur les premiers, pressent le diaphragme, & compriment tellement les poumons, que l'air est expulsé avec une violence considérable. Il est vrai que la contraction & l'effort ne sont pas toûjours aussi grands ; mais l'une & l'autre sont proportionnés à l'action des corps qui ont sollicité les nerfs : suivant la vivacité de cette action, le jeu des muscles sera plus ou moins sensible.

On ne doit pas confondre, au surplus, avec l'ébrouement proprement dit, cette expiration plus marquée qu'à l'ordinaire, & qui se manifeste dans certains chevaux à la vûe de quelques objets qui les effrayent, à l'approche de quelques odeurs qu'ils craignent, ou lorsqu'ils sont enfin extrêmement animés ; ce qui est parfaitement exprimé dans la traduction & dans le commentaire de Castalio sur le texte du livre de Job, ch. xxxjx. de la conduite admirable de Dieu dans les animaux : cùm terror fit ejus nasibus decorus ; à quoi il ajoûte, ad formidabilia fumat generosè nasibus, nihil formidans. Munster & Mercer n'ont admis aucune différence entre l'ébrouement & l'expiration dont il s'agit. Le premier, que quelques-uns envisagent comme un des hommes les plus versés dans la langue hébraïque, traduit de cette maniere le même passage hébreu, virtus narium ejus, & il l'explique ensuite en disant, id est fremitus & sternutatio ejus. Le second l'interprete dans sa glose, de façon à nous prouver qu'il ne distingue pas seulement l'ébrouement du hennissement : vehemens sonitus quem sternutans edit, terrorem affert omnibus qui audiunt. Il est certain néanmoins que plus un cheval est recherché, plus il a de l'ardeur, plus la respiration est forte & fréquente en lui ; & cette fréquence occasionnant dans les nazaux une plus vive collision de l'air, il expire avec bruit, il souffle : mais l'ébrouement n'est point réel. L'expiration est-elle plus remarquable à la vûe d'un objet qui lui inspire de la crainte, l'émotion donnera lieu à une contraction dans laquelle on trouvera la raison de cette expiration augmentée : que si certaines odeurs l'occasionnent, ce n'est que parce que l'animal, par un instinct naturel, cherche à éloigner de lui les choses qui peuvent lui procurer une sensation nuisible ou desagréable.

L'ébrouement est un signe favorable dans un cheval qui tousse, voyez POUSSIF ; & dans les chevaux qui jettent, voyez GOURME, FAUSSE GOURME, MORVE. (e)


EBROUER(s') Manége ; voyez EBROUEMENT.


EBSOM(SEL DE) Chimie & Matiere medicale ; c'est un sel vitriolique à base terreuse auquel un sel de cette nature retiré de la fontaine d'Ebsom en Angleterre, a donné son nom. On distribue dans les différentes parties de l'Europe, sous le nom de sel d'Ebsom, des sels de ce genre qui se ressemblent par plusieurs propriétés communes, mais qui different entr'eux par quelques caracteres particuliers, mais moins essentiels. Nous parlerons de tous ces sels, de leurs qualités communes & de leurs différences dans un article destiné aux sels vitrioliques en général, que nous placerons après l'article VITRIOL. Voyez cet article.


EBULLITIONEFFERVESCENCE, FERMENTATION, (Gramm. & Chimie) Ces trois mots ne sont point synonymes, quoiqu'on les confonde aisément. M. Homberg est un des premiers qui en a expliqué la différence, & qui en a fait l'exacte distinction.

On appelle en Chimie ébullition, lorsque deux matieres en se pénétrant font paroître des bulles d'air, comme il arrive dans les dissolutions de certains sels par les acides.

On nomme effervescence, lorsque deux matieres qui se pénetrent produisent de la chaleur, comme il arrive dans presque tous les mêlanges des acides & des alkalis, & dans la plûpart des dissolutions minérales.

On appelle enfin fermentation, lorsque dans un mixte il se fait naturellement une séparation de la matiere sulphureuse avec la saline, ou lorsque par la conjonction de ces deux matieres il se compose naturellement un autre mixte.

Puisqu'il y a, suivant les expériences de l'illustre Boyle, des ébullitions, même assez violentes, sans aucune chaleur, dont quelques-unes bien loin de s'échauffer, se refroidissent considérablement pendant l'ébullition, comme il arrive dans le mêlange d'huile de vitriol & du sel armoniac, & que d'un autre côté il se trouve des effervescences très-considérables sans aucune ébullition, comme dans le mêlange de l'huile de vitriol & de l'eau commune ; il résulte que les ébullitions & les effervescences font distinctes, & ne sont pas non plus des fermentations ; parce que le caractere de la fermentation consiste dans une séparation naturelle de la matiere sulphureuse d'avec la saline, ou dans une conjonction naturelle de ces deux matieres, laquelle est souvent accompagnée d'effervescence : ce qui s'observe particulierement lorsque la matiere sulphureuse, aussi-bien que la saline, sont dans un haut degré de raréfaction.

Cependant la raison pourquoi on a confondu ces trois actions sous le nom de fermentation, est que les fermentations s'échauffent ordinairement, en quoi elles ressemblent aux effervescences, & qu'elles sont presque toûjours accompagnées de quelque gonflement, en quoi elles ressemblent aux ébullitions. Art. de M(D.J.)

EBULLITION, s. f. (Physique) est l'état de l'eau ou de toute autre fluide que la chaleur fait bouillir. Voyez BOUILLIR & EFFERVESCENCE.

Si l'eau bout dans un pot ouvert, elle a la plus grande chaleur qu'elle puisse recevoir, lorsqu'elle est comprimée par le poids de l'atmosphere. La chaleur de l'eau est indépendante de la violence de l'ébullition & de sa durée ; l'eau moins comprimée par l'atmosphere bout plûtôt, & elle bout fort vîte dans le vuide. L'eau qui bout dans un pot ouvert reçoit ordinairement une chaleur de deux cent douze degrés au thermometre de Fahrenheit. Plus l'air est pesant, plus il faut que l'eau soit chaude pour bouillir. Le dessous d'un chauderon où l'eau bout est beaucoup moins chaud, qu'il ne l'est au moment où l'eau cesse de bouillir.

A l'égard de la cause de l'ébullition, nous avons rapporté historiquement au mot BOUILLIR celle que les physiciens en donnent ordinairement, & qu'ils attribuent à l'air qui se dégage des particules de l'eau ; mais d'autres physiciens rejettent cette cause, & croyent que l'ébullition vient des particules de l'eau même, qui sont changées par l'action du feu en vapeur très-dilatée, & qui s'élevent du fond du vase à la surface. Voici en substance les raisons de leur opinion. 1°. L'ébullition se fait dans la machine du vuide, lorsqu'on y fait chauffer de l'eau auparavant purgée d'air. Ce n'est donc point l'air qui la produit ; c'est dans ce cas la chaleur qui raréfie l'eau : ce sont les termes de M. Musschenbroeck, §. 879. de ses essais de Phys. 2°. L'eau ne cesse point de bouillir qu'elle ne soit évaporée ; or comment peut-on concevoir que l'air renfermé dans l'eau, & qui en fait au plus la trentieme partie, puisse suffire à toute cette ébullition ? 3°. Quoique les liqueurs ne contiennent pas toutes la même quantité d'air, toutes paroissent bouillir également. 4°. Plus l'eau est libre de s'évaporer, c'est-à-dire plus le vase dans lequel on la met est ouvert, moins elle soûtient de degrés de chaleur sans bouillir. 5°. Plus une liqueur est subtile, & par conséquent facile à réduire en vapeur, moins il faut de chaleur pour la faire bouillir. Ainsi l'esprit-de vin bout à une moindre chaleur que l'eau, & l'eau à une moindre chaleur que le mercure. Voy. tout cela plus en détail dans les mém. & l'hist. de l'académ. 1748. Voyez aussi DIGESTEUR & VAPEUR. La plus forte preuve (ajoûte-t-on) qu'on allegue en faveur de l'opinion commune sur la cause de l'ébullition, est le phénomene de l'éolipyle ; mais les partisans de l'opinion dont nous rendons compte ici, prétendent dans leur système expliquer ce phénomene, du moins aussi-bien. Voyez EOLIPYLE. Encore une fois nous ne sommes ici qu'historiens, ainsi que dans la plûpart des explications physiques que nous avons rapportées ou que nous rapporterons par la suite dans ce Dictionnaire. (O)

EBULLITION, (Medecine) petites tumeurs qui se forment & s'élevent sur la surface du corps en très-peu de tems ; on les attribue ordinairement à l'effervescence du sang : c'est ce qui fait appeller cette éruption cutanée, ébullition de sang. Elles sont de différente espece, & demandent par conséquent différens traitemens. Voyez EFFLORESCENCE, ERUPTION, EXANTHEME. (d)

EBULLITION, (Manége & Maréchallerie) maladie legere que l'on nomme encore dans l'homme échauboulures, pustules sudorales.

Elle se manifeste dans les chevaux par des élevures peu considérables, & qui sont simplement accompagnées de démangeaison. Ces élevures sont ou plus ou moins multipliées, & semées dans une plus ou moins grande étendue de la surface du corps. Quelquefois aussi elles arrivent seulement à de certaines parties, telles que l'encolure, les épaules, les bras, les côtes, & les environs de l'épine.

Il est aisé de les distinguer des boutons qui désignent & qui caractérisent le farcin, 1°. par la promtitude avec laquelle elles sont formées, & par la facilité avec laquelle on y remédie : 2°. elles ne sont jamais aussi volumineuses : 3°. elles n'en ont ni la dureté ni l'adhérence : 4°. elles sont circonscrites, n'ont point entr'elles de communication, & ne paroissent point en fusées : 5°. elles ne s'ouvrent & ne dégénerent jamais en pustules : 6°. enfin elles n'ont rien de contagieux.

Cette maladie suppose presque toûjours une lymphe saline & grossiere, dont les parties les plus aqueuses s'échappent sans aucun obstacle par la voie de la transpiration & de la sueur, tandis que la portion la moins subtile & la moins ténue ne peut se faire jour & se frayer une issue, lorsqu'elle est parvenue à l'extrémité des vaisseaux qui se terminent au tégument. Ces dernieres particules poussées sans cesse vers la superficie par celles qui y abordent & qui les suivent, sont contraintes d'y séjourner. De leur arrêt dans les tuyaux capillaires qu'elles engorgent & qu'elles obstruent, résultent les tumeurs nombreuses qui sont dispersées à l'extérieur, & un plus grand degré d'acrimonie annoncé par la démangeaison inséparable de cette éruption, & qui ne doit être attribuée qu'à l'irritation des fibres nerveuses.

Un exercice outré, un régime échauffant, suscitent la rarescence du sang & des humeurs : trop de repos en provoque l'épaississement, la transpiration interceptée par une crasse abondante qui bouche les pores, donne lieu au séjour de la matiere perspirable, & même au reflux dans la masse, qui peut en être plus ou moins pervertie ; & toutes ces causes différentes sont souvent le principe & la source des ébullitions.

On y remédie par la saignée, par une diete humectante & rafraîchissante, par des lavemens, par des bains ; il ne s'agit que de calmer l'agitation desordonnée des humeurs, de diminuer leur mouvement intestin, de corriger l'acrimonie des sucs lymphatiques, de les délayer ; & bien-tôt les fluides qui occasionnoient les engorgemens reprenant leur cours, ou s'évacuant en partie par la transpiration, toutes les humeurs dont il s'agit s'évanoüiront. (e)


ECACHERv. act. Ce verbe marque une maniere de froisser, de briser par une pression violente.

ECACHER, en terme de Cirier, c'est pêtrir la cire, & la manier assez pour n'y point laisser de parties plus dures les unes que les autres, ce qui feroit rompre l'ouvrage. On n'écache que la cire qu'on veut travailler à la main ; voyez TRAVAILLER A LA MAIN. On ne se sert quelquefois non plus que des mains, mais il y a des Ciriers qui écachent sur une espece de table qu'ils appellent brès.

ECACHER, terme de Taillandier, il se dit des faucilles, croissans, &c. Lorsque ces ouvrages sont forgés, au lieu de les blanchir à la lime, ils les dressent ou écachent sur la meule.

ECACHER, (Tireur d'or) c'est une des opérations du fileur d'or ; elle consiste à applatir le fil, en le faisant passer entre deux meules de son moulin. Voyez l'article OR.


ECAFFERv. act. chez les Vanniers, c'est aiguiser un pé par le bout, ensorte qu'il soit assez plat pour embrasser & faire plusieurs tours sur le moule de l'ouvrage.


ECAGNES. f. (Rub.) se dit d'une des portions d'un écheveau lorsqu'il se trouve trop gros & la soie ou le fil trop fins pour supporter le dévidage en toute sa grosseur ; quand on met l'écheveau en écagnes, il faut prendre garde de ne faire que le moins de bouts qu'il est possible. L'écheveau se place pour cette opération sur les tournettes, & à force de chercher du jour pour parvenir à sa séparation, on en vient à bout ; le tems que l'ouvrier semble perdre pour faire cette division, est bien racheté par la diligence & la facilité avec lesquelles il dévide ensuite ces petites portions d'un gros écheveau.


ECAILLAGES. m. (Saline) c'est une opération, qui, dans les fontaines salantes, suit celle qu'on appelle le soquement. Pour écailler, on commence par échauffer la poële à sec, afin qu'elle résiste à la violence des coups qu'il faut lui donner pour briser & détacher les écailles qui y sont adhérentes, & qui ont quelquefois jusqu'à deux pouces d'épaisseur. L'écaillage se fait communément en trois quarts-d'heure de tems, mais on n'y employe pas moins de trente ouvriers, qui frappent tous à la fois en divers endroits à grands coups de massue de fer ; cependant il y a des écailles si opiniatres, qu'il faut les enlever au ciseau.


ECAILLEsub. f. (Ichthiologie) c'est en général cette substance toûjours résistante & quelquefois fort dure, qui couvre un grand nombre de poissons, & qui peut s'en détacher par piece. On donne le même nom d'écaille, à cette substance dans la carpe ou le brochet, dans l'huître, & dans la tortue, quoiqu'elle soit fort différente pour la forme, la consistance, & les autres qualités, dans ces trois especes d'animaux. On a appellé dans plusieurs occasions écaille, tout ce qui se détachoit des corps en petites parties minces & legeres, par une métaphore empruntée de l'écaille des poissons.

ECAILLE, GRANDE ÉCAILLE, (Hist. nat. Ichthiologie) poisson commun en Amérique ; on le prend dans les culs-de-sacs, au fond des ports, & dans les étangs qui communiquent avec la mer. Il s'en trouve quelquefois de 3 à 4 piés de longueur ; ses écailles sont argentées, & ont donné au poisson le nom qu'il porte ; elles sont beaucoup plus larges qu'un écu de 3 livres ; c'est un des meilleurs poissons qu'on puisse manger à toutes sausses ; sa chair est blanche, grasse, délicate, & d'un très-bon goût. Cet article est de M. LE ROMAIN.

ECAILLES D'HUITRE, (Pharmacie, Matiere méd.) Voyez HUITRE.

ECAILLES, en Architecture, petits ornemens qui se taillent sur les moulures rondes en maniere d'écailles de poisson, coulées les unes sur les autres. On fait aussi des couvertures d'ardoise en écaille, comme au dôme de la Sorbonne ; ou de pierre avec des écailles taillées dessus, comme à un des clochers de Nôtre-Dame de Chartres ; en latin squamae. (P)

ECAILLES, (Stucateur) éclats ou recoupes du marbre, dont on fait de la poudre de stuc : en latin caementa marmorea. (P)

ECAILLE D'HUITRE, (Manége & Maréchallerie) Nous n'employons cette expression que pour mieux peindre la difformité de l'ongle des piés combles ; elle peut être comparée avec raison à celle de ces écailles. Voyez PIE. (e)

ECAILLE, ECAILLE, (Peinture) On dit qu'un tableau s'écaille, lorsqu'il s'en détache de petites parcelles qu'on appelle écailles. Les peintures à fresque sont sujettes à s'écailler. Le stuc s'écaille aisément. On dit, le tableau s'écaille, est tout écaillé. (R)

* ECAILLE, (Art méchaniq.) il est commun à presque tous les ouvriers qui travaillent les métaux à la forge & au marteau ; ce sont les pieces minces qui s'en séparent & qui se répandent autour de l'enclume.

* ECAILLE, (Tapisserie) espece de bergame, ainsi nommée de sa façon, où l'on a imité l'écaille de poisson.


ECAILLÉen termes de Blason, se dit des poissons.


ECAILLERSS. m. pl. (Commerce) gens qui vont prendre les huîtres à la barque, & qui les vendent en détail dans les rues.

ECAILLER, v. act. (Saline) Voyez l'art. ECAILLAGE.


ECAILLEUXadj. (Anatomie) qui a du rapport à l'écaille. Il y a la suture écailleuse. Voyez les articles ARTICULATION & SUTURE.


ECAILLONSS. m. pl. (Manége & Marechall.) expression ancienne, inusitée aujourd'hui, & à laquelle nous avons substitué les termes de crocs ou de crochets. C'est ainsi que nous nommons à présent les quatre dents canines du cheval, que nos peres appelloient écaillons. Ces quatre dents canines sont celles dont les jumens sont dépourvues, à l'exception de celles auxquelles nous donnons le nom de brehaigne. Voyez FAUX MARQUE. (e)


ECALEterme de Blondier, c'est la cinquieme partie d'un tiers ; voyez TIERS. Toutes les écales sont séparées les unes des autres, & contiennent chacune plusieurs centaines, dans lesquelles on les découpe encore. Ces centaines ne se voyent point ; au contraire elles sont appliquées les unes aux autres de distance en distance, par de legeres couches d'une gomme aussi blanche que la matiere ; par-là on empêche la soie de s'écarter & de se mêler.

ECALE, s. f. (à la Monnoie) au pié du balancier il y a une profondeur d'environ 3 piés, où le monnoyeur se place pour être à portée de mettre commodément les flancs sur les quarrés. Les ouvriers appellent cette profondeur écale ou fosse. Voyez BALANCIER.


ECALLERv. act. (Jardinage) se dit des châtaignes, des noix, & autres fruits quand on les sort de leurs écailles. (K)


ECANGS. m. (Oecon. rustiq.) morceau de bois dont on se sert quand on écangue le lin. Voy. ECANGUER.


ECANGUERv. act. (Oeconomie rustique) manoeuvre qui se pratique sur le lin & autres plantes de la même espece, & dont l'écorce s'employe au même usage. Ecanguer, c'est faire tomber toute la paille par le moyen d'une planche échancrée d'un côté à la hauteur de ceinture d'homme, & tenue droite sur une base. On fait passer la moitié de la longueur du lin dans l'échancrure ; on empoigne l'autre, & l'on fait tomber toute la paille en frappant avec un morceau de bois, jusqu'à-ce qu'il ne reste que la soie, Quand on a écangué ce bout, on écangue l'autre. L'ouvrier qui fait cette opération, s'appelle l'écangueur, & le morceau de bois dont il se sert, écang. Voyez l'article LIN.


ECANGUEURS. m. (Oeconomie rustiq.) ouvrier qui écangue le lin. Voyez ECANGUER.


ECAQUEURS. m. (Pêche) celui qui est chargé de caquer le hareng, dans la pêche au hareng. Voyez HARENG.


ECARISSOIRS. m. en terme de Bijoutier & autres ouvriers en métaux, c'est une aiguille ou fil rond d'acier, dont on applatit & élargit un bout : on y forme une pointe, & on trempe cette partie de l'aiguille ; on forme ensuite sur la pierre à l'huile, le long des deux pans de cette partie large, deux tranchans, & on se sert de cet outil pour nettoyer le dedans des charnons des tabatieres ; cette opération rend les dedans des charnons exactement ronds, bien égaux de grosseur, nettoyés d'impuretés.

ECARISSOIR, en terme de Cirier, c'est un instrument de buis à deux angles ou pans, avec lequel on forme ceux d'un flambeau, qui se roule d'abord en rond comme un cierge.

ECARISSOIR, terme de Doreur en feuilles, il se dit d'un foret aigu par les deux bouts, qui se monte sur le vilebrequin, & ne differe de l'alesoir qu'en ce que celui-ci ouvre le trou & l'élargit autant qu'on veut, & que l'écarissoir le continue tel qu'il l'a commencé sans l'élargir. Voyez Planche du Doreur.

ECARISSOIR, en termes d'Eperonnier, est un poinçon à pans, dont on se sert pour applatir une piece, & la rendre, pour ainsi parler, de niveau à sa surface. Voyez les Planches de l'Eperonnier.

ECARISSOIR, est un instrument de Vannier, composé de deux especes de crochets tranchans, qu'on éloigne & qu'on approche autant que l'on veut l'un de l'autre par le moyen d'une vis, & entre lesquels on tire le brin d'osier qu'on veut équarrir. Voyez les Planches du Vannier.


ECARLATE(Teint.) c'est l'une des sept belles teintures en rouge Voyez TEINTURE.

On croit que la graine qui la donne, appellée par les Arabes kermès, se trouve sur une espece de chêne qui croît en grande quantité dans les landes de Provence & du Languedoc, d'Espagne & de Portugal : celle du Languedoc passe pour la meilleure ; celle d'Espagne est fort petite, & ne donne qu'un rouge blanchâtre. Cette graine doit se cueillir dès qu'elle est mûre ; elle n'est bonne que quand elle est nouvelle, & elle ne peut servir que dans l'année où on la cueille : passé ce tems, il s'y engendre une sorte d'insecte qui la ronge. Le P. Plumier qui a fait quelques découvertes sur la graine d'écarlate, a observé que le mot arabe kermès qui signifie un petit vermisseau, convient assez bien à cette drogue, qui est l'ouvrage d'un insecte, & non pas une graine. L'arbrisseau sur lequel on la trouve, s'appelle ilex aculeata cocci-glandifera. On voit au printems sur ses feuilles & sur ses rejettons, une sorte de vésicule, qui n'est pas plus grosse qu'un grain de mil ; elle est formée par la piquûre d'un insecte qui y dépose ses oeufs : à mesure que cette vésicule croît, elle devient de couleur cendrée, rouge en-dessous ; & quand elle est parvenue à sa maturité, ce qu'il est facile de connoître, on la recueille en forme de petites noix de galles. Voyez COCHENILLE.

La cosse de ces noix est legere, fragile, & couverte tout autour d'une pellicule, excepté à l'endroit où elle sort de la feuille. Il y a une seconde peau sous la premiere, qui est remplie d'une poudre partie rouge & partie blanche. Aussitôt que ces noix sont cueillies, on en exprime le jus, & on les lave dans du vinaigre, pour ôter & faire mourir les insectes qui y sont logés : car sans cette précaution, ces petits animaux se nourrissent de la poussiere rouge qui y est renfermée, & on ne trouve plus que la cosse.

La graine d'écarlate sert aussi en Medecine, où elle est connue sous le nom arabe de kermès. Voyez KERMES & TEINTURE. Chambers.

ECARLATE ou CROIX DE CHEVALIER, ou CROIX DE JERUSALEM, (Jardin.) flos Crustantinopolus, est une plante qui à l'extrémité de sa tige produit beaucoup de boutons formant un parasol, lesquels s'étant ouverts, semblent autant de petites croix d'écarlate. Elle demande une terre à potager, & beaucoup de soleil. Elle se multiplie par sa graine. (K)


ECARLINGUEvoyez CARLINGUE.


ECARTS. m. (Gram.) on donne en général ce nom au physique, à tout ce qui s'éloigne d'une direction qu'on distingue de toute autre, par quelque consideration particuliere ; & on le transporte au figuré, en regardant la droite raison, ou la loi, ou quelque autre principe de logique ou de morale, comme des directions qu'il convient de suivre pour éviter le blâme : ainsi il paroît qu'écart ne se devroit jamais prendre qu'en mauvaise part. Cependant il semble se prendre quelquefois en bonne, & l'on dit fort bien : c'est un esprit servile qui n'ose jamais s'écarter de la route commune. Je crois qu'on parleroit plus rigoureusement en disant, sortir ou s'éloigner ; mais peut-être que s'écarter se prend en bonne & en mauvaise part, & qu'écart ne se prend jamais qu'en mauvaise : ce ne seroit pas le seul exemple dans notre langue où l'acception du nom seroit plus ou moins générale que celle du verbe, où même le nom & le verbe auroient deux acceptions tout-à-fait différentes.

ECART, (Manege & Maréchall.) terme employé dans l'hippiatrique, pour signifier la disjonction ou la séparation accidentelle, subite, & forcée du bras d'avec le corps du cheval ; & si cette disjonction est telle qu'elle ne puisse être plus violente, on l'appelle entr'ouverture.

Les causes les plus ordinaires de l'écart sont, ou une chûte, ou un effort que l'animal aura fait en se relevant, ou lorsqu'en cheminant l'une de ses jambes antérieures, ou toutes deux ensemble, se seront écartées & auront glissé de côté & en-dehors. Cet accident qui arrive d'autant plus aisément, qu'ici l'articulation est très-mobile & joüit d'une grande liberté, occasionne le tiraillement ou une extension plus ou moins forte de toutes les parties qui assujettissent le bras, qui l'unissent au tronc, & qui l'en rapprochent : ainsi tous les muscles, qui d'une part ont leurs attaches au sternum, aux côtes, aux vertebres du dos, & de l'autre à l'humerus & à l'omoplate, tels que le grand & le petit pectoral, le grand dentelé, le sous-scapulaire, l'adducteur du bras, le commun ou le peaucier, le grand dorsal, & même le ligament capsulaire de l'articulation dont il s'agit, ainsi que les vaisseaux sanguins, nerveux, & lymphatiques, pourront souffrir de cet effort, sur-tout s'il est considérable. Dans ce cas, le tiraillement est suivi d'un gonflement plus ou moins apparent ; la douleur est vive & continuelle ; elle affecte plus sensiblement l'animal, lorsqu'il entreprend de se mouvoir ; elle suscite la fievre & un battement de flancs très-visible ; les vaisseaux capillaires sont relâchés ; quelques-uns d'entr'eux, rompus & dilacérés, laissent échapper le fluide qu'ils contiennent, & ce fluide s'extravase ; les fibres nerveuses sont distendues ; & si les secours que demande cette maladie ne sont pas assez promts, il est à craindre que les liqueurs stagnantes dans les vaisseaux, & celles qui sont extravasées, ne s'épaississent de plus en plus, ne se putréfient, & ne produisent en conséquence des tumeurs, des dépôts dans toutes ces parties lésées, dont le mouvement & le jeu toûjours difficiles & gênés, ne pourront jamais se rétablir parfaitement.

Il est certain que le gonflement & la douleur annoncée par la difficulté de l'action du cheval, sont les seuls signes qui puissent nous frapper. Or dans la circonstance d'une extension foible & legere, c'est-à-dire dans les écarts proprement dits, dont les suites ne sont point aussi funestes, le gonflement n'existant point, il ne nous reste pour unique symptome extérieur, que la claudication de l'animal. Mais ce symptome est encore très-équivoque, si l'on considere, 1°. combien il est peu de personnes en état de distinguer si le cheval boite de l'épaule, & non de la jambe & du pié : 2°. les autres accidens qui peuvent occasionner la claudication, tels que les heurts, les coups, un appui forcé d'une selle qui auroit trop porté sur le devant, &c. Nous devons donc avant que de prescrire la méthode curative convenable, déceler les moyens de discerner constamment le cas dont il est question, de tous ceux qui pourroient induire en erreur.

Un cheval peut boiter du pié & de la jambe, comme du bras & de l'épaule. Pour juger sainement & avec certitude de la partie affectée, on doit d'abord examiner si le mal ne se montre point par des signes extérieurs & visibles, & rechercher ensuite quelle peut être la partie sensible & dans laquelle réside la douleur. Les signes extérieurs qui nous annoncent que l'animal boite du pié ou de la jambe, sont toutes les tumeurs & toutes les maladies auxquelles ces parties sont sujettes ; & quant aux recherches que nous devons faire pour découvrir la partie atteinte & vitiée, nous débuterons par le pié. Pour cet effet si l'on n'apperçoit rien d'apparent, on frappera d'abord avec le brochoir sur la tête de chacun des clous qui ont été brochés, & on aura en même tems l'oeil sur l'avant-bras de l'animal, & près du coude ; si le clou frappé occasionne la douleur, soit parce qu'il serre, soit parce qu'il pique le pié (V. ENCLOUURE), on remarquera un mouvement sensible dans ce même avant-bras, & ce mouvement est un signe assûré que l'animal souffre. Que si en frappant ainsi sur la tête des clous il ne feint en aucune façon, on le déferrera : après quoi on serrera tout le tour du pié, en appuyant un des côtés des triquoises vers les rivures des clous, & l'autre sous le pié à l'entrée de ces mêmes clous ; dès qu'on verra dans l'avant-bras le mouvement dont j'ai parlé, on doit être certain que le siége du mal est en cet endroit. Enfin si en frappant sur la tête des clous, & si en pressant ainsi le tour du pié avec les triquoises, rien ne se découvre à nous, nous parerons le pié & nous le souderons de nouveau. Ne dévoilons-nous dans cette partie aucune des causes qui peuvent donner lieu à l'action de boiter ; remontons à la jambe ; pressons, comprimons, tâtons le canon, le tendon : prenons garde qu'il n'y ait enflûre aux unes ou aux autres des différentes articulations, ce qui dénoteroit quelqu'entorse, & de-là passons à l'examen du bras & de l'épaule ; manions ces parties avec force, & observons si l'animal feint ou ne feint pas ; faisons le cheminer : dans le cas où il y aura inégalité de mouvement dans ces parties, & où la jambe du côté malade demeurera en arriere & n'avancera jamais autant que la jambe saine, on pourra conclure que le mal est dans le bras & dans l'épaule. Voici de plus une observation infaillible. Faites marcher quelque tems l'animal ; si le mal attaque le pié, il boitera toûjours davantage ; si au contraire le bras est affecté, le cheval boitera moins : mais le siége de ce même mal parfaitement reconnu, il s'agiroit encore de trouver un signe univoque pour s'assûrer de la véritable cause de la claudication, & pour ne pas confondre celle qui suit & que suscitent un heurt, une contusion, un froissement quelconque, avec celle à laquelle l'écart & l'entr'ouverture donnent lieu : or les symptomes qui caractérisent les premieres, sont 1°. l'enflûre de la partie ; 2°. la douleur que l'animal ressent lorsqu'on lui meut le bras en-avant ou en arriere : au lieu que lorsqu'il y a écart, effort, entr'ouverture, le cheval fauche en cheminant, c'est-à-dire qu'il décrit un demi-cercle avec la jambe ; & ce mouvement contre nature qui nous annonce l'embarras qu'occasionnent les liqueurs stagnantes & extravasées, est précisément le signe non douteux que nous cherchions.

On procede à la cure de cette maladie différemment, en étayant sa méthode sur la considération de l'état actuel du cheval, & sur les circonstances qui accompagnent cet accident. Si sur le champ on est à portée de mettre le cheval à l'eau & de l'y baigner, de maniere que toutes les parties affectées soient plongées dans la riviere, on l'y laissera quelque tems, & ce répercussif ne peut produire que de bons effets. Aussi-tôt après on saignera l'animal à la jugulaire, & non à l'ars, ainsi que nombre de maréchaux le pratiquent : car il faut éviter ici l'abord trop impétueux & trop abondant des humeurs sur une partie affoiblie & souffrante, & cette saignée dérivative seroit plus nuisible que salutaire. Quelques-uns d'entr'eux font aussi des frictions avec le sang de l'animal, à mesure qu'il sort du vaisseau qu'ils ont ouvert ; les frictions en général aident le sang extravasé à se dissiper, à rentrer dans les canaux déliés qui peuvent l'absorber, & consolent en quelque façon les fibres tiraillées : mais je ne vois pas quelle peut être l'efficacité de ce fluide dont ils chargent l'épaule & le bras, à moins qu'elle ne réside dans une chaleur douce, qui a quelque chose d'analogue à la chaleur naturelle du membre affligé. Je crois, au surplus, qu'il ne faut pas une grande étendue de lumieres pour improuver ceux de ces artisans, qui, après avoir lié la jambe saine du cheval de maniere que le pié se trouve uni au coude, le contraignent & le pressent de marcher & de reposer son devant sur celle qui souffre (ce qu'ils appellent faire nager à sec), le tout dans l'intention d'échauffer la partie & d'augmenter le volume de la céphalique, ou de la veine de l'ars, qui ne se présente pas toûjours clairement aux yeux ignorans du maréchal : une pareille pratique est évidemment pernicieuse, puisqu'elle ne peut que produire des mouvemens forcés, irriter le mal, accroître la douleur & l'inflammation ; & c'est ainsi qu'un accident leger dans son origine & dans son principe, devient souvent funeste & formidable.

Quoi qu'il en soit, à la saignée, au bain, succéderont des frictions faites avec des répercussifs & des résolutifs spiritueux & aromatiques. Les premiers de ces médicamens conviennent lorsque les liqueurs ne sont point encore épanchées ; appliqués sur le champ, ils donnent du ressort aux parties, préviennent l'amas des humeurs, & parent aux engorgemens considérables : quant aux résolutifs, ils atténueront, ils diviseront les fluides épaissis, ils remettront les liqueurs stagnantes & coagulées dans leur état naturel, & ils les disposeront à passer par les pores, ou à regagner le torrent : on employera donc ou l'eau-de-vie, ou l'esprit-de-vin avec du savon, ou l'eau vulnéraire, ou la lessive de cendre de sarment, ou une décoction de romarin, de thym, de sauge, de serpolet, de lavande bouillie dans du vin ; & l'on observera que les résolutifs médiocrement chauds, dans le cas d'une grande tension & d'une vive douleur, sont préférables à l'huile de laurier, de scorpion, de vers, de camomille, de romarin, de pétrole, de terebenthine, & à tous ceux qui sont doüés d'une grande activité. Les lavemens émolliens s'opposeront encore à la fievre que pourroit occasionner la douleur, qui exciteroit un éréthisme dans tout le genre nerveux, & qui dérangeroit la circulation. De plus, on doit avoir égard au plus ou moins de gonflement & d'enflûre ; ce gonflement ne peut être produit que par l'engorgement des petits vaisseaux qui accompagnent les fibres distendues, ou par l'extravasion des liqueurs qui circulent dans ces mêmes vaisseaux, & dont quelques-uns ont été dilacérés : or ces humeurs perdent bientôt leur fluidité, & se coagulent ; & si l'on employe des remedes froids & de simples répercussifs, ils ne pourroient qu'en augmenter l'épaississement. Dans quelque circonstance que l'on se trouve, la saignée est toûjours nécessaire ; elle appaise l'inflammation ; elle calme la douleur ; elle facilite enfin la résolution des liqueurs épanchées, en favorisant leur rentrée dans des canaux moins remplis.

La résolution est sans doute la terminaison la plus desirable ; mais si le mal a été négligé, si les engorgemens ont été extrêmes, s'il y avoit surabondance d'humeurs dans l'animal au moment de l'écart ou de l'entr'ouverture, s'il n'avoit pas entierement jetté la gourme, si en un mot les liqueurs épaissies & extravasées ne peuvent pas être repompées ; nous exclurons les résolutifs, & nous aurons recours aux médicamens maturatifs, à l'effet de donner du mouvement à ces mêmes liqueurs, de les cuire, de les digérer, & de les disposer à la suppuration. On oindra donc & l'épaule & le bras en-dehors de côté, & principalement à l'endroit de l'ars en remontant, avec du basilicum ; & si la douleur étoit trop forte, ainsi que la tension, on mêleroit avec le basilicum un tiers d'onguent d'althaea : cette partie, que l'on lavera chaque fois que l'on réitérera l'onction avec une décoction émolliente, étant détendue, on examinera si l'on peut appercevoir quelque fluctuation ; en ce cas, on fera ouverture dans le point le plus mou, pour procurer l'issue à la matiere suppurée. Mais si cette voie ne s'offre point, on y passera un séton ou une ortie (voyez ORTIE & SETON) : car il faut absolument dégager & débarrasser le membre d'une humeur qui lui ravit son action & son jeu. Le pus ainsi écoulé, on peut revenir aux répercussifs, non moins propres lorsque les dépôts sont prêts à être dissipés, que lorsqu'ils commencent à se former ; aprés quoi on n'oublie point de purger l'animal & l'on termine ainsi la cure.

Le régime qu'observera le cheval pendant le traitement, sera tel : qu'on le tiendra à l'eau blanche, au son ; que le fourrage ne lui sera pas donné en grande quantité, & qu'on lui retranchera l'avoine. De plus, on lui accordera du repos, il ne sortira point de l'écurie, il y sera entravé ; & si l'on craignoit le desséchement de l'épaule (Voy. EPAULE), on pourra attacher au pié de l'extrémité affectée, un fer à patin (Voyez FER), mais seulement à la fin de la maladie, & pour ne l'y laisser que quelques heures par jour.

Ces sortes d'écarts, ou d'entr'ouvertures anciennes ou mal traitées, ne sont jamais radicalement guéries ; l'animal boite de tems en tems. Les Maréchaux alors tentent les secours d'une roue de feu. V. FEU. J'apprécierai dans cet article cette méthode ; mais je puis assûrer en attendant, que les boues des eaux minérales chaudes sont un spécifique admirable, & procurent l'entier rétablissement du cheval. (e)

ECART, (Manege & Maréchall.) Faire un écart, expression dont on se sert communément pour désigner l'action d'un cheval qui, surpris à l'occasion de quelque bruit ou de quelque objet dont il est subitement frappé, se jette tout-à-coup de côté. Les chevaux ombrageux & timides sont sujets à faire de fréquens écarts. Les chevaux qui se défendent font aussi des écarts. Voyez OMBRAGEUX & FANTAISIE. (e)

ECART, en termes de Blason, se dit de chaque quartier d'un écu divisé en quatre : on met au premier & au quatrieme écart, les armes principales de la maison ; & celles des alliances, au second & au troisieme.

ECART, terme de Jeu, se dit à l'hombre, au piquet & à d'autres jeux, des cartes qu'on rebute, & qu'on met à-bas pour en reprendre d'autres au talon, si c'est la loi du jeu ; car il y a des jeux où l'on écarte sans reprendre.


ECARTELÉadj. terme de Blason qui se dit de l'écu divisé en quatre parties égales, en banniere ou en sautoir. Voyez ECARTELER & SAUTOIR.

Crevant, écartelé d'argent & d'azur.


ECARTELERv. n. & act. en termes de Blason, c'est diviser l'écu en quatre quartiers ou davantage, ce qui arrive lorsqu'il est parti & coupé, c'est-à-dire divisé par une ligne perpendiculaire & une horisontale. Voyez QUARTIER.

On dit que quelqu'un porte écartelé, quand il porte l'écu ainsi parti & coupé.

On écartele en deux manieres, en croix & en sautoir. L'écart en sautoir se fait par une ligne horisontale & une perpendiculaire, qui se croisent à angles droits. L'écart en sautoir se fait par deux lignes diagonales qui se coupent au centre de l'écu.

Quand l'écart est fait en croix en blasonnant, on nomme d'abord les deux quartiers du chef, premier & second ; & ceux de la pointe, troisieme & quatrieme, en commençant par la droite.

Quand il est fait en sautoir, on nomme le chef & la pointe, premier & second quartiers ; le côté droit est le troisieme, le gauche est le quatrieme.

Celui qui a amené l'usage d'écarteler, est, à ce qu'on dit, René roi de Sicile en 1435, qui écartela de Sicile, d'Aragon, de Jérusalem, &c. L'écartelure sert quelquefois à distinguer les puînés de l'aîné.

Colombiere compte douze façons d'écarteler ; d'autres en comptent davantage, dont voici les exemples. Parti en pal, quand l'écu est divisé du chef à la pointe ; voyez PAL : parti en croix, quand la ligne perpendiculaire est traversée d'une horisontale d'un côté de l'écu à l'autre ; voyez CROIX : parti de six pieces, quand l'écu est divisé en six parts ou quartiers : parti de dix, de douze, de seize, de vingt, & de trente-deux, quand il est divisé en dix, douze, &c. parties ou quartiers. Voyez Chambers & Ménetr.


ECARTELURES. f. terme de Blason, division de l'écu écartelé. Lorsqu'elle se fait par une croix, le premier & le second écart ou quartier sont ceux d'en-haut, & les deux autres sont les quartiers d'enbas, en commençant à compter par le côté droit. Si elle se fait par un sautoir, ou par le tranché & taillé, le chef & la pointe font le premier & le second écart ou quartier ; le flanc doit faire le troisieme, & le gauche le quatrieme Voyez ECARTELER. Ibid.


ECARTEMENTS. m. (Docimasie) phénomene par lequel de petits grains d'argent se détachent d'un bouton d'essai, & sont poussés au loin. Cet inconvénient a lieu quand on le retire de dessous le moufle immédiatement après son éclair ; & il vient de ce que l'air frappant le bouton, refroidit & condense sa surface, qui se resserrant sur elle-même, force l'argent qu'elle renferme de jaillir par la compression qu'elle lui fait éprouver. On juge bien que cet accident rend l'essai faux. Voyez ESSAI. Article de M. DE VILLIERS.


ECARTERMETTRE à L'ECART, ELOIGNER, synon. (Gramm.) Ces trois verbes ont rapport à l'action par laquelle on cherche à faire disparoître quelque chose de sa vûe, ou à en détourner son attention. Eloigner est plus fort qu'écarter, & écarter que mettre à l'écart. Un prince doit éloigner de soi les traîtres, & en écarter les flateurs. On écarte ce dont on veut se débarrasser pour toûjours. On met à l'écart ce qu'on veut ou qu'on peut reprendre ensuite. Un juge doit écarter toute prévention, & mettre tout sentiment personnel à l'écart. (O)

ECARTER, (s') Docimas. se dit du bouton de fin, qui étant exposé à l'air aussi-tôt que l'essai est passé, petille & lance au loin de petits grains d'argent. C'est ce qui dans les monnoies se nomme vessir. Quand on a laissé figer le culot jusqu'à un certain point, alors il ne se vessit plus, il se raméfie. Voyez RAMEFIER. Un très-petit regule d'argent, comme d'un trente-deuxieme de grain, ne s'écarte point, mais il se boursouffle, & il garde ordinairement la même figure qu'auparavant. Voyez ESSAI. Article de M. DE VILLIERS.

* ECARTER, ELOIGNER, SEPARER, (Arts méchaniq.) On éloigne sans effort un objet d'un autre. Ecarter semble supposer quelque lien qui donne de la peine à rompre. Eloigner marque une distance plus considérable qu'écarter. On sépare les choses mêlées ou du moins unies, & l'on n'a aucun égard à la distance. Les choses peuvent être séparées & contiguës.

ECARTER, terme de Brasserie ; il se dit lorsque le cordon qui est formé sur le levain autour du douvin, couvre toute la superficie de la cuve, & ne laisse aucune clairiere ni miroir.

ECARTER, v. act. à l'Hombre, au Piquet & autres Jeux ; c'est séparer de son jeu les cartes qu'on juge mauvaises : il y a de l'habileté à bien écarter. Voyez ECART.


ECASTOR(Hist. anc.) jurement des femmes dans l'antiquité, correspondant à l'édepol, le jurement des hommes. Ecastor signifie par le temple de Castor, & édepol, par le temple de Pollux. Voy. CASTOR & POLLUX.


ECATOIRS. m. (Fourbisseur) sorte de ciselet qui sert à sertir ou resserrer plusieurs pieces d'une garde d'épée l'une contre l'autre. Voyez la fig. dans la Pl. du Fourbisseur.


ECATONPHONEUMES. m. (Myth.) sacrifice qu'on faisoit à Mars lorsqu'on avoit défait cent ennemis de sa propre main. Les Athéniens & les Lemniens célébroient l'écatonphoneume ; il consistoit à immoler un homme : deux Crétois & un Locrien eurent ce rare & cruel honneur. Mais le sacrifice d'un homme ayant révolté les Athéniens, ils substituerent à cette victime un porc châtré, qu'ils appellerent néphrende, sine renibus. L'écatonphoneume passa de la Grece en Italie. Sicinius Dentatus offrit le premier dans Rome ce sacrifice, après être sorti vainqueur de cent vingt combats particuliers, avoir reçû plus de quarante blessures, avoir été couronné vingt-six fois, & avoir reçû cent quarante brasselets.


ECBOLIQUES. m. (Thérapeutique) remede destiné à provoquer la sortie du foetus ; son action est la même que celle des aristolochiques & des emmenagogues, dont les premiers se prescrivent pour faire couler les vuidanges, & les derniers pour provoquer le flux menstruel ; ou plûtôt ce n'est qu'un même médicament que l'on désigne sous l'un ou l'autre de ces trois noms, selon la vûe qu'on se propose en l'ordonnant. Ils sont compris sous la dénomination commune d'utérin. Voyez UTERIN, (Thérapeutique) (b)


ECCLESIARQUES. m. (Hist. ecclésiast.) on donnoit anciennement ce titre à ceux qui étoient chargés de veiller à l'entretien des églises, de convoquer les paroissiens, d'allumer les cierges avant l'office, de lire, de chanter, de quêter, &c. en un mot de remplir toutes les fonctions de nos marguilliers qui leur ont succédé sous un nom différent, avec ce que le tems apporte en tout de mieux ou de pis.


ECCLESIASTES. m. (Théolog.) nom d'un des livres de l'ancien Testament, ainsi appellé d'un mot grec qui signifie prédicateur, soit parce que l'auteur de l'ecclésiaste y prêche contre la vanité & le peu de solidité des choses du monde, soit parce qu'il recueille, comme un prédicateur, différentes sentences ou autorités des sages, pour prouver les vérités qu'il rassemble.

Les sentimens sont partagés sur l'auteur de ce livre ; le plus grand nombre des savans l'attribue à Salomon : les Juifs ont assûré que c'étoit le dernier de ses livres, & un fruit de sa pénitence. Quoique l'Eglise n'ait pas adopté cette derniere opinion, elle croit pourtant que l'ecclésiaste a pour auteur Salomon ; fondée, 1°. sur ce que le titre du livre porte que son auteur est fils de David & roi de Jérusalem ; 2°. sur plusieurs passages qui s'y rencontrent, & qui ne peuvent être applicables qu'à ce prince particulierement. &c.

Grotius s'est élevé contre un sentiment si unanime, prétendant que l'ecclésiaste est postérieur à Salomon, & qu'il a été écrit après la mort de ce prince, on ne sait par quels auteurs, qui, pour donner plus de crédit à leur ouvrage, l'ont publié sous le nom de Salomon, en observant d'y peindre & d'y faire parler ce roi comme un homme touché & pénitent de ses desordres passés, & la preuve qu'il en apporte, c'est qu'on trouve dans ce livre des termes qui ne se rencontrent que dans Daniel, Esdras, & les paraphrases chaldéennes : allégation bien frivole, car Grotius a-t-il prouvé que Salomon n'entendoit pas la langue chaldéenne ? Ce prince qui surpassoit tous les hommes en science, & qui avoit commerce avec tous les potentats voisins de ses états, & avec leurs sages, pouvoit très-bien entendre la langue d'un peuple aussi proche de lui que l'étoient les Chaldéens. D'ailleurs la raison de Grotius iroit donc à prouver que Moyse n'est pas l'auteur de la Genèse, parce qu'on trouve dans ce livre deux ou trois mots qui ne peuvent venir que de racines arabes ; & parce qu'on en trouve plusieurs dans le livre de Job qui sont dérivées de l'arabe, du chaldéen & du syriaque, il s'ensuivroit donc qu'un Arabe, un Chaldéen & un Syrien seroient les auteurs de ce livre, qu'on n'attribue pourtant constamment qu'à une seule personne, soit Moyse, soit Salomon. Pour revenir à ce mélange si leger du chaldaïque avec l'hébreu dans l'ecclésiaste, quelques-uns croyent qu'il pourroit venir d'Isaïe, à qui l'on attribue d'avoir recueilli & mis en ordre les ouvrages de Salomon.

Un professeur de Wirtemberg prétend que la véritable raison qui empêchoit Grotius de reconnoître Salomon pour auteur de l'ecclésiaste, c'est qu'il trouvoit que pour son tems il parloit trop clairement & trop précisément du jugement universel, de la vie éternelle & des peines de l'enfer ; comme si ces vérités ne se trouvoient pas aussi nettement énoncées dans le livre de Job, dans les pseaumes & dans le pentateuque, dont les deux derniers sont évidemment antérieurs à Salomon.

Quelques anciens hérétiques ont crû au contraire que l'ecclésiaste avoit été composé par un impie qui ne reconnoissoit point d'autre vie. Voyez le dictionn. de Trév. Moréry, & Chambers. (G)

ECCLESIASTE, Prédicateur : on trouve dans les historiens du xvj. siecle, que Luther, quand il commença à répandre ses erreurs, prit le titre d'ecclésiaste de Wirtemberg ; & à son exemple quelques ministres protestans se le sont aussi arrogé : c'étoient des prédicateurs sans mission légitime. Voyez MISSION. (G)


ECCLESIASTIQUES. m. (Théolog.) nom d'un des livres de l'ancien Testament, qu'on attribue à Jesus fils de Sirach : on n'est point d'accord sur le tems où il a été composé, l'original hébreu ne subsiste plus.

Les Juifs n'ont point mis cet ouvrage au rang des livres canoniques ; & dans les anciens catalogues des livres sacrés reconnus par les Chrétiens, il n'est mis qu'au nombre de ceux qu'on lisoit dans l'Eglise avec édification, & distingué des livres canoniques : cependant plusieurs peres des premiers siecles l'ont cité sous le nom d'Ecriture-sainte. Saint Cyprien, S. Ambroise & S. Augustin l'ont reconnu pour canonique, & il a été déclaré tel par les conciles de Carthage, de Rome sous le pape Gelase, & de Trente. Le P. Calmet en attribue la composition au traducteur du livre de la Sagesse.

On trouve souvent dans les manuscrits & dans les imprimés le livre de l'ecclésiastique cité par cette abréviation, eccli. pour le distinguer de l'ecclésiaste qu'on désigne par celle-ci, eccle. ou eccl. (G)

ECCLESIASTIQUE, adj. se dit de tout ce qui appartient à l'Eglise. Voyez EGLISE.

Ainsi l'histoire ecclésiastique est l'histoire de ce qui est arrivé dans l'Eglise depuis son commencement ; M. Fleuri nous l'a donnée dans un ouvrage excellent qui porte ce titre : il a joint à l'ouvrage des discours raisonnés, plus estimables & plus précieux encore que son histoire. Ce judicieux écrivain, en développant dans ces discours les moyens par lesquels Dieu a conservé son Eglise, expose en même tems les abus de toute espece qui s'y sont glissés. Il étoit avec raison dans le principe, " qu'il faut dire la vérité toute entiere ; que si la religion est vraie, l'histoire de l'Eglise l'est aussi ; que la vérité ne sauroit être opposée à la vérité, & que plus les maux de l'Eglise ont été grands, plus ils servent à confirmer les promesses de Dieu, qui doit la défendre jusqu'à la fin des siecles contre les puissances & les efforts de l'enfer ". (O)

Nouvelles ecclésiastiques, est le titre très-impropre d'une feuille, ou plûtôt d'un libelle périodique, sans esprit, sans vérité, sans charité, & sans aveu, qui s'imprime clandestinement depuis 1728, & qui paroît régulierement toutes les semaines. L'auteur anonyme de cet ouvrage, qui vraisemblablement pourroit se nommer sans être plus connu, instruit le public quatre fois par mois des avantures de quelques clercs tonsurés, de quelques soeurs converses, de quelques prêtres de paroisse, de quelques moines, de quelques convulsionnaires, appellans & réappellans ; de quelques petites fievres guéries par l'intercession de M. Paris ; de quelques malades qui se sont crûs soulagés en avalant de la terre de son tombeau, parce que cette terre ne les a pas étouffés, comme bien d'autres. A ces objets si intéressans le même auteur a joint depuis quelque tems de grandes déclamations contre nos académies, qu'il assûre être peuplées d'incrédules, parce qu'on n'y croit pas aux miracles de saint Medard, qu'on n'y a point de convulsions, & qu'on n'y prophétise pas la venue d'Elie. Il assûre aussi que les ouvrages les plus célebres de notre siecle attaquent la religion, parce qu'on n'y parle point de la constitution unigenitus ; & qu'ils sont l'apologie du matérialisme, parce qu'on n'y soûtient pas les idées innées. Quelques personnes paroissent surprises que le gouvernement qui réprime les faiseurs de libelles, & les magistrats qui sont exempts de partialité comme les lois, ne sévissent pas efficacement contre ce ramas insipide & scandaleux d'absurdités & de mensonges. Un profond mépris est sans doute la seule cause de cette indulgence : ce qui confirme cette idée, c'est que l'auteur du libelle périodique dont il s'agit est si malheureux, qu'on n'entend jamais citer aucun de ses traits, humiliation la plus grande qu'un écrivain satyrique puisse recevoir, puisqu'elle suppose en lui la plus grande ineptie dans le genre d'écrire le plus facile de tous. Voyez CONVULSIONNAIRES. (O)

ECCLESIASTIQUE, (Jurisprud.) il se dit des personnes & des choses qui appartiennent à l'église.

Les personnes ecclésiastiques ont d'abord été appellées clercs, & on leur donne encore indifféremment ce nom, ou celui d'ecclésiastiques simplement. On comprend sous ce nom tous ceux qui sont engagés dans l'état ecclésiastique, c'est-à-dire qui sont destinés au service de l'église, à commencer depuis le souverain pontife & les autres archevêques, évêques & abbés ; les prêtres, diacres, soûdiacres ; ceux qui ont les quatre ordres mineurs, & jusqu'aux simples clercs tonsurés.

Le nombre des clercs ou ecclésiastiques étoit autrefois réglé : il n'y avoit point d'ordination vague : chacun étoit attaché par son ordination à une église particuliere, aux biens de laquelle il participoit à proportion du service qu'il lui rendoit. Le concile de Nicée & celui d'Antioche ordonnent encore la stabilité des clercs dans le lieu de leur ordination.

Présentement ce ne sont ni les bénéfices ni les dignités & offices dans l'église, qui donnent à ceux qui en sont pourvus la qualité de personnes ecclésiastiques, mais le caractere qu'ils ont reçû par le ministere de leur supérieur ecclésiastique. Pour avoir ce caractere, il suffit d'être engagé dans les ordres de l'église, ou au moins d'avoir reçû la tonsure. Le nombre des clercs n'est plus limité, & l'on en reçoit autant qu'il s'en présente de capables, sans qu'ils ayent aucun titre, c'est-à-dire aucun bénéfice ni patrimoine, excepté pour l'ordre de prêtrise, à l'égard duquel il faut un titre clérical. Voyez TITRE CLERICAL.

Les moines & religieux étoient autrefois personnes laïques ; ils ne furent appellés à la cléricature que par le pape Sirice, à cause de la disette qu'il y avoit alors de prêtres, par rapport aux persécutions que l'on faisoit souffrir aux chrétiens.

Dans le jx. siecle l'état des moines étoit regardé comme le premier degré de la cléricature. Photius fut d'abord fait moine, ensuite lecteur.

Présentement tous les religieux & religieuses, les chanoines réguliers, les chanoinesses, les soeurs & freres convers dans les monasteres, les soeurs des communautés de filles qui ne font que des voeux simples, même les ordres militaires qui sont réguliers ou hospitaliers, sont réputés personnes ecclésiastiques, tant qu'ils demeurent dans cet état.

On fait néanmoins une différence entre ceux qui sont engagés dans les ordres ou dans l'état ecclésiastique, d'avec ceux qui sont simplement attachés au service de l'église ; les premiers sont les seuls ecclésiastiques proprement dits, & auxquels la qualité d'ecclésiastiques est propre : les autres, tels que les religieuses & chanoinesses, les freres & soeurs convers, les ordres militaires réguliers & hospitaliers, ne sont pas des ecclésiastiques proprement dits, mais ils sont réputés tels, c'est pourquoi ils sont sujets à certaines régles qui leur sont communes avec les clercs ou ecclésiastiques, & participent aussi à plusieurs de leurs priviléges.

On distingue aussi deux sortes d'ecclésiastiques, les uns qu'on appelle séculiers, d'autres réguliers. Les premiers sont ceux qui sont engagés dans l'état ecclésiastique, sans être astraints à aucune autre regle particuliere. Les réguliers sont ceux qui, outre l'état ecclésiastique, ont embrassé un autre état régulier, c'est-à-dire qui les astraint à une regle particuliere, comme les chanoines réguliers, tous les moines & religieux, & même ceux qui sont d'un ordre militaire régulier & hospitalier.

Les ecclésiastiques considérés collectivement, forment tous ensemble un ordre ou état que l'on appelle l'état ecclésiastique, ou de l'Eglise, ou le clergé.

Ceux qui sont attachés à une même église, forment le clergé de cette église ; si ce sont des chanoines, ils forment une collégiale ou chapitre. Les ecclésiastiques de toute une province ou diocèse, forment le clergé de cette province ou diocèse.

Les ecclésiastiques de France forment tous ensemble le clergé de France.

Les assemblées que les ecclésiastiques forment entr'eux pour les affaires spirituelles, reçoivent différens noms selon la nature de l'assemblée.

Quand on assemble tous les prélats de la Chrétienté, c'est un concile oecuménique.

S'il n'y a que ceux d'une même nation, le concile s'appelle national.

Si ce sont seulement ceux d'une province, alors c'est un concile provincial.

Les assemblées diocésaines composées de l'évêque, des abbés, prêtres, diacres, & autres clercs du diocèse, sont nommées synodes. Voyez ce qui a été dit à ce sujet au mot CONCILE.

L'assemblée des membres d'une cathédrale ou collégiale ou d'un monastere, s'appelle chapitre. Voyez CHAPITRE.

Les ecclésiastiques ont toûjours été soûmis aux puissances, & obéissoient aux princes même payens, en tout ce qui n'étoit pas contraire à la vraie religion : si plusieurs d'entr'eux poussés par un esprit d'ambition & de domination ont en divers tems fait des entreprises pour se rendre indépendans dans les choses temporelles, & s'élever même au-dessus des souverains ; s'ils ont quelquefois abusé des armes spirituelles contre les laïcs, ce sont des faits personnels à leurs auteurs, & que l'Eglise n'a jamais approuvés.

Pour ce qui est de la puissance ecclésiastique par rapport au spirituel, on en parlera au mot PUISSANCE.

Dans la primitive Eglise, ses ministres ne subsistoient que des offrandes & aumônes des fidéles ; ils contribuoient cependant dès-lors, comme les autres sujets, aux charges de l'état. Jesus-Christ lui-même a enseigné que l'Eglise devoit payer le tribut à César ; il en a donné l'exemple en faisant payer ce tribut pour lui & pour S. Pierre : la doctrine des apôtres & celle de S. Paul, sont conformes à celle de Jesus-Christ, & celle de l'Eglise a toûjours été la même sur ce point.

Depuis que l'Eglise posséda des biens fonds, ce que l'on voit qui avoit déjà lieu dès le commencement du jve siecle, & même avant Constantin le Grand, les clercs de chaque église y participoient selon leur état & leurs besoins ; ceux qui avoient un patrimoine suffisant, n'étoient point nourris des revenus de l'église : tous les biens d'une église étoient en commun, l'évêque en avoit l'intendance & la disposition.

Les conciles obligeoient les clercs à travailler de leurs mains pour tirer leur subsistance de leur travail, plûtôt que de rien prendre sur un bien qui étoit consacré aux pauvres : ce n'étoit à la vérité qu'un conseil ; mais il étoit pratiqué si ordinairement, qu'il y a lieu de croire que plusieurs le regardoient comme un précepte. C'en étoit un du moins pour plusieurs des clercs inférieurs, lesquels étant tous mariés, & la distribution qu'on leur faisoit ne suffisant pas pour la dépense de leur famille, étoient souvent obligés d'y suppléer par le travail de leurs mains.

Il y a encore moins de doute par rapport aux moines, dont les plus jeunes travailloient avec assiduité, comme le dit Severe Sulpice en la vie de saint Martin.

Les plus grands évêques qui avoient abandonné leur patrimoine après leur ordination, travailloient des mains à l'exemple de S. Paul, du moins pour s'occuper dans les intervalles de tems que leurs fonctions leur laissoient libres.

Vers la fin du jve siecle, on commença en Occident à partager le revenu de l'Eglise en quatre parts ; une pour l'évêque, une pour son clergé & pour les autres ecclésiastiques du diocèse, une pour les pauvres, l'autre pour la fabrique : les fonds étoient encore en commun ; mais les inconvéniens que l'on y trouva, les firent bien-tôt partager aussi-bien que les revenus, ce qui forma les bénéfices en titre. Voyez BENEFICES & DIGNITES, & ci-aprés EGLISE, OFFICE, PERSONNAT.

Chaque église en corps ou chaque clerc en particulier depuis le partage des revenus & des fonds, contribuoient de leurs biens aux charges publiques. Les ecclésiastiques n'eurent aucune exemption jusqu'au tems de Constantin le Grand. Cet empereur & les autres princes Chrétiens qui ont regné depuis, leur ont accordé différens priviléges, & les ont exemptés d'une partie des charges personnelles, exemptions qui ont reçu plus ou moins d'étendue, selon que le prince étoit disposé à favoriser les ecclésiastiques, & que les besoins de l'état étoient plus ou moins grands : à l'égard des charges réelles qui étoient dûes à l'empereur pour la possession des fonds, les ecclésiastiques les payoient comme les autres sujets.

Ainsi Constantin le Grand accorda aux ecclésiastiques l'exemption des corvées publiques, qui étoient regardées comme des charges personnelles.

Sous l'empereur Valens cette exemption cessa ; car dans une loi adressée, en 370, à Modeste préfet du prétoire, il soûmet aux charges de ville les clercs qui y étoient sujets par leur naissance, & du nombre de ceux qu'on nommoit curiales, à moins qu'ils n'eussent été dix ans dans l'état ecclésiastique.

Du tems de Théodose, ils payoient les charges réelles ; en effet, S. Ambroise évêque de Milan disoit à un officier de l'empereur : Si vous demandez des tributs, nous ne vous les refusons pas ; les terres de l'Eglise payent exactement le tribut. S. Innocent pape écrivoit de même, en 404, à S. Victrice évêque de Roüen, que les terres de l'Eglise payoient le tribut.

Honorius ordonna en 412, que les terres de l'Eglise seroient sujettes aux charges ordinaires, & les affranchit seulement des charges extraordinaires.

Justinien par sa novelle 37, permet aux évêques d'Afrique de rentrer dans une partie des biens dont les Ariens les avoient dépouillés, à condition de payer les charges ordinaires : ailleurs il exempte les églises des charges extraordinaires seulement ; il n'exempta des charges ordinaires qu'une partie des boutiques de Constantinople, dont le loyer étoit employé aux frais des sépultures, dans la crainte que s'il les exemptoit toutes, cela ne préjudiciât au public.

Les papes mêmes, & les fonds de l'église de Rome, ont été tributaires des empereurs romains ou grecs jusqu'à la fin du viij. siecle ; & S. Gregoire recommandoit aux défenseurs de Sicile, de faire cultiver avec soin les terres de ce pays, qui appartenoient au saint siége, afin que l'on pût payer plus facilement les impositions dont elles étoient chargées. Pendant plus de 120 ans, & jusqu'à Benoit II, le pape étoit confirmé par l'empereur, & lui payoit 20 liv. d'or ; les papes ne sont devenus souverains de Rome & de l'exarcat de Ravenne, que par la donation que Pepin en fit à Etienne III.

Lorsque les Romains eurent conquis les Gaules, tous les ecclésiastiques y étoient gaulois ou romains, & par conséquent sujets aux tributs comme dans le reste de l'empire.

La monarchie françoise ayant été établie sur les ruines de l'empire, on suivit en France, par rapport aux ecclésiastiques, ce qui se pratiquoit du tems des empereurs.

Entre les ecclésiastiques, plusieurs étoient francs d'origine, d'autres étoient gaulois ou romains, & entre ceux-ci quelques-uns étoient ingenus, c'est-à-dire libres ; la plûpart des autres étoient serfs comme une grande partie du peuple ; plusieurs des évêques qui dégraderent Louis le Débonnaire avoient été serfs.

Sous la premiere race de nos rois, les ecclésiastiques ne faisoient point au roi des dons à part, comme la noblesse & le peuple en faisoient chaque année ; ils contribuoient néanmoins de plusieurs autres manieres à soûtenir les charges de l'état.

Nos rois les exempterent à la vérité, d'une partie des charges personnelles ; mais les terres de l'Eglise demeurerent sujettes aux charges réelles.

Il y avoit même des tributs ordinaires, auxquels les ecclésiastiques étoient sujets comme les laïcs.

Grégoire de Tours rapporte que Theodebert roi d'Austrasie, petits-fils de Clovis, déchargea les églises d'Auvergne de tous les tributs qu'elles lui payoient : il fait aussi mention que Childebert roi du même pays, & petit-fils de Clotaire premier, affranchit pareillement le clergé de Tours de toutes sortes d'impôts.

Clotaire I. ordonna, en 568 ou 560, que les ecclésiastiques payeroient le tiers de leur revenu ; tous les évêques y souscrivirent, à l'exception d'Injuriosus évêque de Tours, dont l'opposition fit changer le roi de volonté.

Pasquier & autres auteurs remarquent aussi que Charles Martel prit une partie du temporel des églises, & sur-tout de celles qui étoient de fondation royale, pour récompenser la noblesse françoise qui lui avoit aidé à combattre les Sarrasins. Les ecclésiastiques contribuerent encore de son tems, pour la guerre qu'il préparoit contre les Lombards. Loiseau tient que cette levée fut du dixieme des revenus ; & quelques-uns tiennent que ce fut là l'origine des décimes ; mais on la rapporte plus communément au tems de Philippe Auguste, comme on l'a dit ci-devant au mot DECIMES.

Sous la seconde race de nos rois, les ecclésiastiques ayant été admis dans les assemblées de la nation, offroient au roi tous les ans un don, comme la noblesse & le peuple.

Il y avoit même une taxe sur le pié du revenu des fiefs-aleux & autres héritages que chacun possedoit. Les historiens en font mention sous les années 826 & suivantes.

Fauchet dit qu'en 833 Lothaire reçut à Compiegne les présens que les évêques, les abbés, les comtes, & le peuple faisoient au roi tous les ans ; que ces présens étoient proportionnés au revenu de chacun : Louis le Débonnaire les reçut encore des trois ordres à Orléans, Worms, & Thionville en 835, 836, & 837.

Le roi tiroit quelquefois des grands seigneurs & des évêques certaines subventions de deniers, & les autorisoit ensuite à y faire contribuer ceux qui leur étoient subordonnés ; ainsi les seigneurs faisoient des levées sur leurs vassaux & censitaires, & les évêques sur les curés & autres bénéficiers de leur diocèse ; c'est sans doute de-là, que dans un concile de Toulouse, tenu en 846, on trouve que chaque curé étoit tenu de fournir à son évêque une certaine contribution, consistante en un minot de froment & un minot d'orge, une mesure de vin, & un agneau, le tout évalué deux sols ; & l'évêque avoit le choix de le prendre en argent ou en nature.

L'empereur Charles le Chauve fit en outre, en 877, une levée extraordinaire de deniers, tant sur les ecclésiastiques que sur les laïcs, à l'occasion de la guerre qu'il entreprit à la priere de Jean VIII. contre les Sarrasins, qui ravageoient les environs de Rome & de toute l'Italie. Fauchet dit que les évêques levoient sur les prêtres, c'est-à-dire sur les curés & autres bénéficiers de leur diocèse, cinq sous d'or pour les plus riches, & quatre deniers d'argent pour les moins aisés ; que tous ces deniers étoient remis entre les mains des gens commis par le roi : on prit même quelque chose du thrésor des églises pour payer cette subvention, laquelle paroît être la seule de cette espece qui ait été levée sous la seconde race.

On voit aussi par les actes d'un synode, tenu à Soissons en 853, que les rois faisoient quelquefois des emprunts sur les fiefs de l'Eglise : en effet, Charles le Chauve, qui fut présent à ce synode, renonça à faire ce que l'on appelloit praesturias, c'est-à-dire de ces sortes d'emprunts, ou du moins des fournitures, devoirs, ou redevances, dont les fiefs de l'Eglise étoient chargés.

Les voyages d'outre-mer qui se firent pour les croisades & guerres saintes, furent proprement la source des levées, auxquelles on donna peu de tems après le nom de décimes.

Le premier & le plus fameux de ces voyages, fut celui qui se fit sous la conduite de Godefroi de Bouillon en 1096 ; les ecclésiastiques s'empresserent comme les autres ordres de contribuer à cette sainte expédition.

Louis le Jeune le premier de nos rois qui se croisa, lorsqu'il partit en 1147, fit une levée de deniers sur les ecclésiastiques pour la dispense qu'il leur accorda de faire ce voyage. Ce fait est prouvé par trois pieces que rapporte Duchesne : 1°. un titre de l'abbaye de S. Benoît-sur-Loire, qui porte que cette abbaye fut d'abord taxée à 1000 marcs d'argent, ensuite à 500 ; qu'ensuite on s'accorda à 300 marcs & 500 besans d'or : 2°. par une lettre d'un abbé de Ferriere à l'abbé Suger, alors regent du royaume en l'absence de Louis le Jeune, où cet abbé demande du tems pour payer le restant de sa taxe : 3°. une autre lettre du chapitre & des habitans de Brioude à Louis le Jeune, où ils parlent d'une couronne qu'ils avoient mise en gage pour payer au roi ce qu'ils lui avoient promis.

Une chronique de l'abbaye de Morigny nous apprend encore, qu'Eugene III. étant arrivé en France lorsque le roi étoit sur le point de partir pour la Terre-sainte, les églises du royaume firent tous les frais de son séjour, qui fut fort long, puisque le premier Avril 1148 il tint un concile à Reims.

Il n'est point fait mention d'aucune autre subvention extraordinaire fournie par les ecclésiastiques, jusqu'à la dixme ou décime saladine sous Philippe Auguste, depuis lequel les subventions fournies par le clergé ont été appellées décimes, dons gratuits, & subventions, comme on l'a expliqué aux mots DECIMES & DONS GRATUITS, & qu'on le dira au mot SUBVENTION.

Outre les redevances & subventions que les ecclésiastiques payoient en argent, dès le commencement de la monarchie, ils devoient aussi au roi le droit de gîte ou procuration, & le service militaire.

Le droit de gîte consistoit à nourrir le roi & ceux de sa suite, quand il passoit dans quelque lieu où des ecclésiastiques séculiers ou réguliers avoient des terres ; ils étoient aussi obligés de recevoir ceux que le roi envoyoit de sa part dans les provinces, & les ambassadeurs.

A l'égard du service militaire, ils le devoient comme sujets & comme propriétaires de biens fonds, long-tems avant que l'on connût en France l'usage des fiefs & du service dû par les vassaux.

Hugues abbé de S. Bertin, l'un des fils de Charlemagne, qui étoit général de l'armée de Charles le Chauve son oncle, fut tué dans la bataille qu'il donna près de Toulouse le 7 Juin 844.

Abbon, parlant du siége de Paris par les Normans, dit qu'Ebolus abbé de Saint-Germain-des-Prez, alloit à la guerre avec Golenus évêque de Paris.

Lorsque les ecclésiastiques devinrent possesseurs de fiefs, ce fut un titre de plus pour les obliger au service militaire, comme ils continuerent en effet de le rendre. Dès qu'il y avoit guerre, les églises étoient obligées d'envoyer à l'armée leurs hommes ou vassaux, & un certain nombre de personnes, & de les y entretenir à leurs dépens : les évêques & abbés devoient être à la tête de leurs vassaux.

Il est dit dans les capitulaires, que l'on présenta une requête à Charlemagne, tendante à ce que les ecclésiastiques fussent dispensés du service militaire, & il paroît que c'étoient les peuples qui le demandoient, représentans au roi que les ecclésiastiques serviroient l'état plus utilement en restant dans leurs églises, & s'occupant aux prieres pour le roi & ses sujets, qu'en marchant à l'ennemi & au combat, ce qui confirme que quand ils venoient en personne à l'armée, ils n'étoient pas ordinairement simples spectateurs du combat.

La réponse de Charlemagne fut qu'il accordoit volontiers la demande, mais que de telles affaires devoient être concertées avec tous les ordres.

Les prélats furent cependant dispensés de se trouver en personne à l'armée, à condition d'y envoyer leurs vassaux sous la conduite de quelqu'autre seigneur ; mais les évêques insisterent alors pour continuer à faire le service militaire en personne, craignant que s'ils le cessoient, cela ne leur fît perdre leurs fiefs & n'avilît leur dignité.

Il paroît même que les successeurs de Charlemagne rétablirent l'obligation du service militaire de la part des ecclésiastiques ; on en trouve en effet plusieurs preuves.

Rouillard, en son histoire de Melun, pag. 322. fait mention d'un ecclésiastique, lequel, sous Louis le Débonnaire, en 871, commandoit l'armée des Esclavons.

La chronique manuscrite de l'abbaye de Mouson, fait aussi mention d'Adalberon archevêque de Reims, qui assiégea le château de Vuarch en 971.

Ordericus Vitalis dit sur l'année 1094, que Philippe I. assiégeant la forteresse de Breval, les abbés y conduisirent leurs vassaux, & que les curés s'y trouverent à la tête de leurs paroissiens, chacuns rangés sous leurs bannieres.

Philippe Auguste, en 1209, confisqua les fiefs des évêques d'Auxerre & d'Orléans pour avoir quitté l'armée, prétendant qu'ils ne devoient le service que quand le roi y étoit en personne.

Joinville parle de son prêtre, qui se battoit vaillamment contre les Turcs.

Le pere Thomassin prétend que les évêques & les abbés n'étoient dans les armées, que pour contenir leurs vassaux & troupes à leur solde, & qu'ils ne faisoient pas le service de gens de guerre, ce qui est une erreur ; car outre les exemples que l'on a déjà rapportés du contraire, il est certain que les ecclésiastiques continuerent encore long-tems de servir en personne, & que les plus valeureux se battoient réellement contre les ennemis, tandis que ceux qui étoient plus pacifiques levoient les mains au ciel : ceux qui se battoient, pour ne point tomber en irrégularité en répandant le sang humain, s'armoient d'une massue de bois pour étourdir & abattre ceux contre qui ils combattoient.

Ce fut Guerin, élu depuis peu évêque de Senlis, qui rangea l'armée avant la bataille de Bouvines, en 1214 ; il ne combattit cependant pas de la main à cause de sa qualité d'évêque ; mais Philippe cousin du roi & évêque de Beauvais, se souvenant que le pape l'avoit repris pour s'être déjà trouvé en un autre combat contre les Anglois, assommoit dans celui-ci les ennemis avec une massue, d'un coup de laquelle il terrassa le comte de Salisbury ; il s'imaginoit par ce moyen être à couvert de tout reproche, prétendant que ce n'étoit pas répandre le sang, comme cela lui étoit défendu à cause de sa qualité d'évêque.

Quelques évêques & abbés obtenoient des dispenses de servir en personne, & envoyoient quelqu'un en leur place ; d'autres étoient dispensés purement & simplement du service, comme Philippe Auguste l'accorda en 1200 à l'évêque de Paris, & Philippe III. à Gerard de Moret abbé de S. Germain-des-Prez ; mais nos rois étoient fort retenus dans la concession de ces dispenses, qui tendoient à affoiblir les forces de l'état.

Pour être convaincu de l'usage constant où étoient les ecclésiastiques de faire le service militaire pour leurs fiefs, ou au moins d'envoyer quelqu'un en leur place, il suffit de parcourir les rôles des anciens bans & arriere-bans, qui sont rapportés à la suite du traité de la noblesse par de la Roque, dans lesquels sont compris les évêques, abbés, prieurs, chanoines, & autres bénéficiers, les religieux, & même les religieuses, & cela depuis Philippe Auguste jusque fort avant dans le xjv. siecle.

Philippe le Bel, en 1303, écrivit à tous les archevêques & évêques des lettres circulaires, qu'ils eussent à se rendre avec leurs gens à son armée de Flandres ; & par d'autres lettres de la même année, il demande à tous les gens d'église un secours d'hommes & d'argent à proportion des terres qu'ils possédoient ; il ordonna encore, en 1304, à tous les ecclésiastiques de son royaume, de se trouver en personne à son armée à Arras, ainsi qu'ils y étoient obligés par le serment de fidélité.

De même Philippe V, dans les lettres du 4 Juin 1318, adressées au bailli de Vermandois, dit : Nous vous envoyons plusieurs lettres, par lesquelles nous requérons & semonnons les prélats, abbés, barons, nobles, & autres,.... qu'ils soient en chevaux & en armes appareillés suffisamment selon leur état, & le plus fortement qu'ils le pourront, à la quinzaine prochaine à Arras, &c.

Il y eut encore pendant longtems plusieurs prélats & autres ecclésiastiques, qui faisoient en personne le service militaire qu'ils devoient pour leurs fiefs.

On voit dans les registres de la chambre des comptes, qu'Henri de Thoire & de Villars, étant évêque de Valence & depuis archevêque de Lyon, porta les armes, avec Humbert sire de Thoire & de Villars, son frere aîné, dans les armées de Philippe de Valois en Flandres, dans les années 1337, 1338, 1340, 1341, & 1342, ayant six chevaliers & quatre-vingt-deux écuyers de leur compagnie.

Jean de Meulant évêque de Meaux, se trouva aussi en 1339 & 1340, dans les armées de Flandres.

Renaut Chauveau évêque de Châlons, assista à la bataille de Poitiers où il fut tué ; & Guillaume de Melun archevêque de Sens, y fut fait prisonnier.

A la bataille d'Azincourt, donnée le 25 Octobre 1415, Guillaume de Montaigu archevêque de Sens, qui fut le seul entre les ecclésiastiques qui se trouva en personne à cette journée, fit admirer son grand courage, dont il avoit déjà donné des preuves en d'autres occasions ; il se porta dans celle-ci aux endroits les plus dangereux, & y perdit la vie.

Louis d'Amboise cardinal & évêque d'Alby, s'employa aussi fort utilement au siége de Perpignan l'an 1475.

Dans la suite, au moyen des contributions d'hommes & d'argent que les ecclésiastiques ont fournies, ils ont été peu-à-peu dispensés de servir en personne, & même entierement exemptés du ban & de l'arriere-ban, tant par François I. le 4 Juillet 1541, que par contrat du 29 Avril 1636, sous le regne de Louis XIII.

Depuis le regne de Constantin, les ecclésiastiques ont toûjours été en grande considération chez tous les princes chrétiens, & singulierement en France, où on leur a accordé plusieurs honneurs, distinctions, & priviléges, tant au clergé en corps, qu'à chacun des membres qui le composent.

Le second concile de Mâcon tenu en 585, porte que les laïcs honoreront les clercs majeurs, c'est-à-dire ceux qui avoient reçû le sous-diaconat ou un autre ordre supérieur ; que quand ils se rencontreroient, si l'un & l'autre étoient à cheval, le laïc ôteroit son chapeau ; que si le clerc étoit à pié, le laïc descendroit de cheval pour le saluer.

Une des principales prérogatives que les ecclésiastiques ont dans l'état, c'est de former le premier des trois ordres qui le composent, & de précéder la noblesse dans les assemblées qui leur sont communes ; quoique dans l'origine la noblesse fût le premier ordre, & même proprement le seul ordre considéré dans l'état.

Pour bien entendre comment les ecclésiastiques ont obtenu cette prérogative, il faut observer que les évêques eurent beaucoup de crédit dans le royaume, depuis que Clovis eut embrassé la religion chrétienne ; ils furent admis dans ses conseils, & eurent beaucoup de part au gouvernement des affaires temporelles.

On croit aussi que tous les ecclésiastiques francs & tous ceux qui étoient ingénus & libres, furent admis de bonne-heure dans les assemblées de la nation ; mais c'étoit d'abord sans aucune distinction, c'est-à-dire sans y former un ordre à part.

Ils ne tenoient point non plus alors d'assemblées reglées pour leurs affaires temporelles ; s'ils s'assembloient quelquefois en pareil cas, l'affaire étoit terminée en une ou deux séances. Les assemblées que le clergé tient présentement de tems en tems, n'ont commencé à devenir fréquentes & à prendre une forme reglée, que depuis le contrat de Poissy en 1561. Voyez ce qui en a été dit aux mots CLERGE, DECIME, DON GRATUIT.

Mais si les ecclésiastiques n'étoient pas alors autorisés à tenir de telles assemblées, ils eurent l'avantage d'être admis dans les assemblées de la nation ou parlemens généraux.

Il y avoit trente-quatre évêques au parlement, où Clotaire fit resoudre la loi des Allemands. Les abbés étoient aussi admis dans ces assemblées. Le nombre des ecclésiastiques y étoit quelquefois supérieur à celui des laïcs : c'est de-là que les historiens ecclésiastiques, comme Grégoire de Tours, donnent souvent à ces assemblées le nom de synodes ou conciles.

Mais il paroît que dès le tems de Gontran, on n'appelloit plus aux assemblées que ceux que l'on jugeoit à-propos : en effet, quoiqu'il fût question de juger deux ducs, on n'y appella que quatre évêques. Il est probable qu'on ne les appelloit tous à ces assemblées, que quand quelqu'un d'eux y étoit intéressé.

Ces assemblées ne subsisterent pas long-tems dans la même forme, tant à cause des partages de la monarchie, qu'à cause des entreprises de Charles Martel, lequel irrité contre les ecclésiastiques, abolit ces assemblées pendant les vingt-deux ans de sa domination. Elles furent rétablies par Pepin-le-Bref, lequel y fit de nouveau recevoir les prélats, leur y donna le premier rang ; & par leur suffrage, il gagna tout le monde. Il confia à ces assemblées le soin de la police extérieure ; emploi que les prélats saisirent avec avidité, & qui changea la plûpart des parlemens en conciles.

On distinguoit cependant dès le tems de Charlemagne deux chambres.

L'une pour les ecclésiastiques, où les évêques, les abbés, & les vénérables clercs, étoient reçûs sans que les laïcs y eussent d'entrée : c'étoit-là que l'on traitoit toutes les affaires ecclésiastiques ou réputées telles, dont les ecclésiastiques affecterent de ne point donner connoissance aux laïcs.

L'autre chambre où se traitoient les affaires du gouvernement civil & militaire, étoit pour les comtes & autres principaux seigneurs laïcs, lesquels de leur part n'y admettoient pas non plus les ecclésiastiques ; quoique probablement ceux-ci consultassent, du-moins comme casuistes ou jurisconsultes, pour la décision des affaires capitales, mais sans avoir part aux jugemens.

Ces deux chambres se réunissoient quand elles jugeoient à-propos, selon la nature des affaires qui paroissoient mixtes, c'est-à-dire ecclésiastiques & civiles.

Les ecclésiastiques, tant du premier que du second ordre, s'étant ainsi par leur crédit attribué la séance avant les plus hauts barons, ils siégeoient même audessus du chancelier ; mais le parlement, par un arrêt de 1287, rendit aux barons la séance qui leur appartenoit, & renvoya les prélats & autres gens d'église, dans un rang qui ne devoit point tirer à conséquence.

Philippe V. rendit une ordonnance le 3. Decembre 1319, portant qu'il n'y auroit dorénavant aucuns prélats députés au parlement, le roi se faisant conscience de les empêcher de vaquer au gouvernement de leur spiritualité. Il paroît néanmoins que cette ordonnance ne fut pas toûjours ponctuellement exécutée ; car le parlement, toutes les chambres assemblées le 28 Janvier 1471, ordonna que dorénavant les archevêques & évêques n'entreroient point au conseil de la cour sans le congé d'icelle, ou s'ils n'y étoient mandés, excepté les pairs de France, & ceux qui par privilége ancien y doivent & ont accoûtumé y venir & entrer.

Les évêques qui possedent les six anciennes pairies ecclésiastiques, siegent encore au parlement après les princes du sang, au-dessus de tous les autres pairs laïcs.

Pour ce qui est des conseillers-clercs qui sont admis au conseil du roi, dans les parlemens & dans plusieurs autres tribunaux, ils n'y ont rang & séance que suivant l'ordre de leur réception, excepté en la grand-chambre du parlement de Paris, où ils ont une séance particuliere du côté des présidens à mortier.

Indépendamment de l'entrée & séance qui fut donnée aux ecclésiastiques dans les assemblées de la nation & parlemens, comme ils étoient presque les seuls dans les siecles d'ignorance qui eussent quelque connoissance des lettres, ils remplissoient aussi presque seuls les premieres places de l'état, & celles des autres cours & tribunaux, & généralement presque toutes les fonctions qui avoient rapport à l'administration de la justice.

Tandis qu'ils s'occupoient ainsi des affaires temporelles, le relâchement de la discipline ecclésiastique s'introduisit bien-tôt parmi eux ; ils devinrent la plûpart chasseurs, guerriers, quelques-uns même concubinaires : ils prirent ainsi les moeurs des seigneurs qu'ils avoient supplantés dans l'administration & le crédit. Grégoire de Tours dit lui-même qu'il avoit peu étudié, & on le voit bien à son style.

Quand les ecclésiastiques de quelque ville ou autre lieu, ne pouvoient obtenir des laïcs ce qu'ils vouloient, ils portoient dans un champ les croix, les vases sacrés, les ornemens, & les reliques, formoient autour une enceinte de ronces & d'épines, & s'en alloient. La terreur que cet appareil inspiroit aux laïcs, les engageoit à rappeller les gens d'église & à leur accorder ce qu'ils demandoient. Cet usage ne fut aboli qu'au concile de Lyon, tenu sous Grégoire X. vers l'an 1274.

En France, les ecclésiastiques séculiers étoient en si petit nombre dans les xij. & xiij. siecles, que les évêques étoient obligés de demander aux abbés des moines pour desservir les églises ; ce que les abbés n'accordoient qu'après de grandes instances, & souvent ils rappelloient leurs religieux sans en avertir l'évêque.

On ne parle pas ici des biens d'église ni de leur aliénation, étant plus convenable de traiter ces objets sous le mot EGLISE.

Pour ce qui est des priviléges des ecclésiastiques dont on a déjà touché quelques points, ils consistent :

1°. Dans ce qu'on appelle le privilége de cléricature proprement dit, ou le droit de porter devant le juge d'église les causes où ils sont défendeurs. Voyez CLERICATURE, JUGE D'EGLISE, JURISDICTION ECCLESIASTIQUE, & PRIVILEGE.

2°. Ils ne sont point justiciables des juges de seigneur en matiere de délits, mais seulement du juge d'église pour le délit commun, & du juge royal pour le cas privilégié. Voyez CAS PRIVILEGIE & DELIT COMMUN.

3°. Ils sont assimilés aux nobles pour l'exemption de la taille, & pour plusieurs autres exemptions qui leur sont communes ; ils sont exempts de logement de gens de guerre, de guet, & garde, &c.

4°. Les ecclésiastiques constitués aux ordres sacrés de prêtrise, diaconat, & sous-diaconat, ne peuvent être exécutés en leurs meubles destiné au service divin ou servant à leur usage nécessaire, de quelque valeur qu'ils puissent être, ni même en leurs livres qui doivent leur être laissés jusqu'à la somme de cent cinquante livres. Ordonn. de 1667, tit. xxxiij. art. 15.

5°. La déclaration du 5 Juillet 1696, fait défense d'emprisonner les prêtres & autres ecclésiastiques pour dettes & choses civiles ; & celle du mois de Juillet 1710, ordonne, à l'égard de ceux qui sont dans les ordres sacrés, qu'ils ne pourront être contraints par corps au payement des dépends des procès dans lesquels ils succomberont.

Le 32e canon du concile d'Agde, tenu en 506, excommunie les laïcs qui auront intenté quelque procès à un ecclésiastique, s'ils perdent leur cause : mais cela ne s'observe point.

Les canons défendent aussi aux ecclésiastiques de se mêler d'aucune affaire séculiere ; & en conséquence ils ne peuvent faire aucune fonction militaire, ni de finance, ni faire commerce d'aucunes marchandises : mais ils peuvent, suivant notre usage, faire les fonctions de juges tant dans les tribunaux ecclésiastiques, que dans les tribunaux séculiers, nonobstant une loi contraire faite par Arcadius, & insérée au code de Justinien, laquelle n'est point observée, non plus que la disposition des decrétales, qui leur défend de faire la fonction de juges dans les tribunaux séculiers.

Ils peuvent aussi faire la fonction d'avocats dans tous les tribunaux séculiers ou ecclésiastiques, en quoi notre usage est encore contraire au droit canon.

On n'observe pas non plus parmi nous les décrets des papes, qui défendent aux ecclésiastiques d'étudier en droit civil, les magistrats qui sont ecclésiastiques devant auparavant être reçus avocats, & par conséquent gradués in utroque jure.

Aucun de ceux qui sont engagés dans l'état ecclésiastique, ne peut présentement être marié ; mais pour savoir les progrès de la discipline à ce sujet, on renvoye au mot CELIBAT, où cette matiere a été savamment traitée.

On peut aussi voir au mot CLERC ce qui concerne l'habillement des ecclésiastiques, & plusieurs autres points de leur discipline.

Il y a eu beaucoup de réglemens faits par rapport aux moeurs des ecclésiastiques, & à la pureté qu'ils doivent observer, jusque-là que S. Lucius pape leur défendit d'aller seuls au domicile d'une femme.

Aux états de Languedoc en 1303, le tiers état fit de grandes plaintes sur certaines jeunes femmes que les curés retenoient auprès d'eux, sous le nom de comeres. Annales de Toulouse, par la Faille ; hist. des ouv. des Sav. Septemb. 1688. Pour prévenir tous les abus & les scandales, les conciles ont défendu aux ecclésiastiques d'avoir chez eux des personnes du sexe qu'elles ne soient âgées au moins de 50 ans.

Le concile de Bordeaux, tenu en 1583, est un de ceux qui entre dans le plus grand détail sur ce qui concerne la modestie & la régularité des ecclésiastiques dans leurs habits, les jeux dont ils doivent s'abstenir, les professions & fonctions peu convenables à leur état ; le grand soin qu'ils doivent avoir de ne point garder chez eux des personnes du sexe, capables de faire naître des soupçons sur leur conduite. Il décerne plusieurs peines contre les ecclésiastiques qui après en avoir été avertis, persisteront à retenir chez eux ces sortes de femmes.

Pour ce qui concerne le jeu spécialement, le droit canon, les conciles de Sens en 1460, 1485, & 1528, ceux de Toulouse & de Narbonne, & les statuts synodaux de plusieurs diocèses, leur défendent expressément de joüer avec les laïcs à quelque jeu que ce soit ; de joüer en public à la paume, au mail, à la boule, au billard, ni autre jeu qui puisse blesser la gravité de leur état, même d'entrer dans aucun lieu public pour y voir joüer. Ceux qui n'ont d'autre revenu que celui de leur bénéfice, ne doivent point joüer du tout, attendu que ce seroit dissiper le bien des pauvres.

Les honoraires des ecclésiastiques ont été fixés par plusieurs réglemens, qui sont rapportés par Bruneau en son traité des criées, pag. 503.

L'article 27 de l'édit de 1695, dit que le réglement de l'honoraire des ecclésiastiques appartiendra aux archevêques & évêques, & que les juges d'église connoîtront des procès qui pourront naître sur ce sujet entre des personnes ecclésiastiques. Ce même article exhorte les prélats, & néanmoins leur enjoint d'y apporter toute la modération convenable, de même qu'aux rétributions de leurs officiaux, secrétaires, & greffiers des officialités.

Il y a eu un réglement fait par Mr. l'archevêque de Paris, pour l'honoraire des curés & autres ecclésiastiques de la ville & fauxbourgs de Paris ; ce réglement a été homologué par un arrêt du 10 Juin 1693. Voyez CLERC, CLERGE, CLERICATURE, CURES, & ci-après EGLISE, EVEQUES, PRELATS, PRETRE, &c. (A)

ECCLESIASTIQUES (bénéfices), voyez BENEFICES.

ECCLESIASTIQUES (biens), voyez EGLISE.

ECCLESIASTIQUES (cas ou délits), voyez DELIT COMMUN.

ECCLESIASTIQUES (censures), voyez CENSURE.

ECCLESIASTIQUES (chambres), sont les chambres des décimes ou bureaux diocésains, & les chambres souveraines du clergé ou des décimes. Voyez DECIMES.

ECCLESIASTIQUE (comput), voyez COMPUT.

ECCLESIASTIQUE (délit), voyez DELIT COMMUN.

ECCLESIASTIQUE (discipline), voyez DISCIPLINE, CLERC, CLERICATURE, CLERGE.

ECCLESIASTIQUE (dixme), voyez DIXME.

ECCLESIASTIQUE (état), voyez ci-après ETAT.

ECCLESIASTIQUE (habit), voyez CLERC & HABIT.

ECCLESIASTIQUE (jurisdiction), voyez JURISDICTION.

ECCLESIASTIQUE (ordre), voyez CLERGE, ETAT ECCLESIASTIQUE, & ORDRES SACRES.

ECCLESIASTIQUE (patronage), voyez PATRONAGE.

ECCLESIASTIQUE (province), voyez DIOCESE, METROPOLE, & PROVINCE. (A)


ECCOPROTIQUESadj. pris subst. (Medec.) c'est ainsi qu'on designe les purgatifs doux, qui débarrassent seulement les intestins des excrémens qui y sont retenus.


ECDIQUES. m. (Hist. anc.) espece de magistrat dont les fonctions dans les villes greques, n'étoient pas éloignées de celles qui sont exercées dans nos villes, par les officiers qu'on y appelle syndics. L'église de Constantinople avoit des ecdiques ; mais il ne nous reste aucune notion des emplois qu'ils y avoient. Nous savons seulement qu'ils étoient soûmis à un chef appellé protecdique.


ECDYSIESadj. pris subst. (Myth.) fêtes que les habitans de Phesto en Crete célébroient en l'honneur de Latone, & en mémoire du miracle qu'elle avoit fait en la personne d'une jeune fille qu'elle avoit changée en garçon, à la priere fervente de sa mere. Cette jeune Crétoise, qui avoit miraculeusement éprouvé les avantages des deux sexes, étoit fille de Galatée & de Lamprus ; elle mourut sous l'habit d'homme.


ÉCHAFAUDS. m. (Hist. mod.) assemblage de bois de charpente élevé en amphithéatre, qui sert à placer commodément ceux qui assistent à quelque cérémonie.

Ce mot vient de l'allemand schawhaus, échafaud, composé de schawen, regarder, & de haus, maison : Guyet le dérive de l'italien catafalco, qui signifie la même chose : Ducange le fait venir du latin echafaudus, de la basse latinité, qui veut dire un tribunal ou un pupitre : d'autres disent qu'il vient de cata, machine de bois qui servoit à porter de la terre pour remplir des fossés, lorsque l'on vouloit donner un assaut ; de-là les Italiens ont formé catafalco, & les Anglois scaffold ; les moines scaffaldus, & les François échafaud. Dictionn. de Trév. Etymol. & Chambers.

ÉCHAFAUD, (Architecture) est un assemblage de planches soûtenu par des cordes, ou par des pieces de bois enfoncées dans le mur, dont se servent les Peintres, les Masons, les Sculpteurs, &c. lorsqu'ils travaillent à des lieux élevés : ces échafauds s'appellent volans.

On les fait aussi quelquefois monter de fond, c'est-à-dire pratiqués avec des pieces de bois qui vont depuis le sol jusqu'au sommet de l'édifice, que l'on tient plus ou moins solides, selon le fardeau qu'ils ont à porter ; ou bien seulement avec des boulins, des échasses, des écoperches, &c. On dit échafauder, & on appelle échafaudage l'union de toutes ces différentes pieces de bois réunies ensemble. (P)

ÉCHAFAUD, (Marine & Pêche) lorsqu'on veut calfater ou donner le suif à un vaisseau, on fait avec des pieces de bois & des planches, une espece de plancher que l'on suspend avec des cordes sur les côtés du vaisseau, sur lequel se mettent les ouvriers & les calfats, & qu'ils appellent échafaud.

On donne aussi le nom d'échafaud aux endroits que l'on bâtit avec des planches sur le bord de la mer dans l'Amérique septentrionale, soit aux côtes de Terre-neuve ou ailleurs, pour y accommoder les morues que l'on veut faire sécher. (Z)

ÉCHAFAUD, terme de Riviere & de Commerce de bois, petite échelle double posée sur chaque part d'un train, sur laquelle montent les compagnons de riviere, afin qu'au passage des pertuis ils ne soient point dans l'eau.


ECHAFAUDAGES. m. (Gramm.) il s'entend & de l'action de dresser son échafaud, & des pieces destinées à cet échafaud.

ECHAFAUDAGE, terme de Riviere, c'est l'assemblage des pieux nécessaires pour dresser des échafauds. Voyez ÉCHAFAUD.


ECHALASmorceaux de coeur de chêne refendus quarrément par éclats d'environ un pouce de gros, & planés ou rabotés, qu'on navre quand ils ne sont pas droits. Il s'en fait de différentes longueurs ; ceux de quatre pieds & demi servent pour les contr'espaliers & haies d'appui ; & ceux de huit à neuf piés, ou de douze, &c. pour les treillages. En latin, pedamen. (P)


ECHALASSERv. act. (Oeconom. rustiq.) c'est attacher aux échalas ; on le pratique en beaucoup d'endroits aux seps des vignes, voyez l'art. VIGNE. On stipule dans les baux que les vignes seront rendues fumées, échalassées & en bon état.


ECHALIERS. m. (Oecon. rust.) clôture champêtre ; elle est faite de fagots fichés en terre, & liés ensemble par des gros osiers ou d'autres menus bois flexibles.


ECHALOTEascalonia, s. f. (Hist. nat. & Jardinage) cette racine bulbeuse a l'odeur de l'ail, mais un peu moins forte ; elle pousse des tiges creuses & des feuilles longues qui ont le goût de leurs racines. Ses fleurs, en paquets, sont composées de six feuilles rangées en fleur-de-lys, auxquels succedent des fruits ronds remplis de semences.

Les échalotes sont très-employées par les cuisiniers dans leurs ragoûts, & il y a peu de sauces où il n'y en entre.

On multiplie l'échalote par le moyen des gousses ou cayeux qui viennent dans le tour de son pié.

Il y en a une espece appellée échalote d'Espagne, dont les tubercules se nomment rocamboles. Voyez ROCAMBOLE.

Cette plante doit être rapportée au genre des oignons. Voyez OIGNON. (K)

ECHALOTE, (Diete) l'échalote possede exactement les mêmes propriétés que l'ail, mais dans un degré un peu inférieur. Voyez AIL.


ECHAMPEAUS. m. (Pêche) extrémité de la ligne où l'on attache l'hameçon dans la pêche des morues.


ECHAMPERv. act. (Peinture) c'est terminer les contours d'une figure, & les détacher d'avec le fond.


ECHANCRURES. f. (Art méchan.) configuration introduite par l'art ou par la nature, ou par un accident, dans quelque corps dont on a enlevé, ou dont il semble qu'on ait soustrait une portion circulaire ou à-peu-près ; ainsi il y a des os dont l'anatomiste dit que les bords sont échancrés, il dit les échancrures des vertebres, de l'os sphénoïde, de l'omoplate, de l'os maxillaire, &c. Le tailleur échancre son étoffe au ciseau en plusieurs endroits, par exemple, à celui où il doit ajuster les manches. L'entaille a toutes sortes de figures, convient à toutes sortes de substances, & ne se dit point des choses naturelles. L'encoche est angulaire, & ne se dit point des métaux : l'encoche & le cran ont la même figure, mais le cran se dit des métaux, & des autres substances sur lesquelles l'encoche peut avoir lieu.


ECHANDOLES. f. (Couvr.) petit ais de merrein dont on couvre les maisons en différens lieux de France.


ECHANGES. m. (Commerce) troc que l'on fait d'une chose, d'une marchandise contre une autre.

Le premier commerce ne s'est fait que par échange des choses en nature, & ce négoce subsiste encore dans le fond du Nord & en Amérique. Voyez COMMERCE.

Le commerce des lettres de change n'est même qu'un négoce de pur échange, un vrai troc d'argent contre d'autre argent. Voyez LETTRE DE CHANGE.

Echange se dit aussi parmi les gros négocians, surtout entre ceux qui trafiquent avec l'étranger d'une espece d'adoption mutuelle, mais seulement à tems, qu'ils font des enfans les uns des autres ; ce qui arrive, par exemple, quand un marchand de Paris voulant envoyer son fils à Amsterdam pour s'y instruire du commerce de Hollande, son correspondant dans cette derniere ville a pareillement un fils qu'il a dessein de tenir quelque tems à Paris pour apprendre le commerce de France. Ces deux amis font alors un échange de leurs enfans, qu'ils regardent ensuite chacun comme le sien propre, soit pour l'entretien, soit pour l'instruction. Voyez les dictionn. du Comm. de Trév. & Chambers. (G)


ECHANGERTROQUER, PERMUTER, syn. (Gram.) ces trois mots désignent l'action de donner une chose pour une autre, pourvû que l'une des deux choses données ne soit pas de l'argent ; car l'échange qui se fait avec de l'argent s'appelle vente ou achat. On échange les ratifications d'un traité, on troque des marchandises, on permute des bénéfices. Permuter est du style du palais ; troquer, du style ordinaire & familier ; échanger, du style noble. Permutation se dit aussi en Mathématique, des changemens d'ordre qu'on fait souffrir à différentes choses que l'on combine entr'elles. Voyez ALTERNATION, COMBINAISON, RMUTATIONTION. (O)


ECHANSON(GRAND) s. m. Hist. mod. Cet officier se trouve & a rang aux grandes cérémonies, comme à celle du sacre du roi, aux entrées des rois & reines, aux grands repas de cérémonies, & à la cour le jeudi-saint, de même que le grand pannetier & le premier écuyer tranchant. Voyez GRAND PANNETIER & ECUYER TRANCHANT.

Les fonctions que remplissent ces trois officiers dans ces jours de remarque, sont celles que font journellement les gentilshommes servans ; mais ces derniers ne dépendent ni ne relevent point des premiers.

Le grand-échanson a succédé au bouteiller de France, qui étoit l'un des grands officiers de la couronne & de la maison du roi. Voyez BOUTEILLER DE FRANCE, au mot BOUTEILLER.

Hugues bouteiller de France en 1060, signa à la cérémonie de la fondation du prieuré de S. Martin des Champs à Paris ; & un Adam, en qualité d'échanson, signa en 1067 à la cérémonie de la dédicace de cette même église. Il y avoit un échanson de France en 1288, & un maître échanson du roi en 1304, dans le même tems qu'il y avoit des bouteillers de France. Erard de Montmorency échanson de France, le fut en 1309 jusqu'en 1323, de même que Gilles de Soyecourt en 1329, & Briant de Montejean depuis 1346 jusqu'en 1351, quoiqu'il y eût aussi alors des bouteillers de France. Jean de Châlons III. du nom, comte d'Auxerre & de Tonnerre, est le premier qui ait porté le titre de grand-bouteiller de France : il l'étoit en 1350 au sacre du roi Jean. Il continua d'y avoir des échansons ; & Guy seigneur de Cousan prenoit la qualité de grand-échanson de France en 1385, Enguerrand sire de Coucy étant en même tems grand-Bouteiller. En 1419 & 1421 il y avoit deux grands-échansons & un grand-bouteiller ; mais depuis Antoine Dulau seigneur de Châteauneuf, qui vivoit en 1483, revêtu de la charge de grand-bouteiller, il n'est plus parlé de cet office, mais seulement de celui de grand-échanson. La charge de grand-échanson est possédée actuellement, depuis le 28 Mai 1731, par André de Gironde comte de Buron, lieutenant général au gouvernement de l'Isle de France. (G)


ECHANSONNERIES. f. (Hist. mod.) lieu où s'assemblent les officiers qui ont soin de la boisson du roi, & où elle se garde. Il y a l'échansonnerie bouche, & l'échansonnerie du commun : la premiere fait partie de l'office qu'on appelle le gobelet ; elle a son chef qu'on appelle aussi chef de gobelet.


ECHANTIGNEUou ECHANTIGNOLE, s. f. terme de Charron, ce sont des morceaux de bois longs d'environ un pié, de l'épaisseur de trois pouces, qui sont emmortoisés pour recevoir l'essieu en-dessous, & qui servent pour l'assujettir & le tenir en place. Voyez les Planches du Sellier.


ECHANTIGNOLES. f. (Charp.) ce sont des pieces qui soûtiennent les tassaux, voyez TASSAUX. Il faut qu'elles soient embrevées, voy. EMBREVER, dans une entaille faite quarrément sur l'arbalétrier, voyez ARBALETRIER, à la profondeur d'environ un pouce par-en-bas, & bien arrêtées avec des chevilles de bois.


ECHANTILLERv. act. (Jurispr.) confronter un poids avec l'étalon ou l'original. Voyez ESCANDILLONAGE. (A)


ECHANTILLONS. m. (Gramm. & Jurisprud.) signifie un modele déterminé par les réglemens, & conservé dans un lieu public, pour servir à régler tous les poids & mesures dont les marchands se servent pour fixer la forme & qualité de certaines marchandises qu'ils débitent. Voyez ci-devant ECHANTILLER, ECHANTILLONNER, & ci-après ESCANDILLONAGE, ETALON. (A)

ECHANTILLON, c'est, dans l'Artillerie, une piece de bois garnie de fer d'un côté, sur lequel sont taillées les différentes moulures du canon : on s'en sert pour marquer ces moulures sur le moule du canon, en faisant tourner ce moule sous l'échantillon, par le moyen d'un moulinet attaché au bout du trousseau. Voyez TROUSSEAU & CANON. (Q)

ECHANTILLON, (Commerce) terme qui dans le commerce en général a plusieurs significations applicables à différentes parties du négoce.

ECHANTILLON, est la contre-partie de la taille sur laquelle les marchands en détail marquent avec des hoches ou incisions, la quantité des marchandises qu'ils vendent à crédit.

ECHANTILLON signifie quelquefois mesure, grandeur : on dit des bois, des tuiles du grand, du petit échantillon ; de semblable, de différent échantillon.

ECHANTILLON se dit d'une certaine mesure réglée par les ordonnances pour diverses sortes de marchandises. Il y a des échantillons pour le bois de charpente & de chauffage, d'autres pour les pavés de grès, d'ardoise, &c. On appelle bois d'échantillon, pavés d'échantillon, ceux qui sont conformes à cette mesure. Dictionn. du Commerce & Chambers.

ECHANTILLON, (Mettre d') Fonderie en plomb. Voyez l'Article DRAGEE.

ECHANTILLON, outil d'Horloger ; il sert à égaler les dents des roues de rencontre.

Cet outil représenté Pl. XVI. fig. 63. d'Horlogerie, est composé de deux branches A B, A C, qui tendent toûjours à s'écarter l'une de l'autre par leur ressort, & qui sont contenues à une distance déterminée par la vis V.

Voici comme on s'en sert. Ayant fait approcher les deux branches assez près l'une de l'autre pour que l'extrémité F de celle qui est marquée B, passe par-dessous l'autre au moins au-delà du point d, on le pose ensuite sur une des pointes des dents de la roue de rencontre, ensorte que cette pointe s'appuie contre l'angle d ; alors, au moyen de la vis V, on éloigne ou l'on approche la branche B, jusqu'à ce que sa partie B aille raser & frotter imperceptiblement la pointe de la dent voisine. La distance entre le point d & l'extrémité B étant ainsi rendue égale à la distance entre deux pointes de dents, on présente de nouveau l'instrument à d'autres dents, pour voir si leurs distances sont les mêmes ; si elles ne le sont pas, on tâche de les rendre égales par les moyens ordinaires, & on continue de représenter l'échantillon, jusqu'à ce que son extrémité B rase également toutes les pointes des dents de la roue. Cette opération est fort délicate, & cependant fort nécessaire ; car il est de la plus grande conséquence que les dents d'une roue de rencontre soient bien égales, afin qu'on puisse avoir des palettes larges & un échappement un peu juste, sans craindre cependant que la montre arrête par les accrochemens. Voyez ACCROCHEMENT, ECHAPPEMENT. (T)

ECHANTILLON, à la Monnoie, est l'étalon ou poids original de l'hôtel des monnoies de Lyon ; ce que la cour des monnoies de Paris appelle étalon original. Voyez ETALON.

ECHANTILLON, (Rubanier & autres Arts méchan.) se dit d'une petite longueur de quelqu'ouvrage que ce soit ; laquelle longueur est suffisante pour laisser voir entier au moins le dessein qu'il représente.


ECHANTILLONNERou ECHANTILLER, (Jurispr.) c'est confronter des poids ou mesures avec l'étalon ou original. Voyez ESCANDILLONAGE, & ci-après ETALON. (A)

ECHANTILLONNER, v. act. (Comm.) c'est couper les échantillons d'une piece d'étoffe, pour les faire voir aux marchands ou aux acheteurs.

Il signifie aussi couper des morceaux de drap des pieces qui viennent de la teinture, pour en faire le débouilli. Voyez TEINTURE.

Les maîtres & gardes Drapiers ont ce droit, & c'est à eux de faire échantillonner les draps, c'est-à-dire d'en faire couper des échantillons pour les mettre à l'épreuve du débouilli. Dictionn. de Comm. de Trév. & Chambers. (G)


ECHANVROIRS. m. (Oecon. rust.) planche haute d'environ trois piés, & assemblée debout avec quelque morceau de bois. On prend le chanvre ou le lin poignée à poignée, on l'appuie sur cette planche, & on le bat avec une espece de couteau de bois d'éclisse qui en sépare les chenevottes, & rend la filasse lisse & belle. Il y a des échanvroirs de fer en forme de couprets émoussés.


ECHAPPADES. f. mot qui n'est dans aucun dictionnaire, & qui est cependant fort usité parmi les Graveurs en bois. C'est l'action ou l'accident d'enlever quelque trait avec le fermoir, en dégageant les contours d'une planche gravée, soit parce que l'outil est entraîné dans le fil du bois, soit parce que ce trait n'aura pas été assez dégagé à sa base par le dégagement fait avec la pointe à graver, ou qu'on aura trop pris d'épaisseur de bois avec le fermoir, ou bien parce qu'on n'aura pas eu soin d'appuyer le pouce de la main qui tient l'outil, contre celui de la main gauche, en dégageant, pour le tenir en respect, & par ce moyen éviter l'échappade. L'échappade a lieu aussi avec la gouge, quand on n'a pas la précaution d'appuyer le pouce droit contre le gauche, comme l'on vient de dire, ou quand on baisse trop horisontalement cet outil : alors il échappe en vuidant, & va tout à-travers la gravure faire breche à quantité de traits, de tailles ou de contours ; accident d'autant plus desagréable, que n'y ayant d'autre remede que de mettre aux places ébrechées de petites pieces, il est presqu'impossible, sur-tout à des ouvrages délicatement gravés, qu'il n'y paroisse pas, si ce n'est aux premieres impressions, du moins à celles qui suivront, quand la planche aura été lavée, parce que l'eau fait renfler la piece plus que la superficie de la planche ; de sorte que, quelque bien ajustée qu'elle ait été, il se forme presque toûjours à l'estampe un trait blanc autour de cette piece, ce qui gâte la gravure. Voyez PIECES. Cet article est de M. PAPILLON, Graveur en bois.


ECHAPPÉadj. synon. (Gramm.) Nous croyons devoir avertir ici que ces mots, est échappé, a échappé, ne sont nullement synonymes. Le mot échappé, quand il est joint avec le verbe est, a un sens bien différent de celui qu'il a lorsqu'il est joint au verbe a : dans le premier cas il désigne une chose faite par inadvertance ; dans le second une chose non faite par inadvertance ou par oubli. Ce mot m'est échappé, c'est-à-dire j'ai prononcé ce mot sans y prendre garde : ce que je voulois vous dire m'a échappé, c'est-à-dire j'ai oublié de vous le dire ; ou dans un autre sens, j'ai oublié ce que je voulois dire.

S'EVADER, S'ENFUIR & S'ECHAPPER, different en ce que s'évader se fait en secret ; s'échapper suppose qu'on a déjà été pris, ou qu'on est près de l'être ; s'enfuir ne suppose aucune de ces conditions : on s'échappe des mains de quelqu'un, on s'évade d'une prison, on s'enfuit après une bataille perdue. (O)

ECHAPPE, (Marechallerie & Manége) se dit en parlant d'un cheval provenant de race de cheval anglois, barbe, espagnol, &c. & d'une jument du pays ; ainsi nous disons un échappé d'anglois, d'espagnol, de barbe, &c. Voyez HARAS : en ce cas le terme échappé est substantif.

Nous l'employons comme adjectif lorsqu'il s'agit de désigner un cheval qui s'est dégagé par quelque moyen que ce soit des liens qui le tenoient attaché, soit qu'il se soit délicoté, soit qu'il ait pû se dérober à l'homme qui le conduisoit en main.

Il est nombre de chevaux très-sujets à s'échapper dans l'écurie, après s'être délivrés de leurs licous. Il seroit sans doute superflu de détailler ici la multitude des accidens qui peuvent en résulter ; nous nous contenterons d'observer que le licou dont on doit se servir par préférence à tout autre, eu égard à l'animal qui a contracté cette mauvaise habitude, est un licou de cuir à doubles-sous-gorges qui se croisent (voyez LICOU). Quant à celui que l'on mene en main & qui s'échappe, son évasion ne peut le plus souvent être attribuée, ou qu'à la négligence de celui qui le conduit, ou qu'à l'assujettissement dans lequel il le tient. Dans le premier cas le palefrenier ou le cavalier marchent sans attention, & n'ont dans leur main que le bout ou l'extrêmité des rênes ou de la longe, de maniere que si le cheval est trop vif ou trop gai, ou si quelqu'objet l'effraye, il fait plusieurs pointes, & peut estropier l'homme qui est à cheval ou à pié ; d'autres fois il se jette en-arriere, & tire si fort en se cabrant ou sans se cabrer, que la crainte saisit le palefrenier, ou que le cavalier monté sur un autre cheval est dans le risque évident de tomber, & c'est ainsi qu'on le lâche & qu'on l'abandonne. Ceux qui le contraignent trop, qui le menent la longe ou les rênes trop raccourcies, principalement les palefreniers qui empoignent grossierement les branches du mords, & les rapprochent en les serrant de maniere à blesser l'animal, & qui de plus le fixent sans cesse en se retournant, s'exposent aux mêmes inconveniens : pour les éviter, on doit observer un milieu entre le trop de gêne & le trop de liberté. L'homme qui est à cheval & qui est muni de la longe, en laissera à l'animal une juste longueur. Dès qu'il s'approchera trop de lui, il l'en éloignera ; dès qu'il s'en éloignera trop, il l'en rapprochera, non en le tirant tout d'un coup, mais en le retenant legerement, en rendant ensuite & en le ramenant ainsi insensiblement. Lorsqu'il employe une force subite, l'animal en oppose une plus grande, qui l'emporte bien-tôt. A l'égard du palefrenier, il tiendra les rênes d'une main, au-dessous des boucles qui empêchent qu'elles ne sortent & se dégagent des anneaux fixés au bas des branches par un touret, & de l'autre par leurs extrémités. Dans cet état son bras étant éloigné de son corps, & sa main élevée à une hauteur non excessive, mais proportionnée, il marchera droit devant lui, sans jamais envisager, s'il m'est permis d'user ici de cette expression, le cheval qui lui sera confié. S'il sent que l'animal commence à tirer, il résistera dans le moment, & lui cédera aussi-tôt après ; il résistera de nouveau, cédera encore, & le vaincra par ce moyen, quel que soit le genre de défenses qu'il médite. Du reste, comme il est très-peu de palefreniers en état de ménager une bouche, & que l'on doit sans cesse appréhender & redouter les saccades de leur part, il faut dégourmer le cheval pour en diminuer les effets, toûjours plus funestes lorsque ce second point de résistance n'est pas supprimé, & fixe plus violemment l'appui de l'embouchure sur les barres. (e)


ECHAPPÉEsub. f. en Architecture, se dit d'une hauteur suffisante pour passer facilement au-dessous de la rampe d'un escalier, pour descendre ou monter. En latin, diverticulum. (P)


ECHAPPEMENTS. m. (Horlogerie) c'est une partie essentielle des horloges ; il se dit en général de la méchanique par laquelle le régulateur reçoit le mouvement de la derniere roue, & ensuite le suspend ou réagit sur elle, afin de modérer & regler le mouvement de l'horloge.

Les artistes distinguent deux sortes d'échappemens ; dans les uns, dont l'origine est très-ancienne & même inconnue, la roue de rencontre agit continuellement sur le régulateur, soit pour en accélérer, soit pour en retarder la vîtesse : dans les autres, elle n'agît que pour accélérer les vibrations, & non pour les retarder, si ce n'est par les frottemens. Les roues & les aiguilles des horloges où les premiers sont employés, ont un mouvement retrograde à chaque vibration, en conséquence de quoi on les a nommés échappemens à recul : celles des horloges où l'on fait usage des derniers, ont toûjours un mouvement progressif, excepté que chaque vibration est suivie d'un petit repos, ce qui les a fait nommer échappemens à repos ; ceux-ci doivent leur naissance à l'invention du ressort spiral & du pendule, & peuvent s'appliquer en général à tous les régulateurs qui font des vibrations sans le secours de la force motrice. Leur disposition est telle, qu'elle ne peut avoir lieu pour les régulateurs, qui, comme le simple balancier, ne font des vibrations qu'à l'aide d'un moteur étranger ; c'est ce que l'on concevra facilement par les descriptions suivantes.

Le but que les habiles artistes se proposent dans un échappement quelconque, c'est d'obvier aux défauts qui peuvent se rencontrer dans la puissance régulatrice & dans la force qui entretient son mouvement : c'est dans cette vûe qu'ils disposent ces échappemens, de façon que le régulateur étant donné, il devienne aussi puissant & aussi actif qu'il est possible, & qu'il éprouve dans ses vibrations le moins de frottement qu'il se peut.

Les Horlogers ont aussi égard, dans la construction de leurs échappemens, à l'espece de régulateur qu'ils employent ; par exemple, les petits arcs d'un pendule approchant beaucoup plus de l'isochronisme que les grands, les artistes intelligens font ensorte que l'échappement d'un pendule ne permette que de très-petits arcs ; les grandes oscillations s'achevant en plus de tems que les petites, ils tâchent aussi de compenser par la même voie les erreurs qui pourroient naître de ces différences. Si l'horloge est destinée à éprouver du mouvement, ils font encore leurs efforts pour que son échappement la rende peu susceptible de variations par cette cause ; s'ils prévoyent qu'elle doive se trouver dans différentes situations, comme une montre qui tantôt est pendue, tantôt sur le fond de sa boite, & quelquefois sur le crystal, ils disposent l'échappement de maniere qu'il ne soit sujet à aucun changement par ces différentes positions.

Les savans horlogers n'apportent pas de moindres attentions, pour que leur roüage soit peu fatigué par le régulateur : cela donne à leur horloge d'excellentes propriétés ; elle en devient plus durable, l'état de la machine reste plus constant, plus uniforme, & elle est par conséquent susceptible d'une plus grande régularité : ce sont des avantages considérables, qui se rencontrent particulierement dans les échappemens à repos.

Les quatre échappemens dont on fait aujourd'hui le plus d'usage, réunissant assez parfaitement toutes les propriétés dont nous venons de parler, nous nous bornerons à leur description, sans entrer dans un détail inutile sur tous ceux qu'on a imaginés ou qu'on pourroit imaginer d'après les mêmes principes ; tous ces échappemens, quoique différens en apparence des quatre premiers, étant toûjours les mêmes pour le fond.

Description de l'échappement ordinaire ou à verge. Le plus ancien des échappemens, qui est en même tems le plus communément usité dans les montres, passe avec justice pour une des plus subtiles inventions que la méchanique ait produit. La roue de rencontre (figure 27.) est posée de telle sorte, que son axe coupe perpendiculairement la tige du balancier ; sur cette tige, à laquelle on a donné le nom de verge, s'élevent deux petites ailes ou palettes qui forment entr'elles un angle d'environ 90 degrés. Elles viennent s'engager dans les dents de la roue, dont le nombre est impair, afin que l'axe du balancier répondant par sa partie supérieure, par exemple, à une de ces dents, il réponde par l'inférieure au point opposé entre deux de ces mêmes dents.

Effet de cette construction. La montre étant remontée, la pointe de la dent qui appuie sur l'une des palettes, la fait tourner jusqu'à ce qu'elle la quitte, pendant que la seconde palette, qui ne trouve aucun obstacle, s'avance en sens contraire dans les dents opposées, & rencontre la plus voisine de ces dents, au même instant ou un peu après que la premiere palette est abandonnée ; alors le régulateur, par son mouvement acquis, fait retrograder la roue de rencontre & tous les autres mobiles, ce qu'il continue de faire, jusqu'à ce qu'ayant consumé toute sa force, il céde enfin à l'action de la roue, qui pour lors le chasse de nouveau, en agissant sur la seconde palette comme elle avoit fait sur la premiere ; il en est ainsi du reste des dents.

Par cette disposition, le régulateur ne permet aux roues de se mouvoir, qu'autant qu'elles le mettent elles-mêmes en mouvement, & lui font faire des vibrations. Il suit de cette construction, 1°. que le balancier, ou tout autre modérateur, apporte une resistance au roüage, qui l'empêche de céder trop rapidement à l'action de la force motrice : 2°. que les roues (abstraction faite de l'action du roüage) s'échappant plus ou moins vîte, selon la masse du régulateur ou le nombre de ses vibrations, on peut toûjours déterminer par-là celles qui portent les aiguilles, à faire un certain nombre de tours dans un tems donné : enfin par le moyen de cet échappement, lorsque le régulateur a été mis en mouvement par la force motrice, il réagit sur les roues, & les fait retrograder proportionnellement à la force qui lui a été communiquée ; d'où il résulte une sorte de compensation dans le mouvement des montres, indépendamment même du ressort spiral, la plus grande force motrice du roüage qui devroit les faire avancer, étant toûjours suivie d'une plus grande réaction du balancier qui tend à les faire retarder.

Nous pourrions entrer ici dans un examen purement théorique de la nature de cet échappement, & de la maniere la plus avantageuse de le construire ; mais comme dans les échappemens en général, & dans celui-ci en particulier, il se mêle beaucoup de choses qu'il est très-difficile, pour ne pas dire impossible, de déterminer théoriquement, telles que les variations qui naissent des frottemens, des résistances, des huiles, des secousses, des différentes positions, &c. il faut dans ce cas-ci, comme dans tous les autres de cette nature où la théorie manque, avoir recours à l'expérience. C'est pourquoi en rapportant à la théorie, les choses qu'on y pourra rapporter, nous nous appuierons dans les autres, sur ce que l'expérience a appris aux Horlogers.

La propriété la plus remarquable de l'échappement ordinaire, c'est que l'action de la roue de rencontre sur le balancier, pour lui communiquer du mouvement, s'opere par de très-grands leviers ; au lieu que la réaction du balancier sur cette roue, se fait au contraire par de très-petits ; ce qui produit une grande liberté dans le régulateur, & augmente beaucoup sa puissance régulatrice.

Pour rendre ceci plus sensible, supposons que B (figure 19.) soit une puissance qui se meuve dans la direction constante B E, & qui pousse continuellement une palette C P, qui se meut circulairement autour du point C. Je dis que les efforts de cette puissance pour faire tourner la palette, seront entr'eux, dans les différentes situations C P, comme les quarrés des lignes C E, C p, qui expriment les distances des points p & E au centre.

Pour le démontrer, imaginons que la puissance agissant perpendiculairement en E, parcoure un très-petit espace comme E G ; imaginons de plus la palette & la puissance parvenues en p, & supposons que la puissance parcoure comme auparavant un espace t p égal à l'espace E G ; l'arc décrit par le rayon p sera p d. Les arcs décrits par ces deux points des palettes p & E, dans ces différentes situations, seront donc comme les lignes p d & E G, ou son égal p t ; mais à cause des triangles semblables E C p, t p d, on voit que ces lignes sont entr'elles comme C E & c p ; ces arcs seront donc comme ces lignes. Or on sait par un des premiers principes de la méchanique, que les efforts d'une puissance sont en raison renversée des vîtesses qu'elle communique : ces forces dans les points p & E seront donc en raison renversée de C E & de C p, qui expriment les vîtesses dans les points P & E, elles seront donc dans la raison de C p à C E : mais de plus elles seront appliquées à des leviers, qui seront encore en même raison ; l'effort total dans les points E & p, sera donc comme le quarré d'E C est au quarré de p C.

Il suit de-là, que plus l'angle p C E, formé par la palette & par la perpendiculaire à la direction de la puissance, augmente, plus la force de cette puissance augmente.

Il est facile à présent de faire l'application de cette proposition, à ce que nous avons avancé au sujet de la propriété de l'échappement ordinaire. Pour cet effet, qu'on imagine que la figure 24 représente la projection ortographique d'une roue de rencontre & des palettes d'un balancier. Les dents a & b seront celles qui étoient les plus près de l'oeil avant la projection, d e f celles qui en étoient les plus éloignées, & C P, C L représenteront la projection des palettes. Mais on peut regarder le mouvement des dents a & b dans la direction G M, comme ne différant pas beaucoup de leur mouvement circulaire, de même que celui des dents d e f en sens contraire de M en G ; cela étant posé, C M étant perpendiculaire à ces deux directions, il est clair, par ce que nous avons démontré plus haut, qu'à mesure que la roue mene la palette, sa force augmente, & qu'enfin elle est la plus grande de toutes, lorsqu'elle est sur le point de la quitter, comme en P ; parce qu'alors l'angle de la palette avec la perpendiculaire à la direction de la roue est le plus grand, & qu'au contraire la dent d, qui va rencontrer l'autre palette L t la pousse avec bien moins de force, puisque l'angle M C t formé par cette palette & par la perpendiculaire à la direction de la roue est beaucoup plus petit. Ceci prouve donc ce que nous avons avancé de la propriété de cet échappement ; savoir, que la roue de rencontre a beaucoup plus de force pour communiquer du mouvement au balancier, qu'elle n'en a pour lui résister lorsqu'il réagit sur elle. Cette force seroit comme le quarré des leviers sur lesquels la roue agit dans ces deux points P & t, si cette roue se mouvoit en ligne droite, comme nous l'avons supposé pour la facilité de la démonstration ; mais comme elle se meut circulairement, cette force croît dans un plus grand rapport ; car le levier de cette roue par lequel elle agit sur la palette, diminue à mesure que l'inclinaison de cette palette augmente ; puisque ce levier n'est autre chose que le sinus du complément de l'angle formé par le rayon de la roue, qui se termine à la pointe de la dent, & par celui qui est parallele à l'axe de la verge, angle qui augmente toûjours à mesure que la dent pousse la palette. La longueur de ce levier doit donc entrer aussi dans l'estimation de l'action de la roue de rencontre sur la palette : or plus le levier d'une roue diminue, plus sa force augmente. Il s'ensuit donc que le rapport des forces avec lesquelles la roue d'échappement agit sur la palette qu'elle quitte, & sur celle qu'elle rencontre, est dans la raison composée de la directe des quarrés des leviers des palettes par lesquels se fait cette action, & dans l'inverse des sinus des complémens des angles formés par le rayon qui le termine à la pointe de la dent, dans ces différentes positions, & par celui qui est parallele à l'axe de la verge.

Cette propriété de l'échappement étoit trop avantageuse, pour que les habiles horlogers ne s'efforçassent pas d'en profiter ; aussi ne manquerent-ils pas de faire approcher la roue de rencontre aussi près de l'axe du balancier qu'ils le pûrent, pour obtenir par ce moyen la plus grande différence entre les forces dans les points P & t (voyez la même figure 24) ; car par-là l'angle M C P devenant le plus grand, & l'autre M C t le plus petit, cet effet en résultoit nécessairement. Mais bien-tôt ils s'apperçurent que cette pratique entraînoit de grands inconvéniens : 1°. le balancier décrivoit par-là de trop grands arcs à chaque vibration, ce qui le rendoit sujet aux renversemens & aux battemens : 2°. cela donnoit lieu à des palettes étroites, qui rendoient la montre trop sujette à se déranger par les différentes situations, l'inconvénient du jeu des pivots dans leurs trous étant beaucoup plus grand par rapport à des palettes étroites qu'à des palettes larges.

Après donc un très-grand nombre de tentatives & d'expériences, où l'on varia la longueur des palettes, l'angle qu'elles font entr'elles, & la distance de la roue de rencontre à l'axe du balancier, on trouva que l'angle de 90 degrés étoit le plus convenable pour les palettes, & que la roue de rencontre devoit approcher assez près de l'axe du balancier, pour qu'une dent de cette roue étant supposée au point où elle tombe sur une palette, après avoir abandonné l'autre, cette dent pût faire parcourir à la palette, pour la quitter de nouveau, un arc de 40 degrés.

En réfléchissant sur cette matiere, on pourroit imaginer qu'il seroit plus à propos que les palettes formassent entr'elles un angle au-dessus de 90 degrés, parce qu'alors l'arc total de réaction se feroit sur un plus petit levier. Mais comme des changemens inévitables font décroître la grandeur des vibrations ; comme de plus l'échappement ne peut être parfaitement juste, & qu'il se fait toûjours un peu de chûte sur les palettes, quand le balancier commence à réagir, les Horlogers diminuent le levier par lequel la roue opere quand elle vient d'échapper : ce qu'ils ne peuvent faire sans augmenter celui qui se forme à la fin de la réaction. Ces deux leviers deviennent à très-peu près égaux, quand la montre a marché pendant un certain tems, le branle allant toûjours en diminuant.

L'expérience a encore montré aux Horlogers que le régulateur des montres doit avoir avec la force motrice un certain rapport, sans lequel, ou il n'est pas assez puissant pour corriger les variations de cette force, ou il lui apporte une trop grande résistance à surmonter, ce qui rend la montre sujette à s'arrêter. La méthode que la pratique a enseignée pour donner au régulateur une puissance également éloignée de l'un & l'autre inconvénient, c'est de faire marcher les montres sans ressort spiral, comme elles le faisoient avant l'invention de ce ressort, & de donner au balancier une masse telle, que sa résistance laisse parcourir à l'aiguille sur le cadran 27 minutes par heure, & que le ressort spiral étant ajoûté, accélere dans un même tems d'une heure le mouvement de cette aiguille de 33 minutes. Il est bon de remarquer cependant que ce nombre de 27 minutes que doit aller une montre par heure sans ressort spiral, est conditionnel à la bonté de la montre ; car ces différentes imperfections du roüage rendant la force motrice, tantôt plus grande, tantôt plus petite, obligent de faire aller les montres médiocres plus de 27, comme 28 & même 30, pendant qu'on peut ne faire aller que 26, & même moins, celles qui sont très-bien faites.

Ayant apporté tous ses soins pour la disposition de l'échappement ordinaire, on y reconnoît trois propriétés considérables, la simplicité, la facilité d'exécution, & le peu de frottement qui se rencontre dans toutes les parties qui le composent. Il est fâcheux qu'avec tous ces avantages il ne puisse procurer une compensation suffisante des inégalités du roüage ; inconvénient qui vient de ce que les montres, comme nous venons de le dire, vont 27 minutes par heure sans le secours du ressort spiral & par la seule puissance de la force motrice. En doublant la force motrice d'une montre, on la fait avancer d'environ une heure en 24.

L'échappement à verge a encore plusieurs défauts. Le pivot qui porte la roue de rencontre est chargé de toute la pression d'un engrenage, de toute l'action & la réaction des palettes ; réaction d'autant plus grande, qu'elle se passe au-delà de ce pivot. D'ailleurs pour des raisons qu'on rapportera plus bas, on ne peut en faire usage dans les pendules ; c'est pourquoi on leur applique ordinairement ou l'échappement à deux verges, ou celui que l'on doit à la sagacité du docteur Hook.

Un autre échappement à recul qui ne differe réellement que de nom du précédent, c'est l'échappement à piroüette. Voici en peu de mots en quoi il consiste. 1°. Les dents de la derniere roue formées comme celles d'une roue de champ, engrenent dans un pignon fixé sur l'axe du balancier. 2°. L'axe de la derniere roue (dans le cas précédent roue de rencontre), est ici une verge avec des palettes, lesquelles sont alternativement poussées par les dents de la roue de champ formées comme celles d'une roue de rencontre.

Sur ce simple exposé, il est aisé de voir que cet échappement ne differe point du précédent, si ce n'est qu'au lieu de se faire entre la derniere roue & le balancier, il se fait entre la roue de champ & la derniere roue, qui par le moyen de son engrenage avec le pignon du balancier, fait faire à ce régulateur plusieurs tours à chaque vibration.

Le but qu'on se proposa dans cette construction fut de rendre les vibrations du balancier fort lentes comme d'une seconde, en lui laissant toûjours le même mouvement. M. Sulli dit (regle artificielle du tems, page 241.) qu'il a vû de ces sortes de montres qui n'avoient point de ressort spiral, & qui employoient deux secondes de tems dans chaque vibration. Il semble, dit le même auteur, " qu'on ait imaginé cette construction pour mieux imiter les vibrations d'une pendule à seconde, qui étoit alors une invention nouvelle & peu connue. Il se peut aussi, ajoûte-t-il, que les premieres montres à ressort spiral de M. Huyghens, ayant leur échappement de cette maniere, certains artistes antagonistes de cette nouveauté, dont ils ne comprenoient point la propriété, s'imaginerent que ces montres à piroüette devoient leur régularité plûtôt à la lenteur de leurs vibrations qu'à l'application de ce ressort dont ils essayerent de se passer "

Description de l'échappement du docteur Hook, ou de l'échappement à ancre.

Dans cet échappement, sur l'axe du mouvement du pendule sont deux branches ou bras (fig. 25) qui embrassent une partie du rochet : l'un se terminant par une courbe, dont la convexité est tournée extérieurement ; & l'autre aussi par une courbe dont la concavité est tournée intérieurement. Quand le rochet chasse le premier, le second situé de l'autre côté de l'axe est contraint de s'engager dans les dents qui lui sont correspondantes ; d'où étant bien-tôt chassé, il oblige à son tour l'autre de se représenter à l'action du rochet, &c. C'est ainsi que sont restituées les pertes de mouvement du pendule ; on va le voir plus amplement par le précis de la dissertation de M. Saurin (mémoire de l'acad. ann. 1720.) que nous allons rapporter.

" Tout le monde dit bien en général que c'est le poids moteur qui entretient les vibrations du pendule ; mais comment les entretient-il ? c'est une demande qu'on ne s'est pas même avisé de se faire. L'experience a conduit les Horlogers à donner à l'échappement la construction nécessaire pour cet effet ; cependant il y en a très-peu à qui tout l'art de cette construction soit connu, & qui ne fussent embarrassés du problème que je propose, trouver la raison de la durée des vibrations : il sera résolu par l'exposition que je vais donner.

La figure 25 représente une roue de rencontre & une ancre avec son pendule dans l'état où ce régulateur est en repos. Il est alors vertical & l'ancre horisontal ; c'est-à-dire qu'une droite A A qui joindroit les deux extrémités des faces de l'échappement, seroit perpendiculaire à la verticale C B. D'un côté, une dent de la roue s'appuie sur le point B de l'une des courbes, dont une partie A B est engagée dans la dent ; de l'autre, une même partie A B s'avance entre deux dents, & est éloignée de l'une & de l'autre à peu-près de la même quantité.

Le poids moteur étant remonté, il s'en faut de beaucoup qu'il ait par lui-même la force de mettre le pendule en mouvement. Pour l'y mettre, il faut l'élever & le lâcher ensuite ; tombant alors par sa propre pesanteur, & accéléré dans sa chûte par la dent H qui par supposition le pousse jusqu'en A, il remonte de l'autre côté. Pour lors la dent N rencontrant l'ancre en F, elle est contrainte de reculer un peu par le mouvement acquis du pendule ; celui-ci retombant de nouveau par l'effort de la pesanteur, est encore accéléré dans sa chûte par la dent qui avoit reculé, & remonte ainsi du côté d'où il étoit premierement descendu. Alors la nouvelle dent qu'il y rencontre, après avoir reculé, comme l'autre, le poursuit & le hâte dans sa chûte, comme ci-devant.

Le pendule se mouvant dans le vuide, on sait que dans ce cas, faisant abstraction des frottemens, il remonteroit toûjours à la même hauteur ; mettant encore à part l'action des deux dents opposées, il est clair que ses vibrations demeureroient constamment les mêmes & ne finiroient point. Ajoûtons présentement à la force de la pesanteur celle des deux dents opposées du rochet ; cette derniere force agissant également de part & d'autre sur le pendule, & se détruisant de même, les vibrations demeureront encore les mêmes, sans jamais diminuer ni cesser, rien n'empêchant le pendule dans notre supposition de remonter toûjours à la hauteur d'où il est descendu. Mais il est évident que dans le plein il en doit être empêché par la résistance de l'air ; les vibrations iront donc en diminuant, & cesseront enfin.

Quelle est donc la cause des vibrations constantes dans nos horloges ? elle se rencontre précisément dans la construction de l'échappement, qui est telle que le pendule étant en repos, une partie A B de l'une des faces est engagée dans la dent H qui la touche, non au point A, mais au point B ; & une partie égale A B de l'autre courbe s'avance entre les deux dents N Q dans un éloignement réglé de maniere, que le pendule étant en mouvement, lorsque la dent H échappe au point A, la dent N rencontre la face opposée au point F, qui donne B F égale B A ; & de même, lorsque la dent N vient à échapper, la dent H rencontre l'autre face en un semblable point F ; c'est-à-dire que la distance A F est égale dans les deux faces, & double de A B dans l'une & dans l'autre.

Ce qu'il faut bien remarquer, c'est que la dent H étant au point F, le poids du pendule est en L à gauche ; & la dent N étant au point semblable F de l'autre côté, le poids du pendule est en L à droite : de sorte que l'une & l'autre dent agissant successivement d'F en B, accélerent le pendule dans sa chûte d'L en D, & que continuant d'agir sur la face de B en A, elles l'accélerent encore dans tout l'arc qu'il parcourt en montant de D en L ; ainsi la force de la dent transmise au pendule, ne l'abandonne pas à lui-même au point D, elle continue d'exercer son effort sur lui jusqu'au point L, & c'est précisément ce surcroît d'effort de D en L en montant, qui est la cause de la durée & de la constante égalité des vibrations : ce qu'il est aisé de voir.

Car supposons que l'arc S D S est celui que le pendule parcourt dans ses vibrations constantes, en tombant de S en D ; s'il n'y avoit ni résistance d'air, ni frottement, l'accélération de son mouvement, causée par la pesanteur & par l'action de la dent qui le suit dans sa chûte, lui donneroit bien une vîtesse suffisante pour le faire monter de l'autre côté à la hauteur S, contre l'effort de la dent opposée qu'il ne rencontre qu'en L : mais il est évident que les frottemens & la résistance de l'air ayant diminué cette vîtesse dans toute la descente, & la diminuant encore quand le pendule monte, il ne sauroit arriver au point S sans un nouveau secours : si donc il y parvient, c'est que ce secours lui est donné par l'action de la dent, continuée sur lui depuis D jusqu'en L. Le point S est tel que l'effort ajoûté de D en L, égale précisément la perte causée par les frottemens & la résistance de l'air dans tout l'arc parcouru S D S.

Si pour mettre le pendule en mouvement on l'avoit élevé à quelque point I plus haut que S, l'effort de D en L de la dent ne se trouvant pas assez grand pour réparer la perte, le pendule ne monteroit de l'autre côté qu'au-dessous de I, & les vibrations continueroient à diminuer jusqu'à ce qu'il eût attrapé le point S, où l'effort ajoûté est égal à la perte.

Il en seroit de même si on l'avoit élevé moins haut que S ; l'effort ajoûté étant alors plus grand que la perte, le pendule monteroit plus haut que le point d'où il seroit descendu, & les vibrations ne cesseroient d'augmenter jusqu'à ce qu'elles eussent atteint le point S ".

Ce que M. Saurin vient de dire touchant le pendule & l'échappement à ancre, doit s'entendre des autres régulateurs, & de toutes sortes d'échappemens ; dans tous il y a toûjours une partie des palettes ou des courbes, telle que A B, qui engrene dans la roue de rencontre : & c'est cette partie qui est destinée à restituer le mouvement, que le régulateur perd par la résistance de l'air & des frottemens. Cela me paroît assez éclairci par ce qui précede : c'est pourquoi je ne m'arrêterai pas à faire remarquer la même chose dans les descriptions qui vont suivre.

Je reviens à l'ancre. Elle est accompagnée de plusieurs belles propriétés ; ses courbes, comme mon pere l'a découvert, & comme M. Saurin l'a démontré, doivent être à très-peu près des développantes de cercle, au moyen dequoi elles compensent parfaitement les inégalités de la force motrice : parce que dans les plus grandes oscillations, la roue de rencontre agit par des leviers plus avantageux. Une autre propriété de cet échappement, c'est que les arcs de vibration du pendule peuvent être fort petits, & par conséquent très-isochrones, & la lentille du pendule fort pesante.

Deux inconvéniens considérables diminuent beaucoup tous ces avantages : le frottement que les dents du rochet occasionnent sur les courbes, & la difficulté de donner à celles-ci l'exactitude requise. Pour ces deux raisons, on lui préfere ordinairement l'échappement à deux verges, qui avec les mêmes avantages est beaucoup moins susceptible de frottement.

De l'échappement à deux verges. Les choses les plus ingénieuses & les plus utiles, sont souvent abandonnées, & tombent après dans un profond oubli. C'est ce qui est arrivé à l'échappement dont nous faisons la description ; il est fort ancien : cependant on n'en a guere fait usage que lorsque mon pere ayant reconnu toutes ses propriétés, il entreprit de ne pas les laisser inutiles.

Cet échappement consistoit autrefois en deux portions de roue (fig. 20.) qui s'engrenoient l'une dans l'autre, & dont chacune étoit ajustée sur une tige, où l'on avoit adapté une palette. L'une de ces tiges portoit en outre la fourchette ; & lorsque le rochet formé comme celui de l'échappement à ancre, écartoit l'une des palettes, l'autre, au moyen de l'engrenage qui la faisoit avancer en sens contraire, venoit se présenter à l'action du rochet, ainsi de suite : dans cet état on l'appelle échappement à patte de taupe.

Mon pere, après avoir fait plusieurs changemens dans la maniere dont ces deux palettes se communiquoient le mouvement, a réduit ces deux portions de roue à un cylindre ou rouleau mobile sur ces deux pivots, & qui a une espece de fourche dans lequel s'avance le cylindre ; comme on le voit dans la fig. 26. Après plusieurs tentatives & expériences, il parvint aussi à lui procurer une compensation exacte des inégalités du moteur. Tâchons de découvrir comment s'opere cet effet, qui est peut-être aussi surprenant, qu'il est difficile à développer.

Tout pendule libre (voyez l'article PENDULE) décrit les grands arcs en plus de tems que les plus petits ; ainsi puisque dans le pendule appliqué à l'horloge le surcroît de force motrice fait décrire de plus grands arcs, cette augmentation apporte nécessairement une cause de retard dans les oscillations : d'un autre côté, elle leur en procure en même tems une d'avancement ; car la plus grande force de la roue de rencontre oppose une plus grande résistance à la réaction des palettes, & leur communique en partie ce surcroît de vîtesse que le moteur tend à leur imprimer. Si donc il est possible de rendre cette derniere cause d'accélération égale à la cause de retard qui provient des plus grands arcs, que la force motrice augmente ou diminue ; le tems des vibrations restera toûjours le même.

Or (voyez PENDULE) le retardement qui naît par de plus grandes oscillations est d'autant moins considérable, que les arcs primitifs ont été plus petits. Quand le pendule s'éloigne peu de son centre de repos, ce retard devient insensible ; donc, puisque l'expérience a démontré qu'avec l'échappement précédent l'influence de la force motrice des horloges sur leur pendule, pouvoit être assez petite pour qu'elles retardassent par son augmentation, c'est-à-dire, pour que la cause d'avancement résultante d'une plus grande force motrice, fût plus petite que celle de retard qui naît des plus grands arcs que cette force fait décrire, & que de plus, en vertu de l'échappement, on peut accroître ou diminuer cette derniere cause de retard à volonté, & donner aux arcs la grandeur que l'on souhaite, l'action de la force motrice restant cependant toûjours la même ; il faut conclure que dans tout pendule il y a un arc quelconque, aux environs duquel les causes d'accélération & de retard ci-devant énoncées, se compenseront parfaitement.

On sait que le moteur restant le même, plus les palettes de l'échappement sont longues, plus les arcs décrits par le régulateur sont petits, & ce régulateur pesant : qu'au contraire, plus elles sont courtes, plus ils sont grands & le régulateur leger ; cela ne souffre point de difficulté, la roue dans ce dernier cas menant par des points plus proches du centre de mouvement.

Or l'action d'une force motrice étant toûjours dans un même rapport sur les pendules de même longueur, puisque par les raisons précédentes, si la lentille est plus legere, elle parcourt de plus grands arcs, & la roue de rencontre agit par des leviers moins avantageux ; il s'ensuit qu'il y a une certaine longueur de palettes où le pendule appliqué à l'horloge, décrit un certain arc aux environs duquel la cause de retard provenant des plus grands arcs, & celle d'avancement qui naît de l'augmentation de la force motrice, se détruisent réciproquement ; & où par conséquent il y a compensation des inégalités du moteur. C'est ce que l'expérience confirme. Pour le pendule à secondes, cette longueur est du demi-diametre du rochet, lorsqu'il a trente dents.

Avant de se servir de la méthode précédente, mon pere avoit déjà tenté la même compensation par l'échappement à roue de rencontre. Son principe capital a toûjours été de ne recourir au composé, que quand le simple ne peut suffire : mais il s'apperçut bien-tôt qu'avec la longueur de palettes requise, la roue à couronne ne pouvoit donner un engrenage suffisant ; & cela, parce que chassant par un de ses côtés, elle agit en quelque façon (ainsi qu'on l'a vû plus haut), comme si son mouvement se faisoit en ligne droite.

Je ne m'étendrai point sur les avantages de la construction précédente, ni sur l'exactitude qu'on en peut attendre ; j'aurois trop à craindre que mon témoignage ne parût suspect. Il me suffira de rapporter ce que M. de Maupertuis en dit dans son livre de la figure de la terre, pag. 173. Voici ses propres termes : Nous avions un instrument excellent ; c'étoit une pendule de M. Julien le Roy, dont l'exactitude nous a paru merveilleuse dans toutes les observations que nous avons faites avec.

Echappement à repos. Description de l'échappement des montres de M. Graham. Cet échappement est composé d'un cylindre creux A C D, fig. 23, entaillé jusqu'à l'axe du balancier sur lequel il tourne, & d'une roue de rencontre (B A C, fig. 22.) parallele aux platines, dont les dents élevées sur l'un des plans, répondent au milieu de l'entaille du cylindre : ces dents sont de la grandeur de son diametre interne, à très-peu près, & elles sont écartées l'une de l'autre de tout son diametre extérieur ; leur courbure doit être telle, que leur force pour chasser les deux bords ou levres de ce cylindre, augmente en raison des plus grandes résistances du régulateur, & que la levée ou l'arc que le balancier parcourt, lorsque ces courbes lui sont appliquées, soit d'environ 36 degrés. Voici l'effet qu'elles produisent.

Le cylindre D E K (fig. 22.) étant dans l'intervalle de deux dents, & la montre remontée, l'une d'elles A P, par exemple, écarte au moyen de sa courbe une des levres, jusqu'à ce que lui ayant fait parcourir un arc de 18 degrés, le point A soit arrivé en D, & la pointe P vers K ; alors la levre K, comme il est marqué par la ponctuation, est avancée dans la roue d'une quantité égale à 18 degrés de l'arc cylindrique K D. Le point A parvenu au point D, la dent échappe, & sa pointe P tombe dans l'intérieur du cylindre, en laissant un arc de 18 degrés entr'elle & la levre K ; le régulateur continue sa vibration sans aucun obstacle, que celui du frottement sur son cylindre & sur ses pivots. Mais après qu'en cet état il a parcouru environ un arc de 72 degrés, sa vîtesse acquise s'étant consumée à vaincre les frottemens susdits, & à tendre le ressort spiral, dont la résistance n'a cessé de s'augmenter, ce ressort réagit, & en se débandant fait tourner en arriere le cylindre, & ramene l'entaille : la dent chasse ensuite la seconde levre, comme la précédente ; ce qui ne se peut faire sans que la dent suivante B se trouve arrêtée par la circonférence convexe du cylindre, jusqu'à ce que par le retour de l'entaille, elle produise les mêmes effets que celle qui l'a devancée. Ainsi de suite.

Cet échappement a un grand avantage sur celui qu'on employe dans les montres ordinaires ; c'est de compenser infiniment mieux les inégalités de la force motrice & du roüage. Cette excellente propriété lui vient de ce que les pointes de la roue de rencontre, en s'appuyant sur le cylindre & dans sa cavité, laissent le régulateur presque libre ; de sorte que l'augmentation ou la diminution de la force motrice, ne fait qu'augmenter ou diminuer les arcs de vibration, sans en changer sensiblement la durée : & que l'isochronisme des réciproquations du ressort spiral, ou du pendule qui oscille en cycloïde, peut n'y souffrir d'autres altérations que celles qui sont occasionnées par la quantité du frottement sur le cylindre & dans sa cavité ; frottement qui change selon les différentes forces motrices. Mais ces erreurs ne sont pas comparables à celles que les mêmes différences apportent dans les montres, dont les échappemens font rétrograder les roues.

L'échappement à cylindre a encore un avantage considérable ; par son moyen, le roüage, le ressort, toute la montre est moins sujette à l'usure ; la roue de rencontre ne rétrogradant pas, il en résulte bien moins de frottement sur les pivots, sur les dents des roues & des pignons.

Plusieurs défauts obscurcissent en quelque sorte toutes ces belles qualités, & font que ces sortes de montres, & en général toutes celles qui sont faites sur les mêmes principes, ne soutiennent pas toute la régularité qu'elles ont quand elles sont récemment nettoyées ; d'abord il se fait, comme je l'ai dit, un frottement sur la portion cylindrique qui y produit de l'usure, & par conséquent des variations dans la justesse. Il est vrai que pour rendre ce frottement moins sensible, on met de l'huile au cylindre ; mais par-là le mouvement de la montre devient susceptible de toutes les variations auxquelles ce fluide est sujet.

Mon pere a imaginé un moyen de remédier en partie à ces accidens : c'est de placer les courbes de façon qu'elles touchent la circonférence du cylindre & ses levres à différentes hauteurs, en les éloignant plus ou moins du plan de la roue ; de façon que (fig. 23.) si l'une vient s'appuyer en A, par exemple, sa voisine agisse en C, une autre en D, &c. par-là, si le rochet a treize, les altérations dans la régularité, causées par l'usure, peuvent être diminuées dans le rapport de treize à l'unité ; mais il faut convenir que cela rend cette roue plus difficile à faire.

Echappement des pendules à secondes de M. Graham. On a vû (article CYCLOÏDE) que les petites oscillations du pendule approchent plus de l'isochronisme que les grandes, & qu'elles sont en même tems moins sujettes à être dérangées par les inégalités de la force motrice.

Pour joüir de ces avantages, M. Graham allonge considérablement les bras de l'ancre, auxquels il fait embrasser environ la moitié du rochet, & réserve en outre une distance (fig. 21.) A B de la circonférence de ce rochet au centre de mouvement de l'ancre : de plus les parties C D, E F sont des portions de cercle décrites du centre B.

Quand la roue a écarté, par exemple, le plan incliné D P que lui opposoit un des bras, l'autre branche lui présente la portion de cercle E F ; de façon que la dent reposant successivement sur des points toûjours également distans du centre de mouvement B de l'ancre, le pendule peut achever sa vibration sans que le roüage rétrograde, comme avec l'ancre du docteur Hook.

Le témoignage avantageux que MM. les Académiciens qui ont été au Nord, ont rendu à la pendule de M. Graham, ne permet pas de douter que cet échappement ne soit un des meilleurs, quoiqu'il paroisse sujet à beaucoup de frottemens. On pourroit peut-être reprocher à l'auteur le retranchement des courbes compensatrices pratiquées sur les faces de l'ancre ordinaire. A cela il répondroit sans doute que les arcs étant extrèmement diminués, ces courbes deviendroient superflus. En effet, M. de Maupertuis a observé qu'en retranchant la moitié du poids moteur de cette pendule, ce qui réduit les arcs de quatre degrés vingt minutes à trois degrés, ces grandes différences ne causent qu'un avancement de trois secondes & demie à quatre secondes par jour : cette courbe seroit donc assez inutile, & moralement impossible à construire exactement.

Après avoir donné la description de ces différens échappemens de montre & de pendule, & après avoir fait mention des avantages & des inconvéniens de chacun d'eux en particulier, ce seroit ici le lieu de déterminer ceux qui sont les meilleurs, & qui doivent être employés préférablement aux autres. Mais si la chose est facile par rapport à ceux des pendules, l'échappement de M. Graham, & celui à deux verges perfectionné par mon pere, satisfaisant l'un & l'autre très-bien à tout ce que l'on peut exiger du meilleur échappement, il n'en est pas de même à l'égard des échappemens de montre ; car quoique l'échappement à roue de rencontre, & celui de M. Graham, ou à cylindre, réunissent diverses propriétés avantageuses, ils sont encore éloignés de la perfection requise ; leurs avantages & leurs inconvéniens semblent même tellement se balancer, qu'il paroît que si l'un doit être préféré à l'autre, ce n'est pas qu'il procure aux montres une plus grande justesse, mais parce que celle qu'il leur procure est plus durable & plus constante.

En effet, on ne peut disconvenir que les montres à échappement à cylindre n'aillent avec beaucoup de justesse, & même quelquefois, lorsqu'elles sont nouvellement nettoyées, & qu'il y a de l'huile fraîche au cylindre, avec une justesse supérieure à celle des montres à roues de rencontre, parce qu'elles ne sont sujettes alors à d'autres irrégularités (n'étant point ici question de celles qui naissent de l'action de la chaleur sur le ressort spiral), qu'à celles qui sont produites par les inégalités de la force motrice ; inégalités que cet échappement, comme nous l'avons remarqué plus haut, a la propriété de compenser. Mais cette justesse des montres à cylindre ne se soûtient pas ; car les frottemens qui sont dans cet échappement, tant sur les levres du cylindre que sur ses circonférences convexes & concaves, augmentent dès que l'huile commence à se dessécher, & produisent des variations qui diminuent bientôt la justesse de ces montres. Devenus ensuite plus considérables, ces frottemens donnent lieu à l'usure ; & à mesure qu'elle fait du progrès & que l'huile se desseche, les variations augmentent, & quelquefois à un tel point, qu'on a vû des montres à cylindre avancer ou retarder de cinq ou six minutes & plus en 24 heures, sans qu'il fût possible de parvenir à les régler.

Or les montres à échappement à roue de rencontre, bien faites, sont exemptes de pareils écarts ; leur régularité est plus durable, & elles sont moins sujettes aux influences du froid & du chaud. De tout cela il résulte que nonobstant que leur justesse ne soit pas si grande, comme nous l'avons dit, que celle que l'on observe quelquefois dans les bonnes montres à cylindre, cependant on peut dire que dans un tems donné, pourvû qu'il soit un peu long, elles iront mieux que celles-ci, c'est-à-dire que la somme de leurs variations sera moindre ; car rien n'est plus commun que de voir des montres à roüe de rencontre aller très-bien pendant des deux ou trois ans sans être nettoyées ; ce qui est très rare dans les montres à cylindre, leur justesse ne se soutenant pas si longtems : il ne leur faut pas même quelquefois un terme si long pour qu'elles se mettent à varier. On en voit qui six mois après avoir été nettoyées, ont déjà perdu toute leur justesse ; ce qui arrive ordinairement lorsque l'échappement n'est pas bien fait, ou que le cylindre n'est pas aussi dur qu'il pourroit l'être : car alors il s'use, il se tranche, & il n'y a plus à compter sur la montre. L'échappement à roüe de rencontre a encore cet avantage, qu'il est facile à faire, & les montres où on l'employe faciles à raccommoder. L'échappement à cylindre est au contraire très-difficile à faire, il y a très-peu d'horlogers en état de l'exécuter dans le degré de perfection requis, & conséquemment un fort petit nombre capable de raccommoder les montres où il est adapté ; car étant peu instruits de ce qui peut rendre cet échappement plus ou moins parfait, ils sont dans l'impossibilité de remédier aux accidens qui peuvent y arriver, & aux changemens que l'usure ou quelqu'autre cause peut y produire. Il y a en effet si peu d'horlogers en état de bien raccommoder les montres à cylindre, qu'il y en a un très-grand nombre du célebre M. Graham qui sont gâtées pour avoir passé par des mains peu habiles. Il résulte de tout ce que nous venons de dire, que les montres à échappement, à verge ou à roue de rencontre, sont en général d'un meilleur service que celles qui sont à cylindre, & que ces dernieres ne doivent être préférées que par des astronomes ou des personnes qui ont besoin d'une montre qui aille avec beaucoup de justesse pendant quelque tems, & qui sont à portée de les faire nettoyer souvent, & raccommoder par d'habiles horlogers : encore, pour qu'ils en obtiennent la justesse dont nous venons de parler, faut-il qu'elles soient très-bien faites.

Tel étoit donc l'état de l'échappement à cylindre en 1750, que nous écrivions cet article, que, tout bien examiné, nous croyions qu'il valoit mieux en général faire usage de l'échappement à roüe de rencontre. Depuis, c'est-à-dire en 1753, M. Caron le fils l'a perfectionné, ou plûtôt en a inventé un autre qui remédie si bien à un des principaux inconvéniens qu'on lui reprochoit, que nous nous croyons obligés d'en ajoûter ici la description.

Dans cet échappement, comme dans celui à cylindre, la roüe de rencontre est parallele aux platines. On donne à cette roue tel nombre de dents que l'on veut : ordinairement elle en a trente. Ces dents sont formées comme celles d'une roüe ordinaire, excepté qu'elles sont un peu plus longues & plus déliées ; elles portent à leur extrémité des chevilles qui, situées perpendiculairement à ses surfaces supérieure & inférieure, sont rangées alternativement sur ces deux surfaces, desorte qu'il y en a quinze d'un côté de la roüe, & quinze de l'autre. L'axe du balancier est une espece de cylindre creux, entaillé de façon qu'il paroît composé de deux simples portions de cylindre réunies par une petite tige placée fort près de la circonférence convexe. Cette tige porte une palette en forme de virgule, dans laquelle on distingue deux parties : l'une circulaire & concave dans la suite de la concavité du cylindre, c'est sur elles que les chevilles de la roüe de rencontre doivent se reposer ; l'autre est droite, & sert de levée ou de levier d'impulsion aux mêmes chevilles, pour les vibrations du balancier. Au point diamétralement opposé à la tige, est un pédicule qui porte une virgule ou croissant semblable au premier, placé de façon que la roue de rencontre passe entre les deux palettes, & les rencontre alternativement par ses chevilles opposées.

D'après cette courte description, il est facile de concevoir comment se fait le jeu de cet échappement. On voit, par exemple, qu'une cheville de la roue agissant sur la levée du pédicule, elle la fait tourner de dehors en-dedans ; ensuite de quoi cette cheville échappant, celle qui la suit tombe sur la partie circulaire concave qui appartient à l'autre croissant, sur laquelle elle s'appuie ou se repose jusqu'à ce que la vibration étant achevée, elle glisse & passe sur la levée de ce croissant, & la chasse de dedans en-dehors, & ainsi de suite. Il est clair par la nature & la construction de cet échappement, qu'il compense les inégalités du roüage & de la force motrice, comme celui de M. Graham, ou à cylindre, & (ce qui le rend de beaucoup supérieur à ce dernier) que ses levées ne sont point sujettes à l'usure, comme les levres du cylindre de M. Graham. Cette usure étant, comme nous l'avons observé, un des plus grands inconvéniens de son échappement, on n'aura pas de peine à découvrir la cause de cet avantage du nouvel échappement, si l'on fait attention que l'usure étant produite uniquement par l'action répetée des dents de la roue de rencontre sur les levres du cylindre, elle ne peut avoir lieu dans l'échappement que nous venons de décrire ; car les chevilles y parcourant toute la levée, il s'ensuit que le frottement qu'éprouve chacun des points de cette levée dans le tour de la roue, est à celui qu'éprouvent les levres du cylindre dans le même tour de sa roue, comme la surface des points des chevilles qui frottent sur cette levée, est à celle des faces des dents de cette même roue : or comme les chevilles peuvent être très-fines, & qu'ainsi cette surface peut n'être pas la quarantieme partie de celle des faces des dents de la roue à cylindre, le frottement sur ces levées ne sera pas la quarantieme partie de celui qui se fait sur les levres du cylindre ; & ainsi l'usure qui pourroit en résulter, sera insensible. Cet échappement a encore un autre avantage sur celui de M. Graham ; c'est que les repos s'y font à égale distance du centre, puisqu'ils se font sur la circonférence concave du cylindre ; au-lieu que dans celui de ce célebre horloger ils se font à différentes distances du centre, les dents reposant tantôt sur la circonférence concave du cylindre, & tantôt sur sa circonférence convexe.

On pourroit objecter que dans cet échappement, & on l'a même fait, le diametre intérieur du cylindre devant être égal à l'intervalle entre deux chevilles, plus une de ces chevilles, il devient plus gros par rapport à sa roue, que celui de l'échappement de Graham ; mais on répondroit que cette grosseur du cylindre n'est point déterminée par la nature du nouvel échappement, & qu'on peut le faire plus petit (ce qui est encore un nouvel avantage), comme on l'a fait effectivement depuis qu'il a été découvert.

Il étoit bien flateur pour un horloger d'avoir imaginé un pareil échappement ; mais plus il avoit lieu de s'en applaudir, plus il avoit lieu de craindre que quelqu'un ne lui enlevât l'honneur de sa découverte : c'est aussi ce qui pensa arriver à M. Caron. Cependant M. le comte de Saint-Florentin ayant demandé à l'académie royale des Sciences son jugement sur la contestation élevée entre lui & un autre horloger qui vouloit s'attribuer l'invention du nouvel échappement, elle décida le 24 Février 1754, sur le rapport de MM. Camus & de Montigny (commissaires nommés pour examiner les différens titres des contendans), que M. Caron en étoit le véritable auteur, & que celui qui lui disputoit la gloire de cette découverte, n'avoit fait que l'imiter. C'est, je crois, le premier jugement de cette espece que l'académie ait prononcé ; cependant il seroit fort à souhaiter qu'elle décidât plus souvent de pareilles disputes, ou qu'il y eût dans la république des Lettres un tribunal semblable, qui en mettant un frein à l'envie qu'ont les plagiaires de s'approprier les inventions des autres, encourageroit les génies véritablement capables d'inventer, en leur assûrant la propriété de leurs découvertes.

Au reste si nous avons rapporté cette anecdote au sujet de l'échappement de M. Caron, c'est que nous avons crû qu'elle ne seroit pas déplacée dans un ouvrage consacré, comme celui-ci, non-seulement à la description des Arts, mais encore à l'histoire des découvertes qu'on y a faites, & à en assûrer, autant qu'il est possible, la gloire à ceux qui en sont les véritables auteurs. (T)

* Echappement de M. Caron fils, corrigé. Depuis la contestation élevée entre M. Caron & M. le Paute, sur l'invention de l'échappement à virgules, il en est survenu une autre sur sa perfection, entre l'inventeur & M. de Romilly habile horloger. Cette nouvelle contestation a été aussi portée au tribunal de l'académie des Sciences. Voici en abrégé les prétentions de M. de Romilly. 1°. Dans l'échappement de M. Caron, l'axe du balancier porte un cylindre qui avoit, lors de l'invention, pour diametre intérieur l'intervalle de deux chevilles ; c'est sur cette circonférence concave que se font les deux repos de l'échappement à virgules. Le cylindre est divisé en deux par une entaille perpendiculaire à son axe, & l'on ne réserve qu'une petite colonne qui tient assemblés les deux cylindres. M. de Romilly prétend avoir réduit le diametre intérieur du cylindre à n'admettre qu'une cheville. 2°. Aux deux extrémités de l'intervalle sont deux plans en forme de virgules formant un angle dont le sommet est sur la circonférence concave du cylindre, éloignés l'un de l'autre de l'épaisseur de la roue. M. de Romilly prétend avoir rendu le sommet de l'angle que forment les plans, plus près du centre, en réduisant la circonférence concave. 3°. La roue a des chevilles rapportées à l'extrémité de ses dents, & perpendiculaires à chacun de ses plans. M. de Romilly prétend avoir tenté le premier de construire la roue, de façon que chaque dent porte deux chevilles d'une seule piece, ce qui lui permet d'échancrer les côtés de la dent pour l'utilité des grands arcs. 4°. Dans la marche d'une montre construite avec l'échappement à virgule, tel qu'il étoit lors de l'invention, les arcs, selon M. de Romilly, ne peuvent avoir plus de 150 ou 180 degrés d'étendue pour les plus grandes oscillations ; au-lieu qu'il prétend que dans l'échappement corrigé, les plus petites oscillations sont toûjours au-dessus de 240 degrés, & que les plus grandes vont à plus de 300 ; d'où M. de Romilly conclut qu'il y a diminution de frottement, meilleure oeconomie de la force, plus de solidité, plus d'étendue dans les oscillations, dans l'échappement corrigé, &c..... avantages qui sont sans doute très-réels, sans quoi M. Caron, content du mérite d'inventeur, ne revendiqueroit pas celui de réformateur ; sed adhuc sub judice lis est. C'est apparemment ce qui a déterminé M. Le Roy, de qui est l'excellent article qui précede, à nous laisser le soin de cette addition. L'habile académicien a judicieusement remarqué qu'il ne lui seroit pas convenable de prévenir la compagnie, dont il est membre, dans la décision d'une question de fait portée devant elle : aussi ne la décidons-nous pas, nous nous contentons de l'annoncer par cet extrait du mémoire justificatif que M. de Romilly a présenté à l'académie. Si l'académie décide cette nouvelle contestation, & que nous ayons occasion de rapporter son jugement, nous n'y manquerons pas.

Echappement, ou échappement de marteau, se dit d'une petite palette ou levée ayant un canon qui entre à quarré, ou se goupille sur les tiges des marteaux des montres ou pendules à répétition : c'est au moyen de ces échappemens que les dents de la piece des quarts agissent sur ces marteaux, pour les lever & les faire frapper. (T)

Mettre une montre ou une pendule d'échappement ou dans son échappement, signifie, parmi les Horlogers, donner une situation au balancier au moyen du ressort spiral, ou au pendule au moyen de la position de l'horloge, en conséquence de quoi les arcs de levée (voyez LEVEE) du balancier & du pendule, de chaque côté du point de repos, soient égaux.

On vient de voir par la description des différens échappemens des montres & des pendules, que les dents de la roue de rencontre agissent toûjours sur des palettes des plans droits ou des courbes, pour faire faire des vibrations au balancier ou au pendule ; ainsi, mettre une montre ou un pendule d'échappement, n'est autre chose que de placer le balancier ou le pendule, de façon que les dents de la roue de rencontre agissant successivement sur ces palettes ou sur ces courbes, se trouvent, dans l'instant qu'elles échappent, avoir fait parcourir au balancier ou au pendule un arc égal de part & d'autre du point de repos. Cette situation du balancier ou du pendule est fort importante ; car sans cela, pour peu que l'un ou l'autre soient un peu trop pesans par rapport à la force motrice, la montre ou le pendule seront sujets à arrêter, parce que du côté où l'arc est le plus grand, le régulateur s'opposant avec plus de force au mouvement de la roue, pour peu qu'il y ait d'inégalité dans celle du roüage, cette derniere force ne devient plus en état de surmonter la résistance du régulateur, ce qui fait arrêter l'horloge. (T)

ECHAPPEMENT, se dit encore, en Horlogerie, de petites pieces ajustées sur les tiges des marteaux d'une montre à répétition, & qui servent comme de levier à la piece des quarts pour les faire sonner. Voyez e e, fig. 62. Pl. d'Horlogerie. (T)


ECHAPPER(Marine) Voyez RAMES & VOILES.

ECHAPPER, v. neut. (Jardinage) se dit d'un arbre qui pousse avec trop de vigueur ; & comme il seroit dangereux de le laisser agir si vivement, un habile jardinier doit l'arrêter en coupant toutes les branches qui s'échappent trop. Voyez TAILLE. (K)

ECHAPPER UN CHEVAL, LE PARTIR DE LA MAIN, (Manége) expressions synonymes : c'est solliciter & exciter l'animal à une course violente, rapide, & furieuse. Elle doit être plus ou moins longue selon le besoin du cheval ou la volonté du cavalier ; volonté qui suggerée, soit par la nécessité, soit par le goût, doit toûjours se concilier avec la nature, l'inclination & la capacité de l'animal que l'on travaille & que l'on exerce.

Il n'est pas douteux que la résolution & la perfection de la course ne soient une des plus belles parties que le cheval puisse avoir : elle en garantit le courage, le nerf, la légereté, l'obéissance, la franchise naturelle.

Son irrésolution dans cette action naît principalement des défauts opposés aux unes & aux autres de ces qualités. Elle peut donc reconnoître pour causes une timidité qui ne permet pas à l'animal de hasarder ses forces en courant ; la défiance qu'il a de celle de ses membres, en conséquence de quelqu'imperfection accidentelle ou naturelle, un défaut de vûe, trop de pesanteur, une paresse qu'il ne peut vaincre, des courses trop fréquemment répétées, des châtimens cruels réitérés & administrés le plus souvent mal-à-propos dans cette même leçon, une foiblesse considérable, quelquefois encore la force de ses reins ou d'une esquine naturellement trop roide & trop retenue, le peu de liberté de ses épaules, de ses hanches, la malice, la fougue, &c.

Un cheval parfaitement mis & exercé, s'échappe non-seulement avec vigueur, sur le champ & au moindre desir du cavalier, mais il conserve son union & son ensemble, il ne s'abandonne point sur la main ou sur les épaules, sa tête est constamment ferme & bien placée.

Quand on veut refléchir sur la véritable source & sur la différence des actions & des mouvemens dont cet animal est capable, on en découvre bien-tôt l'enchaînement & la dépendance. Le trot dérive du pas pressé, comme du pas écouté & soûtenu ; du trot déterminé & délié, comme du trot uni dérive encore le galop, & du galop dérive la course de vîtesse.

Ces deux dernieres allures ne sont autre chose qu'un saut en-avant. Quoique le nombre des foulées qui frappent nos oreilles, & la succession harmonique des jambes ne soient pas exactement les mêmes dans l'une & dans l'autre, ainsi que je l'ai démontré géométriquement dans un mémoire envoyé à l'académie royale des Sciences (voyez MANEGE), il n'en est pas moins certain qu'elles ne sont effectuées que par l'élancement total de la machine entiere en-avant, & cet élancement est encore plus apparent & plus visible dans le cheval échappé.

Si le galop est le fondement de la course, il s'ensuit qu'on ne doit entreprendre de partir de la main aucun cheval, qu'on ne l'ait long-tems exercé à la leçon qui est la base de celle dont il s'agit : or nous ne pouvons le conduire au galop, qu'autant que le trot vivement battu & diligemment relevé, lui en aura facilité l'exécution ; qu'autant que ses membres commenceront à être souples & libres ; qu'autant, en un mot, qu'il aura acquis une union au-dessus de la médiocre, & qu'il ne pesera ni ne tirera à la main : d'où l'on doit conclure que les maîtres qui se flattent de déterminer, de résoudre, de dénoüer des poulains en les échappant, tombent dans l'erreur la plus grossiere ; puisque d'un côté ils omettent la condition indispensable de la gradation des leçons indiquée par la gradation même ; c'est-à-dire par l'ordre & la dépendance naturelle des mouvemens possibles à l'animal ; & que de l'autre ils ne tendent qu'à mettre ces poulains sur les épaules, à les éloigner de tout ensemble, à les énerver, à en forcer l'haleine, à donner atteinte à leurs reins encore foibles, à les appesantir, à leur offenser la bouche, & à leur suggérer souvent une multitude infinie de défenses.

Non-seulement la leçon du galop doit précéder celle du partir de la main, mais on ne doit dans les commencemens échapper le cheval que du galop même : la raison en est simple. Toute action qui demande de la vîtesse, ne peut être operée que par la véhemence avec laquelle le derriere chasse le devant au moyen des flexions & des détentes successives des parties dont il est formé ; or le galop étant la plus promte de toutes les allures, & ces flexions ainsi que ces détentes nécessaires étant la source de son plus de célérité, il est constant que l'animal qui galope, est plus disposé au partir de la main que dans toute autre marche. Je dis plus ; la course n'est à proprement parler, qu'un train de galop augmenté. Prenez en effet insensiblement cette derniere action, elle acquerra infailliblement des degrés de vélocité, & ces degrés de vélocité auxquels vous parviendrez insensiblement, vous donneront précisément ce que nous nommons véritablement échappées, course de vîtesse. Par cette voie vous ne serez point obligé de châtier l'animal, d'employer les éperons, qui très-souvent le gendarment, de vous servir de la gaule, de crier, d'user de votre voix pour le hâter, selon la maniere ridicule de nombre d'écuyers étrangers : le tems, la pratique de la course détermineront votre cheval à cette diligence & à cette résolution qu'elle exige ; vous gagnerez son consentement, vous lui suggérerez le pouvoir d'obéir, vous lui donnerez une haleine suffisante, & vous n'accablerez pas indiscrettement son naturel & sa force.

Les moyens d'accélerer ainsi l'action du galop, ne sont pas de rendre toute la main & d'approcher vivement les jambes ; ce seroit abandonner le cheval & le précipiter sur son devant. Le cavalier doit donc, son corps étant toûjours en-arriere, diminuer peu-à-peu la fermeté de l'appui, & accompagner au même instant cette aide de celles des jambes. Celles-ci, qui consistent ou dans l'action de peser sur les étriers, ou d'approcher les gras de jambes, ou de pincer, seront appliquées relativement à la sensibilité de l'animal, que l'on châtiera prudemment & avec oeconomie, lorsqu'elles ne suffiront pas, mais elles ne seront fournies qu'en raison de la diminution de l'appui, c'est-à-dire qu'elles n'augmenteront de force qu'à mesure du plus ou moins de longueur des rênes. Dès que ce contrebalancement ou cet accord de la main & des jambes n'est pas exactement observé, le partir de la main est toûjours imparfait. La fermeté de la main l'emporte-t-elle ? le devant est trop retenu, & le derriere trop assujetti. L'un se trouve à chaque tems dans un degré d'élevation qui le prive de la faculté de s'étendre & d'embrasser librement le terrein, & l'autre dans une contrainte si grande, que les ressorts des reins & des jarrets, uniquement occupés du poids & du soûtien des parties antérieures, ne sauroient se développer dans le sens propre à les porter ou à les pousser en-avant. La force des jambes au contraire est-elle supérieure ? ni le devant ni le derriere ne sont assez captivés ; d'un côté, le devant n'étant nullement soûtenu, ne quitte terre que par sa propre percussion, & seulement pour fuir plûtôt que pour obéir à l'effort de l'arriere-main, qu'il n'essuie point sans danger : de l'autre part, ce même arriere-main continuellement obligé à cet effort par les jambes, qui ne cessent de l'y déterminer, & ne rencontrant dans le devant ou dans la main aucun point de soûtien capable de réagir sur les parties, est malgré lui dans un état d'extension, & par conséquent hors de cette union & de cet ensemble qui doivent en maintenir la vigueur & l'activité ; le cavalier invite donc alors simplement l'animal à ce mouvement rapide, mais il l'abandonne & le prive par ce défaut, d'harmonie dans les parties qui doivent aider de tous les secours qui tendroient à lui rendre cette action moins difficile.

L'habitude de cette accélération étant acquise, on ne court aucun risque de l'exciter à la course la plus furieuse, en passant toûjours par les intervalles qui séparent le galop & cette même course. Lorsqu'il y sera parfaitement confirmé, & qu'il fournira ainsi cette carriere avec aisance, on entreprendra de l'échapper tout d'un coup sans égard à ces mêmes intervalles, & pour cet effet les aides toûjours dans une exacte proportion entr'elles seront plus fortes, plus promtes, sans néanmoins être dures, & sans qu'elles puissent encore en surprenant l'animal desordonner le partir.

Ce n'est que par l'obéissance du cheval & par la facilité de son exécution, que nous pouvons juger sainement de sa science & de ses progrès. Ce n'est aussi qu'en consultant ces deux points, que nous distinguerons le vrai tems de lui suggérer des actions qui lui coûteront davantage, & qui même le rebuteroient si nous n'en surmontions, pour ainsi dire, nous-mêmes toutes les difficultés, en l'y préparant & en l'y disposant dans la chaîne des leçons qu'il reçoit de nous.

Le cheval obéissant au partir, doit être également soûmis à l'arrêt. Outre que le partir, qui lui est devenu facile, est un mouvement plus naturel, il l'offense moins que le parer, dans lequel, sur-tout après une course violente, ses reins, ses jarrets, & sa bouche sont en proie à des impressions souvent douloureuses : on doit donc user des mêmes précautions pour l'y amener insensiblement. La vîtesse de la course sera pour cet effet peu-à-peu ralentie, & l'on suivra dans ce rallentissement ou dans cette dégénération, les mêmes degrés qui en marquoient l'augmentation, lorsqu'il s'agissoit d'y résoudre entierement l'animal. Je m'explique, de la course la plus véhémente venez à une action moins rapide ; de cette action moins rapide, passez à un mouvement encore moins promt ; rentrez, en un mot, dans celui qui constitue le galop, & formez votre arrêt. En parcourant de cette maniere les espaces dont nous avons parlé, & en remontant ensuite successivement, & avec le tems, à ceux qui sont les plus voisins de l'action furieuse, vous accoûtumerez enfin le cheval à parer nettement, librement, & sans aucun danger dans cette même action.

Lorsque du galop étendu ainsi que du galop raccourci il s'échappe sans peine & avec vigueur, on peut essayer de le partir sur le champ du trot déterminé & du trot uni. Si son obéissance est entiere, on tentera de l'échapper du pas allongé, du pas d'école, de l'arrêt, du reculer, de l'instant même du repos. Les aides nécessaires alors ne different point de celles auxquelles on doit avoir recours pour l'enlever au galop dans les uns & dans les autres de ces cas (voyez GALOP) ; & celles qu'il faut employer pour le partir de la main au moment où il a été enlevé, sont précisément les mêmes que celles qu'on a dû pratiquer en l'échappant tout-à-coup de cette allure promte & pressée.

Rien n'est plus remarquable que la différence des effets d'une seule & même leçon dispensée savamment, avec ordre, & avec patience, ou donnée sans connoissance & avec indiscrétion. Les réflexions suivantes seront autant d'aphorismes de cavalerie, d'autant plus utiles sans doute, que l'on ne trouve dans les auteurs qui ont écrit sur notre art aucuns principes médités, & que les écuyers qui ne s'adonnent qu'à la pratique, ne sont pas moins stériles en maximes & en bons raisonnemens.

Les courses de vitesse doivent être plus ou moins longues & plus ou moins courtes.

Elles seront longues, relativement aux chevaux qui se retiennent. Si elles étoient courtes, bien loin de les déterminer, elles les retiendroient davantage, ils deviendroient rétifs ou ramingues ; & nonseulement ils s'arrêteroient d'eux-mêmes, mais ils s'uniroient bien-tôt au moment où on voudroit les partir, & profiteroient de cet ensemble pour résister & pour desobéir.

Tout cheval qui se retient dans la course doit être chassé avec encore plus de vélocité, & l'on ne doit point l'arrêter qu'il ne se soit déterminé, & qu'il n'ait répondu aux aides ou aux châtimens.

On droit craindre d'échapper avec violence dans les commencemens les chevaux éloignés de l'union, ou pour lesquels l'ensemble est un travail, ainsi que ceux qui sont pesans & qui s'abandonnent. Souvent les uns & les autres ne peuvent, pour fuir avec promtitude & avec vélocité, débarrasser leurs jambes surchargées par le poids de leur corps & de leurs épaules ; au moment où ils voudroient s'enlever, ils ressentent une peine extrême, & dans l'instant du partir ils se brouillent & tombent.

Il seroit encore dangereux de les arrêter trop tôt, en deux ou trois falcades ou tout d'un trait. Communément ils partent sur les épaules, & non sur les hanches, ainsi ils s'appuient totalement sur la main, qui ne peut supporter ce fardeau, & qui ne sauroit assez soûtenir l'animal pour empêcher qu'il ne trébuche.

Quant aux chevaux ramingues & paresseux, on ne doit point redouter ces accidens, parce que l'un & l'autre de ces défauts les portent à s'unir ; aussi devons-nous les partir beaucoup plûtôt avec rapidité ; nous y sommes même obligés pour leur enseigner à s'échapper comme il faut, & pour leur faire mieux entendre ce que nous exigeons d'eux.

Il en est de même des chevaux mal disciplinés & desobéissans. Il est nécessaire de les échapper librement, & qu'ils fuient avec véhémence quoiqu'ils soient desunis ; ils se défendroient inévitablement si l'on exigeoit d'abord un ensemble, qu'ils acquerront d'autant plus facilement dans la suite, que les reins & les parties postérieures de l'animal, astraintes dans la course à de grands mouvemens, se dénoüent de plus en plus par cet exercice, deviennent plus légers, & parviennent enfin à ce point de souplesse d'où dépend spécialement l'union.

Nombre de chevaux noüés en quelque façon, ne relevent point assez en galopant. L'action de leurs jambes antérieures est accompagnée d'une roideur qui frappe tous les yeux : dans les uns elle ne part que de l'articulation du genou, & non de l'épaule ; & dans les autres elle procede de l'épaule, & l'articulation du genou ne joue point. On eût remédié à ce vice naturel, par un trot d'abord déterminé & délié, & ensuite par un trot uni & exactement soûtenu. S'il se trouve joint à celui d'être bas du devant, long de corps, & dur d'esquine, il est inutile d'espérer de tirer aucun parti de l'animal dans la course de vitesse : la peine qu'il a de se rassembler, l'impossibilité dans laquelle est le devant de répondre à l'effort du derriere, le peu de grace, de facilité, & de sûreté dans son exécution au galop, doivent nous faire présumer qu'il est encore moins capable d'une allure, dans laquelle le danger d'une chûte est plus pressant. Il arrive de plus que ces mêmes chevaux ne parent & ne s'arrêtent jamais du galop. Le derriere arrivant trop subitement sur le devant toûjours lent, parce qu'il est embarrassé, les parties de celui-ci se trouvent si pressées, qu'elles ne peuvent se dégager ensemble ; l'animal est donc forcé de passer à l'action du trot pour méditer son arrêt, & souvent encore n'en a-t-il pas le tems, & succombe-t-il malgré lui : or c'est une regle de ne jamais échapper un cheval, s'il n'a la connoissance & la liberté entiere du parer ; ainsi à tous égards la leçon du partir de la main ne sauroit convenir aux chevaux dont il s'agit.

Ceux qui sont déterminés, mais qui font montre de beaucoup de paresse, doivent être exercés à des courses, plûtôt courtes que longues, mais réitérées plusieurs fois. On doit néanmoins faire attention que le partir & le repartir de la main furieusement & coup sur coup, sont contraires à la legereté & à la facilité de la bouche, & suggerent encore bien des défenses, telles que celles de forcer la main, de refuser de partir, de s'arrêter de soi-même, &c.

Les courses longues & répétées mettent un cheval sur la main & sur les épaules ; elles épuisent encore ses forces, & lui font perdre nécessairement sa résolution : elles sont utiles à celui qui est embarrassé, & dans lequel des mouvemens trides dénotent un ensemble naturel. Il est même à propos de lui permettre de s'abandonner un peu, afin qu'il embrasse plus franchement le terrein ; car plus ses membres s'étendront, plus il se développera, & moins il profitera de sa disposition à se trop asseoir pour desobéir.

La rigidité de l'esquine, la jonction trop intime des vertebres lombaires entr'elles, sont souvent la principale cause de la difficulté que le cheval a de s'unir dans les actions quelconques auxquelles le cavalier veut le porter. Il n'est pas de moyen plus sûr d'assouplir cette partie, que celui de le travailler dans des chemins déclives, aprés quoi on l'y échappe plus ou moins vivement & avec succès.

On ne doit point multiplier les partir de main pour les chevaux fougueux, & qui se portent en-avant avec trop d'ardeur. Les chevaux coleres sont assez enclins par eux-mêmes à l'inquiétude, sans les y inciter par la violence de la course. A l'égard de ceux qui sont timides, paresseux, & flegmatiques, ils se résolvent difficilement à la diligence & à l'effort qu'elle exige ; souvent aussi nous resistent-ils, & reculent-ils plûtôt qu'ils n'avancent, lorsque pour les déterminer au moment du départ nous approchons nos jambes.

Il faut, relativement aux lieux, varier les leçons, les échappées, & les arrêts. Un cheval exercé constamment sur le même terrein, obéit communément moins par sentiment que par habitude, & pour peu qu'on lui demande quelque action différente de celle à laquelle il est accoûtumé dans telle ou telle portion de ce terrein, il est prêt à se defendre.

Ceux qui consentent trop aisément à l'arrêt, quoique résolus & déterminés, parent souvent d'eux-mêmes, & s'offensent fréquemment les reins & les jarrets.

Un cheval fait doit être rarement échappé : on ne doit l'exercer au partir de main que pour maintenir sa vitesse, & il faut toûjours le remettre au petit galop, & l'y finir.

Les chevaux vîtes & courageux qui ont fait de grandes courses, flageollent ordinairement sur leurs jambes.

La furie de la course précipite dans une fougue extrème le cheval juste à quelque beau manége, elle le rend incapable d'obéissance & de précision, le desunit, le jette sur la main, & falsifie enfin son appui.

Cette leçon est encore d'une véritable inutilité aux chevaux de guerre ; la vîtesse leur est en effet moins nécessaire qu'une rapidité médiocre & écoutée, suivie d'une grande franchise de bouche ; car on ne part pas à toute bride pour charger & pour attaquer l'ennemi, autrement les chevaux seroient hors d'haleine avant que les hommes en vinssent aux mains.

On échappe des chevaux, qui falsifient leur galop. Voyez GALOP.

On les part de la main, pour en empêcher les défenses. Voyez FANTAISIE.

ECHAPPER, (Fauconn.) se dit d'un oiseau qu'on a en main, & qu'on lâche en plaine campagne pour le faire voler aux oiseaux de proie.


ECHARou ESCHARA, s. m. (Hist. nat.) corps marin de substance pierreuse, de couleur blanche, & de figure très-singuliere. Il est composé de lames plates contournées en différens sens, & criblé de trous disposés régulierement comme ceux d'un réseau : c'est pourquoi on a donné à l'eschara le nom de dentelle de mer, ou de manchette de Neptune. On le regardoit comme une plante, avant que M. Peissonel medecin de Marseille, eût découvert qu'il étoit formé par des insectes de mer, comme bien d'autres prétendues plantes marines. Voy. POLYPIER, plante marine. (I)


ECHARDONNER(Jard.) c'est ôter les chardons d'une terre. (K)


ECHARDONNOIRS. m. (Oecon. rustiq.) petit crochet tranchant, emmanché au bout d'un bâton. On s'en sert pour nettoyer les terres des chardons & autres mauvaises herbes.


ECHARNERv. act. terme de Corroyeur, le même que drayer. Voyez DRAYER. Voyez aussi l'art. CORROYEUR.


ECHARNOIRinstrument de Corroyeur. Voyez BOUTOIR, & les fig. 3. & 4. Pl. du Corroyeur.


ECHARNURESS. f. (Corroyeur) morceau de cuir tanné, que le corroyeur a enlevé de dessus la peau qu'il corroye avec la drayoire, ou écharnoir. Les Corroyeurs se servent des écharnures pour essuyer le cuir quand il a été crêpi. Echarnure signifie aussi l'action de l'ouvrier qui écharne, & la façon qui se donne en écharnant.


ECHARPES. f. terme de Marchand de modes, espece d'ajustement. Il faut distinguer dans l'écharpe le corps & les pendans, quoique l'un & l'autre tiennent ensemble. Le corps est fait comme celui de la mantille, & est beaucoup plus long ; il s'attache par enhaut au collet de la robe par-derriere, & vient pardevant se poser tout le long du parement, où il est arrêté : cet ajustement forme la coquille par en-bas, & vient se poser sur la botte de la manche, ce qui forme avec le falbala, une manchette de taffetas découpé. Les devants sont assujettis avec deux cordons, qui se nouent par derriere en-dessous du corps de l'écharpe. Les pendans sont attachés par-devant, & descendent des deux côtés, & sont faits comme une étole ; mais sont beaucoup plus larges, & garnis de falbalas, de frange de soie, ou de dentelle. Le derriere est aussi garni de plusieurs rangs de falbalas, de dentelle, &c.

La mode des écharpes est fort ancienne, & toutes les femmes en portoient autrefois.

* ECHARPE (ordre de l') Hist. mod. pendant la guerre que se firent Jean I. roi de Castille, & Jean I. roi de Portugal, les Anglois ayant assiégé Palancia dans le royaume de Léon, qui se trouvoit alors dépourvûe d'hommes ; & toute la noblesse ayant suivi le prince en campagne, les dames défendirent la ville, repousserent l'assaut de l'ennemi, le harcelerent par des sorties, & le contraignirent de se retirer. Pour recompenser leur valeur, Jean leur permit de porter l'écharpe d'or sur le manteau, & leur accorda tous les priviléges des chevaliers de la bande ou de l'écharpe. La date de cet ordre est incertaine : on en place l'institution entre 1383 & 1390.

ECHARPE, espece de bandage avec lequel on soûtient la main, l'avant-bras, & le bras blessés.

Pour bien faire l'écharpe, on prendra une serviette fine, qui aura au moins deux tiers d'aulne en quarré ; on la pliera d'un angle à l'autre par une diagonale, qui laissera à cette serviette la figure d'un triangle ; on passera cette serviette ainsi pliée, entre le bras & la poitrine du malade, de maniere que l'angle droit se trouve sous le coude, & le grand côté du triangle sous la main. Des deux angles aigus, l'un sera passé sur l'épaule saine, & l'autre en remontant ; & recouvrant l'avant-bras & l'épaule malade, passera derriere le cou, pour venir joindre l'autre angle de l'écharpe sur l'épaule du côté opposé, où ces deux angles seront cousus ensemble & arrêtés à une hauteur convenable, pour tenir l'avant-bras plié presqu'en angle droit. On prendra ensuite à l'endroit du coude, les deux angles droits de la serviette ; on les repliera proprement, pour en envelopper la partie inférieure du bras ; & on les attachera ensemble, & avec le corps de l'écharpe, par le moyen d'une forte épingle.

Cette écharpe soûtient exactement l'avant-bras & le coude ; tout le membre se trouve enveloppé depuis l'épaule jusqu'au bout des doigts, & l'on ne risque point que le malade en agissant imprudemment, dérange son appareil. (Y)

ECHARPE, (Marine) on donne quelquefois ce nom, mais improprement, aux aiguilles de l'éperon. (Z)

ECHARPE, en terme de Blason, est une bande ou fasce, qui représente une espece de ceinture ou de baudrier militaire.

Elle se porte comme le bâton senestre ; mais est plus large, & continuée hors des bords de l'écu : au lieu que le bâton se termine avec l'écu. Ainsi l'on dit : un tel porte d'argent à l'écharpe d'azur. Voyez nos Pl. de Blason. Voyez aussi BATON.

ECHARPE, en Architecture ; c'est dans les machines une piece de bois avancée au-dehors, à laquelle est attachée une poulie qui fait l'effet d'une demi-chevre, pour enlever un médiocre fardeau. Et c'est en Maçonnerie, une espece de cordage pour retenir & conduire un fardeau en le montant. On dit aussi écharper, pour haler & chabler une piece de bois, voyez CABLE. (P)

ECHARPE, voyez CEINTURE. (P)

ECHARPE D'UNE POULIE, voyez CHAPE & POULIE.

ECHARPES, (Hydraul.) tranchées faites dans les terres en forme de croissant, pour ramasser les eaux dispersées d'une montagne, & les recueillir dans une pierrée. (K)

ECHARPE, en terme de Menuisier ; c'est une demi-croix de S. André. On en met derriere les portes entre les barres. Voyez les Planches de Menuiserie.


ECHARPÉadj. se dit dans l'Art militaire, pour avoir beaucoup souffert, ou beaucoup perdu par le feu ou le fer de l'ennemi. Ainsi l'on dit, un tel régiment fut écharpé dans une telle bataille, un tel combat, &c. lorsqu'il y a fait une grande perte.

On dit aussi qu'un ouvrage est écharpé, lorsqu'il peut être battu par un angle moindre que 20 degrés. Voyez BATTERIE D'ECHARPE. Les flancs du comte de Pagan, qui font un angle de plus de 100 degrés avec la courtine, peuvent être écharpés du chemin couvert, opposé au bastion auquel ils appartiennent. Voyez FORTIFICATION. (Q)


ECHARSS. m. (à la Monnoie) il se dit de l'aloi d'une piece au-dessous du titre prescrit par les ordonnances. Une monnoie est en échars, lorsqu'elle est au-dessous du degré de fin qu'elle devroit avoir. Voyez ECHARSETE.

ECHARS, adj. (Marine) on dit quelquefois vent échars, que le vent n'est ni favorable ni fixe, & qu'il saute de moment en moment d'un rhumb à l'autre. (Z)


ECHARSERv. n. (Mar.) on dit le vent écharse, lorsqu'il est foible, inconstant, & peu favorable pour faire route. (Z)


ECHARSETÉadj. (à la Monnoie) toute piece de monnoie qui est au-dessous du titre prescrit par les ordonnances, abstraction faite du remede de loi, est dite écharseté.

Les ordonnances sont formelles contre les écharsetés ; le directeur qui en est convaincu est condamné à restitution, lorsqu'elles sont legeres : mais si l'écharseté est trop loin du remede, il est des punitions plus rigoureuses. Echarseter, c'est tromper & le roi & l'état. Voyez l'article MONNOIE.


ECHASSES. f. en Architecture, regle de bois mince en maniere de latte, dont les ouvriers se servent pour jauger les hauteurs & les retombées des voussoirs, & les hauteurs des pierres en général. (P)

ECHASSES D'ECHAFAUD, (Architecture) grandes perches debout, nommées aussi baliveaux, qui liées & entées les unes sur les autres, servent à échafauder à plusieurs étages, pour ériger les murs, faire les ravalemens & les regrattemens. (P)

ECHASSE, (Coupe des pierres) est une regle de bois de quatre piés de long & de trois pouces de large, divisée en piés, pouces, & lignes, dont les appareilleurs se servent pour y marquer les hauteurs, longueurs, épaisseurs dont ils ont besoin, pour les porter commodément dans le chantier, où ils voyent les pierres qui leur conviennent, & en donnent les mesures. (D)


ECHAUDÉS. m. (Jard.) figure triangulaire que l'on donne souvent à une piece de bois, lorsque le terrein ou quelque autre raison y assujettit. Les échaudés & gâteaux étoient autrefois triangulaires, ce qui aura pû donner le nom à cette figure. (K)

ECHAUDE, (Pâtissier) c'est une petite piece de pâtisserie faite d'une pâte mollette, détrempée dans du levain, du beurre, & des oeufs. Il y a des échaudés au sel, dans lesquels on ne met que du sel, sans beurre ni oeufs ; au beurre, dans lesquels ni oeufs ni sel ; & aux oeufs, dans lesquels on ne met que des oeufs.


ECHAUDOIRS. m. (Bouch.) il se dit & des chaudieres où les Bouchers Tripiers font cuire les abatis de leurs viandes, & des lieux où sont placées ces chaudieres.

* ECHAUDOIR, (Teinture, Draperie, &c.) il se dit aussi & des chaudieres & des lieux où ces ouvriers dégraissent leurs laines.


ECHAUFFAISONS. f. ECHAUFFEMENT, s. m. (Medecine) on appelle ainsi vulgairement toute maladie qui est causée par une trop grande agitation du corps, qui en augmente la chaleur. (d)


ECHAUFFANTECHAUFFANT

Le véritable caractere de l'échauffant, pris dans ce sens précis, est que son action puisse s'étendre jusqu'à exciter la fievre dans le plus grand nombre de sujets.

Les effets manifestes de l'action plus modérée des remedes échauffans, pour ne parler d'abord que des médicamens, doivent être de porter la chaleur animale à un degré intermédiaire, entre la chaleur naturelle & la chaleur fébrile ; mais cet état qui seroit l'échauffement proprement dit, n'a pas été assez exactement déterminé : & peut-être lorsqu'il se soûtient pendant un certain tems, ne differe-t-il pas essentiellement de la fievre.

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas par l'augmentation réelle de chaleur que se détermine l'incommodité appellée communément échauffement. Un sentiment incommode de chaleur dans toute l'habitude du corps, ou dans diverses parties ; une disposition à la sueur, ou une sueur actuelle ; la soif plus ou moins pressante ; de fréquentes envies d'uriner, suivies d'une évacuation peu abondante d'urines rouges & foetides, & qu'on trouveroit apparemment trop peu aqueuses ; la constipation, les démangeaisons de la peau, les rougeurs au visage, le saignement de nez, les paroxysmes vifs & douloureux d'hémorrhoïdes seches ; l'insomnie ou le sommeil leger, inquiet, & interrompu ; une pente violente & continuelle aux plaisirs de l'amour ; l'image la plus complete de ces plaisirs, souvent présentée dans les songes, avec ou sans émission de semence ; les érections fréquentes : voilà les symptomes qui constituent l'incommodité généralement connue sous le nom d'échauffement.

Les remedes qui peuvent produire tous ces symptomes, ou le plus grand nombre, sont : les corps actuellement chauds, soit qu'on les prenne intérieurement, tels que l'eau, le thé, & les autres boissons de cette espece, avalées très-chaudes ; soit qu'on les applique extérieurement, comme un bain très-chaud ; les vins & liqueurs spiritueuses, les alkalis volatils, animaux, & végétaux ; les sucs, les eaux distillées, les décoctions, les infusions, ou les extraits des plantes alkalines ; les plantes à saveur vive, analogue à celles des précédentes, comme ail, oignon, capucine, &c. les plantes aromatiques, âcres, ou ameres ; les baumes, les huiles essentielles, les résines, & les gommes-résines ; les martiaux ou préparations du fer ; tous les vrais sudorifiques, & les diurétiques vraiment efficaces ; tous les aphrodisiaques reconnus, comme les cantharides, dont la dangereuse efficacité n'est pas douteuse, les truffes, les artichaux, les champignons, &c. s'il est vrai ce que le proverbe publie de la merveilleuse vertu de ces végétaux, les épispastiques, & les caustiques appliqués extérieurement. Voyez tous ces articles particuliers.

Tous les remedes que nous venons de nommer, sont des échauffans légitimes ; ils en ont la propriété distinctive. Leur usage immodéré peut allumer la fievre, & ils sont distingués par-là d'une foule de prétendus échauffans, connus dans les traités de matiere médicale, & dans le jargon ordinaire de la Medecine, sous le nom d'incisifs, d'atténuans, de remedes qui foüettent, qui brisent le sang & la lymphe, &c. Voyez INCISIF. Parmi ces remedes chauds exactement altérans, presque tous indifférens, ou du moins sans vertu démontrée, aucun n'est peut-être plus gratuitement qualifié que l'écrevisse ou la vipere. Voyez ECREVISSE & VIPERE.

Quant aux alimens échauffans, on ne sait point encore par expérience qu'il y ait des alimens proprement dits, qui possedent d'autre propriété que la qualité nutritive. Ainsi tout ce que les auteurs des traités de diete nous ont dit sur la qualité échauffante de la chair de certains animaux ; ce que des medecins d'une école très-célebre pensent des bouillons de boeuf, qu'ils se garderoient bien de permettre dans les maladies aiguës ; ce qu'on nous raconte de la chair des vieux animaux, sur-tout des mâles des animaux lascifs : tout cela n'est pas plus réel, du moins plus constaté que les dogmes du galénisme sur la même matiere. Voyez GALENISME & QUALITE.

Les alimens ne paroissent donc être réellement échauffans, que par les assaisonnemens ; & le medecin peut, en variant ces assaisonnemens, ou en les supprimant, prescrire un régime échauffant, rafraîchissant, indifférent, &c.

Au reste, les alimens quels qu'ils soient, même considérés avec leurs assaisonnemens, sont à-peu-près indifférens dans l'état sain, ou ils le deviennent par l'habitude ; ce n'est que dans la maladie, dans la convalescence, ou pour un sujet foible & valétudinaire, qu'il importe de défendre ou de prescrire des alimens échauffans. Voyez REGIME.

Outre les médicamens & les alimens, il est plusieurs autres causes d'échauffement auquel notre corps est exposé. Un climat chaud, un jour chaud, une saison chaude, un soleil brûlant, en un mot la chaleur extérieure, échauffe réellement. Voyez CLIMAT, ETE, LEILLEIL. L'exercice violent échauffe, la veille échauffe, l'exercice vénérien échauffe, mais plus encore l'appetit vénérien non-satisfait, sur-tout lorsqu'il est irrité par la présence de certains objets, ou qu'il s'est emparé d'une ame livrée à toute l'énergie de ce sentiment dans une retraite oisive ; l'étude opiniâtre, la méditation profonde & continue échauffent ; le jeûne échauffe ; les austérités, & sur-tout la flagellation, échauffent très considérablement ; le jeu échauffe ; les fréquens accès de plusieurs passions violentes échauffent, &c. Voyez tous ces articles particuliers, & CHALEUR ANIMALE CONTRE NATURE. Il faut observer que toutes les causes dont il s'agit ici, sont des échauffans proprement dits ; mais qui different des médicamens échauffans, en ce que l'action des premiers n'est efficace qu'à la longue, & qu'ils procurent aussi un échauffement plus constant, plus opiniâtre, un échauffement chronique : au lieu que l'action des derniers est plus promte, & qu'ils produisent aussi un effet plus passager, une incommodité qu'on pourroit appeller aiguë, en la comparant à la précédente.

Les échauffans sont très-redoutés dans la pratique moderne (Voyez CHALEUR CONTRE NATURE), & jamais on ne s'avise de prescrire un échauffant comme tel ; l'effet échauffant n'est jamais un bien, un secours indiqué ; l'échauffement n'est pas un changement avantageux que le praticien se propose : c'est toûjours un inconvénient inévitable, attaché à un secours utile d'ailleurs.

Quant à la maniere de remédier à l'effet excessif des échauffans, aux inconvéniens qui suivent leur application, à l'échauffement maladif en un mot, voy. CHALEUR ANIMALE CONTRE NATURE. (b)


ECHAUFFÉadj. (Maréchallerie & Manége) bouche échauffée. On donne un coup de corne à un cheval qui a la bouche échauffée. Voyez CORNE.


ECHAUFFÉES. f. (Fontaines salantes) C'est ainsi qu'on nomme dans ces fontaines le premier travail du salinage.


ECHAUFFEMENTsubst. m. (Maréchallerie) Un échauffement excessif cause la courbature aux chevaux. Voyez COURBATURE.


ECHAUFFERv. act. (Agriculture & Jardinage) un terrein, c'est l'amander par de bons engrais. (K)

ECHAUFFER, S'ECHAUFFER SUR LA VOIE, (Vénerie) c'est la suivre avec ardeur.


ECHAUGUETTES. f. (Fortificat.) loge de sentinelle, loge de bois ou de maçonnerie faite pour garantir la sentinelle des injures de l'air.

Ces loges se placent ordinairement dans les fortifications sur les angles flanqués des bastions ; sur ceux de l'épaule ; & quelquefois dans le milieu de la courtine. Voyez GUERITE. Harris & Chambers. (Q)


ECHAULER(Oeconomie rustique) c'est arroser le blé qu'on veut semer de chaux amortie dans de l'eau. Il y a des provinces où cela se pratique encore. Pour cet effet on met neuf à dix seaux d'eau froide dans un baquet ; on y jette environ vingt-trois livres de chaux vive. On ajoûte là-dessus un seau d'eau chaude ; on remue jusqu'à ce que la chaux soit éteinte, alors on prend une corbeille d'osier ; on y met du blé ; on plonge la corbeille pleine dans le baquet ; l'eau de chaux y entre & comble le blé ; on a un morceau de bois, on tourne & retourne le blé dans cette eau ; on enleve la corbeille, l'eau s'enfuit ; on la laisse s'égoutter dans le baquet ; on ôte le grain de la corbeille ; on l'expose ou au soleil sur des draps, ou à l'air dans un grenier ; & l'on recommence la même opération sur de l'autre blé dans la même eau, jusqu'à ce qu'on en ait assez d'échaulé. On le laisse reposer quinze à seize heures ; passé ce tems on le remue toutes les quatre heures, jusqu'à ce qu'il soit bien sec. Alors on le seme.

Il y a des laboureurs qui échaulent autrement. Ils font un lit de blé de l'épaisseur de deux pouces ; ils l'arrosent d'eau claire, puis ils repandent dessus un peu d'alun & de chaux pulvérisés ; ils font un second lit de la même épaisseur qu'ils arrosent pareillement d'eau claire, & sur lequel ils répandent aussi de l'alun & de la chaux pulvérisés, & ainsi de suite, stratum super stratum. Cela fait, ils remuent le tas, le relevent dans un coin, l'y laissent un peu suer, & s'en servent ensuite pour semer.


ECHAUXS. m. pl. (Oeconomie rustique) rigoles ou fossés destinés à recevoir les eaux, après qu'elles ont abreuvé une prairie. Les échaux veulent être entretenus avec soin, écurés de tems en tems. On les appelle aussi fossés d'égouts.


ECHÉANCES. f. (Jurisprud.) est le jour auquel on doit payer ou faire quelque chose.

L'échéance d'une obligation, promesse, lettre de change, est le terme auquel doit se faire le payement sur l'échéance des lettres de change, Voyez au mot LETTRES DE CHANGE.

Dans les délais d'ordonnance, tels que ceux des ajournemens ou assignations, l'échéance est le jour qui suit l'extrémité du délai ; car on ne compte point le jour de l'échéance dans le délai, dies termini non computatur in termino, de sorte, par exemple, qu'un délai de huitaine est de huit jours francs, c'est-à-dire que l'on ne compte point le jour de l'exploit, & que l'échéance n'est que le dixieme jour. Voyez DELAI.

Au contraire dans les délais de coûtume, le jour de l'échéance est compris dans le délai ; ainsi quand la coûtume donne an & jour pour le retrait lignager, il doit être intenté au plus tard dans le jour qui suit l'année révolue, depuis qu'il y a ouverture au retrait. Voyez RETRAIT. (A)


ECHECHIRIAS. f. (Myth.) déesse des treves ou suspensions d'armes ; elle avoit sa statue à Olympie ; elle étoit représentée comme recevant une couronne d'olivier.


ECHECSS. m. pl. (JEU DES) Le jeu des échecs que tout le monde connoît, & que très-peu de personnes jouent bien, est de tous les jeux où l'esprit a part, le plus savant, & celui dans lequel l'étendue & la force de l'esprit du jeu peut se faire le plus aisément remarquer. Voyez JEU.

Chaque joüeur a seize pieces partagées en six ordres, dont les noms, les marches, & la valeur sont différentes. On les place en deux lignes de huit pieces chacune, sur un échiquier divisé en soixante-quatre cases ou quarrés, qui ne peuvent contenir qu'une piece à la fois. Chaque joüeur a une piece unique qu'on nomme le roi. De la conservation ou de la perte de cette piece dépend le sort de la partie. Elle ne peut être prise, tant qu'il lui reste quelque moyen de parer les coups qu'on lui porte. La surprise n'a point lieu à son égard dans cette guerre ; on l'avertit du danger où elle est par le terme d'échec, & par-là on l'oblige à changer de place, s'il lui est possible, afin de se garantir du péril qui la menace. S'il ne lui reste aucun moyen de l'éviter, alors elle tombe entre les mains de l'ennemi qui l'attaquoit, & par la prise du roi, la partie est décidée, ce que l'on exprime par les mots d'échec & mat.

Telle est l'idée générale du systeme de ce jeu : son excellence a tenté divers écrivains d'en chercher l'origine, mais malgré l'érudition greque & latine qu'ils ont répandue avec profusion sur cette matiere, ils y ont porté si peu de lumieres, que la carriere est encore ouverte à de nouvelles conjectures. C'est ce qui a déterminé M. Freret à proposer les siennes dans un mémoire imprimé parmi ceux de l'academie des Belles-Lettres, dont le précis formera cet article. " J'étudie, comme Montagne, divers auteurs pour assister mes opinions piéçà formées, seconder & servir. "

Plusieurs savans ont crû qu'il falloit remonter jusqu'au siége de Troye, pour trouver l'origine du jeu, des échecs, ils en ont attribué l'invention à Palamede, le capitaine grec qui périt par les artifices d'Ulysse. D'autres rejettant cette opinion, qui est en effet destituée de tout fondement, se sont contentés d'assûrer que le jeu des échecs avoit été connu des Grecs & des Romains, & que nous le tenions d'eux, mais le jeu des soldats, latrunculi, ceux des jettons, calculi & scrupuli, qu'ils prennent pour celui des échecs, n'ont aucune ressemblance avec ce jeu, dans les choses qui en constituent l'essence, & qui distinguent les échecs de tous les autres jeux de dames, de merelles, de jettons, &c. avec lesquels ils le confondent. Voyez DAMES, JETTONS. &c.

Les premiers auteurs qui ayent incontestablement parlé des échecs dans l'Occident, sont nos vieux romanciers, ou les écrivains de ces fabuleuses histoires des chevaliers de la table-ronde, & des braves de la cour du roi Artus, des douze pairs de France, & des paladins de l'empereur Charlemagne.

Il faut même observer que ceux de ces romanciers qui ont parlé des Sarrasins, les représentent comme très-habiles à ce jeu. La princesse Anne Comnene, dans la vie de son pere Alexis Comnene empereur de Constantinople dans le xj. siecle, nous apprend que le jeu des échecs, qu'elle nomme zatrikion, a passé des Persans aux Grecs ; ainsi ce sont les écrivains orientaux qu'il faut consulter sur l'origine de ce jeu.

Les persans conviennent qu'ils n'en sont pas les inventeurs, & qu'ils l'ont reçu des Indiens, qui le porterent en Perse pendant le regne de Cosroës dit le Grand, au commencement du vj. siecle. D'un autre côté les Chinois, à qui le jeu des échecs est connu, & qui le nomment le jeu de l'éléphant, reconnoissent aussi qu'ils le tiennent des Indiens, de qui ils l'ont reçu dans le vj. siecle. Le Haï-Pien ou grand dictionnaire chinois, dit que ce fut sous le regne de Vouti, vers l'an 537 avant J. C. ainsi on ne peut douter que ce ne soit dans les Indes que ce jeu a été inventé : c'est de-là qu'il a été porté dans l'Orient & dans l'Occident.

Disons maintenant en peu de mots, ce que les écrivains arabes racontent de la maniere dont ce jeu fut inventé.

Au commencement du v. siecle de l'ere chrétienne, il y avoit dans les Indes un jeune monarque très-puissant, d'un excellent caractere, mais que ses flateurs corrompirent étrangement. Ce jeune monarque oublia bientôt que les rois doivent être les peres de leur peuple ; que l'amour des sujets pour leur roi, est le seul appui solide du throne, & qu'ils font toute sa force & toute sa puissance. Les bramines & les rayals, c'est-à-dire les prêtres & les grands, lui représenterent vainement ces importantes maximes ; le monarque enyvré de sa grandeur, qu'il croyoit inébranlable, méprisa leurs sages remontrances. Alors un bramine ou philosophe indien, nommé Sissa, entreprit indirectement de faire ouvrir les yeux au jeune prince. Dans cette vûe il imagina le jeu des échecs, où le roi, quoique la plus importante de toutes les pieces, est impuissante pour attaquer, & même pour se défendre contre ses ennemis, sans le secours de ses sujets.

Le nouveau jeu devint bientôt célebre ; le roi des Indes en entendit parler, & voulut l'apprendre. Le bramine Sissa, en lui en expliquant les regles, lui fit goûter des vérités importantes qu'il avoit refusé d'entendre jusqu'à ce moment.

Le prince, sensible & reconnoissant, changea de conduite, & laissa au bramine le choix de la récompense. Celui-ci demanda qu'on lui donnât le nombre de grains de blé que produiroit le nombre des cases de l'échiquier ; un seul pour la premiere, deux pour la seconde, quatre pour la troisieme, & ainsi de suite, en doublant toûjours jusqu'à la soixante-quatrieme. Le roi ne fit pas difficulté d'accorder sur le champ la modicité apparente de cette demande ; mais quand ses thrésoriers eurent fait le calcul, ils virent que le roi s'étoit engagé à une chose pour laquelle tous ses thrésors ni ses vastes états ne suffiroient point. En effet, ils trouverent que la somme de ces grains de blé devoit s'évaluer à 16384 villes, dont chacune contiendroit 1024 greniers, dans chacun desquels il y auroit 174762 mesures, & dans chaque mesure 32768 grains. Alors le bramine se servit encore de cette occasion pour faire sentir au prince combien il importe aux rois de se tenir en garde contre ceux qui les entourent, & combien ils doivent craindre que l'on n'abuse de leurs meilleures intentions.

Le jeu des échecs ne demeura pas long-tems renfermé dans l'Inde ; il passa dans la Perse pendant le regne du grand Cosroës, mais avec des circonstances singulieres que les historiens persans nous ont conservées, & que nous supprimerons ici : il nous suffira de dire que le nom de schatreingi ou schatrak qu'on lui donna, signifie le jeu de schach ou du roi : les Grecs en firent celui de zatrikion ; & les Espagnols, à qui les Arabes l'ont porté, l'ont changé en celui d'axedres, ou al xadres.

Les Latins le nommerent scaccorum ludus, d'où est venu l'italien scacchi. Nos peres s'éloignent moins de la prononciation orientale, en le nommant le jeu des échecs, c'est-à-dire du roi. Schah en persan, schek en arabe, signifient roi ou seigneur. On conserva le terme d'échec, que l'on employe pour avertir le roi ennemi de se garantir du danger auquel il est exposé : celui d'échec & mat vient du terme persan schakmat, qui veut dire le roi est pris ; & c'est la formule usitée pour avertir le roi ennemi qu'il ne peut plus espérer de secours.

Les noms de plusieurs pieces de ce jeu ne signifient rien de raisonnable que dans les langues de l'Orient. La seconde piece des échecs, aprés le roi, est nommée aujourd'hui reine ou dame ; mais elle n'a pas toûjours porté ce nom ; dans des vers latins du xij. siecle elle est appellée fercia. Nos vieux poëtes françois, comme l'auteur du roman de la rose, nomment cette piece fierce, fierche, & fierge, noms corrompus du latin fercia, qui lui-même vient du persan ferz, qui est en Perse le nom de cette piece, & signifie un ministre d'etat, un visir.

Le goût dans lequel on étoit de moraliser toutes sortes de sujets dans les xij. & xiij. siecles, fit regarder le jeu des échecs comme une image de la vie humaine. Dans ces écrits on compare les différentes conditions avec les pieces du jeu des échecs ; & l'on tire de leur marche, de leur nom & de leur figure, des occasions de moraliser sans fin, à la maniere de ces tems-là. Mais on se persuada bientôt que ce tableau seroit une image imparfaite de cette vie humaine, si l'on n'y trouvoit une femme ; ce sexe joue un rôle trop important, pour qu'on ne lui donnât pas une place dans le jeu, ainsi l'on changea le ministre d'état, le visir ou ferz, en dame, en reine ; & insensiblement, par une suite de la galanterie naturelle aux nations de l'Occident, la dame, la reine devint la plus considérable piece de tout le jeu.

La troisieme piece des échecs est le fou ; chez les Orientaux elle a la figure d'un éléphant, & elle en porte le nom, fil.

Les cavaliers, qui sont la quatrieme piece des échecs, ont la même figure & le même nom dans tous les pays : celui que nous employons, est la traduction du nom que lui donnent les Arabes.

La cinquieme piece des échecs est appellée aujourd'hui tour ; on la nommoit autrefois rok, d'où le terme de roquer nous est demeuré. Cette piece qui entre dans les armoiries de quelques anciennes familles, y a conservé & le nom de roc & son ancienne figure, assez semblable à celle que lui donnent les Mahométans, dont les échecs ne sont pas figurés. Les Orientaux la nomment, de même que nous, rokh, & les Indiens lui donnent la figure d'un chameau monté d'un cavalier, l'arc & la fleche à la main. Le terme de rok, commun aux Persans & aux Indiens, signifie dans la langue de ces derniers, une espece de chameau dont on se sert à la guerre, & que l'on place sur les ailes de l'armée, en forme de cavalerie legere. La marche rapide de cette piece, qui saute d'un bout de l'échiquier à l'autre, convient d'autant mieux à cette idée, que dans les premiers tems elle étoit la seule piece qui eût cette marche.

La sixieme ou derniere piece est le pion ou le fantassin, qui n'a souffert aucun changement, & qui représente aux Indes, comme chez nous, les simples soldats dont l'armée est composée.

Voilà le nom des pieces du jeu des échecs : entrons dans le détail, qu'on comprendra sans peine en arrangeant ces pieces sur l'échiquier de la maniere que nous allons indiquer.

J'ai dit ci-dessus qu'il y a au jeu des échecs seize pieces blanches d'un côté, & seize pieces noires de l'autre. De ces seize pieces il y en a huit grandes & huit petites : les grandes sont le roi, la reine ou la dame, les deux fous, savoir le fou du roi, & le fou de la dame, les deux cavaliers, l'un du roi, l'autre de la dame ; & les deux rocs ou tours du roi & de la dame. Ces huit grandes pieces se mettent sur les huit cases de la premiere ligne de l'échiquier, lequel doit être disposé de telle sorte que la derniere case à main droite, où se met la tour, soit blanche.

Les huit petites pieces sont les huit pions qui occupent les cases de la seconde ligne. Les pions prennent leurs noms des grandes pieces devant lesquelles ils sont placés : par exemple, le pion qui est devant le roi, se nomme le pion du roi ; celui qui est devant la dame, se nomme le pion de la dame ; le pion qui est devant le fou du roi ou le fou de la dame, le cavalier du roi ou le cavalier de la dame, la tour du roi ou la tour de la dame, s'appelle le pion du fou du roi, le pion du fou de la dame ; le pion du cavalier du roi, le pion du cavalier de la dame ; le pion de la tour du roi, le pion de la tour de la dame.

L'on appelle la case où se met le roi, la case du roi ; l'on nomme celle où est son pion, la deuxieme case du roi ; celle qui est devant le pion est appellée la troisieme case du roi ; & l'autre plus avancée, la quatrieme case du roi. Il en est de même de toutes les cases de la premiere ligne, qui retiennent chacune le nom des grandes pieces qui les occupent, comme aussi des autres cases, qui portent celui de deuxieme, troisieme & quatrieme case de la dame, du fou du roi, du fou de la dame, & ainsi des autres.

Le roi est la premiere & la principale piece du jeu, il se met au milieu de la premiere ligne : si c'est le roi blanc, il occupe la quatrieme case noire ; si c'est le roi noir, il se place à la quatrieme case blanche, vis-à-vis l'un de l'autre. Sa marche est comme celle de toutes les autres pieces, excepté celle du chevalier. Le roi ne fait jamais qu'un pas à la fois, si ce n'est quand il saute : alors il peut sauter deux cases, & cela de deux manieres seulement (toutes les autres manieres n'étant point en usage), savoir ou de son côté, ou du côté de sa dame. Quand il saute de son côté, il se met à la case de son cavalier, & la tour se met auprès de lui, à la case de son fou ; & quand il saute du côté de sa dame, il se met à la case du fou de sa dame, & la tour de sa dame à la case de sa dame : on appelle ce saut qu'on fait faire au roi, roquer.

Il y a cinq rencontres où le roi ne peut sauter ; la premiere, c'est lorsqu'il y a quelque piece entre lui & la tour du côté de laquelle il veut aller, la seconde, quand cette tour-là a déjà été remuée ; la troisieme, lorsque le roi a été obligé de sortir de sa place ; la quatrieme, quand il est en échec ; & la cinquieme, lorsque la case par-dessus laquelle il veut sauter, est vûe de quelque piece de son ennemi qui lui donneroit échec en passant. Quoique les rois ayent le pouvoir d'aller sur toutes les cases, toutefois ils ne peuvent jamais se joindre ; il faut tout au moins qu'il y ait une case de distance entr'eux.

La dame blanche se met à la quatrieme case blanche, joignant la gauche de son roi : la dame noire se place à la quatrieme case noire, à la droite de son roi. La dame va droit & de biais, comme le pion, le fou & la tour ; elle peut aller d'un seul coup d'un bout de l'échiquier à l'autre, pourvû que le chemin soit libre : elle peut aussi prendre de tous côtés, de long, de large & de biais, de près & de loin, selon que la nécessité du jeu le requiert.

Les fous sont placés, l'un auprès du roi, & l'autre près de la dame, leur marche est seulement de biais : desorte que le fou qui est une fois sur une case blanche, va toûjours sur le blanc ; & le fou dont la case est noire, ne marche jamais que sur le noir. Ils peuvent aller & prendre à droite & à gauche, & rentrer de même, tant qu'ils trouvent du vuide.

Les cavaliers sont postés, l'un auprès du fou du roi, l'autre joignant le fou de la dame, leur mouvement est tout-à-fait différent des autres pieces : leur marche est oblique, allant toûjours de trois cases en trois cases, de blanc en noir & de noir en blanc, sautant même par-dessus les autres pieces. Le cavalier du roi a trois sorties ; savoir à la deuxieme case de son roi, ou à la troisieme case du fou de son roi, ou bien à la troisieme case de sa tour. Le cavalier de la dame peut aussi commencer par trois endroits différens ; par la deuxieme case de la dame, par la troisieme case du fou de sa dame, & par la troisieme de sa tour : cela s'entend si les cases sont vuides, si elles étoient néanmoins occupées par quelque piece de l'ennemi, il a le pouvoir de les prendre. Le cavalier a deux avantages qui lui sont particuliers : le premier est que quand il donne échec, le roi ne peut être couvert d'aucune piece, & est contraint de marcher ; le second, c'est qu'il peut entrer dans un jeu & en sortir, quelque serré & défendu qu'il puisse être.

Les tours sont situées aux deux extrémités de la ligne, à côté des cavaliers : elles n'ont qu'un seul mouvement qui est toûjours droit ; mais elles peuvent aller d'un coup sur toute la ligne qui est devant elle, ou sur celle qui est à leur côté, & prendre la piece qu'elles trouvent en leur chemin. La tour est la piece la plus considérable du jeu après la dame, parce qu'avec le roi seul elle peut donner échec & mat, ce que ne sauroient faire ni le fou ni le cavalier.

Les huit pions se placent sur les huit cases de la deuxieme ligne : leur mouvement est droit de case en case : ils ne vont jamais de biais, si ce n'est pour prendre quelque piece : ils ont le pouvoir d'aller deux cases, mais seulement le premier coup qu'ils jouent, après quoi ils ne marchent plus que case à case. Quand un pion arrive sur quelqu'une des cases de la derniere ligne de l'échiquier, qui est la premiere ligne de l'ennemi, alors on en fait une dame, qui a toutes les démarches, les avantages & les propriétés de la dame ; & si le pion donne échec, il oblige le roi de sortir de sa place. Il faut de plus remarquer que le pion ne peut pas aller deux cases, encore que ce soit son premier coup, quand la case qu'il veut passer est vûe par quelque pion de son ennemi. Par exemple, si le pion du chevalier du roi blanc est à la quatrieme case du chevalier du roi noir, le pion du fou du roi noir ne peut pas pousser deux cases, parce qu'il passeroit par-dessus la case qui est vûe par le pion du cavalier du roi blanc, qui pourroit le prendre au passage. L'on en peut dire autant de tous les autres pions ; néanmoins le contraire se pratique quelquefois, & principalement en Italie, où l'on appelle cette façon de jouer, passer bataille.

La maniere dont les pieces de ce jeu se prennent l'une l'autre, n'est pas en sautant par-dessus, comme aux dames, ni en battant simplement les pieces, comme l'on bat les dames au trictrac, mais il faut que la piece qui prend se mette à la place de celle qui est prise, en ôtant la derniere de dessus l'échiquier.

Echec est un coup qui met le roi en prise, mais comme par le principe de ce jeu il ne se peut prendre, ce mot se dit pour l'avertir de quitter la case où il est, ou de se couvrir de quelqu'une de ses pieces ; car en cette rencontre il ne peut pas sauter, comme nous avons dit ci-dessus. L'on appelle échec double, quand le roi le reçoit en même tems de deux pieces ; alors il ne s'en peut parer qu'en changeant de place, ou bien en prenant l'une de ces deux pieces sans se mettre en échec de l'autre. Le pat ou mat suffoqué, c'est quand le roi n'ayant plus de pieces qui se puissent joüer, & se trouvant environné des pieces ennemies, sans être en échec, il ne peut pourtant changer de place sans s'y mettre, auquel cas on n'a ni perdu ni gagné, & le jeu se doit recommencer.

L'échec & mat aveugle est ainsi appellé, lorsque l'un des joüeurs gagne sans le savoir, & sans le dire au moment qu'il le donne ; alors quand on joue à toute rigueur, il ne gagne que la moitié de ce qu'on a mis au jeu. Enfin l'échec & mat est ce qui finit le jeu, lorsque le roi se trouve en échec dans la case où il est, qu'il ne peut sortir de sa place sans se mettre encore en échec, & qu'il ne sauroit se couvrir d'aucune de ses pieces ; c'est pour lors qu'il demeure vaincu, & qu'il est obligé de se rendre.

On conçoit aisément par le nombre des pieces la diversité de leurs marches, & le nombre des cases, combien ce jeu doit être difficile. Cependant nous avons eu à Paris un jeune homme de l'âge de 18 ans ; qui joüoit à la fois deux parties d'échecs sans voir le damier, & gagnoit deux joüeurs au-dessus de la force médiocre, à qui il ne pouvoit faire à chacun en particulier avantage que du cavalier, en voyant le damier, quoiqu'il fût de la premiere force. Nous ajoûterons à ce fait une circonstance dont nous avons été temoins oculaires ; c'est qu'au milieu d'une de ses parties, on lui fit une fausse marche de propos délibéré, & qu'au bout d'un assez grand nombre de coups, il reconnut la fausse marche, & fit remettre la piece où elle devoit être. Ce jeune homme s'appelle M. Philidor ; il est fils d'un musicien qui a eu de la réputation ; il est lui-même grand musicien, & le premier joüeur de dames polonoises qu'il y ait peut-être jamais eu, & qu'il y aura peut-être jamais. C'est un des exemples les plus extraordinaires de la force de la mémoire & de l'imagination. Il est maintenant à Paris.

On fait les pieces ou jeu des échecs d'os, d'ivoire, ou de bois, différemment tournées, pour les caractériser ; & de plus, chacun reconnoît ses pieces par la couleur qui les distingue. Autrefois on joüoit avec des échecs figurés, comme le sont ceux qu'on conserve dans le thrésor de Saint-Denis. A présent on y met la plus grande simplicité.

Il est singulier combien de gens de lettres se sont attachés à rechercher l'origine de ce jeu ; je me contenterai de citer un Espagnol, un Italien, & un François. Lopes de Segura, de la invencion del juego del axedres : son livre est imprimé à Alcala, en 1661, in -4°. Dominico Tarsia, del'invenzione degli scacchi, à Venise, in -8°. Opinions du nom & du jeu des échecs, par M. Sarrasin, Paris, in -12. N'oublions pas de joindre ici un joli poëme latin de Jérôme Vida, traduit dans notre langue par M. Louis des Mazures.

Les Chinois ont fait quelques changemens à ce jeu ; ils y ont introduit de nouvelles pieces, sous le nom de canons ou de mortiers. On peut voir le détail des regles de leurs échecs, dans la relation de Siam de M. de la Loubere, & dans le livre du savant Hyde, de ludis orientalium. Tamerlan y fit encore de plus grands changemens : par les pieces nouvelles qu'il imagina, & par la marche qu'il leur donna, il augmenta la difficulté d'un jeu déjà trop composé pour être regardé comme un délassement. Mais l'on a suivi en Europe l'ancienne maniere de joüer, dans laquelle nous avons eu de tems en tems d'excellens maîtres, entr'autres le sieur Boi, communément appellé le Syracusain, qui par cette raison fut fort considéré à la cour d'Espagne du tems de Philippe II. & dans le dernier siecle, Gioachim Greco, connu sous le nom de Calabrois, qui ne put trouver son égal à ce jeu dans les diverses cours de l'Europe. On a recueilli de la maniere de joüer de ces deux champions, quelques fragmens dont on a composé un corps régulier, qui contient la science pratique de ce jeu, & qui s'appelle le Calabrois. Il est fort aisé de l'augmenter.

Mais ce livre ne s'étudie guere aujourd'hui, les échecs sont assez généralement passés de mode, d'autres goûts, d'autres manieres de perdre le tems, en un mot d'autres frivolités moins excusables, ont succédé. Si Montagne revenoit au monde, il approuveroit bien la chûte des échecs ; car il trouvoit ce jeu niais & puérile : & le cardinal Cajétan, qui ne raisonnoit pas mieux sur cette matiere, le mettoit au nombre des jeux défendus, parce qu'il appliquoit trop.

D'autres personnes au contraire frappées de ce que le hasard n'a point de part à ce jeu, & de ce que l'habileté seule y est victorieuse, ont regardé les bons joüeurs d'échecs comme doüés d'une capacité supérieure : mais si ce raisonnement étoit juste, pourquoi voit-on tant de gens médiocres, & presque des imbécilles qui y excellent, tandis que de très-beaux génies de tous ordres & de tous états, n'ont pû même atteindre à la médiocrité ? Disons donc qu'ici comme ailleurs, l'habitude prise de jeunesse, la pratique perpétuelle & bornée à un seul objet, la mémoire machinale des combinaisons & de la conduite des pieces fortifiée par l'exercice, enfin ce qu'on nomme l'esprit du jeu, sont les sources de la science de celui des échecs, & n'indiquent pas d'autres talens ou d'autre mérite dans le même homme. Voyez JEU. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ECHÉES. f. en termes de Cardeur, est une certaine quantité de fil devidé sur le devidoir ; cette quantité est ordinairement de trois cent tours du devidoir.


ECHELAGES. m. (Jurispr.) terme de coûtume ; c'est le droit de poser une échelle sur l'héritage d'autrui, pour relever quelque ruine. Ce qui est droit d'échelage d'un côté, est servitude d'échelage de l'autre.


ECHELETTES. f. (Archit. Oecon. rust. & Arts mech.) c'est une petite échelle. V. l'article ECHELLE. C'est ainsi qu'on nomme sur-tout celle qu'on place sur le dos des bêtes de somme, pour y placer de la viande, du foin, de la paille, en un mot ce qu'on veut transporter ; & celle qu'on place sur le devant d'une charrette ridelée, qui est plus large en-bas qu'en-haut, & qui sert dans ces cas à contenir le foin dont la charrette est chargée.


ECHELIEou RANCHER, s. m. (Archit.) c'est une longue piece de bois traversée de petits échelons, appellés ranches, qu'on pose à plomb pour descendre dans une carriere, & en arc-boutant pour monter à un engin, grue, gruau, &c. (P)

ECHELIER, (Hydr.) voyez RANCHER. (K)


ECHELLES. f. en Mathematiques, consiste en une ou plusieurs lignes tirées sur du papier, du carton, du bois, du métal ou toute autre matiere, divisées en parties égales ou inégales. Ces échelles sont fort utiles, quand on veut représenter en petit & dans leur juste proportion, les distances que l'on a prises sur le terrein.

Il y a des échelles de différente espece, appropriées à différens usages. Les principales sont.

L'échelle des parties égales, qui n'est autre chose qu'une ligne, telle que A B (Planche d'Arp. fig. 37.), divisée en un nombre quelconque de parties égales, par exemple 5 ou 10, ou davantage ; une de ces parties est ensuite subdivisée en 10, ou un plus grand nombre de parties égales plus petites.

Quand une ligne est ainsi divisée, si une des plus grandes divisions représente 10 d'une mesure quelconque, par exemple 10 milles, 10 chaînes, 10 toises, 10 piés, ou 10 pouces, chacune des petites divisions que cette grande division contient, représentera un mille, une chaîne, une toise, un pié, ou un pouce.

L'usage de cette échelle est fort aisé à concevoir. Par exemple, si l'on veut représenter par son moyen une distance de 32 milles, ou de 32 perches, on prendra avec le compas l'intervalle de trois grandes divisions qui valent 30, & l'intervalle de deux petites divisions, pour les unités : en traçant cette longueur sur le papier, elle contiendra 32 parties de l'échelle, dont chacune est supposée valoir un mille ou une perche, ou &c. S'il s'agissoit de mesurer une ligne quelconque avec une échelle donnée, on prendroit la longueur de la ligne avec un compas ; & appliquant une des pointes de cet instrument sur une des grandes divisions de l'échelle, on remarqueroit où tombe l'autre pointe : alors le nombre des grandes & des petites divisions, qui se trouveroit renfermé entre les pointes du compas, donneroit le nombre de milles, de perches, &c.

Les échelles proportionnelles, que l'on appelle aussi logarithmiques, sont des nombres artificiels ou des logarithmes, placés sur des lignes ; afin d'avoir l'avantage de pouvoir multiplier, diviser, &c. avec le compas. Voyez LOGARITHME.

En Géographie & en Architecture, une échelle est une ligne divisée en parties égales, & placée au-bas d'une carte, d'un dessein, ou d'un plan, pour servir de commune mesure à toutes les parties d'un bâtiment, ou bien à toutes les distances & à tous les lieux d'une carte. Voyez CARTE.

Dans les grandes cartes, comme celles des royaumes & des provinces, &c. l'échelle représente ordinairement des lieues, des milles, &c. c'est ce qui fait que l'on dit une échelle de lieues, une échelle de milles, &c.

Dans les cartes particulieres, comme celles d'une seigneurie, d'une ville, d'une ferme, &c. l'échelle représente ordinairement des perches, ou des toises subdivisées en piés.

Les échelles dont on fait ordinairement usage dans le Dessein, ou le plan d'un bâtiment, représentent des modules, des toises, des piés, des pouces ; & autres mesures semblables.

Pour trouver sur une carte la distance entre deux villes, on en prend l'intervalle avec un compas ; & appliquant cet intervalle sur l'échelle de la carte, on jugera par le nombre de divisions qu'il renferme, de la distance des deux villes. Par la même méthode, on trouve la hauteur d'un étage dans un plan de bâtiment.

L'échelle de front, en Perspective, est une ligne droite parallele à la ligne horisontale, & divisée en parties égales, qui représentent des piés, des pouces, &c.

L'échelle fuyante est aussi une ligne droite verticale dans un dessein de perspective, & divisée en parties inégales, qui représentent des piés, des pouces, &c. Harris & Chambers. (E)

Pour en donner une idée plus précise, soit Q N (fig. 15 de Perspect.) une ligne horisontale divisée en parties égales QI, III, IIIII, IIIIV, &c. & soit tirée du point P, que je suppose être la place de l'oeil, des lignes PI, PII, PIII, &c. qui coupent en 1, 2, 3, &c. la ligne verticale Q R. Il est aisé de s'assûrer à l'oeil, & de démontrer par la Géométrie, qu'en supposant la ligne horisontale Q N divisée en parties égales, les parties correspondantes Q 1, 12, 23, &c. de la verticale iront toûjours en diminuant ; & que menant P O horisontale, la verticale Q O sera l'échelle de toutes les parties de la ligne Q N, quelque grande qu'on suppose cette derniere ligne : c'est ce qui a fait donner à l'échelle Q R le nom d'échelle fuyante. Pour avoir le rapport d'une partie quelconque 23 de l'échelle fuyante à la partie correspondante IIIII, on menera la verticale II a, & on considérera que 23 est à II a comme P 2 est à PII, comme M Q est à MII, & que II a est à IIIII comme P M est à MIII ; donc 23 est à IIIII comme M Q multiplié par P M est à MII multiplié par MIII ; donc 23 = (IIIII. MQ. PM)/(MII. MIII) = à très-peu-près (IIIII. MQ. PM,)/(MII2) en supposant les parties IIIII très-petites par rapport à la ligne entiere. Donc les parties de l'échelle fuyante seront entr'elles à-peu-près dans la raison inverse des quarrés des parties correspondantes MII ; ou pour parler plus exactement, deux parties voisines 23, 34 de l'échelle fuyante, sont entr'elles comme MIV à MII, c'est-à-dire en raison inverse des parties MII, MIV. (O)

ECHELLES ARITHMETIQUES. Quoique nous ayons déjà traité cette matiere aux mots ARITHMETIQUE, BINAIRE, CALCUL, DACTYLONOMIE, DECIMAL, & autres, l'article suivant qui nous a été communiqué sur ce même objet nous paroît digne d'être donné au public. Il est de M. Rallier des Ourmes, conseiller d'honneur au présidial de Rennes, qui veut bien concourir à notre travail pour ce volume & les suivans, comme on le verra par plusieurs sieurs excellens articles qu'il nous a envoyés.

I. ECHELLE ARITHMETIQUE, dit-il, est le nom qu'on donne à une progression géométrique par laquelle se regle la valeur relative des chiffres simples, ou l'accroissement graduel de valeur qu'ils tirent du rang qu'ils occupent entr'eux.

Elle est formée de puissances consécutives d'un nombre r, toûjours égal à celui des caracteres numériques ou chiffres (y compris 0), auquel on a trouvé bon de se fixer dans le système de numération établi ; & le premier & le plus petit terme en est r°.

II. Etant donc posée une telle progression, si l'on conçoit une suite de chiffres pris comme on voudra, qui lui corresponde terme à terme, on est convenu que la valeur relative de chacun d'eux seroit le produit de sa valeur propre ou absolue par la puissance de r qui lui correspond dans la progression. Cette idée heureuse nous met en état de représenter nettement & avec peu de caracteres les nombres les plus grands & incapables par leur grandeur même d'être saisis par notre imagination.

III. Comme les rangs des chiffres se comptent dans le même sens qu'est dirigé le cours des exposans potentiels dans la progression, & que le premier exposant est 0, il suit que l'exposant de la puissance est toûjours plus petit d'une unité que le rang du chiffre correspondant ; ensorte que nommant n le rang qu'occupe un chiffre a quelconque dans sa suite, l'expression de sa valeur relative est généralement a x r(n - 1).

Si l'on cherche, par exemple, la valeur du 4 dans 437, relativement à notre échelle, où r = 10, & où les rangs se comptent de droite à gauche, on la trouvera = 4 x 10(3 - 1) = 4 x 102 = 4 x 100 = 400.

IV. Le nombre r est dit la racine de l'échelle ; & c'est de lui que l'échelle même prend son nom. r = 10 fait nommer denaire celle dont nous nous servons ; r = 2 donneroit l'échelle binaire ; r = 7 la septenaire, &c.

V. La progression décuple qui constitue notre échelle, est croissante de droite à gauche, & nous supposerons la même direction dans toutes les autres auxquelles nous pourrons la comparer ; mais elle pouvoit l'être tout aussi-bien de gauche à droite. On eût pû même lui donner une direction verticale & la rendre croissante, soit de haut en-bas, soit de bas en-haut. En un mot l'arbitraire avoit lieu ici tout comme pour l'écriture : si nous dirigeons nos lignes de gauche à droite, d'autres peuples les ont dirigées & les dirigent encore de droite à gauche ; d'autres de bas en-haut ou de haut en-bas.

VI. r trop petit nous eût réduit à employer beaucoup de caracteres pour représenter un nombre assez médiocre. r trop grand nous eût obligé de multiplier les caracteres, au risque de surcharger la mémoire & aux dépens de la simplicité. r = 10 semble entre ces deux extrèmes tenir un juste milieu. Ce n'est pas que quelques savans n'ayent pensé qu'on eût pû mieux choisir. Voyez BINAIRE. Pour mettre le lecteur en état de juger de leur prétention, nous allons donner le moyen de comparer entr'elles les diverses échelles arithmétiques. Tout peut se réduire aux cinq ou même aux trois problèmes ci-après :

VII. Problème 1. L'expression a d'un nombre étant donnée dans l'échelle usuelle, trouver l'expression du même nombre dans une autre échelle quelconque, dont la racine b est aussi donnée.

Solution. Cherchez la plus haute puissance de b qui soit contenue dans a. Nommant n l'exposant de cette puissance, n + 1 sera le nombre de chiffres de l'expression cherchée. Pour l'avoir, divisez a par b, le premier reste par b(n - 1), le second reste par b(n - 2), & ainsi de suite jusqu'à b(n-n) ou b° inclusivement. Tous ces quotiens pris en nombres entiers & écrits à la suite l'un de l'autre dans l'ordre qu'ils viendront, donneront l'expression cherchée dans l'échelle dont la racine est b ; ensorte que désignant le premier reste par r1, le second reste par r2, &c. la formule générale sera a/bn . r1/b(n-1) . r2/b(n-2) .... rn/b°.

Exemple. Un nombre exprimé par 4497 dans l'échelle usuelle, comment le sera-t-il dans la septenaire ?

Le même nombre ne pourroit être exprimé dans l'échelle binaire par moins de treize caracteres.

VIII. Problème 2. L'expression A d'un nombre étant donnée dans une échelle quelconque (autre que l'usuelle), dont la racine b est connue, trouver l'expression du même nombre dans l'échelle usuelle.

Solution. Soient les chiffres du nombre A représentés dans le même ordre par les indéterminées c. d. e. f.... D.

Nommant n + 1 le nombre des chiffres de A, n sera (n°. 7.) l'exposant de la plus haute puissance de b qui y soit contenue. Cela posé, multipliez respectivement c par bn, d par b(n - 1), & ainsi de suite, jusqu'à b° inclusivement, la somme de tous ces produits sera dans l'échelle usuelle l'expression cherchée du nombre proposé, dont la formule générale sera c bn + d b(n - 1) + e b(n - 2).... + D b°.

Exemple. Un nombre exprimé par 16053 dans l'échelle septenaire, comment le sera-t-il dans l'échelle usuelle ?

IX. Problème 3. L'expression a d'un nombre étant donnée dans l'échelle usuelle, & l'expression A du même nombre dans une autre échelle, trouver la racine b de cette seconde échelle.

Solution. Par le problème précédent c bn + d b(n - 1).... + D b° = a ; d'où c bn + d b(n - 1).... + D b° - a = 0, équation du degré n, laquelle étant résolue donnera la valeur de b. Voyez EQUATION.

Exemple. Le même nombre est exprimé par 4497 dans l'échelle usuelle, & par 16053 dans une autre échelle : quelle est la racine b de cette seconde échelle ?

Mais sans entrer dans aucun calcul, il est aisé de voir que b est d'un côté < 10 (puisqu'il y a plus de chiffres dans A que dans a), & d'un autre côté > 6 (puisque 6 entre dans l'expression A ;) essayant donc les nombres entre 6 & 10, on trouve que 7 est celui qui convient, & qu'il résoud l'équation.

X. Problème 4. Etant données les racines b & r de deux échelles (toutes deux autres que l'usuelle) avec l'expression A d'un nombre dans la premiere, trouver l'expression du même nombre dans la seconde.

Problème 5. Etant données les expressions A & a du même nombre en deux échelles autres que l'usuelle, avec la racine b de la premiere, trouver la racine de la seconde.

Solution commune. Si dans l'un & dans l'autre cas on réduit (par le problème II.) l'expression A à l'échelle usuelle, le problème IV. ne sera plus que le premier, ni le problème V. que le troisieme.

Exemple pour le problème 4. Un nombre exprimé par 16053 dans l'échelle septenaire, comment le sera-t-il dans la duodénaire ?

16053 réduit (problème 2.) à l'échelle usuelle, devient 4497 ; puis cherchant (problème 1.) l'expression de 4497 dans l'échelle duodénaire, on trouve 2729.

Exemple pour le problème 5. Le même nombre qui est exprimé par 16053 dans l'échelle septenaire, l'est par 2729 dans une autre échelle : quelle est la racine de cette seconde échelle ?

16053 réduit à l'échelle usuelle, devient 4497 ; puis opérant (problème 3.) sur 4497 & sur 2729, on trouve 12 pour la racine de la seconde échelle.

* ECHELLE, (Anatomie) il se dit des deux rampes ou contours du limaçon. Voyez LIMAÇON.

ECHELLE, c'est en Musique, le nom qu'on a donné à la succession diatonique de sept notes, ut, ré, mi, fa, sol, la, si ; parce que ces notes se trouvent rangées en maniere d'échelons sur les portées de la Musique.

Cette énumération de tous les sons de notre système rangés par ordre, que nous appellons échelle, les Grecs pour le leur l'appelloient diagramme. On peut voir au mot SYSTEME, le diagramme complet de toute la Musique ancienne.

S. Grégoire fut le premier qui changea les tétracordes des anciens en un eptacorde, ou succession de sept notes ; au bout desquelles commençant une autre octave, on trouve les mêmes sons répétés dans le même ordre. Cette découverte est très-belle ; & il est singulier que les Grecs qui voyoient fort bien les propriétés de l'octave, ayent crû malgré cela devoir rester attachés à leurs tétracordes. Grégoire exprima ces sept notes avec les sept premieres lettres de l'alphabet latin ; Guy Aretin donna d'autres noms aux six premieres : mais il négligea d'en donner un à la septieme note, qu'en France nous avons depuis appellée si, & qui n'a point encore d'autre nom que b chez la plûpart des peuples de l'Europe. Voyez GAMME.

Il ne faut pas croire que les rapports des tons & semi-tons dont l'échelle est composée, soient des choses arbitraires, & qu'on eût pû par d'autres divisions donner aux sons de cette échelle un ordre & des rapports différens, sans diminuer la perfection du système. Notre système est le meilleur, parce qu'il est engendré par les consonnances & par les différences qui sont entr'elles. " Que l'on ait entendu plusieurs fois, dit M. Sauveur, l'accord de la quinte & celui de la quarte, on est porté naturellement à imaginer la différence qui est entr'eux ; elle s'unit & se lie avec eux dans notre esprit, & participe à leur agrément : voilà le ton majeur. Il en va de même du ton mineur, qui est la différence de la tierce mineure à la quarte, & du semi-ton majeur qui est celle de la même quarte à la tierce majeure ". Or le ton majeur, le ton mineur, & le semi-ton majeur, voilà les degrés diatoniques dont notre échelle est composée selon les rapports suivans.

Pour servir de preuve à ce calcul, il ne faut que composer tous ces rapports, & l'on trouvera le rapport total en raison double, c'est-à-dire, comme un est à deux : ce qui est en effet le rapport exact des deux termes extrèmes, ou de l'ut à son octave.

L'échelle dont nous venons de parler, est celle qu'on nomme naturelle ou diatonique ; mais les modernes divisant ses degrés en d'autres intervalles plus petits, en ont tiré une autre échelle qu'ils ont appellée échelle semi-tonique ou chromatique ; parce qu'elle procede par semi-tons.

Pour former cette échelle, on n'a fait que partager en deux intervalles égaux chacun des cinq tons entiers de l'octave ; ce qui, avec les deux semi-tons qui s'y trouvoient déjà, fait une succession de douze semi-tons sur treize, d'une octave à l'autre.

L'usage de cette échelle est de donner les moyens de moduler sur telle note qu'on veut choisir pour fondamentale, & de pouvoir faire sur cette note un intervalle quelconque. Tant qu'on s'est contenté d'établir pour tonique une note de la gamme à volonté, sans s'embarrasser si les sons par lesquels devoit passer la modulation, étoient avec cette note dans les rapports convenables, l'échelle semi-tonique étoit peu nécessaire ; quelque fa dièse, quelque si bémol, composoient tout ce qu'on appelloit les feintes de la Musique : c'étoient seulement deux touches à ajoûter au clavier diatonique. Mais depuis qu'on a crû sentir la nécessité d'établir entre les divers tons une similitude parfaite, il a fallu trouver des moyens de transporter les mêmes chants & les mêmes intervalles, plus haut & plus bas, selon le ton qu'on choisissoit. L'échelle chromatique est donc devenue d'une nécessité indispensable, & c'est par son moyen qu'on porte un chant sur tel degré du clavier que l'on veut choisir, & qu'on le rend exactement, sur cette nouvelle position, tel qu'il peut avoir été imaginé sur une autre.

Ces cinq sons ajoutés ne forment pas dans la Musique de nouveaux degrés : mais ils se marquent tous sur le degré le plus voisin par un bémol, si ce degré est plus haut ; par un dièse, s'il est plus bas ; & la note prend toûjours le nom du degré où elle est placée. Voyez BEMOL & DIESE.

Pour assigner maintenant les rapports de ces nouveaux intervalles, il faut savoir que les deux parties ou semi-tons qui composent le ton majeur, sont dans les rapports de 15 à 16, & de 128 à 135 ; & que les deux qui composent aussi le ton mineur, sont dans les rapports de 15 à 16, & de 24 à 25 : de sorte qu'en divisant toute l'octave selon l'échelle semi-tonique, on en a tous les termes dans les rapports suivans.

Il y a encore deux autres especes d'échelle semi-tonique, qui viennent de deux autres manieres de diviser l'octave par semi-tons.

La premiere se fait en prenant une moyenne arithmétique ou harmonique entre les deux termes du ton majeur, & une autre entre ceux du ton mineur : ce qui divise l'un & l'autre ton en deux semi-tons presque égaux. Ainsi le ton majeur 8 9 est divisé en 16 17, 17 18 arithmétiquement, les nombres représentant les longueurs des cordes : mais quand ils représentent les vibrations, les longueurs des cordes sont réciproques, & en proportion harmonique, comme 1 16/17 8/9 ; ce qui met le semi-ton majeur 16/17 au grave, & le mineur 17/18 à l'aigu, selon la propriété de la division harmonique. De la même maniere, le ton mineur 9 10 se divise arithmétiquement en deux semi-tons 18 19 & 19 20, ou réciproquement 1 18/19 9/10 : mais cette derniere division n'est pas harmonique.

Toute l'octave ainsi calculée, donne les rapports suivans.

M. Salmon rapporte dans les transactions philosophiques, qu'il a fait en présence de la société royale, une expérience de cette échelle sur des cordes divisées exactement selon ces proportions, & qu'elles furent parfaitement d'accord avec d'autres instrumens, touchés par les meilleures mains. M. Malcolm ajoûte qu'ayant calculé & comparé ces rapports, il en trouva un plus grand nombre de faux dans cette échelle, que dans la précédente : mais que les erreurs étoient considérablement plus petites ; ce qui fait compensation.

Enfin l'autre échelle semi-tonique est celle des Aristoxéniens, dont le P. Mersenne a traité fort au long, & que M. Rameau a tenté de renouveller dans ces derniers tems. Elle consiste à diviser géométriquement l'octave par onze moyennes proportionnelles en douze semi-tons, parfaitement égaux. Comme les rapports n'en sont pas rationnels, nous ne donnerons point ici ces rapports, qu'on ne peut exprimer que par la formule même, ou par les logarithmes des termes de la progression entre les extrèmes 1 & 2. Voyez TEMPERAMENT. (S)

L'échelle diatonique des anciens n'étoit pas disposée de la même maniere que la nôtre ; elle procédoit ainsi, si ut ré mi fa sol la : d'où l'on voit 1°. qu'elle commençoit par un demi-ton, & par la note sensible de la tonique ut, & qu'elle n'alloit pas jusqu'à l'octave : 2°. qu'elle étoit composée de deux tétracordes conjoints si ut ré mi, mi fa sol la, & parfaitement semblables. Ces tétracordes s'appellent conjoints, parce qu'ils sont joints par la note mi, qui leur est commune ; de plus, ils sont semblables, parce que la basse fondamentale la plus simple du premier est sol ut sol ut, & que celle du second est ut fa ut fa, qui procede précisément de même par intervalles de quintes ; d'où il s'ensuit que la progression des sons mi fa sol la, est précisément la même que celle des sons si ut ré mi, ensorte que de mi à fa, il y a même rapport que de si à ut, de fa à sol, que de ut à ré, &c. 3°. on voit de plus pourquoi cette échelle n'enferme que sept tons ; car pour qu'elle allât jusqu'au si, il faudroit que ce si pût avoir sol pour basse fondamentale, ce sol étant sa seule basse naturelle. Or le la précédent a pour basse fondamentale fa : on auroit donc fa sol de suite diatoniquement à la basse fondamentale, ce qui est contre les regles de cette basse (voyez BASSE FONDAMENTALE, LIAISON, &c. voy. aussi l'art. PROSLAMBANOMENE) : 4°. on voit enfin que dans cette échelle, la du second tétracorde est tierce de fa sa basse, comme mi du premier tétracorde l'est d'ut sa basse : 5°. enfin, on trouvera facilement par le calcul, suivant les méthodes connues & pratiquées ci-dessus, que du ré au la la quinte n'est pas parfaitement juste, mais qu'elle est altérée d'un comma (voyez ce mot) ; & que du ré au fa, la tierce est altérée de même.

Il est singulier que les Grecs, qui paroissent n'avoir eu aucune connoissance développée de la basse fondamentale, l'ayent devinée implicitement, pour ainsi dire, en formant leur système diatonique d'une maniere si simple & si conforme à la progression la plus naturelle & la moins composée de cette basse. On va voir que notre échelle est plus composée & moins exacte. 1°. Il faut l'arranger ainsi, ut ré mi fa sol, sol la si ut, & lui donner pour sa basse fondamentale la plus simple ut sol ut fa ut, sol ré sol ut. On voit déjà que cette basse est plus composée & moins simple que la précédente, puisqu'elle a un son ré de plus, & qu'outre cela elle est de neuf sons en tout. 2°. Le la, dans l'échelle diatonique, est quinte du ré ; & on trouvera que ce la ne fait pas avec fa une tierce majeure juste, ni avec ut une tierce mineure juste, ni une quarte juste avec mi, & que la tierce mineure de ré à fa est altérée aussi. Voilà donc quatre intervalles altérés ici ; au lieu que dans l'échelle des Grecs, il n'y en a que deux. Voyez sur cela les ouvrages de M. Rameau, entr'autres sa démonstration du principe de l'harmonie, le rapport des commissaires de l'académie imprimé à la suite, & mes élémens de musique. Dans l'échelle ut ré mi fa sol la si ut, les deux tétracordes ut ré mi fa, sol la si ut, sont disjoints, parce qu'ils n'ont aucun son commun. De plus, ces deux tétracordes, ou plûtôt les deux parties ut ré mi fa sol, sol la si ut, de l'échelle moderne, sont réellement dans deux modes différens ; le premier dans celui d'ut, le second dans celui du sol (voy. MODE), au lieu que les deux tétracordes si ut ré mi, mi fa sol la, de l'échelle ancienne sont tous deux dans le mode d'ut.

En ne répetant point le son sol dans notre gamme, on peut lui donner cette basse fondamentale ut sol ut fa ut ré sol ut, dans laquelle le second ré & le second sol porteront accord de septieme (voyez DOUBLE EMPLOI) ; ainsi la basse ne sera point simplifiée par-là, excepté peut-être en ce que l'échelle entiere sera alors dans le même mode.

Quand l'échelle diatonique descend en cette sorte, ut si la sol fa mi ré ut, la basse fondamentale n'est point la même qu'en montant ; elle est alors ut sol ré sol ut sol ut, dans laquelle le second sol porte accord de septieme, & répond à la fois aux deux notes consécutives sol fa de l'échelle.

Nous n'avons parlé jusqu'ici que de l'échelle diatonique du mode majeur. On peut faire des raisonnemens analogues sur celle du mode mineur, & en remarquer les propriétés. Voyez MODE, GAMME, &c. Voyez aussi mes élémens de musique. (O)

ECHELLE, (Jurisprud.) est une espece de pilori ou carcan, & un signe ou marque extérieure de justice, apposé dans une place, carrefour, ou autre lieu public.

Le terme d'échelle doit être plus ancien & plus général que celui de pilori ; car la premiere échelle ou poteau tournant appellé pilori, est celui de Paris aux halles, qui fut ainsi nommé par corruption de puits lorri, parce qu'il y avoit autrefois dans ce lieu le puits d'un nommé Lorri. On a depuis appellé piloris les autres poteaux ou carcans semblables, & ce terme est souvent confondu avec celui d'échelle.

Bacquet, Loisel, & Despeisses font cependant une différence entre pilori & échelle, non-seulement quant à la forme, mais quant au droit. Ils prétendent qu'un seigneur haut-justicier ne peut avoir pilori dans une ville où le roi en a un ; qu'en ce cas le seigneur doit se contenter d'avoir une échelle ou carcan comme on en voit à Paris, & ainsi que l'observe l'auteur du grand coûtumier, tit. des droits appartenans au roi ; mais je crois plûtôt que les seigneurs se sont tenus à l'ancien usage, & à ce qu'il y avoit de plus simple.

Il y a ordinairement au haut de l'échelle, de même qu'au pilori, deux ais ou planches jointes ensemble, qui se séparent & se rapprochent quand on veut, & dans la jonction desquelles il y a des trous pour passer le cou, les mains, & quelquefois aussi pour les piés des criminels, que l'on fait monter au haut de l'échelle afin de les donner en spectacle au peuple, & de les couvrir de confusion, & de leur faire encourir l'infamie de droit. Les criminels étoient aussi quelquefois fustigés au haut de l'échelle, ou punis de quelque autre peine corporelle, mais non capitale.

On confond quelquefois l'échelle avec la potence ou gibet, parce que les criminels y montent par une échelle : mais ici il s'agit des échelles qui servent seulement pour les peines non capitales ; au lieu que la potence ou gibet, & les fourches patibulaires, servent pour les exécutions à mort.

On dit à la vérité quelquefois échelle patibulaire, mais ce dernier terme doit être pris dans le sens général de patibulum, qui signifie tout poteau où on attache les criminels.

Les échelles, piloris, carcans ou poteaux sont placés dans les villes & bourgs, au lieu que les gibets & fourches patibulaires sont communément placés hors l'enceinte des villes & bourgs ; ce qui vient de l'ancien usage, suivant lequel on n'exécutoit point à mort dans les villes & bourgs, au lieu que les peines non capitales s'exécutoient dans les villes & bourgs pour l'exemple. Présentement on exécute à mort dans les villes & bourgs, mais les criminels n'y restent pas long-tems exposés ; on les transporte ensuite aux gibets & fourches patibulaires, ou autres lieux hors des villes & bourgs, & les échafauds & autres instrumens patibulaires ne sont dressés que lorsqu'il s'agit de faire quelque exécution, au lieu que les échelles, piloris, carcans ou poteaux sont dressés en tout tems ; il y a néanmoins quelques villes où il y a aussi des potences & échafauds toûjours dressés, comme en Bretagne ; il y en a aussi à Aix en Provence, & il y en avoit autrefois à Dijon.

On regarde communément les échelles, piloris, carcans ou poteaux comme un signe de haute justice, ce qui est apparemment fondé sur ce que quelques coûtumes, telles qu'Auxerre, Nevers, Troyes, & Senlis, disent que le haut justicier peut avoir pilori ou échelle, ou qu'il peut pilorier, escheller, c'est-à-dire faire monter les coupables à l'échelle.

Mais comme celui qui a le plus, a aussi le moins, & que le seigneur haut-justicier a aussi ordinairement les droits de moyenne & basse justice, le droit de pilori ou échelle, peut faire partie des droits appartenans au seigneur haut, moyen, & bas justicier, sans que ce soit un droit de haute justice ; cela peut lui appartenir à cause de la moyenne justice.

En effet, il y a en France quelque lieux où les moyens justiciers ont droit d'échelle ou pilori, comme le dit Ragueau en son glossaire au mot pilier & carcan ; Roguet, dans son commentaire sur la coûtume du comté de Bourgogne, dit même qu'en sa province le carcan, qui est au fond la même chose que l'échelle, est un signe de la basse justice ; & dans quelques-unes des coûtumes même où l'échelle, pilori ou carcan semblent affectés au haut-justicier, on voit qu'il est d'usage d'exposer au carcan les coupables de vols de fruits, ce qui est certainement un cas de moyenne justice, comme le remarque de Laistre sur l'article 2. de la coûtume de Sens.

Aussi M. Bouhier, sur la coûtume du duché de Bourgogne, ch. lj, n. 66, tient-il que dans sa province le moyen justicier ayant la connoissance des contraventions aux réglemens de police, il peut punir les contrevenans en les faisant mettre à l'échelle ou carcan ; & tel est aussi l'avis de Chopin sur Anjou, lib. II. part. II. cap. j. tit. jv. n. 7. in fine.

Coquille, sur l'article 15. de la coûtume de Nivernois, remarque que l'on use d'échelles, seulement dans les jurisdictions temporelles ; il en donne pour exemple l'échelle du Temple à Paris & celle de S. Martin-des-Champs qui subsistoit aussi de son tems, & il ajoûte que l'on en use aussi en jurisdiction ecclésiastique, pour punir & rendre infames publiquement ceux qui sont convaincus d'avoir à leur escient épousé deux femmes en même tems.

Billon, sur la coûtume d'Auxerre, art. 1, prétend méme que l'échelle est une espece de pilori ou carcan, qui est particuliere pour les seigneurs hauts-justiciers d'église ; il se fonde sur ce qu'il y en a une à Paris, qui sert de signe patibulaire pour la justice du Temple.

Il est vrai que les juges ecclésiastiques ne pouvant condamner à mort, n'ont jamais eu de fourches patibulaires pour signe de leur haute justice, & que les ecclésiastiques qui avoient droit de haute justice, avoient chacun, en signe de cette justice, une échelle dressée dans quelque carrefour : non-seulement les juges temporels des ecclésiastiques usoient de ces échelles, mais même les officiaux, comme nous le dirons dans un moment, en parlant des différentes échelles qui étoient autrefois à Paris ; mais il ne s'ensuit pas de-là que l'échelle fût un signe de justice qui fût particulier pour les jurisdictions ecclésiastiques, ni pour les justices temporelles des ecclésiastiques ; & en effet, Sauval estima que la ville avoit autrefois une échelle à Paris ; & sans nous arrêter à cette conjecture, il suffit de faire attention que les différentes échelles qui étoient autrefois à Paris n'appartenoient pas à des jurisdictions ecclésiastiques, mais à des justices temporelles appartenantes à des ecclésiastiques, ce qui est fort différent : d'ailleurs toutes les coûtumes qui parlent d'échelle, attribuent ce droit aux seigneurs hauts-justiciers en général, & non pas en particulier aux ecclésiastiques ; la coûtume d'Auxerre entr'autres dit que celui qui a haute justice peut pilorier, écheller, &c. ainsi je m'étonne que Billon en commentant cet article ait avancé que le droit d'échelle étoit particulier pour les juges des ecclésiastiques.

Les échelles étoient quelquefois appellées échelles à mitres ou à mitrer ; Papon se sert de cette expression, liv. I. de ses arrêts, tit. jv. arrêt 7, ce qui vient de ce qu'autrefois il étoit d'usage de mettre à ceux que l'on faisoit monter au haut de l'échelle une mitre de papier sur la tête : il ne faut pas croire que ce fût pour faire allusion à la mitre des évêques, & encore moins pour la tourner en dérision. Cet usage pouvoit venir de deux causes différentes à la vérité, mais qui ont néanmoins quelque relation l'une à l'autre.

La premiere est qu'anciennement & jusque dans le xj. siecle, la mitre étoit la coiffure des nobles ; elle n'a commencé à être regardée comme un ornement épiscopal que vers l'an 1000 ; ainsi lorsque l'on mettoit une mitre de papier sur la tête de celui que l'on faisoit monter au haut de l'échelle, c'étoit pour le tourner en dérision en lui mettant une mitre ridicule.

L'autre cause de cet usage pouvoit être, qu'anciennement le bourreau, suivant les moeurs des Germains, dont les Francs tiroient leur origine, n'étant point infame, portoit la mitre comme les nobles, ainsi que cela se pratique encore aux pays des Vosges ; & c'est sans doute de-là qu'en Normandie le peuple le nomme encore mitre, ensorte qu'il y a apparence que quand on mettoit une mitre sur la tête à celui qui montoit au haut de l'échelle, c'étoit le bourreau qui lui mettoit son bonnet sur la tête, ou du moins un semblable fait de papier, pour le couvrir de confusion ; cette sorte de bonnet ayant apparemment cessé dès-lors d'être la coiffure des nobles, & la mitre des ecclésiastiques ayant été distinguée dans sa forme de cet ancien habillement de tête.

Quand l'échelle ou autre signe de justice est totalement ruiné, le seigneur le peut faire rétablir sans permission du roi, pourvû que ce soit dans l'année ; car après l'an il faut des lettres patentes : elles ne seroient pourtant pas nécessaires s'il ne s'agissoit que d'une simple réparation.

Il y avoit autrefois plusieurs de ces échelles dans la ville de Paris.

L'évêque de Paris avoit la sienne dans le parvis, c'étoit-là que l'on exposoit ceux qui étoient condamnés à faire amende honorable ; on leur faisoit en cet endroit une exhortation, & on leur mettoit la mitre, ce qui s'appelloit prêcher & mitrer un criminel. En 1344 Henri de Malhestret gentilhomme breton, diacre & maître des requêtes, criminel de lése-majesté, fut mis par trois fois à cette échelle du parvis ; & quoique l'official eût défendu sous peine d'excommunication de rien jetter à ce criminel, le peuple ne laissa pas de le couvrir de boue & d'ordures, & même de le blesser cruellement d'un coup de pierre : après quoi il fut remené en prison, où, comme on disoit alors, il fut mis en l'oubliette ; & étant mort peu de tems après, son corps fut porté au parvis, comme il se pratiquoit à l'égard de tous ceux que l'official condamnoit au dernier supplice. On voit par-là que l'échelle du parvis étoit le signe de justice de l'officialité ; mais la jurisprudence est changée à cet égard depuis long-tems, & est revenue aux vrais principes, suivant lesquels le juge d'église ne peut condamner à l'échelle ou pilori, ni à aucune amende honorable ou réparation, hors de son auditoire. Voyez le traité de la jurisdiction ecclésiastique, par Ducasse, seconde partie, ch. xij.

Hugues Aubriot prevôt de Paris, accusé de judaïsme, & d'avoir fait beaucoup d'injures à l'université, fit en 1381 amende honorable sur un échafaud dressé à côté de l'échelle du parvis.

Un sergent du châtelet y fut prêché & mitré en 1406, pour avoir mal parlé de la foi ; & ensuite il fut brûlé au marché aux pourceaux.

Nicolas Dorgemont chanoine de Notre-Dame, fut mis en 1416 à cette même échelle, pour avoir voulu tuer le roi de Sicile & autres seigneurs.

On y prêcha en 1430 deux femmes folles, c'est-à-dire dissolues, qui étoient hérétiques.

Dubreuil assûre que dans sa jeunesse on y exposa un prêtre ayant écrit au dos en lettres majuscules, ces mots, propter fornicationem.

Quoique cette échelle soit depuis long-tems detruite, on ne laisse pas de mener toûjours au parvis, où elle étoit, la plûpart des criminels condamnés à faire amende honorable.

Le chapitre de Notre-Dame avoit son échelle au port S. Landry, laquelle fut rompue & emportée en 1410 : on informa contre ceux qui étoient soupçonnés de ce fait.

L'abbé de sainte Genevieve avoit aussi la sienne, à laquelle en 1301 fut mise une maquerelle qui juroit vilainement.

Philippe-le-Long permit en 1320 aux bourgeois qui demeuroient près de l'église de S. Gervais, d'ériger une croix à la porte Baudets, à la place de l'échelle du prieuré de S. Eloi.

L'échelle du prieuré de S. Martin étoit entre la rue au Maire & la porte de l'église de S. Martin, qui étoit autrefois de ce côté ; Coquille en fait mention sur l'art. xv. du ch. j. de la coûtume de Nivernois, & en parle comme d'une chose qui subsistoit encore de son tems, c'est-à-dire vers le milieu du xvj. siecle.

Il est à présumer que la ville, les abbés de S. Magloire & de S. Victor, le prieur de S. Lazare, & les autres seigneurs hauts-justiciers, avoient aussi chacun leur échelle.

Il n'en reste plus présentement dans Paris qu'une seule, qui est celle de la justice du temple, & qui a donné le nom à la rue où elle est posée. Pendant la minorité de Louis XIV. elle fut brûlée par de jeunes seigneurs qu'on appelloit les petits-maîtres, & fut aussi-tôt rétablie. Elle étoit autrefois de l'autre côté de la rue de l'Echelle-du-temple, & avoit beaucoup plus de largeur ; mais comme elle causoit de l'embarras, elle fut diminuée en 1667, & placée où elle est présentement.

Billon sur l'art. 1. de la coûtume d'Auxerre, dit qu'il y a trois trous au haut de cette échelle, pour y passer la tête du criminel ; & l'auteur du journal des audiences, dans un arrêt du 9 Avril 1709, prétend que l'origine de cette échelle vient de ce que la justice du temple ne pouvoit avoir de gibet dans Paris, ni y exécuter à mort, à cause que le roi y a haute-justice ; mais ce principe ne paroît pas juste, car ceux qui ont haute-justice dans Paris, peuvent condamner & faire exécuter à mort : & à l'égard de l'échelle, si l'on a pris pour eux ce signe de justice, c'est parce qu'il n'est pas d'usage ici de mettre des fourches patibulaires dans des villes. Voyez le président Bouhier sur la coûtume de Bourgogne, ch. lj. n. 64 & suiv. (A)

Tour de l'échelle, voyez TOUR.

ECHELLE, (Marine) on donne ce nom aux ports de la mer Méditerranée qui sont sous la domination de l'empire des Turcs, où les marchands François, Anglois, Hollandois & Génois, &c. vont commercer, & où ils entretiennent des consuls, facteurs, & commissionnaires. Ces lieux sont connus sous le nom d'échelles de Levant : les principales sont

ECHELLE, en terme de Marine, se dit en général des endroits faits pour monter & descendre dans un vaisseau.

Echelle de poupe, c'est une échelle de corde qui est pendue à l'arriere du vaisseau, pour la commodité des gens de la chaloupe.

Echelles d'entre deux ponts, ce sont celles par où l'on monte & l'on descend d'un pont à l'autre.

Echelles du milieu, voyez leur position auprès du grand mât, Pl. IV. fig. 1. n. 112 & 158. voyez aussi Pl. V. fig. 1. n. 158 & 112.

Echelle d'artimon, voyez Pl. IV. fig. 1. n. 111.

Au fond de cale des vaisseaux il y a quelquefois une poutre debout, qui monte jusqu'au pont, qui a des entailles ; l'on met à côté un cordage qu'on appelle tire-vieille, & cette piece de bois sert d'échelle.

ECHELLE, instrument très-utile & très-commun. Il est composé de deux longues perches, percées sur toute leur longueur à la distance de 6, 7, 8, 9, 10 pouces, d'un même nombre de trous, & à la même hauteur. Ces trous servent de mortoises à autant de bâtons paralleles qui servent de degrés, qu'on monte les uns après les autres quand on veut atteindre à quelque hauteur considérable. L'échelle est principalement à l'usage des Couvreurs : il y en a de toute espece & de toute grandeur. Celles de bibliotheque sont construites autrement ; au lieu de perches, ce sont des jumelles de bois ; & au lieu des bâtons paralleles, ce sont des planches qui forment des marches larges & plates.

ECHELLE DE RUBANS, en terme d'Aiguilletier, ce sont des rubans larges, ferrés à un bout d'un fer à clavier, & à l'autre d'un fer ordinaire. Voyez FER A CLAVIER. Les femmes s'en lacent en forme d'échelle, ce qui lui a donné ce nom.

ECHELLE SIMPLE ET DOUBLE, (Jardinage) Voyez à l'art. JARDINAGE, la liste & la description des outils.

* ECHELLE D'EAU, ou BAILLE, (Pêche) sur la Loire une échelle d'eau est la même chose qu'un trait de Seine dans la riviere de Seine : c'est une certaine étendue sur laquelle on a un droit de pêche exclusif.

ECHELLE DE CORDE, (Plombier, Charpentier, Couvreur) est une sorte d'échelle particuliere aux Plombiers. Ce n'est rien autre chose qu'un gros cable garni de noeuds de distance en distance, qui a un gros crochet de fer attaché à une de ses extrémités. On se sert de cette échelle pour aller couvrir & poser des plombs aux tours & aux clochers, où pour s'en servir on l'arrête avec son crochet au poinçon de la charpente de ces bâtimens. Un autre cordage armé aussi de son crochet par un bout, & qui de l'autre a une petite planche suspendue à deux cordes pour asseoir l'ouvrier, ou des sangles en forme de bretelles au même usage, sert à le guinder & à l'arrêter le long des noeuds du grand cordage, qui tiennent lieu d'échelon à cette échelle.

ECHELLES, (les) Géogr. mod. ville de Savoie, à deux lieues de la grande Chartreuse. Long. 23. 25. lat. 45. 20.


ECHELLERv. act. (Jurispr.) terme de coûtumes qui signifie exposer quelqu'un sur une échelle en public, en punition de quelque crime. Voy. ci-devant ECHELLE. (A)


ECHELLETTES. f. (Hist. nat. Ornith.) pic de muraille, pic d'Auvergne, picus murarius ; oiseau un peu plus grand que le moineau, & de la grosseur de l'étourneau. Le bec est long, mince & noir ; la tête, le cou & le dos sont de couleur cendrée ; la poitrine est blanchâtre, & les ailes sont en partie de couleur cendrée, & en partie rouges ; la queue est courte ; les grandes plumes des ailes, & celles qui recouvrent la partie inférieure du dos, sont noires, de même que le ventre & les cuisses, qui sont courtes, comme dans toutes les especes de pics. L'échellette a trois doigts en-avant qui sont assez longs, & un seul en-arriere ; les ongles sont crochus & pointus. Aldrovande dit que cet oiseau est fort commun dans le Boulonnois : il vole à-peu-près comme la hupe ; car il agite continuellement ses ailes, & il change souvent de place. On lui a donné le nom de bec de muraille, parce qu'il se tient dans des trous de murs & d'arbres, comme les pics. Il se nourrit de petits insectes qu'il cherche dans les fentes des arbres ; on le voit souvent venir dans les villes, lorsqu'il y a des broüillards. Willugh. Ornith. Voy. OISEAU. (I)

ECHELLETTE, (Jurispr.) compte par échellette : lorsqu'il s'agit de compenser des fruits avec des réparations, les uns veulent que les fruits de chaque année soient compensés avec les intérêts de chaque année ; & s'il reste quelque chose, qu'il se compense sur le principal, ce qui souvent l'épuise avant ou lors de la clôture du compte : cela s'appelle compter par échellette. D'autres veulent que la liquidation des fruits & des intérêts se fasse à chaque année, mais que la compensation & imputation se fasse à la derniere année seulement. Chorier en sa jurisprudence de Guypape, p. 294. rapporte plusieurs arrêts pour l'une & l'autre maniere de compter. Le compte par échellette est le plus usité, & paroît le plus équitable. Voyez le dictionn. de Brillon, article Compte. (A)

ECHELLETTE, (Manufact. en soie) voyez ESCALETTE.


ECHELLETTESS. f. pl. (Musique & Luth.) ce sont des morceaux de bois secs & durcis au feu, qui composent une espece d'instrument de percussion. Ces morceaux de bois ont été tournés au tour ; ils sont de même grosseur, mais de longueurs inégales : on les a percés de deux trous, un à chaque bout : un cordon qui passe à droite & à gauche par ces trous, tient ces bâtons enfilés & suspendus parallelement au-dessus les uns des autres ; celui d'en-haut est le plus court : on empêche qu'ils ne portent les uns sur les autres, soit en faisant deux noeuds au cordon pour chaque bâton, un noeud à chaque bout ; soit en y enfilant deux grains de chapelet. Il y a douze bâtons, le plus bas & le plus long a communément dix pouces de longueur ; le plus court & le plus haut, trois pouces & un tiers, c'est-à-dire qu'ils sont entr'eux comme 30 à 10, ou 3 à 1, ou qu'ils resonnent l'intervalle de douzieme. On peut faire le bâton le plus court seulement la moitié du plus long ; mais alors il faut compenser les longueurs par les grosseurs, pour conserver entr'eux le même intervalle de son. Ces bâtons, au-lieu d'être cylindriques, pourroient être ronds, parallelepipedes, prismatiques, &c. comme on voudra ; pourvû qu'on connoisse le rapport de leurs longueurs & de leurs solidités, on les accordera comme on voudra.


ECHELONS. m. c'est ainsi qu'on appelle chacun des pas de l'échelle ; ainsi quand on dit qu'une échelle a vingt échelons, c'est-à-dire qu'elle a vingt pas, ou bâtons, ou marches, & que l'on peut par son moyen s'élever à environ vingt pieds de terre.

ECHELON, (Jardinage) on dit qu'un arbre croît en échelon, lorsqu'il s'éleve par étage. (K)


ECHENALS. m. (Jurisprud.) terme usité dans quelques coûtumes pour exprimer une gouttiere, qui est ordinairement faite de chêne, que l'on met sous les toîts des maisons, pour empêcher que l'eau de la pluie ne tombe sur le fonds des voisins. Dans le Bourbonnois on dit échenal ; dans d'autres endroits on dit échenez, comme dans la coûtume de Nivernois, ch. x. art. 1. (A)


ECHENEZ(Jurisp.) voyez ECHENAL.


ECHENICHERRIBASSIS. m. (Hist. mod.) surintendant du fournil, le chef des maîtres de la boulangerie, des fours, & de tous ceux qui y travaillent. C'est un officier du serrail ; sa paye est de 50 apres par jour, d'une robe de brocard par an, & de quelques présens qu'il reçoit des grands de la cour du sultan, lorsqu'il leur présente des biscuits, des massepains, & autres patisseries qui se font dans son district.


ECHENILLERECHENILLOIR, voyez à l'art. JARDINIER, l'énumération & la description de ses outils.


ECHENOS. m. terme de Fonderie en grand, est un bassin posé au-dessus de l'enterrage ; les principaux jets de la figure à couler y aboutissent : on y fait passer le métal liquide au sortir du fourneau, pour qu'il le communique aux jets qui le distribuent dans toute la figure. L'aire de l'écheno doit être fait de la même matiere que l'enterrage : il est posé plus bas que l'aire du fourneau, afin que le métal ait sa pente pour y couler. Voy. les Planches de la Fonderie des figures équestres.


ECHESSS. m. pl. (Jurisp.) est le nom que l'on donne en quelques provinces, à certaines redevances annuelles dûes au seigneur, soit en grain ou en argent ; elles sont ainsi nommées, comme étant ce qui échet tous les ans à un certain jour : ce terme est usité dans le Barrois. M. de Lauriere en son glossaire rapporte l'extrait d'un ancien titre de la seigneurie de Verecourt, qui en fait mention. (A)


ECHETES. f. (Jurisp.) vieux mot qui signifioit ce qui arrivoit à quelqu'un par succession, héritage ou autre droit casuel. Ce terme se trouve fréquemment dans les anciennes coûtumes, chartes, diplomes & anciens titres. Voyez ECHOIR & SCHOITE, ECHEUTE. (A)


ECHEUTou ECHUTE, s. f. (Jurisprudence) échûte, est la même chose qu'eschoite, c'est-à-dire qu'on entend ordinairement par-là ce qui est échû par succession collatérale ou autre droit casuel.

Loyale échûte, est ce qui est échu au seigneur en vertu de la loi. Voyez la coûtume du comté de Bourgogne, art. 100, & l'ancienne coûtume d'Auxerre, art. 39, celle de Berry, tit. xjx. art. 16, & 33. Voy. ESCHOITE, ESCHETS. (A)


ECHEVEAU DE FIL(Oecon. rust. Manufact. en laine, fil, soie, &c.) ce sont plusieurs fils qu'on a tournés & pliés les uns sur les autres sur un devidoir, en les ôtant de dessus la bobine. Les écheveaux sont noüés par le milieu avec un noeud particulier que les Tisserands appellent centaine.


ECHEVINAGE(Jurisp.) en Artois, en Flandre, & dans tous les Pays-Bas, signifie la seigneurie & justice qui appartiennent à certaines villes, bourgs, & autres lieux, par concession des seigneurs qui leur ont accordé le droit de commune. On appelle le corps des officiers de l'échevinage, la loi, le magistrat, le corps de ville, l'hôtel-de ville.

L'échevinage est ordinairement composé du grand bailli, maire, mayeur, prevôt ou autres officiers du seigneur, des échevins ou juges, du conseiller pensionnaire, du procureur de ville, & du greffier. Remarquez que les termes d'échevins ou juges ne sont synonymes que dans les lieux où les échevins ont la justice.

Les échevinages ont tous haute, moyenne, & basse justice, & la police ; plusieurs connoissent aussi des matieres consulaires dans leurs territoires, tels que l'échevinage d'Arras, celui de la ville de Bourbourg, ceux de Gravelines, de Lens, Dunkerque, &c.

En Artois, l'échevinage ressortit communément au bailliage ; cependant l'échevinage ou magistrat de S. Omer est en possession de ressortir immédiatement au conseil d'Artois ; ce qui lui est contesté par le bailliage de S. Omer, qui révendique ce ressort, du moins pour certains objets : on peut voir ce qui est énoncé à ce sujet dans le procès-verbal de réformation des coûtumes de S. Omer.

Ce que nous avons trouvé de plus détaillé & de plus remarquable par rapport à ces échevinages, est dans la liste de l'échevinage de S. Omer, qui est en tête du commentaire de la coûtume d'Artois par M. Maillart ; nous en rapporterons ici le précis, quoique tous les échevinages ne soient pas administrés précisément comme celui de S. Omer, parce que ce qui se pratique dans celui-ci, servira toûjours à donner une idée des autres, ces sortes de jurisdictions étant assez singulieres.

L'échevinage de S. Omer, nommé vulgairement le magistrat, est composé d'un mayeur & onze échevins, dont l'un est lieutenant de mayeur, de deux conseillers pensionnaires, d'un procureur du roi en l'hôtel-de-ville, & syndic de la même ville, d'un greffier civil, d'un greffier criminel, d'un substitut du procureur syndic, & d'un argentier.

Outre ces officiers il y a le petit bailli, pourvû en titre d'office par le roi, qui fait dans l'échevinage les fonctions de partie publique en matiere criminelle & d'exécution de la police ; le procureur du roi du bailliage de S. Omer peut néanmoins faire aussi les fonctions de partie publique en matiere criminelle à l'échevinage, & y poursuivre les condamnations d'amendes, dans les cas où elles doivent être adjugées au roi : au surplus il faut voir les protestations qui ont été respectivement faites par ces officiers, dans le procès-verbal de réformation des coûtumes de S. Omer.

Le bailli de S. Omer faisoit aussi autrefois une partie de ces fonctions à l'échevinage ; mais présentement il ne les y exerce comme conservateur des droits du roi, que dans le concours avec l'échevinage, pour juger les entreprises qui se font sur les rues, places publiques, & rivieres qui sont dans la ville ; & dans ces cas le bailli se trouvant à l'hôtel-de-ville, la premiere place entre lui & le mayeur demeure vuide.

Le petit bailli a quatre sergens à masse, qui lui sont subordonnés, pour l'aider dans l'exécution de ses fonctions, notamment pour la capture des délinquans, & pour contraindre au payement des amendes & forfaitures adjugées par les mayeur & échevins.

Outre ces mayeur & échevins en exercice, & les autres officiers dont on a parlé ci-devant, il y a un second corps composé de l'ancien mayeur & des onze échevins qui étoient en exercice l'année précédente : on les nomme vulgairement jurés au conseil, parce que les échevins en exercice les convoquent pour donner leur avis dans les affaires importantes, comme quand il s'agit de faire quelque réglement de police, ou de statuer sur une dépense extraordinaire.

Il y a encore un troisieme corps composé de dix personnes choisies tous les ans dans les six paroisses de la ville : on les appelle les dix jurés de la communauté, & l'un d'eux prend le titre de mayeur. Ils sont établis principalement pour représenter la communauté, & doivent être convoqués aux assemblées de l'échevinage lorsqu'il s'agit d'affaires importantes qui intéressent la communauté.

Le siege de l'échevinage a quatre sergens à verge & deux escauwetes pour faire les actes & exploits de justice, à la réserve des saisies & exécutions mobiliaires ou immobiliaires, & des arrêts personnels à la loi privilégiée de la ville, qui se font par les amans ou baillis particuliers des différentes seigneuries qui sont dans la ville.

La jurisdiction contentieuse & de police est exercée par l'échevinage seul dans la ville & banlieue de S. Omer, en toutes matieres civiles & criminelles, excepté les cas royaux & privilégiés, dont la connoissance appartient exclusivement au conseil d'Artois.

Tous les habitans de la ville & banlieue de S. Omer, soit ecclésiastiques séculiers ou réguliers, nobles ou roturiers, sont soûmis immédiatement à la jurisdiction de l'échevinage ; il y a cependant quelques enclos dans la ville qui ont leur justice particuliere.

Les jurisdictions subalternes de l'échevinage de S. Omer, sont celles des seigneurs qui ont droit de justice dans la ville ou banlieue ; il y en a même quelques-unes domaniales, qui sont présentement engagées.

Anciennement le prince & les seigneurs ayant justice dans la ville, avoient chacun dans leur territoire leur aman ou bailli civil, avec un certain nombre d'échevins ; mais en 1424 les mayeur & échevins de S. Omer, de l'avis des gens du prince, établirent dans l'hôtel-de-ville un siége ou auditoire commun pour quatre de ces amans, qui est ensuite aussi devenu commun à tous les autres amans de la ville. Ces amans ont douze échevins, qui sont pareillement communs pour toutes les différentes seigneuries & justices de la ville ; c'est ce que l'on appelle le siege de vierscaires ; ces officiers prêtent serment à l'échevinage de S. Omer.

Les échevins apposent le scellé, font les inventaires, les actes d'acceptation & de renonciation aux successions ; ils arrêtent à la loi privilégiée de S. Omer, les personnes & biens des débiteurs forains trouvés dans cette ville, & connoissent des contestations qui peuvent naître de ces sortes d'arrêts sous le ressort immédiat des mayeur & échevins ; ceux du siége des vierscaires doivent être assistés de l'aman de la seigneurie dans laquelle ils font acte de jurisdiction, ou d'un troisieme échevin à défaut de l'aman, lorsqu'il s'agit d'arrêt de personne.

C'est aussi aux échevins qu'appartient le droit exclusif de procéder aux ventes & adjudications, soit volontaires ou forcées, de meubles & effets ; ils font toutes celles des maisons mortuaires, c'est-à-dire après décès.

Les amans ont en particulier le droit de mettre à exécution les sentences des mayeur & échevins de S. Omer ; ils font les saisies & exécutions de meubles, & les saisies réelles des immeubles situés dans cette ville.

Le petit bailli, dont nous avons déjà parlé, fait dans la banlieue où les seigneurs n'ont point d'aman, la fonction de cette charge, quant aux exécutions des sentences, aux saisies & exécutions de meubles, & aux saisies réelles.

Pour connoître plus particulierement ce qui concerne les échevinages, on peut voir ce qui en est dit dans les coûtumes anciennes & nouvelles d'Artois, & autres coûtumes des Pays-Bas, & dans leurs procès-verbaux. (A)


ECHEVINSS. m. pl. (Hist. & Jurispr.) étoit le titre que l'on donnoit anciennement aux assesseurs ou conseillers des comtes.

Présentement ce sont des officiers municipaux établis dans plusieurs villes, bourgs & autres lieux, pour avoir soin des affaires de la communauté : en quelques endroits ils ont aussi une jurisdiction & autres fonctions plus ou moins étendues, selon leurs titres & possession, & suivant l'usage du pays.

Loyseau en son traité des offices, liv. V. ch. vij. dit que les échevins étoient magistrats, du moins municipaux, de même que ceux que les Romains choisissoient entre les décurions : il les compare aussi aux édiles, & aux officiers que l'on appelloit defensores civitatum ; & en effet les fonctions de ces officiers ont bien quelque rapport avec celles d'échevin, mais il faut convenir que ce n'est pas précisément la même chose, & que le titre & les fonctions de ces sortes d'officiers, tels qu'ils sont établis parmi nous, étoient absolument inconnus aux Romains ; l'usage en fut apporté d'Allemagne par les Francs, lorsqu'ils firent la conquête des Gaules.

Les échevins étoient dès-lors appellés scabini, scabinii ou scabinei, & quelquefois scavini, scabiniones, scaviones ou scapiones : on les appelloit aussi indifféremment rachinburgi ou rachinburgi : ce dernier nom fut usité pendant toute la premiere race, & en quelques lieux jusque sur la fin de la seconde.

On leur donnoit aussi quelquefois les noms de sagi, barones, ou viri sagi, & de senatores.

Le terme de scabini, qui étoit leur nom le plus ordinaire, & d'où l'on a fait en françois échevin, vient de l'allemand schabin ou scheben, qui signifie juge ou homme savant. Quelques-uns ont néanmoins prétendu que ce mot tiroit son étymologie d'eschever, qui en vieux langage signifie cavere ; & que l'on a donné aux échevins ce nom, à cause des soins qu'ils prennent de la police des villes : mais comme le nom latin de scabini est plus ancien que le mot françois échevin, il est plus probable que scabini est venu de l'allemand schabin ou schaben, & que de ces mêmes termes, ou du latin scabini, on a fait échevins, qui ne differe guere que par l'aspiration de la lettre s, & par la conversion du b en v.

Le moine Marculphe qui écrivoit vers l'an 660, sous le regne de Clovis II. fait mention dans ses formules, des échevins qui assistoient le comte ou son viguier, vigarius, c'est-à-dire lieutenant, pour le jugement des causes. Ils sont nommés tantôt scabini, tantôt rachinburgi. Aigulphe comte du palais sous le même roi, avoit pour conseillers des gens d'épée comme lui, qu'on nommoit échevins du palais, scabini palatii. Il est aussi fait mention de ces échevins du palais dans une chronique du tems de Louis-le Debonnaire, & dans une charte de Charles-le-Chauve.

Les capitulaires de Charlemagne, des années 788, 803, 805 & 809 ; de Louis-le-Debonnaire en 819, 829 ; & de Charles-le-Chauve, des années 864, 867, & plusieurs autres, font aussi mention des échevins en général, sous le nom de scabini.

Suivant ces capitulaires & plusieurs anciennes chroniques, les échevins étoient élûs par le magistrat même avec les principaux citoyens. On devoit toûjours choisir ceux qui avoient le plus de probité & de réputation ; & comme ils étoient choisis dans la ville même pour juger leurs concitoyens, on les appelloit judices proprii, c'est-à-dire juges municipaux. C'étoit une suite du privilege que chacun avoit de n'être jugé que par ses pairs, suivant un ancien usage de la nation ; ainsi les bourgeois de Paris ne pouvoient être jugés que par d'autres bourgeois, qui étoient les échevins, & la même chose avoit lieu dans les autres villes. Ces échevins faisoient serment à leur reception, entre les mains du magistrat, de ne jamais faire sciemment aucune injustice.

Lorsqu'il s'en trouvoit quelques-uns qui n'avoient pas les qualités requises, soit qu'on se fût trompé dans l'élection, ou que ces officiers se fussent corrompus depuis, les commissaires que le roi envoyoit dans les provinces, appellés missi dominici, avoient le pouvoir de les destituer & d'en mettre d'autres en leur place. Les noms des échevins nouvellement élus étoient aussi-tôt envoyés au roi, apparemment pour obtenir de lui la confirmation de leur élection.

Leurs fonctions consistoient, comme on l'a déjà annoncé, à donner conseil au magistrat dans ses jugemens, soit au civil ou au criminel, & à le représenter lorsqu'il étoit occupé ailleurs, tellement qu'il ne lui étoit pas libre, au comte, ni à son lieutenant, de faire grace de la vie à un voleur, lorsque les échevins l'avoient condamné.

Ils assistoient ordinairement en chaque plaid ou audience appellée mallus publicus, au nombre de sept ou au moins de deux ou trois. Quelquefois on en rassembloit jusqu'à douze, selon l'importance de l'affaire ; & lorsqu'il ne s'en trouvoit pas assez au siége pour remplir ce nombre, le magistrat devoit le suppléer par d'autres citoyens des plus capables, dont il avoit le choix.

Vers la fin de la seconde race & au commencement de la troisieme, les ducs & les comtes s'étant rendus propriétaires de leur gouvernement, se déchargerent du soin de rendre la justice sur des officiers qui furent appellés baillis, vicomtes, prevôts, & châtelains.

Dans quelques endroits les échevins conserverent leur fonction de juges, c'est-à-dire de conseillers du juge ; & cette jurisdiction leur est demeurée avec plus ou moins d'étendue, selon les titres & la possession ou l'usage des lieux ; dans d'autres endroits au contraire le bailli, prevôt, ou autre officier, jugeoit seul les causes ordinaires ; & s'il prenoit quelquefois des assesseurs pour l'aider dans ses fonctions, ce n'étoit qu'une commission passagere. Dans la plûpart des endroits où la justice fut ainsi administrée, les échevins demeurerent réduits à la simple fonction d'officiers municipaux, c'est-à-dire d'administrateurs des affaires de la ville ou communauté ; dans d'autres ils conserverent quelque portion de la police.

Il paroît que dans la ville de Paris la fonction des échevins qui existoient dès le tems de la premiere & de la seconde race, continua encore sous la troisieme jusque vers l'an 1251 ; ils étoient nommés par le peuple & présidés par un homme du roi : ils portoient leur jugement au prevôt de Paris, lequel alors ne jugeoit point. Ces prevôts n'étoient que des fermiers de la prevôté ; & dans les prevôtés ainsi données à ferme, comme c'étoit alors la coûtume, c'étoient les échevins qui taxoient les amendes. Les échevins de Paris cesserent de faire la fonction de juges ordinaires, lorsqu'Etienne Boileau fut prevôt de Paris, c'est-à-dire en 1251 ; alors il mirent à leur tête le prevôt des marchands ou de la confrairie des marchands, dont l'institution remonte au tems de Louis VII.

Ce fut sous son regne, en 1170, qu'une compagnie des plus riches bourgeois de la ville de Paris y établit une confrairie des marchands de l'eau, c'est-à-dire fréquentans la riviere de Seine, & autres rivieres affluentes ; ils acheterent des religieuses de Haute-Bruyere une place hors la ville, qui avoit été à Jean Popin bourgeois de Paris, lequel l'avoit donnée à ces religieuses. Ils en formerent un port appellé le port Popin : c'est à présent un abreuvoir du même nom. Louis le Jeune confirma cette acquisition & établissement par des lettres de 1170 ; Philippe Auguste donna aussi quelque tems après des lettres pour confirmer le même établissement & régler la police de cette compagnie.

Les officiers de cette compagnie sont nommés dans un arrêt de la chandeleur en 1268 (au registre praepositi mercatorum aquae olim) ; dans un autre de la pentecôte en 1273, ils sont nommés scabini, & leur chef magister scabinorum. Dans le recueil manuscrit des ordonnances de police de saint Louis ils sont dits li prevôt de la confrairie des marchands, & li échevins, li prévôt & li jurés de la marchandise, li prevôt des marchands & li échevins de la marchandise, li prevôt & li jurés de la confrairie des marchands.

On voit par un registre de l'an 1291, qu'ils avoient dès-lors la police de la navigation sur la riviere de Seine pour l'approvisionnement de Paris, & la connoissance des contestations qui survenoient entre les marchands fréquentans la même riviere, pour raison de leur commerce.

Ils furent maintenus par des lettres de Philippe le Hardi du mois de Mars 1274, dans le droit de percevoir sur les cabaretiers de Paris le droit du cri de vin, un autre droit appellé finationes celariorum, & en outre un droit de quatre deniers pro dietâ suâ. Ces lettres furent confirmées par Louis Hutin en 1315, par Philippe de Valois en 1345, & par le roi Jean en 1351.

On voit aussi que dès le tems du roi Jean, le prevôt des marchands & les échevins avoient inspection sur le bois qu'ils devoient fournir, l'argent nécessaire pour les dépenses qu'il convenoit faire à Paris en cas de peste ; qu'ils avoient la connoissance des contestations qui s'élevoient entre les bourgeois de Paris, & les collecteurs d'une imposition que les parisiens avoient accordée au roi pendant une année ; que quand ils ne pouvoient les concilier, la connoissance en étoit dévolue aux gens des comptes.

Il y auroit encore bien d'autres choses à dire sur ce qui étoit de la compétence des échevins ; mais comme ces matieres sont communes au prevôt des marchands, qui est le chef des échevins, on en parlera plus au long au mot PREVOT DES MARCHANDS.

Nous nous bornerons donc ici à exposer ce qui concerne en particulier les échevins, en commençant par ceux de Paris.

En 1382, à l'occasion d'une sédition arrivée en cette ville, le roi supprima la prevôté des marchands & l'échevinage, & unit leur jurisdiction à la prevôté de Paris, dont elle avoit été anciennement démembrée, en sorte qu'il n'y eut plus de prevôt des marchands ni d'échevins à Paris : ce qui demeura dans cet état jusqu'en 1388, que la prevôté des marchands fut desunie de la prevôté de Paris ; & depuis ce tems il y a toûjours eu à Paris un prevôt des marchands & quatre échevins. Il paroît néanmoins que la jurisdiction ne leur fut rendue que par une ordonnance de Charles VI. du 20 Janvier 1411.

Ils sont élus par scrutin en l'assemblée du corps de ville, & des notables bourgeois qui sont convoqués à cet effet en l'hôtel-de-ville le jour de saint Roch. On élit d'abord quatre scrutateurs, un qu'on appelle scrutateur royal, qui est ordinairement un magistrat ; le second est choisi entre les conseillers de ville, le troisieme entre les quartiniers, & le quatrieme entre les notables bourgeois.

La déclaration du 20 Avril 1617, porte qu'il y en aura toûjours deux qui seront choisis entre les notables marchands exerçans le fait de marchandise ; les deux autres sont choisis entre les gradués, & autres notables bourgeois.

La fonction des échevins ne dure que deux ans, & on en élit deux chaque année, en sorte qu'il y en a toûjours deux anciens & deux nouveaux : l'un des deux qu'on élit chaque année, est ordinairement pris à son rang entre les conseillers de ville & les quartiniers alternativement ; l'autre est choisi entre les notables bourgeois.

Au mois de Janvier 1704 il y eut un édit portant création de deux échevins perpétuels dans chacune des villes du royaume ; mais par une déclaration du 15 Avril 1704, Paris & Lyon furent exceptés ; & il fut dit qu'il ne seroit rien innové à la forme en laquelle les élections des échevins avoient été faites jusqu'alors. Quelques jours après l'élection des échevins de Paris, le scrutateur royal accompagné des trois autres scrutateurs & de tout le corps de ville, va présenter les nouveaux échevins au roi, lequel confirme l'élection ; & les échevins prêtent serment entre ses mains, à genoux.

Les échevins sont les conseillers ordinaires du prevôt des marchands ; ils siégent entr'eux suivant le rang de leur élection, & ont voix délibérative au bureau de la ville, tant à l'audience qu'au conseil ; & en toutes assemblées pour les affaires de la ville, en l'absence du prevôt des marchands, c'est le plus ancien échevin qui préside.

Ce sont aussi eux qui passent conjointement avec le prevôt des marchands tous les contrats au nom du roi, pour emprunts à constitution de rente.

Le roi a accordé aux échevins de Paris plusieurs priviléges, dont le principal est celui de la noblesse transmissible à leurs enfans au premier degré. Ils en joüissoient déjà, ainsi que du droit d'avoir des armoiries timbrées, comme tous les autres bourgeois de Paris, suivant la concession qui leur en avoit été faite par Charles V. le 9 Août 1371, & confirmée par ses successeurs jusqu'à Henri III. lequel par ses lettres du premier Janvier 1577 réduisit ce privilége de noblesse aux prevôts des marchands & échevins qui avoient été en charge depuis vingt ans, & à ceux qui le seroient dans la suite.

Ils furent confirmés dans ce droit par deux édits de Louis XIV. du mois de Juillet 1656 & de Novembre 1706.

Suivant un édit du mois d'Août 1715, publié deux jours après la mort de Louis XIV. ils se trouverent compris dans la revocation générale des priviléges de noblesse accordés pendant la vie de ce prince ; mais la noblesse leur fut rendue par une autre déclaration du mois de Juin 1716, avec effet rétroactif en faveur des familles de ceux qui auroient passé par l'échevinage pendant le tems de la suppression & suspension de ce privilége.

La déclaration du 15 Mars 1707 permet aux échevins de porter la robe noire à grandes manches & le bonnet, encore qu'ils ne soient pas gradués. Leur robe de cérémonie est moitié rouge, & moitié noire ; le rouge ou pourpre est la couleur du magistrat, l'autre couleur est la livrée de la ville : il en est de même dans la plûpart des autres villes.

Ils joüissent aussi, pendant qu'ils sont échevins, du droit de franc-salé, suivant plusieurs déclarations des 24 Décembre 1460, 16 Septembre 1461, 7 Mars 1521, Juillet 1599, & un édit du mois de Juillet 1610.

La déclaration du 24 Octobre 1465 les exempte de tous subsides, aides, tailles & subventions, durant qu'ils sont en charge.

L'édit du mois de Septembre 1543 les exempte aussi du droit & impôt du vin de leur crû qui sera par eux vendu en gros & en détail, tant & si longuement qu'ils tiendront leurs états & offices.

Ils avoient autrefois leurs causes commises au parlement, suivant des lettres patentes du mois de Mai 1324 ; l'édit de Septembre 1543 ordonna qu'ils auroient leurs causes commises aux requêtes du palais ou devant le prevôt de Paris. L'article 15 du tit. jv. de l'ordonnance de 1669, les confirme dans le droit de committimus au petit sceau.

Dans la plûpart des autres villes les échevins sont présidés par un maire.

Ils reçoivent ailleurs différens noms ; on les appelle à Toulouse capitouls, à Bordeaux jurats ; & dans la plûpart des villes de Guienne consuls, en Picardie gouverneurs ; & en quelques villes pairs, notamment à la Rochelle, quia pari potestate sunt praediti.

Les échevins de Lyon, ceux de Bourges, Poitiers, & de quelques autres principales villes du royaume, ont été maintenus, comme ceux de Paris, dans le privilége de noblesse. Voy. BUREAU DE LA VILLE, CONSERVATION DE LYON, CONSULS, CONSULAT, ECHEVINAGE, HOTEL-DE-VILLE, MAIRE, PREVOT DES MARCHANDS. (A)


ECHICK-AGASI-BACHIS. m. (Hist. mod.) c'est, à la cour de Perse, le grand-maître des cérémonies. Il a le titre de kan, le gouvernement de Téseran, avec le bâton couvert de lames d'or & garni de pierreries. Il est chef des officiers de la garde. Il précede le roi lorsqu'il monte à cheval, & il conduit par le bras les ambassadeurs lorsqu'ils sont admis à l'audience.


ECHIDNA(Mythol.) monstre qui naquit, selon la fable, de Chrysaor & de Callirhoé. C'étoit un composé de la femme, dont il avoit les parties supérieures ; & du serpent, dont il avoit la queue & les parties inférieures. Les dieux le tinrent enfermé dans un antre de la Syrie, où il engendra, malgré leur prévoyance, Orcus, Cerbere, l'Hydre de Lerne, le Sphynx, la Chimere, le lion de Nemée, & les autres monstres de la Mythologie, qui eurent Typhon pour pere, si on en croit Hésiode ; mais Herodote dit qu'Hercule ayant connu Echidna dans un voyage qu'il fit chez les Hyperboréens, cette femme lui donna trois enfans, Agathyrse, Gelon, & Scythe ; que ce dernier ayant pû seul tendre l'arc de son pere, elle chassa les deux autres, ainsi qu'elle en avoit reçu l'ordre d'Hercule, & qu'elle ne retint que le troisieme, qui donna son nom à la Scythie.


ECHIFFRES. m. (Architecture) mur qui sert d'appui à un escalier, & qui en soûtient toute la charpente. Il se dit aussi de la charpente même. D'échiffre, on a fait l'adjectif échiffré.


ECHIGNOLES. f. (Boutonnier Passementier) c'est le fuseau même dont ils se servent pour ourdir les soies qui entrent dans la composition de leurs ouvrages.


ECHIMS. m. (Hist. mod.) medecin du serrail. Il y en a dix, parmi lesquels trois sont ordinairement juifs. La jalousie du souverain rend leurs fonctions très-dangereuses.

ECHIM-BASSI, (Hist. mod. turq.) c'est le nom du premier medecin du sultan & de son serrail. Une des prérogatives de sa charge, est de marcher seul, le premier, & avant tout le monde, au convoi funebre des empereurs ottomans. Cette étiquette particuliere à la Turquie est de bon sens, non pas parce que c'est le moment du triomphe du medecin, mais parce qu'il est juste de mettre à la tête d'une cérémonie funebre, celui qui a rendu les plus grands & les derniers services au mort pendant sa vie, & qui est censé avoir fait tous ses efforts pour conserver ses jours. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ECHINES. f. (Architecture) membre du chapiteau de la colonne ionique, corinthienne, & composite : il est placé au haut : il est ovale, & il ressemble à des oeufs ou châtaignes ouvertes, rangées les unes à côté des autres. Echine vient d', qui signifie châtaigne.


ECHINITES. f. (Hist. nat. fossil.) On donne ce nom aux échinus ou oursins pétrifiés (voyez OURSIN). Il y a autant de variétés dans les échinites ou oursins pétrifiés, qu'il y en a dans les oursins naturels.


ECHINOPHORA(Hist. natur. botan.) genre de plante à fleurs en rose, qui sont rassemblées en forme de parasol, & soûtenues par un calice commun, qui devient dans la suite un fruit composé d'une seule capsule, dans laquelle il y a une semence oblongue. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


ECHIOIDES(Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs monopétales, faite en forme d'entonnoir, dont le bord est uniforme, ce qui les rend différentes de celles de la viperine. Le pistil devient un fruit composé de quatre semences, qui ressemblent en quelque façon à des têtes de vipere. Tournefort, inst. rei herb. corol. Voyez PLANTE. (I)


ECHIQUETÉadj. terme de Blason, il se dit de l'écu & des pieces principales, & même de quelques animaux, comme les aigles & les lions, lorsqu'ils sont composés de pieces quarrées, alternées comme celles des échiquiers. Il faut que l'écu ait au moins vingt quarreaux pour être dit échiqueté, autrement on l'appelle équipolé, quand il n'en a que neuf ; & quand il n'en a que quinze, comme aux armoiries de Tolede & de Quinnone, on dit quinze points d'échiquier. Les autres pieces doivent pour le moins être échiquetées de deux tires, autrement on les nomme componées. Voyez COMPONE. Ménetr. Trev. & Chambers.

Lotin de Charni à Paris, échiqueté d'argent & d'azur.


ECHIQUIERS. m. (Hist. & Jurisp.) scacarium, & non pas statarium, comme quelques-uns l'ont lû dans les anciens manuscrits. On a donné ce nom dans quelques pays, comme en Normandie & en Angleterre, à certaines assemblées de commissaires délégués pour réformer les sentences des juges inférieurs dans l'étendue d'une province.

Le nom d'échiquier vient de ce que le premier échiquier, qui fut celui de Normandie, se tenoit dans une salle dont le pavé étoit fait de pierres quarrées noires & blanches alternativement, comme les tabliers ou échiquiers qui servent à joüer aux échecs ; d'autres prétendent que le nom d'échiquier, donné à ce tribunal, vient de ce qu'il y avoit sur le bureau un tapis échiqueté de noir & de blanc.

Les échiquiers ont quelque rapport avec les assises, avec cette différence néanmoins, que les jugemens des échiquiers sont en dernier ressort ; ainsi ils ont plus de rapport avec les grands jours qui se tenoient par ordre du roi, & qui jugeoient aussi en dernier ressort.

Il y a plusieurs échiquiers en Normandie. Le roi de Navarre avoit le sien. Il y en a encore un en Angleterre, ainsi qu'on l'expliquera dans les subdivisions suivantes. Voyez le glossaire De Ducange, au mot scacarium, & celui de Lauriere, au mot Echiquier. (A)

ECHIQUIER D'ALENÇON, étoit un échiquier particulier pour le bailliage d'Alençon, & indépendant de l'échiquier général de Normandie, qui se tenoit à Roüen. Ce tribunal fut établi lorsque le comté d'Alençon fut donné en apanage à des princes de la maison de France, ou peut-être même dès le tems que les comtes d'Alençon étoient vassaux des ducs de Normandie.

Lors de l'érection de l'échiquier de Normandie en cour de parlement, laquelle fut faite en 1515, le bailliage d'Alençon n'étoit point du ressort de l'échiquier de Normandie. Charles de Valois duc d'Alençon, qui en joüissoit à titre d'apanage, y faisoit tenir son échiquier indépendant de celui de Roüen.

Ce prince étant mort en 1525 sans enfans, la duchesse sa veuve, qui étoit Marguerite soeur unique de François I, demeura en possession de son échiquier jusqu'à sa mort, arrivée en 1548.

Le parlement de Roüen revendiqua alors son ancien ressort sur le bailliage d'Alençon, & députa au roi Henri II, pour demander la réunion de l'échiquier d'Alençon à celui de Roüen ; mais il y eut opposition de la part du parlement de Paris à cause qu'Alençon étoit une pairie, & de la part des habitans d'Alençon, qui furent jaloux de conserver leur échiquier avec le droit de juger souverainement.

Le roi, sur le vû des titres produits par le parlement de Roüen, ordonna de faire une assemblée dans le bailliage d'Alençon, ce qui fut suivi de lettres patentes du mois de Juin ou Juillet 1550, par lesquelles toutes les causes du bailliage d'Alençon furent renvoyées au parlement de Roüen, pour y être jugées souverainement ; le duché d'Alençon étoit alors retourné à la couronne, & réduit au ressort du parlement de Roüen. Les lettres y furent registrées, avec injonction aux juges du bailliage d'Alençon de faire tous les ans leur comparence en la cour, comme il se pratiquoit à l'égard des autres siéges.

Charles IX. ayant donné, en 1566, à François de France son frere, le duché d'Alençon pour son apanage, le parlement de Paris se donna des mouvemens pour se faire attribuer la connoissance des appels de ce bailliage, sur le fondement que ce duché étoit une pairie.

Le parlement de Roüen de sa part fit des remontrances au roi & une députation, pour représenter qu'Henri II, en 1550, avoit retabli ce parlement dans ses anciens droits sur le bailliage d'Alençon ; & l'on tient que le roi les assûra qu'il ne changeroit point l'état des choses, & que cela fut exécuté en 1570.

Il paroît néanmoins que le duc d'Alençon ayant voulu rétablir son apanage sur le même pié qu'il étoit sous Charles dernier duc, mort en 1525, obtint du roi son frere, qu'il pourroit faire tenir un échiquier pour juger les procès en dernier ressort.

Le parlement de Roüen qui en fut informé, arrêta par une délibération du mois d'Août 1571, qu'il seroit fait de très-humbles remontrances au roi sur cette distraction de ressort : on ne voit point dans les registres du parlement, si ces remontrances furent faites, ni quel en fut le succès : ce qui est de certain, est que le parlement de Roüen ne rentra dans son droit de ressort sur le bailliage d'Alençon, qu'après la mort du duc, sous le regne d'Henri III. L'échiquier d'Alençon fut alors supprimé par des lettres patentes du mois de Juin 1584, qui énoncent que le duc avoit toûjours joüi du droit d'échiquier pour son apanage ; par ce moyen le bailliage d'Alençon revint dans son premier état, c'est-à-dire que depuis ce tems il ressortit au parlement de Roüen. Voyez le commentaire de Beraut, à la fin ; le glossaire de Lauriere au mot échiquier, le recueil des arrêts de Froland, p. 76. (A)

ECHIQUIER D'ANGLETERRE ou COUR DE L'ECHIQUIER, est une cour souveraine d'Angleterre, où l'on juge les causes touchant le thrésor & les revenus du roi, touchant les comptes, déboursemens, impôts, doüannes, & amendes ; elle est composée de sept juges, qui sont le grand thrésorier, le chancelier ou sous-thrésorier de l'échiquier, qui a la garde du sceau de l'échiquier, le lord chef baron, les trois barons de l'échiquier, & le cursitor baron. Les deux premiers se trouvent rarement aux affaires que l'on doit juger suivant la rigueur de la loi ; ils en laissent la décision aux cinq autres juges, dont le lord chef baron est le principal, il est établi par lettres patentes.

Le cursitor baron fait prêter serment aux sherifs & sous-sherifs des comtés, aux baillis, aux officiers de la doüanne, &c.

Cette cour de l'échiquier est divisée en deux cours : l'une, qu'on appelle cour de loi, où les affaires se jugent selon la rigueur de la loi ; l'autre, qu'on appelle cour d'équité, où il est permis aux juges de s'écarter de la rigueur de la loi pour suivre l'équité. Les évêques & les barons du royaume avoient autrefois séance à la cour de l'échiquier ; présentement les deux cours de l'échiquier sont tenues par des personnes qui ne sont point pairs, & qu'on appelle pourtant barons.

Sous le chancelier, sont deux chambellans de l'échiquier, qui ont la garde des archives & papiers, ligues & traités avec les princes étrangers, des titres des monnoies, des poids & des mesures, & d'un livre fameux appellé le livre de l'échiquier ou le livre noir, composé en 1175 par Gervais de Tilbury neveu d'Henri II. roi d'Angleterre. Ce livre contient la description de la cour d'Angleterre de ce tems-là, ses officiers, leurs rangs, priviléges, gages, pouvoir & jurisdiction, les revenus de la couronne : ce livre est enfermé sous trois clés ; on donne six schellings huit sous pour le voir, & quatre sous pour chaque ligne que l'on transcrit.

Outre ces deux cours de l'échiquier, il y en a encore une autre qu'on appelle le petit échiquier ; celui-ci est le thrésor royal & la thrésorerie ; on y reçoit & on y débourse les revenus du roi : le grand thrésorier en est le premier officier. (A)

ECHIQUIER DES APANAGERS, ce sont les grands jours des princes, auxquels on avoit donné pour apanage des terres situées en Normandie. Chacun de ces échiquiers avoit son nom propre. Tels étoient les échiquiers particuliers des comtés d'Evreux, d'Alençon, & de Beaumont-le-Roger. Ces échiquiers étoient indépendans du grand échiquier de Normandie.

ECHIQUIER DE L'ARCHEVEQUE DE ROUEN ; les archevêques de cette ville ont prétendu avoir un échiquier particulier, & que leur jurisdiction n'étoit pas sujette à celle de l'échiquier général de Normandie.

On voit dans l'échiquier général, qui fut tenu en 1336 au nom de Jean dauphin de France, & duc de Normandie (qui fut depuis le roi Jean), que l'on fit lecture de lettres patentes que le dauphin avoit données à Pierre, archevêque de Rouen, pour la jurisdiction de Louviers.

Dix-sept ans après (en 1353) s'étant mû procès touchant la jurisdiction temporelle du palais archiépiscopal de Roüen, Jean, qui depuis trois ans avoit été sacré roi de France, accorda la jurisdiction toute entiere, & sans aucune restriction, à Pierre de la Forest, qui avoit été son chancelier : mais ce privilége ne fut alors accordé que pour lui personnellement, & pour le tems seulement qu'il tiendroit cet archevêché.

Le dauphin Charles, auquel le roi Jean son pere avoit donné en 1355 le duché de Normandie, & qui fut depuis le roi Charles V. surnommé le Sage, confirma ce privilége, & le continua tant pour l'archevêque, que pour ses successeurs, par lettres patentes données à Roüen le 5 Octobre 1359. C'est de-là que les archevêques ont encore la jurisdiction appellée les hauts jours, où l'on juge les appellations des sentences des justices de Déville, Louviers, Gaillon, Dieppe, &c. jurisdiction qui ressortit au parlement de Roüen.

Lorsque l'édit de 1499 déclara l'échiquier général de Normandie perpétuel, le cardinal d'Amboise archevêque de Roüen, remontra que ses prédécesseurs avoient toûjours prétendu qu'il leur appartenoit par chartres ou droits anciens, un échiquier particulier & cour souveraine, pour les causes qui pouvoient se mouvoir devant leurs officiers dépendans du temporel & aumône de l'archevêché, sans ressortir en aucune maniere en la cour de l'échiquier de Normandie.

Louis XII. déclara à cette occasion, qu'il ne vouloit faire aucun préjudice aux droits du cardinal & des archevêques ses successeurs, ni aux siens propres, consentant qu'ils pussent faire telle poursuite qu'ils aviseroient bon être, soit en la cour de l'échiquier, ou ailleurs.

Mais il ne paroît pas que les archevêques de Roüen ayent profité de cette clause ; on voit au contraire que le 2 Juillet 1515, le parlement de Roüen ordonna à ceux que l'archevêque commettroit pour tenir la jurisdiction temporelle de son archevêché, de qualifier cette jurisdiction du titre de hauts jours, & non de celui d'échiquier, comme ils avoient fait auparavant, & qu'il lui fût permis de faire expédier & juger extraordinairement par ces juges commis des hauts jours, ou par aucuns d'entr'eux, les matieres provisoires : & qu'en ce cas les juges intituleroient leurs actes, les gens commis à tenir pour l'archevêque de Roüen l'extraordinaire de ses hauts jours, pour le fait & regard de ses matieres provisoires, & en attendant la tenue d'iceux. Voyez le recueil d'arrêts de M. Froland. (A)

ECHIQUIER (Barons de l') voyez ce qui en a été dit ci-dev. à l'article ECHIQUIER D'ANGLETERRE.

ECHIQUIER DE BEAUMONT-LE-ROGER, étoit un échiquier particulier qui avoit été accordé à Robert d'Artois III. du nom, prince du sang, pour les terres de Beaumont-le-Roger, & autres situées en Normandie ; ce qui fut fait probablement en 1328, lorsqu'on lui donna ces terres à titre d'apanage. Cet échiquier ne devoit plus subsister depuis 1331, que les biens de ce même comte d'Artois, furent confisqués. On voit cependant qu'en 1338, il fut encore tenu, mais au nom du roi, & par les mêmes commissaires qui tinrent l'échiquier général de Normandie ; dans celui de 1346, où présida Jean alors duc de Normandie, qui fut depuis le roi Jean, on fit lecture de lettres patentes de Philippe de Valois, qui enjoignoient à l'échiquier général de renvoyer toutes les causes du comté de Valois, Beaumont-le-Roger, Pontorson, & autres terres que possédoit en Normandie Philippe second fils du roi, aux hauts jours des mêmes terres qui se tenoient à Paris. Voyez l'hist. de la ville de Roüen, t. I. part. II. c. jv. p. 29. n. 30. (A)

ECHIQUIER (chambellans de l'), voy. ECHIQUIER D'ANGLETERRE.

ECHIQUIER (cour de l') voyez ECHIQUIER D'ANGLETERRE & ECHIQUIER DE ROUEN.

ECHIQUIER DU COMTE D'EVREUX, voyez ci-devant ECHIQUIER DES APANAGERS, & ci-apr. ECHIQUIER DU ROI DE NAVARRE.

ECHIQUIER (maîtres de l'), étoient les juges commis pour tenir la jurisdiction de l'échiquier. Il en est parlé dans une ordonnance du roi Jean du 5 Avril 1350, article 12, qui défend aux maîtres du parlement, de ses échiquiers, requêtes de son hôtel, de faire aucune prise pour eux dans tout le duché de Normandie. Voyez ECHIQUIER & PRISE. (A)

ECHIQUIER DU ROI DE NAVARRE, étoit un échiquier particulier, que Charles I. comte d'Evreux, roi de Navarre, dit le mauvais, força le roi de lui donner, pour les grands domaines qu'il possédoit en la province de Normandie. (A)

ECHIQUIER DE NORMANDIE, voyez ci-après ECHIQUIER DE ROUEN.

ECHIQUIER (petit,) voyez ci-devant ECHIQUIER D'ANGLETERRE.

ECHIQUIER DE ROUEN, étoit la cour souveraine de Normandie, instituée par Rollo ou Raoul, premier duc de cette province, au commencement du dixieme siecle.

L'appel des premiers juges étoit porté à l'échiquier, qui décidoit en dernier ressort, tant au civil qu'au criminel ; mais comme cet échiquier ne se tenoit qu'en certains tems de l'année, quand il y avoit des matieres provisoires, c'étoit au grand sénéchal de la province à les décider, en attendant la tenue de l'échiquier.

Pendant plusieurs siecles, cet échiquier fut ambulatoire à la suite du prince, comme le parlement de Paris.

M. Froland en son recueil d'arrêts, part. I. ch. ij, pag. 48, dit avoir lû un abregé historique manuscrit du parlement de Roüen, ouvrage d'un procureur général de ce parlement, où il est dit que cet échiquier ambulatoire s'assembloit deux fois l'année, savoir à Pâques & à la Saint-Michel ; qu'il tenoit ses séances pendant six semaines ; que le grand-sénéchal de la province y présidoit ; qu'on y appelloit les principaux du clergé & de la noblesse des sept bailliages, lesquels y avoient voix délibérative ; que les baillifs & les officiers de ces mêmes siéges, ainsi que les avocats, étoient obligés d'y assister, afin de recorder l'usance & style de la coûtume de Normandie, qui n'étoit point encore rédigée par écrit, ou du moins de l'autorité du prince, & que les jugemens de ce tribunal étoient sans appel & en dernier ressort.

Mais M. Froland craint que l'on n'ait confondu la forme de ces premiers échiquiers avec celle des échiquiers, qui ont été tenus depuis la réunion de la Normandie à la couronne ; & en effet il n'y a guere d'apparence que la forme fût d'abord la même qu'elle a été long-tems après, soit pour la qualité des personnes, soit pour l'ordre de la séance, la dignité des terres, & la nature des affaires : d'autant que Rollo qui ne fut baptisé qu'en 912, & mourut en 917, n'eut pas le tems de donner à ce nouvel établissement toute la perfection dont il étoit susceptible.

Il ne nous reste rien des registres ou actes des anciens échiquiers, tenus sous les ducs de Normandie ; tout a été consumé par le tems, ou enlevé par les Anglois, lorsque Roüen se rendit à Philippe-Auguste, ou lorsque les Anglois s'emparerent de la province en 1416 & 1417, ou enfin lorsqu'ils en furent chassés après la bataille de Formigni, gagnée sur eux par Charles VII. en 1450.

On croit même qu'il seroit difficile de trouver les premiers registres de l'échiquier, depuis la réunion de la Normandie à la couronne sous Philippe-Auguste, jusqu'au 23 Mars 1302, que Philippe-le-Bel pour le soulagement de ses sujets, ordonna qu'il se tiendroit par an deux échiquiers à Roüen : quod duo parlamenta Parisiis, & duo scanaria Rothomagi, diesque trecenses bis tenebuntur in anno propter commodum subjectorum, & expeditionem causarum.

Cette ordonnance ne fut cependant pas toûjours ponctuellement exécutée pour le lieu de la séance de l'échiquier : car quoique depuis ce tems il se tint ordinairement à Roüen, on le tenoit aussi quelquefois à Caën, & quelquefois à Falaise, sur-tout dans les tems de troubles & de l'invasion des Anglois.

Suivant l'ordonnance de Philippe-le-Bel, il dut y avoir depuis 1302 jusqu'en 1317, trente échiquiers : néanmoins on n'en trouve aucun de ce tems ; ce qui provient sans doute de l'éloignement des tems, des troubles & guerres civiles, & autres, & des changemens faits dans les dépôts publics.

Depuis 1317, il se trouve deux auteurs qui ont donné quelque éclaircissement sur les échiquiers, savoir Guillaume le Rouillé d'Alençon, dans les notes qu'il a données en 1539 sur l'ancien coûtumier, & Me. Fr. Favin prieur du Val, en son histoire de Roüen.

Le premier de ces auteurs, part. II. ch. iij. jv. & v. a donné le catalogue des échiquiers tenus à Roüen depuis 1317 jusqu'en 1397, qu'il dit avoir extrait des registres de l'échiquier, étant au greffe de la cour.

Suivant cet auteur, l'échiquier étoit proprement une assemblée de tous les notables de la province ; une espece de parlement ambulatoire, qui se tenoit deux fois par an pendant trois mois, savoir au commencement du printems, & à l'entrée de l'automne. Il marque le nom des prélats & des nobles qui y avoient séance à cause de leurs terres ; le rang que chacun y tenoit ; ceux qui y avoient voix délibérative ; l'obligation où l'on étoit d'y appeller les baillis, lieutenans-généraux civils & criminels, les avocats & procureurs du roi des bailliages, les vicomtes, le grand-maître des eaux & forêts, les lieutenans de l'amirauté, les verdiers, les baillis & sénéchaux des hauts-justiciers, & les avocats & procureurs, pour recorder l'usance & style de la province.

Sur les hauts siéges du lieu où se tenoit l'échiquier, il n'y avoit que les présidens & autres juges députés par le roi, lesquels avoient seuls droit de juger : derriere eux à même hauteur, étoient à droite les abbés, doyens, & autres ecclésiastiques, & à gauche les comtes, barons, & autres nobles, qui avoient séance à l'échiquier. Toutes ces personnes avoient seulement séance en l'échiquier, & non voix délibérative, n'y étant appellés que pour y donner de l'ornement, comme il est dit dans l'échiquier de 1426.

Sur des siéges plus bas que ceux des juges, étoient les baillis, procureurs du roi, les vicomtes, & autres officiers, les avocats.

Aux derniers échiquiers, les ecclésiastiques & les nobles demanderent d'être dispensés de comparoir en personne : ce qui leur fut accordé ; au lieu qu'auparavant on les condamnoit à l'amende, quand ils n'avoient point d'excuse légitime. En effet on trouve que dans un échiquier du 18 Avril 1485, Charles VIII. assisté du duc d'Orléans, du connétable, du duc de Lorraine, des comtes de Richemont, de Vendôme, & d'Albret, du prince d'Orange, du chancelier & de toute sa cour, étant en son lit de justice en l'échiquier de Roüen, condamna en l'amende le comte d'Eu pour ne s'y être pas trouvé, quoique son bailli d'Eu, qui étoit présent avec les autres officiers, l'eût excusé sur son grand âge & ses indispositions. On lui fit en même tems défense de tenir aucune jurisdiction durant les échiquiers, ni même à Arques, pendant les plaids suivans.

Il y avoit aussi quelques ecclésiastiques & nobles de la province de Bretagne, qui devoient comparence à l'échiquier de Normandie, & qui furent appellés dans celui de 1485, & dans les suivans ; savoir les évêques de Saint-Brieux, de Saint-Malo, & de Dol : & pour les nobles, les barons de Rieux, de Guemené, & de Condé-sur-Noireau, le baron d'Erval Deslandelles, le vicomte de Pomers, baron de Marée.

Rouillé assûre aussi que la plûpart des échiquiers qu'il a vû au greffe du parlement de Roüen, sont en latin ; que le plus ancien registre commence au terme de la S. Michel 1317, & finit au même terme de l'an 1431 ; qu'il est intitulé, arrêts de l'échiquier de Roüen, du terme de S. Michel de l'an 1317.

Cet auteur n'a pas rapporté tous les échiquiers tenus depuis 1317, mais seulement les ordonnances qui furent faites dans plusieurs de ces échiquiers, soit avant l'érection de l'échiquier en cour sédentaire, en la ville de Roüen, ou depuis : ceux dont il fait mention, sont de l'an 1383 au terme de S. Michel ; 1426 1462, 1463, & 1464, tous au terme de Pâques ; 1469, 1487, & 1497, au terme de S. Michel ; & ceux de 1501 & 1507, qui sont postérieurs à l'érection de l'échiquier, en cour sédentaire.

Pour ce qui est de Favin, en son histoire de Roüen, il fait mention de 35 échiquiers tenus à Roüen ; mais il en manque dans les intervalles un grand nombre d'autres, qui ont apparemment été tenus ailleurs : ceux dont il parle sont des années 1317, 1336, 1337, 1338, 1342, 1343, 1344, 1345, 1346, 1348, 1390, 1391, 1395, 1397, 1398, 1399, 1400, 1401, 1408, 1423, 1424, 1426, 1453, 1454, 1455, 1456, 1464, 1466, 1469, 1474, 1484, 1485, 1490, & 1497. Il rapporte beaucoup de choses curieuses qui se sont passées dans plusieurs de ces échiquiers, & qui sont répandues dans le recueil d'arrêts de M. Froland.

L'échiquier, tandis qu'il fut ambulatoire, étoit sujet à beaucoup d'inconvéniens ; outre l'embarras pour les juges & les parties de se transporter tantôt dans un endroit, & tantôt dans un autre, les prélats & magistrats qui étoient commis pour le tenir, étant la plûpart étrangers à la province, en connoissoient peu les usages, ou même les ignoroient totalement : d'où il arrivoit souvent que les affaires restoient indécises. C'est pourquoi, dans l'assemblée des états généraux de Normandie, tenue en 1498, il avoit été délibéré de rendre l'échiquier perpétuel ; & en 1499, les prélats, barons, seigneurs, & premiers officiers, avec les gens des trois états de Normandie, demanderent à Louis XII. qu'il lui plût d'ériger l'échiquier en cour sédentaire de la ville de Roüen. Le roi qui aimoit la Normandie, dont il avoit été gouverneur lorsqu'il n'étoit encore que duc d'Orléans, sollicité vivement d'ailleurs par le cardinal d'Amboise archevêque de Roüen, accorda la demande par un édit du mois d'Avril de la même année.

Suivant cet édit, le roi établit dans Roüen un corps de justice souveraine, sédentaire, & perpétuelle, composée de quatre présidens, dont le premier & le troisieme devoient être clercs, & le second & le quatrieme laïques ; de treize conseillers clercs, & quinze laïques ; deux greffiers, un pour le civil, un pour le criminel ; des notaires & secrétaires ; six huissiers, un audiencier, des avocats du roi, un procureur général, un receveur des amendes & payeur des gages.

Le roi nomma pour premier président Geoffroi Hebert, évêque de Coutances, & pour troisieme, Antoine abbé de Saint-Oüen. Il se réserva la nomination & disposition des charges qui seroient vacantes.

Il fut ordonné que l'échiquier se tiendroit dans la grande salle du château de la ville, en attendant que le lieu destiné pour le palais eût été bâti.

Le même édit régla l'ordre de juger les procès, la maniere de les distribuer, l'ordre des bailliages, la cessation des jurisdictions inférieures en certains tems, la comparence des baillis & autres officiers à la cour souveraine de l'échiquier ; les priviléges & gages des présidens, conseillers, & autres officiers.

L'ouverture de l'échiquier perpétuel se fit le premier Octobre 1499.

Le roi avoit accordé au cardinal d'Amboise en considération de sa dignité & de ses grands services, le sceau de la chancellerie, avec le droit de présider à l'échiquier pendant sa vie.

L'échiquier perpétuel demeura au château pendant sept années ; & ce ne fut qu'en 1506, le premier Octobre, qu'il commença à être tenu dans le palais, qui n'étoit même pas encore achevé.

Ce fut dans ce même tems que l'on établit à Roüen une table de marbre, pour juger les appellations des maîtrises d'eaux & forêts de la province, lesquelles jusque-là avoient été relevées directement à l'échiquier.

Par des lettres du mois d'Avril 1507, Louis XII. accorda à l'archevêque de Rouen & à l'abbé de Saint-Oüen, la qualité de conseillers nés en l'échiquier.

François I. à son avênement à la couronne, en 1515, confirma par des lettres patentes la cour de l'échiquier dans tous ses priviléges ; & par d'autres lettres du mois de Février suivant, il voulut que le nom d'échiquier fût changé en celui de cour de parlement. La suite de ce qui concerne cette cour, sera ci-après sous le mot PARLEMENT, à l'article PARLEMENT DE NORMANDIE. Voyez le recueil d'arrêts de M. Froland, part. I. ch. ij. (A)

ECHIQUIER ou QUINCONCE, s. f. (Jardinage) on dit un lieu planté en échiquier, lorsqu'il est sur un trait quarré formant des allées de tous côtés. Voyez QUINCONCE. (K)

* ECHIQUIER, ou CARREAU, ou HUNIER, (Pêche) espece de filet quarré dont on se sert dans les rivieres. Il consiste en une grande piece, dont la maille n'a que quatre à cinq lignes ; on amarre autour une forte ligne ; on tient le rets un peu lâche, de maniere qu'il enfonce dans l'eau vers son milieu ; on a reservé à chaque coin un petit oeillet de la ligne, qui reçoit l'extrémité des petites perches legeres qui suspendent le filet par ses coins. Ces petites perches font l'arc ; au point où elles se réunissent toutes, est frappé un bout de corde, qui sert à amarrer cet engin de pêche à une longue perche de 7 à 8 piés. Cet équipage n'a lieu que quand on pêche à pié. Si l'on pêche en bateau, comme il arrive quelquefois, on met un bout dehors, soit au mât, soit au bord, à l'extrémité duquel est frappé une poulie, où passe un cordage attaché sur la perche du carreau ; par le moyen de ce cordage, on guinde, éleve, ou abaisse le carreau à volonté. On ne se sert de l'échiquier qu'à marée montante ; alors on se place à l'entrée des gorges & des embouchures des rivieres, où l'eau commence à se présenter avec quelque rapidité ; le poisson se précipite dans le filet, & l'on tire ou retire le carreau pour prendre le poisson ; ensuite on le rabaisse, & l'on continue la pêche.

Il y a une autre sorte d'échiquier, que les pêcheurs appellent balutet ou petite caudrette. Ce filet est monté comme l'échiquier, au bout d'une perche. La pêche n'en differe pas de celle aux chaudieres, dont se servent entre les rochers les pêcheurs à pié de Saint-Valeri ; il n'y a de différence qu'au fond, qui aux chaudieres est garni d'une toile, & non d'un rets. Quant à la maniere d'amorcer, c'est la même ; ils amarrent du poisson au fond du balutet. Ils pêchent toute l'année à la basse eau, ce qui occasionne quelque destruction du frai.

ECHIQUIER, (Jeu) c'est ainsi qu'on appelle le damier, lorsqu'il est occupé par un jeu d'échecs. Voyez ECHECS & DAMIER.


ECHMALOTARQUES. m. (Hist. anc.) prince ou chef des captifs ; c'est le nom que les Juifs donnoient aux chefs des tribus ou gouverneurs du peuple hébreu, qui les élisoit pendant la captivité de Babylone, sous le bon plaisir des rois de Perse, qui avoient permis aux Israëlites captifs de se gouverner selon leurs lois, & de choisir entr'eux des chefs pour les faire observer. Ils n'étoient élus que de la tribu de Juda & de la famille de David, au lieu que les nasi ou princes de la synagogue dans la Terre-sainte, se prenoient dans toutes les tribus indifféremment. Après la captivité, le peuple de retour dans sa patrie, élut pour chef Zorobabel, & Josué pour grand-prêtre, & cette forme de gouvernement subsista jusqu'à-ce que les Asmonéens montassent sur le throne de Judée. Selden, de synedriis, & Chambers. (G)


ECHOS. m. (Physiq.) son réfléchi ou renvoyé par un corps solide, & qui par-là se répete & se renouvelle à l'oreille. Voyez SON & REFLEXION. Ce mot vient du grec , son.

Le son est répété par la réflexion des particules de l'air mises en vibration (voyez SON) ; mais ce n'est pas assez de la simple réflexion de l'air sonore pour produire l'écho, car cela supposé il s'ensuivroit que toute la surface d'un corps solide & dur, seroit propre à redoubler la voix ou le son, parce qu'elle seroit propre à les réfléchir, ce que l'expérience dément. Il paroît donc qu'il faut pour produire le son, une espece de voûte qui puisse le rassembler, le grossir, & ensuite le réfléchir, à-peu-près comme il arrive aux rayons de lumiere rassemblés dans un miroir concave. Voyez MIROIR.

Lorsqu'un son viendra frapper une muraille derriere laquelle sera quelque voûte, quelqu'arche, &c. ce même son sera renvoyé dans la même ligne, ou dans d'autres lignes adjacentes.

Cela posé, pour qu'on puisse entendre un écho, il faut que l'oreille soit dans la ligne de réflexion ; & pour que la personne qui a fait le bruit puisse entendre lui-même son propre son, il faut encore que cette même ligne soit perpendiculaire à la surface qui réfléchit ; & pour former un écho multiple ou tautologique, c'est-à-dire qui répete plusieurs fois le même mot, il faut plusieurs voûtes, ou murs, ou cavités placées ou derriere l'une l'autre, ou vis-à-vis l'une de l'autre.

Quelques auteurs ont observé avec beaucoup d'attention plusieurs phénomenes de l'écho ; nous allons rapporter historiquement, & sans prétendre absolument les adopter, leurs réflexions sur ce sujet. Ils remarquent que tout son qui tombe directement ou obliquement sur un corps dense dont la surface est polie, soit qu'elle soit plane ou courbe, se réfléchit, ou forme un écho plus ou moins fort ; mais pour cela il faut, disent-ils, que la surface soit polie, sans quoi la reverbération de cette surface détruiroit le mouvement régulier de l'air, & par-là romproit & éteindroit le son. Lorsque toutes les circonstances que nous venons de décrire se réunissent, il y a toûjours un écho, quoiqu'on ne l'entende pas toûjours, soit que le son direct soit trop foible pour revenir jusqu'à celui qui l'a formé, ou qu'il lui revienne si foible qu'il ne puisse le discerner ; soit que le corps réfléchissant soit à trop peu de distance pour qu'on puisse distinguer le son direct d'avec le son réfléchi, ou que la personne qui fait le bruit se trouve mal placée pour recevoir le son réfléchi.

Si l'obstacle ou le corps réfléchissant est éloigné de celui qui parle, de 90 toises, le tems qui se passe entre le premier son & le son réfléchi, est d'une seconde, parce que le son fait environ 180 toises par seconde ; desorte que l'écho répétera toutes les paroles ou les syllabes qui auront été prononcées dans le tems d'une seconde : ainsi lorsque celui qui parle aura cessé de parler, l'écho paroîtra répéter toutes les paroles qu'on aura prononcées. Si l'obstacle se trouve trop proche, l'écho ne redira qu'une syllabe.

Notre ame ne sauroit distinguer, à l'aide de l'organe de l'ouie, des sons qui se succedent les uns aux autres avec une grande célérité ; il faut, pour qu'on puisse les entendre, qu'il y ait quelqu'intervalle entre les deux sons. Lorsque d'habiles joüeurs de violon jouent très-vîte, ils ne peuvent joüer dans une seconde que dix tons que l'on puisse entendre distinctement ; par conséquent on ne sauroit distinguer l'écho, lorsque le son réfléchi succede au son direct avec plus de vîtesse qu'un ton n'est suivi d'un autre dans le prestissimo. On voit aussi pourquoi les grandes chambres & les caves voûtées resonnent si fort lorsqu'on parle, sans former cependant d'écho. Cela vient de la trop grande proximité des murailles, qui empêche de distinguer les sons réfléchis.

Tout ce qui réfléchit le son, peut être la cause d'un écho ; c'est pour cela que les murailles, les vieux remparts de ville, les bois épais, les maisons, les montagnes, les rochers, les hauteurs élevées de l'autre côté d'une riviere, peuvent produire des échos. Il en est de même des rocs remplis de cavernes, des nuées, & des champs où il croît certaines plantes qui montent fort haut ; car ils forment des échos : de-là viennent ces coups terribles du tonnerre qui gronde, & dont les échos répétés retentissent dans l'air.

Les échos se produisent avec différentes circonstances ; car,

1°. Les obstacles plans réfléchissent le son dans sa force primitive avec la seule diminution que doit produire la distance.

2°. Un obstacle convexe réfléchit le son avec un peu moins de force & de promptitude qu'un obstacle plan.

3°. Un obstacle concave renvoie en général un son plus fort ; car il en est à-peu-près du son comme de la lumiere. Les miroirs plans rendent l'objet tel qu'il est, les convexes le diminuent, les concaves le grossissent.

4°. Si on recule davantage le corps qui renvoye l'écho, il réfléchira plus de sons que s'il étoit plus voisin.

5°. Enfin on peut disposer les corps qui font écho, de façon qu'un seul fasse entendre plusieurs échos qui different tant par rapport au degré du ton, que par rapport à l'intensité ou à la force du son : il ne faudroit pour cela que faire rendre les échos par des corps capables de faire entendre, par exemple, la tierce, la quinte & l'octave d'une note qu'on auroit joüée sur un instrument.

Telle est la théorie générale donnée par les auteurs de Physique sur les échos ; mais il faut avoüer que toute cette théorie est encore vague, & qu'il restera toûjours à expliquer pourquoi des lieux qui, suivant ces regles, paroîtroient devoir faire écho, n'en font point ; pourquoi d'autres en font, qui paroîtroient n'en devoir point faire, &c. Il semble aussi que le poli de la surface réfléchissante, n'est pas aussi nécessaire à l'écho qu'à la réflexion des rayons de lumiere : du moins l'expérience nous montre des échos dans des lieux pleins de rochers & de corps très-brutes & très-remplis d'inégalités. Il semble enfin que souvent des surfaces en apparence très-polies, ne produisent point d'écho ; car quand elles réfléchiroient le son, il n'y a de véritable écho que celui qu'on entend. La comparaison des lois de la réflexion du son avec celles de la lumiere, peut être vraie jusqu'à un certain point, mais elle ne l'est pas sans restriction, parce que le son se propage en tout sens, & la lumiere en ligne droite seulement.

Echo se dit aussi du lieu où la répétition du son est produite & se fait entendre.

On distingue les échos pris en ce sens, en plusieurs especes.

1°. En simples, qui ne répetent la voix qu'une fois, & entre ceux-là il y en a qui sont toniques, c'est-à-dire qui ne se font entendre que lorsque le son est parvenu à eux dans un certain degré de ton musical ; d'autres syllabiques, qui font entendre plusieurs syllabes ou mots. De cette derniere espece est le parc de Woodstock en Angleterre, qui, suivant que l'assûre le docteur Plott, répete distinctement dix-sept syllabes le jour, & vingt la nuit.

2°. En multiples, qui répetent les mêmes syllabes plusieurs fois différentes.

Dans la théorie des échos on nomme le lieu où se tient celui qui parle, centre-phonique ; & l'objet ou l'endroit qui renvoye la voix, centre-phonocamptique, c'est-à-dire centre qui réfléchit le son. Voyez ces mots.

Il y avoit, dit-on, au sépulchre de Metella femme de Crassus, un écho qui répétoit cinq fois ce qu'on lui disoit. On parle d'une tour de Cyzique, où l'écho se répétoit sept fois. Un des plus beaux dont on ait fait mention jusqu'ici, est celui dont parle Barthius dans ses notes sur la Thébaïde de Stace, liv. VI. v. 30. & qui répétoit jusqu'à dix-sept fois les paroles que l'on prononçoit : il étoit sur le bord du Rhin, proche Coblents : Barthius assûre qu'il en a fait l'épreuve, & compté dix-sept répétitions ; & au-lieu que les échos ordinaires ne répetent la voix que quelque tems après qu'on a entendu celui qui chante ou qui parle, dans celui-là on n'entendoit presque point celui qui chantoit, mais la répetition qui se faisoit de sa voix, & toûjours avec des variations surprenantes : l'écho sembloit tantôt s'approcher, & tantôt s'éloigner : quelquefois on entendoit la voix très-distinctement, & d'autres fois on ne l'entendoit presque plus : l'un n'entendoit qu'une seule voix, & l'autre plusieurs : l'un entendoit l'écho à droite, & l'autre à gauche. Des murs paralleles & élevés produisent aussi des échos redoublés, comme il y en a eu autrefois dans le château Simonette, dont Kircher, Schot & Misson ont donné la description. Il y avoit dans un de ces murs une fenêtre d'où on entendoit répéter quarante fois ce qu'on disoit. Adisson & d'autres personnes qui ont voyagé en Italie, font mention d'un écho qui s'y trouve, & qui est encore bien plus extraordinaire, puisqu'il répete cinquante-six fois le bruit d'un coup de pistolet, lors même que l'air est chargé de brouillard. Nous rapportons tous ces faits sans prétendre les garantir.

Dans les mémoires de l'académie des Sciences de Paris, pour l'année 1692, il est fait mention d'un écho qui a cela de particulier, que la personne qui chante n'entend point la répétition de l'écho, mais seulement sa voix ; au contraire ceux qui écoutent n'entendent que la répétition de l'écho, mais avec des variations surprenantes, car l'écho semble tantôt s'approcher, & tantôt s'éloigner : quelquefois on entend la voix très-distinctement, & d'autres fois on ne l'entend presque plus : l'un n'entend qu'une seule voix, & l'autre plusieurs : l'un entend l'écho à droite, & l'autre à gauche : enfin, selon les différens endroits où sont placés ceux qui écoutent & celui qui chante, l'on entend l'écho d'une maniere différente.

La plûpart de ceux qui ont entendu cet écho, s'imaginent qu'il y a des voûtes ou des cavités soûterraines qui causent ces différens effets ; mais la véritable cause de tous ces effets, est la figure du lieu où cet écho se fait.

C'est une grande cour située au-devant d'une maison de plaisance appellée Genetai, à six ou sept cent pas de l'abbaye de saint Georges auprès de Roüen. Cette cour est un peu plus longue que large, terminée dans le fond par la face du corps-de-logis, & de tous les autres côtés environnée de murs en forme de demi cercle, comme l'on verra dans la fig. 27. Pl. phys. qui ne représente qu'une partie de la cour, le reste ne servant de rien au sujet dont il s'agit.

C I I C est le demi-cercle de la cour, dont H est l'entrée : A D B est l'endroit où se placent ceux qui écoutent : celui qui chante se met à l'endroit marqué G ; & ayant le visage tourné vers l'entrée H, il parcourt en chantant l'espace G F, qui est de 20 à 22 piés de longueur.

Sans avoir recours à des cavités soûterraines, la seule figure demi-circulaire de cette cour suffit pour rendre raison de toutes les variations que l'on remarque dans cet écho.

1°. Lorsque celui qui chante est à l'endroit marqué G, sa voix est réfléchie par les murs C de la cour au-dessus de D, vers L ; & les lignes de réflexion se réunissant en cet endroit L, l'écho se doit entendre de même que si celui qui chante y étoit placé. Mais comme ces lignes ne se réunissent pas précisément en un même point, ceux qui sont placés en L, doivent entendre plusieurs voix, comme si diverses personnes chantoient ensemble.

2°. A mesure que celui qui chante s'avance vers E, les lignes de réflexion venant de plus en plus à se réunir près de D, ceux qui sont placés en D doivent entendre l'écho comme s'il approchoit d'eux ; mais quand celui qui chante est parvenu en E, alors la réunion des lignes venant à se faire en D, ils entendent l'écho comme si l'on chantoit à leurs oreilles.

3°. Quand celui qui chante continue d'avancer de E en F, l'écho semble s'éloigner, parce que la réunion des lignes se fait de plus en plus au-dessous de D.

4°. Enfin lorsqu'il est arrivé en F, ceux qui sont placés en D n'entendent plus l'écho, parce que l'endroit H, d'où la réflexion se devroit faire vers D, est ouvert, & que par conséquent il ne se fait point de réflexion vers D ; c'est pourquoi l'écho ne s'y doit point entendre : mais comme il y a d'autres endroits d'où quelques lignes réfléchies se réunissent en A & en B, deux personnes placées en ces deux endroits, doivent entendre l'écho, l'une comme si l'on chantoit à gauche, & l'autre comme si l'on chantoit à droite. Ils ne le peuvent néanmoins entendre que foiblement, parce qu'il y a peu de lignes qui se réunissent en ces deux endroits.

5°. Ceux qui sont placés en D doivent entendre l'écho, lorsque celui qui chante est en E, parce que la voix est réfléchie vers eux ; mais ils ne doivent entendre que foiblement la voix même de celui qui chante, parce que l'opposition de son corps empêche que sa voix ne soit portée directement vers eux : ainsi sa voix ne venant à eux qu'après avoir tourné à l'entour de son corps, est beaucoup moins forte en cet endroit que l'écho, qui par conséquent l'étouffe, & empêche qu'elle ne soit entendue. C'est à-peu-près de même que si un flambeau est placé entre un miroir concave & un corps opaque ; car ceux qui sont derriere ce corps opaque, voyent par réflexion la lumiere du flambeau, mais ils ne voyent pas directement le flambeau, parce que le corps opaque le cache.

6°. Au contraire celui qui chante étant placé vis-à-vis de l'entrée H, & ayant le visage tourné de ce côté-là, ne doit point entendre l'écho, parce que l'endroit H étant ouvert, il ne se trouve rien qui réfléchisse la voix vers E ; mais il doit entendre sa voix même, parce qu'il n'y a rien qui l'en empêche.

Nous avons tiré des mémoires cités cette description & cette explication, dont nous laissons le jugement à nos lecteurs : nous ignorons si cet écho subsiste encore. (O)

L'écho de Verdun (Hist. de l'acad. des Sciences, ann. 1710), est formé par deux grosses tours détachées d'un corps-de-logis, & éloignées l'une de l'autre de 26 toises : l'une a un appartement bas de pierre-de-taille, voûté ; l'autre n'a que son vestibule qui le soit : chacune a son escalier. Comme ce qui appartient aux échos peut être appellé la catoptrique du son, (V. CATOPTRIQUE) on peut regarder ces deux tours comme deux miroirs posés vis-à-vis l'un de l'autre, qui se renvoyent mutuellement les rayons d'un même objet, en multipliant l'image, quoiqu'en l'affoiblissant toûjours, & la font paroître plus éloignée ; ainsi lorsqu'on est sur la ligne qui joint les deux tours, & qu'on prononce un mot d'une voix assez élevée, en l'entend répéter douze ou treize fois par intervalles égaux, & toûjours plus foiblement : si l'on sort de cette ligne jusqu'à une certaine distance, on n'entend plus d'écho, par la même raison qu'on ne verroit plus d'image, si l'on s'éloignoit trop de l'espace qui est entre les deux miroirs : si l'on est sur la ligne qui joint une des tours au corps-de-logis, on n'entend plus qu'une répétition, parce que les deux échos ne joüent plus ensemble à l'égard de celui qui parle, mais un seul. Article de M(D.J.)

ECHO se dit aussi de certaines figures de voûte qui sont d'ordinaire elliptiques ou paraboliques, qui redoublent les sons, & font des échos artificiels. Voyez CABINETS SECRETS.

Vitruve dit qu'en divers endroits de la Grece & d'Italie on rangeoit avec art près le théatre, en des lieux voûtés, des vases d'airain, pour contribuer à rendre plus clair le son de la voix des acteurs, & faire une espece d'écho ; & par ce moyen, malgré le nombre prodigieux de ceux qui assistoient à ces spectacles, chacun pouvoit entendre avec facilité. Voyez les dictionnaires de Harris & de Chambers, d'où une partie de cet article est tirée, & l'essai de physique de Musschenbroeck, §. 1460 & suiv. Voyez aussi CORNETS & PORTE-VOIX. (O)

ECHO, (Poésie) sorte de poésie, dont le dernier mot ou les dernieres syllabes forment en rime un sens qui répond à chaque vers : exemple,

Nos yeux par ton éclat sont si fort éblouis

Louis,

Que lorsque ton canon qui tout le monde étonne

Tonne, &c.

Cela s'appelle un écho ; nous n'en sommes pas les inventeurs, les anciens poëtes grecs & latins les ont imaginés ; & la richesse ainsi que la prosodie de leur langue, s'y prêtoit avec moins d'affectation. On en peut juger par la piece de Gauradas, qu'on lit dans le livre IV. chap. x. de l'anthologie ; l'épigramme de Léonides, liv. III. ch. vj. de la même anthologie, est encore une espece d'écho. Il y avoit des poëtes latins, du tems de Martial, qui à l'imitation des grecs, donnerent dans cette bisarrerie puérile, puisque cet auteur s'en moque, & qu'il ajoûte qu'on ne trouvera rien de semblable dans ses ouvrages.

Lors de la naissance de notre poésie, on ne manqua pas de saisir ces sortes de puérilités, & on les regarda comme des efforts de génie. L'on trouve même plusieurs échos dans le poëme moderne de la sainte-Baume du carme provençal : ce qui m'étonne, c'est que de pareilles inepties ayent plû à des gens de lettres d'un ordre au-dessus du commun. M. l'abbé Banier cite comme une piece d'une naïveté charmante, le dialogue composé par Joachim du Bellay, entre un amant qui interroge l'écho, & les réponses de cette nymphe : voici les meilleurs traits de ce dialogue ; je ne transcrirai point ceux qui sont au-dessous.

Qui est l'auteur de ces maux avenus ?

Venus.

Qu'étois-je avant d'entrer en ce passage ?

Sage.

Qu'est-ce qu'aimer, & se plaindre souvent ?

Vent.

Dis-moi quelle-est celle pour qui j'endure ?

Dure.

Sent-elle bien la douleur qui me point ?

Point.

Mais si ces sortes de jeux de mots faisoient sous les regnes de François I. & d'Henri II. les délices de la cour, & le mérite des ouvrages d'esprit des successeurs de Ronsard, ils ne peuvent se soûtenir contre le bon goût d'un siecle éclairé. On sait la maniere dont Alexandre récompensa ce cocher, qui avoit appris, après bien des soins & des peines, à tourner un char sur la tranche d'un écu, il le lui donna. Art. de M(D.J.)

ECHO, en Musique, est le nom de ces sortes de pieces ou d'airs, dans lesquelles, à l'imitation de l'écho, on repete de tems en tems, & fort doux, un petit nombre de notes. C'est sur l'orgue qu'on employe plus communément cette maniere de joüer, à cause de la facilité qu'on a de faire les échos sur le second clavier.

L'abbé Brossard dit qu'on se sert aussi quelquefois du mot écho, en la place de doux ou de piano, pour marquer qu'il faut adoucir la voix ou le son de l'instrument comme pour faire un écho. Cet usage ne subsiste plus aujourd'hui. (S)

Il y a dans Proserpine un choeur en écho, qui a dû faire beaucoup d'effet dans la nouveauté de cet opéra. Tout le monde se souvient encore de l'air de l'écho, dans l'intermede italien du maître de musique. Cet air, qui a eu parmi nous un succès prodigieux, est pourtant d'un chant très-commun, quoiqu'assez agréable, & il est à tous égards très-inférieur à un grand nombre d'autres morceaux italiens de la premiere force, que les mêmes spectateurs ont reçu beaucoup plus froidement, ou même ont écouté sans plaisir. Mais cet air de l'écho avoit un grand mérite pour bien des oreilles ; il étoit assez facile à retenir & à fredonner tant bien que mal, & ressembloit plus à notre musique, que les airs admirables dont je parle. En France, la bonne musique est pour bien des gens, la musique qui ressemble à celle qu'ils ont déjà entendue. C'est ce qu'ils appellent de la musique chantante, & qui n'est trop souvent qu'une musique triviale & froide, sans expression & sans idée. (O)


ECHOITES. f. (Jurisp.) signifie ce qui est échû à quelqu'un par succession ou autrement. En fait de successions, il n'y a guere que les collatérales que l'on qualifie d'échoite, quasi sorte obtigerint ; au lieu que les successions directes, ex voto naturae liberis debentur. Beaumanoir, dans ses anciennes coûtumes de Beauvoisis, dit que l'échoite est, quand l'héritage descend de côté par défaut de ce que celui qui meurt n'a point d'enfans ni autres descendans issus de ses enfans, de maniere que les héritages échoient à son plus proche parent.

Dans les provinces de Bresse & de Bugey, on appelle aussi échoite, les héritages qui adviennent au seigneur par le decès du possesseur sans enfans, ou sans communication avec ses héritiers, c'est-à-dire lorsqu'il en a joui par indivis avec eux. Voyez ci-après ECHUTE LOYALE. (A)


ECHOMEECHOME


ECHOMETRES. m. en Musique, est une espece d'échelle ou regle divisée en plusieurs parties, dont on se sert pour mesurer la durée ou longueur des sons, & pour trouver leurs intervalles & leurs rapports.

Ce mot vient du grec , son, & de , mesure.

Nous n'entrerons pas dans un plus long détail sur cette machine, parce qu'on n'en fera jamais aucun usage : il n'y a de bon échometre, qu'un homme qui soit rompu à battre la mesure, & qui soit né avec une oreille extrêmement délicate. Au reste ceux qui voudront en savoir davantage, n'ont qu'à consulter le mémoire de M. Sauveur, inseré parmi ceux de l'académie, année 1701 ; ils y trouveront deux échelles de cette espece ; l'une de M. Loulié, & l'autre de M. Sauveur. Voyez CHRONOMETRE.


ÉCHOPES. f. (Commerce) petite boutique attachée contre un mur, où des marchands débitent des denrées de peu de conséquence.

Les échopes sont ordinairement appuyées aux murs extérieurs des églises & des grandes maisons. Elles sont faites de planches, & quelquefois enduites de plâtre, avec un petit toit en appenti aussi de bois ou de toile cirée : la plûpart de celles-ci sont fixes, & se donnent à loyer.

Il y a aussi des échopes portatives & comme ambulatoires, qui sont pareillement de bois, & qu'on dresse sur quelques piliers au milieu des marchés & des places publiques, telles que sont les échopes des halles de Paris.

Enfin il y en a encore de plus legeres, & simplement couvertes & entourées de toile ; ce sont celles où les mercelots, vendeurs de pain d'épice, & autres, étalent leurs marchandises dans les foires & assemblées, fêtes de village, &c. Dictionn. de Comm. de Trév. & Chambers. (G)

ÉCHOPE, (Gravure) Les graveurs en taille-douce appellent échopes, des petits outils qu'ils font eux-mêmes avec des aiguilles cassées de différentes grosseurs ; ils les emmanchent au bout d'un petit morceau de bois. Voyez nos Planches de la Gravure.

Pour les aiguiser & former, on pose l'aiguille obliquement sur la pierre à huile, la tenant ferme, & appuyant légerement, en allant de la droite à la gauche, ce qui formant un biseau au bout de l'aiguille, lui donne une figure ovale, comme le représente celle de nos planches.

Il est important que la pierre à huile ait le grain fin & ne morde point trop fort ; car quand la pierre est rude, elle ne mange pas l'acier nettement, & laisse aux pointes un morfil qui est extrêmement préjudiciable en gravant sur le vernis.

Les échopes servent pour graver de gros traits. On les tient, en gravant, le biseau en-dessus, & l'on dégage la pointe lorsqu'on veut terminer la ligne par un trait fin : il est encore mieux de la terminer avec une pointe. Elles sont très-bonnes pour quelques parties de l'architecture, pour les paysages, les terrasses, &c. & comme il y a un côté fin à l'échope, un graveur adroit pourroit graver à l'eau-forte une planche entiere avec cet outil, faisant attention à le bien ménager.

ÉCHOPES DES GRAVEURS EN RELIEF, EN CREUX, & EN CACHETS ; ce sont des especes de burins qu'ils nomment échopes. Il y en a de plusieurs sortes & de différentes formes ; les unes ont la pointe applatie, d'autres la pointe demi-ronde, & d'autres tranchantes. La partie A est celle qui caractérise l'échope, & la partie B sert à les emmancher comme les burins ; on s'en sert aussi de la même maniere. Elles ne sont en effet qu'une espece particuliere de burins. Voyez les figures des Planches de la Gravure ; la premiere est une échope plate, la seconde une échope ronde.

ÉCHOPE, en terme d'Orfévre, est un instrument tranchant, dont ils se servent pour enlever les parties superflues d'une piece. Il y en a de plusieurs especes ; savoir, des échopes rondes, des onglettes, des échopes à pailler, &c. Voyez tous ces mots à leur article ; voyez aussi les Planches de Gravure.

ÉCHOPE A ARRETER, en terme de Metteur en oeuvre, c'est un morceau de fer plat quarré, monté sur une poignée de bois, ayant deux biseaux formant un tranchant, que l'on émousse avec une lime, afin qu'en appuyant sur le métal on soit hors de risque de le couper : on s'en sert pour rabattre l'argent sur les pierres, lorsque la portée est formée, & qu'on est déterminé à sertir la pierre ; c'est la premiere opération du serti.

ÉCHOPE A CHAMPLEVER, (Bijoutier) c'est une échope dont la partie tranchante est moins large que celle de dessus ; elle sert à dépouiller les reliefs de la matiere qui les entoure, & à former les champs qui les font valoir, & tire son nom de son usage. Voyez CHAMPLEVER.

ÉCHOPE RONDE, en terme de Bijoutier ; on se sert aussi quelquefois pour creuser les coulisses des porte-charnieres, d'échopes formées d'un fil d'acier rond, tiré à la filiere & trempé.

ÉCHOPE A EPAILLER, (Bijoutier) cette échope est plate en-dessus, & mi-ronde ou d'un rond applati en-dessous, elle sert à enlever les pailles d'une piece forgée.

ÉCHOPE PLATE, en terme de Bijoutier, est celle dont la branche est applatie, & dont le tranchant est continué d'un angle à l'autre. Il y en a de grandes & de petites, qui ont différens usages.

ÉCHOPE A REFENDRE, (Metteur en oeuvre) c'est un instrument d'acier, très-plat & évuidé sur le dos, dont on se sert pour former les angles des brisures des boucles d'oreilles. Voyez BRISURES. Voyez aussi la Planche du Metteur en oeuvre.


ECHOPERv. neut. il est d'usage dans tous les arts où l'on se sert de l'échope. Voyez ÉCHOPE.

ECHOPER, v. act. en terme de Doreur, c'est ôter avec l'échope ou le ciseau, les jets que le moule a fournis à la fonte, & que la lime n'a pû entierement enlever.


ECHOUAGES. m. (Marine) c'est un endroit de la côte plat & uni, sur lequel il y a peu d'eau, où l'on peut pousser un bâtiment pour le faire échoüer avec moins de danger, & d'où l'équipage puisse aisément se sauver à terre. Voyez ECHOUEMENT. (Z)


ECHOUEMENTS. m. (Marine) ce mot se dit d'un vaisseau qui va donner ou passer sur un haut-fond ou banc de sable, sur lequel il touche & est arrêté, parce qu'il n'y a pas assez d'eau pour le soûtenir à flot, ce qui pour l'ordinaire le met en grand danger, & même le brise & cause sa perte lorsqu'il n'est pas assez heureux pour s'en relever & s'en tirer. On échoüe à une côte, lorsqu'on approche trop près du rivage, & qu'on n'y trouve pas assez d'eau pour que le vaisseau y soit à flot, ou qu'on y est jetté par la tempête & le mauvais tems.

L'ordonnance de Louis XIV, donnée à Fontainebleau en 1681, touchant la Marine, liv. IV. tit. jx. regle tout ce qui concerne les naufrages, bris, & échoüemens. Dans le premier article le roi déclare qu'il prend sous sa protection & sauvegarde les vaisseaux, leur équipage & chargement, qui auront été jettés par la tempête sur les côtes de son royaume, ou qui autrement y auront échoüé, & généralement tout ce qui sera échappé du naufrage.

Il regle par les autres articles tout ce qui doit se faire pour sauver les effets & marchandises, & les conserver aux propriétaires.

Et prononce peine de mort contre ceux qui auroient attenté contre la vie ou les biens de ceux qui font naufrage. Voyez BRIS. (Z)


ECHOUERv. neut. On dit d'un vaisseau qu'il a échoüé, lorsqu'il a été porté sur un banc de sable, ou dans un endroit de la côte où il n'y a pas assez d'eau pour le tenir à flot. On peut échoüer par accident, lorsque le vent ou le mauvais tems vous jettent à la côte. On peut s'échoüer exprès, lorsqu'on est poursuivi par un vaisseau ennemi plus fort que soi, & qu'on le pousse à la côte pour pouvoir sauver l'équipage. Voyez ECHOUAGE & ECHOUEMENT. (Z)


ECHTEREou ECHTERNACH, (Géog. mod.) ville du duché de Luxembourg, dans les Pays-Bas, sur la riviere de Sour.


ECHUTou ECHOITE (LOYALE), est un terme usité dans les renonciations à toutes successions directes & collatérales que l'on fait faire aux filles dans certaines coûtumes ; en les mariant & dotant, elles renoncent à tous droits fors la loyale échûte.

Les auteurs sont partagés sur l'effet que doit produire cette reserve.

Les uns disent que la fille qui a ainsi renoncé, ne peut rien prétendre, sous quelque prétexte que ce soit, non pas même à titre de légitime ou de supplément d'icelle, dans les successions de ses pere & mere, qui auroient fait un testament & disposé de leurs biens entre leurs autres enfans : mais que si les pere & mere sont décédés ab intestat, la fille vient à leur succession avec ses freres & soeurs, parce qu'autrement la reserve de la loyale échûte seroit inutile, puisque la fille qui a renoncé succede à défaut d'enfans. Despeisses, tom. II. traité des success. part. II. n. 71. rapporte un arrêt de la chambre de l'édit à Castres, du 23 Octobre 1608, qui l'a ainsi jugé ; & les arrêts du parlement de Grenoble y sont conformes, suivant le témoignage de Rabot & de Bonneton en leurs notes sur la quest. 192, de Guy-Pape & de M. Expilly en ses arrêts, ch. xjv. n. 13. Chorier en sa jurisprud. liv. III. sect. vj. art. v. Henrys en ses arrêts, tom. II. p. 319. édition de 1708.

D'autres ont dit que l'effet de cette reserve de la loyale échûte, est que les pere, mere, freres & soeurs peuvent donner, soit par contrat ou par testament, à celle qui a renoncé. Voyez Marc en ses décisions du parlement de Grenoble, part. I. decis. 147.

D'autres encore ont prétendu que cette reserve ne fait pas que la fille qui a renoncé puisse venir à la succession, ab intestat, de ses pere & mere, avec ses freres & soeurs, parce qu'autrement sa renonciation seroit sans effet : mais seulement qu'elle vient à leur succession à défaut de freres & à l'exclusion des héritiers étrangers ; tel est le sentiment de Guy-Pape, decis. 192. nu. 2. & de la Peyrere, lettre R, artic. 44. M. de Cambolas, liv. I. ch. jx. rapporte deux arrêts du parlement de Toulouse qui l'ont ainsi jugé.

Il paroît que cette reserve de la loyale échûte, ne se doit rapporter qu'aux successions collatérales ; car échûte ou échoite, dans les coûtumes, signifie succession collatérale ; Anjou ; art. 304. Maine, 317. Berry, titre jx. art. 5. Aussi Labbé sur Berry, tit. xjx. art. 33. dit-il que la renonciation faite avec cette reserve n'a lieu que tant que vivront ceux au profit de qui la renonciation est faite : de sorte que les freres & soeurs de la fille qui a renoncé, venant à décéder sans enfans, elle leur succede comme à une succession collatérale. Mornac, sur la loi 3. au digest. pro socio, l'a ainsi expliqué. Voyez Boucheul en son traité des conventions de succéder, ch. xxx. n. 51. & suiv. (A)


ÉCHYMOSES. f. terme de Chirurgie, tumeur superficielle, molle, qui rend la peau livide ou bleue, & qui est produite par du sang épanché dans les cellules du tissu graisseux : les modernes donnent le nom d'infiltration à cette sorte d'épanchement. Voyez INFILTRATION.

Les causes des échymoses sont les chûtes, les coups, les tiraillemens, les extensions violentes, les fortes compressions, les ligatures trop long-tems serrées, &c. Ces différentes causes extérieures occasionnent la rupture des vaisseaux du tissu graisseux, & produisent l'échymose par l'extravasation du sang, même sans déchirure extérieure. L'échymose est un accident de la contusion, voyez CONTUSION. Il peut se faire une échymose considérable à la suite d'une contusion legere ; il suffit pour cela qu'une veine rompue fournisse assez de sang pour remplir au loin les cellules du tissu adipeux. L'échymose ne paroît ordinairement que plusieurs heures après l'action de la cause qui l'occasionne.

Si l'on est appellé avant qu'il y ait eu beaucoup de sang extravasé, ou si celui-ci conserve encore sa fluidité, de maniere qu'il puisse refluer aisément dans ses vaisseaux, on doit, pour prévenir une plus grande extravasation, appliquer des topiques astringens & repercussifs, tels que le bol d'Arménie avec de l'oxicrat, ou de l'alun dissous dans le blanc d'oeuf, ou de l'eau saoulée de sel marin. J'ai souvent éprouvé avec le plus grand succès, l'application de la raclure de racine de couleuvrée fraîche, dans ces échymoses des paupieres & de la conjonctive, connues du peuple sous le nom d'oeil poché.

Pour peu que les extravasations soient considérables, on doit commencer la cure par la saignée. Si l'on n'est appellé que quelques jours après l'accident, il faut employer des discussifs avec les astringens ; ceux-ci fortifieront le ton des parties & les premiers diviseront les humeurs grumelées, & les disposeront à la résolution. On remplira ces deux indications, en fomentant la partie avec une décoction de sommités de petite centaurée & d'absinthe, de fleurs de sureau, de camomille & de mélilot, cuites dans des parties égales de vin & d'eau. On peut appliquer en sachets les plantes qui ont servi à la décoction. La résolution des échymoses est annoncée par le changement de couleur ; la partie qui étoit noire, devient d'un rouge-brun ; le rouge s'éclaircit insensiblement, & la partie paroît ensuite d'un jaune-foncé qui prend successivement diverses nuances plus claires, jusqu'à ce que la peau soit dans son état naturel.

Il arrive quelquefois que la violence de la chûte ou du coup suffoque la chaleur de la partie blessée, en y éteignant le principe de la vie : alors les topiques froids & repercussifs seroient très-nuisibles dans les commencemens, ils produiroient la mortification. Dans ce cas on a recours aux scarifications, qu'on fait plus ou moins profondes, selon le besoin ; c'est l'étendue de l'extravasation du sang en profondeur, & la considération de la nature de la partie lésée, qui doivent régler sur cet objet la conduite d'un chirurgien éclairé. Si la quantité du sang extravasé est considérable, & qu'il soit impossible de le rappeller dans les voies de la circulation, on doit ouvrir la tumeur, pour donner issue au sang épanché ; c'est le seul moyen d'en prévenir la putréfaction, & peut-être la gangrene de la partie. Mais cette ouverture ne doit point se faire imprudemment ni trop à la hâte : quoique la partie paroisse noire, on ne doit pas toûjours craindre la mortification, ni croire l'impossibilité de la résolution, puisqu'il est naturel, dans ces cas, que la peau soit d'abord noire ou bleuâtre à la vûe. Il faut considérer attentivement si cette noirceur se dissipe pour un moment par l'impression du doigt, si elle est sans dureté, sans douleur & sans tumefaction considérables, & s'il reste encore une douce chaleur dans les parties affectées. Ces signes feront distinguer l'échymose de la gangrene ; & de cette connoissance on tirera des inductions pour la certitude du prognostic, & pour asseoir les indications curatives. Fabrice de Hilden ayant été appellé le quatrieme jour pour voir un homme qui par une chûte de cheval s'étoit fait une contusion considérable au scrotum & à la verge, trouva ces parties un peu enflées, & noires comme du charbon, sans cependant beaucoup de douleur, ni aucune dureté. Il fit d'abord une embrocation avec l'huile-rosat ; il saigna le malade, & appliqua le cataplasme suivant. Prenez des farines d'orge & de féves, de chacune deux onces ; des roses rouges en poudre, une once : faites-les cuire dans le vin rouge avec un peu de vinaigre, jusqu'à la forme de cataplasme, auquel on ajoûtera un peu d'huile rosat & un oeuf. On se servit de ce topique pendant quatre ou cinq jours, ensuite on fit des fomentations avec une décoction de racines de guimauve, de sommités d'absinthe, d'origan, d'aigremoine, de fleurs de roses, de sureau, de mélilot & de camomille, de semence d'anis, de cumin & de fénugrec, dans parties égales de vin & d'eau. On en bassinoit chaudement les parties affectées, trois ou quatre fois par jour, après quoi on les oignoit avec le liniment qui suit.... Prenez des huiles d'anet, de camomille & de vers, de chacune une once ; du sel en poudre très-fine, deux gros : mêlez. Avec ces secours les parties contuses se rétablirent dans leur premier état, malgré la noirceur dont elles étoient couvertes.

L'esprit-de-vin, ou l'eau-de-vie simple ou camphrée qu'on applique sans inconvénient sur des échymoses legeres, sont capables d'irriter beaucoup celles qui seroient menacées d'une inflammation prochaine : le docteur Turner en a vû souvent les mauvais effets. Il rapporte à ce sujet l'histoire d'un homme de sa connoissance, grand amateur de la Chimie, & partisan très-zélé de l'esprit-de-vin. Cet homme s'étant meurtri les deux jambes en sortant d'un bateau, confia une de ses jambes à Turner, & livra l'autre à un chimiste, qui devoit prouver la grande efficacité de l'esprit-de-vin dans la cure des contusions avec extravasation de sang. La violence des accidens qui survinrent, fit rejetter ce traitement au bout de quelques jours ; & l'autre jambe, qui fut pansée avec un liniment composé de bol d'Arménie, avec l'huile-rosat & le vinaigre, étoit presque guérie.

Il y a des personnes si délicates qu'on ne peut les toucher un peu fort sans leur causer une échymose ; on le remarque en saignant les personnes grasses. Peut-être la compression ne fait-elle dans ce cas que débiliter le ressort des vaisseaux, & y procurer un engorgement variqueux, sans extravasation.

On voit sur les bras & les jambes des scorbutiques, des grandes taches livides, qui sont des échymoses de cause interne. Voyez SCORBUT.

Il se fait sous les ongles, à l'occasion de quelque violence extérieure, un épanchement de sang qu'on peut mettre au rang des échymoses. Les topiques ne sont d'aucune utilité pour la résolution de ce sang ; le plus sûr est de lui procurer une issue en ouvrant l'ongle : pour cet effet on le ratisse avec un verre jusqu'à ce qu'il soit tellement émincé, qu'il cede sous le doigt : on en fait alors l'ouverture avec la pointe d'un canif ou d'un petit bistouri : le sang sort par cette ouverture : sans cette précaution il auroit pû se putréfier, & causer la chûte de l'ongle. Cette petite opération n'exige aucun pansement ; il suffit au plus d'envelopper l'extrémité du doigt avec une bandelette de linge fin pendant quelques jours. (Y)


ECLAIRS. m. (Phys.) on donne ce nom à une grande flamme fort brillante qui s'élance tout-à-coup dans l'air, & qui se répand de toutes parts, mais cesse sur le champ.

Il fait des éclairs lorsque le tems est beau & serein, & de même que lorsque l'air est couvert de nuages ; mais on en voit rarement, sans avoir eu auparavant un ou plusieurs jours chauds : ils paroissent souvent sans qu'il y ait de tonnerre.

La matiere de l'éclair est composée de tout ce qu'il y a d'oléagineux & de sulphureux dans les vapeurs qui s'élevent de la terre. La flamme est d'autant plus grande, que la quantité de matiere réunie est plus considérable. Cette matiere prend feu par le mélange des vapeurs, & c'est dans ce cas-là qu'elle peut causer quelque dommage.

Quand la flamme parcourt d'un bout à l'autre avec beaucoup de vîtesse toute la traînée de la foudre, elle pousse ou emporte avec elle certaines parties qui ne sauroient s'enflammer avec la même vîtesse : lorsqu'elle les a rassemblées, qu'elle les a en même-tems fort échauffées, ensorte qu'elles puissent s'enflammer avec l'autre matiere, tout éclate & se disperse avec une violence étonnante, & on entend alors ce bruit qui retentit dans l'air, & auquel nous donnons le nom de tonnerre, & dont l'éclair est l'avant-coureur.

On voit souvent paroître dans l'air, avant qu'il fasse des éclairs & du tonnerre, des nuées épaisses & sombres, qui paroissent s'entre-choquer & se croiser en suivant toutes sortes de directions ; par où l'on peut juger sans peine du tems qu'on doit avoir bientôt après. La matiere de la foudre vient-elle après cela à prendre feu, ces nuées se condensent encore beaucoup plus qu'auparavant, & dans l'instant elles se convertissent en gouttes d'eau qui tombent en maniere de grosse pluie. Il est rare qu'un orage accompagné d'éclairs & de tonnerre, continue quelque tems sans qu'il survienne une grosse pluie. Lorsque ces sortes d'ondées viennent à tomber, elles emportent ordinairement avec elles beaucoup de cette matiere qui produit la foudre ; ce qui fait que l'orage cesse beaucoup plûtôt lorsqu'il pleut, que lorsqu'il fait un tems sec.

La nuée est aussi quelquefois si épaisse, qu'elle empêche de voir la lumiere de l'éclair ; desorte qu'on entend alors le tonnerre gronder, sans que l'éclair ait paru auparavant. Mussch. essai de Phys. §. 1702 & suiv. Voyez FOUDRE, TONNERRE.

Par l'intervalle de tems qui se trouve entre l'éclair & le coup de tonnerre, on peut juger, quoiqu'à la vérité assez grossierement, à quelle distance est le tonnerre : voici comment. On examinera sur une pendule à secondes, l'intervalle qui se trouve entre l'éclair & le coup ; & pour déterminer la distance où est le tonnerre, on prendra autant de fois 173 toises, qu'il y a de secondes écoulées entre le coup & l'éclair. Ce calcul est fondé sur ce que la lumiere de l'éclair vient à nos yeux presque dans un instant, au lieu que le bruit du coup employe un tems très-sensible pour arriver à notre oreille, le son ne parcourant qu'environ 173 toises par seconde. Au reste il est visible que ce moyen de déterminer la distance du tonnerre, ne peut être qu'assez grossier, comme nous l'avons dit ; car outre qu'une petite erreur dans l'observation du tems, en produit une de plusieurs toises, ce calcul suppose que le bruit du tonnerre vienne toûjours directement à nous, & non par réflexion, ce qui est rare. (O)

ECLAIR, (Chymie métall.) lumiere ou fulguration vive & ébloüissante que donne l'argent en bain, dans l'instant où il perd son état de fluidité. Pour donner une juste idée de ce phénomene, on ne peut mieux le comparer qu'aux derniers traits de feu dardés par une lumiere ou un charbon prêt à s'éteindre. Il est à présumer qu'il est dû à des particules ignées pures, s'échappant avec rapidité hors du corps embrasé, soit par leur élasticité, soit par le rapprochement des parties de ce même corps ; & passant à-travers des pores, dans lesquels elles souffrent plusieurs réfractions, ainsi qu'on peut s'en convaincre dans un fourneau dont le feu est animé par le jeu de l'air. Si l'on y examine un espace étroit formé par l'écartement de trois ou quatre charbons, ou même l'extérieur de certains charbons en particulier, on y voit la même chose de la part des rayons de feu lancés à-travers la couche legere de cendres qui revêtent leur surface. On conçoit aisément que l'éclair est plus sensible dans un gros bouton que dans un petit, & quand l'argent est pur, que quand il contient encore quelques portions de cuivre ou de plomb. Le cuivre fait aussi son éclair, mais d'une autre façon que l'argent. On appelle ainsi les belles couleurs d'iris qui circulent rapidement à sa surface, quand il est raffiné & sur le point de se congeler. Quant aux circonstances qui précedent, accompagnent & suivent l'éclair, voyez les articles ESSAI, AFFINAGE & RAFFINAGE DE L'ARGENT. (f)

ECLAIR ou JET DE FLAMME, espece d'Artifice dont voici la composition.

Toutes les liqueurs spiritueuses & sulphureuses, comme l'eau-de-vie, l'esprit-de-vin, & plusieurs autres, étant jettées sur le feu d'une chandelle, ou encore mieux d'une lance à feu, s'allument en l'air si subitement, que la flamme s'étend dans tout l'espace où elle se trouve dans l'instant qu'une de ses parties touche le feu, & se consume avant qu'elle ait eu le tems de retomber, ce qui produit l'effet d'un éclair ; ainsi pour en faire paroître un sur un théatre d'artifice, il n'y a qu'à en pousser une bouffée avec une seringue par-dessus des lances à feu.

Il est une sorte d'eau plus propre à cet effet, qu'on appelle pour cette raison eau ardente, dont voici la composition.

On met dans une cornue ou dans un vase bien lutté, deux pintes de bon vinaigre, avec une bonne poignée de tartre de Montpellier, & autant de sel commun, & l'on fait distiller ce mêlange pour en tirer l'eau ardente. Quelques-uns y ajoûtent du salpetre, sans cependant qu'on s'apperçoive d'un plus grand effet ; mais on peut en diversifier la flamme, en mêlant dans la composition, de l'ambre & de la colophone.

On prend de cette eau dans une seringue, & on la jette de loin sur des lumieres de feu, de quelqu'espece qu'elles soient ; elle s'enflamme en l'air, & disparoît dans un instant, comme un éclair.


ECLAIRCIES. f. (Marine) on donne ce nom à ces intervalles de lumiere, ou même à ces espaces du ciel qui se découvrent & qui passent avec vîtesse, dans des tems de brume & de nuages. (Z)


ECLAIRCIREXPLIQUER, DEVELOPPER une matiere, un livre, une proposition, &c. synon. (Gram.) On éclaircit ce qui étoit obscur, parce que les idées y étoient mal présentées : on explique ce qui étoit difficile à entendre, parce que les idées n'étoient pas assez immédiatement déduites les unes des autres : on développe ce qui renferme plusieurs idées réellement exprimées, mais d'une maniere si serrée, qu'elles ne peuvent être saisies d'un coup d'oeil. (O)

ECLAIRCIR, en terme de Cloutier d'épingles, c'est polir les clous d'épingle, en les remuant dans un sac avec de la motte de tannerie, du son, &c. Voyez l'article CLOUTIER.

ECLAIRCIR UN CUIR, terme de Corroyeur, c'est lui donner le lustre avec l'épine-vinette. Voyez CORROYER.

ECLAIRCIR, (Jardinage) c'est rendre un bois, une allée moins obscure, en l'élaguant & lui donnant de l'air.

On dit encore éclaircir un jeune bois, une pépiniere, une planche de laitues, & autres graines qui ont été semées trop dru, quand on en leve une partie pour faire mieux profiter ce qui reste. (K)

ECLAIRCIR, v. act. (Teinture) c'est diminuer le brun ou le foncé de la couleur d'une étoffe. Voyez l'article TEINTURE.


ECLAIRCISSEMENTS. m. (Belles-Lettres) terme qui signifie proprement l'action de rendre une chose plus claire ; il ne s'employe plus que dans le sens figuré, pour l'explication d'une chose obscure ou difficile. Ce n'est pas le seul mot de notre langue qui a perdu sa signification au sens propre. Voyez ECRIVAIN, &c. (O)


ECLAIRES. f. (Hist. nat. botan.) chelidonium, genre de plante à fleurs composées de quatre pétales disposés en forme de croix ; il sort du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit ou une silique, qui n'a qu'une capsule dont les panneaux tiennent à un chassis, & qui renferme des semences arrondies pour l'ordinaire. Tournefort, instit. rei herbar. Voyez PLANTE. (I)

ECLAIRE, (Pharm. Matiere médic.) ou GRANDE CHELIDOINE, chelidonium majus. L'éclaire prise intérieurement, leve les obstructions, excite les urines & les sueurs, guérit la cachexie & l'hydropisie ; est fébrifuge, & particulierement destinée à la jaunisse, & cela originairement sans doute à cause de son suc jaune (voyez SIGNATURE). On prescrit la poudre de la racine seche, jusqu'à un demi-gros ou un gros, & une once de la racine fraiche infusée dans deux livres de vin, ou boüillie dans trois livres d'eau, & donnée à la dose de six onces. On mêle trois ou quatre gouttes du suc jaune de cette plante dans un verre de vin, ou dans quelque liqueur convenable.

Quelques-uns disent que la racine de cette plante étoit le remede spécifique de Vanhelmont contre l'hydropisie ascite.

Cette plante appliquée extérieurement, déterge & mondifie les ulceres & les plaies, sur-tout celles qui sont vieilles ; on employe dans ces cas, soit ses feuilles pilées, soit sa poudre, soit son suc jaune.

Si on applique la même plante écrasée sur la dartre milliaire, elle l'arrête efficacement, & la guérit. Geoffroy, Mat. médic.

Mais c'est sur-tout pour les maladies des yeux qu'on a vanté cette plante. Le suc jaune qui découle de la tige que l'on a rompue, introduit dans l'oeil, est recommandé par quelques auteurs pour en déterger les ulceres, & pour en guérir les taies ; mais comme il est fort âcre, on le mêle avec quelque liqueur convenable. L'eau distillée de la plante, passe aussi pour un merveilleux remede ophthalmique.

On tient dans les boutiques l'eau distillée de la plante, son extrait & sa racine séchée. Son eau est de la classe de ces eaux inutiles qui n'emportent de la plante qu'une odeur herbacée ; c'est pourquoi on ne doit point du-tout ajoûter foi à ce qu'on dit de ses vertus.

Quelques auteurs disent qu'il ne faut pas donner cette plante en trop grande dose ; & Emanuel Koenig assûre que si l'on fait prendre l'infusion de deux onces de sa racine, elle produit des symptomes horribles. Lobel croit qu'il faut rarement s'en servir pour l'usage intérieur, & Rai croit qu'il ne faut employer son suc, qui est très-âcre pour les maladies des yeux, qu'en y mêlant des remedes qui peuvent réprimer son acrimonie.

C'est de cette plante que l'on croyoit (selon Dioscoride) que les hirondelles se servoient pour rendre la vûe à leurs petits à qui on avoit crevé les yeux ; mais Celse a rejetté cette prétendue vertu, qu'il a traitée de fabuleuse.

Les feuilles d'éclaire entrent dans l'onguent mondicatif d'ache, dans l'eau vulnéraire : sa racine, ses feuilles & son suc entrent dans l'emplâtre diabotanum. (b)


ECLAIRÉCLAIRVOYANT, adj. (Gramm.) termes relatifs aux lumieres de l'esprit. Eclairé se dit des lumieres acquises ; clairvoyant, des lumieres naturelles : ces deux qualités sont entr'elles, comme la science & la pénétration. Il y a des occasions où toute la pénétration possible ne suggere point le parti qu'il convient de prendre ; alors ce n'est pas assez que d'être clairvoyant, il faut être éclairé ; & réciproquement, il y a des circonstances où toute la science possible laisse dans l'incertitude : alors ce n'est pas assez que d'être éclairé, il faut être clairvoyant. Il faut être éclairé dans les matieres de faits passés, de lois prescrites, & autres semblables, qui ne sont point abandonnées à notre conjecture ; il faut être clairvoyant dans tous les cas où il s'agit de probabilités, & où la conjecture a lieu. L'homme éclairé sait ce qui s'est fait ; l'homme clairvoyant devine ce qui se fera : l'un a beaucoup lû dans les livres : l'autre sait lire dans les têtes. L'homme éclairé se décide par des autorités ; l'homme clairvoyant, par des raisons. Il y a cette différence entre l'homme instruit & l'homme éclairé, que l'homme instruit connoît les choses, & que l'homme éclairé en sait encore faire une application convenable ; mais ils ont de commun, que les connoissances acquises sont toûjours la base de leur mérite ; sans l'éducation, ils auroient été des hommes fort ordinaires : ce qu'on ne peut pas dire de l'homme clairvoyant. Il y a mille hommes instruits pour un homme éclairé ; cent hommes éclairés pour un homme clairvoyant ; & cent hommes clairvoyans pour un homme de génie. L'homme de génie crée les choses ; l'homme clairvoyant en déduit des principes ; l'homme éclairé en fait l'application ; l'homme instruit n'ignore ni les choses créées, ni les lois qu'on en a déduites, ni les applications qu'on en a faites : il sait tout, mais il ne produit rien.


ECLAIRERv. n. (Chimie métall.) ou faire l'éclair, se dit de l'état où un bouton de fin donne la lumiere étincelante qui succede au rouge-blanc qu'il avoit auparavant, & qui annonce le commencement de sa congelation. On dit, par exemple, le culot ne tardera pas à éclairer ; on dit aussi dans le même sens, l'essai passe. Voyez ESSAI. (f)


ECLATLUEUR, CLARTé, SPLENDEUR, synon. (Gram.) Eclat est une lumiere vive & passagere ; lueur, une lumiere foible & durable ; clarté, une lumiere durable & vive : ces trois mots se prennent au figuré & au propre ; splendeur ne se dit qu'au figuré : la splendeur d'un empire. (O)

ECLAT, ECLATANT, (Peinture) on dit qu'un tableau a de l'éclat, lorsqu'il est clair presque partout, & que quoiqu'il y ait très-peu d'ombres pour faire valoir les clairs, il est cependant extrêmement brillant. (R)


ECLATANTadj. pris subst. (Bijoutier) composition blanche dont l'éclat approche de celui du diamant, mais qui n'en a pas la solidité à beaucoup près : car c'est de toutes les pierres de composition la plus tendre.


ECLATANTEadj. f. pris sub. les Artificiers appellent ainsi une espece de fusée, chargée de composition de feu brillant, qui lui donne plus d'éclat que le seul charbon.


ECLATÉadj. en termes de Blason, se dit des lances & des chevrons rompus.


ECLATERv. n. (Metteur-en-oeuvre) c'est enlever l'émail de dessus une piece d'or émaillée, lorsqu'on veut le faire sans déteriorer l'ouvrage & gâter le flinqué, on prend un mêlange de tartre, de sel, & de vinaigre ; on en forme une pâte, dont on enduit de toutes parts & à plusieurs couches épaisses la piece émaillée ; on expose ensuite la piece à un feu couvert ; & lorsque le tout est bien rouge, on le plonge avec vivacité dans un vase plein de vinaigre ; l'amalgame se refroidit, se détache avec grand bruit, & emporte avec lui l'émail de dessus la piece d'or, qui ne reçoit aucun dommage, & conserve son flinqué brillant.

ECLATER, (Jard.) se dit d'une branche que le vent a cassée, & qui a fait un éclat dans la tige. (K)


ECLECHESS. f. pl. (Jurispr.) démembremens de fief. Voyez l'article 57 de la coûtume de Boulogne ; voyez DEMEMBREMENT, ECLIPSER, & FIEF. (A)


ECLECTIQUEadj. (Med.) est le nom d'une secte de Medecins, dont Archigenes d'Apamée en Syrie, qui vivoit sous Trajan, étoit le chef.

Cinquante ou soixante ans avant lui, il y avoit eu un philosophe d'Alexandrie nommé Potamon (selon Diogene Laërce & Vossius), qui étoit auteur d'une secte de philosophes qu'on appelloit Eclectique, c'est-à-dire choisissante, dans laquelle on faisoit profession de choisir ce que chacune des autres avoit de meilleur : ce que Potamon avoit pratiqué à l'égard de la Philosophie, Archigenes le fit dans la suite à l'égard de la Medecine ; on ne découvre point, par ce que dit Galien d'Archigenes & de sa secte, en quoi consistoit ce qu'ils pouvoient avoir recueilli des autres systèmes. On trouve dans Aëtius divers extraits des ouvrages du même Archigenes, qui font voir qu'il possédoit bien la pratique ; mais il n'y a rien aussi qui concerne le fond de son système, par rapport à la secte Eclectique. Ce medecin étoit contemporain de Juvénal, qui en parle de maniere à faire voir qu'il étoit dans un grand emploi. Extrait de le Clerc, hist. de la Medecine.

On ne pouvoit que réussir dans cette secte, parce que dans toute chose le parti le plus judicieux est d'être éclectique : c'est dequoi sont convaincus aujourd'hui les medecins les plus raisonnables, qui travaillent à rendre, autant qu'il est possible, la Medecine libre de toute secte, de toute hypothese ; en rejettant tout ce qui est avancé sans démonstration, & en ne proposant que ce que personne ne peut refuser d'admettre, d'après ce que les anciens & les modernes ont établi solidement & sans aucun doute, & ce que leur propre expérience leur fait trouver tel. Voyez DEMONSTRATION. Voyez aussi l'article suivant. (d)


ECLECTISMES. m. (Hist. de la Philosophie anc. & mod.) L'éclectique est un philosophe qui foulant aux piés le préjugé, la tradition, l'ancienneté, le consentement universel, l'autorité, en un mot tout ce qui subjugue la foule des esprits, ose penser de lui-même, remonter aux principes généraux les plus clairs, les examiner, les discuter, n'admettre rien que sur le témoignage de son expérience & de sa raison ; & de toutes les philosophies, qu'il a analysées sans égard & sans partialité, s'en faire une particuliere & domestique qui lui appartienne : je dis une philosophie particuliere & domestique, parce que l'ambition de l'éclectique est moins d'être le précepteur du genre humain, que son disciple ; de réformer les autres, que de se réformer lui-même ; d'enseigner la vérité, que de la connoître. Ce n'est point un homme qui plante ou qui seme ; c'est un homme qui recueille & qui crible. Il joüiroit tranquillement de la récolte qu'il auroit faite, il vivroit heureux, & mourroit ignoré, si l'enthousiasme, la vanité, ou peut-être un sentiment plus noble, ne le faisoit sortir de son caractere.

Le sectaire est un homme qui a embrassé la doctrine d'un philosophe ; l'éclectique, au contraire, est un homme qui ne reconnoît point de maître : ainsi quand on dit des Eclectiques, que ce fut une secte de philosophes, on assemble deux idées contradictoires, à moins qu'on ne veuille entendre aussi par le terme de secte, la collection d'un certain nombre d'hommes qui n'ont qu'un seul principe commun, celui de ne soûmettre leurs lumieres à personne, de voir par leurs propres yeux, & de douter plûtôt d'une chose vraie que de s'exposer, faute d'examen, à admettre une chose fausse.

Les Eclectiques & les Sceptiques ont eu cette conformité, qu'ils n'étoient d'accord avec personne ; ceux-ci, parce qu'ils ne convenoient de rien ; les autres, parce qu'ils ne convenoient que de quelques points. Si les Eclectiques trouvoient dans le Scepticisme des vérités qu'il falloit reconnoître, ce qui leur étoit contesté même par les Sceptiques ; d'un autre côté les Sceptiques n'étoient point divisés entr'eux : au lieu qu'un éclectique adoptant assez communément d'un philosophe ce qu'un autre éclectique en rejettoit, il en étoit de sa secte comme de ces sectes de religion, où il n'y a pas deux individus qui ayent rigoureusement la même façon de penser.

Les Sceptiques & les Eclectiques auroient pû prendre pour devise commune, nullius addictus jurare in verba magistri ; mais les Eclectiques qui n'étant pas si difficiles que les Sceptiques, faisoient leur profit de beaucoup d'idées, que ceux-ci dédaignoient, y auroient ajoûté cet autre mot, par lequel ils auroient rendu justice à leurs adversaires, sans sacrifier une liberté de penser dont ils étoient si jaloux : nullum philosophum tam fuisse inanem qui non viderit ex vero aliquid. Si l'on réfléchit un peu sur ces deux especes de philosophes, on verra combien il étoit naturel de les comparer ; on verra que le Scepticisme étant la pierre de touche de l'Eclectisme, l'éclectique devroit toûjours marcher à côté du sceptique pour recueillir tout ce que son compagnon ne réduiroit point en une poussiere inutile, par la sévérité de ses essais.

Il s'ensuit de ce qui précede, que l'Eclectisme pris à la rigueur n'a point été une philosophie nouvelle, puisqu'il n'y a point de chef de secte qui n'ait été plus ou moins éclectique ; & conséquemment que les Eclectiques sont parmi les philosophes ce que sont les souverains sur la surface de la terre, les seuls qui soient restés dans l'état de nature où tout étoit à tous. Pour former son système, Pithagore mit à contribution les théologiens de l'Egypte, les gymnosophistes de l'Inde, les artistes de la Phénicie, & les philosophes de la Grece. Platon s'enrichit des dépouilles de Socrate, d'Héraclite, & d'Anaxagore ; Zénon pilla le Pythagorisme, le Platonisme, l'Héraclitisme, le Cynisme : tous entreprirent de longs voyages. Or quel étoit le but de ces voyages, sinon d'interroger les différens peuples, de ramasser les vérités éparses sur la surface de la terre, & de revenir dans sa patrie remplis de la sagesse de toutes les nations ? Mais comme il est presque impossible à un homme qui, parcourant beaucoup de pays, a rencontré beaucoup de religions, de ne pas chanceler dans la sienne, il est très-difficile à un homme de jugement, qui fréquente plusieurs écoles de philosophie, de s'attacher exclusivement à quelque parti, & de ne pas tomber ou dans l'Eclectisme, ou dans le Scepticisme.

Il ne faut pas confondre l'Eclectisme avec le Sincrétisme. Le sincrétiste est un véritable sectaire ; il s'est enrôlé sous des étendarts dont il n'ose presque pas s'écarter. Il a un chef dont il porte le nom : Ce sera, si l'on veut, ou Platon, ou Aristote, ou Descartes, ou Newton ; il n'importe. La seule liberté qu'il se soit reservée, c'est de modifier les sentimens de son maître, de resserrer ou d'étendre les idées qu'il en a reçues, d'en emprunter quelques autres d'ailleurs, & d'étayer le système quand il menace ruine. Si vous imaginez un pauvre insolent, qui, mécontent des haillons dont il est couvert, se jette sur les passans les mieux vêtus, arrache à l'un sa casaque, à l'autre son manteau, & se fait de ces dépouilles un ajustement bizarre de toute couleur & de toute piece, vous aurez un emblème assez exact du sincrétiste. Luther, cet homme que j'appellerois volontiers, magnus autoritatis contemptor osorque, fut un vrai sincrétiste en matiere de religion. Reste à savoir si le Sincrétisme en ce genre est une action vertueuse ou un crime, & s'il est prudent d'abandonner indistinctement les objets de la raison & de la foi au jugement de tout esprit.

Le Sincrétisme est tout au plus un apprentissage de l'Eclectisme. Cardan & Jordanus Brunus n'allerent pas plus loin ; si l'un avoit été plus sensé, & l'autre plus hardi, ils auroient été les fondateurs de l'Eclectisme moderne. Le chancelier Bacon eut cet honneur, parce qu'il sentit & qu'il osa se dire à lui-même, que la nature ne lui avoit pas été plus ingrate qu'à Socrate, Epicure, Démocrite, & qu'elle lui avoit aussi donné une tête. Rien n'est si commun que des Sincrétistes ; rien n'est si rare que des Eclectiques. Celui qui reçoit le système d'un autre éclectique, perd aussi-tôt le titre d'éclectique. Il a paru de tems en tems quelques vrais éclectiques ; mais le nombre n'en a jamais été assez grand pour former une secte ; & je puis assûrer que dans la multitude des philosophes qui ont porté ce nom, à peine en comptera-t-on cinq ou six qui l'ayent mérité. Voyez les artic. ARISTOTELISME, PLATONISME, EPICUREISME, BACONISME, &c.

L'éclectique ne rassemble point au hasard des vérités ; il ne les laisse point isolées ; il s'opiniâtre bien moins encore à les faire quadrer à quelque plan déterminé ; lorsqu'il a examiné & admis un principe, la proposition dont il s'occupe immédiatement après, ou se lie évidemment avec ce principe, ou ne s'y lie point du tout, ou lui est opposée. Dans le premier cas, il la regarde comme vraie ; dans le second, il suspend son jugement jusqu'à ce que des notions intermédiaires qui séparent la proposition qu'il examine du principe qu'il a admis, lui démontrent sa liaison ou son opposition avec ce principe : dans le dernier cas, il la rejette comme fausse. Voilà la méthode de l'éclectique. C'est ainsi qu'il parvient à former un tout solide, qui est proprement son ouvrage, d'un grand nombre de parties qu'il a rassemblées & qui appartiennent à d'autres ; d'où l'on voit que Descartes, parmi les modernes, fut un grand éclectique.

L'Eclectisme qui avoit été la philosophie des bons esprits depuis la naissance du monde, ne forma une secte & n'eut un nom que vers la fin du second siecle & le commencement du troisieme. La seule raison qu'on en puisse apporter, c'est que jusqu'alors les sectes s'étoient, pour ainsi dire, succédées ou souffertes, & que l'Eclectisme ne pouvoit guere sortir que de leur conflit : ce qui arriva, lorsque la religion chrétienne commença à les allarmer toutes par la rapidité de ses progrès, & à les révolter par une intolérance qui n'avoit point encore d'exemple. Jusqu'alors on avoit été pyrrhonien, sceptique, cynique, stoïcien, platonicien, épicurien, sans conséquence. Quelle sensation ne dut point produire au milieu de ces tranquilles philosophes, une nouvelle école qui établissoit pour premier principe, que hors de son sein il n'y avoit ni probité dans ce monde, ni salut dans l'autre ; parce que sa morale étoit la seule véritable morale, & que son Dieu étoit le seul vrai Dieu ! Le soulevement des prêtres, du peuple, & des philosophes, auroit été général, sans un petit nombre d'hommes froids, tels qu'il s'en trouve toûjours dans les sociétés, qui demeurent long-tems spectateurs indifférens, qui écoutent, qui pesent, qui n'appartiennent à aucun parti, & qui finissent par se faire un système conciliateur, auquel ils se flatent que le grand nombre reviendra.

Telle fut à peu-près l'origine de l'Eclectisme. Mais par quel travers inconcevable arriva-t-il, qu'en partant d'un principe aussi sage que celui de recueillir de tous les philosophes, tros, rutulus-ve fuat, ce qu'on y trouveroit de plus conforme à la raison, on négligea tout ce qu'il falloit choisir, on choisit tout ce qu'il falloit négliger, & l'on forma le système d'extravagances le plus monstrueux qu'on puisse imaginer ; système qui dura plus de quatre cent ans, qui acheva d'inonder la surface de la terre de pratiques superstitieuses, & dont il est resté des traces qu'on remarquera peut-être éternellement dans les préjugés populaires de presque toutes les nations. C'est ce phénomene singulier que nous allons développer.

Tableau général de la philosophie éclectique.

La philosophie éclectique, qu'on appelle aussi le Platonisme réformé & philosophie alexandrine, prit naissance à Alexandrie en Egypte, c'est-à-dire au centre des superstitions. Ce ne fut d'abord qu'un sincrétisme de pratiques religieuses, adopté par les prêtres de l'Egypte, qui n'étant pas moins crédules sous le regne de Tibere qu'au tems d'Hérodote, parce que le caractere d'esprit qu'on tient du climat change difficilement, avoient toûjours l'ambition de posséder le système d'extravagances le plus complet qu'il y eût en ce genre. Ce sincrétisme passa de-là dans la morale, & dans les autres parties de la philosophie. Les philosophes assez éclairés pour sentir le foible des différens systèmes anciens, mais trop timides pour les abandonner, s'occuperent seulement à les réformer sur les découvertes du jour, ou plûtôt à les défigurer sur les préjugés courans : c'est ce qu'on appella platoniser, pythagoriser, &c.

Cependant le Christianisme s'étendoit ; les dieux du Paganisme étoient décriés ; la morale des philosophes devenoit suspecte ; le peuple se rendoit en foule dans les assemblées de la religion nouvelle ; les disciples même de Platon & d'Aristote s'y laissoient quelquefois entraîner ; les philosophes sincrétistes s'en scandaliserent, leurs yeux se tournerent avec indignation & jalousie, sur la cause d'une révolution, qui rendoit leurs écoles moins fréquentées ; un intérêt commun les réunit avec les prêtres du Paganisme, dont les temples étoient de jour en jour plus deserts ; ils écrivirent d'abord contre la personne de Jesus-Christ, sa vie, ses moeurs, sa doctrine, & ses miracles ; mais dans cette ligue générale, chacun se servit des principes qui lui étoient propres : l'un accordoit ce que l'autre nioit ; & les Chrétiens avoient beau jeu pour mettre les philosophes en contradiction les uns avec les autres, & les diviser ; ce qui ne manqua pas d'arriver ; les objets purement philosophiques furent alors entierement abandonnés ; tous les esprits se jetterent du côté des matieres théologiques ; une guerre intestine s'alluma dans le sein de la Philosophie ; le Christianisme ne fut pas plus tranquille au-dedans de lui-même ; une fureur d'appliquer les notions de la Philosophie à des dogmes mystérieux, qui n'en permettoient point l'usage, fureur conçue dans les disputes des écoles, fit éclorre une foule d'hérésies qui déchirerent l'Eglise. Cependant le sang des martyrs continuoit de fructifier ; la religion chrétienne de se répandre malgré les obstacles ; & la Philosophie, de perdre sans cesse de son crédit. Quel parti prirent alors les Philosophes ? celui d'introduire le Sincrétisme dans la Théologie payenne, & de parodier une religion qu'ils ne pouvoient étouffer. Les Chrétiens ne reconnoissoient qu'un Dieu ; les Sincrétistes, qui s'appellerent alors Eclectiques, n'admirent qu'un premier principe. Le Dieu des Chrétiens étoit en trois personnes, le Pere, le Fils, & le S. Esprit. Les Eclectiques eurent aussi leur Trinité : le premier principe, l'entendement divin, & l'ame du monde intelligible. Le monde étoit éternel, si l'on en croyoit Aristote ; Platon le disoit engendré ; Dieu l'avoit créé, selon les Chrétiens. Les Eclectiques en firent une émanation du premier principe ; idée qui concilioit les trois systèmes, & qui ne les empêchoit pas de prétendre comme auparavant, que rien ne se fait de rien. Le Christianisme avoit des anges, des archanges, des démons, des saints, des ames, des corps, &c. Les Eclectiques, d'émanations en émanations, tirerent du premier principe autant d'êtres correspondans à ceux-là : des dieux, des démons, des héros, des ames, & des corps ; ce qu'ils renfermerent dans ce vers admirable :


ECLEGMES. m. en Medecine, c'est un remede pectoral, qui a la consistance d'un sirop épais ; on l'appelle aussi looch. Voyez l'article SIROP. Voyez aussi LOOCH, &c.

Ce mot est grec ; il vient du mot , je leche, à cause que le malade doit prendre ce remede en léchant le bout d'un petit bâton de réglisse que l'on y trempe ; afin qu'en le prenant ainsi peu à peu, il puisse rester plus long-tems dans son passage, & mieux humecter la poitrine.

Il y a des éclegmes de pavot, d'autres de lentilles, & d'autres de squilles, &c. Ils servent à guérir ou à soulager les poumons dans les toux, les péripneumonies, &c. Ils sont ordinairement composés d'huiles incorporées avec des sirops. Chambers.


ECLIPSES. f. en Astronomie, c'est une privation passagere, soit réelle, soit apparente, de lumiere, dans quelqu'un des corps célestes, par l'interposition d'un corps opaque entre le corps céleste & l'oeil, ou entre ce même corps & le Soleil. Les éclipses de Soleil sont dans le premier cas ; les éclipses de Lune & des satellites sont dans le second : car le Soleil est lumineux par lui-même, & les autres planetes ne le sont que par la lumiere qu'ils en reçoivent. Les éclipses des étoiles par la Lune ou par d'autres planetes, s'appellent proprement occultations. Lorsqu'une planete, comme Vénus & Mercure, passe sur le Soleil, comme elle n'en couvre qu'une petite partie, cela s'appelle passage. Voyez OCCULTATION & PASSAGE.

Le mot éclipse vient du grec, , défaillance. Les Romains se servoient aussi du mot deficere, pour désigner les éclipses. (O)

L'ignorance de la Physique a fait rapporter dans tous les lieux & dans tous les tems, à des causes animées, les effets dont on ne connoissoit pas les principes ; ainsi les prêtres débiterent en Grece, que Diane étoit devenue amoureuse d'Endimion, & que les éclipses devoient s'attribuer aux visites nocturnes que cette déesse rendoit à son amant dans les montagnes de la Carie : mais comme ses amours ne durerent pas toûjours, il fallut chercher, dit l'abbé Banier, une autre cause des éclipses.

On publia que les sorcieres, sur-tout celles de Thessalie, avoient le pouvoir par leurs enchantemens d'attirer la Lune sur la terre ; c'est pourquoi on faisoit un grand vacarme avec des chauderons & autres instrumens, pour la faire remonter à sa place. Les Romains entr'autres suivoient cet usage, & allumoient un nombre infini de torches & de flambeaux, qu'ils élevoient vers le ciel, pour rappeller la lumiere de l'astre éclipsé. Juvénal fait allusion au grand bruit que faisoit à ce sujet le peuple de Rome sur des bassins d'airain, lorsqu'il dit d'une femme babillarde, qu'elle fait assez de bruit pour secourir la Lune en travail : Una laboranti poterit succurrere Lunae.

Si l'on vouloit remonter à la source de cette coûtume, on trouveroit qu'elle venoit d'Egypte, où Isis, symbole de la Lune, étoit honorée avec un bruit pareil de chauderons, de tymbales, & de tambours.

L'opinion des autres peuples étoit, que les éclipses annonçoient de grands malheurs, ou menaçoient la tête des rois & des princes. On a eu long-tems la même idée des cometes. Les Mexiquains effrayés jeûnoient pendant les éclipses. Les femmes durant ce tems-là se maltraitoient elles-mêmes, & les filles se tiroient du sang des bras. Ces gens-là s'imaginoient que la Lune avoit été blessée par le Soleil, pour quelque querelle qu'ils avoient eue ensemble.

Les Indiens croyent aussi par ce principe, que la cause des éclipses vient de ce qu'un dragon malfaisant veut dévorer la Lune ; c'est pourquoi les uns font un grand vacarme, pour lui faire lâcher prise, pendant que les autres se mettent dans l'eau jusqu'au cou, pour supplier le dragon de ne pas dévorer entierement cette planete. Lisez encore là-dessus, dans les mémoires du P. le Comte, les idées particulieres des Chinois.

Anaxagore contemporain de Périclès, & qui mourut la premiere année de la soixante-huitieme olympiade, fut le premier qui écrivit très-clairement & très-hardiment sur les diverses phases de la Lune, & sur ses éclipses ; je dis, comme Plutarque, très-hardiment, parce que le peuple ne souffroit pas encore volontiers les Physiciens. Aussi les ennemis de Socrate réussirent à le perdre, en l'accusant de chercher par une curiosité criminelle à pénétrer ce qui se passe dans les cieux, comme si la raison & le génie pouvoient s'élever trop haut. On n'a depuis que trop souvent renouvellé par le même artifice, des accusations semblables contre des hommes du premier mérite. Article de M(D.J.)

Les généraux romains se sont servis quelquefois des éclipses pour contenir leurs soldats, ou pour les encourager dans des occasions importantes. Tacite dans ses annales, liv. I. ch. xxviij. parle d'une éclipse dont Drusus se servit pour appaiser une sédition très-violente, qui s'étoit élevée dans son armée. Tite-Live rapporte que Sulpitius Gallus, lieutenant de Paul Emile dans la guerre contre Persée, prédit aux soldats une éclipse qui arriva le lendemain, & prévint par ce moyen la frayeur qu'elle auroit causée. Ce fait n'a pas été raconté assez exactement à l'article ASTRONOMIE, où même par une faute du copiste ou de l'imprimeur, on a mis les Perses au lieu de Persée. Plutarque dit que Paul Emile sacrifia à cette occasion onze veaux à la Lune, & le lendemain vingt-un boeufs à Hercule, dont il n'y eut que le dernier qui lui promit la victoire.

Aujourd'hui non-seulement les Philosophes, mais le peuple même est instruit de la cause des éclipses ; on sait que les éclipses de Lune viennent de ce que cette planete entre dans l'ombre de la Terre, & ne peut être éclairée par le Soleil durant le tems qu'elle la traverse, & que les éclipses de Soleil viennent de l'interposition de la Lune, qui cache aux habitans de la Terre une partie du Soleil, ou même le Soleil tout entier. Les Astronomes observent dans les satellites de Jupiter & de Saturne, des éclipses semblables à celles de notre Lune, mais à la vérité plus fréquentes ; parce que ces satellites tournent autour de Jupiter en bien moins de tems que la Lune autour de nous.

La durée d'une éclipse est le tems entre l'immersion & l'émersion.

L'immersion dans une éclipse est le moment auquel le disque du Soleil ou de la Lune, commence à se cacher. Voyez IMMERSION.

L'émersion est le moment où le corps lumineux éclipsé commence à reparoître. Voyez EMERSION.

Au reste, les mots d'immersion & d'émersion sont encore plus d'usage dans les éclipses de Lune, que dans celles de Soleil ; parce que dans les éclipses de Lune, la Lune se plonge véritablement (se immergit) dans l'ombre de la terre, & s'obscurcit : au lieu que dans les éclipses de Soleil, cet astre ne tombe pas dans l'ombre de la Lune, mais nous est seulement caché par la Lune.

S'il y a quelque chose dans l'Astronomie qui puisse nous faire connoître les efforts dont l'esprit humain est capable, lorsqu'il s'agit de recherches subtiles & qui demandent une grande sagacité, c'est assûrément la théorie des éclipses & la justesse avec laquelle on est parvenu depuis long-tems à les calculer & à les prédire ; cette justesse sert à nous convaincre de la certitude & de la précision des calculs astronomiques ; & ceux qui s'étonnent qu'on puisse mesurer les mouvemens & les distances des corps célestes malgré l'éloignement où ils sont, n'ont rien à répondre à l'accord si parfait qui se trouve entre le calcul des éclipses & le moment où elles arrivent.

Pour déterminer la grandeur des éclipses, il est d'usage de diviser le diamêtre des corps lumineux éclipsés en douze parties égales, appellées doigts. Voyez DOIGT.

Les éclipses se divisent en éclipses totales, partiales, annulaires, &c. ce qui sera détaillé plus bas.

Eclipse de Lune, c'est un manque de lumiere dans la Lune, occasionné par une opposition diamétrale de la terre entre le Soleil & la Lune. Voyez LUNE.

On peut voir (Planc. astron. fig. 34.) la maniere dont se fait cette éclipse. A représente la terre, & B ou C la Lune.

On demandera peut-être pourquoi on n'observe point d'éclipses dans toutes les planetes : pourquoi, par exemple, la Terre, lorsqu'elle passe entre Mars & le Soleil, n'obscurcit pas quelquefois le disque de Mars. A cela on répond que la Terre étant un corps beaucoup plus petit que le Soleil, son ombre ne doit point s'étendre à l'infini, mais doit se terminer en pointe à une certaine distance en forme de cone. Il n'y a que la Lune qui soit assez proche de la Terre pour pouvoir entrer dans son ombre & la couvrir de la sienne ; il en est de même des satellites de Jupiter & de Saturne par rapport à ces planetes.

Quand toute la lumiere de la Lune est interceptée, c'est-à-dire quand tout son disque est couvert, on dit que l'éclipse est totale ; & on dit qu'elle est partiale, quand il n'est couvert qu'en partie. Si l'éclipse totale dure quelque tems, on dit qu'elle est totalis cum mora, totale avec durée. Si elle n'est qu'instantanée, elle est dite totalis sine mora, totale sans durée.

Les éclipses de Lune n'arrivent que dans le tems de la pleine Lune, parce qu'il n'y a que ce tems où la Terre soit entre le Soleil & la Lune. Il n'y a cependant pas des éclipses à chaque pleine Lune ; ce qui vient de l'obliquité du cours de la Lune par rapport à celui du Soleil. En effet le cercle ou l'orbite dans lequel la Lune se meut est élevé au-dessus du plan de l'orbite terrestre, de sorte que quand le Soleil, la Terre, & la Lune se trouvent dans le même plan perpendiculaire au plan de l'écliptique, la Lune ne se trouve pas toûjours pour cela dans la même ligne droite avec le Soleil & la Terre ; elle est souvent assez élevée, pour laisser l'ombre de la Terre au-dessous ou au-dessus d'elle, & n'y pas entrer : & pour lors il n'y a point d'éclipse. Il n'y en a que dans les pleines Lunes qui arrivent aux noeuds, ou proche des noeuds, c'est-à-dire lorsque la Lune se trouve dans l'écliptique, ou très-proche de l'écliptique : car alors la somme des demi-diamêtres apparens de la Lune & de l'ombre de la Terre, est plus grande que la latitude de la Lune, ou la distance entre le centre de la Lune & celui de l'ombre ; d'où l'on voit que la Lune doit entrer au moins en partie dans l'ombre de la Terre, & être par conséquent éclipsée. Voyez NOEUD.

Comme la somme des demi-diamêtres de la Lune & de l'ombre de la Terre, est plus grande que la somme des demi-diamêtres du Soleil & de la Lune (puisque la premiere somme dans le cas où elle est la plus petite, étant 5 1/3, la seconde, lorsqu'elle est la plus grande, est à peine 3 1/5), il s'ensuit que les éclipses lunaires peuvent arriver dans une plus grande latitude de la Lune, & à une plus grande distance des noeuds que les éclipses solaires, & que par conséquent on doit les observer plus souvent.

Les éclipses totales & celles de la plus longue durée, arrivent dans les vrais noeuds de l'orbite lunaire, par la raison que la portion de l'ombre de la Terre, qui tombe alors sur la Lune, est considérablement plus grande que le disque de la Lune : il peut aussi arriver des éclipses totales à une petite distance des noeuds ; mais plus la Lune s'en éloigne, plus la durée des éclipses diminue. C'est par cette même raison qu'il y en a de partiales ; & quand la Lune est trop éloignée des noeuds, il n'y a point du tout d'éclipse. En un mot l'éclipse est totale, si la latitude de la Lune est plus petite, ou égale à la différence du demi-diamêtre de l'ombre & du demi-diamêtre de la Lune : dans le premier cas, elle sera totale avec durée : dans le second, totale sans durée ; elle sera partiale, si la latitude de la Lune est plus petite que la somme des deux demi-diamêtres, mais moindre que leur différence ; enfin elle sera nulle, où il n'y en aura point, si la latitude de la Lune surpasse ou égale la somme des deux demi-diamêtres.

Toutes les éclipses de Lune sont universelles, c'est-à-dire visibles dans toutes les parties du globe, qui ont la Lune sur leur horison ; elles paroissent en tous lieux de la même grandeur ; elles commencent & finissent dans le même tems pour tous ces endroits. Il est évident que cela doit être ainsi : car l'éclipse de Lune vient de ce que cet astre est obscurci par l'ombre de la Terre : or il entre dans l'ombre en même tems & au même instant, pour tous les peuples de la Terre. L'éclipse doit donc commencer au même moment pour tous ces peuples, à-peu-près comme une lumiere qu'on éteint dans une chambre, disparoît au même moment pour tous ceux qui y sont. Aussi l'observation des éclipses de Lune est utile par cette raison, pour la découverte des longitudes. Voy. LONGITUDE.

La Lune devient sensiblement plus pâle & plus obscure, avant que d'entrer dans l'ombre de la Terre ; ce qui vient de la pénombre de la Terre. Voyez PENOMBRE.

Astronomie des éclipses lunaires, ou méthode d'en calculer le tems, le lieu, la grandeur, & les autres phénomenes. 1°. Pour trouver la longueur du cone d'ombre de la Terre, trouvez la distance du Soleil à la Terre pour le tems donné ; voyez SOLEIL & DISTANCE : alors connoissant en demi-diamêtres de la Terre, le diamêtre du Soleil, vous trouverez la longueur du cone par les regles données à l'artic. OMBRE.

Supposant, par exemple, que la plus grande distance du Soleil à la Terre soit de 34996 demi-diamêtres de la Terre, & que le demi-diamêtre du Soleil soit à celui de la Terre, comme 153 est à 1, on trouvera la longueur du cone d'ombre = 230 1/4.

D'où il suit que comme la plus petite distance de la Lune à la Terre est à peine de 56 demi-diamêtres, & la plus grande de 64 au plus, la Lune en opposition avec le Soleil, lorsqu'elle est dans les noeuds, ou qu'elle en approche, tombera dans l'ombre de la Terre, quoique le Soleil & la Lune soient dans leur apogée ; & à plus forte raison s'ils sont dans leur périgée, ou qu'ils en approchent, à cause que l'ombre est alors plus longue, & que la Lune est plus proche de la base du cone.

Les Astronomes ne sont pas d'accord entr'eux, ni sur la distance du Soleil, ni sur son diamêtre ; mais quelle que soit sa distance, & quel que soit son diamêtre, on trouve & on doit voir facilement que l'angle au sommet du cone d'ombre de la Terre, est à peu-près égal à l'angle sous lequel nous voyons le Soleil, c'est-à-dire est d'environ 32 minutes ; & que la longueur du cone d'ombre vaut environ 110 diamêtres de la Terre, ou 220 demi-diamêtres : ce qui differe peu des 230 trouvés ci-dessus.

2°. Pour trouver le demi-diamêtre apparent de l'ombre terrestre, à l'endroit du passage de la Lune, pour un tems donné quelconque, trouvez la distance du Soleil & de la Lune à la Terre, & leurs parallaxes horisontales ; faites une somme des parallaxes ; ôtez de cette somme le demi-diamêtre apparent du Soleil : le reste est le demi-diamêtre apparent de l'ombre.

Ainsi, supposez la parallaxe de la Lune horisontale = 56' 48"; celle du Soleil 6" : la somme est 56' 54" ; d'où retranchant 16' 5", le demi-diamêtre apparent du Soleil, il reste 41' 49" pour le demi-diamêtre de l'ombre. On peut, si l'on veut, ne point faire entrer dans ce calcul la parallaxe du Soleil, comme n'étant presque d'aucune considération.

3°. La latitude de la Lune A L, au tems de son opposition, avec l'angle qu'elle fait au noeud B, étant donnée, on trouvera ainsi l'arc A I compris entre les centres A, I, & l'arc IL (figur. 35.). Puisque dans le triangle A I L, rectangle en I, le côté A L est donné, de même que l'angle A L I, qui est le complément de l'angle L A I ou B à un droit ; on trouvera facilement par la Trigonométrie l'arc compris entre les centres AI. Or l'angle L A I est égal à l'angle B, chacun d'eux composant un angle droit avec I A B. Donc, puisque la latitude A L de la Lune est donnée, on trouvera de même par la Trigonométrie l'arc LI.

Il est bon d'observer que la ligne N I, ou la portion de l'orbite que la Lune paroît parcourir pendant une éclipse, n'est point son orbite véritable. En effet si dans les nouvelles ou pleines Lunes aux tems des éclipses, le Soleil n'avoit point ce mouvement apparent que l'on observe chaque jour d'occident en orient, & qui est causé par le mouvement propre de la Terre sur son orbite, la route de la Lune à l'égard du Soleil seroit exactement la même que celle qui convient à l'inclinaison de son orbite sur le plan de l'écliptique. Mais comme dans le même intervalle de tems que la Lune nous paroît avancer sur son orbite, le Soleil s'avance aussi, quoique beaucoup moins vîte, sur le plan de l'écliptique, la route apparente de la Lune à l'égard du Soleil doit donc être différente de celle qu'elle décrit réellement, & par conséquent la ligne qui désigne cette route aura une plus grande inclinaison sur le plan de l'écliptique. Pour trouver la route apparente de la Lune par rapport au Soleil, il faut se servir de ce principe d'Optique ; que si deux corps A & B se meuvent avec des directions & des vitesses données, & qu'on veuille trouver le mouvement apparent du corps A par rapport au corps B, il faut transporter au corps A le mouvement du corps B, dans une direction parallele & en sens contraire, & chercher ensuite par la loi de la composition des mouvemens, le mouvement du corps A qui résulte de son mouvement propre & primitif, combiné avec le mouvement du corps B qu'on lui a transporté. Le mouvement qui résulte des deux dont nous parlons, sera le mouvement apparent du corps A à l'égard du corps B. Ainsi on transportera à la Lune le mouvement du Soleil en sens contraire, & dans le plan de l'écliptique ; & combinant ce mouvement avec le mouvement propre de la Lune dans son orbite, on aura son mouvement apparent par rapport au Soleil. Voyez APPARENT, ABERRATION, DECOMPOSITION, &c.

Déterminer les limites d'une éclipse de Lune. Puisqu'il n'est pas possible qu'il y ait éclipse, à moins que la somme des demi-diamêtres de l'ombre & de la Lune ne soit plus grande que la latitude de la Lune (car sans cela la Lune ne tombera point dans l'ombre), faites une somme des demi-diamêtres apparens de la Lune périgée & de l'ombre, en supposant la Terre aphélie, pour avoir le côté M O (figure 36.) Alors dans le triangle sphérique M N O, ayant l'angle donné au noeud, l'angle droit M, & le côté M O, trouvez la distance N O de la Lune au noeud, ce qui est le terme le plus éloigné, au-delà duquel l'éclipse ne peut plus avoir lieu. De la même maniere ajoûtant les demi-diamêtres apparens de la Lune apogée & de l'ombre de la Terre périhélie, on aura par ce moyen le côté L H dans le triangle N L H ; on trouvera par la trigonométrie sphérique la distance de la Lune au noeud ascendant H N, ce qui est le terme où la Lune sera nécessairement éclipsée.

Déterminer la quantité d'une éclipse ou le nombre des doigts éclipsés. Ajoûtez le demi-diamêtre I K de la Lune (fig. 35.) au demi-diamêtre de l'ombre A M, alors vous aurez A M + I K = A I + I M + I K = A I + M K : ôtez de cette somme l'arc compris entre les centres A I, le reste donne les parties du diamêtre éclipsé M K. Dites donc : comme le diamêtre de la Lune K H, est aux parties du diamêtre éclipsé M K, ainsi le nombre 12 est aux doigts éclipsés.

Trouver la demi-durée d'une éclipse, ou l'arc de l'orbite lunaire que le centre de cette planete décrit depuis le commencement de l'éclipse jusqu'à son milieu. Ajoûtez les demi-diamêtres de l'ombre & de la Lune ; soit leur somme A N (fig. 35.) ; du quarré d'A N ôtez le quarré d'A I, le reste est le quarré d'I N, & la racine quarrée de ce reste est l'arc I N que l'on demande.

Trouver la demi-durée d'une éclipse totale (fig. 37). Otez le demi-diamêtre S V de la Lune, du demi-diamêtre de l'ombre A V ; le reste est A S : c'est pourquoi dans le triangle A I S, rectangle en I, on a l'arc A S donné par la derniere méthode, & l'arc entre les centres A I ; ainsi l'on trouve l'arc I S, comme dans le dernier problème.

Trouver le commencement, le milieu, & la fin d'une éclipse de Lune. Dites : comme le mouvement horaire de la Lune, qui l'écarte du Soleil, est à 3600 secondes horaires, ainsi les secondes de l'arc L I (fig. 35.) sont aux secondes horaires équivalentes à cet arc : ôtez ces secondes dans le premier & le troisieme quart de l'anomalie du tems de la pleine Lune ; ajoûtez-les au contraire à ce même tems dans le second & le quatrieme quart ; le résultat est le tems du milieu de l'éclipse. Dites alors, comme le mouvement horaire de la Lune par rapport au Soleil est à 3600 secondes, ainsi les secondes de la demi-durée I N sont au tems de la demi-durée, dont le double donne la durée entiere. Enfin ôtez le tems de la demi-durée du tems du milieu de l'éclipse, le reste sera le commencement de l'éclipse ; & si vous ajoûtez le tems de la demi-durée au tems du milieu de l'éclipse, la somme donnera la fin de l'éclipse.

Calculer une éclipse de Lune. 1°. Pour le tems donné d'une pleine Lune moyenne, calculez la distance de la Lune au noeud, afin de savoir s'il y a éclipse ou non, ainsi qu'il est enseigné dans le premier problème.

2°. Calculez le tems de la pleine Lune vraie, avec le vrai lieu du Soleil & de la Lune réduit à l'écliptique.

3°. Pour le tems de la pleine Lune vraie, calculez la véritable latitude de la Lune, la distance du Soleil & de la Lune à la Terre, avec les parallaxes horisontales & les demi-diamêtres apparens.

4°. Pour le même tems, trouvez le mouvement horaire vrai du Soleil & de la Lune.

5°. Trouvez le demi-diamêtre apparent de l'ombre.

6°. Trouvez les lignes A I & L I.

7°. Calculez l'arc de demi-durée I N.

Et de-là 8°. déterminez le commencement, le milieu, & la fin de l'éclipse.

Enfin trouvez les doigts éclipsés, d'où vous déduirez la quantité de l'éclipse, comme il est enseigné aux problèmes précédens.

Tracer sur un plan la figure d'une éclipse lunaire. 1°. que C D (figure 38.) represente l'écliptique, & que le centre de l'ombre soit en A, tirons par ce centre une ligne droite G Q perpendiculaire à D C. Supposons l'orient en D, l'occident en C, le midi en G, & le nord en Q.

2°. Du point A avec l'intervalle de la somme A N du demi-diamêtre de l'ombre A P & de la lune P N, soit décrit un cercle D G C Q ; & avec l'intervalle du demi-diamêtre de l'ombre A P tracez un autre cercle concentrique E F, qui représentera la section de l'ombre dans le passage de la Lune.

3°. Soit A L égale à la latitude de la Lune au commencement de l'éclipse ; élevez L N perpendiculairement en L, qui rencontre la plus grande circonférence en N vers l'occident ; le centre de la Lune au commencement de l'éclipse sera donc en N.

4°. Pareillement faites A S égale à la latitude de la Lune à la fin de l'éclipse, élevez en S la perpendiculaire O S, parallele à D C, le centre de la Lune sera en O à la fin de l'éclipse.

5°. Joignez les points O, N par une ligne droite, O N sera l'arc de l'orbite que le centre de la Lune décrit durant l'éclipse.

6°. Des points O & N avec l'intervalle du demi-diamêtre de la Lune décrivez les cercles PV & T X, qui représenteront la Lune au commencement & à la fin de l'éclipse.

7°. Après cela, du point A abaissez sur O N une perpendiculaire A I, le centre de la Lune sera en I, au milieu de l'éclipse.

C'est pourquoi avec l'intervalle du demi-diamêtre de la Lune décrivez enfin le cercle H K, il représentera la Lune dans son plus grand obscurcissement, & en même tems la quantité de l'éclipse. Voyez les élemens d'Astronomie de Wolf, d'où Chambers a extrait cet article que nous avons abregé, & où vous trouverez des exemples de tous les problèmes ci-dessus. Voyez aussi les institutions astronomiques de M. le Monnier.

Eclipse de Soleil, est une occultation du corps du Soleil, occasionnée par l'interposition diamétrale de la Lune entre le Soleil & la Terre.

L'éclipse de Soleil se divise, comme celle de la Lune, en totale & partiale. Il faut ajoûter une troisieme espece appellée annulaire.

Quelques auteurs ont observé que les éclipses de Soleil seroient plus proprement appellées éclipses de Terre. Voyez TERRE.

En effet l'éclipse de Soleil est réellement une éclipse de Terre, puisque la Terre se trouve alors dans l'ombre de la Lune. C'est la Terre qui se trouve véritablement obscurcie par la privation de la lumiere du Soleil sur la partie que la Lune empêche d'être éclairée ; & le Soleil, sans rien perdre de sa lumiere, nous est seulement caché.

Comme la Lune a sensiblement une parallaxe de latitude, les éclipses du Soleil arrivent seulement quand la latitude de la Lune vûe de la Terre est plus petite que la somme des demi-diametres apparens du Soleil & de la Lune. C'est pourquoi les éclipses de Soleil arrivent quand la Lune est en conjonction avec le Soleil, dans les noeuds ou proche les noeuds, c'est-à-dire aux nouvelles Lunes.

Il n'y a pas d'éclipse à chaque nouvelle Lune, parce que le cours de la Lune ne se fait pas précisément dans le plan de l'ecliptique ; il est oblique à ce cercle, & il ne le coupe que deux fois à chaque période ; de sorte qu'il ne peut y avoir des éclipses à toutes les nouvelles Lunes. Il n'y en a que quand la nouvelle Lune arrive près de l'écliptique, c'est-à-dire aux noeuds ou proche des noeuds.

Si la Lune est dans les noeuds, c'est-à-dire n'a pas de latitude visible, l'occultation est totale, & avec quelque durée, quand le disque de la Lune périgée paroît plus grand que celui du Soleil apogée, de sorte que l'ombre de la Lune s'étend au-delà de la surface de la Terre ; & l'éclipse est sans durée, lorsque la Lune est dans ses moyennes distances, & que le sommet ou la pointe de l'ombre lunaire touche simplement la surface de la Terre. Enfin les éclipses de Soleil sont partiales, lorsque l'ombre de la Lune n'atteint pas la Terre.

Les autres circonstances des éclipses solaires sont, 1°. qu'il n'y en a point d'universelles, c'est-à-dire qu'il n'y en a aucune qui soit vûe par tout l'hémisphere terrestre, au-dessus duquel est alors le Soleil ; le disque de la Lune étant beaucoup trop petit & trop près de la Terre, pour cacher le Soleil à tout le disque de la Terre, qui est quinze fois plus grande que la Lune.

2°. Une éclipse ne paroît pas la même dans toutes les parties de la Terre où elle est vûe ; mais quand elle paroît totale dans un endroit, elle n'est que partiale dans un autre.

De plus quand la Lune près des noeuds paroît plus petite que le Soleil, le sommet de l'ombre lunaire n'atteignant pas la Terre, il arrive que la Lune a une conjonction centrale ou presque centrale avec le Soleil, sans néanmoins couvrir entierement son disque ; alors tout le limbe du Soleil paroît semblable à un anneau lumineux. C'est pourquoi on appelle cette éclipse une éclipse annulaire.

3°. L'éclipse de Soleil n'arrive pas en même tems à tous les lieux où elle est visible ; mais elle paroît plûtôt aux parties occidentales de la Terre, & plus tard aux parties orientales.

4°. Dans la plûpart des éclipses Solaires, le disque obscurci de la Lune paroît couvert d'une lumiere foible. On en attribue ordinairement la cause à la lumiere que réfléchit sur la Lune la partie éclairée de la Terre. Voyez sur un phénomene à-peu-près semblable l'article CROISSANT.

Astronomie ancienne des éclipses de Soleil. Déterminer les limites d'une éclipse solaire.

Si la parallaxe de la Lune étoit insensible, on détermineroit les limites des éclipses solaires, de même que l'on a fait celles des éclipses lunaires ; mais comme la parallaxe est sensible, il faut y procéder d'une maniere un peu différente. Ainsi

1°. Faites une somme des demi-diametres apparens de la Lune & du Soleil apogée & périgée.

2°. Comme la parallaxe diminue la latitude septentrionale, à la somme ci-dessus ajoûtez la parallaxe de latitude la plus grande qu'il soit possible ; & parce que la parallaxe augmente la latitude méridionale, ôtez de cette même somme la plus grande parallaxe de latitude ; ainsi dans l'un & l'autre cas vous aurez la véritable latitude, au-delà de laquelle il ne peut pas y avoir d'éclipse.

Cette latitude étant donnée, vous trouverez la distance de la Lune aux noeuds, hors de laquelle les éclipses ne sauroient avoir lieu, ainsi qu'on l'a déjà prescrit par rapport aux éclipses de Lune.

Comme les différens auteurs suivent différentes hypothèses par rapport aux diametres apparens de la Lune & du Soleil, & la plus grande parallaxe de latitude, ils ne s'accordent pas parfaitement sur la détermination des limites où les éclipses solaires peuvent arriver.

Trouver les doigts éclipsés. Faites une somme des demi-diametres du Soleil & de la Lune ; ôtez-en la latitude apparente de la Lune, le reste donne les parties du diametre éclipsé. Après cela dites : comme le demi-diametre du Soleil est aux parties éclipsées, ainsi six doigts réduits en minutes, ou 360 minutes, sont aux doigts éclipsés.

Trouver les parties de demi-durée ou la ligne d'immersion. C'est la même méthode que celle que nous avons exposée pour les éclipses lunaires.

Déterminer la durée d'une éclipse solaire. Trouvez le mouvement horaire par lequel la Lune s'écarte du Soleil pour une heure avant la conjonction, & une autre heure aprés ; après quoi dites : comme le premier mouvement horaire est aux secondes d'une heure, ainsi les parties de demi-durée sont au tems d'immersion ; & comme l'autre mouvement horaire est aux mêmes secondes, ainsi les mêmes parties de demi-durée sont au tems d'immersion. Enfin prenant la distance entre le tems d'immersion & celui d'émersion, on a la durée totale.

On trouvera par des méthodes semblables, le commencement, le milieu & la fin d'une éclipse solaire : c'est sur quoi on peut consulter les Elémens de Wolf, déjà cités.

Astronomie moderne des éclipses de Soleil. Il est évident par les problèmes précédens, que tout l'embarras du calcul vient des parallaxes, sans quoi le calcul des éclipses de Soleil seroit précisément le même que celui des éclipses de Lune.

Aussi plusieurs auteurs ont-ils mieux aimé considérer les éclipses de Soleil comme des éclipses de Terre, ainsi que nous l'avons déjà dit, parce que cette maniere de les considérer en abrege le calcul ; elle a été inventée par Kepler, & mise successivement en pratique par Bouillaud, Wren, Cassini, Halley, Flamsteed, & de la Hire. En traitant les éclipses de Soleil comme des éclipses de Terre, on évite la parallaxe, comme il arrive aux éclipses de Lune. En effet, dans ces dernieres la parallaxe de l'ombre, à mesure qu'elle varie, est toûjours la même que celle de la Lune, ainsi elle ne sauroit causer d'embarras ni d'obstacles ; & c'est ce qui fait que dans toutes les régions de la Terre d'où on apperçoit la Lune, l'éclipse paroît précisément de la même grandeur. Il en doit donc être de même des éclipses de Terre, si on suppose pour un moment que l'oeil du spectateur qui les observe, soit placé dans la Lune : ainsi toute la difficulté se réduit à trouver dans quel moment un spectateur placé dans la Lune, verroit telle ou telle partie de la terre éclipsée ou couverte de la pénombre ; car on saura par ce moyen à quelle heure cette partie de la Terre aura l'éclipse, soit totale, soit partiale, soit au commencement, soit au milieu, soit à la fin, &c. Il est vrai qu'à cause de la rondeur de la Terre, & de son mouvement autour de son axe, qui fait que toutes ses parties entrent successivement dans l'ombre de la Lune, cette recherche rendra encore le calcul des éclipses de Terre plus composé que celui des éclipses de Lune. Mais plusieurs habiles astronomes nous ont facilité les moyens de résoudre tous ces problèmes ; & parmi les auteurs qui ont traité cette matiere, personne ne paroît l'avoir fait avec plus de clarté que Jean Keill dans son Introductio ad veram Astronomiam, où il employe plusieurs chapitres à la développer & à l'expliquer. Comme le détail de cette méthode seroit trop long, nous ne pouvons l'exposer ici : nous croyons que ceux de nos lecteurs qui voudront se mettre au fait de la matiere dont il s'agit, ne sauroient s'en instruire plus à fond & avec plus de facilité, que dans l'ouvrage dont nous parlons, ou dans les Institutions astronomiques de M. le Monnier, qui en sont en partie la traduction. Nous nous contenterons de dire que cette méthode consiste à projetter par différentes ellipses sur le disque de la Terre qu'on suppose vûe de la Lune, le mouvement apparent des différens points de la Terre, vû de cette même planete ; à déterminer le chemin de l'ombre de la Lune & de sa pénombre sur ce même disque ; à trouver les instans où un lieu quelconque de la Terre entre dans une partie assignée de l'ombre ou de la pénombre, & à fixer par ce moyen le commencement, la fin & les phases de l'éclipse pour un lieu quelconque.

Avant que de finir cet article des éclipses de Soleil & de Lune, il ne sera pas inutile de faire quelques remarques au sujet d'un phénomene assez singulier, & dont il est facile d'expliquer la véritable cause.

Dans les éclipses totales de Lune, même dans celles qu'on nomme centrales, parce que le centre de la Lune passe exactement par le centre de l'ombre, on s'apperçoit presque toûjours que cet astre est éclairé d'une lumiere, très-foible à la vérité, mais du moins assez vive pour que la Lune ne disparoisse pas tout-à-fait, comme il semble qu'elle le devroit faire dès qu'elle est entierement plongée dans l'ombre de la Terre, & tout-à-fait privée de la lumiere du Soleil. Quelques auteurs, pour expliquer cette apparence, ont prétendu que cette lumiere étoit propre à la Lune même, ou bien que c'étoit la lumiere des planetes & des étoiles fixes qui se trouvoit réfléchie par la Lune ; mais il est inutile de réfuter ces deux opinions ; la vraie cause de ce phénomene a été découverte peu de tems après que l'on a connu les réfractions astronomiques. La Terre étant environnée de l'air, ou d'une atmosphere sphérique qui est fort épaisse, cette atmosphere brise & détourne continuellement de leur direction les rayons du Soleil ; car tous les rayons y sont rompus dès qu'ils y entrent obliquement, & ils y sont rompus de maniere qu'ils se plient vers la terre, & tombent en partie dans l'ombre ; desorte que cette ombre n'est pas entierement privée de lumiere ; & c'est la cause de cette lueur foible & rougeâtre que l'on observe sur la Lune dans les éclipses totales. La seule inspection de la figure 38. n°. 2. suffit pour faire connoître de quelle maniere les rayons du Soleil se répandent en partie dans l'ombre de la Terre, après avoir été rompus en traversant l'atmosphere terrestre. Voyez OMBRE.

Au reste, comme l'atmosphere intercepte aussi la plus grande partie des rayons du Soleil, & change la grandeur du cone d'ombre de la Terre, c'est pour cette raison que M. de la Hire augmente dans le calcul des éclipses le diamêtre de l'ombre d'environ une minute, parce que l'atmosphere fait à-peu-près le même effet qu'une couche de matiere opaque qui environneroit la Terre, & augmenteroit pour ainsi dire son diamêtre d'environ 1/190.

La Lune prend même successivement différentes couleurs dans les éclipses ; car l'atmosphere étant inégalement chargée de vapeurs & d'exhalaisons, les rayons qui la traversent par-tout, & vont tomber sur la Lune, sont tantôt plus, tantôt moins abondans, plus ou moins rompus, plus ou moins séparés, plus ou moins dirigés par la réfraction vers l'axe de l'ombre & de la pénombre ; or ces différences sont autant de sources de différentes couleurs : par cette raison, dans la même éclipse la Lune vûe de divers endroits au même tems, paroît avoir différens degrés d'obscurité, différentes couleurs, comme il est arrivé dans l'éclipse du 23 Décembre 1703, observée à Arles, à Avignon, à Marseille. Les exhalaisons ou vapeurs différentes, sont comme des verres inégalement épais & diversement teints, au-travers desquels le même objet paroît différent.

La Lune s'éclipse quelquefois en présence du Soleil, lorsque ces deux astres paroissent près de l'horison, la Lune à son lever, & le Soleil à son coucher. On a vû de ces éclipses horisontales en divers tems. On en avoit observé du moins une du tems de Pline. On en vit une autre le 17 Juillet 1590 à Tubinge ; une troisieme à Tarascon, le 3 Novembre 1648, une quatrieme en l'île de Gorgone, le 16 Juin 1666. La Lune & le Soleil ne sont pas alors tous deux en effet sur l'horison ; mais la réfraction, qui éleve les objets, élevant ces astres plus qu'ils ne sont élevés effectivement, les fait paroître tous deux en même tems sur l'horison. Voyez COUCHER. Voyez aussi REFRACTION.

Eclipses des satellites, voyez SATELLITES DE JUPITER.

Voici les principales circonstances que l'on y observe 1°. Les satellites de Jupiter souffrent deux ou trois sortes d'éclipses ; celles de la premiere espece leur sont propres, elles arrivent quand le corps de Jupiter est directement posé entr'eux & le Soleil : il y en a presque tous les jours. MM. Flamsteed & Cassini nous en ont donné des tables, dans lesquelles les immersions des satellites dans l'ombre de Jupiter, aussi-bien que leurs émersions, sont calculées en heures & en minutes.

La seconde espece d'éclipses qu'éprouvent les satellites, sont plûtôt des occultations ; cela arrive quand les satellites s'approchant trop du corps de Jupiter, se perdent dans sa lumiere. De plus, le satellite qui est le plus proche de Jupiter, produit une troisieme sorte d'éclipse, lorsque son ombre, sous la forme d'une macule ou d'une tache noire arrondie, passe sur le disque de Jupiter : c'est ainsi que les habitans de la Lune verroient son ombre projettée sur la Terre.

Pour trouver la longitude, il n'y a point jusqu'à présent de meilleur moyen que les éclipses des satellites de Jupiter ; celles du premier satellite en particulier sont beaucoup plus sûres que les éclipses de Lune, & d'ailleurs elles arrivent beaucoup plus souvent : la maniere d'en faire usage est fort aisée. Voyez LONGITUDE. (O)


ECLIPSEROBSCURCIR, synon. (Gramm.) Ces deux mots sont pris ici au figuré : ils different alors, en ce que le premier dit plus que le second. Le faux mérite est obscurci par le mérite réel, & éclipsé par le mérite éminent. On doit encore remarquer que le mot éclipse signifie un obscurcissement passager, au lieu que le mot éclipser qui en est dérivé, désigne un obscurcissement total & durable, comme dans ce vers :

Tel brille au second rang, qui s 'éclipse au premier. (O)

ECLIPSER LE FIEF, ou L'ECLICHER, (Jurispr.) c'est-à-dire le démembrer. Coûtume de Melun, article 100. Le fief ne peut être démembré ou éclipsé, &c. Voy. ECLIPSER & ECLICHER, voyez DEMEMBREMENT & FIEF. (A)


ECLIPTIQUEeclipticus, pris adj. (Astronomie) se dit de ce qui appartient aux éclipses. Voyez ECLIPSE.

Toutes les nouvelles & pleines Lunes ne sont pas écliptiques, c'est-à-dire qu'il n'arrive pas des éclipses à toutes les nouvelles & pleines Lunes. Voyez-en la raison au mot ECLIPSE.

Termes écliptiques, termini ecliptici, signifient l'espace d'environ quinze degrés, à compter des noeuds de la Lune, dans lequel, quand la Lune se trouve en conjonction ou en opposition avec le Soleil, il peut y avoir une éclipse de Soleil ou de Lune, quoiqu'elle ne soit pas précisément dans les noeuds. Voyez ECLIPSE.

Doigts écliptiques. Voyez DOIGT & ECLIPSE.

ECLIPTIQUE, sub. f. se dit plus particulierement d'un cercle ou d'une ligne sur la surface de la sphère du monde, dans laquelle le centre du Soleil paroît avancer par son mouvement propre : ou bien, c'est la ligne que le centre du Soleil paroît décrire dans sa période annuelle. Voyez SOLEIL, &c.

Dans le systême de Copernic qui est aujourd'hui presque généralement reçû, le Soleil est immobile au centre du monde : ainsi c'est proprement la terre qui décrit l'écliptique ; mais il revient au même quant aux apparences, que se soit la Terre ou le Soleil qui la décrive.

L'écliptique se nomme autrement orbite terrestre, ou orbite annuelle, ou grand orbe, en tant qu'on la regarde comme le cercle que la Terre décrit par son mouvement annuel. Elle est divisée en douze signes ou parties égales, dont on peut voir les noms à l'article ZODIAQUE, & dont la Terre parcourt environ un par mois. L'écliptique a aussi un axe, qui est perpendiculaire à ce grand cercle, & qui est différent de l'axe du monde ou de l'équateur, & les extrémités de cet axe s'appellent les poles de l'écliptique.

On appelle noeuds les endroits où l'écliptique est coupée par les orbites des planetes.

L'écliptique est ainsi nommée, à cause que toutes les éclipses arrivent quand la lune est dans ou proche les noeuds, c'est-à-dire proche de l'écliptique. Voyez ECLIPSE.

L'écliptique est placée obliquement par rapport à l'équateur, qu'elle coupe en deux points, c'est-à-dire, au commencement d'Aries & de Libra, & en deux parties égales : ainsi le Soleil est deux fois chaque année dans l'équateur ; le reste de l'année il est du côté du nord ou du côté du sud. Ces points qu'on nomme équinoctiaux, ne sont pas fixes, mais rétrogradent d'environ 50" par an. V. EQUINOXE & PRECESSION.

Comme le point de l'écliptique qui a la plus grande déclinaison, par rapport à l'équateur, est le point qui est éloigné d'un quart de cercle des points équinoctiaux, la distance de ce point à l'équateur est la mesure ou la quantité de l'obliquité de l'écliptique, c'est-à-dire, de l'angle formé par l'intersection de l'équateur & de l'écliptique.

L'obliquité de l'écliptique, ou l'angle qu'elle fait avec l'équateur, est d'environ 23° 29' : les points de la plus grande déclinaison de chaque côté s'appellent points solstitiaux, par lesquels passent les deux tropiques. Voyez SOLSTICE, TROPIQUE & OBLIQUITE.

Voici la méthode d'observer la plus grande déclinaison de l'écliptique : vers le tems de l'un des solstices, observez avec l'exactitude la plus rigoureuse la plus grande hauteur méridienne, pendant plusieurs jours successivement ; de la plus grande hauteur observée, ôtez la hauteur de l'équateur ; le reste donne la plus grande déclinaison au point solsticial.

ç'a été une grande question parmi les astronomes modernes, de sçavoir si l'obliquité de l'écliptique est fixe ou changeante. Il est certain que les observations des anciens astronomes la donnent considérablement plus grande que celles des modernes ; c'est pourquoi Purbachius, Regiomontanus, Copernic, Longomontan, Tycho, Snellius, Lansberge, Bouillaud, & plusieurs autres, ont crû qu'elle étoit variable.

Pour déterminer cette question, il a fallu comparer bien exactement les observations des astronomes de tous les tems ; les principales sont celles de Pytheas, l'an avant J. C. 324, qui fait l'obliquité de l'écliptique = 23° 52' 41" ; celle d'Eratosthene, l'an 230, la donne de 23° 51' 20" ; celle d'Hipparque, 140 ans avant J. C. la détermine à 23° 51' 20" : celle de Ptolomée 140 ans après J. C. fait cette obliquité de 23° 51' 20" ; celle d'Albategnius, en 880, de 23° 35' : Regiomontanus, en 1460, de 23° 30' : Walterus, en 1476, de 23° 30' : Copernic, en 1525, de 23° 28' 24" : Rothmannus, en 1570, de 23° 30' 20" : Tycho, en 1587, de 23° 30' 22" : Kepler, en 1627, de 23° 30' 30" : Gassendi, en 1636, de 23° 31' : Riccioli, en 1646, de 23° 30' 20" : Hevelius de 23° 30' 20' : Mouton de 23° 30' : & de la Hire, en 1702, de 23° 29'.

Après tout ce que l'on vient de dire, quoique les plus anciennes observations donnent une plus grande obliquité à l'écliptique que celle d'aujourd'hui, beaucoup d'astronomes ont crû néanmoins qu'elle étoit immuable : car ce ne fut que par méprise qu'Eratosthene conclut de ses observations que la plus grande déclinaison de l'écliptique étoit de 23° 51'20": par ces mêmes observations il n'auroit dû la mettre qu'à 23° 31'50": ainsi que Riccioli l'a fait voir. Gassendi & Peiresc ont remarqué la même inadvertance dans l'observation de Pytheas : Hipparque & Ptolomée ont suivi les erreurs d'Eratosthene & de Pytheas : & c'est ce qui a donné occasion aux auteurs dont nous avons parlé ci-dessus, de conclure que cette obliquité étoit continuellement décroissante.

Néanmoins le chevalier de Louville ayant examiné de nouveau cette question, fut d'un autre avis. Le résultat de ses recherches, qu'il a publiées dans les mém. de l'acad. royale des Sciences, pour l'année 1716, est que l'obliquité de l'écliptique diminue à raison d'une minute tous les cent ans. Les anciens n'avoient point égard aux réfractions dans leurs observations ; & de plus, selon eux, la parallaxe horisontale du Soleil étoit de 3', au-lieu que les astronomes modernes la font de quelques secondes. Ces deux inexactitudes produisent beaucoup d'erreurs dans leurs observations ; aussi M. de Louville a-t-il été obligé de les corriger avant de pouvoir y compter.

Suivant une ancienne tradition des Egyptiens, dont Hérodote fait mention, l'écliptique avoit été autrefois perpendiculaire à l'équateur. Par les observations d'une longue suite d'années, ils estimerent que l'obliquité de l'écliptique diminuoit continuellement, ou, ce qui revient au même, que l'écliptique s'approchoit continuellement de l'équateur ; c'est ce qui leur fit conjecturer qu'au commencement ces deux cercles étoient écartés l'un de l'autre autant qu'il est possible. Diodore de Sicile rapporte que les Chaldéens comptoient 403000 ans depuis leurs premieres observations jusqu'au tems où Alexandre fit son entrée dans Babylone. Ce calcul peut avoir quelque fondement, en supposant que les Chaldéens ont compté sur la diminution de l'obliquité de l'écliptique d'une minute tous les cent ans. M. de Louville prenant cette obliquité telle qu'elle doit avoir été au tems qu'Alexandre fit son entrée dans Babylone ; & remontant, dans cette supposition, au tems où l'écliptique doit avoir été perpendiculaire à l'équateur, il trouve actuellement 402942 années égyptiennes ou chaldéennes, ce qui n'est que de 58 ans plus court que la premiere époque.

En général, on ne peut pas rendre raison de l'antiquité fabuleuse des Egyptiens, des Chaldéens, &c. d'une maniere plus probable, qu'en supposant des périodes célestes parcourues d'un mouvement très-lent, dont ils avoient observé une petite partie, & d'où ils calculoient le commencement de la période, en ne donnant à leur propre nation d'autre commencement que celui du monde. Si le système de M. de Louville est vrai, dans 14000 ans l'écliptique & l'équateur ne feront qu'un seul & même cercle.

Nous croyons ne pouvoir mieux faire que de rapporter ce que dit sur cette question M. le Monnier dans ses Institut. astron. Les Arabes ayant déterminé vers l'an 820 l'obliquité de 23d 33', le calife Almamoun fit encore construire un plus grand instrument pour cette recherche, avec lequel Ali fils d'Isa, habile méchanicien, & quelques-uns de ceux qui avoient travaillé à la mesure de la Terre, observerent à Damas l'obliquité de 23d 33' 52", la même année que le calife mourut en conduisant son armée contre les Grecs. En 1269 Nassir Oddin l'observa fort exactement proche de Tauris, de 23d 30'. En 1437 on a trouvé à Samarkand, avec un instrument dont le rayon surpassoit 100 piés, construit par ordre d'Ulug Beigh prince Tartare, l'obliquité de 29d 30' 17". Enfin dans le siecle précédent la plûpart des astronomes ont fait l'obliquité de l'écliptique de 23d 31' ou 30' ; ensuite ayant égard aux tables de réfraction & de parallaxe pour corriger les distances apparentes du Soleil au zénith, & les réduire aux véritables, ils ont établi cette obliquité de 23d 29', ou 23d 28' 50" : dans ces derniers tems on l'a observée de 23d 28' 30" ou 20" ; ce qui a fait imaginer à quelques astronomes qu'elle diminuoit, sans examiner quelle pouvoit être la précision à laquelle on tâchoit de parvenir il y a soixante ans dans une recherche aussi délicate. D'ailleurs ils ont adopté les observations faites avec des gnomons, ne considérant pas que ces sortes d'instrumens ne doivent guere être employés que pour observer les latitudes géographiques, puisqu'il est constant qu'avec les plus grands gnomons, comme de 60 à 80 piés de hauteur perpendiculaire, on ne sauroit répondre d'un tiers de minute vers le solstice d'été ; au lieu qu'avec les quarts de cercle garnis de lunettes, on peut connoître les hauteurs absolues à 2"1/2 ou 5" au plus, parce que le disque du Soleil est terminé dans la lunette, ce qui n'arrive jamais aux gnomons ; en effet, la pénombre y rend toûjours l'image confuse vers les bords, & par cette raison l'observation de la hauteur trop incertaine. M. le Monnier traite cette matiere encore plus au long & avec plus de détail, dans la préface de l'ouvrage que nous venons de citer.

Pour remédier au défaut principal des gnomons, il a placé en 1744, dans le plan même du gnomon de l'eglise de S. Sulpice, un peu au-dessous de l'ouverture du trou par où passent les rayons du Soleil, un verre objectif de 80 piés de foyer. Par la disposition & la grandeur de ce verre, il a transformé son gnomon en une espece de grande lunette, qui doit donner à-peu-près la même précision que les lunettes garnies de quarts de cercle, & qui, à plusieurs autres égards, est infiniment plus avantageuse, parce que le verre est placé dans un mur inébranlable, & qu'on peut compter avec assez de certitude sur son immobilité, & sur celle du marbre qui doit recevoir l'image du Soleil au solstice (voyez MERIDIENNE). Il a marqué soigneusement sur ce marbre les termes de l'image au solstice d'été de l'année 1745 ; & il espere qu'en comparant dans la suite le lieu de l'image du Soleil au terme fixe auquel cette image est parvenue au solstice d'été de l'année 1745, on pourra reconnoître par-là si l'obliquité de l'écliptique est sujette en effet à quelques variations : en attendant il nous avertit que le terme où le Soleil étoit parvenu l'année précédente, a paru le même que celui qu'on a fait graver sur le marbre au mois de Juin 1745.

Au reste, quand l'obliquité de l'écliptique ne diminueroit pas constamment, il est certain qu'elle a un mouvement de nutation que M. Bradley a observé le premier. Voyez NUTATION, & mes recherches sur la précession des équinoxes ; voyez aussi PRECESSION, ZODIAQUE, &c.

Enfin il est bon de remarquer encore que l'écliptique, c'est-à-dire l'orbite que la Terre décrit autour du Soleil, n'est pas parfaitement plane ; l'action de la Lune sur la Terre écarte la Terre de ce plan, tantôt en-dessus, tantôt en-dessous, de la valeur d'environ 13". (voyez mes recherches sur le système du monde, II. part. ch. ij. art. 201 & suiv.) Il est vrai que ces 13" sont très-difficiles à observer ; & qu'en supposant même les observations astronomiques encore plus exactes, on trouveroit une quantité beaucoup moindre pour la variation de la Terre en latitude, parce que le centre de la gravité de la Terre & de la Lune décrit très-sensiblement une ellipse dans un même plan autour du Soleil ; que la Terre ne s'écarte de ce dernier plan que d'environ 1", & que par la nature des observations astronomiques, ce plan doit presque toujours être confondu avec l'écliptique. Mais il n'en est pas moins vrai que la Terre peut s'écarter du plan réel de l'écliptique d'environ 13". Je traiterai plus en détail cette question dans une troisieme partie de mon ouvrage, que je me prépare à publier ; & je ne fais ici cette remarque d'avance, que pour répondre à une objection très-plausible qui m'a été faite sur ce sujet. (O)

ECLIPTIQUE, en Géographie, &c. c'est un grand cercle du globe, qui coupe l'équateur sous un angle d'environ 23d 29' (voyez GLOBE) ; c'est pourquoi l'écliptique terrestre est dans le plan de l'écliptique céleste : elle a comme elle ses points équinoctiaux & solstitiaux, & elle est terminée par les tropiques. Voyez EQUATEUR, SOLSTITIAL, EQUINOCTIAL, TROPIQUE, &c. (O)


ECLISSESS. f. en Chirurgie, sont des morceaux de bois dont on se sert pour assujettir des membres cassés : on les nomme aussi attelles.

Les éclisses s'appellent en latin ferulae, parce qu'on employoit autrefois l'écorce de la férule pour en faire : Hippocrate s'en est servi, comme on peut le voir dans son livre des fractures.

La matiere des éclisses est différente, suivant les praticiens : le bois, suivant les uns, est une substance trop dure, qui ne se prête point assez à la configuration des parties ; on en fait cependant des petites planchettes legeres & flexibles, telles que les Fourbisseurs en employent pour les fourreaux d'épées. D'ailleurs on ne met point ces férules à nud ; on les garnit de linge, & le membre est lui-même déjà couvert de compresses & d'une suite de circonvolutions de la premiere bande, lorsqu'on les applique. Quelques praticiens font des attelles de fer-blanc, qui sont fort legerement cambrées pour s'accommoder à la partie : d'autres mettent un carton mince dans la compresse : enfin il y en a qui n'employent que des compresses longuettes, & assez épaisses pour servir d'éclisses ; elles doivent avoir la longueur de la partie principale du membre : si l'os est fracturé vers son milieu, on en met trois ou quatre pour entourer la circonférence de la partie, il y a des raisons anatomiques & chirurgicales pour en régler la position. On ne doit point appliquer une éclisse sur le trajet des vaisseaux ; elle nuiroit à la circulation du sang, & seroit une cause d'accidens qui pourroient devenir funestes. On met une attelle de chaque côté du cordon des principaux vaisseaux ; ainsi à l'intention de maintenir les extrémités fracturées de l'os dans leur niveau, se joindra celle d'empêcher que le bandage, qui doit être médiocrement serré, n'agisse avec autant de force sur les vaisseaux que sur les autres parties. Dans les fractures compliquées de plaie, on a l'attention de ne point mettre d'éclisses vis-à-vis de la plaie, & si la disposition du membre l'exigeoit, comme, par exemple, dans la fracture de la jambe, si la plaie étoit sur la surface interne du tibia, il faudroit poser une compresse longuette & épaisse le long de cette surface interne, audessus de la plaie, & une autre au-dessous ; l'éclisse qu'on poseroit ensuite, porteroit à faux à l'endroit de la plaie. L'exercice de la Chirurgie exige dans presque tous les appareils, des petites variations que l'industrie suggere dans l'occasion aux praticiens attentifs & éclairés par les lumieres de l'Anatomie, & qui ont du jugement ; mais la Chirurgie suppose ce jugement, & ne le donne point. Voyez FRACTURE. (Y)

ECLISSES, (Manége, Maréch.) en latin ferulae, parce qu'anciennement on employoit à cet effet l'écorce de la férule. Je ne sai si c'est de cette espece de férule dont Pline rapporte que le bois étoit si ferme & en même tems si leger, que les vieillards s'en servoient en forme de canne ou de bâton, par préférence à tout autre.

Quoiqu'il en soit, nous appellons éclisses dans la Maréchallerie, ce que dans la Chirurgie on appelle de ce nom & de celui d'attelles. La seule différence des éclisses du Chirurgien & de celles du maréchal, naît en général du moins de flexibilité & de souplesse des dernieres. Celles-ci sont en effet communément plus épaisses, d'un bois moins pliant, & elles sont même le plus souvent faites avec de la tole ; un bois mince & delié, des écorces d'arbres, des lames de fer blanc, du carton, n'auroient pas assez de force & de soûtien pour remplir nos vûes.

Nous en faisons un usage d'autant plus fréquent, que nous contenons toûjours par leur moyen, les appareils que nous sommes obligés de fixer sur la sole, c'est-à-dire sous le pié de l'animal.

Nous les plaçons ordinairement de deux manieres, en plein ou en X : en plein, lorsque les ingrédiens qui entrent dans la composition du topique appliqué, & que nous couvrons avec des étoupes, ont trop de fluidité, & ne sont point assez liés ; en X ou en croix, lorsqu'ils ont une certaine consistance.

Si dans le premier cas nous usons des éclisses qui sont faites avec de la tole, nous n'en prendrons que deux ; l'une d'elles garnira toute la partie, & aura par conséquent la figure d'une ovale tronquée. Nous l'engagerons en frappant legerement avec le brochoir, ensorte qu'elle sera arrêtée par ses côtés & par son extrémité antérieure, entre les branches, la voûte du fer, & le pié. La seconde, dont la forme ne différera point des éclisses ordinaires, sera introduite en talon entre l'éponge & les quartiers, & sera poussée le plus près qu'il sera possible de l'étampiere voisine, afin de maintenir très-solidement la premiere, sur laquelle elle sera posée transversalement ; car nous ne nous servons jamais ici de bandage : on observera qu'elle ne déborde point le fer, attendu que l'animal en marchant pourroit se blesser, se couper ou s'entre-tailler.

Si nos éclisses sont de bois, nous en employerons quatre ; trois d'entr'elles seront taillées de maniere, qu'étant unies elles représenteront la même ovale figurée par la grande éclisse de tole : on les engagera pareillement l'une après l'autre, après quoi on les fixera par le moyen de la quatrieme, ainsi que je l'ai dit ci-dessus.

Quelques personnes prétendent qu'on devroit au lieu d'éclisses avoir recours à un fer entierement couvert ; mais elles ne prévoyent pas sans doute les inconvéniens qui suivroient l'obligation de déferrer & de ferrer continuellement l'animal, sur-tout dans des circonstances où il peut être atteint de douleurs violentes, & où nous sommes contraints de réitérer souvent les pansemens : je conviens qu'on n'attache alors le fer qu'avec quatre clous, mais ces inconvéniens ne subsistent pas moins.

Il n'est pas difficile de concevoir, au surplus, comment nous maintenons les éclisses en X ou en croix. Celle qui est engagée dans le côté droit de la voûte du fer, est prise par son autre extrémité dans l'éponge gauche, tandis que celle qui est engagée dans le côté gauche de cette même voûte, est arrêtée par son autre bout dans l'éponge droite : l'une & l'autre sont posées diagonalement.

Il est encore des occasions où des éclisses plus longues & plus fortes nous sont nécessaires. Voy. FRACTURES. (e)

ECLISSE, en terme de Boisselier ; c'est une planche legere dont ils se servent pour leurs divers ouvrages.

ECLISSES, (Luth.) ce sont dans les soufflets de l'Orgue, les pieces triangulaires EE, fig. 24. Pl. d'Orgue, qui sont les plis des côtés des soufflets. Ce sont des planches d'un quart de pouce d'épaisseur, lesquelles sont doublées de parchemin du côté qui regarde l'intérieur du soufflet, & qui sont assemblées les unes avec les autres avec des bandes de peau de mouton parée, & avec les têtieres par les aines & demi-aines. Elles doivent toûjours être de chaque côté du soufflet en nombre pairement pair. Voyez l'art. SOUFFLETS D'ORGUE.

* ECLISSE, (Oeconom. rustiq.) petit panier fait d'osier, sur lequel on place les fromages nouvellement faits, à-travers lesquels ils s'égouttent. Les éclisses de terre, de fayence & d'étain (car il y en a de cette sorte), sont troüées par le fond & par les côtés : il faut tenir ces vaisseaux propres, & en avoir de toutes grandeurs.

ECLISSE, c'est parmi les Vanniers, une baguette d'osier fendue en deux ou plusieurs branches fort minces.


ECLOPÉSadj. pl. (Art milit.) c'est ainsi qu'on appelle à la guerre les soldats & les cavaliers incommodés qui suivent l'armée.

On appelle aussi de ce même nom les cavaliers dont les chevaux ne peuvent marcher avec la troupe & porter le cavalier, à cause de quelque maladie. Les cavaliers menent ces chevaux tranquillement à pié par la bride : on les fait partir à part après l'armée, lorsqu'elle marche vers l'ennemi ; & auparavant, lorsqu'elle s'en éloigne. Il y a un officier nommé pour commander les éclopés, & les faire marcher en ordre. (Q)

ECLOPE, en termes de Blason, se dit d'une partition dont une piece paroît comme rompue.


ECLUSEdu mot latin excludere, empêcher, en Architecture, se dit généralement de tous les ouvrages de maçonnerie & de charpenterie qu'on fait pour soûtenir & pour élever les eaux ; ainsi les digues qu'on construit dans les rivieres pour les empêcher de suivre leur pente naturelle, ou pour les détourner, s'appellent des écluses en plusieurs pays : toutefois ce terme signifie plus particulierement une espece de canal enfermé entre deux portes ; l'une supérieure, que les ouvriers nomment porte de tête ; & l'autre inférieure, qu'ils nomment porte de mouille, servant dans les navigations artificielles à conserver l'eau, & à rendre le passage des bateaux également aisé en montant & en descendant ; à la différence des pertuis qui, n'étant que de simples ouvertures laissées dans une digue, fermées par des aiguilles appuyées sur une brise, ou par des vannes, perdent beaucoup d'eau, & rendent le passage difficile en montant, & dangereux en descendant.

ECLUSE A TAMBOUR, est celle qui s'emplit & se vuide par le moyen de deux canaux voûtés, creusés dans les joüilleres des portes, dont l'entrée, qui est peu au-dessus de chacune, s'ouvre & se ferme par le moyen d'une vanne à coulisse, comme celle du canal de Briare.

ECLUSE A VANNES, celle qui s'emplit & se vuide par le moyen de vannes à coulisse pratiquées dans l'assemblage même des portes, comme celles de Strasbourg & de Meaux.

ECLUSE QUARREE, celle dont les portes d'un seul ventail se ferment quarrément, comme les écluses de la riviere de Seine à Nogent & à Pont, & celles de la riviere d'Ourque. Voyez CANAL & DIGUE. (P)

* ECLUSE, (Pêche) c'est ainsi qu'on nomme dans l'île d'Oleron, les pêcheries appellées par les pêcheurs du canal, parcs de pierre ; elles sont bâties de pierres seches, sans mortier ni ciment : les murailles en sont épaisses & larges ; elles ont du côté de la mer sept à huit piés de hauteur : elles sont moins fortes & moins hautes, à mesure qu'elles approchent de la terre : les pêcheurs n'y prendroient pas un poisson, si elles étoient construites selon les ordonnances. L'exposition de la côte & la violence de la marée, font qu'elles sont toutes au moins à quatre cent brasses du passage ordinaire des vaisseaux. Si l'on a l'attention de les arrêter-là, elles ne gêneront point la navigation ; les bâtimens qui aborderoient à cette côte, seroient en pieces avant que d'atteindre aux écluses. Il seroit à souhaiter qu'elles fussent multipliées, & que la côte en fût couverte ; elles formeroient une digue qui romproit la brise & les lames qui rongent sans cesse le terrein, & minent peu-à-peu l'île. Ces pêcheries ont différentes figures ; les unes sont quarrées, d'autres arrondies ; il y en a d'ovales & d'irrégulieres : il y en a qui n'ont qu'un de ces égouts, que les pêcheurs appellent passes, gorres ou bouchots ; d'autres en ont deux, & même trois : on y place des bourgnes & bourgnons, où sont arrêtés les poissons, gros & petits. On appelle bourgnes, ces tonnes, baches ou gonnatres que les pêcheurs de la baie du Mont-Saint-Michel mettent au fond de leurs pêcheries. On appelle bourgnons, les paniers, nasses & baschons qui retiennent par la petitesse des intervalles de leurs claies, tout ce qui s'échappe des bourgnes. Le poisson reste à sec dans les bourgnons, quand la mer est retirée. Le bourgnon est soûtenu par un clayonnage bas & petit, de dix-huit pouces de hauteur. S'il est bon de conserver les écluses, il est encore mieux de supprimer les bourgnes & bourgnons. Les écluses sont d'autant moins nuisibles aux côtes de l'île, que ces côtes sont ferrées & sur fond de roche, où le frai se forme rarement, & où le poisson du premier âge ne séjourne guere. Les écluses qui sont quarrées, ont leurs gorres ou passes placées aux angles. Ces passes ont deux à trois piés de large ; c'est toute la hauteur du mur, & une claie de bois les ferme. Les murs sont exactement contigus aux bourgnes. Ces bourgnes sont enlacées d'un clayonnage qui traverse par le haut l'ouverture de la passe : or pour rendre la pêche & plus sûre & plus facile, on éleve en-dedans de l'écluse un petit mur appellé les bras de l'écluse ; il est de pierre seche, & va en se rétrécissant à mesure qu'il s'avance vers l'ouverture de la bourgne : c'est ainsi que le poisson y est conduit, & y reste quand la marée se retire. Les tems orageux sont les plus favorables pour la pêche des écluses, le poisson allant toûjours contre le vent, & le vent le plus favorable étant celui qui souffle de terre vers la pêcherie. Pendant les mortes-eaux on ne prend rien ; les pêcheries ne découvrent point en été & dans les grandes chaleurs, le gain ne vaudroit pas la peine.

ECLUSE ou SLUIS, (Géogr. mod.) ville du comté de Flandres, aux Pays-bas hollandois. Long. 20. 54. lat. 51. 18.

Il y a une autre ville du même nom dans la Flandre walonne.


ECLUSÉES. f. (Hydraul.) est le terme du tems que l'on employe à remplir d'eau le sas d'une écluse pour faire passer les bateaux ; on dit de cette maniere qu'on a fait tant d'éclusées dans l'espace d'un jour ; & que la manoeuvre qui se fait dans une écluse est si facile, qu'on y peut faire tant d'éclusées par jour. Voyez ECLUSE & CANAL. (K)

ECLUSEE, terme de Riviere, se dit d'un demi-train de bois propre à passer dans une écluse.


ECLUSIERS. m. (Hydraul.) est celui qui gouverne l'écluse, & qui a soin de la manoeuvrer quand il passe des bateaux qui montent ou qui descendent le canal de l'écluse. Ce métier demande un homme entendu, qui sache ménager son eau de maniere qu'il s'en dépense le moins qu'il peut à chaque éclusée, pour en avoir suffisamment pour fournir à tous les bâtimens qui se présentent dans le courant du jour. (K)


ECNEPHISS. m. (Physique) sorte d'ouragan. Voyez OURAGAN. Voyez aussi la description du cap de Bonne-Espérance par M. Kolbe, troisieme partie ; supposé pourtant que cette description ne soit pas aussi fautive que l'assûre M. l'abbé de la Caille. (O)


ECOBANou ECUBIERS, voyez ECUBIERS.


ECOBUERverbe act. (Agricult.) Lorsqu'un champ est resté plusieurs années en friche, on coupe, on brûle les bruieres, les genets & autres brossailles qui s'y trouvent ; on pele ensuite la surface de ce champ, à-peu-près comme on pele celle des prés dont on veut enlever le gason pour en orner des jardins, on y met seulement plus de peine. Peler ainsi la terre, c'est l'écobuer.


ECOCHELERv. act. (Oeconom. rustiq.) c'est ramasser le grain coupé ou fauché, avec des fourches & fauchets, & en faire des tas qu'on mettra ensuite en gerbes.


ECOFROou ECOFRAL, s. m. terme de Cordonnier, de Bourrelier, de Sellier, &c. c'est la table sur laquelle ils travaillent, posent leurs outils, & taillent leurs ouvrages.


ECOINÇONS. m. en Architecture ; c'est dans le pié-droit d'une porte ou d'une croisée, la pierre qui fait l'encoignure de l'embrasure, & qui est jointe avec le lanci, quand le pié-droit ne fait pas parpin. (P)


ECOLATRES. m. (Jurisp.) est un ecclésiastique pourvû d'une prébende dans une église cathédrale, à laquelle est attaché le droit d'institution & de jurisdiction sur ceux qui sont chargés d'instruire la jeunesse.

On l'appelle en quelques endroits maître d'école, en d'autres escolat, en d'autres scholastic, & en latin scholasticus ; en d'autres on l'appelle chancelier. Dans l'acte de dédicace de l'abbaye de la Sainte Trinité de Vendôme, qui est de l'an 1040, il est parlé du scholastique, qui y est nommé magister, scholaris, scholasticus ; ce qui fait connoître qu'anciennement l'écolatre étoit lui-même chargé du soin d'instruire gratuitement les jeunes clercs & les pauvres écoliers du diocèse ou du ressort de son église ; mais depuis, tous les écolatres se contentent de veiller sur les maîtres d'école.

Dans quelques églises il étoit chargé d'enseigner la Théologie, aussi-bien que les Humanités & la Philosophie : dans d'autres il y a un théologal chargé d'enseigner la Théologie seulement ; mais la dignité d'écolatre est ordinairement au-dessus de celle de théologal.

La direction des petites écoles lui appartient ordinairement, excepté dans quelques églises, où elle est attachée à la dignité de chantre, comme dans l'église de Paris.

L'intendance des écoles n'est pourtant point un droit qui appartienne exclusivement aux églises cathédrales dans toute l'étendue du diocèse ; quelques églises collégiales joüissent du même droit dans le lieu où elles sont établies. Le chantre de l'église de S. Quiriace de Provins fut maintenu dans un semblable droit par arrêt du 15 Février 1653, rapporté dans les mémoires du clergé.

L'écolatre ne peut pas non plus empêcher les curés d'établir dans leurs paroisses des écoles de charité, & d'en nommer les maîtres indépendamment de lui.

La fonction d'écolatre est une dignité dans plusieurs églises : en d'autres ce n'est qu'un office.

L'établissement de l'office ou dignité d'écolatre est aussi ancien que celui des écoles, qui se tenoient dans la maison même de l'évêque, & dans les abbayes, monasteres & autres principales églises. V. ECOLE.

On trouve dans les ij. jv. conciles de Tolede, dans celui de Mérida, de l'an 666, & dans plusieurs autres fort anciens, des preuves qu'il y avoit déjà des ecclésiastiques qui faisoient la fonction d'écolatres dans plusieurs églises.

Il est vrai que dans ces premiers tems ils n'étoient pas encore désignés par le terme de scholasticus ou écolatre ; mais ils étoient désignés sous d'autres noms.

Le synode d'Augsbourg, tenu en 1548, marque que la fonction du scholastique étoit d'instruire tous les jeunes clercs, ou de leur donner des précepteurs habiles & pieux, afin d'examiner ceux qui devoient être ordonnés.

Le concile de Tours, en 1583, charge les scholastiques & les chanceliers des églises cathédrales, d'instruire ceux qui doivent lire & chanter dans les offices divins, & de leur faire observer les points & les accens. Ce concile contient plusieurs réglemens par rapport aux qualités que devoient avoir ceux qui étoient préposés sur les écoles.

Le concile de Bourges, en 1584, tit. xxxiij. can. 6. voulut que les scholastiques ou écolatres fussent choisis d'entre les docteurs ou licentiés en Théologie ou en Droit canon. Le concile de Trente ordonne la même chose, & veut que ces places ne soient données qu'à des personnes capables de les remplir par elles-mêmes, à peine de nullité des provisions. Quoique ce concile ne soit pas suivi en France, quant à la discipline, on suit néanmoins cette disposition dans le choix des écolatres.

Barbosa & quelques autres canonistes ont écrit que la congrégation établie pour l'interprétation des decrets de ce concile, a décidé que l'on ne doit pas comprendre dans ce decret l'office ou dignité d'écolatre, dans les lieux où il n'y a point de seminaire, ni même ceux où il y en a, lorsqu'on y a établi d'autres professeurs que les écolatres pour y enseigner ; mais cela est contraire à la discipline observée dans toutes les églises cathédrales qui sont dans le ressort des parlemens où l'ordonnance de 1606 a été vérifiée, & où l'écolatre est une dignité.

Le concile de Mexique, tenu en 1585, les oblige d'enseigner par eux mêmes, ou par une personne à leur place, la Grammaire à tous les jeunes clercs, & à tous ceux du diocèse.

Celui de Malines, en 1607, titre xx. canon 4. les charge de visiter tous les six mois les écoles de leur dépendance, pour empêcher qu'on ne lise rien qui puisse corrompre les bonnes moeurs, ou qui ne soit approuvé par l'ordinaire.

L'écolatre doit accorder gratis les lettres de permission qu'il donne pour tenir école.

Dans les villes où l'on a établi des universités, on y a ordinairement conservé à l'écolatre une place honorable, avec un pouvoir plus ou moins étendu, selon la différence des lieux : par exemple, le scholastique de l'église d'Orléans, & le maître d'école de l'église d'Angers, sont tous deux chanceliers-nés de l'université.

On ne doit pas confondre la dignité ou office d'écolatre, avec les prébendes préceptoriales instituées par l'article 9 de l'ordonnance d'Orléans, confirmée par celle de Blois ; car outre que les écolatres sont plus anciens, la prébende préceptoriale peut être possédée par un laïc. Voyez PREBENDE PRECEPTORIALE. Voyez aussi les mémoires du clergé tome I. & tome X. & le traité des matieres bénéf. de Fuet. (A)


ECOLES. f. lieu public où l'on enseigne les Langues, les Humanités, les Sciences, les Arts, &c.

Ce mot vient du latin schola, qui selon Ducange signifie discipline & correction. Le même auteur ajoûte que ce mot étoit autrefois en usage pour signifier tout lieu où s'assembloient plusieurs personnes, soit pour étudier, soit pour converser, & même pour d'autres usages. Ainsi, selon lui, on nommoit scholae palatinae, les différens postes où les gardes de l'empereur étoient placés. On distinguoit aussi schola sentariorum, schola gentilium, comme nous distinguons aujourd'hui différentes cours ou salles des gardes chez les souverains ; ce nom passa même depuis jusqu'aux magistrats civils : c'est pourquoi l'on trouve dans le code schola chartulariorum, schola agentium. Et enfin aux ecclésiastiques : car on disoit schola cantorum, schola sacerdotum, &c.

On dit aujourd'hui dans le même sens, une école de Grammaire, une école d'Ecriture, une école de Philosophie, &c.

ECOLE se dit aussi d'une faculté, d'une université ; d'une secte entiere ; comme l'école de Théologie de Paris, l'école de Salerne, l'école de Platon, l'école de Tibériade, si fameuse pour les anciens Juifs, & de laquelle on tient que nous vient la masore. Voy. MASORE & MASSORETES.

Dans la primitive église, les écoles étoient dans les églises cathédrales, & sous les yeux de l'évêque. Depuis, elles passerent dans les monasteres ; il y en eut de fort célebres : telles que celles des abbayes de Fulde & de Corbie. Mais depuis l'établissement des universités, c'est-à-dire depuis le douzieme siecle, la réputation de ces anciennes écoles s'est obscurcie, & ceux qui les tenoient ont cessé d'enseigner. De cet ancien usage viennent les noms d'écolatre & de scholastique, qui se sont encore conservés dans quelques cathédrales. Dictionn. étym. Trév. & Chambers.

ECOLE (Théologie de l'), est ce qu'on appelle autrement la scholastique. Voyez SCHOLASTIQUE. Et l'on dit en ce sens, le langage de l'école, les termes de l'école, quand on employe certaines expressions scientifiques & consacrées par les Théologiens. (G)

ECOLE (Philosophie de l') ; on désigne par ces mots l'espece de philosophie, qu'on nomme autrement & plus communément scholastique, qui a substitué les mots aux choses, & les questions frivoles ou ridicules, aux grands objets de la véritable Philosophie ; qui explique par des termes barbares des choses inintelligibles ; qui a fait naître ou mis en honneur les universaux, les cathégories, les prédicamens, les degrés métaphysiques, les secondes intentions, l'horreur du vuide, &c. Cette philosophie est née de l'esprit & de l'ignorance. On peut rapporter son origine, ou du moins sa plus brillante époque, au douzieme siecle, dans le tems où l'université de Paris a commencé à prendre une forme éclatante & durable. Le peu de connoissances qui étoit alors répandu dans l'univers, le défaut de livres, d'observations, & le peu de facilité qu'on avoit à s'en procurer, tournerent tous les esprits du côté des questions oisives ; on raisonna sur les abstractions, au lieu de raisonner sur les êtres réels : on créa pour ce nouveau genre d'étude une langue nouvelle, & on se crut savant parce qu'on avoit appris cette langue. On ne peut trop regretter que la plûpart des auteurs scholastiques ayent fait un usage si misérable de la sagacité & de la subtilité extrême qu'on remarque dans leurs écrits ; tant d'esprit mieux employé, eût fait faire aux Sciences de grands progrès dans un autre tems ; & il semble que dans les grandes bibliotheques on pourroit écrire au-dessus des endroits où la collection des scholastiques est renfermée, ut quid perditio haec ?

C'est à Descartes que nous avons l'obligation principale d'avoir secoüé le joug de cette barbarie ; ce grand homme nous a détrompés de la philosophie de l'école (& peut-être même, sans le vouloir, de la sienne ; mais ce n'est pas dequoi il s'agit ici). L'université de Paris, grace à quelques professeurs vraiment éclairés, se délivre insensiblement de cette lepre ; cependant elle n'en est pas encore tout-à-fait guérie. Mais les universités d'Espagne & de Portugal, grace à l'inquisition qui les tyrannise, sont beaucoup moins avancées ; la Philosophie y est encore dans le même état où elle a été parmi nous depuis le douzieme jusqu'au dix-septieme siecles ; les professeurs jurent même de n'en jamais enseigner d'autre : cela s'appelle prendre toutes les précautions possibles contre la lumiere. Dans un des journaux des savans de l'année 1752, à l'article des nouvelles littéraires, on ne peut lire sans étonnement & sans affliction, le titre de ce livre nouvellement imprimé à Lisbonne (au milieu du dix-huitieme siecle) : Systema aristotelicum de formis substantialibus, &c. cum dissertatione de accidentibus absolutis. Ulyssipone 1750. On seroit tenté de croire que c'est une faute d'impression, & qu'il faut lire 1550. Voyez ARISTOTELISME, SCHOLASTIQUE, &c.

Nous seroit-il permis d'observer que la nomenclature inutile & fatigante, dont plusieurs sciences sont encore chargées, est peut-être un mauvais reste de l'ancien goût pour la philosophie de l'école ? Voy. BOTANIQUE, METHODE, &c. (O)

ECOLES DE DROIT, (Jurispr.) sont des lieux où l'on enseigne publiquement la Jurisprudence.

Il n'y avoit point encore d'école publique de cette espece, sous les premiers empereurs romains ; les jurisconsultes qu'ils avoient autorisés à répondre sur le droit, n'avoient d'autre fonction que de donner des consultations à ceux qui leur en demandoient, & de composer des commentaires sur les lois.

Ceux qui s'adonnoient à l'étude de la Jurisprudence, s'instruisoient par la lecture des lois & des ouvrages des jurisconsultes, & en conversant avec eux.

Quelques-uns de ces jurisconsultes, tels que Quintus-Mucius, & peu après Trébatius, Cascelius, & Offilius, tenoient chez eux des assemblées qui étoient en quelque sorte publiques par le concours de ceux qui y venoient pour apprendre sous eux la Jurisprudence.

Le jurisconsulte Offilius avoit formé un éleve nommé Atteius Capiton, & Trébatius avoit de même formé Antistitius Labeo ; ces deux éleves furent chacun auteurs d'une secte fameuse : savoir, Capiton de la secte des Sabiniens, ainsi appellée de Massurius Sabinus, premier disciple de Capito & premier chef de cette secte : Labeo fut auteur de la secte des Proculéiens, ainsi appellée de Proculus, un de ses sectateurs.

Ces assemblées des jurisconsultes avec leurs éleves & leurs sectateurs, formoient des especes d'écoles, mais qui n'étoient point publiques.

La loi 5, au ff. de extraord. cogn. parle néanmoins de professeurs en droit civil, qui sont appellés professores juris civilis ; mais ce n'étoient pas des professeurs publics : on les appelloit aussi juris studiosi, nom qui leur étoit commun avec leurs éleves & avec les assesseurs des juges.

L'école de Beryte ou Beroé, ville de Phénicie, paroît être la plus ancienne école publique de droit : c'est de-là qu'elle est nommée nutrix legum dans la constitution de Justinien, de ratione & methodo juris, §. 7. On ne sait pas précisément en quel tems elle fut fondée. Justinien en parle comme d'un établissement déjà ancien, qui avoit été fait par ses prédécesseurs ; & on la trouve déjà établie dans la loi premiere, au code qui oetate vel professione se excusant, laquelle est des empereurs Dioclétien & Maxime, qui regnoient en 285. Nicéphore Caliste, Sozomene, & Sidoine Apollinaire, en font aussi mention. Mais le premier qui en ait parlé, selon que le remarque M. Menage en ses amenités de droit, est Grégoire Thaumaturge, lequel vivoit sous Alexandre Severe, dont l'empire commença en 222. Cette école étoit une des plus florissantes, & distinguée des autres en ce qu'il y avoit alors quatre professeurs en droit : au lieu que dans les autres dont on va parler, il n'y en avoit que deux. Les incendies, les inondations, & les tremblemens de terre, qui ruinerent Béryte en divers tems, entr'autres le tremblement de terre qui arriva du tems de l'empereur Constant, n'empêcherent pas que l'école de droit ne s'y rétablît. Elle le fut de nouveau par Justinien, & étoit encore célebre dans le septieme siecle, & qualifiée de mere des lois, comme on voit dans Zacharie de Mytilene.

Les empereurs Théodose le jeune & Valentinien III. établirent une autre école de droit à Constantinople en 425. Cette école étoit remplie par deux professeurs, dont l'un nommé Léontius, fut honoré des premiers emplois.

Quelques-uns ont avancé, mais sans preuve, que les mêmes empereurs avoient aussi établi deux professeurs de droit à Rome ; il paroît seulement que l'école de Rome étoit déjà établie avant Justinien.

En effet, cet empereur voulant que l'étude du droit fût mieux reglée que par le passé, restraignit la faculté d'enseigner le droit aux trois écoles ou académies qui étoient déjà établies dans les trois principales villes de l'empire, qui étoient Rome, Constantinople, & Beryte. Théodore & Cratinus furent professeurs à Constantinople ; Dorothée & Anatolius, à Beryte ; ceux de Rome furent sans doute aussi choisis parmi les jurisconsultes, auxquels Justinien adresse sa constitution au sujet de l'étude du droit.

Pour animer le zele de ces professeurs & leur attirer plus de considération, Justinien les fit participer aux premieres charges de l'empire ; Théophile fut fait conseiller d'état, Cratinus thrésorier des libéralités du prince, Anatolius consul : tous furent affranchis des charges publiques, & on leur accorda les mêmes priviléges qu'aux professeurs des autres sciences.

Avant Justinien, l'étude du droit se bornoit à une legere explication de quelques ouvrages des jurisconsultes ; le cours du droit duroit néanmoins quatre années.

Dans la premiere, on expliquoit les principaux titres des institutes de Caïus & de quatre traités, de vetere re uxoriâ, de tutelis, de testamentis, & de legatis. A la fin de cette année, les étudians étoient appellés dupondii ; ce qui, selon quelques-uns, signifioit gens qui ne valoient encore que deux dragmes, c'est-à-dire gens qui étoient encore peu avancés ; d'autres pensent qu'on les appelloit ainsi, parce que dans cette année on leur apprenoit à faire la supputation des parties de l'as romain, pour l'intelligence du partage des successions, & à faire le dupondius, c'est-à-dire la duplication de l'as, que l'on divisoit quelquefois en vingt-quatre onces au lieu de douze ; ce que l'on appelloit dupondium facere.

La seconde année se passoit à voir deux traités, l'un de judiciis, l'autre de rebus.

La troisieme étoit employée à leur expliquer les titres de ces mêmes traités que l'on avoit omis de leur expliquer l'année précédente ; on y voyoit aussi les principaux endroits des huit premiers livres de Papinien.

La quatrieme & derniere année n'étoit plus proprement une année de leçons ; car les étudians travailloient seuls sur les réponses du jurisconsulte Paul, dont ils apprenoient par coeur & récitoient les titres les plus importans.

Il étoit assez ordinaire que les étudians au bout de ce cours de droit, séjournassent encore plusieurs années dans la même ville où étoit l'école, afin de s'instruire plus à fond de la Jurisprudence ; c'est pourquoi la loi 2, au code de incolis, décide qu'ils pouvoient séjourner dix ans dans ce lieu sans y acquérir de domicile.

Justinien régla que le cours de droit seroit de cinq années au lieu de quatre, & changea le plan des études.

Depuis ce tems, dans la premiere année on enseignoit aux étudians d'abord les institutes de Justinien : le reste de cette année, on leur expliquoit les quatre premiers livres du digeste ; à la fin de cette année, on les appelloit Justiniani novi, titre que l'empereur lui-même leur attribua pour les encourager.

Les leçons de la seconde année, rouloient sur les sept livres de judiciis, ou sur les huit livres de rebus, au choix des professeurs ; on y joignoit les livres du digeste qui traitent de la dot, des tuteles, & curatelles, des testamens, & des legs, & à la fin de cette année, les étudians prenoient le nom d'édictales, ce qui étoit déjà d'usage, & fut seulement confirmé par Justinien, lequel dit que ce nom ex edicto eis erat antea positum.

Dans la troisieme année, on repassoit d'abord ce que l'on avoit vû dans la précédente ; on expliquoit ensuite les vingt & vingt-un livres du digeste, dont le premier contient beaucoup de réponses de Papinien ; on voyoit aussi l'un des huit livres qui traitent de rebus ; & pour graver dans la mémoire des étudians le souvenir de Papinien, en l'honneur duquel ils célébroient un jour de réjoüissance, Justinien leur conserva le titre de Papinianistae, qu'ils portoient déjà auparavant.

On employoit la quatrieme année à expliquer les réponses du Jurisconsulte Paul, & les livres qui formoient les quatrieme & cinquieme parties du digeste, suivant la division que Justinien en avoit fait en sept parties. On faisoit faire aux étudians pendant cette année, des exercices à peu-près semblables aux examens & aux theses d'aujourd'hui, dans lesquels ils répondoient aux questions qui leur étoient proposées, d'où ils étoient appellés , ou suivant Turnebe, , c'est-à-dire solutores.

Enfin dans la cinquieme année, les professeurs expliquoient le code de Justinien ; & à la fin de cette année, les étudians étoient appellés , c'est-à-dire gens en état d'enseigner les autres : ce qui revient assez à nos licentiés.

Phocas étant parvenu à l'empire, fit composer en grec par Théophile, une paraphrase sur les institutes de Justinien ; il fit aussi traduire en grec le digeste & le code ; & depuis ce tems, les leçons publiques de droit furent faites en grec sur ces trois ouvrages.

L'empereur Basile & ses successeurs substituerent aux livres de Justinien la compilation du droit, qu'ils firent faire sous le titre de basiliques.

L'étude du droit romain fut abolie en Orient, depuis 1453 que Mahomet II. s'empara de Constantinople.

Pour ce qui est de l'Italie, quoique Justinien eût confirmé l'établissement d'une école de droit à Rome, & qu'il eût intention d'y faire enseigner & observer ses lois, les incursions que les barbares firent en ce pays peu de tems après sa mort, furent cause que les livres de Justinien se perdirent presque aussitôt qu'on avoit commencé à les connoître ; de sorte que l'on continua d'y enseigner le code théodosien, les institutes de Caïus, les fragmens d'Ulpien, les sentences de Paul.

Lorsque le digeste fut retrouvé à Amalphi, ville d'Italie, ce qui arriva vers le milieu du douzieme siecle, Papon professoit le droit à Boulogne ; Warner, appellé en latin Irnerius, fut mis à sa place & se mit à enseigner le digeste : ce professeur étoit Allemand de naissance. Il n'y avoit pourtant point encore d'école de droit en Allemagne ; Haloander jurisconsulte du même pays, fut le premier qui vers l'an 1500, mit en vogue l'étude des lois romaines dans sa patrie.

En France l'étude du droit romain eut à-peu-près le même sort qu'en Italie.

Il y eut une école de droit, établie à Paris peu de tems après celle de théologie. On peut la regarder comme une suite de celle de Boulogne. Elle existoit dès le tems de Philippe Auguste. Il en est fait mention dans Rigord, qui vivoit peu après sous Louis VIII.

Pierre Placentin jurisconsulte, natif de Montpellier, y établit une école de droit, où il enseignoit les lois de Justinien dès l'année 1166. Il alla ensuite à Boulogne, où il professa quatre ans avec succès ; puis revint à Montpellier.

Il y a apparence que l'on enseignoit aussi le droit romain dans plusieurs autres villes de France, puisque le concile de Tours défendit aux religieux d'étudier en droit civil, qu'on appelloit alors la loi mondaine.

Cette défense n'ayant point été suivie, Honorius III. la renouvella en 1225, par la fameuse decrétale super specula ; en conséquence de laquelle il fut long-tems défendu d'enseigner le droit civil dans l'université de Paris, & dans les autres villes & lieux voisins.

Depuis cette défense, on n'enseignoit plus à Paris que le droit canon. Philippe-le-Bel, en 1312, rétablit l'étude du droit civil à Orléans ; elle fut aussi établie dans la suite en plusieurs autres universités : mais elle ne fut rétablie dans celle de Paris, que par la déclaration du roi du mois d'Avril 1679.

L'étude du droit françois fut établie dans les écoles de Paris, par une déclaration de l'année suivante.

Quant aux divers lieux où l'on a tenu les écoles de droit ; cette école de droit étoit d'abord dans le parvis de Notre-Dame, sous la direction du chapitre de Notre-Dame & du chancelier de cette église.

Elle fut ensuite transférée au clos Bruneau, in vico closi Brunelli, qui est la rue S. Jean de Beauvais. On présume que ce changement arriva peu de tems après le regne de S. Louis, & peut-être même des 1270, attendu qu'il en étoit parlé dans des statuts que l'on croit faits en ladite année, qui sont rappellés dans ceux de 1370 : on l'appelloit alors l'école du clos Bruneau.

En 1380, le chapitre de Notre-Dame voulut rappeller l'école de droit dans le cloître ; ce qui fit la matiere d'un procès au parlement entre le chapitre & la faculté. Le pape Clement VII. donna une bulle qui permit au chapitre de faire faire des leçons de droit canonique, pourvû que ce fût par un chanoine reçu docteur dans les écoles de la faculté. Il y eut ensuite transaction conforme entre les parties, qui fut homologuée au parlement ; mais on ne voit point que le chapitre ait fait usage de la permission qui lui fut accordée.

Sauval, en ses antiquités de Paris, dit qu'en 1384 Gilbert & Philippe Ponce établirent une école de droit à la rue de S. Jean de Beauvais, dans le même lieu où le célebre Robert-Etienne tint son imprimerie au commencement du xvj. siecle ; c'étoit vis-à-vis du lieu où est présentement le bâtiment des anciennes écoles.

Il paroît que vers le commencement du xv. siecle les écoles de droit furent transportées dans le lieu où elles sont présentement. Voici ce qui y donna occasion. Il y avoit anciennement dans l'église de S. Hilaire une chapelle sous le vocable de S. Denis, fondée par un nommé Hemon Langadou, bedeau de la faculté de droit ; le lieu où sont présentement les anciennes écoles, appartenoit à cette chapelle. Le chapelain avoit fait construire en 1415 un bâtiment pour loger les écoles sous le titre d'écoles doctorales, grandes, premieres, & secondes écoles. Il avoit loüé ce bâtiment à la faculté de droit, moyennant une certaine redevance, à la charge par lui de faire toutes les réparations nécessaires à ce bâtiment, même aux bancs & pulpitres des écoles. Ces charges étoient si onéreuses, que dans la suite le chapelain ne voulant pas les acquiter, la faculté de droit obtint de l'évêque de Paris, du chapitre de la même église, & de l'archidiacre de Josas, l'extinction de la chapelle de S. Denis, & la réunion à la faculté pour rebâtir les écoles. L'union est du 26 Novembre 1461. Les écoles furent réparées en 1464 ; & par une inscription peinte en l'une des vitres, on voyoit que Miles d'Iliers docteur en droit, évêque de Chartres, qui mourut en 1493, l'avoit fait faire la vingt-huitieme année de sa régence.

Les leçons se font dans les écoles de droit par des professeurs, dont le nombre est plus ou moins considérable, selon les universités. A Paris il y a six professeurs. Voyez PROFESSEURS EN DROIT.

Ceux qui veulent prendre des degrés en droit, sont obligés de s'inscrire sur les registres de la faculté ; & pour y être admis, il faut être âgé du moins de seize ans accomplis. Voyez INSCRIPTION.

Le cours de droit qui n'étoit autrefois que de deux années, fut fixé à trois ans par une déclaration du mois d'Avril 1679 ; il avoit été depuis réduit à deux années. Mais par une derniere déclaration du 18 Janvier 1700, il a été remis à trois années.

Les étudians en droit doivent être assidus aux leçons, y assister en habit décent. Il leur est défendu par les statuts de porter l'épée, ni aucun habillement militaire.

Les regnicoles qui veulent être admis au degré de licence, sont obligés de rapporter des preuves de catholicité.

On soûtient aux écoles différens actes, pour parvenir à avoir des degrés ; savoir, des examens & des theses. Voyez BACHELIER, DOCTEUR EN DROIT, EXAMEN, LICENCIE, PROFESSEUR EN DROIT, THESE. Voyez l'histoire de l'université, par du Boulay, & les antiquités de Sauval. (A)

ECOLES DE THEOLOGIE, (Théol.) ce sont dans une université, les écoles où des professeurs particuliers enseignent la Théologie : on entend même par ce terme toutes les études de Théologie, depuis leur commencement jusqu'à leur terme, ou les théologiens-scholastiques qui enseignent tels ou tels sentimens. C'est en ce sens qu'on dit qu'on soûtient telle ou telle opinion dans les écoles. Voyez SCHOLASTIQUE & THEOLOGIE.

Les écoles de Théologie, dans la primitive Eglise, n'étoient autre chose que la maison de l'évêque, où l'évêque lui-même expliquoit l'Ecriture à ses prêtres & à ses clercs. Quelquefois les évêques se reposoient de ce soin sur des prêtres éclairés. On voit dès le ij. siecle Pantene, & S. Clement surnommé Alexandrin, chargés de cette fonction dans l'église d'Alexandrie. De-là sont venues dans nos églises cathédrales les dignités de théologal & d'écolatre. Voyez THEOLOGAL & ECOLATRE.

Depuis l'origine de l'Eglise jusqu'au xij. siecle, ces écoles ont toûjours subsisté dans les églises cathédrales ou dans les monasteres, mais les scholastiques qui parurent alors, formerent peu-à-peu les écoles de Théologie, telles que nous les voyons subsister. D'abord Pierre Lombard, puis Albert le Grand, S. Thomas, S. Bonaventure, Scot, &c. firent des leçons publiques ; & par la suite les papes & les rois fonderent des chaires particulieres, & attacherent des priviléges aux fonctions de professeur en Théologie.

Dans l'université de Paris, outre les écoles des réguliers qui sont du corps de la faculté de Théologie, on compte deux écoles célebres ; celle de Sorbonne, & celle de Navarre. L'une & l'autre n'avoient point autrefois de lecteurs ou professeurs en Théologie fixes & permanens : seulement ceux qui se préparoient à la licence, y lisoient ou commentoient l'Ecriture, les écrits de Pierre Lombard, qu'on nomme autrement le maître des sentences, ou les différentes parties de la somme de S. Thomas. La méthode de ce tems-là consistoit en questions métaphysiques, & l'on convient que ce n'étoit pas la meilleure route qu'on pût suivre pour étudier le dogme & la morale.

Ce n'a été qu'au renouvellement des Lettres sous François I. que les écoles de Théologie ont commencé à prendre à-peu-près la même forme qu'elles ont aujourd'hui ; ce n'est même que sous Henri III. que la premiere chaire de Théologie de Navarre a été fondée, & occupée par le fameux René Benoît, depuis curé de S. Eustache.

La méthode actuelle des écoles de Théologie dans la faculté de Paris, est que les professeurs enseignent à différentes heures, des traités qu'ils dictent & qu'ils expliquent à leurs auditeurs, & sur lesquels ils les interrogent ou les font argumenter. On sait que depuis cinquante ans sur-tout, ils se sont beaucoup plus attachés à la positive qu'à la pure scholastique. Voy. POSITIVE.

Ces traités roulent sur l'Ecriture, la Morale, la Controverse, & il y a des chaires affectées pour ces différens objets.

Dans quelques universités étrangeres, sur-tout en Flandres dans les facultés de Louvain & de Doüai, on suit encore l'ancienne méthode ; le professeur lit un livre de l'Ecriture, ou la somme de S. Thomas, ou le maître des Sentences, & fait de vive voix un commentaire sur ce texte. C'est ainsi que Jansenius, Titius & Sylvius ont enseigné la Théologie. Les commentaires du premier sur les évangiles, ceux du second sur les quatre livres du maître des sentences, sur les épîtres de S. Paul, & sur les endroits les plus difficiles de l'Ecriture, & ceux de Sylvius sur la somme de S. Thomas, ne sont autre chose que leurs explications recueillies qu'on a fait imprimer.

Les écoles de Théologie de la Minerve & du collége de la Sapience à Rome, celle de Salamanque & d'Alcala en Espagne, sont fameuses parmi les Catholiques. Les Protestans en ont aussi eu de célebres, telles que celles de Saumur & de Sedan. Celle de Genève, de Leyde, d'Oxford, & de Cambridge, conservent encore aujourd'hui une grande réputation.

ECOLE DE MEDECINE, voyez DOCTEUR EN MEDECINE & FACULTE.

ECOLE MILITAIRE. L'école royale militaire est un établissement nouveau, fondé par le Roi, en faveur des enfans de la noblesse françoise dont les peres ont consacré leurs jours & sacrifié leurs biens & leur vie à son service.

On ne doit pas regarder comme nouvelle, l'idée générale d'une institution purement militaire, où la jeunesse pût apprendre les élémens de la guerre. On a senti de tout tems qu'un art où les talens supérieurs sont si rares, avoit besoin d'une théorie aussi solide qu'étendue. On sait avec quels soins les Grecs & les Romains cultivoient l'esprit & le corps de ceux qu'ils destinoient à être les défenseurs de la patrie : on n'entrera point dans un détail que personne n'ignore ; mais on ne peut s'empêcher de faire une réflexion aussi simple que vraie. C'est sans doute à l'excellente éducation qu'ils donnoient à leurs enfans, que ces peuples ont dû des héros précoces qui commandoient les armées avec le plus grand succès, à un âge où les mieux intentionnés commencent à-présent à s'instruire : tels furent Scipion, Pompée, César, & mille autres qu'il seroit aisé de citer.

Les paralleles que nous pourrions faire dans ce genre, ne nous seroient peut-être pas avantageux ; & les exemples, en très-petit nombre, que nous serions en état de produire à notre avantage, ne devroient peut-être se considérer que comme un fruit de l'éducation réservée aux grands seuls, & par conséquent ne feroient point une exception à la regle.

On ne parlera pas non plus de ce qui s'est pratiqué long-tems dans la monarchie ; tout le monde, pour ainsi dire, y étoit guerrier : les troubles intérieurs, les guerres fréquentes avec les nations voisines, les querelles particulieres même, obligeoient la noblesse à cultiver un art dont elle étoit si souvent forcée de faire usage. D'ailleurs la constitution de l'état militaire étoit alors si différente de ce qu'elle est à-présent, qu'on ne peut admettre aucune comparaison. Tous les seigneurs de fiefs, grands ou petits, étoient obligés de marcher à la guerre avec leurs vassaux, & le même préjugé qui leur faisoit mépriser toute autre profession que celle des armes, les engageoit à s'instruire de ce qui pouvoit les y faire distinguer. On n'oseroit pourtant pas affirmer que la noblesse alors cherchât à approfondir beaucoup les mystères d'une théorie toûjours difficile ; mais c'est peut-être aussi à cette négligence, qu'on doit imputer le petit nombre de grands généraux que notre nation a produits dans les tems dont je parle.

Quoi qu'il en soit, l'état militaire étant devenu un état fixe, & l'art de la guerre s'étant fort perfectionné, principalement dans deux de ses plus importantes parties, le Génie & l'Artillerie, les opérations devenues plus compliquées, ont plus besoin d'être éclairées par une théorie solide, qui puisse servir de base à toute la pratique.

Depuis très-long-tems tous les gens éclairés ont peut-être senti la nécessité de cette théorie, quelques-uns même ont osé proposer des idées générales. Le célebre la Noue, dans ses discours politiques & militaires, fait sentir les avantages d'une éducation propre à former les guerriers : il fait plus ; il indique quelques moyens analogues aux moeurs de son tems, & à ce qui se pratiquoit alors dans le peu de troupes réglées que nous avions. Ces discours furent estimés ; mais l'approbation qu'on leur donna fut bornée à cette admiration stérile, qui depuis a été le sort de quantité d'excellentes vûes enfantées avec peine, souvent loüées, & rarement suivies.

Le cardinal Mazarin est le seul qu'on connoisse, après la Noue, qui ait tenté l'exécution d'une institution militaire. Lorsqu'il fonda le college qui porte son nom, il eut intention d'y établir une espece d'école militaire, si l'on peut appeller ainsi quelques exercices de corps qu'il vouloit y introduire, & qui semblent se rapporter plus directement à l'art de la guerre, quoiqu'ils soient communs à tous les états. Ses idées ne furent pas accueillies favorablement par l'université de Paris, & la mort du cardinal termina la dispute. Cet établissement est devenu un simple collége, & à cet égard on ne croit pas qu'il ait eu aucune distinction, si ce n'est que la premiere chaire de Mathématiques qui ait été fondée dans l'université, l'a été au collége Mazarin.

Une idée aussi frappante ne devoit pas échapper à M. de Louvois : aussi ce ministre eut-il l'intention d'établir à l'hôtel royal des Invalides, une école propre à former de jeunes militaires. On ignore les raisons qui s'opposerent à son dessein, mais il est sûr qu'il n'eut aucune exécution.

Il étoit difficile d'abandonner entierement un projet dont l'utilité étoit si démontrée. Vers la fin du dernier siecle on proposa l'établissement des cadets gentilshommes, comme un moyen certain de donner à la jeune noblesse une éducation digne d'elle, & qui devoit contribuer nécessairement aux progrès de l'art militaire. Les différentes compagnies qui furent établies alors, après diverses révolutions furent réunies en une seule à Metz, & en 1733 le Roi jugea à-propos de la supprimer. Cette institution pouvoit sans doute avoir de grands avantages ; mais on ne sauroit dissimuler aussi qu'elle avoit de grands inconvéniens. Il seroit superflu d'entrer dans ce détail, il suffit de dire que depuis ce tems l'école des cadets n'a point été rétablie.

En 1724, un citoyen connu par son zèle, par ses talens & par ses services, ne craignit pas de renouveller un projet déjà conçû plusieurs fois, & toûjours échoüé : il avoit des connoissances assez vastes pour trouver les moyens d'exécuter de grands desseins ; & l'on comptoit sans doute sur son genie, lorsqu'on adopta l'idée qu'il présenta d'un collége académique, dont le but étoit non-seulement d'instruire la jeunesse dans l'art de la guerre, mais aussi de cultiver tous les talens, & de mettre à profit toutes les dispositions qu'on trouveroit, dans quelque genre que ce pût être. La Théologie, la Jurisprudence, la Politique, les Sciences, les Arts, rien n'en étoit exclu. Toutes les mesures étoient prises pour l'exécution : la place indiquée pour le bâtiment, étoit dans la plaine de Billancourt ; les plans étoient arrêtés, la dotation étoit fixée, lorsque des circonstances particulieres firent évanoüir ce projet. Quelques soins qu'on se soit donné, il n'a pas été possible de recouvrer les mémoires qui avoient été faits à cette occasion ; l'on y auroit trouvé sans doute des recherches dont on auroit profité, & que l'on regrette encore tous les jours.

S'il est permis cependant de faire quelques réflexions sur un dessein aussi vaste, on ne peut s'empêcher d'avoüer que le succès en étoit bien incertain : on oseroit presqu'ajouter que le but en étoit assez inutile à bien des égards. En effet, n'y a-t-il pas assez d'écoles où l'on enseigne la Théologie & la Jurisprudence ? manque-t-on de secours pour s'instruire dans toutes les Sciences & dans tous les Arts ? S'il s'est glissé quelques abus dans ces institutions, il est plus aisé de les reformer que de faire un établissement nouveau, qui ne pourroit que difficilement suppléer à ce qui est fait. La partie militaire sembloit donc être la seule qui méritât l'attention du souverain ; & il y a bien de l'apparence que dans la suite on s'y seroit borné, si l'établissement du collége académique avoit eu quelque succès.

Après des conquêtes aussi glorieuses que rapides, le Roi venoit de rendre la paix à l'Europe ; occupé du bonheur de ses sujets, ses regards se portoient successivement sur tous les objets qui pouvoient y contribuer, & sembloient sur-tout chercher avidement des occasions de combler de bienfaits ceux qui s'étoient distingués pendant la guerre & sous ses yeux. Les dispositions du Roi n'étoient ignorées de personne. Déjà les militaires que le hasard de la naissance n'avoit pas favorisés, venoient de trouver dans la bonté de leur Souverain la récompense de leurs travaux ; la noblesse jusqu'alors refusée à leurs desirs, fut accordée à leur mérite : ils tinrent de leur valeur une distinction qui n'en est pas une à tous les yeux, quand on ne la doit qu'à la naissance.

Mais cette faveur étoit bornée, & ne s'étendoit que sur un certain nombre d'officiers. Ceux qui avoient prodigué leur sang & sacrifié leur vie, avoient laissé des successeurs, héritiers de leur courage & de leur pauvreté. Ces successeurs, victimes respectables & glorieuses de l'amour de la patrie, redemandoient un pere, qu'ils ne pouvoient pas manquer de trouver dans un Souverain plus grand encore par ses vertus que par sa puissance.

Animé d'un zèle toûjours constant, & qui fait son bonheur, un citoyen frere de celui dont nous avons parlé, occupé dans sa retraite de ce qui étoit capable de remplir les vûes de son Maître, crut pouvoir faire revivre en partie un projet, échoüé peut-être parce qu'il étoit trop vaste.

Le plan d'une école militaire lui parut aussi praticable qu'utile, il en conçut le dessein, mais il en prévit les difficultés. Il étoit plus aisé de le faire goûter que de le faire connoître, on n'approche du throne que comme on regarde le soleil.

Personne ne connoissoit mieux les dispositions & la volonté du Roi, que madame la marquise de Pompadour, l'idée ne pouvoit que gagner beaucoup à être présentée par elle : elle ne l'avoit pas seulement conçûe comme un effet de la bonté & de l'humanité du Roi, elle en avoit apperçû tous les avantages, elle en avoit senti toute l'étendue, elle en avoit approfondi toutes les conséquences. Touchée d'un projet qui s'accordoit si bien avec son coeur, elle se chargea du soin glorieux de présenter au Roi les moyens de soulager une noblesse indigente. Il ne lui fut pas difficile de montrer dans tout son jour une vérité dont elle étoit si pénétrée. Pour tout dire en un mot, c'est à ses soins généreux que l'école royale militaire doit son existence. Le projet fut agréé, le Roi donna ses ordres, fit connoître ses volontés par son édit de Janvier 1751, & c'est d'après cela qu'on travailla à un plan détaillé, dont nous allons tâcher de donner une esquisse.

S'il n'est pas aisé de former un système d'éducation privée, il est plus difficile encore de se former des regles certaines & invariables pour une institution qui doit être commune à plusieurs : on oseroit presque dire qu'il n'est pas possible d'y parvenir. En effet, nous avons un assez grand nombre d'ouvrages dans lesquels on trouve d'excellens préceptes, très-propres à diriger l'instruction d'un jeune homme en particulier ; nous en connoissons peu dont le but soit de former plusieurs personnes à-la-fois. Les hommes les plus éclairés sur cette matiere, se contentent tous d'une pratique confirmée par une longue expérience. La diversité des génies, des dispositions, des goûts, des destinations, est peut-être la cause principale d'un silence qui ne peut qu'exciter nos regrets. L'éducation, ce lien si précieux de la société, n'a point de lois écrites, elles sont déposées dans des mains qui savent en faire le meilleur usage, sans en laisser approfondir l'esprit. L'amour du bien public auroit sans doute délié tant de langues savantes, s'il eût été possible de déterminer des préceptes fixes, qui fussent en même tems propres à tous les états.

Il n'y a point de science qui n'ait des regles certaines ; tout ce qu'on a écrit pour les communiquer aux hommes, tend toûjours à la perfection, c'est le but de tous ceux qui cherchent à instruire : mais comme il n'est pas possible d'embrasser tous les objets, la prudence exige qu'on s'attache particulierement à ceux qui sont essentiels à la profession qu'on doit suivre. L'état des enfans n'étant pas toûjours prévû, il n'est pas facile de fixer jusqu'à quel point leurs lumieres doivent être étendues sur telle ou telle science. La volonté d'un pere absolu peut dans un instant déranger les études les mieux dirigées, & faire un évêque d'un géomêtre.

Cet inconvénient inévitable dans toutes les éducations, ne subsiste point dans l'école royale militaire ; il ne doit en sortir que des guerriers, & la Science des armes a trop d'objets pour ne pas répondre à la variété des goûts. Voilà le plus grand avantage que l'on ait eu en formant un plan d'éducation militaire. Seroit-il sage de desirer qu'il en fût ainsi de toutes les professions ? Si nos souhaits étoient contredits, nous ne croyons pas que ce fût par l'expérience. Mais avant que de donner l'esquisse d'un tableau qui ne doit être fini que par le tems & des épreuves multipliées, nous pensons qu'il est nécessaire de faire quelques observations.

Le seul but qu'on se propose, est de former des militaires & des citoyens ; les moyens qu'on met en usage pour y parvenir, ne produiront peut-être pas des savans, parce que ce n'est pas l'objet. On ne doit donc pas comparer ces moyens aux routes qu'auroient suivies des gens dont les lumieres très-respectables d'ailleurs, ne rempliroient pas les vûes qui nous sont prescrites.

On doit remarquer aussi que l'école royale militaire est encore au berceau ; qu'on se croit fort éloigné du point de perfection ; qu'on n'ose se flater d'y arriver qu'avec le secours du tems, de la patience, & sur-tout des avis de ceux qui voudront bien redresser des erreurs presque nécessaires dans un établissement nouveau : il intéresse toute la nation ; tout ce qui a l'esprit vraiment patriotique, lui doit ses lumieres ; ce seroit avec le plus grand empressement qu'on chercheroit à en profiter. C'est principalement dans cette attente que nous allons mettre sous les yeux le fruit de nos réflexions & de notre travail, toûjours prêts à préférer le meilleur au bon, & à corriger ce qu'il y auroit d'inutile ou de mauvais dans nos idées.

Dans toutes les éducations on doit se proposer deux objets, l'esprit & le corps. La culture de l'esprit consiste principalement dans un soin particulier de ne l'instruire que de choses utiles, en n'employant que les moyens les plus aisés, & proportionnés aux dispositions que l'on trouve.

Le corps ne mérite pas une attention moins grande ; & à cet égard il faut avoüer que nous sommes bien inférieurs, non-seulement aux Grecs & aux Romains, mais même à nos ancêtres, dont les corps mieux exercés, étoient plus propres à la guerre que les nôtres. Cette partie de notre éducation a été singulierement négligée, sur un principe faux en lui-même. On convient, il est vrai, que la force du corps est moins nécessaire, depuis qu'elle ne décide plus de l'avantage des combattans ; mais outre qu'un exercice continuel l'entretient dans une santé vigoureuse, desirable pour tous les états, il est constant que les militaires ont à essuyer des fatigues qu'ils ne peuvent surmonter qu'autant qu'ils sont robustes. On soûtient difficilement aujourd'hui le poids d'une cuirasse, qui n'auroit fait qu'une très-legere partie d'une armure ancienne.

Nous venons de dire que l'esprit ne devoit être nourri que de choses utiles. Nous n'entendons pas par-là que tout ce qui est utile, doive être enseigné ; tous les génies n'embrassent pas tous les objets, les connoissances nécessaires n'ont peut-être que trop d'étendue : ainsi dans le détail que nous allons faire, il sera facile de distinguer par la nature des choses, ce qui est essentiel de ce qui est avantageux, en un mot ce qui est bon de ce qui est grand.

Religion. La Religion étant sans contredit ce qu'il y a de plus important dans quelqu'éducation que ce soit, on imagine aisément qu'elle a attiré les premiers soins. M. l'archevêque de Paris est supérieur spirituel de l'école royale militaire ; lui même est venu voir cette portion précieuse de son troupeau. Il se chargea de diriger les instructions qui lui étoient nécessaires ; il en fixa l'ordre & la méthode ; il détermina les heures & la durée des prieres, des catéchismes, & généralement de tous les exercices spirituels, qui se pratiquent avec autant de décence que d'exactitude. Ce prélat a confié le soin de cette importante partie à des docteurs de Sorbonne dont il a fait choix : on ne pouvoit les chercher dans un corps ni plus éclairé, ni plus respectable.

Les exercices des jours ouvriers commencent par la priere & la messe ; ils sont terminés par une priere d'un quart-d'heure. Les instructions sont reservées pour les dimanches & fêtes, elles sont aussi simples que lumineuses ; l'on y interroge régulierement tous les éleves, sur ce qui fait la base de notre croyance. M. l'archevêque connoît parfaitement l'étendue & les bornes que doit avoir la science d'un militaire dans ce genre-là. Nous n'entrerons pas dans un plus grand détail à ce sujet ; ce que nous venons de dire est suffisant pour tranquilliser l'esprit de ceux qui ont crû trop legerement que cette partie pourroit être négligée ; un établissement militaire n'a pas à cet égard les mêmes dehors & le même extérieur que bien d'autres.

Après la religion, le sentiment qui succede le plus naturellement, a pour objet le Souverain. Il est si facile à un François d'aimer son Roi, que ce seroit l'insulter que de lui en faire un précepte. Outre ce penchant commun à toute la nation, les éleves de l'école royale militaire ont des motifs de reconnoissance, sur lesquels il ne faut que réfléchir un moment pour en être pénétré. Si on leur parle souvent de leur Maître & de ses bienfaits, c'est moins pour reveiller dans leur coeur un sentiment qu'on ne cesse jamais d'y appercevoir, que pour redoubler leur zele & leur émulation ; c'est principalement à ce soin qu'on doit les progrès qu'ils ont faits jusqu'ici : on n'y a encore remarqué aucun rallentissement.

Etudes. La Grammaire, les langues françoise, latine, allemande, & italienne, les Mathématiques, le Dessein, le Génie, l'Artillerie, la Géographie, l'Histoire, la Logique, un peu de Droit naturel, beaucoup de Morale, les ordonnances militaires, la théorie de la guerre, les évolutions ; la Danse, l'Escrime, le Manége & ses parties, sont les objets des études de l'école royale militaire. Disons un mot de chacun en particulier.

Grammaire. La Grammaire est nécessaire & commune à toutes les langues ; sans elle on n'en a jamais qu'une connoissance fort imparfaite. Ce que chaque langue a de particulier, peut être considéré comme des exceptions à la Grammaire générale par laquelle on commence ici les études. On juge aisément qu'elle ne peut s'enseigner qu'en françois. C'est d'après les meilleurs modeles qu'on a tâché de se restraindre au plus petit nombre de regles qu'il a été possible. Les premieres applications s'en font toûjours à la langue françoise, parce que les exemples sont plus frappans & plus immédiatement sensibles. Lorsqu'une fois les éleves sont assez fermes sur leurs principes, pour appliquer facilement l'exemple à la regle & la regle à l'exemple, on commence à leur faire voir ce qu'il y a de commun entre ces principes appliqués aux langues latine & allemande. On y parvient d'autant plus aisément, que toutes ces leçons se font de vive voix. On pourroit se contenter de citer l'expérience pour justifier cette méthode, fort commune par-tout ailleurs qu'en France ; un moment de réflexion en fera sentir les avantages. Ce moyen est beaucoup plus propre à fixer l'attention que des leçons dictées, qui font perdre un tems considérable & toûjours précieux. Nous nous assûrons par cette voie que nos regles ont été bien entendues ; parce que, comme il n'est pas naturel que des enfans puissent retenir exactement les mêmes mots qui leur ont été dits, lorsqu'on les interroge, ils sont obligés d'en substituer d'équivalens, ce qu'ils ne font qu'autant qu'ils ont une connoissance claire & distincte de l'objet dont il s'agit : si l'on remarque quelque incertitude dans leurs réponses, c'est une indication certaine qu'il faut répéter le principe, & l'expliquer d'une façon plus intelligible. Il faut convenir que cette méthode est moins faite pour la commodité des maîtres, que pour l'avantage des éleves. Il est aisé de conclure de ce que nous venons de dire, que le raisonnement a plus de part à cette forme d'instruction que la mémoire. Lorsqu'après des interrogations réitérées & retournées de plusieurs manieres, on s'est bien assuré que les principes sont clairement conçus, chaque éleve en particulier les rédige par écrit comme il les a entendus, le professeur y corrige ce qu'il pourroit y avoir de défectueux, & passe à une autre matiere qu'il traite dans le même goût.

Nous observerons deux choses principales sur cette méthode, la premiere, c'est qu'elle n'est peut-être praticable qu'avec peu d'éleves ou beaucoup de maîtres ; la seconde, est que l'esprit des enfans se trouvant par-là dans une contention assez forte, la durée des leçons doit y être proportionnée. Nous croyons qu'il y a de l'avantage à les rendre plus courtes, & à les réitérer plus souvent.

Aprés avoir ainsi jetté les premiers fondemens des connoissances grammaticales, après avoir fait sentir ce qu'il y a d'analogue & de différent dans les langues ; après avoir fixé les principes communs à toutes en général, & caractéristiques de chacune en particulier, l'usage à notre avis, est le meilleur moyen d'acquérir une habitude suffisante d'entendre & de s'exprimer avec facilité ; & c'est tout ce qui est nécessaire à un militaire.

Langues. On sent aisément la raison du choix qu'on a fait des langues latine, allemande, & italienne. La premiere est d'une utilité si généralement reconnue, qu'elle est regardée comme une partie essentielle de toutes les éducations. Les deux autres sont plus particulierement utiles aux militaires, parce que nos armes ne se portent jamais qu'en Allemagne ou en Italie.

La langue italienne n'a rien de difficile, particulierement pour quelqu'un qui sait le latin & le françois. Il n'en est pas de même de l'allemand, dont la prononciation sur-tout ne s'acquiert qu'avec peine ; mais on en vient à-bout à un âge où les organes se prêtent facilement : c'est dans la vûe de surmonter encore plus aisément ces obstacles, qu'on n'a donné aux éleves que des valets allemands ; ce moyen est assez communément pratiqué, & ne réussit pas mal. Nous n'entrerons pas dans un plus grand détail sur ce qui regarde l'étude des langues. Nous en pourrons faire un jour le sujet d'un ouvrage particulier, si le succès répond à nos idées & à nos esperances.

Mathématiques. Entre toutes les sciences nécessaires aux militaires, les Mathématiques tiennent sans doute le rang le plus considérable. Les avantages qu'on peut en retirer sont aussi grands que connus. Il seroit superflu d'en faire l'éloge dans un tems où la Géométrie semble tenir le sceptre de l'empire littéraire. Mais cette Géométrie transcendante & sublime, moins respectable peut-être par elle-même que par l'étendue du génie de ceux qui la cultivent, mérite plus notre admiration que nos soins. Il vaut mieux qu'un militaire sache bien faire construire une redoute, que calculer le cours d'une comete.

Si les découvertes géométriques faites dans notre siecle ont été très-utiles à la société, on ne peut pas dire que ce soit dans la partie militaire. Nous en excepterons pourtant ce que nous devons aux excellentes écoles d'Artillerie, qui semblent avoir décidé notre supériorité sur nos ennemis. Il n'en a pas, à beaucoup près, été de même du Génie ; nous avons encore des Valieres, & nous n'avons plus de Vaubans. Heureusement cette négligence a mérité l'attention du ministere. L'école de Génie établie depuis quelques années à Mezieres, nous rendra sans doute un lustre que nous avions laissé ternir, & dont nous devrions être si jaloux.

C'est par des considérations de cette espece, qu'on s'est déterminé à n'enseigner des Mathématiques dans l'école militaire, que ce qui a un rapport direct & immédiat à l'art de la guerre. L'Arithmétique, l'Algebre, la Géométrie élémentaire, la Trigonométrie, la Méchanique, l'Hydraulique, la Construction, l'Attaque & la Défense des places, l'Artillerie, &c. Mais on observe sur-tout de joindre toûjours la pratique à la théorie : on ne néglige aucuns détails : il n'y en a point qui ne soit important.

Quant à la méthode synthétique ou analytique, si l'une est plus lumineuse, l'autre est plus expéditive ; on a suivi les conseils des plus éclairés en ce genre ; & c'est en conséquence qu'on fait usage de toutes les deux. C'est aussi ce qui nous a engagé à donner les élémens du calcul algébrique immédiatement après l'Arithmétique. Les progrès que nous voyons à cet égard, ne nous permettent pas de douter de la justesse de la décision.

Au reste l'école royale militaire joüira du même avantage que les écoles d'Artillerie & de Génie, c'est-à-dire que toutes les opérations se feront en grand sur le terrein, dans un espace fort vaste, particulierement destiné à cet objet. Il est inutile de remarquer que des secours de cette espece ne peuvent se trouver que dans un établissement royal.

Nous craindrions d'être prolixes, si nous entrions dans un plus grand détail sur cette matiere ; nous pensons que ceci suffit pour en donner une idée assez exacte. Nous finirons cet article par quelques réflexions qui naissent de la nature du sujet, & qui peuvent néanmoins s'étendre à des objets différens.

On demande assez communément à quel âge on doit commencer à enseigner la Géométrie aux enfans. Quelques partisans enthousiastes de cette science se persuadent qu'on ne peut pas de trop bonne heure en donner les premiers élémens. Ils fondent principalement leur opinion sur ce que la Géométrie n'ayant pour base que la vérité, & l'évidence pour résultat, il s'ensuit naturellement que l'esprit s'accoûtume à la démonstration, & la démonstration est la fin que se propose le raisonnement. Ne parler qu'avec justesse, ne juger que par des rapports combinés avec autant d'exactitude que de précision, est sans doute un avantage qu'on ne peut acquérir trop tôt ; & rien n'est plus propre à le procurer, qu'une étude prématurée de la Géométrie.

Nous n'entreprendrons point de combattre un sentiment soûtenu par de très-habiles gens ; on nous permettra d'observer seulement qu'ils ont peut-être confondu la Géométrie avec la méthode géométrique. Cette derniere, il est vrai, nous paroît fort propre à former le jugement, en lui faisant parcourir successivement & avec ordre tous les degrés qui conduisent à la démonstration : l'expérience au contraire nous a quelquefois convaincus que des géomêtres, même très-profonds, s'égaroient assez aisément sur des sujets étrangers à la Géométrie.

Nous croyons moins fondés encore, ceux qui soûtenant un sentiment opposé, prétendent que l'étude de cette science doit être reservée à des esprits déjà formés. Cette opinion étoit plus commune, lorsque les géomêtres étoient moins savans & moins nombreux. Ils faisoient une espece de secret des principes de leurs connoissances en ce genre, & ne négligeoient rien pour se faire considérer comme des hommes extraordinaires, dont les talens étoient le fruit de la raison & du travail.

Plus habiles en même tems & plus communicatifs, les grands géomêtres de nos jours n'ont pas craint d'applanir des routes, qu'à peine ils avoient trouvé frayées ; leur complaisance a quelquefois été jusqu'à y semer des fleurs. On a vû disparoître des difficultés, qui n'étoient telles que pour le préjugé & l'ignorance. Les principes les plus lumineux y ont succédé, & presque tous les hommes peuvent aujourd'hui cultiver une science, qui passoit autrefois pour n'être propre qu'aux génies supérieurs.

Nous pensons qu'il ne seroit pas prudent de prononcer sur l'âge auquel on doit commencer l'étude de la Géométrie ; cela dépend principalement des dispositions que l'on trouve dans les éleves. Les esprits trop vifs n'ont pas d'assiette, ceux qui sont trop lents conçoivent avec peine, & se rebutent aisément. Le plus sage, à notre avis, est de les disposer à cette étude par celle de la Logique.

Logique. Si l'on veut bien ne pas oublier que ce sont des militaires seulement que nous avons à instruire ; on ne trouvera peut-être pas étrange que nous abandonnions quelquefois des routes connues, pour en préférer d'autres que nous croyons plus propres à notre objet.

Il n'est pas question de discuter ici le plus ou le moins d'utilité de la Logique qu'on enseigne communément dans les écoles. La méthode est apparemment très-bonne, puisqu'on ne la change pas, mais qu'on nous permette aussi de la croire parfaitement inutile dans l'école royale militaire. L'espece de logique dont nous pensons devoir faire usage, consiste moins dans des regles, souvent inintelligibles pour des enfans, que dans le soin de ne les laisser s'arrêter qu'à des idées claires, & dans l'attention à laquelle on peut les accoûtumer de ne jamais se précipiter soit en portant des jugemens, soit en tirant des conséquences.

Pour parvenir à donner à un enfant des idées claires, il faut l'exercer continuellement à définir & à diviser ; c'est par-là qu'il distinguera exactement chaque chose, & qu'il ne donnera jamais à l'une ce qui appartient à l'autre. Cela peut se faire aisément sans préceptes ; la seule habitude suffit. De-là il n'est pas difficile de le faire passer à la considération des idées & des jugemens qui regardent nos connoissances, comme les idées de vrai, de faux, d'incertain, d'affirmation, de négative, de conséquence, &c. Si l'on établit ensuite quelques vérités, de la certitude desquelles dépendent toutes les autres, on l'accoûtumera insensiblement à raisonner juste ; & c'est le seul but de la Logique.

Cette méthode nous paroît propre à tous les âges, & peut être employée sur tous les objets d'étude ; elle exige seulement beaucoup d'attention de la part des maîtres ; qui ne doivent jamais laisser dire aux enfans rien qu'ils n'entendent, & dont ils n'ayent l'idée la plus claire qu'il est possible. Nous ne pouvons nous étendre davantage sur un sujet qui demanderoit un traité particulier. Ceci nous paroît suffisant pour faire connoître nos vûes.

Géographie. La Géographie est utile à tout le monde ; mais la profession qu'on embrasse doit décider de la maniere plus ou moins étendue dont il faut l'étudier. En la considérant comme une introduction nécessaire à l'Histoire, il seroit difficile de lui assigner des bornes, autres que celles qu'on donneroit à l'Histoire même. On a tant écrit sur cette matiere, qu'on ne s'attend pas sans doute à quelque chose de nouveau de notre part. Nous nous contenterons d'observer que des militaires ne sauroient avoir une connoissance trop exacte des pays qui sont communément le théatre de la guerre. La Topographie la plus détaillée leur est nécessaire. Au reste la Géographie s'apprend aisément, & s'oublie de même. On employe utilement la méthode de rapporter aux différens lieux les traits d'histoire qui peuvent les rendre remarquables. On juge bien que les faits militaires sont toûjours préférés aux autres, à moins que ceux-ci ne soient d'une importance considérable. Par ce moyen on fixe davantage les idées ; & la mémoire, quoique plus chargée, en devient plus ferme.

Histoire. L'Histoire est en même tems une des plus agréables & des plus utiles connoissances que puisse acquérir un homme du monde. Nous ignorons par quelle bisarrerie singuliere on ne l'enseigne dans aucune de nos écoles. Les étrangers pensent sur cela bien différemment de nous ; ils n'ont aucune université, aucune academie, où l'on n'enseigne publiquement l'Histoire. Ils ont d'ailleurs peu de professeurs qui ne commencent leurs cours par des prolégomenes historiques de la science qu'ils professent ; & cela suffit pour guider ceux qui veulent approfondir davantage. S'il est dangereux d'entreprendre l'étude de l'Histoire sans guides, comme cela n'est pas douteux, il doit paroître étonnant qu'on néglige si fort d'en procurer à la jeunesse françoise. Sans nous arrêter à chercher la source du mal, tâchons d'y apporter le remede.

La vie d'un homme ne suffit pas pour étudier l'Histoire en détail ; on doit donc se borner à ce qui peut être relatif à l'état qu'on a embrassé. Un magistrat s'attachera à y découvrir l'esprit & l'origine des lois, dont il est le dispensateur : un ecclésiastique n'y cherchera que ce qui a rapport à la religion & à la discipline : un savant s'occupera de discussions chronologiques, dans lesquelles un militaire doit le laisser s'égarer ou s'instruire, & se contenter d'y trouver des exemples de vertu, de courage, de prudence, de grandeur d'ame, d'attachement au souverain, indépendamment des détails militaires dont il peut tirer de grands secours. Il remarquera dans l'histoire ancienne cette discipline admirable, cette subordination sans bornes, qui rendirent une poignée d'hommes les maîtres de la terre. L'histoire de son pays, si nécessaire & si communément ignorée, lui fera connoître l'état présent des affaires & leur origine, les droits du prince qu'il sert, & les intérêts des autres souverains ; ce qui seroit d'autant plus avantageux, qu'il est assez ordinaire aujourd'hui de voir choisir les négociateurs dans le corps militaire. Ces connoissances approcheroient plus de la perfection, si l'on donnoit au moins à ceux en qui on trouveroit plus de capacité, des principes un peu étendus du droit public.

Droit naturel. Mais si l'on ne va pas jusque-là, le droit de la guerre au moins ne doit pas être ignoré ; cette connoissance sera précédée d'une teinture un peu forte du droit naturel, dont l'étude très-négligée est beaucoup plus utile qu'on ne pense. On ne sera pas surpris que cette étude ait été abandonnée, si l'on considere combien peu elle flatte nos passions ; sa morale très-conforme à celle de la Religion, nous présente des devoirs à remplir ; les préceptes austeres de la loi naturelle sont propres à former l'honnête homme suivant le monde ; mais quoi qu'on en dise, c'est un miroir dans lequel on craint souvent de se regarder.

Morale. La Morale étant du ressort de la Religion, cette partie est plus particulierement confiée aux docteurs chargés des instructions spirituelles ; mais s'il leur est réservé d'en expliquer les principes, il est du devoir de tout le monde d'en donner des exemples ; rien ne fait un si grand effet pour les moeurs. Il est plus facile à des enfans de prendre pour modele les actions de ceux qu'ils croyent sages, que de se convaincre par des raisonnemens ; la Morale est encore une de ces sciences où l'exemple est préférable aux préceptes, mais malheureusement il est plus aisé de les donner que de les suivre.

Ordonnances militaires. C'est à toutes ces connoissances préliminaires, que doit succéder l'étude attentive & réfléchie de toutes les ordonnances militaires. Elles contiennent une théorie savante, à laquelle on aura soin de joindre la pratique autant qu'on le pourra. Par exemple, l'ordonnance pour le service des places sera non-seulement l'objet d'une instruction particuliere faite par les officiers, elle sera encore pratiquée dans l'hôtel comme dans une place de guerre. Le nombre des éleves dans l'établissement provisoire, ne permet, quant à présent, d'en exécuter qu'une partie.

Il en sera de même de chaque ordonnance en particulier. Il est inutile de s'étendre beaucoup sur l'importance de cet objet, tout le monde peut la sentir. Le détail en seroit aussi trop étendu pour que nous entreprenions d'y entrer, nous dirons seulement un mot de l'exercice & des évolutions.

Exercice, évolutions. Tous ceux qui connoissent l'état actuel du service militaire, conviennent de la nécessité d'avoir un grand nombre d'officiers suffisamment instruits dans l'art d'exercer les troupes. Il est constant qu'un usage continuel est un moyen efficace pour y parvenir. C'est d'après cette certitude fondée sur l'expérience, que les éleves de l'école royale militaire sont exercés tous les jours, soit au maniement des armes, soit aux differentes évolutions qu'ils doivent un jour faire exécuter eux-mêmes. Les jours de dimanche & fêtes sont pourtant plus particulierement consacrés à ces exercices. D'après les soins qu'on y prend, & l'habileté de ceux qu'on y employe, il n'y a pas lieu de douter que cette école ne devienne une pepiniere d'excellens officiers majors, dont on commence à sentir tout le prix, & dont on ne peut pas se dissimuler la rareté.

Tactique. Ce n'est qu'après ces principes nécessaires, qu'on peut passer à la grande théorie de l'art de la guerre. On conçoit aisément que les grandes opérations de Tactique ne sont praticables qu'à un certain point par un corps peu nombreux ; mais cela n'empêche pas qu'on ne puisse en enseigner la théorie, sauf à en borner les démonstrations aux choses possibles. Après tout, on ne prétend pas qu'en sortant de l'école royale militaire, un éleve soit un officier accompli ; on le prépare seulement à le devenir. Il est certain au moins qu'il aura des facilités que d'autres n'ont ni peuvent avoir.

La théorie de l'art de la guerre a été traitée par de grands hommes, qui ont bien voulu nous communiquer des lumieres, fruits de leurs méditations & de leur expérience. S'ils n'ont pas atteint la perfection en tout, s'ils ont négligé quelques parties, il nous semble qu'on doit tout attendre du zèle & de l'émulation qui paroissent aujourd'hui avoir pris la place de l'ignorance & de la frivolité. Cette maniere de se distinguer mérite les plus grands éloges, & doit nous faire concevoir les plus flateuses espérances : s'il nous est permis d'ajoûter quelque chose à nos souhaits, c'est qu'elle devienne encore plus commune.

Après avoir parcouru succinctement tous les objets qui ont un rapport direct à la culture de l'esprit, nous parlerons plus brievement encore des exercices propres à rendre les corps robustes, vigoureux & adroits.

Danse. La Danse a particulierement l'avantage de poser le corps dans l'état d'équilibre le plus propre à la souplesse & à la légereté. L'expérience nous a démontré que ceux qui s'y sont appliqués, exécutent avec beaucoup plus de facilité & de promtitude tous les mouvemens de l'exercice militaire.

Escrime. L'Escrime ne doit pas non plus être négligée ; outre qu'elle est quelquefois malheureusement nécessaire, il est certain que ses mouvemens vifs & impétueux augmentent la vigueur & l'agilité. C'est ce qui nous fait penser qu'on ne doit pas la borner à l'exercice de l'épée seule, mais qu'on fera bien de l'étendre au maniement des armes, même qui ne sont plus en usage, telles que le fléau, le bâton à deux bouts, l'épée à deux mains, &c. Il ne faut regarder comme inutile rien de ce qui peut entretenir le corps dans un exercice violent, qui pris avec la modération convenable, peut être considéré comme le pere de la santé.

Art de nager. Il est surprenant que les occasions & les dangers n'ayent pas fait de l'art de nager une partie essentielle de l'éducation. Il est au moins hors de doute que c'est une chose souvent utile, & quelquefois nécessaire aux militaires. On en sent trop les conséquences, pour négliger un avantage qu'il est si facile de se procurer.

Manége. Il nous reste à parler du Manége & de ses parties principales. Sans entrer dans un détail superflu, nous nous contenterons d'observer que si l'art de monter à cheval est utile à tout le monde, il est essentiel aux militaires, mais plus particulierement à ceux qui seroient destinés au service de la cavalerie.

Il est aisé de concevoir tout l'avantage qu'il y auroit à avoir beaucoup d'officiers assez instruits dans ce genre, pour former eux-mêmes leurs cavaliers. Ce soin n'est point du tout indigne d'un homme de guerre. Ce n'est que par une bisarrerie fort singuliere, que quelques personnes y ont attaché une idée opposée. Elle est trop ridicule pour mériter d'être refutée ; le sentiment des autres nations sur cet article est bien différent. On en viendra peut-être un jour à imiter ce qui se pratique chez plusieurs ; nous nous en trouverions sûrement mieux.

Nous ne parlerons point de l'utilité qu'il y a d'avoir beaucoup de bons connoisseurs en chevaux ; cela n'est ignoré de personne. Ce qu'il y a de certain, c'est que le Roi a fait choix de ce qu'on connoît de plus habile pour former des écuyers capables de remplir ses vûes, en les attachant à son école militaire. On peut juger par-là que cette partie de l'éducation sera traitée dans les grands principes, & qu'on est fondé à en concevoir les plus grandes espérances.

Après avoir indiqué l'objet & la méthode des études de l'école royale militaire, il ne nous reste plus qu'à donner un petit détail de ce qui compose l'hôtel ; & c'est ce que nous ferons en peu de mots.

Par une disposition particuliere de l'édit de création, le secrétaire d'état ayant le département de la guerre ; est sur-intendant né de l'établissement ; rien n'est plus naturel ni plus avantageux à tous égards. Le Roi n'a pas jugé à-propos qu'il y eût de gouverneur dans l'établissement provisoire qui subsiste ; Sa Majesté s'est réservé d'en nommer un quand il sera tems. C'est quant à-présent un lieutenant de roi, officier général, qui y commande ; les autres officiers sont un major, deux aides-major, & un sous-aide-major. Il y a outre cela un capitaine & un lieutenant à la tête de chaque compagnie d'éleves : on imagine bien que le choix en a été fait avec la plus grande attention. Ce sont tous des militaires, aussi distingués par leurs moeurs, que par leurs services. Les sergens, les caporaux, & les anspessades de chaque compagnie, sont choisis parmi les éleves mêmes, & cette distinction est toûjours le prix du mérite & de la sagesse.

Il y a tous les jours un certain nombre d'officiers de piquet. Leur fonction commence au lever des éleves ; & de ce moment jusqu'à ce qu'ils soient couchés, ils ne sortent plus de dessous leurs yeux. Ces officiers président à tous les exercices, & y maintiennent l'ordre, le silence, & la subordination. On doit convenir qu'il faut beaucoup de patience & de zèle pour soûtenir ce fardeau. On juge aisément de ce que doivent être les fonctions de l'état-major, sans que nous entrions à cet égard dans aucun détail.

Nous venons de dire que les éleves sont continuellement sous les yeux de quelqu'un : la nuit même n'en est pas exceptée. A l'heure du coucher, l'on pose des sentinelles d'invalides dans les salles où sont distribuées leurs chambres une à une ; & toute la nuit il se fait des rondes, comme dans les places de guerre. On peut juger par cette attention, du soin singulier que l'on a de prévenir tout ce qui pourroit donner occasion au moindre reproche. C'est dans la même vûe qu'un des premiers & des principaux articles des réglemens, porte une défense expresse aux éleves d'entrer jamais, sous quelque prétexte que ce soit, dans les chambres les uns des autres, ni même dans celles des officiers & des professeurs, sous peine de la prison la plus sévere.

On sent bien que nous ne pouvons pas entrer dans le détail de ces réglemens ; il y en a de particuliers pour les officiers, pour les éleves, pour les professeurs & maîtres, pour les commensaux de l'hôtel, pour les valets de toute espece. Chacun a ses regles prescrites ; elles ont été rédigées par le conseil de l'hôtel, dont nous parlerons après avoir dit un mot de ce qui compose le reste de l'établissement.

L'intendant est chargé de l'administration générale des biens de l'école royale militaire, sous les ordres du sur-intendant ; c'est lui qui dirige aussi la partie oeconomique : il a sous ses ordres un contrôleur-inspecteur général, & un sous-contrôleur, qui lui rendent compte ; ceux-ci sont chargés du détail, & ont sous eux un nombre suffisant d'employés. C'est aussi l'intendant qui expédie les ordonnances sur le thrésorier, pour toutes les dépenses de l'hôtel, de quelque nature qu'elles soient. Ce thrésorier ne rend compte qu'au conseil d'administration de l'hôtel.

Le Roi a jugé à-propos d'établir dans son école militaire un directeur général des études : ses fonctions se devinent aisément.

Il y a un professeur ou un maître, pour chaque science ou art dont nous avons parlé. Ils ont chacun un nombre suffisant d'adjoints, dont ils font eux-mêmes le choix. Cette regle étoit nécessaire pour établir la subordination & l'uniformité dans les instructions ; les uns & les autres dans la partie qui leur est confiée, ne reçoivent d'ordres que du directeur général des études.

Le conseil est composé du ministre de la guerre sur-intendant, du lieutenant de roi commandant, de l'intendant, & du directeur des études. Un secrétaire du conseil de l'hôtel y tient la plume.

Le Roi, par une ordonnance particuliere, a fixé trois sortes de conseils dans l'école royale militaire ; un conseil d'administration, un conseil d'oeconomie, & un conseil de police.

Dans le premier qui se tient tous les mois, & auquel préside toûjours le ministre, on traite de toutes les affaires qui concernent l'administration générale de l'établissement ; on y entend les comptes du thrésorier ; le ministre y confirme les délibérations qui ont été faites dans son absence par le conseil d'économie & de police, &c.

Le conseil d'économie est particulierement destiné à régler tout ce qui a rapport aux fournitures, aux dépenses courantes, &c. car il est bon d'observer, que quoique la partie économique soit dirigée par l'intendant de l'hôtel, il ne passe aucun marché, ni n'alloue aucune dépense qui ne soit visée & arrêtée au conseil d'économie, & ratifiée ensuite par le ministre au conseil d'administration.

Le conseil de police a principalement pour objet de réprimer & de punir les fautes des éleves. Les officiers n'ont d'autre autorité sur eux, que celle de les mettre aux arrêts ; cette précaution étoit nécessaire pour éviter ces petites prédilections, qui ne sont que trop communes dans les éducations ordinaires. L'officier rapporte la faute par écrit, & le conseil prononce la punition. Les hommes sont si sujets à se laisser prendre par l'extérieur, qu'on ne doit pas être surpris qu'il en impose aux enfans. D'ailleurs en fermant la porte au caprice & à l'humeur, cela leur donne une idée de justice qu'on ne peut leur rendre respectable de trop bonne-heure. Au reste on a retranché de l'école militaire toutes ces punitions, qui pour être consacrées par l'usage, n'en deshonorent pas moins l'humanité. Si des remontrances sensées & raisonnables ne suffisent pas, il est assez de moyens de punir séverement, sans en venir à ces extrémités qui abaissent l'ame, au lieu d'élever le courage. Nous avons fait usage, avec le plus grand succès, de la privation même de l'étude & des exercices : ce ne peut être l'effet que d'une grande émulation. Raisonnons toûjours avec les enfans, si nous voulons les rendre raisonnables.

C'est à-peu-près là le plan du plus bel établissement du monde. Il est digne de toute la grandeur du Monarque ; la postérité y reconnoîtra le fruit le plus précieux de sa bonté & de son humanité ; & la noblesse de son royaume, élevée par ses soins, perpétuée par ses bienfaits, lui consacrera des jours & des talens, qu'elle aura l'honneur & la gloire de tenir du plus grand & du meilleur des rois.

Cet article nous a été donné par M. PARIS DE MEYZIEU ; directeur général des études, & intendant de l'école royale militaire, en survivance de M. PARIS DU VERNEY, conseiller d'état.

ECOLE D'ARTILLERIE, (Art. milit.) ce sont des écoles établies par le roi, pour l'instruction des officiers & des soldats de Royal Artillerie. Voici un précis de ce qui concerne ces écoles.

Le Roi ayant voulu former un seul corps de différentes troupes qui dépendoient de l'artillerie, a partagé ce corps en cinq bataillons, comme on peut le voir au mot ARTILLERIE, qui furent placés à Metz, Strasbourg, Grenoble, Lafere, & Perpignan : ce dernier a depuis été envoyé à Besançon.

Sa Majesté a établi des écoles de théorie & de pratique dans chacune de ces villes.

L'école de théorie se tient trois jours de la semaine le matin, depuis huit heures jusqu'à onze. Messieurs les officiers, à commencer par les capitaines en second, lieutenans, sous-lieutenans, & cadets, sont obligés de s'y trouver, aussi-bien qu'un grand nombre d'officiers d'artillerie, qui sont entretenus dans chaque école, dans lesquelles on veut bien recevoir les jeunes gens de famille volontaires dans l'artillerie, ou Royal Artillerie, pour y profiter des instructions, & remplir les emplois vacans, quand on les en juge dignes.

L'on commande tous les jours de mathématiques un capitaine en premier, pour présider à l'école, afin d'y maintenir le bon ordre ; il y a aussi une sentinelle à la porte, pour empêcher que pendant la dictée l'on ne fasse du bruit dans le voisinage. Ces dictées sont remplies par des traités d'arithmétique, d'algebre, de géométrie, des sections coniques, de trigonométrie, de méchanique, d'hydraulique, de fortification, de mines, de l'attaque & de la défense des places, & de mémoires sur l'artillerie.

Comme, suivant l'ordonnance du Roi, il ne peut être mis à la tête des bataillons du régiment Royal Artillerie, soit pour lieutenant-colonel, major, ou capitaine, que des officiers élevés dans le corps, & que les officiers d'artillerie qui sont aux écoles ne se ressentent des graces du grand-maître de l'artillerie, qu'autant qu'ils s'attachent à s'instruire des choses qu'on enseigne, il se fait un examen tous les six mois par le professeur de mathématiques, en présence des commandans de l'artillerie & du bataillon, où les officiers sont interrogés les uns après les autres sur toutes les parties du cours de mathématiques, dont ils démontrent les propositions qui leur sont demandées ; & après qu'ils ont satisfait à l'examen, le professeur dicte publiquement l'apostille de celui qui a été examiné ; & comme l'inégalité des âges & des génies, & même de la bonne ou mauvaise volonté de la plûpart, peut faire beaucoup de différence dans un nombre de près de cent officiers qu'il y a dans chaque école, l'état de l'examen est divisé en trois classes. Dans la premiere sont ceux qui se distinguent le plus par leur application : dans la seconde, ceux qui font de leur mieux : & dans la troisieme, ceux dont on n'espere pas grand'chose. Cet état est ensuite envoyé à la cour, qui a par ces moyens une connoissance exacte des progrès de chacun.

Pour l'école de pratique qui se fait les trois autres jours, où l'on n'enseigne point de théorie ; elle consiste principalement à exercer les canonniers, les bombardiers, les mineurs, & les sappeurs, à tirer du canon, jetter des bombes, à apprendre les manoeuvres de l'artillerie, qui sont proprement des pratiques de méchanique ; à construire des ponts sur des rivieres, avec la même promtitude qu'on les fait à l'armée ; à conduire des galeries de mines & de contre-mines, des tranchées & des sappes. Comme tous ces exercices ont pour principal objet l'art d'attaquer & de défendre les places, l'on a élevé dans chaque école un front de fortification, accompagné des autres ouvrages détachés d'une grandeur suffisante pour être attaqués & défendus, comme dans une véritable action ; ce qui s'exécute par un siége que l'on fait tous les deux ans, qui dure deux ou trois mois de l'été.

C'est ainsi que joignant la théorie à la pratique dans les écoles, chacun travaille à se perfectionner dans le métier de la guerre. Voyez la préface du cours de mathématique de M. Belidor, le réglement entier ou le plan d'étude de ces écoles, dans le code militaire de M. Briquet, ou dans le premier volume des mémoires d'artillerie de Saint-Remi, troisieme édition. (Q)

ECOLE, (Archit.) c'est un bâtiment composé de grandes salles, où des professeurs donnent publiquement des leçons sur les Mathématiques, la Guerre, l'Artillerie, la Marine, la Peinture, l'Architecture, &c. Il differe de l'académie, en ce que celle-ci est un lieu où s'assemblent des hommes choisis pour leur savoir & leur expérience, pour concourir ensemble au progrès des Sciences & des Arts (voyez ACADEMIE) ; au lieu qu'une école est le lieu où s'enseignent ces mêmes sciences & ces mêmes arts, par des hommes reconnus capables chacun en son genre. C'est ainsi qu'en 1740, fut établie celle de M. Blondel, rue des Cordeliers, à-présent rue de la Harpe à Paris ; établissement qui fut approuvé le 6 Mai 1743, par l'académie royale d'Architecture, & autorisé par le ministere en 1750.

L'étude de l'Architecture étant l'objet principal de cette école, M. Blondel y enseigne tout ce qui regarde l'art de bâtir relativement à la théorie & à la pratique, & de plus, toutes les parties des arts & des sciences qui ont rapport à l'Architecture. Il fait choix des professeurs les plus habiles, pour montrer les mathématiques, la coupe des pierres, la perspective, le dessein, tant pour la figure, que pour le paysage & l'ornement ; de sorte que chaque éleve intelligent peut marcher à pas égal, de la connoissance des Sciences à celle des beaux Arts, de la partie du goût à celle des principes élémentaires, & de la spéculation à l'expérience.

Par ce moyen, ceux qui se destinent en entrant dans cette école à un genre particulier, se trouvent munis, lorsqu'ils en sortent, des connoissances générales des autres parties ; connoissances qui leur assûrent de plus grands succès dans la profession qu'ils ont choisie.

Quant à la méthode que l'on suit dans les leçons d'Architecture, l'on commence par développer les élémens de l'art ; puis on les fait appliquer à des compositions faciles, qui excitent à de plus grands efforts dans la théorie ; & lorsque les éleves sont en état de découvrir, par l'aspect de nos monumens, la source des beautés ou des licences qu'on y remarque, ils travaillent à des productions plus importantes, qu'on leur facilite en les aidant des meilleures leçons, de démonstrations convaincantes, & de manuscrits ; par-là on leur applanit les difficultés qu'entraîne la nécessité de concilier la construction, la distribution, & la décoration, & qui se rencontrent infailliblement, lorsqu'on veut marcher avec sûreté dans la carriere d'un art si vaste & si étendu. Après être entré dans la discussion des opinions des anciens & des modernes, chacun des éleves est envoyé pendant la belle saison dans les bâtimens que l'on construit dans les différens quartiers de cette capitale, pour qu'il acquerre les connoissances de pratique, la partie du détail, & l'oeconomie du bâtiment.

Pour approcher de plus en plus leurs études du point de perfection où l'on voudroit les porter ; au retour des atteliers, ils concourent tour-à-tour plusieurs ensemble, à qui remplira le mieux divers programmes qui leur sont donnés ; les uns pour l'architecture, les autres pour les mathématiques ; ceux-ci pour le dessein, ceux-là pour la coupe des pierres ; & on décerne un prix à ceux qui ont réussi avec le plus de succès dans chaque genre. Ce prix consiste en une médaille, qui leur est distribuée en présence de nombre d'amateurs, d'académiciens, & d'artistes du premier ordre, lesquels se font un plaisir de seconder l'émulation qu'on voit regner dans cette école, en décidant du mérite des ouvrages qui ont concouru, & en adjugeant eux-mêmes les prix qui sont distribués en leur présence, & d'après leur suffrage.

Un établissement si intéressant a paru encore insuffisant à son auteur. Pour le rendre plus utile, & les connoissances de l'Architecture plus universelles, il a fondé dans cette école douze places gratuites pour autant de jeunes citoyens qui, favorisés de la nature plus que de la fortune, annoncent d'heureuses dispositions, & des talens décidés pour former des sujets à l'état ; & il a ouvert plusieurs cours publics, qu'il donne régulierement ; & pour que ses leçons devinssent utiles à tous, il a envisagé cet art sous trois points de vûe, savoir les élémens, la théorie, & la pratique ; & en conséquence tous les jeudis & samedis de chaque semaine, depuis trois heures après midi jusqu'à cinq, il donne un cours élémentaire d'Architecture spéculative, composé de quarante leçons, destinées pour les personnes du premier ordre, qui ont nécessairement besoin de faire entrer les connoissances de cet art dans le plan de leur éducation. Après ces quarante leçons, ils sont conduits par l'auteur dans les édifices de réputation, pour apprendre à discerner l'excellent, le bon, le médiocre, & le défectueux. Ce cours est renouvellé successivement, & il est toûjours ouvert par un discours, qui a pour objet quelque dissertation importante sur l'Architecture, ou sur les Arts en général.

Tous les dimanches de l'année, après midi & à la même heure, il donne un cours de théorie sur l'Architecture, dans lequel il explique & démontre avec soin, & dicte avec une sorte d'étendue les principes fondamentaux de l'art à l'usage des jeunes architectes, peintres, sculpteurs, graveurs, décorateurs, & généralement de tous les entrepreneurs de bâtimens, qui étant fort occupés pendant toute la semaine dans leurs atteliers, se trouveroient privés de ces leçons utiles, s'ils ne pouvoient les prendre le jour de leur loisir.

Enfin tous les dimanches matin, il donne un cours de Géométrie pratique, de principes d'Architecture & de dessein, aux artisans, qui reçoivent tous les leçons dont ils ont besoin relativement à leur profession, soit pour la Maçonnerie, la Charpenterie, la Serrurerie, la Menuiserie, &c.

Ces différens exercices sont aussi ouverts en faveur de ceux qui ont besoin du dessein en particulier ; tels que les Horlogers, Ciseleurs, Fondeurs, Orfévres, &c. qui y trouvent les instructions convenables & nécessaires pour perfectionner leur goût & leurs talens. (P)

ECOLE, (Peint.) ce terme est ordinairement employé pour signifier la classe, ou la suite des Peintres qui se sont rendus célebres dans un pays, & en ont suivi le goût ; cependant on se sert aussi quelquefois du mot d'école, pour désigner les éleves d'un grand peintre, ou ceux qui ont travaillé dans sa maniere : c'est pourquoi on dit dans ce dernier sens, l'école de Raphael, des Carraches, de Rubens, &c. Mais en prenant le mot d'école dans sa signification la plus étendue, on compte huit écoles en Europe ; savoir, l'école romaine, l'école florentine, l'école lombarde, l'école vénitienne, l'école allemande, l'école flamande, l'école hollandoise, & l'école françoise.

Rassemblons sous chacune les principaux artistes qu'elles ont produit ; leur histoire tient à celle de l'art même, & n'en peut être détachée. Article de M(D.J.)

ECOLE ALLEMANDE, (Peint.) les ouvrages de cette école se caractérisent à une représentation fidele de la nature, telle qu'on la voit avec ses défauts, & non comme elle pourroit être dans sa pureté. Il semble de-là que les peintures de l'école allemande ne doivent pas différer de celles des Hollandois & des Flamands, à qui l'on reproche également de représenter la nature sans l'annoblir ; cependant il regne encore à cet égard une grande distance pour le mérite entre les ouvrages des uns & des autres. Les scenes champêtres, les fêtes de village, les bambochades, & autres petits sujets de ce genre, traités par les peintres allemands, n'ont point généralement cette touche, cette expression, cette élégance, cet esprit, ce caractere de vérité, cette naïveté pleine de charmes, enfin ce fini précieux, qu'on trouve dans les ouvrages des peintres des Pays-bas. Je parle ici en général, & non pas sans exception.

Durer, (Albert) doüé d'un génie vaste, qui embrassoit tous les arts, naquit à Nuremberg en 1470, & mourut dans la même ville en 1528. Albert Durer, tel que je viens de le dépeindre, jetta les fondemens de l'école allemande, & se rendit extrêmement célebre par ses premiers ouvrages. Les souverains rechercherent ses tableaux avec empressement, & le comblerent d'éloges, d'honneurs, & de biens. Les estampes de ce fameux maître devinrent même précieuses aux peintres italiens, qui en tirerent un grand avantage. Cet homme illustre a gravé de grands morceaux en bois & en cuivre. On a aussi gravé d'après lui. On sait qu'Albert Durer a écrit sur la Géométrie, la Perspective, les Fortifications, & les proportions du corps humain.

Holbein, (Jean) né à Bâle en 1498, mort à Londres en 1554. Ce peintre célebre que je mets dans la classe des peintres allemands, quoiqu'il soit né en Suisse, n'eût pour maître que son pere ; mais secondé d'un heureux génie, il parvint à s'élever au rang des grands artistes dans les premiers ouvrages qu'il produisit. Il travailloit également en miniature, à goüache, en détrempe, & à huile. Il s'est immortalisé par les ouvrages de sa main, qu'on voit à Bâle & à Londres. S'ils ne sont pas comparables pour la Poésie aux tableaux des éleves de Raphael, du moins leur sont-ils supérieurs pour le coloris.

Rothenamer, (Jean) naquit à Munich en 1564, développa ses talens dans son séjour en Italie, & s'est rendu célebre par plusieurs ouvrages, au nombre desquels on met son tableau du banquet des dieux, qu'il fit pour l'empereur Rodolphe II, le bal des nymphes qu'il peignit pour Ferdinand duc de Mantoue, & son tableau de tous les Saints, qu'on voit à Augsbourg. Sa maniere tient du goût flamand & du goût vénitien ; ses airs de têtes sont gracieux, son coloris est brillant, son travail est assez fini ; mais on lui reproche de manquer de correction dans le dessein.

Elshaimer, (Adam) né à Francfort en 1574, mort à Rome en 1620. Sa composition est ingénieuse, & son travail d'un grand fini ; il n'a presque traité que de petits sujets, & représentoit admirablement des effets de nuit, & des clairs de Lune ; sa touche est spirituelle & gracieuse ; il entendoit très-bien le clair obscur, & ses figures sont rendues avec beaucoup de goût & de vérité. Ses tableaux sont rares & précieux.

Bachuysen, (Ludolphe) né à Embden en 1631, mourut en 1709. Cet artiste rendit la nature avec une grande précision ; il a représenté des marines, & sur-tout des tempêtes, avec beaucoup d'intelligence.

Netscher, (Gaspard) né à Prague en 1636, mort à la Haye en 1684, s'est distingué par le portrait, par son art à traiter de petits sujets, & par un talent singulier, à peindre les étoffes & le linge. Sa coûtume étoit de répandre sur ses tableaux un vernis, avant que d'y mettre la derniere main ; il remanioit ensuite les couleurs, les lioit, & les fondoit ensemble.

Mignon, (Abraham) né à Francfort en 1640, mort en 1679 : c'est le Van-Huysum de l'école allemande. Ses ouvrages sont précieux par l'art avec lequel il représentoit les fleurs dans tout leur éclat, & les fruits avec toute leur fraîcheur ; par le choix qu'il en faisoit, par sa maniere ingénieuse de les groupper, par son intelligence du coloris qui paroît transparent & fondu sans sécheresse, enfin, par son talent à imiter la rosée & les gouttes d'eau que la nature répand sur les fleurs & les fruits. Ce charmant artiste a laissé deux filles, qui ont peint dans son goût. Les Hollandois font grand cas des ouvrages du pere, & les ont enlevés tant qu'ils ont pû.

Merian, (Marie Sibille) née à Francfort en 1647, morte à Amsterdam en 1717, est célebre par son goût pour l'histoire des insectes, par l'intelligence avec laquelle elle a su les dessiner & les peindre, par ses voyages dans les Indes à ce sujet, & enfin par ses ouvrages, imprimés avec figures qui en ont été la suite.

Kneller, (Godefroi) né à Lubeck en 1648, mort à Londres en 1717 ; il s'est rendu célebre en Angleterre, & s'est enrichi dans le portrait. Il a fait aussi quelques tableaux d'histoire, où regnent une touche ferme sans dureté, & un coloris onctueux. Le fond de ces tableaux est pour l'ordinaire orné de paysages ou d'architecture.

Klingstet, né à Riga en 1657, mort à Paris en 1734, a excellé dans la miniature. Ses ouvrages sont pour l'ordinaire à l'encre de la Chine. Il a donné dans des sujets extrêmement libres. Article de M(D.J.)

ECOLE FLAMANDE, (Peint.) On distingue les ouvrages de cette école & de celle de Hollande, à une parfaite intelligence du clair-obscur, à un travail fini sans sécheresse, à une union savante de couleurs bien assorties, & à un pinceau moëlleux. Pour ses défauts, ils lui sont communs avec ceux de l'école hollandoise. C'est grand dommage que les peintres de ces deux écoles, imitateurs trop serviles de la Nature, l'ayent rendue telle qu'elle étoit, & non comme elle pouvoit être ; mais ces reproches ne tombent point sur certains grands maîtres, & singulierement sur Rubens & Vandeyk.

Hubert & Jean Van-Eyck, peuvent être regardés comme les fondateurs de l'école flamande. Jean, qu'on appella depuis Jean de Bruges, du nom de cette ville où il s'étoit retiré, y trouva dans le xjv. siecle le secret admirable de la peinture à huile, qu'il communiqua à Antoine de Messine, & celui-ci le fit passer en Italie. Voyez PEINTURE A HUILE, ECOLE ROMAINE, ECOLE VENITIENNE.

Steenwyck, né en Flandres vers l'an 1550, mort en 1603, peignoit à merveille les perspectives intérieures des églises : ses effets de lumieres sont admirables, & ses tableaux très-finis : Péternefs fut son éleve.

Bril, (Paul) né à Anvers en 1554, mourut à Rome en 1626. Son goût le conduisit en Italie, pour y connoître les ouvrages des meilleurs maîtres. Ses paysages, dans lesquels il a excellé, sont sur-tout recommandables par les arbres, les sites & les lointains charmans ; par un pinceau moëlleux, une touche legere, une maniere vraie : Annibal Carrache se plaisoit quelquefois à y mettre des figures de sa main. Paul Bril peignit aussi dans sa vieillesse des paysages sur cuivre, qui sont précieux par leur fini & leur délicatesse. Ses desseins sont fort recherchés, on y remarque une touche spirituelle & gracieuse.

Pourbus le fils, (François) né à Anvers vers l'an 1560, mort à Paris en 1622, a parfaitement réussi dans le portrait, & a traité quelques sujets d'histoire avec succès. Il a mis de la noblesse & de la vérité dans ses expressions ; son coloris est bon, ses draperies bien jettées, & ses ordonnances assez bien entendues. On voit dans l'hôtel de ville de Paris deux tableaux de sa main, représentans, l'un le prevôt des marchands & les échevins à genoux aux piés de Louis XIII. encore enfant, l'autre la majorité de ce prince. Le portrait en grand d'Henri IV. qu'on voit au palais royal, est peint par ce maître.

Breugel, (Jean) surnommé Breugel de velours, parce qu'il s'habilloit de cette étoffe, est né en 1575, & mort en 1632. Il étoit fils de Pierre Breugel le vieux, & le surpassa de beaucoup. Ce charmant artiste a fait des paysages admirables, dans lesquels il y a souvent des fleurs, des fruits, des animaux & des voitures représentés avec une intelligence singuliere. Il a aussi peint en petit des sujets d'histoire. Sa touche est pleine d'esprit, ses figures sont correctes, & ses ouvrages d'un fini qui ne laisse rien à desirer. Ses desseins ne sont pas moins précieux que ses tableaux. Il se servoit du pinceau avec une adresse infinie, pour feuiller les arbres.

Breugel, (Pierre) son frere, surnommé le jeune, a suivi un autre goût ; les sujets ordinaires de ses tableaux sont des incendies, des feux, des siéges, des tours de diables & de magiciens. Ce genre de peinture, dans lequel il excelloit, l'a fait surnommer Breugel d'enfer.

Rubens (Pierre-Paul) originaire d'Anvers, d'une très-bonne famille, naquit à Cologne en 1577, & mourut à Anvers en 1640. C'est le restaurateur de l'école flamande, le Titien & le Raphaël des Pays-bas. On connoît sa vie privée ; elle est illustre, mais nous la laissons à part.

Un goût dominant ayant porté Rubens à la Peinture, il le perfectionna en Italie, & y prit une maniere qui lui fut propre. Son génie vaste le rendit capable d'exécuter tout ce qui peut entrer dans la riche composition d'un tableau, par la connoissance qu'il avoit des Belles Lettres, de l'Histoire & de la Fable. Il inventoit facilement, & son imagination lui fournissoit plusieurs ordonnances également belles. Ses attitudes sont variées, & ses airs de têtes sont d'une beauté singuliere. Il y a dans ses idées une abondance, & dans ses expressions une vivacité surprenante. Son pinceau est moëlleux, ses touches faciles & legeres ; ses carnations fraîches, & ses draperies jettées avec art.

Il a traité supérieurement l'Histoire ; il a ouvert le bon chemin du coloris, n'ayant point trop agité ses teintes en les mêlant, de peur que venant à se corrompre par la grande fonte de couleurs, elles ne perdissent trop leur éclat. D'ailleurs la plûpart de ses ouvrages étant grands, & devant par conséquent être vûs de loin, il a voulu y conserver le caractere des objets & la fraîcheur des carnations. Enfin on ne peut trop admirer son intelligence du clair-obscur, l'éclat, la force, l'harmonie & la vérité qui regnent dans ses compositions.

Si l'on considere la quantité étonnante de celles que cet homme célebre a exécutées, & dont on a divers catalogues, on ne sera pas surpris de trouver souvent des incorrections dans ses figures ; mais quoique la nature entraînât plus Rubens que l'antique, il ne faut pas croire qu'il ait été peu savant dans la partie du dessein ; il a prouvé le contraire par divers morceaux dessinés d'un goût & d'une correction que les bons peintres de l'école romaine ne desavoueroient pas.

Ses ouvrages sont répandus par-tout, & la ville d'Anvers a mérité la curiosité des étrangers par les seuls tableaux de ce rare génie. On vante en particulier singulierement celui qu'elle possede du crucifiement de Notre Seigneur entre les deux larrons.

Dans ce chef-d'oeuvre de l'art, le mauvais larron qui a eu sa jambe meurtrie par un coup de barre de fer dont le bourreau l'a frappé, se soûleve sur son gibet ; & par cet effort qu'a produit la douleur, il a forcé la tête du clou qui tenoit le pié attaché au poteau funeste : la tête du clou est même chargée des dépouilles hideuses qu'elle a emportées en déchirant les chairs du pié à-travers lequel elle a passé. Rubens qui savoit si-bien en imposer à l'oeil par la magie de son clair-obscur, fait paroître le corps du larron sortant du coin du tableau dans cet effort, & ce corps est encore la chair la plus vraie qu'ait peint ce grand coloriste. On voit de profil la tête du supplicié, & sa bouche, dont cette situation fait encore mieux remarquer l'ouverture énorme ; ses yeux dont la prunelle est renversée, & dont on n'apperçoit que le blanc sillonné de veines rougeâtres & tendues ; enfin l'action violente de tous les muscles de son visage, font presque oüir les cris horribles qu'il jette. Réflex. sur la Peint. tome I.

Mais les peintures de la galerie du Luxembourg, qui ont paru gravées au commencement de ce siecle, & qui contiennent vingt-un grands tableaux & trois portraits en pié, ont porté la gloire de Rubens par tout le monde ; c'est aussi dans cet ouvrage qu'il a le plus développé son caractere & son génie. Personne n'ignore que ce riche & superbe portique, semblable à celui de Versailles, est rempli de beautés de dessein, de coloris, & d'élégance dans la composition. On ne reproche à l'auteur trop ingénieux, que le grand nombre de ses figures allégoriques, qui ne peuvent nous parler & nous intéresser ; on ne les devine point sans avoir à la main leur explication donnée par Félibien & par M. Moreau de Mautour. Or il est certain que le but de la peinture n'est pas d'exercer notre imagination par des énigmes ; son but est de nous toucher & de nous émouvoir. Mon sentiment là-dessus, conforme à celui de l'abbé du Bos, est si vrai, que ce que l'on goûte généralement dans les galeries du Luxembourg & de Versailles, est uniquement l'expression des passions. " Telle est l'expression qui arrête les yeux de tous les spectateurs sur le visage de Marie de Medicis qui vient d'accoucher ; on y apperçoit distinctement la joie d'avoir mis au monde un dauphin, à-travers les marques sensibles de la douleur à laquelle Eve fut condamnée ".

Au reste M. de Piles, admirateur de Rubens, a donné sa vie, consultez-la.

Fouquieres (Jacques) né à Anvers vers l'an 1580, mort à Paris en 1621, excellent paysagiste, s'il n'eût pas trop bouché ses paysages, & s'il y eût mis moins de vert. Il étudia quelque tems sous Breugel de velours ; ses peintures ne sont pas si finies, mais elles ne sont pas moins vraies ni moins bien coloriées que celles de son maître.

Krayer, (Gaspard) né à Anvers en 1585, mort à Gand en 1669. Ce maître a peint avec succès des sujets d'Histoire ; on trouve dans ses ouvrages une belle imitation de la Nature, une expression frappante, un coloris séduisant. Krayer a fait un grand nombre de tableaux de chevalet, & de tableaux d'autels ; les villes d'Ostende, de Gand, de Dendermonde, & en particulier de Bruxelles, sont enrichies de ses compositions. Son chef-d'oeuvre est un tableau de plus de vingt piés de haut, qu'on voit dans la galerie de Dusseldorp, dont il fait un des beaux ornemens : l'électeur Palatin l'acheta 60000 livres des moines qui le possédoient. Ce tableau représente la Vierge soûtenue par des Anges, extrêmement bien grouppés. S. André appuyé sur sa croix, admire avec d'autres Saints la gloire de la Mere de Notre Seigneur, &c. Il regne dans cet ouvrage un coloris suave, une grande intelligence du clair-obscur, une belle disposition de figures & d'attitudes.

Snyders, (François) né à Anvers en 1587, mort dans la même ville en 1657, n'a guere été surpassé par personne dans l'art de représenter des animaux. Ses chasses, ses paysages, & les tableaux où il a peint des cuisines, sont aussi fort estimés. Sa touche est legere, ses compositions variées, & son intelligence des couleurs donne encore du prix à ses ouvrages. Cet artiste a gravé un livre d'animaux.

Jordaans, (Jacques) né à Anvers en 1594, mort dans la même ville en 1678, est un des plus grands peintres de l'école flamande ; son pinceau peut être comparé à celui de Rubens même. Les douze tableaux de la Passion de Notre Seigneur, qu'il fit pour Charles Gustave roi de Suede, sont très-estimés. Le tableau de quarante piés de haut, qu'il peignit à la gloire du prince Frédéric Henri de Nassau, est un ouvrage magnifique. Ce maître a aussi excellé dans des sujets plaisans : on connoît son morceau du roi-boit. Enfin il embrassoit par ses talens tous les genres de Peinture.

Vandeyk, (Antoine) né à Anvers en 1599, mort à Londres en 1641, comblé de faveurs & de bienfaits par Charles I. Vandeyk est le second peintre de l'école flamande, & le roi du portrait. On reconnoît dans toutes ses compositions les principes par lesquels Rubens se conduisoit. Il a fait aussi des tableaux d'Histoire extrêmement estimés. Voyez, par exemple, sur son tableau de Belisaire, les réflexions de M. l'abbé du Bos.

Braur ou Brower, né à Oudenarde en 1608, mort à Anvers en 1640. Il a travaillé dans le goût de Téniers avec un art infini. Les sujets ordinaires de ses ouvrages, sont des scenes plaisantes de paysans. Il a représenté des querelles de cabaret, des filous joüant aux cartes, des fumeurs, des yvrognes, des noces de village, &c. Etant en prison à Anvers, il peignit avec tant de feu & de vérité des soldats espagnols occupés à joüer, que Rubens ayant vû ce tableau, en fut frappé, en offrit aussi-tôt 600. flor. & employa son crédit pour obtenir la liberté de Braur. Les tableaux de cet artiste sont rares ; il donnoit beaucoup d'expression à ses figures, & rendoit la nature avec une vérité frappante. Il avoit une grande intelligence des couleurs ; sa touche est d'une legereté & d'une finesse peu communes : enfin il étoit né peintre.

Téniers le jeune, (David) naquit à Anvers en 1610, & mourut dans la même ville en 1694. C'est un artiste unique en son genre ; ses paysages, ses fêtes de villages, ses corps-de-garde, tous ses petits tableaux, & ceux qu'on nomme des après-soupers, parce qu'il les commençoit & les finissoit le soir même, font les ornemens des cabinets des curieux.

Louis XIV. n'aimoit point le genre de peinture de Téniers ; il appelloit les tableaux de cet artiste, des magots : aussi il n'y a dans la collection du Roi qu'un tableau de ce peintre, représentant les oeuvres de miséricorde ; mais M. le duc d'Orléans en possede plusieurs. On a beaucoup gravé d'après les ouvrages de Téniers : il a lui-même gravé divers morceaux. Ses desseins sont fort recherchés, pour l'esprit & la legereté qui y brillent. Enfin aucun peintre n'a mieux réussi que lui dans les petits sujets ; son pinceau étoit excellent ; il entendoit très-bien le clair-obscur, & il a surpassé tous ses rivaux dans la couleur locale : mais Téniers, lorsqu'il a voulu peindre l'Histoire, est demeuré au-dessous du médiocre. Il réüssissoit aussi mal dans les compositions sérieuses, qu'il réüssissoit bien dans les compositions grotesques ; ainsi un corps-de-garde de ce peintre nous attache bien plus qu'un tableau d'Histoire de sa main.

Van-der-Meer, (Jean) né à Lille en 1627, avoit, ainsi que son frere, dit le jeune (de Joughe), un talent supérieur pour peindre des vûes de mer, des paysages & des animaux. Le jeune Van-der-Meer excelloit en particulier à peindre des moutons, dont il a représenté la laine avec un art séduisant. Tout est fondu & d'un accord parfait dans ses petits tableaux.

Van-der-Meulen, (Antoine-François) né à Bruxelles en 1634, mourut à Paris en 1690. Il avoit un talent singulier pour peindre les chevaux ; sa touche est pleine d'esprit, & approche de celle de Téniers. Ce maître est non-seulement connu par ces charmans paysages, mais encore par de grands tableaux qui font l'ornement de Marly & des autres maisons royales. Ses tableaux particuliers sont des chasses, des siéges, des combats, des marches ou des campemens d'armées.

Vleughels, (Le chevalier) né en Flandres vers le milieu du dernier siecle ; cultiva la Peinture dès sa tendre jeunesse, vint en France, & se rendit ensuite en Italie, où ses talens, son esprit & son savoir le firent nommer par le roi, directeur de l'académie de S. Luc établie à Rome. Il n'a guere peint que de petits tableaux de chevalet ; mais ses compositions sont ingénieuses, & il s'est particulierement attaché à la maniere de Paul Veronese. Article de M(D.J.)

ECOLE FLORENTINE, (Peint.) Les peintres de cette école, qui mettent à leur tête Michel-Ange & Léonard de Vinci, se sont rendus recommandables par un style élevé, par une imagination vive & féconde, par un pinceau en même tems hardi, correct & gracieux. Ceux qui sont sensibles au coloris, reprochent également aux peintres de Florence, comme à ceux de Rome, d'avoir ordinairement négligé cette partie, qui rend le peintre le plus parfait imitateur de la nature. Voyez ECOLE ROMAINE.

Les beaux-Arts éteints dans l'Italie par l'invasion des Barbares, franchirent en peu de tems un long espace, & sauterent de leur levant à leur midi. Le sénat de Florence fit venir des peintres de la Grece, pour rétablir la Peinture oubliée, & Cimabué fut leur premier disciple dans le xiij. siecle ; ainsi l'on vit paroître en Toscane, dans la patrie de Léon X. la premiere lueur de ce bel Art, qui avoit été couvert d'épaisses ténebres pendant près de mille ans ; mais il jetta bientôt la plus éclatante lumiere.

Cimabué, né à Florence en 1213, & mort en 1294, eut donc la gloire d'être le restaurateur de la Peinture en Italie. Il a peint à fresque & à détrempe, car on sait que la peinture à l'huile n'étoit pas trouvée. On voyoit encore à Florence dans le dernier siecle, des restes de la peinture à fresque de Cimabué.

Léonard de Vinci, né de parens nobles dans le château de Vinci près de Florence en 1455, mourut à Fontainebleau entre les bras de François I. en 1520. Cet homme célebre étoit un de ces heureux génies qui découvrent de bonne heure les plus grands talens pour leur profession. Il a la gloire d'être le premier, depuis la renaissance des Arts, qui ait immortalisé son nom dans la Peinture. Il poussa la pratique presqu'aussi loin que la théorie, & se montra tout ensemble grand dessinateur, peintre judicieux, expressif, naturel, plein de vérité, de graces & de noblesse. Au bout de quelques années d'étude il peignit un Ange si parfaitement dans un tableau de Verrochio son maître, que celui-ci confondu de la beauté de cette figure, qui effaçoit toutes les siennes, ne voulut plus manier le pinceau.

La Cêne de Notre Seigneur, que Léonard de Vinci représenta dans le réfectoire des Dominicains de Milan, étoit un ouvrage si magnifique par l'expression, que Rubens qui l'avoit vû avant qu'il fût détruit, reconnoît qu'il est difficile de parler assez dignement de l'auteur, & encore plus de l'imiter : l'estampe que Soëtmans en a gravée, ne rend point les beautés de l'original ; mais on en voit à Paris, à S. Germain l'Auxerrois, une excellente copie, qu'on doit vraisemblablement à François I.

Les tableaux de ce maître se trouvent dispersés dans toute l'Europe, & la plûpart sont des morceaux très-gracieux pour le faire. Il n'est personne qui ne connoisse de nom sa fameuse Gioconde, qui est peut-être le portrait le plus achevé qu'il y ait au monde ; le Roi en est le possesseur.

Les desseins de Léonard de Vinci, à la mine de plomb, à la sanguine, à la pierre noire, & sur-tout a la plume, sont recherchés par les curieux.

Enfin son esprit étoit orné d'un grand nombre de connoissances sur son art, mais on ne peut le loüer du côté du coloris ; il n'a pas connu cette partie de la Peinture, parce que le Giorgion & le Titien n'avoient pas encore produit leurs ouvrages. Les carnations de Léonard sont d'un rouge de lie, & trop de fini dans ses tableaux y répand la sécheresse.

Michel-Ange Buonarotta, de la maison des comtes de Canosses, aussi grand peintre que sculpteur, & aussi grand sculpteur qu'architecte, naquit près d'Arezzo en Toscane l'an 1474, & mourut l'an 1564. Il fera toûjours l'admiration de l'univers, tant que la Peinture, la Sculpture & l'Architecture subsisteront avec honneur.

Ses progrès rapides qui devancerent ses années, lui firent la plus haute réputation ; il se donna des soins incroyables pour l'acquérir, & ne s'occupa toute sa vie qu'à l'étendre. A toutes les sollicitations dont ses parens l'accablerent pour l'engager à se marier, il répondit toûjours qu'il ne vouloit avoir d'autres enfans que ses ouvrages.

Celui qui a fait le plus de bruit dans le monde, est son Jugement universel ; tableau unique en son genre, plein de feu, de génie, d'enthousiasme, de beautés, & de licences très-condamnables. Je n'ai garde de les excuser. Mais à ne considérer que la Peinture en elle-même, il faut convenir que c'est un morceau surprenant, par le grand goût de dessein qui y domine, par la sublimité des pensées, & par des attitudes extraordinaires qui forment un spectacle singulier, frappant & terrible.

Michel-Ange mourut à Rome, rassasié de gloire & d'années. Le duc Côme de Médicis, après l'avoir fait déterrer en secret, fit transporter son corps à Florence, où l'on voit son tombeau en marbre, qui consiste en trois figures d'une grande beauté, la Peinture, la Sculpture, & l'Architecture, toutes trois de la même main, de celle de Michel-Ange. Nous avons aussi trois vies particulieres de ce grand homme, & c'est ce qui m'oblige d'abréger son article.

André del Sarto, né à Florence en 1488, mourut de la peste dans la même ville en 1530. Son pere étoit un Tailleur d'habits, d'où lui est venu le surnom del Sarto. Les sujets de la vie de S. Jean Baptiste, & celle de S. Philippe Bénezzi, qu'on voit à Florence, le placent au rang des célebres artistes. Il étoit grand dessinateur, bon coloriste, entendoit bien le nud, le jet des draperies, & l'art de disposer ses figures.

Il avoit aussi le talent d'imiter les originaux dans la derniere perfection. On sait qu'il fit cette fameuse copie du portrait de Léon X. qui trompa Jules-Romain lui-même, quoique l'original fût de Raphaël son maître, & que Jules en eût fait les draperies. On estime extrêmement les desseins d'André au crayon rouge, & on a beaucoup gravé d'après lui.

Pontorme, (Jacques) Giacomo Carucci, car c'étoit son véritable nom, naquit à Florence en 1493, & mourut dans la même ville en 1556. Il montra dans ses premiers ouvrages un talent supérieur, & ne remplit point dans les derniers, les idées avantageuses qu'il avoit données de lui. Il sortit de son genre, où il acquéroit une grande réputation, pour prendre le goût allemand ; c'est à cette bisarrerie qu'il faut attribuer cette grande différence qui est entre ses premiers ouvrages, fort estimés, & entre ses derniers, dont on ne fait aucun cas ; mais ses desseins sont recherchés. Il employa douze années de soins & de peines à peindre à Florence la chapelle de S. Laurent ; & la contrainte où il mit son génie, à force de limer son travail, lui glaça tellement l'imagination, qu'il ne fit qu'un ouvrage fort médiocre, & se trouva même incapable de l'achever.

Le Rosso, que nous avons nommé maître Roux, naquit à Florence en 1496, & finit ses jours à Fontainebleau en 1531. Ce peintre, qui n'eut de maître que l'étude particuliere des ouvrages de Michel-Ange & du Parmesan, est un des restaurateurs de la Peinture en France, où se trouvent la plus grande partie de ses ouvrages. La galerie de Fontainebleau a été construite sur ses desseins & embellie par ses peintures, par les frises & les ornemens de stuc qu'il y fit. Maître Roux possédoit le clair-obscur, ne manquoit pas de génie dans ses compositions, dans ses expressions & dans ses attitudes ; mais il travailloit de caprice, consultoit peu la nature, & aimoit le bizarre & l'extraordinaire. On a gravé d'après lui, entr'autres pieces, les amours de Mars & de Vénus, qu'il fit pour le poëte Aretin.

Volterre, (Daniel Ricciarelli de) né en 1509 à Volterre, ville de la Toscane, mort à Rome en 1566. Michel-Ange lui montra les secrets de la Peinture, qui lui procurerent beaucoup de gloire & de travail. Les ouvrages qu'il a faits à la Trinité du Mont, sur-tout dans la chapelle des Ursins, sont fort estimés ; mais en particulier sa descente de Croix passe pour un chef-d'oeuvre de l'art, & pour un des plus beaux morceaux qui soient à Rome. On voit aussi une descente de Croix de Volterre dans l'église de l'hôpital de la Pitié à Paris, & une troisieme dans la collection du palais royal. Les desseins de ce peintre sont dans la maniere de Michel-Ange : enfin il s'est distingué dans la Sculpture.

Civoli ou Cigoli, (Ludovico) né au château de Cigoli en Toscane, en 1559, mort à Rome en 1613 ; a donné plusieurs ouvrages, qui sont à Rome & à Florence. Un Ecce Homo qu'il fit en concurrence avec le Baroche & Michel-Ange de Caravage, se trouva fort supérieur aux tableaux des deux autres maîtres. Le Civoli avoit un grand goût de dessein, du génie, & un pinceau vigoureux.

Cortone, (Piétre de) né à Cortone dans la Toscane en 1596, mourut à Rome en 1669. Il montra peu de disposition pour son art dans les commencemens, mais un travail assidu développa son génie. Il se fit connoître par l'enlevement des Sabines & par une bataille d'Alexandre, qu'il peignit dans le palais Sacchetti. Il augmenta sa réputation par les peintures à fresque du palais Barberin. Enfin le grand-duc Ferdinand II. employa ce célebre artiste pour décorer de ses ouvrages son palais ducal & ses galeries.

Son tableau de la Trinité est dans la chapelle du S. Sacrement de S. Pierre de Rome. La chapelle de Sixte, au Vatican, est ornée, entr'autres peintures, d'une Notre-Dame de pitié, du Cortone. On voit de ce maître à l'hôtel de Toulouse, le Romulus sauvé, présenté par Faustule à Acca Laurentia : morceau précieux. Cet excellent artiste s'est encore distingué dans l'Architecture. Il fut inhumé dans l'église de sainte Martine, qu'il avoit bâtie, & à laquelle il laissa cent mille écus romains.

Romanelli, (Jean-François) né à Viterbe en 1617, mort dans la même ville en 1662. Il entra dans l'école de Piétre de Cortone, & s'y distingua. Le Cardinal Mazarin le fit venir en France, où le Roi le combla d'honneurs & de bontés. Ses principaux ouvrages sont à fresque ; on en voit encore au vieux louvre, dans les lambris du cabinet de la Reine. Romanelli étoit habile dessinateur, bon coloriste, & gracieux dans ses airs de têtes ; mais ses compositions manquent de feu & d'expression. Article de M(D.J.)

ECOLE FRANÇOISE. (Peint.) il est difficile de caractériser en général cette école ; car il paroît que les Peintres de cette nation ont été dans leurs ouvrages assez différens les uns des autres. Dans le séjour que les jeunes éleves ont fait en Italie, les uns ont pris le goût romain, d'autres qui se sont arrêtés plus long-tems à Venise, en sont revenus avec une inclination particuliere pour la maniere de ce pays-là. Les uns ont suivi le goût de l'antique, pour le dessein ; & d'autres, celui d'Annibal Carrache. On reproche à quelques-uns des plus célebres Peintres françois, un coloris assez trivial ; mais ils ont d'ailleurs tant de belles parties, que leurs ouvrages serviront toûjours d'ornement au royaume, & seront admirés de la postérité.

Le Primatice, maître Roux, Nicolo, & plus encore Léonard de Vinci, ont apporté le bon goût dans ce royaume sous le regne de François I. On sait assez qu'avant eux, tout ce que nous faisions dans les Arts, étoit barbare & gothique.

Cousin, (Jean) né à Soucy près de Sens, dans le xvj. siecle, doit être regardé comme le premier peintre françois qui se soit fait quelque réputation ; mais il s'attacha davantage à peindre des vitres, que des tableaux : cependant il en a fait quelques-uns. Le plus considérable est le jugement universel, qui est dans la sacristie des Minimes de Vincennes. Quoique Cousin fût bon dessinateur, & qu'il ait mis beaucoup d'expression dans ses têtes, sa maniere seche, jointe à un certain goût gothique, le fera toûjours distinguer des peintres qui l'ont suivi.

Freminet, (Martin) né à Paris en 1567, mort dans la même ville en 1619, montra après son retour d'Italie, une maniere qui tenoit de celle de Michel Ange. Il étoit savant, & assez bon dessinateur. On découvre de l'invention dans ses tableaux ; mais les expressions fortes de ses figures, des muscles, & des nerfs durement prononcés, & les actions de ses personnages trop recherchées, ne sauroient plaire. L'ouvrage le plus considérable de Freminet, est le plafond de la chapelle de Fontainebleau.

Plusieurs peintres succéderent à ce maître ; mais loin de perfectionner sa maniere, ils laisserent tomber pour la seconde fois notre peinture dans un goût fade, qui dura jusqu'au tems que Voüet revint d'Italie.

Voüet, (Simon) né à Paris en 1582, mort dans la même ville en 1641. Il fit un long séjour en Italie ; & à son retour en France, Louis XIII. le nomma son 1er peintre. On peut le regarder comme le fondateur de l'école françoise, & la plûpart de nos meilleurs maîtres ont pris de ses leçons. On compte parmi ses éleves, le Sueur, le Brun, Mignard, Mole, Testelin, du Fresnoy, &c. Voüet inventoit facilement, & consultoit le naturel ; mais accablé de travail, il se fit une maniere expéditive par de grandes ombres, & par des teintes générales peu recherchées.

Il y auroit lieu de s'étonner de la prodigieuse quantité de ses ouvrages, si l'on ne savoit qu'un grand nombre de ses éleves travailloit sur ses desseins, que Voüet se contentoit de retoucher ensuite. Les ouvrages de ce peintre manquent, non-seulement par le dessein qui n'est point terminé, mais sur-tout par le coloris qui est généralement mauvais ; d'ailleurs l'on ne voit dans ses figures aucune expression des passions de l'ame, & ses têtes ne disent rien. Le plus grand mérite des ouvrages de cet artiste, vient de ses plafonds, qui ont donné à ses disciples l'idée de faire beaucoup mieux.

Poussin, (Nicolas) né en 1594 à Andely en Normandie, mourut à Rome en 1665. On peut le nommer le Raphael de la France. Il étoit de son tems le premier peintre de l'Europe. Un beau & heureux génie, joint au travail le plus assidu, le firent marcher à grands pas dans la route du sublime. Son mérite avoit dejà éclaté, lorsqu'il partit pour l'Italie. Uniquement animé du desir de se perfectionner dans son art, il vêcut pauvre, mais content. On l'a nommé le peintre des gens d'esprit & de goût ; on pourroit aussi l'appeller le peintre des savans. Aucun maître particulier n'eut la gloire de le former, & il n'a lui-même fait aucun éleve. On admire sa grande maniere, sans oser l'imiter ; soit qu'on la trouve inaccessible, soit qu'on craigne en y entrant de n'en pas soûtenir le caractere.

Le jugement, la sagesse, & en même tems la noblesse de ses compositions, l'expression, l'érudition, la convenance, & la poésie de l'art, brillent dans tous les sujets qu'il a traités. Ses inventions sont des plus ingénieuses ; son style est fort, grand, héroïque. Ses premiers tableaux sont bien coloriés ; mais dans la suite il a paru craindre que le charme du coloris ne lui fît négliger le dessein, & n'ôtât à ses productions le fini qu'il y vouloit mettre. On dit qu'il inventoit encore, quand il n'avoit plus les talens nécessaires à l'exécution de ses inventions. Son génie avoit survêcu à la dextérité de sa main.

Ce génie le portoit plus souvent au caractere noble, mâle, & sévere, qu'au gracieux. Son dessein est presque aussi correct que celui de Raphael. On prétend que sa passion pour l'antique est si sensible, qu'on pourroit quelquefois indiquer les statues qui lui ont servi de modeles. De-là vient le trop grand nombre de plis de ses étoffes, & un peu trop d'uniformité dans ses attitudes & dans ses airs de têtes. Il semble encore que le nud de ses figures y fait desirer cette délicatesse de chair, que Rubens & le Titien présentent pleine de sang & de vie.

On voit à Rome divers ouvrages du Poussin ; mais la plus grande partie est heureusement revenue en France. L'église de S. Germain-en-Laye possede la belle cêne de ce célebre maître.

Les Jésuites du Noviciat à Paris ont le S. Xavier ressuscitant un mort ; tableau admirable ! Le Poussin dans ce tableau a disposé ses figures, ensorte qu'elles voyent toutes le miracle, & a remué leurs passions avec un jugement & une adresse toute particuliere ; il a conduit leur douleur & leur joie par degrés, à proportion des degrés du sang & de l'intérêt. Une femme, qui au chevet du lit soûtient la tête de la personne ressuscitée, est placée & courbée dans cette action avec une science merveilleuse. Jesus-Christ dans le ciel honore ce miracle de sa présence ; l'attitude en est majestueuse, & la figure est si finie, qu'il semble qu'il n'y a que Raphael qui en pût faire une semblable.

On sait avec quel esprit le Poussin nous a fait connoître Agrippine, dans son tableau de la mort de Germanicus : autre chef-d'oeuvre de son art, sur lequel je renvoye à l'abbé du Bos.

La collection du palais royal offre, entre plusieurs morceaux de ce fameux maître, outre le ravissement de S. Paul, tableau d'un beau coloris, & qui fait un digne pendant avec la vision d'Ezéchiel de Raphael, les sept sacremens du Poussin ; suite très-précieuse, dont M. le régent paya 120000 livres.

Enfin on connoît le beau paysage nommé Arcadie, & celui du palais du Luxembourg, qui représente le déluge. Dans le premier, en même tems que des bergers & des bergeres parés de guirlandes de fleurs, nous enchantent ; le monument qu'on apperçoit d'une jeune fille morte à la fleur de son âge, fait naître dans notre esprit mille autres réflexions. Dans le second paysage, nous sommes accablés de l'évenement qui s'offre à nos yeux, & du bouleversement du monde ; nous croyons voir la nature expirante. En effet ce grand homme a aussi bien peint dans le paysage tous les effets de la nature, que les passions de l'ame dans ses tableaux d'histoire. Voyez PAYSAGE.

Les curieux peuvent lire dans la vie de cet homme célebre, donnée par Félibien en françois, & en italien par Bellori, beaucoup d'autres détails sur ses ouvrages.

Stella, (Jacques) né à Lyon en 1596, mort à Paris en 1657. Il fit le voyage d'Italie pour se perfectionner, & le grand duc Côme de Medicis l'arrêta sept ans à Florence. Enfin il se rendit à Rome, où il se lia d'amitié avec le Poussin. On rapporte qu'ayant été mis en prison sur de fausses accusations, il s'amusa à dessiner une vierge tenant l'enfant Jesus : depuis ce tems-là les prisonniers ont dans cet endroit une lampe allumée, & y viennent faire leurs prieres. Le cardinal de Richelieu l'ayant attiré à Paris, le roi le nomma son premier peintre. L'étude qu'il fit d'après l'antique, lui donna un goût de dessein correct. Sa maniere dans le petit, est gracieuse & finie. Il a parfaitement rendu des jeux d'enfans & des pastorales. Mais ses ouvrages dans le grand sont froids, & son coloris crud donne trop dans le rouge.

Blanchard, (Jacques) né à Paris en 1600, mort dans la même ville en 1638. Il fit à Venise une étude particuliere du coloris ; & c'est aussi un de nos meilleurs coloristes. Il avoit du génie, & donnoit une belle expression à ses figures. La salle de l'académie de S. Luc conserve de ce peintre un S. Jean dans l'île de Pathmos. Deux de ses tableaux ornent l'église de Notre-Dame ; l'un représente S. André à genoux devant la croix ; & l'autre la descente du saint-Esprit, morceau estimé.

Lorrain, (Claude Gelée dit Claude le) naquit en 1600 en Lorraine, mourut à Rome en 1682. Né de parens fort pauvres, il se rendit en Italie pour y gagner sa vie. Sa bonne fortune le fit entrer chez le Tassi, & il y fut long-tems sans pouvoir rien comprendre des principes de la Peinture ; enfin un rayon de lumiere perça le nuage qui enveloppoit son esprit. Dès-lors il fit des études continuelles, & devint un grand paysagiste. Sa coûtume étoit de fondre ses touches, & de les noyer dans un glacis qui couvre ses tableaux ; mais il n'avoit point de talent pour peindre les figures. La plûpart de celles qu'on voit dans ses ouvrages, sont de Lauri ou de Courtois. Ses desseins sont excellens pour le clair-obscur.

Valentin, né en Brie l'an 1600, est mort tout jeune aux environs de Rome en 1632. Il imita le style du Caravage, ses ombres fortes & noires, & s'attacha cependant à représenter des concerts, des joüeurs, des soldats, des bûveurs, & des bohémiens. Il fit aussi quelques tableaux d'histoire & de dévotion, qui sont fort estimés. Il peignit dans l'église de saint Pierre à Rome le martyre des SS. Processe & Martinien, qui est un chef-d'oeuvre de l'art. Sa touche est legere ; son coloris vigoureux ; ses figures sont bien disposées : mais il n'a point consulté les graces ; ses expressions sont dures, & il a souvent péché contre la correction du dessein.

Champagne, (Philippe de) né à Bruxelles en 1602, mort à Paris en 1674. Il avoit de l'invention, & un bon ton de couleur : mais ses compositions sont froides. Son crucifix qu'il a représenté dans l'église des Carmélites du fauxbourg Saint-Jacques, passe pour un chef-d'oeuvre de perspective. L'on voit encore de ses ouvrages dans les églises de Paris ; par exemple le dôme de l'église de la Sorbonne est de sa main.

Hire, (Laurent de la) né à Paris en 1606, mort dans la même ville en 1656. Son coloris est frais, les teintes des fonds de ses tableaux sont bien noyées, sa touche est legere, son style gracieux, sa composition sage : mais on lui reproche de n'avoir pas assez consulté la nature. Ses tableaux de chevalet & ses desseins sont estimés.

Mignard, (Pierre) surnommé Mignard le Romain, pour le distinguer de son frere, & à cause du long séjour qu'il fit à Rome, naquit à Troyes en Champagne en 1610, & mourut à Paris en 1695. Il quitta l'école de Vouet pour voir l'Italie, & lia une intime amitié avec du Fresnoy. Il possédoit éminemment le talent du portrait, peignit le pape, la plûpart des cardinaux, des princes, & des seigneurs. A son retour en France, il eut l'honneur de peindre dix fois Louis XIV. & plusieurs fois la maison royale.

Il avoit un génie élevé, & donnoit à ses figures des attitudes pleines de noblesse ; son coloris est frais, sa touche est legere & facile, & ses compositions sont gracieuses : mais elles manquent de feu, & son dessein n'est pas correct. Les ouvrages qui font le plus d'honneur à ce maître, sont la galerie de Saint-Cloud, & la coupole du Val-de-Grace, que Moliere a célébré magnifiquement. Cependant Mignard voulut la retoucher au pastel ; ce qui a changé le bon ton de couleur qui regnoit d'abord, en une autre qui tire sur le violet. Il fut le rival de le Brun pendant quelque tems : mais il ne l'est pas aux yeux de la postérité, comme le dit M. de Voltaire.

Mignard mourut comblé d'années, d'honneurs, & de gloire. Il laissa une fille d'une grande beauté, qu'il a peinte plusieurs fois dans ses ouvrages, & qu'il avoit mariée au comte de Feuquieres. Cette dame, loin d'avoir eu la sotte & barbare vanité de rougir d'être la fille d'un célebre artiste, lui a fait ériger un beau mausolée dans l'église des Jacobins de la rue Saint-Honoré. Ce monument en marbre est de la main de Girardon. La comtesse y paroît à genoux au-dessous du buste de son pere : tout le reste a été exécuté par le Moine le fils.

Robert, (Nicolas) né à Langres vers l'an 1610, s'attacha à Gaston de France duc d'Orléans. Ce prince non content de pensionner quelques célebres botanistes, & de faire fleurir dans ses jardins les plantes rares, voulut encore orner son cabinet de leurs peintures. Dans ce dessein, il y employa Robert, dont personne n'a jamais égalé le pinceau en cette partie. Cet habile artiste peignit chaque plante sur une feuille de vélin, de la grandeur d'un in-folio, avec une exactitude merveilleuse, & représenta sur de semblables feuilles, les oiseaux & les animaux rares de la ménagerie du prince ; ensorte que Gaston se trouva insensiblement un assez grand nombre de ces miniatures, pour en former divers porte-feuilles, dont la vûe lui servoit de recréation.

Ces porte-feuilles, après son décès arrivé en 1660, furent acquis par Louis XIV. qui nomma Robert peintre de son cabinet ; & à l'exemple de Gaston, lui donna cent francs de chaque nouvelle miniature. L'argent étoit alors à 32 livres le marc. Robert flatté par ces distinctions, s'appliqua si fidelement à son objet, que par un travail assidu d'environ vingt ans qu'il vêcut encore, il forma de sa main un recueil de peintures, d'oiseaux, & de plantes aussi singulieres par leur rareté, que par la beauté & l'exactitude de leur dessein.

Robert mourut en 1684 ; mais son ouvrage qui a été continué par les sieurs Joubert, Aubriet, & autres, & qui se continue toûjours, fait le plus beau recueil qui soit au monde en ce genre. Il est déposé dans la bibliotheque du roi, où les curieux peuvent le voir : toutes les miniatures sont rangées par les classes & les genres auxquelles elles peuvent se rapporter ; méthode également utile aux amateurs, & à ceux qui seront chargés du soin de faire peindre dans la suite les plantes & animaux qu'on voudra y ajoûter. Voyez les mémoires de l'académie des Sciences, ann. 1727.

Fresnoy, (Charles Alphonse du) né à Paris en 1611, mort en 1665. Il a fait peu de tableaux, & c'est dommage : car ceux qu'on connoît de sa main sont loüés pour la correction du dessein, & la beauté du coloris ; mais il s'est immortalisé par son poëme latin de la Peinture.

Bourdon, (Sébastien) né à Montpellier en 1616, mort à Paris en 1671, saisit en Italie la maniere du Caravage & du Bamboche. Il avoit une imagination pleine de feu, une grande facilité, & un goût quelquefois bizarre : sa touche est legere, & son coloris brillant. Ses compositions sont ingénieuses, souvent extraordinaires ; ses expressions sont vives, & ses attitudes variées. On lui reproche de n'être pas correct. Il finissoit peu ses tableaux : mais les moins finis sont les plus recherchés.

Le Bourdon a embrassé tous les genres de Peinture. Ses paysages sont estimés par le coloris & par une bisarrerie piquante. On voit encore de cet habile artiste des pastorales, des bambochades, des corps-de-garde, outre des sujets d'histoire. Trois des meilleurs tableaux qui ornent l'église de S. Pierre de Rome, sont du Poussin, du Valentin, & du Bourdon. Le fameux tableau du martyre de S. Pierre, est de ce dernier.

Sueur, (Eustache le) né à Paris en 1617, mourut à la fleur de son âge dans la même ville, en 1655 ; c'est un des plus grands maîtres de l'école françoise. On connoît les peintures dont il a orné le petit cloître des Chartreux, & qui ont été gâtées par quelques envieux de son rare mérite. Cet ouvrage consiste en 22 tableaux, où la vie de S. Bruno est représentée : le 7, le 13, & le 21, sont les plus beaux ; le dernier sur-tout étoit traité d'une maniere très-savante, pour la disposition des figures & les différentes expressions des religieux qui regardent leur pere expirer. La lumiere des flambeaux se voyoit répandue sur tous les corps, avec une entente admirable. Les flambeaux du Zeuxis des François ont été déchirés par la jalousie.

Brun, (Charles le) né à Paris en 1619, décéda dans la même ville en 1690. Il fut un de ces hommes destinés à faire la gloire de leur patrie, par l'excellence de leurs talens. Le Brun, à l'âge de 3 ans, tiroit les charbons du feu pour dessiner sur le plancher, & à douze, il fit le portrait de son ayeul : tableau estimé. On conserve dans la collection du palais royal, deux morceaux qu'il peignit à quinze ans ; l'un est Hercule assommant les chevaux de Diomede ; l'autre représente ce héros en sacrificateur.

Mais les ouvrages qu'il exécuta après son retour d'Italie, le mirent au rang des premiers peintres de l'Europe : ils sont tous marqués au coin d'un très-grand maître, & peut-être n'a-t-il manqué à la gloire de ce célébre artiste, qu'un peu moins d'uniformité dans ses productions, & un coloris plus varié & plus vigoureux ; il n'avoit qu'un pas à faire pour arriver à la perfection. Aucun peintre, depuis le Poussin, n'a mieux observé le costume que le Brun, ni possédé plus éminemment la poëtique de l'art, & le talent de rendre les passions de l'ame.

Son tableau du massacre des Innocens nous émeut & nous attendrit, sans laisser des idées funestes qui nous importunent. Un morceau de sa main, encore au-dessus pour l'expression & le coloris, est la Magdeleine pénitente, qu'on voit à Paris dans une des chapelles des Carmélites du fauxbourg Saint-Jacques ; on ne peut se lasser de considérer & d'admirer cet ouvrage.

Le roi a deux galeries peintes de la main de le Brun, & remplies de morceaux qui lui auroient valu des autels dans l'antiquité : on y remarque sur-tout ses batailles d'Alexandre, gravées d'après ses desseins par Gérard Audran ; les estampes n'en sont pas moins recherchées, que celles des batailles de Constantin par Raphael & par Jules Romain.

Si la famille de Darius est effacée par le coloris des Pélerins d'Emmaüs de Paul Veronese, placés vis-à-vis, le François surpasse l'Italien par la beauté & la sagesse de la composition & du dessein : consultez le parallele raisonné qu'en a fait M. Perrault.

Enfin toutes les peintures dont le Brun a décoré la grande galerie de Versailles, & les deux salons qui l'accompagnent, font l'objet de l'admiration des connoisseurs. Jamais ouvrage ne mérita mieux d'être gravé, comme il l'a été en 1753 sur les desseins & par les soins de M. Macé, peintre du roi. Ce recueil d'estampes, qui immortalise le nom de cet habile artiste, lui a couté trente années de travail le plus assidu.

Coypel, (Noel) né à Paris en 1629, mort dans la même ville en 1717. Ses principaux ouvrages sont dans nos églises, aux Tuileries, à Versailles, à Trianon, &c. On voit dans l'église de Notre-Dame un beau tableau de sa main représentant le martyre de S. Jacques. Il a peint au palais royal, dans le plafond de la salle des gardes, le lever du Soleil.

Forest, (Jean) né à Paris en 1636, mort dans la même ville en 1712, est un des meilleurs paysagistes françois. Eleve de Pietro Francisco Mola, il l'égala dans le paysage. Il alla deux fois en Italie, & y resta sept ans dans le premier voyage. On remarque dans ses tableaux une touche hardie, de grands coups de lumiere, de savantes oppositions de clair-obscur & d'ombre, un style assez élevé, & des figures bien dessinées. On fait aussi grand cas de ses desseins.

Fosse, (Charles de la) né à Paris en 1640, mort dans la même ville en 1716. Il étoit oncle de l'auteur de Manlius, entra dans l'école de le Brun, & se montra un éleve digne de ce célébre artiste. Il acquit à Venise une peinture moëlleuse, & une intelligence du clair-obscur, qui le place au rang des bons coloristes, ses carnations ne sont pourtant point dans le ton de la nature : on lui reproche encore d'avoir fait ses figures trop courtes, & d'avoir mal jetté ses draperies. Ses principaux ouvrages sont à Londres, à Paris, & dans les palais du roi. C'est lui qui a peint la coupole de l'église des Invalides. Il brilloit dans le fresque. Son tableau de réception à l'académie de Peinture, est l'enlevement de Proserpine ; beau morceau qu'on regarde comme son chef-d'oeuvre.

Jouvenet, né à Roüen en 1644, mort à Paris en 1717. Il étudia la nature avec une application & un discernement, qui le mettent au rang des plus fameux artistes. Le tableau de Mai, dont le sujet est la guérison du paralytique, annonça l'excellence de ses talens ; & ce qui est bien singulier, c'est qu'étant devenu lui-même sur la fin de ses jours paralytique du côté droit, à la suite d'une attaque d'apoplexie, il dessinoit encore de la main droite, quoiqu'avec beaucoup de difficulté ; enfin il s'habitua tellement à se servir de la main gauche, qu'on voit plusieurs belles peintures qu'il a exécutées de cette main, entr'autres le tableau appellé le Magnificat, qui est dans le choeur de Notre-Dame.

Ses ouvrages en grand nombre se trouvent dans toutes les autres églises de Paris. On connoît en particulier les quatre morceaux qu'il composa pour l'église de S. Martin des Champs, & qui ont été exécutés en tapisserie ; ils sont singulierement estimés pour la grandeur de la composition, la hardiesse, & la correction du dessein, la fierté du pinceau, & l'intelligence du clair-obscur. On connoît aussi de sa main la guérison de plusieurs malades sur le lac de Génésareth ; tableau excellent, qui est dans l'église des Chartreux. Il a peint à fresque de la plus grande maniere, les douze apôtres qui sont au-dessous de la coupole de l'église des Invalides. M. Restout est l'éleve & le neveu de cet habile homme, dont il fait revivre les talens.

Parrocel, (Joseph) né en 1648 en Provence, mort à Paris en 1704. Il se rendit de bonne-heure en Italie, rencontra à Rome le Bourguignon, se mit sous sa discipline, & le surpassa même à représenter des batailles. Il étudia à Venise le coloris des savans maîtres qui ont embelli cette ville. Il a peint avec succès des sujets d'histoire & de caprice. Sa touche est d'une legereté charmante, & son coloris d'une grande fraîcheur. Son fils Charles Parrocel, mort en 1752, a excellé dans le genre de son pere.

Les Boullongne, freres, (Bon & Louis) ont rendu leurs noms célebres dans l'école françoise. Bon Boullongne, né à Paris en 1649, mourut dans cette ville en 1717. Il étudia en Italie les ouvrages des plus grands artistes, & s'acquit beaucoup de facilité à saisir leur maniere. A son retour en France, Louis XIV. l'employa long-tems à décorer plusieurs de ses palais. Il étoit habile dessinateur & excellent coloriste.

Louis Boullongne, né à Paris en 1654, & mort dans la même ville en 1733, s'est distingué dans la Peinture, quoique moins éminemment que son frere.

Santerre, (Jean-Baptiste) né près de Pontoise en 1651, mort à Paris en 1717 ; a fait d'excellens tableaux de chevalet, d'un coloris vrai & tendre. Il a excellé à peindre des sujets d'histoire & de caprice, principalement des têtes de fantaisie, & des demi-figures. Ses morceaux de peinture les plus estimés, sont les Femmes qui lisent à la chandelle, celle qui dessine à la lumiere, la Femme voilée, la Coupeuse de choux, l'Uranie, les trois Parques en trois tableaux, le Chasseur, le Ramoneur, la Dormeuse, la Géométrie, la Peinture, la Susanne, qui est son tableau pour l'académie ; la Chanteuse, la Pélerine, les Curieuses, la Coquette, la Femme en colere, la Femme qui rend un billet, le Fumeur, une descente de Croix, &c.

Cet ingénieux artiste avoit un pinceau séduisant, un dessein correct, une touche fine. Il donnoit à ses têtes une expression gracieuse : ses teintes sont brillantes, & ses carnations fraîches. Ses attitudes sont encore d'une grande vérité ; mais le froid de son caractere a passé quelquefois dans ses ouvrages. Il avoit un recueil de desseins de femmes nues, de la derniere beauté ; il crut devoir le supprimer dans une maladie, & c'est une perte pour les beaux Arts. On a beaucoup gravé d'après Santerre.

Largilliere, (Nicolas de) né à Paris en 1656, mort dans la même ville en 1746. C'est un de nos bons peintres en portraits, pour la ressemblance, les mains & les draperies. On a beaucoup gravé d'après ce maître, ami & rival de Rigault. M. Oudry peintre de mérite, a été un des éleves de Largilliere.

Coypel, (Antoine) né à Paris en 1661, mort dans la même ville en 1722. Il est fils de Noël Coypel, & l'a surpassé : on admire dans ses ouvrages la beauté de son génie, & l'éclat de son pinceau. M. le duc d'Orléans devenu régent du royaume, l'employa à peindre la galerie du palais royal, où il a représenté l'histoire d'Enée.

Desportes, (François) né en Champagne en 1661, mort à Paris en 1743. Il étoit habile dans le portrait & dans la perspective aërienne ; mais il excelloit à peindre des grotesques, des animaux, des fleurs, des fruits, des légumes, des paysages, des chasses : son pinceau guidé par la nature, en suivit la variété. Sa touche est vraie, legere, facile, & ses couleurs locales bien entendues. Il regne dans ses tableaux, qui sont pour la plûpart distribués dans les châteaux du Roi, une harmonie, une fécondité, un bon goût auquel on ne peut refuser des éloges. Voyez le dict. des beaux-Arts.

Rigault, (Hyacinthe) né à Perpignan en 1663, mort à Paris en 1743. On le nomme le Vandyck de la France ; en effet, aucun de nos peintres ne l'a surpassé pour le portrait. Il a été comblé de bienfaits & de faveurs de la Cour. Il a peint les mains à merveille, & les étoffes avec un art séduisant. Ses couleurs & ses teintes sont d'une vivacité & d'une fraîcheur admirables.

Il n'a composé que quelques tableaux d'Histoire ; mais celui où il a représenté le cardinal de Bouillon ouvrant l'année sainte, est un chef-d'oeuvre égal aux beaux ouvrages de Rubens. Cependant on remarque dans les tableaux du dernier tems de Rigault, des contours secs, & un ton de couleur qui tire sur le violet. On lui reproche aussi d'avoir mis trop de fracas dans ses draperies, ce qui détourne l'attention dûe à la tête du portrait.

Troy, (Jean-François de) fils & éleve de François de Troy, naquit à Paris en 1676, & mourut à Rome en 1752. C'est un des grands peintres de l'école françoise. Il regne dans ses ouvrages un excellent goût de dessein, un très-beau fini, un coloris suave & piquant, une belle ordonnance, & des expressions nobles & frappantes.

Raoux, (Jean) né à Montpellier en 1677, mort à Paris en 1734. Il est inégal ; mais quand il a réussi dans ses morceaux de caprice, il a presqu'égalé le Rembrant. Ses Vestales sont charmantes, & son satin est admirable ; mais son coloris est foible.

Vanloo, (Jean-Baptiste) né à Aix en 1684, mort dans la même ville en 1745. Cet illustre artiste est fameux dans le portrait, mais il a aussi très-bien réussi à peindre l'Histoire : nos églises sont ornées de ses belles productions.

Louis-Michel & Charles-Amédée-Philippe Vanloo, sont ses fils & ses éleves : celui-là premier peintre du Roi d'Espagne, & celui-ci premier peintre du roi de Prusse, font revivre avec distinction les grands talens de leur pere & de leur maître. Enfin ce nom célebre dans la Peinture, acquiert un nouvel éclat par le mérite de M. Charles-André Vanloo le jeune, frere & éleve de Jean-Baptiste. Il est un des professeurs de l'académie de Peinture de Paris.

Watteau, (Antoine) né à Valenciennes en 1684, mort près de Paris en 1721. C'est le peintre des fêtes galantes & champêtres ; il a été dans le gracieux, à-peu-près ce que Téniers a été dans le grotesque. Tout devient charmant sous le pinceau de Watteau ; il rendoit la nature avec une vérité frappante, & a parfaitement touché le paysage : ses desseins sont admirables. On a considérablement gravé d'après cet aimable artiste.

Moine, (François le) né à Paris en 1688, mort dans la même ville en 1737. Son génie, & les études qu'il fit en Italie d'après les plus grands maîtres, l'ont conduit au sommet du parnasse ; car les peintres montent sur le parnasse, aussi-bien que les poëtes. Il a immortalisé son pinceau par l'apothéose d'Hercule : la plûpart de ses autres ouvrages sont dans nos églises. On sait le sujet de sa triste mort ; envié de ses confreres, & se croyant mal récompensé de M. le cardinal de Fleury, il tomba dans une noire mélancolie, & se tua de desespoir.

C'est sous ce grand maître qu'ont étudié MM. Natoire & Boucher ; l'un compositeur plein d'esprit, dessinateur élégant ; l'autre correct, facile, & toûjours gracieux.

Lancret, (Nicolas) né à Paris en 1690, est décédé dans la même ville en 1745. Eleve de Watteau, il ne l'a pas égalé ; mais il a fait des choses agréables, & d'une composition riante. On a gravé d'après lui des morceaux gracieux.

Coypel, (Noël-Nicolas) né à Paris en 1692, mort dans la même ville en 1735. Il étoit frere d'Antoine Coypel ; & quoiqu'il ne l'ait pas égalé, il mérite cependant un rang distingué parmi nos peintres. Son dessein est correct, son pinceau moëlleux ; sa touche est legere, & ses compositions sont riches.

Coypel, (Charles) né en 1699, mort à Paris en 1752. Héritier d'un grand nom dans les Arts & dans la Peinture, il le soûtint avec dignité : ses ouvrages pittoresques sont la plûpart d'une belle composition, d'une touche facile, & d'un brillant coloris. Cet artiste ingénieux & très-instruit des Belles-Lettres, s'est encore fait honneur par ses discours académiques, & par des pieces de théatre connues seulement de ses amis dans Paris ; & à la Cour, de monseigneur le Dauphin. Article de M(D.J.)

ECOLE HOLLANDOISE, (Peinture) Voici, ce me semble, le précis des meilleures observations qui ont été faites sur les ouvrages de cette école, plus recherchés aujourd'hui qu'ils ne l'étoient sous le siecle de Louis XIV. Ils tiennent du goût & des défauts des Flamands & des Allemands, au milieu desquels vivoient les peintres de la Hollande. On les distingue à une représentation de la nature, telle qu'on la voit avec ses défauts ; à une parfaite intelligence du clair-obscur ; à un travail achevé ; à une propreté charmante ; à une exactitude singuliere ; à un art admirable dans la représentation des paysages, des perspectives, des ciels, des animaux, des fleurs, des fruits, des insectes, des sujets de nuit, des vaisseaux, des machines, & autres objets qui ont rapport au Commerce & aux Arts ; mais il ne faut pas chercher chez eux la beauté de l'ordonnance, de l'invention & de l'expression, qu'on trouve dans les ouvrages de France & d'Italie.

Nous voyons quantité de peintres hollandois doüés d'un génie rare pour la méchanique de leur art, & sur-tout d'un talent merveilleux, soit pour le paysage, soit pour imiter les effets du clair-obscur dans un petit espace renfermé. Ils ont l'obligation de ce talent à une présence d'esprit & à une patience singuliere, laquelle leur permet de s'attacher longtems sur un même ouvrage, sans être dégoûtés par ce dépit qui s'excite dans les hommes d'un tempérament plus vif, quand ils voyent leurs efforts avorter plusieurs fois de suite.

Ces peintres flegmatiques & laborieux ont donc la persévérance de chercher par un nombre infini de tentatives, souvent réitérées sans fruit, les teintes, les demi-teintes, enfin toutes les diminutions de couleurs nécessaires pour dégrader la couleur des objets, & ils sont ainsi parvenus à peindre la lumiere même. On est enchanté par la magie de leur clair-obscur ; les nuances ne sont pas mieux fondues dans la nature que dans leurs tableaux. Mais ces peintres amusans ont assez mal réussi dans les autres parties de l'art, qui ne sont pas les moins importantes : sans invention dans leurs expressions, incapables pour l'ordinaire de s'élever au-dessus de la nature qu'ils ont devant les yeux, ils n'ont guere peint que des passions basses, ou bien une nature ignoble, & ils y ont excellé.

La scene de leurs tableaux est une boutique, un corps-de-garde, ou la cuisine d'un paysan ; leurs héros sont des faquins, si je puis le dire avec l'abbé du Bos. Ceux des peintres hollandois dont je parle, qui ont fait des tableaux d'Histoire, ont peint des ouvrages admirables pour le clair-obscur, mais bien foibles pour le reste : les vêtemens de leurs personnages sont extravagans, & les expressions de ces personnages sont encore basses & comiques. Ces peintres peignent Ulysse sans finesse, Susanne sans pudeur, & Scipion sans aucun trait de noblesse ni de courage. Le pinceau de ces froids artistes fait perdre à toutes les têtes illustres leur caractere connu.

Nos Hollandois, au nombre desquels je n'ai garde de comprendre ici tous les peintres de leur nation, mais dans le nombre desquels je comprends la plûpart des peintres flamands, ont bien connu la valeur des couleurs locales, mais ils n'en ont pas sû tirer le même avantage que les peintres de l'école vénitienne. Le talent de colorier comme l'a fait le Titien, demande de l'invention, & il dépend plus d'une imagination fertile en expédiens pour le mélange des couleurs, que d'une persévérance opiniâtre à refaire dix fois la même chose. Ces réflexions de l'abbé du Bos sont très-justes : cependant la persévérance opiniâtre dans le travail, est une qualité qui a produit des morceaux admirables dans tous les tems & dans tous les lieux ; c'est par elle que le Dominiquin & tant d'autres, malgré le mépris de leurs confreres, ont porté leurs ouvrages à la perfection que nous leur connoissons. Je passe au caractere particulier des principaux peintres de l'école hollandoise.

Lucas de Hollande, né à Leyden en 1494, mort en 1533, peut être regardé comme le fondateur de l'école hollandoise. La nature le doüa de génie & de grands talens, qu'il perfectionna par une si forte application au travail, qu'elle altéra sa santé, & le conduisit au tombeau à l'âge de trente-neuf ans. Lucas s'occupoit jour & nuit à la peinture & à la gravûre ; il grava quantité d'estampes au burin, à l'eau-forte, & en bois : il peignit à l'huile, à goüache, & sur le verre.

Rival & ami d'Albert Durer, ils s'envoyoient réciproquement leurs ouvrages, & travailloient concurremment souvent sur les mêmes sujets, par pure émulation. Albert dessinoit mieux que Lucas, mais ce dernier mettoit plus d'accord dans ses ouvrages ; & comme il les finissoit extrèmement, il a porté dans sa nation ce goût pour le fini, dont elle est toûjours éprise : elle lui doit encore la magie du clair-obscur, qu'elle a si bien perfectionnée. Il ne faut pas chercher dans les ouvrages de Lucas un pinceau moëlleux, l'art des draperies, ni la correction du dessein ; mais il a donné beaucoup d'expression à ses figures ; ses attitudes sont naturelles, & il a choisi un bon ton de couleur. Ses desseins ont été autrefois fort recherchés, & le Roi a des tentures de tapisserie faites d'après les desseins de ce maître.

Vaenius, (Otto) ou plûtôt Octave Van-Veen, né à Leyden en 1556, mort à Bruxelles en 1634. Après avoir été élevé dans les Belles-Lettres, il s'attacha à la Peinture, & demeura sept ans en Italie pour s'y perfectionner : ensuite il se retira à Anvers, & orna les églises de cette ville de plusieurs magnifiques tableaux. On trouve dans ses ouvrages une grande intelligence du clair-obscur, un dessein correct, des draperies bien jettées, une belle expression dans ses figures, & beaucoup de graces dans ses airs de têtes. On estime particulierement son triomphe de Bacchus, & la cene qu'il peignit pour la cathédrale d'Anvers. On peut ajoûter à sa gloire, qu'il a eu Rubens pour disciple.

Poëlemburg, (Corneille) né à Utrecht en 1586, mort dans la même ville en 1660. Il fit à Rome de bonnes études d'après nature, & d'après les meilleurs ouvrages qui embellissent cette capitale. Le grand-duc de Florence, & le roi d'Angleterre Charles I. ont employé long-tems le pinceau de ce maître. Le goût de Poëlemburg le portoit à travailler en petit, & ses tableaux dans cette forme sont précieux.

Heem, (Jean-David de) né en 1604, mort à Anvers en 1674. Ce maître s'attacha particulierement à peindre des fleurs, des fruits, des vases, des instrumens de Musique, & des tapis de Turquie. Il rend ces divers objets d'une maniere si séduisante, que le premier mouvement est d'y porter la main ; son coloris est frais, & sa touche d'une legereté singuliere : les insectes paroissent être animés dans ses tableaux.

Rembrant Van-Ryn, fils d'un Meûnier, né en 1606 dans un village sur le bras du Rhin, mort à Amsterdam en 1674. Cet homme rare, sans avoir fait aucune étude de l'antique, dont il se moquoit, avoit tant de goût & de génie pour la Peinture, qu'il est compté parmi les plus célébres artistes. Il mettoit ordinairement des fonds noirs dans ses tableaux, pour ne point tomber dans des défauts de perspective, dont il ne voulut jamais se donner la peine d'apprendre les principes ; cependant on ne peut se lasser d'admirer l'effet merveilleux que ses tableaux font de loin, son intelligence du clair-obscur, l'harmonie de ses couleurs, le relief de ses figures, la force de ses expressions, la fraîcheur de ses carnations, enfin le caractère de vie & de vérité qu'il donnoit aux parties du visage : ses gravûres formées de coups écartés, irréguliers & égratignés, font un effet très-piquant.

Van-Ostade, (Adrien) né à Lubec en 1610, mort à Amsterdam en 1685. On l'appelle communément le bon Ostade, pour le distinguer de son frere. Les tableaux d'Ostade présentent ordinairement des intérieurs de cabarets, de tavernes, d'hôtelleries, d'habitations rustiques, & d'écuries. Cet habile artiste avoit une parfaite intelligence du clair-obscur, sa touche est legere & spirituelle : il a rendu la nature avec une vérité piquante ; mais son goût de dessein est lourd, & ses figures sont trop courtes. Il a fait une belle suite de desseins coloriés, qui est actuellement dans le cabinet des curieux hollandois. On a aussi gravé d'après Van-Ostade.

Dow, (Gérard) né à Leyden en 1613. Rembrant lui montra la Peinture, quoique Gérard ait pris une maniere d'opérer opposée à celle de son maître ; mais il lui devoit l'intelligence de ce beau coloris qu'on admire dans ses tableaux. On admire encore le travail étonnant, le goût singulier pour la propreté, le fini, la vérité, l'expression, & la parfaite connoissance que ce célébre artiste avoit du clair-obscur. Ses ouvrages augmentent tous les jours de prix.

Laar, (Pierre de) né à Laar en 1613, village près de Naarden, mort à Harlem en 1675. Pierre de Laar est encore plus connu sous le nom de Bamboche, qui lui fut donné à cause de la singuliere conformation de sa figure. Bamboche étoit né peintre dans son genre ; il n'a traité que de petits sujets, des foires, des jeux d'enfans, des chasses, des paysages, des scenes gaies & champêtres, des tabagies & autres sujets plaisans, qui, depuis lui, ont été nommées des bambochades. En effet, personne n'a touché ce genre de peinture avec plus de force, d'esprit & de vérité, que l'a fait cet artiste.

Metzu, (Gabriel) né à Leyden en 1615, mort à Amsterdam en 1658. Ce maître a fait peu de tableaux ; mais ceux qu'on voit de lui sont très-précieux, par l'art avec lequel il a sû rendre les beautés de la nature : la finesse & la legereté de la touche, la fraîcheur du coloris, l'intelligence du clair-obscur & l'exactitude du dessein, se font également sentir dans ses ouvrages. Ce maître ne peignoit qu'en petit, & la plûpart de ses sujets sont de caprice. On vante son tableau qui représente une visite de couches, comme aussi celui de la demoiselle qui se lave les mains au-dessus d'un bassin que tient sa servante, tandis qu'un jeune homme qui entre alors, lui fait la révérence. Le Roi a un seul tableau de Metzu ; il représente une femme tenant un verre à la main, & un cavalier qui la salue. On a gravé d'après ce charmant artiste.

Wouwermans, (Philippe) né à Harlem en 1620, mort dans la même ville en 1668. C'est un des maîtres hollandois dont la maniere a été le plus universellement goûtée, & c'est en particulier un paysagiste admirable. Voyez le dictionn. des Beaux-Arts, & Houbraken dans sa vie des Peintres hollandois.

Berghem, (Nicolas) né à Amsterdam en 1624, mort à Harlem en 1683. C'est un des plus grands paysagistes de la Hollande. Ses ouvrages brillent par la richesse & la variété de ses compositions, par la vérité & le charme de son coloris, par la liberté & l'élégance de sa touche, par des effets piquans de lumieres, par son habileté à peindre les ciels, enfin par l'art & l'esprit avec lesquels il a dessiné les animaux.

Miéris, dit le vieux, (François) né à Leyden en 1635, mort dans la même ville en 1681, à la fleur de son âge. Il eut pour maître Gérard Dow ; plusieurs connoisseurs prétendent qu'il l'a égalé pour le précieux fini, & l'a surpassé par le goût & la correction du dessein, par l'élégance de ses compositions, & enfin par la suavité des couleurs. Quoi qu'il en soit, ses tableaux sont très-rares, & d'un grand prix ; il les vendoit lui-même une somme considérable. Ce charmant artiste excelloit à représenter des étoffes, & se servoit, à l'exemple de Gérard Dow, d'un miroir convexe pour arrondir les objets.

Van-del-Velde, (Adrien) né à Amsterdam en 1639, mort en 1672. On estime ses paysages & ses tableaux d'animaux. Il a excellé dans le petit, mais ses ouvrages demandent du choix : ceux de son bon tems charment par la fraîcheur du coloris, & le moëlleux du pinceau ; sa couleur est en même tems fondue & vigoureuse, ses petites figures sont naïves & bien dessinées : enfin ce maître fait les délices des curieux qui sont partisans des morceaux peints avec amour.

Il y a eu plusieurs autres Van-del-Velde peintres hollandois, dont il seroit trop long de parler ici ; il me suffira de dire qu'ils se sont tous distingués à toucher le paysage, les animaux, les marines, & les combats de mer. Voyez MARINE, PAYSAGE, &c.

Scalken, (Godefroi) né à Dordrecht en 1643, mort à la Haye en 1706. Eleve de Gérard Dow, il excelloit à faire des portraits en petit, & des sujets de caprice : ses tableaux sont ordinairement éclairés par la lueur d'un flambeau ou d'une lampe. Les reflets de lumiere qu'il a savamment distribués, un clair-obscur admirable, des teintes parfaitement fondues, & des expressions rendues avec art, donnent beaucoup de prix à ses ouvrages.

Van-der-Werff, (Adrien) né à Roterdam en 1659, mort dans la même ville en 1727. Ses ouvrages sont très-chers, par leur rareté & leur fini. Il a travaillé dans le goût & avec le même soin que Miéris. Son dessein est assez correct, sa touche est ferme, ses figures ont beaucoup de relief ; mais ses carnations sont fades, & approchent de l'yvoire : ses compositions manquent aussi de ce feu préférable au beau fini. Il a traité quelques sujets d'Histoire. L'électeur Palatin qui goûtoit sa maniere, le combla de biens & d'honneurs. Ses principaux ouvrages sont à Dusseldorp dans la collection de cet électeur ; on y voit entr'autres les quinze tableaux qu'a faits Van-der-Werff sur les mystères de la Religion, & qui sont les chefs-d'oeuvre de cet artiste.

Van-Huysum, (Jean) né à Amsterdam en 1682, mort dans la même ville en 1749, le peintre de Flore & de Pomone. Il n'a point eu de maître dans l'art de représenter des fleurs & des fruits. Le velouté des fruits, l'éclat des fleurs, la fraîcheur & le transparent de la rosée, le mouvement qu'il savoit donner aux insectes, tout enchante dans les tableaux de ce peintre unique en son genre ; mais il n'y a que des princes ou de riches particuliers qui puissent les acquérir. Nous possédons depuis quelque tems en France, deux des plus beaux tableaux de ce célébre artiste ; M. de Voyer d'Argenson qui desiroit les avoir, les couvrit d'or pour se les procurer. Article de M(D.J.)

ECOLE LOMBARDE, (Peint.) Le grand goût de dessein formé sur l'antique & sur le beau naturel, des contours coulans, une riche ordonnance, une belle expression, des couleurs admirablement fondues, un pinceau leger & moëlleux, enfin une touche savante, noble & gracieuse, caractérisent les célébres artistes de cette école. Soit que l'on ne regarde pour lombards que les ouvrages qui ont précédé la galerie Farnese, soit que l'on comprenne avec nous dans l'école lombarde celle de Bologne, qui fut établie par les Carraches, il sera toûjours vrai de dire que les grands maîtres qui se succéderent ici consécutivement, se sont également immortalisés par des routes différentes, & toûjours si belles, qu'on seroit fâché de ne les pas connoître.

Mais la maniere du Correge, fondateur de l'école lombarde proprement dite, est le produit d'un heureux génie qui reçut son pinceau de la main des graces ; cependant on ne sauroit s'empêcher d'admirer les grands artistes qui parurent après lui : le Parmesan, dont les figures charmantes attachent les regards, & dont les draperies semblent être agitées par le vent ; les Carraches, gracieux ou corrects, & séveres dans le dessein mêlé du beau naturel & de l'antique ; le Caravage, qui prenant une route opposée, tirée de son caractère, peint la nature avec tous ses défauts, & cependant avec tant de force & de vérité, qu'il laisse le spectateur dans l'étonnement ; le Guide, qui se fit une maniere originale si goûtée de tout le monde ; l'Albane, qui nous enchante par ses idées poëtiques, & par son pinceau riant & gracieux ; Lanfranc, né pour l'exécution des plus grandes entreprises ; le Dominiquin, qui a fourni par ses travaux une source inépuisable de belles choses ; enfin le Guerchin, qui, même sans la correction du dessein, sans aucun agrément, plaît encore par son style dur & terrible. Voilà les hommes qu'a produits l'école lombarde pendant sa courte durée, c'est-à-dire dans l'espace d'un siecle ; & dans cet intervalle il ne vint point de taillis ni à côté, ni au milieu de ces grands chênes.

Correge, (Antoine Allégri, dit le) né, selon Vasari, à Corrégio dans le Modénois, l'an 1475 ; &, selon d'autres, plus vraisemblablement en 1494, mourut dans la même ville en 1534. Ce puissant génie, ignorant ses grands talens, mettoit un prix très-modique à ses ouvrages, & les travailloit d'ailleurs avec beaucoup de soin ; ce qui joint au plaisir qu'il prenoit d'assister les malheureux, le fit vivre lui-même dans la misere. étant un jour allé à Parme recevoir le prix d'un de ses tableaux, qui se montoit à 200 livres, on le paya en monnoie de cuivre : l'empressement de porter cette somme à sa pauvre famille, l'empêcha de faire attention à la pesanteur du fardeau, à la chaleur de la saison, au chemin qu'il avoit à faire à pié ; il s'échauffa, & gagna une pleurésie dont il mourut à la fleur de son âge.

Il ne paroît pas que le Correge ait rien emprunté de personne ; tout est nouveau dans ses ouvrages, ses compositions, son dessein, sa couleur, son pinceau : & quelle admirable nouveauté ! ses pensées sont très-élevées, sa couleur enchante, & son pinceau paroît manié par la main d'un ange. Il est vrai que ses contours ne sont pas corrects, mais ils sont d'un grand goût ; ses airs de têtes sont gracieux & d'un choix singulier, principalement ceux des femmes & des petits enfans. Si l'on joint à tout cela l'union qui paroît dans le travail du Correge, & le talent qu'il avoit de remuer les coeurs par la finesse de ses expressions, on n'aura pas de peine à croire que ces belles parties lui venoient plûtôt de la nature que d'aucune autre source.

Le Correge n'étant pas encore sorti de son bourg, quoiqu'il fût déjà un peintre du premier ordre, fut si rempli de ce qu'il entendoit dire de Raphaël, que les princes combloient à l'envi de présens & d'honneurs, qu'il s'imagina que cet artiste qui faisoit un si grand bruit, devoit être d'un mérite bien supérieur au sien, qui ne l'avoit pas encore tiré de la médiocrité. En homme sans expérience du monde, il jugeoit de la supériorité du mérite de Raphaël sur le sien, par la différence de leurs fortunes. Enfin le Correge parvint à voir un tableau de ce peintre si célébre ; après l'avoir examiné avec attention, après avoir pensé ce qu'il auroit fait, s'il avoit eu à traiter le même sujet que Raphaël avoit traité, il s'écria : Je suis un peintre aussi-bien que lui, & il l'étoit en effet. Il ne se vantoit pas, puisqu'il a produit des ouvrages sublimes, & pour les pensées, & pour l'exécution. Il osa le premier mettre des figures véritablement en l'air, & qui plafonnent, comme disent les Peintres. Pour ses tableaux de chevalet, ils sont d'un prix immense.

Parmesan, (François Mazzuoli, dit le) né à Parme en 1504, & mort dans la même ville en 1540. Il exécuta, n'ayant que seize ans, des tableaux qui auroient pû faire honneur à un bon maître. A l'âge de vingt ans, l'envie de se perfectionner, & d'étudier avec tout le soin possible les ouvrages de Michel-Ange & de Raphaël, le conduisit à Rome. On rapporte que pendant le sac de cette ville en 1527, il travailloit avec tant d'attache & de sécurité, que les soldats espagnols qui entrerent chez lui en furent frappés ; les premiers se contenterent de quelques desseins, les suivans enleverent tout ce qu'il possédoit. Protogene se trouva à Rhodes dans des circonstances pareilles, mais il fut plus heureux. Voyez Protogene, au mot PEINTRES ANCIENS.

Le Parmesan contraint de céder à la force, & privé de ses richesses pittoresques, vint à Bologne, où il partageoit son goût entre la Gravûre & la Peinture, quand son graveur lui vola ses planches & ses desseins. Cette nouvelle perte mit le Parmesan au desespoir, quoiqu'il eût assez promtement le bonheur de recouvrer une partie du vol. Il quitta Bologne & se rendit à Parme, où trouvant des secours & de la consolation, il fit dans cette ville de grands & de beaux ouvrages ; mais enfin s'avisant de donner dans les prétendus secrets de l'Alchimie, il perdit à les chercher, son tems, son argent, sa santé, & mourut misérable à l'âge de trente-six ans.

La vivacité de l'esprit, la facilité du pinceau, la fécondité du génie, toûjours tourné du côté de l'agrément & de la gentillesse ; le talent de donner beaucoup de graces à ses attitudes aussi-bien qu'à ses têtes ; un beau choix des mêmes airs & des mêmes proportions, qu'on aime quoiqu'il soit souvent réitéré ; des draperies legeres & bien contrastées, sont les parties qui caractérisent les ouvrages de cet aimable maître.

Ses desseins pour la plûpart à la plume, & surtout en petit, sont précieux : on y remarque quelques incorrections & quelques affectations, sur-tout à faire des doigts extrèmement longs ; mais on ne voit guere ailleurs une touche plus legere & plus spirituelle. Enfin dans les tours de ses figures il regne une flexibilité qui fait valoir ses desseins, lors même qu'ils pechent par la justesse des proportions.

Les Carraches, qui ont acquis tant de gloire & de réputation, étoient Louis, Augustin, & Annibal Carrache, tous trois de Bologne.

Carrache, (Louis) né à Bologne en 1555, décéda dans la même ville en 1619. Louis Carrache étoit un de ces genies tardifs, lents à se développer, mais qui venant à leur point de maturité, brillent tout-à-coup, & laissent le spectateur dans un étonnement mêlé de plaisir. La vüe des merveilles de l'art jointe à un travail soûtenu, l'égalerent aux plus grands peintres d'Italie. Au goût maniéré qui regnoit de son tems à Rome, Louis Carrache opposa l'imitation de la nature & les beautés de l'antique. Dans cette vüe il établit à Bologne une académie de Peinture dont il devint le chef, & conduisit les études d'Augustin & d'Annibal Carrache ses cousins. Voilà l'école de Bologne, dont les Carrache & leurs disciples ont rendu le nom si célébre dans la Peinture.

L'histoire de saint Benoît & celle de sainte Cécile, que Louis Carrache a peintes dans le cloître saint Michel in Bosco à Bologne, forme une des belles suites qu'il y ait au monde. Ce grand maître avoit un esprit fécond, un goût de dessein noble & toûjours gracieux : il mettoit beaucoup de correction dans ses ouvrages ; sa maniere est non-seulement savante, mais pleine de graces, à l'imitation du Correge. Ses desseins arrêtés à la plume, sont précieux ; il y regne une agréable simplicité, beaucoup d'expression, de correction, jointes à une touche délicate & spirituelle.

Carrache, (Augustin) né à Bologne en 1558, mort à Parme en 1602. Il étoit frere aîné d'Annibal, & cousin de Louis. Son goût le portoit également à toutes les Sciences & à tous les beaux Arts, mais il s'appliqua particulierement à la Gravûre & à la Peinture. Corneille Cort le guida dans la gravûre, & il s'est fait encore plus connoître en ce genre, que par ses tableaux. Cependant sa composition est savante ; il donnoit à ses figures beaucoup de gentillesse, mais ses têtes n'ont point la fierté de celles d'Annibal. Ses grands ouvrages de peinture se voyent à Bologne, à Rome & à Parme.

Carrache, (Annibal) le grand Carrache, né à Bologne en 1560, mort en 1609. Son pere le destinoit à sa profession de Tailleur d'habits : mais la nature l'avoit destiné à en faire un des premiers peintres de l'Europe. Louis Carrache son cousin, lui montra les principes de son art. L'étude qu'Annibal Carrache fit en même tems des ouvrages du Correge, du Titien, de Michel-Ange, de Raphaël, du Parmesan, & des autres grands maîtres, lui donna un style noble & sublime, des expressions frappantes, un goût de dessein correct, fier, & majestueux, qu'il augmenta même à mesure qu'il diminua dans le goût du coloris : ainsi ses derniers ouvrages sont d'un dessein plus prononcé, mais d'un pinceau moins tendre, moins fondu, & moins agréable.

Il a aussi excellé dans le paysage ; ses arbres sont d'une forme exquise, & d'une touche très-legere. Les desseins qu'il en a faits à la plume, ont un caractere & un esprit merveilleux. Il excelloit encore à dessiner des caricatures, c'est-à-dire des portraits, qui en conservant la vraisemblance d'une personne, la représentent avec un air ridicule ; & tel étoit son talent en ce genre, qu'il savoit donner aux animaux & même à des vases, la figure d'un homme qu'il vouloit critiquer.

La galerie du cardinal Farnese, ce magnifique chef-d'oeuvre de l'art, lui coûta huit années du travail le plus opiniâtre, le plus pénible, & le plus fini ; il y prit des soins incroyables, pour mettre cet ouvrage au plus haut point de perfection : cependant il en fut récompensé, non comme un artiste qui venoit de faire honneur par ses rares talens à l'humanité & à sa patrie, mais comme un artisan dont on toise le travail. Cette espece de mépris le pénétra de douleur, & causa vraisemblablement sa mort, qui arriva quelque tems après.

Les desseins d'Annibal sont d'une touche également ferme & facile. La correction est la plus exacte dans ses figures ; la nature y est parfaitement rendue. Il avoit un dessein fier, mais moins gracieux que celui de Louis Carrache. Ce célébre peintre a gravé à l'eau-forte plusieurs sujets, avec autant d'esprit que de goût. On a aussi gravé d'après lui. Ses grands morceaux de peinture sont à Bologne, à Parme, & à Rome. La chapelle de S. Grégoire in monte Celio da Soria, est de sa main. On admire la chambre qu'il a peinte à Monte Cavallo, palais de Rome que les papes habitent ordinairement l'été. On voit un S. Xavier d'Annibal Carrache dans l'église de la maison professe des Jésuites à Paris. Le S. Antoine, & le S. Pierre en pleurs de ce maître, sont au palais Borghese.

Schidone, (Bartholomeo) né à Modene vers l'an 1560, mort à Parme en 1616. Il se mit sous la discipline d'Annibal Carrache, & s'attacha cependant à imiter le style du Correge, dont il a beaucoup approché. Sa passion pour le jeu, plaisir amer & si souvent funeste, le réduisit au point de mourir de douleur de ne pouvoir payer ce qu'il y perdit en une nuit. Les tableaux de ce charmant artiste sont très-rares ; ceux qu'on voit de lui sont précieux pour le fini, pour les graces & la délicatesse de sa touche, pour le choix & la beauté de ses airs de têtes, pour la tendresse de son coloris, & la force de son pinceau ; ses desseins sont pleins de feu & de goût. Il a fait en portraits une suite des princes de la maison de Modene.

Michel Ange de Caravage, (appellé communément Michel Ange Amérigi) naquit en 1569 au château de Caravage, situé dans le Milanès, & mourut en 1609. Ce peintre s'est rendu très-illustre par une maniere extrèmement forte, vraie, & d'un grand effet, de laquelle il est auteur. Il peignoit tout d'après nature, dans une chambre où la lumiere venoit de fort haut. Comme il a exactement suivi ses modeles, il en a imité les défauts & les beautés : car il n'avoit point d'autre idée que l'effet du naturel présent.

Son dessein étoit de mauvais goût ; il n'observoit ni perspective, ni dégradation ; ses attitudes sont sans choix, ses draperies mal jettées ; il n'a connu ni les graces, ni la noblesse ; il peignoit ses figures avec un teint livide, des yeux farouches, & des cheveux noirs. Cependant tout étoit ressenti ; il détachoit ses figures, & leur donnoit du relief par un savant artifice du clair-obscur, par un excellent goût de couleurs, par une grande vérité, par une force terrible, & par un pinceau moëlleux, qui ont rendu son nom extrèmement célébre.

Le caractere de ce peintre, semblable à ses ouvrages, s'est toûjours opposé à son bonheur. Il eut une affaire fâcheuse à Milan ; il en eut une autre à Rome avec le Josépin ; il insulta à Malte un chevalier de l'ordre ; en un mot il se fit des affaires avec tout le monde, fut misérable toute sa vie, & mourut sans secours sur un grand chemin. Il mangeoit seul à la taverne, où n'ayant pas un jour de quoi payer, il peignit l'enseigne du cabaret, qui fut vendue une somme considérable.

Ses desseins sont heurtés d'une grande maniere, la couleur y est rendue ; un goût bizarre, la nature imitée avec ses défauts, des contours irréguliers, & des draperies mal jettées, peuvent les caractériser.

Ses portraits sont très-bons. Le roi de France a celui du grand maître de Vignacourt que ce peintre fit à Malte. Il y a, je crois, un de ses tableaux aux Dominicains d'Anvers, que Rubens appelloit son maître. On vante singulierement un cupidon du Caravage, & son tableau de l'incrédulité de S. Thomas, qu'il a gravé lui-même. Mais que dirons-nous de son Prométhée attaché au rocher ? on ne peut regarder un moment cette peinture sans détourner la vüe, sans frissonner, sans ressentir une impression qui approche de celle que l'objet même auroit produite.

Le Caravage a fait pendant son séjour à Malte, pour l'église de ce lieu, la décollation de S. Jean. Le grand autel de l'église de S. Louis à Rome, est peint par le Caravage ; il a peint un Christ porté au sépulchre, dans l'église de sainte Marie in Vallicella. Tous ces morceaux ont un relief étonnant.

Guido Réni, que nous appellons le Guide, naquit à Bologne en 1575, & mourut dans la même ville en 1642. Denis Calvart fut son premier maître ; il passa ensuite sous la discipline des Carraches, & ne fut pas long-tems sans se distinguer par la supériorité de son génie. Le pape Paul V. exerça ses talens, qu'il ne pouvoit se lasser d'admirer. Il lui donna pour preuve de son estime particuliere, un équipage & une forte pension.

Alors le Guide vivoit honorablement, & joüissoit de sa renommée ; mais semblable au Schidone, l'amour du jeu vint par malheur s'emparer de son ame : il y faisoit des pertes considérables, qui le mettoient continuellement dans l'indigence, & qu'il réparoit néanmoins par sa facilité prodigieuse à manier le pinceau : obligé de satisfaire aux ouvrages qu'on lui demandoit de tous côtés, il reçut long-tems un prix considérable des chefs-d'oeuvre, qui sortoient de son attelier avec une promtitude étonnante. Enfin devenu vieux, & ne trouvant plus dans son pinceau la même ressource qu'il lui procuroit dans le fort de l'âge, d'ailleurs poursuivi par ses créanciers, abandonné, comme il est trop ordinaire, par ceux même qu'il mettoit au nombre de ses amis, ce célébre artiste mourut de chagrin.

La grandeur, la noblesse, le goût, la délicatesse, & par-tout une grace inexprimable, sont les marques distinctives qui caractérisent toutes les productions de cet aimable peintre, & qui les rendent l'objet d'une admiration générale.

Les ouvrages que le Guide a laissés à Rome & à Bologne, sont ce qu'il a fait de plus considérable. On vante beaucoup son crucifix, qui est dans la chapelle de l'Annonciade ; S. Laurent in Lucina, son Ariane, sa Vierge qui coud, David vainqueur de Goliath, & l'enlevement d'Helene par Paris : ces deux derniers tableaux sont à l'hôtel de Toulouse, & pechent néanmoins du côté de l'expression, qui n'est point assez vive ni assez animée. Mais le couvent des Carmelites du fauxbourg Saint-Jacques possede un admirable tableau du Guide, dont le sujet est une Annonciation. Son martyre des Innocens est connu de tout le monde. La famille Ludovisio à Rome possede quatre beaux tableaux du Guide, une Vierge, une Judith, une Lucrece, & la conversion de S. Paul. Enfin le tableau de ce grand maître, qui a fait le plus de bruit dans Rome, est celui qu'il peignit en concurrence du Dominiquin dans l'église de S. Grégoire.

Il travailloit également bien à huile & à fresque. Il se plaisoit à la musique, & à sculpter. Il a gravé à l'eau-forte beaucoup de sujets de piété, d'après Annibal Carrache, le Parmesan, &c. On a aussi beaucoup gravé d'après le Guide.

Ses desseins se font connoître par la franchise de sa main, par la legereté de sa touche, par un grand goût de draperies joint à la beauté de ses airs de têtes. Il ne faut pas croire, dit M. Mariette à ce sujet, que le Guide se soit élevé si haut, sans s'être assujetti à un travail opiniâtre : l'on s'en apperçoit aisément, & sur-tout dans les desseins qu'il a faits en grand pour ses études. Tout y est détaillé avec la derniere précision ; l'on y voit un artiste qui consulte perpétuellement la nature, & qui ne se fie point à l'heureux talent qu'il a de l'embellir.

Albane, (François) né à Bologne en 1578, mort dans la même ville en 1660. Son pere, marchand de soie, voulut inutilement le faire de sa profession. La passion dominante du fils, le décida pour la Peinture. Il se mit d'abord chez Denis Calvart dont nous avons parlé ci-dessus, & pour son bonheur il y trouva le Guide. Ils se lierent d'une étroite amitié, & ne tarderent pas à passer ensemble dans l'école des Carraches ; ensuite ils se rendirent à Rome, où l'Albane perfectionna ses talens, & devint un des plus agréables & des plus savans peintres du monde. Il cultiva toute sa vie l'étude des belles-lettres, & se servit utilement & ingénieusement des lumieres qu'elles lui fournirent, pour enrichir ses inventions des ornemens de la Poësie.

Il épousa en secondes noces une femme qui lui apporta en dot peu de richesses, mais une grande beauté. Elle servit plus d'une fois de modele à l'Albane, qui la peignoit tantôt en nymphe, tantôt en Vénus, tantôt en déesse. Il en eut douze enfans, & prit le même plaisir à les peindre en amours ; sa femme les tenoit dans ses bras, ou les suspendoit avec des bandelettes, & les lui présentoit dans toutes les attitudes touchantes qu'il a si bien exprimées dans ses petits tableaux. De-là vient qu'ils se sont dispersés comme des pierres précieuses par toute l'Europe, & ont été payes très-chérement : il ne faut pas s'en étonner ; la legereté, l'enjouement, la facilité, & la grace, caractérisent les ouvrages de l'Albane.

Lanfranc, (Jean) né à Parme de parens pauvres en 1581, mort à Rome dans l'opulence en 1647. Disciple des Carraches, il fit des progrès rapides qui lui acquirent promtement de la célébrité, des richesses, & beaucoup d'occupation. Il excelloit dans les grandes machines, & se montra dans ce genre un des premiers peintres du monde. La voûte de la premiere chapelle de l'église de S. Pierre, & la coupole de S. André della Vallé à Rome, justifierent la hardiesse & l'étendue de son génie.

Les papes Paul V. & Urbain VIII. comblerent Lanfranc de biens & d'honneurs ; mais sur-tout un caractere doux & tranquille, une femme aimable, & des enfans qui réunissoient tous les talens d'agrément, le rendirent heureux.

Ses principaux ouvrages sont à Rome, à Naples, & à Plaisance. Toute la chapelle de S. Jean-Baptiste à Rome, est de sa main.

Dominiquin, (Dominique Zampiéri, dit le) né à Bologne en 1581, mort en 1641. Il se mit sous la discipline des Carraches, & remplit la prophétie d'Annibal son maître, qui prédit que le Dominiquin nourriroit un jour la Peinture. Cependant ses études furent tournées en ridicule, ses premières productions méprisées, sa persévérance traitée de tems perdu, & son silence de stupidité.

En effet la nature lui donna un esprit paresseux, pesant, & stérile ; mais par son opiniâtreté dans le travail, il acquit de la facilité, de la fécondité, de l'imagination, j'allois presque dire du génie : du moins sa persévérance opiniâtre, la bonté cachée de son esprit, & la solidité de ses réflexions, lui tenant lieu du don de la nature, que nous appellons génie, ont fait produire au Dominiquin des ouvrages dignes de la postérité.

Absorbé dans son art, il amassa peu-à-peu un thrésor de science, qui se découvrit en son tems. Son esprit enveloppé comme un ver à soie l'est dans sa coque, après avoir long-tems travaillé dans la solitude, se développa, s'anima, prit l'essor, & se fit admirer non-seulement de ses confreres qui avoient tâché de le dégoûter, mais des Carraches même qui l'avoient soûtenu. En un mot, les pensées du Dominiquin s'éleverent insensiblement au point qu'il s'en faut peu qu'elles ne soient arrivées jusqu'au sublime, si l'on ne veut pas convenir qu'il y a porté quelques-uns de ses ouvrages ; comme le martyre de S. André, la communion de S. Jerôme, le S. Sébastien qui est dans la seconde chapelle de l'église de saint Pierre, le Musée, & autres morceaux admirables, qu'il a faits à Rome à la chapelle du thrésor de Naples, & à l'abbaye de Grotta Ferrata ; monumens éternels de sa capacité.

Je crois bien que les parties de la peinture que possédoit cet homme rare, sont la récompense de ses soins, de ses peines, & de ses travaux assidus, plûtôt que les fruits de son génie ; mais travail ou génie, ce que ce grand maître a exécuté servira toûjours de modele à tous les peintres à venir.

Les compagnons d'étude du Dominiquin, après l'avoir méprisé, devinrent ses rivaux, ses envieux, & furent enfin si jaloux de son rare mérite, qu'ils tâcherent de détruire ses ouvrages par des moyens aussi honteux, que ceux qui furent employés en France dans le même siecle contre les peintures de le Sueur.

Le Dominiquin a parfaitement réussi dans les fresques ; ses tableaux à l'huile ne sont pas pour la plûpart aussi bons ; le travail se fait sentir dans les desseins & les études qu'il a fait à la pierre noire & à la plume ; sa touche en est peinée, & leur médiocrité donneroit quelquefois lieu de douter du nom de leur auteur.

Guerchin, (Jean-François Barbiéri da Cento, dit le) né à Cento près de Bologne en 1590, mort en 1666. Le surnom de Guercino ou de Guerchin lui fut donné parce qu'il étoit louche. L'école des Carraches, la vüe des ouvrages des grands maîtres, & son génie, le firent marcher dans le chemin de la renommée.

Il s'attacha à la maniere du Caravage, préférablement à celle du Guide & de l'Albane, qui lui parut trop foible. Quoiqu'il ait peint avec peu de correction & d'agrément, & qu'il eût été à souhaiter qu'il eût joint à son grand goût de composition, à son dessein, à la fierté de son style, plus de noblesse dans les airs de tête, & plus de vérité dans les couleurs locales ; cependant ces défauts ne peuvent empêcher que le Guerchin ne passe pour un grand maître dans l'esprit des connoisseurs.

Le nombre de ses ouvrages répandus dans toute l'Italie, est presque incroyable ; personne n'a travaillé avec plus de facilité & de promtitude ; il a peint beaucoup à fresque ; il a fait aussi une quantité prodigieuse de desseins, qui sont à la vérité de simples esquisses, mais pleines de feu & d'esprit.

Mola, (Pietro Francesco) né dans le Milanès en 1621, mort à Rome en 1666. Il entra dans l'école de l'Albane, & se rendit ensuite à Venise, où il prit du Bassan & du Titien le goût du coloris. Il étoit bon dessinateur, & excellent paysagiste. On remarque dans ses peintures du génie, de l'invention, & beaucoup de facilité. Ses principaux ouvrages sont à Rome.

Cignani, (Carlo) né à Bologne en 1628, mort à Forli en 1719. Disciple de l'Albane, il acquit une grande réputation dans son art. La coupole de la Madona del Fuoco de la ville de Forli, où cet artiste a représenté le paradis, fait admirer la beauté de son génie. Il eut dix-huit enfans, dont un seul lui survécut, & aucun d'eux ne devint peintre. Le Cignani étoit correct dans son dessein, gracieux dans son coloris, élégant dans ses compositions. Il peignoit avec facilité, drapoit avec goût, & manquoit seulement de feu dans l'expression des passions de l'ame. Ses demi-figures sont finies, & ses Vierges très-belles. La douceur des moeurs, jointe à la bonté, à l'humanité, & à la générosité, caractérisoient son ame. Ses principaux ouvrages sont à Rome, à Bologne, & à Forli. Article de M(D.J.)

ECOLE ROMAINE, (Peinture) On trouve dans les ouvrages des habiles maîtres de cette école un goût formé sur l'antique, qui fournit une source inépuisable de beautés du dessein, un beau choix d'attitudes, la finesse des expressions, un bel ordre de plis, un style poëtique embelli par tout ce qu'une heureuse imagination peut inventer de grand, de pathétique, & d'extraordinaire. La touche de cette école est facile, savante, correcte & gracieuse ; sa composition est quelquefois bizarre, mais élégante.

Le coloris est la partie qu'elle a négligé davantage, défaut commun à presque tous ceux qui ont correctement dessiné. Ils ont crû qu'ils perdroient le fruit de leurs tableaux, s'ils laissoient ignorer au monde à quel point ils possédoient cette partie, & qu'on leur pardonneroit aisément tout ce qui leur manqueroit d'ailleurs, quand on seroit content de la régularité de leurs desseins, de la correction dans les proportions, de l'élégance dans les contours, & de la délicatesse dans les expressions, objets essentiels de l'art.

Mais les intentions de cet art ne se trouvent pas moins dans le coloris que dans le dessein ; car le peintre qui est l'imitateur de la nature, ne sauroit imiter cette nature, que parce qu'elle est visible ; & elle n'est visible, que parce qu'elle est colorée. Disons donc que si le dessein est le fondement du coloris, s'il subsiste avant lui, c'est pour en recevoir sa perfection. Le peintre ébauche d'abord son sujet par le moyen du dessein ; mais il ne peut le finir que par le coloris, qui, répandant le vrai sur les objets dessinés, y jette en même tems toute la perfection dont la peinture est susceptible.

Les peintres de l'école romaine ont le bonheur de nommer Raphael à leur tête ; & il est certain que son mérite éminent, & les disciples qu'il a formés, font la plus grande gloire de cette école. D'ailleurs les plus célébres artistes du monde, à commencer par Michel-Ange, ont embelli Rome de leurs chefs-d'oeuvre, afin de s'immortaliser eux-mêmes. En effet toutes les églises & tous les palais de cette capitale sont ornés des merveilles de l'art & de la nature. On ne peut voir sans étonnement la multitude de belles choses que Rome possede, malgré la perte de celles que les richesses des pays étrangers lui ont enlevées & lui enlevent journellement. Ses ruines seules lui procurent sans cesse d'admirables morceaux de sculpture antique, des statues, des colonnes, des bas-reliefs, &c. En un mot il n'y a qu'à profiter dans son séjour pour ceux qui veulent s'instruire des beaux Arts ; aussi vient-on de toutes parts les y étudier. C'est un noble hommage, dit M. de Voltaire, que rend à Rome ancienne & moderne le desir de l'imiter ; & l'on n'a point encore cessé de lui rendre cet hommage pour la peinture, quoiqu'elle soit dénuée depuis un tems considérable de peintres, dont les ouvrages puissent passer à la postérité. Plus cette derniere réflexion est vraie, plus ma liste de l'école romaine doit devenir moins nombreuse, en y comprenant même le curieux Antoine de Messine, qui porta de Flandres en Italie la découverte de la peinture à l'huile.

Antoine de Messine, ainsi nommé de cette ville sa patrie, florissoit vers l'an 1430. Il a été le premier des Italiens qui ait peint à l'huile. Ayant eu l'occasion de voir à Naples un tableau que le roi Alphonse venoit de recevoir de Flandres, il fut si surpris de la vivacité, de la force, & de la douceur des couleurs de ce tableau, qu'il quitta toutes ses affaires pour aller trouver Jean Van-Eyck, qu'on lui avoit dit être l'auteur de ce bel ouvrage. On sait quelles furent les suites du voyage d'Antoine ; Van-Eyck lui communiqua noblement son secret : de retour à Venise, Bellin le lui arracha adroitement, & le rendit public dans cette ville.

Cependant Antoine l'avoit confié à un de ses éleves nommé Dominique. Ce Dominique appellé à Florence, en fit part généreusement à André del Castagno, qui par la plus noire ingratitude & par l'avidité du gain assassina son ami & son bienfaiteur. Tous ces évenemens arrivant coup sur coup, répandirent promtement le mystere de la peinture à l'huile dans toute l'Italie. Les écoles de Venise & de Florence en firent usage les premieres ; mais celle de Rome ne tarda pas long-tems à les imiter.

Perugin, (Pierre) né à Perouse en 1446, mort dans la même ville en 1524. Elevé dans la pauvreté, il résolut, pour s'en tirer, de s'attacher à la peinture, dont les merveilles occupoient l'Italie, sur-tout depuis la divulgation du secret de la Peinture à l'huile. Le Perugin, après avoir étudié le dessein, se rendit à Florence où il prit des leçons avec Léonard de Vinci d'André Verrochio, qui florissoit alors dans cette ville. Une longue vie lui permit de faire un grand nombre d'ouvrages ; & d'un autre côté beaucoup d'oeconomie, le mirent dans l'opulence, dont l'avarice l'empêcha de joüir. Enfin un filou lui ayant dérobé sa cassette, dans laquelle il portoit toûjours son argent avec lui, la douleur de cette perte causa sa mort. L'incendie du bourg de S. Pierre représentée dans la chapelle de Sixte au vatican, passe pour le chef-d'oeuvre du Perugin. Mais sa plus grande gloire est d'avoir eu Raphael pour disciple : je dis encore que c'est sa plus grande gloire, parce qu'il en profita lui-même, & qu'il devint le disciple à son tour. On voit par les tableaux que le Perugin a faits à la chapelle de Sixte au vatican, qu'il avoit appris de Raphael.

Raphaël Sanzio, né à Urbin en 1483, mort à Rome en 1520. Voilà le roi de la peinture depuis le rétablissement des beaux Arts en Italie ! Il n'a point encore eu d'égal, quoique l'art de la Peinture renferme présentement une infinité d'observations & de connoissances, qu'il ne renfermoit pas du tems de ce grand génie. Ses ouvrages ont porté son nom par tout le monde ; ils sont presque aussi connus que l'Enéide de Virgile. Voyez ce que dit l'abbé Dubos du tableau de l'école d'Athenes, de celui d'Attila, de celui où Jesus-Christ donne les clés à S. Pierre, du tableau appellé la messe du pape Jules ; enfin du tableau de la transfiguration de Notre-Seigneur qu'on regarde comme le chef-d'oeuvre de ce peintre ; j'allois dire de la Peinture, si le souvenir des ouvrages de l'antiquité & le jugement du Poussin n'avoient arrêté mon enthousiasme.

Digne rival de Michel Ange, jamais personne ne reçut peut-être en naissant plus de goût, de génie, ni de talens pour la peinture que Raphael ; & peut-être personne n'apporta-t-il jamais plus d'application à cet art ; Perugin n'est connu que pour avoir été maître de Raphaël. Mais bien-tôt cet artiste laissa le Perugin & sa maniere, pour ne prendre que celle de la belle nature. Il puisa les beautés & les richesses de son art dans les chefs-d'oeuvres de ses prédécesseurs. Sur le bruit des ouvrages que Léonard de Vinci faisoit à Florence, il s'y transporta deux fois pour en profiter. Il continua de former la délicatesse de son goût sur les statues & sur les bas-reliefs antiques, qu'il dessina long-tems avec l'attention & l'assiduité la plus soûtenue. Enfin il joignit à cette délicatesse de goût portée au plus haut point, une grandeur de maniere, que la vüe de la chapelle de Michel Ange lui inspira tout d'un coup. Le pape Jules II. le fit travailler dans le Vatican sur la recommandation de Bramante ; & c'est alors qu'il peignit les ouvrages immortels dont j'ai parlé ci-dessus, outre ceux que ses disciples firent sur ses desseins.

Indépendamment de l'étude que Raphaël faisoit d'après les sculptures & les plus beaux morceaux de l'antique qui étoient sous ses yeux, il entretenoit des gens qui dessinoient pour lui tout ce que l'Italie & la Grece possédoient de rare & d'exquis.

On remarque qu'il n'a laissé que peu ou point d'ouvrages imparfaits, & qu'il les finissoit extrèmement, quoique promtement. C'est pour cela qu'on voit de lui un crayon de petites parties, comme des mains, des piés, des morceaux de draperies, qu'il dessinoit trois ou quatre fois pour un même sujet, afin d'en faire un choix convenable.

Il mourut à la fleur de son âge, n'ayant que trente-sept ans, épuisé par l'amour qu'il avoit pour les femmes, & mal gouverné par les médecins à qui il avoit caché la cause de son mal. Les grands peintres ne sont pas ceux qui ont couru la plus longue carriere ; le Parmesan, Watteau, le Sueur, Lucas de Leyden, le Correge, sont morts entre trente-six & quarante ans ; Vandyck à quarante-deux ans, le Valentin & le Giorgion à trente-deux & trente-trois ans.

Raphaël refusa de se marier avec la niece d'un cardinal, parce qu'il se flatoit de le devenir, suivant la promesse que Léon X. lui en avoit faite.

Un heureux génie, une imagination féconde, une composition simple, & en même tems sublime, un beau choix, beaucoup de correction dans le dessein, de graces & de noblesse dans les figures, de finesse dans les pensées, de naturel & d'expression dans les attitudes ; tels sont les traits auxquels on peut reconnoître la plûpart de ses ouvrages. Pour le coloris, il est fort au-dessous du Titien ; & le pinceau du Correge est sans doute plus moëlleux que celui de Raphaël.

Ce célébre maître manioit parfaitement le crayon ; ses desseins sont singulierement recherchés : on peut les distinguer à la hardiesse de sa main, aux contours coulans de sa figure, & sur-tout à ce goût élégant & gracieux qu'il mettoit dans tout ce qu'il faisoit.

Le Roi possede quelques tableaux de chevalet de Raphaël, entr'autres une vierge connue sous le nom de la belle jardiniere. Il y a deux beaux morceaux de ce savant maître au palais royal : savoir une sainte famille, tableau d'environ deux piés & demi de haut sur vingt pouces de large, & S. Jean dans le desert ; M. le duc d'Orléans régent du royaume paya vingt mille livres ce dernier tableau de Raphaël. Enfin on a beaucoup gravé d'après ce grand homme. Voyez sa vie, vous y trouverez bien d'autres détails.

On compte parmi ses disciples, Jules Romain, Perrin del Vaga, & plusieurs autres ; mais on doit compter pour peintres tous ceux qui ont sû profiter des ouvrages de Raphaël.

Primatice, né à Bologne en 1490, mort à Paris en 1570. Jules Romain perfectionna ses principes ; le duc de Mantoue l'employa à décorer son beau château du T. Les ouvrages de stuc qu'il y fit donnerent une si grande idée de ses talens, qu'il fut appellé à la cour par François I. Il a embelli Fontainebleau de statues qui furent jettées en bronze, de ses peintures, & de celles que Nicolo, & plusieurs autres éleves, ont faites sur ses desseins ; mais le peu d'ouvrages qui nous restent de cet artiste (car la plûpart ne subsistent plus), méritent seulement d'êtres loüés pour le coloris & les attitudes des figures. On voit sans peine qu'ils sont peints de pratique, & manquent de correction ; cependant c'est réellement à lui & à maître Roux, que la France est redevable du bon goût de la peinture.

Jules Romain (son nom de famille est Julio Pippi), né à Rome en 1492, mort à Mantoue en 1546. Il a été le premier & le plus savant des disciples de Raphaël. Sujets d'histoire, tableaux de chevalet, ouvrages à fresque, portraits, paysages ; il excella dans tous ces genres. Il se montra un peintre également sage, spirituel & gracieux, comme simple imitateur de Raphaël. Ensuite se livrant tout à coup à l'essor de son génie, & se traçant une route nouvelle, il ne mérita pas de moindres éloges. Aucun maître n'a mis dans ses tableaux plus d'esprit & de savoir ; en un mot ses ouvrages, malgré les défauts qu'on peut leur reprocher, feront toûjours l'admiration du public.

Ce célébre artiste embellit le château du T. du duc de Mantoue, comme architecte & comme peintre. Les chefs-d'oeuvre qu'il y fit contribuerent non seulement à sa fortune par les bienfaits dont le prince le combla, mais encore à sa sûreté par la puissante protection du duc. Elle sauva Jules des recherches qu'on faisoit de lui pour ses desseins des estampes dissolues, gravées par Marc-Antoine, & que l'Arétin accompagna de sonnets non moins condamnables. L'orage tomba sur le graveur, qui auroit perdu la vie, sans la faveur & le crédit du cardinal de Medicis.

Les desseins que Jules a lavés au bistre, sont très-estimés ; on y remarque beaucoup de correction & d'esprit. Il y a aussi beaucoup de liberté & de hardiesse dans les traits qu'il faisoit toûjours à la plume, de fierté & de noblesse dans ses airs de tête ; mais il ne faut point rechercher dans ses desseins des contours coulans, ni des draperies riches & d'un bon goût. Les batailles de Constantin de ce grand maître sont dans la chapelle de Sixte au vatican. Le martyre de St Etienne qu'on voit à Genes au maître autel de la petite église de saint Etienne, est admirable pour l'observation de la vraisemblance poëtique.

Perrin del Vaga, né dans la Toscane en 1500, mort à Rome en 1547. Il vint fort jeune dans cette capitale par goût pour la peinture, & se mit à dessiner avec beaucoup d'assiduité. Raphaël remarquant ses talens & son génie, en fit son éleve, & lui procura des ouvrages considérables. Après sa mort, Jules Romain & François Penni partagerent avec lui les peintures, dont ils avoient la direction. La sale d'audience du vatican, celle où l'on reçoit les ambassadeurs des têtes couronnées, est presque entierement de ce maître ; mais il n'a pas peint les trois tableaux de cette même sale qu'on y voit toûjours, & qui représentent l'affreux massacre de la S. Barthelemi.

Objectare oculis monstra indignantibus auso

Horruit aspectu pietas, &c.

Perrin del Vaga s'est distingué particulierement à décorer les lieux selon leur usage, genre dans lequel il a excellé.

Nicolo del Abbate, né à Modène en 1512, mort à Paris vers l'an 1580. Eleve du Primatice, ce peintre l'engagea de venir en France avec lui, & ils travaillerent ensemble à peindre à fresque dans le château de Fontainebleau la galerie d'Ulysse ainsi nommée, parce que les avantures du roi d'Ithaque étoient représentées dans cette galerie en cinquante-huit tableaux. L'ouvrage est presque entierement détruit. Les seuls desseins qui étoient de la main du Primatice, doivent subsister encore ; du moins ils faisoient un des ornemens du cabinet de M. Crosat avant sa mort.

Baroche, (Fréderic) né à Urbin en 1528, mort dans la même ville en 1612. Le cardinal della Rovere prit sous sa protection ce célebre artiste, qui n'avoit encore que vingt ans, & l'occupa dans son palais. C'est un des plus gracieux, des plus judicieux, & des plus aimables peintres d'Italie. Il a fait beaucoup de tableaux d'histoire, mais il a surtout réussi dans les sujets de dévotion. Il se servoit pour ses vierges d'une soeur qu'il avoit, & pour le petit christ d'un enfant de cette même soeur.

L'usage du Baroche étoit de modeler d'abord en cire les figures qu'il vouloit peindre, ou bien il faisoit mettre des personnes choisies de l'un & de l'autre sexe dans les attitudes propres à son sujet. On reconnoît dans ses ouvrages le style, & les graces du Correge ; mais quoiqu'il dessinât plus correctement que cet aimable peintre, ses contours n'étoient ni d'un si grand goût ni si naturels ; il outroit les attitudes de ses figures, & prononçoit trop les parties du corps.

L'on a gravé d'après lui, & lui-même a gravé plusieurs morceaux à l'eau-forte, qui petillent de feu & de génie. Ses tableaux font un des ornemens des cabinets des curieux.

Feti, (Dominique) né à Rome en 1589, mort à Venise en 1624 à la fleur de son âge ; sa passion pour les femmes abregea sa carriere. Il fut disciple de Civoli, mais il perfectionna son goût par l'étude des ouvrages des premiers maîtres de Rome. Il avoit une grande maniere, de la finesse dans ses pensées, une expression vive, une touche piquante, & quelque chose de moëlleux ; on lui desireroit seulement plus de correction, & un ton de couleur moins noir : ses tableaux sont fort goûtés des amateurs. Le palais du duc de Mantoue a été embelli des peintures du Feti. Ses desseins sont extrèmement rares ; & heurtés d'un grand goût. Il a fait des études admirables peintes à l'huile sur du papier.

Sacchi, (André) né à Rome en 1599, mort dans la même ville en 1661. On retrouve dans ses ouvrages les graces & la tendresse du coloris qu'on admire dans les tableaux de l'Albane, dont il fut éleve. Ses figures brillent par l'expression, ses draperies par la simplicité ; ses idées sont nobles, & sa touche finie sans être peinée. Ses desseins sont aussi très-précieux ; une belle composition, des expressions vives, une touche facile, des ombres & des clairs bien ménagés, en caractérisent le mérite.

Michel-Ange des Batailles, né à Rome en 1602, mort dans la même ville en 1660. Son nom de famille étoit Cercozzi. Son surnom des Batailles lui vint de son habileté à représenter ces sortes de sujets. Il se plaisoit aussi à peindre des fleurs, des fruits, surtout des pastorales, des marchés, des foires, en un mot des bambochades ; ce qui le fit encore appeller Michel-Ange des Bambochades.

Il avoit une imagination vive, une grande prestesse de main, & mettoit beaucoup de force & de verité dans ses peintures ; son coloris est bon, & sa touche très-legere ; rarement il faisoit le dessein ou l'esquisse de son tableau. On a gravé quelques batailles d'après ce maître dans le Strada de Bello Belgico de l'édition de Rome in-folio.

Maratte, (Carle) né en 1625 à Camérano dans la Marche d'Ancône, mort à Rome en 1713. André Sacchi le reçut dans son école, où Carle Maratte resta 19 ans. Il étudia les ouvrages de Raphaël, des Carraches, & du Guide, & se fit d'après ces grands maîtres, une maniere qui le mit dans une haute réputation. Il devint un des plus gracieux peintres de son tems, & ses tableaux très-recherchés pendant sa vie, n'ont point perdu de leur mérite depuis sa mort.

Ce maître a excellé à peindre des vierges ; il étoit fort instruit de toutes les parties de son art, possédoit bien la perspective, avoit un bon coloris, & un dessein très-correct. On a de lui plusieurs planches gravées à l'eau-forte, où il a mis beaucoup de goût & d'esprit. Ses principaux ouvrages sont à Rome. La maison professe des jésuites de Paris a un S. Xavier de ce maître, indépendamment de celui d'Annibal Carrache ; on peut les comparer : mais n'oublions pas un trait à son honneur, rapporté par l'abbé Dubos. Carle Maratte ayant été choisi comme le premier peintre de Rome, pour mettre la main au plafond du palais Farnese, sur lequel Raphaël a représenté l'histoire de Psyché, il n'y voulut rien retoucher qu'au pastel, afin, dit-il, que s'il se trouve un jour quelqu'un plus digne que moi d'associer son pinceau avec celui de Raphaël, il puisse effacer mon ouvrage pour y substituer le sien.

ECOLE VENITIENNE, (Peint.) Un savant coloris, une grande intelligence du clair-obscur, des touches gracieuses & spirituelles, une imitation simple & fidele de la nature, qui va jusqu'à séduire les yeux ; voilà en général les parties qui caractérisent spécialement les beaux ouvrages de cette école. On reproche à l'école romaine d'avoir négligé le coloris, on peut reprocher à l'école vénitienne d'avoir négligé le dessein & l'expression. Comme il y a très-peu d'antiques à Venise, & très-peu d'ouvrages du goût romain, les peintres vénitiens se sont attachés à représenter le beau naturel de leur pays ; ils ont caractérisé les objets par comparaison, non seulement en faisant valoir la véritable couleur d'une chose, mais en choisissant dans cette opposition, une vigueur harmonieuse de couleur, & tout ce qui peut rendre leurs ouvrages plus palpables, plus vrais, & plus surprenans.

Il est inutile d'agiter ici la question sur la prééminence du coloris, ou sur celle du dessein & de l'expression ; jamais les personnes d'un sentiment opposé ne s'accorderont sur cette prééminence, dont on juge toûjours par rapport à soi-même : suivant que par des yeux plus ou moins voluptueux, on est plus ou moins sensible au coloris, ou bien à la poësie pittoresque par un coeur plus ou moins facile à être ému, on place le coloriste au-dessus du poëte, ou le poëte au-dessus du coloriste. Le plus grand peintre pour nous, est celui dont les ouvrages nous font le plus de plaisir, comme le dit fort bien l'abbé du Bos. Les hommes ne sont pas affectés également par le coloris ni par l'expression, parce qu'ils n'ont pas le même sens également délicat, quoiqu'ils supposent toûjours que les objets affectent intérieurement les autres, ainsi qu'ils en sont eux-mêmes affectés.

Celui, par exemple, qui défend la supériorité du Poussin sur le Titien, ne conçoit pas qu'on puisse mettre au-dessus d'un poëte, dont les inventions lui donnent un plaisir extrème, un artiste qui n'a su que disposer les couleurs, dont l'harmonie & les richesses, lui font un plaisir médiocre. Le partisan du Titien de son côté, plaint l'admirateur du Poussin, de préférer au Titien, un peintre qui n'a pas su charmer les yeux, & cela pour quelque invention, dont il juge que tous les hommes ne doivent pas être touchés, parce que lui-même ne l'est que foiblement. Chacun opine donc, en supposant comme une chose décidée, que la partie de la peinture qui lui plaît davantage, est la partie de l'art qui doit avoir le pas sur les autres. Mais laissons les hommes passionnés, s'accuser respectivement d'erreur ou de mauvais goût, il sera toûjours vrai de dire, que les tableaux les plus parfaits & les plus précieux, seront ceux qui réuniront les beautés de l'école romaine & florentine à celles de l'école lombarde & vénitienne. Je vais présentement nommer les principaux artistes de cette derniere école.

Les Bellino, freres, (Gentil & Jean) en jetterent les fondemens ; mais c'est le Titien & le Giorgion qu'il faut mettre à la tête des célébres artistes de cette école : ce sont eux qui méritent d'en être regardés comme les fondateurs.

Bellin, (Gentil) né à Venise en 1421, mort en 1501 fit beaucoup d'ouvrages, la plûpart à détrempe, qu'on recherchoit alors avec empressement, & qui ne subsistent plus aujourd'hui. Mais on n'a point oublié ce qui se passa entre Bellin & Mahomet II. Ce fameux conquérant qui dessinoit & qui aimoit la peinture, ayant vû des tableaux du peintre de Venise, pria la république de le lui envoyer. Gentili partit pour Constantinople, & remplit l'idée que sa hautesse avoit conçue de ses talens. Il fit pour ce prince la décollation de S. Jean-Baptiste, où le grand seigneur remarqua seulement, que la peau du cou dont la tête venoit d'être séparée, n'étoit pas exactement rendue ; & pour prouver, dit-on, la justesse de sa critique, il offrit de faire décapiter un esclave. " Ah ! seigneur, répliqua vivement Bellin, dispensez-moi d'imiter la nature, en outrageant l'humanité. " Ce trait d'histoire pourroit n'être pas vrai ; mais il n'en est pas de même de la maniere dont le sultan paya Bellin ; il le traita comme Alexandre avoit fait Apelles. Tout le monde sait qu'il le congédia en lui mettant une couronne d'or sur la tête, une chaîne d'or au col, & une bourse de trois mille ducats d'or entre les mains. La république de Venise contente de la conduite de Bellino, lui assigna une forte pension à son retour, & le nomma chevalier de S. Marc.

Bellin, (Jean) né à Venise en 1422, mourut dans la même ville en 1512. Curieux de savoir le nouveau secret de la peinture à l'huile, il s'habilla en noble vénitien, vint trouver sous ce déguisement Antoine de Messine qui ne le connoissoit pas, & lui fit faire son portrait : après avoir ainsi découvert le mystère que ce peintre cachoit avec soin, & dont il tiroit toute sa gloire, il le rendit public dans sa patrie. On voit encore par quelques ouvrages de Jean & de Gentil Bellin, qui sont à Venise, que Jean manioit le pinceau plus tendrement que son frere, quoiqu'il y ait beaucoup de sécheresse dans ses peintures ; mais il a travaillé le premier à joindre l'union à la vivacité des couleurs, & à donner un commencement d'harmonie, dont le Giorgion & le Titien ses éleves ont sçu faire un si bel usage. Le goût du dessein de Bellin est gothique, & ses attitudes sont forcées, il ne s'est montré que servile imitateur de la nature ; cependant il a mis de la noblesse dans ses airs de têtes. On n'apperçoit point de vives expressions dans ses tableaux ; aussi la plûpart des sujets qu'il a traités, sont des vierges. Le roi a le portrait des deux Bellino freres.

Titien Vecelli, naquit à Cador, dans le Frioul, l'an 1477, & mourut en 1576. Ce peintre, un des plus célébres du monde, étoit occupé depuis long-tems chez Bellin à copier servilement le naturel, lorsqu'entendant loüer de toutes parts le coloris des ouvrages du Giorgion, qui avoit été son ancien camarade, il ne songea plus qu'à cultiver son amitié, pour profiter de sa nouvelle maniere. Le Giorgion le reçut d'abord sans défiance : s'appercevant ensuite des progrès rapides de son émule, & du véritable sujet de ses fréquentes visites, il rompit tout commerce avec lui. Cependant le Titien eut peu de tems après le champ libre dans la carriere de la peinture, par la mort prématurée de son rival de gloire. Ce fut alors que redoublant ses soins, ses réflexions & ses travaux, il parvint à surpasser le Giorgion dans la recherche des délicatesses du naturel, & dans l'art d'apprivoiser la fierté du coloris, par la fonte & la variété des teintes. On sait quels ont été ses succès.

On le chargea des ouvrages les plus importans à Venise, à Padoue, à Vicence & à Ferrare. Il se distingua presqu'également dans tous les genres, traitant avec la même facilité les grands & les petits sujets. Personne en Italie n'a mieux entendu le paysage, ni rendu la nature avec plus de vérité. Son pinceau tendre & délicat représente encore si bien les femmes & les enfans, ses touches sont si spirituelles & si conformes au caractere des objets, qu'elles piquent le goût des connoisseurs beaucoup plus que les coups sensibles d'une main hardie.

Le talent singulier qu'il avoit pour le portrait, augmenta sa renommée auprès des souverains & des grands seigneurs, qui tous ambitionnerent d'être peints de sa main. Le cardinal Farnèse l'engagea de venir à Rome pour faire le portrait du pape. Pendant son séjour dans cette ville, il y fit de petits tableaux qui furent admirés de Vasari, & même de Michel-Ange. Le Titien peignit trois fois Charles V. qui disoit à ce sujet, qu'il avoit reçu trois fois l'immortalité du Titien.

Ce prince le combla de biens & d'honneurs ; il le créa chevalier, comte Palatin, & joignit à ces titres une pension viagère fort considérable. Les poëtes célébrerent à l'envi ses talens. Le Giorgion mort jeune, le débarrassa d'un rival : son opulence le mit en état de vivre avec les grands, & de les recevoir à sa table avec splendeur ; son caractere doux & obligeant lui procura des amis sinceres ; son humeur gaie & enjouée écarta de son ame les chagrins & les soucis ; son mérite le rendit respectable à tout le monde ; & sa santé qu'il a conservée jusqu'à 99 ans, sema de fleurs tous les instans de sa vie ; en un mot, s'il étoit permis de juger du bonheur de quelqu'un par les apparences trompeuses du dehors, on pourroit, ce me semble, mettre le Titien au nombre de ces hommes rares, dont les jours ont été heureux.

On rapporte que sur la fin de sa carriere, sa vüe s'étant affoiblie, il vouloit retoucher ses premiers tableaux, qu'il ne croyoit pas d'un coloris assez vigoureux ; mais ses éleves mirent dans ses couleurs de l'huile d'olive qui ne seche point, & effaçoient son nouveau travail pendant son absence. C'est ainsi qu'ils nous ont conservé plusieurs chefs-d'oeuvre du Titien.

Les églises de Venise sont toutes embellies de ses productions. On y voit les morceaux précieux de la présentation de la Sainte Vierge, un S. Marc admirable, le martyre de S. Laurent, de S. Paul, & tant d'autres. Mais son tableau le plus connu & le plus vanté, est celui qui représente S. Pierre martyr, religieux Dominiquain, massacré par les Vaudois ; il est non-seulement précieux par la richesse des couleurs locales, mais plus encore parce que l'action de ce tableau est intéressante, & que le Titien l'a traité avec plus de vraisemblance, & avec une expression de passions plus étudiée que celle de ses autres ouvrages. Enfin si les peintres de l'école de Rome & de Florence ont surpassé le Titien en vivacité de génie & par le goût du dessein, personne au moins ne lui dispute l'excellence du coloris.

Giorgion, (Georges) né dans le Trévisan en 1478, mort en 1511. Malgré son goût & ses talens pour la Musique, la Peinture eut encore pour lui plus d'attraits, il s'y livra tout entier, & surpassa bientôt Jean Bellin son maître : l'étude que le Giorgion fit des ouvrages de Leonard de Vinci, & surtout l'étude de la nature qu'il n'a jamais perdu de vüe, acheva de le perfectionner ; mais une maîtresse qu'il chérissoit & qui lui devint infidele, fut la cause de sa mort qui l'enleva à l'âge de 33 ans, au milieu de sa gloire & de sa réputation. Il comptoit déja parmi ses disciples Pordenon, Sebastien del Piombo, & Jean d'Udine, trois peintres célebres.

Il entendoit parfaitement le clair-obscur, & cet art si difficile de mettre toutes les parties dans une parfaite harmonie. Son goût de dessein est délicat, & a quelque chose de l'école Romaine ; ses carnations sont peintes d'une grande vérité. Il n'y employoit que quatre couleurs capitales, dont le judicieux mélange faisoit toute la différence des âges & des sexes ; il donnoit beaucoup de rondeur à ses figures ; ses portraits sont vivans, ses paysages sont d'un goût exquis.

Il a fait un très-petit nombre de tableaux de chevalet, ce qui les rend d'autant plus précieux. Le roi & M. le duc d'Orléans possedent quelques morceaux de ce célebre artiste, qui suffiroient seuls à sa gloire. En un mot par le peu d'ouvrages qu'on connoît de cet excellent maître, on voit que dans l'espace d'une courte vie, il a porté la peinture à un degré surprenant de perfection ; personne encore n'a pû l'atteindre pour la force & la fierté du coloris.

Sebastien del Piombo, aussi connu sous le nom de Sebastien de Venise, & de Fra-Bastien. Il naquit à Venise en 1485, & mourut en 1527. Sébastien reçut les principes de la peinture du Giorgion, duquel il prit le bon goût de couleur qu'il n'a jamais quitté. Sa réputation naissante le fit appeller à Rome, où il s'attacha à Michel-Ange, qui lui montra par reconnoissance les secrets de son art. Alors soûtenu par un si grand maître, il sembla vouloir disputer le prix de la peinture à Raphaël même ; mais il s'en falloit infiniment qu'il eût ni le génie ni le goût de dessein du rival avec lequel il osoit se compromettre.

Le tableau de la résurrection de Lazare, dont on peut suivant les apparences, attribuer l'invention & le dessein sur la toile, au grand Michel-Ange, & que Sébastien ne fit peut-être que peindre pour l'opposer au tableau de la transfiguration, est un ouvrage précieux à plusieurs égards, & certainement admirable pour le grand goût de couleur ; cependant il ne prévalut point sur celui de Raphaël : la cabale de Michel-Ange ne fit que suspendre pendant quelque tems les suffrages. Mais voici un fait singulier qui a résulté du défi de Fra-Bastien : son tableau de la résurrection de Lazare, qui devoit naturellement rester sur les lieux, a passé en France, il est actuellement au palais royal ; & le tableau de la transfiguration que Raphaël avoit fait pour François I. n'est pas sorti de Rome ; l'Italie jalouse de se conserver ce trésor de peinture, n'a jamais voulu s'en désaisir.

Del Piombo travailloit bien, mais difficilement, & son irrésolution lui fit commencer plusieurs ouvrages qu'il n'a pû terminer. Cependant les peintures de la premiere chapelle à droite de l'église de S. Pierre in montorio, lui ont acquis un honneur singulier : il employoit quelquefois le marbre, & autres pierres semblables, pour faire servir leurs couleurs naturelles de fond à ses tableaux. Il est le premier qui ait peint à l'huile sur les murailles ; & comme il avoit beaucoup de génie, il inventa un composé de poix, de mastic & de chaux vive, afin d'empêcher les couleurs de s'altérer.

Les desseins de ce célebre maître travaillés à la pierre noire, sont dans le goût de ceux de Michel-Ange.

Bordone, (Paris) né sur la fin du XV. siecle, de parens nobles, à Trévise ville d'Italie, mort à Venise âgé de 75 ans. Le Titien & le Giorgion lui montrerent les secrets de leur art. Il vint à Paris sous le regne de François I. en 1538, & eut l'honneur de peindre ce monarque. Il ne dédaigna point pendant son séjour en France d'exercer son pinceau à tirer le portrait de quelques seigneurs & dames de la premiere qualité, qui lui demanderent cette distinction. Au retour de ses voyages, il se fixa à Venise, où ses richesses, son amour pour les belles-lettres, son goût pour la Musique, & ses talens pour la Peinture, lui firent mener une vie délicieuse. Il fit aussi quelques ouvrages pittoresques pour sa réputation. Le plus considérable de tous est celui où il représenta l'avanture prétendue du pêcheur de Venise.

Bassan, (Jacques du Pont, connu sous le nom de) né en 1510 à Bassano, est mort à Venise en 1592. Le lieu où il prit naissance, lui donna son nom. Les ouvrages des grands maîtres, & surtout l'étude de la nature, développerent ses talens. Il ne les tourna pas avec gloire au genre héroïque ni historique ; mais il excella dans la représentation des plantes, des animaux, dans le paysage & autres sujets semblables naturels & artificiels. Il emprunta du Titien & du Giorgion la beauté du coloris, & il y joignit une grande connoissance du clair-obscur. Il a traité avec le même succès beaucoup de sujets de nuit : l'habitude qu'il avoit prise de marquer ses ombres fortes, peut avoir aussi contribué à celles qu'il a employées quelquefois hors de propos dans des sujets de jour.

Il a renouvellé les miracles qu'on raconte des peintres Grecs. Parmi les simples qu'il cultivoit, il mettoit des figures de serpens & d'animaux représentés avec tant d'art, qu'il étoit difficile de ne point s'y laisser abuser. Annibal Carrache lui-même étant venu chez le Bassan, fut tellement trompé par la représentation d'un livre que ce peintre avoit fait sur le mur, qu'il alla pour le prendre. Enfin personne peut-être ne l'a surpassé pour la vérité qu'il donnoit aux différens objets de ses tableaux, par leurs couleurs, leur fraîcheur & leur brillant.

Ses ouvrages en grand nombre, même ceux d'histoire, se sont répandus dans tous les cabinets de l'Europe ; tant est puissant le charme du coloris, qu'il nous fait aimer les tableaux historiques de ce peintre, nonobstant les fautes énormes, dont ils sont remplis contre l'ordonnance & le dessein, contre la vraisemblance poëtique & pittoresque.

Ses desseins sont pour la plûpart heurtés & indécis ; on en reconnoît l'auteur à ses figures rustiques, & à une maniere d'ajustement qui lui est propre.

Tintoret, (Jacques Robusti surnommé le) né à Venise en 1512, mort dans la même ville en 1594. On le nomma le Tintoret, parce qu'il étoit fils d'un teinturier ; mais ses parens lui virent tant de goût pour la peinture, qu'ils se prêterent à ses desseins ; alors il se proposa dans ses études de suivre Michel-Ange pour le dessein, & le Titien pour le coloris. En même tems, l'amour qu'il avoit pour sa profession, lui fit rechercher avec ardeur tout ce qui pouvoit le rendre habile. De tous les peintres vénitiens, il n'en est point dont le génie ait été si fécond & si facile, que celui du Tintoret. Il a rempli Venise de ses belles peintures ; & si parmi l'abondance de ses ouvrages, il y en a de médiocres & de strapassés, pour me servir d'un terme de l'art, il faut avoüer qu'il s'en trouve aussi d'admirables, qui mettent avec raison le Tintoret au rang des plus célebres peintres d'Italie.

Véronèse, (Paul) son nom de famille est Caliari ; né à Vérone en 1532, il mourut en 1588, à Venise, où il a fait tant de belles choses, qu'on le met au rang des plus grands peintres de l'Europe.

Rival du Tintoret, chargé avec lui des grandes entreprises, il a toujours balancé la réputation de son collegue ; & s'il ne mettoit point tant de force dans ses ouvrages, il rendoit la nature avec plus d'éclat & de majesté. Il faisoit encore honneur à son art par la noblesse avec laquelle il l'exerçoit, par sa politesse, & par sa vie splendide : c'étoit dans les grandes machines que Paul Véronèse excelloit ; on remarque dans ses peintures une imagination féconde, vive & élevée, beaucoup de dignité dans ses airs de têtes, un coloris frais, & un bel accord dans ses couleurs locales ; il a donné à ses draperies un brillant, une variété & une magnificence qui lui sont particulieres ; la scène de ses tableaux est ornée des plus belles fabriques ; & l'apparat superbe de l'architecture qu'il y a introduit, donne de la grandeur à ses ouvrages.

Ceux qu'il a faits au palais de S. Marc ont immortalisé son nom. On estime surtout ses banquets, & ses pélerins d'Emmaüs : mais les noces de Cana représentées dans le réfectoire de S. George majeur du palais S. Marc, forment un des plus beaux morceaux qui soit au monde.

Ce grand maître a pourtant ses défauts ; il a peint quelquefois de pratique, ce qui fait que ses ouvrages ne sont pas tous de la même beauté : il peche souvent contre la convenance dans ses compositions ; on desireroit plus de choix dans ses attitudes, plus de finesse dans ses expressions, plus de goût & de correction dans le dessein, & plus d'intelligence du clair-obscur, dont il paroît qu'il n'a jamais bien compris l'artifice.

La plûpart de ses desseins arrêtés à la plume & lavés au bistre, ou à l'encre de la chine, sont terminés. Ils font les délices des amateurs, pour la richesse de l'ordonnance, la beauté des caracteres de têtes, le grand goût des draperies, &c.

Le roi de France possede plusieurs tableaux de Paul Véronèse, entr'autres celui des pélerins d'Emmaüs, & le repas chez Simon le lépreux, que la république de Venise a envoyé en présent à Louis XIV.

Ce célebre artiste a eu un frere, (Benoît) Caliari, & un fils nommé Charles, qui se sont attachés à la peinture, & comme ils ont suivi la maniere de Paul, on ne sauroit garantir que tous les ouvrages qu'on lui attribue, soient pour cela de sa main ; on en voit en effet plusieurs sous son nom, qui ne sont pas dignes de son génie, ni de son pinceau.

Palme le jeune, (Jacques) né à Venise en 1544, mort dans la même ville en 1628. Il fut disciple du Tintoret ; & sa réputation s'augmentant avec sa fortune, l'amour du gain lui fit expédier ses tableaux. On remarque dans ceux qu'il a travaillés avec soin, une touche hardie, de bonnes draperies, & un coloris agréable ; ses desseins sont recherchés ; sa plume est fine & légere.

Palme le vieux, (Jacques) né à Seniralta, territoire de Bergame, en 1548, mort à Venise en 1596, peintre inégal. Dans ses ouvrages terminés avec patience, les couleurs y sont admirablement fondues & unies ; mais on n'y trouve ni la correction, ni le bon goût de dessein ; cependant on voit à Venise quelques peintures de Palme le vieux qui sont très-estimées, entr'autres une tempête représentée dans la chambre de l'école de S. Marc, & la Sainte Barbe qui orne l'église de Sancta Maria Formosa. Art. de M(D.J.)

L'auteur de cet article nous en avoit communiqué un beaucoup plus étendu, dont celui-ci n'est que l'extrait : la nature de notre ouvrage, & les bornes que nous sommes forcés de nous prescrire, ne nous ont pas permis de le donner en entier. L'Encyclopédie doit s'arrêter légerement sur les faits purement historiques, parce que ces sortes de faits ne sont point son objet essentiel & immédiat. Mais nous croyons qu'on nous permettra d'ajoûter à cet abrégé historique, quelques réflexions sur les écoles de Peinture, & en général sur le mot école, lorsqu'il s'applique aux beaux Arts.

ECOLE, dans les beaux Arts, signifie proprement une classe d'artistes qui ont appris leur art d'un maître, soit en recevant ses leçons, soit en étudiant ses ouvrages, & qui en conséquence ont suivi plus ou moins la maniere de ce maître, soit à dessein de l'imiter, soit par l'habitude qui leur a fait adopter ses principes. Une habitude si ordinaire a des avantages sans doute, mais elle a peut-être encore de plus grands inconvéniens. Ces inconvéniens, pour ne parler ici que de la Peinture, se font principalement sentir dans la partie de la couleur, si j'en crois les habiles artistes & les connoisseurs vraiment éclairés. Selon eux, cette espece de convention tacite formée dans une école, pour rendre les effets de la lumiere par tels ou tels moyens, ne produit qu'un peuple servile d'imitateurs, qui vont toûjours en dégénérant ; ce qu'on pourroit prouver aisément par les exemples.

Une seconde observation non moins importante, que je dois aux mêmes connoisseurs, c'est qu'il est très-dangereux de porter un jugement général sur les ouvrages sortis d'une école ; ce jugement est rarement assez exact pour satisfaire celui qui le porte, à plus forte raison pour satisfaire les autres. Les ouvrages de Peinture changent tous les jours, ils perdent l'accord que l'artiste y avoit mis ; enfin ils ont, comme tout ce qui existe, une espece de vie dont le tems est borné, & dans laquelle il faut distinguer un état d'enfance, un état de perfection, du moins au degré où ils peuvent l'avoir, & un état de caducité : or ce n'est que dans le second de ces trois états qu'on peut les apprécier avec justice.

On dit pour l'ordinaire que l'école romaine s'est principalement attachée au dessein, l'école vénitienne au coloris, &c. On ne doit point entendre par-là que les peintres de ces écoles ayent eu le projet formé de préférer le dessein à la couleur, ou la couleur au dessein : ce seroit leur attribuer des vûes qu'ils n'eurent sans doute jamais. Il est vrai que par le résultat des ouvrages des différentes écoles, il s'est trouvé que certaines parties de la Peinture ont été plus en honneur dans certaines écoles que dans d'autres ; mais il seroit très-difficile de démêler & d'assigner les causes de ces différences : elles peuvent être physiques & très-cachées, elles peuvent être morales & non moins obscures.

Est-ce à ces causes physiques ou aux causes morales, ou à la réunion des unes & des autres, qu'on doit attribuer l'état de langueur où la Peinture & la Sculpture sont actuellement en Italie ? L'école de Peinture françoise est aujourd'hui, de l'aveu général, supérieure à toutes les autres. Sont-ce les récompenses, les occasions, l'encouragement & l'émulation, qui manquent aux Italiens ? car ce ne sont pas les grands modeles. Ne seroit-ce point plûtôt un caprice de la nature, qui, en fait de talens & de génie, se plait, pour ainsi dire, à ouvrir de tems en tems des mines, qu'elle referme ensuite absolument pour plusieurs siecles ? Plusieurs des grands peintres d'Italie & de Flandres ont vécu & sont morts dans la misere : quelques-uns ont été persécutés, bien loin d'être encouragés. Mais la nature se joue de l'injustice de la fortune, & de celle des hommes ; elle produit des génies rares au milieu d'un peuple de barbares, comme elle fait naître les plantes précieuses parmi des Sauvages qui en ignorent la vertu.

On se plaint que notre école de Peinture commence à dégénérer, sinon par le mérite, au moins par le nombre des bons artistes : notre école de Sculpture au contraire se soûtient ; peut-être même, par le nombre & le talent des artistes, est-elle supérieure à ce qu'elle a jamais été. Les Peintres prétendent, pour se justifier, que la Peinture est sans comparaison plus difficile que la Sculpture ; on juge bien que les Sculpteurs n'en conviennent pas, & je ne prétends point décider cette question : je me contenterai de demander si la Peinture avoit moins de difficultés lorsque nos peintres égaloient ou même surpassoient nos sculpteurs. Mais j'entrevois deux raisons de cette inégalité des deux écoles : la premiere est le goût ridicule & barbare de la nation pour les magots de porcelaine & les figures estropiées de la Chine. Comment avec un pareil goût aimera-t-on les sujets nobles, vastes & bien traités ? Aussi les grands ouvrages de Peinture se sont-ils aujourd'hui réfugiés dans nos églises, où même on trouve rarement les occasions de travailler en ce genre. Une seconde raison non moins réelle que la premiere, & qui mérite beaucoup plus d'attention, parce qu'elle peut s'appliquer aux Lettres comme aux Arts, c'est la vie différente que menent les Peintres & les Sculpteurs. L'ouvrage de ceux-ci demandant plus de tems, plus de soins, plus d'assiduité, les force à être moins répandus : ils sont donc moins sujets à se corrompre le goût par le commerce, les vûes & les conseils d'une foule de prétendus connoisseurs, aussi ignorans que présomptueux. Ce seroit une question bien digne d'être proposée par une de nos académies, que d'examiner si le commerce des gens du monde a fait plus de bien que de tort aux gens de Lettres & aux artistes. Un de nos plus grands sculpteurs ne va jamais aux spectacles que nous appellons sérieux & nobles, de crainte que la maniere étrange dont les héros & les dieux y sont souvent habillés, ne dérange les idées vraies, majestueuses & simples qu'il s'est formées sur ce sujet. Il ne craint pas la même chose des spectacles de farce, où les habillemens grotesques ne laissent dans son ame aucune trace nuisible. C'est à-peu-près par la même raison que le P. Malebranche ne se délassoit qu'avec des jeux d'enfant. Or je dis que le commerce d'un grand nombre de faux juges est aussi dangereux à un artiste, que la fréquentation de nos grands spectacles le seroit à l'artiste dont on vient de parler. Notre école de Peinture se perdra totalement, si les amateurs qui ne sont qu'amateurs (& combien peu y en a-t-il qui soient autre chose ?) prétendent y donner le ton par leurs discours & par leurs écrits. Toutes leurs dissertations n'aboutiront qu'à faire de nos artistes de beaux esprits manqués & de mauvais peintres. Raphaël n'avoit guere lû d'écrits sur son art, encore moins de dissertations ; mais il étudia la nature & l'antique. Jules II. & Léon X. laissoient faire ce grand homme, & le récompensoient en souverains, sans le conseiller en imbécilles. Les François ont peut-être beaucoup plus & beaucoup mieux écrit que les Italiens sur la Peinture, les Italiens n'en sont pas moins leurs maîtres en ce genre. On peut se rappeller à cette occasion l'histoire de ces deux architectes qui se présenterent aux Athéniens pour exécuter un grand ouvrage que la république vouloit faire. L'un d'eux parla très-long-tems & très-disertement sur son art, & l'autre se contenta de dire après un long silence : ce qu'il a dit, je le ferai.

On auroit tort de conclure de ce que je viens d'avancer, que les Peintres, & en général les artistes, ne doivent point écrire sur leur art ; je suis persuadé au contraire qu'eux seuls en sont vraiment capables : mais il y a un tems pour faire des ouvrages de génie, & un tems pour en écrire : ce dernier tems est arrivé, quand le feu de l'imagination commence à être ralenti par l'âge ; c'est alors que l'expérience acquise par un long travail, a fourni une matiere abondante de réflexions, & l'on n'a rien de mieux à faire que de les mettre en ordre. Mais un peintre qui dans sa vigueur abandonne la palette & les pinceaux pour la plume, me paroît semblable à un poëte qui s'adonneroit à l'étude des langues orientales ; dès ce moment la nullité ou la médiocrité du talent de l'un & de l'autre est décidée. On ne songe guere à écrire sur la poëtique, quand on est en état de faire l'Iliade.

La supériorité généralement reconnue, ce me semble, de l'école ancienne d'Italie sur l'école françoise ancienne & moderne, en fait de peinture, me fournit une autre réflexion que je crois devoir présenter à mes lecteurs. Si quelqu'un vouloit persuader que nos peintres effacent ceux de l'Italie, il pourroit raisonner en cette sorte : Raphaël & un grand nombre de dessinateurs italiens, ont manqué de coloris ; la plûpart des coloristes ont péché dans le dessein : Michel-Ange, Paul Veronese, & les plus grands maîtres de l'école italienne, ont mis dans leurs ouvrages des absurdités grossieres. Nos Peintres françois au contraire ont été sans comparaison plus raisonnables & plus sages dans leurs compositions. On ne voit point dans les tableaux de le Sueur, du Poussin, & de le Brun, des contre-sens & des anachronismes ridicules ; & dans les ouvrages de ces grands hommes la sagesse n'a point nui à la beauté : donc notre école est fort supérieure à celle d'Italie. Voilà un raisonnement très-faux, dont pourtant tout est vrai, excepté la conséquence. C'est qu'il faut juger les ouvrages de génie, non par les fautes qui s'y rencontrent, mais par les beautés qui s'y trouvent. Le tableau de la famille de Darius est le chef-d'oeuvre de le Brun ; cet ouvrage est très-estimable par la composition, l'ordonnance, & l'expression même : cependant, de l'avis des connoisseurs, il se soûtient à peine auprès du tableau de Paul Veronese, qu'on voit à côté de lui dans les appartemens de Versailles, & qui représente les pélerins d'Emmaüs, parce que ce dernier tableau a des beautés supérieures, qui font oublier les fautes grossieres de sa composition. La Pucelle, si j'en crois ceux qui ont eu la patience de la lire, est mieux conduite que l'Enéide, & cela n'est pas difficile à croire ; mais vingt beaux vers de Virgile écrasent toute l'ordonnance de la Pucelle. Les pieces de Shakespear ont des grossieretés barbares ; mais à-travers cette épaisse fumée brillent des traits de génie que lui seul y pouvoit mettre ; c'est d'après ces traits qu'on doit le juger, comme c'est d'après Cinna & Polieucte, & non d'après Tite & Bérénice, qu'on doit juger Corneille. L'école d'Italie, malgré tous ses défauts, est supérieure à l'école françoise, parce que les grands maîtres d'Italie sont sans comparaison en plus grand nombre que les grands maîtres de France, & parce qu'il y a dans les tableaux d'Italie des beautés que les François n'ont point atteintes. Qu'on ne m'accuse point ici de rabaisser ma nation, personne n'est plus admirateur que moi des excellens ouvrages qui en sont sortis ; mais il me semble qu'il seroit aussi ridicule de lui accorder la supériorité dans tous les genres, qu'injuste de la lui refuser dans plusieurs.

Sans nous écarter de notre sujet (car il s'agit ici des écoles des beaux Arts en général), nous pouvons appliquer à la Musique une partie de ce que nous venons de dire. Ceux de nos écrivains qui dans ces derniers tems ont attaqué la Musique italienne, & dont la plûpart, très-féconds en injures, n'avoient pas la plus légere connoissance de l'art, ont fait contr'elle un raisonnement précisément semblable à celui qui vient d'être réfuté. Ce raisonnement transporté de la Musique à la Peinture, eût été, ce me semble, la meilleure réponse qu'on pût opposer aux adversaires de la Musique italienne. Il ne s'agit pas de savoir si les Italiens ont beaucoup de mauvaise Musique, cela doit être, comme ils ont sans doute beaucoup de mauvais tableaux ; s'ils ont fait souvent des contre-sens ; cela doit être encore (voy. CONTRE-SENS) ; si leurs points d'orgue sont déplacés ou non (voyez POINT D'ORGUE) ; s'ils ont prodigué ou non les ornemens mal-à-propos (voyez GOUT) : il s'agit de savoir si dans l'expression du sentiment & des passions, & dans la peinture des objets de toute espece, leur Musique est supérieure à la nôtre, soit par le nombre, soit par la qualité des morceaux, soit par tous les deux ensemble. Voilà, s'il m'est permis de parler ainsi, l'énoncé du problème à résoudre pour juger la question. L'Europe semble avoir jugé en faveur des Italiens, & ce jugement mérite d'autant plus d'attention, qu'elle a tout-à-la fois adopté généralement notre langue & nos pieces de théatre, & proscrit généralement notre Musique. S'est-elle trompée, ou non ? c'est ce que notre postérité décidera. Il me paroît seulement que la distinction si commune entre la Musique françoise & l'Italienne, est frivole ou fausse. Il n'y a qu'un genre de Musique : c'est la bonne. A-t-on jamais parlé de la Peinture françoise & de la Peinture italienne ? La nature est la même par-tout, ainsi les arts qui l'imitent, doivent aussi être par-tout semblables.

Comme il y a en Peinture différentes écoles, il y en a aussi en Sculpture, en Architecture, en Musique, & en général dans tous les beaux Arts. En Musique, par exemple, tous ceux qui ont suivi le style d'un grand maître (car la Musique a son style, comme le discours), sont ou peuvent être regardés comme de l'école de ce maître. L'illustre Pergolese est le Raphaël de la Musique italienne ; son style est celui qui mérite le plus d'être suivi, & qui en effet l'a été le plus par les artistes de sa nation : peut-être commencent-ils à s'écarter un peu trop du ton vrai, noble & simple, que ce grand homme avoit donné. Il semble que la Musique en Italie commence à approcher aujourd'hui du style de Seneque ; l'art & l'esprit s'y montrent quelquefois un peu trop, quoiqu'on y remarque encore des beautés vraies, supérieures, & en grand nombre.

Les François n'ont eu jusqu'ici que deux écoles de Musique, parce qu'ils n'ont eu que deux styles ; celui de Lulli, & celui du célebre M. Rameau. On sait la révolution que la musique de ce dernier artiste a causée en France ; révolution qui peut-être n'a fait qu'en préparer une autre : car on ne peut se dissimuler l'effet que la Musique italienne a commencé à produire sur nous. Lulli causa de même une révolution de son tems, il appliqua à notre langue la Musique que l'Italie avoit pour lors ; on commença par déclamer contre lui, & on finit par avoir du plaisir, & par se taire. Mais ce grand homme étoit trop éclairé pour ne pas sentir que de son tems l'art étoit encore dans l'enfance : il avoüoit en mourant, qu'il voyoit beaucoup plus loin qu'il n'avoit été : grande leçon pour ses admirateurs outrés & exclusifs. Voyez MUSIQUE, PEINTURE, &c. (O)

ECOLE, (Manége) Nous désignons dans nos manéges, la haute, la moyenne, & la basse école. Les chefs des académies se chargent des éleves les plus avancés ; & les instructions des autres, qu'ils ne perdent pas de vüe, est confiée à des écuyers qui sont sous leurs ordres.

Cette division relative aux gentilshommes, en suppose une semblable relativement aux chevaux ; l'une & l'autre sont également nécessaires. Si d'une part les académistes ne peuvent faire de véritables progrès qu'autant qu'on leur fera parcourir une chaîne de principes qui naissent les uns des autres, & qui se fortifient mutuellement, il est indispensable d'un autre côté de leur fournir des chevaux mis & ajustés de maniere à leur en faire sentir l'évidence.

Dès les premieres leçons il ne s'agit que de prescrire au cavalier les regles d'une belle assiete & d'une juste position ; mais ces regles sont bientôt oubliées, si l'on ne frappe l'intelligence du disciple par l'explication des raisons sur lesquelles elles sont appuyées : peut-être que la plûpart des maîtres négligent trop ce point important. Quoi qu'il en soit, on comprend qu'un cheval fixé dans les piliers, & auquel on ne demande qu'une action de piaffer dans une seule & même place, dérangera moins un académiste uniquement occupé du soin de se placer conformément aux préceptes qu'on lui a déduits, que si on l'obligeoit à monter sur le champ un cheval en liberté, qu'il redouteroit, qu'il voudroit retenir ou conduire, & qui le distrairoit des uniques objets sur lesquels son attention doit se fixer.

Ce n'est que lorsqu'il a connu quel doit être l'arrangement des différentes parties de son corps, & que l'on apperçoit qu'elles se présentent en quelque façon à sa volonté, que l'on peut lui donner un second cheval accoûtumé à cheminer au pas. Alors on lui indique les différens mouvemens de la main, afin qu'il puisse librement tourner son cheval à droite & à gauche, le laisser aller en-avant, l'arrêter, & même le reculer : on observe sans-cesse en même tems les défauts de sa position, & on les lui indique scrupuleusement, dans la crainte qu'il ne contracte de mauvaises habitudes, qu'il est très-difficile de corriger dans la suite. Plusieurs écuyers ne font aucune distinction des éleves qui leur sont soûmis ; ils different néanmoins beaucoup, si l'on considere le plus ou le moins de facilité de leur esprit, & la disposition plus ou moins favorable de leur corps : ainsi tel d'entr'eux dont la conception est heureuse, ne sera point troublé par un énorme détail de fautes qu'on lui reproche, tandis qu'un autre cessera de nous entendre, si nous le reprenons de deux défauts à la fois. Tel fera de vains efforts pour se plier de maniere à rencontrer l'attitude qu'on exige de lui, & dont une construction plus ou moins difforme, ou une inaptitude naturelle l'éloigne. C'est donc au maître à se mettre à la portée des éleves, à juger de ce qu'il est d'abord essentiel de ne pas faire, & à leur faciliter, par l'exacte connoissance qu'il doit avoir de la relation & de la sympathie du jeu des parties dont leur corps est formé, les moyens d'exécuter & d'obéir. Un autre abus est de les obliger trop promtement à troter ; parce que dès-lors ils ne sont attentifs qu'à leur tenue, & qu'ils ne pensent plus ni à l'exactitude de la position, ni aux mouvemens d'une main à laquelle ils s'attachent. En second lieu, on n'est point scrupuleux sur le plus ou le moins de dureté ou de vîtesse du mouvement des chevaux ; il est cependant très-constant que l'on devroit observer des degrés à cet égard : l'animal, dont les ressorts sont lians, & dont l'action n'est point pressée, offre toûjours moins de difficultés à l'éleve, qui peut se rendre raison à lui-même de ce qu'il est capable de faire & d'entreprendre. Ne souffre-t-il en effet aucun dérangement à raison d'une telle célérité ? il peut toûjours augmenter de plus en plus la vîtesse : conserve-t-il sa fermeté dans le trot le plus étendu ? on doit lui donner un cheval qui dans cette allure ait moins d'union & plus de reins, & ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ait acquis par cet exercice continué, ce que nous nommons proprement le fond de la selle. J'ajoûterai que les leçons au trot doivent toûjours être entremêlées des leçons au pas. Celles-ci sont les seules où nous puissions exactement suivre nos éleves, les rectifier, leur proposer une multitude de lignes différentes à décrire, & les occuper par conséquent sans cesse, en mettant continuellement leur main à l'épreuve, & en faisant accompagner les aides qui en partent, de celles de l'une & de l'autre jambe séparément ou ensemble. La pratique de ces opérations étant acquise par ce moyen, ces mêmes leçons se répetent au trot ; du trot on passe aux chevaux dressés au galop, & de ceux-ci aux sauteurs dans les piliers, & à ceux qui travaillent en liberté au son de la voix, ou à l'aide de l'écuyer. C'est ainsi que se termine la marche de la basse école ; marche dont on ne peut s'écarter sans craindre de précipiter les éleves dans une roideur, une contention, une incapacité à laquelle ils devroient préférer leur premiere ignorance.

Guidés & conduits suivant cette méthode, nonseulement ils ont reconnu cet équilibre nécessaire, mesuré & certain d'où dépend la finesse, la précision, & la sûreté de l'exécution ; mais ils ont appris en général les effets de la main & des jambes, & leurs membres sont, pour ainsi dire, dénoüés, puisqu'on a fait fréquemment mouvoir en eux toutes les parties dont l'action doit influer sur l'animal.

A toutes ces leçons succedent celles d'où dépend la science de faire manier des chevaux de passage. Ici tous les principes déjà donnés, reçoivent un nouveau jour, & tout concourt à en démontrer la certitude : de plus il en dérive d'autres, & le disciple commence à s'appercevoir de la chaîne & de la liaison des regles. Comme il ne s'agit plus de la position & de la tenue, on peut lui développer les raisons de tout ce qu'il fait, & ces raisons lui feront entrevoir une multitude de choses à apprendre & à exécuter. On exige plus de finesse & plus d'harmonie dans ses mouvemens, plus de réciprocité dans le sentiment de sa main & dans celui de la bouche du cheval, plus d'union dans ses aides, un plus grand ensemble, plus d'obéissance, plus de précision de la part de l'animal. Les demi-arrêts multipliés, les changemens de main, les voltes, les demi-voltes de deux pistes, les angles de manége scrupuleusement observés, l'action de la croupe ou de la tête au mur, la plus grande justesse du partir, du parer, & du reculer, le pli dans lequel on assujettit le cheval, &c. sont un acheminement à de nouvelles lumieres qui doivent frapper l'académiste, lorsqu'après s'être convaincu de la vérité de toutes les maximes dont on a dû lui faire sentir toutes les conséquences, soit au passage sur des chevaux successivement plus fins, plus difficiles, & dressés différemment, soit au trot, soit au galop, il est en état de passer à la haute école.

Alors il n'est pas simplement question de ce que l'on entend communément par l'accord de la main & des jambes, il faut aller plus loin à cet égard, c'est-à-dire faire rechercher à l'éleve la proportion de la force mutuelle & variée des renes ; l'obliger à n'agir que par elles ; lui faire comprendre les effets combinés d'une seule rene mûe en deux sens, les effets combinés des deux renes ensemble mûes en même sens, ou en sens contraire ; & le convaincre de l'insuffisance réelle de l'action des jambes, qui ne peut être regardée comme une aide principale, à moins qu'il ne s'agisse de porter & de chasser le derriere en avant, mais qui dans tout autre cas n'est qu'une aide subsidiaire à la main. La connoissance de ces différentes proportions & de tous ces effets, ne suffit pas encore. La machine sur laquelle nous opérons, n'est pas un être inanimé ; elle a été construite par la nature, avec la faculté de se mouvoir ; & cette mere commune a disposé ses parties de maniere que l'ordre de ses mouvemens, constant, invariable, ne peut être interverti sans danger ou sans forcer l'animal à la desobéissance. Il est donc important d'instruire notre disciple de la succession harmonique de ces mêmes mouvemens, de leurs divisions en plusieurs tems, & de lui indiquer tous les instans possibles, instans qu'il doit nécessairement saisir dès qu'il voudra juger clairement de l'évidence des effets sur lesquels il a été éclairé, conduire véritablement le cheval de tête, diriger toutes ses actions, & non les déterminer seulement, & rapporter enfin à lui-même toutes celles auxquelles il le contraint & le livre. Voyez MANEGE.

Ce n'est qu'avec de tels secours que nous pouvons abréger les routes de la science, & dévoiler les mysteres les plus secrets de l'art. Pour en parcourir tous les détours, nous suivrons la même voie dans les leçons sur tous les airs relevés ; nous ferons ensuite l'application de tous les principes donnés sur des chevaux neufs, que nos disciples entreprendront sous nos yeux ; & il n'est pas douteux que dès-lors ils sortiront de nos écoles avec moins de présomption, plus de capacité, & qu'ils pourront même nous laisser très-loin derriere eux, s'ils perséverent dans la carriere que nous leur aurons ouverte, & dans laquelle on ne doit avoir d'autre guide que la patience la plus constante & le raisonnement le plus profond. (e)

ECOLE, terme de Jeu : on fait une école au trictrac, quand on ne marque pas exactement ce que l'on gagne ; je dis exactement, parce qu'il faut marquer ce que l'on gagne, qu'il ne faut marquer ni plus ni moins, & qu'il faut le marquer à tems. Si vous ne marquez pas ce que vous gagnez, ou que vous ne le marquiez pas à tems, votre adversaire le marque pour vous ; si vous marquez trop, il vous démarque le trop & le marque pour lui ; si vous ne marquez pas assez, il marque pour lui ce que vous oubliez. On n'envoye point à l'école de l'école. Voyez TRICTRAC.


ECOLETERv. act. (Orfévre) opération de la retrainte ; c'est élargir au marteau sur la bigorne, toute piece d'orfévrerie dont le haut est à forme & profil de vase, comme gobelet, pot à l'eau, calice, burette, &c. Pour cet effet on a soin en retraignant la piece, & en la montant droite, de reserver la force en haut ; ensuite quand on a enflé le bas, & formé l'étranglement que l'on appelle collet, on part de ce collet pour élargir le haut, & lui donner le profil évasé.


ECOLIERDISCIPLE, ELEVE, syn. (Gram.) ces trois mots s'appliquent en général à celui qui prend des leçons de quelqu'un. Voici les nuances qui les distinguent. Eleve est celui qui prend des leçons de la bouche même du maître ; disciple est celui qui en prend des leçons en lisant ses ouvrages, ou qui s'attache à ses sentimens ; écolier ne se dit, lorsqu'il est seul, que des enfans qui étudient dans les colléges, un écolier ; il se dit aussi de ceux qui étudient sous un maître un art qui n'est pas mis au nombre des Arts libéraux, comme la Danse, l'Escrime, &c. mais alors il doit être joint avec quelque autre mot qui désigne l'art ou le maître. Un maître d'armes a des écoliers ; un peintre a des éleves ; Newton & Descartes ont eu des disciples, même après leur mort. Eleve est du style noble ; disciple l'est moins, surtout en Poésie ; écolier ne l'est jamais. (O)

ECOLIERS, (Jurisprud.) les réglemens leur défendent de porter des cannes, ni des épées.

Un écolier, quoique mineur, peut s'obliger pour sa pension, son entretien, & autres dépenses ordinaires aux étudians.

Comme les écoliers sont dans une espece de dépendance de leurs régens, précepteurs, & autres préposés pour les instruire & les gouverner ; les donations qu'ils font à leur profit, soit entre-vifs, ou par testamens, sont nulles.

Ce que les parens ont dépensé pour les études de leurs enfans, & même pour leur faire obtenir des degrés, n'est point sujet à rapport dans leur succession ; à l'exception des frais du doctorat en Medecine, parce que ces frais sont considérables, & servent à procurer un établissement utile. Voyez ci-apr. ETUDIANS EN DROIT. (A)

ECOLIERS JURES DE L'UNIVERSITE, sont ceux qui après y avoir étudié six mois, ont obtenu des attestations de leur tems d'étude, & joüissent du privilége de scholarité. Voyez SCHOLARITE. (A)


ECONOMIEou OECONOMIE, (Morale & Politique) ce mot vient de , maison, & de , loi, & ne signifie originairement que le sage & légitime gouvernement de la maison, pour le bien commun de toute la famille. Le sens de ce terme a été dans la suite étendu au gouvernement de la grande famille, qui est l'état. Pour distinguer ces deux acceptions, on l'appelle dans ce dernier cas, économie générale, ou politique ; & dans l'autre, économie domestique, ou particuliere. Ce n'est que de la premiere qu'il est question dans cet article. Sur l'économie domestique, voyez PERE DE FAMILLE.

Quand il y auroit entre l'état & la famille autant de rapport que plusieurs auteurs le prétendent, il ne s'ensuivroit pas pour cela que les regles de conduite propres à l'une de ces deux sociétés, fussent convenables à l'autre : elles different trop en grandeur pour pouvoir être administrées de la même maniere, & il y aura toûjours une extrême différence entre le gouvernement domestique, où le pere peut tout voir par lui-même, & le gouvernement civil, où le chef ne voit presque rien que par les yeux d'autrui. Pour que les choses devinssent égales à cet égard, il faudroit que les talens, la force, & toutes les facultés du pere, augmentassent en raison de la grandeur de la famille, & que l'ame d'un puissant monarque fût à celle d'un homme ordinaire, comme l'étendue de son empire est à l'héritage d'un particulier.

Mais comment le gouvernement de l'état pourroit-il être semblable à celui de la famille dont le fondement est si différent ? Le pere étant physiquement plus fort que ses enfans, aussi long-tems que son secours leur est nécessaire, le pouvoir paternel passe avec raison pour être établi par la nature. Dans la grande famille dont tous les membres sont naturellement égaux, l'autorité politique purement arbitraire quant à son institution, ne peut être fondée que sur des conventions, ni le magistrat commander aux autres qu'en vertu des lois. Les devoirs du pere lui sont dictés par des sentimens naturels, & d'un ton qui lui permet rarement de desobéir. Les chefs n'ont point de semblable regle, & ne sont réellement tenus envers le peuple qu'à ce qu'ils lui ont promis de faire, & dont il est en droit d'exiger l'exécution. Une autre différence plus importante encore, c'est que les enfans n'ayant rien que ce qu'ils reçoivent du pere, il est évident que tous les droits de propriété lui appartiennent, ou émanent de lui ; c'est tout le contraire dans la grande famille, où l'administration générale n'est établie que pour assûrer la propriété particuliere qui lui est antérieure. Le principal objet des travaux de toute la maison, est de conserver & d'accroître le patrimoine du pere, afin qu'il puisse un jour le partager entre ses enfans sans les appauvrir ; au lieu que la richesse du fisc n'est qu'un moyen, souvent fort mal entendu, pour maintenir les particuliers dans la paix & dans l'abondance. En un mot la petite famille est destinée à s'éteindre, & à se resoudre un jour en plusieurs autres familles semblables ; mais la grande étant faite pour durer toûjours dans le même état, il faut que la premiere s'augmente pour se multiplier : & non-seulement il suffit que l'autre se conserve, mais on peut prouver aisément que toute augmentation lui est plus préjudiciable qu'utile.

Par plusieurs raisons tirées de la nature de la chose, le pere doit commander dans la famille. Premierement, l'autorité ne doit pas être égale entre le pere & la mere ; mais il faut que le gouvernement soit un, & que dans les partages d'avis il y ait une voix prépondérante qui décide. 2°. Quelque legeres qu'on veuille supposer les incommodités particulieres à la femme ; comme elles font toûjours pour elle un intervalle d'inaction, c'est une raison suffisante pour l'exclure de cette primauté : car quand la balance est parfaitement égale, une paille suffit pour la faire pancher. De plus, le mari doit avoir inspection sur la conduite de sa femme ; parce qu'il lui importe de s'assûrer que les enfans, qu'il est forcé de reconnoître & de nourrir, n'appartiennent pas à d'autres qu'à lui. La femme qui n'a rien de semblable à craindre, n'a pas le même droit sur le mari. 3°. Les enfans doivent obéir au pere, d'abord par nécessité, ensuite par reconnoissance ; après avoir reçu de lui leurs besoins durant la moitié de leur vie, ils doivent consacrer l'autre à pourvoir aux siens. 4°. A l'égard des domestiques, ils lui doivent aussi leurs services en échange de l'entretien qu'il leur donne ; sauf à rompre le marché dès qu'il cesse de leur convenir. Je ne parle point de l'esclavage, parce qu'il est contraire à la nature, & qu'aucun droit ne peut l'autoriser.

Il n'y a rien de tout cela dans la société politique. Loin que le chef ait un intérêt naturel au bonheur des particuliers, il ne lui est pas rare de chercher le sien dans leur misere. La magistrature est-elle héréditaire, c'est souvent un enfant qui commande à des hommes : est-elle élective, mille inconvéniens se font sentir dans les élections, & l'on perd dans l'un & l'autre cas tous les avantages de la paternité. Si vous n'avez qu'un seul chef, vous êtes à la discrétion d'un maître qui n'a nulle raison de vous aimer ; si vous en avez plusieurs, il faut supporter à la fois leur tyrannie & leurs divisions. En un mot, les abus sont inévitables & leurs suites funestes dans toute société, où l'intérêt public & les lois n'ont aucune force naturelle, & sont sans cesse attaqués par l'intérêt personnel & les passions du chef & des membres.

Quoique les fonctions du pere de famille & du premier magistrat doivent tendre au même but, c'est par des voies si différentes ; leur devoir & leurs droits sont tellement distingués, qu'on ne peut les confondre sans se former de fausses idées des lois fondamentales de la société, & sans tomber dans des erreurs fatales au genre humain. En effet, si la voix de la nature est le meilleur conseil que doive écouter un bon pere pour bien remplir ses devoirs, elle n'est pour le magistrat qu'un faux guide qui travaille sans cesse à l'écarter des siens, & qui l'entraîne tôt ou tard à sa perte ou à celle de l'état, s'il n'est retenu par la plus sublime vertu. La seule précaution nécessaire au pere de famille, est de se garantir de la dépravation, & d'empêcher que les inclinations naturelles ne se corrompent en lui ; mais ce sont elles qui corrompent le magistrat. Pour bien faire, le premier n'a qu'à consulter son coeur ; l'autre devient un traître au moment qu'il écoute le sien : sa raison même lui doit être suspecte, & il ne doit suivre d'autre regle que la raison publique, qui est la loi. Aussi la nature a-t-elle fait une multitude de bons peres de famille ; mais il est douteux que depuis l'existence du monde, la sagesse humaine ait jamais fait dix hommes capables de gouverner leurs semblables.

De tout ce que je viens d'exposer, il s'ensuit que c'est avec raison qu'on a distingué l'économie publique de l'économie particuliere, & que l'état n'ayant rien de commun avec la famille que l'obligation qu'ont les chefs de rendre heureux l'un & l'autre, les mêmes regles de conduite ne sauroient convenir à tous les deux. J'ai cru qu'il suffiroit de ce peu de lignes pour renverser l'odieux système que le chevalier Filmer a tâché d'établir dans un ouvrage intitulé Patriarcha, auquel deux hommes illustres ont fait trop d'honneur en écrivant des livres pour le réfuter : au reste, cette erreur est fort ancienne, puisqu'Aristote même a jugé à-propos de la combattre par des raisons qu'on peut voir au premier livre de ses Politiques.

Je prie mes lecteurs de bien distinguer encore l'économie publique dont j'ai à parler, & que j'appelle gouvernement, de l'autorité suprême que j'appelle souveraineté ; distinction qui consiste en ce que l'une a le droit législatif, & oblige en certains cas le corps même de la nation, tandis que l'autre n'a que la puissance exécutrice, & ne peut obliger que les particuliers. Voyez POLITIQUE & SOUVERAINETE.

Qu'on me permette d'employer pour un moment une comparaison commune & peu exacte à bien des égards, mais propre à me faire mieux entendre.

Le corps politique, pris individuellement, peut être considéré comme un corps organisé, vivant, & semblable à celui de l'homme. Le pouvoir souverain représente la tête ; les lois & les coûtumes sont le cerveau, principe des nerfs & siége de l'entendement, de la volonté, & des sens, dont les juges & magistrats sont les organes ; le commerce, l'industrie, & l'agriculture, sont la bouche & l'estomac qui préparent la subsistance commune ; les finances publiques sont le sang qu'une sage économie, en faisant les fonctions du coeur, renvoye distribuer par tout le corps la nourriture & la vie ; les citoyens sont le corps & les membres qui font mouvoir, vivre, & travailler la machine, & qu'on ne sauroit blesser en aucune partie, qu'aussi-tôt l'impression douloureuse ne s'en porte au cerveau, si l'animal est dans un état de santé.

La vie de l'un & de l'autre est le moi commun au tout, la sensibilité réciproque, & la correspondance interne de toutes les parties. Cette communication vient-elle à cesser, l'unité formelle à s'évanoüir, & les parties contiguës à n'appartenir plus l'une à l'autre que par juxta-position ? l'homme est mort, ou l'état est dissous.

Le corps politique est donc aussi un être moral qui a une volonté ; & cette volonté générale, qui tend toûjours à la conservation & au bien-être du tout & de chaque partie, & qui est la source des lois, est pour tous les membres de l'état par rapport à eux & à lui, la regle du juste & de l'injuste, vérité qui, pour le dire en passant, montre avec combien de sens tant d'écrivains ont traité de vol la subtilité prescrite aux enfans de Lacédémone, pour gagner leur frugal repas, comme si tout ce qu'ordonne la loi pouvoit ne pas être légitime. Voy. au mot DROIT, la source de ce grand & lumineux principe, dont cet article est le développement.

Il est important de remarquer que cette regle de justice, sûre par rapport à tous les citoyens, peut être fautive avec les étrangers ; & la raison de ceci est évidente : c'est qu'alors la volonté de l'état, quoique générale par rapport à ses membres, ne l'est plus par rapport aux autres états & à leurs membres, mais devient pour eux une volonté particuliere & individuelle, qui a sa regle de justice dans la loi de nature, ce qui rentre également dans le principe établi : car alors la grande ville du monde devient le corps politique dont la loi de nature est toûjours la volonté générale, & dont les états & peuples divers ne sont que des membres individuels.

De ces mêmes distinctions appliquées à chaque societé politique & à ses membres, découlent les regles les plus universelles & les plus sûres sur lesquelles on puisse juger d'un bon ou d'un mauvais gouvernement, & en général, de la moralité de toutes les actions humaines.

Toute societé politique est composée d'autres sociétés plus petites, de différentes especes dont chacune a ses intérêts & ses maximes ; mais ces sociétés que chacun apperçoit, parce qu'elles ont une forme extérieure & autorisée, ne sont pas les seules qui existent réellement dans l'état ; tous les particuliers qu'un intérêt commun réunit, en composent autant d'autres, permanentes ou passageres, dont la force n'est pas moins réelle pour être moins apparente, & dont les divers rapports bien observés font la véritable connoissance des moeurs. Ce sont toutes ces associations tacites ou formelles qui modifient de tant de manieres les apparences de la volonté publique par l'influence de la leur. La volonté de ces sociétés particulieres a toûjours deux relations ; pour les membres de l'association, c'est une volonté générale ; pour la grande societé, c'est une volonté particuliere, qui très-souvent se trouve droite au premier égard, & vicieuse au second. Tel peut être prêtre dévot, ou brave soldat, ou patricien zélé, & mauvais citoyen. Telle délibération peut être avantageuse à la petite communauté, & très-pernicieuse à la grande. Il est vrai que les sociétés particulieres étant toûjours subordonnées à celles qui les contiennent, on doit obéir à celles-ci préférablement aux autres, que les devoirs du citoyen vont avant ceux du sénateur, & ceux de l'homme avant ceux du citoyen : mais malheureusement l'intérêt personnel se trouve toûjours en raison inverse du devoir, & augmente à mesure que l'association devient plus étroite & l'engagement moins sacré ; preuve invincible que la volonté la plus générale est aussi toûjours la plus juste, & que la voix du peuple est en effet la voix de Dieu.

Il ne s'ensuit pas pour cela que les délibérations publiques soient toûjours équitables ; elles peuvent ne l'être pas lorsqu'il s'agit d'affaires étrangeres ; j'en ai dit la raison. Ainsi, il n'est pas impossible qu'une république bien gouvernée fasse une guerre injuste. Il ne l'est pas non plus que le conseil d'une démocratie passe de mauvais decrets & condamne les innocens : mais cela n'arrivera jamais, que le peuple ne soit séduit par des intérêts particuliers, qu'avec du crédit & de l'éloquence quelques hommes adroits sauront substituer aux siens. Alors autre chose sera la délibération publique, & autre chose la volonté générale. Qu'on ne m'oppose donc point la démocratie d'Athenes, parce qu'Athenes n'étoit point en effet une démocratie, mais une aristocratie très-tyrannique, gouvernée par des savans & des orateurs. Examinez avec soin ce qui se passe dans une délibération quelconque, & vous verrez que la volonté générale est toûjours pour le bien commun ; mais très-souvent il se fait une scission secrette, une confédération tacite, qui pour des vûes particulieres sait éluder la disposition naturelle de l'assemblée. Alors le corps social se divise réellement en d'autres dont les membres prennent une volonté générale, bonne & juste à l'égard de ces nouveaux corps, injuste & mauvaise à l'égard du tout dont chacun d'eux se démembre.

On voit avec quelle facilité l'on explique à l'aide de ces principes, les contradictions apparentes qu'on remarque dans la conduite de tant d'hommes remplis de scrupule & d'honneur à certains égards, trompeurs & fripons à d'autres, foulant aux piés les plus sacrés devoirs, & fideles jusqu'à la mort à des engagemens souvent illégitimes. C'est ainsi que les hommes les plus corrompus rendent toûjours quelque sorte d'hommage à la foi publique ; c'est ainsi (comme on l'a remarqué à l'article DROIT) que les brigands mêmes, qui sont les ennemis de la vertu dans la grande societé, en adorent le simulacre dans leurs cavernes.

En établissant la volonté générale pour premier principe de l'économie publique, & regle fondamentale du gouvernement, je n'ai pas cru nécessaire d'examiner sérieusement si les magistrats appartiennent au peuple ou le peuple aux magistrats, & si dans les affaires publiques on doit consulter le bien de l'état ou celui des chefs. Depuis long-tems cette question a été décidée d'une maniere par la pratique, & d'une autre par la raison ; & en général ce seroit une grande folie d'espérer que ceux qui dans le fait sont les maîtres, préféreront un autre intérêt au leur. Il seroit donc à propos de diviser encore l'économie publique en populaire & tyrannique. La premiere est celle de tout état, où regne entre le peuple & les chefs unité d'intérêt & de volonté ; l'autre existera nécessairement par-tout où le gouvernement & le peuple auront des intérêts différens & par conséquent des volontés opposées. Les maximes de celle-ci sont inscrites au long dans les archives de l'histoire & dans les satyres de Machiavel. Les autres ne se trouvent que dans les écrits des philosophes qui osent reclamer les droits de l'humanité.

I. La premiere & plus importante maxime du gouvernement légitime ou populaire, c'est-à-dire de celui qui a pour objet le bien du peuple, est donc, comme je l'ai dit, de suivre en tout la volonté générale ; mais pour la suivre il faut la connoître, & sur-tout la bien distinguer de la volonté particuliere en commençant par soi-même ; distinction toûjours fort difficile à faire, & pour laquelle il n'appartient qu'à la plus sublime vertu de donner de suffisantes lumieres. Comme pour vouloir il faut être libre, une autre difficulté qui n'est guere moindre, est d'assurer à la fois la liberté publique & l'autorité du gouvernement. Cherchez les motifs qui ont porté les hommes unis par leurs besoins mutuels dans la grande société, à s'unir plus étroitement par des sociétés civiles ; vous n'en trouverez point d'autre que celui d'assurer les biens, la vie, & la liberté de chaque membre par la protection de tous : or comment forcer des hommes à defendre la liberté de l'un d'entr'eux, sans porter atteinte à celle des autres ? & comment pourvoir aux besoins publics sans altérer la proprieté particuliere de ceux qu'on force d'y contribuer ? De quelques sophismes qu'on puisse colorer tout cela, il est certain que si l'on peut contraindre ma volonté, je ne suis plus libre, & que je ne suis plus maître de mon bien, si quelqu'autre peut y toucher. Cette difficulté, qui devoit sembler insurmontable, a été levée avec la premiere par la plus sublime de toutes les institutions humaines, ou plûtôt par une inspiration céleste, qui apprit à l'homme à imiter ici-bas les decrets immuables de la divinité. Par quel art inconcevable a-t-on pû trouver le moyen d'assujettir les hommes pour les rendre libres ? d'employer au service de l'état les biens, les bras, & la vie même de tous ses membres, sans les contraindre & sans les consulter ? d'enchaîner leur volonté de leur propre aveu ? de faire valoir leur consentement contre leur refus, & de les forcer à se punir eux-mêmes, quand ils font ce qu'ils n'ont pas voulu ? Comment se peut-il faire qu'ils obéissent & que personne ne commande, qu'ils servent & n'ayent point de maître ; d'autant plus libres en effet que sous une apparente sujétion, nul ne perd de sa liberté que ce qui peut nuire à celle d'un autre ? Ces prodiges sont l'ouvrage de la loi. C'est à la loi seule que les hommes doivent la justice & la liberté. C'est cet organe salutaire de la volonté de tous, qui rétablit dans le droit l'égalité naturelle entre les hommes. C'est cette voix céleste qui dicte à chaque citoyen les préceptes de la raison publique, & lui apprend à agir selon les maximes de son propre jugement, & à n'être pas en contradiction avec lui-même. C'est elle seule aussi, que les chefs doivent faire parler quand ils commandent ; car si-tôt qu'indépendamment des lois, un homme en prétend soûmettre un autre à sa volonté privée, il sort à l'instant de l'état civil, & se met vis-à-vis de lui dans le pur état de nature, où l'obéissance n'est jamais prescrite que par la nécessité.

Le plus pressant intérêt du chef, de même que son devoir le plus indispensable est donc de veiller à l'observation des lois dont il est le ministre, & sur lesquelles est fondée toute son autorité. S'il doit les faire observer aux autres, à plus forte raison doit-il les observer lui-même qui jouit de toute leur faveur. Car son exemple est de telle force, que quand même le peuple voudroit bien souffrir qu'il s'affranchît du joug de la loi, il devroit se garder de profiter d'une si dangereuse prérogative, que d'autres s'efforceroient bien-tôt d'usurper à leur tour, & souvent à son préjudice. Au fond, comme tous les engagemens de la societé sont réciproques par leur nature, il n'est pas possible de se mettre au-dessus de la loi sans renoncer à ses avantages, & personne ne doit rien à quiconque prétend ne rien devoir à personne. Par la même raison nulle exemption de la loi ne sera jamais accordée à quelque titre que ce puisse être dans un gouvernement bien policé. Les citoyens mêmes, qui ont bien mérité de la patrie, doivent être récompensés par des honneurs & jamais par des priviléges : car la république est à la veille de sa ruine, si-tôt que quelqu'un peut penser qu'il est beau de ne pas obéir aux lois. Mais si jamais la noblesse ou le militaire, ou quelqu'autre ordre de l'état, adoptoit une pareille maxime, tout seroit perdu sans ressource.

La puissance des lois dépend encore plus de leur propre sagesse que de la sévérité de leurs ministres, & la volonté publique tire son plus grand poids de la raison qui l'a dictée : c'est pour cela que Platon regarde comme une précaution très-importante, de mettre toûjours à la tête des édits un préambule raisonné qui en montre la justice & l'utilité. En effet, la premiere des lois est de respecter les lois : la rigueur des châtimens n'est qu'une vaine ressource imaginée par de petits esprits, pour substituer la terreur à ce respect qu'ils ne peuvent obtenir. On a toujours remarqué que les pays où les supplices sont le plus terribles, sont aussi ceux où ils sont le plus fréquens ; de sorte que la cruauté des peines ne marque guere que la multitude des infracteurs, & qu'en punissant tout avec la même séverité, l'on force les coupables de commettre des crimes pour échapper à la punition de leurs fautes.

Mais quoique le gouvernement ne soit pas le maître de la loi, c'est beaucoup d'en être le garant & d'avoir mille moyens de la faire aimer. Ce n'est qu'en cela que consiste le talent de régner. Quand on a la force en main, il n'y a point d'art à faire trembler tout le monde, & il n'y en a pas même beaucoup à gagner les coeurs ; car l'expérience a dépuis long-tems appris au peuple, à tenir grand compte à ses chefs de tout le mal qu'ils ne lui font pas, & à les adorer quand il n'en est pas haï. Un imbécille obéï peut comme un autre punir les forfaits : le véritable homme d'état sait les prévenir ; c'est sur les volontés encore plus que sur les actions qu'il étend son respectable empire. S'il pouvoit obtenir que tout le monde fît bien, il n'auroit lui-même plus rien à faire, & le chef-d'oeuvre de ses travaux seroit de pouvoir rester oisif. Il est certain, du moins, que le plus grand talent des chefs est de déguiser leur pouvoir pour le rendre moins odieux, & de conduire l'état si paisiblement qu'il semble n'avoir pas besoin de conducteurs.

Je conclus donc que, comme le premier devoir du législateur est de conformer les lois à la volonté générale, la premiere regle de l'économie publique est que l'administration soit conforme aux lois. C'en sera même assez pour que l'état ne soit pas mal gouverné, si le legislateur a pourvû comme il le devoit à tout ce qu'exigeoient les lieux, le climat, le sol, les moeurs, le voisinage, & tous les rapports particuliers du peuple qu'il avoit à instituer. Ce n'est pas qu'il ne reste encore une infinité de détails de police & d'économie, abandonnés à la sagesse du gouvernement : mais il a toujours deux regles infaillibles pour se bien conduire dans ces occasions ; l'une est l'esprit de la loi qui doit servir à la décision des cas qu'elle n'a pû prévoir ; l'autre est la volonté générale, source & supplément de toutes les loix, & qui doit toujours être consultée à leur défaut. Comment, me dira-t-on, connoître la volonté générale dans les cas où elle ne s'est point expliquée ? Faudra-t-il assembler toute la nation à chaque évenement imprévû ? Il faudra d'autant moins l'assembler, qu'il n'est pas sûr que sa décision fût l'expression de la volonté générale ; que ce moyen est impraticable dans un grand peuple, & qu'il est rarement nécessaire quand le gouvernement est bien intentionné : car les chefs savent assez que la volonté générale est toûjours pour le parti le plus favorable à l'intérêt public, c'est-à-dire le plus équitable ; de sorte qu'il ne faut qu'être juste pour s'assurer de suivre la volonté générale. Souvent quand on la choque trop ouvertement, elle se laisse appercevoir malgré le frein terrible de l'autorité publique. Je cherche le plus près qu'il m'est possible les exemples à suivre en pareil cas. A la Chine, le prince a pour maxime constante de donner le tort à ses officiers dans toutes les altercations qui s'élevent entr'eux & le peuple. Le pain est-il cher dans une province, l'intendant est mis en prison : se fait-il dans une autre une émeute, le gouverneur est cassé, & chaque mandarin répond sur sa tête de tout le mal qui arrive dans son département. Ce n'est pas qu'on n'examine ensuite l'affaire dans un procès régulier ; mais une longue expérience en a fait prévenir ainsi le jugement. L'on a rarement en cela quelque injustice à réparer ; & l'empereur persuadé que la clameur publique ne s'éleve jamais sans sujet, démêle toujours au-travers des cris séditieux qu'il punit, de justes griefs qu'il redresse.

C'est beaucoup que d'avoir fait régner l'ordre & la paix dans toutes les parties de la république ; c'est beaucoup que l'état soit tranquille & la loi respectée : mais si l'on ne fait rien de plus, il y aura dans tout cela plus d'apparence que de réalité, & le gouvernement se fera difficilement obéir s'il se borne à l'obéissance. S'il est bon de savoir employer les hommes tels qu'ils sont, il vaut beaucoup mieux encore les rendre tels qu'on a besoin qu'ils soient ; l'autorité la plus absolue est celle qui pénétre jusqu'à l'intérieur de l'homme, & ne s'exerce pas moins sur la volonté que sur les actions. Il est certain que les peuples sont à la longue ce que le gouvernement les fait être. Guerriers, citoyens, hommes, quand il le veut ; populace & canaille quand il lui plaît : & tout prince qui méprise ses sujets, se deshonore lui-même en montrant qu'il n'a pas su les rendre estimables. Formez donc des hommes si vous voulez commander à des hommes ; si vous voulez qu'on obéisse aux lois, faites qu'on les aime, & que pour faire ce qu'on doit, il suffise de songer qu'on le doit faire. C'étoit là le grand art des gouvernemens anciens, dans ces tems reculés, où les philosophes donnoient des lois aux peuples, & n'employoient leur autorité qu'à les rendre sages & heureux. De-là tant de lois somptuaires, tant de reglemens sur les moeurs, tant de maximes publiques admises ou rejettées avec le plus grand soin. Les tyrans mêmes n'oublioient pas cette importante partie de l'administration, & on les voyoit attentifs à corrompre les moeurs de leurs esclaves, avec autant de soin qu'en avoient les magistrats à corriger celles de leurs concitoyens. Mais nos gouvernemens modernes qui croyent avoir tout fait quand ils ont tiré de l'argent, n'imaginent pas même qu'il soit nécessaire ou possible d'aller jusque-là.

II. Seconde regle essentielle de l'économie publique, non moins importante que la premiere. Voulez-vous que la volonté générale soit accomplie ? faites que toutes les volontés particulieres s'y rapportent ; & comme la vertu n'est que cette conformité de la volonté particuliere à la générale, pour dire la même chose en un mot, faites régner la vertu.

Si les politiques étoient moins aveuglés par leur ambition, ils verroient combien il est impossible qu'aucun établissement quel qu'il soit, puisse marcher selon l'esprit de son institution, s'il n'est dirigé selon la loi du devoir ; ils sentiroient que le plus grand ressort de l'autorité publique est dans le coeur des citoyens, & que rien ne peut suppléer aux moeurs pour le maintien du gouvernement. Non-seulement il n'y a que des gens de bien qui sachent administrer les lois, mais il n'y a dans le fond que d'honnêtes gens qui sachent leur obéir. Celui qui vient à bout de braver les remords, ne tardera pas à braver les supplices ; châtiment moins rigoureux, moins continuel, & auquel on a du moins l'espoir d'échapper ; & quelques précautions qu'on prenne, ceux qui n'attendent que l'impunité pour mal faire, ne manquent guere de moyens d'éluder la loi ou d'échapper à la peine. Alors, comme tous les intérêts particuliers se réunissent contre l'intérêt général qui n'est plus celui de personne, les vices publics ont plus de force pour énerver les lois, que les lois n'en ont pour réprimer les vices ; & la corruption du peuple & des chefs s'étend enfin jusqu'au gouvernement, quelque sage qu'il puisse être : le pire de tous les abus est, de n'obéir en apparence aux lois que pour les enfreindre en effet avec sûreté. Bientôt les meilleures lois deviennent les plus funestes : il vaudroit mieux cent fois qu'elles n'existassent pas ; ce seroit une ressource qu'on auroit encore quand il n'en reste plus. Dans une pareille situation, l'on ajoûte vainement édits sur édits, réglemens sur réglemens. Tout cela ne sert qu'à introduire d'autres abus sans corriger les premiers. Plus vous multipliez les lois, plus vous les rendez méprisables ; & tous les surveillans que vous instituez, ne sont que de nouveaux infracteurs destinés à partager avec les anciens, ou à faire leur pillage à part. Bien-tôt le prix de la vertu devient celui du brigandage : les hommes les plus vils sont les plus accrédités ; plus ils sont grands, plus ils sont méprisables ; leur infamie éclate dans leurs dignités, & ils sont deshonorés par leurs honneurs. S'ils achetent les suffrages des chefs ou la protection des femmes, c'est pour vendre à leur tour la justice, le devoir & l'état ; & le peuple qui ne voit pas que ses vices sont la premiere cause de ses malheurs, murmure & s'écrie en gémissant : " Tous mes maux ne viennent que de ceux que je paye pour m'en garantir ".

C'est alors qu'à la voix du devoir qui ne parle plus dans les coeurs, les chefs sont forcés de substituer le cri de la terreur, ou le leurre d'un intérêt apparent dont ils trompent leurs créatures. C'est alors qu'il faut recourir à toutes les petites & méprisables ruses qu'ils appellent maximes d'état, & mystères du cabinet. Tout ce qui reste de vigueur au gouvernement est employé par ses membres à se perdre & supplanter l'un l'autre, tandis que les affaires demeurent abandonnées, ou ne se font qu'à mesure que l'intérêt personnel le demande, & selon qu'il les dirige. Enfin toute l'habileté de ces grands politiques, est de fasciner tellement les yeux de ceux dont ils ont besoin, que chacun croye travailler pour son intérêt en travaillant pour le leur ; je dis le leur, si tant est qu'en effet le véritable intérêt des chefs soit d'anéantir les peuples pour les soûmettre, & de ruiner leur propre bien pour s'en assûrer la possession.

Mais quand les citoyens aiment leur devoir, & que les dépositaires de l'autorité publique s'appliquent sincèrement à nourrir cet amour par leur exemple & par leurs soins, toutes les difficultés s'évanoüissent, l'administration prend une facilité qui la dispense de cet art ténébreux, dont la noirceur fait tout le mystere. Ces esprits vastes, si dangereux & si admirés, tous ces grands ministres dont la gloire se confond avec les malheurs du peuple, ne sont plus regrettés : les moeurs publiques suppléent au génie des chefs ; & plus la vertu regne, moins les talens sont nécessaires. L'ambition même est mieux servie par le devoir que par l'usurpation : le peuple convaincu que ses chefs ne travaillent qu'à faire son bonheur, les dispense par sa déférence de travailler à affermir leur pouvoir ; & l'histoire nous montre en mille endroits, que l'autorité qu'il accorde à ceux qu'il aime & dont il est aimé, est cent fois plus absolue que toute la tyrannie des usurpateurs. Ceci ne signifie pas que le gouvernement doive craindre d'user de son pouvoir, mais qu'il n'en doit user que d'une maniere légitime. On trouvera dans l'histoire mille exemples de chefs ambitieux ou pusillanimes, que la mollesse ou l'orgueil ont perdus, aucun qui se soit mal trouvé de n'être qu'équitable. Mais on ne doit pas confondre la négligence avec la modération, ni la douceur avec la foiblesse. Il faut être sévere pour être juste : souffrir la méchanceté qu'on a le droit & le pouvoir de réprimer, c'est être méchant soi-même.

Ce n'est pas assez de dire aux citoyens, soyez bons ; il faut leur apprendre à l'être ; & l'exemple même, qui est à cet égard la premiere leçon, n'est pas le seul moyen qu'il faille employer : l'amour de la patrie est le plus efficace ; car comme je l'ai déjà dit, tout homme est vertueux quand sa volonté particuliere est conforme en tout à la volonté générale, & nous voulons volontiers ce que veulent les gens que nous aimons.

Il semble que le sentiment de l'humanité s'évapore & s'affoiblisse en s'étendant sur toute la terre, & que nous ne saurions être touchés des calamités de la Tartarie ou du Japon, comme de celles d'un peuple européen. Il faut en quelque maniere borner & comprimer l'intérêt & la commisération pour lui donne, de l'activité. Or comme ce penchant en nous ne peut être utile qu'à ceux avec qui nous avons à vivre, il est bon que l'humanité concentrée entre les concitoyens, prenne en eux une nouvelle force par l'habitude de se voir, & par l'intérêt commun qui les réunit. Il est certain que les plus grands prodiges de vertu ont été produits par l'amour de la patrie : ce sentiment doux & vif, qui joint la force de l'amour propre à toute la beauté de la vertu, lui donne une énergie qui, sans la défigurer, en fait la plus héroïque de toutes les passions. C'est lui qui produisit tant d'actions immortelles dont l'éclat ébloüit nos foibles yeux, & tant de grands hommes dont les antiques vertus passent pour des fables, depuis que l'amour de la patrie est tourné en dérision. Ne nous en étonnons pas ; les transports des coeurs tendres paroissent autant de chimeres à quiconque ne les a point sentis ; & l'amour de la patrie, plus vif & plus délicieux cent fois que celui d'une maîtresse, ne se conçoit de même qu'en l'éprouvant : mais il est aisé de remarquer dans tous les coeurs qu'il échauffe, dans toutes les actions qu'il inspire, cette ardeur bouillante & sublime dont ne brille pas la plus pure vertu quand elle en est séparée. Osons opposer Socrate même à Caton : l'un étoit plus philosophe, & l'autre plus citoyen. Athenes étoit déja perdue, & Socrate n'avoit plus de patrie que le monde entier : Caton porta toujours la sienne au fond de son coeur ; il ne vivoit que pour elle & ne put lui survivre. La vertu de Socrate est celle du plus sage des hommes : mais entre César & Pompée, Caton semble un dieu parmi des mortels. L'un instruit quelques particuliers, combat les sophistes, & meurt pour la vérité : l'autre défend l'état, la liberté, les lois contre les conquérans du monde, & quitte enfin la terre quand il n'y voit plus de patrie à servir. Un digne éléve de Socrate seroit le plus vertueux de ses contemporains ; un digne émule de Caton en seroit le plus grand. La vertu du premier feroit son bonheur, le second chercheroit son bonheur dans celui de tous. Nous serions instruits par l'un & conduits par l'autre, & cela seul décideroit de la préférence : car on n'a jamais fait un peuple de sages, mais il n'est pas impossible de rendre un peuple heureux.

Voulons-nous que les peuples soient vertueux ? commençons donc par leur faire aimer la patrie : mais comment l'aimeront-ils si la patrie n'est rien de plus pour eux que pour des étrangers, & qu'elle ne leur accorde que ce qu'elle ne peut refuser à personne ? Ce seroit bien pis s'ils n'y joüissoient pas même de la sûreté civile, & que leurs biens, leur vie ou leur liberté fussent à la discrétion des hommes puissans, sans qu'il leur fût possible ou permis d'oser reclamer les lois. Alors soûmis aux devoirs de l'état civil, sans joüir même des droits de l'état de nature, & sans pouvoir employer leurs forces pour se défendre, ils seroient par conséquent dans la pire condition où se puissent trouver des hommes libres, & le mot de patrie ne pourroit avoir pour eux qu'un sens odieux ou ridicule. Il ne faut pas croire que l'on puisse offenser ou couper un bras, que la douleur ne s'en porte à la tête ; & il n'est pas plus croyable que la volonté générale consente qu'un membre de l'état, quel qu'il soit, en blesse ou détruise un autre, qu'il ne l'est que les doigts d'un homme usant de sa raison aillent lui crever les yeux. La sureté particuliere est tellement liée avec la confédération publique, que sans les égards que l'on doit à la foiblesse humaine, cette convention seroit dissoute par le droit, s'il périssoit dans l'état un seul citoyen qu'on eût pû secourir ; si l'on en retenoit à tort un seul en prison, & s'il se perdoit un seul procès avec une injustice évidente : car les conventions fondamentales étant enfreintes, on ne voit plus quel droit ni quel intérêt pourroit maintenir le peuple dans l'union sociale, à moins qu'il n'y fût retenu par la seule force qui fait la dissolution de l'état civil.

En effet, l'engagement du corps de la nation n'est-il pas de pourvoir à la conservation du dernier de ses membres, avec autant de soin qu'à celle de tous les autres ? & le salut d'un citoyen est-il moins la cause commune que celui de tout l'état ? Qu'on nous dise qu'il est bon qu'un seul périsse pour tous, j'admirerai cette sentence dans la bouche d'un digne & vertueux patriote, qui se consacre volontairement & par devoir à la mort pour le salut de son pays : mais si l'on entend qu'il soit permis au gouvernement de sacrifier un innocent au salut de la multitude, je tiens cette maxime pour une des plus exécrables que jamais la tyrannie ait inventée, la plus fausse qu'on puisse avancer, la plus dangereuse qu'on puisse admettre, & la plus directement opposée aux lois fondamentales de la société. Loin qu'un seul doive périr pour tous, tous ont engagé leurs biens & leurs vies à la défense de chacun d'eux, afin que la foiblesse particuliere fût toujours protégée par la force publique, & chaque membre par tout l'état. Après avoir par supposition retranché du peuple un individu après l'autre, pressez les partisans de cette maxime à mieux expliquer ce qu'ils entendent par le corps de l'état, & vous verrez qu'ils le réduiront à la fin à un petit nombre d'hommes qui ne sont pas le peuple, mais les officiers du peuple, & qui s'étant obligés par un serment particulier à périr eux-mêmes pour son salut, prétendent prouver par-là que c'est à lui de périr pour le leur.

Veut-on trouver des exemples de la protection que l'état doit à ses membres, & du respect qu'il doit à leurs personnes ? ce n'est que chez les plus illustres & les plus courageuses nations de la terre qu'il faut les chercher, & il n'y a guere que les peuples libres où l'on sache ce que vaut un homme. A Sparte, on sait en quelle perplexité se trouvoit toute la république lorsqu'il étoit question de punir un citoyen coupable. En Macédoine, la vie d'un homme étoit une affaire si importante, que dans toute la grandeur d'Alexandre, ce puissant monarque n'eut osé de sang froid faire mourir un Macédonien criminel, que l'accusé n'eût comparu pour se défendre devant ses concitoyens, & n'eût été condamné par eux. Mais les Romains se distinguerent au-dessus de tous les peuples de la terre, par les égards du gouvernement pour les particuliers, & par son attention scrupuleuse à respecter les droits inviolables de tous les membres de l'état. Il n'y avoit rien de si sacré que la vie des simples citoyens ; il ne falloit pas moins que l'assemblée de tout le peuple pour en condamner un : le sénat même ni les consuls, dans toute leur majesté, n'en avoient pas le droit, & chez le plus puissant peuple du monde, le crime & la peine d'un citoyen étoit une desolation publique ; aussi parut-il si dur d'en verser le sang pour quelque crime que ce pût être, que par la loi Porcia la peine de mort fut commuée en celle de l'exil, pour tous ceux qui voudroient survivre à la perte d'une si douce patrie. Tout respiroit à Rome & dans les armées cet amour des concitoyens les uns pour les autres, & ce respect pour le nom romain qui élevoit le courage & animoit la vertu de quiconque avoit l'honneur de le porter. Le chapeau d'un citoyen délivré d'esclavage, la couronne civique de celui qui avoit sauvé la vie à un autre, étoient ce qu'on regardoit avec le plus de plaisir dans la pompe des triomphes ; & il est à remarquer que des couronnes dont on honoroit à la guerre les belles actions, il n'y avoit que la civique & celle des triomphateurs qui fussent d'herbe & de feuilles, toutes les autres n'étoient que d'or. C'est ainsi que Rome fut vertueuse, & devint la maîtresse du monde. Chefs ambitieux ! Un pâtre gouverne ses chiens & ses troupeaux, & n'est que le dernier des hommes. S'il est beau de commander, c'est quand ceux qui nous obéissent peuvent nous honorer : respectez donc vos concitoyens, & vous vous rendrez respectables ; respectez la liberté, & votre puissance augmentera tous les jours : ne passez jamais vos droits, & bien-tôt ils seront sans bornes.

Que la patrie se montre donc la mere commune des citoyens ; que les avantages dont ils joüissent dans leur pays le leur rende cher ; que le gouvernement leur laisse assez de part à l'administration publique pour sentir qu'ils sont chez eux, & que les lois ne soient à leurs yeux que les garants de la commune liberté. Ces droits, tout beaux qu'ils sont, appartiennent à tous les hommes ; mais sans paroître les attaquer directement, la mauvaise volonté des chefs en réduit aisément l'effet à rien. La loi dont on abuse sert à la fois au puissant d'arme offensive, & de bouclier contre le foible, & le prétexte du bien public est toûjours le plus dangereux fléau du peuple. Ce qu'il y a de plus nécessaire, & peut-être de plus difficile dans le gouvernement, c'est une intégrité sévere à rendre justice à tous, & sur-tout à protéger le pauvre contre la tyrannie du riche. Le plus grand mal est déjà fait, quand on a des pauvres à défendre & des riches à contenir. C'est sur la médiocrité seule que s'exerce toute la force des lois ; elles sont également impuissantes contre les thrésors du riche & contre la misere du pauvre ; le premier les élude, le second leur échappe ; l'un brise la toile, & l'autre passe au-travers.

C'est donc une des plus importantes affaires du gouvernement, de prévenir l'extrême inégalité des fortunes, non en enlevant les thrésors à leurs possesseurs, mais en ôtant à tous les moyens d'en accumuler ; ni en bâtissant des hôpitaux pour les pauvres, mais en garantissant les citoyens de le devenir. Les hommes inégalement distribués sur le territoire, & entassés dans un lieu tandis que les autres se dépeuplent ; les arts d'agrément & de pure industrie favorisés aux dépens des métiers utiles & pénibles ; l'agriculture sacrifiée au commerce ; le publicain rendu nécessaire par la mauvaise administration des deniers de l'état ; enfin la vénalité poussée à tel excès, que la considération se compte avec les pistoles, & que les vertus mêmes se vendent à prix d'argent : telles sont les causes les plus sensibles de l'opulence & de la misere, de l'intérêt particulier substitué à l'intérêt public, de la haine mutuelle des citoyens, de leur indifférence pour la cause commune, de la corruption du peuple, & de l'affoiblissement de tous les ressorts du gouvernement. Tels sont par conséquent les maux qu'on guérit difficilement quand ils se font sentir, mais qu'une sage administration doit prévenir, pour maintenir avec les bonnes moeurs le respect pour les lois, l'amour de la patrie, & la vigueur de la volonté générale.

Mais toutes ces précautions seront insuffisantes, si l'on ne s'y prend de plus loin encore. Je finis cette partie de l'économie publique, par où j'aurois dû la commencer. La patrie ne peut subsister sans la liberté, ni la liberté sans la vertu, ni la vertu sans les citoyens : vous aurez tout si vous formez des citoyens ; sans cela vous n'aurez que de méchans esclaves, à commencer par les chefs de l'état. Or former des citoyens n'est pas l'affaire d'un jour ; & pour les avoir hommes, il faut les instruire enfans. Qu'on me dise que quiconque a des hommes à gouverner, ne doit pas chercher hors de leur nature une perfection dont ils ne sont pas susceptibles ; qu'il ne doit pas vouloir détruire en eux les passions, & que l'exécution d'un pareil projet ne seroit pas plus desirable que possible. Je conviendrai d'autant mieux de tout cela, qu'un homme qui n'auroit point de passions seroit certainement un fort mauvais citoyen : mais il faut convenir aussi que si l'on n'apprend point aux hommes à n'aimer rien, il n'est pas impossible de leur apprendre à aimer un objet plûtôt qu'un autre, & ce qui est véritablement beau, plûtôt que ce qui est difforme. Si par exemple, on les exerce assez-tôt à ne jamais regarder leur individu que par ses relations avec le corps de l'Etat, & à n'appercevoir, pour ainsi dire, leur propre existence que comme une partie de la sienne, ils pourront parvenir enfin à s'identifier en quelque sorte avec ce plus grand tout, à se sentir membres de la patrie, à l'aimer de ce sentiment exquis que tout homme isolé n'a que pour soi-même, à élever perpétuellement leur ame à ce grand objet, & à transformer ainsi en une vertu sublime, cette disposition dangereuse d'où naissent tous nos vices. Non-seulement la Philosophie démontre la possibilité de ces nouvelles directions, mais l'Histoire en fournit mille exemples éclatans : s'ils sont si rares parmi nous, c'est que personne ne se soucie qu'il y ait des citoyens, & qu'on s'avise encore moins de s'y prendre assez-tôt pour les former. Il n'est plus tems de changer nos inclinations naturelles quand elles ont pris leur cours, & que l'habitude s'est jointe à l'amour propre ; il n'est plus tems de nous tirer hors de nous-mêmes, quand une fois le moi humain concentré dans nos coeurs y a acquis cette méprisable activité qui absorbe toute vertu & fait la vie des petites ames. Comment l'amour de la patrie pourroit-il germer au milieu de tant d'autres passions qui l'étouffent ? & que reste-t-il pour les concitoyens d'un coeur déjà partagé entre l'avarice, une maîtresse, & la vanité ?

C'est du premier moment de la vie, qu'il faut apprendre à mériter de vivre ; & comme on participe en naissant aux droits des citoyens, l'instant de notre naissance doit être le commencement de l'exercice de nos devoirs. S'il y a des lois pour l'âge mur, il doit y en avoir pour l'enfance, qui enseignent à obéir aux autres ; & comme on ne laisse pas la raison de chaque homme unique arbitre de ses devoirs, on doit d'autant moins abandonner aux lumieres & aux préjugés des peres l'éducation de leurs enfans, qu'elle importe à l'état encore plus qu'aux peres ; car selon le cours de la nature, la mort du pere lui dérobe souvent les derniers fruits de cette éducation, mais la patrie en sent tôt ou tard les effets ; l'état demeure, & la famille se dissout. Que si l'autorité publique en prenant la place des peres, & se chargeant de cette importante fonction, acquiert leurs droits en remplissant leurs devoirs, ils ont d'autant moins sujet de s'en plaindre, qu'à cet égard ils ne font proprement que changer de nom, & qu'ils auront en commun, sous le nom de citoyens, la même autorité sur leurs enfans qu'ils exerçoient séparément sous le nom de peres, & n'en seront pas moins obéis en parlant au nom de la loi, qu'ils l'étoient en parlant au nom de la nature. L'éducation publique sous des regles prescrites par le gouvernement, & sous des magistrats établis par le souverain, est donc une des maximes fondamentales du gouvernement populaire ou légitime. Si les enfans sont élevés en commun dans le sein de l'égalité, s'ils sont imbus des lois de l'état & des maximes de la volonté générale, s'ils sont instruits à les respecter par-dessus toutes choses, s'ils sont environnés d'exemples & d'objets qui leur parlent sans cesse de la tendre mere qui les nourrit ; de l'amour qu'elle a pour eux, des biens inestimables qu'ils reçoivent d'elle, & du retour qu'ils lui doivent, ne doutons pas qu'ils n'apprennent ainsi à se chérir mutuellement comme des freres, à ne vouloir jamais que ce que veut la société, à substituer des actions d'hommes & de citoyens au stérile & vain babil des sophistes, & à devenir un jour les défenseurs & les peres de la patrie dont ils auront été si long-tems les enfans.

Je ne parlerai point des magistrats destinés à présider à cette éducation, qui certainement est la plus importante affaire de l'état. On sent que si de telles marques de la confiance publique étoient légerement accordées, si cette fonction sublime n'étoit pour ceux qui auroient dignement rempli toutes les autres, le prix de leurs travaux, l'honorable & doux repos de leur vieillesse, & le comble de tous les honneurs, toute l'entreprise seroit inutile & l'éducation sans succès ; car par-tout où la leçon n'est pas soûtenue par l'autorité, & le précepte par l'exemple, l'instruction demeure sans fruit, & la vertu même perd son crédit dans la bouche de celui qui ne la pratique pas. Mais que des guerriers illustres courbés sous le faix de leurs lauriers prêchent le courage ; que des magistrats integres, blanchis dans la pourpre & sur les tribunaux, enseignent la justice ; les uns & les autres se formeront ainsi de vertueux successeurs, & transmettront d'âge en âge aux générations suivantes, l'expérience & les talens des chefs, le courage & la vertu des citoyens, & l'émulation commune à tous de vivre & mourir pour la patrie.

Je ne sache que trois peuples qui ayent autrefois pratiqué l'éducation publique ; savoir, les Crétois, les Lacédemoniens, & les anciens Perses : chez tous les trois elle eut le plus grand succès, & fit des prodiges chez les deux derniers. Quand le monde s'est trouvé divisé en nations trop grandes pour pouvoir être bien gouvernées, ce moyen n'a plus été praticable ; & d'autres raisons que le lecteur peut voir aisément, ont encore empêché qu'il n'ait été tenté chez aucun peuple moderne. C'est une chose très-remarquable que les Romains ayent pû s'en passer ; mais Rome fut durant cinq cent ans un miracle continuel, que le monde ne doit plus espérer de revoir. La vertu des Romains engendrée par l'horreur de la tyrannie & des crimes des tyrans, & par l'amour inné de la patrie, fit de toutes leurs maisons autant d'écoles de citoyens ; & le pouvoir sans bornes des peres sur leurs enfans, mit tant de sévérité dans la police particuliere, que le pere plus craint que les magistrats étoit dans son tribunal domestique le censeur des moeurs & le vengeur des lois.

C'est ainsi qu'un gouvernement attentif & bien intentionné, veillant sans cesse à maintenir ou rappeller chez le peuple l'amour de la patrie & les bonnes moeurs, prévient de loin les maux qui résultent tôt ou tard de l'indifférence des citoyens pour le sort de la république, & contient dans d'étroites bornes cet intérêt personnel, qui isole tellement les particuliers, que l'état s'affoiblit par leur puissance & n'a rien à espérer de leur bonne volonté. Par-tout où le peuple aime son pays, respecte les lois, & vit simplement, il reste peu de chose à faire pour le rendre heureux ; & dans l'administration publique où la fortune a moins de part qu'au sort des particuliers, la sagesse est si près du bonheur que ces deux objets se confondent.

III. Ce n'est pas assez d'avoir des citoyens & de les protéger, il faut encore songer à leur subsistance ; & pourvoir aux besoins publics, est une suite évidente de la volonté générale, & le troisieme devoir essentiel du gouvernement. Ce devoir n'est pas, comme on doit le sentir, de remplir les greniers des particuliers & les dispenser du travail, mais de maintenir l'abondance tellement à leur portée, que pour l'acquérir le travail soit toûjours nécessaire & ne soit jamais inutile. Il s'étend aussi à toutes les opérations qui regardent l'entretien du fisc, & les dépenses de l'administration publique. Ainsi après avoir parlé de l'économie générale par rapport au gouvernement des personnes, il nous reste à la considérer par rapport à l'administration des biens.

Cette partie n'offre pas moins de difficultés à résoudre, ni de contradictions à lever que la précédente. Il est certain que le droit de propriété est le plus sacré de tous les droits des citoyens, & plus important à certains égards que la liberté même ; soit parce qu'il tient de plus près à la conservation de la vie ; soit parce que les biens étant plus faciles à usurper & plus pénibles à défendre que la personne, on doit plus respecter ce qui se peut ravir plus aisément ; soit enfin parce que la propriété est le vrai fondement de la société civile, & le vrai garant des engagemens des citoyens : car si les biens ne répondoient pas des personnes, rien ne seroit si facile que d'éluder ses devoirs & de se moquer des lois. D'un autre côté, il n'est pas moins sûr que le maintien de l'état & du gouvernement exige des frais & de la dépense ; & comme quiconque accorde la fin ne peut refuser les moyens, il s'ensuit que les membres de la société doivent contribuer de leurs biens à son entretien. De plus, il est difficile d'assûrer d'un côté la propriété des particuliers sans l'attaquer d'un autre, & il n'est pas possible que tous les réglemens qui regardent l'ordre des successions, les testamens, les contrats, ne gênent les citoyens à certains égards sur la disposition de leur propre bien, & par conséquent sur leur droit de propriété.

Mais outre ce que j'ai dit ci-devant de l'accord qui regne entre l'autorité de la loi & la liberté du citoyen, il y a par rapport à la disposition des biens une remarque importante à faire, qui leve bien des difficultés. C'est comme l'a montré Puffendorf, que par la nature du droit de propriété, il ne s'étend point au-delà de la vie du propriétaire, & qu'à l'instant qu'un homme est mort, son bien ne lui appartient plus. Ainsi lui prescrire les conditions sous lesquelles il en peut disposer, c'est au fond moins altérer son droit en apparence, que l'étendre en effet.

En général, quoique l'institution des lois qui reglent le pouvoir des particuliers dans la disposition de leur propre bien n'appartienne qu'au souverain, l'esprit de ces lois que le gouvernement doit suivre dans leur application, est que de pere en fils & de proche en proche, les biens de la famille en sortent & s'alienent le moins qu'il est possible. Il y a une raison sensible de ceci en faveur des enfans, à qui le droit de propriété seroit fort inutile, si le pere ne leur laissoit rien, & qui de plus ayant souvent contribué par leur travail à l'acquisition des biens du pere, sont de leur chef associés à son droit. Mais une autre raison plus éloignée & non moins importante, est que rien n'est plus funeste aux moeurs & à la république, que les changemens continuels d'état & de fortune entre les citoyens ; changemens qui sont la preuve & la source de mille desordres, qui bouleversent & confondent tout, & par lesquels ceux qui sont élevés pour une chose, se trouvant destinés pour une autre, ni ceux qui montent ni ceux qui descendent ne peuvent prendre les maximes ni les lumieres convenables à leur nouvel état, & beaucoup moins en remplir les devoirs. Je passe à l'objet des finances publiques.

Si le peuple se gouvernoit lui-même, & qu'il n'y eût rien d'intermédiaire entre l'administration de l'état & les citoyens, ils n'auroient qu'à se cotiser dans l'occasion, à proportion des besoins publics & des facultés des particuliers ; & comme chacun ne perdroit jamais de vûe le recouvrement ni l'emploi des deniers, il ne pourroit se glisser ni fraude ni abus dans leur maniement : l'état ne seroit jamais obéré de dettes, ni le peuple accablé d'impôts, ou du moins la sûreté de l'emploi le consoleroit de la dureté de la taxe. Mais les choses ne sauroient aller ainsi ; & quelque borné que soit un état, la société civile y est toûjours trop nombreuse pour pouvoir être gouvernée par tous ses membres. Il faut nécessairement que les deniers publics passent par les mains des chefs, lesquels, outre l'intérêt de l'état, ont tous le leur particulier, qui n'est pas le dernier écouté. Le peuple de son côté, qui s'apperçoit plûtôt de l'avidité des chefs & de leurs folles dépenses, que des besoins publics, murmure de se voir dépouiller du nécessaire pour fournir au superflu d'autrui, & quand une fois ces manoeuvres l'ont aigri jusqu'à certain point, la plus integre administration ne viendroit pas à bout de rétablir la confiance. Alors si les contributions sont volontaires, elles ne produisent rien ; si elles sont forcées, elles sont illégitimes ; & c'est dans cette cruelle alternative de laisser périr l'état ou d'attaquer le droit sacré de la propriété, qui en est le soûtien, que consiste la difficulté d'une juste & sage économie.

La premiere chose que doit faire, après l'établissement des lois, l'instituteur d'une république, c'est de trouver un fonds suffisant pour l'entretien des magistrats & autres officiers, & pour toutes les dépenses publiques. Ce fonds s'appelle aerarium ou fisc, s'il est en argent ; domaine public, s'il est en terres, & ce dernier est de beaucoup préférable à l'autre, par des raisons faciles à voir. Quiconque aura suffisamment réfléchi sur cette matiere, ne pourra guere être à cet égard d'un autre avis que Bodin, qui regarde le domaine public comme le plus honnête & le plus sûr de tous les moyens de pourvoir aux besoins de l'état ; & il est à remarquer que le premier soin de Romulus dans la division des terres, fut d'en destiner le tiers à cet usage. J'avoue qu'il n'est pas impossible que le produit du domaine mal administré, se réduise à rien ; mais il n'est pas de l'essence du domaine d'être mal administré.

Préalablement à tout emploi, ce fonds doit être assigné ou accepté par l'assemblée du peuple ou des états du pays, qui doit ensuite en déterminer l'usage. Après cette solennité, qui rend ces fonds inaliénables, ils changent, pour ainsi dire, de nature, & leurs revenus deviennent tellement sacrés, que c'est non-seulement le plus infame de tous les vols, mais un crime de lese-majesté, que d'en détourner la moindre chose au préjudice de leur destination. C'est un grand deshonneur pour Rome, que l'intégrité du questeur Caton y ait été un sujet de remarque, & qu'un empereur récompensant de quelques écus le talent d'un chanteur, ait eu besoin d'ajoûter que cet argent venoit du bien de sa famille, & non de celui de l'état. Mais s'il se trouve peu de Galba, où chercherons-nous des Catons ? & quand une fois le vice ne deshonorera plus, quels seront les chefs assez scrupuleux pour s'abstenir de toucher aux revenus publics abandonnés à leur discrétion, & pour ne pas s'en imposer bientôt à eux-mêmes, en affectant de confondre leurs vaines & scandaleuses dissipations avec la gloire de l'état, & les moyens d'étendre leur autorité, avec ceux d'augmenter sa puissance ? C'est sur-tout en cette délicate partie de l'administration, que la vertu est le seul instrument efficace, & que l'intégrité du magistrat est le seul frein capable de contenir son avarice. Les livres & tous les comptes des régisseurs servent moins à déceler leurs infidélités qu'à les couvrir ; & la prudence n'est jamais aussi promte à imaginer de nouvelles précautions, que la friponnerie à les éluder. Laissez donc les registres & papiers, & remettez les finances en des mains fideles ; c'est le seul moyen qu'elles soient fidelement régies.

Quand une fois les fonds publics sont établis, les chefs de l'état en sont de droit les administrateurs ; car cette administration fait une partie du gouvernement, toûjours essentielle, quoique non toûjours également : son influence augmente à mesure que celle des autres ressorts diminue ; & l'on peut dire qu'un gouvernement est parvenu à son dernier degré de corruption, quand il n'a plus d'autre nerf que l'argent : or comme tout gouvernement tend sans-cesse au relâchement, cette seule raison montre pourquoi nul état ne peut subsister si ses revenus n'augmentent sans cesse.

Le premier sentiment de la nécessité de cette augmentation, est aussi le premier signe du desordre intérieur de l'état ; & le sage administrateur, en songeant à trouver de l'argent pour pourvoir au besoin présent, ne néglige pas de rechercher la cause éloignée de ce nouveau besoin : comme un marin voyant l'eau gagner son vaisseau, n'oublie pas en faisant joüer les pompes, de faire aussi chercher & boucher la voie.

De cette regle découle la plus importante maxime de l'administration des finances, qui est de travailler avec beaucoup plus de soin à prévenir les besoins, qu'à augmenter les revenus ; de quelque diligence qu'on puisse user, le secours qui ne vient qu'après le mal, & plus lentement, laisse toûjours l'état en souffrance : tandis qu'on songe à remédier à un inconvénient, un autre se fait déjà sentir, & les ressources mêmes produisent de nouveaux inconvéniens ; desorte qu'à la fin la nation s'obere, le peuple est foulé, le gouvernement perd toute sa vigueur, & ne fait plus que peu de chose avec beaucoup d'argent. Je crois que de cette grande maxime bien établie, découloient les prodiges des gouvernemens anciens, qui faisoient plus avec leur parsimonie, que les nôtres avec tous leurs thrésors ; & c'est peut-être de-là qu'est dérivée l'acception vulgaire du mot d'économie, qui s'entend plûtôt du sage ménagement de ce qu'on a, que des moyens d'acquérir ce que l'on n'a pas.

Indépendamment du domaine public, qui rend à l'état à proportion de la probité de ceux qui le régissent, si l'on connoissoit assez toute la force de l'administration générale, sur-tout quand elle se borne aux moyens légitimes, on seroit étonné des ressources qu'ont les chefs pour prévenir tous les besoins publics, sans toucher aux biens des particuliers. Comme ils sont les maîtres de tout le commerce de l'état, rien ne leur est si facile que de le diriger d'une maniere qui pourvoye à tout, souvent sans qu'ils paroissent s'en mêler. La distribution des denrées, de l'argent & des marchandises par de justes proportions, selon les tems & les lieux, est le vrai secret des finances, & la source de leurs richesses, pourvû que ceux qui les administrent sachent porter leurs vûes assez loin, & faire dans l'occasion une perte apparente & prochaine, pour avoir réellement des profits immenses dans un tems éloigné. Quand on voit un gouvernement payer des droits, loin d'en recevoir, pour la sortie des blés dans les années d'abondance, & pour leur introduction dans les années de disette, on a besoin d'avoir de tels faits sous les yeux pour les croire véritables, & on les mettroit au rang des romans, s'ils se fussent passés anciennement. Supposons que pour prévenir la disette dans les mauvaises années, on proposât d'établir des magasins publics, dans combien de pays l'entretien d'un établissement si utile ne serviroit-il pas de prétexte à de nouveaux impôts ? A Geneve ces greniers établis & entretenus par une sage administration, font la ressource publique dans les mauvaises années, & le principal revenu de l'état dans tous les tems ; Alit & ditat, c'est la belle & juste inscription qu'on lit sur la façade de l'édifice. Pour exposer ici le système économique d'un bon gouvernement, j'ai souvent tourné les yeux sur celui de cette république : heureux de trouver ainsi dans ma patrie l'exemple de la sagesse & du bonheur que je voudrois voir regner dans tous les pays.

Si l'on examine comment croissent les besoins d'un état, on trouvera que souvent cela arrive à-peu-près comme chez les particuliers, moins par une véritable nécessité, que par un accroissement de desirs inutiles, & que souvent on n'augmente la dépense que pour avoir un prétexte d'augmenter la recette ; desorte que l'état gagneroit quelquefois à se passer d'être riche, & que cette richesse apparente lui est au fond plus onéreuse que ne seroit la pauvreté même. On peut espérer, il est vrai, de tenir les peuples dans une dépendance plus étroite, en leur donnant d'une main ce qu'on leur a pris de l'autre, & ce fut la politique dont usa Joseph avec les Egyptiens ; mais ce vain sophisme est d'autant plus funeste à l'état, que l'argent ne rentre plus dans les mêmes mains dont il est sorti, & qu'avec de pareilles maximes on n'enrichit que des fainéans de la dépouille des hommes utiles.

Le goût des conquêtes est une des causes les plus sensibles & les plus dangereuses de cette augmentation. Ce goût, engendré souvent par un autre espece d'ambition que celle qu'il semble annoncer, n'est pas toûjours ce qu'il paroît être, & n'a pas tant pour véritable motif le desir apparent d'aggrandir la nation, que le desir caché d'augmenter au-dedans l'autorité des chefs, à l'aide de l'augmentation des troupes, & à la faveur de la diversion que font les objets de la guerre dans l'esprit des citoyens.

Ce qu'il y a du moins de très-certain, c'est que rien n'est si foulé ni si misérable que les peuples conquérans, & que leurs succès mêmes ne font qu'augmenter leurs miseres : quand l'histoire ne nous l'apprendroit pas, la raison suffiroit pour nous démontrer que plus un état est grand, & plus les dépenses y deviennent proportionnellement fortes & onéreuses ; car il faut que toutes les provinces fournissent leur contingent, aux frais de l'administration générale, & que chacune outre cela fasse pour la sienne particuliere la même dépense que si elle étoit indépendante. Ajoûtez que toutes les fortunes se font dans un lieu & se consomment dans un autre ; ce qui rompt bientôt l'équilibre du produit & de la consommation, & appauvrit beaucoup de pays pour enrichir une seule ville.

Autre source de l'augmentation des besoins publics, qui tient à la précédente. Il peut venir un tems où les citoyens ne se regardant plus comme intéressés à la cause commune, cesseroient d'être les défenseurs de la patrie, & où les magistrats aimeroient mieux commander à des mercenaires qu'à des hommes libres, ne fût-ce qu'afin d'employer en tems & lieu les premiers pour mieux assujettir les autres. Tel fut l'état de Rome sur la fin de la république & sous les empereurs ; car toutes les victoires des premiers Romains, de même que celles d'Alexandre, avoient été remportées par de braves citoyens, qui savoient donner au besoin leur sang pour la patrie, mais qui ne le vendoient jamais. Marius fut le premier qui dans la guerre de Jugurtha deshonora les légions, en y introduisant des affranchis, vagabonds, & autres mercenaires. Devenus les ennemis des peuples qu'ils s'étoient chargés de rendre heureux, les tyrans établirent des troupes réglées, en apparence pour contenir l'étranger, & en effet pour opprimer l'habitant. Pour former ces troupes il fallut enlever à la terre des cultivateurs, dont le défaut diminua la quantité des denrées, & dont l'entretien introduisit des impôts qui en augmenterent le prix. Ce premier desordre fit murmurer les peuples : il fallut pour les réprimer multiplier les troupes, & par conséquent la misere ; & plus le desespoir augmentoit, plus on se voyoit contraint de l'augmenter encore pour en prévenir les effets. D'un autre côté ces mercenaires, qu'on pouvoit estimer sur le prix auxquels ils se vendoient eux-mêmes, fiers de leur avilissement, méprisant les loix dont ils étoient protégés, & leurs freres dont ils mangeoient le pain, se crurent plus honorés d'être les satellites de César que les défenseurs de Rome ; & dévoüés à une obéissance aveugle, tenoient par état le poignard levé sur leurs concitoyens, prêts à tout égorger au premier signal. Il ne seroit pas difficile de montrer que ce fut-là une des principales causes de la ruine de l'empire romain.

L'invention de l'artillerie & des fortifications a forcé de nos jours les souverains de l'Europe à rétablir l'usage des troupes réglées pour garder leurs places ; mais avec des motifs plus légitimes, il est à craindre que l'effet n'en soit également funeste. Il n'en faudra pas moins dépeupler les campagnes pour former les armées & les garnisons ; pour les entretenir il n'en faudra pas moins fouler les peuples ; & ces dangereux établissemens s'accroissent depuis quelque tems avec une telle rapidité dans tous nos climats, qu'on n'en peut prévoir que la dépopulation prochaine de l'Europe, & tôt ou tard la ruine des peuples qui l'habitent.

Quoi qu'il en soit, on doit voir que de telles institutions renversent nécessairement le vrai système économique qui tire le principal revenu de l'état du domaine public, & ne laissent que la ressource fâcheuse des subsides & impôts, dont il me reste à parler.

Il faut se ressouvenir ici que le fondement du pacte social est la propriété ; & sa premiere condition, que chacun soit maintenu dans la paisible joüissance de ce qui lui appartient. Il est vrai que par le même traité chacun s'oblige, au moins tacitement, à se cotiser dans les besoins publics ; mais cet engagement ne pouvant nuire à la loi fondamentale, & supposant l'évidence du besoin reconnue par les contribuables, on voit que pour être légitime, cette cotisation doit être volontaire, non d'une volonté particuliere, comme s'il étoit nécessaire d'avoir le consentement de chaque citoyen, & qu'il ne dût fournir que ce qu'il lui plaît, ce qui seroit directement contre l'esprit de la confédération, mais d'une volonté générale, à la pluralité des voix, & sur un tarif proportionnel qui ne laisse rien d'arbitraire à l'imposition.

Cette vérité, que les impôts ne peuvent être établis légitimement que du consentement du peuple ou de ses représentans, a été reconnue généralement de tous les philosophes & jurisconsultes qui se sont acquis quelque réputation dans les matieres de droit politique, sans excepter Bodin même. Si quelques-uns ont établi des maximes contraires en apparence ; outre qu'il est aisé de voir les motifs particuliers qui les y ont portés, ils y mettent tant de conditions & de restrictions, qu'au fond la chose revient exactement au même : car que le peuple puisse refuser, ou que le souverain ne doive pas exiger, cela est indifférent quant au droit ; & s'il n'est question que de la force, c'est la chose la plus inutile que d'examiner ce qui est légitime ou non.

Les contributions qui se levent sur le peuple sont de deux sortes ; les unes réelles, qui se perçoivent sur les choses ; les autres personnelles, qui se payent par tête. On donne aux unes & aux autres les noms d'impôts ou de subsides : quand le peuple fixe la somme qu'il accorde, elle s'appelle subside ; quand il accorde tout le produit d'une taxe, alors c'est un impôt. On trouve dans le livre de l'esprit des lois, que l'imposition par tête est plus propre à la servitude, & la taxe réelle plus convenable à la liberté. Cela seroit incontestable, si les contingens par tête étoient égaux ; car il n'y auroit rien de plus disproportionné qu'une pareille taxe, & c'est sur-tout dans les proportions exactement observées, que consiste l'esprit de la liberté. Mais si la taxe par tête est exactement proportionnée aux moyens des particuliers, comme pourroit être celle qui porte en France le nom de capitation, & qui de cette maniere est à la fois réelle & personnelle, elle est la plus équitable, & par conséquent la plus convenable à des hommes libres. Ces proportions paroissent d'abord très-faciles à observer, parce qu'étant relatives à l'état que chacun tient dans le monde, les indications sont toûjours publiques ; mais outre que l'avarice, le crédit & la fraude savent éluder jusqu'à l'évidence, il est rare qu'on tienne compte dans ces calculs, de tous les élémens qui doivent y entrer. Premierement on doit considérer le rapport des quantités, selon lequel, toutes choses égales, celui qui a dix fois plus de bien qu'un autre, doit payer dix fois plus que lui. Secondement, le rapport des usages, c'est-à-dire la distinction du nécessaire & du superflu. Celui qui n'a que le simple nécessaire, ne doit rien payer du tout ; la taxe de celui qui a du superflu, peut aller au besoin jusqu'à la concurrence de tout ce qui excede son nécessaire. A cela il dira qu'eu égard à son rang, ce qui seroit superflu pour un homme inférieur, est nécessaire pour lui ; mais c'est un mensonge : car un Grand a deux jambes, ainsi qu'un bouvier, & n'a qu'un ventre non plus que lui. De plus, ce prétendu nécessaire est si peu nécessaire à son rang, que s'il savoit y renoncer pour un sujet loüable, il n'en seroit que plus respecté. Le peuple se prosterneroit devant un ministre qui iroit au conseil à pié, pour avoir vendu ses carrosses dans un pressant besoin de l'état. Enfin la loi ne prescrit la magnificence à personne, & la bienséance n'est jamais une raison contre le droit.

Un troisieme rapport qu'on ne compte jamais, & qu'on devroit toûjours compter le premier, est celui des utilités que chacun retire de la confédération sociale, qui protege fortement les immenses possessions du riche, & laisse à peine un misérable joüir de la chaumiere qu'il a construite de ses mains. Tous les avantages de la société ne sont-ils pas pour les puissans & les riches ? tous les emplois lucratifs ne sont-ils pas remplis par eux seuls ? toutes les graces, toutes les exemptions ne leur sont-elles pas reservées ? & l'autorité publique n'est-elle pas toute en leur faveur ? Qu'un homme de considération vole ses créanciers ou fasse d'autres friponneries, n'est-il pas toûjours sûr de l'impunité ? Les coups de bâton qu'il distribue, les violences qu'il commet, les meurtres mêmes & les assassinats dont il se rend coupable, ne sont-ce pas des affaires qu'on assoupit, & dont au bout de six mois il n'est plus question ? Que ce même homme soit volé, toute la police est aussitôt en mouvement, & malheur aux innocens qu'il soupçonne. Passe-t-il dans un lieu dangereux ? voilà les escortes en campagne : l'essieu de sa chaise vient-il à rompre ? tout vole à son secours : fait-on du bruit à sa porte ? il dit un mot, & tout se taît : la foule l'incommode-t-elle ? il fait un signe, & tout se range : un charretier se trouve-t-il sur son passage ? ses gens sont prêts à l'assommer ; & cinquante honnêtes piétons allant à leurs affaires seroient plûtôt écrasés, qu'un faquin oisif retardé dans son équipage. Tous ces égards ne lui coûtent pas un sou ; ils sont le droit de l'homme riche, & non le prix de la richesse. Que le tableau du pauvre est différent ! plus l'humanité lui doit, plus la société lui refuse : toutes les portes lui sont fermées, même quand il a droit de les faire ouvrir ; & si quelquefois il obtient justice, c'est avec plus de peine qu'un autre n'obtiendroit grace : s'il y a des corvées à faire, une milice à tirer, c'est à lui qu'on donne la préférence ; il porte toûjours, outre sa charge, celle dont son voisin plus riche a le crédit de se faire exempter : au moindre accident qui lui arrive, chacun s'éloigne de lui : si sa pauvre charrette renverse, loin d'être aidé par personne, je le tiens heureux s'il évite en passant les avanies des gens lestes d'un jeune duc : en un mot, toute assistance gratuite le fuit au besoin, précisément parce qu'il n'a pas de quoi la payer ; mais je le tiens pour un homme perdu, s'il a le malheur d'avoir l'ame honnête, une fille aimable, & un puissant voisin.

Une autre attention non moins importante à faire, c'est que les pertes des pauvres sont beaucoup moins réparables que celles du riche, & que la difficulté d'acquérir croît toûjours en raison du besoin. On ne fait rien avec rien ; cela est vrai dans les affaires comme en Physique : l'argent est la semence de l'argent, & la premiere pistole est quelquefois plus difficile à gagner que le second million. Il y a plus encore : c'est que tout ce que le pauvre paye, est à jamais perdu pour lui, & reste ou revient dans les mains du riche ; & comme c'est aux seuls hommes qui ont part au gouvernement, ou à ceux qui en approchent, que passe tôt ou tard le produit des impôts, ils ont, même en payant leur contingent, un intérêt sensible à les augmenter.

Résumons en quatre mots le pacte social des deux états. Vous avez besoin de moi, car je suis riche & vous êtes pauvre ; faisons donc un accord entre nous : je permettrai que vous ayez l'honneur de me servir, à condition que vous me donnerez le peu qui vous reste, pour la peine que je prendrai de vous commander.

Si l'on combine avec soin toutes ces choses, on trouvera que pour repartir les taxes d'une maniere équitable & vraiment proportionnelle, l'imposition n'en doit pas être faite seulement en raison des biens des contribuables, mais en raison composée de la différence de leurs conditions & du superflu de leurs biens. Opération très-importante & très difficile que font tous les jours des multitudes de commis honnêtes gens & qui savent l'arithmétique, mais dont les Platons & les Montesquieux n'eussent osé se charger qu'en tremblant & en demandant au ciel des lumieres & de l'intégrité.

Un autre inconvénient de la taxe personnelle, c'est de se faire trop sentir & d'être levée avec trop de dureté, ce qui n'empêche pas qu'elle ne soit sujette à beaucoup de non-valeurs, parce qu'il est plus aisé de dérober au rôle & aux poursuites sa tête que ses possessions.

De toutes les autres impositions, le cens sur les terres ou la taille réelle a toûjours passé pour la plus avantageuse dans les pays où l'on a plus d'égard à la quantité du produit & à la sûreté du recouvrement, qu'à la moindre incommodité du peuple. On a même osé dire qu'il falloit charger le paysan pour éveiller sa paresse, & qu'il ne feroit rien s'il n'avoit rien à payer. Mais l'expérience dément chez tous les peuples du monde cette maxime ridicule : c'est en Hollande, en Angleterre où le cultivateur paye très-peu de chose, & sur-tout à la Chine où il ne paye rien, que la terre est le mieux cultivée. Au contraire, par-tout où le laboureur se voit chargé à proportion du produit de son champ, il le laisse en friche, où n'en retire exactement que ce qu'il lui faut pour vivre. Car pour qui perd le fruit de sa peine, c'est gagner que ne rien faire ; & mettre le travail à l'amende, est un moyen fort singulier de bannir la paresse.

De la taxe sur les terres ou sur le blé, sur-tout quand elle est excessive, résultent deux inconvéniens si terribles, qu'ils doivent dépeupler & ruiner à la longue tous les pays où elle est établie.

Le premier vient du défaut de circulation des especes, car le commerce & l'industrie attirent dans les capitales tout l'argent de la campagne : & l'impôt détruisant la proportion qui pouvoit se trouver encore entre les besoins du laboureur & le prix de son blé, l'argent vient sans cesse & ne retourne jamais ; plus la ville est riche, plus le pays est misérable. Le produit des tailles passe des mains du prince ou du financier dans celles des artistes & des marchands ; & le cultivateur qui n'en reçoit jamais que la moindre partie, s'épuise enfin en payant toûjours également & recevant toûjours moins. Comment voudroit-on que pût vivre un homme qui n'auroit que des veines & point d'arteres, ou dont les arteres ne porteroient le sang qu'à quatre doigts du coeur ? Chardin dit qu'en Perse les droits du roi sur les denrées se payent aussi en denrées ; cet usage, qu'Herodote témoigne avoir autrefois été pratiqué dans le même pays jusqu'à Darius, peut prévenir le mal dont je viens de parler. Mais à moins qu'en Perse les intendans, directeurs, commis, & gardes-magazin ne soient une autre espece de gens que par-tout ailleurs, j'ai peine à croire qu'il arrive jusqu'au roi la moindre chose de tous ces produits, que les blés ne se gâtent pas dans tous les greniers, & que le feu ne consume pas la plûpart des magazins.

Le second inconvénient vient d'un avantage apparent, qui laisse aggraver les maux avant qu'on les apperçoive. C'est que le blé est une denrée que les impôts ne renchérissent point dans le pays qui la produit ; & dont, malgré son absolue nécessité, la quantité diminue, sans que le prix en augmente ; ce qui fait que beaucoup de gens meurent de faim, quoique le blé continue d'être à bon marché, & que le laboureur reste seul chargé de l'impôt qu'il n'a pu défalquer sur le prix de la vente. Il faut bien faire attention qu'on ne doit pas raisonner de la taille réelle comme des droits sur toutes les marchandises qui en font hausser le prix, & sont ainsi payés moins par les marchands, que par les acheteurs. Car ces droits, quelque forts qu'ils puissent être, sont pourtant volontaires, & ne sont payés par le marchand qu'à proportion des marchandises qu'il achete ; & comme il n'achete qu'à proportion de son débit, il fait la loi au particulier. Mais le laboureur qui, soit qu'il vende ou non, est contraint de payer à des termes fixes pour le terrein qu'il cultive, n'est pas le maître d'attendre qu'on mette à sa denrée le prix qu'il lui plaît ? & quand il ne la vendroit pas pour s'entretenir, il seroit forcé de la vendre pour payer la taille, de sorte que c'est quelquefois l'énormité de l'imposition qui maintient la denrée à vil prix.

Remarquez encore que les ressources du commerce & de l'industrie, loin de rendre la taille plus supportable par l'abondance de l'argent, ne la rendent que plus onéreuse. Je n'insisterai point sur une chose très-évidente, savoir que si la plus grande ou moindre quantité d'argent dans un état, peut lui donner plus ou moins de crédit au-dehors, elle ne change en aucune maniere la fortune réelle des citoyens, & ne les met ni plus ni moins à leur aise. Mais je ferai ces deux remarques importantes : l'une, qu'à moins que l'état n'ait des denrées superflues & que l'abondance de l'argent ne vienne de leur débit chez l'étranger, les villes où se fait le commerce, se sentent seules de cette abondance, & que le paysan ne fait qu'en devenir relativement plus pauvre ; l'autre, que le prix de toutes choses haussant avec la multiplication de l'argent, il faut aussi que les impôts haussent à proportion, de sorte que le laboureur se trouve plus chargé sans avoir plus de ressources.

On doit voir que la taille sur les terres est un véritable impôt sur leur produit. Cependant chacun convient que rien n'est si dangereux qu'un impôt sur le blé payé par l'acheteur : comment ne voit-on pas que le mal est cent fois pire quand cet impôt est payé par le cultivateur même ? N'est-ce pas attaquer la subsistance de l'état jusque dans sa source ? N'est-ce pas travailler aussi directement qu'il est possible à dépeupler le pays, & par conséquent à le ruiner à la longue ? car il n'y a point pour une nation de pire disette que celle des hommes.

Il n'appartient qu'au véritable homme d'état d'élever ses vûes dans l'assiette des impôts plus haut que l'objet des finances, de transformer des charges onéreuses en d'utiles réglemens de police, & de faire douter au peuple si de tels établissemens n'ont pas eu pour fin le bien de la nation plûtôt que le produit des taxes.

Les droits sur l'importation des marchandises étrangeres dont les habitans sont avides sans que le pays en ait besoin, sur l'exportation de celles du cru du pays dont il n'a pas de trop, & dont les étrangers ne peuvent se passer, sur les productions des arts inutiles & trop lucratifs, sur les entrées dans les villes des choses de pur agrément, & en général sur tous les objets du luxe, rempliront tout ce double objet. C'est par de tels impôts, qui soulagent la pauvreté & chargent la richesse, qu'il faut prévenir l'augmentation continuelle de l'inégalité des fortunes, l'asservissement aux riches d'une multitude d'ouvriers & de serviteurs inutiles, la multiplication des gens oisifs dans les villes, & la desertion des campagnes.

Il est important de mettre entre le prix des choses & les droits dont on les charge, une telle proportion que l'avidité des particuliers ne soit point trop portée à la fraude par la grandeur des profits. Il faut encore prévenir la facilité de la contrebande, en préférant les marchandises les moins faciles à cacher. Enfin il convient que l'impôt soit payé par celui qui employe la chose taxée, plûtôt que par celui qui la vend, auquel la quantité des droits dont il se trouveroit chargé, donneroit plus de tentations & de moyens de les frauder. C'est l'usage constant de la Chine, le pays du monde où les impôts sont les plus forts & les mieux payés : le marchand ne paye rien ; l'acheteur seul acquite le droit, sans qu'il en résulte ni murmures ni séditions ; parce que les denrées nécessaires à la vie, telles que le ris & le blé, étant absolument franches, le peuple n'est point foulé, & l'impôt ne tombe que sur les gens aisés. Au reste toutes ces précautions ne doivent pas tant être dictées par la crainte de la contrebande, que par l'attention que doit avoir le gouvernement à garantir les particuliers de la séduction des profits illégitimes, qui, après en avoir fait de mauvais citoyens, ne tarderoit pas d'en faire de mal-honnêtes gens.

Qu'on établisse de fortes taxes sur la livrée, sur les équipages, sur les glaces, lustres, & ameublemens, sur les étoffes & la dorure, sur les cours & jardins des hôtels, sur les spectacles de toute espece, sur les professions oiseuses, comme baladins, chanteurs, histrions & en un mot sur cette foule d'objets de luxe, d'amusement & d'oisiveté, qui frappent tous les yeux, & qui peuvent d'autant moins se cacher, que leur seul usage est de se montrer, & qu'ils seroient inutiles s'ils n'étoient vûs. Qu'on ne craigne pas que de tels produits fussent arbitraires, pour n'être fondés que sur des choses qui ne sont pas d'une absolue nécessité : c'est bien mal connoître les hommes que de croire qu'après s'être une fois laissés séduire par le luxe, ils y puissent jamais renoncer ; ils renonceroient cent fois plûtôt au nécessaire & aimeroient encore mieux mourir de faim que de honte. L'augmentation de la dépense ne sera qu'une nouvelle raison pour la soûtenir, quand la vanité de se montrer opulent fera son profit du prix de la chose & des fraix de la taxe. Tant qu'il y aura des riches, ils voudront se distinguer des pauvres, & l'état ne sauroit se former un revenu moins onéreux ni plus assuré que sur cette distinction.

Par la même raison l'industrie n'auroit rien à souffrir d'un ordre économique qui enrichiroit les Finances, ranimeroit l'Agriculture, en soulageant le laboureur, & rapprocheroit insensiblement toutes les fortunes de cette médiocrité qui fait la véritable force d'un état. Il se pourroit, je l'avoue, que les impôts contribuassent à faire passer plus rapidement quelques modes ; mais ce ne seroit jamais que pour en substituer d'autres sur lesquelles l'ouvrier gagneroit, sans que le fisc eût rien à perdre. En un mot supposons que l'esprit du gouvernement soit constamment d'asseoir toutes les taxes sur le superflu des richesses, il arrivera de deux choses l'une : ou les riches renonceront à leurs dépenses superflues pour n'en faire que d'utiles, qui retourneront au profit de l'état ; alors l'assiete des impôts aura produit l'effet des meilleures lois somptuaires ; les dépenses de l'état auront nécessairement diminué avec celles des particuliers ; & le fisc ne sauroit moins recevoir de cette maniere, qu'il n'ait beaucoup moins encore à débourser : ou si les riches ne diminuent rien de leurs profusions, le fisc aura dans le produit des impôts, les ressources qu'il cherchoit pour pourvoir aux besoins réels de l'état. Dans le premier cas, le fisc s'enrichit de toute la dépense qu'il a de moins à faire ; dans le second, il s'enrichit encore de la dépense inutile des particuliers.

Ajoûtons à tout ceci une importante distinction en matiere de droit politique, & à laquelle les gouvernemens, jaloux de faire tout par eux-mêmes, devroient donner une grande attention. J'ai dit que les taxes personnelles & les impôts sur les choses d'absolue nécessité, attaquant directement le droit de propriété, & par conséquent le vrai fondement de la société politique, sont toûjours sujets à des conséquences dangereuses, s'ils ne sont établis avec l'exprès consentement du peuple ou de ses représentans. Il n'en est pas de même des droits sur les choses dont on peut s'interdire l'usage ; car alors le particulier n'étant point absolument contraint à payer, sa contribution peut passer pour volontaire ; de sorte que le consentement particulier de chacun des contribuans supplée au consentement général, & le suppose même en quelque maniere : car pourquoi le peuple s'opposeroit-il à toute imposition qui ne tombe que sur quiconque veut bien la payer ? Il me paroit certain que tout ce qui n'est ni proscrit par les lois, ni contraire aux moeurs, & que le gouvernement peut défendre, il peut le permettre moyennant un droit. Si, par exemple, le gouvernement peut interdire l'usage des carrosses, il peut à plus forte raison imposer une taxe sur les carrosses, moyen sage & utile d'en blâmer l'usage sans le faire cesser. Alors on peut regarder la taxe comme une espece d'amende, dont le produit dédommage de l'abus qu'elle punit.

Quelqu'un m'objectera peut-être que ceux que Bodin appelle imposteurs, c'est-à-dire ceux qui imposent ou imaginent les taxes, étant dans la classe des riches, n'auront garde d'épargner les autres à leurs propres dépens, & de se charger eux-mêmes pour soulager les pauvres. Mais il faut rejetter de pareilles idées. Si dans chaque nation ceux à qui le souverain commet le gouvernement des peuples, en étoient les ennemis par état, ce ne seroit pas la peine de rechercher ce qu'ils doivent faire pour les rendre heureux. Article de M. ROUSSEAU, citoyen de Genève.

* ECONOMIE RUSTIQUE ; c'est l'art de connoître tous les objets utiles & lucratifs de la campagne, de se les procurer, de les conserver, & d'en tirer le plus grand avantage possible. Cette maniere de s'enrichir est d'une étendue prodigieuse : c'est un tribut imposé sur tous les êtres de la nature ; les élémens même n'en sont pas exceptés. Ce seroit un ouvrage considérable que l'exposition seule des choses qui sont comprises dans l'économie rustique. Voici les principales. Celui qui vivra à la campagne, & qui voudra mettre son séjour à profit, connoîtra l'agriculture & le jardinage dans tous leurs détails ; il n'ignorera rien de ce qui concerne les bâtimens nécessaires pour lui, pour sa famille, pour ses domestiques, pour ses animaux, & pour ses différentes récoltes ; la chasse, la pêche, la fauconnerie, les haras, les eaux, les forêts, les différens travaux rustiques ; plusieurs manufactures, telles que celles de la fayence, de la poterie, de la chaux, de la brique, du fer, &c. Quelle que soit l'opinion vulgaire sur la vie d'un homme qui se livre tout entier à ces objets, je n'en connois aucune, sans exception, qui soit plus conforme à la nature, à la santé, à l'étendue des connoissances utiles, à l'élévation de l'esprit, à la simplicité des moeurs, au goût des bonnes choses, à la vertu, au bien public, à l'honnêteté & au bons sens. Voyez en différens endroits de ce dictionnaire ce qui a rapport à l'économie rustique, & consultez les articles CHASSE, PECHE, AGRICULTURE, FAISANDERIE, FAUCONNERIE, JARDINAGE, CULTURE DES TERRES, &c.


ECOPES. f. terme de Riviere ; espece de pelle de bois un peu creuse avec laquelle on vuide l'eau qui entre dans les bateaux sur les rivieres. Ducange dit que le mot vient de scopa ou ascopa, vaisseau portatif où l'on met de l'eau.


ECOPÉS. m. terme de Chirurgie ; fracture ou solution de continuité du crane faite par un instrument tranchant qui a frappé perpendiculairement. Il est rare que la division de l'os ne s'étende pas par une fracture prolongée plus loin que la partie que l'instrument a touchée. Son poids ou l'action de celui qui a donné le coup, fait que l'instrument agit souvent comme corps contondant.

Les accidens de l'écopé sont les mêmes que ceux des plaies de tête en général. On les divise en primitifs & en consécutifs. Les primitifs sont l'effet de la commotion, & exigent des saignées copieuses. Voy. COMMOTION. Les consécutifs indiquent des désordres survenus depuis le coup, comme sont les épanchemens, les abcès, &c. ils exigent l'opération du trepan. Mais la fracture du crane, indépendamment de tout accident, demande qu'on pratique l'opération du trepan, à moins qu'il n'y ait une division suffisante & placée convenablement pour l'évacuation des matieres qui pourroient s'épancher. Voyez PLAIE DE TETE & TREPANER. (Y)


ECOPERCHES. f. en Architecture ; piece de bois avec une poulie qu'on ajoûte au bec d'une grue ou d'un engin, pour lui donner plus de volée.

On nomme aussi écoperche toutes pieces de bois de brin qui servent à porter les échafauts. Les plus petites écoperches se nomment boulins. V. BOULIN. (P)


ECORCES. f. (Jard. & Physiq.) on donne le nom d'écorce à cette partie du bois qui enveloppe l'arbre extérieurement, qui l'habille depuis l'extrémité de sa racine, jusqu'à celle de ses branches, & qui s'en peut détacher dans le tems de la séve. Elle est composée de plusieurs couches. La plus extérieure est quelquefois un épiderme mince ; les autres sont formées par des fibres ligneuses, qui s'étendent suivant la longueur du tronc, & qui l'enveloppent comme d'un réseau : car ces fibres sont divisées par faisceaux, qui en se joignant & en se séparant à diverses reprises, forment des mailles qui sont remplies par le parenchyme, qui se prolonge aussi entre les couches. Ceci est commun à toutes les lames d'écorce : mais celles qui sont les plus intérieures, approchent plus de la nature du bois que les extérieures, qui sont d'autant plus succulentes & herbacées, qu'elles sont plus voisines de l'épiderme.

Ce n'est pas une des moindres parties de l'arbre (voyez ARBRE) ; elle sert à porter une portion du suc nourricier : le reste se répand dans le bois & la moëlle de la tige ; ce qui est confirmé par l'expérience d'une grosse branche pelée tout autour de la largeur de quatre doigts près du tronc, & qui n'est point morte pendant tout un été. c'est entre l'écorce & ce bois qu'est l'aubier. Voyez AUBIER.

On fait dans plusieurs arts usage de l'écorce des arbres ; la Médecine tire aussi de cette partie un grand nombre de remedes. Voyez l'article suivant.

ECORCE, (Pharm.) Les écorces usitées en Pharmacie se conservent toûjours en nature ou en poudre ; elles sont presque toutes exotiques, & on nous les apporte seches, & en état d'être gardées longtems, sur-tout lorsqu'elles sont huileuses & aromatiques. Voyez les articles particuliers.

L'écorce de frêne, qui est la seule écorce de notre pays réputée médicinale, & qu'on gardoit autrefois dans quelques boutiques, ne se trouve plus dans aucune, & la Médecine y perd peu assûrément.

Dans les formules, tant officinales que magistrales, on doit prescrire les écorces après les bois & les racines ligneuses, & avant les semences, les feuilles, les fleurs, &c. soit qu'il s'agisse d'un aposème, d'un bouillon ou d'une poudre composée. V. FORMULE.

On employe très-peu d'écorces en Médecine ; le quinquina, la canelle, l'écorce de Winter, le cassia lignea, l'écorce de gayac, celle de simarrouba, la cascarille, sont presque les seules.

La dose des écorces se détermine toûjours par le poids. Voyez ECORCE DU PEROU au mot QUINQUINA. (b)

ECORCE DE WINTER, (Bot. exotiq.) c'est une grosse écorce roulée en tuyaux, de couleur de cendres, molle, fongueuse, inégale, & ayant plusieurs petites crevasses à son extérieur ; intérieurement elle est solide, dense, roussâtre, d'un goût âcre, aromatique, piquant, brûlant, & d'une odeur très-pénétrante.

Le capitaine Winter qui s'embarqua avec François Drake en 1578, & qui fit le tour du monde avec ce grand homme de mer, dont l'Angleterre n'oubliera jamais les belles expéditions, rapporta du détroit de Magellan l'an 1580, une écorce aromatique qui avoit été fort utile à tous ceux qui étoient sur son vaisseau ; elle leur avoit servi d'épices pour leurs mets, & d'excellent remede contre le scorbut. Clusius ayant reçu de cette écorce, lui donna le nom du capitaine qui l'avoit fait connoître en Europe ; il l'appella cortex Winteranus, & dénomma l'arbre Magellanica aromatica arbor. Voy. Clusii exoticor. pag. 75. Gaspard Bauhin l'a nommée laurifolia Magellanica, cortice acri. Ensuite Sebald de Weert s'étant trouvé sur un des vaisseaux hollandois, qui firent voile pour le détroit de Magellan en 1599, a appellé cet arbre lauro similis arbor, licet procerior, cortice piperis modo, acri & mordenti.

Enfin M. Georges Handyside, qui est revenu de ce pays-là dans notre siecle, a non-seulement décrit cet arbre très-exactement, mais il a même apporté de sa graine en Angleterre, avec un échantillon de ses feuilles & de ses fleurs sur une petite branche, à l'inspection desquelles le chevalier Hans-Sloane range le cannelier de Winter sous la classe des pereclymenum, & l'appelle pereclymenum rectum, foliis laurienis, cortice acri, aromatico.

Suivant M. Handyside, c'est un arbre d'une grandeur médiocre, approchant en quelque maniere du pommier, plus touffu qu'il n'est haut, & jettant des racines qui s'étendent beaucoup. Son écorce est grosse, cendrée en-dehors, de couleur de rouille de fer en-dedans. Ses feuilles sont longues d'un pouce & demi, larges d'un pouce dans le milieu, pointues des deux côtés, obtuses à l'extrémité qui est comme partagée en deux ; elles sont en-dessus d'un verd clair, & soûtenues sur une queue d'un demi-pouce de longueur. Il s'éleve des aîles des feuilles, deux, trois, quatre fleurs, & même davantage, attachées à un pédicule commun d'un pouce de long : elles sont très-blanches, à cinq pétales, semblables en quelque façon aux fleurs du pereclymenum, & d'une odeur agréable de jasmin. Lorsque les fleurs sont tombées, il leur succede un fruit oval composé de deux, trois, ou plusieurs pepins attachés à un pédicule commun, & ramassés ensemble ; d'un verd pâle, marquetés de noir. Ce fruit contient des graines noires, aromatiques, inégales, & un peu semblables aux pepins de raisin. Cet arbre croit dans les contrées situées vers le milieu de détroit du Magellan. Voyez phil. Trans. n°. 204.

M. Handyside a rapporté au chevalier Hans-Sloane, qu'on se servoit avec succès des feuilles de cet arbre jointes à d'autres herbes en fomentations, dans différentes maladies ; mais rien ne le frappa davantage que l'énergie de son écorce, prise avec quelques semences carminatives, pour le scorbut. Il ordonna le même remede à plusieurs personnes qui avoient mangé imprudemment d'un veau marin véneneux, & cependant fort commun dans le détroit, où on l'appelle le lion marin. Quoique ce mets les eût rendu malades au point que la plûpart perdoient la peau qui se levoit peu-à-peu de dessus leur corps par lambeaux, cependant elles se trouverent fort bien de son remede.

L'écorce de Winter se prescrit en poudre jusqu'à deux dragmes ; en infusion ou en décoction, jusqu'à une once ; elle donne dans la distillation une huile essentielle, pesante, comme les autres substances végétales exotiques : c'est de-là que dépendent ses bons effets dans le scorbut acide & muriatique, & dans les cas où il s'agit de fortifier la débilité de l'estomac. On peut donc lui attribuer avec raison une vertu stimulante, subastringente, corroborative, & résolutive.

Mais on trouve très-rarement dans les boutiques cette écorce ; & l'on fournit toûjours sous son nom la canelle blanche. Quoique leurs arbres, les lieux où ils croissent, & leur forme extérieure, n'ayent presque rien de commun ; cependant comme les deux écorces s'accordent à avoir à-peu-près la même odeur & le même goût, l'usage reçu & pour ainsi dire convenu entre le médecin & l'apothicaire, est la substitution de la canelle blanche qui est commune, à l'écorce de Winter qui est très-rare. Voilà un petit secret que je ne me fais point scrupule de révéler. Art. de M(D.J.)


ECORCERv. act. (Econ. rust.) c'est enlever l'écorce. On pratique cette opération aux arbres dont l'écorce est utile, & le bois découvert s'appelle bois pelard. On choisit pour écorcer le tems le plus fort de la seve.


ECORCHÉadj. il se dit en général de tout trait inégal, & dont les bords sont en scie, qui défigure la surface d'un corps. On accorde plus ou moins de largeur à l'écorchure. Elle se prend même quelquefois pour la séparation entiere de la peau du corps de l'animal : ainsi on dit un cheval écorché, un écorcheur. L'écorchure, sans cette exception, seroit en général l'impression faite à la surface d'un corps, par l'action ou la pression violente d'un autre qui en détache des parties.

ECORCHE, terme de Blason, qui se dit des loups de gueule, ou de couleur rouge.


ECORCHERv. act. (Jard.) on se sert de ce mot pour marquer que les racines sont blessées, & on dit qu'elles sont écorchées. (K)

ECORCHER, (Stucateur) on dit écorcher une figure de terre ou de cire qui doit servir de noyau, lorsqu'on la ratisse pour la diminuer & lui ôter de sa grosseur.


ECORCHURES. f. (Med.) dépouillement de la surpeau par une cause externe. Le remede est d'oindre la partie écorchée de quelque doux balsamique huileux, couvert d'un bandage pour éviter le frottement & les injures de l'air. Voyez de plus grands détails au mot EXCORIATION. Article de M(D.J.)

* ECORCHURE, (Manuf. en soie) on appelle ainsi l'endroit d'un fil d'organsin, où il manque un brin.

On dit changer une écorchure, pour tordre pardevant un bout de la jointe au fil écorché entre le corps & le remisse ; d'où il arrive que le fil se trouve passé par-tout où il doit l'être. On change aussi des écorchures sur la longueur.


ECORCIERS. m. (Tannerie) c'est près d'un moulin à tan un bâtiment servant de magasin pour contenir les écorces de chêne.


ECORES. f. terme de Marine & de Riviere, il se dit d'une côte qui est escarpée & presque coupée à pic. On remarque qu'auprès des côtes écores & élevées, on trouve presque toujours beaucoup de fond.

Le bord ou les extrémités d'un banc de sable, ou de tout autre danger, s'appellent les écores, & on les distingue en écores de l'est & de l'oüest, du nord ou du sud. Le banc de Terre-neuve a ses écores de l'est, lorsqu'on vient de France pour entrer sur ce banc ; & ses écores de l'oüest, lorsqu'on l'a traversé pour aller à l'île de Terre-neuve, ou à l'île royale. (Z)

ECORES, (Marine) ce sont aussi des étaies qui soûtiennent un navire, lorsqu'on le construit, ou qu'on y fait des réparations. Voyez ACCORES. (Z)

ECORE, terme de riviere, piece de bois que l'on appuie d'un bout contre le plat bord d'un bateau, & l'autre contre la berge, pour empêcher qu'il ne se brise. A Vauterre, c'est une espece d'étrécillon.

ECORER UN BATEAU, terme de riviere, c'est mettre des écores le long du plat bord.


ECORNURES. f. (Architect.) l'on donne ce nom aux éclats qui se détachent par accident aux arêtes des pierres, soit en les taillant, soit après qu'elles sont taillées.


ECOSSE(Geogr.) royaume d'Europe dans l'île de la grande Bretagne, de laquelle il occupe la partie septentrionale. Il est connu par les anciens sous le nom de Calédonie & de Pictes. Il est séparé de l'Angleterre par les rivieres de Twed, d'Esk, & de Sollway, & par les montagnes de Cheviot. Le plus grand jour y est de dix-huit heures deux minutes, & le plus court de cinq heures quarante-cinq minutes ; ce qui fait que dans les plus grands jours d'été, il n'y a point de nuit, mais un crépuscule très-lumineux entre le coucher & le lever du Soleil. L'Ecosse a environ cinquante-cinq lieues marines de long, sur vingt de large ; elle a un grand nombre de lacs, de rivieres, de montagnes, & de forêts ; on n'y manque point d'eaux minérales ; elle abonde en oiseaux sauvages & domestiques ; on y trouve quelques mines de fer, de plomb, d'étain, & de cuivre. On voit dans le prodrome de l'histoire naturelle d'Ecosse du chevalier Sibbald, que ce pays produit un grand nombre de pierres précieuses & de crystaux. La religion dominante est la Protestante, sur le modele de celle de Genève. On divise cet état en trente-cinq petites provinces, que l'on distingue en méridionales & septentrionales, par rapport au Tay qui les sépare. Edimbourg en est la capitale.

L'Ecosse a eu ses rois particuliers jusqu'en 1603, que Jacques Stuart VI. succéda aux couronnes d'Angleterre & d'Irlande, auxquelles sous le nom de Jacques I. il joignit celle d'Ecosse, & prit alors la qualité de roi de la grande Bretagne. Ses successeurs ont possédé ces trois couronnes, dont l'union est devenue encore plus intime sous le regne d'Anne I. qui en 1707, a mis l'Angleterre & l'Ecosse sous un même parlement. Par cette union, l'Ecosse envoye au parlement de la grande Bretagne un certain nombre de députés, selon la proportion qu'elle a avec l'Angleterre, laquelle est reduite à seize pairs & quarante-cinq membres pour la chambre des communes. Les revenus du royaume d'Ecosse furent évalués, par le traité d'union, à 160000 livres sterlings, qui est à-peu-près la quarantieme partie des subsides des deux royaumes. Elle a été redoutable tant qu'elle n'a pas été incorporée avec l'Angleterre ; mais comme dit M. de Voltaire, un état pauvre, voisin d'un riche, devient vénal à la longue, & c'est aussi le malheur que l'Ecosse éprouve. Article de M(D.J.)

ECOSSE NOUVELLE, (Géogr. mod.) Voyez ACADIE.


ECOSSERv. act. (Jard.) c'est tirer un légume de son cossat, de sa gousse, &c. On écosse les pois, les féves, &c.


ECOTS. m. (Eaux & forêts & Blason) c'est ainsi qu'on appelle des grosses branches qui n'ont pas été dépoüillées de leurs rameaux, assez ras ; ensorte qu'il reste sur leurs longueurs des bouts excédens de ces rameaux, qui leur donnent une figure hérissée & épineuse. Ecot a la même acception dans le Blason.


ECOTARou PORTE-HAUBAN, voyez PORTE-HAUBAN.


ECOTÉadj. terme de Blason : il se dit des troncs & des branches d'arbres dont on a coupé les mêmes branches. On appelle croix écotée, celle dont le montant & les branches ont plusieurs chicots ou noeuds. On le dit aussi d'un cheval, dont l'écot d'une souche a parié le pié. Ménétr. Trév. & Chambers.

Lecheraine en Savoie, d'azur à la bande écotée d'or.


ECOUANETTES. f. en terme de Tabletier-Cornetier, est une plaque de fer à grosses dents, montée à plat sur un manche un peu recourbé en-dessus. L'écoüanette sert à planeter les morceaux de corne dont on veut faire des peignes.


ÉCOUANNEoutil commun à un grand nombre d'ouvriers. Les Arquebusiers ont leur écoüanne ou écoüaine ; c'est un morceau de fer ou d'acier trempé, dont la queue fait coude, avec le reste qui est emmanché, qui a le dessus cannelé en large, où les cannelures sont un peu élevées les unes au-dessus des autres, & un peu tranchantes. Les Arquebusiers s'en servent pour raper & raboter les moulures sur du bois. Ils en ont de plates & de convexes, de plus grandes & de plus petites. Les Facteurs ou Luthiers ont leurs écoüannes. Les Menuisiers s'en servent pour pousser des moulures. C'est à la monnoie une des limes des ajusteurs, pour diminuer le flanc quand il est trop fort de poids.

Celle du Potier-d'Etain est un morceau de fer de deux piés à deux piés & demi de long, & environ un pouce de large sur un peu moins d'épaisseur, garni de dents de deux côtés, faites à la lime, distantes de deux lignes l'une de l'autre. Il s'en sert pour raper ou limer les inégalités que font les gouttes d'étain sur la superficie des pieces où on a rebouché des trous, & dont on a épilé les jets avant que de les tourner ou réparer. Son écoüanne pour les pots est ordinairement droite, & a d'un côté les dents plates, & de l'autre demi-rondes ; & celle pour la vaisselle est plus large & plus courbée.

Il y a d'autres écoüannes plus petites, dont les dents sont plus serrées ; il leur donne le nom de rapes ; elles servent plus souvent à achever qu'à apprêter, & à réparer. Voyez ces mots.

L'écoüanne du Tabletier-Cornetier est une espece de lime dont les dents, même dans les plus petites, sont plus grosses que celles des plus grosses limes. Il en a de plates, de triangulaires, &c. Celle des autres Tabletiers & des ouvriers en Marqueterie est la même. Voyez les Planches de ces différens arts ; vous y trouverez leurs écoüannes. Les ouvriers que nous venons de nommer ne sont pas les seuls qui se servent de cet outil ; mais il n'a rien de particulier dans leurs boutiques : il n'y varie que par la longueur & la largeur, & par la petitesse ou la force des dents. Ce n'est que la matiere à écoüanner qui occasionne ces différences.


ECOUETSECOITS, voyez COUETS.


ECOULEMENTS. m. (Gramm.) terme qui se dit du mouvement d'un fluide en général, qui passe ou s'échappe d'un lieu où il étoit ramassé.

ECOULEMENT se dit, en Physique, des corpuscules insensibles qui s'échappent d'un corps. Voyez EMANATION.

ECOULEMENS, (Hydraul.) L'eau s'écoule ordinairement par des ouvertures circulaires, quand on l'a amassée dans un regard de prise ou château d'eau ; & alors on la mesure, pour en connoître la quantité, au pouce & à la ligne circulaire, qui sont percées dans la jauge, lesquelles mesures sont toûjours plus petites que les quarrées.

L'expérience fait connoître que l'eau courante qui n'est point forcée, étant tenue au-dessus de l'orifice du canon, d'un pouce percé dans la jauge, ou bien à 7 lignes de son centre, l'eau qui s'écoule par le trou circulaire d'un pouce, dépense pendant l'espace d'une minute 13 pintes 1/2 mesure de Paris ; ce qui donne par heure deux muids d'eau 3/4 & 40 pintes, le pié cube étant de 35 pintes, huitieme du muid ; & ce même pouce par jour fournira 69 muids 120 pintes, sur le pié de 280 pintes le muid. Si le muid étoit de 288 pintes, qui est la grande mesure, le pié cube seroit de 36 pintes, & cela changeroit le calcul de l'écoulement ; le pouce d'eau donneroit alors par heure 2 muids 3/4 & 18 pintes, & par jour 67 muids 1/2, chaque muid étant augmenté de 8 pintes.

La ligne d'eau tombant, sans être forcée, dans le réservoir, donne par heure environ 5 pintes 1/2, & 1/7 qu'on peut prendre pour 1/8, qui sera la huitieme partie d'une pinte, qui est une roquille ; ainsi cette ligne donne en une heure cinq pintes 1/2 & roquille, & en un jour 135 pintes mesure de Paris ; parce que la ligne quarrée n'étant que la 144e. partie d'un pouce quarré, elle ne doit fournir dans l'espace d'une heure que la 144e partie de l'eau que fournit un pouce dans le même espace de tems. Voyez DEPENSE. (K)


ECOULER LE CUIRterme de Corroyeur, c'est l'égoutter ou en faire sortir l'eau dont il s'est chargé dans le tonneau, ou lorsqu'on l'a foulé aux piés : c'est avec l'estire qu'on écoule les cuirs.


ECOURGEONS. m. (Oeconom. rust.) espece d'orge qu'on appelle encore orge quarré, orge d'automne, orge de prime : orge quarré, parce qu'il a comme quatre angles ; orge d'automne, parce qu'on le seme en cette saison ; orge de prime, parce que c'est le premier grain qu'on moissonne : il se seme avec le méteil, & demande une terre forte.


ECOUTES. f. en Architecture : on appelle ainsi les tribunes à jalousies dans les écoles publiques, où se tiennent les personnes qui ne veulent pas être vûes. (P)


ECOUTÉECOUTÉE, adj. (Manége) épithete que nous employons en général pour désigner toute action soûtenue, juste & cadencée, & dans laquelle tous les tems sont exactement égaux entr'eux, & parfaitement distincts & mesurés. Les mouvemens de ce cheval sont écoutés & très-bien suivis, il exécute avec beaucoup de précision. Quelques auteurs ne paroissent cependant avoir fait usage de cet adjectif que pour distinguer le pas d'école du pas de campagne (voyez PAS) ; mais il s'applique également à toutes les allures & à tous les airs, la justesse & l'harmonie des mouvemens de l'animal dépendant toûjours de l'attention du cavalier à saisir & à écouter tous les tems des jambes du cheval qu'il travaille, & de celle de l'animal à écouter & à obéir promtement aux aides du cavalier qui l'exerce. Voyez MANEGE & TEMS. (e)


ECOUTERverbe act. (Physiolog.) c'est prêter l'oreille pour oüir, ou c'est exercer actuellement celui des sens externes qu'on appelle oüie, par le moyen des organes renfermés dans l'oreille, disposés à recevoir les impressions de l'air qui transmettent le son. Voyez OUIE, SON. (d)


ECOUTESS. f. (Marine) ce sont des cordages qui forment deux branches, & qui sont amarrés aux coins des voiles par en-bas ; elles servent à ranger la voile suivant la maniere la plus convenable pour recevoir le vent. Il y a des écoutes à queue de rat, c'est-à-dire qui vont en diminuant vers le bout. Voy. COUETS.

Toutes les voiles ont des écoutes, & ces cordages portent le nom de la voile à laquelle ils sont attachés. Voyez Planche I. de Marine.

Grandes écoutes, qui servent à border la grande voile, n°. 37.

Ecoute d'artimon, c'est celle qui borde la voile d'artimon à la poupe du vaisseau, n°. 36. Pour manoeuvrer cette voile il n'y a qu'une écoute qui serve à la fois.

Ecoute de misaine, n°. 38.

Ecoute du petit hunier, n°. 58.

Ecoute du perroquet de misaine, n°. 60.

Ecoute de la sivadiere, n°. 30. Les écoutes de la sivadiere font l'office des boulines & des coüets, cette voile n'en ayant point ; elles viennent se rendre à deux ou trois piés des écoutes de misaine, au lieu que toutes les autres manoeuvres de beaupré répondent au château d'avant.

Ecoutes de perroquet de beaupré, n°. 61.

Ecoutes des bonnettes en étui, c'est ce qu'on appelle fausses écoutes ; elles sont tenues par les arcboutans.

On fait plusieurs manoeuvres différentes avec les écoutes, dont voici les principales :

Haler sur les écoutes, c'est bander & roidir ces cordages.

Aller entre deux écoutes, c'est avoir le vent en poupe.

Avoir les écoutes largues, c'est lorsque les écoutes ne sont point halées, & que le vent est favorable sans l'avoir en poupe.

Larguer ou filer l'écoute ; larguer l'écoute en douceur ; filer toute l'écoute : cette manoeuvre se fait de gros tems, & lorsqu'il survient quelque grain dont on craint que la voile ne soit déchirée ou emportée.

Naviguer l'écoute à la main, c'est lorsqu'étant par un gros tems dans une chaloupe, on est contraint de tenir l'écoute, pour la larguer selon qu'il en est besoin.

Border les écoutes, c'est les étendre & les tirer.

Border plat les écoutes, c'est les haler & les border autant qu'elles le peuvent être. (Z)

ECOUTE DE REVERS, voyez REVERS.

File l'écoute de revers, terme de commandement. (Z)


ECOUTEUXadj. (Manége) Cheval écouteux, se dit, selon les auteurs du dictionnaire de Trévoux, d'un cheval retenu, qui ne part pas franchement de la main, qui saute au lieu d'aller en avant, qui ne fournit pas tout ce qu'on lui demande, &c.

Cette définition n'est pas la seule dans cet ouvrage qui ne soit pas exacte & correcte. D'abord, il y a une très-grande différence entre un cheval retenu & un cheval qui se retient ; le premier est toûjours censé n'être assujetti & captivé que par le cavalier qui le monte ; le second au contraire est celui qui naturellement, ou conséquemment à quelques causes accidentelles, qui affectent quelques parties de son corps, refuse de se déterminer & d'obéir avec franchise : c'est ce que nous appellons proprement se retenir ; & dès-lors le principe de son irrésolution est dans lui-même, & non dans une force étrangere qui le contraint & l'asservit. Il ne faut donc pas confondre les termes d'écouteux & de retenu, & les regarder comme synonymes. D'ailleurs, tout cheval qui ne part pas franchement de la main, qui saute au lieu d'aller en-avant, qui ne fournit pas tout ce qu'on lui demande, est en général un cheval, 1°. qui se retient, 2°. qui se défend & tient du rétif, 3°. qui peut pécher par le défaut de force, de science ou de volonté, lorsqu'il ne fournit pas autant que l'on exige de lui ; & l'épithete d'écouteux ne suscite point en nous l'idée de tous ces différens cas. Pour la restraindre dans sa vraie signification, on ne doit l'appliquer que dans celui où le cheval en action, & distrait par quelque bruit ou par quelqu'objet, ralentit son allure ou son air, & partage son attention entre le bruit ou l'objet qui le frappe, & les impressions qui résultent des opérations de celui qui l'exerce. Soit que le sens de l'oüie, soit que le sens de la vûe soient émûs, la distraction de l'animal est désignée non-seulement par son rallentissement, mais par le mouvement de ses oreilles qu'il présente, & qu'il porte ensemble ou séparément en-avant ou en-arriere ; & c'est précisément cet indice constant dans de pareilles circonstances qui lui a mérité l'épithete d'écouteux.

Rien n'est plus important au surplus que de maintenir les chevaux que l'on travaille, dans une telle attention, qu'ils puissent parfaitement entendre & comprendre ce que l'on exige d'eux ; & l'on reconnoît le véritable homme de cheval, à l'attention qu'il apporte lui-même pour en être lui seul écouté : il n'y parvient qu'autant que toutes ses actions sont mesurées & proportionnées à la nature de l'animal, & qu'il sait les lui faire goûter, les lui rendre agréables, & non les lui faire craindre ; que si, malgré toutes les précautions qu'il prend pour y réussir, le cheval tombe de tems en tems dans des distractions, il doit soigneusement l'avertir en approchant plus ou moins les jambes, en lui faisant redouter les châtimens qui suivent les aides de ces parties, quand elles sont administrées en vain ; & en le châtiant enfin avec le fer, supposé qu'il persiste & qu'il persévere dans son inapplication. Du reste on doit penser qu'il est des chevaux plus distraits les uns que les autres ; il faut aussi beaucoup plus de tems pour frapper leur mémoire & leur intelligence. (e)


ECOUTILLES. f. (Marine) ouverture du tillac, par laquelle on descend dans l'interieur du vaisseau. On donne le nom d'écoutillon à une petite ouverture pratiquée dans les écoutilles mêmes. Voyez l'article ECOUTILLON. C'est par les écoutilles qu'on tire les gros fardeaux. C'est par les écoutillons que les personnes passent. Il y a l'écoutille de la fosse aux cables, entre le mât de misaine & la proue ; l'écoutille des soutes, entre l'artimon & la poupe, la grande écoutille, entre le mât de misaine & le grand mât ; & l'écoutille des vivres, ou du maître valet, entre le grand mât & l'artimon.

L'écoutille est une ouverture quarrée & faite comme une trape, pour descendre sous le pont : elle est bordée par les hiloires. Voyez l'article HILOIRE. Les écoutilles pratiquées dans un vaisseau, & dont on vient de nommer les principales, ont pour objet de faciliter la communication avec les différentes parties, comme on peut le voir dans la Pl. IV. Marine, fig. 1. à laquelle nous allons renvoyer pour voir la disposition de ces différentes écoutilles.

La grande écoutille, cotée 79. entre le grand mât & le mât de misaine, plus près du premier.

L'écoutille aux cables, cotée 80. plus près du mât de misaine.

L'écoutille aux vivres, 81. entre le grand mât & l'arriere.

L'écoutille aux poudres, 82. à l'arriere.

Ecoutille de la fosse aux lions, 83. à l'avant.

Ecoutille de la soute du canonnier, 84. à la poupe.

Fermer les écoutilles, c'est fermer le fond de cale d'un vaisseau, afin qu'on ne puisse y entrer ; ce que l'on fait ordinairement lorsqu'un armateur fait une prise. L'ordonnance de la Marine de 1681, tit. jx. ordonne au capitaine-armateur qui s'est rendu maître d'un vaisseau, d'en faire fermer les écoutilles ; & lorsque le navire est arrivé dans un port, les officiers de l'amirauté doivent les sceller de leur sceau, pour empêcher le divertissement des marchandises & effets qui se trouvent dans les prises.


ECOUTILLONS. m. (Marine) ce sont des diminutifs des écoutilles, que l'on fait dans les panneaux, c'est-à-dire dans les trapes ou portes qui ferment les écoutilles. (Z)


ECOUVILLONS. m. (Art milit.) instrument qui sert à nettoyer l'ame ou l'interieur du canon. Il est composé d'une tête, masse ou boîte de bois (car on lui donne tous ces noms), couverte d'une peau de mouton, montée sur un long bâton ou hampe. On s'en sert aussi pour rafraîchir l'ame du canon, quand il a tiré. Voyez CANON & CHARGE. Voyez aussi Pl. VI. de l'Art milit. fig. 6. la figure de l'écouvillon.

Les écouvillons I & G sont composés de peau de mouton formant une espece de balai ; & l'écouvillon H, qui est le plus ordinaire, d'une espece de brosse cylindrique attachée au bout de la hampe. (Q)

ECOUVILLON, en terme de Boulanger, est un paquet de vieux linge lié au bout d'une perche, avec lequel on balaye les cendres qui sont dans le four. Voyez la figure 8. Planche du Boulanger.


ECOUVILLONNERv. act. ou neut. c'est nettoyer ou rafraîchir le canon devant ou après qu'il a tiré.

ECOUVILLONNER, v. act. terme de Boulangerie, c'est balayer les cendres du four.


ECPHRACTIQUESadj. pris subst. médicamens apéritifs, auxquels on attribue la vertu d'ouvrir & de débarrasser les conduits excrétoires. Voy. APERITIFS.


ECPIESMES. f. en Chirurgie, c'est une espece de fracture au crane, où il y a plusieurs petites esquilles d'os qui compriment & blessent les membranes qui enveloppent le cerveau. Il faut enlever toutes ces pieces, & panser le trépan accidentel que forme l'enlevement des esquilles, comme on fait l'opération du trépan qu'on auroit pratiqué suivant les regles de l'art. Voyez TREPANER. (Y)


ECRAIou ECRIN, s. m. (Arts) terme synonyme à baguier ; petit coffre où les dames mettent leurs pierreries, & les curieux leurs pierres gravées.

Dans les beaux jours de la Grece & de Rome, les amateurs des pierres gravées désirant de les tenir continuellement en garde contre les frottemens, l'usure, & autres accidens qui pouvoient leur arriver, les conservoient précieusement avec leurs anneaux, leurs bagues & leurs cachets, dans une cassette portative qu'ils appelloient , dactyliotheca. Nous ignorons comment étoient faites ces cassettes, mais cela nous importe fort peu.

Les écrains ou baguiers de nos jours, sont de petits coffrets ordinairement couverts de chagrin, dont l'intérieur est distribué en plusieurs rangs de petites cellules paralleles, & dressées en maniere de sillons. On y place les bagues & pierres gravées, de façon que le jonc posé debout, entre dans le fond du sillon, & la pierre ou le chaton pose horisontalement sur les rebords du sillon, dont les intervalles sont pour l'ordinaire couverts de velours. On a soin que le couvercle de l'écrain soit doublé d'étoffe mollette, & même garni d'une coüete ou de coton, afin que venant à se rabattre sur les pierres gravées, la compression ni le frottement ne puissent leur nuire.

Quand on ne possede pas un grand nombre de pierres gravées, on se contente de ces sortes d'écrains ou baguiers ; mais si la collection qu'on a faite de pierres gravées est nombreuse, on ne peut se dispenser de les ranger dans des layettes, c'est-à-dire dans de petits tiroirs plats, qui seront placés au-dessus l'un de l'autre dans une armoire faite exprès.

Ces layettes seront distribuées en-dedans, comme les écrains, & les pierres y seront disposées de la même maniere. Les gravures qui ne sont environnées que d'un cercle en façon de médaillon, seront mises dans quelques-uns de ces tiroirs qu'on aura reservés vuides, & sans aucunes loges, & y seront seulement assujetties avec de petits clous, pour empêcher qu'elles ne se déplacent, & qu'elles ne se brisent ou ne s'écornent en démarrant.

De cette maniere les pierres gravées d'un curieux occuperont moins de place, il les pourra faire voir plus commodément & plus honorablement pour lui ; & réunies toutes ensemble, elles pourront être gardées sous une seule clé ? car pourquoi ne les mettroit-il pas en sûreté & sous la clé : elles font ses plaisirs, du moins pour l'art du travail, avec autant de fondement que les pierreries font les délices des femmes du monde ; & il y trouve de plus des portraits, des figures qui, sans être un vain appareil de luxe, servent à entretenir & à cultiver le goût, & rappellent souvent des faits à la mémoire. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ECRAMERv. act. terme de Verrerie. Pour entendre ce terme, il faut savoir que dans les soudes de Varech, qui sont le fondant des matieres qui entrent dans la composition du verre à vitre, il se trouve des pierres & des cailloux, lorsque les matieres qui remplissent les pots sont affinées, ces pierres montent avec le bouillon à la surface du pot. Avant donc de commencer l'ouvrage, le maître tiseur prend avec un ferret à déboucher, de la matiere dans un pot ; il l'applatit sur le marbre ; il en forme une espece de rateau qu'il promene sur la surface du pot, pour en tirer les pierres qui s'y attachent ; ce qu'il fait à différentes reprises, jusqu'à ce qu'il n'apperçoive plus ni pierres ni cailloux. Le ferret dont on se sert alors s'appelle aussi ferret à écramer, & l'opération écramer. C'est un serviteur qui écrame.


ECRANS. m. petit meuble fait ordinairement de carton, qui sert à garantir les yeux de la trop grande ardeur du feu. Il y en a de différente grandeur & de différente forme.

ECRAN, (Chimie) il differe de l'ordinaire par une ouverture qu'il a dans son milieu, & en ce qu'il n'est communément destiné à garantir que la vûe de l'action du feu. Et en effet, il faudroit être bien mal informé, pour croire que des hommes qui se font honneur de passer pour être plus que négligés dans leur extérieur, enveloppés & imprégnés d'une atmosphere empoisonnée, enfumés & barbouillés de charbon, pensassent à conserver autre chose qu'un organe, qui ne leur est même cher, que parce qu'il leur est nécessaire à observer les progrès & les changemens de leurs opérations. La nécessité de l'exposer à ce sujet pendant un tems considérable à l'action d'un feu vif, a fait imaginer aux artistes de faire au milieu de leur écran, une fente large d'une ligne ou deux tout-au-plus, afin qu'il ne parvînt à leurs yeux qu'un très-petit nombre de rayons ignés, suffisant pour leurs observations, mais incapables de les ébloüir. Cette fente est transversale ou verticale, & doit avoir une embrasure considérable du côté qu'on présente au feu, afin que la vûe puisse s'étendre de haut en-bas si la fente est transversale, ou de droite à gauche si elle est verticale. Cet instrument est fait d'une planche mince, à-peu-près large d'un pié en tout sens. On conçoit assez que la figure en doit être arbitraire ; peu importe qu'il soit rond ou quarré, & que les bords en soient unis ou découpés : on y attache un manche d'environ six pouces de long. On en voit un à fente perpendiculaire dans le septieme livre de la métallique d'Agricola ; Evonymus & Cramer le figurent transversal : Libavius en représente de deux façons, pag. 177, de scevasticâ artis. Mais l'écran dont on vient de parler ne remplit qu'en partie les vûes qu'on se propose ; les yeux sont encore exposés aux étincelles & au feu, quoique la quantité de rayons qui leur en parvient soit moins considérable. Il est donc plus à propos de les faire passer à-travers un verre bien poli, afin qu'il ne leur occasionne point de réfractions. Il est vrai que le bois en se coffinant par le feu peut le rompre, mais il faut lui substituer le carton. Le manche nécessaire en pareil cas, a une partie faite en fer-à-cheval, divisée en deux par un trait de scie, pour embrasser le carton, que l'on fixe au moyen d'un petit clou à chaque branche ; & pour lors au lieu d'une fente étroite, on pratique une ouverture rectangle, longue de 4 ou 5 pouces, & large de 2 ou 3 pour loger un verre de mêmes dimensions : on a soin de noircir cet ustensile, afin que les yeux ne reçoivent point de rayons étrangers, qui les fatiguent & les détournent de l'objet principal. Quoique les Chimistes ayent occasion de se servir d'écran dans beaucoup d'opérations, néanmoins ils n'en font presque d'usage que dans les essais, auxquels il semble être plus particulierement destiné. Ce n'est pas que la plûpart des opérations ordinaires de la Chimie ne demandent des attentions & de l'assiduité ; mais on n'y a pas la vûe si continuellement exposée à l'ardeur du feu, que dans les essais, sur-tout quand ceux-ci se font dans le fourneau de Coupelle, qui est le plus en usage en Docimastique. Il est aisé de concevoir qu'une moufle environnée de charbons de toutes parts, doit lancer par son ouverture des rayons de feu d'autant plus vifs, que sa construction les rend moins divergens. Voyez nos planches de Chimie, & l'article ESSAI. (f)

* ECRAN, (Verrerie) portion de cerceau, qui entoure la tête des gentilshommes qui font le verre à vitre. Elle finit par deux cornes, au-bout desquelles est attaché un linge qui pend pour parer les yeux & le visage, pendant qu'on travaille.


ECRASERv. act. (Manufacture en soie) c'est trop frapper son étoffe. Dans une étoffe à fleurs qui a ce défaut, les fleurs qui devroient être rondes sont applaties, & ont plus de largeur que de longueur ; les autres perdent de leurs dimensions naturelles, & se défigurent en proportion.


ECREMERv. act. (Oeconomie rustiq.) c'est enlever la creme de dessus le lait ; on l'a transporté à d'autres liquides.


ECREMOIRES. f. les Artificiers appellent ainsi un morceau de corne ou de fer-blanc, de deux à trois pouces de long & de large, dont ils se servent pour rassembler les matieres broyées, ou les prendre dans les boîtes où on les conserve. Dictionn. de Trévoux.


ECRENERterme de Fondeur de caracteres d'Imprimerie, c'est évider le dessous des lettres qui sont de nature à être évidées du côté de l'oeil, avec l'écrenoir, qui est un canif ou un autre petit instrument d'acier bien tranchant, lequel a un petit manche de bois. On évide ces sortes de lettres, de maniere que le massif des lettres voisines puisse se placer dessous. On n'écrene que les lettres longues, comme les fi & les s, ce qui fait qu'il y a davantage de lettres à écrener dans le caractere italique que dans le caractere romain. Voyez l'art. du FONDEUR DE CARACTERES. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ECREVISSES. f. (Hist. nat.) astacus, animal crustacé. Il y en a de deux especes, elles ne portent pas le même nom en françois : l'une se trouve dans la mer, astacus marinus, gammarus ; on connoît cet animal sous le nom d'homard (voyez HOMARD) : l'autre vit dans les rivieres & dans toutes les eaux courantes, astacus fluviatilis, c'est l'écrevisse. Elle a le corps oblong ; sa partie antérieure est plus étroite que la postérieure, & terminée par la tête, qui a peu d'apparence ; la bouche est garnie de dents. Cet animal a deux yeux & deux cornes fort allongées & très-minces, sur-tout à l'extrémité ; elles ont grand nombre d'articulations qui les rendent flexibles. L'écrevisse a deux bras & cinq jambes de chaque côté ; les bras sont placés entre la tête & les premieres jambes. On leur donne le nom de bras, parce que leur conformation est différente de celle des jambes, & que l'animal ne s'en sert que pour marcher. La premiere jambe de chaque côté est composée de cinq parties distinguées par des articulations : la derniere partie a une serre composée de deux pinces ; elle est fort grosse en comparaison des autres parties, qui sont d'autant plus minces, qu'elles se trouvent placées plus près du corps ; on voit souvent que la grosseur de l'une des serres est bien différente de celle de l'autre. Les autres jambes sont plus courtes & plus minces ; la seconde & la troisieme de chaque côté sont fourchues à l'extrémité, les autres sont terminées par une seule pointe. La queue est large, allongée, convexe par-dessus, & creusée en gouttiere par-dessous ; elle est recouverte par cinq écailles en forme de tables transversales.

Les grosses jambes des écrevisses étant beaucoup plus minces près du corps qu'à l'extrémité, c'est peut-être ce qui les fait casser, même lorsque l'animal ne se donne que des mouvemens à l'ordinaire. La jambe se casse entierement dans la quatrieme partie près de la quatrieme jointure. Cette séparation ne se fait pas à l'endroit de l'articulation, quoiqu'il ne soit recouvert que par une membrane plus mince que du parchemin, mais dans l'écaille qui forme la quatrieme partie de la jambe. Cette écaille est composée de plusieurs pieces réunies par deux & quelquefois trois sutures ; c'est dans ces sutures, surtout dans celles du milieu, que la jambe se casse : l'adhérence de ces sutures est si foible, qu'il ne faut pas un grand effort pour les ouvrir ; aussi lorsqu'on tient une écrevisse par la pince, elle se casse la jambe en tâchant de la dégager.

Il n'y a rien de surprenant dans cette fracture, mais le phénomene qui la suit est très-merveilleux : la portion de la jambe qui a été séparée du reste se reproduit de nouveau, & devient avec le tems parfaitement semblable à l'ancienne ; soit que la fracture ait été faite par un mouvement de l'animal, soit qu'on lui ait coupé ou cassé la jambe de dessein prémédité, à l'endroit où elle se casse ordinairement ou dans un autre endroit, il renaît toûjours une portion semblable à celle qui a été enlevée. Mais lorsqu'on ne la casse qu'à la premiere, à la seconde, ou même à la troisieme articulation, la reproduction se fait beaucoup plus lentement que dans le cas où la jambe a été cassée dans la quatrieme partie près de la quatrieme articulation, & il arrive pour l'ordinaire, que la jambe se casse une seconde fois dans cet endroit avant que la reproduction se fasse.

Les jours les plus chauds sont les plus propres à cette reproduction, par conséquent les progrès sont proportionnés à la température de la saison. Lorsqu'on casse la jambe d'une écrevisse dans les mois de Juin ou de Juillet, deux jours après on voit une espece de membrane plane & rougeâtre sur les chairs qui sont à l'endroit de la fracture ; au septieme jour la membrane est convexe, & ensuite elle s'allonge dans le milieu. Cette membrane enveloppe, pour ainsi dire, le germe de la nouvelle portion de jambe, qui ne paroît au-dehors que comme une excroissance conique, dont la longueur est quelquefois de trois lignes à dix jours ; alors la membrane devient blanche : au bout de douze ou quinze jours l'excroissance se recourbe vers la tête de l'animal, ensuite sa courbure augmente, & elle commence à prendre la figure d'une jambe d'écrevisse. A un mois ou cinq semaines, si c'est en été, ou après huit ou neuf mois si c'est dans une autre saison, sa longueur est de six ou sept lignes : on y distingue quelques jointures, sur-tout la premiere, & on voit une ligne qui marque la séparation des deux pinces. Alors la membrane se déchire, & la jambe paroît à découvert, elle est encore molle, mais en peu de jours elle se recouvre d'une écaille aussi dure que celle de la jambe de l'autre côté, & elle n'en differe que par la longueur & la grosseur. Cette portion de jambe nouvellement reproduite, n'a qu'environ la moitié de la longueur de celle qui a été enlevée, elle est fort déliée : cependant elle est capable de toutes ses fonctions, & il y a lieu de croire qu'elle grossit dans la suite & dans le tems où l'autre jambe ne prend plus d'accroissement. De cette façon elles peuvent se trouver aussi grosses & aussi longues l'une que l'autre, & on peut expliquer la différence de grosseur qui se trouve entre les jambes de plusieurs écrevisses. Les cornes, les bras, les petites jambes, & plusieurs autres parties de l'écrevisse se reproduisent à-peu-près comme les grosses jambes ; mais on a tenté inutilement de faire reparoître une nouvelle queue, & on ne sait pas combien de fois de suite la reproduction d'une même partie peut se faire sur le même animal.

La mue des écrevisses n'est pas moins digne de l'attention des Naturalistes, que la reproduction de ses membres. Par cette mue, ces animaux se dépouillent chaque année, non-seulement de leur écaille, mais aussi de toutes leurs parties cartilagineuses & osseuses : ils sortent de leur écaille, & la laissent entierement vuide. La mue ne se fait jamais avant le mois de Mai, ni après le mois de Septembre. Les écrevisses cessent de prendre de la nourriture solide quelques jours avant leur dépouillement ; alors si on appuie le doigt sur l'écaille, elle plie, ce qui prouve qu'elle n'est plus soûtenue par les chairs. Quelque tems avant l'instant de la mue, l'écrevisse frotte ses jambes les unes contre les autres, se renverse sur le dos, replie & étend sa queue à différentes fois, agite ses cornes, & fait d'autres mouvemens sans doute afin de se détacher de l'écaille qu'elle va quitter. Pour en sortir, elle gonfle son corps ; & il se fait entre la premiere des tables de la queue & la grande écaille qui s'étend depuis la queue jusqu'à la tête, une ouverture qui met à découvert le corps de l'écrevisse ; il est d'un brun foncé, tandis que la vieille écaille est d'un brun verdâtre. Après cette rupture l'animal reste quelque tems en repos ; ensuite il fait différens mouvemens, & gonfle les parties qui sont sous la grande écaille ; la partie postérieure de cette écaille est bien-tôt soûlevée, & l'antérieure ne reste attachée qu'à l'endroit de la bouche ; alors il ne faut plus qu'un demi-quart-d'heure ou un quart-d'heure pour que l'écrevisse soit entierement dépouillée. Elle tire sa tête en-arriere, dégage ses yeux, ses cornes, ses bras, & successivement toutes ses jambes. Les deux premieres paroissent les plus difficiles à dégainer, parce que la derniere des cinq parties dont elles sont composées, est beaucoup plus grosse que l'avant-derniere, mais on conçoit aisément cette opération, quand on sait que chacun des tuyaux écailleux qui forment chaque partie, est de deux pieces longitudinales, qui s'écartent l'une de l'autre dans le tems de la mue. Enfin, l'écrevisse se retire de dessous la grande écaille, & aussi-tôt elle se donne brusquement un mouvement en-avant, étend la queue, & la dépouille de ses écailles. C'est ainsi que finit l'opération de la mue, qui est si violente, que plusieurs écrevisses en meurent, sur-tout les plus jeunes ; celles qui y résistent sont très-foibles. Après la mue leurs jambes sont molles, & l'animal n'est recouvert que d'une membrane, mais en deux ou trois jours, & quelquefois en 24 heures, cette membrane devient une nouvelle écaille aussi dure que l'ancienne. Cet accroissement est très-promt : les observations suivantes ont donné lieu de croire que la matiere qui est nécessaire pour consolider la nouvelle écaille, vient des pierres que l'on appelle communément yeux d'écrevisse à cause de leur figure ronde (voyez YEUX D'ECREVISSE). Il y a deux de ces pierres dans chaque écrevisse ; elles ne sont point dans le cerveau, mais dans l'estomac, qui est placé audessous ; on ne les y trouve pas en tout tems ; leurs différens degrés d'accroissement sont sensibles, lorsqu'on ouvre des écrevisses en différens états ; ces pierres grossissent jusqu'au tems de la mue, & subsistent pendant la mue ; mais le jour qui la suit elles diminuent de grosseur, & ensuite disparoissent lorsque la nouvelle écaille a pris son accroissement, & dans la suite cette écaille ne devient ni plus dure ni plus épaisse, ni peut-être plus grande. De sorte que le corps de l'écrevisse qui augmente de volume chaque année étant gêné dans son écaille au-bout de l'an, est contrainte d'en sortir, aussi la nouvelle écaille se trouve toûjours plus grande que l'ancienne ; mais cette différence n'est pas considérable, sur-tout au rapport de certains pêcheurs, qui ont assûré qu'une écrevisse de six à sept ans n'est encore qu'une écrevisse de grosseur médiocre.

Ces animaux sont très-voraces ; ils se nourrissent de chairs pourries des poissons & d'insectes aquatiques, & même ils se mangent les uns les autres après la mue, lorsque la nouvelle écaille n'est pas encore formée ; mais pendant sept ou huit mois de l'année, depuis le mois de Septembre jusqu'au mois de Mai, ils mangent peu, & peut-être ne prennent-ils aucune nourriture. Pendant l'hyver ils restent dans des trous plusieurs ensemble, & en sortent rarement avant le printems. Rondelet, histoire des poissons de riviere, chap. xxxij. Mém. de l'acad. roy. des Scienc. années 1709, 1712, & 1718.

Willis, tract. de anim. brut. cap. viij. observe que les écrevisses, les crabes, les homards, les squilles, &c. qui se portent en-arriere lorsqu'ils nagent ou qu'ils marchent, au lieu de se porter en-avant comme les autres animaux, sont aussi conformés différemment de ceux-ci, en ce que les écailles qui leur tiennent lieu d'os, sont en-dehors au lieu d'être en-dedans, & que le foie, l'estomac, &c. sont placés audessus du coeur, &c. Les écrevisses ont les parties de la génération doubles, tant les mâles que les femelles, celles-ci portent leurs oeufs amoncelés sous la queue. L'écrevisse femelle a deux ovaires sous la grande écaille qui couvre le corps & la tête ; chaque ovaire est terminé par un petit canal qui entre dans la premiere partie de la troisieme jambe, & il y a dans cette premiere partie une ouverture à-peu-près ronde par laquelle sortent les oeufs. Cette ouverture se trouve sur la face inférieure de l'écaille, & est recouverte par une membrane qui s'ouvre du côté du ventre de l'animal. La ponte se fait en Novembre & Décembre, & on trouve aussi les oeufs attachés à la queue dans les mois de Janvier & de Février, & quelquefois en Mars. Voyez anat. cancri fluvial. D. Luc. Ant. Portii misc. acad. cur. nat. dec. 1. an. 5. obs. 19. Voyez CRUSTACEES. (I)

* ECREVISSE, (Pêche de l') On pêche l'écrevisse de plusieurs manieres ; une des plus simples, c'est d'avoir des baguettes fendues, de mettre dans la fente de l'appas, comme de la tripaille, des grenouilles, &c. de les disperser le long du ruisseau où l'on sait qu'il y a des écrevisses, de les y laisser reposer assez long-tems pour que les écrevisses soient attachées à l'appas, d'avoir un panier ou une petite truble, d'aller lever les baguettes legerement, de glisser sous l'extrémité opposée la truble & le panier, & d'enlever le tout ensemble hors de l'eau ; à peine l'écrevisse se verra-t-elle hors de l'eau, qu'elle se détachera de l'appas, mais elle sera reçue dans le panier. D'autres les prennent à la main, ils entrent dans l'eau, ils s'y couchent & étendent leurs bras en tous sens vers les trous où ils supposent les écrevisses cachées. Il y en a qui mettent le ruisseau à sec ; les écrevisses qui manquent d'eau sont forcées de sortir de leurs trous & de se faire prendre. Un piége qui n'est pas moins sûr, c'est celui qu'on tend à leur voracité ; on laisse pourrir un chat mort, un chien, un vieux lievre, ou l'on prend un morceau de cheval mort, on le jette dans l'eau, on l'entoure d'épines, on l'y laisse longtems ; il attire toutes les écrevisses que l'on prend en traînant à soi la charogne & les épines avec un crochet. Comme elles aiment beaucoup le sel, des sacs qui en auroient été remplis feroient le même effet que la charogne.

ECREVISSE DE RIVIERE, (Matiere médicale, Pharmacie & diete) L'écrevisse est généralement regardée comme un aliment médicamenteux, ou comme un médicament alimenteux, qui purifie le sang, qui le foüette, qui le divise, qui dispose les humeurs aux excrétions, qui ranime les oscillations des vaisseaux & le ton des solides en général, en un mot, comme un remede incisif & tonique : on l'ordonne à ce titre dans les maladies de la peau ab humorum lentâ mucagine, c'est-à-dire (pour faire signifier quelque chose à ces mots qui sont de Boerhaave) dans les maladies de la peau dont le caractere n'est point inflammatoire, ou du moins qui ne sont point aiguës comme le sont les phlegmons considérables, les érésypeles étendus, &c. Voyez maladies de la peau au mot PEAU. On les employe encore dans les obstructions, la cachexie, la leucophlegmatie, les bouffissures, &c. On prépare dans tous ces cas des bouillons dans lesquels on fait entrer cinq ou six écrevisses ; ces bouillons d'écrevisse font avec les bouillons de vipere, le pendant des bouillons de grenouille, des bouillons de tortue & du lait, & le complément des secours vraisemblablement aussi inutiles que généralement employés contre les maladies chroniques. Voyez MEDICAMENT altérant, au mot MEDICAMENT, & le mot NOURRISSANT.

Mais pour nous restraindre ici à l'usage des écrevisses en particulier, n'est-il pas singulier, pour ne rien dire de plus, qu'on prétende apporter un changement utile dans la constitution actuelle d'un malade, en lui faisant prendre la décoction ou bouillon de cinq ou six écrevisses, tandis qu'il n'est peut-être pas une seule personne pour qui une ou plusieurs douzaines d'écrevisses ne soient un aliment indifférent pour les secondes voies dont il s'agit seulement ici ; tandis que le malade même à qui l'on prescrit ce bouillon a peut-être mangé cent fois en sa vie des écrevisses à douzaines dans le même repas sans en éprouver ni bien ni dommage, & qu'il pourroit les manger sans avantage & sans inconvénient.

Au reste ce n'est pas seulement sur cette considération toute concluante qu'elle est, qu'on peut établir l'inutilité médicinale des écrevisses ; on ose avancer, & ceci est plus direct, que les bouillons d'écrevisse n'ont jamais guéri personne, quoiqu'il puisse bien être souvent arrivé que des malades ont été guéris pendant ou après l'usage des bouillons d'écrevisse ; car guérir par un remede ou guérir en prenant un remede, n'est pas la même chose assûrément : le régime & l'expectation ou les droits de la nature, ont dans tous ces traitemens par le secours des altérans, une influence qu'on ne doit pas perdre de vûe. Voyez EXPECTATION & REGIME.

Quoi qu'il en soit, voici comme on s'y prend pour préparer les bouillons d'écrevisse : prenez de racines, bois, écorces, semences, herbes & fleurs prétendues atténuantes, apéritives, incisives (Voyez INCISIF), celles que vous voudrez à la dose ordinaire de chacune (Voyez leurs art. particul.) faites bouillir avec suffisante quantité d'eau commune ces substances végétales, en les introduisant successivement dans l'eau selon l'art ; sur la fin de l'ébullition, jettez dans votre vaisseau cinq, six ou huit écrevisses de riviere, que vous aurez auparavant écrasées dans un mortier de marbre ; donnez encore quelques bouillons, passez & exprimez, & votre bouillon est fait.

Il faut observer que jamais on ne prescrit les écrevisses seules, mais toûjours avec plusieurs plantes altérantes, & quelquefois avec les viperes, ce qui est une nouvelle raison pour qu'on ignore au moins l'efficacité des écrevisses en particulier, quand même ce bouillon composé auroit quelque effet réel. Voyez COMPOSITION.

Nous n'avons aucune bonne observation sur l'usage diététique des écrevisses ; il m'a paru cependant qu'elles étoient d'assez facile digestion, c'est-à-dire, que le plus grand nombre d'estomacs s'en accommodoient assez. J'en ai vû manger des quantités considérables à des personnes qui n'étoient pas accoûtumées à cet aliment, & je ne les ai point vûes s'en trouver mal. J'ose assûrer sur-tout que je n'ai jamais apperçû leur effet échauffant, quoique le sel & le poivre dont on releve leur goût qui est fort plat sans cet assaisonnement, soient fort propres à procurer cet effet, & qu'il fallût même le leur attribuer absolument chez les personnes qui se trouveroient échauffées par l'usage des écrevisses salées & épicées.

Quant au jus d'écrevisse qu'on fait entrer dans des bisques, des coulis &c, il ne fait qu'augmenter la quantité des parties alimenteuses de ces mets ; c'est proprement de l'aliment vrai ajoûté à celui que fournissent les viandes dans l'assaisonnement desquelles on le fait entrer. Nous ne connoissons jusqu'à présent au jus d'écrevisse que sa qualité générique d'aliment. (b)

ECREVISSE, (yeux d') (Mat. med.) Voyez ci-dessus au mot ECREVISSE, ce qu'on appelle ainsi. Nous ne connoissons aux yeux d'écrevisse que les propriétés communes à tous les absorbans ou alkalis terreux. Voyez médicament terreux, sous le mot TERREUX.

On ordonne toûjours les yeux d'écrevisse préparés : leur préparation consiste à les mettre en poudre dans un mortier de fer, à les porphyriser ensuite & à les former en petits trochisques pour les garder.

On prépare avec les yeux d'écrevisse & l'esprit de vinaigre un sel & un magistere absolument analogues au sel & au magistere de corail. Voyez CORAIL.

Si on unit les yeux d'écrevisse au suc de citron, on a la composition comme dans les boutiques d'Allemagne sous le nom d'oculi cancrorum citrati ; composition fort peu usitée en France & qui est fort analogue au sel d'yeux d'écrevisse & au sel du corail dont nous venons de parler.

On prépare des tablettes avec les yeux d'écrevisse de la maniere suivante : prenez des yeux d'écrevisse préparés, une once ; de suc blanc en poudre fine, quatre onces : mêlez les avec soin en les agitant ensemble dans un mortier de marbre, & faites-en une masse avec suffisante quantité de gomme tragacanth tirée avec l'eau de fleurs d'orange : formez de cette masse des tablettes ou pastilles selon l'art.

Les yeux d'écrevisse entrent dans les compositions suivantes qui se trouvent dans la pharmacopée de Paris ; la poudre è chelis cancrorum, la poudre absorbante, la poudre d'arum composée, les tablettes absorbantes & fortifiantes, la confection d'hiacynthe. (b)

ECREVISSE, (Mat. med.) Cancri marini maximi apicibus chelarum nigricantibus, bouts noirs des grosses pattes d'écrevisses de mer ; les apices chelarum nigricantes sont ce qui a donné leur nom à une poudre absorbante & prétendue alexitere & cordiale connue dans les pharmacopées sous le nom de pulvis è chelis cancrorum dont voici la dispensation, prise de la pharmacopée de Paris. Prenez, apicum nigrorum chelarum cancrorum ou des bouts noirs des grosses pattes d'écrevisse, trois onces ; d'yeux d'écrevisse de riviere préparés, de corail rouge préparé, de succin blanc préparé, de corne-de-cerf préparée philosophiquement, de chacun une once ; de perles préparées, de besoard oriental en poudre, de chacun demi-once ; de gelée de viperes une suffisante quantité : mêlez toutes ces drogues pour en faire une masse que vous diviserez en petites boules qu'il faut sécher avec précaution.

ECREVISSE, s. f. (Astronom.) nom que l'on donne quelquefois à la constellation du Cancer. Voyez CANCER.


ECRILLES. m. (Econ. rustiq.) clayonnage dont on ferme les décharges des étangs, pour empêcher le poisson d'en sortir.


ECRIREv. act. peindre ou tracer avec la plume sur le papier & avec de l'encre, des caracteres propres à faire connoître sa pensée, ou à conserver la mémoire de ce qu'on veut ne pas oublier. Voyez ECRITURE. Il signifie aussi faire savoir sa volonté à quelqu'un par un billet ou par une lettre.

On se sert du terme écrire parmi les marchands, négocians & banquiers en tous ces sens.

Ecrire sur le journal, sur le grand livre, &c. c'est porter sur ces registres en recette ou dépense les différentes parties de débit & de crédit qui se font journellement dans le négoce, & qu'on a écrites auparavant sur le brouillon. Voyez BROUILLON & LIVRES.

Ecrire sur son agenda, c'est mettre en forme de mémoire sur une espece de petit registre ou sur des tablettes que les négocians exacts ont toûjours sur eux, les choses les plus importantes qu'ils ont à faire chaque jour, & qu'ils pourroient oublier dans le grand nombre d'affaires qui les occupent. Voyez AGENDA.

Ecrire une partie en banque, c'est en terme de virement de parties, écrire sur le registre de la banque le nom du marchand, négociant, banquier ou autres à qui il a été cédé quelque partie ou somme de banque pour achat de marchandise en gros, payement de lettres de change ou autrement. Voyez BANQUE & VIREMENT DE PARTIE.

Ecrire, se dit encore des depêches & lettres missives que les personnes d'un négoce tant-soit-peu considérable sont obligées d'écrire à leurs correspondans, associés & autres. Dictionn. de Commerce, de Trév. & Chambers. (G)


ECRITS. m. dans le commerce, acte ordinairement sous seing privé que les marchands passent entr'eux pour convenir de quelque chose ou pour en assûrer l'exécution & en regler les conditions. Dict. de Com. de Trév. & Chambers. (G)


ECRITAUou ECLITAUX, terme de riviere, c'est ainsi qu'on appelle des pieces servant à retenir les boulons d'un bateau foncet.


ECRITEAUEPIGRAPHE, INSCRIPTION, (Gramm.) Il y a de la différence entre ces trois mots. L'écriteau n'est qu'un morceau de papier ou de carton sur lequel on écrit quelque chose en grosses lettres, pour donner un avis au public. L'inscription se grave sur la pierre, sur le marbre, sur des colonnes, sur un mausolée, sur une médaille, ou sur quelqu'autre monument public, pour conserver la mémoire d'une chose ou d'une personne. L'épigraphe est une courte inscription gravée d'ordinaire en onglet sur les bâtimens particuliers, ou au bas des estampes. Voyez EPIGRAPHE.

Les écriteaux sont faits pour étiqueter les boîtes des épiciers, ou pour servir d'enseigne aux maîtres d'écriture ; les inscriptions pour transmettre l'histoire à la postérité, & les épigraphes pour l'intelligence d'une estampe ou l'ornement d'un livre.

Les tableaux d'histoire auroient souvent besoin d'une épigraphe. La célebre Phryné, qui sçut avec tant d'art découvrir & obtenir de Protogène son Satyre & son Cupidon, offrit de relever les murailles de Thebes, à condition qu'on gravât à sa gloire cette inscription : Alexander diruit, sed meretrix Phryne fecit ; Alexandre a démoli les murs de Thèbes, & la courtisanne Phryné les a rebâtis. Voilà où le mot inscription est à sa place : mais ce n'est pas bien parler que d'avoir employé ce terme dans une des bonnes traductions du nouveau Testament où l'on s'exprime ainsi : Ils marquerent le sujet de la condamnation de J. C. dans cette inscription qu'ils mirent au-dessus de sa tête : Celui-ci est le roi des Juifs. Il falloit se servir dans cet endroit du mot écriteau au lieu d'inscription. La raison du terme préferé par les traducteurs, vient peut-être de ce qu'ils ont considéré l'objet plus que la nature de la chose. Ce n'étoit réellement qu'un écriteau ; les Juifs traiterent en cette occasion l'innocence même comme le crime. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ECRITOIRES. f. (Ecrivain) c'est le réservoir de tous les instrumens propres à l'écrivain. Il y en a de bien des sortes : les unes ne reçoivent que l'encre, le canif & les plumes : les autres ont de plus un sablier ; une troisieme espece contient le pain à cacheter : ces trois premieres peuvent être portatives. Il y en a une quatrieme espece qui n'est point portative ; c'est à-peu-près un nécessaire distribué en cassetins, où se trouvent plume, canif, sable, cire d'Espagne, cachet, crayon, regle, sandarach. Voyez la premiere Planche de l'Ecrivain.

ECRITOIRE, (Jurisprud.) Bureau de l'écritoire, greffiers de l'écritoire. Voyez GREFFIERS DE L'ECRITOIRE. (A)


ECRITUREsub. f. (Hist. anc. Gramm. & Arts) Nous la définirons avec Brebeuf.

Cet art ingénieux

De peindre la parole & de parler aux yeux,

Et par des traits divers de figures tracées,

Donner de la couleur & du corps aux pensées.

La méthode de donner de la couleur, du corps, ou pour parler plus simplement, une sorte d'existance aux pensées, dit Zilia (cette Péruvienne pleine d'esprit, si connue par ses ouvrages), se fait en traçant avec une plume, de petites figures que l'on appelle lettres, sur une matiere blanche & mince que l'on nomme papier. Ces figures ont des noms ; & ces noms mêlés ensemble, représentent les sons des paroles.

Développons, avec M. Warburthon, l'origine de cet art admirable, ses différentes sortes, & ses changemens progressifs jusqu'à l'invention d'un alphabet. C'est un beau sujet philosophique, dont cependant les bornes de ce livre ne me permettent de prendre que la fleur.

Nous avons deux manieres de communiquer nos idées : la premiere, à l'aide des sons ; la seconde, par le moyen des figures. En effet l'occasion de perpétuer nos pensées & de les faire connoître aux personnes éloignées, se présente souvent ; & comme les sons ne s'étendent pas au-delà du moment & du lieu où ils sont proférés, on a inventé les figures & les caracteres après avoir imaginé les sons, afin que nos idées pussent participer à l'étendue & à la durée.

Cette maniere de communiquer nos idées par des marques & par des figures, a consisté d'abord à dessiner tout naturellement les images des choses ; ainsi pour exprimer l'idée d'un homme ou d'un cheval, on a représenté la forme de l'un ou de l'autre. Le premier essai de l'écriture a été, comme on voit, une simple peinture ; on a su peindre avant que de savoir écrire.

Nous en trouvons chez les Mexiquains une preuve remarquable. Ils n'employoient pas d'autre méthode que cette écriture en peinture, pour conserver leurs lois & leurs histoires. Voyez le voyage autour du monde, de Gemelli Carreri ; l'histoire naturelle & morule des Indes, du P. Acosta, les voyages de Thevenot, & d'autres ouvrages.

Il reste encore aujourd'hui un modele très-curieux de cette écriture en peinture des Indiens, composé par un Mexiquain & par lui expliqué dans sa langue, après que les Espagnols lui eurent appris les lettres. Cette explication a été ensuite traduite en espagnol, & de cette langue en anglois. Purchas a fait graver l'ouvrage, qui est une histoire de l'empire du Mexique, & y a joint l'explication. Je crois que l'exemplaire original est à la bibliotheque du roi.

Voilà la premiere méthode, & en même tems la plus simple, qui s'est offerte à tous les hommes pour perpétuer leurs idées.

Mais les inconvéniens qui résultoient de l'énorme grosseur des volumes dans de pareils ouvrages, porterent bien-tôt les nations plus ingénieuses & plus civilisées à imaginer des méthodes plus courtes. La plus célebre de toutes est celle que les Egyptiens ont inventée, à laquelle on a donné le nom d'hiéroglyphique. Par son moyen, l'écriture qui n'étoit qu'une simple peinture chez les Mexiquains, devint en Egypte peinture & caractere ; ce qui constitue proprement l'hiéroglyphe. Voyez ce mot & l'article suivant ECRITURE DES EGYPTIENS, qui est entierement lié à celui-ci.

Tel fut le premier degré de perfection qu'acquit cette méthode grossiere de conserver les idées des hommes. On s'en est servi de trois manieres, qui à consulter la nature de la chose, prouvent qu'elles n'ont été trouvées que par degrés, & dans trois tems différens.

La premiere maniere consistoit à employer la principale circonstance d'un sujet, pour tenir lieu du tout. Les Egyptiens vouloient-ils représenter deux armées rangées en bataille : les hiéroglyphes d'Horapollo, cet admirable fragment de l'antiquité, nous apprennent qu'ils peignoient deux mains, dont l'une tenoit un bouclier, & l'autre un arc.

La seconde maniere imaginée avec plus d'art, consistoit à substituer l'instrument réel ou métaphorique de la chose, à la chose même. Un oeil & un sceptre représentoient un monarque. Une épée peignoit le cruel tyran Ochus ; & un vaisseau avec un pilote, désignoit le gouvernement de l'univers.

Enfin on fit plus : pour représenter une chose, on se servit d'une autre où l'on voyoit quelque ressemblance ou quelque analogie ; & ce fut la troisieme maniere d'employer cette écriture. Ainsi l'univers étoit représenté par un serpent roulé en forme de cercle, & la bigarrure de ses taches désignoit les étoiles.

Le premier objet de ceux qui imaginerent la peinture hiéroglyphique, fut de conserver la mémoire des évenemens, & de faire connoître les lois, les réglemens, & tout ce qui a rapport aux matieres civiles. Par cette raison, on imagina des symboles relatifs aux besoins & aux productions particulieres de l'Egypte. Par exemple, le grand intérêt des Egyptiens étoit de connoître le retour ou la durée du vent étésien, qui amonceloit les vapeurs en Ethiopie, & causoit l'inondation en soufflant sur la fin du printems du nord au midi. Ils avoient ensuite intérêt de connoître le retour du vent de midi, qui aidoit l'écoulement des eaux vers la Méditerranée. Mais comment peindre le vent ? Ils choisirent pour cela la figure d'un oiseau ; l'épervier qui étend ses aîles en regardant le midi, pour renouveller ses plumes au retour des chaleurs, fut le symbole du vent étésien, qui souffle du nord au sud ; & la huye qui vient d'Ethiopie, pour trouver des vers dans le limon, à la suite de l'écoulement du Nil, fut le symbole du retour des vents de midi, propres à faire écouler les eaux. Ce seul exemple peut donner une idée de l'écriture symbolique des Egyptiens.

Cette écriture symbolique, premier fruit de l'Astronomie, fut employée à instruire le peuple de toutes les vérités, de tous les avis, & de tous les travaux nécessaires. On eut donc soin dans les commencemens de n'employer que les figures, dont l'analogie étoit le plus à portée de tout le monde ; mais cette méthode fit donner dans le raffinement, à mesure que les Philosophes s'appliquerent aux matieres de spéculation. Aussi-tôt qu'ils crurent avoir découvert dans les choses des qualités plus abstruses, quelques-uns, soit par singularité, soit pour cacher leurs connoissances au vulgaire, se plurent à choisir pour caracteres des figures dont le rapport aux choses qu'ils vouloient exprimer, n'étoit point connu. Pendant quelque tems ils se bornerent aux figures dont la nature offre des modeles ; mais dans la suite, elles ne leur parurent ni suffisantes, ni assez commodes pour le grand nombre d'idées que leur imagination leur fournissoit. Ils formerent donc leurs hiéroglyphes de l'assemblage mystérieux de choses différentes, ou de parties de divers animaux ; ce qui rendit ces figures tout-à-fait énigmatiques.

Enfin l'usage d'exprimer les pensées par des figures analogues, & le dessein d'en faire quelquefois un secret & un mystere, engagea à représenter les modes mêmes des substances par des images sensibles. On exprima la franchise par un lievre, l'impureté par un bouc sauvage, l'impudence par une mouche, la science par une fourmi ; en un mot, on imagina des marques symboliques pour toutes les choses qui n'ont point de forme. On se contenta dans ces occasions d'un rapport quelconque : c'est la maniere dont on s'étoit déjà conduit, quand on donna des noms aux idées qui s'éloignent des sens.

Jusque-là l'animal ou la chose qui servoit à représenter, avoit été dessinée au naturel ; mais lorsque l'étude de la Philosophie, qui avoit occasionné l'écriture symbolique, eut porté les savans d'Egypte à écrire sur beaucoup de sujets, ce dessein ayant trop multiplié les volumes, parut ennuyeux. On se servit donc par degré d'un autre caractere, que nous pouvons appeller l'écriture courante des hiéroglyphes ; il ressembloit aux caracteres chinois ; & après avoir été formé du seul contour de la figure, il devint à la longue une sorte de marque.

L'effet naturel que produisit cette écriture courante, fut de diminuer beaucoup de l'attention qu'on donnoit au symbole, & de la fixer à la chose signifiée ; par ce moyen l'étude de l'écriture symbolique se trouva fort abregée, puisqu'il n'y avoit alors presque autre chose à faire qu'à se rappeller le pouvoir de la marque symbolique : au lieu qu'auparavant il falloit être instruit des propriétés de la chose ou de l'animal qui étoit employé comme symbole ; en un mot, cela réduisit cette sorte d'écriture à l'état où est présentement celle des Chinois. Voy. plus bas ECRITURE CHINOISE.

Ce caractere courant est proprement celui que les anciens ont appellé hiérographique, & que l'on a employé par succession de tems dans les ouvrages qui traitoient des mêmes sujets que les anciens hiéroglyphes. On trouve des exemples de ces caracteres hiérographiques dans quelques anciens monumens ; on en voit presque à tous les compartimens de la table isiaque, dans les intervalles qui se rencontrent entre les plus grandes figures humaines.

L'écriture étoit dans cet état, & n'avoit pas le moindre rapport avec l'écriture actuelle. Les caracteres dont on s'étoit servi, représentoient des objets ; celle dont nous nous servons, représente des sons : c'est un art nouveau. Un génie heureux, on prétend que ce fut le secrétaire d'un des premiers rois de l'Egypte, appellé Thoït, Thoot, ou Thot, sentit que le discours, quelque varié & quelque étendu qu'il puisse être pour les idées, n'est pourtant composé que d'un assez petit nombre de sons, & qu'il ne s'agissoit que de leur assigner à chacun un caractere représentatif. Il abandonna donc l'écriture représentative des êtres, qui ne pouvoit s'étendre à l'infini, pour s'en tenir à une combinaison, qui quoique très-bornée (celle des sons), produit cependant le même effet.

Si on y refléchit (dit M. Duclos, le premier qui ait fait ces observations qui ne sont pas moins justes que délicates), on verra que cet art ayant été une fois conçu, dut être formé presqu'en même tems ; & c'est ce qui releve la gloire de l'inventeur. En effet, après avoir eu le génie d'appercevoir que les sons d'une langue pouvoient se décomposer & se distinguer, l'énumeration dut en être bien-tôt faite ; il étoit bien plus facile de compter tous les sons d'une langue, que de découvrir qu'ils pouvoient se compter. L'un est un coup de génie ; l'autre un simple effet de l'attention. Peut-être n'y a-t-il jamais eu d'alphabet complet, que celui de l'inventeur de l'écriture. Il est bien vraisemblable que s'il n'y eut pas alors autant de caracteres qu'il nous en faudroit aujourd'hui, c'est que la langue de l'inventeur n'en exigeoit pas davantage. L'orthographe n'a été parfaite qu'à la naissance de l'écriture.

Quoi qu'il en soit, toutes les especes d'écritures hiéroglyphiques, quand il falloit s'en servir dans les affaires publiques, pour envoyer les ordres du roi aux généraux d'armée & aux gouverneurs des provinces éloignées, étoient sujettes à l'inconvénient inévitable d'être imparfaitement & obscurément entendues. Thoot, en faisant servir les lettres à exprimer des mots, & non des choses, évita tous les inconvéniens si préjudiciables dans ces occasions, & l'écrivain rendit ses instructions avec la plus grande clarté & la plus grande précision. Cette méthode eut encore cet avantage, que comme le gouvernement chercha sans doute à tenir l'invention secrette, les lettres d'état furent pendant du tems portées avec toute la sûreté de nos chiffres modernes. C'est ainsi que l'écriture en lettres, appropriée d'abord à un pareil usage, prit le nom d'épistolique : du moins je n'imagine pas, avec M. Warburthon, qu'on puisse donner une meilleure raison de cette dénomination.

Le lecteur apperçoit à présent que l'opinion commune, qui veut que ce soit la premiere écriture hiéroglyphique, & non pas la premiere écriture en lettres, qui ait été inventée pour le secret, est précisément opposée à la vérité ; ce qui n'empêche pas que dans la suite elles n'ayent changé naturellement leur usage. Les lettres sont devenues l'écriture commune, & les hiéroglyphiques devinrent une écriture secrette & mystérieuse.

En effet, une écriture qui, en représentant les sons de la voix, peut exprimer toutes les pensées & les objets, que nous avons coûtume de désigner par ces sons, parut si simple & si féconde qu'elle fit une fortune rapide. Elle se répandit par-tout ; elle devint l'écriture courante, & fit négliger la symbolique, dont on perdit peu-à-peu l'usage dans la société de maniere qu'on en oublia la signification.

Cependant, malgré tous les avantages des lettres, les Egyptiens long-tems après qu'elles eurent été trouvées, conserverent encore l'usage des hiéroglyphes : c'est que toute la science de ce peuple se trouvoit confiée à cette sorte d'écriture. La vénération qu'on avoit pour les hommes, passa aux caracteres dont les savans perpétuerent l'usage, mais ceux qui ignoroient les Sciences, ne furent pas tentés de se servir de cette écriture. Tout ce que put sur eux l'autorité des savans, fut de leur faire regarder ces caracteres avec respect, & comme des choses propres à embellir les monumens publics, où l'on continua de les employer ; peut-être même les prêtres égyptiens voyoient-ils avec plaisir, que peu-à-peu ils se trouvoient seuls avoir la clé d'une écriture qui conservoit les secrets de la religion. Voilà ce qui a donné lieu à l'erreur de ceux qui se sont imaginés que les hiéroglyphes renfermoient les plus grands mysteres. Voyez l'article HIEROGLYPHE.

On voit par ces détails comment il est arrivé que ce qui devoit son origine à la nécessité, a été dans la suite du tems employé au secret, & enfin cultivé pour l'ornement. Mais par un effet de la vicissitude continuelle des choses, ces mêmes figures qui avoient d'abord été inventées pour la clarté, & puis converties en mysteres, ont repris à la longue leur premier usage. Dans les siecles florissans de la Grece & de Rome, elles étoient employées sur les monumens & sur les médailles, comme le moyen le plus propre à faire connoître la pensée ; de sorte que le même symbole qui cachoit en Egypte une sagesse profonde, étoit entendu par le simple peuple en Grece & à Rome.

Tandis que ces deux nations savantes déchiffroient ces symboles à merveille, le peuple d'Egypte en oublioit la signification ; & les trouvant consacrés dans les monumens publics, dans les lieux des assemblées de religion, & dans le cérémonial des fêtes qui ne changeoient point, il s'arrêta stupidement aux figures qu'il avoit sous ses yeux. N'allant pas plus loin que la figure symbolique, il en manqua le sens & la signification. Il prit cet homme habillé en roi, pour un homme qui gouvernoit le ciel, ou regnoit dans le Soleil ; & les animaux figuratifs, pour des animaux réels. Voilà en partie l'origine de l'idolatrie, des erreurs, & des superstitions des Egyptiens, qui se transmirent à tous les peuples de la terre.

Au reste le langage a suivi les mêmes révolutions & le même sort que l'écriture. Le premier expédient qui a été imaginé pour communiquer les pensées dans la conversation, cet effort grossier dû à la nécessité, est venu de même que les premiers hiéroglyphes, à se changer en mysteres par des figures & des métaphores, qui servirent ensuite à l'ornement du discours, & qui ont fini par l'élever jusqu'à l'art de l'éloquence & de la persuasion. Voyez LANGAGE, FIGURE, APOLOGUE, PARABOLE, ENIGME, METAPHORE. Voy. le parallele ingénieux que fait Warburthon entre les figures & les métaphores d'un côté, & les différentes especes d'écritures de l'autre : ces diverses choses qui paroissent si éloignées d'aucun rapport, ont pourtant ensemble un véritable enchaînement. Article de M(D.J.)

ECRITURE CHINOISE. Les hiéroglyphes d'Egypte étoient un simple raffinement d'une écriture plus ancienne, qui ressembloit à l'écriture grossiere en peinture des Mexiquains, en ajoûtant seulement des marques caractéristiques aux images. L'écriture chinoise a fait un pas de plus, elle a rejetté les images, & n'a conservé que les marques abregées, qu'elle a multiplié jusqu'à un nombre prodigieux. Chaque idée a sa marque distincte dans cette écriture ; ce qui fait que semblable au caractere universel de l'écriture en peinture, elle continue aujourd'hui d'être commune à différentes nations voisines de la Chine, quoiqu'elles parlent des langues différentes.

En effet, les caracteres de la Cochinchine, du Tongking, & du Japon, de l'aveu du P. du Halde, sont les mêmes que ceux de la Chine, & signifient les mêmes choses, sans toutefois que ces Peuples en parlant s'expriment de la même sorte. Ainsi quoique les langues de ces pays-là soient très-différentes, & que les habitans ne puissent pas s'entendre les uns les autres en parlant, ils s'entendent fort bien en écrivant, & tous leurs livres sont communs, comme sont nos chiffres d'arithmétique ; plusieurs nations s'en servent, & leur donnent différens noms : mais ils signifient par-tout la même chose. L'on compte jusqu'à quatre-vingt mille de ces caracteres.

Quelque déguisés que soient aujourd'hui ces caracteres, M. Warburthon croit qu'ils conservent encore des traits qui montrent qu'ils tirent leur origine de la peinture & des images, c'est-à-dire de la représentation naturelle des choses pour celles qui ont une forme ; & qu'à l'égard des choses qui n'en ont point, les marques destinées à les faire connoître ont été plus ou moins symboliques, & plus ou moins arbitraires.

M. Freret au contraire soûtient que cette origine est impossible à justifier, & que les caracteres chinois n'ont jamais eu qu'un rapport d'institution avec les choses qu'ils signifient. Voyez son idée sur cette matiere, mém. académiq. des Belles-Lett. tome VI.

Sans entrer dans cette discussion, nous dirons seulement, que par le témoignage des PP. Martini, Magaillans, Gaubil, Semedo, auxquels nous devons joindre M. Fourmont, il paroit prouvé que les Chinois se sont servis des images pour les choses que la peinture peut mettre sous les yeux, & des symboles, pour représenter par allégorie ou par allusion, les choses qui ne le peuvent être par elles-mêmes. Suivant les auteurs que nous venons de nommer, les Chinois ont eu des caracteres représentatifs des choses, pour celles qui ont une forme ; & des signes arbitraires, pour celles qui n'en ont point. Cette idée ne seroit-elle qu'une conjecture ?

On pourroit peut-être, en distinguant les tems, concilier les deux opinions différentes au sujet des caracteres chinois. Celle qui veut qu'ils ayent été originairement des représentations grossieres des choses, se renfermeroit dans les caracteres inventés par Tsang-kié, & dans ceux qui peuvent avoir de l'analogie avec les choses qui ont une forme ; & la tradition des critiques chinois, citée par M. Freret, qui regarde les caracteres comme des signes arbitraires dans leur origine, remonteroit jusqu'aux caracteres inventés sous Chun.

Quoiqu'il en soit, s'il est vrai que les caracteres chinois ayent essuyé mille variations, comme on n'en peut douter, il n'est plus possible de reconnoître comment ils proviennent d'une écriture qui n'a été qu'une simple peinture ; mais il n'en est pas moins vraisemblable que l'écriture des Chinois a dû commencer comme celle des Egyptiens. Article de M(D.J.)

ECRITURE DES EGYPTIENS, (Histoire anc.) Les Egyptiens ont eu différens genres & différentes especes d'écritures, suivant l'ordre du tems dans lequel chacune a été inventée ou perfectionnée. Comme toutes ces différentes sortes d'écritures ont été confondues par les anciens auteurs & par la plûpart des modernes, il est important de les bien distinguer, d'après M. Warburthon, qui le premier a répandu la lumiere sur cette partie de l'ancienne littérature. On peut rapporter toutes les écritures des Egyptiens à quatre sortes : indiquons-les par ordre.

1°. L'hiéroglyphique, qui se subdivisoit en curiologique, dont l'écriture étoit plus grossiere ; & en tropique, où il paroissoit plus d'art.

2°. La symbolique, qui étoit double aussi ; l'une plus simple, & tropique, l'autre plus mystérieuse, & allégorique.

Ces deux écritures, l'hiéroglyphique & la symbolique, qui ont été connues sous le terme générique d'hiéroglyphes, que l'on distinguoit en hiéroglyphes propres & en hiéroglyphes symboliques, n'étoient pas formées avec les lettres d'un alphabet ; mais elles l'étoient par des marques ou caracteres qui tenoient lieu des choses, & non des mots.

3°. L'épistolique, ainsi appellée parce qu'on ne s'en servoit que dans les affaires civiles.

4°. L'hiérogrammatique, qui n'étoit d'usage que dans les choses relatives à la religion.

Ces deux dernieres écritures, l'épistolique & l'hiérogrammatique, tenoient lieu de mots, & étoient formées avec les lettres d'un alphabet.

Le premier degré de l'écriture hiéroglyphique, fut d'être employé de deux manieres ; l'une plus simple, en mettant la partie principale pour le tout ; & l'autre plus recherchée, en substituant une chose qui avoit des qualités ressemblantes, à la place d'une autre. La premiere espece forma l'hiéroglyphe curiologique ; & la seconde, l'hiéroglyphe tropique. Ce dernier vint par gradation du premier, comme la nature de la chose & les monumens de l'antiquité nous l'apprennent ; ainsi la Lune étoit quelquefois représentée par un demi-cercle, quelquefois par un cynocéphale. Dans cet exemple le premier hiéroglyphe est curiologique ; & le second, tropique. Les caracteres dont on se sert ordinairement pour marquer les signes du zodiaque, découvrent encore des traces d'origine égyptienne ; ce sont en effet des vestiges d'hiéroglyphes curiologiques réduits à un caractere d'écriture courante, semblable à celle des Chinois : cela se distingue plus particulierement dans les marques astronomiques du Bélier, du Taureau, des Gémeaux, de la Balance, & du Verseau.

Toutes les écritures où la forme des choses étoit employée, ont eu leur état progressif, depuis le plus petit degré de perfection jusqu'au plus grand, & ont facilement passé d'un état à l'autre ; ensorte qu'il y a eu peu de différence entre l'hiéroglyphe propre dans son dernier état, & le symbolique dans son premier état. En effet, la méthode d'exprimer l'hiéroglyphe tropique par des propriétés similaires, a dû naturellement produire du raffinement au sujet des qualités plus cachées des choses : c'est aussi ce qui est arrivé. Un pareil examen fait par les savans d'Egypte, occasionna une nouvelle espece d'écriture zoographique, appellée par les anciens symbolique.

Cependant les auteurs ont confondu l'origine de l'écriture hiéroglyphique & symbolique des Egyptiens, & n'ont point exactement distingué leurs natures & leurs usages différens. Ils ont présupposé que l'hiéroglyphe, aussi-bien que le symbole, étoient une figure mystérieuse ; & par une méprise encore plus grande, que c'étoit une représentation de notions spéculatives de Philosophie & de Théologie : au lieu que l'hiéroglyphe n'étoit employé par les Egyptiens que dans les écrits publics & connus de tout le monde, qui renfermoient leurs réglemens civils & leur histoire.

Comme on distinguoit les hiéroglyphes propres en curiologiques & en tropiques, on a distingué de même en deux especes les hiéroglyphes symboliques ; savoir en tropiques, qui approchoient plus de la nature de la chose ; & en énigmatiques, où l'on appercevoit plus d'art. Par exemple, pour signifier le Soleil, quelquefois les Egyptiens peignoient un faucon ; c'étoit-là un symbole tropique : d'autres fois ils peignoient un scarabée avec une boule ronde dans ses pattes ; c'étoit-là un symbole énigmatique. Ainsi les caracteres proprement appellés symboles énigmatiques, devinrent à la longue prodigieusement différens de ceux appellés hieroglyphiques curiologiques.

Mais lorsque l'étude de la Philosophie, qui avoit occasionné l'écriture symbolique, eut porté les savans d'Egypte à écrire beaucoup, ils se servirent, pour abréger, d'un caractere courant, que les anciens ont appellé hiérographique, ou hiéroglyphique abregé, qui conduisit à la méthode des lettres par le moyen d'un alphabet, d'après laquelle méthode l'écriture épistolique a été formée.

Cependant cet alphabet épistolique occasionna bientôt l'invention d'un alphabet sacré, que les prêtres égyptiens réserverent pour eux-mêmes, afin de servir à leurs spéculations particulieres. Cette écriture fut nommée hiérogrammatique, à cause de l'usage auquel ils l'ont approprié.

Que les prêtres égyptiens ayent eu pour leurs rits & leurs mysteres une pareille écriture, c'est ce que nous assûre expressément Hérodote, liv. II. ch. xxxvj. & il ne nous a pas toûjours rapporté des faits aussi croyables. Celui-ci doit d'autant moins nous surprendre, qu'une écriture sacrée, destinée aux secrets de la religion, & conséquemment différente de l'écriture ordinaire, a été mise en pratique par les prêtres de presque toutes les nations : telles étoient les lettres ammonéennes, non entendues du vulgaire, & dont les prêtres seuls se servoient dans les choses sacrées : telles étoient encore les lettres sacrées des Babyloniens, & celles de la ville de Méroé. Théodoret parlant des temples des Grecs en général, rapporte qu'on s'y servoit de lettres qui avoient une forme particuliere, & qu'on les appelloit sacerdotales. Enfin M. Fourmont & d'autres savans sont persuadés, que cette coûtume générale des prêtres de la plûpart des nations orientales, d'avoir des caracteres sacrés, destinés pour eux uniquement, & des caracteres prophanes ou d'un usage plus vulgaire, destinés pour le public, regnoit aussi chez les Hébreux. Article de M(D.J.)

ECRITURE HIEROGLYPHIQUE, voyez ci-dessus ECRITURE DES EGYPTIENS. Voyez aussi HIEROGLYPHE.

ECRITURE-SAINTE, (Théol.) nom que les Chrétiens donnent aux livres canoniques de l'ancien & du nouveau Testament, inspirés par le S. Esprit. On l'appelle aussi l'Ecriture simplement, & par excellence, comme on dit la Bible, Biblia, les Livres par excellence.

On a déjà traité fort au long dans les volumes précédens, un grand nombre de questions concernant l'Ecriture-sainte, aux articles BIBLE, CANON, CANONIQUES, CHRONOLOGIE SACREE, DEUTEROCANONIQUES, &c. auxquels nous renvoyons les lecteurs, pour ne pas tomber dans des redites. Nous nous bornerons uniquement ici à quelques notions générales, communes à tous les livres dont la collection forme l'Ecriture-sainte, ou le canon des Ecritures ; savoir, I. à l'authenticité des Livres saints, II. à la divinité de leur origine, III. à la distinction des divers sens qui s'y rencontrent, IV. à l'autorité de l'Ecriture-sainte en matiere de doctrine.

I. L'authenticité des Livres saints n'a besoin d'autres preuves pour les Chrétiens, que le jugement & la décision de l'Eglise, qui, insérant ces Livres dans le canon ou catalogue des Ecritures, a déclaré avec une autorité suffisante pour les fideles, & sur des motifs bien fondés, que ces Livres avoient été inspirés, écrits par les auteurs dont ils portent le nom ; & qu'ils n'avoient été ni supposés dans leur origine, ni interpolés ou corrompus dans la suite des siecles. Mais cette assertion ne suffit pas contre l'incrédule, & il faut lui démontrer par les regles ordinaires de la critique, que ces Livres que nous nommons divins, n'ont été ni supposés ni altérés, & qu'ils ne sont point le pur ouvrage des hommes : sans cela, quelle force tous les argumens tirés des Livres saints, auront-ils aux yeux de l'homme disposé & même intéressé à tout contester ? La grande difficulté, c'est que ces Livres cités à tout propos, dit-il, par les Chrétiens & par les Juifs, en preuve du dogme ou de la morale reçûe chez les uns & chez les autres, ou chez ces deux peuples ensemble, n'ont jamais été connus ni conservés que chez eux ; qu'ils avoient trop d'intérêt à ne les pas diviniser, pour justifier des dogmes qui révoltent la raison, ou une morale contraire à l'humanité. Quel vestige, ajoûtent-ils, trouve-t-on dans l'antiquité prophane de ces Livres relégués dans un coin du monde, ou ensevelis dans l'obscurité du Judaïsme, & même du Christianisme naissant ? D'ailleurs, disent-ils, qui nous répondra que ces Livres tous divins dans leur origine, n'ont point été altérés par l'intérêt, la mauvaise foi, l'esprit de parti, & les autres passions des hommes ? manque-t-on d'exemples en ce genre ? Enfin ces écrits considérés en eux-mêmes, portent-ils l'empreinte & le sceau de la divinité ? le fond des choses, & le style, n'annoncent-ils pas suffisamment qu'ils sont le pur ouvrage des hommes, & même quelquefois d'écrivains assez médiocres ?

Ces difficultés méritent d'autant mieux une réponse solide, qu'on les lit ou qu'on les entend tous les jours proposer. Je dis donc en général à l'incrédule, qu'à moins de tomber dans un pyrrhonisme historique universel, il ne peut nier l'authenticité des Livres divins, parce qu'ils ont été conservés, non pas uniquement (remarquez ceci), mais singulierement, par une seule nation intéressée à les citer en confirmation de sa doctrine. Tout peuple policé n'a-t-il pas sa religion ? ne conserve-t-il pas dans ses archives, les titres & les monumens qui déposent en faveur de sa religion ? doit-il en aller chercher les preuves dans les actes publics d'une nation étrangere ou à lui inconnue ? & seroit-on recevable de dire à un Musulman que l'alcoran n'est pas authentique, parce que dès son origine les Mahométans en sont dépositaires, qu'ils le citent en preuve de leur doctrine, qu'ils le conservent avec respect, tandis qu'il est l'objet de la pure curiosité ou du mépris des sectateurs de toute autre religion ? Il n'y auroit sans doute ni équité ni justesse dans un pareil raisonnement, & il ne prouveroit nullement que l'alcoran n'a point été écrit par Mahomet, ou rédigé par ses premiers disciples. 2°. L'authenticité d'un livre, ou sa supposition, ne depend pas de la nature des choses qu'il contient ; vraies ou fausses, absurdes ou probables, claires ou obscures, mystérieuses ou intelligibles, cela ne fait rien à la question : il s'agit uniquement de décider par qui & en quel tems tel où tel ouvrage a été écrit. Dès qu'une tradition écrite & perpétuée d'âge en âge dans un peuple ou dans une société qui professe une religion quelconque, remonte jusqu'à l'origine de l'ouvrage, qu'elle en cite l'auteur, & qu'une foule d'écrivains déposent constamment en sa faveur, c'en est assez pour décider tout homme sensé. A-t-on jamais nié, par exemple, que Tite-Live ait écrit l'histoire qu'on lui attribue, quoiqu'elle renferme des traits merveilleux & incroyables, qu'il a plû des pierres, que des statues ont parlé, ou sué du sang, &c ? A-t-on révoqué en doute que Plutarque soit l'auteur des vies des hommes illustres, parce qu'il y narre des prodiges ou des faits qui choquent la vraisemblance, tels que les batailles de Marathon, de Platée, d'Orchomene, &c. où une poignée de monde a défait des armées innombrables, & jonché la terre de plus de cinquante mille morts, sans perdre plus de mille hommes ? La certitude morale n'étant fondée que sur l'uniformité des témoignages, les mêmes regles de critique qui prouvent l'autenticité des auteurs profanes, prouvent en faveur des écrivains sacrés. On sait quel succès a eu à cet égard la prétention d'un critique moderne, qui soûtenoit que tous les ouvrages profanes étoient des écrits supposés par des imposteurs. 3°. Quand les auteurs payens n'auroient fait nulle mention des Livres sacrés, ce silence ne formeroit qu'un argument négatif, qui ne balanceroit que très-foiblement la solidité des preuves positives. Mais il faut être bien peu versé dans l'étude de l'antiquité, pour avancer que les Livres divins, soit des Juifs, soit des Chrétiens, ont été inconnus aux Payens : car sans parler des Livres du nouveau Testament, dont Celse & Porphyre avoient entrepris une réfutation suivie, & que Julien, dans quelques-unes de ses lettres ; attribue sans détour aux Evangélistes ou aux autres Apôtres dont ils portent les noms ; arrêtons-nous aux Livres de l'ancien Testament ; & parmi ceux-ci, au plus ancien de tous, je veux dire le Pentateuque. Quelle foule d'écrivains profanes qui reconnoissent & l'existance de Moyse, & l'antiquité de ses Livres ! Tels sont Manethon prêtre d'Egypte, Cléodeme, Apollonius Molon, Cheremon Egyptien, Nicolas de Damas, Appion d'Alexandrie, contre lequel a écrit l'historien Josephe ; Philochore d'Athenes, Castor de Rhodes, & Diodore de Sicile, cités par S. Justin dans l'exhortation aux Grecs ; Ptolemée de Mendés, cité par S. Clément d'Alexandrie, lib. I. stromat. Eupoleme, Alexandre Polyhistor & Numénius, cités par Eusebe, liv. IX. de la préparat. évangel. Strabon, Géograph. liv. XVI. Juvenal, satyr. xjv. Tacite, hist. liv. V. Galien de Pergame, de different. pulsum. lib. III. & de usu partium, lib. XI. cap. xjv. Longin, traité du sublime, ch. vij. Chalcidius, Porphyre, Julien l'Apostat & divers autres, dont les textes sont rapportés par M. Huet dans sa démonstrat. évangel. ou par Grotius dans son excellent traité de la vérité de la religion chrétienne. L'allégation des incrédules, fondée sur le silence des écrivains profanes, est donc une allégation évidemment fausse ; mais quand on la supposeroit aussi fondée qu'elle l'est peu, elle ne prouveroit encore rien contre l'authenticité des divines Ecritures. 4°. Envain ajoute-t-on que ces Livres ont pû être altérés, corrompus ou falsifiés par l'intérêt, la mauvaise foi, l'esprit de parti, &c. cela, j'en conviens, peut arriver, & n'est pas même sans exemple pour un ouvrage obscur, indifférent, qui n'intéresse pas essentiellement toute une société : mais pour un ouvrage consigné dans les archives de la nation, distribué, pour ainsi dire, à tous les particuliers ; qui est tout-à-la-fois & le dépôt du dogme & le code des lois, comment pourroit-il être susceptible de corruption ou d'altération ? En effet, cette altération ou corruption seroit le résultat d'un complot de toute la société, ou l'exécution d'un projet formé par quelques particuliers : or l'un & l'autre sont impossibles. Choisissons pour exemple le Pentateuque. Le voilà reconnu du vivant de Moyse, pour un Livre divin. Supposons qu'après sa mort tout le peuple hébreu ait conspiré à interpoler ou à altérer ce Livre : ce peuple étoit donc bien mal habile, puisqu'il y a laissé subsister tout ce qui pouvoit le couvrir d'une éternelle infamie ; les crimes de ses peres, & ses propres attentats ; l'inceste de Juda, les cruautés des enfans de Jacob contre les Sichimites, leur perfidie & leur barbarie envers leur frere Joseph ; & après la sortie d'Egypte, leurs murmures contre Dieu dans le desert, leurs fréquentes révoltes & leurs séditions contre Moyse, leur penchant à l'idolatrie, leur opiniâtreté, & mille autres traits également deshonorans : voilà ce que la passion, l'intérêt & l'esprit de parti, pour peu qu'ils eussent été éclairés, n'auroient pas manqué de supprimer, du consentement général de la nation. La chose devint encore plus impossible depuis le schisme des dix tribus. Le royaume d'Israël & celui de Juda conservoient également le Pentateuque ; pour peu que l'une des deux nations eût voulu l'altérer, l'autre eût réclamé sur le champ, avec cette véhémence que donne la diversité d'opinions en matiere de religion. La même raison est d'un poids égal pour les tems qui suivirent la captivité. Les dix tribus qui étoient restées en Assyrie, & les nouveaux habitans de la Samarie, qui conservoient le Pentateuque écrit en anciens caracteres hébraïques, n'eussent pas manqué de convaincre Esdras d'imposture, s'il eût changé la moindre chose dans la nouvelle édition du Pentateuque, qu'il donna aux Juifs en lettres chaldéennes. L'altération du Pentateuque faite du consentement général de toute la nation juive, est donc une chimere. Il est encore plus insensé de prétendre qu'elle ait été l'ouvrage de quelques particuliers. De quelle autorité auroient-ils entrepris une pareille innovation ? personne n'auroit-il réclamé ? Par quelle voie auroient-ils sans contradiction altéré tous les exemplaires, tant ceux dont chaque citoyen étoit possesseur, que ceux qui étoient déposés dans les archives publiques, & notamment dans l'arche d'alliance ? Les mêmes raisons sont exactement applicables aux Livres du nouveau Testament : les églises qui en étoient dépositaires, n'auroient pû les falsifier d'un commun consentement, sans soûlever contr'elles les Hérétiques mêmes, qui dès le premier siecle de l'Eglise conservoient des exemplaires authentiques de ces Livres ; à plus forte raison les particuliers n'auroient-ils osé tenter une pareille innovation ; un cri général se seroit élevé contre un tel attentat, ainsi qu'il s'est pratiqué toutes les fois que les Juifs ou les Hérétiques ont voulu altérer tant soit peu le sens des Livres divins. C'est donc une these insoûtenable que celle de cette altération prétendue, dont on n'articule d'ailleurs ni le tems, ni le lieu, ni les auteurs, ni la maniere, & qui n'a d'autre fondement que la présomption avec laquelle on l'avance, soit quant au fond, soit quant aux circonstances. 5°. Enfin la difficulté tirée du style des Ecritures, n'est pas plus solide ; car, comme nous l'exposerons dans un instant, ou le S. Esprit, en inspirant les écrivains sacrés sur le fond des choses, les a laissés libres sur le choix des expressions, ou il les a inspirés également quant à l'un & à l'autre point : l'une & l'autre de ces opinions est libre ; les Interpretes & les Théologiens sont partagés à cet égard, sans que la foi périclite. Or dans l'un ou l'autre sentiment, les Ecritures sont à couvert des objections des incrédules : dans le premier elles sont divines quant à leur principe, & quant au fond des choses : dans le second elles le sont même quant au coloris dont les choses sont revêtues. Falloit-il, en effet, que pour en démontrer la divinité ou l'authenticité, tout ce que contiennent les divines Ecritures fût exprimé d'une maniere sublime ? nullement. Les mysteres sont exposés avec une sorte d'obscurité, parce qu'ils sont du ressort de la foi, & non de la raison ou de l'évidence. Les vérités de pratique sont exprimées d'une maniere claire, précise & sentencieuse, comme autant de préceptes ou de conseils qu'on a besoin de graver aisément dans sa mémoire, pour se les rappeller sur le champ. Les faits y sont racontés avec cette noble simplicité si connue des anciens, si propre à peindre sans prévention comme sans affectation, & si peu propre en même tems à masquer la vérité. Enfin quand il s'agit d'annoncer aux peuples leurs destinées, à Israël sa réprobation, à l'univers son libérateur, quels traits, quelles images dans les Prophetes ! A parler humainement, je demande à l'incrédule ce qu'il trouve de mieux dans les écrivains profanes, & si l'éloquence du cantique de Moyse, de David, d'Isaïe, de S. Jean-Baptiste, de Jesus-Christ, & de saint Paul, ne vaut pas bien l'atticisme ou l'urbanité de Platon, la véhémence de Démosthene, & l'élégance abondante de Ciceron. Il faut avoir des regles de goût bien peu sûres ou d'étranges préjugés pour admirer ces derniers, quand on traite les écrivains sacrés d'auteurs quelquefois médiocres. Mais nous examinerons encore cet article plus à fond dans un moment.

II. La solution de la question de la divinité des Ecritures dépend d'un seul point, du sentiment qu'on prend sur la maniere dont elles sont émanées de Dieu comme cause premiere ou efficiente, ou des hommes comme cause seconde ou instrumentale. Tous les chrétiens, en effet, conviennent que l'Ecriture sainte est la parole de Dieu, mais les Théologiens sont partagés sur la maniere que Dieu lui-même a choisi pour la transmettre aux hommes. Les uns prétendent que tous les livres de l'Ecriture ont été inspirés par le Saint-Esprit aux écrivains sacrés non-seulement quant au fonds & aux pensées, mais encore quant au style & aux expressions : d'autres soutiennent que l'inspiration s'est bornées aux pensées, sans s'étendre jusqu'au style que l'Esprit-Saint a laissé au choix des autres. D'autres théologiens modernes ont avancé sur la fin du seizieme siecle, qu'il suffisoit pour la divinité des Ecritures d'une simple direction ou assistance du Saint-Esprit ; mais que l'inspiration proprement dite, n'étoit nullement nécessaire pour toutes les sentences & vérités contenues dans les livres saints. Ils allerent plus loin & prétendirent qu'un livre, tel que peut être le second des Macchabées, écrit par une industrie humaine, devient écriture sainte, si le Saint-Esprit témoigne ensuite qu'il ne contient rien de faux. C'étoit réduire à bien peu de chose la divinité des Ecritures : aussi la faculté de théologie de Louvain s'éleva-t-elle contre cette doctrine qu'elle censura en 1588. Grotius n'admettoit dans les écrivains sacrés qu'un pieux mouvement, mais sans inspiration ni direction ou assistance. Spinosa dans son traité théologo-politique, chap. xj. & xij. ne reconnoît nulle inspiration, même dans les prophetes. M. Simon dans son histoire critique du nouveau Testament, chap. xxiij. & xxjv. s'est déclaré contre les docteurs de Louvain. Néanmoins il reconnoît que le Saint-Esprit est auteur de toute l'Ecriture-sainte, soit par l'inspiration, soit par un instinct ou secours particulier dont M. Simon n'a pas assez développé la nature : quoi qu'il en soit, il soûtient que l'esprit de Dieu a tellement assisté les auteurs sacrés, non-seulement dans les pensées, mais encore dans le style, qu'ils ont été garantis de toute erreur qui auroit pû venir de l'oubli ou du défaut d'attention. M. le Clerc a avancé sur l'origine des Ecritures un systeme hardi, & qui ne differe presqu'en rien de celui de Spinosa. Voici en substance ce qu'on en trouve dans un recueil de lettres imprimées sous le titre de Sentimens de quelques théologiens de Hollande, lettre xj. L'auteur anonyme (M. le Clerc) dont le sentiment est rapporté dans cette lettre, prétend qu'on ne doit reconnoître dans les écrivains sacrés aucun secours surnaturel ou assistance particuliere, à moins que ce ne soit dans des cas fort rares & fort singuliers. Il dit que les historiens sacrés n'ont eu besoin que de leur mémoire en employant d'ailleurs tout le soin & l'exactitude que l'on demande dans ceux qui se mêlent d'écrire l'histoire : à l'égard des prophetes, il reconnoît qu'il y a eu du surnaturel dans les visions dont ils ont été favorisés, & que le Seigneur leur a apparu pour leur manifester certaines vérités cachées, ou leur révéler quelques grands mysteres : mais il ne voit rien que de naturel dans la maniere dont les prophetes ont écrit leurs visions ; ils n'ont eu besoin, selon lui, que de leur mémoire pour se souvenir de ce qui leur avoit été montré pendant qu'ils veilloient, ou dans le sommeil. Il étoit inutile, ajoute-t-il, que leur mémoire fût aidée d'aucun secours surnaturel : on retient aisément ce qui a fait une impression vive sur l'imagination, & ce qui a été gravé profondément dans la mémoire ; les visions que Dieu accordoit aux prophetes produisoient naturellement ces effets. Cet auteur prétend encore que ce que les prophetes disoient naturellement & sans inspiration, étoit une véritable prophétie dans un autre sens, auquel le prophete ne faisoit aucune attention ; & il allegue en preuve l'exemple du grand-prêtre Caïphe, qui prophétisa contre son intention & sans pénétrer le sens de ce qu'il disoit, lorsqu'il proféra cette parole touchant Jesus-Christ, Il est expédient qu'un homme meure pour tout le peuple. Tel est le systeme de M. le Clerc.

Avant que d'entrer en preuve sur l'inspiration des Ecritures & sur son objet, il est bon d'expliquer quelques termes relatifs à cette matiere, & que nous avons déja employés, & de faire quelques distinctions nécessaires pour éviter la confusion des idées.

On entend par révélation la manifestation d'une chose inconnue, soit qu'on l'ait toûjours ignorée, soit qu'on l'ait oubliée après l'avoir connue.

L'inspiration est un mouvement intérieur du Saint-Esprit qui détermine un auteur à écrire & le conduit de telle maniere lorsqu'il écrit, qu'il lui suggere au moins les pensées, & le préserve de tout danger de s'écarter de la vérité.

L'assistance ou direction est un secours de Dieu, par lequel celui qui prononce sur quelques vérités de la religion ne peut s'égarer, ni se tromper dans la décision. C'est ce secours que les catholiques reconnoissent avoir été promis à l'Eglise, & qui la rend infaillible, lorsqu'elle décide dans les conciles généraux, ou que sans être assemblée elle donne son consentement à ce qui a été décidé par le saint siége ou dans quelque concile particulier ; comme il est arrivé à l'égard des décisions du second concile d'Orange sur les matieres de la grace.

Le pieux mouvement admis par Grotius & par d'autres, vient du ciel ; il excite l'auteur à écrire, & lui donne la pensée & la volonté de ne point se tromper de dessein prémédité, sans cependant qu'il soit assûré d'une protection spéciale qui le préserve de toute erreur.

On distingue dans l'Ecriture les choses & les termes qui énoncent les choses. Les choses contenues dans l'Ecriture sont des histoires, ou des prophéties, ou des doctrines ; & celles-ci sont ou philosophiques, qui ont pour objet le méchanisme ou la structure du monde ; ou théologiques, qui se divisent en spéculatives, quand elles ont Dieu pour objet, sans influer sur les moeurs, & en pratiques, quand elles ont pour objet les devoirs de l'homme. Les termes de l'Ecriture sont les paroles dont les auteurs sacrés se sont servis. L'ordre & la liaison des termes forment ce qu'on appelle le style des Livres saints.

Ces notions présupposées, les théologiens catholiques conviennent assez généralement que quant aux choses & aux pensées les Livres saints ont été divinement inspirés, ou que pour les écrire l'assistance & le pieux mouvement n'ont pas suffi aux écrivains sacrés, mais qu'il leur a fallu une inspiration proprement dite. Mais comme c'est un point qui n'est pas susceptible de démonstration par les seules lumieres de la raison, ils ont recours, pour le prouver, à l'autorité de l'Ecriture même, & à celle des peres. 1°. l'Ecriture se rend à elle-même ce témoignage qu'elle a été inspirée de Dieu. Toute Ecriture divinement inspirée, dit S. Paul, épit. jx. chap. iij. § 16, (en grec , communiqué par le souffle divin) est utile pour enseigner, &c. Il appelle encore l'Ecriture la parole de Dieu, les oracles de Dieu eloquia Dei, . De-là ces expressions si usitées dans les prophetes : factus est sermo Domini, factum est verbum Domini, haec dicit Dominus, &c. S. Pierre dit en particulier des prophéties dans sa seconde épitre, chap. j. §. 21. Ce n'a point été par la volonté des hommes que les prophéties nous ont été anciennement apportées, mais ç'a été par l'inspiration du Saint-Esprit que les saints hommes de Dieu ont parlé. La vulgate porte : Spiritu sancto inspirati, & on lit dans le grec , acti, impulsi, ce qui marque un mouvement d'un ordre superieur à la simple assistance ou direction, & au pieux mouvement imaginé, ou du moins soutenu par Grotius. 2°. Les textes des peres ne sont pas moins précis sur cette matiere. Les uns, tels qu'Athenagoras, saint Justin, Théophile d'Antioche, S. Irenée, Tertullien, Origene, Eusebe, &c. disent que les écrivains sacrés ont écrit par l'impulsion du Saint-Esprit, par l'inspiration du Verbe, qu'ils sont les organes de la Divinité : ils les comparent à des instrumens de musique qui ne rendent des sons que par le souffle du musicien qui les embouche, ou par l'impulsion de l'archet qui forme des vibrations sur leurs cordes. Les autres, tels que S. Gregoire de Nazianze, S. Basile, S. Gregoire de Nysse, S. Jerôme, S. Augustin, S. Gregoire-le-Grand, &c. disent que les auteurs sacrés ont été poussés par le souffle de Dieu, que l'Esprit saint est l'inspirateur des Ecritures, qu'il en est l'auteur, &c. On peut consulter les textes dans les peres mêmes ou dans les interpretes & les théologiens.

Mais, dit-on, est-il probable, n'est-il pas même indigne de la science infinie & de la majesté de Dieu, d'avancer qu'il a inspiré aux écrivains sacrés tant de choses peu exactes, pour ne pas dire absurdes, en fait de physique ? Quelle nécessité de recourir à l'inspiration pour les évenemens historiques, dont ces auteurs ont été témoins oculaires, ou qu'ils ont pu apprendre par une tradition écrite ou orale ?

C'est ici qu'il faut se rappeller les définitions que nous avons données des différentes sortes de secours que les Théologiens ont cru plus ou moins nécessaires aux écrivains sacrés pour composer les livres qui portent leurs noms, & les distinctions que nous avons mises entre les divers objets sur lesquels les plumes de ces écrivains se sont exercées. C'est ici, dis-je, qu'il faut bien discerner la révélation de la simple inspiration. Dieu, sans doute, a révélé aux prophetes les évenemens futurs, parce que la vûe de l'homme, foible & bornée, ne peut percer dans l'avenir, qui ne se dévoile qu'aux yeux de celui pour qui tout est present ; il leur a révélé ainsi qu'aux apôtres les vérités spéculatives, ou pratiques, qui devoient faire le fonds ou l'essence de la religion : mais pour ces connoissances de pure curiosité, dont la connoissance ou l'ignorance n'influe ni sur le bonheur ou le malheur réel des hommes, & dont l'acquisition ou la privation ne va point à les rendre meilleurs ; on peut assûrer sans crainte de déprimer la majesté de Dieu, ou de rien diminuer de sa bonté, qu'il n'a point révélé ces sortes d'objets aux écrivains sacrés. Le but des Ecritures étoit de rendre les hommes bons, vertueux, justes, agréables aux yeux de Dieu ; & que fait à cela tel ou tel système de physique ? D'ailleurs il n'est peut-être pas sûr que la physique de l'Ecriture en general, ne soit pas la vraie physique ; mais quelle qu'elle soit enfin, Dieu n'en a pas moins inspiré les écrivains sacrés sur ce qui concerne le sort des hommes, par rapport à l'éternité ; & il n'est pas démontré qu'ils soient dans l'erreur, même relativement aux connoissances philosophiques. Je dis la même chose des évenemens historiques. Non, sans doute, Moyse n'a pas eu besoin d'une révélation spéciale pour connoître & décrire les playes de l'Egypte, les campemens des Israélites dans le desert, les miracles que Dieu opéra par son ministere, les victoires ou les défaites de son peuple ; en un mot toutes les merveilles de sa mission & de la législation. S. Luc en écrivant les actes des apôtres, atteste à son ami Théophile, qu'après avoir été informé très-exactement, & depuis leur premier commencement, des choses qu'il va décrire, il doit lui en représenter toute la suite, afin qu'il connoisse la vérité de tout ce qui a été annoncé. S. Jean ne dit-il pas également : épit. 1. c. j. §. 1. Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vû de nos propres yeux, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l'attestons ou nous vous l'annonçons. Le témoignage oculaire, auriculaire, ou fondé sur des traditions écrites ou orales, n'exclut donc que la nécessité ou la réalité d'une révélation, & nullement celle d'une inspiration, qui déterminât la volonté de l'écrivain sacré, & qui en le préservant de tout danger de s'écarter de la vérité, lui suggérât au moins les pensées qui forment le fonds de son ouvrage.

Je dis au moins les pensées ; car M. l'abbé de Vence, connu par son érudition, dans une dissertation sur l'inspiration des Livres saints, imprimée à la tête de la nouvelle édition de la traduction de la bible par le pere des Carrieres, soûtient que nonseulement les choses contenues dans les Livres saints, mais encore les expressions dont elles sont revêtues, ont été inspirées par le Saint-Esprit. Ce sentiment a ses défenseurs, & voici les principales raisons sur lesquelles l'appuie M. l'abbé de Vence. 1°. Que les textes de l'Ecriture & des peres ne distinguant point entre les pensées & les expressions, lorsqu'il s'agit de l'inspiration des Livres saints, on peut en conclure que les termes qu'ont employés les auteurs sacrés ne leur ont pas été moins suggérés par le Saint-Esprit, que les pensées ou les choses énoncées par ces termes. 2°. Qu'on peut dire qu'à l'égard du style, tous les prophetes & les écrivains sacrés sont égaux, & qu'il n'est pas vrai que l'un écrive plus élégamment que l'autre, s'il ne s'agit que de se servir des termes qui sont propres à exprimer les choses qu'ils ont dessein d'écrire. 3°. La vraye éloquence, dit l'auteur que nous analysons, " consiste proprement dans les idées plus élevées, dans les pensées plus sublimes, & dans les figures de l'art, qui ne peuvent être séparées des pensées. Or il est certain que les pensées des auteurs sacrés sont inspirées : ainsi le raisonnement qu'on tire de la difference du style de ces auteurs, regardé du côté de l'éloquence, ne prouve rien contre le sentiment de ceux qui croyent que les termes mêmes ont été inspirés. Dans Amos, par exemple, ce n'est point le mauvais choix des mots & des termes qui a fait dire à S. Jerôme que ce prophete étoit grossier & peu instruit pour la parole : c'est à cause de ses comparaisons tirées de choses assez basses & communes, ou bien parce qu'il n'a pas des idées si nobles ni si élevées que le prophete Isaïe. Or tout cela consiste dans des pensées, & il n'y en a aucune qui ne soit digne de l'esprit de Dieu qui les a inspirées. Si quelques-unes nous paroissent moins nobles ou plus communes, c'est par goût & selon nos idées que nous en jugeons ". Mais cela peut-il faire une regle, pour dire que l'une est plus digne de Dieu que l'autre ?

Les défenseurs du même sentiment citent en leur faveur des textes précis de S. Chrysostome, de S. Basile, de S. Augustin, de Théodoret & de saint Bernard, qui disent expressément que les écrivains sacrés ont été les plumes de l'Esprit-Saint, qu'ils ont écrit, pour ainsi parler, sous sa dictée, & qu'il n'y a pas dans l'Ecriture une lettre, une syllabe qui ne renferme des mysteres ou des trésors cachés : d'où ils concluent que le style des livres saints n'est pas moins inspiré que le fond des choses.

A ces autorités & à ces raisonnemens, les partisans de l'opinion contraire, soûtenue d'abord dans le jx. siecle par Agobard archevêque de Lyon, opposent l'autorité de l'Ecriture, des peres, & des argumens dont nous allons donner le précis.

I. L'auteur du second livre des Macchabées assûre qu'il n'est que l'abréviateur de l'ouvrage de Jason le Cyrénéen, qui comprenoit cinq livres ; que la rédaction de cet ouvrage lui a coûté beaucoup de travail. Il prie ses lecteurs de l'excuser s'il n'a pas atteint la perfection du style historique : donc le Saint-Esprit ne lui a pas inspiré les termes qu'il a employés. De simples copistes à qui l'on dicte, ne peuvent faire sonner bien haut leur travail, ni exagérer leur peine. Dans l'hypothèse de l'inspiration, étendue jusqu'aux termes de l'Ecriture, l'excuse que demande l'auteur du second livre des Macchabées est injurieuse au Saint-Esprit, qui est infaillible, à qui les expressions propres ne manquent jamais, & qui n'a pas besoin qu'on excuse la foiblesse de son génie ou celle de son langage.

II. Origenes, S. Basile, S. Grégoire de Nazianze, & S. Jerôme ont remarqué qu'il y avoit dans l'évangile des fautes de langage ; ils ne les attribuent point au S. Esprit, mais aux apôtres, qui, nés ignorans & grossiers, ne se piquoient point d'écrire ou de parler élégamment. Imperitus sermone sed non scientiâ, disoit de lui-même S. Paul, quoiqu'il eût été instruit dans toutes les doctrines des Juifs aux piés de Gamaliel. Le S. Esprit a donc laissé à ces écrivains le choix des expressions.

III. Si l'Esprit saint avoit dicté aux historiens sacrés le style qui forme leurs écrits, pourquoi rapportent-ils en différens termes, qui reviennent au même sens, la substance des mêmes faits ? S. Augustin en donne la raison, lib. III. de consensu evangelist. cap. xij. Ut quisque evangelistarum meminerat, dit ce pere, & ut cuique cordi erat, vel brevius vel prolixius eamdem explicare sententiam manifestum est. Ils ont donc été libres sur le choix des termes & sur leur construction.

IV. S. Paul cite quelquefois les propres paroles des poëtes profanes, pourquoi n'auroit-il pas employé son propre style pour écrire ses épîtres ? Et en effet, suivant la différence des matieres ne portent-elles pas une empreinte différente ? Le mystere de la prédestination dans les épîtres aux Romains & aux Ephésiens, & celui de l'Eucharistie dans la premiere aux Corinthiens, sont bien d'un autre ton de couleur, s'il est permis de s'exprimer ainsi, que les conseils qu'il donne à Tite & à Timothée. Il assortissoit donc son style aux matieres.

V. Et c'étoit le grand argument d'Agobard, dans sa lettre à Fredegise abbé de S. Martin de Tours. Le style de tous les prophetes n'est pas le même : celui d'Isaïe est noble & élevé, celui d'Amos au contraire est bas & rampant. Ils annoncent l'un & l'autre la chûte du royaume de Juda, mais chacun d'eux s'exprime d'une maniere bien différente. On trouve dans Amos des expressions populaires & proverbiales, parce qu'il étoit berger. L'éloquence & la noblesse du style se manifestent par-tout dans Isaie, parce qu'il étoit prince du sang de David, & qu'il vivoit à la cour des rois de Juda. Or si le S. Esprit eût dicté à ces deux prophetes jusqu'aux expressions qu'ils ont employées, il pouvoit faire parler Amos comme Isaïe, puisque cet esprit divin délie la langue des muets, & peut rendre éloquente la bouche même des enfans. La diversité du style des prophetes est donc une preuve sensible que Dieu leur a laissé le choix des expressions, selon la diversité de leurs talens naturels. Il faut pourtant avoüer à l'égard des prophetes, que quelquefois le S. Esprit leur a dicté certaines expressions, comme lorsqu'il a révélé à Isaïe le nom de Cyrus très-longtems avant la naissance de ce conquérant.

On peut consulter sur cette matiere tous les interpretes & commentateurs de l'Ecriture, entr'autres la dissertation de M. l'abbé de Vence, le dictionnaire de la bible de Calmet au mot Inspiration, & l'introduction à l'Ecriture-sainte du P. Lamy.

III. Les interpretes distinguent deux sortes de sens dans l'Ecriture ; un sens littéral & historique, & un sens mystique, spirituel & figuré.

1°. On entend par sens littéral & historique, celui qui résulte de la force des termes dont les auteurs sacrés se sont servis.

Le sens littéral se soûdivise en sens propre & en sens métaphorique.

Le sens littéral propre est celui qui résulte de la force naturelle des termes, & qui conserve aux expressions leur signification grammaticale : l'Ecriture, par exemple, dit (Matt. chap. iij.) que Jesus-Christ a été baptisé par S. Jean dans le Jourdain. Le sens littéral & propre de ce passage, c'est qu'un homme appellé Jean, a réellement plongé Jesus-Christ dans le fleuve appellé Jourdain. Voyez SENS.

Le sens littéral métaphorique est celui qui résulte des termes, non pris dans leur signification naturelle & grammaticale, mais pris selon ce qu'ils signifient, ce qu'ils représentent, & ce qu'ils figurent dans l'intention de ceux qui s'en servent. L'Ecriture (S. Jean, ch. j. vers. 29.) nomme Jesus-Christ agneau ; le terme agneau, pris en lui-même, présente à l'esprit l'idée d'un animal propre à être coupé & mangé. Or il est visible que cette signification ne convient pas au terme agneau appliqué à Jesus-Christ : on doit donc le prendre dans un autre sens. L'agneau est le symbole & l'emblême de la douceur. Jesus-Christ étoit la douceur par essence, & c'est précisément à cause de cette prérogative, que les auteurs sacrés lui ont donné par métaphore la dénomination d'agneau. On lit dans les livres saints (Exod. ch. xxxiij. vers. 31. Job, ch. x. v. 8.) que Dieu a des mains, des yeux, &c. ces termes pris en eux-mêmes, représentent des membres composés d'os, de chair, de fibres, de tendons, &c. la raison découvre d'elle-même qu'ils ne peuvent avoir ce sens lorsqu'ils sont appliqués à Dieu, puisqu'il est un être purement spirituel. Les yeux sont l'emblême de la science, & la main est celui de la toute-puissance. Or c'est précisément à cause de cette analogie, que l'Ecriture donne à Dieu par métaphore des mains & des yeux. Voyez METAPHORE & METAPHORIQUE.

2°. On entend par sens mystique, spirituel, & figuré, celui qui est caché sous l'écorce du sens littéral qui résulte de la force naturelle des termes. Un passage a un sens mystique, spirituel & figuré, quand son sens littéral cache une peinture mystérieuse & quelqu'évenement futur, ou, ce qui revient au même, quand son sens littéral présente à l'esprit quelqu'autre chose que ce qu'il présente de lui-même & du premier coup d'oeil. Voyez MYSTIQUE, FIGURE.

Le sens mystique se soûdivise en allégorique, en tropologique ou moral, & en anagogique.

Le sens mystique allégorique est celui qui, caché sous le sens littéral, a pour objet quelqu'évenement futur qui regarde Jesus-Christ & son Eglise. L'Ecriture (Genes. chap. xxij. v. 6.) nous apprend qu'Isaac porta sur ses épaules le bois qui devoit servir à son sacrifice. Ce fait, selon les figuristes, dans l'intention même du Saint-Esprit, est une image parlante du mystere de la passion du Sauveur. Voyez ALLEGORIE & ALLEGORIQUE.

Le sens mystique tropologique ou moral est celui qui, caché sous l'écorce de la loi, a pour objet quelque vérité qui intéresse les moeurs & la conduite des hommes (voyez MORAL & TROPOLOGIQUE). C'est dans ce sens que la loi (Deuter. xxv. vers. 4.) qui défend de lier la bouche du boeuf qui foule le grain, marque dans l'intention du saint-Esprit, l'obligation où les Chrétiens sont de fournir aux ministres de l'évangile, tout ce qui leur est nécessaire pour leur subsistance.

Le sens mystique anagogique est celui qui, caché sous le sens littéral, a pour objet les biens célestes & la vie éternelle. Les promesses des biens temporels, selon les Figuristes, ne sont dans l'intention du Saint-Esprit, que des images & des emblêmes des biens spirituels. Voyez ANAGOGIE & ANAGOGIQUE.

De la distinction de ces divers sens, il résulte qu'on peut interpréter différemment les Ecritures : mais il y a en cette matiere deux excès à éviter ; l'un, de se borner au sens littéral, sans vouloir admettre aucun sens spirituel & figuré ; l'autre de vouloir trouver des figures dans tous les textes des livres saints. Le milieu qu'il faut tenir entre ces deux écueils, est de reconnoître par-tout un sens littéral dans l'Ecriture, & d'admettre des sens figurés dans quelques-unes de ses parties.

Que l'Ecriture ait un sens littéral, c'est une vérité facile à démontrer par la nature des choses qu'elle renferme & par leur destination. L'Ecriture contient l'histoire du peuple de Dieu & de sa religion ; & des vérités dogmatiques, soit de spéculation, soit de pratique : sa destination est de regler la croyance & les moeurs des hommes, & de les conduire à leur terme, à l'éternité. Or tout cela exige de la part d'un législateur infiniment sage, que ses mysteres, ses volontés, ses lois, les prophéties qui attestent sa toute-science, les miracles qui confirment la vérité de sa religion, soient exprimés dans un sens littéral, qui résulte de la propriété des termes qui en forment le style, sans quoi ses leçons deviendroient inutiles & infructueuses, pour ne rien dire de plus, puisque d'un côté l'obscurité de l'ouvrage, & de l'autre la curiosité & le fanatisme autoriseroient l'imagination à y trouver tout ce qu'il lui plairoit.

Mais que ce sens littéral renferme quelquefois un sens mystique, c'est ce que nous prouverions encore aisément par plusieurs exemples de l'Ecriture : nous n'en choisirons qu'un. Ces paroles du pseaume cjx. le Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite, s'entendent à la lettre de David, lorsqu'il désigna Salomon pour son successeur ; cependant elles ont un sens spirituel, plus sublime & plus relevé, puisqu'elles doivent aussi s'entendre du Messie, qui, quoique fils de David selon la chair, devoit être appellé son Seigneur, selon l'esprit, c'est-à-dire respectivement à sa nature divine, ainsi que Jesus-Christ l'apprit aux Juifs : Quomodo ergò David in spiritu vocat eum Dominum, dicens, dixit Dominus Domino meo, &c. Néanmoins de ce qu'il y a plusieurs sens mystiques & spirituels dans l'Ecriture, on en conclueroit mal que toutes les phrases & les parties de l'Ecriture renferment toûjours un pareil sens.

De cette derniere prétention est né le système des Figuristes, sous prétexte que Jesus-Christ est prédit & figuré dans les Ecritures, & que ce sont elles qui rendent témoignage de lui, selon S. Jean, ch. v. vers. 45 ; que les prophéties ont été accomplies en J. C. que, selon S. Paul aux Romains, ch. x. vers. 4, Jesus-Christ est la fin & le terme de la loi ; que, selon le même apôtre aux Corinthiens, épit. I. chap. x. vers. 11, tout ce qui arrivoit aux anciens Juifs n'étoit qu'une figure, un emblême de ce qui devoit s'accomplir en Jesus-Christ & dans la loi nouvelle : haec autem omnia in figurâ contingebant illis. Enfin, sous prétexte que suivant la doctrine constante des Peres, la lettre tue, & qu'on demeure dans la mort avec les Juifs, lorsqu'on s'arrête à l'écorce de l'Ecriture ; que l'Esprit vivifie, & qu'il faut avoir recours à l'intelligence spirituelle & au sens figuré : sous ce prétexte, dis-je, les Figuristes soûtiennent que tout est symbolique ou allégorique dans les Ecritures.

Mais outre que l'absurdité de ce système est palpable par l'abus que le fanatisme peut faire, & ne fait que trop, d'une pareille méthode, il est clair que quoique Jesus-Christ soit dépeint & annoncé dans les Ecritures, il ne l'est pas dans toutes les parties de ces livres sacrés ; que Jesus-Christ est la fin de la loi, non entant qu'il y est figuré par-tout, mais entant qu'il est auteur de la grace & de la justice intérieure que la loi seule ne pouvoit donner : lex per Moysem data est, dit S. Jean, ch. j. vers. 17, gratia & veritas per Jesum-Christum facta est. Il n'est pas moins évident qu'on prend à contre-sens le passage de l'apôtre, haec autem omnia in figurâ contingebant illis (Judaeis), comme si tout absolument étoit figuratif dans l'ancienne loi ; car dans ce texte le mot latin figura, répond au terme grec , qui signifie exemple, modele, comme Vatable & Menochius l'ont fort bien remarqué. Or dans ce cas S. Paul veut simplement dire : toutes les choses qui sont arrivées aux Juifs, sont des exemples pour nous ; elles doivent nous regler dans ce qui nous arrive aujourd'hui ; c'est pour notre instruction qu'elles ont été écrites. Il se propose en effet, dans le chapitre jx. d'exciter la vigilance des Chrétiens & la correspondance à la grace par son propre exemple : corpus meum castigo & in servitutem redigo, ne fortè cum aliis praedicaverim, ipse reprobus efficiar. Or c'est ce qu'il confirme dans le chap. x. par l'exemple des Hébreux, qui, malgré les bienfaits dont Dieu les avoit comblés au sortir de l'Egypte, étoient devenus prévaricateurs, & l'objet des vengeances divines : non in pluribus eorum beneplacitum est Deo, nam prostrati sunt in deserto : puis il conclut, haec autem omnia in figurâ contingebant illis, c'est-à-dire tous ces évenemens sont autant d'exemples frappans pour les Chrétiens, de ne pas se prévaloir & de ne point abuser des bienfaits de Dieu, mais de persévérer & de lui être fideles. Aussi ajoûte-t-il incontinent : ces faits ont été écrits pour notre instruction, à nous autres qui nous trouvons à la fin des tems ; que celui donc qui croit être ferme, prenne bien garde à ne pas tomber. Je ne prétens pas au reste, que ce texte soit absolument exclusif de tout sens figuré, puisque ce dixieme chapitre contient des figures que l'apôtre explique, telle que celle-ci : bibebant de spiritali consequente eos petrâ, petra autem erat Christus. Mais en conclure que tout est figure dans l'ancien Testament, c'est une chimere & une illusion. Enfin les Peres ne sont pas plus favorables que les Ecritures au figurisme moderne. Ils ont dit, à la vérité, que la lettre tue ; mais en quel sens ? lorsqu'on s'attache si rigoureusement à la signification littérale des termes, qu'on rejette absolument tout sens métaphorique, ainsi qu'il est arrivé aux Anthropomorphites, qui, sous prétexte qu'ils lisoient dans l'Ecriture que Dieu a des piés, des mains, des yeux, &c. ont soûtenu que Dieu étoit corporel : ou lorsqu'à l'exemple des Juifs l'on ne veut reconnoître sous le sens littéral aucun sens spirituel, qui ne convienne qu'à Jesus-Christ & à son Eglise, & qu'on en borne l'accomplissement à des personnages purement historiques. Voyez FIGURE, FIGURE, FIGURISME, ANTHROPOMORPHITES, PROPHETIES.

Il y a encore un système soûtenu par quelques théologiens modernes, après Grotius, sur le sens des prophéties en particulier, & qui consiste à dire qu'elles ont été accomplies littéralement & dans leur sens propre avant Jesus-Christ, & qu'elles ont été aussi accomplies dans la personne de cet homme Dieu, mais dans un sens plus sublime, & d'une maniere plus noble & plus distinguée. Nous en donnerons l'exposition & la réfutation à l'article PROPHETIE.

On sent assez que pour éviter les écarts où peut jetter une imagination échauffée, tant pour l'universalité du sens figuré à chaque page & à chaque mot de l'Ecriture, que pour ce double sens qu'on prétend trouver dans toutes les prophéties, il est nécessaire de recourir à une autorité suffisante pour fixer & déterminer le sens des Ecritures ; autrement chaque particulier peut être l'auteur seul, & tout ensemble, le seul sectateur de la religion qu'il lui plaira d'établir & de suivre. Cette réflexion nous conduit naturellement à discuter la quatrieme question générale que nous nous sommes proposé d'éclaircir ; savoir de quelle autorité est l'Ecriture-sainte en matiere de doctrine.

IV. A l'exception des incrédules qui rejettent toute révélation, tout le monde convient que l'Ecriture-sainte étant la parole de Dieu, elle est la regle de notre foi : mais en est-elle l'unique regle ? c'est sur quoi l'on se partage.

Les Catholiques conviennent unanimement, 1°. que l'Ecriture-sainte est une des regles de notre foi, mais non pas l'unique : 2°. qu'outre la parole de Dieu écrite, il faut encore admettre la tradition ou la parole de Dieu non écrite par des écrivains inspirés, que les apôtres ont reçue de la propre bouche de Jesus-Christ, qu'ils ont transmise de vive-voix à leurs successeurs, qui est passée de main en main jusqu'à nous, par l'enseignement des ministres & des pasteurs, dont les premiers ont été instruits par les apôtres, c'est-à-dire qu'elle s'est conservée pure par la prédication des SS. docteurs qui ont écrit sur les matieres de la religion : 3°. ils ajoûtent que la fixation des vérités chrétiennes dépendent essentiellement de la connoissance des doctrines renfermées dans l'Ecriture & dans la tradition, & que chaque particulier pouvant se tromper dans l'examen & dans l'interprétation du sens des saints livres & des écrits des peres, il faut recourir à une autorité visible & infaillible dans le discernement des vérités catholiques, autorité qui n'est autre que l'Eglise enseignante, ou le corps des premiers pasteurs, avec lesquels Jesus-Christ a promis d'être jusqu'à la consommation des siecles. Voyez TRADITION & EGLISE.

Les Protestans au contraire prétendent que l'Ecriture est l'unique source, l'unique dépôt des vérités de foi. La raison seule, selon eux, est le seul juge souverain des différens sens des livres saints. Ce n'est pas qu'ils rejettent ou méprisent tous également l'autorité de la tradition. Les plus savans théologiens d'Angleterre, & entr'autres Bullus, Fell archevêque d'Oxford, Pearson évêque de Chester, Dodwel, Bingham, &c. nous ont montré le cas qu'ils faisoient des ouvrages des peres. Mais en général les Calvinistes & les Luthériens ne reconnoissent pour regle de la foi que l'Ecriture interprétée par ce qu'ils appellent l'esprit particulier, c'est-à-dire suivant le degré d'intelligence de chaque lecteur. Cette exclusion de toute autorité visible & souveraine en fait de doctrine, paroît absolument incompatible avec les diverses confessions de foi qu'ont dressées les églises réformées au nom de tous les particuliers, avec les synodes qu'elles ont tenus en différentes occasions pour adopter, ou maintenir, ou proscrire telle ou telle doctrine. Voyez ARMINIANISME & ARMINIEN.

Les Sociniens, nés dans le sein du Protestantisme & encouragés par l'exemple de leurs peres, ont encore été plus loin qu'eux. Ils reçoivent, à la verité, l'Ecriture ; mais au lieu de regler leur croyance sur le sens naturel qu'elle présente à l'esprit, ils s'efforcent de l'adapter à leurs propres idées. Qu'on leur propose, par exemple, le mystere de la Trinité comme faisant partie des vérités évangeliques, ils commencent par l'examiner au tribunal de la raison ; & comme les lumieres naturelles leur paroissent ne pas convenir avec les différentes parties de ce mystere, ils le rejettent hautement. Dieu, auteur de la raison naturelle, ne peut, disent-ils, être opposé à lui-même comme auteur de la religion révélée ; ainsi dès que la raison n'admet pas la vérité qui semble résulter directement de l'Ecriture, il est démontré que ce n'est point là son sens, & qu'il faut lui en donner un autre, quelqu'éloigné qu'il puisse être du sens littéral & naturel. Ils en ont usé de même pour attaquer les dogmes de l'Incarnation, de la Satisfaction de Jesus-Christ, de la Présence réelle, comme on peut le voir dans Socin, Crellius, Schlitingius, & dans ce vaste recueil de leurs auteurs, connu sous le titre de bibliotheque des freres Polonois. Mais pour sentir en même tems combien ces interprétations, pour la plûpart métaphoriques, sont dures & forcées, il suffit d'ouvrir la démonstration évangélique de M. Huet, le traité de l'Incarnation du P. Petau, les traités de la Trinité & de l'Incarnation de M. Vitasse, les ouvrages de Hoornebek, de Turretin, & de plusieurs autres théologiens protestans, auxquels nous devons cette justice, qu'ils ont combattu le Socinianisme avec beaucoup de force & de succès. Voyez SOCINIANISME.

Nous nous arrêterons d'autant moins ici à combattre la methode des Sociniens, que les raisons que nous allons proposer contre celles des Protestans, ont une force égale contre les excès du Socinianisme dont nous traiterons en son lieu avec une juste étendue. Voyez SOCINIENS & SOCINIANISME.

Nos controversistes prouvent donc contre les Protestans, que l'Ecriture-sainte n'est pas l'unique regle de notre foi, & que pour en découvrir le véritable sens, l'esprit particulier est un guide infidele, mais qu'il faut recourir & s'en tenir à l'autorité de l'Eglise de J. C. seule infaillible en matiere de doctrine. Ils le prouvent, dis-je, 1°. par l'obscurité de l'Ecriture. Une loi, disent-ils, obscure & difficile à entendre, susceptible de sens différens & même contraires, exige un interprete & un juge infaillible qui en démêle, qui en fixe le véritable sens, & qui puisse décider souverainement les disputes qui s'élevent sur le fond même de cette loi, & sur les points de doctrine qui appartiennent à la foi. Or qui peut révoquer en doute l'obscurité de l'Ecriture en bien des points ? sans cela pourquoi tant de commentaires, de gloses, d'interprétations, de dissertations qui ont exercé la pénétration des peres & des plus beaux génies ? mais en même tems que de visions, que d'erreurs, quand on n'a voulu suivre que ses propres lumieres & qu'on s'est soustrait à la voie de l'autorité ? Tous les interpretes tant orthodoxes qu'hétérodoxes reconnoissent cette obscurité. Ces seules paroles, par exemple, hoc est corpus meum, ont donné lieu chez les Protestans à un nombre infini d'interprétations différentes. Luther y voit clairement la présence réelle, & Calvin y voit clairement l'absence réelle. L'Ecriture seule pourra-t-elle décider entr'eux ? Oüi, répond-on, en éclaircissant les passages obscurs par de moins obscurs ou d'une netteté évidente. Mais s'il arrive que l'un des deux partis conteste la prétendue clarté de ces passages, & quand on les aura tous épuisés, qui est-ce qui décidera ? La raison ou l'esprit particulier ? On sait l'usage ou plutôt l'abus que les Sociniens ont fait à cet égard de la raison ; & quant à l'esprit particulier, Luther n'aura-t-il pas autant de droit que Calvin de prétendre qu'il possede dans un degré éminent le don d'entendre & d'interpreter les Ecritures, lui qui, au rapport de M. Bossuet, hist. des Variat. tom. I. liv. II. n. 28. s'exprimoit de la sorte : Je dirai sans vanité, que depuis mille ans l'Ecriture n'a jamais été ni si repurgée, ni si bien expliquée, ni mieux entendue qu'elle l'est maintenant par moi. On sent donc que par ces deux voies la dispute deviendroit interminable.

Les peres, dont ce n'est pas assûrément outrer l'éloge que de dire qu'ils ont eû le sens naturel aussi pénétrant que Luther & Calvin, & qu'ils ont au moins égalé ces deux novateurs par la variété & la profondeur des connoissances acquises, nous ont tracé une voie bien differente. En reconnoissant d'une part l'obscurité des Ecritures, ils ont insisté sur la nécessité de recourir à une autorité extérieure & infaillible, seule capable de fixer le sens des Livres saints, & de décider souverainement des matieres de foi. Hîc forsitan requiret aliquis, dit Vincent de Lérins dans son avertissement chap. ij, cùm sit perfectus scripturarum canon, sibique ad omnia satis superque sufficiat, quid opus est ut ei ecclesiasticae intelligentiae jungatur autoritas ? Quia videlicet Scripturam-sacram pro ipsâ suâ altitudine non uno eodemque sensu universi accipiunt ; sed ejusdem eloquia aliter alius atque alius interpretatur, ut penè quot homines sunt, tot illinc sententiae erui posse videantur. Aliter namque Novatianus, aliter Sabellius &c. exponit : atque idcirco multùm necesse est propter tantos tam varii erroris anfractus ut propheticae & apostolicae interpretationis linea secundùm ecclesiastici & catholici sensûs normam dirigatur. Or la regle dont parle ici Vincent de Lérins, n'est autre que le jugement & la décision infaillible de l'Eglise. S. Augustin n'est pas moins précis sur cette matiere : voici comme il s'exprime lib. III. de doct. Christ. cap. ij. n. 2. Cum verba propria faciunt ambiguam Scripturam, primò videndum est ne malè distinxerimus aut pronunciaverimus ; cùm ergo adhibita intentio incertum esse perviderit, quomodo distinguendum aut quomodo pronunciandum sit, consulat regulam fidei quam de Scripturarum planioribus locis & Ecclesiae autoritate percepit. S. Augustin ne condamne pas, il approuve, il recommande même le travail & les recherches pour découvrir le vrai sens des Ecritures ; il reconnoît que les passages clairs peuvent & doivent servir à éclaircir les endroits obscurs & difficiles : mais avec cela seroit-on à couvert de toute erreur, de toute méprise ? non, il reste encore une regle la seule infaillible : l'autorité de l'Eglise : consulat regulam fidei quam de Ecclesiae autoritate percepit. L'obscurité seule de l'Ecriture prouve donc suffisamment que l'Ecriture n'est pas l'unique regle de notre foi, & qu'il faut une autorité extérieure & infaillible qui détermine & fixe le sens des livres saints.

2°. L'Ecriture-sainte seule & par elle-même est insuffisante pour terminer toutes les disputes en matiere de foi. En effet, sans parler des disputes qui se sont élevées depuis la naissance de l'Eglise & même parmi les Protestans, soit sur le texte original, soit sur les versions de l'Ecriture, sur la canonicité des livres saints, sur le vrai sens d'une infinité de passages ; combien de points de foi que les Protestans admettent conjointement avec les Catholiques, quoiqu'ils ne soient pas expressément contenus dans l'Ecriture ? Où trouvent-ils par exemple, dans les livres saints, qu'il n'y a que quatre évangiles ; que le pere éternel, la premiere personne de la sainte Trinité, n'a pas été engendré ; que Marie a conservé sa virginité après son enfantement ; qu'on peut baptiser les enfans nouveau-nés ; que leur baptême est valide ; que le baptême des hérétiques est bon & valide ? Ils ne peuvent que répondre ainsi que nous avec Tertullien dans son Livre de la Couronne. chap. jv. Harum & aliarum ejusmodi disciplinarum, si legem expostules scripturarum, nullum invenies : traditio sibi pretendetur auctrix, consuetudo confirmatrix, & fides observatrix : & avec S. Augustin dans son livre du Baptême contre les Donatistes, chap. xxiij. n. 31. sunt multa quae universa tenet Ecclesia, & ob hoc ab apostolis praecepta benè creduntur, quanquam scripta non reperiantur. Or si l'Eglise est juge du sens de l'Ecriture, comme nous venons de le montrer, à plus forte raison l'est-elle de ses traditions non écrites, qu'elle conserve dans son sein lorsqu'elle les trouve fondées, ou qu'elle rejette lorsqu'elles lui paroissent suspectes ou mal-établies.

3°. De l'aveu même des protestans, l'Ecriture est loi en matiere de doctrine ; comment pourroit-elle être en même tems juge des points controversés & contenus dans le corps de la loi ? Dans toute république bien reglée le juge & la loi sont deux choses très-distinguées. La loi prescrit à la verité ce qu'il faut faire, ou défend ce qu'il ne faut pas faire ; mais c'est une regle morte pour ainsi dire ; il faut encore une regle vivante, une autorité qui explique le sens de la loi, qui applique l'esprit de la loi aux différens cas, qui dans le cas de partage entre deux contendans, qui cherchent à trouver dans la loi un sens favorable à leur cause, déclare & décide souverainement que l'un des deux se trompe, ou même que tous deux sont dans l'erreur : car cette loi est claire, précise, ou ne l'est pas : si elle l'est, suivant la prétention des Protestans, pourquoi donc les Luthériens & les Calvinistes ont-ils vû naître avec eux sur le sens de cette loi des contestations qui probablement ne finiront qu'avec eux ? si elle ne l'est pas, il faut donc un interpréte, un juge qui l'éclaircisse, qui en détermine le vrai sens : ce ne peut être l'esprit particulier, borné, foible, inconstant, sujet à l'erreur, abondant en son sens. Il faut donc une autorité établie de Dieu même & infaillible, qui puisse décider souverainement du sens de la loi : autrement J. C. auroit bien mal pourvû à l'établissement & au maintien de sa religion.

4°. Aussi, soit dans l'ancienne, soit dans la nouvelle loi, la sagesse divine a-t-elle établi un tribunal visible, toujours subsistant, infaillible & juge souverain en matiere de doctrine, & elle a commandé aux fideles de consulter cette autorité & de se soûmettre à ses décisions. La chose est évidente pour l'ancien Testament par un texte du Deuteronom. cap. xvij. vers. 8 & suiv. texte si connu qu'il n'est pas besoin de le citer. L'existance & l'autorité souveraine & infaillible de ce tribunal dans la loi nouvelle, n'est pas moins évidemment attestée par ce peu de paroles que J. C. adressa aux apôtres & à leurs successeurs : Matth. cap. ult. Omnis potestas data est mihi in coelo & in terrâ : ite ergo, docete omnes gentes, baptisantes eos in nomine Patris & Filii & Spiritûs sancti, docentes eos servare quaecumque praecepi vobis : & eccè ego vobiscum sum usque ad consummationem saeculi. Promesse dont le grand Bossuet a si bien compris toute l'énergie, qu'il ne craint pas de dire, Instruct. II. sur l'Eglise, pag. 3 : " Que J. C. avoit mis en cinq ou six lignes de son Evangile tant de sagesse, tant de lumiere, tant de vérité, qu'il y a de quoi convertir tous les errans, pourvû seulement qu'ils veuillent bien prêter une oreille qui écoute, & ne pas fermer volontairement les yeux. Qu'il y a dans ces six lignes de quoi trancher tous les doutes par un principe commun & universel. Que J. C. y a préparé un remede efficace aux contestations qui peuvent jamais s'élever, & qu'enfin cette promesse emporte les décisions de toutes les controverses qui sont nées ou qui pourront naître. " Or la plûpart de ces contestations ont eu pour objet le sens des Ecritures. L'Eglise seule étoit donc le juge compétent & infaillible qui pût & dût en décider en dernier ressort, & non l'esprit particulier qui ne peut que nous séduire & nous égarer.

Les Protestans ne manquent pas de subtilités pour éluder la force de ces argumens. On peut voir dans les savans ouvrages des cardinaux Bellarmin, du Perron & de Richelieu, dans les controverses du P. Veron Jésuite, & dans celles de M. de Wallembourg, dans les instructions pastorales de M. Bossuet, enfin dans les livres de MM. Arnaud, Nicole, Pelisson, &c. les réponses solides qu'ils ont opposées aux subterfuges & aux chicanes des ministres. Au reste cet article n'est pas destiné à convertir des gens moins attachés peut-être à leurs opinions par conviction que par entêtement. Mais comme ce dictionnaire tombera infailliblement, entre les mains de personnes que je suppose éclairées jusqu'à un certain point, & qui professent de bonne foi les erreurs dans lesquelles elles se trouvent engagées par le malheur de leur naissance ; aux preuves que je viens de proposer, & dont je les prie de peser la force dans la balance du sanctuaire, je n'ajoûterai qu'un préjugé qui pourra faire sur elles quelqu'impression : " De bonne foi, leur dirois-je, pensez-vous avoir plus d'étendue de génie pour découvrir & pénetrer le sens des Ecritures qu'un S. Augustin ? vous croiriez-vous plus favorisé que lui de l'onction intérieure & des mouvemens du S. Esprit qui peuvent en faciliter l'intelligence ? Et bien, écoutez ce que dit ce docteur si éclairé, si profond, si pieux, si versé dans l'Ecriture des livres saints : non, dit-il, je ne croirois point à l'évangile, si je n'étois touché & déterminé par l'autorité de l'Eglise catholique : ego vero evangelio non crederem, nisi me Ecclesiae catholicae commoveret autoritas. Lib. contr. epist. fundam. cap. jx. n. 8. Décidez maintenant vous-même, conclurois-je, si vous devez vous en rapporter en matiere de doctrine, à l'autorité seule de l'Ecriture interpretée par vous-même, & oser ce que tant de grands hommes n'ont osé ; être juge dans votre propre cause, & dans la cause la plus intéressante qui fut jamais. Voyez EGLISE. (G)

ECRITURES, (Comparaison d') Jurisprud. Voyez COMPARAISON D'ECRITURES. Comme cet article de Jurisprudence est traité complete ment au renvoi qu'on vient de citer, nous nous contenterons de remarquer ici sur cette importante matiere, que nonobstant tous les moyens des plus habiles experts pour discerner les écritures, leur art est si fautif, & l'incertitude de cet art pour la vérification des écritures est si grande, que les nations plus jalouses de protéger l'innocence que de punir le crime, défendent à leurs tribunaux d'admettre la preuve par comparaison d'écritures dans les procès criminels.

Ajoûtons que dans les pays où cette preuve est reçue, les juges en dernier ressort ne doivent jamais la regarder que comme un indice. Je ne rappellerai point ici le livre plein d'érudition fait par M. Roland le Vayer ; tous nos jurisconsultes connoissent ce petit ouvrage, dans lequel ce savant avocat tâche de justifier que la preuve par comparaison d'écritures doit être très-suspecte. Il nous semble que l'expérience de tous les tems confirme cette opinion.

En vain dit-on que les traits de l'écriture aussi bien que ceux du visage, portent avec eux un certain air qui leur est propre, & que la vûe saisit d'abord. Je réponds qu'on peut par l'art & l'habitude contrefaire & imiter parfaitement cet air & ces traits. Les experts qui assûrent que telles & telles écritures sont semblables & partent d'une même main, ne peuvent jamais se fonder que sur une apparence, un indice ; or la vraisemblance de l'écriture n'est pas moins trompeuse que celle du visage. On a vû des faussaires abuser les juges, les particuliers, & les experts même, par la conformité des écritures. Je n'en citerai que quelques exemples.

L'écriture & la signature du faux Sébastien qui parut à Venise en 1598, ne furent-elles pas trouvées conformes à celles que le roi Sébastien de Portugal avoit faites en 1578, lorsqu'il passa en Afrique contre les Maures ? Hist. septent. liv. IV. p. 249.

En l'année 1608, un nommé François Fava médecin, reçut la somme de 10000 ducats à Venise sur de fausses lettres de change d'Alexandre Bossa banquier à Naples, neveu & correspondant de celui à qui elles étoient adressées.

En 1728, un François reçut à Londres du banquier du sieur Charters, si connu par ses vices & par ses crimes, une somme de trois à quatre mille livres sterling, sur de fausses lettres de change que le François avoit faites de Spa à ce banquier au nom dudit Charters, après d'autres lettres d'avis très-détaillées ; & quand Charters vint en Angleterre, peu de tems après, il refusa de les acquiter, sachant bien ne les avoir pas écrites : & cependant il se trompa à la présentation que le banquier lui fit desdites fausses lettres de change. Il les prit pour être de son écriture, quoiqu'elles fussent en réalité de l'autre fripon, qui avoit si bien sû l'imiter. C'est un trait fort singulier de la vie de ce scélérat lui-même, que Pope oppose si bien au vertueux Béthel. Essai sur l'homme, épît. jv. v. 128.

Mais nous avons un exemple célébre & plus ancien que tous les précédens. Nous lisons dans l'histoire secrette de Procope une chose surprenante d'un nommé Priscus ; il avoit contrefait avec tant d'art l'écriture de tout ce qu'il y avoit de personnes de qualité dans la ville qu'il habitoit, & l'écriture même des plus célébres notaires, que personne n'y reconnut rien jusqu'à ce qu'il l'avoüa.

L'histoire remarque que la foi qu'on ajoûtoit aux contrats de ce faussaire, fut le sujet d'une constitution de Justinien. Aussi cet empereur déclare dans la novelle 73, qu'il avoit été convaincu par ses yeux des inconvéniens de la preuve de la comparaison de l'écriture.

D'ailleurs cette comparaison d'écriture ne fait pas foi par sa propre autorité ; on n'en tire rien que par induction, & elle a besoin des conjectures des experts : un juge donc ne peut trop se précautionner contre les apparences trompeuses : il n'est pas nécessaire pour cela qu'il soit un pirrhonien qui doute de tout ; mais il faut que, comme le sage, il donne une legere créance à tout ce qui est de soi-même incertain.

Le sieur Raveneau, écrivain juré à Paris, s'est fait connoître dans le dernier siecle, par un livre très-curieux sur cette matiere. Il composa & fit imprimer en 1666 un traité intitulé, des inscriptions en faux, & des reconnoissances d'écriture & de signature, dont il déclare que la comparaison est très-incertaine par les regles de l'art. Il découvre aussi dans ce livre le moyen d'effacer l'écriture, & de faire revivre celles qui sont anciennes & presque effacées. Ce moyen consiste dans une eau de noix de galles broyées dans du vin blanc, & ensuite distillée, dont on frotte le papier.

Enfin le même auteur indique les artifices dont les faussaires se servent pour contrefaire les écritures ; non content d'en instruire le public, il mit la pratique en usage, & se servit lui-même si bien ou si mal de son secret, qu'il fut arrêté prisonnier en 1682, & condamné à une prison perpétuelle. On défendit le débit de son livre, parce qu'on le regarda comme pernicieux pour ceux qui en voudroient faire un mauvais usage, & cette défense étoit juste.

Cependant puisque le livre, l'art & les faussaires subsistent toûjours, il faut, pour ne point risquer de s'abuser dans une question délicate, remonter aux principes. En voici un incontestable. L'écriture n'est autre chose qu'une peinture, c'est-à-dire une imitation de traits & de caracteres ; conséquemment il est certain qu'un grand peintre en ce genre peut si bien imiter les traits & les caracteres d'un autre, qu'il en imposera aux plus habiles. Concluons, que l'on ne sauroit être trop reservé dans les jugemens sur la preuve par comparaison d'écritures, soit en matiere civile, soit plus encore en matiere criminelle, où il n'est pas permis de s'abandonner à la foi trompeuse des conjectures & des vraisemblances. Article de M(D.J.)

ECRITURE, (Jurisprud.) est de plusieurs sortes.

Ecriture authentique, est celle qui fait foi par elle-même, jusqu'à inscription de faux, de tout ce qui y est énoncé avoir été dit ou fait en présence de ceux qui ont reçu l'acte. Ces sortes d'écritures sont ordinairement appellées publiques & authentiques ; parce qu'elles sont reçues par une ou plusieurs personnes publiques : ce qui leur donne le caractere d'authenticité. Tels sont les jugemens & les actes passés pardevant notaire, &c.

Ecriture privée signifie celle qui est du fait d'un particulier, comme une promesse ou billet sous signature privée. L'écriture privée est opposée à l'écriture publique ; elle n'a point de date certaine, & n'emporte point d'hypotheque que du jour qu'elle est reconnue en justice. Quand elle est contestée, on procede à sa vérification tant par titres que par témoins, & par comparaison d'écritures. Voyez COMPARAISON D'ECRITURES, CONNOISSANCEANCE.

On a établi un contrôle des écritures privées. Voy. au mot CONTROLE.

Ecriture publique, est celle qui est reçue par un officier public, tel qu'un greffier ou notaire, un huissier, &c. La date de ces sortes d'écritures est reputée certaine, & leur contenu est authentique. Voyez ci-devant Ecriture authentique. (A)

ECRITURES, (Jurispr.) dans les anciennes ordonnances signifie quelquefois les greffes & les tabellionages. L'ordonnance de Philippe V. dit le Long, du 18 Juillet 1318, article 15, dit que les sceaux & écritures sont du propre domaine du roi ; & l'article 30 ordonne que dorénavant ils seront vendus par encheres (c'est-à-dire affermés) à de bonnes gens, & convenables, comme cela avoit déjà été autrefois ordonné : il y a apparence que ce fut du tems de S. Louis, qui ordonna que les prevôtés seroient données à ferme. Philippe le Long ajoûte, que ceux auxquels il auroit été fait don des sceaux & écritures, en auroient récompense en montrant leurs lettres.

Dans une autre ordonnance de Philippe le Long du 28 des mêmes mois & an, ces écritures sont appellées notairies ; & il est dit pareillement qu'elles seront vendues à l'enchere.

Charles-le-Bel, dans un mandement du 10 Novembre 1322, semble distinguer les greffiers des autres scribes, ut scripturae, sigilli, scribariae, stylli, memorialia processuum.... ad firmam.... exponantur & vendantur.

L'ordonnance de Philippe VI. dit de Valois, du mois de Juin 1338, porte que les écritures des cours du roi, c'est-à-dire les greffes que l'on vendoit ordinairement, ou que l'on donnoit à ferme dans certaines sénéchaussées par-delà la Loire, seront données à gouverner à des personnes capables.

Dans quelques autres actes, les écritures ou greffes sont nommés clergies ; comme dans un mandement de Philippe-de-Valois, du 13 Mai 1347, où il ordonne que les clergies des bailliages & les prevôtés royales soient données en garde, & que les clergies des prevôtés soient laissées aux prevôts en diminution de leurs gages.

A ces termes d'écritures & de clergies, on a depuis substitué le terme de greffe. (A)

ECRITURES, (Jurisprud.) dans la pratique judiciaire, sont certaines procédures faites pour l'instruction d'une cause, instance, ou procès.

Les défenses, repliques, exceptions, sont des écritures, mais on les désigne ordinairement chacune par le nom qui leur est propre, & l'on ne qualifie communément d'écritures, que celles qui sont fournies en conséquence de quelque appointement, & qui ne sont pas en forme de requête.

Ecritures d'avocats sont celles qui sont du ministere des avocats, exclusivement aux procureurs : telles que les griefs, causes d'appel, moyens de requête civile, réponses, contredits, salvations, avertissemens, à la différence des inventaires, causes d'opposition, productions nouvelles, comptes, brefs-états, déclaration de dommages & intérêts, & autres qui sont du ministere des procureurs. Il est défendu par plusieurs réglemens, aux procureurs de faire les écritures qui sont du ministere des avocats, notamment par l'arrêt du 17 Juillet 1693.

Ce même arrêt ordonne que les écritures du ministere des avocats n'entreront point en taxe, si elles ne sont faites & signées par un avocat du nombre de ceux qui sont sur le tableau, & qu'ils ne pourront faire d'écritures qu'ils n'ayent au moins deux années de fonctions.

Par un dernier arrêt de réglement du 5 Mai 1751, aucun avocat ne peut être mis sur le tableau qu'il n'ait fait auparavant la profession pendant quatre ans, au moyen dequoi on ne peut pas non plus faire des écritures avant ce tems. (A)

ECRITURES, (Commerce) c'est, parmi les marchands, négocians, & banquiers, tout ce qu'ils écrivent concernant leur commerce. On le dit plus particulierement de la maniere de tenir les livres, par rapport aux différentes monnoies qui ont cours dans les pays où on les tient. Ainsi on dit : en France les écritures se tiennent par livres, sous, & deniers tournois ; & en Angleterre, par livres, sous, & deniers sterlings. Voyez LIVRES.

ECRITURES, (Comm.) ce sont aussi tous les papiers, registres, journaux, passeports, connoissemens, lettres, & enfin tout ce qui se trouve dans un vaisseau d'écrits qui peuvent donner des éclaircissemens sur la qualité de ceux qui le montent, sur les marchandises, vivres, munitions, &c. dont est composée sa cargaison.

ECRITURES DE BANQUE, (Comm.) on nomme ainsi dans les banques où se font des viremens de partie, les billets que les marchands, banquiers, & autres, se donnent réciproquement, pour se céder en acquit des lettres de change ou autres dettes, une partie ou le tout en compte de banque. Voyez BANQUE. Dictionn. de Comm. de Trév. & Chambers.

* ECRITURE, (Art méch.) c'est l'art de former les caracteres de l'alphabet d'une langue, de les assembler, & d'en composer des mots, tracés d'une maniere claire, nette, exacte, distincte, élégante, & facile ; ce qui s'exécute communément sur le papier, avec une plume & de l'encre. Voyez les articles PAPIER, PLUME, & ENCRE.

Nous observerons d'abord qu'on néglige trop dans l'éducation l'art d'écrire. Il est aussi ridicule d'écrire mal ou d'affecter ce défaut, qu'il le seroit ou d'avoir ou d'affecter une mauvaise prononciation ; car l'on ne parle & l'on n'écrit que pour se faire entendre. Il n'est pas nécessaire qu'un enfant qui a de la fortune sache écrire comme un maître d'école ; mais celui qui a des parens pauvres & qui trouve l'occasion de se perfectionner dans l'écriture, ne connoît pas toute l'importance de cette ressource, s'il la néglige. Pour une circonstance où l'on seroit bien-aise d'avoir un homme qui sût dessiner, il y en a cent où l'on a besoin d'un homme qui sache écrire. Il n'y a presque aucune place fixe destinée au dessinateur ; il y en a une infinité pour l'écrivain. Il n'y a que quelques enfans à qui l'on fasse apprendre le dessein : on apprend à écrire à tous.

Pour écrire, il faut 1°. commencer par avoir une plume taillée.

On taille la plume grosse ou menue, selon la force du caractere qu'on se propose de former, & selon la nature de ce caractere.

Pour les écritures ronde, posée, grosse, moyenne, & petite, qu'elle soit fendue d'un peu moins de deux lignes, évidée à la hauteur de la fente, & cavée audessous des deux carnes qui séparent le grand tail du bec de la plume, de maniere que le bec de la plume soit de la longueur de la fente ; que la carne du bec qui correspond au pouce soit plus longue & plus large que l'autre pour toute écriture posée ; que le bec de la plume soit coupé obliquement, & que le grand tail ait deux fois la longueur du bec.

Pour la bâtarde, que la fente ait environ deux lignes, ou l'ait un peu plus longue que pour la ronde ; que les côtés du bec soient moins cavés ; que le grand tail ait une fois & demie la longueur du bec, & que l'extrémité du bec soit aussi coupée obliquement, comme pour la ronde.

Pour l'expédiée grosse, moyenne, & petite, & pour les traits de la ronde & de la bâtarde, que la fente ait jusqu'à trois lignes de longueur ; que ses côtés soient presque droits ; que les angles des carnes soient égaux, & que le grand tail soit de la même longueur que le bec ou la fente.

Le petit instrument d'acier dont on se sert pour tailler la plume, s'appelle un canif. Voyez l'article CANIF.

2°. Se placer le corps. Les maîtres veulent que le côté gauche soit plus près de la table que le côté droit ; que les coudes tombent mollement sur la table ; que le poids du corps soit soûtenu par le bras gauche ; que la jambe gauche soit plus avancée sous la table que la jambe droite ; que le bras gauche porte entierement sur la table ; que le coude corresponde au bord, & soit éloigné du corps d'environ cinq doigts ; qu'il y ait quatre à cinq doigts de distance entre le corps & le bras droit ; que la main gauche fixe & dirige le papier ; que la main droite porte legerement sur la table, de sorte qu'il y ait un jour d'environ le diamêtre d'une plume ordinaire entre l'origine du petit doigt & le plan de la table, pour l'écriture ronde, & que cet intervalle soit un peu moindre pour la bâtarde ; que la main panche un peu en-dehors pour celle-ci ; qu'elle soit un peu plus droite pour la premiere ; que la position du bras ne varie qu'autant que la direction de la ligne l'exigera ; que des cinq doigts de la main, les trois premiers soient employés à embrasser la plume ; que les deux autres soient couchés sous la main, & séparés des trois premiers d'environ un demi-travers de doigt ; que le grand doigt soit légerement fléchi ; que son extrémité porte un peu au-dessous du grand tail de la plume ; qu'il y ait entre son ongle & la plume la distance d'environ une ligne ; que l'index mollement allongé s'étende jusqu'au milieu de l'ongle du grand doigt ; que l'extrémité du pouce corresponde au milieu de l'ongle de l'index, & laisse entre son ongle & la plume l'intervalle d'environ une ligne ; que la plume ne soit tenue ni trop inclinée, ni trop droite ; que le poignet soit très-legerement posé sur la table, & qu'il soit dans la direction du bras, sans faire angle ni en-dedans ni en-dehors.

3°. Faire les mouvemens convenables. On n'en distingue à proprement parler que deux, quoiqu'il y en ait davantage : le mouvement des doigts, & celui du bras ; le premier, pour les lettres mineures & quelques majuscules ; le second, pour les capitales, les traits, les passes, les entrelas, & la plus grande partie des majuscules.

J'ai dit qu'il y en avoit davantage, parce qu'il y a des occasions qui exigent un mouvement mixte des doigts & du poignet, des doigts & du bras. Le premier a lieu dans plusieurs majuscules ; & le second dans la formation des queues des grandes lettres, telles que l'F & le G.

4°. Connoître les effets de la plume. Ils se réduisent à deux ; les pleins, & les déliés. On appelle en général plein, tout ce qui n'est pas produit par le seul tranchant de la plume ; & délié, le trait produit par ce tranchant ; la direction n'y fait rien. Le délié est le trait le plus menu que la plume produise ; tout ce qui n'est pas ce trait est plein : d'où l'on vois qu'en rigueur il n'y a qu'un délié, & qu'il y a une infinité de pleins.

5°. Distinguer les situations de la plume. Il n'est pas possible que ces situations ne varient à l'infini : mais l'art les réduit à trois principales ; & la plume est ou de face, ou oblique, ou de travers. La plume est de face, lorsqu'en allongeant & pliant les doigts verticalement, elle produit un plein perpendiculaire qui a toute la largeur du bec ; il est évident qu'alors mue horisontalement, son tranchant tracera un délié. La plume est oblique dans toutes les situations où le jambage qu'elle produit est moindre que celui qu'elle donne de face, & plus fort que le délié ; il est évident qu'alors il faut la mouvoir obliquement, pour lui faire tracer un délié. La plume est de travers, dans la situation diamétralement contraire à la situation de face ; c'est-à-dire qu'alors mue horisontalement, elle produit un trait qui a toute la largeur du bec ; & que mue perpendiculairement, elle trace un délié.

6°. Appliquer convenablement ces situations de plume. On n'a la plume de face, que pour quelques lettres majeures ou terminées par un délié ; quelques lettres mineures, telles que l'S & le T. Il en est de même de la situation de travers. D'où l'on voit que la situation oblique qui est toûjours moyenne entre les deux autres, qu'on peut regarder comme ses limites, est la génératrice de toutes les écritures.

7°. Ecrire. Pour cet effet, il faut s'exercer longtems à pratiquer les préceptes en grand, avant que de passer au petit ; commencer par les traits les plus simples & les plus élémentaires, & s'y arrêter jusqu'à ce qu'on les exécute très-parfaitement ; former des déliés & des pleins, ou jambages ; tracer un délié horisontal de gauche à droite, & le terminer par un jambage perpendiculaire ; tracer un délié horisontal de droite à gauche, & lui associer un jambage perpendiculaire ; former des lignes entieres de déliés & de jambages, tracés alternativement & de suite ; former des espaces quarrés de deux pleins paralleles, & de deux déliés paralleles ; passer ensuite aux rondeurs, ou apprendre à placer les déliés & les pleins ; exécuter des lettres ; s'instruire de leur forme générale, de la proportion de leurs différentes parties, de leurs déliés, de leurs pleins, &c. assembler les lettres, former des mots, tracer des lignes.

On rapporte la formation de toutes les lettres, à celle de l'I & de l'O. Voyez les articles des lettres I & O. On appelle ces deux voyelles lettres radicales. Voyez l'article LETTRES.

On distingue plusieurs sortes d'écritures, qu'on appelle ou ronde, ou bâtarde, ou coulée, &c. Voyez ces articles. Voyez aussi nos Planches d'Ecritures, où vous trouverez des alphabets & des exemples de toutes les écritures maintenant en usage parmi nous.

Nous terminerons cet article par un moyen de vivifier l'écriture effacée, lorsque cela est possible. Prenez un demi-poisson d'esprit-de-vin ; cinq petites noix de galle (plus ces noix seront petites, meilleures elles seront) ; concassez-les, réduisez-les en une poudre menue ; mettez cette poudre dans l'esprit-de-vin. Prenez votre parchemin, ou papier ; exposez-le deux minutes à la vapeur de l'esprit-de-vin échauffé. Ayez un petit pinceau, ou du coton ; trempez-le dans le mêlange de noix de galle & d'esprit-de-vin, & passez-le sur l'écriture. L'écriture effacée reparoîtra, s'il est possible qu'elle reparoisse.


ECRIVAINAUTEUR, synon. (Gramm.) Ces deux mots s'appliquent aux gens de lettres, qui donnent au public des ouvrages de leur composition. Le premier ne se dit que de ceux qui ont donné des ouvrages de belles lettres, ou du moins il ne se dit que par rapport au style : le second s'applique à tout genre d'écrire indifféremment ; il a plus de rapport au fond de l'ouvrage qu'à la forme ; de plus, il peut se joindre par la particule de aux noms des ouvrages. Racine, M. de Voltaire, sont d'excellens écrivains, Corneille est un excellent auteur ; Descartes & Newton sont des auteurs célébres ; l'auteur de la Recherche de la vérité, est un écrivain du premier ordre.

Je ne puis m'empêcher de remarquer à cette occasion un abus de notre langue. Le mot écrire ne s'employe presque plus dans un grand nombre d'occasions, que pour désigner le style ; le sens propre de ce mot est alors proscrit.

On dit qu'une lettre est bien écrite, pour dire qu'elle est d'un très-bon style ; si on veut dire que le caractere de l'écriture est net & agréable à la vüe, on dit qu'elle est bien peinte. Cet usage paroît ridicule, mais il a prévalu. Cependant il faut avoüer, que du moins dans le cas dont nous venons de parler, on a un mot (très-impropre à la vérité) pour exprimer le sens propre. Mais il est d'autres cas où il n'y a plus de mot pour exprimer le sens propre, & où le sens figuré seul est employé ; par exemple dans les mots bassesse, aveuglement, &c. J'avertis de cet abus, afin que les gens de lettres tâchent d'y remédier, ou du moins afin qu'il ne se multiplie pas. (O)

ECRIVAIN, s. m. (Arts) espece de peintre, qui avec la plume & l'encre, peut tracer sur le papier toutes sortes de beaux traits & de caracteres.

Comme l'Encyclopédie doit tout aux talens, & que l'histoire parle de gens singulierement habiles dans l'art d'écrire, il est juste de ne pas supprimer les noms de quelques-uns de ceux qui se sont distingués dans cet art admirable, & qui sont parvenus à notre connoissance.

On rapporte que Rocco (Girolamo) vénitien, qui vivoit au commencement du xvij. siecle, étoit un homme supérieur en ce genre ; il dédia un livre manuscrit, gravé sur l'airain, au duc de Savoie l'an 1603, orné d'un si grand nombre de caracteres, & tirades de sa main si excellemment faites, dit Jean Marcel, que le prince admirant l'industrie de cet homme, lui mit sur le champ au col une chaîne d'or du prix de 125 écus. Nous avons eu, ajoûte le même auteur, beaucoup de braves écrivains qui ont fait à la plume des livres étonnans de toutes sortes de caracteres, comme en France le Gagneur, Lucas, Josserand ; en Italie D. Augustin de Sienne, M. Martin de Romagne, Camille Buonadio de Plaisance, Créci Milanois, le Curion Romain, le Palatin, le Verune, le sieur M. Antoine Génois. Il y avoit un peintre Anglois nommé Oeillard, lequel faisoit avec un pinceau de pareils ouvrages que les autres à la plume, & même pour les caracteres extrêmement fins & déliés, ce qui est encore plus difficile, car le pinceau ne se soûtient pas comme une plume à écrire. Mais Sinibaldo Seorza, né à Gènes en 1591, & mort à l'âge de 41 ans, mérite un éloge particulier pour l'adresse de sa main ; entr'autres preuves de ses talens, il copioit à la plume les estampes d'Albert Durer, d'une maniere à tromper les connoisseurs d'Italie, qui les croyoient gravées, ou qui les prenoient pour les originaux même.

Enfin, il est certain que quelque belle que soit l'impression, les traits d'une main exercée sont encore au-dessus. Nous avons des manuscrits qu'on ne se lasse point de considérer par cette raison. La fonderie ne peut rien exécuter de plus menu que le caractere qu'on nomme la Perle, mais l'adresse de la main surpasse la fonderie. Il y a dans tous les pays des personnes qui savent peindre des caracteres encore plus fins, aussi nets, aussi égaux, & aussi bien formés. Dans le xvj. siecle, un religieux Italien, surnommé Frere Alumno, renferma tout le symbole des apôtres avec le commencement de l'Evangile de S. Jean que l'on appelle l'In principio, dans un espace grand comme un denier ; cet ouvrage fut vû de l'empereur Charles V. & du pape Clément VII. qui ne purent s'empêcher de l'admirer. Spannuchio, gentilhomme Siennois qui vivoit sur la fin du xvij. siecle, tenta la même entreprise, & l'exécuta, dit-on, tout aussi parfaitement. J'ai d'autant plus lieu de le croire, qu'un gendarme (le sieur Vincent), qui me fait l'amitié de transcrire quelquefois des articles pour cet ouvrage, met le Pater en françois, sur un papier de la forme & de la grandeur de l'ongle, & cette écriture vûe à la loupe, presente une netteté charmante de lettres égales, distinctes, bien liées, avec les intervalles entre chaque mot, les accens, les points & les virgules. En un mot l'art d'écrire à la plume produit de tems en tems, comme l'art de faire des caracteres d'Imprimerie, ses Colinés, ses Garamond, ses Granjean, ses de Bé, ses Sanlecque, ses Luz, & ses Fournier ; mais ceux qui possedent ces talens, sont ignorés, & se gâtent même promtement la main par l'inutilité qu'il y auroit pour eux de la perfectionner. Article de M(D.J.)

ECRIVAIN, est aussi celui qui écrit pour le public, qui dresse des mémoires, fait les copies & doubles des comptes, & autres semblables écritures pour les marchands, négocians & banquiers qui n'ont pas de commis, ou dont les commis sont trop occupés pour pouvoir copier & mettre au net les comptes ou mémoires qu'ils ont dressés.

Il y a à Paris quantité de ces écrivains, dont les plus considérables travaillent en chambre & les autres dans de petites boutiques, répandues en plusieurs quartiers, principalement dans la cour du palais & sous les charniers du cimetiere des SS. Innocens. Diction. de Comm. de Trev. & Chambers. (G)


ECROTAGES. m. (Fontaines salantes) Il se dit de l'action d'enlever la superficie de la terre des ouvroirs, ou de cette terre même lorsqu'elle est enlevée, & de celle qui borde les terres ; qu'on passe à la fonte sous le titre de deblais. Voyez SALINE.


ECROUS. m. (Art. méch.) C'est un trou pratiqué dans quelque matiere solide, dont la surface est creusée par un trait spiral, qui commence à un des bords de ce trou, & se termine à l'autre bord ; ce trait spiral creux est destiné à recevoir les pas en relief d'une vis ; ainsi il faut que le trait spiral & les pas de la vis soient correspondans. Voyez à FILIERE, la maniere d'établir cette correspondance ; voyez aussi à ÉTAU & d'autres machines. On appelle cette vis intérieure, cochlea foemina, ou simplement vis. Quand l'écrou est immobile, c'est lui qui soûtient ou est censé soûtenir la résistance ; c'est au contraire la vis, quand l'écrou est mobile, mais le calcul de cette machine est le même dans l'un & l'autre cas. Voyez l'art. VIS. L'écrou est une partie importante de la plûpart des machines. Celui d'une presse d'Imprimerie est un bloc de cuivre quarré en tout sens, mais creusé dans une de ses faces, relativement à la grosseur, à la figure, & au nombre de filets de la vis à laquelle il est destiné. Un écrou doit être fondu sur sa vis, afin que les filets de la vis, qui sont en relief, impriment dans l'intérieur de l'écrou, un même nombre de filets creux qui emboîtent exactement ceux de la vis, dans leur dimension, leur proportion & leur figure. L'écrou est enchâssé dans le milieu du sommier, & y est maintenu par le moyen de deux vis qui traversent le sommier, à l'extrémité desquelles est une patte qui porte sur le bord de l'écrou. Il est ouvert en sa partie supérieure, & cette ouverture répond à un trou qui est au sommier ; c'est par ce trou qu'on verse de tems en tems un peu d'huile d'olive, qui se répand dans l'intérieur de l'écrou, pour faciliter le jeu de la vis. Voyez SOMMIER.

Il y a des écrous plats, & il y en a à oreilles ; les écrous à oreilles ont deux éminences à leur surface ; ces éminences leur servent de poignée ; en prenant ces éminences entre les doigts, on serre ou l'on desserre l'écrou. Les écrous varient à l'infini pour leurs grandeurs & leurs formes : mais le caractere général, c'est d'avoir en-dedans un trait creux correspondant au pas en relief d'une vis, & destiné à la recevoir.

ECROU, (Hydrauliq.) Voyez BRIDE.


ECROUES. m. (Jurisprud.) En matiere criminelle, est la mention que le greffier des prisons fait sur son registre du nom, surnom & qualité de la personne qui a été amenée dans la prison, & des causes pour lesquelles elle a été arrêtée, & la charge que l'huissier porteur donne aux greffier & geolier de ladite personne. Ecroüer quelqu'un, c'est le constituer prisonnier & en faire mention sur le registre des prisons.

Bruneau dans ses observations & maximes sur les matieres criminelles, dit que ce mot écroüe vient du latin scrobs, qui signifie fosse ; & en effet on disoit anciennement fosse pour prison, parce que la plûpart des prisons étoient plus basses que le rez-de-chaussée. On appelle encore basse-fosse les cachots qui sont sous terre. Il ne seroit pas fort extraordinaire que de scrobs on eût fait écroës, & ensuite écroües.

D'autres, comme Cujas sur la loi 1. cod. de excusat. artific. Guenois, tit. des prisons, & Bornier sur l'art. 9. du tit. xij. de l'Ordonnance criminelle, tirent l'étymologie de ce mot du grec qu'ils traduisent par contrudere vel dejicere in carcerem : je ne vois pas néanmoins que ce mot signifie autre chose que pulsare ; ainsi écroüe signifieroit contrainte, l'acte par lequel on conduit la personne en prison.

D'autres encore prétendent qu'écroüe vient d'écrit ou écrire, & en effet le terme d'écroue est employé pour écriture en plusieurs occasions : par exemple, dans l'édit d'établissement de l'échiquier de Normandie, les écritures qui contiennent les faits & raisons des parties, sont appellées écroües ; il est dit aussi que les sergens ne doivent bailler leurs exploits par écroües, c'est-à-dire, par écrit.

Mais l'étymologie de Cujas paroît beaucoup plus naturelle.

Dans l'ancien style, écroue signifie aussi déclaration, rôle ou état. La coûtume de Normandie, art. 192. celle de S. Paul-sous-Artois, sur l'art 27. de cette coûtume, se servent des termes d'escroës (ou écroue) & déclaration comme synonymes en matiere de censive. Les rôles ou états de la maison du roi s'appellent écroue, & en latin commentarius, ce qui revient assez au rôle des prisons, dont le greffier est nommé commentariensis, quia in commentaria custodias refert ; & Cujas, en parlant de ces rôles des prisons, qu'il désigne par le terme de commentaria, dit que c'est ce qu'on appelle en françois écrou.

Je crois que l'écroue ou écrou, comme quelques-uns l'écrivent, mais irrégulierement, étoit dans l'origine le rôle ou le registre de la prison, l'état des prisonniers ; & que dans la suite on a pris la partie pour le tout, en appliquant le terme d'écroue à chaque article de prisonnier, qui est mentionné sur le registre : de sorte que ce qu'on appelle écroue, par rapport au prisonnier, ne devroit être qualifié que comme un article ou extrait de l'écroue ou registre des prisons ; mais l'usage a prévalu au contraire.

Bruneau suppose que le terme d'écroue signifie aussi l'acte d'élargissement & décharge. M. de Lauriere en son glossaire, au mot écroue, est de même sentiment ; il prétend que le mot signifie extrudere, dimovere, eximere, liberare, potius quam contrudere aut conjicere in carcerem, soit que le sergent-exploitant se décharge du prisonnier en la geole, ou que le geolier en soit déchargé par le juge ou par le créancier, pour la délivrance du prisonnier.

En effet, dans l'ordonnance de Charles VI. de l'an 1413, art. 20, les termes d'écroues & décharges paroissent synonymes.

Cela paroît encore mieux marqué dans l'ordonnance de Louis XII. du mois de Mars 1498, qui distingue la mention de l'emprisonnement d'avec l'écroue, qui est dit pour élargissement.

L'art. 103 de cette ordonnance porte que le geolier ou garde des chartres & prisons fera un grand registre, dont chaque feuillet sera ployé par le milieu, que d'un côté seront écrits, & de jour en jour, les noms & surnoms, états & demeurances des prisonniers qui seront amenés en la chartre ; par qui ils seront amenés ; pourquoi, à la requête de qui, & de quelle ordonnance : & si c'est pour dette, & qu'il y ait obligation sous scel royal, la date de l'obligation ; & que le domicile du créancier y sera aussi enregistré.

L'ordonnance du même prince, en 1507, article 182. celle de François I. en 1535, ch. xiij. art. 19. & celle d'Henri II. en 1549, article 3. s'expliquent à-peu-près de même. La derniere dit que le geolier, suivant les anciennes ordonnances, sera tenu de faire un rôle au vrai de tous les prisonniers amenés en la conciergerie.

L'art. 104 de l'ordonnance de 1498, ajoûte que de l'autre côté de la marge du feuillet sera enregistré l'écroue, élargissement ou décharge des prisonniers, telle qu'elle lui sera envoyée & donnée par le greffier, sur le registre dudit emprisonnement ; sans qu'il puisse mettre hors ou délivrer quelque prisonnier, soit à tort ou droit, sans avoir ledit écroue.

La même chose est répetée dans les ordonnances de Louis XII. en 1507 ; de François I. en 1535, ch. xiij. art. 20. & ch. xxj. art. 12.

Enfin l'art. 105 de l'ordonnance de 1498, porte que le greffier aura un registre, où il écrira la délivrance, élargissement, & toutes autres expéditions de chaque prisonnier, en bref, mettant le jour de son emprisonnement, par qui, & comment il sera expédié ; qu'incontinent l'expédition faite, le greffier donnera ou enverra au geolier un écroue ou brevet, contenant le jour & forme de l'expédition ; & que le greffier aura pour chacun écroue & expédition, 15 deniers tournois, & non plus ; ou moins, selon les coûtumes des lieux, &c.

Les ordonnances de Louis XII. en 1507, article 156 de François I. en 1535, ch. xiij. art. 21. portent la même chose.

Enfin l'article 128 de l'ordonnance de 1498, qui défend à tous juges de prendre plus de 5 s. tournois pour les élargissemens des prisonniers, ne se sert point du terme d'écroue ; ce qui confirme que ce terme ne signifioit point alors emprisonnement, mais au contraire décharge, comme on disoit alors donner écroue à un receveur, c'est-à-dire, lui donner quittance & décharge de sa recette.

La discussion dans laquelle nous sommes entrés sur l'étymologie de ce mot, ne doit pas être regardée comme une simple curiosité ; elle est nécessaire pour l'intelligence des anciennes ordonnances, dans lesquelles le terme d'écroue, en matiere criminelle, paroît avoir eu successivement trois significations différentes. Il signifioit d'abord, comme on l'a vû, la contrainte qui s'exerce contre celui que l'on pousse en prison ; ce qui a fait croire mal-à-propos à quelques-uns, que ce mot signifioit décharge, sous prétexte que l'huissier qui fait l'emprisonnement, se décharge de celui qu'il a arrêté, en le remettant au geolier, qui s'en charge. On voit qu'ensuite ce même terme signifioit l'élargissement du prisonnier : & enfin on est revenu au premier & véritable sens que ce terme avoit, suivant son étymologie, c'est-à-dire que l'écroue est la mention qui est faite de la contrainte par corps & emprisonnement sur le registre des prisons.

Suivant l'ordonnance criminelle de 1670, tit. ij. art. 6. les archers des prevôts des maréchaux peuvent écroüer les prisonniers arrêtés en vertu de leurs decrets.

L'article 7 du même titre porte qu'ils seront tenus de laisser au prisonnier qu'ils auront arrêté, copie du procès-verbal de capture & de l'écroue, sous les peines portées par l'art. 1. Cette disposition doit être observée par tous huissiers & sergens, & autres ayant pouvoir d'arrêter & constituer prisonnier.

L'article 9 du titre x des decrets ordonne, qu'après qu'un accusé pris en flagrant délit ou à la clameur publique, aura été conduit prisonnier, le juge ordonnera qu'il sera arrêté & écroüé, & que l'écroue lui sera signifié parlant à sa personne.

Il faut néanmoins observer que l'on dépose quelquefois dans les prisons, pour une nuit ou autre bref délai, ceux qui sont arrêtés à la clameur publique, jusqu'à ce qu'ils ayent été interrogés : en ce cas ils ne sont point écroüés ; & s'il n'y a pas lieu à les decreter de prise de corps, ils doivent être élargis dans les vingt-quatre heures.

Les procureurs du roi dans les justices ordinaires, doivent, suivant l'art. 10 du même titre, envoyer aux procureurs généraux, chacun dans leur ressort, aux mois de Janvier & de Juillet de chaque année, un état signé par les lieutenans criminels & par eux, des écroues & recommandations faites pendant les six mois précédens dans les prisons de leurs siéges, & qui n'auront point été suivies de jugement définitif, contenant la date des decrets, écroues & recommandations, &c. à l'effet de quoi tous actes & écroues seront par les greffiers & geoliers délivrés gratuitement, & l'état porté par les messagers sans fraix, à peine d'interdiction contre les greffiers & geoliers, & de 100 liv. d'amende envers le roi, & de pareille amende contre les messagers. La même chose doit être observée par les procureurs des justices seigneuriales, à l'égard des procureurs du roi des siéges où elles relevent.

Ces dispositions sont encore expliquées par les arrêts de réglement du parlement de Paris, des 18 Juin & premier Septembre 1717.

L'ordonnance de 1670, tit. xiij. art. 6 ordonne que les greffiers des geoles, où il y en a, sinon les géoliers-concierges ; seront tenus d'avoir un registre relié, coté & paraphé par le juge dans tous ses feuillets, qui seront séparés en deux colonnes pour les écroues & recommandations, & pour les élargissemens & décharges. Le terme d'écroue signifie en cet endroit emprisonnement.

L'art. 9 défend aux greffiers & geoliers, à peine des galeres, de délivrer des écroues à des personnes qui ne seront point actuellement prisonnieres ; ni de faire des écroues ou décharges sur feuilles volantes, cahiers, ni autrement que sur le registre coté & paraphé par le juge. Le mot ou dont se sert cet article en parlant des écroues ou décharges, n'est pas conjonctif, mais alternatif ; ainsi ces mots ne sont pas synonymes.

L'art. 10 défend aussi aux greffiers & geoliers de prendre aucuns droits pour emprisonnement, recommandation & décharge ; mais qu'ils pourront seulement, pour les extraits qu'ils délivreront, recevoir ceux qui seront taxés par le juge, &c.

Ce dernier article parle d'emprisonnement, sans employer le terme d'écroue ; & en effet l'écroue n'est pas l'emprisonnement même, mais la mention qui est faite de l'emprisonnement sur le registre de la geole.

L'art. 13 veut que les écroues & recommandations fassent mention des arrêts, jugemens & autres actes en vertu desquels ils seront faits ; du nom, surnom & qualité du prisonnier ; de ceux de la partie qui les fera faire, comme aussi du domicile qui sera par lui élû au lieu où la prison est située, sous peine de nullité ; & il est dit qu'il ne pourra être fait qu'un écroue, encore qu'il y eût plusieurs causes de l'emprisonnement.

Enfin l'art. 15 ordonne au geolier ou greffier de la geole, de porter incessamment, & dans les vingtquatre heures au plûtard, au procureur du roi ou à celui du seigneur (si c'est dans une justice seigneuriale), copie des écroues & recommandations qui seront faits pour crime.

Quand le juge déclare un emprisonnement nul, tortionnaire & déraisonnable, il ordonne que l'écroue sera rayé & biffé. Voyez ci-après EMPRISONNEMENT, PRISON, PRISONNIER, RECOMMANDATION. (A)

ECROUE, (Jurisprud.) en matiere civile, signifie tantôt rôle ou état, tantôt aveu & déclaration, & quelquefois quittance & décharge. Voyez ce qui est dit dans l'article précédent. (A)


ECROUELLESS. f. terme de Chirurgie, tumeurs dures & indolentes qui se terminent assez ordinairement par la suppuration. Le mot d'écroüelles vient du latin scrophulae, formé de scropha, truie. Les Grecs l'appellent , de , pourceau, parce que ces animaux sont sujets à de pareilles tumeurs sous la gorge. On appelle aussi cette maladie strumae, à struendo, amasser en tas, à cause que les écroüelles sont le plus souvent composées de plusieurs tumeurs ramassées ou entassées les unes auprès des autres.

Les écroüelles viennent de l'épaississement de la lymphe par de mauvais alimens, comme viandes salées, fruits verds, lait grossier, eaux bourbeuses, &c. Les enfans y sont fort sujets, parce qu'ils vivent de lait qui par sa partie caseuse fournit la matiere de ces sortes de tumeurs. La cause formelle des écroüelles est en effet une congestion de lymphe gelatineuse, épaissie & déposée dans les vaisseaux de certaines glandes, & dans les cellules du tissu folleculeux, qui les avoisinent. Les glandes du mésentere sont ordinairement engorgées & dures dans les enfans scrophuleux, & cela les fait mourir de consomption précédée d'un dévoyement chyleux, parce que le chyle ne peut plus passer par les vaisseaux lactées, que compriment les glandes tuméfiées. Les écroüelles naissent communément sous les oreilles & sous la mâchoire inférieure, aux aisselles, aux aînes, autour des articulations, &c. Quoique ces tumeurs soient dures comme les skirrhes, elles suppurent assez volontiers, & elles ne dégénerent point en cancer, comme les skirrhes qui s'ulcerent ; ce qui prouve bien que la matiere des écroüelles est d'une autre nature que celle qui forme les skirrhes. Les tumeurs de ce dernier genre sont produites par la lymphe albumineuse, qui est susceptible d'un mouvement spontané, par lequel elle devient alkaline & très-corrosive. On voit quelquefois des tumeurs scrophuleuses, malignes & ulcerées, qui participent un peu de la nature du cancer : Celse a connu cette espece, il la nomme struma cancrodes.

La cure des écroüelles s'accomplit par des remedes généraux & particuliers : la saignée n'est utile que comme remede préparatoire ; la purgation, les bains, les bouillons de veau & de poulet avec les plantes altérantes, telles que le cresson, la fumeterre, &c. le petit-lait, les eaux minérales, enfin tous les humectans & délayans dont on accompagne l'usage de celui des bols fondans & apéritifs avec les cloportes, l'oethiops minéral ; les purgatifs fondans, comme l'aquila alba. Les pilules de savon ont beaucoup de succès, & sont des moyens presque sûrs dans les écroüelles naissantes, sur-tout lorsque ces secours sont administrés dans une saison favorable, qu'on les continue assez long-tems, & qu'il n'y a aucune mauvaise complication.

Lorsque les tumeurs sont considérables, il est difficile d'en obtenir la résolution, sur-tout si la matiere est fort épaisse, parce qu'elle n'est pas soûmise à l'action des vaisseaux ; & elles s'ulcerent assez communément, malgré l'application des emplâtres émolliens & résolutifs, qu'on employe dans toute autre intention que de faite suppurer. Le fond des ulceres scrophuleux est dur & calleux ; & les chairs qui végetent de leur surface, sont molles, blanches, & jettent un pus épais & visqueux. On se sert de remedes esharrotiques pour détruire les callosités & consumer les chairs, qui pullulent souvent avec plus de force après l'usage de ces remedes. J'ai observé qu'on abusoit souvent des caustiques dans le traitement de cette maladie. Il n'est pas nécessaire de poursuivre opiniâtrément l'éradication complete de ces tumeurs avec des caustiques dont l'application réitérée est un tourment pour les malades. Dès que la tumeur est ulcérée jusque dans son centre, les discussifs & les fondans extérieurs en procurent l'affaissement en proportion du dégorgement qu'ils déterminent & qu'ils accélerent. Parmi ces remedes on peut loüer la fumigation de vinaigre jetté sur des cailloux ardens ou sur une brique rougie au feu ; les gommes ammoniaques de galbanum, de sagapenum, dissoutes dans le vinaigre & appliquées sur la tumeur ; l'emplâtre de ciguë dissoute dans l'huile de cappres, &c. Les ulceres compliqués de carie des os, doivent être traités relativement à cette complication. V. CARIE & EXFOLIATION. En général, il faut beaucoup attendre de la nature & du tems. Il y a dans les hôpitaux, non pas dans ceux où l'on ne reçoit que des malades dont on souhaite être promtement débarrassé, pour qu'ils fassent place à d'autres, mais dans ces asyles où la pauvreté & la misere trouvent un domicile constant avec tous les besoins de la vie, il y a des salles uniquement destinées pour les personnes écroüelleuses. J'y ai suivi la marche de la nature. On ne fait presque point de remedes à la plûpart de ces personnes ; on les saigne & on les purge deux fois l'année. On panse simplement les tumeurs ulcérées avec un onguent suppuratif ; elles se consomment peu-à-peu, & les malades guérissent à la longue. Les écroüelles ne sont donc point incurables ; & si l'on voit tant de guérisons par les seules forces de la nature, combien n'a-t-on pas lieu d'en attendre lorsque les secours de l'art bien dirigés, aideront les efforts de la nature souvent trop foibles. Si les malades & les chirurgiens étoient aussi patiens que cette maladie est opiniâtre, on en viendroit à bout. J'ai pansé avec obstination des ulceres scrophuleux, compliqués de carie dans les articulations des grands os, que j'ai enfin guéris après deux ans de soins assidus. La longueur d'un pareil traitement est fort rebutante, il faut que notre patience en inspire aux malades ; car s'ils ne se prêtent pas, on juge incurables des maux qui ne le sont point : l'efficacité des premiers secours opere encore pendant & après l'application du remede d'un charlatan, auquel on se livre ensuite par caprice ou par ennui, & qui retire fort souvent tout l'honneur de la cure. Les gens les plus raisonnables jugent en faveur du succès, & ils ne veulent l'attribuer qu'au dernier moyen. (Y)

ECROUELLES, (Histoire) Le Roi de France joüit du privilége de toucher les écroüelles. Le vénérable Guibert abbé de Nogent, a écrit que Philippe I. qui monta sur le throne en 1060, usoit du droit de toucher les écroüelles, mais que quelque crime le lui fit perdre.

Raoul de Presles en parlant au roi Charles V. qui commença à regner en 1364, lui dit : " Vous avez telle vertu & puissance qui vous est donnée de Dieu, que vous garissez d'une très-horrible maladie qui s'appelle les écroüelles ".

Etienne de Conti religieux de Corbie, du xv. siecle, décrit dans son Histoire de France (n°. 520 des manuscrits de la bibliotheque de S. Germain des Prés), les cérémonies que Charles VI. qui regnoit depuis l'an 1380, observoit en touchant les écroüelles. Après que le roi avoit entendu la messe, on apportoit un vase plein d'eau, & Sa Majesté ayant fait ses prieres devant l'autel, touchoit le mal de la main droite, le lavoit dans cette eau, & le malade en portoit pendant neuf jours de jeûne : en un mot, suivant toutes les annales des moines, les rois de France ont eu la prérogative de toucher les écroüelles depuis Philippe I.

Les anciens historiens anglois attribuent de leur côté cette prérogative, & même exclusivement, à leurs rois ; ils prétendent qu'Edoüard-le-Confesseur, qui monta sur le throne en 1043, la reçut du ciel à cause de ses vertus & de sa sainteté, avec la gloire de la transmettre à tous ses successeurs. Voilà pourquoi, ajoûte-t-on, les écroüelles s'appellent de tems immémorial la maladie du Roi, la maladie qu'il appartient au Roi seul de guérir par l'attouchement, king's-evil. Aussi étoit-ce un spectacle assez singulier de voir le roi Jacques III. fugitif en France, s'occupant uniquement à toucher les écroüelleux dans nos hôpitaux.

Mais que les Anglois nous permettent de leur faire quelques difficultés contre de pareilles prétentions : 1°. comme ce privilége fut accordé à Edoüard-le-Confesseur, suivant les historiens, en qualité de saint, & non pas en qualité de roi, on n'a point sujet de croire que les successeurs de ce prince qui n'ont pas été des saints, ayent été favorisés de ce don céleste.

2°. Qu'on nous apprenne quand & comment ce privilége est renouvellé aux rois qui montent sur le throne ; si c'est par la naissance qu'ils l'obtiennent, ou en vertu de leur piété, ou en conséquence de leur couronne, comme les rois de France.

3°. Il n'y a point de raison qui montre pourquoi les rois d'Angleterre auroient ce privilége exclusivement aux autres princes chrétiens.

4°. Si le ciel avoit accordé un pareil pouvoir aux rois de la Grande-Bretagne, il seroit naturel qu'ils l'eussent dans un degré visible à tout le monde, & que du moins quelquefois la guérison suivît immédiatement l'attouchement.

5°. Enfin ils seroient inexcusables de ne pas user de leurs prérogatives pour guérir tous les écroüelleux qu'on pourroit rassembler, car c'est malheureusement une maladie fort commune : cela est si vrai, qu'en France même, au rapport de l'historiographe de la ville de Paris, Jacques Moyen ou Moyon, Espagnol, né à Cordoue, faiseur d'aiguilles, & établi dans cette capitale, demanda en 1576 à Henri III. la permission de bâtir dans un fauxbourg de la ville, un hôpital pour les écroüelleux, qui, dans le dessein de se faire toucher par le Roi, arrivoient en foule des provinces & des pays étrangers à Paris, où ils n'avoient aucune retraite.... Mais les desordres des guerres civiles firent échoüer ce beau projet.

Nous lisons dans l'histoire, que Pyrrhus avoit la vertu de guérir les rateleux, c'est-à-dire les personnes attaquées du mal de rate, en pressant seulement de son pié droit ce viscere des malades couchés sur le dos ; & qu'il n'y avoit point d'homme si pauvre ni si abject, auquel il ne fît ce remede toutes les fois qu'il en étoit prié. C'est donc une vieille maladie des hommes, & une très-ridicule maladie des Anglois, de croire que leurs rois ont la vertu exclusive de guérir certains malades en les touchant, puisqu'en voici un exemple qui remonte à environ deux mille ans. Mais après nos réflexions, & la vûe de ce qui se passe aujourd'hui à Londres, il seroit ridicule de vouloir soûtenir la vérité de cette prétendue vertu de Pyrrhus ; aussi les Cotta du tems de Ciceron s'en mocquoient hautement, & vraisemblablement les Cotta de la Grande-Bretagne ne sont pas plus crédules. Art. de M(D.J.)


ECROUIRv. act. (Arts méchaniq. & Ouvriers en métaux) c'est proprement durcir au marteau la matiere jusqu'à ce qu'elle ait perdu sa ductilité ; alors il faut la lui rendre en la rougissant au feu ; car si lorsqu'elle est écroüie, on forçoit le forgé, on s'exposeroit à la faire casser : d'où l'on voit que les deux termes dur & cassant sont fort bien rendus par celui d'écroüi.


ECRUadj. (Manufacture en fil & en soie) On donne cette épithete au fil & à la soie qui n'ont point été décrusés ni mis à l'eau bouillante. Voyez l'article DECRUSE. On appelle aussi quelquefois toiles écrues, celles qui n'ont point été mouillées. Il est défendu de mêler la soie cuite avec l'écrue. Les belles étoffes se font de la premiere, & les petites étoffes de la seconde. Comme les toiles écrues se retirent, il n'en faut rien doubler de ce qui ne peut souffrir le retrécissement, comme les tapisseries.


ECTHESES. f. dans l'Histoire ecclésiastique, est le nom d'un édit fameux rendu par l'empereur Héraclius l'an de Jesus-Christ 639.

Ce mot est grec, & signifie à la lettre exposition.

L'ecthèse d'Héraclius étoit en effet une confession ou exposition de foi en forme de loi portée par cet empereur, pour calmer les disputes qui s'étoient élevées dans l'Eglise, pour savoir s'il y avoit en Jesus-Christ deux volontés, comme le soûtenoient les Catholiques, ou s'il n'y en avoit qu'une, selon l'opinion des Monothélites. Ce prince la publia à l'instigation d'Athanase chef des Jacobites, de Cyrus patriarche d'Alexandrie, & de Sergius patriarche de Constantinople, tous partisans déclarés ou fauteurs secrets du Monothélisme. Dès que cette piece parut, elle excita dans l'église, tant d'Orient que d'Occident, un soûlevement si général, que l'empereur la desavoüa, & l'attribua à Sergius qui en étoit véritablement l'auteur, & qui avoit surpris la religion de ce prince. Constant son successeur la supprima, mais seulement en apparence, lui en ayant substitué une autre sous le nom de type, qui n'étoit pas moins favorable aux Monothélites. L'ecthèse fut condamnée dans le concile de Latran tenu en 649, & l'on anathématisa quiconque la recevroit aussi-bien que le type. Voyez TYPE & MONOTHELITES. (G)


ECTROPIUMautrement ERAILLEMENT DES PAUPIERES, (Médecine, Chirurg.) affection des paupieres dans laquelle elles sont retirées ou rebroussées, de maniere que la surface intérieure & rouge de la peau qui les tapisse, est apparente, saillante, & ne couvre pas suffisamment l'oeil. Cette indisposition est donc une inversion véritable ou rebroussement des paupieres, comme l'indique le terme composé de , je tourne.

Lorsque c'est la paupiere supérieure qui est renversée, les Grecs appellent ce mal lagophthalmie ou oeil de liévre (Voyez LAGOPHTHALMIE) ; & selon ces auteurs, l'ectropium désigne la même affection, mais seulement à la paupiere inférieure.

En me conformant à leur distinction, je définirai l'ectropium l'éraillement de la paupiere inférieure, dans lequel elle se renverse & se retire en-dehors, ensorte qu'elle ne peut remonter pour couvrir le blanc de l'oeil. Il n'y a quelquefois qu'une simple rétraction de la paupiere sans aucun renversement.

Cette affection est produite par diverses causes que nous tâcherons d'indiquer avec exactitude : 1° par le relâchement de la partie intérieure de la paupiere, à la suite d'un trop long usage de remedes émolliens, & quelquefois par la seule foiblesse du muscle orbiculaire dans l'âge avancé ; 2° par une grande inflammation seule ou suivie de quelque excroissance de chair au-dedans de la paupiere ; 3° par la paralysie de cette partie ; 4° par les cicatrices qui résultent de plaies, d'ulceres, de brûlures de cette partie, ce qui est fort ordinaire.

Disons encore que cet accident peut provenir de l'usage des remedes ophtalmiques violemment astringens, qui ont resserré & raccourci la peau ; de l'extirpation d'un tubercule, de la cautérisation des paupieres, enfin de l'accroissement contre-nature des parties charnues de la paupiere même.

Lorsque cette maladie procede d'un relâchement de la partie intérieure de la paupiere, à l'occasion d'un long usage de remedes émolliens, on tentera de corriger ce vice par les remedes fortifians, astringens & desséchans ; c'est aussi des liqueurs, des esprits, des baumes, & des onguens corroborans, qu'il faut attendre le plus de succès, lorsque la foiblesse ou le relâchement du muscle orbiculaire occasionne le rebroussement de la paupiere inférieure dans la vieillesse.

Quand ce mal provient d'une inflammation violente, suivie d'excroissances fongueuses & superflues au-dedans de la paupiere, on calmera d'abord l'inflammation par des remedes bien choisis ; ensuite si l'excroissance est petite, on tâchera de la consumer & de la dessécher par de doux cathérétiques : de cette maniere la difformité disparoîtra, & la paupiere se remettra dans son état naturel.

Si l'excroissance est grosse, vieille, dure (sans être néanmoins cancéreuse), on tentera de l'emporter, en prenant soigneusement garde d'offenser le corps de la paupiere. Pour cet effet on peut passer une aiguille enfilée au-travers de la base du tubercule, & former avec les deux bouts du fil une anse avec laquelle on élevera le tubercule, pendant qu'on le coupera petit-à-petit, ou avec le bistouri courbe, ou la lancette, ou la pointe des ciseaux. S'il reste quelque petite racine, on la consumera en la touchant légerement avec un caustique ; enfin on appliquera, pour dessécher, l'onguent de tuthie, ou quelques collyres dessiccatifs.

Si cependant le mal est invétéré, on n'a guere lieu de compter sur le succès d'aucun remede ; car alors les paupieres se font peu-à-peu à la distorsion, oublient, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, leur conformation naturelle, & ne peuvent plus y être ramenées. Enfin lorsque la distorsion est excessive, quoique récente, il ne faut point songer à l'opération.

Si le rebroussement est une suite de l'encanthis, de l'hypersarcose, du sarcome, il faut se contenter de traiter ces dernieres maladies, ainsi que nous l'indiquerons à leurs articles.

L'éraillement causé par des cicatrices à la suite de plaies, d'ulceres, de brûlures de cette partie, me paroît n'admettre aucun remede. Je n'ignore pas cependant les diverses méthodes d'opérer que les modernes conseillent, & par lesquelles ils prétendent guérir de tels éraillemens, en rétablissant la paupiere dans sa grandeur naturelle ; mais outre que toutes les opérations sur cette partie sont difficiles à exécuter pour le chirurgien, douloureuses & cruelles pour le patient, il arrive presque toûjours que, loin d'être avantageuses, elles ne font qu'augmenter la maladie.

L'éraillement de naissance, & l'éraillement causé par une paralysie de la paupiere, sont absolument incurables.

On voit encore une espece d'ectropium ou d'éraillement commun aux deux paupieres, par la solution de continuité de la peau ou des cartilages qui les bordent ; laquelle solution de continuité est, ou un vice de la premiere conformation, ou la suite de la brûlure des cartilages, de leur coupure, & de l'opération de la fistule lacrymale.

Dans l'ectropium qui succede à la brûlure, la paupiere forme souvent une sorte de bec d'aiguiere ; dans celui-ci, qui est occasionné par la coupure du cartilage & de la peau qui le recouvre, la paupiere représente communément une espece de bec-de-liévre ; l'éraillement qui suit quelquefois l'opération de la fistule lacrymale, consiste dans la desunion des cartilages du côté du nez, ce qui donne lieu à l'extrémité du cartilage inférieur de s'enfoncer dans l'endroit opéré. En un mot, comme dans tous ces cas cette maladie a quelque rapport au bec-de-liévre, ou aux fentes, ou aux mutilations des oreilles & des aîles du nez, les Grecs appellent cette difformité , & les François mutilation.

Quelque nom qu'on donne à cet accident, de quelque cause qu'il procede, soit de naissance, soit d'une brûlure, ou d'une blessure qui a coupé le cartilage & la peau ; pour peu que ce défaut soit considérable, tout le monde convient qu'on ne sauroit tenter de le guérir, sans rendre l'oeil encore plus difforme. On le comprendra sans peine par l'éraillement qui succede à l'opération de la fistule lacrymale ; car alors il arrive que la cicatrice étant trop profonde, elle tire à soi le cartilage inférieur, & s'oppose à la réunion avec le supérieur.

Plusieurs auteurs croyent que quand la mutilation est une simple fente dans laquelle il n'y a rien d'emporté, on la peut guérir par une opération semblable à celle que l'on fait pour les becs-de-liévre ; Heister paroît être de cette opinion ; cependant quelque confiance que méritent ses lumieres, il est difficile de ne pas regarder toute mutilation comme incurable ; parce que la paupiere a trop peu d'épaisseur, pour pouvoir être retaillée, unie, consolidée, & remise dans l'état qu'elle doit avoir naturellement. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ECTYPES. m. terme de Médailliste, c'est l'empreinte d'un cachet, d'un anneau ou d'une médaille, ou une copie figurée de quelqu'inscription ou autre monument antique. Voyez TYPE.

Ce mot est aujourd'hui peu usité dans ce sens, du moins dans notre langue françoise ; celui d'empreinte est plus en usage. (G)

ECTYPE CRATICULAIRE. Voyez CRATICULAIRE & ANAMORPHOSE.


ECU de Sobieski(Astronom.) constellation placée dans l'hémisphere austral assez proche de l'équateur, entre Antinoüs, le Sagittaire & le Serpentaire. On peut la voir dans les deux planispheres de M. le Monnier. Inst. astron. pag. 63. (O)

ECU, s. m. (Art. milit. & hist. anc.) bouclier plus grand que les boucliers ordinaires & plus long que large, de sorte qu'il couvroit un homme presque tout entier. Il falloit qu'il fût bien grand chez les Lacédemoniens, puisqu'on pouvoit rapporter dessus ceux qui avoient été tués. De-là venoit cet ordre que donna une femme de Lacédemone à son fils qui partoit pour la guerre : ou rapportez ce bouclier, ou revenez dessus. Ce bouclier différoit de celui qui étoit appellé clypeus, en ce que ce dernier étoit rond & plus court, & que l'autre ou l'écu formoit une espece de quarré long. Voyez BOUCLIER & ARMES. (Q)

ECU, terme de Blason, qui se dit du champ où l'on pose les pieces & les meubles des armoiries. Il est de figure quarrée à la reserve que le côté d'enbas est un peu arrondi, & a une petite pointe au milieu. L'écu des filles a la figure d'un losange.

L'écu est appellé de divers noms suivant ses divisions. L'écu addextré est celui où la ligne perpendiculaire qui le divise est sur la droite & au tiers de l'écu ; le senestré, quand elle est sur la gauche ; le tiercé en pal quand elle est double & divise tout l'écu en trois parties égales. Elle fait le palé & le vergeté quand elle est multipliée à distance égale, au nombre de six, de huit ou de dix pieces. La ligne horisontale fait le chef, lorsqu'elle occupe la tierce partie d'en-haut ; la pleine, quand elle est au bas au tiers de l'écu. Quand elle est double sur le milieu à distance égale des extrémités, elle fait la face & le tiercé en face. Quand on la multiplie, elle fait le facé & le burrelé, quand il y a huit ou dix espaces égaux ou plus ; les triangles, lorsque le nombre en est impair. La ligne diagonale du droit du chef au gauche de la pointe fait le tranché ; la contraire fait le taillé. Si on les double à distance égale, l'une fait le bandé & le tiercé en bande, & l'autre la barre & le tiercé en barre. En multipliant la premiere, on fait le bandé & le coticé, & en multipliant la seconde, le barré & le traversé. Les autres divisions de l'écu sont écartelé, contr'écartelé en abîme, &c. Ménétr. Trev. & Chambers.

ECU, (Commerce) piece d'argent qui a maintenant cours en France. Il y a l'écu de trois livres & l'écu de six francs. L'écu de trois livres vaut soixante sols ; l'écu de six francs vaut le double.


ECUAGE(Jurisprud.) Voyez ECUIAGE.


ECUBIERSS. m. pl. (Marine) ce sont deux trous de chaque côté de l'étrave au-dessus du premier pont par lequel passent les cables ; on les double de plomb pour empêcher l'eau de couler entre les membres. Voyez Marine, Planche jv. fig. 1. n. 95. la situation des écubiers. Ces trous sont ordinairement ronds, & on leur donne plus ou moins de diamêtre suivant la grosseur du navire ; pour un navire de 50 ou 60 canons, ils doivent avoir au moins 12 pouces de diamêtre. (Z)


ECUEILS. m. (Marine) c'est une roche sous l'eau ou hors de l'eau, située en pleine mer ou le long d'une côte, contre laquelle un navire peut se briser & faire naufrage. (Z)


ECUELLES. f. (Mechan.) On donne ce nom à une plaque de fer un peu creuse sur laquelle pose le cylindre du cabestan, & sur laquelle il tourne. Voyez CABESTAN.

Quelques géomêtres ont appellé écuelle le solide formé par une partie de couronne circulaire (Voyez COURONNE) qui tourne autour d'un diamêtre ; ce solide a en effet la figure à-peu-près semblable à celle d'une écuelle. On en trouve la solidité en cherchant celle des deux portions de sphere formées par les deux segmens circulaires, & en retranchant la plus petite portion de la plus grande. (O)

ECUELLE D'EAU HYDROCOTYLE, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs en forme de roses disposées en ombelle & composées de six petales placés en rond & posés sur un calice qui devient un fruit où il y a deux semences plates & à demi-rondes. Tournefort, Inst. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)

ECUELLE DE CABESTAN, (Marine) c'est une plaque de fer sur laquelle tourne le pivot du cabestan. Quelques-uns l'appellent noix.

ECUELLE A VITRIFIER, (Docimasie) Voyez SCORIFICATOIRE.


ECUIAGES. m. (Hist. & Jurisprud.) scutagium ou scritium scuti, service d'écuiage, c'est-à-dire celui qui se fait avec l'ecu. Tenir sa terre ou son fief par écuiage, c'est devoir le service d'écuyer comme il est dit au Traité des tenures, liv. II. chap. iij. Ce service pouvoit être dû à des seigneurs particuliers de même qu'au roi : quelques-uns disent que le vassal qui venoit par écuiage devoit le service de chevalier. Littleton, sect. 95. Le terme d'écuiage signifie aussi quelquefois un droit en argent que le vassal étoit obligé de payer à son seigneur pour tenir lieu du service militaire, lorsqu'il ne le faisoit point en personne, & qu'il n'envoyoit personne à sa place. Voyez le gloss. de Ducange au mot scutagium. (A)


ECUISSERv. act. (Jurisprud.) terme d'eaux & forêts qui signifie diminuer un arbre par le bas pour l'abattre. L'ordonnance des eaux & forêts, tit. xv. art. 42. ordonne de couper les bois à la coignée & à fleur de terre, sans les écuisser ni éclater. Quelques auteurs ont regardé ces termes comme synonymes ; il paroît néanmoins qu'ils ont chacun un objet différent. (A)


ECULONS. m. terme de Blanchisserie, machine ou vase de cuivre rond, profond, à deux becs & garni de deux poignées. On s'en sert pour emplir les planches à pain. Voyez PLANCHE A PAIN. & la fig. 5. Pl. du blanchissage des cires, & l'article BLANCHIR, où son usage est expliqué.


ECUMES. f. (Medec.) se dit de toutes les humeurs du corps humain tant recrémentitielles qu'excrémentitielles, qui étant extravasées ou évacuées, paroissent sous la forme d'un assemblage de petites bulles blanches & très-legeres, semblable à ce qui surnage l'eau battue avec du savon, produit par l'agitation ou la chaleur des parties aqueuses & huileuses devenues visqueuses par leur mélange, & propres à retenir dans leurs interstices celluleux l'air qui s'y insinue.

La qualité écumeuse des différentes humeurs est un signe diagnostic ou prognostic dans diverses maladies. Ainsi dans les crachemens de sang, on juge qu'il sort des poumons lorsqu'il est écumeux : dans l'angine avec étranglement & dans l'apoplexie, si les malades ont la bouche écumante, c'est un signe mortel : dans les épileptiques, dans les hystériques, l'écume de la bouche est un signe que le cerveau est notablement affecté : les urines fort écumeuses hors de l'excrétion, ou celles qui étant secoüées dans un vase, restent long-tems écumeuses, sont un signe que la coction des humeurs morbifiques se fait difficilement & que la matiere en est fort tenace : si l'écume de l'urine battue dans un vase se dissipe promtement environ le septieme jour d'une maladie aiguë, le malade est hors de danger : Boerhaave dit ne s'être jamais trompé dans le jugement qu'il portoit en conséquence de cette observation. Praelection. institut. edit. ab Haller. Voyez URINE.

Les déjections de matiere écumeuse sont aussi de mauvais présage ; elles annoncent une grande chaleur d'entrailles dans les maladies aiguës, & elles marquent dans les chroniques un défaut de bile dans les intestins qui y laisse les alimens & les autres sucs trop visqueux parce qu'ils n'ont pas éprouvé l'action de leur dissolvant naturel dans le travail de la digestion. Voyez DIGESTION. (d)

ECUME DE MER, (Hist. nat. bot.) on a donné ce nom à l'alcyonium. Voyez l'art. ALCYONIUM.

ECUME DE NITRE, aphronitrum (Chimie) une espece de nitre dont les anciens font mention, & que l'on suppose en être l'écume ou la partie la plus legere & la plus subtile qui surnage sur ce genre de sel. Voy. NITRE. Ce mot est composé du grec , écume, & , nitre. Quelques naturalistes modernes veulent prendre l'ancien aphronitre pour un salpêtre naturel qui s'amasse comme en fleurissant sur de vieilles murailles, & maintenant appellé salpêtre de roche. Voyez SALPETRE. Chambers.

ECUME, (Manege) On appelle vulgairement bouche fraiche celle dans laquelle on apperçoit une grande quantité d'écume. Cette écume n'est autre chose que la salive du cheval qui sort en abondance, & qui par le moyen de la mastication est fortement exprimée des glandes destinées à filtrer cette humeur & à la séparer du sang artériel. Le cheval en goûtant son mords & en le mâchant pour ainsi dire sans-cesse, la bat en effet & l'agite continuellement : d'ailleurs n'étant à proprement parler qu'un savon foüetté, & ayant, attendu son huile, une certaine viscosité, l'air y forme facilement de petites bulles dont l'assemblage constitue ce que réellement nous nommons écume.

Il est des bouches sourdes, des bouches dures, des bouches trop sensibles qui ne goûtent point l'appui, & celles-là sont toûjours seches : pour y faire entrevoir de la fraîcheur, les maquignons ont soin avant de monter l'animal & en lui mettant le mords dans la bouche, de lui donner du sel : ce sel est une espece d'apophlegmatisant qui fait sortir la matiere salivaire & la muscosité de tout le tissu glanduleux du gosier, par une mécanique semblable à celle qui fait sortir la muscosité des glandes de la membrane pituitaire, en conséquence de l'usage des errhines ou sternutatoires, c'est-à-dire en picotant & en irritant la membrane de ces parties.

Le défaut de fraîcheur de bouche provient encore aussi souvent de la main du cavalier que du fond de la bouche même. Il n'est que trop de mains ignorantes, dures, cruelles, & qui par leurs mouvemens faux & forcés sont capables de desespérer un cheval. C'est dans des bouches belles, pleines d'action & soûmises à des mains liantes & savantes, que l'on trouve cette quantité de salive en écume ; & ce sont ainsi que je l'ai dit, ces bouches que l'on a improprement appellées bouches fraîches, parce qu'elles sont humectées.

A l'égard de l'écume que l'on apperçoit à la superficie du corps du cheval en sueur, il faut remarquer que l'humeur perspirante est beaucoup plus épaisse dans l'animal que dans l'homme, & son moins de subtilité peut être vraisemblablement imputé au diamêtre plus considérable des vaisseaux, & à la nature même du sang du cheval lequel est infiniment plus visqueux. Cette humeur qui s'exhale sans-cesse s'arrête facilement à la surface du cuir, vû les poils qui le recouvrent, & son desséchement forme la crasse que l'on enleve à chaque pansement. Or dès qu'à raison d'un exercice plus violent l'excrétion est augmentée, la sueur qui résulte de l'abondance de l'humeur transpirante, détrempera le corps blanchâtre qui n'est autre chose que cette crasse ; & si dans cet instant il y a dans un endroit quelconque, frottement ou des parties les unes contre les autres, ou de quelqu'harnois comme des renes du bridon & de la bride sur l'encolûre, de la têtiere, de la croupiere, du poitrail, &c. l'air agité par ce frottement qui ne fait pas une impression directe, immédiate & continuelle sur le cuir, pénétrera dans les intervalles qui sont entre les poils & la peau, & divisant ainsi que le frottement la crasse détrempée, produira cette écume qu'il me semble qu'on ne peut attribuer à d'autre cause. (e)

ECUME, à la Monnoie, est le nom que les ouvriers donnent à la litarge. Voyez LITARGE.

ECUMES, en terme de Raffineur, sont proprement les excrémens & toutes les malpropretés mêlées avec le sang de boeuf & l'eau de chaux, qu'on a tirées du sucre en le clarifiant. Voyez CLARIFIER.

Faire des écumes, c'est en séparer les sirops qu'on a levés avec elles, de cette sorte. On met de l'eau de chaux à moitié une chaudiere ; quand elle est chaude, on verse les écumes, que l'on remue ou mouve fortement, pour les empêcher de s'attacher au fond. Quand elles ont bouilli pendant quelque tems, on les jette dans des paniers placés au-dessus des chaudieres, sur des planches couchées sur ces élévations qui les séparent. Ces paniers sont couverts d'une poche que l'on lie quand ils sont pleins, & ont un peu égoutté. Voyez POCHE. On met un rond de bois sur ces poches : plusieurs poids qui pesent sur le rond & les poches, en font couler le sirop. On les laisse égoutter en cet état environ pendant douze heures ; ensuite ce qui est sorti se raccourcit, pour être clarifié avec du sucre fin. Voy. CLARIFIER & RACCOURCIR.

* ECUMES PRINTANIERES, (Econ. rust.) c'est ainsi qu'on appelle à la campagne ces filamens blancs qu'on voit voltiger dans les airs, sur-tout dans le beau tems, & qui s'attachent à toutes les plantes qu'elles rencontrent : on les regarde comme un présage de chaleur. Ce qu'il y a de certain, c'est que la pluie les abat & les fait disparoître. On en attribue la formation à des exhalaisons grossieres qui les composent en se réunissant, quoiqu'elles ressemblent beaucoup mieux à cette espece de soie dont les chenilles & d'autres insectes s'enveloppent ; que la chaleur a séchée, & que l'agitation de l'air a détachée des arbres, & emportée.


ECUMERv. act. (Pharmacie) c'est enlever de la surface d'un liquide bouillant, des impuretés qui s'en sont séparées par l'ébullition, & qui le surnagent.

La despumation est un des moyens dont on se sert en Pharmacie pour purifier certains corps, & principalement le miel, le sucre, les sirops & les sucs. Voyez ces articles. Quelquefois on ajoûte au secours de l'ébullition, celui de la clarification par le blanc d'oeuf. Voyez CLARIFICATION.

On passe ordinairement les liquides qu'on a écumés, à la chausse ou à l'étamine, pour enlever le reste de l'écume, & des impuretés moins grossieres qui sont suspendues dans la masse entiere de la liqueur. Voyez CHAUSSE & ETAMINE.

On peut se contenter de la simple despumation, & se dispenser de clarifier & de passer à la chausse le sucre, le miel ou les sirops destinés à la préparation des compositions qui ne doivent pas être transparentes, telles que les électuaires, les tablettes purgatives, &c. il est mieux cependant d'écumer & de passer dans tous les cas. (b)

ECUMER, (Marine) on dit que la mer écume, quand elle est agitée, & qu'il s'éleve sur sa surface une espece d'écume blanchâtre. (Z)

ECUMER LA MER, (Marine) pirater, se dit des forbans qui volent & pillent les navires marchands qu'ils rencontrent à la mer. (Z)

ECUMER, (Faucon.) se dit de l'oiseau, 1° quand il passe sur sa proie sans s'y arrêter ; 2° lorsqu'il a poussé la perdrix dans le buisson, sans s'y arrêter ; 3° lorsqu'il court sur le gibier que les chiens lancent.


ECUMERESSES. f. en terme de Raffineur de sucre, est une platine de cuivre jaune, coupée en rond, percée de plusieurs trous dans toute son étendue comme une écumoire, & montée sur un grand manche de bois arrêté dans une douille qui, en diminuant de largeur, ne forme plus qu'une verge qui se termine par une fourchette qui s'étend jusqu'à six pouces sur chaque côté de l'écumeresse, ce qui la rend plus solide. Elle sert à lever les écumes de dessus les matieres que l'on clarifie. Voyez CLARIFIER.


ECUMEURS DE MERvoyez PIRATES.


ECUMOIRES. f. (Econom. dom. & Cuis.) c'est une espece de poële de fer ou de cuivre, très-plate, percée de trous, avec un long manche, dont on se sert pour enlever l'écume & les autres matieres excrémentitielles qui s'élevent de dessus les matieres qu'on met en fusion & qu'on clarifie, ou de dessus celles qu'on cuit ou qu'on fait bouillir. Les Fondeurs ont aussi leur écumoire ; ils s'en servent pour écarter la crasse de la surface des métaux fondus, avant d'en verser dans les moules. Cette cuilliere est percée de plusieurs trous, qui laissent passer le métal fondu, & retiennent les scories que l'ouvrier jette dans un coin du fourneau. Voyez la fig. 8. Pl. du Fondeur en sable, & l'article FONDEUR EN SABLE.


ECURERen terme de Doreur, c'est frotter une piece avec du grais, au point d'en ôter le poli.

* ECURER, v. act. (Manufact. en drap) Il se dit du chardon dont il faut ôter la bourre-lanisse qui s'y est attachée en lainant : cela s'exécute avec la curete. Voy. MANUFACTURE EN LAINE, RETERETE.


ECURETTES. f. (Luth) sorte de grattoir dont les Facteurs de musettes se servent pour gratter certains endroits des chalumeaux & des bourdons. Voyez la Pl. X. fig. 15. de Lutherie.


ECUREUILS. m. (Hist. natur. zoolog.) sciurus vulgaris, animal quadrupede, un peu plus gros qu'une belette, sans être plus long. La tête & le dos sont de couleur fauve, & le ventre blanc ; cependant il y a des écureuils noirs : on en voit de gris & de couleur cendrée en Pologne & en Russie. La queue de ces animaux est longue & garnie de grands poils, ils la portent recourbée sur le dos.

L'écureuil s'assied, pour ainsi dire, lorsqu'il veut manger : dans cette attitude le corps est dans une position verticale, & les pattes de devant sont libres ; aussi les piés lui servent de mains pour tenir & porter à sa bouche les noix, les noisettes & les glands, qui sont ses alimens les plus ordinaires : il préfere les noisettes, & en fait provision pendant l'Eté pour les manger en hyver. Cet animal habite dans des creux d'arbres, & y éleve ses petits. Il est si agile qu'il saute d'une branche à l'autre, & même il s'élance d'un arbre à un autre. On croit que les anciens le désignoient par le nom de mus ponticus, seu varius. Rai, synop. anim. quadrup. pag. 214.

M. Linnaeus met l'écureuil dans la classe des animaux qui ont deux dents incisives allongées ; tels sont les hérissons, les porc-épics, les lievres, les lapins, les castors, les rats, &c. Selon cet auteur, les caracteres génériques de l'écureuil consistent en ce qu'il a quatre doigts dans les piés de devant, & cinq dans ceux de derriere ; que ses piés sont propres à grimper & à sauter, & qu'il n'a point de dents canines. Syst. nat. Lipsiae, 1748.

Par la méthode de M. Rai, l'écureuil est au nombre des animaux vivipares fissipedes qui se nourrissent de végétaux, & qui ont deux longues dents incisives à chaque mâchoire. Ils sont rassemblés sous un genre appellé genus leporinum, à cause du lievre qui en est la premiere espece ; les autres sont le lapin, le porc-épic, le castor, les rats, la marmotte, &c.

L'écureuil de Virginie, sciurus virginianus, cinereus major, est presqu'aussi gros qu'un lapin, & n'en differe pas beaucoup pour la couleur, car il est gris : il a quatre doigts dans les piés de devant, & cinq dans ceux de derriere. Synop. anim. quadrup.

Les auteurs font mention d'autres écureuils étrangers ; savoir s'ils sont de la même espece que l'écureuil ordinaire, ou si c'est improprement qu'on leur a donné le nom d'écureuil : pour s'en assûrer il faudroit avoir des descriptions exactes de ces animaux. L'abus des noms n'est que trop fréquent en histoire naturelle ; nous en avons un exemple frappant dans l'écureuil volant, qui est un vrai chat si ressemblant à de certains rats, qu'on seroit tenté de croire que ceux qui l'ont nommé écureuil, n'avoient jamais vû ni écureuils, ni loirs, ni lerots. Voyez LEROT, QUADRUPEDE. (I)


ECURIES. f. (Manége & Maréchall.) bâtiment construit à l'effet de servir de logement aux chevaux. Il doit avoir plus ou moins de longueur, selon le nombre des chevaux que l'on se propose d'y retirer, & selon la maniere dont on a dessein de les séparer les uns des autres. Sa largeur, soit qu'on l'ait destiné pour en contenir un ou deux rangs, doit être telle qu'il y ait toûjours un espace d'environ douze piés pour la place de l'auge, du ratelier, & de chaque cheval dans sa longueur ; & il est nécessaire de ménager encore un intervalle d'environ dix piés, pour laisser un libre passage derriere ces rangs à ceux que la curiosité conduit, ou qui sont préposés au service de ces animaux. Quant à la hauteur de ce vaisseau, elle doit être proportionnée à sa grandeur. Du reste les voûtes sont préférables aux planchers, aux plafonds même ; elles maintiennent l'écurie plus chaude en hyver, & plus fraîche en été ; & d'ailleurs dans des cas d'incendie elles s'opposent aux progrès funestes du feu. Il faut que le sol sur lequel on bâtit cette sorte d'édifice, soit sec & élevé ; un terrein bas & humide en feroit une habitation malsaine, & les chevaux y seroient exposés à des fluxions, à des refroidissemens d'épaule, &c. J'ajoûterai que les écuries qui sont dans une exposition véritablement favorable, sont celles qui sont orientées à l'est, parce qu'elles sont moins en bute aux vents de sud & de nord, & que l'air y est beaucoup plus tempéré.

Communément elles sont pavées dans toute leur étendue ; quelquefois aussi on substitue aux pavés, des madriers de chêne posés transversalement, intimement unis, & semés de hachures pratiquées, pour éviter que les chevaux ne glissent ; ce qui seroit infiniment dangereux & très-aisé, sur-tout lorsqu'ils se campent pour uriner. Ces planches ou le pavé, en cet endroit, doivent toûjours présenter depuis le devant de l'auge, une legere pente qui se termine à la croupe des chevaux, ou plûtôt au commencement du chemin tracé derriere eux. Elle doit aboutir à une sorte de ruisseau qui reçoit l'urine & les eaux quelconques, dont elle facilite l'écoulement ; elle releve encore le devant du cheval, & le met dans une situation dans laquelle ce même devant est très-soulagé, & qui rend l'animal beaucoup plus agréable aux yeux du spectateur. Ce ruisseau doit être conduit hors de l'écurie. Je remarquerai qu'outre la propreté qui résulte des plate-formes, on n'a point à redouter que les chevaux deviennent rampins, ce dont on ne doit point se flater lorsqu'ils sont sédentaires sur un terrein pavé ; car dès qu'ils en rencontrent les joints, ils y implantent la pince des piés de derriere, & s'accoûtument à ne se reposer que sur cette partie, de maniere que la rétraction des tendons de leurs jambes postérieures est inévitable.

Les murs vis-à-vis desquels sont tournées les têtes des chevaux, sont meublés d'une auge & d'un ratelier qui regnent dans toute la longueur de l'écurie. L'auge est une espece de canal d'environ quinze pouces de profondeur sur un pié de large, clos & fermé par ses deux bouts. Le bord supérieur de sa paroi antérieure est élevé d'environ trois piés & demi. Lorsqu'elle est construite en bois, on doit observer que les planches qui la forment, soient tellement jointes dans leur assemblage, qu'il n'y ait pas entr'elles le moindre intervalle par où l'avoine ou le son que l'on distribue au cheval, puisse s'échapper & tomber ; & ce même bord de la paroi antérieure sera armé de feuilles de tole ou de quelqu'autre métal, afin d'empêcher l'animal de mordre, de ronger le bois, & de contracter la mauvaise habitude de tiquer. Les auges de pierre n'exigent pas toutes ces précautions. Quelques-uns leur donnent la préférence sur les premieres : ils se décident d'abord eu égard à leur solidité ; secondement, eu égard à l'aisance avec laquelle elles peuvent être lavées & nettoyées ; enfin relativement à la commodité de s'en servir pour abreuver les chevaux, lorsqu'on est à portée d'y conduire de l'eau & de les en remplir ; ce qui suppose d'une part, & à une de leurs extrémités, un réservoir qui peut s'y dégorger dès qu'on ouvre un robinet qui y est placé à cet effet ; & d'un autre côté ou à l'autre bout, un second robinet pour l'écoulement du fluide quand les chevaux ont bû. Au moyen de cette irrigation, une auge de cette matiere est toûjours plus propre & plus nette. Les consoles ou les piés-droits qui servent d'appui & de soûtien aux auges de bois ou de pierre, sont espacées de maniere qu'ils ne se rencontrent point dans le milieu des places qu'occupent les chevaux ; car non-seulement ils priveroient dès-lors les palefreniers de la facilité de relever la litiere, & de la ranger sous l'auge ; mais l'animal pourroit s'atteindre, se blesser les genoux, & se couronner. Enfin au-dessous du bord de la paroi antérieure dont j'ai parlé, on attache dans les auges de bois, & l'on scelle dans les auges de pierre, trois anneaux à distances égales : celui qui est dans le milieu, sert à soûtenir la barre ; les deux autres, à attacher ou à passer les longes des licols, une d'un côté, & la seconde de l'autre : & l'on comprend que l'anneau du milieu devient inutile, si l'on sépare les chevaux par des cloisons. Il en est qui au lieu d'anneaux pratiquent trois trous, mais cette méthode ne tend qu'à affoiblir le bois, & qu'à endommager la pierre ; & de plus, si les longes ne sont arrêtées que par des boules posées à leurs extrémités, elles coulent & glissent alors bien moins aisément.

Les especes de grilles que nous nommons des rateliers, ont communément deux piés & demi de hauteur, & sont placées de façon qu'elles sont ou droites ou inclinées. Dans le premier cas, leur saillie en-dedans de l'écurie est d'environ dix-huit pouces ; elles reposent par leur extrémité inférieure contre la paroi postérieure de l'auge, & leur distance du mur est remplie par un autre grillage plus serré, appuyé & arrêté d'une part contre cette même extrémité ; & de l'autre, accoté & fixé à la muraille. Ce grillage livre un passage à la poussiere du foin, qui tombe alors en-arriere même de l'auge. Les autres rateliers sont inclinés par leur extrémité supérieure enavant. Cette même extrémité est soûtenue par des tirans de fer qui partent horisontalement du mur, & qui l'en maintiennent éloignée d'environ quinze pouces, tandis que l'autre en est si rapprochée, qu'elle y est scellée très-solidement : la mangeoire dès-lors n'en est point séparée. Ceux-ci, que l'on ne doit élever & mettre en usage qu'autant que l'on est gêné par le défaut du terrein, n'offrant aucune issue à la poussiere & aux autres ordures qui peuvent se rencontrer dans le fourrage, s'en déchargent sur la tête, sur le cou & sur la criniere de l'animal. Les fuseaux des uns & des autres de ces rateliers doivent être distans de trois ou quatre pouces seulement. Si l'espace étoit plus grand, le cheval tireroit & perdroit trop de foin ; s'il étoit moindre, il n'en tireroit pas assez, ou n'en tireroit que difficilement : & du reste il est bon que ces fuseaux arrondis tournent & roulent dans les cavités qui les contiennent, parce qu'ils n'opposent point autant de résistance à la sortie du fourrage. Il est des écuries sans rateliers, d'autres qui ont des rateliers sans auge. Celles-ci sont d'usage dans quelques haras ; on y retire les chevaux pendant la nuit & à leur retour du pâturage, sans les y attacher. Voyez HARAS. Les autres qui sont destituées de ratelier, demandent une attention, une assiduité de la part des palefreniers, sur laquelle il est rare de pouvoir compter ; car ils ne sauroient étendre dans l'auge une assez grande quantité de fourrage à la fois, & il est absolument nécessaire de le renouveller très-souvent, sans parler de l'inconvénient de la perte qui s'en fait, soit à raison du dégoût dont sont saisis bien des chevaux, pour peu que leur souffle ait échauffé leur nourriture ; soit attendu l'impossibilité de les maintenir, dès qu'on est privé du secours qu'offrent les rateliers, & qu'on l'abandonne totalement à la discrétion de l'animal, qui s'en remplit la bouche, & qui en laisse tomber une grande partie. Cette construction ne peut donc convenir qu'à ceux qui alimentent leurs chevaux avec des fourrages hachés, seuls, ou mêlés avec le grain, ainsi qu'on le pratique dans quelques pays.

Chaque place se trouve séparée ou par des barres ou par des cloisons. Les barres doivent être unies, arrondies, & percées par les deux bouts. On les suspend par l'une de leurs extrémités, au moyen d'une corde passée dans un des trous à l'anneau du milieu, scellé ou attaché à l'auge ; par l'autre, au moyen d'une même corde au pilier qui est placé en-arriere vis-à-vis cet anneau, & que l'on a percé à cinq pouces au-dessous de l'espece de boule qui en décore le sommet, pour qu'il puisse recevoir la longe qui doit porter la barre. La maniere la plus sûre d'arrêter cette corde, qui sort en-arriere hors du trou de ce pilier, est de la noüer en y faisant une boucle coulante : cette précaution importe d'autant plus, qu'il est alors infiniment plus aisé de dégager promtement & sur le champ un cheval embarré, puisque le palefrenier, en tirant avec une force même legere, l'extrémité de la longe, défait tout-à-coup le noeud, & laisse couler la corde. Il est essentiel encore d'observer que la barre soit suspendue, de maniere qu'elle soit à une hauteur qui réponde à six ou sept doigts environ au-dessus des jarrets du cheval ; & par le bout qui regarde l'auge, au milieu de son avant-bras. Dès qu'elle sera moins élevée, le cheval s'embarrera fréquemment ; & si elle l'est davantage, il pourra rendre inutile la séparation : car les chevaux qui l'avoisineront, seront dans le risque d'en être estropiés, & pourront le blesser lui-même. Quelques personnes aussi ne suspendent les barres en-arriere, que par une corde qui est arrêtée au plancher ou à la voûte. Il est facile de comprendre que le jeu qu'elles ont dès-lors est trop considérable ; elles ne sauroient donc garantir parfaitement les coups de piés que les chevaux se donnent mutuellement, elles les amortissent tout au plus. D'ailleurs il est très-dangereux d'aborder des animaux vifs & sujets à ruer, lorsqu'ils sont séparés ainsi, à moins qu'on n'ait l'attention de se saisir de la barre ; autrement, en vacillant elle frapperoit & heurteroit le cheval, qui détacheroit une ruade capable de tuer celui qui en approcheroit, & qui ne seroit pas en garde contre cet accident. Dans les écuries d'une foule de maquignons, les barres ne sont élevées que du côté de l'auge ; l'autre bout repose à terre & sur le sol. Il seroit sans doute superflu de détailler ici les commodités qu'ils prétendent en retirer ; je leur laisse le soin de se rappeller les suites funestes des embarrures, des coups de pié, des heurts, des contusions, des entorses, des fractures même que cette maniere a occasionnés. Quoiqu'il en soit, les piliers sont l'unique & le meilleur moyen d'assujettir les barres : ils doivent être également ronds & polis ; les inégalités, les fentes y sont nuisibles, en ce que les crins s'y engagent & se rompent. On les place debout de distance en distance, ils limitent l'étendue du terrein destiné à chaque cheval : élevés hors de terre d'environ quatre piés, ils y sont enfoncés à deux piés & demi de profondeur, ensorte qu'ils sont extrêmement stables. S'ils n'étoient point plantés assez en-arriere, ils se trouveroient trop à la portée de l'animal, qui pourroit en profiter pour frotter sa queue, & souvent aussi pour appuyer ses piés de derriere, sur la pince desquels il se reposeroit continuellement, pour peu qu'il y eût de disposition. Je ne puis approuver au reste que l'on fixe aux deux côtés de chaque pilier un anneau de fer, à l'effet d'y attacher les renes du filet ou du mastigadour, lorsqu'on tourne le cheval de façon que sa croupe soit à l'auge. En premier lieu, ces anneaux peuvent demeurer relevés & non applatis contre les piliers, sans qu'on s'en apperçoive ; & le cheval qui rentreroit à sa place avec vivacité, pourroit s'y prendre & s'y engager par quelques parties de son harnois, ou se heurter & se blesser. D'une autre part il faut convenir qu'ils sont dès-lors multipliés sans nécessité ; car un seul anneau placé au-devant du pilier, environ deux pouces & demi au-dessus du trou dont nous avons parlé, suffiroit assurément pour contenir la longe droite & la longe gauche de deux chevaux qui sont voisins, & l'on éviteroit les risques des heurts, des contusions & des déchiremens de quelques portions de l'équipage de l'animal. A l'égard du crochet posé au-dessus du lieu que je prescris, & que j'assigne à cet anneau, il peut être utile pour suspendre un moment une bride, un bridon, &c. mais il n'est pas si nécessaire qu'on ne puisse s'en passer.

Au moyen des séparations pratiquées selon que je viens de l'expliquer, on peut ne laisser qu'un intervalle de quatre piés pour la place de chaque cheval ; mais celles que forment de véritables cloisons seroient trop étroitement espacées, si cet intervalle ne comprenoit que cinq piés de terrein. Ces cloisons sont communément en bois de chêne ; les planches en sont exactement assemblées & languetées ; nul clou ne peut porter atteinte au cheval ; nulle fissure, nulle aspérité, n'endommagent ni ses crins ni ses poils ; une de leurs extrémités est insérée par coulisse dans le pilier ; l'autre est arrêtée à l'auge, & elles montent depuis le sol pavé ou parqueté, jusqu'à la hauteur des piliers & des fuseaux du ratelier. Outre la sûreté dans laquelle cet arrangement constitue les chevaux, il est certain que leurs places sont toûjours plus propres, sur-tout si elles sont garnies de madriers ; & ils se trouvent pour ainsi dire emboîtés, de maniere qu'ils sont à l'abri d'une multitude d'accidens qui ne sont que trop fréquens, lorsqu'on n'établit que des barres entr'eux. On ne doit pas au surplus oublier de garnir les murs qui terminent les rangs d'une semblable cloison ; elle garantit le cheval de toute humidité, n'entame pas son poil, & ne porte aucune atteinte à ses crins dans le cas où il entreprend de se frotter.

Dans la distribution des jours qui doivent éclairer les écuries, il est d'une nécessité absolue d'avoir égard aux yeux de ces animaux. En les exposant aux traits d'une lumiere vive & continuelle, leur vûe se perd bien-tôt, ou s'affoiblit. Les écuries simples, ou à un seul rang, présentent à cet égard moins de difficultés que les autres. Il est aisé d'y pratiquer des fenêtres dans le mur qui fait face aux croupes, & l'on a de plus la commodité d'y fixer des chevalets pour y placer les selles, d'y implanter des crosses ou des crochets au-dessous des mêmes chevalets, à l'effet de suspendre les brides, bridons, &c. & de ranger en un mot derriere les chevaux tout ce qui est d'usage pour leur service.

On ne peut joüir des mêmes avantages dans la construction des écuries à double rang, les croupes se trouvant vis-à-vis les unes des autres. En premier lieu, les palefreniers ne sauroient avoir sous leurs mains tout ce qui, eu égard à ce même service, devroit être à leur portée, à moins qu'on ne ménage d'espace en espace selon la longueur du vaisseau, une plus ou moins grande étendue de terrein, à l'effet d'y receler tous les équipages & tous les instrumens nécessaires. En second lieu, on ne peut y être tellement maître des jours, que les yeux des chevaux n'en soient incommodés, sur-tout si ce même vaisseau est médiocrement élevé.

Quant aux écuries à double rang, les têtes placées vis-à-vis les unes des autres, au moyen d'une séparation quelconque, élevée dans le milieu même du vaisseau à une hauteur convenable, il est certain qu'elles ne different point des écuries simples, puisqu'une seule de celles-là en compose en quelque façon deux de celles-ci. On en voit une à Naples, qui prouve que, quelque décorées & quelque embellies qu'elles puissent être, elles n'offrent jamais aux yeux un spectacle aussi satisfaisant, que celui que leur présentent les premieres écuries à double rang dont j'ai parlé.

Je n'examinerai point si ces sortes d'édifices en général ont acquis, relativement à l'Architecture, toute la beauté & toute la perfection dont ils peuvent être susceptibles ; mais persuadé de l'importance d'observer dans des constructions de cette espece, une multitude de points également essentiels à la sûreté, à la conservation des chevaux, à la commodité des hommes auxquels on en confie le soin, & qui ne sont que trop fréquemment rebutés à l'aspect des travaux les moins pénibles, j'imagine que ces mêmes points sont le principal objet que l'on doit envisager dans le plan que l'on forme, & dont on médite l'exécution.

On doit à M. Soufflot architecte du roi, le fragment d'écurie, qui occupera une place dans les Planches de cet ouvrage. Je m'empresserois ici de lui rendre l'hommage le plus légitime par un tribut d'éloges, dont un mérite réel & connu garantiroit la sincérité, & que l'amitié ne sauroit rendre suspects, si d'une part ce même mérite ne l'élevoit au-dessus des loüanges qu'on ne peut refuser à des talens supérieurs, & si de l'autre, la discussion de ses idées sur ce genre de bâtiment ne suffisoit pas à sa gloire.

La stabilité de l'édifice & la nécessité de le mettre à l'abri de l'incendie, paroissent avoir d'abord fixé son attention. L'écurie qu'il propose est voûtée en arc surbaissé, & a une hauteur proportionnée. Au-dessous de cette voûte est pratiqué le fenil ; il l'a recouvert d'une voûte gothique, qui sans l'entremise d'aucune charpente, porte les tuiles destinées à couvrir ce vaste bâtiment. Ces voûtes ne pouvoient se soûtenir que par une épaisseur de mur très-dispendieuse, ou par des contre-butes difformes & très-défectueuses à la vûe ; mais ces deux inconvéniens, bien loin d'étonner M. Soufflot, n'ont été pour lui qu'une occasion de déployer son génie, & de démontrer que les vrais maîtres de l'art, trouvent dans les difficultés mêmes les plus grandes ressources. Il a en effet lié jusqu'au premier cordon, par des murs médiocrement épais, ces butes les unes aux autres, & n'a laissé paroître de leur saillie que ce qui convient à des pilastres, dont elles tiennent lieu dans la décoration extérieure qui annonce l'incombustibilité de son ouvrage. Supérieurement à ce premier cordon, ces butes sont liées par une balustrade, au-dessus de laquelle on n'apperçoit que le mur intérieur sur lequel ces voûtes sont assises ; & c'est dans ces renfoncemens que sont pratiqués les deux ordres de fenêtres qui éclairent l'écurie & le fenil. Par cette maniere d'obvier à la difformité & à la dépense que l'élévation des deux voûtes sembloit nécessairement entraîner, M. Soufflot s'est encore ménagé les moyens d'une construction aussi singuliere qu'avantageuse ; il a placé entre le mur intérieur & le mur extérieur, des corridors à différens étages, qui regnent autour de son édifice. Celui qui est le plus élevé, a pour plafond les dessous des chéneaux de pierre qui reçoivent les eaux pluviales du toît ; il sert à visiter ces chéneaux, à les réparer dans le besoin ; & comme il est lui-même pavé avec beaucoup de précaution, il conduit les eaux qu'ils peuvent avoir laissé filtrer, dans des tuyaux de descente destinés à leur écoulement. Le second, qui n'est proprement qu'une espece de galerie couverte, interrompue par les butes dans la saillie desquelles il a pratiqué des communications, est un passage pour arriver aux vitraux, pour les ouvrir, & pour les fermer ; & ces vitraux étant placés dans les lunettes de la voûte, la direction de la lumiere est telle qu'elle ne frappe que la croupe des chevaux. Quant aux jours du grenier au foin, ils sont au-dessus de ceux-ci. Enfin le troisieme corridor qui est fermé de toutes parts, est éclairé par des fenêtres percées dans le soubassement de l'édifice ; il communique avec l'écurie par autant d'ouvertures qu'il est de places cloisonnées, & avec le dehors, par des portes distribuées avec symmétrie dans l'ordre des fenêtres pratiquées : ces portes servent à pousser au-dehors les ordures & la poussiere dont on le nettoye, & ces ouvertures, à la distribution du fourrage nécessaire aux chevaux.

En considérant l'intérieur du bâtiment, on voit que M. Soufflot s'est à-peu-près conformé aux mesures que nous avons fixées, relativement à l'espace que doit occuper chaque cheval, & eu égard à l'étendue du terrein qui livre un passage derriere eux, & qui se trouve entre deux ruisseaux, suivans parallelement toute la longueur de l'écurie : chaque place est construite en plate-forme. Nous avons, malgré les objections qui nous ont été faites, persévéré dans la préférence que nous donnons aux madriers sur le pavé, de quelque espece qu'il puisse être ; parce que nous ne croyons pas que l'expérience soit d'accord avec les idées de ceux, qui prétendent que des chevaux sédentaires sur des planches, souffrent ensuite dans leur marche, & redoutent les terreins durs & pierreux. L'ongle du cheval en effet ne peut jamais que se ressentir du fer dont son contour est inférieurement garni, sur laquelle la masse repose, & qui garantit le pié de l'impression & du heurt direct de tous les corps quelconques qu'il rencontre : la seule partie de ce même ongle qu'il ne défend point, & qui n'est autre chose que la sole, n'est point exposée au contact du pavé ; car il en arriveroit des contusions, telles que celles qui ont lieu lorsque l'animal a cheminé sans fer, & que nous appellons sole battue : ainsi l'usage du plancher nous présente nonseulement tous les avantages dont j'ai parlé, & qui ne peuvent être détruits ou balancés par aucun inconvénient, mais celui de garantir l'animal de l'humidité du terrein ; humidité qui perce toûjours, quelle que soit la litiere qu'on puisse faire.

M. Soufflot a appuyé les cloisons qui forment les séparations, d'une part, sur les trumeaux, & de l'autre, sur un pilier semblable à ceux qui servent communément à soûtenir les barres ; il en a élevé la partie, qui répond à la tête du cheval, jusqu'à la hauteur de la traverse supérieure du ratelier. Ce sacrifice de la beauté du coup-d'oeil lui a d'autant moins coûté, qu'il importoit à la sûreté des chevaux, qui dès-lors ne sauroient s'entremordre, porter la tête hors de l'intervalle qui leur est assigné, se gratter, se frotter, &c. & il l'a d'ailleurs habilement compensé, puisqu'il met toutes les croupes à la portée de la vûe, en contournant supérieurement ces cloisons en une doucine terminée par la boule des piliers, dans lesquels elles sont engagées.

L'auge est de pierre. Les carnes en sont exactement abattues & arrondies. Le milieu de chacun des piés droits qui la soûtiennent, répond à chaque cloison, & contribue à l'affermir. Il a donné à ce canal, dont la profondeur est telle que celle que j'ai désignée, une legere pente de chaque côté ; & au moyen d'un réservoir placé dans le milieu de l'écurie, un seul homme peut dans un moment, en tournant un robinet, le remplir d'eau pour abreuver tout un rang de chevaux, & l'en desemplir ensuite, en tournant à chaque extrémité la clé d'un autre robinet, par lequel cette même eau, dont on peut encore profiter de la retraite pour laver exactement l'auge, sera bien-tôt écoulée.

Ici les rateliers ne sont point saillans ; il en est un pour chaque cheval à fleur de mur, & placé entre deux trumeau qui laissent un enfoncement capable de contenir le fourrage que l'on distribue de dehors.

Pour donner l'intelligence de la maniere dont se fait ce service, j'observerai d'abord que M. Soufflot a creusé dans l'épaisseur des butes qui sont entre chaque fenêtre, des puits ou couloirs. Les uns partent du corridor supérieur, & renferment les tuyaux de descente des eaux pluviales ; les autres, qui répondent inférieurement au corridor le plus bas, & supérieurement au fenil, par un passage terminé par une mardelle, par-dessus laquelle on jette librement le fourrage, servent à couler également & le foin & l'avoine jusque sur ce même corridor, qui n'en est point embarrassé, puisque les bottes de foin & l'avoine ne sauroient s'y répandre, & n'en sortent qu'autant & à mesure que les palefreniers les en tirent.

Les enfoncemens ou les especes de niches fermées dans l'intérieur de l'écurie par les rateliers, & du côté du corridor, par des portes qui ne s'ouvrent qu'à la hauteur de la traverse supérieure de ces mêmes rateliers, sont le lieu dans lequel chaque portion nécessaire à l'animal est déposée. Un glacis, qui du haut de la paroi postérieure de l'auge incline dans le corridor, laisse échapper au-dehors la poussiere du fourrage, inférieurement soûtenu par un grillage dont la largeur égale la profondeur des niches.

M. Soufflot indique encore un autre moyen. Il masqueroit en quelque façon ces mêmes niches ; la face du mur qui seroit ouverte en coulisse inclinée, & fermée du côté du corridor par un bon volet à double feuillure, descendroit jusque sur la traverse supérieure des rateliers, & le foin par son propre poids glisseroit dans cette coulisse contre leurs fuseaux ; la grille du fond seroit assemblée par charniere avec la traverse inférieure ; & il suffiroit au palefrenier de pouvoir y introduire la tête & les bras pour relever cette même grille contre le ratelier, à l'effet d'enlever toutes les ordures provenant des débris & de la poussiere du foin ou de la paille.

L'empire qu'usurpe l'habitude, la tyrannie qu'exerce l'usage, l'ascendant en un mot des vieilles erreurs sur l'esprit de la plûpart des hommes, sont autant d'obstacles à combattre lorsqu'on a le courage de s'écarter des routes ordinaires ; les innovations même les plus sensées les révoltent & les blessent. Celle-ci tend d'une part à maintenir la propreté de l'écurie, qui n'est par ce moyen semée d'aucun brin de foin, & la propreté des chevaux, dont ni les crins ni le corps ne peuvent être chargés de la poussiere du fourrage, comme quand on les sert de l'intérieur. D'un autre côté, elle obvie à la perte qui se fait de ce même fourrage, lorsqu'on est obligé de le jetter du fenil hors de l'édifice pour le transporter ensuite dans l'écurie, & pour le distribuer encore à chaque cheval ; elle supplée à ces communications dont une sage économie avoit suggeré l'idée, & que nous connoissons vulgairement sous le nom d'abat foin, mais qu'on ne pratique plus dans des constructions bien ordonnées, & qu'on n'apperçoit aujourd'hui que dans les écuries des hôtelleries, des cabarets, & de quelques particuliers ; en un mot elle pare au desagrément qui résulte, pour des personnes que la curiosité peut attirer, de la rencontre de nombre de palefreniers occupés du soin de distribuer chaque portion, & qui marchent, cheminent, & reviennent sans-cesse dans le lieu du passage ménagé derriere les chevaux. Quels que soient ces avantages, M. Soufflot n'imagine pas que son projet soit à l'abri des contradictions ; aussi propose-t-il dans le cas où la dépense des corridors pourroit effrayer, & où l'on seroit obligé de préférer les incommodités auxquelles ils remédient aux facilités qu'ils procurent, de les retrancher entierement : mais il conseille du moins de pratiquer, ainsi qu'on l'a déjà fait en quelques endroits, vis-à-vis de chaque cheval, dans l'épaisseur du mur, un renfoncement en niche, lequel seroit plus haut que le ratelier, & descendroit derriere l'auge jusque sur le sol. Ce renfoncement seroit fermé par le ratelier qu'on appliqueroit contre ses montans, & supérieurement ouvert pour laisser passer le fourrage que l'on donneroit alors selon l'usage ordinaire, & qui seroit pareillement soûtenu par un grillage placé au niveau de la partie la plus élevée de la paroi postérieure de la mangeoire. Ce grillage permettroit un libre passage aux ordures & à la poussiere, qui dès-lors tomberoient sur le terrein en-arriere du ratelier même.

Quant à la distribution de l'avoine, il eût été facile à M. Soufflot de l'introduire du corridor dans l'auge. Il a craint cependant que des animaux que l'homme n'apprivoise & ne rend familiers qu'autant qu'il leur fait sentir le besoin qu'ils ont de lui, & qu'il les habitue à recevoir leur nourriture de sa main, ne devinssent en quelque façon sauvages & féroces, dès qu'elle leur seroit donnée de maniere qu'il n'en seroit point apperçu : ainsi cette partie des alimens qu'ils préferent à toute autre, sera servie dans l'écurie même, d'autant plus facilement, qu'on pourra passer des corridors inférieurs aux extrémités, & même dans le milieu de l'édifice, par les portes de communication qu'on aura menagées à cet effet.

Du reste, M. Soufflot ne présente ici qu'un fragment, & non un bâtiment entier & complet. Il pourroit décorer son écurie par trois avant-corps, dont l'un la diviseroit en deux portions égales, & dont les deux autres la termineroient. Ces avant-corps auroient différens étages, dans lesquels on pratiqueroit des logemens convenables aux écuyers, aux commandans de l'écurie, aux maîtres palefreniers, aux piqueurs, aux personnes chargées de délivrer le fourrage, aux maîtres des gardes-meubles, aux cochers, & aux palefreniers, & il en mesureroit les dispositions relativement à l'utilité & à la commodité du service. Outre ceux qu'il construiroit & qu'il ajusteroit dans les rez-de-chaussée, il y établiroit des gardes-meubles & des selleries, dans lesquels il placeroit des cheminées nécessaires pour garantir les selles & les harnois de l'humidité qui leur nuit. Dans l'intérieur de ces vestibules qui formeroient dès-lors les différentes entrées de l'écurie, il pourroit encore sceller des chevalets rangés en échiquiers, pour y poser les selles dont on fait le plus d'usage ; & audessus de ces chevalets seroient des médaillons, dans lesquels seroient repétés les noms des chevaux auxquels ces mêmes selles seroient appropriées, comme il en est vis-à-vis chaque cheval, supérieurement à chaque niche & à chaque ratelier.

Dans quelques écuries l'équipage de chaque cheval est situé directement au-dessus de sa tête, contre le mur, & à côté de l'inscription qu'on y remarque. Nous ne saurions approuver un semblable arrangement ; premierement, ce même équipage est exposé à la poussiere du fourrage, & les siéges des selles sont toûjours garnis d'une multitude de brins de foin : secondement, les palefreniers ne pouvant atteindre à la hauteur des chevalets, sont obligés de monter sur la paroi antérieure de l'auge, & de s'aider de la main avec laquelle ils saisissent les fuseaux du ratelier qu'ils ébranlent ; & soit qu'il faille prendre la selle ou la replacer, le service est très-lent, très-peu sûr, & très-difficile. Il arrive même fréquemment que des chevaux en sont effrayés, surtout lorsque des palefreniers naturellement mal-adroits laissent tomber l'équipage sur la tête ou sur le corps de ces animaux, qui s'aculent, tirent sur leurs licous, en rompent les cuirs ou les longes, & s'ils ne sont pas dans un très-grand danger de s'estropier, du moins ces sortes d'accidens occasionnent-ils toûjours des desordres. Il est vrai qu'on pourroit pratiquer entre les cloisons dont j'ai parlé, une autre cloison qui offriroit un chemin d'environ un pié & demi de large, dans lequel on éleveroit un escalier pour monter aisément jusqu'à ces chevalets ; mais en obviant à une difficulté, nous ne parerions pas aux autres ; d'ailleurs l'espace d'un pié & demi de terrein que nous serions contraints de prendre en pareil cas, retrancheroit dans un vaisseau d'une certaine longueur une quantité considérable de places ; les chevaux seroient les uns & les autres dans un trop grand éloignement, & M. Soufflot contrediroit une des principales vûes qu'il a eu dans la construction dont il s'agit, puisqu'en rassemblant, pour ainsi dire, aux environs de chaque cheval une foule de petits objets, son idée a été de ne rien faire perdre à l'oeil du volume, de la masse, & de la taille de chaque animal, taille qui, quelque colossale qu'elle soit & qu'elle puisse être, paroît reduite à celle d'un bidet, dans de vastes édifices que l'on n'admire sans-doute que parce que leur étendue en impose.

Je disposerois encore dans des cours attenantes à celles-ci des auges en pierre, dont les unes seroient placées très-près des portes par lesquelles on communiqueroit des gardes-meubles & des selleries avec ces cours, tandis que les autres seroient sous des hangars destinés à panser les chevaux, à les desseler, à leur abattre la sueur, &c. par ce moyen les palefreniers & les maîtres du garde-meuble joüiroient facilement du lieu & de l'eau nécessaire pour laver d'une part les crins & les extrémités de l'animal, & pour nettoyer de l'autre tous les harnois & tous les équipages. On pourroit de plus construire dans ces mêmes cours des remises, des retraites pour le fumier ; il seroit très-important d'y bâtir des especes d'infirmeries pour les chevaux malades, & de les distribuer de maniere qu'ils pussent être totalement séparés des autres, dans le cas où ils seroient affectés de maladies contagieuses. D'un côté de cette infirmerie seroit une pharmacie garnie de tous les fourneaux, de tous les ustensiles, de tous les médicamens convenables, &c. de l'autre seroient une ou deux forges & des travails de toute espece, qui seroient recouverts & à l'abri des injures du tems : enfin on n'omettroit aucune des constructions indispensables, pour faciliter le traitement de l'animal sain & malade, & même pour l'exercer & pour le travailler, puisqu'on pourroit encore élever un manége, qui, dans l'autre face de l'édifice, répondroit à ces cours supposées. Voyez MANEGE, (Architecture.) Voyez aussi MARECHAL.

Les instrumens en usage dans une écurie de cette sorte sont 1°. tous ceux dont le palefrenier se sert pour panser un cheval, tels sont l'étrille (voyez ETRILLE), l'époussette (voyez EPOUSSETTE), la brosse ronde, la brosse longue, le peigne, l'éponge, le bouchon de foin. (Voy. PANSER) Il doit être muni encore de plusieurs paires de ciseaux ou de rasoirs, d'une pince à poil, d'un cure-pié, (voyez PANSER), d'un couteau de chaleur (voyez SUEUR) ; en un mot elle seroit pourvûe de plusieurs torchenés (voyez TORCHENE), de plusieurs pelles, de plusieurs balais, de plusieurs fourches de bois, & non de fer, car les palefreniers pourroient blesser les chevaux, s'ils s'en servoient pour l'arrangement de la litiere, de plusieurs cribles, de plusieurs mesures (voyez NOURRITURE), de plusieurs civieres ou broüettes, de plusieurs lunettes, filets, mastigadours (voyez LUNETTES, EMBOUCHURES), de plusieurs chapelets (voyez FARCIN), de plusieurs hachoirs (voyez HACHOIRS), &c.

Tel est le plan que M. Soufflot a conçu d'après les foibles lumieres que je lui ai communiquées. Nous n'avons garde d'en proposer les différens points, comme des lois auxquelles on ne peut se dispenser de se conformer ; & nous serons assez récompensés de nos soins, si notre exemple peut du moins engager d'autres artistes & d'autres écuyers à se concilier relativement aux détails & aux observations qu'exige un édifice, dont l'ordonnance ne peut être parfaite, qu'autant que l'architecte & l'écuyer réuniront leurs connoissances, & seront éclairés l'un par l'autre. (e)


ECUSSONS. m. (Pharm.) l'écusson est une espece d'épitheme (V. EPITHEME), fait ordinairement avec de la thériaque, dans laquelle on ajoûte encore des poudres aromatiques, des huiles essentielles, & qu'on étend sur de la peau, à laquelle on donne ordinairement la forme d'un coeur ou d'un ovale, ce qui lui a fait donner le nom de scutum, écu, bouclier.

L'écusson s'applique principalement sur l'estomac, dans l'intention de le fortifier, d'exciter la digestion, d'arrêter un vomissement. Voyez ce qu'on peut raisonnablement espérer de ces applications fort peu usitées dans la medecine moderne, au mot TOPIQUE. (b)

ECUSSON, (Marine) écu d'armes ; c'est un ornement qu'on met à l'arriere des vaisseaux, à la partie de la dunette qui regarde la mer, & qui pour l'ordinaire sert à placer des figures ou des armes qui indiquent le nom du vaisseau (voyez Mar. Planc. III. fig. 1.) la vûe de la poupe d'un vaisseau du premier rang, où l'on voit derriere la dunette une figure de Jupiter en relief lançant le tonnerre, & au-dessous l'écu des armes de France, & plus-bas le nom de tonnant que ce vaisseau porte. Plusieurs donnent à cette partie le nom de miroir ou de fronteau. Voyez MIROIR. (Z)

ECUSSON, à la Monnoie, est le revers ou côté opposé à celui d'effigie. En France, les louis, écus, &c. ont pour écusson les armes de France. On appelloit autrefois pile ce côté ; voyez PILE.

Sur l'écusson on trouve le millésime & la marque du graveur, & au-dessous de l'écusson, celle de l'hôtel où la piece de monnoie a été fabriquée.

ECUSSON, en terme de Blason, se dit d'un petit écu dont on charge un plus grand. Voyez ECU.

ECUSSON (greffe en), Voyez GREFFER.


ECUSSONNERest le même que greffer en écusson. Voyez GREFFER.


ECUSSONOIRS. m. (Jardinage) petit instrument tranchant & pointu, qui a la forme d'un couteau, & qui porte à l'autre bout du manche une espece de spatule propre à l'opération de la greffe en écusson.


ECUYERSS. m. pl. (Belles-Lett.) on appelloit ainsi, dans l'ancienne Milice, des gentilshommes qui faisoient le service militaire à la suite des chevaliers, avant que de parvenir à la dignité de chevalier.

Leurs fonctions étoient d'être assidus auprès des chevaliers, & de leur rendre certains services à l'armée & dans les tournois.

Ils portoient les armes du chevalier, jusqu'à ce qu'il voulût s'en servir. Ils étoient à pié ou à cheval, selon que les chevaliers alloient eux-mêmes. Ils n'avoient pas le droit de se vêtir aussi magnifiquement que les chevaliers ; & de quelque haute naissance qu'ils fussent, quand ils se trouvoient en compagnie avec les chevaliers, ils avoient des siéges plus bas qu'eux & un peu écartés en-arriere. Ils ne s'asséoient pas même à table avec les chevaliers, fussent-ils comtes ou ducs. Un écuyer qui auroit frappé un chevalier, si ce n'étoit en se défendant, étoit condamné à avoir le poing coupé.

Il y avoit une autre espece d'écuyers, sur-tout dans les états des rois d'Angleterre, qui portoient ce nom à cause de la qualité de leurs fiefs.

Ecuage, est appellé en latin scutagium, c'est-à-dire servitium scuti. Voyez l'article suivant ECUYER (Jurisprud.) (Q)

M. de la Curne de Sainte-Palaye nous a donné, sur la chevalerie dont il s'agit ici, cinq excellens mémoires, qui forment une partie considérable du volume XX. de l'académie des Belles-Lettres. Nous regrettons beaucoup que la nature & les bornes de cet ouvrage ne nous permettent pas d'en donner un extrait détaillé ; mais nous ne pouvons du moins nous dispenser de rendre justice aux savantes & curieuses recherches de l'auteur, & de réparer l'omission qui a été faite à ce sujet dans le troisieme volume de l'Encyclopédie à l'article CHEVALIER.

Dès qu'un jeune gentilhomme avoit atteint l'âge de sept ans, on le faisoit d'abord page. On lui donnoit des leçons sur l'amour de Dieu, sur les devoirs qu'il faut rendre aux dames, & sur le respect dû à la chevalerie ; on le formoit à toutes sortes d'exercices. Delà il passoit au titre d'écuyer, qu'on lui donnoit avec certaines cérémonies, & dans lequel il y avoit différens grades successifs, dont les fonctions sont aujourd'hui abandonnées aux domestiques. A l'âge de 21 ans, il pouvoit être reçu chevalier. On peut voir dans l'excellent ouvrage de M. de Sainte-Palaye, la maniere dont se pratiquoit cette cérémonie, les devoirs que la qualité de chevalier imposoit, les occasions principales où l'on créoit des chevaliers, la description & les particularités des tournois qu'ils donnoient, les récompenses par lesquelles la politique encourageoit les chevaliers à remplir avec honneur leurs engagemens, enfin les abus que la chevalerie entraînoit, & qui ont été cause de sa chûte. Nous renvoyons nos lecteurs, sur tous ces points purement historiques, aux cinq mémoires de M. de Sainte-Palaye ; ils perdroient trop d'ailleurs à être présentés ici dans un raccourci qui leur feroit tort. (O)

ECUYER, eques, (Jurisprudence) titre d'honneur & qualité que les simples nobles & gentilshommes ajoûtent après leurs noms & surnoms pour marque de leur noblesse, à la différence de la haute noblesse, qui porte le titre de chevalier, pour marquer l'ancienneté de son extraction, & qu'elle descend de personnes qui avoient été faits chevaliers.

Quelques-uns prétendent que le terme d'écuyer vient du latin equus, & que l'on a dit escuyer, quasi equiarius ; mais en ce cas on auroit dû écrire équier, c'est le titre que devroient prendre ceux qui ont l'inspection des écuries des princes & autres grands seigneurs, & non pas comme ils l'écrivent écuyer ; mais cette étymologie ne peut convenir aux écuyers militaires ou nobles, lesquels sont nommés en latin scutarii, ou scutiferi, scutati, scutatores.

M. de Boulainvilliers, dans ses lettres sur les parlemens, tome I. page 109, tient que le mot latin scutarius, vient de l'allemand shutter, qui signifie tireur de fleches, & conclut de-là, que dès-que l'usage des armures de fer a commencé, les hommes d'armes étoient accompagnés d'archers comme ils l'ont été dans les derniers tems.

On tient communément qu'escuyer vient du latin scutum, d'où l'on a fait scutarius ou scutifer ; que les écuyers furent ainsi nommés, parce qu'ils portoient l'écu des chevaliers dans les joutes & les tournois.

L'usage de l'écu dont ils paroissent avoir pris leur dénomination, est même beaucoup plus ancien que les joutes & tournois, puisqu'il nous vient des Romains.

L'écu étoit plus petit que le bouclier, parce que celui-ci étoit pour les cavaliers, au lieu que l'autre étoit pour les gens de pié.

Les écuyers romains étoient des compagnies de gens de guerre armés d'un écu & d'un javelot. Ils étoient fort estimés, mais néanmoins inférieurs pour le rang à d'autres gens de guerre, qu'on appelloit gentils, gentiles ; ceux-ci étoient certaines bandes ou compagnies de soldats prétoriens, c'est-à-dire destinés à la garde & défense du prétoire ou palais de l'empereur. Le maître des offices avoit sous lui deux écoles différentes, l'une pour les gentils, l'autre pour les écuyers.

Il est parlé des uns & des autres avec distinction dans Ammian Marcellin, liv. XIV. XVI. XVII. XX. & XXVII. & in notitiâ imperii Romani.

Pasquier en ses recherches, tome I. liv. II. ch. xvj. remarque que sur le déclin de l'empire romain, il y eut deux sortes de gens de guerre qui furent sur tous les autres en réputation de bravoure ; savoir, les gentils & les écuyers, dont Julien l'apostat faisoit grand cas lorsqu'il séjournoit dans les Gaules ; c'est pourquoi Ammian Marcellin, liv. XVII, rapporte que ce prince fut assiégé dans la ville de Sens par les Sicambriens, parce qu'ils savoient scutarios non adesse nec gentiles, ces troupes ayant été répandues en divers lieux pour les faire subsister plus commodément.

Scintule, comte de l'étable de César, eut ordre de choisir les plus alertes d'entre les écuyers & les gentils, ce qui fait voir que c'étoit l'élite des troupes ; & Pasquier observe que les écuyers n'étoient point soûmis ordinairement au comte de l'étable, qu'ils avoient leur capitaine particulier, appellé scutariorum rector, & que ce fut une commission extraordinaire alors donnée à Scintule.

Procope rapporte que vingt-deux de ces écuyers défirent trois cent Vandales.

Les empereurs faisant consister la meilleure partie de leurs forces dans les gentils & les écuyers, & voulant les récompenser avec distinction, leur donnerent la meilleure part dans la distribution qui se faisoit aux soldats des terres à titre de bénéfice.

Les princes qui vinrent de Germanie établir dans les Gaules la monarchie françoise, imiterent les Romains pour la distribution des terres conquises à leurs principaux capitaines ; & les Gaulois ayant vû sous l'empire des Romains les gentils & les écuyers tenir le premier rang entre les militaires, & posséder les meilleurs bénéfices, appellerent du même nom ceux qui succéderent aux mêmes emplois & bénéfices sous les rois françois.

L'état d'écuyer n'étoit même pas nouveau pour les Francs : en effet Tacite en son livre des moeurs des Germains, n. 5. dit que quand un jeune homme étoit en âge de porter les armes, quelqu'un des princes, ou bien le pere ou autre parent du jeune homme, lui donnoit dans l'assemblée de la nation un écu & un javelot, scuto trameaque juvenem ornant. Ainsi il devenoit scutarius, écuyer, ce qui relevoit beaucoup sa condition ; car jusqu'à cette cérémonie les jeunes gens n'étoient considerés que comme membres de leur famille ; ils devenoient ensuite les hommes de la nation. Ante hoc domus pars videntur, mox reipublicae.

Ce fut sans doute de-là qu'en France ces écuyers furent aussi appellés gentils-hommes, quasi gentis homines, ou bien de ceux que l'on appelloit gentiles. La premiere étymologie paroît cependant plus naturelle, car on écrivoit alors gentishome, & non pas gentil-homme.

Quoi qu'il en soit, comme les gentils-hommes & écuyers n'étoient chargés d'aucune redevance pécuniaire, pour raison des bénéfices ou terres qu'ils tenoient du prince, mais seulement de servir le roi pour la défense du royaume, on appella nobles tous les gentils-hommes & écuyers, dont la profession étoit de porter les armes, & qui étoient distingués du reste du peuple, qui étoit serf.

Ainsi la plus ancienne noblesse en France est venue du service militaire & de la possession des fiefs, qui obligeoient tous à ce service, mais de différentes manieres, selon la qualité du fief.

Celui que l'on appelloit vexillum ou feudum vexilli, banniere, ou fief banneret, obligeoit le possesseur, non-seulement à servir à cheval, mais même à lever banniere ; le chevalier étoit appellé miles.

Le fief de haubert, feudum loricae, obligeoit seulement le chevalier à servir avec une armure de fer.

Enfin les fiefs appellés feuda scutiferorum, donnerent le nom aux écuyers qui étoient armés d'un écu & d'un javelot ; on les appelloit aussi armigeri ou nobiles, & en françois nobles, écuyers ou gentilshommes.

Ces écuyers ou gentils-hommes combattoient d'abord à pié ; ensuite, lorsqu'on leur substitua les sergens que fournirent les communes, on mit les écuyers à cheval & on leur permit de porter des écus comme ceux des chevaliers ; mais ceux-ci étoient les seuls qui pussent porter des éperons dorés, les écuyers les portoient blancs, c'est-à-dire d'argent, & les vilains ou roturiers n'en portoient point, parce qu'ils servoient à pié.

Ainsi les écuyers ou possesseurs de simples fiefs avoient au-dessus d'eux les simples chevaliers qu'on appelloit aussi bacheliers-bannerets.

Le titre de noble ou écuyer s'acquéroit par la naissance ou par la possession d'un fief, lorsqu'il étoit parvenu à la tierce foi : mais pour pouvoir prendre le titre de chevalier, il falloit avoir été reconnu tel ; & pour devenir banneret, il falloit avoir servi pendant quelque tems d'abord en qualité d'écuyer, & ensuite de chevalier ou bachelier.

Suivant une convention faite entre le roi Philippe de Valois & les nobles en 1338, l'écuyer étoit audessus des sergens & arbalétriers : il étoit aussi distingué du simple noble ou gentil-homme qui servoit à pié.

L'écuyer, scutifer, qui avoit un cheval de vingt-cinq livres, avoit par jour six sols six deniers tournois.

Le chevalier banneret en avoit par jour vingt tournois.

Le simple chevalier dix sols tournois.

L'écuyer qui avoit un cheval de quarante livres, avoit sept sols six deniers.

Le simple gentil-homme, nobilis homo-pedes, armé de tunique, de gambiere & de bassinet, avoit deux sols, & s'il étoit mieux armé, deux sols six deniers.

L'écuyer avec un cheval de vingt-cinq livres ou plus, non couvert, avoit par-tout sept sols tournois, excepté dans les sénéchaussées d'Auvergne & d'Aquitaine, où il n'avoit que six sols six deniers tournois.

Le chevalier qui avoit double banniere, & l'écuyer avec banniere, avoit par tout le royaume la solde ordinaire.

On voit par ce détail, que la qualité d'écuyer n'étoit pas alors le terme usité pour désigner un noble, que c'étoit le terme nobilis ou miles pour celui qui étoit chevalier, que l'écuyer étoit un noble qui n'étoit pas encore élevé au grade de chevalier, mais qui combattoit à cheval ; qu'il y en avoit de mieux montés les uns que les autres ; qu'il y en avoit même quelques-uns qui portoient banniere, & qu'on les payoit à proportion de leur état.

Du tems du roi Jean, les écuyers servoient en qualité d'hommes d'armes comme les chevaliers ; il en est fait mention dans une ordonnance de ce prince, du 20 Avril 1363.

Comme anciennement les nobles ou gentils-hommes faisoient presque tous profession de porter les armes, & que la plûpart d'entr'eux faisoient le service d'écuyer ou en avoient le rang ; ils prenoient communément tous le titre d'écuyer : de sorte qu'insensiblement ce terme a été regardé comme synonyme de noble ou de gentil-homme, & qu'il est enfin devenu le titre propre que les nobles ajoûtent après leurs noms & surnoms, pour désigner leur qualité de nobles. Il n'y a cependant guere plus de deux siecles que la qualité d'écuyer a prévalu sur celle de noble ; & l'ordonnance de Blois, de l'année 1579, est la premiere qui ait fait mention de la qualité d'écuyer, comme d'un titre de noblesse.

Depuis que la qualité d'écuyer eut prévalu sur celle de noble, le titre de noble homme, loin d'annoncer une noblesse véritable dans celui qui la prenoit, dénotoit au contraire qu'il étoit roturier.

Il est cependant également défendu par les ordonnances de prendre la qualité de noble, comme celle d'écuyer.

La noblesse qui s'acquiert par les grands offices, & sur-tout par le service dans les cours souveraines, ne donnoit point anciennement la qualité d'écuyer, qui ne paroissoit point compatible avec un office dont l'emploi est totalement différent de la profession des armes.

Les présidens & conseillers de cours souveraines ne prenoient d'abord d'autre titre que celui de maître, qui équivaloit à celui de noble ou d'écuyer ; c'est pourquoi l'on observe encore de ne point prendre la qualité de maître avec celle d'écuyer : les hommes d'armes mêmes ou gendarmes, qui étoient constamment alors tous nobles ou réputés tels, étoient qualifiés de maîtres ; on disoit tant de maîtres pour dire tant de nobles ou cavaliers. Dans la suite les gens de robe & autres officiers qui joüissoient du privilége de noblesse, prirent les mêmes titres que la noblesse d'épée ; il y eut des présidens du parlement qui furent faits chevaliers ès lois, & depuis ce tems tous les présidens ont pris les qualités de messire & de chevalier.

Les conseillers de cour souveraine & autres officiers qui joüissent de la noblesse, ont pareillement pris le titre d'écuyer ; il y en a même beaucoup qui prennent aussi les qualités de messire & de chevalier, qui n'appartiennent néanmoins régulierement qu'à ceux qui les ont par la naissance, ou à l'office desquels ces qualités ont été expressément attribuées.

L'article 25. de l'édit de 1600. défend à toutes personnes de prendre le titre d'écuyer & de s'inscrire au corps de la noblesse, s'ils ne sont issus d'un ayeul & d'un pere qui ayent fait profession des armes, ou servi le public en quelques charges honorables, de celles qui, par les lois & les moeurs du royaume, peuvent donner commencement de noblesse à la postérité, sans avoir jamais fait aucun acte vil ni dérogeant à ladite qualité, & qu'eux aussi en se rendant imitateurs de leurs vertus, les ayent suivis en cette loüable façon de vivre, à peine d'être dégradés avec deshonneur du titre qu'ils avoient osé indûment usurper.

La déclaration du mois de Janvier 1624 a encore poussé les choses plus loin, car l'art. 2. défend à toutes personnes de prendre ladite qualité d'écuyer & de porter armoiries timbrées, à peine de deux mille livres d'amende, s'ils ne sont de maison & extraction noble : il est enjoint aux procureurs généraux & à leurs substituts de faire toutes poursuites nécessaires contre les usurpateurs des titre & qualité de noble.

La déclaration du 30 Mai 1702 ordonna une recherche de ceux qui auroient usurpé indûment les titres de chevalier & d'écuyer ; on a ordonné de tems en tems de semblables recherches.

Il n'est pas permis non plus aux écuyers ou nobles de prendre des titres plus relevés, qui ne leur appartiennent pas ; ainsi par arrêt du 13 Août 1663, rapporté au journal des audiences, faisant droit sur les conclusions du procureur général, il fut défendu à tous gentils-hommes de prendre la qualité de messire & de chevalier, si non en vertu de bons & de légitimes titres, & à ceux qui ne sont point gentilshommes, de prendre la qualité d'écuyers ni de timbrer leur armes, le tout à peine de quinze cent livres d'amende.

Malgré tant de sages réglemens, il ne laisse pas d'y avoir beaucoup d'abus, tant de la part de ceux qui étant nobles, au lieu de se contenter du titre d'écuyer, usurpent ceux de messire & de chevalier.

Ce n'est pas un acte de dérogeance d'avoir omis de prendre la qualité d'écuyer dans quelques actes.

Mais si celui qui veut prouver sa noblesse n'a pas de titres constitutifs de ce droit, & que la plûpart des actes qu'il rapporte ne fassent pas mention de la qualité d'écuyer, prise par lui ni par ses auteurs, en ce cas on le présume roturier ; parce que les nobles sont ordinairement assez jaloux de cette qualité pour ne la pas négliger.

Il y a certains emplois dans le service militaire & quelques charges qui donnent le titre d'écuyer, sans attribuer à celui qui le porte une noblesse héréditaire & transmissible, mais seulement personnelle ; c'est ainsi que la déclaration de 1651, & l'arrêt du grand-conseil, dit, que les gardes du corps du roi peuvent se qualifier écuyers. Les commissaires & controleurs des guerres & quelques autres officiers prennent aussi de même le titre d'écuyer. (A)

Voyez le glossaire de Ducange au mot scutarius, celui de Lauriere au mot écuyer, le traité de la noblesse par de la Roque, le code des tailles. (A)

ECUYER, GRAND-ECUYER DE FRANCE, (Hist. mod.) Le sur-intendant des écuries de nos premiers rois étoit nommé comte ou préfet de l'étable ; il veilloit sur tous les officiers de l'écurie ; il portoit l'épée du roi dans les grandes occasions, ce qui le faisoit nommer le protospataire : en son absence il y avoit un officier qui remplissoit ses fonctions, que l'on nommoit spataire. Lorsque le commandement absolu des armées fut donné au connétable & aux maréchaux de France, le spataire, qui sous eux étoit maître de l'écurie, en eut toute la sur-intendance. Il y avoit sous Philippe-le-Bel, en 1294, un Roger surnommé l'écuyer à cause de son emploi, qui étoit qualifié de maître de l'écurie du roi ; titre qui a passé à ses successeurs. En 1316 Guillaume Pisdoë fut créé premier écuyer du corps, & maître de l'écurie du roi. On connoissoit dès-lors quatre écuyers du roi : deux devoient être toûjours par-tout où étoit la cour ; l'un pour le corps, c'est le premier écuyer ; l'autre pour le tynel, c'est-à-dire pour le commun, qui se qualifioit aussi de maître de l'écurie du roi ; avec cette différence pourtant, que ceux du tynel dépendoient des maîtres de l'hôtel, & ne pouvoient s'éloigner sans leur congé ; au lieu que celui du corps ne prenoit congé que du roi. Le titre qu'avoit porté Guillaume Pisdoë, fut donné à ses successeurs jusqu'à Philippe de Geresmes, qui par lettres-patentes du 19 Septembre 1399, fut créé écuyer du corps, & grand-maître de l'écurie du roi. Tanneguy du Chastel pourvû de la même charge sous Charles VII. fut quelquefois qualifié de grand-écuyer. Jean de Garguesalle se donnoit cette qualité en 1470. Au commencement du régne de Louis XI. Alain Goyon fut honoré par le roi du titre de grand-écuyer de France, & ce titre est resté à tous ses successeurs en la même charge.

Le grand-écuyer prête serment entre les mains du Roi, & presque tous les autres officiers des écuries le prêtent entre les siennes. Il dispose des charges vacantes de la grande & petite écurie, & de tout ce qui est dans la dépendance des écuries, ce qui est très-considérable, tel que des charges & offices d'écuyers de la grande écurie de Sa Majesté, des écuyers-cavalcadours, des gouverneurs, sous-gouverneurs, précepteurs & maîtres des pages, &c.

La grande écurie a particulierement soin des chevaux de guerre & des chevaux de manége ; elle entretient néanmoins nombre de coureurs pour les chasses, que le Roi monte quand il le juge à-propos. Le grand-écuyer ordonne de tous les fonds qui sont employés aux dépenses de la grande écurie du Roi & du haras, de la livrée de la grande & petite écurie, & des habits de livrée pour plusieurs corps d'officiers de la maison du Roi.

Nul écuyer ne peut tenir à Paris ni dans aucune ville du royaume, académie de gentilshommes pour monter à cheval, & autres exercices, sans la permission formelle du grand-écuyer de France.

Le Roi fait quelquefois l'honneur au grand-écuyer de lui donner place dans son carrosse ; & il peut marcher proche la personne de Sa Majesté, quand le Roi est à cheval à la campagne. Le grand-écuyer se sert des pages, des valets-de-pié & des chevaux de la grande écurie.

Aux entrées que le Roi fait à cheval dans les villes de son royaume, ou dans des villes conquises où il est reçû avec cérémonie, le grand-écuyer marche à cheval directement devant la personne du Roi, portant l'épée royale de Sa Majesté dans le fourreau de velours bleu, parsemée de fleurs-de-lis d'or, avec le baudrier de même étoffe, son cheval caparaçonné de même : de là vient qu'il met cette épée royale aux deux côtés de l'écu de ses armes.

Le grand-écuyer marcha de cette sorte à la cérémonie faite à la majorité de Louis XIV. en 1651, à l'entrée de Leurs Majestés en 1660. Il a aussi séance au lit de justice à côté du grand-chambellan, qui s'assied toûjours aux piés du Roi dans ces sortes de cérémonies ; ce qui s'est pratiqué au lit de justice pour la majorité du Roi le 22 Février 1723, où l'on a vû le grand-écuyer immédiatement devant S. M. portant l'épée royale, s'asseoir à la droite du Roi, au bas des premiers degrés du lit de justice.

Le grand-écuyer de France d'aujourd'hui, est Louis-Charles de Lorraine, comte de Brionne, neveu de feu Charles de Lorraine comte d'Armagnac, que l'on nommoit le prince Charles, qui avoit succédé dans cette même charge à M. le comte d'Armagnac son pere. M. le comte de Brionne a prêté serment entre les mains du Roi le 25 Mars 1745.

ECUYER-COMMANDANT LA GRANDE ECURIE DU ROI. La fonction de cette charge est de commander en l'absence du grand-écuyer de France, la grande écurie & tous les officiers qui en dépendent. Cet officier prête serment de fidélité entre les mains du grand-écuyer. Il a droit de se servir des pages de la grande écurie, de faire porter la livrée du Roi à ses domestiques, & a son logement à la grande écurie. Indépendamment de l'écuyer-commandant, il y a trois écuyers ordinaires de la grande écurie, cinq écuyers de cérémonie, & trois écuyers -cavalcadours.

ECUYER, premier Ecuyer. La charge de premier écuyer du Roi est très-ancienne : par les titres de la chambre des comptes, principalement par les comptes des trésoriers des écuries, on voit qu'il y a eu distinctement une petite écurie du Roi. Cette charge est depuis le 10 Janvier 1645 dans la maison de Beringhen, originaire des Pays-bas ; elle est possédée aujourd'hui par Henri Camille marquis de Beringhen, qui a prêté serment entre les mains de Sa Majesté le 7 Février 1724.

Le premier écuyer commande la petite écurie du Roi, c'est-à-dire les chevaux dont Sa Majesté se sert le plus ordinairement ; les carrosses, les caleches, les chaises roulantes & chaises à porteurs : il commande aux pages & valets-de-pié attachés au service de la petite écurie, desquels il a droit de se servir, comme aussi des carrosses & chaises du Roi.

Une des principales fonctions du premier écuyer, est de donner la main à Sa Majesté, si Elle a besoin d'aide pour monter en carrosse ou en chaise ; & quand le Roi est à cheval, de partager la croupe du cheval de Sa Majesté avec le capitaine des gardes, ayant le côté gauche, qui est celui du montoir.

C'est le premier écuyer, lorsqu'il se fait quelque détachement de la petite écurie pour aller sur la frontiere conduire ou chercher un prince ou une princesse, qui présente au Roi l'écuyer ordinaire de Sa Majesté, ou un écuyer de quartier, pour être commandant de ce détachement.

Dans les occasions où le Roi fait monter quelqu'un dans son carrosse, il fait l'honneur à son premier écuyer de lui donner place.

Le premier écuyer a place au lit de justice, conjointement avec les capitaines des gardes-du-corps & le capitaine des cent-suisses, qui le précedent, sur un banc particulier au-dessous des pairs ecclésiastiques : cela s'est pratiqué ainsi, le Roi séant en son lit de justice, le 12 Septembre 1715, & le 22 Février 1723.

Sous le premier écuyer sont un écuyer ordinaire commandant la petite écurie, deux autres écuyers ordinaires, des écuyers -cavalcadours, & vingt écuyers en charge, qui servent pour la personne du Roi par quartier. Il ne faut pas confondre les écuyers du Roi avec ceux dont il est parlé du tems de Charles VI. sous le nom d'écuyers du corps du Roi ; car ceux-ci étoient une garde à cheval composée d'écuyers, c'est-à-dire de gentilshommes, qu'on appelloit dans ce tems écuyers du corps. Hist. de la milice françoise, tome II. Annotations sur l'histoire de Charles VI. sous l'an 1410.

Les écuyers du Roi ont seuls les fonctions du grand & du premier écuyer, en leur absence, pour le service de la main.

Les écuyers du Roi servans par quartier, prêtent serment de fidélité entre les mains du grand-maître de la maison du Roi. L'écuyer de jour doit se trouver au lever & au coucher du Roi, pour savoir si Sa Majesté monte à cheval. Si le Roi va à la chasse & prend ses bottes, l'écuyer doit lui mettre ses éperons ; il les lui ôte aussi. Soit que le Roi monte à cheval ou en carrosse, l'écuyer le suit à cheval. Pendant la journée les écuyers suivent & entrent par-tout où le Roi est, excepté le tems où le Roi tiendroit conseil ou souhaiteroit être seul ; alors l'écuyer se tient dans le lieu le plus prochain de celui où est le Roi. L'écuyer suit toûjours immédiatement le cheval ou le carrosse de Sa Majesté. Le Roi venant à tomber, l'écuyer soûtient ou releve le Roi ; il présenteroit son cheval, si celui de Sa Majesté étoit blessé, boiteux ou rendu, soit à la chasse, soit à la guerre.

Dans la marche ordinaire, & au cas que le grand ou premier écuyer n'y soient pas, l'écuyer de jour partage la croupe du cheval que le Roi monte, avec l'officier des gardes ; mais il prend le côté gauche, qui est celui du montoir, Dans un détroit, dans un défilé, il suit immédiatement, parce qu'en cette rencontre, & à cause du service, l'officier des gardes le laisse passer avant lui. Le Roi passant sur un pont étroit, l'écuyer met pié à terre & vient tenir l'étrier de Sa Majesté, de crainte que le cheval du Roi ne bronche ou ne fasse quelque faux pas. Si le grand ou le premier écuyer suivoit le Roi, il tiendroit l'étrier de la droite, & l'écuyer de quartier ou de jour, celui de la gauche.

Si-tôt que le Roi a des éperons, s'il ne met pas son épée à son côté, l'écuyer de jour la prend en sa garde. Si le Roi de dessus son cheval laisse tomber quelque chose, c'est à l'écuyer à la lui ramasser, & à la lui remettre en main. A l'armée l'écuyer du Roi sert d'aide de camp à Sa Majesté : un jour de bataille, c'est à l'écuyer à mettre au Roi sa cuirasse & ses autres armes.

ECUYER, premier Ecuyer-tranchant, (Histoire mod.) Le premier écuyer-tranchant exerce, ainsi que le grand-pannetier & le grand-échanson, aux grands repas de cérémonie, comme à celui du sacre du Roi, le jour de la cene ; & aux jours d'une grande célébrité, tel que seroit le jour d'une entrée du Roi & de la Reine.

Dans le nombre des gentilshommes-servans pour le service ordinaire du Roi, il y a douze gentilshommes-pannetiers, douze gentilshommes-échansons, & douze appellés écuyers-tranchans. Voyez GENTILSHOMMES-SERVANS.

Les provisions de M. de la Chesnaye de Rougemont, aujourd'hui premier écuyer-tranchant, sont de porte-cornette blanche & premier tranchant.

On voit dans une ordonnance de Philippe-le-Bel, de 1306, que le premier valet-tranchant, que nous appellons aujourd'hui premier écuyer-tranchant, avoit la garde de l'étendart royal, & qu'il devoit dans cette fonction marcher à l'armée " le plus prochain derriere le Roi, portant son panon qui doit aller çà & là par-tout où le Roi va, afin que chacun connoisse où le Roi est ".

Ces deux charges étoient possédées par la même personne sous Charles VII. & sous Charles VIII. & l'ont presque toûjours été depuis. C'étoit sous cet étendart royal, nommé depuis cornette-blanche, que combattoient les officiers commensaux du Roi, les seigneurs & gentilshommes de sa maison, & les gentilshommes volontaires.

Les charges de premier écuyer-tranchant & de porte-cornette blanche, étoient possédées en 1660 jusqu'en 1678, par le marquis de Vandeuvre, du surnom de Mesgrigny. En 1680 le comte de Hombourg avoit la charge de premier écuyer-tranchant, sans avoir celle de porte-cornette blanche, comme il paroît par l'état de la France de cette année ; ce qui dénote que le marquis de Vandeuvre pourroit lui avoir vendu l'une & s'être réservé l'autre.

Après sa mort, en 1685, ces deux charges furent réunies en la personne de M. de la Chesnaye, en faveur de qui M. le comte de Hombourg se démit de celle de premier tranchant ; c'est ce que portent les provisions de M. de la Chesnaye, qui marquent en même tems que la charge de cornette-blanche étoit vacante par le décès du marquis de Vandeuvre. Edit. de l'état de la France, de 1749.

ECUYER-BOUCHE : la fonction de cet officier est lorsque le Roi mange à son grand couvert en grande cérémonie, de poser en arrivant sur une table dressée à un des coins de la salle, du côté de la porte, les plats, pour les présenter proprement aux gentilshommes-servans qui sont près de la table du Roi. Ceux-ci font faire l'essai de chaque plat à chacun de ces officiers de la bouche en présence de Sa Majesté, à mesure qu'ils les leur remettent pour être présentés sur la table du Roi.

ECUYER, (Manége) titre dont on seroit plus avare & que l'on prostitueroit moins, si l'on considéroit tous les devoirs auxquels il engage, & tous les talens qu'il suppose. Non-seulement on l'accorde aux personnes à l'état & à la place desquelles il est attaché, mais on le donne libéralement à tous ceux à qui l'on confie le soin d'un équipage, qui courent & galopent des chevaux, & qui n'ont d'autre mérite que celui d'avoir acquis par l'habitude, la tenue & la fermeté dont nos moindres piqueurs sont capables. Nous voyons même que les auteurs du dictionnaire de Trévoux, dont les décisions à la vérité n'ont pas toûjours force de loi, qualifient ainsi les personnes du sexe : On dit aussi d'une femme qui monte hardiment à cheval, que c'est une bonne écuyere.

Il semble qu'on n'a jamais fait attention aux suites ridicules de notre facilité & de notre foiblesse à souscrire à l'usurpation des titres. Ils satisfont l'amour propre, & cet objet une fois rempli, la plûpart des hommes ne veulent rien de plus : ainsi, tant que l'épigrammatiste sera regardé comme poëte, le déclamateur ou le rhéteur de collége comme orateur, le répétiteur d'expériences comme physicien, le disséqueur comme anatomiste, l'empyrique comme médecin, le maçon comme architecte, le journaliste comme un critique éclairé, le palefrenier ou le piqueur comme écuyer, &c. les progrès des Sciences, des Lettres & des Arts seront toûjours très-lents ; en effet ces progrès ne dépendront alors que d'un très-petit nombre de génies privilégiés, moins curieux & moins jaloux d'un nom qui les confondroit avec le peuple du monde littéraire, que de l'avantage de penser, d'approfondir & de connoître. (e)

ECUYER, (Jardin) est une perche ou un piquet mis à un arbre pour le conduire. (K)

ECUYER, (Oecon. rust.) faux bourgeon qui croît au pié d'un sep de vigne ; quelquefois il réussit, & répare le ravage de la gelée.

ECUYER, (Ven.) c'est un jeune cerf qui souvent en accompagne un vieux.


EDAM(Géog. mod.) ville des Pays-bas hollandois sur le Zuiderzée. Long. 52. 33. latit. 22. 28.


EDENS. m. (Géog. & Hist.) contrée d'Orient où étoit le paradis terrestre. Ceux qui dérivent l'étymologie de Jourdain des mots jor, & ader, ruisseau, & aden ou eden, prétendent que l'Eden étoit situé sur les bords du Jourdain & du lac de Genesareth, ou de gennar-sara, c'est-à-dire le jardin du prince. Les Musulmans admettent aussi l'Eden ; ç'a été l'occasion pour leurs docteurs de débiter beaucoup de visions. Eden est encore une ville du mont Liban, située dans un lieu très-agréable. Voy. l'art. PARADIS TERRESTRE.


EDESSES. f. (Géog. anc. & mod.) ville de la Mésopotamie, fondée par Séleucus-le-Grand dans l'Osrhoëne, environ 400 ans avant J. C. Abgare roi d'Edesse, converti, dit-on, par saint Thomas, avoit commencé, dit-on, à croire en J. C. sur sa seule réputation ; les Grecs du bas empire ont débité là-dessus bien des fables. Edesse s'appelle aujourd'hui Orsa.


EDHEMITEou EDHEMIS, s. m. (Hist. ecclés.) sorte de religieux mahométans, ainsi nommés d'Ibrahim Edhem leur instituteur, dont ils racontent des choses fort singulieres, & entr'autres qu'en méditant l'alcoran il prononçoit souvent cette priere : " O Dieu ! tu m'as donné tant de lumières, que je connois évidemment que tu prends soin de ma conduite, & que je suis sous ta protection ; c'est pourquoi je me voue à la méditation de la Philosophie, & me résouds à mener une vie sainte, afin de t'être agréable ". Ses sectateurs se nourrissent de pain d'orge, prient & jeûnent souvent. Ils portent un bonnet de laine entouré d'un turban, & sur le cou un linge blanc marqueté de rouge. Leurs supérieurs s'adonnent à l'étude, pour se rendre capables de prêcher. On voit peu de ces moines à Constantinople, leurs principales maisons sont en Perse dans le Chorazan. Ricaut, de l'Empire Ottom. & Guer. moeurs des Turcs, tom. I. (G)


EDIFICES. m. (Architect.) s'entend en général de tout monument considérable, tel qu'une église, un grand palais, un hôtel-de-ville, un arsenal, un arc de triomphe, &c. quoique le mot latin oedes, dont il est dérivé, signifie maison, qui désigne plûtôt l'habitation des hommes, que les bâtimens érigés pour la piété des fideles, ou pour la magnificence des souverains. Voyez MAISON. (P)


EDILES. m. (Hist. anc.) chez les Romains étoit un magistrat qui avoit plusieurs différentes fonctions, mais entr'autres la surintendance des bâtimens publics & particuliers, des bains, des aqueducs, des chemins, des ponts & chaussées, &c.

Ce nom vient d'aedes, temple ou maison ; il fut donné à ces magistrats à cause de l'inspection qu'ils avoient sur les édifices.

Leurs fonctions étoient à-peu-près les mêmes que celles des agoranomes & astynomes en Grece. Voyez AGORANOMES & ASTYNOMES.

Les édiles avoient aussi inspection sur les poids & mesures. Ils fixoient le prix aux vivres, & veilloient à ce qu'on ne fît point d'exactions sur le peuple. La recherche & la connoissance des débauches & des desordres qui se passoient dans les maisons publiques, étoient aussi de leur ressort. Ils avoient la charge de revoir les comédies & de donner au peuple les grands jeux à leurs dépens.

C'étoit encore aux édiles qu'appartenoit la garde des ordonnances du peuple. Ils pouvoient même faire des édits sur les matieres qui étoient de leur compétence, & peu-à-peu ils se procurerent une jurisdiction très-considérable, & la connoissance d'une infinité de causes.

Leur charge étoit si ruineuse par les dépenses qu'elle obligeoit de faire, que du tems d'Auguste, il y avoit jusqu'à des sénateurs qui refusoient l'édilité pour cette raison.

Les fonctions qui mirent les édiles en si grande considération, appartenoient dans les commencemens aux édiles plébéïens ou petits édiles qui étoient d'abord les seuls édiles qu'il y eût : ils n'étoient que deux & avoient été créés la même année que les tribuns : car ceux-ci se trouvant accablés par la multitude des affaires, demanderent au sénat des officiers, sur qui ils pussent se décharger des affaires de moindre importance : en conséquence le sénat créa deux édiles, qu'on nommoit tous les ans à la même assemblée que les tribuns. Voyez TRIBUN.

Mais ces édiles plebéïens ayant refusé dans une occasion célébre de donner les grands jeux, par la raison qu'ils n'étoient pas en état d'en supporter la dépense ; des patriciens offrirent de les donner pourvû qu'on leur accordât les honneurs de l'édilité.

On accepta leurs offres, & on en créa deux édiles l'an de Rome 388, on les appella édiles majeurs ou curules, parce qu'en donnant audience ils avoient droit de s'asseoir sur une chaise curule ornée d'ivoire ; au lieu que les édiles plébéïens étoient assis sur des bancs.

De plus, les édiles curules avoient part à toutes les fonctions ordinaires des édiles plébéïens, & étoient chargés spécialement de donner au peuple Romain les grands jeux, des comédies & des combats de gladiateurs.

Voici un fait qui mérite bien d'être rapporté : les édiles sur la fin de la république donnoient des couronnes d'or aux acteurs, aux musiciens, aux joüeurs d'instrumens & aux autres artistes qui servoient aux jeux : Caton engagea Favonius à ne distribuer dans son édilité que des couronnes de branches d'olivier, suivant l'usage qui se pratiquoit aux jeux olympiques ; cependant Curion le premier édile donnoit dans un autre théatre des jeux magnifiques & des présens proportionnés ; mais comme Caton présidoit aux jeux de Favonius, les acteurs, les musiciens, les joüeurs d'instrumens, en un mot tout le peuple, quitta les jeux magnifiques de Curion pour voler à ceux de son collegue, tant la seule présence de Caton influoit encore dans l'état.

Dans la suite, pour soulager ces quatre édiles, César en créa deux nouveaux sous le nom d'édiles céréaux, oediles cereales, parce que leur principal emploi fut de prendre soin des blés que les Romains appelloient don de Cerès, donum Cereris ; parce qu'ils croyoient que cette déesse avoit appris aux hommes l'agriculture. Ces édiles créés les derniers étoient aussi tirés d'entre les patriciens.

Il y avoit encore des édiles dans les villes municipales, qui y avoient la même autorité que les édiles de Rome dans la capitale de l'empire.

On apprend aussi par plusieurs inscriptions, qu'il y avoit un édile alimentaire ; ce qui est marqué par ces commencemens de mots, oedil. alim. dont la fonction étoit, à ce qu'on croit, de pourvoir à la nourriture des personnes qui étoient à la charge de l'état, quoique quelques-uns leur en assignent une autre.

On a aussi trouvé sur une ancienne inscription le mot aedilis castrorum, édile de camp ; soit que ce fût un officier chargé de la police du camp, soit qu'il ne dût se mêler que de ce qui concernoit la subsistance des troupes, comme nos munitionnaires généraux & nos intendans d'armée. On ne trouve plus d'édiles dans l'histoire depuis Constantin : cette charge étoit dans la république, celle par laquelle commençoit la carriere des honneurs, & comme un degré pour parvenir aux premiers. Chambers. (G)


EDILINGS. m. (Hist. mod.) c'est un ancien nom de la noblesse parmi les Anglo-Saxons. Voyez NOBLESSE.

La nation saxonne, dit Nithard, Hist. I. IV. est divisée en trois ordres ou classes de peuple ; les édiling, les frilingi, & les lazzi ; ce qui signifie la noblesse, les bourgeois, & les vassaux ou serfs.

Au lieu d'édiling, on trouve quelquefois atheling ou aetheling : on attribue aussi cette qualité au fils du roi & à l'héritier présomptif de la couronne. Voyez ATHELING. Chambers. (G)


EDINBOURG(Géog.) capitale de l'Ecosse, le siége de ses rois avant la mort d'Elisabeth reine d'Angleterre, & celui de son Parlement avant l'union des deux royaumes. La marée monte environ jusqu'à vingt milles de ses murs. Sa situation est à une lieue & demie de la mer, dans un terrein agréable & fertile. Elle est commandée par un château très-fort appellé Mayden-castle, c'est-à-dire le château des vierges, parce que les rois des Pictes y gardoient leurs filles. Son université est un bâtiment spacieux, où les professeurs & les étudians sont bien logés. Les sciences & la médecine en particulier y fleurissent avec honneur. Sa bibliotheque possede 105 sceaux des princes de Boheme, de Moravie & autres, avec l'original de la protestation des Bohémiens contre le concile de Constance, qui malgré le sauf-conduit, brûla Jean Hus & Jérôme de Prague en 1417. Le nombre de ses habitans va aujourd'hui (1755), à plus de 33000 ames. Long. 14d 34' 55" lat. 55. 55. Art. de M(D.J.)


EDITS. m. (Jurisprud.) ce terme a plusieurs significations différentes.

EDIT, edictum, chez les Romains signifioit quelquefois citation ou ajournement à comparoître devant le juge. Le contumax étoit sommé par trois de ces édits ou citations qui emportoient chacun un délai de 30 jours ; ensuite on le condamnoit aux dépens. Voyez au code liv. VII. tit. xliij. aut. quod. (A)

EDIT, est une constitution générale que le prince fait de son propre mouvement, par laquelle il défend quelque chose, ou fait quelque nouvel établissement général, pour être observé dans tous ses états ou du moins dans l'étendue de quelque province.

Le terme d'édit vient du Latin edicere qui signifie aller au-devant des choses & statuer dessus par avance ; c'est l'étymologie que Théophile donne de ce terme sur le §. 6 du tit. ij. du liv. I. des Instit.

Il y avoit des édits chez les Romains : nous avons encore dans le corps de droit 13 édits de Justinien : il y avoit aussi l'édit du préteur & l'édit perpétuel desquels il sera parlé ci-après en leur rang.

En France les rois de la premiere race faisoient des édits ; sous la seconde race, toutes les ordonnances & reglemens étoient appellés capitulaires ; sous la troisieme race, le terme d'édit est redevenu en usage.

Les édits sont différens des ordonnances, en ce que celles-ci embrassent ordinairement différentes matieres ou du moins contiennent des reglemens généraux & plus étendus que les édits qui n'ont communément pour objet qu'un seul point.

Les déclarations sont données en interprétation des édits.

Quant à la forme des édits, ce sont de même que les ordonnances des lettres patentes du grand sceau, dont l'adresse est à tous présens & à venir. Ils sont seulement datés du mois & de l'année.

Les édits étant signés du roi, sont visés par le chancelier & scellés du grand sceau en cire verte sur des lacs de soie rouge & verte.

Il y a cependant quelques édits qui sont en forme de déclaration & qui commencent par ces mots, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, & qui sont datés du jour du mois, & scellés en cire jaune sur une double queue de parchemin.

On n'observe les édits que du jour qu'ils sont enregistrés en parlement, de même que les ordonnances & déclarations. Voyez ci-après ENREGISTREMENT, PUBLICATION & VERIFICATION. (A)

EDIT, (Chambre de l') Voyez ci-après au mot EDIT DE PACIFICATION.

EDIT D'AMBOISE, est un reglement fait par Charles IX. à Amboise au mois de Janvier 1572. qui prescrit une nouvelle forme pour l'administration de la police dans toutes les villes du royaume.

Il y a aussi un autre édit donné dans le même tems à Amboise, qui a principalement pour objet la punition de ceux qui contreviennent à l'exécution des ordonnances du roi & de la justice, & de regler la jurisdiction des prevôts des maréchaux ; mais quand on parle de l'édit d'Amboise sans autre désignation, c'est communément du premier que l'on entend parler. (A)

EDIT D'AOUT, qu'on désigne ainsi sans ajoûter l'année ni le lieu, est un des édits de pacification accordés aux religionnaires, qui fut donné à S. Germain au mois d'Août 1570. Il a été ainsi appellé pour le distinguer des autres édits de pacification qui furent donnés dans les années précédentes ; l'un appellé l'édit de Juillet, parce qu'il fut donné en Juillet 1561 ; un autre appellé édit de Janvier donné en Janvier 1562 ; & deux autres appellés édits de Mars, l'un donné à Amboise au mois de Mars 1561, l'autre donné en Mars 1568.

EDIT DE LA BOURDAISIERE, que quelques-uns qualifient aussi d'ordonnance, est un édit de François I. du 18 Mai 1529. donné à la Bourdaisiere, portant reglement pour la forme des évocations. V. ci-après EDIT DE CHANTELOUP & EVOCATIONS. (A)

EDIT BURSAL, on appelle ainsi les nouveaux édits & déclarations qui n'ont principalement pour objet que la finance qui en doit revenir au souverain : tels sont les créations d'office, les nouvelles impositions & autres établissemens semblables que le prince est obligé de faire en certains tems pour subvenir aux besoins de l'état. (A)

EDIT DE CHANTELOUP, fut donné audit lieu par François I. au mois de Mars 1545, pour confirmer l'édit de la Bourdaisiere concernant les évocations, & expliquer quelques dispositions de cet édit. Voyez ci-devant EDIT DE LA BOURDAISIERE, & ci-après EVOCATION. (A)

EDIT DE CHATEAU-BRIANT, est un des édits donnés contre les religionnaires avant les édits de pacification ; il fut ainsi nommé parce qu'Henri II. le fit à Chateau-Briant le 22 Juin 1551 : il contient 46 articles qui ont pour objet la punition de ceux qui se sont séparés de la foi de l'Eglise romaine, pour aller à Genève ou autres lieux de religion contraire à la religion catholique, apostolique & romaine. Voyez ce qui est dit ci-après à l'article EDIT DE ROMORANTIN. (A)

EDIT DU CONTROLE, est le nom que l'on donne à divers édits, par lesquels le roi a établi la formalité du contrôle pour certains actes. Ainsi quand on parle de l'édit du contrôle, cela doit s'entendre secundum subjectam materiam.

Edit du Contrôle, en matiere bénéficiale, est celui du mois de Novembre 1637, par lequel Louis XIII. pour éviter les abus qui se commettoient par rapport aux bénéfices, créa dans chacune des principales villes du royaume, un contrôleur des procurations pour résigner, présentations, collations, & autres actes concernant les bénéfices, l'impétration & possession d'iceux, & les capacités requises pour les posséder. Cet édit adressé seulement au grand-conseil, y fut d'abord enregistré sous plusieurs modifications le 13 Août 1638, & fut suivi de lettres de jussion du 25 du même mois, & d'arrêt du grand-conseil du 4 Septembre suivant. Il y a encore eu plusieurs déclarations à ce sujet, jusqu'à l'édit du mois de Décembre 1691, appellé communément l'édit des insinuations ecclésiastiques. Voy. CONTROLE & INSINUATIONS ECCLESIASTIQUES.

Edit du Contrôle, en matiere d'exploits, est l'édit du mois d'Août 1669, par lequel le roi en dispensant les huissiers & sergens de la nécessité de se faire assister de deux records, a ordonné que tous exploits, à l'exception de ceux qui concernent la procure de procureur à procureur, seront contrôlés dans trois jours de leur date, à peine de nullité. Voyez CONTROLE DES EXPLOITS.

Edit du Contrôle, en fait d'actes des Notaires, est l'edit du mois de Mars 1698, portant que tous les actes des notaires, soit royaux, apostoliques, ou des seigneurs, seront contrôlés dans la quinzaine de leur date, sous les peines portées par cet édit. Il y a eu encore plusieurs déclarations & arrêts du conseil à ce sujet. Voyez CONTROLE DES ACTES DES NOTAIRES.

Edit du Contrôle pour les actes sous signature privée : on entend quelquefois sous ce nom la déclaration du 14 Juillet 1699, portant que ces actes seront contrôlés après avoir été reconnus. Mais on entend plus communément par-là, l'édit du mois d'Octobre 1705, par lequel il a été ordonné que tous les actes sous seing privé, à l'exception des lettres de change & billets à ordre ou au porteur, des marchands, négocians, & gens d'affaires, seront contrôlés avant qu'on en puisse faire aucune demande en justice. Voyez CONTROLE DES ACTES SOUS SIGNATURE PRIVEE.

Edit du Contrôle pour les dépens. Voyez CONTROLE DES DEPENS. (A)

EDIT DE CREMIEU, est un réglement donné par François I. à Cremieu le 19 Juin 1536, composé de 31 articles, qui regle la jurisdiction des baillifs, sénéchaux, & siéges présidiaux, avec les prevôts, châtelains, & autres juges ordinaires, inférieurs, & les matieres dont les uns & les autres doivent connoître. Ce réglement commence par ces mots : A tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut, &c. & est daté à la fin, du jour, du mois, & de l'année : ce qui est la forme ordinaire des déclarations. Cependant ce réglement est universellement appellé l'édit de Cremieu. (A)

EDIT DES DUELS, c'est-à-dire contre les duels. Il y a eu anciennement plusieurs édits pour restraindre l'usage des duels, & même pour les défendre absolument ; mais celui auquel on donne singulierement le nom d'édit des duels est un édit de Louis XIV. du mois d'Août 1679, qui a renouvellé encore plus étroitement les défenses portées par les précédentes ordonnances. Il y a aussi un édit des duels donné par Louis XV. au mois de Février 1723, qui ordonne l'exécution du précédent, & contient plusieurs dispositions nouvelles. Voyez ci-devant au mot DUEL. (A)

EDITS DES EDILES, edilitia edicta, étoient des réglemens que les édiles-curules faisoient pour les particuliers sur les matieres dont ils avoient la connoissance : telles que l'ordonnance des jeux, la police des temples, des chemins publics, des marchés, & des marchandises, & sur tout ce qui se passoit dans la ville. Ce fut par ces édits que s'introduisirent les actions que l'on a contre ceux qui vendent des choses défectueuses.

Comme la compétence des préteurs & celle des édiles n'étoient pas trop bien distinguées, & que les édiles étoient souvent appellés préteurs, on confondoit aussi quelquefois les édits des édiles avec ceux des préteurs.

Ces édits n'étoient, comme ceux des préteurs, que des lois annuelles, que chaque édile renouvelloit pendant son administration suivant qu'il le jugeoit à-propos.

Il paroît que le pouvoir de faire des édits fut ôté aux édiles par l'empereur Adrien, lorsqu'il fit faire l'édit perpétuel, ou la collection de tous les édits des préteurs & des édiles. Voyez ci-après EDIT PERPETUEL. (A)

EDIT DES EMPEREURS ROMAINS, appellés aussi constitutiones principum, étoient de nouvelles lois qu'ils faisoient de leur propre mouvement, soit pour décider les cas qui n'avoient pas été prévûs, soit pour abolir ou changer quelques lois anciennes. Ces lois étoient différentes des rescrits & des decrets, les rescrits n'étant qu'une réponse à quelques lettres d'un magistrat, & les decrets des jugemens particuliers. Ces édits ou constitutions ont servi à former les différens codes grégorien, hermogénien, théodosien, & justinien. Voyez CODE, & ci-après EDITS DE JUSTINIEN. (A)

EDIT DES FEMMES ; Loiseau, en son traité des off. liv. II. chap. x. n. 17, dit que plusieurs donnent ce nom à l'édit du 12 Décembre 1604, portant établissement du droit annuel, ou paulette, qui se paye pour les offices ; que cet édit a été ainsi nommé, parce qu'il tourne au profit des femmes, en ce que par le moyen du payement de la paulette, les offices de leurs maris leur sont conservés après leur mort. (A)

EDIT DES INSINUATIONS est de deux sortes, savoir des insinuations ecclésiastiques, & des insinuations laïques.

Edit des Insinuations ecclésiastiques. Le premier édit qui ait établi l'insinuation en matiere ecclésiastique, est celui d'Henri II. du mois de Mars 1553, portant création de greffiers des insinuations ecclésiastiques, qui fut suivi d'un autre édit de 1595, par lequel ces greffiers furent érigés en offices royaux. Il est aussi parlé d'enregistrement ou insinuation dans l'édit du contrôle de 1637, par rapport aux bénéfices. Mais l'édit appellé communément édit des insinuations, ou des insinuations ecclésiastiques, est celui de Louis XIV. du mois de Décembre 1691, registré au parlement de Paris & au grand-conseil, portant suppression des anciens offices de greffiers des insinuations ecclésiastiques, & création de nouveaux pour insinuer tous les actes concernant les titres & capacités des ecclésiastiques, toutes procurations pour résigner ou permuter des bénéfices, les actes de présentation ou nomination des patrons, les provisions des ordinaires, prises de possession, bulles de cour de Rome, lettres de degré, &c. Voyez INSINUATIONS ECCLESIASTIQUES.

Edit des Insinuations laïques, est l'édit du mois de Décembre 1703, qui a étendu la formalité de l'insinuation à tous les actes translatifs de propriété & autres dénommés dans cet édit ; au lieu qu'elle ne se pratiquoit auparavant que pour les donations & les substitutions. Cet édit a été surnommé des insinuations laïques, pour le distinguer de l'édit des insinuations du mois de Décembre 1691, qui concerne les insinuations ecclésiastiques. Voy. CENTIEME DENIER, SINUATIONS LAÏQUESQUES. (A)

EDIT DE JUILLET, est l'édit fait par Charles IX. contre les religionnaires, au mois de Juillet 1561. La raison pour laquelle on le désigne ainsi seulement par le nom du mois où il a été donné, est expliquée ci-devant à l'article EDIT D'AOUT. (A)

EDITS DE JUSTINIEN, sont treize constitutions ou lois de ce prince, que l'on trouve à la suite des novelles dans la plûpart des éditions du corps de Droit. On peut voir ci-devant ce que nous avons dit des édits des empereurs en général ; mais il faut observer sur ceux de Justinien en particulier, qu'étant postérieurs à la derniere rédaction de son code, ils n'ont pû y être compris. Ces édits n'ayant pour objet que la police de plusieurs provinces de l'empire, ne sont d'aucun usage parmi nous, même dans les pays de droit écrit. (A)

EDIT DE MARS, voyez ce qui est dit ci-devant à l'article EDIT D'AOUT.

EDIT DE MELUN, est un réglement donné à Paris par Henri III. au mois de Février 1580. Il a été surnommé édit de Melun, parce qu'il fut fait sur les plaintes & remontrances du clergé de France assemblé par permission du roi en la ville de Melun.

La discipline ecclésiastique fait l'objet de cet édit. Il est composé de 31 articles, qui traitent de l'obligation de tenir les conciles provinciaux tous les 3 ans ; de la visite des monasteres ; des réparations des bénéfices, & des curés qui doivent y contribuer ; de la saisie du temporel faute de résidence ; de l'emploi des revenus ecclésiastiques ; des provisions in formâ dignum ; de la nécessité d'exprimer les causes des refus de provisions ; des dévolutaires ; des priviléges & exemptions des ecclésiastiques ; de la maniere d'instruire contre eux les procès criminels ; que les juges royaux doivent donner assistance pour l'exécution des jugemens ecclésiastiques. Enfin il traite aussi des terriers des ecclésiastiques, des droits curiaux, des dixmes, & des bois des ecclésiastiques. Cet édit fut enregistré, les grand-chambre & tournelle assemblées, avec quelques modifications que l'on peut voir dans l'arrêt d'enregistrement, qui est du 5 Mars de la même année.

EDIT DES MERES, est un édit de Charles IX. donné à Saint-Maur au mois de Mai 1567, ainsi appellé parce qu'il regle l'ordre dans lequel les meres doivent succéder à leurs enfans. On l'appelle aussi édit de Saint-Maur, du lieu où il fut donné.

Par l'ancien droit romain, les meres ne succédoient point à leurs enfans. La rigueur de ce droit fut adoucie par les empereurs, en accordant aux meres qu'elles succéderoient à leurs enfans.

La derniere constitution par laquelle Justinien paroissoit avoir fixé l'ordre de cette sorte de succession, donnoit à la mere le droit de succéder à ses enfans, non-seulement en leurs meubles & conquêts, mais aussi dans les biens patrimoniaux provenus du côté paternel.

Cette loi fut ponctuellement observée dans les pays de droit écrit jusqu'à l'édit des meres, qui regla que dorénavant les meres succédantes à leurs enfans, n'auroient en propriété que les biens-meubles & les conquêts provenus d'ailleurs que du côté paternel ; & que pour tout droit de légitime dans les biens paternels, elles auroient leur vie durant l'usufruit de la moitié de ces biens.

Le motif allégué dans cet édit, étoit de conserver dans chaque famille le bien qui en provenoit.

Cet édit fut enregistré au parlement de Paris, & observé dans les pays de droit écrit de son ressort.

Mais les parlemens de droit écrit, lorsque l'édit leur fut adressé, supplierent le roi, & encore depuis, de trouver bon qu'ils continuassent à suivre pour la succession des meres leurs anciennes lois.

Quoique le parlement d'Aix n'eût pas non plus enregistré cet édit, les habitans de Provence parurent cependant d'abord assez disposés à s'y conformer. Mais les contestations qui s'y éleverent sur le véritable sens de cet édit, donnerent lieu à une déclaration en 1575, qui ne fut adressée qu'au parlement d'Aix. Elle fut même bientôt suivie de lettres patentes, qui lui défendoient d'y avoir égard dans le jugement d'une affaire qui y étoit pendante : ce qui donna lieu dans la suite à ce parlement d'introduire une jurisprudence qui tenoit le milieu entre les lois romaines & l'édit des meres, & qui parut même autorisée par un arrêt du conseil. Cependant, au préjudice de cette jurisprudence observée dans ce parlement pendant plus d'un siecle, on voulut y faire revivre la déclaration de 1575, qui paroissoit abrogée par un long usage. Cette difficulté engagea le parlement d'Aix à supplier le Roi à présent régnant, de faire un réglement sur cette matiere : ce qui a été fait par un édit du mois d'Août 1729, dont la disposition s'étend à tous les parlemens du royaume, qui ont dans leur ressort des provinces régies par le droit écrit.

Par cet édit, le roi révoque celui de Saint-Maur du mois de Juillet 1567, & ordonne qu'à compter de la publication du nouvel édit, le précédent soit regardé comme non fait & non avenu dans tous les pays du royaume où il a été exécuté ; & en conséquence que les successions des meres à leurs enfans ou des autres ascendans, & parens les plus proches desdits enfans du côté maternel, qui seront ouvertes après le jour de la publication de cet édit, seront déférées, partagées, & reglées, suivant la disposition des lois romaines, ainsi qu'elles l'étoient avant l'édit de Saint-Maur.

Le roi déclare néanmoins que son intention n'est pas de déroger aux coûtumes ou statuts particuliers qui ont lieu dans quelques-uns des pays où le droit écrit est observé, & qui ne sont pas entierement conformes aux dispositions des lois romaines sur lesdites successions. Il ordonne que ces coûtumes ou statuts seront suivis & exécutés comme ils l'étoient avant ce dernier édit.

Il est encore dit que dans les pays où l'édit de Saint-Maur a été observé en tout ou partie, les successions ouvertes avant la publication du nouvel édit, soit qu'il y ait des contestations formées ou non, seront déférées, partagées, & reglées, comme elles l'étoient suivant l'édit de Saint-Maur & la jurisprudence des parlemens.

Enfin il est dit que les arrêts & sentences passées en force de chose jugée, & les transactions ou autres actes équivalens, intervenus sur des successions de cette qualité avant le nouvel édit, seront exécutés selon leur forme & teneur, sans préjudice néanmoins aux moyens de droit.

Il y a un commentaire sur l'édit des meres, qui est inséré dans la compilation des commentateurs de la coûtume de Paris, sur l'article 3 12. M. Loüet, lettre M. n. 12 & 22, traite aussi plusieurs questions à l'occasion de cet édit des meres : mais tout cela est peu utile présentement, depuis la révocation de cet édit. (A)

EDIT DE NANTES, ainsi appellé parce qu'il fut donné à Nantes par Henri IV. le dernier Avril 1598, est un des édits de pacification qui furent accordés aux Religionnaires. Il résume en 92 articles tous les priviléges que les précédens édits & déclarations de pacification avoient accordés aux Religionnaires.

Il confirme l'amnistie qui leur avoit été accordée ; fixe les lieux où ils auroient le libre exercice de leur religion ; la police extérieure qu'ils devoient y observer, les cérémonies de leurs mariages & enterremens, la compétence de la chambre de l'édit, dont nous parlerons à la suite de cet article ; enfin il prescrit des regles pour les acquisitions qu'ils pourroient avoir faites.

Henri IV. leur accorda en outre 47 articles, qu'il fit registrer au parlement, mais qu'il ne voulut pas insérer dans son édit.

Il y eut encore depuis quelques édits de pacification accordés aux Religionnaires.

Mais Louis XIV. par son édit du mois d'Octobre 1685, révoqua l'édit de Nantes & tous les autres semblables, & défendit l'exercice de la religion prétendue réformée dans son royaume : ce qui a depuis été toûjours observé, au moyen dequoi l'édit de Nantes & les autres édits semblables ne sont plus en vigueur. Voyez ci-après EDITS DE PACIFICATION.

EDITS DE PACIFICATION, sont des édits de quelques-uns de nos rois, que la nécessité des tems & des circonstances fâcheuses les obligerent d'accorder, par lesquels ils tolérerent alors l'exercice de la religion prétendue réformée dans leur royaume.

Les violences qui se commettoient de la part des Religionnaires contre les Catholiques, & de la part de ceux-ci contre les Religionnaires, engagerent Charles IX. d'aviser aux moyens d'y apporter une salutaire provision, ce sont ses termes ; & pour y parvenir il donna, le 27 Janvier 1561, le premier édit de pacification, intitulé, pour appaiser les troubles & séditions sur le fait de la religion.

Les Religionnaires se prévalant de leur grand nombre & des chefs puissans qui étoient de leur parti, exigerent que l'on étendît davantage les facilités que le roi avoit bien voulu leur accorder ; de sorte que Charles IX. en interprétation de son premier édit, donna encore six autres déclarations ou édits, qui portent tous pour titre, sur l'édit de pacification ; savoir une déclaration du 14 Février 1561, un édit & déclaration du 19 Mars 1562, déclaration du 19 Mars 1563, & trois édits des 23 Mars 1568, Août 1570, & Juillet 1573.

Henri III. fit aussi quatre édits à ce sujet, & intitulés comme ceux de Charles IX ; le premier est du mois de Mai 1576 ; le second du 7 Septembre 1577 ; le troisieme du dernier Février 1579 : celui-ci contient les articles de la conférence tenue à Nerac entre la reine mere du roi, le roi de Navarre, & les députés des Religionnaires qui étoient alors assez audacieux, pour capituler avec le roi ; le quatrieme édit du 26 Décembre 1580, contient les articles de la conférence de Flex & de Coutras.

Le plus célebre de tous ces édits de pacification est l'édit de Nantes du dernier Avril 1598. Voyez ci-devant EDIT DE NANTES.

Louis XIII. donna aussi un édit de pacification au mois de Mai 1616, par lequel il accorda aux Religionnaires 15 articles qui avoient été arrêtés à la conférence de Loudun. Cet édit fut suivi de plusieurs déclarations, toutes confirmatives des édits de pacification, en date des mois de Mai 1617, 19 Octobre 1622, 17 Avril 1623 ; des articles accordés à Fontainebleau au mois de Juillet 1625 ; de ceux accordés aux habitans de la Rochelle en 1626 ; d'un édit du mois de Mars de la même année, & d'une déclaration du 22 Juillet 1627.

Depuis la prise de la Rochelle, les Religionnaires commencerent à être plus soûmis, & leurs demandes furent moins fréquentes.

Cependant Louis XIV. leur accorda encore quelques édits & déclarations, entr'autres une déclaration du 8 Juillet 1643, une autre du premier Février 1669 ; mais par édit du mois d'Octobre 1685, il révoqua l'édit de Nantes & tous les autres semblables, & défendit l'exercice de la religion prétendue réformée dans son royaume : au moyen de quoi les édits de pacification qui avoient été accordés aux Religionnaires, ne servent plus présentement que pour la connoissance de ce qui s'est passé lors de ces édits.

EDIT (Chambres de l') Notre intention étoit de placer cet article en son rang au mot CHAMBRE ; mais ayant été omis en cet endroit, nous réparerons ici cette omission : aussi bien les chambres de l'édit furent-elles établies en conséquence des édits de pacification.

Nous avons déjà dit au mot CHAMBRES MI-PARTIES, que les Religionnaires obtinrent en 1576 que l'on établît dans chaque parlement une chambre particuliere, que l'on appella chambre mi-partie, parce qu'elle étoit composée moitié de juges catholiques, & moitié de protestans.

L'année suivante, il fut établi dans chaque parlement de nouvelles chambres, où le nombre des Catholiques étoit plus fort que celui des Religionnaires. L'édit qui est du mois de Septembre 1577, ne détermine point leur nom ; mais il paroît qu'elles furent dès-lors appellées chambres de l'édit, c'est-à-dire chambres établies par l'édit de 1577 : car quand on disoit l'édit simplement, c'étoit de cet édit que l'on entendoit parler, comme il paroît par un autre édit d'Henri III. du dernier Février 1579, art. 12. & par plusieurs autres réglemens postérieurs, où ces chambres sont appellées chambres de l'édit.

Il y en avoit cependant encore quelques-unes que l'on appelloit mi-parties ou tri-parties, selon qu'il y avoit plus ou moins de catholiques & de religionnaires.

Toutes ces chambres furent supprimées par Henri III. au mois de Juillet 1585 ; mais cet édit ayant été révoqué, il fut rétabli au parlement de Paris une nouvelle chambre de l'édit, en vertu d'une déclaration du mois de Janvier 1596. Elle étoit d'abord tant pour le ressort du parlement de Paris, que pour ceux de Roüen & de Toulouse : mais en 1599, il en fut établi une à Roüen ; il y en avoit aussi une à Castres pour le parlement de Toulouse, & d'autres dans les parlemens de Grenoble & de Bordeaux : cette derniere étoit à Nerac, on l'appelloit quelquefois la chambre de l'édit de Guienne.

Les chambres de l'édit de Paris & de Roüen furent supprimées par l'édit du mois de Janvier 1669 ; celle de Guienne le fut par édit du mois de Juillet 1699 ; toutes les autres chambres de l'édit ou mi-parties furent de même supprimées peu-à-peu, soit avant la révocation de l'édit de Nantes faite en 1685, ou lors de cette révocation. Voyez CHAMBRE MI-PARTIE & TRI-PARTIE. (A)

EDIT DE PAULET ou DE LA PAULETTE, est celui du 12 Décembre 1604, qui établit le droit annuel pour les offices Voyez ANNUEL & PAULETTE. (A)

EDIT DES PETITES DATES, est un édit qui fut donné par Henri II. au mois de Juin 1550, & registré au parlement le 24 Juillet suivant ; pour réprimer l'abus qui se commettoit par rapport aux petites dates que l'on retenoit de France à Rome pour résignation de bénéfices ; en ce que les impétrans retenoient ces dates sans envoyer la procuration pour résigner. Il ordonne, dans cette vûe, que les banquiers expéditionnaires de cour de Rome ne pourront écrire à Rome pour y faire expédier des procurations sur résignations, à moins que par le même courier ils n'envoyent les procurations pour résigner. Il ordonne aussi que les provisions expédiées sur procurations surannées seront nulles.

On verra plus au long ce qui donna lieu à cet édit, & ce qui se passa ensuite, à l'article Dates en abregé ou petites Dates, qui est ci-devant au mot DATES. (A)

EDIT PERPETUEL, qu'on appelloit aussi jus perpetuum ou édit du préteur par excellence, étoit une collection ou compilation de tous les édits, tant des préteurs que des édiles curules. Cette collection fut faite, non pas par l'empereur Didius Julianus, comme quelques-uns l'ont cru, mais par le jurisconsulte Salvius Julianus, qui fut choisi à cet effet par l'empereur Adrien, & qui s'en acquitta avec de grands éloges. Comme les édits des préteurs & des édiles n'étoient que des lois annuelles, & que ces réglemens, qui s'étoient beaucoup multipliés, causoient beaucoup de confusion & d'incertitude ; Adrien voulut que l'on en formât une espece de code qui servît de regle pour l'avenir aux préteurs & aux édiles dans l'administration de la justice, & il leur ôta en même tems le pouvoir de faire des réglemens.

Il paroît par les fragmens qui nous restent de l'édit perpétuel, que le jurisconsulte Julien y avoit suppléé beaucoup de décisions qui ne se trouvoient point dans les édits dont il fit la compilation.

Les empereurs Dioclétien & Maximien qualifierent cet ouvrage de droit perpétuel.

Plusieurs anciens jurisconsultes ont fait des commentaires sur cet édit.

On en fit un abregé pour les provinces, qui fut appellé édit provincial. Voyez ci-après EDIT PROVINCIAL. (A)

Edit perpétuel, est aussi un réglement que les archiducs Albert & Isabelle firent pour tous les pays de leur domination le 12 Juillet 1611. Cet édit contient quarante-sept articles sur plusieurs matieres, qui ont toutes rapport au droit des particuliers & à l'administration de la justice. Anselme a fait un commentaire sur cet édit. (A)

EDIT DES PRESIDIAUX, est un édit d'Henri II. de l'an 1551, portant création des présidiaux, & qui détermine leur pouvoir en deux chefs, qu'on appelle premier & second chef de l'édit.

Le premier leur donne le pouvoir de juger définitivement en dernier ressort jusqu'à deux cent cinquante livres pour une fois payer, & jusqu'à dix livres de rente, & des dépens à quelque somme qu'ils puissent monter.

Le second chef les autorise à juger par provision, nonobstant l'appel, jusqu'à cinq cent livres pour une fois payer, & vingt livres de rente, en donnant caution pour celui qui aura obtenu lesdites sentences provisoires.

Il y a un édit d'ampliation du pouvoir des présidiaux, du mois de Juillet 1580. Voyez PRESIDIAUX. (A)

EDIT DU PRETEUR, étoit un réglement que chaque préteur faisoit pour être observé pendant l'année de sa magistrature. Les patriciens jaloux de voir que le pouvoir législatif résidoit en entier dans deux consuls, dont l'un devoit alors être plébéien, firent choisir entr'eux un préteur, auquel on transmit le droit de législation.

Dans la suite le nombre des préteurs fut augmenté ; il y en avoit un pour la ville, appellé praetor urbanus, d'autres pour les provinces, d'autres qui étoient chargés de quelques fonctions particulieres.

La fonction de ces préteurs étoit annale ; il y avoit sur la porte de leur tribunal une pierre blanche appellée album praetoris, sur laquelle chaque nouveau préteur faisoit graver un édit, qui annonçoit au peuple la maniere dont il se proposoit de rendre la justice.

Avant de faire afficher cet édit le préteur le donnoit à examiner aux tribuns du peuple.

Ces sortes d'édits ne devant avoir force de loi que pendant une année, on les appelloit leges annuae : il y avoit même des édits ou réglemens particuliers, qui n'étoient faits que pour un certain cas, au-delà duquel ils ne s'étendoient point.

Les préteurs au reste ne pouvoient faire de lois ou réglemens, que pour les affaires des particuliers & non pour les affaires publiques.

Du tems d'Adrien on fit une collection de tous ces édits, que l'on appella édit perpétuel, pour servir de regle aux préteurs dans leurs jugemens, & dans l'administration de la justice ; mais l'empereur ôta en même tems aux préteurs le droit de faire des édits.

L'édit perpétuel fut aussi appellé quelquefois l'édit du préteur simplement. Voyez EDIT PERPETUEL.

EDIT PROVINCIAL, edictum provinciale, étoit un abregé de l'édit perpétuel ou collection des édits des préteurs, qui avoit été faite par ordre de l'empereur Adrien. L'édit perpétuel étoit une loi générale de l'empire, au lieu que l'édit provincial étoit seulement une loi pour les provinces & non pour la ville de Rome ; c'étoit la loi que les proconsuls faisoient observer dans leurs départemens. Comme dans cet abregé on n'avoit pas prévu tous les cas, cela obligeoit souvent les proconsuls d'écrire à l'empereur pour savoir ses intentions. On ne sait point qui fut l'auteur de l'édit provincial, ni précisément en quel tems cette compilation fut faite ; Ezéchiel Spanheim en son ouvrage intitulé orbis Romanus, conjecture que l'édit provincial peut avoir été rédigé du tems de l'empereur Marcus. Henri Dodwel ad spartian. Hadrian. soûtient au contraire que ce fut Adrien qui fit faire cet abregé ; il n'est cependant dit en aucun endroit que le jurisconsulte Julien qu'il avoit chargé de rédiger l'édit perpétuel, fût aussi l'auteur de l'édit provincial ; peut-être n'en a-t-on pas fait mention, à cause que l'édit provincial n'étoit qu'un abregé de l'édit perpétuel, dont on avoit seulement retranché ce qui ne pouvoit convenir qu'à la ville de Rome. On y avoit aussi ajoûté des réglemens particuliers, faits pour les provinces, qui n'étoient point dans l'édit perpétuel. Au surplus ces deux édits étoient peu différens l'un de l'autre, comme il est aisé d'en juger en comparant les fragmens qui nous restent des commentaires de Caïus sur l'édit provincial, avec ce qui nous a été conservé de l'édit perpétuel ; plusieurs de ces fragmens ont été inserés dans le digeste ; Godefroi & autres jurisconsultes les ont rassemblés en divers ouvrages. Voyez ce qu'en dit M. Terrasson en son Histoire de la Jurisprudence Romaine, p. 259. (A)

EDIT DE ROMORENTIN, est un édit qui fut fait dans cette ville par François II. au mois de Mai 1560, au sujet des religionnaires, par lequel la connoissance du crime d'hérésie fut ôtée aux juges séculiers, & toute jurisdiction à cet égard attribuée aux ecclésiastiques. Cet édit fut donné pour empêcher que l'inquisition ne fût introduite en France, comme les Guises s'efforçoient de le faire. Cet édit fut révoqué bien-tôt après par un autre de la même année, par lequel la recherche & punition de ceux qui faisoient des assemblées contre le repos de l'Etat, ou qui publioient par prédications ou par écrit de nouvelles opinions contre la doctrine catholique, fut renouvellée, avec attribution de jurisdiction aux juges présidiaux, pour en connoître en dernier ressort, au nombre de dix ; & s'ils n'étoient pas ce nombre, il leur étoit permis de le remplir des avocats les plus fameux de leur siége ; ce qui étoit conforme à l'édit de Château-briant, du 27 Juin 1551.

Il y eut ensuite des édits de pacification, dont il est parlé ci-devant. (A)

EDIT DE S. MAUR, est la même chose que l'édit des meres du mois de Mai 1567, auquel on donne aussi ce nom, parce qu'il fut donné à S. Maur-des-Fossés, près Paris. Voyez ci-devant, EDIT DES MERES. (A)

EDIT DES SECONDES NOCES, est un réglement fait par François II. au mois de Juillet 1560, touchant les femmes veuves qui se remarient, pour les empêcher de faire des donations excessives à leurs nouveaux maris, & les obliger de réserver aux enfans de leur premier mariage, les biens à elles acquis par la libéralité de leur premier mari.

Cet édit fut fait par le conseil du chancelier de l'Hôpital, à l'occasion du second mariage de dame Anne d'Alegre, laquelle étant veuve & chargée de sept enfans, épousa Mre Georges de Clermont, & lui fit une donation immense.

En effet, le préambule & le premier chef de cet édit ne parlent que des femmes qui se remarient. Le motif exprimé dans le préambule, est, que les femmes veuves ayant enfans, sont souvent invitées & sollicitées à de nouvelles noces ; qu'elles abandonnent leur bien à leurs nouveaux maris, & leur font des donations immenses, mettant en oubli le devoir de nature envers leurs enfans ; desquelles donations, outre les querelles & divisions d'entre les meres & les enfans, s'ensuit la desolation des bonnes familles, & conséquemment la diminution de la force de l'état public ; que les anciens empereurs y avoient pourvû par plusieurs bonnes lois : & le roi pour la même considération, & entendant l'infirmité du sexe, loue & approuve ces lois ; & adopte leurs dispositions par deux articles que l'on appelle les premier & second chefs de l'édit des secondes noces.

Le premier porte que les femmes veuves ayant enfans, ou enfans de leurs enfans, si elles passent à de nouvelles noces, ne pourront, en quelque façon que ce soit, donner de leurs biens-meubles, acquêts, ou acquis par elles d'ailleurs par leur premier mariage ; ni moins leurs propres à leurs nouveaux maris, pere, mere, ou enfans desdits maris, ou autres personnes qu'on puisse présumer être par dol ou fraude interposées, plus qu'à un de leurs enfans, ou enfans de leurs enfans ; & que s'il se trouve division inégale de leurs biens, faite entre leurs enfans, ou enfans de leurs enfans, les donations par elles faites à leurs nouveaux maris, seront réduites & mesurées à raison de celui qui en aura le moins.

Quoique ce premier chef de l'édit ne parle que des femmes, la jurisprudence l'a étendu aux hommes, comme il paroît par les arrêts rapportés par M. Loüet, lett. N. n. 2 & 3.

Il est dit par le second chef, qu'au regard des biens à icelles veuves acquis par dons & libéralités de leurs défunts maris, elles n'en pourront faire aucune part à leurs nouveaux maris ; mais qu'elles seront tenues de les réserver aux enfans communs d'entr'elles & leurs maris, de la libéralité desquels ces biens leur seront avenus : que la même chose sera observée pour les biens avenus aux maris par dons & libéralités de leurs défuntes femmes, tellement qu'ils n'en pourront faire don à leurs secondes femmes, mais seront tenus les réserver aux enfans qu'ils ont eus de leurs premieres. Ce même article ajoûte que l'édit n'entend pas donner aux femmes plus de pouvoir de disposer de leurs biens, qu'il ne leur est permis par les coûtumes du pays. Voyez SECONDES NOCES. (A)

EDIT DE LA SUBVENTION DES PROCES : on donna ce nom à un édit du mois de Novemb. 1563, portant que ceux qui voudroient intenter quelque action, seroient tenus préalablement de consigner une certaine somme, selon la nature de l'affaire. Cet édit fut révoqué par une déclaration du premier Avril 1568 : il fut ensuite rétabli par un autre édit du mois de juillet 1580 ; mais celui-ci fut à son tour révoqué par un autre édit du mois de Février 1583, portant établissement d'un denier parisis durant neuf ans, pour les épices des jugemens des procès. Il y eut des lettres patentes pour l'exécution de cet édit, le 26 Mai 1583. Voyez Fontanon, tome IV. p. 706. Corbin, rec. de la cour des aides, pag. 54. (A)

EDIT D'UNION : on donna ce nom à un édit du 12 Février 405, que l'empereur Honorius donna contre les Manichéens & les Donatistes, parce qu'il tendoit à réunir tous les peuples à la religion catholique. Il procura en effet la réunion de la plus grande partie des Donatistes. Voyez l'Hist. ecclés. à l'année 405. (A)


EDITEURS. m. (Belles-Lett.) on donne ce nom à un homme de Lettres qui veut bien prendre le soin de publier les ouvrages d'un autre.

Les Bénédictins ont été éditeurs de presque tous les peres de l'Eglise. Les PP. Labbé & Hardoüin ont donné des éditions des conciles. On compte parmi les éditeurs du premier ordre, les docteurs de Louvain, Scaliger, Petau, Sirmond, &c.

Il y a deux qualités essentielles à un éditeur ; c'est de bien entendre la langue dans laquelle l'ouvrage est écrit, & d'être suffisamment instruit de la matiere qu'on y traite.

Ceux qui nous ont donné les premieres éditions des anciens auteurs grecs & latins ont été des hommes savans, laborieux & utiles. Voyez l'art. CRITIQUE. Voyez aussi ERUDITION, TEXTE, MANUSCRIT, COMMENTATEURS, &c.

Il y a tel ouvrage dont l'édition suppose plus de connoissances qu'il n'est donné à un seul homme d'en posséder. L'Encyclopedie est singulierement de ce nombre. Il semble qu'il faudroit pour sa perfection, que chacun fût éditeur de ses articles ; mais ce moyen entraîneroit trop de dépenses & de lenteur.

Comme les éditeurs de l'Encyclopédie ne s'arrogent aucune sorte d'autorité sur les productions de leurs collegues, il seroit aussi mal de les blâmer de ce qu'on y pourra remarquer de foible, que de les loüer de ce qu'on y trouvera d'excellent.

Nous ne dissimulerons point qu'il ne nous arrive quelquefois d'appercevoir dans les articles de nos collegues, des choses que nous ne pouvons nous empêcher de desapprouver intérieurement, de même qu'il arrive, selon toute apparence, à nos collegues d'en appercevoir dans les nôtres, dont ils ne peuvent s'empêcher d'être mécontens.

Mais chacun a une maniere de penser & de dire qui lui est propre, & dont on ne peut exiger le sacrifice dans une association où l'on n'est entré que sur la convention tacite qu'on y conserveroit toute sa liberté.

Cette observation tombe particulierement sur les éloges & sur les critiques. Nous nous regarderions comme coupables d'une infidélité très-repréhensible envers un auteur, si nous nous étions jamais servis de son nom pour faire passer un jugement favorable ou défavorable ; & le lecteur seroit très-injuste à notre égard, s'il nous en soupçonnoit.

S'il y a quelque chose de nous dans cet ouvrage que nous fassions scrupule d'attribuer à d'autres, c'est le bien & le mal que nous pouvons y dire des ouvrages. Voyez ELOGE.


EDITIONS. f. (Belles-Lett.) ce mot est relatif au nombre de fois que l'on a imprimé un ouvrage, ou à la maniere dont il est imprimé. On dit dans le premier sens, la premiere, la seconde édition ; & dans le second, une belle édition, une édition fautive. Les gens de Lettres doivent rechercher les éditions correctes. La recherche des belles éditions n'est qu'une espece de luxe ; & quand elle est poussée à l'excès, elle n'est plus qu'une branche de la bibliomanie. Voyez BIBLIOMANIE.

Souvent on a la fureur d'insérer, dans les éditions qu'on publie des ouvrages d'un auteur après sa mort, quantité de productions qu'il avoit jugées indignes de lui, & qui lui ôtent une partie de sa réputation. Ceux qui sont à la tête de la Librairie, ne peuvent apporter trop de soin pour prévenir cet abus ; ils montreront par leur vigilance dans cette occasion, qu'ils ont à coeur l'honneur de la nation, & la memoire de ses grands hommes. (O)

* EDITION, (Hist. anc.) L'édition des Latins se disoit de ces spectacles que le peuple avoit imposés à certains magistrats, qu'ils donnoient à leurs frais, qu'on désignoit par munus editum, edere munus, dont ils étoient appellés les éditeurs, editores, & qui en ruinerent un si grand nombre. Les questeurs, les préteurs, &c. étoient particulierement obligés à cette dépense. S'il arrivoit à un magistrat de s'absenter, le fisc la faisoit pour lui, & en poursuivoit le remboursement à son retour. Ceux qui s'y soûmettoient de bonne grace, indiquoient le jour par des affiches, le nombre & l'espece des gladiateurs, le détail des autres jeux, & cela s'appelloit munus ostendere, praenuntiare. Cette largesse donnoit le droit de porter ce jour la prétexte, de se faire précéder de licteurs, de traverser le cirque sur un char à deux chevaux, & quelquefois l'honneur de manger à la table de l'empereur. Si les spectacles étoient poussés fort avant dans la nuit, on étoit obligé de faire éclairer le peuple avec des flambeaux.


EDITUES. m. plur. (Histoire anc.) celui à qui la garde des temples du Paganisme étoit confiée : ils y exerçoient les mêmes fonctions que nos sacristains : ils étoient appellés éditui, du mot aedes, temple.


EDMONDSBURY(Géograph. mod.) ville de la province de Suffolk en Angleterre. Longit. 18. 30. latit. 52. 20.


EDONIDESS. f. plur. (Mythol.) Bacchantes qui célébroient les mysteres du dieu auquel elles étoient attachées, sur le mont Edon, aux confins de la Thrace & de la Macédoine. Voyez BACCHUS & BACCHANTES.


EDREDOou EDERDON, s. m. (Ornitholog.) duvet que l'on tire d'un canard de mer appellé eider. Worm l'a désigné par ces mots, anas plumis mollissimis, canard à plumes très-douces. Le mâle ressemble beaucoup à un canard ordinaire, pour la figure ; il a le bec noir & applati, plus ressemblant au bec de l'oie qu'à celui du canard. Ce bec est dentelé sur les côtés ; il a dans le milieu deux trous oblongs qui servent à la respiration, & sa longueur est de trois pouces. Deux bandes très-noires s'étendent de chaque côté au-dessous des yeux, depuis les ouvertures du bec jusqu'à l'occiput : ces taches sont sur des plumes très-douces, & il se trouve entre-deux une ligne blanchâtre qui va jusqu'à la partie supérieure du cou, où on voit une couleur verte très-pâle ; le reste du cou, la partie inférieure de la tête, la poitrine & la partie supérieure du dos & des ailes, sont blancs. Les grandes plumes des ailes & le croupion sont noirs, de même que la queue, dont la longueur est de trois pouces. Les piés sont aussi de la même couleur ; ils ont trois doigts en-avant, & une membrane qui les réunit d'un bout à l'autre : il y a un quatrieme doigt en-arriere, qui a une membrane pareille à celle des autres doigts. Ils ont tous des ongles crochus & pointus. La femelle est aussi grosse que le mâle, & n'en differe que par les couleurs.

Ces oiseaux font leurs nids dans les rochers, leurs oeufs sont très-bons. Les habitans du pays ne parviennent à ces nids qu'avec beaucoup de risque ; ils y descendent sur des cordes, ramassent les plumes dont ces oiseaux se dépouillent tous les ans, & que nous appellons l'éderdon. On les préfere à toute autre sorte de plumes pour faire des lits, parce qu'il se renfle beaucoup, & qu'il est fort leger & très-chaud. Worm, mus. lib. III. pag. 310. Willugb. Ornith. Voyez OISEAU. (I)


EDUCATIONS. f. terme abstrait & métaphysique ; c'est le soin que l'on prend de nourrir, d'élever & d'instruire les enfans ; ainsi l'éducation a pour objets, 1° la santé & la bonne conformation du corps ; 2° ce qui regarde la droiture & l'instruction de l'esprit ; 3° les moeurs, c'est-à-dire la conduite de la vie, & les qualités sociales.

De l'éducation en général. Les enfans qui viennent au monde, doivent former un jour la société dans laquelle ils auront à vivre : leur éducation est donc l'objet le plus intéressant, 1° pour eux-mêmes, que l'éducation doit rendre tels qu'ils soient utiles à cette société, qu'ils en obtiennent l'estime, & qu'ils y trouvent leur bien-être : 2° pour leurs familles, qu'ils doivent soûtenir & décorer : 3° pour l'état même, qui doit recueillir les fruits de la bonne éducation que reçoivent les citoyens qui le composent.

Tous les enfans qui viennent au monde, doivent être soûmis aux soins de l'éducation, parce qu'il n'y en a point qui naisse tout instruit & tout formé. Or quel avantage ne revient-il pas tous les jours à un état, dont le chef a eu de bonne heure l'esprit cultivé, qui a appris dans l'Histoire que les empires les mieux affermis sont exposés à des révolutions ; qu'on a autant instruit de ce qu'il doit à ses sujets, que de ce que ses sujets lui doivent ; à qui on a fait connoître la source, le motif, l'étendue & les bornes de son autorité ; à qui on a appris le seul moyen solide de la conserver & de la faire respecter, qui est d'en faire un bon usage ? Erudimini qui judicatis terram. Psalm. ij. v. 10. Quel bonheur pour un état dans lequel les magistrats ont appris de bonne heure leurs devoirs, & ont des moeurs ; où chaque citoyen est prévenu qu'en venant au monde il a reçû un talent à faire valoir ; qu'il est membre d'un corps politique, & qu'en cette qualité il doit concourir au bien commun, rechercher tout ce qui peut procurer des avantages réels à la société, & éviter ce qui peut en déconcerter l'harmonie, en troubler la tranquillité & le bon ordre ! Il est évident qu'il n'y a aucun ordre de citoyens dans un état, pour lesquels il n'y eût une sorte d'éducation qui leur seroit propre ; éducation pour les enfans des souverains, éducation pour les enfans des grands, pour ceux des magistrats, &c. éducation pour les enfans de la campagne, où, comme il y a des écoles pour apprendre les vérités de la religion, il devroit y en avoir aussi dans lesquels on leur montrât les exercices, les pratiques, les devoirs & les vertus de leur état, afin qu'ils agissent avec plus de connoissance.

Si chaque sorte d'éducation étoit donnée avec lumiere & avec persévérance, la patrie se trouveroit bien constituée, bien gouvernée, & à l'abri des insultes de ses voisins.

L'éducation est le plus grand bien que les peres puissent laisser à leurs enfans. Il ne se trouve que trop souvent des peres qui ne connoissant point leurs véritables intérêts, se refusent aux dépenses nécessaires pour une bonne éducation, & qui n'épargnent rien dans la suite pour procurer un emploi à leurs enfans, ou pour les décorer d'une charge ; cependant quelle charge est plus utile qu'une bonne éducation, qui communément ne coûte pas tant, quoiqu'elle soit le bien dont le produit est le plus grand, le plus honorable & le plus sensible ? il revient tous les jours : les autres biens se trouvent souvent dissipés ; mais on ne peut se défaire d'une bonne éducation, ni, par malheur, d'une mauvaise, qui souvent n'est telle, que parce qu'on n'a pas voulu faire les frais d'une bonne :

Sint Moecenates, non deerunt, Flacce, Marones.

Martial, lib. VIII. epig. lvj. ad Flacc.

Vous donnez votre fils à élever à un esclave, dit un jour un ancien philosophe à un pere riche, hé bien, au lieu d'un esclave vous en aurez deux.

Il y a bien de l'analogie entre la culture des plantes & l'éducation des enfans ; en l'un & en l'autre la nature doit fournir le fonds. Le propriétaire d'un champ ne peut y faire travailler utilement, que lorsque le terrein est propre à ce qu'il veut y faire produire ; de même un pere éclairé, & un maître qui a du discernement & de l'expérience, doivent observer leur éleve ; & après un certain tems d'observations, ils doivent démêler ses penchans, ses inclinations, son goût, son caractere, & connoître à quoi il est propre, & quelle partie, pour ainsi dire, il doit tenir dans le concert de la société.

Ne forcez point l'inclination de vos enfans, mais aussi ne leur permettez point legerement d'embrasser un état auquel vous prévoyez qu'ils reconnoîtront dans la suite qu'ils n'étoient point propres. On doit, autant qu'on le peut, leur épargner les fausses démarches. Heureux les enfans qui ont des parens expérimentés, capables de les bien conduire dans le choix d'un état ! choix d'où dépend la félicité ou le mal-aise du reste de la vie.

Il ne sera pas inutile de dire un mot de chacun des trois chefs qui sont l'objet de toute éducation, comme nous l'avons dit d'abord. On ne devroit préposer personne à l'éducation d'un enfant de l'un ou de l'autre sexe, à moins que cette personne n'eût fait de sérieuses réflexions sur ces trois points.

I. La santé. M. Bronzet, medecin ordinaire du Roi, vient de nous donner un ouvrage utile sur l'éducation médicinale des enfans (à Paris chez Cavelier, 1754). Il n'y a personne qui ne convienne de l'importance de cet article, non-seulement pour la premiere enfance, mais encore pour tous les âges de la vie. Les Payens avoient imaginé une déesse qu'ils appelloient Hygie ; c'étoit la déesse de la santé, dea salutis : de-là on a donné le nom d'hygiene à cette partie de la Medecine qui a pour objet de donner des avis utiles pour prévenir les maladies, & pour la conservation de la santé.

Il seroit à souhaiter que lorsque les jeunes gens sont parvenus à un certain âge, on leur donnât quelques connoissances de l'anatomie & de l'oeconomie animale ; qu'on leur apprît jusqu'à un certain point ce qui regarde la poitrine, les poumons, le coeur, l'estomac, la circulation du sang, &c. non pour se conduire eux-mêmes quand ils seront malades, mais pour avoir sur ces points des lumieres toûjours utiles, & qui sont une partie essentielle de la connoissance de nous-mêmes. Il est vrai que la Nature ne nous conduit que par instinct sur ce qui regarde notre conservation ; & j'avoue qu'une personne infirme, qui connoîtroit autant qu'il est possible tous les ressorts de l'estomac, & le jeu de ces ressorts, n'en feroit pas pour cela une digestion meilleure, que celle que feroit un ignorant qui auroit une complexion robuste, & qui joüiroit d'une bonne santé. Cependant les connoissances dont je parle sont très-utiles, non-seulement parce qu'elles satisfont l'esprit, mais parce qu'elles nous donnent lieu de prévenir par nous-mêmes bien des maux, & nous mettent en état d'entendre ce qu'on dit sur ce point.

Sans la santé, dit le sage Charron, la vie est à charge, & le mérite même s'évanoüit. Quel secours apportera la sagesse au plus grand homme, continue-t-il, s'il est frappé du haut-mal ou d'apoplexie ? La santé est un don de nature ; mais elle se conserve, poursuit-il, par sobriété, par exercice moderé, par éloignement de tristesse & de toute passion.

Le principal de ces conseils pour les jeunes gens, c'est la tempérance en tout genre : le vice contraire fait périr un plus grand nombre de personnes que le glaive, plus occidit gula quam gladius.

On commence communément par être prodigue de sa santé ; & quand dans la suite on s'avise de vouloir en devenir oeconome, on sent à regret qu'on s'en est avisé trop tard.

L'habitude en tout genre a beaucoup de pouvoir sur nous ; mais on n'a pas d'idées bien précises sur cette matiere : tel est venu à bout de s'accoûtumer à un sommeil de quelques heures, pendant que tel autre n'a jamais pû se passer d'un sommeil plus long.

Je sais que parmi les sauvages, & même dans nos campagnes, il y a des enfans nés avec une si bonne santé, qu'ils traversent les rivieres à la nage, qu'ils endurent le froid, la faim, la soif, la privation du sommeil, & que lorsqu'ils tombent malades, la seule nature les guérit sans le secours des remedes : de là on conclut qu'il faut s'abandonner à la sage prévoyance de la nature, & que l'on s'accoûtume à tout ; mais cette conclusion n'est pas juste, parce qu'elle est tirée d'un dénombrement imparfait. Ceux qui raisonnent ainsi, n'ont aucun égard au nombre infini d'enfans qui succombent à ces fatigues, & qui sont la victime du préjugé, que l'on peut s'accoûtumer à tout. D'ailleurs, n'est-il pas vraisemblable, que ceux qui ont soûtenu pendant plusieurs années les fatigues & les rudes épreuves dont nous avons parlé, auroient vêcu bien plus longtems s'ils avoient pû se ménager davantage ?

En un mot, point de mollesse, rien d'efféminé dans la maniere d'élever les enfans ; mais ne croyons pas que tout soit également bon pour tous, ni que Mithridate se soit accoûtumé à un vrai poison. On ne s'accoûtume pas plus à un véritable poison, qu'à des coups de poignard. Le Czar Pierre voulut que ses matelots accoûtumassent leurs enfans à ne boire que de l'eau de la mer, ils moururent tous. La convenance & la disconvenance qu'il y a entre nos corps & les autres êtres, ne va qu'à un certain point ; & ce point, l'expérience particuliere de chacun de nous doit nous l'apprendre.

Il se fait en nous une dissipation continuelle d'esprits & de sucs nécessaires pour la conservation de la vie & de la santé ; ces esprits & ces sucs doivent donc être reparés ; or ils ne peuvent l'être que par des alimens analogues à la machine particuliere de chaque individu.

Il seroit à souhaiter que quelque habile physicien, qui joindroit l'expérience aux lumieres & à la réflexion, nous donnât un traité sur le pouvoir & sur les bornes de l'habitude.

J'ajoûterai encore un mot qui a rapport à cet article, c'est que la société qui s'intéresse avec raison à la conservation de ses citoyens, a établi de longues épreuves, avant que de permettre à quelque particulier d'exercer publiquement l'art de guérir. Cependant malgré ces sages précautions, le goût du merveilleux & le penchant qu'ont certaines personnes à s'écarter des regles communes, fait que lorsqu'ils tombent malades, ils aiment mieux se livrer à des particuliers sans caractere, qui conviennent eux-mêmes de leur ignorance, & qui n'ont de ressource que dans le mystere qu'ils font d'un prétendu secret, & dans l'imbécillité de leurs dupes. Voyez la lettre judicieuse de M. de Moncrif, au second tome de ses oeuvres, pag. 141, au sujet des empyriques & des charlatans. Il seroit utile que les jeunes gens fussent éclairés de bonne heure sur ce point. Je conviens qu'il arrive quelquefois des inconvéniens en suivant les regles, mais où n'en arrive-t-il jamais ? Il n'en arrive que trop souvent, par exemple, dans la construction des édifices ; faut-il pour cela ne pas appeller d'architecte, & se livrer plûtôt à un simple manoeuvre ?

II. Le second objet de l'éducation, c'est l'esprit qu'il s'agit d'éclairer, d'instruire, d'orner, & de regler. On peut adoucir l'esprit le plus féroce, dit Horace, pourvû qu'il ait la docilité de se prêter à l'instruction.

Nemo adeò ferus est ut non mitescere possit,

Si modò culturae patientem commodet aurem.

Hor. I. ep. 1. v. 39.

La docilité, condition que le poëte demande dans le disciple, cette vertu, dis-je, si rare, suppose un fond heureux que la nature seule peut donner, mais avec lequel un maître habile mene son éleve bien loin. D'un autre côté, il faut que le maître ait le talent de cultiver les esprits, & qu'il ait l'art de rendre son éleve docile, sans que son éleve s'apperçoive qu'on travaille à le rendre tel, sans quoi le maître ne retirera aucun fruit de ses soins : il doit avoir l'esprit doux & liant, savoir saisir à propos le moment où la leçon produira son effet, sans avoir l'air de leçon ; c'est pour cela que lorsqu'il s'agit de choisir un maître, on doit préférer au savant qui a l'esprit dur, celui qui a moins d'érudition, mais qui est liant & judicieux : l'érudition est un bien qu'on peut acquérir ; au lieu que la raison, l'esprit insinuant, & l'humeur douce, sont un présent de la nature. DOCENDI rectè sapere est principium & fons ; pour bien instruire, il faut d'abord un sens droit. Mais revenons à nos éleves.

Il faut convenir qu'il y a des caracteres d'esprit qui n'entrent jamais dans la pensée des autres ; ce sont des esprits durs & inflexibles, durâ cervice... & cordibus & auribus. Act. ap. c. vij. v. 51.

Il y en a de gauches, qui ne saisissent jamais ce qu'on leur dit dans le sens qui se présente naturellement, & que tous les autres entendent. D'ailleurs, il y a certains états où l'on ne peut se prêter à l'instruction ; tel est l'état de la passion, l'état de dérangement dans les organes du cerveau, l'état de la maladie, l'état d'un ancien préjugé, &c. Or quand il s'agit d'enseigner, on suppose toûjours dans les éleves cet esprit de souplesse & de liberté qui met le disciple en état d'entendre tout ce qui est à sa portée, & qui lui est présenté avec ordre & en suivant la génération & la dépendance naturelle des connoissances.

Les premieres années de l'enfance exigent, par rapport à l'esprit, beaucoup plus de soins qu'on ne leur en donne communément, ensorte qu'il est souvent bien difficile dans la suite, d'effacer les mauvaises impressions qu'un jeune homme a reçues, par les discours & les exemples des personnes peu sensées & peu éclairées, qui étoient auprès de lui dans ces premieres années.

Dès qu'un enfant fait connoître par ses regards & par ses gestes qu'il entend ce qu'on lui dit, il devroit être regardé comme un sujet propre à être soûmis à la jurisdiction de l'éducation, qui a pour objet de former l'esprit, & d'en écarter tout ce qui peut l'égarer. Il seroit à souhaiter qu'il ne fût approché que par des personnes sensées, & qu'il ne pût voir ni entendre rien que de bien. Les premiers acquiescemens sensibles de notre esprit, ou pour parler comme tout le monde, les premieres connoissances, ou les premieres idées qui se forment en nous, pendant les premieres années de notre vie, sont autant de modeles qu'il est difficile de réformer, & qui nous servent ensuite de regle dans l'usage que nous faisons de notre raison : ainsi il importe extrêmement à un jeune homme, que dès qu'il commence à juger, il n'acquiesce qu'à ce qui est vrai, c'est-à-dire qu'à ce qui est. Ainsi loin de lui toutes les histoires fabuleuses, tous ces contes puériles de Fées, de loup-garou, de juif-errant, d'esprits follets, de revenans, de sorciers, & de sortileges, tous ces faiseurs d'horoscopes, ces diseurs & diseuses de bonne aventure, ces interpretes de songes, & tant d'autres pratiques superstitieuses qui ne servent qu'à égarer la raison des enfans, à effrayer leur imagination, & souvent même à leur faire regretter d'être venus au monde.

Les personnes qui s'amusent à faire peur aux enfans, sont très-repréhensibles. Il est souvent arrivé que les foibles organes du cerveau des enfans, en ont été dérangés pour le reste de la vie, outre que leur esprit se remplit de préjugés ridicules, &c. Plus ces idées chimériques sont extraordinaires, & plus elles se gravent profondément dans le cerveau.

On ne doit pas moins blâmer ceux qui se font un amusement de tromper les enfans, de les induire en erreur, de leur en faire accroire, & qui s'en applaudissent au lieu d'en avoir honte : c'est le jeune homme qui fait alors le beau rôle ; il ne sait pas encore qu'il y a des personnes qui ont l'ame assez basse pour parler contre leur pensée, & qui assûrent d'insignes faussetés du même ton dont les honnêtes gens disent les vérités les plus certaines ; il n'a pas encore appris à se défier ; il se livre à vous, & vous le trompez : toutes ces idées fausses deviennent autant d'idées exemplaires, qui égarent la raison des enfans. Je voudrois qu'au lieu d'apprivoiser ainsi l'esprit des jeunes gens avec la séduction & le mensonge, on ne leur dit jamais que la vérité.

On devroit leur faire connoître la pratique des arts, même des arts les plus communs ; ils tireroient dans la suite de grands avantages de ces connoissances. Un ancien se plaint que lorsque les jeunes gens sortent des écoles, & qu'ils ont à vivre avec d'autres hommes, ils se croyent transportés en un nouveau monde : ut cum in forum venerint, existiment se in alium terrarum orbem delatos. Qu'il est dangereux de laisser les jeunes gens de l'un & de l'autre sexe acquérir eux-mêmes de l'expérience à leurs dépens, de leur laisser ignorer qu'il y a des séducteurs & des fourbes, jusqu'à ce qu'ils ayent été séduits & trompés ! La lecture de l'histoire fourniroit un grand nombre d'exemples, qui donneroient lieu à des leçons très-utiles.

On devroit aussi faire voir de bonne heure aux jeunes gens les expériences de Physique.

On trouveroit dans la description de plusieurs machines d'usage, une ample moisson de faits amusans & instructifs, capables d'exciter la curiosité des jeunes gens ; tels sont les divers phosphores ; la pierre de Boulogne, la poudre inflammable, les effets de la pierre d'aimant & ceux de l'électricité, ceux de la raréfaction & de la pésanteur de l'air, &c. Il ne faut d'abord que bien faire connoître les instrumens, & faire voir les effets qui resultent de leur combinaison & de leur jeu. Voyez-vous cette espece de boule de cuivre (l'éolipile) ? elle est vuide en-dedans, il n'y a que de l'air ; remarquez ce petit tuyau qui y est attaché & qui répond au-dedans, il est percé à l'extrémité ; comment feriez vous pour remplir d'eau cette boule, & pour l'en vuider après qu'elle en auroit été remplie ? je vais la faire remplir d'elle-même, après quoi j'en ferai sortir un jet-d'eau. On ne montre d'abord que les faits, & l'on differe pour un âge plus avancé à leur en donner les explications les plus vraisemblables que les Philosophes ont imaginées. En combien d'inconvéniens, des hommes qui d'ailleurs avoient du mérite, ne sont-ils pas tombés, pour avoir ignoré ces petits mysteres de la Nature.

Je vais ajouter quelques réflexions, dont je sais que les maîtres qui ont du zele & du discernement pourront faire un grand usage pour bien conduire l'esprit de leurs jeunes éleves.

On sait bien que les enfans ne sont pas en état de saisir les raisonnemens combinés ou les assertions, qui sont le résultat de profondes méditations ; ainsi il seroit ridicule de les entretenir de ce que les Philosophes disent sur l'origine de nos connoissances, sur la dépendance, la liaison, la subordination & l'ordre des idées, sur les fausses suppositions, sur le dénombrement imparfait, sur la précipitation, enfin sur toutes les sortes de sophismes : mais je voudrois que les personnes que l'on met auprès des enfans, fussent suffisamment instruites sur tous ces points, & que lorsqu'un enfant, par exemple, dans ses réponses ou dans ses propos, suppose ce qui est en question, je voudrois, dis-je, que le maître sût que son disciple tombe dans une pétition de principe, mais que, sans se servir de cette expression scientifique, il fît sentir au jeune éleve que sa réponse est défectueuse, parce que c'est la même chose que ce qu'on lui demande. Avoüez votre ignorance ; dites, je ne sais pas, plûtôt que de faire une réponse qui n'apprend rien ; c'est comme si vous disiez que le sucre est doux parce qu'il a de la douceur, est-ce dire autre chose sinon qu'il est doux parce qu'il est doux ?

Je voudrois bien que parmi les personnes qui se trouvent destinées par état à l'éducation de la jeunesse, il se trouvât quelque maître judicieux qui nous donnât la logique des enfans en forme de dialogues à l'usage des maîtres. On pourroit faire entrer dans cet ouvrage un grand nombre d'exemples, qui disposeroient insensiblement aux préceptes & aux regles. J'aurois voulu rapporter ici quelques-uns de ces exemples, mais j'ai craint qu'ils ne parussent trop puérils.

Nous avons déjà remarqué, d'après Horace, qu'il n'y a parmi les jeunes gens que ceux qui ont l'esprit souple, qui puissent profiter des soins de l'éducation de l'esprit. Mais qu'est-ce que d'avoir l'esprit souple ? c'est être en état de bien écouter & de bien rpondre ; c'est entendre ce qu'on nous dit, précisément dans le sens qui est dans l'esprit de celui qui nous parle, & répondre relativement à ce sens.

Si vous avez à instruire un jeune homme qui ait le bonheur d'avoir cet esprit souple, vous devez sur-tout avoir grande attention de ne lui rien dire de nouveau qui ne puisse se lier avec ce que l'usage de la vie peut déjà lui avoir appris.

Le grand secret de la didactique, c'est-à-dire de l'art d'enseigner, c'est d'être en état de démêler la subordination des connoissances. Avant que de parler de dixaines, sachez si votre jeune homme a idée d'un ; avant que de lui parler d'armée, montrez-lui un soldat, & apprenez-lui ce que c'est qu'un capitaine, & quand son imagination se représentera cet assemblage de soldats & d'officiers, parlez-lui du général.

Quand nous venons au monde, nous vivons, mais nous ne sommes pas d'abord en état de faire cette réflexion, je suis, je vis, & encore moins celle-ci, je sens, donc j'existe. Nous n'avons pas encore vû assez d'êtres particuliers, pour avoir l'idée abstraite d'exister & d'existence. Nous naissons avec la faculté de concevoir & de réflechir ; mais on ne peut pas dire raisonnablement que nous ayons alors telle ou telle connoissance particuliere, ni que nous fassions telle ou telle réflexion individuelle, & encore moins que nous ayons quelque connoissance générale, puisqu'il est évident que les connoissances générales ne peuvent être que le résultat des connoissances particulieres : je ne pourrois pas dire que tout triangle a trois côtés, si je ne savois pas ce que c'est qu'un triangle. Quand une fois, par la considération d'un ou de plusieurs triangles particuliers, j'ai acquis l'idée exemplaire de triangle, je juge que tout ce qui est conforme à cette idée est triangle, & que ce qui n'y est pas conforme n'est pas triangle.

Comment pourrois-je comprendre qu'il faut rendre à chacun ce qui lui est dû, si je ne savois pas encore ce que c'est que rendre, ce que c'est qu'être dû, ni ce que c'est que chacun ? L'usage de la vie nous l'a appris, & ce n'est qu'alors que nous avons compris l'axiome.

C'est ainsi qu'en venant au monde nous avons les organes nécessaires pour parler, & tous ceux qui nous serviront dans la suite pour marcher ; mais dans les premiers jours de notre vie nous ne parlons pas & nous ne marchons pas encore : ce n'est qu'après que les organes du cerveau ont acquis une certaine consistance, & après que l'usage de la vie nous a donné certaines connoissances préliminaires ; ce n'est, dis-je, qu'alors, que nous pouvons comprendre certains principes & certaines vérités dont nos maîtres nous parlent ; ils les entendent ces principes & ces vérités, & c'est pour cela qu'ils s'imaginent que leurs éleves doivent aussi les entendre ; mais les maîtres ont vêcu, & les disciples ne font que de commencer à vivre. Ils n'ont pas encore acquis un assez grand nombre de ces connoissances préliminaires que celles qui suivent supposent : " Notre ame, dit le P. Buffier, jésuite, dans son Traité des premieres vérités, III. part. pag. 8. notre ame n'opere qu'autant que notre corps se trouve en certaine disposition, par le rapport mutuel & la connexion réciproque qui est entre notre ame & notre corps. La chose est indubitable, poursuit ce savant métaphysicien, & l'expérience en est journaliere. Il paroît même hors de doute, dit encore le P. Buffier, au même Traité, I. part. pag. 32. & 33. que les enfans ont acquis par l'usage de la vie un grand nombre de connoissances sur des objets sensibles, avant que de parvenir à la connoissance de l'existance de Dieu : c'est ce que nous insinue l'apôtre S. Paul par ces paroles remarquables : invisibilia enim ipsius Dei à creaturâ mundi per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur : ad Rom. cap. j. v. 20. Pour moi, ajoûte encore le P. Buffier à la page 271. je ne connois naturellement le Créateur que par les créatures : je ne puis avoir d'idée de lui qu'autant qu'elles m'en fournissent. En effet les cieux annoncent sa gloire ; caeli enarrant gloriam Dei. psal. 18. v. 1. Il n'est guere vraisemblable qu'un homme privé dès l'enfance de l'usage de tous ses sens, pût aisément s'élever jusqu'à l'idée de Dieu ; mais quoique l'idée de Dieu ne soit point innée, & que ce ne soit pas une premiere vérité, selon le P. Buffier, il ne s'ensuit nullement, ajoûte-t-il, ibid. pag. 33. que ce ne soit pas une connoissance très-naturelle & très-aisée. Ce même pere très-respectable dit encore, ibid. III. part. p. 9. que comme la dépendance où le corps est de l'ame ne fait pas dire que le corps est spirituel, de même la dépendance où l'ame est du corps, ne doit pas faire dire que l'ame est corporelle. Ces deux parties de l'homme ont dans leurs opérations une connexion intime ; mais la connexion entre deux parties ne fait pas que l'une soit l'autre. " En effet, l'aiguille d'une montre ne marque successivement les heures du jour que par le mouvement qu'elle reçoit des roues, & qui leur est communiqué par le ressort : l'eau ne sauroit bouillir sans feu ; s'ensuit-il de-là que les roues soient de même nature que le ressort, & que l'eau soit de la nature du feu ?

" Nous appercevons clairement que l'ame n'est point le corps, comme le feu n'est point l'eau, dit le P. Buffier, Traité des premieres vérités III. part. pag. 10. ainsi nous ne pouvons raisonnablement nier, ajoûte-t-il, que le corps & l'esprit ne soient deux substances différentes. "

C'est d'après les principes que nous avons exposés, & en conséquence de la subordination & de la liaison de nos connoissances, qu'il y a des maîtres persuadés que pour faire apprendre aux jeunes gens une langue morte, le latin, par exemple, ou le grec, il ne faut pas commencer par les déclinaisons latines ou les greques ; parce que les noms françois ne changeant point de terminaison, les enfans en disant musa, musae, musam, musarum, musis, &c. ne sont point encore en état de voir où ils vont ; il est plus simple & plus conforme à la maniere dont les connoissances se lient dans l'esprit, de leur faire étudier d'abord le latin dans une version interlinéaire, où les mots latins sont expliqués en françois, & rangés dans l'ordre de la construction simple, qui seule donne l'intelligence du sens. Quand les enfans disent qu'ils ont retenu la signification de chaque mot, on leur présente ce même latin dans le livre de répétition où ils le retrouvent à la vérité dans le même ordre, mais sans françois sous les mots latins : les jeunes gens sont ravis de trouver eux-mêmes le mot françois qui convient au latin, & que la version interlinéaire leur a montré. Cet exercice les anime & écarte le dégoût, & leur fait connoître d'abord par sentiment & par pratique la destination des terminaisons, & l'usage que les anciens en faisoient.

Après quelques jours d'exercice, & que les enfans ont vû tantôt Diana, tantôt Dianam, Apollo, Apollinem, &c. & qu'en françois c'est toûjours Diane, & toûjours Apollon ; ils sont les premiers à demander la raison de cette différence, & c'est alors qu'on leur apprend à décliner.

C'est ainsi que pour faire connoître le goût d'un fruit, au lieu de s'amuser à de vains discours, il est plus simple de montrer ce fruit & d'en faire goûter ; autrement c'est faire deviner, c'est apprendre à dessiner sans modele, c'est vouloir retirer d'un champ ce qu'on n'y a pas semé.

Dans la suite, à mesure qu'ils voyent un mot qui est ou au même cas que celui auquel il se rapporte, ou à un cas différent, Diana soror Apollinis, on leur explique le rapport d'identité, & le rapport ou raison de détermination. Diana soror, ces deux mots sont au même cas, parce que Diane & soeur c'est la même personne : soror Apollinis, Apollinis détermine soror, c'est-à-dire fait connoître de qui Diane étoit soeur. Toute la syntaxe se réduit à ces deux rapports comme je l'ai dit il y a long-tems. Cette méthode de commencer par l'explication, de la maniere que nous venons de l'exposer, me paroît la seule qui suive l'ordre, la dépendance, la liaison & la subordination des connoissances. Voyez CAS, CONSTRUCTION, & les divers ouvrages qui ont été faits pour expliquer cette méthode, pour en faciliter la pratique, & pour répondre à quelques objections qui furent faites d'abord avec un peu trop de précipitation. Au reste il me souvient que dans ma jeunesse je n'aimois pas, qu'après m'avoir expliqué quelques lignes de Ciceron, que je commençois à entendre, on me fît passer sur le champ à l'explication de dix ou douze vers de Virgile ; c'est comme si pour apprendre le françois à un étranger, on lui faisoit lire une scene de quelques pieces de Racine, & que dans la même leçon on passât à la lecture d'une scene du misantrope ou de quelqu'autre piece de Moliere. Cette pratique est-elle bien propre à faire prendre intérêt à ce qu'on lit, à donner du goût, & à former l'idée exemplaire du beau & du bon ?

Poursuivons nos réflexions sur la culture de l'esprit.

Nous avons déja remarqué qu'il y a plusieurs états dans l'homme par rapport à l'esprit. Il y a sur-tout l'état du sommeil qui est une espece d'infirmité périodique, & pourtant nécessaire, où, comme dans plusieurs autres maladies, nous ne pouvons pas faire usage de cette souplesse & de cette liberté d'esprit, qui nous est si nécessaire pour démêler la vérité de l'erreur.

Observez que dans le sommeil nous ne pouvons penser à aucun objet, à moins que nous ne l'ayons vû auparavant, soit en tout, soit en partie : jamais l'image du soleil ni celle des étoiles, ni celle d'une fleur, ne se présenteront à l'imagination d'un enfant nouveau-né qui dort, ni même à celle d'un aveugle-né qui veille. Si quelquefois l'image d'un objet bizarre qui ne fut jamais dans la nature se présente à nous dans le sommeil, c'est que par l'usage de la vûe nous avons vû en divers tems & en divers objets, les membres différens dont cet être chimérique est composé : tel est le tableau dont parle Horace au commencement de son art poétique ; la tête d'une belle femme, le cou d'un cheval, les plumes de différentes espèces d'oiseaux, enfin une queue de poisson ; telles sont les parties dont l'ensemble forme ce tableau bizarre qui n'eut jamais d'original.

Les enfans nouveau-nés qui n'ont encore rien vû, & les aveugles de naissance, ne sauroient faire de pareilles combinaisons dans leur sommeil ; ils n'ont que le sentiment intime qui est une suite nécessaire de ce qu'ils sont des êtres vivans & animés, & de ce qu'ils ont des organes où circulent du sang & des esprits, unis à une substance spirituelle, par une union dont le Créateur s'est reservé le secret.

Le sentiment dont je parle ne sauroit être d'abord un sentiment refléchi, comme nous l'avons déja remarqué, parce que l'enfant ne peut point encore avoir d'idée de sa propre individualité, ou du MOI. Ce sentiment refléchi du moi ne lui vient que dans la suite par le secours de la mémoire, qui lui rappelle les différentes sortes de sensations dont il a été affecté ; mais en même tems il se souvient & il a conscience d'avoir toûjours été le même individu, quoiqu'affecté en divers tems & différemment ; voilà le MOI.

Un indolent qui après un travail de quelques heures s'abandonne à son indolence & à sa paresse, sans être occupé d'aucun objet particulier, n'est-il pas, du moins pendant quelques momens, dans la situation de l'enfant nouveau-né, qui sent parce qu'il est vivant, mais qui n'a point encore cette idée refléchie, je sens ?

Nous avons déja remarqué avec le P. Buffier, que notre ame n'opere qu'autant que notre corps se trouve en certaine disposition (Traité des premieres vérités, III. part. pag. 8.) : la chose est indubitable & l'expérience en est journaliere, ajoûte ce respectable philosophe. (Ibid.)

En effet, les organes des sens & ceux du cerveau ne paroissent-ils pas destinés à l'exécution des opérations de l'ame en tant qu'unie au corps ? & comme le corps se trouve en divers états selon l'âge, selon l'air des divers climats qu'il habite, selon les alimens dont il se nourrit, &c. & qu'il est sujet à différentes maladies, par les différentes altérations qui arrivent à ses parties ; de même l'esprit est sujet à diverses infirmités, & se trouve en des états différens, soit à l'occasion de la disposition habituelle des organes destinés à ses fonctions, soit à cause des divers accidens qui surviennent à ces organes.

Quand les membres de notre corps ont acquis une certaine consistance, nous marchons, nous sommes en état de porter d'abord de petits fardeaux d'un lieu à un autre ; dans la suite nous pouvons en soûlever & en transporter de plus grands ; mais si quelqu'obstruction empêche le cours des esprits animaux, aucun de ces mouvemens ne peut être exécuté.

De même, lorsque parvenus à un certain âge, les organes de nos sens & ceux du cerveau se trouvent dans l'état requis, pour donner lieu à l'ame d'exercer ses fonctions à un certain degré de rectitude, selon l'institution de la nature, ce que l'expérience générale de tous les hommes nous apprend ; on dit alors qu'on est parvenu à l'âge de raison. Mais s'il arrive que le jeu de ces organes soit troublé, les fonctions de l'ame sont interrompues : c'est ce qu'on ne voit que trop souvent dans les imbécilles, dans les insensés, dans les épileptiques, dans les apoplectiques, dans les malades qui ont le transport au cerveau, enfin dans ceux qui se livrent à des passions violentes.

Cette fiere raison dont on fait tant de bruit,

Un peu de vin la trouble, un enfant la séduit.

Des Houlieres, Idylle des moutons.

Ainsi l'esprit a ses maladies comme le corps, l'indocilité, l'entêtement, le préjugé, la précipitation, l'incapacité de se prêter aux réflexions des autres, les passions, &c.

Mais ne peut-on pas guérir les maladies de l'esprit, dit Cicéron ? on guérit bien celles du corps, ajoûte-t-il. His nulla-ne est adhibenda curatio ? an quòd corpora curari possint, animorum medicina nulla sit ? Cic. Tusc. lib. III. cap. ij. Une multitude d'observations physiques de medecine & d'anatomie, dit le savant auteur de l'économie animale, tom. III. pag. 215. deuxieme édit. à Paris chez Cavelier 1747. nous prouvent que nos connoissances dépendent des facultés organiques du corps. Ce témoignage joint à celui du P. Buffier & de tant d'autres savans respectables, fait voir qu'il y a deux sortes de moyens naturels pour guérir les maladies de l'esprit, du moins celles qui peuvent être guéries ; le premier moyen, c'est le régime, la tempérance, la continence, l'usage des alimens propres à guérir chaque sorte de maladie de l'esprit (voyez la médecine de l'esprit, par M. le Camus, chez Ganneau, à Paris, 1753) la fuite & la privation de tout ce qui peut irriter ces maladies. Il est certain que lorsque l'estomac n'est point surchargé, & que la digestion se fait aisément, les liqueurs coulent sans altération dans leurs canaux, & l'ame exerce ses fonctions sans obstacle.

Outre ces moyens, Cicéron nous exhorte d'écouter & d'étudier les leçons de la sagesse, & surtout d'avoir un desir sincere de guérir. C'est un commencement de santé qui nous fait éviter tout ce qui peut entretenir la maladie. Animi sanari voluerint, praeceptis sapientium paruerint ; fiet ut sine ullâ dubitatione sanentur. Cic. III. Tusc. cap. iij.

Quand nous sommes en état de refléchir sur nos sensations, nous nous appercevons que nous avons des sentimens dont les uns sont agréables, & les autres plus ou moins douloureux ; & nous ne pouvons pas douter que ces sentimens ou sensations ne soient excités en nous par une cause différente de nous-mêmes, puisque nous ne pouvons ni les faire naître, ni les suspendre, ni les faire cesser précisément à notre gré. L'expérience & notre sentiment intime ne nous apprennent-ils pas que ces sentimens nous viennent d'une cause étrangere, & qu'ils sont excités en nous à l'occasion des impressions que les objets font sur nos sens, selon un certain ordre immuable établi dans toute la nature, & reconnu par-tout où il y a des hommes ?

C'est encore d'après ces impressions que nous jugeons des objets & de leurs propriétés ; ces premieres impressions nous donnent lieu de faire ensuite différentes réflexions, qui supposent toûjours ces impressions, & qui se font indépendamment de la disposition habituelle ou actuelle du cerveau, & selon les lois de l'union de l'ame avec le corps. Il faut toûjours supposer l'ame dans l'état de veille, où elle sent bien qu'elle n'est pas ensevelie dans les ténebres du sommeil ; il faut la supposer dans l'état de santé, en un mot dans cet état où, dégagée de toute passion & de tout préjugé, elle exerce ses fonctions avec lumiere & avec liberté : puisque pendant le sommeil, ou même pendant la veille, nous ne pouvons penser à aucun objet, à moins qu'il n'ait fait quelque impression sur nous depuis que nous sommes au monde.

Puisque nous ne pouvons par notre seule volonté empêcher l'effet d'une sensation, par exemple, nous empêcher de voir pendant le jour, lorsque nos yeux sont ouverts, ni exciter, ni conserver, ni faire cesser la moindre sensation : Puisque c'est un axiome constant en Philosophie, que notre pensée n'ajoûte rien à ce que les objets sont en eux-mêmes, cogitare tuum nil ponit in re : Puisque tout effet suppose une cause : Puisque nul être ne peut se modifier lui-même, & que tout ce qui change, change par autrui : Puisque nos connoissances ne sont point des êtres particuliers, & que ce n'est que nous connoissant, comme chaque regard de nos yeux n'est que nous regardant, & que tous ces mots, connoissance, idée, pensée, jugement, vie, mort, néant, maladie, santé, vûe, &c. ne sont que des termes abstraits, que nous avons inventés sur le modele & à l'imitation des mots qui marquent des êtres réels, tels que Soleil, Lune, Terre, Etoiles, &c. & que ces termes abstraits nous ont paru commodes, pour faire entendre ce que nous pensons, aux autres hommes, qui en font le même usage que nous, ce qui nous dispense de recourir à des périphrases, & à des circonlocutions qui feroient languir le discours ; par toutes ces considérations, il paroît évident que chaque connoissance individuelle doit avoir sa cause particuliere, ou son motif propre.

Ce motif doit avoir deux conditions également essentielles & inséparables.

1°. Il doit être extérieur, c'est-à-dire qu'il ne doit pas venir de notre propre imagination, comme il en vient dans le sommeil : cogitare tuum nil ponit in re.

2°. Il doit être le motif propre, c'est-à-dire, celui que telle connoissance particuliere suppose, celui sans lequel cette pensée ne seroit jamais venue dans l'esprit.

Quelques philosophes de l'antiquité avoient imaginé qu'il y avoit des Antipodes ; les preuves qu'ils donnoient de leur sentiment étoient bien vraisemblables, mais elles n'étoient que vraisemblables ; au lieu qu'aujourd'hui que nous allons aux Antipodes, & que nous en revenons ; aujourd'hui qu'il y a un commerce établi entre les peuples qui y habitent & nous, nous avons un motif légitime, un motif extérieur, un motif propre, pour assûrer qu'il y a des Antipodes.

Ce Grec qui s'imaginoit que tous les vaisseaux qui arrivoient au port de Pyrée lui appartenoient, ne jugeoit que sur ce qui se passoit dans son imagination & dans le sens interne, qui est l'organe du consentement de l'esprit ; il n'avoit point de motif extérieur & propre : ce qu'il pensoit n'étoit point en rapport avec la réalité des choses : cogitare tuum nil ponit in re. Une montre marque toûjours quelqu'heure ; mais elle ne va bien que lorsqu'elle est en rapport avec la situation du Soleil : notre sentiment intime, aidé par les circonstances, nous fait sentir le rapport de notre jugement avec la réalité des choses. Quand nous sommes éveillés, nous sentons bien que nous ne dormons pas ; quand nous sommes en bonne santé, nous sommes persuadés que nous ne sommes pas malades : ainsi lorsque nous jugeons d'après un motif légitime, nous sommes convaincus que notre jugement est bien fondé, & que nous aurions tort de porter un jugement différent. Les ames qui ont le bonheur d'être unies à des têtes bien faites, passent de l'état de la passion, ou de celui de l'erreur & du préjugé, à l'état tranquille de la raison, où elles exercent leurs fonctions avec lumiere & avec liberté.

Il seroit aisé de rapporter un grand nombre d'exemples, pour faire voir la nécessité d'un motif extérieur, propre, & légitime dans tous nos jugemens, même de ceux qui regardent la foi : Fides ex auditu, auditus autem per verbum Christi, dit S. Paul. (Rom. c. x. 17.) " Dans des points si sublimes, dit le Pere Buffier (tr. des premieres vérités, III. part. p. 237), on trouve un motif judicieux & plausible, certain, qui ne peut nous égarer, de soûmettre nos foibles lumieres naturelles à l'intelligence infinie de Dieu.... qui a révélé certaines vérités, & à la sage autorité de l'Eglise, qui nous apprend que Dieu les a effectivement révélées. Si l'on faisoit attention à ces premieres vérités dans la science de la Théologie, ajoûte le P. Buffier (ibid.), l'étude en deviendroit beaucoup plus facile & plus abrégée, & le fruit en seroit plus solide & plus étendu ".

Ce seroit donc une pratique très-utile de demander souvent à un jeune homme le motif de son jugement, dans des occasions même très-communes, sur-tout quand on s'apperçoit qu'il imagine, & que ce qu'il dit n'est pas fondé.

Quand les jeunes gens sont en état d'entrer dans des études sérieuses, c'est une pratique très-utile, après qu'on leur a appris les différentes sortes de gouvernemens, de leur faire lire les gazettes, avec des cartes de géographie & des dictionnaires qui expliquent certains mots, que souvent même le maître n'entend pas. Cette pratique est d'abord desagréable aux jeunes gens ; parce qu'ils ne sont encore au fait de rien, & que ce qu'ils lisent ne trouve pas à se lier dans leur esprit avec des idées acquises : mais peu-à-peu cette lecture les intéresse, sur-tout lorsque leur vanité en est flatée par les loüanges que des personnes avancées en âge leur donnent à-propos sur ce point.

Je connois des maîtres judicieux qui, pour donner aux jeunes gens certaines connoissances d'usage, leur font lire & leur expliquent l'état de la France & l'almanach royal : & je crois cette pratique très-utile.

Il resteroit à parler des moeurs & des qualités sociales : mais nous avons tant de bons livres sur ce point, que je crois devoir y renvoyer.

Nous avons dans l'école militaire un modele d'éducation, auquel toutes les personnes qui sont chargées d'élever des jeunes gens, devroient tâcher de se rapprocher ; soit à l'égard de ce qui concerne la santé, les alimens, la propreté, la décence, &c. soit par rapport à ce qui regarde la culture de l'esprit. On n'y perd jamais de vûe l'objet principal de l'établissement, & l'on travaille en des tems marqués à acquérir les connoissances qui ont rapport à cet objet : telles sont les Langues, la Géométrie, les Fortifications, la science des Nombres, &c. ce sont des maîtres habiles en chacune de ces parties, qui ont été choisis pour les enseigner.

A l'égard des moeurs, elles y sont en sûreté, tant par les bons exemples, que par l'impossibilité où les jeunes gens se trouvent, de contracter des liaisons qui pourroient les écarter de leur devoir. Ils sont éclairés en tout tems & en tout lieu. Une vigilance perpétuelle ne les perd jamais de vûe : cette vigilance est exercée pendant le jour & pendant la nuit, par des personnes sages qui se succedent en des tems marqués. Heureux les jeunes gens qui ont le bonheur d'être reçûs à cette école ! ils en sortiront avec un tempérament fortifié, avec l'esprit de leur état, & un esprit cultivé, avec des moeurs qu'une habitude de plusieurs années aura mises à l'abri de la séduction : enfin avec les sentimens de reconnoissance, dont on voit qu'ils sont déjà pénétrés ; premierement à l'égard du Roi puissant, qui leur procure en pere tendre de si grands avantages ; en second lieu envers le ministre éclairé, qui favorise l'exécution d'un si beau projet ; 3°. enfin à l'égard des personnes zélées qui président immédiatement à cette exécution, qui la conduisent avec lumiere, avec sagesse, avec fermeté, & avec un désintéressement qu'on ne peut assez loüer. Voyez ECOLE MILITAIRE, ETUDE, CLASSE, COLLEGE, &c. (F)


EDULCORATIONS. f. (Chimie) on entend en Chimie par le mot d'édulcoration, la lotion de certaines matieres pulvérulentes & insolubles, ou du moins très-peu solubles, par l'eau, pour leur enlever différens sels avec lesquels elles sont confondues.

Les sujets de cette opération sont les précipités, soit vrais, soit spontanées ; les chaux métalliques, préparées par le moyen du nitre ; celles qui sont fournies par la calcination, ou la distillation des sels métalliques ou terreux ; les crystaux des sels peu solubles, formés dans la dissolution d'un sel beaucoup plus soluble, &c.

Les regles du manuel de cette opération se réduisent à deux. 1°. Il faut laver avec le plus grand soin toutes les chaux & tous les précipités véritablement insolubles, & dans ce cas on peut employer l'eau bouillante. 2°. Dans l'édulcoration des matieres solubles, au contraire, comme dans celle du tartre vitriolé séparé d'une dissolution de potasse, celle du précipité blanc, &c. il ne faut laver qu'une ou deux fois, & employer de l'eau froide ; sans cette précaution, & si l'on répete trop souvent les lotions, on perd inutilement une partie de la matiere qu'on se proposoit de purifier : comme il arrive assez souvent aux apothicaires ignorans, & dirigés par des mauvaises lois, qui y perdent seuls à la vérité, ce qui fait par conséquent un fort petit malheur, & tel même qu'il seroit à souhaiter pour le bien de la société, qu'il fût une suite inévitable de l'ignorance & de l'inexactitude : car ces artistes apprendroient apparemment leur métier, s'ils étoient obligés de le savoir sous peine de se ruiner.

Voici la description détaillée de cette opération : on met la matiere à édulcorer dans une terrine, ou tel autre vaisseau commode de terre ou de verre : on verse de l'eau dessus, qu'on agite & qu'on trouble par le moyen d'une spatule : on laisse reposer, & l'eau étant devenue claire, on la rejette par inclination : on répete cette manoeuvre autant de fois qu'il est nécessaire, & il ne reste plus qu'à faire sécher la matiere édulcorée.

Au reste il ne faut pas confondre l'édulcoration avec la dulcification. Voyez DULCIFIE ou DULCIFICATION. (b)

EDULCORATION PHILOSOPHIQUE, (Chimie) Quelques chimistes ont appellé de ce nom la décomposition des sels neutres métalliques, ou la séparation des acides d'avec les métaux qu'ils avoient dissous ; séparation opérée par la violence du feu. (b)


EDULCORERv. act. (Pharm.) signifie ajoûter du sucre ou un sirop à certains remedes liquides destinés pour l'usage intérieur, dans la vûe de les rendre plus agréables au goût.

On édulcore des tisanes, des infusions, des décoctions, des émulsions, des potions, &c. L'édulcoration du petit-lait se fait très-souvent avec le sirop de violette ; celle des émulsions avec le sirop des cinq racines apéritives, de nymphea, &c. Les potions anti-hystériques s'édulcorent presque toûjours avec le sirop d'armoise ; les béchiques avec celui de capillaire ou de guimauve, de pas-d'âne, &c. (b)


EDUSIEEDULIE, EDUQUE, EDUSE, s. f. (Myth.) déesse dont la fonction étoit d'apprendre à manger aux enfans lorsqu'on les sevroit. On se concilioit sa protection, en lui offrant des premiers mets qu'on destinoit à l'enfant, après qu'on l'avoit privé du lait. Il y a des mythologistes qui font deux déesses différentes, d'Eduque & d'Edulie. Ils prétendent que la premiere présidoit à l'éducation, & la seconde au sevrage.


EEN-TOL-BRIEF(Commerce) On nomme ainsi à Amsterdam & dans les autres villes des Provinces-Unies, des lettres de franchise que les bourgeois de quelques-unes de ces villes obtiennent de leurs bourguemestres, par lesquelles ces magistrats certifient, que tels ou tels sont en cette qualité exempts de quelques droits de péage. Ces lettres ne durent qu'un an & six semaines, & après ce terme on est obligé de les renouveller. Voyez ENTREE & SORTIE. Diction. de Comm. & Chambers. (G)


ÉFAUFILERv. act. (Rubann.) c'est tirer d'un bout de ruban entamé quelques brins de la trame, pour en connoître la qualité. Il se dit aussi des étoffes en soie, des draps en laine, &c. C'est un terme commun à tout ouvrage ourdi.


EFFACERRATURER, RAYER, BIFFER, syn. (Gram.) Ces mots signifient l'action de faire disparoître de dessus un papier ce qui est adhérent à sa surface. Les trois derniers ne s'appliquent qu'à ce qui est écrit ou imprimé : le premier peut se dire d'autre chose, comme des taches d'encre, &c. Rayer est moins fort qu'effacer ; & effacer, que raturer. On raye un mot en passant simplement une ligne dessus ; on l'efface lorsque la ligne passée dessus est assez forte pour empêcher qu'on ne lise ce mot aisément ; on le rature, lorsqu'on l'efface si absolument qu'on ne peut plus lire, ou même lorsqu'on se sert d'un autre moyen que la plume, comme d'un canif, grattoir, &c. On se sert plus souvent du mot rayer, que du mot effacer, lorsqu'il est question de plusieurs lignes ; on dit aussi qu'un écrit est fort raturé, pour dire qu'il est plein de ratures, c'est-à-dire de mots effacés. Le mot rayer s'employe en parlant des mots supprimés dans un acte, ou du nom de quelqu'un qu'on a ôté d'une liste, d'un tableau, &c. Le mot biffer est absolument de style d'arrêt, on ordonne, en parlant d'un accusé, que son écrou soit biffé, &c. Lorsque la partie ôtée d'un écrit est considérable, on se sert du mot de supprimer ou ôter, & non d'aucun des quatre qui font le sujet de cet article. Enfin effacer est du style noble, & s'employe en ce cas au figuré : effacer le souvenir, &c. (O)

EFFACER, v. act. & neut. (Escrime) c'est déplacer par un mouvement de corps le point que l'ennemi ajuste.

Pour effacer, on tourne l'axe des épaules à gauche dans l'instant qu'on pare au-dedans des armes, & à droite, dans l'instant qu'on pare au-dehors. Voyez PARER QUARTE ET TIERCE, &c.

On ne doit pas entendre par effacer, cacher une partie de son corps à l'ennemi, mais bien une partie de son corps à la direction de son estocade ; c'est pourquoi il faut indispensablement effacer sur tous les coups qu'il porte.


EFFARAM(Géog. mod.) ville du Corazan, en Asie. Long. 73. 58. lat. 36. 48.


EFFARou EFFRAYé, adj. en termes de Blason, se dit d'un animal qu'on représente s'élevant sur les piés de derriere, comme s'il étoit effrayé.

Gleispach en Allemagne, d'azur au cheval effaré d'argent, mouvant d'un monticule de synople.


EFFECTIFadj. qui est réel & positif. Dans le Commerce, un payement effectif est celui qui se fait véritablement & en deniers comptans, ou effets équivalens. Diction. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)


EFFECTIONS. f. en termes de Géometrie, signifie la construction des problèmes ou équations. Voyez CONSTRUCTION, LIEU, COURBE. Ce terme commence à n'être plus fort en usage. (O)


EFFECTIVEMENTEN EFFET, synonym. (Gram.) ces deux mots different, 1° en ce que le second est plus d'usage dans le style noble, & le premier dans la conversation : 2° en ce que le premier sert seulement à appuyer une proposition par quelque preuve, & que le second sert de plus à opposer la réalité à l'apparence. On dit : il est vertueux en apparence, & vicieux en effet. (O)


EFFECTUEREXÉCUTER, synon. (Gram.) ces deux mots different en ce que le premier ne se dit guere que dans la conversation, & en parlant d'une parole qu'on a donnée. On dit effectuer sa promesse, & exécuter une entreprise. (O)


EFFEMINÉadj. qui tient du caractere foible & délicat de la femme. Le reproche est réciproque ; on n'aime point à rencontrer dans une femme les qualités extérieures de l'homme, ni dans l'homme les qualités extérieures de la femme. L'expérience nous a fait attacher à chaque sexe un ton, une démarche, des mouvemens, des linéamens qui leur sont propres, & nous sommes choqués de les trouver déplacés. Dans les langues anciennes orientales l'acception de ce mot étoit fort différente ; on appelloit efféminés, des hommes consacrés à de fausses divinités en l'honneur desquelles ils se prostituoient : ces victimes singulieres avoient des loges au fond des forêts, connues sous le nom d'aediculae effeminatorum.


EFFENDIS. m. (Hist. mod.) en langue turque signifie maître. On donne quelquefois ce titre au mufti & aux émirs ; les secrétaires ou maîtres d'écriture le prennent aussi, & il semble désigner particulierement leur office. En général, tous ceux qui ont étudié, les prêtres des mosquées, les gens de lettres, & les jurisconsultes ou gens de robe, sont décorés de ce titre. On nomme le grand chancelier de l'empire, rai effendi. Ricaut, de l'Empire Ottoman, & Chambers. (G)


EFFERDING(Géog. mod.) ville de la Haute-Autriche en Allemagne. Long. 31. 48. lat. 48. 18.


EFFERVESCENCES. f. (Chimie) Les Chimistes désignent par ce mot l'agitation intérieure qu'éprouve un liquide dans le sein duquel s'opere actuellement l'union chimique de certaines substances.

Les substances connues qui s'attachent avec effervescence, sont l'eau en masse jettée sur la chaux vive, & les acides appliqués aux alkalis, soit salins, soit terreux ; aux substances métalliques, aux matieres huileuses, & à certains sels neutres.

L'effervescence a lieu, soit que les deux matieres qui contractent union, soient avant leur mélange résoutes en liqueur ; soit que l'une des deux seulement soit liquide. Mais il est essentiel à l'effervescence que l'une de ces deux substances soit liquide ; premierement, parce que c'est une circonstance nécessaire pour la dissolution ou union (V. MENSTRUE) ; secondement, parce que l'effervescence ne peut avoir lieu proprement que dans un liquide, comme il paroît par la définition, & comme on va le voir clairement.

Le mouvement de l'effervescence consiste en la formation d'un nombre considérable de bulles qui se succedent rapidement, & qui s'élevent à la surface du liquide, où elles crevent en lançant à une certaine distance des molécules du même liquide. La surface du liquide effervescent est sensiblement couverte d'un nombre prodigieux de petits jets, ou d'une pluie qui s'en détache, & qui y retombe.

Cet effet est dû manifestement à l'éruption d'un fluide leger & élastique. M. Musschenbroeck qui a fait sur les effervescences des expériences dont nous allons parler dans un instant, l'appelle une matiere élastique semblable à de l'air : Mr. Halles a démontré que c'étoit du véritable air.

Je pense que l'air dégagé dans les effervescences, étoit uni, lié, combiné chimiquement avec l'un des deux corps qui contractent union, ou avec tous les deux, & par cela même fixe, ou non élastique (voyez MIXTION) ; & non pas entortillé, dévidé, ou roulé sur les parties de ces corps, & qu'il étoit dégagé par leur union, selon les lois de la précipitation ou des affinités. C'est sur ce point de vûe que j'ai considéré l'effervescence, lorsque je l'ai appellée une précipitation d'air, dans un mémoire sur les eaux minérales de Selters, présenté à l'académie royale des Sciences en 1750. Voyez mém. présentés à l'acad. royale des Sciences, tome II. analyse des eaux minérales de Selters, premier mémoire.

C'est donc se faire une idée très-fausse de l'effervescence, que de regarder le mouvement qui la constitue, comme l'effet de la grande force d'attraction, avec laquelle les deux corps à unir, tendent l'un vers l'autre, des chocs violens qu'ils operent & qu'ils essuient, des rejaillissemens, &c. & en général, que de l'attribuer directement aux corps mêmes qui s'unissent (voyez l'article CHIMIE, pag. 415. col. 2.) ; car il existe des unions sans effervescence, quoiqu'elles soient opérées bien plus rapidement que celle de plusieurs corps qui se dissolvent avec effervescence : celle de l'huile de vitriol & de l'eau de la premiere espece. Je cite à dessein celle-ci, parce que quelques auteurs ont appellé effervescence l'action réciproque de l'eau & de l'huile de vitriol, que Frideric Hoffman, par exemple, propose comme une découverte, la qualification d'effervescence qu'il a donnée à cette action.

L'effervescence est ordinairement accompagnée d'une espece de sifflement ou de pétillement, & de chaleur : je dis ordinairement, parce que les effervescences legeres ne sont pas accompagnées d'un bruit sensible, & qu'on a observé des effervescences sans production de chaleur, & même avec production réelle de froid.

Le pétillement s'explique bien aisément par l'éruption violente d'un fluide élastique, tel que l'air rassemblé en bulles.

On ne sait absolument rien sur la production de la chaleur, ni sur celle du froid. Cette chaleur est quelquefois telle, qu'elle produit l'inflammation dans les matieres convenables ; celle qui s'excite par l'action de l'acide nitreux concentré, & de plusieurs matieres huileuses, est de ce dernier genre (voyez INFLAMMATION DES HUILES). On a prétendu que la chaux s'étoit échauffée dans certaines circonstances, jusqu'à allumer du bois (voyez CHAUX). L'acide du vinaigre versé sur les alkalis terreux, non calcinés, produit des effervescences froides.

La fameuse effervescence froide qui produit des vapeurs chaudes (phénomene effectivement fort singulier), est celle qui est excitée par le mélange de l'acide vitriolique & du sel ammoniac.

Les expériences de M. Musschenbroeck, que nous avons déjà annoncées, consistent à avoir excité des effervescences par un grand nombre de divers mélanges, à avoir observé la quantité de matiere élastique qu'elles produisoient dans le vuide, & à avoir comparé la violence du mouvement & le degré de chaleur excité par le même mélange dans l'air & dans le vuide. Il a résulté de ces expériences, que la plûpart des effervescences produisoient de la matiere élastique & de la chaleur ; que le mouvement & la chaleur produits par ce mélange, étoient différens dans l'air & dans le vuide ; & qu'il n'y avoit aucune proportion entre ces trois phénomenes, le mouvement, la production de la matiere élastique, & la chaleur. Voyez additamenta ad tentamina experiment. nat. captorum in acad. del Cimento.

Les expériences de M. Halles nous ont instruit davantage, parce qu'étant faites dans un volume d'air déterminé, & dont on a pû mesurer l'augmentation & la diminution réelle, on a pû déterminer l'absorption aussi-bien que la production de l'air, ce qui est impossible en faisant ces expériences dans le vuide. Les expériences de M. Halles nous ont appris donc, que les matieres qui excitent par leur mélange une violente effervescence, produisent d'abord de l'air, mais que la plûpart en absorbent ensuite ; circonstance qui empêche de savoir si la quantité d'air produit, est proportionnelle à la violence de l'effervescence, comme cela devroit être naturellement : car la cause de l'absorption & celle de la production de l'air peuvent agir dans le même tems, & se détruire réciproquement, du moins quant aux effets apparens. Les causes matérielles de l'absorption de l'air, sont des vapeurs qui s'élevent des corps effervescens, & que nous connoissons sous le nom de clissus (voyez CLISSUS ). Pour mettre la derniere main aux ingénieuses expériences de M. Halles sur cette matiere, il faudroit donc trouver le moyen de mettre l'air produit par les effervescences, à l'abri de l'action des clissus élevés en même tems, ou constater l'efficacité spécifique de ces clissus sur l'air, leur point de saturation ; ce qui est assez difficile, mais non pas impossible. Voyez l'analyse de l'air, de M. Halles, p. 174. de la traduct. franç. sous ce titre : Expériences sur les différentes altérations de l'air dans les fermentations ; & pag. 186. sous ce titre : Effets de la fermentation des substances minérales sur l'air. On trouvera dans ces articles plusieurs expériences très-intéressantes sur les effervescences, parmi plusieurs expériences sur des fermentations ; car l'auteur confond ces deux phénomenes sous le même titre.

L'effervescence differe essentiellement de la fermentation, sur-tout par ses produits, quoiqu'elle ait avec la fermentation plusieurs propriétés communes (voyez FERMENTATION). L'effervescence ne ressemble en rien à l'ébullition ou bouillonnement des liquides par l'action du feu (voyez EBULLITION). L'effervescence est un des signes auxquels on reconnoît le point de saturation dans la préparation des sels neutres. Voyez NEUTRE (Sel), TURATIONTION. (b)

EFFERVESCENCE, (Medecine) est un terme aussi employé par certains medecins, pour signifier un mouvement intestin qu'ils supposent dans les humeurs du corps humain, tel, par exemple, que celui qui est produit par le mélange de deux liqueurs, dont l'une est acide & l'autre alkaline. Il n'existe point de semblable mouvement dans l'économie animale ; on peut le démontrer à priori, parce qu'il n'y a rien dans nous qui puisse causer une effervescence. Il n'y a point dans notre corps de sel acide, ni de sel lixiviel, dont le concours puisse produire un semblable effet ; il en conste par expérience : car le sang qui se répand d'un corps dont on vient de couper la tête, ou qui sort d'une artere ouverte, reçu dans un vase, ne donne aucune marque de mouvement intestin particulier, il paroît sans agitation sensible dans aucune de ses parties. Cependant il est reçu de tout le monde, que le mouvement d'effervescence est de nature à tomber évidemment sous les sens. Voyez les préleçons de Boerhaave sur les instituts & les notes d'Haller, §. 176. dont cet article est extrait. (d)


EFFETS. m. (Logique) le produit d'une cause agissante. Voyez AGIR.

Après avoir considéré les choses par rapport à ce qu'elles sont, on doit les étudier par rapport à ce qu'elles peuvent ; & si l'on découvre que l'une soit capable de produire l'autre, ou seulement de la varier, on conçoit entre le terme agissant & ce qu'il fait naître, une relation de cause & d'effet.

Cette relation de la cause & de l'effet est de la plus vaste étendue, car toutes les choses qui existent ou peuvent exister, y ont part ; ainsi nous appellons cause ce qui donne l'existence, ce dont la vertu produit une chose ; & ce qui est produit, ce qui reçoit son existence, ce qui tient sa naissance de la cause, porte le nom d'effet. Par exemple, dès que nous voyons que dans la substance que nous appellons cire, la fluidité qui n'y étoit pas auparavant, y est constamment produite par l'application de certain degré de chaleur, nous donnons à l'idée simple de chaleur le nom de cause, par rapport à la fluidité qui est dans la cire ; & celui d'effet à cette fluidité.

Les choses donc qui reçoivent une existence qu'elles n'avoient pas auparavant, sont des effets ; & celles qui procurent cette existence, sont des causes. Voyez CAUSE.

Les notions claires & familieres de cause & d'effet entraînent cette conséquence, que rien ne se fait sans cause, & qu'aucune chose ne peut se produire d'elle-même.

Il convient de s'assûrer de l'existence des effets, avant que d'en chercher les causes ; c'est pourquoi toutes les fois qu'il s'agit de découvrir les causes des effets extraordinaires que l'on rapporte, il faut examiner avec soin si ces effets sont véritables ; car souvent on se fatigue inutilement à imaginer des raisons de choses qui ne sont point, & il y en a une infinité qu'il faut résoudre de la même maniere que Plutarque résout cette question qu'il se propose : Pourquoi les poulains qui ont été courus par les loups, vont plus vîte que les autres ? Après avoir dit que c'est peut-être parce que ceux qui étoient plus lents, ont été pris par les loups, & qu'ainsi ceux qui sont échappés couroient le mieux ; ou bien que la peur leur ayant donné une vîtesse extraordinaire, ils en ont contracté l'habitude. En un mot, après toutes ces dépenses d'esprit, il donne la bonne solution de la question : C'est peut-être, dit-il, que cela n'est pas vrai.

C'est peu de chose de s'être assuré de l'existence d'un effet ; il faut pour arriver à la découverte de la cause, s'assûrer aussi des indices convaincans que cette cause existe dans la nature ; que c'est elle qui opere l'effet qu'on lui attribue.

Dans la pratique & dans la conduite de la vie, la découverte des causes qui ont produit les effets que nous voyons arriver, est souvent de la derniere importance. Or comme les évenemens d'ici-bas sont pour l'ordinaire fort compliqués, il arrive aisément de prendre le change, l'accessoire & les circonstances, pour la cause de cet effet que nous considérons. L'ignorance, la petitesse d'esprit, la superstition, l'interêt, les préjugés, en un mot toutes nos passions, nous abusent & nous précipitent dans de faux jugemens : aussi voit-on que rien n'est plus ordinaire dans les malheurs de la vie, que de les attribuer à de fausses causes, & de s'aveugler sur les véritables. On sait la réponse du duc de Vendôme à un courtisan du duc de Bourgogne dans la campagne de Flandres de 1708. Voyez l'histoire du siécle de Louis XIV. Art. de M(D.J.)

EFFET, (Jurispr.) c'est ce qu'opere une loi, une convention, une action. Ce qui est nul ne produit aucun effet. Voyez NULLITE.

Effets civils, sont les droits accordés à ceux qui participent aux avantages de la société civile, selon les lois politiques & civiles de l'état. Ces droits consistent à pouvoir intenter des actions en justice, à pouvoir succéder, disposer de ses biens par testament, posséder des offices & bénéfices dans le royaume : tout cela s'appelle la vie civile ou les effets civils, c'est-à-dire, ce que peuvent faire ceux qui jouïssent des avantages du droit civil.

Les regnicoles sont en général capables de tous les effets civils, au lieu que les aubains n'en joüissent point : ceux qui sont morts civilement ne les ont pas non plus.

Un mariage clandestin ne produit point d'effets civils, c'est-à-dire, qu'il n'en résulte aucun droit de communauté ni de doüaire pour la femme.

Effet rétroactif, est celui qui remonte à un tems antérieur à la cause qui le produit, comme quand une loi ordonne que sa disposition sera observée, tant pour les actes antérieurs à cette loi, que pour ceux qui seront postérieurs.

Effet se prend aussi quelquefois pour tout ce qui est in bonis ; ainsi dans ce sens on dit qu'une maison, une terre, une rente, une obligation, un billet, de l'argent comptant, des meubles, sont des effets de la succession.

Effet caduc, est celui qui est de nulle valeur.

Effet commun, est celui qui appartient à plusieurs personnes.

Effets douteux, se dit de celui dont le recouvrement est incertain.

Effets, ou effets royaux, est le nom que l'on a donné aux rentes créées par le Roi, & aux billets & autres papiers qui ont été introduits en différens tems dans le commerce. (A)

EFFET, terme de Peinture. Docti rationem artis intelligunt, indocti voluptatem. L'effet, en Peinture, est pour le spectateur cette volupté, ce plaisir qu'il cherche & qu'il s'attend à ressentir. Pour l'artiste l'effet est le concours des différentes parties de l'art, qui excite dans l'esprit de celui qui voit un ouvrage, le sentiment dont le peintre étoit rempli en le composant.

Il est inutile de s'étendre sur la premiere signification de ce mot. Le plaisir est fait pour être senti ; mais les moyens d'exciter cette sensation, sont intéressans pour les artistes. Voici quelques réflexions sur cette matiere.

L'art de la Peinture est composé de plusieurs parties principales, comme on le verra dans un plus grand détail au mot PEINTURE. Chacune de ces parties est destinée à produire une impression particuliere, qui est son effet propre.

L'effet du dessein est d'imiter les formes ; celui de la couleur, de donner à chaque objet la nuance qui le distingue des autres. Le clair-obscur imite les effets de la lumiere, ainsi des autres. La réunion de ces différens produits cause une impression qu'on nomme l'effet du tout ensemble.

Il est donc essentiel pour parvenir à conduire un tableau à un effet juste, que toutes ses parties tendent à un seul projet. Mais quelle est celle qui doit commander, qui doit marquer le but auquel elles doivent arriver ? c'est sans-doute celle qu'on nomme invention, puisque c'est elle qui naît la premiere dans l'esprit du peintre, lorsqu'il médite un ouvrage ; & que celui qui commenceroit à peindre sans savoir ce qu'il veut représenter, ressembleroit à un homme qui voudroit, sans ouvrir les yeux, se livrer à ses fonctions ordinaires.

L'invention qui regne sur tous les genres de peindre, qui les a créés, & qui les reproduit dans chaque ouvrage, décide donc de l'effet qu'ils doivent avoir. Le tableau d'histoire doit faire consister son effet dans l'expression exacte des actions ; le portrait, dans la ressemblance des traits ; le paysage, dans la représentation des sites ; & la peinture d'une marine, dans celle des eaux.

Mais dans chacune des parties qui constituent l'art de peindre, on entend plus particulierement par le mot effet, une expression grande, majestueuse, forte. Ainsi l'effet dans le dessein, est un contour hardi qui exprime des formes que l'artiste connoît parfaitement ; la liberté, la confiance avec laquelle il indique leur place, leur figure, leur proportion, fait ressentir un juste effet. C'est ainsi que Michel-Ange en dessinant une figure, aura exprimé par le secours du simple trait, la conformation des membres, leur juste emmanchement, l'apparence des muscles, les enchâssemens des yeux, les plans sur lesquels les os de la tête sont placés, enfin le caractere de l'action qui doit infailliblement résulter de la justesse de toutes ces combinaisons. Il aura fait plus encore ; il aura indiqué aux yeux exercés dans l'art de la peinture l'effet du clair-obscur, & l'on pourroit dire même celui de la couleur : ce dessein se nommera un dessein d'effet.

L'effet particulierement appliqué au coloris, est celui qui porte l'imitation des couleurs locales à un point de perfection capable de faire une illusion sensible. La couleur locale est la couleur propre & distinctive de chaque objet : elle a, dans la nature, une force & une valeur que l'art a bien de la peine à imiter. Des organes justes & bien exercés peuvent y prétendre ; mais l'écueil funeste, qui sur cette mer difficile est le plus fameux par les naufrages, c'est cette habitude de tons & de nuances qui s'enracine, sans que les peintres s'en apperçoivent, par une pratique répétée ; & qui renaissant dans tous leurs ouvrages, fait dire de presque tous les artistes, qu'ils ont peint gris, ou roux ; que leur couleur ressemble à la brique, qu'elle est rouge, ou noire, ou violette. Ce défaut si favorable à ceux qui, sans principes, veulent distinguer les manieres des maîtres, est une preuve de l'infériorité de l'imitation de l'artiste. La nature n'est, en effet, ni dorée, ni argentée ; elle n'a point de couleur générale : ses nuances sont des mélanges de couleurs rompues, réflectées, variées ; & celui qui aspire à l'effet par la route de la couleur, n'en doit avoir aucune à lui.

On peut favoriser l'effet de la couleur, par la disposition des lumieres, qui produit l'effet du clair-obscur : mais quelques périls menacent encore ceux qui se fondent sur ce secours. Le desir d'exciter l'attention par des effets, inspira au Carravage d'éclairer ses modeles d'une maniere qui se rencontre rarement dans la nature. Le jour qu'il faisoit descendre par des ouvertures ménagées avec art, offroit à ses yeux des lumieres vives, mais tranchantes ; il en résulta, dans les imitations qu'il en fit, des effets plus singuliers qu'agréables. Les oppositions trop dures, les ombres devenues noires, ont rendu, avec le tems, ses tableaux de deux seules couleurs ; le blanc & le noir y dominent ; & ces ombres ténébreuses que son affectation a répandues sur ses ouvrages, ont enveloppé dans leur obscurité les parties excellentes, dont cet habile artiste devoit tirer sa gloire. Il est donc de justes bornes qui renferment la perfection en tout genre, & les excès sont ses ennemis redoutables.

Au reste, un tableau dont l'effet est juste, produit sur tout le monde une sensation intéressante ; comme une piece de théatre dans laquelle les caracteres sont vrais, produit sur tous les spectateurs une satisfaction générale. Ces caracteres doivent être exprimés par les principaux traits qui les distinguent, & par les oppositions qui les font valoir. Les détails trop approfondis, quoique la nature en offre les modeles, sont un obstacle à l'effet théatral, qui a des rapports infinis avec les effets dont j'ai parlé. Mais la réussite ne consiste pas seulement à soustraire ces détails ; elle exige encore qu'on choisisse ceux qui sont essentiels, & qui constituent principalement le caractere qu'on représente.

Les distinguer, c'est le propre d'un genie grand, qui embrasse toutes les circonstances d'un objet, sans que leur nombre l'embarrasse. Il ne se laisse point séduire, il ne perd pas de vûe le but où il tend, il distingue ce qui est plus propre à assûrer ses succès. Un peintre d'effet, est ordinairement un homme de génie ; & dans tous les arts, le génie qui ordinairement enfante la facilité, conduit à la science des effets. La Poësie, ainsi que la Peinture ; la Musique, ainsi que ses deux soeurs, ne pourront jamais prétendre que par cette voie à des succès éclatans, & à cette approbation générale, qui est si flateuse ; les autres parties auront des admirateurs, les grands effets réuniront tous les suffrages ; l'hommage qu'on leur rend, est, pour ainsi dire, involontaire ; il ne doit rien à la réflexion : c'est un premier mouvement. Voyez DESSEIN, DRAPERIE. Cet article est de M. WATELET.

EFFET, (Manége) Personne n'ignore que le terme dont il s'agit, ne signifie que le produit d'une cause quelconque. Les auteurs du dictionnaire de Trévoux semblent néanmoins le restraindre, quant à la science du Manége, aux seules suites des actions de la main du cavalier. Effet, en terme de Manége, se dit des mouvemens de la main, qui servent à conduire un cheval ; ils expliquent ensuite savamment ces effets. Je prendrai la liberté de leur faire observer que nous disons non-seulement les effets de la main, mais les effets des jambes, les effets des aides du corps, les effets de la gaule, des châtimens, du cavesson, des piliers, de telles ou telles leçons : ainsi nous appliquons ce mot, en matiere d'équitation, indifféremment à tout ce qui peut être regardé comme le résultat d'une multitude de principes différens. Il étoit par conséquent inutile d'en faire un article, eu égard à notre art, dans lequel il n'a pas plus d'acception particuliere que dans tous les autres. (e)


EFFEUILLERv. act. (Jardinage) c'est ôter toutes les feuilles d'un arbre, ainsi que l'on fait à un pêcher tardif, planté dans une terre humide ; on effeuille encore un arbre pour que son fruit profite de tout le soleil, qu'il acquierre, en mûrissant, de la beauté, de la couleur & du goût. (K)


EFFICACEadj. se dit en général d'une chose qui produit certainement & infailliblement son effet, comme d'un remede, d'une grace, &c. Voyez REMEDE, GRACE. (O)


EFFIGIERv. act. (Jurisprud.) c'est exposer le tableau ou effigie du condamné dans la place publique ; c'est l'exécution figurative du condamné, qui se fait par effigie ou représentation lorsque le condamné est absent. Voyez ci-devant EFFIGIE. (A)


EFFILÉ(Manége & Maréchall.) se dit par plusieurs personnes d'un cheval mince, long de corps, étroit de boyau. On se sert encore de cette épithete pour désigner le défaut d'une encolure molle, foible, trop déliée ; défaut directement opposé à celui d'une encolure courte, épaisse, trop charnue & trop chargée. Les encolures effilées sont molles & foibles, & le cheval ne peut par conséquent soûtenir un appui ferme, aussi bat-il sans cesse à la main, & donne-t-il à chaque moment des coups de tête. Voyez ENCOLURE. (e)

EFFILE. Voyez MIGNARDISE.

EFFILE, adj. (Rub.) Les effilés servent ordinairement, dans le deuil, à border les garnitures, manchettes, & fichus ; ils ont la même origine que les franges (voyez FRANGES), & de plus, un reste de l'ancienne coûtume où l'on étoit autrefois, de déchirer les vêtemens lors de la mort de ses proches en signe de sa douleur : il y en a de plusieurs sortes & de différentes matieres, de soie crue, de fil retord ou plat. Ils se font à deux ou à quatre marches, & au battant : celui à deux marches est appellé effilé à deux pas ; celui à quatre marches est appellé effilé à carreau, parce qu'ayant deux coups de navette qui entrent dans la même duite, cela forme ce qu'on appelle le carreau : ce travail le fait paroître plus garni, de sorte qu'un effilé qui seroit tramé & avec huit brins, seroit dit être en seize. Ces diverses sortes d'effilés se font deux à la fois ; il y a dans le milieu six & même huit brins de gros fil de Bretagne qui se travaillent avec le reste, quoiqu'ils ne doivent pas y demeurer. Quand cet ouvrage est ôté de dessus le métier, on le coupe dans la longueur au milieu des six ou huit fils de Bretagne, qui n'y ont été mis que pour ce seul usage : après l'avoir coupé on ôte l'un après l'autre ces brins de fil de Bretagne, qui resserviront au même usage tant qu'ils dureront. Si l'on vouloit avoir deux effilés de diverses hauteurs, il n'y auroit qu'à laisser en le coupant un brin de fil de plus d'un côté que de l'autre. Il se fait des effilés plus composés, & qui ont jusqu'à huit ou dix têtes : ils se font par le moyen des retours, & sont appellés effilés à l'angloise.

EFFILE, (Jardinage) se dit d'une branche ou d'un arbre trop menu.


EFFILER(Tailleur) ôter quelques fils du tissu d'une toile, d'une étoffe, &c.

Il y a des étoffes qui s'effilent par l'endroit où elles ont été coupées. Les Tailleurs ont coûtume d'y remédier en les bougiant, c'est-à-dire en arrêtant les fils avec la cire d'une bougie allumée, avec laquelle ils les collent. Mais la pratique la plus ordinaire pour empêcher les étoffes de s'effiler, c'est de faire de distance à autre des entailles dans la coupe de l'étoffe avec des ciseaux.


EFFILOQUESS. f. pl. (Rubanier) s'entend de toutes les soies non torses, qui par ce défaut sont aussi appellées soies folles par leur extrême légereté, qui ne leur permet pas de soûtenir le moindre effort ; elles ne sont le plus souvent bonnes à rien pour ce métier, & sont toutes mises au rebut pour en faire des oüates. On entend encore par ce mot, toutes les superfluités qui se trouvent sur les lisieres ou même sur l'ouvrage, qu'il faut avoir soin de purger de ses effiloques.


EFFLANQUÉadj. se dit particulierement d'un cheval accidentellement & non naturellement cousu, c'est-à-dire d'un cheval dont le flanc s'est retiré ensuite d'un voyage plus ou moins long, ou pour avoir été surmené, estrapassé, fatigué, &c. Le repos, la bonne nourriture le rétabliront aisément & lui redonneront du corps, pourvû que sa conformation soit telle, qu'il ait la côte bien tournée. V. FLANC. (e)


EFFLANQUERv. act. terme d'Horlogerie, passer entre les ailes d'un pignon une lime formée en couteau ou à efflanquer. Cette opération se fait pour donner aux faces de ces ailes la figure convenable, & pour rendre le pignon plus vuide, c'est-à-dire pour diminuer l'épaisseur des ailes. On dit qu'un pignon est trop efflanqué lorsque les ailes sont trop minces ou trop maigres, & sur-tout quand elles le sont trop vers le bout. Voyez PIGNON, LIME A EFFLANQUER, &c. (T)


EFFLEURAGES. m. (Chamois.) c'est l'action de détacher avec le couteau à effleurer, du côté de la peau où étoit le poil, toutes les parties de sa surface qui empêchent qu'elle ne soit douce & maniable : cette façon se donne sur le chevalet, lorsque la peau a été planie & lavée. Voyez CHAMOISEUR.


EFFLEURURESS. f. pl. (Parfumeur) c'est, en terme de Ganterie, une tache qu'on voit dans une peau à l'endroit d'où le canepin, c'est-à-dire cette pellicule mince qui touche à la chair de l'animal, est ôté.


EFFLORESCENCE(Chimie) V. MOISISSURE. Outre cette acception, qui est la plus générale, ce mot est encore particulierement affecté par les chimistes, à une altération à laquelle sont sujettes certaines pyrites martiales, que l'on appelle dans l'art efflorescentes, à cause de cette propriété ; altération qui leur fait perdre l'union & la continuité de leurs parties. Voyez PYRITE.

Les sels qui perdent à l'air l'eau de leur crystallisation, comme le sel de Glauber, le vitriol, éprouvent une efflorescence de cette derniere espece. Voyez SEL, SEL DE GLAUBER, VITRIOL.

EFFLORESCENCE, (Medecine) ce mot signifie en général toute sorte d'éruption de petites tumeurs humorales superficielles, qui se fait sur la peau en peu de tems, & qui est souvent suivie de la solution de continuité des tégumens, comme dans les boutons de petite vérole, dans les pustules, & autres semblables ; d'autres fois l'efflorescence n'est suivie d'aucune solution de continuité, & il se fait seulement avec changement de couleur de la peau, comme dans la rougeole, les taches scorbutiques, & autres de cette nature. Voyez EXANTHEME. (d)


EFFLOTÉadj. (Marine) se dit d'un navire qui s'est écarté d'une flotte avec laquelle il alloit de compagnie ; mais ce terme n'est guere d'usage. (Z)


EFFLUVESS. m. pl. effluvia, se dit quelquefois en Physique, pour désigner la même chose qu'on entend par émanations. Voyez EMANATIONS. Ce mot est formé des mots ex, de, & fluo, je coule. (O)


EFFONDRERv. act. (Jardinage) une terre, un jardin, c'est renverser la terre sens-dessus-dessous, y mettant au fond un lit de fumier & la comblant des meilleures terres du pays. On peut encore mettre à part celles du dessus, pour les jetter dans le fond, & mettre les mauvaises dessus, qui, par ce remuement & les bons engrais qu'on leur donnera, deviendront comme les autres. Ce travail s'est fait de tous tems ; Ciceron, de senect. lib. VI. en a fait mention. Voyez AMELIORER. (K)


EFFORTS. m. (Méchan.) terme fréquemment usité parmi les Philosophes & les Mathématiciens, pour désigner la force avec laquelle un corps en mouvement tend à produire un effet, soit qu'il le produise réellement, soit que quelque obstacle l'empêche de le produire.

On dit en ce sens qu'un corps qui se meut suivant une courbe, fait effort à chaque instant pour s'échapper par la tangente ; qu'un coin qu'on pousse dans une piece de bois fait effort pour la fendre, &c.

L'effort paroît être, suivant quelques auteurs, par rapport au mouvement, ce que le point est par rapport à la ligne ; au moins ont-ils cela de commun tous les deux, que comme le point est le commencement de la ligne ou le terme par où elle commence, l'effort est aussi, selon ces auteurs, le commencement de tout mouvement : mais cette derniere idée ne peut s'appliquer tout au plus qu'aux efforts qui tendent à produire une vîtesse infiniment petite dans un instant, comme l'effort de la pesanteur, celui de la force centrifuge, &c. Si l'on veut entendre par le mot effort toute tendance au mouvement, ce qui est bien plus exact & plus naturel, alors la mesure de l'effort sera la quantité de mouvement qu'il produit ou qu'il produiroit si un obstacle ne l'en empêchoit, ou, ce qui est la même chose, le produit de la masse par la vîtesse actuelle du corps ou par sa vîtesse virtuelle, c'est-à-dire par la vîtesse qu'il auroit sans la résistance de l'obstacle. Voyez FORCE, ACTION, PERCUSSION, PESANTEUR, &c. (O)

EFFORT, (Médecine) ce terme est employé dans la physique du corps humain, pour signifier les mouvemens extraordinaires de la nature, tendans à opérer des effets utiles pour le bien de l'économie animale ; ou à procurer des changemens avantageux, en surmontant, en écartant les résistances qui empêchent l'ordre dans l'exercice des fonctions lésées ; en expulsant ou en corrigeant les causes morbifiques, par la coction & les crises qui la suivent.

C'est sur ce principe, fondé sur l'histoire des maladies exactement recueillie pendant plusieurs siecles, " que la nature a la faculté de faire, & fait réellement des efforts salutaires dans le cours des maladies ; & que les mouvemens en quoi consistent ces efforts, s'operent avec un certain ordre, tant que la puissance qui les produit, conserve la faculté d'agir ", in quantùm superest natura sana in corpore aegro. C'est sur ce principe, dis-je, que la plupart des anciens & des plus célebres médecins d'entre les modernes, qui en ont été convaincus par leurs propres observations, ont établi leur méthode de traiter les maladies. Ils ont subordonné les secours de l'art aux indications que fournit la nature, c'est-à-dire qu'ils ont borné ces secours à seconder les efforts qu'elle employe pour détruire les causes des maladies. Ils ont distingué soigneusement parmi les phénomenes qui ne subsistent constamment que dans le cas de lésion de fonctions, ceux qui ne sont que des efforts salutaires auxquels la cause morbifique donne lieu, mais qu'elle ne produit pas, d'avec les symptomes, qui sont des effets immédiats de cette cause, qui sont par conséquent toûjours nuisibles, qu'il est aussi toûjours nécessaire de faire cesser. Ils ont laissé agir la nature, dans tous les cas où elle a & où elle employe des moyens suffisans pour combattre efficacement les causes morbifiques, par les différens efforts qu'elle fait. Ils n'ont fait que suppléer à son défaut, par les secours propres à lever les obstacles qui rendent ses efforts inutiles ; ils ont secondé, aidé, excité ceux qu'elle peut faire avec avantage, lorsqu'elle a cependant besoin d'être renforcée, d'être réveillée ; ensorte que les effets de l'art ne sont jamais qu'une imitation de la méthode que suit la nature lorsqu'elle se suffit à elle-même, ainsi qu'il arrive dans la guérison d'une infinité de maladies, qu'elle opere sans aucun secours : méthode que le médecin doit connoître avant toutes choses.

La fievre, les spasmes, les convulsions, sont les trois especes de mouvemens extraordinaires auxquels on peut rapporter ceux qui forment les différens efforts que la nature employe pour détruire les diverses causes morbifiques. Ces trois sortes de mouvemens ne doivent cependant être regardés, & ne sont en effet qu'une augmentation, une intensité plus ou moins considérables, diversement combinées, des mouvemens systaltique, tonique, & musculaire, qui sont les agens nécessaires de la vie saine, & de sa conservation ; d'où il suit que par une admirable disposition de la Providence, ce qui paroît un desordre dans l'économie animale, est très-souvent un effet des moyens employés par la nature pour réparer ce desordre.

En effet, la cause de la maladie étant établie, c'est-à-dire la matiere morbifique qui cause la fievre, par exemple, étant formée dans le corps, il est plus nécessaire, par la disposition de la machine, que les efforts de la nature, c'est-à-dire les mouvemens extraordinaires des organes de la circulation du sang, à laquelle cette cause morbifique est opposée ; que ces efforts, dis-je, soient employés, qu'il n'est nécessaire que les alimens étant portés dans l'estomac, il s'excite dans cet organe des mouvemens propres à en procurer la digestion : ensorte que lorsqu'on arrête, qu'on empêche de quelque maniere que ce soit les efforts fébriles, avant que la coction de la matiere morbifique soit faite, on cause un desordre plus réel que n'étoit la fievre elle-même ; & on peut dire de ce desordre qu'il est plus grand dans les secondes voies, que ne seroit dans les premieres celui que l'on y causeroit en suspendant l'ouvrage de la digestion par quelque moyen que ce puisse être.

Tout se passe en mouvemens digestifs dans toutes les parties du corps humain. La chylification, la sanguification, les secrétions & excrétions, sont autant de différentes digestions. Tant que rien ne s'oppose à ces mouvemens & à leurs effets naturels, ils sont modérés, & conformes aux regles de la santé. Dès que ces mouvemens trouvent de la résistance, qui tend à les diminuer ou à les faire cesser, au détriment de l'économie animale, la puissance motrice, par une plus grande dépense de forces, augmente ces mouvemens, les rend plus considérables que dans l'état de santé, à proportion des obstacles à vaincre : dès-lors ce sont des efforts, conamina. Ainsi, comme toutes les différentes digestions (dénomination sous laquelle on peut comprendre, comme il vient d'être dit, toutes les préparations des humeurs animales dans l'état naturel), sont les effets de ces mouvemens ordinaires, de même toutes les différentes coctions (les élaborations, les maturations) des humeurs morbifiques, sont le résultat des mouvemens extraordinaires des efforts, que ces coctions produisent. Tous les efforts de la nature dans les maladies, tendent à opérer des coctions. Voyez NATURE, PUISSANCE MOTRICE, ECONOMIE ANIMALE, MOUVEMENT ANIMAL, (SYSTALTIQUE, TONIQUE, MUSCULAIRE), & FIEVRE, SPASME, COCTION, CRISE. (d)

EFFORT ou RESISTANCE, en Hydraulique, c'est la violence que fait l'eau pour passer dans les endroits trop resserrés des brides, des robinets, soûpapes, coudes, jarrets, fourches ; ce qui occasionne beaucoup de frottemens. (K)

EFFORT, (Voix) défaut qui est dans le Chant, le contraire de l'aisance. On le fait par une contraction violente de la glote : l'air poussé hors des poumons s'élance dans le même tems, & le son alors semble changer de nature ; il perd la douceur dont il étoit susceptible, acquiert une dureté fatigante pour l'auditeur, défigure les traits du chanteur, le rend vacillant sur le ton, & souvent l'en écarte.

C'est de tous les défauts qu'on peut contracter dans le chant le plus dangereux, & celui dont on revient le moins dès qu'on l'a une fois contracté. Il ne faut pas même dissimuler, que c'est celui vers lequel on a plus de motifs de pancher dans notre chant dramatique ; tels sont les cris au théatre de la comédie françoise.

Le volume, les grandes voix sont à-peu-près tout ce qu'applaudit la multitude ; elle est surprise par un grand son, comme elle est ébranlée par un cri. Les acteurs médiocres crient pour lui plaire, les chanteurs communs forcent leurs voix pour le surprendre.

On reviendra tôt ou tard, en France, de l'erreur des grandes voix ; mais il faut attendre que le chant du théatre ait pris les accroissemens dont il est susceptible. Dès qu'il cessera d'être lourd, il faudra bien qu'on croye qu'il n'y a de vraies voix que celles qui sont legeres. Voyez RECITATIF, LEGERETE. (B)

EFFORT, (Manége, Maréchallerie) terme usité parmi nous, & par lequel nous désignons non-seulement le mouvement forcé d'une articulation quelconque, mais l'indisposition qui en résulte, & qui consiste dans une extension violente de quelques-uns des muscles, des tendons & des ligamens de l'article affecté. Cette dénomination, qui devroit par conséquent s'étendre à ce que nous entendons par entorse, est néanmoins restrainte aux seuls cas où les reins, les hanches, les jarrets, reçoivent une pareille atteinte ; car ceux qui concernent l'épaule & le bras s'expriment par les mots d'écart, d'entr'ouverture. Voyez ECART.

Les efforts de reins doivent donc être envisagés comme une extension plus ou moins considérable des ligamens qui servent d'attache aux dernieres vertebres dorsales & aux vertebres lombaires, accompagnée d'une forte contraction de quelques muscles du dos & des muscles des lombes.

Les causes de cette maladie sont toûjours externes ; ainsi une chûte, des fardeaux trop pesans, un effort fait par l'animal, soit en voulant sortir d'un mauvais pas, soit en glissant, soit en sautant dans le manége, & y étant retenu & attaqué à contre-tems, soit en se relevant dans l'écurie même, peuvent l'occasionner.

Les signes auxquels on la reconnoît, se tirent des mouvemens & de la démarche de l'animal. L'effort n'est-il pas violent, le cheval ressent une peine infinie & une vive douleur en reculant ; sa croupe est bernée, elle chancelle, elle balance quand il trote : mais le mal est-il tel que l'extension ait été extrème, bien loin qu'il soit libre de reculer, il peut à peine faire quelques pas en avant ; & pour peu qu'on veuille l'y contraindre, son derriere qu'il traîne, fléchit & se montre sans-cesse prêt à tomber.

On n'est pas toûjours assûré de remédier radicalement à cette maladie. Les chevaux s'en ressentent long-tems, & même tant qu'ils existent, d'autant plus que dans l'animal qui travaille, le derriere est infiniment plus occupé que le devant. On ne peut donc se flater constamment d'en opérer la guérison entiere, à moins que l'espece du mal ne soit d'une si petite conséquence, qu'on puisse le regarder comme un simple & leger détour dans les reins.

Ce n'est qu'à l'ignorance des maréchaux que l'on peut rapporter l'idée des efforts des hanches. Lorsque je vois des hommes qui, depuis des siecles entiers, se laissent conduire par des ouvriers assez téméraires pour vouloir réparer les desordres d'une machine, dont ils ne connoissent ni l'organisation, ni la structure, je ne puis m'empêcher de douter, si réellement la pensée n'est pas moins l'apanage de l'humanité que la foiblesse & l'aveuglement. Les hanches sont incontestablement formées par les os des îles ; or les os des îles ou les os innommés sont composés de trois os de chaque côté, c'est-à-dire de l'ileum, de l'ischion, & du pubis. Ces os, exactement distincts dans le poulain, sont tellement unis dans le cheval, qu'ils ne peuvent point se séparer. De plus ils sont joints supérieurement à l'os sacrum, appellé par quelques hypostéologistes méprisables l'os de la cariole : celui-ci en forme le milieu, & leur sert comme de clé. Cette jonction est si intime & si étroite, au moyen de nombre de ligamens, & spécialement d'un cartilage intermédiaire, qu'il est de toute impossibilité qu'ils puissent être disjoints ; elle étoit même si nécessaire, que le moindre dérangement auroit notablement nui aux visceres contenus dans le bassin, & qui importent essentiellement à la vie ; rien n'est conséquemment plus absurde que la supposition d'une extension violente & forcée dans cette partie : elle n'a été imaginée que parce que l'on a confondu & que l'on confond encore la cuisse & les hanches. Si l'on avoit observé que le fémur est supérieurement articulé avec ces mêmes os innommés, on auroit sans doute compris que cette articulation seule est susceptible d'extension ; & dès-lors l'effort auroit été considéré non dans les hanches, mais dans la cuisse.

Il sera causé par une chûte, un écart qui le plus communément se fait en-dehors. Les ligamens capsulaires qui entourent l'article, & qui d'une part sont attachés à la circonférence de la cavité cotiloïde destinée à loger la tête du fémur, & de l'autre à la circonférence du cou de ce même os, ainsi que le ligament rond caché dans l'articulation même, qui d'un côté a son attache à la tête du fémur, & de l'autre part au fond de cette cavité cotiloïde, auront été dans le moment de l'écart (je veux dire dans le tems où l'os s'est extrèmement éloigné de sa situation ordinaire) plus ou moins tiraillés & plus ou moins distendus, selon le plus ou le moins de violence & de promtitude de ce mouvement contre nature. Les muscles mêmes qui les entourent, & qui assujettissent le fémur, tels que le psoas, l'iliaque, le pectiné, le triceps, les obturateurs, les jumeaux, pourront en avoir souffert : il y aura peut-être encore rupture de plusieurs vaisseaux sanguins, de plusieurs fibres, soit musculaires, soit ligamenteuses, & conséquemment perte de ressort & de mouvement dans les unes & dans les autres : ce qui, joint à une douleur plus ou moins vive, symptomes affectés à ces accidens, rend cette maladie très-fâcheuse.

Dans cet état l'animal boite plus ou moins bas ; il semble baisser la hanche en cheminant, & traîne toute la partie lésée. Quelques personnes examinent s'il tourne la croupe en trotant ; mais ce signe est équivoque dans cette circonstance, & n'est univoque que dans celle des efforts de reins.

Celui du jarret ne peut naître que d'une flexion ou d'une extension forcée ; car il s'agit ici d'une articulation par charniere, & conséquemment cette partie n'est capable que de ces deux mouvemens. Les ligamens antérieurs ou postérieurs, le ligament capsulaire & les différens tendons auxquels elle livre un passage, & qui s'y arrêtent, pourront avoir été distendus ; & nous ajoûterons, en ce cas, à toutes les autres causes des efforts dont nous avons parlé, celle qui résulte de la contrainte dans laquelle on n'assujettit que trop souvent les chevaux, dans le travail ou autrement, à l'effet de les ferrer.

L'enflure, la douleur, la claudication, l'action de traîner la jambe, de s'y appuyer foiblement, la chaleur de la partie, sont les symptomes les plus ordinaires de l'affection dont il s'agit.

Souvent aussi la corde tendineuse qui répond au jarret, & qui est connue par tous les maréchaux sous le nom de gros nerf, essuie elle seule un effort. Il faut m'expliquer plus clairement. Le muscle sublime où le perforé s'attache supérieurement au fémur entre les deux condyles au-dessous des jumeaux. Il se termine bien-tôt en un tendon assez fort qui se porte en-dessus, & passe sur le tendon de ces mêmes jumeaux pour gagner la tête ou la pointe du jarret. Là il s'élargit & forme une espece de poulie, qui dans les mouvemens de cette partie, glisse sur cette pointe. Ce que les maréchaux & une multitude de prétendus savans qui nous accablent, appellent gros nerf, est donc une partie composée des tendons dépendans des jumeaux & du sublime : ils forment une espece de corde qui peut être comparée au tendon d'Achille, & qui sera susceptible d'effort toutes les fois qu'il arrivera à ces muscles, une contraction assez violente pour produire une rupture, ou une forte distension dans les fibres musculaires & tendineuses. Cet accident aura lieu, par exemple, lorsque les mouvemens de l'animal seront d'une véhémence extrème, lorsqu'il éparera avec trop de force, comme aussi dans une falcade précipitée, dans un tems où le cheval, trop assis, sera prêt à s'acculer : dans toutes ces actions également forcées, les fibres portées au-delà de leur état naturel, perdront leur ressort & leur jeu, les filamens nerveux seront tiraillés ; delà l'engorgement & la douleur, engorgement attendu le relachement des parties, douleur ensuite du tiraillement des nerfs, & conséquemment difficulté & quelquefois impuissance dans le mouvement ; ce qui se manifeste encore par l'inspection de la jambe ou du canon qui demeure comme suspendu, & qui ne peut se mouvoir lorsque le cheval range sa croupe.

Les efforts du grasset ne trompent que trop fréquemment ; ils ont souvent été confondus avec les efforts de la cuisse. Ils arrivent plus rarement, & les suites en sont moins funestes que dans d'autres articulations plus serrées, & dont les ligamens sont plus nombreux. Ils ne peuvent être occasionnés que par un mouvement particulier & extraordinaire. La rotule, en effet, n'est point articulée avec les os qu'elle recouvre, c'est-à-dire, avec le fémur & avec le tibia ; elle roule, elle glisse, elle est vacillante, & n'est nullement assujettie que par les tendons des muscles extenseurs de la jambe dans lesquels elle est contenue & comme enchâssée ; de sorte que selon leur contraction & selon que ces tendons l'entraînent & la déterminent, elle change aisément de situation, & ne peut faire souffrir aucune distension à ces parties : or dans le cas de l'effort dont nous parlons, la rotule ne doit point être envisagée, l'extension violente est seulement dans les fibres des ligamens ou capsulaires ou latéraux, ou dans les fibres mêmes des muscles & des tendons extenseurs : ainsi en rendant à ces fibres & leur ton & leur jeu, l'animal sera bientôt remis. Ce mal s'annonce toujours par le peu de mouvement que l'on observe dans cette partie, lorsque le cheval chemine, par la contrainte dans laquelle il est de la porter en-dehors, & par l'obligation où sont les parties inférieures à celle-ci de traîner & de rester en arriere.

En général dans le traitement des efforts, on doit se proposer de ramener les parties lésées à leur ton ; de prévenir l'engorgement des liqueurs dans les tuyaux qui auront souffert de l'extension, de le dissiper, s'il y en a, en facilitant la résolution de l'humeur, & de calmer enfin l'inflammation & la douleur. Les répercussifs sont convenables dès qu'ils sont appliqués sur le champ ; mais ils fixeroient l'humeur & ne pourroient qu'augmenter la douleur & le gonflement, si on les employoit dans le progrès du mal : quant à la saignée elle ne doit jamais être oubliée, & l'on doit ménager prudemment l'usage des émolliens & des résolutifs.

Un simple détour dans les reins peut être guéri par l'eau froide, par de legeres frictions faites avec l'esprit-de-vin, ou l'eau-de-vie & le savon ; mais un véritable effort demande que la saignée soit plus ou moins repétée, & des résolutifs plus forts ; ainsi on frotte la partie malade avec l'essence de térébenthine, & l'on charge les reins d'un ciroine, pour me servir des termes de l'art, lequel sera composé de poix blanche, cire neuve, & térébenthine en gomme, parties égales. Souvent la fievre accompagne l'effort : c'est au maréchal à décider sur la multiplication des saignées ; il administrera trois fois par jour des lavemens émolliens, tiendra l'animal au son & à l'eau blanche, lui donnera peu de fourrage, & il terminera la cure par les résolutifs aromatiques, tels que l'origan, le pouliot, la sauge, le romarin, le thim, &c. qu'il fera bouillir dans du gros vin, & dont il lavera le siége du mal plusieurs fois dans la journée, observant alors de faire promener au petit pas de tems en tems l'animal ; & selon les accidens qui auront accompagné celui-ci, on purgera l'animal une fois seulement.

L'effort peut avoir été négligé & mal-traité ; de plus lorsqu'il a été violent, il est rare que les chevaux n'en ressentent toûjours une impression ; mais les boues & les douches des eaux minérales d'Aix y remédieroient entierement. Voyez EAU envisagée par rapport à ses usages relativement au cheval.

L'effort de la cuisse exige les mêmes soins & les mêmes remedes que celui dont nous venons de prescrire le traitement ; & le ciroine sera appliqué sur l'articulation du fémur avec l'os des hanches, que les maréchaux appellent savamment la noix. Ils y appliquent le feu, ils pratiquent des orties. Voyez FEU, ORTIES.

L'effort du grasset cede souvent à une saignée, aux résolutifs spiritueux, aromatiques ; & dans le cas où la maladie seroit opiniâtre, on pourroit se conduire par les vûes que nous avons suggérées en parlant des autres.

Celui du jarret mérite beaucoup plus d'attention ; car quelque legers que soient les défauts de cette partie, ils sont toûjours considérables. Un cheval n'est & ne peut être agréable qu'autant que le poids de son corps est contrebalancé sur son derriere, & que ce même derriere supporte une partie du poids de devant & la plus grande charge ; de plus, le mouvement progressif de l'animal n'est opéré que par la voie de la percussion, & la machine entiere ne peut être mûe & portée en avant, qu'autant que les parties de l'arriere-main l'y déterminent ; or tout ce qui tendra à les affoiblir & à diminuer la force & le jeu du jarret, qui d'ailleurs & en conséquence de sa structure, est toûjours plus vivement & plus fortement occupé, ne sauroit être envisagé comme un accident médiocre.

Les bains d'eau de riviere lorsqu'on est à portée d'y conduire le cheval sur le champ, & d'autres répercussifs, ne sont pas ici moins nécessaires. On doit saigner pareillement : mais soit que le tendon dont j'ai parlé, soit principalement affecté, soit que l'extension ait eu sur-tout lieu dans les ligamens antérieurs ou postérieurs, dans le ligament capsulaire, &c. il faut scrupuleusement considérer l'état actuel de la partie. Si la douleur & la chaleur sont très-vives, si le gonflement est considérable, s'il est accompagné de dureté, les résolutifs seroient alors plus nuisibles que salutaires. On aura donc d'abord recours aux émolliens, qui relacheront & amolliront les solides & augmenteront la fluidité des liqueurs. Ces médicamens peuvent être employés de plusieurs manieres, ou en bains, ou en cataplasme, ou en onguent. Faites bouillir mauve, pariétaire, althaea, bouillon-blanc, mercuriale, &c. dans suffisante quantité d'eau commune, & bassinez fréquemment la jambe & la partie affligée avec la décoction de ces plantes. Leur application en substance sera plus efficace ; prenez donc leurs feuilles bouillies & réduites en pulpe, fixez-les sur le mal par un bandage convenable, & arrosez de tems en tems l'appareil avec cette même décoction, ou ce qui est encore plus simple, frottez toute la partie avec l'onguent d'althaea. L'inflammation, la douleur étant moindres, & le gonflement ramolli, mêlez les résolutifs aux émolliens ; ajoûtez à la décoction de l'esprit-de-vin, de l'essence de térébenthine d'abord en petite quantité, & ensuite plus abondamment ; faites bouillir avec les plantes relachantes quelques herbes aromatiques ; unissez à l'althaea la térébenthine en gomme ; fortifiez ainsi peu-à-peu les émolliens, & excluez-les enfin pour ne vous servir que des remedes capables d'opérer la résolution. Je pourrois indiquer encore d'autres moyens, mais ceux-ci suffiront lorsque le traitement sera conduit savamment & avec prudence. Ce n'est pas dans l'abondance des recettes que consiste le savoir, mais dans la connoissance du tems précis & de l'ordre dans lequel les médicamens doivent être appliqués. (e)


EFFOUEILS. m. (Jurisp.) dans la coûtume d'Anjou, art. 103. c'est le part ou croît du bêtail. Voy. Brodeau sur l'art. 48. n. 6. de la coûtume de Paris. (A)


EFFOURCEAUS. m. assemblage massif & fort d'un timon, de deux roues, & de leur essieu, dont on se sert pour le transport des gros fardeaux, comme corps d'arbres, poutres, &c. On suspend ces poids à l'essieu avec des chaînes.


EFFRACTIONS. f. (Gramm.) est l'action de rompre ou forcer quelque chose, comme une porte, une cloison, une armoire, une serrure ; & on appelle vol avec effraction celui qui a été commis en brisant ainsi quelque chose. Voyez VOL. (A)


EFFRAIou FRASAIE, s. f. (Hist. nat. Ornithol.) aluco minor, oiseau de nuit de la grosseur d'un pigeon. Celui sur lequel on a fait cette description pesoit onze onces & demie, il avoit quatorze pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; l'envergure étoit de trois piés un pouce & demi. Le bec avoit presque un pouce & demi de longueur, il étoit blanc & crochu à l'extrêmité. Cet oiseau avoit la langue un peu fourchue & les narines oblongues. Il portoit une espece de collier composé de plumes blanches & douces au toucher, entouré de plumes jaunes & roides, qui commençoit de chaque côté des narines, qui environnoit les yeux & le menton, & qui étoit posé sur la tête de l'oiseau à peu-près comme une sorte de coëffure de femme, de façon que les yeux paroissoient au fond d'une cavité formée par les plumes hérissées de ce collier. La base des plumes des angles antérieurs des yeux étoit de couleur fauve. Il y avoit sur l'ouverture des oreilles une sorte de couvercle. La poitrine, le ventre & le dessous des aîles étoient blancs avec des taches brunes & quarrées. La tête, le col, le dos & le dessus des aîles jusqu'aux grandes plumes avoient plusieurs couleurs, du roux, du blanc & du noir, qui rendoient le plumage plus beau que celui des autres oiseaux de nuit. Les grandes plumes des aîles étoient au nombre de vingt-quatre dans chacune ; elles avoient des taches rousses & des points noirâtres. Les aîles pliées contre le corps s'étendoient aussi loin & même plus loin que la queue qui avoit quatre pouces & demi de longueur ; elle étoit composée de douze plumes qui avoient les mêmes couleurs que celles des aîles. Les pattes étoient couvertes jusqu'aux piés par une sorte de duvet, & il ne se trouvoit que quelques poils sur les doigts. L'ongle de celui du milieu étoit dentelé sur le côté intérieur, il n'y avoit qu'un doigt en arriere ; mais le doigt extérieur de devant pouvoit se diriger en arriere jusqu'à un certain point. Willughby, ornith. Voyez OISEAU. (i)


EFFRAISERv. act. (Jardin.) quelques auteurs ont employé ce mot pour prendre la terre avec les doigts ; & avant que d'arroser une plante empotée, en remplir les fentes que la sécheresse ou la mauvaise qualité de la terre ont pu occasionner ; ce travail fait que l'eau se communique en s'étendant à toutes les parties de la plante, & empêche qu'elle ne passe trop vîte par les fentes de la terre. (K)


EFFRAYANTEFFROYABLE, TERRIBLE, EPOUVANTABLE, synon. (Gram.) Ces mots désignent en général tout ce qui excite la crainte ; effrayant est moins fort qu'épouvantable, & celui-ci qu'effroyable, par une bisarrerie de la langue, épouvanté étant encore plus fort qu'effrayé. De plus, ces trois mots se prennent toûjours en mauvaise part, & terrible peut se prendre en bonne part, & supposer une crainte mêlée de respect : ainsi on dit un cri effrayant, un bruit épouvantable, un monstre effroyable, un dieu terrible. Il y a encore cette différence entre ces mots, qu'effrayant & épouvantable supposent un objet présent qui inspire de la crainte ; effroyable, un objet qui inspire de l'horreur, soit par la crainte, soit par un autre motif ; & que terrible peut s'appliquer à un objet non présent. Exemple. La pierre est une maladie terrible, les douleurs qu'elle cause sont effroyables, les seuls préparatifs de l'opération sont effrayans, & l'opération même est épouvantable à voir. (O)


EFFRAYÉEPOUVANTé, ALLARMé, synon. (Gram.) ces mots désignent en général l'état actuel d'une personne qui craint, & qui témoigne sa crainte par des signes extérieurs. Epouvanté est plus fort qu'effrayé, & celui-ci qu'allarmé. On est allarmé d'un danger qu'on craint, épouvanté d'un danger présent, effrayé d'un danger passé qu'on a couru sans s'en appercevoir. L'allarme produit des efforts pour éviter le mal dont on est menacé ; l'effroi se borne à un sentiment vif & passager ; l'épouvante est plus durable, & ôte presque toûjours la réflexion. (O)

EFFRAYE, adj. en termes de Blason, se dit d'un cheval qu'on peint dans une action rampante.


EFFRITTÉadj. (Jard.) s'applique à une terre trop épuisée de sels, & qui demande à être améliorée. (K)


EFFRONTÉAUDACIEUX, HARDI, synon. (Gram.) ces trois mots désignent en général la disposition d'une ame qui brave ce que les autres craignent. Le premier dit plus que le second, & se prend toûjours en mauvaise part ; & le second dit plus que le troisieme, & se prend aussi presque toûjours en mauvaise part. L'homme effronté est sans pudeur ; l'homme audacieux sans respect, ou sans réflexion ; l'homme hardi sans crainte. La hardiesse avec laquelle on doit toûjours dire la vérité, ne doit jamais dégénérer en audace, & encore moins en effronterie. Hardi se prend aussi au figuré ; une voûte hardie. Effronté ne se dit que des personnes. Hardi & audacieux se disent des personnes, des actions, & des discours. (O)


EFFRONTÉSadj. pris subst. (Hist. ecclésiast.) hérétiques qui parurent en 1534. Ils se prétendoient chrétiens, sans avoir reçu le baptême. Le S. Esprit, selon eux, n'étoit point une personne divine ; l'adoration qu'on lui rendoit étoit une idolatrie ; il n'étoit que la figure des mouvemens qui élevent l'ame à Dieu. Ils alloient le front raclé avec un fer jusqu'au sang, & pansé avec de l'huile : cérémonie dans laquelle ils faisoient apparemment consister le baptême.


EFFUMERv. act. terme de Peinture qui signifie rendre des objets moins sensibles, les moins prononcés, pour qu'ils appellent moins la vûe. On dit, il faut effumer telle partie, ce contour, &c.


EFFUSIONS. f. (Gram.) c'est l'action de verser ou répandre d'un vaisseau un liquide qui est contenu en quelque quantité, ou avec quelque degré de vîtesse. Voyez FLUIDE.

* EFFUSION, (Astron.) c'est la partie du signe du Verseau qui est renfermée dans les globes & dans les planispheres célestes, par l'eau qui sort de l'urne du Verseau. Voyez VERSEAU.

* EFFUSION, (Hist. anc.) on faisoit dans les anciens sacrifices des Payens différentes effusions, qu'on nommoit libations. Voyez LIBATIONS.

* EFFUSION DE LA FARINE, (Histoire anc.) c'est ainsi que les anciens appelloient une de leurs danses burlesques, dont il ne nous est resté que le nom avec la connoissance du caractere.

EFFUSION, (Méd.) écoulement des humeurs qui s'épanchent par leurs vaisseaux ou leurs réservoirs blessés ou rompus, dans la membrane cellulaire, dans d'autres cavités du corps, ou hors du corps.

Le sang & la lymphe répandus dans la membrane cellulaire par la blessure ou la rupture des vaisseaux sanguins, est une espece d'effusion à laquelle se rapportent l'anevrysme faux & l'échymose, qui succede à une saignée. Il faut encore rapporter ici l'épanchement du chyle, des excrémens, de l'urine, de la bile, occasionné par quelque rupture ou quelque blessure de l'oesophage, de l'estomac, des intestins, de la vessie, & de la vésicule du fiel. Enfin la chûte du foetus dans le bas-ventre par la rupture de l'utérus, est une sorte d'effusion.

Tout ce qui peut blesser, former des contusions, des ruptures, de violentes distensions, causera l'effusion des humeurs, comme aussi si l'on ôte l'appui & le soûtien des parties.

Par l'effusion 1°. la partie ou le corps est privé de son humeur naturelle : 2°. l'humeur épanchée comprime par son poids les parties voisines : 3°. cette humeur se corrompant par le séjour, produit plusieurs autres maux.

Il faut donc réunir & consolider, s'il est possible, le vaisseau ou le réservoir ouvert ; ôter l'humeur extravasée ; soûtenir la partie qui a été ouverte, afin d'empêcher un nouvel écoulement. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EGAGROPILES. f. (Hist. nat.) pelote de poil qui se forme dans l'estomac des animaux ruminans, tels que ceux de l'espece du taureau, du bélier, du bouc, &c. Comme ils se lechent fort souvent, surtout dans le tems qu'ils sont en repos, ils s'enlevent le poil & l'avalent en grande quantité. Cette substance ne peut se digérer ; elle reste dans la panse qui est le premier des quatre estomacs des ruminans, s'y pelotonne, & se revêt avec le tems d'une croûte brune assez solide, qui n'est cependant qu'un mélange épaissi, mais qui par le frottement & la coction, devient dur & luisant. Hist. nat. gen. & part. tome IV. p. 469. Il y a au cabinet d'histoire naturelle du Roi une égagropile qui a quatre pouces & demi de diametre. (I)

* EGAGROPILES, s. f. pl. (Mat. med.) elles n'ont aucune propriété médicinale. Cependant combien ne leur en a-t-on pas attribué ? Avant qu'on en connût la nature, elles étoient bonnes pour le flux de sang, pour les hémorrhagies ; elles avoient la vertu de toutes les plantes dont on les croyoit composées ; elles guérissoient du vertige & des étourdissemens. Quand la nature en a été connue, elles n'ont plus été bonnes à rien. Il est donc de la derniere importance de ne rien assûrer sur la formation & les élémens des choses, qu'après un grand nombre d'expériences. Quand on a obtenu de l'expérience tout ce qu'on pouvoit en attendre sur la nature des choses, il en faut faire de nouvelles sur leurs propriétés, si l'on ne veut pas prendre les substances pour ce qu'elles ne sont pas, ordonner des masses de poil & d'herbes pour des spécifiques, & tomber dans le ridicule de Velschius qui a composé un livre des propriétés de l'égagropile.


EGALadj. (Géom.) ce terme exprime, dit-on, un rapport entre deux ou plusieurs choses qui ont la même grandeur, la même quantité, ou la même qualité. Wolf définit les choses égales, celles dont l'une peut être substituée à l'autre sans aucune altération dans leur quantité. Je crois pour moi que toutes ces définitions ne sont pas plus claires que la chose définie, & que le mot égal présente à l'esprit une idée plus précise & plus nette que tout autre mot ou phrase synonyme qu'on voudroit faire servir à l'expliquer. Voyez DEFINITION & ELEMENS.

C'est un axiome en Géométrie, que deux choses égales à une même troisieme sont égales entre elles ; que si de choses égales on ôte des choses égales, ou qu'on les leur ajoûte, les restes ou les sommes feront encore des quantités égales, &c. Le même M. Wolf dont nous venons de parler, a pris la peine de démontrer ces axiomes dans son Onthologie, §. 349396, comme il a démontré dans son Cours de mathématique que le tout est plus grand que la partie, par un raisonnement si métaphysique, qu'on ne sait plus que penser de la vérité de la proposition. Démontrer des choses si claires, c'est le moyen de les rendre douteuses, si elles pouvoient le devenir.

Les cercles égaux en Géométrie, sont ceux dont les diametres sont égaux. Voyez CERCLE.

Les angles égaux sont ceux dont les côtés sont inclinés les uns aux autres de la même maniere, ou qui sont mesurés par des arcs égaux d'un même cercle, ou par des arcs semblables de cercles différens. Voy. ARC, ANGLE & DEGRE.

Les figures égales sont celles dont les aires sont égales, soit que ces figures soient semblables ou non. Voyez FIGURE.

Les segmens d'une sphere ou d'un cercle sont dits d'une égale concavité, lorsqu'ils ont le même rapport aux diametres des spheres ou des cercles dont ils font partie. Voyez SEGMENT.

Les solides égaux sont ceux qui contiennent autant d'espace l'un que l'autre, c'est-à-dire dont les solidités ou capacités sont égales. Voyez SOLIDE.

Les rapports géométriques égaux sont ceux dont les seconds termes sont de semblables parties aliquotes ou aliquantes de leurs premiers termes. Voyez RAPPORT.

Les rapports arithmétiques égaux sont ceux dans lesquels la différence des deux plus petits termes est égale à la différence des deux plus grands. Voy. RAPPORT. (O)

EGAL, aequabilis, terme de Méchanique ; mouvement égal ou uniforme, est celui par lequel un corps se meut en conservant toûjours la même vîtesse, sans être ni accéléré, ni retardé. Voyez MOUVEMENT. (O)

EGAL est aussi un terme d'Optique, en tant qu'il s'applique à des choses dont l'égalité n'est qu'apparente, & non réelle. Ainsi on dit, dans l'ancienne Optique, que les choses qui sont vûes sous des angles égaux, paroissent égales ; que des parties égales du même intervalle, ou de la même grandeur, vûes sous des angles inégaux, paroissent inégales ; que des objets égaux vûs à égale distance, paroissent inégaux, lorsque l'un est placé directement, & l'autre obliquement ; & que celui qui est placé directement paroît le plus grand.

Toutes ces propositions, que l'on regardoit anciennement comme générales & sans restriction, ne sont vraies que quand on compare des objets extrèmement éloignés de nos yeux : car alors leur grandeur apparente dépend principalement & presque uniquement de l'angle visuel ; ensorte que si les angles visuels sont égaux ou inégaux, les objets paroîtront égaux ou inégaux, quelle que soit d'ailleurs leur égalité ou leur inégalité réelle. Voyez APPARENT & VISION. (O)

EGAL, (Med.) ce terme s'applique en Medecine à tout ce qui conserve toûjours le même état, à tout ce qui est toûjours le même en soi & dans toutes ses parties.

Ainsi l'on dit du pus qu'il est égal, ou d'une consistance égale, lorsqu'il n'est point mêlangé de sanie, & qu'il est le même dans toute sa substance.

Un tempérament est égal, lorsqu'il n'est point sujet à des altérations, lorsqu'il est toûjours le même.

Le pouls est égal, lorsqu'il marche avec une teneur égale & successive sans variation, soit par rapport au tems, soit par rapport à la maniere dont l'artere bat en se dilatant, & s'affaisse en se resserrant.

L'urine est égale, lorsqu'elle conserve toûjours la même apparence ; quand la couleur, la consistance, les matieres qu'elle contient, & son sédiment, sont toûjours les mêmes ; lorsque toutes ses parties paroissent homogenes.

Les maladies sont égales, lorsque les symptomes & circonstances qui les accompagnent, ne présentent aucune révolution ni changement qui produisent une altération considérable, ou une difference notable dans le jugement que l'on doit porter de la maladie. (d)


EGALÉadj. (Astron.) anomalie égalée, anomalia aequata, est celle qu'on appelle autrement anomalie vraie ; c'est la distance du lieu vrai d'une planete au lieu vrai de son apogée ou aphélie. Voyez ANOMALIE. (O)

EGALE, (Fauconnerie) synonyme à moucheté.


EGALEMENTS. m. (Jurispr.) signifie ce qui se fait pour observer ou rétablir l'égalité entre enfans, ou entre plusieurs héritiers, soit directs ou collatéraux.

Par exemple, les pere & mere ou autres ascendans, peuvent faire un également entre leurs enfans & petits-enfans, en les dotant en faveur de mariage, ou en leur faisant quelque autre donation en avancement d'hoirie. Ils peuvent les égaler, en les gratifiant tous à la fois également, & en observant entr'eux une parfaite égalité ; ou bien, si l'un d'eux a reçu d'eux quelque chose, ou que l'un ait reçu plus que l'autre, ils peuvent les égaler en donnant autant à celui qui n'a rien reçu, ou qui a reçu moins que l'autre.

Ces égalemens peuvent se faire, soit par acte entre-vifs, ou par testament.

Lorsque les pere, mere, ou autres ascendans, ne l'ont pas fait à l'égard de leurs enfans & petits-enfans, & que la succession se trouve ouverte dans une coûtume d'égalité parfaite : si les enfans donataires au lieu de remettre à la masse ce qu'ils ont reçu, aiment mieux le retenir & précompter ; en ce cas, avant de procéder au partage des biens, on commence par faire l'également ou r'également, c'est-à-dire, que l'on donne à ceux qui n'ont rien reçu ou qui ont moins reçu, autant qu'au donataire le plus avantagé : ensuite les autres biens se partagent par égales portions.

L'également doit être fait le plus exactement qu'il est possible, non-seulement eu égard à la quotité des biens, mais aussi eu égard à leur qualité, de maniere que chacun ait autant d'immeubles & d'argent comptant que les autres héritiers ou co-partageans. (A)


EGALEou EGALIR, signifie en général, parmi les Horlogers, rendre les dents d'une roue égales entr'elles, de même que les fentes qui les séparent. Ils appellent aussi égaler une roue, passer simplement dans ses dents une lime à égaler. Voyez CALIBRE A PIGNON, ECHANTILLON, LIME A EGALER, PIGNON, &c.

Egaler la fusée au ressort se dit encore parmi eux, de l'opération que l'on fait, lorsqu'en variant la bande du ressort, ou en diminuant les parties de la fusée par lesquelles il a le plus d'action, on parvient à le faire tirer avec la même force depuis le sommet de la fusée jusqu'à sa base.

L'outil dont on se sert pour reconnoître si cette force est toûjours égale, s'appelle levier. Voyez LEVIER, FUSEE, RESSORT, BANDE, &c. (T)


EGALEURSS. m. plur. (Hist. mod.) nom qu'on donna en Angleterre pendant les troubles qui agiterent ce royaume sous Charles I. à un parti de factieux qui vouloient égaler toutes les conditions des habitans de la grande Bretagne ; de sorte que les lois pussent obliger également toutes sortes de personnes, & que ni la naissance, ni la dignité, ne pûssent dispenser qui que ce fût des poursuites de la justice. Ils furent défaits & dissipés par Fairfax en 1649, dans le comté d'Oxfort. Chambers. (G)


EGALITÉS. f. (Log.) On peut définir l'égalité en fait de raisonnement, une ressemblance de quantité, découverte par l'opération de l'esprit : ainsi lorsque l'esprit mesurant le plus ou le moins de deux objets, trouve que la même idée qui lui découvre le plus ou le moins de l'un, c'est-à-dire les degrés de sa quantité ; lui manifeste de même le plus ou le moins, c'est-à-dire la quantité de l'autre ; cette conformité d'idées dont l'esprit se sert pour les mesurer, fait donner à ces deux objets le nom d'égaux. Mais il ne faut pas confondre ce rapport d'égalité avec la ressemblance & la proportion. Voyez RESSEMBLANCE & PROPORTION. Article de M(D.J.)

EGALITE, en Astronomie ; cercle d'égalité ou équant, est un cercle dont on fait beaucoup d'usage dans l'astronomie ptolémaique, pour expliquer l'excentricité des planetes, & la réduire plus aisément au calcul. Voyez EQUANT.

Raison d'égalité en Géométrie, est la raison ou le rapport qu'il y a entre deux quantités égales. Voyez EGAL & RAPPORT.

Proportion d'égalité ordonnée, ou ex aequo ordinata, est celle dans laquelle deux termes d'un rang ou d'une suite, sont proportionnels à autant d'autres termes d'un autre rang ou d'une autre suite, chacun a son correspondant dans le même ordre, savoir le premier au premier, le second au second, &c. Par exemple soit a : b : : c : d & e : b : : f : d, on aura en proportion ordonnée a : c : : e : f.

Proportion d'égalité troublée, est celle dans laquelle deux termes d'un rang sont proportionnels à autant de termes d'un autre rang, dans un ordre renversé & interrompu : par exemple, le premier d'un rang au troisieme d'un autre, le second de ce dernier rang au quatrieme du premier rang. Par exemple si a : b : : c : d & b : e : : f : c, on aura en proportion troublée a : e : : f : d, &c. Voyez PROPORTION.

Egalité, en Algebre, est la même chose qu'équation. Voyez ce mot, qui est aujourd'hui plus en usage, quoique l'autre ne soit pas proscrit. (O)

EGALITE NATURELLE, (Droit nat.) est celle qui est entre tous les hommes par la constitution de leur nature seulement. Cette égalité est le principe & le fondement de la liberté.

L'égalité naturelle ou morale est donc fondée sur la constitution de la nature humaine commune à tous les hommes ; qui naissent, croissent, subsistent, & meurent de la même maniere.

Puisque la nature humaine se trouve la même dans tous les hommes, il est clair que selon le droit naturel, chacun doit estimer & traiter les autres comme autant d'êtres qui lui sont naturellement égaux, c'est-à-dire qui sont hommes aussi bien que lui.

De ce principe de l'égalité naturelle des hommes, il résulte plusieurs conséquences. Je parcourrai les principales.

1°. Il résulte de ce principe, que tous les hommes sont naturellement libres, & que la raison n'a pû les rendre dépendans que pour leur bonheur.

2°. Que malgré toutes les inégalités produites dans le gouvernement politique par la différence des conditions, par la noblesse, la puissance, les richesses, &c. ceux qui sont les plus élevés au-dessus des autres, doivent traiter leurs inférieurs comme leur étant naturellement égaux, en évitant tout outrage, en n'exigeant rien au-delà de ce qu'on leur doit, & en exigeant avec humanité ce qui leur est dû le plus incontestablement.

3°. Que quiconque n'a pas acquis un droit particulier, en vertu duquel il puisse exiger quelque préférence, ne doit rien prétendre plus que les autres, mais au contraire les laisser joüir également des mêmes droits qu'il s'arroge à lui-même.

4°. Qu'une chose qui est de droit commun, doit être ou commune en joüissance, ou possédée alternativement, ou divisée par égales portions entre ceux qui ont le même droit, ou par compensation équitable & reglée ; ou qu'enfin si cela est impossible, on doit en remettre la décision au sort : expédient assez commode, qui ôte tout soupçon de mépris & de partialité, sans rien diminuer de l'estime des personnes auxquelles il ne se trouve pas favorable.

Enfin pour dire plus, je fonde avec le judicieux Hooker sur le principe incontestable de l'égalité naturelle, tous les devoirs de charité, d'humanité, & de justice, auxquels les hommes sont obligés les uns envers les autres ; & il ne seroit pas difficile de le démontrer.

Le lecteur tirera d'autres conséquences, qui naissent du principe de l'égalité naturelle des hommes. Je remarquerai seulement que c'est la violation de ce principe, qui a établi l'esclavage politique & civil. Il est arrivé de-là que, dans les pays soûmis au pouvoir arbitraire, les princes, les courtisans, les premiers ministres, ceux qui manient les finances, possedent toutes les richesses de la nation, pendant que le reste des citoyens n'a que le nécessaire, & que la plus grande partie du peuple gémit dans la pauvreté.

Cependant qu'on ne me fasse pas le tort de supposer que par un esprit de fanatisme, j'approuvasse dans un état cette chimere de l'égalité absolue, que peut à peine enfanter une république idéale ; je ne parle ici que de l'égalité naturelle des hommes ; je connois trop la nécessité des conditions différentes, des grades, des honneurs, des distinctions, des prérogatives, des subordinations, qui doivent regner dans tous les gouvernemens ; & j'ajoûte même que l'égalité naturelle ou morale n'y est point opposée. Dans l'état de nature, les hommes naissent bien dans l'égalité, mais ils n'y sauroient rester ; la société la leur fait perdre, & ils ne redeviennent égaux que par les lois. Aristote rapporte que Phaléas de Chalcédoine avoit imaginé une façon de rendre égales les fortunes de la république où elles ne l'étoient pas ; il vouloit que les riches donnassent des dots aux pauvres, & n'en reçussent pas, & que les pauvres reçussent de l'argent pour leurs filles, & n'en donnassent pas. " Mais (comme le dit l'auteur de l'esprit des lois) aucune république s'est-elle jamais accommodée d'un réglement pareil ? Il met les citoyens sous des conditions dont les différences sont si frappantes, qu'ils haïroient cette égalité même que l'on chercheroit à établir, & qu'il seroit fou de vouloir introduire ". Article de M(D.J.)

EGALITE, (Jurispr.) dans les successions & partages, est lorsqu'aucun des héritiers n'est plus avantagé que les autres.

Il y a des coûtumes qu'on appelle coûtumes d'égalité. Voyez au mot COUTUMES. (A)

EGALITE, (Voix) c'est une des qualités les plus essentielles à la voix. Il n'en est point qu'on puisse appeller belle, si tous les sons qu'elle peut rendre dans l'étendue qui lui est propre, ne sont entr'eux dans une parfaite égalité. C'est ainsi que la nature a donné à l'homme l'organe qu'elle a destiné au chant, & aux oreilles françoises que la satiété n'a point encore gâtées, la faculté de le sentir & de l'apprécier. L'art, qui ne doit que l'embellir, & qui quelquefois l'exagere, n'a pas encore porté en France la manie de forcer la voix humaine par-delà les sons qui constituent sa beauté. Voyez ETENDUE.

L'égalité est un don rare de la nature ; mais l'art peut y suppléer, lorsqu'il s'exerce de bonne heure sur un organe que l'âge n'a pas roidi. Voy. MAITRE A CHANTER, ETENDUE, VOIX. (B)

EGALITE s'employe aussi dans l'Ecriture. Ce caractere est bien égal, c'est-à-dire qu'il est par-tout uniforme en grosseur, situation, hauteur, largeur ; qu'il y a par-tout la même distance entre les lettres, les mots & les lignes.


EGALURESS. f. pl. (Fauconn.) se disent des mouchetures blanches qui sont sur le dos de l'oiseau. On dit : il a le dos tout parsemé d'égalures.


EGANDILLERv. act. (Comm.) terme usité en Bourgogne pour signifier ce qu'on entend ailleurs par étalonner, c'est-à-dire marquer des poids ou des mesures, après les avoir vérifiés sur les étalons. Voyez ETALON & ETALONNER. Dictionn. de Comm. de Trévoux, & Chambers.


EGARDou ESGARDé, adj. termes de Manuf. une piece esgardée est celle qui a été visitée par les esgards ou égards, c'est-à-dire jurés. Voyez EGARDS ou ESGARDS.


EGARDISou ESGARDISE, s. f. ce terme n'est guere en usage que dans la sayetterie d'Amiens, où les jurés des communautés sont appellés égards ou esgards ; ainsi en ce sens égardise ou esgardise est la même chose que jurande. Voyez JURANDE.

Egardise se prend aussi pour le tems où les égards font leurs visites. Voyez le dictionn. du Comm.


EGARDou ESGARDS, s. m. pl. (Comm.) est le nom qu'on donne à Amiens à ceux qu'on appelle ailleurs maîtres & gardes, & jurés. Ce sont eux qui ont soin d'aller en visite chez les fabriquans & foulons, & qui doivent se trouver certains jours aux halles pour examiner les étoffes de laine, ou de laine mêlée de soie, de fil, & autres matieres qui se font dans la sayetterie, & voir si elles sont fabriquées en conformité des réglemens. Ces égards sont choisis & élus de tems en tems par les marchands ou maîtres de leurs communautés.

On appelle esgards-ferreurs ceux qui apposent les plombs aux étoffes, parce qu'on appelle fers dans la sayetterie d'Amiens, ce qu'on nomme ailleurs des coins & des poinçons. De ces esgards -ferreurs il y en a de ferreurs-sayetteurs en blanc, d'autres en noir, d'autres en guelde. Les premiers prennent leur nom des halles où ils ferrent les étoffes ; les autres, de ce qu'ils ferrent chez les teinturiers. Voyez SAYETTEUR & HAUTELISSEUR, les dictionn. de Comm. & de Trév. & les réglemens sur les manufactures.


EGARDSMENAGEMENT, ATTENTIONS, CIRCONSPECTION, synon. (Gramm.) ces mots désignent en général la retenue qu'on doit avoir dans ses procédés. Les égards sont l'effet de la justice ; les ménagemens, de l'intérêt ; les attentions, de la reconnoissance ou de l'amitié ; la circonspection, de la prudence. On doit avoir des égards pour les honnêtes gens, des ménagemens pour ceux de qui on a besoin, des attentions pour ses parens & ses amis, de la circonspection avec ceux avec qui l'on traite. Les ménagemens supposent dans ceux pour qui on les a, de la puissance ou de la foiblesse ; les égards, des qualités réelles ; les attentions, des liens qui les attachent à nous ; la circonspection, des motifs particuliers ou généraux de s'en défier. Voyez CONSIDERATION.

Les égards réciproques que les hommes se doivent les uns aux autres, sont un des devoirs les plus indispensables de la société. Les hommes étant réellement tous égaux, quoique de conditions différentes, les égards qu'ils se doivent sont égaux aussi, quoique de différente espece. Les égards du supérieur, par exemple, envers son inférieur, consistent à ne jamais laisser appercevoir sa supériorité, ni donner lieu de croire qu'il s'en souvient : c'est en quoi consiste la véritable politesse des grands, la simplicité en doit être le caractere. Trop de démonstrations extérieures nuisent souvent à cette simplicité ; elles ont un air de faveur & de grace sur lequel l'inférieur ne se méprend pas, pour peu qu'il ait de finesse dans le sentiment ; il croit entendre le supérieur lui dire par toutes ces démonstrations : je suis fort au-dessus de vous, mais je veux bien l'oublier un moment, parce que je vous fais l'honneur de vous estimer, & que je suis d'ailleurs assez grand pour ne pas prendre avec vous tous mes avantages. La vraie politesse est franche, sans apprêt, sans étude, sans morgue, & part du sentiment intérieur de l'égalité naturelle ; elle est la vertu d'une ame simple, noble, & bien née : elle ne consiste réellement qu'à mettre à leur aise ceux avec qui l'on se trouve. La civilité est bien différente ; elle est pleine de procédés sans attachement, & d'attention sans estime : aussi ne faut-il jamais confondre la civilité & la politesse ; la premiere est assez commune, la seconde extrèmement rare ; on peut être très-civil sans être poli, & très-poli sans être civil. (O)


EGARÉadj. (Maréch.) une bouche égarée est celle qui se refuse aux justes impressions de l'embouchure, dont l'appui est véritablement faux & falsifié, & qui ne consent franchement à aucuns mouvemens de la main, quelque doux & quelque tempérés qu'ils puissent être.

Cette incertitude procéde souvent d'une sensibilité & d'une foiblesse naturelles, d'un défaut de proportion dans les parties de la bouche, de la conformation irréguliere de quelques-unes de celles du corps de l'animal, de quelques maux dont elles peuvent être atteintes, de la dureté des premieres embouchures, de la forte application des gourmettes mal ordonnées, des efforts excessifs d'une main dont le sentiment a été aussi cruel qu'importun, ou de la lenteur ou foiblesse de celle qui, n'ayant aucune fermeté, a permis au cheval de se livrer à mille mouvemens vagues, dans lesquels il s'est offensé lui-même, en s'appuyant inconsidérément des leçons données sans ordre & sans jugement, des arrêts trop subtils & trop précipités, &c.

Dans cet état le cheval dérobe sans-cesse les barres, bégaye, se déplace, tourne la tête de côté & d'autre, se retient, s'arrête, bat & tire à la main, ou la force, pour peu que le cavalier veuille le solliciter à quelqu'action.

On ne peut se décider sur le choix des moyens de parer à tous ces desordres, si d'une part on n'envisage & on ne distingue les véritables causes de cette irrésolution, & si de l'autre on ne s'attache à découvrir l'inclination & le caractere de l'animal.

Quelle que soit la source & le principe dont il s'agit, l'entreprise de ramener une bouche aussi soupçonneuse à un appui solide & assûré, demande beaucoup d'art, & un grand fond de lumieres & de patience. Quelle attention n'exige pas la nécessité de ménager une partie débile ou lésée, en rejettant une portion du poids dont elle devroit être chargée, sur celle qui est saine, & qui joüit d'une plus grande force ? Que de recherches pour démêler au milieu de tant de déréglemens, ce point unique dans lequel le sentiment de la main est infiniment confondu avec celui de la bouche, & où le cavalier & le cheval sont pour ainsi dire également affectés d'un plaisir réciproque & si marqué, que l'animal semble préférer la contrainte à la liberté ? Quel art ne faut-il pas pour rencontrer ce juste tempérament, dans la fermeté duquel résident en même tems & la douceur & la résistance ? Que de connoissances enfin pour varier les leçons & les aides à-propos, & toûjours relativement à la diverse nature des chevaux.

Les embouchures les plus douces, telles que le simple canon, les branches droites & longues, les gourmettes les plus grosses, placées de maniere qu'elles gênent peu, & qu'elles asservissent légerement, sont d'abord les premieres armes que nous devons employer. Il n'est pas question en effet ici de recourir à la force ; ce seroit se proposer de remédier à un vice par la cause même qui le produit presque toûjours : ainsi cette voie que quelques écuyers choisissent, puisqu'ils font forger des embouchures dans l'intention de casser les barres, ne serviroit qu'à confirmer le cheval dans son incertitude, & le précipiteroit encore dans de nouveaux desordres.

Nous ne pouvons nous promettre de véritables succès dans des circonstances aussi délicates, qu'autant que nous saurons tâter, s'il m'est permis d'user de cette expression, la bouche de l'animal, en partant du point d'appui le plus leger, & en l'augmentant toûjours imperceptiblement ; car des mains qui n'ont aucune méthode, dont les mouvemens n'ont aucune mesure, dont les impressions sont subites, & qui ignorent en un mot l'art de chercher, occasionnent plûtôt l'égarement qu'elles ne le corrigent.

Dans le chemin que parcourt cette main qui sonde en quelque façon la bouche, il n'est pas douteux qu'il est un période où le sentiment exercé est moins desagréable à l'animal. Ce période se distingue en ce que le cheval moins étonné, moins surpris lorsque la main y est parvenue, ne témoigne point autant d'inquiétude, & c'est à ce point qu'il faut se fixer & s'arrêter : dès qu'on l'a reconnu, il est inutile de tenter de l'outre-passer ; mais comme un appui constant, & qui persevere dans le même degré, échauffe inévitablement la barre, on le diminuera insensiblement, pour le reprendre de même ; attendu que si on vouloit y revenir tout-à-coup, outre qu'on ne pourroit le saisir que par hasard, on couroit risque par une action trop forte, de susciter les mouvemens desordonnés que l'on a dessein de réprimer, & auxquels on donneroit encore incontestablement lieu, si la diminution nécessaire dont j'ai parlé, n'étoit pareillement opérée d'une maniere imperceptible.

Cette main liante, & dont les effets ne peuvent être goûtés qu'autant qu'elle est attentive à rappeller sans-cesse le sentiment qu'elle a découvert, seroit néanmoins insuffisante. C'est une erreur que d'imaginer de pouvoir juger exactement de la qualité d'une bouche quelconque, & en scruter le fond par le seul secours des rênes ; le véritable point d'appui ne se manifeste que dans l'ensemble de l'animal, & nous ne le saisissons jamais parfaitement, qu'autant que le devant & le derriere sont justement contre-balancés : aussi n'y parvenons-nous dans la plûpart des chevaux que nous travaillons, que par le rapport & l'harmonie des aides de la main & des jambes.

Ici principalement il est essentiel que ces aides se soûtiennent & s'accompagnent. Au moment où les rênes agissent & operent, les jambes doivent donc solliciter en juste raison le derriere en-avant, & pousser l'action du cheval contre l'appui : par ce moyen l'animal retenu d'un côté & chassé de l'autre, se trouvera nécessairement soulagé, en ce qu'il sera moins sur son devant, & plus uni ; & l'effet de la main en étant même adouci, ne lui paroîtra plus aussi violent & aussi insupportable.

On doit cependant, eu égard à ce rapport & à cette harmonie, considérer la disposition de l'animal. Il faut que l'effort des jambes l'emporte sur celui de la main, & même le précede, si le cheval est porté à se retenir ; car en ce cas la main opérant la premiere, l'arrêteroit ou l'aculeroit, & ne pourroit trouver dans la bouche ce degré perfectionné de résistance que le cavalier se propose d'y rencontrer. J'ajoûterai que si dans la même circonstance l'action de cette main n'étoit devancée, ou avoit lieu dans le tems précis où les jambes sont mises en opposition, l'animal renfermé & contraint de toutes parts, se gendarmeroit & se défendroit en multipliant les pointes ; & l'on conçoit d'ailleurs qu'on ne peut évaluer & mesurer ces différentes forces, que relativement au plus ou moins de sensibilité du cheval ; & au plus ou moins de difficulté qu'il témoigne lorsqu'on entreprend de le déterminer en-avant.

Quant aux chevaux qui embrassent le terrein avec franchise, & dont l'irrésolution n'est que dans leur bouche vaine & égarée, on prendra le parti contraire : la main précédera le mouvement des jambes. Ceux-ci en effet s'offrent eux mêmes à l'appui, & il seroit très-possible, en profitant subtilement de l'impatience avec laquelle souvent ils s'abandonnent & précipitent leurs allures, de le leur faire goûter sans employer d'autres aides. Il n'en est pas de même du cheval pesant & chargé d'épaules, les jambes & la main doivent se réunir pour le contre-balancer ; car si l'on ne lui suggere une certaine union, vainement espéreroit-on de le résoudre à cette fermeté & à cette assûrance dont il est si fort éloigné.

En général, le pas averti me paroît l'action la plus favorable au cavalier qui entreprend de faire industrieusement sentir & reconnoître au cheval les effets de la main. Dans une allure vive & promte, l'animal est plus distrait, moins patient ; il chemine & n'écoute point, & se dérobe plus aisément à l'attention de celui qui l'exerce. Ce n'est donc que dans cette marche lente & pesée, pour ainsi dire, qu'il convient d'abord de mettre en usage les divers moyens que j'ai indiqués : si cependant le cheval se retenoit, on seroit obligé de débuter par le trot, sans s'attacher absolument à la recherche de sa bouche ; car le premier pas à faire, est de le résoudre. Après l'avoir quelque tems travaillé ainsi, & lorsqu'il aura acquis plus de franchise, on entre-mêlera cette même leçon & celle du pas, sauf à le remettre à la premiere, supposé qu'elle n'eut point produit encore tout l'effet que nous en desirions. La plûpart des chevaux qui se retiennent, & dont la bouche est fausse & soupçonneuse, s'arment & s'encapuchonnent ; les autres portent au contraire au vent : or l'un & l'autre de ces défauts, ou plûtôt l'une & l'autre de ces défenses sont d'autant plus nuisibles, que si la tête n'est placée, l'appui ne peut être que faux & desordonné ; ainsi dès que l'animal voudroit sortir en-arriere de la ligne perpendiculaire, on éloignera la main du corps, pour le mettre dans l'attitude où il doit être ; & on aura recours aux châtimens qui partent des jambes, dont on modérera les aides, souvent très-propres, en rejettant le derriere sur le devant, à solliciter l'animal à ce vice. A l'égard de ceux qui entreprennent de tendre le nez, dès qu'ils se présenteront pour sortir en-avant de cette même ligne, s'ils rencontrent la main du cavalier, & s'ils se heurtent en quelque façon les barres contre le point de résistance qu'elle leur opposera, il n'est pas douteux qu'enfin ils se corrigeront, sur-tout si la fermeté de cette même main, & les degrés de la tension des rênes, sont tels que l'animal soit toûjours assûré de s'exposer à la douleur du heurt & de la pression, en se déplaçant ; & de n'éprouver aucune sensation desagréable, en se maintenant dans la position que l'on exige de lui. Ce même principe est encore d'une très-grande ressource dans le bégayement, & dans le cas où le cheval bat, tire à la main, & la force.

La bouche de l'animal en quelque maniere rassûrée dans l'action du pas, il sera question de le présenter au trot. Celle-ci commencera à l'obliger à souffrir constamment l'appui. Pour le raffermir entierement, passez ensuite au galop ; conduisez-le sur un terrein un peu penchant : dans la contrainte où il sera de se ramener sur les hanches, il cherchera un soûtien dans votre main, & ne tentera point de s'opposer à ses effets. L'action de soûtenir peu-à-peu la descente du galop sur un terrein même uni, sera d'une égale utilité.

Toutes ces leçons doivent être données d'abord par le droit, non sur un terrein étroit & mesuré, quand il s'agit de chevaux indéterminés, mais dans les lieux limités, lorsqu'il est question de ceux qui ont d'ailleurs de la fougue & de la résolution. Si vous y ajoûtez celles de l'arrêt, & quelque tems après celles du reculer, l'obéissance & la facilité de la bouche renaîtront bientôt entierement (voy. PARER & RECULER), pourvû néanmoins que vous n'entrepreniez pas tout-à-coup, que vous observiez des gradations, que vous ne reculiez pas trop tôt, que vous le fassiez repartir pendant quelque tems, sans le précipiter dès l'instant qu'il aura paré ; car de tels arrêts aisés, étendus, & continués à l'aide d'une bonne main, seroient eux seuls capables de lui ôter tout soupçon. Pratiquez de plus avec jugement, avec prudence ; n'exigez pas trop d'un cheval foible, n'abusez point de celui qui a beaucoup de force ; un long travail ne pourroit qu'offenser davantage l'animal, & qu'augmenter en lui l'égarement. (e)


EGAROTTÉadj. (Manége & Maréchall.) terme qui a été substitué au vieux mot encrainé, dont on se servoit très anciennement pour désigner un cheval blessé sur le garrot. Quelques-uns employent indifféremment l'épithete d'égarotté, soit que la blessure soit legere, soit qu'il s'agisse d'une playe véritablement dangereuse & considérable ; elle ne convient néanmoins proprement que dans ce dernier cas. Les causes de ces blessures, leurs progrès, leurs suites, leurs terminaisons, sont différentes. Voyez GARROT. (e)


EGAYERv. act. (Jardinage) on dit égayer un arbre, quand on le palisse si proprement que ses branches couvrent également les murs de l'espalier sans confusion, parce que celles qui étoient superflues ont été coupées. On égaye encore un buisson, un arbre de tige, quand on lui ôte les branches qui le rendent confus. (K)


EGÉEadj. (Géogr.) c'est la partie de la Méditerranée qu'on appelle communément l'Archipel. Voyez ARCHIPEL. Ce nom lui vient, à ce qu'on dit, d'Egée pere de Thésée, qui croyant son fils mort, sur les voiles noires qu'on avoit oublié de changer au vaisseau qui le ramenoit victorieux du minotaure, s'y précipita & lui donna son nom.


EGERIES. f. (Mythol.) déesse qui présidoit à la naissance de l'enfant & à l'action de l'accouchement ; c'étoit elle qu'on en remercioit, s'il étoit heureux & facile ; ou contre laquelle on blasphémoit, s'il étoit laborieux & pénible. Il y a des mythologistes qui prétendent qu'Egérie & Junon est la même divinité sous deux noms différens.

* EGERIE, s. f. (Mythol.) nymphe de la forêt d'Aricie, qu'Ovide donne pour épouse à Numa Pompilius ; mais qui, selon d'autres, n'étoit qu'une divinité tutelaire, qu'il feignoit d'aller consulter dans sa retraite sur les lois qu'il proposoit aux Romains : il ne faisoit descendre des cieux les lois, & ne leur attribuoit une origine céleste, que pour disposer adroitement les esprits à les respecter, & cette mauvaise ruse lui réussit. Après la mort de Numa, les Romains convaincus que le pieux & sage législateur s'entretenoit avec Egérie, allerent chercher la nymphe dans la forêt, où ils ne trouverent qu'une fontaine, en laquelle ils imaginerent qu'elle avoit été métamorphosée par la commisération de Diane, touchée des pleurs continuelles qu'elle répandoit depuis la mort de Numa. Au reste Numa craignant avec juste raison qu'on ne se méfiât de la réalité de ses entretiens avec une divinité, résolut de la prouver par un miracle, & il en fit un qui ne fut rejetté en doute que par quelques esprits forts ; au nombre desquels on peut mettre Denis d'Halicarnasse, dans les antiquités duquel ceux qui aiment les contes merveilleux pourront lire le détail du miracle opéré par Numa Pompilius, pour la vérité de ses entretiens avec Egérie, & la divinité de ses lois.


EGIALE(Myth.) une des trois graces. Voyez l'article GRACES.


EGIDES. f. (Mythol.) L'égide étoit le bouclier, ou la cuirasse des dieux, sur-tout de Jupiter & de Pallas. Mais en parlant des hommes, ce mot désigne seulement la piece d'armure qui couvroit la poitrine, c'est-à-dire la cuirasse.

Anciennement tous les boucliers des dieux, surtout celui de Jupiter, couvert de la peau de la chevre qui l'avoit nourri, & dont il prenoit son nom, s'appelloient des égides ; car en grec, signifie chévre ; ensuite Minerve ayant tué un monstre nommé Egide, qui vomissoit du feu par la bouche, & faisoit beaucoup de ravage dans la Phrygie, la Phénicie, l'Egypte, & la Lybie, elle couvrit son bouclier de la peau de ce monstre, & dès-lors le nom d'égide fut consacré au seul bouclier de la déesse.

Peut-être que Minerve fit périr quelque fameux brigand qui ravageoit le pays, & que c'est ce qui a donné lieu à la fable ; mais comme les Grecs rendoient toûjours des raisons fabuleuses de leurs anciennes cérémonies ; il vaut mieux, ce me semble, sur cet article, s'en tenir avec M. l'abbé Banier à Hérodote, qui prétend (liv. iv.) que les Grecs ont emprunté des Lybiens l'habit & le bouclier de la déesse Minerve, qui étoit fort honorée dans ce pays, sur-tout aux environs du lac Tirton, où l'on croyoit qu'elle étoit née. Le nom même d'égide, marque bien que cette sorte de bouclier est venue de Lybie, où les habitans portent sous leurs habits des peaux de chevre corroyées, que les Grecs appelloient des égides.

Les Grecs embellirent cette fable à leur maniere, & supposerent que Minerve avoit fait graver la tête de la Gorgone environnée de serpens sur ce terrible bouclier, & qu'on ne pouvoit le regarder sans frémir d'horreur ; ce qui donna lieu dans la suite, de dire que sa vûe changeoit les hommes en pierres.

D'un autre côté, les poëtes travaillerent à l'envi à consacrer cette fiction à l'immortalité ; mais Homere & Virgile ont surpassé de bien loin tous leurs rivaux, dans les descriptions qu'ils nous ont laissées du bouclier de Minerve.

Aegidaque horrificam, turbatae Palladis arma,

Certatim squamis serpentum auroque polibant :

Connexosque angues, ipsamque in pectore divae,

Gorgona, desecto vertentem lumina collo.

Aeneid. lib. viij. v. 435.

Voici celle d'Homere. Iliad. lib. v. " Elle (Minerve) couvre ses épaules de son égide terrible, d'où pendent cent houpes d'or, & autour de laquelle on voit la terreur, la discorde, la fureur des attaques, les poursuites, le carnage & la mort. Elle avoit au milieu la tête de la Gorgone, cet énorme & formidable monstre, dont on ne sauroit soûtenir la vûe ; prodige étonnant du pere des immortels ! Article de M(D.J.)

* EGIDE, (Myth.) monstre qui ravagea la Phrygie, la Phénicie, l'Egypte & la Lybie. Il vomissoit le feu par la bouche : Jupiter ordonna à Minerve de le combattre, Minerve obéit à son pere, vainquit le monstre & en étendit la peau sur son bouclier. Il ne seroit pas difficile de séparer ce que la poésie a mis de fabuleux dans cet évenement, & de le rapprocher, par la conjecture, de la vérité historique. Egide fut quelque brigand de ces tems reculés, qui se répandit dans les contrées dont nous avons parlé, la flamme & le fer à la main : conséquemment le prince régnant sera Jupiter ; le général sage & prudent, auquel il ordonna de marcher contre le brigand, sera représenté par Minerve ; la peau sera l'emblème des dépouilles de l'ennemi, que le général distribua à ses soldats ; ou pour parler le langage de la poésie, qu'il étendit sur son bouclier, qui en devint une arme très-redoutable.


EGIPANou AEGIPANS, (Myth.) surnom des divinités champêtres, que les payens croyoient habitantes des forêts ou des montagnes ; qu'ils peignoient sous la figure de petits hommes velus, cornus, fourchus, & ornés d'une queue par-derriere.

On donnoit encore ce nom, selon Pline, à des monstres de Lybie, à museau de chevre & à queue de poisson. C'est ainsi qu'on représentoit le capricorne, un des signes du zodiaque, & la figure s'en trouve dans des monumens égyptiens & romains. Les antiquaires appellent aussi cette figure égipan.


EGIRES. f. (Mythol.) une des huit Hamadryades. Voyez HAMADRYADES.


EGLANDERv. act. (Manége, Maréchallerie) extirper une glande, expressions synonymes. Je ne parlerai de cette opération recommandée par M. de Soleysel, dans la plûpart des circonstances où un défaut de lumieres & de succès le portoit à tout tenter, que pour prouver qu'elle est souvent abusive, & que les cas où elle pourroit être indiquée, sont très-rares. En premier lieu, elle ne peut être pratiquée que relativement aux glandes sublinguales & maxillaires. 2°. On ne doit l'entreprendre que lorsque les moyens de résoudre ont été insuffisans, & qu'il y a une véritable induration ; & même dès que la glande dans cet état ne sauroit incommoder l'animal, la tentative est inutile. 3°. Le corps glanduleux, dont nous proposons l'extirpation, doit être seul, détaché & nullement adhérent à des parties qu'il seroit dangereux d'intéresser. 4°. Enfin, si le gonflement de ce même corps est un symptome de quelque maladie qui affecte toute la masse des humeurs, il est facile de comprendre que cette opération n'y remédiera point, puisque nous négligerons de remonter à la véritable source ; nous pourrions d'ailleurs donner lieu à une fistule, ou à un ulcere abreuvé de l'humeur dégénérée, & dont les suites seroient plus funestes que celles que nous aurions pû redouter de l'état de la glande extirpée.

Voici néanmoins le manuel de cette opération. Je suppose que le cheval soit placé & assujetti dans une attitude convenable. Pincez, soûlevez, & détachez la peau de la glande. Coupez-là de maniere que votre incision soit longitudinale, & que l'ouverture soit proportionnée au volume & à la forme du corps glanduleux. Saisissez ensuite un des bords de cette même incision, & avec un scalpel séparez parfaitement le tégument de ce même corps. Revenez à l'autre bord, & agissez-en de même ; la superficie de la glande étant nettement à découvert, prenez-la avec une érigne, tirez-la à vous, faites écarter par un aide les bords de la peau incisée ; disséquez cette petite masse dans toute sa circonférence & dans sa partie inférieure ; emportez-la enfin entierement. Le pansement qui suit l'opération est très-simple, & se fait à sec ; introduisez donc dans la plaie une certaine quantité de charpie que vous maintiendrez en refermant l'ouverture avec des fils que vous aurez passés dans les bords du tégument coupé. Si vous appercevez une régénération surabondante, dorez votre charpie avec l'égyptiac, levez votre appareil tous les jours, en un mot traitez cette plaie comme vous traiteriez une plaie simple. (e)


EGLANTIERou ROSIER SAUVAGE, cynorrhodos, (Jardinage) est une espece de rosier assez haut, épineux, qui croît dans les haies & dans les buissons : ses feuilles ressemblent à celles du rosier, sa fleur est simple, à cinq feuilles de couleur blanche & incarnat, un peu odorantes. Le fruit qui lui succede est oblong, assez gros, & devient rouge en mûrissant. On l'appelle grattecul ou cynorrhodon ; il renferme des semences entourées de poil qui s'attachent aux doigts, & y causent des demangeaisons. (K)

EGLANTIER ou ROSIER SAUVAGE, connu aussi dans les boutiques sous le nom grec de cynorrhodon, qui signifie rose de chien. (Pharmacie & Matiere médicale) Les fleurs de cet arbrisseau, ses fruits, ses semences, sa racine, & l'éponge qui croît sur ses branches, sont célébrées par tous les Pharmacologistes.

Les fleurs passent pour être astringentes ; l'eau que l'on en retire par la distillation est réputée excellente dans les maladies des yeux.

Les fruits, communément appellés grattecul, sont estimés pour être légerement astringens, & en même tems apéritifs & diurétiques. On en fait la conserve connue sous le nom de conserve de cynorrhodon. Elle se prépare ainsi :

Prenez des fruits d'églantier mûrs, autant que vous voudrez ; partagez-les par le milieu, & séparez-en exactement les pepins & le duvet qui les accompagne ; étant mondés, mettez-les dans un vase & arrosez-les d'un peu de vin. Gardez-les en cet état deux ou trois jours, pendant lesquels un petit mouvement de fermentation qu'ils éprouveront, les amollira au point de pouvoir facilement, après avoir été pilés dans un mortier de marbre, passer à-travers un tamis de crin, à la maniere des pulpes.

Prenez de cette pulpe ainsi passée au tamis, une demi-livre ; de sucre blanc, deux livres : pilez-le fortement avec la pulpe pour l'y mêler exactement ; & si la conserve vous paroît trop molle, faites-la dessécher à petit feu jusqu'à ce qu'elle ait la consistance requise. Voyez CONSERVE. On peut aussi faire cuire le sucre avec un peu d'eau jusqu'à ce qu'il soit en consistance de tablette. Voyez TABLETTE. Alors on le mêlera avec la pulpe décrite ci-dessus, par ce moyen on aura une conserve plus unie, plus glacée. La Pharmacopée de Paris prescrit, au lieu d'eau, une décoction de racine d'églantier pour faire la cuite du sucre. Cette conserve est fort en usage parmi nous, mais bien moins à titre de remede qu'à titre d'excipient. Voyez EXCIPIENT. On l'employe dans les bols, dans les pilules, dans les opiates, dont elle lie très-bien les ingrédiens.

Comme cette conserve est d'un doux-aigrelet fort agréable au goût, on peut en donner aux convalescens à titre d'analeptique, sur-tout dans les cas où l'on voudroit exciter un peu les urines. Voyez DOUX, DIURETIQUE, GIMEGIME.

Les semences ou pepins qui se trouvent dans le grattecul sont vantés par quelques auteurs comme un excellent remede contre la gravelle. Dans ce cas, on fait une émulsion avec deux gros de ces pepins & quelque décoction ou infusion appropriée, ou bien on les donne en poudre au poids d'un gros dans un verre de vin.

Il y a des observateurs qui assûrent avoir guéri des hydropiques desespérés, par l'usage d'une tisane faite avec les fruits entiers de cynorrhodon.

La racine de l'églantier a été recommandée par les anciens comme un excellent antidote contre la morsure des animaux enragés, & contre l'hydrophobie qui en est la suite. On la fait prendre intérieurement rapée au poids d'un gros, d'un gros & demi, ou bien on en prescrit la décoction ; on donne même à manger la racine fraîche au malade.

L'éponge d'églantier que l'on appelle bedeguar, est employée par quelques medecins comme un astringent, soit en substance, soit en infusion. On en fait des gargarismes pour les ulceres de la bouche & du gosier : on la célebre aussi comme un spécifique contre les goîtres, si après l'avoir brulée dans un pot de terre fermé & l'avoir réduite en poudre, on en met tous les soirs en se couchant une pincée sous la langue. On continue ce remede pendant plusieurs mois, & on prétend qu'il opere des cures singulieres. Cette préparation n'est qu'une poudre de charbon. Voyez la fin de l'article CHARBON. (b)


EGLISES. f. (Théolog.) selon les Théologiens catholiques, c'est l'assemblée des fideles unis par la profession d'une même foi & par la communion des mêmes sacremens, sous la conduite des légitimes pasteurs ; c'est-à-dire, des évêques, & du pape successeur de S. Pierre & vicaire de Jesus-Christ sur la terre.

La plûpart des hérétiques ont défini l'Eglise conformément à leurs opinions, ou de maniere à faire croire que leurs sociétés particulieres étoient la véritable Eglise. Les Pélagiens disoient que c'étoit une société d'hommes parfaits, qui n'étoient souillés d'aucun péché. Les Novatiens, qu'elle n'étoit composée que des justes qui n'avoient pas péché griévement contre la foi. Les Donatistes n'y admettoient que les personnes vertueuses & exemptes des grands crimes ; Wiclef, que les prédestinés ; Luther, que les saints, qui croyent & qui obéissent à Jesus-Christ. Calvin & ses sectateurs ont admis tantôt une Eglise extérieure & visible, tantôt une Eglise invisible, composée des élûs. Jurieu l'a composée de toutes les sectes chrétiennes qui n'errent pas dans les articles fondamentaux. Tous se sont accordés à en exclure le gouvernement hiérarchique du pape & des évêques. L'hérésie fut toûjours ennemie de la subordination.

Les Anglicans conviennent pourtant avec nous de la nécessité d'un chef visible dans l'Eglise. Mais au lieu que nous reconnoissons le pape en cette qualité, ils la déferent à leur roi, qui en effet dans ses titres prend celui de chef de l'église anglicane. Voyez SUPREMATIE.

Le mot Eglise vient originairement du grec , qu'on a dit en général pour une assemblée publique, quelle qu'elle fût, & quelquefois aussi pour le lieu même de l'assemblée. On le trouve employé en ce dernier sens par les écrivains sacrés & ecclésiastiques, mais plus ordinairement ils le restraignent à l'assemblée des Chrétiens ; de même que le terme synagogue, qui d'abord signifioit une assemblée en général, a été ensuite consacré par l'usage à signifier une assemblée de Juifs. Voyez SYNAGOGUE.

Ainsi dans le nouveau Testament le mot Eglise n'est guere employé qu'en parlant des Chrétiens, tantôt pour le lieu où ils s'assemblent pour prier, comme dans la premiere épitre aux Corinthiens, ch. xjv. . 34. tantôt pour l'assemblée des fideles répandus par toute la terre, comme dans l'épitre aux Ephésiens, ch. v. . 24. & 26. quelquefois pour les fideles d'une ville ou d'une province en particulier, comme dans la premiere épitre aux Corinthiens, ch. j. . 1. & 2. & dans la seconde aux Corinthiens, ch. viij. . 1. quelquefois pour une seule famille, comme dans l'épitre aux Romains, ch. xvj. . 5. & enfin pour les pasteurs & les ministres de l'Eglise, comme dans S. Matthieu, ch. xviij. . 17.

L'Eglise universelle est la société de toutes les églises particulieres unies par la même profession de foi, la participation aux mêmes sacremens, & la même soûmission à la voix des pasteurs légitimes, c'est-à-dire du pape & des évêques. On y distingue deux parties ; l'une extérieure & visible, qu'on nomme son corps ; l'autre intérieure & invisible, qu'on appelle son ame. Le corps est la profession extérieure de la foi & la communion des sacremens. L'ame, ce sont les dons intérieurs du S. Esprit, la foi, l'espérance, la charité, &c. De cette distinction, l'on conclut que les hérétiques qui font profession ouverte d'une doctrine contraire à celle de Jesus-Christ, les infideles, les schismatiques, les excommuniés, ne sont ni de l'ame ni du corps de l'Eglise. Mais les pécheurs, les méchans, les infideles & les hérétiques cachés, les réprouvés même sont de son corps. Les justes & les élûs appartiennent seuls proprement à son ame ; les cathécumenes & les pénitens sont de son corps, mais imparfaitement, parce qu'ils aspirent ou à y être reçus, ou à y rentrer.

Les qualités ou caracteres de l'Eglise marqués dans le symbole du Concile de Constantinople, sont qu'elle est une, sainte, catholique, & apostolique. Une, par l'union de tous ses membres sous un même chef invisible qui est Jesus-Christ, & sous un même chef visible qui est le pape, & par l'unité de sa doctrine qu'elle tient de Jesus-Christ & des apôtres, & par la tradition des peres. L'Eglise est sainte par la sainteté de sa doctrine, de ses sacremens, & parce qu'il n'y a & ne peut y avoir de saint que dans sa société. Catholique, c'est-à-dire, qu'elle n'est bornée ni par les tems ni par les lieux, & qu'elle est plus étendue qu'aucune des sectes qui se sont séparées d'elle ; & enfin apostolique, tant parce qu'elle professe la doctrine qu'elle a reçue des apôtres, que parce que ses pasteurs sont par une suite non interrompue les légitimes successeurs des apôtres. A quoi il faut ajoûter trois autres avantages fondés sur les promesses de Jesus-Christ ; savoir, 1°. sa visibilité, 2°. son indéfectibilité ou sa perpétuité, 3°. son infaillibilité dans ses décisions, soit qu'elle soit dispersée, soit qu'elle soit assemblée. Nos plus habiles théologiens & controversistes ont prouvé contre les Protestans, que ces caracteres & ces avantages convenoient parfaitement à l'Eglise romaine, & ne convenoient qu'à elle seule. On peut en voir les preuves dans les savans ouvrages de MM. Bossuet, Nicole, de Wallembourg, Pelisson, &c. Voyez APOSTOLIQUE, CATHOLICITE, UNITE, &c.

Quoique toutes les églises catholiques ayent toûjours été considérées comme une seule & même Eglise, cependant les églises particulieres ont eu leur dénomination propre, comme l'église d'Orient, l'église d'Occident, l'église d'Afrique, l'église gallicane, &c.

L'église d'Orient ou l'église greque signifioit autrefois simplement les églises des Grecs ou d'Orient, & non pas une église particuliere & séparée de communion de l'église latine, & elle comprenoit toutes les provinces qui étoient anciennement soûmises à l'empire grec ou empire d'Orient, & dans lesquelles on parloit grec, c'est-à-dire tout l'espace, depuis l'Illyrie jusqu'à la Mésopotamie & la Perse, y compris l'Egypte. Le schisme commencé par Photius, consommé par Michel Cerularius, a séparé de l'église latine cette partie de l'Orient, autrefois si féconde en grands hommes ; & quoiqu'on en ait tenté la réunion en divers conciles, elle n'a jamais réussi, à l'exception du patriarchat de Jérusalem : ceux d'Antioche & d'Alexandrie sont demeurés dans le schisme avec celui de Constantinople, que le grand-seigneur confere ordinairement au plus offrant, & dont par cette raison les titulaires sont souvent destitués, soit par l'avarice des Turcs, soit par l'avidité du premier concurrent, qui donne au grand-visir ou aux autres ministres de la Porte des sommes plus considérables que celles qu'ils ont reçues du patriarche qui est en place.

L'église d'Occident comprenoit autrefois les églises d'Italie, d'Espagne, d'Afrique, des Gaules, & du Nord, en un mot de toutes les provinces où l'on parloit la langue des Romains. La Grande Bretagne, une partie des Pays-bas, de l'Allemagne, & du Nord, s'en sont séparées depuis plus d'un siecle, & forment des sociétés à part, que leurs sectateurs appellent églises reformées, mais qui dans le vrai font un schisme aussi réel que celui des Grecs. Voyez REFORMATION & SCHISME. Cette église reformée se divise elle même en église luthérienne, calviniste, & anglicane, qui n'ont aucun point fixe de créance & de communion uniforme entr'elles que leur déchaînement contre l'Eglise catholique. Tandis que celle-ci souffroit ces pertes en Europe, elle faisoit de nouvelles conquêtes dans les Indes, le Japon, la Chine, & le nouveau Monde, où la religion a fait des établissemens très-considérables. Au reste l'indéfectibilité n'est promise à aucune église en particulier, même nationale. Les églises d'Afrique & d'Angleterre n'en fournissent qu'une trop triste expérience. Voyez INDEFECTIBILITE, INFAILLIBILITE, &c.

L'église romaine est la société des Catholiques unis de communion avec le pape, successeur de S. Pierre. On l'a appellée la mere & la maîtresse des autres églises dès le tems de S. Irénée au second siecle, parce qu'en effet presque toutes celles de l'Occident sont émanées d'elle, & qu'on l'a regardée comme le centre de l'unité catholique. Quiconque ne communique pas avec l'évêque de Rome, est comme séparé de cette unité : ç'a toûjours été la marque distinctive du schisme que de rompre avec l'église de Rome, soit dans l'unité de doctrine, soit dans l'ordre de la hiérarchie ecclésiastique. Voyez SCHISME, PRIMAUTE, PAPE, UNITE, &c.

L'église d'Afrique avoit un grand nombre de chaires épiscopales, comme il paroît par l'histoire des Donatistes. Quelques-uns en comptent jusqu'à huit cent ; elle a donné à l'Eglise des docteurs illustres. Il suffit de nommer S. Cyprien, S. Augustin, S. Fulgence, pour rappeller au lecteur l'idée du génie sublime réuni à celle de la plus éminente piété. L'irruption des Goths & des Vandales attachés à l'Arianisme, & chassés à leur tour de cette partie du monde par les Sarrasins, y a aboli la véritable religion. Dieu retranche à son gré les lumieres, & permet les ténebres, sur-tout quand on rejette les unes, & qu'on appelle les autres.

L'église gallicane a de tout tems été une des portions des plus florissantes de l'Eglise universelle. Son attachement constant au S. Siege, sans altérer celui qu'elle devoit à l'ancienne discipline de l'Eglise ; son zèle contre les hérésies, égal à celui qu'elle a témoigné contre les innovations, contraires à l'esprit des conciles & des canons ; sa fidélité pour nos rois ; la protection qu'elle a accordée aux bonnes lettres, & le nombre infini d'hommes célebres par leur savoir & par leur piété, qu'elle a produits dans tous les tems, seront à jamais des monumens de sa gloire. Le P. de Longueval, jésuite, nous en a donné une histoire, continuée par les PP. de Fontenay, Brumoy, Berthier, ses confreres. Voyez BIBLE.

EGLISE, considérée par rapport à l'Architecture, est un grand édifice oblong, destiné parmi les Chrétiens à la priere publique. Elle est ordinairement en forme de vaisseau, & a un choeur, un autel, une nef, des bas côtés, des chapelles, une tour ou clocher. Voyez chacun de ces mots à sa place.

Les anciens ont mis quelque différence entre l'Eglise prise pour l'assemblée de la société des fideles, & le lieu de cette assemblée ; & ils appelloient la premiere , & l'autre . Aliud est, dit Isidore de Peluse, , aliud ; nam ea ex immaculatis animis constat, haec autem ex lapidibus & lignis exaedificatur. Ils donnoient aussi différens noms aux églises ; les Grecs les nommoient , d'où les Latins on fait dominium & domus Dei ; les Saxons, kyrik ou kyrch ; les Ecossois & les Anglois, kyrk ou church, noms fort approchans du grec. Tertullien appelle l'Eglise la maison de la colombe, domus columbae, pour marquer la simplicité & la pureté des mysteres qu'on y célébroit au grand jour, par opposition aux abominations que commettoient les Valentiniens dans leurs assemblées. On les appelloit aussi oratoires ou maisons de priere ; basiliques ou palais du Roi des rois. On ne leur donna jamais le nom de temples avant le quatrieme siecle, parce que ce titre étoit affecté aux lieux où les Payens adoroient leurs idoles ; encore moins ceux de delubrum ou de fanum, si particulierement affectés au paganisme. On trouve dans plusieurs peres les églises désignées par les noms de synodi, concilia, conciliabula, conventicula, termes relatifs aux assemblées qu'y tenoient les Chrétiens. Dans d'autres elles sont nommées martyria, memoriae, apostolea, prophetea, soit parce que les corps des martyrs, des apôtres ou des prophetes y étoient inhumés, soit parce qu'elles étoient dédiées sous leur nom : on les trouve aussi, mais plus rarement, appellées cimetieres, caemeteria ; & tables, mensae ; & aires ou places, areae. Le premier de ces noms vient de ce que dans la persécution, les fideles s'assembloient dans des cavernes ou soûterreins, où l'on avoit déjà enterré des martyrs. Le second tire son origine de la table ou de l'autel destiné au sacrifice ; & le troisieme signifie encore un lieu destiné aux sépultures, areae sepulturarum, dit Tertullien, ad Scapul. c. iij. On les appelloit encore cases, casae, parce que les premieres églises étoient souvent des maisons particulieres, & situées à l'écart ou à la campagne ; tropaea, trophées des apôtres & des martyrs qui avoient courageusement défendu la foi ; titres, tituli, parce que, dit Baronius, étant marquées du signe de la croix, elles appartenoient à ce titre à Jésus-Christ ; ou, selon Joseph Mede, parce qu'en les dédiant on y inscrivoit le nom de Jesus-Christ, comme on désignoit les maisons & autres biens temporels, par les noms de leurs possesseurs. Enfin on les trouve, mais beaucoup plus rarement, nommés monasteres & tabernacles, monasteria & tabernacula, Bingham, orig. ecclesiastiq. tom. III. lib. VIII. cap. j. §. 1. 2. 3. 4. & seq.

Une église simple, est celle qui consiste uniquement en une nef & un choeur.

U ne église à bas côtés, est celle qui a à droite & à gauche un ou plusieurs rangs de portiques en maniere de galeries voûtées, avec des chapelles dans son pourtour.

Eglise en croix greque, est celle dont la longueur de la croisée est égale à celle de la nef. On la nomme ainsi, parce que la plûpart des églises greques sont bâties de cette maniere.

Eglise en croix latine, est celle dont la nef est plus longue que la croisée, telles que sont la plûpart des églises gothiques.

Eglise en rotonde, est celle dont le plan est un cercle parfait, à l'imitation du panthéon. Voyez ROTONDE.

Pour la forme des anciennes églises des Grecs, voici qu'elles étoient leurs parties, lorsqu'il n'en manquoit aucune. Voyez la Planc. parmi celles d'antiquités. L'église étoit séparée, autant qu'il se pouvoit, de tous les édifices profanes ; éloignée du bruit, & environnée de tous côtés de cours, de jardins, ou de bâtimens dépendans de l'église même, qui tous étoient renfermés dans une enceinte de murailles. D'abord on trouvoit un portail ou premier vestibule, par où l'on entroit dans un péristyle, c'est-à-dire une cour quarrée, environnée de galeries ouvertes, comme sont les cloîtres des monasteres. Sous ces galeries se tenoient les pauvres, à qui l'on permettoit de mandier à la porte des églises ; & au milieu de la cour étoit une ou plusieurs fontaines, pour se laver les mains & le visage avant la priere : les bénitiers y ont succédé. Au fond étoit le porche ou portique, qu'ils appelloient , qui étoit orné de colonnes en-dehors, & fermé en-dedans d'une muraille, au milieu de laquelle étoit une porte par laquelle on entroit dans un second portique. Le premier étoit destiné pour les énergumenes & les pénitens qui étoient encore dans la premiere classe. Le second étoit beaucoup plus large, & destiné pour les pénitens de la seconde classe, & pour les catéchumenes : on l'appelloit , férula, parce que ceux qui étoient dans ce portique, commençoient à être sujets à la discipline de l'église. Ces deux portiques prenoient à-peu-près le tiers de la longueur totale de l'église. Près de la basilique, en-dehors, étoient deux bâtimens séparés ; savoir le baptistere & le diaconium, sacristie, ou thrésor. Du narthex on entroit par trois portes dans l'église, qui étoit partagée en trois, selon la largeur, par deux rangs de colonnes qui soûtenoient des galeries des deux côtés, & dont le milieu formoit la nef : c'étoit où se plaçoit le peuple, les hommes d'un côté & les femmes de l'autre. Avant que d'arriver à l'autel, étoit un retranchement de bois qu'on nommoit en grec , & en latin cancelli, pour placer les chantres. A l'entrée de ce chancel étoit l'ambon, c'est-à-dire un jubé ou tribune élevée, où l'on montoit des deux côtés pour faire les lectures publiques. Si l'ambon étoit unique, il étoit placé au milieu ; mais quelquefois on en faisoit deux, pour ne point cacher l'autel. A la droite de l'évêque & à la gauche du peuple, étoit le pupitre de l'évangile ; de l'autre côté celui de l'épître : quelquefois il y en avoit un troisieme pour les prophéties. Après l'ambon étoit le choeur, garni des deux côtés de siéges & de stalles, dont la premiere, à droite près du sanctuaire, étoit la plus honorable. Voyez CHOEUR.

Du choeur on montoit par des degrés au sanctuaire, où l'on entroit par trois portes. Le sanctuaire avoit trois absides dans sa longueur, & le maître-autel étoit placé au milieu sous l'abside la plus élevée, couronné d'un baldaquin soûtenu par quatre colonnes. Voyez ABSIDE, SANCTUAIRE, BALDAQUIN.

Sous chacune des moindres absides étoit une table ou crédence en forme de buffet, pour mettre les oblations ou les vases sacrés.

Derriere l'autel enfin étoit le sanctuaire ou presbytere, où les prêtres étoient assis en demi-cercle, l'évêque au milieu d'eux sur une chaise plus élevée que les siéges des prêtres. Tous les siéges ensemble s'appelloient en grec , en latin consessus. Quelquefois aussi on le nommoit tribunal, & en grec , parce qu'il ressembloit aux tribunaux des juges séculiers dans les basiliques. Voyez BASILIQUES ; Fleury, moeurs des Chrét. tit. xxv. Vehler, de templis veterum ; Leo Allatius, Mabillon, &c.

Il est vrai que parmi les églises greques qui subsistent encore, il y en a peu qui ayent toutes les parties que nous venons de décrire, parce qu'elles ont été la plûpart ruinées ou converties en mosquées. Voyez MOSQUEE.

Quant à la forme des églises latines, quoiqu'elle ne soit pas bien constante, on peut les réduire à trois classes ; celles qui sont en forme de vaisseau ; celles qui sont en croix ; & celles qui ne formant qu'un dome, sont absolument de forme ronde : mais celles-ci sont les plus rares.

M. Frezier ingénieur du Roi, & le P. Cordemoy chanoine régulier, ont disputé avec beaucoup d'érudition l'un & l'autre sur la forme des églises anciennes & modernes, & sur la meilleure maniere d'en construire ; ils ont tous deux donné à ce sujet des dissertations fort intéressantes, qu'on trouve dans les mémoires de Trévoux.

EGLISE signifie aussi un temple bâti & consacré en l'honneur de Dieu, & pour l'ordinaire sous l'invocation de quelque saint ; ainsi l'on dit l'église de saint Pierre de Rome, de S. Jean de Latran, de Notre-Dame de Paris. Les anglicans même ont conservé ce titre, puisqu'ils disent l'église de S. Paul à Londres. Mais les autres réformés ont poussé leur aversion contre l'Eglise romaine, jusqu'à abolir le nom d'église, auquel ils ont substitué celui de prêche, inconnu à toute l'antiquité, pour désigner leurs lieux d'assemblée pour les exercices de religion.

Les églises prises en ce sens ont différens noms, selon leur rang, leur usage, & la maniere dont elles se gouvernent, comme église métropolitaine, église cathédrale, église paroissiale, église cardinale, église collégiale, &c. Voyez METROPOLITAINE, CATHEDRALE, &c.

On trouve quelquefois dans les auteurs ecclésiastiques le terme de grande église, pour signifier la principale église d'un endroit. Ce terme est singulierement employé dans la liturgie greque, pour désigner l'église de sainte Sophie à Constantinople, qui étoit le siége patriarchal ; elle avoit été commencée par Constantin, elle fut finie & consacrée sous Justinien. Cette église étoit alors d'une telle magnificence, qu'on dit que pendant la cérémonie de la consécration ce prince s'écria : , je t'ai surpassé, ô Salomon ! Le dome, qui est, dit-on, le premier qu'on ait jamais construit, a 330 piés de diamêtre : les Turcs en ont fait leur principale mosquée. Voyez DOME & MOSQUEE.

Fitz Herbert prétend que dans les anciens livres de droit anglois le mot église, ecclesia, signifie proprement une paroisse desservie par un prêtre ou curé en titre ; c'est pourquoi, ajoûte-t-il, si l'on faisoit une présentation à une chapelle, comme à une église, en employant le mot ecclesia, la chapelle changeoit de nom, & étoit dès-lors érigée en titre d'église ou de paroisse. Quand il s'agissoit de savoir si c'étoit une église ou une chapelle annexe à quelqu'église, on demandoit si elle avoit baptisterium & sepulturam, c'est-à-dire des fonds baptismaux & le droit d'inhumation ; & sur l'affirmative la justice décidoit qu'elle avoit le titre d'église. Chambers, dictionn. lett. E. au mot Ecclesia.

Quelques auteurs prétendent que la premiere église qui ait été bâtie publiquement par les Chrétiens, a été celle de S. Sauveur à Rome, fondée par Constantin. D'autres soûtiennent que plusieurs églises qui ont porté le nom de S. Pierre le Vif, avoient été bâties en l'honneur de cet apôtre dès son vivant. Ce dernier sentiment est absurde, & contraire à la discipline ecclésiastique de tous les siecles. D'ailleurs, si l'on juge du nom des églises consacrées sous ce titre, par une très-ancienne qui se trouve dans un des fauxbourgs de Sens, & que le peuple appelle S. Pierre le Vif, son véritable nom est S. Pierre du Vic, sancti Petri Vicus, ou l'église de saint Pierre du Vic, sancti Petri de Vico, c'est-à-dire du bourg ou du fauxbourg ; nom qui peut bien avoir été altéré par le peuple en celui de vif, & avoir donné lieu à l'erreur dont nous venons de parler. (G)

EGLISE MATRICE ou MERE, Voyez MATRICE.

EGLISE, (Jurisp.) ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes ; il s'entend quelquefois de l'assemblée des fideles, quelquefois du corps des ecclésiastiques de toute la chrétienté ; ou de ceux d'une nation, d'une province, d'une ville, d'une église particuliere : on entend enfin quelquefois par église, l'édifice où les ecclésiastiques font le service divin. Voyez EGLISE (Architecture)

L'Eglise peut être considérée par rapport à la foi & au dogme, ou par rapport à la célébration du service divin & à l'administration des sacremens ; ou par rapport à la discipline ecclésiastique pour ces matieres. Voyez aux mots DOGME, FOI, SERVICE DIVIN, SACREMENS ECCLESIASTIQUES, DISCIPLINE ECCLESIASTIQUE.

Il y a des biens d'église, c'est-à-dire attachés à chaque église particuliere, pour la subsistance de ses ministres.

Jesus-Christ a fondé l'église dans l'état de pauvreté. Les apôtres vivoient des libéralités des fideles. Dans l'Eglise naissante à Jérusalem, qui est le véritable lieu de son origine extérieure, les fideles prévoyant les persécutions, vendoient leurs biens, & mettoient le prix entre les mains des apôtres, dont ils vivoient en commun.

Mais on tient que cette vie commune ne s'étendit pas hors de Jérusalem, & qu'elle cessa dès que le nombre des fideles se fut assez multiplié, pour que la vie commune fût difficile à pratiquer. Les fideles donnoient cependant toûjours une partie de leurs biens pour la subsistance des ministres de l'Eglise & des pauvres.

Les apôtres faisoient d'abord eux-mêmes la distribution de ces aumônes & oblations, mais voyant les murmures que cela excitoit contr'eux, dès la seconde assemblée qui se tint à Jérusalem, ils instituerent sept diacres qu'ils chargerent de ce soin, afin de vaquer plus librement à la prédication & à la priere. Voyez DIACRE.

Quelque tems après l'Eglise commença à posseder des biens-fonds, les uns provenant de la libéralité des fideles, d'autres de l'abdication qu'en faisoient ceux que l'on admettoit dans le ministere de l'église. Il paroît que ce fut sous Urbain I. qui siégeoit en 220, que l'Eglise romaine commença à posséder des terres, prés & autres héritages, lesquels étoient communs, & les fruits distribués pour les gens d'église, les pauvres, & les protonotaires qui écrivoient les actes des martyrs.

Dioclétien & Maximien ordonnerent la confiscation de tous les immeubles que possédoit l'Eglise, ce qui ne fut pourtant pas exécuté par-tout.

Huit ans après, Maxence fit rendre ceux qui avoient été confisqués. Constantin & Licinius permirent à l'Eglise d'acquérir des biens-meubles & immeubles, soit par donation ou par testament.

La paix que Constantin donna à l'Eglise, la fit bientôt croître en honneur, en puissance & en richesses. Les empereurs & autres princes firent des libéralités immenses aux églises ; & les fideles, à leur exemple, donnerent les prémices, les dixmes & oblations, & souvent même leurs immeubles. Les fondations devinrent communes dès le vij. siecle, & elles furent encore faites avec plus de profusion dans les jx. x. xj. xij. & xiij. siecles, dans lesquels plusieurs personnes publierent que la fin du monde étoit prochaine, & par-là jetterent la terreur dans l'esprit des fideles.

L'Eglise ayant été ainsi dotée de quantité de biens-fonds, on fit attention en France & dans plusieurs autres états, que cela mettoit ces biens hors du commerce, & sur-tout depuis l'établissement des fiefs. On considéra que le roi & les autres seigneurs étoient par-là privés de leurs droits ; c'est pourquoi il fut ordonné aux gens d'église & autres gens de mainmorte, de vuider dans l'an & jour leurs mains des fonds qu'ils possédoient. Mais sous la troisieme race de nos rois on commença à leur donner des lettres d'amortissement, en payant au roi un droit pour la main-morte, & un droit aux seigneurs pour leur indemnité.

On leur permit dans la suite, non-seulement de garder les fonds qui leur étoient donnés, mais même aussi d'en acquérir. Cette liberté indéfinie d'acquerir a depuis été restrainte en France, par une déclaration du mois d'Août 1749. Voyez AMORTISSEMENT & GENS DE MAIN MORTE.

Tous les biens d'une même église étoient d'abord communs, tant pour le fonds que pour le revenu ; l'évêque en avoit l'intendance, & confioit la recette & le maniement des deniers à des prêtres & diacres, auxquels il pouvoit ôter cette administration, lorsqu'il y avoit quelque raison légitime pour le faire.

On continua dans l'église d'Orient de vivre ainsi en commun, suivant l'ancien usage : mais dans celle d'Occident on commença vers la fin du jv. siecle à partager les revenus en quatre parts ; la premiere pour l'évêque, la seconde pour le clergé de son église & du diocèse, la troisieme pour les pauvres, & la quatrieme pour la fabrique de l'église. Ce partage fut même ainsi ordonné par le pape Simplicius, qui siégeoit en 467.

Lorsqu'on eut ainsi partagé les revenus, on ne tarda pas à partager aussi les fonds, pour éviter les inconvéniens que l'on trouvoit à joüir en commun. Ce fut-là l'origine des bénéfices en titre, dont il est parlé dès le commencement du vj. siecle. Il est probable que ce partage fut d'abord fait pour les cures de la campagne, à cause de leur éloignement. Cet exemple fut bientôt suivi pour les églises des villes.

Lorsque l'Eglise commença à posséder des biens-fonds, il lui étoit libre de les vendre ou aliéner autrement ; mais l'abus que quelques pasteurs en firent, engagea les laïcs à défendre ces aliénations. L'empereur Léon, en 470, défendit à l'église de Constantinople toute aliénation. En 483, sous le regne d'Odoacre, Basilius Cecina préfet du prétoire à Rome, ordonna pendant la vacance du siége pontifical, que les biens de l'église romaine ne pourroient être aliénés.

Les trois pontifes suivans ne critiquerent point ce decret ; mais en 502 Odoacre étant mort, le pape Symmaque dans un concile annulla le decret de Basilius, & néanmoins il fut ordonné que le pape ni les autres ministres de cette église ne pourroient aliéner les biens qui lui appartenoient ; mais il fut dit que cela ne regardoit pas les autres églises.

L'empereur Anastase étendit le decret de Léon à toutes les églises subordonnées au patriarche de Constantinople.

Justinien, en 533, ordonna la même chose pour toutes les églises d'Orient, Occident & Afrique, à moins que l'aliénation ne fût pour nourrir les pauvres ou pour racheter les captifs.

Les lois de l'Eglise ont elles-mêmes défendu l'aliénation de leurs propres biens, excepté dans certains cas de nécessité ou utilité évidente pour l'église : c'est ce que l'on voit au decret de Gratien, cause xij. quest. & aux decrétales, tit. de rebus ecclesiae alienandis, vel non.

Dans les cas même où l'aliénation est permise, elle ne peut être faite sans certaines formalités, qui sont, 1°. le consentement de ceux qui y ont intérêt, 2° une enquête de commodo aut incommodo, 3° un procès-verbal de visite & estimation, 4° la publication en justice & dans les lieux voisins, 5° l'autorité de l'évêque ou autre supérieur ecclésiastique, 6° des lettres-patentes du Roi homologuées en la justice royale du lieu.

L'église jouit du privilége des mineurs, desorte qu'elle est restituée contre les aliénations par elle faites sans formalités, & où elle se trouve lésée ; mais le défaut de formalités n'est pas seul un moyen suffisant de restitution : l'église n'est restituée, de même que les mineurs, qu'autant qu'elle est lésée.

Il y a eu dans des tems de trouble beaucoup d'abus commis par rapport aux églises & aux biens qui en dépendent. Charles Martel s'étant emparé du bien des églises, pour soûtenir la guerre contre les Sarrasins, le distribua aux officiers ; c'est de-là que quelques-uns tirent l'origine des dixmes inféodées.

Depuis ce tems on donnoit des abbayes & autres bénéfices à des laïcs, sous prétexte de les tenir en commende, c'est-à-dire sous leur protection.

On faisoit ouvertement commerce des bénéfices, tellement que dans des actes publics, des laïcs ne rougissoient point d'avoüer qu'ils avoient acheté une église, comme on voit dans un cartulaire de l'église de Macon, où il est parlé d'une donation de la moitié de l'église de S. Genis, diocèse de Lyon, faite par Erlebade & Gislard, qui étoit, disent-ils, de leur conquêt.

Par une suite de ce desordre on donnoit aussi aux filles en dot des églises, même des cures, dont elles affermoient la dixme & le casuel.

Cependant sous le regne des rois Robert & Henri I, à la sollicitation des papes, tous les biens d'église dont on pût reconnoître l'usurpation, furent rendus par les seigneurs & autres qui en joüissoient.

Pour la conservation des biens de l'église, on ne s'est pas contenté d'en interdire l'aliénation, on a aussi établi que la prescription n'a lieu contre l'église que par 40 ans, ce qui s'entend pour le fonds ; car les profits & revenus se prescrivent par 30 ans contre le titulaire.

Une église peut pareillement prescrire contre une autre église, des biens & droits qui en dépendent. Voyez PRESCRIPTION.

Pour ce qui concerne la construction des édifices matériels des églises chrétiennes, l'usage en est presque aussi ancien que le christianisme. On prétend que l'église de Glastenbury en Angleterre, est la premiere église chrétienne qui ait été bâtie dans le monde, 31 ans après la mort de Notre-Seigneur.

Il est du moins certain qu'il y en eut de bâties dans les villes dès l'an 110, & qu'en 400 on commença à en bâtir dans les villages.

Sixte II. ordonna en 264 de construire les églises & les autels vers l'Orient ; en 314 commença la coûtume de les benir, & en 483 celle de les dédier.

Quand une église est polluée par effusion de sang ou par quelqu'autre scandale, l'évêque l'interdit jusqu'à ce qu'elle soit réconciliée par une nouvelle bénédiction. Voyez POLLUTION & RECONCILIATION.

On tient communément que jusque vers l'an 1000, la plûpart des églises n'étoient que de bois : on en trouve une preuve dans la chronique de Reginon, où il est dit que du tems de Charles le Chauve, les Normands poursuivis par Robert gouverneur d'Anjou & par Robert comte de Poitiers, se retirerent dans une grande église bâtie de pierre. Suivant une charte de l'an 932, Pierre I. évêque de Poitiers donna à l'abbaye de S. Cyprien, alodum suum cum ecclesia lignea. L'église cathédrale de Chartres étoit aussi originairement de bois ; ce fut Yves de Chartres qui la fit reconstruire en pierre : il ne faut pas s'étonner après cela, s'il ne se trouve point d'église plus ancienne que le Xe siecle.

Ceux qui fondent des églises, ont ordinairement soin de les doter, cet usage paroît avoir été pratiqué dès le Ve. siecle, tant par nos rois que par leurs vassaux, & par les simples propriétaires de terres, gaulois ou romains.

Le patronage d'une église s'acquiert par l'une de ces trois voies, dos, aedificatio, fundus ; c'est-à-dire ou en donnant le fonds sur lequel est construite l'église, ou en la faisant construire à ses dépens, ou en la dotant. Ceux qui ont donné quelque chose à l'église depuis la premiere dotation ne sont pas patrons, mais seulement bienfaiteurs. Voyez PATRON, PATRONAGE.

Quand une église tombe en ruine par vétusté ou accident, il n'est pas permis d'en employer les matériaux à des usages profanes, ainsi que cela fut défendu par le pape Hyginus.

Les réparations & reconstructions des églises doivent être faites sur les revenus qui y sont attachés : à l'égard des églises paroissiales, les réparations & reconstructions de la nef se font sur les revenus de la fabrique ; ou s'ils ne sont pas suffisans, on oblige les paroissiens de contribuer à la dépense.

La translation des églises d'un lieu dans un autre ; c'est-à-dire du titre de l'église & du bénéfice, & de l'office qui s'y faisoit, ne peut être valable, sans l'autorité du supérieur ecclésiastique ; il faut aussi le concours de la puissance temporelle, attendu que l'église n'a point de territoire.

La puissance qu'elle tient de Jesus-Christ est purement spirituelle, elle ne s'étend que sur les ames, & pour se faire obéir elle ne peut employer d'autres armes que les censures & les excommunications.

L'église n'a donc par elle-même aucune jurisdiction proprement dite ; mais les princes chrétiens par respect pour l'église, lui ont permis de connoître de certaines affaires qui concernent les ecclésiastiques.

Il y a aussi des justices purement temporelles attachées à certaines églises, à cause des fiefs qu'elles possedent. Voyez TEMPORALITES.

Chaque évêque a droit de visite sur les églises de son diocèse, excepté celles qui sont exemptes de l'ordinaire. Voyez EVEQUE, EXEMPTION & VISITE.

Nos rois comme protecteurs de l'église ont fait divers réglemens, tant par rapport au temporel des églises, que pour la manutention de la discipline ecclésiastique, & pour faire observer le respect qui est dû dans les églises.

Il y a aussi plusieurs réglemens au sujet des droits honorifiques & préséances que certaines personnes peuvent prétendre dans les églises. Voyez DROITS HONORIFIQUES & PRESEANCE. (A)

EGLISE ABBATIALE, est celle qui a pour chef un abbé, & qui est attachée à une abbaye.

EGLISE D'AFRIQUE, c'étoit le corps des églises de cette partie du monde ; elle faisoit partie de l'église latine.

EGLISE ANGLICANE, ne s'entend que de l'église hérétique & schismatique d'Angleterre, depuis que Henri VIII. s'en déclara le chef ; auparavant lorsqu'elle étoit catholique, on disoit l'église d'Angleterre.

EGLISE-ANNEXE, est celle qui est jointe à une autre. Voyez ANNEXE & SUCCURSALE.

EGLISE ARCHIEPISCOPALE, est celle qui forme le siége d'un archevêché.

EGLISE ARCHIPRESBYTERALE, c'est une église paroissiale, dont le curé a le titre d'archiprêtre du diocèse, ou de la ville, ou d'un des doyennés de la campagne. Il y a à Paris deux églises archipresbytérales ; savoir, la Madeleine en la cité, & S. Severin en l'université.

EGLISE CARDINALE, c'est le nom que l'on donnoit autrefois aux églises paroissiales dans lesquelles il y a un curé & des prêtres pour administrer les sacremens au peuple.

EGLISE CATHEDRALE. Voyez CATHEDRALE.

EGLISE CATHOLIQUE ou UNIVERSELLE : Théodose attribua ce nom par un édit aux églises qui suivoient le concile de Nicée, à l'exclusion de toutes les autres : présentement ce terme ne désigne point aucune église en particulier, mais la foi & la religion romaine, & l'universalité de l'église répandue chez toutes les nations de la terre.

EGLISE COLLEGIALE. Voyez COLLEGIALE & CHAPITRE.

EGLISE-CURE, ce titre est commun aux paroisses & aux autres églises où l'on fait les fonctions curiales comme les annexes, succursales, & les églises enclavées dans des lieux exceptés de l'ordinaire.

EGLISES EPISCOPALES, c'est ainsi que l'on appelloit autrefois celles qui étoient le siége d'un évêque ; on les appelle aujourd'hui cathédrales. Voyez CATHEDRALE.

EGLISE FILLE D'UNE AUTRE EGLISE : on appelle ainsi certaines églises, qui sont comme des colonies émanées d'une autre église supérieure, de laquelle elles dépendent d'une maniere plus particuliere que les autres églises, comme à Paris les filles de M. l'archevêque, qui sont S. Marcel, S. Honoré, Ste. Opportune : le chapitre de S. Germain de l'Auxerrois, à présent réuni à Notre-Dame, étoit une quatrieme fille de M. l'archevêque. Les quatre filles de Notre-Dame sont S. Etienne des grès, S. Benoît, S. Mery, & le Sepulchre : l'église abbatiale de Cîteaux a aussi ses quatre filles, qui sont quatre abbayes subordonnées à celle de Cîteaux, savoir Clairvaux, la Ferté, Pontigny, & Morimon.

EGLISE GALLICANE, c'est l'église de France, à laquelle on donna ce nom dès le premier établissement du Christianisme dans les Gaules ; elle fait partie de l'église latine ou d'occident : l'église gallicane a ses libertés, dont il sera parlé au mot LIBERTE.

EGLISE GREQUE ou EGLISE D'ORIENT, on comprend sous ce nom toutes les églises des pays qui ont été soûmis à l'empire des Grecs, & où ils avoient porté leur langue : elle est opposée à l'église latine. Tout le monde chrétien est de l'église greque ou de l'église latine ; ces deux églises n'ont cependant qu'un même chef & une même croyance, si ce n'est depuis le schisme des Grecs, qui commença en 867, du tems de Photius patriarche de Constantinople, à l'occasion de la préséance qu'il prétendoit avoir. L'empereur Baudoüin ayant fait élire un patriarche latin, réunit l'église d'orient à celle d'occident, mais cela ne dura que 55 ans comme l'empire latin ; Michel Paleologue ayant repris Constantinople en 1261 se sépara de Rome : ce schisme dura jusqu'au concile de Florence en 1439. Cette réunion faite par le besoin que l'empereur avoit du pape, fut même desavouée par l'empire & n'eut guere d'effet ; ce fut le dernier état de la religion dans l'église greque, & elle en fut totalement bannie en 1453, lorsque Mahomet II. s'empara de Constantinople.

EGLISE LATINE : on comprend sous ce nom toutes les églises d'Italie, de France, d'Espagne, d'Allemagne, d'Angleterre, de tout le Nord, d'Afrique, & de tous les pays où les Romains avoient établi leur langue. On l'appelle aussi église d'Occident. Voyez ci-devant EGLISE GREQUE.

EGLISE-MATRICE ou MERE-EGLISE, est celle dont d'autres sont émanées, & à laquelle elles obéissent. Voyez ci-devant EGLISE-FILLE, &c.

EGLISE-MERE. Voyez ci-dev. EGLISE-MATRICE.

EGLISE METROPOLITAINE, est celle qui est le siége de l'archevêque ou métropolitain, & de laquelle plusieurs autres évêques sont suffragans.

EGLISE D'OCCIDENT, est la même chose que l'église latine.

EGLISE D'ORIENT, est la même que l'église greque.

EGLISE PAROISSIALE, est celle qui est érigée en titre de paroisse, & qui a un territoire dont les habitans doivent remplir dans cette église leur devoir de paroissiens. Voyez PAROISSE.

EGLISE PRIMATIALE, est celle qui forme le siége du primat, comme l'église cathédrale de Lyon.

EGLISE PRIMITIVE, se prend quelquefois pour les premiers chrétiens qui vivoient à la naissance de l'Eglise. On entend aussi quelquefois par-là une église plus ancienne qu'une autre qui en dépend, & qui a retenu sur cette église à elle subordonnée les droits de primitive, c'est-à-dire quelques honneurs & rétributions en reconnoissance de sa supériorité.

EGLISE PRINCIPALE, est celle qui est la plus considérable d'une ville, comme la cathédrale, s'il y en a une, ou une collégiale, ou à défaut de collégiale, la plus ancienne paroisse, &c.

EGLISE PRIORALE, est celle à laquelle est attaché le titre de prieuré.

EGLISE REGULIERE, est celle qui est affectée à des réguliers, soit religieux ou chanoines réguliers.

EGLISE ROMAINE, ne s'entend pas seulement de la cathédrale de Rome, mais de tout le corps des églises qui sont de la même communion que l'église romaine.

EGLISE SECULARISEE, est celle qui a été autrefois réguliere.

EGLISE SECULIERE, est celle qui est affectée à des ecclésiastiques séculiers.

EGLISE SCHISMATIQUE, est celle où l'on ne reconnoît point le pape pour chef de l'Eglise.

EGLISE SUCCURSALE, est celle qui sert d'aide à une église paroissiale lorsque son territoire se trouve trop étendu. Voyez SUCCURSALE.

EGLISE UNIVERSELLE, c'est la même chose que l'église romaine, c'est-à-dire le corps de toutes les églises catholiques, apostoliques, & romaines. (A)

EGLISE (Etat d') Géog. mod. contrée de l'Italie, que le pape possede en souveraineté. Elle a environ 90 lieues de long, sur 44 de large. Elle est au midi de l'état de Venise, à l'occident du royaume de Naples & du golfe de Venise, au nord de la mer de Toscane, à l'orient de la Toscane, & duchés de Modene, de la Mirandole, & de Mantoue ; elle se divise dans les douze provinces suivantes, la campagne de Rome, la Sabine, le patrimoine de S. Pierre, le duché de Castro, l'Orviétan, le Perugin, les duchés de Spolete & d'Urbin, la marche d'Ancone, la Romagne, le Boulonnois, & le Ferrarois.

EGLISES (les cinq), Géog. mod. ville de la basse Hongrie, à 10 lieues du Danube. Long. 36. 35. lat. 46. 6.


EGLISOou EGLISAU, (Géog. mod.) ville du canton de Zurich, en Suisse, sur la rive droite du Rhin. Long. 26. 15. lat. 47. 45.


EGLOGUES. f. (Belles-Lettres) poësie bucolique, poësie pastorale, trois termes différens qui ne signifient qu'une même chose, l'imitation, la peinture des moeurs champêtres.

Cette peinture noble, simple, & bien faite, plaît également aux philosophes & aux grands : aux premiers, parce qu'ils connoissent le prix du repos & des avantages de la vie champêtre ; aux derniers, par l'idée que ce genre de poësie leur donne d'une certaine tranquillité dont ils ne joüissent point, qu'ils recherchent cependant avec ardeur, & qu'on leur présente dans la condition des bergers.

C'est la peinture de cette condition, que les Poëtes toûjours occupés à plaire, ont saisi pour un objet de leur imitation, en l'annoblissant avec cet art qui sait tout embellir. Ils ont jugé avec raison qu'ils ne manqueroient point de réussir par de petites pieces dramatiques, dans lesquelles introduisant pour acteurs des bergers, ils en feroient voir l'innocence & la naïveté, soit que ces personnages chantassent leurs plaisirs, soit qu'ils exprimassent les mouvemens de leurs passions.

Cette sorte de poësie est pleine de charmes ; elle ne rappelle point à l'esprit les images terribles de la guerre & des combats ; elle ne remue point les passions tristes par des objets de terreur ; elle ne frappe & ne saisit point notre malignité naturelle par une imitation étudiée du ridicule : mais elle rappelle les hommes au bonheur d'une vie tranquille, après laquelle ils soupirent vainement.

Rien n'est plus propre que ce genre de poësie à calmer leurs inquiétudes & leurs ennuis, parce que rien n'a plus de proportion avec l'état qui peut faire leur félicité. C'est pour cette raison que les anciens, voulant assigner un lieu où la vertu fût couronnée dans une autre vie, ont imaginé, non des palais superbes & éclatans par l'or & par les pierreries, mais simplement des campagnes délicieuses entrecoupées de ruisseaux, mais l'obscurité & la fraîcheur des bois ; en un mot, ils ont feint que les hommes vertueux auroient pour récompense, sous un soleil différent, ce que la plûpart des hommes méprisent sous celui-ci :

Nulli certa domus : lucis habitamus opacis,

Riparumque toros, & prata recentia rivis

Incolimus :

dit Anchise à son fils Enée dans le VI. liv. de l'Eneid.

vers 673.

Développons donc avec l'abbé Fraguier, le caractere de ce genre de poëme pastoral dont nous venons de faire l'éloge, le lieu de la scene, les acteurs, les choses qu'ils doivent dire, & la maniere dont ils doivent les dire. Je serai court autant que cette matiere un peu approfondie pourra le permettre, & je renvoyerai le lecteur aux réflexions intéressantes de M. Marmontel, qui suivent immédiatement cet article.

Le mot d'églogue ou d'éclogue, est tout grec : le latin l'a adopté ; soit en grec soit en latin ; il ne signifie autre chose qu'un choix, un triage, & il ne s'applique pas seulement à des pieces de poësie, il s'étend à toutes les choses que l'on choisit par préférence, pour les mettre à part comme les plus précieuses. On le dit des ouvrages de prose ainsi que des ouvrages de poësie, jusque-là que les anciens l'ont employé en parlant des oeuvres d'Horace. Servius est peut-être le premier qui lui ait donné en latin, le sens que nous lui donnons en françois, & qui ait appellé églogue les idylles bucoliques de Théocrite.

Ainsi le mot églogue, dont la signification étoit vague & indéterminée, a été restrainte parmi nous aux poësies pastorales, & n'a conservé dans notre langue que cette seule acception. Nous devons ce terme, de même que celui d'idylle, aux grammairiens grecs & latins ; car les dix pieces de Virgile que l'on nomme églogues, ne sont pas toutes des pieces pastorales. Mais je me servirai du mot d'églogue dans le sens reçu parmi nous, qui désigne uniquement un poëme bucolique.

L'églogue est une espece de poëme dramatique où le poëte introduit des acteurs sur une scene & les fait parler. Le lieu de la scene doit être un paysage rustique, qui comprend les bois, les prairies, le bord des rivieres, des fontaines, &c. & comme pour former un paysage qui plaise aux yeux, le peintre prend un soin particulier de choisir ce que la nature produit de plus convenable au caractere du tableau qu'il veut peindre, de même le poëme bucolique doit choisir le lieu de sa scene conformément à son sujet.

Quoique la poësie bucolique ait pour but d'imiter ce qui se passe & ce qui se dit entre les bergers, elle ne doit pas s'en tenir à la simple représentation du vrai réel qui rarement seroit agréable ; elle doit s'élever jusqu'au vrai idéal, qui tend à embellir le vrai tel qu'il est dans la nature, & qui produit soit en poësie, soit en peinture, le dernier point de perfection.

Il en est de la poësie pastorale comme du paysage, qui n'est presque jamais peint d'après un lieu particulier, mais dont la beauté résulte de l'assemblage de divers morceaux réunis sous un seul point de vûe ; de même que les belles antiques ont été ordinairement copiées, non d'après un objet particulier, mais, ou sur l'idée de l'ouvrier, ou d'après diverses belles parties prises sur différens corps, & réunies en un même sujet.

Comme, dans les spectacles ordinaires, la décoration du théatre doit faire en quelque sorte partie de la piece qu'on y représente, par le rapport qu'elle doit avoir avec le sujet ; ainsi dans l'églogue, la scene & ce que les acteurs y viennent dire, doivent avoir ensemble une sorte de conformité qui en fasse l'union, afin de ne pas porter dans un lieu triste des pensées inspirées par la joie, ni dans un lieu où tout respire la gaieté, des sentimens pleins de mélancolie & de desespoir. Par exemple, dans la seconde églogue de Virgile, la scene est un bois obscur & triste, parceque le berger que le poëte y veut conduire, vient s'y plaindre des chagrins que lui donne une passion malheureuse.

Tantùm inter densas, umbrosa cacumina fagos

Assiduè veniebat. Ibi, haec incondita solus

Montibus & sylvis studio jactabat inani.

Il en est de même d'une infinité d'autres traits qu'il seroit trop long de citer.

Après avoir préparé les scenes, nous y pouvons maintenant introduire les acteurs.

Ce sont nécessairement des bergers ; mais c'est ici que le poëte qui les fait parler, doit se ressouvenir, que le but de son art est de ne se pas tromper dans le choix de ses acteurs & des choses qu'ils doivent exprimer. Il ne faut pas qu'il aille offrir à l'imagination la misere & la pauvreté de ses pasteurs, lorsqu'on attend de lui qu'il en découvre les vraies richesses, l'aisance & la commodité. Il ne faut pas non plus, qu'il en fasse des personnages plus subtils en tendresse que ceux de Gallus & de Virgile ; des chantres pleins de métaphysique amoureuse, & qui se montrent capables de commenter l'art qu'Ovide professoit à Rome sous Auguste.

Ainsi, suivant la remarque de l'abbé du Bos, l'on ne sauroit approuver ces porte-houlettes doucereux, qui disent tant de choses merveilleuses en tendresse, & sublimes en fadeur, dans quelques-unes de nos églogues. Ces prétendus bergers ne sont point copiés ni même imités d'après nature ; mais ils sont des êtres chimériques, inventés à plaisir par des poëtes, qui ne consultoient jamais que leur imagination pour les forger. Ils ne ressemblent en rien aux habitans de nos campagnes & à nos bergers d'aujourd'hui ; malheureux paysans, occupés uniquement à se procurer par les travaux pénibles d'une vie laborieuse, dequoi subvenir aux besoins les plus pressans d'une famille toûjours indigente !

L'âpreté du climat sous lequel nous sommes, les rend grossiers, & les injures de ce climat multiplient encore leurs besoins. Ainsi les bergers langoureux de nos églogues ne sont point d'après nature ; leur genre de vie dans lequel ils font entrer les plaisirs délicats, entremêlés des soins de la vie champêtre, & sur-tout de l'attention à bien faire paître leur cher troupeau, n'est pas le genre de vie d'aucun de nos concitoyens.

Ce n'est point avec de pareils phantômes que Virgile & les autres poëtes de l'antiquité ont peuplé leurs aimables paysages ; ils n'ont fait qu'introduire dans leurs églogues les bergers & les paysans de leur pays & de leur tems un peu annoblis. Les bergers & les pasteurs d'alors étoient libres de ces soins qui dévorent les nôtres. La plûpart de ces habitans de la campagne étoient des esclaves, que leur maître avoit autant d'attention à bien nourrir, qu'un laboureur en a du moins pour bien nourrir ses chevaux. Aussi tranquilles sur leur subsistance que les religieux d'une riche abbaye, ils avoient la liberté d'esprit nécessaire, pour se livrer au goût que la douceur du climat, dans les contrées qu'ils habitoient, faisoit naître en eux. L'air vif & presque toûjours serein de ces régions subtilisoit leur sang, & les disposoit à la musique, à la poësie, & aux plaisirs les moins grossiers.

Aujourd'hui même, quoique l'état politique de ces contrées n'y laisse point les habitans de la campagne dans la même aisance où ils étoient autrefois ; quoiqu'ils n'y recoivent plus la même éducation, on les voit encore néanmoins sensibles à des plaisirs fort au-dessus de la portée de nos paysans. C'est avec la guittare sur le dos que ceux d'une partie de l'Italie gardent leurs troupeaux, & qu'ils vont travailler à la culture de la terre ; ils savent encore chanter leurs amours dans des vers qu'ils composent sur le champ, & qu'ils accompagnent du son de leur instrument ; ils les touchent sinon avec délicatesse, du moins avec assez de justesse ; & c'est ce qu'ils appellent improviser.

Il faut donc choisir, élever, annoblir l'état d'un berger, parce que si anciennement les enfans des rois étoient bergers, les bergers d'aujourd'hui ne sont plus que de vils mercénaires ; mais le poëte ne doit peindre en eux que des hommes, qui séparés des autres, vivent sans trouble & sans ambition ; qui vêtus simplement, avec leur houlette & leurs chiens, s'occupent de chansons & de démêlés innocens.

Après avoir établi & le lieu de la scene & le caractere des personnages, déterminons à-peu-près combien dans une églogue on peut admettre de bergers sur le théatre rustique.

Un seul berger fait une églogue ; souvent l'églogue en admet deux : un troisieme y peut avoir place en qualité de juge des deux autres. C'est ainsi que Théocrite & Virgile en ont usé dans leurs pieces bucoliques ; & cette conduite est conforme à la vraisemblance qui ne permet pas de mettre une multitude dans un desert. Elle est aussi conforme à la vérité, puisque les auteurs qui ont écrit des choses rustiques, nous apprennent qu'on ne donnoit qu'un berger à un troupeau souvent fort considérable.

Mais, de quoi peuvent s'entretenir des bergers ? sans-doute c'est principalement des choses rustiques, & de celles qui sont entierement à leur portée ; de sorte que dans le repos dont ils joüissent, leur premier mérite doit être celui de leurs chansons. Ils chantent donc à l'envi, & font voir que les hommes sont toûjours sensibles à l'émulation, puisqu'elle naît avec eux, & que même dans les retraites les plus solitaires, elle ne les abandonne pas. Mais quoique l'amour fasse nécessairement la matiere de leurs chansons, il ne doit pas avoir trop de violence ; il ne faut pas d'une églogue faire une tragédie.

Quant aux choses libres que Théocrite & Virgile, mais beaucoup plus Théocrite, se sont quelquefois permises dans leurs églogues, on ne sauroit les justifier. Comme un peintre seroit blâmable, s'il remplissoit un paysage d'objets obscenes ; aussi l'on blâmera un poëte qui fera tenir à des bergers des discours contraires à l'innocence qu'on doit supposer dans des hommes qu'Astrée n'a encore qu'à peine abandonnés.

La connoissance des bergers & leur savoir s'étend à leurs troupeaux, aux lieux champêtres, aux montagnes, aux ruisseaux, en un mot à tout ce qui peut entrer dans la composition du paysage rustique. Ils connoissent les rossignols & les oiseaux les plus remarquables par leur plumage ou par leur chant ; ils connoissent les abeilles qui habitent le creux des arbres, ou qui, sorties de leurs ruches, voltigent sur l'émail des fleurs ; ils connoissent les fleurs qui couvrent les prairies ; ils connoissent les lieux & les herbes propres à leurs troupeaux, & de ces seules connoissances ils tirent leurs discours & toutes leurs comparaisons.

S'ils connoissent des héros, ce sont des héros de leur espece. Dans Théocrite rien n'est plus célébre que le berger Daphnis. Les malheurs que lui attira son peu de fidélité avoient passé en proverbe ; les bergers célébroient avec joie ou le bonheur de sa naissance, ou les charmes de sa personne, ou les cruels déplaisirs qui lui causerent enfin la mort. Dans les églogues de Virgile on trouve des noms fameux parmi les bergers.

Il résulte de ce détail, que ce genre de poësie est renfermé dans des bornes assez étroites : aussi les grands maîtres ont fait un petit nombre d'églogues. Les critiques n'en comptent que dix dans le recueil de Théocrite, & que sept ou huit dans celui de Virgile ; encore peut-on indiquer celles où le poëte latin a imité le poëte grec. En un mot, nous n'avons dans l'antiquité qu'un très-petit nombre d'églogues qu'on puisse nommer ainsi, suivant l'acception françoise de ce mot. Il y en a bien moins encore dans les auteurs modernes : car pour ceux qui croyent avoir fait une jolie églogue, lorsque dans une piece de vers à laquelle ils donnent ce titre, ils ont ingénieusement démêlé les mysteres du coeur, & manié avec finesse les sentimens & les maximes de la galanterie la plus délicate ; ils ont beau nommer bergers, les personnages qu'ils introduisent sur la scene ; ils n'ont point fait une églogue, ils n'ont point rempli leur titre ; non plus qu'un peintre, qui ayant promis un paysage rustique, nous offriroit un tableau où il auroit peint avec soin les jardins de Marly, de Versailles, ou de Trianon, ne rempliroit point ce qu'il auroit promis.

Mais quoiqu'il soit très-difficile de bien traiter l'églogue, on est assez d'accord sur le genre du style qui lui convient. Il doit être simple, parce que les bergers parlent simplement ; il ne doit point être trop concis, parce que l'églogue reçoit les détails des petites choses, qui font partie du loisir de la campagne & du caractere des bergers ; ils peuvent par cette raison se permettre des digressions, parce que leurs momens ne sont point comptés, parce qu'ils joüissent d'un loisir tranquille, & qu'il s'agit ici de peindre leur vie. Concluons que le style bucolique doit être moins orné qu'élégant ; les pensées doivent être naïves, les images riantes ou touchantes, les comparaisons naturelles & tirées des choses les plus communes, les sentimens tendres & délicats, le tour simple, les vers libres, & leur cadence harmonieuse.

Théocrite a observé cette cadence dans presque tous les vers qui composent ses pieces bucoliques ; la variété infinie & l'harmonie des mots grecs, lui en donnoient la facilité. Virgile n'a pu mesurer ses vers avec la même exactitude ; parce que la langue latine n'est ni si féconde, ni si cadencée que la greque. La langue françoise est encore plus éloignée de cette cadence. L'italienne en approche davantage, & les églogues de leurs poëtes l'emportent à tous égards sur les nôtres. L'établissement de l'académie des Arcadiens à Rome, dont les commencemens sont de l'an 1690, a renouvellé dans l'Italie le goût de l'églogue, établie par Aquilano dans le XV. siecle, mais qui étoit abandonné. Cependant ils n'ont pû s'empêcher de faire parler leurs bergers avec un esprit, une finesse, une délicatesse qui n'est point dans le caractere pastoral.

Les François n'ont pas mieux réussi. Ronsard est fastidieux par son jargon & son pédantisme ; il fait faire dans une de ses églogues, l'éloge de Budée & de Vatable, par la bergere Margot : ces savans-là ne devoient point être de la connoissance de Margot. Il a suivi le mauvais goût de Clément Marot, le premier de nos poëtes qui ait composé des églogues, & il a saisi son ton en appellant Charles IX. Carlin, Henri II. Henriot, &c. En un mot il s'est rendu ridicule en fredonnant des idylles gothiques.

Et changeant, sans respect de l'oreille & du son,

Lycidas en Pierrot, & Phylis en Toinon. Desp.

Honorat de Beuil marquis de Racan, né en Touraine en 1589, l'un des premiers de l'académie françoise, mort en 1670, & M. de Segrais (Jean Renaud) né à Caën l'an 1624, décédé à Paris en 1701, sont les seuls qui, depuis le renouvellement de la poësie françoise par Malherbe, ayent connu en partie la nature du poëme bucolique. Les bergeries de l'un, & mieux encore les églogues de l'autre, sont avant celles de M. de Fontenelle, ce que nous avons de meilleur en ce genre, & cependant ce sont des ouvrages pleins de défauts. Si M. Despréaux les a loüés, ce n'est que par comparaison, & il étoit bien éloigné d'en être content. Il trouvoit que tous les auteurs ou avoient follement entonné la trompette, ou étoient abjects dans leur langage, ou se métamorphosoient en bergers imaginaires, entêtés de métaphysique amoureuse. Enfin convaincu qu'aucun poëte françois n'avoit saisi l'esprit, le génie, le caractère de l'églogue, il en a donné lui-même le véritable portrait, par lequel je terminerai cet article. Suivez, dit-il, pour vous éclairer de la nature de ce genre de poëme :

Suivez pour la trouver, Théocrite & Virgile.

Que leurs tendres écrits, par les graces dictés,

Ne quittent point vos mains jour & nuit feuilletés :

Seuls dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre,

Par quel art sans bassesse un auteur peut descendre,

Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers,

Au combat de la flûte animer deux bergers,

Des plaisirs de l'amour vanter la douce amorce,

Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphné d'écorce,

Et par quel art encore l'églogue quelquefois,

Rend dignes d'un consul la campagne & les bois.

Telle est de ce poëme & la force & la grace.

Art poët. chant II.

Article de M(D.J.)

Réflexions sur la Poësie pastorale.

L'églogue étant l'imitation des moeurs champêtres dans leur plus belle simplicité, on peut considérer les bergers dans trois états : ou tels qu'ils ont été dans l'abondance & l'égalité du premier âge, avec la simplicité de la nature, la douceur de l'innocence, & la noblesse de la liberté : ou tels qu'ils sont devenus depuis que l'artifice & la force ont fait des esclaves & des maîtres ; réduits à des travaux dégoûtans & pénibles, à des besoins douloureux & grossiers, à des idées basses & tristes : ou tels enfin qu'ils n'ont jamais été, mais tels qu'ils pouvoient être, s'ils avoient conservé assez long-tems leur innocence & leur loisir pour se polir sans se corrompre, & pour étendre leurs idées sans multiplier leurs besoins. De ces trois états le premier est vraisemblable, le second est réel, le troisieme est possible. Dans le premier, le soin des troupeaux, les fleurs, les fruits, le spectacle de la campagne, l'émulation dans les jeux, le charme de la beauté, l'attrait physique de l'amour, partagent toute l'attention & tout l'intérêt des bergers ; une imagination riante, mais timide, un sentiment délicat, mais ingénu, regnent dans tous leurs discours : rien de refléchi, rien de raffiné ; la nature enfin, mais la nature dans sa fleur. Telles sont les moeurs des bergers pris dans l'état d'innocence.

Mais ce genre est peu vaste. Les Poëtes s'y trouvant à l'étroit, se sont répandus, les uns comme Théocrite, dans l'état de grossiereté & de bassesse ; les autres comme quelques-uns des modernes, dans l'état de culture & de raffinement : les uns & les autres ont manqué d'unité dans le dessein, & se sont éloignés de leur but.

L'objet de la poësie pastorale a été jusqu'à présent, de présenter aux hommes l'état le plus heureux dont il leur soit permis de joüir, & de les en faire joüir en idée par le charme de l'illusion. Or l'état de grossiereté & de bassesse n'est point cet heureux état. Personne, par exemple, n'est tenté d'envier le sort de deux bergers qui se traitent de voleurs & d'infames (Virg. égl. 3). D'un autre côté, l'état de raffinement & de culture ne se concilie pas assez dans notre opinion avec l'état d'innocence, pour que le mélange nous en paroisse vraisemblable. Ainsi plus la poësie pastorale tient de la rusticité ou du raffinement, plus elle s'éloigne de son objet.

Virgile étoit fait pour l'orner de toutes les graces de la nature, si au lieu de mettre ses bergers à sa place, il se fût mis lui-même à la place de ses bergers. Mais comme presque toutes ses églogues sont allégoriques, le fond perce à-travers le voile & en altere les couleurs. A l'ombre des hêtres on entend parler de calamités publiques, d'usurpation, de servitude : les idées de tranquillité, de liberté, d'innocence, d'égalité, disparoissent ; & avec elles s'évanoüit cette douce illusion, qui dans le dessein du poëte devoit faire le charme de ses pastorales.

" Il imagina des dialogues allégoriques entre des bergers, afin de rendre ses pastorales plus intéressantes ", a dit l'un des traducteurs de Virgile. Mais ne confondons pas l'intérêt relatif & passager des allusions, avec l'intérêt essentiel & durable de la chose. Il arrive quelquefois que ce qui a produit l'un pour un tems, nuit dans tous les tems à l'autre. Il ne faut pas douter, par exemple, que la composition de ces tableaux où l'on voit l'Enfant-Jesus caressant un moine, n'ait été ingénieuse & intéressante pour ceux à qui ces tableaux étoient destinés. Le moine n'en est pas moins ridiculement placé dans ces peintures allégoriques.

Rien de plus délicat, de plus ingénieux, que les églogues de quelques-uns de nos poëtes ; l'esprit y est employé avec tout l'art qui peut le déguiser. On ne sait ce qui manque à leur style pour être naïf : mais on sent bien qu'il ne l'est pas ; cela vient de ce que leurs bergers pensent au lieu de sentir, & analysent au lieu de peindre.

Tout l'esprit de l'églogue doit être en sentimens & en images ; on ne veut voir dans les bergers que des hommes bien organisés par la nature, & à qui l'art n'ait point appris à composer & à décomposer leurs idées. Ce n'est que par les sens qu'ils sont instruits & affectés, & leur langage doit être comme le miroir où ces impressions se retracent. C'est-là le mérite dominant des églogues de Virgile.

Ite meae, felix quondam pecus, ite capellae.

....

Fortunate senex, hic inter flumina nota,

Et fontes sacros, frigus captabis opacum.

" Comme on suppose ses acteurs (a dit la Motte en parlant de l'églogue) dans cette premiere ingénuité que l'art & le raffinement n'avoient point encore altérée, ils sont d'autant plus touchans, qu'ils sont plus émus, & qu'ils raisonnent moins.... Mais qu'on y prenne garde : rien n'est souvent si ingénieux que le sentiment ; non pas qu'il soit jamais recherché, mais parce qu'il supprime tout raisonnement ". Cette réflexion est très-fine & très-séduisante. Essayons d'y démêler le vrai. Le sentiment franchit le milieu des idées ; mais il embrasse des rapports plus ou moins éloignés, suivant qu'ils sont plus ou moins connus : & ceci dépend de la réflexion & de la culture.

Je viens de la voir : qu'elle est belle !....

Vous ne sauriez trop la punir. Quinaut.

Ce passage est naturel dans le langage d'un héros ; il ne le seroit pas dans celui d'un berger.

Un berger ne doit appercevoir que ce qu'apperçoit l'homme le plus simple sans réflexion & sans effort. Il est éloigné de sa bergere ; il voit préparer des jeux, & il s'écrie :

Quel jour ! quel triste jour ! & l'on songe à des fêtes. Fontenelle.

Il croit toucher au moment où de barbares soldats vont arracher ses plans ; il se dit à lui-même :

Insere nunc, Melibaee, pyros, pone ordine vites. Virg.

La naïveté n'exclut pas la délicatesse : celle-ci consiste dans la sagacité du sentiment, & la nature la donne. Un vif intérêt rend attentif aux plus petites choses.

Rien n'est indifférent à des coeurs bien épris. Font.

Et comme les bergers ne sont guere occupés que d'un objet, ils doivent naturellement s'y intéresser davantage. Ainsi la délicatesse du sentiment est essentielle à la poësie pastorale. Un berger remarque que sa bergere veut qu'il l'apperçoive lorsqu'elle se cache.

Et fugit ad salices, & se cupit ante videri. Virg.

Il observe l'accueil qu'elle fait à son chien & à celui de son rival.

L'autre jour sur l'herbette

Mon chien vint te flater ;

D'un coup de ta houlette,

Tu sus bien l'écarter.

Mais quand le sien, cruelle,

Par hasard suit tes pas,

Par son nom tu l'appelles.

Non, tu ne m'aimes pas.

Combien de circonstances délicatement saisies dans ce reproche ! c'est ainsi que les bergers doivent développer tout leur coeur & tout leur esprit sur la passion qui les occupe davantage. Mais la liberté que leur en donne la Motte, ne doit pas s'étendre plus loin.

On demande quel est le degré de sentiment dont l'églogue est susceptible, & quelles sont les images dont elle aime à s'embellir.

L'abbé Desfontaines nous dit, en parlant des moeurs pastorales de l'ancien tems : " Le berger n'aimoit pas plus sa bergere, que ses brebis, ses pâturages & ses vergers.... & quoiqu'il y eût alors comme aujourd'hui des jaloux, des ingrats, des infideles, tout cela se pratiquoit au moins modérément " Quoi de plus positif que ce témoignage ? Il assûre de même ailleurs, " que l'hyperbolique est l'ame de la poësie.... que l'amour est fade & doucereux dans la Bérénice de Racine.... qu'il ne seroit pas moins insipide dans le genre pastoral.... & qu'il ne doit y entrer qu'indirectement & en passant, de peur d'affadir le lecteur ". Tout cela prouve que ce traducteur de Virgile voyoit aussi loin dans les principes de l'art, que dans ceux de la nature.

Ecoutons M. de Fontenelle, & la Motte son disciple " Les hommes (dit le premier) veulent être heureux, & ils voudroient l'être à peu de frais. Il leur faut quelque mouvement, quelque agitation ; mais un mouvement & une agitation qui s'ajuste, s'il se peut, avec la sorte de paresse qui les possede : & c'est ce qui se trouve le plus heureusement du monde dans l'amour, pourvû qu'il soit pris d'une certaine façon. Il ne doit pas être ombrageux, jaloux, furieux, desespéré ; mais tendre, simple, délicat, fidele, & pour se conserver dans cet état, accompagné d'espérance : alors on a le coeur rempli, & non pas troublé, &c ".

" Nous n'avons que faire (dit la Motte) de changer nos idées pour nous mettre à la place des bergers amans.... & à la scene & aux habits près, c'est notre portrait même que nous voyons. Le poëte pastoral n'a donc pas de plus sûr moyen de plaire, que de peindre l'amour, ses desirs, ses emportemens, & même son desespoir. Car je ne crois pas cet excès opposé à l'églogue : Et quoique ce soit le sentiment de M. de Fontenelle, que je regarderai toûjours comme mon maître, je fais gloire encore d'être son disciple dans la grande leçon d'examiner, & de ne souscrire qu'à ce qu'on voit. ". Nous citons ce dernier trait pour donner aux gens de lettres un exemple de noblesse & d'honnêteté dans la dispute. Examinons à notre tour lequel de ces deux sentimens doit prévaloir.

Que les emportemens de l'amour soient dans le caractere des bergers pris dans l'état d'innocence, c'est ce qu'il seroit trop long d'approfondir ; il faudroit pour cela distinguer les purs mouvemens de la nature, des écarts de l'opinion, & des raffinemens de la vanité. Mais en supposant que l'amour dans son principe naturel soit une passion fougueuse & cruelle, n'est-ce pas perdre de vûe l'objet de l'églogue, que de présenter les bergers dans ces violentes situations ? La maladie & la pauvreté affligent les bergers comme le reste des hommes ; cependant on écarte ces tristes images de la peinture de leur vie. Pourquoi ? parce qu'on se propose de peindre un état heureux. La même raison doit en exclure les excès des passions. Si l'on veut peindre des hommes furieux & coupables, pourquoi les chercher dans les hameaux ? pourquoi donner le nom d'églogues à des scenes de tragédie ? Chaque genre a son degré d'intérêt & de pathétique : celui de l'églogue ne doit être qu'une douce émotion. Est-ce à dire pour cela qu'on ne doive introduire sur la scene que des bergers heureux & contens ? Non : l'amour des bergers a ses inquiétudes ; leur ambition a ses revers. Une bergere absente ou infidele, un vent du midi qui a flétri les fleurs, un loup qui enleve une brebis chérie, sont des objets de tristesse & de douleur pour un berger. Mais dans ses malheurs même on admire la douceur de son état. Qu'il est heureux, dira un courtisan, de ne souhaiter qu'un beau jour ! Qu'il est heureux, dira un plaideur, de n'avoir que des loups à craindre ! Qu'il est heureux, dira un souverain, de n'avoir que des moutons à garder !

Virgile a un exemple admirable du degré de chaleur auquel peut se porter l'amour, sans altérer la douce simplicité de la poësie pastorale. C'est dommage que cet exemple ne soit pas honnête à citer.

L'amour a toûjours été la passion dominante de l'églogue, par la raison qu'elle est la plus naturelle aux hommes, & la plus familiere aux bergers. Les anciens n'ont peint de l'amour que le physique : sans doute en étudiant la nature, ils n'y ont trouvé rien de plus. Les modernes y ont ajoûté tous ces petits raffinemens, que la fantaisie des hommes a inventés pour leur supplice ; & il est au moins douteux que la Poësie ait gagné à ce mélange. Quoi qu'il en soit, la froide galanterie n'auroit dû jamais y prendre la place d'un sentiment ingénu. Passons au choix des images.

Tous les objets que la nature peut offrir aux yeux des bergers, sont du genre de l'églogue. Mais la Motte a raison de dire, que quoique rien ne plaise que ce qui est naturel, il ne s'ensuit pas que tout ce qui est naturel doive plaire. Sur le principe déja posé que l'églogue est le tableau d'une condition digne d'envie, tous les traits qu'elle présente doivent concourir à former ce tableau. De-là vient que les images grossieres, ou purement rustiques, doivent en être bannies ; de-là vient que les bergers ne doivent pas dire, comme dans Théocrite : je hais les renards qui mangent les figues, je hais les escarbots qui mangent les raisins, &c. De-là vient que les pêcheurs de Sannazar sont d'une invention malheureuse ; la vie des pêcheurs n'offre que l'idée du travail, de l'impatience & de l'ennui. Il n'en est pas de même de la condition des laboureurs : leur vie, quoique pénible, présente l'image de la gaieté, de l'abondance, & du plaisir ; le bonheur n'est incompatible qu'avec un travail ingrat & forcé ; la culture des champs, l'espérance des moissons, la récolte des grains, les repas, la retraite, les danses des moissonneurs, présentent des tableaux aussi rians que les troupeaux & les prairies. Ces deux vers de Virgile en sont un exemple :

Testilis & rapido fessis messoribus aestu

Allia, serpillumque, herbas contundit olentes.

Qu'on introduise avec art sur la scene, des bergers & des laboureurs, on verra quel agrément & quelle variété peuvent naître de ce mêlange.

Mais quelque art qu'on employe à embellir & à varier l'églogue, sa chaleur douce & tempérée ne peut soûtenir long-tems une action intéressante. Delà vient que les bergeries de Racan sont froides à la lecture, & le seront encore plus au théatre ; quoique le style, les caracteres, l'action même de ces bergeries s'éloignent de la simplicité du genre pastoral. L'Aminte & le Pastor-fido, ces poëmes charmans, languiroient eux-mêmes, si les moeurs en étoient purement champêtres. L'action de l'églogue, pour être vive, ne doit avoir qu'un moment. La passion seule peut nourrir un long intérêt ; il se refroidit s'il n'augmente. Or l'intérêt ne peut augmenter à un certain point, sans sortir du genre de l'églogue, qui de sa nature n'est susceptible ni de terreur, ni de pitié.

Tout poëme sans dessein, est un mauvais poëme. La Motte, pour le dessein de l'églogue, veut qu'on choisisse d'abord une vérité digne d'intéresser le coeur & de satisfaire l'esprit, & qu'on imagine ensuite une conversation de bergers, ou un évenement pastoral, où cette vérité se développe. Nous tombons d'accord avec lui que, suivant ce dessein, on peut faire une églogue excellente, & que ce développement d'une vérité particuliere seroit un mérite de plus. Mais nous ajoûtons qu'il est une vérité générale, qui suffit au dessein & à l'intérêt de l'églogue. Cette vérité, c'est l'avantage d'une vie douce, tranquille & innocente, telle qu'on peut la goûter en se rapprochant de la nature, sur une vie mêlée de trouble, d'amertume & d'ennuis, telle que l'homme l'éprouve depuis qu'il s'est forgé de vains désirs, des intérêts chimériques, & des besoins factices. C'est ainsi, sans doute, que M. de Fontenelle a envisagé le dessein moral de l'églogue, lorsqu'il en a banni les passions funestes ; & si la Motte avoit saisi ce principe, il n'eût proposé ni de peindre dans ce poëme les emportemens de l'amour, ni d'en faire aboutir l'action à quelque vérité cachée. La fable doit renfermer une moralité : & pourquoi ? parce que le matériel de la fable est hors de toute vraisemblance. Voyez FABLE. Mais l'églogue a sa vraisemblance & son intérêt en elle-même, & l'esprit se repose agréablement sur le sens littéral qu'elle lui présente, sans y chercher un sens mystérieux.

L'églogue en changeant d'objet, peut changer aussi de genre ; on ne l'a considérée jusqu'ici que comme le tableau d'une condition digne d'envie, ne pourroit-elle pas être aussi la peinture d'un état digne de pitié ? en seroit-elle moins utile ou moins intéressante ? elle peindroit d'après nature des moeurs grossieres & de tristes objets ; mais ces images, vivement exprimées, n'auroient-elles pas leur beauté, leur pathétique, & sur-tout leur bonté morale ? Ceux qui panchent pour ce genre naturel & vrai, se fondent sur ce principe, que tout ce qui est beau en peinture, doit l'être en poësie ; & que les paysans de Teniers ne le cedent en rien aux bergers de Pater, & aux galans de Vateau. Ils en concluent que Colin & Colette, Mathurin & Claudine, sont des personnages aussi dignes de l'églogue, dans la rusticité de leurs moeurs & la misere de leur état, que Daphnis & Timarete, Aminthe & Licidas, dans leur noble simplicité & dans leur aisance tranquille. Le premier genre sera triste, mais la tristesse & l'agrément ne sont point incompatibles. On n'auroit ce reproche à essuyer que des esprits froids & superficiels, espece de critiques qu'on ne doit jamais compter pour rien. Ce genre, dit-on, manqueroit de délicatesse & d'élégance ; pourquoi ? les paysans de la Fontaine ne parlent-ils pas le langage de la nature, & ce langage n'a-t-il point une élégante simplicité ? Quel est le critique qui trouvera trop recherché le castaneae molles & pressi copia lactis de Virgile ? D'ailleurs ce langage inculte auroit du moins pour lui l'énergie de la vérité. Il y a peu de tableaux champêtres plus forts, plus intéressans pour l'imagination & pour l'ame, que ceux que la Fontaine nous a peints dans la fable du paysan du Danube. En un mot il n'y a qu'une sorte d'objets qui doivent être bannis de la Poësie, comme de la Peinture : ce sont les objets dégoûtans, & la rusticité peut ne pas l'être. Qu'une bonne paysanne reprochant à ses enfans leur lenteur à puiser de l'eau, & à allumer du feu pour préparer le repas de leur pere, leur dise : " Savez-vous, mes enfans, que dans ce moment même votre pere, courbé sous le poids du jour, force une terre ingrate à produire de quoi vous nourrir ? Vous le verrez revenir ce soir accablé de fatigue & degouttant de sueur, &c. cette églogue sera aussi touchante que naturelle.

L'églogue est un récit, ou un entretien, ou un mêlange de l'un & de l'autre : dans tous les cas elle doit être absolue dans son plan, c'est-à-dire, ne laisser rien à désirer dans son commencement, dans son milieu ni dans sa fin : regle contre laquelle peche toute églogue, dont les personnages ne savent à quel propos ils commencent, continuent, ou finissent de parler. Voyez DIALOGUE.

Dans l'églogue en récit, ou c'est le poëte, ou c'est l'un de ses bergers qui raconte. Si c'est le poëte, il lui est permis de donner à son style un peu plus d'élégance & d'éclat : mais il n'en doit prendre les ornemens que dans les moeurs & les objets champêtres ; il ne doit être lui-même que le mieux instruit, & le plus ingénieux des bergers. Si c'est un berger qui raconte, le style & le ton de l'églogue en récit ne differe en rien du style & du ton de l'églogue dialoguée. Dans l'un & l'autre il doit être un tissu d'images familieres, mais choisies ; c'est-à-dire, ou gracieuses ou touchantes : c'est-là ce qui met les pastorales anciennes si fort au-dessus des modernes. Il n'est point de galerie si vaste, qu'un peintre habile ne pût orner avec une seule des églogues de Virgile.

C'est une erreur assez généralement répandue, que le style figuré n'est point naturel : en attendant que nous essayons de la détruire, relativement à la Poësie en général (Voyez IMAGE), nous allons la combattre en peu de mots à l'égard de la poësie champêtre. Non-seulement il est dans la nature que le style des bergers soit figuré, mais il est contre toute vraisemblance qu'il ne le soit pas. Employer le style figuré, c'est-à-peu-près, comme Lucain l'a dit de l'écriture,

Donner de l'ame aux corps, & du corps aux pensées ;

& c'est ce que fait naturellement un berger. Un ruisseau serpente dans la prairie ; le berger ne pénetre point la cause physique de ses détours : mais attribuant au ruisseau un penchant analogue au sien, il se persuade que c'est pour caresser les fleurs & couler plus long-tems autour d'elles, que le ruisseau s'égare & prolonge son cours. Un berger sent épanoüir son ame au retour de sa bergere ; les termes abstraits lui manquent pour exprimer ce sentiment. Il a recours aux images sensibles : l'herbe que ranime la rosée, la nature renaissante au lever du soleil, les fleurs écloses au premier souffle du zéphir, lui prêtent les couleurs les plus vives, pour exprimer ce qu'un métaphysicien auroit bien de la peine à rendre. Telle est l'origine du langage figuré, le seul qui convienne à la pastorale, par la raison qu'il est le seul que la nature ait enseigné.

Cependant autant que des images détachées sont naturelles dans le style, autant une allégorie continue y paroîtroit artificielle. La comparaison même ne convient à l'églogue, que lorsqu'elle semble se présenter sans qu'on la cherche, & dans des momens de repos. De-là vient que celle-ci manque de naturel, employée comme elle est dans une situation qui ne permet pas de parcourir tous ces rapports.

Nec lacrymis crudelis amor, nec gramine rivi,

Nec cytiso saturantur apes, nec fronde capellae.

Le dialogue est une partie essentielle de l'églogue : mais comme il a les mêmes regles dans tous les genres de poësie, voyez DIALOGUE. Article de M. MARMONTEL.


EGOBOLES. m. (Mythol.) sacrifice de la chevre à la grand'mere Cybele. Voyez CYBELE.


EGOGERv. act. (Tannerie) c'est séparer, avec le couteau tranchant, d'une peau de veau les oreilles, le bout des piés, de la queue, en un mot toutes les extrémités superflues.


EGOISMES. m. (Morale) défaut de ces personnes qui, pleines de leur mérite, & croyant joüer un rôle dans la société, se citent perpétuellement, parlent d'elles avec complaisance, & rapportent tout, grossierement ou finement, à leur individu.

Ce défaut tire son origine d'un amour propre desordonné, de la vanité, de la suffisance, de la petitesse d'esprit, & quelquefois d'une mauvaise éducation. Il suffit d'en indiquer les sources, pour juger de son ridicule, & du mépris qu'il mérite.

On y tombe de deux manieres, par ses discours & par ses écrits ; mais ce défaut est inexcusable dans des ouvrages, quand il vient de la présomption & d'une pure vanité d'auteur, qui ne doit parler de lui, qu'autant que l'exige la matiere qu'il traite, ou la défense de ses sentimens, de ses biens, de sa conduite.

MM. de Port-royal ont généralement banni de leurs écrits l'usage de parler d'eux-mêmes à la premiere personne, dans l'idée que cet usage, pour peu qu'il fût fréquent, ne procédoit que d'un principe de vaine gloire & de trop bonne opinion de soi-même. Pour en marquer leur éloignement, ils l'ont tourné en ridicule sous le nom d'égoïsme, adopté depuis dans notre langue, & qui est une espece de figure inconnue à tous les anciens rhéteurs.

Pascal portoit cette regle générale de MM. de Port-royal, jusqu'à prétendre qu'un chrétien devoit éviter de se servir du mot je ; & il disoit sur ce sujet, que l'humilité chrétienne anéantit le moi humain, & que la civilité humaine le cache & le supprime.

Cependant cette sévérité poussée jusqu'au scrupule, seroit extrème, & quelquefois ridicule ; car il y a plusieurs rencontres où la gêne de vouloir éviter ces mots je ou moi, seroit mal placée ou impossible.

On est fâché de trouver perpétuellement l'égoïsme dans Montagne ; il eût sans doute mieux fait de puiser ses exemples dans l'histoire, que d'entretenir ses lecteurs de ses inclinations, de ses fantaisies, de ses maladies, de ses vertus, & de ses vices.

Il est vrai qu'il tâche, autant qu'il peut, d'éloigner de lui le soupçon d'une vanité basse & populaire, en parlant librement de ses défauts aussi-bien que de ses bonnes qualités ; mais, on l'a dit avant moi, en découvrant ses défauts ou ses vices, il semble n'agir ainsi, que parce qu'il les regardoit comme des choses à-peu-près indifférentes.

Si l'égoïsme est excusable, soit en conversation, par lettres, ou par écrit, c'est seulement quand il s'agit d'un très-grand objet qui a roulé sur nous, & qui intéressoit le salut de la patrie. Cependant quelques contemporains de Cicéron étoient mêmes blessés (quoique peut-être à tort) de l'entendre répéter d'avoir sauvé la république ; & ils remarquoient que Brutus n'auroit pas eu moins de droit de parler des ides de Mars, sur lesquelles il gardoit le silence, que le consul de Rome pouvoit en avoir de rappeller l'époque des nones de Décembre. Le lecteur sait bien qu'il s'agit ici des deux grandes époques de la conjuration de Catilina & de la mort de César. Art. de M(D.J.)


EGOISTESadj. pl. pris subst. (Philosophie) On appelle ainsi cette classe de philosophes qui ne reconnoissent d'autre vérité que celle de leur propre existance ; qui croyent qu'il n'y a hors de nous rien de réel, ni de semblable à nos sensations ; que les corps n'existent point, &c. L'égoïsme est le Pyrrhonisme poussé aussi loin qu'il peut aller. Berkley, parmi les modernes, a fait tous ses efforts pour l'établir. Voyez CORPS. Les égoïstes sont en même tems les plus extravagans des Philosophes, & les plus difficiles à convaincre ; car comment prouver l'existance des objets, si ce n'est par nos sensations ? & comment employer cette preuve contre ceux qui croyent que nos sensations ne supposent point nécessairement qu'il y ait quelque chose hors de nous ? Par quel moyen les fera-t-on passer de l'existance de la sensation à celle de l'objet ? Voyez EVIDENCE, §. 15, 16, 17, 18, 42, 43 - 51. (O)


EGOPHOREadj. (Mythologie) surnom de Junon ; elle fut ainsi appellée de la chevre que lui sacrifia Hercule dans le temple qu'il lui éleva à Lacédémone, en reconnoissance de ce qu'elle ne s'étoit point opposée à la vengeance qu'il avoit tirée de ses ennemis. Egophore signifie porte-chevre.


EGOUGEOIRS. m. (Métallurgie) c'est ainsi qu'on appelle dans l'exploitation de la calamine les endroits des galeries, par lesquels les eaux se perdent.


EGOUTS. m. (Hydrauliq.) canal destiné à recevoir & à emporter les eaux sales & les ordures. Voy. CLOAQUE.

Quelque piece d'eau que l'on ait, soit canal, soit bassin, il faut toûjours un écoulement, tant pour la conservation, de la piece, que pour la nettoyer & laisser un passage à l'eau superflue. Si c'est un étang, un vivier, la bonde se leve, & on vuide l'eau pour avoir le poisson, & rétablir la chaussée. (K)

Dans l'usage ordinaire, égout est distingué de cloaque, en ce que dans un égoût les eaux & immondices s'écoulent, & qu'elles croupissent dans un cloaque. Ainsi le canal d'un égout doit avoir une pente suffisante, pour que les immondices soient facilement emportées par les eaux. On prétend que l'égout de la ville de Paris, construit il y a quelques années sous la prévôté de M. Turgot, ouvrage très-estimable d'ailleurs & très-utile, n'a pas tout-à-fait assez de pente.

EGOUT SIMPLE ; il se dit dans la couverture d'une maison de ce qui se met sur les entablemens : il est de trois tuiles.

EGOUT DOUBLE, est celui qui est de cinq tuiles.

EGOUT, terme de Fonderie, sont des tuyaux de cire qu'on attache à la figure, & qui étant renfermés dans le moule de potée, & fondus ainsi que les cires de la figure, laissent par cette cuisson dans le moule de potée des canaux qui servent à faire couler toutes les cires. V. les fonderies des fig. équestres.

EGOUT, terme de Miroitier. Les ouvriers qui mettent les glaces au teint, appellent de la sorte une grande table de bois sans chassis, sur laquelle ils mettent la glace vingt-quatre heures après qu'elle a été étamée, pour en faire égoutter le vif-argent.

Cette table proportionnée aux glaces du plus grand volume, a des crochets de fer à chaque encognure, qui servent à l'élever & à la tenir suspendue diagonalement, c'est-à-dire en panchant autant & si peu qu'il est nécessaire pour l'écoulement de ce minéral.

Pour que cet écoulement se fasse, sans que le teint encore frais, & comme liquide, ne puisse se rider ni s'écailler, on éleve tous les jours l'un des bouts de la table d'un demi-pié, ou environ, en l'attachant par le moyen de ses crochets aux noeuds des cordes qui sont pendues au plancher, directement au-dessus de chaque angle de l'égout. Voyez l'article VERRERIE. Dictionn. du Comm. & Chambers.

EGOUT, en terme de Raffineur de sucre, est une eau teinte de la couleur du sirop, mais où il y en a beaucoup moins que de sucre. On tire l'égout des pots sur lesquels on a changé les pains en les plamotant, & on les refond avec les matieres primitives. Voyez PLAMOTER & CHANGER.


EGOUTTERterme de Chapelier, qui exprime la façon qu'on donne aux chapeaux avec la piece de cuivre, lorsqu'encore tous chauds & tous mouillés, après être sortis de la foule, on les met sur la forme de bois, afin de les dresser & de les enformer. Voyez CHAPEAU. Dictionn. du Comm.

EGOUTTER UNE GLACE, terme de Miroitier ; c'est en faire écouler le vif-argent qu'on a mis de trop sur la feuille d'étain avec laquelle on l'étame. On égoutte la glace en deux différens tems. Premierement dans le moment qu'elle vient d'être mise sur le vif-argent, & qu'on l'a arrêtée avec les boulets de canon, ce que l'on fait en retirant un peu les coins qui tiennent la pierre de liais de niveau sur l'établi. En second lieu, vingt-quatre heures après qu'elle a été étamée, en l'ôtant de dessus la pierre, & la portant sur la table de l'égout. Voyez EGOUT. Dictionn. du Comm.


EGOUTTOIRS. m. (Marine) c'est un treillis dont on se sert pour mettre égoutter le cordage qui vient d'être gaudronné. Voyez Marine, Pl. X & XI. le plan & la vûe d'une étuve pour les cables. (Z)

EGOUTTOIR, terme de Cartonnier ; ce sont des ais assemblés les uns contre les autres, mais qui ne sont pas joints tout-à-fait, sur lesquels on pose les formes de carton quand elles ont été dressées. Ces ais sont quelquefois troüés de distance en distance. Voyez CARTONNIER. On s'en sert aussi dans quelques manufactures de papier. Dictionn. du Comm.

EGOUTTOIR, chez les Cartonniers, est un grand chassis de bois de cinq ou six piés de long & de trois ou quatre piés de large, qui a un rebord tout-au-tour & d'espace en espace des traverses de bois. On pose les formes sur l'égouttoir à mesure qu'on les fabrique ; & l'eau qui en découle va sortir par une espece de gouttiere pratiquée à un des coins de l'égouttoir, & tomber dans une espece de tonneau appellé le tonneau du bout, parce qu'il est placé au bout de l'égouttoir. Voyez les Planches du Cartonnier.

EGOUTTOIR, instrument dont les Marbreurs se servent pour égoutter les feuilles de papier en sortant du baquet.

Les Marbreurs ont deux sortes d'égouttoirs différens : les uns se servent d'une claie à-peu-près de la grandeur d'une feuille de grand papier, qu'ils posent obliquement au-dessus d'un baquet, & sur laquelle ils appliquent la feuille du papier qui vient d'être marbrée. L'eau dont la feuille étoit chargée s'égoutte & retombe dans le baquet.

L'autre espece d'égouttoir est une espece de double chassis fait de petites lames de bois entre-lacées, sur chaque côté duquel on peut appliquer quatre feuilles de papier : ces deux chassis sont assemblés à charnieres par en-bas, & s'ajustent sur une auge ou gouttiere portée sur deux petits treteaux. L'eau qui découle des feuilles de papier tombe dans la gouttiere, & va se rendre dans un seau qu'on a mis audessous. Voyez la Planche du Marbreur.


EGRA(Géog.) ville de Boheme sur la riviere d'Eger, à l'extrémité du royaume & des frontieres du haut Palatinat. Elle étoit autrefois impériale, & elle est présentement sujette à la maison d'Autriche ; sa distance est à quatre milles d'Allemagne, d'Elnbogen, à neuf d'Amberg, à vingt de Prague, à quatre-vingt-deux N. O. de Vienne. Long. 31. lat. 50. 2.

Cette ville a été brûlée en 1270, a souffert de grands malheurs pendant les guerres civiles de religion, & a été prise & reprise dans les dernieres campagnes de Boheme de 1742. En 1350 on y extermina cruellement tous les Juifs ; malheureuse nation dont on s'est joüé sans pitié dans tous les pays de l'Europe ! En 1634 l'empereur Ferdinand II. y fit assassiner le célébre Albert Walstein, sous prétexte d'une conjuration que le tems n'a jamais développée. Gaspard Bruschius poëte & historien, né à Egra en 1518, y fut pareillement assassiné par quelques gentils-hommes en 1559. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EGRAINÉadj. (Comm.) est un terme qui se dit des pieces d'étoffes qui ne sont point emballées, & il n'est guere usité que dans la province de Berry. Je vous envoye dix pieces de serge égrainée, c'est-à-dire qui n'ont point d'emballage. Dictionn. du Commerce & de Trévoux.


EGRAPPERv. act. (Jardinage) c'est ôter la grappe ou la rape d'un muscat, d'un chasselas, d'un raisin, pour en faire du vin plus exquis. (K)


EGRATIGNÉE(MANIERE) Peint. espece de peinture à fresque que les Italiens nomment en un seul mot, sgrassitto.

C'est un genre de peinture qui consiste dans la préparation d'un fond noir de stuc, sur lequel on applique un enduit blanc ; & en ôtant cet enduit avec une pointe de fer, on découvre par hachure le noir qui fait les ombres, ce qui forme une espece de clair-obscur imitant l'estampe.

Les gens de l'art savent que Polidore de Caravage, qui a exécuté la plûpart de ses ouvrages à fresque & d'une même couleur, à l'imitation des bas-reliefs, s'est souvent servi dans cette sorte de peinture, de la maniere égratignée. Cette maniere a beaucoup de force, & résiste mieux aux injures du tems que toute autre ; mais elle a un effet si dur & si desagréable à la vûe, que tout le monde a pris le parti de l'abandonner. André Cosimo, qui a le premier employé les ornemens dans les ouvrages de peinture moderne, est aussi, je crois, le premier qui ait travaillé de clair-obscur dans la maniere égratignée. Voyez les écrits sur la Peinture ; le dictionnaire des Beaux-Arts ; de Piles, &c. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EGRATIGNERv. act. en terme de Découpeur, c'est former sur une piece de satin diverses figures, en effleurant la superficie de l'étoffe, & la coupant selon les desseins qu'on y a tracés, avec des instrumens à-peu-près comme des canifs ébréchés, & dentelés de la même maniere qu'une scie.

EGRATIGNER ; il se dit dans l'Art d'écrire, d'une main peu exercée qui forme des jambages maigres, parce qu'elle ne manie pas sa plume librement ; qu'elle n'a pas le pouce ferme, le transport du bras facile, le mouvement des doigts aisé ; ou que le papier étant d'un trop gros grain, ou verni, la plume a peine à couler.


EGRATIGNOIRS. m. en terme de Découpeur ; c'est un instrument fort tranchant & dentelé comme une scie, dont on se sert pour découper seulement la superficie d'une piece de satin. V. EGRATIGNER, & la Planche du Découpeur.


EGRAVILLONNERv. act. (Jardinage) est une opération que l'on fait aux arbres encaissés, après leur avoir retranché leur motte tout-autour & audessous, d'environ les deux tiers. On retire d'entre les racines, avec la pointe de la serpette ou avec une cheville de fer, une grande partie de la terre, afin que les racines puissent mieux goûter la bonne terre dont on le regarnira, & prendre une nouvelle vigueur. (K)


EGREFIou EGLEFIN, (Hist. nat. Ichthiolog.) aeglefinus ; poisson de mer dont la tête, la bouche & les yeux sont fort grands : le dessus de la tête est convexe sur sa longueur, & le bout de la machoire inférieure terminé par un filet charnu & pendant. Ce poisson a quatre oüies de chaque côté, deux nageoires près des oüies, deux au-dessous, trois le long du dos, & deux autres entre l'anus & la queue ; le corps est marqué de quelques taches noires. L'églefin est fréquent en Angleterre & en Ecosse : sa chair est molle. Rond. hist. des poissons. Voyez POISSON. (I)


EGRISERen terme de Diamantaire, c'est frotter deux diamans cimentés chacun sur un bâton, pour les ébaucher, & leur faire les pans & les facettes qu'on veut leur donner : c'est la seule maniere de les tailler, rien ne mangeant le diamant que lui-même. Voyez Pl. I. du Diamantaire, vig. fig. 1. qui représente un ouvrier qui égrise ; & la fig. 6. du bas de la Planche, qui représente deux égrisoirs & leurs appartenances. Sur l'un des égrisoirs sont les deux mains d'un ouvrier qui tient deux bâtons à égriser appuyés contre les chevilles de l'égrisoir, & qui frotte les deux diamans montés avec du ciment l'un contre l'autre, pour en abattre le superflu. Voyez EGRISOIR.


EGRISOIRS. m. en terme de Diamant, est une double boîte, au-dessus de l'une desquelles on frotte les diamans montés au bout des bâtons, l'un contre l'autre, pour en abattre le superflu. Voyez la fig. 1. Planche I. du Diamantaire, & la figure 6. de la même Planche.

B B B B, est la boîte de bois partagée en deux par une planche qui traverse d'un côté à l'autre, & fortement arrêtée sur l'établi par le moyen de trois pattes de fer. E, la boîte dans laquelle on serre les éclats de diamans qui n'ont pas pû passer par le fond criblé de la premiere boîte au-dessus de laquelle on égrise. Cette premiere boîte est fermée par un couvercle qui glisse dans deux rainures pratiquées en queues d'aronde. Dans l'autre boîte D on met une boîte de cuivre I, qui en occupe le fond ; & pardessus celle-ci une autre du même métal F, dont le fond est criblé d'un grand nombre de trous, au-travers desquels passe la poudre de diamans, qui tombe dans la premiere boîte I ou G. La fig. H représente la seconde boîte F vûe par-dessous, pour mieux voir les trous dont le fond est criblé. Environ au milieu des longs côtés de la boîte D, sont fixées deux chevilles de fer C C, contre lesquelles on appuie les deux bâtons à égriser, ainsi que la figure le représente ; ensorte que l'autre extrémité du bâton sert de levier, qu'on fait agir avec les deux mains.


EGRUGEOIRS. m. (Corderie) instrument qui ressemble à un banc, qui n'a que deux piés à un de ses bouts, & qui est garni à cette extrémité d'une rangée de dents semblables à celles d'un rateau : l'autre bout qui porte par terre, est chargé d'une pierre. En peignant l'extrémité du chanvre femelle avec les dents de l'égrugeoir, on fait tomber le chénevi avec ses enveloppes. Voyez l'article CHANVRE, & les figures de Corderie.


EGUE-LE-CUINGIL(Géog. mod.) ville de la province de Héa, au royaume de Maroc en Afrique.


EGUILLEAIGUILLE ou POINÇON, dans les formes des combles, voyez POINÇON, & la figure 17. Planche du Charpentier, n°. 20.

EGUILLE ou AIGUILLE de Peintres en émail. Ces aiguilles ont environ quatre pouces de longueur : elles sont d'acier.

Un peintre en doit avoir au moins deux, dont l'une soit pointue par un bout, un peu plate, & faite en dard, grosse par le milieu comme une moyenne plume à écrire ; & l'autre bout en forme de spatule, large comme l'ongle du doigt, & à-peu-près de l'épaisseur d'un sou-marqué, mais fort polie.

L'autre doit être pointue par les deux bouts, dont l'un comme une aiguille à coudre, & l'autre un peu plus gros & tant-soit-peu plat par la pointe. Le bout pointu sert pour étendre les teintes sur les ouvrages, & l'autre pour les prendre & les porter à leur place, quand il en faut une certaine quantité ; ce que la pratique apprendra mieux que tout ce qu'on pourroit dire.

On se sert aussi d'une aiguille de buis ; c'est un petit morceau de buis bien sec, à-peu-près de la longueur des aiguilles d'acier, qui doit être très-pointu par un bout, & par l'autre un peu mousse & rondelet : celui-ci sert à effacer les défauts, & le côté pointu à approprier les parties de l'ouvrage qui quelquefois se trouvent boüeuses & mal unies, ce que vous connoîtrez à la pratique.

EGUILLE A COUDRE, (Reliûre) les couturieres cousent les feuilles des livres avec de grandes éguilles courbes. Voyez COUDRE, & Pl. I. de Reliûre, figure 5.


EGUILLESEGUILLES


EGUILLETEREGUILLETER


EGUILLETTEou AIGUILLETTES, (Marine) on donne ce nom à des mâts dont on se sert lorsqu'on carene un vaisseau, pour soûtenir & renforcer les mâts de ce vaisseau : ce sont aussi les mâts qui renforcent celui d'une machine à mâter.

On appelle aussi éguillettes, de menues cordes qui servent à divers usages dans le navire.

Eguillettes de voiles, ce sont des bosses (ou cordages) qui servent à tenir la tête des grandes voiles dans les rateaux.

Eguillettes de bonnettes, ce sont les mêmes cordes qui servent à lacer les bonnettes aux voiles. (Z)

EGUILLETTES, (Mar.) ce sont des pieces qu'on met sur le serrage, comme les allonges sont dessous, pour renforcer tout vaisseau qui porte beaucoup de canons : elles font une nouvelle liaison entre le bas & le haut du bâtiment, & fortifient les endroits que la quantité de sabords affoiblit, étant pour cet effet posées entre chaque sabord. Voyez MARINE, Planc. VI. fig. 47. la forme d'une éguillette ; & Planche V. figure 1. n°. 30. la maniere dont les éguillettes sont placées. (Z)

* EGUILLETTES, terme de Pêche, sorte de poisson appellé ainsi dans la Bretagne, & que l'on nomme ailleurs orphie. Voyez ORPHIE. Voici la maniere de faire cette pêche, qui dure depuis le mois de Mars jusqu'au mois de Juin, plus ou moins, suivant l'établissement & l'exposition des côtes que ce poisson vient ranger, comme tous ceux du même genre qui sont en troupes & par bandes. Les pêcheurs se mettent la nuit quatre dans un de leurs bateaux ; l'un est placé à l'avant avec un brandon de paille enflammée dont l'éclat attire les orphies, & les trois autres ont des foüannes ou dards en forme de rateaux, avec une douille de fer où le manche est reçû. Ces instrumens ont au moins vingt tiges ou branches barbelées, de six pouces de haut, & fort pressées. La tête du rateau n'a au plus que treize à quatorze pouces de long, avec un manche de la longueur de huit, dix à douze piés. Quand les pêcheurs voyent les orphies ou aiguillettes attroupées, ils lancent leur dard, & en prennent souvent plusieurs d'un seul coup. Comme le bateau dérive doucement, la manoeuvre de la pêche n'effarouche point les orphies. Les pêcheurs qui sont les plus heureux, en peuvent prendre jusqu'à douze ou quinze cent dans une seule nuit ; mais il faut qu'elle soit fort obscure, & que le tems soit de calme plat, ainsi que pour toutes les autres pêches qui se font au feu dans l'obscurité de la nuit.

Dans la manoeuvre de la pêche de l'orphie avec les filets, les pêcheurs sont pareillement quatre dans un petit bateau, les grands bateaux n'étant point propres pour cette pêche. Le brandon est aussi placé à l'avant. Les filets sont tendus comme dans la pêche du hareng. Chaque piece peut avoir environ quarante brasses de longueur, & une brasse & demie de chûte. Ces rets dérivent comme les seines aux harengs ; ils sont flottés de maniere que la tête du rets puisse toûjours être à fleur d'eau : le pié cale par le propre poids du filet, ou de celui de la ligne dont il est garni. Les aiguillettes se maillent dans les filets que les pêcheurs de Basse-Normandie nomment orphilieres, & dont ils se servent pour faire la pêche du même poisson, excepté qu'ils ne pêchent qu'à la dérive, & non au feu. Il faut toûjours un tems calme & obscur pour pêcher avec succès.

Le produit de cette pêche s'employe principalement à faire des appas ou de la boite pour garnir les hameçons des lignes, le surplus sert à la nourriture du pauvre peuple. Voyez FAVILLON & ORPHIE.

EGUILLETTE, noüer l'éguillette ; il se dit, en termes de Manége, d'un cheval-sauteur qui s'épare & rue entierement du train de derriere, allongeant les jambes également & de toute leur étendue. Un cheval qui ne noüe pas l'éguillette, n'est point propre à faire des caprioles. Voyez CAPRIOLE.

EGUILLETTES, (Corderie) menues cordes terminées en pointe, servant à divers usages.


EGYPTE(Géog. mod.) contrée d'Afrique, qui a environ deux cent lieues de long sur cinquante de large ; bornée au midi par la Nubie, au nord par la Méditerranée, à l'orient par la mer Rouge & l'isthme de Suez, & à l'occident par la Barbarie. Elle se divise en haute, moyenne & basse. La haute comprend l'ancienne Thébaïde ; la basse s'étend jusqu'au Caire, & la moyenne, depuis le Caire jusqu'à Benesouef. L'Egypte n'est plus aussi merveilleuse qu'autrefois. Il y a moins de canaux, moins d'aqueducs. C'étoit jadis un pays d'admiration ; c'en est un aujourd'hui à étudier. Il est habité par les Cophtes, les Maures, les Arabes, les Grecs & les Turcs : ces derniers en sont les souverains. ç'a été le berceau de la superstition payenne, des Sciences & des Arts. Elle a eu long-tems ses rois. Elle a été successivement la conquête des Perses, des Macédoniens, des Romains, & des Musulmans. Elle a eu ses soudans. Les Mammelins l'ont gouvernée jusqu'en 1517 ; elle est depuis ce tems aux Turcs. C'est Selim I. qui s'en est rendu maître. Le Nil la traverse du midi au septentrion. Le Caire en est la capitale.


EGYPTIACadj. (Pharmacie) est un nom qu'on donne à divers onguens détersifs ou corrosifs. Voyez ONGUENT, &c.

On trouve dans les dispensaires un onguent égyptiac noir, un rouge, un blanc, un simple, un composé.

L'égyptiac simple, qui est celui que l'on trouve ordinairement dans les boutiques, est composé de verd-de-gris, de vinaigre & de miel, bouillis ensemble jusqu'à-ce qu'ils ayent de la consistance ; cette formule est de Mezué : on croit ordinairement qu'il tire son nom de la couleur brune, qui est celle des Egyptiens. On lui donne improprement le nom d'onguent, puisqu'il n'y entre ni huile ni graisse. Quelques-uns aiment mieux l'appeller miel égyptiac. Il s'employe principalement pour ronger les chairs corrompues, & nettoyer les ulceres sordides, surtout les ulceres vénériens du gosier, &c. il détruit aussi les chancres qui viennent à la bouche des enfans ; mais je regarderois alors son application comme fort dangereuse. Chambers.


EGYPTIENS(PHILOSOPHIE DES) Histoire de la Philosophie. L'histoire de l'Egypte est en général un cahos où la chronologie, la religion & la philosophie sont particulierement remplies d'obscurités & de confusion.

Les Egyptiens voulurent passer pour les peuples les plus anciens de la terre, & ils en imposerent sur leur origine. Leurs prêtres furent jaloux de conserver la vénération qu'on avoit pour eux, & ils ne transmirent à la connoissance des peuples, que le vain & pompeux étalage de leur culte. La réputation de leur sagesse prétendue devenoit d'autant plus grande, qu'ils en faisoient plus de mystere ; & ils ne la communiquerent qu'à un petit nombre d'hommes choisis, dont ils s'assûrerent la discrétion par les épreuves les plus longues & les plus rigoureuses.

Les Egyptiens eurent des rois, un gouvernement, des lois, des Sciences, des Arts, long-tems avant que d'avoir aucune écriture ; en conséquence, des fables accumulées pendant une longue suite de siecles, corrompirent leurs traditions. Ce fut alors qu'ils recoururent à l'hyérogliphe ; mais l'intelligence n'en fut ni assez facile ni assez générale pour se conserver.

Les différentes contrées de l'Egypte souffrirent de fréquentes inondations, ses anciens monumens furent renversés, ses premiers habitans se disperserent, un peuple étranger s'établit dans ses provinces desertes ; des guerres qui succéderent, répandirent parmi les nouveaux Egyptiens, des transfuges de toutes les nations circonvoisines. Les connoissances, les coûtumes, les usages, les cérémonies, les idiomes, se mêlerent & se confondirent. Le vrai sens de l'hyérogliphe, confié aux seuls prêtres, s'évanoüit ; on fit des efforts pour le retrouver. Ces tentatives donnerent naissance à une multitude incroyable d'opinions & de sectes. Les historiens écrivirent les choses comme elles étoient de leur tems ; mais la rapidité des évenemens jetta dans leurs écrits une diversité nécessaire. On prit ces différences pour des contradictions ; on chercha à concilier sur une même date, ce qu'il falloit rapporter à plusieurs époques. On étoit égaré dans un labyrinthe de difficultés réelles ; on en compliqua les détours pour soi-même & pour la postérité, par les difficultés imaginaires qu'on se fit.

L'Egypte étoit devenue une énigme presqu'indéchiffrable pour l'Egyptien même, voisin encore de la naissance du monde, selon notre chronologie. Les pyramides portoient, au tems d'Hérodote, des inscriptions dans une langue & des caracteres inconnus ; le motif qu'on avoit eu d'élever ces masses énormes, étoit ignoré. A mesure que les tems s'éloignoient, les siecles se projettoient les uns sur les autres ; les évenemens, les noms, les hommes, les époques, dont rien ne fixoit la distance, se rapprochoient imperceptiblement, & ne se distinguoient plus ; toutes les transactions sembloient se précipiter pêle-mêle dans un abysme obscur, au fond duquel les hiérophantes faisoient appercevoir à l'imagination des naturels, & à la curiosité des étrangers, tout ce qu'il falloit qu'ils y vissent pour la gloire de la nation & pour leur intérêt.

Cette supercherie soûtint leur ancienne réputation. On vint de toutes les contrées du monde connu chercher la sagesse en Egypte. Les prêtres égyptiens eurent pour disciples Moyse, Orphée, Linus, Platon, Pythagore, Démocrite, Thalès, en un mot tous les philosophes de la Grece. Ces philosophes, pour accréditer leurs systèmes, s'appuyerent de l'autorité des hiérophantes. De leur côté, les hiérophantes profiterent du témoignage même des philosophes, pour s'attribuer leurs découvertes. Ce fut ainsi que les opinions qui divisoient les sectes de la Grece, s'établirent successivement dans les gymnases de l'Egypte. Le platonisme & le pythagorisme sur-tout y laisserent des traces profondes ; ces doctrines porterent des nuances plus ou moins fortes sur celles du pays ; les nuances qu'elles affecterent d'en prendre, acheverent la confusion. Jupiter devint Osiris ; on prit Typhon pour Pluton. On ne vit plus de différence entre l'adès & l'amenthès. On fonda de part & d'autre l'identité sur les analogies les plus légeres. Les philosophes de la Grece ne consulterent là-dessus que leur sécurité & leurs succès ; les prêtres de l'Egypte, que leur intérêt & leur orgueil. La sagesse versatile de ceux-ci changea au gré des conjonctures. Maîtres des livres sacrés, seuls initiés à la connoissance des caracteres dans lesquels ils étoient écrits, séparés du reste des hommes & renfermés dans des séminaires dont la puissance des souverains faisoit à peine entr'ouvrir les portes, rien ne les compromettoit. Si l'autorité les contraignoit à admettre à la participation de leurs mysteres quelque esprit naturellement ennemi du mensonge & de la charlatanerie, ils le corrompoient & le déterminoient à seconder leurs vûes, ou ils le rebutoient par des devoirs pénibles & un genre de vie austere. Le néophyte le plus zélé étoit forcé de se retirer ; & la doctrine ésotérique ne transpiroit jamais.

Tel étoit à peu-près l'état des choses en Egypte, lorsque cette contrée fut inondée de Grecs & de Barbares qui y entrerent à la suite d'Alexandre ; source nouvelle de révolutions dans la théologie & la philosophie égyptiennes. La philosophie orientale pénétra dans les sanctuaires d'Egypte, quelques siecles avant la naissance de Jesus-Christ. Les notions judaïques & cabalistiques s'y introduisirent sous les Ptolémées. Au milieu de cette guerre intestine & générale que la naissance du Christianisme suscita entre toutes les sectes de philosophes, l'ancienne doctrine égyptienne se défigura de plus en plus. Les hiérophantes devenus syncrétistes, chargerent leur théologie d'idées philosophiques, à l'imitation des philosophes qui remplissoient leur philosophie d'idées théologiques. On négligea les livres anciens. On écrivit le système nouveau en caracteres sacrés ; & bien-tôt ce système fut le seul dont les hiérophantes conserverent quelque connoissance. Ce fut dans ces circonstances que Sanchoniaton, Manethon, Asclépiade, Palefate, Cheremon, Hécatée, publierent leurs ouvrages. Ces auteurs écrivoient d'une chose que ni eux ni personne n'entendoient déja plus. Qu'on juge par-là de la certitude des conjectures de nos auteurs modernes, Kircher, Marsham, Witsius, qui n'ont travaillé que d'après des monumens mutilés & que sur les fragmens très-suspects des disciples des derniers hiérophantes.

Theut, qu'on appelle aussi Thoyt & Thoot, passe pour le premier fondateur de la sagesse égyptienne. On dit qu'il fut chef du conseil d'Osiris ; que ce prince lui communiqua ses vûes ; que Thoot imagina plusieurs arts utiles ; qu'il donna des noms à la plûpart des êtres de la nature ; qu'il apprit aux hommes à conserver la mémoire des faits par la voie du symbole ; qu'il publia des lois ; qu'il institua les cérémonies religieuses ; qu'il observa le cours des astres ; qu'il cultiva l'olivier ; qu'il inventa la lyre & l'art palestrique, & qu'en reconnoissance de ses travaux, les peuples de l'Egypte le placerent au rang des dieux, & donnerent son nom au premier mois de leur année.

Ce Theut fut un des Hermès de la Grece, & c'est au sentiment de Ciceron, le cinquieme Mercure des Latins. Mais à juger de l'antiquité de ce personnage par les découvertes qu'on lui attribue, Marsham a raison de prétendre que Ciceron s'est trompé.

L'Hermès fils d'Agathodemon & pere de Tat, ou le second Mercure, succede à Thoot dans les annales historiques ou fabuleuses de l'Egypte. Celui-ci perfectionna la Théologie ; découvrit les premiers principes de l'arithmétique & de la géométrie ; sentit l'inconvénient des images symboliques ; leur substitua l'hyérogliphe ; & éleva des colonnes sur lesquelles il fit graver dans les nouveaux caracteres qu'il avoit inventés, les choses qu'il crut dignes de passer à la postérité ; ce fut ainsi qu'il se proposa de fixer l'inconstance de la tradition ; les peuples lui dresserent des autels & célebrerent des fêtes en son honneur.

L'Egypte fut desolée par des guerres intestines & étrangeres. Le Nil rompit ses digues ; il se fit des ouvertures qui submergerent une grande partie de la contrée. Les colonnes d'Agathodemon furent renversées ; les sciences & les arts se perdirent ; & l'Egypte étoit presque retombée dans sa premiere barbarie, lorsqu'un homme de génie s'avisa de recueillir les débris de la sagesse ancienne ; de rassembler les monumens dispersés ; de rechercher la clé des hyérogliphes, d'en augmenter le nombre & d'en confier l'intelligence & le dépôt à un college de prêtres. Cet homme fut le troisieme fondateur de la sagesse des Egyptiens. Les peuples le mirent aussi au nombre des dieux, & l'adorerent sous le nom d'Hermès Trismégiste.

Tel fut donc, selon toute apparence, l'enchaînement des choses. Le tems qui efface les défauts des grands hommes & qui releve leurs qualités, augmenta le respect que les Egyptiens portoient à la mémoire de leurs fondateurs, & ils en firent des dieux. Le premier de ces dieux inventa les arts de nécessité. Le second fixa les évenemens par des symboles. Le troisiéme substitua au symbole l'hyérogliphe plus commode ; & s'il m'étoit permis de pousser la conjecture plus loin, je ferois entrevoir le motif qui détermina les Egyptiens à construire leurs pyramides ; & pour vanger ces peuples des reproches qu'on leur a faits, je représenterois ces masses énormes dont on a tant blâmé la vanité, la pesanteur, les dépenses & l'inutilité, comme les monumens destinés à la conservation des sciences, des arts & de toutes les connoissances utiles de la nation égyptienne.

En effet, lorsque les monumens du premier ou du second Mercure eurent été détruits, de quel côté se dûrent porter les vûes des hommes, pour se garantir de la barbarie dont on les avoit retirés, conserver les lumieres qu'ils acquéroient de jour en jour, prévenir les suites des révolutions fréquentes auxquelles ils étoient exposés, dans ces tems reculés où tous les peuples sembloient se mouvoir sur la surface de la terre, & obvier aux évenemens destructeurs dont la nature de leur climat les menaçoit particulierement ? Fut-ce de chercher un autre moyen, ou de perfectionner celui qu'ils possédoient ? fut-ce d'assûrer de la durée à l'hyérogliphe, ou de passer de l'hyérogliphe à l'écriture ? mais l'intervalle de l'hyérogliphe à l'écriture est immense. La métaphysique qui rapprocheroit ces découvertes & qui les enchaîneroit l'une à l'autre, seroit mauvaise. La figure symbolique est une peinture de la chose. Il y a le même rapport entre la chose & l'hyérogliphe : mais l'écriture est une expression des voix. Ici le rapport change ; ce n'est plus un art inventé qu'on perfectionne, c'est un nouvel art qu'on invente, & un art qui a ce caractere particulier, que l'invention en dut être totale & complete . C'est une observation de M. Duclos, de l'Académie françoise, qui me paroît avoir jetté sur cette matiere un coup d'oeil plus philosophique qu'aucun de ceux qui l'ont précédé.

Le génie rare, capable de réduire à un nombre borné l'infinie variété des sons d'une langue, de leur donner des signes, de fixer pour lui-même la valeur de ces signes, & d'en rendre aux autres l'intelligence commune & familiere, ne s'étant point rencontré parmi les Egyptiens, dans la circonstance où il leur auroit été le plus utile ; ces peuples pressés entre l'inconvénient & la nécessité d'attacher la mémoire des faits à des monumens, ne dûrent naturellement penser qu'à en construire d'assez solides pour résister éternellement aux plus grandes révolutions. Tout semble concourir à fortifier cette opinion ; l'usage antérieur de confier à la pierre & au relief l'histoire des connoissances & des transactions ; les figures symboliques qui subsistent encore au milieu des plus anciennes ruines du monde, celles de Persepolis où elles représentent les principes du gouvernement ecclésiastique & civil ; les colonnes sur lesquelles Theut grava les premiers caracteres hyérogliphiques ; la forme des nouvelles pyramides sur lesquelles on se proposa, si ma conjecture est vraie, de fixer l'état des sciences & des arts dans l'Egypte ; leurs angles propres à marquer les points cardinaux du monde & qu'on a employés à cet usage ; la dureté de leurs matériaux qui n'ont pû se tailler au marteau, mais qu'il a fallu couper à la scie : la distance des carrieres d'où ils ont été tirés, aux lieux où ils ont été mis en oeuvre ; la prodigieuse solidité des édifices qu'on en a construits ; leur simplicité, dans laquelle on voit que la seule chose qu'on se soit proposée, c'est d'avoir beaucoup de solidité & de surface ; le choix de la figure pyramidale ou d'un corps qui a une base immense & qui se termine en pointe ; le rapport de la base à la hauteur ; les frais immenses de la construction ; la multitude d'hommes & la durée du tems que ce travail a consommés ; la similitude & le nombre de ces édifices ; les machines dont ils supposent l'invention ; un goût décidé pour les choses utiles, qui se reconnoît à chaque pas qu'on fait en Egypte ; l'inutilité prétendue de toutes ces pyramides comparées avec la haute sagesse des peuples. Tout bon esprit qui pesera ces circonstances, ne doutera pas un moment que ces monumens n'ayent été construits pour être couverts un jour de la science politique, civile & religieuse de la contrée ; que cette ressource ne soit la seule qui ait pû s'offrir à la pensée, chez des peuples qui n'avoient point encore d'écriture & qui avoient vû leurs premiers édifices renversés ; qu'il ne faille regarder les pyramides comme les bibles de l'Egypte, dont les tems & les révolutions avoient peut-être détruit les caracteres plusieurs siecles avant l'invention de l'écriture ; que c'est la raison pour laquelle cet évenement ne nous a point été transmis ; en un mot que ces masses loin d'éterniser l'orgueil ou la stupidité de ces peuples, sont des monumens de leur prudence & du prix inestimable qu'ils attachoient à la conservation de leurs connoissances. Et la preuve qu'ils ne se sont point trompés dans leur raisonnement, c'est que leur ouvrage a résisté pendant une suite innombrable de siecles, à l'action destructive des élémens qu'ils avoient prévûe ; & qu'il n'a été endommagé que par la barbarie des hommes, contre laquelle les sages égyptiens, ou n'ont point pensé à prendre des précautions, ou ont senti l'impossibilité d'en prendre de bonnes. Tel est notre sentiment sur la construction des pyramides de l'Egypte ; il seroit bien étonnant que dans le grand nombre de ceux qui ont écrit de ces édifices, personne n'eût rencontré une conjecture qui se présente si naturellement.

Si l'on fait remonter l'institution des prêtres égyptiens jusqu'au tems d'Hermès Trismégiste, il n'y eut dans l'état aucun ordre de citoyens plus ancien que l'ordre ecclésiastique ; & si l'on examine avec attention quelques-unes des lois fondamentales de cette institution, on verra combien il étoit impossible que l'ordre des hiérophantes ne devînt pas nombreux, puissant, redoutable, & qu'il n'entraînât pas tous les maux dont l'Egypte fut desolée.

Il n'en étoit pas dans l'Egypte ainsi que dans les autres contrées du monde payen, où un temple n'avoit qu'un prêtre & qu'un dieu. On adoroit dans un seul temple égyptien un grand nombre de dieux. Il y avoit un prêtre au moins pour chaque dieu, & un séminaire de prêtres pour chaque temple. Combien n'étoit-il pas facile de prendre trop de goût pour un état où l'on vivoit aisément sans rien faire ; où placé à côté de l'autel, on partageoit l'hommage avec l'idole, & l'on voyoit les autres hommes prosternés à ses piés ; où l'on en imposoit aux souverains mêmes ; où l'on étoit regardé comme le ministre d'en-haut & l'interprete de la volonté du ciel ; où le caractere sacré dont on étoit revêtu permettoit beaucoup d'injustices, & mettoit presque toûjours à couvert du châtiment ; où l'on avoit la confiance des peuples ; où l'on dominoit sur les familles dont on possédoit les secrets ; en un mot où l'on réunissoit en sa personne, la considération, l'autorité, l'opulence, la fainéantise & la sécurité. D'ailleurs il étoit permis aux prêtres Egyptiens d'avoir des femmes, & il est d'expérience que les femmes des ministres sont très-fécondes.

Mais pour que l'hyérophantisme engloutit tous les autres états & ruinât plus sûrement encore la nation, la prêtrise égyptienne fut une de ces professions dans lesquelles les fils étoient obligés de succéder à leurs peres. Le fils d'un prêtre étoit prêtre-né ; ce qui n'empêchoit point qu'on ne pût entrer dans l'ordre ecclésiastique sans être de famille sacerdotale. Cet ordre enlevoit donc continuellement des membres aux autres professions, & ne leur en restituoit jamais aucun.

Mais il en étoit des biens & des acquisitions ainsi que des personnes. Ce qui avoit appartenu une fois aux prêtres ne pouvoit plus retourner aux laïcs. La richesse des prêtres alloit toûjours en croissant comme leur nombre. D'ailleurs la masse des superstitions lucratives d'une contrée suit la proportion de ses prêtres, de ses devins, de ses augures, de ses diseurs de bonne avanture, & de tous ceux en général qui tirent leur subsistance de leur commerce avec le ciel.

Ajoûtons à ces considérations qu'il n'y avoit peut-être sur la surface de la terre aucun sol plus favorable à la superstition que l'Egypte. Sa fécondation étoit un prodige annuel. Les phénomenes qui accompagnoient naturellement l'arrivée des eaux, leur séjour & leur retraite, portoient les esprits à l'étonnement. L'émigration réguliere des lieux bas vers les lieux hauts ; l'oisiveté de cette demeure ; le tems qu'on y donnoit à l'étude de l'astronomie ; la vie sédentaire & renfermée qu'on y menoit ; les météores, les exhalaisons, les vapeurs sombres & malsaines qui s'élevoient de la vase de toute une vaste contrée, trempée d'eau & frappée d'un soleil ardent ; les monstres qu'on y voyoit éclorre ; une infinité d'évenemens produits dans le mouvement général de toute l'Egypte s'enfuyant à l'arrivée de son fleuve, & redescendant des montagnes à mesure que les plaines se découvroient ; tant de causes ne pouvoient manquer de rendre cette nation superstitieuse ; car la superstition est par-tout une suite nécessaire des phénomenes surprenans dont les raisons sont ignorées.

Mais lorsque dans une contrée le rapport de ceux qui travaillent à ceux qui ne font rien, va toûjours en diminuant, il faut à la longue que les bras qui s'occupent, ne puissent plus suppléer à l'inaction de ceux qui demeurent oisifs, & que la condition de la fainéantise y devienne onéreuse à elle-même. Ce fut aussi ce qui arriva en Egypte ; mais le mal étoit alors trop grand pour y remédier. Il fallut abandonner les choses à leur torrent. Le gouvernement en fut ébranlé. L'indigence & l'esprit d'intérêt engendrerent parmi les prêtres l'esprit d'intolérance. Les uns prétendirent qu'on adorât exclusivement les gruës ; d'autres voulurent qu'il n'y eût de vrai dieu que le crocodile. Ceux-ci ne prêcherent que le culte des chats, & anathématiserent le culte des oignons. Ceux-là condamnerent les mangeurs de féves à être brûlés comme des impies. Plus ces articles de croyance étoient ridicules, plus les prêtres y mirent de chaleur. Les séminaires se soûleverent les uns contre les autres ; les peuples crurent qu'il s'agissoit du renversement des autels & de la ruine de la religion, tandis qu'au fond il n'étoit question entre les prêtres que de s'attirer la confiance & les offrandes des peuples. On prit les armes, on se battit, & la terre fut arrosée de sang.

L'Egypte fut superstitieuse dans tous les tems ; parce que rien ne nous garantit entierement de l'influence du climat, & qu'il n'y a guere de notions antérieures dans notre esprit, à celles qui nous viennent du spectacle journalier du sol que nous habitons. Mais le mal n'étoit pas aussi général sous les premiers dépositaires de la sagesse de Trismégiste, qu'il le devint sous les derniers hyérophantes.

Les anciens prêtres de l'Egypte prétendoient que leurs dieux étoient adorés même des barbares. En effet le culte en étoit répandu dans la Chaldée, dans presque toutes les contrées de l'Asie, & l'on en retrouve encore aujourd'hui des traces très-distinctes parmi les céremonies religieuses de l'Inde. Ils regardoient Osiris, Isis, Orus, Hermès, Anubis, comme des ames célestes qui avoient généreusement abandonné le sejour de la félicité suprême, pris un corps humain & accepté toute la misere de notre condition, pour converser avec nous, nous instruire de la nature du juste & de l'injuste, nous communiquer les sciences & les arts, nous donner des lois, & nous rendre plus sages & moins malheureux. Ils se disoient descendans de ces êtres immortels, & les héritiers de leur divin esprit. Doctrine excellente à débiter aux peuples ; aussi n'y avoit-il anciennement aucun culte superstitieux dont les ministres n'eussent quelque prétention de cette nature ; ils réunirent quelquefois la souveraineté avec le sacerdoce. Ils étoient distribués en différentes classes employées à différens exercices, & distinguées par des marques particulieres. Ils avoient renoncé à toute occupation manuelle & prophane. Ils erroient sans cesse entre les simulacres des dieux, la démarche composée, l'air austere, la contenance droite, & les mains renfermées sous leurs vêtemens. Une de leurs fonctions principales étoit d'exhorter les peuples à garder un attachement inviolable pour les usages du pays ; & ils avoient un assez grand intérêt à bien remplir ce devoir du sacerdoce. Ils observoient le ciel pendant la nuit ; ils avoient des purifications pour le jour. Ils célebroient un office qui consistoit à chanter quelques hymnes le matin, à midi, l'après-midi, & le soir. Ils remplissoient les intervalles par l'étude de l'arithmétique, de la géométrie & de la physique expérimentale, . Leur vêtement étoit propre & modeste ; c'étoit une étoffe de lin. Leur chaussure étoit une natte de jonc. Ils pratiquoient sur eux la circoncision. Ils se rasoient tout le corps. Ils s'abluoient d'eau froide trois fois par jour. Ils buvoient peu de vin. Ils s'interdisoient le pain dans les tems de purification, ou ils y mêloient de l'hyssope. L'huile & le poisson leur étoient absolument défendus. Ils n'osoient pas même semer des féves. Voici l'ordre & la marche d'une de leurs processions.

Les chantres étoient à la tête, ayant à la main quelques symboles de l'art musical. Les chantres étoient particulierement versés dans les deux livres de Mercure qui renfermoient les hymnes des dieux & les maximes des rois.

Ils étoient suivis des tireurs d'horoscopes, portant la palme & le cadran solaire, les deux symboles de l'astrologie judiciaire. Ceux-ci étoient savans dans les quatre livres de Mercure sur les mouvemens des astres, leur lumiere, leur coucher, leur lever, les conjonctions & les oppositions de la lune & du soleil.

Après les tireurs d'horoscopes, marchoient les scribes des choses sacrées, une plume sur la tête, l'écritoire, l'encrier & le jonc à la main. Ils avoient la connoissance de l'hyérogliphe, de la cosmologie, de la géographie, du cours du soleil, de la lune & des autres planetes, de la topographie de l'Egypte & des lieux consacrés, des mesures, & de quelques autres objets relatifs à la politique & à la religion.

Après les horoscopistes venoient ceux qu'on appelloit les stolites, avec les symboles de la justice, & les coupes de libations. Ils n'ignoroient rien de ce qui concerne le choix des victimes, la discipline des temples, le culte divin, les cérémonies de la religion, les sacrifices, les prémices, les hymnes, les prieres, les fêtes, les pompes publiques, & autres matieres qui composoient dix des livres de Mercure.

Les prophetes fermoient la procession. Ils avoient la poitrine nue ; ils portoient dans leur sein découvert l'hydria ; ceux qui veilloient aux pains sacrés les accompagnoient. Les prophetes étoient initiés à tout ce qui a rapport à la nature des dieux & à l'esprit des lois ; ils présidoient à la répartition des impôts ; & les livres sacerdotaux, qui contenoient leur science, étoient au nombre de dix.

Toute la sagesse égyptienne formoit quarante-deux volumes, dont les six derniers, à l'usage des pastophores, traitoient de l'Anatomie, de la Medecine, des maladies, des remedes, des instrumens, des yeux, & des femmes. Ces livres étoient gardés dans les temples. Les lieux où ils étoient déposés, n'étoient accessibles qu'aux anciens d'entre les prêtres. On n'initioit que les naturels du pays, qu'on faisoit passer auparavant par de longues épreuves. Si la recommandation d'un souverain contraignoit à admettre dans un séminaire quelque personnage étranger, on n'épargnoit rien pour le rebuter. On enseignoit d'abord au néophite l'épistolographie, ou la forme & la valeur des caracteres ordinaires. De-là il passoit à la connoissance de l'Ecriture-sainte ou de la science du sacerdoce, & son cours de théologie finissoit par les traités de l'hyérogliphe ou du style lapidaire, qui se divisoit en caracteres parlans, symboliques, imitatifs, & allégoriques.

Leur philosophie morale se rapportoit principalement à la commodité de la vie & à la science du gouvernement. Si l'on considere qu'au sortir de leur école, Thalès sacrifia aux dieux, pour avoir trouvé le moyen de décrire le cercle & de mesurer le triangle ; & que Pythagore immola cent boeufs, pour avoir découvert la propriété du quarré de l'hypothenuse, on n'aura pas une haute opinion de leur géométrie. Leur astronomie se reduisoit à la connoissance du lever & du coucher des astres, des aspects des planetes, des solstices, des équinoxes, des parties du zodiaque ; connoissance qu'ils appliquoient à des calculs astrologiques & généthliaques. Eudoxe publia les premieres idées systématiques sur le mouvement des corps célestes ; Thalès prédit la premiere éclipse : soit que ce dernier en eût inventé la méthode, soit qu'il l'eût apprise en Egypte, qu'étoit-ce que l'astronomie égyptienne ? il y a toute apparence que leurs observations ne devoient leur réputation qu'à l'inexactitude de celles qu'on faisoit ailleurs. La gamme de leur musique avoit trois tons, & leur lyre trois cordes. Il y avoit long-tems que Pythagore avoit cessé d'être leur disciple, lorsqu'il s'occupoit encore à chercher les rapports des intervalles des sons. Un long usage d'embaumer les corps auroit dû perfectionner leur medecine ; cependant ce qu'on en peut dire de mieux, c'est qu'ils avoient des medecins pour chaque partie du corps & pour chaque maladie. C'étoit du reste un tissu de pratiques superstitieuses, très-commodes pour pallier l'inefficacité des remedes & l'ignorance du medecin. Si le malade ne guérissoit pas, c'est qu'il avoit la conscience en mauvais état. Tout ce que Borrichius a débité de leur chimie, n'est qu'un délire érudit ; il est démontré que la question de la transmutation des métaux n'avoit point été agitée avant le regne de Constantin. On ne peut nier qu'ils n'ayent pratiqué de tems immémorial l'astrologie judiciaire ; mais les en estimerons-nous beaucoup davantage ? Ils ont eu d'excellens magiciens, témoin leur querelle avec Moyse en présence de Pharaon, & la métamorphose de leurs verges en serpens. Ce tour de sorcier est un des plus forts dont il soit fait mention dans l'Histoire. Ils ont eu deux théologies, l'une ésotérique & l'autre exotérique. La premiere consistoit à n'admettre d'autre dieu que l'univers, d'autres principes des êtres que la matiere & le mouvement. Osiris étoit le soleil, la lune étoit Isis. Ils disoient : au commencement tout étoit confondu : le ciel & la terre n'étoient qu'un ; mais dans le tems les élémens se séparerent. L'air s'agita : sa partie ignée portée au centre, forma les astres & alluma le soleil. Son sédiment grossier ne resta pas sans mouvement. Il se roula sur lui-même, & la terre parut. Le soleil échauffa cette masse inerte ; les germes qu'elle contenoit fermenterent, & la vie se manifesta sous une infinité de formes diverses. Chaque être vivant s'élança dans l'élément qui lui convenoit. Le monde, ajoûtoient-ils, a ses révolutions périodiques, à chacune desquelles il est consumé par le feu. Il renaît de sa cendre, pour subir le même sort à la fin d'une autre révolution. Ces révolutions n'ont point eu de commencement & n'auront point de fin. La terre est un globe sphérique. Les astres sont des amas de feu. L'influence de tous les corps célestes conspire à la production & à la diversité des corps terrestres. Dans les éclipses de lune, ce corps est plongé dans l'ombre de la terre. La lune est une espece de terre planétaire.

Les Egyptiens persisterent dans le matérialisme, jusqu'à-ce qu'on leur en eut fait sentir l'absurdité. Alors ils reconnurent un principe intelligent, l'ame du monde, présent à tout, animant tout, & gouvernant tout selon des lois immuables. Tout ce qui étoit, en émanoit ; tout ce qui cessoit d'être, y retournoit : c'étoit la source & l'abysme des existences. Ils furent successivement Déistes, Platoniciens, Manichéens, selon les conjonctures & les systèmes dominans. Ils admirent l'immortalité de l'ame. Ils prierent pour les morts. Leur amenthès fut une espece d'enfer ou d'élisée. Ils faisoient aux moribonds la recommandation de l'ame en ces termes : Sol omnibus imperans, vos dii universi qui vitam hominibus largimini, me accipite ; & diis aeternis contubernalem futurum reddite. Selon eux les ames des justes rentroient dans le sein du grand principe, immédiatement après la séparation d'avec le corps. Celles des méchans se purifioient ou se dépravoient encore davantage, en circulant dans le monde sous de nouvelles formes. La matiére étoit éternelle ; elle n'avoit été ni émanée, ni produite, ni créée. Le monde avoit eu un commencement, mais la matiere n'avoit point commencé & ne pouvoit finir. Elle existoit par elle-même, ainsi que le principe immatériel. Le principe immatériel étoit l'être éternel qui informe ; la matiere étoit l'être éternel qui est informé. Le mariage d'Osiris & d'Isis étoit une allégorie de ce système. Osiris & Isis engendrerent Orus ou l'univers, qu'ils regardoient comme l'acte du principe actif appliqué au principe passif.

La maxime fondamentale de leur théologie exotérique, fut de ne rejetter aucune superstition étrangere ; conséquemment il n'y eut point de dieu persécuté sur la surface de la terre, qui ne trouvât un asyle dans quelque temple égyptien ; on lui en ouvroit les portes, pourvû qu'il se laissât habiller à la maniere du pays. Le culte qu'ils rendirent aux bêtes, & à d'autres êtres de la nature, fut une suite assez naturelle de l'hyérogliphe. Les figures hyérogliphiques représentées sur la pierre, désignerent dans les commencemens différens phénomenes de la nature ; mais elles devinrent pour le peuple des représentations de la divinité, lorsque l'intelligence en fut perdue & qu'elles n'eurent plus de sens ; de-là cette foule de dieux de toute espece, dont l'Egypte étoit remplie ; de-là ces contestations sanglantes qui s'éleverent entre les prêtres, lorsque la partie laborieuse de la nation ne fut plus en état de fournir à ses propres besoins, & en même tems aux besoins de la portion oisive. Summus utrìmque inde furor, vulgò quod numina vicinorum odit uterque locus, cum solos dicat habendos esse deos quos ipse colit.

Ce seroit ici le lieu de parler des antiquités égyptiennes, & des auteurs qui ont écrit de la théologie & de la philosophie des Egyptiens : mais la plûpart de ces auteurs ont disparû dans l'incendie de la bibliotheque d'Alexandrie ; ce qui nous en reste est apocryphe, si l'on en excepte quelques fragmens conservés en citations dans d'autres ouvrages. Sanchoniaton est sans autorité. Manéthon étoit de Diospolis ou de Sébennis : il vécut sous Ptolémée Philadelphe. Il écrivit beaucoup de l'histoire de la philosophie & de la théologie des Egyptiens. Voici le jugement qu'Eusebe a porté de ses ouvrages : ex columnis, dit Eusebe, in syriadicâ terrâ positis, quibus sacrâ dialecto sacrae erant notae insculptae à Thoot, primo Mercurio ; post diluvium verò ex sacrâ linguâ in graecam notis ibidem sacris versae fuerunt ; interque libros in adita aegyptia relatae ab Agatho daemone, altero Mercurio patre Tat ; unde ipse ait libros scriptos ab avo Mercurii Trismegisti.... Quel fond pourrions-nous faire sur cette traduction de traduction de symboles en hyerogliphes, d'hyerogliphes en caracteres égyptiens sacrés, de caracteres égyptiens sacrés en lettres greques sacrées, de lettres greques sacrées en caractere ordinaire, quand l'ouvrage de Manethon seroit parvenu jusqu'à nous ?

La table Isiaque est une des antiquités égyptiennes les plus remarquables. Pierre Bembo la retira d'entre les mains d'un ouvrier qui l'avoit jettée parmi d'autres mitrailles. Elle passa de-là dans le cabinet de Vincent duc de Mantoue. Les Impériaux s'emparerent de Mantoue en 1630, & la table Isiaque disparut dans le sac de cette ville : un medecin du duc de Savoie la recouvra long-tems après, & la renferma parmi les antiquités de son souverain, où elle existe apparemment. Voyez-en la description au mot ISIAQUE. Que n'a-t-on point vû dans cette table ? c'est un nuage où les figures se sont multipliées, selon qu'on avoit plus d'imagination & de connoissances. Rudbeck y a trouvé l'alphabet des Lapons, Fabricius les signes du zodiaque & les mois de l'année, Herwart les propriétés de l'aimant & la polarité de l'aiguille aimantée, Kircher, Pignorius, Witsius, tout ce qu'ils ont voulu ; ce qui n'empêchera pas ceux qui viendront après eux d'y voir encore tout ce qu'ils voudront ; c'est un morceau admirable pour ne laisser aux modernes, de leurs découvertes, que ce qu'on ne jugera pas digne d'être attribué aux anciens.

EGYPTIENS, ou plûtôt BOHEMIENS, s. m. plur. (Hist. mod.) espece de vagabonds déguisés, qui, quoiqu'ils portent ce nom, ne viennent cependant ni d'Egypte, ni de Boheme ; qui se déguisent sous des habits grossiers, barbouillent leur visage & leur corps, & se font un certain jargon ; qui rodent çà & là, & abusent le peuple sous prétexte de dire la bonne avanture & de guérir les maladies ; font des dupes, volent & pillent dans les campagnes.

L'origine de cette espece de vagabonds, qu'on nomme Egyptiens, mais plus souvent Bohémiens, est un peu obscure, & on n'a rien de bien certain sur l'étymologie de ce nom.

Il est vrai que les anciens Egyptiens passoient pour de grands fourbes, & étoient fameux par la finesse de leurs impostures. Peut-être cette idée a-t-elle consacré ce nom dans d'autres langues pour signifier fourbe, comme il est très-certain que les Grecs & les Latins l'ont employé en ce sens ; les anciens Egyptiens étant très-versés dans l'Astronomie, qu'on ne distinguoit guere alors de l'Astrologie, peut-être encore aura-t-on pû sur ce fondement donner le nom d'Egyptiens à ces diseurs de bonne-avanture.

Quoi qu'il en soit, il est peu de nations en Europe qui n'ayent de ces Egyptiens ; mais ils ne portent cependant pas par-tout le même nom.

Les Latins les appelloient aegyptii, & les Anglois les ont imités, les Italiens les nomment zingari ou zingeri, les Allemans ziengner, les François Bohémiens, d'autres Sarrasins, & d'autres Tartares.

Munster dans sa géographie, liv. III. ch. v. rapporte que ces vagabonds parurent pour la premiere fois en Allemagne en 1417, fort basanés & brûlés du soleil, & dans un équipage pitoyable, à l'exception de leurs chefs qui étoient assez bien vêtus, quoiqu'ils affectassent un air de qualité, traînant avec eux, comme des gens de condition, une meute de chiens de chasse. Il ajoûte qu'ils avoient des passeports du roi Sigismond de Boheme, & d'autres princes. Ils vinrent dix ans après en France, d'où ils passerent en Angleterre. Pasquier dans ses recherches, liv. IV. chap. xjx. rapporte en cette sorte leur origine : " Le 17 Avril 1427, vinrent à Paris douze penanciers, c'est-à-dire pénitens, comme ils disoient, un duc, un comte, & dix hommes à cheval, qui se qualifioient chrétiens de la basse Egypte, chassés par les Sarrasins, qui étant venus vers le pape, confesserent leurs péchés, reçurent pour pénitence d'aller sept ans par le monde sans coucher en lit. Leur suite étoit d'environ 120 personnes, tant hommes que femmes & enfans, restans de douze cent qu'ils étoient à leur départ. On les logea à la Chapelle, où on les alloit voir en foule : ils avoient les oreilles percées, où pendoit une boucle d'argent, leurs cheveux étoient très-noirs & crépés : leurs femmes très-laides, sorcieres, larronnesses, & diseuses de bonne-avanture. L'évêque les obligea à se retirer, & excommunia ceux qui leur avoient montré leur main ".

Par l'ordonnance des états d'Orléans de l'an 1560, il fut enjoint à tous ces imposteurs, sous le nom de Bohémiens ou Egyptiens, de vuider le royaume à peine des galeres. Ils se diviserent alors en plus petites compagnies, & se répandirent dans toute l'Europe. Le premier tems où il en soit fait mention en Angleterre, c'est après ce troisieme réglement, savoir en 1565.

Raphaël de Volterre en fait mention, & dit que cette sorte de gens venoit originairement des Euxiens peuple de Perse. Dictionnaire de Trévoux & Chambers. (G)


EHANCHÉadj. (Manége & Maréchall.) cheval éhanché : on désigne par cette expression un cheval dont les hanches sont ou paroissent inégales, ce dont on juge par l'inspection des os iléon à l'endroit de leur saillie.

Quelques-uns ont attribué cette inégalité à quelque heurt, quelques coups, quelques contusions, dont ils l'ont envisagé comme une suite ; mais ils se sont empressés de nous rassûrer, en ajoûtant que ce défaut n'occasionne aucune claudication, & ne nuit jamais à l'animal.

En supposant que le vice d'une hanche plus basse que l'autre puisse, quoiqu'il ne nuise point au cheval, n'être pas rapporté à sa premiere conformation & être déclaré accidentel, il s'ensuit qu'il ne consiste que dans une dépression, un affaissement à l'os qui saillit extérieurement ; ce qui aura plûtôt lieu dans le poulain que dans le cheval, parce que dans le premier les os sont moins compacts, & que d'ailleurs ceux dont il s'agit, plus spongieux que la plûpart de ceux qui servent de base à l'édifice du corps de l'animal, peuvent en conséquence d'une violente contusion, avoir été affaissés à leur pointe.

Du reste, l'expression dont il est question me paroît fort impropre ; car elle n'offre en aucune façon l'idée de la signification qu'on lui donne. (e)


EHEMS. m. (Marine) canot dont les Negres se servent. Voyez CANOT. (Z)


EHENHEIM(Géog. mod.) ville d'Alsace. Elle est située sur l'Ergel, à une lieue de Strasbourg.


EHINGEN(Géog. mod.) Il y a deux villes de ce nom dans la Soüabe en Allemagne, l'une proche le Danube, l'autre sur le Necker : celle-ci a long. 27. 20. lat. 48. 18.


EHOUPEou HOUPER, (Jurispr.) l'ordonnance des eaux & forêts défend d'éhouper, c'est-à-dire ébrancher & deshonorer les arbres. Voyez le titre xxxij. art. 2. (A)


EICETEou HEICETES, s. m. pl. (Hist. ecclés. & Théolog.) hérétiques qui parurent dans le vij. siecle, & qui faisoient profession de la vie monastique. Ils croyoient qu'il étoit impossible de bien loüer Dieu qu'en dansant & en sautant ; ce qu'ils fondoient sur l'exemple de Moyse & des enfans d'Israël qui, après le passage de la mer Rouge, avoient marqué leur reconnoissance au Seigneur par un cantique accompagné de danses, &c. (G)


EICHEFELD(Géog.) pays d'Allemagne situé entre la Hesse, la Thuringe, & le duché de Brunswick.


EIFFEL(Géog. mod.) pays d'Allemagne situé entre le duché de Juliers, l'électorat de Treves, le duché de Luxembourg, & l'électorat de Cologne.


EIMBECK(Géog. mod.) ville de la basse Saxe en Allemagne. C'est la capitale du Grubenhagen. Elle est proche de l'Ilme. Long. 27. 38. lat. 51. 46.


EIRENES. f. (Myth.) déesse de la paix chez les Grecs. Voyez PAIX. (Myth.)


EISCTERIESadj. pris subst. (Hist. anc.) fêtes dans lesquelles on sacrifioit à Jupiter & à Minerve, pour le salut de la république.


EISENACH(Géog. mod.) ville capitale d'une contrée de même nom, dans la Thuringe en Allemagne. Elle est sur la Hesse. Long. 28. 6. lat. 50. 59.


EISLEBEN(Géog. mod.) ville de haute Saxe au comté de Mansfeld en Allemagne. Long. 29. 45. lat. 50. 40.


EITDEVET(Géog. mod.) ville de la province de Heac au royaume de Maroc en Afrique. Elle est située sur une montagne, entre deux autres, & sur deux rivieres.


EJACULATEURS. m. pris adj. en Anatomie, nom qu'on donne à différentes parties relatives à celles de la génération, & qui tirent leur nom de l'usage dont elles sont dans l'éjaculation de la semence.

Les muscles éjaculateurs naissent du sphyncter de l'anus, & s'avancent le long de l'urethre jusqu'à son milieu, où ils s'inserent latéralement.

On donne aussi ce nom à deux muscles du clitoris, qui viennent du sphyncter de l'anus, se portent latéralement & s'inserent à côté du clitoris. Voyez GENERATION.

Les conduits éjaculateurs ont environ un pouce de longueur ; ils sont larges près des vésicules, & diminuent à mesure qu'ils approchent de l'urethre, qu'ils percent ensemble.

Quelques auteurs donnent aussi le nom d'éjaculateurs, aux canaux déférens. Voyez DEFERENT. (L)


EJACULATIONS. f. (Med. Physiol.) est l'action par laquelle la liqueur spermatique reservée dans les vésicules séminales, & l'humeur prostatique contenue dans ses propres couloirs, sont exprimées dans l'urethre, & poussées hors de ce canal par l'extrémité de la verge dans le coït, ou dans toute autre circonstance qui y est relative.

Cette action s'exécute, dans l'état naturel, par le méchanisme dont voici l'exposition. Les vésicules séminales étant formées de différentes membranes, entre lesquelles il en est une composée de fibres musculaires, susceptibles par conséquent de contraction, qui diminue leur capacité ; cette contraction se fait dans le moment où toutes les conditions, & entr'autres l'érection de la verge, ont lieu pour occasionner l'émission de la semence, qui étant comprimée en tous sens par l'action de ces fibres contre la vessie dont le sphyncter est contracté & leur fournit un point fixe, se porte où il y a le moins de résistance ; l'orifice qui répond au canal déférent, se ferme par la disposition de la valvule qui s'y trouve : ainsi le fluide pressé de tous côtés, excepté vers l'orifice du canal éjaculatoire, qui est comme la continuation du canal déférent, destiné à porter la liqueur séminale dans l'urethre, ce fluide y est porté avec force, & injecté avec une grande célérité dans l'urethre, auprès du vérumontanum. En même tems la membrane musculeuse qui enveloppe les glandes prostates, se contracte comme de concert avec les vésicules séminales. Les muscles prostatiques agissent aussi dans le même instant ; & par le concours de ces puissances combinées qui sont mises en jeu par un mouvement comme convulsif, qui se communique à toutes les parties du corps, & y excite souvent une espece de tremblement épileptique, l'humeur prostatique est exprimée de ses conduits excrétoires, & est aussi injectée dans l'urethre autour des orifices des conduits éjaculatoires de la semence. Ces deux fluides se mêlent dans la partie de ce canal, dilatée pour les recevoir, par les muscles destinés à cet effet. Mais cette dilatation n'est qu'instantanée : car le muscle accélérateur & le transverse de l'urethre se mettent en contraction pour presser ce qui est contenu dans ce canal, & l'obliger à sortir tout d'un trait & sans discontinuité pour chaque jet, dont il se fait plusieurs de suite par la répétition de l'action convulsive de tous les organes qui viennent d'être mentionnés. La force & la célérité avec laquelle ces fluides sont poussés, les peuvent faire jaillir à plusieurs pouces de distance de l'extrémité du membre viril, selon que l'érection de cette partie est plus grande, & qu'il y a une quantité plus considérable à injecter des fluides, qui distendent davantage les canaux par lesquels ils passent, & qui donnent conséquemment plus d'étendue à l'action des muscles constricteurs : ensorte que les premiers jets sont les plus impétueux, & que la vitesse de l'injection des derniers est beaucoup moindre à proportion. C'est de cette promte éjaculation, jointe à la chaleur & à la subtilité des fluides qui parcourent l'urethre dans cette voluptueuse opération de la nature, que dépend le chatouillement délicieux qu'éprouve la membrane d'un sentiment très-exquis qui tapisse ce canal. Voy. ERECTION, COÏT, GENERATION. (d)


EJACULATOIRESvoyez DEFERENT.


EJAMBERv. act. (Manuf. de tabac) c'est séparer de chaque feuille la grosse côte qui la traverse. Les Negres & autres ouvriers employés à ce travail, éjambent avec les ongles & les dents.


EKELENFORD(Géog. mod.) ville du duché de Sleswig sur la mer Baltique, dans le Danemark. Long. 27. 55. lat. 54. 40.


ELABORATIONS. f. se dit, en Medecine, de l'action naturelle par laquelle les humeurs récrémentitielles, telles que le chyle, le sang, la lymphe, & toute autre de cette nature, subissent des changemens dans la disposition des parties qui composent leur substance, par lesquels elles se perfectionnent & acquierent les qualités convenables pour les usages auxquels elles sont destinées. Ces changemens consistent en ce que certaines parties se dissolvent, & d'autres se réunissent. Ainsi dans l'élaboration du chyle qui se convertit en sang, les parties hétérogenes sont séparées, & les homogenes sont rassemblées & appliquées les unes aux autres.

Toute élaboration, dans l'oeconomie animale, s'opere par l'action méchanique des solides sur les fluides, & par la réaction de ceux-ci qui dépend cependant de la premiere. Voyez CHILIFICATION, SANGUIFICATION, SECRETION. (d)


ELAEOTHERIUM(Hist. anc.) piece ou appartement des anciens Gymnases. Voyez ALIPTERION.


ELAGABALES. m. (Myt.) dieu qu'on adoroit à Emese, ville de la haute Syrie, sous la figure d'un grand cone de pierre. On croit que c'étoit un emblème du Soleil. Antonin qui avoit pris le nom d'Elagabale ou d'Héliogabale, & qui en avoit été prêtre dans sa jeunesse, fit apporter le dieu conique à Rome, & lui bâtit un temple, où il plaça le feu de Vesta, la statue de Cybele, les boucliers de Mars, en un mot tout ce que la ville pouvoit avoir de reliques précieuses. On ne conçoit guere le besoin qu'un cone de pierre peut avoir de femme ; cependant Antonin lui en fit venir une de Carthage : ce fut la statue de la déesse Céleste. On maria le cone d'Emese avec la Céleste de Carthage ; on célébra cette fête dans toute l'Italie ; personne ne fut dispensé des présens de noces : mais le culte d'Elagabale & de Céleste ne dura qu'autant que le regne d'Antonin. Son successeur sépara ces époux, renvoya le dieu cone à Emese, laissa Céleste seule sur son pié-d'estal, & ferma la porte du temple.


ELAGUERv. act. (Jard.) Voyez EMONDER.


ELANALÉE, (voyez ALEE) Hist. nat. Zoolog. animal quadrupede du genre des ruminans. M. Perrault a donné la description d'un élan qui étoit à-peu-près de la grandeur d'un cerf. Il avoit cinq piés & demi de longueur, depuis le bout du museau jusqu'au commencement de la queue. C'étoit une femelle ; elle n'avoit point de cornes. La longueur & la largeur du cou n'étoit que de neuf pouces ; les oreilles avoient aussi neuf pouces de longueur, & quatre de largeur ; le poil étoit gris, à-peu-près comme celui de l'âne, mais plus long : il avoit trois pouces de longueur, & il étoit aussi gros que le plus gros crin de cheval. Cet animal avoit la levre supérieure fort grande, & détachée des gencives ; les piés ressembloient à ceux du cerf, excepté qu'ils étoient beaucoup plus gros. Mém. pour servir à l'hist. des animaux, I. partie.

L'élan est plus haut qu'un cheval ; il a le corps fait comme celui d'un cerf, mais plus gros ; il porte de très-grandes cornes, qui sont cylindriques à leur origine, ensuite elles s'élargissent beaucoup, & forment une table plate qui a sur ses bords plusieurs prolongemens en forme de doigts. Ces cornes sont très-pesantes, elles tombent comme celles du cerf. Les élans restent dans les pays septentrionaux de l'Europe ; il y en a aussi en Amérique, on leur donne le nom d'orignal ; & il s'en trouve en Afrique qui sont plus gros que ceux d'Europe & d'Amérique. Ils ont pour l'ordinaire cinq piés de hauteur ; les cornes n'ont qu'environ un pié de longueur ; le poil est doux & de couleur cendrée ; la chair est aussi bonne à manger que celle du boeuf. L'élan habite les hautes montagnes où il y a de bons pâturages ; il est fort agile, & grimpe avec beaucoup de vîtesse sur les rochers les plus escarpés. Kolbe, desc. du cap de Bonne-Espérance.

On prétend que l'élan a l'odorat plus fin qu'aucun autre animal, & on a observé que ses nerfs olfactifs sont très-gros. Cet animal est fort timide, mais il a beaucoup de force ; il se défend contre les chiens & contre les loups, en les frappant avec les piés de devant. On dit qu'il est sujet à l'épilepsie, & que pour remede il porte le pié dans son oreille : c'est pourquoi on attribue à son pié la propriété de guérir de cette maladie ; mais cette opinion n'a aucun fondement : au contraire on ne croit pas que l'élan puisse porter le pié à son oreille, parce que les jointures des jambes n'ont pas assez de souplesse pour se prêter à cette attitude. D'ailleurs la prétendue propriété du pié d'élan contre l'épilepsie, n'est pas prouvée. En Norvege où l'épilepsie est aussi fréquente qu'ailleurs, & les piés d'élans beaucoup plus communs, les gens éclairés n'en font aucun cas ; tandis que les autres, lorsqu'ils voyent tomber un élan & qu'ils soupçonnent que sa chûte est causée par un accès d'épilepsie, sont fort attentifs à observer quel pié il portera à son oreille, & le coupent aussi-tôt pour le garder comme un remede qui a une vertu spécifique. Mém. pour servir à l'hist. nat. des anim. I. part. & plusieurs relations de voyages. Voyez QUADRUPEDE. (I)

ELAN, (Pharm. & Mat. med.) on faisoit autrefois beaucoup de cas de la corne du pié de cet animal, sur-tout du gauche de derriere, qu'on croyoit être un remede spécifique contre l'épilepsie. On ne se contentoit pas de faire prendre de la poudre de ce pié gauche, on en portoit aussi en amulete un morceau suspendu au cou, ou bien on en faisoit des anneaux qu'on portoit au doigt. Mais aujourd'hui on est revenu de cette erreur ; & on croit que ce remede, si c'en est un, est peu efficace dans la maladie pour laquelle on le vantoit tant, & que l'ongle du pié de boeuf ou de cerf a tout autant de vertu. La Pharmacopée de Paris le fait entrer cependant encore dans la poudre anti-spasmodique & dans celle de guttete, sans-doute pour se conformer à l'ancien usage, qui étoit de le prescrire dans toutes les maladies spasmodiques. (b)

ELAN, (Art méch. Chamois.) La peau de l'élan se passe en huile comme les bufles ; & pour lors les faiseurs de colletins de bufle, de baudriers, & de ceinturons, les Gantiers & autres ouvriers, l'employent aux différens ouvrages de leurs métiers. Voyez CHAMOIS & CHAMOISEUR.


ELANCÉadj. (Jard.) se dit d'une branche velue & longuette qui ne peut se soûtenir.

ELANCE, (Man. & Maréch.) cheval élancé, efflanqué, effilé : ces épithetes sont synonymes. Voyez EFFILE, EFFLANQUE. (e)

ELANCE, en termes de Blason, se dit d'un cerf courant. Seguiran en Provence, d'azur au cerf élancé d'or.


ELANCEMENTS. m. (Marine) c'est la longueur du vaisseau qui excede celle de la quille. Voyez QUETE. (Z)


ELAPHEBOLIESadj. pris subst. (Mytholog.) fêtes célébrées en l'honneur de Diane par les habitans de la Phocide, & en mémoire d'une action dans laquelle ils avoient eu l'avantage sur les Thessaliens, & où ils avoient dû en partie la victoire aux secours qu'ils avoient reçus de leurs femmes. Les Athéniens avoient aussi des fêtes du même nom ; c'étoient des especes d'agapes, pendant lesquelles ils se régaloient particulierement avec des gâteaux paitris de graisse, de miel, & de sesame. D'autres prétendent qu'on y sacrifioit à Diane des cerfs, parce qu'elle se plaisoit particulierement à la chasse de cet animal.


ELAPHEBOLIONS. m. (Hist. anc.) Les Athéniens appelloient ainsi leur neuvieme mois. C'est un mot composé d', cerf, & de , je frappe ; parce qu'on faisoit alors particulierement la chasse du cerf, ou plûtôt parce qu'on le sacrifioit à Diane ; ou même selon d'autres, qu'on mangeoit dans cette saison une sorte de gâteaux, qu'ils appelloient élaphes. Quoi qu'il en soit, il avoit vingt-neuf jours, & il étoit précédé de l'anthystérion & suivi du munichion. Voyez AN.


ELARGIRELARGIR

Cet espace ne peut être limité ; il doit être plus ou moins large, ou plus ou moins étroit, selon la roideur du cou, la dureté de la bouche, l'obstination, l'obéissance, la conformation, la franchise, & la disposition de l'animal.

On peut attribuer en général une grande partie des défenses des chevaux au peu de soin qu'ont ceux qui les exercent, de les travailler large, & de les empêcher de se retrécir. Trotez un poulain à la longe ; si vous n'avez pas l'attention de l'éloigner du piqueur qui la tient, c'est-à-dire du centre de la volte, dont vous ne pourrez qu'augmenter la rondeur & l'espace en élargissant l'animal, il est fort à craindre que le trop d'assujettissement & de contrainte ne le révolte, & n'opere des effets totalement contraires à ceux que vous vous promettez. Voyez LONGE.

Il en est de même lorsqu'on le monte & qu'on le conduit par le droit dans un espace trop court & trop retréci. Les angles qui terminent les lignes droites qu'on lui fait parcourir sont trop près, & sont si voisins les uns des autres, qu'ils semblent en quelque façon se multiplier ; il est donc obligé de tourner plus fréquemment. Or cette action lui coûte sans contredit davantage que celle de cheminer devant lui, surtout s'il n'a point été suffisamment élargi sur les cercles à la longe ; & dès qu'elle sera continuellement répétée, il arrivera que la leçon qu'on lui donne dans l'unique dessein de le déterminer & de le résoudre, ne servira qu'à lui apprendre à se défendre & à se retirer. Que l'on tourne encore le poulain, quoique très-bien exercé à la longe & par le droit, trop étroit & sur lui-même hors des voltes marquées & réglées, & seulement pour le mener sur une nouvelle ligne, ses reins seront tellement occupés, ses jarrets si fort assujettis, son derriere en un mot, si chargé, que la douleur qu'il ressentira inévitablement le rendra bien-tôt entier à l'une ou à l'autre main, & peut-être à toutes les deux ensemble. Voy. ENTIER. Il importe donc essentiellement de le constamment élargir, quels que soient l'action & le mouvement auxquels on l'invite, parce que tout mouvement & toute action retrécie lui est toûjours plus difficile & moins supportable.

L'observation de ce principe ne doit pas être moins rigoureuse, relativement à la plûpart des chevaux que nous entreprenons, & qui ont acquis toutes leurs forces ; ce seroit en abuser que de vouloir en profiter pour les gêner & pour les contraindre tout-à-coup.

Il en est en qui le derriere est trop foible : ceux-ci, attendu cette foiblesse, se retrécissent presque toûjours d'eux-mêmes ; ce retrécissement qui ne provient que de l'impuissance de la partie débile qui devroit nécessairement chasser le devant, occasionne le rejet du poids du corps sur cette même partie, & la surcharge ; de-là les desordres outrés de l'animal, desordres auxquels nous ne pouvons remédier, & que nous ne pouvons prévenir qu'en l'élargissant.

Nous avons les mêmes inconvéniens à redouter de la part des chevaux ramingues. Ils sont ennemis de toute justesse & de toute proportion, ainsi que les chevaux coleres & de mauvaise inclination, & doivent être travaillés beaucoup plus large que les chevaux naturellement desunis, engourdis, pesans, qui s'abandonnent sur le devant & sur la main. Un terrein étroit ne convient point encore à des chevaux vifs qui ont de l'ardeur, ni à ceux dont la croupe est fausse, légere, mal assûrée, qui se déplacent, tirent à la main, la forcent, & fuient ou se dérobent, qui ont de la disposition à être entiers, qui n'ont aucune souplesse, aucune facilité dans l'exécution, &c.

Tout cheval peut se retrécir & mettre le cavalier dans la nécessité de l'élargir, soit qu'il marche par le droit, soit qu'il décrive des voltes d'une ou de deux pistes, soit qu'il exécute des changemens de mains larges ou étroits ; & cette falsification de terrein peut avoir lieu de trois manieres, ou par le port des épaules, ou par le port des hanches, ou par le port des épaules & des hanches à la fois dans le centre ou dans le dedans.

Si cheminant par le droit, il cherche à diminuer l'espace qu'il parcourt, en amenant insensiblement en-dedans son épaule, croisez votre rene de dedans, c'est-à-dire portez-la en-dehors, vous maintiendrez cette même épaule sur la ligne, ou vous l'y reconduirez, supposé qu'elle en soit sortie. S'il commence à l'abandonner des hanches seules, mettez cette même rene de dedans à vous dans une direction droite & non oblique, vous fixerez le poids du corps sur la hanche du même côté, & conséquemment il lui sera impossible de se traverser & de s'y jetter ; que s'il l'a entierement quittée, aidez en même tems de la rene de dehors en la croisant, ces deux moyens réunis obligeront la croupe à sortir ; & dans le cas où ils ne suffiroient pas, vous recourrez à un troisieme secours, en agissant de la jambe de dedans, & vous proportionnerez la force de cette aide au besoin & à la desobéissance de l'animal. Souvent la ligne étant falsifiée par les hanches, les épaules s'éloignent de la piste qu'elles marquoient pour venir sur la nouvelle ligne décrite par le derriere ; le cheval est donc alors retréci des épaules & des hanches à la fois, de la même maniere que si toute la masse s'étoit jettée en dedans ; servez-vous alors de la rene de dedans, qui opérera sur l'épaule, dans le sens propre à lui faire regagner le dehors dès que vous la croiserez, & n'employez votre rene de dehors que pour soûtenir legerement l'animal ; rendez ensuite & agissez de la jambe de dedans qui se seroit opposée à l'effet de votre main, si vous l'eussiez appliquée au même instant que la rene de dedans opéroit, réitérez successivement ces différentes aides de la main & des jambes, vous remettrez insensiblement le cheval, sans le gendarmer & sans même qu'il s'en apperçoive, sur le terrein dont il s'est écarté ; ce qui lui arrive très-fréquemment lorsque nous commençons à le plier le long des murs & à le travailler la tête en dedans, la croupe échappée ; leçon imaginée par le savant duc de Newcastle, & qui est précisément la même que celle à laquelle M. de la Gueriniere a crû devoir donner le nom de l'épaule en-dedans. J'expliquerai amplement les raisons des effets de toutes ces aides au mot MANEGE, cet article devant contenir tous les principes de notre art.

Elles doivent être pareillement employées sur le cheval qui retrécit les voltes ou les cercles, à quelques sortes d'airs ou de manéges qu'il travaille, & soit que les hanches en soient assujetties ou ne le soient pas. Il est certain d'ailleurs que les épaules doivent toûjours mener & entamer : or en les maintenant dans une exacte liberté, je veux dire en les forçant sans-cesse de précéder les hanches, par l'aide de la rene opposée au côté sur lequel on veut élargir l'animal, on n'a point lieu d'appréhender que la croupe s'engage & devance, & le retrécissement est impraticable. Nous en avons une preuve dans les changemens de main larges & étroits, les hanches étant observées ; si une grande partie des chevaux d'école, ajustés par les maîtres qui ont le plus de réputation, n'embrassent pas franchement le terrein, se retiennent, resserrent leur piste, & faussent la diagonale qui doit être suivie dans les uns & dans les autres changemens, ce n'est assûrément que parce qu'ils contraignent trop le derriere par le moyen de la jambe avec laquelle ils chassent ; & parce que la force de cette aide l'emportant sur celle de la rene qui opere directement sur les épaules, les hanches mues & conduites par la jambe marchent avant ces parties. Voyez ENTABLER. Du reste il faut remarquer que les mouvemens de la main doivent être exactement d'accord avec ceux de la jambe de l'animal, autrement il n'en résultera qu'un effet très-médiocre, encore cet effet tendra-t-il le plus souvent alors à causer le plus grand resserrement de la volte, à augmenter la difficulté de tourner, à acculer l'animal, à le porter à entr'ouvrir son devant, à lui suggérer enfin des défenses ; d'où l'on doit juger de la nécessité de rechercher les tems des jambes, & de mesurer nos actions à ces tems. Voyez MANEGE.

La voie la plus certaine de prévenir un cheval que l'on veut mettre au passage, ou à un air quelconque sur les voltes, est de lui en faire d'abord reconnoître la rondeur ; on le travaille ensuite en l'élargissant plus ou moins, ainsi que je l'ai dit, & sans attendre même qu'il tombe dans le défaut de ceux qui falsifient le terrein en se retrécissant. Habitué à être élargi à une main, on l'élargit à l'autre ; & lorsqu'il est véritablement libre & soûmis à toutes les deux, on lui fait resserrer sa piste jusqu'à la premiere proportion du cercle d'où il est parti, on le range ainsi sous les lois d'une entiere obéissance ; en effet non-seulement on l'élargit, mais on le retrécit, & les aides données, par exemple, pour procurer l'élargissement à main droite, ne seront autre chose que celles que j'employerai pour en venir au retrécissement, le cheval étant occupé sur les cercles à gauche ; deux actions opposées & dissemblables en apparence seront donc produites en quelque façon par un seul & même moyen. Cette leçon n'est cependant bonne, & ne doit être continuée que relativement à des chevaux d'une certaine nature, que l'on peut & que l'on doit toûjours travailler également aux deux mains : il est le plus souvent des cas où nous devons élargir le cheval à l'une & le retrécir à l'autre ; nous le serrons sur celle où il s'élargit de lui-même, & nous l'élargissons à celle où il se resserre.

J'insisterai au surplus sur l'obligation & sur l'importance de varier & les leçons & la place où on les donne. Tel cheval trop long-tems retenu & sollicité à un même mouvement, se rebute & se soustrait enfin à la dépendance dans laquelle on le tient : tel autre qui travailloit sur les voltes sans se retrécir en un lieu seul, se resserre quand on l'exerce dans un autre auquel il n'est point accoûtumé, en un mot tout homme de cheval doit consulter à cet égard l'inclination, la mémoire & le naturel de l'animal qu'il se propose d'ajuster, & se ressouvenir qu'il n'en est point qui soit plus capable d'atteindre à la perfection de l'exécution, que ceux qui sont toûjours, pour ainsi dire, avertis & attentifs à l'action, à la volonté & aux aides du cavalier qui les monte.

Il en est aussi qui préviennent & cette volonté & cette action, ils tournent sans y être invités. On doit avant de les tourner à une main, les élargir un peu, en feignant de vouloir les tourner à l'autre ; cette feinte les corrigera insensiblement, & ils n'en seront que plus soigneux à se conformer au desir de celui qui les guide & qui les conduit. Elle est encore très-utile pour remédier au vice du cheval ramingue, qui se retient ou se dérobe pour prendre la volte avant qu'il en ait été sollicité ; elle fixera de plus, elle assûrera ceux dont les croupes sont legeres ou fausses, qui ne veulent point consentir à la fermeté des hanches, qui s'élargissent trop du derriere sur la volte, qui se panchent en élargissant les jambes postérieures & en les jettant en-dehors, & qui tournent impatiemment & d'eux-mêmes. L'élargissement du derriere en effet ne consiste que dans la promtitude avec laquelle les hanches fuient du côté opposé à celui sur lequel auroit été mû & tourné le devant : or en retournant sur le champ le devant du côté où la croupe est prête à se jetter, les uns & les autres perdront incontestablement la mauvaise habitude de falsifier de cette sorte le terrein, & on les réduira aux plus grandes justesses. Soûmettre ainsi les chevaux, c'est les vaincre véritablement par art ; & cette méthode est sans-doute préférable à celle de n'employer que la dureté & les châtimens ; d'autant plus que si nous élargissons avec trop de rigueur l'animal, il se jette, il ne conserve ni proportion ni mesure, il obéit avec fougue & avec précipitation, il dérobe l'épaule & fuit ; comme lorsque nous le rétrécissons brusquement, il rompt son air, il perd sa cadence, il porte soudainement sa croupe si fort en-dedans, qu'il serre la volte en allant trop large de devant & presque de travers ainsi que s'il étoit entier.

Elargir ; cette expression est encore en usage en parlant de la position des jambes de l'animal en action. Toutes les fois que dans un mouvement quelconque, les jambes de devant sont obligées de se joindre & de se rapprocher comme quand il chevale, qu'il tourne, &c. nous disons qu'il est élargi. Un principe constant, & qui ne souffre aucune exception, est celui dont nous avons tous les jours des preuves sous nos yeux ; le derriere ne peut être retréci que le devant ne s'élargisse, & il ne peut être élargi que ce même devant ne se rétrécisse. La raison de cette nécessité indispensable se découvre bien-tôt, & à la seule inspection de la structure du cheval. (e)

ELARGIR, v. pass. (Marine) un vaisseau s'élargit, se dit quelquefois pour signifier qu'il prend le large, & fait route soit pour joindre un autre vaisseau, ou pour le fuir. (Z)


ELARGISSEMENTELARGISSURE, synon. augmentation de largeur. On dit l'élargissement d'une maison, l'élargissement des rues ; mais élargissure n'est usité qu'en parlant des meubles & des vêtemens : l'élargissure d'un rideau, d'une chemise, d'un juste-au-corps. Article de M(D.J.)

ELARGISSEMENT, s. m. (Jurisprud.) est la liberté que l'on donne à un prisonnier de sortir de prison.

On distingue deux sortes d'élargissemens ; savoir, l'élargissement définitif, & l'élargissement provisoire, qui n'est fait qu'à la charge par le prisonnier de se représenter dans un certain tems.

La déclaration de Charles VI. du 20 Avril 1402, défend à tous officiers du roi & autres personnes, d'élargir ou faire élargir aucun prisonnier détenu par ordonnance de justice, sous prétexte d'aucun commandement du roi ; à moins qu'il n'y ait des lettres patentes scellées du grand sceau, & que la partie & le ministere public ne soient oüis.

Il y a néanmoins quelque distinction à faire entre l'élargissement des prisonniers pour dettes, & celui des prisonniers pour crime.

Les prisonniers pour dettes peuvent être élargis sur deux sommations faites, à différens jours, aux créanciers qui seront en demeure de fournir la nourriture au prisonnier ; & trois jours après la seconde sommation, le juge pourra ordonner l'élargissement, partie présente ou dûement appellée ; c'est la disposition de l'ordonnance de 1670, tit. xviij. art. 24.

L'art. 5. de la déclaration du 10 Janvier 1680, a depuis établi que, quand les causes de l'emprisonnement n'excedent pas deux mille livres, il n'est pas besoin de sommations ; le prisonnier peut, après la quinzaine du défaut de consignation, présenter requête au commissaire des prisons, à l'effet d'obtenir son élargissement ; mais le commissaire ne peut élargir de son autorité, il faut que la requête soit rapportée en la chambre, & qu'il intervienne un jugement. Le préambule de cette déclaration fait connoître qu'elle est en faveur du prisonnier ; qu'ainsi il peut avant les quinze jours demander sa liberté, en faisant deux sommations, conformément à l'ordonnance.

Celui qui a été élargi faute de payement de ses alimens, ne peut plus être emprisonné à la requête du même créancier, afin de punir la dureté de ce créancier, & que la disposition de l'ordonnance ne devienne pas illusoire.

Il en est de même de celui qui a été élargi, en payant un tiers ou un quart des deniers de la charité, parce que ce payement fait une preuve d'insolvabilité ; à moins qu'il ne soit survenu du bien au débiteur depuis son élargissement.

Les prisonniers détenus pour dettes, peuvent aussi être élargis sur le consentement des parties qui les ont fait arrêter ou recommander, passé devant notaire, qui sera signifié aux geoliers ou greffiers des geoles, sans qu'il soit besoin d'obtenir aucun jugement. Ordonnance de 1670, tit. xiij. art. 31.

L'article suivant porte que la même chose sera observée à l'égard de ceux qui auront consigné ès mains du geolier ou greffier de la geole, les sommes pour lesquelles ils seront détenus. Ils doivent être mis hors des prisons, sans qu'il soit besoin de le faire ordonner.

A l'égard de l'élargissement des prisonniers détenus pour crime, l'ordonnance de 1670, tit. x. des decrets, ordonne que les accusés contre lesquels il y aura eu originairement decret de prise de corps, seront élargis après l'interrogatoire, s'il ne survient de nouvelles charges ; ou par leur reconnoissance, ou par la déposition de nouveaux témoins.

Aucun prisonnier pour crime ne peut être élargi même par les cours ou autres juges, encore qu'il se fût rendu volontairement prisonnier, sans avoir vû les informations, l'interrogatoire, les conclusions du procureur du roi, ou du procureur fiscal si c'est dans une justice seigneuriale, & les réponses de la partie civile, s'il y en a, ou les sommations de répondre.

Les prisonniers pour crime ne peuvent être élargis, que cela ne soit ordonné par le juge ; encore que la partie publique & la partie civile y consentent.

On ne doit pas non plus élargir les accusés, après le jugement, lorsqu'il porte condamnation de peine afflictive, ou que les procureurs du roi, ou ceux des seigneurs en appellent ; quand même les parties civiles y consentiroient, & que les amendes, aumônes, & réparations auroient été consignées.

L'art. 29. du tit. xiij, que nous avons déja cité, porte que tous greffiers, même des cours, & ceux des seigneurs, sont tenus de prononcer aux accusés les arrêts, sentences & jugemens d'absolution ou d'élargissement, le même jour qu'ils auront été rendus ; & s'il n'y a point d'appel par le procureur du roi ou du seigneur dans les vingt-quatre heures, ils doivent mettre les accusés hors des prisons, & l'écrire sur le registre de la geole.

On doit pareillement, aux termes du même article, élargir ceux qui n'auront été condamnés qu'en des peines & réparations pécuniaires ; en consignant entre les mains du greffier les sommes adjugées pour amendes, aumônes & intérêt civils ; sans que, faute de payement d'épices, ou d'avoir levé les arrêts, sentences & jugemens, les prononciations & les élargissemens puissent être différés.

Enfin l'article xxx. défend aux geoliers, greffiers des geoles, guichetiers & cabaretiers ou autres, d'empêcher l'élargissement des prisonniers, pour frais, nourriture, gîte, geolage, ou aucune autre dépense. Voyez PRISON, PRISONNIER. (A)


ELASTICITÉS. f. ou FORCE ELASTIQUE, en Physique, propriété ou puissance des corps naturels, au moyen de laquelle ils se rétablissent dans la figure & l'étendue que quelque cause extérieure leur avoit fait perdre. Voyez ELASTIQUE.

Cette propriété se trouve à un degré plus ou moins grand dans presque tous les corps, il y en a même dont l'élasticité est presque parfaite, c'est-à-dire qui paroissent reprendre exactement la même figure qu'ils avoient avant la compression ; tels sont l'ivoire, l'acier trempé, le verre, &c. cependant il paroît presqu'impossible qu'il se trouve des corps absolument doüés d'une parfaite élasticité. En effet, lorsqu'un corps se bande & se débande, il faut de nécessité que quelques-unes des parties solides qui se touchent mutuellement, se repoussent & se retirent, & qu'elles souffrent de cette maniere un frottement considérable ; ce qui produit un très-grand obstacle au mouvement, & doit nécessairement faire perdre une partie de la force. Voyez DENSITE.

Il semble que l'élasticité soit différente, à proportion que les parties des corps sont plus ou moins compactes ; car plus on bat les métaux, plus ils deviennent compactes & élastiques. L'acier trempé a beaucoup plus d'élasticité que l'acier qui est mou, il est aussi beaucoup plus compacte ; car la pesanteur de l'acier trempé est à celle de l'acier non trempé, comme 7809 à 7738.

Outre cela, un corps paroît avoir d'autant plus d'élasticité qu'il est plus froid, apparemment parce que ses parties sont alors plus resserrées ; ainsi une corde de violon retentit avec plus de force en hyver qu'en été. L'élasticité de tous les corps reste constamment la même dans le vuide que dans l'air, pourvû seulement qu'on ait soin que ces corps ne deviennent ni humides, ni secs, ni froids, ni chauds. Musschenbr. essai de Phys. §. 448. & suiv.

On est fort partagé sur la cause de cette propriété des corps : les Cartésiens la déduisent d'une matiere subtile qui fait effort, selon eux, pour passer à-travers des pores devenus plus étroits ; ainsi, disent-ils, en bandant ou comprimant un corps élastique, par exemple un arc, ses particules s'éloignent l'une de l'autre du côté convexe, & s'approchent du côté concave, & par conséquent les pores se retrécissent du côté concave ; desorte que s'ils étoient ronds auparavant, ils deviennent ovales ; & la matiere du second élément tâchant de sortir des pores ainsi retrécis, doit en même tems faire effort, pour rétablir le corps dans l'état où il étoit lorsque les pores étoient plus ouverts & plus ronds, c'est-à-dire avant que l'arc fût bandé. Voyez CARTESIANISME.

D'autres philosophes expliquent l'élasticité à-peu-près comme les Cartésiens ; mais avec cette legere différence, qu'au lieu de la matiere du second élément des Cartésiens, ils substituent l'éther, ou un milieu très-subtil qui traverse librement les pores. Voyez ETHER.

Ces explications vagues sont bien éloignées de nous apprendre d'une maniere claire & distincte la cause de l'élasticité : car si les pores sont retrécis d'un côté, ils sont élargis de l'autre, de l'aveu des Cartésiens ; par conséquent la matiere subtile qui sort d'un côté, ira remplir les espaces qui lui sont pour ainsi dire ouverts à la surface convexe ; & elle les remplira avec d'autant plus de facilité, que cette matiere, selon les Cartésiens, est capable de prendre toutes sortes de figures, & ne tend à en conserver aucune.

C'est pourquoi le corps restera dans l'état de compression où il a été mis, & dont la matiere subtile ne peut avoir aucune action pour le tirer. D'ailleurs il paroît difficile d'expliquer par l'action de cette matiere, les vibrations successives des corps élastiques ; car une corde de violon, par exemple, qui a été frappée, ne se rétablit pas d'abord dans son premier état : quand elle est lâchée, non-seulement elle se débande, mais elle se jette du côté opposé, où elle forme une nouvelle courbure, & revient ensuite, en passant au-delà de son état de repos, pour former une nouvelle courbe : or comment par le simple écoulement d'un liquide, un corps peut-il faire autre chose que de se remettre dans la situation où il étoit ?

D'autres philosophes, à la tête desquels est le P. Malebranche, ont attribué l'élasticité à de petits tourbillons de matiere, dont ils ont supposé que tous les corps étoient remplis. Ces tourbillons, selon eux, sont applatis par la compression, & changent leur figure sphérique en une figure ovale : alors leur force centrifuge les rétablit dans leur premier état, aussi-bien que les parties des corps dans lesquelles ils sont engagés. Mais sur quoi est fondée l'existance de ces petits tourbillons ? elle n'est pas appuyée sur des fondemens plus solides que celle des grands tourbillons de Descartes. Voyez TOURBILLON. D'ailleurs, pourquoi l'action de ces tourbillons n'est-elle pas la même dans tous les corps, & pourquoi tous les corps dans ce système ne sont-ils pas élastiques ?

D'autres philosophes ont attribué l'élasticité à l'action de l'air ; mais ce sentiment tombe de lui-même, puisque l'élasticité subsiste dans la machine du vuide.

D'autres ont crû que la matiere subtile, ou l'éther, étoit lui-même élastique ; mais ce n'est pas là une explication : car on demandera de nouveau d'où peut provenir l'élasticité de l'éther, & la difficulté restera toujours la même.

D'autres enfin abandonnant la supposition gratuite de la matiere subtile, déduisent la cause de l'élasticité de l'attraction, cette grande loi de la nature, qui est, selon eux, la cause de la cohésion des solides & des corps durs. Voyez COHESION.

Supposons, disent-ils, qu'un corps dur soit frappé ou bandé de façon que les parties composantes sortent un peu de leur place, & s'éloignent un peu les unes des autres, mais sans se quitter tout-à-fait, & sans se rompre ou se séparer assez pour sortir de la sphere de cette force attractive qui les fait adhérer les unes aux autres ; alors il faudra nécessairement, lorsque la cause extérieure cessera d'agir, que toutes ces parties retournent à leur état naturel. Voyez ATTRACTION.

Cette explication ne paroît guere plus fondée que les précédentes à bien des philosophes ; car, disent-ils, il faudroit d'abord prouver l'existance de cette attraction entre les particules des corps terrestres. Voyez ATTRACTION. Il faudroit prouver de plus que cette attraction produit l'adhérence des parties. Voyez ADHERENCE, COHESION, RETERETE. D'ailleurs, en attribuant l'élasticité à l'attraction des parties, il resteroit à faire voir comment l'attraction ne produit l'élasticité que dans certains corps. Rien n'est si contraire à l'avancement de la Physique, que les explications vagues & sans précision. Il faut savoir douter & suspendre notre jugement dans les effets dont nous ne connoissons point les causes, & l'élasticité paroît être de ce nombre.

Ce que nous venons de dire ne s'adresse qu'aux philosophes audacieux, qui, prenant les phantômes de leur imagination pour les secrets de la nature, croyent rendre raison des phénomenes par des hypotheses hasardées & sans fondement, qu'ils regardent comme des démonstrations. Il n'en est pas de même de ceux qui, portant dans l'étude de la nature la sagacité & la sagesse de l'esprit observateur, ont la modestie de ne donner que pour de simples conjectures, des vûes souvent heureuses & fécondes. Telles sont celles que propose M. Diderot sur la cause de l'élasticité, dans ses Pensées sur l'interprétation de la Nature, ouvrage plein de réflexions profondes & philosophiques.

M. Diderot remarque d'abord que, quand on frappe une corde d'instrument divisée en deux parties par un leger obstacle, il s'y forme des ventres & des noeuds. Il pense qu'il en est de même de tout corps élastique ; que ce phénomene a plus ou moins lieu dans toute percussion ; que les parties oscillantes & les noeuds sont les causes du frémissement qu'on éprouve au toucher dans un corps élastique frappé ; que ce frémissement, ainsi que celui des cordes frappées, est plus ou moins fort, suivant la violence du coup, mais toûjours isochrone ; qu'ainsi on devroit appliquer au choc des corps élastiques, les lois des vibrations des cordes. Voyez CORDE & PERCUSSION.

De plus, imaginons que des molécules de matiere qui agissent les unes sur les autres par attraction, c'est-à-dire en général par quelque cause inconnue (car M. Diderot ne considere ici l'attraction que sous ce point de vûe), se disposent entr'elles d'une certaine maniere par leur action mutuelle ; il est visible que si on dérange ces particules, elles tendront à se remettre dans leur premier état, ou du moins à se coordonner entr'elles, relativement à la loi de leur action, & à celle de la force perturbatrice. Le système formé de telles particules, & que M. Diderot appelle A, est un corps élastique ; & en ce sens, dit-il, l'univers en seroit un : idée neuve, & qu'on peut adopter à bien des égards. Le système A dans le vuide sera indestructible, dans l'univers une infinité de causes tendront à l'altérer. Un corps élastique plié se rompra, quand les parties qui le constituent seront écartées par la force perturbatrice au-delà de la sphere de leur action ; il se rétablira quand l'écartement sera moins fort, & permettra à l'action mutuelle des particules de produire un effet.

Si les particules sont de différente matiere, de différente figure, & agissent suivant différentes lois, il en résultera une infinité de corps élastiques mixtes, c'est-à-dire des systèmes composés de deux ou plusieurs systèmes de particules différentes par leurs qualités & leur action. Si on chasse de ce composé un ou plusieurs systèmes, ou qu'on y en ajoûte un nouveau, la nature du corps changera ; ainsi le plomb diminuera d'élasticité, si on le met en fusion, c'est-à-dire si on coordonne entre ses particules un autre système composé de molécules d'air & de feu, qui le constituent plomb fondu. Voyez dans l'ouvrage cité, l'explication détaillée des conjectures de M. Diderot, que nous exposons ici dans un raccourci qui leur fait tort.

Lois de l'élasticité. Pour venir à bout de découvrir la nature & les lois de l'élasticité, nous en considérerons les phénomenes. Nous supposerons donc d'abord, que tous les corps dans lesquels on observe cette puissance, soient composés ou puissent être conçûs composés de petites cordes ou fibres qui, par leur union, constituent ces corps ; & pour considérer l'élasticité dans le cas le plus simple, nous prendrons pour exemple les cordes de musique.

Les fibres n'ont d'élasticité qu'autant qu'elles sont étendues par quelque force, comme on voit par les cordes lâches, qu'on peut faire changer facilement de position, sans qu'elles puissent reprendre la premiere qu'elles avoient, quoique cependant on n'ait pas encore déterminé exactement par expérience, quel est le degré de tension nécessaire pour faire appercevoir l'élasticité.

Quand une fibre est trop tendue, elle perd son élasticité. Quoiqu'on ne connoisse pas non plus le degré de tension qu'il faudroit pour détruire l'élasticité, il est certain au moins que l'élasticité dépend de la tension, & que cette tension a des limites où l'élasticité commence & où elle cesse.

Si cette observation ne nous fait pas connoître la cause propre & adéquate de l'élasticité, elle nous fait voir au moins, la différence qu'il y a entre les corps élastiques & les corps non-élastiques ; comment il arrive qu'un corps perd son élasticité, & comment un corps destitué de cette force, vient à l'acquérir. Ainsi une plaque de métal devient élastique à force d'être battue ; & si on la fait chauffer, elle perd cette propriété.

Entre les limites de tension qui sont les termes de l'élasticité, on peut compter différens degrés de force, nécessaires pour donner différens degrés de tension, & pour tendre les cordes à telle ou telle longueur. Mais quelle est la proportion de ces forces par rapport aux longueurs des cordes ? c'est ce qu'on ne sauroit déterminer que par des expériences faites avec des cordes de métal ; & comme les allongemens de ces cordes sont à peine sensibles, il s'ensuit de-là qu'on ne sauroit mesurer directement ces proportions, mais qu'il faut pour cela se servir d'un moyen particulier & indirect. Gravesande s'est donné beaucoup de peine pour déterminer ces lois : voici le résultat des expériences qu'il a faites pour cela.

1°. Les poids qu'il faut pour augmenter une fibre par la tension jusqu'à un certain degré, sont dans différens degrés de tension, comme la tension même. Si, par exemple, nous supposons trois fibres de même longueur & de même épaisseur, dont les tensions soient comme 1, 2, 3, des poids qui seront dans la même proportion les tendront également.

2°. Les plus petits allongemens des mêmes fibres seront entr'eux à-peu-près comme les forces qui les allongent ; proportion qu'on peut appliquer aussi à leur inflexion.

3°. Dans les cordes de même genre, de même épaisseur & également tendues, mais de différentes longueurs, les allongemens produits en ajoûtant des poids égaux, sont les uns aux autres comme les longueurs des cordes ; ce qui vient de ce que la corde s'allonge dans toutes ses parties, & que par conséquent, l'allongement d'une corde totale est double de l'allongement de sa moitié, ou de l'allongement d'une corde soûdouble.

4°. On peut comparer de la même maniere les fibres de même espece, mais de différente épaisseur, en comparant d'abord un plus ou moins grand nombre de fibres déliées de la même épaisseur ; & prenant ensuite le nombre total des fibres, en raison de la solidité des cordes, c'est-à-dire comme les quarrés des diamêtres des cordes, ou comme leur poids, lorsque leurs longueurs sont égales. De telles cordes doivent donc être étendues également par des forces que l'on supposera en raison des quarrés de leurs diamêtres. Le même rapport doit aussi se trouver entre les forces qu'il faut pour courber des cordes, de façon que les fleches de la courbure soient égales dans des fibres données.

5°. Le mouvement d'une fibre tendue suit les mêmes lois que celui d'un corps qui fait ses oscillations dans une cycloïde ; & quelqu'inégales que soient les vibrations, elles se font toûjours dans un même tems. Voyez CYCLOÏDE & CORDE.

6°. Deux cordes étant supposées égales, mais inégalement tendues, il faut des forces égales pour les fléchir également : on peut comparer leurs mouvemens à ceux de deux pendules, auxquels deux forces différentes feroient décrire des arcs semblables de cycloïde, & par conséquent les quarrés des tems des vibrations des fibres sont les uns aux autres en raison inverse des forces qui les fléchissent également, c'est-à-dire des poids qui tendent les cordes. Voyez PENDULE.

7°. On peut encore comparer d'une autre maniere les mouvemens des cordes semblables également tendues, avec ceux des pendules ; car comme on fait attention aux tems des vibrations, il faut aussi faire attention aux vîtesses avec lesquelles les cordes se meuvent : or ces vîtesses sont entr'elles en raison composée de la directe des poids qui fléchissent les cordes, & de l'inverse des quantités de matieres contenues dans les cordes, c'est-à-dire de la longueur de ces cordes. Les vîtesses sont donc en raison inverse des quarrés des longueurs, & des quarrés des tems des vibrations.

Les lames ou plaques élastiques peuvent être considérées comme un amas ou faisceau de cordes élastiques paralleles. Lorsque la plaque se fléchit, quelques-unes des fibres s'allongent, & les différens points d'une même plaque sont différemment allongés.

On explique l'élasticité d'un fluide, en supposant à toutes ses parties une force centrifuge ; & M. Newton (Princ. matth. prop. xxiij. lib. II.) prouve d'après cette supposition, que les particules qui se repoussent ou se fuient mutuellement les unes les autres par des forces réciproquement proportionnelles aux distances de leur centre, doivent composer un fluide élastique dont la densité soit proportionnelle à sa compression ; & réciproquement, que si un fluide est composé de parties qui se fuient & s'évitent mutuellement les unes les autres, & que sa densité soit proportionnelle à la compression, la force centrifuge de ces particules sera en raison inverse de leurs distances. Voyez FLUIDE.

Au reste il faut regarder cette démonstration comme purement mathématique, & non comme déduite de la véritable cause physique de l'élasticité des fluides. Quelle que soit la cause de cette élasticité, il est constant qu'elle tend à rapprocher les parties desunies ou éloignées, & que par conséquent on peut la réduire, quant aux effets, à l'action d'une force centrifuge par laquelle les particules du fluide se repoussent mutuellement, sans qu'il soit nécessaire de supposer l'existance réelle d'une pareille force centrifuge. La démonstration subsiste donc, quelle que soit la cause physique de l'élasticité des fluides.

M. Daniel Bernoulli a donné dans son Hydrodynamique, les lois de la compression & du mouvement des fluides élastiques. Il en tire la théorie de la compression de l'air, & de son mouvement en passant par différens canaux ; de la force de la poudre pour mouvoir les boulets de canon, &c. Dans mon traité de l'équilibre & du mouvement des fluides, imprimé à Paris en 1744, j'ai aussi donné les lois de l'équilibre & du mouvement des fluides élastiques. J'y remarque que le mouvement d'un fluide élastique differe principalement de celui d'un fluide ordinaire, par les lois des vîtesses de ses différentes couches. Ainsi quand un fluide non-élastique se meut dans un vase cylindrique, toutes les couches de ce fluide se meuvent avec une égale vîtesse ; mais il n'en est pas de même quand le fluide est élastique ; car si ce fluide se meut dans un cylindre dont un des bouts soit fermé, la vîtesse de ses tranches est d'autant plus grande, qu'elles sont plus éloignées de ce fond, à-peu-près comme il arrive à un ressort fixé par une de ses extrémités, & dont les parties parcourent en se débandant d'autant plus d'espace, qu'elles sont plus éloignées du point fixe. Du reste la méthode pour déterminer les lois du mouvement des fluides élastiques, est la même pour déterminer celles des autres fluides. M. Bernoulli, dans ses recherches sur le mouvement des fluides élastiques, avoit supposé la chaleur du fluide constante, & l'élasticité proportionnelle à la densité. Pour moi j'ai supposé que l'élasticité agît suivant telle loi qu'on voudra.

M. Jacques Bernoulli, dans les mém. acad. 1703, où il donne la théorie de la tension des fibres élastiques de différentes longueurs, ou de leur compression par différens poids, remarque avec raison que la compression des fibres élastiques n'est pas exactement proportionnelle au poids comprimant ; & la preuve démonstrative qu'il en apporte, c'est qu'une fibre élastique ne peut pas être comprimée à l'infini ; que dans son dernier état de compression elle a encore quelqu'étendue ; & que quelque poids qu'on ajoûtât alors au poids comprimant, la compression ne pourroit pas être plus grande : d'où il s'ensuit évidemment que la compression n'augmente pas généralement en raison du poids.

Or ce que nous venons de remarquer d'après M. Jacques Bernoulli, sur la regle des pressions proportionnelles aux poids, a lieu dans les fluides élastiques ; par conséquent la regle qui fait les compressions proportionnelles aux poids dans les fluides élastiques (voyez AIR & ATMOSPHERE), ne sauroit être qu'une regle approchée. J'aimerois mieux dire, & ce seroit peut-être parler plus exactement, que la différence des compressions de l'air est proportionnelle aux poids comprimans ; mais que comme la compression de l'air est fort petite lorsque le poids comprimant = 0, c'est-à-dire, comme l'air dans son état naturel est extrêmement dilaté, les expériences ont fait croire que les compressions de l'air étoient comme les poids, quoique cette proportion n'ait pas lieu rigoureusement : car soit P la compression de l'air dans son état naturel, & P + A, & P + B les compressions de ce même air par les deux poids a, b ; comme on suppose A & B fort grandes par rapport à P, il est évident qu'au lieu de la proportion a. b : : A. B, on peut prendre la proportion approchée a. b : : P + A : P + B. Voyez mes recherches sur la cause des vents, art. 81.

Sur les phénomenes de l'élasticité de l'air, voyez les mots AIR & ATMOSPHERE. C'est l'élasticité de l'air, & non son poids, qui est la cause immédiate de la suspension du mercure dans le barometre ; car l'air d'une chambre soûtient le mercure en vertu de son ressort : ainsi plus le ressort ou l'élasticité de l'air augmentent, plus le mercure doit monter, & au contraire. Les variations du barometre sont donc l'effet du changement de l'élasticité dans l'air, autant que du changement qui arrive dans son poids ; & comme, outre le poids de l'air, il y a une infinité de causes qui peuvent faire changer l'élasticité de l'air, comme la chaleur, l'humidité, le froid, la sécheresse, il s'ensuit que toutes ces causes concourent à la suspension plus ou moins grande du mercure. Voyez RESSORT, FLUIDE, BAROMETRE, &c. (O)

ELASTICITE, (Physiologie) dans l'économie animale, se dit de la force par laquelle les parties, dont on conçoit que la fibre simple est composée, tendent à rester unies entr'elles ; ou à se réunir, si elles sont séparées, sans solution de continuité : si cette force vient à excéder par quelle cause que ce soit, elle rend les fibres roides ; si elle est trop diminuée, elle donne lieu à la débilité des fibres. Voyez FIBRE, ELASTIQUE, & l'article suivant. (d)


ELASTIQUEadj. (Physique) corps élastique ou à ressort, est celui qui étant frappé ou étendu perd d'abord sa figure, mais fait effort par sa propre force pour la reprendre ; ou qui, quand il est comprimé, condensé, &c. fait effort pour se mettre en liberté, & pour repousser les corps qui le compriment, comme une lame d'épée, un arc, &c. qui se bandent aisément, mais qui reviennent bien-tôt après à leur premiere figure & à leur premiere étendue. Voyez ÉLASTICITE. Tel est encore un ballon plein d'air.

Les corps élastiques sont ou naturels ou artificiels. Les principaux parmi les artificiels, pour le degré de force élastique, sont les arcs d'acier, les boules d'airain, d'ivoire, de marbre, &c. les cuirs & les peaux, les membranes, les cordes ou fils d'airain, de fer, d'argent & d'acier, les nerfs, les boyaux, les cordes de lin & de chanvre.

Les principaux entre les naturels sont les éponges, les branches d'arbres verds, la laine, le coton, les plumes, &c. On dispute si l'eau a ou n'a point de force élastique, plusieurs philosophes croyent qu'elle n'en a point ou peu par elle-même, & que si elle en montre quelquefois, on doit l'attribuer à l'air qui y est contenu. Voyez EAU.

Les principaux phénomenes qu'on observe dans les corps élastiques, sont qu'un corps élastique (nous supposons ici ce corps parfaitement élastique, & nous imaginons qu'il y en ait de tels) fait effort pour se remettre dans l'état où il étoit avant la compression, avec la même quantité de force qui a été employée à le presser ou à le bander ; car la force avec laquelle on tire une corde, est la même que celle avec laquelle cette corde résiste à la traction ; de même un arc reste bandé, tant qu'il y a équilibre entre la force qui est employée à le bander & celle avec laquelle il résiste.

2°. Les corps élastiques exercent également leur force en tout sens, quoique l'effet se fasse principalement appercevoir du côté où la résistance est la moins forte, ce qui se voit évidemment dans l'exemple d'un arc qui lance une fleche, du canon lorsque le boulet en sort, &c. Voyez RECUL.

3°. Les corps élastiques sonores, de quelque maniere qu'on les frappe ou qu'on les pousse, font toûjours à-peu-près les mêmes vibrations ; ainsi une cloche rend toûjours un même son de quelque maniere ou de quelque côté qu'on la frappe. De même une corde de violon rend toûjours le même son, à quelqu'endroit qu'on la pousse avec l'archet. Or les différens sons consistent, comme l'on sait, dans la fréquence plus ou moins grande des vibrations du corps sonore. Voyez CORDE & SON.

4°. Un corps parfaitement fluide, s'il y en a de tels, ne sauroit être élastique, parce que ses parties ne sauroient être comprimées. Voyez FLUIDE.

5°. Un corps parfaitement solide, s'il y en avoit de tels, ne sauroit être parfaitement élastique, parce que n'ayant point de pores il ne sauroit être susceptible de compression. Voyez SOLIDE.

6°. Les corps durs, longs & flexibles propres à acquérir de l'élasticité, l'acquerent principalement de trois manieres, par leur extension, leur contraction, ou leur tension.

7°. Lorsque les corps se dilatent par leur force élastique, ils employent pour cela une moindre force dans le commencement de leur dilatation que vers la fin, parce que c'est à la fin qu'ils sont le plus comprimés, & que leur résistance est toûjours égale à la compression.

8°. Le mouvement par lequel les corps comprimés se remettent dans leur premier état, est ordinairement un mouvement accéleré. Voyez DILATATION. Quant aux lois du mouvement & de la percussion dans les corps élastiques, voyez sur cela les articles MOUVEMENT & PERCUSSION. Voyez aussi RESSORT.

Je ferai seulement ici les deux observations suivantes :

1°. On suppose ordinairement qu'un corps élastique à ressort parfait, qui vient frapper un plan inébranlable, reçoive par le débandement du ressort une vîtesse précisément égale, & en sens contraire à celle qu'il avoit en frappant le plan. Il faut cependant remarquer qu'un corps élastique peut se rétablir parfaitement dans sa figure, en perdant beaucoup de sa vîtesse : en voici la preuve. Supposons deux corps A, B, durs, unis ensemble par un ressort attaché à tous les deux, & supposons que ce système vienne à frapper perpendiculairement un plan inébranlable avec la vîtesse a ; il est certain que le corps antérieur A perdra d'abord tout son mouvement, qu'ensuite le corps B avancera contre le plan & contre le corps A, en comprimant le ressort avec la vîtesse a, & que ce ressort en se débandant lui rendra la vîtesse a, laquelle étant partagée aux deux masses A, B, deviendra (A a)/(A + B) ; donc la vîtesse du système des deux corps A, B, sera moindre après le choc qu'auparavant, quoique le système conserve la même figure. Pour qu'un corps élastique ne perdît rien de sa vîtesse par le choc, il faudroit supposer que le ressort dont il est pourvû rendît ses parties susceptibles de division à l'infini, ensorte que quand il choque un plan, il n'y eût que la partie infiniment petite contiguë au plan, qui perdît tout-à-coup sa vîtesse, les autres parties ne perdant la leur que par degrés insensibles. Or on sent bien que cette supposition est plus mathématique que physique ; en effet l'expérience prouve que les corps élastiques les plus parfaits, perdent quelque partie de leur vîtesse par le choc, sans que leur figure soit aucunement altérée.

2°. M. Mariotte, dans son traité du choc des corps, dit que si on frappe un cerceau avec un bâton pour le faire avancer, la partie du cerceau opposée à la partie choquée avancera vers le bâton & s'applatira, tandis que le cerceau entier ira en-avant ; ce phénomene est aisé à expliquer par les principes qu'on peut lire au mot DYNAMIQUE. Le cerceau étant en repos au moment du choc, on peut regarder son repos actuel comme composé de deux mouvemens égaux & contraires, l'un progressif & l'autre opposé à celui-là, & contraire à l'impulsion du bâton ; donc en vertu de ce dernier mouvement, le cerceau est dans le même état que s'il étoit poussé directement contre le bâton. Or dans ce cas il est évident qu'il doit s'applatir par la partie la plus éloignée du bâton. Donc, &c. Voyez PERCUSSION.

Les mots élastique, élasticité, viennent du grec , pousser, chasser. (O)

ELASTIQUE, adj. pris subst. ou COURBE ELASTIQUE, (Géométrie & Méchan.) est le nom que M. Jacques Bernoulli a donné à la courbe que forme une lame de ressort, fixée horisontalement par une de ses extrémités à un plan vertical, & chargée à l'autre extrémité d'un poids qui par sa pesanteur oblige cette lame de se courber ; la détermination de cette courbe est un problème de la plus sublime Géométrie. On peut voir l'analyse que M. Jacques Bernoulli en a donnée dans les mémoires de l'académie des Sciences de Paris de 1703. Plusieurs savans géomêtres ont donné depuis ce tems différentes solutions de ce problème ; on en trouve plusieurs très-élégantes dans le tome III. des mémoires de l'académie de Petersbourg.

Cette courbe est la même que celle que formeroit un linge A C B (fig. 67. Méchaniq.) parfaitement flexible, fixé horisontalement par ses deux extrémités A, B, & chargé d'un fluide qui rempliroit la cavité A C B. Voyez cette proposition démontrée dans l'essai de M. Jean Bernoulli sur une nouvelle théorie de la manoeuvre des vaisseaux, imprimé à Bâle en 1714, & réimprimé depuis à Lausanne, 1743, dans le recueil in-4°. des oeuvres de M. Jean Bernoulli. Je dis 1743, quoique le titre porte 1742 ; parce qu'il y a au commencement du premier volume deux écrits de M. Bernoulli & de l'éditeur, datés de 1743.

On peut voir aussi dans le tome IV. des oeuvres de M. Jean Bernoulli, page 242, une solution du problème de l'élastique ; elle est fondée sur ces deux principes : 1° que le poids tendant exerce sur chaque point de l'élastique une force proportionnelle à sa distance : 2° que la courbure dans chaque point est en raison de la force tendante ; d'où il s'ensuit que si on nomme x la distance d'un point quelconque à la ligne de direction du poids tendant, on aura le rayon de la développée 3/2 = 1/x ; d'où l'on tire en regardant d x comme constant, x x/2 = - & = d y, équation de l'élastique. Or il est évident que cette courbe est la même que celle du linge dont il a été parlé ci-dessus, puisque la pression dans chaque point du linge est proportionnelle à x, c'est-à-dire à la hauteur, & que cette pression est de plus proportionnelle à la courbure, ou en raison inverse du rayon de la développée. Voyez COURBURE, DEVELOPPEE, CULATEURTEUR. (O)


ELATERISTESadj. plur. (Physique) terme de M. Boyle, pour désigner ceux qui tiennent pour l'élasticité & la pesanteur de l'air. Ces deux propriétés de l'air étant généralement reconnues aujourd'hui, les Elatéristes ne font plus une secte. (O)


ELATERIUM(Pharmacie & Matiere médicale) ce mot qui vient du grec , je chasse avec force, étoit employé par Hippocrate pour exprimer les purgatifs violens ; on le donna ensuite au concombre sauvage, & enfin il fut consacré pour exprimer une préparation du suc de cette plante ; préparation fort usitée chez les anciens, & dont Hippocrate même fait mention.

Il paroît qu'on apportoit beaucoup d'attention à la préparation de ce remede ; que les différens auteurs qui nous l'ont transmise ont décrit cependant d'une maniere si confuse & si peu uniforme, qu'ils ne nous ont pas appris ce que c'étoit précisément.

Dioscoride, qui paroît en avoir parlé le plus clairement, dit qu'il faut aller sur le lieu où sont les concombres sauvages, dont les fruits touchent à leur parfaite maturité, les mettre dans l'instant qu'on les a cueillis sur un tamis, les y fendre en deux, recevoir dans un bassin posé sous le tamis le suc qui coulera, en séparer quand il sera tout ramassé & reposé la partie claire d'avec l'épaisse & mucilagineuse, & garder celle-ci, qui étant desséchée, étoit le véritable & le meilleur elaterium.

Comme les fruits du concombre sauvage ne mûrissent que les uns apres les autres, qu'il falloit les prendre au moment précis, pour ainsi dire, qui précédoit leur maturité parfaite, parce qu'un moment plus tard ils tomboient d'eux-mêmes & dardoient leurs graines & leur suc, ce qui les rendoit inutiles ; M. Boulduc, mém. de l'acad. royale des Sciences, année 1719, juge que la pratique des anciens devoit être fort pénible, si elle n'étoit quelque chose de plus.

Galien, ou du moins l'auteur de l'ouvrage intitulé de dynamidiis, donne la façon de faire l'elaterium en ces termes : exprimez, dit-il, le suc du concombre sauvage tandis qu'il n'est pas encore mûr, après quoi versez ce suc exprimé dans un vase plein d'eau ; ramassez ce qui surnagera, & le faites secher au soleil.

Mais quoi qu'il en soit de la façon de préparer l'elaterium, on ne s'en sert plus aujourd'hui parmi nous, malgré tous les travaux de M. Boulduc, qui s'est attaché à en faire un qui pût produire les effets qu'en promettoient les anciens ; objet qu'il a rempli en tirant de la racine seche de concombre sauvage, par une simple décoction, un extrait qu'il préféroit à celui de toutes les autres parties de la même plante, & qu'il a reconnu par expérience pour un hydragogue fort doux, mais puissant à la dose de 24 jusqu'à 30 grains. Le même M. Boulduc recommande aussi le fruit du concombre sauvage, séché & pulvérisé, comme un bon hydragogue.

Les expériences de notre académicien lui ont appris que le concombre sauvage ne contenoit presque pas de principe résineux, & que c'étoit une plante purement extractive.

Les anciens faisoient prendre l'elaterium depuis 4 grains jusqu'à 12, à cette dose il purgeoit par le vomissement & par les selles. Voyez CONCOMBRE SAUVAGE. (b)


ELAVÉadj. (Venerie) il se dit d'un poil mollasse & blafart en couleur ; en fait de bête à chasser & de chiens, c'est une marque de foiblesse en eux.


ELBE(Géog. mod.) île située sur la côte de Toscane, vis-à-vis de Piombino.

ELBE, (Géog. mod.) fleuve qui a sa source aux monts des Géans, sur les confins de la Boheme & de la Silésie, il traverse la Misnie & la Saxe, & se jette dans la mer au-dessus de Hambourg.


ELBEUF(Géog. mod.) gros bourg de Normandie, en France ; il a titre de duché-pairie : il est situé sur la Seine. Long. 18. 38. lat. 49. 20.


ELBING(Géog. mod.) capitale de la contrée de Hockerland, à la Prusse royale, au palatinat de Mariembourg, en Pologne : elle n'est pas éloignée de la mer Baltique. Long. 37. 40. lat. 54. 12.


ELBOURG(Géog. mod.) ville du duché de Gueldres, aux Provinces-Unies : elle est située sur le Zuiderzée. Long. 23. 20. lat. 54. 12.


ELCATIF(Géog. mod.) ville de l'Arabie heureuse, sur la côte occidentale du golfe Persique, en Asie. Long. 70. 40. lat. 26.


ELCESAITESHELCESAITES ou ELCESAIENS, comme les appelle Théodoret, s. m. plur. (Théol. & Hist. ecclés.) hérétiques qui parurent au commencement du second siecle de l'Eglise, & qui prirent leur nom d'Elcesaïe ou d'Elxaï leur chef. Il vivoit du tems de Trajan.

On connoîtra leurs principaux dogmes, par les rêveries que débitoit ce fanatique. Elxaï étoit Juif d'origine & de sentimens, mais il n'observoit pas la loi. Il se prétendit inspiré, composa un livre où il ordonnoit à ses sectateurs une forme de serment mystérieux par le sel, l'eau, la terre, le pain, le ciel, l'air, & le vent. D'autres fois il leur ordonnoit de prendre sept autres témoins de la vérité, le ciel, l'eau, les esprits, les SS. anges de la priere, l'huile, le sel, & la terre. Des livres du nouveau Testament & de ceux de l'ancien, il n'admettoit que quelques passages détachés. Ce prétendu prophete contraignoit ses sectateurs au mariage. Il disoit qu'on pouvoit, sans pécher, céder à la persécution, adorer les idoles, & dissimuler sa foi au-dehors, pourvû que le coeur n'y eût point de part. Il reconnoissoit le Christ pour le grand roi ; mais il ne paroissoit pas clairement par son livre, si sous ce nom il désignoit J. C. ou s'il en entendoit un autre. Il défendoit de prier vers l'orient, & vouloit qu'on tournât le visage vers Jérusalem en quelque pays que l'on fût. Il condamnoit les sacrifices comme indignes de Dieu, & ne lui ayant, disoit-il, été offerts ni par les peres, c'est-à-dire les patriarches, ni en vertu de la loi. Il défendoit de manger de la chair comme faisoient les Juifs, & rejettoit l'autel & le feu ; mais il croyoit que l'eau étoit bonne, ce qui pourroit faire conjecturer qu'il admettoit une sorte de baptême.

Elxaï décrivoit le Christ comme une vertu céleste qui, née dès le commencement du monde, avoit paru de tems en tems sous divers corps, & il en décrivoit ainsi les dimensions : Vingt-quatre schoenes en longueur, c'est-à-dire quatre-vingt-seize mille pas, six schoenes en largeur, ou vingt-quatre mille pas, & l'épaisseur à proportion. Ces mesures semblent avoir été forgées sur une interprétation grossiere de ces paroles de S. Paul aux Ephesiens, ch. iij. . 18. ut possitis comprehendere cum omnibus sanctis, quae sit latitudo, & longitudo, & sublimitas, & profundum. Par une erreur semblable, il donnoit au saint Esprit le sexe féminin, parce qu'en Hébreu rouats ou rouach, qui signifie esprit, est de ce genre. Il le faisoit semblable au Christ & posé devant lui, droit comme une statue, sur un nuage entre deux montagnes, & toutefois invisible. Il donnoit à l'un & à l'autre la même mesure, & prétendoit l'avoir connue par la hauteur des montagnes, parce que leurs têtes y atteignoient. Enfin, il enseignoit dans son livre une priere en termes barbares, dont il défendoit de chercher l'explication, & que S. Epiphane traduit ainsi : la bassesse, la condamnation, l'oppression, la peine de mes peres est passée par la mission parfaite qui est venue. Ce pere, Origene, & Eusebe ont parlé des Elcésaïtes. Le premier les nomme aussi Samséens, du mot hébreu sames, qui signifie le soleil. Scaliger s'est trompé en prétendant qu'Elxaï étoit le même qu'Essaï ou Ezen ; & par une suite de sa premiere erreur, il a confondu les Elcesaïtes avec la secte des Esséens. Les disciples d'Elxaï se joignirent à ceux d'Ebion, & gardoient comme eux la circoncision ; ils subsisterent plusieurs siecles, quoiqu'Eusebe, liv. VI. ch. xxxviij. assûre le contraire. Fleury, hist. ecclés. liv. I. tom. II. pag. 291. & 92. (G)


ELCHE(Géog. mod.) ville du royaume de Valence en Espagne. Elle est située sur la Segre. Long. 17. 25. lat. 38. 10.


ELÉATIQUE(SECTE) Hist. de la Philosophie. La secte éléatique fut ainsi appellée d'Elée, ville de la grande Grece, où naquirent Parménide, Zénon, & Leucippe, trois célebres défenseurs de la philosophie dont nous allons parler.

Xénophane de Colophone passe pour le fondateur de l'Eléatisme. On dit qu'il succéda à Telauge fils de Pythagore, qui enseignoit en Italie la doctrine de son pere. Ce qu'il y a de certain, c'est que les Eléatiques furent quelquefois appellés Pythagoriciens.

Il se fit un grand schisme dans l'école éléatique, qui la divisa en deux sortes de philosophes qui conserverent le même nom, mais dont les principes furent aussi opposés qu'il étoit possible qu'ils le fussent ; les uns se perdant dans des abstractions, & élevant la certitude des connoissances métaphysiques aux dépens de la science des faits, regarderent la physique expérimentale & l'étude de la nature comme l'occupation vaine & trompeuse d'un homme qui, portant la vérité en lui-même, la cherchoit au-dehors, & devenoit de propos délibéré le joüet perpétuel de l'apparence & des phantômes : de ce nombre furent Xénophane, Parménide, Mélisse, & Zénon ; les autres, au contraire, persuadés qu'il n'y a de vérité que dans les propositions fondées sur le témoignage de nos sens, & que la connoissance des phénomenes de la nature est la seule vraie philosophie, se livrerent tout entiers à l'étude de la Physique : & l'on trouve à la tête de ceux-ci les noms célebres de Leucippe, de Démocrite, de Protagoras, de Diagoras, & d'Anaxarque. Ce schisme nous donne la division de l'histoire de la philosophie éléatique, en histoire de l'Eléatisme métaphysique, & en histoire de l'Eléatisme physique.

Histoire des éléatiques métaphysiciens. Xénophane vécut si long-tems, qu'on ne sait à quelle année rapporter sa naissance. La différence entre les historiens est de vingt olympiades : mais il est difficile d'en trouver une autre que la cinquante-sixieme, qui satisfasse à tous les faits donnés. Xénophane, né dans la cinquante-sixieme olympiade, put apprendre les élémens de la Grammaire, tandis qu'Anaximandre fleurissoit ; entrer dans l'école pythagoricienne à l'âge de vingt-cinq ans, professer la philosophie jusqu'à l'âge de quatre-vingt-douze, être témoin de la défaite des Perses à Platée & à Marathon, voir le regne d'Hiéron, avoir Empedocle pour disciple, atteindre le commencement de la quatre-vingt-unieme olympiade, & mourir âgé de cent ans.

Xénophane n'eut point de maître. Persécuté dans sa patrie, il se retira à Zancle ou à Catane dans la Sicile. Il étoit poëte & philosophe. Réduit à la derniere indigence, il alla demander du pain à Hiéron. Demander du pain à un tyran ! il valoit encore mieux chanter ses vers dans les rues ; cela eût été plus honnête & plus conforme aux moeurs du tems. Indigné des fables qu'Homere & Hésiode avoient débitées sur le compte des dieux, il écrivit contre ces deux poëtes ; mais les vers d'Hésiode & d'Homere sont parvenus jusqu'à nous, & ceux de Xénophane sont tombés dans l'oubli. Il combattit les principes de Thalès & de Pythagore ; il harcela un peu le philosophe Epiménide ; il écrivit l'histoire de son pays ; il jetta les fondemens d'une nouvelle philosophie dans un ouvrage intitulé de la nature. Ses disputes avec les philosophes de son tems, servirent aussi d'aliment à la mauvaise humeur de Timon ; je veux dire que le misantrope s'en réjoüissoit intérieurement, quoiqu'il en parût fâché à l'extérieur.

Nous n'avons point les ouvrages des Eléatiques ; & l'on accuse ceux d'entre les anciens qui ont fait mention de leurs principes, d'avoir mis peu d'exactitude & de fidélité dans l'exposition qu'ils nous en ont laissée. Il y a toute apparence que les Eléatiques avoient la double doctrine. Voici tout ce qu'on a pu recueillir de leur métaphysique & de leur physique.

Métaphysique de Xénophane. Rien ne se fait de rien. Ce qui est a donc toûjours été : mais ce qui est éternel est infini ; ce qui est infini est un : car où il y a dissimilitude, il y a pluralité. Ce qui est éternel, infini, un, par-tout le même, est aussi immuable & immobile : car s'il pouvoit changer de lieu, il ne seroit pas infini ; & s'il pouvoit devenir autre, il y auroit en lui des choses qui commenceroient, & des choses qui finiroient sans cause ; il se feroit quelque chose de rien, & rien de quelque chose ; ce qui est absurde. Il n'y a qu'un être qui soit éternel, infini, un, immuable, immobile, tout ; & cet être est Dieu. Dieu n'est point corps ; cependant sa substance s'étendant également en tout sens, remplit un espace immense sphérique. Il n'a rien de commun avec l'homme. Dieu voit tout, entend tout, est présent à tout ; il est en même tems l'intelligence, la durée, la nature ; il n'a point notre forme ; il n'a point nos passions ; ses sens ne sont point tels que les nôtres.

Ce système n'est pas éloigné du Spinosisme. Si Xénophane semble reconnoître deux substances dont l'union intime constitue un tout, qu'il appelle l'univers ; d'un autre côté l'une de ces substances est figurée, & ne peut, selon ce philosophe, se concevoir distinguée & séparée de l'autre que par abstraction. Leur nature n'est pas essentiellement différente ; d'ailleurs cette ame de l'univers que Xénophane paroît avoir imaginée, & que tous les Philosophes qui l'ont suivi ont admise, n'étoit rien de ce que nous entendons par un esprit.

Physique de Xénophane. Il n'y a qu'un univers ; mais il y a une infinité de mondes. Comme il n'y a point de mouvement vrai, il n'y a en effet ni génération, ni dépérissement, ni altération. Il n'y a ni commencement, ni fin de rien, que des apparences. Les apparences sont les seules processions réelles de l'état de possibilité à l'état d'existance, & de l'état d'existance à celui d'annihilation. Les sens ne peuvent nous élever à la connoissance de la raison premiere de l'univers. Ils nous trompent nécessairement sur ses lois. Il ne nous vient de science solide que de la raison ; tout ce qui n'est fondé que sur le témoignage des sens est opinion. La Métaphysique est la science des choses ; la Physique est l'étude des apparences. Ce que nous appercevons en nous, est ; ce que nous appercevons hors de nous, nous paroît. Mais la seule vraie philosophie est des choses qui sont, & non de celles qui paroissent.

Malgré ce mépris que les Eléatiques faisoient de la science des faits & de la connoissance de la nature, ils s'en occupoient sérieusement ; ils en jugeoient seulement moins favorablement que les philosophes de leur tems. Ils auroient été d'accord avec les Pyrrhoniens sur l'incertitude du rapport des sens ; mais ils auroient défendu contre eux l'infaillibilité de la raison.

Il y a, disoient les Eléatiques, quatre élémens ; ils se combinent pour former la terre. La terre est la matiere de tous les êtres. Les astres sont des nuages enflammés : ces gros charbons s'éteignent le jour & s'allument la nuit. Le Soleil est un amas de particules ignées, qui se détruit & se reforme en 24 heures ; il se leve le matin comme un grand brasier allumé de vapeurs récentes : ces vapeurs se consument à mesure que son cours s'avance ; le soir il tombe épuisé sur la terre ; son mouvement se fait en ligne droite : c'est la distance qui donne à l'espace qu'il parcourt, une courbure apparente. Il y a plusieurs Soleils ; chaque climat, chaque zone a le sien. La Lune est un nuage condensé ; elle est habitée ; il y a des régions, des villes. Les nuées ne sont que des exhalaisons, que le Soleil attire de la surface de la terre ; est-ce l'affluence des mixtes qui se précipitent dans les mers qui les sale ? Les mers ont couvert toute la terre ; ce phénomene est démontré par la présence des corps marins sur sa surface & dans ses entrailles. Le genre humain finira lorsque la terre étant entraînée au fond des mers, cet amas d'eau se répandra également par-tout, détrempera le globe, & n'en formera qu'un bourbier ; les siecles s'écouleront, l'immense bourbier se séchera, & les hommes renaîtront. Voilà la grande révolution de tous les êtres.

Ne perdons point de vûe au milieu de ces puérilités, plusieurs idées qui ne sont point au-dessous de la philosophie de nos tems ; la distinction des élémens, leur combinaison, d'où résulte la terre ; la terre, principe général des corps ; l'apparence circulaire, effet de la grande distance ; la pluralité des mondes & des Soleils ; la Lune habitée ; les nuages formés des exhalaisons terrestres ; le séjour de la mer sur tous les points de la surface de la terre. Il étoit difficile qu'une science qui en étoit à son alphabet, rencontrât un plus grand nombre de vérités ou d'idées heureuses.

Tel étoit l'état de la philosophie éléatique, lorsque Parménide naquit. Il étoit d'Elée. Il eut Zénon pour disciple. Il s'entretint avec Socrate. Il écrivit sa philosophie en vers ; il ne nous en reste que des lambeaux si décousus, qu'on n'en peut former aucun ensemble systématique. Il y a de l'apparence qu'il donna aussi la préférence à la raison sur les sens ; qu'il regarda la Physique comme la science des opinions, & la Métaphysique comme la science des choses, & qu'il laissa l'Eléatisme spéculatif où il en étoit ; à moins qu'on ne veuille s'en rapporter à Platon, & attribuer à Parménide tout ce que le Platonisme a débité depuis sur les idées. Parménide se fit un système de physique particulier. Il regarda le froid & le chaud, ou la terre & le feu, comme les principes des êtres ; il découvrit que le Soleil & la Lune brilloient de la même lumiere, mais que l'éclat de la Lune étoit emprunté ; il plaça la terre au centre du monde ; il attribua son immobilité à sa distance égale en tout sens, de chacun des autres points de l'univers. Pour expliquer la génération des substances qui nous environnent, il disoit : le feu a été appliqué à la terre, le limon s'est échauffé, l'homme & tout ce qui a vie a été engendré ; le monde finira ; la portion principale de l'ame humaine est placée dans le coeur.

Parménide naquit dans la soixante-neuvieme olympiade. On ignore le tems de sa mort. Les Eléens l'appellerent au gouvernement ; mais des troubles populaires le dégoûterent bien-tôt des affaires publiques, & il se retira pour se livrer tout entier à la Philosophie.

Mélisse de Samos fleurit dans la 84e. olympiade. Il fut homme d'état, avant que d'être philosophe. Il eût peut-être été plus avantageux pour les peuples qu'il eût commencé par être philosophe, avant que d'être homme d'état. Il écrivit dans sa retraite de l'être & de la nature. Il ne changea rien à la philosophie de ses prédécesseurs : il croyoit seulement que la nature des dieux étant incompréhensible, il falloit s'en taire, & que ce qui n'est pas est impossible ; deux principes, dont le premier marque beaucoup de retenue, & le second beaucoup de hardiesse. On croit que ce fut notre philosophe qui commandoit les Samiens, lorsque leur flotte battit celle des Athéniens.

Zénon l'éléatique fut un beau garçon, que Parménide ne reçut pas dans son école sans qu'on en médît. Il se mêla aussi des affaires publiques, avant que de s'appliquer à l'étude de la philosophie. On dit qu'il se trouva dans Agrigente, lorsque cette ville gémissoit sous la tyrannie de Phalaris ; qu'ayant employé sans succès toutes les ressources de la philosophie pour adoucir cette bête féroce, il inspira à la jeunesse l'honnête & dangereux dessein de s'en délivrer ; que Phalaris instruit de cette conspiration, fit saisir Zénon & l'exposa aux plus cruels tourmens, dans l'espérance que la violence de la douleur lui arracheroit les noms de ses complices ; que le philosophe ne nomma que le favori du tyran ; qu'au milieu des supplices, son éloquence réveilla les lâches Agrigentins ; qu'ils rougirent de s'abandonner eux-mêmes, tandis qu'un étranger expiroit à leurs yeux, pour avoir entrepris de les tirer de l'esclavage ; qu'ils se soûleverent brusquement, & que le tyran fut assommé à coups de pierre. Les uns ajoûtent qu'ayant invité Phalaris à s'approcher, sous prétexte de lui révéler tout ce qu'il désiroit savoir, il le mordit par l'oreille, & ne lâcha prise qu'en mourant sous les coups que les bourreaux lui donnerent. D'autres que, pour ôter à Phalaris toute espérance de connoître le fond de la conjuration, il se coupa la langue avec les dents, & la cracha au visage du tyran. Mais quelque honneur que la Philosophie puisse recueillir de ces faits, nous ne pouvons nous en dissimuler l'incertitude. Zénon ne vécut ni sous Phalaris, ni sous Denis ; & l'on raconte les mêmes choses d'Anaxarque.

Zénon étoit grand dialecticien. Il avoit divisé sa logique en trois parties. Il traitoit dans la premiere de l'art de raisonner ; dans la seconde, de l'art de dialoguer ; & dans la troisieme, de l'art de disputer. Il n'eut point d'autre métaphysique que celle de Xénophane. Il combattit la réalité du mouvement. Tout le monde connoît son sophisme de la tortue & d'Achille. " Il disoit, si je souffre sans indignation l'injure du méchant, je serai insensible à la loüange de l'honnête homme ". Sa physique fut la même que celle de Parménide. Il nia le vuide. S'il ajoûta au froid & au chaud l'humide & le sec, ce ne fut pas proprement comme quatre différens principes, mais comme quatre effets de deux causes, la terre & le feu.

Histoire des Eléatiques physiciens. Leucippe d'Abdere, disciple de Mélisse & de Zénon, & maître de Démocrite, s'apperçut bien-tôt que la méfiance outrée du témoignage des sens détruisoit toute philosophie, & qu'il valoit mieux rechercher en quelles circonstances ils nous trompoient, que de se persuader à soi-même & aux autres par des subtilités de Logique qu'ils nous trompent toûjours. Il se dégoûta de la métaphysique de Xénophane, des idées de Platon, des nombres de Pythagore, des sophismes de Zénon, & s'abandonna tout entier à l'étude de la nature, à la connoissance de l'univers, & à la recherche des propriétés & des attributs des êtres. Le seul moyen, disoit-il, de réconcilier les sens avec la raison, qui semblent s'être brouillés depuis l'origine de la secte éléatique, c'est de recueillir des faits & d'en faire la base de la spéculation. Sans les faits, toutes les idées systématiques ne portent sur rien : ce sont des ombres inconstantes qui ne se ressemblent qu'un instant.

On peut regarder Leucippe comme le fondateur de la philosophie corpusculaire. Ce n'est pas qu'avant lui on n'eût considéré les corps comme des amas de particules ; mais il est le premier qui ait fait de la combinaison de ces particules, la cause universelle de toutes choses. Il avoit pris la métaphysique en une telle aversion, que pour ne rien laisser, disoit-il, d'arbitraire dans sa philosophie, il en avoit banni le nom de Dieu. Les philosophes qui l'avoient précédé, voyoient tout dans les idées ; Leucippe ne voulut rien admettre que ce qu'il observeroit dans les corps. Il fit tout émaner de l'atome, de sa figure, & de son mouvement. Il imagina l'atomisme ; Démocrite perfectionna ce système ; Epicure le porta jusqu'où il pouvoit s'élever. Voyez ATOMISME.

Leucippe & Démocrite avoient dit que les atomes différoient par le mouvement, la figure, & la masse, & que c'étoit de leur co-ordination que naissoient tous les êtres. Epicure ajoûta qu'il y avoit des atomes d'une nature si hétérogene, qu'ils ne pouvoient ni se rencontrer, ni s'unir. Leucippe & Démocrite avoient prétendu que toutes les molécules élémentaires avoient commencé par se mouvoir en ligne droite. Epicure remarqua que si elles avoient commencé à se mouvoir toutes en ligne droite, elles n'auroient jamais changé de direction, ne se seroient point choquées, ne se seroient point combinées, & n'auroient produit aucune substance : d'où il conclut qu'elles s'étoient mûes dans des directions un peu inclinées les unes aux autres, & convergentes vers quelque point commun, à-peu-près comme nous voyons les graves tomber vers le centre de la terre. Leucippe & Démocrite avoient animé leurs atomes d'une même force de gravitation. Epicure fit graviter les siens diversement. Voilà les principales différences de la philosophie de Leucippe & d'Epicure, qui nous soient connues.

Leucippe disoit encore : l'univers est infini. Il y a un vuide absolu, & un plein absolu : ce sont les deux portions de l'espace en général. Les atomes se meuvent dans le vuide. Tout naît de leurs combinaisons. Ils forment des mondes, qui se résolvent en atomes. Entraînés autour d'un centre commun, ils se rencontrent, se choquent, se séparent, s'unissent ; les plus legers sont jettés dans les espaces vuides, qui embrassent extérieurement le tourbillon général. Les autres tendent fortement vers le centre ; ils s'y hâtent, s'y pressent, s'y accrochent, & y forment une masse qui augmente sans-cesse en densité. Cette masse attire à elle tout ce qui l'approche ; de-là naissent l'humide, le limoneux, le sec, le chaud, le brûlant, l'enflammé, les eaux, la terre, les pierres, les hommes, le feu, la flamme, les astres. Le Soleil est environné d'une grande atmosphere, qui lui est extérieure. C'est le mouvement qui entretient sans-cesse le feu des astres, en portant au lieu qu'ils occupent des particules qui réparent les pertes qu'ils font. La Lune ne brille que d'une lumiere empruntée du Soleil. Le Soleil & la Lune souffrent des éclipses, parce que la terre panche vers le midi. Si les éclipses de Lune sont plus fréquentes que celles de Soleil, il en faut chercher la raison dans la différence de leurs orbes. Les générations, les dépérissemens, les altérations, sont les suites d'une loi générale & nécessaire, qui agit dans toutes les molécules de la matiere.

Quoique nous ayons perdu les ouvrages de Leucippe, il nous est resté, comme on voit, assez de connoissance des principes de sa philosophie, pour juger du mérite de quelques-uns de nos systématiques modernes ; & nous pourrions demander aux Cartésiens, s'il y a bien loin des idées de Leucippe à celles de Descartes. Voyez CARTESIANISME.

Leucippe eut pour successeur Démocrite, un des premiers génies de l'antiquité. Démocrite naquit à Abdere, où sa famille étoit riche & puissante. Il fleurissoit au commencement de la guerre du Péloponnèse. Dans le dessein qu'il avoit formé de voyager, il laissa à ses freres les biens fonds, & il prit en argent ce qui lui revenoit de la succession de son pere. Il parcourut l'Egypte, où il apprit la Géométrie dans les séminaires ; la Chaldée ; l'Ethiopie, où il conversa avec les Gymnosophistes ; la Perse, où il interrogea les mages ; les Indes, &c. Je n'ai rien épargné pour m'instruire, disoit Démocrite ; j'ai vû tous les hommes célebres de mon tems ; j'ai parcouru toutes les contrées où j'ai espéré rencontrer la vérité : la distance des lieux ne m'a point effrayé ; j'ai observé les différences de plusieurs climats ; j'ai recueilli les phénomenes de l'air, de la terre, & des eaux : la fatigue des voyages ne m'a point empêché de méditer ; j'ai cultivé les Mathématiques sur les grandes routes, comme dans le silence de mon cabinet ; je ne crois pas que personne me surpasse aujourd'hui dans l'art de démontrer par les nombres & par les lignes, je n'en excepte pas même les prêtres de l'Egypte.

Démocrite revint dans sa patrie, rempli de la sagesse de toutes les nations, mais il y fut réduit à la vie la plus étroite & la plus obscure ; ses longs voyages avoient entierement épuisé sa fortune ; heureusement il trouva dans l'amitié de Damasis son frere, les secours dont il avoit besoin. Les loix du pays refusoient la sépulture à celui qui avoit dissipé le bien de ses peres. Démocrite ne crut pas devoir exposer sa mémoire à cette injure : il obtint de la république une somme considérable en argent, avec une statue d'airain, sur la seule lecture d'un de ses ouvrages. Dans la suite, ayant conjecturé par des observations météorologiques, qu'il y auroit une grande disette d'huile, il acheta à bon marché toute celle qui étoit dans le commerce, la revendit fort cher, & prouva aux détracteurs de la philosophie, que le philosophe savoit acquérir des richesses quand il le vouloit. Ses concitoyens l'appellerent à l'administration des affaires publiques : il se conduisit à la tête du gouvernement, comme on l'attendoit d'un homme de son caractere. Mais son goût dominant ne tarda pas à le rappeller à la contemplation & à la philosophie. Il s'enfonça dans les lieux sauvages & solitaires ; il erra parmi les tombeaux ; il se livra à l'étude de la morale, de la nature, de l'anatomie & des mathématiques ; il consuma sa vie en expériences ; il fit dissoudre des pierres ; il exprima le suc des plantes ; il disséqua les animaux. Ses imbécilles concitoyens le prirent alternativement pour magicien & pour insensé. Son entrevûe avec Hippocrate, qu'on avoit appellé pour le guérir, est trop connue & trop incertaine, pour que j'en fasse mention ici. Ses travaux & son extrême sobriété n'abrégerent point ses jours. Il vécut près d'un siecle. Voici les principes généraux de sa philosophie.

Logique de Démocrite. Démocrite disoit : il n'existe que les atomes & le vuide ; il faut traiter le reste comme des simulacres trompeurs. L'homme est loin de la vérité. Chacun de nous a son opinion ; aucun n'a la science. Il y a deux philosophies ; l'une sensible, l'autre rationelle ; il faut s'en tenir à la premiere, tant qu'on voit, qu'on sent, qu'on entend, qu'on goûte & qu'on touche ; il ne faut poursuivre le phénomene à la pointe de l'esprit, que quand il échappe à la portée des sens. La voie expérimentale est longue, mais elle est sûre ; la voie du raisonnement a le même défaut, & n'a pas la même certitude.

D'où l'on voit que Démocrite s'étoit un peu rapproché des idées de Xénophane en métaphysique, & qu'il s'étoit livré sans réserve à la méthode de philosopher de Leucippe en physique.

Physiologie de Démocrite. Démocrite disoit, rien ne se fait de rien ; le vuide & les atomes sont les causes efficientes de tout. La matiere est un amas d'atomes, ou n'est qu'une vaine apparence. L'atome ne naît point du vuide, ni le vuide de l'atome : les corps existent dans le vuide. Ils ne different que par la combinaison de leurs élémens. Il faut rapporter l'espace aux atomes & au vuide. Tout ce qui est plein est atome ; tout ce qui n'est pas atome est vuide. Le vuide & les atomes sont deux infinis ; l'un en nombre, l'autre en étendue. Les atomes ont deux propriétés primitives, la figure & la masse. La figure varie à l'infini ; la masse est la plus petite possible. Tout ce que nous attribuons d'ailleurs aux atomes comme des propriétés, est en nous. Ils se meuvent dans le vuide immense, où il n'y a ni haut ni bas, ni commencement, ni milieu, ni fin ; ce mouvement a toûjours été & ne cessera jamais. Il se fait selon une direction oblique, telle que celle des graves. Le choc & la cohésion sont des suites de cette obliquité & de la diversité des figures. La justice, le destin, la providence, sont des termes vuides de sens. Les actions réciproques des atomes, sont les seules raisons éternelles de tout. Le mouvement circulaire en est un effet immédiat. La matiere est une : toutes les différences émanent de l'ordre, de la figure & de la combinaison des atomes. La génération n'est que la cohésion des atomes homogenes : l'altération n'est qu'un accident de leur combinaison ; la corruption n'est que leur séparation ; l'augmentation, qu'une addition d'atomes ; la diminution, qu'une soustraction d'atomes. Ce qui s'apperçoit par les sens, est toûjours vrai ; la doctrine des atomes rend raison de toute la diversité de nos sensations. Les mondes sont infinis en nombre : il y en a de parfaits, d'imparfaits, de semblables, de différens. Les espaces qu'ils occupent, les limites qui les circonscrivent, les intervalles qui les séparent, varient à l'infini. Les uns se forment, d'autres sont formés ; d'autres se résolvent & se détruisent. Le monde n'a point d'ame, ou l'ame du monde est le mouvement ignée. Le feu est un amas d'atomes sphériques. Il n'y a d'autres différences entre les atomes constitutifs de l'air, de l'eau & de la terre, que celle des masses. Les astres sont des amas de corpuscules ignées & legers, mus sur eux-mêmes. La lune a ses montagnes, ses vallées & ses plaines. Le soleil est un globe immense de feu. Les corps célestes sont emportés d'un mouvement général d'orient en occident. Plus leur orbe est voisin de la terre, plus il se meut lentement. Les cometes sont des amas de planetes si voisines, qu'elles n'excitent que la sensation d'un tout. Si l'on resserre dans un espace trop étroit une grande quantité d'atomes, il s'y formera un courant ; si l'on disperse au contraire les atomes dans un vuide trop grand pour leur quantité, ils demeureront en repos. Dans le commencement, la terre fut emportée à-travers l'immensité de l'espace d'un mouvement irrégulier. Elle acquit dans le tems de la consistance & du poids ; son mouvement se ralentit peu-à-peu, puis il cessa. Elle doit son repos à son étendue & à sa gravité. C'est un vaste disque qui divise l'espace infini en deux hémispheres, l'un supérieur, & l'autre inférieur. Elle reste immobile par l'égalité de force de ces deux hémispheres. Si l'on considere la section de l'espace universel, relativement à deux points déterminés de cet espace, elle sera droite ou oblique. C'est en ce sens que l'axe de la terre est incliné. La terre est pleine d'eau : c'est la distribution inégale de ce fluide dans ses immenses & profondes concavités, qui cause & entretient ses mouvemens. Les mers décroissent sans-cesse, & tariront. Les hommes sont sortis du limon & de l'eau. L'ame humaine n'est que la chaleur des élémens du corps ; c'est par cette chaleur que l'homme se meut & qu'il vit. L'ame est mortelle, elle se dissipe avec le corps. La partie qui réside dans le coeur, réfléchit, pense & veut ; celle qui est répandue uniformément par-tout ailleurs, sent seulement. Le mouvement qui a engendré les êtres détruits, les réformera. Les animaux, les hommes & les dieux, ont chacun leurs sens propres. Les nôtres sont des miroirs qui reçoivent les images des choses. Toute sensation n'est qu'un toucher. La distinction du jour & de la nuit est une expression naturelle du tems.

Théologie de Démocrite. Il y a des natures composées d'atomes très-subtils, qui ne se montrent à nous que dans les ténébres. Ce sont des simulacres gigantesques : la dissolution en est plus difficile & plus rare que des autres natures. Ces êtres ont des voix : ils sont plus instruits que nous. Il y a dans l'avenir des évenemens qu'ils peuvent prévoir, & nous annoncer ; les uns sont bienfaisans, les autres malfaisans. Ils habitent le vague des airs ; ils ont la figure humaine. Leur dimension peut s'étendre jusqu'à remplir des espaces immenses. D'où l'on voit que Démocrite avoit pris pour des êtres réels les phantomes de son imagination ; & qu'il avoit composé sa théologie de ses propres visions ; ce qui étoit arrivé de son tems à beaucoup d'autres, qui ne s'en doutoient pas.

Morale de Démocrite. La santé du corps & le repos de l'ame sont le souverain bien de l'homme. L'homme sage ne s'attache fortement à rien de ce qui peut lui être enlevé. Il faut se consoler de ce qui est, par la contemplation du possible. Le philosophe ne demandera rien, & méritera tout ; ne s'étonnera guere, & se fera souvent admirer. C'est la loi qui fait le bien & le mal, le juste & l'injuste, le décent & le deshonnête. La connoissance du nécessaire est plus à desirer que la jouissance du superflu. L'éducation fait plus d'honnêtes gens que la nature. Il ne faut courir après la fortune, que jusqu'au point marqué par les besoins de la nature. L'on s'épargnera bien des peines & des entreprises, si l'on connoît ses forces, & si l'on ne se propose rien au-delà, ni dans son domestique, ni dans la société. Celui qui s'est fait un caractere, sait tout ce qui lui arrivera. Les lois n'ôtent la liberté qu'à ceux qui en abuseroient. On n'est point sous le malheur, tant qu'on est loin de l'injustice : le méchant qui ignore la dissolution finale, & qui a la conscience de sa méchanceté, vit en crainte, meurt en transe, & ne peut s'empêcher d'attendre d'une justice ultérieure qui n'est pas, ce qu'il a mérité de celle qui est & à laquelle il n'ignore pas qu'il échappe en mourant. La bonne santé est dans la main de l'homme. L'intempérance donne de courtes joies & de longs déplaisirs, &c.

Démocrite prit pour disciple Protagoras, un de ses concitoyens ; il le tira de la condition de portefaix, pour l'élever à celle de philosophe. Démocrite ayant considéré avec des yeux méchaniciens, l'artifice singulier que Protagoras avoit imaginé pour porter commodément un grand fardeau, l'interrogea, conçut sur ses réponses bonne opinion de son esprit ; & se l'attacha. Protagoras professa l'éloquence & la philosophie. Il fit payer chérement ses leçons : il écrivit un livre de la nature des dieux, qui lui mérita le nom d'impie, & qui l'exposa à des persécutions. Son ouvrage commençoit par ces mots : Je ne sais s'il y a des dieux ; la profondeur de cette recherche, jointe à la briéveté de la vie, m'ont condamné à l'ignorer toûjours. Protagoras fut banni, & ses livres recherchés, brûlés, & lûs. Punitis ingeniis gliscit autoritas.

Ce qu'on nous a transmis de sa philosophie, n'a rien de particulier ; c'est la métaphysique de Xénophane, & la physique de Démocrite.

L'éleatique Diagoras de l'isle de Melos, fut un autre impie. Il naquit dans la 38e olympiade. Les désordres qu'il remarqua dans l'ordre physique & moral, le déterminerent à nier l'existance des dieux. Il ne renferma point sa façon de penser, malgré les dangers auxquels il s'exposoit en la laissant transpirer. Le gouvernement mit sa tête à prix. On éleva une colonne d'airain, par laquelle on promettoit un talent à celui qui le tueroit, & deux talens à celui qui le prendroit vif. Une de ses imprudences fut d'avoir pris, au défaut d'autre bois, une statue d'Hercule pour faire cuire des navets. Le vaisseau qui le portoit loin de sa patrie, ayant été accueilli par une violente tempête ; les matelots, gens superstitieux dans le danger, commencerent à se reprocher de l'avoir pris sur leur bord ; mais le philosophe leur montrant d'autres bâtimens, qui ne couroient pas moins de danger que le leur, leur demanda avec un grand sang-froid, si chacun de ces vaisseaux portoit aussi un Diagoras. Il disoit dans une autre conjoncture à un Samothrace de ses amis, qui lui faisoit remarquer dans un temple de Neptune, un grand nombre d'ex voto offerts au dieu par des voyageurs qu'il avoit sauvés du naufrage, que les prêtres ne seroient pas si fiers, si l'on avoit pû tenir registre des prieres de tous les honnêtes gens que Neptune avoit laissé périr. Notre athée donna de bonnes lois aux Mantinéens, & mourut tranquillement à Corinthe.

Anaxarque d'Abdere fut plus fameux par la licence de ses moeurs, que par ses ouvrages. Il joüit de toute la faveur d'Alexandre : il s'occupa à corrompre ce jeune prince par la flaterie. Il parvint à le rendre inaccessible à la vérité. Il eut la bassesse de le consoler du meurtre de Clitus. An ignoras, lui disoit-il, jus & fas Jovi assidere, ut quidquid rex agat, id fas justumque putetur. Il avoit long-tems sollicité auprès d'Alexandre la perte de Nicocreon tyran de l'isle de Chypre. Une tempête le jetta entre les mains de ce dangereux ennemi. Alexandre n'étoit plus. Nicocreon fit piler Anaxarque dans un mortier. Ce malheureux mourut avec une fermeté digne d'un plus honnête homme. Il s'écrioit sous les coups de pilon : Anaxarchi culeum, non Anaxarchum tundis. On dit aussi de lui, qu'il se coupa la langue avec les dents, & qu'il la cracha au visage du tyran.


ELECTEURSS. m. pl. (Hist. & droit public d'Allemagne) On donne ce nom en Allemagne à des princes qui sont en possession du droit d'élire l'empereur. Les auteurs ne s'accordent pas sur l'origine de la dignité électorale dans l'Empire. Pasquier dans ses recherches, croit qu'après l'extinction de la race des Carlovingiens, l'élection des empereurs fut commise à six des princes les plus considérables de l'Allemagne, auxquels on en ajoûtoit un septieme en cas que les voix fussent partagées également. Quelques-uns prétendent, que l'institution des électeurs doit être rapportée au tems d'Othon III. d'autres au tems d'Othon IV. d'autres à celui de Fréderic II. Il s'est aussi trouvé des écrivains qui ont crû que c'étoit le pape de qui les électeurs dérivoient leur droit ; mais c'est une erreur, attendu que le souverain pontife n'ayant jamais eu aucun droit sur le temporel de l'Empire, n'a jamais pû conférer le privilege d'élire un empereur. Le sentiment le plus vraisemblable, est que le collége électoral prit naissance sous le regne de Fréderic II. & qu'il s'établit du consentement tacite des autres princes & états de l'Empire, qui avoient lieu d'être fatigués des troubles, de la confusion & de l'anarchie qui depuis long-tems agitoient l'Allemagne ; ces malheurs étoient des suites nécessaires des longs interregnes qui arrivoient lorsque l'élection de l'empereur se faisoit par tous les états de l'Empire. Cependant il y a des auteurs qui prétendent que les électeurs se sont arrogés pour toûjours un droit, qui ne leur avoit été originairement déféré que par la nécessité des circonstances, & seulement pour un tems, & que toutes choses étant rentrées dans l'ordre, les autres états de l'Empire devroient aussi rentrer dans le droit de concourir à donner un chef à l'Empire. Ce qu'il y a de certain, c'est que la bulle d'or est la premiere loi de l'Empire qui fixe le nombre des électeurs, & assigne à chacun d'eux ses fonctions : par cette loi leur nombre est fixé à sept, dont trois ecclésiastiques, & quatre laïcs. Mais en 1648, par le traité de Westphalie, on créa un cinquieme électorat séculier en faveur du duc de Baviere ; enfin en 1692, on en créa un sixieme en faveur du duc de Brunswick-Lunebourg, sous le nom d'électorat de Hanovre ; mais ce prince ne fut admis sans contradiction dans le collége électoral qu'en 1708 ; de sorte qu'il y a présentement neuf électeurs, trois ecclésiastiques, savoir ceux de Mayence, de Treves & de Cologne, & six séculiers qui sont, le roi de Boheme, le duc de Baviere, le duc de Saxe, le Marggrave de Brandebourg, le comte Palatin du Rhin, & le duc de Brunswick-Hanovre. Ces électeurs sont en possession des grands offices de l'Empire qu'on appelle archi-officia Imperii.

L'électeur de Mayence est archi-chancelier de l'Empire en Germanie. L'électeur de Treves a le titre d'archi-chancelier de l'Empire pour les Gaules & le royaume d'Arles ; l'électeur de Cologne est archichancelier de l'Empire pour l'Italie. Ces trois électeurs sont archevêques.

Le roi de Boheme est archi-pincerna, c'est-à-dire, grand échanson de l'Empire. L'électeur de Baviere est archi-dapifer, grand-maître d'hôtel. L'électeur de Saxe est archi-marescallus, grand-maréchal. L'électeur de Brandebourg est archi-camerarius, grand-chambellan. L'électeur Palatin est archi-thesaurarius, grand-thrésorier de l'Empire. Quant à l'électeur de Hanovre, on ne lui a point encore assigné d'office. Il y a tout lieu de croire que la dignité électorale, ou le droit d'élire l'empereur, n'a été attaché aux grands offices de la couronne, que parce que dans les commencemens, c'étoit les grands officiers qui annonçoient l'élection qui avoit été faite par tous les états de l'Empire. Le jour du couronnement, les électeurs sont tenus d'exercer leurs fonctions auprès de l'empereur par eux-mêmes ou par leurs substituts, dont les offices sont héréditaires dans certaines familles. Voyez l'art. EMPEREUR, où l'on trouvera les formalités qui se pratiquent à l'élection & au couronnement d'un empereur.

Les électeurs ecclésiastiques parviennent à la dignité électorale par le choix des chapitres qui, en élisant un archevêque, le font électeur ; d'où l'on voit que souvent un simple gentilhomme qui est chanoine d'une des trois métropoles de Mayence, de Treves, ou de Cologne, peut parvenir à cette éminente dignité. Pour que les électeurs ecclésiastiques puissent joüir du droit d'élire un empereur, il suffit qu'ils ayent été élûs ou postulés légitimement sans qu'il soit besoin d'attendre la confirmation du pape.

Les électorats séculiers s'acquierent par le droit de naissance : ils sont héréditaires, ne peuvent se partager, mais appartiennent en entier aux premiers nés des maisons électorales ; ils sont majeurs à l'âge de 18 ans, & durant leur minorité, c'est le plus proche des agnats qui est leur tuteur.

Les électeurs forment le corps le plus auguste de l'Empire ; on le nomme le collége électoral. Voyez cet article, & l'article DIETE. Ils joüissent d'un grand nombre de prérogatives très-considérables qui les mettent au-dessus des autres princes d'Allemagne. 1°. Ils ont le droit d'élire un empereur & un roi des Romains, seuls & sans le concours des autres états de l'Empire. 2°. Ils peuvent s'assembler pour former une diete électorale, & déliberer de leurs affaires particulieres & de celles de tout l'Empire, sans avoir besoin pour cela du consentement de l'empereur. 3°. Ils exercent dans leurs électorats une jurisdiction souveraine sans que leurs vassaux & sujets puissent appeller de leurs décisions aux tribunaux de l'Empire, c'est-à-dire à la chambre impériale & au conseil aulique, c'est ce qu'on appelle en Allemagne privilegium de non appellando. 4°. L'empereur ne peut pas convoquer la diete sans le consentement du collége électoral, qui lui est aussi nécessaire dans les affaires pressées & qui ne souffrent point de délai. 5°. Chaque électeur a le droit de présenter deux assesseurs ou juges de la chambre impériale. 6°. Les électeurs sont exemts de payer des droits à la chancellerie impériale, lorsqu'ils prennent l'investiture de leurs états.

Les électeurs prétendent marcher de pair avec les têtes couronnées, & même ils ne cedent point le pas aux rois à la cour de l'empereur ; ils ont le droit d'envoyer des ambassadeurs. L'empereur, quand il leur écrit, traite les électeurs ecclésiastiques de neveux, & les séculiers d'oncles. Ils veulent être seuls en droit de dresser les articles de la capitulation impériale : mais ce droit leur est contesté par les autres princes & états de l'Empire ; cependant jusqu'à présent ils en sont demeurés en possession. Voyez CAPITULATION IMPERIALE.

Outre ces privileges qui sont communs à tous les électeurs, il y en a encore d'autres qui sont particuliers à chacun d'eux, & que l'on peut voir dans les auteurs qui ont écrit sur le droit public d'Allemagne. Voyez Vitriarii Institut. juris publ.

Les attributs de la dignité électorale, sont le bonnet & le manteau fourrés d'hermine, l'épée & la crosse pour les ecclésiastiques, &c. On leur donne le titre d'altesse électorale. Le fils aîné d'un électeur séculier se nomme prince électoral. (-)

ELECTEUR, s. m. (Jurisprud.) est celui qui donne son suffrage pour l'élection qui se fait de quelque personne, soit pour un bénéfice, soit pour un office, commission, ou autre place. Voyez ci-après ELECTION. (A)


ELECTIFadj. (Hist. mod.) chose qui se fait ou qui se passe par élection. Voyez ELECTION.

L'empire d'Allemagne étoit héréditaire du tems de Charlemagne & de ses successeurs jusqu'à la mort de l'empereur Louis IV. en 912. L'Empire commença dès-lors à être électif en la personne de Conrad I. & depuis ce tems-là l'Empire, quoique quelquefois héréditaire, fut censé électif, parce que les fils n'y succédoient à leurs peres que du consentement du corps germanique. D'ailleurs cette dignité passa en différentes maisons, sans égard au prétendu droit de succession. Jusqu'au tems de l'empereur Frédéric II. en 1212, l'Empire a toûjours été électif, jusqu'à ce que la maison d'Autriche, en le laissant tel en apparence, l'ait rendu réellement héréditaire, comme on l'a vû depuis Charles-quint jusqu'à Charles VI.

Il y a des bénéfices électifs. Les charges municipales sont généralement électives en Angleterre, & vénales en Espagne. La Pologne est un royaume électif. Avant le concordat, les évêchés étoient électifs en France, & sont maintenant à la nomination du Roi, &c. Chambers & Trév. (G)


ELECTION(Arithm. & Alg.) dans les nombres & les combinaisons, est la différente maniere de prendre quelques nombres ou quantités données, ou séparément, ou deux à deux, ou trois à trois, sans avoir égard à leurs places. Ainsi les quantités a, b, c, peuvent être prises de sept façons différentes, comme a b c, a b, a c, b c, & a, b, c. Voyez COMBINAISON, ALTERNATION, PERMUTATION. (O)

ELECTION, electio, en Théologie, signifie quelquefois prédestination à la grace & à la gloire, & quelquefois à la grace seulement, ou à la gloire seulement. Voyez PREDESTINATION.

C'est un article de foi, que l'élection à la grace est purement gratuite & absolument indépendante de la prévision des mérites de l'homme. Mais c'est une question sur laquelle les Théologiens sont partagés, que de savoir si l'élection à la gloire est antécédente ou conséquente à la prévision des mérites de l'homme.

Ceux qui soûtiennent qu'elle est conséquente à cette prévision, ont pour eux plusieurs textes de l'Ecriture qui paroissent décisifs. Leurs adversaires trouvent dans la tradition, & sur-tout dans les écrits de S. Augustin, un grand nombre de passages favorables à l'élection antécédente à la prévision de nos bonnes oeuvres : c'est ce qu'on appelle en termes d'école, electio ou praedestinatio ante vel post praevisa merita. Voyez PREDESTINATION. (G)

ELECTION IMPERIALE. Voyez EMPEREURS & ELECTEURS.

ELECTION D'AMI ou EN AMI (Jurisprud.) ; ce terme est usité dans quelques provinces, pour exprimer la déclaration que celui qui paroît être acquéreur ou adjudicataire d'un immeuble, fait du nom du véritable acquéreur pour éviter doubles droits seigneuriaux. Le style usité dans quelques provinces est, que l'acquéreur ou adjudicataire déclare dans le contrat ou dans l'adjudication, qu'il acquiert pour lui, son ami élû ou à élire ; ce qu'il stipule ainsi, afin de pouvoir faire ensuite son élection en ami, ou déclaration du nom de celui au profit duquel l'acquisition doit demeurer. Les élections en ami sont usitées dans toutes les adjudications de biens qui se font par justice, ces sortes d'adjudications se faisant toûjours à un procureur, lequel à l'instant ou par un acte séparé déclare que l'adjudication à lui faite est pour un tel : ces élections en ami ont aussi lieu dans les ventes volontaires.

Au moyen de la déclaration ou élection en ami, il n'y a qu'une vente, & il n'en est point dû doubles droits ; mais il faut pour cela que l'élection en ami ou déclaration soit faite dans le tems fixé par la loi, coûtume ou usage des lieux ; autrement la déclaration seroit regardée comme une revente, qui produiroit de nouveaux droits au profit du seigneur. Suivant le président Faber, l'acquéreur ou adjudicataire ne doit avoir que quarante jours pour faire sa déclaration, conformément aux lois du code, liv. jv. tit. 50. Si quis alteri vel sibi sub alterius nomine vel aliâ pecuniâ emerit. Dans quelques endroits, l'acquéreur a un an pour faire l'élection en ami ; dans d'autres, deux ans ou plus. (A)

ELECTION EN MATIERE BENEFICIALE (Jurisp.) est le choix qui est fait par plusieurs personnes d'un ecclésiastique, pour remplir quelque bénéfice, office ou dignité ecclésiastique.

Cette voie est la plus ancienne de toutes celles qui sont usitées pour remplir ces sortes de places, & elle remonte jusqu'à la naissance de l'Eglise.

La premiere élection qui fut faite de cette espece, fut après l'ascension de J. C. Les apôtres s'étant retirés dans le cénacle avec les autres disciples, la sainte Vierge, les saintes femmes, & les parens du Seigneur, S. Pierre leur proposa d'élire un apôtre à la place de Judas. Après avoir invoqué le Seigneur, ils tirerent au sort entre Barsabas & Matthias, & le sort tomba sur ce dernier. L'assemblée où cette élection fut faite, est comptée pour le premier concile de Jérusalem : tous les fideles, même les femmes, eurent part à l'élection.

Au second concile de Jérusalem, tenu dans la même année, on fit l'élection des premiers diacres.

Ce fut aussi dans le même tems & par voie d'élection que S. Jacques, surnommé le Mineur ou le Juste, fut établi premier évêque de Jérusalem.

A mesure que l'on établit des évêques dans les autres villes, ils furent élûs de la même maniere, c'est-à-dire par tous les fideles du diocèse assemblés à cet effet, tant le clergé que le peuple. Cette voie parut d'abord la plus naturelle & la plus canonique pour remplir les siéges épiscopaux, étant à présumer que celui qui réuniroit en sa faveur la plus grande partie des suffrages du clergé & du peuple, seroit le plus digne de ce ministere, & qu'on lui obéiroit plus volontiers.

Optat dit de Cécilien, qui fut Evêque de Carthage en 311, qu'il avoit été choisi par les suffrages de tous les fideles.

Ce fut le peuple d'Alexandrie qui voulut avoir S. Athanase, lequel fut fait évêque de cette ville en 326 ; & ce saint prélat dit, en parlant de lui-même, que s'il avoit mérité d'être déposé, il auroit fallu, suivant les constitutions ecclésiastiques, appeller le clergé & le peuple pour lui donner un successeur.

S. Léon, qui fut élevé sur le saint siége en 440, dit qu'avant de consacrer un évêque, il faut qu'il ait l'approbation des ecclésiastiques, le témoignage des personnes distinguées, & le consentement du peuple.

S. Cyprien, qui vivoit encore en 545, veut que l'on regarde comme une tradition apostolique, que le peuple assiste à l'élection de l'évêque, afin qu'il connoisse la vie, les moeurs & la conduite de celui que les évêques doivent consacrer.

Cet usage fut observé tant en Orient que dans l'Italie, en France & en Afrique : le métropolitain & les évêques de la province assistoient à l'élection de l'évêque ; & après que le clergé & le peuple s'étoient choisi un pasteur, s'il étoit jugé digne de l'épiscopat, il étoit sacré par le métropolitain qui avoit droit de confirmer l'élection. Celle de métropolitain étoit confirmée par le patriarche ou par le primat, & l'élection de ceux-ci étoit confirmée par les évêques assemblés comme dans un concile ; le nouvel évêque, aussi-tôt après sa consécration, écrivoit une lettre au pape pour entretenir l'union de son église avec celle de Rome.

L'élection des évêques fut ainsi faite par le clergé & le peuple pendant les douze premiers siecles de l'Eglise. Cette forme fut autorisée en France par plusieurs conciles, notamment par le cinquieme concile d'Orléans en 549, par un concile tenu à Paris en 614 ; & Yves de Chartres assûre dans une de ses lettres, qu'il n'approuvera pas l'élection qui avoit été faite d'un évêque de Paris, à moins que le clergé & le peuple n'ait choisi la même personne, & que le métropolitain & les évêques ne l'ayent approuvée d'un consentement unanime.

On trouve néanmoins beaucoup d'exemples dans les premiers siecles de l'Eglise, d'évêques nommés sans élection ; le concile de Laodicée defendit même que l'évêque fût élû par le peuple.

Il y eut aussi un tems où les élections des évêques furent moins libres en France ; mais elles furent rétablies par un capitulaire de Louis le Débonnaire de l'an 822, que l'on rapporte au concile d'Astigni, n'ignorant pas, dit l'empereur, les sacrés canons ; & voulant que l'Eglise jouisse de sa liberté, nous avons accordé que les évêques soient élûs par le clergé & par le peuple, & pris dans le diocèse, en considération de leur mérite & de leur capacité, gratuitement & sans acception de personnes.

Les religieux avoient part à l'élection de l'évêque de même que les autres ecclésiastiques, tellement que le vingt-huitieme canon du concile de Latran tenu en 1139, défend aux chanoines (de la cathédrale) sous peine d'anathème, d'exclure de l'élection de l'évêque les hommes religieux.

Il faut néanmoins observer que dans les tems même, où les évêques étoient élûs par le consentement unanime du clergé, des moines, & du peuple, les souverains avoient dès-lors beaucoup de part aux élections, soit parce qu'on ne pouvoit faire aucune assemblée sans leur permission, soit parce qu'en leur qualité de souverains & de protecteurs de l'Eglise, ils ont intérêt d'empêcher qu'on ne mette point en place sans leur agrément, des personnes qui pourroient être suspectes ; le clergé de France a toûjours donné au Roi dans ces occasions des marques du respect qu'il lui devoit.

On trouve dès le tems de la premiere race, des preuves que nos rois avoient déjà beaucoup de part à ces élections. Quelques auteurs prétendent que les rois de cette race conféroient les évêchés à l'exclusion du peuple & du clergé, ce qui paroît néanmoins trop général. En effet, les lettres que Dagobert écrivit au sujet de l'ordination de Saint-Dizier de Cahors, à S. Sulpice & aux autres évêques de la province, font mention expresse du consentement du peuple ; & dans les conciles de ce tems on recommandoit la liberté des élections, qui étoit souvent mal observée ; ainsi l'usage ne fut pas toûjours uniforme sur ce point.

Il est seulement certain que depuis Clovis jusqu'en 590, aucun évêque n'étoit installé, sinon par l'ordre ou du consentement du Roi.

Grégoire de Tours, qui écrivoit dans le même siecle, fait souvent mention du consentement & de l'approbation, que les rois de la premiere race donnoient aux évêques qui avoient été élûs par le clergé & par le peuple ; & Clotaire II. en confirmant un concile de Paris, qui déclare nulle la consécration d'un évêque faite sans le consentement du métropolitain, des ecclésiastiques & du peuple, déclara que celui qui avoit été ainsi élû canoniquement, ne devoit être sacré qu'après avoir obtenu l'agrément du roi.

Dans les formules du moine Marculphe qui vivoit dans le septieme siecle, il y en a trois qui ont rapport aux élections. La premiere est l'ordre ou précepte par lequel le roi déclare au métropolitain, qu'ayant appris la mort d'un tel évêque, il a résolu, de l'avis des évêques & des grands, de lui donner un tel pour successeur. La seconde est une lettre pour un des évêques de la province. La troisieme est la requête des citoyens de la ville épiscopale, qui demandent au roi de leur donner pour évêque un tel dont ils connoissent le mérite ; ce qui suppose que l'on attendoit le consentement du peuple, mais que ce n'étoit pas par forme d'élection.

Il y eut même sous la premiere race plusieurs évêques nommés par le roi sans aucune élection précédente, comme S. Amant d'Utrecht & S. Leger d'Autun. La formule du mandement que le roi faisoit expédier sur cette nomination, est rapportée par Marculphe. Il y est dit que le roi ayant conféré avec les évêques & principaux officiers de sa cour, avoit choisi un tel pour remplir le siége vacant.

Cette maniere de pourvoir aux évêchés étoit quelquefois nécessaire, pour empêcher les brigues & la simonie : c'étoit aussi souvent la faveur seule qui déterminoit la nomination.

Charlemagne & Louis le Débonnaire firent tous leurs efforts pour rétablir l'ancienne discipline sur les élections. Le premier disposa néanmoins de plusieurs évêchés, par le conseil des prélats & des grands de sa cour, sans attendre l'élection du clergé & du peuple. Plusieurs croyent qu'il en usa ainsi du consentement de l'Eglise, pour remédier aux maux dont elle étoit alors affligée : il rendit même à plusieurs églises la liberté des élections, par des actes exprès.

Il y eut sous cette seconde race plusieurs canons & capitulaires, faits pour conserver l'usage des élections ; mais ce fut toûjours sans donner atteinte aux droits. On tenoit alors pour principe qu'en cas de trouble & d'abus le roi pouvoit nommer à l'évêché ; tellement que l'évêque-visiteur avertissoit ceux qui devoient élire, que s'ils se laissoient séduire par quelque moyen injuste, l'empereur nommeroit sans contrevenir aux canons.

Les choses changerent bien de forme sous la troisieme race ; les chapitres des cathédrales s'attribuerent le droit d'élire seuls les évêques, privativement au reste du clergé & au peuple. Au commencement du xiij. siecle ils étoient déjà en possession d'élire ainsi seuls l'évêque & les métropolitains ; de confirmer seuls l'élection, sans appeller leurs suffragans, comme il paroît par le concile de Latran, tenu en 1215. Les papes, auxquels on s'adressoit ordinairement lorsqu'il y avoit contestation sur la confirmation des évêques, firent de ce droit une cause majeure réservée au saint siége : les droits du roi furent cependant toûjours conservés.

Lorsque Philippe Auguste partit pour son expédition d'outre-mer, entre les pouvoirs qu'il laissa pour la régence du royaume à sa mere & à l'archevêque de Reims, il marqua spécialement celui d'accorder aux chapitres des cathédrales la permission d'élire un évêque.

S. Louis accorda le même pouvoir à la reine sa mere, lorsqu'il l'établit régente du royaume. Il ordonna cependant par la pragmatique sanction qu'il fit dans le même tems, en 1268, que les églises cathédrales & autres auroient la liberté des élections.

L'élection des abbés étoit reglée sur les mêmes principes que celle des évêques. Les abbés étoient élûs par les moines du monastere qu'ils devoient gouverner. Ils étoient ordinairement choisis entre les moines de ce monastere ; quelquefois néanmoins on les choisissoit dans un monastere voisin, ou ailleurs. Avant de procéder à l'élection, il falloit obtenir le consentement du roi ; & celui qui étoit élû abbé, ne pouvoit aussi avoir l'agrément du roi, avant d'être confirmé & beni par l'évêque.

Les autres bénéfices, offices & dignités étoient conférés par les supérieurs ecclésiastiques ; savoir les bénéfices séculiers par l'évêque, & les réguliers par les abbés, chacun dans leur dépendance. Les uns & les autres n'agissoient dans leur choix qu'avec connoissance de cause, & ne se déterminoient que par le mérite du sujet. L'évêque choisissoit ordinairement des prêtres & des clercs entre les plus saints moines ; les abbés y consentoient pour le bien général de l'église, qu'ils préféroient à l'avantage particulier de leur monastere.

Il y avoit dans le xij. siecle une grande confusion dans les élections pour les prélatures ; chaque église avoit ses regles & ses usages, qu'elle changeoit selon les brigues qui prévaloient.

Ce fut pour remédier à ces desordres, que le quatrieme concile de Latran, tenu en 1215, fit une regle générale, suivant laquelle on reconnoît trois formes différentes d'élections, qui sont rapportées aux decrétales, liv. I. tit. vj. capit. quia propter.

La premiere est celle qui se fait par scrutin.

La seconde est de nommer des commissaires, auxquels tout le chapitre donne pouvoir d'élire en son lieu & place.

La troisieme forme d'élection est celle qui se fait par une espece d'inspiration divine, lorsque par acclamation tous les électeurs se réunissent pour le choix d'un même sujet.

Ce même concile de Latran, celui de Bourges en 1276, celui d'Ausch en 1300 ; les conciles provinciaux de Narbonne & de Toulouse, tenus à Lavaur en 1368, déclarent nulle toute élection faite par abus de l'autorité séculiere ou ecclésiastique.

La liberté des élections ayant encore été troublée en France par les entreprises des papes, sur-tout depuis que Clément V. eut transféré le saint siége à Avignon, le concile de Constance en 1418, & celui de Basle en 1431, tenterent toutes sortes de voies pour rétablir l'ancienne discipline.

Les difficultés qu'il y eut par rapport à ces conciles, firent que Charles VII. convoqua à Bourges en 1438 une assemblée de tous les ordres du royaume, dans laquelle fut dressée la pragmatique sanction, laquelle entr'autres choses rétablit les élections dans leur ancienne pureté. L'assemblée de Bourges permit aux rois & aux princes de leur sang, d'employer leurs recommandations auprès des électeurs, en faveur des personnes qui auroient rendu service à l'état.

Nos rois continuerent en effet d'écrire des lettres de cette nature, & de nommer des commissaires pour assister à l'élection.

Les papes cependant firent tous leurs efforts pour obtenir la révocation de la pragmatique, ainsi qu'on le dira au mot PRAGMATIQUE.

Enfin en 1516 François I. voulant prévenir les suites fâcheuses que les différends de la cour de France avec celle de Rome pouvoient occasionner, fit avec Léon X. une espece de transaction, connue sous le nom de concordat.

On y fait mention des fraudes & des brigues qui se pratiquoient dans les élections, & il est dit que les chapitres des églises cathédrales de France ne procéderont plus à l'avenir, le siége vacant, à l'élection de leurs évêques ; mais que le roi sera tenu de nommer au pape, dans les six mois de la vacance, un docteur ou licentié en Théologie ou en Droit canonique, âgé de 27 ans au moins, pour en être pourvû par le pape ; que si la personne nommée par le roi n'a pas les qualités requises, le roi aura encore trois mois pour en nommer une autre, à compter du jour que le pape aura fait connoître les causes de récusation ; qu'après ces trois mois il y sera pourvû par le pape ; que les élections qui se feront au préjudice de ce traité, seront nulles ; que les parens du roi, les personnes éminentes en savoir & en doctrine, & les religieux mendians, ne sont point compris dans la rigueur de cet article ; que pour les abbayes & prieurés conventuels vraiment électifs, il en sera usé comme aux évêchés, à l'exception de l'âge, qui sera fixé à vingt-trois ans ; que si le roi nomme aux prieurés un séculier ou un religieux d'un autre ordre, ou un mineur de vingt-trois ans, le pape se réserve le droit de le refuser, & d'en nommer un autre après les neuf mois passés, en deux termes, comme dans les évêchés. Il est dit que l'on n'entend pas néanmoins déroger par cet article, aux priviléges dont joüissent quelques chapitres & quelques monasteres, qui se sont maintenus en possession d'élire leurs prélats, & leurs supérieurs, en gardant la forme prescrite par le chapitre quia propter.

Sur la maniere dont le roi en use pour les nominations, voyez EVECHES & NOMINATION ROYALE.

Le clergé de France a renouvellé en plusieurs occasions ses voeux pour le rétablissement des élections à l'égard des évêchés, abbayes & autres prélatures, comme on le voit dans le cahier qu'il présenta aux états d'Orléans en 1560 ; dans celui qu'il dressa pour être présenté aux états de Blois ; dans le concile de Roüen en 1581, celui de Reims en 1583, le cahier de l'assemblée générale du clergé en 1595, & celui de l'assemblée de 1605.

L'article 1. de l'ordonnance d'Orléans, en 1560, porte que les archevêques & évêques seront desormais élûs & nommés ; savoir, les archevêques par les évêques de la province & par le chapitre de la métropole ; les évêques, par l'archevêque, les évêques de la province, & les chanoines de l'église cathédrale ; appellés avec eux, douze gentilshommes qui seront élûs par la noblesse du diocèse, & douze notables bourgeois élûs en l'hôtel de la ville archiépiscopale ou épiscopale : tous lesquels s'accorderont de trois personnages de qualités requises, âgés au moins de trente ans, qu'ils présenteront à Sa Majesté, qui choisira l'un des trois.

L'exécution de cette ordonnance a été commandée par l'art. 36 de celle de Roussillon ; cependant cet article de l'ordonnance d'Orléans & plusieurs autres ne s'observent point.

Ainsi les évêchés ne sont plus électifs.

A l'égard des abbayes, toutes celles qui étoient électives, sont assujetties par le concordat à la nomination royale, à l'exception seulement des chefs d'ordre & des quatre filles de Cîteaux. On suit encore dans ces abbayes, pour les élections, les regles prescrites par la pragmatique sanction.

Pour ce qui est des dignités des chapitres, qui sont électives, des généraux d'ordres réguliers qui n'ont pas le titre d'abbés, & des abbayes triennales électives, les élections dépendent en partie des usages & statuts particuliers de chaque église, congrégation ou communauté.

Il y a néanmoins plusieurs regles tirées du droit canonique, qui sont communes à toutes les élections.

On ne peut valablement faire aucun acte tendant à l'élection d'un nouvel abbé, ou autre bénéficier ou officier, jusqu'à ce que la place soit vacante, soit par mort ou autrement.

Avant de procéder à l'élection dans les abbayes qui sont électives, il faut que le chapitre obtienne le consentement du roi, lequel peut nommer un commissaire pour assister à l'élection, à l'effet d'empêcher les brigues, & de faire observer ce qui est prescrit par les canons & les ordonnances du royaume.

Pour que l'élection soit canonique, il faut y appeller tous ceux qui ont droit de suffrage ; les absens doivent être avertis, pourvû qu'ils ne soient pas hors du royaume.

Ceux qui sont retenus ailleurs par quelqu'empêchement légitime, ne peuvent donner leur suffrage par lettres ; mais ils peuvent donner leur procuration à cet effet à un ou plusieurs des capitulans, pourvû néanmoins qu'ils donnent à chacun d'eux solidairement le droit de suffrage ; & dans ce cas le chapitre peut choisir entr'eux celui qu'il juge à-propos, pour représenter l'absent. Celui-ci peut aussi donner pouvoir à quelqu'un qui n'est pas de gremio, si le chapitre veut bien l'agréer. Le fondé de procuration ne peut nommer qu'une seule personne, soit que la procuration marque le nom de la personne qu'il doit nommer, ou qu'elle soit laissée à son choix.

Si l'on omettoit d'appeller un seul capitulant, ou qu'il n'eût pas été valablement appellé, l'élection seroit nulle, à moins que pour le bien de la paix il n'approuvât l'élection.

Il suffit au reste d'avoir appellé à l'élection ceux qui y ont droit de suffrage ; s'ils négligent de s'y trouver, ou si après y avoir assisté, ils se retirent avant que l'élection soit consommée, & même avant d'avoir donné leur suffrage, ils ne peuvent sous ce prétexte contester l'élection.

Les chapitres des monasteres doivent procéder à l'élection de l'abbé dans les trois mois de la vacance, à moins qu'il n'y ait quelqu'empêchement légitime ; autrement le droit d'y pourvoir est dévolu au supérieur immédiat.

Le tems fixé par les canons pour procéder à l'élection, court contre les électeurs, du jour qu'ils négligent de faire lever l'empêchement qui les arrête.

Le concile de Basle veut que les électeurs, pour obtenir du ciel les lumieres & les graces dont ils ont besoin, entendent avant l'élection la messe du saint Esprit ; qu'ils se confessent & communient ; & que ceux qui ne satisferont pas à ces devoirs, soient privés de plein droit de la faculté d'élire pour cette fois.

Chaque électeur doit faire serment entre les mains de celui qui préside, qu'il choisira celui qu'il croira en conscience pouvoir être le plus utile à l'Eglise pour le spirituel & le temporel, & qu'il ne donnera point son suffrage à ceux qu'il saura avoir promis ou donné directement ou indirectement quelque chose de temporel pour se faire élire. L'abus ne seroit pas moins grand de donner ou promettre dans la même vûe quelque chose de spirituel.

Ceux qui procedent à l'élection, doivent faire choix d'une personne de bonnes moeurs, qui ait l'âge, & les autres qualités & capacités prescrites par les canons, & par les autres lois de l'eglise & de l'état.

Il est également défendu par les canons, d'élire ou d'être élû par simonie : outre l'excommunication que les uns & les autres encourent par le seul fait, les électeurs perdent pour toûjours le droit d'élire ; & ceux qui sont ainsi élûs, sont incapables de remplir jamais la dignité, le bénéfice ou office auxquels ils ont aspiré.

Lorsque les suffrages ont été entraînés par l'impression de quelque puissance séculiere, l'élection est nulle : les électeurs doivent même être suspens pendant trois années de leur ordre & bénéfices, même du droit d'élire ; & si celui qui a été ainsi élû, accepte sa nomination, il ne peut sans dispense être élû pour une autre dignité, office ou bénéfice ecclésiastique. Mais on ne regarde point comme un abus les lettres que le roi peut écrire aux électeurs, pour leur recommander quelque personne affectionnée au service de l'église, du roi & de l'état.

Les novices ni les freres convers ne donnent point ordinairement leur voix pour l'élection d'un abbé ou autre supérieur : il y a néanmoins des monasteres de filles, tels que ceux des Cordelieres, où les soeurs converses sont en possession de donner leur voix pour l'élection de l'abbesse.

Quant à la forme de l'élection, on doit suivre une des trois qui sont prescrites par le jv. concile de Latran, suivant ce qui a coûtume de s'observer dans chaque église ou monastere.

On distingue dans les élections la voix active & la voix passive ; la premiere est le suffrage même de chaque électeur, considéré par rapport à celui qui le donne, & en tant qu'il a droit de le donner ; la voix passive est ce même suffrage considéré par rapport à celui en faveur duquel il est donné. Il y a des capitulans qui ont voix active & passive, c'est-à-dire qui peuvent élire & être élûs ; d'autres qui ont voix active seulement, sans pouvoir être élûs, tels que ceux qui ont passé par certaines places auxquelles ils ne peuvent être promûs de nouveau, ou du moins seulement après un certain tems : enfin ceux qui sont de la maison, sans être capitulans, n'ont point voix active ni passive ; ceux qui sont suspens ne peuvent pareillement élire ni être élûs.

Ceux qui ont voix active, doivent tous donner leurs suffrages en même tems & dans le même lieu.

Les suffrages doivent être purs & simples ; on ne reçoit point ceux qui seroient donnés sous condition, ou avec quelqu'alternative ou autre clause qui les rendroit incertains.

L'élection doit être publiée en la forme ordinaire, aussi-tôt que tous les capitulans ont donné leurs suffrages, afin d'éviter toutes les brigues & les fraudes ; & ce seroit une nullité de différer la publication, pour obtenir préalablement le consentement de celui qui est élû.

L'élection étant notifiée à celui qui a été élû, il doit dans un mois, à compter de cette notification, accepter ou refuser ; ce délai expiré, il est déchû de son droit, & le chapitre peut procéder à une nouvelle élection.

Ce délai d'un mois ne court à l'égard des réguliers élûs, que du jour qu'ils ont pû obtenir le consentement de leur supérieur.

Quand le scrutin est publié, les électeurs ne peuvent plus varier ; & ceux qui ont donné leur voix à celui qui est élû, ou qui ont consenti à l'élection, ne peuvent l'attaquer sous prétexte de nullité, à moins que ce ne soit en vertu de moyens dont ils n'avoient pas connoissance lorsqu'ils ont donné leur suffrage ou consentement.

Il ne suffit pas pour être élû, d'avoir le plus grand nombre de voix, il faut en avoir seul plus de la moitié de la totalité. Si les voix sont partagées entre plusieurs, de maniere qu'aucun d'eux n'en ait plus de la moitié, il faut procéder à une nouvelle élection, quand même la plus grande partie du chapitre se réuniroit, depuis la publication du scrutin, en faveur de celui qui avoit seulement le plus grand nombre de voix.

Néanmoins dans l'élection d'une abbesse, quand le plus grand nombre de voix données à une même personne, ne fait pas la moitié, les autres religieuses peuvent s'unir au plus grand nombre, même après le scrutin ; & s'il y en a assez pour faire plus de la moitié des voix, celle qui est élûe peut être confirmée par le supérieur, sauf à faire juger l'appel, si les opposantes à l'élection & confirmation veulent le soûtenir.

Si dans ce même cas les religieuses ne se réunissent pas jusqu'à concurrence de plus de la moitié, le supérieur, avant de confirmer & de benir celle qui a eu le plus de voix, doit examiner l'élection, & les raisons de celles qui ne veulent pas s'unir ; & néanmoins par provision la religieuse nommée par le plus grand nombre, gouverne le temporel & le spirituel ; mais elle ne peut faire aucune aliénation, ni recevoir de religieuses à la profession.

La plus grande partie du chapitre nommant une personne indigne, est privée pour cette fois de son droit d'élire ; & dans ce cas l'élection faite par la moindre partie, subsiste.

Quoiqu'un des capitulans ait nommé une personne indigne, il n'est point privé de son droit d'élire, si le scrutin où il a donné sa voix, n'est point suivi d'une élection valable.

Quand les électeurs ont nommé un ou plusieurs compromissaires, ils doivent reconnoître celui que les compromissaires ont nommé, pourvû qu'il ait les qualités requises.

Les compromissaires ayant commencé à procéder à l'élection, le chapitre ne peut plus les révoquer, attendu que les choses ne sont plus entieres.

Si les compromissaires choisissent une personne indigne, le droit d'élire retourne au chapitre : il en est de même lorsque celui qui est nommé refuse d'accepter.

Mais lorsque les compromissaires négligent de faire l'élection dans le tems prescrit par les canons, alors le droit d'élire est dévolu au supérieur, & non au chapitre, qui doit s'imputer de s'en être rapporté à des mandataires négligens.

L'élection étant faite par des compromissaires, un d'entr'eux doit aussi-tôt la publier.

S'il arrive que l'élection soit cassée par un défaut de forme seulement, & non pour incapacité de la personne élûe ; la même personne peut être élûe de nouveau.

En cas d'appel de l'élection, on ne peut procéder à une nouvelle, qu'il n'ait été statué sur la premiere.

Quand la premiere élection n'a pas lieu, sans que les électeurs soient déchûs de leur droit, ils ont pour procéder à une nouvelle élection, le même délai qu'ils avoient eu pour la premiere, à compter du jour qu'il a été constant que celle-ci n'auroit point d'effet.

Ceux qui ne peuvent être élûs peuvent être postulés, c'est-à-dire demandés au supérieur, quand les qualités qui leur manquent sont telles, que le supérieur en peut dispenser ; mais le même électeur ne peut pas élire & postuler une même personne. Voyez POSTULATION.

Il n'est pas permis à celui qui est élû, de faire aucune fonction avant d'être confirmé, à peine de nullité. Le pape est le seul qui n'ait pas besoin de confirmation. Voyez au mot PAPE.

Avant de confirmer celui qui est élû, le supérieur doit d'office examiner s'il est de bonnes moeurs & de bonne doctrine ; s'il a les qualités & capacités requises, quand même personne ne critiqueroit l'élection.

Cette information de vie & moeurs doit se faire dans les lieux où celui qui est élû demeuroit depuis quelques années.

Il y a des abbés dont l'élection doit être confirmée par l'évêque diocésain, d'autres par leur général, d'autres par le pape dont ils relevent immédiatement.

Le chapitre, sede vacante, a droit de confirmer les élections que l'évêque auroit confirmées.

Les abbés triennaux n'ont pas besoin de confirmation pour gouverner le spirituel, non plus que pour le temporel.

La confirmation doit être demandée par celui qui est élû, dans les trois mois du jour du consentement qu'il a donné à l'élection, à moins qu'il ne soit retenu par quelqu'empêchement légitime ; autrement il est déchû de son droit, & l'on peut procéder à une nouvelle élection.

Telles sont les regles générales que l'on suit pour les élections ; elles reçoivent néanmoins diverses exceptions, suivant les statuts particuliers, priviléges & coûtumes de chaque monastere, pourvû que ces usages soient constans, & qu'ils n'ayent rien de contraire au droit naturel ni au droit divin.

Il y a des bénéfices électifs, sur lesquels il faut la confirmation du supérieur ; d'autres qui sont purement collatifs ; d'autres enfin qui sont électifs-collatifs, c'est-à-dire que le chapitre confere en élisant, sans qu'il soit besoin d'autre collation.

Sur les élections, voyez aux decrétales le titre de electione & electi potestate ; la bibliotheque canonique de Bouchel, les définitions canoniques & la jurisprudence canonique, au mot ELECTION ; l'hist. du droit ecclésiastique, par M. Fleury, tome I. chap. x. les lois ecclésiastiques de M. d'Héricourt, titre de l'élection. (A)

ELECTION DE DOMICILE, (Jurispr.) est le choix que l'on fait d'un domicile momentané ou ad hoc, c'est-à-dire qui n'est pas le vrai & actuel domicile, mais qui a seulement pour objet d'indiquer un lieu où on puisse faire des offres ou autres actes. Ces élections de domicile se font dans les exploits, dans les contrats. Voyez DOMICILE ELU.

ELECTION D'HERITIER, (Jurispr.) est le choix de celui qui doit recueillir une succession. Ce choix est ordinairement fait par celui qui dispose de ses biens par son testament : quelquefois il est fait par contrat de mariage ; ou bien le pere mariant un de ses enfans, se réserve la liberté de nommer pour héritier tel de ses enfans qu'il jugera à-propos.

Quelquefois le testateur défere par testament le choix de son héritier à une autre personne, soit en lui indiquant plusieurs personnes entre lesquelles elle pourra choisir, soit en lui laissant la liberté entiere de choisir qui bon lui semblera ; & quelquefois cette même personne à laquelle le testateur donne pouvoir d'élire, est par lui d'abord instituée héritiere, à la charge de remettre l'hoirie à un de ceux qui sont indiqués, ou à telle personne qu'elle jugera à-propos.

Le testateur peut aussi instituer héritier celui qui sera nommé par la personne à laquelle il donne ce pouvoir.

Ces sortes de dispositions sont fort usitées dans les pays de droit écrit, où il est assez ordinaire que le mari & la femme s'instituent réciproquement héritiers, à la charge de remettre l'hoirie à tel de leurs enfans que le survivant jugera à-propos.

Lorsque celui qui avoit le pouvoir d'élire, décede sans avoir fait son choix, tous les héritiers présomptifs succedent également.

Le conjoint survivant qui avoit le pouvoir d'élire, ne le perd point en se remariant.

Quand un des enfans éligibles vient à décéder, le pere ou la mere qui a le droit d'élire, peut choisir l'enfant de celui qui étoit éligible. Voyez la trente-quatrieme consultation de Cochin, tome II.

L'élection étant une fois consommée par un acte entre-vifs, celui qui l'a faite ne peut plus varier ; mais si c'est par testament, l'élection est révocable jusqu'au décès de celui qui l'a faite, de même que le surplus de son testament. Voyez Henrys, tome I. liv. IV. ch. vj. quest. 67. & liv. V. quest. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 61. 62. & tome II. liv. V. quest. 10. 12. 51. 52. 53. 58. & liv. VI. quest. 52. & son quatrieme plaidoyer ; le traité des élections d'héritier contractuelles & testamentaires, par M. Vulson conseiller au parlement de Grenoble. (A)

ELECTION DE TUTEUR ou CURATEUR, est le choix qui est fait d'un tuteur ou curateur par les parens & amis de celui auquel on le donne. Voyez CURATEUR & TUTEUR. (A)

ELECTION D'UN OFFICIER, est la nomination qui est faite de quelqu'un à un office public par le suffrage de plusieurs personnes.

Romulus accorda au peuple le droit de se choisir ses magistrats, même les sénateurs, ce qui se faisoit dans ces assemblées publiques appellées comices, & lorsque l'état monarchique de Rome fut changé en république, le peuple élisoit aussi lui-même les consuls, qui étoient chargés du gouvernement général de l'état.

Comme il étoit difficile d'assembler souvent le peuple, il n'élisoit que les grands officiers, & ceux-ci commettoient chacun dans leur département les moindres officiers qui leur étoient subordonnés.

Les empereurs ayant ôté au peuple le droit d'élection, conféroient les grands offices par l'avis des principaux de leur cour, afin de conserver encore quelque forme d'élection, c'est pourquoi ils appelloient suffrages les avis & recommandations des courtisans.

On en usa d'abord de même en France pour les offices, c'est-à-dire que nos rois y nommoient par l'avis de leur conseil, ce qui étoit une espece d'élection.

Quand le parlement eut été rendu sédentaire à Paris, Philippe de Valois, par des lettres du mois de Février 1327, donna pouvoir au chancelier, en appellant avec lui quatre conseillers au parlement & le prevôt de Paris, de nommer, c'est-à-dire d'élire entr'eux les conseillers au châtelet.

Charles V. ordonna en 1355, que le chancelier, les présidens, & conseillers du parlement seroient élus par scrutin au parlement ; Charles VI. ordonna encore la même chose en 1400, ce qui dura jusqu'au mariage d'Henri roi d'Angleterre avec Catherine de France fille de Charles VI ; alors le parlement nomma trois personnes au roi qui donnoit des provisions à l'un des trois ; mais comme le parlement, pour se conserver l'élection, nommoit ordinairement deux sujets inconnus & incapables afin de faire tomber la nomination sur le troisieme, Charles VII. lui ôta les élections, & rentra en possession de nommer aux places vacantes du parlement de même qu'aux autres offices, & nos rois choisissoient les officiers de l'avis de leur conseil, ce qui dura ainsi jusqu'à la vénalité des charges.

Dès le premier tems de la monarchie, il y avoit dans chaque ville & bourg des officiers municipaux qui étoient électifs, appellés en quelques endroits échevins, en d'autres jurés ou jurats, en d'autres consuls, & à Toulouse capitouls. Ces officiers sont encore la plûpart élûs par le peuple, conformément aux intentions du roi.

Les élûs qui étoient autrefois choisis par les trois états pour le gouvernement des aides & tailles, ont depuis été érigés en titre d'office : il y a néanmoins encore des élûs dans les pays d'états qui sont électifs. Voyez ELECTIONS, ELUS, ATSTATS. (A)

ELECTION, (Jurisprud.) ce sont des jurisdictions royales, ainsi nommées à cause des élûs qui y connoissent en premiere instance des contestations qui s'élevent au sujet des tailles, de toutes matieres d'aides, & autres impositions & levées des deniers du roi, tant aux entrées des villes que des fermes du roi, à l'exception des domaines & droits domaniaux, droits de gabelle, capitation, dixieme, vingtieme, cinquantieme, & deux sous pour livre, lorsque ces impositions ont lieu.

Ils connoissoient cependant aussi autrefois des gabelles ; mais depuis longtems il y a des juges particuliers pour cet objet, excepté dans quelques endroits où les greniers à sel sont unis aux élections.

Il y a aussi en certains endroits des juges des traites foraines, & des juges pour la marque des fers.

Avant l'institution des élûs c'étoient les maire & échevins des villes qui se mêloient de faire l'assiete & levée des impositions, ils en étoient même responsables ; mais dans la suite ne pouvant vaquer à cette levée, & étant occupés à d'autres affaires de la commune, on fit choix dans le peuple d'autres personnes pour prendre soin de l'assiette & levée des impositions, & ces personnes furent nommées élûs à cause qu'on les établissoit par élection.

L'origine des élections est la même que celle des élûs ou juges, dont ces tribunaux sont composés.

Quelques-uns rapportent ce premier établissement des élûs à celui des aides du tems du roi Jean ; il est néanmoins certain qu'il y avoit déjà depuis long-tems des élûs pour veiller sur les impositions ; mais comme il n'y avoit point encore d'impositions ordinaires, & que nos rois n'en levoient qu'en tems de guerre ou pour d'autres dépenses extraordinaires, la commission de ces élûs ne duroit que pendant la levée de l'imposition.

Dès le tems de Louis IV. Denis Hesselin étoit élû à Paris, ainsi que le remarque l'auteur du traité de la pairie, pag. 158.

S. Louis voulant que les tailles fussent imposées avec justice, fit en 1270 un réglement pour la maniere de les asseoir dans les villes royales ; il ordonna qu'on éliroit trente hommes ou quarante plus ou moins, bons & loyaux par le conseil des prêtres, c'est-à-dire des curés de leurs paroisses, & des autres hommes de religion, ensemble des bourgeois & autres prudhommes, selon la grandeur des villes ; que ceux qui seroient ainsi élus jureroient sur les saints évangiles d'élire, soit entr'eux ou parmi d'autres prudhommes de la même ville, jusqu'à douze hommes qui seroient les plus propres à asseoir la taille ; que les douze hommes nommés jureroient de même de bien & diligemment asseoir la taille, & de n'épargner ni grever personne par haine, amour, priere, crainte, ou en quelqu'autre maniere que ce fût ; qu'ils asseoiroient ladite taille à leur volonté la livre également ; qu'avec les douze hommes dessus nommés, seroient élus quatre bons hommes, & seroient écrits les noms secrettement ; & que cela seroit fait si sagement, que leur élection ne fût connue de qui que ce fût, jusqu'à ce que ces douze hommes eussent assis la taille. Que cela fait, avant de mettre la taille par écrit, les quatre hommes élus pour faire loyalement la taille n'en devoient rien dire, jusqu'à ce que les douze hommes leur eussent fait faire serment pardevant la justice, de bien & loyalement asseoir la taille en la maniere que les douze hommes l'auroient ordonné.

Il paroît suivant cette ordonnance, que les trente ou quarante hommes qui étoient d'abord élus, sont aujourd'hui représentés par les officiers des élections ; les douze hommes qu'on élisoit ensuite étoient proprement les asséeurs des tailles, dont la fonction est aujourd'hui confondue avec celle des collecteurs ; enfin les quatre bons hommes élus étoient les vérificateurs des rôles.

Les tailles furent donc la matiere dont les élûs ordonnerent d'abord ; mais outre que les tailles n'étoient pas encore ordinaires, la forme prescrite pour leur assiette ne fut pas toûjours observée ; car Philippe III. dans une ordonnance du 29 Novembre 1274, dit que les consuls de Toulouse devoient s'abstenir de la contribution qu'ils demandoient aux ecclésiastiques pour les tailles, à moins que ce ne fût une charge réelle & ancienne : il sembleroit par-là que c'étoient les consuls qui ordonnoient de la taille, soit ancienne ou nouvelle, lorsqu'elle avoit lieu, ce qui fait penser qu'il y avoit alors des tailles non royales, imposées de l'ordre des villes pour subvenir à leurs dépenses particulieres, ce qui est aujourd'hui représenté par les octrois.

Louis Hutin, dans une ordonnance du mois de Décembre 1315, & Philippe V. dans une autre du mois de Mars 1316, disent que les clercs non mariés ne contribueront point aux tailles, & que les officiers du roi, officiales nostri, entant qu'à eux appartient, ne les y contraindront point & ne permettront pas qu'on les y contraigne. Ces ordonnances ne font point mention des élûs, ce qui donne lieu de croire qu'ils n'avoient point encore de jurisdiction formée, & que pour les contraintes on s'adressoit aux juges ordinaires ; & en effet on a vû que c'étoit devant eux que les élûs prêtoient serment.

Il y avoit encore des élus du tems de Philippe de Valois pour la taille non royale qui se levoit dans certaines villes, comme il paroît par une ordonnance de ce prince du mois de Mars 1331, touchant la ville de Laon, où il est parlé des élûs de cette ville : ces officiers n'étoient pas seulement chargés du soin de cette taille ; l'ordonnance porte que dorénavant, de trois en trois ans, le prevôt fera assembler le peuple de Laon, & en sa présence fera élire six personnes convenables de ladite ville, dont ils en feront trois leurs procureurs pour conduire toutes les affaires de la ville, que les trois autres élus avec le prevôt visiteroient chaque année autant de fois qu'il seroit nécessaire les murs, les portes, les forteresses, les puits, fontaines, chaussées, pavés, & autres aisances communes de la ville, & verroient les réparations nécessaires, &c.

Que toutes les fois qu'il seroit métier de faire taille, le prevôt avec ces trois élus exposeroit au peuple les causes pour lesquelles il conviendroit faire taille, qu'ensuite le prevôt & lesdits élus prendroient de chaque paroisse deux ou trois personnes, de ceux qui peuvent le mieux savoir les facultés de leurs voisins ; lesquelles personnes & lesdits élus ayant prêté serment sur les saints évangiles de ne charger ni décharger personne à leur escient, contre raison, le prevôt feroit imposer & asseoir la taille sur toutes les personnes qui en sont tenues ; que l'imposition seroit levée par les trois élus, qui en payeroient les rentes & les dettes de la ville ; qu'à la fin des trois années susdites ils compteroient de leur recette, tant des tailles que d'ailleurs, pardevant le prevôt ou bailli de Vermandois, qui viendroit oüir ce compte à Laon & y appelleroit les bonnes gens de la ville ; enfin que le compte rendu & appuré seroit envoyé par le bailli en la chambre des comptes, pour voir s'il n'y avoit rien à corriger. On voit que les élus faisoient eux-mêmes la recette des tailles pendant trois ans, c'est pourquoi ils étoient comptables, & en cette partie ils sont représentés par les receveurs des octrois, qui comptent encore aujourd'hui à la chambre.

A l'égard des subventions qui se levoient pour les besoins de l'état, par le ministere des élus de chaque ville ou diocese, on établissoit quelquefois audessus d'eux une personne qualifiée, qui avoit titre d'élu de la province, pour avoir la surintendance de la subvention ; c'est ainsi que lors de la guerre de Philippe de Valois contre les Anglois, Gaucher de Chatillon connétable de France fut élu par la province de Picardie, pour avoir la surintendance de la subvention qu'on y levoit, ce qu'il accepta sous certains gages ; l'auteur du traité de la pairie, pag. 58, dit en avoir vû les quittances, où il est qualifié d'élû de la province.

Il est encore parlé de tailles dans des lettres de Philippe de Valois, du mois d'Avril 1333, mais il n'y est pas parlé d'élus. Ces lettres, qui ont principalement pour objet la répartition d'une imposition de cent cinquante mille livres sur la sénéchaussée de Carcassonne, ordonnent seulement au sénéchal de faire appeller à cet effet pardevant lui ceux des bonnes gens du pays qu'il voudra.

On établit aussi des députés ou élus à l'occasion des droits d'aides, dont la levée fut ordonnée sur toutes les marchandises & denrées qui seroient vendues dans le royaume, par une ordonnance du roi Jean, du 28 Décembre 1355. Il y avoit bien eu déjà quelques aides ou subventions levées en tems de guerre sur tous les sujets du roi à proportion de leurs biens ; mais ces nouveaux droits d'aides auxquels ce nom est dans la suite demeuré propre, étoient jusqu'alors inconnus.

L'ordonnance du roi Jean porte que, pour obvier aux entreprises de ses ennemis (les Anglois), il avoit fait assembler les trois états du royaume, tant de la Languedoïl que du pays coûtumier, que la guerre avoit été résolue dans l'assemblée des états ; que pour faire l'armée & payer les frais & dépens d'icelle, les états avoient avisé que par tout le pays coûtumier il seroit mis une gabelle sur le sel, & aussi sur tous les habitans marchandans & repairans en icelui, il seroit levé une imposition de huit deniers pour livre sur toutes choses qui seroient vendues audit pays, excepté vente d'héritages seulement, laquelle seroit payée par le vendeur ; que ces gabelle & imposition seroient levées selon certaines instructions qui seroient faites sur ce ; que par les trois états seroient ordonnées & députées certaines personnes bonnes & honnêtes, solvables, loyales, & sans aucun soupçon, qui par les pays ordonneroient les choses dessus dites, qui auroient receveurs & ministres selon l'ordonnance & instruction qui seroit sur ce faite ; qu'outre les commissaires ou députés particuliers du pays & des contrées, seroient ordonnés & établis par les trois états neuf personnes bonnes & honnêtes, qui seroient généraux & superintendans sur tous les autres, & qui auroient deux receveurs généraux.

Qu'aux députés dessus dits, tant généraux que particuliers, seroient tenus d'obéir toutes manieres de gens de quelque état ou condition qu'ils fussent, & quelque privilége qu'ils eussent ; qu'ils pourroient être contraints par lesdits députés par toutes voies & manieres que bon leur sembleroit ; que s'il y en avoit aucun rebelle que les députés particuliers ne pussent contraindre, ils les ajourneroient pardevant les généraux superintendans, qui les pourroient contraindre & punir selon ce que bon leur sembleroit, & que ce qui seroit fait & ordonné par les généraux députés vaudroit & tiendroit comme arrêt du parlement.

Il est encore dit un peu plus loin, que lesdites aides & ce qui en proviendroit ne seroient levées ni distribuées par les gens (du roi) ni par ses thrésoriers & officiers, mais par autres bonnes gens, sages, loyaux, & solvables, ordonnés, commis, & députés par les trois états, tant ès frontieres qu'ailleurs où il conviendroit de les distribuer ; que ces commis & députés jureroient au roi ou à ses gens, & aux députés des trois états, que quelque nécessité qui advînt, ils ne donneroient ni ne distribueroient ledit argent au roi ni à autres, fors seulement aux gens d'armes & pour le fait de la guerre susdite.

Le roi promet par cette même ordonnance, & s'engage de faire aussi promettre sur les saints évangiles par la reine, par le dauphin, & tous les grands officiers de la couronne, superintendans, receveurs généraux & particuliers, & autres qui se mêleront de recevoir cet argent, de ne le point employer à d'autres usages, & de ne point adresser de mandemens aux députés, ni à leurs commis, pour distribuer l'argent ailleurs ni autrement ; que si par importunité ou autrement quelqu'un obtenoit des lettres ou mandemens au contraire, lesdits députés, commissaires ou receveurs jureront sur les saints évangiles de ne point obéir à ces lettres ou mandemens, & de ne point distribuer l'argent ailleurs ni autrement ; que s'ils le faisoient, quelques mandemens qui leur vinssent, ils seroient privés de leurs offices & mis en prison fermée, de laquelle ils ne pourroient sortir ni être élargis par cession de biens ou autrement, jusqu'à ce qu'ils eussent entierement payé & rendu tout ce qu'ils en auroient donné ; que si par avanture quelqu'un des officiers du roi ou autres, sous prétexte de tels mandemens, vouloient ou s'efforçoient de prendre ledit argent, lesdits députés & receveurs leur pourroient & seroient tenus de résister de fait, & pourroient assembler leurs voisins des bonnes villes & autres, selon ce que bon leur sembleroit, pour leur résister comme dit est.

On voit par cette ordonnance qu'il y avoit deux sortes de députés élus par les états, savoir les députés généraux, & les députés particuliers ; les uns & les autres étoient élus par les trois états, c'est pourquoi les députés généraux étoient quelquefois appellés les élûs généraux ; mais on les appelloit plus communément les généraux des aides : ceux-ci ont formé la cour des aides.

Les députés particuliers furent d'abord nommés commis, commissaires ou députés particuliers sur le fait des aides : ils étoient commis ou ordonnés, c'est-à-dire élûs par les trois états, c'est pourquoi dans la suite le nom d'élûs leur demeura propre.

On en établit dès-lors en plusieurs endroits du royaume, tant sur les frontieres qu'ailleurs où cela parut nécessaire.

Ils prétoient serment tant au roi qu'aux états, étant obligé de conserver également les intérêts du roi & ceux des états qui les avoient préposés.

Il ne paroît pas qu'ils fussent chargés de la recette des deniers, puisqu'ils avoient sous eux des receveurs & ministres à cet effet.

Leur fonction étoit seulement d'ordonner de tout ce qui concernoit les aides, & de contraindre les redevables par toutes voies que bon leur sembleroit ; ils connoissoient aussi alors de la gabelle, du sel, & de toutes autres impositions.

Ces députés particuliers ou élus, avoient pour cet effet tout droit de jurisdiction en premiere instance ; l'ordonnance dont on vient de parler, semble d'abord supposer le contraire, en ce qu'elle dit que s'il y avoit quelques rebelles que les députés ne pûssent contraindre, ils les ajourneroient devant les généraux superintendans ; mais la même ordonnance donnant pouvoir aux députés d'ordonner & de contraindre par toutes sortes de voies, il est évident qu'elle entendoit aussi leur donner une véritable jurisdiction, & qu'elle n'attribua aux généraux superintendans que le ressort.

Ce ne fut pas seulement pour les aides qui se levoient sur les marchandises que les trois états élûrent des députés, ils en établirent de même pour les autres impositions.

En effet, les états tenus à Paris au mois de Mars suivant, ayant accordé au roi une aide ou espece de capitation qui devoit être payée par tous les sujets du roi, à proportion de leurs revenus ; il fut ordonné que cette aide seroit levée par les députés des trois états en chaque pays, la gabelle fut alors abolie : ainsi les élus n'avoient plus occasion d'en ordonner. Les généraux députés de Paris avoient le gouvernement & ordonnance sur tous les autres députés : il devoit y avoir en chaque ville trois députés particuliers ou élus, qui auroient un receveur & un clerc avec eux, & ordonneroient certains collecteurs par les paroisses, qui s'informeroient des facultés de chacun ; que si les députés en faisoient quelque doute, les collecteurs assigneroient ceux qui auroient fait la déclaration par-devant les trois députés de la ville, lesquels pourroient faire affirmer devant eux la déclaration : mais les collecteurs pouvoient faire affirmer devant eux les gens des villages, afin de ne les point traduire à la ville ; ceci confirme bien ce qui a déja été dit de la jurisdiction qu'avoient dès-lors les élus. L'on doit aussi remarquer à cette occasion, que les collecteurs avoient alors entant qu'asséeurs des tailles une portion de jurisdiction, puisqu'ils faisoient prêter serment devant eux aux gens de la campagne, par rapport à la déclaration de leurs facultés.

Il y eut en conséquence de l'ordonnance dont on vient de parler, des députés ou élus commis par les états dans chaque diocèse, notamment en la ville de Paris, tant pour la ville que pour tout le diocèse.

Ces commissaires députés des états pour la ville & diocèse de Paris, donnerent le 20 Mars 1355, sous leurs sceaux une instruction pour les commis qu'ils envoyoient dans chaque paroisse de ce diocèse ; elle est intitulée, ordinatio per deputatos trium statuum generalium data : & à la marge il y a, declaratio subsidii, & personarum quae tenentur ad subsidium. La piece commence en ces termes ; les députés pour faire lever & cueillir en la ville & diocèse de Paris le subside dernierement octroyé ; à tel, &c. & plus loin il est dit, pour ce est-il que par vertu du pouvoir à nous commis ; vous mandons & commettons que tantôt & sans délai ces lettres vûes, vous appelliez avec vous le curé de.... & par son conseil élisiez ou preniez trois ou quatre bonnes personnes de bon état de la dite paroisse, avec lesquels vous alliez dans toutes les maisons demander la déclaration de leur état & vaillant ; c'est ainsi que se faisoit l'assiete de ces sortes d'impositions.

Le roi Jean par la même ordonnance dont on a déja parlé, établit aussi des élus pour le fait des monnoies ; il dit en l'article vij. nous par le conseil des superintendans élus par les trois états, élirons & établirons bonnes personnes & honnêtes, & sans soupçon pour le fait de nos monnoies, lesquelles nous feront serment en la présence desdits superintendans que bien & loyaument ils exerceront l'office à eux commis. Ces commissaires ou députés furent établis par lettres du 13 Janvier 1355.

Les députés particuliers sur le fait des aides furent qualifiés d'élûs dans une ordonnance que Charles dauphin de France, qui fut depuis le roi Charles V. donna au mois de Mars 1356, en qualité de lieutenant général du royaume pendant la captivité du roi Jean.

Il ordonne d'abord par le conseil des trois états, afin que les deniers provenans de l'aide ne soient point détournés de leur destination, qu'ils ne seront point reçus par les officiers du roi ni par les siens, mais par bonnes gens sages, loyaux & solvables à ce ordonnés élus & établis par les gens des trois états, tant ès frontieres qu'ailleurs où besoin sera ; que ces commis & députés généraux lui prêteront serment & aux gens des trois états ; que les députés particuliers feront de même serment devant les juges royaux des lieux, & que l'on y appellera une personne ou deux de chacun des trois états. Il paroît que ces députés devoient avoir la même autorité que ceux qui avoient été établis dans les provinces par l'article ij. de l'ordonnance du 28 Décembre 1355.

Il devoit y en avoir trois dans chaque diocèse, cependant la distribution de leurs départemens étoit quelquefois faite autrement : en effet on voit par une commission donnée en exécution de cette ordonnance, que le diocèse de Clermont & celui de S. Flour avoient les mêmes élus. Cette même commission les autorisoit à assembler à Clermont, à S. Flour, ou ailleurs dans ces diocèses, tous ceux des trois états desdits diocèses que bon leur sembleroit pour raison de l'aide.

Le dauphin Charles promit que moyennant cette aide, toute taille, gabelle, & autres impositions cesseroient.

Et comme il avoit eu connoissance que plusieurs sujets du royaume avoient été fort grevés par ceux qui avoient été commis à lever, imposer & exploiter la gabelle, imposition & subsides octroyés l'année précedente ; que de ce que les commis levoient, il n'y en avoit pas moitié employée pour la guerre, mais à leur profit particulier ; pour remédier à ces abus, faire punir ceux qui avoient malversé, & afin que les autres en prissent exemple, le dauphin ordonna par la même loi que les élus des trois états par les diocèses sur le fait de l'aide, lesquels il commit à ce, verroient le compte des élus, impositeurs, receveurs, collecteurs de l'année précedente ; qu'ils s'informeroient le plus diligemment que faire se pourroit, chacun en leur diocèse, de ce qui auroit été levé de ces impositions, en quelle monnoie, & par qui, & le rapporteroient à Paris le lendemain de quasimodo par-devers le roi & les gens des trois états, pour y pourvoir le mieux qu'il seroit possible.

Il est encore dit par la même ordonnance, que comme ceux qui étoient venus à Paris aux dernieres assemblées d'états, avoient encouru la haine de quelques officiers qui s'étoient efforcés de les navrer, blesser ou mettre à mort, & qu'il en pourroit arriver autant à ceux qui viendroient dans la suite à ces sortes d'assemblées, le prince déclare qu'il prend ces personnes sous la sauve-garde spéciale du roi son pere & de lui, & leur accorde que, pour la sûreté & défense de leur vie, ils puissent marcher avec six compagnons armés dans tout le royaume toutes fois qu'il leur plaira. Il défend à toutes personnes de les molester, & veut qu'au contraire ils soient gardés & conservés par tout le peuple, & enjoint à tous juges de les laisser aller eux & leur compagnie par tout où il leur plaira, sans aucun empêchement pour raison du port d'armes, & de leur prêter main-forte en cas de besoin s'ils en sont requis, pour les causes dessus dites. On voit par-là que le port d'armes étoit dès-lors défendu. Cette ordonnance paroît aussi être la premiere qui ait établi la distinction des asséeurs & des collecteurs d'avec les élus.

L'instruction qui fut faite par les trois états de la Languedoïl sur le fait de cette aide, porte qu'il y auroit en la ville de Paris dix personnes, & dans chaque évêché trois personnes des états, élus tant par les gens de Paris que des évêchés & diocèses autorisés de M. le duc de Normandie (c'étoit le dauphin).

Les bonnes villes & paroisses doivent élire trois, quatre, cinq, ou six personnes (qui sont en cet endroit les asséeurs) comme bon leur semblera, qui assoiront par serment ladite cueillete.

Il est aussi ordonné qu'il sera établi par les trois élus un ou plusieurs receveurs ès villes & évêchés de leur département (ce sont les collecteurs), qui recevront l'argent de ce subside en la maniere & au lieu ordonné par les élus.

Que les élus feront aussi-tôt publier que les gens d'église & les nobles ayent à donner la déclaration de leurs biens. Que les maires & échevins, & autres officiers des communes, ou les curés dans les lieux où il n'y a pas de commune, leur donneront aussi la déclaration du nombre de feux ; que les élus prendront note des bénéfices & de leur revenu, du nom des nobles & de leurs possessions, du nombre de feux de chaque lieu.

Enfin que les élus feront contraindre toutes lesdites personnes par leurs commis & députés, comme pour les propres dettes du roi, savoir, les gens du clergé vivans cléricalement, par les juges ordinaires de l'église ; & il semble par-là que les élus n'eussent pas alors de jurisdiction sur les ecclésiastiques.

Comme l'aide établie par l'ordonnance du roi Jean, du 28 Décembre 1355, n'avoit lieu que dans le pays coûtumier, les états de la Languedoïl accorderent de leur part au mois de Septembre 1356, une aide au roi ; & à cette occasion le dauphin Charles rendit encore une ordonnance au mois de Février suivant, portant que les états entretiendroient pendant un an 10000 hommes armés ; que pour l'entretien de ces troupes, chacun payeroit une certaine somme qui étoit une espece de capitation ; qu'en outre les sujets des prélats & des nobles, & les autres habitans qui auroient douze ans, & qui seroient aisés, payeroient un autre subside à proportion de leurs biens.

Que sur les sommes provenantes de ces impositions, la solde des gens de guerre leur seroit payée par quatre thrésoriers généraux choisi par les trois états, & que ces quatre thrésoriers généraux en nommeroient d'autres particuliers dans chaque sénéchaussée, pour lever les impositions.

Que le payement des gens de guerre seroit fait par les quatre thrésoriers généraux, sous les ordres de vingt-quatre personnes élues par les trois états, ou de plusieurs d'entr'eux ; que ces vingt-quatre élus seroient appellés au conseil du lieutenant du roi lorsqu'il le jugeroit à propos ; qu'eux seuls pourroient donner une décharge suffisante aux thrésoriers.

Que les trois états députeroient douze personnes, quatre de chaque ordre, pour recevoir les comptes tant des quatre thrésoriers généraux que des particuliers, & leur feroient prêter serment à eux & à leurs commis : que les thrésoriers généraux & particuliers ne rendroient compte à aucun officier du roi, quel qu'il fût, mais seulement aux douze députés des états, qui feroient aussi passer en revûe les gendarmes & les autres troupes, & leur feroient prêter serment.

Telle fut l'origine des élus qui sont encore nommés dans les pays d'états ; mais dans ces pays il n'y a pas communément de tribunaux d'élections, excepté dans quelques-uns comme dans les généralités de Pau, Montauban & Bourgogne ; il y a aussi dans ces mêmes pays d'états des juges royaux qui connoissent des matieres d'élection, & dont l'appel en ces matieres ressortit aux cours des aydes chacune en droit soi.

Les trois états de la Languedoïl assemblés à Compiegne, ayant accordé au dauphin Charles une nouvelle aide en 1358, le dauphin fit encore une ordonnance le 14 Mai de ladite année, par laquelle il revoque toutes lettres & commissions par lui données sur le fait des subsides & aides du tems passé, tant aux généraux de Paris qu'aux élus particuliers par les diocèses & autrement ; que les prélats & autres gens d'église, nobles & gens de bonnes villes avoient élû & éliroient des personnes pour gouverner l'aide qui venoit d'être octroyée.

Il ordonne ensuite que les élus des pays (de la Languedoïl) pourroient quant aux gens autres que de sainte église, faire modération loyalement, de bonne foi, sans fraude, comme ils verroient être à faire ; & que quant aux gens d'église demeurant dans lesdits plats pays connus, & qui y auroient leurs bénéfices, les prélats du lieu appellés, avec eux les élus & le receveur, pourroient les modérer quant au dixieme desdits bénéfices, après avoir oüi lesdits élus & receveur.

Que certaines personnes, c'est-à-savoir une de chaque état, seroient élûs par les gens d'église, nobles & bonnes villes & commis de par le dauphin, pour le fait desdites aydes, ordonner & mettre sus & gouverner ès lieux où ils seroient des commis & receveurs qui recevroient les deniers de cette aide. Que ces receveurs seroient ordonnés par les élus, par le conseil des bonnes gens du pays. Que les élus & receveurs feroient serment au roi ou à ses officiers, de bien & loyalement se comporter sur ce fait. Il n'est plus parlé en cet endroit de serment envers les états.

Les élus étoient alors au nombre de trois ; car le même article dit qu'ils ne pourroient rien faire de considérable sur ce fait l'un sans l'autre, mais tous les trois ensemble.

Ces élus avoient des gages & regloient ceux des receveurs : en effet l'article suivant porte que les autres aides du tems passé avoient été levées à grands frais, & qu'elles avoient produit peu de chose, à cause des grands & excessifs gages & salaires des élus particuliers, receveurs généraux à Paris. C'est pourquoi le dauphin ordonne que chacun des élus aura pour ses gages ou salaires 50 livres tournois pour l'année, & les receveurs au-dessous de ladite somme, selon ce que les élus regleroient par le conseil des bonnes gens du pays.

A l'occasion de cette aide le dauphin donna encore des lettres le même jour 14 Mai 1358, portant que dans l'assemblée des états de la Languedoïl, Messire Sohier de Voisins, chevalier, avoit été élu de l'état des nobles pour ladite aide, mettre sus & gouverner en la ville & diocèse de Paris, excepté la partie de ce diocèse qui est de la prevôté & ressort de Meaux ; que pour l'état de l'église, ni pour les bonnes villes & plats pays aucuns n'avoient été élus pour la ville de Paris ; & en conséquence il mande au prevôt de Paris ou son lieutenant, qu'ils fassent assembler à Paris les gens d'église & de la ville de Paris, & les contraindre de par le roi & le dauphin d'élire, savoir l'état de l'église, une bonne & suffisante personne ; & pour les gens de la ville de Paris & du pays, un bon & suffisant bourgeois, pour gouverner l'aide avec le susdit chevalier ; que si ces élus étoient refusans ou délayans de s'acquiter de ladite commission, ils y seroient contraints par le prevôt de Paris, savoir lesdits chevalier & bourgeois par prise de corps & biens, & celui qui seroit élu par l'église, par prise de son temporel ; que si lesdits gens d'église & bourgeois refusoient ou différoient de faire l'élection, le prevôt de Paris ou son lieutenant éliroit par bon conseil deux bonnes suffisantes personnes à ce faire, c'est-à-savoir de chacun desdits états avec ledit chevalier. L'exécution de ces lettres ne fut pas adressée aux généraux des aides, attendu que par d'autres lettres du même jour toutes les commissions de ces généraux avoient été revoquées comme on l'a dit ci-devant.

Enfin il est dit que les élus feront l'inquisition & compte du nombre des feux des bonnes villes & cités, & par le conseil des maires des villes ou atournés, dans les lieux où il y en a, sinon des personnes les plus capables.

Le roi Jean ayant, par son ordonnance du 5 Décembre 1360, établi une nouvelle aide sur toutes les marchandises & denrées qui seroient vendues dans le pays de la Languedoïl ; le grand conseil fit une instruction pour la maniere de lever cette aide, & ordonna que pour gouverner l'aide en chaque cité, & pour le diocèse, il y auroit deux personnes notables, bonnes & suffisantes : ainsi le nombre des élus fut réduit à deux, au lieu de trois qu'ils étoient auparavant.

Il fut aussi ordonné que l'imposition de douze deniers pour livre sur toutes les marchandises & denrées, autres que le sel, le vin & les breuvages, seroit donnée à ferme. Les cautions prises & les deniers reçus de mois en mois par les élus & députés en chaque ville, pour toute la ville & diocèse d'icelle, tant par eux que par les députés.

Les députés dont il est parlé dans cet article, & qui dans une autre ordonnance du 1er Décembre 1383, & autres ordonnances postérieures, sont nommés commis des élûs ; étoient des lieutenans, que les élus de chaque diocèse envoyoient dans chaque ville de leur département, pour y connoître des impositions. Ces élus particuliers furent depuis érigés en titre d'office par François I. ce qui augmenta beaucoup le nombre des élections, qui étoit d'abord seulement égal à celui des diocèses.

L'instruction du grand-conseil de 1360, portoit encore que les élus établiroient des receveurs particuliers en chaque ville, où bon leur sembleroit, pour lever l'aide du vin & des autres breuvages.

Que tous les deniers provenans de cette aide, tant de l'imposition des greniers à sel, que du treizieme des vins & de tout autre breuvage, seroient apportés & remis aux élus & à leur receveur, pour ce qui en auroit été levé dans la ville & diocèse de leur département ; que les deniers ainsi reçus, seroient mis par eux chaque jour en certaines huches, escrins, coffres, ou arches, bons & forts, & en lieu sûr ; & qu'à ces huches, coffres, &c. il y auroit trois serrures fermantes à trois diverses clés, dont chacun desdits élus & receveurs en auroit une ; & qu'ils donneroient, sous leurs sceaux, lettres & quittances des deniers reçus à ceux qui les payeroient.

Que lesdits élus & receveurs seroient tenus d'envoyer à Paris tous les deux mois par-devers les thrésoriers généraux ordonnés, & le receveur général, pour le fait de l'aide dessus-dite, tous les deniers qu'ils auroient par-devers eux ; & qu'ils en prendroient lettres de quittance desdits thrésoriers & receveur général.

S'il étoit apporté quelque trouble aux élus en leurs fonctions, ou qu'ils eussent quelque doute, l'ordonnance dit qu'ils en écriront aux thrésoriers généraux à Paris, lesquels en feront leur déclaration.

Enfin il est dit qu'il leur sera pourvû, & à leurs receveurs & députés, des gages ou salaires suffisans.

L'instruction, qui est ensuite, sur l'aide du sel, porte que, dans les villes où il n'y aura point de grenier établi, l'aide du sel sera vendue & donnée à ferme par les élus dans les cités, ou par leurs députés, par membres & par parties, le plus avantageusement que faire se pourra ; & que les fermiers seront tenus de bien applegier leurs fermes, c'est-à-dire, de donner caution, & de payer par-devers les élus & leur receveur, le prix de leurs fermes : sçavoir, pour les fermes des grandes villes, à la fin de chaque mois ; & pour celles du plat-pays, tous les deux mois.

Il sembleroit, suivant cet article, que les élus n'avoient plus d'inspection sur la gabelle, que dans les lieux où il n'y avoit point de grenier à sel établi : on verra cependant le contraire dans l'ordonnance de 1279, dont on parlera dans un moment.

Charles V. par une ordonnance du 19 Juillet 1367, regla que les élus de chaque diocèse aviseroient tel nombre d'entre les sergens royaux, qui leur seroit nécessaire pour faire les contraintes ; & qu'ils arbitreroient le salaire de ces sergens. C'est sans-doute là l'origine des huissiers attachés aux élections, & peut-être singulierement celle des huissiers des tailles.

Ce même prince ordonna au mois d'Août 1370, que les élus, sur le fait des subsides, dans la ville, prevôté, vicomté & diocèse de Paris, ne seroient point garants des fermes de ces subsides qu'ils adjugeroient, ni de la régie des collecteurs qu'ils nommeroient pour faire valoir la ferme de ces subsides, qui auroient été abandonnés par les fermiers.

Par deux ordonnances des 13 Novembre 1372, & 6 Décembre 1373, il défendit aux élus de faire commerce public ou caché d'aucune sorte de marchandises, à peine d'encourir l'indignation du roi, de perdre leurs offices, & de restitution de leurs gages ; il leur permit seulement de se défaire incessamment des marchandises qu'ils pourroient avoir alors.

Il ordonna aussi que les généraux diminueroient le nombre des élus.

Et dans l'article 18. il dit que pour ce qu'il est voix & commune renommée, que pour l'ignorance, négligence ou défaut d'aucuns élus & autres officiers, sur le fait des aides, & pour l'excessif nombre d'iceux, dont plusieurs avoient été mis plûtôt par importunité, que pour la suffisance d'iceux, les fermes avoient été adjugées moins sûrement, & souvent moyennant des dons ; que quelques-uns de ces officiers les avoient fait prendre à leur profit, ou y étoient intéressés ; qu'ils commettoient de semblables abus dans l'assiete des foüages, le chancelier & les généraux enverroient incessamment des réformateurs en tous les diocèses de Languedoc, quant au fait des aides ; que les élus & autres officiers (apparemment ceux qui auroient démérité) seroient mis hors de leurs offices ; qu'on leur en subrogeroit d'autres bons & suffisans ; que ceux qui seroient trouvés prud'hommes, & avoir bien & loyalement servi, seroient honorablement & grandement guerdonnés, c'est-à-dire recompensés, & employés à d'autres plus grands & plus honorables offices, quand le cas y écherroit.

L'instruction & ordonnance qu'il donna au mois d'Avril 1374, sur la levée des droits d'aides, porte que l'imposition de douze deniers pour livres seroit donnée à ferme dans tous les diocèses par les élus ; qu'ils affermeroient séparément les droits sur le vin : que ceux qui prendroient ces fermes, nommeroient leurs cautions aux élus : que ceux-ci ne donneroient point les fermes à leurs parens au-dessous de leur valeur : qu'ils feroient publier les fermes dans les villes & lieux accoûtumés, par deux ou trois marchés ou Dimanches, & les donneroient au plus offrant : que le bail fait, seroit envoyé aux généraux à Paris : qu'aucun élu ne pourra être intéressé dans les fermes du roi, à peine de confiscation de ses biens : que le receveur montrera chaque semaine son état aux élus : enfin, ce même réglement fixe les émolumens que les élus peuvent prendre pour chaque acte de leur ministere, & fait mention d'un réglement fait au conseil du roi, au mois d'Août précédent sur l'auditoire des élûs.

Cette piece est la premiere qui fasse mention de l'auditoire des élûs ; mais il est constant qu'ils devoient en avoir un, dès qu'on leur a attribué une jurisdiction.

Celui de l'élection de Paris étoit dans l'enclos du prieuré de S. Eloy en la cité ; comme il paroît par les lettres de Charles VI. du 2 Août 1398, dont on parlera ci-après en leur lieu. Il est dit au-bas de ces lettres qu'elles furent publiées à S. Cloy ; mais il est évident qu'il y a en cet endroit un vice de plume ; & qu'au lieu de S. Cloy, il faut lire S. Eloy, qui est le lieu où sont présentement les Barnabites.

Il paroît en effet que c'étoit en ce lieu où les élus tenoient d'abord leurs séances, avant qu'ils eussent leur auditoire dans le palais, où il est présentement.

Il y avoit anciennement dans l'emplacement qu'occupent les Barnabites & les maisons voisines, une vaste, belle & grande maison, que Dagobert donna à S. Eloy, lequel établit en ce lieu une abbaye de filles, appellée d'abord S. Martial, & ensuite S. Eloy. Les religieuses ayant été dispersées en 1107, on donna aux religieux de S. Maur-des-Fossés cette maison, qui fut réduite sous le titre de prieuré de S. Eloy : ce prieuré avoit droit de justice dans toute l'étendue de sa seigneurie, qui s'étendoit aussi sur une coulture, appellée de S. Eloy, où est présentement la paroisse S. Paul : elle avoit près du même lieu sa prison, qui subsiste encore, appellée la prison de S. Eloy ; mais la justice du prieuré qui appartenoit depuis quelque tems à l'évêché de Paris, fut supprimée en 1674, en même tems que plusieurs autres justices seigneuriales qui avoient leur siége dans cette ville.

On ignore en quel tems précisément les élus commencerent à siéger dans l'enclos du prieuré de S. Eloy, mais il y a apparence que ce fut dès le tems de S. Louis, lequel établit des élus pour la taille : ce prince habitoit ordinairement le palais situé proche S. Eloy. Philippe-le-Bel y logea le parlement en 1302 : mais comme ce prince & plusieurs de ses successeurs continuerent encore pendant quelque tems d'y demeurer, il n'est pas étonnant qu'on n'y eut pas placé dès-lors l'élection, non plus que bien d'autres tribunaux qui y ont été mis depuis.

D'ailleurs, comme la fonction des élus n'étoit pas d'abord ordinaire, ils n'avoient pas besoin d'un siége exprès pour eux : c'est apparemment la raison pour laquelle ils choisirent le prieuré de S. Eloy, pour y tenir leurs assemblées & séances ; & lorsque leur fonction devint ordinaire, & que le droit de jurisdiction leur fut accordé, ils établirent leur siége dans le prieuré de S. Eloy ; sans-doute pour être plus à portée du palais, & de rendre compte de leurs opérations aux généraux des aides.

Il y avoit dans l'ancienne église de S. Eloy, une chapelle fondée en 1339, par Guillaume de Vanves & Sanceline sa femme, en l'honneur de S. Jacques & de S. Maur, à laquelle Guillaume Cerveau, élu des aides, fit du bien en 1417 ; ce qui donna lieu de croire que les élus de Paris avoient encore leur siége dans ce Prieuré.

On ne voit pas s'il y avoit un siége exprès pour eux. Il est probable qu'ils tenoient leurs séances dans l'auditoire de la justice du prieuré ; de même qu'ils se servoient de la prison de cette justice, pour y renfermer ceux qui étoient detenus en vertu de leurs ordres ; en effet, cette prison est encore celle où l'on écroue les collecteurs, que l'on constitue prisonniers pour la taille, & autres personnes arrêtées à la requête du fermier général du roi, & en vertu des jugemens de l'élection ; & la cour des aides envoye ses commissaires faire la visite de cette prison toutes les fois qu'il y a séance aux prisons.

Ce ne fut probablement qu'en 1452, que l'auditoire de l'élection de Paris fut transféré dans le palais, & en conséquence de l'ordonnance du mois d'Août de ladite année, portant que le siége des élections seroit établi au lieu le plus convenable de leur ressort.

Comme toutes les impositions, dont les élus avoient la direction, étoient levées extraordinairement, pour subvenir aux dépenses de la guerre ; c'est de-là que dans des lettres de Charles V. du 10 Août 1374, ils sont nommés élûs & receveurs sur le fait de la guerre ; ce qui est une abréviation du titre qu'on leur donnoit plus souvent d'élûs sur le fait de l'aide ordonnée pour la guerre.

On voit par une ordonnance du 13 Juillet 1376, que c'étoient les élus qui donnoient à ferme l'imposition foraine dans chaque élection ; mais il paroît aussi par des lettres du roi Jean, du 27 Novembre 1376, adressées aux élus sur l'imposition foraine ; qu'il y avoit des élus particuliers pour cette sorte d'imposition.

Au mois de Novembre 1379, Charles V. fit une autre ordonnance sur le fait des aides & de la gabelle, portant, qu'attendu les plaintes faites contre les élus & autres officiers, ils seroient visités, & leurs oeuvres & gouvernement sûs ; que ceux qui ne seroient pas trouvés suffisans en discrétion, loyauté & diligence, ou n'exerceroient pas leurs offices en personne, en seroient mis dehors ; & qu'en leur place il en seroit mis d'autres, que le roi feroit élire au pays, ou qui seroient pris ailleurs, si le cas se présentoit.

Il défendit aux élus de mettre ès villes & paroisses du plat-pays des asséeurs des foüages ou collecteurs, mais que ces asséeurs & collecteurs seroient élus par les habitans des villes & paroisses ; que pour être mieux obéis, ils prendroient, s'il leur plaisoit, des élus, commission de leur pouvoir, qui leur seroit donnée sans frais.

Que si l'on ne pouvoit avoir aucun sergent royal pour faire les contraintes, les élûs ou receveurs donneroient à cet effet commission aux sergens des hauts-justiciers.

Que si dans les villes fermées il y avoit quelques personnes puissantes, qui ne voulussent pas payer, ou que l'on n'osât pas exécuter, elles seroient exécutées par les élus, leurs receveurs ou commis de la maniere la plus convenable, & contraintes de payer le principal & accessoires sans déport.

Le nombre des élus s'étant trop multiplié, Charles V. ordonna qu'il n'y en auroit que trois à Paris ; deux à Roüen, pour la ville & vicomté ; un à Gisors, un à Fescamp, & deux en chacun des autres diocèses.

Qu'aucun receveur ne feroit l'office d'élû.

Il révoqua & ôta tous les élûs receveurs généraux, excepté le receveur général de Paris.

Il ordonna encore qu'en chaque diocèse ou ailleurs où il y auroit des élus, il y auroit aussi avec eux un clerc (ou greffier) qui seroit gagé du roi, feroit le contrôle des livres des baux des fermes, des encheres, tiercemens, doublemens, amendes, tant du fait du sel, que des autres taxations, défauts, & autres exploits ; qu'il feroit les commissions du bail des fermes, & autres écritures à ce sujet, sans en prendre aucun profit, autre que ses gages ; que les élus ne scelleroient ni ne délivreroient aucune commission ou lettre, si le clerc ne l'avoit d'abord signée, & qu'il en enregistreroit auparavant la substance pardevers lui.

Que les oeuvres, c'est-à-dire les registres, qui seront envoyés en la chambre des comptes, quand le receveur voudroit compter, seroient clos & scellés des sceaux des élus, & signés en la fin du total de chaque subside, & aussi à la fin du total du livre, du seing manuel des élus & de leur clerc.

Si le grenetier d'un grenier à sel trouvoit quelques marchands ou autres personnes en contravention, il devoit requérir les élus du lieu qu'ils en fissent punition ; si c'étoit en lieu où il n'y eût point d'élus, mais seulement grenetier & contrôleur, ils en pouvoient ordonner selon la qualité du délit, &c.

Dans chaque diocèse, il devoit être mis certains commissaires (ou gardes des gabelles) par les élus grenetiers & contrôleurs des lieux. Ces gardes devoient prêter serment tous les ans aux élus & grenetiers de prendre les délinquans, & de les leur amener ; ou s'ils ne pouvoient les prendre, de revéler leurs noms aux élus & grenetiers.

Ceux-ci devoient aussi tous les ans faire prêter serment sur les saints évangiles aux collecteurs des foüages de chaque paroisse, de leur donner avis des fraudes qui pouvoient se commettre pour le sel.

Les élus, grenetiers, clercs, contrôleurs, & chacun d'eux, devoient aussi s'informer diligemment de toutes les contraventions au sujet du sel ; & après l'information, punir les coupables ; ou s'ils n'en vouloient pas connoître, les faire ajourner pardevant les généraux à Paris.

Les états d'Artois, du Boulonnois, du comté de Saint-Pol, ayant accordé une aide, commirent aussi des élus dans leur pays pour recevoir le payement de cette aide ; & ces élus furent autorisés par Charles VI. comme il est dit dans une ordonnance du mois de Juin 1381.

Il y avoit aussi en 1382 des élus dans la province de Normandie : car les habitans du Vexin-François obtinrent le 21 Juin de ladite année, des lettres de Charles VI. portant qu'ils payeroient leur part de l'aide qui avoit été établie, à des personnes préposées par eux, qui ne seroient point soûmises aux élus établis par les trois états de Normandie.

Le 26 Janvier de la même année 1382, Charles VI. donna des lettres, par lesquelles il autorisa les généraux des aides, toutes les fois que le cas le requerroit, de mettre, ordonner, & établir les élûs, de les substituer ou renouveller, si besoin étoit, en toutes les villes, diocèses, & pays où les aides avoient cours. Il y eut encore dans la suite d'autres lettres & réglemens, qui leur confirmerent le même pouvoir.

Dans le même tems, c'est-à-dire le 21 Janvier 1382, Charles VI. fit une instruction pour la levée des aides, qui contient plusieurs réglemens par rapport aux élus, pour la maniere dont ils devoient adjuger les fermes à l'extinction de la chandelle, & pour la fixation de leurs droits. Mais ce qui est plus remarquable, c'est ce qui touche leur jurisdiction. Il est dit que les élus auront connoissance sur les fermiers ; qu'ils feront droit sommairement & de plain (de plano), sans figure de jugement (ce qui s'observe encore) ; qu'en cas d'appel, les parties seront renvoyées devant les généraux sur le fait des aides à Paris, pour en ordonner & déterminer par eux ; que les élus feront serment d'exercer leurs offices en personne ; que si aucun appelle des élus, l'appellation viendra par-devant les généraux, comme autrefois a été fait : ce qui est dit ainsi, parce que l'on avoit cessé pendant quelques années, à cause des troubles, de lever des aides dans le royaume, & que cela avoit aussi interrompu l'exercice de toute jurisdiction sur cette matiere.

Ce que porte ce réglement au sujet de la jurisdiction des élus & de l'appel de leurs jugemens, est répété mot pour mot dans une autre instruction faite sur la même matiere au mois de Février 1383.

L'ordonnance que Charles VI. fit en la même année, qualifie les élus de collége, tant ceux des siéges généraux, que des siéges particuliers ; étant dit qu'en cas d'empêchement, ils pourront collégialement assemblés établir un commis (ou lieutenant), homme de bien, lettré, & expérimenté au fait de judicature.

Le même prince, par son ordonnance du mois de Fév. 1387, réduisit encore le nombre des élus, voulant qu'en chaque diocèse il n'y en eut que deux, un clerc, & un lai, excepté en la ville de Paris où il y en auroit trois, & que l'on y mettroit les plus suffisans par élection, appellés à ce, les gens du conseil du roi, & les généraux des aides.

L'instruction qu'il fit pour la levée des aides le 11 Mars 1388, portoit que dans les plus grands diocèses il n'y auroit qu'un élu pour le clergé, & deux élus lais ; que dans les lieux de recette où il n'y avoit pas d'évêché, il n'y auroit qu'un élu, moyennant que le receveur des aides seroit avec l'élu toutes les fois qu'il seroit nécessaire ; que cependant les élus qui étoient à Paris, y demeureroient jusqu'à ce que les généraux eussent fait leur rapport au roi des pays où ils devoient aller, & qu'alors il en seroit ordonné par le roi.

Que les clercs (greffiers) des élûs seroient mis à leurs périls, salaires, & dépens, sans prendre aucuns frais ni gages sur le roi ni sur le peuple, à cause de leurs lettres ou autrement, excepté ce qui leur étoit permis par l'instruction ancienne.

Que comme plusieurs élûs & autres officiers des aides y avoient été mis par faveur ; que plusieurs ne savoient lire ni écrire, ou n'étoient point d'ailleurs au fait des aides & des tailles qui avoient été mises en sus ; que les généraux réformateurs qui avoient été ordonnés depuis peu, feroient leur rapport au conseil de ceux qu'ils auroient appris à ce sujet, & que les élus qui seroient trouvés capables, seroient conservés dans leurs offices : les autres en seroient privés.

Une autre instruction que ce même prince fit le 4 Janvier 1392, veut que les élus lais & commis par le roi, connoissent du fait des aides comme par le passé, & pareillement l'élu pour le clergé. Il semble par-là que le roi ne commit que les élus lais, & que l'autre fut commis par le clergé.

Au mois de Juillet 1388, Charles VI. fit encore une nouvelle instruction sur les aides, portant, entr'autres choses, que si quelques officiers des aides étoient maltraités dans leurs fonctions par quelque personne que ce fût, noble ou non-noble, les élus ou grenetiers en informeroient ; que s'ils avoient besoin pour cet effet de conseil ou de force, ils appelleroient les baillifs & juges du pays, & le peuple même s'il étoit nécessaire ; qu'ils auroient la punition ou correction des cas ainsi advenus, ou bien qu'ils pourroient la renvoyer devant les généraux conseillers, lesquels pourroient aussi les évoquer & en prendre connoissance, quand même les élus ou grenetiers ne la leur auroient pas renvoyée.

Il est aussi défendu aux élus & à leur commis de prendre sur aucun fermier ni autre, douze deniers pour livre, comme quelques-uns s'ingéroient de prendre pour vinage ou pot-de-vin, ni aucun profit sur les fermes, à peine d'amende arbitraire & de privation de leurs offices. C'est sans-doute ce qui a donné occasion de charger les baux des fermes envers les cours des aides & élections, & de faire chaque année certains présens aux officiers.

Le même prince, par son ordonnance du 28 Mars 1395, portant établissement d'une aide en forme de taille, ordonna que cette aide ou taille seroit mise par les élus sur le fait des aides, ès cités, diocèses, & pays du royaume, qu'il avoit commis à cet effet par d'autres lettres.

Celles du 28 Août 1395, par lesquelles il institua trois généraux des finances, portent que ces généraux pourroient ordonner, commettre, & établir tous élus ; les destituer & démettre de leurs offices s'ils le jugeoient à-propos, sans que les généraux, pour le fait de la justice, pussent s'en entremettre en aucune maniere.

Le roi laissoit quelquefois aux élus le choix d'affermer les aides, ou de les mettre en régie ; comme on voit par des lettres du même prince du 2 Août 1398, adressées à nos amés les élûs sur le fait des aides ordonnées pour la guerre dans la ville & diocèse de Paris. Ces lettres continuent pour un an l'imposition de toutes denrées ou marchandises vendues, l'imposition des vins & autres breuvages vendus en gros, le quatrieme du vin & autres breuvages vendus en détail, l'imposition foraine, & la gabelle du sel ; & le roi mande aux élûs de Paris, de les faire publier & donner à ferme le plus profitablement que faire se pourra, ou de les faire cueillir & lever par la main du roi, c'est-à-dire par forme de régie. Il est marqué au bas de ces lettres, qu'elles ont été publiées à Saint-Eloi, devant les élûs de Paris.

Charles VI. fit encore plusieurs réglemens concernant les élûs ; par son ordonnance du 7 Janvier 1400, il régla qu'il n'y auroit à Paris sur le fait des aides que trois élus, & un sur le fait du clergé, c'est-à-dire pour les décimes qui se levoient sur le clergé.

Qu'en chacune des autres bonnes villes du royaume, & autres lieux où il y avoit ordinairement siége d'élûs, il n'y aura dorénavant que deux élus au plus avec celui du clergé, dans les lieux où il y en avoit ordinairement un ; que le nombre des élûs seroit encore moindre, si faire se pouvoit, selon l'avis des généraux ; & afin que lesdites élections fussent mieux gouvernées, que les élûs seroient pris entre les bons bourgeois, riches, & prud'hommes des lieux où ils seroient établis élûs. Cette ordonnance est, à ce que je crois, la premiere qui ait qualifié d'élection le siége des élus ; & depuis ce tems, ce titre est devenu propre à ces tribunaux. On dit pourtant encore quelquefois indifféremment une sentence des élûs, ou une sentence de l'élection.

La même ordonnance porte encore que ceux qui seroient ordonnés pour demeurer dans ces offices, ou qui y seroient mis de nouveau, auroient des lettres du roi sur ce, passées par les trois généraux & scellées du grand sceau.

Que comme on avoit proposé de donner à ferme au profit du roi les offices des clergiés des élus, & aussi les offices des greffes de leurs auditoires, cette affaire seroit débattue pour savoir ce qui seroit le plus avantageux. Cette disposition fait juger que les élus avoient alors deux greffiers, l'un pour les affaires contentieuses dont ils étoient juges, l'autre pour les opérations de finances dont ils étoient chargés.

Les commissions d'élus furent enfin érigées en titre d'office formé sous le regne de Charles VII. lequel, dans une ordonnance du mois de Juin 1445, appelle les élus ses juges ordinaires.

Les élus particuliers dont nous avons déjà touché quelque chose, furent aussi érigés en titre d'office par François I. L'appel de ces élus se relevoit d'abord devant les élus en chef. Par une déclaration de Charles VII. du 23 Mars 1451, il fut ordonné qu'il seroit relevé en la cour des aides ; mais par un édit du mois de Janvier 1685, les élus particuliers ont été supprimés & réunis aux élus en chef, & toutes les commissions furent érigées en élection en chef.

Il y a présentement 181 élections dans le royaume, qui sont distribuées dans les provinces & généralités, qu'on appelle pays d'élection. Savoir :

Dans les autres villes du duché de Bourgogne où il y a bailliage royal, le bailliage connoît des matieres d'élection ; & l'appel de leurs jugemens dans ces matieres va aux cours des aides, chacun selon leur ressort.

Les justices du Clermontois connoissent aussi des matieres d'élection, & l'appel de leurs jugemens dans ces matieres est porté à la cour des aides de Paris.

Chaque élection comprend un certain nombre de paroisses plus ou moins considérable, selon leur arrondissement. L'ordonnance faite au bois de Siraine en Août 1452, portoit que le ressort de chaque élection ne seroit que de cinq à six lieues au plus, afin que ceux qui seroient appellés devant les élûs, pussent y comparoître & retourner chez eux en un même jour.

Dans les pays d'états il n'y a point d'élection, si ce n'est dans quelques-uns, comme on l'a marqué ci-devant.

Les officiers dont chaque élection est composée, sont deux présidens, un lieutenant, un assesseur, & plusieurs conseillers, un procureur du roi, un greffier, plusieurs huissiers, & des procureurs.

L'office de premier président fut créé en 1578, supprimé en 1583, & rétabli au mois de Mai 1585.

L'office de second président fut créé d'abord en 1587, ensuite supprimé, puis rétabli par édit du mois de Mai 1702 ; & depuis, en quelques endroits, cet office a été réuni ou supprimé. A Paris il a été acquis par la compagnie de l'élection ; le président a néanmoins conservé le titre de premier président, quoiqu'il soit présentement seul président ; ce qui fut ainsi ordonné par un édit du mois de Janvier 1703, en faveur du sieur Nicolas Aunillon, en considération de ses services, & ce titre fut en même tems attaché à sa charge.

Le lieutenant, qui est officier de robe-longue, fut créé en 1587, pour siéger après les présidens, avec le même pouvoir que les élûs.

L'assesseur dans les élections où cet office subsiste, siége après le lieutenant.

Le nombre des conseillers n'est pas par-tout le même ; à Paris il y en a vingt, outre le président, le lieutenant & l'assesseur. Dans les autres grandes villes il devoit y en avoir huit, présentement il n'y en a que quatre. La création des deux premiers en titre d'office, est du tems de Charles VII, le troisieme fut créé par édit du 22 Juillet 1523.

Les contrôleurs des tailles, qui furent établis par édit de Janvier 1522, & autres édits postérieurs, faisoient aussi dans plusieurs élections la fonction d'élûs, & en pouvoient prendre la qualité, suivant l'édit du mois de Mai 1587 : c'est ce qui a formé le quatrieme office d'élûs. Ces offices de contrôleurs ont depuis été réunis aux élections, ensorte que tous les élûs peuvent prendre le titre de contrôleur ; mais il y a eu depuis d'autres contrôleurs, créés pour contrôler les quittances des tailles.

Les qualités de président, lieutenant, & de conseiller, furent supprimées par édit de l'an 1599, avec défenses à eux de prendre d'autre qualité que celle d'élûs, & le nombre de ces officiers réduit à trois élûs & un contrôleur, vacation advenant par mort ou forfaiture ; que jusqu'à ce ils se partageroient par moitié, pour exercer alternativement autant d'officiers en une année qu'en l'autre ; mais en 1505 les qualités de président, lieutenans & de conseillers furent rétablies, & tous furent remis en l'exercice de leurs charges, comme auparavant, pour servir continuellement & ordinairement, ainsi qu'ils font encore présentement.

Une des principales fonctions des élûs est d'asseoir la taille sur les paroisses de leur département, & pour cet effet ils font chacun tous les ans, au mois d'Août, leur chevauchée ou tournée dans un certain nombre de paroisses, pour s'informer de l'état de chaque paroisse ; savoir si la récolte a été bonne, s'il y a beaucoup d'exempts & de privilégiés, & en un mot ce que la paroisse peut justement porter. Voyez ce qui en a été dit ci-devant au mot CHEVAUCHEE DES ELUS.

Suivant l'article 12. de la déclaration du 16 Août 1683, les élus vérifiant les rôles faits par les collecteurs, n'y peuvent rien changer, sauf aux cottisés à s'opposer en surtaux.

Le même article leur défend de retenir les rôles plus de deux ou trois jours pour les calculer & vérifier, à peine de payer le séjour des collecteurs, & de demeurer responsables des deniers de la taille en leurs propres & privés noms.

L'article 13 du réglement de 1673, & l'article 11 de la déclaration de 1683, leur ordonnent de remettre au greffe de l'élection les rôles, trois jours après la vérification qu'ils en auront faite, à peine de radiation de leurs gages & droits, & d'interdiction de leurs charges pour trois mois.

Ils connoissent entre toutes sortes de personnes, de toutes contestations civiles & criminelles pour raison des tailles & autres impositions, excepté de celles dont la connoissance est attribuée spécialement à d'autres juges, comme les gabelles. La déclaration du 11 Janvier 1736, attribue au président la faculté de donner seul la permission d'informer & décerner seul les decrets ; & en son absence le plus ancien officier, suivant l'ordre du tableau, a le même pouvoir. L'exécution de cette déclaration a été ordonnée par arrêts du conseil des 29 Mai & 20 Novembre 1736 ; & le 16 Octobre 1743 il y a eu une nouvelle déclaration qui confirme celle de 1736. La déclaration du 16 Octobre 1743, l'autorise aussi à faire les interrogatoires, rendre les jugemens à l'extraordinaire, & les jugemens préparatoires, procéder aux recollemens & confrontations, & généralement faire toute l'instruction & rapport du procès, & rendre toutes les ordonnances qui peuvent être données par un seul juge dans les siéges ordinaires qui connoissent des matieres criminelles. En cas d'absence ou autre empêchement du président, toutes ces fonctions sont attribuées au lieutenant, ou autre plus ancien officier.

L'appel des sentences & ordonnances des élections, est porté aux cours des aides, chacune dans leur ressort.

L'édit du mois de Janvier 1685 avoit uni les greniers à sel & les élections établis dans les mêmes villes, pour ne faire qu'un même corps d'élection & grenier à sel ; mais par édit d'Octobre 1694, les greniers à sel ont été desunis des élections.

Les officiers des élections joüissent de plusieurs privileges, dont le principal est l'exemption de la taille, chacun dans l'étendue de leur élection. L'édit de Juin 1614 n'accordoit ce privilege qu'à ceux qui résidoient en la ville de leur jurisdiction : ils furent ensuite exemptés par le reglement du mois de Janvier 1634, sans être assujettis à la résidence.

La déclaration du mois de Novembre 1634 révoqua tous leurs priviléges.

Mais par une autre déclaration du mois de Décembre 1644, vérifiée en la cour des aides au mois d'Août 1645, le roi les a rétablis dans l'exemption de toutes tailles, crûes, emprunts, subventions, subsistances, contribution d'étapes, logement de gens de guerre, tant en leur domicile, maison des champs, que métairies ; payement d'ustensiles, & de toutes levées pour lesdits logemens, & autres contributions faites & à faire, pour quelque cause & occasion que ce soit ; même en la joüissance de toutes autres impositions qui seroient faites par les habitans des lieux où lesdits officiers se trouveroient demeurans, soit par la permission de Sa Majesté ou autrement, pour quelque cause & occasion ; pour en joüir eux & leurs veuves ès lieux de leurs résidences, pourvû qu'ils ne fassent acte dérogeant auxdits privileges, commerce, ou tiennent ferme d'autrui ; leur laissant la liberté d'établir leur demeure où bon leur semblera, nonobstant les édits contraires.

La déclaration du 22 Septembre 1627, leur donnoit aussi droit de committimus au petit sceau, mais n'ayant pas été enregistrée, ils ne joüissent pas de ce droit, excepté ceux de l'élection de Paris, auxquels il a été attribué en particulier, tant par l'ordonnance de 1669, que par une déclaration postérieure du mois de Décembre 1732.

Ils ont rang dans les assemblées publiques, après les juges ordinaires du lieu, soit royaux ou seigneuriaux ; ils précedent tous autres officiers, tels que ceux des eaux & forêts, les maire & échevins.

Les offices de judicature, soit royaux ou autres, sont compatibles avec ceux des élections, suivant la déclaration du mois de Décembre 1644. Voyez les décisions sur les ordonnances des tailles & de la jurisdiction des élûs, par Dagereau ; traité des élections, par Vieville ; Chenu, des offices, tit. des élections. Voyez aussi les auteurs qui traitent de la cour des aides & des tailles, & au mot TAILLES. (A)

ELECTION se dit aussi d'une partie de la Pharmacie, qui est celle qui apprend à choisir les drogues medicinales & les simples, & à distinguer les bonnes & les mauvaises. Voyez PHARMACIE.

Il y a des auteurs qui distinguent une élection générale, qui donne les regles & les caracteres des remedes en général, & une particuliere pour chaque remede en particulier. Chambers.


ELECTORALadject. (Hist. mod.) se dit d'une chose qui se rapporte ou convient à un électeur.

Le prince électoral est le fils aîné d'un électeur, & l'héritier présomptif de sa dignité. Voyez PRINCE. On traite les électeurs d'altesse électorale. Voyez ALTESSE.

Les princes qui sont revêtus de la dignité électorale, ont dans les assemblées impériales la préséance au-dessus de tous les autres. Le roi de Boheme qui cede à plusieurs autres rois, ne le cede à aucun dans les dietes pour l'élection d'un empereur ou d'un roi des Romains, les électeurs ont par conséquent la préséance sur les cardinaux : l'empereur les traite de dilection, sans pourtant leur donner la main. Heiss histoire de l'Empire, tome III.

Le collége électoral, qui est composé de tous les électeurs d'Allemagne, est le plus illustre & le plus auguste corps de l'Europe. Bellarmin & Baronius attribuent l'institution du collége électoral au pape Grégoire V. & à l'empereur Othon III. dans le x. siecle : presque tous les Historiens & les Canonistes sont de ce sentiment. Wiquefort pense autrement, & tâche de faire voir par l'élection des empereurs suivans, que le nombre des électeurs n'étoit point fixé, & que la dignité électorale n'étoit point annexée à certaines principautés, à l'exclusion de certains princes d'Allemagne. Il ajoûte qu'il n'y a eu rien de réglé là-dessus avant Charles IV. & que la publication de la bulle d'or n'a eu pour objet que de prévenir les schismes, & assûrer le repos de l'Empire par un réglement en forme.

Ce fut donc la bulle d'or publiée en 1356, qui forma le college électoral, & réduisit à sept le nombre des électeurs ; mais il a été depuis augmenté de deux. Voyez COLLEGE & BULLE. Voyez aussi ELECTEURS, CONSTITUTION DE L'EMPIRE, EMPIRE, DIETE, &c.

Couronne électorale, c'est un bonnet d'écarlate entouré d'hermine, fermé par un demi-cercle d'or, le tout couvert de perles : il est surmonté d'un globe, avec une croix au-dessus. Voyez COURONNE. Voyez le dictionn. de Trév. & Chambers.


ELECTORATS. m. (Hist. & droit public d'Allemagne) c'est le nom qu'on donne en Allemagne aux territoires ou fiefs immédiats qui sont possédés par les électeurs, comme grands officiers de l'Empire. Voyez ELECTEURS.

C'est l'empereur qui donne l'investiture des électorats, comme des autres fiefs immédiats de l'Empire. On ne peut créer de nouvel électorat en Allemagne, sans le consentement non-seulement des électeurs, mais encore de tous les états. Un électorat ne peut être ni vendu ni aliéné, ni partagé ; mais il appartient de plein droit au premier né d'un électeur laïc. Lorsque la ligne directe d'un électeur vient à manquer, l'électorat doit passer au plus proche des agnats de la ligne collatérale. Quant aux électorats ecclésiastiques, ils sont déférés à ceux qui ont été élus par les chapitres. Voyez l'article ELECTEURS.


ELECTRICITÉS. f. (Physique) ce mot signifie en général, les effets d'une matiere très-fluide & très-subtile, différente par ses propriétés de toutes les autres matieres fluides que nous connoissons ; que l'on a reconnue capable de s'unir à presque tous les corps, mais à quelques-uns préférablement à d'autres ; qui paroît se mouvoir avec une très-grande vîtesse, suivant des lois particulieres ; & qui produit par ses mouvemens des phénomenes très-singuliers, dont on va essayer dans cet article de donner une histoire,

Les sentimens des Physiciens sont partagés sur la cause de l'électricité ; tous cependant conviennent de l'existance d'une matiere électrique plus ou moins ramassée autour des corps électrisés, & qui produit par ses mouvemens les effets d'électricité que nous appercevons ; mais ils expliquent chacun différemment les causes & les directions de ces différens mouvemens. Voyez FEU ELECTRIQUE, où nous rapporterons leurs opinions. Nous nous contenterons d'exposer ici les principaux phénomenes de l'électricité, & les lois que la nature a paru suivre en les produisant.

Comme on ne connoît point encore l'essence de la matiere électrique, il est impossible de la définir autrement que par ses principales propriétés. Celle d'attirer & de repousser les corps legers, est une des plus remarquables, & qui pourroit d'autant mieux servir à caractériser la matiere électrique, qu'elle est jointe à presque tous ses effets, & qu'elle en fait reconnoître aisément la présence, même dans les corps qui en contiennent la plus petite quantité.

On trouve dans les plus anciens monumens de la Physique, que les Naturalistes ont connu de tout tems au succin la propriété d'attirer des pailles & autres corps legers. On s'est apperçû par la suite que les corps bitumineux & résineux, tels que le soufre, le jayet, la cire, la résine, avoient aussi cette propriété ; que le verre, les pierres précieuses, la soie, la laine, le crin, & presque tous les poils des animaux, avoient la même vertu ; qu'il suffit de bien sécher chacun de ces corps, & de les frotter un peu, pour voir voler vers eux tous les corps legers, qu'on leur présente. Sur ces exemples on a depuis chauffé un peu plus vivement, & frotté avec plus de patience une infinité d'autres corps, & on leur a trouvé aussi la même propriété, ensorte qu'en poussant plus loin cet examen, on s'est assûré que tous les corps de la nature peuvent devenir électriques, pourvû qu'ils soient auparavant parfaitement séchés & frottés.

Néanmoins les métaux se sont constamment soustraits à cette épreuve ; rougis, frottés, battus, limés, ils n'ont jamais donné le moindre signe d'attraction électrique ; ensorte qu'ils sont une exception à la regle générale, ainsi que l'eau & toutes les liqueurs qu'il est impossible de soûmettre au frottement.

En examinant à quel degré tous les corps de la nature deviennent électriques par l'effet du frottement, on voit que l'on peut descendre par une infinité de nuances de ceux qui s'électrisent beaucoup & facilement, à ceux dont la vertu se rend à peine sensible, jusqu'à ce qu'on arrive aux métaux sur lesquels, comme on vient de le dire, le frottement n'a aucun effet ; c'est pourquoi on a partagé en deux classes générales tous les corps de la nature, suivant qu'ils sont plus ou moins susceptibles d'électricité.

On a compris dans la premiere classe, ceux qui s'électrisent très-facilement après avoir été un peu chauffés & frottés, & on les appelle simplement corps électriques : tels sont,

1° Les diamans blancs & colorés de toutes especes, le rubis, le saphir, le péridore, l'émeraude, l'opale, l'amethyste, la topase, le beril, les grenats, enfin le crystal de roche, & tous ceux qu'on appelle cailloux du Rhin, de Médoc, &c.

2° Le verre & tous les corps vitrifiés ; savoir les émaux de toute couleur, la porcelaine, le verre d'antimoine, de plomb, &c.

3° Les baumes, larmes & résines de toutes especes, telles que la poix noire, la poix-résine, la terebenthine cuite, la colophane, le baume du Pérou, le mastic, la gomme-copal, la gomme-lacque, & la cire, &c.

4° Les bitumes, le soufre, le succin, le jayet, l'asphalte, &c.

5° Certains produits des animaux, tels que la soie, les plumes, le crin, la laine, les cheveux, & tous les poils des animaux morts ou vivans.

La seconde classe contient les corps qui ne s'électrisent pas du tout par le frottement, ou du moins très-peu, & que l'on nomme pour cet effet non électriques ; savoir,

1° L'eau & toutes les liqueurs aqueuses & spiritueuses, qui sont incapables de s'épaissir & d'être frottées.

2° Tous les métaux parfaits & imparfaits, & la plûpart des minéraux, savoir l'aimant, l'antimoine, le zinc, le bismuth, l'agathe, le jaspe, le marbre, le grais, l'ardoise, la pierre de taille, &c.

3° Tous les animaux vivans, à l'exception de leurs poils. On peut y joindre aussi la plûpart de leurs produits, savoir le cuir, le parchemin, les os, l'ivoire, la corne, les dents, l'écaille, la baleine, les coquilles, &c.

4° Enfin les arbres & toutes les plantes vivantes & la plûpart des choses qui en dépendent, telles que le fil, la corde, la toile, le papier, &c.

Ce n'est pas que ces corps ne puissent jamais devenir électriques par d'autres moyens que par la chaleur & le frottement, mais parce que ces deux préparations leur sont ordinairement insuffisantes. En effet, quoique les métaux & les liqueurs ne puissent pas devenir électriques par la voie du frottement, ils le deviennent très-bien, comme nous le verrons dans la suite, dans la simple approche d'un autre corps électrisé. Il est vrai que ces corps ne peuvent manifester la vertu qu'ils reçoivent, que dans de certaines circonstances, & qu'ils la perdent avec la même facilité qu'ils la reçoivent, si on ne prend pas quelque précaution pour la leur conserver, & la fixer, pour ainsi dire, dans leur étendue. Cette précaution, pour le dire d'avance, consiste à les poser sur des corps électriques un peu élevés, & à les éloigner suffisamment de ceux qui pourroient leur enlever les courans de matiere électrique, à mesure qu'on les répandroit sur eux.

Ainsi une barre de fer deviendra électrique par l'approche d'un tube de verre frotté, si elle est soûtenue horisontalement par deux autres tuyaux de verre bien secs, ou suspendue par des cordons de soie, ou enfin posée sur un pain de résine de quelques pouces d'épaisseur ; & on électrisera de même l'eau & les autres métaux, ainsi que tous les autres corps qui ne pouvant être électrisés que très-peu par le frottement, sont rangés dans la classe des non-électriques. Ceux-ci acquéreront même beaucoup plus d'électricité par le moyen que nous venons d'indiquer, qu'on ne leur en pourroit jamais exciter en les frottant.

Le frottement a paru nécessaire en général pour exciter les mouvemens de la matiere électrique, & rendre apparens ses effets d'attraction & de répulsion, & il y a même très-peu de corps qui puissent devenir électriques sans cette préparation ; cependant il suffit que quelques-uns le soient devenus sans ce secours, ni celui de la communication, pour qu'on puisse conclure que le frottement n'est pas absolument essentiel à la production des effets de l'électricité. En effet, un gros morceau de succin ou de jayet, dont la surface est large & bien polie, un cone de soufre fondu dans un verre à boire bien sec, &c. conserve de la vertu électrique pendant des années entieres & sans le secours d'aucun frottement, foible à la vérité, mais qui n'est pas moins bien caractérisée par l'attraction & la répulsion d'un cheveu. On peut joindre à ces exemples celui d'une pierre plate & orbiculaire que l'on trouve dans quelques-unes des rivieres de Ceylan, & qui attire & repousse successivement des paillettes, sans qu'il soit jamais besoin de la frotter pour exciter sa vertu.

Mais si le frottement ne paroît pas absolument nécessaire pour produire de l'électricité, on ne sauroit nier qu'il n'y contribue infiniment ; car sans parler du plus grand nombre des corps qui n'ont jamais de vertu électrique qu'à force de frottement, il est constant, par des expériences réitérées, que ceux même qui ont cette vertu sans ce secours, produisent des effets électriques d'autant plus considérables qu'ils sont plus vivement frottés.

Il est également nécessaire que les corps que l'on veut électriser par le frottement, soient exemts de toute humidité : celle qu'ils contiendroient dans leurs pores, & qui paroît d'ailleurs se répandre sur eux, paroît un obstacle bien décidé à ce qu'ils deviennent électriques. On a beau frotter un corps humide, il n'a jamais qu'une vertu foible & languissante ; au lieu que lorsqu'il est bien sec, le moindre frottement suffit pour exciter la matiere en abondance, & lui faire produire les effets les plus sensibles. De même la vertu électrique n'est jamais plus apparente dans un corps que lorsque l'air est bien sec & bien serein, sur-tout s'il souffle un vent frais du nord ou du nord-est : au contraire lorsque le vent est du sud ou de l'oüest, & que l'air se trouve chargé de vapeurs humides, les effets de l'électricité sont à peine sensibles ; en sorte que les corps qui ne montrent qu'une médiocre électricité par un tems sec, paroissent n'en point avoir du tout dans un tems humide & pluvieux, & c'est sans-doute parce que les grandes chaleurs sont presque toûjours accompagnées d'humidité, que les expériences sur l'électricité réussissent moins bien en été qu'en hyver.

Cependant cette condition n'est pas plus essentielle que le frottement à la production de l'électricité : l'humidité enleve & détourne la matiere électrique, mais elle n'empêche pas qu'elle ne soit excitée : elle ne nous ôte que l'apparence de ses effets sans les anéantir véritablement, car si on respire sur un morceau d'ambre échauffé, ou sur un tuyau de verre, immédiatement après qu'ils auroient été frottés, ils cesseront tout-à-coup de paroître électriques, mais leur vertu se rétablira aussi-tôt que l'humidité se sera évaporée, ensorte qu'ils produiront comme auparavant tous leurs effets d'attraction & de répulsion.

La flamme paroît nuire plus positivement à l'électricité ; en approchant seulement une bougie allumée d'un tube de verre frotté, ou d'une barre de fer électrisée par communication, on voit sensiblement diminuer leur vertu électrique, lors même que la bougie en est encore éloignée de 12 à 15 pouces. Cette vertu disparoît à vûe d'oeil, à mesure qu'on approche la bougie de plus près, ensorte que si on porte subitement la flamme sur ces corps électriques, leur vertu cesse aussi-tôt, & ne se rétablit qu'avec peine par un nouveau frottement. Le charbon & tous les corps embrasés produisent le même effet, aussi-bien que les métaux qu'on a fait rougir jusqu'au blanc : ceux-ci n'ont cependant pas la même propriété, quand ils sont seulement bien échauffés & qu'ils ne commencent qu'à rougir ; ce qui prouveroit que ce n'est pas par l'effet de la chaleur que disparoît la vertu électrique, mais plûtôt par l'effet des vapeurs & des émanations particulieres que les corps embrasés laissent échapper. On s'attend bien par cet effet de la flamme sur les corps actuellement électriques, que les corps enflammés ne sauroient guere être attirés ; aussi l'approche d'un tube électrique n'excite-t-elle aucun mouvement dans la flamme d'une bougie, ni dans un morceau de papier enflammé & suspendu par un fil.

On ignore quel est le plus électrique de tous les corps, à cause de la difficulté qu'il y a de les comparer exactement volume à volume ; cependant on a reconnu en général que le diamant & les pierres précieuses, le crystal de roche, &c. deviennent plus fortement électriques que les corps résineux : mais il n'y en a pas dont les Physiciens se soient plus servis que du verre, tant parce qu'il est naturellement très-électrique, que parce que l'on a la facilité de lui donner toute sorte de formes commodes, comme celle d'un tube, d'un globe ou d'un cylindre. Le tube a ordinairement trois piés de longueur, un pouce & demi de diamêtre, & une ligne & demie d'épaisseur : ces dimensions ne sont que commodes, & ne sont point essentielles pour produire de l'électricité : il est plus avantageux qu'il soit fermé hermétiquement par une de ses extrémités, & que l'on puisse boucher l'autre avec un bouchon de liége, pour empêcher la poussiere & l'humidité de s'y introduire. On le frotte suivant sa longueur après l'avoir un peu séché au feu ; & de toutes les matieres qu'on peut employer pour le frotter, il n'y en a pas qui réussisse mieux que la main seche, ou garnie d'un morceau de papier pour en absorber l'humidité. Les effets de cet instrument sont très-sensibles, il est souvent le plus commode, & c'est par son moyen que les Physiciens ont fait leurs principales découvertes sur l'électricité.

Pour éviter la fatigue du frottement, & aussi pour rendre les phénomenes électriques beaucoup plus forts & plus apparens, on a substitué au tube un globe de verre creux, d'environ un pié de diamêtre & aussi d'une ligne & demie d'épaisseur : par le moyen de deux calottes de bois tournées & mastiquées extérieurement aux endroits de ses poles, on peut le retenir entre deux pointes comme les ouvrages du tour, & le faire tourner rapidement sur son axe par le mouvement d'une grande roue semblable à celle dont se servent les couteliers. (Voyez la figure 78 expliquée dans nos Planches de Physique) En appliquant les mains sous l'équateur de ce globe, tandis qu'il tourne avec rapidité, on excite sur cette partie de sa surface un mouvement beaucoup plus vif qu'on ne peut faire avec le tube, la matiere électrique est excitée en bien plus grande abondance, & il en résulte de plus grands effets. Quoiqu'il soit plus avantageux de frotter ce globe avec les mains nues & bien seches, quelques Physiciens ont imaginé pour une plus grande simplicité & uniformité, de le frotter avec un coussinet un peu concave & serré convenablement contre l'équateur du globe ; ils ont employé avec succès différentes matieres pour recouvrir ce coussinet, & quelques-uns ont préféré une feuille de papier doré, dont la dorure est appliquée contre le globe. L'usage du coussinet a fait imaginer de substituer au globe un vaisseau de verre cylindrique, qu'on peut faire tourner & frotter de la même maniere. Voyez la figure 79.

Le verre frotté sous l'une ou l'autre de ces formes, acquiert en peu de tems une vertu électrique très-considérable, elle se fait appercevoir par le mouvement des corps legers qu'il attire vivement à la distance de deux à trois piés ; on sent alors, en approchant le visage ou la main, l'impression de la matiere électrique qui se répand de dessus le verre, & qui fait l'effet d'un voile délié qu'on passeroit très-legerement sur la peau de ces parties. Ces émanations continuent à se répandre tant que l'on frotte le verre, & lorsqu'on cesse de frotter, elles continuent encore quelque tems en diminuant graduellement jusqu'à ce qu'enfin elles s'évanoüissent.

L'application des autres corps électriques bien secs, sur la superficie du tube ou du globe frottés, ne diminue pas sensiblement leur vertu : on a beau les toucher en différens endroits avec un autre tube de verre, un morceau d'ambre, de soufre ou de cire d'Espagne, on n'appercevra aucun changement ni dans l'étendue de leurs émanations ni dans leur vivacité à attirer ou à repousser les corps legers, non plus que dans la durée de leur vertu. Au contraire le voisinage des corps non électriques, ou leur application immédiate sur le tube, diminue très-promtement l'électricité qu'on a produite par le frottement, ensorte qu'on éteint presqu'en un moment toute sa vertu, en l'empoignant dans l'endroit où il a été frotté, ou bien en le présentant par cet endroit à du metal ou à quelqu'autre corps aussi peu électrique.

Cette propriété qu'ont les métaux d'éteindre presque en un instant la vertu d'un corps électrique frotté, n'a lieu qu'autant qu'ils établissent une communication entre le corps électrique & la terre, au moyen de laquelle les émanations qu'il répand se dirigent & se transmettent promtement à notre globe ; car si l'on applique à l'extrémité d'un tube un corps non électrique quelconque, comme un morceau de métal ; & qu'on frotte le tube à l'ordinaire, en prenant garde que ce corps qu'on aura attaché au tube ne touche point à aucun autre, non-seulement ce métal ne diminuera pas la vertu du tube, parce qu'il n'établit plus de communication avec la terre, mais il deviendra lui même électrique, & sera capable d'attirer & de repousser les petits corps legers.

Si l'on attache à l'extrémité du tube des corps naturellement électriques, tels qu'un morceau de verre, un bâton de soufre ou de cire d'Espagne, ces corps ne diminueront pas non plus, comme nous l'avons déjà dit, la vertu du tube, mais ils ne recevront jamais de lui comme les métaux la propriété d'attirer & de repousser de petits corps legers : d'où l'on voit que les courans de la matiere électrique passent avec une très-grande facilité dans les corps non électriques, puisque ceux-ci en deviennent électrisés, & qu'ils leur servent de moyens pour se dissiper & se répandre dans la terre ; au lieu que les corps naturellement électriques ne reçoivent rien du tube, & ne sauroient transmettre ses émanations. Voici quelques expériences qui confirmeront cette vérité.

I. Expérience. Si on met une barre de fer ou tout autre corps non électrique sur un guéridon de verre d'un pié & demi de hauteur & bien sec, ou sur un pain de cire un peu épais, sur une masse de soufre ou de résine, &c. ensorte que cette barre soit absolument isolée & éloignée de tout autre corps ; aussitôt qu'on approchera d'elle un tube de verre nouvellement frotté, elle pourra attirer de petites feuilles d'or battu, ou d'autres corps legers, de tous les points de sa surface, & elle conservera cette vertu pendant quelques minutes, même après qu'on aura éloigné le tube.

Ces effets d'attraction & de repulsion seront d'autant plus vifs & plus sensibles, que le tube aura été plus rapidement frotté, que l'air de l'atmosphere sera plus sec, ou dans l'égalité de toutes ces circonstances, suivant que la barre aura plus d'étendue en longueur & en surface ; ensorte qu'un long tuyau de fer-blanc de quatre à cinq pouces de diamêtre, ainsi électrisé par le tube, paroîtra attirer beaucoup plus vivement qu'une simple barre de fer moins grosse & beaucoup plus pesante.

Mais si au lieu d'un corps métallique on met sur le guéridon de verre quelque corps que ce soit, facile à électriser par le frottement ; par exemple, un long tuyau de verre bien sec, un écheveau de soie, un pain de résine, ou un long canon de soufre ; aucun de ces corps ne deviendra électrique par l'approche du tube, ou ne recevra tout au plus qu'une très-foible vertu.

Nous exceptons cependant un cas particulier, dans lequel le verre associé à des corps non-électriques, reçoit beaucoup d'électricité par communication. Ce cas, dont l'examen nous meneroit trop loin, a rapport à la fameuse expérience de Leyde. Voyez cette expérience au mot COUP-FOUDROYANT.

II. Expérience. Lorsqu'on électrise une barre de fer posée sur un guéridon de verre, si quelqu'un y applique le bout du doigt, elle cessera aussi-tôt d'être électrique, quelque rapidement que l'on continue de frotter le tube ; & la même chose arrivera, si au lieu d'y mettre le doigt, on y attache une petite chaîne de métal qui traîne jusqu'à terre. Cependant si la personne qui touche la barre, est montée sur un pain de résine ; ou si la chaîne, au lieu de traîner à terre, est soûtenue par un cordon de soie, non-seulement la barre deviendra électrique, comme à l'ordinaire, en approchant le tube, mais la personne & la chaîne recevront aussi de l'électricité par communication.

III. Expérience. Si au lieu de toucher à la barre avec le doigt, on lui touche avec un morceau de verre bien sec, un bâton de cire d'Espagne, un morceau d'ambre ou de jayet, elle deviendra tout aussi électrique à l'approche du tube, que si rien ne lui touchoit.

On voit donc par ces expériences, que les corps non-électriques, tels que les métaux, les hommes, &c. reçoivent de la matiere électrique par la simple approche du tube de verre frotté ; qu'ils transmettent cette même matiere, & la partagent avec les autres non-électriques qui leur sont contigus ; au lieu que les corps naturellement électriques ne reçoivent rien du tube, & ne permettent pas à ses émanations de se répandre : car si le verre, la soie, la cire d'Espagne, le soufre, &c. n'avoient pas la propriété d'arrêter la matiere électrique, les phénomenes de l'électricité ne nous seroient jamais rendus sensibles, & les courans de cette matiere se dissiperoient dans la terre sans que nous nous en apperçûssions, à mesure qu'ils sortiroient du tube. C'est pourquoi on employe ces sortes de corps pour supporter ceux à qui on veut communiquer de l'électricité. On se sert de cordons de soie, de crin ou de laine, quand ils ne sont pas trop pesans, & qu'il est plus commode de les suspendre. On pose les plus solides sur des pié-d'estaux garnis de glaces étamées par-dessous, sur des pains de cire jaune, ou sur des masses de poix & de résines seules ou mêlées ensemble, & auxquelles il est bon d'ajoûter du soufre en poudre, pour leur donner plus de dureté & de sécheresse. On verse ces matieres fondues & mêlées, dans des caisses de bois de deux piés en quarré, & de deux pouces de profondeur, ce qui forme des gâteaux très-commodes pour électriser des hommes. On doit toûjours prendre garde que tous ces supports soient bien secs & un peu chauffés auparavant que de faire les expériences ; & l'on doit choisir, autant qu'il est possible, un lieu sec & vaste.

Les expériences suivantes vont répandre encore plus de lumiere sur toutes ces observations, en même tems qu'elles feront connoître de nouvelles propriétés de la matiere électrique. Nous avons préféré de rapporter celles dans lesquelles on électrise par communication une ou plusieurs personnes, parce qu'elles nous découvrent quelques phénomenes que le sentiment seul peut faire appercevoir ; mais à l'exception de ces phénomenes, on doit entendre que tout ce qui arrive à des personnes électrisées, arrive aussi aux métaux & aux autres corps non-électriques, pourvû qu'ils soient exactement dans les mêmes circonstances.

IV. Expérience. Si dans un lieu suffisamment spacieux, on fait monter un homme sur un pain de résine bien sec, d'environ quinze pouces de diamêtre, & de sept à huit pouces d'épaisseur, & que d'une main cet homme touche legerement la partie supérieure du globe, tandis qu'on le frotte & qu'il tourne avec rapidité, au bout de quelques secondes il deviendra électrique depuis les piés jusqu'à la tête, ainsi que dans ses habits, & on pourra observer les phénomenes suivans.

1°. Son autre main & toutes les parties de son corps attireront & repousseront de très-loin les petits corps legers ; savoir à la distance de trois à quatre piés, & même davantage, si le tems est favorable.

2°. Tous les corps non-électriques qu'il tiendra dans sa main, s'électriseront comme lui, pourvû qu'ils ne touchent qu'à lui seul, ou qu'ils soient supportés par des corps électriques bien séchés. Bien loin que ces corps en s'électrisant diminuent la vertu que la personne aura reçue du globe, elle paroîtra au contraire un peu plus forte, tant dans cette personne que dans les corps qu'elle tiendra : & si on augmente prodigieusement l'étendue de ces corps, sur-tout en surface & en longueur, par exemple, si on fait communiquer cette personne à une longue chaîne de fer, ou encore mieux à de gros & longs tuyaux de fer-blanc suspendus à des cordons de soie, la vertu électrique paroîtra de beaucoup plus forte dans la personne électrisée, ainsi que la surface de la chaîne ou des tuyaux.

3°. Si cette personne donne la main à une autre semblablement posée sur un pain de résine, celle-ci deviendra aussi électrique que la premiere ; & il en arrivera de même à autant de personnes que l'on voudra, pourvû qu'elles soient toutes posées sur des matieres électriques, comme des pains de résine, &c. & qu'elles se communiquent uniquement entr'elles, soit en se donnant la main, soit en tenant les extrémités d'une barre ou d'une chaine de fer, ou de tout autre corps semblable qui puisse transmettre l'électricité. Mais la vertu cessera dans toutes à la fois, si une personne qui n'est point électrique, en touche une seule de la bande, ou s'il y a quelqu'autre communication directe avec des corps non-électriques. Il est cependant arrivé quelquefois, lorsque l'électricité étoit bien forte, qu'une personne est descendue de dessus le pain de résine, & a marché quelques pas dans une chambre, sans perdre entierement son électricité : mais on a toûjours observé que sa vertu diminuoit très-rapidement ; & que cette expérience, qui paroît contraire aux effets ordinaires de l'électricité, n'avoit lieu que dans un tems très-sec, & sur un plancher naturellement un peu électrique.

4°. Si la premiere personne qui a sa main étendue sur le globe cesse de le toucher tandis qu'on le frotte, elle conservera pendant quelque tems l'électricité qu'elle aura reçue, ainsi que toutes les personnes qui seront électrisées avec elle, cependant les effets d'attraction & de répulsion s'affoibliront insensiblement jusqu'au point de disparoître ; mais ils s'évanoüiroient sur le champ, si cette personne en touchoit une autre qui ne fût pas électrique.

Les grands tuyaux de fer-blanc électrisés de cette maniere, conservent leur électricité bien plus longtems que les animaux après qu'on a interrompu leur communication avec le globe ; ce qui arrive vraisemblablement parce que leur matiere électrique ne se dissipe pas comme dans les animaux avec celle de la transpiration ; mais ils perdent comme eux dans un instant toute la vertu qui leur a été communiquée, dès qu'une personne qui n'est point électrique, leur touche du bout du doigt en quelque point que ce soit. Le départ de la matiere électrique est marqué comme son entrée, par une étincelle qui frappe le doigt de celui qui leur touche, & cette étincelle est également vive en quelque endroit qu'on présente le doigt.

5°. Si une personne qui n'est point électrisée approche graduellement la main du visage de la premiere, elle sentira l'impression d'une atmosphère fluide, qui environne tout le corps de la personne électrisée, & en continuant d'approcher le doigt de quelque partie saillante, du nez, par exemple, le doigt & le nez paroîtront lumineux dans l'obscurité ; enfin quand ces deux parties s'approcheront encore davantage, il sortira avec bruit une étincelle très-éclatante qui frappera les deux personnes en même tems, & leur fera sentir une douleur d'autant plus vive que l'électricité sera plus forte. Cette étincelle sortira pareillement de toutes les parties de la personne électrisée, desquelles on approchera le doigt, & même au-travers de ses habits.

C'est dans l'explosion de cette étincelle, que s'élance la matiere électrique dans les corps auxquels elle se communique ; ainsi des tuyaux de fer-blanc suspendus par des cordons de soie, seront électrisés tout-d'un-coup par une seule étincelle qui sort du doigt de la personne électrisée par le globe : & toutes choses égales d'ailleurs, cette étincelle sera, comme la vertu attractive, d'autant plus forte que ces tuyaux auront plus d'étendue en surface & en longueur.

6°. Lorsqu'on s'approche assez près d'une personne électrisée, on sent exhaler de son corps une odeur extraordinaire que quelques-uns rapportent à celle du phosphore d'urine : cette odeur est remarquable dans toutes les parties de la personne électrisée, & même dans tous les corps non électriques qu'elle tient dans sa main : elle sort de même d'un tuyau de fer-blanc électrisé immédiatement par le globe, & elle s'imprime pendant quelque tems dans les corps que l'on présente à ceux qui sont électrisés pour en faire sortir de la lumiere.

V. Expérience. On a posé sur des cordons de soie tendus horisontalement, à quatre ou cinq piés audessus de la surface de la terre, un fil-de-fer d'un quart de ligne de diamêtre, & long d'environ deux mille toises : une de ses extrémités étoit arrêtée par un cordon de soie au-dessus du globe, afin d'en recevoir de l'électricité, & on a suspendu à l'autre une balle de plomb, de laquelle on approchoit de tems en tems des feuilles d'or battu, pour reconnoître si elle devenoit électrique.

Après cinq ou six tours de roue l'électricité a passé dans le fil-de-fer, & s'est communiquée très-promtement jusqu'à la balle de plomb, en sorte que les feuilles d'or ont été attirées & repoussées à la distance de cinq à six pouces.

2°. Cette balle est devenue pareillement électrique en quelqu'endroit du fil-de-fer qu'elle ait été suspendue, soit à son extrémité proche du globe, soit dans son milieu, soit partout ailleurs dans toute son étendue : il y a beaucoup d'apparence que la matiere électrique se répandroit également dans un fil-de-fer d'une longueur encore bien plus considérable.

3°. Tous les corps qu'on s'est avisé de substituer à la balle de plomb se sont électrisés pareillement, & ont attiré la feuille d'or, mais non pas tous avec une égale vivacité ; car les métaux, les animaux vivans, & les liqueurs, ont attiré toûjours plus vivement que le bois, la pierre, & les autres corps un peu électriques ; en général ceux-ci attiroient d'autant plus foiblement qu'ils avoient plus de disposition à s'électriser par la voie du frottement.

4°. Non-seulement la balle de plomb & tous les corps suspendus ont attiré & repoussé les feuilles d'or, mais il en est sorti lorsqu'on leur a présenté le doigt, des étincelles lumineuses, comme lorsqu'on électrisoit une personne posée sur un gateau de résine ; & cette étincelle n'a pas été plus vive lorsque la balle étoit suspendue proche du globe, que lorsqu'elle étoit à l'autre extrémité du fil-de-fer.

5°. Tous ces effets ont entierement cessé lorsqu'une personne qui n'étoit point électrique a pincé le fil-de-fer proche l'une ou l'autre de ses extrémités, & ils ont recommencé à paroître dès qu'on a cessé de le toucher. Cependant si cette personne étoit montée sur un gateau de résine, elle avoit beau toucher le fil-de-fer, il restoit aussi électrique qu'auparavant.

6°. Les mêmes effets arrivoient, quoiqu'avec un peu plus de peine, quand on substituoit aux cordons de soie qui servoient de supports, des cordons de crin ou de laine : mais il ne paroissoit rien si les cordons étoient de chanvre, de fil, ou si les cordons de soie étoient mouillés, & encore moins si on s'étoit servi de fil d'archal ou de laiton, ou de toute autre matiere qui pût transmettre l'électricité.

7°. Lorsqu'on substituoit au grand fil-de-fer une corde de chanvre, la balle pendue à son extrémité devenoit électrique, mais avec plus de difficulté que lorsqu'elle étoit au bout du fil-de-fer, sur-tout si la corde étoit seche ; car lorsque la corde étoit bien mouillée, l'électricité passoit beaucoup mieux.

8°. Si on substituoit au fil-de-fer un cordon de soie bien sec, ou un long tuyau de verre, ils ne recevoient l'un & l'autre qu'une électricité très-foible ; elle n'étoit plus sensible dans le tuyau de verre, à 12 piés du globe, & à 25 dans le cordon de soie.

9° Lorsqu'on électrisoit un long fil-de-fer comme dans le premier cas de cette expérience, si on le coupoit en un ou plusieurs endroits, ensorte que les extrémités coupées fussent arrêtées vis-à-vis l'une de l'autre, à une distance moindre qu'un pié, la matiere électrique s'élançoit au-travers de toutes ces interruptions, & se faisoit appercevoir jusque dans la balle suspendue à l'extrémité la plus éloignée du fil-de-fer. Un vent très-violent que l'on excita par le moyen d'un soufflet dans une de ces interruptions, n'empêcha pas la matiere électrique de passer, non plus que tous les corps naturellement électriques qu'on s'avisa d'interposer, savoir un carreau de verre, une plaque de cire d'Espagne, un mouchoir de soie, &c. mais tous les corps non électriques, tels que la main d'un homme, la pointe d'une épée nue, & même une gase humide, arrêterent la propagation de la matiere électrique & l'empêcherent de parvenir jusqu'à la balle. La flamme d'une bougie l'arrêta subitement, mais la fumée ne l'interrompit pas : un glaçon interposé & tous les corps mouillés l'intercepterent ; enfin l'on mit sur un guéridon de verre assez élevé une grande cuvette pleine d'eau, dans laquelle on fit plonger un bout de fil mouillé, qui pendoit de chacune des extrémités coupées du fil-de-fer ; la matiere électrique passa avec la même facilité que si le fil-de-fer n'eût jamais été coupé, & l'eau de la cuvette se trouva entierement électrisée.

10°. Lorsqu'un homme posé sur un gateau de résine a présenté la pointe d'une épée dans l'une de ces interruptions du fil-de-fer, il est devenu aussi-tôt électrique, quoique ni l'épée ni lui n'eussent point touché au fil-de-fer ; & dans ce cas l'épée interposée n'a pas empêché la propagation de la matiere électrique jusqu'à la balle : d'où l'on voit que la matiere électrique passe librement au-travers d'une médiocre quantité d'air, sans se déranger de sa direction, quoiqu'elle se répande latéralement dans les corps qui sont capables de la recevoir.

11°. Si l'on suspend verticalement par des cordons de soie un cercle de fil de laiton d'environ trois piés de diamêtre, & qu'on fasse passer le fil-de-fer des expériences précédentes, à peu-près par le centre de son plan sans toucher à sa circonférence, de maniere qu'il demeure toûjours perpendiculaire au plan de ce cercle, l'électricité communiquée du globe au fil-de-fer se fera appercevoir très-sensiblement dans ce cercle de laiton à quelque distance du globe qu'il soit placé, & on électrisera tout autant de pareils cercles qu'on en placera avec de semblables précautions dans toute la longueur du fil-de-fer ; d'où l'on voit que les émanations électriques se répandent en tout sens, & même à une distance assez considérable du corps électrisé.

12°. On a disposé le même fil-de-fer sur des cordons de soie bien secs, de maniere qu'après avoir parcouru mille toises en ligne droite, il fit un double coude & revint parallelement jusqu'auprès du globe, en laissant 9 à 10 piés d'intervalle entre ses deux branches : chacune de ses extrémités étoit éloignée du globe de 7 à 8 piés, & arrêtée vis-à-vis à un cordon de soie bien sec, & la balle de plomb étoit suspendue à l'une d'elles. Une chaîne de fer fixée au-dessus du globe avec un autre cordon de soie en recevoit l'électricité par une de ses extrémités ; l'autre bout de cette chaîne étoit fixé à une canne de verre de cinq piés de long, en sorte qu'on pouvoit transmettre quand on vouloit, au fil-de-fer, l'électricité du globe, en lui appliquant le bout de la chaîne fixé à la canne de verre. Tout étant ainsi préparé, on a frotté le globe, & après cinq ou six tours de roue on a appliqué la chaîne à une des extrémités du fil-de-fer arrêtée à la soie ; on a observé que dans le même instant, la balle suspendue à son autre extrémité attiroit les feuilles d'or. On a répeté la même expérience, en approchant le doigt de la balle, au lieu de lui présenter les feuilles d'or, afin d'en tirer une étincelle ; & l'on a observé que l'étincelle frappoit le doigt, au même instant qu'on appliquoit la chaîne à l'autre extrêmité du fil-de-fer : cet instant étoit aisément saisissable par une semblable étincelle qui sortoit du bas de la chaîne, quand on l'approchoit du fil-de-fer : or ces deux étincelles partoient en même tems, sans qu'on pût y remarquer la moindre succession.

13°. Lorsqu'on électrisoit ce même fil-de-fer plié en deux, comme dans l'expérience précédente, en le touchant simplement une fois avec la chaîne, & en la retirant aussi-tôt ; on s'est apperçu que sa vertu électrique se conservoit pendant cinq à six minutes plus ou moins, suivant l'état de l'atmosphere. On a remarqué aussi que cette vertu s'évanoüissoit dès qu'on avoit tiré l'étincelle en le touchant du doigt, quelque part que ce fût. Comme donc on avoit observé dans l'expérience précédente, que la matiere électrique s'étoit élancée dans un instant, d'une des extrémités de ce fil-de-fer jusqu'à l'autre, on a cherché à découvrir si cette matiere pourroit revenir sur ses pas avec la même vîtesse : c'est pourquoi on a encore électrisé le fil-de-fer en lui appliquant la chaîne ; & on s'est assûré par les feuilles d'or, que l'électricité étoit parvenue jusqu'à la balle : alors on a présenté le doigt à cette même extrêmité du fil-de-fer, à laquelle la chaîne venoit d'être appliquée, & il en est sorti aussitôt une étincelle ; au même instant on présenta les feuilles d'or à la balle qui ne les a pas attirées ; d'où il a paru évident que la matiere électrique répandue dans le fil-de-fer, s'étoit toute portée vers le doigt en rétrogradant avec une vîtesse presque infinie.

On voit par le détail de ces expériences : 1°. Que la matiere de l'électricité se communique à tous les corps non électriques, de quelque grandeur & de quelqu'étendue qu'ils puissent être ; & que les effets de cette matiere nous sont sensibles tant qu'ils ne tiennent qu'à des corps électriques, & qu'ils ne communiquent point à d'autres.

2°. Que cette matiere se répand dans ces corps en une quantité d'autant plus considérable, qu'ils ont plus de surface & de longueur ; qu'elle se distribue uniformément dans toute leur étendue, ensorte qu'elle n'est jamais plus abondante dans une partie que dans une autre.

3°. Qu'après s'être communiquée de cette maniere, elle en sort avec la même liberté, dès qu'on lui établit quelque part une communication avec la terre.

4°. Que de médiocres interruptions dans la continuité de ces corps électrisés, n'empêchent pas la propagation du fluide électrique, & qu'il passe avec assez de facilité au-travers de l'air.

5°. Que cette matiere se répand avec une vîtesse prodigieuse, puisqu'elle parcourt un espace de 2000 toises dans un instant indéfinissable.

6°. Qu'elle se meut en rétrogradant, avec la même vîtesse, à la simple approche d'un corps non électrique.

7°. Enfin qu'on peut accumuler une grande quantité de cette matiere en appliquant le globe à des corps non électriques, d'une très-grande étendue & parfaitement isolés, comme à des lames de métal très-longues & d'une grande superficie. On a trouvé depuis quelques années, d'autres moyens de condenser dans un très-petit espace beaucoup de matiere électrique : nous examinerons ailleurs ces différens moyens. Voyez COUP-FOUDROYANT & FEU ELECTRIQUE.

Les conséquences que nous venons de tirer des expériences précédentes, font connoître en général les lois que la nature observe dans les phénomenes de l'électricité, & dans la distribution qui se fait de la matiere électrique dans les différens corps ; on peut les regarder comme autant de principes, qui servent à expliquer la plus grande partie des effets surprenans de cette matiere, & à rendre raison de toutes les précautions qu'il faut prendre pour le succès des expériences : c'est pourquoi nous avons jugé à propos de faire précéder l'examen que nous allons faire des autres propriétés de cette matiere.

Le premier effet qui nous manifeste dans un corps la présence de la matiere électrique, est l'attraction des petits corps legers qu'on lui présente : les corps naturellement électriques peuvent attirer de tous les points de leur surface ; mais ils n'attirent guere que ceux qui ont été frottés, & leur attraction est toûjours dirigée suivant la ligne la plus courte : c'est ce qu'il est aisé de voir, en frottant un globe de verre, & en le plaçant au milieu d'un grand cercle de fer, garni dans sa circonférence de plusieurs brins de fil égaux, & plus courts que le rayon du cercle : tous ces fils qui devroient pendre parallelement par l'effet de leur gravité, seront dirigés vers le centre du globe, s'il a été frotté sur son équateur, ou bien vers le centre de tout autre cercle parallele, que l'on aura frotté ; comme s'ils étoient devenus des rayons de ces cercles. Un tube de verre, un bâton de cire d'Espagne, un morceau d'ambre, n'attirent jamais que par le côté par lequel ils ont été frottés.

Mais les corps qui sont électrisés par communication attirent sensiblement de tous les points de leur surface, & il paroît autant qu'on en peut faire l'estimation par les effets, que leur force attractive est également répandue dans tous leurs points. On voit néanmoins que la matiere électrique se détermine plus facilement vers les angles & aux parties saillantes des barres qu'on électrise, qu'au milieu des surfaces planes : ainsi un globe de métal attire également de tous les points de sa superficie, & il en est de même d'un parallelepipede ; cependant l'attraction sera toûjours plus sensible aux angles de ce dernier corps, qu'au milieu d'une de ses longues surfaces : mais cette variété dans la force attractive ne dépend, suivant toute apparence, que de la figure ; car un tuyau de fer-blanc conique paroît attirer bien plus fortement par la circonférence de son plus grand cercle, que par sa pointe.

Le mouvement par lequel les corps legers tendent vers les corps électriques, est toûjours réciproque ; celui qui est le plus mobile, va constamment vers celui qui est fixe, & toûjours par le plus court chemin : s'ils sont mobiles tous les deux, ils s'avanceront l'un vers l'autre ; on va voir dans les expériences suivantes des exemples de ces différens mouvemens.

1°. Présentez un tube électrique à de petites feuilles d'or posées sur une plaque de cuivre polie, elles voleront aussi-tôt vers le tube.

2°. Suspendez un tube électrique par deux cordons de soie, de la longueur d'une aulne, & présentez-lui une feuille d'or, que vous tiendrez entre vos doigts, le tube s'avancera vers la feuille.

3°. Si une personne électrisée, & montée sur un pain de résine, tient dans sa main la plaque de cuivre poli, sur laquelle soient posées les feuilles d'or ; & qu'une autre personne, qui n'est point électrisée, approche le doigt au-dessus de la plaque, on verra aussi-tôt les feuilles d'or, qui étoient devenues électriques par communication, se porter vers le doigt de la personne qui n'est point électrisée.

4°. Enfin si l'on suspend deux boules de papier doré, à six pouces de distance l'une de l'autre, la premiere par un fil de soie de deux à trois piés, & l'autre par un fil d'argent très-fin & de même largeur ; & si on approche le tube de la boule qui est suspendue par de la soie pour l'électriser, ces deux boules s'avanceront l'une vers l'autre avec une égale vîtesse, quoiqu'il n'y en ait qu'une seule d'électrisée.

Tous les corps legers, excepté la flamme, sont attirés par les corps électriques, mais non pas tous avec la même force : les feuilles d'or, d'argent, de cuivre battu, & en général toutes les particules métalliques, amincies & rendues legeres, paroissent, toutes choses égales, être attirées plus vivement que les autres corps. Mais la matiere, & même la figure des corps sous lesquels on pose ces parties minces des métaux, apporte une grande différence dans les effets sensibles d'attraction ; ces supports doivent être parfaitement non électriques : & à cet égard, rien ne convient mieux que des plaques de métal poli ; ainsi, toutes choses égales, les feuilles d'or seront attirées bien plus vivement de dessus une plaque de cuivre poli, que l'on tiendra à la main, que de dessus une glace de même grandeur. L'élévation du support doit être proportionnée à l'étendue du corps électrique, & il est toûjours plus avantageux que ces supports soient élevés de deux ou trois piés de terre ; car on aura toûjours beaucoup plus de peine à attirer avec le tube, des feuilles d'or posées à terre sur une plaque de cuivre, que si cette même plaque étoit tenue à la main, ou portée par un guéridon de métal, d'un pié ou deux d'élévation. Par la même raison, si la tablette du guéridon est d'une très-petite surface, si elle est un peu convexe, les feuilles d'or seront encore mieux attirées, que si cette surface étoit large, ou qu'elle eût des rebords un peu élevés. L'expérience suivante va faire voir combien il est avantageux que les corps legers soient isolés, pour qu'ils soient attirés de plus loin. Si on met des feuilles d'or au milieu d'une plaque de cuivre d'un pié quarré, qui forme la tablette supérieure d'un guéridon de métal, & qu'on examine jusqu'à quelle distance on est obligé d'en approcher le tube électrique, pour qu'elles soient attirées ; on verra que cette distance sera toûjours beaucoup plus petite, que lorsque ces feuilles d'or seront posées sur un des angles de la plaque : & quand les feuilles d'or sont au milieu, si l'on pose autour d'elles un anneau de métal de cinq à six pouces de diamêtre, & d'un pouce ou deux d'épaisseur ; on aura beau approcher le tube électrique, on ne pourra jamais les attirer. La même chose arrivera, si au lieu de l'anneau on met d'équerre à droite & à gauche, à quatre ou cinq pouces de distance de ces feuilles, deux autres plaques quarrées de quatre pouces de hauteur environ (voyez la figure 80) ; jamais le tube ne pourra attirer les feuilles, à moins qu'on ne l'approche d'elles à la distance d'un demi-pouce : mais si pendant qu'on le présente à la distance d'un pié, quelqu'un ôte subitement l'anneau, ou les deux plaques posées d'équerre, les feuilles d'or voleront aussi-tôt vers le tube. Les conditions les plus favorables pour qu'un corps leger soit attiré, sont donc, 1° qu'il soit parfaitement non électrique.

2°. Qu'il soit d'un tres-petit volume.

3°. Qu'il soit supporté par un corps non électrique, presque terminé en pointe, & suffisamment élevé.

4°. Enfin, qu'il n'y ait point dans son voisinage d'autre corps non électrique plus près que lui du tube, qui puisse en détourner les émanations.

A l'attraction succede ordinairement la répulsion, c'est-à-dire, que lorsqu'une feuille d'or a été attirée par un tube, elle en est aussi-tôt repoussée, & s'en éloigne. Cette répulsion n'est guere sensible, quand l'électricité est foible ; mais dès qu'elle devient un peu plus forte, la feuille d'or ne manque guere d'être repoussée aussi-tôt qu'elle s'est assez approchée pour toucher le tube. Enfin, quand l'électricité est très-forte, il n'y a plus de contact entre la feuille & le tube, & la répulsion commence lorsque la feuille d'or s'en est approchée à deux ou trois pouces ; dès ce moment cette feuille devient électrique par communication ; & lorsqu'elle commence à être repoussée, elle a acquis une atmosphere aussi dense que celle du tube : alors elle s'en éloigne, & reste suspendue au-dessus de lui, jusqu'à ce qu'elle ait perdu la vertu qu'elle avoit acquise, soit peu après en la communiquant aux vapeurs humides répandues dans l'air ; soit subitement, en touchant à quelque corps non électrique ; elle se porte même vers ces sortes de corps, lorsqu'il s'en rencontre dans son voisinage, & il sembleroit qu'elle en seroit attirée ; mais il est aisé de reconnoître qu'elle n'a ce mouvement que parce qu'elle est elle-même devenue électrique, en lui présentant une autre petite feuille d'or battu, suspendue par une soie, qu'elle ne manque pas d'attirer sur le champ : ou bien parce qu'elle se précipite avec impétuosité sur le tube, si on en détruit subitement la vertu en l'approchant de la flamme d'une chandelle.

On peut faire attirer & repousser de la même maniere une feuille d'or, en la présentant à un grand tuyau de métal électrisé par communication : dans ce cas, lorsque la feuille d'or est repoussée & qu'elle voltige à une certaine distance au-dessus du tuyau, il est facile de démontrer son électricité, en touchant du doigt le bout de ce tuyau, pour détruire sa vertu ; car alors la feuille d'or suspendue s'y précipite : il suffit même de présenter le doigt à quelque distance du tuyau, pour faire cesser la répulsion & faire retomber la feuille d'or : si au lieu du doigt on présente la pointe aigue d'un poinçon, la répulsion cessera beaucoup plus promtement ; savoir, lorsque le poinçon sera encore éloigné de neuf à dix pouces.

Si on présente une feuille d'or quarrée un peu large sous une grosse barre de fer horisontale, soûtenue par des cordons de soie, & médiocrement électrisée, par le moyen d'une chaîne arrêtée au-dessus du globe ; cette feuille sera attirée & repoussée ensuite, comme nous venons de le dire ; mais en tenant le doigt fort près au-dessous d'elle pour la toucher à chaque fois qu'elle sera repoussée, on pourra parvenir à la rendre immobile & comme suspendue entre la barre & le doigt, sans qu'elle touche ni à l'une ni à l'autre : alors elle présente toûjours la tranche & un de ses angles à la barre, & l'angle opposé est vers le doigt. Or il est vraisemblable qu'elle reste dans cet état, parce qu'elle communique au doigt autant de vertu électrique, qu'elle en reçoit continuellement de la barre, moins la quantité qui lui est nécessaire pour surpasser l'effort de la gravité.

Quand la feuille d'or repoussée par un tube de verre a communiqué à l'air ou à quelque corps non électrique la vertu qui lui avoit été communiquée, la répulsion cesse, comme nous l'avons dit ; alors la feuille recommence à être attirée, pour être pareillement repoussée, dès qu'elle sera devenue suffisamment électrique. On peut de cette maniere promener une feuille d'or autour d'une chambre, en la repoussant par un tube bien électrisé, & la faire bondir autant de fois qu'on voudra sur ce tube, en lui présentant le doigt chaque fois qu'elle sera repoussée.

On voit par ces observations, que l'attraction des feuilles d'or ne précede leur répulsion, que parce qu'il est nécessaire qu'elles acquerent une atmosphere d'une densité égale à celle du tube électrique, auparavant que d'en être repoussées. Car si on met une feuille d'or dessus une glace bien seche & d'une largeur médiocre, comme de cinq à six pouces, qu'on approche ensuite par-dessous un tube nouvellement frotté, la feuille d'or s'enlevera de dessus la glace, & continuera d'être repoussée par le tube, si on le lui présente, après avoir éloigné la glace. Or la feuille d'or posée sur la glace a été électrisée par communication (comme il le paroît en lui en présentant une autre petite suspendue par une soie), & elle n'a commencé à être repoussée de dessus la glace, que lorsqu'elle a été électrisée par le tube autant qu'il étoit possible ; c'est-à-dire, jusqu'à ce qu'elle eût contracté une atmosphere d'une densité égale à celle du tube.

Lorsqu'un tube repousse une feuille d'or, si on lui substitue promtement un autre tube à-peu-près aussi électrisé que le premier, la feuille d'or continuera d'être repoussée à la même distance ; laquelle sera cependant un peu plus grande ou moindre, suivant que le nouveau tube sera plus ou moins électrisé que le premier : cependant si on substituoit un tube très-foiblement électrique, la feuille d'or ne seroit plus repoussée & retomberoit vers ce tube. De même si on présente à une feuille d'or repoussée un bâton de cire d'Espagne, ou un morceau d'ambre, qui n'ont jamais qu'une électricité médiocre, elle ne continuera pas d'être repoussée, & elle retombera vers ces corps. Cette différence avoit fait penser à quelques physiciens que la matiere électrique, qui émane des corps résineux, étoit d'une nature différente de celle qui sort du verre ; mais on pense assez généralement aujourd'hui, que cette différence n'existe pas, & que ces effets auxquels on ne devoit guere s'attendre, ne sont dûs qu'à l'inégale densité des atmospheres électriques qui émanent du verre & des corps résineux.

Quand on présente deux ou plusieurs feuilles d'or à un tube bien électrisé, elles sont toutes attirées & également repoussées par ce tube ; mais alors elles se repoussent aussi mutuellement sans qu'il soit possible d'en faire joindre deux ensemble ; en sorte qu'elles s'écartent d'autant plus les unes des autres, qu'elles sont repoussées chacune à une plus grande distance du tube.

Si on fait attirer & repousser par un tube de verre une feuille d'or circulaire & découpée en franges fort menues jusqu'à son centre, toutes ces franges s'écarteront les unes des autres dans le tems de la répulsion, & divergeront d'autant plus que le tube sera plus fortement électrisé : la même chose arrivera à un morceau de duvet, de plume, & à tout autre corps semblable dont les parties pourront s'écarter.

De même si on attache à l'extrêmité d'une barre de fer électrisée une aigrette formée par un assemblage de fils d'argent très-fins, tous les fils de cette aigrette s'écarteront les uns des autres, à mesure que l'on communiquera de l'électricité à la barre, & aucun d'eux ne se touchera.

Si on met de la poussiere à l'extrêmité de cette même barre de fer, elle sera toute chassée dès que la barre deviendra électrique ; ses parties s'écarteront les unes des autres dans ce mouvement de répulsion, & leur dissipation sera bien plus promte si l'on présente le doigt à quelques pouces au-dessus du petit monceau de poussiere.

Enfin si on attache à l'extrêmité de la barre un petit vaisseau de métal plein d'eau, garni d'un siphon dont la branche la plus longue soit extérieure & capillaire, l'eau qui ne peut couler que goutte à goutte par la branche de ce siphon, coulera d'un seul jet, lorsqu'elle sera devenue électrique avec la barre ; & se divisera en plusieurs filets très-fins, qui s'écarteront les uns des autres, comme les filets de l'aigrette.

Tous ces effets d'attraction & de répulsion ont aussi lieu dans le vuide, avec quelques circonstances particulieres.

Il paroît donc, par tout ce que nous venons de dire de l'attraction & de la répulsion, 1°. que les corps legers sont attirés par ceux qui sont électriques, jusqu'à ce qu'ils soient autant électrisés qu'eux par la communication, & que leurs atmospheres soient devenues aussi denses que celle du corps qui la leur a communiqué.

2°. Que dès le moment qu'ils ont acquis cette atmosphere, l'attraction cesse & la répulsion commence.

3°. Qu'il n'y a de répulsion qu'entre les corps qui sont devenus également électriques.

4°. Que cette répulsion dure tant que subsiste l'égale densité des atmospheres, & qu'elle cesse dès qu'on affoiblit l'une ou l'autre ; qu'alors l'attraction recommence jusqu'à ce que l'égale densité soit rétablie, d'où il résulte une nouvelle répulsion.

5°. Que la répulsion peut subsister entre deux corps qui ne se sont jamais attirés mutuellement, pourvû qu'ils ayent des atmospheres également denses ; comme entre un nouveau tube de verre, & la feuille d'or repoussée ; entre deux feuilles d'or repoussées par un même ou par deux différens tubes ; entre deux tubes de verre frottés, & suspendus par des soies ; entre deux rubans de soie frottés & approchés l'un de l'autre ; enfin entre tous les corps électrisés par communication, & qui conservent leurs atmospheres électriques.

6°. Que la répulsion est d'autant plus forte entre deux corps électriques, c'est-à-dire qu'ils s'éloignent davantage l'un de l'autre, qu'ils sont plus fortement électrisés ; ensorte que par les espaces dont ils s'écartent dans leurs différens degrés de répulsion, on peut estimer leurs forces réciproques électriques. On s'est servi avec avantage de cette propriété des corps électriques, pour mesurer leurs différens degrés d'électricité. Voyez ELECTROMETRE.

Nous ne saurions rapporter dans cet article toutes les découvertes que les Physiciens ont faites pendant ces dernieres années sur l'électricité ; nous nous contentons d'avoir donné ici une idée générale de la distribution de cette matiere dans les différens corps de la nature, & d'avoir exposé les effets de sa propriété attractive & répulsive. Nous examinerons ailleurs ses autres propriétés. Voyez COUP-FOUDROYANT, CONDUCTEUR, FEU ELECTRIQUE, METEORES. Cet article est de M. LE MONNIER medecin ordinaire de S. M. à Saint-Germain-en-Laye, & de l'academie royale des Sciences auteur des articles AIMANT, AIGUILLE, &c.

ELECTRICITE MEDICINALE. Dès le tems qu'on n'employoit encore que le tube de verre pour les expériences de l'électricité, quelques physiciens avoient recherché les effets qu'étoit capable de produire sur le corps humain la matiere électrique actuellement en action. Les découvertes furent très-bornées, parce que le frottement du tube ne donnoit pas des résultats d'expérience assez sensibles ; mais à peine eut-on substitué le globe de verre au tube, que les merveilles de l'électricité se développerent plus sensiblement dans une longue suite d'expériences, & parurent dans un plus grand jour. Les aigrettes lumineuses, les torrens de lumiere qui sortirent des barres de fer électrisées, répandirent une odeur de phosphore qu'on n'a pas pû méconnoître. La salive lumineuse qui sort de la bouche d'une personne actuellement électrisée : le sang lumineux jaillissant d'une veine ouverte, la terrible commotion, la secousse que fait sentir l'étincelle foudroyante dans l'expérience de Leyde ; ces faits principaux, sans parler des autres, firent conclure que le corps humain étoit un des plus amples magasins de matiere électrique ; que cette matiere y étoit, comme dans les autres corps, d'une mobilité étonnante ; qu'elle y étoit capable d'une inflammation générale & subite, ou d'une sorte d'explosion ; qu'étant ainsi mise en action, elle parcouroit en un instant les plus petits canaux ; qu'elle devoit par conséquent produire des changemens sur le fluide nerveux ; & on a même soupçonné que la matiere de ce fluide contenue dans les nerfs des animaux, est de nature électrique. D'ailleurs l'idée que fournit le fourmillement, produit dans les parties électrisées, a donné lieu à tenter quelque chose pour rendre l'électricité utile à la Medecine.

On s'est donc déterminé à appliquer le globe électrique à la Medecine, on a tenté de guérir les paralytiques ; M. l'abbé Nollet, avec M. de la Sône, de l'academie des Sciences, ont les premiers tenté ces expériences : leur exemple a été bientôt suivi par M. Morand & d'autres habiles physiciens.

On fit d'abord subir la commotion de Leyde plusieurs fois & plusieurs jours de suite, à différentes personnes de l'un & de l'autre sexe. Dans quelques-unes la commotion parut ne se faire que peu-à-peu & par gradation, dans les parties paralysées ; d'autres la sentirent dès les premieres expériences : presque tous eurent des douleurs sourdes, & une espece de fourmillement dans les organes paralysés, plusieurs jours après que les expériences furent faites. Mais aucun ne fut guéri à Paris.

Dans ce tems M. le Cat, célebre chirurgien de Roüen, fit part à l'académie royale des Sciences, dont il est correspondant, de la guérison d'un paralytique qu'il avoit électrisé. Le fait parut sur prenant, & l'on pensa qu'il pourroit bien y avoir quelques circonstances dans certaines paralysies d'où dépendroit le succès de l'électricité.

M. Louis soûtint à-peu-près dans le même tems, que l'on ne pouvoit guérir la paralysie par le moyen du globe électrique.

M. Jallabert, habile professeur de Physique à Geneve, communiqua à l'academie royale des Sciences dont il est correspondant, un fait des plus étonnans. C'est la guérison presque totale d'un bras paralytique & atrophié depuis plus de dix ans. M. Jallabert instruit des tentatives peu heureuses qu'on avoit faites à Paris & en divers autres lieux, en communiquant simplement aux malades la commotion de Leyde comme on le fait ordinairement, voulut s'y prendre d'une autre maniere. Il électrisa fortement son paralytique ; & de toutes les parties de la peau qui répondent aux différens muscles moteurs de l'avant-bras & du bras, il tira successivement un grand nombre d'étincelles. Dès les premiers jours le malade commença à remuer les doigts, & à faire quelqu'autre mouvement. Les expériences ayant été continuées tous les jours de la même maniere, la liberté & l'étendue des mouvemens de tout le bras paralytique, augmenterent par gradation & assez rapidement ; mais ce qui surprit le plus, ce fut de voir ce bras qui depuis long-tems étoit atrophié & en partie desséché, reprendre nourriture, grossir & redevenir presque semblable au bras sain : alors on observa qu'en tirant les étincelles sur les différens muscles de ce bras paralytique, il y paroissoit en même tems une agitation involontaire dans les fibres, une espece de mouvement vermiculaire, ou comme un petit mouvement convulsif. Enfin le malade fut électrisé jusqu'à ce qu'il pût porter la main au chapeau, l'ôter de dessus sa tête & l'y remettre, & soûlever encore certains corps pesans.

Le fait publié par M. Jallabert étoit trop authentique & trop intéressant, pour ne pas mériter beaucoup d'attention ; il étoit, ce semble, confirmé par des expériences faites à Montpellier par Mr. de Sauvages, qui annonçoient le même succès. Mais comme depuis long-tems on a pris le sage parti de ne pas tirer des inductions trop précipitées, & de ne point annoncer de découvertes qu'elles ne soient constatées par un grand nombre de faits, l'académie royale des Sciences chargea Mr. l'abbé Nollet de répéter la nouvelle expérience, en suivant la méthode de M. Jallabert. M. le comte d'Argenson, ministre de la guerre, donna les ordres nécessaires pour que les expériences pussent être faites à l'hôtel royal des Invalides. Elles y ont été suivies long-tems & avec beaucoup d'attention, sur un grand nombre de soldats paralytiques, en présence de plusieurs medecins & chirurgiens ; mais le résultat n'en a pas été favorable, nulle guérison, pas même aucun effet qui la fît espérer. On a seulement observé ces mouvemens spontanés ou convulsifs dans les différens muscles d'où on tiroit les étincelles ; ce qui est toûjours un fait très-singulier.

(Les habiles gens, tels que M. l'abbé Nollet, ne sont pourtant pas aisément incrédules sur les ressources de la nature. Comme on mandoit d'Italie de très-belles choses concernant les bons effets de l'électricité médicinale, ce célebre académicien conçut le dessein de juger par lui-même de ces prodiges, dont il paroissoit qu'on avoit eu jusqu'alors le privilége exclusif au-delà des Alpes. D'autres raisons littéraires concoururent à faire exécuter ce projet. M. l'abbé Nollet se rendit à Turin, opéra avec M. Bianchi célébre medecin de ce pays-là, répéta sur un grand nombre de malades les expériences électriques sans aucun succès marqué : ainsi tous les phénomenes publiés à Turin en faveur de l'électricité médicinale, resterent sans preuves suffisantes, & même combattus par un témoignage authentique.

M. l'abbé Nollet étoit comme le député de tout l'ordre des Physiciens françois, allemands, anglois, de tous ceux en un mot qui ne voyoient dans aucune expérience la vertu curative de l'électricité. Il se transporta à Venise, où M. Pivati le plus célébre orateur des guérisons électriques, exerce ses talens ; le même dont on a vu l'ouvrage electricita medica traduit en françois, auquel tous les bons zélateurs des nouvelles découvertes avoient fait accueil, parce qu'on ne le soupçonnoit pas d'infidélité, ou de broderie surabondante. Il étoit réservé à M. Nollet de bien pénétrer le vrai des choses : tout l'attelier de M. Pivati demeura sans action en présence du voyageur françois ; on n'osa pas même tenter les opérations ; & quand on vint à faire mention de la guérison fameuse de l'évêque de Sebraïco, il se trouva que le prélat n'avoit jamais été guéri par l'électricité ; & quand M. l'abbé Nollet interrogea les personnes du pays sur les merveilles électriques de M. Pivati, il ne se trouva qu'un medecin de ses amis qui pût dire avoir vû quelque chose de réel : d'où il est bien aisé de conclure que l'électricité médicinale n'a pas fort brillé à Venise. Restoit encore Bologne, où M. l'abbé Nollet poursuivit ces phantomes de guérisons. M. Veratti medecin de cette ville, & aussi prévenu en faveur de la merveille, conversa de bonne-foi avec l'académicien françois ; & dans ces conférences le ton affirmatif des livres imprimés sur ce sujet, baissa beaucoup. Il ne resta plus que des doutes & des espérances). Ce qui vient d'être dit, renfermé entre deux crochets, est tiré des mémoires de Trévoux, Avril 1751. art. 43.

De l'histoire de tous ces faits connus, il paroît résulter que la Medecine ne doit pas se flater de tirer un grand avantage des nouvelles expériences de l'électricité. On n'est cependant pas en droit d'en conclure l'inutilité absolue ; peut-être n'y a-t-il qu'une espece assez rare de paralysie qui puisse en attendre quelque secours, ou peut-être y a-t-il dans ces maladies quelque circonstance favorable qu'on n'a point encore apperçûe, & sans laquelle point de succès. Le peu que l'on en a eu, suffit pour encourager à faire de nouvelles tentatives, non-seulement dans le cas de paralysie, mais pour plusieurs autres maladies ; où la raréfaction des liqueurs du corps humain, son accélération dans les vaisseaux, l'augmentation de la transpiration insensible, la fonte des humeurs, les vives secousses, ou l'ébranlement des parties solides, pourroient être utiles : car un grand nombre d'expériences semble prouver que tous ces effets sont dûs à l'électricité appliquée au corps humain ; & d'ailleurs la matiere électrique joue peut-être un plus grand rôle qu'on ne pense dans l'oeconomie animale. (d)


ELECTRIDESS. m. pl. (Myth. & Géog. anc.) îles supposées par la fable à l'embouchure du Pô. Ce fut dans une de ces îles que tomba Phaéton foudroyé. Le lac qui le reçut en avoit conservé une grande chaleur, & une odeur de soufre funeste aux oiseaux qui s'y exposoient. On ajoûte qu'on y trouvoit beaucoup d'ambre, en grec , d'où vient le nom d'Electrides.


ELECTRIQUEadj. (Physiq.) on appelle ainsi tout ce qui reçoit ou communique l'électricité. Ainsi on dit vertu électrique, matiere électrique, corps électrique, &c. Voyez ELECTRICITE.


ELECTRISERv. act. (Physiq.) c'est donner à un corps la vertu électrique, ou l'électricité. Voyez ELECTRICITE.


ELECTROMETRES. m. (Physiq.) c'est le nom d'un instrument, qui sert à mesurer la force de l'électricité. Il est formé des mots grecs, , ambre, & , mesure.

Avant que d'en donner la description, il est à-propos de faire quelques réflexions sur les avantages qu'on retire dans la Physique des instrumens de cette espece, c'est-à-dire qui servent à mesurer les divers degrés d'une force ou d'une vertu dont on observe les effets.

L'ignorance où nous sommes sur la plûpart des causes & sur la chaîne des effets qui en dépendent, fait que souvent nous croyons que tels & tels effets sont produits par différentes causes, lorsqu'ils résultent uniquement du plus ou moins de force de la même cause ; comme on pourroit le prouver par des exemples sans nombre. On ne peut donc trop s'attacher dans la Physique à observer la parité des circonstances ; afin 1°. d'obvier aux variétés qui pourroient naître de la différence de ces circonstances, ou au moins de pouvoir reconnoître à quoi l'on peut attribuer ces variétés ; 2°. de pouvoir répéter les mêmes expériences, avec quelque certitude d'observer les mêmes phénomenes ; 3°. enfin pour les décrire de façon que les autres puissent avoir un succès semblable en les répétant, ou si cela n'arrive pas, qu'ils puissent démêler la cause qui les en a empêché. Aussi voyons-nous souvent les plus grands physiciens descendre, dans la description de leurs expériences, dans des détails qui peuvent sembler minutieux à des personnes qui ont peu étudié la nature, mais qui n'en paroissent pas moins nécessaires aux yeux de ceux qui l'ont suivie de plus près. Ils savent bien que dans plusieurs occasions les circonstances qui nous paroissent peu importantes, sont souvent celles qui produisent ces irrégularités que nous remarquons avec tant d'étonnement. On ne peut donc observer trop soigneusement la parité des circonstances. Mais comment le fera-t-on, si l'on n'a pas des moyens de s'assûrer que la cause principale qui opere les phénomenes que l'on observe, est toûjours à-peu-près la même, ou si elle change, quelle est la nature de ses variations ? Or c'est à quoi on ne peut parvenir que par des instrumens tellement construits relativement à la nature de cette cause, qu'ils nous indiquent aussi sûrement qu'il est possible ses divers changemens : on voit par-là combien il est utile de multiplier les instrumens de cette espece. On sait assez les avantages que l'on a retiré des barometres & des thermometres, depuis sur-tout qu'on a fait ces derniers sur des échelles, de maniere à pouvoir comparer leurs divers degrés de froid & de chaud dans différens climats.

Or s'il y a une partie de la Physique où un instrument de l'espece de ceux dont je viens de parler soit nécessaire, c'est sûrement dans l'électricité qui est si changeante, tantôt forte, tantôt foible ; le seul changement de position des mains par rapport à l'équateur du globe que l'on frotte, l'augmente ou la diminue. Si donc l'on n'est pas en état d'estimer ou de connoître les variations de cette force, on sera à tout moment exposé à tirer de fausses conséquences des expériences les plus simples ; & il n'y a presque pas lieu de douter, que si plusieurs physiciens ont embrassé des sentimens différens sur divers phénomenes de l'électricité, c'est par cette raison ; parce que l'un ayant fait ses expériences avec une électricité plus forte que l'autre, cette seule différence dans la force a suffi pour en produire de telles dans les effets, qu'elles les ont portés à en déduire des conséquences très-différentes. Un électromêtre les eut bien-tôt mis d'accord, en leur faisant voir que ces différences qu'ils ont observées, ne naissoient que de celle de la force électrique. Ceci nous montre clairement combien cet instrument est nécessaire pour faire avec quelque succès des expériences sur cette matiere. Il y a plus : c'est qu'avec des instrumens de cette espece, bien construits & universels comme le thermometre, c'est-à-dire dont on pourroit comparer les degrés d'élévation dans différens pays, on pourroit peut-être parvenir à décider une question importante ; savoir, si l'électricité a le même degré de force dans les différens climats ; si elle est plus forte dans les septentrionaux que dans les méridionaux, & de combien.

La nécessité de cet instrument étant établie, il ne reste plus qu'à choisir parmi les divers phénomenes de l'électricité, celui qui est le plus propre à donner une mesure exacte & générale de la force électrique ; mais c'est ce qui n'est pas difficile à faire, la répulsion étant le seul dont on puisse faire usage dans cette vûe. Car si l'on y employe l'attraction, ce sera celle d'un corps soûtenu ou par des non-électriques ou par des électriques par eux-mêmes : dans le premier cas, à mesure que le corps sera attiré, il dérobera de l'électricité à celui qui l'attire, & ainsi cette vertu se perdant à chaque instant, on n'en pourra estimer la force ; dans le second, le corps s'électrisant à mesure qu'il est attiré, & cet effet diminuant instantanément la force avec laquelle il est attiré, cette maniere ne pourra encore servir de mesure ; parce qu'on pourra attribuer à la diminution de l'électricité dans le corps attirant, ce qui sera produit uniquement par l'électrisation du corps attiré ; si l'on se sert des aigrettes, elles augmenteront ou diminueront, non-seulement selon le nombre & la figure des parties aiguës du système des corps électrisés, mais encore selon que les corps non électriques circonvoisins en seront plus ou moins près. De plus ces aigrettes étant formées par le fluide électrique qui s'échappe des corps électrisés, l'électricité diminuera d'autant plus, que ces corps auront un plus grand nombre de points, ou de parties capables de rendre des aigrettes, & que ces parties seront plus aiguës. Ce moyen sera donc encore imparfait ; puisqu'outre son incertitude, on ne pourra en faire usage sans faire perdre aux corps électriques une partie de leur électricité. Enfin les étincelles n'en fournissent pas un plus certain ; car ces étincelles sont plus fortes ou plus foibles, selon que la masse des corps électrisés est augmentée ou diminuée, selon que l'on les tire des parties plus ou moins lisses de la surface d'un même corps, ou que l'on les tire avec des corps qui approchent plus ou moins de la figure sphérique. Voyez ELECTRICITE. Il résulte de tout cela que la répulsion, comme je l'ai dit, est le seul moyen sûr & général dont on puisse se servir pour mesurer la force électrique : c'est aussi celui que nous avons employé M. le chevalier d'Arcy & moi, dans l'instrument dont je donnerai la description dans un moment, & qui est, si je ne me trompe, le premier électrometre que l'on ait exécuté. Cependant on dira peut-être, comme je sais qu'on l'a déja fait, qu'il est trop-tôt de penser à un électrometre ; qu'il faut avant toutes choses que ce que l'on veut mesurer soit saisissable de tout point, sans quoi la mesure ne fait qu'embrouiller. Mais je demanderai ce qu'on entend par ce saisissable de tout point : si on entend qu'un électrometre doit mesurer à-la-fois l'attraction, la répulsion, la grandeur des aigrettes, la force des étincelles, &c. c'est demander un être chimérique. Mais si l'on entend seulement qu'en mesurant la force électrique, ou en nous montrant ses variations, il doit nous indiquer toutes celles qui en doivent résulter, dans les phénomenes dont je viens de faire mention (lorsque toutes les circonstances restent absolument les mêmes), on a raison ; & c'est, je puis l'assûrer, ce que fait l'électrometre dont il sera question dans cet article. Car si toutes les circonstances d'un système de corps électriques restent les mêmes ainsi que celles des corps qui les environnent ; quand cet instrument marquera que la force électrique est augmentée, les aigrettes des corps électrisés deviendront plus grandes & plus vives, l'attraction sera plus forte, & les étincelles que l'on tirera avec le même corps, & des mêmes points de la surface d'un des corps électrisés, seront aussi plus fortes, &c. Mais si l'on suppose la figure de ces corps changée, leur masse augmentée ou diminuée, & les corps circonvoisins plus près ou plus éloignés ; alors l'électrometre n'indiquera ni ne pourra indiquer diverses variétés des phénomenes dont je viens de parler, qui résultent uniquement de ces changemens de masse, de figure, &c. parce qu'ils suffisent, comme je l'ai exposé plus haut, pour produire des différences dans ces phénomenes, quoique la force électrique soit toujours au même dégré, dans chaque partie qui compose le système des corps électrisés.

Il suit de tout ceci, qu'il n'est point trop tôt pour penser à un instrument servant à mesurer la force de l'électricité ; que la repulsion nous fournit un moyen sûr & général de le faire ; & qu'un électrometre construit en conséquence, loin d'embrouiller, peut au contraire éclaircir beaucoup de difficultés ; & c'est j'ose dire, ce qu'a fait l'électrometre suivant, nous ayant servi à M. d'Arcy & à moi à nous assûrer de plusieurs faits, & entr'autres de ceux-ci : savoir, 1°. que la force électrique est toûjours comme les surfaces & non comme les masses. 2°. qu'elle a la propriété des fluides qui, par les lois de pression, se répandent toûjours également quels que soient les canaux de communication, &c. Voyez ELECTRICITE. Voyez les mémoires de l'Académie de 1749. pag. 63.

Description de l'électrometre. Dans un grand vase A B plein d'eau (Pl. Phys. fig. 75), on plonge une bouteille C D de verre, que les marchands appellent oeuf philosophique ; à l'extremité de cette bouteille, on adapte une verge V parfaitement cylindrique d'une ligne de diamêtre & de 12 pouces de long. Le vase A B se recouvre d'une plaque de laiton H percée d'un grand trou à son centre (qui est aussi celui du vase), afin que la verge puisse passer à-travers très-librement. Sur l'extrêmité supérieure de la verge, on fait entrer une petite plaque circulaire L de laiton de 14 lignes 1/6 de diamêtre. L'oeuf est plongé dans le vase A B (plein d'eau, comme je l'ai déjà dit) à une certaine profondeur, qui doit être telle, que l'instrument étant en repos, c'est-à-dire n'étant pas électrique, l'extrêmité inférieure de l'oeuf soit fort près du fond du vase, sans cependant y toucher. Pour que l'oeuf & la verge soient toujours dans une situation verticale, on met dans le premier du mercure qui sert de leste ; par ce moyen le centre de gravité étant fort bas, le tout se tient perpendiculairement à l'horison, & éprouve en haussant ou en baissant le moins de balancement qu'il est possible. Comme cet oeuf, s'il n'en étoit empêché, iroit vers les bords du vase, & flotteroit tantôt d'un côté, tantôt de l'autre ; on l'oblige de rester au centre de la maniere suivante. Sur la plaque H dont j'ai parlé, on fixe en croix des fils d'argent fort deliés, tels que ceux des micrometres ; cette croix est formée par des fils doubles qui laissent entr'eux au centre de la plaque un petit espace quarré, qui étant plus grand que le diamêtre de la verge, lui permet de monter & de descendre entre ces fils, sans éprouver aucun frottement sensible, & cependant sans s'écarter du centre ; il arrive même un effet fort singulier, c'est que lorsque toute la machine est bien électrique, la verge est contenue au milieu de ces fils presque sans y toucher, parce qu'étant électrique comme eux, elle les évite continuellement.

Après cette description, on imaginera sans peine comment cet instrument fait son effet, sur-tout si l'on refléchit sur ce principe d'Hydrostatique (Voyez HYDROSTATIQUE), qu'un corps plongé dans l'eau surnage ou s'y enfonce selon qu'un volume d'eau semblable à celui qu'il occupe est plus leger ou plus pesant que ce même corps. Il suit de ce principe qu'un volume d'eau égal à celui de l'oeuf & de la partie de la verge qui trempe dans l'eau, lorsque le tout est en repos, pese autant que l'oeuf, la petite plaque & toute la verge ; conséquemment si le tout s'éléve d'un pouce, la puissance qui le soûtiendra à cette hauteur, soûtiendra un poids égal à un volume d'eau de la grosseur de la verge & d'un pouce de haut, puisque le volume d'eau que l'oeuf & la verge occupent alors, est diminué de cette quantité. Si donc différentes puissances le soûtiennent à 1, 2, 3, 4 pouces, &c. de hauteur au-dessus du point de repos ; ces puissances seront entr'elles comme ces nombres, c'est-à-dire, doubles, triples, quadruples, &c. Or l'électricité produit le même effet sur cet instrument, c'est-à-dire, qu'elle fait la fonction d'une puissance qui le soûtiendroit à 1, 2, 3, 4 pouces, &c. au-dessus de son point de repos ; on peut donc par son moyen mesurer tous les differens dégrés de force de cette vertu. En effet si l'on suppose pour un moment toute la machine composée du vase A B de l'oeuf, &c. posée comme elle est en K, dans la fig. 76, sur un récipient de verre, ou sur quelqu'autre matiere qui ne laisse point passer l'électricité, & que le vase A B devienne électrique, la verge V le deviendra aussi, comme la plaque L. Mais tout le monde sait que les corps électriques se repoussent ; ainsi la petite plaque L & la verge V étant repoussées par la grande plaque H, s'éleveront nécessairement plus ou moins selon que l'électricité sera plus forte ou plus foible. L'électricité fera donc alors, comme je l'ai dit plus haut, la fonction d'une puissance qui soûtiendroit l'instrument à une certaine hauteur ; & comme ces puissances sont proportionnelles aux hauteurs de l'instrument au-dessus du point de repos, ces mêmes hauteurs seront aussi proportionnelles aux différentes forces électriques ; ce qui prouve ce que j'ai avancé, que notre instrument mesure exactement tous les différens degrés de la force électrique ; il est donc un véritable électrometre : mais il y a plus, cet électrometre peut être employé comme instrument, soit pour faire un grand nombre d'expériences sur l'électricité, soit pour déterminer les lois d'attraction, de répulsion, de diffusion, de transmission, &c. de l'électricité ; propriété qui n'est pas moins importante que celle de mesurer la force électrique.

Maniere de se servir de cet instrument. Les corps électriques ayant cet inconvénient, qu'on ne peut en approcher sans leur dérober l'électricité ; il est clair que si l'on étoit assez près de l'électrometre pour juger de ses mouvemens avec précision, on lui enleveroit l'électricité. Afin donc de parer cet inconvénient, on place dans une partie de la chambre où l'on fait ses expériences une grande lanterne dans laquelle on met une grosse bougie, qui projette sa lumiere par un trou, sur un ou deux électrometres situés comme on le voit en K dans la fig. 76. Derriere ces électrometres on fixe un cadre Q très-solide, dont toute la partie X est de bois ; elle peut être de toute autre matiere opaque. Dans ce cadre on fait deux ouvertures rectangulaires ou fenêtres F T, on met dans ces fenêtres des glaces G G qui ne sont qu'adoucies ; & sur ces glaces, on marque des divisions très-précises avec de l'encre de la Chine bien noire.

Il faut que ce cadre soit toûjours placé de façon que la projection des électrometres tombe sur ces glaces ; & au moyen de la figure conique qu'on donne à l'extrêmité de la verge, elle y forme une ombre très-nette. Comme ces glaces sont transparentes, l'observateur placé derriere en F, voit de la maniere la plus distincte, toutes les différentes élevations de l'électrometre, & est par-là en état de juger avec la derniere précision de toutes ces variations. Le plan du cadre étant supposé perpendiculaire à l'horison, & l'électrometre, ou plutôt sa verge, haussant & baissant dans un plan parallele ; il est évident que l'élévation & l'abaissement de l'ombre sont toûjours proportionnels à ceux de l'électrometre. On sent facilement que le cadre que je viens de décrire pourroit n'avoir qu'une fenêtre, mais l'électrometre pouvant aussi servir d'instrument, comme je l'ai dit, il est à propos qu'il y en ait deux, afin que l'électrometre véritable, & celui qui ne sert que d'instrument, étant plus près, on puisse les observer plus commodément : au reste, l'intervalle entre l'un & l'autre doit être tout au moins de 30 pouces.

On voit par la construction de cet électrometre, qu'il a les propriétés essentielles à un instrument de cette espece ; car, 1°. la force électrique étant très-foible, il faut un instrument très-mobile & fort sensible, aussi un poids de 8 grains posé sur la petite plaque, le fait-il baisser de plus de 4 pouces.

La force électrique étant fort changeante, il faut un instrument, lequel n'agissant pas par saut, soit en état de donner à chaque instant ses variations ; & celui-ci tendant toûjours au repos, & n'étant soûtenu hors de cet état que par la répulsion des plaques, il baisse au même instant que cette répulsion diminue, & hausse de même aussitôt qu'elle augmente. C'est un fait dont des expériences sans nombre nous ont assûrés, M. d'Arcy & moi.

Enfin il est universel ; car on voit que le véritable électrometre est la verge cylindrique V, qui détermine par le nombre de ses parties élevées au-dessus du point de repos, la quantité de la force électrique. Or il n'est pas difficile d'avoir une verge cylindrique d'une ligne de diametre. Il est vrai que le diamêtre de la petite plaque L, & sa distance à la grande H au point de repos, peuvent produire quelques différences dans la répulsion ; mais il est facile d'observer toutes ces proportions : de sorte que tout le monde pourra faire un électromêtre qui s'élevera de la même quantité pour la même force électrique. Propriété qui me paroît une des plus remarquables de cet instrument, & qui est une de celles qui y est le plus à désirer, comme je l'ai remarqué au commencement de cet article.

On objectera peut-être, que la différente densité de l'eau dans les différens climats, formera un obstacle à cette universalité. Il est clair cependant que toutes les fois que l'on fera une verge qui descendra de 4 pouces pour 8 grains, on aura un électromêtre qui indiquera à très-peu-près les mêmes degrés de la force électrique que le nôtre ; car quoique dans un pays chaud une pareille verge fût un peu plus repoussée, puisqu'elle seroit plus grosse que la nôtre, ce seroit d'une quantité si peu considérable, que cette répulsion ne pourroit entrer en comparaison avec celle de la plaque.

Enfin on pourra alléguer encore, que les différentes positions de l'électromêtre par rapport au cadre & à la lanterne, changeront ses élévations apparentes, mais il est toûjours facile d'avoir le rapport de ces élévations par la méthode suivante. Ayant placé l'électromêtre, & arrangé le tout comme pour faire des expériences ; chargez la petite plaque de cet instrument de 8 grains par exemple, & voyez de combien de degrés son ombre descend en conséquence sur le cadre ; la somme de ces degrés comparée à celle qu'un même poids aura fait parcourir à l'ombre d'un autre électromêtre sur lequel on aura fait la même expérience, donnera le rapport précis de leurs élévations.

D'après cette description de l'électromêtre, & de la maniere de s'en servir, il pourra paroître à quelques personnes d'un usage peu commode, par les diverses attentions qu'il exige, & par la nécessité où l'on est d'obscurcir le lieu où l'on fait ces expériences, pour pouvoir juger de ses élévations & de ses abaissemens : mais si l'on fait attention à la nature de l'électricité, & à l'impossibilité d'observer de près, comme je l'ai dit, les divers mouvemens des corps électriques ; on verra que si cet instrument a quelque chose d'embarrassant dans son usage, c'est en quelque façon une suite nécessaire de la nature de la force électrique qu'il doit mesurer.

J'ai fait voir au commencement de cet article, que de tous les phénomenes des corps électriques la répulsion étoit le seul qui fournît un moyen sûr & général de mesurer la force de l'électricité. Cependant comme il y a des cas où l'on est indispensablement obligé d'employer les étincelles, tels que ceux, par exemple, où l'on veut, par leurs différentes grandeurs, juger des densités respectives du fluide électrique dans les corps entre lesquels ces étincelles partent ; je crois devoir ajoûter ici la description d'une espece de spintherometre ou mesure-étincelles, dont je me sers, & au moyen duquel on peut-être à très-peu près sûr, que les différentes grandeurs ou forces de ces étincelles naissent uniquement des différentes forces de l'électricité, ce qu'on ne peut faire en les tirant à la maniere ordinaire : car, selon cette maniere, on peut, quoique l'électricité reste toûjours la même, on peut, dis-je, faire partir ces étincelles de plus près ou de plus loin, comme je l'ai dit, non seulement en les tirant de corps de figures & de volumes différens, mais encore en les tirant de parties plus ou moins lisses de la surface d'un même corps. L'instrument dont je viens de parler, est construit de la maniere suivante.

Dans un tube de verre TT (fig. 77.) recouvert par les deux bouts de deux plaques PS, PI, se meut librement, mais sans jeu, une balle de métal B, adaptée à l'extrémité d'une verge de fer quarrée VV ; cette verge passe à-travers un trou de la même forme, percé dans la plaque P S, dans lequel elle s'ajuste parfaitement. On voit par cette disposition, qu'on peut bien faire mouvoir la balle dans le tube d'un bout vers l'autre, mais qu'on ne peut lui faire prendre d'autre mouvement. Sur l'extrémité de la verge VV, qui déborde la plaque P S, sont marqués des degrés, afin qu'on puisse juger de la distance où la balle se trouve de la plaque P I : on pourroit pour une plus grande précision, en place de ces degrés, adapter à l'extrémité de la verge une vis qui feroit la fonction du micrometre.

D'après la description de cet instrument, il est facile de concevoir comment on s'en sert, & comment il remédie aux inconvéniens que j'ai spécifiés plus haut. On voit en premier lieu, qu'en le prenant par le tube, & le faisant toucher par la plaque P I sur le corps électrique dont on veut tirer une étincelle, cette plaque s'électrise au même degré que ce corps, & qu'au moyen de la verge VV, on approche graduellement de la même plaque la balle B (qu'on en tenoit auparavant fort éloignée) jusqu'à ce que l'étincelle parte. Or cet effet arrivant dans l'instant précis où cette balle se trouve à la distance requise pour qu'il ait lieu, on reconnoît cette distance par le nombre de degrés marqués sur cette verge. On voit, 2°. que ces distances ne peuvent venir ici que de la différence de la force électrique, parce que l'étincelle part toûjours entre les mêmes corps, la plaque P I, & la balle B ; & que c'est toûjours des mêmes points de la balle & de la plaque, puisque cette balle ne pouvant que s'en éloigner ou s'en approcher, les différens points de sa surface inférieure doivent toûjours regarder les mêmes points respectifs de cette plaque. (T)


ELECTUAIRES. m. (Pharm.) L'électuaire est une composition pharmaceutique, destinée à l'usage intérieur, formée en incorporant une ou plusieurs poudres avec du miel ou du sirop, des extraits, des pulpes, des gelées, des robs, des conserves, & quelquefois des vins doux.

Les électuaires sont solides ou mous. Les premiers sont plus connus sous le nom de tablettes, & il est même commode de les distinguer par ce nom des électuaires mous. Voyez TABLETTE. Les seconds doivent être d'une consistance moyenne entre le sirop & le bol, & fort approchante de celle des marmelades de fruits bien cuites : c'est de ceux-ci que nous allons parler dans cet article.

L'électuaire est une forme de médicament très-anciennement employée en Médecine. Galien en a décrit quelques-uns ; les hiera, les confections, la thériaque d'Andromaque, le fameux antidote attribué à Mithridate, tous remedes très-anciens, sont des électuaires.

Mais le nom même d'électuaire n'est pas de la même antiquité que l'usage du remede auquel nous le donnons aujourd'hui ; les Grecs & les Arabes l'ont toûjours appellé antidote, quelque vertu médicinale particuliere qu'il possédât, & ils en ont préparé assûrément de toutes les diverses vertus observées ou imaginées dans les remedes, de roborans, de cordiaux, de céphaliques, d'alexipharmaques, de cholagogues, d'hydragogues, de panchymagogues, d'emmenagogues, de narcotiques, &c.

Aelius Aurelianus a employé le mot d'électuaire, electarium ; mais c'est un remede de la nature de notre looch, qu'il a désigné par ce nom. V. LOOCH.

Le nombre des électuaires a été poussé jusqu'à un excès dont l'ignorance la plus profonde & la charlatanerie la plus impudente sont seuls capables. Le seul Myrepsus nous en a décrit jusqu'à cinq cent onze dans son antidotaire. Les disciples des Arabes ne firent qu'enchérir sur la prodigieuse fécondité de leurs maîtres, & les électuaires ne cesserent de se multiplier jusqu'au tems où la Chimie s'empara heureusement de la Pharmacie, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'on fût en état de découvrir & de démontrer que la plûpart des électuaires étoient des préparations monstrueuses, souvent inutiles, quelquefois dangereuses, toûjours très-dégoûtantes pour les malades.

En effet, l'électuaire a d'abord tous les inconvéniens des compositions comme telles : le plus grand de ces inconvéniens est celui qui dépend de l'action chimique ou menstruelle de certains ingrédiens les uns sur les autres ; action qui détruit leurs vertus respectives. (Voyez COMPOSITION, MELANGE, FORMULE) Or ce défaut doit d'autant plus décréditer tous les électuaires anciens, que leurs auteurs n'avoient aucun secours pour l'éviter. Secondement, la consistance de quelques-uns est elle que ces remedes sont exposés à un mouvement de fermentation qui dénature tous leurs ingrédiens. Cet inconvénient a passé pour un bien dans quelques têtes, nous lui devons en effet la vertu de la thériaque vieille : mais si le hasard nous a bien servi à cet égard, car un produit utile de la fermentation de cent drogues est un vrai présent du hasard, il nous a nui dans tous les autres cas : un électuaire qui a fermenté, est regardé par les connoisseurs comme un électuaire perdu ; & voilà pourquoi la confection hamech, par exemple, telle qu'elle est décrite dans la pharmacopée de Paris, qui, par sa consistance, doit nécessairement fermenter, est une préparation défectueuse. Troisiemement, la difficulté de faire avaler à des malades une once d'un remede aussi dégoûtant qu'un électuaire, doit être comptée pour beaucoup : or c'est-là la dose ordinaire de ce remede ; & ne fût-elle que de deux gros, comme c'est en effet celle de quelques-uns, le tourment d'avaler deux gros d'électuaire doit être épargné à un malade, s'il est possible.

Non seulement les Pharmaciens devenus Chimistes, arrêterent le débordement des électuaires, mais même ils entreprirent de réformer ceux qui étoient le plus en usage. Zwelfer chez les Allemands, le Fevre, Charas, Lémery, chez les François, se sont sur-tout distingués par ce projet. Je n'appelle le travail de ces auteurs que projet ou tentative ; parce que soit qu'ils n'ayent pas assez osé contre l'autorité de la vénérable antiquité, & l'opinion unanime des Médecins de leur tems, soit que les lumieres de leur siecle ne fussent pas encore suffisantes pour produire une réforme complete , soit qu'il fût en effet impossible de faire un bon remede d'un électuaire, on peut avancer que les électuaires corrigés de ces auteurs sont encore des remedes assez imparfaits.

Il me semble donc que tout considéré, on peut proposer de supprimer tous les électuaires, au moins de n'en retenir que le petit nombre qui sont le moins imparfaits, tel que le diascordium, le diaprum, le lénitif, & le catholicon double, &c. Voyez les articles particuliers.

Quand on veut faire un électuaire, on commence par préparer la poudre selon l'art (Voy. POUDRE) ; ensuite si elle ne doit être unie qu'à du miel ou à un sirop, on n'a qu'à la mêler avec soin au miel écumé (Voyez MIEL), ou au syrop qu'on a préparé d'autre part. (Voyez SIROP) Pour cela, on la répand à diverses reprises & peu-à-peu avec un tamis, & on l'introduit dans le miel ou dans le sirop, en brassant avec un bistortier. S'il doit entrer dans la composition de l'électuaire des pulpes, des extraits, des robs, &c. on délaye ces matieres avec une partie du sirop ou du miel encore chaud, on incorpore les poudres de la maniere que nous venons de dire, & on ajoûte enfin le reste du sirop ou du miel. Les vins s'employent à peu-près de la même façon que les sirops & le miel, & quelquefois mêlés ensemble. On peut s'en servir aussi pour dissoudre certaines matieres peu propres à être réduites en poudre, comme les sucres épaissis qui entrent dans la thériaque. Voyez THERIAQUE.

Tous ces mêlanges se font à froid, ou sur un feu très-leger dans quelques cas. Voyez les exemples particuliers.

Il n'y a qu'une seule loi pour la perfection de l'électuaire, c'est que les poudres doivent être répandues très-uniformément, ensorte que l'électuaire ne soit pas grainé ou grumelé ; on voit de quelle conséquence il est qu'on ne trouve pas dans une certaine portion d'un électuaire purgatif de petits amas de poudre composée ordinairement des purgatifs les plus violens.

Nous n'avons parlé jusqu'à présent que des électuaires officinaux ; on en prépare aussi de magistraux, mais qui sont plus connus sous le nom d'opiate. Voy. OPIATE. (b)


ELÉENadj. (Mythol.) surnom de Jupiter. Il fut ainsi appellé du temple & de la statue d'or massif qu'il avoit dans la ville d'Elide sur le Pénée.


ELÉGANCES. f. (Belles-Lettr.) ce mot vient, selon quelques-uns, d'electus, choisi ; on ne voit pas qu'aucun autre mot latin puisse être son étymologie : en effet, il y a du choix dans tout ce qui est élégant. L'élégance est un résultat de la justesse & de l'agrément. On employe ce mot dans la Sculpture & dans la Peinture. On opposoit elegans signum à signum rigens ; une figure proportionnée, dont les contours arrondis étoient exprimés avec mollesse, à une figure trop roide & mal terminée. Mais la sévérité des premiers Romains donna à ce mot, elegantia, un sens odieux. Ils regardoient l'élégance en tout genre, comme une afféterie, comme une politesse recherchée, indigne de la gravité des premiers tems : vitii, non laudis fuit, dit Aulu-Gelle. Ils appelloient un homme élégant, à-peu-près ce que nous appellons aujourd'hui un petit-maître, belus homuncio, & ce que les Anglois appellent un beau. Mais vers le tems de Cicéron, quand les moeurs eurent reçu le dernier degré de politesse, elegant étoit toûjours une louange. Cicéron se sert en cent endroits de ce mot pour exprimer un homme, un discours poli ; on disoit même alors un repas élégant, ce qui ne se diroit guere parmi nous. Ce terme est consacré en françois, comme chez les anciens Romains, à la Sculpture, à la Peinture, à l'éloquence, & principalement à la Poësie. Il ne signifie pas en Peinture & en Sculpture précisément la même chose que grace. Ce terme grace se dit particulierement du visage, & on ne dit pas un visage élégant, comme des contours élégans : la raison en est que la grace a toûjours quelque chose d'animé, & c'est dans le visage que paroit l'ame ; ainsi on ne dit pas une démarche élégante, parce que la démarche est animée.

L'élégance d'un discours n'est pas l'éloquence, c'en est une partie ; ce n'est pas la seule harmonie, le seul nombre, c'est la clarté, le nombre & le choix des paroles. Il y a des langues en Europe dans lesquelles rien n'est si rare qu'un discours élégant. Des terminaisons rudes, des consonnes fréquentes, des verbes auxiliaires nécessairement redoublés dans une même phrase, offensent l'oreille, même des naturels du pays.

Un discours peut être élégant sans être un bon discours, l'élégance n'étant en effet que le mérite des paroles ; mais un discours ne peut être absolument bon sans être élégant.

L'élégance est encore plus nécessaire à la Poësie que l'éloquence, parce qu'elle est une partie principale de cette harmonie si nécessaire aux vers. Un orateur peut convaincre, émouvoir même sans élégance, sans pureté, sans nombre. Un poëme ne peut faire d'effet s'il n'est élégant : c'est un des principaux mérites de Virgile : Horace est bien moins élégant dans ses satyres, dans ses épîtres ; aussi y est-il moins poëte, sermoni propior.

Le grand point dans la Poësie & dans l'art oratoire, est que l'élégance ne fasse jamais tort à la force ; & le poëte en cela, comme dans tout le reste, a de plus grandes difficultés à surmonter que l'orateur : car l'harmonie étant la base de son art, il ne doit pas se permettre un concours de syllabes rudes. Il faut même quelquefois sacrifier un peu de la pensée à l'élégance de l'expression : c'est une gêne que l'orateur n'éprouve jamais.

Il est à remarquer que si l'élégance a toûjours l'air facile, tout ce qui a cet air facile & naturel, n'est cependant pas élégant. Il n'y a rien de si facile, de si naturel que, la cigale ayant chanté tout l'été, &, maître corbeau sur un arbre perché. Pourquoi ces morceaux manquent-ils d'élégance ? c'est que cette naïveté est dépourvûe de mots choisis & d'harmonie. Amans heureux, voulez-vous voyager ? que ce soit aux rives prochaines, & cent autres traits, ont avec d'autres mérites celui de l'élégance.

On dit rarement d'une comédie qu'elle est écrite élégamment. La naïveté & la rapidité d'un dialogue familier, excluent ce mérite, propre à toute autre poësie. L'élégance sembleroit faire tort au comique, on ne rit point d'une chose élégamment dite ; cependant la plûpart des vers de l'Amphitrion de Moliere, excepté ceux de pure plaisanterie, sont élégans. Le mélange des dieux & des hommes dans cette piece unique en son genre, & les vers irréguliers qui forment un grand nombre de madrigaux, en sont peut-être la cause.

Un madrigal doit bien plûtôt être élégant qu'une épigramme, parce que le madrigal tient quelque chose des stances, & que l'épigramme tient du comique ; l'un est fait pour exprimer un sentiment délicat, & l'autre un ridicule.

Dans le sublime il ne faut pas que l'élégance se remarque, elle l'affoibliroit. Si on avoit loüé l'élégance du Jupiter-Olympien de Phidias, c'eût été en faire une satyre. L'élégance de la Vénus de Praxitele pouvoit être remarquée. Voyez ELOQUENCE, ELOQUENT, STYLE, GOUT, &c. Cet article est de M. DE VOLTAIRE.

ELEGANCE, (Peinture) L'élégance en Peinture consiste principalement dans la beauté du choix, & la délicatesse de l'exécution : c'est donc une maniere d'être qui embellit les objets ou dans le dessein, ou dans la forme, ou dans la couleur, ou dans tous les trois ensemble, sans en détruire le vrai. Heureux présent du ciel, qu'on tient de la naissance, & qui ne dépend ni des maîtres, ni des préceptes ! Le goût naturel donne l'élégance aux ouvrages de l'artiste, le goût la fait sentir à l'amateur.

Cette partie de la Peinture brille admirablement dans l'antique & dans Raphaël. N'imaginons pas néanmoins, par cette raison, qu'elle soit nécessairement fondée sur la correction du dessein, & qu'elle lui soit toûjours subordonnée ; elle peut se trouver éminemment dans des ouvrages qui sont d'ailleurs négligés. Elle se trouve, par exemple, dans la plûpart des tableaux du Correge, où ce célebre maître peche souvent contre la justesse des proportions, tandis que dans ces mêmes tableaux il se montre par ses contours coulans, legers & sinueux, un peintre plein de graces & d'élégance. Voyez Correge, au mot ECOLE LOMBARDE.

Cependant celui qui joint l'élégance à la correction, attache encore davantage par cette perfection nos avides regards. Un peintre de cet ordre éléve notre esprit, après l'avoir agréablement étonné, remplit notre attente, & touche presqu'au sublime de l'art. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ELEGIAQUEadj. (Belles-Lett.) se dit de ce qui appartient à l'élégie, & s'applique plus particulièrement à l'espece de vers qui entroient dans l'élégie des anciens, & qui consistoient en une suite de distiques formés d'un hexametre & d'un pentametre. Voyez ELEGIE, DISTIQUE, &c.

Cette forme de vers a été en usage de très-bonne heure dans les élégies, & Horace dit qu'on en ignore l'auteur :

Quis tamen exiguos elegos emiserit autor

Grammatici certant, & adhuc sub judice lis est.

Il avoit dit auparavant que la forme du distique avoit d'abord été employée pour exprimer la plainte, & qu'elle le fut ensuite aussi pour exprimer la satisfaction & la joie :

Versibus impariter junctis querimonia primùm,

Post etiam inclusa est voti sententia compos.

Sur quoi nous proposons aux savans les questions suivantes : 1°. pourquoi les anciens avoient-ils pris d'abord cette forme de vers pour les élégies tristes ? est-ce parce que l'uniformité des distiques, les repos qui se succedent à intervalles égaux, & l'espece de monotonie qui y regnent, rendoient cette forme propre à exprimer l'abattement & la langueur qu'inspire la tristesse ? 2°. Pourquoi ces mêmes vers ont-ils ensuite été employés à exprimer les sentimens d'une ame contente ? seroit-ce que cette même forme, ou du moins le vers pentametre qui y entre, auroit une sorte de legereté & de facilité propres à exprimer la joie ? seroit-ce qu'à mesure que les hommes se sont corrompus, l'expression des sentimens tendres & vrais est devenue moins commune & moins touchante, & qu'en conséquence la forme des vers consacrés à la tristesse, a été employée par les poëtes (bien ou mal-à-propos) à exprimer un sentiment contraire, par une bisarrerie à-peu-près semblable à celle qui a porté nos musiciens modernes à composer des sonates pour la flûte, instrument dont le caractere sembloit être d'exprimer la tendresse & la tristesse ? (O)

M. Marmontel nous a communiqué sur ce sujet les réflexions suivantes. L'inégalité des vers élégiaques les distingue, dit-il, des vers héroïques, dont la marche soûtenue caractérise la majesté :

Arma, gravi numero, violentaque bella parabam

Edere, materiâ conveniente modis.

Par erat inferior versus : risisse Cupido

Dicitur, atque unum subripuisse pedem.

Ovid. Am. lib. I. el. 1.

Mais comment cette mesure pouvoit-elle peindre également deux affections de l'ame opposées ? c'est ce qui est encore sensible pour nos oreilles, continue M. Marmontel, malgré l'altération de la prosodie latine dans notre prononciation.

La tristesse & la joie ont cela de commun, que leurs mouvemens sont inégaux & fréquemment interrompus : l'un & l'autre suspendent la respiration, coupent la voix, rompent la mesure : l'une s'affoiblit, expire, & tombe ; l'autre s'anime, tressaillit & s'élance. Or le vers pentametre a cette propriété, que ses interruptions peuvent être ou des chûtes ou des élans, suivant l'expression qu'on lui donne : la mesure en est donc également docile à peindre les mouvemens de la tristesse & de la joie. Mais comme dans la nature, les mouvemens de l'une & de l'autre ne sont pas aussi fréquemment interrompus que ceux du vers pentametre, on y a joint, pour les suspendre & les soûtenir, la mesure ferme du vers héroïque : de-là le mélange alternatif de ces deux vers dans l'élégie.

Cependant le pathétique en général se peint encore mieux dans le vers ïambe, dont la mesure simple & variée approche de la nature, autant que l'art du vers peut en approcher ; & il est vraisemblable que si ce vers n'a pas eu la préférence dans le genre élégiaque, comme dans le dramatique, c'est que l'élégie étoit mise en chant.

Quintilien regarde Tibulle comme le premier des poëtes élégiaques ; mais il ne parle que du style, mihi tersus atque elegans maximè videtur. Pline le jeune préfere Catulle, sans-doute pour des élégies qui ne sont point parvenues jusqu'à nous. Ce que nous connoissons de lui de plus délicat & de plus touchant, ne peut guere être mis que dans la classe des madrigaux. Voyez MADRIGAL. Nous n'avons d'élégies de Catulle, que quelques vers à Ortalus sur la mort de son frere ; la chevelure de Bérénice, élégie foible, imitée de Callimaque ; une épître à Mallius, où sa douleur, sa reconnoissance & ses amours sont comme entrelacés de l'histoire de Laodamie, avec assez peu d'art & de goût ; enfin l'avanture d'Ariane & de Thésée, épisode enchâssée dans son poëme sur les noces de Thétis, contre toutes les regles de l'ordonnance, des proportions & du dessein. Tous ces morceaux sont des modeles du style élégiaque ; mais par le fond des choses, ils ne méritent pas même, à notre avis, que l'on nomme Catulle à côté de Tibulle & de Properce : aussi M. l'abbé Souchai ne l'a-t-il pas compté parmi les élégiaques latins (Mém. de l'acad. des Inscriptions & Belles-Lettres, tome VII.) Le même auteur dit que Tibulle est le seul qui ait connu & exprimé parfaitement le vrai caractere de l'élégie, en quoi nous osons n'être pas de son avis ; plus éloignés encore du sentiment de ceux qui donnent la préférence à Ovide. Voyez ELEGIE. Le seul avantage qu'Ovide ait eu sur ses rivaux, est celui de l'invention ; car ils n'ont fait le plus souvent qu'imiter les Grecs, tels que Mimnerme & Callimaque. Mais Ovide, quoiqu'inventeur, avoit pour guides & pour exemples Tibulle & Properce, qui venoient d'écrire avant lui : secours important, dont il n'a pas toûjours profité.

Si l'on demande quel est l'ordre dans lequel ces poëtes se sont succédés, il est marqué dans ces vers d'Ovide. Trist. lib. IV. el. 10.

.... Nec amara Tibullo

Tempus amicitiae fata dedere meae ;

Successor fuit hîc tibi, Galle, Propertius illi ;

Quartus ab his serie temporis ipse fui.

Il ne nous reste rien de ce Gallus ; mais si c'est le même que le Gallus ami de Properce, il a dû être le plus véhément de tous les poëtes élégiaques, comme il a été le plus dur, au jugement de Quintilien. Article de M. MARMONTEL.

M. l'abbé Souchai divise les élégiaques grecs en deux classes : l'une comprend ceux qui à la vérité ont fait des élégies, mais qui sont plus connus par d'autres genres de littérature ; & l'autre renferme ceux qui s'étant plus particulierement adonnés à l'élégie, méritent aussi plus proprement le titre d'élégiaques. Il compte dans la premiere classe Archiloque, Clonas, Polymnestus, Sapho, Eschyle, Sophocle, Euripide, Ion, Melanthus, Alexandre Etolien, Platon, Aristote, Antimaque, Euphorion, Eratosthene & Parthénius ; & dans la seconde Classe, Callinus, Mimnerme, Tyrtée, Périandre, Solon, Sacadas, Xénophane, Simonide, Evenus, Critias, Denis Chatius, Philetas & Callimaque ; Myro de Bizance, Hermianax, &c. Mém. de l'acad. des Belles Lettres, tome VII.

Les poëtes flamands se sont distingués parmi les modernes par leurs élégies latines. Celles de Biderman, de Grotius, & de Vallius, approchent du goût de la belle antiquité. Madame de la Suze & madame Deshoulieres se sont aussi exercées dans ce genre, dans lequel les Anglois n'ont rien que quelques pieces fugitives de Milton. (G)


ELÉGIES. f. (Belles-Lettres) petit poëme dont les plaintes & la douleur sont le principal caractere.

La plaintive élégie en longs habits de deuil,

Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil.

Boil. Art poët.

Nous disons le principal caractere, car bien que ce poëme se fixe ordinairement aux objets lugubres, il ne s'y borne pourtant pas uniquement :

Elle peint des amans la joie & la tristesse,

Flate, menace, irrite, appaise une maîtresse.

Ibidem.

Les Grammairiens sont partagés sur l'étymologie de ce nom : Vossius, après Dydime, le tire du grec , dire hélas. L'élégie fut ainsi nommée, parce qu'elle étoit remplie de l'exclamation , si familiere aux poëtes tragiques, & qui échappe si naturellement aux personnes affligées.

Le vrai caractere de l'élégie consiste dans la vivacité des pensées, dans la délicatesse des sentimens, dans la simplicité des expressions.

La diction dans l'élégie doit être nette, aisée & claire, tendre & pathétique ; peindre les moeurs, n'admettre ni pointes ni jeux de mots ; & le sens de chaque pensée (au moins dans l'élégie latine) doit être renfermé dans chaque distique. Voyez mém. de l'acad. des Belles-Lettres, tome VII. (G)

L'élégie dans sa simplicité touchante & noble, réunit tout ce que la Poësie a de charmes, l'imagination & le sentiment ; c'est cependant, depuis la renaissance des Lettres, l'un des genres de poësie qu'on a le plus négligé : on y a de plus attaché l'idée d'une tristesse fade, soit qu'on ne distingue pas assez la tendresse de la fadeur ; soit que les poëtes, sur l'exemple desquels cette opinion s'est établie, ayent pris eux-mêmes le style doucereux pour le style tendre.

Il n'est donc pas inutile de développer ici le caractere de l'élégie, d'après les modeles de l'antiquité.

Comme les froids législateurs de la Poësie n'ont pas jugé l'élégie digne de leur sévérité, elle joüit encore de la liberté de son premier âge. Grave ou legere, tendre ou badine, passionnée ou tranquille, riante ou plaintive à son gré, il n'est point de ton, depuis l'héroïque jusqu'au familier, qu'il ne lui soit permis de prendre. Properce y a décrit en passant la formation de l'univers, Tibulle les tourmens du tartare ; l'un & l'autre en ont fait des tableaux dignes tour-à-tour de Raphaël, du Correge & de l'Albane : Ovide ne cesse d'y joüer avec les fleches de l'amour.

Cependant pour en déterminer le caractere par quelques traits plus marqués, nous la diviserons en trois genres, le passionné, le tendre, & le gracieux.

Dans tous les trois elle prend également le ton de la douleur & de la joie ; car c'est sur-tout dans l'élégie que l'Amour est un enfant qui pour rien s'irrite & s'appaise, qui pleure & rit en même tems. Par la même raison, le tendre, le passionné, le gracieux, ne sont pas des genres incompatibles dans l'élégie amoureuse ; mais dans leur mélange il y a des nuances, des passages, des gradations à ménager. Dans la même situation où l'on dit torqueor infelix ! on ne doit pas comparer la rougeur de sa maîtresse convaincue d'infidélité, à la couleur du ciel, au lever de l'aurore, à l'éclat des roses parmi les lis, &c. (Ovid. Amor. lib. II. el. 5.) Au moment où l'on crie à ses amis : Enchaînez-moi, je suis un furieux, j'ai battu ma maîtresse, on ne doit penser ni aux fureurs d'Oreste, ni à celles d'Ajax. (Ov. lib. I. el. 7.) Que ces écarts sont bien plus naturels dans Properce ! On m'enleve ce que j'aime, dit-il à son ami, & tu me défends les larmes ! Il n'y a d'injures sensibles qu'en amour.... c'est par-là qu'ont commencé les guerres, c'est par-là qu'a péri Troye.... Mais pourquoi recourir à l'exemple des Grecs ? C'est toi, Romulus, qui nous as donné celui du crime ; en enlevant les Sabines, tu appris à tes neveux à nous enlever nos amantes, &c. (Lib. II. el. 7.)

En général, le sentiment domine dans le genre passionné, c'est le caractere de Properce ; l'imagination domine dans le gracieux, c'est le caractere d'Ovide. Dans le premier l'imagination modeste & soûmise ne se joint au sentiment que pour l'embellir, & se cache en l'embellissant, subsequiturque. Dans le second le sentiment humble & docile ne se joint à l'imagination que pour l'animer, & se laisse couvrir des fleurs qu'elle répand à pleines mains. Un coloris trop brillant refroidiroit l'un, comme un pathétique trop fort obscurciroit l'autre. La passion rejette la parure des graces, les graces sont effrayées de l'air sombre de la passion ; mais une émotion douce ne les rend que plus touchantes & plus vives : c'est ainsi qu'elles regnent dans l'élégie tendre, & c'est le genre de Tibulle.

C'est pour avoir donné à un sentiment foible le ton du sentiment passionné, que l'élégie est devenue fade. Rien n'est plus insipide qu'un desespoir de sang froid. On a cru que le pathétique étoit dans les mots ; il est dans les tours & dans les mouvemens du style. Ce regret de Properce après s'être éloigné de Cinthie,

Nonne fuit melius dominae pervincere mores ?

ce regret, dis-je, seroit froid. Mais combien la réflexion l'anime !

Quamvis dura, tamen rara puella fuit.

C'est une étude bien intéressante que celle des mouvemens de l'ame dans les élégies de ce poëte, & de Tibulle son rival ! Je veux, dit Ovide, que quelque jeune homme blessé des mêmes traits que moi, reconnoisse dans mes vers tous les signes de sa flamme, & qu'il s'écrie après un long étonnement : qui peut avoir appris à ce poëte à si bien peindre mes malheurs ? C'est la regle générale de la poësie pathétique. Ovide la donne ; Tibulle & Properce la suivent, & la suivent bien mieux que lui.

Quelques poëtes modernes se sont persuadés que l'élégie plaintive n'avoit pas besoin d'ornemens : non sans-doute, lorsqu'elle est passionnée. Une amante éperdue n'a pas besoin d'être parée pour attendrir en sa faveur ; son desordre, son égarement, la pâleur de son visage, les ruisseaux de larmes qui coulent de ses yeux, sont les armes de sa douleur, & c'est avec ces traits que la pitié nous pénétre. Il en est ainsi de l'élégie passionnée.

Mais une amante qui n'est qu'affligée, doit réunir pour nous émouvoir les charmes de la beauté, la parure, ou plûtôt le négligé des graces. Telle doit être l'élégie tendre, semblable à Corine au moment de son réveil.

Saepe etiam nondùm digestis mane capillis,

Purpureo jacuit semi supina thoro ;

Tumque fuit neglecta decens.

Un sentiment tranquille & doux, tel qu'il regne dans l'élégie tendre, a besoin d'être nourri sans-cesse par une imagination vive & féconde. Qu'on se figure une personne triste & rêveuse qui se promene dans une campagne, où tout ce qu'elle voit lui retrace l'objet qui l'occupe sous mille faces nouvelles : telle est dans l'élégie tendre la situation de l'ame à l'égard de l'imagination. Quels tableaux ne se fait-on pas dans ces douces rêveries ? Tantôt on croit voyager sur un vaisseau avec ce qu'on aime, on est expose à la même tempête ; on dort sur le même rocher, & à l'ombre du même arbre ; on se desaltere à la même source ; soit à la poupe, soit à la proue du navire, une planche suffit pour deux ; on souffre tout avec plaisir ; qu'importe que le vent du midi, ou celui du nord, enfle la voile, pourvû qu'on ait les yeux attachés sur son amante ? Jupiter embraseroit le vaisseau, on ne trembleroit que pour elle. Prop. l. II. él. 28. Tantôt on se peint soi-même expirant ; on tient d'une défaillante main la main d'une amante éplorée ; elle se précipite sur le lit où l'on expire ; elle suit son amant jusque sur le bûcher ; elle couvre son corps de baisers mêlés de larmes ; on voit les jeunes garçons & les jeunes filles revenir de ce spectacle les yeux baissés & mouillés de pleurs ; on voit son amante s'arrachant les cheveux, & se déchirant les joues ; on la conjure d'épargner les manes de son amant, de modérer son desespoir. Tib. l. I. él. 1. C'est ainsi que dans l'élégie tendre, le sentiment doit être sans-cesse animé par les tableaux que l'imagination lui présente. Il n'en est pas de même de l'élégie passionnée, l'objet présent y remplit toute l'ame ; la passion ne rêve point.

On peut entrevoir quel est le ton du sentiment dans Tibulle & dans Properce, par les extraits que nous en avons donnés, n'ayant pas osé les traduire. Mais ce n'est qu'en les lisant dans l'original, qu'on peut sentir le charme de leur style : tous deux faciles avec précision, véhémens avec douceur, pleins de naturel, de délicatesse, & de graces. Quintilien regarde Tibulle comme le plus élégant & le plus poli des poëtes élégiaques latins ; cependant il avoue que Properce a des partisans qui le préferent à Tibulle, & nous ne dissimulerons pas que nous sommes de ce nombre. A l'égard du reproche qu'il fait à Ovide d'être ce qu'il appelle lascivior ; soit que ce mot-là signifie moins châtié, ou plus diffus, ou trop livré à son imagination, trop amoureux de son bel esprit, nimiùm amator ingenii sui, ou d'une mollesse trop négligée dans son style (car on ne sauroit l'entendre comme le lasciva puella de Virgile, d'une volupté folâtre) ; ce reproche dans tous ces sens est également fondé. Aussi Ovide n'a-t-il excellé que dans l'élégie gracieuse, où les négligences sont plus excusables.

Aux traits dont Ovide s'est peint à lui-même l'élégie amoureuse, on peut juger du style & du ton qu'il lui a donnés.

Venit odoratos elegia nexa capillos

....

Forma decens, vestis tennissima, cultus amantis.

.... limis subrisit ocellis.

Fallor ? an in dextrâ myrthea virga fuit ?

Il y prend quelquefois le ton plaintif ; mais ce ton-là même est un badinage.

Croyez qu'il est des dieux sensibles à l'injure,

Après mille sermens Corine se parjure.

En a-t-elle perdu quelqu'un de ses attraits,

Ses yeux sont-ils moins beaux, son teint est-il moins frais ?

Ah ! ce Dieu, s'il en est, sans-doute aime les belles ;

Et ce qu'il nous défend, n'est permis que pour elles.

L'amour avec ce front riant & cet air leger, peut être aussi ingénieux, aussi brillant que l'on veut. La parure sied bien à la coquetterie ; c'est elle qui peut avoir les cheveux entrelacés de roses. C'est sur le ton galant qu'un amant peut dire :

Cherche un amant plus doux, plus patient que moi ;

Du tribut de mes voeux ma poupe couronnée

Brave au port les fureurs de l'onde mutinée.

C'est-là que seroit placée cette métaphore si peu naturelle, dans une élégie sérieuse :

Nec procul à metis quas pene tenere videbar,

Curriculo gravis est facta ruina meo.

Trist. l. IV. él. 8.

Tibulle & Properce rivaux d'Ovide dans l'élégie gracieuse, l'ont ornée comme lui de tous les thrésors de l'imagination. Dans Tibulle, le portrait d'Apollon qu'il voit en songe ; dans Properce, la peinture des champs élisées ; dans Ovide, le triomphe de l'amour, le chef-d'oeuvre de ses élégies, sont des tableaux ravissans : & c'est ainsi que l'élégie doit être parée de la main des graces, toutes les fois qu'elle n'est pas animée par la passion, ou attendrie par le sentiment. C'est à quoi les modernes n'ont pas assez réfléchi : chez eux, le plus souvent, l'élégie est froide & négligée, & par conséquent plate & ennuyeuse : car il n'y a que deux moyens de plaire ; amuser, ou émouvoir.

Nous n'avons encore parlé ni des héroïdes d'Ovide, qu'on doit mettre au rang des élégies passionnées, ni de ses tristes dont son exil est le sujet, & que l'on doit compter parmi les élégies tendres.

Sans ce libertinage d'esprit, cette abondance d'imagination qui refroidit presque par-tout le sentiment dans Ovide, ses héroïdes seroient à côté des plus belles élégies de Properce & de Tibulle. On est d'abord surpris d'y trouver plus de pathétique & d'intérêt, que dans les tristes. En effet il semble qu'un poëte doit être plus émû & plus capable d'émouvoir en déplorant ses malheurs, qu'en peignant les malheurs d'un personnage imaginaire. Cependant Ovide est plein de chaleur, lorsqu'il soûpire au nom de Penelope après le retour d'Ulysse ; il est glacé, lorsqu'il se plaint lui-même des rigueurs de son exil à ses amis & à sa femme. La premiere raison qui se présente de la foiblesse de ses derniers vers, est celle qu'il en donne lui-même.

Da mihi Maeoniden, & tot circumspice casus ;

Ingenium tantis excidet omne malis.

" Qu'on me donne un Homere en bute au même sort,

Son génie accablé cédera sous l'effort. "

Mais le malheur qui émousse l'esprit, qui affaisse l'imagination, & qui énerve les idées, semble devoir attendrir l'ame & remuer le sentiment : or c'est le sentiment qui est la partie foible de ces élégies, tandis qu'il est la partie dominante des héroïdes. Pourquoi ? parce que la chaleur de son génie étoit dans son imagination, & qu'il s'est peint les malheurs des autres bien plus vivement qu'il n'a ressenti les siens. Une preuve qu'il les ressentoit foiblement, c'est qu'il les a mis en vers :

Ses foibles déplaisirs s'amusent à parler,

Et quiconque se plaint, cherche à se consoler.

A plus forte raison, quiconque se plaint en cadence. Cependant il semble ridicule de prétendre qu'Ovide exilé de Rome dans les deserts de la Scythie, ne fût point pénétré de son malheur. Qu'on lise pour s'en convaincre cette élégie où il se compare à Ulysse ; que d'esprit, & combien peu d'ame ! Osons le dire à l'avantage des Lettres : le plaisir de chanter ses malheurs, en étoit le charme : il les oublioit en les racontant : il en eût été accablé, s'il ne les eût pas écrits ; & si l'on demande pourquoi il les a peints froidement, c'est parce qu'il se plaisoit à les peindre.

Mais lorsqu'il veut exprimer la douleur d'un autre, ce n'est plus dans son ame, c'est dans son imagination qu'il en puise les couleurs : il ne prend plus son modele en lui-même, mais dans les possibles : ce n'est pas sa maniere d'être, mais sa maniere de concevoir qui se reproduit dans ses vers ; & la contention du travail qui le déroboit à lui-même, ne fait que lui représenter plus vivement un personnage supposé. Ainsi Ovide est plus Briseis ou Phedre dans les héroïdes, qu'il n'est Ovide dans les tristes.

Toutefois autant l'imagination dissipe & affoiblit dans le poëte le sentiment de sa situation présente, autant elle approfondit les traces de sa situation passée. La mémoire est la nourrice du génie. Pour peindre le malheur il n'est pas besoin d'être malheureux, mais il est bon de l'avoir été.

Une comparaison va rendre sensible la raison que nous avons donnée de la froideur d'Ovide dans les tristes.

Un peintre affligé se voit dans un miroir ; il lui vient dans l'idée de se peindre dans cette situation touchante : doit-il continuer à se regarder dans la glace, ou se peindre de mémoire après s'être vû la premiere fois ? S'il continue de se voir dans la glace, l'attention à bien saisir le caractere de sa douleur, & le desir de le bien rendre, commencent à en affoiblir l'expression dans le modele. Ce n'est rien encore. Il donne les premiers traits ; il voit qu'il prend la ressemblance, il s'en applaudit ; le plaisir du succès se glisse dans son ame, se mêle à sa douleur, en adoucit l'amertume ; les mêmes changemens s'operent sur son visage, & le miroir les lui répete : mais le progrès en est insensible, il copie sans s'appercevoir qu'à chaque instant ce ne sont plus les mêmes traits. Enfin de nuance en nuance, il se trouve avoir fait le portrait d'un homme content, au lieu du portrait d'un homme affligé. Il veut revenir à sa premiere idée ; il corrige, il retouche, il recherche dans la glace l'expression de la douleur : mais la glace ne lui rend plus qu'une douleur étudiée, qu'il peint froide comme il la voit. N'eût-il pas mieux réussi à la rendre, s'il l'eût copiée d'après un autre, ou si l'imagination & la mémoire lui en avoient rappellé les traits ? C'est ainsi qu'Ovide a manqué la nature, en voulant l'imiter d'après lui-même.

Mais, dira-t-on, Properce & Tibulle ont si bien exprimé leur situation présente, même dans la douleur ? Oüi sans-doute, & c'est le propre du sentiment qui les inspiroit, de redoubler par l'attention qu'on donne à le peindre. L'imagination est le siége de l'amour : c'est-là que ses feux s'allument, s'entretiennent, & s'irritent ; & c'est-là que les poëtes élégiaques en ont puisé les couleurs. Il n'est donc pas étonnant qu'ils soient plus tendres, à proportion qu'ils s'échauffent davantage l'imagination sur l'objet de leur tendresse, & plus sensibles à son infidélité ou à sa perte, à mesure qu'ils s'en exagerent le prix. Si Ovide avoit été amoureux de sa femme, la sixieme élégie du premier livre des tristes ne seroit pas composée de froids éloges & de vaines comparaisons. La fiction tient lieu aux amans de la réalité, & les plus passionnés n'adorent souvent que leur propre ouvrage, comme le sculpteur de la fable. Il n'en est pas ainsi d'un malheur réel, comme l'exil & l'infortune ; le sentiment en est fixe dans l'ame : c'est une douleur que chaque instant, que chaque objet reproduit, & dont l'imagination n'est ni le siége ni la source. Il faut donc, si l'on parle de soi-même, parler d'amour dans l'élégie pathétique. On peut bien y faire gémir une mere, une soeur, un ami tendre ; mais si l'on est cet ami, cette mere, ou cette soeur, on ne fera point d'élégie, ou l'on s'y peindra foiblement.

Nous ne nous arrêterons point aux élégies modernes. Les meilleures sont connues sous d'autres titres, comme les idylles de madame Deshoulieres aux moutons, aux fleurs, &c. modele d'élégie dans le genre gracieux ; les vers de M. de Voltaire sur la mort de mademoiselle Lecouvreur : modele plus parfait encore de l'élégie passionnée, & auquel Tibulle & Properce lui-même n'ont peut-être rien à opposer, &c.

La Fontaine qui se croyoit amoureux, a voulu faire des élégies tendres : elles sont au-dessous de lui. Mais celle qu'il a faite sur la disgrace de son protecteur, adressée aux nymphes de Vaux, est un chef-d'oeuvre de poësie, de sentiment, & d'éloquence. M. Fouquet du fond de sa prison inspiroit à la Fontaine des vers sublimes, tandis qu'il n'inspiroit pas même la pitié à ses amis ; leçon bien frappante pour les grands, & bien glorieuse pour les lettres.

Du reste, les plus beaux traits de cette élégie de la Fontaine sont aussi bien exprimés dans la premiere du troisieme livre des tristes, & n'y sont pas aussi touchans. Pourquoi ? parce qu'Ovide parle pour lui, & la Fontaine pour un autre. C'est encore un des priviléges de l'amour, de pouvoir être humble & suppliant sans bassesse : mais ce n'est qu'à lui qu'il appartient de flater la main qui le frappe. On peut être enfant aux genoux de Corine ; mais il faut être homme devant l'empereur. Article de M. MARMONTEL.

Réflexions sur la Poësie élégiaque.

A ce discours intéressant sur l'élégie, joignons-y plusieurs autres réflexions pour satisfaire complete ment la curiosité du lecteur.

Le mot élégie veut dire une plainte. L'élégie a commencé vraisemblablement par les plaintes ou lamentations, usitées aux funérailles dans tous les tems & chez tous les peuples de la terre ; & c'est à son origine que se rapportent les deux vers de Despréaux, cités à la tête de cet article.

Ces plaintes ou lamentations auxquelles on ajustoit la flute, s'appelloient, ainsi que l'élégie, des airs tristes & lugubres. Il est naturel de présumer que ces plaintes furent d'abord sans ordre, sans liaison, sans étude : simples expressions de la douleur, qui ne laissoient pas de consoler les vivans en même tems qu'elles honoroient les morts. Comme elles étoient tendres & pathétiques, elles remuoient l'ame ; & par les mouvemens qu'elles lui imprimoient, elles la tenoient tellement occupée, qu'il ne lui restoit plus d'attention pour l'objet même, dont la perte l'affligeoit. De-là vient que l'on fit un art de ces plaintes, & qu'elles furent bien-tôt aussi liées & aussi suivies que le permettoit l'occasion qui les faisoit naître, ou plûtôt le sujet à l'occasion duquel elles étoient composées.

Mais qui est-ce qui a donné à ces plaintes l'art & la forme qu'elles ont dans Mimnerme, & dans ceux qui l'ont suivi ? C'est ce qu'on ignore & qu'on ignoroit même du tems d'Horace, & ce qui nous intéresse encore moins aujourd'hui. Il nous suffit de savoir que les Grecs dont les Latins ont suivi l'exemple, se déterminerent à composer leurs poësies plaintives, leurs élégies, en vers pentametres & hexametres entrelacés : de-là cette sorte de vers a pris le nom d'élégiaques.

Ensuite les poëtes qui avoient employé cette mesure pour soûpirer leurs peines, l'employerent pour chanter leurs plaisirs : de-là par la bisarrerie de l'usage, il est arrivé que toute oeuvre poëtique écrite en vers pentametres & hexametres, quel qu'en fût le sujet, gai ou triste, s'est nommé élégie ; ce mot ayant changé sa premiere acception, & ne signifiant plus qu'une piece écrite en vers pentametres & hexametres.

Il ne faut donc pas confondre élégie avec le vers élégiaque, ni par conséquent les poëtes élégiaques avec les poëtes élégiographes : qu'on me permette cette expression nouvelle, mais nécessaire.

On employa d'abord les vers élégiaques dans les occasions lugubres ; ensuite Callinus & Mimnerme écrivirent l'histoire de leur tems en ces mêmes vers. Les sages s'en servirent pour publier leurs lois ; Tirtée, pour chanter la valeur guerriere ; Butas, pour expliquer les cérémonies de la religion ; Callimaque, pour célébrer les loüanges des dieux ; Eratosthène, pour traiter des questions de mathématique. Mais tout poëme qui, employant le vers élégiaque, ne déplore point quelque malheur, ou ne peint ni la tristesse, ni la joie des amans, n'est point une élégie, dans le sens qu'on a généralement adopté pour ce mot : par conséquent les vers élégiaques des fastes d'Ovide & de ses amours ne sont point une élégie.

Cependant, il est certain qu'en grec & en latin le mêlange des vers hexametres & des vers pentametres est tellement affecté à l'élégie, & lui est tellement propre, que les grammairiens n'approuveroient pas qu'on appellât élégie, la plainte de Bion sur Adonis mort, ni celle que nous avons de Moschus sur la mort de Bion, par la seule raison que l'une & l'autre sont conçues en vers hexametres.

Le tems nous a ravi toutes les élégies des Grecs proprement dites ; il ne nous reste du moins en entier, que celle qu'Euripide a inserée dans son Andromaque (Acte I. scene iij.), comme nos poëtes ont inseré quelquefois des stances dans leurs tragédies. Ce morceau est une véritable élégie à tous égards, en tous sens, & l'on n'en connoît point de plus belle.

Andromaque dans le temple de Thétis, baignant de ses larmes la statue de la déesse qu'elle tient embrassée, fait en vers élégiaques & en dialecte dorique, une plainte très touchante sur l'arrivée d'Helene à Troye, sur le sac de Troye, sur la mort d'Hector, sur son propre esclavage & sur la dureté d'Hermione. La piece qui ne contient que 14 vers, comprend tout ce qu'une profonde & vive douleur peut rassembler de plus affligeant dans l'esprit d'une princesse malheureuse ; car la grande affliction nous rappelle sous un seul point de vûe, tous nos différens déplaisirs.

" Oüi, (dit cette malheureuse princesse, en baignant de ses larmes la statue de Thétis, qu'elle tient embrassée) " oüi, c'est une furie & non une épouse que Paris emmena dans Ilion en y amenant Helene ; c'est pour elle que la Grece arma mille vaisseaux ; c'est elle qui a perdu mon malheureux & cher époux, dont un ennemi barbare a traîné le corps pâle & défiguré autour de nos murailles. Et moi arrachée de mon palais, & conduite au rivage avec les tristes marques de la servitude ; combien ai-je versé de larmes, en abandonnant une ville encore fumante, & mon époux indignement laissé sur la poussiere ? Malheureuse, hélas, que je suis ! d'être obligée de survivre à tant de maux, & d'y survivre pour être l'esclave d'Hermione, de la cruelle Hermione qui me réduit à me consumer en pleurs, aux piés de la déesse que j'implore & que je tiens embrassée. "

Euripide auroit pû exprimer les mêmes choses en vers ïambes comme il le fait par-tout ailleurs ; il auroit pû employer le vers hexametre ; mais il a préferé l'élégiaque, parce que l'élégiaque étoit le plus propre pour rendre les sentimens douloureux.

Si nous n'y sentons pas aujourd'hui cette propriété, cela vient sans-doute, de ce que la langue greque n'est plus vivante, & de ce que nous ne savons pas la maniere dont les Grecs prononçoient leurs vers ; cependant pour peu qu'on fasse de réflexion sur la forme de l'élégie greque, on reconnoîtra aisément combien le mêlange des vers, la variété des piés, la période commençant & finissant au gré du poëte, & à quelque mesure que ce soit, donnent de facilité à varier les vers, suivant les variations qui arrivent dans les grandes passions & spécialement dans les sentimens douloureux, & dans les accens plaintifs qui en sont l'expression.

Je dis l'élégie greque, à la différence de l'élégie latine, car les Latins en prenant des Grecs les différentes formes de vers, les ont réduites à une sorte de correction qui approche presque de la stérilité & de la monotonie.

On ne peut s'empêcher en faisant ces réflexions sur le mérite des élégies greques, de ne pas regretter particulierement celles de Sapho, de Platon, de Mimnerme, de Simonide, de Philetas, de Callimaque, d'Hermésianax & de quelques autres dont les outrages du tems nous ont privés.

Il ne nous reste que deux seules pieces de toutes les poësies de Sapho, cette fille que la beauté de son génie fit surnommer la dixieme muse ; mais il est aisé de se persuader, & par l'hymne qu'elle adresse à Vénus, & par cette ode admirable où elle exprime d'une maniere si vive les fureurs de l'amour, combien ses élégies devoient être tendres, pathétiques & passionnées.

Je pense aussi que celles de Platon, si bien nommé l'Homere des philosophes, sont dignes de nos regrets ; j'en juge par le goût, les graces, les beautés, le style enchanteur de ses autres ouvrages, & mieux encore par les vers passionnés qu'il fit pour Agathon, & que M. de Fontenelle a traduits dans ses dialogues.

Lorsqu'Agathis par un baiser de flâme

Consent à me payer des maux que j'ai sentis ;

Sur mes levres soudain je vois voler mon ame

Qui veut passer sur celles d'Agathis.

Mimnerme, dont Smyrne & Colophon se disputerent la naissance, déploya ses talens supérieurs dans ce genre de poësie. étant vieux & déjà sur le retour, il devint éperdûment amoureux d'une joueuse de flûte appellée Nanno, & en éprouva les rigueurs. Ce fut pour fléchir cette maîtresse inhumaine, qu'il composa des élégies si tendres & si belles, qu'au rapport d'Athénée tout le monde se faisoit un plaisir de les chanter. Sa poësie a tant de douceur & d'harmonie, dans les fragmens qui nous restent de lui, qu'il n'est pas surprenant qu'on lui ait donné le surnom de Ligystade, & qu'Agathocle en fît ses délices. Sa réputation se répandit dans tout l'univers ; & ce qui couronne son éloge, est qu'Horace le préfere à Callimaque.

Simonide à qui l'île de Céos donna la naissance, dans la 75 olympiade, n'eut guere moins de succès que Mimnerme dans le genre élégiaque. Le caractere de sa muse étoit si plaintif, que les larmes de Simonide passerent en proverbe.

Philétas & Callimaque, car je ne les séparerai point, vêcurent tous deux à la cour de Ptolemée Philadelphe, dont Philétas fut précepteur, & Callimaque bibliothécaire. Les anciens qui font mention de ces deux poëtes, les joignent presque toûjours ensemble. Properce invoque à-la-fois leurs manes, & quand il a commencé par les loüanges de l'un, il finit ordinairement par les loüanges de l'autre. Quintilien même en parlant de l'élégie, ne les a pas séparés. Philétas publia plusieurs élégies qui lui acquirent une grande réputation, & dont l'aimable Battis ou Bittis fut l'objet. Elles lui mériterent une statue de bronze, où il étoit représenté chantant sous un plane, cette Bittis qu'il avoit tendrement aimée.

Pour Callimaque, on le regardoit au témoignage de Quintilien, comme le maître de l'élégie. Catulle se fit un honneur de traduire son poëme sur la chevelure de Bérénice, & de transporter quelquefois dans ses propres écrits, les pensées & les expressions du poëte grec ; & Properce malgré ses talens, n'ambitionnoit que le titre de Callimaque romain.

Hermésianax contemporain d'Epicure, est le dernier poëte grec dont le tems nous a ravi les élégies. Il parut dans la foule des amans de la fameuse Léontium, & c'est à cette célebre courtisanne qu'il les avoit adressées.

La poësie fut ignorée, ou peut-être méprisée des Romains jusqu'au tems que la Sicile passa sous leur domination. Alors Livius Andronicus, grec d'origine, sut leur inspirer avec l'amour du théatre, quelque goût pour un art si noble ; mais ce goût ne commença de se perfectionner qu'après que la Grece assujettie leur eut donné des modeles. Bientôt ils tenterent les mêmes routes ; & leur émulation étant de plus en plus excitée, ils réussirent enfin à le disputer presque en tous les genres, à ceux-mêmes qu'ils imitoient.

Parmi les hommes de goût qui contribuerent davantage aux progrès de leur poësie, on vit paroître successivement Tibulle, Properce & Ovide (car je laisse Gallus, Valgius, Passienus, dont le tems nous a envié les écrits) ; & ces trois poëtes, malgré la différence de leur caractere, ont fait admirer leur talent pour le genre élégiaque : mais Tibulle & Properce ont singulierement réuni tous les suffrages ; on ne se lasse point de les loüer.

Tibulle a conçu & parfaitement exprimé le caractere de l'élégie : ce desordre ingénieux qui est si conforme à la nature, il a su le jetter dans ses élégies ; on diroit qu'elles sont uniquement le fruit du sentiment. Rien de médité, rien de concerté, nul art, nulle étude en apparence. La nature seule de la passion est ce qu'il s'est proposé d'imiter, & qu'il a imité en en peignant les mouvemens & les effets, par les images les plus vives & les plus naturelles. Il désire, il craint ; il blâme, il approuve ; il loue, il condamne ; il déteste, il aime ; il s'irrite, il s'appaise ; il passe en un moment des prieres aux menaces, des menaces aux supplications. Rien dans ses élégies qui puisse faire voir de la fiction, ni ces termes ambitieux qui forment une espece de contraste & supposent nécessairement de l'affectation, ni ces allusions savantes qui décréditent le poëte, parce qu'elles font disparoître la nature & qu'elles détruisent la vraisemblance. Dans Tibulle tout respire la vérité.

Il est tendre, naturel, délicat, passionné, noble sans faste ; simple sans bassesse ; élégant sans artifice. Il sent tout ce qu'il dit, & le dit toûjours de la maniere dont il faut le dire, pour persuader qu'il le sent. Soit qu'il se représente dans un désert inhabité, mais que la présence de Sulpitie lui fait trouver aimable ; soit qu'il se peigne accablé d'ennui, & reglant, comme s'il devoit expirer de sa douleur, l'ordre & la pompe de ses funérailles, il touche, il saisit, il pénétre ; & quelque chose qu'il représente, il transporte son lecteur dans toutes les situations qu'il décrit.

Properce, exact, ingénieux, instruit, peut se parer avec raison du titre de Callimaque romain ; il le mérite par le tour de ses expressions, qu'il emprunte communément des Grecs, & par leur cadence qu'il s'est proposé d'imiter. Ses élégies sont l'ouvrage des graces mêmes ; & n'en pas sentir les beautés, c'est se déclarer ennemi des muses. Rien n'est au-dessus de son art, de son travail, de son savoir dans la fable ; peut-être quelquefois pourroit-on lui en faire un reproche ; mais ses images plaisent presque toûjours. Cynthie est-elle légerement assoupie ? telle fut ou la fille de Minos, lors qu'abandonnée par un amant perfide, elle s'endormit sur le rivage ; ou la fille de Céphée, quand délivrée d'un monstre affreux, elle fut contrainte de céder au sommeil qui vint la surprendre. Cynthie verse-t-elle des larmes ? jamais cette femme superbe qui fut transformée en rocher, Niobé, n'en répandit autant. Peint-il la simplicité des premiers âges ? ce sont des fleurs, des fruits, des raisins avec leurs pampres qu'il offre à sa maîtresse. Enfin tout ce qu'il exprime est conforme à la vérité, & l'harmonie de la versification y répand mille charmes.

Ovide est léger, agréable, abondant, plein d'esprit ; il surprend, il étonne par son incomparable facilité. Il répand les fleurs à pleines mains ; mais il ne sait peindre que les grotesques ; il préfere les agrémens, les traits, les saillies, au langage de la nature ; il néglige le sentiment pour faire briller une pensée ; il se montre toûjours plus spirituel que plein d'une véritable passion ; il s'égaye même lorsqu'il croit ne tracer que la peinture des sujets les plus sérieux. Envain il se représente exposé à périr par la tempête, dans le vaisseau qui le porte au lieu destiné pour son exil ; il compte les flots qui se succedent impétueusement les uns aux autres, & il a le sens froid de nommer le dixieme pour le plus grand.

Qui venit hic fluctus supereminet omnes

Posterior nono est, undecimoque prior.

Avec ce style poétique, il ne m'intéresse point en sa faveur ; je ne partage point ses dangers, parce que j'en apperçois toute la fiction. Quand il tenoit ce discours, il étoit déjà parmi les Sarmates, ou du moins dans le port. En un mot, Ovide est plus fardé, moins naturel que Tibulle & que Properce ; & quoique leur rival, il étoit déjà beaucoup moins goûté, moins admiré au tems de Quintilien.

Mais pour ce qui concerne la prééminence de mérite entre Tibulle & Properce, je n'ai garde de la décider ; c'est peut-être une affaire de tempérament. Ainsi sans rappeller au lecteur pour y parvenir, les grandes regles de la poésie, ces regles primitives qui s'étendent à tous les genres, & dont l'observation est toûjours indispensable, parce qu'elles ont leur fondement dans la nature ; sans alléguer une autorité respectable que les partisans de Tibulle nomment en leur faveur ; sans croire même qu'on puisse bien juger aujourd'hui de Tibulle & de Properce, en se donnant la peine de les comparer sur les mêmes sujets qu'ils ont traités l'un & l'autre ; j'entends les vices, le luxe, l'avarice de leur siecle, & les plaintes qu'ils font de leurs maîtresses, (Tibulle, liv. II. élég. jv. Properce, lib. III. élég. xij. &c.) je dis seulement que les gens de lettres resteront toûjours partagés dans leurs opinions, sur la préférence des deux poëtes, & qu'on ne résoudra jamais ce problème de goût & de sentiment. C'est pourquoi, loin de m'y arrêter davantage, je passe à la discussion un peu détaillée du caractere de l'élégie, & je vais tâcher néanmoins de n'ennuyer personne.

Il n'est point de genre de poésie qui n'ait son caractere particulier ; & cette diversité, que les anciens observerent si religieusement, est fondée sur la nature même des sujets imités par les poëtes. Plus leurs imitations sont vraies, mieux ils ont rendu les caracteres qu'ils avoient à exprimer. Chaque genre d'ouvrage a ses lois ; & ses lois lui sont tellement propres, qu'elles ne peuvent être appliquées à un autre genre. Ainsi l'églogue ne quitte pas ses chalumeaux pour entonner la trompette, & l'élégie n'emprunte point les sublimes accords de la lyre.

Ne croyons donc pas que pour faire des élégies, il suffise d'être passionné, & que l'amour seul en inspire de plus belles que l'étude jointe au talent sans l'amour. La passion toute seule ne produira jamais rien qui soit achevé : elle doit sans-doute fournir les sentimens ; mais c'est à l'art de les mettre en oeuvre, & d'y ajoûter les graces de l'expression. Le caractere de l'élégie n'admet point, à la vérité, la méthode géométrique, & la scrupuleuse exactitude représente mal les passions que peint l'élégie ; mais l'art lui devient nécessaire pour exprimer le desordre des passions, conformément à la nature, que les grands maîtres ont si bien connue.

C'est par-là que Tibulle est admirable : s'il se plaint (liv. I. élég. 3.) d'une maladie qui le retient dans une terre étrangere, & l'empêche de suivre Messala ; " il regrette bien-tôt le siecle d'or, cet heureux siecle où les maux, qui depuis affligerent les hommes, étoient absolument ignorés ". Puis revenant à sa maladie, " il en demande à Jupiter la guérison ". Il décrit ensuite les champs élisées, où Venus elle-même doit le conduire, si la parque tranche le fil de ses jours " : enfin sentant renaître l'espérance dans son coeur, " il se flate que les dieux, toûjours propices aux amans, lui accorderont de revoir Délie, que son absence rend inconsolable ". Il semble que l'on penseroit, que l'on parleroit de cette maniere, si l'on étoit dans la situation que le poëte représente.

Rien n'est plus opposé au caractere de l'élégie que l'affectation, parce qu'elle s'accorde mal avec la douleur, avec la joie, avec la tendresse, avec les graces ; elle n'est propre qu'à tout gâter. L'élégie ne s'accommode point des pensées recherchées, ni dans le genre tendre & passionné de celles qui seroient seulement ingénieuses & brillantes ; elles pourroient faire honneur au poëte dans d'autres occasions, mais l'esprit n'est point à sa place où il ne faut que du sentiment. De plus, les pensées sont souvent fausses ; & bien qu'il soit toûjours indispensable de penser juste, le vrai du sentiment doit principalement régner dans l'élégie.

Les pensées sublimes, & les images pompeuses, n'appartiennent pas non plus au caractere de l'élégie ; elles sont réservées à l'ode ou à l'épopée. Ce n'est pas sur le ton pompeux que Marcellus, oüi Marcellus lui-même, fils d'Auguste par adoption, l'héritier de l'empire & les délices des Romains, est pleuré dans une des élégies de Properce, quoiqu'il paroisse que les images pompeuses convenoient bien au héros dont il s'agissoit, ou du moins auroient été très-excusables dans cette occasion : cependant Properce n'a pas osé se les permettre ; il se contente de dire tout simplement : " Une mort prématurée nous a ravi Marcellus ; il ne lui a de rien servi d'avoir Octavie pour mere, & de réunir dans sa personne tant de vertus héroïques. Rien ne garantit de la commune loi, ni la force, ni la beauté, ni les richesses, ni les triomphes. De quelque rang que vous soyez, il faudra qu'un jour vous appaisiez le cerbere, & que vous passiez la barque de l'inexorable vieillard ". Liv. III. élég. 15.

Aussi quand ce même poëte invoquoit les manes de Philétas & de Callimaque, il ne leur demandoit pas où les Muses leur avoient inspiré des vers pompeux, mais en quel antre ils avoient trouvé l'un & l'autre la simplicité propre à l'élégie.

Les images funebres conviennent parfaitement au caractere de l'élégie triste ; de-là vient dans les anciens ce tour ingénieux, de ramener souvent l'idée de leur propre mort, & d'ordonner quelquefois la pompe de leurs funérailles ; ou bien encore de finir leurs élégies par des inscriptions sur les tombeaux. Tibulle a-t-il déclaré qu'il ne peut survivre à la perte de Néaera, qui lui avoit été promise, & qu'un rival lui avoit enlevée, il regle à l'instant l'ordre de ses funérailles : " Il veut, quand il ne sera plus qu'une ombre legere, que cette même Néaera, les cheveux épars, pleure devant son bûcher ; mais il veut qu'elle soit accompagnée de sa mere, & que toutes deux également affligées & vêtues de robes noires, elles recueillent ses cendres ; qu'elles les arrosent de vin & de lait ; qu'elles les renferment dans un tombeau de marbre, avec les plus riches parfums ; & que pénétrées de douleur, elles versent des larmes sur ce tombeau. Il veut enfin que l'inscription fasse connoître que c'est la perte de Néaera qui a causé sa mort ". Liv. III. élég. 2.

Il est ordinaire de voir la grande douleur s'occuper de raisonnemens faux, alors le délire de cette passion est du caractere essentiel de l'élégie. " Plût à Dieu (dit Tibulle) qu'on fût demeuré dans les moeurs qui regnoient au tems de Saturne, lorsqu'on ne connoissoit point encore l'art de voyager, & que la terre n'étoit point partagée en grands chemins " ! Comme si de-là eût dépendu le départ de sa maîtresse, qui avoit entrepris un grand voyage.

La douleur produit aussi des desirs & des espérances, qui sont un adoucissement à nos peines, & qui nous retracent une situation plus heureuse. De-là viennent les digressions du même Tibulle sur des plans de vie imaginaires, si jamais son état venoit à changer. Par ces idées frivoles, entretenant une passion qui le remplit tour-à-tour d'espérances & de craintes, il nourrit la flamme qui le dévore, & qui ne le laisse jamais sans inquiétude.

Voilà ce que l'on peut observer sur les élégies tristes & passionnées.

Par rapport aux élégies gracieuses, M. Marmontel a remarqué qu'elles doivent être ornées de tous les thrésors de l'imagination, & je n'ai rien de plus à en dire.

Quant aux élégies qui doivent représenter l'état d'un coeur au comble de ses voeux ; & ne connoissant rien d'égal au bonheur dont il jouit, le ton peut être hardi, & les pensées exagérées. L'extrême joie n'est pas moins hyperbolique que l'extrême douleur, & souvent il arrive que les figures les plus audacieuses sont l'expression naturelle de ces transports. C'est encore alors que les images riantes répandent dans ce genre d'élégie des graces particulieres.

Pour ce qui regarde les loüanges que les poëtes donnent à leurs maîtresses dans les élégies amoureuses, ou les éloges qu'ils font de leur beauté ; comme c'est le coeur qui dicte ces sortes de loüanges, elles doivent en suivre le langage, & par conséquent être amenées simplement & naturellement. Voyez avec quelle naïveté, avec quel goût, avec quel coloris, Tibulle nous peint Sulpicie : " Les Graces (dit-il) président à toutes ses actions, & sont toûjours attachées à ses pas sans qu'elle daigne s'en appercevoir. Elle plaît si elle arrange ses cheveux avec art ; si elle les laisse flotter, cet air négligé lui donne un nouvel éclat. Soit qu'elle soit vêtue de pourpre, ou qu'elle préfere à la pourpre une autre couleur, elle enchante, elle ravit tous les coeurs. Tel dans l'olympe, l'heureux Vertumne prend mille formes différentes, & plaît sous toutes également ". Liv. IV. élég. 2.

En un mot, de quelque genre qu'on suppose l'élégie, elle doit toûjours suivre le langage de la passion & de la nature ; elle doit s'exprimer avec une vérité, une force, une douceur, une noblesse, & un sentiment proportionné au sujet qu'elle traite. Il y faut le choix des pensées & des expressions propres ; car ce choix est toûjours ce qu'il y a de plus important & de plus essentiel. Ces réflexions doivent naître du fond même de la pensée, & paroître un sentiment plûtôt qu'une réflexion : il faut aussi que l'harmonie du vers la soûtienne. Enfin, il faut qu'il y ait une liaison secrette entre toutes ses parties, & que le plan soit distribué avec tant d'ordre & de goût, qu'elles se fortifient les unes les autres, & augmentent insensiblement l'intérêt ; comme ces côteaux qui s'élevent peu-à-peu, & qui semblent terminés dans un espace éloigné par des montagnes qui touchent aux cieux.

Ce n'est pas d'après ces regles que la plûpart des modernes ont composé leurs élégies ; ils paroissent n'avoir pas connu son caractere. Ils ont donné à leurs productions le titre d'élégie, en se contentant d'y donner une certaine forme ; comme si cette forme suffisoit toute seule pour caractériser un poëme, sans la matiere qui lui est propre ; ou que ce fût la nature des vers, & non pas celle de l'imitation, qui distinguât les poëtes.

Les uns pour briller, se sont jettés dans les écarts de l'imagination, dans des ornemens frivoles, dans des pensées recherchées, dans des images pompeuses, ou dans des traits d'esprit quand il s'agissoit de peindre le sentiment. Les autres ont imaginé de plaire, & d'émouvoir par des loüanges de leurs maîtresses, qui ne sont que des flateries extravagantes ; par des gémissemens, dont la feinte saute aux yeux ; par des douleurs étudiées, & par des désespoirs de sang-froid. C'est à ces derniers poëtes que s'adressent les vers suivans de Despréaux :

Je hais ces vains auteurs, dont la Muse forcée

M'entretient de ses feux, toûjours froide & glacée ;

Qui s'affligent par art ; & foux de sens rassis,

S'érigent, pour rimer, en amoureux transis :

Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines ;

Ils ne savent jamais que se charger de chaînes,

Que benir leur martyre, adorer leur prison,

Et faire quereller le sens & la raison.

Ce n'étoit pas jadis sur ce ton ridicule

Qu'Amour dictoit les vers que soupiroit Tibulle.

Art. poétiq. chant II, v. 45.

Aussi les Anglois dégoûtés des fadeurs de l'élégie plaintive & amoureuse, ont pris le parti de consacrer quelquefois ce poëme à l'éloge de l'esprit, de la valeur, & des talens ; on en verra des exemples dans Waller. Je ne déciderai point s'ils ont eu tort ou raison ; cet examen me meneroit trop loin.

Je finis par une récapitulation. L'élégie doit son origine aux plaintes usitées de tout tems dans les funérailles. Après avoir long-tems gémi sur un cercueil, elle pleura les disgraces de l'amour ; ce passage fut naturel. Les plaintes continuelles des amans sont une espece de mort ; & pour parler leur langage, ils vivent uniquement dans l'objet de leur passion. Soit qu'ils loüent les plaisirs de la vie champêtre, soit qu'ils déplorent les maux que la guerre entraîne après elle, ce n'est pas par rapport à eux qu'ils loüent ces plaisirs & qu'ils déplorent ces maux, c'est par rapport à leurs maîtresses : " Ah, pourvû seulement que j'eusse le bonheur d'être auprès de vous " !... dit Tibulle à Délie.

Ainsi l'élégie, destinée dans sa premiere institution aux gémissemens & aux larmes, ne s'occupa que de ses infortunes ; elle n'exprima d'autres sentimens, elle ne parla d'autre langage que celui de la douleur : négligée comme il sied aux personnes affligées, elle chercha moins à plaire qu'à toucher ; elle voulut exciter la pitié, & non pas l'admiration. Elle retint ce même caractere dans les plaintes des amans, & jusque dans leurs chants de triomphe elle se souvint de sa premiere origine.

Enfin, dans toutes ses vicissitudes, ses pensées furent toûjours vives & naturelles, ses sentimens tendres & délicats, ses expressions simples & faciles ; & toûjours elle conserva cette marche inégale dont Ovide lui fait un si grand mérite, & qui, pour le dire en passant, donne à la poésie élégiaque des anciens tant d'avantage sur la nôtre.

Cependant je m'apperçois qu'en traitant ce sujet, qui a été si bien approfondi dans plusieurs ouvrages, & en particulier dans les mémoires de l'academie des inscriptions, je me suis peut-être trop étendu, entraîné par la matiere même, & par les charmes de Tibulle & de Properce. Mais le genre élégiaque a mille attraits, parce qu'il émeut nos passions, parce qu'il est l'imitation des objets qui nous intéressent, parce qu'il nous fait entendre des hommes touchés, & qui nous rendent très-sensibles à leurs peines comme à leurs plaisirs, en nous en entretenant eux-mêmes.

Nous aimons beaucoup à être émus (Voyez EMOTION) ; nous ne pouvons entendre les hommes déplorer leurs infortunes sans en être affligés, sans chercher ensuite à en parler aux autres, sans profiter de la premiere occasion qui s'offre de décharger notre coeur, si je puis parler ainsi, d'un poids qui l'accable.

Voilà pourquoi de tous les poëmes, comme l'a dit avant moi M. l'Abbé Souchay, il n'en est point après le dramatique qui soit plus attrayant que l'élégie. Aussi a-t-on vû dans tous les tems des génies du premier ordre faire leurs délices de ce genre de poésie. Indépendamment de ceux que nous avons cités, élégiographes de profession, les Euripide & les Sophocle ne crurent point, en s'y appliquant, deshonorer les lauriers qu'ils avoient cueillis sur la scene.

Plusieurs poëtes modernes se sont aussi consacrés à l'élégie ; heureux, s'ils n'avoient pas substitué d'ordinaire, le faux au vrai, le pompeux au simple, & le langage de l'esprit à celui de la nature ! Quoiqu'il en soit, ce genre de poésie a des beautés sans nombre ; & c'est ce qui m'a fait espérer d'obtenir quelque indulgence, quand j'ai crû pouvoir les détailler ici d'après les grands maîtres de l'art. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ELEGIRv. act. il se dit dans les arts méchaniques, de toutes pieces en bois ou en fer qu'on rend plus legeres, en les affoiblissant dans les endroits où il n'est point nécessaire qu'elles soient si fortes. Il est particulierement d'usage dans la Menuiserie & la Charpenterie.


ELÉLÉENadj. (Mythol.) surnom de Bacchus & de ses prêtresses, qu'on appella aussi Eléléides. Eléléen signifie bruyant, ce qui est relatif à la maniere tumultueuse & bruyante dont les fêtes & les mysteres de Bacchus se célébroient. Voyez BACCHANTES.


ELÉMENSELÉMENS

Néanmoins quoique dans cette espece de tableau il y ait bien des objets qui nous échappent, il est facile de distinguer les propositions ou vérités générales qui servent de base aux autres, & dans lesquelles celles-ci sont implicitement renfermées. Ces propositions réunies en un corps, formeront, à proprement parler, les élémens de la science, puisque ces élémens seront comme un germe qu'il suffiroit de développer, pour connoître les objets de la science fort en détail. Mais on peut encore considérer les élémens d'une science sous un autre point de vûe : en effet, dans la suite des propositions on peut distinguer celles qui, soit dans elles-mêmes, soit dans leurs conséquences, considerent cet objet de la maniere la plus simple ; & ces propositions étant détachées du tout, en y joignant même les conséquences détaillées qui en dérivent immédiatement, on aura des élémens pris dans un second sens plus vulgaire & plus en usage, mais moins philosophique que le premier. Les élémens pris dans le premier sens, considerent pour ainsi dire en gros toutes les parties principales de l'objet : les élémens pris dans le second sens, considerent en détail les parties de l'objet les plus grossieres. Ainsi des élémens de Géométrie qui contiendroient non-seulement les principes de la mesure & des propriétés des figures planes, mais ceux de l'application de l'Algebre à la Géométrie, & du calcul différentiel & intégral appliqués aux courbes, seroient des élémens de Géométrie dans le premier sens, parce qu'ils renfermeroient les principes de la Géométrie prise dans toute son étendue ; mais ce qu'on appelle des élémens de Géometrie ordinaire, qui ne roulent que sur les propriétés générales des figures planes & du cercle, ne sont que des élémens pris dans le second sens, parce qu'ils n'embrassent que la partie la plus simple de leur objet, soit qu'ils l'embrassent avec plus ou moins de détail. Nous nous attacherons ici aux élémens pris dans le premier sens ; ce que nous en dirons pourra facilement s'appliquer ensuite aux élémens pris dans le second.

La plûpart des Sciences n'ont été inventées que peu-à-peu : quelques hommes de génie, à différens intervalles de tems, ont découvert les uns après les autres un certain nombre de vérités ; celles-ci en ont fait découvrir de nouvelles, jusqu'à-ce qu'enfin le nombre des vérités connues est devenu assez considérable. Cette abondance, du moins apparente, a produit deux effets. En premier lieu, on a senti la difficulté d'y ajoûter, non-seulement parce que les génies créateurs sont rares, mais encore parce que les premiers pas faits par une suite de bons esprits, rendent les suivans plus difficiles à faire ; car les hommes de génie parcourent rapidement la carriere une fois ouverte, jusqu'à-ce qu'ils arrivent à quelqu'obstacle insurmontable pour eux, qui ne peut être franchi qu'après des siecles de travail. En second lieu, la difficulté d'ajoûter aux découvertes, a dû naturellement produire le dessein de mettre en ordre les découvertes déjà faites ; car le caractere de l'esprit humain est d'amasser d'abord le plus de connoissances qu'il est possible, & de songer ensuite à les mettre en ordre, lorsqu'il n'est plus si facile d'en amasser. De-là sont nés les premiers traités en tout genre ; traités pour la plûpart imparfaits & informes. Cette imperfection venoit principalement de ce que ceux qui ont dressé ces premiers ouvrages, ont pû rarement se mettre à la place des inventeurs, dont ils n'avoient pas reçû le génie en recevant le fruit de leurs travaux. Les inventeurs seuls pouvoient traiter d'une maniere satisfaisante les sciences qu'ils avoient trouvées, parce qu'en revenant sur la marche de leur esprit, & en examinant de quelle maniere une proposition les avoit conduits à une autre, ils étoient seuls en état de voir la liaison des vérités, & d'en former par conséquent la chaîne. D'ailleurs, les principes philosophiques sur lesquels la découverte d'une science est appuyée, n'ont souvent une certaine netteté que dans l'esprit des inventeurs ; car soit par négligence, soit pour déguiser leurs découvertes, soit pour en faciliter aux autres le fruit, ils les couvrent d'un langage particulier, qui sert ou à leur donner un air de mystere, ou à en simplifier l'usage : or ce langage ne peut être mieux traduit que par ceux même qui l'ont inventé, ou qui du moins auroient pû l'inventer. Il est enfin des cas où les inventeurs mêmes n'auroient pû réduire en ordre convenable leurs connoissances ; c'est lorsqu'ayant été guidés moins par le raisonnement que par une espece d'instinct, ils sont hors d'état de pouvoir les transmettre aux autres. C'est encore lorsque le nombre des vérités se trouve assez grand pour être recueilli, & pour qu'il soit difficile d'y ajoûter, mais non assez complet pour former un corps & un ensemble.

Ce que nous venons de dire regarde les traités détaillés & complets ; mais il est évident que les mêmes réflexions s'appliquent aux traités élémentaires : car puisque les traités complets ne different des traités élémentaires bien faits, que par le détail des conséquences & des propositions particulieres omises dans les unes & énoncées dans les autres, il s'ensuit qu'un traité élémentaire & un traité complet, si on les suppose bien faits, seront ou explicitement ou implicitement renfermés l'un dans l'autre.

Il est donc évident par tout ce que nous venons de dire, qu'on ne doit entreprendre les élémens d'une science que quand les propositions qui la constituent ne seront point chacune isolées & indépendantes l'une de l'autre, mais quand on y pourra remarquer des propositions principales dont les autres seront des conséquences. Or comment distinguera-t-on ces propositions principales ? voici le moyen d'y parvenir. Si les propositions qui forment l'ensemble d'une science ne se suivent pas immédiatement les unes les autres, on remarquera les endroits où la chaîne est rompue, & les propositions qui forment la tête de chaque partie de la chaîne, sont celles qui doivent entrer dans les élémens. A l'égard des propositions mêmes qui forment une seule portion continue de la chaîne, on y en distinguera de deux especes ; celles qui ne sont que de simples conséquences, une simple traduction en d'autres termes de la proposition précédente, doivent être exclues des élémens, puisqu'elles y sont évidemment renfermées. Celles qui empruntent quelque chose, non-seulement de la proposition précédente, mais d'une autre proposition primitive, sembleroient devoir être exclues par la même raison, puisqu'elles sont implicitement & exactement renfermées dans les propositions dont elles dérivent. Mais en s'attachant scrupuleusement à cette regle, non-seulement on réduiroit les élemens à presque rien, on en rendroit l'usage & l'application trop difficiles. Ainsi les conditions nécessaires pour qu'une proposition entre dans les élemens d'une science pris dans le premier sens, sont que ces propositions soient assez distinguées les unes des autres, pour qu'on ne puisse pas en former une chaîne immédiate ; que ces propositions soient elles-mêmes la source de plusieurs autres, qui n'en seront plus regardées que comme des conséquences ; & qu'enfin si quelqu'une des propositions est comprise dans les précédentes, elle n'y soit comprise qu'implicitement, ou de maniere qu'on ne puisse en appercevoir la dépendance que par un raisonnement développé.

N'oublions pas de dire qu'il faut insérer dans les élemens les propositions isolées, s'il en est quelqu'une qui ne tienne ni comme principe ni comme conséquence, à aucune autre ; car les élemens d'une science doivent contenir au moins le germe de toutes les vérités qui font l'objet de cette science ; par conséquent l'omission d'une seule vérité isolée, rendroit les élémens imparfaits.

Mais ce qu'il faut sur-tout s'attacher à bien développer, c'est la métaphysique des propositions. Cette métaphysique, qui a guidé ou dû guider les inventeurs, n'est autre chose que l'exposition claire & précise des vérités générales & philosophiques sur lesquelles les principes de la science sont fondés. Plus cette métaphysique est simple, facile, & pour ainsi dire populaire, plus elle est précieuse ; on peut même dire que la simplicité & la facilité en sont la pierre de touche. Tout ce qui est vrai, sur-tout dans les sciences de pur raisonnement, a toûjours des principes clairs & sensibles, & par conséquent peut être mis à la portée de tout le monde sans aucune obscurité. En effet, comment les conséquences pourroient-elles être claires & certaines, si les principes étoient obscurs ? La vanité des auteurs & des lecteurs est cause que l'on s'écarte souvent de ces regles : les premiers sont flatés de pouvoir répandre un air de mystere & de sublimité sur leurs productions : les autres ne haïssent pas l'obscurité, pourvû qu'il en résulte une espece de merveilleux ; mais la vérité est simple, & veut être traitée comme elle est. Nous aurons occasion dans cet ouvrage d'appliquer souvent les regles que nous venons de donner, principalement dans ce qui regarde les lois de la Méchanique, la Géométrie qu'on nomme de l'infini, & plusieurs autres objets ; c'est pourquoi nous insistons pour le présent assez légerement là-dessus.

Pour nous borner ici à quelques regles générales, quels sont dans chaque science les principes d'où l'on doit partir ? des faits simples, bien vûs & bien avoüés ; en Physique l'observation de l'univers, en Géométrie les propriétés principales de l'étendue, en Méchanique l'impénétrabilité des corps, en Métaphysique & en Morale l'étude de notre ame & de ses affections, & ainsi des autres. Je prends ici la Métaphysique dans le sens le plus rigoureux qu'elle puisse avoir, en tant qu'elle est la science des êtres purement spirituels. Ce que j'en dis ici sera encore plus vrai, quand on la regardera dans un sens plus étendu, comme la science universelle qui contient les principes de toutes les autres ; car si chaque science n'a & ne peut avoir que l'observation pour vrais principes, la Métaphysique de chaque science ne peut consister que dans les conséquences générales qui résultent de l'observation, présentées sous le point de vûe le plus étendu qu'on puisse leur donner. Ainsi dûssai-je, contre mon intention, choquer encore quelques personnes, dont le zele pour la Métaphysique est plus ardent qu'éclairé, je me garderai bien de la définir, comme elles le veulent, la science des idées ; car que seroit-ce qu'une pareille science ? La philosophie, sur quelqu'objet qu'elle s'exerce, est la science des faits ou celle des chimeres. C'est en effet avoir d'elle une idée bien informe & bien peu juste, que de la croire destinée à se perdre dans les abstractions, dans les propriétés générales de l'être, dans celles du mode & de la substance. Cette spéculation inutile ne consiste qu'à présenter sous une forme & un langage scientifiques, des propositions qui étant mises en langage vulgaire, ou ne seroient que des vérités communes qu'on auroit honte d'étaler avec tant d'appareil, ou seroient pour le moins douteuses, & par conséquent indignes d'être érigées en principes. D'ailleurs une telle méthode est non-seulement dangereuse, en ce qu'elle retarde par des questions vagues & contentieuses le progrès de nos connoissances réelles, elle est encore contraire à la marche de l'esprit, qui, comme nous ne saurions trop le redire, ne connoît les abstractions que par l'étude des êtres particuliers. Ainsi la premiere chose par où l'on doit commencer en bonne Philosophie, c'est de faire main-basse sur ces longs & ennuyeux prolégomenes, sur ces nomenclatures éternelles, sur ces arbres & ces divisions sans fin ; tristes restes d'une misérable scholastique & de l'ignorante vanité de ces siecles ténébreux, qui dénués d'observations & de faits, se créoient un objet imaginaire de spéculations & de disputes. J'en dis autant de ces questions aussi inutiles que mal résolues, sur la nature de la Philosophie, sur son existance, sur le premier principe des connoissances humaines, sur l'union de la probabilité avec l'évidence, & sur une infinité d'autres objets semblables.

Il est dans les Sciences d'autres questions contestées, moins frivoles en elles-mêmes, mais aussi inutiles en effet, qu'on doit absolument bannir d'un livre d'élémens. On peut juger sûrement de l'inutilité absolue d'une question sur laquelle on se divise, lorsqu'on voit que les Philosophes se réunissent d'ailleurs sur des propositions, qui néanmoins au premier coup-d'oeil sembleroient tenir nécessairement à cette question. Par exemple, les élémens de Géométrie, de calcul, étant les mêmes pour toutes les écoles de Philosophie, il résulte de cet accord, & que les vérités géométriques ne tiennent point aux principes contestés sur la nature de l'étendue, & qu'il est sur cette matiere un point commun où toutes les sectes se réunissent ; un principe vulgaire & simple d'où elles partent toutes sans s'en appercevoir ; principe qui s'est obscurci par les disputes, ou qu'elles ont fait négliger, mais qui n'en subsiste pas moins. De même, quoique le mouvement & ses propriétés principales soient l'objet de la méchanique, néanmoins la métaphysique obscure & contentieuse de la nature du mouvement, est totalement étrangere à cette science ; elle suppose l'existance du mouvement, tire de cette supposition une foule de vérités utiles, & laisse bien loin derriere elle la philosophie scholastique s'épuiser en vaines subtilités sur le mouvement même. Zénon chercheroit encore si les corps se meuvent, tandis qu'Archimede auroit trouvé les lois de l'équilibre, Huyghens celle de la percussion, & Newton celles du système du monde.

Concluons de-là que le point auquel on doit s'arrêter dans la recherche des principes d'une science, est déterminé par la nature de cette science même, c'est-à-dire par le point de vûe sous lequel elle envisage son objet ; tout ce qui est au-delà doit être regardé ou comme appartenant à une autre science, ou comme une région entierement refusée à nos regards. J'avoue que les principes d'où nous partons en ce cas, ne sont peut-être eux-mêmes que des conséquences fort éloignées des vrais principes qui nous sont inconnus, & qu'ainsi ils mériteroient peut-être le nom de conclusions plûtôt que celui de principes. Mais il n'est pas nécessaire que ces conclusions soient des principes en elles-mêmes, il suffit qu'elles en soient pour nous.

Nous n'avons parlé jusqu'à présent que des principes proprement dits, de ces vérités primitives par lesquelles on peut non-seulement guider les autres, mais se guider soi-même dans l'étude d'une science. Il est d'autres principes qu'on peut appeller secondaires ; ils dépendent moins de la nature des choses, que du langage : ils ont principalement lieu, lorsqu'il s'agit de communiquer ses connoissances aux autres. Je veux parler des définitions, qu'on peut, à l'exemple des Mathématiciens, regarder en effet comme des principes ; puisque dans quelque espece d'élémens que ce puisse être, c'est en partie sur elles que la plûpart des propositions sont appuyées. Ce nouvel objet demande quelques réflexions : l'article DEFINITION en présente plusieurs ; nous y ajoûterons les suivantes.

Définir, suivant la force du mot, c'est marquer les bornes & les limites d'une chose ; ainsi définir un mot, c'est en déterminer & en circonscrire pour ainsi dire le sens, de maniere qu'on ne puisse, ni avoir de doute sur ce sens donné, ni l'étendre, ni le restreindre, ni enfin l'attribuer à aucun autre terme.

Pour établir les regles des définitions, remarquons d'abord que dans les Sciences on fait usage de deux sortes de termes ; de termes vulgaires, & de termes scientifiques.

J'appelle termes vulgaires, ceux dont on fait usage ailleurs que dans la science dont il s'agit, c'est-à-dire dans le langage ordinaire, ou même dans d'autres sciences ; tels sont par exemple les mots espace, mouvement en Méchanique ; corps en Géométrie, son en Musique, & une infinité d'autres. J'appelle termes scientifiques, les mots propres & particuliers à la science, qu'on a été obligé de créer pour désigner certains objets, & qui sont inconnus à ceux à qui la science est tout-à-fait étrangere.

Il semble d'abord que les termes vulgaires n'ont pas besoin d'être définis, puisqu'étant, comme on le suppose, d'un usage fréquent, l'idée qu'on attache à ces mots doit être bien déterminée & familiere à tout le monde. Mais le langage des Sciences ne sauroit être trop précis, & celui du vulgaire est souvent vague & obscur ; on ne sauroit donc trop s'appliquer à fixer la signification des mots qu'on employe, ne fût-ce que pour éviter toute équivoque. Or pour fixer la signification des mots, ou, ce qui revient au même, pour les définir, il faut d'abord examiner quelles sont les idées simples que ce mot renferme ; j'appelle idée simple, celle qui ne peut être décomposée en d'autres, & par ce moyen être rendue plus facile à saisir : telle est par exemple l'idée d'existance, celle de sensation, & une infinité d'autres. Ceci a besoin d'une plus ample explication.

A proprement parler, il n'y a aucune de nos idées qui ne soit simple ; car quelque composé que soit un objet, l'opération par laquelle notre esprit le conçoit comme composé, est une opération instantanée & unique : ainsi c'est par une seule opération simple que nous concevons un corps comme une substance tout-à-la-fois étendue, impénétrable, figurée, & colorée.

Ce n'est donc point par la nature des opérations de l'esprit qu'on doit juger du degré de simplicité des idées ; c'est la simplicité plus ou moins grande de l'objet qui en décide : de plus cette simplicité plus ou moins grande, n'est pas celle qui est déterminée par le nombre plus ou moins grand des parties de l'objet, mais par le nombre plus ou moins grand des propriétés qu'on y considere à la fois ; ainsi quoique l'espace & le tems soient composés de parties, & par conséquent ne soient pas des êtres simples, cependant l'idée que nous en avons est une idée simple, parce que toutes les parties du tems & de l'espace sont absolument semblables, que l'idée que nous en avons est absolument la même, & qu'enfin cette idée ne peut être décomposée, puisqu'on ne pourroit simplifier l'idée de l'étendue & celle du tems sans les anéantir : au lieu qu'en retranchant de l'idée de corps, par exemple, l'idée d'impénétrabilité, de figure, & de couleurs, il reste encore l'idée de l'étendue.

Les idées simples dans le sens où nous l'entendons, peuvent se réduire à deux especes : les unes sont des idées abstraites ; l'abstraction en effet n'est autre chose que l'opération, par laquelle nous considérons dans un objet une propriété particuliere, sans faire attention à celles qui se joignent à celle-là pour constituer l'essence de l'objet. La seconde espece d'idées simples est renfermée dans les idées primitives que nous acquérons par nos sensations, comme celles des couleurs particulieres, du froid, du chaud, & plusieurs autres semblables ; aussi n'y a-t-il point de circonlocution plus propre à faire entendre ces choses, que le terme unique qui les exprime.

Quand on a trouvé toutes les idées simples qu'un mot renferme, on le définira en présentant ces idées d'une maniere aussi claire, aussi courte, & aussi précise qu'il sera possible. Il suit de ces principes, que tout mot vulgaire qui ne renfermera qu'une idée simple, ne peut & ne doit pas être défini dans quelque science que ce puisse être ; puisqu'une définition ne pourroit en mieux faire connoître le sens. A l'égard des termes vulgaires qui renferment plusieurs idées simples, fussent-ils d'un usage très-commun, il est bon de les définir, pour développer parfaitement les idées simples qu'ils renferment.

Ainsi dans la Méchanique ou science du mouvement des corps, on ne doit définir ni l'espace ni le tems, parce que ces mots ne renferment qu'une idée simple ; mais on peut & on doit même définir le mouvement, quoique la notion en soit assez familiere à tout le monde, parce que l'idée de mouvement est une idée complexe qui en renferme deux simples, celle de l'espace parcouru, & celle du tems employé à le parcourir. Il suit encore des mêmes principes, que les idées simples qui entrent dans une définition doivent être tellement distinctes l'une de l'autre, qu'on ne puisse en retrancher aucune. Ainsi dans la définition ordinaire du triangle rectiligne, on fait entrer mal-à-propos les trois côtés & les trois angles ; il suffit d'y faire entrer les trois côtés, parce qu'une figure renfermée par trois lignes droites a nécessairement trois angles. C'est à quoi on ne sauroit faire trop d'attention, pour ne pas multiplier sans nécessité les mots non plus que les êtres, & pour ne pas faire regarder comme deux idées distinctes, ce qui n'est individuellement que la même.

On peut donc dire non-seulement qu'une définition doit être courte, mais que plus elle sera courte, plus elle sera claire ; car la briéveté consiste à n'employer que les idées nécessaires, & à les disposer dans l'ordre le plus naturel. On n'est souvent obscur, que parce qu'on est trop long : l'obscurité vient principalement de ce que les idées ne sont pas bien distinguées les unes des autres, & ne sont pas mises à leur place. Enfin la briéveté étant nécessaire dans les définitions, on peut & on doit même y employer des termes qui renferment des idées complexes, pourvû que ces termes ayent été définis auparavant, & qu'on ait par conséquent développé les idées simples qu'ils contiennent. Ainsi on peut dire qu'un triangle rectiligne est une figure terminée par trois lignes droites, pourvû qu'on ait défini auparavant ce qu'on entend par figure, c'est-à-dire un espace terminé entierement par des lignes : ce qui renferme trois idées, celle d'étendue, celle de bornes, & celle de bornes en tout sens.

Telles sont les regles générales d'une définition ; telle est l'idée qu'on doit s'en faire, & suivant laquelle une définition n'est autre chose que le développement des idées simples qu'un mot renferme. Il est fort inutile après cela d'examiner si les définitions sont de nom ou de chose, c'est-à-dire si elles sont simplement l'explication de ce qu'on entend par un mot, ou si elles expliquent la nature de l'objet indiqué par ce mot. En effet, qu'est-ce que la nature d'une chose ? En quoi consiste-t-elle proprement, & la connoissons-nous ? Si on veut répondre clairement à ces questions, on verra combien la distinction dont il s'agit est futile & absurde : car étant ignorans comme nous le sommes sur ce que les êtres sont en eux-mêmes, la connoissance de la nature d'une chose (du moins par rapport à nous) ne peut consister que dans la notion claire & décomposée, non des principes réels & absolus de cette chose, mais de ceux qu'elle nous paroît renfermer. Toute définition ne peut être envisagée que sous ce dernier point de vûe : dans ce cas elle sera plus qu'une simple définition de nom, puisqu'elle ne se bornera pas à expliquer le sens d'un mot, mais qu'elle en décomposera l'objet ; & elle sera moins aussi qu'une définition de chose, puisque la vraie nature de l'objet, quoiqu'ainsi décomposé, pourra toûjours rester inconnue.

Voilà ce qui concerne la définition des termes vulgaires. Mais une science ne se borne pas à ces termes, elle est forcée d'en avoir de particuliers ; soit pour abréger le discours & contribuer ainsi à la clarté, en exprimant par un seul mot ce qui auroit besoin d'être exprimé par une phrase entiere ; soit pour désigner des objets peu connus sur lesquels elle s'exerce, & que souvent elle se produit à elle-même par des combinaisons singulieres & nouvelles. Ces mots ont besoin d'être définis, c'est-à-dire simplement expliqués par d'autres termes plus vulgaires & plus simples ; & la seule regle de ces définitions, c'est de n'y employer aucun terme qui ait besoin lui-même d'être expliqué, c'est-à-dire qui ne soit ou clair de lui-même, ou déjà expliqué auparavant.

Les termes scientifiques n'étant inventés que pour la nécessité, il est clair que l'on ne doit pas au hasard charger une science de termes particuliers. Il seroit donc à souhaiter qu'on abolit ces termes scientifiques & pour ainsi dire barbares, qui ne servent qu'à en imposer ; qu'en Géométrie, par exemple, on dît simplement proposition au lieu de théorème, conséquence au lieu de corollaire, remarque au lieu de scholie, & ainsi des autres. La plûpart des mots de nos Sciences sont tirés des langues savantes, où ils étoient intelligibles au peuple même, parce qu'ils n'étoient souvent que des termes vulgaires, ou dérivés de ces termes : pourquoi ne pas leur conserver cet avantage ?

Les mots nouveaux, inutiles, bisarres, ou tirés de trop loin, sont presque aussi ridicules en matiere de science, qu'en matiere de goût. On ne sauroit, comme nous l'avons déjà dit ailleurs, rendre la langue de chaque science trop simple, & pour ainsi dire trop populaire ; non-seulement c'est un moyen d'en faciliter l'étude, c'est ôter encore un prétexte de la décrier au peuple, qui s'imagine ou qui voudroit se persuader que la langue particuliere d'une science en fait tout le mérite, que c'est une espece de rempart inventé pour en défendre les approches : les ignorans ressemblent en cela à ces généraux malheureux ou malhabiles, qui ne pouvant forcer une place se vengent en insultant les dehors.

Au reste ce que je propose ici a plûtôt pour objet les mots absolument nouveaux que le progrès naturel d'une science oblige à faire, que les mots qui y sont déjà consacrés, sur-tout lorsque ces mots ne pourroient être facilement changés en d'autres plus intelligibles. Il est dans les choses d'usage, des limites où le philosophe s'arrête ; il ne veut ni se réformer, ni s'y soûmettre en tout, parce qu'il n'est ni tyran ni esclave.

Les regles que nous venons de donner, concernent les élémens en général pris dans le premier sens. A l'égard des élémens pris dans le second sens, ils ne different des autres qu'en ce qu'ils contiendront nécessairement moins de propositions primitives, & qu'ils pourront contenir plus de conséquences particulieres. Les regles de ces deux élémens sont d'ailleurs parfaitement semblables ; car les élémens pris dans le premier sens étant une fois traités, l'ordre des propositions élémentaires & primitives y sera reglé par le degré de simplicité ou de multiplicité, sous lequel on envisagera l'objet. Les propositions qui envisagent les parties les plus simples de l'objet, se trouveront donc placées les premieres ; & ces propositions en y joignant ou en omettant leurs conséquences, doivent former les élémens de la seconde espece. Ainsi le nombre des propositions primitives de cette seconde espece d'élémens, doit être déterminé par l'étendue plus ou moins grande de la science que l'on embrasse, & le nombre des conséquences sera déterminé par le détail plus ou moins grand dans lequel on embrasse cette partie.

On peut proposer plusieurs questions sur la maniere de traiter les élémens d'une science.

En premier lieu, doit-on suivre, en traitant les élémens, l'ordre qu'ont suivi les inventeurs ? Il est d'abord évident qu'il ne s'agit point ici de l'ordre que les inventeurs ont pour l'ordinaire réellement suivi, & qui étoit sans regle & quelquefois sans objet, mais de celui qu'ils auroient pû suivre en procédant avec méthode. On ne peut douter que cet ordre ne soit en général le plus avantageux à suivre ; parce qu'il est le plus conforme à la marche de l'esprit, qu'il éclaire en instruisant, qu'il met sur la voie pour aller plus loin, & qu'il fait pour ainsi dire pressentir à chaque pas celui qui doit le suivre : c'est ce qu'on appelle autrement la méthode analytique, qui procede des idées composées aux idées abstraites, qui remonte des conséquences connues aux principes inconnus, & qui, en généralisant celles-là, parvient à découvrir ceux-ci ; mais il faut que cette méthode réunisse encore la simplicité & la clarté, qui sont les qualités les plus essentielles que doivent avoir les élémens d'une science. Il faut bien se garder sur-tout, sous prétexte de suivre la méthode des inventeurs, de supposer comme vraies des propositions qui ont besoin d'être prouvées, sous prétexte que les inventeurs, par la force de leur génie, ont dû appercevoir d'un coup-d'oeil & comme à vûe d'oiseau la vérité de ces propositions. On ne sauroit traiter trop exactement les Sciences, sur-tout celles qui s'appellent particulierement exactes.

La méthode analytique peut surtout être employée dans les sciences dont l'objet n'est pas hors de nous, & dont le progrès dépend uniquement de la méditation ; parce que tous les matériaux de la science étant pour ainsi dire au-dedans de nous, l'analyse est la vraie maniere & la plus simple d'employer ces matériaux. Mais dans les sciences dont les objets nous sont extérieurs, la méthode synthétique, celle qui descend des principes aux conséquences, des idées abstraites aux composées, peut souvent être employée avec succès & avec plus de simplicité que l'autre ; d'ailleurs les faits sont eux-mêmes en ce cas les vrais principes. En général la méthode analytique est plus propre à trouver les vérités, ou à faire connoître comment on les a trouvées. La méthode synthétique est plus propre à expliquer & à faire entendre les vérités trouvées : l'une apprend à lutter contre les difficultés, en remontant à la source ; l'autre place l'esprit à cette source même, d'où il n'a plus qu'à suivre un cours facile. Voyez ANALYSE, SYNTHESE.

On demande en second lieu, laquelle des deux qualités doit être préférée dans des élémens, de la facilité, ou de la rigueur exacte. Je réponds que cette question suppose une chose fausse ; elle suppose que la rigueur exacte puisse exister dans la facilité, & c'est le contraire ; plus une déduction est rigoureuse, plus elle est facile à entendre : car la rigueur consiste à réduire tout aux principes les plus simples. D'où il s'ensuit encore que la rigueur proprement dite entraîne nécessairement la méthode la plus naturelle & la plus directe. Plus les principes seront disposés dans l'ordre convenable, plus la déduction sera rigoureuse ; ce n'est pas qu'absolument elle ne pût l'être si on suivoit une méthode plus composée, comme a fait Euclide dans ses élémens : mais alors l'embarras de la marche feroit aisément sentir que cette rigueur précaire & forcée ne seroit qu'improprement telle.

Nous n'en dirons pas davantage ici sur les regles qu'on doit observer en général, pour bien traiter les élémens d'une science. La meilleure maniere de faire connoître ces regles, c'est de les appliquer aux différentes sciences ; & c'est ce que nous nous proposons d'exécuter dans les différens articles de cet ouvrage. A l'égard des élémens des Belles-Lettres, ils sont appuyés sur les principes du goût. Voyez GOUT. Ces élémens, semblables en plusieurs choses aux élémens des Sciences, ont été faits après coup sur l'observation des différentes choses qui ont paru affecter agréablement les hommes. On trouvera de même à l'article HISTOIRE, ce que nous pensons des élémens de l'histoire en général. Voyez aussi COLLEGE.

Nous dirons seulement ici que toutes nos connoissances peuvent se réduire à trois especes ; l'Histoire, les Arts tant libéraux que méchaniques, & les Sciences proprement dites, qui ont pour objet les matieres de pur raisonnement ; & que ces trois especes peuvent être réduites à une seule, à celle des Sciences proprement dites. Car, 1°. l'Histoire est ou de la nature, ou des pensées des hommes, ou de leurs actions. L'histoire de la nature, objet de la méditation du philosophe, rentre dans la classe des sciences ; il en est de même de l'histoire des pensées des hommes, sur-tout si on ne comprend sous ce nom que celles qui ont été vraiment lumineuses & utiles, & qui sont aussi les seules qu'on doive présenter à ses lecteurs dans un livre d'élémens. A l'égard de l'histoire des rois, des conquérans, & des peuples, en un mot des évenemens qui ont changé ou troublé la terre, elle ne peut être l'objet du philosophe qu'autant qu'elle ne se borne pas aux faits seuls ; cette connoissance stérile, ouvrage des yeux & de la mémoire, n'est qu'une connoissance de pure convention quand on la renferme dans ses étroites limites, mais entre les mains de l'homme qui sait penser, elle peut devenir la premiere de toutes. Le sage étudie l'univers moral comme le physique, avec cette patience, cette circonspection, ce silence de préjugés qui augmente les connoissances en les rendant utiles ; il suit les hommes dans leurs passions comme la nature dans ses procédés ; il observe, il rapproche, il compare, il joint ses propres observations à celles des siecles précédens, pour tirer de ce tout les principes qui doivent l'éclairer dans ses recherches ou le guider dans ses actions : d'après cette idée, il n'envisage l'Histoire que comme un recueil d'expériences morales faites sur le genre humain, recueil qui seroit sans-doute beaucoup plus complet s'il n'eût été fait que par des philosophes, mais qui, tout informe qu'il est, renferme encore les plus grandes leçons de conduite, comme le recueil des observations médicinales de tous les âges, malgré tout ce qui lui manque & qui lui manquera peut-être toûjours, forme néanmoins la partie la plus importante & la plus réelle de l'art de guérir. L'Histoire appartient donc à la classe des Sciences, quant à la maniere de l'étudier & de se la rendre utile, c'est-à-dire quant à la partie philosophique.

2°. Il en est de même des Arts tant méchaniques que libéraux : dans les uns & les autres ce qui concerne les détails est uniquement l'objet de l'artiste ; mais d'un côté, les principes fondamentaux des Arts méchaniques sont fondés sur les connoissances mathématiques & physiques des hommes, c'est-à-dire, sur les deux branches les plus considérables de la Philosophie ; de l'autre, les Arts libéraux ont pour base l'étude fine & délicate de nos sensations. Cette métaphysique subtile & profonde qui a pour objet les matieres de goût, sait y distinguer les principes absolument généraux & communs à tous les hommes, d'avec ceux qui sont modifiés par le caractere, le génie, le degré de sensibilité des nations ou des individus ; elle démêle par ce moyen le beau essentiel & universel, s'il en est un, d'avec le beau plus ou moins arbitraire & plus ou moins convenu : également éloigné & d'une décision trop vague & d'une discussion trop scrupuleuse, elle ne pousse l'analyse du sentiment que jusqu'où elle doit aller, & ne la resserre point non plus trop en-deçà du champ qu'elle peut se permettre ; en comparant les impressions & les affections de notre ame, comme le métaphysicien ordinaire compare les idées purement spéculatives, elle tire de cet examen des regles pour rappeller ces impressions à une source commune, & pour les juger par l'analogie qu'elles ont entr'elles ; mais elle s'abstient ou de les juger en elles-mêmes, ou de vouloir apprécier les impressions originaires & primitives par les principes d'une philosophie aussi obscure pour nous que la structure de nos organes, ou de vouloir enfin faire adopter ses regles par ceux qui ont reçu soit de la nature soit de l'habitude une autre façon de sentir. Ce que nous disons ici du goût dans les Arts libéraux, s'applique de soi-même à cette partie des Sciences qu'on appelle Belles-Lettres. C'est ainsi que les élémens de toutes nos connoissances sont renfermés dans ceux d'une philosophie bien entendue. Voyez PHILOSOPHIE.

Nous n'ajoûterons plus qu'un mot sur la maniere d'étudier quelques sortes d'élémens que ce puisse être, en supposant ces élémens bien faits. Ce n'est point avec le secours d'un maître qu'on peut remplir cet objet, mais avec beaucoup de méditation & de travail. Savoir des élémens, ce n'est pas seulement connoître ce qu'ils contiennent, c'est en connoître l'usage, les applications, & les conséquences ; c'est pénétrer dans le génie de l'inventeur, c'est se mettre en état d'aller plus loin que lui, & voilà ce qu'on ne fait bien qu'à force d'étude & d'exercice : voilà pourquoi on ne saura jamais parfaitement que ce qu'on a appris soi-même. Peut être feroit-on bien par cette raison, d'indiquer en deux mots dans des élémens l'usage & les conséquences des propositions démontrées. Ce seroit pour les commençans un sujet d'exercer leur esprit en cherchant la démonstration de ces conséquences, & en faisant disparoître les vuides qu'on leur auroit laissés à remplir. Le propre d'un bon livre d'élemens est de laisser beaucoup à penser.

On doit être en état de juger maintenant si des élémens complets des Sciences, peuvent être l'ouvrage d'un homme seul : & comment pourroient-ils l'être, puisqu'ils supposent une connoissance universelle & approfondie de tous les objets qui occupent les hommes ? je dis une connoissance approfondie ; car il ne faut pas s'imaginer que pour avoir effleuré les principes d'une science, on soit en état de les enseigner. C'est à ce préjugé, fruit de la vanité & de l'ignorance, qu'on doit attribuer l'extrême disette où nous sommes de bons livres élémentaires, & la foule de mauvais dont nous sommes chaque jour inondés. L'éleve à peine sorti des premiers sentiers, encore frappé des difficultés qu'il a éprouvées, & que souvent même il n'a surmontées qu'en partie, entreprend de les faire connoître & surmonter aux autres ; censeur & plagiaire tout ensemble de ceux qui l'ont précédé, il copie, transforme, étend, renverse, resserre, obscurcit, prend ses idées informes & confuses pour des idées claires, & l'envie qu'il a eu d'être auteur pour le desir d'être utile. On pourroit le comparer à un homme qui, ayant parcouru un labyrinthe à tâtons & les yeux bandés, croiroit pouvoir en donner le plan & en développer les détours. D'un autre côté les maîtres de l'art, qui par une étude longue & assidue en ont vaincu les difficultés & connu les finesses, dédaignent de revenir sur leurs pas pour faciliter aux autres le chemin qu'ils ont eu tant de peine à suivre : peut-être, encore frappés de la multitude & de la nature des obstacles qu'ils ont surmontés, redoutent-ils le travail qui seroit nécessaire pour les applanir, & qui seroit trop peu senti pour qu'on pût leur en tenir compte. Uniquement occupés de faire de nouveaux progrès dans l'art, pour s'élever, s'il leur est possible, au-dessus de leurs prédécesseurs ou de leurs contemporains, & plus jaloux de l'admiration que de la reconnoissance publique, ils ne pensent qu'à découvrir & à jouir, & préferent la gloire d'augmenter l'édifice au soin d'en éclairer l'entrée. Ils pensent que celui qui apportera comme eux dans l'étude des Sciences, un génie vraiment propre à les approfondir, n'aura pas besoin d'autres élémens que de ceux qui les ont guidés eux-mêmes, que la nature & les réflexions suppléeront infailliblement pour lui à ce qui manque aux livres, & qu'il est inutile de faciliter aux autres des connoissances qu'ils ne pourront jamais se rendre vraiment propres, parce qu'ils sont tout-au-plus en état de les recevoir sans y rien mettre du leur. Un peu plus de réflexion, eût fait sentir combien cette maniere de penser est nuisible au progrès & à la gloire des Sciences ; à leur progrès, parce qu'en facilitant aux génies heureux l'étude de ce qui est connu, on les met en état d'y ajoûter davantage & plus promtement ; à leur gloire, parce qu'en les mettant à la portée d'un plus grand nombre de personnes, on se procure un plus grand nombre de juges éclairés. Tel est l'avantage que produiroient de bons élémens des Sciences, élémens qui ne peuvent être l'ouvrage que d'une main fort habile & fort exercée. En effet, si on n'est pas parfaitement instruit des vérités de détail qu'une Science renferme, si par un fréquent usage on n'a pas apperçu la dépendance mutuelle de ces vérités, comment distinguera-t-on parmi elles les propositions fondamentales dont elles dérivent, l'analogie ou la différence de ces propositions fondamentales, l'ordre qu'elles doivent observer entr'elles, & sur-tout les principes au-delà desquels on ne doit pas remonter ? c'est ainsi qu'un chimiste ne parvient à connoître les mixtes qu'après des analyses & des combinaisons fréquentes & variées. La comparaison est d'autant plus juste, que ces analyses apprennent au chimiste non-seulement quels sont les principes dans lesquels un corps se résout, mais encore, ce qui n'est pas moins important, les bornes au-delà desquelles il ne peut se résoudre, & qu'une expérience longue & réitérée peut seule faire connoître.

Des élémens bien faits, suivant le plan que nous avons exposé, & par des écrivains capables d'exécuter ce plan, auroient une double utilité : ils mettroient les bons esprits sur la voie des découvertes à faire, en leur présentant les découvertes déjà faites ; de plus ils mettroient chacun plus à portée de distinguer les vraies découvertes d'avec les fausses ; car tout ce qui ne pourroit point être ajoûté aux élémens d'une Science comme par forme de supplément, ne seroit point digne du nom de découverte. Voyez ce mot. (O)

Après avoir exposé ce qui concerne les élémens des Sciences en général, nous allons maintenant dire un mot des élémens de Mathématique & de Physique, en indiquant, pour répondre à l'objet de cet ouvrage, les principaux livres où ils sont traités.

Les élémens des Mathématiques ont été expliqués dans des cours & des systèmes qu'ont donnés différens auteurs. Voyez COURS.

Le premier ouvrage de cette espece est celui de Hérigone, publié en latin & en françois l'an 1664, en dix volumes. Cet auteur y a renfermé les élémens d'Euclide, les données du même, &c. avec les élémens d'Arithmétique, d'Algebre, de Trigonométrie, d'Architecture, de Géographie, de Navigation, d'Optique, des Sphériques, d'Astronomie, de Musique, de Perspective, &c. Cet ouvrage a cela de remarquable, que l'auteur y employe par-tout une espece de caractere universel, de maniere que sans se servir absolument d'aucun langage, on peut en entendre toutes les démonstrations, pourvû que l'on se souvienne seulement des caracteres qui y sont employés. Voyez CARACTERE.

Depuis Hérigone, d'autres auteurs ont expliqué les élémens de différentes parties de Mathématiques, particulierement le jésuite Schot dans son cursus mathematicus, publié en 1674 ; Jonas Moore, dans son nouveau système de Mathématiques, imprimé en anglois en 1681 ; Dechales dans son cursus mathematicus, qui parut en 1674 ; Ozannam dans son cours des Mathématiques, publié en 1699 : mais personne n'a donné de cours de Mathématiques plus étendu ni plus approfondi que M. Wolf ; son ouvrage a été publié sous le titre de elementa matheseos universae, en deux volumes in-4°, dont le premier parut en 1713, & le second en 1715 : depuis il y a eu une édition de Geneve en 1733, en cinq volumes in -4° : en général cet ouvrage fait honneur à son auteur, quoiqu'il ne soit pas exempt de fautes ; mais c'est le meilleur ou le moins mauvais que nous ayons jusqu'ici.

Les élémens d'Euclide sont le premier, & selon plusieurs personnes le meilleur livre d'élémens de Géométrie. On a fait un grand nombre d'éditions & de commentaires sur les quinze livres des élémens de cet auteur. Oronce Finé est le premier qui a publié, en 1530, les six premiers livres de ces élémens, avec des notes pour expliquer le sens d'Euclide. Pelletier fit la même chose en 1557. Nic. Tartaglia fit un commentaire vers ce même tems sur les quinze livres entiers ; il y ajoûta même quelque chose de lui.

Dechales, Hérigone, & d'autres, ont pareillement travaillé beaucoup sur les élémens d'Euclide, ainsi que Barrow, recommandable sur-tout par la précision & la rigueur de ses démonstrations. Mais comme les quinze livres entiers ne paroissent pas nécessaires, principalement aux jeunes Mathématiciens, quelques auteurs se sont appliqués seulement à bien éclaircir les six premiers livres, avec l'onzieme & le douzieme tout au plus. On ne finiroit pas, si l'on vouloit rapporter les différentes éditions qu'on en a faites : celles qui passent pour les meilleures, sont une édition françoise de Dechales & une latine d'André Tacquet : celle de Dechales, qu'on estime le plus, a été faite à Paris en 1709 par Ozannam ; & la meilleure de Tacquet est une édition de Cambridge faite en 1703 par Whiston.

Quelques auteurs ont réduit en syllogismes toutes les démonstrations d'Euclide, pour faire voir comment l'on s'éleve, par une chaîne de raisonnemens, à une démonstration complete . Pierre Ramus n'approuva pas l'ordre d'Euclide, comme il le paroît par son discours sur les quinze livres de cet auteur ; c'est ce qui le détermina à compiler vingt-trois nouveaux livres d'élémens, suivant la méthode scholastique, mais sans succès. Arnaud, en 1667 ; Gaston Pardiés, Jésuite, en 1680 ; le P. Lamy, en 1685 ; Poliniere, en 1704 ; & depuis 20 ans M. Rivard, ont publié le fond de la doctrine d'Euclide, suivant une nouvelle méthode particuliere à chacun d'eux.

Il y a quelques années que M. Clairaut, de l'académie des Sciences de Paris, publia une Géométrie, où les propositions ne paroissent qu'à mesure qu'elles sont occasionnées par les besoins des hommes qui les ont découvertes : cette méthode est très-lumineuse, & n'a point la sécheresse des précédentes ; mais, outre que l'auteur y suppose quelquefois sans démonstration ce qui à la rigueur pourroit en avoir besoin, les propositions, ainsi que dans toutes les autres méthodes, n'y sont point déduites immédiatement les unes des autres, & forment plûtôt un assemblage qu'un édifice de propositions ; cependant une chaîne non interrompue de vérités, seroit le système le plus naturel & le plus commode, en même tems qu'elle offriroit à l'esprit l'agréable spectacle de générations en ligne directe : or c'est ce que l'on a exécuté dans les institutions de Géométrie, imprimées à Paris en 1746, chez de Bure l'aîné. Toutes les propositions de cet ouvrage sont déduites immédiatement les unes des autres, & donnent occasion à la résolution d'un fort grand nombre de problèmes curieux & utiles, ainsi qu'à des réflexions sur les développemens de l'esprit humain ; ce qui répand quelque agrément sur une matiere qui ne comporte par elle-même que trop de sécheresse. Moyennant cet appas ou cet artifice, la Géométrie élémentaire a été mise à la portée de la plus tendre enfance, ainsi que l'experience l'a démontré, & le démontre tous les jours. On desireroit que M. Clairaut, dans les excellens élémens d'Algebre qu'il a publiés, eût mis les opérations du calcul plus à portée des commençans. Voyez ALGEBRE.

Sur les élémens des différentes parties des Mathématiques, voy. ALGEBRE, DIFFERENTIEL, INTEGRAL, MECHANIQUE, OPTIQUE, ASTRONOMIE, &c.

Les meilleurs élémens de Physique sont l'essai de Physique de Musschenbroeck, les élémens de s'Gravesande, les leçons de Physique de M. l'abbé Nollet, & plusieurs autres. Voyez PHYSIQUE. (E)

ELEMENS, (Géomét. trans.) On appelle ainsi dans la géométrie sublime, les parties infiniment petites ou différentielles d'une ligne droite, d'une courbe, d'une surface, d'un solide. Ainsi (Pl. d'anal. fig. 18.) le petit espace P M m p, formé par les deux ordonnées infiniment proches PM, m p, & par l'arc M m de la courbe, est l'élément de l'espace A P M ; P p est l'élément de l'abscisse ; Mm, celui de la courbe, &c. Voy. DIFFERENTIEL, FLUXIONS, INDIVISIBLES, INTEGRAL, INFINI, &c. (O)

ELEMENS, en Astronomie. Les Astronomes entendent communément par ce mot les principaux résultats des observations astronomiques, & généralement tous les nombres essentiels qu'ils employent à la construction des tables du mouvement des planetes. Ainsi les élémens de la théorie du soleil, ou plûtôt de la terre, sont son mouvement moyen & son excentricité, & le mouvement de son aphélie. Les élémens de la théorie de la lune sont son mouvement moyen, celui de son noeud & de son apogée, son excentricité, l'inclinaison moyenne de son orbite à l'écliptique. Voy. EPOQUE, MOUVEMENT MOYEN, EXCENTRICITE, &c. (O)

ELEMENS, s. pl. m. On appelle ainsi en Physique les parties primitives des corps. Les anciens, comme tout le monde sait, admettoient quatre élémens ou corps primitifs dont ils supposoient les autres formés, l'air, le feu, l'eau, la terre ; & cette opinion, quoiqu'abandonnée depuis, n'étoit pas si déraisonnable, car il n'y a guere de mixte dans lequel la Chimie ne trouve ces quatre corps, ou du moins quelques-uns d'eux. Descartes est venu, qui à ces quatre élémens en a substitué trois autres, uniquement tirés de son imagination, la matiere subtile ou du premier élément, la matiere globuleuse ou du second, & la matiere rameuse ou du troisieme. Voyez CARTESIANISME, ETHER, MATIERE SUBTILE, GLOBULES, &c. Aujourd'hui les Philosophes sages reconnoissent, 1°. qu'on ignore absolument en quoi consistent les élémens des corps. Voyez CONFIGURATION, CORPS, MATIERE, CORPUSCULE, &c. 2°. Qu'on ignore encore, à plus forte raison, si les élémens des corps sont tous semblables, & si les corps different entr'eux par la différente nature de leurs élémens, ou seulement par leur différente disposition. 3°. Qu'il y a apparence que les élémens ou particules primitives des corps sont durs par eux-mêmes. Voyez DURETE. On sera peut-être étonné de la briéveté de cet article : mais nos connoissances sur ce qui en fait l'objet sont encore plus courtes. (O)

ELEMENT ou PREMIER PRINCIPE, (Chimie) Voyez PRINCIPE.

ELEMENT, (Medec. Physiol. Pathol.) ce terme est employé dans la théorie de la Medecine pour désigner les premiers principes de la structure du corps humain. Voyez FIBRE, NUTRITION. (d)

ELEMENTAIRE, adj. (Philosophie) se dit de ce qui se rapporte aux élémens. Voyez ELEMENT. Ainsi les élémens d'un corps se nomment aussi les particules élémentaires de ce corps.

Tout l'espace qui est compris dans l'orbite de la Lune, étoit appellé par les anciens la région élémentaire, parce que c'étoit selon eux le siége ou la sphere des quatre élémens vulgaires. C'est par la même raison que de prétendus philosophes ont appellé peuple élémentaire une espece d'êtres imaginaires qu'ils ont crû ou supposé habiter les quatre élémens des anciens, &c. En voilà assez & trop sur ces sottises. Sur l'air & le feu élémentaire, voyez AIR & FEU.

ELEMENTAIRE se dit aussi, en parlant d'une science, de la partie de cette science qui en renferme les élémens. Ainsi on dit la Géométrie élémentaire pour les élémens de Géométrie, la Méchanique élémentaire pour les élémens de Méchanique, &c. (O)


ELEMI(Hist. nat. des Drogues) résine étrangere qui s'enflamme aisément, & qui se dissout dans l'huile. On distingue deux sortes d'élémi, 1°. le vrai élémi ou celui d'Ethiopie & de l'Arabie heureuse, 2°. l'élémi d'Amérique.

Le vrai élémi est une résine jaunâtre, ou d'un blanc noirâtre, solide extérieurement, quoiqu'il ne soit pas entierement sec, mou & gluant intérieurement, formé en morceaux cylindriques qui brûlent lorsqu'on les met sur le feu ; son odeur forte n'est pas desagréable, elle approche de celle du fenouil. Ces morceaux cylindriques sont ordinairement enveloppés de grandes feuilles de roseau ou de palmier. Nous n'avons encore rien de certain sur l'arbre dont cette résine découle, & même on la trouve aujourd'hui très-rarement dans les boutiques : on est trop heureux de rencontrer l'élémi pur d'Amérique.

Celui-ci est une espece de résine quelquefois blanchâtre, quelquefois verdâtre ou jaunâtre, transparente, approchant de la résine du pin, de consistance tantôt plus molle, tantôt plus seche, d'une odeur résineuse, desagréable. On l'estime quand il est récent, transparent, un peu verd, gras, gluant, odoriférant. Il nous vient du Brésil, de la nouvelle Espagne & des isles d'Amérique : on l'apporte en pains de deux à trois livres ; & parce qu'ils sont enveloppés dans des feuilles de cannes, on lui donne communément le nom de gomme élémi en roseaux. L'arbre qui fournit cette résine s'appelle icicariba. Voyez ICICARIBA.

On vend pour de l'élémi naturel, celui qui, à cause de sa saleté, a été fondu & recuit au feu, & c'est peut-être là la moindre des tromperies. On contrefait assez communément cette résine avec du galipot lavé dans de l'huile commune d'aspic. On fait aussi passer des gommes communes & quelques especes de poix-résines jaunâtres, blanchâtres, grises, pour l'élémi d'Amérique. Les connoisseurs les distinguent par l'odeur & la couleur ; mais si la chose en valoit la peine dans la pratique, la meilleure connoissance pour un acquéreur seroit celle d'un bon droguiste. Article de M(D.J.)

ELEMI RESINE, (Pharm. mat. médic.) La résine élémi est plus connue dans les boutiques sous le nom de gomme que sous celui de résine ; cependant comme c'est absolument une résine, nous l'appellerons ainsi, & en cela nous suivrons M. Geoffroy, qui lui donne ce nom dans sa matiere médicale.

La résine élémi s'employe rarement seule, mais elle entre dans beaucoup de préparations officinales externes ; c'est elle qui fait la base du baume d'Arceus, auquel on donne quelquefois le nom d'onguent élémi. Voyez BAUME d'Arceus.

Si on distille par la retorte la résine élémi, on en retire tout ce que donnent ordinairement les résines, c'est-à-dire du flegme acide, une huile assez limpide dans le commencement, & qui s'épaissit de plus en plus vers la fin de l'opération ; il ne reste dans la cornue qu'une petite quantité de caput mortuum, surtout si l'élémi étoit pur.

La résine élémi appliquée extérieurement, passe pour résoudre les tumeurs, déterger les ulceres, & pour être un très-bon digestif ; mais, comme nous l'avons dit, on ne l'employe point seule.

On ne l'employe point non plus pour l'intérieur, cependant quelques auteurs la vantent comme diurétique.

L'élémi entre dans le baume d'Arceus & dans celui de Fioraventi, dans les onguens de styrax & martiatum, dans les emplâtres de bétoine, opodeltoch, d'André de la Croix, &c. (b)


ELENOPHORIESadj. pris subst. fêtes ainsi appellées, parce qu'on y portoit des vases de jonc & d'osier, qu'on appelloit elenes.


ELEO-SACCHARUM(Chimie & Pharmacie) on appelle ainsi toute huile essentielle combinée avec du sucre. C'est un moyen pour rendre les huiles propres à se mêler avec l'eau ; ce qu'elles ne feroient point à moins que le sucre, qui est soluble dans l'eau, ne servît d'intermede à cette union. Pour faire l'eleo-saccharum, on n'a qu'à verser quelques gouttes d'une huile essentielle de citron, de canelle, de lavande, &c. sur du sucre en poudre ; ou bien on n'a qu'à frotter des morceaux de sucre sur la peau d'une orange, d'un citron, &c. par-là le sucre se charge d'une huile essentielle aromatique, & lui donne des entraves qui l'empêchent de se dissiper aussi promtement qu'elle feroit sans cela. C'est-là le moyen qu'employent les Italiens, & sur-tout les Napolitains, pour donner à leurs fleurs artificielles les mêmes odeurs qu'ont les fleurs naturelles. Pour cela ils ne font que cacher un peu d'eleo-saccharum dans le calice de la fleur artificielle ; cependant à la fin la partie aromatique se dissipe.

Dans la Pharmacie on connoît l'eleo-saccharum carminativum, qui se fait en versant l'huile essentielle de camomille, vingt-quatre gouttes, sur douze onces de sucre blanc en poudre. Il y a aussi l'eleosaccharum de sassafras, qui se fait avec ij d'huile de sassafras, & vj de sucre blanc : on dit que c'est un bon remede pour les catarrhes. Voyez Woyt, Gazophylacium medico-physicum. (-)


ELÉOMELIS. m. (Pharmacie) c'est une huile plus épaisse que le miel, & douce au goût, qui coule du tronc d'un arbre à Palmyre contrée de la Syrie. Cette huile prise dans de l'eau, évacue par les selles les humeurs crues & bilieuses ; les malades qui s'en servent sont attaqués d'engourdissement & perdent leurs forces, mais ces symptomes ne sont point à craindre.

On tire aussi cette huile des bourgeons oléagineux de cet arbre. Dioscoride & Chambers.


ELEPHANTelephas, s. m. (Hist. nat. Zool.) le plus grand de tous les animaux quadrupedes, & un des plus singuliers dans la conformation de plusieurs parties du corps. Planche I. figure 1. En considérant l'éléphant relativement à l'idée que nous avons de la justesse des proportions, il semble être mal proportionné & mal dessiné, pour ainsi dire, à cause de son corps gros & court, de ses jambes roides & mal formées, de ses piés ronds & tortus, de sa grosse tête, de ses petits yeux, & de ses grandes oreilles. On pourroit dire aussi que l'habit dont il paroît couvert, est encore plus mal taillé & plus mal fait. Sa trompe, ses défenses, ses piés, &c. le rendent aussi extraordinaire que la grandeur de sa taille. La description de ses parties, & l'histoire de leurs usages, ne donnera pas moins d'admiration que leur aspect cause de surprise.

Le roi de Portugal envoya en 1668 au roi de France un éléphant du royaume de Congo, âgé de dix-sept ans, & haut de six piés & demi depuis terre jusqu'au-dessus du dos. Il vécut dans la ménagerie de Versailles pendant treize ans, & ne grandit que d'un pié, sans-doute parce que le changement de climat & de nourriture avoit retardé son accroissement ; ainsi il n'avoit que sept piés & demi de hauteur lorsque MM. de l'académie royale des Sciences en firent la description.

Le corps de cet animal avoit douze piés & demi de tour ; sa longueur étoit presqu'égale à sa hauteur. Il avoit depuis le front jusqu'au commencement de la queue, huit piés & demi, & trois piés & demi depuis le ventre jusqu'à terre. En prenant la mesure des jambes sur le squelete, on a trouvé que celles de devant avoient quatre piés & demi, & celles de derriere quatre piés huit pouces ; mais lorsque l'animal est revêtu de sa chair & de sa peau, les jambes de derriere paroissent plus courtes que celles de devant, parce qu'elles sont moins dégagées de la masse du corps : elles ressemblent plus à celles de l'homme qu'à celles de la plûpart des quadrupedes, en ce que le talon pose à terre, & que le pié est fort court. Les piés de l'éléphant dont il s'agit ici étoient si petits, qu'on ne les distinguoit pas des jambes, qui descendoient tout d'une venue jusqu'à terre, & dont la peau renfermoit les doigts des piés. La plante des piés de derriere avoit dix pouces de longueur, & celle des piés de devant, quatorze ; elle étoit garnie d'une corne en forme de semelle, qui étoit dure, solide & épaisse d'un pouce, & qui débordoit comme si elle avoit été écachée par le poids du corps, & formoit quelques ongles mal figurés : il n'y en avoit que trois à chaque pié, cependant il s'est trouvé cinq doigts dans le squelete ; mais ils étoient recouverts par la peau, & n'avoient aucun rapport avec les ongles. La corne, que l'on a comparée à une semelle, formoit encore d'autres prolongemens que l'on auroit pû prendre pour des ongles. Il y a lieu de croire que cette partie varie dans différens individus, comme nous le ferons voir dans la suite. La queue étoit menue & pointue ; elle avoit deux piés & demi de longueur, & étoit terminée par une houppe de gros poils longs de trois à quatre pouces. Cet éléphant étoit femelle ; l'orifice extérieur de la matrice se trouvoit placé au milieu du ventre près du nombril, à l'extrémité d'un conduit qui formoit une éminence qui s'étendoit depuis l'anus jusqu'à la vulve, & qui renfermoit un clitoris de deux piés & demi de longueur, & de deux pouces de diamêtre ; de sorte qu'on l'auroit pris, avant la dissection, pour une verge, parce que cette partie est située de la même façon dans la plûpart des quadrupedes. Il y avoit sur la poitrine deux mammelles, les mamelons étoient petits. La tête étoit grande ; elle avoit deux bosses par derriere, & un creux entre deux. Le cou étoit court, le front large, les yeux petits, la bouche étroite, & presque cachée sous le menton ; la machoire inférieure fort pointue, & les oreilles deux fois plus grandes à proportion que celles d'un âne ; elles avoient trois piés de hauteur, deux piés de largeur, & seulement deux lignes d'épaisseur : leur figure approchoit de l'ovale, & elles étoient collées contre la tête, comme celles de l'homme, & s'étendoient en-arriere. On voit par leurs dimensions qu'aucun animal n'a les oreilles à proportion aussi grandes que l'éléphant. La trompe avoit cinq piés trois pouces de longueur après la mort de l'animal, neuf pouces de diamêtre à sa racine, & trois vers l'extrémité, qui s'élargissoit comme le haut d'un vase, & formoit un rebord dont la partie de dessous étoit plus épaisse que les côtés. Ce rebord s'allongeoit par le dessus en maniere d'un bout de doigt : tout le rebord formoit comme une petite tasse, au fond de laquelle étoient les narines ; aussi la racine de la trompe sort de l'endroit qui correspond à celui des narines dans les autres quadrupedes. Les défenses avoient deux piés de longueur & quatre pouces de diamêtre vers leur racine ; elles étoient un peu recourbées en-haut, & sortoient de la machoire supérieure, à cinq pouces au-dessus du bord de la levre : il n'y avoit que huit dents, quatre en chaque machoire, deux de chaque côté ; la longueur de la plus grosse étoit de quatre pouces, la largeur d'un pouce & demi. Il se trouvoit sur la peau des crins ou des soies plus grosses que celles des sangliers ; elles étoient noires-luisantes, d'une grosseur égale depuis la racine jusqu'au bout, qui paroissoit coupé : il y en avoit peu, & seulement sur quelques parties ; savoir la trompe, les paupieres, & la queue d'un bout à l'autre, jusqu'à la houppe de l'extrémité. La longueur des soies de la trompe étoit d'un pouce & demi. La peau avoit des rides de deux especes ; les unes étoient des lignes creusées comme nous les avons au-dedans des mains ; les autres étoient élevées comme elles le sont au-dessus des mains aux personnes vieilles & maigres. Les rides rendoient la peau de l'éléphant fort vilaine, étant couverte d'un épiderme gris-brun, épais en plusieurs endroits, calleux, couvert de crasse, & comme déchiré par une infinité de gersures. Voyez les mém. pour servir à l'histoire naturelle des animaux, dressés par M. Perrault, troisieme partie.

Les éléphans se trouvent en Asie & en Afrique. Ceux de l'Asie sont les plus grands ; on prétend qu'ils ont jusqu'à treize, quatorze ou quinze piés, & même plus, de hauteur depuis terre jusqu'au-dessus du dos. On a vû des défenses qui pesoient cent soixante livres : sans-doute elles venoient des éléphans d'Asie, car on assûre qu'il y en a du poids de deux cent livres. On prétend qu'il s'en est trouvé en Afrique du poids de cent vingt-cinq livres ; les Anglois en ont rapporté de cette partie du monde, qui avoient plus de huit piés de longueur, & qui pesoient quatre-vingt-dix livres. On dit que la mesure ordinaire des éléphans d'Afrique est de neuf ou dix piés de longueur, & de onze ou douze de hauteur. Il y a dans l'île de Ceylan un très-grand nombre d'éléphans, au rapport du capitaine Ribeiro, Hist. de Ceylan, 1701. Les plus grands ont neuf coudées depuis la pointe du pié jusqu'à l'épaule. Plusieurs auteurs s'accordent à dire que les éléphans de cette île sont mieux faits, plus courageux, & ont plus d'instinct que les autres, quoiqu'ils soient plus petits. Les éléphans sont de couleur brune ; il y en a quelques-uns de blancs dans les Indes, mais ils sont très-rares.

L'éléphant allonge & raccourcit sa trompe ; il dirige l'extrémité en-haut, en-bas, de côté ou en arriere : elle est flexible en tout sens, il la meut à son gré & selon ses besoins ; car il s'en sert comme d'un bras & d'une main. Il embrasse avec sa trompe tout ce qu'il veut soûlever ou entraîner, par le moyen d'un rebord qui est au bout, & du prolongement de ce rebord, qui ressemble à une sorte de doigt : il saisit les choses les plus petites. C'est surtout à l'aide de ce doigt qu'il montre une adresse dont on ne croiroit pas qu'un animal si massif fût capable. Enfin c'est avec sa trompe qu'il porte à sa bouche tous ses alimens, soit solides, soit liquides ; mais pour entendre la méchanique qu'il employe à cet effet, il faut se souvenir que les deux ouvertures des narines sont au fond de la cavité qui se trouve à l'extrémité de la trompe : c'est donc par cet organe qu'il respire, aussi plusieurs voyageurs ont regardé la trompe comme un nez fort allongé. L'air qui passe par cette trompe dans l'inspiration & dans la respiration, la rend propre à la succion, & lui donne la force de projetter les choses qui se trouvent dans sa cavité. Lorsque l'animal applique les bords de l'extrémité de cette trompe sur quelque corps, & qu'il retire en même tems son haleine, ce corps reste collé contre la trompe, & en suit les différens mouvemens. C'est ainsi que l'éléphant enleve des choses fort pesantes, & même jusqu'au poids de deux cent livres. Lorsqu'il a soif, il trempe le bout de sa trompe dans l'eau, & en inspirant il remplit d'eau toute la cavité de la trompe ; ensuite il la recourbe en-dessous, pour en porter l'extrémité dans sa bouche : alors l'animal pourroit aisément faire couler l'eau de la trompe dans la bouche, par un mouvement d'expiration ; mais de cette façon il ne l'avaleroit pas sans qu'il en entrât dans le larynx, puisque ce mouvement d'expiration suppose nécessairement que l'épiglotte est levée : aussi l'éléphant enfonce sa trompe jusque dans le gosier au-delà de l'épiglotte, & on entend un grand bruit que fait l'eau en sortant de la trompe pour descendre dans l'oesophage. D'ailleurs on ne voit aucun mouvement de succion dans les levres, ce qui prouve que l'eau est poussée par l'expiration, & non pas attirée par la succion. De même quand l'éléphant prend l'herbe, il l'arrache avec sa trompe, & en fait des paquets qu'il porte au fond de sa bouche. Ces observations ont fait présumer qu'il tette aussi avec sa trompe, mais on n'a jamais vû d'éléphant teter ; on n'a jamais vû non plus qu'il prît aucune chose immédiatement avec sa bouche, si ce n'est qu'il reçoit ce qu'on y jette. Il fait jaillir au loin & dirige à son gré l'eau dont il a rempli sa trompe : on dit qu'elle en peut contenir plusieurs séaux. Lorsqu'on mene l'éléphant au combat, on attache à l'extrémité de la trompe une chaîne ou un sabre nud, dont il se sert avec beaucoup d'adresse pour frapper l'ennemi.

L'éléphant a beaucoup d'instinct & de docilité ; on l'apprivoise si aisément, & on le soûmet à tant d'exercices différens, que l'on est surpris qu'une bête aussi lourde prenne si facilement les habitudes qu'on lui donne. Pour le conduire on se met à cheval sur son cou ; on tient à la main une grosse verge de fer très-pointue par un bout, & terminée à l'autre par un crochet très-fort & aussi très-pointu ; on se sert de la pointe au lieu d'éperon, & le crochet supplée à la bride ; car on pique l'animal aux oreilles & au museau pour diriger sa marche, le conducteur étant ainsi posté. On se place sur le dos de l'éléphant : les femmes se servent, comme les hommes, de cette monture ; mais on dit qu'elle est fort incommode, & qu'on aimeroit mieux faire dix lieues sur un cheval, qu'une seule sur un éléphant. On leur fait aussi porter des tours, dans lesquelles on place plusieurs hommes armés pour la guerre. Ces tours, au moins celles dont parle Pietro della Valle dans ses Voyages, sont longues & larges comme un grand lit, & placées en-travers sur le dos de l'éléphant ; elles peuvent contenir six ou sept personnes assises à la maniere des Levantins : il y en a d'autres où dix ou douze combattans peuvent se placer. Pour les voyages des femmes de qualité & des grands seigneurs, les éléphans ont au lieu de tours, des pavillons richement ornés, dans lesquels on peut s'asseoir ou se coucher. Les éléphans portent aussi de toutes sortes de fardeaux, jusqu'à de petites pieces de canon sur leurs affuts. Au rapport de Thevenot (voyage du Lev.), la charge des plus forts éléphans est de plus de trois mille livres. Cet animal a le pié si sûr, qu'il ne bronche presque jamais. Il fait beaucoup de chemin en peu de tems, à cause de la longueur de ses jambes : en allant le pas, il atteint un homme qui court. Lorsqu'on le presse, il peut faire en un jour le chemin de six journées ; il court comme le cheval, au galop, & il fend l'eau avec autant de vîtesse qu'une chaloupe de dix rames. Lorsqu'on est poursuivi par cet animal, on ne peut l'éviter qu'en faisant des détours, parce qu'il n'est pas aussi promt à se retourner de côté qu'à marcher en-avant. Les éléphans plient les jambes de devant, & même celles de derriere. Lorsqu'on veut les charger on monte dessus, & ils aident avec leur trompe. Lorsqu'ils sont en voyage ils ne se couchent que rarement ; mais dans d'autres tems ils se couchent toutes les nuits, & se relevent avec beaucoup de facilité. Ces animaux sont fort commodes & fort utiles pour le service qu'ils rendent, mais ils coûtent beaucoup à nourrir. Thevenot dans son voyage du Levant, dit qu'à Delhy, outre la viande qu'on leur fait manger, & l'eau-de-vie qu'on leur fait boire, on leur donne une pâte de farine, de sucre & de beurre, & chacun en consomme au moins par jour pour une demi-pistole. Fr. Pierre de Laval rapporte dans ses voyages, qu'un éléphant mange cent livres de ris par jour : ils prennent tout ce qu'on leur donne, principalement du biscuit. Un seul de ces animaux peut manger en un jour ce qui suffiroit pour nourrir trente hommes durant une semaine ; cependant on en a vû se passer de manger pendant huit ou dix jours. Les éléphans sauvages vivent d'herbe, de fruits, & de branches d'arbres, dont ils mâchent du bois assez gros.

Ces animaux sont fort tranquilles, & ne s'irritent que lorsqu'on les offense ; alors ils dressent les oreilles & la trompe, & c'est avec la trompe qu'ils renversent les hommes ou les jettent au loin, arrachent des arbres, & soûlevent tout ce qui leur fait obstacle. Lorsqu'ils ont terrassé un homme & que leur fureur est grande, ils l'entraînent à l'aide de leur trompe contre leurs piés de devant, & marchent dessus ou le massacrent en le frappant & le perçant avec leurs défenses. C'est aussi par les coups redoublés de ces défenses qu'ils abattent des murs, & qu'ils frappent sur les choses que leur trompe ne peut pas saisir. Ils craignent le feu ; on arrête leur fureur en leur jettant des pieces d'artifice enflammées. Cet animal si grand & si fort est exposé aux insultes des plus vils insectes, les mouches l'incommodent en le piquant dans les endroits où sa peau est gersée ; c'est pourquoi il a soin de jetter avec sa trompe de la poussiere sur son corps, & de se rouler sur la terre en sortant du bain : car il ne manque pas de se baigner souvent, soit pour faire tomber la croûte que la poussiere a formée sur sa peau, soit pour ramollir son épiderme qui est sujet à se dessécher ; on le frotte d'huile pour prévenir ce desséchement. En fronçant sa peau il écrase les mouches qui se trouvent dans les gersures. Ses ennemis les plus redoutables sont le rhinoceros, le lion, le tygre & les serpens, mais sur-tout le tygre, parce qu'il saisit l'éléphant par la trompe & la met en pieces. Les Negres lui donnent la chasse, parce qu'ils vendent ses défenses & mangent sa chair.

Lorsque les éléphans sont en chaleur ils deviennent furieux ; mais, au rapport de Tavernier, cela n'arrive guere à ceux qui sont apprivoisés. On prétend que la femelle amoncelle des feuilles avec sa trompe, en fait une sorte de lit, s'y couche sur le dos quand elle veut recevoir le mâle, & l'appelle par des cris ; que leur accouplement ne se fait que dans les lieux les plus écartés & les plus solitaires, & que les femelles portent pendant dix ans. Quelques auteurs disent qu'elles ne conçoivent qu'une fois en sept ans, & que leur portée n'est que d'un an, de dix-huit mois, de deux ans, ou de deux ans & demi ; que chaque portée est d'un seul foetus. D'autres soûtiennent qu'il y en a trois ou quatre, & que la mere les alaite pendant sept ou huit ans ; mais tous ces faits sont très-incertains, on n'a pû les observer sur les éléphans domestiques, puisqu'ils ne s'accouplent pas, & il n'est guere possible de suivre des éléphans sauvages d'assez près & assez long-tems pour faire de telles observations. La durée de leur vie n'est guere mieux connue ; on a dit que ces animaux vivoient jusqu'à trois, quatre ou cinq cent ans, & qu'ils grandissent pendant la moitié de leur vie : d'autres assûrent qu'elle ne dure que cent vingt, cent trente, ou cent cinquante ans, &c.

On a mis l'éléphant au rang des animaux fissipedes, dans les divisions méthodiques des quadrupedes. En effet il a cinq doigts à chaque pié, mais ils sont entierement réunis & cachés sous la peau. Les ongles ne sont pas vraiment des ongles ; ils ne tiennent pas aux doigts comme il a déjà été dit, & leur nombre varie, puisque l'éléphant de Versailles n'en avoit que 3 à chaque pié, tandis qu'on en montroit un autre à Paris qui venoit des Indes, & qui en avoit quatre. Cependant le P. Tachard a observé que tous les éléphans qu'il a vûs à Siam, avoient cinq ongles.

Il y a eu diverses opinions sur les défenses de l'éléphant. On a cru que la plûpart des femelles n'en avoient point, & qu'elles étoient très-courtes dans les autres ; qu'elles sortoient de la mâchoire inférieure, & qu'elles tomboient chaque année. Mais les défenses de l'éléphant femelle de Versailles, tenoient à la mâchoire supérieure ; elles étoient longues, & n'ont pas tombé pendant les treize ans qu'il a été à la ménagerie. Quelques auteurs ont prétendu que ces défenses étoient des dents : d'autres ont soûtenu qu'on devoit les regarder comme des cornes ; en effet leur substance qui est l'ivoire (voyez IVOIRE) s'amollit au feu, ce qui n'arrive pas à celle des dents ; & l'os dont sortent ces défenses est distinct & séparé de celui dont sortent les dents : ce qui prouve qu'elles sont de véritables cornes.

On feroit une longue histoire de l'éléphant, si l'on rapportoit tout ce qu'on a dit de son instinct, & tous les détails du cérémonial établi chez différens peuples, qui ont beaucoup de vénération pour cet animal ; on verroit que l'amour du merveilleux a fait croire que l'éléphant a des vertus & des vices, qu'il est chaste & modeste, orgueilleux & vindicatif, qu'il aime les loüanges, qu'il comprend ce qu'on lui dit, &c. Des nations entieres ont fait des guerres longues & cruelles, & des milliers d'hommes se sont égorgés pour la conquête de l'éléphant blanc. Cent officiers soignent un éléphant de cette couleur à Siam ; il est servi en vaisselle d'or, promené sous un dais, logé dans un pavillon magnifique dont les lambris sont dorés. Plusieurs rois de l'Orient préferent à tout autre titre, celui de possesseur de l'éléphant blanc. Mais c'en est assez sur ce sujet, qui est fort étranger à l'histoire naturelle de l'éléphant.

Les éléphans sauvages vont par troupes. Il y a plusieurs manieres de les prendre & de les apprivoiser. Au royaume de Siam, des hommes montent sur des éléphans femelles, & se couvrent de feuillages pour n'être pas apperçus des éléphans sauvages qu'ils vont chercher dans les forêts : dès qu'ils se croyent à portée de quelques-uns de ces animaux, ils font crier les femelles sur lesquelles ils sont montés ; les mâles repondent à ces cris par des hurlemens effroyables, & s'approchent des femelles, que les hommes font marcher vers une allée fermée par des palissades ; les mâles suivent les femelles, & dès que l'un d'eux est entré dans l'allée, ont fait tomber deux coulisses, une par devant l'éléphant sauvage, & l'autre par derriere : de sorte qu'il se trouve enfermé sans pouvoir avancer, ni reculer, ni se retourner. Il jette des cris terribles, & fait des efforts étonnans pour se dégager, mais c'est en vain ; alors on tâche de le calmer & de l'adoucir, en lui jettant des seaux d'eau sur le corps ; on verse de l'huile sur ses oreilles, & on fait venir des éléphans privés mâles & femelles qui le caressent avec leurs trompes. Pendant ce tems-là, on lui passe des cordes sous le ventre & aux piés de derriere, & enfin on fait approcher un éléphant privé. Un homme est monté dessus & le fait avancer & reculer, pour donner exemple à l'éléphant sauvage ; ensuite on leve la coulisse qui l'arrête, & aussitôt il avance jusqu'au bout de l'allée : dès qu'il y est arrivé, on met à ses côtés deux éléphans domestiques, que l'on attache avec lui ; un troisieme marche devant, & le tire par une corde ; & un quatrieme le suit, & le fait marcher à grands coups de tête qu'il lui donne par-derriere. C'est ainsi qu'on conduit l'éléphant sauvage jusqu'à une espece de remise, où on l'attache à un gros pilier qui tourne comme un cabestan de navire ; on le laisse-là pour lui donner le tems d'appaiser sa fureur. Dès le lendemain il commence à aller avec les éléphans privés, & en quinze jours il est entierement apprivoisé.

Le roi de Siam a encore une autre façon de faire la chasse aux éléphans : mais elle demande beaucoup d'appareil. On commence par attirer le plus grand nombre d'éléphans sauvages qu'il est possible dans un parc spacieux, environné par de gros pieux qui laissent de grandes ouvertures de distance en distance ; on les y fait venir par le moyen d'une femelle, ou en les épouvantant par le son des trompettes, des tambours, des hautbois, & sur-tout par le feu dans divers endroits de la forêt, pour les faire aller dans le parc. Lorsqu'ils y sont arrivés, on fait autour une enceinte d'éléphans de guerre, pour empêcher que les éléphans sauvages ne franchissent les palissades ; ensuite on mene dans le parc à-peu-près autant d'éléphans privés des plus forts, qu'il y a d'éléphans sauvages. Les premiers sont montés chacun par deux chasseurs, qui portent de grosses cordes à noeuds coulans, dont les bouts sont attachés à l'éléphant. Les conducteurs de chacun de ces éléphans les font courir contre un éléphant sauvage, qui fuit aussi-tôt & se présente aux ouvertures du parc pour en sortir ; mais il est repoussé par les éléphans de guerre qui forment l'enceinte du dehors ; & pendant qu'il marche ainsi dans le parc, les chasseurs jettent leurs noeuds si à-propos dans les endroits où il doit mettre le pié, qu'en peu de tems tous les éléphans sauvages sont attachés. On les met entre des éléphans privés pour les conduire, comme dans la chasse dont il a déjà été fait mention.

Au Pégu on employe pour cette chasse plus d'art, mais moins de monde. On a plusieurs femelles dressées au manége qu'elles doivent faire dans cette occasion ; on les frotte aux parties de la génération avec une huile fort odoriférante, que les mâles sentent de loin ; on mene ces femelles dans les forêts, & bientôt les éléphans sauvages accourent de toutes parts, & les suivent : alors elles prennent le chemin d'un parc environné de gros pieux plantés à telle distance l'un de l'autre, qu'un homme peut passer entre deux, mais non pas un éléphant, excepté à l'entrée du parc où il y a une grande ouverture qui se ferme par une herse. Il se trouve aussi entre les pieux plusieurs portes qui communiquent chacune dans une écurie, & que l'on peut fermer par des coulisses. Lorsque les femelles privées sont entrées dans le parc avec les éléphans sauvages, on fait tomber la herse pour clorre la grande ouverture ; ensuite les femelles entrent dans leurs écuries, & on baisse la coulisse des portes. Les éléphans se voyant seuls & enfermés, entrent en fureur ; ils poursuivent les hommes qui se trouvent dans le parc pour faire les manoeuvres nécessaires : mais ceux-ci s'échappent entre les pieux, que les éléphans frappent avec leurs défenses ; mais ils cassent souvent leurs défenses, au lieu de briser les pieux : ils jettent de grands cris, ils pleurent, ils gémissent, & font des efforts de toute espece pendant deux ou trois heures ; enfin les forces leur manquent, ils s'arrêtent, la sueur coule de toutes les parties de leur corps, ils laissent tomber leur trompe à terre, & il en sort une grande quantité d'eau. Lorsqu'ils sont dans cet état, on fait sortir les femelles de leurs écuries, elles rentrent dans le parc, & se mêlent parmi les éléphans sauvages. Bien-tôt elles vont dans d'autres écuries qui sont destinées à ces éléphans ; chacun suit une femelle & entre après elle dans une écurie : mais il s'y trouve seul, car la femelle sort par une porte de derriere, & aussi-tôt on enferme l'éléphant sauvage dans cette écurie où il se trouve fort serré ; on l'y tient lié ; il passe quatre ou cinq jours sans vouloir ni manger, ni boire ; enfin il s'accoûtume à son esclavage, & en huit jours il se trouve bien apprivoisé.

A Patane, qui est un royaume dépendant de celui de Siam, on mene seulement un grand éléphant privé dans le bois ; dès qu'un éléphant sauvage l'apperçoit, il vient l'attaquer : ces deux éléphans croisent leurs trompes en s'efforçant de se renverser l'un l'autre ; pendant que la trompe de l'éléphant sauvage est embarrassée, on lui lie les jambes de devant, alors il n'ose plus se remuer, parce qu'il craint de tomber : ainsi il est aisé de l'apprivoiser par la faim.

On tend aussi des chausses-trapes pour faire tomber les éléphans sauvages dans des fosses, & ensuite on les lie avec des cordes. L'éléphant s'apprivoise en peu de tems : trois jours suffisent, si on les prive de nourriture, ou si on les empêche de dormir. On les prend plus facilement lorsqu'ils sont très-jeunes. Voy. le prem. voyage de Siam, par le P. Tachart ; les mémoires pour servir à l'histoire naturelle des animaux, qui a déja été citée ; & plusieurs relations de voyageurs dont cet article a été extrait. Voyez QUADRUPEDE. (I)

ELEPHANT, (Mat. méd.) de toutes les parties de cet animal, il n'y a que les dents qui soient en usage ; elles sont connues sous le nom d'ivoire. Voyez IVOIRE.

* ELEPHANS, (Hist. anc.) les anciens employerent cet animal dans leurs armées ; les Orientaux s'en étoient servi avant eux ; les Persans & les Indiens en avoient menés en troupe au combat. Il étoit difficile de les blesser. Ils écrasoient sous leurs piés tout ce qui s'opposoit à eux ; ils portoient des tours sur leur dos, d'où des soldats armés faisoient pleuvoir des traits, des fleches, des pierres, & des javelots sur leurs ennemis. Ils étoient dressés à saisir les hommes avec leur trompe, & à les jetter dans la tour qu'ils portoient. Ils rompoient les rangs ; ils épouvantoient les chevaux. Lorsqu'on se fut accoûtumé à cette espece de péril, on résista aux éléphans avec le feu, avec des poutres aiguës plantées devant les rangs, des haches dont on leur coupa les piés, des armes en forme de faulx dont on leur trancha la trompe, de longues piques qu'on leur enfonça sous la queue, où ils ont la peau moins épaisse ; enfin on leur opposa d'autres éléphans. On vit alors les animaux les plus terribles prendre part dans les querelles des hommes, & s'entre-détruire pour les défendre ou les vanger.

Les Romains qui en virent pour la premiere fois dans l'armée de Pyrrhus, les prirent pour des boeufs de Lucanie ; une défaite totale fut la suite de leur ignorance. Dans la suite ils firent marcher eux-mêmes ces animaux contre leurs ennemis : ce fut une partie principale du butin qu'ils firent sur les Carthaginois. Ils en opposerent pour la premiere fois à Philippe ; ils en honorerent leurs triomphes ; ils en exposerent dans les jeux du cirque, où l'on vit quelquefois des éléphans vaincus par des hommes. C'étoit un bel exemple de la supériorité de l'industrie sur la force. On dit qu'ils en dresserent à marcher sur des cordes tendues. Ils en attelerent à leurs chars. César se fit éclairer par quarante éléphans, qui portoient devant lui des flambeaux à la guerre. On appelloit zoarque, celui qui commandoit un éléphant ; thérarque, celui qui en commandoit deux ; alpthérarque, celui qui en commandoit trois ; hylarque, celui qui en commandoit huit ; chératarque, celui qui en commandoit vingt ; & phallangarque, celui qui en commandoit soixante-quatre.

ELEPHANT, (Myt. Médailles) L'éléphant sur les médailles est un des sujets qui a le plus exercé les antiquaires, pour en deviner les diverses significations. Il marque ordinairement les jeux publics & les triomphes, où l'on prenoit plaisir de faire voir au peuple ces sortes d'animaux. Dans les médailles de Jules-César sur la fin de la république, où il n'étoit pas permis de mettre sa tête sur les monnoies, on imagina pour flater son ambition de mettre à la place cet animal ; parce qu'en langue punique, césar signifioit un éléphant. Aussi dans la suite, l'éléphant fut pris pour une marque de la puissance souveraine : il est vrai cependant qu'il désigne ailleurs le symbole de l'éternité, ou celui de la piété envers Dieu. Mais pour abréger, voyez Spanheim, numismata ; Begeri, thesaurus Brandenburgicus ; & surtout Cuper (Gisbert), de elephantis, &c. Hagae-Comit. 1719, in-folio, fig. Article de M(D.J.)

ELEPHANT, nom donné à un ordre militaire ancien & fort honorable que conferent les rois de Danemark, & qu'ils n'accordent qu'aux personnes de la plus haute qualité, & d'un mérite extraordinaire.

On l'appelle l'ordre de l'éléphant, parce qu'il a pour arme un éléphant d'or émaillé de blanc, chargé d'une tour d'argent maçonnée de sable, sur une terrasse de synople émaillée de fleurs. Cette marque de l'ordre est ornée de diamans, & pend à un ruban bleu, ondé comme le cordon bleu en France. Chambers. (G)

ELEPHANT, (ile de l') île de l'Indostan sur la côte du Malabar. Elle a été ainsi nommée, de la figure d'un éléphant qu'on voit taillée dans le roc, grande comme nature. Il y a au même endroit un cheval de pierre, une pagode, avec une quarantaine de figures gigantesques, rangées symmétriquement. Les payens de cette île en ont fait l'objet de leur culte.


ELEPHANTIASou ELEPHANTIE, subst. f. ou ELEPHANTIAS, s. m. (Med.) c'est le nom que les Grecs ont donné à la maladie de la peau, que les Arabes appellent lepre.

Celle qui est la lepre des Grecs, est nommée par les Arabes, albara nigra : c'est une espece de gale à un plus haut degré de malignité ; ainsi elle ne differe de la gale que l'on voit communément, que par l'intensité des symptomes. Voyez GALE, LEPRE.

La lepre des Arabes est encore plus violente que celle des Grecs. De toutes les maladies dans lesquelles les tégumens sont affectés de différens genres de pustules, de tubercules, d'ulceres, il n'en est point qui réunisse autant de ces divers maux, & qui affecte si généralement toutes les parties du corps, d'une maniere si horrible & si digne de compassion en même tems, que l'éléphantiase ; ce qui la fait regarder comme un chancre universel par Paul Aeginete (lib. IV.), & par presque tous les auteurs qui l'ont décrit après lui. On lui a donné le nom d'éléphantiase ; soit parce que cette maladie est aussi grande par la nature de ses symptomes, & aussi forte par la difficulté de la guérir, entre toutes les autres maladies connues, que l'éléphant surpasse en grandeur & en force tous les autres quadrupedes ; soit parce que ceux qui sont affectés de cette espece de lepre, ont le corps & les extrémités inférieures sur-tout tuméfiées & si roides, qu'ils ne peuvent pas les plier : ce en quoi on les comparoit aux éléphans, dont les anciens croyoient les jambes sans jointures ; soit parce que cette maladie rend la peau gonflée, rude, inégale, ridée, couverte d'écailles, de tubérosités, avec un grand nombre de fentes sillonnées & de crevasses, comme l'est celle des éléphans. Cette derniere raison paroît la plus vraisemblable. On lui a aussi donné, selon Galien dans son livre de tumoribus, cap. xjv. le nom de satyryasmum ; parce que lorsqu'elle commence, elle rend les malades extrêmement lascifs, & par là semblables à des satyres ; ou parce qu'elle défigure le visage, & lui donne quelque ressemblance avec la figure sous laquelle on représente les satyres. On la désigne aussi par le nom de leontiasis ; il est fait mention de ce nom dans Aëtius, tetract. 4. parce que ceux qui en sont affectés ont le front chargé de grosses rides, l'aspect furieux, effrayant, comme le lion : ensorte que ce mal est aussi cruel que cet animal. On l'appelle encore le mal de S. Lazare, parce qu'on le croit le même que celui du mendiant nommé Lazare, tout couvert d'ulceres, dont il est fait mention dans l'Evangile.

Cette cruelle maladie ne paroît pas tout d'un coup dans toute sa force, ses symptomes ne semblent naître que par degrés ; car avant que les parties extérieures soient affectées, les malades se sentent une pesanteur de corps qui les engourdit & les rend lents à se mouvoir, sont sujets à la constipation, leurs urines sont semblables à celles des bêtes de somme, leur haleine devient forte, la peau des joues s'épaissit, il s'éleve des tumeurs dures sur le visage & principalement sur le front ; & lorsque le mal augmente plus considérablement, il se forme des tubercules & des pustules sur toute la surface du corps.

Il y a six symptomes, selon Gui de Chauliac (mag. chirurg. tract. 6.), qui constituent des signes caractéristiques de l'elephantiasis ; savoir la rondeur des yeux & des oreilles ; la dépilation, l'épaisseur, & l'élévation de la peau des sourcils ; la dilatation & la distorsion des narines en-dehors, & le resserrement de leurs cavités en-dedans ; la mauvaise odeur des levres, & la voix rauque, comme lorsqu'on parle du nez ; la puanteur de la bouche & de toute la personne ; le regard fixe & qui fait horreur.

Le même auteur rapporte encore seize autres signes équivoques de cette maladie, dont voici les principaux : la peau s'hérisse d'inégalités en forme d'écailles ; il s'en sépare une grande quantité qui renaît bientôt après : le sentiment qui est d'abord beaucoup émoussé dans les extrémités inférieures, avec des crampes continuelles, se perd à la suite entierement, ensorte qu'il ne peut presque pas être excité par la piquûre faite avec des aiguilles, quoiqu'enfoncées profondement ; la peau en général devient insensible par degrés, au point de ne ressentir à la fin aucune douleur, même par l'aspersion de l'eau bouillante qui glisse dessus comme sur un corps onctueux. Les cheveux tombent aussi-bien que les poils des aisselles, des aines, & il renaît à la place une espece de duvet : les levres sont enflées, épaisses, les gencives rongées, la langue, le palais, les oreilles se garnissent d'une infinité de petits grains comme des durillons ; une soif ardente tourmente jour & nuit ; & selon la description qu'Aretée donne de cette maladie (liv. IV. cap. xiij.), la face, les cuisses, les jambes s'enflent d'une maniere énorme, & quelquefois tout le corps, ensorte que les doigts des piés & même ceux des mains sont enveloppés & cachés sous l'enflure : enfin lorsque le mal est au suprême degré, les tubercules s'exulcerent dans toutes les parties du corps ; les bords des ulceres deviennent calleux, & cependant très-tendres & susceptibles de donner du sang par la moindre irritation ; il s'en forme souvent dans l'intérieur de la bouche, dans le gosier ; il s'y répand un pus de mauvaise qualité, une sanie, qui sont de très-mauvaise odeur ; & le corps ainsi affecté dans toutes ses parties, ne paroît bientôt plus que couvert d'un seul ulcere comme un chancre universel ; jusqu'à ce que la fievre lente qui se joint inévitablement à tous ces symptomes, & la pourriture de toutes les parties tant internes qu'externes, ayent rongé & consumé jusqu'aux os la substance des misérables qui sont dans un si triste état, & leur ayent ôté le peu de vie qui restoit encore dans leur corps changé en affreuses charognes, quelquefois long-tems même avant la mort ; car malgré tant de maux qui sont produits par cette maladie, elle ne laisse pas d'être ordinairement de longue durée ; elle doit par conséquent selon Celse, liv. III. cap. xxv. être mise au nombre des chroniques, quelque violente qu'elle soit.

Telle est l'histoire de cette maladie qui porte un caractere de malignité excessive, & qui est des plus contagieuses ; en sorte que ceux qui en sont attaqués se voyent abandonnés de tout le monde, même de leurs domestiques & de leurs parens qui craignent d'en approcher : c'est en conséquence qu'on a pourvû dans plusieurs états à leur fournir un asyle où ils puissent se mettre, & finir leurs jours malheureux dans des hôpitaux (dits de S. Lazare), fondés à cet effet ; on les oblige à se séparer de la société & à s'y renfermer dès qu'ils sont déclarés tels ; d'autant plus que l'éléphantias se communique aisément par le commerce ordinaire de la vie, sur-tout si l'on couche avec ceux qui en sont infectés, & par le coït ; comme le rapporte Gordon, liv. I. cap. xxij. ce qu'il confirme par plusieurs exemples : il peut être aussi héréditaire.

C'est mal-à-propos qu'on a voulu confondre l'éléphantiase ou lepre des Arabes avec la vérole ; attendu que celle-la toute contagieuse qu'elle est, peut aussi être contractée par le défaut de régime, par l'usage de mauvais alimens selon le témoignage des anciens médecins : ce qui n'arrive jamais par rapport à celle-ci, qui ne se communique que par contagion. La vérole commence souvent par l'affection des parties génitales, l'éléphantiase n'attaque jamais particulierement ces organes : cette maladie-ci rend les malades extrèmement lascifs : c'est tout le contraire à l'égard de celle-là : celle-ci est le plus souvent susceptible de guérison ; celle-là ne l'est jamais lorsqu'elle est confirmée, &c.

Enfin, la lepre des Arabes ou l'éléphantiase est une maladie à peine connue & vûe en Europe dans ces derniers siecles, & dont le traitement n'a point été appliqué à la vérole : l'éléphantias est endémique, en Syrie & en Egypte ; il est absolument étranger dans la partie du monde que nous habitons ; il n'y a été répandu que deux fois selon le témoignage des historiens & des médecins, & il s'y est éteint en peu de tems. Pline dit, hist. nat. lib. III. qu'elle étoit inconnue en Italie jusqu'au tems du grand Pompée : Lucrece donne à entendre qu'elle étoit particuliere à l'Egypte, lib. IV.

Est elephas morbus qui propter flumina Nili,

Gignitur Aegypto in mediâ, neque praeterea usquam.

Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'elle a toûjours été plus commune dans les pays chauds, & que quand l'Europe en a été infectée, ses parties méridionales en ont plus souffert que les septentrionales : & en France elle s'est aussi fait plus sentir, en Provence & en Languedoc, que dans le reste du royaume ; il conste cependant qu'elle s'est aussi répandue dans quelques endroits de l'Allemagne.

Comme la lepre des Arabes & celle des Grecs ne semblent différer qu'en ce que les symptomes de la premiere sont portés au plus haut point de malignité ; pour ne pas tomber dans le cas de la répétition, il est à-propos de renvoyer à l'article LEPRE ce qui reste à dire touchant les causes, le prognostic & la curation de l'éléphantiase qui n'est le plus souvent susceptible d'aucun traitement. Voyez LEPRE.

Plusieurs médecins arabes ont aussi entendu par le mot elephantiasis, une maladie bien différente de la précedente, qui affectoit simplement les piés avec un gonflement considérable & des varices dans ces parties ; comme il paroit par Avicenne, Rhasis, Avenzoar & autres ; sur quoi Voyez Fuchsius, lib. III. & Forestus, lib. XXIX. (d)


ELEPHANTINadj. (Hist.) qui appartient à l'éléphant, ou qui en a les qualités.

Ce mot se dit principalement de certains livres des anciens Romains.

Dans quelques-uns de ces livres étoient enregistrés tous les actes du sénat & des magistrats de Rome. En d'autres, tout ce qui se passoit dans les provinces & dans les armées, &c. Il y en avoit outre cela 35 gros volumes autant que de tribus, où étoient marqués la naissance & les classes des citoyens. On les renouvelloit tous les cinq ans à chaque nouvelle élection des censeurs ; & on les gardoit tous dans le thrésor public, au temple de Saturne.

Il y en a qui croyent que ces livres avoient été nommés éléphantins par rapport à leur énorme volume, d'autres parce qu'ils étoient faits de tablettes d'ivoire. Chambers. (G)


ELEPHASS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs monopetales, anomales, tubulées & faites en forme de masque, dont la levre supérieure ressemble en quelque façon à la trompe d'un éléphant, & l'inférieure est découpée. Il sort du calice un pistil qui entre comme un clou dans la partie postérieure de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit divisé en deux loges qui renferment des semences oblongues pour l'ordinaire. Tournefort, Inst. rei herb. corol. Voyez PLANTE. (I)


ELETTES. f. (Cordonnier) est une bande de cuir de la largeur du pouce, qui se met en-dedans du soulier au-tour de l'empeigne pour la renforcer.


ELEUSINIESsubst. pl. f. (Hist. anc.) mysteres de la déesse Cérès, ou cérémonies religieuses qui se pratiquoient en son honneur : on les nommoit ainsi d'Eleusis ville maritime des Athéniens, où étoit le temple de cette déesse, fameux par la célébration de ces mysteres.

Quelques auteurs appellent la ville où se célébroient les éleusinies, Eleusine, & non Eleusis. Harpocration confirme cette ortographe, en faisant venir ce nom d'Eleusinas fils de Mercure ; & Pausanias dans ses Attiques se déclare aussi pour ce sentiment. D'autres croyent que cette ville avoit été nommée de la sorte, d'un mot grec qui signifie arrivée, parce que Cérès, après avoir couru le monde pour trouver sa fille, s'y arrêta, & y termina ses recherches. Diodore de Sicile, liv. V. prétend que le nom d'Eleusis lui avoit été donné pour servir de monument à la postérité, que le blé & l'art de le cultiver, étoient venus dans l'Attique des pays étrangers.

Les éleusinies étoient chez les Grecs les cérémonies les plus solemnelles & les plus sacrées, d'où vient qu'on leur donna par excellence le nom de mysteres. On prétendoit que Cérès les avoit instituées elle-même à Eleusis, en mémoire de l'affection & du zele avec lesquels les Athéniens la reçurent : c'est ainsi qu'Isocrate en parle dans son panégyrique ; mais Diodore de Sicile dit, liv. VI. que ce furent les Athéniens qui instituerent les éleusinies, par reconnoissance de ce que Cérès leur avoit appris à mener une vie moins rustique & moins barbare ; cependant ce même auteur rapporte la chose d'une autre façon au premier livre de sa Bibliotheque : " Une grande sécheresse ayant, dit-il, causé une disette affreuse dans la Grece, l'Egypte qui avoit fait cette année-là même une récolte très-abondante, fit part de ses richesses aux Athéniens ".

Ce fut Erecthée qui leur amena ce convoi extraordinaire de blé ; & en reconnoissance de ce bienfait il fut créé roi d'Athenes, & il apprit aux Athéniens les mysteres de Cérès, & la maniere dont l'Egypte les célébroit.

Cette relation revient assez à ce que disent Hérodote & Pausanias, que les Grecs avoient pris leurs dieux & leur religion des Egyptiens.

Théodoret, liv. I. Graecanic. affection. écrit que ce fut Orphée, & non pas Erecthée, qui fit cet établissement, & qui institua en l'honneur de Cérès les solennités que les Egyptiens pratiquoient pour Isis. Ce sentiment est confirmé par le scholiaste sur l'Alceste d'Euripide.

La ville d'Eleusis où se célébroient ces mysteres étoit si jalouse de cette gloire, que réduite aux dernieres extrémités par les Athéniens, elle se rendit à eux à cette seule condition, qu'on ne lui ôteroit point les éleusinies ; cependant ce n'étoient point des cérémonies religieuses particulieres à cette ville, mais communes à tous les Grecs.

Ces cérémonies, suivant Arnobe & Lactance, étoient une imitation ou représentation de ce que les Mythologistes nous enseignent de Cérès. Elles duroient plusieurs jours, pendant lesquels on couroit avec des torches ardentes à la main : on sacrifioit plusieurs victimes, non-seulement à Cérès, mais aussi à Jupiter : on faisoit des libations de deux vases, qu'on répandoit l'un du côté de l'orient, & l'autre du côté de l'occident : on alloit en pompe à Eleusis, en faisant de tems en tems des pauses où l'on chantoit des hymnes & l'on immoloit des victimes ; ce qui se pratiquoit non-seulement en allant d'Athenes à Eleusis, mais encore au retour. Au reste on étoit obligé à un secret inviolable, & la loi condamnoit à mort quiconque auroit osé publier ces mysteres.

Tertullien dans son livre contre les Valentiniens, rapporte que la figure que l'on montroit dans les eleusinia, & qu'il étoit si expressément défendu de rendre publique, étoit celle des parties naturelles de l'homme. Selon Théodoret, Arnobe & Clément Alexandrin, c'étoit la figure des parties naturelles d'une femme.

Ces imputations peuvent être mal fondées, car où Tertullien, Arnobe & Théodoret avoient-ils lû ces particularités, puisqu'il n'y avoit rien d'écrit sur les mysteres d'Eleusine ? l'auroient-ils appris de quelques initiés ? mais il n'y a pas d'exemple de la plus legere indiscrétion sur ce point. Cicéron qui s'étoit trouvé à Athenes dans le tems que les mysteres d'Eleusine s'y célébroient, & qui n'étoit pas naturellement porté à favoriser le fanatisme, soupçonne seulement au commencement des Tusculanes, qu'on découvroit aux initiés la véritable histoire de Cérès & de sa fille, & qu'on les obligeoit par la religion du serment à ne jamais révéler que ces deux prétendues déesses n'avoient été que des femmes mortelles, de peur de décréditer par-là leur culte dans l'esprit du public.

Le lendemain de la fête le sénat s'assembloit à Eleusis, apparemment pour examiner si tout s'étoit passé dans l'ordre.

Il y avoit deux sortes d'éleusinies, les grandes & les petites : nous venons de parler des premieres, les petites avoient été instituées en faveur d'Hercule. Ce héros ayant souhaité d'être initié aux premieres éleusinies, & les Athéniens ne pouvant le satisfaire, parce que la loi défendoit d'y recevoir les étrangers, & ne voulant cependant rien lui refuser, ils instituerent de nouvelles éleusinies auxquelles il pût assister. Les grandes se célébroient dans le mois boedromion, qui répondoit à notre mois d'Août ; & les petites au mois d'anthisterion, qui répondoit à notre mois de Janvier.

On n'étoit admis à la participation de ces mysteres que par degrés ; d'abord on se purifioit, ensuite on étoit reçû aux petites éleusinies, & enfin admis & initié aux grandes. Ceux qui n'étoient que des petites, s'appelloient mystes ; & ceux qui étoient admis aux grandes, s'appelloient époptes ou éphores, c'est-à-dire inspecteurs, & il falloit ordinairement subir une épreuve de cinq ans pour passer des petites éleusinies aux grandes. On se contentoit quelquefois d'un an, & on étoit admis immédiatement après à tout ce qu'il y avoit de plus secret dans ces cérémonies religieuses. Meursius a fait un traité sur les éleusinies, dans lequel il établit la plûpart des faits que nous venons d'avancer.

Quoiqu'on ne sache pas précisément en quoi consistoit l'autopsie ou la contemplation claire des mysteres d'Eleusis, les anciens nous ont pourtant laissé quelques descriptions des cérémonies qui la précédoient. Comme on étoit persuadé que ceux qui participoient à ces mysteres faisoient profession d'une vie innocente, & qu'après leur mort ils seroient placés dans les champs élysées, on les purifioit, soit pour expier leurs fautes passées, soit pour leur faire acheter en quelque sorte par ces premieres épreuves, les biens dont ils se flatoient de joüir un jour. D'abord un sacrificateur, qui dans cette fonction se nommoit hydranos, immoloit à Jupiter une truie pleine ; & après en avoir étendu la peau à terre, on faisoit mettre dessus celui qui devoit être purifié. Les prieres accompagnoient cette cérémonie, qu'un jeûne austere devoit avoir précédé : ensuite, après quelques ablutions qu'on faisoit avec de l'eau de la mer, on couronnoit d'un chapeau de fleurs, nommé par Hesychius , le postulant, qui après ces épreuves pouvoit aspirer à la qualité de myste, ou d'initié aux mysteres.

Il ne se passoit point dans les mysteres d'Eleusine, d'infamies comme dans ceux de Bacchus ; que s'il s'y glissa quelquefois du desordre, il fut accidentel, & promtement réprimé par la sévérité des magistrats. Voyez les dictionnaires de Trévoux, de Moréry & de Chambers. (G)


ELEUTHERES. m. (Hist. anc.) nom qui signifie libérateur dans le langage des Grecs, & qu'ils donnerent à Jupiter en mémoire de la victoire qu'ils remporterent près du fleuve Asope sur Mardonius général des Perses, dont trois cent mille furent exterminés dans cette journée. Les vainqueurs attribuerent à Jupiter le succès de cette bataille, qui assûra la liberté de la Grece, & donnerent au dieu le titre d'éleutheros, parce qu'il les avoit délivrés de la servitude qui les menaçoit. Ils instituerent aussi en son honneur des fêtes nommées éleuthériennes, qu'on célébroit tous les cinq ans par des courses de chars. C'étoit à Platée même, selon le scholiaste de Pindare, que se faisoient ces jeux ; circonstance qui rappelloit encore plus vivement la cause de leur établissement. (G)


ELEUTHOS. f. (Myth.) déesse qui présidoit aux accouchemens : c'est la même qu'Illythie. Voyez ILLYTHIE.


ELEVATIONsub. f. (Astron.) L'élevation d'une étoile ou d'un autre point dans la sphere, en Astronomie, est un arc de cercle vertical compris entre cette étoile ou cet autre point & l'horison. Voyez VERTICAL.

Ainsi comme le méridien est un cercle vertical, l'élevation ou hauteur méridienne, c'est-à-dire l'élevation d'un point situé dans le méridien, est un arc du méridien intercepté entre ce point & l'horison. Voyez MERIDIEN.

Elevation du pole, marque la hauteur du pole sur l'horison d'un lieu, ou un arc de méridien intercepté entre le pole & l'horison. Voyez POLE.

Ainsi, (Planch. Astronom. fig. 4.) A Q étant supposé l'équateur, H R l'horison, H Z P N le méridien, & P le pole, P R est l'élevation du pole.

Dans ce sens le mot élevation est opposé à abaissement. Voyez ABAISSEMENT.

L'élevation du pole est toûjours égale à la latitude du lieu, c'est-à-dire, que l'arc de méridien intercepté entre le pole & l'horison, est égal à l'arc du même méridien intercepté entre l'équateur & le zénith.

Ainsi le pole boréal est élevé sur l'horison de Paris de 48d. 50', & il y a le même nombre de degrés entre le zenith de Paris & l'équateur ; de sorte que Paris se trouve à 48d. 50' de latitude boréale. Voyez LATITUDE. Pour trouver l'élevation du pole d'un lieu, voyez POLE & LATITUDE.

L'élevation de l'équateur est un arc du méridien moindre qu'un quart de cercle, intercepté entre l'équateur & l'horison du lieu. Voyez EQUATEUR.

Ainsi, A Z représentant comme ci-dessus l'équateur, H R l'horison, P le pole, & H Z P N le méridien ; H A sera l'élevation de l'équateur. Voyez EQUATEUR.

Les élevations de l'équateur & du pole, jointes ensemble, forment toûjours un quart de cercle, & par conséquent plus l'élevation du pole est grande, moins celle de l'équateur doit l'être, & réciproquement.

Ainsi dans la figure que nous avons déja indiquée, P A est supposé par la construction un quart de cercle, & A H + A P + P R, un demi cercle, & par conséquent H A + P R, un quart de cercle.

Trouver l'élevation de l'équateur. Trouvez l'élevation du pole, de la maniere indiquée à l'article POLE. Soustrayez l'élevation trouvée d'un quart de cercle, ou de 90d. Ce qui restera, sera l'élevation de l'équateur. Ainsi l'élevation du pole à Paris, savoir 48d. 50', étant soustraite de 90d. le reste donne 41d. 10' pour l'élevation de l'équateur au même lieu.

Angle d'élevation en Méchanique, c'est l'angle R A B, (Planch. de Méch. fig. 47.) compris entre la ligne de direction A R d'un projectile, & la ligne horisontale A B Voyez PROJECTILE & ANGLE.

Elevation d'un canon & d'un mortier, c'est l'angle que l'axe du canon ou du mortier fait avec le plan de l'horison. Voyez CANON & MORTIER. (O)

ELEVATION, en Hydraulique, se dit de la hauteur à laquelle montent les eaux jaillissantes ; elle dépend de celle des réservoirs & de la juste proportion de la sortie des ajustages avec le diamêtre des tuyaux de conduite.

Les jets sont affoiblis par l'air ou l'atmosphere qui les entoure, ce qui fait qu'ils ne s'élevent jamais aussi haut que leur réservoir.

PREMIERE FORMULE. Connoître la hauteur des réservoirs par rapport à celle des jets. L'expérience a appris qu'un jet venant d'un réservoir de 5 piés de haut montoit un pouce de moins, & qu'il falloit compter l'élévation des jets, de 5 piés en 5 piés, & prendre le quarré du nombre de fois que 5 est contenu dans cette élévation, ce qui fera connoître la hauteur que doivent avoir les réservoirs pour que les jets ne perdent rien de la hauteur proposée.

Ainsi, comme un jet de 60 piés de haut a 12 fois 5 dans son nombre, on prendra le quarré de 12 qui est 144 ; ce sera des pouces que l'on écrira à la suite des 60 piés réduits en pouces qui sont 720 ; ainsi ce jet pour conserver la hauteur de 60 piés, demande un réservoir élevé de 864 pouces, ou 72 piés.

Les eaux de décharge & de superficie, de quelque hauteur qu'elles viennent, ne font que rouler dans les tuyaux, & que baver dans les bassins d'en-bas ; il faut de la charge à une conduite pour élever le jet d'eau, & que le tuyau soit bien plein.

La hauteur d'un jet est plus difficile à déterminer par rapport à celle du réservoir ; parce que plus il est élevé, plus il trouve de résistance dans l'air. Les défauts des jets ou leur différence de hauteur avec celle des réservoirs sont dans la raison des quarrés des hauteurs des mêmes jets : il faut donc connoître la hauteur du réservoir, en supposer une pour le jet demandé, ou en fixer une générale dans tous les calculs.

SECONDE FORMULE. Connoître la hauteur d'un jet par rapport à celle du réservoir. Il résulte de la regle précedente, de compter l'élévation des jets de 5 piés en 5 piés, & prendre le quarré du nombre de fois que 5 est contenu dans cette élévation, que la hauteur marquée de 864 pouces pour le réservoir d'un jet de 60 piés de hauteur, est composé de deux parties : 1°. de la hauteur du jet : 2° du quarré du quotient qu'on auroit en divisant la hauteur du jet (si on la connoissoit) par 60 pouces, valeur des 5 piés de la regle, c'est-à-dire que 5 est 12 fois dans 60, & que 12 est le quotient : ensuite si l'on quarre le quotient & qu'on ajoûte son produit qui est ici de 144 pouces à la hauteur 720 qu'on a supposée pour le jet ; on trouvera sûrement la hauteur du jet demandé, en augmentant ou diminuant cette hauteur supposée jusqu'à ce qu'on soit arrivé précisement à celle du réservoir, qui a été proposée de 864 pouces ou 72 piés. (K)

ELEVATION DES PUISSANCES, (Arithmétique) Voyez ELEVER.

ELEVATION, en Physique, c'est le mouvement d'un corps qui va de bas en haut, ou l'action par laquelle un corps s'éloigne continuellement de la terre. Voyez MOUVEMENT. En ce sens, ce mot est opposé à descente. Voyez DESCENTE.

Les Péripatéticiens attribuent l'élévation spontanée des corps à un principe de legereté qui leur est inhérent. Voyez LEGERETE.

Les modernes nient qu'il y ait une legereté spontanée, & prouvent que tout ce qui monte, le fait en vertu de quelque impulsion extérieure. C'est ainsi que la fumée & d'autres corps raréfiés montent dans l'atmosphere ; & que l'huile, les bois legers s'élevent au-dessus de l'eau, non pas par quelque principe extérieur de legereté, mais par l'excès de pesanteur des parties du milieu où ces corps se trouvent. Voyez PESANTEUR, MILIEU, ATMOSPHERE, FLUIDE, &c.

L'élévation des corps legers dans un milieu pesant, est produite de la même maniere que l'élévation du bassin le plus leger d'une balance : ce n'est pas que ce bassin ait un principe intérieur par lequel il tende immédiatement en haut ; mais il y est poussé par la force du contre-poids de l'autre bassin, l'excès du poids de l'un produisant cet effet par l'augmentation de sa tendance en embas. Voyez ceci plus approfondi ou éclairci aux articles PESANTEUR SPECIFIQUE, FLUIDE, BALANCE HYDROSTATIQUE, &c.

Elévation des corps sur des plans inclinés. Voyez-en les lois à l'article PLAN INCLINE.

L'élévation ou l'ascension des fluides s'entend particulierement de l'action par laquelle ils montent audessus de leur propre niveau entre les surfaces des corps qui approchent fort d'être contigus, ou dans les tuyaux de verre capillaires, ou dans les vaisseaux remplis de sable, de cendre, ou d'autres semblables substances poreuses. Voyez FLUIDE.

Cet effet arrive aussi-bien dans le vuide qu'en plein air, dans les tubes recourbés que dans les droits : quelques liqueurs, comme l'esprit-de-vin & l'huile de terebenthine, montent plus vite que d'autres liqueurs, & quelques-unes s'élevent d'une maniere différente des autres. Le mercure ne s'éleve point du tout au-dessus de son niveau, au contraire il descend au-dessous.

On a parlé plus au long du phénomene des tuyaux capillaires & de ses causes, à l'article CAPILLAIRE.

A l'égard des plans ; deux plaques de verre, de métal, de pierre ou d'autre matiere, bien unies & bien polies, étant disposées de maniere qu'elles soient presque contiguës, elles produiront l'effet de plusieurs tubes capillaires paralleles, & les fluides s'éleveront entre ces plans de la même maniere que dans les tubes. On peut dire la même chose d'un vaisseau rempli de sable, &c. la multitude des petits interstices, dont il est parsemé, forme, pour ainsi dire, une espece de tuyaux capillaires : c'est le même principe qui a lieu dans tous ces cas ; & c'est vraisemblablement à cette même cause que l'on doit attribuer l'ascension de la séve dans les végétaux. Voyez VEGETATION.

Elévation des vapeurs. Voyez EVAPORATION, NUAGE ou NUEE, VAPEUR. (O)

ELEVATION, (Alchimie) Les Alchimistes nomment ainsi les opérations par lesquelles ils subtilisent ou atténuent certaines substances, séparent la partie spiritueuse de celle qui est plus grossiere, la plus legere de la pesante, celle qui est fluide de celle qui est fixe ; ce qui revient, en langage ordinaire, à la sublimation & à la distillation. Voyez SUBLIMATION & DISTILLATION. (-)

ELEVATION, terme de Chirurgie ; mouvement des doigts par lequel le chirurgien incise suffisamment la veine & la peau dans l'opération de la saignée. Voyez PHLEBOTOMIE.

L'élévation se fait en retirant la lancette qu'on a introduite dans le vaisseau. Il n'y a que le tranchant supérieur de la lancette qui coupe, lorsqu'on fait l'élévation ; quand on ne fait pas ce mouvement, l'ouverture de la peau n'étant pas si grande que l'incision de la veine, il s'amasse du sang autour du vaisseau sous la peau, ce qui forme une tumeur nommée trombe. Voyez ce mot. Une lancette à grain d'orge dispense de faire une élévation ; mais cette lancette ne convient que pour les vaisseaux qui sont gros & superficiels. Voyez LANCETTE. (Y)

ELEVATION. (Coupe des pierres) Voyez ORTHOGRAPHIE.

ELEVATION à la messe (Théol. & Hist. ecclés.) marque cette partie de la messe où le prêtre éleve l'hostie & le calice plus haut que sa tête, afin de faire adorer au peuple le corps & le sang de N. S. J. C. après la consécration, & après qu'il les a lui-même adorés par une profonde genuflexion.

Carlostad ôta l'élévation de la messe ; & Luther la retint d'abord, mais ensuite il la supprima.

M. Chambers prétend, mais sans citer aucune autorité, que S. Louis est le premier qui ait ordonné qu'à l'élévation on se mît à genoux, à l'exemple de certains religieux qu'il ne nomme point.

Ce qu'il y a de certain, c'est que dans les anciennes liturgies, & en particulier dans le sacramentaire de S. Grégoire, on ne voit point d'autre élévation de l'hostie que celle qui se fait à la fin du canon, en disant per ipsum & cum ipso & in ipso ; ce qui n'empêche pas que l'adoration aujourd'hui en usage à l'élévation ne soit bien fondée, puisqu'il est de foi qu'au moment que le prêtre prononce les paroles de la consécration, le corps & le sang de Jesus-Christ se trouvent réellement présens sous les especes du pain & du vin, ce qui suffit pour lui attirer l'adoration des fideles ; car c'est principalement par le dogme qu'il faut juger des cérémonies. (G)


ELEVATOIRES. m. instrument de Chirurgie dont on se sert pour relever les os du crane, qui, déprimés ou enfoncés par quelque coup ou chute, compriment la dure-mere ou le cerveau.

On trouve dans les anciens la description & la figure des élévatoires, dont on faisoit usage de leur tems, & que la Chirurgie moderne a proscrits, parce qu'on couroit un risque évident d'enfoncer les os qui devoient soûtenir l'effort de ces instrumens. Ceux qui sont actuellement le plus en usage, sont des leviers de la premiere espece, dont le point d'appui est au milieu, le fardeau à une extrémité, & la puissance à l'autre.

La longueur d'un élévatoire est d'un demi-pied ; sa composition est de fer très-poli, relevé de pommettes dans le milieu ; les deux extrémités forment chacune une branche courbée à sens opposé, ce qui fait un instrument double. Ces branches sont différemment courbées ; les unes étant presque droites, les autres un peu courbes, & quelques-unes fort coudées, parce que le coude sert quelquefois de point d'appui. Le bout de chaque branche est arrondi ou ovale aux uns, quarré aux autres. Le dedans de l'extrémité de chaque branche est garni de petites cannelures transversales qui sont faites comme des petits biseaux couchés les uns sur les autres. Voyez les fig. 14. & 15. Pl. XVI.

La main doit être la force mouvante & le point d'appui des élévatoires dont on vient de faire la description, parce qu'en appuyant le levier sur la partie de l'os opposée à celle qu'on veut relever, on l'écraseroit si elle résistoit beaucoup ; & on l'enfonceroit sur la dure-mere, si elle offroit peu de résistance. Pour se servir de cet instrument, on l'empoigne avec les quatre doigts de la main droite par le milieu de son corps, le pouce appuyé à l'opposite, on passe ensuite l'extrémité antérieure sous la piece d'os qu'on veut relever, observant d'appliquer les petits biseaux contre sa partie intérieure : le doigt index sert de point d'appui dans l'action de relever l'os enfoncé : il faut soûtenir extérieurement avec les doigts de la main gauche la portion d'os sous laquelle l'élévatoire agit.

Feu M. Petit, sachant que la main qui a assez de force pour l'opération dont on parle, peut n'avoir pas assez de fermeté & de précision pour empêcher que le bout de l'élévatoire ne s'échappe, ce qui pourroit occasionner des accidens, a fait construire un nouvel élévatoire, dont la main n'est point l'appui. Il s'agissoit de trouver sur le crane un appui pour le levier, le plus près qu'il est possible de l'os qu'il faut relever, & il falloit que cet appui fût sur un plan solide pour soûtenir sans se rompre l'effort qu'on fait pour relever l'enfonçure.

Dans ces vûes, M. Petit a fait fabriquer un chevalet (Pl. XVII. fig. 2.) dont les deux jambes appuient sur le crane, on leur donne le plus de surface qu'il est possible pour rendre l'appui plus stable, & afin que l'effort que l'os doit soûtenir soit partagé sur une plus grande étendue de sa surface. Ces extrémités sont garnies de chamois, tant pour les empêcher de glisser que pour qu'elles ne fassent aucune impression sur l'os. A la sommité du chevalet se trouve une entaille (fig. 2. n°. 2.) qui reçoit une petite piece de fer terminée en vis. Cette vis (fig. 2. n° 3.) est destinée à entrer dans des trous tarraudés qui sont à la surface de dessous le levier (fig. 2. n° 4.) ; par ce moyen, le levier est fixé sur le chevalet par une charniere qui permet les mouvemens de bascule.

Si à raison d'un grand fracas d'os ou du peu d'étendue de la plaie, il étoit impossible de placer le point d'appui sur les os découverts, on a un plus grand chevalet dont les branches peuvent s'appuyer au-delà des bords de la plaie. Voyez la figure de ce nouvel élevatoire, Planc. XVII. fig. 2. n°. 1. on en trouve la description plus étendue dans le premier volume des mém. de l'acad. de Chirurg. Cet instrument a paru susceptible d'être perfectionné. On voit dans le second volume des mémoires de la même académie, des remarques sur la construction & l'usage de l'élevatoire de M. Petit, par un autre académicien. (Y)


ELEVES. m. (Philosoph. & Arts) celui qui est instruit & élevé par quelqu'un, qui est formé de la main d'un autre dans quelqu'art ou dans quelque science. On donna ce titre à Paris, lors de la fondation des académies des Sciences & des Inscriptions, aux sujets qui y étoient aggrégés, & qui travailloient de concert avec les pensionnaires. Mais ce mot d'éleve signifioit seulement moins d'ancienneté, & une espece de survivance ; cependant on lui a substitué depuis celui d'adjoint, qui est en effet beaucoup plus convenable.

On peut voir au mot ACADEMIE, par quelle raison ce titre mal sonnant d'éleve fut supprimé. On a mieux fait encore dans l'académie des Inscriptions que dans celle des Sciences ; on n'y a point fait de classe d'adjoints, & en général l'on a conservé beaucoup plus d'égalité dans la premiere de ces académies, que dans la seconde ; cependant cette égalité si précieuse & si essentielle dans les compagnies littéraires, n'est parfaite que dans l'académie françoise ; les grands seigneurs se trouvent honorés de n'y être admis qu'à titre de gens de Lettres, & de s'y voir placés à côté des Voltaire, des Montesquieu, des Fontenelle, &c. Il n'y a dans cette compagnie ni éleves, ni adjoints, ni associés, ni pensionnaires, ni honoraires ; on y est persuadé que les vrais honoraires d'une académie, sont ceux qui lui font honneur par leurs talens & par leurs ouvrages ; que tout le monde y est éleve, ou que personne ne l'est, parce qu'il n'y a personne, ou du moins qu'il ne doit y avoir personne qui n'y reçoive & qui n'y mette tout-à-la-fois ; que les pensions attachées à certains grades, & que les différens grades eux-mêmes ont de très-grands inconvéniens, sont nuisibles à l'égalité, à la liberté, à l'émulation, à l'union, & aux égards réciproques.

Le nom d'éleve est demeuré parfaitement consacré à la Peinture & à la Sculpture ; il signifie un disciple qui a été instruit & élevé dans l'école d'un célebre artiste : c'est pourquoi on se sert du mot d'école pour désigner les éleves d'un grand peintre ; & on dit dans ce sens, l'école de Raphael, du Titien, de Rubens. Voyez ECOLE, & l'article suivant. (O)


ELEVEREXHAUSSER, synonym. Le premier s'employe au propre & au figuré : élever une muraille, élever son esprit. Le second ne se dit qu'au propre, exhausser un plancher, un bâtiment ; mais par une bisarrerie de notre langue, relever & rehausser se disent tous deux au propre & au figuré : on releve une chose tombée, on rehausse une chose qui est trop basse ; on releve le mérite, on rehausse le courage. Article de M(D.J.)

ELEVER, v. act. terme d'Arithmétique & d'Algebre. On dit qu'on éleve un nombre au quarré, au cube, à la quatrieme puissance, &c. lorsqu'on en prend le quarré, le cube, la quatrieme puissance, &c. ainsi 2 élevé au quarré donne 4, au cube donne 8, &c. Voyez QUARRE, CUBE, PUISSANCE. Le mot d'élever s'employe dans ces occasions, parce que les nombres dont on prend le quarré, le cube, &c. augmentent par cette opération. Cependant on se sert aussi du mot élever, lorsque la puissance est moindre que l'unité, & que par conséquent le nombre diminue par l'opération. Par exemple, on dit élever à la puissance 1/2, 1/3, pour dire prendre la racine quarrée, la racine cube, &c. Voyez PUISSANCE & EXPOSANT. On se sert aussi du mot élever au quarré, au cube, en parlant des fractions, quoique par cette opération les fractions diminuent ; ainsi 1/2 élevé au quarré, donne 1/4 ; élevé au cube, donne 1/8. C'est ainsi qu'on se sert du mot multiplication dans les cas même où le produit est moindre que le multiplicande. Voyez MULTIPLICATION ; voyez aussi DIVISION. Des définitions exactes & précises levent en ce cas toute l'équivoque. (O)

ELEVER, S'ELEVER, (Marine) un vaisseau qui s'éleve, c'est-à-dire qu'il fait route pour s'éloigner de la côte & prendre le large. Il se dit aussi lorsqu'on veut tenir le vent & aller au plus près.

On dit s'élever en latitude, lorsque l'on fait route au nord ou au sud, ou à tel autre air de vent qui n'est pas précisément l'est ou l'oüest. (Z)

ELEVER, (Jardinage) La maniere d'élever les jeunes plantes, consiste dans les différens soins qu'on en doit prendre.

Ces soins consistent en trois choses, dans les labours, dans les arrosemens, & dans la maniere de les conduire les premieres années. Voyez LABOURS, ARROSER, EMONDER. (K)


ELEZER CARREAUXterme d'ancien monnoyage ; c'étoit la manutention qui aggrandissoit le carreau en le frappant sur l'enclume. Voyez FRAPPER CARREAU.


ELFELD(Géogr. mod.) ville de l'électorat du Rhin en Allemagne ; elle est à trois lieues de Mayence.


ELHAMMA(Géog. mod.) ville de la province de Tripoli propre en Afrique. Long. 28. 26. lat. 34.


ELIAQUESadj. pris subst. (Hist. anc.) mysteres ; c'étoient les mêmes que les mythriaques.


ELIGIBILITÉ(Jurispr.) terme de droit canonique qui signifie le pouvoir d'être élû. On appelle bulle d'éligibilité, celle que le pape accorde à quelques personnes pour pouvoir être élûes à quelque dignité, bénéfice ou office, pour lequel elles n'ont pas toutes les qualités & capacités requises, comme l'âge, l'ordre ; & dans quelques églises d'Allemagne celui qui n'est pas de gremio, ne peut être élû évêque sans une bulle d'éligibilité. (A)


ELIMINERv. act. (Algebre) Quelques auteurs commencent à se servir de ce mot pour dire chasser, faire évanoüir ou disparoître d'une ou plusieurs équations une ou plusieurs inconnues. Ce mot a été formé du latin éliminare, qui est beaucoup plus en usage. Le mot éliminer est forgé assez inutilement, puisque les mots chasser, faire évanoüir, faire disparoître, rendent précisément la même idée. Voyez EVANOUIR, EQUATION, INCONNUE, &c. (O)


ELINGUES. f. (Marine) grosse corde dont on lie bien fortement les deux bouts ensemble, desorte qu'elle forme le cerceau : ensuite on la lie par le milieu un côté contre l'autre, desorte qu'elle forme la figure d'un huit de chiffre composé de deux boucles. On se sert sur mer de cette corde pour embrasser & saisir les plus gros tonneaux de marchandises, un bout par une boucle, & l'autre bout par l'autre boucle ; puis passant un crochet entre les deux parties au milieu de la corde, on enleve ces tonneaux du fond de cale à la faveur de la moufle, & on les met à port.

Elingue à pattes, c'est celle qui n'a point de noeuds coulans, mais deux pattes de fer : on se sert de celle-là pour tirer du fond de cale les futailles pleines. (Z)


ELINGUETLINGUET, s. m. (Marine) c'est une piece de bois qui tourne horisontalement sur le pont d'un vaisseau ; elle a ordinairement un pié & demi ou deux piés de longueur, & sert à arrêter le cabestan, & empêcher qu'il ne dévire. Voyez Marine, Pl. IV. fig. 1. n°. 105. sa position.


ELISÉESvoyez ELYSEES.


ELISIONS. f. (Belles-Lettres) dans la prosodie latine, figure par laquelle la consonne m & toutes les voyelles & diphtongues qui se trouvent à la fin d'un mot, se retranchent lorsque le mot suivant commence par une voyelle ou diphtongue, comme dans ce vers :

Quod nisi & assiduis terram insectabere rastris,

qu'on scande de la sorte :

Quod nis' & | assidu | is ter | r'insec | tabere | rastris.

Quelquefois l'élision se fait de la fin d'un vers au commencement de l'autre, comme dans ceux-ci :

Quem non incusavi amens hominumque deorumque,

Aut quid in eversâ vidi crudelius urbe,

qu'on scande ainsi :

Quem non | incu | sav'a | mens homi | numque de | orum

Qu'aut quid in | ever | sâ, &c.

On doit éviter les élisions dures, & elles le sont ordinairement au premier & au sixieme pié.

Quelques-uns prétendent que l'élision est une licence poétique ; & d'autres, qu'elle est absolument nécessaire pour l'harmonie.

Les anciens Latins retranchoient aussi l's qui précédoit une consonne, comme dans ce vers d'Ennius :

Cur volito vivu' (pour vivus) per ora virûm.

L's & l'm leur paroissoient dures & rudes dans la prononciation, aussi les retrancherent-ils quand leur poésie commença à se polir. La même raison a déterminé les François à ne pas faire sentir leur e feminin, ou, pour mieux dire, muet, devant les mots qui commencent par une voyelle, afin d'éviter les hiatus. Voyez HIATUS & BAILLEMENT. (G)

Dans notre poésie françoise nous n'avons d'autre élision que celle de l'e muet devant une voyelle, tout autre concours de deux voyelles y est interdit ; regle qui peut paroître assez bizarre, pour deux raisons : la premiere, parce qu'il y a une grande quantité de mots au milieu desquels il y a concours de deux voyelles, & qu'il faudroit donc aussi par la même raison interdire ces mots à la poésie, puisqu'on ne sauroit les couper en deux : la seconde, c'est que le concours de deux voyelles est permis dans notre poésie, quand la seconde est précédée d'une h aspirée, comme dans ce héros, la hauteur ; c'est-à-dire que l'hiatus n'est permis que dans le cas où il est le plus rude à l'oreille. On peut remarquer aussi que l'hiatus est permis lorsque l'e muet est précédé d'une voyelle, comme dans immolée à mes yeux ; & que pour lors la voyelle qui précede l'e muet est plus marquée. Immolé à mes yeux n'est pas permis en poésie, & cependant est moins rude que l'autre : nouvelle bisarrerie.

Nous ignorons si dans la prose latine l'élision des voyelles avoit lieu ; il y a apparence neanmoins qu'on prononçoit la prose comme la poésie, & il est vraisemblable que les voyelles qui formoient l'élision en poésie, n'étoient point prononcées, ou l'étoient très-peu ; autrement la mesure & l'harmonie du vers en auroit souffert sensiblement. Mais pour décider cette question, il faudroit être au fait de la prononciation des anciens ; matiere totalement ignorée.

Dans notre prose les hiatus ne sont point défendus : il est vrai qu'une oreille délicate seroit choquée, s'ils étoient en trop grand nombre ; mais il seroit peut-être encore plus ridicule de vouloir les éviter tout-à-fait : ce seroit souvent le moyen d'énerver le style, de lui faire perdre sa vivacité, sa précision & sa facilité. Avec un peu d'oreille de la part de l'écrivain, les hiatus ne seront ni fréquens ni choquans dans sa prose.

On assûre que M. Leibnitz composa un jour une longue piece de vers latins, sans se permettre une seule élision : cette puérilité étoit indigne d'un si grand homme, & de son siecle. Cela étoit bon du tems de Charles-le-Chauve ou de Louis-le-Jeune, lorsqu'on faisoit des vers léonins, des vers latins rimés, des pieces de vers dont tous les mots commençoient par la même lettre, & autres sottises semblables. Faire des vers latins sans élision, c'est comme si on vouloit faire des vers françois sans se permettre d'e muet devant une voyelle. M. Leibnitz auroit eu plus d'honneur & de peine à faire les vers bons, supposé qu'un moderne puisse faire de bons vers latins. Voyez LATINITE. (O)


ELITES. f. (Commerce) signifie ce qu'il y a de meilleur ou de plus parfait dans chaque espece de marchandise. On dit des soies, des fils, des draps d'élite. Les marchandises d'élite sont toûjours plus cheres que les autres. Il a été transporté de-là à d'autres usages, & l'on dit aussi des hommes d'élite, &c. (G)


ELITERv. act. (Commerce) prendre le meilleur d'une chose. L'auteur du dictionnaire de Commerce pense que ce terme n'a guere lieu que parmi les petites marchandes des halles de Paris, comme de groseilles, cerises & autres fruits ; mais il est d'expérience qu'il est aussi usité parmi les autres marchands, & que cette expression, vous élitez ma marchandise, leur est également familiere. (G)

ELITER, v. act. (Jardinage) c'est choisir parmi les tulipes celles qu'il faut laisser grainer, ou celles qui s'étant portées à bien, sont dignes d'être placées l'année suivante parmi les belles. (K)


ELITROIDEadj. pris subst. (Anat.) c'est la même chose que vaginale : ainsi on dit la membrane élitroïde des testicules, au lieu de la membrane vaginale. Voyez TESTICULE.


ELIXATIONS. f. en Pharmacie, &c. opération par laquelle on fait boüillir quelque remede dans une liqueur convenable, & à petit feu ; c'est la même chose que ce que ceux qui apprêtent à manger appellent étuvée.

Ce mot est formé du latin lixare, boüillir, ou boüillir dans l'eau. La liqueur dont on se sert ordinairement dans les élixations, est d'eau de source ou de riviere, quoiqu'on s'y serve aussi quelquefois de lait, de petit-lait, ou d'autres choses semblables.

Le but qu'on se propose ordinairement dans les élixations, c'est d'extraire la vertu du remede, & de la communiquer à la liqueur ; quoiqu'on s'en serve aussi quelquefois pour dégager les parties des animaux, des plantes, &c. de leurs crudités, aussi-bien que pour les amollir, pour ôter aux alimens & aux remedes un goût desagréable ou quelqu'autre mauvaise qualité, pour en séparer les parties terreuses & grossieres, & dans d'autres vûes. Voyez EXTRACTION.

La décoction est aussi une espece d'élixation. Voyez DECOCTION. Chambers.


ELIXIRS. m. (Pharmacie & Matiere médicale) Le mot élixir dérive, selon quelques auteurs, du grec , je tire, parce que l'élixir se fait en tirant la partie vraiment médicamenteuse des simples ; selon d'autres de , je secours, à cause du grand secours qu'on se promet de ce remede ; d'autres enfin le font venir de l'arabe al-ecsir ou al-eksir, qui signifie Chimie ; selon cette derniere étymologie le mot élixir signifieroit une préparation chimique, un remede préparé chimiquement.

On entend par élixir, une liqueur ordinairement spiritueuse, chargée, soit par l'extraction, soit par la distillation, des parties médicamenteuses de plusieurs drogues, & destinée à l'usage intérieur. Ce remede n'est donc proprement qu'une teinture composée ou un esprit composé (voyez TEINTURE & ESPRIT) ; mais on n'a donné le nom d'élixir à quelques-unes de ces préparations, que lorsqu'on a prétendu qu'étant prises par gouttes ou par cuillerées, elles devoient produire les effets les plus merveilleux dans la guérison des maladies contre lesquelles les remedes ordinaires sont le plus souvent impuissans, telles que la peste, les affections soporeuses, les poisons prétendus froids, l'épilepsie, & les autres maladies convulsives, la syncope, la paralysie, l'impuissance, la suppression des regles, la fiévre quarte, &c. sans compter les digestions languissantes, les défauts d'appétit ; en un mot, quand on a célebré ces préparations comme possédant au plus haut degré la vertu alexitere, cordiale, nervine, tonique, antispasmodique, emmenagogue, fébrifuge, &c. c'est-à-dire lorsqu'on l'a à-peu-près érigée en remede universel.

Il ne paroît pas que les Grecs ni les Arabes ayent connu l'élixir : on ne trouve ni le mot ni la chose dans leurs ouvrages, si ce n'est chez les Alchimistes, qui donnoient le nom d'élixir à la pierre philosophale considérée comme medecine universelle ; ce qui nous porte à croire que l'élixir ne fut inventé qu'après qu'Arnaud de Villeneuve eut fait connoître l'esprit-de-vin, ou que Raimond Lulle l'eut employé dans divers travaux sur les végétaux.

Ce fut sur-tout depuis Paracelse que les élixirs se multiplierent. Il publia lui-même un élixir fameux, à l'imitation duquel les pharmaciens modernes ont composé celui qui est aujourd'hui en vogue sous le nom d'élixir de propriété de Paracelse. Tous les disciples de ce chimiste en composerent comme leur maître, & il n'est presque point d'auteur de Chimie médicinale, ou de medecin prétendant au titre de chimiste, qui n'ait donné quelqu'élixir particulier. Les charlatans ont sur-tout répandu un grand nombre d'élixirs ; & c'est sous cette forme, ou même sous ce nom, que les remedes tenus secrets ont fait le plus rapidement fortune, sur-tout chez les grands.

Les Medecins instruits savent à-présent que les élixirs les plus vantés, bien-loin d'être des secours presque surnaturels, sont à-peine des remedes, & que la plûpart ne different des liqueurs que l'on sert sur nos tables, qu'en ce que celles-ci sont rendues agréables au goût par le choix & la dose des aromates, & par le sucre ; que d'ailleurs toutes ces liqueurs agréables sont stomachiques & cordiales, seules propriétés réelles des élixirs ordinaires. Secondement, que presque tous les élixirs connus, qui sont les seuls que le medecin puisse ordonner, sont aussi semblables entr'eux, quant à leurs propriétés réelles, que toutes les liqueurs spiritueuses de nos tables sont semblables entr'elles. Troisiemement, que les élixirs purgatifs, qui seroient les seuls qui puissent différer essentiellement des élixirs purement aromatiques & des liqueurs, seroient des remedes le plus souvent pernicieux, toûjours inutiles ; car nous ne manquons pas de purgatifs de toutes les especes. Quatriemement, que les élixirs qu'on destineroit à réveiller ou à augmenter l'appétit vénérien, & l'aptitude à le satisfaire, seroient des secours au moins très-dangereux, & que le medecin ne pourroit par conséquent conseiller.

Pour toutes ces raisons l'usage des élixirs est peu commun dans la pratique de la Medecine dirigée par les Medecins ; & le nombre de ces élixirs usuels est borné à six ou sept, que la pharmacopée de Paris a retenus, & qu'on trouve ordinairement chez tous les Apothicaires de cette ville. Ces élixirs sont l'élixir de propriété de Paracelse, avec acide & sans acide, ce dernier distillé sous le nom d'élixir blanc ; l'élixir de Garus, l'élixir stomachique, & l'élixir de vitriol. Voici la description de l'élixir stomachique, & celle de l'élixir de vitriol, tirées de la pharmacopée de Paris : nous réservons celle de l'élixir de propriété & celle de l'élixir de Garus pour des articles particuliers qui suivront immédiatement celui-ci.

Elixir stomachique de la Pharmacopée de Paris. Prenez trois onces d'esprit carminatif de Sylvius, cinq onces d'esprit de menthe, une once d'eau de cannelle, une once d'eau de fleurs d'orange, quatre onces de teinture d'absinthe : mêlez le tout ensemble, & l'élixir sera fait : on le garde dans une bouteille fermée avec soin. Voyez la préparation de l'esprit carminatif de Sylvius au mot ESPRIT CARMINATIF DE SYLVIUS ; celle de l'esprit de menthe au mot MENTHE ; celle de l'eau de cannelle au mot CANNELLE.

Elixir de Vitriol. Prenez une demi-once de racine de calamus aromaticus, une demi-once de racine de gentiane, trois dragmes de fleurs de camomille romaine, deux dragmes de feuilles de petite absinthe, trois dragmes de feuilles de menthe frisée, une dragme & demie de cannelle, une dragme & demie de cubebes, une dragme & demie de noix muscade, une dragme & demie de gingembre : pulverisez le tout grossierement ; mettez-le dans un matras, & versez dessus quatre onces d'huile de vitriol : lorsque cette huile aura pénétré les matieres susdites, vous ajoûterez quatre onces d'esprit-de-vin rectifié, que vous ferez digérer pendant deux ou trois jours, après quoi vous verserez sur le tout douze autres onces d'esprit-de-vin rectifié, & vous laisserez digérer encore pendant quelques jours, après lesquels filtrez l'élixir, & le gardez dans une bouteille exactement fermée. (b)

Elixir de propriété de Paracelse. Dans la description que Paracelse a donnée de son élixir, il n'a point nommé le menstrue qu'il employoit, ou du moins il ne l'a désigné que sous un nom vague qui n'est entendu de personne ; c'est pourquoi il ne faut point être surpris si on trouve chez les auteurs, des descriptions de cet elixir si différentes les unes des autres, chacun ayant interpreté le mot de circulé (c'est ainsi que Paracelse appelle son menstrue) comme il l'a jugé à-propos, ou du moins chacun ayant voulu substituer un menstrue qui pût remplir les vûes de l'auteur.

La description de cet élixir que Crollius, célebre disciple de Paracelse, nous a donnée, a long-tems prévalu dans les Pharmacopées : mais cette loi pharmaceutique a été enfin abrogée ; & la préparation des pharmacopées modernes, qui porte encore le nom d'élixir de propriété de Paracelse, est très-différente de celle de Paracelse & de celle de Crollius : les voici toutes les trois.

Elixir de propriété de Paracelse. Archidox, lib. VIII. n° 6. de la myrrhe, de l'aloès hépatique, du safran, de chacun parties égales : faites circuler le tout au bain de sable, à une lente chaleur, pendant deux mois, après quoi retirez-en par la distillation à l'alembic une huile, que vous ferez digérer pendant un mois avec poids égal de circulé.

Elixir de propriété de Paracelse, tiré de la basilique chimique de Crollius. myrrhe d'Alexandrie, aloès hépatique, safran oriental, de chaque quatre onces. Ayant pulvérisé toutes ces drogues, mettez-les dans un matras ; humectez-les avec de bon esprit-de-vin alkoolisé, & versez ensuite dessus de l'huile de soufre tirée par la cloche, & rectifiée ; versez, dis-je, de cette huile jusqu'à ce qu'elle surpasse la matiere d'environ quatre doigts ; faites digérer & circuler pendant deux jours, après quoi vous retirerez par décantation la liqueur teinte & chargée de l'extrait des drogues. Reversez sur la matiere restante de bon esprit-de-vin, que vous circulerez pendant deux mois, après quoi vous retirerez la liqueur, qui sera encore colorée, & vous la mêlerez à la premiere. Distillez à petit feu les foeces restantes, & ajoûtez ce qui en distillera d'abord aux teintures susdites, & vous ferez circuler de nouveau le tout ensemble pendant un mois. Crollius ajoûte qu'il faut avoir soin de commencer par arroser les ingrédiens avec une suffisante quantité d'esprit-de-vin, pour les réduire en une forme de pâte ; ensuite de verser l'huile de soufre, autrement toute la matiere se brûleroit & deviendroit noire ; c'est, dit notre auteur, ce que Paracelse a caché avec soin.

Elixir de propriété de Paracelse, selon la Pharmacopée de Paris. teintures de myrrhe, quatre onces ; d'aloès, de safran, de chaque trois onces : versez ces teintures dans un matras ; faites-les digérer quelque tems, & gardez-les pour vous en servir au besoin.

Si on distille le mêlange, on aura l'élixir de propriété appellé dans les boutiques élixir blanc. Voyez Elixir de Garus.

Si on prend une once du premier élixir, & qu'on y ajoûte douze gouttes d'esprit-de-soufre, on aura l'élixir de propriété avec acide.

Paracelse attribuoit de grandes vertus à son élixir ; & Crollius dit d'après lui, que c'est le parfait élixir qui a toutes les vertus du baume naturel ; qu'il opere des prodiges dans les maladies de la poitrine & du poumon ; que c'est un excellent préservatif contre la peste & contre toutes les maladies qui peuvent être occasionnées par un air corrompu ; qu'il purge l'estomac de toutes mauvaises humeurs ; qu'il fortifie tous les visceres ; qu'il est spécifique dans le marasme, dans les catarrhes, & dans la toux ; qu'il prévient la paralysie & la goutte ; qu'il guérit la fiévre quarte, la mélancholie ; qu'il retarde la vieillesse, enfin que c'est un vulnéraire parfait. Aujourd'hui nous employons notre élixir de propriété comme un très-bon stomachique, comme un cordial ordinaire, comme un assez bon hystérique, & comme un excellent emmenagogue : on le fait quelquefois entrer dans les opiates fébrifuges, & on a remarqué qu'il ne contribuoit pas peu à les rendre efficaces. La dose de l'élixir de propriété préparé selon la pharmacopée de Paris, est depuis 10, 12, 15 gouttes jusqu'à un gros. Il est très-important d'observer qu'il ne faut pas pousser la dose de l'élixir de propriété audessus d'un gros, parce qu'une dose plus forte purgeroit le malade, ce qu'on ne se propose point dans le plus grand nombre de cas ; il y a même des personnes qui sont purgées à cette derniere dose.

On vante beaucoup dans les obstructions & dans toutes les maladies chroniques invétérées, l'élixir de propriété préparé avec de l'esprit-de-vin, qu'on a chargé de terre foliée de tartre jusqu'à saturation. Voyez TERRE FOLIEE DE TARTRE au mot TARTRE.

Elixir de Garus. L'élixir de Garus n'est autre chose, quant aux ingrédiens vraiment utiles, que l'élixir de propriété blanc (voyez Elixir de propriété) ; l'épicier de Paris, dont il porte le nom, n'a eu, pour s'enrichir en vendant sa liqueur au public, & son secret à l'état, qu'à mêler du sirop de capillaire à l'élixir de propriété blanc, & qu'à le déguiser par l'addition de quelques nouveaux aromates. La premiere opération est fort connue des garçons apothicaires, qui savent fort bien se procurer sur le champ des liqueurs fort agréables, en mêlant des eaux spiritueuses officinales & certains sirops simples, sur-tout le sirop de capillaire.

On trouve dans la pharmacopée de Paris, la description suivante de l'élixir de Garus, dont la composition est publique depuis plusieurs années.

aloès, deux onces & demie ; myrrhe, demi-once ; safran, deux gros ; cannelle, gérofle, noix muscade, de chaque un scrupule : pilez le tout, & le mettez dans un matras, dans lequel vous verserez esprit-de-vin rectifié, deux livres ; eau commune, deux onces : faites digérer pendant 12 heures, & retirez par la distillation au bain-marie tout l'esprit-de-vin.

Prenez l'esprit distillé, ajoûtez-y poids égal de sirop de capillaire, & tant-soit-peu d'eau de fleurs d'orange : mêlez exactement, & laissez reposer pendant quelques jours, au bout desquels vous verserez par inclination la liqueur de dessus les foeces, qui seront déposées au fond du vase où le mêlange aura été fait ; c'est ce qu'on appelle élixir de Garus.

Cet élixir ne differe pas même des liqueurs ordinaires par l'agrément du goût & du parfum qui distingue ces dernieres ; ce n'est ici absolument qu'une liqueur des plus agréables ; une legere odeur de myrrhe & de safran, & des autres aromates que l'esprit-de-vin a emportée dans la distillation, fait toute sa vertu particuliere, s'il en a réellement quelqu'une qui ne lui soit pas commune avec toutes les eaux spiritueuses aromatiques, ce dont on peut douter à très-juste titre ; les bons effets qu'il produit, quand ils seroient aussi réels & aussi multipliés qu'on le prétend ; tout cela, dis-je, ne pouvant pas fournir même la plus legere présomption en sa faveur, jusqu'à ce qu'on ait éprouvé dans les mêmes cas les autres préparations de la même classe. La même considération doit s'étendre à la plûpart des prétendus spécifiques, mis en vogue par des charlatans, adoptés par le public, & même par les medecins, sur la foi des observations ; car l'observation ne peut faire un titre de préférence, qu'après la comparaison des remedes analogues. En un mot une vertu absolue n'est pas la même chose qu'une vertu supérieure, éminente, & exclusive.

La matiere restante dans l'alembic après la distillation de l'élixir, étant passée à-travers une étamine & épaissie en consistance de pilules, peut fort bien remplacer les pilules de Rufus, qui sont décrites dans la pharmacopée de Paris. Voyez PILULES DE RUFUS. (b)

ELIXIR ou le GRAND ELIXIR, (Alchimie) c'est un des noms mystérieux que les Alchimistes ont donné à la pierre philosophale, sur tout lorsqu'ils l'ont considérée du côté de ses grandes vertus médicinales. Voyez PIERRE PHILOSOPHALE & PHILOSOPHIE HERMETIQUE. (b)


ELLE(Gramm.) pronom relatif féminin, sur lequel il ne sera pas inutile de dire un mot en faveur des étrangers qui étudient notre langue.

Il est certain, comme l'a remarqué le P. Bouhours, que elle au nominatif ne convient pas moins à la chose qu'à la personne ; & que l'on dit également bien d'une maison & d'une femme, elle est agréable : mais dans les cas obliques, elle ne convient pas à la chose comme à la personne, & on ne diroit pas en parlant d'un homme à qui la Philosophie plairoit extrêmement, il s'attache fort à elle, il est charmé d'elle ; il faut dire pour bien parler, il s'y attache fort, il en est charmé. On ne diroit pas aussi en parlant d'une victoire, j'ai fait un discours sur elle ; on diroit bien néanmoins, une action de cette importance traîne de grands avantages après elle.

Quoiqu'il n'y ait proprement que l'usage qui puisse nous instruire à fond là-dessus, & qu'il soit difficile de rendre raison pourquoi l'un se dit plûtôt que l'autre, on peut cependant marquer quelques occasions, où elle se met fort bien dans les cas obliques. Par exemple :

1°. Quand la chose se prend pour une personne ; si la vertu paroissoit à nos yeux avec toutes ses graces, nous serions tous charmés d'elle. 2°. Quand le mot elle est entrelacé dans la période & ne finit point le discours : ainsi je pourrois dire alors en parlant de la Philosophie, de toutes les Sciences c'est la plus utile ; c'est d'elle que les hommes ont appris à vivre ; c'est à elle qu'ils doivent leurs plus belles connoissances. 3°. Le pronom elle peut finir le discours, quand la phrase qu'on employe a rapport aux personnes : Il ne faut pas s'étonner, dit M. de la Rochefoucault en parlant de l'amour propre, s'il se joint quelquefois à la plus rude austérité, & s'il entre si hardiment en société avec elle. Le même écrivain a pû dire selon ce principe : la Philosophie triomphe aisement des maux passés, & de ceux qui ne sont pas prêts d'arriver ; mais les maux présens triomphent d'elle. Bouhours, remarques sur la langue françoise. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ELLÉBORE(Botaniq.) veratrum, plante médicinale, émétique & cathartique, dont les Botanistes ont établi deux genres sous le nom d'ellébore blanc, & d'ellébore noir. Nous allons parler de ces deux genres & de leurs especes. Commençons par l'ellébore blanc, dont voici les caracteres.

L'ellébore blanc est d'un genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond, du milieu desquels il sort un pistil qui devient dans la suite un fruit, dans lequel il y a ordinairement trois gaînes membraneuses rassemblées en bouquet, dans lesquelles il y a des semences oblongues qui ressemblent à des graines de froment, & qui sont bordées & pour ainsi dire entourées par une petite feuille. Tournef. inst. rei herb. Voyez PLANTE.

On distingue en Botanique les deux especes suivantes d'ellébore blanc.

1°. Veratrum flore subviridi, J. R. H. Helleborus albus flore subviridi, C. B. P. &c.

2°. Veratrum flore atro rubente, J. R. H. Helleborus albus flore atro rubente, C. B. P. &c.

La premiere espece pousse une tige haute de plus d'une coudée, cylindrique, droite, ferme, de laquelle naissent des feuilles placées alternativement de la figure de celles du plantin ou de la gentiane, de la longueur de deux palmes, presque aussi larges, toutes striées & comme plissées, un peu velues, d'un verd clair, un peu roides & entourant la tige par leur base, qui est en maniere de tuyau. Depuis environ le milieu de la tige jusqu'à son extrémité, sortent des grappes de belles fleurs, composées de six pétales disposés en rose, d'un verd blanchâtre : au milieu sont six étamines environnant le pistil, qui se change ensuite en un fruit, dans lequel sont ramassées en maniere de tête trois graines applaties, membraneuses, de la longueur d'un demi-pouce, contenant des semences oblongues, blanchâtres, semblables à des grains de blé, bordées d'une aîle ou feuillet membraneux.

La racine qui est d'usage en matiere médicale, est oblongue, tubéreuse, quelquefois plus grosse que le pouce, brune en-dehors, blanche en-dedans, accompagnée d'un grand nombre de fibres blanches, d'un goût âcre, un peu amer, un peu astringent, desagréable, & qui cause des nausées.

La seconde espece differe de la premiere en ce que ses fleurs sont d'un rouge noir ; ses feuilles plus longues, plus minces & plus penchées ; sa tige plus élevée, & garnie d'un petit nombre de feuilles : elle paroît aussi plûtôt au printems, & fleurit un mois avant l'autre. On la trouve dans toutes les montagnes de la France, & sur-tout dans les Alpes & dans les Pyrénées.

La premiere espece est beaucoup plus forte & plus âcre que l'autre ; car quand on les place dans le même voisinage, les limaçons dévorent entierement les feuilles de la seconde, tandis qu'ils touchent à peine à celles de la premiere.

Toutes les deux font un bel ornement, quand on les plante au milieu des bordures ouvertes d'un jardin. Si on les met près de haies ou de murailles, où les limaçons se tiennent ordinairement, ils en déparent singulierement les feuilles, sur-tout celles de la seconde espece, en les criblant de trous ; & comme la plus grande beauté de ces plantes consiste dans leurs feuilles déployées, dès qu'elles sont mangées & percées, le plaisir qu'elles donnent à l'oeil est entierement perdu.

On peut multiplier les deux ellébores blancs dont on vient de parler, ou en semant les graines, ou en plantant leurs racines dans un terrein riche, nouveau, & leger. La premiere méthode n'est guere d'usage, parce que ces plantes fleurissent rarement en moins de quatre ans ; mais la seconde méthode réussit à merveille, & fournit promtement de très-belles grappes de fleurs.

Parlons à présent de l'ellébore noir, & caractérisons-le distinctement.

L'ellébore noir est pareillement un genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond, du milieu desquels il sort un pistil dont la base est environnée de plusieurs petits cornets, posés entre les étamines & les pétales. Il devient dans la suite un fruit, dans lequel il y a des gaînes membraneuses qui sont rassemblées pour l'ordinaire en bouquets qui s'ouvrent d'un bout à l'autre, & qui renferment des semences ordinairement arrondies, ou ovoïdes. Tournefort, inst. rei herbar. Voyez PLANTE. (I)

Les Botanistes distinguent six especes principales d'ellébore noir ; savoir.

1°. Helleborus niger, angustioribus foliis, J. R. H. Helleborus niger foetidus flore roseo, C. B. P.

De sa racine naissent des feuilles, dont la queue qui a un empan de longueur, est cylindrique, épaisse, succulente, pointillée de taches de pourpre comme la tige de la grande serpentaire. Ses feuilles sont divisées jusqu'à leur queue, le plus souvent en neuf portions, en maniere de digitations, formant comme autant de petites feuilles roides, lisses, d'un verd foncé, & dentelées, surtout depuis le milieu jusqu'à l'extrémité.

On peut fort bien comparer chaque partie des feuilles de l'ellébore noir prises séparément, aux feuilles de laurier ; elle n'a point de tige, les fleurs sont uniques, ou il y en a deux soûtenues sur un pédicule de la longueur de quatre, cinq, ou six pouces : ces fleurs sont composées le plus souvent de cinq feuilles disposées en rose, arrondies, d'abord blanchâtres, ensuite purpurines, enfin verdâtres, sans aucun calice. Leur centre est rempli d'un grand nombre d'étamines, entre lesquels & ces feuilles se trouve une couronne de cinq, dix, ou quinze petits cornets jaunâtres, longs d'une ligne & demie, dont la bouche est coupée obliquement.

Au milieu des étamines est un pistil composé de cinq ou six gaînes, qui deviennent autant de gousses membraneuses, de figure de corne, ramassées en maniere de tête, renflées, roussâtres, dont le dos est saillant & comme bordé d'un feuillet, & terminé par une pointe recourbée : elles sont garnies de fibres demi-circulaires & transversales, qui en se contractant, s'ouvrent en deux panneaux du côté de la face interne ; par chaque gousse est véritablement un muscle digastrique, concave, dont le tendon fixe est placé extérieurement sur le dos de la gousse ; & celui qui est mobile est en-dedans, & à l'ouverture des panneaux. Les graines sont ovoïdes, longues de deux lignes ; luisantes, noirâtres, & rangées sur deux lignes dans la cavité de la silique.

La racine est tubéreuse, noüeuse, du sommet de laquelle sortent un grand nombre de fibres serrées, noires en-dehors, blanches en-dedans, d'un goût âcre mêlé de quelque amertume & excitant des nausées, d'une odeur forte lorsqu'elle est récente.

Cette plante naît dans les Alpes & dans les Pyrénées ; on la cultive communément dans les jardins, à cause de la beauté de ses fleurs.

2°. Helleborus niger orientalis amplissimo folio, caule praealto, flore purpurascente, Cor. J. R. H. Helleborus niger orientalis. Belon.

Ses racines sont semblables à celles de l'ellébore noir que nous venons de décrire, excepté qu'elles sont plus grosses, plus longues, sans odeur ni âcreté, & fort ameres. Les feuilles ont la même forme : mais elles sont plus amples, & presque de la longueur d'un pié. La tige a plus d'un pié : elle est branchue ; les fleurs en sont entierement semblables à celles de la premiere espece, aussi bien que les graines & les capsules.

C'est là l'ellébore que M. Tournefort croit être le vrai ellébore noir d'Hippocrate & des anciens, parce qu'il est très-commun dans les îles d'Anticyre qui sont vis-à-vis le mont Oeta, dans le golfe de Zéiton près de Négrepont ; mais encore plus sur les bords du Pont-Euxin, & sur-tout au pié du mont Olympe en Asie, proche la fameuse ville de Pruse. Les Turcs l'appellent Zoplème.

3°. Helleborus niger, hortensis, flore viridi, C. B. P.

Ses feuilles ressemblent à celles de celui de la premiere espece ; mais elles sont plus étroites, d'un verd plus foncé, & dentelées tout autour. Sa tige a environ un pié de hauteur, dont le sommet se partage en plusieurs petits rameaux, desquels pendent des fleurs plus petites, de couleur pâle. Les racines sont fibreuses, un peu plus grêles, & moins noires.

4°. Helleborus niger, flore albo, etiam interdum valde rubente.

5°. Helleborus niger, trifolicatus, Hort. Farn.

6°. Helleborus niger, flore roseo, minor Belgicus, H. R. Blaes.

Ces trois dernieres ne demandent point de description particuliere.

On cultive toutes les especes d'ellébore noir dans les jardins, où elles réussissent parfaitement à l'abri du Soleil ; & comme elles produisent leurs fleurs au milieu de l'hyver & avant la plûpart des autres plantes, on peut leur donner place dans les avenues, & dans les bordures qui sont à l'ombre. C'est-là qu'elles prosperent davantage.

On les multiplie, ou en en semant les graines, ou en plantant de leurs racines dans un terrein leger, humide, & sans fumier. Si on choisit de les multiplier par le secours des graines, la plante fleurira déjà au bout de la premiere année : mais il faut la préserver des mauvaises herbes, qui détruisent aisément ses racines. Voyez Miller sur leur culture. Article de M(D.J.)

ELLEBORE, (Pharm. & Mat. méd.) L'ellébore étoit fort usité chez les anciens qui en distinguoient de deux especes, le blanc & le noir. Hippocrate s'est servi de l'un & de l'autre, & Galien remarque que toutes les fois que ce pere de la Medecine se sert du mot ellébore sans y ajoûter d'épithete, il entend l'ellébore blanc : au lieu qu'il ne parle jamais du noir sans le spécifier. C'est la racine de ces plantes qui étoit seule en usage.

Le blanc étoit employé pour faire vomir & purger fortement, mais toûjours avec beaucoup de circonspection. Pline nous apprend qu'on ne le donnoit point aux vieillards, ni aux enfans, ni à ceux qui avoient le tempérament foible, non plus qu'à ceux qui étoient maigres & délicats, plus rarement aux femmes qu'aux hommes ; enfin qu'on ne le faisoit jamais prendre à ceux qui crachoient le sang, ni aux valétudinaires.

On préparoit diversement l'ellébore, pour tâcher de tempérer sa trop grande activité. Hippocrate veut qu'on le corrige avec le daucus, le séseli, le cumin, l'anis, ou quelqu'autres plantes odoriférantes. Voy. CORRECTIF. On le faisoit infuser dans la même vûe dans du moût, ou dans de l'hydromel.

Les maladies principales dans lesquelles les anciens faisoient prendre l'ellébore, étoient l'épilepsie, le vertige, la mélancholie, la lepre, la goutte, l'hydropisie : mais c'étoit sur-tout pour purger les fous qu'il étoit recommandé ; on disoit même en proverbe, navigare Anticyras, aller à Anticyre, pour dire aller chercher un remede contre la folie, parce que c'étoit de cette île que venoit le meilleur ellébore.

L'action de l'ellébore pris intérieurement, est des plus violentes ; il excite souvent les symptomes les plus fâcheux. Mesué dit que de son tems les hommes ne pouvoient supporter le blanc, & très-difficilement le noir qui étoit plus foible, & qu'on ne regardoit que comme purgatifs, le blanc étant reconnu pour un émétique violent. Aussi depuis que la Chimie nous a fourni des vomitifs sûrs & moins dangereux, en avons-nous absolument abandonné l'usage ; & nous n'avons aujourd'hui qu'une seule composition officinale où il entre ; savoir les pilules de Mathaeus ou de Starkei, qui sont décrites dans la pharmacopée de Paris : encore ne le donne-t-on dans cette composition qu'en assez petite dose, eu égard à la petite quantité que l'on fait prendre de ces pilules, où l'ellébore peut même être regardé comme puissamment corrigé par le savon, qui fait un des ingrédiens & l'excipient de cette préparation. V. PILULES DE STARKEI.

Nous employons aussi quelquefois l'ellébore blanc comme sternutatoire, & souvent on s'en est servi avec succès pour guérir la gale des animaux, comme chevaux, boeufs, &c. mêlé avec quelque graisse ou huile.

L'usage de l'ellébore noir est un peu plus fréquent parmi nous. On tire de sa racine, par le moyen de l'eau, un extrait qui entre dans les pilules balsamiques de Stahl. On trouve dans la pharmacopée de Paris un sirop d'ellébore, composé sous le nom de sirop de pomme elléborisé.

L'ellébore noir entre dans l'extrait panchimagogue de Crollius, dans les pilules de Starkei, dans les pilules tartareuses de Quercetan, dans la teinture de Mars elléborisée de Wedelius ; &c. mais on ne prescrit presque plus ni l'une ni l'autre de ces racines dans les préparations magistrales.

Au reste elles sont l'une & l'autre du genre des remedes dont l'activité est dûe à une partie volatile : aussi leur extrait préparé à la façon ordinaire ne participe-t-il que foiblement de cette vertu, ensorte qu'on peut ajoûter foi à ce que rapporte Oribasius dans son huitieme livre des collections médicinales ; savoir, que l'usage d'une forte décoction d'ellébore n'étoit jamais suivie des accidens funestes qui accompagnent l'action des purgatifs excessivement violens : quoique le même auteur observe dans le même livre, que ces accidens n'étoient qu'un effet trop commun de l'ellébore donné à la façon ordinaire, c'est-à-dire apparemment en substance, les précautions qu'on avoit coûtume de prendre d'avance contre ces dangers, sont présentées dans cet endroit sous un appareil si effrayant, qu'on ne conçoit guere comment il s'est pû trouver des malades assez hardis pour s'exposer à l'action de ce remede, ou, pour mieux dire, de ce poison.

La vertu purgative de l'ellébore est attestée dans les plus anciens fastes de la Medecine, on trouve parmi les faits placés dans ces tems reculés que notre chronologie n'atteint point, dans les siecles des héros, que Melampe berger, poëte, devin, & fils de roi, guérit les filles de Pratus devenues folles par la colere de Bacchus, ou par celle de Junon, en leur faisant prendre du lait de ses chevres, auxquelles il avoit fait manger de l'ellébore peu auparavant ; & qu'il s'avisa de cette ressource, parce qu'il avoit observé que ces chevres étoient purgées après avoir brouté cette plante. M. le Clerc remarque, dans son histoire de la Medecine, que c'est-là le plus ancien exemple que nous ayons de la purgation, & qu'on pourroit croire que c'est ce qui fit donner à Melampe le surnom de , celui qui purge ou purifie, qui semble marquer qu'il est le premier qui ait donné des purgatifs ; c'est de-là aussi que l'ellébore fut appellé melampodium. Voyez Dioscoride, liv. IV. c. clxxxj. Galien parle de cette cure de Melampe dans son livre de atrabile, c. vij ; & Pline, l. XXV. c. v.

Aulugelle nous a transmis une anecdote bien plus singuliere sur l'usage de l'ellébore. Il rapporte (c. xv. l. XVII.) que Carnéade l'académicien se disposant à écrire contre Zénon, se fit vomir vigoureusement avec de l'ellébore, de peur que les humeurs corrompues dans son estomac, ne laissassent échapper quelque chose qui parvînt jusqu'au siége de son ame, & en altérât les fonctions. (b)

Valere Maxime raconte cette histoire d'une maniere encore plus merveilleuse qu'Aulugelle. Il dit que Carnéade prenoit de l'ellébore toutes les fois qu'il devoit disputer avec Chrysippe, & il ajoûte que le succès de Carnéade fit rechercher ce purgatif par tous ceux qui aimoient les loüanges solides. Pline rapporte que Drusus, le plus renommé d'entre les tribuns du peuple, fut guéri de l'épilepsie dans l'île d'Anticyre, où l'on avoit coûtume d'aller pour le prendre avec plus de succès & de sûreté.

Encore est-il bon d'indiquer ici entre trois ou quatre Anticyres, ce que c'est aujourd'hui que l'Anticyre si fameuse, où tant de poëtes assignent aux fous un logement. Il faut donc distinguer Anticyre & Anticyrrhe. La premiere est une île du golfe de Zeiton, entre la Janna & la Livadie, d'où l'on tiroit le plus excellent ellébore. La seconde étoit une ville de la Livadie méridionale, sur le golfe de Lépante. On portoit à cette ville l'ellébore de l'île, & les Romains alloient l'y prendre. C'étoit là qu'on préparoit & qu'on corrigeoit ce remede de différentes manieres, nous connoissons même quelques-unes de ces corrections & de ces préparations. Actuarius rapporte celle-ci : on faisoit un peu macérer dans l'eau la partie fibreuse de la racine d'ellébore, en rejettant la tête ; en suite on séchoit à l'ombre l'écorce que l'on avoit séparée de la petite moëlle qu'elle renferme : on donnoit cette préparation avec des raisins secs ou de l'oximel, mêlé quelquefois avec des graines odoriférantes, afin que ce remede fût plus agréable.

Pline dit aussi, qu'on mêloit à Anticyre l'ellébore avec une certaine graine qui croissoit aux environs de la ville ; que l'on mettoit dans du vin doux une pincée de la graine avec une obole & demie d'ellébore blanc, & que ce remede purgeoit toute sorte de bile.

Les anciens employoient l'ellébore, non-seulement pour la bile, c'est-à-dire la mélancholie noire & pour la folie, mais encore, comme on l'a remarqué ci-dessus, pour l'hystérisme, la goutte, l'apoplexie, l'épilepsie, la ladrerie, la leucoflegmatie, l'hydropisie, en un mot pour toutes les maladies graves de l'ame & du corps.

Ce remede fut en usage dès la naissance de la Medecine : quelquefois Hippocrate le faisoit prendre à jeun ; mais il l'ordonnoit plus ordinairement après le souper, parce que, suivant M. le Clerc, l'ellébore mêlé avec les alimens dans l'estomac, y perdoit une partie de sa force stimulante : dans plusieurs cas Hippocrate donnoit le ; ce qui, selon le même savant, étoit une sorte de préparation d'ellébore, qui affoiblissoit son activité violente.

Herophile, Actuarius, Arétée, Celse, étoient fort prévenus en faveur de ce remede ; Dioscoride, qui en parle fort au long, nous instruit particulierement des cérémonies superstitieuses qu'observoient ceux qui le cueilloient en le tirant de terre.

On appliquoit extérieurement l'ellébore noir dans les maladies cutanées opiniâtres ; & Galien prétend que quand on en mettoit dans une fistule calleuse, il emportoit la callosité en deux ou trois jours.

Cependant malgré l'usage que les anciens faisoient de l'ellébore, les plus sages medecins n'avoient coûtume de l'employer qu'avec une très-grande précaution. Avant que de le donner aux adultes mêmes, qui étoient en état de le supporter, ils examinoient principalement deux choses ; l'une, si la maladie étoit invétérée ; l'autre, si les forces du malade se soûtenoient. Lorsque l'ellébore leur paroissoit convenir, ils ne l'administroient encore qu'après avoir préparé soigneusement le malade & le remede.

Ils préparoient le malade pendant sept jours, soit par la diete, soit par des remedes minoratifs ; Pline nous en instruit fort au long. De son tems, la préparation du remede, à Rome, consistoit à introduire les racines d'ellébore noir dans des morceaux de raifort, & de les faire cuire ensemble pour dissiper la trop grande force de l'ellébore. Alors les uns donnoient ces racines adoucies par l'ébullition, les autres faisoient manger les raiforts, & rejettoient les racines ; d'autres enfin faisoient boire au malade cette décoction qui purgeoit suffisamment.

Quoique les anciens ayent fait grand usage de leur ellébore, pour les maladies du corps & de l'ame, & que les plus sages l'ayent donné très-prudemment, ils l'ont décrit si obscurément, que nous ne reconnoissons plus celui qu'ils employoient. La description de Théophraste est en particulier trop tronquée & trop défectueuse, pour nous servir à découvrir l'ellébore dont il parle. Nous ne retrouvons point dans aucune de nos especes d'ellébore noir, celui de Dioscoride. Enfin l'oriental noir actuel d'Anticyre, ne quadre avec aucune des descriptions anciennes : c'étoit cependant le leur selon toute apparence, du moins a-t-il la même violence dans son action. Tournefort, qui en a fait l'épreuve, avoue que tous ceux à qui il en a donné l'extrait, étoient tourmentés de nausées, de pesanteur d'estomac avec acrimonie, jointe au soupçon de phlogose, qui menaçoit la gorge & les intestins : il ajoûte encore qu'ils avoient des douleurs de tête pendant plusieurs jours, avec des élancemens, & le tremblement de tous les membres, de sorte qu'il se vit obligé de s'abstenir de ce remede. La force de celui de notre pays, est bien moindre que dans l'Orient.

Mais quelle qu'elle soit, puisque nous possédons des purgatifs & des émétiques également efficaces, & beaucoup plus sûrs, tels que sont les préparations purgatives & vomitives de l'antimoine, il vaut mieux nous abstenir de l'usage de tout ellébore, outre que les corps des hommes qui vivent dans nos climats, ont de la peine à en supporter les effets. Qu'on ne dise point qu'on peut l'adoucir, le corriger avec des aromates, ou bien avec la crême de tartre, le sel de prunelle, les tamarins, l'oxymel, le suc de coing, & autres semblables ; il est bien simple de ne pas songer aux correctifs, dès qu'il est aisé de se passer de la plante même.

Concluons de ce principe, qu'il faut également proscrire toutes les préparations d'ellébore qui se trouvent dans les pharmacopées, sans dire ici que toutes les préparations galéniques & arabesques sont misérables en elles-mêmes.

Comme tout le monde sait que l'ellébore blanc est le plus fort, il est encore plus digne de la proscription que le noir. Cette plante a un suc caustique & brûlant, qui, respiré par les narines, excite un éternuement forcé, & c'est un des plus puissans sternutatoires dans les maladies soporeuses. Si l'on met de cette poudre à la source d'une fontaine, l'eau qui en découle purge violemment. Les feuilles, les tiges, les fleurs, & les racines de l'ellébore blanc appliquées sur la peau d'une personne vivante, excorient la partie, & y produisent une exulcération.

La seule saveur nauséabonde de l'ellébore, est un signe de sa vertu émétique ou purgative : celle de l'ellébore blanc, qui est fort âcre & fort amere, indique un purgatif très-actif ; aussi l'on place avec raison l'un & l'autre genre parmi les mochliques. Voy. MOCHLIQUE.

Vous trouverez dans les mém. de l'acad. des Sciences. année 1701, quelques expériences chimiques de M. Boulduc, sur la racine de l'ellébore noir. L'extrait de cette racine fait avec de l'eau, donne tout ce qu'on peut en tirer, & le résidu ne donne plus rien par l'esprit-de-vin.

Enfin, les curieux peuvent consulter, s'ils le jugent à propos, Holzemii (Petr.) essentia hellebori rediviva ; Coloniae, 1616. 8. Manelphi (Joan.) disceptatio de helleboro ; Romae, 1622. 8. Scobingeri (Joh. Casp.) dissert. de helleboro nigro ; Basil. 1721. in-4°. Castellus (Petrus) de elleboro apud Hippocratem & alios autores ; Romae, 1628. in-4°. Ce dernier ouvrage est rare, curieux, & savant. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ELLEBORINEBELLEBORINE, sub. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur anomale, composée de six pétales différens les uns des autres : les cinq du dessus sont disposés en rond ; celui du dessous est fait en forme de gouttiere. Le calice devient dans la suite un fruit qui ressemble en quelque façon à une lanterne ouverte de trois côtés, dont les panneaux sont chargés de semences aussi menues que de la sciure de bois. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les racines sont fibreuses. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


ELLERENA(Géog. mod.) ville de l'Estremadure de Léon en Espagne. Long. 12. 45. lat. 38. 8.


ELLIPSES. f. terme de Grammaire ; c'est une figure de construction, ainsi appellée du grec , manquement, omission : on parle par ellipse, lorsque l'on retranche des mots qui seroient nécessaires pour rendre la construction pleine. Ce retranchement est en usage dans la construction usuelle de toutes les langues ; il abrege le discours, & le rend plus vif & plus soûtenu : mais il doit être autorisé par l'usage ; ce qui arrive quand le retranchement n'apporte ni équivoque ni obscurité dans le discours, & qu'il ne donne pas à l'esprit la peine de deviner ce qu'on veut dire, & ne l'expose pas à se méprendre. Dans une phrase elliptique, les mots exprimés doivent réveiller l'idée de ceux qui sont sous-entendus, afin que l'esprit puisse par analogie faire la construction de toute la phrase, & appercevoir les divers rapports que les mots ont entr'eux : par exemple, lorsque nous lisons qu'un Romain demandoit à un autre, où allez-vous ? & que celui-ci répondoit ad castoris, la terminaison de castoris fait voir que ce génitif ne sauroit être le complément de la préposition ad, qu'ainsi il y a quelque mot de sous-entendu ; les circonstances font connoître que ce mot est aedem, & que par conséquent la construction pleine est eo ad aedem Castoris, je vais au temple de Castor.

L'ellipse fait bien voir la vérité de ce que nous avons dit de la pensée au mot DECLINAISON & au mot CONSTRUCTION. La pensée n'a qu'un instant, c'est un point de vûe de l'esprit ; mais il faut des mots pour la faire passer dans l'esprit des autres : or on retranche souvent ceux qui peuvent être aisément suppléés, & c'est l'ellipse. Voyez ELLIPTIQUE. (F)

ELLIPSE, s. f. en Géométrie, est une des sections coniques qu'on appelle vulgairement ovale. Voyez CONIQUE & OVALE.

L'ellipse s'engendre dans le cone, en coupant un cone droit par un plan qui traverse ce cone obliquement, c'est-à-dire non parallelement à la base, qui ne passe point par le sommet, & qui ne rencontre la base qu'étant prolongé hors du cone, ou qui ne fasse tout-au-plus que raser cette base. La condition que le cone soit droit, est nécessaire pour que la courbe formée comme on vient de le dire, soit toûjours une ellipse ; car si le cone est oblique, en coupant ce cone obliquement, on peut quelquefois y former un cercle (voyez la fin de l'article CONIQUE, & SOUS-CONTRAIRE ou ANTI-PARALLELE, au mot PARALLELE) ; or la nature de l'ellipse est d'être ovale, c'est-à-dire d'avoir deux axes inégaux.

Ce mot est formé du grec , défaut ; les anciens géometres grecs ont donné ce nom à cette figure, parce que entr'autres propriétés, elle a celle-ci, que les quarrés des ordonnées sont moindres que les rectangles formés sous les parametres & que les abscisses, ou leur sont inégaux par défaut.

En effet l'équation de l'ellipse, en prenant les abscisses au sommet, est celle-ci y y = (a x - x x) x b/a, a étant l'axe, & b son parametre. (voyez PARAMETRE, COURBE, & EQUATION ; voyez aussi la suite de cet article) ; donc y y < b x; donc, &c. Voy. enfin PARABOLE & HYPERBOLE.

L'ellipse, pour la définir par sa forme, est une ligne courbe, rentrante, continue, réguliere, qui renferme un espace plus long que large, & dans laquelle se trouvent deux points également distans des deux extrémités de sa longueur, & tels, que si on tire de ces points deux lignes à un point quelconque de l'ellipse, leur somme est égale à la longueur de l'ellipse. Ces deux points sont éloignés de l'extrémité du petit axe d'une quantité égale à la moitié du grand axe.

Ainsi dans l'ellipse A E B D A (Planche de sect. conique, fig. 21.) les lignes F a & F a, tirées des deux points F, f, également distans des deux points A & B, forment une somme égale à A B ; & la distance des points F, f, au point E, est = C A.

Souvent les Géometres prennent l'ellipse pour l'espace contenu ou renfermé dans cette courbe. Elle a, comme on vient de le dire, deux axes inégaux A B & E D. Le grand axe A B s'appelle quelquefois axe ou diametre transverse, & le petit axe D E s'appelle quelquefois l'axe conjugué ou second axe. Mais on appelle en général diamêtres conjugués ceux dont l'un est parallele à la tangente menée à l'extrémité de l'autre, & réciproquement, soit que leurs angles soient droits, ou non. Les deux axes se coupent toûjours à angles droits. Voyez AXE.

Les deux axes sont le plus grand & le moindre des diamêtres de l'ellipse ; mais l'ellipse a une infinité d'autres diamêtres différens. Voyez DIAMETRE &c.

Le centre d'une ellipse est le point C dans lequel se coupent les deux axes. Voyez CENTRE.

Les deux points F, f, pris dans le grand axe, également distans de ses deux extrémités A & B, & distans chacun du point D de la valeur de A C, sont nommés foyers de l'ellipse, ou en latin umbilici. Voy. FOYER.

Mais l'ellipse considérée comme une section conique, c'est-à-dire comme une courbe provenant de la section d'un cone, se définit encore mieux par sa génération dans ce solide, que par la maniere dont elle peut être produite sur un plan. C'est la ligne courbe D Q E qu'on forme en coupant le cone droit A B C (fig. 21. n. 2.) de la maniere expliquée ci-dessus.

Ou en la définissant par une de ses propriétés supposée connue, c'est une ligne courbe dans laquelle le quarré de la demi-ordonnée P M (fig. 21.) est au rectangle des segmens A P, & B P de l'axe, comme le parametre est à l'axe ; ainsi supposant A B = a, le parametre = b, P M = y, A P = x, on aura b : a : : y y : a x - x x, & par conséquent a y y = a b x - b x x.

Nous ne donnons point la démonstration de cette propriété, parce qu'elle se trouve par-tout. Nous avons exposé les différentes définitions qu'on peut donner de l'ellipse, & cette derniere propriété peut être regardée, si l'on veut, comme une des définitions qu'on peut en donner ; auquel cas la démonstration en seroit superflue. Mais la meilleure maniere de traiter de l'ellipse & de toutes les sections coniques géométriquement, est de les considérer d'abord dans le cone, d'en déduire leur équation, & de les transporter de-là sur le plan, pour considérer plus facilement leurs propriétés, & pour trouver, si l'on veut, la maniere de les décrire par un mouvement continu, ou par plusieurs points. Ainsi des propriétés de l'ellipse transportée & considérée sur le plan, résulte la description de l'ellipse telle que nous l'avons donnée au mot CONIQUE.

J'ai dit que la meilleure maniere de traiter géométriquement les sections coniques, & en particulier l'ellipse, étoit de les faire naître dans le cone ; car si on veut les considérer algébriquement par la nature & les différences de leurs équations, la meilleure maniere est celle dont j'ai parlé au mot CONIQUE. Voy. aussi les articles COURBE & CONSTRUCTION.

Si on prenoit les abscisses x au centre C, on trouveroit y y = (aa /4 - x x) X b/a. Quelquefois cette équation est plus commode que a y y = a b x - b x x.

De cette derniere équation il s'ensuit, 1°. que y y = b x - (b x x)/a, c'est-à-dire que le quarré de la demi-ordonnée est égal au rectangle du parametre par l'abscisse, moins un autre rectangle formé par la même abscisse, une quatrieme proportionnelle à l'axe, au parametre, & à l'abscisse.

2°. Le parametre, l'abscisse, & la demi-ordonnée d'une ellipse, étant donnés, on trouvera l'axe en faisant ces proportions b : y : : y : (y y)/b, & x - (y y)/b : x : : x : a. Voyez CONSTRUCTION.

3° L'abscisse A P, l'axe A B, & l'ordonnée P M, étant donnés, on trouve le parametre en faisant b = (a y y)/(a x - x x), & construisant ensuite cette valeur de b suivant les regles expliquées au mot CONSTRUCTION.

4° Si du grand axe A B comme diametre (figure 22.), on décrit un cercle A C B, & que par le foyer F on mene F C ordonnée à l'axe, F C sera la moitié du petit axe, & F D la moitié du parametre du grand axe. Car l'abscisse G F = (F E2 - G E2) = (aa/4 - p a/4), p a étant le quarré du petit axe. V. PARAMETRE & FOYER. Or C F2 = (a a) /4 - G F2, par la propriété du cercle ; donc C F = = la moitié du petit axe. Or C F2 est à D F2, comme la moitié du grand axe est au demi-parametre, c'est-à-dire comme le quarré de la moitié du petit axe est au quarré de la moitié du parametre ; donc D F = la moitié du parametre. Le cercle qui a pour diamêtre le grand axe de l'ellipse, est appellé circonscrit à l'ellipse ; le cercle qui a pour diamêtre le petit axe, est appellé cercle inscrit : en effet le premier de ces cercles est extérieur, le second intérieur à l'ellipse.

5°. Le parametre & l'axe A B étant donnés, on trouvera facilement l'axe conjugué, puisque c'est une moyenne proportionnelle entre l'axe & le parametre ; à quoi il faut ajoûter que le quarré du demi-axe conjugué est égal au rectangle formé sur B f & f A (fig. 21.) ou sur A F & B F.

6°. Dans une ellipse quelconque, les quarrés des demi-ordonnées P M, p m, &c. sont entr'eux comme les rectangles formés sur les segmens de l'axe : d'où il s'ensuit que D C2 : P M2 : : C B2 : A P x B P, & par conséquent D C2 : B C2 : : P M2 : A P x B P ; c'est-à-dire que le quarré du petit axe est au quarré du grand, comme le quarré de la demi-ordonnée est au rectangle formé sur les segmens de l'axe.

7°. La droite F D (fig. 24.) tirée du foyer F à l'extrémité du demi-axe conjugué, étant égale à la moitié de l'axe transverse A C, il s'ensuit que les axes conjugués étant donnés, on peut aisément déterminer les foyers. Pour cela on coupera le grand axe A B en deux parties égales en C, on élevera du point C la perpendiculaire C D égale au demi-axe conjugué ; enfin du point D pris pour centre, & de l'intervalle C A, on décrira un arc de cercle, il déterminera les foyers F & f par ses intersections avec le grand axe.

8°. Comme la somme des deux droites F M & f M, tirées des deux points F & f, au même point de la circonférence M, est toûjours égale au grand axe A B, il s'ensuit de-là que les axes conjugués d'une ellipse étant donnés, on peut facilement décrire l'ellipse. Voyez CONIQUE.

9°. Le rectangle formé sur les segmens de l'axe conjugué est au quarré de la demi-ordonnée, comme le quarré de l'axe conjugué est au quarré du grand axe ; d'où il s'ensuit que les coordonnées à l'axe conjugué ont entr'elles un rapport analogue à celui qui regne entre les coordonnées au grand axe.

10°. Pour déterminer la soûtangente P T (figure 23.) & la soûnormale P R dans une ellipse quelconque, on fera : comme le premier axe est au parametre, ainsi la distance de la demi-ordonnée au centre est à la soûnormale. Voyez SOUNORMALE.

11°. Le rectangle sous les segmens de l'axe est égal au rectangle formé de la distance de la demi-ordonnée au centre & de la soûtangente. Voyez SOUTANGENTE.

12°. Le rectangle fait de la soûtangente & de la distance de l'ordonnée au centre, est égal à la différence du quarré de cette distance & du quarré du demi-axe transverse.

13°. Dans toute ellipse le quarré de la demi-ordonnée à un diametre quelconque, est au quarré du demi-diametre conjugué, comme le rectangle fait sous les segmens du diametre est au quarré du diametre ; & par conséquent le rapport des demi-ordonnées des diametres est le même que celui des ordonnées des axes ; le parametre d'un diametre quelconque est aussi une troisieme proportionnelle à ce diametre & à son conjugué.

Nous avons rapporté ces propriétés de l'ellipse la plûpart sans démonstration, pour deux raisons : la premiere, afin que le lecteur ait sous les yeux dans un assez petit espace les principales propriétés de l'ellipse, auxquelles il peut joindre celles dont on a déjà fait mention à l'article CONIQUE. La seconde raison est de donner au lecteur l'occasion de s'exercer en cherchant la démonstration de ces propriétés. Toutes celles que nous venons d'énoncer se déduisent aisément de l'équation y y = (a x - x x) b/a ou ((a a) /4 - x x) b/a, selon qu'on prendra les abscisses au centre ou au sommet, pour démontrer plus simplement ces propriétés. Pour démontrer les propriétés des foyers, on nommera C F (fig. 21.) f ; & on remarquera que si e est le second axe, on aura (a a) /4 ff = (e e) /4 = (p a) /4. En voilà plus qu'il n'en faut pour mettre le lecteur sur la voie. On peut remarquer ici en passant que le cercle est un espece d'ellipse dans laquelle les foyers coïncident avec le centre.

Pour trouver les tangentes de l'ellipse, rien n'est plus simple & plus commode que d'employer la méthode du calcul différentiel ; on a y y = b x - (b x x)/a ; donc 2 y d y = b d x - (2 b x d x)/a ; donc la soûtangente y d x/d y = . Voyez les articles SOUTANGENTE & TANGENTE. A l'egard de la soûperpendiculaire ou soûnormale, elle est (y d y)/(d x) ou y b/2 y - 2 b x y/2 a y = b/2 - b x/a. En voilà assez pour démontrer les propositions énoncées ci-dessus au sujet des tangentes de l'ellipse.

Nous avons déjà vû au mot CONIQUE, & nous prouverons encore au mot QUADRATURE, que la quadrature de l'ellipse dépend de celle du cercle, puisque l'ellipse est au cercle circonscrit en raison du petit axe au grand. A l'égard de la rectification de l'ellipse, c'est un problème d'un genre supérieur à celui de la quadrature du cercle, ou du moins tout-à-fait indépendant de cette quadrature. Voyez RECTIFICATION ; voyez aussi dans les mémoires que j'ai donnés à l'académie de Berlin pour l'année 1746, & dans le traité du calcul intégral de M. de Bougainville le jeune, les différentielles qui se rapportent à la rectification de l'ellipse.

Au lieu de rapporter l'ellipse à des coordonnées rectangles ou à des ordonnées paralleles, on peut considérer son équation par rapport à l'angle que font avec l'axe les lignes menées du foyer. Cette considération est utile dans l'Astronomie, parce que les planetes, comme l'on sait, décrivent des ellipses dont le soleil est le foyer. Or si on nomme a la moitié du grand axe d'une ellipse, f la distance du foyer au centre, q le cosinus de l'angle qu'une ligne menée du foyer à l'ellipse, fait avec l'axe, r la longueur de cette ligne ; on aura r = (aa - ff)/(a - f q), si on rapporte l'équation au foyer le plus éloigné, & r = (a a - f f)/(a + f q), si on la rapporte au foyer le plus proche. De-là on peut tirer la solution de plusieurs problèmes astronomiques, comme de décrire une ellipse dans laquelle trois distances au foyer sont données, &c. Voyez les mémoires de l'académ. de Berlin pour l'année 1747, & plusieurs autres ouvrages d'Astronomie.

Mais la maniere la plus générale de considérer l'ellipse en Géométrie, est de la considérer par l'équation aux ordonnées paralleles. Nous allons entrer dans quelques considérations sur ce sujet, qui pourront être utiles aux commençans, peut-être même aux géometres plus avancés.

L'équation d'une ellipse rapportée aux axes, les coordonnées étant prises au centre, est y y = k - g x x, k exprimant un quarré ou rectangle connu, & g un nombre constant & connu ; cela résulte de ce qu'on a vû ci-dessus. Transformons les axes de cette courbe, de maniere qu'ils ne soient plus rectangles, si on veut, mais qu'ils ayent la même origine, & servons-nous pour cela des regles expliquées aux articles COURBE & TRANSFORMATION, on verra qu'en supposant un des axes dans une position quelconque, il sera possible de donner une telle position à l'autre, que l'équation transformée soit de cette forme u u = m - n z z, m & n marquant aussi des constantes déterminées. En effet supposons que l'angle des premiers axes soit droit, que E soit l'angle du nouvel axe avec l'un des axes primitifs, & F l'angle que l'axe cherché fait avec l'axe conjugué à l'axe primitif ; soit sinus E = e, cosinus E = , on aura sinus 90 + E = , cosin. 90 + E = - e ; soit sinus F = f, & cosinus F = , on trouvera + (x - ) sin. E/sinus 90 + E - F = u, & (x - = z. Or sinus 90 + E - F = sin. 90 + e x - f cosin. 90 + E (voyez SINUS) = x + f e. Substituant ces valeurs, & chassant x & y, on aura une équation en z & en u, qui sera la transformée de l'équation y y = k - g x x ; & supposant dans cette transformée que les termes où se trouve u z se détruisent, on aura la valeur de f en e convenable pour cela, & l'équation u u = m - n z z. Cela posé,

Il est visible que pour chaque z, u a toûjours deux valeurs égales, l'une positive, l'autre négative ; que lorsque z = m/n, on a u = 0 dans chacune de ces deux valeurs, & qu'ainsi la tangente à l'extrémité d'un des deux axes est parallele à l'autre axe, & réciproquement ; car la tangente est une ordonnée qui coupe la courbe en deux points coïncidens. Voyez TANGENTE & COURBE. On verra de plus que f = 0 rend e = 0 ; que f = 1 rend e = 1, 1 représentant le sinus total ; que f = - 1 rend e = - 1, & qu'ainsi il n'y a que deux axes dans l'ellipse qui se coupent à angles droits ; mais que f = ± r, r étant moindre que 1, donne deux valeurs de e aussi égales entr'elles, & qu'ainsi il y a toûjours deux diametres différens qui font avec leur conjugué le même angle, si cet angle est moindre qu'un droit. On peut aussi déduire des valeurs de f en e, & de celles de m & n, que le rectangle des deux axes est égal au parallélogramme formé sur deux diamêtres conjugués, & que le quarré des deux axes est égal au quarré des deux diamêtres. Mais ces propositions peuvent encore se démontrer de la maniere suivante, qui est bien plus simple.

Pour démontrer que les parallélogrammes formés autour des deux diamêtres conjugués sont égaux, imaginez un diamêtre infiniment proche d'un des conjugués, & ensuite imaginez le conjugué à ce diamêtre infiniment proche. Achevez les deux parallélogrammes, ou plûtôt le quart de ces parallélogrammes, vous verrez à l'instant, & pour ainsi dire à l'oeil, par le parallélisme des tangentes aux diamêtres conjugués, que ces deux parallélogrammes infiniment proches sont égaux ; leur différence, s'il y en avoit, ne pouvant être qu'infiniment petite du second ordre par rapport à eux. Donc, &c.

Pour démontrer maintenant que la somme des quarrés des diamêtres conjugués est constante, conservez la même figure, appellez a un des demi-diamêtres, b son conjugué, a + d a, le demi-diamêtre infiniment proche de a, b - d b le demi-diamêtre conjugué ; il faut donc prouver que a a + b b = a a + 2 a d a + b b - 2 b d b (voyez DIFFERENTIEL) ou que a d a = b d b. Or traçant du centre de l'ellipse & des rayons a, b, deux petits arcs de cercle x, z, on verra d'abord évidemment que les deux quarts d'ellipse renfermés entre les demi-diamêtres conjugués, sont égaux, & qu'ainsi a x = b z. Or x est à d a & z est à d b, comme le sinus de l'angle des diamêtres est au cosinus du même angle ; donc x : d a : : z : d b ; donc puisque a x = b z, on aura a d a = b d b.

On objectera peut-être que ces deux démonstrations sont tirées de la considération des quantités infiniment petites, c'est-à-dire d'une géométrie transcendante supérieure à celle des sections coniques. Je réponds que les principes de cette géométrie sont simples & clairs, & qu'ils doivent être préférés dès qu'ils fournissent le moyen de démontrer plus aisément. Voy. INFINI & DIFFERENTIEL. En effet, pourquoi ne mettra-t-on pas à la tête d'un traité des sections coniques des principes de calcul différentiel, lorsque ces principes simplifieront & abregeront les démonstrations ? J'ose dire que l'opinion contraire ne seroit qu'un préjugé mal fondé. Il y a cent raisons pour la détruire, & pas une pour la soûtenir. Les principes de la géométrie de l'infini étant applicables à tout, on ne sauroit les donner trop tôt ; & il est bien aisé de les expliquer nettement. On doit traiter le problème des tangentes d'une courbe par le calcul différentiel, celui de la quadrature & de sa rectification par le calcul intégral, & ainsi du reste, parce que ces méthodes sont les plus simples & les plus aisées à retenir. Voyez ELEMENS & MATHEMATIQUES.

La maniere dont nous venons de démontrer l'égalité des parallélogrammes circonscrits à l'ellipse, a donné occasion à M. Euler de chercher les courbes qui peuvent avoir une propriété semblable. Voyez les mém. de Berlin, année 1745.

Au lieu de considérer d'abord l'ellipse par rapport à ses axes, on peut la considérer, comme nous avons fait dans l'article CONIQUE, par rapport à son équation envisagée de la maniere la plus générale. Cette équation, comme on le peut voir à l'article cité, se réduira toûjours à l'équation des diamêtres u u = m - n z z, ne faisant même changer de position qu'une des coordonnées. Voyez COURBE, &c.

Le sphéroïde formé par une ellipse autour de son axe, est à la sphere qui a cet axe pour diamêtre, comme le quarré de l'axe est au quarré de son conjugué ; c'est une suite du rapport des ordonnées correspondantes de l'ellipse & du cercle qui a le même axe. Voyez SPHEROÏDE ; voyez aussi les articles COEUR (Géométrie) & CONOÏDE.

Nous avons dit ci-dessus & au mot CONIQUE, comment on décrit l'ellipse par un mouvement continu ; cette maniere de la décrire est la plus simple qu'on puisse employer sur le terrein, & même sur le papier : mais toutes les descriptions organiques de courbes sur le papier sont incommodes. Voyez COMPAS ELLIPTIQUE. La description par plusieurs points doit être préférée. Voyez DESCRIPTION & COURBE. On peut décrire l'ellipse par plusieurs points, en divisant en raison du petit axe au grand les ordonnées du cercle circonscrit. Voyez à la fin du II. livre des sections coniques de M. de l'Hopital, plusieurs autres méthodes très-simples de décrire l'ellipse par plusieurs points. Il y a des géometres qui enseignent à décrire l'ellipse sur le papier par un mouvement continu, suivant la méthode qui sera expliquée à l'article OVALE : mais cette méthode est fautive : ce n'est point une ellipse qu'on décrit, c'est un composé d'arcs de cercle qui forment une ovale à la vûe, & qui n'est pas même proprement une courbe géométrique. Aucune portion d'ellipse n'est un arc de cercle. La preuve en est, que le rayon de la développée de cette courbe n'est constant en aucun endroit. On peut le démontrer d'une infinité d'autres manieres. Voyez DEVELOPPEE & OSCULATEUR.

On a déjà dit un mot de l'usage de l'ellipse dans l'Astronomie, & on a vû ci-dessus que z étant l'anomalie vraie, a la distance moyenne, & f l'excentricité (Voyez ANOMALIE & EXCENTRICITE), on a la distance r de la planete au foyer = (a a - f f)/(a - f cos. z) ; or supposant f très-petite par rapport à a, on peut aisément réduire en série cette valeur de r. Voyez BINOME, DEVELOPPEMENT, & SERIE ; de plus l'élément du secteur qui représente l'anomalie moyenne (Voyez LOI DE KEPLER & ANOMALIE) est proportionnel à d z (a a - f f)2/(a - f cos. z)2 ; d'où il est aisé de conclure par les séries & le calcul intégral, que si est l'anomalie moyenne, on aura = z + 2 f sin. z + 3 f f/4 sin. 3 z + f3/3 sin. 3 z, &c. & par la méthode du retour des suites (Voyez SUITE & RETOUR), on aura z = - 2 f sin. + (5 f2/4) sin. 2 - (13 f3/12) sin. 3 - (f3 sin. )/4, &c. ainsi on a également la valeur de l'anomalie moyenne par la vraie, ou celle de la vraie par la moyenne, ce qui donne la solution du problème de Kepler développé au mot ANOMALIE. J'ai mis ici ces formules, afin que les Astronomes puissent s'en servir au besoin. Voyez EQUATION DU CENTRE.

Si l'ellipse est peu excentrique, & qu'une des lignes menées au foyer soit a + z, l'autre sera a - z, z étant une très-petite quantité ; donc le produit aa - z z de ces deux lignes peut être regardé comme constant & égal à a a, à cause de la petitesse de z z. Or si des deux extrémités d'un arc infiniment petit d'ellipse on mene des lignes à chaque foyer, on trouvera, après avoir décrit de petits arcs du foyer comme centre & des rayons a + z, a - z, que ces petits arcs sont égaux ; nommant donc chacun de ces petits arcs, on trouvera que le secteur qui a a + z pour rayon, est (a + z)/2, & que l'angle qui a a - z pour rayon, est / (a - z) ; donc le rapport du secteur à l'angle est (a a - z z) /2 ; donc il peut être censé constant, sur quoi voyez l'article suivant ELLIPSE de M. Cassini.

De ce que la somme des lignes menées aux foyers est constante, il s'ensuit, comme il est aisé de le voir, que menant deux lignes d'un même point aux deux foyers, la différentielle de l'une est égale à la différentielle de l'autre prise négativement. Or on conclura de-là très-aisément, & par la plus simple géométrie élémentaire, que les deux lignes dont il s'agit font des angles égaux avec la tangente qui passe par le point d'où elles partent. Donc un corps partant du foyer d'une ellipse & choquant la surface, sera renvoyé à l'autre foyer. Voyez REFLEXION. De-là l'usage de cette propriété dans l'Acoustique & dans l'Optique. Voyez MIROIR, ECHO, CABINETS SECRETS. Voilà encore une propriété de l'ellipse que le calcul différentiel, ou plûtôt le simple principe de ce calcul démontre très-élégamment & très-simplement. Si les deux foyers d'une ellipse s'éloignent jusqu'à arriver aux extrémités du grand axe, l'ellipse devient alors une ligne droite ; & si un des foyers restant en place, l'autre s'en éloigne à l'infini, elle devient parabole. Voyez PARABOLE.

Ellipses à l'infini ou de tous les genres, ce sont celles qui sont désignées par les équations générales a ym + n = b xm X n, & que quelques-uns appellent elliptoïdes. Voyez ELLIPTOÏDE. Mais ces mots ou façons de parler sont peu en usage.

L'ellipse ordinaire est nommée ellipse apollonienne ou d'Apollonius, quand on la compare à celles-ci, ou qu'on veut l'en distinguer. V. APOLLONIEN. (O)

ELLIPSE de M. Cassini, autrement nommée cassinoïde, est une courbe que feu M. Jean Dominique Cassini avoit imaginée pour expliquer les mouvemens des planetes ; cette courbe a deux foyers F, f (fig. 24.), dont la propriété est telle que le produit F M x M f de deux lignes quelconques menées de ces foyers à un point quelconque M de la courbe, est toûjours égal à une quantité constante ; au lieu que dans l'ellipse ordinaire ou d'Appollonius, c'est la somme de ces lignes, & non leur produit, qui est égale à une quantité constante. M. l'abbé de Gua dans ses usages de l'analyse de Descartes, a déterminé les principales propriétés de cette courbe. Il y examine les différentes figures qu'elle peut avoir, & dont nous avons rapporté quelques-unes à l'article CONJUGUE, & il conclud que cette courbe n'a pas été bien connue par ceux qui en ont parlé avant lui, si on en excepte cependant l'illustre M. Grégory. Voyez astron. physiq. & géométr. élément. page 331. édit. de Geneve, 1726, ou les trans. phil. Sept. 1704.

Pour avoir une idée des propriétés de cette courbe, soit a son demi-axe, f la distance d'un des foyers au centre, x l'abscisse prise depuis le centre, y l'ordonnée, on aura, comme il est aisé de le prouver par le calcul (x x - 2 f x + ff + yy) (x x + 2 f x + f f + y y) = (a a - f f)2, par la propriété de cette courbe, ou (y y + f f + x x)2 - 4 f f x x = (a a - f f)2, ou enfin y = + (- f f - x x + ) ; donc, 1°. cette équation ne donnera jamais que deux valeurs réelles tout au plus pour y, l'une positive, l'autre négative, & égale à la positive ; car les deux valeurs qu'on auroit en mettant le signe - devant seroient imaginaires, puisque y seroit la racine d'une quantité négative. 2°. En supposant même le signe + devant cette derniere quantité, il est visible que la valeur de y ne sera réelle que quand (a a - f f)2 + 4 ff x x sera > ou = (f f + x x)2, c'est-à-dire quand a4 - 2 f f a a + 2 f f x x - x4 sera > ou = 0. Donc si (a a - f f)2 est > (x x - f f)2 ou (f f - x x)2, l'ordonnée sera réelle, sinon elle sera imaginaire.

Donc si a a = 2 ff, l'ordonnée sera nulle au centre, & la courbe aura la figure d'un 8 de chiffre ou lemniscate (Voyez LEMNISCATE) ; car on aura alors x x = ou > 2 f f - a a, condition pour que l'ordonnées soit nulle ou réelle. Si 2 ff > a a, les ordonnées réelles ne commenceront qu'au point où x = + , & elles finiront au point où x = a ; car (a a - f f)2 doit aussi être > ou = (x x - f f)2. Ainsi dans ce cas la courbe sera composée de deux courbes conjuguées & isolées, distantes l'une de l'autre de la quantité 2 ; & si dans cette supposition on a de plus a = ou f = a, la courbe se réduira à deux points conjugués uniques. Si f > a, la courbe sera totalement imaginaire. Enfin si 2 ff < a a,la courbe sera continue, & aura toutes ses ordonnées réelles, égales & de signe contraire, depuis x = 0 jusqu'à x = a.

Cette courbe que M. Cassini avoit voulu introduire dans l'astronomie, n'est plus qu'une courbe purement géométrique & de simple curiosité ; car on sait que les planetes décrivent des ellipses apolloniennes ou ordinaires. On demandera peut-être par quelle raison M. Cassini avoit substitué cette ellipse à celle de Kepler. Voici ma conjecture sur ce sujet. On sait que la plûpart des planetes décrivent des ellipses peu excentriques. On sait aussi, & on peut le conclure de l'article ellipse qui précede, que dans une ellipse peu excentrique les secteurs faits par les rayons vecteurs à un foyer, sont proportionnels à très-peu-près aux angles correspondans faits à l'autre foyer ; & c'est sur cette propriété que Ward ou Sethus Wardus a établi sa solution approchée du problème qui consiste à trouver l'anomalie vraie d'une planete, l'anomalie moyenne étant donnée. Voyez ELLIPSE & ANOMALIE. Voyez aussi les instit. astronomiq. de M. le Monnier, page 506, & suiv. Le rapport du secteur infiniment petit à l'angle correspondant, est comme le rectangle des deux lignes menées au foyer, & dans une ellipse peu excentrique, ce rectangle est à-peu-près constant : voilà le principe de Ward. Or M. Cassini paroît avoir raisonné ainsi : Puisque le rapport des secteurs élementaires aux angles correspondans est comme ce rectangle, il sera constant dans une courbe où le rectangle seroit constant ; il a en conséquence imaginé sa Cassinoïde.

Mais 1°. quand la Cassinoïde auroit cette propriété de la proportionnalité des secteurs aux angles ; ce ne seroit pas une raison pour l'introduire dans l'Astronomie à la place de l'ellipse conique que les planetes décrivent en effet ; que gagne-t-on à simplifier un problème, lorsqu'on change l'état de la question ? 2°. Si dans l'ellipse conique le rapport des secteurs aux angles est comme le rectangle des deux lignes menées aux foyers, c'est que la somme de ces deux lignes est constante (Voyez ELLIPSE) ; sans cela la proportion n'a plus lieu. Ainsi même dans l'ellipse cassinienne les secteurs ne sont pas comme les angles. J'ai crû cette remarque assez importante pour ne la pas négliger ici. (O)


ELLIPSOIDES. m. (Géom.) est le nom que quelques géomêtres ont donné au solide de révolution que forme l'ellipse en tournant autour de l'un ou de l'autre de ses axes. Voyez SPHEROÏDE & CONOÏDE. L'ellipsoïde est allongé, si l'ellipse tourne autour de son grand axe ; & applati, si elle tourne autour de son petit axe. Voyez ALLONGE, APPLATI. L'ordonnée de l'ellipse génératrice est toûjours à l'ordonnée correspondante du cercle qui a pour diamêtre l'axe de révolution, comme l'autre axe est à l'axe de révolution : donc les cercles décrits par ces ordonnées (lesquels cercles forment les élémens de la sphere & de l'ellipsoïde) sont entr'eux comme le quarré de l'axe de révolution est au quarré de l'autre axe : donc la sphere est à l'ellipsoïde comme le quarré de l'axe de révolution est au quarré de l'autre axe. Voyez AXE, CONJUGUE, CERCLE, CONOÏDE. (O)


ELLIPTICITÉS. f. (Géom.) Quelques géomêtres modernes ont donné ce nom à la fraction qui exprime le rapport de la différence des axes d'une ellipse, au grand ou au petit axe de cette ellipse. Plus cette fraction est grande, plus, pour ainsi dire, l'ellipse est ellipse, c'est-à-dire plus elle s'éloigne du cercle par l'inégalité de ses axes ; ainsi on peut dire que le degré d'ellipticité d'une ellipse est représenté par cette fraction. Il seroit à souhaiter que cette expression fût adoptée ; elle est commode, claire & précise. (O)


ELLIPTIQUEadjectif formé d'ellipse. Cette phrase est elliptique, c'est-à-dire qu'il y a quelque mot de sous-entendu dans cette phrase. La langue latine est presque toute elliptique, c'est-à-dire que les Latins faisoient un fréquent usage de l'ellipse ; car comme on connoissoit le rapport des mots par les terminaisons, la terminaison d'un mot réveilloit aisément dans l'esprit le mot sous-entendu, qui étoit la seule cause de la terminaison du mot exprimé dans la phrase elliptique : au contraire notre langue ne fait pas un usage aussi fréquent de l'ellipse, parce que nos mots ne changent point de terminaison ; nous ne pouvons en connoître le rapport que par leur place ou position, relativement au verbe qu'ils précedent ou qu'ils suivent, ou bien par les prépositions dont ils sont le complément ; Le premier de ces deux cas exige que le verbe soit exprimé au moins dans la phrase précédente. Que demandez-vous ? R. ce que vous m'avez promis : l'esprit supplée aisément, je demande ce que vous m'avez promis. A l'égard des prépositions, il faut aussi qu'il y ait dans la phrase précédente quelque mot qui en réveille l'idée ; par exemple : Quand reviendrez-vous ? R. l'année prochaine, c'est-à-dire, je reviendrai dans l'année prochaine. D. Que ferez-vous ? R. ce qu'il vous plaira, c'est-à-dire, ce qu'il vous plaira que je fasse. (F)

ELLIPTIQUE, adj. (Géom.) se dit de ce qui appartient à l'ellipse. Voyez ELLIPSE.

Kepler a avancé le premier que les orbites des planetes n'étoient pas circulaires, mais elliptiques ; hypothese qui a été soûtenue ensuite par Bouillaud, Flamsteed, Newton, &c. d'autres astronomes modernes l'ont confirmé depuis, de façon que cette hypothese, qu'on appelloit autrefois par mépris l'hypothese elliptique, est maintenant universellement reçûe. Voyez ORBITE & PLANETE.

M. Newton démontre que si un corps se meut dans un orbite elliptique, de maniere qu'il décrive autour d'un des foyers des aires proportionnelles aux tems, sa force centrifuge ou sa gravité sera en raison doublée inverse de ses distances au foyer, ou réciproquement comme les quarrés de ses distances. Voyez CENTRIPETE.

Quelques auteurs prétendent que la meilleure forme que l'on puisse donner aux arcs de voûte, est la forme elliptique. Voyez ARC, VOUTE, CABINETS SECRETS, ELLIPSE.

Espace elliptique, c'est l'aire renfermée par la circonférence de l'ellipse. Voyez ELLIPSE.

Conoïde ou sphéroïde elliptique, c'est la même chose qu'ellipsoïde Voyez SPHEROÏDE, CONOÏDE & ELLIPSOÏDE.

Compas elliptique, voyez COMPAS. Harris & Chambers. (O)


ELLIPTOIDES. f. (Géométrie) signifie une espece d'ellipse ou plûtôt de courbe désignée par l'équation générale a ym+n = b xn X n, dans laquelle m ou n est plus grand que 1. Voyez ELLIPSE.

Il y en a de différens genres ou degrés, comme l'elliptoïde cubique dans laquelle a x3 = b x2 X .

L'elliptoïde quarrée quarrée, ou sursolide, ou du troisieme ordre, dans laquelle a y4 = b x2 X .

Si on appelle une autre ordonnée u, & l'abscisse correspondante z, on aura a um+n = b zm X m, & par conséquent a ym+n:a um+n::b xm X n:b zn X n, c'est-à-dire ym+n:um+n::xm X :zn X n.

ELLIPTOÏDE, s. m. (Géométrie) se dit aussi quelquefois pour ellipsoïde. Voyez ELLIPSOÏDE. (O)


ELLOTIDou ELLOTES, s. f. (Mythol.) surnom de la Minerve de Corinthe. Les Doriens ayant mis le feu à cette ville, Ellotis prêtresse de Minerve, fut brûlée dans le temple de cette déesse, où elle s'étoit refugiée. Un autre fléau donna lieu à la réédification du temple : ce fut une peste qui desoloit Corinthe, & qui ne devoit cesser, selon la réponse de l'oracle, qu'après qu'on auroit appaisé les manes de la prêtresse Ellotis, & relevé les autels de Minerve. Les autels & le temple furent relevés ; & on les consacra sous le nom de Minerve-Ellotide, afin d'honorer en même tems Minerve & sa prêtresse.


ELLOTIESadj. pris subst. (Myth.) Les Crétois honoroient Europe sous le nom d'Ellotis, & lui avoient consacré des fêtes appellées Elloties. On portoit dans ces fêtes une couronne de vingt coudées de circonférence, qu'ils avoient appellée l'Ellotis, avec une grande châsse, qui renfermoit quelques os d'Europe.


ELMEDEN(Géogr. mod.) ville de la province d'Escure en Afrique.


ELMOHASCAR(Géogr. mod.) ville de la troisieme province du royaume d'Alger en Afrique


ELNBOGEou LOKER, (Géog. mod.) ville de Boheme au cercle de même nom ; elle est sur l'Eger. Long. 30. 26. lat. 50. 20.


ELNE(Géog. mod.) ville du Roussillon en France ; elle est sur le Tech proche la Méditerranée. Long. 20. 40. lat. 42. 30.


ELOCUTIONS. f. (Belles-Lettres) Ce mot qui vient du latin eloqui, parler, signifie proprement & à la rigueur le caractere du discours ; & en ce sens il ne s'employe guere qu'en parlant de la conversation, les mots style & diction étant consacrés aux ouvrages ou aux discours oratoires. On dit d'un homme qui parle bien, qu'il a une belle élocution ; & d'un écrivain ou d'un orateur, que sa diction est correcte, que son style est élégant, &c. Voyez ECRIRE, STYLE. Voyez aussi AFFECTATION & CONVERSATION.

ELOCUTION, dans un sens moins vulgaire, signifie cette partie de la Rhétorique qui traite de la diction & du style de l'orateur ; les deux autres sont l'invention & la disposition. Voyez ces deux mots. Voyez aussi ORATEUR, DISCOURS.

J'ai dit que l'élocution avoit pour objet la diction & le style de l'orateur ; car il ne faut pas croire que ces deux mots soient synonymes : le dernier a une acception beaucoup plus étendue que le premier. Diction ne se dit proprement que des qualités générales & grammaticales du discours, & ces qualités sont au nombre de deux, la correction & la clarté. Elles sont indispensables dans quelqu'ouvrage que ce puisse être, soit d'éloquence, soit de tout autre genre ; l'étude de la langue & l'habitude d'écrire les donnent presqu'infailliblement, quand on cherche de bonne foi à les acquérir. Style au contraire se dit des qualités du discours, plus particulieres, plus difficiles & plus rares, qui marquent le génie & le talent de celui qui écrit ou qui parle : telles sont la propriété des termes, l'élégance, la facilité, la précision, l'élévation, la noblesse, l'harmonie, la convenance avec le sujet, &c. Nous n'ignorons pas néanmoins que les mots style & diction se prennent souvent l'un pour l'autre, sur-tout par les auteurs qui ne s'expriment pas sur ce sujet avec une exactitude rigoureuse ; mais la distinction que nous venons d'établir, ne nous paroît pas moins réelle. On parlera plus au long au mot STYLE, des différentes qualités que le style doit avoir en général, & pour toutes sortes de sujets : nous nous bornerons ici à ce qui regarde l'orateur. Pour fixer nos idées sur cet objet, il faut auparavant établir quelques principes.

Qu'est-ce qu'être éloquent ? Si on se borne à la force du terme, ce n'est autre chose que bien parler ; mais l'usage a donné à ce mot dans nos idées un sens plus noble & plus étendu. être éloquent, comme je l'ai dit ailleurs, c'est faire passer avec rapidité & imprimer avec force dans l'ame des autres, le sentiment profond dont on est pénétré. Cette définition paroît d'autant plus juste, qu'elle s'applique à l'éloquence même du silence & à celle du geste. On pourroit définir autrement l'éloquence, le talent d'émouvoir ; mais la premiere définition est encore plus générale, en ce qu'elle s'applique même à l'éloquence tranquille qui n'émeut pas, & qui se borne à convaincre. La persuasion intime de la vérité qu'on veut prouver est alors le sentiment profond dont on est rempli, & qu'on fait passer dans l'ame de l'auditeur. Il faut cependant avoüer, selon l'idée la plus généralement reçûe, que celui qui se borne à prouver & qui laisse l'auditeur convaincu, mais froid & tranquille, n'est point proprement éloquent, & n'est que disert. Voyez DISERT. C'est pour cette raison que les anciens ont défini l'éloquence le talent de persuader, & qu'ils ont distingué persuader de convaincre, le premier de ces mots ajoûtant à l'autre l'idée d'un sentiment actif excité dans l'ame de l'auditeur, & joint à la conviction.

Cependant, qu'il me soit permis de le dire, il s'en faut beaucoup que la définition de l'éloquence, donnée par les anciens, soit complete : l'éloquence ne se borne pas à la persuasion. Il y a dans toutes les langues une infinité de morceaux très-éloquens, qui ne prouvent & par conséquent ne persuadent rien, mais qui sont éloquens par cela seul qu'ils émeuvent puissamment celui qui les entend ou qui les lit. Il seroit inutile d'en rapporter des exemples.

Les modernes, en adoptant aveuglément la définition des anciens, ont eu bien moins de raison qu'eux. Les Grecs & les Romains, qui vivoient sous un gouvernement républicain, étoient continuellement occupés de grands intérêts publics : les orateurs appliquoient principalement à ces objets importans le talent de la parole ; & comme il s'agissoit toûjours en ces occasions de remuer le peuple en le convainquant, ils appellerent éloquence le talent de persuader, en prenant pour le tout la partie la plus importante & la plus étendue. Cependant ils pouvoient se convaincre dans les ouvrages mêmes de leurs philosophes, par exemple, dans ceux de Platon & dans plusieurs autres, que l'éloquence étoit applicable à des matieres purement spéculatives. L'éloquence des modernes est encore plus souvent appliquée à ces sortes de matieres, parce que la plûpart n'ont pas, comme les anciens, de grands intérêts publics à traiter : ils ont donc eu encore plus de tort que les anciens, lorsqu'ils ont borné l'éloquence à la persuasion.

J'ai appellé l'éloquence un talent, & non pas un art, comme ont fait tant de rhéteurs ; car l'art s'acquiert par l'étude & l'exercice, & l'éloquence est un don de la nature. Les regles ne rendront jamais un ouvrage ou un discours éloquent ; elles servent seulement à empêcher que les endroits vraiment éloquens & dictés par la nature, ne soient défigurés & déparés par d'autres, fruits de la négligence ou du mauvais goût. Shakespear a fait sans le secours des regles, le monologue admirable d'Hamlet ; avec le secours des regles il eût évité la scene barbare & dégoûtante des Fossoyeurs.

Ce que l'on conçoit bien, a dit Despréaux, s'énonce clairement : j'ajoûte, ce que l'on sent avec chaleur, s'énonce de même, & les mots arrivent aussi aisément pour rendre une émotion vive, qu'une idée claire. Le soin froid & étudié que l'orateur se donneroit pour exprimer une pareille émotion, ne serviroit qu'à l'affoiblir en lui, à l'éteindre même, ou peut-être à prouver qu'il ne la ressentoit pas. En un mot, sentez vivement, & dites tout ce que vous voudrez, voilà toutes les regles de l'éloquence proprement dite. Qu'on interroge les écrivains de génie sur les plus beaux endroits de leurs ouvrages, ils avoueront que ces endroits sont presque toûjours ceux qui leur ont le moins coûté, parce qu'ils ont été comme inspirés en les produisant. Prétendre que des préceptes froids & didactiques donneront le moyen d'être éloquent, c'est seulement prouver qu'on est incapable de l'être.

Mais comme pour être clair il ne faut pas concevoir à demi, il ne faut pas non plus sentir à demi pour être éloquent. Le sentiment dont l'orateur doit être rempli, est, comme je l'ai dit, un sentiment profond, fruit d'une sensibilité rare & exquise, & non cette émotion superficielle & passagere qu'il excite dans la plûpart de ses auditeurs ; émotion qui est plus extérieure qu'interne, qui a pour objet l'orateur même, plutôt que ce qu'il dit, & qui dans la multitude n'est souvent qu'une impression machinale & animale, produite par l'exemple ou par le ton qu'on lui a donné. L'émotion communiquée par l'orateur, bien loin d'être dans l'auditeur une marque certaine de son impuissance à produire des choses semblables à ce qu'il admire, est au contraire d'autant plus réelle & d'autant plus vive, que l'auditeur a plus de génie & de talent : pénétré au même degré que l'orateur, il auroit dit les mêmes choses : tant il est vrai que c'est dans le degré seul du sentiment que l'éloquence consiste. Je renvoye ceux qui en douteront encore, au paysan du Danube, s'ils sont capables de penser & de sentir ; car je ne parle point aux autres.

Tout cela prouve suffisamment, ce me semble, qu'un orateur vivement & profondement pénétré de son objet, n'a pas besoin d'art pour en pénétrer les autres. J'ajoute qu'il ne peut les en pénétrer, sans en être vivement pénétré lui-même. En vain objecteroit-on que plusieurs écrivains ont eu l'art d'inspirer par leurs ouvrages l'amour des vertus qu'ils n'avoient pas : je réponds que le sentiment qui fait aimer la vertu, les remplissoit au moment qu'ils en écrivoient ; c'étoit en eux dans ce moment un sentiment très-pénétrant & très-vif, mais malheureusement passager. En vain objecteroit-on encore qu'on peut toucher sans être touché, comme on peut convaincre sans être convaincu. Premierement, on ne peut réellement convaincre sans être convaincu soi-même : car la conviction réelle est la suite de l'évidence ; & on ne peut donner l'évidence aux autres, quand on ne l'a pas. En second lieu, on peut sans-doute faire croire aux autres qu'ils voyent clairement ce qu'ils ne voyent point, c'est une espece de phantôme qu'on leur présente à la place de la réalité ; mais on ne peut les tromper sur leurs affections & sur leurs sentimens, on ne peut leur persuader qu'ils sont vivement pénétrés, s'ils ne le sont pas en effet : un auditeur qui se croit touché, l'est donc véritablement : or on ne donne point ce qu'on n'a point ; on ne peut donc vivement toucher les autres sans être touché vivement soi-même, soit par le sentiment, soit au moins par l'imagination, qui produit en ce moment le même effet.

Nul discours ne sera éloquent s'il n'éleve l'ame : l'éloquence pathétique a sans-doute pour objet de toucher ; mais j'en appelle aux ames sensibles, les mouvemens pathétiques sont toûjours en elles accompagnés d'élévation. On peut donc dire qu'éloquent & sublime sont proprement la même chose ; mais on a réservé le mot de sublime pour désigner particulierement l'éloquence qui présente à l'auditeur de grands objets ; & cet usage grammatical, dont quelques littérateurs pédans & bornés peuvent être la dupe, ne changent rien à la vérité.

Il résulte de ces principes que l'on peut être éloquent dans quelque langue que ce soit, parce qu'il n'y a point de langue qui se refuse à l'expression vive d'un sentiment élevé & profond. Je ne sai par quelle raison un grand nombre d'écrivains modernes nous parlent de l'éloquence des choses, comme s'il y avoit une éloquence des mots. L'éloquence n'est jamais que dans le sujet ; & le caractere du sujet, ou plutôt du sentiment qu'il produit, passe de lui-même & nécessairement au discours. J'ajoute que plus le discours sera simple dans un grand sujet, plus il sera éloquent, parce qu'il représentera le sentiment avec plus de vérité. L'éloquence ne consiste donc point, comme tant d'auteurs l'ont dit d'après les anciens, à dire les choses grandes d'un style sublime, mais d'un style simple ; car il n'y a point proprement de style sublime, c'est la chose qui doit l'être ; & comment le style pourroit-il être sublime sans elle, ou plus qu'elle.

Aussi les morceaux vraiment sublimes sont toûjours ceux qui se traduisent le plus aisément. Que vous reste-t-il ? moi.... Comment voulez-vous que je vous traite ? en roi.... Qu'il mourût.... Dieu dit : que la lumiere se fasse, & elle se fit.... & tant d'autres morceaux sans nombre, seront toûjours sublimes dans toutes les langues. L'expression pourra être plus ou moins vive, plus ou moins précise, selon le génie de la langue ; mais la grandeur de l'idée subsistera toute entiere. En un mot on peut être éloquent en quelque langue & en quelque style que ce soit, parce que l'élocution n'est que l'écorce de l'éloquence, avec laquelle il ne faut pas la confondre.

Mais, dira-t-on, si l'éloquence véritable & proprement dite a si peu besoin des regles de l'élocution, si elle ne doit avoir d'autre expression que celle qui est dictée par la nature, pourquoi donc les anciens dans leurs écrits sur l'éloquence ont-ils traité si à fond de l'élocution ? Cette question mérite d'être approfondie.

L'éloquence ne consiste proprement que dans des traits vifs & rapides ; son effet est d'émouvoir vivement, & toute émotion s'affoiblit par la durée. L'éloquence ne peut donc regner que par intervalles dans un discours de quelque étendue, l'éclair part & la nue se referme. Mais si les ombres du tableau sont nécessaires, elle ne doivent pas être trop fortes ; il faut sans-doute & à l'orateur & à l'auditeur des endroits de repos, dans ces endroits l'auditeur doit respirer, non s'endormir, & c'est aux charmes tranquilles de l'élocution à le tenir dans cette situation douce & agréable. Ainsi (ce qui semblera paradoxe, sans en être moins vrai) les regles de l'élocution n'ont lieu à proprement parler, & ne sont vraiment nécessaires que pour les morceaux qui ne sont pas proprement éloquens, que l'orateur compose plus à froid, & où la nature a besoin de l'art. L'homme de génie ne doit craindre de tomber dans un style lâche, bas & rampant, que lorsqu'il n'est point soûtenu par le sujet, c'est alors qu'il doit songer à l'élocution, & s'en occuper. Dans les autres cas, son élocution sera telle qu'elle doit être sans qu'il y pense. Les anciens, si je ne me trompe, ont senti cette vérité, & c'est pour cette raison qu'ils ont traité principalement de l'élocution dans leurs ouvrages sur l'art oratoire. D'ailleurs des trois parties de l'orateur, elle est presque la seule dont on puisse donner des préceptes directs, détaillés & positifs : l'invention n'a point de regles, ou n'en a que de vagues & d'insuffisantes ; la disposition en a peu, & appartient plûtôt à la logique qu'à la rhétorique. Un autre motif a porté les anciens rhéteurs à s'étendre beaucoup sur les regles de l'élocution : leur langue étoit une espece de musique, susceptible d'une mélodie à laquelle le peuple même étoit très-sensible. Des préceptes sur ce sujet, étoient aussi nécessaires dans les traités des anciens sur l'éloquence, que le sont parmi nous les regles de la composition musicale dans un traité complet de musique. Il est vrai que ces sortes de regles ne donnent ni à l'orateur ni au musicien du talent & de l'oreille, mais elles sont propres à l'aider. Ouvrez le traité de Cicéron intitulé Orator, & dans lequel il s'est proposé de former ou plutôt de peindre un orateur parfait, vous verrez non-seulement que la partie de l'élocution est celle à laquelle il s'attache principalement, mais que de toutes les qualités de l'élocution, l'harmonie qui résulte du choix & de l'arrangement des mots, est celle dont il est le plus occupé. Il paroît même avoir regardé cet objet comme très-essentiel dans des morceaux très-frappans par le fond des choses, & où la beauté de la pensée sembloit dispenser du soin d'arranger les mots. Je n'en citerai que cet exemple : " J'étois présent, dit Cicéron, lorsque C. Carbon s'écria dans une harangue au peuple : O Marce Druse, patrem appello ; tu dicere solebas, sacram esse rempublicam ; quicumque eam violavissent, ab omnibus esse ei poenas persolutas ; patris dictum sapiens, temeritas filii comprobavit ; ce dichorée comprobavit, ajoûte Cicéron, excita par son harmonie un cri d'admiration dans toute l'assemblée. " Le morceau que nous venons de citer renferme une idée si noble & si belle, qu'il est assûrement très-éloquent par lui-même, & je ne crains point de le traduire pour le prouver. O Marcus Drusus (c'est au pere que je m'adresse), tu avois coûtume de dire que la patrie étoit un dépôt sacré ; que tout citoyen qui l'avoit violé en avoit porté la peine ; la témérité du fils a prouvé la sagesse des discours du pere. Cependant Cicéron paroît ici encore plus occupé des mots que des choses. " Si l'orateur, dit-il, eût fini sa période ainsi ; comprobavit filii temeritas ; IL N'Y AUROIT PLUS RIEN ; JAM NIHIL ERIT " Voilà pour le dire en passant, de quoi ne se seroient pas doutés nos prétendus latinistes modernes, qui prononcent le latin aussi mal qu'ils le parlent. Mais cette preuve suffit pour faire voir combien les oreilles des anciens étoient délicates sur l'harmonie. La sensibilité que Cicéron témoigne ici sur la diction dans un morceau éloquent, ne contredit nullement ce que nous avons avancé plus haut, que l'éloquence du discours est le fruit de la nature & non pas de l'art. Il s'agit ici non de l'expression en elle-même, mais de l'harmonie des mots, qui est une chose purement artificielle & méchanique ; cela est si vrai que Cicéron en renversant la phrase pour en dénaturer l'harmonie, en conserve tous les termes. L'expression du sentiment est dictée par la nature & par le génie ; c'est ensuite à l'oreille & à l'art à disposer les mots de la maniere la plus harmonieuse. Il en est de l'orateur comme du musicien, à qui le genie seul inspire le chant, & que l'oreille & l'art guident dans l'enchaînement des modulations.

Cette comparaison tirée de la Musique, conduit à une autre idée qui ne paroît pas moins juste. La Musique a besoin d'exécution, elle est muette & nulle sur le papier ; de même l'éloquence sur le papier est presque toûjours froide & sans vie, elle a besoin de l'action & du geste ; ces deux qualités lui sont encore plus nécessaires que l'élocution ; & ce n'est pas sans raison que Démosthene reduisoit à l'action toutes les parties de l'orateur. Nous ne pouvons lire sans être attendris les peroraisons touchantes de Ciceron, pro Fonteio, pro Sextio, pro Plancio, pro Flacco, pro Sylla ; qu'on imagine la force qu'elles devoient avoir dans la bouche de ce grand homme : qu'on se représente Cicéron au milieu du barreau, animant par ses pleurs & par une voix touchante le discours le plus pathétique, tenant le fils de Flaccus entre ses bras, le présentant aux juges, & implorant pour lui l'humanité & les lois ; on ne sera point surpris de ce qu'il nous rapporte lui-même, qu'il remplit en cette occasion le barreau de pleurs, de gémissemens & de sanglots. Quel effet n'eût point produit la peroraison pro Milone, prononcée par ce grand orateur !

L'action fait plus que d'animer le discours : elle peut même inspirer l'orateur, sur-tout dans les occasions où il s'agit de traiter sur le champ & sur un grand théatre, de grands intérêts, comme autrefois à Athenes & à Rome, & quelquefois aujourd'hui en Angleterre. C'est alors que l'éloquence débarrassée de toute contrainte & de toutes regles, produit ses plus grands miracles. C'est alors qu'on éprouve la vérité de ce passage de Quintilien, lib. VII. cap. x. Pectus est quod disertos facit, & vis mentis, ideòque imperitis quoque, si modò sunt aliquo affectu concitati, verba non desunt. Ce passage d'un si grand maître serviroit à confirmer tout ce que nous avons dit dans cet article sur l'élocution considérée par rapport à l'éloquence, si des vérités aussi incontestables avoient besoin d'autorité.

Nous croyons qu'on nous saura gré à cette occasion, de fixer la vraie signification du mot disertus ; il ne répond certainement pas à ce que nous appellons en françois disert ; M. Diderot l'a très-bien prouvé au mot DISERT, par le passage même que nous venons de citer, & par la définition exacte de ce que nous entendons par disert. On peut y joindre ce passage d'Horace, epist. I. vers. xjx. Faecundi calices quem non fecêre disertum ! qu'assûrément on ne traduira point ainsi, quel est celui que le vin n'a pas rendu disert ! Disertus chez les Latins signifioit toûjours ou presque toûjours, ce que nous entendons par éloquent, c'est-à-dire celui qui possede dans un souverain degré le talent de la parole, & qui par ce talent sait frapper, émouvoir, attendrir, intéresser, persuader. Diserti est, dit Cicéron dans ses dialogues de oratore, liv. I. cap. lxxxj. ut oratione persuadere possit. Disertus est donc celui qui a le talent de persuader par le discours, c'est-à-dire qui possede ce que les anciens appelloient eloquentia. Ils appelloient éloquens celui qui joignoit à la qualité de disertus la connoissance de la philosophie & des lois ; ce qui formoit selon eux le parfait orateur. Si idem homo, dit à cette occasion M. Gesner dans son Thesaurus linguae latinae, disertus est & doctus & sapiens, is demùm eloquens. Dans le I. livre de oratore, Cicéron fait dire à Marc Antoine l'orateur : eloquentem vocavi, qui mirabiliùs & magnificentiùs augere posset atque ornare quae vellet, OMNESQUE OMNIUM RERUM QUAE AD DICENDUM PERTINERENT FONTES ANIMO AC MEMORIA CONTINERET. Qu'on lise le commencement du traité de Cicéron intitulé Orator, on verra qu'il appelloit diserti, les orateurs qui avoient eloquentiam popularem, ou comme il l'appelle encore, eloquentiam forensem, ornatam verbis atque sententiis sine doctrinâ, c'est-à-dire le talent complet de la parole, mais destitué de la profondeur du savoir & de la philosophie : dans un autre endroit du même ouvrage, Cicéron pour relever le mérite de l'action, dit qu'elle a fait réussir des orateurs sans talent, infantes, & que des orateurs éloquens, diserti, n'ont point réussi sans elle ; parce que, ajoûte-t-il tout de suite, eloquentia sine actione, nulla ; haec autem sine eloquentiâ permagna est. Il est évident que dans ce passage, disertus répond à eloquentia. Il faut pourtant avoüer que dans l'endroit déjà cité des dialogues sur l'orateur, où Cicéron fait parler Marc Antoine, disertus semble avoir à-peu-près la même signification que disert en françois : disertos, dit Marc Antoine, me cognosse non-nullos scripsi, eloquentem adhuc neminem, quòd eum statuebam disertum, qui posset satis acutè atque dilucidè apud mediocres homines, ex communi quâdam hominum opinione dicere ; eloquentem vero, qui mirabiliùs, &c. comme ci-dessus. Ciceron cite au commencement de son Orator, ce même mot de l'orateur Marc Antoine : Marcus Antonius... scripsit, disertos se vidisse multos (dans le passage précedent il y a non-nullos, ce qu'il n'est pas inutile de remarquer), eloquentem omninò neminem. Mais il paroît par tout ce qui précede dans l'endroit cité, & que nous avons rapporté ci-dessus, que Cicéron dans cet endroit donne à disertus le sens marqué plus haut. Je crois donc qu'on ne traduiroit pas exactement ce dernier passage, en faisant dire à Marc Antoine qu'il avoit vû bien des hommes diserts, & aucun d'éloquent ; mais qu'on doit traduire, du moins en cet endroit, qu'il avoit vû beaucoup d'hommes doüés du talent de la parole, & aucun de l'éloquence parfaite, OMNINO. Dans le passage précédent au contraire, on peut traduire, que Marc Antoine avoit vû quelques hommes diserts, & aucun éloquent. Au reste on doit être étonné que Cicéron dans le passage de l'Orator, substitue multos à non-nullos qui se trouve dans l'autre passage, où il fait dire d'ailleurs à Marc Antoine la même chose : il semble que multos seroit mieux dans le premier passage, & non-nullos dans le second ; car il y a beaucoup plus d'hommes diserts, c'est-à-dire diserti dans le premier sens, qu'il n'y en a qu'on puisse appeller diserti dans le second ; or Marc Antoine, suivant le premier passage, ne connoissoit qu'un petit nombre d'hommes diserts, à plus forte raison n'en connoissoit-il qu'un très-petit nombre de la seconde espece. Pourquoi donc cette disparate dans les deux passages ? sans-doute multos dans le second ne signifie pas un grand nombre absolument, mais seulement un grand nombre par opposition à neminem, c'est-à-dire quelques-uns, ou non-nullos.

Après cette discussion sur le vrai sens du mot disertus, discussion qui nous paroît mériter l'attention des lecteurs, & qui appartient à l'article que nous traitons, donnons en peu de mots d'après les grands maîtres & d'après nos propres réflexions, les principales regles de l'élocution oratoire.

La clarté, qui est la loi fondamentale du discours oratoire, & en général de quelque discours que ce soit, consiste non-seulement à se faire entendre, mais à se faire entendre sans peine. On y parvient par deux moyens, en mettant les idées chacune à sa place dans l'ordre naturel, & en exprimant nettement chacune de ces idées. Les idées seront exprimées facilement & nettement, en évitant les tours ambigus, les phrases trop longues, trop chargées d'idées incidentes & accessoires à l'idée principale, les tours épigrammatiques, dont la multitude ne peut sentir la finesse ; car l'orateur doit se souvenir qu'il parle pour la multitude. Notre langue par le défaut de déclinaisons & de conjugaisons, par les équivoques fréquentes des ils, des elles, des qui, des que, des son, sa, ses, & de beaucoup d'autres mots, est plus sujette que les langues anciennes à l'ambiguité des phrases & des tours. On doit donc y être fort attentif, en se permettant néanmoins (quoique rarement) les équivoques legeres & purement grammaticales, lorsque le sens est clair d'ailleurs par lui même, & lorsqu'on ne pourroit lever l'équivoque sans affoiblir la vivacité du discours. L'orateur peut même se permettre quelquefois la finesse des pensées & des tours, pourvû que ce soit avec sobriété & dans les sujets qui en sont susceptibles, ou qui l'autorisent, c'est-à-dire qui ne demandent ni simplicité, ni élévation, ni véhémence : ces tours fins & délicats échapperont sans-doute au vulgaire, mais les gens d'esprit les saisiront & en sauront gré à l'orateur. En effet, pourquoi lui refuseroit-on la liberté de reserver certains endroits de son ouvrage aux gens d'esprit, c'est-à-dire aux seules personnes dont il doit réellement ambitionner l'estime.

Je n'ai rien à dire sur la correction, sinon qu'elle consiste à observer exactement les regles de la langue, mais non avec assez de scrupule, pour ne pas s'en affranchir lorsque la vivacité du discours l'exige. La correction & la clarté sont encore plus étroitement nécessaires dans un discours fait pour être lû, que dans un discours prononcé ; car dans ce dernier cas, une action vive, juste, animée, peut quelquefois aider à la clarté & sauver l'incorrection.

Nous n'avons parlé jusqu'ici que de la clarté & de la correction grammaticales, qui appartiennent à la diction : il est aussi une clarté & une correction non moins essentielles, qui appartiennent au style, & qui consistent dans la propriété des termes. C'est principalement cette qualité qui distingue les grands écrivains d'avec ceux qui ne le sont pas : ceux-ci sont, pour ainsi dire, toûjours à côté de l'idée qu'ils veulent présenter ; les autres la rendent & la font saisir avec justesse par une expression propre. De la propriété des termes naissent trois différentes qualités ; la précision dans les matieres de discussion, l'élegance dans les sujets agréables, l'énergie dans les sujets grands ou pathétiques. Voyez ces mots.

La convenance du style avec le sujet, exige le choix & la propriété des termes ; elle dépend outre cela de la nature des idées que l'orateur employe. Car, nous ne saurions trop le redire, il n'y a qu'une sorte de style, le style simple, c'est-à-dire celui qui rend les idées de la maniere la moins détournée, & la plus sensible. Si les anciens ont distingué trois styles, le simple, le sublime, & le tempéré ou l'orné, ils ne l'ont fait qu'eu égard aux différens objets que peut avoir le discours : le style qu'ils appelloient simple, est celui qui se borne à des idées simples & communes ; le style sublime peint les idées grandes, & le style orné les idées riantes & agréables. En quoi consiste donc la convenance du style au sujet ? 1°. à n'employer que des idées propres au sujet, c'est-à-dire simples dans un sujet simple, nobles dans un sujet élevé, riantes dans un sujet agréable : 2°. à n'employer que les termes les plus propres pour rendre chaque idée. Par ce moyen l'orateur sera précisément de niveau à son sujet, c'est-à-dire ni au-dessus ni au-dessous, soit par les idées, soit par les expressions. C'est en quoi consiste la véritable éloquence, & même en général le vrai talent d'écrire, & non dans un style qui déguise par un vain coloris des idées communes. Ce style ressemble au faux bel esprit, qui n'est autre chose que l'art puéril & méprisable, de faire paroître les choses plus ingénieuses qu'elles ne sont.

De l'observation de ces regles résultera la noblesse du style oratoire ; car l'orateur ne devant jamais, ni traiter de sujets bas, ni présenter des idées basses, son style sera noble dès qu'il sera convenable à son sujet. La bassesse des idées & des sujets est à la vérité trop souvent arbitraire ; les anciens se donnoient à cet égard beaucoup plus de liberté que nous, qui, en bannissant de nos moeurs la délicatesse, l'avons portée à l'excès dans nos écrits & dans nos discours. Mais quelque arbitraires que puissent être nos principes sur la bassesse & sur la noblesse des sujets, il suffit que les idées de la nation soient fixées sur ce point, pour que l'orateur ne s'y trompe pas & pour qu'il s'y conforme. En vain le génie même s'efforceroit de braver à cet égard les opinions reçues ; l'orateur est l'homme du peuple, c'est à lui qu'il doit chercher à plaire ; & la premiere loi qu'il doit observer pour réussir, est de ne pas choquer la philosophie de la multitude, c'est-à-dire les préjugés.

Venons à l'harmonie, une des qualités qui constituent le plus essentiellement le discours oratoire. Le plaisir qui résulte de cette harmonie est-il purement arbitraire & d'habitude, comme l'ont prétendu quelques écrivains, ou y entre-t-il tout à la fois de l'habitude & du réel ? ce dernier sentiment est peut-être le mieux fondé. Car il en est de l'harmonie du discours, comme de l'harmonie poétique & de l'harmonie musicale. Tous les peuples ont une musique, le plaisir qui naît de la mélodie du chant a donc son fondement dans la nature : il y a d'ailleurs des traits de mélodie & d'harmonie qui plaisent indistinctement & du premier coup à toutes les nations ; il y a donc du réel dans le plaisir musical : mais il y a d'autres traits plus détournés, & un style musical particulier à chaque peuple, qui demandent que l'oreille y soit plus ou moins accoûtumée : il entre donc dans ce plaisir de l'habitude. C'est ainsi, & d'après les mêmes principes, qu'il y a dans tous les Arts un beau absolu, & un beau de convention ; un goût réel, & un goût arbitraire. On peut appuyer cette réflexion par une autre. Nous sentons dans les vers latins en les prononçant une espece de cadence & de mélodie ; cependant nous prononçons très-mal le latin ; nous estropions très-souvent la prosodie de cette langue, nous scandons même les vers à contre-sens, car nous scandons ainsi :

Arma vi, rumque ca, no Tro, jae qui, primus ab, oris,

en nous arrêtant sur des breves à quelques-uns des endroits marqués par des virgules, comme si ces breves étoient longues ; au lieu qu'on devroit scander :

Ar, mavirum, que cano, Trojae, qui pri, mus ab o, ris ;

car on doit s'arrêter sur les longues & passer sur les breves, comme on fait en Musique sur des croches, en donnant à deux breves le même tems qu'à une longue. Cependant malgré cette prononciation barbare, & ce renversement de la mélodie & de la mesure, l'harmonie des vers latins nous plaît, parce que d'un côté nous ne pouvons détruire entierement celle que le poëte y a mise, & que de l'autre nous nous faisons une harmonie d'habitude. Nouvelle preuve du mêlange de réel & d'arbitraire qui se trouve dans le plaisir produit par l'harmonie.

L'harmonie est sans-doute l'ame de la poésie, & c'est pour cela que les traductions des Poëtes ne doivent être qu'en vers ; car traduire un poëte en prose, c'est le dénaturer tout-à-fait, c'est à-peu-près comme si l'on vouloit traduire de la musique italienne en musique françoise. Mais si la poésie a son harmonie particuliere qui la caractérise, la prose dans toutes les langues a aussi la sienne ; les anciens l'avoient bien vû ; ils appelloient le nombre pour la prose, & celui du vers. Quoique notre poésie & notre prose soient moins susceptibles de mélodie que ne l'étoient la prose & la poésie des anciens, cependant elles ont chacune une mélodie qui leur est propre ; peut-être même celle de la prose a-t-elle un avantage en ce qu'elle est moins monotone, & par conséquent moins fatiguante ; la difficulté vaincue est le grand mérite de la poésie. Ne seroit-ce point pour cette raison qu'il est rare de lire, sans être fatigué, bien des vers de suite, & que le plaisir causé par cette lecture, diminue à mesure qu'on avance en âge ?

Quoi qu'il en soit, ce sont les poëtes qui ont formé les langues ; c'est aussi l'harmonie de la poésie, qui a fait naître celle de la prose : Malherbe faisoit parmi nous des odes harmonieuses, lorsque notre prose étoit encore barbare & grossiere ; c'est à Balzac que nous avons l'obligation de lui avoir le premier donné de l'harmonie. " L'éloquence, dit très-bien M. de Voltaire, a tant de pouvoir sur les hommes, qu'on admira Balzac de son tems, pour avoir trouvé cette petite partie de l'art ignorée & nécessaire, qui consiste dans le choix harmonieux des paroles, & même pour l'avoir souvent employée hors de sa place ". Isocrate, selon Cicéron, est le premier qui ait connu l'harmonie de la prose parmi les anciens. On ne remarque, dit encore Cicéron, aucune harmonie dans Hérodote, ni dans ses contemporains, ni dans ses prédécesseurs. L'orateur romain compare le style de Thucydide, à qui il ne manque rien que l'harmonie, au bouclier de Minerve par Phidias, qu'on auroit mis en pieces.

Deux choses charment l'oreille dans le discours, le son & le nombre : le son consiste dans la qualité des mots ; & le nombre, dans leur arrangement. Ainsi l'harmonie du discours oratoire consiste à n'employer que des mots d'un son agréable & doux ; à éviter le concours des syllabes rudes, & celui des voyelles, sans affectation néanmoins (sur quoi voyez l'article ELISION) ; à ne pas mettre entre les membres des phrases trop d'inégalité, sur-tout à ne pas faire les derniers membres trop courts par rapport aux premiers ; à éviter également les périodes trop longues & les phrases trop courtes, ou, comme les appelle Cicéron, à demi écloses ; le style qui fait perdre haleine, & celui qui force à chaque instant de la reprendre, & qui ressemble à une sorte de marqueterie ; à savoir entremêler les périodes soutenues & arrondies, avec d'autres qui le soient moins & qui servent comme de repos à l'oreille. Cicéron blâme avec raison Théopompe, pour avoir porté jusqu'à l'excès le soin minutieux d'éviter le concours des voyelles ; c'est à l'usage, dit ce grand orateur, à procurer seul cet avantage sans qu'on le cherche avec fatigue. L'orateur exercé apperçoit d'un coup d'oeil la succession la plus harmonieuse des mots, comme un bon lecteur voit d'un coup d'oeil les syllabes qui précedent & celles qui suivent.

Les anciens, dans leur prose, évitoient de laisser échapper des vers, parce que la mesure de leurs vers étoit extrêmement marquée ; le vers ïambe étoit le seul qu'ils s'y permissent quelquefois, parce que ce vers avoit plus de licences qu'aucun autre, & une mesure moins invariable : nos vers, si on leur ôte la rime, sont à quelques égards dans le cas des vers ïambes des anciens ; nous n'y avons attention qu'à la multitude des syllabes, & non à la prosodie ; douze syllabes longues ou douze syllabes breves, douze syllabes réelles & physiques ou douze syllabes de convention & d'usage, font également un de nos grands vers ; les vers françois sont donc moins choquans dans la prose françoise (quoiqu'ils ne doivent pas y être prodigués, ni même y être trop sensibles), que les vers latins ne l'étoient dans la prose latine. Il y a plus : on a remarqué que la prose la plus harmonieuse contient beaucoup de vers, qui étant de différente mesure, & sans rime, donnent à la prose un des agrémens de la poésie, sans lui en donner le caractere, la monotonie, & l'uniformité. La prose de Moliere est toute pleine de vers. En voici un exemple tiré de la premiere scene du Sicilien :

Chut, n'avancez pas davantage,

Et demeurez en cet endroit

Jusqu'à ce que je vous appelle.

Il fait noir comme dans un four,

Le ciel s'est habillé ce soir en scaramouche,

Et je ne vois pas une étoile

Qui montre le bout de son nez.

Sotte condition que celle d'un esclave !

De ne vivre jamais pour soi,

Et d'être toûjours tout entier

Aux passions d'un maître ! &c.

On peut remarquer en passant, que ce sont les vers de huit syllabes qui dominent dans ce morceau, & ce sont en effet ceux qui doivent le plus fréquemment se trouver dans une prose harmonieuse.

M. de la Motte, dans une des dissertations qu'il a écrites contre la Poésie, a mis en prose une des scenes de Racine sans y faire d'autre changement que de renverser les mots qui forment les vers : Arbate, on nous faisoit un rapport fidele. Rome triomphe en effet, & Mithridate est mort. Les Romains ont attaqué mon pere vers l'Euphrate, & trompé sa prudence ordinaire dans la nuit, &c. Il observe que cette prose nous paroît beaucoup moins agréable que les vers qui expriment la même chose dans les mêmes termes ; & il en conclut que le plaisir qui naît de la mesure des vers, est un plaisir de convention & de préjugé, puisqu'à l'exception de cette mesure, rien n'a disparu du morceau cité. M. de la Motte ne faisoit pas attention, qu'outre la mesure du vers, l'harmonie qui résulte de l'arrangement des mots avoit aussi disparu, & que si Racine eût voulu écrire ce morceau en prose, il l'auroit écrit autrement, & choisi des mots dont l'arrangement auroit formé une harmonie plus agréable à l'oreille.

L'harmonie souffre quelquefois de la justesse & de l'arrangement logique des mots, & réciproquement : c'est alors à l'orateur à concilier, s'il est possible, l'une avec l'autre, ou à décider lui-même jusqu'à quel point il peut sacrifier l'harmonie à la justesse. La seule regle générale qu'on puisse donner sur ce sujet, c'est qu'on ne doit ni trop souvent sacrifier l'une à l'autre, ni jamais violer l'une ou l'autre d'une maniere trop choquante. Le mépris de la justesse offensera la raison, & le mépris de l'harmonie blessera l'organe ; l'une est un juge sévere qui pardonne difficilement, & l'autre un juge orgueilleux qu'il faut ménager. La réunion de la justesse & de l'harmonie, portées l'une & l'autre au suprème degré, étoit peut-être le talent supérieur de Démosthene : ce sont vraisemblablement ces deux qualités qui, dans les ouvrages de ce grand orateur, ont produit tant d'effet sur les Grecs, & même sur les Romains, tant que le grec a été une langue vivante & cultivée ; mais aujourd'hui quelque satisfaction que ses harangues nous procurent encore par le fond des choses, il faut avoüer, si on est de bonne foi, que la réputation de Démosthene est encore au-dessus du plaisir que nous fait sa lecture. L'intérêt vif que les Athéniens prenoient à l'objet de ces harangues, la déclamation sublime de Démosthene, sur laquelle il nous est resté le témoignage d'Eschine même son ennemi, enfin l'usage sans-doute inimitable qu'il faisoit de sa langue pour la propriété des termes & pour le nombre oratoire, tout ce mérite est ou entierement ou presque entierement perdu pour nous. Les Athéniens, nation délicate & sensible, avoient raison d'écouter Démosthene comme un prodige ; notre admiration, si elle étoit égale à la leur, ne seroit qu'un enthousiasme déplacé. L'estime raisonnée d'un philosophe honore plus les grands écrivains, que toute la prévention des pédans.

Ce que nous appellons ici harmonie dans le discours, devroit s'appeller plus proprement mélodie : car mélodie en notre langue est une suite de sons qui se succedent agréablement ; & harmonie est le plaisir qui résulte du mêlange de plusieurs sons qu'on entend à la fois. Les anciens qui, selon les apparences, ne connoissoient point la Musique à plusieurs parties, du moins au même degré que nous, appelloient harmonia ce que nous appellons mélodie. En transportant ce mot au style, nous avons conservé l'idée qu'ils y attachoient, & en le transportant à la Musique, nous lui en avons donné un autre. C'est ici une observation purement grammaticale, mais qui ne nous paroît pas inutile.

Cicéron, dans son traité intitulé Orator, fait consister une des principales qualités du style simple en ce que l'orateur s'y affranchit de la servitude du nombre, sa marche étant libre & sans contrainte, quoique sans écarts trop marqués. En effet, le plus ou le moins d'harmonie est peut-être ce qui distingue le plus réellement les différentes especes du style.

Mais quelque harmonie qui se fasse sentir dans le discours, rien n'est plus opposé à l'éloquence qu'un style diffus, traînant & lâche. Le style de l'orateur doit être serré ; c'est par-là sur-tout qu'a excellé Démosthene. Or en quoi consiste le style serré ? A mettre, comme nous l'avons dit, chaque idée à sa véritable place, à ne point omettre d'idées intermédiaires trop difficiles à suppléer, à rendre enfin chaque idée par le terme propre : par ce moyen on évitera toute répétition & toute circonlocution, & le style aura le rare avantage d'être concis sans être fatiguant, & développé sans être lâche. Il arrive souvent qu'on est aussi obscur en fuyant la briéveté, qu'en la cherchant ; on perd sa route en voulant prendre la plus longue. La maniere la plus naturelle & la plus sûre d'arriver à un objet, c'est d'y aller par le plus court chemin, pourvû qu'on y aille en marchant, & non pas en sautant d'un lieu à un autre. On peut juger de-là combien est opposée à l'éloquence véritable, cette loquacité si ordinaire au barreau, qui consiste à dire si peu de choses avec tant de paroles. On prétend, il est vrai, que les mêmes moyens doivent être présentés différemment aux différens juges, & que par cette raison on est obligé dans un plaidoyer de tourner de différens sens la même preuve. Mais ce verbiage prétendu nécessaire deviendra évidemment inutile, si on a soin de ranger les idées dans l'ordre convenable ; il résultera de leur disposition naturelle une lumiere qui frappera infailliblement & également tous les esprits, parce que l'art de raisonner est un, & qu'il n'y a pas plus deux logiques, que deux géométries. Le préjugé contraire est fondé en grande partie sur les fausses idées qu'on acquiert de l'éloquence dans nos colléges ; on la fait consister à amplifier & à étendre une pensée ; on apprend aux jeunes gens à délayer leurs idées dans un déluge de périodes insipides, au lieu de leur apprendre à les resserrer sans obscurité. Ceux qui douteront que la concision puisse subsister avec l'éloquence, peuvent lire pour se desabuser les harangues de Tacite.

Il ne suffit pas au style de l'orateur d'être clair, correct, propre, précis, élégant, noble, convenable au sujet, harmonieux, vif, & serré ; il faut encore qu'il soit facile, c'est-à-dire que la gêne de la composition ne s'y laisse point appercevoir. Le style naturel, dit Paschal, nous enchante avec raison ; car on s'attendoit de trouver un auteur, & on trouve un homme. Le plaisir de l'auditeur ou du lecteur diminuera à mesure que le travail & la peine se feront sentir. Un des moyens de se préserver de ce défaut, c'est d'éviter ce style figuré, poétique, chargé d'ornemens, de métaphores, d'antitheses, & d'épithetes, qu'on appelle, je ne sai par quelle raison, style académique. Ce n'est assûrément pas celui de l'académie Françoise ; il ne faut, pour s'en convaincre, que lire les ouvrages & les discours même des principaux membres qui la composent. C'est tout au plus le style de quelques académies de province, dont la multiplication excessive & ridicule est aussi funeste aux progrès du bon goût, que préjudiciable aux vrais intérêts de l'état ; depuis Pau jusqu'à Dunkerque, tout sera bien-tôt académie en France.

Ce style académique ou prétendu tel, est encore celui de la plûpart de nos prédicateurs, du moins de plusieurs de ceux qui ont quelque réputation ; n'ayant pas assez de génie pour présenter d'une maniere frappante, & cependant naturelle, les vérités connues qu'ils doivent annoncer, ils croyent les orner par un style affecté & ridicule, qui fait ressembler leurs sermons, non à l'épanchement d'un coeur pénétré de ce qu'il doit inspirer aux autres, mais à une espece de représentation ennuyeuse & monotone, où l'acteur s'applaudit sans être écouté. Ces fades harangueurs peuvent se convaincre par la lecture réfléchie des sermons du P. Massillon, sur-tout de ceux qu'on appelle le petit carême, combien la véritable éloquence de la chaire est opposée à l'affectation du style : nous ne citerons ici que le sermon qui a pour titre de l'humanité des grands, modele le plus parfait que nous connoissions en ce genre, discours plein de vérité, de simplicité, & de noblesse, que les princes devroient lire sans-cesse pour se former le coeur, & les orateurs chrétiens pour se former le goût.

L'affectation du style paroît sur-tout dans la prose de la plûpart des poëtes : accoûtumés au style orné & figuré, ils le transportent comme malgré eux dans leur prose ; ou s'ils font des efforts pour l'en bannir, leur prose devient traînante & sans vie : aussi avons-nous très-peu de poëtes qui ayent bien écrit en prose. Les préfaces de Racine sont foiblement écrites, celles de Corneille sont aussi excellentes pour le fond des choses, que défectueuses du côté du style ; la prose de Rousseau est dure, celle de Despréaux pesante, celle de la Fontaine insipide ; celle de la Motte est à la vérité facile & agréable, mais aussi la Motte ne tient pas le premier rang parmi les Versificateurs. M. de Voltaire est presque le seul de nos grands poëtes dont la prose soit du moins égale à ses vers ; cette supériorité dans deux genres si différens, quoique si voisins en apparence, est une des plus rares qualités de ce grand écrivain.

Telles sont les principales lois de l'élocution oratoire. On trouvera sur ce sujet un plus grand détail dans les ouvrages de Cicéron, de Quintilien, &c. surtout dans l'ouvrage du premier de ces deux écrivains qui a pour titre Orator, & dans lequel il traite à fond du nombre & de l'harmonie du discours. Quoique ce qu'il en dit soit principalement relatif à la langue latine qui étoit la sienne, on peut néanmoins en tirer des regles générales d'harmonie pour toutes les langues.

Nous ne parlerons point ici des figures, sur lesquelles tant de rhéteurs ont écrit des volumes : elles servent sans-doute à rendre le discours plus animé, mais si la nature ne les dicte, elles sont froides & insipides. Elles sont d'ailleurs presque aussi communes, même dans le discours ordinaire, que l'usage des mots, pris dans un sens figuré, est commun dans toutes les langues. Voyez LANGUE, DICTIONNAIRE, FIGURE, TROPE, ELOQUENCE. Tant pis pour tout orateur qui fait avec réflexion & avec dessein une métonymie, une catachrese, & d'autres figures semblables.

Sur les qualités du style en général dans toutes sortes d'ouvrages, voyez ELEGANCE, STYLE, GRACE, GOUT, &c.

Je finis cet article par une observation, qu'il me semble que la plûpart des rhéteurs modernes n'ont point assez faite, leurs ouvrages, calqués pour ainsi dire sur les livres de rhétorique des anciens, sont remplis de définitions, de préceptes, & de détails, nécessaires peut-être pour lire les anciens avec fruit, mais absolument inutiles, & contraires même au genre d'éloquence que nous connoissons aujourd'hui. " Dans cet art, comme dans tous les autres, dit très-bien M. Freret (hist. de l'acad. des Belles-Lettres, Tome XVIII. pag. 461.), il faut distinguer les beautés réelles, de celles qui étant arbitraires dépendent des moeurs, des coûtumes, & du gouvernement d'une nation, quelquefois même du caprice de la mode, dont l'empire s'étend à tout, & a toûjours été respecté jusqu'à un certain point ". Du tems de la république romaine, où il y avoit peu de lois, & où les juges étoient souvent pris au hasard, il suffisoit presque toûjours de les émouvoir, ou de les rendre favorables par quelqu'autre moyen ; dans notre barreau, il faut les convaincre : Cicéron eût perdu à la grand-chambre la plûpart des causes qu'il a gagnées, parce que ses cliens étoient coupables ; osons ajoûter que plusieurs endroits de ses harangues, qui plaisoient peut-être avec raison aux Romains, & que nos latinistes modernes admirent sans savoir pourquoi, ne seroient aujourd'hui que médiocrement goûtés. (O)


ELOGES. m. (Belles-Lettres) loüange que l'on donne à quelque personne ou à quelque chose, en considération de son excellence, de son rang, ou de ses vertus, &c.

La vérité simple & exacte devroit être la base & l'ame de tous les éloges, ceux qui sont outrés & sans vraisemblance, font tort à celui qui les reçoit, & à celui qui les donne. Car tous les hommes se croyent en droit jusqu'à un certain point, d'établir la réputation des autres, ou d'en décider ; ils ne peuvent souffrir qu'un panégyriste s'en rende le maître, & en fasse pour ainsi dire une espece de monopole ; la loüange les indispose, leur donne lieu de discuter les qualités prétendues de la personne qu'on loue, souvent de les contester, & de démentir l'orateur. (G)

Voyez au mot DICTIONNAIRE, les réflexions qui ont été faites sur les éloges qu'on peut donner dans les dictionnaires historiques : ces réflexions s'appliquent à quelque éloge que ce puisse être. Bien pénétrés de leur importance & de leur vérité, les Editeurs de l'Encyclopédie déclarent qu'ils ne prétendent point adopter tous les éloges qui pourront y avoir été donnés par leurs collegues, soit à des gens de lettres, soit à d'autres, comme ils ne prétendent pas non plus adopter les critiques, ni en général les opinions avancées ou soûtenues ailleurs que dans leurs propres articles. Tout est libre dans cet ouvrage, excepté la satyre ; mais par la raison que tout y est libre, chacun doit y répondre au public de ce qu'il avance, de ce qu'il blâme, & de ce qu'il loue. Voyez EDITEUR. C'est en partie pour cette raison que nous nous sommes fait la loi de nommer dorénavant nos collegues sans aucun éloge ; la reconnoissance est sans-doute un sentiment que nous leur devons, mais c'est au public à apprécier leur travail.

Qu'il nous soit permis à cette occasion de déplorer l'abus intolérable de panégyriques & de satyres, qui avilit aujourd'hui la république des Lettres. Quels ouvrages que ceux dont plusieurs de nos écrivains périodiques ne rougissent pas de faire l'éloge ? quelle ineptie, ou quelle bassesse ? Que la postérité seroit surprise de voir les Voltaire & les Montesquieu déchirés dans la même page où l'écrivain le plus médiocre est célébré ! Mais heureusement la postérité ignorera ces loüanges & ces invectives éphémeres, & il semble que leurs auteurs l'ayent prévû, tant ils ont eu peu de respect pour elle. Il est vrai qu'un écrivain satyrique, après avoir outragé les hommes célebres pendant leur vie, croit réparer ses insultes par les éloges qu'il leur donne après leur mort ; il ne s'apperçoit pas que ses éloges sont un nouvel outrage qu'il fait au mérite, & une nouvelle maniere de se deshonorer lui-même. (O)

ELOGE, LOUANGE, synon. (Gram.) ces mots différent à plusieurs égards l'un de l'autre. Loüange au singulier & précédé de l'article la, se prend dans un sens absolu ; éloge au singulier & précédé de l'article, se prend dans un sens relatif. Ainsi on dit : la loüange est quelquefois dangereuse ; l'éloge de telle personne est juste, est outré, &c. Loüange au singulier ne s'employe guere, ce me semble, quand il est précédé du mot une ; on dit un éloge plûtôt qu'une loüange : du moins loüange en ce cas, ne se dit guere que lorsqu'on loue quelqu'un d'une maniere détournée & indirecte. Exemple : Tel auteur a donné une loüange bien fine à son ami. Il semble aussi que lorsqu'il est question des hommes, éloge dise plus que loüange, du moins en ce qu'il suppose plus de titres & de droits pour être loüé ; on dit de quelqu'un qu'il a été comblé d'éloges, lorsqu'il a été loüé beaucoup & avec justice ; & d'un autre qu'il a été accablé de loüanges, lorsqu'on l'a loüé à l'excès ou sans raison. Au contraire, en parlant de Dieu, loüange signifie plus qu'éloge ; car on dit les loüanges de Dieu. Eloge se dit encore des harangues prononcées, ou des ouvrages imprimés à la loüange de quelqu'un ; éloge funebre, éloge historique, éloge académique. Enfin ces mots différent aussi par ceux auxquels on les joint : on dit faire l'éloge de quelqu'un, & chanter les loüanges de Dieu. (O)

ELOGES ACADEMIQUES, sont ceux qu'on prononce dans les académies & sociétés littéraires, à l'honneur des membres qu'elles ont perdus. Il y en a de deux sortes, d'oratoires & d'historiques. Ceux qu'on prononce dans l'academie françoise, sont de la premiere espece. Cette compagnie a imposé à tout nouvel académicien le devoir si noble & si juste de rendre à la mémoire de celui à qui il succede, les hommages qui lui sont dûs. Cet objet est un de ceux que le récipiendaire doit remplir dans son discours de reception. Dans ce discours oratoire on se borne à loüer en général les talens, l'esprit, & même, si on le juge à-propos, les qualités du coeur de celui à qui l'on succede, sans entrer dans aucun détail sur les circonstances de sa vie. On ne doit rien dire de ses défauts ; du moins, si on les touche, ce doit être si legerement, si adroitement & avec tant de finesse, qu'on les présente à l'auditeur ou au lecteur par un côté favorable. Au reste, il seroit peut-être à souhaiter que dans les receptions à l'académie Françoise, un seul des deux académiciens qui parlent, savoir le récipiendaire ou le directeur, se chargeât de l'éloge du défunt ; le directeur seroit moins exposé à répéter une partie de ce que le récipiendaire a dit, & le champ seroit par ce moyen un peu plus libre dans ces sortes de discours, dont la matiere n'est d'ailleurs que trop donnée : sans s'affranchir entierement des éloges de justice & de devoir, on seroit plus à portée de traiter des sujets de littérature intéressans pour le public. Plusieurs académiciens, entr'autres M. de Voltaire, ont déjà donné cet exemple, qui paroît bien digne d'être suivi.

Les éloges historiques sont en usage dans nos académies des Sciences & des Belles-Lettres, & à leur exemple dans un grand nombre d'autres : c'est le secrétaire qui en est chargé. Dans ces éloges on détaille toute la vie d'un académicien, depuis sa naissance jusqu'à sa mort ; on doit néanmoins en retrancher les détails bas, puérils, indignes enfin de la majesté d'un éloge philosophique.

Ces éloges étant historiques, sont proprement des mémoires pour servir à l'histoire des Lettres : la vérité doit donc en faire le caractere principal. On doit néanmoins l'adoucir, ou même la taire quelquefois, parce que c'est un éloge, & non une satyre, que l'on doit faire, mais il ne faut jamais la déguiser ni l'altérer.

Dans un éloge académique on a deux objets à peindre, la personne & l'auteur : l'une & l'autre se peindront par les faits. Les réflexions philosophiques doivent sur-tout être l'ame de ces sortes d'écrits, elles seront tantôt mêlées au récit avec art & briéveté, tantôt rassemblées & développées dans des morceaux particuliers, où elles formeront comme des masses de lumiere qui serviront à éclairer le reste. Ces réflexions séparées des faits, ou entre-mêlées avec eux, auront pour objet le caractere d'esprit de l'auteur, l'espece & le degré de ses talens, de ses lumieres & de ses connoissances, le contraste ou l'accord de ses écrits & de ses moeurs, de son coeur & de son esprit, & sur-tout le caractere de ses ouvrages, leur degré de mérite, ce qu'ils renferment de neuf ou de singulier, le point de perfection où l'académicien avoit trouvé la matiere qu'il a traitée, & le point de perfection où il l'a laissée, en un mot, l'analyse raisonnée des écrits ; car c'est aux ouvrages qu'il faut principalement s'attacher dans un éloge académique ; se borner à peindre la personne, même avec les couleurs les plus avantageuses, ce seroit faire une satyre indirecte de l'auteur & de sa compagnie ; ce seroit supposer que l'académicien étoit sans talens, & qu'il n'a été reçu qu'à titre d'honnête homme, titre très-estimable pour la société, mais insuffisant pour une compagnie littéraire. Cependant comme il n'est pas sans exemple de voir adopter par les académies des hommes d'un talent très-foible, soit par faveur & malgré elles, soit autrement, c'est alors le devoir du secrétaire de se rendre pour ainsi dire médiateur entre sa compagnie & le public, en palliant ou excusant l'indulgence de l'une sans manquer de respect à l'autre, & même à la vérité. Pour cela il doit réunir avec choix & présenter sous un point de vûe avantageux, ce qu'il peut y avoir de bon & d'utile dans les ouvrages de celui qu'il est obligé de loüer. Mais si ces ouvrages ne fournissent absolument rien à dire, que faire alors ? Se taire. Et si par un malheur très-rare, la conduite a deshonoré les ouvrages, quel parti prendre ? Loüer les ouvrages.

C'est apparemment par ces raisons que les académies des Sciences & des Belles-Lettres n'imposent point au secrétaire la loi rigoureuse de faire l'éloge de tous les académiciens : il seroit pourtant juste, & desirable même, que cette loi fût sévérement établie ; il en résulteroit peut-être qu'on apporteroit dans le choix des sujets, une sévérité plus constante & plus continue : le secrétaire, & sa compagnie par contre-coup, seroient plus intéressés à ne choisir que des hommes loüables.

Concluons de ces réflexions, que le secrétaire d'une académie doit non-seulement avoir une connoissance étendue des différentes matieres dont l'académie s'occupe, mais posséder encore le talent d'écrire perfectionné par l'étude des Belles-Lettres, la finesse de l'esprit, la facilité de saisir les objets & de les présenter, enfin l'éloquence même. Cette place est donc celle qu'il est le plus important de bien remplir, pour l'avantage & pour l'honneur d'un corps litteraire. L'academie des Sciences doit certainement à M. de Fontenelle une partie de la réputation dont elle joüit : sans l'art avec lequel ce célebre écrivain a fait valoir la plûpart des ouvrages de ses confreres, ces ouvrages, quoiqu'excellens, ne seroient connus que des savans seuls, ils resteroient ignorés de ce qu'on appelle le public : & la considération dont joüit l'académie des Sciences, seroit moins générale. Aussi peut-on dire de M. de Fontenelle, qu'il a rendu la place dont il s'agit très-dangereuse à occuper. Les difficultés en sont d'autant plus grandes, que le genre d'écrire de cet auteur célebre est absolument à lui, & ne peut passer à un autre sans s'altérer ; c'est une liqueur qui ne doit point changer de vase ; il a eu, comme tous les grands écrivains, le style de sa pensée ; ce style original & simple ne peut représenter agréablement & au naturel un autre esprit que le sien ; en cherchant à l'imiter (j'en appelle à l'expérience) on ne lui ressemblera que par les petits défauts qu'on lui a reprochés, sans atteindre aux beautés réelles qui font oublier ces taches legeres. Ainsi pour réussir après lui, s'il est possible, dans cette carriere épineuse, il faut nécessairement prendre un ton qui ne soit pas le sien : il faut de plus, ce qui n'est pas le moins difficile, accoûtumer le public à ce ton, & lui persuader qu'on peut être digne de lui plaire en se frayant une route différente de celle par laquelle il a coûtume d'être conduit ; car malheureusement le public, semblable aux critiques subalternes, juge d'abord un peu trop par imitation ; il demande des choses nouvelles, & se révolte quand on lui en présente. Il est vrai qu'il y a cette différence entre le public & les critiques subalternes, que celui-là revient bientôt, & que ceux-ci s'opiniatrent. (O)

ELOGE, (Droit civil) elogium, dans le droit écrit, signifie le blâme, & non pas la loüange ; de sorte que ce mot, chez les jurisconsultes romains, deshonore ou du moins flétrit la probité & la réputation de celui qu'un testateur rappelle dans son testament avec éloge. Un pere, selon les lois romaines, doit ou instituer ses enfans dans une certaine somme, ou les deshériter nommément, à peine de nullité du testament. Dans ce dernier cas, la raison que le pere donne pour autoriser l'exhérédation de son enfant, est appellée elogium dans la jurisprudence romaine. Cicéron plaidant pour Cluentius, fait mention du testament de Cn. Egnatius, qui avoit deshérité son fils avec cet éloge (c'est-à-dire avec opprobre), que son fils avoit pris de l'argent pour condamner Oppiniacus.

Ce seul passage peut suffire pour prouver l'usage que les jurisconsultes ont fait du mot elogium dans un sens contraire à sa signification naturelle ; mais les lois qui sont dans le Digeste & dans le Code, sous les titres de liber. & posth. & de Carbon. edicto, ainsi que les déclamations de Quintilien, en fournissent une infinité d'autres exemples. Dictionn. de Richelet, derniere édition. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ELONGATIONS. f. en Astronomie, est la digression ou la distance dont une planete s'éloigne du Soleil par rapport à un oeil placé sur la Terre, c'est-à-dire l'arc ou angle apparent de la Planete & du Soleil, vûs l'un & l'autre de la Terre. Voyez PLANETE.

La plus grande distance d'une planete au soleil, s'appelle sa plus grande élongation, & elle varie par deux raisons ; savoir, parce que la Terre & la planete tournent l'une & l'autre, non dans des cercles, mais dans des ellipses. Cette variation est plus ou moins considérable, selon que les ellipses que les planetes décrivent, s'éloignent plus ou moins d'être des cercles ; ainsi elle est moindre dans Vénus que dans Mercure, dont l'orbite est fort elliptique.

C'est sur-tout dans les mouvemens de Vénus & de Mercure qu'on a égard aux élongations. Mercure est dans sa plus grande élongation, lorsque la ligne menée de la Terre à Mercure, est tangente de l'orbite de cette planete ; car il est facile de s'assûrer que l'arc compris entre le lieu de Mercure & le lieu du Soleil, c'est-à-dire l'angle compris entre les lignes menées de la Terre au Soleil & de la Terre à Mercure, est alors le plus grand qu'il est possible : il en est de même de Vénus. Or supposant que ces planetes, ainsi que la Terre, décrivent des cercles autour du Soleil, & qu'on connoisse le rapport des rayons de leurs orbites, il est facile de tirer de-là l'angle de leur plus grande élongation ; car cet angle pour Mercure est l'angle au sommet d'un triangle rectangle, dont l'hypothénuse est la distance de la Terre au Soleil, & dont la base est la distance de Mercure au Soleil, ou le rayon de son orbite : & pour Vénus, c'est l'angle du sommet d'un triangle rectangle, dont l'hypothénuse est la même que celle du précédent, & dont la base est le rayon de l'orbite de Vénus. On prend ici les triangles pour rectangles, quoiqu'ils ne le soient qu'à-peu-près, & que même ils s'en éloignent assez sensiblement pour Mercure. Voyez les instit. astronom.

A l'exception de Vénus & de Mercure, l'élongation de toutes les autres planetes, par rapport au Soleil, peut aller jusqu'à 180d ; ce qui est évident, puisque la Terre est entre ces planetes & le Soleil.

La plus grande élongation de Vénus est de 45d, & la plus grande élongation de Mercure de 30d, c'est-à-dire que la premiere de ces planetes ne s'éloigne jamais du Soleil de plus de 45d, ou n'en est jamais vûe plus distante que de ce nombre de degrés, & que l'autre ne s'en éloigne jamais plus que de 30d ; c'est ce qui fait que Mercure est si rarement visible, & qu'il se perd d'ordinaire dans la lumiere du Soleil. Voyez MERCURE & VENUS.

Quelques auteurs se sont servis aussi du terme d'élongation, pour marquer la différence du mouvement entre deux planetes, l'une plus rapide, & l'autre plus lente, ou la quantité d'espace dont l'une devance l'autre.

Le mouvement de la Lune par rapport au Soleil, ou l'arc compris entre la Lune & le Soleil, s'appelle l'élongation de la Lune au Soleil ; cependant les astronomes modernes se servent presque toûjours en ce cas du mot distance. Voyez les art. LUNE & SOLEIL. On dit aussi élongation diurne, élongation horaire, &c.

Angle d'élongation, ou angle à la Terre, c'est la différence entre le vrai lieu du Soleil & le lieu géocentrique d'une planete ; tel est l'angle E T R (Planches d'Astron. fig. 26.) compris entre le lieu E du Soleil, & le lieu géocentrique R de la planete. Voy. GEOCENTRIQUE, &c. (O)

ELONGATION, terme de Chirurgie ; c'est l'allongement d'une partie, causé par le gonflement des cartilages qui encroûtent les têtes & les cavités des os, ou par un amas d'humeurs dans la cavité articulaire qui enchâsse la tête de l'os. L'élongation est une espece de luxation imparfaite. M. Petit le chirurgien a parlé dans les mémoires de l'académie royale des Sciences, d'une luxation qui se fait peu-à-peu, & long-tems après l'action de la cause externe. Cela arrive principalement lorsqu'à l'occasion d'un coup ou d'une chûte, il y a eu une percussion dans la cavité, par la tête de l'os même. L'engorgement des cartilages est un effet ordinaire de la contusion qu'ils ont soufferte. Il y a aussi des causes internes du déplacement de l'os. Hippocrate (aphor. lx. sect. 6.) dit qu'il arrive par le relâchement des ligamens à la suite des douleurs sciatiques ; & il recommande l'application du cautere actuel, pour consumer l'humidité superflue qui abreuve les ligamens, afin de les rétablir dans leur ressort naturel. Le feu est un des meilleurs moyens que l'art puisse employer pour fortifier & corroborer les parties ; mais c'est un remede extrème, auquel on ne doit avoir recours qu'après avoir reconnu l'inutilité des douches, des fomentations, de l'application des sachets faits avec des médicamens qui peuvent avoir la vertu de remettre les parties dans leur état naturel. (Y)


ELOQUENCES. f. (Belles-Lettres) L'article suivant nous a été envoyé par M. de Voltaire, qui, en contribuant par son travail à la perfection de l'Encyclopédie, veut bien donner à tous les gens de Lettres citoyens, l'exemple du véritable intérêt qu'ils doivent prendre à cet ouvrage. Dans la lettre qu'il nous a fait l'honneur de nous écrire à ce sujet, il a la modestie de ne donner cet article que comme une simple esquisse ; mais ce qui n'est regardé que comme une esquisse par un grand maître, est un tableau précieux pour les autres. Nous exposons donc au public cet excellent morceau, tel que nous l'avons reçu de son illustre auteur : y pourrions-nous toucher sans lui faire tort ?

L'Eloquence, dit M. de Voltaire, est née avant les regles de la Rhétorique, comme les langues se sont formées avant la Grammaire. La nature rend les hommes éloquens dans les grands intérêts & dans les grandes passions. Quiconque est vivement émû, voit les choses d'un autre oeil que les autres hommes. Tout est pour lui objet de comparaison rapide, & de métaphore : sans qu'il y prenne garde il anime tout, & fait passer dans ceux qui l'écoutent, une partie de son enthousiasme. Un philosophe très-éclairé a remarqué que le peuple même s'exprime par des figures ; que rien n'est plus commun, plus naturel que les tours qu'on appelle tropes. Ainsi dans toutes les langues le coeur brûle, le courage s'allume, les yeux étincellent, l'esprit est accablé : il se partage, il s'épuise : le sang se glace, la tête se renverse : on est enflé d'orgueil, enyvré de vengeance. La nature se peint par-tout dans ces images fortes devenues ordinaires.

C'est elle dont l'instinct enseigne à prendre d'abord un air, un ton modeste avec ceux dont on a besoin. L'envie naturelle de captiver ses juges & ses maîtres, le recueillement de l'ame profondément frappée, qui se prépare à déployer les sentimens qui la pressent, sont les premiers maîtres de l'art.

C'est cette même nature qui inspire quelquefois des débuts vifs & animés ; une forte passion, un danger pressant, appellent tout-d'un-coup l'imagination : ainsi un capitaine des premiers califes voyant fuir les Musulmans, s'écria : Où courez-vous ? ce n'est pas là que sont les ennemis. On vous a dit que le calife est tué : eh ! qu'importe qu'il soit au nombre des vivans ou des morts ? Dieu est vivant & vous regarde : marchez.

La nature fait donc l'éloquence ; & si on a dit que les poëtes naissent & que les orateurs se forment, on l'a dit quand l'éloquence a été forcée d'étudier les lois, le génie des juges, & la méthode du tems.

Les préceptes sont toûjours venus après l'art. Tisias fut le premier qui recueillit les lois de l'éloquence dont la nature donne les premieres regles.

Platon dit ensuite dans son Gorgias, qu'un orateur doit avoir la subtilité des dialecticiens, la science des philosophes, la diction presque des poëtes, la voix & les gestes des plus grands acteurs.

Aristote fit voir ensuite que la véritable philosophie est le guide secret de l'esprit dans tous les arts. Il creusa les sources de l'éloquence dans son livre de la Rhétorique ; il fit voir que la dialectique est le fondement de l'art de persuader, & qu'être éloquent c'est savoir prouver.

Il distingua les trois genres, le délibératif, le démonstratif, & le judiciaire. Dans le délibératif il s'agit d'exhorter ceux qui déliberent, à prendre un parti sur la guerre & sur la paix, sur l'administration publique, &c. dans le démonstratif, de faire voir ce qui est digne de loüange ou de blâme ; dans le judiciaire, de persuader, d'absoudre ou de condamner, &c. On sent assez que ces trois genres rentrent souvent l'un dans l'autre.

Il traite ensuite des passions & des moeurs que tout orateur doit connoître.

Il examine quelles preuves on doit employer dans ces trois genres d'éloquence. Enfin il traite à fond de l'élocution sans laquelle tout languit ; il recommande les métaphores pourvû qu'elles soient justes & nobles ; il exige sur-tout la convenance, la bienséance. Tous ses préceptes respirent la justesse éclairée d'un philosophe, & la politesse d'un Athénien ; & en donnant les regles de l'éloquence, il est éloquent avec simplicité.

Il est à remarquer que la Grece fut la seule contrée de la terre où l'on connût alors les lois de l'éloquence, parce que c'étoit la seule où la véritable éloquence existât. L'art grossier étoit chez tous les hommes ; des traits sublimes ont échappé par-tout à la nature dans tous les tems : mais remuer les esprits de toute une nation polie, plaire, convaincre & toucher à la fois, cela ne fut donné qu'aux Grecs. Les Orientaux étoient presque tous esclaves : c'est un caractere de la servitude de tout exagérer ; ainsi l'éloquence asiatique fut monstrueuse. L'Occident étoit barbare du tems d'Aristote.

L'éloquence véritable commença à se montrer dans Rome du tems des Gracques, & ne fut perfectionnée que du tems de Cicéron. Marc Antoine l'orateur, Hortensius, Curion, César, & plusieurs autres, furent des hommes éloquens.

Cette éloquence périt avec la république ainsi que celle d'Athenes. L'éloquence sublime n'appartient, dit-on, qu'à la liberté ; c'est qu'elle consiste à dire des vérités hardies, à étaler des raisons & des peintures fortes. Souvent un maître n'aime pas la vérité, craint les raisons, & aime mieux un compliment délicat que de grands traits.

Cicéron après avoir donné les exemples dans ses harangues, donna les préceptes dans son livre de l'Orateur ; il suit presque toute la méthode d'Aristote, & l'explique avec le style de Platon.

Il distingue le genre simple, le tempéré & le sublime. Rollin a suivi cette division dans son traité des études ; &, ce que Cicéron ne dit pas, il prétend que le tempéré est une belle riviere ombragée de vertes forêts des deux côtés ; le simple, une table servie proprement dont tous les mêts sont d'un goût excellent, & dont on bannit tout raffinement ; que le sublime foudroie, & que c'est un fleuve impétueux qui renverse tout ce qui lui résiste.

Sans se mettre à cette table, & sans suivre ce foudre, ce fleuve & cette riviere, tout homme de bon sens voit que l'éloquence simple est celle qui a des choses simples à exposer, & que la clarté & l'élégance sont tout ce qui lui convient. Il n'est pas besoin d'avoir lû Aristote, Cicéron, & Quintilien, pour sentir qu'un avocat, qui débute par un exorde pompeux au sujet d'un mur mitoyen, est ridicule : c'étoit pourtant le vice du barreau jusqu'au milieu du XVII. siecle ; on disoit avec emphase des choses triviales ; on pourroit compiler des volumes de ces exemples : mais tous se réduisent à ce mot d'un avocat, homme d'esprit, qui voyant que son adversaire parloit de la guerre de Troie & du Scamandre, l'interrompit en disant, la cour observera que ma partie ne s'appelle pas Scamandre, mais Michaut.

Le genre sublime ne peut regarder que de puissans intérêts traités dans une grande assemblée. On en voit encore de vives traces dans le parlement d'Angleterre ; on a quelques harangues qui y furent prononcées en 1739, quand il s'agissoit de déclarer la guerre à l'Espagne. L'esprit de Démosthene & de Cicéron ont dicté plusieurs traits de ces discours ; mais ils ne passeront pas à la postérité comme ceux des Grecs & des Romains, parce qu'ils manquent de cet art & de ce charme de la diction qui mettent le sceau de l'immortalité aux bons ouvrages.

Le genre tempéré est celui de ces discours d'appareil, de ces harangues publiques, de ces complimens étudiés, dans lesquels il faut couvrir de fleurs la futilité de la matiere.

Ces trois genres rentrent encore souvent l'un dans l'autre, ainsi que les trois objets de l'éloquence qu'Aristote considere, & le grand mérite de l'orateur est de les mêler à propos.

La grande éloquence n'a guere pû en France être connue au barreau, parce qu'elle ne conduit pas aux honneurs comme dans Athènes, dans Rome, & comme aujourd'hui dans Londres, & n'a point pour objet de grands intérêts publics : elle s'est réfugiée dans les oraisons funebres où elle tient un peu de la poësie. Bossuet, & après lui Flechier, semblent avoir obéï à ce précepte de Platon, qui veut que l'élocution d'un orateur soit quelquefois celle même d'un poëte.

L'éloquence de la chaire avoit été presque barbare jusqu'au P. Bourdaloüe ; il fut un des premiers qui firent parler la raison.

Les Anglois ne vinrent qu'ensuite comme l'avoüe Burnet évêque de Salisburi. Ils ne connurent point l'oraison funebre ; ils éviterent dans les sermons les traits véhémens qui ne leur parurent point convenables à la simplicité de l'Evangile ; & ils se défirent de cette méthode des divisions recherchées, que l'Archevêque Fenelon condamne dans ses dialogues sur l'éloquence.

Quoique nos sermons roulent sur l'objet le plus important de l'homme, cependant il s'y trouve peu de ces morceaux frappans qui, comme les beaux endroits de Cicéron & de Démosthene sont devenus les modeles de toutes les nations occidentales. Le lecteur sera pourtant bien-aise de trouver ici ce qui arriva la premiere fois que M. Massillon, depuis évêque de Clermont, précha son fameux sermon du petit nombre des élûs : il y eut un endroit où un transport de saisissement s'empara de tout l'auditoire ; presque tout le monde se leva à moitié par un mouvement involontaire ; le murmure d'acclamation & de surprise fut si fort, qu'il troubla l'orateur, & ce trouble ne servit qu'à augmenter le pathétique de ce morceau : le voici. " Je suppose que ce soit ici notre derniere heure à tous, que les cieux vont s'ouvrir sur nos têtes, que le tems est passé & que l'éternité commence, que Jesus-Christ va paroître pour nous juger selon nos oeuvres, & que nous sommes tous ici pour attendre de lui l'arrêt de la vie ou de la mort éternelle : je vous le demande, frappé de terreur comme vous, ne séparant point mon sort du vôtre, & me mettant dans la même situation où nous devons tous paroître un jour devant Dieu notre juge : si Jesus-Christ disje, paroissoit dès-à-présent pour faire la terrible séparation des justes & des pécheurs ; croyez-vous que le plus grand nombre fût sauvé ? croyez-vous que le nombre des justes fût au moins égal à celui des pécheurs ? croyez-vous que s'il faisoit maintenant la discussion des oeuvres du grand nombre qui est dans cette église, il trouvât seulement dix justes parmi nous ? en trouveroit-il un seul ? &c. " (Il y a eu plusieurs éditions différentes de ce discours, mais le fonds est le même dans toutes.)

Cette figure la plus hardie qu'on ait jamais employée, & en même tems la plus à sa place, est un des plus beaux traits d'éloquence qu'on puisse lire chez les nations anciennes & modernes ; & le reste du discours n'est pas indigne de cet endroit si saillant. De pareils chefs-d'oeuvres sont très-rares, tout est d'ailleurs devenu lieu commun. Les prédicateurs qui ne peuvent imiter ces grands modeles feroient mieux de les apprendre par coeur & de les débiter à leur auditoire (supposé encore qu'ils eussent ce talent si rare de la déclamation), que de prêcher dans un style languissant des choses aussi rebattues qu'utiles.

On demande si l'éloquence est permise aux historiens ; celle qui leur est propre consiste dans l'art de préparer les évenemens, dans leur exposition toûjours nette & élegante, tantôt vive & pressée, tantôt étendue & fleurie, dans la peinture vraie & forte des moeurs générales & des principaux personnages, dans les réflexions incorporées naturellement au récit, & qui n'y paroissent point ajoûtées. L'éloquence de Démosthene ne convient pas à Thucidide ; une harangue directe qu'on met dans la bouche d'un héros qui ne la prononça jamais, n'est guere qu'un beau défaut.

Si pourtant ces licences pouvoient quelquefois se permettre ; voici une occasion où Mezeray dans sa grande histoire semble obtenir grace pour cette hardiesse approuvée chez les anciens ; il est égal à eux pour le moins dans cet endroit : c'est au commencement du regne d'Henri IV. lorsque ce prince, avec très-peu de troupes, étoit pressé auprès de Dieppe par une armée de trente mille hommes, & qu'on lui conseilloit de se retirer en Angleterre. Mezeray s'éleve au-dessus de lui-même en faisant parler ainsi le maréchal de Biron qui d'ailleurs étoit un homme de génie, & qui peut fort bien avoir dit une partie de ce que l'historien lui attribue.

" Quoi ! Sire, on vous conseille de monter sur mer, comme s'il n'y avoit point d'autre moyen de conserver votre royaume que de le quitter ? si vous n'étiez pas en France, il faudroit percer au travers de tous les hasards & de tous les obstacles pour y venir : & maintenant que vous y êtes, on voudroit que vous en sortissiez ? & vos amis seroient d'avis que vous fissiez de votre bon gré ce que le plus grand effort de vos ennemis ne sauroit vous contraindre de faire ? En l'état où vous êtes, sortir de France seulement pour vingt-quatre heures, c'est s'en bannir pour jamais. Le péril, au reste, n'est pas si grand qu'on vous le dépeint ; ceux qui nous pensent envelopper, sont ou ceux-mêmes que nous avons tenus enfermés si lâchement dans Paris, ou gens qui ne valent pas mieux, & qui auront plus d'affaires entr'eux-mêmes que contre nous. Enfin, Sire, nous sommes en France, il nous y faut enterrer : il s'agit d'un royaume, il faut l'emporter ou y perdre la vie ; & quand même il n'y auroit point d'autre sûreté pour votre sacrée personne que la fuite, je sais bien que vous aimeriez mieux mille fois mourir de pié ferme, que de vous sauver par ce moyen. Votre majesté ne souffriroit jamais qu'on dise qu'un cadet de la maison de Lorraine lui auroit fait perdre terre ; encore moins qu'on la vît mandier à la porte d'un prince étranger. Non, non, Sire, il n'y a ni couronne ni honneur pour vous au-delà de la mer : si vous allez au-devant du secours d'Angleterre, il reculera ; si vous vous présentez au port de la Rochelle en homme qui se sauve, vous n'y trouverez que des reproches & du mépris. Je ne puis croire que vous deviez plutôt fier votre personne à l'inconstance des flots & à la merci de l'étranger, qu'à tant de braves gentils-hommes & tant de vieux soldats qui sont prêts de lui servir de remparts & de boucliers : & je suis trop serviteur de votre majesté pour lui dissimuler que si elle cherchoit sa sûreté ailleurs que dans leur vertu, ils seroient obligés de chercher la leur dans un autre parti que dans le sien. "

Ce discours fait un effet d'autant plus beau, que Mezeray met ici en effet dans la bouche du maréchal de Biron ce qu'Henri IV. avoit dans le coeur.

Il y auroit encore bien des choses à dire sur l'éloquence, mais les livres n'en disent que trop ; & dans un siecle éclairé, le génie aidé des exemples en sait plus que n'en disent tous les maîtres. Voyez ELOCUTION.


ELOQUENTadj. (Belles-Lettres) On appelle ainsi ce qui persuade, touche, émeut, éleve l'ame : on dit un auteur éloquent, un discours éloquent, un geste éloquent. Voyez aux mots ELOCUTION & ELOQUENCE, les qualités que doit avoir un discours éloquent. (O)


ELOSSITES(Hist. nat.) pierre dont on ne nous dit rien, sinon qu'en la portant on se guérit des douleurs de tête ; c'est à Ludovico Dolce que l'on est redevable de ce détail.


ELPHIN(Géog. mod.) ville du comté de Roscommon, en Irlande. Long. 19. 20. lat. 53. 56.


ELSEÇAITESVoyez ELCESAÏTES.


ELSTER(Géog. mod.) ville du cercle de haute-Saxe, en Allemagne ; elle est située au confluent de l'Elster & de l'Elbe. Long. 31. 20. lat. 51. 28.


ELTEMAN(Géog. mod.) ville de Franconie, en Allemagne ; elle est située sur le Mein. Long. 28. 21. lat. 49. 58.


ELUadj. electus, choisi, en Théologie, & sur-tout dans l'Ecriture-sainte, se dit des saints & des prédestinés : en ce sens les élûs sont ceux que Dieu a choisis, ou antécedemment ou conséquemment à leurs mérites, pour leur accorder la gloire éternelle. Voyez PREDESTINATION.

Dieu, qui a prédestiné les élûs à la gloire, les a aussi prédestinés à la grace & à la persévérance, qui sont les moyens pour parvenir à la gloire.

Dans un sens plus général, les apôtres ont donné aux premiers chrétiens le nom d'élûs, parce qu'ils avoient reçu la grace de la vocation au Christianisme. Voyez VOCATION. Chambers. (G)

ELU, adj. (Jurisprud.) est celui qui est choisi pour remplir quelque place, ou pour recueillir une succession.

Celui qui achete pour autrui, déclare que c'est pour son ami élû ou à élire. Voyez ELECTION EN AMI.

ELUS SUR LE FAIT DE L'AIDE, étoient ceux qui étoient choisis par les états, pour asseoir & faire lever les aides & autres subsides accordés au roi par les états. Voyez ci-devant ELECTION.

ELU CLERC. Voyez ci-après ELU DU CLERGE.

ELU DU CLERGE ou POUR LE CLERGE, étoit une personne choisie par le clergé de France, dans son ordre, pour asseoir & faire lever sur tous les membres du clergé, la part que chacun d'eux devoit supporter des aides & autres subventions que le clergé payoit au roi dans les besoins extraordinaires de l'état, de même que la noblesse & le peuple. Voyez ce qui en est dit ci-devant au mot ELECTIONS, & ce qui sera dit au mot ETATS.

ELU, ou Conseiller d'une élection, est un des juges qui font la fonction de conseillers dans les tribunaux appellés élections. On donne aussi quelquefois le nom d'élûs à tous les officiers de ces tribunaux, c'est-à-dire au président, lieutenant, & assesseur, de même qu'aux conseillers. Voyez ci-devant ELECTIONS.

ELUS CONSEILLERS DE LA MAREE. Voyez ELUS DE LA MAREE.

ELUS CONSEILLERS DE VILLE : ils sont nommés élûs dans des priviléges de Macon, accordés par Philippe de Valois en Février 1346 ; ils sont aussi ailleurs nommés prudhommes & élûs.

ELUS DES DECIMES, étoient les mêmes que les élûs du clergé : ils faisoient l'assiette & répartition des décimes & autres subventions payées par le clergé. Voyez DECIMES & ELECTIONS.

ELU ECCLESIASTIQUE, étoit celui qui étoit choisi par le clergé. Voyez ci-devant ELU DU CLERGE.

ELUS ou ECHEVINS, ces termes étoient autrefois synonymes en quelques provinces.

ELUS DES ELECTIONS. Voyez ELECTIONS.

ELUS DES ETATS, c'est-à-dire ceux qui sont élûs par les états généraux du royaume ou d'une province, pour faire l'assiette & répartition des impositions que le pays doit porter. Voy. ELECTIONS & ETATS.

ELUS SUR LE FAIT DES FINANCES DES AIDES, étoient les mêmes que les élûs sur le fait de l'aide.

ELUS SUR LE FAIT DES GABELLES : on donnoit quelquefois ce nom aux premiers préposés qui furent établis pour avoir l'intendance de la gabelle du sel, parce qu'ils étoient mis par élection des trois états, de même que les élûs des aides & des tailles : on les appella depuis grénetiers-contrôleurs de la gabelle, &c. ou officiers des greniers à sel.

ELUS GENERAUX ; on donnoit quelquefois ce nom à ceux qui étoient élûs par les états généraux du royaume ou d'une province, ou aux généraux des aides qui étoient élûs par les trois états ; dans les derniers tems on donnoit ce nom aux élûs de chaque diocèse, pour les distinguer des élûs particuliers qu'ils commettoient dans chaque ville. Voyez ELECTIONS.

ELUS SUR LE FAIT DE LA GUERRE, dans quelques ordonnances ils sont ainsi appellés, par abréviation de ces termes, élûs sur le fait de l'aide ordonnée pour la guerre.

ELUS SUR LE FAIT DE L'IMPOSITION FORAINE, étoient les personnes élûes par les états, qui faisoient l'assiette & levée de l'imposition foraine. Il en est parlé dans un réglement de Charles V, du 13 Juillet 1376, & dans des lettres du 15 Novembre 1378. Voyez ELECTIONS.

ELUS DES JUIFS, étoient une ou deux personnes que les Juifs demeurans en France choisissoient entr'eux, suivant la permission que le roi Jean leur en avoit donnée au mois de Mars 1360, pour ordonner faire asseoir & imposer tailles ou cueillettes, comme bon leur sembleroit, pour fournir à leurs dépenses communes.

ELUS LAÏCS, étoient ceux qui étoient choisis par la noblesse & par le tiers état, pour ordonner de l'assiete & levée des aides & autres impositions avec l'élû du clergé. Voyez ELECTIONS.

ELUS DE LA MAREE ou CONSEILLERS, c'est ainsi que le conseil des marchands forains de marée est qualifié dans les anciennes ordonnances, notamment dans des lettres de Charles V, du 20 Juin 1369 ; c'étoient eux qui mettoient par élection les vendeurs de marée. Voyez le tr. de la Police de la Mare, tome III. liv. V. ch. v.

ELUS DE MER. Voyez ELUS DE LA MAREE.

ELUS DES METIERS, c'étoient les jurés de chaque métier, que l'on appelloit ainsi dans quelques villes, comme à Tournay où il y en avoit trois dans chaque métier ; il en est parlé dans des lettres de Charles V. du 7 Février 1365.

ELUS SUR LE FAIT DES MONNOIES, furent établis en conséquence d'une ordonnance du roi Jean, du 28 Décembre 1355 ; ils étoient différens de ceux qui furent établis pour les aides par la même ordonnance.

ELUS SUR LE FAIT DES OCTROIS ou TAILLES DES VILLES. Voyez ce qui en est dit ci-devant au mot ELECTIONS, à l'occasion de l'ordonnance du mois de Mars 1331, pour la ville de Laon.

ELUS PARTICULIERS, étoient d'abord les lieutenans ou commis des élûs de chaque diocèse, ils furent ensuite érigés en titre d'office : mais ces élûs particuliers ont été réunis aux élûs généraux. V. ELECTIONS.

ELUS DES POISSONNIERS DE LA MAREE FRAICHE, c'est le titre que l'on donnoit en 1551 aux élûs des marchands de marée. Voy. ELUS DE LA MAREE, & la Mare, à l'endroit cité.

ELU DE LA PROVINCE, étoit une personne choisie par une province, pour ordonner de l'assiete & levée des tailles. Voyez ce qui en est dit au mot ELECTION.

ELUS ou PRUDHOMMES, ces termes étoient autrefois souvent conjoints & synonymes, pour désigner des échevins ou conseillers de ville, des élûs ou députés sur le fait des aides ou autres impositions, des jurés de chaque métier.

ELUS SUR LE FAIT DES SUBSIDES : quelques ordonnances donnent ce titre à ceux qui étoient élûs par les états pour faire asseoir & lever les aides, tailles, & autres subsides. Voyez les lettres de Charles V. du 2 Septembre 1370, ordonnances de la troisieme race.

ELUS POUR LES TAILLES, étoient les personnes choisies par les états en conséquence de l'ordonnance de S. Louis, pour faire asseoir & lever la taille. Voyez ELECTION.

ELUS POUR LES TAILLES DES VILLES ou POUR LES OCTROIS. Voyez au mot ELECTIONS ce qui en est dit à l'occasion du mois de Mars 1331, pour la ville de Laon. (A)


ELULS. m. (Hist. anc.) mois des Hébreux, qui revient à peu près à notre mois d'Août. Il n'a que vingt-neuf jours. C'est le douzieme mois de l'année civile, & le sixieme de l'année sainte.

Le septieme ou le neuvieme de ce mois, les Juifs jeûnent en mémoire de ce qui arriva après le retour de ceux qui étoient allés considérer la terre promise.

Le vingt-deuxieme de ce mois se fait la fête de la xylophorie, dans laquelle on portoit le bois au temple. Selden prétend qu'on la célébroit le dix-huitieme du mois ab. Voyez AB & XYLOPHORIE.

Le vingt-sixieme du mois élul, les Juifs font mémoire de la dédicace des murs de Jérusalem par Nehemie. Dictionn. de la Bible. (G)


ELUTRIATION(Chimie) opération méchanique, employée en Chimie, qui consiste à agiter dans un grand volume d'eau, un amas de petits corps solides non solubles dans l'eau, afin de séparer par ce moyen les parties les plus lourdes, qui gagnent les premieres le fond de l'eau, des plus legeres qui restent suspendues pendant quelque tems dans ce fluide. Cette opération est sur-tout usitée en Métallurgie, & elle est plus connue sous le nom de lavage. Voyez LAVAGE.

On employe quelquefois l'élutriation en Pharmacie ; elle fait partie de la pulvérisation à l'eau. Voyez PULVERISATION A L'EAU, sous le mot PULVERISATION. (b)


ELVAS(Géog. mod.) ville de l'Alentejo, en Portugal : elle est située sur une montagne, proche de la Guadiana. Long. 11. 16. lat. 38. 44.


ELWANGEN(Géog. mod.) ville de la Soüabe, en Allemagne ; elle est située sur le Jart. Long. 28. 53. lat. 49. 2.


ELY(Géog. mod.) ville du comté de Cambridge, en Angleterre ; elle est située sur l'Oust. Long. 17. 35. lat. 52. 20.


ELYERYSUou IMMORTELLE. Voyez IMMORTELLE.


ELYSÉE(CHAMPS), Mythol. en latin elysium, elysii, elysii campi (que Virgile caractérise si bien en deux mots, quand il les appelle locos laetos, sedesque beatas), étoient selon la théologie payenne, un lieu dans les enfers, plein de campagnes admirables, de prairies charmantes, & de bois délicieux, qui faisoient la demeure des gens de bien après leur mort. Orphée, Hercule, Enée, eurent le bonheur pendant leur vie, de voir une fois ce beau séjour.

A la droite du Tartare, disent les Poëtes, se trouve un chemin qui conduit aux champs élysées, dans ces îles fortunées, où les ames de ceux qui ont bien vécu pendant cette vie, joüissent d'une paix profonde, & des plaisirs innocens.

Tout ce qui peut entrer dans les descriptions les plus brillantes & les plus fleuries, est peut-être rassemblé dans la peinture des champs élysées faite par Pindare ; du moins Anacréon & Sapho, Moschus & Bion, dont les écrits sont pleins d'images douces & riantes, n'ont rien qui soit au-dessus du tableau du poëte lyrique de la Grece ; cependant Homere a donné le premier modele de toutes les descriptions de l'élysée, qu'ont fait depuis sous différentes peintures Virgile, Ovide, Tibulle, Lucain, & Claudien.

Reste à savoir en quel endroit du monde étoit cette demeure fortunée, son origine, & l'espace de tems que les ames habitoient ce séjour délicieux. Mais c'est sur quoi les sentimens sont fort partagés.

Les uns établissent l'élysée au milieu des airs ; d'autres, comme Plutarque, dans la lune ou dans le soleil ; & d'autres au centre de la terre ; Platon le met sous la terre, c'est-à-dire dans l'hémisphere de la terre diamétralement opposé au nôtre, ou pour le dire en d'autres termes, aux antipodes. Homere semble placer les champs élysées au pays des Cymmériens, que M. le Clerc croit être l'Epire ; Virgile les met en Italie ; quelques modernes entendent par les îles fortunées, celles que nous appellons aujourd'hui les Canaries ; mais elles n'étoient pas connues des anciens, qui n'osoient passer le détroit, & qui ne perdoient point les côtes de vûe.

Si l'on en croit quelques autres, l'élysée étoit le charmant pays de la Bétique (aujourd'hui la Grenade & l'Andalousie), tout y quadre, selon Bochart, à la description des Poëtes.

Le plus important est de découvrir l'origine de leurs fables, touchant le séjour des ames après la mort. On ne peut douter ici que la premiere notion des champs élysées, de même que celle de l'enfer, ne soit venue d'Egypte. Voyez ENFER.

Consultez Vossius, le Clerc, & autres ; voyez aussi Jacques Winder, de vitâ functorum statu, apud Ethnicos.

M. Pluche, dans son histoire du ciel, donne à cette fable une explication assez simple. Diodore de Sicile dit que la sépulture commune des Egyptiens étoit au-delà d'un lac nommé Acherusie : que le mort étoit apporté sur le bord de ce lac, au pié d'un tribunal composé de plusieurs juges, qui informoient de ses vie & moeurs. S'il n'avoit pas été fidele aux lois, on jettoit le corps dans une fosse ou espece de voyerie qu'on nommoit le Tartare. S'il avoit été vertueux, un batelier conduisoit le corps au-delà du lac dans une plaine embellie de prairies, de ruisseaux, de bosquets, & de tous les agrémens champêtres. Ce lieu se nommoit élisout ou les champs élysées, c'est-à-dire pleine satisfaction, séjour de repos ou de joie. Hist. du ciel, tom. I. pag. 124 & 126. (G)

Au reste si les Poëtes ont varié sur la situation des champs élysées, ils ne sont pas plus d'accord sur le tems que les ames y doivent demeurer. Anchise semble insinuer à Enée son fils, qu'après une révolution de mille ans, les ames bûvoient de l'eau du fleuve Léthé, & venoient dans d'autres corps ; en quoi Virgile adopte en quelque maniere la fameuse opinion de la métempsycose, qui a eu tant de partisans, & qui devoit encore son origine aux Egyptiens. Voy. METEMPSYCOSE. Add. de M. le Chev(D.J.)


ELYTROIDEsub. f. en Anatomie, est l'une des trois tuniques propres des testicules. Ce mot vient du grec , vagina, guaine, & , forme.

L'élytroïde est la seconde des tuniques propres des testicules : elle ressemble à une guaine, ce qui la fait nommer aussi vaginale par quelques auteurs : elle est formée par la dilatation de la production du péritoine ; sa surface interne est tapissée d'une membrane particuliere très-fine, qui forme une espece de diaphragme, qui empêche la communication entre la guaine du cordon spermatique, & la capsule ou tunique vaginale du testicule ; & l'externe est cellulaire, ce qui la rend d'autant plus adhérente à la premiere des tuniques propres, qui se nomme érythroïde. Voyez ERYTHROÏDE. (L)


EMACURIESS. f. (Myth.) fêtes qui se célebroient à Lacédémone au tombeau de Pélops ; là de jeunes garçons se foüetoient jusqu'à ce que le tombeau fût arrosé de leur sang. Voilà des fêtes qui se sentent bien du caractere dur & austère du peuple. Voyez FETES.


EMAGES. m. (Comm.) ancien droit qui se leve sur le sel en quelques endroits de Bretagne, & particulierement dans les bureaux de la prevôté de Nantes. La pancarte de cette prevôté porte, que le roi & duc prend sur les sels de Poitou le sixieme denier du prix que se monte l'ancienne coûtume appellée émage. Dict. de Comm. & de Trév. Voyez l'article SEL. (G)


EMAILS. m. (Art. méch.) branche de l'art de la Verrerie. L'émail est une préparation particuliere du verre, auquel on donne différentes couleurs, tantôt en lui conservant une partie de sa transparence, tantôt en la lui ôtant ; car il y a des émaux transparens, & des émaux opaques. Voyez à l'article VERRERIE, l'art de colorer le verre.

Les auteurs distinguent trois sortes d'émaux : ceux qui servent à imiter & contrefaire les pierres précieuses ; voyez PIERRE PRECIEUSE : ceux qu'on employe dans la peinture sur l'émail ; & ceux dont les Emailleurs à la lampe font une infinité de petits ouvrages, tels que des magots, des animaux, des fleurs, des aigrettes, des poudres brillantes, &c. Ils prétendent que ces émaux sont les mêmes pour le fond, & que s'ils différent, ce n'est que par les couleurs & la transparence.

Le P. Kircher est un des premiers qui ait parlé de la peinture en émail. Voyez ce qu'il en dit dans son mundus subterraneus, ouvrage de génie, mais dont le mérite est un peu rabaissé par le mêlange du vrai & du faux.

On a cru pendant long-tems, que la peinture encaustique des anciens étoit la même chose que notre peinture en émail. Ce fait commence à devenir très-douteux. Voyez l'article ENCAUSTIQUE.

Il est vrai que les anciens ont connu l'art de la Verrerie, & qu'ils ont possédé le secret de porter des couleurs dans le verre ; ce qui conduisoit naturellement à la peinture en émail : mais il ne paroît point qu'ils y soient arrivés. Ils touchoient à beaucoup d'autres découvertes que nous avons faites, de même que nous touchons à beaucoup d'autres que nous laisserons à faire à nos neveux, qui ne s'étonneront pas qu'elles nous ayent échappé, s'ils ont un peu de philosophie.

Nous allons donner en premier lieu la maniere de faire les émaux, d'après Neri & Kunckel ; nous expliquerons ensuite la maniere de les employer, ou le travail de l'émailleur, que nous diviserons en trois parties, l'art de peindre sur l'émail, l'art d'employer les émaux clairs ou transparens, & l'art de souffler l'émail à la lampe.

I. De la préparation des émaux. Kunckel qui se connoissoit en ouvrages de Chimie, faisoit le plus grand cas de l'art de la verrerie de Neri. Il s'est donné la peine d'éprouver tous les procédés que Neri a prescrits dans ce traité, & il a trouvé dans le livre des émaux en particulier tant d'exactitude, qu'il ne balance point à dire que quand Neri ne nous auroit laissé que ce morceau, il mériteroit la réputation qu'il s'est acquise. C'est à M. le baron d'Holback que nous devons la traduction de l'ouvrage de Neri, des notes de Merret, du commentaire de Kunckel, & de plusieurs autres morceaux intéressans, qui forment ensemble un volume in -4°. très-considérable, d'où nous allons extraire la premiere partie de cet article.

Préparer une matiere commune pour toutes sortes d'émaux. Prenez trente livres de plomb & trente livres d'étain bien purs ; faites calciner, passez les chaux au tamis, remplissez d'eau claire un vaisseau de terre vernissé, faites-y bouillir les chaux ; lorsqu'elles auront un peu bouilli, retirez le vaisseau de dessus le feu, & versez l'eau par inclination, elle entraînera avec elle la partie la plus subtile des chaux. Versez de nouvelle eau sur les chaux qui resteront au fond du vaisseau, faites bouillir comme auparavant, & décantez ; réitérez la même manoeuvre jusqu'à ce que l'eau n'entraîne plus aucune portion des chaux. Alors prenez ce qui en restera au fond du vaisseau, & le récalcinez ; opérez sur ces métaux calcinés derechef, ou sur ces secondes chaux, comme vous avez opéré sur les premieres. Quant à l'eau qui s'est chargée successivement de la partie la plus subtile de la chaux, faites-la évaporer à un feu, que vous observerez sur-tout de ralentir sur la fin ; sans cette précaution, vous risquerez de tacher la partie de la chaux qui touchera le fond du vaisseau.

Prenez de cette chaux si déliée & de la fritte de tarse ou caillou blanc, que vous broyerez & tamiserez avec soin, de chacune cinquante livres ; de sel de tartre blanc huit onces : mêlez ces matieres ; exposez-les au feu pendant dix heures, dans un pot neuf de terre cuite ; retirez-les ensuite, & les pulvérisez ; serrez cette poudre dans un lieu sec, & la tenez à couvert de toute ordure ; ce sera la base commune de tous les émaux.

Kunckel substitue aux huit onces de sel de tartre huit onces de potasse purifiée à plusieurs reprises, & dégagée le plus exactement qu'il est possible de toutes saletés.

Faire un émail blanc de lait. Prenez de la matiere commune pour tous les émaux, six livres ; de magnésie quarante-huit grains : mettez le mêlange dans un pot vernissé blanc ; faites-le fondre au fourneau à un feu clair, sans fumée, d'un bois de chêne bien sec, la fusion se fera promtement. Lorsqu'elle sera parfaite, versez le mêlange dans une eau bien claire, qui l'éteigne & la purifie ; réiterez toute cette manoeuvre trois fois de suite. Lorsque vous aurez remis le mêlange au feu pour la quatrieme fois, voyez s'il vous paroît blanc ; si vous lui trouvez un oeil verdâtre, ajoûtez-y un peu de magnésie : cette addition convenablement faite, lui donnera la blancheur de lait.

Libavius & Porta composent cet émail d'une partie de plomb calciné, de deux parties de chaux d'étain, & de deux fois autant de verre.

Kunckel veut absolument qu'on y employe la magnésie, mais qu'on en fasse l'addition petit-à-petit ; observant de n'en pas rendre la dose trop forte, parce qu'elle ne se consume pas, & qu'elle donne au verre une couleur de pêcher pâle.

Autre émail blanc. Prenez d'antimoine & de nitre bien mêlés & bien broyés, de chacun douze livres ; de la matiere du verre commun, cent soixante & seize livres : mêlez exactement le tout ; faites calciner le mêlange au fourneau, & le réduisez en fritte, ou, ce qui revient au même, faites un régule d'antimoine avec de l'antimoine crud & du nitre, comme la Chimie le prescrit. Ce régule mêlé au verre, vous donnera un émail blanc & propre à recevoir toutes sortes de couleurs.

Kunckel qui prescrit ce procédé, dit que pour employer cet émail il faut le réduire en une poudre fine, en le broyant pendant vingt-quatre heures avec du vinaigre distillé ; que cette attention le dispose à entrer facilement en fusion : mais que pour l'appliquer, il faut l'humecter d'eau de gomme, & commencer par tracer tout ce qu'on voudra colorer avec la couleur noire, ou le rouge brun, ou l'émail même, ce qui vaut encore mieux.

Faire un émail bleu turquin. Prenez de la matiere commune pour tous les émaux, six livres : mettez dans un pot de terre vernissé en blanc, faites fondre, purifiez par l'extinction dans l'eau, ajoûtez trois onces d'écailles de cuivre calcinées par trois fois ; prenez quatre-vingt-seize grains de safre, & quarante-huit grains de magnésie, réduisez en poudre ces deux derniers ingrédiens, mêlez bien les poudres ; faites-en quatre parties, ajoûtez-les à la matiere commune des émaux à quatre reprises différentes. Remuez bien le mêlange ; si la couleur vous paroît belle, le procédé sera fini ; si au contraire vous la trouvez trop foible ou trop forte, vous l'affoiblirez par l'addition d'un peu de la matiere commune des émaux : pour la fortifier, vous vous servirez du safre, & le plus ou le moins de matieres colorantes vous donnera différentes teintes.

Faire un émail bleu d'azur. Prenez quatre livres d'émail blanc, deux onces de safre, quarante-huit grains d'aes ustum calciné par trois fois : mêlez bien ces poudres. Exposez le mêlange au fourneau de verrerie, dans un pot vernissé blanc ; quand il vous paroîtra bien fondu & bien purifié, éteignez-le dans l'eau, & le procédé sera fini.

Kunckel prescrit de faire fondre à la fois, dix, vingt, trente livres d'émail, de les éteindre dans l'eau, de les faire fondre derechef, & de les garder pour l'usage qu'il prescrit de la maniere suivante ; après avoir averti que le procédé de Neri est excellent, & que si l'on ne réussit pas, sur-tout dans les couleurs où il entre du safre, c'est que la qualité de cette matiere varie, & que toute la chimie des émaux demande un grand nombre d'essais.

Pour avoir différentes teintes, il faut, selon Kunckel, prendre d'abord un verre clair & transparent ; mettre un grain de magnésie sur une once de verre, en faire autant avec le safre, & voir la couleur résultante ; puis deux grains de magnésie, &c.

Faire un émail verd. Prenez quatre livres de fritte d'émail : mettez dans un pot de terre vernissé blanc, faites fondre & purifier au feu pendant dix à douze heures, éteignez dans l'eau, remettez au feu ; quand la matiere sera en fusion, ajoûtez deux onces d'aes ustum, & quarante-huit grains d'écailles de fer : le tout bien broyé & bien mêlé, ajoûtez ce mêlange de poudres à trois reprises & petit-à-petit, remuez bien : cela fait, vous aurez un bel émail verd à pouvoir être mis sur l'or.

Autre émail verd. Prenez six livres de la matiere commune des émaux, ajoutez-y trois onces de ferret d'Espagne, & quarante-huit grains de safran de Mars, le tout bien broyé ; mettez ce mêlange dans un pot vernissé à l'ordinaire, purifiez-le en l'éteignant dans l'eau ; après l'extinction, faites fondre derechef.

Autre émail verd. Mettez au feu quatre livres d'émail, faites fondre, & purifiez à l'ordinaire ; faites fondre derechef ; ajoûtez à trois reprises la poudre suivante, composée de deux onces d'aes ustum & de quarante-huit grains de safran de Mars, le tout bien pulvérisé & bien mêlangé.

Faire un émail noir. Prenez quatre livres de la matiere commune des émaux ; de safre & de magnésie de Piémont, de chacun deux onces : mettez ce mêlange au fourneau dans un pot vernissé, afin qu'il se purifie. Prenez le pot plus grand qu'il ne le faudroit, eu égard à la quantité des matieres, afin qu'elles puissent se gonfler sans se répandre ; éteignez dans l'eau, remettez au feu, formez des gâteaux.

Autre émail noir. Prenez de la fritte d'émail, six livres ; du safre, du safran de Mars fait au vinaigre, & du ferret d'Espagne, de chacun deux onces : mettez le mêlange dans un pot vernissé, & achevez le procédé comme les précédens.

Autre émail noir. Prenez de la matiere commune des émaux, quatre livres ; de tartre rouge, quatre onces ; de magnésie de Piémont préparée, deux onces : réduisez le tout en une poudre fine. Mêlez bien cette poudre à la matiere commune des émaux ; mettez le mêlange dans un pot vernissé, de maniere qu'il reste une partie du pot vuide, & achevez le procédé comme les précédens.

Faire un émail purpurin. Prenez de fritte d'émail quatre livres, de magnésie deux onces ; mettez le mêlange au feu dans un pot, dont il reste une grande partie vuide.

Kunckel observe que la dose de deux onces de magnésie sur quatre livres de fritte est forte, & que la couleur pourra venir foncée ; mais il ajoûte qu'il est presqu'impossible de rien prescrire d'exact sur les doses, parce que la qualité des matieres, la nature des couleurs, & les accidens du feu, occasionnent de grandes variétés.

Autre émail purpurin. Prenez de la matiere commune des émaux, six livres ; de magnésie, trois onces, d'écailles de cuivre calcinées par trois fois, six onces : mêlez exactement, réduisez en poudre, & procédez comme ci-dessus.

Le succès de ce procédé depend surtout de la qualité de la magnésie, & de la conduite du feu. Trop de feu efface les couleurs ; & moins la magnésie a de qualité, plus il en faut augmenter la dose.

Faire un émail jaune. Prenez de la matiere commune de l'émail, six livres ; de tartre trois onces, de magnésie soixante & douze grains : mêlez & incorporez bien ces matieres avec celle de l'émail ; & procédant comme ci-dessus, vous aurez un émail jaune bon pour les métaux, à l'exception de l'or, à moins qu'on ne le soûtienne par d'autres couleurs.

Kunckel avertit que, si on laisse trop long-tems au feu, le jaune s'en ira ; qu'il ne faut pas pour cette couleur un tartre pur & blanc, mais un tartre sale & grossier ; & que sa coûtume est d'y ajoûter un peu de cette poudre jaune qu'on trouve dans les vieux chênes, & au défaut de cette poudre, un peu de charbon pilé.

Faire un émail bleu. Prenez d'oripeau calciné deux onces, de safre quarante-huit grains ; réduisez en poudre, mêlez les poudres, répandez-les dans quatre livres de la matiere commune des émaux, & achevez comme ci-dessus.

Faire un émail violet. Prenez de la matiere commune des émaux six livres, de magnésie deux onces, d'écailles de cuivre calcinées par trois fois quarante-huit grains, & achevez comme ci-dessus.

Kunckel dit sur les deux derniers émaux, qu'ils donnent l'aigue-marine ; il prescrit le safre seul pour le bleu, & il veut qu'on y ajoûte un peu de magnésie pour le violet : mais il se rétracte ensuite ; il approuve les deux procédés de Neri : il ajoûte seulement qu'il importe pour ces deux couleurs de retirer du feu à propos ; observation générale pour toutes les autres couleurs.

Ces émaux viennent de Venise ou de Hollande ; ils sont en petits pains plats de différentes grandeurs. Ils ont ordinairement quatre pouces de diamêtre, & quatre à cinq lignes d'épaisseur. Chaque pain porte empreinte la marque de l'ouvrier : cette empreinte se donne avec un gros poinçon ; c'est ou un nom de Jesus, ou un soleil, ou une syrene, ou un sphynx, ou un singe, &c.

II. L'art de peindre sur l'émail. L'art d'émailler sur la terre est ancien. Il y avoit au tems de Porsenna roi des Toscans, des vases émaillés de différentes figures. Cet art, après avoir été long-tems brut, fit tout-à-coup des progrès surprenans à Faenza & à Castel-Durante, dans le duché d'Urbin. Michel Ange & Raphaël florissoient alors : aussi les figures qu'on remarque sur les vases qu'on émailloit, sont-elles infiniment plus frappantes par le dessein, que par le coloris. Cette espece de peinture étoit encore loin de ce qu'elle devoit devenir un jour ; on n'y employoit que le blanc & le noir, avec quelques teintes legeres de carnation au visage & à d'autres parties : tels sont les émaux qu'on appelle de Limoges. Les pieces qu'on faisoit sous François I. sont très-peu de chose, si on ne les estime que par la maniere dont elles sont coloriées. Tous les émaux dont on se servoit, tant sur l'or que sur le cuivre, étoient clairs & transparens. On couchoit seulement quelquefois des émaux épais, séparément & à plat, comme on le pratiqueroit encore aujourd'hui si l'on se proposoit de former un relief. Quant à cette peinture dont nous nous proposons de traiter, qui consiste à exécuter avec des couleurs métalliques, auxquelles on a donné leurs fondans, toutes sortes de sujets, sur une plaque d'or ou de cuivre qu'on a émaillée & quelquefois contre-émaillée, elle étoit entierement ignorée.

On en attribue l'invention aux François. L'opinion générale est qu'ils ont les premiers exécuté sur l'or des portraits aussi beaux, aussi finis, & aussi vivans que s'ils avoient été peints où à l'huile ou en mignature. Ils ont même tenté des sujets d'histoire, qui ont au moins cet avantage que l'éclat en est inaltérable.

L'usage en fut d'abord consacré au bijou. Les Bijoutiers en firent des fleurs & de la mosaïque où l'on voyoit des couleurs brillantes, employées contre toutes les regles de l'art, captiver les yeux par le seul charme de leur éclat.

La connoissance de la manoeuvre produisit une sorte d'émulation, qui, pour être assez ordinaire, n'en est pas moins précieuse ; ce fut de tirer un meilleur parti des difficultés qu'on avoit surmontées, en produisant des ouvrages plus raisonnables & plus parfaits. Quand il n'y eut plus de mérite à émailler purement & simplement, on songea à peindre en émail ; les Joailliers se firent peintres, d'abord copistes des ouvrages des autres, ensuite imitateurs de la nature.

Ce fut en 1632 qu'un orfévre de Châteaudun, qui entendoit très-bien l'art d'employer les émaux clairs & transparens, se mit à chercher l'autre peinture, qu'on appellera plus exactement peinture sur l'émail qu'en émail ; & il parvint à trouver des couleurs, qui s'appliquoient sur un fond émaillé d'une seule couleur, & se parfondoient au feu. Il eut pour disciple un nommé Gribalin : ces deux peintres communiquerent leur secret à d'autres artistes qui le perfectionnerent, & qui pousserent la peinture en émail jusqu'au point où nous la possédons aujourd'hui. L'orfévre de Châteaudun s'appelloit Jean Toutin.

Le premier qui se distingua entre ces artistes, fut l'orfévre Dubié qui logeoit aux galeries du louvre. Peu de tems après Dubié, parut Morliere : il étoit d'Orléans. Il travailloit à Blois. Il borna son talent à émailler des bagues & des boîtes de montre. Ce fut lui qui forma Robert Vouquer de Blois, qui l'emporta sur ses prédécesseurs par la beauté des couleurs qu'il employa, & par la connoissance qu'il eut du dessein. Vouquer mourut en 1670. Pierre Chartier de Blois lui succéda, & peignit des fleurs avec quelque succès.

La durée de la peinture en émail, son lustre permanent, la vivacité de ses couleurs, la mirent alors en grand crédit : on lui donna sur la peinture en mignature une préférence, qu'elle eût sans-doute conservée, sans les connoissances qu'elle suppose, la patience qu'elle exige, les accidens du feu qu'on ne peut prévoir, & la longueur du travail auquel il faut s'assujettir. Ces raisons sont si fortes, qu'on peut assûrer sans craindre de se tromper, qu'il y aura toûjours un très-petit nombre de grands peintres en émail ; que les beaux ouvrages qui se feront en ce genre seront toûjours très-rares & très-précieux, & que cette peinture sera longtems encore sur le point de se perdre ; parce que la recherche des couleurs prenant un tems infini à ceux qui s'en occupent, & les succès ne s'obtenant que par des expériences coûteuses & réitérées, on continuera d'en faire un secret. C'est pour cette raison que nous invitons ceux qui aiment les Arts, & que leur état & leur fortune ont élevés au-dessus de toute considération d'intérêt, de publier sur la composition des couleurs propres pour la peinture de l'émail & de la porcelaine, ce qu'ils peuvent en connoître ; ils se feront beaucoup d'honneur, & ils rendront un service important à la Peinture. Les peintres sur l'émail ont une peine incroyable à complete r leur palette ; & quand elle est à peu près complete , ils craignent toûjours qu'un accident ne la dérange, ou que quelques couleurs dont ils ignorent la composition, & qu'ils employent avec beaucoup de succès, ne viennent à leur manquer. Il m'a paru, par exemple, que des rouges de Mars qui eussent de l'éclat & de la fixité étoient très-rares. Comment un Art se perfectionnera-t-il, lorsque les expériences d'un artiste ne s'ajoûteront point aux expériences d'un autre artiste, & que celui qui entrera dans la carriere sera obligé de tout inventer, & de perdre à chercher des couleurs, un tems précieux qu'il eût employé à peindre ?

On vit immédiatement après Pierre Chartier, plusieurs artistes se livrer à la peinture en émail. On fit des médailles : on exécuta un grand nombre de petits ouvrages : on peignit des portraits. Jean Petitot & Jacques Bordier en apporterent d'Angleterre de si parfaits & de si parfaitement coloriés, que deux bons peintres en mignature, Louis Hance & Louis de Guernier, tournerent leur talent de ce côté. Ce dernier se livra à la peinture en émail avec tant d'ardeur & d'opiniâtreté, qu'il l'eût sans-doute portée au point de perfection qu'elle pouvoit atteindre, s'il eût vêcu davantage. Il découvrit cependant plusieurs teintes, qui rendirent ses carnations plus belles que ses prédécesseurs ne les avoient eues. Que sont devenues ces découvertes ?

Mais s'il est vrai, dans tous les Arts, que la distance du médiocre au bon est grande, & que celle du bon à l'excellent est presqu'infinie, ce sont des vérités singulierement frappantes dans la peinture en émail. Le degré de perfection le plus leger dans le travail, quelques lignes de plus ou de moins sur le diamêtre d'une piece, constituent au-delà d'une certaine grandeur des différences prodigieuses.

Pour peu qu'une piece soit grande, il est presque impossible de lui conserver cette égalité de superficie, qui permet seule de joüir également de la peinture de quelque côté que vous la regardiez. Les dangers du feu augmentent en raison des surfaces. M. Rouquet, dont je ne pense pas que qui que ce soit recuse le jugement dans cette matiere, prétend même, dans son ouvrage de l'état des Arts en Angleterre, que le projet d'exécuter de grands morceaux en émail, est une preuve décisive de l'ignorance de l'artiste ; que ce genre de peinture perd de son mérite, à proportion qu'on s'éloigne de certaines limites ; que l'artiste n'a plus au-delà de ces limites la même liberté dans l'exécution, & que le spectateur seroit plûtôt fatigué qu'amusé par les détails, quand même il arriveroit à l'artiste de réussir.

Jean Petitot né à Geneve en 1607, mourut à Vevay en 1691. Il se donna des peines incroyables pour perfectionner son talent. On dit qu'il dut ses belles couleurs à un habile chimiste avec lequel il travailla, mais on ne nomme point ce chimiste. Cependant c'est l'avis de M. Rouquet : Petitot, dit-il, n'eût jamais mis dans ses ouvrages cette manoeuvre si fine & si séduisante, s'il avoit opéré avec les substances ordinaires. Quelques heureuses découvertes lui fournirent les moyens d'exécuter sans peine des choses surprenantes que, sans le secours de ces découvertes, les organes les plus parfaits, avec toute l'adresse imaginable, n'auroient jamais pû produire. Tels sont les cheveux que Petitot peignoit avec une légéreté dont les instrumens & les préparations ordinaires ne sont nullement capables. S'il est vrai que Petitot ait eu des moyens méchaniques qui se soient perdus, quel regret pour ceux qui sont nés avec un goût vif pour les Arts, & qui sentent tout le prix de la perfection !

Petitot copia plusieurs portraits d'après les plus grands maîtres : on les conserve précieusement. Vandeik se plut à le voir travailler, & ne dédaigna pas quelquefois de retoucher ses ouvrages.

Louis XIV & sa cour employerent long-tems son pinceau. Il obtint une pension considérable & un logement aux galeries, qu'il occupa jusqu'à la révocation de l'édit de Nantes. Ce fut alors qu'il se retira dans sa patrie.

Bordier son beau-frere, auquel il s'étoit associé, peignoit les cheveux, les draperies, & les fonds ; Petitot se chargeoit toûjours des têtes & des mains.

Ils traiterent non-seulement le portrait, mais encore l'histoire. Ils vêcurent sans jalousie, & amasserent près d'un million qu'ils partagerent sans procès.

On dit qu'il y a un très-beau morceau d'histoire de ces deux artistes dans la bibliothéque de Geneve.

M. Rouquet fait l'éloge d'un peintre Suédois appellé M. Zink. Ce peintre a travaillé en Angleterre. Il a fait un grand nombre de portraits, où l'on voit l'émail manié avec une extrème facilité, l'indocilité des matieres subjuguée, & les entraves que l'art de l'émail met au génie entierement brisées. Le peintre de Geneve dit de M. Zink ce qu'il a dit de Petitot, qu'il a possedé des manoeuvres & des matieres qui lui étoient particulieres, & sans lesquelles ses ouvrages n'auroient jamais eu la liberté du pinceau, la fraîcheur, la vérité, l'empâtement qui leur donnent l'effet de la nature. Les mots par lesquels M. Rouquet finit l'éloge de M. Zink sont remarquables : " il est bien humiliant, dit M. Rouquet, pour la nature humaine, que les Génies ayent la jalousie d'être seuls ". M. Zink n'a point fait d'éléve.

Nous avons aujourd'hui quelques hommes habiles dans la peinture en émail ; tout le monde connoît les portraits de ce même M. Rouquet que nous venons de citer, ceux de M. Liotard, & les compositions de M. Durand. Je me fais honneur d'être l'ami de ce dernier, qui n'est pas moins estimable par l'honnêteté de ses moeurs & la modestie de son caractere, que par l'excellence de son talent. La postérité qui fera cas de ses ouvrages en émail, recherchera avec le plus grand empressement les morceaux qu'il a exécutés sur la nacre, & qui auront échappé à la barbarie de nos petits-maîtres. Mais je crains bien que la plûpart de ces bas-reliefs admirables, roulés brutalement sur des tables de marbre, qui égratignent & défigurent les plus belles têtes, les plus beaux contours, ne soient effacés & détruits, lorsque les amateurs en connoîtront la valeur, qui n'est pas ignorée aujourd'hui, sur-tout des premiers artistes. C'est en lui voyant travailler un très-beau morceau de peinture en émail, soit qu'on le considere par le sujet, ou par le dessein, ou par la composition, ou par l'expression, ou même par le coloris, que j'écrivois ce que je détaillerai de la peinture en émail, après que j'aurai fait connoître en peu de mots le morceau de peinture dont il s'agit.

C'est une plaque destinée à former le fond d'une tabatiere d'homme, d'une forme ronde, & d'une grandeur qui passe un peu l'ordinaire. On voit sur le devant un grand Amour de dix-huit ans ; droit, l'air triomphant & satisfait, appuyé sur son arc, & montrant du doigt Hercule qui apprend à filer d'Omphale : cet amour semble dire à celui qui le regarde ces deux vers :

Qui que tu sois, tu vois ton maître ;

Il l'est, le fut, ou le doit être.

ou

Quand tu serois Jupiter même,

Je te ferai filer aussi.

Hercule est renversé nonchalamment aux piés d'Omphale, sur laquelle il attache les regards les plus tendres & les plus passionnés. Omphale est occupée à lui apprendre à faire tourner un fuseau dont elle tient l'extrémité entre ses doigts. La dignité de son visage, la finesse de son souris, je ne sais quels vestiges d'une passion mal célée qui s'échappe imperceptiblement de tous ses traits, sont autant de choses qu'il faut voir & qui ne peuvent s'écrire. Elle est assise sur la peau du lion de Nemée ; un de ses piés délicats est posé sur la tête de l'animal terrible ; cependant trois petits Amours se joüent de la massue du héros qu'ils ont mise en balançoire. Ils ont chacun leur caractere. Un paysage forme le fond du tableau. Ce morceau vû à l'oeil nud fait un grand plaisir ; mais regardé à la loupe, c'est toute autre chose encore ; on en est enchanté.

C'est l'orfévre qui prépare la plaque sur laquelle on se propose de peindre. Sa grandeur & son épaisseur varient, selon l'usage auquel on la destine. Si elle doit former un des côtés d'une boîte, il faut que l'or en soit à vingt-deux carats au plus : plus fin, il n'auroit pas assez de soûtien ; moins fin, il seroit sujet à fondre. Il faut que l'alliage en soit moitié blanc & moitié rouge, c'est-à-dire moitié argent & moitié cuivre ; l'émail dont on la couvrira, en sera moins exposé à verdir, que si l'alliage étoit tout rouge.

Il faudra recommander à l'orfévre de rendre son or bien pur & bien net ; & de le dégager exactement de pailles & de vent ; sans ces précautions il se fera immanquablement des soufflures à l'émail, & ces défauts seront sans remede.

On réservera autour de la plaque un filet qu'on appelle aussi bordement. Ce filet ou bordement retiendra l'émail, & l'empêchera de tomber, lorsqu'étant appliqué on le pressera avec la spatule. On lui donnera autant de hauteur qu'on veut donner d'épaisseur à l'émail ; mais l'épaisseur de l'émail variant selon la nature de l'ouvrage, il en est de même de la hauteur du filet ou bordement. On observera seulement que quand la plaque n'est point contre-émaillée, il faudra qu'elle soit moins chargée d'émail, parce que l'émail mis au feu tirant l'or à soi, la piece deviendroit convexe.

Lorsque l'émail ne doit point couvrir toute la plaque, alors il faut lui pratiquer un logement. Pour cet effet on trace sur la plaque les contours du dessein ; on se sert de la mine de plomb, ensuite du burin. On champleve tout l'espace renfermé dans les contours du dessein, d'une profondeur égale à la hauteur qu'on eût donnée au filet, si la plaque avoit dû être entierement émaillée.

On champleve à l'échope, & cela le plus également qu'on peut : c'est une attention qu'il ne faut pas négliger. S'il y avoit une éminence, l'émail se trouvant plus foible en cet endroit, le verd pourroit y pousser. Les uns pratiquent au fond du champlever des hachures legeres & serrées, qui se croisent en tous sens ; les autres y font des traits ou éraflures, avec un bout de lime cassé quarrément.

L'usage de ces éraflures ou hachures, c'est de donner prise à l'émail, qui, sans cette précaution, pourroit se séparer de la plaque. Si l'on observoit de tremper la piece champlevée dans de l'eau régale affoiblie, les inégalités que son action formeroit sur le champlever, pourroient remplir merveilleusement la vûe de l'artiste dans les hachures qu'il y pratique : c'est une expérience à faire. Au reste il est évident qu'il ne faudroit pas manquer de laver la piece dans plusieurs eaux, au sortir de l'eau régale.

Quoiqu'il en soit de cette conjecture, lorsque la piece est champlevée, il faut la dégraisser. Pour la dégraisser on prendra une poignée de cendres gravelées qu'on fera bouillir dans une pinte d'eau ou environ, avec la piece à dégraisser. Au défaut de cendres gravelées on pourroit se servir de celles du foyer, si elles étoient de bois neuf ; mais les cendres gravelées leur sont préférables. Voyez CENDRES.

Au sortir de cette lessive on lavera la piece dans de l'eau claire où l'on aura mis un peu de vinaigre ; & au sortir de ce mêlange d'eau & de vinaigre, on la relavera dans l'eau claire.

Voilà les précautions qu'il importe de prendre sur l'or ; mais on se détermine quelquefois, par économie, à émailler sur le cuivre rouge : alors on est obligé d'amboutir toutes les pieces, quelle que soit la figure qu'elles ayent, ronde, ovale, ou quarrée. Les amboutir, dans cette occasion, c'est les rendre convexes du côté à peindre, & concaves du côté à contre-émailler. Pour cet effet il faut avoir un poinçon d'acier de la même forme qu'elles, avec un bloc de plomb : on pose la piece sur le bloc ; on appuie dessus le poinçon, & l'on frappe sur la tête du poinçon avec un marteau. Il faut frapper assez fort pour que l'empreinte du poinçon se fasse d'un seul coup. On prend du cuivre en feuilles, de l'épaisseur d'un parchemin. Il faut que le morceau qu'on employe soit bien égal & bien nettoyé : on passe sur la surface le grattoir, devant & après qu'il a reçû l'empreinte. Ce qu'on se propose en l'amboutissant, c'est de lui donner de la force, & de l'empêcher de s'envoiler.

Cela fait, il faut se procurer un émail qui ne soit ni tendre ni dur : trop tendre, il est sujet à se fendre ; trop dur, on risque de fondre la plaque. Quant à la couleur, il faut que la pâte en soit d'un beau blanc de lait. Il est parfait, s'il réunit à ces qualités la finesse du grain. Le grain de l'émail sera fin, si l'endroit de la surface d'où il s'en sera détaché un éclat, paroît égal, lisse & poli.

On prendra le pain d'émail, on le frappera à petits coups de marteau, en le soûtenant de l'extrêmité du doigt. On recueillera tous les petits éclats dans une serviette qu'on étendra sur soi ; on les mettra dans un mortier d'agate, en quantité proportionnée au besoin qu'on en a. On versera un peu d'eau dans le mortier : il faut que cette eau soit froide & pure : les artistes préferent celle de fontaine à celle de riviere. On aura une molette d'agate ; on broyera les morceaux d'émail, qu'on arrosera à mesure qu'ils se pulveriseront : il ne faut jamais les broyer à sec. On se gardera bien de continuer le broyement trop long-tems. S'il est à-propos de ne pas sentir l'émail graveleux, soit au toucher, soit sous la molette, il ne faut pas non plus qu'il soit en boue ; on le réduira en molécules égales ; car l'inégalité supposant des grains plus petits les uns que les autres, les petits ne pourroient s'arranger autour des gros, sans y laisser des vuides inégaux, & sans occasionner des vents. On peut en un bon quart-d'heure broyer autant d'émail qu'il en faut pour charger une boîte.

Il y a des artistes qui prétendent qu'après avoir mis l'émail en petits éclats, il faut le bien broyer & purger de ses ordures avec de l'eau-forte ; le laver dans de l'eau claire, & le broyer ensuite dans le mortier. Mais cette précaution est superflue quand on se sert d'un mortier d'agate ; la propreté suffit.

Lorsque l'émail est broyé, on verse de l'eau dessus ; on le laisse déposer, puis on décante par inclination l'eau, qui emporte avec elle la teinture que le mortier à pû donner à l'émail & à l'eau. On continue ces lotions jusqu'à-ce que l'eau paroisse pure, observant à chaque lotion de laisser déposer l'émail.

On ramassera dans une soûcoupe les différentes eaux des lotions, & on les y laissera déposer. Ce dépôt pourra servir à contre-émailler la piece, s'il en est besoin.

Tandis qu'on prépare l'émail, la plaque champlevée trempe dans de l'eau pure & froide : il faut l'y laisser au moins du soir au lendemain ; plus elle y restera de tems, mieux cela sera.

Il faut toûjours conserver l'émail broyé couvert d'eau, jusqu'à-ce qu'on l'employe ; & s'il y en a plus de broyé qu'on n'en employera, il faut le tenir couvert d'eau seconde.

Pour l'employer il faut avoir un chevalet de cuivre rouge ou jaune. Ce chevalet n'est autre chose qu'une plaque repliée par ses deux bouts. Ces replis lui servent de piés ; & comme ils sont de hauteurs inégales, la surface du chevalet sera en plan incliné. On a une spatule avec laquelle on prend de l'émail broyé, & on le met sur le chevalet, où cette portion qu'on en veut employer s'égoutte d'une partie de son eau, qui s'étend le long des bords du chevalet. Il y a des artistes qui se passent de chevalet. On reprend peu-à-peu avec la spatule l'émail de dessus le chevalet, & on le porte dans le champlever de la piece à émailler, en commençant par un bout & finissant par l'autre. On supplée à la spatule avec un cure-dent : cela s'appelle charger. Il faut que cette premiere charge remplisse tout le champlever, & soit au niveau de l'or ; car il s'agit ici d'une plaque d'or. Nous parlerons plus bas de la maniere dont il faut charger les plaques de cuivre ; il n'est pas nécessaire que l'émail soit broyé pour cette premiere charge, ni aussi fin, ni aussi soigneusement que pour une seconde.

Ceux qui n'ont point de chevalet, ont un petit godet de fayence dans lequel ils transvasent l'émail du mortier : le fond en est plat ; mais ils le tiennent un peu incliné, afin de déterminer l'eau à tomber d'un côté.

Lorsque la piece est chargée, on la place sur l'extrêmité des doigts, & on la frappe legérement par les côtés avec la spatule, afin de donner lieu par ces petites secousses aux molécules de l'émail broyé, de se composer entr'elles, de se serrer, & de s'arranger.

Cela fait, pour retirer l'eau que l'émail chargé peut encore contenir, on place sur les bords un linge fin, blanc & sec, & on l'y laisse tant qu'il aspire de l'eau. Il faut avoir l'attention de le changer de côté. Lorsqu'il n'aspire plus rien des bords, on y fait un pli large & plat, qu'on pose sur le milieu de l'émail à plusieurs reprises ; après quoi on prend la spatule, & on l'appuye legérement sur toute la surface de l'émail, sans toutefois le déranger : car s'il arrivoit qu'il se dérangeât, il faudroit l'humecter derechef, afin qu'il se disposât convenablement, sans le tirer du champlever.

Quand la piece est seche, il faut l'exposer sur des cendres chaudes, afin qu'il n'y reste plus aucune humidité. Pour cet effet on a un morceau de taule percé de plusieurs petits trous, sur lequel on la place. La piece est sur la taule, la taule est sur la cendre : elle reste en cet état jusqu'à-ce qu'elle ne fume plus. On observera seulement de la tenir chaude jusqu'au moment de la passer au feu ; car si on l'avoit laissée refroidir, il faudroit la réchauffer peu-à-peu à l'entrée du fourneau, sans quoi l'on exposeroit l'émail à petiller.

Une précaution à prendre par rapport à la taule percée de trous, c'est de la faire rougir & de la battre avant que de s'en servir, afin d'en séparer les écailles. Il faut qu'elle ait les bords relevés, ensorte que la piece que l'on place dessus n'y touchant que par ses extrêmités, le contre- émail ne s'y attache point.

On a des pinces longues & plates, qu'on appelle releve-moustache, dont on se sert pour enlever la plaque & la porter au feu.

On passe la piece au feu dans un fourneau, dont on trouvera la figure & des coupes dans nos Planches de l'Emailleur, avec celles d'un pain d'émail, du mortier, de la molette, du chevalet, de la spatule, des taules, du releve-moustache, des mouffles, de la pierre à user, des inventaires, & des autres outils de l'attelier du Peintre sur l'émail. Voyez donc nos figures & leur explication.

Il faudra se pourvoir de charbon de bois de hêtre, & à son défaut, de charbon de bois de chêne. On commencera par charger le fond de son fourneau de trois lits de branches. Ces branches auront un bon doigt de grosseur ; on les coupera chacune de la longueur de l'intérieur du fourneau, jusqu'à son ouverture ; on les rangera les unes à côté des autres, de maniere qu'elles se touchent. On placera celles du second lit dans les endroits où celles du premier lit se touchent, & celles du troisieme lit, où se touchent celles du second ; ensorte que chaque branche du troisieme lit soit portée sur deux branches du second, & chaque branche du second sur deux branches du premier. On choisira les branches fort droites, afin qu'elles ne laissent point de vuide : un de leurs bouts touchera le fond du fourneau, & l'autre correspondra à l'ouverture. On a choisi cette disposition, afin que s'il arrivoit à une branche de se consumer trop promtement, on pût lui en substituer facilement une autre.

Cela fait, on a une moufle de terre ; on la place sur ces lits de charbon, l'ouverture tournée du côté de la bouche du fourneau, & le plus à ras de cette bouche qu'il est possible.

La moufle placée, il s'agit de garnir ses côtés & sa partie postérieure, de charbons de branches. Les branches des côtés sont rangées comme celles des lits : les postérieures sont mises transversalement. Les unes & les autres s'élevent jusqu'à la hauteur de la moufle. Au-delà de cette hauteur les branches sont rangées longitudinalement & parallelement à celles des lits. Il n'y a qu'un lit sur la moufle.

Lorsque ce dernier lit est fait, on prend du petit charbon de la même espece, & l'on en répand dessus à la hauteur de quatre pouces. C'est alors qu'on couvre le fourneau de son chapiteau ; qu'on étend sur le fond de la moufle trois ou cinq branches qui remplissent son intérieur en partie, & qu'on jette par la bouche du fourneau, du charbon qu'on a eu le soin de faire allumer tandis qu'on chargeoit le fourneau.

On a une piece de terre qu'on appelle l'atre ; on la place sur la mentonniere : elle s'éleve à la hauteur du fond de la moufle. On a de gros charbons de la même espece que celui des lits ; on en bouche toute l'ouverture de la moufle, puis on laisse le fourneau s'allumer de lui-même : on attend que tout en paroisse également rouge. Le fourneau s'allume par l'air qui se porte aux fentes pratiquées tant au fourneau qu'à son chapiteau.

Pour s'assûrer si le fourneau est assez allumé, on retire l'atre, afin de découvrir le charbon rangé en lits sous la moufle ; & lorsqu'on voit ces lits également rouges par-tout, on remet l'atre & les charbons qui étoient dessus, & l'on avive le feu en soufflant dans la moufle avec un soufflet.

Si en ôtant la porte du chapiteau l'on s'appercevoit que le charbon se fût soûtenu élevé, il faudroit le faire descendre avec la pincette, & aviver le feu dans la moufle avec le soufflet, après avoir remis la porte du chapiteau.

Quand la couleur de la moufle paroîtra d'un rouge-blanc, il sera tems de porter la piece au feu ; c'est pourquoi l'on nettoyera le fond de la moufle du charbon qui y est & qu'on rejettera dans le fourneau par le trou du chapiteau. On prendra la piece avec le releve-moustache, & on la placera sous la moufle le plus avant qu'on pourra. Si elle eût été froide, il eût fallu, comme nous en avons déjà averti plus haut, l'exposer d'abord sur le devant de la moufle, pour l'échauffer, & l'avancer successivement jusqu'au fond.

Pour introduire la piece dans la moufle, il a fallu écarter les charbons qui couvroient son entrée. Quand la piece y est introduite, on la referme avec deux charbons seulement, à-travers desquels on regarde ce qui se passe.

Si l'on s'apperçoit que la fusion soit plus forte vers le fond de la moufle que sur le devant ou sur les côtés, on retourne la piece, jusqu'à-ce qu'on ait rendu la fusion égale par-tout. Il est bon de savoir qu'il n'est pas nécessaire au premier feu, que la fusion soit poussée jusqu'où elle peut aller, & que la surface de l'émail soit bien unie.

On s'apperçoit au premier feu que la piece doit être retirée, lorsque sa surface, quoique montagneuse & ondulée, présente cependant des parties liées & une surface unie, quoique non plane.

Cela fait, on retire la piece ; on prend la taule sur laquelle elle étoit posée, & on la bat pour en détacher les écailles : cependant la piece refroidit.

On rebroye de l'émail, mais on le broye le plus fin qu'il est possible, sans le mettre en bouillie. L'émail avoit baissé au premier feu : on en met donc à la seconde charge un tant-soit-peu plus que la hauteur du filet : cet excès doit être de la quantité que le feu ôtera à cette nouvelle charge. On charge la piece cette seconde fois, comme on l'a chargée la premiere : on prépare le fourneau comme on l'avoit préparé : on met au feu de la même maniere ; mais on y laisse la piece en fusion, jusqu'à-ce qu'on lui trouve la surface unie, lisse & plane. Une attention qu'il faut avoir à tous les feux, c'est de balancer sa piece, l'inclinant de gauche à droite & de droite à gauche, & de la retourner. Ces mouvemens servent à composer entr'elles les parties de l'émail, & à distribuer également la chaleur.

Si l'on trouvoit à la piece quelque creux au sortir de ce second feu, & que le point le plus bas de ce creux descendît au-dessous du filet, il faudroit la recharger legérement, & la passer au feu, comme nous venons de le prescrire.

Voilà ce qu'il faut observer aux pieces d'or. Quant à celles de cuivre, il faut les charger jusqu'à trois fois, & les passer autant de fois au feu : on s'épargne par ce moyen la peine de les user, l'émail en devient même d'un plus beau poli.

Je ne dis rien des pieces d'argent, car on ne peut absolument en émailler des plaques ; cependant tous les auteurs en font mention, mais je doute qu'aucun d'eux en ait jamais vû. L'argent se boursouffle, il fait boursouffler l'émail ; il s'y forme des oeillets & des trous. Si l'on réussit, c'est une fois sur vingt ; encore est-ce très-imparfaitement, quoiqu'on ait pris la précaution de donner à la plaque d'argent plus d'une ligne d'épaisseur, & qu'on ait soudé une feuille d'or par-dessus. Une pareille plaque soûtient à peine un premier feu sans accident : que seroit-ce donc si la peinture exigeoit qu'on lui en donnât deux, trois, quatre, & même cinq ? d'où il s'ensuit ou qu'on n'a jamais sû peindre sur des plaques d'argent émaillées, ou que c'est un secret absolument perdu. Toutes nos peintures en émail sont sur l'or ou sur le cuivre.

Une chose qu'il ne faut point ignorer, c'est que toute piece émaillée en plein du côté que l'on doit peindre, doit être contre-émaillée de l'autre côté, à moitié moins d'émail, si elle est convexe ; si elle est plane, il faut que la quantité du contre-émail soit la même que celle de l'émail. On commence par le contre-émail, & l'on opere comme nous l'avons prescrit ci-dessus ; il faut seulement laisser au contre-émail un peu d'humidité, sans quoi il en pourroit tomber une partie lorsqu'on viendroit à frapper avec la spatule les côtés de la plaque, pour faire ranger l'émail à sa surface, comme nous l'avons prescrit.

Lorsque les pieces ont été suffisamment chargées & passées au feu, on est obligé de les user, si elles sont plates ; on se sert pour cela de la pierre à affiler les tranchets des cordonniers : on l'humecte, on la promene sur l'émail avec du grais tamisé. Lorsque toutes les ondulations auront été atteintes & effacées, on enlevera les traits du sable avec l'eau & la pierre seule. Cela fait, on lavera bien la piece, en la sayetant & brossant en pleine eau. S'il s'y est formé quelques petits oeillets, & qu'ils soient découverts, bouchez-les avec un grain d'émail, & repassez votre piece au feu, pour la repolir. S'il en paroît qui ne soient point percés, faites-y un trou avec une onglette ou burin : remplissez ce trou, de maniere que l'émail forme au-dessus un peu d'éminence, & remettez au feu ; l'éminence venant à s'affaisser par le feu, la surface de votre plaque sera plane & égale.

Lorsque la piece ou plaque est préparée, il s'agit de la peindre. Il faut d'abord se pourvoir de couleurs. La préparation de ces couleurs est un secret ; cependant nous avons quelqu'espérance de pouvoir la donner à l'article PORCELAINE. Voyez cet article. Il faudroit tâcher d'avoir ses couleurs broyées au point qu'elles ne se sentent point inégales sous la molette, de les avoir en poudre, de la couleur qu'elles viendront après avoir été parfondues, telles que, quoiqu'elles ayent été couchées fort épais, elles ne croûtent point, ne piquent point l'émail, ou ne s'enfoncent point, après plusieurs feux, au-dessous du niveau de la piece. Les plus dures à se parfondre passent pour les meilleures ; mais si on pouvoit les accorder toutes d'un fondant qui en rendît le parfond égal, il faut convenir que l'artiste en travailleroit avec beaucoup plus de facilité : c'est-là un des points de perfection que ceux qui s'occupent de la préparation des couleurs pour l'émail, devroient se proposer. Il faut avoir grand soin, sur-tout dans les commencemens, de tenir registre de leurs qualités, afin de s'en servir avec quelque sûreté ; il y aura beaucoup à gagner à faire des notes de tous les mélanges qu'on en aura essayés. Il faut tenir ses couleurs renfermées dans de petites boîtes de boüis qui soient étiquetées & numérotées.

Pour s'assûrer des qualités de ses couleurs, on aura de petites plaques d'émail qu'on appelle inventaires : on y exécutera au pinceau des traits larges comme des lentilles ; on numérotera ces traits, & l'on mettra l'inventaire au feu. Si l'on a observé de coucher d'abord la couleur égale & legere, & de repasser ensuite sur cette premiere couche de la couleur qui fasse des épaisseurs inégales ; ces inégalités détermineront au sortir du feu la foiblesse, la force & les nuances.

C'est ainsi que le peintre en émail formera sa palette ; ainsi la palette d'un émailleur est, pour ainsi dire, une suite plus ou moins considérable d'essais numérotés sur des inventaires, auxquels il a recours selon le besoin. Il est évident que plus il a de ces essais d'une même couleur & de couleurs diverses, plus il complete sa palette ; & ces essais sont ou de couleurs pures & primitives, ou de couleurs résultantes du mélange de plusieurs autres. Celles-ci se forment pour l'émail, comme pour tout autre genre de peinture : avec cette différence que dans les autres genres de peinture les teintes restent telles que l'artiste les aura appliquées ; au lieu que dans la peinture en émail, le feu les altérant plus ou moins d'une infinité de manieres différentes, il faut que l'émailleur en peignant ait la mémoire présente de tous ces effets ; sans cela il lui arrivera de faire une teinte pour une autre, & quelquefois de ne pouvoir plus recouvrer la teinte qu'il aura faite. Le peintre en émail a, pour ainsi dire, deux palettes, l'une sous les yeux, & l'autre dans l'esprit ; & il faut qu'il soit attentif à chaque coup de pinceau de les conformer entr'elles ; ce qui lui seroit très-difficile, ou peut-être impossible, si, quand il a commencé un ouvrage, il interrompoit son travail pendant quelque tems considérable. Il ne se souviendroit plus de la maniere dont il auroit composé ses teintes, & il seroit exposé à placer à chaque instant ou les unes sur les autres, ou les unes à côté des autres, des couleurs qui ne sont point faites pour aller ensemble. Qu'on juge par-là combien il est difficile de mettre d'accord un morceau de peinture en émail, pour peu qu'il soit considérable. Le mérite de l'accord dans un morceau, peut être senti presque par tout le monde ; mais il n'y a que ceux qui sont initiés dans l'art, qui puissent apprécier tout le mérite de l'artiste.

Quand on a ses couleurs, il faut se procurer de l'huile essentielle de lavande, & tâcher de l'avoir non adultérée ; quand on l'a, on la fait engraisser : pour cet effet, on en met dans un gobelet dont le fond soit large, à la hauteur de deux doigts ; on le couvre d'une gaze en double, & on l'expose au soleil, jusqu'à-ce qu'en inclinant le gobelet on s'apperçoive qu'elle coule avec moins de facilité, & qu'elle n'ait plus que la fluidité naturelle de l'huile d'olive : le tems qu'il lui faut pour s'engraisser est plus ou moins long selon la saison.

On aura un gros pinceau à l'ordinaire qui ne serve qu'à prendre de cette huile. Pour peindre, on en fera faire avec du poil de queues d'hermine ; ce sont les meilleurs, en ce qu'ils se vuident facilement de la couleur & de l'huile dont ils sont chargés quand on a peint.

Il faut avoir un morceau de crystal de roche, ou d'agate ; que ce crystal soit un peu arrondi par les bords ; c'est là-dessus qu'on broyera & délayera ses couleurs : on les broyera & délayera jusqu'à-ce qu'elles fassent sous la molette la même sensation douce que l'huile même.

Il faut avoir pour palette un verre ou crystal qu'on tient posé sur un papier blanc ; on portera les couleurs broyées sur ce morceau de verre ou de crystal ; & le papier blanc servira à les faire paroître à l'oeil telles qu'elles sont.

Si l'on vouloit faire servir des couleurs broyées du jour au lendemain, on auroit une boîte de la forme de la palette ; on colleroit un papier sur le haut de la boîte ; ce papier soûtiendroit la palette qu'on couvriroit du couvercle même de la boîte ; car la palette ne portant que sur les bords de la boîte, elle n'empêcheroit point que le couvercle ne se pût mettre. Mais il arrivera que le lendemain les couleurs demanderont à être humectées avec de l'huile nouvelle, celle de la veille s'étant engraissée par l'évaporation.

On commencera par tracer son dessein : pour cela, on se servira du rouge de Mars ; on donne alors la préference à cette couleur, parce qu'elle est legere, & qu'elle n'empêche point les couleurs qu'on applique dessus, de produire l'effet qu'on en attend. On dessinera son morceau en entier avec le rouge de Mars ; il faut que ce premier trait soit de la plus grande correction possible, parce qu'il n'y a plus à y revenir. Le feu peut détruire ce que l'artiste aura bien ou mal fait ; mais s'il ne détruit pas, il fixe & les défauts & les beautés. Il en est de cette peinture à-peu-près ainsi que de la fresque ; il n'y en a point qui demande plus de fermeté dans le dessinateur, & il n'y a point de peintres qui soient moins sûrs de leur dessein que les peintres en émail : il ne seroit point difficile d'en trouver la raison dans la nature même de la peinture en émail ; ses inconvéniens doivent rebuter les grands talens.

L'artiste a à côté de lui une poële où l'on entretient un feu doux & modéré sous la cendre ; à mesure qu'il travaille, il met son ouvrage sur une plaque de taule percée de trous, & le fait secher sur cette poële : si on l'interrompt, il le garantit de l'impression de l'air, en le tenant sous un couvercle de carton.

Lorsque tout son dessein est achevé au rouge de Mars, il met sa plaque sur un morceau de taule, & la taule sur un feu doux, ensuite il colorie son dessein comme il le juge convenable. Pour cet effet, il commence par passer sur l'endroit dont il s'occupe, une teinte égale & legere, puis il fait sécher ; il pratique ensuite sur cette teinte les ombres avec la même couleur couchée plus forte ou plus foible, & fait sécher ; il accorde ainsi tout son morceau, observant seulement que cette premiere ébauche soit par-tout extrêmement foible de couleur ; alors son morceau est en état de recevoir un premier feu.

Pour lui donner ce premier feu, il faudra d'abord l'exposer sur la taule percée, à un feu doux, dont on augmentera la chaleur à mesure que l'huile s'évaporera. L'huile à force de s'évaporer, & la piece à force de s'échauffer, il arrivera à celle-ci de se noircir sur toute sa surface : on la tiendra sur le feu jusqu'à-ce qu'elle cesse de fumer. Alors on pourra l'abandonner sur les charbons ardens de la poële, & l'y laisser jusqu'à-ce que le noir soit dissipé, & que les couleurs soient revenues dans leur premier état : c'est le moment de la passer au feu.

Pour la passer au feu, on observera de l'entretenir chaude ; on chargera le fourneau, comme nous l'avons prescrit plus haut ; c'est le tems même qu'il mettra à s'allumer, qu'on employera à faire sécher la piece sur la poële. Lorsqu'on aura lieu de présumer à la couleur rouge-blanche de la moufle qu'il sera suffisamment allumé, on placera la piece & sa taule percée sous la moufle, le plus avancé vers le fond qu'on pourra. On observera entre les charbons qui couvriront son entrée, ce qui s'y passera. Il ne faut pas manquer l'instant où la peinture se parfond, on le connoîtra à un poli qu'on verra prendre à la piece sur toute sa surface ; c'est alors qu'il faudra la retirer.

Cette manoeuvre est très-critique ; elle tient l'artiste dans la plus grande inquiétude ; il n'ignore pas en quel état il a mis sa piece au feu, ni le tems qu'il a employé à la peindre : mais il ne sait point du-tout comment il l'en retirera, & s'il ne perdra pas en un moment le travail assidu de plusieurs semaines. C'est au feu, c'est sous la moufle que se manifestent toutes les mauvaises qualités du charbon, du métal, des couleurs & de l'émail ; les piquûres, les soufflures, les fentes mêmes. Un coup de feu efface quelquefois la moitié de la peinture ; & de tout un tableau bien travaillé, bien accordé, bien fini, il ne reste sur le fond que des piés, des mains, des têtes, des membres épars & isolés ; le reste du travail s'est évanoüi : aussi ai-je oüi dire à des artistes que le tems de passer au feu, quelque court qu'il fût, étoit presque un tems de fievre, qui les fatiguoit davantage & nuisoit plus à leur santé, que des jours entiers d'une occupation continue.

Outre les qualités mauvaises du charbon, des couleurs, de l'émail, du métal, auxquelles j'ai souvent oüi attribuer les accidens du feu ; on en accuse quelquefois encore la mauvaise température de l'air, & même l'haleine des personnes qui ont approché de la plaque pendant qu'on la peignoit.

Les artistes vigilans éloigneront d'eux ceux qui auront mangé de l'ail, & ceux qu'ils soupçonneront être dans les remedes mercuriels.

Il faut observer dans l'opération de passer au feu, deux choses importantes ; la premiere de tourner & de retourner sa piece afin qu'elle soit par-tout également échauffée : la seconde, de ne pas attendre à ce premier feu que la peinture ait pris un poli vif ; parce qu'on éteint d'autant plus facilement les couleurs que la couche en est plus legere, & que les couleurs une fois dégradées, le mal est sans remede ; car comme elles sont transparentes, celles qu'on coucheroit dessus dans la suite, tiendroient toûjours de la foiblesse & des autres défauts de celles qui seroient dessous.

Après ce premier feu, il faut disposer la piece à en recevoir un second. Pour cet effet, il faut la repeindre toute entiere ; colorier chaque partie comme il est naturel qu'elle le soit, & la mettre d'accord aussi rigoureusement que si le second feu devoit être le dernier qu'elle eût à recevoir ; il est à propos que la couche des couleurs soit pour le second feu un peu plus forte, & plus caracterisée qu'elle ne l'étoit pour le premier. C'est avant le second feu qu'il faut rompre ses couleurs dans les ombres, pour les accorder avec les parties environnantes : mais cela fait, la piece est disposée à recevoir un second feu. On la fera sécher sur la poële comme nous l'avons prescrit pour le premier, & l'on se conduira exactement de la même maniere, excepté qu'on ne la retirera que quand elle paroîtra avoir pris sur toute sa surface un poli un peu plus vif que celui qu'on lui vouloit au premier feu.

Après ce second feu, on la mettra en état d'en recevoir un troisieme, en la repeignant comme on l'avoit repeinte avant que de lui donner le second ; une attention qu'il ne faudra pas négliger, c'est de fortifier encore les couches des couleurs, & ainsi de suite de feu en feu.

On pourra porter une piece jusqu'à cinq feux ; mais un plus grand nombre feroit souffrir les couleurs, encore faut-il en avoir d'excellentes pour qu'elles puissent supporter cinq fois le fourneau.

Le dernier feu est le moins long ; on reserve pour ce feu les couleurs tendres, c'est par cette raison qu'il importe à l'artiste de les bien connoître. L'artiste qui connoîtra bien sa palette, ménagera plus ou moins de feux à ses couleurs selon leurs qualités. S'il a, par exemple un bleu tenace, il pourra l'employer dès le premier feu ; si au contraire son rouge est tendre, il en différera l'application jusqu'aux derniers feux, & ainsi des autres couleurs. Quel genre de peinture ? combien de difficultés à vaincre ? combien d'accidens à essuyer ? voilà ce qui faisoit dire à un des premiers peintres en émail à qui l'on montroit un endroit foible à retoucher, ce sera pour un autre morceau. On voit par cette réponse combien ses couleurs lui étoient connues : l'endroit qu'on reprenoit dans son ouvrage étoit foible à la vérité, mais il y avoit plus à perdre qu'à gagner à le corriger.

S'il arrive à une couleur de disparoître entierement, on en sera quitte pour repeindre, pourvû que cet accident n'arrive pas dans les derniers feux.

Si une couleur dure a été couchée avec trop d'huile & en trop grande quantité, elle pourra former une croûte sous laquelle il y aura infailliblement des trous : dans ce cas, il faut prendre le diamant & gratter la croûte, repasser au feu afin d'unir & de repolir l'endroit, repeindre toute la piece, & surtout se modérer dans l'usage de la couleur suspecte.

Lorsqu'un verd se trouvera trop brun, on pourra le rehausser avec un jaune pâle & tendre ; les autres couleurs ne se rehausseront qu'avec le blanc, &c.

Voilà les principales manoeuvres de la peinture en émail, c'est à-peu-près tout ce qu'on peut en écrire ; le reste est une affaire d'expérience & de génie. Je ne suis plus étonné que les artistes d'un certain ordre se déterminent si rarement à écrire. Comme ils s'apperçoivent que dans quelques détails qu'ils pûssent entrer, ils n'en diroient jamais assez pour ceux que la nature n'a point préparés, ils négligent de prescrire des regles générales, communes, grossieres & matérielles, qui pourroient à la vérité servir à la conservation de l'art, mais dont l'observation la plus scrupuleuse feroit à peine un artiste médiocre.

Voici des observations qui pourront servir à ceux qui auront le courage de s'occuper de la peinture sur l'émail ou plûtôt sur la porcelaine. Ce sont des notions élémentaires qui auroient leur utilité, si nous avions pû les multiplier, & en former un tout ; mais il faut espérer que quelque homme ennemi du mystere, & bien instruit de tous ceux de la peinture sur l'émail & sur la porcelaine, achevera, rectifiera même dans un traité complet ce que nous ne faisons qu'ébaucher ici. Ceux qui connoissent l'état où sont les choses aujourd'hui, apprécieront les peines que nous nous sommes données, en profiteront, nous sauront gré du peu que nous révélons de l'art, & trouveront notre ignorance, & même nos erreurs très-pardonnables.

1. Toutes les quintessences peuvent servir avec succès dans l'emploi des couleurs en émail. On fait de grands éloges de celle d'ambre ; mais elle est fort chere.

2. Toutes les couleurs sont tirées des métaux, ou des bols dont la teinture tient au feu. Ce sont des argiles colorées par les métaux-couleurs.

3. On tire du safre un très-beau bleu. Le cobolt donne la même couleur, mais plus belle ; aussi celui-ci est-il plus rare & plus cher ; car le safre n'est autre chose que du cobolt adultéré.

4. Tous les verds viennent du cuivre, soit par la dissolution, soit par la calcination.

5. On tire les mars du fer. Ces couleurs sont volatiles ; à un certain degré de feu elles s'évaporent ou se noircissent.

6. Les mars sont de différentes couleurs, selon les différens fondans. Ils varient aussi selon la moindre variété qu'il y ait dans la réduction du métal en safran.

7. La plus belle couleur que l'on puisse se proposer d'obtenir du fer, c'est le rouge. Les autres couleurs qu'on en tire ne sont que des combinaisons de différens dissolvans de ce métal.

8. L'or donnera les pourpres, les carmins, & les violets. La teinture en est si forte, qu'un grain d'or peut colorer jusqu'à 400 fois sa pesanteur de fondant.

9. Les bruns qui viennent de l'or ne sont que des pourpres manqués ; ils n'en sont pas moins essentiels à l'artiste.

10. En général les couleurs qui viennent de l'or sont permanentes. Elles souffrent un degré de feu considérable. Cet agent les altérera pourtant, si l'on porte son action à un degré excessif. Il n'y a guere d'exception à cette regle, que le violet qui s'embellit à la violence du feu.

11. On peut tirer un violet de la manganese ; mais il est plus commun que celui qui vient de l'or.

12. Le jaune n'est pour l'ordinaire qu'un émail opaque qu'on achete en pain, & que l'on broye très-fin. On tire encore cette couleur, belle mais foncée, du jaune de Naples.

13. Les pains de verre opaque donnent aussi des verds : ils peuvent être trop durs ; mais on les attendrira par le fondant. Alors leur couleur en deviendra moins foncée.

14. L'étain donnera du blanc.

15. On tirera un noir du fer.

16. Le plomb ou le minium donnera un fondant ; mais ce fondant n'est pas sans défaut. Cependant on s'opiniâtre à s'en servir, parce qu'il est le plus facile à préparer.

17. La glace de Venise, les stras, la rocaille de Hollande, les pierres-à-fusil bien mûres, c'est-à-dire bien noires ; le verre de Nevers, les crystaux de Boheme, le sablon d'Etampes, en un mot toutes les matieres vitrifiables non colorées, fourniront des fondans, entre lesquels un des meilleurs sera la pierre-à-fusil calcinée.

18. Entre ces fondans, c'est à l'artiste à donner à chaque couleur celle qui lui convient. Tel fondant est excellent pour le rouge, qui ne vaut rien pour une autre couleur. Et sans aller chercher loin un exemple, le violet & le carmin n'ont pas le même fondant.

19. En général toutes les matieres calcinables & coloriées après l'action du feu, donneront des couleurs pour l'émail.

20. Ces couleurs primitives produisent par leur mêlange une variété infinie de teintes dont l'artiste doit avoir la connoissance, ainsi que de l'affinité & de l'antipathie qu'il peut y avoir entr'elles toutes.

21. Le verd, le jaune, & le bleu, ne s'accordent point avec les mars, quels qu'ils soient. Si vous mettez des mars sur le verd ou le jaune ou le bleu, avant que de passer au feu ; quand votre piece, soit émail, soit porcelaine, sortira de la moufle, les mars auront disparu, comme si l'on n'en avoit point employé. Il n'en sera pas de même, si le verd, le jaune, & le bleu ont été cuits, avant que d'avoir employé les mars.

22. Que tout artiste qui voudra s'essayer à peindre en émail, ait plusieurs inventaires, c'est-à-dire une plaque qui puisse contenir autant de petits quarrés que de couleurs primitives ; qu'il y éprouve ses couleurs dégradées de teintes, selon le plus & le moins d'épaisseur. Si l'on glace d'une même couleur tous ces quarrés de différentes couleurs, on parviendra nécessairement à des découvertes. Le seul inconvenient, c'est d'éviter le mêlange de deux couleurs qui bouillonnent, quand elles se trouvent l'une sur l'autre avant la cuisson.

23. Au reste, les meilleures couleurs mal employées, pourront bouillonner. Les inégalités seules d'épaisseur peuvent jetter dans cet inconvénient ; le lisse s'en altérera. J'entens par le lisse l'égalité d'éclat & de superficie.

24. On peut peindre, soit à l'huile, soit à l'eau. Chacune de ces manieres a ses avantages. Les avantages de l'eau sont d'avoir une palette chargée de toutes les couleurs pour un très-long tems ; de les avoir toutes à la fois sous les yeux, & de pouvoir terminer un morceau en moins de feu, & par conséquent avec moins de danger. D'ailleurs on expédie plus promtement avec l'eau. Quant aux avantages de l'huile, le pointillé est plus facile : il en est de même pour les petits détails ; & cela à cause de la finesse des pinceaux qu'on employe, & la lente évaporation de l'huile que l'on aura eu la précaution d'engraisser au soleil ou au bain-marie.

25. Pour peindre à l'eau, prenez de la couleur en poudre, broyez-la avec de l'eau filtrée : ajoûtez-y la quantité de gomme nécessaire ; laissez-la sécher sur votre palette, en la garantissant de la poussiere jusqu'à-ce qu'elle soit parfaitement seche ; alors prenez un pinceau avec de l'eau pure, enlevez par le frottement avec le pinceau chargé d'eau toute la superficie de votre couleur, pour en séparer la gomme qui se porte toûjours à la surface. Quand vous aurez fait cette opération à toutes vos couleurs, peignez, mais avec le moins d'eau qu'il vous sera possible ; car si votre couleur est trop fluide, elle sera sujette à couler inégalement. Votre surface sera jaspée ; c'est une suite du mouvement que la couleur aura conservé après que l'artiste aura donné sa touche, & de la pente du fluide qui aura entraîné la couleur ; la richesse de la teinte en souffrira aussi. Elle deviendra livide, plombée, louche, ce que les Peintres appellent noyée. Employez donc vos couleurs les plus seches qu'il vous sera possible, & le plus également ; vous éviterez en même tems les épaisseurs. Lorsque vous voudrez mettre une teinte sur une autre, opérez de maniere que vous ne passiez le pinceau qu'une seule fois sur le même endroit. Attendez que la couleur soit seche pour en remettre une autre par-dessus, sans quoi vous vous exposerez à délayer celle de dessous ; inconvénient dans lequel on tombe nécessairement, lorsqu'appliquant la couleur supérieure à plusieurs reprises, le pinceau va & revient plusieurs fois sur la couleur inférieure. Si vos contours ont besoin d'être châtiés, prenez, pour les diminuer d'épaisseur, une pointe d'ivoire ou de boüis, & les rendez corrects en retranchant le superflu avec cette pointe ; évitez sur-tout le trop de gomme dans vos couleurs. Quand elles sont trop gommées, elles se déchirent par veines, & laissent au sortir du feu, en se ramassant sur elles-mêmes, des petites traces qui forment comme un réseau très-fin, & le fond paroît à-travers ces traces, qui sont comme les fils du réseau. N'épargnez pas les expériences, afin de constater la juste valeur de vos teintes. N'employez que celles dont vous serez parfaitement sûr, tant pour la quantité de gomme que pour l'action du feu ; vous remédieriez au trop de gomme, en rebroyant les couleurs à l'eau, & y rajoûtant une quantité suffisante de couleurs en poudre.

26. Le blanc est ami de toutes les couleurs ; mêlé avec le carmin, il donne une teinte rose, plus ou moins foncée, selon le plus ou le moins de carmin.

27. Le blanc & le pourpre donnent le lilas ; ajoûtez-y du bleu, & vous aurez un violet clair. Sa propriété sera d'éclaircir les couleurs, en leur donnant de l'opacité.

28. Le bleu & le jaune produiront le verd. Plus de jaune que de bleu donnera un verd plus foncé & plus bleu.

29. L'addition du violet rendra le noir plus beau & plus fondant, & l'empêchera de se déchirer ; ce qui lui arrive toûjours, quand il est employé seul.

30. Le bleu & le pourpre formeront un violet.

31. Le bleu ne perdra jamais sa beauté, à quelque feu que ce soit.

32. Les verds, jaunes, pourpres, & carmins, ne s'évaporent point ; mais leurs teintes s'affoiblissent, & leur fraîcheur se fane.

33. Les mars sont tous volatils ; le fer se revivifiant par la moindre fumée, l'étincelle la plus legere, ils deviennent noirs & non brillans.

Voilà l'alphabet assez incomplet de celui qui se propose de peindre, soit sur l'émail, soit sur la porcelaine.

Nous avons indiqué seulement les matieres d'où l'on tire les couleurs ; si nous pouvons parvenir à connoître les procédés qu'il faut suivre pour les tirer, nous les donnerons à l'article PORCELAINE. Parmi tant de personnes qui s'intéressent au succès de cet Ouvrage, ne s'en trouvera-t-il aucune qui lui fasse ce présent ?

III. L'art d'employer les émaux transparens & clairs. Ce travail ne se peut faire que sur l'or ; ou, si l'on veut appliquer des émaux clairs & transparens sur le cuivre, il faut (selon quelques auteurs) mettre au fond du champlever une couche de verre ou d'émail noir, & couvrir cette couche d'une feuille d'or qui reçoive ensuite les autres émaux. Quant au travail sur l'or, on commencera par tracer son dessein sur la plaque, par le champlever, & par exécuter, comme en bas-relief, au fond du champlever, toutes ses figures, de maniere que leur point le plus élevé soit cependant inférieur au filet de la plaque. La raison en est évidente ; car ce sont les différentes distances du fond à la surface qui font les ombres & les clairs : mais comme une peinture en général n'est qu'un assemblage d'ombres & de clairs convenablement distribués, on parvient à groupper des figures dans le genre même de peinture dont il s'agit.

On prétend qu'il faut que l'or employé soit très-pur ; parce que les émaux clairs mis sur un or bas, plombent, c'est-à-dire qu'il s'y forme un louche qui en obscurcit la couleur & la bordure.

Lorsque la plaque a été ébauchée à l'échope, on la finit avec des outils dont le tranchant est mousse, parce qu'il faut que tout l'ouvrage soit coupé d'un poli bruni, sans quoi on appercevroit au-travers des émaux les traits grossiers du dessein.

Cela fait, il faut broyer des émaux. Les broyer pour cette espece de peinture, c'est seulement les mettre en grain, ensorte qu'on les sente graveleux sous le doigt. Plus on pourra les employer gros, plus les couleurs seront belles.

On charge comme pour l'émail ordinaire, observant de distribuer sur chaque partie du dessein la couleur qu'on croit lui convenir, si le sujet est à plusieurs couleurs ; & de charger également par-tout, si c'est un camayeu.

On voit combien il seroit à souhaiter pour la perfection de cette peinture, qu'on eût quelque matiere transparente & molle, qui pût recevoir toutes sortes de couleurs, & dont on pût remplir & vuider facilement le champlever de la piece. L'artiste, à l'aide de cette matiere, verroit d'avance l'effet de ses émaux, donneroit à son champlever, ou plûtôt aux parties de son bas-relief, les profondeurs convenables ; distribueroit d'une maniere plus sûre & mieux entendue ses ombres & ses clairs, & formeroit un tableau beaucoup plus parfait. Je ne sais si le vernis à l'eau de cire de M. Bachelier, n'auroit pas toutes les conditions requises pour cet usage (voyez l'article ENCAUSTIQUE). L'idée de perfectionner ainsi l'art d'employer les émaux transparens, est de M. de Montami, qui, au milieu d'une infinité de distractions, sait trouver des instans à donner à l'étude des Sciences & des Arts, qu'il aime & qu'il cultive en homme que la nature avoit évidemment destiné à les perfectionner.

Lorsque la piece est chargée, on la laisse sécher à l'air libre. Pour la passer au feu, on allume le fourneau à l'ordinaire ; quand il est assez chaud, on présente la piece à l'entrée de la moufle ; si elle fume, on la laisse sécher ; si elle ne fume pas, on la laisse un peu s'échauffer : on la pousse ensuite tout-à-fait sous la moufle ; on l'y tient jusqu'à-ce que les émaux se soient fondus comme à l'ordinaire.

Après ce premier feu, on la charge une seconde fois, mais seulement aux endroits où l'émail s'est trop affaissé, & qui se trouvent trop bas. La premiere fois la piece avoit été également chargée par-tout, & les émaux s'élevoient un peu au-dessus du niveau de la plaque.

Après que la piece a été rechargée d'émail, on la passe au feu comme la premiere fois.

Cela fait, il s'agit d'user les émaux avec le grais. Cette manoeuvre ne s'exécute pas autrement que nous l'avons prescrit dans l'art de peindre sur l'émail blanc. Lorsque la piece est usée, on la repasse au feu qui l'unit & la polit ; & l'ouvrage est achevé. Au lieu d'user & de polir ces émaux, comme nous l'avons dit de l'émail blanc, on peut y employer le lapidaire.

Les émailleurs en émaux clairs & transparens, ont deux verds ; le verd de pré, & le verd d'aigue marine ; deux jaunes, un pâle & un foncé ; deux bleux, un foncé & un noir ; un violet ; un couleur de rose, & un rouge. Les émaux transparens, purpurins & violets, viennent très-beaux sur l'argent ; mais ils s'y attachent mal.

La manoeuvre du feu est la même pour toutes ces couleurs, excepté pour le rouge ; encore y a-t-il un rouge que les Artistes appellent le pont-aux-ânes, parce qu'il vient rouge sans art, & qu'il se trouve quelquefois aussi beau que celui qu'on traite avec beaucoup de peine & de soin.

Quant à l'autre rouge, voici comment il s'employe. Il faut le broyer à l'ordinaire, & l'appliquer sur un or à vingt-trois carats, si l'on veut qu'il soit beau ; car le moindre alliage le gâte. Si l'or est absolument pur, le rouge viendra le plus beau qu'il est possible.

Quand il est broyé, on le charge à l'ordinaire, en deux feux qu'il faut lui donner les plus violens. Il sort de ces feux d'une belle couleur de paille.

Si l'on veut que la piece soit usée, c'est alors qu'il faut l'user. Ensuite on fait revenir l'émail de couleur rouge, en le présentant à l'entrée de la moufle, & tournant & retournant la piece, jusqu'à-ce que le rouge ait pris une teinture égale.

Il faut que la piece soit refroidie, quand on la présente à l'entrée de la moufle.

Pour connoître ses couleurs, il faut que l'artiste ait de petits morceaux d'or où il a pratiqué autant de logemens champlevés, qu'il a de couleurs. Il en flinquera le fond avec un instrument poli : il les chargera ensuite, & les passera au feu ; voilà ce qui lui tiendra lieu de palette, & ce qui le dirigera dans l'application de ses émaux.

Parmi les émaux clairs & transparens, il y en a beaucoup de défectueux. Leur défaut est de laisser trop peu de tems à l'artiste pour charger sa piece. Pour peu qu'il soit lent à cette opération, leurs couleurs deviennent louches & bourbeuses, ce dont on ne s'apperçoit malheureusement qu'au sortir du feu.

Il est donc important de charger vîte, & plus encore de n'avoir point de ces émaux dont les couleurs sont inconstantes.

On présume que c'est l'eau qui les altere ; cependant il y en a de si bonnes, qu'on les garderoit huit jours entiers dans l'eau, sans qu'elles perdissent rien de leur éclat.

IV. L'art d'employer l'émail à la lampe. C'est de tous les arts que je connoisse un des plus agréables & des plus amusans : il n'y a aucun objet qu'on ne puisse exécuter en émail par le moyen du feu de la lampe, & cela en très-peu de tems, & plus ou moins parfaitement, selon qu'on a une moindre ou une plus grande habitude de manier les émaux, & une connoissance plus ou moins étendue de l'art de modeler. Pour exceller dans ce genre, il seroit donc à-propos de commencer par apprendre le dessein pendant quelque tems, & de s'occuper ensuite avec quelqu'assiduité à modeler toutes sortes d'objets & de figures.

Pour travailler à la lampe, il faut commencer par se procurer des tubes de verre de toutes sortes de grosseur & de toutes sortes de couleurs ; des tubes d'émail de toutes sortes de grosseur & de toutes sortes de couleurs ; & des baguettes d'émail de verre solides de toutes sortes de grosseur & de toutes sortes de couleurs.

Il faut avoir une table large & haute à discrétion, autour de laquelle on puisse placer commodément plusieurs lampes & plusieurs ouvriers, & sous laquelle on ait adapté un grand soufflet à double vent, que l'un des ouvriers met en mouvement avec le pié, pour aviver & exciter la flamme des lampes, qui étendue en longueur par ce moyen, & resserrée dans une espace infiniment étroit, relativement à celui qu'elle occupoit auparavant, en devient d'une ardeur & d'une vivacité incroyable. Voyez dans nos Planches d'Emailleur cette table & ce soufflet.

Il faut que des rainures pratiquées dans l'épaisseur du dessous de la table, & recouvertes de parchemin, servent à conduire le vent à des tuyaux placés devant chaque lampe. Ces tuyaux sont de verre ; ils sont recourbés par le bout qui dirige le vent dans le corps de la flamme de la lampe. Le trou dont ils sont percés à ce bout est assez petit. Il s'aggrandit à l'user, mais on le retrécit au feu de la lampe même, en le tournant quelque tems à ce feu. Il faut avoir plusieurs de ces tuyaux, qui font la fonction de chalumeaux, afin d'en rechanger quand il en est besoin : on les appelle porte-vents.

Afin que l'ouvrier ne soit point incommodé de l'ardeur de la lampe, il y a entre la lampe & lui un morceau de bois quarré, ou une platine de fer-blanc, qu'on appelle un éventail. L'éventail est fixé dans l'établi par une queue de bois, & l'ombre en est jettée sur le visage de l'ouvrier.

La lampe est de cuivre ou de fer-blanc. Elle est composée de deux pieces ; l'une, qu'on nomme la boîte, & l'autre, qui retient le nom de lampe : cette derniere est contournée en ovale ; sa surface est plate, sa hauteur est d'environ 2 pouces, & sa largeur d'environ 6 pouces. C'est dans sa capacité qu'on verse l'huile & qu'on met la meche. La meche est un gros faisceau de coton ; c'est de l'huile de navette qu'on brûle. La boîte dans laquelle la lampe est contenue, ne sert qu'à recevoir l'huile que l'ébullition causée par la chaleur du feu pourroit faire répandre. Une piece quarrée d'un pouce de hauteur, soûtient & la boîte & la lampe. Voyez cette lampe dans nos figures d'Emailleur.

Il est très-à-propos qu'il y ait au-dessus des lampes un grand entonnoir renversé, qui reçoive la fumée & qui la porte hors de l'attelier.

On conçoit aisément qu'il faut que l'attelier de l'émailleur à la lampe soit obscur, & ne reçoive point de jour naturel, sans quoi la lumiere naturelle éclipseroit en partie la lumiere de la lampe, & l'ouvrier n'appercevant plus celle-ci assez distinctement, ne travailleroit pas avec assez de sûreté.

L'attelier étant ainsi disposé & garni de plusieurs autres instrumens dont nous ferons mention ci-après, il s'agit de travailler. Nous n'entrerons point dans le détail de tous les ouvrages qu'on peut former à la lampe : nous avons averti plus haut, qu'il n'y avoit aucun objet qu'on ne pût imiter. Il suffira d'exposer la manoeuvre générale des plus importans.

Les lampes garnies & allumées, & le soufflet mis en action, si l'émailleur se propose de faire une figure d'homme ou d'animal, qui soit solide, & de quelque grandeur, il commence par former un petit bâti de-fil-d'archal ; il donne à ce petit bâti la disposition générale des membres de la figure à laquelle il servira de soûtien. Il prend le bâti d'une main, & une baguette d'émail solide de l'autre : il expose cet émail à la lampe ; & lorsqu'il est suffisamment en fusion, il l'attache à son fil-d'archal, sur lequel il le contourne par le moyen du feu, de ses pinces rondes & pointues, de ses fers pointus, & de ses lames de canif, tout comme il le juge à-propos ; car les émaux qu'il employe sont extrêmement tendres, & se modelent au feu comme de la pâte : il continue son ouvrage comme il l'a commencé, employant & les émaux, & les verres, & les couleurs, comme il convient à l'ouvrage qu'il a entrepris.

Si la figure n'est pas solide, mais qu'elle soit creuse, le bâti de fil-d'archal est superflu : l'émailleur se sert d'un tube d'émail ou de verre creux, de la couleur dont il veut le corps de sa figure ; quand il a suffisamment chauffé ce tube à la lampe, il le souffle ; l'haleine portée le long de la cavité du tube jusqu'à son extrêmité qui s'est bouchée en se fondant, y est arrêtée, distend l'émail par l'effort qu'elle fait en tous sens, & le met en bouteille : l'émailleur, à l'aide du feu & de ses instrumens, fait prendre à cette bouteille la forme qu'il juge à-propos ; ce sera, si l'on veut, le corps d'un cygne : lorsque le corps de l'oiseau est formé, il en allonge & contourne le cou ; il forme le bec & la queue ; il prend ensuite des émaux solides de la couleur convenable, avec lesquels il fait les yeux, il ourle le bec, il forme les aîles & les pattes, & l'animal est achevé.

Une petite entaille pratiquée avec le couperet à l'endroit où le tube commence & la piece finit, en détermine la séparation ; ou cette séparation se fait à la lampe, ou d'un petit coup.

Ce que nous venons de dire est applicable à une infinité d'ouvrages différens. Il est incroyable avec quelle facilité les fleurs s'expédient. On se sert d'un fil-d'archal, dont l'extrêmité sert de soûtien ; le corps de la fleur & ses feuilles s'exécutent avec des émaux & des verres creux ou solides, & de la couleur dont il est à-propos de se servir selon l'espece de fleur.

Si l'on jette les yeux sur un attelier d'émailleur, composé d'un grand nombre de lampes & d'ouvriers, on en verra, ou qui soufflent des bouteilles de barometre & de thermometre, ou dont la lampe est placée sur le bout de l'établi, & qui tenant la grande pince coupante, lutent au feu & séparent à la pince des vaisseaux lutés hermétiquement ; ou qui exposant au feu une bande de glace de miroir filent l'aigrette ; l'un tient la bande de glace au feu, l'autre tire le fil & le porte sur le dévidoir, qu'il fait tourner de la plus grande vitesse, & qui se charge successivement d'un écheveau de fil de verre d'une finesse incroyable, sans qu'il y ait rien de plus composé dans cette opération que ce que nous venons d'en dire (voyez l'article DUCTILITE). Lorsque l'écheveau est formé, on l'arrête & on le coupe à froid de la longueur qu'on veut : on lui donne communément depuis dix pouces jusqu'à douze. On se sert pour le couper de la lime ou du couperet, qui fait sur l'émail l'effet du diamant ; il l'entaille legérement, & cette entaille legere dirige sûrement la cassure, de quelque grosseur que soit le filet. Voyez VERRE.

Tous les émaux tirés à la lampe sont ronds ; si l'on veut qu'ils soient plats, on se sert pour les applatir d'une pince de fer dont le mords est quarré : il faut se servir de cette pince, tandis qu'ils sont encore chauds.

On verra d'autres ouvriers qui souffleront de la poudre brillante. Le secret de cette poudre consiste à prendre un tuyau capillaire de verre ; à en exposer l'extrêmité au feu de la lampe, ensorte qu'elle se fonde & se ferme, & à souffler dans le tube : l'extrêmité qui est en fusion forme une bouteille d'un si grand volume, qu'elle n'a presque plus d'épaisseur. On laisse refroidir cette bouteille, & on la brise en une infinité de petits éclats : ce sont ces petits éclats qui forment la poudre brillante. On donne à cette poudre des couleurs différentes, en la composant des petits éclats de bulles formées de verres de différentes couleurs.

Les jayets factices dont on se sert dans les broderies, sont aussi faits d'émail. L'artifice en est tel, que chaque petite partie à son trou par où la soie peut passer. Ces trous se ménagent en tirant le tube creux en long. Quand il n'a plus que le diamêtre qu'on lui veut, on le coupe avec la lime ou le couperet. Les maillons dont on se sert dans le montage des métiers de plusieurs ouvriers en soie, ne se font pas autrement.

On fait avec l'émail des plumes avec lesquelles on peut écrire & peindre. On en fait aussi des boutons : on a des moules pour les former, & des ciseaux pour les couper.

On en travaille des yeux artificiels, des cadrans de montre, des perles fausses. Dans un attelier de perles soufflées, les uns soufflent ou des perles à olive, ou des perles rondes ; d'autres des boucles d'oreille, ou des perles baroques. Ces perles passent des mains de l'émailleur, entre les mains de différentes ouvrieres ; leur travail est de souffler la couleur d'écaille de poisson dans la perle ; de sasser les perles dans le carton, afin d'étendre la couleur au-dedans de la perle ; de remplir la perle de cire ; d'y passer un petit papier roulé ; de mettre les perles en collier, &c. Voyez ce travail à l'article PERLE. Voyez aussi nos Planches d'Emailleur.

Lorsque l'émailleur travaille, il est assis devant sa table, le pié sur la marche qui fait hausser & baisser le soufflet, tenant de la main gauche l'ouvrage qu'il veut émailler, ou les fils-de-fer ou de laiton qui serviront de soûtien à sa figure, conduisant de la main droite le fil d'émail amolli par le feu de la lampe, & en formant des ouvrages avec une adresse & une patience également admirables.

Il est très-difficile de faire à la lampe de grandes pieces ; on n'en voit guere qui passent quatre, cinq, six pouces.

Nous ne finirons pas cet article, sans indiquer un usage assez important de la lampe de l'émailleur ; c'est de pouvoir facilement y réduire une petite quantité de chaux métallique, ou y essayer une pareille quantité de minéral. Pour cet effet il faut pratiquer un creux dans un charbon de bois, y mettre la chaux à réduire, ou la matiere à fondre, & faire tomber dessus la flamme de la lampe. On voit que c'est encore un moyen très-expéditif pour souder.

* EMAIL, (Anat.) L'émail de la dent est une matiere tout-à-fait différente de l'os ; il est composé d'une infinité de petits filets qui sont attachés sur l'os par leurs racines, à-peu-près comme les ongles & les cornes. On distingue très-facilement l'émail dans une dent cassée ; on y voit tous ces filets prendre leur origine vers la partie de l'os qui touche la gencive, s'incliner vers l'os, & se coucher les uns sur les autres, de maniere qu'ils sont presque perpendiculaires sur la base de la dent : par ce moyen, ils résistent davantage à l'effort. M. de la Hire le fils a observé que dans les adultes l'os de la dent ne croît point, mais seulement l'émail ; il est persuadé que les filets de cet émail s'étendent comme ceux des ongles. Si l'émail d'une dent se détruit, l'os se carie, & la dent périt. Voyez DENT. Voyez les mémoires de l'académie, ann. 1699.

EMAIL, terme de Blason, qui se dit de la diversité des couleurs & des métaux dont un écu est chargé. Les métaux sont or & argent ; & les couleurs, azur, gueules, sinople, pourpre, & sable. On représente ces sept émaux sur les tailles-douces, par le moyen des hachures. L'or est pointillé, & l'argent tout blanc ; l'azur qui est bleu, est représenté par des traits tirés horisontalement ; le gueules, qui est rouge, par des traits perpendiculaires ; le sinople ou le verd, par des traits diagonaux de droite à gauche ; le pourpre, dont on se sert pour les raisins, les mûres & quelques autres fruits, par des traits diagonaux de gauche à droite ; & le sable, qui est noir, par des traits croisés. Les émaux du Blason sont venus des anciens jeux du cirque, qui ont passé aux tournois, où le blanc, le bleu, le rouge, & le verd, distinguoient les quadrilles les uns des autres. Domitien, au rapport de Suétone, y en ajoûta une cinquieme vêtue d'or, & une sixieme habillée de pourpre. Le sable est venu des chevaliers qui portoient le deuil. Voyez BLASON.


EMAILLERtravailler en émail : ce mot se dit aussi pour signifier peindre en émail.


EMAILLEURS. m. (Art méch.) ouvrier qui travaille en émail, qui en couvre & orne les métaux, ou qui en fait à la lampe plusieurs sortes d'ouvrages curieux.

Le titre d'Emailleur en général convient à plusieurs sortes de personnes, aux Orfevres & Joailliers, qui montent les pierres précieuses ; aux Lapidaires, qui les contrefont avec les émaux ; & aux Peintres, qui peignent en mignature sur l'émail, & qui font cuire leur ouvrage au feu.

Mais les Emailleurs proprement dits, sont ceux qu'on appelle Patenôtriers & Boutonniers en émail.

Ces derniers ont composé pendant fort long-tems une communauté particuliere ; mais ils font à-présent corps avec les maîtres Verriers-Fayenciers, à qui ils ont été unis.

L'édit de leur érection en corps de jurande a été donné en 1566 par Charles IX. & enregistré la même année. En 1599, Henri IV. confirma leurs statuts, & y ajoûta quelques articles. Enfin Louis XIV. réunit les deux communautés des Emailleurs & des Verriers, pour ne faire à l'avenir qu'un seul & même corps, sans cependant déroger à leurs statuts.

Les statuts de l'édit de Charles IX. contiennent vingt articles, & l'augmentation accordée par les lettres patentes d'Henri IV. trois autres.

Par l'édit, les maîtres n'avoient que la qualité de Patenôtriers & Boutonniers en émail ; les lettres y ajoûterent le verre & le crystallin.

La communauté est régie par quatre jurés, dont deux s'élisent par année.

Pour être reçu maître, il faut avoir fait cinq ans & huit jours d'apprentissage ; & après une information préalable de vie & moeurs, un apprenti est admis au chef-d'oeuvre.

Chaque maître ne peut avoir qu'un seul apprenti à la fois.

Les veuves restant en viduité, joüissent du privilége de leur défunt mari ; à l'exception des apprentis qu'elles ne peuvent pas engager, mais bien les continuer.

Les veuves & les filles de maîtres donnent la franchise aux apprentis qu'elles épousent.

Les maîtres de la communauté peuvent faire toute sorte de patenôtres, boutons d'émail, dorures sur verre & émail, pendans d'oreille jolivetés, & autres ouvrages semblables, avec émail, canon, & crystallin passant par le feu & fourneau.

Ils peuvent aussi enfiler toutes ceintures, carcans, chaînes, colliers, brasselets, patenôtres, & chapelets, des mêmes matieres & de pareille fabrique, & même les enrichir & orner d'or & d'argent battu & moulu.

En 1706, les Emailleurs furent unis avec les Verriers ; & il fut reglé que pendant les dix premieres années les quatre jurés seroient élûs avec égalité, c'est-à-dire de façon qu'il y auroit deux émailleurs & deux verriers ; & qu'après les dix ans expirés, l'élection seroit entierement libre, & se feroit à la pluralité des voix.

Au moyen de cette union, ils ont tous également la qualité de maîtres Emailleurs, Patenôtriers, Boutonniers en émail, verre, & crystallin, marchands Verriers, Couvreurs de flacons & bouteilles en osier, fayence, & autres especes de verres de la ville & fauxbourgs de Paris. Voyez les réglemens de communautés, & le dictionn. de Comm.


EMAILLURES. f. (Art. méch.) terme qui signifie l'application de l'émail sur quelque autre matiere. Il se dit fort bien aussi de l'ouvrage même qu'on a émaillé. Voyez les articles EMAIL & EMAILLER.

EMAILLURES, (Vénerie) se dit des taches rousses qu'on voit sur les pennes de l'oiseau de proie.


EMANATIONSS. f. pl. (Phys.) on appelle ainsi des écoulemens, ou exhalaisons de particules ou de corpuscules subtils, qui sortent d'un corps mixte par une espece de transpiration. Voyez TRANSPIRATION. Ce mot vient du latin manare ou emanare, émaner, sortir.

Il est certain qu'il sort de pareilles émanations des corps qui nous environnent ; par exemple, que les plantes & les animaux transpirent, que les fluides s'évaporent, &c. Personne ne doute non plus que les corps odoriférans n'envoyent continuellement des émanations, & que ce ne soit par le moyen de ces émanations, qu'ils excitent en nous la sensation de l'odeur. Voyez ODEUR.

Il y a des corps qui envoyent des émanations continuelles, sans perdre sensiblement ni de leur volume, ni de leur poids, comme la plûpart des corps odoriférans : la perte qu'ils souffrent par l'émission continuelle de ces émanations, est peut-être réparée par la réception d'autres émanations semblables de corps de même espece, répandus dans l'air.

Quant à la loi de l'émission de ces émanations, voyez l'article QUALITE. Voyez aussi EMISSION.

Ces émanations operent avec beaucoup d'efficacité sur les corps qui sont dans la sphere de leur activité ; c'est ce que prouve M. Boyle dans un traité qu'il a fait exprès sur la subtilité des émanations. Il y fait voir 1°. que le nombre des corpuscules qui forment ces émanations, est prodigieusement grand ; 2°. qu'ils sont d'une nature fort pénétrante ; 3°. qu'ils se meuvent avec une grande vîtesse, & dans toutes sortes de directions ; 4°. qu'il y a souvent une ressemblance, & d'autres fois au contraire, une différence surprenante du volume & de la forme de ces émanations aux pores des corps dans lesquels ils pénétrent, & sur lesquels ils agissent ; 5°. qu'en particulier dans les corps des animaux, ces émanations peuvent exciter de grands mouvemens dans la machine, & produire par-là de grands changemens dans l'économie animale ; enfin qu'elles ont quelquefois, pour ainsi dire, la faculté de tirer du secours dans leurs opérations, des agens les plus universels que nous connoissions dans la nature, comme de la gravité, de la lumiere, du magnétisme, de la pression de l'atmosphère, &c.

Les émanations peuvent s'étendre à de grandes distances. En voici une preuve qui, selon quelques auteurs, est d'un grand poids. Nos vins deviennent troubles dans les tonneaux, précisément au même tems où les raisins se trouvent à leur degré de maturité dans les pays éloignés d'où le vin nous a été apporté ; mais cette preuve ne paroît pas fort convaincante : car ne pourroit-on pas dire que c'est l'air qui cause cette fermentation, sans avoir recours à des particules qui s'échappent des corps qui fermentent ? Une des meilleures preuves qu'on puisse apporter de la distance à laquelle s'étendent les émanations, c'est qu'on reçoit en plusieurs cas les émanations odoriférantes à la distance de plusieurs lieues. De plus, on prouve encore par plusieurs observations, que la plûpart des émanations retiennent la couleur, l'odeur, & les autres propriétés & effets des corps d'où elles proviennent ; & cela après même qu'elles ont passé par les pores d'autres corps solides. C'est ainsi que les émanations magnétiques pénetrent même les corps les plus solides, sans souffrir aucune altération dans leur nature, ni rien perdre de leur force.

Plusieurs auteurs, à la tête desquels est M. Newton, veulent que la lumiere soit produite par une émanation de corpuscules qui s'élancent du corps lumineux. Si ce système, qui est appuyé sur des preuves très-fortes, étoit vrai, il serviroit à prouver combien les émanations peuvent être subtiles, & à quelles distances énormes elles peuvent s'étendre. Voyez LUMIERE & EMISSION. Voyez aussi, sur les émanations en général, les articles ODEUR, VAPEUR, TRANSPIRATION, EXHALAISON, ATMOSPHERE, &c. (O)


EMANCHÉadj. en termes de Blason, se dit des partitions de l'écu où les pieces s'enclavent les unes dans les autres en forme de longs triangles pyramidaux, comme aux armoiries de Vaudrey.

Hotman à Paris, originaires du pays de Cleves, parti émanché d'argent & de gueules.


EMANCIPATIONS. f. (Jurisp.) est un acte qui met certaines personnes hors la puissance d'autrui. Elle n'a lieu communément qu'à l'égard de deux sortes de personnes, qui sont les mineurs, les fils de famille ; quelques-uns y comprennent la femme & les gens de main-morte. Il y a encore d'autres personnes qui peuvent être affranchies de la puissance d'autrui ; mais les actes qui leur procurent cet affranchissement, ne sont pas qualifiés d'émancipation.

Chez les Romains l'émancipation avoit lieu seulement pour deux sortes de personnes, les mineurs & les fils de famille. La premiere se faisoit en vertu de lettres du prince, de même qu'elle se pratique encore parmi nous. Voyez EMANCIPATION DE MINEUR. L'autre, c'est-à-dire celle des fils de famille, se faisoit en diverses manieres. Voyez EMANCIPATION ANASTASIENNE, ANCIENNE, contractâ fiduciâ, DE LA FEMME, D'UN FILS DE FAMILLE, LEGALE, LEGITIME, JUSTINIENNE, TACITE. (A)

EMANCIPATION ANASTASIENNE, étoit celle qui se faisoit en faveur des fils de famille, en vertu d'un rescrit du prince. On l'appelloit anastasienne, parce que cette forme nouvelle fut introduite par une constitution de l'empereur Anastase, au lieu de l'émancipation ancienne ou légitime, dont il sera parlé ci-après. L'anastasienne étoit beaucoup plus simple & plus commode que l'autre, n'y ayant à celle-ci d'autre formalité que de faire insinuer juridiquement un rescrit, par lequel l'empereur émancipoit le fils de famille. Notre émancipation des mineurs par lettres de bénéfice d'âge, revient assez à cette émancipation anastasienne. (A)

EMANCIPATION ANCIENNE ou LEGITIME, étoit la premiere forme dont on usoit d'abord chez les Romains pour l'émancipation des fils de famille. On l'appelloit ancienne & légitime, parce qu'elle dérivoit de l'interprétation de la loi des douze tables. Cette loi portoit, que quand un pere avoit vendu son fils jusqu'à trois fois, le fils cessoit d'être sous sa puissance.

Denis d'Halicarnasse a prétendu que cette loi devoit être prise à la lettre, c'est-à-dire qu'il falloit trois ventes réelles du fils de famille pour opérer l'émancipation, en quoi la condition du fils de famille auroit été plus rude que celle d'un esclave, lequel, après avoir été une fois affranchi, joüissoit pour toûjours de la liberté. Il est vrai que la vente du fils n'étoit pas un véritable affranchissement de toute puissance ; il passoit de celle du pere en celle de l'acheteur. Mais tous les auteurs anciens & modernes conviennent que ces trois ventes du fils de famille étoient simulées, & faites seulement pour opérer l'émancipation.

Au commencement le fils de famille par le moyen de ces ventes, passoit en la puissance de l'acheteur comme s'il fût devenu de condition servile. Dans la suite les jurisconsultes ajoûterent aux trois ventes autant de manumissions de la part de l'acheteur ; & il fut d'usage, qu'à l'exception des fils, les filles & les petits-enfans mâles & femelles seroient émancipés par une seule vente & une seule manumission. On s'imaginoit qu'il en falloit davantage pour le fils, comme étant lié plus étroitement avec le pere.

Ces ventes & manumissions se faisoient d'abord devant le président ou gouverneur de la province ; ensuite on les fit devant le président de la curie.

La forme de ces émancipations étoit, que le pere naturel, en présence de cinq témoins & de l'officier appellé libripens tenant sa balance, faisoit une vente fictive de son fils à un étranger, en lui disant, mancupo tibi hunc filium qui meus est : Caïus, liv. I. tit. viij. de ses institutes, dit même qu'il falloit sept témoins citoyens romains.

L'acheteur donnoit au pere par forme de prix, une piece de monnoie, en disant : hunc hominem ex jure quiritum meum esse aïo, isque mihi emptus est hoc aere aeneâque librâ ; au moyen de quoi le fils de famille passoit sous la puissance de l'acheteur comme son esclave ; ensuite ce même acheteur affranchissoit le fils de famille, lequel par un droit tacite, retournoit en la puissance de son pere naturel : celui-ci vendoit encore de même son fils une seconde & une troisieme fois, & l'acheteur faisoit autant de manumissions : & après la troisieme manumission, le fils de famille ne retournoit plus en la puissance de son pere naturel, mais il étoit considéré comme l'affranchi de l'acheteur, lequel en qualité de patron, succédoit au fils de famille ainsi émancipé, & avoit sur lui tous les autres droits légitimes.

Mais pour empêcher que l'émancipation ne fît ce préjudice au pere naturel, l'usage introduisit que ce pere en faisant la vente imaginaire de son fils, pourroit stipuler que l'acheteur seroit tenu de lui revendre ; & à cet effet, en faisant la troisieme vente, le pere naturel disoit à l'acheteur : ego vero hunc filium meum tibi mancupo, ea conditione ut mihi remancupes ut inter bonos bene agiet (id est agere) ; oportet-ne propter te tuamque fidem frauder ? L'objet de cette revente étoit afin que le pere naturel pût lui-même affranchir son fils, & par ce moyen devenir son patron & son légitime successeur. C'est de-là que ce pacte de revente s'appelloit pactum fiduciae ; l'émancipation faite en cette forme, emancipatio contractâ fiduciâ ; & l'acheteur qui promettoit de revendre le fils de famille, pater fiduciarius. Si ce pactum fiduciae étoit omis dans la vente, tous les droits sur la personne du fils vendu demeuroient pardevers l'acheteur.

Caïus dit cependant que si les enfans, après avoir été vendus par leur pere naturel, mourroient en la puissance de leur pere fiduciaire, le pere naturel ne pouvoit pas leur succéder, que c'étoit le pere fiduciaire qui recueilloit leur succession quand il les avoit affranchis ; mais il est évident que Caïus n'a entendu parler que du cas où les fils de famille mourroient dans l'intervalle de la premiere à la troisieme vente : alors c'étoit le pere fiduciaire qui succédoit, parce que la premiere & la seconde vente transportoient véritablement au pere fiduciaire la propriété du fils vendu, lequel ne rentroit dans la famille de son pere naturel que lors de la troisieme revente, par un acte appellé emancipatio, ainsi que l'observe M. Terrasson en son histoire de la jurispr. rom.

Il eût été facile cependant d'apposer le pacte de revente des la premiere vente, comme dans la troisieme, & il ne falloit pas tant de détours & de fictions pour dire que le pere se désistoit volontairement en faveur de son fils du droit de puissance qu'il avoit sur lui ; c'est pourquoi cette ancienne forme d'émancipation tomba en non-usage, lorsque l'empereur Anastase en eut introduit une plus simple, quoiqu'il n'eût pas abrogé l'autre. Voyez ci-dev. EMANCIPATION ANASTASIENNE, & ci-après EMANCIPATION JUSTINIENNE. (A)

EMANCIPATION contractâ fiduciâ, étoit chez les Romains une des formes de l'émancipation ancienne, qui se faisoit par le moyen des trois ventes imaginaires avec le pactum fiduciae, c'est-à-dire la condition de revendre le fils de famille à son pere naturel. Voyez ci-dev. EMANCIPATION ANCIENNE. (A)

EMANCIPATION COUTUMIERE, voyez ci-après EMANCIPATION LEGALE.

EMANCIPATION PAR LE DECES DE LA MERE, étoit une espece d'émancipation légale qui avoit lieu dans certaines coûtumes en faveur des enfans par le décès de la mere, quoique le pere fût encore vivant. Dans ces provinces, les enfans étoient comme solidairement en la puissance de leurs peres & meres conjointement. Telles sont les dispositions des coûtumes de Montargis, ch. vij. art. 3. Vitry, art. 100. & 143. Château-Neuf, art. 134. Chartres, art. 103. & Dreux, art. 93.

EMANCIPATION EXPRESSE, est celle qui se fait par un acte exprès, à la différence des émancipations tacites, qui ont lieu sans qu'il y ait aucun acte à cet effet de la part du pere, mais seulement en vertu d'un consentement tacite de sa part. (A)

EMANCIPATION DE LA FEMME, c'est ainsi que la séparation de la femme d'avec son mari est appellée dans la coûtume de la Rue-Indre locale de Blois, ch. x. art. 31. (A)

EMANCIPATION D'UN FILS DE FAMILLE, s'entend de l'acte par lequel un fils, ou fille, ou quelqu'un des petits-enfans étant en la puissance du pere de famille, est mis hors de sa puissance.

Cette émancipation qui dérive du droit romain, a lieu dans tous les pays de droit écrit, & dans quelques coûtumes où la puissance paternelle a lieu.

Le pere de famille peut émanciper ses enfans à tout âge, soit majeurs ou mineurs, parce que la majorité ne fait pas cesser la puissance paternelle. L'émancipation ne met pas non plus les enfans hors de tutele, s'ils sont encore impuberes ; en ce cas le pere devient leur tuteur légitime.

En pays de droit écrit, l'émancipation doit se faire en jugement par une déclaration que fait le pere, qu'il met l'enfant hors de sa puissance ; néanmoins dans le ressort du parlement de Toulouse, l'émancipation se peut faire devant notaires.

Dans les coûtumes où la puissance paternelle a lieu, le pere peut émanciper en jugement ou devant notaires.

L'émancipation des enfans de famille fait cesser la puissance paternelle ; elle ne rend cependant pas les enfans étrangers à la famille du pere, ensorte qu'ils lui succedent conjointement avec leurs freres & soeurs qu'il a retenus en sa puissance.

Elle n'a d'autre effet à l'égard du pere, que de délivrer l'enfant de la puissance paternelle, d'ôter au pere l'usufruit qu'il auroit pu avoir sur les biens de son enfant, & de rendre l'enfant capable de s'obliger. Voyez FILS DE FAMILLE, PUISSANCE PATERNELLE. (A)

EMANCIPATION DE GENS DE MAIN-MORTE, c'est l'affranchissement que le seigneur accorde à des gens qui sont ses serfs. Voyez AFFRANCHISSEMENT, GENS DE MAIN-MORTE, SERFS. (A)

EMANCIPATION JUSTINIENNE, étoit celle dont la forme fut reglée par l'empereur Justinien, lequel ayant rejetté toutes les ventes & manumissions imaginaires dont on usoit par le passé dans les émancipations, permit aux peres de famille d'émanciper leurs enfans, soit en obtenant à cet effet un rescrit du prince, ou même sans rescrit, en faisant leur déclaration à cet effet devant un magistrat compétent, auquel la loi ou la coûtume attribuoient le pouvoir d'émanciper. On donnoit au pere, après cette émancipation, en vertu de l'édit du préteur, le même droit sur les biens de ses enfans émancipés décédés sans enfans, que le patron auroit eu en pareil cas sur les biens de ses affranchis ; mais par la derniere jurisprudence, le pere hérite de ses enfans par droit de succession des ascendans, & non pas seulement en qualité de patron. (A)

EMANCIPATION LEGALE, est celle qui a lieu de plein droit, en vertu de la loi ou de la coûtume. On l'appelle aussi émancipation tacite, parce qu'elle a lieu sans que le pere fasse aucun acte à ce sujet. Telles sont, à l'égard des mineurs, les émancipations qui ont lieu par l'âge de puberté, par la majorité coûtumiere, par la pleine majorité, par le mariage ; telles sont pour les fils de famille les émancipations qui ont lieu en certains pays par le mariage, par l'acquisition de quelque dignité, par l'ordre de prêtrise, par l'habitation séparée, & par le négoce séparé. (A)

EMANCIPATION LEGITIME ou ANCIENNE, étoit celle qui se faisoit en vertu de la loi des douze tables. Voyez ci-devant EMANCIPATION ANCIENNE. (A)

EMANCIPATION PAR LETTRES DU PRINCE, a lieu tant en faveur des mineurs, que des fils de famille. L'usage de ces émancipations vient des Romains. Voyez ce qui en est dit à l'article EMANCIPATION DE MINEUR & EMANCIPATION JUSTINIENNE. Ces lettres, qu'on appelle communément lettres de bénéfice d'âge, s'obtiennent en la petite chancellerie ; elles sont adressées au juge royal qui a fait la tutele ou curatelle ; ou si c'est un juge de seigneur, on les adresse à un sergent royal, qui fait commandement au juge de procéder à l'enthérinement : ce qui ne se fait qu'après avoir pris l'avis des parens & amis du mineur. (A)

EMANCIPATION DE MAJORITE COUTUMIERE, est celle que quelques coûtumes accordent au mineur à l'âge de pleine puberté, lequel est reglé différemment par les coûtumes. Voy. EMANCIPATION DE MINEUR. (A)

EMANCIPATION PAR MARIAGE, est une émancipation tacite que dans certains pays le mariage opere de plein droit & sans lettres du prince, en faveur des mineurs & des fils de famille. Cette émancipation tacite n'a pas lieu dans les pays de droit écrit, excepté dans ceux qui sont du ressort du parlement de Paris.

Pour ce qui est des pays coûtumiers, le mariage n'y a pas toûjours opéré l'émancipation ; car Gaucher de Chatillon connétable, mariant sa fille en 1308, promit de l'émanciper & de la sortir hors de sa puissance.

Présentement toutes les coûtumes donnent au mariage l'effet d'émanciper, excepté celle de Poitou qui requiert à l'égard des nobles une émancipation expresse, outre le mariage. Celle de Saintonge veut qu'il y ait habitation séparée de celle du pere ; celle de Bretagne requiert que le mariage soit fait du consentement du pere, condition qui doit être sousentendue dans toutes les coûtumes ; celle de Bourbonnois dit que le mariage émancipe, mais elle met une restriction, si ce n'est qu'il fût autrement convenu en faisant le mariage. Voyez le recueil des quest. de M. Bretonnier, au mot Puissance paternelle.

L'émancipation par mariage n'opere pas plus d'effet que celle qui se fait en vertu de lettres du prince, si ce n'est que la premiere emporte la liberté de se remarier sans le consentement du pere, quoique celui ou celle qui veut se remarier n'ait pas 25 ans. (A)

EMANCIPATION DE MINEUR, est l'acte qui met un mineur hors de la puissance de son tuteur, & lui donne le droit de joüir de ses revenus, même de disposer de ses meubles.

L'émancipation des mineurs avoit lieu chez les Romains ; elle se faisoit en vertu de lettres du prince : cela fait la matiere du titre du code de his qui aetatis veniam impetraverunt. La loi 2, qui est de l'empereur Constantin, dit que tous les jeunes gens, lesquels étant de bonne conduite desirent de gouverner leur patrimoine, ayant besoin pour cela de lettres du prince, pourront impétrer cette grace quand ils auront vingt ans accomplis ; de maniere qu'ils présenteront eux-mêmes leurs lettres au juge, & prouveront leur âge par écrit, & justifieront de leur bonne conduite & moeurs par des témoins dignes de foi : la loi permet néanmoins aux filles de présenter leurs lettres par procureur, & de les obtenir à l'âge de dix-huit ans, pour pouvoir joüir de leurs biens sans pouvoir aliéner les fonds, ensorte qu'elles ayent en toutes affaires autant de droit & de pouvoir que les hommes. La raison pour laquelle la loi fait mention nommément des filles, est que dans l'ancien droit romain les femmes étoient perpétuellement en curatelle.

Il paroît singulier que cette loi oblige les mineurs, qui veulent joüir de leur revenu, de prendre des lettres ; vû que, suivant le droit romain, la tutele finit à l'âge de puberté, qui est de quatorze ans pour les mâles, & de douze ans pour les filles ; & que suivant ce même droit, il est libre au mineur pubere de ne pas demander de curateur. Mais il est évident que la loi a entendu parler du cas où le mineur a un curateur, comme on lui en donne un ordinairement en sortant de la tutele : ce qui est fondé sur la disposition de cette même loi, qui suppose qu'un mineur n'est pas capable de gouverner son bien au plûtôt qu'à l'âge de vingt ans accomplis.

Néanmoins dans notre usage les lettres de bénéfice d'âge s'obtiennent souvent plûtôt tant en pays coûtumier, que dans les pays de droit écrit : cela dépend de la capacité des mineurs, de l'avis des parens, & de l'ordonnance du juge ; mais ordinairement on n'accorde point de lettres de bénéfice d'âge au-dessous de la puberté.

Les mineurs peuvent aussi être émancipés par mariage, ou par la majorité coûtumiere, que les coûtumes fixent différemment : mais en ce cas ils ont toûjours besoin de lettres du prince ; de sorte que les coûtumes qui semblent accorder l'émancipation à celui qui atteint l'âge de majorité coûtumiere, ne font proprement que regler l'âge auquel on peut obtenir des lettres d'émancipation.

La majorité parfaite opere aussi une espece d'émancipation légale.

Le mineur émancipé peut faire seul tous actes d'administration ; mais il ne peut aliéner ni hypothéquer ses immeubles sans avis de parens & decret du juge.

Il ne peut aussi ester en jugement, sans être assisté d'un curateur. (A)

EMANCIPATION DE MOINES : on s'est quelquefois servi de ce terme dans les monasteres, en parlant des moines promûs à quelque dignité, ou tirés hors de l'obéissance de leurs supérieurs. Voy. le gloss. de Ducange, au mot Emancipatio. (A)

EMANCIPATION D'UN MONASTERE est dite, dans quelques anciens auteurs, pour exemption de la jurisdiction de l'ordinaire. Voyez Ducange ibid. (A)

EMANCIPATION per aes & libram, voyez EMANCIPATION ANCIENNE.

EMANCIPATION TACITE, est celle qui a lieu de plein droit en faveur du mineur ou du fils de famille, sans le consentement du pere & sans lettres du prince : telles sont celles qui ont lieu par le mariage, par l'acquisition de quelque dignité, par l'ordre de prêtrise, par une habitation ou un commerce séparé.

Suivant le droit romain, il n'y avoit que la dignité de patrice capable d'émanciper ; celle de sénateur n'avoit pas cet effet.

En France, les premieres dignités des parlemens, telles que celles de présidens, de procureur, & avocats généraux, émancipent. Les grandes dignités de l'épée & de la cour émancipent aussi.

Pour ce qui est des dignités ecclésiastiques, en pays de droit écrit, l'épiscopat est la seule qui ait l'effet d'émanciper. Les dignités d'abbé, de prieur, & de curé, n'émancipent point.

En pays coûtumier la prêtrise émancipe, comme le décide la coûtume de Bourbonnois, & que Coquille l'observe sur celle de Nivernois : mais Faisand, sur celle de Bourgogne, dit que la prêtrise n'émancipe que quand le prêtre possede un bénéfice qui requiert résidence.

L'habitation séparée n'émancipe que dans les pays coûtumiers ; encore la coûtume de Châlons est-elle la seule qui se contente de cette circonstance. Celle de Bretagne & de Bordeaux veulent en outre l'âge de vingt-cinq ans ; celle de Poitou requiert le mariage avec l'habitation séparée ; celle de Saintonge veut tout-à-la-fois le mariage, l'âge de ving-cinq ans pour les nobles, de vingt-cinq ans pour les roturiers, & l'habitation séparée.

Le commerce ou négoce séparé émancipe aussi en pays coûtumier, comme le décident les coûtumes de Berri, Bourbonnois, & Bordeaux : ce qui est conforme à l'article 6. du tit. j. de l'ordonnance du commerce, qui répute majeurs tous négocians & marchands, mais seulement pour le fait du commerce dont ils se mêlent. (A)


EMANCIPÉ(Jurispr.) est celui qui joüit de ses droits, au moyen de l'émancipation expresse ou tacite qu'il a acquise.

Le mineur émancipé peut toucher ses revenus & disposer de son mobilier ; mais il ne peut aliéner ni hypothéquer ses immeubles, sans avis de parens homologué par le juge. Il ne peut aussi ester en jugement, sans être assisté de curateur.

Le fils de famille, majeur lorsqu'il est émancipé, joüit de tous les droits des majeurs qui sont sui juris. Voyez ci-devant ÉMANCIPATION (A)


EMARGEMENTS. m. (Fin) l'action de transporter à la marge. On a fait de ce substantif le verbe émarger. Voyez l'article MARGE.


EMASCULATIONS. f. l'action par laquelle on enleve à un mâle les parties qui caractérisent son sexe. Voyez CASTRATION. (L)


EMBACLES. f. terme de Riviere dont on se sert pour exprimer l'embarras de plusieurs cordes de bois que l'on a mises à flot, & qui sont arrêtées par quelques obstacles. Voyez CORDES, BOIS, Voyez aussi l'article TRAIN.


EMBALLAGES. m. terme de Doüanne & de Commerce, qui a plusieurs significations.

1°. Emballage s'entend de l'action même d'emballer. Voyez EMBALLER.

2°. Emballage comprend tout ce qui sert à emballer les marchandises, comme le papier, le carton, les caisses, tonneaux, bannettes, toiles cirées, serpillieres, cordages, &c. pour lesquelles il n'est fait aucune déduction de poids pour les droits d'entrée & de sortie, selon le tarif de 1664 & l'ordonnance de 1667, si ce n'est pour les marchandises d'or & d'argent, & pour les drogueries & épiceries.

3°. Emballage ne signifie souvent que les toiles ou serpillieres qui servent à empaqueter les marchandises.

Une toile d'emballage est une sorte de toile grossiere, mais forte, qui sert à emballer : elle est différente de la serpilliere, quoiqu'on se serve aussi de celle-ci pour emballer. Voyez SERPILLIERE. Dictionnaires de Comm. de Trév. & Chambers. (G)


EMBALLERv. act. (Comm.) faire l'emballage d'une caisse de marchandises, l'envelopper de toile & la garnir de paille, pour la conserver & la garantir de la pluie, du mauvais tems & autres accidens, lorsqu'on est obligé de la transporter au loin, soit par des voitures de terre ou de riviere, soit par mer, & pour les voyages de long cours.

Il y a plusieurs manieres d'emballer les marchandises ; les unes s'emballent seulement avec de la paille & de la grosse toile ; les autres dans des bannes ou bannettes d'osier ou de bois de châtaignier, ou dans des caisses de bois de sapin qu'on couvre d'une toile cirée grasse, toute chaude ; d'autres dans de gros cartons qu'on enveloppe de toiles cirées seches, quelquefois sans autre couverture, mais le plus souvent avec de la paille & de la toile. Dans tous ces emballages on coud la toile avec de la ficelle & une grosse aiguille, & on la serre par-dessus avec une forte corde, qui faisant plusieurs tours de divers sens autour du ballot, aboutit à un des coins, où elle est enfin liée & arrêtée. C'est à ce bout de la corde que les visiteurs ou autres commis des doüannes mettent leur plomb, afin que la balle ne puisse s'ouvrir sans le lever, & que les marchandises qu'ils ont visitées ne puissent être changées ni augmentées au préjudice des droits du roi.

Dans les échelles du Levant, comme à Alep, Smyrne, &c. les emballages, particulierement ceux des soies, ont toûjours deux toiles ; l'une intérieure, qu'on appelle la chemise ; l'autre extérieure, qui est la couverture. Les Levantins remplissent l'entre-deux de ces toiles, de paille, & quelquefois de coton. Dictionnaires de Commerce, de Trévoux, & Chambers. (G)


EMBALLEURS. m. (Commerce) celui dont le métier ou la fonction est de ranger les marchandises dans les balles, de les empaqueter & emballer.

Autrefois les crocheteurs & gagnes-deniers faisoient cet office dans les doüannes ; mais maintenant dans celles de Lyon & de Paris il y a des emballeurs en titre d'office, qui payent paulette au roi, ont des droits réglés par un tarif, font bourse commune, & forment un corps qui a son syndic & autres officiers. Ils sont à Paris au nombre de soixante partagés en deux bandes, dont l'une est de service à la doüanne, & l'autre à leur bureau rue des Lombards, où ils roulent ainsi alternativement tous les huit jours.

Ce sont les emballeurs qui écrivent sur les toiles d'emballage, les numero des ballots appartenans au même marchand, & envoyés au même correspondant, les noms & qualités de ceux à qui ils sont envoyés, & les lieux de leur demeure. Ils ont aussi soin de dessiner un verre, un miroir ou une main sur les caisses de marchandises casuelles, pour avertir ceux qui les remueront, d'user de précaution.

Les instrumens dont se servent les emballeurs, sont un couteau, une bille de bois, ordinairement de boüis, & une longue & forte aiguille à trois carres : leur fil est une médiocre ficelle, qui dans le commerce de la Corderie est appellée ficelle d'emballage. Dictionnaires de Commerce, de Trévoux, & Chambers. (G)


EMBAMMA(Hist. anc.) espece de sauce ou de salade à laquelle on joignoit l'épithete d'amarum, amere, & qui servoit d'assaisonnement à l'agneau paschal. C'étoit ou des endives, ou de la chicorée, ou de la laitue, ou de la pulmonaire, ou le chardon, le raifort, les orties, &c. on tenoit du vinaigre dans un vase placé à côté de ces herbes ; & après plusieurs cérémonies religieuses que le maître de la maison faisoit, il rompoit un morceau de pain azyme, le couvroit d'herbes ameres, trempoit le tout d'abord dans le vinaigre, ensuite dans une sauce de figues, de raisins, &c. & disoit : " Beni soit le Seigneur notre Dieu, le maître du monde, qui nous a sanctifiés par ses commandemens, & nous a ordonné de manger le pain azyme avec la sauce amere ". Il mangeoit ensuite le pain trempé & les herbes, benissoit les mets, goûtoit à l'agneau paschal, & abandonnoit le reste de l'agneau, des herbes, du pain & des sauces à la dévotion & à l'appétit des autres convives, dont le repas commençoit alors.


EMBANQUÉadj. (Marine) Les navigateurs qui vont à la pêche de la morue, ou qui font route pour Terre-neuve & le golfe de Saint-Laurent, se servent de ce terme pour dire qu'ils sont arrivés sur le banc de Terre-neuve. (Z)


EMBANQUERv. act. ou neut. (Manufact. en soie) c'est passer les canons d'organsin à la cantre, pour se disposer à ourdir. Voyez CANONS, ORGANSIN & CANTRE.


EMBARBES. f. (Manuf. en soie) ficelle servant au métier d'étoffes de soie ; elle a trois quarts d'aulne de long, & elle est bouclée par un de ses bouts. On enfile les embarbes les unes après les autres à une corde, afin que quand on veut s'en servir, elles ne puissent jamais être prises les unes avant les autres : leur usage dans le lisage des desseins, est d'arrêter les cordes de semple que la liseuse retient. Voyez SEMPLE & LIRE.

Peigner les embarbes, c'est les débrouiller après qu'on les a tirées du semple, & lorsque les lacs sont finis. Voyez Lacs.


EMBARBERv. neut. terme de Riviere. Lorsqu'un bateau vient d'amont, & qu'il est prêt de passer un pont ou un pertuis, on dit : ce bateau va embarber l'arche avalante, ce bateau est près d'embarber le pertuis. Voyez PERTUIS.


EMBARCADEREEMBARCADERE


EMBARDERv. neut. (Marine) c'est lorsqu'on fait faire au vaisseau un mouvement pour s'éloigner de l'endroit où il est. On dit : embarde au large, lorsqu'étant dans la chaloupe auprès du vaisseau, on pousse d'un côté ou d'autre pour s'en éloigner. Embarder se dit encore lorsqu'un vaisseau est à l'ancre, & qu'on lui fait sentir son gouvernail pour le jetter d'un côté ou d'un autre. (Z)


EMBARGOS. m. (Marine) METTRE UN EMBARGO. On se sert de ce terme pour celui d'arrêt, ou pour signifier l'ordre que les souverains donnent pour arrêter tous les vaisseaux dans leurs ports, & empêcher qu'il n'en sorte aucun, afin de les trouver prêts pour leur service, en cas de besoin ; ce qu'on les oblige de faire en les payant. En France on dit fermer les ports. (Z)


EMBARILLÉadj. (Comm.) renfermé dans un barril ; ainsi on dit de la farine embarillée.


EMBARQUEMENTS. m. (Comm.) l'action de charger des marchandises ou des troupes dans un vaisseau. Ce terme signifie aussi dans le Commerce, les fraix qu'il en coûte pour embarquer des marchandises. Dictionnaires de Commerce, de Trévoux, & de Chambers. (G)


EMBARQUEREMBARQUER

Un maître de vaisseau doit avoir le connoissement de toutes les marchandises qu'il embarque ; & un voiturier par eau, la lettre de voiture de celles dont son bateau est chargé, pour les représenter en cas de besoin.

Embarquer en grenier, c'est embarquer des marchandises sans être emballées ni empaquetées.

On embarque de cette sorte le sel, le blé, toutes sortes de grains, de légumes ; certains fruits, comme les pommes, les noix, le poisson sec, les métaux, &c. c'est-à-dire qu'on les met en tas dans des lieux secs & préparés exprès à cet usage dans les navires & bateaux. Dictionn. de Comm. de Trévoux, & Chambers. (G)


EMBARRASS. m. il se prend au physique & au moral ; au physique, pour tout ce qui empêche la facilité d'un mouvement ou d'une action ; & au moral, pour tout ce qui nuit à l'expédition promte d'une affaire, ou à la commodité de la vie. On dit les embarras d'une route & les embarras du monde. On dit encore avoir l'esprit embarrassé d'affaires, être embarrassé de quelqu'un, &c.


EMBARRE(Manége & Maréch.) cheval embarré. Voyez S'EMBARRER, EMBARRURE.


EMBARRER(s') Manége & Maréch. Un cheval qui s'embarre, est celui qui se trouve tellement pris & arrêté après avoir passé l'une de ses jambes au-delà de la barre qui limitoit la place qu'il occupe dans l'écurie, qu'il ne peut plus l'en dégager. Dans les efforts qu'il fait pour y parvenir, il peut se blesser plus ou moins dangereusement. Voy. EMBARRURE. Des séparations en forme de cloison, la suspension des barres à une juste hauteur, préviendroient sans-doute un pareil évenement. Voyez ECURIE. (e)


EMBARRURES. f. terme de Chirurgie, espece de fracture du crane, dans laquelle une esquille passe sous l'os sain, & comprime la dure-mere. Il faut tâcher de tirer avec adresse cette piece d'os avec des pincettes convenables. Si l'on croit n'y pouvoir réussir, ou si en faisant des tentatives il y a du risque de causer quelque déchirement à la dure-mere, il faut appliquer le trépan, & le multiplier, si le besoin le requiert, afin de pouvoir enlever facilement la piece d'os qui forme l'embarrure. Voyez ENGISOME & TREPANER. (Y)

EMBARRURE, s. f. (Manége & Maréch.) On appelle improprement ainsi tout accident qui suit l'action de s'embarrer : l'effet ou la maladie est donc ici désigné & reconnu par le nom même de la cause qui l'a produit.

Ces accidens ne se bornent pas toûjours à de simples écorchures ; ils consistent souvent dans des contusions plus ou moins dangereuses, selon qu'elles sont plus ou moins fortes & plus ou moins profondes, & selon aussi la nature de la partie contuse & affectée.

L'écorchure est une legere solution de continuité, une érosion qui n'intéresse que les poils, l'épiderme, les fibres & les petits vaisseaux cutanés.

Il est certain que l'embarrure limitée à ce seul évenement, ne peut jamais être envisagée comme une maladie grave ; elle est cependant quelquefois accompagnée d'inflammation, ce que l'on reconnoît aisément à la sensibilité que témoigne l'animal, lorsque nous portons la main sur cette plaie superficielle, à la chaleur & au gonflement qui se manifeste dans ses environs ; & alors elle exige plus d'attention de la part du maréchal.

Il ne suffit pas en effet de recourir à des pommades ou à des liqueurs dessiccatives ; il s'agit premierement de détendre & de calmer. L'application prématurée de ces topiques qui ne conviennent que dans le cas de l'absence de tous les signes dont je viens de parler, augmenteroit inévitablement le mal : on oindra donc d'abord le lieu où le siége en est établi, avec un mêlange de miel & d'onguent d'althaea, jusqu'à ce que la douleur s'évanoüisse ; à mesure qu'elle se dissipera, on supprimera insensiblement l'althaea pour lui substituer l'onguent pompholix ou l'onguent de céruse toûjours mêlée avec le miel ; & la plaie étant enfin dessechée par ce moyen, on procurera la regénération des poils : il n'est point de voie plus assûrée pour y parvenir, que celle d'oindre la partie qui en est dépourvûe avec l'onguent suivant.

" Prenez pampre de vigne que vous pilerez dans un mortier de fonte ; après en avoir broyé une petite quantité, ajoûtez-y du miel ; broyez de nouveau le tout, reprenez des pampres, pilez-les & ajoûtez encore du miel ; continuez jusqu'à ce que vous ayez préparé assez de cet onguent, que vous garderez soigneusement pour le besoin, & que vous aurez attention de renouveller chaque année. "

Il peut arriver aussi que l'inflammation soit très-considérable, alors on saignera l'animal : de plus, s'il survient des fongosités, on employera, lorsqu'il n'y aura plus d'inflammation, de foibles consomptifs pour les détruire, tels que l'alun brûlé, mêlé avec le miel, & même avec l'aegyptiac si ces fongosités sont d'un certain volume. Enfin, dans le cas de l'écorchure simple & sans complication de chaleur & de douleur, on se contentera de laver la partie malade avec du vin chaud, de la saupoudrer avec de la céruse, ou de la frotter avec les mélanges dessiccatifs & adoucissans dont j'ai fait mention, &c.

Les contusions occasionnées par l'embarrure, ne différent de celles qui sont le produit de l'impression subite & du heurt de quelques corps durs & obtus, qu'en ce que communément le frottement de la partie sur la barre, suscitant une érosion, elles s'annoncent par une tumeur avec solution extérieure de continuité. Il n'est pas néanmoins absolument rare que cette tumeur soit sans déperdition de substance, & sans ouverture à la peau.

Lorsque la contusion se borne au tégument ou au corps graisseux, elle est regardée comme une meurtrissûre, & n'est suivie d'aucun accident fâcheux : l'eau fraiche, l'eau-de-vie & le savon sont des remedes capables d'en opérer l'entiere guérison ; il n'en est pas de même lorsqu'elle s'étend dans les parties charnues, ou qu'elle est accompagnée de la foulure des tendons ou des ligamens, de la dilacération du tissu interne, du froissement, de la compression des vaisseaux, de la stagnation des liqueurs dans leurs canaux, de leur extravasion, &c. Ces différentes complications nous sollicitent à un traitement plus méthodique, & dans lequel nous devons toûjours nous guider par la variété des symptomes & des circonstances. 1°. De fortes contusions, surtout dans la partie la plus élevée de l'extrémité s'enflamment le plus souvent & suppurent. J'ai ouvert nombre d'abcès provenans de cette seule & unique cause. 2°. Les tendons ou les ligamens sont-ils contus & foulés ? la douleur vive à laquelle l'animal est en proie, la difficulté qu'il a de se mouvoir, nous l'annonceront ; & ces mêmes signes réunis & joints à celui qui résulte du volume & de l'étendue de la tumeur, nous indiqueront encore tous les autres accidens qui ont eu lieu dans l'intérieur du membre embarré.

Dans les uns & les autres de ces cas, la saignée à la jugulaire est indispensable. Selon l'ardeur de l'inflammation & la vivacité de la douleur, on appliquera des cataplasmes anodyns faits avec de la mie de pain boüillie dans du lait, à laquelle on ajoûtera des jaunes-d'oeufs, du safran & de l'onguent populeum ; par le secours de ces médicamens, on satisfera aux premieres intentions que l'on doit avoir, puisqu'on s'opposera d'une part à l'affluence des humeurs sur la partie tuméfiée, & de l'autre, aux progrès de l'inflammation qu'il faut absolument s'efforcer d'appaiser. Ces deux objets étant remplis, on n'oubliera rien pour délivrer la partie des humeurs qui s'y seront accumulées. On débutera d'abord par les remedes résolutifs, tels que les cataplasmes faits avec racine d'iris, de bryone, de chacune deux onces ; sommités d'absynthe & d'aurone, fleurs de camomille & de sureau, de chacune une poignée ; semence d'aneth, fénugrec & cumin en poudre, de chacun une once ; sel ammoniac, quatre dragmes : on fera cuire le tout dans du gros vin, on pilera ensuite le marc, on y mêlera de l'axonge humaine, ou de l'axonge de cheval & du safran, de chacun deux dragmes pour le cataplasme que l'on appliquera chaudement sur la partie, ou tel autre semblable qui aura les mêmes vertus & la même efficacité. En frottant encore la tumeur avec les résolutifs spiritueux, ou avec l'esprit de matricaire & le baume nervin, ou en mettant en usage les bains résolutifs aromatiques, on pourra opérer la résolution. S'il y a enfin épanchement ou infiltration d'humeur, & que cette voie que l'on doit toûjours préférer à toute autre, soit impossible ; on facilitera la suppuration par l'onction de l'onguent basilicum, ensuite on ouvrira la tumeur. Voyez TUMEUR. Souvent les éparvins, les courbes, les suros, sont provoqués par les embarrures. Voy. ÉPARVINS, SUROS. J'ai vû de plus ensuite d'un pareil accident, un gonflement énorme & une obstruction considérable du tissu vasculaire qui compose la masse des testicules. Voyez TESTICULE.

Pendant l'administration des remedes que je viens de prescrire, on doit tenir l'animal à un régime exact, à l'eau blanche, au son, lui administrer des lavemens émolliens, &c. & selon le dépôt qui en sera résulté, le purger pour terminer le traitement. (e)


EMBASEEMBASE


EMBASEMENTS. m. en Architecture, est une espece de base sans moulure, ou socle continu au pié d'un édifice, on l'appelle en grec stereobate, terme qui comprend en général toute sorte de structure solide, destinée à soûtenir une autre partie d'un édifice moins massive. (P)


EMBATONNÉadj. terme de Blason. On dit qu'une colonne est cannelée & embâtonnée, pour dire que ses cannelures sont remplies de figures de bâtons, jusqu'à une certaine partie de son fust.


EMBATTOIRS. m. (Maréch. gros.) Voyez EMBATTRE ; c'est une fosse dans laquelle les maréchaux grossiers mettent les roües qu'ils veulent ferrer. Anciennement dans Paris les embattoirs étoient placés dans les rues au-devant des boutiques de ces ouvriers ; mais la police a réformé cet abus. (D)


EMBATTREv. act. (Maréch. gros.) C'est le nom que l'on donne à la manoeuvre par laquelle on garnit une roüe de voiture de ses bandes de fer. Il y a deux manieres de ferrer les roües : l'une avec autant de bandes de fer qu'il y a de jantes à la roüe, c'est celle que nous allons expliquer ; l'autre maniere consiste à ferrer la roüe avec un cercle de fer d'une seule piece, ce qui se fait avec l'aide du diable (voyez DIABLE). Pour embattre ou ferrer une roue, on la place dans l'embattoir qui est une fosse de 6 à 7 piés de long sur un de large & environ 3 piés de profondeur : cette fosse doit être bien maçonnée ou garnie d'un corroi de glaise, afin qu'elle puisse tenir l'eau dont on la remplit, & dont on verra l'usage ci-après. Cette fosse ou embattoir est bordé au rez-de-chaussée d'un fort chassis de charpente qui assûre la maçonnerie ; on place donc la roue dans cette fosse, ensorte qu'elle y soit plongée à moitié, & que les deux bouts du moyeu portent sur le chassis de charpente. Dans cet état on applique une des bandes de fer qui doivent être rougies au feu, sur les jantes de la roue, ensorte que le milieu de la bande réponde juste sur le joint de deux jantes contigues ; on frappe de grands clous par les trous des barres qui par ce moyen se trouvent assujetties sur les jantes. On fait rougir les barres afin qu'elles se plient & s'appliquent mieux à la circonférence de la roue ; mais comme ordinairement le feu y prend après que la bande est embattue ou cloüée, on fait tourner la roue, ensorte que la bande & la partie enflammée se trouvent plongées dans l'eau de l'embattoir où elles s'éteignent. (D)


EMBAUCHERv. act. (Arts méch.) Il se dit d'un compagnon qui se présente pour entrer chez un maître auquel il est conduit par les autres compagnons. Le compagnon est embauché, quand il est accepté par le maître ; & le repas que l'embauché donne aux compagnons, s'appelle l'embauchage. On dit payer son embauchage.


EMBAUCHOIRS. m. (terme de Formier) C'est une espece de jambe de bois garnie d'une coulisse comme la forme brisée. On s'en sert pour élargir les bottes. Voyez la figure dans la planche du Cordonnier Bottier.


EMBAUMEMENSS. m. pl. (Hist. anc.) De tous les peuples anciens, il n'y en a aucun chez lequel l'usage d'embaumer les corps ait été plus commun que chez les Egyptiens : c'étoit une suite de leur superstition. Voyez l'article EGYPTIEN.

Nous allons rapporter ce qu'Hérodote nous en a transmis, & nous y joindrons les observations de notre savant chimiste M. Roüelle.

Dans l'Egypte, dit Hérodote, il y a des hommes qui font métier d'embaumer les corps. Quand on leur apporte un mort, ils montrent aux porteurs des modeles de morts peints sur du bois. On prétend que la peinture ou figure la plus recherchée, représente ce dont je me fais scrupule de dire le nom en pareille occasion ; ils en montrent une seconde qui est inférieure à la premiere, & qui ne coûte pas si cher ; ils en montrent encore une troisieme qui est au plus bas prix : ils demandent ensuite suivant laquelle de ces trois peintures on veut que le mort soit accommodé. Après qu'on est convenu du modele & du prix, les porteurs se retirent, les embaumeurs travaillent, & voici comment ils exécutent l'embaumement le plus recherché.

Premierement ils tirent avec un fer oblique la cervelle par les narines ; ils la font sortir en partie de cette maniere, & en partie par le moyen des drogues qu'ils introduisent dans la tête : ensuite ils font une incision dans le flanc avec une pierre d'Ethiopie aiguisée : ils tirent par cette ouverture les visceres ; ils les nettoyent, & les passent au vin de palmier ; ils les passent encore dans des aromates broyés : ensuite ils remplissent le ventre de myrrhe pure, broyée, de canelle & d'autres parfums, excepté d'encens, & ils le recousent. Cela fait, ils salent le corps en le couvrant de natrum pendant soixante-dix jours : il n'est pas permis de le saler plus de soixante-dix jours. Ce terme expiré, ils lavent le mort, & l'enveloppent de bandes de toile de lin coupées, & enduites de la gomme dont on se sert en Egypte en guise de colle. Les parens le reprennent en cet état, font faire un étui de bois de forme humaine, y placent le mort, le transportent dans un appartement destiné à ces sortes de caisses, le dressent contre le mur, & l'y laissent. Voilà la maniere la plus chere & la plus magnifique dont ils embaument les morts.

Ceux qui ne veulent point de ces embaumemens somptueux, choisissent la seconde maniere, & voici comment leurs morts sont embaumés.

On remplit des seringues d'une liqueur onctueuse qu'on a tirée du cedre ; on injecte le ventre du mort de cette liqueur, sans lui faire aucune incision, & sans en tirer les entrailles. Quand on a introduit l'extrait du cedre par le fondement, on le bouche, pour empêcher l'injection de sortir. On sale ensuite le corps pendant le tems prescrit : au dernier jour on tire du ventre la liqueur du cedre. Cette liqueur a tant de force, qu'elle entraîne avec elle le ventricule & les entrailles consumés ; car le nitre dissout les chairs, & il ne reste du corps mort que la peau & les os. Quand cela est achevé ils rendent le corps, sans y faire autre chose.

La troisieme maniere d'embaumer est celle-ci, elle n'est employée que pour les moins riches. Après les injections par le fondement, on met le corps dans le nitre pendant soixante-dix jours, & on le rend à ceux qui l'ont apporté.

La premiere observation qui se présente à la lecture de ce passage, c'est que, quoiqu'il soit peut-être plus exact & plus étendu qu'on n'étoit en droit de l'attendre d'un simple historien, il n'est cependant ni assez précis ni assez circonstancié pour en faire l'exposition d'un art. Il falloit qu'on pratiquât des incisions à la poitrine, au bas-ventre, &c. sans quoi toute la capacité intérieure du corps n'auroit point été injectée, & les visceres n'auroient point été consumés. Il est à présumer qu'on lavoit avec soin le corps avant que de le saler : c'étoit encore ainsi qu'on le débarrassoit des restes du natrum & des liqueurs, quand il avoit été salé. On ne peut douter qu'on ne finît par le faire sécher à l'air ou dans une étuve.

On appliquoit ensuite sur tout le corps & sur les membres séparément, des bandes de toile enduites de gomme ; mais on l'emmaillotoit de plus avec un nouveau bandage également gommé, les bras croisés sur la poitrine, & les jambes réunies.

Dans l'embaumement véritable, la tête, le ventre & la poitrine étoient pleines de matieres résineuses & bitumineuses, & le reste du corps en étoit couvert. On retenoit ces matieres par un grand nombre de tours de toile. Après une couche de bandes on appliquoit apparemment une couche d'embaumement fondu & chaud, avec une espece de brosse ; puis on couchoit de nouveaux tours de bandes, & sur ces nouveaux tours une nouvelle couche de matiere fondue, & ainsi de suite jusqu'à ce que le tout eût une épaisseur convenable.

Il est difficile de décider si l'embaumement de la derniere espece étoit un mélange de bitume de Judée & de cédria, ou si c'étoit du bitume de Judée seul. La momie de sainte Genevieve est embaumée, ainsi que celle des Célestins, avec le pissasphalte ; mais elle a des bandes de toile fine, & elles sont en plus grand nombre qu'aux autres momies. Cependant le plus grand nombre de momies étant apprêtées avec le mélange de bitume de Judée & de cédria, qu'on peut appeller le pissasphalte, on peut croire que cet embaumement est de l'espece inférieure.

La dépense de la caisse qu'on donnoit à la momie, étoit considérable ; elle étoit de sycomore, d'une seule piece, creusée à l'outil, & ce ne pouvoit être que le tronc d'un arbre fort gros.

Il y avoit, selon toute vraisemblance, des sortes d'embaumemens relatifs à la différence des bandes qu'on trouve aux momies, grosses ou fines. Le dernier bandage étoit parsemé de caracteres hiéroglyphiques, peints ou écrits. Il se faisoit aussi des dépenses en idoles, en amuletes, en ornemens de caisse, &c.

La matiere de l'embaumement le plus précieux étoit une composition balsamique ; telle que celle qu'on a trouvée dans les chambres des momies, conservée dans un vase, & il est évident que cet embaumement avoit aussi ses variétés. On a trouvé des momies dont les ongles étoient dorés, d'autres avoient des caisses de porphyre : il y en avoit de renfermées dans des tombeaux magnifiques.

Il semble que le travail des embaumeurs pouvoit se distribuer en deux parties ; la premiere, qui consistoit à enlever aux corps les liqueurs, les graisses & autres causes de corruption, & à les dessécher ; la seconde, à défendre ces corps desséchés de l'humidité & du contact de l'air.

Les fondemens de ce travail sont renfermés en partie dans la description d'Hérodote ; il s'agit de les y découvrir, de corriger ce qui est mal présenté, de justifier ce qui est bien dit, de tenter quelques expériences sur les matieres balsamiques & bitumineuses des momies, d'imiter les embaumemens égyptiens, & voir s'il n'y auroit pas quelques moyens d'imitation fondés sur les principes chimiques qui dirigent les Anatomistes dans la préparation de leurs pieces.

On peut réduire à deux sentimens tout ce qu'on a dit sur cet objet. Les uns ont prétendu que le corps entier salé, avoit été embaumé de maniere que les matieres balsamiques, résineuses & bitumineuses s'étoient unies avec les chairs, les graisses, les liqueurs, & qu'elles avoient formé ensemble une masse égale ; les autres, qu'on saloit le corps, qu'on le desséchoit, & qu'on lui appliquoit les matieres balsamiques. Quant au desséchement, l'humidité étant cause de corruption, ils ont ajoûté qu'on le séchoit à la fumée, ou qu'on le faisoit bouillir dans le pissasphalte, pour en consumer les chairs, graisses, &c.

On peut objecter au sentiment des premiers, l'expérience qu'on a de certains corps tombant en pourriture, dans des maladies où il est absolument impossible d'absorber les fluides par des matieres résineuses & balsamiques ; matieres qui ne font point d'union avec l'eau. D'ailleurs les momies sont parfaitement seches, & l'on y remarque pas la moindre trace d'humidité.

Le sentiment des seconds est plus conforme à la raison.

Le natrum des anciens étoit un alkali fixe, puisqu'ils s'en servoient pour nettoyer, dégraisser, blanchir les étoffes, les toiles, & faire le verre. Notre nitre ou salpêtre est au contraire un sel moyen qui ne dégraisse point les étoffes, qui conserve les chairs, qui les sale comme le sel marin, & qui conserve leurs sucs. Le natrum des anciens agissoit sur les chairs d'une maniere toute opposée à notre nitre ; il s'unissoit aux liqueurs lymphatiques, huileuses, grasses, les séparoit du reste, & faisoit l'effet de la chaux des Tanneurs & autres ouvriers en cuir, épargnoit les muscles, les tendons, les os.

Hérodote dit dans la premiere façon d'embaumer, qu'on lavoit le corps avant que de l'envelopper de bandes. C'est ainsi qu'on enlevoit les restes des matieres lymphatiques & du natrum, sources d'humidité. Les embaumeurs ne saloient donc le corps que pour le dessécher ; mais le natrum, en restant, eût retenu & même attiré l'humidité, comme c'est la propriété des sels alkalis.

Le natrum agissant sur les corps, comme la chaux, il n'étoit pas permis de saler plus de soixante-dix jours. En effet, comme il arrive aux cuirs trop enchausenés, le natrum auroit attaqué les solides. Un sel neutre n'opere pas en si peu de tems, comme il paroît à nos viandes séchées.

Mais si le natrum, dira-t-on, étoit un sel alkali, pourquoi ne détruisoit-il pas ? c'est qu'il est foible, qu'il ne ressemble point à la pierre à cautere, mais au sel de la soude & au sel marin.

Il est à présumer que Bils préparoit ses pieces anatomiques en salant le corps avec un sel alkali, à la maniere des Egyptiens ; méthode qu'une odeur aromatique ne servoit qu'à déguiser. Clauderus en étoit persuadé, mais il se trompoit sur les effets du sel alkali ; il croyoit que l'alkali volatil s'unissoit aux parties putrides, & qu'il étoit retenu dans les chairs du cadavre.

On pourroit demander sur le premier embaumement dont parle Hérodote, à quoi bon remplir le corps de myrrhe & d'aromates, avant que de le saler ? En le salant on emporte en partie ces aromates ; car le natrum agit puissamment sur les balsamiques, en formant avec leurs huiles une matiere savonneuse, soluble, & facile à emporter par les lotions. Il semble qu'il faudroit placer la salaison & les lotions avant l'emploi des aromates.

Il y a très-peu de momies enveloppées de toiles gommées, appliquées sans résine immédiatement sur le corps desséché ; elles ont communément deux bandages. Le corps & les membres sont chacun séparément entortillés de bandes de toile résineuse ou bitumineuse : c'est-là le premier. Le second est formé d'autres bandes de toile sans résine ou bitume, qui prennent le tout & l'emmaillottent comme les enfans. Celles-ci ont pû être enduites de gommes.

Les momies nous parviennent rarement avec le second bandage ; on l'ôte par curiosité pour les amuletes.

Elles ne sont pas toutes renfermées dans des caisses : c'est pour les garantir du contact de l'air qu'on y a employé la résine.

Une seconde critique qu'on peut faire d'Hérodote, est relative à son second embaumement. Sans incision, l'injection par le fondement ne remplira point le ventre, elle ne parcourra qu'une petite étendue d'intestins. D'ailleurs la liqueur de cedre est un baume ou une résine sans force, sans action corrosive. Si l'on employoit le cédria, c'étoit comme aromate, l'injection étoit de natrum. Le cédria n'a pû avoir lieu dans l'embaumement, qu'après la salaison & les lotions.

La cervelle se tiroit par un trou fait artificiellement aux narines & au fond de l'orbite de l'oeil. Hérodote n'est pas exact là-dessus.

Il n'est pas concevable qu'on embaumât tous les Egyptiens. Le peuple couchoit ses morts sur des lits de charbons, emmaillottés de linges, & couverts d'une natte sur laquelle il amassoit une épaisseur de sept à huit piés de sable.

Quelle durée l'embaumement ne donnoit-il pas aux corps ? il y en a qui se conservent depuis plus de deux mille ans. On a trouvé dans la poitrine d'un de ces cadavres, une branche de romarin à peine desséchée.

La matiere de la tête d'une momie, encore assez molle pour que l'ongle y pût entrer dans un tems chaud, & peu altérée, a donné d'abord un peu d'eau insipide, qui dans la progression de la distillation est devenue acide. Il a passé en même tems une huile limpide, peu colorée, de l'odeur de succin. Cette huile s'est ensuite épaissie & colorée ; elle s'est figée en se refroidissant, sans perdre l'odeur de succin. Sa liqueur acide n'a pû crystalliser, à cause de sa trop petite quantité.

On peut voir dans M. Roüelle les expériences qu'il a faites sur les matieres qu'il a présumées entrer dans les embaumemens. Une réflexion qui résulte de ces expériences, c'est qu'en y employant la poudre de canelle & d'autres ingrédiens qui attirent l'humidité, on consulte plus le nez que l'art.

Elles fournissent trois sortes d'embaumemens, l'un avec le bitume de Judée, un second avec le mélange de bitume & la liqueur de cedre ou cédria, & un troisieme avec le même mélange & une addition de matieres résineuses & aromatiques.

EMBAUMEMENT,, opération de Chirurgie, c'est l'action d'embaumer un corps. Voici comment elle se pratique.

Le chirurgien commande au plombier de faire un cercueil, dont les dimensions intérieures doivent excéder la longueur & la grosseur du corps. Il commande aussi un barril de plomb pour mettre les entrailles ; & une boîte de plomb faite de deux pieces, pour mettre le coeur.

On prépare cinq bandes, deux de la largeur de trois doigts & de quatre aulnes de long, pour bander les bras ; deux de quatre doigts de large & de six aulnes de long, pour bander les jambes & les cuisses ; & une autre plus large & plus longue, pour faire les circonvolutions nécessaires autour du corps. Il faut en outre que le chirurgien ait des scalpels pour faire les incisions convenables, des aiguilles pour recoudre les parties, & une scie pour scier le crane.

Les médicamens nécessaires à l'embaumement, sont de trois especes différentes. Il faut environ trente livres de poudre de plantes aromatiques, telles que les feuilles de laurier, de myrthe, de romarin, de sauge, de rhue, d'absinthe, de marjolaine, d'hyssope, de thym, de serpolet, de basilic ; les racines d'iris, d'angelique, de calamus aromaticus ; les fleurs de rose, de camomille, de mélilot, de lavande ; les écorces de citron & d'orange ; les semences de fenouil, d'anis, de coriandre, de cumin, & autres semblables. On ajoûte ordinairement quelques livres de sel commun à la poudre de toutes ces plantes, qui sert à remplir les grandes cavités, & à mettre avec les entrailles.

Il faut dix livres d'une poudre plus fine, composée de dix ou douze drogues odorantes, capables de conserver les corps des siecles entiers, qui sont de myrrhe, d'aloës, d'oliban, de benjoin, de styrax calamite, de gérofle, de noix-muscade, de cannelle, de poivre blanc, de soufre, d'alun, de sel, de salpetre : le tout bien pulverisé & passé par le tamis.

On aura en outre un liniment composé de terebenthine, d'huile de laurier, de styrax liquide, de baume de Copahu. Trois livres de ce liniment suffiront pour les embrocations nécessaires. Il faut de plus quatre pintes d'esprit-de-vin, cinq ou six gros paquets d'étoupes, du coton, deux aulnes de toile cirée, de la plus large, & un paquet de grosse ficelle. Tout étant ainsi préparé, le chirurgien est en état de commencer l'embaumement.

Le chirurgien, après avoir ouvert le bas-ventre, la poitrine & la tête, & avoir ôté tout ce qui y est contenu, met quelques poignées de la plus grosse poudre au fond du barril de plomb ; il étend par-dessus une partie des entrailles, qu'il couvre d'un lit de poudre, & ainsi alternativement jusqu'à ce qu'il ait mis tous les visceres dans le barril, à l'exception du coeur, qu'il a soin de mettre dans un vaisseau rempli d'esprit-de-vin. Lorsque le barril contient toutes les entrailles, le chirurgien met par-dessus un lit de poudre grossiere assez épais : si le barril étoit presque plein, on acheveroit de le remplir avec des étoupes, & on feroit souder le couvercle ; si au contraire il étoit de beaucoup trop grand, on le feroit couper par le fondeur.

Les trois ventres vuidés, on les lave avec de l'esprit-de-vin. On commence par la tête, en emplissant le crane d'étoupes saupoudrées, & en y en faisant entrer autant qu'on peut. On remet la calotte du crane à sa place ; & avant que de recoudre le cuir chevelu, on met entre deux de la poudre balsamique. On verse dans la bouche de l'esprit-de-vin, pour la laver, & on l'emplit de cette poudre avec du coton. On en fait autant dans les narines & dans les oreilles, & ensuite avec un pinceau on fait une embrocation sur toute la tête, le visage & le cou avec le liniment ; & mettant ensuite de la poudre fine sur toutes ces parties, il se forme une croûte sur la superficie. On met la tête dans un sac en forme de coëffe de nuit, qui a des cordons qu'on tire pour serrer autour du cou, afin que toute la tête soit exactement enveloppée.

On emplit de poudres & d'étoupes la poitrine & le ventre, qui ne font plus qu'une grande cavité. On remet le sternum à sa place ; & après l'avoir couvert de la poudre fine que l'on fait entrer entre les côtés & les tégumens, on recoud les tégumens qui avoient été ouverts crucialement.

On fait aux bras, aux cuisses & aux jambes des taillades qui pénétrent jusqu'aux os ; on les lave avec de l'esprit-de-vin, on les remplit de la poudre fine, on fait l'embrocation avec le liniment, on saupoudre toutes ces parties avec la poudre odorante, & on les bande ensuite. On fait des incisions aux fesses & au dos, & on procéde comme aux extrémités. On emmaillotte le corps avec la bande préparée à cet effet ; on le coud ensuite dans la toile cirée, & on le serre avec de la ficelle, comme un ballot : on le met ensuite dans le cercueil, qu'on fait souder par le plombier.

On remplit les ventricules & les oreillettes du coeur, avec la poudre odorante ; on l'enveloppe dans de la toile cirée, on le ficelle, & on le met dans une double boîte de plomb que l'on fait souder.

A l'armée & dans les endroits où l'on n'auroit pas tous les secours nécessaires pour l'embaumement que nous venons de décrire, on se contenteroit, après avoir ôté les entrailles, de faire macérer le corps dans du vinaigre chargé de sel marin ; & au défaut de vinaigre & de sel, dans une forte lessive de cendre de bois de chêne : on le retire ensuite, & on l'expose dans un lieu sec, avec le soin de l'essuyer fréquemment. Ce sont les humeurs qui se putréfient ; car nous conservons très-facilement les corps dont on a injecté les vaisseaux, & dont on a enlevé la graisse qui étoit dans l'interstice des muscles.

La conservation des corps par l'embaumement, a eu la vénération pour motif ; c'est une opération dispendieuse qu'on ne pratique que pour les princes & pour les grands. Il seroit à souhaiter pour l'utilité publique & l'intérêt des survivans, qu'on trouvât des moyens d'embaumer, c'est-à-dire de préserver de la pourriture à peu de frais, de maniere que cela ne fût point au-dessus de la portée du simple peuple. Il s'éléve des lieux où l'on enterre, des vapeurs malfaisantes, capables d'infecter. Ramazzini assûre que la vie des fossoyeurs n'est pas habituellement de longue durée ; que leur visage est ordinairement blême & pâle, & il attribue cette disposition aux vapeurs deliées qu'ils respirent en creusant les fosses. Les vapeurs rendent les églises où l'on enterre, extrèmement mal-saines. Non-seulement l'inhumation dans les églises est dangereuse, mais on pourroit dire qu'elle est indécente, si elle n'étoit autorisée par l'usage, ou plûtôt consacrée par l'abus. M. Porée chanoine-honoraire du S. Sepulchre à Caën, dans ses Lettres sur la sépulture dans les églises, remonte à la source de cet usage, & il indique les moyens de lever les obstacles imaginaires qu'on peut opposer à son abolition : la voix d'un bon citoyen & d'un ecclésiastique respectable, doit être comptée pour beaucoup. M. Haguenot medecin & conseiller de la cour des aides à Montpellier, a donné à la société royale des Sciences de cette ville, dont il est membre, un excellent mémoire, dans lequel il fait la peinture touchante des malheurs qui sont la suite de la coûtume pernicieuse de mettre les corps dans des caves communes. J'ai aussi parlé de cet abus meurtrier, dans mon Traité sur la certitude des signes de la mort. Je sais qu'il y a des villes où il est expressément défendu d'enterrer dans les églises, sans prendre la précaution de mettre de la chaux vive dans le cercueil & aux environs, & de jetter dans la fosse quelques seaux d'eau. A Paris, où le plâtre est commun, on pourroit mettre à très-peu de fraix tous les corps à l'abri de la putréfaction, funeste aux survivans par la mauvaise qualité que les vapeurs qui en exhalent, donnent à l'air. Il faudroit gacher du plâtre dans le cercueil, qu'on feroit un peu plus grand qu'à l'ordinaire ; on y enfonceroit le corps, & on le couvriroit d'une couche de plâtre gaché, afin de l'enfermer comme dans un mur. C'est peut-être par ce motif de salubrité qu'on enterroit autrefois dans des cercueils de pierre. Dans les endroits où il n'y a point de plâtre, on pourroit enduire le corps de terre-glaise, &c. Voyez EMBAUMER. (Y)

L'art des embaumemens, tel qu'on le pratique aujourd'hui, n'a été connu en Europe que dans les derniers siecles : auparavant on faisoit de grandes incisions sur les cadavres ; on les saupoudroit bien, & on enveloppoit le tout avec une peau de boeuf tannée. C'est ainsi qu'on embauma à Roüen en 1135, Henri I. roi d'Angleterre ; & encore l'opérateur s'y prit si tard, ou si mal, que l'odeur du cadavre lui fut fatale : il en mourut sur le champ.

Au reste, ceux qui seront curieux d'acquérir les connoissances d'érudition sur la matiere des embaumemens, trouveront à se satisfaire dans la lecture des ouvrages que nous allons indiquer.

Bellonius, (Petrus) de mirabili operum antiquorum praestantiâ, medicato funere, seu cadavere condito, & medicamentis nonnullis servandi cadaveris vim obtinentibus. Paris, 1553, in-4 °. rare, figures.

Rivinus, (And.) de balsamatione. Lips. 1655, 4 °.

Clauderi, (Gabriel) methodus balsamandi corpora humana. Attenburgi, 1679, in-4 °. Cet ouvrage-ci est pour les gens du métier.

Lanzoni, (Jos.) de balsamatione cadaverum. Ferrar. 1693, in-12. & réimprimé avec les oeuvres de l'auteur.

Greenhill, (Thomas) the art of embalming. London, 1705, in 4°. m. c. f. & sur-tout dans les mémoires que M. Roüelle a écrits sur cette matiere. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EMBAUMERv. act. ouvrir un corps mort, en ôter les intestins, & mettre en la place des drogues odorantes & dessiccatives, pour empêcher qu'il ne se corrompe. Voyez EMBAUMEMENT (Chirurgie).

Ce mot est formé de baume qui étoit le principal ingrédient des embaumemens des Egyptiens. Voyez BAUME.

Le corps de Jacob en Egypte fut quarante jours à embaumer. Voyez genes. I. v. 3. Marie Madeleine & Marie mere de Jacques, acheterent des parfums pour embaumer Jesus. Voyez saint Matthieu, &c. Jean roi de France étant mort à Londres en 1364, l'on y embauma son corps qu'on emporta en France, & qu'on enterra à Saint-Denis.

Quant à la maniere dont on embaumoit les corps parmi les Egyptiens, voyez ci-devant l'art. EMBAUMEMENT (Hist. anc.)

Le D. Grew auteur du musaeum regalis societatis, croit que les Egyptiens, pour embaumer les corps, les faisoient bouillir dans une chaudiere avec une certaine espece de baume liquide ; sa raison est que dans les momies qu'on conserve dans la collection ou cabinet de la société royale, le baume a pénétré nonseulement les chairs & les parties molles, mais même les os, au point qu'ils en sont tout noirs, comme s'ils avoient été brûlés. Voyez MOMIE.

Les Peruviens avoient une maniere particuliere & très-bonne de conserver les corps de leurs incas rois, embaumés. Garcillasso de la Vega croit que tout leur secret consistoit à ensevelir ces corps dans la neige pour les y faire sécher, après quoi on y appliquoit un certain bitume dont parle Acosta, qui les conservoit aussi entiers que s'ils eussent toûjours été en vie. Dictionn. de Trévoux, & Chambers. (G)


EMBDEN(Géog. mod.) ville du cercle de Westphalie en Allemagne, capitale du comté de même nom, située sur l'Ems. Long. 24. 38. lat. 53. 20.


EMBELLES. f. (Marine) c'est la partie du vaisseau comprise depuis la herpe du grand mât jusqu'à celle de l'avant, ou depuis le grand mât jusqu'au degré d'amure ; comme c'est la partie la plus basse du côté du navire, & où l'on est le plus à découvert dans un jour de combat, on y met des fargues. Voy. BELLE & FARGUES. (Z)


EMBELLIRv. act. c'est ajoûter avec art à des objets qui seroient peut-être indifférens par eux-mêmes, des formes ou des accessoires qui les rendent intéressans, agréables, précieux, &c.


EMBENATER(Sal.) c'est lier des bâtons de bois de coudrier avec des osiers & de la ficelle, capables de contenir un certain nombre de pains de sel. Voyez BENATES & BENATIERS.


EMBISTAGEsub. m. terme dont les Horlogers se servent en parlant de la situation respective des deux platines d'une montre : C'est deux fois la distance entre le centre de la platine de dessus, & le point où l'axe de la grande platine la rencontre.

Si l'on suppose que la fig. 56, Pl. X. d'Horlogerie, représente la cage d'une montre, & C le centre de la charniere, sur lequel elle tourne dans la boîte, il est clair que pour que ces deux platines puissent passer par la même ouverture, il faut que L C distance du centre de la charniere au bord diagonalement opposé de la platine de dessus, soit égal à E C grandeur de la platine des piliers ; car si la distance L C étoit plus grande que E C, la platine de dessus ne pourroit pas passer par cette ouverture. Donc cette platine ne peut point s'étendre au-delà du point L, qui est dans la circonférence du cercle décrit de l'ouverture de compas C E & du point C ; de façon que pour que ces deux platines passent par la même ouverture, en supposant leurs centres dans une même ligne perpendiculaire à leurs plans, il faut que le rayon de celle de dessus soit plus petit que celui de l'autre, de la quantité dont le bord de la grande platine est distant du point, où la perpendiculaire abaissée du point L rencontre cette platine ; mais comme il est avantageux que la platine de dessus soit la plus grande qu'il est possible, & que du côté D du pendant, à cause de la forme de la boîte, elle peut s'avancer jusqu'en D perpendiculairement au-dessus du point C, on lui donne une grandeur & une situation telle que d'un côté son bord soit à plomb du point C, & que de l'autre il se trouve, comme nous l'avons dit, dans la circonférence du cercle décrit de l'ouverture de compas C E, & du point C : par cette situation de la platine de dessus, on voit bien que son centre ne se trouve plus dans le point où l'axe de l'autre platine la rencontre, & qu'il en est éloigné d'une certaine distance : or c'est le double de cette distance que l'on appelle, comme nous l'avons dit, l'embistage.

Pour déterminer la grandeur de la platine de dessus, celle de l'autre platine étant donnée, de même que la hauteur des piliers, voici comme on s'y prend : H R représentant cette hauteur, E B la grande platine, C le centre de mouvement de la petite charniere, & D L une ligne indéfinie supposée la platine de dessus ; du point C comme centre, & du rayon C E diamêtre de la grande platine, décrivez l'arc E L ; & du même point C, élevez la perpendiculaire C D, la ligne D L sera le diamêtre de la platine de dessus. Car supposant que toute la figure tourne autour du point C, il est clair que le bord de la platine de dessus étant parvenu en E, ne surpassera pas E B ou E C diamêtre de la grande, puisque E C égal C L, du côté D elle s'étendra autant qu'elle le pourra, comme nous l'avons dit. Par cette opération on voit que la position de cette platine, par rapport à celle des piliers, est aussi déterminée, puisqu'elle doit être telle que son bord du côté du pendant soit précisément à plomb de celui de cette platine. Si l'on suppose que les deux platines conservant leur situation respective, s'approchent l'une de l'autre jusqu'à ce qu'elles se touchent, on voit évidemment que le bord de la platine de dessus en D répondra au point C de celle des piliers, & que l'autre bord L sera à une distance du bord E double de l'excentricité des deux platines ; cette distance sera l'embistage, puisque le double de l'excentricité des deux platines répond à deux fois la distance entre le centre de la platine de dessus, & le point où l'axe de la grande platine la rencontre. (T)


EMBLAVER(Jard.) est le même qu'ensemencer.


EMBLAVESS. f. pl. (Jurispr.) terme usité dans plusieurs coûtumes pour exprimer les terres ensemencées en blé. On distingue quelquefois les emblaves ou terres emblavées des terres simplement ensemencées. Les emblaves ou terres emblavées sont dans quelques coûtumes les terres où le blé est déjà levé ; c'est en ce sens qu'il en est parlé dans l'article 59 de la coûtume de Paris. Les terres ensemencées sont celles où le blé est semé, mais n'est pas encore levé. Dans l'usage on confond souvent les emblaves avec les terres ensemencées. (A)


EMBLÈMES. m. (Belles-Lettres) image ou tableau qui par la représentation de quelque histoire ou symbole connu, accompagnée d'un mot ou d'une légende, nous conduit à la connoissance d'une autre chose ou d'une moralité. Voyez DEVISE & ENIGME.

L'image de Scevola tenant sa main sur un foyer embrasé, avec ces mots au-dessous : Agere & pati fortia romanum est, Il est d'un romain d'agir & de souffrir constamment, est un emblème.

L'emblème est un peu plus clair & plus facile à entendre que l'énigme. Gale définit le premier un tableau ingénieux qui représente une chose à l'oeil, & une autre à l'esprit.

Les emblèmes du célebre Alciat sont fameux parmi les savans.

Les Grecs donnoient aussi le nom d'emblèmes aux ouvrages en mosaïque, & même à tous les ornemens de vases, de meubles, & d'habits ; & les Romains l'ont aussi employé dans le même sens. Cicéron reprochant à Verrès les larcins des statues, vases, &c. & autres ouvrages précieux qu'il avoit enlevés aux Siciliens, appelle emblemata les ornemens qui y étoient attachés, & qu'on en pouvoit séparer, auxquels ils ont aussi comparé les figures & les ornemens du discours. C'est ainsi qu'un ancien poëte latin disoit d'un orateur, que tous ses mots étoient arrangés comme des pieces de mosaïque :

................................... Ut tesserulae omnes,

Arte pavimenti atque emblemate vermiculatae.

Les Jurisconsultes ont aussi conservé cette expression dans le même sens, c'est-à-dire pour tout ornement surajoûté, & qu'on peut séparer du corps d'un ouvrage. Dans notre langue le mot emblème ne signifie qu'une peinture, une image, un bas-relief, qui renferme un sens moral ou politique.

Ce qui distingue l'emblème de la devise, c'est que les paroles de l'emblème ont toutes seules un sens plein & achevé, & même tout le sens & toute la signification qu'elles peuvent avoir jointes avec la figure. On ajoûte encore cette différence, que la devise est un symbole déterminé à une personne, ou qui exprime quelque chose qui la concerne en particulier ; au lieu que l'emblème est un symbole plus général. Ces différences deviendront plus sensibles, pour peu qu'on veuille comparer l'emblème que nous avons cité avec une devise : par exemple, celle qui représente une bougie allumée, avec ces mots Juvando consumor, je me consume en servant ; il est clair que ce dernier symbole est beaucoup moins général que le premier. Voyez le diction. de Trév. & Chamb. (G)


EMBLERv. n. (Vénerie) se dit de l'allure des bêtes, lorsque le pié de derriere avance d'environ quatre doigts sur ceux de devant.


EMBLOQUERen terme de Tabletier-Cornetier, c'est proprement l'action d'applatir dans le bloc entre deux plaques un morceau de corne chaud, tel que pourroit être, par exemple, un ergot de boeuf. Voyez BLOC & PLAQUES.


EMBODINUREEMBOUDINURE, BOUDINURE, sub. f. (Marine) On appelle ainsi plusieurs bouts de corde menue, dont l'arganeau de l'ancre est environné ; on le fait pour empêcher que le cable ne se gâte contre le fer (Z)


EMBOIREse dit, en Peinture, lorsque les couleurs à l'huile, avec lesquelles on peint un tableau, deviennent mattes, & perdent leur luisant au point qu'on ne discerne pas bien les objets.

Lorsqu'on peint sur un fond de couleur qui n'est pas bien sec, celles qu'on met dessus s'emboivent en séchant. On remédie à cet inconvénient lorsque ce qu'on a peint est bien sec, en passant du vernis ou un blanc d'oeuf battu dessus. (R)


EMBOITEMENTS. m. (Gram.) c'est une des situations d'un corps relativement à un autre, auquel il est uni & contigu ; & le terme emboîtement designe assez par lui-même quelle est l'espece d'union ou de contiguité dont il s'agit. Elle est telle que le corps qui emboîte semble embrasser le corps emboîté, comme une boîte contient ce qu'on y renferme. Voyez BOITE.

EMBOITEMENT, terme nouvellement introduit dans l'Art militaire, pour exprimer l'espece d'entrelacement que font les soldats d'un bataillon lorsqu'on veut le faire tirer, pour que les fusils des soldats du quatrieme rang dépassent un peu le premier.

Par le moyen de cet entrelacement, les soldats n'occupent guere qu'un pié dans la file ; & comme les fusils ont environ cinq piés de longueur, ceux du quatrieme rang peuvent alors dépasser de quelque chose le premier.

Ainsi l'objet de l'emboîtement est de faire ensorte que le feu des soldats du dernier rang ne puisse causer aucun accident à ceux du premier.

Dans cet etat, les soldats sont dans une attitude fort gênante. Les deux premiers rangs ont un genou à terre, & les jambes entrelacées les unes dans les autres : le troisieme & le quatrieme rang sont droits, mais fort serrés aussi sur les premiers, de maniere que les soldats du troisieme ont les jambes placées dans celles du second, & que ceux du quatrieme les ont dans celles du troisieme.

Les soldats du premier rang ont l'avantage de pouvoir se servir aisément de leurs armes ; il n'en est pas de même de ceux du second, parce que l'incommodité de leur situation ne leur permet guere d'ajuster leur fusil pour tirer sur l'ennemi. Le troisieme rang tire aussi facilement que le premier ; mais pour le quatrieme, quelqu'emboitement que l'on fasse son feu est toûjours fort dangereux pour la tête du bataillon. L'expérience le fait voir dans l'exercice ; car ce n'est qu'avec un très-grand soin qu'on parvient à faire dépasser les fusils du quatrieme rang du premier : encore arrive-t-il souvent, lorsqu'on fait tirer les soldats, que quelqu'officier reçoit des coups de feu dans ses habits, & que les soldats des premiers rangs ont les cheveux brûlés. Il est vrai que ce dernier accident peut s'attribuer aux amorces ; mais le premier prouve suffisamment le danger auquel les officiers sont exposés par le feu du quatrieme rang. Pour remédier à cet inconvénient, il ne faudroit dans l'action faire tirer que les trois premiers rangs ; ou lorsqu'il ne s'agit que de tirer sans se joindre, mettre le bataillon sur trois rangs, conformément à l'instruction du 14. Mai 1754, qui porte que toutes les fois que l'infanterie prendra les armes en quelque occasion que ce soit, elle soit formée sur trois rangs. Voyez EVOLUTIONS.

Quoiqu'il paroisse difficile aujourd'hui de faire tirer quatre rangs à la fois sans inconvénient, & qu'on ait imaginé l'emboîtement pour y parvenir, on en a pourtant fait tirer jusqu'à cinq autrefois, suivant la Fontaine. " Pour faire tirer cinq rangs à la fois, dit cet auteur dans sa doctrine militaire, imprimée à Paris en 1667, on fera mettre les deux premiers rangs à genoux, le troisieme fort courbé, le quatrieme un peu moins courbé, & le cinquieme passe le bout de son mousquet par-dessus l'épaule du quatrieme rang ; & ils tirent ainsi sans s'offenser l'un ni l'autre, comme nous avons expérimenté souvent ". Doctrine militaire, pag. 449. (Q)


EMBOITERv. act. (Comm.) mettre ou serrer quelque marchandise dans une boîte, pour la garantir de la pluie, &c. Ce terme signifie souvent la même chose qu'encaisser. Voyez ENCAISSER. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)

EMBOITER, (Hydraul.) c'est enchâsser un tuyau dans un autre ; ce qui se pratique en posant des tuyaux de bois ou de grès pour conduire les eaux. (K)

EMBOITER, (à la Monnoie) c'est prendre l'acte des deniers de boîte, tant avant qu'après l'essai. Voy. BOITE D'ESSAI.


EMBOITURE(Marine) Voyez ENOCURE.

EMBOITURE, s. f. terme de Menuiserie, est une barre de bois de trois ou quatre pouces de large plus ou moins, suivant l'ouvrage, d'épaisseur & longueur convenables, que l'on met à tenons & mortaises, & rainures au bout des planches, lorsqu'elles sont toutes assemblées & destinées pour des portes, des contre-vents, des tables, &c. Voyez nos figures dans les Planches de Menuiserie.


EMBOLI(Geog. mod.) ville de Macédoine dans la Turquie européenne ; elle est située sur la riviere de Stromona. Long. 41. 38. lat. 40. 55.


EMBOLISMES. m. (Chronologie) signifie une intercalation. Voyez les articles MOIS & INTERCALAIRE.

Les Grecs se servoient de l'année lunaire, qui est de 354 jours ; & afin de l'approcher de l'année solaire, qui est de 365, ils ajoûtoient tous les deux ou trois ans un embolisme, c'est-à-dire un treizieme mois lunaire ; & ce mois sur-ajoûté ils l'appelloient embolismeus, parce qu'il étoit inséré ou intercalé. Harris & Chambers. Voy. AN.

Ce mot, ainsi que les trois suivans, est grec, & vient d', mettre & jetter dedans. Voyez EMBOLISMIQUE. (O)


EMBOLISMIQUEadj. intercalaire : se dit, en Chronologie, des mois sur-ajoûtés que les Chronologistes inserent pour former le cycle lunaire de dix-neuf ans. Voyez INTERCALAIRE.

Comme dix-neuf années solaires sont composées de 6939 jours & 18 heures, & que dix-neuf années lunaires n'en font ensemble que 6726, on a trouvé que pour égaler le nombre des dix-neuf années lunaires aux dix-neuf solaires, qui font le cycle lunaire de dix-neuf années, il étoit nécessaire d'intercaler ou insérer sept mois lunaires de 209 jours, lesquels, avec les quatre jours bissextiles qui arrivent dans cet intervalle, font 213, & le tout ensemble fait 6939 jours. Voyez CYCLE.

Au moyen de ces sept mois embolismiques ou surajoûtés, les 6939 jours & 18 heures des dix-neuf années solaires, se trouvent à-peu-près employés dans le calendrier. Voyez MOIS.

Dans le cours de dix-neuf ans il y a 228 lunes communes, & sept mois embolismiques. En voici la distribution.

Chaque 3e, 6e, 9e, 11e, 14e, 17e, & 19e années sont embolismiques, & par conséquent de 384 jours. C'est la méthode que les Grecs ont suivie dans le calcul du tems, quand ils se sont servis de l'ennéadécatéride, ou cycle de dix-neuf ans ; mais ils ne l'ont pas observé constamment, comme il paroît que les Juifs l'ont fait.

Les mois embolismiques sont comme les autres mois lunaires, quelquefois de 30 jours, & quelquefois de 29 seulement. Voyez AN.

Les épactes embolismiques sont celles qui sont depuis XIX jusqu'à XXIX ; & on les appelle embolismiques, parce qu'en ajoûtant l'épacte qui est XI, elles excedent le nombre XXX ; ou plûtôt parce que les années qui ont ces épactes sont embolismiques, ayant 13 Lunes dont la treizieme est embolismique. Voyez EPACTE. Wolf, élémens de Chronologie, & Chambers.

Les Turcs ne se servent point du mois embolismique ; aussi le commencement de leur année est vague ; mais ils ont des jours embolismiques. Les 44 minutes dont une lunaison surpasse 29 jours & demi, font environ 11 jours en 30 ans : or les Turcs répandent ces 11 jours sur 30 années lunaires, ensorte qu'il y a 11 années qui ont un jour de plus ; savoir la 2e, 5, 7, 10, 13, 16, 18, 21, 24, 26, & 29, & le commencement de leur année lunaire ne retombe avec l'année solaire qu'au bout de 34 années lunaires, ou environ 33 solaires.

Au reste, comme l'année lunaire commune de 354 jours & l'année solaire tropique différent de 11 jours 5 heures & 4 minutes, il s'ensuit que pour accorder l'année lunaire avec la solaire, il faudroit ajoûter en 100 ans 34 mois de 30 jours & 4 de 31 jours, & qu'au bout de six siecles il faudroit encore changer cet ordre, parce qu'il reste 4 heures 21 minutes, qui en six siecles font environ un jour. (O)


EMBOLON(Art. milit.) disposition de troupes chez les anciens, rangées sur peu de front & beaucoup de hauteur. Voyez COIN (Q)


EMBOLUS(Hydr.) terme latin qui répond à piston. Voyez PISTON.


EMBONPOINTS. m. (Med.) ce mot s'est formé de trois dictions françoises : de la préposition en, dont l'n se change en m devant b, de l'adjectif bon, & du substantif point ; de sorte qu'embonpoint signifie l'état d'une personne qui est en bon point, c'est-à-dire en bon état, en bonne santé. Quelques-uns écrivent embompoint.

Hippocrate donne une très-belle description de l'embonpoint (praecept. jx. 1 seq.) ; il le fait consister dans une disposition naturelle bien proportionnée de toutes les parties du corps, qui sont pleines de bons sucs, dans un juste rapport avec les forces des solides qui les contiennent, dans une vigueur ferme & constante, & dans une facilité à l'exercice des fonctions qui ne s'altere pas aisément. Hippocrate établit aussi que pour joüir d'un embonpoint complet, optanda est & ejusmodi dispositio quae aliena sit ab ingenii tarditate. Saint-Evremond dit de même, " que pour joüir d'un embonpoint parfait, une bonne disposition de l'ame veut quelque chose de plus animé que l'état tranquille. "

L'embonpoint, dont on ne juge ordinairement que par l'apparence, s'annonce par un visage plein dont la peau est assez tendue ; d'un teint vif & frais, qui ne soit que modérément enluminé ; par les membres charnus & peu chargés de graisse ; par l'agilité du corps dans ses mouvemens, &c. Voyez SANTE.

On se sert cependant communément de ce terme embonpoint dans un sens qui lui est moins propre : on l'employe pour exprimer la constitution d'un corps gras, replet, qui n'est souvent rien moins qu'en bonne santé ; lorsqu'il est trop abondant en humeurs, même de bonne qualité, en graisse sur-tout, ce qui fait un état peu favorable à la santé, lorsque cette constitution est sensiblement défectueuse par excès ; c'est ce qu'on appelle le trop d'embonpoint, qui dégénere en maladie par les altérations qu'il occasionne dans l'économie animale. Le défaut d'embonpoint est aussi un état contre nature, c'est la maigreur. Voyez MAIGREUR. L'un & l'autre vice sont produits par celui de la secrétion du suc huileux qui constitue la graisse, lequel est trop abondant ou manque dans les réservoirs qui lui sont propres. Voyez GRAISSE. (d)


EMBOSSURES. f. (Marine) c'est un noeud que l'on fait sur une manoeuvre, & auquel on ajoûte un amarrage. Voyez CROUPIAT. On dit faire un embossure au cable. (Z)


EMBOUCHÉadj. terme de Blason ; il se dit du bout d'un cornet, d'une trompe, & d'une trompette, qu'on met dans la bouche pour en sonner, lorsque ce bout est d'un émail différent du corps. Dict. de Trév.


EMBOUCHERv. act. (Manége) terme qui dans sa véritable acception, signifie & désigne non-seulement l'action de donner un mors quelconque à un cheval, mais l'art de le fabriquer & de l'approprier parfaitement à l'animal auquel on le destine.

Il est aussi difficile de fixer avec précision le tems où les hommes ont imaginé de réduire le cheval & de le maîtriser, en profitant adroitement de la sensibilité de sa bouche & de la disposition de cet organe à subir les diverses impressions de la main du cavalier, qu'il le seroit de déterminer véritablement celui où nous avons commencé à triompher de cet animal, & à le faire servir à nos besoins & à notre usage. D'un côté ces points de fait sont ensevelis dans une nuit dont il ne nous est pas permis de percer l'obscurité ; & de l'autre, ce que la tradition nous en apprend, en la supposant même dépouillée de toute ambiguité, ne nous conduiroit point exactement au vrai noeud de la difficulté que nous nous proposerions d'éclaircir & de resoudre. Nous ne pouvons douter que dans la langue des Grecs, une grande partie des termes consacrés à la navigation étoient adaptés à l'équitation. Nous trouvons dans Suidas celui de ou de coureur, également employé pour désigner des vaisseaux legers & des chevaux de course. Nous voyons qu'Homere appelloit les vaisseaux, des chevaux de mer, : il nomme encore le pilote, le cocher d'un vaisseau. Pindare, le premier qui parmi les poëtes dont les ouvrages sont parvenus jusqu'à nous, ait donné Pégase pour monture à Bellérophon, & qui ait prétendu que Minerve surnommée par cette raison Chalinitis, lui a montré l'art de le dompter & de lui mettre un frein, appelle lui-même du nom de brides les ancres qui servent à fixer les vaisseaux ; tandis que Nonnus met en usage le mot , qui signifie frein, pour désigner les gouvernails des vaisseaux de Cadmus. Or quand nous ne serions pas fondés à inférer de ces expressions avec M. Freret (Voyez le vol. XIII. des mém. de l'acad. des Inscript. & Belles-Lett.), que le Pégase de Pindare étoit constamment un vaisseau dont Bellérophon s'empara, & la bride prétendue que Minerve lui donna, un gouvernail qu'il construisit ; & que nous pourrions croire au contraire que ce Pégase étoit un cheval, & cette bride une sorte de mors, nous n'en serions pas plus satisfaits & plus instruits, relativement à l'époque certaine de l'invention des embouchures, & relativement encore à l'espece de celle à laquelle ce même Bellérophon auroit eu recours. Des recherches sur le genre de ce frein seroient d'autant plus infructueuses, qu'aucun auteur ne nous en offre le plus leger indice ; & peut-être aussi que si quelques-uns d'entr'eux l'avoient caractérisé par quelques dénominations particulieres, ce qu'ils nous en auroient dit ne seroit pas plus instructif que leur silence. Il est constant, par exemple, qu'au tems où vivoit Xénophon, on embouchoit les chevaux ; non-seulement il nous donne des préceptes sur la maniere de brider l'animal, infrenetur, mais il s'exprime en termes trop clairs & trop positifs, pour que nous puissions résister à l'évidence de ce fait, ferrum freni sive lupos. Sommes-nous néanmoins plus éclairés sur la forme de ces loups, ou de ces freins louvetés dont nous parlent encore Ovide, Silius, Horace, & Virgile ?

Tempore paret equus lentis animosus habenis

Et placido duros accipit ore lupos. Ovid.

Quadrupedem flectit non cedens virga lupatis. Sil.

Lupatis temperet ora frenis. Hor.

Asper equus duris contunditur ora lupatis. Virg.

Les commentateurs se sont long-tems exercés sur ce point. Si nous nous en rapportons à eux, & principalement à Servius, nous devons penser que ces freins hérissés de pointes, ou armés & garnis de dents de loup inégales entr'elles, étoient destinés aux chevaux dont la bouche étoit en quelque façon dépourvûe de sentiment. Mais comment, avec quelque connoissance de la conformation de cet organe, se persuader qu'une embouchure de cette sorte n'étoit pas plûtôt capable de desespérer l'animal, que de l'assujettir ? D'un autre côté, nous voyons dans le t. IV. du suppl. au liv. de l'antiq. du P. de Montfaucon, un mors de bride antique ; le fer, qui traversoit la bouche du cheval, est terminé d'une part par la tête d'un cheval : or ne pourroit-on pas présumer avec plus de raison, que ces mots lupata frena doivent s'entendre d'un frein qui avoit non une tête de cheval, mais une tête de loup à l'une de ses extrémités, ou à chacune d'elles ? Il est vrai que l'on peut objecter que ce mors prétendu n'en est point un, d'autant plus que sa configuration est très-extraordinaire, & dès-lors nous retomberons dans l'incertitude & dans les ténébres.

Tous les pas que nous pourrions faire, nous menant donc au doute & non à des découvertes sûres & avantageuses, je crois qu'il seroit plus simple & plus naturel de penser que les premiers peuples, qui inspirés par leurs besoins, ont cherché dans le cheval des ressources favorables aux commodités de la vie & du commerce, après l'avoir adouci & rendu familier, le conduisirent d'abord au son de la voix, & dirigerent ensuite sa marche à la maniere des Numides & des Gétules, appellés par tous les auteurs, ainsi qu'Appien appelle en général les Africains, gens inscia freni, c'est-à-dire qu'ils guiderent leurs chevaux avec un bâton, à-peu-près comme les Maures le pratiquerent ensuite, & comme quelques-uns le pratiquent encore aujourd'hui. La nécessité où l'on fut d'attacher le cheval pour le fixer en un lieu quelconque, suggéra l'idée de lui passer une corde autour de l'encolure ; telle est celle que l'on observe au-bas du cou du cheval de chaque Maure dans la colonne Trajane. Cette corde servit sans-doute insensiblement de frein ; Strabon même nous assûre que plusieurs Maures employoient des freins de corde : or quoique celle qui entoure l'encolure ne paroisse point captiver la tête de l'animal, il est vraisemblable qu'elle pouvoit faciliter les moyens d'arrêter & de faire tourner le cheval, puisque nous sommes chaque jour convaincus par nos propres yeux, que des paysans grossiers maîtrisent & soûmettent par cette voie leurs chevaux. Le hasard ayant peut-être encore démontré le plus grand empire de l'homme sur cet animal, lorsqu'il est assujetti & maintenu par la tête, engagea à transporter à cette partie les liens placés au cou ; peu-à-peu & à mesure que l'occasion détermina à le retenir, on s'apperçut du pouvoir qu'on acquéroit sur lui, soit en le saisissant par les nasaux, soit en contournant cette corde en forme de muserole ; enfin on parvint à reconnoître vaguement le sentiment dont sa bouche est doüée ; delà les brides & les licous dont parle Xénophon, & qui sont représentés sur les monumens romains. J'avoüe qu'en considérant les mors que nous offrent & que nous peignent la colonne Trajane, la colonne Antonine, & les autres marbres qui nous restent, nous ne voyons que des mors sans rênes, mais ceux que nous remarquons sur la colonne de Théodose en sont garnis. Je conviendrai de plus, que les unes & les autres de ces embouchures de métal ou d'une matiere quelconque, ne sont nullement assemblées à des branches, & que nous ne trouvons pas le plus leger vestige de cette chaîne que nous nommons gourmette ; d'où je concluds que toutes ces additions sont postérieures, & que nous sommes parvenus au point où nous sommes à cet égard par la même route, c'est-à-dire par la voie toûjours lente du tâtonnement.

Quoi qu'il en soit de ces différentes conjectures, notre unique objet dans cet ouvrage est d'être utiles, & non de paroître & de nous montrer érudits. Je dirai donc que la science d'emboucher les chevaux, est de toutes les parties que renferme la science de l'Eperonnier, la plus délicate & la plus épineuse : les autres ouvrages auxquels il se livre demandent l'élégance dans les formes, la solidité dans la construction, la propreté, le fini dans l'exécution ; mais, eu égard à celui-ci, ces conditions ne sont pas suffisantes. Les principes d'après lesquels l'Eperonnier doit agir, doivent être nécessairement fondés sur la connoissance parfaite, 1°. de la conformation de quelques parties du cheval : 2°. des situations respectives que la nature leur a assigné dans chaque individu : 3°. des rapports de force, de sensibilité, & de mouvemens qu'elle a mis entr'elles & les autres portions du corps ; 4°. des effets méchaniques de cette machine simple, destinée à entretenir comme milieu, l'intime réciprocité du sentiment de la bouche de l'animal & de la main du cavalier ; effets qu'il est indispensable d'apprécier, pour fixer avec précision les mesures des parties du mors, mais dont cependant la théorie générale des leviers ne nous donne pas toutes les solutions que nous desirerions, parce qu'il entre dans les calculs auxquels nous nous abandonnons, en la consultant, une multitude d'élémens purement physiques, dont il est presque impossible de fixer la valeur. Aussi me suis-je défendu, dans une telle complication, la desunion de ces différens objets. J'ai pensé qu'en ne les séparant pas, & en les présentant sous un seul & unique point de vûe, je deviendrois plus intelligible. Voyez MORS. Vous trouverez à cet article tout ce qui peut, relativement à cette matiere, regarder l'art & le travail de l'Eperonnier. (e)

* EMBOUCHER, v. act. (Luth.) il se dit en général des instrumens à vent ; les emboucher, c'est les appliquer à sa bouche de la maniere dont il convient, pour en tirer avec facilité tous les sons harmoniques qu'ils peuvent rendre.


EMBOUCHURES. f. (Manége) terme spécialement adopté pour désigner la portion du mors qui est reçue dans la bouche du cheval, & dont l'effet ou l'impression doit se manifester précisément sur les barres.

Nous trouvons dans Castella, Grisone, Fiaschi, Cadamusto, Sanseverino, Caracciolo, Massari, la Noüe, la Broüe, &c. un appareil énorme d'embouchures différentes, telles que les poires simples, doubles, secrettes, à pas d'âne ; les melons doux, ronds, à olives ; les campanelles simples, doubles, à cul-de-bassin, à cul-plat ; les hottes simples, à balottes entaillées, les canons à trompe ; les canons montans ; les canons simples, à compas, à cou d'oie, à bascule ; les demi-canons coudés ouverts à cou d'oie, ou ouverts à pié de chat ; les gorges de pigeon ; les escaches à bouton, à bavette, à la pignatelle ; les olives tambours, les pas d'âne, &c. mais nous avons renoncé avec raison aux frivoles avantages que les anciens sembloient se promettre de leurs recherches sur ce point, & nous avons banni loin de nous cette multitude prodigieuse d'instrumens, dont la diversité des formes & des noms a vainement épuisé leur génie, & qui seroient plûtôt capables d'altérer & de détruire le sentiment de la partie, sur laquelle la main du cavalier exerce sa puissance, qu'ils ne nous procureroient les moyens de captiver l'animal sans l'avilir. Je ne sai néanmoins si notre supériorité à cet égard est telle qu'il ne nous reste rien à désirer, & s'il nous est permis de croire que les principes vagues, qui, relativement à cet objet, sont répandus & répétés dans tous les écrits modernes, puissent constituer une théorie suffisante & aussi lumineuse, que s'ils étoient déduits des effets constans de la main, & des effets certains & combinés des portions principales du mors. Voyez MORS. (e)

EMBOUCHURE D'UNE RIVIERE, (Géog.) c'est l'endroit par où une riviere se décharge dans la mer. (Z)

* EMBOUCHURE, s. f. (Commerce) il se dit, dans le commerce des grains, d'une espece de friponnerie qui consiste à faire que le dessous de celui qu'on vend, ne soit pas aussi bon que le dessus. S'il y a embouchure au grain, il est confiscable.

EMBOUCHURE, s. f. c'est, en terme de Chauderonnier & de Luthier, la partie sur laquelle se posent les levres, & d'où l'on pousse le vent dans le tuyau du cor, de la trompette, & autres instrumens semblables. Voyez les Planches de Lutherie.

EMBOUCHURE, s. f. (Tireur d'or) c'est l'ouverture la plus large des pertuis de leur filiere. Voyez OR.


EMBOUCLÉadj. en termes de Blason, se dit des pieces garnies d'une boucle, comme sont les colliers des levriers.


EMBOUQUERv. neut. (Marine) on se sert de ce terme dans les îles de l'Amérique, pour dire qu'on commence d'entrer dans un passage resserré entre plusieurs îles ou des terres, comme on se sert de débouquer lorsqu'on en veut sortir. Voyez DEBOUQUEMENT & DEBOUQUER. (Z)


EMBOURRERv. act. terme de Bourrellier, c'est garnir une selle de bourre. Voyez SELLE. Une selle mal embourrée est sujette à blesser un cheval.

* EMBOURRER, v. act. (Potier de terre) c'est réparer ou cacher les défauts d'une piece, avec un mélange de terre & de chaux : cela est défendu.

EMBOURRER, v. act. (Sellier) c'est garnir ou de bourre, ou de laine, ou de crin, une selle, un bât, &c.

EMBOURRER, chez les Tapissiers, c'est la même acception qu'embourrer chez les Selliers ; les Tapissiers l'appliquent seulement à des meubles, à des siéges, à des matelats, &c.


EMBOURRURES. f. (Tapissier) c'est la grosse toile qui couvre la matiere dont ils embourrent quelques meubles, tels que les tabourets, les chaises, les fauteuils, &c. l'étoffe s'étend ensuite sur l'embourrure.


EMBOUTÉadj. en termes de Blason, se dit nonseulement des pieces qui ont un cercle ou une virole d'argent à leur extrémité, mais encore des manches de marteau, dont les bouts sont garnis d'un émail différent. Dictionn. de Trév.


EMBOUTIR(Chauderonn.) Voyez AMBOUTIR.

EMBOUTIR, en terme de Boutonnier, c'est l'action de creuser une calotte de quelque métal qu'elle soit, en la mettant sur un tas (voyez TAS), & en frappant sur une bouterolle (voyez BOUTEROLLE), pour donner aux calottes la profondeur nécessaire, & y graver le dessein du tas.

EMBOUTIR, terme de Ferblantier ; c'est faire prendre à un morceau de fer-blanc, taillé en rond, la forme d'une demi-boule, comme, par exemple, les couvercles des caffetieres, des lampes, des poivrieres, &c. ce qui se fait en frappant avec les marteaux propres aux différens ouvrages (voyez les figures, Planc. du Ferblantier). Le premier est un marteau à emboutir ; le second, le marteau à emboutir en boudin ; le troisieme, le marteau à emboutir en pointe de diamant.

EMBOUTIR, (Orfévr.) c'est enfoncer au marteau ou à la bouterolle, dans des dés de bois, de fer, ou de cuivre, les pieces d'orfévrerie destinées à la retrainte, ou qui doivent avoir une forme convexe ou concave.


EMBRANCHEMENTS. m. (Charpenterie) c'est ce qui lie les empanons avec le coyer.


EMBRAQUERv. act. (Marine) c'est mettre ou tirer une corde à force de bras dans un vaisseau. (Z)


EMBRASÉadj. (Gramm.) un corps est embrasé lorsque le feu dont il est pénétré dans toute sa substance, est sensible pour les yeux à sa surface, mais ne paroît plus s'étendre au-delà. Voici presque tous les degrés par lesquels un corps combustible peut passer, depuis son ignition ou le moment auquel le feu lui a été appliqué, jusqu'au moment où il est consumé. Il étoit froid, il devient chaud, brûlant, ardent, enflammé, embrasé, consumé. Tant qu'on en peut supporter le toucher, il est chaud ; il est brûlant, quand on ne peut plus le toucher sans ressentir de la douleur ; il est ardent, lorsque le feu dont il est pénétré s'est rendu sensible aux yeux, par une couleur rouge qu'on remarque à sa surface ; il est enflammé, lorsque le feu dont il est pénétré s'élance & se rend sensible aux yeux au-delà de sa surface ; il est embrasé, lorsque le feu a cessé de s'élancer & de se rendre sensible aux yeux au-delà de sa surface, & qu'il en paroît seulement pénétré dans toute sa substance, à-peu-près comme dans le cas où il n'étoit qu'ardent ; il est consumé, lorsqu'il n'en reste plus que de la cendre. L'acception du substantif embrasement, n'est pas exactement la même que celle du participe embrasé : on dit un corps embrasé, quel que soit ce corps, grand ou petit ; mais on ne dit pas l'embrasement d'un petit corps : embrasement porte avec soi une grande idée, celle d'une masse considérable de matieres allumées.


EMBRASEMENTS. m. (Menuiserie) c'est une partie de lambris qui couvre l'épaisseur des murs des croisées & des portes.


EMBRASSADEEMBRASSEMENT, synon. Je penserois que l'embrassade est l'action vive des bras, qu'on jette au cou de quelqu'un en démonstration d'amitié. Ce mot va plus à l'empressement extérieur qu'aux sentimens de l'ame, & désigne plûtôt l'action brusque des bras que la cordialité. Les marquis oisifs, dit Saint-Evremond, payent le monde en embrassades ; c'est pourquoi le Misantrope dans Moliere, déclare qu'il ne hait rien tant que ces affables donneurs d'embrassades frivoles.

Embrassement, signifie l'action d'embrasser, de quelque cause qu'elle parte. Aussi l'on dit également de saints embrassemens & des embrassemens mal-honnêtes, de tendres & de faux embrassemens.

Les embrassemens qu'on se faisoit à Rome dans la place publique, n'étoient, ainsi que parmi nous, qu'un commerce de vaines bienséances, où la bonne-foi ne regnoit pas davantage. Cette maniere ordinaire de se saluer, devint à la fin si incommode par le nombre de gens dont on n'osoit refuser les embrassemens, que Tibere les défendit par un édit. Cependant cette défense plus ridicule que l'embrassade, ne subsista pas long-tems, puisque Martial se plaint encore de cette coûtume comme d'une étrange vexation. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EMBRASSÉadj. en termes de Blason, se dit d'un écu parti, coupé ou tranché d'une seule émanchure, qui s'étend d'un flanc à l'autre.

Domantz, en Allemagne, d'argent, embrassé de gueules.

EMBRASSER UN CHEVAL. (Manége) Expression assez usitée parmi ceux qui, sans connoissance des principes de notre art, décident des dispositions requises pour y faire des progrès, & croyent pouvoir en juger par l'inspection seule de la taille : un homme très-grand embrasse beaucoup mieux un cheval qu'un autre. Tel est le principe sur lequel ils étayent & fondent leurs prédictions, presque toûjours démenties par l'événement ; car il est très-rare que celui qui ne sera que d'une taille médiocre, ne l'emporte pas, soit du côté de la fermeté & de la tenue, soit du côté de la finesse & de la précision.

Quelques-uns s'expriment encore ainsi, en parlant d'un cavalier qui serre médiocrement les cuisses, & qui tient ses jambes très-près du ventre de son cheval. L'idée de la signification du mot embrasser seroit peut-être plus nette, s'ils disoient que le cavalier ne peut parfaitement bien embrasser son cheval qu'autant que les cuisses sont exactement tournées, & que le tronc porte véritablement sur l'enfourchure. Voyez POSITION.

Les auteurs du dictionnaire de Trévoux semblent n'adopter ce mot que dans le cas où un cheval maniant sur les voltes, fait de grands pas & embrasse bien du terrein ; c'est le contraire de battre la poudre, qui se dit lorsque le cheval ne sort presque point de sa place.

En premier lieu, l'expression d'embrasser le terrein n'est point restrainte aux seules voltes, ni aux seuls changemens de main : nous l'employons pour désigner un cheval déterminé par le droit ; ce cheval embrasse franchement & librement le terrein qu'il découvre devant lui. En second lieu, on ne doit pas croire que le cheval soit contraint sur les voltes pour embrasser bien du terrein, de faire de grands pas : ce bien du terrein ne consiste que dans l'espace nécessaire pour que le cheval ne se retrécisse point (voyez RETRECIR), & qu'il avance toûjours insensiblement à chaque tems ; car si ce bien du terrein étoit indéfini & n'étoit point limité, il s'ensuivroit que l'animal fausseroit les lignes qu'il doit décrire, & s'élargiroit trop. (Voyez ELARGIR) Quant aux grands pas desirés par les auteurs de ce vocabulaire, comme tout cheval qui manie, doit indispensablement observer une cadence juste, il ne s'agit point de l'immense étendue de sa marche & de son action qui doit être soûtenue & mesurée sans être pressée ; d'ailleurs en faisant des pas aussi grands, il ne seroit pas possible que l'animal travaillât avec grace, d'autant plus que tous ceux dont nous ne modérons pas les mouvemens, se jettent toûjours & se précipitent sur les épaules. Ajoûtons encore que si, lorsqu'ils chevalent, nous les obligions à croiser, pour ainsi dire, de maniere à porter la jambe qui passe sur l'autre, fort en-dedans du terrein qu'ils doivent embrasser, celle qui se trouveroit dessous auroit une peine extrème à se dégager, la position de l'animal seroit très-incertaine, & il s'entableroit incontestablement à l'effet d'éviter sa chûte. Enfin, c'est le contraire de battre la poudre, qui se dit lorsque le cheval ne sort presque point de sa place. L'expression de battre la poudre, n'a point la signification qu'on lui donne ici ; par elle nous désignons un cheval qui trépigne, c'est-à-dire, un cheval qui étant retenu en une seule & même place, & ayant beaucoup d'ardeur, fait de vains efforts pour en sortir, & se remue sans-cesse & avec plus ou moins de vivacité, mais le mouvement de ses jambes ne part alors qu'imperceptiblement de ses épaules, & paroît ne dériver que du genou ; car s'il étoit tel que toute l'extrémité fût dans une agitation sensible, l'animal ne battroit pas la poudre & ne trépigneroit pas, mais il piafferoit. Nombre de chevaux, soit par ardeur, soit par mollesse, trépignent & battent la poussiere dans les piliers, au lieu d'y piaffer. Voyez PILIERS. C'en est assez de ces définitions pour indiquer le véritable sens du mot embrasser, & pour sauver des esprits trop crédules des erreurs dans lesquelles ils pourroient tomber, en se persuadant que de certains écrivains n'ignorent rien, par la seule raison qu'ils parlent de tout. (e)

EMBRASSER, terme d'Aiguilletier ; c'est entourer près de son extrémité un ruban de fil, de laine ou de soie, avec un petit morceau de laiton ou d'argent, que l'on ploie sur le ruban, au moyen de l'enclume crenée (fig. premiere) & du marteau (fig. 2. Pl. de l'Aiguilletier), ensorte que le morceau de laiton forme un anneau ou frette qui embrasse le ruban ou cordon ; on effile ensuite la partie du ruban ou cordon qui passe outre l'anneau qu'on appelle fer à embrasser, ce qui se fait pour les premiers, en retirant les fils de trame, ensorte qu'il ne reste plus que ceux de la chaîne ; pour les seconds, en démêlant les fils qui composent le cordon.


EMBRASSEURS. m. (Fonderie des Canons) Les Fondeurs appellent ainsi un certain morceau de fer qui embrasse en effet comme avec deux mains les tourillons de la piece de canon, lorsqu'on l'éleve dans le chassis de l'alésoir pour aggrandir son calibre. Voyez ALESER, ALESOIR. Dict. de Trévoux.


EMBRASSURES. f. en Architecture, est un chassis de fer qui se met au-dessous du plinte & larmier du plus haut d'une cheminée pour empêcher qu'elle ne s'écarte ; embrassure se dit aussi d'un morceau de fer dont on entoure une poutre pour l'empêcher d'éclater. (P)

EMBRASSURE, (Fonderie) Les Fondeurs appellent ainsi plusieurs barres de fer bandées avec des mouffles & des clavettes, avec lesquelles on enferme tous les murs des galeries par leur pourtour. Voyez FONDERIE, & les figures de la Pl. de la fonderie des figures équestres.


EMBRASURES. f. en Architecture, élargissement d'une fenêtre ou porte en-dedans du mur. Elle sert à donner plus de jeu pour ouvrir les fenêtres, les guichets, volets, &c. ou pour se procurer le plus de jour qu'il est possible quand les murs sont fort épais ; on pratique quelquefois des embrasures en-dehors. (P)

EMBRASURES, s. f. pl. en terme de Fortification, sont des ouvertures qu'on fait dans le parapet de la place, ou dans l'épaulement des batteries, pour tirer le canon.

Les embrasures sont ouvertes de deux piés & demi du côté de la place, de deux piés à leur plus étroit, & de neuf piés du côté de la campagne. Cette partie est plus large que son opposée, afin que le canon puisse découvrir à droite & à gauche le terrein vis-à-vis lequel il est placé. La partie du parapet comprise entre deux embrasures se nomme merlon. Il doit y avoir dix-huit piés du milieu d'une embrasure au milieu de celle qui la suit. L'embrasure differe du créneau, en ce que celui-ci est une ouverture pour tirer le fusil, & que l'autre est destinée au canon.

On appelle quelquefois l'embrasure, canonniere ; & le créneau, meurtriere.

La hauteur de l'embrasure est ordinairement du côté intérieur du parapet de deux piés & demi ou trois piés. Elle va un peu en talud vers le côté extérieur du parapet, afin de découvrir le terrein opposé le plus près qu'il est possible du lieu où elle est construite. (Q)


EMBREVEMENTS. m. en terme de Charpente, est l'entaille que l'on pratique dans une piece de bois pour y retenir le bout d'une autre piece qui en porte une troisieme, pour donner plus de force au tenon.


EMBROCATIONS. f. terme de Chirurgie, espece d'onction ou d'arrosement qu'on fait sur une partie avec des huiles, des baumes, des onguens, &c. Après l'opération de la taille ou du bubonocele, on fait sur le bas-ventre du malade une embrocation avec l'huile rosat tiede, on applique une grande compresse nommée ventriere qu'on recouvre d'une flanelle trempée dans une décoction émolliente. On fait des embrocations avec l'onguent de styrax sur les taches ou échymoses des scorbutiques, &c. Embrocation se prend aussi pour le remede destiné à appliquer de la maniere ci-dessus. (Y)


EMBROCHERv. act. (Cuisine) c'est traverser d'une broche. Il faut pour qu'une piece soit bien embrochée, que quand la broche est placée horisontalement, & qu'elle tourne sur elle-même, le poids qui est d'un côté de la broche, soit toûjours égal au poids qui est de l'autre côté, sans quoi la broche tourneroit sur elle-même inégalement, & par des saccades qui ébranleroient la piece & qui la feroient tourner sur la broche. Pour obvier à ces inconvéniens, on a des broches qui sont percées d'ouvertures carrées, dans le milieu de leur longueur & sur leur côté plat ; on passe à-travers la piece embrochée & par ces trous, une autre petite broche qui fixe la piece sur la grande broche, & qui l'empêche à la vérité de tourner sur cette grande broche, mais non de faire tourner cette grande broche inégalement ; l'accélération du mouvement se trouvant toûjours du même côté, il s'ensuit que la piece est presque toûjours mal-cuite, quand elle a été mal embrochée.


EMBROUILLEREMBROUILLER


EMBRUMÉadj. (Marine) Tems embrumé, c'est-à-dire que le tems est chargé d'un brouillard assez épais pour empêcher de voir autour du vaisseau.

Terre embrumée, c'est-à-dire couverte d'un brouillard qui a empêché de la bien reconnoître. (Z)


EMBRUou AMBRUN, (Géog. mod.) ville du Dauphiné en France, elle est située proche de la Durance sur un rocher escarpé. Long. 24d 9' 0", lat. 44d 34' 0".


EMBRYONS. m. (Phys.) Ce mot vient de , dans, & de , croître, pulluler ; c'est le nom que les medecins grecs ont donné au fétus, parce qu'il est renfermé & prend accroissement dans la matrice : on n'est pas d'accord sur le tems pendant lequel on peut le désigner de ce nom. Quelques-uns tels que Marcellus, lib. de foeturâ hominis, prétendent qu'il lui convient pendant tout le tems qu'il est contenu dans ce viscere : d'autres tels que Drelincourt, périoch. 35, n'employent le terme d'embryon que pour exprimer les rudimens du corps d'un animal renfermés dans un oeuf dont le placenta n'a pas encore jetté des racines, pour l'implanter dans la matrice ; & dès que le placenta y est attaché, ils donnent à l'animalcule le nom de fétus : Boerhaave Inst. med. physiolog. & M. Fizes, professeur de Montpellier, de hominis generali exercitatione, n'employent aussi le terme d'embryon, que pour l'animalcule dont l'accroissement commence dans la matrice ; dès qu'il est bien développé, ils l'appellent constamment fétus, & ne se servent plus du mot embryon, quoiqu'ils employent celui de fétus comme synonyme d'embryon, & appellent également fétus l'animalcule dès les premiers tems après la conception.

Ruysch, cur. renov. dit avoir vû dans une femme qui avoit tout récemment conçû, un embryon qui n'étoit pas plus gros que la tête d'une épingle ordinaire : Hartman, eph. nat. cur. rapporte en avoir vû un de la grosseur d'une graine de pavot. Mattmugham, comp. obst. assûre qu'un embryon de six jours est du volume d'un grain d'orge : Dodart, histoire de l'Académie des sciences 1701, fait mention d'un embryon de la longueur de sept lignes, dont on commençoit à distinguer les membres. Mauriceau, dans ses observations, dit en avoir vû un dans les eaux de l'oeuf, de trois ou quatre semaines, qui étoit à-peu-près gros comme une féve. On trouve dans les auteurs un grand nombre d'observations de cette espece qui ne s'accordent point entr'elles, & qui prouvent une grande variété dans les dimensions de l'embryon, pendant les premiers tems de son accroissement, puisque Mauriceau rapporte une observation d'un fétus qui n'étoit pas plus gros qu'un grain d'orge, au bout de deux mois de grossesse bien avérée ; on ne peut donc avoir rien de sûr à cet égard, parce que l'accroissement de l'embryon ne se fait pas toûjours en proportion du nombre de jours qui se sont écoulés depuis la conception ; ces progrès dépendent plus vraisemblablement de la nature de la matiere alimentaire qui lui est fournie, & de la force avec laquelle elle parvient jusqu'à lui. Voyez FETUS ; voyez aussi la savante note premiere d'Haller sur le §. 675. Instit. med. Boerhaave.

Aristote donne souvent aux fétus des animaux, & Théophraste aux semences des plantes, le nom d'embryon : en quoi ils ont été suivis par la plûpart des auteurs modernes. (d)

EMBRYON, (Jardinage) C'est le haut du pistile où est le fruit de la graine. Voyez ETAMINES.


EMBRYOTOMIES. f. EMBRYOTOMIA, en Chirurgie, opération qui consiste à couper le cordon ombilical d'un enfant qui vient de naître, & à le lui lier ensuite.

Ce mot est formé du grec , fétus, & , je coupe. Chambers.

Le mot embryotomie a plusieurs significations ; il dénote la dissection anatomique d'un embryon ; il peut signifier aussi l'opération par laquelle on coupe en pieces un fétus mort dans la matrice, pour pouvoir le tirer du ventre de la mere. Voyez COUTEAU A CROCHET, OCHETCHET. Ces deux interprétations paroissent plus naturelles que celle de M. Chambers. (Y)


EMBRYULKIES. f. EMBRYULKIA, en Chirurgie ; c'est l'opération par laquelle on tire l'enfant du ventre de sa mere. Voyez OPERATION CESARIENNE.

Ce mot est formé du grec , fétus, & de , tirer.

Ce que les Grecs appellent embryulkie, les Latins le nomment opération césarienne ; & M. Dionis observe que ce dernier terme ne s'est introduit, & n'a prévalu qu'à cause qu'il est plus facile à prononcer que l'autre. L'étymologie du mot embryulkie ne dénote pas cette interprétation, & il semble que ce terme d'art devroit signifier l'extraction de l'enfant du ventre de la mere, dans un accouchement contre nature. (Y)

EMBRYULKIE, (Man. Maréch.) mot formé & dérivé du grec embryon, & de , extrahere, tirer.

Dionis a donné ce nom à l'histérotomie, vulgairement appellée operation césarienne ; d'autres ont prétendu qu'il signifie l'extraction d'un enfant dans un accouchement contre nature. Nous l'envisagerons ici dans le sens que lui a prêté l'anatomiste & l'opérateur, sans perdre notre tems à examiner le fond de la contestation & sans prétendre décider.

Il paroîtra sans-doute singulier que j'entreprenne d'enrichir l'hippiatrique d'une opération jusques ici uniquement réservée à la Chirurgie. Si l'on compare cependant les difficultés qu'elle présente, & les craintes qu'elle inspire naturellement aux praticiens les plus hardis, lorsqu'il s'agit de la tenter sur une femme, dans l'intention de sauver la mere & l'enfant, ou l'un ou l'autre, avec la facilité & l'assûrance que le maréchal doit avoir en la pratiquant sur la jument ; je suis persuadé qu'elle trouvera parmi nous autant de partisans qu'elle a eu de contradicteurs relativement à l'espece humaine.

Le cas dans lequel je la propose n'est pas précisément celui où le fétus a une peine infinie à sortir par le vagin ; je la conseillerois principalement dans la circonstance où la mere prette à mettre bas, seroit surprise par une maladie formidable & desespérée ; alors il me semble que sans attendre l'évenement funeste dont nous portons un prognostic juste & assûré, on pourroit aisément se dispenser d'abandonner le poulain à son sort.

Pour en faire l'extraction, renversez la jument avec toutes les précautions possibles ; on la couchera sur le dos, & on l'assujettira de maniere que ni le maréchal ni ses aides puissent en être blessés. Faites ensuite une incision cruciale à la partie moyenne & inférieure de l'abdomen ; cette incision sera d'environ un pié & demi, & se terminera aux os pubis. Les gros intestins se présenteront incontestablement, & les efforts occasionnés par les vives douleurs auxquelles la jument sera en proie, les pousseront encore hors de la capacité. Faites-les donc écarter, vous appercevrez bientôt l'utérus ; pratiquez-y une ouverture qui réponde à la premiere ; mais usez de beaucoup de circonspection pour ne pas porter atteinte au poulain : ouvrez aussitôt encore les membranes qui le renferment, les eaux qu'elles contiennent s'épancheront, & vous retirerez sur le champ l'animal.

Cette operation nous impose nécessairement l'obligation d'en pratiquer une seconde promtement & sans différer. Il s'agit de couper le cordon qui le tient assujetti au placenta, & d'en faire la ligature. Dès le premier instant de sa naissance, l'homme paye une sorte de tribut à la chirurgie, par le besoin qu'il a de la main du chirurgien ; sans cette section & sans cette ligature, il ne subsisteroit en effet que quelques momens. La nature, dans les animaux, a pourvû à cet inconvénient en suggérant à la femelle qui met bas, l'instinct de mâcher le cordon ombilical pour le couper : elle ne sauroit y parvenir qu'après un certain tems, attendu la consistance membraneuse de ce même cordon, & la force de son tissu ; & ce n'est que parce qu'il a été extrêmement froissé & contus, & que les parois des arteres ombilicales sont affaissées & prises les unes dans les autres ; de maniere que leur cavité étant, pour ainsi dire effacée, le sang ne peut plus se frayer aucune issue en-dehors lorsque la section a été faite.

Ici nous devons agir au défaut de la mere qui n'existe plus ; on se munira d'une quantité suffisante de gros fil que l'on pliera en cinq ou six doubles de la longueur d'environ un pié, & que l'on aura eu soin d'arrêter aux deux extrémités par un noeud à chacune d'elles. Ce fil ainsi préparé, on liera le cordon à environ quatre ou cinq pouces du corps du poulain, de façon qu'il ne soit ni trop ni trop peu serré ; la ligature maintenue par des doubles noeuds répétés à mesure des entortillemens, on coupera le cordon trois pouces au-dessous, & l'on observera que cette section ne soit suivie d'aucune effusion de sang : si l'on en apperçoit, on resserrera les fils, & les trois pouces de longueur que l'on laisse en-deçà, serviront à placer une seconde ligature, si la premiere étoit absolument insuffisante. Du reste ce n'est que par cette raison que j'ai fixé en quelque sorte les mesures ; car à quelque distance que soient faites & la ligature & la section, la nature sur laquelle nous devons nous reposer du soin d'achever & de perfectionner l'ouvrage, opere toûjours la séparation du cordon à sa sortie de l'anneau ombilical, & au niveau du tégument ; cette séparation a lieu en huit ou dix jours plus ou moins, & nous devons graisser l'excédent du cordon, avec du beurre, du saindoux, &c.

On conçoit au surplus, que le succès de l'embryulkie dépend de notre attention à prévenir la mort de la jument. Plus nous attendons, plus le fétus est débilité ; & si la mere est morte, il est certain que nous avons d'autant moins de tems à perdre, que le poulain ne lui survivroit que quelques instans. Il ne sera plus question enfin que de procurer à l'enfant les moyens de s'alaiter, & d'entretenir une vie que le maréchal vient en quelque façon de lui rendre. (e)


EMBUES. f. voyez EMBOIRE. (Peinture)


EMBUSCADES. f. (Art milit.) c'est une troupe de gens armés, cachés dans un bois, un ravin, un fossé, &c. pour surprendre d'autres troupes qui doivent passer dans le même lieu ; & qui ne se doutant point d'être attaquées, sont surprises & défaites aisément. On appelle aussi embuscade, le lieu où les troupes sont cachées.

Les remedes & les précautions pour ne pas tomber dans les embuscades, sont faciles à trouver. Il faut ne point marcher avec trop de sécurité, mais s'avancer en ordre de bataille, & en faisant reconnoître le terrein devant soi à droite & à gauche par de petits détachemens. Il faut charger des officiers intelligens de ces détachemens, afin que tous les lieux par où la troupe doit passer, soient fouillés exactement. Il n'y en a aucun à l'abri des embuscades, parce que le terrein a beau être uni, il s'y rencontre toûjours quelques inégalités, comme de petites élevations, des chemins creux, &c. dont l'ennemi peut profiter pour se cacher. Il est d'autant plus important à un officier qui commande une troupe, de bien prendre ses précautions sur ce sujet, que celui qui tombe dans une embuscade, fournit, dit M. de Folard, un fond inépuisable de chansons, de plaisanteries & de bons mots qui ne finissent point ; & cela, dit cet auteur, parce qu'il n'y a que des sots ou de francs étourdis qui puissent y donner. (Q)


EMBUVER(Maréchall.) Voyez ABREUVER.


EMENDALSS. m. (Comm.) c'est un vieux mot dont on se sert encore en Angleterre dans les comptes de l'inner-temple, où tant d'inémendals au bout d'un compte, signifient tant dans la banque ou dans le fonds de cette société, pour la réparation des pertes que l'on a faites, ou pour d'autres besoins.


EMENDANT(Jurisp.) voyez ci-apr. EMENDER.


EMENDATIOEMENDATIO


EMENDE(Jurisp.) ancien terme qui se trouve dans plusieurs coûtumes, pour amende, comme émende d'appel, de tost-entrée ; émende coûtumiere, émende de gage. Voyez AMENDE, & le glossaire de M. de Lauriere, au mot Emende. (A)


EMENDERv. act. (Jurisprud.) signifie corriger, réformer. Le juge d'appel qui infirme la sentence d'un juge inférieur, se sert du terme émendant, c'est-à-dire corrigeant la sentence dont est appel ; & ensuite est le nouveau jugement que fait le juge d'appel. Voyez APPEL, INFIRMER, JUGE, PREMIER JUGE, SENTENCE. (A)


EMERAUDES. f. (Hist. nat. Lithol.) smaragdus, pierre précieuse transparente, de couleur verte, sans mélange d'aucune autre couleur, & à-peu-près de même dureté que le crystal. Par ces caracteres il est aisé de distinguer l'émeraude de toute autre pierre verte, & même du diamant qui auroit une couleur verte aussi belle que l'émeraude. De quelque couleur que le diamant puisse être, on le reconnoît aisément à son éclat & à sa dureté. Voyez DIAMANT. L'aigue marine est d'une couleur mêlée de verd & de bleu. Voyez AIGUE MARINE. Le péridot est d'une couleur mêlée de verd & de jaune. V. PERIDOT. L'émeraude est la seule de toutes les pierres précieuses occidentales & orientales, qui soit verte sans mélange d'autre couleur, si ce n'est le blanc qui se trouve dans les émeraudes imparfaites ; car il y a des crystaux d'émeraude qui sont en partie blancs & en partie verds, ou qui ont différentes teintes de verd plus ou moins foncé. Les crystaux d'émeraude ont, comme ceux du crystal de roche, la figure d'une colonne à six faces : mais au lieu d'avoir une pointe à chaque bout, elles sont terminées par une face hexagone.

Presque tous les auteurs distinguent les émeraudes en orientales & en occidentales. Ils disent que l'orientale est d'un verd gai ; qu'elle a une grande dureté, & un grand éclat qui se soûtient à l'ombre & à la lumiere de la chandelle. Aujourd'hui on ne voit aucune émeraude orientale ; s'il y en a, elles sont d'une rareté extrême. Les auteurs qui en parlent, ne conviennent point du lieu où elles se trouvent : les uns disent que c'est en Arabie, les autres en Perse, en Egypte, &c. Voyez la Biblioth. orientale. Tavernier dans son traité des pierres de couleur qui se trouvent aux grandes Indes, prétend qu'il n'y a jamais eu de mines d'émeraudes dans aucun lieu des grandes Indes ; & que toutes celles qu'on y a vûes ou qui en sont venues, y avoient été apportées du Pérou par la mer du Sud. Ce voyageur croyoit que les Américains avoient eu commerce, même avant la découverte de l'Amérique, avec les habitans des îles de l'Inde orientale appellée aujourd'hui Philippines, & qu'ils y avoient porté une grande quantité d'émeraudes. Comme on ne trouve à-présent aucune émeraude dont la dureté soit égale à celle des pierres orientales, on est en droit de douter de l'existance des émeraudes de cette nature. Il y a près de quatre-vingt ans que de Rosnel disoit dans son Mercure indien, que l'on ne rencontroit presque plus d'émeraudes orientales ou de vieille roche, parce que la mine étoit épuisée, ou cachée dans un lieu inaccessible.

L'émeraude occidentale, qui est la seule que nous connoissions aujourd'hui, vient de l'Amérique & de quelques endroits de l'Europe. L'émeraude d'Amérique se trouve au Perou : elle est bien plus belle que celle de l'Europe ; sa couleur est d'un beau verd-foncé. Il y avoit autrefois une mine de cette espece d'émeraude dans la vallée de Manta, dépendante de Porto-Viejo. Cette mine en fournissoit beaucoup avant la conquête du Pérou, & de très-belles, au rapport de Garcilasso de la Vega, Hist. des Incas, tome I. Les Espagnols ne purent jamais la retrouver ; mais ils rapporterent de ce pays une si grande quantité d'émeraudes, que le prix de cette pierre baissa beaucoup en Espagne, & de-là il s'en répandit partout. Les émeraudes d'Amérique se trouvent aujourd'hui dans la vallée de Tunca ou Tomana, assez près de la nouvelle Carthage, & entre les montagnes de Grenade & de Popayan ; c'est de-là qu'on en transporte à Carthagene une si grande quantité tous les ans. Les émeraudes de l'Europe viennent d'Italie, de Chypre, d'Allemagne, d'Angleterre, &c. L'émeraude est une pierre fort estimée ; celle de l'Amérique, lorsqu'elles sont parfaites, se vendent aussi cher que les pierres orientales. On a crû pendant long-tems que l'émeraude venoit de la pierre que l'on appelle prime d'émeraude ; mais cette pierre est fort différente de l'émeraude. Voyez PRIME D'EMERAUDE.

Théophraste rapporte qu'un roi de Babylone présenta au roi d'Egypte une émeraude dont la longueur étoit de quatre coudées, & la largeur de trois ; & qu'en même tems il y avoit en Egypte un obélisque composé de quatre émeraudes, qui avoit quarante coudées de haut, quatre de large en quelques endroits, & deux dans d'autres. Il est impossible qu'il y ait jamais eu des émeraudes de cette grandeur : on a pris pour émeraudes des choses d'une autre nature. L'histoire de la déesse Emeraude, rapportée par Garcilasso de la Vega, me paroît plus vraisemblable. Cet auteur dit que les peuples de la vallée de Manta au Pérou, adoroient une émeraude grosse comme un oeuf d'autruche ; on la montroit les jours de grande fête, & les Indiens accouroient de toutes parts pour voir leur déesse, & pour lui offrir des émeraudes. Les prêtres & les caciques donnoient à entendre que la déesse étoit bien-aise qu'on lui présentât ses filles, & par ce moyen ils en amasserent une grande quantité. Les Espagnols, dans le tems de la conquête du Pérou, trouverent toutes les filles de la déesse ; mais les Indiens cacherent si bien la mere, qu'on n'a jamais pû savoir où elle étoit. D. Alvarado & ses compagnons briserent la plus grande partie des émeraudes sur des enclumes, parce qu'ils croyoient que si elles étoient fines, elles ne devoient pas se casser. Voyez PIERRES PRECIEUSES. (I)

EMERAUDE, (Pharmacie) c'est une des pierres qu'on appelle en Pharmacie fragment précieux. Voyez FRAGMENT PRECIEUX.


EMERGENTadj. année émergente, (Chron.) c'est l'époque dont nous commençons à compter le tems. Voyez EPOQUE.

Notre année émergente est quelquefois celle de la création. Les Juifs prenoient pour année émergente, ou celle du déluge, ou celle de l'exode, c'est-à-dire de leur sortie d'Egypte.

L'année émergente des Grecs étoit l'année de l'établissement, ou du moins du rétablissement des jeux olympiques. Les Romains comptoient depuis la fondation de Rome. Les Chrétiens comptent depuis la naissance de Jesus-Christ, ou environ ; les Mahométans, depuis l'hégire ou fuite de Mahomet de la Mecque à Medine, qui arriva en l'an 622 de J. C. Voyez ERE. (O)


EMERILS. m. smiris (Hist. nat. Minéral.) C'est une mine de fer d'une dureté extraordinaire : elle est pesante, ressemble à une pierre : sa couleur est ou grise, ou rougeâtre, ou noirâtre : la partie ferrugineuse y est en très-petite quantité, & tellement enveloppée, que l'aimant ne peut point l'attirer. L'émeril résiste à l'action du feu, & n'entre en fusion que très-difficilement ; il faut y joindre pour cela une grande quantité de fondant : c'est ce qui l'a fait placer au nombre des mines de fer réfractaires. On voit par-là que l'on ne trouveroit point son compte à traiter l'émeril pour en tirer le fer. L'usage principal qu'on en fait, est de polir l'acier, le fer, le verre, & les pierres les plus dures ; mais pour l'employer ainsi il faut commencer par le réduire en une poudre extrêmement fine, ensuite de quoi on le délaye dans l'eau, ou dans de l'huile pour certains cas. (-)


EMERILLONS. m. (Hist. nat. Ornith.) asalon. C'est le plus petit de tous les oiseaux que l'on dresse pour la chasse, à l'exception de la pie-grieche ; car il n'est pas plus gros que le merle. Il a un pié un pouce de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & un pié jusqu'au bout des ongles. Dans cette espece d'oiseau les mâles sont plus petits que les femelles. Le bec est de couleur bleue, & garni de chaque côté d'une appendice ; & l'iris des yeux a une couleur de noisette. Il y a audessous de l'occiput une sorte de collier de couleur blanche-jaunâtre. Le menton est blanc ; le dos, & en général toute la face supérieure du corps, sont de couleur de rouille, mêlée de bleu-noirâtre. Les grandes plumes des aîles sont noires, & parsemées de taches de couleur de rouille. La queue a cinq pouces de longueur, & est traversée par quatorze bandes qui sont alternativement de couleur noirâtre & de couleur blanche mêlée d'une teinte de roux. La face inférieure, c'est-à-dire la poitrine, le ventre, &c. est d'un blanc mêlé de couleur de rouille, avec des taches noires & teintes de rouille. Ces taches, au lieu d'être transversales, sont dirigées de haut enbas de la tête à la queue. Cet oiseau a les pattes longues, minces, & de couleur jaunâtre, & les ongles noirs. On distingue le mâle d'avec la femelle, par le moyen d'une tache bleue qui se trouve à la racine de la queue des mâles. La femelle est, comme dans toutes les autres especes d'oiseaux de proie, plus grosse que le mâle, mais d'une couleur rousse moins foncée, & parsemée d'une teinte de bleu. Il n'y a sur la queue du mâle que cinq larges bandes transversales noires, & cinq autres moins larges, d'un roux plus foncé. La longueur de la queue est de cinq pouces, & celle de l'oiseau entier, d'un pié. Quoique l'émerillon soit un des plus petits oiseaux de proie, il a autant de courage & de hardiesse qu'aucun autre ; il tue les perdrix en les frappant de son bec sur la tête, & son coup est fait en un instant. Willughb. Ornith. Voyez OISEAU. (I)

EMERILLON, (Artill.) c'est une petite piece de canon qui ne passe guere une livre de balles. (Q)

EMERILLON, en terme de Boutonnier, c'est un ustensile de cuivre à quatre pans, plus haut que large, vuidé dans ses quatre faces, & garni à chaque extrémité de deux crochets rivés dans son intérieur, mais de façon qu'ils puissent joüer dans leur trou. L'un de ces crochets sert à attacher l'outil à une corde ou à autre chose ; & celui de devant, à retenir la guipure. Quand le fil est retors suffisamment du même sens, & de la grosseur qu'on veut, on attache une autre soie ou fil de même ou de différente couleur, à l'émerillon. On fait tourner la premiere roue du roüet, & l'on conduit le brin de l'émerillon vers le roüet, de maniere que retordu dans un sens contraire à ceux qui lui servent de base, & à distances égales, il produit ce qu'on appelle du guipé. Voyez GUIPE.

EMERILLON, terme de Cordier, est un crochet de fer tellement disposé dans son manche, qu'il y peut tourner avec beaucoup de facilité.

o p q r représente un émerillon : o est un petit cylindre de bois dur, évidé dans son milieu : q est un crochet qui a la liberté de tourner, au moyen de la tête qu'on apperçoit dans la partie évidée du cylindre de bois o p. C'est à ce crochet que les fileurs attachent leur fil, quand ils veulent lui laisser perdre de son tortillement. r est un anneau de fer par lequel les fileurs tiennent l'émerillon ; & cet anneau a la liberté de tourner, au moyen d'une petite tête qu'on apperçoit dans la rainure du petit cylindre o p. Cet instrument ne sert pas seulement aux fileurs, les commetteurs s'en servent aussi Voyez l'art. CORDERIE, & la seconde Planche.


EMERITATS. m. (Hist. anc.) c'est ainsi qu'on appelloit chez les Romains, la récompense qu'on accordoit à un soldat qui avoit bien servi pendant un certain nombre d'années. On dispute si elle consistoit ou en argent, ou en terre, ou dans l'un & l'autre, & s'il n'y avoit aucune différence entre l'emeritum & le praemium. L'histoire nous apprend qu'Auguste donna à un prétorien 5000 drachmes, & à un soldat d'un rang subordonné, 300 ; qu'il avoit fixé le terme de l'émeritat, & les récompenses des différentes sortes d'émérites ; que parmi ces émérites les uns devoient avoir servi seize ans, d'autres vingt, & que Caligula rabaissa à la moitié la récompense de l'émérite prétorien. L'émérite, de quelque rang qu'il fût, étoit très-estimé, & il n'en étoit point réduit, après la campagne, à la fonction de délateur de ses compagnons.


EMERITES. m. (Hist. mod.) On donne dans la faculté des Arts, ce titre aux professeurs qui ont vingt ans d'exercice. Ils conservent en quittant leur chaire, une pension de cinq cent livres ; récompense bien modique d'un long service rendu à la société dans un des emplois les plus importans & les plus pénibles, celui d'instruire la jeunesse.


EMERSIONS. f. en Physique, est l'élévation de quelque solide au-dessus de la surface d'un fluide plus pesant que lui, dans lequel il a été plongé avec force, ou jetté. Voyez FLUIDE. Ce mot vient d'emergere, sortir dehors, qui est opposé à mergere, plonger.

C'est une des lois connues de l'Hydrostatique, qu'un corps solide étant enfoncé avec force dans un fluide plus pesant, fait effort immédiatement après pour remonter ; & cela avec un degré de force égal à l'excès du poids d'un pareil volume du fluide sur le poids du solide même. Par exemple, un solide étant plongé dans un fluide d'une gravité spécifique double de la sienne, il remontera en-haut avec une force égale à la moitié de celle avec laquelle il descendroit dans l'air libre ou dans le vuide ; & il remontera jusqu'à ce que la moitié de son volume soit hors du fluide ou au-dessus de sa surface : car en cet état sa partie submergée occupera la place d'une portion de fluide d'une pesanteur égale à celle du corps entier ; & par conséquent la colonne dans laquelle se trouve ce corps, sera en équilibre avec les colonnes adjacentes. Voyez FLUIDE, HYDROSTATIQUE, AREOMETRE, BALANCE HYDROSTATIQUE, PESANTEUR SPECIFIQUE.

EMERSION, en Astronomie. On se sert de ce mot pour marquer que le Soleil, la Lune ou quelqu'autre planete recommencent à paroître, après avoir été éclipsés ou cachés par l'interposition de la Lune, de la Terre, ou de quelqu'autre corps céleste. Voyez ECLIPSE.

On trouve quelquefois les différences en longitude, par l'observation des immersions ou des émersions du premier satellite de Jupiter. Voyez SATELLITE & LONGITUDE.

On se sert encore du terme émersion, lorsqu'une étoile ou planete que le Soleil cachoit, parce qu'il en étoit trop proche, commence à reparoître, en sortant, pour ainsi dire, des rayons de cet astre. Voyez MERCURE.

Scrupules ou minutes d'émersion, c'est l'arc que le centre de la Lune décrit depuis le tems qu'elle commence à sortir de l'ombre de la Terre, jusqu'à la fin de l'éclipse. Wolf, Harris & Chambers. (O)


EMERUSgenre de plante à fleur papilionacée. Il sort du calice un pistil qui devient dans la suite une silique mince, qui renferme des semences presque cylindriques. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

EMERUS, (Jardinage) c'est un arbrisseau qui croît naturellement dans la plûpart des contrées méridionales de l'Europe, & que l'on cultive dans les jardins pour l'ornement. Il jette du pié plusieurs tiges, dont l'écorce est grise sur le vieux bois, & verte sur les jeunes rameaux. Sa feuille d'un verd brun, est composée de sept ou neuf folioles placées sur une même queue, & qui sont très-ameres au goût. Ses fleurs jaunes, légumineuses, presque sans odeur, & fort approchantes de celles du genêt commun, viennent jusqu'à trois ensemble le long des nouvelles branches ; elles commencent à paroître à la fin d'Avril, & leur durée est d'un mois. Sa graine est renfermée dans des siliques courbes & articulées, assez longues, mais fort minces. Cet arbrisseau est connu chez les Jardiniers sous le nom de securidaca : on lui donne aussi le nom de sené bâtard, à cause de quelques vertus un peu analogues avec celles du vrai sené ; mais ce nom est encore peu usité.

L'émerus ou sené bâtard croît promtement, se multiplie aisément, résiste à la rigueur des plus grands hyvers, n'exige aucune culture particuliere, & réussit dans tous les terreins, si ce n'est pourtant dans les terres fortes & humides, où il ne pousse que foiblement. On peut le multiplier de rejettons, dont il se garnit abondamment au pié ; de boutures qu'il faut faire au printems ; de branches couchées qu'il n'est pas besoin de marcotter ; ou de semences, qui sont mûres au mois de Septembre. Mais ce dernier moyen est le plus long, la bouture au contraire est la voie la plus facile & la plus courte. On peut faire avec du bois de tout âge ces boutures, qui sont propres à être transplantées l'automne suivante. Si l'on prend le parti de semer la graine, il faudra le faire au mois de Mars ; elle levera au bout d'un mois : on pourra l'automne suivante arracher les plans les plus forts, & les mettre en pépiniere pour donner de l'espace aux plus foibles.

On ne connoît que deux especes de cet arbrisseau.

1°. Le sené bâtard ordinaire ; il n'est pas si commun que le suivant, parce qu'il a moins d'agrément, & qu'on ne s'applique pas tant à le multiplier. Il s'éleve à huit ou dix piés. On ne peut guere l'employer qu'à garnir des bosquets, & tout au plus l'admettre dans des plates-bandes, où on pourra lui former une tête & le tailler en boule. Cette taille se doit faire au mois de Juin après la fleur passée ; mais il faudra s'en abstenir, si l'on se propose d'en recueillir les graines.

2°. Le petit sené bâtard. C'est l'un des jolis arbrisseaux que l'on puisse employer pour l'ornement d'un jardin. Il ne s'éleve qu'à quatre ou cinq piés. Sa feuille est plus petite que celle du précédent, & cependant l'arbrisseau en est plus garni, parce qu'elles sont placées plus près les unes des autres sur les branches. Mais sa fleur, qui a une teinte de rouge en-dehors, est plus brillante, & il en produit deux fois dans l'année ; d'abord au printems comme l'autre espece, ensuite en automne pendant tout le mois de Septembre & au-delà. Le plus bel emploi que l'on puisse faire de cet arbrisseau dans un jardin, c'est d'en former de petites palissades à hauteur d'appui, dont le verd-brun & stable tranchera avec toute autre verdure, & dont la durée des fleurs formera un aspect très-agréable pendant presque toute la belle saison. (c)


EMESE(Géog. anc. & mod.) ville de la Syrie, en Asie ; elle est maintenant dans le gouvernement du bacha de Damas. Il y a encore aujourd'hui des ruines qui annoncent une ville anciennement opulente. On croit que c'est l'Emath de l'Ecriture-sainte.


EMETIQUE(Thérapeutique) Voyez VOMITIF.

EMETIQUE, (Tartre), Chimie & Matiere médic. Voyez sous le mot TARTRE.


EMETTRE(Jurisprud.) se dit en parlant de certains actes ; comme émettre un appel simple ou un appel comme d'abus, c'est interjetter un appel.

On dit d'un religieux qu'il a fait ses voeux ; mais en parlant de l'acte par lequel il les a proférés, on qualifie ordinairement cet acte d'émission de voeux. (A)


EMEou EME. Voyez CASOAR.

EMEU ou EME, s. m. (Hist. nat. Ornith.) oiseau des Molucques, qui a jusqu'à cinq piés de hauteur ; son corps depuis l'estomac jusqu'au croupion a trois piés de long ; sa tête est petite eu égard à sa taille, elle est dégarnie de plumes, & d'une couleur bleuâtre ; ses yeux sont grands & très-vifs : au-dessus du bec sont deux ouvertures qui servent de narines ; sur la tête est une espece de couronne d'un jaune foncé qui descend jusque sur le bec ; il la perd tous les ans avec ses plumes dans le tems de la muë. Le cou est garni de deux peaux rouges semblables à celles des coqs-d'Inde ; ses cuisses sont charnues & couvertes d'une peau écailleuse, les pattes sont grosses & garnies de cinq ergots couverts d'écailles très-dures ; il ressemble assez à une autruche, de l'espece de laquelle il est peut-être ; ses plumes sont noires & rouges, on les prendroit de loin pour des poils ; ses aîles sont courtes, aussi ne lui servent-elles point pour voler, mais seulement pour courir avec plus de rapidité ; le croupion est couvert de plumes plus longues & plus fortes que les autres ; il a plus de force dans les pattes que dans le bec ; ses oeufs different de ceux des autruches en ce qu'ils sont plus petits, la coquille en est verdâtre & remplie d'une infinité de bosses ou tubercules : les habitans du pays s'en nourrissent. Cet oiseau avale tout ce qui se présente à lui, & rend par-derriere ce qu'il n'a pû digérer. On prétend que sa graisse est très-bonne pour les nerfs, émolliente, maturative. Diction. univers. de Hubner.

EMEU, s. m. (Fauconnerie) rendre son émeu, c'est rendre son excrément ; l'oiseau est en parfaite santé quand il rend bien son émeu.


EMEUTEou EMEUTIR, v. neut. (Fauconn.) se dit des oiseaux de proie ; quand le faucon a rendu son excrément, on dit qu'il vient d'émeuter.


EMINCIRv. act. (Arts méchaniq.) c'est en général ôter à un corps de son épaisseur. On dit mieux amincer & aminci, qu'émincir & émincé.


EMINES. f. (Oeconom. rustiq.) Voyez HEMINE.


EMINENCES. f. (Physiq.) petite élévation ou monticule au-dessus du niveau de la campagne. Voyez MONTAGNE.

On dit : ce palais est bâti sur une éminence : les ennemis se sont saisis de cette éminence, par où ils nous commandent.

EMINENCE, s. f. en Anatomie, ce mot se dit principalement en parlant de certaines éminences des os, & on en peut distinguer de trois especes ; savoir, 1°. celles qui servent à la connexion des os : 2°. celles qui donnent attache à des parties molles : 3°. celles qui résultent de la conformation particuliere de l'os. Mais comme les unes sont continues avec l'os, & que d'autres ne sont que contiguës, c'est-là ce qui a donné lieu à la distinction qu'on en a fait en apophyses & en épiphyses. V. APOPHYSE & EPIPHYSE.

C'est de la figure, de la situation, de la connexion, & des usages des éminences, qu'on a tiré les différens noms qu'on leur a donné.

De leur figure, on les appelle tête, lorsqu'elles sont convexes & arrondies en forme de globe ; tubérosité, lorsqu'elles sont inégales & raboteuses ; épine & épineuse, quand elles sont aiguës & en pointe, &c.

De leur situation, elles sont appellées obliques, transverses, supérieures, inférieures, &c.

De leur connexion, elles prennent le nom des parties avec lesquelles elles sont articulées ; telle est l'apophyse malaire de l'os maxillaire, &c. Voyez MAXILLAIRE.

Par rapport à l'usage, on donne le nom de trochanter à deux tubérosités de l'os de la cuisse, qui donnent attache aux muscles qui la font tourner. (L)

* EMINENCE, s. f. (Hist. mod.) titre qu'on donne aux cardinaux, aux trois électeurs ecclésiastiques, & au grand-maître de Malte, selon une bulle d'Urbain VIII, qui ne dispense que les rois & les papes de le leur accorder, & qui défend à tous autres de le prendre. Le pape leur dit vostra signoria ; le roi de France, cousin ; l'empereur, reverenda paternitas ; les rois de Pologne & de Portugal, & la république de Venise, signoria illustrissima. Au reste cette épithete honorifique, éminence, avoit été donnée par Grégoire le Grand à des évêques, long-tems avant qu'Urbain l'attachât spécialement au cardinalat. La bulle d'Urbain VIII. qui éminentifie les cardinaux, est de 1630.


EMIONITES. f. (Hist. nat. bot.) hemionitis, genre de plante, dont les feuilles ont de larges oreilles à leur base, soit qu'elles soient simples, soit qu'elles soient composées. Tournefort, Instit. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


EMIRsubst. m. (Hist. mod.) titre de dignité, ou qualité chez les Turcs ou Sarrasins, qu'on donne à ceux qui sont parens ou descendus du grand prophete Mahomet.

Ce mot est arabe, & dans cette langue il signifie prince ; il est formé de amar, qui est originairement hébreu, & qui dans les deux langues signifie dire & commander. Voyez AMIRAL.

Les émirs sont en grande vénération, & ont seuls le droit de porter un turban verd. Il y a sur les côtes de la Terre-sainte, des émirs qui sont des princes souverains, comme l'émir de Gaza, l'émir de Terabée, sur lesquels le grand-seigneur n'a que peu d'autorité.

Ce titre ne se donnoit d'abord qu'aux califes. On les appelloit aussi en Perse émir zadeh, fils du prince ; & par abréviation d'émir on fit mir, & d'emir zadeh, mirza. Voyez CALIFE. Dans la suite, les califes ayant pris le titre de sultans, celui d'émir demeura à leurs enfans, comme celui de césar chez les Romains. Ce titre d'émir, par succession de tems, a été donné à tous ceux qui sont censés descendre de Mahomet par sa fille Fatima, & qui portent le turban verd. Voyez TURBAN.

Ces émirs étoient autrefois uniquement destinés au ministere de la religion, & l'état leur payoit une pension annuelle ; aujourd'hui on les voit répandus dans tous les emplois de l'empire ; aucun magistrat, par respect pour le sang de Mahomet, n'oseroit les punir. Ce privilége est reservé à l'émir bachi leur chef, qui a sous lui des officiers & des sergens, avec pouvoir de vie & de mort sur ceux qui lui sont soûmis ; mais pour l'honneur du corps, il ne fait jamais punir les coupables ni exécuter les criminels en public. Leur descendance de la fille de Mahomet est une chose si incertaine, que la plûpart des Turcs mêmes ne sont pas fort crédules sur cet article, & battent souvent les vénérables enfans du prophete, en prenant toutefois la précaution de leur ôter le turban verd, & de le poser à terre avant que de les frapper ; mais un chrétien qui les auroit maltraités seroit brûlé vif.

Emir est aussi un titre, qui, joint à quelqu'autre mot, désigne souvent quelque charge ou emploi, comme emir al omera, le commandant des commandans. C'étoit du tems des califes le chef de leurs conseils & de leurs armées.

Les Turcs donnent aussi ce nom à tous les visirs ou bachas des provinces (voyez BACHA, &c.) : ajoûtez à cela que l'émir akhor, vulgairement imrahor, est grand-écuyer du grand-seigneur.

L'émir alem, vulgairement miralem, porte-enseigne de l'empire, est directeur de tous les intendans, & fait porter devant lui une cornette mi-partie de blanc & de verd.

émir bazar, est le prevôt qui a l'intendance sur les marchés, qui regle le prix des denrées.

L'émir hadge, prince ou conducteur des pélerins de la Mecque, est ordinairement bacha de Jérusalem.

Emir al moslemin ou émir al moumenin, c'est-à-dire le commandant des fideles ou des croyans, c'est un titre qu'ont pris les Almoravides & les Almohades qui ont regné en Afrique & en Espagne. Diction. de Trév. Morery, & Chambers. (G)


EMISSAIRES. m. (Hist. mod.) personne de confiance, adroite & capable, qu'on envoie sourdement pour sonder les sentimens ou les desseins d'autrui, ou lui faire quelque proposition ou ouverture, semer des bruits, épier les actions & la contenance d'un ennemi, d'un parti contraire, pour tirer avantage de tout cela.

Ce mot est formé du latin e, & mitto, qui signifie j'envoie dehors.

Les chefs de partis ont plusieurs émissaires qui s'employent pour leurs intérêts, qui leur rapportent tout ce qui se passe dans le monde, pour prendre là-dessus leurs mesures ; en conséquence on dit que le pape & le prétendant ont leurs émissaires en Angleterre. Voyez le Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)


EMISSIONS. f. on appelle ainsi, en Physique, l'action par laquelle un corps lance ou fait sortir hors de lui des corpuscules. Voyez EMANATION, EXHALAISON, &c.

C'est une grande question que de savoir si la lumiere se fait par pression ou par émission, c'est-à-dire si elle se communique à nos yeux par l'action du corps lumineux sur un fluide environnant, ou par des corpuscules qui s'élancent du corps lumineux jusqu'à l'organe. En attendant que nous traitions cette question plus en détail au mot LUMIERE, nous croyons devoir faire ici quelques réflexions sur une preuve que des philosophes modernes ont crûe très-favorable au système de l'émission. Les observations de Roëmer, disent-ils, sur les éclipses des satellites (voyez SATELLITE & LUMIERE), prouvent que la lumiere, soit par pression soit par émission, vient du soleil à nous en huit minutes & demie ; les observations de l'aberration prouvent que la vîtesse, soit actuelle soit de tendance, que les corpuscules de la lumiere ou de l'éther ont en parvenant à nos yeux, est précisément celle qu'il leur faut pour parcourir en huit minutes & demie la distance du soleil à nos yeux : n'est-il donc pas bien vraisemblable qu'en effet les corpuscules lumineux viennent du soleil à nous par un mouvement de transport ? Voyez les mém. de l'acad. 1739.

Pour apprécier le degré de force de ce raisonnement, j'ai considéré une suite de petites boules élastiques égales, rangées en ligne droite, & j'ai comparé le tems qu'une de ces boules mettroit à parcourir un espace donné, avec le tems qu'il faudroit pour que le mouvement de la premiere boule se communiquât à la derniere. Prenons d'abord deux boules égales & à ressort, dont le diamêtre soit d, & dont l'une soit en repos & soit choquée par l'autre avec la vîtesse V. Soit a l'espace qui est entre l'extrémité antérieure de la boule choquante & l'extrémité postérieure de la boule choquée ; V étant la vîtesse de la boule choquante, il est visible, 1°. que l'extrémité antérieure de cette boule parcourra l'espace a dans le tems a/V, & qu'alors elle atteindra l'autre boule ; 2°. dans ce moment, comme on le prouvera à l'article PERCUSSION, l'extrémité antérieure de la boule choquante & l'extrémité postérieure de la boule choquée, qui forment le point de contact sur lequel se fait la compression, auront la vîtesse commune V /2 ; c'est-à-dire que l'une qui avoit la vîtesse V, perdra la vîtesse V /2, & que l'autre qui étoit en repos recevra la vîtesse V /2 ; & si on nomme x l'espace que le point de contact parcourt pendant que le ressort se bande & débande, le point de contact parcourra cet espace x avec la vîtesse V /2 pendant le tems (2 x)/V. Alors la premiere boule reste en repos, & l'extrémité antérieure de la boule choquée parcourt un espace quelconque c avec la vîtesse V dans le tems c/V. L'espace qui se trouve alors entre le lieu qu'occupoit avant le choc l'extrémité antérieure de la boule choquante, & le lieu qu'occupe actuellement l'extrémité antérieure de la choquée, est évidemment égal à a + x + c + d ; or l'extrémité antérieure de la boule choquante, si elle n'eût point rencontré d'obstacle, auroit parcouru cet espace dans un tems égal à (a + x + c + d)/V. Donc en supposant seulement deux boules, la différence du tems par émission ou transport, & du tems par pression, est = (d - x)/V ; s'il y a trois boules, cette différence sera (2 d - 2 x)/V, & ainsi de suite ; & si le nombre n des boules est très-considerable, elle sera sensiblement = (n d - n x)/V. Donc le premier tems sera égal, plus grand, ou plus court que le second, selon que d sera égal, plus grand ou plus petit que x, c'est-à-dire selon que le diamêtre d'une des boules sera égal, plus grand ou plus petit que l'espace parcouru par le point de contact durant le bandement & le débandement du ressort. Il n'y a donc qu'un cas pour l'égalité des deux tems, & une infinité pour leur inégalité : c'est pourquoi la preuve alléguée ci-dessus a de la force ; mais elle n'est pas rigoureusement démonstrative.

Quoique la lumiere, si elle se propage par pression, ne se propage peut-être pas exactement de la même maniere que le mouvement ou la tendance au mouvement dans une suite de boules élastiques, j'ai crû que la théorie précédente pouvoit servir au moins à nous éclairer jusqu'à un certain point sur la question proposée.

Il est bon de remarquer au reste, pour prévenir toute difficulté sur ce sujet, que l'accord de la théorie de l'aberration avec le système de l'émission de la lumiere, ne suppose pas qu'on connoisse la vraie distance de la terre au soleil ; il suppose seulement qu'un arc de 20" dans l'orbite terrestre soit parcouru par la terre en 8'1/2, ce qui est vrai. Voyez ABERRATION, & les institut. astron. page 95 & 301. (O)

EMISSION, (Physiol.) est un terme employé pour exprimer le sentiment de Pythagore & de ses sectateurs sur la vision ; ils imaginoient qu'il sort des objets certaines especes visibles, qui sont fort grandes lorsqu'elles sont encore proches de ces objets, mais qui deviennent plus petites lorsqu'elles s'en éloignent davantage, jusqu'à ce qu'elles soient enfin réduites à une telle petitesse, qu'elles puissent entrer dans l'oeil & se faire alors appercevoir à l'ame. L'action par laquelle ces especes sortent des objets, est ce que ces philosophes appellent émission. C'est dans le même sens que les Platoniciens se servent aussi de ce terme pour exprimer l'action par laquelle ils prétendoient qu'il sort de l'objet & de l'oeil certains écoulemens, qui se rencontrent & s'embrassent les uns les autres à mi-chemin, d'où ils retournent ensuite dans l'oeil, & portent par-là dans notre ame l'idée des objets.

Si ces sentimens étoient fondés, ne devrions-nous pas appercevoir dans l'obscurité les objets, de la même maniere que nous les voyons lorsqu'ils sont exposés à la lumiere ? Mais on voudroit bien savoir quelle est la nature de ces especes, ou de ces écoulemens prétendus ; comment ils sortent de l'objet, ou de l'oeil, ou de tous les deux ensemble ; qu'elle est la cause de l'émission qui s'en fait, & par qui ils sont produits ? Mussch. essai de physique. Voyez ESPECES. (d)

EMISSION DE VOEUX, (Jurispr.) est la profession que fait le novice, & l'engagement qu'il contracte solennellement d'observer la regle de l'ordre régulier dans lequel il entre. La mort civile du religieux profès se compte du jour de l'émission de ses voeux, de même que les cinq ans dans lesquels il peut reclamer contre ses voeux, lorsque sa profession n'a pas été libre. Voyez PROFESSION, RELIGIEUX, RECLAMATION, VOEUX. (A)


EMISSOLES. f. (Hist. nat. Ichthiol.) galeus laevis, poisson du genre des chiens de mer. Il n'a point d'aiguillons comme celui qui est appellé aiguillat, & qui a été décrit sous le nom de chien de mer. Voyez CHIEN DE MER. L'émissole a le museau plus long & plus large que l'aiguillat, & l'ouverture de la bouche plus étroite. Ce poisson est de couleur cendrée ; il n'a point de dents, mais les mâchoires sont rudes. Il a des trous au-devant de la bouche à la place des narines, & d'autres plus petits derriere les yeux. Il ressemble à l'aiguillat par les oüies, les nageoires, & les parties intérieures ; mais il en differe par la queue qui est composée de trois nageoires. Rondelet, XIII liv. des poissons. Voyez POISSON. (I)


EMITES(Hist. nat. Lytholog.) c'est une pierre qui est de la couleur de l'ivoire, & qui ressemble au marbre blanc, sinon qu'elle n'est point si dure. Boëce de Boot conjecture que c'étoit une espece d'albâtre. Voyez Boetius de Boot, de lapidibus & gemmis.


EMITHÉES. f. (Myth.) divinité de Castabé, village de Carie. On prétendoit que les malades qui s'endormoient dans son temple, s'étoient souvent réveillés guéris de leurs maux ; d'où l'on peut conjecturer que c'étoit un de ceux de la Grece que l'on fréquentoit le plus, auquel on faisoit le plus de présens, & où l'on célébroit le plus de sacrifices. Emithée soulageoit aussi les femmes enceintes qui l'invoquoient dans les douleurs de l'enfantement ; elle étoit en si grande vénération, que les richesses dont ses autels étoient chargés ne furent point pillées, quoiqu'elles ne fussent gardées ni par des murailles, ni par des hommes. Cette demi-déesse, la seule dont il soit fait mention, fut respectée des brigands & des vainqueurs, pour qui les autres temples de la Grece ne furent pas également sacrés. Je ne suis pas trop étonné de cette distinction ; les portes qui ferment un temple, les gardes qui veillent autour, & les murs qui en empêchent l'approche, semblent annoncer que la divinité qui y préside a besoin de la protection des hommes, ce qui ne porte pas à redouter sa puissance. Il n'en est pas ainsi de celle dont rien d'humain ne garantit les autels des insultes de la méchanceté ; il semble qu'elle se soit chargée elle-même de les défendre.


EMMAILLONNÉ(Rubann.) Voyez LISSES & MAILLONS.


EMMAILLOTTERterme de Sage-femme & de Nourrice, c'est envelopper un enfant de langes par plusieurs couches circulaires, pour préserver son corps délicat des injures de l'air, & le tenir dans une position fixe, qu'on croit nécessaire à son bien-être & à la conservation de ses jours. Cette méthode est en usage chez la plûpart des peuples de l'Europe : nous verrons bien-tôt ce qu'il en faut penser.

A peine l'enfant est-il sorti du sein de sa mere, dit l'auteur de l'histoire naturelle de l'homme (tome II. page 457. édition in -4°.) ; à peine l'enfant joüit-il de la liberté de mouvoir & d'étendre ses membres, qu'on lui donne de nouveaux liens ; on l'emmaillotte, on le couche la tête fixe & les jambes allongées, les bras pendans à côté du corps ; il est entouré de linges & de bandages de toute espece, qui ne sauroient lui permettre de changer de situation ; heureux si on ne l'a pas serré au point de l'empêcher de respirer, & si on a eu la précaution de le coucher sur le côté, afin que les eaux qu'il doit rendre par la bouche puissent tomber d'elles-mêmes ; car il n'auroit pas la liberté de tourner la tête sur le côté pour en faciliter l'écoulement.

Les Siamois, les Japonois, les Indiens, les Negres, les sauvages du Canada, ceux de Virginie, du Bresil, & la plupart des peuples de la partie méridionale de l'Amérique, couchent les enfans nuds sur des lits de coton suspendus, ou les mettent dans des especes de berceaux couverts & garnis de pelletteries ; ils se contentent de couvrir & de vêtir ainsi leurs enfans sans les emmaillotter. Je ne déciderai point si leur usage conviendroit également aux nations européennes ; je crois seulement qu'il a moins d'inconvéniens que le nôtre, qu'il est plus simple, plus judicieux, & plus raisonnable : j'ajoûte que les peuples qui le suivent s'en trouvent très-bien, & qu'en général la nature réussit mieux dans cette occasion, que toutes nos sages-femmes & nos nourrices.

En effet notre méthode d'emmaillotter a de grands inconvéniens, & plusieurs desavantages. 1°. On ne peut guere éviter en emmaillottant les enfans, de les gêner au point de leur faire ressentir quelque douleur. Les efforts qu'ils font pour se débarrasser, sont alors plus capables de corrompre l'assemblage de leur corps, que les mauvaises situations où ils pourroient se mettre eux-mêmes s'ils étoient en liberté. Les bandages du maillot peuvent être comparés aux corps de baleine que l'on fait porter aux filles dans leur jeunesse : cette espece de cuirasse, ce vêtement incommode qu'on a imaginé pour soûtenir la taille & l'empêcher de se déformer, cause cependant plus d'incommodités & de difformités, qu'il n'en prévient. Bonne remarque de MM. Winslou & de Buffon.

2°. Si le mouvement que les enfans veulent se donner dans le maillot peut leur être funeste, l'inaction dans laquelle cet état les retient, peut aussi leur être nuisible. Le défaut d'exercice est capable de retarder l'accroissement des membres, & de diminuer les forces du corps. Ainsi les enfans qui ont la liberté de mouvoir leurs membres à leur gré, doivent être plus forts que ceux qui sont emmaillottés : c'est pour cette raison que les Péruviens laissoient les bras libres aux enfans dans un maillot fort large ; lorsqu'ils les en tiroient, ils les mettoient dans un trou fait en terre & garni de quelque chose de doux, dans lequel trou ils les descendoient jusqu'à la moitié du corps : de cette façon ils avoient les bras en liberté, & ils pouvoient mouvoir leur tête & fléchir leur corps à leur gré, sans tomber & sans se blesser.

3°. La position naturelle des épaules, des bras, & des mains d'un enfant qu'on emmaillotte, celle des piés, des jambes, & des genoux, se dérange très-souvent, parce que l'enfant ne cesse de remuer ; de sorte que quelque attention que les nourrices ayent de bien placer & de bien contenir ces parties, il peut arriver, & il n'arrive que trop souvent que les piés se trouvent l'un sur l'autre, de même que les jambes & les genoux : alors ces membres étant mal posés, on les serre, on les bande dans cette position, de maniere que la grande compression que l'on fait sur des parties encore molles, tendres, & délicates, dérange leur ordre, change leur figure & leur direction, empêche leur extension naturelle, & par-là donne occasion à des difformités qu'on éviteroit, si on laissoit à la nature la liberté de conduire & de diriger elle-même son ouvrage sans peine & sans contrainte.

4°. Cette compression forte sur des parties susceptibles d'impression & d'accroissement, telles que sont les membres d'un enfant nouveau-né, peut causer plusieurs autres accidens. Des embarras dans les visceres, des obstructions dans les glandes, des engorgemens dans les vaisseaux, sont souvent les tristes suites de cette compression. Combien de poitrines foibles & d'estomacs débiles, parce que les vaisseaux qui distribuent les liqueurs dans ces visceres, sont privés de leur ressort pour avoir été trop comprimés dans le maillot ?

5°. Les enfans nouveaux-nés, comme le remarque encore M. de Buffon, dorment la plus grande partie du jour & de la nuit dans les premiers tems de leur vie, & semblent n'être réveillés que par la douleur & par la faim : aussi les plaintes & les cris succedent presque toûjours à leur sommeil. Obligés de demeurer dans la même situation, & toûjours contraints par les entraves du maillot, cette situation leur devient fatigante & douloureuse après un certain tems ; ils sont mouillés & souvent refroidis par leurs excrémens, dont l'âcreté offense leur peau qui est fine & délicate, & par conséquent très-sensible. Dans cet état les enfans ne font que des efforts impuissans ; ils n'ont dans leur foiblesse que l'expression des gémissemens, pour demander du soulagement ; si on les abandonne, si on leur refuse un promt secours, alors ces petits infortunés entrent dans une sorte de desespoir, ils font tous les efforts dont ils sont capables, ils poussent des cris qui durent autant que leurs forces ; enfin ces excès leur causent des maladies, ou du moins les mettent dans un état de fatigue & d'abattement, qui dérange leur constitution, & qui peut même influer sur leur caractere.

C'est un bonheur quand la nourrice est assez tendre & assez active, pour secourir un peu fréquemment l'enfant gémissant confié à ses soins ; mais le nombre & la longueur des bandages, la peine que trouve cette nourrice à défaire & à remettre perpétuellement ces bandes, l'empêche de visiter, de remuer, de changer ce malheureux enfant aussi souvent que le besoin l'exige ; devenue par l'habitude insensible à ses cris, elle le laisse long-tems dans ses ordures, & se contente de le bercer pour l'endormir. En un mot, il n'y a que la tendresse maternelle qui soit capable de cette vigilance continuelle, & de ces sortes d'attentions, qui sont ici si nécessaires : peut-on l'espérer dans les villes & dans les campagnes, de nourrices grossieres & mercenaires, qui prennent à l'enfant un médiocre intérêt ? peut-on même s'en flater toûjours dans sa maison & dans son domestique ?

Il faudroit donc prévenir sérieusement les accidens que je viens de détailler, en tâchant de suppléer au maillot par de meilleures ressources ; & ce n'est pas une chose indifférente à la société, qu'une recherche de cette espece : en attendant qu'un digne citoyen s'y dévoue, indiquons au moins quelques sages précautions qu'on doit suivre dans la méthode ordinaire de l'emmaillottement.

Pour bien emmaillotter un enfant, il convient d'abord de lui coucher le corps en ligne directe, puis lui étendre également les bras & les jambes, ensuite tourner autour du corps les langes & les bandes en petit nombre sans les trop tirer, car il faut qu'elles ne fassent que contenir simplement ce qu'elles environnent, sur-tout la poitrine & l'estomac qui doivent être à leur aise. Souvent les vomissemens & la difficulté de respirer des enfans, viennent de ce que dans le maillot on leur serre trop la région de ces deux visceres ; il est difficile pour lors que les vomissemens ne succedent, parce que le foie proportionnellement plus grand dans les enfans que dans les adultes, étant comprimé, presse le fond de l'estomac & en produit le renversement convulsif ; il est difficile aussi que les poumons s'étendent convenablement pour la respiration.

Quand on emmaillotte un enfant, il est bon de tourner chaque jour les bandes d'une maniere différente de celle dont on les a tournées le jour précédent, c'est-à-dire les tourner un jour de droite à gauche, & l'autre jour de gauche à droite, afin d'éviter dans la taille & dans les extrémités une conformation vicieuse.

Je conseille encore beaucoup d'avoir soin de placer les membres d'un enfant dans une situation droite à chaque tour de bande, pour éviter les inconvéniens qui résulteroient d'une fausse position ; inconvéniens qui peuvent influer sur sa santé, & qui influent certainement sur la conformation du corps. Plusieurs enfans ne sont souvent cagneux, & n'ont les piés en-dedans, que par la mal-façon de l'emmaillottement. Par exemple, les nourrices en emmaillottant les enfans, leur fixent d'ordinaire les piés pointe contre pointe, au lieu de les fixer plûtôt talon contre talon, comme elles pourroient faire aisément par le moyen d'un petit coussin, engagé entre les deux piés de l'enfant, & figuré en forme de coeur, dont la pointe seroit mise entre les deux talons de l'enfant, & la base entre les deux extrémités des piés.

Il est aussi très-essentiel de changer souvent les bandes & les langes, pour éviter la malpropreté & conserver à l'enfant sa gaieté & sa santé. La longueur des langes & la multiplicité de leurs tours, est une méthode qui entraîne plusieurs inconvéniens, & ne produit aucun avantage : on ne sauroit trop simplifier une opération dont l'exécution doit être répétée perpétuellement nuit & jour, en tous lieux, & par toutes sortes de mains.

Enfin quand l'enfant est emmaillotté avec le soin & les reserves que nous venons d'indiquer, il y a deux précautions principales à avoir ; l'une, lorsqu'on le pose dans le berceau ; & l'autre, lorsqu'on le tient entre les bras. La premiere précaution est de le coucher de maniere que son corps ne porte point à faux ; sans cela on expose la taille de l'enfant à contracter quelque bosse. La seconde est de le porter tantôt sur un bras, tantôt sur l'autre, de peur qu'étant toûjours porté sur un même bras, il ne se panche toûjours d'un même côté, ce qui peut lui rendre la taille de travers. Je ne dis rien ici que de simple & de facile à concevoir, mais je parle de choses utiles & qui intéressent tout le monde. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EMMANCHÉadj. (Art méch.) il se dit en général de tout ce qui a un manche ou une poignée amovible. Voyez MANCHE & POIGNEE.

EMMANCHE, terme de Blason ; il se dit des haches, des faulx, des marteaux, & des autres choses qui ont un manche.

Faouc en Normandie, d'azur à trois faux d'argent emmanchées d'or.


EMMANEQUINERv. act. (Jardin) c'est renfermer les racines d'un végétal dans un manequin fait exprès de ramilles de saule & d'osier, pour en conserver la motte de terre, & la transporter à l'endroit où on a dessein de le planter. (K)


EMMANUEL(Hist. sainte) terme hébreu qui signifie Dieu avec nous. Dans la prophétie où Isaïe annonce à Achaz la naissance du Messie d'une mere vierge, il est dit que cet enfant s'appellera & sera réellement Emmanuel ; & S. Matthieu montre l'accomplissement de cette prophétie en Jesus-Christ, qui par la réunion de la nature divine avec la nature humaine, fut, s'il est permis de s'exprimer ainsi en françois, Dieu avec nous.


EMMARINEREMMARINER

Gens emmarinés se dit de ceux qui sont faits & accoûtumés à la mer, & n'y sont plus incommodés. (Z)


EMMELEY(Géog. mod.) ville du comté de Tipperari, en Irlande.


EMMELIES. f. (Hist. anc.) danse des Grecs. Un des suivans de Bacchus, dans sa conquête des Indes, l'inventa & lui donna son nom ; elle étoit grave & sérieuse. Telles sont nos sarabandes, nos grands airs de caracteres que nous appellons danses nobles & terre-à-terre. Bonnet, hist. de la Danse. Il y a sur l'emmelie théatrale un doute ; on ne sait si c'étoit une danse qui s'exécutoit dans les tragédies anciennes, ou si c'étoit quelque sorte de mélodie dont elles étoient accompagnées. Voyez DANSE. (B)


EMMENAGOGUEadject. (Médec. Thérap. mat. méd.) se dit d'un remede de la classe des évacuans : c'est une épithete employée pour désigner une des trois sortes de médicamens du genre des utérins ; c'est-à-dire, de ceux qui servent à exciter ou à favoriser les trois différentes excrétions naturelles de la matrice ; savoir, celle du flux menstruel, celle qui est propre à procurer la sortie du fétus, & celle des lochies ou vuidanges après l'accouchement.

Les emménagogues sont les remedes qui regardent spécialement la premiere de ces trois sortes d'excrétions : on appelle ecboliques, ceux dont on se sert pour la seconde ; & aristolochiques, ceux qui conviennent à la troisieme.

Comme ces excrétions s'operent par les mêmes vaisseaux, & ne different entr'elles que par les circonstances qui les déterminent, les mêmes médicamens qui peuvent être emménagogues, peuvent aussi être employés comme ecboliques, ou comme aristolochiques, selon les différentes circonstances où ils sont mis en usage.

Ainsi, pour trouver expliquée la signification particuliere de ces mots composés, la maniere d'agir des médicamens qu'ils désignent, & d'administrer ces médicamens ; pour avoir l'énumération de toutes les drogues, tant simples que composées, qui forment ce genre de remedes, voyez le mot UTERIN, qui est une qualification commune à leurs différentes especes, sous laquelle il paroît conséquemment convenable de renfermer tout ce qu'il y a à dire au sujet de ces remedes. Voyez aussi FLUX MENSTRUEL, ACCOUCHEMENT, AVORTEMENT, & sur-tout l'article principal MEDICAMENT. (d)


EMMENALOGIES. f. (Médecine) Ce terme est grec, composé de , menstrua, & de , sermo ; ainsi il est employé pour signifier un traité des menstrues, c'est-à-dire de l'écoulement périodique des femmes : le plus fameux ouvrage connu sous ce nom, est celui du célébre Freind, médecin de la Cour de Londres. (d)


EMMENEK(Géogr. mod.) ville du cercle de Westphalie, en Allemagne ; elle est dans le duché de Cleves, à peu de distance du Rhin. Long. 23. 56. lat. 41. 59.


EMMEULAGES. m. (Jardinage) c'est mettre en meules le foin quand il est fauché & fanné : lorsqu'il est emmeulé, il ne craint point la pluie, & on prend son tems pour le botteler. (K)


EMMIELEREMMIELER


EMMIELLURES. f. (Manége, Maréchallerie) remede topique, distingué de ceux que nous appellons charge, emplâtre blanche, &c. en ce que nous faisons entrer du miel dans sa composition.

Quelques-uns l'employent communément dans une foule de circonstances, comme dans celles des efforts, des écarts, des entorses, de la foulure des tendons, de l'engorgement des jambes, des coups de piés, des embarrures, & d'autres contusions quelconques, &c.

On en trouve une infinité trop grande de recettes dans tous les auteurs qui ont écrit sur les maladies des chevaux, pour que je me croye obligé d'en indiquer ici quelques-unes. Voyez Soleysel, Gaspard Saunier, Crescentius, Michel Biondo, Recini, Caracciolo, Coloubro, Gibson, Markaut, &c. (e)


EMMUSELÉadj. en terme de Blason, se dit des ours, chameaux, mulets, & autres animaux auxquels on lie le museau, pour les empêcher de mordre ou de manger.

Morlot de Museau, d'argent à une tête d'ours de sable, emmuselée de gueules.


EMMUSELEREMMUSELER


EMOLLIENT(Mat. médicale) Quelques médecins ont décoré de cette propriété les remedes aqueux, mucilagineux, doux, farineux, émulsifs, gélatineux, c'est-à-dire, l'eau chargée de la partie mucilagineuse de certains végétaux, comme mauve, guimauve, lin, psillium, grande consoude, &c. voyez MUCILAGE ; le même liquide chargé du corps doux végétal pris dans les dattes, les figues, les raisins secs, les jujubes, la racine de réglisse, la citrouille, &c. voyez DOUX, matiere médicale & diete ; les décoctions des semences farineuses, telles qu'orge, ris, seigle, avoine, &c. voyez FARINEUX ; les émulsions, voyez EMULSION ; les bouillons de la chair des jeunes animaux, comme veau, poulet. &c. & ceux de grenouille & de tortue.

Les médecins qui croyent aux émolliens, pensent que ces remedes ramollissent les diverses humeurs arrêtées & ramassées dans certains vaisseaux, & surtout les arrêts inflammatoires, ou congestions du sang proprement dit ; il en est même qui ont imaginé je ne sai quel vice des humeurs en général qu'ils ont appellé densité, & qui ont crû que les émolliens remédioient très-efficacement à ce vice.

Nous avons dit à l'article DELAYANT, que les qualités délayante, émolliente, & relâchante, étoient attribuées aux mêmes remedes, ou même n'étoient qu'une seule propriété désignée par différens noms dans les diverses théories. Ce que nous avons observé des préjugés conçûs sur les délayans, seroit donc inutilement répété ici. Voyez DELAYANT.

On parlera à l'article TOPIQUE, de l'usage que peuvent avoir, dans la curation des maladies internes, les remedes de cette classe appliqués extérieurement. (b)


EMOLLIENTE(PLANTES), Pharmacie. Les plantes qui portent ce nom par excellence, dans le langage ordinaire des boutiques, sont la mauve, la guimauve, la violette, & l'acanthe ou branc-ursine. Elles ont été choisies dans la classe des plantes émollientes, parce qu'on a crû qu'elles possédoient éminemment cette qualité.

Les plantes de la même classe qui sont censées approcher le plus près de celles-ci, & qu'on employe comme leurs succédanées, sont la mercuriale, la pariétaire, la poirée, la roche, & le séneçon.

Les rangs de ces plantes ont été déterminés par un choix très-gratuit & très-arbitraire ; les oignons de lis, la laitue, la racine de grande consoude, &c. y auroient autant de droit que la plûpart de celles-ci ; & quelques-unes d'entr'elles au contraire, telles que la pariétaire & le séneçon, sont fort mal placées à côté de la poirée, & de la mauve, &c. Voyez les articles particuliers.

Au reste, nous avoüons de bonne-foi que l'erreur que nous relevons ici, n'est pas une erreur importante. (b)


EMOLUMENTS. m. (Jurisprud.) terme de pratique, qui signifie les profits que quelqu'un tire de sa charge ou de son emploi : on dit qu'un officier cherche à émolumenter, lorsqu'il multiplie sans nécessité les vacations, ou qu'il allonge un procès verbal ou autre acte, afin de gagner davantage. Voyez EPICES, VACATIONS, HONORAIRES, FRAIS & SALAIRES. (A)


EMONCTOIRES. f. (Médecine) Ce terme qui est tiré du Latin emungere, moucher, nettoyer, en tirant les ordures, est employé pour désigner, dans l'oeconomie animale, tous vaisseaux, canal, conduit ou réservoir destinés à servir à la séparation de quelque humeur excrémenticielle. Les anciens appelloient les narines l'émonctoire du cerveau, parce qu'ils croyoient que les vaisseaux de cette cavité ont la propriété d'attirer les impuretés du cerveau ; on a retenu ce mot, quoique dans une signification différente de celle-là. On dit que la peau, les reins, sont les émonctoires du corps, parce qu'il se fait par ces organes une secrétion & une excrétion abondantes des humeurs qui ne sont plus propres à aucun usage utile dans le corps humain, & même de celles qui sont viciées dans les maladies. On ne peut pas dire par conséquent des parotides, des vésicules séminales, qu'elles sont des émonctoires, puisque ces parties ne servent qu'à séparer ou à recevoir du sang des humeurs très-utiles dans l'oeconomie animale. Voyez SECRETION, EXCRETION, CREMENTICIELCIEL. (d)


EMONDERv. act. (Jardinage) La façon d'élaguer ou émonder les arbres qui ne donnent point de fruit, fait sur eux le même effet que la taille sur les arbres fruitiers ; c'est par l'élagage qu'on les conduit, qu'on leur donne une belle forme, une tête élevée & gracieuse.

La regle générale est qu'un arbre de haute tige ou de haute futaie ne doit avoir qu'un jet montant jusqu'à une certaine hauteur, après laquelle on lui laisse former sa tête.

On choisit la seconde année de la pousse d'un jeune arbre la branche la plus forte & la plus droite, & l'on coupe en pié de biche toutes les autres. Lorsqu'on se trouve embarrassé dans le choix d'une branche, il en faut laisser deux jusqu'à l'année suivante que l'on coupera la moindre ; souvent même on en laisse trois pour élever mieux celle du milieu, qui est la plus droite ; & les deux autres dont on arrête la séve, ne servent qu'à l'entretenir par le moyen d'un bâton passé en-travers, appellé garrot. Ces deux branches meurent l'année suivante ; & quand celle du milieu se peut soûtenir d'elle-même, on les coupe.

La meilleure maniere de bien élever & dresser des allées, est de mettre des perches à chaque arbre pour les conduire ; il faut encore faire des treillages grossiers, liés avec de l'osier, pour soûtenir les palissades un peu fortes, & les serrer de près dès la seconde année de leur pousse, sans jamais toucher au montant.

On doit, en élagant, ne pas entamer un arbre des deux côtés, parce que ces plaies donnant peu de passage à la séve par l'écorce que l'on coupe, peuvent l'arrêter & sécher la tête, ou la faire geler dans l'hyver. On montera les arbres d'étage en étage, & modérément, crainte des vents, en choisissant des saisons peu rigoureuses, telles que la fin de l'automne ou le commencement du printems. (K)


EMOTIONS. f. (Gramm.) mouvement leger ; il se prend au physique & au moral ; & l'on dit : cette nouvelle me causa de l'émotion ; il avoit de l'émotion dans le pouls.


EMOTTERv. act. (Jardin) c'est ôter les mottes de terre attachées à la racine d'un arbre. (K)


EMOUCHERv. act. en terme de Maréchal, c'est chasser les mouches des chevaux qu'on ferre. Voyez FERRER, EMOUCHOIR, &c.


EMOUCHETS. m. c'est un nom que les Tanneurs donnent à la queue des boeufs, vaches & veaux qu'ils préparent dans les tanneries.

Avant que de mettre les cuirs dans l'eau pour les faire dégorger, les Tanneurs en coupent les cornes, les oreilles, & l'émouchet, c'est-à-dire la queue, ainsi nommée parce qu'elle sert à ces animaux pour chasser les mouches. Voyez TANNER.

EMOUCHET, s. m. Voyez EPERVIER.


EMOUCHOIRS. m. (Manége) espece de couverture qui revêt toutes les parties du corps du cheval harnaché, qui ne sont point occupées par la selle ; elle s'étend par conséquent sur la croupe, sur l'encolure & sur le sommet de la tête, & descend environ jusque sur le milieu des faces latérales de ces mêmes parties. Au haut de l'extrémité antérieure de la portion destinée à recouvrir l'encolure, sont percés deux trous à l'effet de livrer un passage aux oreilles de l'animal, & à son extrémité postérieure près de la sellette, sont attachés deux contre-sanglots que l'on arrête dans des boucles près de la pointe de l'arçon de devant. A l'égard de la portion qui garnit toute la croupe, elle est fixée d'une part à la croupiere, par le moyen d'une attache qui est cousue dans son milieu, & de l'autre & de chaque côté, par d'autres attaches qui la lient aux pointes de l'arçon de derriere : elle fournit aussi un passage à la queue. Cette sorte de couverture est bordée de toutes parts, & de cette bordure qui regne tout le long du corps de l'animal, partent à l'encolure & à la croupe des especes de cordes que nous nommons des volettes, qui descendent de maniere qu'elles jouent au moindre mouvement, & qu'étant portées alors de côté & d'autre indifféremment, elles remplissent l'intention que nous avons d'émoucher le cheval, c'est-à-dire, de le garantir de l'insulte & de la piquûre des mouches, & de chasser celles qui l'incommodent. Ces volettes n'outre-passent pas en descendant le corps de l'animal, & n'empietent que très-peu sur ses extrémités.

Le mot émouchoir dérive donc de l'usage auquel cette couverture est consacrée. Quelques personnes la nomment émouchettes, mais ce terme ne paroît point adopté ; d'autres l'appellent chasse-mouche ; d'autres enfin ne la connoissent que sous un nom qui ne lui convient point, & qui est destiné à désigner une autre sorte de couverture, puisque c'est sous celui de caparasson.

Il est deux sortes d'émouchoirs ; les uns sont à mailles ou à filets, les autres sont d'un tissu suivi. Ces derniers se font ordinairement de couti, & sont plus capables de satisfaire l'objet que nous nous proposons, puisque les insectes dont nous voulons défendre l'animal, ne trouvent point comme dans les premiers, des espaces au-travers desquels ils puissent s'insinuer jusque sur les tégumens. Peut-être que quelqu'un pensera qu'ils ne parent point un cheval autant que les émouchoirs à mailles bordés d'or ou d'argent, & dont les volettes sont de soie ; mais j'imagine que l'utilité doit toûjours être préférée aux ornemens ; & d'ailleurs il n'est pas impossible de construire des émouchoirs semblables aux seconds, d'une étoffe très-riche, de les border en or, d'y ajuster des volettes d'or, si on le veut, & de porter en un mot à cet égard, le luxe & la magnificence à leur plus haut degré.

On conçoit au surplus que les émouchoirs seroient fort inutiles en hyver. Ils ne conviennent point à la chasse, par la raison qu'ils résisteroient très-peu dans les bois, dans les taillis, &c.

Il est assez commun de voir dans les provinces des émouchoirs à mailles placés sur les harnois des chevaux de carrosse.

Les émouchoirs usités relativement aux chevaux de tirage, sont de simples volettes de cordes qui sont bordées ; on attache aussi à la museliere un filet garni de volettes plus courtes.

Les Maréchaux appellent aussi émouchoir, une queue de cheval, joüant dans un manche de bois auquel elle est attachée. Ils s'en servent pour faire émoucher l'animal lorsqu'ils le ferrent ou qu'ils pratiquent quelqu'opération ; cette précaution est d'autant plus sage, qu'il ne leur seroit pas possible de maintenir en été le cheval dans un état de tranquillité nécessaire, & qu'ils pourroient même en être blessés, s'ils ne prenoient le parti de le débarrasser de l'importunité de ces insectes. (e)


EMOUDREv. act. (Arts méch.) terme commun à tous les ouvriers en métaux, qui en font des instrumens tranchans, mais sur-tout à ceux qui y employent le fer & l'acier ; c'est former à ces instrumens le tranchant à l'aide d'une meule qui tourne sur elle-même, qu'on arrose avec de l'eau, & sur laquelle on appuie l'instrument à émoudre. Cette opération n'est pas facile, & il y a peu d'ouvriers qui sachent émoudre supérieurement. La difficulté augmentant à mesure que la piece augmente ; personne ne sauroit mieux émoudre que les ouvriers qui passent au mouleau les lames d'épée. Passer au mouleau, parmi les ouvriers, c'est émoudre. Il faut avoir acquis l'habitude de mouvoir d'un mouvement uniforme, une longue surface sur une autre, & de ménager sa pression de maniere qu'il y ait uniformité dans les parties enlevées par la meule, & que toute la surface émoulue soit parfaitement égale.


EMOUI(Géog. mod.) port de la Chine situé dans la province de Fokien ; il s'y fait un grand commerce. Long. 136, 40. lat. 24, 30.


EMOUSSERv. act. (Art. méch.) il se dit de tous les corps aigus & tranchans ; c'est l'action de les rendre moins aigus & moins tranchans, ou de leur ôter entierement la pointe & le tranchant ; ce qui se fait, ou en cassant, ou en arrondissant.


EMOUVOIRv. act. (Gramm.) c'est communiquer ou recevoir du mouvement ; il se prend au physique & au moral ; & l'on dit, la mer commence à s'émouvoir ; j'en ai le coeur émû ; le philosophe ne s'émeut pas facilement.


EMPAILLERv. act. (Jardin) se dit des cloches en les retirant de dessous les couches, & les emboîtant les unes dans les autres avec de la paille entre deux pour les emporter. On empaille aussi des piés d'artichaux & de cardons pour les faire blanchir.

Souvent pour préserver la tige d'un arbre de l'ardeur du soleil, sur-tout sur des terrasses & endroits élevés, entourés de murs, on l'empaille avec de longues gerbes. (K)


EMPALEMENTS. m. (Bot.) est la partie la plus extérieure de la fleur qui la couvre toute entiere, avant qu'elle soit éclose, & qui lui sert ensuite comme de support : on le nomme en latin perianthium, parce qu'il regne tout au-tour de la fleur. Quelques-uns l'appellent calice ; mais ce n'est pas là le calice, car le calice à la lettre, est une coupe ou godet creux que forme le périanthe ou empalement, duquel sortent les autres parties de la fleur. Il y a des fleurs dont les pétales ont une base ferme & assûrée autant qu'il le faut pour les soutenir, & qui par cette raison n'ont pas besoin d'empalement ou de périanthe ; aussi la nature ne leur en a-t-elle point donné, comme on le voit dans la tulipe ; cependant ces fleurs ont un calice ou godet. Voyez FLEUR & CALICE. Article de M(D.J.)

EMPALEMENT, (Hist.) supplice affreux qui est d'usage en Turquie. L'empalement s'exécute en faisant entrer une broche de bois par le fondement, & la faisant sortir par-dessous l'aisselle.

Pour empaler un malheureux, on le couche ventre à terre, les mains liées derriere le dos ; on lui endosse le bast d'un âne sur lequel s'asseie un valet de bourreau afin de le bien assujettir, tandis qu'un autre lui tient le visage contre terre, avec les deux mains qu'il lui appuie fortement sur le col ; un troisieme lui fend le derriere de la culotte avec des ciseaux, & lui enfonce un pal, c'est-à-dire une espece de pieu, dans le fondement ; ce pieu est une broche de bois qu'il fait avancer avec les mains autant qu'il peut ; ensuite un quatrieme bourreau chasse cette broche avec un maillet, jusqu'à ce qu'elle sorte par la poitrine, ou sous l'aisselle : enfin on plante la broche toute droite.

C'est ainsi qu'on traite les Caïns ou Grecs révoltés qui ont commis quelque meurtre en Turquie, & qu'on prend sur le fait ; après le supplice, si ces malheureux vivent encore, la populace les insulte, bien loin de les exhorter à se faire Musulmans. Les Turcs sont si persuadés qu'un homme qui a commis un grand crime, est indigne d'être Musulman, que lorsqu'un Musulman est condamné à mourir, personne ne l'assiste, parce qu'ils croyent que son seul crime l'a rendu jaour, c'est-à-dire infidele & chrétien.

Voilà des faits rapportés par M. de Tournefort ; ils entraîneroient bien des réflexions sur un peuple chez qui regne un supplice aussi cruel que l'empalement, & chez lequel il n'excite aucune pitié ; tandis que ce même peuple nourrit en faveur d'une fausse religion, une idée si noble & si grande, qu'il semble qu'il n'y auroit qu'une religion divine qui dût l'inspirer à ses sectateurs. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EMPANVoyez AMPAN.


EMPANAGES. m. (Jurisprud.) est dit en quelques endroits pour apanage, comme en la coutume de Senlis, art. 66, quand le duché de Valois fut baillé au duc d'Orléans par empanage, &c. Voyez APANAGE. (A)


EMPANNONS. m. (Charpent.) est un chevron qui ne va pas jusqu'au haut du faîte ; mais qui doit être assemblé à tenon & mortaise dans l'arrêtier du côté des croupes & lonpan.

EMPANON, s. m. (Charron) Ce sont les extrémités postérieures des côtés du brancart qui passent outre le lissoir de derriere, & qui sont ordinairement arrondies ; ces pieces reçoivent les consoles de fer qui soûtiennent les moutons de derriere. Voy. les fig. des carrosses, Planch. du Sellier.


EMPAQUETERv. act. (Commerce) mettre quelque chose en un paquet, voyez PAQUET. Il se dit particulierement des marchandises que, selon l'espece, ou empaquete dans des toilettes ou dans du papier. Dictionn. de Commerce, de Trév. & Chambers. (G)


EMPARAGEadj. (Jurisp.) veut dire qui est uni à son pareil ; une fille emparagée noblement dans les coutûmes d'Anjou & du Maine, & autres semblables, est celle qui est mariée suivant sa condition : c'est la même chose que ce que d'autres coutûmes appellent apparagée. (A)


EMPARLIERSS. m. pl. (Jurisprud.) parliers ou amparliers, est le nom que l'on donnoit anciennement aux avocats plaidans, comme on le voit dans les anciennes chartes, coutûmes, styles & pratiques. Ce nom étoit relatif à leur profession qui est de parler en public ; ils ont aussi été appellés conteurs ou plaideurs, clamatores. Voyez le glossaire de Ragueau, au mot Emparliers. (A)


EMPASTELLERVoyez AMPASTELLER.


EMPATEMENTdans plusieurs arts, est synonime à patte, à pié, &c. ainsi on dit l'empatement ou les racinaux pour le pié d'une grue.

EMPATEMENT, s. m. en Architecture, c'est une plus épaisseur de maçonnerie, qu'on laisse devant & derriere dans la fondation d'un mur de face. (P)


EMPATERv. act. (Marine) ou faire des empatures, c'est mettre les deux bouts de deux pieces de bois l'un à côté de l'autre, & les faire joindre. (Q)

EMPATER, terme de Peinture, qui signifie mettre beaucoup de couleurs, soit en une fois, soit en plusieurs, sur ce qu'on peint. On dit : Ce tableau est bien empâté, bien nourri de couleur.

Empâter se dit encore lorsqu'on met les couleurs sur un tableau, chacune à la place qui convient, sans les mêler ou fondre ensemble. On dit : Cette tête n'est qu'empâtée. Dictionn. de Peint. (R)

EMPATER, (Cuisine) c'est mettre en pâte. Pour cet effet on délaye & l'on bat de la farine avec des jaunes d'oeufs & du sel, & l'on roule les viandes dans cette pâte liquide.


EMPATURES. f. (Marine) On nomme ainsi dans un vaisseau, la jonction de deux pieces de bois mises à côté l'une de l'autre. (Z)


EMPAUMERv. act. terme de Paumier ; c'est recevoir une balle sur le milieu de sa raquette, c'est-à-dire de la maniere la plus favorable pour la renvoyer avec le plus de vîtesse & le moins de force. On a transporté ce mot de la paume dans la société, & l'on dit empaumer une affaire, pour la saisir & la pousser avec chaleur.

EMPAUMER LA VOIE, (Vénerie) c'est prendre la voie.


EMPAUMURES. f. (Venerie) c'est le haut de la tête du cerf & du chevreuil, qui est large & renversée, où il y a trois ou quatre andouillers au plus pour les cerfs de dix cors & les vieux chevreuils, car les jeunes n'en ont pas.


EMPÊCHÉEadj. (Mar.) On dit une manoeuvre empêchée, lorsqu'elle est embarrassée & ne peut joüer comme il faut. (Z)


EMPÊCHEMENTS. m. (Jurispr.) signifie l'opposition ou l'obstacle à quelque chose, provenant du fait de quelqu'un, comme une saisie ; ou de quelque circonstance, telle que la parenté en degré prohibé, qui fait un empêchement de mariage. (A)

Empêchement de mariage se prend ordinairement pour une cause qui empêche qu'un mariage soit valablement contracté entre certaines personnes. Quelquefois on entend par-là l'opposition que quelqu'un forme à la célébration du mariage.

Les causes ou empêchemens de mariage sont fondées les unes sur le droit naturel, d'autres sur le droit civil, d'autres sur les lois ecclésiastiques approuvées par le souverain.

C'est le droit naturel qui a fait mettre au nombre des empêchemens de mariage, l'erreur de personne, la violence & l'impuissance, & la parenté en ligne directe. C'est aussi par une conséquence du droit naturel, que l'on a défendu le mariage entre ceux qui sont parens au premier degré en collatérale.

La défense de se marier dans les degrés plus éloignés, a d'abord été faite par l'empereur Théodose, entre les enfans des freres & soeurs ; l'Eglise l'a ensuite étendue jusqu'au septieme degré ; & enfin le concile de Latran, tenu sous Innocent III. en 1215, l'a réduite au quatrieme degré.

Les empêchemens qui procedent des voeux solemnels ou des ordres sacrés, sont purement ecclésiastiques, de même que celui de parenté au troisieme & quatrieme degré, & celui de l'affinité spirituelle.

L'église latine a déclaré nuls les mariages des prêtres & des religieux ; loi qui a été confirmée par les souverains.

L'empêchement qui naît du lien conjugal, qui empêche de contracter mariage avec une autre personne, tant que le premier mariage subsiste, est fondé sur la loi de jure canon. qui a rétabli le mariage suivant sa premiere institution.

Enfin l'empêchement qui naît de la diversité de culte ; ce qui, suivant le droit canonique, ne s'appliquoit qu'au mariage contracté entre un chrétien & une infidele, a été étendu par une ordonnance de Louis XIV. à ceux des Catholiques avec les Calvinistes.

On distingue deux sortes d'empêchemens de mariage, savoir les empêchemens dirimans, & les autres appellés empêchemens seulement, empêchans ou prohibitifs.

Empêchemens dirimans, sont les causes qui nonseulement empêchent un mariage non fait d'être contracté, mais encore qui le font déclarer nul, au cas qu'il fût déjà contracté.

Ces sortes d'empêchemens sont :

1°. L'erreur ou la surprise par rapport à la personne que l'on a épousée, c'est-à-dire si on l'a épousée croyant en épouser une autre ; mais si l'erreur ne tombe que sur la qualité, la fortune ou la vertu, elle ne détruit pas le mariage.

2°. Suivant le droit canon, s'il y a eu erreur sur la condition de la personne, c'est-à-dire si un homme libre a épousé une esclave, il peut demander la dissolution du mariage ; mais ce principe n'est pas d'usage en France, où il n'y a point d'esclaves.

3°. Les voeux solemnels de chasteté faits dans un ordre religieux, sont encore un empêchement dirimant de mariage ; mais le voeu simple de chasteté, ou de faire profession dans quelqu'ordre religieux, n'est qu'un empêchement prohibitif, & non pas dirimant.

4°. Les ordres sacrés de prêtrise, diaconat & sous-diaconat, sont aussi des empêchemens dirimans.

5°. Il en est de même de la parenté en ligne directe indéfiniment ; & de la parenté en ligne collatérale jusqu'au quatrieme degré inclusivement.

6°. L'alliance ou affinité légitime, tant en directe que collatérale, forme un empêchement dirimant au même degré que la parenté ; mais l'affinité qui naît d'un commerce illégitime, ne forme d'empêchement que jusqu'au second degré inclusivement.

7°. L'affinité spirituelle qui se forme par le baptême entre la personne baptisée & ses parrain & marreine, de même qu'entre le parrain & la mere, entre la marreine & le pere de l'enfant baptisé, entre la personne qui baptise & celle qui reçoit le baptême, & les pere & mere de l'enfant baptisé, est entre ces personnes un empêchement dirimant, de même que l'affinité naturelle.

8°. L'adoption formoit chez les Romains une alliance légale qui produisoit un empêchement dirimant ; mais elle n'a pas le même effet en France.

9°. Il naît un autre empêchement dirimant de l'honnêteté publique, lequel consiste en ce que l'on ne peut épouser aucune parente en ligne directe de celle que l'on a fiancée valablement, ni une parente au premier degré de la ligne collatérale ; & vice versâ pour la fiancée à l'égard des freres de son fiancé.

On met aussi dans la même classe l'empêchement que forme un mariage célébré, mais non consommé, soit qu'une des parties décede avant la consommation, ou qu'elle fasse des voeux de religion avant la consommation, ou qu'il y ait cause d'impuissance ; & l'empêchement qui naît d'un tel mariage, s'étend, comme celui de la parenté, jusqu'au quatrieme degré inclusivement.

10°. L'adultere & l'homicide forment dans trois cas l'empêchement dirimant, appellé impedimentum criminis ; savoir, 1°. quand un des conjoints commet adultere avec une autre personne, à laquelle il promet de l'épouser après le décès de l'autre conjoint ; ou s'il y a eu un second mariage consommé avec quelqu'un qui étoit déjà marié : car outre que ce mariage est nul, il ne peut être réitéré après le décès du premier conjoint. Une simple promesse de mariage, dans ce cas, opere le même effet. 2°. Quand un des conjoints qui a fait mourir l'autre, épouse une personne qui a eu part à l'homicide. 3°. Quand le mari fait mourir sa femme, avec intention d'en épouser une autre avec laquelle il a eu un commerce illicite.

11°. La diversité de religion qui se trouve entre les chrétiens & les infideles, est, suivant le droit commun, un empêchement dirimant, lorsque cette diversité de religion a précédé le mariage.

12°. L'Eglise a aussi toûjours défendu les mariages entre les catholiques & les hérétiques, sans néanmoins les déclarer nuls ; mais en France, où l'édit du mois de Novembre 1680 déclare ces mariages non valablement contractés, on doit tenir qu'il y a dans ce cas un empêchement dirimant.

13°. La violence & la crainte, capables d'ébranler une personne ferme, forment un semblable empêchement, le mariage étant nul lorsqu'il n'y a point de consentement libre.

14°. Un autre empêchement dirimant qui est de droit divin, c'est lorsqu'il y a un premier mariage subsistant ; ce que les Canonistes désignent par le terme de ligamen.

15°. L'impuissance perpétuelle, soit du mari ou de la femme, dont la cause subsistoit au tems de la célébration du mariage, forment encore un empêchement dirimant.

16°. Le défaut de puberté de la part de l'un ou l'autre des conjoints, rend pareillement les mariages nuls.

17°. Depuis le concile de Trente, & les ordonnances du royaume qui en ont adopté la disposition, un mariage clandestin est nul, c'est-à-dire lorsqu'il n'est pas célébré par le propre curé, en présence des parties & des témoins.

18°. Enfin le rapt de violence ou de séduction sont des empêchemens dirimans, à moins que la personne ravie n'ait depuis réhabilité le mariage par un consentement volontaire, donné en présence du propre curé depuis que la violence ou la séduction a cessé.

Il y a certains empêchemens dirimans dont on n'accorde jamais de dispense, tels que ceux qui sont fondés sur le droit divin ou sur le droit naturel : il y en a d'autres dont on ne dispense jamais avant le mariage, mais dont on dispense quelquefois après, à l'effet de réhabiliter le mariage. On s'adresse ordinairement au pape, pour les dispenses des empêchemens dirimans qui proviennent de parenté, affinité, honnêteté publique, ou alliance spirituelle. Il y a cependant des diocèses, où les évêques sont en possession de dispenser au quatrieme degré de parenté ou affinité ; quelques-uns même en donnent du troisieme au quatrieme degré : d'autres ne les donnent qu'inter pauperes, ce qui dépend de l'usage de chaque diocèse.

Les supérieurs ecclésiastiques ne peuvent dispenser des empêchemens établis par l'autorité des princes séculiers. Voyez DISPENSE & MARIAGE.

Empêchemens prohibitifs du mariage, sont les causes pour lesquelles l'Eglise peut refuser de célébrer un mariage, mais qui néanmoins ne sont pas assez fortes pour le rendre nul, lorsqu'il est déja contracté.

Ces causes sont, 1°. les fiançailles contractées avec une autre personne ; 2°. le simple voeu de chasteté, ainsi qu'on l'a déjà expliqué en parlant des empêchemens dirimans ; 3°. les tems prohibés pour la célébration des mariages, qui sont depuis le premier dimanche de l'Avent jusqu'aux Rois, & depuis le jour des Cendres jusqu'au lendemain du dimanche de Quasimodo ; 4°. la défense du juge ecclésiastique ou séculier.

Outre ces empêchemens, il y en a encore plusieurs autres marqués dans le Droit canonique, dont quelques-uns même empêchoient le mariage avec quelque personne que ce fût, comme le meurtre d'une femme par son mari, & vice versâ ; le meurtre d'un prêtre, une alliance spirituelle affectée, pour ne pas rendre le devoir conjugal ; un mariage contracté avec une religieuse dont on connoissoit l'état. Ceux qui étoient dans le tems d'une pénitence publique à eux imposée, ne pouvoient pas non plus se marier ; mais l'usage a abrogé ces divers empêchemens, & l'on n'en demande plus de dispenses.

Sur les empêchemens de mariage en général, voyez Rebuffe, Prax. benef. part. iij. c. de dispens. in grad. prohib. gl. 5. Franc. Marc. tom. II. p. 673. les lois ecclésiast. de d'Héricourt, tit. du mariage ; dictionn. des cas de conscience, au mot Empêchemens. (A)


EMPÊCHERv. act. (Grammaire) c'est en général former des obstacles. On dit, empêchez-le de commettre cette action : elle ne peut s'empêcher de pleurer : le vent nous empêchoit de respirer.


EMPEIGNES. f. (Cordonn.) est ce qui forme le dessus du soulier, & couvre le coup-de-pié. Voyez les figures de la Planche du Cordonnier-Bottier.


EMPELORES. m. (Hist. anc.) c'étoit à Lacédémone un officier qui avoit l'inspection des marchés, & qui veilloit à ce que le bon ordre s'y conservât, & qu'il ne s'y commît ni trouble ni friponnerie. Il paroît que les empelores étoient à Sparte ce qu'étoient les agoranomes à Athenes.


EMPELOTER(s') v. pass. Fauconn. se dit d'un oiseau lorsqu'il ne peut digérer ce qu'il avale, sa nourriture se mettant en pelotons : pour lors on la lui tire avec le desempelotoir.


EMPENELLES. f. (Marine) c'est une petite ancre que l'on mouille au-devant d'une grosse ; il y a un petit cable qui la tient, & ce cable est frappé à la grosse ancre, afin que le vaisseau soit plus en état de résister à la force du vent. (Z)


EMPENNÉadj. en terme de Blason, se dit d'un dard, trait ou javelot qui a ses ailerons ou pennes.

Arc d'asur à un arc d'or, chargé de trois fleches d'argent empennées d'or ; celle du milieu encochée, & les deux autres passées en sautoir.


EMPEREURimperator, (Hist. anc.) nom que les Romains donnoient à tous les généraux d'armée, du mot latin imperare. On appelloit empereur, dans un sens particulier, un général qui, après avoir remporté quelque victoire signalée, étoit salué de ce nom par les acclamations des soldats, & ensuite honoré de ce titre par un decret du sénat. Il falloit, pour le mériter, avoir gagné une bataille dans laquelle dix mille des ennemis fussent restés sur la place, ou conquis quelque ville importante. César fut appellé de ce nom par le peuple romain, pour marquer la souveraine puissance qu'il avoit dans la république, & dès-lors le nom d'empereur devint un titre de dignité. C'est dans ce dernier sens qu'Auguste & ses successeurs ont été nommés empereurs ; ce qui toutefois n'empêchoit pas qu'on ne le prît quelquefois au premier sens, pour l'attribuer à ces princes : ainsi Auguste fut appellé empereur vingt fois, parce qu'il avoit remporté vingt victoires célébres. Tite, après la prise de Jérusalem, fut salué empereur par son armée, & Appien remarque que cette coûtume subsistoit encore sous Trajan.

La dignité d'empereur réunie dans une seule personne par Jules-César, fut héréditaire sous ses trois premiers successeurs, Octave-Auguste, Tibere, & Caligula ; mais après la mort de celui-ci elle devint élective. Ce furent les soldats de la garde prétorienne qui proclamerent Claude empereur. Il est vrai que pour l'ordinaire les enfans ou les parens de l'empereur défunt lui succédoient ; ce n'étoit point précisément par droit héréditaire, mais parce que les empereurs de leur vivant les avoient associés à l'empire, en les créant césars avec l'agrément des armées, qui ayant la force en main, avoient usurpé sur le sénat le droit d'élection. Le choix que faisoient les armées, tomboit toûjours sur quelqu'un de leurs chefs dont ils connoissoient la bravoure, s'arrêtant plus volontiers à cette qualité, qui frappe davantage l'homme de guerre, qu'à la naissance & aux talens politiques : aussi l'empire est-il tombé plusieurs fois entre les mains de simples soldats, qui ayant passé par tous les grades militaires, étoient élûs par leurs compagnons, sans avoir d'autre mérite qu'une valeur féroce.

Dès que les empereurs étoient élûs, ils envoyoient leur image à Rome & aux armées, afin qu'on la mît aux enseignes militaires : c'étoit la maniere ordinaire de reconnoître les nouveaux princes. Ensuite ils faisoient aux troupes & au peuple des largesses nommées congiaires. Le sénat donnoit le nom d'auguste à la femme & aux filles de l'empereur ; & quand lui ou son épouse paroissoit en public, on portoit devant eux un brasier plein de feu, & des licteurs armés de faisceaux entourés de lauriers, les précédoient. Jusqu'à Dioclétien les empereurs ne porterent que la couronne de laurier ; ce prince prit le premier le diadème, & fut imité par ses successeurs jusqu'à Justinien, qui introduisit l'usage de la couronne fermée.

Comme les empereurs réunissoient dans leur personne la puissance des dictateurs, des consuls, des censeurs, des tribuns du peuple, & de presque tous les grands magistrats de la république, dont ils avoient ou supprimé les titres, ou réduit l'autorité à des noms & à des honneurs chimériques, il est naturel de penser que leur pouvoir étoit despotique : il fut plus, il fut quelquefois tyrannique ; mais cela procédoit du caractere de ces princes. Auguste, Vespasien, Tite, Trajan, Marc-Aurele, les Antonins, respecterent les lois, partagerent le poids du gouvernement avec le sénat, & sous leur empire le peuple romain ne s'apperçut presque point de la perte de sa liberté ; mais il dut la regretter bien vivement sous les regnes d'un Tibere, d'un Caligula, d'un Néron, d'un Domitien, à qui les plus sanglantes proscriptions ne coûtoient qu'un clin d'oeil, & qui ne connoissoient le pouvoir suprème que pour faire des malheureux. Gouvernés par des affranchis, par des maîtresses ; entourés de flateurs & de délateurs, ils passoient leur vie dans le luxe & la mollesse : plus jaloux de leurs plaisirs que du bonheur de leurs sujets, ils les sacrifioient au moindre soupçon, aussi périrent-ils eux-mêmes la plûpart de mort violente.

Le souverain sacerdoce étoit attaché à la dignité d'empereur, comme il paroît par les médailles ; ainsi ils étoient tout-à-la-fois à la tête du civil, du militaire, & de la religion.

On leur rendoit des honneurs extraordinaires, & rien n'égale la magnificence des fêtes par lesquelles la capitale se signaloit, lorsqu'un empereur revenoit victorieux après une expédition militaire, ou en action de graces de sa convalescence. Tertullien dans son Apologétique nous en décrit quelques particularités. On allumoit des feux dans les rues, & des lampes devant les maisons : on y dressoit des tables toutes servies ; & dans ces festins on répandoit le vin avec profusion, pour faire des libations en l'honneur du génie de l'empereur, ou aux dieux, pour sa prospérité. Les particuliers ornoient de lauriers & d'autres feuillages les portes de leurs maisons. Les arcs de triomphe, les sacrifices solemnels & les jeux du cirque n'étoient pas non plus oubliés ; & ce qu'on a peine à concevoir, c'est qu'il ne fallut pas un siecle pour rendre idolatre de ses empereurs, ce même peuple auparavant idolatre de la liberté qu'ils lui avoient ravie. On leur érigeoit des statues & des monumens superbes, des temples même de leur vivant, & enfin après leur mort on les mettoit au nombre des dieux. Voyez APOTHEOSE, CONSECRATION. (G)

EMPEREUR, (Hist. & Droit public Germanique) c'est le nom qu'on donne au prince qui a été légitimement choisi par les électeurs pour être le chef de l'Empire Romain Germanique, & le gouverner suivant les lois qui lui ont été imposées par la capitulation impériale (voyez CAPITULATION). Depuis l'extinction de la maison de Charlemagne, qui possédoit l'Empire par droit de succession, ou selon d'autres depuis Henri IV, la dignité impériale est devenue élective, & depuis ce tems personne n'y est parvenu que par la voie d'élection ; & même les électeurs craignant que les empereurs de la maison d'Autriche ne rendissent la dignité impériale héréditaire dans leur famille, ont inséré dans la capitulation de Matthias & celles des empereurs suivans, une clause par laquelle leurs mains sont liées à cet égard. Les électeurs ne sont point obligés à s'attacher dans leur choix à aucune maison particuliere ; il suffit que la personne élûe soit 1°. mâle, parce que la dignité impériale ne peut passer entre les mains des femmes ; 2°. que le prince qu'on veut élire soit Allemand, ou du moins d'une race originaire d'Allemagne : cependant cette regle a quelquefois souffert des exceptions ; 3°. qu'il soit d'une naissance illustre. 4°. La bulle d'or dit vaguement qu'il faut qu'il soit d'un âge convenable, justae aetatis ; mais cet âge ne paroît fixé par aucunes lois. 5°. Il faut qu'il soit laïc, & non ecclésiastique. 6°. Qu'il ne soit point hérétique ; cependant il ne paroît point qu'un protestant soit exclu de la dignité impériale par aucune loi fondamentale de l'Empire.

Lorsque le throne impérial est vacant, voici les usages qui s'observent pour l'élection d'un nouvel empereur. L'électeur de Mayence en qualité d'archichancelier de l'Empire, doit convoquer l'assemblée des autres électeurs dans l'espace de trente jours, depuis que la mort de l'empereur lui a été notifiée. Les électeurs doivent se rendre à Francfort sur le Mein ; ils comparoissent à l'assemblée ou en personne, ou par leurs députés, munis de pleins pouvoirs, & alors ils se mettent à dresser les articles de la capitulation impériale. Si un électeur dûment invité à l'élection refusoit d'y comparoître, ou prenoit le parti de se retirer après y avoir comparu, cela n'empêcheroit point les autres d'aller en avant, & l'élection n'en seroit pas moins légitime pour cela. Le jour étant fixé pour l'élection, on fait sortir de la ville tous les étrangers ; les électeurs assistent à la messe pour implorer les lumieres du S. Esprit, & prêtent un serment, dont la formule est marquée par la bulle d'or, d'être impartiaux dans le choix qu'ils vont faire : après quoi ils entrent dans le conclave, & procedent à l'élection qui se fait à l'unanimité, ou à la pluralité des voix ; elles sont recueillies par l'électeur de Mayence.

Quand l'élection est achevée, on fait entrer dans le lieu de l'assemblée des notaires & témoins ; on passe un acte qui est signé & muni du sceau de chacun des électeurs. Suivant la bulle d'or, si l'élection n'étoit point faite dans l'espace de 30 jours, les électeurs devroient être au pain & à l'eau. Quand l'élection est finie, on la fait annoncer dans la principale église de la ville. Les électeurs font notifier à celui qui a été élû, s'il est absent, le choix qu'on a fait de sa personne pour remplir la dignité impériale, avec priere de l'accepter ; s'il est présent, on lui présente la capitulation, qu'il jure d'observer, & les électeurs le conduisent en cérémonie du conclave vers le grand autel ; il se met à genoux sur la marche la plus élevée, & fait sa priere ayant les électeurs à ses côtés ; ils l'élevent ensuite sur l'autel ; on chante le Te Deum ; après quoi il sort du choeur, monte dans une tribune, & c'est pour lors qu'il est proclamé empereur.

La cérémonie de l'élection est suivie de celle du couronnement ; suivant la bulle d'or elle devroit toûjours se faire à Aix-la-Chapelle : mais il y a déjà long-tems que l'on a négligé de se conformer à cet usage, & depuis Charles-Quint aucun empereur ne s'est fait couronner en cette ville. Cependant l'empereur adresse toûjours à la ville d'Aix-la-Chapelle des reversales, pour lui déclarer que le couronnement s'est fait ailleurs sans préjudice de ses droits. Les archevêques de Cologne & de Mayence se sont long-tems disputé le droit de couronner l'empereur ; mais ce différent est terminé depuis 1658 : c'est celui de Mayence qui a droit de couronner, lorsque la cérémonie se fait dans son diocèse, & celui de Cologne en cas qu'elle se fasse dans le sien. Les marques de la dignité impériale, telles que la couronne, l'épée, le sceptre, le globe d'or surmonté d'une croix, le manteau impérial, l'anneau, &c. sont conservées à Aix-la-Chapelle & à Nuremberg, d'où on les porte à l'endroit où le couronnement doit se faire.

Cette cérémonie se fait avec tout l'éclat imaginable ; les électeurs y assistent en habit de cérémonie, & l'empereur y prête un serment conçu à-peu-près en ces termes : Je promets devant Dieu & ses anges d'observer les lois, de rendre la justice, de conserver les droits de ma couronne, de rendre l'honneur convenable au pontife romain, aux autres prélats, & à mes vassaux, de conserver à l'Eglise les biens qui lui ont été donnés ; ainsi Dieu me soit en aide, &c. L'archevêque chargé de la cérémonie avant de couronner l'empereur lui demande, S'il veut conserver & pratiquer la Religion catholique & apostolique ; être le défenseur & le protecteur de l'Eglise & de ses ministres ; gouverner suivant les lois de la justice le royaume que Dieu lui a confié, & le défendre efficacement ; tâcher de récupérer les biens de l'Empire qui ont été démembrés ou envahis ; enfin s'il veut être le défenseur & le juge du pauvre comme du riche, de la veuve & de l'orphelin. A toutes ces demandes l'empereur répond volo, je le veux. Quand le couronnement est achevé, l'empereur fait un repas solemnel ; il est assis seul à une table, ayant à sa gauche l'impératrice à une table moins élevée que la sienne. Les électeurs eux-mêmes, ou par leurs substituts, servent l'empereur au commencement du repas, chacun selon son office ; ensuite dequoi ils se mettent chacun à une table séparée qui est moins élevée que celle de l'empereur & de l'impératrice. Voyez Vitriarii instit. juris publici, lib. I. tit. viij.

Autrefois les empereurs, après avoir été couronnés en Allemagne, alloient encore se faire couronner à Rome comme rois des Romains ; c'est ce qu'on appelloit l'expédition romaine : & à Milan, à Monza, à Pavie, ou à Modene, comme rois de Lombardie. Mais depuis long-tems il se sont dispensés de ces deux cérémonies au grand regret des papes, qui prétendent toûjours avoir le droit de confirmer l'élection des empereurs. Il est vrai que souvent leur foiblesse & la nécessité des tems les ont forcés à demander aux papes la confirmation de leurs élections. Boniface VIII. la refusa à Albert d'Autriche, parce que celle de ce prince s'étoit faite sans son consentement : mais ces prétentions imaginaires ne sont plus d'aucun poids aujourd'hui ; & même dès l'an 1338, les états de l'Empire irrités du refus que le pape Jean XXII. faisoit de donner l'absolution à Louis de Baviere, déciderent qu'un prince élû empereur à la pluralité des voix, seroit en droit d'exercer les actes de la souveraineté, quand même le pape refuseroit de le reconnoître, & ils déclarerent criminel de lese-majesté quiconque oseroit soûtenir le contraire, & attribuer au pape aucune supériorité sur l'empereur. Voyez l'abrégé de l'histoire d'Allemagne, par M. Pfeffel, pag. 286. & suiv. Cependant le pape, pour mettre ses prétendus droits à couvert, ne laisse pas que d'envoyer toûjours un nonce pour assister de sa part à l'élection des empereurs : mais ce ministre n'y est regardé que sur le même pié que ceux des puissances de l'Europe, qui ne sont pour rien dans l'affaire de l'élection. Charles-Quint est le dernier empereur qui ait été couronné en Italie par le pape. L'empereur, avant & après son couronnement, se qualifie d'élû empereur des Romains, pour faire voir qu'il ne doit point sa dignité à cette cérémonie, mais aux suffrages des électeurs.

L'empereur est bien éloigné de pouvoir exercer une autorité arbitraire & illimitée dans l'Empire, il n'est pas en droit d'y faire des lois : mais le pouvoir législatif réside dans tout l'Empire, dont il n'est que le représentant, & au nom duquel il exerce les droits de la souveraineté, jura majestatica ; cependant pour qu'une résolution de l'Empire ait force de loi, il faut que le consentement de l'empereur y mette le sceau. Voyez DIETE. L'empereur comme tel n'a aucun domaine ni revenu fixes ; & le casuel, qui consiste en quelques contributions gratuites, est très-peu de chose. L'empereur ne peut point créer de nouveaux électeurs, ni de nouveaux états de l'Empire ; il n'a point le droit de priver aucun des états de ses prérogatives, ni de disposer d'aucun des fiefs de l'Empire sans le consentement de tous les autres états. Les états ne payent aucun tribut à l'empereur ; dans le cas d'une guerre qui intéresse tout l'Empire & qui a été entreprise de son aveu, on lui accorde les sommes nécessaires : c'est ce qu'on appelle mois romains. L'empereur comme tel ne peut faire ni guerre, ni paix, ni contracter aucune alliance, sans le consentement de l'Empire : d'où l'on voit que l'autorité d'un empereur est très-petite. Cependant quand ils ont eu en propre de vastes états patrimoniaux qui leur mettoient la force en main, ils ont souvent méprisé les lois qu'ils avoient juré d'observer : mais ces exemples sont de fait, & non pas de droit.

Les droits particuliers de l'empereur se nomment reservata Caesarea : c'est 1°. le droit des premieres prieres, jus primariarium precum, qui consiste dans la nomination à un bénéfice de chaque collégiale : 2°. le droit de donner l'investiture des fiefs immédiats de l'Empire : 3°. celui d'accorder des sauf-conduits, lettres de légitimation, de naturalisation, des dispenses d'âge, des lettres de noblesse, de conférer des titres, &c. de fonder des universités : 4°. d'accorder des droits d'étaples, jus stapuli, de péages, le droit de non evocando, de non appellando, &c. cependant ce pouvoir est encore limité.

Les empereurs ont prétendu avoir le droit de faire des rois : un auteur remarque fort bien, que " ce ne seroit pas le moindre de ses droits, s'il avoit encore celui de donner des royaumes ".

Les empereurs d'Allemagne, pour imiter les anciens empereurs romains aux droits desquels ils prétendent avoir succédé, prennent le titre de César, d'où le mot allemand Kayser paroît avoir été dérivé. Ils prennent aussi celui d'Auguste ; sur quoi Guillaume III. roi d'Angleterre, disoit que le titre de semper Augustus étoit celui qui convenoit le mieux à l'empereur Léopold, attendu que ses troupes n'étoient jamais prêtes à entrer en campagne qu'au mois d'Août. Il prend aussi le titre d'invincible, de chef temporel de la Chrétienté, d'avoüé ou défenseur de l'Eglise, &c. En parlant à l'empereur, on l'appelle sacrée majesté. Il porte dans ses armes un aigle à deux têtes, ce qui est, dit-on, un symbole des deux empires de Rome & de Germanie. (-)


EMPERIERES. f. (Hist.) vieux mot qui répond à ce que nous entendons aujourd'hui par impératrice. On le trouve en ce sens dans nos romans gaulois, & par extension nos anciens rimeurs l'avoient aussi consacré à exprimer une sorte de rime, qu'ils regardoient comme la rime de toutes les autres. Voyez RIME.

Cette rime impériere consistoit en ce que la syllabe qui formoit la rime, étoit immédiatement précédée de deux syllabes semblables & de même terminaison ; ce qui faisoit une espece d'écho qu'on appelloit triple couronne, & qu'à la honte de notre nation (ainsi que s'expriment quelques auteurs modernes) les plus fameux de nos anciens poëtes, sans en excepter Marot, regardoient comme une beauté.

Le P. Mourgues dans son traité de la poésie françoise, en rapporte un exemple très-propre à nous faire mépriser le misérable goût qui dominoit alors sur le parnasse françois, où pour exprimer que le monde est pervers & sujet au changement, on croyoit avoir fait merveilles, en disant :

Qu'es-tu ? qu'un immonde, monde, onde.

Voyez RIME. Voyez le dict. de Trév. & Chamb. (G)


EMPESEREMPESER

EMPESER, v. act. terme d'Ourdissage & de Blanchissage, c'est donner de la gomme ou de l'empois à des toiles, à des étoffes, &c. pour les rendre plus fermes & plus unies.


EMPESEURS. m. celui qui empoise ou empese. Voyez EMPESER.


EMPÉTRER(s') v. p. Manége, se dit d'un cheval pris ou mêlé dans les traits ; ce qui peut arriver, soit qu'en ruant tout le train de derriere soit sorti du milieu de ces mêmes traits, soit qu'il ait passé une seule jambe au-delà, les traits n'étant point assez tendus, comme on le voit fréquemment, surtout eu égard aux chevaux conduits par de mauvais postillons, soit à raison de quelques autres causes : il s'agit alors de replacer le cheval ainsi qu'il doit l'être lorsqu'il est bien attelé, en l'obligeant à repasser sa jambe ; c'est ce que nous appellons dépêtrer, démêler un cheval. (e)


EMPETRUMS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur sans pétales, composée de plusieurs étamines, & stérile. Les fruits naissent sur d'autres parties de la plante ; ils ressemblent à des baies, & renferment deux ou trois semences osseuses & cartilagineuses. Tournefort, inst. rei herb. Voy. PLANTE. (I)

EMPETRUM, (Jard.) bruyere à fruit ou camarigne, est un petit arbrisseau qui croît naturellement en Europe, & que l'on confond pour l'ordinaire avec les autres bruyeres, dont il ne differe que par son fruit. On ne connoît que deux especes de cet arbrisseau.

I. La bruyere à fruit noir. Cet arbrisseau s'étend beaucoup plus qu'il ne s'éleve. Il pousse du pié plusieurs tiges d'une écorce roussâtre, qui rampent par terre & s'étendent au loin. Sa feuille a beaucoup de ressemblance avec celle de la bruyere commune. Ses fleurs qui paroissent au mois de Juillet & qui dure jusqu'à la fin d'Août, n'ont nulle belle apparence ; elles sont d'une couleur herbeuse, blanchâtre, & elles viennent en bouquet au bout des branches. Les fruits qui en proviennent sont des baies rondes & noires, pleines de suc, dont les coqs de bruyere se nourrissent par préférence ; ensorte que par-tout où il y a de cet arbrisseau, on peut s'assûrer d'y trouver des oiseaux de cette espece. Les terres mousseuses, stériles, & humides, sont celles où cet arbrisseau se plaît le mieux. Il est si robuste, qu'on le trouve communément sur les plus hautes montagnes de Suede, où M. Linnaeus a observé qu'aux environs de la mine de cuivre de Falhun, presqu'aucune autre plante n'y peut croître que cet arbrisseau, à cause des vapeurs sulphureuses de la mine, qui sont très-nuisibles aux végétaux. Pour multiplier cet arbrisseau, il faut en semer les baies peu de tems après leur maturité, dans une place à l'ombre & dans une terre humide ; mais les plantes ne leveront qu'au printems de la seconde année : ils seront cependant en état d'être transplantés dès l'automne suivante.

II. La bruyere à fruit blanc ou la camarigne. Cet arbrisseau s'éleve au plus à deux piés. Il pousse plusieurs tiges droites, menues, & dont l'écorce est brune. Ses feuilles fort ressemblantes à celles des autres bruyeres, sont disposées trois à trois le long des branches. Ses fleurs placées au bout des rameaux comme celles du précédent arbrisseau, n'ont pas meilleure apparence ; mais elles produisent de fort jolis fruits : ce sont des baies perlées, transparentes & d'un goût acide qui plaît beaucoup au menu peuple. L'automne est le tems de la maturité de ce fruit en Portugal, où cet arbrisseau est commun. Les circonstances pour sa multiplication, sont les mêmes que pour le précédent, si ce n'est qu'il faut moins d'ombre & d'humidité pour la camarigne, qui se plaît au contraire dans un terrein sablonneux. (c)


EMPHASES. f. (Belles-Lettres) énergie outrée dans l'expression, dans le ton de la voix, dans le geste.

Emphase se prend ordinairement en mauvaise part, & marque un défaut, soit dans les paroles, soit dans l'action de l'orateur. On dit d'un prédicateur qu'il prononce avec emphase, qu'il regne beaucoup d'emphase dans ses pieces ; & ce n'est sûrement pas un éloge. Quel plus grand supplice, dit la Bruyere, que d'entendre prononcer de médiocres vers avec toute l'emphase d'un mauvais poëte ! (G)


EMPHYSEMES. m. (Medecine & Chirurg.) , inflatio, de , flatus, signifie en général toute tumeur formée par l'air, ou toute autre matiere flatueuse, rarescible, ramassée dans quelque partie du corps que ce soit.

Lorsque le scrotum est distendu par des flatuosités, l'enflure qui en résulte est appellée pneumatocele. Lorsque c'est dans la cavité de l'abdomen qu'il se forme un amas de substance aérienne, qui en distend les parois, & les rend susceptibles de retentir comme un tambour, lorsqu'elles sont frappées ; on donne à ce gonflement le nom de tympanite : mais ce ne sont-là que des especes d'emphyseme distinguées par des dénominations particulieres, à cause de la différence du siége.

Cependant il est reçu parmi les Medecins, que l'on doit entendre par emphyseme proprement dit, pris dans un sens plus borné, celui qui occupe toute ou presque toute l'habitude extérieure du corps ; & que l'on appelle tumeur emphysémateuse, celle qui n'occupe que quelque partie de la surface du corps : c'est de ces deux especes d'emphyseme dont il s'agit ici ; les autres sont traitées sous les noms qui les distinguent. Voyez PNEUMATOCELE, TYMPANITE.

Le siége de l'emphyseme est dans le tissu cellulaire qui est distribué sous toute l'étendue de la peau. " Ce n'est pas une membrane simple, dit M. Winslow, mais un tissu de plusieurs feuillets membraneux attachés les uns aux autres de distance en distance ; de sorte qu'ils forment quantité d'interstices plus ou moins distendus, qui communiquent ensemble, & avec les membranes qui tapissent l'intérieur de la poitrine & du bas-ventre : cette structure est évidemment démontrée tous les jours par les Bouchers ; car lorsqu'ils soufflent un animal récemment tué, ils gonflent non-seulement la membrane adipeuse (qui est la même que le tissu cellulaire, lorsque celui-ci est rempli de graisse), mais l'air pénetre même dans les interstices des muscles & jusqu'aux visceres, où il produit par-tout une espece d'emphyseme artificiel "....

Les maquignons & les marchands de boeufs se servent aussi quelquefois de cet expédient pour faire paroître les animaux dont ils font commerce, plus pleins, plus gras, selon la dissertation qu'a donnée sur cet artifice Mauchart, eph. nat. cur.

Tavernier (voyage de Perse) dit que l'on procure aussi de ces emphysemes artificiels aux chameaux dans la même intention. Borelli (cent. cxj. obs. 30.) fait mention d'un scélérat qui par le moyen d'un emphyseme artificiel avoit fait de son fils un soufflet animé, &c.

Il n'est pas nécessaire qu'il se fasse aucune rupture dans les parois des cellules pour établir la communication nécessaire pour produire l'emphyseme. Cela est suffisamment prouvé par ce qui arrive à ceux qui ont eu un emphyseme général formé par l'air, qui s'est insinué dans tout le tissu cellulaire sans exciter aucune douleur, en pénétrant par une très-petite plaie faite à la poitrine. Mery, mém. de l'académ. des Sciences, 1717. Moins il y a de suc adipeux dans ce tissu, plus il est susceptible d'admettre l'air dans ses cellules, & de se distendre par les effets de ce fluide. Ce devroit être un spectacle bien singulier qu'un homme tel que l'a vû M. Littre, gonflé d'air par toute l'habitude extérieure du corps, & cela jusqu'à onze pouces d'épaisseur dans les endroits les plus enflés. Observ. cur. de Phys. tome I.

La cause de l'emphyseme est presque toûjours externe, comme il conste par les observations ; il est souvent une suite des plaies faites à différentes parties du corps. Dans le cas, par exemple, dit le docteur Vanswieten où un chirurgien insiste trop à fouiller avec la sonde sous les levres d'une plaie faite aux tégumens de la tête, qui pénetre jusqu'à la membrane adipeuse, pour chercher à s'assûrer si le périoste ou le crâne même est intéressé, l'air s'introduit à la faveur de la sonde dans l'intérieur de la plaie, dans le tissu cellulaire ; si après cela on vient à rapprocher les bords de la plaie & à la couvrir avec un emplâtre, l'air ainsi fermé ne peut plus se faire une issue au-dehors ; il s'échauffe cependant, & se raréfie ; il fait effort par conséquent pour s'étendre ; il se fait un passage ultérieurement dans la membrane celluleuse, & forme une tumeur dans les environs de la plaie. Si le chirurgien dans l'ignorance de la cause de cette tumeur, cherche à la connoître encore par le moyen de la sonde, il introduit une nouvelle quantité d'air qui, étant ensuite fermé par l'emplâtre, produit de nouveaux effets dans l'intérieur de la plaie, & se répand dans un plus grand espace sous les tégumens, gagne le front, les paupieres & la face ; ensorte qu'il arrive quelquefois que tout le visage est enflé par une tumeur transparente & élastique qui s'éleve presqu'au-dessus du nez, & couvre entierement les yeux. Qu'il puisse ainsi provenir des emphysemes à la suite des plaies de la tête, c'est ce qui est constaté dans les oeuvres chirurgicales de Platner, &c.

Les plaies qui pénetrent dans la poitrine, fournissent encore plus souvent des exemples d'emphysemes, qu'elles procurent, sur-tout lorsqu'elles pénetrent dans sa cavité par une très-petite ouverture, qui a d'abord donné entrée à l'air, & a été fermée bien-tôt après d'elle-même, par l'art & les emplâtres ; & encore plus aisément, lorsque la surface des poumons se trouve blessée, & laisse échapper l'air, où il se ramasse en plus grande quantité qu'il n'y est dans l'état naturel ; d'où il fait effort contre les bords internes de la plaie du thorax déterminé à se faire une issue, quâ datâ portâ, par la pression des poumons & de l'atmosphere, qui les dilate, il pénetre dans le tissu cellulaire à différentes reprises, comme par l'effet d'une pompe foulante, & s'étend sous les tégumens de toute la surface du corps.

La même chose peut encore vraisemblablement arriver, dans le cas où il se fait une solution de continuité dans la surface interne du thorax par un ulcere, par érosion, ou par toute autre cause, sans lésion extérieure. L'air habituel de la cavité du thorax pressé de la maniere qui vient d'être exposée, peut s'insinuer dans le tissu cellulaire, & y produire les effets mentionnés.

Les emphysemes survenus à la suite de la fracture d'une côte, sans aucune lésion extérieure, ne peuvent être produits que par l'air thorachique, qui peut être dans le tissu cellulaire par quelque déchirure de la surface intérieure du thorax.

Au reste j'admets volontiers l'existance de l'air thorachique, d'après les expériences rapportées dans l'haemastatique de M. Halles, que j'ai vû répéter avec succès par M. de la Mure célebre professeur de Montpellier.

Boerhaave (hist. morb. atroc.) fait mention d'un emphyseme produit par une suite de rupture de l'oesophage.

Il arrive très-rarement que l'emphyseme soit produit par une cause interne, parce que l'air qui en fournit la matiere, étant naturellement incorporé avec les humeurs, & réduit à ses parties élémentaires, a perdu les qualités qui lui sont propres, & n'agit plus comme un air élastique ; c'est ce que prouvent les expériences de Boerhaave, d'Halles, de Jurin. Il ne peut recouvrer son élasticité, que par les effets de la diminution du poids de l'atmosphere, de l'augmentation de la chaleur à un tel degré, que le corps humain n'est jamais naturellement dans le cas d'éprouver ces altérations ; ou par les effets de la putréfaction, qui est très-rarement portée au point de faciliter le développement des parties aériennes, comme on le voit arriver dans les cadavres des noyés, qui, lorsqu'ils sont pourris à un certain point, se gonflent extrêmement dans toutes leurs parties, acquierent un tel volume, qu'ils deviennent plus legers spécifiquement que l'eau dans laquelle ils flottent & surnagent : c'est-là un véritable emphyseme général produit par la putréfaction, qui peut seule (à moins que l'on ne regarde comme une cause de cette nature l'effet de la bupreste ou enfle-boeuf prise intérieurement, voyez BUPRESTE) en produire de semblables dans l'animal vivant, à en juger par analogie, & même par les faits. L'on a vû des phlyctenes emphysémateuses sur les parties affectées de gangrene, qui étant crevées, rendoient une vapeur élastique avec impétuosité. De la Mure, thes. jv. disp. cathed. Montpell. 1749. On trouve, mém. de l'académ. des Sciences, 1704, l'observation d'une fille de cinq ans qui devint emphysémateuse par tout son corps trois jours avant sa mort, à la suite d'une maladie de langueur qui l'avoit consumée peu-à-peu. Lorsque l'on voulut faire l'ouverture du cadavre, la tumeur se dissipa entierement après le premier coup de scalpel qui ouvrit la peau du ventre, & donna issue à l'air, qui sortit avec une puanteur insupportable ; n'y ayant point eu de cause externe de cet emphyseme, on ne peut guere l'attribuer qu'à la putréfaction, qui avoit dissous les humeurs, remis en liberté l'air qu'elle contenoit, ou fourni une matiere flatueuse élastique, d'où avoit pû résulter le même effet que de l'air même. Halles dans sa statique des végétaux, établit par des expériences incontestables, que l'air ou toute autre substance élastique analogue, produit par ces sortes de mouvemens intestins, a toutes les propriétés essentielles de l'air commun.

On distingue l'emphyseme de toute autre espece de tumeur, en ce que la partie qui en est affectée, étant pressée avec le doigt, il s'y fait une espece de bruit, de craquement ; elle résiste quelquefois à la pression par ressort, & d'autres fois elle cede aisément, & se remet promtement dans son précédent état. D'ailleurs cette tumeur, même universelle, ne rend pas sensiblement le corps plus pesant.

L'emphyseme qui est produit par une cause externe, est ordinairement sans danger, à moins que l'enflure ne soit si considérable, sur-tout au cou, qu'elle presse la trachée-artere, & menace de suffocation ; & dans ce cas même, si on se hâte de donner issue à la matiere élastique renfermée sous la peau, le danger cesse. L'emphyseme qui est causé par une blessure du poumon, n'est pas susceptible d'un traitement aussi aisé, parce que l'on ne peut pas aisément faire cesser l'épanchement de l'air dans la cavité du thorax, & tarir la source de l'emphyseme. Celui qui peut survenir par l'introduction de l'air thorachique dans le tissu cellulaire, à la faveur d'une solution de continuité de la surface interne de cette cavité, est encore plus difficile à guérir ; tant que l'air a cette issue, que l'on ne peut même connoître que par soupçon dans le cas où l'emphyseme s'établit sans aucune cause externe connue, & sans que la putréfaction des humeurs ait lieu pour se former : celui qui est produit par cette derniere cause, est presque incurable ; les tumeurs emphysémateuses de cause externe sont de peu de conséquence.

L'indication qui se présente pour le traitement de l'emphyseme, de quelque nature qu'il soit, doit tendre à faire sortir du tissu cellulaire la matiere élastique qui en distend les cavités : ce que l'on peut obtenir par des pressions ou des frictions modérées, qui fassent une dérivation de cette matiere vers l'issue qui se trouve faite par une plaie, s'il y en a une, que l'on doit dilater, s'il est nécessaire, pour rendre la sortie de l'air plus facile ; s'il n'y a point de plaie ou qu'elle ne suffise pas pour dégager promtement les parties tuméfiées, on a recours aux scarifications qui pénetrent jusque dans la substance du tissu cellulaire. On trouve dans les oeuvres d'Ambroise Paré, liv. X. chap. xxx. une très-belle observation sur le bon effet des scarifications.

Dans le traitement de l'emphyseme, pendant l'effet de ce remede, on doit s'appliquer à empêcher que la matiere de l'enflure emphysémateuse ne se renouvelle par la voie qui lui est ouverte dans le tissu cellulaire, en la fermant, autant qu'il est possible, selon les moyens que l'art fournit.

Si l'on ne peut pas employer des remedes à cet égard, on doit s'occuper du soin de rendre l'enflure emphysémateuse aussi peu nuisible qu'il est possible : c'est ce que l'on peut faire avec succès par le moyen de la saignée, répétée autant que les forces du malade le permettent ; elle produit le bon effet de diminuer la chaleur du corps, & par conséquent la cause de la raréfaction de l'air : d'où s'ensuit la diminution de son volume, le relâchement des tégumens, la cessation des distensions violentes qui peuvent causer de la douleur, des inflammations, &c. La matiere élastique qui reste dans le tissu cellulaire, peut ensuite perdre son ressort par l'effet des exhalaisons du corps qui s'y mêlent inévitablement ; propriété bien établie par les expériences de Halles, statique des végétaux. Cette matiere ainsi décomposée peut se dissiper avec celle de la transpiration à laquelle ses élémens peuvent s'unir, ou elle peut être resorbée avec celle-ci sans qu'il s'ensuive rien de nuisible ; ainsi disparoissent l'enflure, & tous les symptomes qui l'accompagnent.

On trouve dans les observations de Ledran, tome I. la guérison d'un emphyseme causé par la fracture de quelques côtes, sans solution de continuité à l'extérieur ; cette cure fut opérée par la méthode qui vient d'être proposée sans aucun remede externe.

Dans le cas où l'emphyseme est produit par l'effet de la putréfaction ou de la gangrene, on ne peut employer que les spiritueux & les antiseptiques, tant extérieurement qu'intérieurement, attendu que l'esprit-de-vin & sa vapeur même ont la propriété de détruire aussi le ressort de l'air, quoique moins efficacement que les vapeurs animales. Cotes, leçons de Physique.

Les tumeurs emphysémateuses particulieres ne different de l'emphyseme, que du plus au moins ; elles demandent le même traitement proportionné. Cet article est tiré en partie du commentaire des aphorismes de Boerhaave, par Vanswieten, & de la thèse citée de M. de la Mure. Nous mettons cet article sous deux lettres, parce que nous l'avons reçû de deux mains différentes, & traité à-peu-près de la même maniere. (d, Y)

EMPHYSEME, (Maréchall.) c'est ainsi que l'on devroit appeller dans notre art, toute bouffissure, tout gonflement flatueux, toute tumeur produite par une collection ou un amas d'air retenu sous la peau dans les cellules des corps graisseux.

L'emphyseme particulier est très-commun dans les chevaux.

Il est étonnant que dans une énorme quantité de volumes & d'écrits concernant le traitement de ces animaux, l'esprit ne rencontre pas un seul point sur lequel il puisse se fixer, & d'où il puisse partir ; on n'y trouve que desordre, que trouble, que confusion. Les vraies définitions des maladies, leurs symptomes propres & communs, leurs causes, leurs especes, leurs différences, leurs tems, leurs complications, leurs terminaisons, tout semble avoir échappé à des auteurs dont la réputation n'a eu d'autre base qu'une crédulité non moins aveugle qu'eux-mêmes. Les plus accrédités ont été ceux qui se sont contentés de faire un vain usage de recettes & de remedes, ou qui se sont efforcés d'en imposer d'ailleurs par des titres spécieux, par des promesses hardies, & par des succès douteux. Voyez le discours prélim. du second volume des élemens d'hippiat.

Dans cet état il n'est pas difficile de juger du peu de progrés que nous avons dû faire. Il s'agiroit, pour dissiper les ténebres épaisses qui nous masquent la vérité, d'établir sur des fondemens inébranlables, c'est-à-dire sur des connoissances certaines & évidentes, & sur des observations raisonnées, la pratique du maréchal ; de faire de l'art une espece de chaîne dont toutes les parties se tiendroient, & de rejetter avec une judicieuse sévérité tout ce qu'une ignorance audacieuse nous a présenté de faux. Les tumeurs sont, par exemple, innombrables de la maniere dont nous les envisageons ; car à mesure qu'elles se sont montrées, on a assigné un nom particulier à chacune d'elles : de-là cette foule de mots bisarres qui rendent l'étude de l'hippiatrique d'autant plus fastidieuse, qu'ils n'expriment & n'apprennent rien. Il seroit donc à cet égard très-important de les ranger, à l'exemple de la Chirurgie, sous différens genres auxquels on pourroit les rapporter. Les objets ainsi simplifiés, nous procéderions plus méthodiquement & plus sûrement, & nous ne nous perdrions pas dans un chaos monstrueux qui nous dérobe jusqu'aux moindres lueurs. Voyez TUMEUR.

En général on remédie aux tumeurs emphysémateuses en augmentant la force systaltique des fibres, à l'effet de parer à une trop grande dilatation, & de les empêcher de céder trop facilement à l'expansion de l'air ; aussi employons-nous pour les dissiper, les médicamens confortatifs & spiritueux.

On les distingue des tumeurs oedémateuses, qui ne sont pareillement accompagnées ni de chaleur ni de douleur, en ce que dès qu'elles ont prêté à une pression quelconque du doigt, elles reviennent sur le champ à leur premier état ; au lieu que dans l'oedémie cette impression ne s'efface pas aussi-tôt, & laisse un enfoncement à la peau : car cette tumeur est non-seulement molle, mais en quelque façon pâteuse. (e)


EMPHYTÉOSES. f. (Jurisprud.) est un contrat par lequel le propriétaire d'un héritage en cede à quelqu'un la joüissance pour un tems, ou même à perpétuité, à la charge d'une redevance annuelle que le bailleur réserve sur cet héritage, pour marque de son domaine direct.

Ce contrat n'a lieu que pour des héritages, & non pour des meubles, ni même pour des immeubles fictifs.

Le terme d'emphytéose tire son étymologie du grec , qui signifie planter, améliorer une terre, parce que ces sortes de contrats ne se pratiquoient que pour des terres que l'on donnoit à défricher ; & c'est de-là, selon quelques auteurs, que ce contrat s'appelle roture, quasi à rumpendis terris. Le complant & le bordelage usités dans quelques provinces, ont beaucoup de rapport avec l'emphytéose. Voyez BORDELAGE & COMPLANT.

On peut aussi donner à titre d'emphytéose une maison en ruine, à la charge de la réparer.

L'usage de l'emphytéose nous vient des Romains, chez lesquels elle ne donnoit d'abord au preneur qu'une joüissance à tems, comme pour 99 ans au plus ; quelquefois pour la vie du preneur seulement ; quelquefois aussi pour plusieurs générations, mais toûjours pour un tems seulement, ainsi que l'a prouvé Dumolin sur la rubrique du titre ij. & sur l'article 55. gl. 4. C'est pourquoi dans les lois romaines le droit de l'emphytéote n'est point qualifié de seigneurie, sinon dans les trois derniers livres du code, & depuis le tems de Constantin ; il n'étoit qualifié jusque-là que servitus ou jus fundi, l. iij. ff. de reb. eor. qui sub tutel. & leg. domus delegat. 1°. C'est aussi par cette raison que Cujas met l'emphytéose entre les especes d'usufruit.

L'emphytéose devint enfin perpétuelle, comme elle est encore réputée telle in dubio ; au moyen de quoi l'emphytéote fut appellé dominus fundi. L. fundi & l. possess. c. de fund. patrim.

La contradiction apparente qui se trouve entre quelques lois sur cette matiere, vient de ce que les unes parlent de l'emphytéose perpétuelle, d'autres parlent de l'emphytéose temporelle.

On distinguoit chez les Romains le contrat emphytéotique du bail à longues années ou à vie, en ce que dans celui-ci la redevance étoit ordinairement à-peu-près égale à la valeur des fruits ; au lieu que dans l'emphytéose la redevance étoit modique, en considération de ce que le preneur s'obligeoit de défricher & améliorer l'héritage. Mais parmi nous on confond souvent l'emphytéose proprement dite, avec le bail à longues années ou à vie, qu'on appelle aussi bail emphytéotique : en Poitou on les appelle vicairies, quasi vice domini. Il y a des vicairies qui sont pour trois ou quatre générations, comme cela se pratiquoit souvent pour l'emphytéose chez les Romains. En Dauphiné & dans quelques autres pays de droit écrit, on les appelle albergemens.

Le contrat d'emphytéose différoit aussi chez les Romains du contrat libellaire, qui revenoit à notre bail à cens ; & de certaines concessions à rentes foncieres non seigneuriales, qui étoient usitées parmi eux, telles que la redevance appellée cloacarium : au lieu qu'en France, dans les pays de droit écrit, l'emphytéose faite par le seigneur de l'héritage, a le même effet que le bail à cens en pays coûtumier ; & l'emphytéose faite par le simple propriétaire de l'héritage, y est ordinairement confondue avec le bail à rente fonciere : ces deux sortes d'emphytéoses y sont perpétuelles de leur nature.

La redevance que l'on stipule dans ces sortes de contrats en pays de droit écrit, y est ordinairement appellée canon emphytéotique.

Les lois décident que faute par l'emphytéote de payer ce canon ou redevance pendant trois ans, il peut être évincé par le preneur, qui est ce qu'on appelle tomber en commise.

Il y avoit encore une autre commise emphytéotique, lorsque le preneur vendoit l'héritage sans le consentement du bailleur.

Mais on a expliqué ci-devant au mot COMMISE EMPHYTEOTIQUE, de quelle maniere ces lois sont observées. On peut encore voir à ce sujet ce que dit Boutaric en son tr. des droits seigneuriaux, ch. xiij. où à l'occasion de la commise qui avoit lieu en cas de vente, il dit que présentement l'emphytéote peut vendre quand bon lui semble, sans être tenu de faire aucune dénonciation ; que le seigneur a seulement le droit de retirer le fonds vendu en remboursant le prix à l'acquéreur ; que s'il ne veut pas user de ce droit de prélation, il ne peut, suivant les lois, exiger que la cinquantieme partie du prix de la vente pour l'investiture du nouvel acquéreur ; que toutes les coûtumes du royaume se sont bien conformées à la disposition du droit, en ce qu'elles permettent toutes au seigneur d'exiger un droit à chaque mutation qui se fait par vente, mais qu'il n'y a aucune coûtume qui ait fixé ce droit de mutation à un si bas pié que celui de la cinquantieme partie du prix.

M. Guyot en son tr. des fiefs, tr. du quint, ch. viij. dit que les auteurs s'accordent assez pour conclure qu'il n'est point dû quint en fief ni lods & ventes en roture, pour bail emphytéotique à 99 ans ou à vie, il étend même cela à l'emphytéose perpétuelle, si par le bail il n'y a pas de deniers déboursés ; au cas qu'il y en eût, que les deniers en seroient dûs à proportion ; ce qui est conforme aux coûtumes d'Anjou & du Maine, qui décident aussi que le retrait y a lieu ; quand il y a des deniers déboursés.

Le même auteur explique dans le chapitre suivant, en quoi l'emphytéose differe du bail à locaterie perpétuelle. Voyez LOCATERIE PERPETUELLE.

En pays coûtumier l'emphytéose est un bail à longues années d'un héritage, à la charge de le cultiver & améliorer ; ou d'un fonds, à la charge d'y bâtir : ce qui a quelque rapport au contrat superficiaire des Romains ; ou d'une maison, à condition de la rebâtir, moyennant une pension ou redevance annuelle modique, payable par le preneur.

On stipule aussi quelquefois que le preneur payera une certaine somme de deniers d'entrée pour ce bail.

Tout bail qui excede neuf années, est réputé bail emphytéotique ou à longues années.

L'emphytéose se fait ordinairement pour 20, 30, 40, 50, 60, ou 99 ans, qui est le terme le plus long que l'on puisse donner à ces sortes de baux.

Lorsque ce bail est fait pour un tems fixe, les héritiers du preneur en joüissent pendant tout le tems qui en reste à expirer, quoique le bail ne fasse pas mention d'eux.

On peut faire un bail emphytéotique, tant pour la vie du preneur que pour celle de ses enfans & petits-enfans. La coûtume d'Anjou, art. 412, & celle du Maine, art. 413, appellent ces sortes de contrats, baux à viage.

Le bail à vie differe néanmoins à cet égard des autres baux emphytéotiques, en ce que si le bail à vie ne nomme que le preneur & ses enfans, les petits-enfans n'y sont pas compris ; au lieu que si c'est un bail emphytéotique simplement pour le preneur & ses enfans, les petits-enfans y sont aussi compris sous le nom d'enfans, suivant la regle ordinaire de droit.

L'emphytéose ressemble au bail à loyer ou à ferme, en ce que l'un & l'autre contrat est fait à la charge d'une pension annuelle ; mais l'emphytéose differe aussi du loüage, en ce que l'emphytéote a la plûpart des droits & des charges du propriétaire : & en effet le bail emphytéotique est une aliénation de la propriété utile, au profit du preneur, pendant tout le tems que doit durer le bail, la propriété directe demeurant réservée au bailleur.

Le preneur étant propriétaire, peut vendre, aliéner, échanger ou hypothéquer l'héritage, mais il ne peut pas donner plus de droit qu'il en a ; & lorsque le tems de la concession est expiré, resoluto jure dantis, resolvitur & jus accipientis.

Ceux qui ne peuvent pas aliéner, ne peuvent pas non plus donner à titre d'emphytéose perpétuelle, ou à tems.

L'église & les communautés ne le peuvent faire qu'avec les solennités prescrites pour l'aliénation de ses biens ; on tient même qu'elle ne peut faire d'emphytéose perpétuelle, mais seulement pour 99 ans au plus.

La pension ou redevance emphytéotique est tellement de l'essence de ce contrat, que s'il n'y en avoit pas une réserve, ce ne seroit point une emphytéose.

L'emphytéote ne peut pas, comme un simple locataire ou fermier, obtenir une remise ou diminution de la pension annuelle, pour cause de stérilité, parce que la pension emphytéotique est moins pour tenir lieu des fruits, qu'en signe de reconnoissance de la seigneurie directe.

Il n'est pas permis à l'emphytéote de dégrader le fonds, ni même d'en changer la surface, de maniere que la valeur en soit diminuée : ainsi il ne peut pas convertir en terre labourable ce qui est en bois ; mais il peut couper les bois, même de haute-futaie, qui se trouvent en âge d'être coupés pendant la durée de son bail.

Il ne peut pas détruire les bâtimens qu'il a trouvés faits, ni même ceux qu'il a construits lorsqu'il étoit obligé de le faire ; mais s'il en a fait volontairement quelques-uns, il peut de même dans le courant de son bail les enlever, pourvû que ce soit sans dégrader l'héritage.

On stipule ordinairement, quand on donne une place à titre d'emphytéose, que le preneur sera tenu d'y bâtir : cette clause n'est pourtant pas de l'essence d'un tel contrat ; mais si elle y est apposée, on peut contraindre le preneur à l'exécuter.

La lésion, telle qu'elle soit, n'est point un moyen de restitution contre l'emphytéose, excepté pour celles qui concernent l'église & les mineurs, qui peuvent être relevées quand la lésion est énorme.

La joüissance d'un bail emphytéotique peut être saisie & vendue, comme les immeubles, à la requête des créanciers.

En fait d'emphytéose, la tacite réconduction n'a point lieu.

Le preneur ne peut pas non plus prescrire le fonds, attendu qu'on ne peut pas changer la cause de sa possession ; mais il peut prescrire les arrérages de sa redevance, qui sont échûs.

Toutes les réparations, tant grosses que menues, sont à la charge de l'emphytéote pendant la durée de son bail.

Il est aussi obligé d'acquiter toutes les charges réelles & foncieres, telles que la dixme, le cens, champart, &c.

A l'expiration du terme porté par le bail emphytéotique, le preneur, ses héritiers ou ayans cause, doivent rendre les lieux en bon état, à l'exception des bâtimens qu'il a construits volontairement, lesquels on ne peut pas l'obliger à réparer ; mais il ne peut pas non plus les démolir à la fin de son bail, en emporter aucuns matériaux, en répéter les impenses, ni obliger sous ce prétexte le bailleur à lui continuer le bail, soit pour la totalité de ce qui y étoit compris, soit même pour la joüissance de ces bâtimens ; dans ce cas, superficies solo cedit.

Si le fonds donné en emphytéose vient à périr totalement ; par exemple, si c'est une maison, & qu'elle soit entierement ruinée par quelque force majeure, en ce cas le preneur est déchargé de la pension.

Il peut aussi, en déguerpissant l'héritage, se faire décharger en justice de la pension, quoiqu'il se fût obligé personnellement au payement de cette pension, & qu'il y eût hypothéqué tous ses biens, l'obligation personnelle étant dans ce cas seulement accessoire à l'hypothécaire. Voyez DEGUERPISSEMENT. Voyez au digeste, si ager vectigalis, id est emphyteuticarius, petatur ; & au code de jure emphyteutico. Il y a aussi plusieurs traités de jure emphyteutico, par Julius Clarus, Guido de Suzaria, Corbulus, Rutherus, Rulandt ; & un petit traité de l'emphytéose, par Jovet, inséré dans le dictionnaire de Brillon, au mot bail emphytéotique. Voyez aussi Duclapier, quest. j. cause 15. Despeisses, tome III. page 31. Chorier sur Guipape, p. 243. Franc. Marc, tome I. quest. 253. (A)


EMPHYTÉOTES. m. (Jurispr.) est celui qui a pris un bien à titre d'emphytéose, c'est-à-dire à longues années ou à perpétuité. Voyez ci-devant EMPHYTEOSE. (A)


EMPHYTÉOTIQUEadj. (Jurispr.) se dit de ce qui appartient à l'emphytéose, comme un bail emphytéotique, une redevance emphytéotique. Voyez EMPHYTEOSE. (A)


EMPHYTEUTAIRES. m. (Jurisp.) est la même chose qu'emphytéote. Voyez EMPHYTEOTE & EMPHYTEOSE. (A)


EMPIÉTANTadj. en termes de Blason, se dit de l'oiseau de proie qui est sur sa proie, qu'il tient avec ses serres.

Tarlet en Bourgogne, d'azur au faucon d'or, grilleté d'argent, empiétant une perdrix d'or, bequée & onglée de gueules.


EMPIÉTERv. neut. (Fauconnerie) se dit d'un oiseau de proie, & particulierement de l'autour qui empiete, c'est-à-dire qui enleve & emporte la proie avec les piés.


EMPILERv. act. (Comm.) mettre plusieurs marchandises d'une même ou de différentes sortes, les unes sur les autres, en faire une pile. Voyez PILE.

On empile des étoffes dans un magasin, du bois flotté dans un chantier, des morues dans un navire ou dans un bateau. Dictionn. de Comm. de Trév. & Chambers. (G)


EMPIRANCES. f. (Marine) On se sert quelquefois de ce terme pour exprimer le déchet, corruption ou diminution qui arrive aux marchandises que la tempête ou quelqu'autre accident contraint de jetter de côté & d'autre dans le vaisseau. On dit aussi empirance & empirer par son propre vice, quand la corruption ou diminution arrive par la nature des choses, & que ce n'est point un accident qui le cause. (Z)


EMPIRES. m. (Hist. anc.) gouvernement monarchique où la souveraine puissance est réunie dans une seule personne. On connoît dans l'histoire ancienne quatre grandes monarchies ou quatre grands empires ; celui des Babyloniens, Chaldéens & Assyriens ; celui des Medes ou des Perses ; l'empire des Grecs, qui commence & finit à Alexandre, puisqu'à sa mort ses conquêtes furent divisées entre ses capitaines ; & celui des Romains. Les deux premiers n'ont subsisté que dans l'Orient ; le troisieme en Orient & partie en Occident ; & l'empire Romain dans presque tout l'Occident connu pour lors, dans une partie de l'Orient, & dans quelques cantons de l'Afrique.

L'empire des Assyriens, depuis Nemrod qui le fonda l'an du monde 1800, selon le calcul d'Ussérius, a subsisté jusqu'à Sardanapale leur dernier roi, en 3257, & a par conséquent duré plus de quatorze cent cinquante ans.

L'empire des Medes, commencé par Arbace l'an du monde 3257, est réuni sous Cyrus avec celui des Babyloniens & des Perses l'an 3468. C'est à cette époque que commence proprement l'empire des Perses, qui finit deux cent soixante ans après à la mort de Darius-Codoman, l'an du monde 3674.

L'empire des Grecs, à ne le prendre que pour la durée du regne d'Alexandre, commença l'an du monde 3674, & finit à la mort de ce conquérant, arrivée en 3681. Si par empire des Grecs on entend non-seulement la monarchie d'Alexandre, mais encore celles des grands états que ses successeurs formerent des débris de son empire, tels que les royaumes d'Egypte, de Syrie, de Macédoine, de Thrace, & Bithynie, il faut dire que l'empire des Grecs s'est éteint successivement & par parties, le royaume de Syrie ayant fini l'an du monde 3939 ; celui de Bithynie onze ans plûtôt, en 3928 ; celui de Macédoine en 3836 ; & celui d'Egypte, qui se soûtint le plus long-tems de tous, ayant fini sous Cléopatre, l'an du monde 3974 : ce qui donneroit précisément trois cent ans de durée à l'empire des Grecs, à commencer depuis Alexandre jusqu'à la destruction du royaume d'Egypte fondé par ses successeurs.

L'empire Romain commence à Jules-César, lorsque victorieux de tous ses ennemis, il est reconnu dans Rome dictateur perpétuel l'an 708 de la fondation de cette ville, quarante-huit ans avant Jesus-Christ, & du monde l'an 3956. Le siége de l'Empire est transporté à Bysance par Constantin, l'an 334 de Jesus-Christ, onze cent quatre-vingt-dix ans après la fondation de Rome. L'Occident & l'Orient se trouvent toûjours réunis sous le titre d'empire Romain, & sous un seul, ou sous deux princes Constantin & Irene, jusqu'à-ce que les Romains proclament Charlemagne empereur, l'an 800 de Jesus-Christ. Depuis cette époque l'Orient & l'Occident ont formé deux Emp ires séparés ; celui d'Orient, gouverné par les empereurs grecs, commence en 802 de Jesus-Christ ; & après s'être affoibli par degrés, il a fini en la personne de Constantin-Paléologue, l'an 1453. L'Empire d'Occident qu'on appelle encore l'empire Romain, & plus communément l'empire d'Allemagne, après avoir été héréditaire sous quelques-uns des successeurs de Charlemagne, devint électif, & a déjà subsisté neuf cent quarante-sept ans. Voyez l'article suivant. (G)

EMPIRE, (Hist. & Droit politique) c'est le nom qu'on donne aux états qui sont soûmis à un souverain qui a le titre d'empereur ; c'est ainsi qu'on dit l'empire du Mogol, l'empire de Russie, &c. Mais parmi nous on donne le nom d'empire par excellence au corps Germanique, qui est une république composée de tous les princes & états qui forment les trois colléges de l'Allemagne, & soumise à un chef qui est l'empereur.

L'empire Germanique, dans l'état où il est aujourd'hui n'est qu'une portion des états qui étoient soûmis à Charlemagne. Ce prince possédoit la France par droit de succession ; il avoit conquis par la force des armes tous les pays situés depuis le Danube jusqu'à la mer Baltique ; il y réunit le royaume de Lombardie, la ville de Rome & son territoire, ainsi que l'exarchat de Ravenne, qui étoient presque les seuls domaines qui restassent en Occident aux empereurs de Constantinople. Ces vastes états s'appellerent pour lors l'empire d'Occident, c'étoit une partie de celui qu'avoient autrefois possédé les empereurs romains. Par la suite des tems, & sur-tout après l'extinction de la race de Charlemagne, la France fut détachée de son empire, & les Allemands élûrent pour chef Othon le Grand, qui reconquit de nouveau la ville de Rome & l'Italie, & les réunit à l'empire d'Allemagne. Enfin sous les successeurs d'Othon, un grand nombre de vassaux des empereurs, sous différens prétextes, profiterent des troubles que causoient les sanglans démêlés du Sacerdoce & de l'Empire, pour envahir la possession des états dont ils n'étoient que les gouverneurs, & finirent par ne rendre qu'un hommage très-précaire aux empereurs, devenus trop foibles pour les réprimer, & qui même se trouverent forcés à leur confirmer la possession des terres qu'ils avoient usurpées. Non contens de cela, ceux qui s'étoient approprié ces biens, les rendirent héréditaires dans leurs familles : pour lors les empereurs, pour contrebalancer le pouvoir de ces vassaux, devenus quelquefois plus puissans qu'eux, donnerent beaucoup de terres aux églises, & accorderent liberté à plusieurs villes. Voilà la vraie origine de la puissance des états qui composent l'empire d'Allemagne. Il s'en faut beaucoup que ses limites soient aujourd'hui aussi étendues que du tems de Charlemagne ou d'Othon le Grand, il s'en est démembré depuis un très-grand nombre de royaumes & de provinces ; & actuellement cet Empire, autrefois si vaste, ne comprend plus que ce qu'on appelle l'Allemagne, qui est divisée en dix cercles. Voyez ALLEMAGNE & CERCLES. Il est vrai que l'empire veut encore quelquefois faire revivre ses anciens droits sur Rome & sur l'Italie ; mais de tous ces pays, il ne lui reste guere que de vains titres, sans aucune jurisdiction réelle. C'est ainsi que l'empire d'Allemagne continue toûjours à s'appeller le saint empire Romain, l'empire Romain-Germanique, &c.

Il y a des auteurs qui ont trouvé très-difficile à déterminer le nom qu'il falloit donner au gouvernement de l'Empire. En effet, si on le considere comme ayant à sa tête un prince à qui les états de l'Empire sont obligés de rendre hommage, de jurer fidélité & obéissance, en recevant de lui l'investiture de leurs fiefs, on sera tenté de regarder l'Empire comme un état monarchique. Mais d'un autre côté l'empereur ne peut être regardé que comme le représentant de l'Empire, puisqu'il n'a point le droit d'y faire seul des lois, il n'a point non plus le domaine direct des fiefs, puisqu'il n'a que le droit d'en donner l'investiture, sans avoir celui d'en priver, sous aucun prétexte, ceux qui les possedent, sans le consentement de l'Empire ; d'ailleurs en parlant des états, l'empereur les appelle toûjours nos vassaux & de l'Empire. Si on considere la puissance & les prérogatives des états de l'Empire, la part qu'ils ont à la législation, les droits que chacun d'eux exerce dans les territoires qui leur sont soûmis, & que l'on nomme la supériorité territoriale, on aura raison de regarder l'Empire comme un état aristocratique. Enfin, on trouvera la démocratie dans les villes libres qui ont voix & séance aux dietes de l'Empire. D'où il faut conclure que le gouvernement de l'Empire est celui d'une république mixte.

L'illustre président de Thou (Annales de l'Empire, tome II. p. 332. au sujet de la paix de Westphalie) en parlant de l'empire Germanique, dit qu'il est étonnant que tant de peuples puissans, sans y être forcés, ni par la crainte de leurs voisins, ni par la nécessité, ayent pû concourir à former un état si puissant, & qui a subsisté pendant tant de siecles, & que jamais on n'a vû un corps plus robuste malgré la foiblesse de la plûpart de ses membres. (Voyez l'hist. du Président de Thou, liv. II.) Mais on nous permettra de dire que cette observation n'est pas tout-à-fait juste ; car si l'on fait attention à ce qui a été dit au commencement de cet article, on verra que ces peuples ne se sont point réunis pour faire un état, mais que des sujets puissans d'un même état se sont rendus souverains, sans pour cela se séparer de l'état auquel ils appartenoient ; & c'est l'intérêt, le plus puissant mobile, qui les y a tenus attachés les uns aux autres ; union qui leur a donné les moyens de se maintenir.

Il n'est point douteux que l'Empire, composé d'un grand nombre de membres très-puissans, ne dût être regardé comme un état très-respectable à toute l'Europe, si tous ceux qui le composent concouroient au bien général de leur pays. Mais cet état est sujet à de très-grands inconvéniens : l'autorité du chef n'est point assez grande pour se faire écouter : la crainte, la défiance, & la jalousie, regnent continuellement entre les membres : personne ne veut céder en rien à son voisin : les affaires les plus sérieuses & les plus importantes pour tout le corps sont quelquefois négligées pour des disputes particulieres, de préséance, d'étiquette, de droits imaginaires & d'autres minuties. Les frontieres sont mal gardées & mal fortifiées ; les troupes de l'Empire sont peu nombreuses & mal payées ; il n'y a point de fonds publics, parce que personne ne veut contribuer. Cette liberté du corps Germanique si vantée, n'est que l'exercice du pouvoir arbitraire dont joüit un petit nombre de souverains, sans que l'empereur puisse les empêcher de fouler & d'opprimer le peuple, qui n'est compté pour rien, quoique ce soit en lui que réside la force d'une nation. Le commerce est dans des entraves continuelles par la multiplicité des droits qu'exigent ceux sur le territoire de qui les marchandises passent, ce qui rend presque inutiles ces beaux fleuves & ces rivieres navigables dont l'Allemagne est arrosée. Les tribunaux destinés à rendre la justice sont mal salariés, & le nombre des juges insuffisant : dans les dietes de l'Empire les résolutions se prennent avec une lenteur insupportable, & rendent cet état ridicule aux yeux des autres peuples chez qui la lenteur du corps Germanique a presque passé en proverbe ; c'est sur quoi l'on a fait anciennement ces mauvais vers latins qui peignent assez la vraie situation de l'Empire :

Protestando convenimus,

Conveniendo competimus,

Competendo consulimus,

In confusione concludimus,

Conclusa rejicimus,

Et salutem patriae consideramus,

Per consilia lenta, violenta, vinolenta.

Voyez Vitriarii Institut. juris publici, lib. IV. tit. xj.

Voyez les articles ALLEMAGNE, DIETE, CONSTITUTION DE L'EMPIRE, EMPEREUR, ETATS &c. (-)

EMPIRE DE GALILEE ou HAUT ET SOUVERAIN EMPIRE DE GALILEE, (Jurisprud.) est le titre que l'on donne à une jurisdiction en dernier ressort que les clercs de procureurs de la chambre des comptes ont pour juger les contestations qui peuvent survenir entr'eux.

Cette jurisdiction est pour les clercs des procureurs de la chambre des comptes, ce que la basoche est pour ceux des procureurs au parlement.

L'institution en est sans-doute fort ancienne, puisque l'on a vû à l'article de la CHAMBRE DES COMPTES que dès 1344 il y avoit dix procureurs, dont le nombre fut dans la suite augmenté jusqu'à vingt-neuf.

On ne sait pas au juste le tems auquel les procureurs de la chambre commencerent à avoir chez eux des clercs ou aides pour les soulager dans leurs expéditions. Ils en avoient déja en 1454, suivant une ordonnance de cette année, rapportée au mem. L. fol. 90. v°. qui porte que les comptables feront ou feront faire par leurs procureurs ou clercs leurs comptes de bon & suffisant volume.

Il paroît même qu'il y avoit déja des clercs de procureurs avant 1454, & que l'Empire de Galilée subsistoit dès le commencement du quinzieme siecle. En effet, dans le préambule d'un réglement fait par M. Barthelemi maître des comptes, en qualité de protecteur de l'empire (dont on parlera plus amplement ci-après) il est dit que s'étant fait représenter les réglemens, comptes, titres & papiers dudit empire, il auroit reconnu, même par les anciens mémoriaux de la chambre, que ledit empire y est établi depuis plus de 300 ans, composé de clercs de procureurs de la chambre, pour leur donner moyen, par leurs assemblées & conférences, de se rendre capables des affaires & matieres de finances pour lesquelles ils sont élevés.

Ainsi, suivant le préambule de ce réglement, l'empire de Galilée étoit déjà formé dès avant 1405 : on trouve en effet des comptes fort anciens rendus par les trésoriers de l'empire, entr'autres un de l'année 1495.

Ces clercs tenant entr'eux des assemblées & conférences touchant leur discipline, formerent insensiblement une communauté, qui fut ensuite autorisée par divers réglemens de la chambre des comptes ; & les officiers de cette communauté ont été maintenus dans tous les tems dans l'exercice d'une jurisdiction en dernier ressort sur les membres & suppôts de cette communauté.

Le titre de haut & souverain empire de Galilée donné à cette communauté & jurisdiction, quelque singulier qu'il paroisse d'abord, n'a rien que de naturel.

On n'a pas prétendu par le terme d'empire donner l'idée d'un état gouverné par une puissance souveraine ; ce terme a été emprunté du latin imperium, lequel chez les Romains signifioit jurisdiction : on disoit merum & mixtum imperium, & anciennement en France mere & mixte impere, pour exprimer le pouvoir d'exercer toute justice, haute, moyenne & basse.

On ne doit donc pas être étonné si le chef de la jurisdiction des clercs de procureur de la chambre des comptes prenoit autrefois le titre d'empereur, d'autant qu'alors la plûpart des chefs de communautés prenoient le titre de roi, tels que le roi des merciers, les rois de l'arbalête & de l'arquebuse, le roi de la basoche, &c.

Pour ce qui est du surnom de Galilée donné à l'empire ou jurisdiction des clercs de procureurs de la chambre des comptes, il est constant qu'il vient de la petite rue de Galilée qui va de la cour du palais à l'hôtel du bailliage, & cotoye les bâtimens de la chambre des comptes ; elle est ainsi nommée dans les anciens plans de Paris & dans Sauval.

Il y a apparence qu'anciennement les clercs de procureurs de la chambre tenoient leurs assemblées dans le second bureau qui a des vûes sur cette rue de Galilée, & que c'est de-là qu'ils nommerent leur jurisdiction le haut & souverain empire de Galilée ; aujourd'hui cette jurisdiction se tient ordinairement en la chambre du conseil-lès-la chambre des comptes, & au grand bureau seulement le jour de S. Charlemagne, qui est la fête des clercs.

Le premier officier de l'empire conserva long-tems le titre d'empereur.

On voit dans les registres de la chambre, que le 5 Février 1500 elle fit emprisonner un clerc, empereur de Galilée, pour n'avoir pas voulu rendre le manteau d'un autre clerc auquel il l'avoit fait ôter. 5e journ. Q. reg. 2e part. fol. 37.

Le journ. 2. B. fol. 62. fait mention que le 20 Décembre 1536, sur la requête de l'empereur & officiers de l'empire de Galilée, la chambre leur défendit de faire les cérémonies accoûtumées à l'occasion des gâteaux des Rois.

Le titre d'empereur de Galilée fut sans-doute aboli du tems d'Henri III. en conséquence de la défense qu'il fit à tous ses sujets de prendre le titre de roi ; le chancelier de l'empire de Galilée devint par-là le premier officier de l'empire. La communauté & jurisdiction des clercs de procureurs de la chambre, a cependant toûjours conservé le titre d'empire de Galilée.

Dans un compte de l'ordinaire de Paris fini à la saint Jean 1519, le fermier porte en dépense ce qu'il avoit payé à Etienne le Fevre, thrésorier & receveur général des finances de l'empire de Galilée, pour lui aider à soûtenir & supporter les frais qu'il lui a convenu & conviendra faire, tant pour les gâteaux, jeux & états faits à l'honneur & exaltation du roi à la fête des Rois, que pour autres affaires, & aussi pour extraits touchant le domaine, par lettres de taxation des thrésoriers de France, du 20 Janvier 1518 ; mais il n'explique pas quelle somme il avoit payé.

Dans le compte de l'ordinaire de 1532, il porte en dépense ving-cinq livres parisis payées à Guillaume Rousseau empereur de l'empire de Galilée & suppôts d'icelui, clercs en la chambre des comptes, pour employer aux frais & charges dudit empire, même aux danses morisques, momeries & autres triomphes que le roi veut & entend être faits par eux pour l'honneur & récréation de la reine.

Enfin, le compte du domaine pour l'année finie à la saint Jean 1537, fait mention que les clercs de l'empire de Galilée avoient vingt livres parisis pour les gâteaux qu'ils distribuoient la veille & le jour des Rois ès maisons de Mrs les présidens & maîtres des comptes, thrésoriers & généraux des finances.

Ces comptes de la prévôté de Paris sont rapportés dans les Antiquités de Paris, par Sauval, tome III. aux preuves.

Cette communauté & jurisdiction a depuis longtems pour chef, protecteur & conservateur né, le doyen des conseillers-maîtres des comptes, lequel de concert avec M. le procureur général de la chambre, que l'empire regarde pareillement comme son protecteur né, veille à tout ce qui intéresse cette jurisdiction de l'empire, spécialement commise aux soins de ces deux magistrats par la chambre.

La chambre des comptes a fait en divers tems plusieurs réglemens concernant l'empire de Galilée, & notamment au sujet des gâteaux des Rois qu'ils portoient avec pompe chez les officiers de la chambre.

Le 22 Décembre 1525, sur la requête des thrésoriers-clercs de l'empire, afin d'avoir des fonds pour leurs gâteaux des Rois, la chambre leur défendit d'en faire pour cette année, ni autres joyeusetés accoûtumées, à peine de privation de l'entrée. Journal 10. fol. 267. v°.

Le 8 Janvier 1529, la chambre fit taxe à un pâtissier & à un peintre, pour ce qui leur étoit dû par un thrésorier de l'empire. Journ. 2. fol. 243.

Le 10 Novembre 1535, sur la requête des suppôts de l'empire de Galilée, la chambre ordonna qu'il seroit écrit au dos d'icelle nihil par le greffier, & qu'il leur seroit fait défenses de faire les gâteaux, selon la coûtume ancienne, pour la solennité du jour des Rois. Journ. 2. A. fol. 209.

Le 20 Décembre 1536, la chambre, sur la requête de l'empereur & autres officiers de l'empire de Galilée, en ôtant & abolissant l'ancienne coûtume, leur défendit de faire les gâteaux des Rois, & d'aller dans les maisons des officiers de la chambre, ni autour de la cour du roi, distribuer les gâteaux, ni donner des aubades, à peine de privation de l'entrée de la chambre pour toûjours & de l'amende. Journal 2. B. fol. 62.

Cependant le 11 Décembre 1538, la chambre permit aux officiers de l'empire de faire les gâteaux des Rois, & d'en solenniser la fête modestement, comme il leur avoit été autrefois permis d'ancienneté. Journ. 2. C. fol. 106.

Mais le 27 Novembre 1542, la chambre leur fit de nouvelles défenses de faire les gâteaux & solennités dont on a parlé ; elle ordonna néanmoins que sur les deniers qui avoient coûtume d'être pris à cet effet sur les menues nécessités, il seroit pris cinquante livres pour mettre dans la boîte des aumônes pour faire prier Dieu pour le roi ; ce qui fut ainsi ordonné, nonobstant les remontrances & oppositions sur ce faites par les auditeurs. Journ. 2. D. fol. 48. v°.

Au même endroit, fol. 58. v°. est rapportée une plainte du procureur général, portant que les clercs avoient contrevenu aux dernieres défenses ; sur quoi la chambre les réitéra pour l'année suivante. Folio 128. v°.

Les protecteurs de l'empire de Galilée ont aussi fait divers reglemens concernant l'état & administration de l'empire. Les principaux reglemens sont des années 1608 & 1615, confirmés par des lettres du mois de Septembre 1676, & renouvellés par un autre reglement en forme d'édit, du mois de Janvier 1705.

Ces reglemens sont intitulés du nom & des qualités du protecteur, lequel dans le dispositif use de ces termes, ordonnons, voulons & nous plaît, &c. l'adresse est, à nos amés & féaux chancelier & officiers de l'empire, à ce que les articles de reglement en forme d'édit, soient lûs, publiés & enregistrés. Ils sont contresignés par un secrétaire des finances de l'empire, & scellés du scel d'icelui ; & à la fin il est dit : " donné à... l'an de grace... & de notre protection le... "

Pour l'enregistrement de ces reglemens, le procureur général de l'empire fait son requisitoire en la chambre du conseil lez la chambre des comptes, l'empire y séant, & il intervient arrêt conforme en la même chambre du conseil.

Le protecteur rend aussi quelquefois des arrêts qui sont pour ainsi-dire des arrêts du conseil d'en-haut, par rapport à ceux de l'empire ; ils sont intitulés comme les édits, & le dispositif est conçû en ces termes : à ces causes, le protecteur ordonne, &c.

Le dispositif des arrêts de l'empire est ainsi conçu : le haut & souverain empire de Galilée ordonne, &c. à la fin il est dit, fait audit empire ; & toutes les expéditions que le greffier en délivre sont intitulées, extrait des registres de l'empire.

Les jugemens des officiers de l'empire sur les contestations qui surviennent entre les sujets & suppôts, sont tellement considérés comme des arrêts, que quelques clercs refractaires ayant voulu en différentes occasions éluder les peines auxquelles ils avoient été condamnés par ces arrêts, & s'étant pourvûs à cet effet en différens tribunaux, même à la chambre des comptes, sans y avoir été écoutés ; ils se pourvûrent en cassation au conseil du roi, ou par arrêt ils furent renvoyés devant MM. du grand bureau de la chambre des comptes comme commissaires du conseil en cette partie.

M. Barthélemy, maître ordinaire & doyen de la chambre des comptes, qui remplissoit la place de protecteur de l'empire depuis 1699, rendit le 17 Juillet 1704, un arrêt portant que le projet de reglement par lui fait, ensemble le tarif des droits accordés aux officiers de l'empire, seroient communiqués à la communauté des procureurs, ce qui fut exécuté ; & le reglement en forme d'édit fut donné en conséquence au mois de Janvier 1705.

Suivant cet édit, le corps de l'empire est composé de quinze clercs ; savoir le chancelier, le procureur général, six maîtres des requêtes, deux secrétaires des finances pour signer les lettres, un thrésorier, un contrôleur, un greffier, & deux huissiers : tous ces officiers sont ordinaires & non par semestre. Il n'y a que le chancelier, les maîtres des requêtes & les secrétaires des finances, qui ayent voix délibérative.

Ce qui concerne le chancelier de l'empire de Galilée, ayant été expliqué ci-devant à l'article de CHANCELIER, on renvoye le lecteur à ce qui a été dit en cet endroit ; on ajoûtera seulement que lorsqu'il est reçu procureur en la chambre des comptes, il est dispensé de l'examen.

La nomination aux autres offices lorsqu'ils sont vacans, se fait par le chancelier, les maîtres des requêtes & les secrétaires des finances, à la réquisition du procureur général de l'empire ; & au cas que la place de procureur général fût vacante, c'est sur la requisition du dernier maître des requêtes.

On ne peut nommer aux charges de l'empire deux clercs d'une même étude, sans avoir obtenu à cet effet des lettres de dispense du protecteur.

Ceux qui sont nommés aux charges sont tenus de les accepter, à peine de 15 liv. d'amende payable sans déport ; ils obtiennent des lettres de provisions signées du protecteur, expédiées par un des secrétaires des finances, & scellées & visées par le chancelier. Les nouveaux pourvûs ne sont reçus qu'après une information de leurs vie & moeurs ; ils sont examinés par les officiers qui ont voix délibérative ; & si on les trouve capables, ils prêtent serment.

L'empire s'assemble tous les jeudis matin après que MM. de la chambre des comptes ont levé ; quand il est fête le jeudi, l'assemblée se tient la veille.

Aucun officier n'est dispensé du service, sur peine de 5 s. d'amende payable sans déport au thrésorier des finances. Il faut dans la huitaine se purger par serment de l'empêchement, & en cas de maladie, quinzaine après la convalescence.

Les officiers qui s'absentent pendant six mois, ne peuvent plus prendre la qualité d'officiers de l'empire ; même ceux qui passent un ou deux mois sans faire leur service & sans se purger par serment, sont déclarés indignes & incapables de posséder à l'avenir aucunes charges de l'empire ; condamnés en 15 liv. d'amende, déchûs de leurs offices, obligés de remettre leurs provisions au protecteur, & on procede à l'élection d'un autre en leur place.

Lorsque ces officiers & les autres clercs de procureurs entrent en la chambre ou à l'empire, ils doivent avoir le bonnet de clerc qui est une espece de petit chapeau ou tocque, le manteau percé, c'est-à-dire une robe noire qui ne leur va que jusqu'aux genoux ; ceux qui se présentent autrement sont condamnés à une amende de 15 s. & en cas de récidive à 1 liv. 10 s. & pour la troisieme fois un écu, ou plus grande peine s'il y échet.

Les officiers de l'empire vaquent d'abord au jugement des procès d'entre les clercs & suppôts.

Quand il n'y a pas de procès, ou après qu'ils sont jugés, un maître des requêtes propose quelque question de finance pour entretenir le bureau pendant une demi-heure, & alors on permet à tous les clercs & suppôts d'assister au conseil, de dire leur avis sur les difficultés, ou d'en proposer ; mais c'est sans prendre rang ni séance avec les officiers de l'empire.

Lorsqu'un officier clerc ou suppôt fait quelque chose d'injurieux à l'empire, le procureur général informe contre lui, & sur le vû des charges le protecteur ordonne ce qui convient selon le délit.

Les officiers qui sont convaincus d'avoir révélé les déliberations du conseil, sont pour la premiere fois amendables de 60 s. & pour la seconde, privés de leurs charges & déclarés indignes de posséder aucun office de l'empire.

Suivant le tarif fait par M. Barthélemy le 30 Avril 1705, les officiers de l'empire de Galilée ont plusieurs droits en argent, tant pour l'entrée de certaines personnes en la chambre, que pour la réception de certaines personnes.

Les droits d'entrée à la chambre leur sont dûs.

1°. Par tous les clercs de procureurs de la chambre, lesquels sont tenus de faire enregistrer au greffe de l'empire le jour de leur entrée en la chambre, & de payer les droits dûs à l'empire dès qu'ils entrent chez les procureurs & viennent en la chambre ; les fils des procureurs sont seuls exempts de ces droits.

2°. Il est aussi dû aux officiers de l'empire un droit par les commis des comptables qui entrent à la chambre.

Les droits qui leur appartiennent pour la reception en la chambre de certains officiers, sont dûs par les procureurs de la chambre (leurs enfans en sont exempts), les grands officiers de la couronne, savoir grand-maître d'hôtel, grand-écuyer, amiral, grand-maître de l'artillerie, contrôleur général des finances, le sur-intendant des poudres & salpetres, le sur-intendant & commissaire général des postes, le sur-intendant des mines & minieres, le sur-intendant de la navigation & commerce, le sur-intendant des bâtimens du roi, & autres grands officiers.

Les autres officiers qui doivent aussi un droit de réception, sont les présidens, thrésoriers, avocats, & procureurs du roi des bureaux des finances, les grands-maîtres des eaux & forêts, leurs contrôleurs généraux & particuliers, tous les thrésoriers & payeurs des deniers royaux & leurs contrôleurs, & plusieurs autres officiers de finance dont on trouve l'énumeration dans le tarif ; il leur est aussi dû un droit pour la présentation des premiers comptes, lors de la réception d'iceux, pour l'enregistrement des commissions, & pour la présentation du compte d'icelle, & pour l'enregistrement du bail de chaque ferme particuliere.

Par les anciens comptes du domaine, on voit que les officiers de l'empire avoient droit de prendre tous les ans 200 liv. sur le domaine ; mais ils ne joüissent plus de ce droit.

On voit aussi par les anciens registres & mémoriaux de la chambre, que les privileges de l'empire ne cédoient en rien à ceux de la basoche.

Les reglemens de l'empire contiennent beaucoup de dispositions pour l'administration des finances de l'empire, & les comptes qui en doivent être rendus. Les contestations qui peuvent s'élever au sujet de ces comptes entre personnes qui ne sont pas sujets de l'empire, doivent être portées en la chambre, suivant un arrêt par elle rendu le 4 Septembre 1719, & un jugement des commissaires du conseil du 5 Septembre 1722.

Il est défendu par les reglemens de l'empire à tous les clercs de procureurs de la chambre, de porter l'épée ; & au cas qu'ils fussent trouvés en épée dans l'enclos de la chambre, ils sont condamnés en 32 s. d'amende pour la premiere fois, & à 3 liv. 4 s. pour la seconde, même à plus grande peine s'il y échet.

On fait tous les ans dans la chambre de l'empire la lecture des derniers reglemens, la veille de S. Charlemagne ou quelqu'un des jours suivans, en présence de tous les clercs & suppôts de l'empire.

Les officiers de l'empire & tous les sujets & suppôts célebrent tous les ans dans la sainte chapelle basse du palais, la fête de l'empire le 28 Janvier jour de la mort de S. Charlemagne. Ce patron leur a sans-doute paru plus convenable à l'empire, parce qu'il étoit empereur. On prétend que le jour de cette fête, l'empereur de Galilée avoit droit de faire placer deux canons dans la cour du palais, & de les faire tirer plusieurs fois ; mais on ne trouve point de preuve de ce fait.

Voyez CHANCELIER DE GALILEE, & au mot COMPTES, l'article chambre des comptes. Voyez aussi le mémoire historique que je donnai sur cet empire en 1739, & qui fut inseré au Mercure de Décembre ; l'observation faite à ce sujet par M. l'abbé le Boeuf, inserée au Mercure de Mars 1740, & la réponse que je fis à cette observation. Merc. de Mai 1741. (A)


EMPIRÉEVoyez EMPYREE.


EMPIRERv. neut. devenir pire, être en plus mauvais état. On dit en terme de Commerce que des marchandises empirent quand elles se gâtent & se corrompent, ce qui provient quelquefois de ce qu'on les garde trop long-tems : il est de l'habileté d'un marchand de s'en défaire avant qu'elles empirent. Dict. du Comm. de Trév. & Chambers. (G)


EMPIRIQUS. m. & adj. (Medec.) ce terme dans le sens propre, a été donné de tout tems aux medecins qui se sont fait des regles de leur profession sur leur pratique, leur expérience, & non point sur la recherche des causes naturelles, l'étude des bons ouvrages, & la théorie de l'art. Voyez EMPIRIQUE (Secte) & EMPIRISME.

Mais le mot empirique se prend odieusement dans un sens figuré, pour désigner un charlatan, & se donne à tous ceux qui traitent les maladies par de prétendus secrets, sans avoir aucune connoissance de la medecine. Voyez CHARLATAN.

EMPIRIQUE, secte (Med.) Cette célebre secte qui fit autrefois une grande révolution dans la Medecine, commença environ 287 ans avant la naissance de J. C. Celse nous apprend que Sérapion d'Alexandrie fut le premier qui s'avisa de soûtenir qu'il est nuisible de raisonner en Medecine, & qu'il falloit s'en tenir à l'expérience ; qu'il défendit ce sentiment avec chaleur, & que d'autres l'ayant embrassé, il se trouva chef de cette secte.

Quelques-uns racontent la même chose de Philinus de Cos, disciple d'Hérophile. D'autres ont aussi prétendu qu'Acron d'Agrigente étoit fondateur de cette secte ; & les empiriques jaloux de l'emporter par l'antiquité sur les dogmatiques dont Hippocrate fut le chef, appuyoient cette derniere opinion.

Pour éclaircir le fait, il faut distinguer entre les anciens medecins empiriques, ceux qui exercerent la medecine, depuis qu'Esculape l'avoit réduite en art, jusqu'au tems de son union avec la philosophie. On peut regarder ces premiers medecins comme les premiers empiriques : mais il y a cette différence entr'eux & les disciples de Sérapion ou de Philinus, qu'ils étoient empiriques sans en porter le titre, & qu'ils pouvoient d'autant moins passer pour sectaires, qu'il n'y avoit alors qu'une opinion ; au lieu que les empiriques qui leur succederent, choisirent eux-mêmes ce titre, & se séparerent des dogmatiques : enfin l'empirisme des premiers étoit purement naturel ; c'étoit au contraire dans les derniers un effet de méditation & d'amour de nouveaux systèmes, qu'ils inventerent pour établir leur parti, & bannir le raisonnement de la Medecine, se conduisant en ce point comme quelques modernes qui méprisent toute pratique excepté la leur.

Quoi qu'il en soit, les empiriques proprement nommés ne connoissoient qu'un seul moyen de guérir les maladies qui étoit l'expérience. Le nom d'empirique ne leur venoit point d'un fondateur ou d'un particulier qui se fût illustré dans la secte, mais du mot grec , expérience.

L'expérience, disoient-ils, est une connoissance fondée sur le témoignage des sens : ils distinguoient trois sortes d'expériences. La premiere & la plus simple, disoient-ils, est produite par le pur hasard ; c'est un accident imprévû, par lequel on guérit d'une maladie, comme dans le cas où quelqu'un auroit été soulagé d'un grand mal de tête par une hémorrhagie, ou de la fievre par une diarrhée qu'on n'auroit point provoquée. La seconde espece d'expériences est de celles qui se font par essai, comme il arrive lorsque quelqu'un ayant été mordu par un animal venimeux, applique sur la blessure la premiere herbe qu'il trouve. La troisieme espece d'expériences comprend celles que les empiriques appelloient imitatoires, ou dans lesquelles on répete dans l'espoir d'un pareil succès, ce que le hasard, l'instinct, ou l'essai, ont indiqué.

C'est la derniere espece d'expérience qui constituoit l'art : ils la nommoient observation ; & la narration fidele des accidens, des remedes, & des effets, histoire. Or comme l'histoire des maladies ne peut jamais être complete faute de lumieres, ils avoient encore recours à la comparaison, qu'ils appelloient épilogisme, que M. le Clerc traduit par les mots de substitution d'une chose semblable. L'observation, l'histoire, la substitution d'une chose semblable, étoient les seuls fondemens de l'empirisme. Toute la medecine des empiriques se reduisoit donc à avoir vû, à se ressouvenir, & à comparer ; ou pour me servir des termes de Glaucias, les sens, la mémoire, & l'épilogisme, formoient le trépié de leur medecine. Ajoûtons qu'ils rejettoient toutes les causes diversifiées, occultes, ou cachées des maladies, toute hypothèse, la recherche des actions naturelles, l'étude de la théorie de l'art, de la pharmacie, des méchaniques, & des autres sciences. Ils prétendoient encore qu'il étoit inutile de disséquer des cadavres, & que quand la dissection n'avoit rien de cruel, elle devoit être regardée comme malpropreté. Ce croquis peut suffire sur la doctrine des empiriques. Voyons ce que Celse en a pensé.

Il est vrai, dit ce judicieux écrivain, que sur les causes de la santé & des maladies, les plus savans ne peuvent faire que des conjectures ; mais il ne faut pas pour cela négliger la recherche des choses cachées qui se trouvent quelquefois, & qui sans former le medecin, le disposent à pratiquer la medecine avec plus de succès. Il est vraisemblable que si l'application qu'Hippocrate & Erasistrate (qui ne se contentoient pas de panser des plaies & de guérir des fievres) ont donnée à l'étude des choses naturelles, ne les a pas fait medecins à proprement parler, ils se sont du moins rendus par ce moyen de beaucoup plus grands medecins que leurs collegues. Ils n'auroient pas été l'ornement de leur profession, s'ils s'en étoient tenus à la simple routine. Si la similitude ou l'analogie apparente doit être le seul guide de l'art, comme le prétendent les empiriques, au moins faut-il raisonner pour distinguer entre toutes les maladies connues, quelle est celle dont les rapports à la maladie présente sont les plus grands, & pour déterminer par ces rapports les remedes qu'on doit employer. Il est constant que les maladies ont souvent des causes purement méchaniques faciles à distinguer ; & en ce cas le medecin ne balancera jamais dans l'application des remedes. D'un autre côté, si les dogmatiques avoient raison de prétendre qu'on ne pouvoit appliquer les remedes convenables sans connoître les causes premieres de la maladie, les malades & les medecins seroient dans un état bien déplorable, les uns se trouvant dans l'impossibilité de traiter la plûpart des maladies dont les autres ne peuvent toutefois guérir sans le secours de l'art.

Tel est le précis du jugement impartial de Celse sur le grand procès des empiriques & des dogmatiques, procès dont M. le Clerc a fait le rapport avec tant d'exactitude. Mais il suffira de remarquer ici qu'on vit dans cette querelle (& on le présume sans peine) les mêmes passions, les mêmes écarts, les mêmes abus, qui sont inséparables de toutes les disputes, où l'on se propose toûjours la victoire, & jamais la recherche de la vérité. Si quelqu'un est curieux de la seconde partie de cette histoire, il la trouvera dans l'empirisme & le dogmatique modernes. Voyez donc EMPIRISME. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EMPIRISMES. m. (Med.) medecine-pratique uniquement fondée sur l'expérience. Rien ne paroît plus sensé qu'une telle medecine : mais ne nous laissons pas tromper par l'abus du mot ; démontrons-en l'ambiguité avec M. Quesnai, qui l'a si bien dévoilée dans son ouvrage sur l'oeconomie animale.

On confond volontiers & avec un plaisir secret, dans la pratique ordinaire de la Medecine, trois sortes d'exercices sous le beau nom d'expérience ; savoir, 1°. l'exercice qui se borne à la pratique dominante dans chaque nation ; 2°. l'exercice habituel d'un vieux praticien, qui privé de lumieres, s'est fixé à une routine que l'empirisme ou ses opinions lui ont suggérée, ou qu'il s'est formé en suivant aveuglément les autres praticiens ; 3°. enfin l'exercice des medecins instruits par une théorie lumineuse, & attentifs à observer exactement les différentes causes, les différens caracteres, les différens états, les différens accidens des maladies, & les effets des remedes qu'ils prescrivent dans tous ces cas. C'est de cette confusion que naissent toutes les fausses idées du public sur l'expérience des praticiens.

On rapporte à l'expérience, comme nous venons de le remarquer, l'exercice des medecins livrés aux pratiques qui dominent dans chaque nation : ce sont ces medecins mêmes qui croyent s'être assûrés par leur expérience, que la pratique de leur pays est préférable à celle de tous les autres : mais si cet exercice étoit une veritable expérience, il faudroit que ceux qui se sont livrés depuis plus d'un siecle à différentes pratiques dans chaque pays, eussent acquis des connoissances décisives, qui les eussent déterminés à abandonner, comme ils ont fait, la pratique générale & uniforme, que leurs maîtres suivoient dans les siecles précédens ; cependant nous ne voyons pas dans leurs écrits, que l'expérience leur ait fourni de telles découvertes sur un grand nombre de maladies ; seroit-ce donc les anciens medecins de chaque pays qui n'auroient acquis aucune expérience dans la pratique qu'ils suivoient ? ou seroit-ce les modernes qui abandonnant les regles des anciens, auroient suivi différentes pratiques sans être fondés sur l'expérience ?

On pensera peut-être que ces différentes méthodes de traiter les mêmes maladies en différens pays, sont le fruit des progrés de la théorie de la Medecine ; mais si cette théorie avoit introduit & reglé les différentes méthodes de chaque pays, elle concilieroit aussi les esprits, tous les medecins des différens pays reconnoîtroient les avantages de ces diverses pratiques : cependant ils sont tous bien éloignés de cette idée, ils croyent dans chaque pays que leur pratique est la seule qu'on puisse suivre avec sûreté, & rejettent toutes les autres comme des pratiques pernicieuses, établies par la prévention. Or les Medecins mêmes, en se condamnant ainsi réciproquement, ne prouvent-ils pas qu'il seroit ridicule de confondre l'expérience avec l'exercice de ce nombreux cortége de praticiens, assujettis à l'usage, livrés à la prévention, & incapables de parvenir par des observations exactes, aux différentes modifications qui pourroient perfectionner la pratique dans les différens pays.

Si l'exercice de tant de medecins attachés à ces différentes pratiques, présente une idée si opposée à celle qu'on doit avoir d'une expérience instructive, ne sera-t-il pas plus facile encore de distinguer de cette expérience le long exercice d'un praticien continuellement occupé à visiter des malades à la hâte, qui se regle sur les évenemens, ou se fixe à la méthode la plus accréditée dans le public, qui toûjours distrait par le nombre des malades, par la diversité des maladies, par les importunités des assistans, par les soins qu'il donne à sa réputation, ne peut qu'entrevoir confusément les malades & les maladies ? Un medecin privé de connoissances, toûjours dissipé par tant d'objets différens, a-t-il le tems, la tranquillité, la capacité nécessaire pour observer & pour découvrir la liaison qu'il y a entre les effets des maladies, & leurs causes ?

Fixé à un empirisme habituel, il l'exerce avec une facilité, que les malades attribuent à son expérience ; il les entretient dans cette opinion par des raisonnemens conformes à leurs préjugés, & par le récit de ses succès : il parvient même à les persuader, que la capacité d'un praticien dépend d'un long exercice, & que le savoir ne peut former qu'un medecin spéculatif, ou pour parler leur langage, un medecin de cabinet.

Cependant ces empiriques ignorans & présomptueux se livrent aux opinions de la multitude, & n'apperçoivent les objets qu'à-travers leurs préjugés. C'est à des gens de cet ordre que M. de Voltaire répondit plaisamment, quand ils voulurent le traiter avant qu'il vînt à Genève : " Messieurs, je n'ai pas assez de santé pour risquer avec vous le peu qui me reste ". Mais il n'a pas hésité de confier ce reste de santé entre les mains de l'Esculape du pays, homme rare, né pour le bonheur des autres, joignant l'étude perpétuelle & la plus profonde théorie, aux observations d'une savante pratique, & ne connoissant d'expérience que celle de tous les lieux & de tous les siecles.

Aussi les vrais medecins ne se prévalent-ils jamais d'une routine habituelle ; ils croiroient deshonorer la Medecine, & se dégrader eux-mêmes, s'ils insinuoient dans le public que la capacité des Medecins s'acquiert comme celle des artisans, qui n'ont besoin que des sens & de l'habitude pour se perfectionner dans leurs métiers. En effet les praticiens qui ont une juste idée de la Medecine, & qui méritent leur réputation, ne se sont livrés au public qu'après avoir acquis un grand fonds de savoir ; & malgré un exercice presque continuel, ils ménagent chaque jour une partie de leur tems, pour entretenir & augmenter leurs connoissances par l'étude, & ils ne se décident dans la pratique que par les lumieres d'une théorie solide.

Ainsi tous ceux qui ont réduit l'expérience à l'empirisme particulier de chaque praticien, c'est-à-dire à quelques connoissances insuffisantes, obscures, équivoques, séduisantes, dangereuses, n'ont pas compris que la véritable expérience, la seule digne de ce nom, est l'expérience générale qui résulte des découvertes physiques, chimiques, anatomiques, & des observations particulieres des Medecins de tous les tems & de tous les pays ; que cette expérience est renfermée dans la théorie, & que par conséquent l'expérience approfondie, & la théorie expérimentale ou la vraie théorie, ne sont pas deux choses differentes. Ce n'est donc point par l'exercice seul de la Medecine qu'on acquiert cette théorie, ou cette expérience lumineuse qui forme les vrais medecins.

On dira peut-être qu'un grand exercice de la Medecine procure du moins aux Medecins une habitude qui les rend plus expéditifs dans la pratique : mais ne doit-on pas comprendre que cette facilité ne les rend que plus redoutables, lorsqu'ils ne sont pas suffisamment instruits ? & ne doit-on pas s'appercevoir aussi que la vraie habitude qu'on peut desirer d'un medecin, est la science théorique, puisque ce n'est que par le savoir qu'il peut se conduire facilement & sûrement dans la pratique.

Il est vrai que moins un praticien se livre à la routine, & que plus il est instruit, plus il connoît toutes les méprises dans lesquelles on peut tomber, plus aussi il hésite, plus il refléchit, plus il délibere, parce qu'il apperçoit les difficultés : mais c'est toûjours pour la sûreté des malades qu'il est si attentif & si circonspect dans ses jugemens. Ce sont les connoissances mêmes, & non le défaut d'experience ou d'habitude, qui retiennent un medecin prudent, & qui l'obligent, dans les cas douteux, à démêler, à examiner, à balancer, avant que de se décider.

Si le public voyoit de près les Medecins, lorsqu'ils sont eux-mêmes attaqués de quelque maladie inquiétante, il ne retrouveroit plus en eux cet air de fermeté, ce ton décisif & imposant, si ordinaire à ceux qui traitent les malades par empirisme ; & il comprendroit alors combien l'assûrance & la précipitation sont déplacées, dans l'exercice d'un art si difficile & si dangereux.

Enfin, & nous ne saurions trop le répéter, ce n'est point la routine, quelque longue qu'elle puisse être, qui peut former un medecin clinique à la bonne méthode curative des maladies ; la routine ne sert qu'à multiplier ses fautes, son impéritie, & son aveuglement. Je sai bien que le public grossier établit follement sa confiance dans l'empirisme d'un vieux medecin, & que c'est la routine greffée sur l'âge, qui lui donne le crédit & la réputation. Aveugle & funeste préjugé. Le praticien le plus consommé sera fort ignorant, s'il a négligé (comme c'est la coûtume) de s'approprier par une lecture perpétuelle des livres de son art, l'expérience des autres praticiens.

J'avoue qu'un medecin qui est simplement savant, qui n'a pas acquis l'habitude, & qui n'a pas observé par lui-même, est un medecin incomplet : mais il est beaucoup moins imparfait que le premier, car les lumieres de la Medecine naissent presque toutes d'une expérience dûe aux observations d'une multitude d'hommes, & qui ne peut s'acquerir que par l'étude. Jamais un medecin ne réussira sans cette étude, & sans la profonde théorie de l'art qui doit lui servir de boussole, quoi qu'en disent les ignorans, qui ne font tort qu'à eux-mêmes en méprisant les connoissances, parce qu'elles sont au-dessus de leur portée. C'est par cette profonde théorie que Boerhaave a fixé les principes de la science médicinale, qui, à proprement parler, n'en avoit point avant lui, & qu'il a élevé par son génie & par ses travaux à ce haut degré de lumiere, qui lui a mérité le titre de réformateur de l'art.

En un mot, on n'est habile dans la pratique, qu'autant qu'on a les lumieres nécessaires pour déterminer la nature de la maladie qu'on traite, pour s'assûrer de sa cause, pour en prévoir les effets, pour démêler les complications, pour appercevoir les dérangemens intérieurs des solides, pour reconnoître le vice des liquides, pour découvrir la source des accidens, pour saisir les vraies indications, & les distinguer des apparences qui peuvent jetter dans des méprises & dans des fautes très-graves. Or c'est uniquement par une science lumineuse qu'on peut saisir, pénétrer, discerner tous ces objets renfermés dans l'intérieur du corps, & réellement inaccessibles à l'empirisme. Voyez THEORIE, PRATIQUE, PRATICIEN, & tout sera dit sur cette importante matiere Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EMPLACEMENTS. m. terme de Gabelle, c'est la conduite & la décharge du sel dans les greniers, magasins, & lieux de dépôt. Voyez GABELLE.

EMPLACEMENT DES SELS, est aussi la maniere dont les masses sont disposées dans les greniers. Cet emplacement a paru si important, soit pour la garde & conservation des sels, soit pour la sûreté des droits du roi, qu'il est porté dans les réglemens que les officiers en feront des procès-verbaux, aussi bien que de la descente des sels & de leur mesurage. Dict. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)


EMPLACER LE SELc'est le mettre dans les greniers destinés pour la décharge, conservation, & distribution du sel. Voyez GABELLE.


EMPLAIGNERvoyez LAINER.


EMPLATRES. m. (Pharmacie) remede topique d'une consistance solide, capable d'être ramolli par une très-legere chaleur, & qui dans cet état peut s'étendre aisément sur une peau ou sur une toile, s'appliquer exactement à la peau, & y adhérer plus ou moins. Voyez EMPLATRE, (Chirurgie)

Les matériaux des emplâtres sont différentes matieres grasses & visqueuses, les graisses de divers animaux, les huiles, les résines, les baumes, la cire, la poix, les gommes résines. Les chaux de plomb qui sont solubles par les huiles, auxquelles elles donnent de la consistance, sont des matériaux fort ordinaires des emplâtres. On a fait entrer aussi dans la composition de quelques-uns diverses substances végétales pulvérisées, & même quelques matieres minérales, comme le mercure, le magnes arsenicalis, la pierre calaminaire, la pierre hématite, les vitriols, le bol, les fleurs d'antimoine, le safran de Mars, la tuthie, le pompholix, &c.

Le manuel de la préparation des emplâtres differe considérablement, selon la diverse nature des matériaux de chacun.

Les emplâtres qui ne contiennent que des graisses, des huiles, des résines, de la cire, des baumes, en un mot des matieres très-analogues entre elles, & éminemment miscibles, sont ceux dont la préparation est la plus simple ; car il ne s'agit pour ceux-là que de faire fondre tous les ingrédiens à un feu leger, au bain-marie pour le plus sûr, & de les mêler intimement. L'emplâtre d'André de la Croix nous fournira un exemple pour cette premiere espece.

Emplâtre d'André de la Croix, selon la pharmacopée de Paris : Prenez de poix-résine une livre, de gomme élémi quatre onces, de terebenthine de Venise, d'huile de laurier, de chacun deux onces ; faites fondre le tout au bain-marie pour en faire un emplâtre, que vous garderez dans un vaisseau.

Nota. Qu'on demande ici que cet emplâtre soit gardé dans un pot, parce qu'il se ramollit facilement ; on peut cependant le rouler en magdaléons. Voyez la fin de cet article.

On prépare encore par une manoeuvre très-simple, les emplâtres qui ne contiennent que des substances miscibles par la simple liquéfaction, auxquelles on ajoute certaines poudres qui ne sont point solubles par les matieres fondues, & qui ne se mêlent avec que par confusion. Voici la maniere de procéder à la préparation d'un emplâtre de cette seconde espece.

Emplâtre de mucilages, selon la pharmacopée de Paris : Prenez de l'huile de mucilages (qui n'est autre chose que de l'huile d'olive cuite : voy. HUILE), de l'huile de mucilages, dis-je, sept onces & demie, de la poix-résine trois onces, de la terebenthine une once ; faites fondre dans l'huile la résine & la terebenthine sur un feu leger. Ce mêlange étant presque refroidi, ajoutez de gomme ammoniac, de galbanum, d'opopanax, de sagapenum en poudre, de chacun demi-once ; de safran en poudre deux gros, de cire jaune fondue suffisante quantité pour donner la consistance d'emplâtre.

Les gommes-résines qui ne se liquéfient pas au feu, & qui ne sont pas solubles par les huiles, sont solubles par le vinaigre ; & on a tiré de cette qualité une autre méthode de les introduire dans les emplâtres : méthode à laquelle on a sur-tout recours pour les gommes-résines, qui ne se pulvérisent que très-difficilement, comme le sagapenum & le bdellium.

On dissout donc les gommes-résines dans du vinaigre, on filtre, on les rapproche à consistance d'emplâtre, ou seulement en consistance de miel, selon qu'il est requis pour la consistance même de l'emplâtre, & on mêle prestement ces gommes ainsi dissoutes & rapprochées, aux matieres grasses fondues, & un tant-soit-peu refroidies.

On fait entrer quelquefois dans le même emplâtre des gommes-résines sous la forme de dissolution épaissie, & sous celle de poudre ; on en a un exemple dans l'emplâtre suivant.

Emplâtre de safran, selon la pharmacopée de Paris : Prenez de colophane, de poix de Bourgogne, de cire jaune, de chacune quatre onces ; de gomme ammoniac, de galbanum, de terebenthine, de chacun un once & trois gros : dissolvez les gommes (c'est-à-dire la gomme ammoniac & le galbanum, qui sont des gommes résines qu'on appelle simplement gommes dans le langage ordinaire des boutiques) : dissolvez, dis-je, les gommes dans le vinaigre, cuisez à consistance de miel, mêlez les gommes épaissies avec la terebenthine ; d'un autre côté faites fondre à feu doux la colophane, la poix, & la cire. Ces dernieres matieres étant retirées du feu, & un tant-soit-peu refroidies, unissez-les promtement à votre premier mêlange, & ajoutez y sur le champ les poudres suivantes : de l'oliban, du mastic, qui sont des résines ; de la myrrhe qui est une gomme-résine, de safran, de chacun une once & trois gros, que vous répandrez sur la masse avec un tamis, & que vous incorporerez avec soin, à mesure qu'elles tomberont.

On peut faire une troisieme espece d'emplâtre de ceux dans la composition desquels on fait entrer des fécules ou parties colorantes vertes des plantes. Dans ce cas, ou on met une plante pilée dans une huile, ou une graisse qu'on fait cuire jusqu'à la dissipation de l'humidité, qu'on passe & qu'on employe ensuite dans l'emplâtre, comme on le pratique dans la préparation de l'emplâtre de mélilot (voyez MELILOT) où l'on employe de la même façon le suc non déféqué d'une plante, comme on le fait pour l'emplâtre de cigue (voyez au mot CIGUE) ; les emplâtres qui contiennent cette fécule sont verds : cette partie est vraiment soluble dans les substances huileuses.

Il faut bien distinguer à cet égard les sucs non déféqués des plantes d'avec leur décoction, qui ne contient point la partie colorante verte des plantes, mais seulement une partie extractive qui n'est pas soluble par les matieres huileuses, & qui ne peut se mêler avec elles, qu'à la façon des poudres, ou plus imparfaitement encore. La cuite du vieux linge ou du charpis dans de l'huile, demandée même dans les pharmacopées modernes, pour la préparation d'un emplâtre qui doit son nom à ce ridicule ingrédient ; la cuite de ce vieux linge, dis-je, est une opération dont la fin, si même elle a jamais été exécutée pour une fin, n'est plus un objet réel pour les artistes de ce siecle. On peut en dire à-peu-près autant des décoctions des substances animales. Une décoction chargée de parties animales & de parties végétales, demandée dans l'emplâtre de grenouilles ou de Vigo, est donc un ingrédient très-défectueux de cet emplâtre (voy. sa composition au mot VIGO) ; aussi les meilleurs artistes employent-ils de l'eau pure (qui est d'ailleurs nécessaire dans la préparation de cet emplâtre) à la place de la décoction.

Les extraits rapprochés ou réduits en consistance solide, se mêlent très-difficilement encore avec les matériaux huileux des emplâtres ; aussi l'union des extraits avec les autres ingrédiens de l'emplâtre diabotanum, ne cause-t-elle pas un des moindres supplices des artistes dans l'exécution de cette pénible & fastueuse composition pharmaceutique.

Les emplâtres dans la composition desquels entrent les chaux de plomb, constituent une quatrieme classe. La manoeuvre par laquelle l'artiste dispose ces substances à la combinaison est très-chimique ; & il n'est point de chimiste qui ne pût être flaté de la découverte de cette pratique, qui est sans-doute dûe au hasard ou au tâtonnement, comme tant d'autres de la même classe, ou pour le moins dont l'inventeur est absolument inconnu.

Pour unir une chaux de plomb à une huile ou à une graisse ; la litharge, par exemple, à l'huile d'olive ou au saindoux (voyez DIAPALME dans lequel entrent ces trois ingrédiens), on prend de l'une & de l'autre de ces substances dans une proportion connue, environ une portion de litharge pour deux portions d'huile ; on les met dans une bassine destinée à cet usage, dont le fond dégenere en un cone renversé & obtus, avec une bonne quantité d'eau, à-peu-près autant que d'huile ; on fait bouillir en brassant exactement, c'est-à-dire remuant en tout sens avec une spatule de bois, jusqu'à ce que la combinaison soit achevée. On connoît qu'elle l'est, ou que la litharge est cuite, pour parler le langage des boutiques, lorsqu'on n'apperçoit plus de grains de litharge, & que la masse de l'emplâtre est égale & liée. Si l'eau manque avant qu'on ait obtenu ce point, ce qu'on connoît à ce que la masse de l'emplâtre se boursouffle & s'éleve plus qu'auparavant, & qu'elle tombe & s'affaisse ensuite presque tout-d'un-coup, on ajoûte de l'eau bouillante qu'on doit avoir sous la main, ou qu'on doit faire chauffer, retirant la bassine du feu pendant ce tems-là. On ne sauroit employer de l'eau froide, parce que ce liquide s'introduisant sous la masse de l'emplâtre, qui est actuellement chaude au degré de l'eau bouillante, comme nous allons l'observer, & étant mis soudainement en expansion, feroit monter brusquement l'emplâtre, le répandroit, pourroit blesser l'artiste, & même occasionner un incendie.

Le merveilleux, ou plûtôt le beau simple de cette opération, consiste en ceci : on traite proprement l'huile & la litharge au bain-marie, & cela, quoique l'eau qui fait le bain soit contenue dans le même vaisseau que les matieres qu'elle échauffe ; & il est inutile en effet de la placer dans un vaisseau séparé, parce qu'elle n'a aucune action chimique sur ces matieres. Or il est utile de ne les exposer, ces matieres, qu'à ce degré de chaleur, parce qu'une partie de l'huile pourroit être brûlée à un degré de feu supérieur, & fournir par conséquent du charbon, & la chaux de plomb être réduite, ou du moins noircie : l'un & l'autre inconvénient ôteroit à l'élégance de l'emplâtre, supposé toutefois que l'élégance ne dépendît pas de la noirceur ; car les lois sont ici fort bisarres & fort arbitraires. Un emplâtre de la classe de ceux dont nous parlons ici seroit manqué, si on brûloit le plomb ; l'emplâtre noir ou de céruse brûlée, & l'onguent de la mere (qui est un emplâtre), seroient manqués au contraire, si on ne le brûloit pas. Voyez ONGUENT DE LA MERE, & la suite de cet article.

Je suppose que mes lecteurs n'ignorent pas que l'huile ne bout point au degré de l'eau bouillante, & que toutes les fois que deux liquides immiscibles se trouvent confondus en quelque proportion que ce soit, & exposés au feu, la chaleur ne peut jamais s'élever dans la masse entiere au-dessus du plus haut degré dont est susceptible le liquide le plus volatil, ou celui des deux dont le degré de chaleur extrême est le plus foible, caeteris paribus ; que par conséquent dans le cas dont il s'agit, l'huile ne peut contracter que le degré de chaleur de l'eau bouillante.

Secondement, il vaut mieux appliquer l'eau bouillante immédiatement, que d'interposer un vaisseau entre ce liquide & les corps à unir ; parce qu'outre que cette méthode est plus commode & plus courte, elle sert encore, en ce que le bouillonnement de l'eau agite la masse de l'emplâtre dans toutes ses parties, & concourt très-efficacement au mouvement qu'on se propose d'exciter en brassant ; mouvement qui hâte toutes les dissolutions. Voyez MENSTRUE.

Si on se propose de rendre noir ou brun un emplâtre qui contient une chaux de plomb, on n'a qu'à cuire à un feu fort & sans eau ; c'est ainsi qu'on le pratique pour l'emplâtre suivant :

Emplâtre noir ou de céruse brulée, selon la pharmacopée de Paris : Prenez de plomb blanc, c'est-à-dire de céruse, une livre ; d'huile d'olive, deux livres : cuisez ensemble à feu fort, ajoûtant de tems en tems quelques gouttes de vinaigre (pratique qui paroît assez inutile), jusqu'à ce que vous ayez obtenu la consistance d'emplâtre & la couleur noire : ajoûtez enfin de cire jaune, quatre onces.

Il entre des huiles essentielles dans la composition de quelques emplâtres. On ne doit ajoûter ces ingrédiens volatils, que lorsque la masse de l'emplâtre est presque refroidie.

Les emplâtres se gardent dans les boutiques sous la forme de petits cylindres longs d'environ trois pouces, & du poids d'une once, qui sont connus dans l'art sous le nom de magdaléon. Voyez MAGDALEON.

Les Chirurgiens demandent quelquefois des emplâtres composés, ou des onguens dans la composition desquels entrent un ou plusieurs emplâtres. Ces préparations sont extemporanées ou magistrales ; on les exécute sur le champ en mêlant les divers emplâtres par la fusion sur un feu doux.

On fait une sorte d'emplâtre avec la cire blanche, le blanc de baleine, & l'huile d'amandes douces, ou des semences froides majeures, qu'on doit regarder comme une préparation magistrale, parce qu'elle n'est pas de garde, & qu'on ne doit l'exécuter qu'au besoin.

De toutes les compositions pharmaceutiques, aucune n'a été si inutilement multipliée que les emplâtres. Outre le peu de secours qu'on en tire en général, & le manque absolu d'observations qui établissent les vertus particulieres dans quelques-uns (voyez EMPLATRE, Chirurgie) ; outre ces raisons tirées de l'expérience medicinale, on peut se convaincre de ce qu'on avance ici, en jettant simplement les yeux sur la dispensation des emplâtres, qu'on trouvera presque toûjours la même, sur-tout si on examine celle des emplâtres les plus composés. (b)

EMPLATRE, (Matiere médicale interne) L'application de certains emplâtres passe pour un secours qu'il ne faut pas négliger dans certaines affections intérieures, comme dans les tumeurs du foie & de la rate ; dans cette élévation rénitente de tout le bas-ventre des enfans, connue à Paris sous le nom de carreau, &c. ce sont sur-tout les emplâtres de ciguë, de bétoine & de vigo, qui sont renommés à ce titre. Voyez BETOINE, CIGUE, VIGO, PIQUEIQUE. (b)

EMPLATRE, en Chirurgie, c'est la composition pharmaceutique de ce nom, étendue sur du linge plus ou moins fin, sur du taffetas ou sur de la peau, suivant les différentes vûes qu'on peut avoir dans son application, ou pour des raisons de propreté ; tels sont ceux qu'on met au visage, & qui sont ordinairement de taffetas noir.

Les emplâtres sont d'un très grand usage dans la pratique de la Chirurgie ; on s'en sert aussi fort utilement dans plusieurs maladies internes.

On n'applique pas toûjours les emplâtres, par rapport à la vertu des médicamens dont ils sont composés. La seule qualité glutineuse les fait employer dans plusieurs cas, comme dans la suture seche pour la réunion des plaies. Voyez SUTURE. Un bandage fait avec méthode, peut tenir les levres de certaines plaies dans l'état d'approximation nécessaire pour qu'elles se réunissent ; mais il y a des plaies qu'il est impossible de contenir par les bandages : telles sont la plûpart des plaies obliques & transversales. Si elles sont superficielles, il sera inutile de les coudre avec les aiguilles & les fils. Cette suture est une opération douloureuse, qu'il n'est permis de faire que dans le cas de l'insuffisance démontrée des autres moyens qu'on auroit dû employer. Des emplâtres agglutinatifs grillés, ou des bandelettes emplastiques, peuvent être disposées de façon à tenir les levres de la plaie dans le contact nécessaire, & empêcher qu'elles ne puissent s'éloigner l'une de l'autre. On se sert communément pour cela de l'emplâtre d'André de la Croix ; il est composé avec la résine, la gomme-élemi, la terebenthine & l'huile de laurier, mêlées & cuites selon l'art. L'emplâtre de bétoine est aussi un très-bon agglutinatif. Si ces compositions sont nouvelles, elles se fondent par la chaleur de la partie, & alors les levres de la division ne sont plus maintenues. Presque tous les emplâtres tiennent très-bien s'ils sont anciens, & si l'on a la précaution de les étendre très-minces, & sur du gros linge presque neuf. Il faut aussi avoir soin que le linge soit coupé à droit fil.

La situation de la plaie & sa figure doivent déterminer la figure de ces emplâtres, & si un seul sera suffisant, ou s'il en faudra plusieurs. Les bandes emplastiques doivent être assez longues pour pouvoir soûtenir la peau de loin : trop courtes, elles contiendroient mal les levres de la plaie, sur-tout si elle avoit un peu de profondeur. Quand on est obligé par quelque raison que ce soit de lever ces emplâtres, il faut avoir la précaution de ramollir le médicament par l'application d'une serviette chaude, ou avec un peu d'huile chauffée à un degré convenable, afin de ne déranger l'ouvrage de la nature par aucun tiraillement. On a soin aussi de lever l'emplâtre directement dans toute son étendue ; d'abord par un côté, en le tirant vers la plaie, près de laquelle on s'arrête pour en faire autant du côté opposé, afin d'être en garde contre le déchirement d'une cicatrice récente, que le moindre effort opposé à la réunion pourroit rompre.

Les emplâtres purement contentifs ne servent aussi que par la qualité glutineuse du médicament ; on les applique sur les plumaceaux qui recouvrent les plaies ou les ulceres afin de les maintenir. On abuse un peu de ce moyen, qui a des inconvéniens. L'adhérence de l'emplâtre aux environs de l'ulcere, bouche les pores, occasionne quelquefois un prurit érésypélateux, rend la suppuration plus abondante par rapport à la transpiration supprimée, & retient les matieres purulentes dans l'ulcere ou aux environs. Quoiqu'il soit démontré que rien n'est si sain que la propreté, cependant rien n'est si commun dans la plûpart des hôpitaux, sur-tout dans ceux où il y a un très-grand nombre de malades ; rien, dis-je, n'y est si commun que de voir la circonférence des plaies & des ulceres fort mal-propres, par le peu d'attention des éleves auxquels les pansemens sont confiés, & par l'abus des emplâtres. Leur usage rend ces mêmes éleves plus négligens sur la meilleure maniere d'appliquer les bandes pour contenir l'appareil en situation d'un pansement à l'autre. Cette mal-propreté, contre laquelle on ne peut s'élever avec trop de force, contribue plus que toute chose à rendre les ulceres sordides & de difficile guérison, & peut-être même à les rendre par la suite tout-à-fait incurables, quoiqu'on eût pû avec un peu de propreté, les guérir par l'application des remedes les plus simples, tels que le vin miellé, &c. j'en ai fait plus d'une fois l'expérience. L'emplâtre de diapalme est celui dont on se sert le plus communément, comme contentif.

On peut couvrir d'un médicament emplastique le côté d'une compresse expulsive qui touche la partie, afin de la fixer invariablement sur le fond du sinus dont on veut faire sortir la matiere. On lit dans les observations communiquées par Formi célebre chirurgien de Montpellier, à Lazare Riviere doyen des professeurs royaux de Medecine en l'université de cette ville, qu'un abcès considérable sur le sternum avoit été ouvert sans méthode à la partie supérieure. Suivant les regles de l'art, l'incision auroit dû être faite à la partie déclive (voyez ABCES, COMPRESSE, COMPRESSION, CONTRE-OUVERTURE) ; mais pour éviter une seconde opération, Formi conseilla l'application d'une compresse épaisse & agglutinative, sur laquelle un bandage serré convenablement procura le recolement des parois du sec, en déterminant le pus à sortir par l'ouverture supérieure.

Il peut y avoir des indications qui exigent que la compresse expulsive soit enduite d'un médicament approprié au cas. Je me suis servi avec le plus grand succès d'une compresse expulsive maintenue par un mélange d'emplâtre de ciguë & de vigo, sur un sinus accompagné de dureté & de callosités dans un ulcere scrophuleux.

Les emplâtres les plus efficaces contre la teigne n'agissent que par la qualité agglutinative ; & l'on a la précaution de les étendre sur de la toile neuve, pour qu'ils adherent plus fortement, afin d'arracher les cheveux jusqu'à leurs racines. Voyez TEIGNE.

Eu égard à la vertu des médicamens dont les emplâtres sont composés, il y en a d'émolliens, comme ceux de mucilages & de mélilot. D'autres sont résolutifs & fondans ; tels sont les emplâtres de savon, de ciguë, de diabotanum, de vigo, &c. Les premiers sont plus émolliens & discussifs ; ceux-ci sont plus stimulans. L'effet des emplâtres est relatif aux dispositions des fluides & des solides. Si l'humeur qui est en stagnation dans la tumeur qu'on veut résoudre est fort épaisse ; si les émolliens ne l'ont pas préparée à la résolution, les remedes résolutifs procureront une plus forte induration. Si au contraire il y a un commencement de chaleur dans la tumeur, les résolutifs, par leur qualité stimulante, accéléreront le jeu des vaisseaux, & la tumeur suppurera avec des résolutifs, qui deviennent alors les meilleurs maturatifs & attractifs dont on puisse se servir. On n'est guere trompé dans son attente lorsqu'on procede par principes & par raison, c'est-à-dire par une experience réfléchie & raisonnée, bien différente de l'empirisme que le vulgaire honore du nom d'expérience, & qui n'est qu'une routine aveugle.

Le diachilon gommé est un des meilleurs emplâtres maturatifs dans les furoncles, les clous, & autres tumeurs de cette nature qui ont de la disposition à suppurer. Pour mondifier & déterger, l'emplâtre divin est fort recommandé ; & ceux de céruse, de minium, de Nuremberg, & principalement celui de pierre calaminaire, ont la vertu de dessécher & de cicatriser.

Il y a des préparations emplastiques destinées particulierement à certaines maladies & à certaines parties. L'emplâtre de bétoine est céphalique, & consacré pour la guérison des plaies de tête. Mais ne mondifieroit-il pas également les plaies des autres parties ? Les mêmes pharmacopées qui en vantent les propriétés pour les plaies de tête, ajoûtent qu'on s'en sert aussi pour ramollir les cors des piés.

L'emplâtre de blanc de baleine, dans lequel entre la gomme ammoniaque dissoute dans du vinaigre, est un bon remede pour les mammelles des femmes, qui ne peuvent ou ne veulent pas alaiter leurs enfans ; il dissipe le lait, appaise les douleurs qui en proviennent, & en résout les grumeaux & les duretés qui en résultent. Je ne crois pas qu'on puisse penser aussi favorablement des effets que peut produire l'application de l'emplâtre de nicotiane & de ciguë dans les indurations & les skirrhes du foie & de la rate. Suivant les auteurs de la pharmacopée d'Augsbourg, Montanus & Bellacattus, célebres medecins de Padoue, faisoient un grand usage d'un emplâtre contre l'hydropisie, & l'on assûre qu'il n'est pas sans efficacité. Il est composé de fiente de pigeon, de suc d'hyeble, de miel, de soufre vif, de nitre, de poudre d'iris, d'énula, de baies de laurier, d'aneth, de fleurs de camomille, de semence de cresson, de farine de feve, de suif de cerf, de terebenthine, & d'une suffisante quantité de cire. Quand on connoît la nature de l'hydropisie, & les différentes causes qui peuvent donner lieu à cette maladie, comment peut-on imaginer qu'on puisse la guérir par des applications extérieures ? Nous osons faire la même réflexion sur l'emplâtre fébrifuge, fait avec des araignées vivantes & leurs toiles, mêlées dans de la terebenthine avec du sel armoniac, &c. pour être appliqué sur le poignet. Il y a cependant des remedes qu'on applique extérieurement, & dont la vertu peut changer toute la disposition de la masse du sang. Tel est l'emplâtre vésicatoire. Son effet ne se borne pas à l'élévation des phlictaines sur l'endroit où on l'a appliqué, ni à l'évacuation de la matiere lymphatique qui coule de ces vessies ; le sang en est altéré, les sels des cantharides qui y sont portés en détruisent la viscosité. Tout le monde sait que l'emplâtre d'opium appliqué sur l'artere temporale, calme efficacement la douleur des dents ; & le docteur Nugent, dans une savante dissertation qu'il vient de donner sur l'hydrophobie, à la suite de l'histoire d'une personne mordue par un chien enragé, qui eut l'hydrophobie, & qui fut heureusement guérie par l'usage des antispasmodiques ; le docteur Nugent, dis-je, a prouvé très-solidement que dans toutes les affections qui dépendent de l'irritation des solides & de l'émotion spasmodique des fibres, il ne pouvoit y avoir de remede plus efficace que l'usage régulier des applications topiques, capable de calmer ces agitations.

On donne différentes figures aux emplâtres, suivant les parties sur lesquelles on doit les appliquer ; il y en a de ronds, de quarrés, d'ovales : on les taille en croissant ou en demi-lune pour la fistule à l'anus. On en fait de très-petits de la même figure pour les paupieres ; ceux qu'on applique dans le pli de l'aîne sont triangulaires ; on les coupe en croix de Malte pour l'extrémité des doigts, & on les fend plus ou moins profondement dans leur circonférence, afin qu'on puisse les appliquer également sur les parties inégales. On roule des languettes d'emplâtres en forme de baguettes ou de verges, connues sous le nom de bougies, pour le traitement des maladies du canal de l'urethre. Voyez BOUGIE & CARNOSITE. (Y)


EMPLETES. f. (Com.) achat de marchandises. Voyez ACHAT. Ce mot paroît dérivé du latin emere, acheter. (G)


EMPLIS. m. en terme de Raffinerie des sucres, se dit d'un lieu voisin des fourneaux où l'on plante les formes vuides. On se sert encore de ce terme pour signifier la quantité de formes qu'on a remplies. Ces formes, dit-on, sont du même empli : voila l'empli d'hier, de ce matin, &c.


EMPLIRen terme de Raffineur de sucre, est en général jetter la matiere cuite dans des formes plantées dans l'empli. Voyez PLANTER & EMPLI.


EMPLOCIESS. f. (Mythol.) fêtes qu'on célébroit dans Athenes, & dont nous ne connoissons qu'une circonstance que l'étymologie nous a conservée : c'est que les femmes y paroissoient les cheveux tressés.


EMPLOI(Jurisp.) ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes.

Emploi, dans un compte, signifie l'application que l'on fait d'une partie dans la recette ou la dépense ; ainsi l'on dit employer une somme en recette, c'est-à-dire s'en charger en recette. Employer une somme en dépense, c'est la porter dans la dépense du compte. Employer en reprise, c'est reprendre & retirer une somme dont on s'est d'abord chargé en recette, mais que l'on reprend ensuite, parce que réellement on ne l'a pas touchée.

Emploi de deniers, c'est lorsqu'on se sert des deniers de quelqu'un, soit pour payer une dette, ou pour acquérir un héritage ou autre immeuble.

Emploi de la dot, c'est lorsque le mari place la dot qu'il a reçue de sa femme, en deniers, afin d'en assûrer la répétition. Voyez DOT & REPETITION.

Double emploi dans un compte, est lorsqu'un même article est porté deux fois, soit en recette, dépense, ou reprise. L'erreur qui résulte d'un double emploi ne se couvre point. Voyez COMPTE.

Faux emploi se confond souvent avec le double emploi ; l'ordonnance de 1667 ne se sert même que du terme de faux emploi, en parlant des erreurs de cette espece qui peuvent se glisser dans les comptes : il semble cependant que le faux emploi est différent du double emploi. L'un est ce qui est mal employé : par exemple, si un article de dépense est porté dans la recette, aut vice versâ, ou si on porte en dépense quelqu'article qui ne regarde pas l'oyant ; au lieu que le double emploi est un article qui est bon la premiere fois qu'on l'employe, mais qui est vicieux dans l'endroit où on l'employe pour la seconde fois.

Emploi dans un inventaire de production, ou dans une requête de production nouvelle ; est la mention que l'on fait d'une piece dont on tire quelqu'induction, sans néanmoins produire la piece même, soit parce qu'elle est déjà produite sous quelqu'autre cotte, soit parce que celui qui fait cet emploi, n'a pas la piece en sa possession.

On fait ainsi des emplois, non-seulement de pieces connues & qui existent, mais aussi de faits que l'on pose comme certains. Ces sortes d'emplois n'ont de force qu'autant que les faits sont constans & notoires, ou prouvés d'ailleurs, ou qu'ils sont avoüés par la partie adverse, desorte que si la partie ne convient pas de ces faits, on contredit les emplois de ces faits prétendus certains, de même que les emplois de pieces. Voyez CONTREDITS, INVENTAIRE DE PRODUCTION, PRODUCTION, PRODUCTION NOUVELLE. (A)


EMPLOYÉadj. pris subst. signifie quelquefois commis. Les directeurs des fermes du roi ont inspection sur les receveurs, contrôleurs & autres employés. (G)


EMPLOYERdans le Commerce, se servir de quelqu'un ou de quelque chose. En fait de compte, ce terme signifie mettre quelque partie, quelqu'article en recette ou en dépense. Avez-vous employé ces mille écus dans votre compte ? Voyez EMPLOI. (G)


EMPLURES. f. en terme de Batteur d'or ; c'est une feuille qui se met au commencement des outils, pour garantir l'or de la trop grande force des coups, qu'elle amortit : les deux premieres sont du double plus épaisses que les autres. Le nombre des emplures est toûjours le même pour tous les outils. Voyez OUTILS & BATTEUR D'OR.


EMPOIGNÉadj. en termes de Blason, se dit des fleches, javelots & autres choses semblables de figure longue, quand elles sont au nombre de trois ou plus, l'une en pal, les autres en sautoir, assemblées & croisées au milieu de l'écu. Les fleches qui composent la devise des états de Hollande, sont de cette sorte.

Bons, comtes d'Entremont en Provence : d'or à la bande d'azur, chargées de trois étoiles d'or, & empoignée par une patte de lion de sable, mouvante du flanc dextre de l'écu.


EMPOINTERAPPOINTER, ou POINTER une piece d'étoffe, (Draperie) c'est y faire quelques points d'aiguille avec de la soie, du fil, ou de la ficelle, pour la contenir dans la forme où elle a été pliée, & l'empêcher de prendre de mauvais plis.

On ne peut bien voir ni examiner une piece d'étoffe, qu'elle ne soit desempointée, c'est-à-dire qu'on n'en ait coupé les points pour la déplier & l'étendre.

Par le réglement du 7 Avril 1693, concernant les toiles qui se fabriquent dans les généralités de Caën & d'Alençon, il est défendu aux tisserands & marchands d'empointer aucune piece de toile pour l'exposer en vente.

On appelle étoffe empointée, celle dont les plis sont arrêtés par quelques points d'aiguille avec de la soie, du fil, ou de la ficelle. Voyez les dictionnaires de Trévoux, du Commerce, & les réglemens du Comm. (G)


EMPOISS. m. (Blanchissage du linge) Prenez de l'amydon une demi-livre ; faites bouillir dans trois pintes d'eau bien nette ; remuez pendant l'ébullition, avec une spatule de bois ; ajoûtez une once d'émail de Hollande, ou de bleu ; gros comme une petite noix d'alun de roche, & autant de cire grommelée : faites cuire le tout à petit feu ; & quand vous vous appercevrez que l'eau commencera à se clarifier, ôtez le mélange de dessus le feu, & passez-le par un linge propre. Voyez AMYDON.


EMPOISONNEMENTS. m. (Jurisp.) c'est l'action de faire prendre à quelqu'un du poison, ce qui est un crime capital : en termes de palais on dit plus communément le crime de poison. Voyez POISON. (A)


EMPOISSONNERv. act. (Pêche) Le mois de Mai est toûjours le tems qu'on choisit pour empoissonner les étangs, à cause que c'est la saison de trouver beaucoup de petits poissons, ces animaux étant entrés en amour au commencement du printems.

En Bourgogne on appelle cet empoissonnement de l'alvin ; & par étymologie, le lieu où on le conserve s'appelle alvinier.

Pour empoissonner les étangs, il faut un millier de petits poissons par chaque arpent.


EMPOLI(Géog. mod.) ville de la Toscane en Italie ; elle est située sur l'Arne. Long. 28. 40. lat. 43. 42.


EMPORETIQUEadj. est un terme de Pharmacie qui se dit du gros papier gris ou brouillard, qui boit, & dont on se sert pour filtrer des liqueurs.


EMPORIUM(Hist. anc.) c'étoit à Rome un lieu où s'assembloient des marchands de miel, de fruits, & d'autres pareilles denrées. Il y en avoit un dans la troisieme région, proche de la metasudante : il tenoit tous les neuf jours. Il y en avoit un autre hors de la porte trigemina, près du campus navalis ; les bateaux y abordoient : il étoit situé dans la treizieme région, pavé, & entouré de palissades. Ce fut Aurélien qui l'enferma dans Rome, lorsqu'il en étendit l'enceinte.

Il y avoit dans Athenes des emporii curatores, dont les fonctions étoient de veiller à ce qu'on ne distribuât aucune mauvaise denrée dans les marchés ; qu'on y vendît à bon poids & à bonne mesure, & qu'aucun particulier n'enlevât plus de vin & de blé qu'il ne lui en falloit pour sa consommation domestique : ce qui restoit étoit acheté par l'état, porté dans des magasins, & donné aux pauvres à un prix modéré.


EMPORTE-PIECES. m. en terme de Boutonnier ; c'est un fer gravé en creux, & tranchant, qui emporte de petits morceaux de vélin de la figure qu'il a lui-même, quand on le frappe avec le marteau sur les vélins.

EMPORTE-PIECE, chez les Bourreliers, est une espece de ciseau de fer rond dans toute sa longueur, creux par l'extrémité d'en-bas, & fort coupant, dont on se sert pour pratiquer des trous dans le cuir. Pour cet effet on pose la partie coupante de cet outil à l'endroit où on veut faire le trou ; & en frappant avec un maillet sur la tête de l'instrument, on coupe le cuir, de maniere que la piece ronde qui en sort, monte le long de la partie creuse de l'emporte-piece, & sort par une ouverture pratiquée vers le milieu de l'instrument.

Il y a chez les Bourreliers plusieurs sortes d'emportes-piece, qui ne different que par leur grosseur & par la grandeur des pieces qu'ils emportent. Voyez les figures dans la Planche du Bourrelier.

EMPORTE-PIECE, terme & outil de Ceinturier, qui sert pour faire des trous au cuir qu'ils employent.

Cet outil fait à-peu-près comme le rivetier, est creux & tranchant par en-bas ; de façon qu'en l'appliquant sur un morceau de cuir, & frappant dessus, il emporte la piece & forme un trou. Voyez la fig. Pl. du Ceinturier.

EMPORTE-PIECE, outil de Ferblantier ; c'est un poinçon long de trois pouces, gros de deux pouces, rond dans toute sa longueur, & qui est creux en-dedans par en-bas, & fort tranchant. Cet outil sert aux Ferblantiers pour former un gros trou rond dans une piece de fer-blanc. Voyez la figure, Planche du Ferblantier.

EMPORTE-PIECE, pour les fermoirs de livres ; c'est une espece de levier, à l'extrémité duquel on a pratiqué la figure en creux des fermoirs de livres. Les bords de cette figure sont fort tranchans : le levier est long ; il est arrêté à charniere sur un établi, vers le bout où l'on a pratiqué la figure en creux du fermoir. On expose à l'action de ce levier, sous la figure en creux, des feuilles de cuivre, d'argent, &c. On applique la main à l'extrémité du levier, & cette seule pression fait trancher les feuilles par les bords coupans de la figure en creux du fermoir. En très-peu de tems on parvient à couper ainsi un grand nombre de fermoirs. Voyez les figures.

EMPORTE-PIECE, (Jardinage) c'est un outil de fer ou d'acier, très-tranchant, qui ampute, entaille & enleve à soi, lorsqu'on le retire, la piece qu'il a coupée. C'est une espece de fermoir ou ciseau de menuisier, avec lequel on fait dans le bois d'une tige étronçonnée, une entaille longue & large, à proportion de la grosseur de la greffe qu'on y veut insérer, de maniere qu'elle y soit enchâssée bien juste. On dit greffer en emporte-piece. Voyez GREFFE. (K)

EMPORTE-PIECE, (Lutherie) sorte de poinçon à découper dont les Facteurs de clavecins se servent pour percer en quarré les registres & guides revêtus de peau de mouton. Le pelletier emporte d'un seul coup une piece parallélogramme, qui est la figure des trous des registres & du guide par où passent les sautereaux : les deux autres, marqués 2 & 3 dans la Planche, servent à faire en deux fois la même opération. Celui qui est marqué 2, coupe les deux longs côtés des trous ; & le troisieme, les deux petits côtés des mêmes trous. On se sert préférablement de ces derniers, quoiqu'il soit nécessaire de frapper deux fois, parce qu'ils sont plus faciles à faire & plus faciles à aiguiser. On coupe ces morceaux de peau sur un morceau de bois bien dressé, ou sur une lame de plomb. Voyez les figures 24, 25 & 29, Pl. XVII. de la Lutherie.

EMPORTE-PIECE, à la Monnoie, nom que les ouvriers donnent à l'instrument appellé coupoir. Voyez COUPOIR.


EMPORTERv. act. se dit en général d'une action en conséquence de laquelle un corps auquel cette action est appliquée, passe d'un lieu dans un autre. On y joint pourtant cette vûe de l'esprit, que la cause qui transporte est regardée comme continuellement appliquée à la chose emportée. On se sert de ce terme au simple & au figuré, au moral & au physique ; mais le substantif emportement ne se prend qu'au moral, & marque une agitation violente de l'ame. Le participe emporté se prend au physique & au moral : on dit, on a emporté cette armoire, & c'est un emporté.

EMPORTER, REMPORTER ; synon. On dit toûjours remporter la victoire, & non pas emporter la victoire ; mais on dit au contraire emporter le butin, & non pas remporter le butin. Ces deux mots ont également leur bisarrerie d'usage, quand on les employe au figuré. Art. de M(D.J.)

EMPORTER, (Marine) se dit de ce que le vent ou les coups de mer enlevent du vaisseau. On a vû des voiles & des vergues emportées par le vent, des galeries emportées par des coups de mer, & quelquefois des mats. (Z)

EMPORTER (s') v. pass. (Manége) terme usité parmi nous pour désigner en général l'action d'un cheval que le cavalier ne peut arrêter, & qui fuit avec fougue & avec impétuosité malgré tous les efforts que l'on fait pour le retenir.

Ce défaut est plus ou moins considérable selon ses causes & sa source.

Il procede souvent de l'ignorance d'une main dure & cruelle, incapable de reconnoître & de sentir le fond de la bouche de l'animal, & qui, par un appui forcé & toûjours constant dans le même degré, en échauffe tellement toutes les parties qu'elle les prive de toute sensibilité (voyez MAIN). Il peut être encore occasionné par tous les vices qui tendent à égarer une bouche (voyez EGARER), par l'habitude de forcer la main (voyez FORCER), par la gaieté du cheval qui s'émeut & s'excite lui-même à la vûe ou à l'ouie d'un autre cheval qui galope ; par sa timidité, lorsqu'à l'occasion de quelque bruit il fuit & s'échappe ; par de mauvaises leçons ; par la facilité avec laquelle le cavalier se sera laissé maîtriser, &c.

Il est certain que ce n'est qu'autant que toutes les portions de la bouche, & principalement les barres, n'auront point été véritablement endommagées, que nous pourrons remédier à ce vice, d'autant plus essentiel, que les suites en peuvent être extrêmement funestes. Si ces mêmes portions sont en effet dans un état desespéré, & qu'il ne nous soit plus absolument permis d'y rappeller par aucun moyen le sentiment qu'elles ont perdu, vainement tenterions-nous d'en corriger l'animal. Ou cette action de fuir est tournée en habitude, ou elle n'est que passagere.

Dans le premier cas, il s'agira de travailler le cheval lentement & au pas, & avec toute l'attention que demande une bouche sujette à s'échauffer ; du pas, on le conduira insensiblement au trot, & du trot on le ramenera au pas pour le remettre au trot, & successivement au galop, en le ralentissant toûjours & en entremêlant prudemment ces différentes allures. Le galop étant incontestablement la plus vive & la plus promte, est aussi très-communément celle dans laquelle il s'anime davantage, & où il est le plus sujet à s'emporter ; on ne l'y exercera par conséquent que, lorsque dans les autres, il obéira exactement à toutes les impressions de la main, on en augmentera aussi la rapidité, on en diminuera de tems en tems la vitesse ; & les arrêts multipliés selon le besoin, ainsi que la répétition de la leçon du reculer, étoufferont enfin en lui cette vivacité & cette ardeur, ou du moins le remettront sous les lois d'une entiere obéissance.

L'emportement n'est-il que passager ? n'a-t-il lieu que dans la circonstance d'un autre cheval qui court rapidement, ou à raison de la surprise & de la crainte que lui inspirent certains bruits auxquels ses oreilles ne sont point accoûtumées ? n'est-il, en un mot, suscité qu'à l'occasion des objets extérieurs dont il est frappé ? on doit 1°. nécessairement l'habituer au son & à la vûe de ces mêmes objets : 2°. le retenir & le renfermer dans l'instant même du premier effort qu'il fait pour s'échapper, & rendre la main dans l'instant qui le suit, sauf à le reprendre de nouveau s'il témoigne encore le moindre desir de fuir. Sans cette précision avec laquelle le cavalier saisit le moment, l'animal se dérobe toûjours pendant un espace plus ou moins considérable de terrein ; & cette espece de victoire qu'il remporte l'enhardit, pour ainsi dire, & peut non-seulement le confirmer dans ce leger défaut, mais occasionner ces mouvemens fougueux auxquels on s'oppose inutilement. Il est même très-à-propos de joindre quelquefois le châtiment à l'action, de saisir le tems, afin de faire sentir à l'animal renfermé & puni, que cette passion immodérée d'une course que le cavalier ne sollicite point, est une faute qui lui attire la correction qu'il redoute ; ainsi serrez vivement les deux talons en mettant la main près de vous, rendez & reprenez sur le champ, bientôt le cheval ne reconnoîtra plus rien qui puisse l'engager à s'emporter.

La plûpart des hommes imaginent que la voie la plus sûre de retenir un cheval qui fuit, est de s'attacher à la main. Ils employent tout leur pouvoir & toutes leurs forces dans l'espérance de l'arrêter, mais leurs efforts sont toûjours superflus & sans succès. La raison en est simple ; d'une part, ces mêmes efforts exercés directement sur la bouche falsifient si considérablement l'appui, que le cheval méconnoît entierement la main & tous les effets qui auroient pû résulter de celle qui n'auroit été que douce & legere. D'un autre côté, en supposant qu'il puisse encore rencontrer un sentiment quelconque, il est certain que l'impression de la main augmentera le pli ou la flexion du derriere ; car telle est l'efficacité des renes mues & approchées de notre corps, qu'elles surchargent l'arriere-main : or ce même arriere-main chassant, & ne pouvant que continuellement chasser l'animal au moyen de la flexion répétée de ses parties, il s'ensuit que plus la tension des renes est constante & augmentée, plus les forces de l'animal qui s'emporte sont accrues & multipliées ; ainsi bien loin de l'arrêter, on lui fournit les moyens de résister avec plus d'empire. Il est donc incontestablement assuré qu'on ne retient jamais plus aisément & plus véritablement un cheval, qu'en rendant & en cessant, pour ainsi dire, de le retenir, pourvû qu'on le reprenne dans la main successivement & de tems en tems. (e)

EMPORTER, (Jardinage) on dit qu'un arbre s'emporte, quand il pousse avec trop de vivacité, & qu'il est à craindre que le trop de vivacité ne le fasse avorter. (K)


EMPOTERv. act. en terme de Cuisine, c'est mettre une piece dans un pot ou dans une terrine avec du bouillon, après l'avoir fait frire dans du beurre ou dans du sain-doux.

EMPOTER, (Jardinage) est un terme employé par les Fleuristes, pour signifier qu'il est nécessaire de planter des fleurs ou arbrisseaux dans des pots. Voyez POTS. (K)


EMPOUILLESS. f. (Jurisprud.) se dit dans quelques provinces pour exprimer les grains pendans par les racines. Ce terme est opposé à dépouille, qui signifie les grains séparés du fonds. (A)


EMPOULETTEAMPOULETTE, s. f. (Marine) c'est une petite machine composée de deux petites bouteilles faites en poire, & jointes ensemble par un col étroit ; leur jonction est encore séparée par un parchemin fin, au milieu duquel on fait un petit trou propre à passer un sable très-fin, qui coule de la petite bouteille d'en-haut dans celle d'en-bas, & l'on en met la quantité qu'il en faut pour employer une demi-heure à passer. Voyez HORLOGE. (Z)


EMPREINTES. f. (Gramm. & Arts méchan.) il se dit de l'image qu'un corps laisse de lui-même sur un autre auquel il a été appliqué ; si le corps est en relief, l'empreinte est en creux ; si le corps est creux, l'empreinte est en relief ; l'empreinte du corps est plane, si la surface appliquée l'est aussi : mais à parler rigoureusement, ce dernier cas ne peut avoir lieu, si ce n'est peut-être lorsque le corps qu'on applique laisse son image tracée sur le corps auquel il est appliqué, par le moyen de quelqu'enduit qui se separe de l'un pour s'attacher à l'autre ; je dis peut-être, parce qu'alors l'enduit n'étant pas absolument sans épaisseur, on peut dire que l'empreinte est de relief.

EMPREINTE, s. f. en Anatomie, nom de petites éminences superficielles, qui donnent attache à des ligamens ou à des muscles ; c'est dans ce sens que l'on dit empreinte musculaire, empreinte ligamenteuse. Voyez LIGAMENT & MUSCLE. (L)

EMPREINTE, s. f. (Gravûre) Empreindre, c'est graver, c'est imprimer une chose sur une autre pour lui en donner la figure. Empreinte, est donc la gravûre, l'impression même ; & la chose gravée ou exprimée reçoit aussi le nom d'empreinte.

On tire des empreintes de médailles, de monnoies, de cachets, de pierres gravées, c'est-à-dire on en prend artistement la représentation semblable à l'original, par le moyen d'un corps mou. Cependant comme d'un côté on n'y sauroit parvenir sans en savoir la manoeuvre, & que de l'autre il est aussi utile que satisfaisant pour un vrai curieux, d'avoir en sa possession le plus grand nombre qu'il est possible d'empreintes tirées sur les plus belles pierres gravées & les autres ouvrages de l'art, on sera bien aise de savoir la maniere de les faire. Je vais l'apprendre aux lecteurs d'après M. Mariette.

Cette pratique n'a rien de difficile dans les gravûres en creux, toute personne, pour peu qu'elle ait d'adresse, en est capable ; les matieres qu'on employe le plus ordinairement pour cette opération, sont la cire d'Espagne, le soufre, & le plâtre.

La premiere a cet avantage, que les empreintes se font sur le champ sans beaucoup de préparation, & que la matiere encore liquide s'insinuant exactement dans toutes les cavités de la gravûre, le relief qui sort est presque toûjours très-complet & très-net ; il s'agit seulement d'avoir de la meilleure cire de Graveur.

Au lieu de cartes à joüer, il faut se servir d'une simple feuille de papier bien uni pour y appliquer la cire : mais pour le faire avec soin & avec propreté, on aura une assiette d'argent qu'on mettra sur un réchaut rempli de feu ; & lorsqu'elle sera suffisamment échauffée, l'on y posera dans le fond un morceau de papier bien sec, sur lequel on répandra la cire qu'on aura fait fondre en l'exposant au feu, & non en la présentant à la flamme d'une bougie ; on évite par ce moyen que la fumée ne s'attache, comme il est ordinaire, au bâton de cire & n'en altere la couleur. On tiendra pendant quelque tems la cire en fusion, on la remuera ; & quand on verra qu'elle est bien unie & bien liée, on y imprimera le cachet, & il est comme indubitable qu'il en sortira une bonne empreinte.

Mais comme toutes ces précautions n'empêchent point la cire d'être une matiere cassante, qui se fend d'un rien, M. Mariette seroit d'avis qu'on renonçât aux empreintes de cette espece, à moins qu'une nécessité n'y obligeât, je veux dire qu'il n'y eût aucune espérance de retrouver l'occasion de tirer autrement l'empreinte d'une belle pierre gravée qui se présente, & qu'il fallût absolument la faire sur le champ.

On trouve encore un autre défaut aux empreintes en cire d'Espagne ; elles ont un luisant qui ne permet pas de joüir de la gravûre, & ôte le repos qui doit y regner ; c'est pourquoi les connoisseurs préferent les empreintes qui se font avec le plâtre : la difficulté est de trouver du plâtre assez fin, & peut-être vaudroit-il mieux prendre des morceaux de talc, les faire calciner soi-même dans un feu ardent, & quand ils seroient refroidis, les broyer dans un mortier en poudre la plus fine qu'il seroit possible. Ensuite on passera plusieurs fois cette poussiere au tamis, & on l'employera comme on fait le plâtre, en la coulant un peu claire sur la surface de la pierre gravée, qu'on a eu la précaution d'entourer d'une carte ou d'une petite lame de plomb, pour contenir le plâtre & empêcher qu'il ne se répande au-dehors.

Mais les empreintes qui se font en soufre méritent encore la préférence, parce qu'il est plus aisé d'y réussir, & que la diversité des couleurs qu'on leur peut donner, en rend l'aspect plus agréable. Voici comme il faut y procéder.

On fera fondre dans une cuillier de fer, sur un feu modéré, autant de soufre qu'on aura dessein d'en employer ; & lorsque ce soufre sera liquéfié, on le jettera dans la couleur dont on le voudra colorier. Sur une once de soufre on ne peut mettre moins d'une demi-once de couleur, autrement les soufres seroient trop pâles. Le cinnabre ou le vermillon, la terre verte, l'ocre jaune, le massicot, ainsi que le noir de fumée, sont de toutes les couleurs celles qui s'incorporent le mieux avec le soufre ; mais si la jonction de ce dernier minéral se faisoit moins difficilement avec la mine de plomb pulvérisée très-fin, ce seroit une des teintes des plus flateuses à la vûe. Celle que donne le vermillon est aussi fort bonne ; & quand on veut qu'il ait plus de brillant, on frotte à sec avec un pinceau & un peu de carmin la surface de l'empreinte.

La couleur jettée dans le soufre, on aura attention de tenir la cuillier dans une agitation continuelle, tant afin que le soufre ne s'attache point à la cuillier, & ne se brûle point, que pour faciliter l'incorporation de la couleur. Pendant ce tems-là il se forme sur la surface du soufre une espece de crasse ou d'écume, qu'il en faut séparer & enlever avec une spatule ou le tranchant d'un couteau. Au bout d'un demi-quart d'heure, la cuillier étant toûjours restée sur le feu, pour empêcher le soufre de figer, on verse le soufre par inclinaison, ou sur une feuille de papier huilée, ou sur une feuille de fer-blanc bien planée, & on l'y laisse refroidir : le soufre en sort ayant la forme d'un gateau. Cette premiere préparation est pour le colorier, & le purifier de ses ordures les plus grossieres.

Veut-on faire des empreintes ? on coupe un morceau de ce gateau de soufre ; on le fait fondre une seconde fois dans la cuillier de fer, toûjours sur un feu modéré ; on la remue pour l'empêcher de brûler ; on en enleve encore la crasse, en cas qu'il en paroisse, & l'on en verse doucement sur la pierre gravée qu'on a préparée pour recevoir ce soufre liquéfié. On l'a enveloppée, ou plûtôt on l'a environnée d'un morceau de carte fine ou d'un papier fort, qui étant assujetti avec un fil de laiton, & replié sous la pierre, de façon que le soufre ne pouvant échapper par aucune ouverture, prend la figure d'un petit godet : ou bien l'on y met autour une petite lame de plomb mince, qui embrasse exactement la pierre. Ces différens moyens réussissent également, on choisira celui qui conviendra le mieux.

A peine le soufre aura-t-il été versé dans cette espece de petit moule, qu'il commencera à figer ; mais sans lui en donner le tems, & lorsqu'on jugera qu'il se sera déjà formé sur la surface de la pierre une legere couche de soufre figé, qui, comme une peau, s'y sera étendue & la couvrira toute entiere, on survuidera promtement dans la cuillier le soufre encore liquide, pour le reverser tout de suite & en remplir le même moule, jusqu'à-ce qu'il y en ait assez pour donner du corps à l'empreinte. C'est ainsi qu'on évite les soufflures.

Quelque tems après, le soufre étant figé, on l'ôtera de dessus la pierre gravée, qui s'en détachera aisément & sans le moindre effort ; & il ne faut point douter, si l'on a usé de toutes les précautions qu'on vient d'indiquer, que l'empreinte ne soit exacte & parfaite : mais pour peu qu'elle manque en quelqu'endroit, on ne doit pas balancer d'en recommencer une seconde ; le même soufre reservira, & l'opération n'est ni assez coûteuse ni assez fatigante pour craindre de la répéter.

Telles sont les différentes pratiques qu'il faut observer toutes les fois qu'on fera des empreintes avec les pierres gravées en creux ; & rien, comme l'on voit, n'est plus simple. Il n'en est pas de même des gravures en relief, dont on voudra pareillement avoir des empreintes : celles-ci exigent une double opération ; car la premiere empreinte qu'on en feroit ne donneroit qu'un creux, & il s'agit d'avoir un relief semblable à l'original.

Il faut donc commencer par mouler le relief, & par en tirer un creux qui servira à faire l'empreinte de relief ; & c'est ce qui est presque toûjours accompagné de grandes difficultés, & qui devient même impraticable dans certains cas. Si le relief est plat ou en très-basse taille, le moule se fera aisément avec du plâtre fin ; mais pour peu que les objets ayent de la saillie, & qu'il y ait des parties éminentes, travaillées & feuillées en-dessous, ce qui ne peut guere manquer de se rencontrer dans un relief, le plâtre dont on se sert pour faire le moule, se loge dans les cavités ; & quand on vient à le vouloir séparer de la pierre gravée, non-seulement il en reste dans ces petits creux où il s'étoit insinué, mais ces arrachemens en entraînent souvent d'autres plus considérables encore : le moule demeure imparfait, & ne peut point servir.

Après avoir fait plusieurs tentatives, l'on n'a rien trouvé de mieux pour faire ces moules, que la mie de pain & la colle-forte. Voici la maniere de procéder.

Il faut avoir de la mie de pain très-tendre, d'un pain qui soit peu cuit ; ce qu'on appelle du pain cuit-gras. On la prend entre ses doigts ; on la manie & remanie à plusieurs reprises, jusqu'à-ce qu'elle commence à devenir pâteuse : on y mêle alors tant-soit-peu de vermillon ou de carmin : on la repaîtrit encore ; & quand on est parvenu à la rendre bien molle & bien souple, on y imprime le relief, qu'on retire sur le champ, & le moule se trouve fait & assez bien formé : car cette pâte a une espece de ressort naturel, qui fait qu'elle se prête sans se déchirer ; & comme elle embrasse assez exactement un relief dans toutes ses parties, elle s'en sépare aussi sans former aucune résistance.

Si en se détachant de la gravûre, quelques portions de la pâte qui étoient entrées dans des cavités, ont été obligées de céder à des parties saillantes qu'elles ont rencontrées dans leur chemin, & de s'écarter, elles ont bientôt repris leur place. En peu de tems cette pâte se durcit, & elle acquiert assez de consistance pour devenir un moule capable de recevoir le plâtre ou le soufre liquide qu'on y veut couler. Mais elle a un défaut essentiel : quelque bien paîtrie qu'elle soit, elle ne s'insinue jamais assez parfaitement dans tous les petits traits de la gravure, elle demeure toûjours grasse & pâteuse ; de sorte que les reliefs qui sortent de ces sortes de moules, n'ont aucune finesse, & sont privés de tous ces détails qui donnent l'ame & l'esprit à un ouvrage.

C'est ce qui a fait imaginer à un curieux, homme adroit, d'employer plûtôt la colle-forte. Il est un instant où sortant d'être mise en fusion, elle a la même souplesse, le même ressort que la mie de pain réduite en pâte ; & rendue à son premier état, elle a la même dureté que celle-ci étant séchée. Ce curieux ayant fait fondre de la colle-forte dont se servent les Menuisiers, la verse encore toute chaude sur le relief qu'il veut mouler, en usant des mêmes précautions qu'on prend pour les empreintes de soufre ; & quand la colle entierement prise, est encore molle, il retire legerement sa gravure, qui reste imprimée dans la masse de la colle. Celle-ci se durcit promtement, & produit un moule aussi net & aussi exact qu'il est possible, dans lequel on peut couler du plâtre ou du soufre, & l'on en tire un relief assez juste.

Mais si le trop de saillie d'une gravure a rendu l'opération du moule difficile, les empreintes qu'on doit faire dans ce même moule, rencontreront encore plus d'obstacles, & il ne faut pas même espérer qu'elles réussissent jamais. Quelques moyens qu'on employe, il y aura toûjours quelque partie du relief qui ne pouvant se dépouiller, restera dans le creux du moule. Il faut renoncer à faire des empreintes de ces sortes de gravures trop saillantes & trop évidées.

Les empreintes faites, on en abat les balevres ; on les rogne, on les lime, on leur donne une forme réguliere. Pour derniere façon on les environne de petits morceaux de carton doré sur la tranche, où elles se trouvent renfermées comme dans une bordure ; & qui, outre cette propreté qu'ils y mettent, leur servent encore de rempart contre le choc, & les rendent plus durables. Si l'on a beaucoup de ces empreintes, on leur donne un ordre ; & pour les pouvoir considérer plus commodément, on les colle sur des cartons ou sur des planches, qui, comme autant de layettes, se rangent dans une petite armoire, ainsi qu'on l'observe par rapport aux médailles.

Il est encore une autre façon de faire des empreintes des pierres gravées ; mais qui ne pouvant pas être de longue durée, n'est que pour le moment où l'on est bien aise de juger du travail d'une gravure en creux. Ce sont les empreintes qui se font avec la cire molle. L'on ne voit guere de curieux qui ne veuille avoir à la main de quoi faire de ces empreintes, & qui ne porte pour cela de la cire sur lui. Ils en font remplir de petites boîtes qui se ferment à vis, & auxquelles on donne assez volontiers la figure d'un petit oeuf. La composition de cette cire est particuliere, & je ne doute point qu'on ne me sache gré d'en donner ici la recette, telle qu'une personne de l'art l'a communiquée à M. Mariette.

Sur une once de cire vierge qu'on a fait fondre doucement dans un vaisseau de terre vernissé, sans la trop échauffer, & dans laquelle on a mis un gros de sucre-candi broyé très-fin, qui en accélere la fusion, on jette (la cire étant tout-à-fait liquide) une demi-once de noir de fumée qu'on aura fait recuire pour achever de le dégraisser, & une goutte de terebenthine : on remue le tout, se servant d'une spatule, jusqu'à-ce que toutes les drogues soient parfaitement incorporées ; & après l'avoir tenu un peu sur le feu, on retire la cire, on la laisse refroidir, on en fait un pain.

Pour ce qui est des pâtes ou empreintes de verre, qui imitent parfaitement les pierres fines, & qui moulées dessus, en sont des copies fideles, voyez PATE.

Voilà les manoeuvres connues de tirer des empreintes de toutes sortes de pierres gravées en creux & en relief, même de tous les beaux ouvrages d'un Pyrgotele, d'un Cronius, d'un Apollonide, d'un Dioscoride, d'un Solon, d'un Hyllus. Eh quel plaisir ! que de pouvoir se procurer des richesses sans embarras & sans remords ! Les empreintes fournissent à un particulier l'agrément de joüir par des images parfaites, de ces morceaux rares gravés sur des pierres précieuses, qu'il n'appartient qu'aux rois & aux gens riches de posséder dans leurs cabinets.

Si les pierres gravées représentent les actions des hommes illustres de la Grece & de Rome ; si elles peuvent servir à éclaircir plusieurs faits importans de la Mythologie, de l'Histoire & des coûtumes anciennes ; si elles ornent l'esprit de grandes & magnifiques idées ; en un mot, si elles sont la source d'une infinité de connoissances, comme on n'en sauroit douter, les représentations fideles de ces pierres ne procureront-elles pas les mêmes avantages ? Qu'importe pour l'utilité le prix de la matiere, l'émeraude & le rubis, le soufre ou la cire d'Espagne ? Qu'importe alors que ce soit la pierre gravée même qu'on possede, ou sa parfaite ressemblance ? Qu'importe enfin la valeur de l'original ? ce n'est presque qu'une valeur idéale & fictive, comme de tant d'autres choses de la vie. Article de M(D.J.)

En général le mot empreinte peut avoir deux sens différens : l'un, lorsqu'il signifie une chose gravée pour en imprimer d'autres, comme est un cachet ; l'autre, lorsqu'il signifie la marque & la figure tirée de la premiere, comme est la cire imprimée par le cachet. Quand on veut faire des médailles d'or, d'argent ou de cuivre, l'on imprime une plaque de plomb ou d'étain entre les deux quarrés ou creux de la médaille ; & ce morceau de plomb ayant reçû la figure, s'appelle l'empreinte, & sert pour être imprimé dans le sable, où l'on fait ensuite des médailles de tel métal qu'on veut. Voyez GRAVURE EN CACHETS & SUR L'ACIER.

EMPREINTE ou CALIBRE, outil de bois, du métier de Potier d'étain, & qui sert à tenir les pieces qu'on doit tourner. Quelques-uns nomment ceux qui servent à tourner la vaisselle, empreintes ; & ceux qui servent à tourner les pots ou les pieces de menuiserie, calibres : & d'autres les nomment tous en général, empreintes. Ceux qui servent pour la vaisselle, doivent être de bois de travers : le noyer en table est le meilleur. Ils doivent être creusés de la grandeur & de la forme des pieces qui s'emboîtent dedans, & qui y tiennent par le moyen de trois crampons de fer qui prennent la piece sur le dehors du bord. Il faut avoir autant d'empreintes différentes, que l'on a de différentes grandeurs de moules. Ces empreintes, ainsi que les calibres, tiennent sur l'arbre du tour, par le moyen d'une gaîne, qui est un trou quarré dans lequel entre le mandrin de l'arbre du tour. Voyez GAINE & MANDRIN. Ceux qui servent à tourner la poterie ou menuiserie, sont de bois de long, & tournés sur le tour à proportion de la grosseur des pieces qu'il faut tourner dessus. Toutes ces empreintes s'ôtent & se remettent selon le besoin. Voyez TOURNER L'ÉTAIN.

Empreinte à couteaux ou empreinte plate, c'est une empreinte qui sert à tourner les bas de pots à l'eau avant de les souder, & les bouches après qu'ils sont soudés, les dedans d'aiguieres, de port-dînés, &c. Ce qui lui fait donner ce nom, c'est qu'il y a trois vis qui se traversent avec chacune un écrou parderriere. Ces écrous lâchent ou serrent trois crampons plats qu'on appelle couteaux, qui prennent le pié des pieces qu'on dresse dessus l'empreinte, pour les tourner en les serrant, & qu'on ôte en les desserrant.


EMPRIMERIES. f. (Tannerie) c'est le nom d'une grande cuve où l'on met les cuirs en coudrement. Voyez l'article TANNER.


EMPROSTOTHONOSS. m. (Medecine) c'est un mot grec composé de , devant, & de , roideur, tension. Il sert à désigner une espece de maladie spasmodique, dans laquelle tout le corps est tellement plié, courbé en-avant, que les piés s'approchent de la tête, ensorte qu'il prend la forme d'un arc. Les malades sont forcés à rester immobiles dans cette posture, leur respiration est très-gênée.

Cette maladie dépend d'une contraction tonique des muscles fléchisseurs de la tête, du cou, du thorax & des lombes, mais sur-tout de celle des mastoïdiens, qui sont quelquefois seuls affectés dans l'emprostothonos, qui ne consiste alors que dans la flexion de la tête qui est fortement tirée sur la poitrine, de maniere que le menton est constamment appliqué contre le sternum. Il en est de même lorsque le spasme s'étend à tous les muscles mentionnés.

L'emprostothonos est quelquefois causé, selon Gesner, par la ciguë aquatique, & par les vapeurs métalliques.

Cette espece de spasme est très-familier aux Indiens, selon Bontius, de med. ind. Elle fait passer ceux qui en sont attaqués, pour des maniaques. Elle est accompagnée de vives douleurs par tout le corps, avec difficulté d'avaler, de respirer. Ils ont le visage violet, le regard féroce. Ils ont de fréquens grincemens de dents. On les entend murmurer comme si la voix venoit d'un lieu soûterrein.

Cette maladie demande le même traitement que le tétane, c'est-à-dire le spasme universel. Les copieuses & fréquentes saignées sont ordinairement indiquées. On peut employer avec succès les ligatures, les frictions, les onctions spiritueuses sur l'épine du dos, les ventouses, les lavemens acres. Le laudanum & l'extrait de safran produisent aussi de bons effets, s'ils sont placés dès le commencement de la maladie. M. Lazenne professeur & celebre praticien de Montpellier, recommande l'usage de l'antimoine diaphorétique, dont il a éprouvé plusieurs fois de très-bons effets dans le traitement de cette maladie. Voyez CONVULSION, SPASME, TETANE. (d)


EMPRUNT(Jurisprud.) terme relatif à celui de prêt. Celui qui a besoin d'argent, fait un emprunt : celui qui lui fournit l'argent, fait un prêt. Voyez PRET.

Emprunt à constitution de rente, c'est lorsque celui qui emprunte une somme de deniers, se charge envers le prêteur de lui payer jusqu'au remboursement une rente, pour lui tenir lieu des intérêts ou fruits de cette somme.

Emprunt au denier vingt, trente, quarante, &c. c'est lorsque l'on emprunte à constitution de rente, & que le denier ou taux de la rente est fixé au vingtieme, trentieme ou quarantieme du principal. Voyez CONSTITUTION DE RENTE & RENTE CONSTITUEE.

Emprunt de territoire, c'est lorsqu'une jurisdiction tient ses séances ordinaires, ou fait quelqu'autre acte dans un territoire qui n'est pas le sien, & qui dépend d'une autre jurisdiction. C'est ainsi que le parlement de Dombes, créé par François I. en 1523, dans le tems qu'il joüissoit de la principauté de Dombes par droit de conquête, tint ses séances à Lyon par emprunt de territoire, non-seulement jusqu'en 1560 que la Dombes fut restituée à ses légitimes souverains, mais même encore depuis ce tems jusqu'en 1693, qu'il fut transféré à Trévoux, où il est présentement ; ensorte que dans le premier tems il y avoit emprunt de territoire dans une autre jurisdiction, & dans le second ce même emprunt étoit fait tout-à-la-fois & dans une autre jurisdiction & dans une autre souveraineté. Voyez TERRITOIRE EMPRUNTE. (A)

EMPRUNT, (Finance) c'est une promte ressource pour se procurer des fonds, lorsque l'on a la confiance publique. Dans les tems malheureux les emprunts sont difficiles, & l'on ne les propose plus ouvertement ; c'est toûjours sous des formes différentes qui font illusion, mais le prestige ne dure pas longtems : alors le crédit se perd ; on est obligé d'avoir recours à des expédiens forcés & onéreux.

Les emprunts engagent l'état & le chargent de dettes, & de l'emprunt résultent les intérêts & usures. Voyez INTERETS.

Il y a de deux especes d'emprunts ; les uns se font sur des effets dont le fonds est exigible, & les autres sur des rentes ou gages dont le fonds est aliéné.

Les premiers sont pour être remboursés à volonté, comme étoient anciennement les billets de la caisse des emprunts, les billets de monnoie, de Legendre, de l'état, de la banque, & beaucoup d'autres. Voyez BILLETS.

Les autres, dont le capital se rembourse par partie d'année en année, ou au bout d'un certain nombre d'années en entier, sont les annuités, les contrats, les rentes viageres & tontines, les rentes perpétuelles, les billets d'amortissemens, les loteries. Voyez ces mots à leur article.

Lorsqu'on est obligé d'avoir recours à cette ressource, c'est un mal pour l'état, quoique ces moyens fournissent promtement des fonds ; parce que ces sortes de fonds, au lieu de soulager l'état, le chargent d'intérêts annuels, & obligent le gouvernement d'emprunter de plus grosses sommes afin de payer l'intérêt des emprunts précédens. Ce seroit peut-être peu de chose de n'avoir que des intérêts à payer, il faut en outre rembourser annuellement une portion du capital.

Rien n'est si nécessaire que d'acquiter des dettes faites d'aussi bonne-foi ; & quelles que soient les dettes de l'état, il faut les payer exactement : le retard dans le payement est plus que suffisant pour ôter la confiance. D'ailleurs le crédit de l'état dépend de tant de circonstances, qu'il faut que les emprunts soient faits avec beaucoup de précaution. Un ministre qui ne se sert de cette branche de crédit que pour se la ménager comme une ressource dans l'occasion, est sans-doute habile. M. Colbert trouva le moyen de fournir en même tems aux frais de la guerre qui fut terminée en 1678 par le traité de Nimegue, & aux dépenses immenses des somptueux bâtimens & des différens établissemens faits par Louis XIV. & l'état n'étoit point endetté à la mort de ce ministre en 1683. Mais celui qui est capable de porter le poids immense d'une administration que de longues guerres rendent aussi pénible qu'importante ; qui est capable de réparer les desordres, de faire des emprunts dans des tems difficiles, sans interrompre la circulation & le commerce, sans altérer le crédit, est assûrément le plus habile. Le crédit de l'état dans les tems de guerre, dépend beaucoup du sort des armes. Après la bataille d'Hocstet chacun s'empressa de retirer son argent de la caisse des emprunts, ce qui obligea le conseil de faire surseoir au payement des capitaux. Par arrêt du 17 Septembre 1704, on accorda dix pour cent sur les deniers qui seroient apportés à la caisse des emprunts ; mais le crédit se perdit de plus en plus, & on supprima la caisse, rien ne pouvant ranimer la confiance, les promesses perdant sur la place quatre-vingt pour cent.

Dans tous les tems le credit du roi sur ses peuples, est fondé sur l'amour des peuples pour leur souverain, sur la confiance dans le ministre entre les mains duquel se trouve l'administration des finances, & dans ceux qui régissent les autres parties. Il faut peu de chose pour faire perdre ce crédit si difficile à établir, & nous voyons que le premier ébranlement vient presque toûjours d'une faute commise dans l'administration. Depuis M. Colbert, plusieurs ministres ont sû rétablir ce crédit perdu, & à peine en voyons-nous un qui ait sû le conserver. Les billets de monnoie étoient en faveur ; la grande confiance du public donna lieu au ministre de se servir de cet expédient promt & facile, pour subvenir aux besoins pressans. On multiplia ces billets avec si peu de précaution, qu'il ne fut plus possible de faire face aux payemens : de-là vint leur décadence.

Souvent lorsque l'esprit s'accrédite trop dans le gouvernement, il fait oublier les maximes les plus sages, l'imagination prend le dessus, on se livre sans prudence à des effets dangereux ; alors l'état incertain & sans principe, ne se conduit plus que par saillies : c'est ce qui arriva à l'auteur du système. Voyez SYSTEME DE M. LAW. Loin d'employer les facilités qu'il avoit pour tempérer le feu des actions, il s'en servit pour l'attiser, & fit ordonner par arrêts des 13 & 28 Septembre, & 2 Octobre 1719, la création de 150 millions de nouvelles actions, qui seroient de même nature & joüiroient des mêmes avantages que les précédentes. On ajoûta encore, par un ordre particulier du 4 Octobre, 24 mille actions, ce qui faisoit 164 mille actions ; & quoiqu'elles ne fussent créées que sur le fonds réel de 500 livres, on les fit cependant acquérir à raison de 5000. liv. Il est vrai que l'augmentation des actions sembloit être une suite naturelle de la suppression des rentes, chacun cherchant un emploi pour remplacer les contrats.

Le crédit de l'état dépend toûjours de l'assûrance sur les conventions publiques ; sitôt qu'elle devient incertaine, le crédit chancelle, & les opérations pour faire des emprunts ne réussissent que par le fort intérêt qu'on y attache, & qui est presque toûjours un moyen sûr. Les hommes ne se conduisent que par l'appas du gain ; mais ce moyen utile pour le moment, ne fait qu'accélérer la chûte du crédit, qui n'est jamais que l'effet de la liberté & de la confiance ; & lorsque les effets publics ont reçû quelqu'atteinte dans leur crédit, on s'épuise en vains efforts pour le soûtenir : il est nécessaire de changer de batterie, & de présenter d'autres objets. On peut dire que la confiance est en proportion avec les dettes : si l'on voit que l'état s'acquite, elle renaît ; sinon, elle se perd. Il semble pourtant, à en juger par les exemples passés, que la confiance publique dépende moins des retranchemens dans les dépenses & de l'ordre dans les recettes, que des idées que le gouvernement imprime. Le calcul des recettes & dépenses est la science de tout le monde : celle du ministre est une arithmétique qui sait calculer les effets des opérations & des différens réglemens. Il y a des biens de confiance autant que de réalité ; c'est au ministre habile à les faire valoir sans les prodiguer, à savoir par le calcul politique apprécier les hommes, & vérifier toutes les parties de l'état. Il ne seroit pas étonnant que la France, avec un revenu plus fort que celui des autres états, trouvât un crédit plus abondant qu'aucun souverain de l'Europe. Article de M. DUFOUR.

EMPRUNT, terme de Riviere, se dit d'un passage qui mene à la travure d'un bateau foncet.


EMPRUNTERv. act. c'est en général se procurer un usage momentané d'un effet, quel qu'il soit, qui est censé appartenir à un autre. On emprunte de l'argent, une épée, un habit, &c.

EMPRUNTER, (Rubanier) c'est, lorsque l'on passe les rames d'un patron, se servir des mêmes bouclettes des hautes lisses, lorsque cela se peut. La premiere des neuf rames (parce que l'on passe par neuf, comme il a été dit. Voyez PASSAGE DES RAMES) étant passée, la seconde rame empruntera sur cette premiere lorsqu'il y aura lieu, & ainsi jusqu'à la neuvieme. Exemple : supposons que la seconde rame fasse un pris sur la dix-septieme haute lisse ; si par hasard la premiere rame faisoit aussi un pris sur cette dix-septieme haute lisse, cette seconde rame se passeroit dans la même bouclette de la premiere, & ainsi des autres jusqu'à la neuvieme, qui toutes peuvent emprunter sur la premiere. Cet emprunt sert à ménager les bouclettes des hautes lisses ; si l'on n'empruntoit pas, les hautes lisses étant limitées, elles ne pourroient contenir une assez grande quantité de bouclettes, en mettant chaque rame dans sa bouclette particuliere.


EMPUSES. f. (Mythol. & Divinat.) phantôme sous lequel Hécate apparoissoit à ceux qui l'évoquoient ; c'étoit la figure ou d'un chien, ou d'un boeuf, ou d'une femme. On ne voyoit de distinct à l'Empuse que ses parties supérieures, le reste finissoit comme ces statues qui ornent nos jardins, & qui n'ont qu'un long pié ; & c'est de-là qu'on a fait le mot empuse.


EMPYEMES. f. terme de Chirurgie qui se prend pour une maladie, ou pour une opération. L'empyeme, maladie, est en général un amas de pus dans quelque cavité du corps, dans la tête, dans le bas-ventre, ou ailleurs. Mais parce que cet amas se fait plus souvent dans la poitrine que dans toute autre cavité, on a donné particulierement le nom d'empyeme à la collection du pus dans la capacité de la poitrine. L'empyeme, opération, est une ouverture qu'on fait entre deux côtes, pour donner issue aux matieres épanchées dans la poitrine.

Ce mot est grec ; il vient de la particule , in, dans, & de , pus, pus, , collectio puris, amas de pus.

L'épanchement de matieres dans la poitrine peut se faire par cause externe, à la suite d'une plaie ou d'un coup ; ou par cause interne, à la suite de quelque maladie. Une plaie qui ouvre quelques vaisseaux sanguins, ou un coup violent qui en cause la rupture, occasionnent un épanchement de sang. L'ouverture de l'oesophage ou du canal thorachique cause l'épanchement des matieres alimentaires ou du chyle, voyez PLAIES DE POITRINE. L'épanchement d'eau est l'effet d'une hydropisie de poitrine, voyez HYDROPISIE, & celui du pus est la suite d'une pleurésie ou d'une péripneumonie terminées par suppuration. Voyez PLEURESIE & PERIPNEUMONIE.

On ne doit faire l'opération de l'empyeme que lorsqu'on a des signes certains d'un épanchement dans la cavité de la poitrine. Il y en a qui nous font connoître qu'il y a épanchement, & d'autres nous désignent l'espece de matiere épanchée. Ceux qui dénotent l'épanchement, sont 1°. la respiration courte & laborieuse, parce que le liquide qui remplit une partie de la poitrine, empêche que le poumon ne subisse toute la dilatation dont il est susceptible. 2°. L'inspiration est beaucoup plus facile que l'expiration ; parce que dans ce dernier mouvement, il faut que le diaphragme soûleve le liquide épanché, dont le poids est capable d'aider l'inspiration. 3°. Le malade, en se remuant, sent quelquefois le flot du liquide épanché. 4°. Lorsque l'épanchement n'est que d'un côté, ce côté de la poitrine a plus d'étendue que l'autre, ce qu'on reconnoît par l'examen du dos du malade qu'on met sur son séant. 5°. Le côté où est l'épanchement, est souvent oedémateux. 6°. Le malade respire mieux couché sur un plan horisontal que debout ou assis, & il ne peut rester couché que du côté de l'épanchement ; par ce moyen, les matieres épanchées ne compriment point ce côté du poumon, & lui laissent quelque liberté qu'il n'auroit point si le malade se couchoit sur le côté sain. Ce signe prouve l'épanchement ; mais son défaut ne prouve pas qu'il n'y en a point, parce que le poumon pourroit être adhérent au médiastin & à la plevre. Dans ce cas, le malade pourroit se coucher sur le côté de la poitrine où il n'y auroit point d'épanchement, sans que les matieres épanchées dans le côté opposé augmentassent la difficulté de respirer. 7°. S'il y a épanchement dans les deux cavités de la poitrine, le malade ne peut rester couché d'aucun côté ; il faut qu'il soit debout ou assis, de façon que son dos décrive un arc. Dans cette situation, les matieres épanchées se portent vers la partie antérieure & supérieure du diaphragme, & laissent quelque liberté au poumon.

On jugera de la nature de la liqueur épanchée, par les maladies ou les accidens qui auront précédé ou qui accompagnent l'épanchement. Si les signes de l'épanchement paroissent peu de tems après que le malade a reçû une plaie pénétrante à la poitrine, & s'il a des foiblesses fréquentes, on ne peut pas douter que ce ne soit le sang qui soit épanché. S'il y a eu maladie inflammatoire à la poitrine, accompagnée des signes ordinaires de suppuration ; si la fievre qui étoit aigue est devenue lente ; si la douleur vive est un peu appaisée, mais qu'il subsiste un malaise à la partie ; si le malade a des frissons irréguliers & des sueurs de mauvais caractere, & qu'avec tous ces symptomes il paroisse des signes d'épanchement, il n'est pas douteux que ce ne soit du pus qui en soit la matiere. Il y a tout lieu de croire que l'épanchement est lymphatique, si l'on remarque les signes de l'hydropisie de poitrine. Voyez HYDROPISIE DE POITRINE.

On ne peut guérir le malade qu'en évacuant les matieres épanchées. La nature aidée des médicamens peut quelquefois y parvenir sans opération : on a vû des épanchemens de sang rentrer dans le torrent de la circulation, & se vuider par les urines, & même, ce qui est encore plus rare, par les selles. L'usage des remedes diurétiques, des hydragogues & des sudorifiques a souvent dissipé les épanchemens d'eau ; voyez la cure des hydropisies de poitrine. Lorsque le régime & les médicamens ne soulagent point le malade, & que les accidens persistent, il faut faire l'opération de l'empyeme.

Si l'épanchement de sang dans la poitrine est la suite d'une plaie, il faut, avant que d'en venir à l'opération, essayer de donner issue à ce fluide, en situant le malade de façon que la plaie soit la partie la plus déclive de la poitrine ; on lui ordonne alors de retenir un peu son haleine, & de se pincer le nez ; on peut aussi tâcher de pomper les matieres épanchées avec une seringue dont la cannule est courbe. Si par ces moyens on n'a pû vuider la poitrine, il faut faire une ouverture pour donner issue au fluide épanché. Il y a deux façons pour y parvenir ; l'une, en dilatant la plaie, & l'autre, en faisant une contre-ouverture.

Pour dilater la plaie, on fait avec un bistouri une incision longitudinale d'un pouce de longueur perpendiculairement à la partie inférieure de la plaie : cette incision qui ne doit intéresser que la peau & la graisse, forme une gouttiere qui procure la facilité de la sortie du sang ; on introduit ensuite une sonde cannelée dans l'ouverture de la poitrine, & on dilate cette plaie avec un bistouri dont la pointe coule le long de la cannelure de la sonde, ayant soin d'éviter l'artere intercostale. On peut mettre une sonde de poitrine dans l'ouverture, pour que le sang s'écoule avec plus de facilité, observant de mettre le malade dans une situation convenable & qui favorise cette sortie.

Si la plaie n'étoit pas située favorablement, ou qu'elle fût déjà cicatrisée lorsque les signes d'épanchement se manifestent, il seroit plus à propos de faire l'operation de l'empyeme par forme de contre-ouverture, de même qu'elle se pratique dans le cas où il y a des matieres épanchées sans plaie, comme dans les suppurations de poitrine, & c'est ce qu'on appelle opération de l'empyeme dans le lieu d'élection.

On fait asseoir le malade sur une chaise ou sur le bord de son lit, le dos tourné du côté de l'opérateur & des assistans ; on lui met dans ce dernier cas un coussin sous les fesses pour qu'il soit plus commodément ; deux serviteurs le soûtiennent sur les côtés, & lui relevent sa chemise. Le chirurgien doit examiner l'endroit où il fera l'incision ; ce doit être entre la troisieme & la quatrieme des fausses côtes, en comptant de bas en haut, & à quatre ou cinq travers de doigts de l'épine du dos. (On entend que les doigts du malade seront la mesure de cette distance.) Si l'embonpoint du malade ou l'oedématie des tégumens empêchent de compter les côtes, on fait l'opération à quatre travers de doigts de l'angle inférieur de l'omoplate. Le lieu étant choisi pour opérer, le chirurgien pince la peau transversalement avec les doigts indicateurs & les pouces de chaque main ; un aide prend le pli que l'opérateur tient avec les doigts de sa main droite ; ils soûlevent ensemble la peau ainsi pincée, & le chirurgien l'incise avec un bistouri droit qu'il tient de sa main droite ; on lâche ensuite les tégumens qui se trouvent divisés longitudinalement ; on porte le bout du doigt indicateur de la main gauche à l'endroit du bord supérieur de la troisieme fausse côte, & on incise le muscle grand dorsal, en portant le bistouri à plat sur l'ongle ; on avance ensuite l'extrémité de ce doigt, & on en appuie l'ongle immédiatement sur le bord supérieur & suivant la direction de la côte ; & avec le bistouri tenu à plat de la main droite comme une plume à écrire, on pénetre dans la poitrine, en perçant les muscles intercostaux & la plevre. Le doigt appuyé sur la côte sert de guide à l'instrument tranchant, & on est sûr de ne pas toucher à l'artere intercostale. L'incision des muscles intercostaux & de la plevre doit avoir cinq à six lignes de longueur. Lorsque l'incision est faite, on porte le doigt indicateur gauche dans la plaie pour s'assûrer de l'ouverture ; on le retire, & on procure le plus promtement qu'on le peut l'issue des matieres. On peut les délayer avec quelque injection, introduite à l'aide de la sonde de poitrine. Lorsque l'opération est faite, & qu'on a tiré le plus de matiere qu'il a été possible, on panse le malade, en faisant entrer dans la plaie une bandelette de linge en forme de séton ; elle est préférable à une tente de charpie qui s'oppose à l'issue des matieres, & qui cause de la douleur au malade, parce qu'elle écarte & irrite les parties au-travers desquelles elle passe, ce qui est suivi d'inflammation, & quelquefois de la carie des côtes. On panse le reste de la plaie à plat ; on applique deux ou trois compresses graduées & un bandage de corps soûtenus du scapulaire. (Voy. BANDAGE & SCAPULAIRE.) Les pansemens se continuent jusqu'à-ce que les matieres soient totalement évacuées ; on est souvent obligé de les réitérer deux & trois fois par jour quand l'abondance de la suppuration l'exige. Lorsqu'il s'agit de consolider la plaie, on supprime la bandelette qui entre dans la poitrine, & on couvre la plaie avec un linge fin sur lequel on met une pelote de charpie soutenue des compresses & du bandage, alors on cicatrise l'ulcere suivant les regles de l'art. Voyez ULCERE.

On fait l'opération de l'empyeme dans le lieu de nécessité, lorsqu'on ouvre un abcès à la poitrine dans le lieu où la matiere se présente. Le foyer de ces abcès se trouve ordinairement dans le tissu cellulaire qui unit la plevre aux muscles intercostaux internes ; il faut ménager cette cloison postérieure pour empêcher l'épanchement du pus dans la cavité de la poitrine, ce qui arrive assez souvent par l'érosion de la plevre, lorsqu'on differe trop à faire l'ouverture de ces abcès. Voyez ABCES. (Y)

EMPYEME, opération, (Manége, Maréchallerie) L'anatomie des animaux, trop négligée parmi nous, a frayé le chemin de l'anatomie de l'homme. La nature éclipsée, pour ainsi dire, dans les cadavres, se montre à découvert dans le vivant ; & le scalpel en des mains aussi intelligentes que celles des Hérophile, des Pecquet, des Harvey, &c. a été un instrument d'autant plus utile que nous ne devons qu'aux comparaisons exactes qu'ils ont faites & aux différences qu'ils ont observées, les grandes découvertes dans lesquelles consistent aujourd'hui les principales richesses de la Medecine du corps humain.

Après ces avantages, dont la réalité est généralement avoüée, la Chirurgie pourroit-elle méconnoître la source des biens dont elle joüit, & nous en refuser le partage ? Il doit nous être sans-doute d'autant plus permis d'y prétendre, que nous pouvons profiter du jour qui l'éclaire, sans lui en dérober la lumiere, & sans nous rendre coupables de la moindre usurpation.

Tous les cas qui peuvent engager le chirurgien à pratiquer l'empyeme, peuvent se présenter au maréchal. L'animal n'est pas moins exposé que l'homme à des pleurésies, à la peripneumonie, à des épanchemens de pus, à des épanchemens d'eau, conséquemment à une hydropisie, enfin à des épanchemens de sang causés par quelques plaies pénétrantes dans la poitrine, ou par l'ouverture d'une artere intercostale : mais de toutes ces circonstances, celles où l'opération dont il s'agit me paroît d'une plus grande efficacité, sont assûrément les blessures suivies d'une effusion dans la capacité.

Supposons donc un épanchement de sang produit par les dernieres causes que je lui ai assignées.

Je reconnoîtrai d'abord la plaie pénétrante par sa circonférence emphisémateuse, par le moyen de la sonde & du doigt, par l'air qui frappera ma main au moment que je l'en approcherai, par le sifflement qui accompagnera la sortie de ce même air, par la vacillation de la flamme d'une bougie que je lui présenterai, par le sang écumeux qui, poussé au-dehors avec plus ou moins d'impétuosité, me prouvera encore d'une maniere sensible que le poumon est intéressé, & dont la quantité m'apprendra de plus s'il y a réellement ouverture de quelques vaisseaux considérables. Je serai enfin convaincu de l'épanchement, dès qu'outre ces symptomes j'observerai un violent battement de flanc & une grande difficulté de respirer. Il est vrai que, vû la situation horisontale de l'animal, le diaphragme ne se trouve pas ainsi que dans l'homme surchargé par le poids de la matiere épanchée ; mais elle gêne constamment l'action des poumons, qui, dans une cavité proportionnée à leur jeu, ne peuvent que souffrir d'une humeur contre nature, toûjours capable de s'opposer à leur libre dilatation. Du reste, tous les autres signes qui attestent l'effusion dans le thorax humain, ne peuvent nous être d'aucune indication relativement à un animal qui ne sauroit nous rendre compte du siége des douleurs qu'il ressent, & que par cette raison nous placerions vainement dans des attitudes différentes, quand même nous en aurions la facilité & le pouvoir.

Quoiqu'il en soit, l'épanchement étant certain, & la ligature dans le cas où l'effusion a été provoquée par l'ouverture d'une artere intercostale, étant faite (voyez LIGATURE), il faut nécessairement vuider le thorax.

La plaie suffiroit à cet effet, si sa situation étoit telle qu'elle fût à la partie inférieure de la poitrine ; on pourroit alors, à l'imitation du chirurgien, en augmenter l'étendue, en la dilatant à l'aide de la sonde crénelée & du bistouri, selon le besoin, & pour faciliter l'écoulement hors de la capacité, après quoi on le hâteroit en comprimant les naseaux de l'animal, sur-tout si les vaisseaux du poumon avoient été attaqués, parce que ce viscere contenant ensuite de cette compression une plus grande abondance d'air, chasseroit avec plus de force le fluide dévoyé ; on passeroit de-là aux injections chaudes & douces, &c. mais dès que la plaie a été faite à la partie supérieure, il n'est pas possible de dégager la cavité du sang qui y nage, qu'en pratiquant une contr'ouverture, & c'est ce qu'on appelle proprement l'empyeme.

La différence de la position de l'homme & du cheval en établit une relativement au lieu où nous devons contr'ouvrir. Dans le premier, attendu sa situation & eu égard à l'inclinaison du diaphragme, l'humeur stagnante se porte en-bas & en-arriere, & dénote l'endroit où l'on doit lui frayer une issue. Dans le cheval, l'obliquité de cette cloison musculeuse n'est pas moindre ; mais elle ne sauroit guider ainsi le maréchal, parce que l'animal étant situé horisontalement, sa direction est verticale, & que la partie la plus basse du thorax est fixée précisément aux derniers cartilages des côtes & à leur jonction au sternum. C'est aussi cette même partie que nous arrêterons pour opérer, en choisissant du côté affecté l'intervalle des cartilages de la huitieme & de la neuvieme côte de devant en-arriere & à cinq ou six pouces du sternum ; car nous ne saurions nous adresser avec succès plus près de cet os, parce que les cartilages y sont trop voisins les uns des autres. Remarquons ici que tout concourt à favoriser notre entreprise. 1°. Il est certain que sans forcer l'animal d'abandonner sa situation naturelle, les humeurs ne trouveront aucun obstacle à leur évacuation, puisque leur pente répondra à l'ouverture pratiquée. 2°. Nous ne craindrons pas sans-cesse d'intéresser l'artère intercostale en incisant, parce que là elle est divisée en des rameaux d'un diamêtre peu considérable.

Commençons donc à nous saisir de la peau à l'endroit désigné, & faisons-y, avec le secours d'un aide, un pli qui soit transversal par rapport au corps. Coupons ce pli, il en résultera une plaie longitudinale qui comprendra les deux cartilages, au milieu desquels nous nous proposerons d'ouvrir, car telle doit être l'étendue de la premiere incision. faisons-en une seconde dans la même direction à la partie du muscle grand oblique de l'abdomen qui est au-dessous, nous découvrirons les cartilages des côtes & des intervalles. Incisons enfin transversalement les muscles intercostaux & la plevre jusqu'à ce que nous ayons pénétré dans la cavité, ce dont nous serons assûrés par l'inspection de l'humeur qui s'écoulera, ou si nous avions eu le malheur de nous tromper, par le vuide que nous appercevrons ; car dès que la plevre est ouverte, l'air extérieur oblige le poumon à s'affaisser sur le champ, ce qui préserve ce viscere des offenses de l'instrument dont nous nous servons. Cette derniere ouverture aura au moins un pouce de largeur, à l'effet de fournir un passage & au sang vraiment liquide & à celui qui se présenteroit en grumeau.

Du reste je ne m'étendrai point ni sur les pansemens, ni sur toute la conduite que l'on doit tenir dans la suite du traitement (voyez ci-dessus EMPYEME relativement au corps humain ; voyez les différens cours d'opérations de Chirurgie, voyez PLAIE). Je me contenterai de faire observer que le bandage propre à maintenir l'appareil dans cette circonstance, ne doit être autre chose qu'un surfaix armé de coussinets à l'endroit de l'opération pratiquée, opération dont je n'ai prétendu d'ailleurs que démontrer la possibilité, les différences, & les effets. (e)


EMPYRÉES. m. en Théologie, le plus haut des cieux, le lieu où les saints joüissent de la vision béatifique. On l'appelle aussi le ciel empyrée, & paradis. Voyez CIEL.

Ce mot est formé du grec , dans, & , feu, pour marquer l'éclat & la splendeur de ce ciel.

Quelques peres ont pensé que l'empyrée avoit été créé avant le ciel que nous voyons. Comme ils supposent que c'est la demeure de Dieu, ils soûtiennent qu'elle doit être extrèmement lumineuse, suivant cette parole de S. Paul, lucem habitat inaccessibilem. Mais une difficulté les arrête : c'étoit d'expliquer l'obscurité qui régnoit dans le monde avant la création du Soleil. Pour la résoudre, ils ont eu recours à cette hypothèse : que les cieux que nous voyons, étant une espece de rideau, déroberent à la terre & aux eaux la lumiere de l'empyrée. Au reste, ni cette supposition, ni l'opinion qui l'a occasionnée, n'ont pas paru assez fondées aux Théologiens pour les élever au-dessus du rang de simples conjectures.

M. Derham a cru que les taches qu'on apperçoit dans certaines constellations, sont des trous du firmament, à-travers lesquels on voit l'empyrée. Voilà une idée bien extraordinaire, pour ne rien dire de plus. Voyez ETOILE, FIRMAMENT, &c. (G)


EMPYREUME(Chimie) veut dire odeur de feu. Le mot empyreume vient du grec , qui signifie enflammer, ou brûler.

Empyreume ne se dit que de l'odeur desagréable que le feu peut donner ; ensorte que ce qui sent le brûlé sans être desagréable, comme les amandes grillées, le sucre brûlé, le caffé, &c. n'est point appellé empyreumatique.

La plûpart des eaux distillées, soit spiritueuses, soit purement aqueuses, ont une odeur d'empyreume lorsqu'elles sont récentes : c'est pourquoi on laisse toûjours quelque tems ces liqueurs communiquer avec l'air, pour leur faire perdre ce qui leur donne l'odeur du feu, qui est toûjours une matiere volatile & peu adhérente aux liqueurs dont il s'agit.

On laisse les eaux simples pendant quelques jours exposées au soleil dans des bouteilles, dont on couvre seulement l'ouverture avec un papier qu'on perce de plusieurs trous.

Pour ce qui est des eaux spiritueuses nouvellement distillées, on ne bouche pas d'abord autrement l'ouverture des bouteilles qui les contiennent, & on les laisse dans cet état pendant quelques heures dans un lieu frais. Chambers.

L'odeur de feu est beaucoup plus inhérente aux huiles appellées empyreumatiques ; on ne l'en sépare pas entierement par la rectification même réitérée, & par le secours des intermedes. Voyez HUILE.


EMS(Géog. mod.) fleuve d'Allemagne ; il a sa source au comté de la Lippe, passe dans l'Oost-Frise, & se jette dans la mer au-dessus d'Embden.


EMULATIONS. f. (Morale) passion noble, généreuse, qui admirant le mérite, les belles choses, & les actions d'autrui, tâche de les imiter, ou même de les surpasser, en y travaillant avec courage par des principes honorables & vertueux.

Voilà le caractere de l'émulation, & ce qui la distingue d'une ambition desordonnée, de la jalousie, & de l'envie : elle ne tient rien du vice des unes ni des autres. En recherchant les dignités, les charges, & les emplois, c'est l'honneur, c'est l'amour du devoir & de la patrie qui l'anime.

L'émulation & la jalousie ne se rencontrent guere que dans les personnes du même art, de mêmes talens, & de même condition. Un homme d'esprit, dit fort bien la Bruyere, n'est ni jaloux, ni émule d'un ouvrier qui a travaillé une bonne épée, d'un statuaire qui vient d'achever une belle figure ; il sait qu'il y a dans ces arts des regles & une méthode qu'on ne devine point ; qu'il y a des outils à manier dont il ne connoît ni l'usage, ni le nom, ni la figure ; & il lui suffit de penser qu'il n'a point fait l'apprentissage d'un certain métier, pour se consoler de n'y être point maître.

Mais quoique l'émulation & la jalousie ayent lieu d'ordinaire dans les personnes d'un même état, & qu'elles s'exercent sur le même objet, la différence est grande dans leur façon de procéder.

L'émulation est un sentiment volontaire, courageux, sincere, qui rend l'ame féconde, qui la fait profiter des grands exemples, & la porte souvent au-dessus de ce qu'elle admire ; la jalousie, au contraire, est un mouvement violent, & comme un aveu contraint du mérite qui est hors d'elle, & qui va même quelquefois jusqu'à le nier dans les sujets où il existe. Vice honteux, qui par son excès rentre toûjours dans la vanité & dans la présomption !

L'émulation ne differe pas moins de l'envie : elle pense à surpasser un rival par des efforts loüables & généreux. L'envie ne songe à l'abaisser que par des routes opposées. L'émulation toûjours agissante & ouverte se fait un motif du mérite, d'autrui, pour tendre à la perfection avec plus d'ardeur : l'envie froide & seche s'en attriste, & demeure dans la nonchalance ; passion stérile qui laisse l'homme envieux dans la position où elle le trouve, ou dont le vice qui le caractérise est l'unique aiguillon ! Quand on est rempli d'émulation, le manque de succès fait qu'on se reproche seulement de demeurer en-arriere ; mais dès qu'on est mortifié des progrès & de l'élévation de ses rivaux pleins de mérite, on a passé de l'émulation à l'envie.

Voulez-vous connoître encore mieux l'émulation ? Elle ne tâche d'imiter & même de sur passer les actions des autres, que parce qu'elle en sait le prix, & qu'elle les respecte ; elle est prudente, car celui qui imite, doit avoir mesuré la grandeur de son modele & l'étendue de ses forces ; loin d'être fiere & présomptueuse, elle se manifeste par la douceur & la modestie, elle augmente en même tems ses talens & ses progrès par le travail & l'application ; pleine de courage, elle ne se laisse point abattre par les disgraces, & si elles sont méritées, elle répare ses fautes : enfin quoi qu'il arrive, elle ne veut réussir que par des moyens légitimes, & par la voie de la vertu.

Ceux qui font profession des Sciences & des Arts ; les Savans de tout ordre, les Orateurs, les Peintres, les Sculpteurs, les Musiciens, les Poëtes, & tous ceux qui se mêlent d'écrire, ne devroient être capables que d'émulation ; ils devroient tous penser & agir de la même maniere que Corneille agissoit & pensoit : " Les succès des autres, dit-il dans la préface qui est au-devant d'une de ses pieces (la suivante), ne produisent en moi qu'une vertueuse émulation qui me fait redoubler mes efforts, afin d'en obtenir de pareils ",

Je vois d'un oeil égal croître le nom d'autrui,

Et tâche à m'élever aussi haut comme lui,

Sans hasarder ma peine à le faire descendre.

La gloire a des trésors qu'on ne peut épuiser ;

Et plus elle en prodigue à nous favoriser,

Plus elle en garde encore où chacun peut prétendre.

Des sentimens si beaux, si nobles, & si bien peints, mettent le comble au mérite du grand Corneille. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EMULGENSadj. plur. en Anatomie, se dit des vaisseaux qui aboutissent aux reins. Voyez les Planches d'Anatomie.

Les arteres émulgentes partent du tronc descendant de l'aorte pour se rendre aux reins, & les veines émulgentes en sortent pour se terminer au tronc ascendant de la veine-cave. (L)


EMULSIONS. f. (Pharmacie & Mat. méd.) c'est ainsi qu'on nomme en Medecine une liqueur laiteuse formée par l'union de l'eau, & d'une substance végétale particuliere, contenue dans les semences appellées émulsives. Voyez SEMENCES EMULSIVES.

La liqueur connue de tout le monde sous le nom d'orgeat, n'est autre chose que l'émulsion dont il s'agit ici.

Les semences dont on tire le plus ordinairement les émulsions, & qui en font proprement la base, sont les amandes douces, les pignons, & les quatre semences froides majeures. Voyez AMANDES, PIGNONS, MENCES FROIDESIDES. Plusieurs medecins demandent aussi assez souvent la semence de pavot, celle de laitue, celle de violette, & quelques autres de la même nature : mais comme ces dernieres semences, qui sont fort petites, fournissent moins de parties émulsives que les premieres, qu'elles donnent ces parties plus difficilement, & qu'il n'est pas possible d'appuyer sur la moindre observation leurs prétendues vertus particulieres, qu'il est démontré, par exemple, que la partie émulsive de la semence de pavot ne participe du tout point de la vertu calmante de cette plante ; pour ces raisons, dis-je, on ose avancer avec confiance que c'est une pratique loüable de prescrire toûjours par préférence les premieres semences que nous avons nommées, & de ne pas multiplier inutilement les matériaux de l'émulsion.

Plusieurs auteurs ont des prétentions sur l'émulsion tirée de la semence de chanvre. Voyez CHANVRE.

On employe aussi quelquefois les amandes ameres, mais toujours mêlées en petite dose, à une quantité plus considérable de l'une des semences que nous avons dit devoir faire la base du remede, & seulement dans la vûe d'en relever un peu le goût.

On édulcore les émulsions avec une quantité de sucre ou de sirop, déterminée par le medecin ; on les aromatise aussi quelquefois avec quelque eau distillée.

On employe plus ou moins d'eau, selon qu'on veut avoir une émulsion plus ou moins chargée.

Pour faire une émulsion, c'est-à-dire pour unir à l'eau la substance végétale particuliere, que nous connoissons sous le nom d'émulsive, on s'y prend de la maniere suivante.

Prenez, par exemple, vingt-quatre amandes douces mondées (voyez MONDER, Pharm.), ou bien de l'une des grandes semences froides mondées, ou des quatre ensemble, six gros, & cinq ou six amandes douces mondées ; écrasez-les dans un mortier de marbre avec un pilon de bois, d'abord à sec, mais bientôt versez sur ces semences une ou deux cuillerées d'eau, & continuez à piler en ajoûtant peu-à-peu toute l'eau que vous avez dessein d'employer (la quantité des semences demandées dans cet exemple suffit pour charger suffisamment deux liv. d'eau) ; dissolvez votre sucre (une once suffit pour deux livres d'émulsion), passez à-travers un linge serré, & exprimez legerement. Si c'est un sirop que vous employez au lieu de sucre, vous ne l'ajoûterez qu'après la colature, avec l'eau distillée destinée à aromatiser l'émulsion. Dans l'émulsion que nous venons de décrire, on pourra dissoudre, au lieu de sucre, une once & demie de sirop de capillaire, de violette, de tussilage, de guimauve, ou bien une once de l'un de ces sirops, & trois gros ou demi-once de sirop de diacode, si on veut rendre l'émulsion narcotique. Une pinte de cette liqueur est aromatisée à un point très-agréable par l'addition d'une demi-once d'eau de fleurs d'orange, ou d'eau de canelle appellée orgée.

S'il nage de l'huile sur la surface d'une émulsion qu'on vient de préparer, l'émulsion a été mal faite ou manquée. Cet inconvénient est dû à ce qu'on a séparé une huile qui est un des principes du suc émulsif, d'avec une matiere muqueuse qui en est un autre principe, & à laquelle l'huile doit sa miscibilité avec l'eau. Voyez SEMENCES EMULSIVES. On prévient ce défaut en appliquant de bonne heure de l'eau aux semences que l'on pile, & même en les triturant avec une partie du sucre qu'on veut employer dans l'émulsion ; car le sucre est un moyen d'union entre les huiles & l'eau. Voyez HUILE & SUCRE.

Les Chimistes ont apperçu beaucoup d'analogie entre les émulsions & le lait des animaux ; on verra avec combien de fondement, à l'article SEMENCES EMULSIVES. Voyez cet article. Nous nous contenterons d'observer ici que, comme le lait, les émulsions tournent & s'aigrissent après un certain tems, en moins de vingt-quatre heures dans un lieu, ou par un tems chaud ; & que les acides & les esprits fermentés les coagulent comme le lait. On ne préparera donc des émulsions que pour quelques heures, surtout en été ; on ne les mêlera point avec des sirops, ou des sucs acides, & on ne les aromatisera point avec des eaux spiritueuses.

L'émulsion se décompose par l'ébullition ; ce qu'on appelle dans quelque pays une émulsion cuite, c'est-à-dire à laquelle on a fait prendre quelques bouillons, est donc une préparation monstrueuse, un reméde altéré & dégénéré autant qu'il est possible. La vûe médicinale de corriger par cette coction une prétendue crudité de l'émulsion, est trop vaine pour pouvoir autoriser une pratique si directement contraire aux regles de l'art.

Les émulsions ont toutes les propriétés des remedes appellés rafraîchissans, tempérans, délayans ; voyez DELAYANT, RAFRAICHISSANT, & TEMPERANT : & de plus elles sont nourrissantes. On les ordonne très-utilement pour boisson ordinaire dans toutes les maladies inflammatoires, & sur-tout lorsqu'elles affectent principalement les visceres du bas-ventre, dans les diarrhées par irritation, dans les ardeurs d'urine, dans le commencement de la curation des chaudepisses, dans les chaleurs d'entrailles, & même dans certaines fleurs blanches. Voyez ces articles.

Dans tous ces cas on doit prescrire les émulsions à grande dose, à deux ou trois livres par jour au moins ; & c'est avoir une idée fort imparfaite de l'action de ce remede, que d'attendre quelque effet utile d'un seul verre d'émulsion donné dans la journée, ou le soir.

On se sert fort ordinairement de l'émulsion comme d'un véhicule commode, pour donner certains sels neutres, étendus dans une grande quantité de liquide ou en lavage, comme on s'exprime communément. On dissout, par exemple, un gros ou un gros & demi de nitre purifié dans une pinte d'émulsion, pour faire ce qu'on appelle une émulsion nitrée ; c'est un usage fort ordinaire aussi de faire fondre trois ou quatre grains de tartre émétique dans une pinte d'émulsion, qu'on donne par verre pendant le cours de la journée, pour entretenir les évacuations abdominales dans plusieurs maladies aiguës. Voy. FIEVRE.

On prépare une émulsion purgative qui agit assez doucement, & qui n'a point le dégoût des potions purgatives ordinaires, en unissant intimement par une longue trituration dix ou douze grains de résine de jalap à une once de sucre, que l'on employe ensuite dans la composition d'une émulsion ordinaire : non-seulement le suc émulsif sert dans ce cas à masquer le goût de la résine, mais il concourt aussi avec le sucre à en corriger l'activité. Le sucre est le dissolvant des résines, & il forme avec elles un composé savonneux, miscible à l'eau. Voyez SUCRE & RESINE. Le suc émulsif posséde la même propriété, quoiqu'avec un degré très-inférieur. On fait entrer aussi la résine de scammonée dans ces émulsions, à la dose de deux ou trois grains, avec huit, dix, ou douze grains de résine de jalap. Voy. SCAMMONEE & JALAP.

Si l'on dispose une résine ou un baume à être dissous par l'eau en unissant ces substances au jaune d'oeuf, & qu'on applique de l'eau à ce composé selon l'art, il en résulte aussi une liqueur laiteuse, que quelques auteurs ont appellé du nom d'émulsion ; celle-ci est vulnéraire, détersive, & cicatrisante ou purgative, selon la propriété de la résine ou du baume qu'on y a employé. Voyez les articles VULNERAIRE, DETERSIF, & PURGATIF RESINEUX, au mot PURGATIF.

La liqueur connue de tout le monde sous le nom de lait de poule, est parfaitement analogue à l'émulsion. Voyez OEUF, Diete. (b)


EMUNCTOIREse dit des canaux qui déchargent les humeurs superflues du corps. Voyez HUMEUR. (L)


EN & DANSprépositions qui ont rapport au lieu & au tems. En France, en un an, en un jour, dans la ville, dans la maison, dans dix ans, dans la semaine. M. l'abbé Girard dans ses synonymes, Vaugelas, le P. Bouhours, & quelques autres grammairiens ont fait des observations particulieres sur ces deux prépositions ; en effet, dans l'élocution usuelle il y a bien des occasions où l'une n'a pas le même sens que l'autre.

On peut recueillir de M. l'abbé Girard & des autres grammairiens, que dans emporte avec soi une idée accessoire, ou de singularité ou de détermination individuelle, & voilà pourquoi dans est toûjours suivi de l'article devant les noms appellatifs, au lieu que en emporte un sens qui n'est point resserré à une idée singuliere. C'est ainsi qu'on dit d'un domestique, il est en maison, c'est-à-dire dans une maison quelconque ; au lieu que si l'on disoit qu'il est dans la maison, on désigneroit une maison individuelle déterminée par les circonstances.

On dit, il est en France, c'est-à-dire en quelque lieu de la France : il est en ville, cela veut dire qu'il est hors de la maison, mais qu'on ne sait pas en quel endroit particulier de la ville il est allé. On dit, il est en prison, ce qui ne désigne aucune prison quelconque ; mais on dit il est dans la prison du fort-l'évêque ou de saint-Martin, voilà une idée plus précise ; il est dans les cachots, c'est ajoûter une idée plus particuliere à l'idée d'être en prison ; aussi exprime-t-on l'article en ces occasions. Il est en liberté, il est en fureur, il est en apoplexie : toutes ces expressions marquent un état, mais bien moins déterminé que lorsqu'on dit, il est dans une entiere liberté, il est dans une extrème fureur. On dit, il est en Espagne, & on dit il est dans le royaume d'Espagne ; il est en Languedoc, & il est dans la province de Languedoc.

Cette distinction d'idée vague & indéterminée ou de sens général pour en, & de sens plus individuel & plus particulier pour dans ; cette distinction, disje, a son usage ; mais on trouve des occasions où il paroît qu'on n'y a aucun égard, ainsi l'on dit bien il est en Asie, sans déterminer dans quelle contrée ou dans quelle ville de l'Asie il est ; mais on ne dit pas il est en Chine, en Pérou, &c. on dit à la Chine, au Pérou, &c. Il semble que l'éloignement & le peu d'usage où nous sommes de parler de ces pays lointains, nous les fasse regarder comme des lieux particuliers.

Le P. Bouhours a fait sur ces deux prépositions des remarques conformes à l'usage, & qui ont été répétées par tous les grammairiens qui ont écrit après cet habile observateur, même par Thomas Corneille sur Vaugelas. Il me semble pourtant que le P. Bouhours commence par une véritable pétition de principe (Remarques, tom. I. p. 67). On mer toûjours EN, dit-il, devant les noms, lorsqu'on ne leur donne point d'article : j'en conviens, mais c'est là précisément en quoi consiste la difficulté. Un étranger qui apprend le françois, ne manquera pas de demander en quelles occasions il trouvera le nom avec l'article ou sans l'article.

Outre ce que nous avons dit ci-dessus du sens vague & du sens particularisé ou individuel, voici des exemples tirés, pour la plûpart, du P. Bouhours, & des autres observateurs qui l'ont suivi.

En ou Dans suivis d'un nom sans article, parce que le mot qui suit la préposition n'est pas pris dans un sens individuel, qu'il est pris dans un sens général d'espece ou de sorte.

En repos. En mouvement. En colere. En bon état. En belle humeur. En santé. En maladie. En réalité. En songe. En idée. En fantaisie. En goût. En gras. En maigre. En peinture. En blanc. En rouge. En émail. En or. En arlequin. En capitaine. En roi. En maison. En ville. En campagne. En province. En figure. En chair & en os. Et autres en grand nombre pris dans un sens de sorte, qui n'est pas le sens individuel. On dit aussi par imitation, en Europe & dans l'Europe, en France & dans la France, en Normandie & dans la Normandie, &c. Despreaux a dit :

Dans Florence jadis vivoit un medecin.

Art poët. liv. IV.

Peut-être diroit-il aujourd'hui à Florence.

En ou Dans suivis d'un nom avec l'article, à cause du sens individuel.

Dans le royaume de Naples. Dans la France. Dans la Normandie. Dans le repos où je suis. Dans le mouvement, ou dans l'agitation, ou dans l'état où je me trouve ; on dit aussi en l'état où je suis. Dans la misere ou en la misere où je suis. Dans la belle humeur ou en la belle humeur où vous êtes. Dans la fleur de l'âge ou en la fleur de l'âge. Il m'est venu dans l'esprit. Il est allé en l'autre monde, pour dire il est mort : en ce sens le P. Bouhours ne veut pas qu'on dise il est allé dans l'autre monde ; car alors l'autre monde se prend, dit-il, pour le nouveau monde ou l'Amérique. Dans l'extrémité ou en l'extrémité où je suis. Dans la bonne humeur ou en la bonne humeur où il est. Dans tous les lieux du monde ou en tous les lieux du monde. En tout tems, en tout pays. Dans tous les tems, dans tous les pays. J'ai lû cela en un bon livre ou dans un bon livre. En mille occasions ou dans mille occasions. En chaque âge ou dans chaque âge. En quelque pensée ou dans quelque pensée que vous soyez. En des livres ou dans des livres. En de si beaux lieux ou dans de si beaux lieux. (F)


ÉNALLAGES. f. (Gramm.) , changement, permutation. R. , permuto ; ainsi pour conserver l'ortographe & la prononciation des anciens, il faudroit prononcer énallague. C'est une prétendue figure de construction, que les grammairiens qui raisonnent ne connoissent point, mais que les grammatistes célebrent. Selon ceux-ci, l'énallage est une sorte d'échange qui se fait dans les accidens des mots ; ce qui arrive, disent-ils, quand on met un tems pour un autre, ou un tel genre pour un genre différent ; il en est de même à l'égard des modes des verbes, comme quand on employe l'infinitif au lieu de quelque mode fini : c'est ainsi que dans Térence lorsque le parasite revient de chez Thaïs, à laquelle il venoit de faire un beau présent de la part de Thrason, celui-ci vient au-devant de lui en disant :

Magnas verò agere gratias Thaïs mihi ?

Ter. eun. iij. 1.

Thaïs me fait de grands remercîmens sans-doute ? Qui ne voit que agere est là pour agit, disent les grammatistes ?

Ceux au contraire qui tirent de l'analogie les regles de l'élocution, & qui croyent que chaque signe de rapport n'est le signe que du rapport particulier qu'il doit indiquer, selon l'institution de la langue ; qu'ainsi l'infinitif n'est jamais que l'infinitif, le signe du tems passé n'indique que le tems passé, &c. ceux-là, dis-je, soûtiennent qu'il n'y a rien de plus déraisonnable que ces sortes de figures. Qui ne voit que si ces changemens étoient aussi arbitraires, dit l'auteur de la méthode latine de Port-Royal (des fig. ch. vij. p. 562.) toutes les regles deviendroient inutiles, & il n'y auroit plus de fautes qu'on ne pût justifier en disant que c'est une énallage, ou quelqu'autre figure pareille. Que les jeunes écoliers perdent de connoître trop tard cette figure, & de n'avoir pas encore l'art d'en tirer tous les avantages qu'elle offre à leur paresse & à leur ignorance !

En effet, pourquoi un jeune écolier à qui l'on fait un crime d'avoir mis un tems ou un genre pour un autre, ne pourra-t-il pas représenter humblement avec Horace, que ses maîtres ne devroient pas lui refuser une liberté que le siecle même d'Auguste a approuvée dans Térence, dans Virgile, & dans tous les autres auteurs de la bonne latinité ?

.............................. .... Quid autem,

Caecilio, Plautoque dabit Romanus, ademtum

Mî, socioque ? Horat. ars poet. v. 55.

Ainsi la seule voie raisonnable est de réduire toutes ces façons de parler à la simplicité de la construction pleine, selon laquelle seule les mots font un tout qui présente un sens. Un mot qui n'occuperoit dans une phrase que la place d'un autre, sans en avoir ni le genre ni le cas, ni aucun des accidens qu'il devroit avoir selon l'analogie & la destination des signes ; un tel mot, dis-je, seroit sans rapport, & ne feroit que troubler, sans aucun fruit, l'économie de la construction.

Mais expliquons l'exemple que nous avons donné ci-dessus de l'énallage, magnas verò agere gratias Thaïs mihi ? l'ellipse suppléée va réduire cette phrase à la construction pleine. Thrason plus occupé de son présent que Thaïs même qui l'avoit reçu, s'imagine qu'elle en est transportée de joie, & qu'elle ne cesse de l'en remercier : Thaïs verò non cessat agere mihi magnas gratias, où vous voyez que non cessat est la raison de l'infinitif agere.

L'infinitif ne marque ce qu'il signifie que dans un sens abstrait ; il ne fait qu'indiquer un sens qu'il n'affirme ni ne nie, qu'il n'applique à aucune personne déterminée : hominem esse solum, ne dit pas que l'homme soit seul, ou qu'il prenne une compagne ; ainsi l'infinitif ne marquant point par lui-même un sens déterminé, il faut qu'il soit mis en rapport avec un autre verbe qui soit à un mode fini, & que ces deux verbes deviennent ainsi le complément l'un de l'autre.

Telle est sans-doute la raison de la maxime jv. que la méthode latine de P. R. établit au chapitre de l'ellipse, en ces termes : " Toutes les fois que l'infinitif est seul dans l'oraison, on doit sous-entendre un verbe qui le gouverne comme caepit, solebat, ou autre : ego illud sedulò negare factum (Terent.), suppléez caepi : facilè omnes perferre ac pati (idem), suppléez solebat. Ce qui est plus ordinaire aux Poëtes & aux Historiens.... où l'on doit toûjours sous-entendre un verbe sans prétendre que l'infinitif soit là pour un tems fini, par une figure qui ne peut avoir aucun fondement ". (F)


ENARBRERen Horlogerie, signifie faire tenir une roue sur son arbre ou sa tige, ce qui se fait de plusieurs façons ; dans les montres & dans les pendules, c'est ordinairement en les rivant tous les deux ensemble.

On dit qu'une roue est bien enarbrée, lorsqu'elle tourne bien droit & bien rond sur son arbre. Voyez ROUE, PIGNON, &c. (T)


ENARRHEMENou ARRHEMENT, sub. m. (Comm.) convention d'acheter une marchandise à un certain prix, pour sûreté de quoi on donne par avance quelque chose sur le prix convenu. Il y a des enarrhemens permis par les lois, & d'autres qu'elles prohibent, tels que ceux qui vont à assûrer à un particulier une très-grande quantité, ou même toute une espece de marchandises, pour y mettre la cherté. Voyez ARRHES & ARRHER. Dict. du Comm. de Trév. & Chambers. (G)


ENARRHERconvenir du prix d'une chose, donner des arrhes pour la sûreté de l'exécution du marché.


ÉNARTHROSES. f. (Anat.) c'est une des trois especes de diarthrose, c'est-à-dire d'articulation osseuse avec mouvement : les deux autres sont l'arthrodie & le ginglyme.

L'énarthrose se fait, dit-on, lorsqu'une grosse tête d'os est reçue dans une cavité profonde, comme la tête du fémur dans la cavité des os innominés ; l'arthrodie a lieu lorsqu'une tête plate est reçue dans une cavité superficielle, comme la tête de l'os du bras dans la cavité glénoïde de l'omoplate ; le ginglyme consiste dans la réception mutuelle de deux os, comme est celle de l'humerus & du cubitus. Voici maintenant l'origine de ces mots grecs, & de tous ceux des articulations.

Les anciens considérant que les os du corps humain sont joints ensemble de diverses manieres, les uns avec mouvement & les autres sans mouvement, ont inventé plusieurs termes pour spécifier la différence de ces assemblages ; cependant malgré les soins qu'ils se sont donnés, & l'obligation qu'on leur doit d'avoir ouvert cette carriere épineuse, ils ont fait de vains efforts pour accommoder à leurs termes toutes les articulations qui se présentent dans le corps de l'homme, outre que les termes qu'ils ont employés expriment quelquefois assez mal les choses auxquelles ils ont voulu les consacrer. Les modernes s'en étant apperçus, ont ajoûté par supplément de nouvelles subdivisions aux anciennes ; mais loin d'éclaircir cette matiere, ils l'ont rendue plus abstraite & plus inintelligible.

Ces réflexions ont engagé M. Lieutaud à abandonner l'ancienne méthode sur les noms des articulations, & à lui substituer une nouvelle théorie, qui nous paroît plus simple, plus naturelle que celle qu'on suit ordinairement, & qui du moins a l'avantage d'être proportionnée aux connoissances de ceux qui commencent. On trouvera dans son Anatomie l'exposition de sa méthode ; car il ne s'agit pas ici d'entrer dans ce détail : il nous suffira de remarquer avec cet auteur, que c'est parler improprement, de donner le nom de connexion à l'énarthrose, à l'arthrodie, & au ginglyme.

En effet, qu'on coupe dans un squelete frais les ligamens de l'articulation du fémur, comme le dit M. Lieutaud, on ne détruit point l'énarthrose ; cependant les os se séparent, & on ne sauroit les rassembler, si on ne les attache par des liens artificiels : concluons que ce sont les ligamens dans le squelete frais, & le fil de laiton dans le sec, qui font la connexion du fémur avec les os innominés, & non pas l'énarthrose, qui ne sert tout au plus qu'à marquer le mouvement que doit avoir la partie, de même que l'arthrodie & le ginglyme. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENAUCHERen terme d'Epinglier, c'est former sur l'enclume, la place de la branche de l'épingle, avant celle de la tête ; sans cette précaution il est aisé de concevoir qu'elle seroit écrasée. Voyez les entailles pratiquées aux enclumes, figures & Planches de l'Epinglier. On fait ces entailles avec une lime à trois quarres. Fig. des mêmes Planches.


ENCABANEMENTS. m. (Marine) on appelle ainsi la partie du côté du navire, qui rentre depuis la ligne du fort jusqu'au plat bord. Voyez Marine, Planche V. la coupe d'un vaisseau dans sa largeur, où la partie comprise entre la ligne du fort & le plat bord est aisée à distinguer. (Z)


ENCADRERv. act. c'est mettre dans un cadre ; on encadre un tableau, une estampe.


ENCAISSÉadj. (Comm.) marchandise ou effet qu'on a mis dans une caisse pour en faciliter le transport. Voyez CAISSE.


ENCAISSEMENTS. m. action d'encaisser.

ENCAISSEMENT ; c'est tout un ouvrage de charpente, dans lequel on coule à fond perdu de la maçonnerie pour faire une crêche.


ENCAISSERmettre des marchandises ou des effets dans une caisse, pour les envoyer dehors.

ENCAISSER, se dit aussi de l'argent qu'on met dans une caisse ou coffre fort à part, pour le garder & l'employer dans le tems aux fraix & dépenses de quelqu'entreprise. Dictionn. du Comm. de Trévoux, & Chambers. (G)

ENCAISSER, (Jard.) est l'action de remettre dans de nouvelles caisses, des arbres à fleurs qui en ont besoin. Voyez RENCAISSER.


ENCANS. m. (Jurisp.) est une vente de meubles qui se fait par autorité de justice, ou du moins publiquement par le ministere d'un huissier ou sergent, au plus offrant & dernier enchérisseur. Ce mot vient du latin in quantum, d'où l'on a fait inquant, terme qui est encore usité dans quelques provinces ; & en d'autres, par corruption, on a dit encan. Menage & Ducange font venir ce mot d'incantare, qui signifie crier ; mais l'autre étymologie paroît plus naturelle. Les meubles vendus à l'encan, ne peuvent plus être revendiqués après les huit jours de recousse, dans les coûtumes qui accordent au saisi ce droit de recousse ou forgage. Voyez RECOUSSE. (A)


ENCANTHISS. m. (Medec. Chir.) terme grec, transmis dans notre langue parce qu'on ne peut le rendre que par une périphrase ; il est composé de la particule , dans, & , angle de l'oeil.

L'encanthis est une excroissance charnue, ou si l'on veut un tubercule qui se forme dans l'angle interne de l'oeil.

Pour connoître positivement le lieu de cette excroissance, il faut rappeller 1°. à sa mémoire la petite masse rougeâtre, grenue, & oblongue, nommée caroncule lacrymale, qui est située entre l'angle interne des paupieres, & le globe de l'oeil. Cette espece de glande conglomerée, dont on doit la meilleure description à Morgagni, sépare une partie de l'humeur sébacée de Meibomius. 2°. Il faut encore se rappeller, que sur le globe de l'oeil, à côté de ce petit corps glanduleux, se trouve une cuticule rouge, ou plûtôt un pli sémi-lunaire, formé par la conjonctive en maniere de croissant, dont la cavité regarde l'uvée, & la convexité le nez. Or c'est précisément ou dans la caroncule lacrymale, ou dans la cuticule rouge qui lui est contiguë, que l'encanthis a son siége.

Ce tubercule, quelle qu'en soit la cause, vice interne des humeurs ou accident externe, grossit quelquefois jusqu'à couvrir les points lacrymaux, & la plus grande partie de la prunelle : alors la vûe s'affoiblit, les yeux s'enflamment, défigurent le visage, & larmoyent continuellement.

Les gens de l'art distinguent avec raison deux especes d'encanthis ; l'une douce, bénigne, fongueuse, rougeâtre, n'est accompagnée ni de douleur, ni de dureté ; l'autre dure, blanchâtre ou plombée, cause une douleur piquante, & tient de la nature du cancer.

Pour guérir l'encanthis, on tâche de consumer & dessécher cette excroissance fongueuse, en mettant dessus trois ou quatre fois par jour une poudre très-subtile, faite avec quinze grains de verdet brûlé, dix grains d'alun calciné, un scrupule d'iris, & une dragme de sucre candi, lavant l'oeil une demi-heure après avec quelqu'eau ophthalmique.

Quelques auteurs conseillent de se servir du verdet ou de l'alun, d'autres du précipité rouge, quelques autres ne craignent point de toucher cette excroissance avec l'esprit de vitriol ; mais l'usage de tous ces catherétiques est dangereux, parce que l'application n'en peut pas être assez juste pour ne pas s'étendre un peu aux environs, ce qui peut occasionner des accidens ; il est plus prudent de les étendre avec d'autres remedes plus doux, pour affoiblir leur action. L'encanthis résiste souvent à tous les remedes ; il faut alors en faire l'extirpation de la maniere suivante. On passe à-travers de l'excroissance une aiguille courbe, enfilée d'un fil ciré, avec lequel on fait une anse que le chirurgien tient avec sa main gauche, tandis qu'avec la droite il tient une lancette ou un petit bistouri dont il cerne la base de la tumeur, ou bien il la coupe avec la pointe des ciseaux. On met ensuite un peu de poudre de sucre candi dans l'oeil, & par-dessus des compresses trempées dans un collyre rafraîchissant. S'il survenoit inflammation, on saigneroit le malade, & on y remédieroit par les moyens convenables. Voy. OPHTHALMIE. (Y)


ENCANTRERterme de Fabrique des étoffes de soie ; c'est ranger les canons dans la cantre, passer les brins de soie dans les boucles de verre, de façon que l'ourdisseuse soit prête d'ourdir sa chaîne.

Encantrer se dit encore des roquetins servant au velours, lorsqu'on les distribue dans la cantre, & le mot encantrer est proprement affecté à cette opération ; au lieu que quand il s'agit d'ourdissage, on dit embanquer. Voyez EMBANQUER.


ENCAPÉadj. (Marine) terme dont se servent les Marins pour dire qu'ils sont avancés entre les caps dans de certains parages, par exemple entre Oüessant & Finisterre ; comme ils disent décapé, lorsqu'ils s'éloignent de certaines terres ou golfes, & qu'ils sont hors des caps les plus avancés. (Z)


ENCAPUCHONNER(S') S'ARMER, v. pass. & termes synonymes, (Manége) L'un & l'autre expriment l'action d'un cheval qui, pour ne point consentir à l'effet des renes, déplace sa tête & baisse le nez, en le ramenant en-arriere de la ligne perpendiculaire sur laquelle il devroit être.

Je crains fort que M. de la Broue n'ait erré, lorsqu'il a voulu remonter aux raisons de l'application du mot armer usité dans ce sens. Il prétend que cette expression n'a été employée que parce que le cheval, dans cette position, présentant le haut du front, doit donner dans une troupe serrée avec beaucoup plus d'assûrance que s'il avoit le nez legerement enavant : car il semble, dit-il, que le cheval se met en garde pour vouloir heurter ou soûtenir un choc ; c'est pourquoi on nomme cette posture s'armer. Quelque respectable que puisse être l'autorité de cet homme aussi malheureux que célébre, je ne puis m'empêcher de penser que nous n'avons adopté en pareil cas le terme dont il s'agit, que parce que l'animal, dans cette attitude, s'arme précisément contre le cavalier, puisque dès-lors il défend ses barres, ses lévres, sa langue, sa barbe, & se soustrait à tous les mouvemens de la main.

En effet, en baissant ainsi la tête, il appuie les branches du mords ou contre son encolure, ou contre son poitrail ; or comme la main n'a de pouvoir & d'empire qu'autant qu'elle peut transmettre ses impressions jusque dans la bouche, & qu'elles ne sauroient y parvenir & s'y manifester que par le moyen des branches, qui sont le levier qu'elle doit mouvoir, il suit de leur appui & de leur fixation contre ces parties du corps de l'animal, que toutes ses opérations sont inutiles, & qu'elles se trouvent constituées dans une entiere impuissance.

Les chevaux dont l'encolure est foible & débile, sont plus portés à s'encapuchonner que les autres.

Il est assez difficile de remédier à cette imperfection, sur-tout quand le cheval en a contracté l'habitude, & qu'il a reconnu tous les avantages qu'il peut retirer d'une semblable défense ; car il n'est, pour ainsi dire, aucune action de la main qui puisse véritablement porter le nez de l'animal en-avant, elles paroissent toutes plûtôt propres à le ramener. Nous trouvons cependant une ressource contre le cheval qui s'arme, lorsque nous rendons l'angle que forment l'extrémité inférieure des renes & le bas des branches, beaucoup plus aigu par l'élévation & par le port de notre main en-avant. L'effet de ce changement de position est tel, que l'embouchure, non-seulement en appuyant sur les barres, mais en remontant & en les froissant, contraint l'animal de se relever, & le desarme. Cette voie une fois découverte, il s'agit encore de l'employer dès que le cheval tend à s'armer de nouveau, & avant qu'il se soit encapuchonné : une grande attention à pratiquer ainsi, pourroit peut-être corriger entierement ce défaut, qui a engagé nombre d'écuyers à chercher vainement dans des embouchures de plusieurs especes, dans des billots cannelés & arrêtés dans les sous-gorges, dans des boules de bois placées à l'angle de l'os maxillaire inférieur, dans des pointes fixées au bas des branches, &c. des moyens qui ne leur ont jamais réussi.

Le bridon peut être aussi, dans de pareilles circonstances, d'une véritable utilité. (e)


ENCARDIAS. f. (Hist. nat.) pierre dont parle Pline, & dont il distingue trois especes ; dans la premiere on voit la figure d'un coeur tout noir & en relief ; la seconde représente un coeur verd ; dans la troisieme on voit un coeur noir, tandis que le reste de la pierre est blanc. Boëtius de Boot, de lapid. & gemmis.


ENCASSURES. f. terme de Charronnage. Les Charrons se servent de ce mot pour exprimer une entaille qu'ils font au lissoir de derriere & à la sellette de devant, pour y placer les essieux des roues, qui s'y trouvent ainsi enchâssées. Voy. Planche du Charron, la figure qui représente un avant-train de carrosse.


ENCASTELÉadj. cheval encastelé, (Marechall.) On doit distinguer le cheval encastelé de celui qui tend à l'encastelure ; les talons du premier sont extrèmement resserrés, les talons du second ont du penchant à se retrécir. Les piés de devant s'encastelent, & non ceux de derriere, parce que ceux-ci sont continuellement exposés à l'humidité de la fiente & de l'urine de l'animal. Voyez ENCASTELURE. (e)


ENCASTELURES. f. (Maréchall.) maladie dont sont atteints les piés de devant des chevaux.

Elle consiste dans un retrécissement extrème des talons auprès de la fente de la fourchette ; ils se rapprochent si intimement, qu'ils semblent, en rentrant l'un dans l'autre, n'en former qu'un seul. Alors les parties molles situées entre l'ongle & l'os du petit pié, souffrent tellement de la compression occasionnée par ce resserrement, que non-seulement il en résulte une douleur très-vive, qui est décelée par la chaleur du pié & par la claudication, mais des suites & des accidens funestes, tels que des suppurations intérieures, des reflux de la matiere à la couronne, la corruption des portions ligamenteuses, tendineuses, aponévrotiques, &c.

L'encastelure est plus commune dans les chevaux fins & de legere taille, que dans tous les autres : les chevaux d'Espagne y sont très-sujets. Elle ne provient quelquefois que d'un talon, & dans ce cas le resserrement est plus ordinairement dans celui de dedans que dans celui de dehors, parce que le quartier de ce côté est toûjours plus foible.

Nous observons que le trop de hauteur des talons est un acheminement à cette maladie ; les talons bas néanmoins n'en sont point absolument exempts. Elle s'annonce encore dans un pié qui s'allonge trop, & qui outrepasse en talon sa rondeur ordinaire.

Si la sécheresse & l'aridité de l'ongle, si les mains ignorantes des Maréchaux sont les uniques causes de l'encastelure, il est sans-doute très-aisé de la prévenir, soit en humectant souvent les piés, soit en en confiant le soin à des artistes éclairés, s'il en est & si l'on en trouve.

Les preuves de l'aridité & de la constitution trop séche de l'ongle, se tirent de la disposition des talons au resserrement, des cercles ou des rainures qui se rencontrent extérieurement autour du sabot, des seymes que l'on y apperçoit, de la petitesse, de la maigreur, de l'altération de la fourchette, &c. Ce défaut naturel augmentant par notre négligence, précipite insensiblement l'animal dans une foule de maux que nous pourrions lui éviter, si nous avions l'attention d'assouplir par le moyen de quelques topiques gras & onctueux les fibres de cette partie.

Prenez cire jaune, sain-doux, huile d'olive, parties égales ; faites fondre le tout ; retirez du feu, & ajoûtez ensuite pareille quantité de miel commun ; mêlez-les sur le champ, en agitant toûjours la matiere, jusqu'à ce qu'en refroidissant elle acquiere une consistance d'onguent : servez-vous-en ensuite pour graisser l'ongle sur tous les environs de la couronne, à sa naissance jusqu'aux talons, en relevant le poil, que vous rabattrez ensuite : garnissez le dessous du pié avec de la terre-glaise. Ces sortes d'applications faites régulierement deux ou trois fois dans la semaine, plus ou moins souvent, selon le besoin & le genre de l'ongle, préserveront l'animal de ces évenemens fâcheux qui le rendent enfin incapable d'être utile.

Mais tous ces soins seroient superflus, si l'on ne fixoit ses regards sur le maréchal chargé d'entretenir les piés. Il est une méthode de les parer & d'y ajuster des fers, dont on ne peut s'écarter sans danger ; & de plus on doit craindre, même de la part de ceux qui sont les mieux conformés, le retrécissement dont il s'agit, lorsque l'on n'est pas en état de guider la plûpart des ouvriers qui gâtent la configuration de l'ongle, & qui le coupent de maniere à en provoquer les défectuosités. Voyez FERRURE, FER, PANTOUFLE.

Cette méthode indiquée dans ces articles est véritablement telle, que nul cheval ne peut s'encasteler dès qu'on s'y conformera scrupuleusement ; mais si l'encastelure existe réellement, & que les moyens prescrits, dans le cas de son existance relativement à la ferrure, ne produisent aucun effet ou ne dégagent pas assez promtement les parties comprimées & plus ou moins souffrantes, le parti le plus sûr est de dessoler l'animal (voyez SOLE), sans perdre un tems précieux à affoiblir les quartiers en les renettant (voyez RENETTES), & à donner vainement des raies de feu (voyez FEU). Cette opération par le seul secours de laquelle nous pouvons élargir à notre gré les talons, étant bien pratiquée, il n'est pas douteux que nous procurerons la guérison entiere d'une maladie qui reparoîtra bien-tôt, si nous ne parons à une rechûte par des soins assidus. (e)


ENCASTERv. act. terme de Fayencier ; c'est placer les pieces à enfourner dans les gazettes, de maniere que le poids des supérieures n'écrase point & ne déforme pas les inférieures.


ENCASTILLAGES. m. (Marine) c'est l'élevation de l'arriere & de l'avant, & tout ce qui est construit dans un vaisseau, depuis la lisse de vibord jusqu'au haut. Voyez ACASTILLAGE. (Z)


ENCASTRERen Architecture, c'est enchâsser ou joindre. On enchâsse par entaille ou par feuillure une pierre dans une autre, ou un crampon de son épaisseur dans deux pierres, pour les joindre. On dit aussi construire par encastrement. (P)

ENCASTRER, voyez EMBOITER. (P)


ENCAUSTIQUEadject. pris subst. (Peinture) espece de peinture pratiquée par les anciens, & qu'on cherche à ressusciter aujourd'hui.

Quelle étoit la manoeuvre des anciens ? les méthodes qu'on propose en approchent-elles, ou valent-elles mieux ? Il ne reste d'eux aucun monument en ce genre : on n'en peut donc juger que d'après les auteurs.

Pline dit, liv. XXXV. chap. xj. Ceris pingere ac picturam inurere, quis primus excogitaverit, non constat. Quidam Aristidis inventum putant, postea consummatum à Praxitele ; sed aliquantò vetustiores encausticae picturae extitere, ut Polygnoti, & Nicanoris, & Arcesilai, Pariorum. Lysippus quoque, Eginae, picturae suae inscripsit ; quod profectò non fecisset, nisi encaustica inventa. Pamphilus quoque Apellis praeceptor non pinxisse tantùm encaustica, sed etiàm docuisse traditur Pausiam Sycionium, primum in hoc genere nobilem. " On ne sait pas qui le premier imagina de peindre avec des cires & de brûler la peinture. Quelques-uns croyent que c'est une invention d'Aristide, ensuite perfectionnée par Praxitele ; mais il y a eu des peintures encaustiques un peu plus anciennes, comme de Polygnote, de Nicanor, & d'Arcésilaüs, de Paros. De plus, Lysippe d'Egine écrivit au bas de sa peinture, il a brûlé ; ce qu'il n'eût assûrément pas fait, si l'encaustique n'eût été dèslors inventé. On dit aussi que Pamphile maître d'Apelle, non-seulement peignit des encaustiques, mais en donna des leçons à Pausias, le premier qui se distingua en ce genre ".

Nicias, qui s'y distingua aussi, mit à ses tableaux la même inscription qu'Apelle, , selon Pline, au même livre.

Voilà les inventeurs de l'Encaustique ; en voici les especes : on a trop négligé de les distinguer. Dans les recherches difficiles il faut s'aider de tout.

Pline dit, l. XXXV. c. xj. Encausto pingendi duo fuisse antiquitùs genera constat, cerâ & in ebore, cestro, id est, viriculo ; donec classes pingi coepêre. Hoc tertium accessit, resolutis igni ceris, penicillo utendi ; quae pictura in navibus nec sole, nec sale, ventisque corrumpitur. " Il est certain qu'il y avoit anciennement deux sortes de peintures encaustiques en cire, & en ivoire, au cestre, c'est-à-dire au touret (espece de burin), jusqu'à ce qu'on eût commencé à peindre les vaisseaux. On en a ajoûté une troisieme, qui est d'employer au pinceau les cires fondues au feu. Cette peinture pratiquée dans les vaisseaux, ne s'altere ni par le soleil, ni par l'eau, ni par les vents ".

Il paroît qu'avant tout cela l'on avoit déjà une maniere d'employer la cire au feu & à la brosse, & que ces trois sortes de peintures encaustiques n'en sont qu'une extension. Voici ce qu'en dit Vitruve, livre VII. chap. jx. Cùm paries expolitus & aridus fuerit, tunc ceram puniceam igni liquefactam, paulò oleo temperatam, setâ inducat. Deindè postea carbonibus in ferreo vase compositis, eam ceram cum pariete calefaciendo sudare cogat, fiatque ut peraequetur. Postea cum candelâ linteisque puris subigat, uti signa marmorea nuda curantur. Haec autem graecè dicitur. " Quand le mur sera poli & sec, qu'on l'enduise à la brosse, de cire de Carthage fondue au feu, & mêlée d'un peu d'huile. Après cela qu'on mette des charbons dans un vase de fer ; qu'en chauffant on fasse suer la cire avec le mur, jusqu'à ce que tout soit égal. Ensuite qu'on le frotte avec une toile cirée, & qu'on le polisse avec des linges nets, comme on fait aux statues de marbre. C'est ce que les Grecs appellent causis, ustion ".

Voilà un vernis encaustique & à la cire, dans toute la rigueur des termes. Cette manoeuvre, ignorée sans doute des restaurateurs de l'ancien encaustique, répand, ce me semble, du jour sur l'obscurité de Pline, puisqu'elle décide à-la-fois & la réalité de l'inustion, & sa maniere. Elle s'applique d'elle-même à la Peinture, & ne permet plus de dispute, ni au grammairien sur le sens d'urere, ni au peintre sur le procédé. Pline fait mention de ce vernis au livre XXXIII. mais il ne dit pas un mot de l'ustion : or on s'en est rapporté à Pline, & voilà d'où est venu l'embarras.

Ce n'est qu'en supposant une ustion réelle, que le dystique suivant a un sens net :

Encaustus Phaëton tabulâ depictus in istâ est :

Quid tibi vis, Dipyron qui Phaëtonta facis ?

Martial, liv. IV. Epigr. xlvij.

" Ce tableau est un Phaëton brûlé : pourquoi Phaëton est-il brûlé deux fois ? "

Preuve que l'ustion ne se faisoit qu'après la peinture.

Autre observation. Aussi-tôt qu'il s'agit des anciens, on n'imagine que du parfait, sans suivre les progrès de l'art. Cela est fort à leur honneur ; mais ce n'est point la marche de l'esprit humain, & il n'est pas absurde que les anciens, avec d'excellens sculpteurs, n'ayent eu que de médiocres peintres.

Ils avoient un vernis encaustique à la cire : ils imaginerent de teindre la cire, pour la substituer à la détrempe ; mais il ne faut pas croire qu'ils en eussent de trente-six couleurs. Pline, liv. XXXV. chap. vij. en nomme quelques-unes, & dit : Cerae tinguntur iisdem his coloribus ad eas picturas, quae inuruntur. " C'est avec ces couleurs qu'on teint les cires pour les peintures qui se brûlent ".

Il dit plus positivement ailleurs, qu'autrefois les peintres, & Polygnote entr'autres, n'employoient que quatre couleurs, le blanc, le jaune, le rouge, & le noir, & toutes très-communes. Ils n'avoient ni bleu, ni verd.

Ce ne fut pas d'abord des peintures au pinceau ; ils gravoient ; ils imaginerent d'enluminer leurs gravûres. La détrempe avoit peu de consistance ; ils employerent leurs cires colorées, & l'ustion en fit des encaustiques. Quelle que fût d'ailleurs leur manoeuvre, car faute de guide on ne peut faire ici que des conjectures hasardées, on conçoit que ces manieres dûrent précéder l'encaustique au pinceau, qui évidemment étoit plus difficile. On conçoit encore que ces peintures devoient être assez grossieres, & ceci n'est point une idée de système.

Quintilien en parle ainsi, liv. X. Primi quorum quidem opera non vetustatis modo gratiâ visenda sunt, clari pictores fuisse dicuntur Polygnotus atque Aglaophon, quorum simplex color tam sui studiosos adhuc habet, ut illa propè rudia, ac velut futurae mox artis primordia maximis qui post eos extiterunt auctoribus praeferantur, proprio quoddam intelligendi (ut mea fert opinio) ambitu. " Les premiers peintres célébres dont on doit voir les ouvrages, non pas seulement parce qu'ils sont anciens, sont Polygnote & Aglaophon. Leur coloris simple a encore des partisans si zélés, qu'ils préferent ces préludes grossiers de l'art qui alloit naître, aux ouvrages des plus grands maîtres qui ont paru après eux ; & cela, je pense, par une certaine affectation d'intelligence qui leur est particuliere ".

Zeuxis qui, selon le même Quintilien, inventa le premier l'art des ombres & des clairs, montra un art qui vraisemblablement ne fut pas fort cultivé ; car le même auteur dit, liv. VIII. ch. v. Nec pictura in quâ nihil circumlitum est, eminet. Ideòque artifices, etiàm cùm plura in unam tabulam opera contulerunt, spatiis distinguunt, ne umbrae in corpora cadant. " La peinture ne sort point, si les entours des corps ne sont ombrés. Aussi les artistes qui ont mis plusieurs figures dans un tableau, laissent entr'elles des intervalles, pour que les ombres ne tombent pas sur les figures ". C'est-à-dire qu'ils n'entendoient guere ni le clair-obscur, ni les reflets, ni la dégradation des teintes, & toutes les finesses de la perspective, qui font le charme de la peinture : aussi leurs compositions n'étoient pas chargées, & tout devoit y être distribué sur les devans, comme dans leurs bas-reliefs.

Cela devoit être encore plus dans l'encaustique au pinceau, par l'embarras de manier les cires. De-là vient que Pausias ne faisoit guere que de petits tableaux, & sur-tout des enfans. Ses envieux en donnoient pour raison, que cette espece de peinture étoit lente ; c'est pourquoi voulant donner de la célébrité à son art, il acheva dans un jour un tableau qui représentoit encore un enfant. Cette production parut singuliere, puisqu'on lui donna un nom, , peinture d'un jour. Pline qui rapporte ces faits, livre XXXV. chap. xj. ajoûte, comme quelque chose de remarquable, que Pausias peignit aussi de grands tableaux ; & il fait ailleurs la même observation sur Nicias : fecit & grandes picturas.

En effet la difficulté étoit toute autre. On conçoit qu'en petit, le peintre pouvoit donner au bois par-dessous, un degré de chaleur capable de maintenir à un certain point la liquidité des cires, pour fondre ses teintes, & donner aux couleurs leur ton ; au lieu qu'en grand il falloit travailler à grands coups de brosse & avec une main sûre, comme dans la fresque, sans autre ressource pour retoucher son tableau, que le moment même de l'inustion ; laquelle ne pouvant se faire que par-devant, devoit gêner la main de l'artiste.

Cet encaustique étoit sans-doute bien plus pratiquable dans les vaisseaux, où il falloit plûtôt de grandes & bonnes ébauches, que des peintures finies avec le dernier soin ; car ce n'étoit pas seulement des couleurs appliquées, mais des figures ; quand Pline ne l'auroit pas dit, Ovide le prouveroit :

....................... Et picta coloribus ustis

Coelestûm matrem concava puppis habet.

Fast. liv. IV. vers. 274.

" Et la poupe représente la mere des dieux peinte en couleurs brûlées ",

Qu'on ne dise point que si ces tableaux encaustiques avoient été imparfaits, les Romains n'en auroient pas fait si grand cas. Ils étoient estimables sans-doute ; mais c'étoit par la noblesse des idées & l'élégance du dessein, sur-tout dans un tems où le faux brillant & le mauvais goût faisoient abandonner la nature, au moment que les Grecs l'avoient à peine saisie. Je parle d'après Vitruve, livre VII. ch. v. Et de son tems, avec des couleurs plus fines & plus cheres, on ne voyoit que des idées fausses & sans art, telles à-peu près que ces ornemens bisarres dont sont chargés nos anciens manuscrits. Nous les traitons de gothiques, & c'est du goût romain, & du meilleur siecle. De plus, cette peinture avoit sur la détrempe l'avantage d'une vigueur & d'une solidité à l'épreuve de l'air, du soleil & des vers ; comme elle en a un autre fort considérable sur notre peinture à l'huile, celui d'un mat uniforme : d'où résulte une harmonie flateuse, & indépendante des jours.

On doit voir à-présent ce que c'étoit que l'encaustique des anciens. Ceux qui ont travaillé à nous le restituer, paroissent n'avoir pas seulement pensé aux deux premieres especes, & vraisemblablement il n'y a pas grand mal. Ne nous occupons donc, comme eux, que de la troisieme, de l'encaustique au pinceau. Voici le résultat de tout ce qui précede, & l'ordre des opérations.

1°. Ils avoient des cires colorées, cerae tinguntur iisdem his coloribus. Ces cires étoient peut-être mêlées d'un peu d'huile, pour les rendre plus fusibles & moins cassantes, paulò oleo temperatam ; & ils les conservoient dans des boîtes à compartimens, dit Varron, liv. II. de re rust. Pictores loculatas habent arculas, ubi discolores sunt cerae ; si cependant ces boîtes n'étoient pas pour les tenir en fusion.

2°. Ils faisoient fondre ces cires, & les employoient au pinceau, resolutis igni ceris, penicillo utendi ; soit qu'ils fissent leurs teintes dans des godets chauds, soit au bout du pinceau, comme font quelquefois nos peintres.

3°. Ils fixoient leur tableau par l'inustion, picturam inurere. Je dis leur tableau, parce que le mot pictura ne signifie point des couleurs, mais ou l'art de peindre, ou le tableau. Ils les fixoient avec un réchaut plein de charbons, qu'ils promenoient à la surface : carbonibus in ferreo vase compositis, comme dit Vitruve. Ce ferreum vas, ce réchaut étoit sans-doute le même instrument dont il est fait mention dans le digeste sous le nom de cauteria.

4°. Enfin ils frottoient & polissoient le tout avec des linges nets, linteis puris subigat ; opération qui doit donner l'éclat du vernis, sans en avoir les défauts.

Toute peinture qui ne remplira pas ces conditions, les trois premieres sur-tout, ou qui ne les remplira pas dans cet ordre, pourra égaler, surpasser même l'encaustique des anciens, mais ne sera jamais leur encaustique.

C'est l'art de peindre avec des cires colorées, & de fixer la peinture par l'inustion ; & ce n'est que cela. Ce même art qu'on appelloit communément encaustique, inustion, Callixene de Rhodes, dans Athénée, le nomme , peinture en cire. Il n'y en avoit qu'un.

Voilà, je crois, des principes incontestables, & suffisans pour apprécier sûrement toutes les manieres de peindre à la cire connues jusqu'à présent. Nous les devons à M. le comte de Caylus, & à M. Bachelier, peintre ; ce sont les seuls qui puissent prétendre au titre d'inventeurs ou de restaurateurs de l'encaustique. Ceux qui nous ont donné des ouvrages dans ce genre, ne sont que leurs disciples, puisqu'ils n'ont travaillé que d'après eux.

M. le comte de Caylus a publié cinq manieres, dont les quatre premieres sont, selon lui, autant de vrais encaustiques.

Premiere maniere de peindre en cire, selon M. de Caylus.

Couleurs, teintes, peinture, tout se prépare & se finit au bain-marie.

1°. Au lieu de pierre à broyer, faites construire une espece de coffre de fer-blanc de seize pouces quarrés sur deux & demi de hauteur, bien soudé partout, & sans autre ouverture qu'un goulot un peu élevé, pour le remplir d'eau. Sur la surface quarrée du côté de laquelle le goulot s'éleve, faites appliquer & attacher avec huit tenons de fer-blanc, une glace de l'épaisseur ordinaire, qui ne soit qu'adoucie, & qui conserve assez de grain pour broyer les couleurs : elles glisseroient sur une glace polie. Remplissez à peu-près ce coffre d'eau, mettez-le sur le feu, chargez la glace de cire & de couleurs ; la cire fondra, & vous broyerez avec une molette de marbre, que vous aurez eu la précaution de faire chauffer. Enlevez la couleur broyée avec un couteau pliant d'ivoire ; mettez-la refroidir, & préparez de même les autres couleurs.

2°. Au lieu de godets ordinaires, ayez un autre coffre de fer-blanc avec son goulot, de la même hauteur, & assez grand pour y percer symmétriquement dix-huit trous ronds, de quinze lignes de diamêtre. Dans ces trous, soudez autant de godets de fer-blanc d'un pouce de profondeur, de façon qu'ils plongent dans le coffre. Dans ces godets, mettez-en d'autres de crystal, pour n'avoir rien à craindre de l'étain du fer-blanc. Remplissez le coffre d'eau bouillante ; les cires colorées fondront, & seront en état d'être employées.

3°. Au lieu de palette, ayez un troisieme coffret couvert d'une glace adoucie, & toute semblable à la machine à broyer ; remplissez-le d'eau bouillante, & formez vos teintes.

4°. Au lieu de chevalet, ayez encore un coffre de fer-blanc semblable au premier, mais plus grand, & dont la face supérieure soit de cuivre d'une ligne d'épaisseur, avec une coulisse de chaque côté, pour recevoir & assujettir la planche sur laquelle vous allez peindre (car il ne s'agit point ici de peindre sur toile). Seulement à l'angle opposé au goulot, vous ferez souder un robinet, pour pouvoir vuider & remplir, quand il faudra renouveller l'eau bouillante, sans cependant exposer les cires à couler.

5°. Enduisez le côté de la planche sur lequel vous devez peindre, de plusieurs couches de cire blanche, dont vous fondrez les premieres avec une poële pleine d'un brasier ardent, pour les faire entrer dans le bois, comme le pratiquent les Ebénistes. Pour plus grande précaution, & de peur que la planche ne se voile par la chaleur, composez-la de trois petites planches d'une ligne d'épaisseur, collées l'une sur l'autre, de façon que leurs fibres se croisent à angles droits.

6°. Enfin ajustez la planche dans les coulisses, & peignez.

Voilà des cires colorées. On peint avec ces cires colorées, mais on ne brûle point la peinture ; il n'y a point d'inustion, la troisieme condition manque : c'est donc une peinture en cire, & non l'encaustique des Grecs.

D'ailleurs la multiplicité des machines, d'une part, de l'autre la difficulté d'avoir & d'entretenir toûjours de l'eau au degré de chaleur convenable, rendent cette maniere rebutante, & les effets ne satisfont point un goût difficile, quoique peut-être la maniere des Grecs fût encore plus imparfaite.

Ajoûtez qu'on ne peut peindre qu'en bois, & en petit, ce qui borne trop l'art. Mr. de Caylus, qui porte lui-même ce jugement de cette premiere maniere de peindre, s'est déterminé par ces raisons, à chercher des moyens plus faciles & plus sûrs.

Seconde maniere de peindre en cire, selon M. de Caylus.

Prenez des cires colorées, préparées comme dans la maniere précédente : faites-les fondre dans l'eau bouillante ; une once de cire, par exemple, dans huit onces d'eau. Quand elles seront fondues, battez-les avec une spatule d'ivoire ou avec des osiers blancs, jusqu'à-ce que l'eau soit refroidie. La cire par cette manoeuvre se divisera en petites molécules, & fera une espece de poudre qui nagera dans l'eau, & que l'on conservera toûjours humide dans un vase bouché ; parce que si elle étoit séche, les molécules se colleroient, & ne pourroient servir.

Ces cires ainsi préparées, mettez dans des godets une portion de chacune, & travaillez avec des pinceaux ordinaires, comme si vous peigniez en détrempe. Vous ne formerez cependant point les teintes sur la palette avec le couteau, car la cire seroit exposée à se peloter ; mais au bout du pinceau. Il convient de peindre sur le bois à crû ; mais on peut aussi opérer sur un enduit de cire.

Le tableau étant achevé, vous viendrez à l'inustion, & vous fixerez la peinture avec le réchaut de Doreur.

Voilà tout ce que prescrit M. de Caylus. Les trois conditions sont observées ; c'est un véritable encaustique : il n'y a point d'objection à faire là-dessus. Voici seulement une difficulté.

Un artiste très-versé dans la peinture en cire, croit cette maniere impraticable ; parce que l'ayant essayée avec toutes sortes d'attentions, il n'a jamais pû y réussir. Il y a sans-doute quelque omission de pratique qu'il n'a pû suppléer, & qui fait tout son embarras. Si l'on pouvoit honnêtement proposer que M. Vien, qui connoît tout l'art de M. de Caylus, & M. Bachelier, travaillassent ensemble dans un attelier commun & ouvert à tout le monde, chacun selon sa maniere, le public pourroit savoir sans équivoque, je ne dis pas ce qu'il y a de vrai dans leurs manoeuvres, mais à quel point elles sont possibles. Dans les inventions nouvelles les doutes doivent paroître pardonnables ; plus on estime une découverte, plus il est naturel de vouloir s'éclaircir. Nous pouvons assûrer que M. Bachelier ne s'y refusera pas.

Au reste M. de Caylus juge lui-même cette maniere embarrassante & bornée, & il en a cherché d'autres.

Il faut observer pour ces deux premieres, que les différentes couleurs ne prennent pas la même quantité de cire : on en verra les rapports & les doses dans le détail de la cinquieme maniere. Je le differe, pour ne point me répéter ni m'interrompre.

Troisieme maniere de peindre en cire.

Ayez une planche, cirez-la en la tenant horisontalement sur un brasier ardent, & en frottant la surface chauffée avec un pain de cire blanche. Continuez cette opération jusqu'à-ce que les pores du bois ayent absorbé autant de cire qu'ils en peuvent prendre : continuez encore, jusqu'à-ce qu'il y en ait pardessus environ l'épaisseur d'une carte. Voilà une planche imprimée à l'encaustique.

Cela fait, ayez des couleurs dont on fait usage à l'huile, mais préparées à l'eau pure, ou légérement gommées. Ces couleurs ne prendront point sur la cire, ou ne s'attacheront que par plaques irrégulieres.

Pour remédier à cet inconvénient, prenez quelque terre crétacée, par exemple du blanc d'Espagne ; répandez-en sur la cire en poudre très-fine ; frottez-la légérement avec un linge, il restera sur la cire une poussiere de ce blanc : peignez ensuite, & les couleurs prendront. La peinture achevée, présentez-la au feu, & faites l'inustion.

Voilà un procédé très-ingénieux ; il peut être commode, s'il est possible de retoucher son ouvrage, du moins sans répéter l'intermede de la poussiere blanche, ce qui laisseroit toûjours de l'embarras : c'est un encaustique, c'est même, si l'on veut, un double encaustique. Mais il paroît mal répondre aux conditions nécessaires pour l'encaustique des anciens. La premiere de ces conditions est que cerae tingantur coloribus : ici ce ne sont point des cires teintes de couleurs avec lesquelles on peint, ad eas picturas quae inuruntur ; mais des couleurs fondues par l'inustion dans des cires qui ont dejà souffert l'inustion elles-mêmes. Mais qu'importe, si cette peinture a les vrais avantages de l'ancien encaustique, le beau mat, la vigueur, & la solidité ?

Quatrieme maniere de peindre en cire, selon M. de Caylus.

Cette maniere n'est qu'un renversement de la précédente. Dans l'autre, la cire est placée avant & sous les couleurs : dans celle-ci on la met après & dessus, elle a les mêmes avantages, & aussi le même défaut, si c'en est un.

Peignez à goüache, à la façon ordinaire, sur une planche très-unie : le tableau terminé, faites chauffer de la cire blanche, assez pour pouvoir l'étendre avec un rouleau sur une glace ou sur un marbre humide un peu échauffé, jusqu'à-ce qu'elle soit mince comme une carte à joüer ; couvrez le tableau de ces lames de cire, & faites l'inustion.

Ces deux manieres ont suggéré à M. de Caylus une nouvelle façon de peindre à l'huile : c'est de travailler à goüache sur une toile à cru, en observant seulement de n'employer que les couleurs dont on se sert à l'huile ; & les couleurs séchées, d'humecter le tableau par-derriere avec de l'huile de pavot appellée d'oliette, laquelle jaunit moins que les autres : cette huile s'étendra, pénétrera les couleurs, fera corps avec elles ; & le tableau sera aussi solide que de la façon ordinaire, & peut-être sans aucuns luisans. Au lieu d'huile, on pourroit employer un vernis blanc gras, siccatif. C'est aux artistes & à l'expérience, dit M. de Caylus, à juger du mérite de cette petite nouveauté.

Cinquieme maniere de peindre en cire, selon M. de Caylus, laquelle n'est ni encaustique, ni donnée pour telle.

Cette méthode consiste à composer des vernis avec des résines solubles dans l'essence de térébenthine, & avec un corps gras ; à faire fondre la cire dans ces vernis, à ajoûter des couleurs à ce mélange, & à peindre à l'ordinaire avec ces couleurs ainsi préparées.

On fait plusieurs vernis, pour s'accommoder plus aisément aux différentes especes de couleurs. Ces vernis se réduisent à cinq :

1°. Vernis blanc très-gras : 2°. vernis blanc moins gras : 3°. vernis blanc sec : 4°. vernis le moins doré : 5°. vernis le plus doré.

Préparation des vernis.

Pour le vernis blanc très-gras, prenez de la résine appellée mastic ; mettez-en 2 onces 6 gros dans 20 onces d'essence de térébenthine ; dissolvez dans un matras à long cou, au bain de sable ; ajoûtez à la dissolution 6 gros d'huile d'olive, que vous aurez fait bouillir dans un matras très-mince, & que vous aurez filtrée : filtrez votre mélange ; ajoûtez-y autant d'essence qu'il en faut pour que le tout fasse un poids de 24 onces, & vous aurez le vernis blanc très-gras.

Pour le vernis blanc moins gras, tout de même, sinon qu'au lieu de 6 gros d'huile, vous n'y en mettrez que 4.

Pour le vernis blanc sec, seulement 2 gros d'huile ; le reste de même.

Pour les vernis dorés : prenez de l'ambre jaune, le plus beau ; faites-le fondre à feu modéré dans une cornue, ou encore mieux, dans un pot de terre neuf & vernissé. Il faut que l'ambre soit entier, & n'occupe que le tiers, ou tout au plus la moitié du vase, parce qu'il se gonfle & s'éléve en fondant. L'ambre étant bien fondu & ensuite refroidi, vous le mettrez en poudre. Pour lors faites-en dissoudre 2 onces 6 gros dans 20 onces d'essence de térébenthine ; ajoûtez 7 gros d'huile d'olive cuite, comme ci-dessus : filtrez le mélange avec un papier gris ; remplacez ce qui sera évaporé d'essence ; ajoûtez-en assez pour que le tout pese 24 onces ; & conservez-le dans une bouteille bien fermée.

Pour faire le vernis le plus doré, vous observerez seulement de laisser l'ambre sur le feu trois ou quatre heures de plus, pour lui donner une couleur plus haute. Il n'y a point d'autre différence.

Préparation des couleurs, & proportion des ingrédiens.

Remarquez que les rapports que vous allez voir entre les doses de couleurs & de cire, sont les mêmes qu'il faut employer pour les deux premieres méthodes.

Céruse 8 onces ; cire 4 1/2 ; vernis blanc très-gras 9.

Blanc de plomb 8 onces ; cire 4 1/2 ; même vernis 8.

Massicot, comme le blanc de plomb.

Jaune de Naples 8 onces ; cire 4 ; vernis blanc le moins gras 8.

Ochre jaune 5 onces ; cire 5 ; vernis le moins doré 9 ; & 10 du même pour l'ochre de rue.

Stile de grain jaune le plus leger 4 onces ; cire 5 ; vernis blanc le moins gras 9.

Stile de grain d'Angleterre mêmes doses, mais avec le vernis le plus doré.

Orpin jaune ou rouge 6 onces ; cire 2 ; vernis blanc le moins gras 3 1/2.

Laque très-fine 4 onces ; cire 5 ; vernis moins doré 9 1/2.

Carmin pur comme la laque.

Vermillon 6 onces ; cire 2 ; vernis moins doré 3 1/2.

Rouge brun d'Angleterre 6 onces ; cire 4 1/2 ; vernis le plus doré 8.

Terre d'Italie 5 onces ; cire 5 ; vernis le plus doré 9.

Outre-mer 1 once ; cire 6 gros ; vernis blanc le moins gras 10 à 11 gros.

Bleu de Prusse le plus beau 2 1/2 onces ; cire 5 ; vernis blanc le moins gras 9.

Cendre bleue 4 onces ; cire 2 1/2 ; vernis blanc le moins gras 4 1/2.

Email bleu 6 onces ; cire 3 ; vernis blanc le moins gras 5 1/2.

Bistre 4 onces ; cire 5 ; vernis le plus doré 9 1/2.

Terre de Cologne, comme pour le bistre.

Terre d'ombre, de même.

Laque verte 4 onces ; cire 4 1/2 ; vernis blanc le moins gras 8.

Noir de pêche 3 onces ; cire 4 1/2 ; vernis blanc sec 8.

Noir d'ivoire 4 onces ; cire 4 1/2 ; vernis blanc sec 8.

Noir de fumée 1 once ; cire 8 ; vernis blanc sec 15.

On peut voir aux différens articles de ce Dictionnaire, ce que c'est que les matieres dont on parle ici.

M. de Caylus abandonne aux Peintres le soin de déterminer les doses pour les autres couleurs.

Quant à la préparation de ces couleurs, elle consiste ou à broyer la couleur avec la cire sur la pierre chaude dont on a parlé ci-dessus, & à faire fondre les cires colorées dans leur vernis propre ; ou à fondre la cire dans les vernis, & y ajoûter la couleur.

M. de Caylus préfere la seconde maniere comme plus promte & plus facile. Pour la pratiquer, mettez la cire & le vernis dans un bocal de verre mince ; faites fondre la cire dans un de ces coffres de fer-blanc dont le dessus est percé de trous, & dont on a parlé ci-dessus : quand elle sera fondue, remuez le mélange pour allier la cire avec le vernis : ajoûtez la couleur bien broyée à sec ; mêlez-la avec la cire : retirez le bocal de la machine ; remuez le mélange jusqu'à-ce qu'il soit froid, & conservez-le bien bouché.

La machine à préparer les couleurs ne differe de la machine à godets, qu'en ce que celle-là devant contenir des pots de verres inégaux en diamêtre & hauteur, doit avoir des ouvertures ou loges proportionnées à ces verres.

Il convient de ne préparer que deux ou trois couleurs à la fois, de peur qu'elles ne se figent hors du feu, ou que le vernis ne s'évapore sur le feu, tandis qu'on est occupé à en remuer une jusqu'à-ce qu'elle soit froide.

Les instrumens, outre ceux dont on vient de parler, sont des pinceaux & des brosses ordinaires, la palette de bois, ou pour le mieux d'écaille ; un couteau d'ivoire plûtôt que d'acier, avec lequel il faut passer les couleurs l'une après l'autre, pour qu'il n'y reste rien de grumeleux ; un pincelier avec de l'essence de térébenthine, pour humecter les couleurs & laver les pinceaux.

M. de Caylus assûre que cette espece de peinture en cire est praticable sur le bois, la toile, & le plâtre.

Si l'on peint sur bois, il faut préférer le moins compact, le plus uni, celui qui se déjette le moins & que les vers attaquent peu, comme le cedre : après le cédre, c'est le sapin d'Hollande, ensuite le chêne. Le poirier convient pour les tableaux d'un grand fini. Si l'on veut que le cedre & le chêne hapent mieux la couleur, on y pratiquera des inégalités avec un instrument à-peu-près semblable au berceau des Graveurs en maniere noire (Voyez l'article GRAVURE) ; & si le grain étoit trop fort, on l'adouciroit avec la pierre ponce. On peindra à cru sur tous les bois.

Si l'on peint sur toile, on choisira celles qui ont le grain uni & serré. On leur donnera à la brosse deux ou trois couches de cire dissoute dans le double de son poids d'essence de térébenthine, ou dans la même quantité de vernis blanc le moins gras ; on laissera sécher chaque couche séparément : quand la derniere sera seche, on présentera la toile à un brasier ardent, afin qu'elle s'imbibe de cire. On pourra aussi la cirer simplement sans essence ni vernis, en la faisant chauffer. On peut encore coller du papier sur la toile, le poncer, & donner l'apprêt de cire, de maniere qu'elle pénetre la toile & le papier. Cette façon est bonne pour les ouvrages d'un grand fini.

Si l'on peint sur plâtre ; pour que la couleur prenne & ne s'écaille point, il faut lui donner un enduit de cire comme à la toile, mais plus fort. On en fera autant pour la pierre.

M. de Caylus avertit que sa troisieme maniere de peindre peut aussi être pratiquée sur le plâtre & la pierre, en observant d'en boucher les pores contre l'humidité & l'embue de la cire ; & cela avec un vernis gras liquéfié dans l'essence de térébenthine : quand cet enduit sera sec, on mettra l'enduit de cire aussi dissoute dans l'essence de térébenthine, ou dans le vernis blanc le moins gras ; on le laissera sécher, ensuite l'on peindra à l'eau avec les couleurs dont on use communément à l'huile, & on fixera la peinture avec le réchaut de doreur.

Si l'on veut appliquer un blanc d'oeuf sur les tableaux en cire, on commencera par les laver légérement à l'eau pure, avec une brosse à peindre, neuve & très-propre, jusqu'à-ce que l'eau ait pris par-tout. On en ôtera le superflu avec un linge doux & humide ; & avant que le tableau soit sec, on étendra le blanc-d'oeuf, comme on le pratique sur les tableaux à l'huile.

La peinture en cire n'a point de luisans ; c'est un de ses avantages. Si cependant on vouloit lui donner l'éclat du vernis, on pourroit en faire un avec l'esprit-de-vin & le mastic. Cette résine qui est soluble dans l'essence de térébenthine, n'empêche point la retouche du tableau : mais le blanc-d'oeuf vaut mieux.

Pour retoucher les tableaux & y mettre l'accord dans toutes ces manieres, on pourra se servir des couleurs préparées au vernis. M. de Caylus les préfere même aux couleurs à l'huile, pour restaurer les vieux tableaux.

Enfin il laisse au tems à juger de tous ces genres de peinture, & de leur solidité respective. Mais dès à-présent il a bien lieu d'être content de ses recherches ; il a travaillé à étendre les limites de l'art : & je ne sais pourquoi le public n'a pas fait plus d'accueil au mémoire où il les lui communique : seroit-ce qu'en fait d'arts on a des yeux pour voir, & de l'avidité pour joüir, mais trop de paresse pour s'instruire ?

Passons maintenant aux découvertes & aux procédés de M. Bachelier, & parlons-en avec la même impartialité. Pour cela rappellons les principes : colorer des cires, peindre avec ces cires colorées, fixer la peinture par l'inustion ; sans quoi une peinture ne peut être l'encaustique des anciens.

Premiere maniere de peindre en cire sur toile ou sur bois, selon M. Bachelier.

Il ne s'agit que de substituer à l'huile, de la cire blanche dissoute dans l'essence de térébenthine.

Imprimez votre toile avec cette cire : prenez des couleurs en poudre, broyez-les sur le porphyre en les délayant avec cette cire ; formez-en votre palette ; entretenez la fluidité des teintes avec quelques gouttes de la même essence ; peignez avec la brosse & le pinceau comme à l'ordinaire.

Il est évident que cette peinture n'est nullement un encaustique. Premierement, on y employe l'essence de térébenthine : or il n'y a pas la moindre apparence que les anciens connussent aucune essence distillée ; c'est un produit chimique. La Chimie nous vient des Arabes, & même on ne peut guere la dater que du tems d'Avicenne. Secondement, on ne brûle point le tableau quand il est achevé : or l'inustion est le caractere distinctif de la peinture encaustique. Ajoûtons, si on veut, que les anciens ne peignoient point sur toile ; mais outre qu'avec cette maniere on peut peindre aussi sur bois, on ne voit pas ce que cette différence peut ajoûter ou ôter à ce genre de peinture.

Seconde maniere de peindre en cire, particulierement sur toile, selon M. Bachelier.

Ayez une toile forte & serrée de telle grandeur qu'il vous plaira ; lavez-la pour en ôter l'apprêt ; tendez-la sur un chassis, & disposez-le de maniere que vous puissiez tourner autour : ayez des couleurs telles qu'on les employe dans la peinture à la détrempe, & peignez ; mais à mesure que vous peindrez, faites humecter par derriere votre toile, avec une éponge : par ce moyen vous retoucherez votre ouvrage, vous y mettrez l'accord, vous le travaillerez, & le finirez aussi parfaitement que vous êtes capable de le faire.

Ayez ensuite de la cire vierge très-pure ; faites-la fondre simplement, ou dissolvez-la par le moyen que nous indiquerons dans la maniere suivante : prenez des brosses, & donnez au derriere de votre toile une, deux, ou trois couches de cire plus ou moins fortes, selon l'épaisseur de la toile & la force des teintes : laissez sécher, ou plûtôt essuyer vos couches.

Ayez ensuite des réchauts de doreur, remplis de charbons ardens ; faites-les promener au-derriere du tableau ; & cependant placé vis-à-vis la peinture, examinez les effets de l'inustion & de la fusion de la cire, laquelle pénétrera la toile & les couleurs : dirigez le mouvement des réchauts, en commandant qu'ils haussent, ou baissent, ou s'arrêtent, &c. jusqu'à ce que tout le tableau soit suffisamment brûlé. Il ne faut pas plus d'un jour pour brûler un tableau de vingt à trente piés quarrés de surface. Représenter cette manoeuvre comme pénible, c'est montrer qu'on ne l'a jamais pratiquée.

Il peut arriver de deux choses l'une, ou que le tableau soit tel que l'artiste le desire, ou qu'il faille le retoucher. On le retouchera, soit avec des couleurs préparées, comme nous allons l'indiquer ; soit avec des pastels faits de ces mêmes couleurs ; soit avec de la cire dissoute par l'essence de térébenthine ou une autre. Tous ces moyens sont au choix du peintre.

Cette maniere est un excellent encaustique ; mais ce n'est point celui des anciens. La premiere condition n'est pas remplie, cerae tinguntur coloribus ad picturas. On y employe la cire, on y brûle ; mais les couleurs ne sont pas des cires colorées, & de plus on est dans le cas d'y employer autre chose que de la cire & des couleurs. A cela près, on peut dire sans témérité, que de toutes les manieres de peindre en cire connues jusqu'à ce jour, c'est la plus avantageuse, la plus sûre, la plus promte ; puisqu'outre la vigueur & la solidité que la cire & l'inustion donnent à la détrempe, on peut faire des chefs-d'oeuvre sur toile, & de telle grandeur qu'on voudra, & finir les tableaux les plus étendus avec autant de perfection & d'aisance, qu'on feroit à l'huile les plus petits morceaux de chevalet. Quelque idée qu'on ait de l'encaustique des anciens, il n'est pas croyable qu'il eût ces avantages.

Troisieme maniere de peindre en cire, selon M. Bachelier.

Prenez du sel de tartre ; faites-en dissoudre dans de l'eau tiede jusqu'à saturation ; filtrez cette eau saturée à-travers un papier gris, & recevez-la dans un vaisseau de terre neuf & vernissé ; mettez ce vaisseau sur un feu doux ; jettez-y des morceaux de cire vierge blanche les uns après les autres, à mesure qu'ils s'y dissoudront : cette solution se gonflera, montera comme le lait, se répandra même si le feu est trop poussé. On fournira de la cire à cette eau alkaline, tant qu'elle en pourra dissoudre ; on s'assûrera que la dissolution est parfaite & uniforme, en la remuant doucement avec une spatule de bois ; & pour lors on aura une masse d'une blancheur ébloüissante, une espece de savon d'une consistance de bouillie qui se dissoudra dans l'eau pure en aussi grande & en aussi petite quantité qu'on voudra ; & ce savon dissous vous donnera une eau de cire. Servez-vous de cette eau pour délayer & broyer vos couleurs.

Ayez une toile tendue sur un chassis ; dessinez votre sujet avec des crayons blancs : tenez vos couleurs dans des godets, & entretenez-les dans une fluidité convenable, en les humectant avec quelques gouttes d'eau pure, ou d'eau de cire. Servez-vous des pinceaux & autres instrumens ordinaires. Préparez seulement votre palette, en la trempant dans la cire bouillante pour qu'elle s'en pénétre, & en la serrant sous une presse de peur qu'elle ne s'envoile ; ratissez-en le superflu, & formez vos teintes sur cette palette.

Ayez à côté de vous deux vaisseaux de terre pleins d'eau, pour nettoyer de l'un à l'autre vos pinceaux & les décharger de couleurs, & essuyez-les sur une éponge au sortir de la seconde eau.

Ayez un petit matelas fait de deux ou trois serviettes ; humectez-le d'eau pure, & le tenez appliqué derriere votre toile à l'endroit où vous peindrez. Si vous trouvez ce matelas incommode, ayez une éponge, imprégnez-la d'eau de cire, & faites-en arroser votre toile par-derriere, deux ou trois fois par jour en hyver, & trois ou quatre en été. Peignez, & continuez votre ouvrage jusqu'à-ce qu'il soit achevé.

Au reste le matelas & l'éponge ne sont nécessaires qu'à ceux qui n'ayant pas la pratique de la détrempe, ne savent pas fondre une teinte humide avec une teinte séche ; ils feront bien de tenir leur toile fraîche.

Cela fait, brûlez le tableau ; cette opération est indispensable. Pour cet effet, allumez un grand feu qui forme une nappe ardente ; présentez-y votre tableau par le côté opposé à la peinture ; approchez-le à mesure qu'il cessera de fumer : vous verrez la cire se gonfler, le gonflement se promener sur la surface, & disparoître quand il sera devenu général ; alors le tableau sera brûlé. Retirez-le peu-à-peu comme vous l'avez approché, de peur que la surface ne reste inégale par un refroidissement brusque & irrégulier. L'inustion loin de détruire la peinture, la rend solide & fixe. D'un enduit sans consistance & sans corps que le frottement le plus leger pourroit emporter, elle fait une couche dure, compacte, adhérente, mince, flexible, & capable de prendre du poli.

Si le tableau étoit grand, on le brûleroit par parties en promenant par derriere le réchaut du doreur, comme dans la méthode qui précéde.

Le tableau étant brûlé, tout est fait, à moins que l'artiste n'y veuille retoucher ; & pour cela il faut l'humecter d'eau de cire. Mais il convient de glacer sa couleur ; c'est-à-dire que si l'endroit est trop brun, on y étendra une teinte plus claire, & on y répétera l'inustion : elle rétablira l'accord contre l'attente du peintre. On pourra aussi, pour retoucher l'ouvrage, se servir des pastels dont nous allons parler.

Il est évident que cette maniere est un véritable encaustique, qu'elle satisfait aux trois conditions requises, & dans l'ordre prescrit. Les cires sont colorées, on peint avec ces cires, & on brûle le tableau. Cette invention est certainement heureuse, & les effets en sont sûrs.

Quatrieme maniere de peindre en cire, selon M. Bachelier.

Prenez de l'eau de cire dont vous venez de voir la préparation ; donnez-en aux couleurs la quantité convenable ; broyez-les, transportez-les du porphyre sur un papier gris qui en boive l'humidité : appliquez dessus un morceau de carton, avant qu'elles soient entierement séches ; donnez-leur la forme ordinaire de pastels en les roulant, & laissez-les ensuite sécher lentement à l'air libre : ces pastels seront tendres & mous à s'étendre sous le doigt ; travaillez avec, & fixez la peinture par l'inustion.

C'est un encaustique du même genre que le précédent ; d'ailleurs on en sent la commodité.

Ces mêmes pastels peuvent devenir fermes & durs comme la sanguine ; il ne faut qu'avoir un petit fourneau d'émailleur avec une moufle, les mettre sous la moufle, entretenir dans le fourneau le même degré de chaleur que celui auquel on acheve de brûler un tableau, & les-y laisser exposés environ un quart-d'heure : on en pourra faire des desseins colorés qu'il n'est pas nécessaire de brûler, & que rien n'altere.

L'eau de cire de M. Bachelier a encore d'autres propriétés. Il la donne comme un excellent vernis qui n'a point les défauts des autres, & même pour le pastel. On peut l'appliquer à la brosse sur les plafonds, les lambris, le plâtre, le marbre, les boiseries des appartemens, les parquets, les équipages, &c. Quand elle est séche, il faut employer l'inustion avec le réchaut de doreur, pour l'incorporer avec les substances ; & quand elle est froide, la frotter avec une brosse rude pour lui donner de l'éclat : c'est-à-dire que M. Bachelier, vraisemblablement sans le savoir, redonne le vernis encaustique de Vitruve, ou l'équivalent.

Il prétend aussi que c'est un bon mordant pour la dorure, d'autant plus que ne faisant point d'épaisseur, elle laisse paroître tout l'art & la délicatesse de la sculpture. Il veut même qu'on puisse l'employer avec avantage pour l'or faux, en passant ensuite par-dessus une seconde couche de la même eau : tellement que la dorure étant sale, on la nettoyeroit comme de l'or fin, & qu'on pourroit y employer l'eau-forte.

Observons que les couleurs sortent de la boutique du marchand impures & mêlées de substances hétérogenes, qui venant à se combiner avec le savon de cire, produiroient peut-être des effets nuisibles. M. Bachelier les purifie de la maniere suivante.

Délayez la couleur dans l'eau pure ; partie demeurera suspendue dans l'eau, partie tombera au fond ; décantez la partie suspendue, & délayez celle qui est tombée au fond ; & ainsi de suite jusqu'à-ce qu'il ne tombe au fond de l'eau qu'un dépôt de matiere non-colorante. A chaque opération, la partie suspendue se déposera ; on réitérera sur ce dépôt les lotions prescrites, cinq ou six fois, & l'on aura enfin des couleurs aussi pures qu'il le faut pour être délayées avec l'eau de cire sans aucun inconvénient.

Cependant ce lavage des couleurs n'a pas paru sans difficulté, & l'eau de cire en a essuyé de plus fortes encore. Il ne s'agit pas de les dissimuler, mais d'y répondre.

Quant au lavage des couleurs, l'expérience du peintre fait face à toutes les théories qu'on lui oppose ; on sait qu'il excelle à peindre les fleurs, nul genre n'exige des couleurs plus fraîches & plus brillantes : néanmoins il lave ses couleurs, & le carmin sur-tout, & ses teintes n'en sont que plus riches ; il ne prétend pas en enlever l'excès de la partie grasse, mais les sables, les sels, & d'autres parties non colorantes. On lui démontrera, si l'on veut, que cela ne doit pas être ; mais il le pratique ainsi, & il réussit.

Quant au savon & à l'eau de cire, on dit 1°. " que regarder ce savon comme une découverte singuliere, c'est montrer qu'on n'a aucune connoissance des livres de Chimie ; qu'il n'y a pas un de ces livres qui n'apprenne que toute substance grasse est propre à faire du savon ; & l'on cite les mémoires que M. Geoffroi donna il y a environ quinze ans à l'académie, sur les savons de toute espece ! ". L'on répond à cette objection & à cette citation très-imprudente, pour n'en rien dire de plus, qu'il n'y a pas un chimiste qui ait parlé d'un savon de cire ; que dans le mémoire de M. Geoffroi on ne trouve pas seulement le mot de cire ; & que si cette découverte n'étoit ni impossible ni singuliere en elle-même, elle est du moins toute neuve & très-singuliere par l'usage que le peintre en fait.

On objecte 2°. " que tout savon en général étoit inconnu aux anciens ; qu'on ne trouve parmi eux aucun vestige de cette composition ; que tous les Chimistes conviennent que c'est une découverte moderne ; qu'elle ne peut donc avoir servi à leur peinture encaustique " On répond qu'ils peuvent n'y avoir point employé de savon, & encore moins ce savon de cire ; mais qu'ils ne connussent aucun savon, & qu'on n'en trouve parmi eux aucun vestige, c'est ce qu'on n'a garde d'avoüer ; & les Chimistes auroient grand tort d'en convenir.

L'interpréte de Théocrite rend le mot par , qui est le sapo des Latins, du savon.

On lit dans Paul d'Egine, , le savon a une vertu détersive.

Pline plus ancien qu'eux est tout autrement précis. Il dit (l. XXVIII. c. 12.) Prodest & sapo : Gallorum hoc inventum est rutilandis capillis : Fit ex sebo & cinere : Optimus fagino & caprino : Duobus modis, spissus ac liquidus : Uterque apud Germanos majore est usu viris quam feminis. " On se sert aussi du savon. C'est une invention des Gaulois pour rendre les cheveux blonds. On le fait de suif & de cendre. Le meilleur est de cendre de hêtre & de suif de chevre. Il y en a de deux sortes, du dur & du liquide. Les Germains employent l'un & l'autre, mais les hommes plus que les femmes ". Voilà le nom du savon, son origine, sa composition, ses especes, ses usages. En est-ce assez ?

On croit 3°. " que le savon de cire a tous les inconvéniens de la détrempe ; qu'on ne peut ni laver les tableaux peints en cette maniere, ni les exposer dans des endroits humides ; que ce savon s'humecteroit & se fondroit facilement, parce que l'alkali fixe qui entre dans sa composition, a toûjours une disposition prochaine à s'humecter, & que ce sel n'étant point décomposé dans le savon, il y conserve toutes ses propriétés ". D'abord on ignore également si jamais l'alkali se décompose, & en quoi il pourroit se décomposer. Secondement, il n'est pas vrai en général que le savon ait toûjours une disposition prochaine à s'humecter ; puisque le savon commun, loin d'attirer l'humidité, est au contraire un des corps qui exposés à l'air, y perdent le plus facilement de la leur : d'ailleurs ce qui pourroit être vrai d'un alkali en général, ne le seroit pas pour cela d'un alkali enveloppé de cire, & d'une cire qui aura souffert l'action du feu. Enfin les faits parlent ; & les tableaux de M. Bachelier peints de cette maniere se lavent comme la cire pure, & résistent comme elle à l'humidité.

4°. L'on craint que cet alkali ne décompose plusieurs couleurs, sur-tout les blancs de plomb & de céruse, à cause de l'acide du vinaigre qui y entre. On a fait cette objection dès le commencement, & M. Bachelier la croit suffisamment réfutée par son expérience. Il employe toutes ces couleurs, & même le verd-de-gris, sans en appercevoir aucun mauvais effet. On sait bien que si le savon qu'on employe à nettoyer les tableaux séjournoit sur la peinture, elle s'enleveroit totalement lorsqu'on viendroit à les laver : mais il n'en est pas ainsi d'un savon de cire. On peut l'employer sans risque & sans crainte qu'il ne s'écaille.

Enfin on a reproché à M. Bachelier, ou plûtôt à l'auteur de l'histoire & du secret de la peinture en cire, de n'avoir point donné les proportions des mélanges de la cire avec les couleurs, comme si cela étoit possible ; & comme si M. Bachelier n'avoit pas été dans le cas où s'est trouvé M. le comte de Caylus, par rapport à ses troisieme & quatrieme manieres, pour lesquelles il n'a eu garde de donner ces proportions. Ce reproche est aussi sensé que celui qu'on feroit à un auteur qui décriroit la maniere de peindre à l'huile, de ne pas donner la proportion de l'huile pour chaque couleur.

Voilà jusqu'où ont été les recherches de l'ancien encaustique. Toutes ces inventions paroissent assez intéressantes pour qu'on ne soit pas fâché d'en savoir l'histoire. Nous nous en rapporterons partout à la vraisemblance.

En 1749, un hasard apprit à M. Bachelier que la cire se dissolvoit dans l'essence de térébenthine. Cet évenement lui fit naître l'idée de l'appliquer à la peinture. Il fit donc dissoudre de la cire, s'en servit au lieu d'huile à délayer ses couleurs, & se mit à peindre sur une toile imprimée à l'huile, telle qu'on l'achete chez le marchand. Son tableau représentoit Zéphire & Flore. Il l'avoit travaillé avec soin, & néanmoins il eut peine à s'en défaire à un prix fort modique. Cela le fit renoncer à une invention qui ne lui parut favorable ni aux progrès de l'art, ni à l'intérêt de l'artiste : il ne s'en vanta même pas. Ce tableau fut emporté en Alsace.

Cependant M. le comte de Caylus, qui aime les arts, & les cultive, & qui depuis long-tems s'applique à éclaircir tout ce que Pline en a écrit, avoit été conduit successivement à la recherche de la peinture encaustique.

En 1753, il annonça à l'académie de Peinture son travail & ses vûes. Il lut à l'académie des Belles-Lettres des dissertations sur cette peinture ; il fit des essais, il les multiplia : il tenta tout pour la recouvrer.

En 1754, il fit exécuter par M. Vien un tableau en cire & sur bois, représentant une tête de Minerve d'après l'antique. Ce tableau fut montré, promené, & reçû comme une nouveauté digne d'attention. On vouloit savoir comment il étoit fait ; mais on étoit réduit à deviner, parce que M. de Caylus se réservoit son secret. On crut généralement qu'il étoit simplement peint à la cire dissoute dans l'essence de térébenthine, & en conséquence quelques-uns jugerent que ce n'étoit ni ne pouvoit être l'encaustique des anciens.

Un homme qui a pris parti pour M. de Caylus, avec autant de passion que si son protecteur en avoit besoin, s'est attaché avec toute la mal-adresse possible à accréditer cette opinion, sur-tout quand il renvoye décidément à la tête de Minerve de M. Vien, pour prouver que l'essence de térébenthine ne noircit pas les couleurs. Mais enfin le dernier mémoire de M. de Caylus, publié en Août 1755, a bien surpris en annonçant que tout le monde avoit tort & raison ; car cette tête a été, dit-on, commencée selon sa premiere méthode, continuée selon la seconde, & terminée selon la cinquieme, où entre l'essence de térébenthine.

Au bruit que faisoit cette tête, M. Bachelier se réveilla. M. Cochin fils, auquel il parla de son premier essai en 1749, l'engagea à y revenir ; & il exécuta dans huit jours en cire dissoute & sur toile, sans avoir vû la Minerve, une grisaille qui représente une fille de huit ans. Ce morceau ne fut pas regardé sans surprise. Sa toile étoit imprimée avec de la cire pure ; mais s'étant apperçu que l'essence des couleurs agissoit trop sur cette cire, & les empêchoit de sécher promtement, il imprima une autre toile avec des couleurs détrempées à la cire dissoute, & fit un troisieme tableau. Il alla plus loin : il considéra que l'inustion étoit le caractere distinctif de l'encaustique des anciens, & que son opération n'y répondoit point. Il fit de nouvelles tentatives ; il parvint à dissoudre sa cire par le sel de tartre ; il trouva son savon & son eau de cire, en un mot la troisieme maniere, que nous avons décrite.

Ce fut alors qu'un auteur zélé pour les arts & les artistes, & impatienté de ce que M. de Caylus différoit tant à se découvrir, publia ce qu'il en pensoit & ce qu'il en savoit ; c'est-à-dire tout ce qu'en savoit M. Bachelier lui-même, & tout ce qu'on pouvoit en savoir alors : & il est très-à-propos de remarquer que cet écrit a paru long-tems avant l'ouvrage de M. de Caylus.

Il paroît par ce précis historique, que M. Bachelier est le premier qui ait peint en cire (en 1749), comme M. de Caylus est le premier qui en ait parlé (en 1753) ; & que quant à l'inustion, qui est le principal caractere de l'encaustique, M. Bachelier est le premier qui en ait parlé, & qui ait appris au public & aux artistes comment se pratiquoit cette manoeuvre.

Après avoir rendu à chacun la gloire qui lui appartient, nous allons finir par dire un mot des tableaux dont leurs découvertes nous ont enrichis.

Outre le buste de Minerve, qui est le premier connu, & qui appartient à M. de la Live de July, M. Vien a fait un tableau de trois piés sur quatre, représentant dans un paysage une nymphe de Diane occupée de l'Amour endormi.

Une tête d'Anacréon, sur toile.

Deux tableaux représentant, l'un Zéphyre, & l'autre Flore.

Une petite tête de Vierge.

M. Roslin a fait son portrait.

M. le Lorrain a sait un tableau de fleurs, & une jeune personne en habit de masque.

Ces différens morceaux sont d'après M. de Caylus, mais on ne sait pas selon quelle maniere ; cependant comme il dit lui-même que tous les artistes qu'il a consultés, ont préféré sa cinquiéme, il est à présumer qu'au moins la plûpart sont exécutés dans le genre que M. de Caylus dit n'être point encaustique.

M. Bachelier, outre les tableaux dont nous avons parlé, a fait des fleurs dans un vase de porcelaine.

Une jeune fille caressant une levrette.

Une tête de profil sur taffetas, & quelques autres,

Mais son chef-d'oeuvre est un grand tableau de douze piés & demi de large sur neuf & demi de haut, représentant des animaux de grandeur naturelle : c'est la fable du loup & du cheval. Il est d'une maniere grande, d'un pinceau ferme, d'une couleur vraie, & d'un effet surprenant ; ce qui a fait dire au public que ce n'étoit pas seulement au loup que ce cheval donnoit un coup de pié. Le commencement de cet éloge est d'après un écrivain qu'on ne soupçonnera pas de favoriser M. Bachelier : aussi l'a-t-il tempéré, en ajoûtant qu'on craignoit que ce tableau ne s'écaillât. C'est comme s'il eût dit : nous ne pouvons empêcher qu'il ne soit beau ; empêchons qu'on ne l'achete. Cet article nous a été communiqué par M. MONNOYE. Les gens de Lettres y verront sur l'encaustique des recherches & des connoissances qui auroient pû se trouver & qui ne se trouvent néanmoins dans aucun des écrits qu'on a publiés sur cette matiere. Ceux qui auront gardé la neutralité dans la contestation de l'encaustique, ne pourront disconvenir que l'auteur n'ait montré autant d'impartialité que de jugement, en réduisant à leur juste valeur les prétentions réciproques des parties opposées, & qu'il n'ait parlé dans ce morceau avec un soin qui peut instruire tout le monde, & une vérité qui ne doit offenser personne.


ENCAVURES. m. (Medecine) maladie particuliere des yeux, que les Grecs ont nommé , & les auteurs latins, cavitas.

L'encavure est un des ulceres profonds de la cornée, dur, semblable à celui qu'on appelle fossette ; excepté qu'il est plus large & qu'il semble moins profond, parce que la cornée se trouvant émincée, est un peu poussée au-dedans de l'ulcere par l'humeur aqueuse. Voyez FOSSETTE.

Cependant dans les ulceres des yeux il faut peu se mettre en peine des noms qu'on leur a donnés, parce qu'ils ne doivent point changer la méthode curative. L'important est de tâcher de connoître la nature de ces ulceres, en former le prognostic, & travailler à la guérison de ceux qui en sont susceptibles. La vûe est trop précieuse pour négliger l'étude de toutes les maladies qui peuvent causer sa perte ; mais pour éviter les répétitions qui se présenteroient souvent dans cet ouvrage, nous rassemblerons brièvement ce qui concerne les diverses especes d'ulceres des yeux, sous le mot général ULCERE DE L'OEIL. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENCEINTES. f. terme de Fortification, signifie la circonférence ou le contour du rempart d'une place fortifiée, soit qu'elle soit composée de bastions, ou non. Chambers. (Q)

ENCEINTE, (Venerie) c'est le lieu où le valet de limier détourne les bêtes avec son limier.


ENCENIESadj. pris subst. (Hist. anc.) fêtes qu'on célébroit à la dédicace d'un temple, à la consécration d'une chapelle, à la réédification d'une maison. C'étoient des festins & des danses. Les jeunes filles s'y couronnoient de fleurs. Nous avons aussi nos encenies, les Juifs ont eu les leurs : elles ont passé de la synagogue dans l'Eglise sous le pape Félix. Voyez CONSECRATION, TEMPLE, DEDICACE, &c. Voyez l'article suivant.

ENCENIES, s. f. pl. (Hist. sacrée) restauration ou rénovation, formé de , nouveau.

C'est le nom que les Juifs donnoient à une fête très-solemnelle qu'ils célébroient le 25 de leur neuvieme mois, qui répond à nos mois de Novembre & Décembre. Elle avoit été instituée en mémoire de la restauration ou purification du temple, faite par Judas-Macchabée.

Les Juifs avoient encore deux encenies ; savoir la dédicace du temple par Salomon, & celle que fit Zorobabel après le retour de la captivité.

Encenie se dit aussi dans l'histoire ecclésiastique & dans les ouvrages des peres, de la dédicace des églises chrétiennes. Voyez DEDICACE.


ENCENSS. m. (Hist. nat. des drogues) en latin thus masculum, olibanum off. , Théophr. & Diosc. , Hippoc. substance résineuse, d'un jaune-pâle ou transparent, en larmes semblables à celles du mastic, mais plus grosses. Voici ce qu'en dit M. Geoffroy, qui en a parlé avec le plus de briéveté & de vérité.

L'encens est sec & dur, d'un goût un peu amer, modérément acre & résineux, non desagréable, & d'une odeur pénétrante. Lorsqu'on le jette sur le feu, il devient aussi-tôt ardent, & répand une flamme vive qui a peine à s'éteindre : il ne coule pas comme le mastic. Si on le met sous les dents, il se brise aussitôt en petits morceaux ; mais il ne se réunit point comme le mastic, & on ne peut pas le rouler comme lui dans la bouche, parce qu'il s'attache aux dents.

Les gouttes d'encens sont transparentes, oblongues & arrondies ; quelquefois elles sont seules, quelquefois il y en a deux ensemble, & elles ressemblent à des testicules ou à des mammelles, selon qu'elles sont plus ou moins grosses : c'est de-là que viennent les noms ridicules d'encens mâle & d'encens femelle. Quelquefois il y a quatre ou cinq gouttes d'encens de la grosseur d'un pois ou d'une aveline, qui sont par hazard attachées à l'écorce de l'arbre d'où elles ont découlé. On estime l'encens qui est blanchâtre, transparent, pur, brillant, sec.

L'encens a été connu non-seulement des Grecs & des Arabes, mais aussi de presque toutes les nations, & dans tous les tems. Son usage a été très-célébré & très-fréquent dans les sacrifices ; car autrefois on les faisoit avec de l'encens, & on s'en servoit, comme l'on s'en sert encore à-présent, pour exciter une odeur agréable dans les temples. Cette coûtume a presque passé parmi toutes les nations, dans toutes les religions, & dans tous les lieux.

Les auteurs ne conviennent pas du pays natal de l'encens. Quelques-uns prétendent qu'il n'y a que l'Arabie qui le produit ; & encore que ce n'est pas ce pays-là tout entier, mais seulement la partie que l'on appelle Saba. D'autres veulent que l'Ethiopie, dont quelques peuples s'appellent Sabéens, porte aussi cette racine odoriférante.

Nous sommes encore moins certains de l'arbre qui fournit l'encens. Pline en parle fort obscurément, & suppose que c'est le térébinthe. Théophraste assûre qu'il est haut de cinq coudées, branchu, & que ses feuilles ressemblent à celles du poirier. D'autres cependant, dit-il, soûtiennent qu'il est semblable au lentisque ; & d'autres, qu'il a l'écorce & les feuilles du laurier. Diodore de Sicile lui donne la figure de l'acacia d'Egypte, & les feuilles de saule. Garzias assûre que l'arbre de l'encens n'est pas fort haut, & que ses feuilles sont semblables à celles du lentisque. Thevet au contraire soûtient qu'il ressemble aux pins qui fournissent de la résine.

Ce que quelques-uns appellent parfum ou encens des Juifs (parce qu'ils s'en servoient souvent dans leurs temples), est une masse séche, un peu résineuse, rougeâtre en écorce, qui a l'odeur pénétrante du storax liquide. Cette masse est faite des écorces de l'arbre appellé rosa-mallas, que l'on fait bouillir, & que l'on exprime après que l'on en a tiré le storax liquide : elle n'est bonne qu'à brûler.

La manne d'encens n'est autre chose que les miettes ou les petites parties qui se sont formées de la collision des grumeaux d'encens, par le mouvement de la voiture ou autrement.

La suie d'encens est cette manne d'encens, brûlée de la maniere qu'on brûle l'arcançon pour faire du noir de fumée.

L'écorce d'encens est l'écorce de l'arbre thurifere. Elle a presque les mêmes qualités & la même odeur que l'encens, aussi fait-on entrer cette écorce dans la composition des parfums enflammables ; mais on n'en apporte plus guere, & l'on substitue à sa place l'encens des Juifs.

Le galipot s'appelle gros encens ou encens commun, à la différence de l'oliban, qu'on nomme encens fin.

L'encens marbré est une des especes de barras. Voyez BARRAS.

L'encens des Indes, qu'on appelle vulgairement encens de Mocha, quoiqu'il ne vienne point de cette ville d'Arabie, arrive en Europe par les vaisseaux des compagnies des Indes ; on l'apporte en masse, quelquefois en petites larmes, mais toûjours fort chargé d'ordure. Il est rougeâtre, & d'un goût un peu amer. Quelques épiciers-droguistes le vendent pour vrai oliban : c'est de leur part une erreur ou une tromperie.

L'encens de Thuringe est, comme on le dit dans le dictionnaire de Trévoux, la résine que fournissent les pins de la Thuringe, & sur-tout du territoire de Saxe, qui abonde en forêts de ces sortes d'arbres. Les fourmis sauvages en retirent de petits grumeaux qu'elles enfoüissent dans la terre quelquefois jusqu'à quatre piés de profondeur. Là cette poix, par la chaleur soûterreine, reçoit un nouveau degré de coction, & se réduit en masse : on la tire ensuite de terre par gros morceaux, & c'est ce qu'on appelle encens de Thuringe, qu'on vend hardiment pour de l'encens. Voyez l'Orictographie de M. Schut. Article de M(D.J.)

ENCENS, (Pharmacie & Mat. méd.) Cette résine entre dans beaucoup de compositions pharmaceutiques officinales. Les Grecs, & les Arabes sur-tout, l'employoient fréquemment ; ils regardoient l'encens pris intérieurement, comme bon contre différentes maladies de la tête, de la poitrine, le flux de ventre, & les fleurs blanches : ils le recommandoient pour la toux, le crachement de sang, la diarrhée, & la dyssenterie.

Quercetanus (Duchêne), in arte med. pract. vante beaucoup contre la pleurésie, une pomme creusée dans laquelle on a mis une dragme d'encens en poudre, & que l'on fait cuire au feu : il la fait prendre au malade, & lui donne trois onces d'eau de chardon beni : ensuite il le fait bien couvrir pour le faire suer. Riviere assûre qu'il a vû plusieurs personnes guéries par ce remede.

Quelques auteurs recommandent l'encens dans les fumigations de la tête, pour les catarrhes, le vertige, le corryza, & celles de l'anus pour la chûte de cette partie.

Les anciens brûloient l'encens, & en recevoient la suie ou le noir de fumée, qu'ils estimoient beaucoup dans les inflammations des yeux.

Mathiole recommande pour la chassie & la rougeur des yeux, de l'eau-rose dans laquelle on a éteint en différentes fois trente grains d'encens allumés à une bougie. On passe cette eau à-travers un linge blanc, & on frotte le coin des yeux avec une plume.

Quelques personnes se servent d'un grain d'encens qu'ils appliquent sur une dent douloureuse, dans l'intention de la faire pourrir.

Nous employons aujourd'hui fort rarement l'encens, & on ne s'en sert guere dans les boutiques que pour les préparations officinales où il est demandé. Il entre dans les eaux antinéphrétiques & thériacales, dans le mithridate, dans les trochisques de karabé, dans les pilules de cynoglosse & de styrax, dans les baumes de Fioraventi & du Commandeur, & dans un grand nombre d'emplâtres. (b)


ENCENSEMENTS. m. (Hist. ecclés.) c'est dans l'Eglise romaine l'action d'encenser pendant l'office divin, à l'autel, au clergé, & au peuple.

On voit, dit M. Aubry, par les anciens ordres romains, que l'encens a été introduit comme un parfum pour purifier l'air & les personnes. L'on a commencé de s'en servir dans les tems où les fideles obligés de se cacher, s'assembloient en secret dans des lieux soûterreins, humides & mal-sains ; l'haleine d'un si grand nombre de personnes renfermées produisoit une mauvaise odeur, que l'on tâchoit de dissiper par le moyen de l'encens, ou de quelques autres parfums : telle est l'origine de l'encens dans l'Eglise.

En effet, il seroit aisé d'établir, que l'encensement n'est point une partie du culte, mais qu'il a été durant plusieurs siecles une simple purification de l'air & des personnes, occasionnée par la nécessité dans les lieux de leurs assemblées religieuses. Tertullien le dit positivement dans son apologétique, chap. xxx. il remarque encore dans un autre endroit, que les anciens chrétiens n'usoient point d'encens pendant l'office divin, & que l'on ne s'en servoit que dans les funérailles : au témoignage de Tertullien, on pourroit joindre ceux d'Athénagore, de Lactance & autres peres, s'il s'agissoit de confirmer cette vérité.

Quand le christianisme fut établi sur les ruines du paganisme, l'usage de l'encens continua dans les temples ; ce ne fut plus alors par le besoin absolu de la purification de l'air, des personnes & des lieux, moins encore pour honorer les hommes ; ce fut pour imiter l'exemple des mages, qui présenterent de l'or & de l'encens à Notre-Seigneur, afin de lui marquer leurs respects & leur soûmission ; l'on se servit aussi de ce moyen pour inviter les chrétiens à détacher leurs pensées de la terre, & à les porter au ciel avec la fumée de l'encens.

Mais ce qui n'étoit qu'un type dans la religion, & qu'un hommage d'oblation au Sauveur du monde, changea bien-tôt de nature, & devint une oblation honorifique aux princes de la terre & aux ministres de l'autel. Le premier exemple eut lieu en faveur des empereurs de Constantinople. Codin nous apprend que dans les fêtes solemnelles, le patriarche encensoit à deux différentes fois l'empereur, lorsqu'il assistoit aux offices, & qu'il remettoit après cela l'encensoir à son diacre, pour aller donner l'encensement au clergé.

Dans la suite des tems, les grands seigneurs pour se distinguer de la foule, affecterent de s'attribuer l'encensement ; & voulant de plus en plus marquer leur rang & leur dignité dans l'Eglise même, ils exigerent deux coups d'encensement, tandis qu'on n'en donneroit qu'un seul à tous les autres assistans pendant le sacrifice.

Voilà comme il est arrivé que le plus ou le moins de coups d'encensement désignent aujourd'hui la qualité de la personne encensée ; & l'on sait bien que les usages fondés sur l'orgueil & l'ambition ne s'abolissent guere : aussi l'honneur futile de l'encensement produit tous les jours en France des procès que l'on juge ordinairement par les titres & les coûtumes des lieux ; c'est pourquoi l'on ne manque point d'arrêts fort singuliers sur cette matiere. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENCENSOIRS. m. vase qui a passé du temple des Juifs dans nos temples. Il est divisé en deux parties : l'inférieure est une espece de grande saliere revêtue d'une taule, qui contient le feu sur lequel on met l'encens ; & la supérieure, une espece de dôme qui couvre la partie inférieure, & qui est percé d'un grand nombre de petites ouvertures par lesquelles la fumée de l'encens peut s'échapper : l'inferieure est à piés ; il en part trois ou quatre longues chaînes, qui traversent autant de tenons, ou anneaux, ou petites douilles fixées sur la partie supérieure. Ces chaînes vont se réunir à une petite piece plate ou bombée qui sert comme de poignée à l'encensoir. Cette piece est percée dans son milieu, & traversée d'une chaîne qui se rend au sommet de la partie supérieure de l'encensoir. Cette chaîne y est attachée, & elle est retenue sur la piece plate de l'encensoir qu'elle traverse par un arrêt à anneau. En tirant cet anneau, on fait monter en glissant la partie supérieure de l'encensoir entre les autres chaînes ; cette partie cesse de couvrir la partie inférieure, & l'on peut mettre dans celle-ci du feu & de l'encens. Quand on y a mis du feu & de l'encens, on lâche l'anneau ; la partie supérieure retombe sur la partie inférieure, & la couvre ; alors l'ecclésiastique qui doit se servir de l'encensoir, embrasse dans sa main droite toutes les chaînes ; la piece à laquelle elles aboutissent est appliquée ou sur son pouce ou sur son index, & les chaînes sortent par la partie opposée de la main, ou contre cette partie opposée ; & les chaînes sortent entre le pouce & l'index, & se recourbent sur l'index. Le prêtre en faisant osciller par le mouvement du bras & du poignet le corps de l'encensoir, la fumée de l'encens est portée par-tout où il lui plaît de la diriger. Les Juifs avoient dans leur temple un grand nombre de ces encensoirs. On dit que Salomon en avoit fait fondre 20000 d'or, & 50000 d'argent. Cela est presque incroyable : il est rare qu'il y en ait plus d'une douzaine dans nos plus riches Eglises ; ils sont tous d'argent, & je ne crois pas qu'on en ait jamais fait aucun d'or. On prétend que les encensoirs des Juifs différoient des nôtres, en ce qu'ils étoient sans chaînes, & qu'ils se portoient à la main comme des réchaux ou grandes cassolettes à piés.


ENCEPHALEadj. m. & f. (Medecine) ce mot est grec ; il est composé de , dans, & de , tête ; il peut donc convenir à tout ce qui est renfermé dans la tête : mais l'usage que l'on en fait, est particulierement pour désigner différentes especes de vers qui naissent en différentes parties de la tête.

Ettmuller fait mention, en traitant de la cephalalgie, de plusieurs observations par lesquelles il conste qu'elle peut être causée par des vers engendrés dans le cerveau, ou plus vraisemblablement dans les sinus frontaux, ou dans les cellules de l'os ethmoïde, puisque l'on en a vû sortir par les narines, au grand soulagement des malades ; c'est ce que Schenckius, de febre hicugaritâ, dit avoir observé plusieurs fois dans une fievre qui regnoit en Hongrie, que l'on appelloit cephalalgie vermiculaire ; parce que la douleur de tête qui étoit le symptome dominant & le plus violent de cette fievre, étoit causé par des vers. Bartholin, cent. 6. obs. 3. fait aussi mention d'une douleur de tête très-opiniâtre guérie par l'excrétion de quelques vers par les narines : on trouve une semblable observation dans Forestus, lib. XXI. obs. 28.

Il conste cependant qu'il y a eu des maladies pestilentielles, dans lesquelles il s'engendroit des vers dans le cerveau même, lorsqu'elles n'avoient pas d'autre cause que la disposition à cette production. Voyez ce qui est dit à ce sujet dans le Dict. de Trevoux, article ENCEPHALE. Voyez aussi sur le même sujet plusieurs choses très-singulieres & très-utiles, dans le traité de la génération des vers dans le corps humain, par M. Andry ; & dans ce Dictionnaire, l'article VERS. (d)


ENCHAINEMENTENCHAINURE (Synon.) Le premier ne se dit bien qu'au figuré ; on commence à employer le second en parlant des ouvrages de l'art, & il faut encourager ces sortes d'usages tant qu'il est possible. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENCHANTELERv. act. (Commerce de Vin) c'est mettre en chantier.


ENCHANTEMENTS. m. (Sortilege & Divinat.) paroles & cérémonies dont usent les magiciens pour évoquer les démons, faire des maléfices, ou tromper la simplicité du peuple. Voyez MAGIE, FASCINATION, MALEFICE, SORCELLERIE.

Ce mot est dérivé du latin in, & canto, je chante ; soit que dans l'antiquité les magiciens eussent coûtume de chanter leurs conjurations & exorcismes magiques, soit que les formules de leurs enchantemens fussent conçûes en vers, & l'on sait que les vers étoient faits pour être chantés. Cette derniere conjecture paroît d'autant plus vraisemblable, qu'on donnoit aussi aux enchantemens le nom de carmina, vers, d'où nous avons fait charme. Voyez CHARME.

Rien, selon M. Pluche, n'est plus simple que l'origine des enchantemens. Les feuillages ou les herbes dont on couronna dans les premiers tems la tête d'Isis, d'Osiris, & des autres symboles, n'étoient eux-mêmes que des symboles de la récolte abondante, & les paroles que prononçoient les prêtres, que des formules de remerciement pour les dons de la divinité. Peu-à-peu ces idées s'affoiblirent dans l'esprit des peuples, s'effacerent & se perdirent entierement, " & ils prirent l'idée de l'union de certaines plantes & de quelques paroles devenues surannées & inintelligibles, pour des pratiques mystérieuses éprouvées par leurs peres. Ils en firent une collection, & un art par lequel ils prétendoient pourvoir presque infailliblement à tous leurs besoins. L'union qu'on faisoit de telle ou telle formule antique avec tel ou tel feuillage arrangé sur la tête d'Isis autour d'un croissant de lune ou d'une étoile, introduisit cette opinion insensée, qu'avec certaines herbes & certaines paroles on pouvoit faire descendre du ciel en terre la lune & les étoiles :

Carmina vel coelo possunt deducere lunam.

Ils avoient des formules pour tous les cas, même pour nuire à leurs ennemis ; on en voit du moins la preuve dans les poëtes. La connoissance de plusieurs simples, bien ou mal-faisans, vint au secours de ces invocations & imprécations assûrément très-impuissantes ; & les succès de la medecine ou de la science des poisons aiderent à mettre en vogue les chimeres de la magie. " Hist. du Ciel, t. I. p. 450. & 451.

Il s'ensuit de ce sentiment, 1°. que l'enchantement est composé de deux choses ; savoir, d'herbes ou autres instrumens magiques, comme des cadavres humains, du sang ou des membres d'animaux, tels qu'on en employoit dans la Nécromancie, mais ce n'est-là que l'appareil, le matériel, & pour ainsi dire le corps de l'enchantement. 2°. Que ce qui en faisoit la force, & déterminoit cet appareil à l'utilité ou au détriment de l'objet pour ou contre lequel étoit destinée l'opération magique, c'étoient les paroles & les formules que prononçoient les enchanteurs. C'est sur ce fondement que les démonographes, dans les récits qu'ils donnent des sortileges, font toûjours mention de certaines paroles, certains mots, que les sorciers & sorcieres prononcent tout-bas & grommelant entre leurs dents. 3°. Qu'il y avoit deux sortes d'enchantemens, les uns favorables ou utiles, & les autres contraires & pernicieux.

" Quant à ces derniers, l'humanité, poursuit le même auteur, inspirant naturellement de l'horreur pour les pratiques qui tendent à la destruction de nos semblables, les incantations magiques qu'on croyoit meurtrieres furent abhorrées & punies chez tous les peuples policés ". Mais cette sévérité n'a pas empêché que dans tous les tems & chez tous les peuples il n'y ait eu des imposteurs qui n'ayent fait le métier d'enchanteurs, ou des hommes assez scélérats pour espérer parvenir à leurs fins par les enchantemens. Entre plusieurs especes dont parlent ou les historiens ou les auteurs qui ont traité en particulier de la magie, nous ne nous arrêterons qu'à ces figures de cire par le moyen desquelles on s'imaginoit faire périr ceux qu'on haïssoit. On appelloit autrefois en France ces figures un volt ou un voust, & l'usage qu'on en prétendoit faire, envouster quelqu'un ; terme que Ménage dérive d'invotare, dévoüer quelqu'un aux puissances infernales, mais qui, selon Ducange, vient d'invulturare, vultum effingere, mot employé dans la moyenne latinité pour exprimer cette représentation de quelqu'un en cire ou en terre glaise. Quoi qu'il en soit de l'étymologie du mot, il est certain que dans l'usage qu'on en prétendoit faire, il entroit des paroles qu'on se persuadoit ne pouvoir être prononcées efficacement par toutes sortes de personnes. C'est ce que nous apprenons par quelques particularités du procès de Robert d'Artois sous Philippe de Valois ; procès dont M. Lancelot, de l'académie des Belles-Lettres, nous a donné une histoire si intéressante dans les mémoires de cette académie. Cet auteur dit que Robert d'Artois & son épouse userent d'enchantemens contre le roi & la reine ; & que l'an 1313, entre la S. Remi & la Toussaints, Robert manda frere Henri Sagebrand, de l'ordre de la Trinité, son chapelain ; & après beaucoup de caresses, & l'avoir obligé de jurer qu'il lui garderoit le secret sous le sceau de la confession, ce que le moine jura, Robert ouvrit un petit écrin, & en tira une image de cire, enveloppée en un querre-chief crespé, laquelle image estoit à la semblance d'une figure de jeune homme, & estoit bien de la longueur d'un pied & demi, ce li semble (c'est la déposition de frere Henri), & si le vit bien clerement par le querre-chief qui étoit moult déliez, & avoit entour le chief semblance de cheveux aussi comme un jeune homme qui porte chief. Le moine voulut y toucher : N'y touchiez, frere Henry, lui dit Robert, il est tout fait, icestuy est tout baptisiez ; l'en le m'a envoyé de France tout fait & tout baptisiez. Il n'y faut rien à cestuy, & est fait contre Jehan de France & en son nom & pour le grever.... mais je en vouldroye avoir un autre que je vouldroye qu'il fust baptisé. Et pour qui est-ce, dit frere Henri ? C'est contre une deablesse, dit Robert ; c'est contre la royne.... si vous prie que vous me le baptisiez, quar il est tout fait, il n'y faut que le baptesme ; je ai tout prêt les parrains & les marraines, & quant que il y a metier, fors le baptisement... Il n'y faut à faire fors aussi comme à un enfant baptiser & dire les noms qui y appartiennent. Frere Henri refusa constamment son ministere pour de pareilles opérations, & dit à Robert d'envoyer chercher celui qui avoit baptisé l'autre. Il fit également & aussi inutilement solliciter Jean Aymeri, prêtre du diocèse de Liége, de baptiser son voust ou son image de cire. Mem. de l'acad. des Inscript. tome X. p. 627. & 629.

Il paroît par ce récit, qu'outre la prophanation sacrilége qu'on exigeoit, la forme de baptême & l'imposition du nom par les parrains & marraines passoit pour nécessaire, afin qu'au moyen de la figure on pût nuire à ses ennemis.

Ce n'est pas seulement parmi les anciens ni en Europe que ces sortes d'enchantemens ont eu lieu, ils étoient connus des sauvages d'Amérique. Chez les Illinois & chez d'autres nations, dit le P. Charlevoix, on fait de petits marmousets pour représenter ceux dont on veut abréger les jours, & qu'on perce au coeur. Il ajoûte, que d'autres fois on prend une pierre ; & par le moyen de quelques invocations, on prétend en former une semblable dans le coeur de son ennemi. Toutes ces pratiques, quelques impies ou ridicules qu'elles soient, concourent à prouver ce que nous avons observé, que l'enchantement est un assemblage d'actions & de paroles, dans la vûe d'opérer quelque effet extraordinaire & communément pernicieux. Journ. d'un Voyage d'Amériq. lett. xxv. p. 360. (G)

ENCHANTEMENT, (Medec.) maniere de guérir les maladies, soit par des amuletes, des talismans, des philacteres, des pierres précieuses, & des mots barbares, qu'on porte sur sa personne, soit par des préparations superstitieuses de simples, soit enfin par d'autres moyens aussi frivoles.

Il n'est pas difficile d'en découvrir l'origine ; c'est l'ignorance, l'amour de la vie & la crainte de la mort qui leur ont donné naissance. Les hommes voyant que les secours naturels qu'ils connoissoient pour se guérir, étoient souvent inutiles, ils s'attacherent à tout ce qui s'offrit à leur esprit, à tout ce que leur imagination vint à leur suggérer.

Les amuletes, les talismans, les philacteres, les pierres précieuses, les os de mort qu'on mit sur soi, dans certains cas extraordinaires, parurent peut-être d'abord comme des remedes indifférens, qu'on pouvoit d'autant mieux employer, que s'ils ne faisoient point de bien, du moins ne causoient-ils point de mal. Ne voyons-nous pas encore tous les jours une infinité de gens se conduire par les mêmes principes ?

Ces remedes n'étoient d'ailleurs ni rebutans, ni douloureux, ni desagréables. On s'y livra volontiers ; l'exemple & l'imagination, quelquefois utiles pour suppléer à la vertu qui manquoit aux remedes de cette espece, les accréditerent, la superstition les autorisa, & vraisemblablement la fourberie des hommes y mit le sceau.

Quoi qu'il en soit, les enchantemens se sont si bien introduits & de si bonne heure dans la Medecine, que toutes les nations les ont pratiqués de tems immémorial, & qu'ils subsistent encore dans les trois plus grandes parties du monde ; l'Asie, l'Afrique & l'Amérique.

Hammon, Hermès, Zoroastre, passoient parmi les payens pour les auteurs de cette pratique médicinale. Hammon, qu'on compte entre les premiers rois de la premiere dynastie d'Egypte, a été regardé pour l'inventeur de l'art de faire sortir le fer d'une plaie, & de guérir les morsures des serpens par des enchantemens.

Pindare dit que Chiron le centaure traitoit toutes sortes de maladies par le même secours, & Platon raconte que les sages-femmes d'Athenes n'avoient pas d'autres secrets pour faciliter les accouchemens ; mais je ne sache point de peuple chez qui cet usage ait trouvé plus de sectateurs que chez les Hébreux.

Leur loi ne put venir à bout d'arrêter le cours du desordre ; c'est pourquoi Jérémie (chap. vij. . 17.) les menaça au nom du Seigneur de leur envoyer des serpens contre la morsure desquels l'enchanteur ne pourroit rien.

Hippocrate contribua merveilleusement par ses lumieres à effacer de l'esprit des Grecs les idées qu'ils pouvoient avoir sucées sur la vertu des enchantemens. Ce n'est pas que leurs philosophes, & ceux qui étoient nourris dans leurs principes, donnassent dans ces niaiseries ; l'histoire nous prouve bien le contraire. J'aime à lire dans Plutarque ce que Périclès, instruit par Anaxagore, pensoit de tous ces vains remedes : " Vous voyez, dit-il à un de ses amis qui vint le visiter dans le tems qu'il étoit attaqué de la peste dont il mourut, " vous voyez mon état de langueur ; mais regardez sur-tout, ajoûta-t-il, cette espece de charme que des femmes ont pendu à mon col, & jugez après cela si j'ai eu l'esprit bien affoibli. "

Cependant les Romains gémirent long-tems sous le poids de cette superstition. Tite-Live nous apprend qu'une maladie épidémique régnant à Rome l'an 326 de sa fondation, on épuisa vainement tous les remedes connus de la Medecine, après quoi on eut recours aux enchantemens, & à toutes les extravagances dont l'esprit de l'homme est capable. On en poussa si loin la manie, que le sénat fut obligé de les défendre par de séveres ordonnances ; c'étoit aux Psylles, peuples de la Lybie, & aux Marses, peuples d'Italie, qu'ils s'adressoient, à cause de leur célébrité dans la science des enchantemens. Enfin Asclépiade, qui vivoit du tems de Mithridate & de Cicéron, eut le bonheur de bannir de Rome cette vaine maniere de traiter les maladies. Peut-être aussi qu'Asclépiade parut dans le tems favorable où l'on commençoit à s'en lasser, parce qu'on n'en voyoit aucun effet.

Les premiers Chrétiens n'ont pas été exemts de cette folie, puisque les papes & les conciles prirent le parti de condamner les phylacteres que les nouveaux convertis au christianisme portoient sur leur personne, pour se préserver de certains dangers. En un mot, les ténebres de l'erreur ne se dissiperent que quand les arts & les sciences, ensevelis pendant plusieurs siecles, reparurent en Europe. Alors la Medecine, de plus en plus éclairée, rejetta toutes les applications superstitieuses des remedes ridicules, opéra la guérison des maladies par les secours de l'art, & nous remit à peu-près au même point où Hippocrate avoit laissé les Grecs à sa mort. Tout le monde sait que dans ce tems-là les Thessaliens l'emportoient sur toutes les nations dans la pratique des enchantemens, & que Philippe étant tombé malade, fit venir à sa cour une Thessalienne pour le guérir ; mais la curieuse Olympias appella secrettement la Thessalienne dans son cabinet, où ne pouvant se lasser d'admirer ses graces & sa beauté : " N'écoutons plus, s'écria-t-elle, les vains discours du peuple ; les charmes dont vous vous servez sont dans vos yeux ". Cet article est de M(D.J.)

ENCHANTEMENT, (Belles-Lettres) terme d'Opéra. Le merveilleux est le fonds de l'opera françois. Cette premiere idée que Quinaut a eue en créant ce genre, est le germe des plus grandes beautés de ce spectacle. (Voyez OPERA) C'est le théatre des enchantemens ; toute sorte de merveilleux est de son ressort, & on ne peut le produire que par l'invention des dieux de la fable & par le secours de la féerie ou de la magie.

Les dieux de la fable développent sur ce théatre la puissance surnaturelle que l'antiquité leur attribuoit. La féerie y fait voir un pouvoir surprenant sur les créatures sans mouvement, ou sur les êtres animés : la magie par ses enchantemens y amene des changemens qui étonnent, & tous ces différens ressorts y produisent des beautés qui peuvent faire illusion, lorsqu'ils sont conduits par une main habile.

Il y a un enchantement dans l'opéra d'Amadis, qui est le fonds d'un divertissement très-bien amené, & fort agréable ; il a été copié dans Tancrede, & la copie est bien au-dessous de l'original. Amadis, dans le premier, croit voir dans une magicienne Oriane qu'il adore ; il met à ses piés ses armes, & l'enchantement produit un effet raisonnable & fondé sur la passion de ce héros.

Des nymphes paroissent dans Tancrede ; elles dansent autour de lui, & les armes lui tombent des mains, sans autre motif apparent aux yeux du spectateur. Suffit-il de danser pour enchaîner la valeur d'un héros, bien sûr d'ailleurs dans cette occasion que tout ce qu'il voit n'est qu'un enchantement ? car il est dans la forêt enchantée, & les flammes qui l'ont retenu sont un enchantement, à ce qu'il dit lui-même, &c.

Cette critique sur un ouvrage très-estimable d'ailleurs, & dont l'auteur n'est plus, a pour seul motif le progrès de l'art. Quelque peu fondés en raison que soient les enchantemens, quoiqu'ils soient contradictoires avec le bon sens, & qu'enfin, sans être trop philosophe, on puisse avec confiance en nier la possibilité, l'opinion commune suffit pour donner la liberté aux poëtes de les introduire dans un genre consacré à la fiction ; mais ils ne doivent s'en servir qu'en leur conservant les motifs capables de les occasionner, & les effets qu'ils produiroient réellement s'ils étoient possibles.

Tout enchantement qui ne naît pas du sujet qu'on traite, qui ne sert point au développement de la passion, & qui n'en est pas l'effet, est donc vicieux, & ne sauroit produire qu'une beauté hors de place ; cette espece de merveilleux ne doit être employé à l'opéra qu'à propos. Il n'est qu'un ressort de plus dans la main du poëte pour faire agir la passion, & pour lui faire créer des moyens plus forts d'étonner, d'ébranler, de séduire, de troubler le spectateur. Voyez FEERIE, MAGIE, OPERA. (B)


ENCHANTEURS. m. terme d'Opéra. Il y a des rôles d'enchanteur. Tous ceux qui font des enchantemens, ne sont pas appellés de ce nom ; on leur donne plus communement celui de magiciens, & on les fait basse-tailles. Voyez MAGICIENS.

Dans Tancrede il y a un enchanteur au prologue, qui est haute-contre. Danchet a donné le nom d'enchanteur à son Ismenor. De l'enchanteur le trépas est certain. M. de Moncrif appelle ainsi Zelindor, roi des Silphes. Voyez FEERIE.

En général, le nom d'enchanteur ne convient qu'aux rôles de magiciens bienfaisans. On appelle magiciens tous les autres. Voyez ENCHANTEMENT, MAGICIEN, FEERIE, OPERA. (B)


ENCHAPERv. act. (Comm.) c'est donner à un barril une chape, ou une chemise, ou une double futaille. Il se dit particulierement des tonneaux qu'on remplit de poudre à canon.


ENCHAPERONERv. act. (Fauc.) c'est mettre le chaperon sur la tête de l'oiseau.


ENCHARNERen terme de Layetier, c'est attacher le couvercle d'une boîte au derriere, avec des crochets de fil-de-fer qui se prennent les uns dans les autres en forme de charniere.


ENCHASSURES. f. dans l'Imprimerie, est un morceau de bois de noyer de dix-huit pouces de long, de dix à onze pouces de large, & de deux pouces d'épaisseur, très-uni d'un côté, & creusé & entaillé de l'autre, de façon à recevoir une platine, soit de fer, soit de cuivre ; aux platines de fer, les enchâssures sont presque inévitables pour reparer leur peu de justesse ; à celles de cuivre, on y met moins d'enchâssures, néanmoins elles sont utiles, dans le cas où la platine a acquis quelque défectuosité, ou, ce qui est le plus général, quand on veut augmenter la portée d'une platine dans toutes ses dimensions. Voyez PLATINE.


ENCHAUSSÉadj. terme de Blason ; il se dit de l'écu qui est taillé depuis le milieu d'un de ses côtés, en tirant vers la pointe du côté opposé. Il y a des écus enchaussés à dextre, & d'autres à senestre, suivant le côté où la taille commence. Liectestain, d'argent enchaussé d'azur.


ENCHERES. f. (Jurisprud.) ce terme qui vient d'enchérir, ne devroit, selon la signification propre, s'entendre que de l'offre qui est faite au-dessus du prix qu'un autre a offert : néanmoins dans l'usage, on comprend sous le terme d'enchere, toute mise à prix, même celle qui est faite la premiere pour quelque meuble ou immeuble, ou pour un bail ou autre exploitation.

Dans quelques pays, les encheres sont appellées mises à prix ; & en d'autres, surdites.

Les encheres sont reçûes dans toutes les ventes de meubles qui se font à l'encan, soit à l'amiable, ou forcées. Dans ces sortes de ventes, c'est l'huissier qui fait la premiere enchere, ou mise à prix.

On reçoit aussi les encheres pour les ventes des coupes des bois, pour les baux des fermes, baux judiciaires, adjudications d'ouvrages, ou autres entreprises.

A l'égard des immeubles qui se vendent par decret volontaire ou forcé, ou par licitation en justice, c'est le poursuivant qui met au greffe la premiere enchere, qu'on appelle enchere de quarantaine. Ceux qui se présentent pour acquérir, ont chacun la liberté de mettre leur enchere jusqu'à ce que l'adjudication soit faite.

L'enchere est un contrat que l'enchérisseur passe avec la justice, & par lequel il s'oblige de prendre la chose pour le prix par lui offert, au cas qu'il ne se trouve point d'enchere plus forte. Ce contrat oblige dès le moment même de l'enchere ; & on ne peut la retracter, quand même l'enchérisseur prouveroit une lésion d'outre moitié : mais dès que l'enchere est couverte par une autre plus forte, le précédent enchérisseur est déchargé de son engagement, lequel contient toûjours tacitement cette condition.

Lorsqu'il y a appel de l'adjudication, le dernier enchérisseur peut demander d'être déchargé de son enchere, n'étant pas obligé d'attendre l'évenement de l'adjudication, & de garder en attendant son argent oisif.

Dans les adjudications de bois ou de fermes du roi, on reçoit encore des encheres après l'adjudication ; mais il faut que ce soit par tiercement & par doublement. Voyez DOUBLEMENT & TIERCEMENT.

Les enchérisseurs en faisant leur enchere, doivent nommer leur procureur & élire chez lui domicile, autrement l'enchere ne seroit pas reçûe.

Dans les ventes d'immeubles qui se font par autorité de justice, l'usage est que les encheres se font par des procureurs fondés de procuration spéciale de leurs parties.

Les procureurs ne peuvent enchérir au-dessus de la somme portée par la procuration ; s'ils vont au-delà, ils sont responsables de leur enchere.

Mais quoique le constituant ne se trouve pas en état de payer, le procureur n'est pas responsable de l'enchere, à moins que l'insolvabilité du constituant ne fût notoire & apparente. Il y a un arrêt conforme du 24 Janvier 1687, rapporté dans le recueil des procureurs, pag. 218.

Tout enchérisseur doit, à peine de nullité, faire signifier son enchere au dernier enchérisseur, c'est-à-dire à celui qui a enchéri immédiatement avant lui. Mais la derniere enchere qui se fait dans la derniere remise, n'a pas besoin d'être signifiée.

Toutes personnes capables d'acquérir sont reçûes à enchérir, à l'exception de ceux qui, par des considérations particulieres, ne peuvent acquérir les biens ou droits dont on fait l'adjudication ; tels que les juges devant lesquels se fait l'adjudication, les conseillers du même siége, les avocats & procureurs du roi, les greffiers-commis : ce qui a été sagement établi, pour empêcher que ces personnes n'abusent de leur ministere pour écarter les autres enchérisseurs, & se rendre adjudicataires à vil prix. Voyez tr. de la vente des immeubles par decret, de M. d'Héricourt.

Enchere couverte, est celle au-dessus de laquelle un autre enchérisseur a fait sa mise.

Derniere enchere, signifie quelquefois l'enchere qui est actuellement la derniere dans l'ordre, mais qui peut être couverte d'un moment à l'autre, ou dans une remise suivante, par un autre enchérisseur, au moyen dequoi elle cesseroit d'être la derniere. Souvent aussi on entend par derniere enchere, celle sur laquelle l'adjudication définitive a été faite.

Enchere à l'extinction de la chandelle. Voyez CHANDELLE ETEINTE.

Folle enchere, est celle qui est faite par un enchérisseur insolvable, ou par un procureur qui ne connoît pas sa partie, ou qui n'a pas d'elle de pouvoir en bonne forme, ou qui excede ce pouvoir, ou enfin qui se charge d'enchérir pour un homme notoirement insolvable.

Faute par l'adjudicataire de consigner le prix de son adjudication dans le tems prescrit, on fait ordonner qu'il sera procédé à une nouvelle adjudication à sa folle enchere, &, comme on dit quelquefois pour abreger, on poursuit la folle enchere, en quoi l'on confond la cause avec l'effet.

S'il ne se présente personne qui porte la chose à si haut prix que celui pour lequel elle avoit été adjugée ; en ce cas celui sur lequel se poursuit la folle enchere, est tenu de fournir ce qui manque pour faire le prix de son adjudication, avec tous les frais faits pour parvenir à une nouvelle adjudication ; c'est ce que l'on appelle payer la folle enchere : & celui qui la doit peut être contraint à payer par saisie & vente de ses biens, meubles & immeubles, & même quelquefois par corps, selon les circonstances.

On peut aussi conclure contre lui aux intérêts du prix, du jour de l'adjudication.

Si le prix de la nouvelle adjudication monte plus haut que celui de la précedente, cet excédent doit être employé, comme le reste du prix, à payer les créanciers.

La folle enchere n'a point lieu contre ceux qui ne peuvent aliéner, lesquels par conséquent sont non-recevables à enchérir.

Dans le cas de folle enchere, on ne peut pas forcer le précédent enchérisseur de tenir son enchere. Il ne peut pas non plus obliger le poursuivant, ni la partie saisie, de lui céder le bien sur le pié de la derniere ; mais s'il veut bien tenir cette derniere enchere, & que le poursuivant & la partie saisie y consentent, on ne poursuit point la folle enchere.

Il n'est point dû de droits seigneuriaux pour la premiere adjudication d'un héritage qui est résolue à cause de la folle enchere, à moins que le premier adjudicataire ne les eût payés, auquel cas il ne pourroit les répéter ; mais il est dû des droits pour la derniere adjudication, ainsi que l'établit Henrys, tome II. liv. III. quaest. 3. (A)

Enchere par licitation, est un acte que le procureur de celui qui poursuit une licitation, fait afficher, publier, & mettre au greffe, pour annoncer qu'un tel héritage sera vendu par licitation ; qu'il l'a mis à tel prix, & autres charges, clauses, & conditions : on y détaille aussi la consistance des biens ; faute d'enchérisseurs, on remet à quinzaine, jour auquel on reçoit les encheres ; & on adjuge par licitation après trois remises différentes. (A)

Enchere au profit commun, est une enchere ordinaire à laquelle on donne ce nom dans la province de Normandie ; parce que la totalité de ces sortes d'encheres tourne au profit de tous les créanciers, à la différence de l'enchere au profit particulier, qui va être expliquée dans l'article suivant.

Enchere au profit particulier, est une enchere d'une espece singuliere, qui n'est usitée qu'en Normandie. C'est une grace que l'on accorde dans les adjudications par decret, aux derniers créanciers & tiers acquéreurs, qui prévoyent qu'ils ne seront point mis en ordre utile, si on se tient à la derniere enchere faite à l'ordinaire, & qu'on appelle dans ce pays enchere au profit commun, à cause qu'elle tourne au profit de tous les créanciers : dans ce cas, tout créancier privilégié ou hypothécaire dont la créance est antérieure à la saisie réelle, peut enchérir à son profit particulier à telle somme que bon lui semble ; ce qui s'entend toûjours à condition que le quart de ce dont il a augmenté sa derniere enchere, tournera au profit commun des autres créanciers, & que les trois autres quarts seront par lui imputés sur ce qui lui est dû.

Pour pouvoir enchérir à son profit particulier, il faut 1°. être créancier privilégié ou hypothécaire sur les biens saisis avant la saisie réelle ; 2°. que la dette soit légitime & fondée en un titre paré & exécutoire ; 3°. que l'enchere au profit particulier soit faite avant l'adjudication finale ; 4°. qu'elle soit mise au greffe du siége où se fait le decret, quinze jours avant l'adjudication ; 5°. qu'elle soit lûe publiquement aux plaids, c'est-à-dire l'audience tenant.

Aux plaids suivans où on la relit encore, s'il ne se présente personne qui veuille porter au profit commun le prix du bien decreté jusqu'à la somme à laquelle le créancier ou tiers acquéreur l'a porté à son profit particulier, & qu'il n'y ait point d'autre créancier antérieur à la saisie réelle qui veuille surenchérir à son profit particulier ; en ce cas on adjuge le bien purement & simplement, sans que personne soit admis par la suite à enchérir, soit au profit commun, ou à son profit particulier.

Lorsque le decret se poursuit sur un tiers détenteur qui n'est pas débiteur personnel, il n'y a que les créanciers antérieurs à son acquisition qui soient admis à enchérir au profit particulier.

Si le bien vendu par decret consiste en plusieurs pieces, le créancier qui enchérit à son profit particulier, peut déclarer sur quelle piece il veut appliquer son enchere au profit particulier ; mais si la répartition n'en a point été faite à l'audience, en ce cas elle se fait de plein droit au sou la livre du prix de l'adjudication, & cela suffit afin de prévenir les fraudes, notamment celle qui pourroit se faire contre le retrait féodal ou lignager, parce que si on différoit plus long-tems à faire l'application de l'enchere au profit particulier, on ne manqueroit pas de l'appliquer toute entiere sur l'héritage pour lequel on craindroit quelque retrait.

Le receveur des consignations est tenu de prendre pour argent comptant, les titres valables de créance de celui qui a enchéri à son profit particulier, & ce jusqu'à concurrence de la somme dont il a augmenté la derniere enchere.

Si celui qui a ainsi enchéri se croyant créancier ne l'est point effectivement, il doit payer le prix entier de son adjudication au profit commun. Voyez les articles 549, 577, & 582 de la coûtume de Normandie, ce que les commentateurs ont dit sur ces articles, & le tr. de la vente des immeubles par decret, de M. d'Héricourt, ch. x. n. 17. & suiv. (A)

Enchere de quarantaine, est un acte que le procureur du poursuivant met au greffe après le congé d'adjuger : pour annoncer que l'on procédera à la vente & adjudication des biens saisis réellement sur un tel, on énonce la consistance des biens auxquels le poursuivant met un prix, & il détaille les autres charges, clauses, & conditions de l'adjudication. Cette enchere est surnommée de quarantaine, parce que l'on y déclare qu'il sera procédé à l'adjudication quarante jours après que l'enchere est mise au greffe.

Elle ne se fait qu'après le congé d'adjuger, & après que les oppositions à fin d'annuller, de charge & de distraire ont été jugées ; attendu que si l'opposition à fin d'annuller avoit lieu, il n'y auroit plus de decret à faire, & que l'enchere doit faire mention des héritages qui seront distraits de l'adjudication & des charges dont l'adjudicataire sera tenu.

Cette enchere étant reçûe au greffe, doit être lûe & publiée à l'audience, tant de la jurisdiction où se poursuit le decret, que de celles où les biens sont situés. La quarantaine ne commence que du jour de la derniere publication.

On affiche cette enchere aux portes des jurisdictions où elle se publie, aux églises paroissiales de ces jurisdictions, des parties saisies, aux portes des villes par où l'on sort pour aller aux biens saisis, & dans les autres endroits où l'on a coûtume de les afficher, suivant l'usage de chaque lieu.

L'enchere doit être signifiée au procureur de la partie saisie, & aux procureurs des opposans.

Apres la quarantaine on procede sur cette enchere à l'adjudication, qui ne se fait que sauf quinzaine ; & ensuite après plusieurs remises, on adjuge définitivement. Voyez ADJUDICATION, CRIEES, DECRET, REMISES. (A)

Enchere au rabais, est celle qui se fait dans les adjudications au rabais ; c'est-à-dire que l'un ayant offert de faire une chose pour un certain prix, un autre enchérisseur offre de la faire pour un moindre prix. Voyez RABAIS.

Renchere se dit en Normandie & dans quelques autres lieux, pour seconde ou autre enchere. (A)

Sur-enchere est aussi la même chose que renchere ; c'est la mise qu'un second, troisieme, ou autre enchérisseur fait par-dessus les autres. Voyez ADJUDICATION, DECRET, SAISIE REELLE, LICITATION. (A)


ENCHÉRIRv. neut. (Comm.) a diverses significations dans le commerce.

Il signifie 1°. offrir d'une marchandise que l'on crie à l'enchere au-dessus du prix qu'en a offert le dernier enchérisseur :

2°. Augmenter le prix, ou devenir plus cher. On dit que des étoffes ou des draps enchérissent, suivant leur rareté, ou celle de la matiere & des ouvriers.

3°. Enchérir signifie encore vendre à plus haut prix que l'on n'a de coûtume. On dit aussi en ce sens renchérir. Voyez l'article ENCHERE. (G)


ENCHÉRISSEURS. m. (Comm.) celui qui enchérit, ou qui met son enchere sur une marchandise qu'on crie publiquement pour la vendre. Voyez ENCHERE & ENCHERIR.

L'huissier-priseur est obligé dans ces ventes de délivrer les marchandises criées au plus offrant & dernier enchérisseur, après avoir plusieurs fois averti ou fait avertir à haute voix par son crieur, que c'est pour la troisieme & derniere fois qu'il les crie, & qu'il va les adjuger. (G)


ENCHEVALLEMENTS. m. (Charpente) c'est une des façons d'étayer une maison, pour y faire des reprises en sous-oeuvre.


ENCHEVAUCHURES. f. en Architecture, la jonction par recouvrement ou feuillure de quelques parties avec quelqu'autre, comme l'enchevauchure d'une plate-forme ou d'une dale sur une autre, qui se fait ordinairement par feuillure de la demi-épaisseur du bois ou de la pierre. Les tuiles & ardoises se recouvrent aussi par enchevauchure. (P)


ENCHEVÊTRÉadj. (Manége) un cheval enchevêtré est celui dont un des piés de derriere est pris dans une des longes de son licol. Ce mot d'enchevêtrure dérive du terme de chevêtre, qui désignoit autrefois un licou. Ce n'est qu'à l'occasion de quelque demangeaison dans le voisinage de la tête, ou de quelqu'autre perception qui l'importune, que l'animal s'enchevêtre. Il s'efforce de s'en délivrer, en y portant un de ses piés de derriere, mais sa jambe peut se trouver embarrassée dans la longe ; & dans les mouvemens qu'il fait pour la dégager, il arrive très-souvent que le frottement violent qui en résulte, cause une écorchure ou une plaie plus ou moins profonde dans le pli du pâturon. Voyez ENCHEVETRURE. Des boules de bois suspendues à l'extrémité des longes, & dont le poids les tient toûjours dans un degré de tension convenable, sans les empêcher de couler librement dans les anneaux, préviennent ces sortes d'accidens qui, eu égard à des chevaux extrêmement vifs & impatiens, ont quelquefois des suites beaucoup plus fâcheuses. (e)


ENCHEVÊTRURES. f. (Manége & Maréchall.) nous appellons de ce nom toute écorchure, toute contusion, toute plaie qui affecte le pli du pâturon des jambes postérieures du cheval, conséquemment à un frottement plus ou moins violent de cette partie, sur les longes du licou dans lesquelles l'animal s'est embarrassé par quelque cause que ce soit, & de maniere ou d'autre. Voyez ENCHEVETRE.

L'écorchure est-elle simple & sans inflammation ? on bassinera le lieu affecté avec du vin, & on desséchera insensiblement en saupoudrant avec de la ceruse. L'érosion, au contraire, est-elle accompagnée d'inflammation, est-elle vive ? on recourra d'abord aux cataplasmes émolliens ; & les accidens appaisés, on leur substituera les dessiccatifs. S'il arrive que la jambe s'engorge, que la douleur persévere, & qu'il y ait une véritable plaie ; on saignera l'animal, on pansera la plaie ainsi que toutes les autres (voyez PLAIE), & l'on appliquera des émolliens résolutifs sur la jambe, tels que les feuilles de mauve, guimauve, mêlées avec l'une des quatre farines résolutives. (e)

ENCHEVETRURE, en Architecture ; c'est dans un plancher un assemblage de deux fortes solives & d'un chevêtre, qui laisse un vuide quarré long contre un mur, pour porter un âtre sur des barres de trémie, ou pour faire passer un ou plusieurs tuyaux d'une souche de cheminée. (P)


ENCHIFRENEMENTS. m. (Medecine) est une espece de fluxion catarrheuse qui a son siége dans la membrane pituitaire ; c'est la maladie qu'on appelle vulgairement rhûme de cerveau.

Le mot enchifrenement vient vraisemblablement, selon le dictionnaire de Trévoux, de sifern, qui signifie rhûme en langage celtique ou bas breton ; & de sifern a été formé sifernet, enrhûmer. Les Grecs appellent cette maladie corysa, & les Latins gravedo.

L'enchifrenement est un véritable catarrhe qui ne differe de celui qui affecte la gorge & la poitrine, que par la différence de la partie affectée, qui d'une même cause prochaine produit cependant des symptomes différens.

Cette cause consiste dans l'engorgement des vaisseaux & des glandes, qui servent à séparer du sang la mucosité des narines ; elle est donc semblable à celle qui établit le catarrhe dans quelque partie que ce soit ; puisqu'il dépend toûjours de l'obstruction des organes, par le moyen desquels se fait la secrétion de l'humeur muqueuse, destinée à défendre des impressions de l'air ou des alimens toutes les voies par lesquelles ils passent. Voyez MUCOSITE.

Tout ce qui peut relâcher le tissu de la membrane pituitaire & les couloirs de la mucosité qui entrent dans sa composition, ensorte qu'il s'y en porte une plus grande quantité ; ou ce qui peut au contraire resserrer ce tissu, & conséquemment ces mêmes couloirs ; de maniere que le cours de cette humeur ne soit pas libre ; qu'elle soit forcée à séjourner plus long-tems dans ses follicules ; qu'elle s'y épaississe plus qu'il n'est nécessaire pour l'usage auquel elle est destinée ; qu'il ne puisse d'abord sortir de ces conduits, que la partie la plus fluide, pendant que la grossiere reste : tout ce qui peut produire ces effets donne lieu à l'enchifrenement. Ainsi on peut dire avec les anciens, qu'il peut être produit par intempérie froide & par intempérie chaude, non pas du cerveau, comme ils le pensoient, mais de toutes les parties molles de la cavité des narines, des sinus frontaux, des cellules de l'os ethmoïde, &c.

Les causes éloignées sont toutes celles qui peuvent produire le catarrhe en général, telles que l'insolation, l'air ambiant, chaud ou froid, sec ou humide, qui produisent subitement, selon leur différente maniere d'agir, quelqu'un des effets ci-dessus mentionnés ; la plethore, la mauvaise digestion, les crudités d'estomac, la trop grande boisson de vin, ou autres liqueurs spiritueuses, le trop grand exercice des parties supérieures pour ceux qui n'y sont pas accoûtumés, la lotion de la tête, la diminution de la transpiration en général, & la constipation, disposent beaucoup au catarrhe des narines : tout cela concourt avec l'âge, le tempérament, l'habitude, la saison, la constitution de l'air, & le régime différent.

Cette maladie, lorsqu'elle est causée par la constriction de la membrane pituitaire, s'annonce par un sentiment de chaleur dans l'intérieur du nez & dans toutes les cavités, ou la plûpart qui y ont communication, accompagnée de demangeaisons & de fréquens éternuemens. Les narines qui dans l'état de santé ne laissent pas échapper une goutte d'humeur aqueuse sous forme sensible dans un air tempéré, commencent à fournir la matiere d'un écoulement d'une humeur claire, âcre, salée, en quoi consiste proprement le corysa ; elle excorie quelquefois & fait enfler les bords du nez & les parties voisines qui en sont humectées ; le visage devient rouge ; si l'on porte la main au front ou à la tête, on trouve ces parties plus chaudes qu'à l'ordinaire ; on y sent aussi une legere douleur gravative, ou au moins une pesanteur inquiétante, les oreilles bourdonnent ; la soif, l'inappétence, le dégoût même, se joignent ordinairement à tous ces symptomes ; la fievre survient aussi quelquefois, & ne diminue pas ce mal. Il arrive ensuite, souvent dès le second jour, qu'il se fait une copieuse évacuation de mucosité épaisse, qui se ramasse dans les cavités des narines ; & excite à se moucher continuellement par sentiment de plénitude ou d'irritation qu'elle y cause. Les enchifrenés sont obligés de tenir la bouche ouverte, sur-tout pendant le sommeil, soit à cause de la tuméfaction des membranes qui tapissent l'intérieur des narines vers leurs issues externes & internes, soit à cause de la matiere visqueuse qui se trouve au passage de l'air, & le ferme ; d'où s'ensuit que la transpiration ne se faisant que par la bouche, celle-ci se desseche, ce qui contribue beaucoup à exciter la soif : c'est aussi par la même raison que le ton de la voix est changé, & que le malade parle du nez ; c'est-à-dire que l'air modifié pour la voix qui devroit passer librement par les narines, pour la prononciation de certaines lettres, trouvant le passage embarrassé frappe l'intérieur du nez sans en sortir, & y produit conséquemment un son différent. On a aussi l'odorat émoussé dans cette maladie, parce que les corpuscules propres à exercer l'organe de ce sens, ne peuvent pas pénétrer la couche de mucosité trop tenace & trop épaisse, dont il est enduit.

L'enchifrenement produit par le relâchement des parties susceptibles d'être affectées dans cette maladie, est presque accompagné des mêmes symptomes, excepté qu'on n'y sent pas autant de chaleur ; que l'humeur du corysa & la mucosité viciée ne sont pas si âcres, si irritantes ; qu'il n'y a pas de douleur de tête, mais beaucoup de pesanteur, avec disposition pressante au sommeil : la fievre qui survient dans ce cas est ordinairement salutaire, hâte l'excrétion de l'humeur peccante, & rend plus promt le dégorgement des vaisseaux pituitaires.

Les vents froids & secs produisent souvent l'enchifrenement de la premiere espece ; & celui de la seconde est souvent l'effet des vents chauds, humides, pluvieux. L'automne est la saison de l'année où cette maladie est plus commune, à cause des grands & fréquens changemens qui surviennent dans la température de l'air ; ce qui dispose en général à toutes sortes de fluxions catarrheuses ; celle des narines est presque toûjours l'effet d'une cause externe. Cette maladie se guérit souvent par la seule opération de la nature, sans aucun secours de l'art ; & elle se termine en peu de tems, sur-tout dans les jeunes gens d'un bon tempérament, pourvû qu'on n'aigrisse pas le mal par le mauvais régime & par le défaut de ménagement : elle est plus rebelle dans les vieillards & dans les personnes d'un tempérament froid & humide ; elle peut quelquefois produire un osène ou un polype, lorsqu'elle dure long-tems, ou qu'elle revient souvent.

Si l'enchifrenement est de nature à exiger des remedes, ils doivent être prescrits différemment selon la différente cause qui l'a produit. Si la chaleur & l'acrimonie des humeurs sont dominantes, il faut prescrire une diete rafraîchissante, adoucissante ; recommander la boisson abondante d'eau de ris, de poulet, d'infusion de pavot rouge ; faire user de juleps hypnotiques.

Si la fievre est de la partie avec douleur de tête, on peut avoir recours à la saignée ; les lavemens & même quelques legers purgatifs peuvent aussi être employés avec succès dans ce cas. La vapeur du vinaigre dans lequel on a fait bouillir quelques plantes résolutives, comme la fleur de sureau reçue par le nez, pendant quelques minutes, à plusieurs reprises, ne peuvent que produire de bons effets.

Pour l'enchifrenement qui dépend d'un relâchement des vaisseaux muqueux, joint au tempérament froid & humide, il convient d'employer des remedes plus actifs, des purgatifs plus forts, des atténuans, des apophlegmatiques, des masticatoires, des errhins, des sternutatoires, des suffumigations faites avec des parfums de différente espece. Il est très-rare qu'il y ait indication de placer la saignée dans l'enchifrenement dont il s'agit. Il convient d'employer des confortatifs, des corroborans pris intérieurement, la diete seche & analeptique, des sachets de plantes aromatiques appliqués sur la tête rasée, quelquefois les vesicatoires appliqués derriere les oreilles à la nuque. Voyez CATARRHE, CORYSE, FLUXION, RHUME. (d)


ENCHUYSE(Géogr. mod.) ville de la Hollande septentrionale ; elle est située sur le Zuiderzée. Long. 22. 55. lat. 52. 59.


ENCIS(Jurisp.) c'est le meurtre de la femme enceinte, ou de l'enfant qu'elle porte. Ce terme se trouve dans la coûtume d'Anjou, art. 44 ; Maine, art. 51, & dans la somme rurale, titre d'action criminelle : mulier inciens qua uterum gerit. Voyez le glossaire de M. de Lauriere. (A)


ENCLAVES. f. (Jurisp.) On appelle enclave ou droit d'enclave, le droit qu'un seigneur a de prétendre la mouvance d'un héritage qui se trouve renfermé dans l'enceinte d'un territoire circonscrit & limité, dont ce seigneur a la directe. Le seigneur dont le fief n'est point un fief volant, mais qui a un territoire ainsi limité, n'a pas besoin d'autre que l'enclave, pour prétendre la directe sur l'héritage qui se trouve compris au-dedans des limites de sa directe.

La question est ainsi décidée par Dumolin sur l'article 46 de l'ancienne coûtume de Paris, qui est le 68e de la nouvelle ; par Loiseau, tr. des seigneuries, ch. xij. n. 50. Chopin sur Anjou, liv. II. chap. du franc-aleu.

Le Grand sur la coûtume de Troyes, gl. j. n. 12. & 13. dit que dans les coûtumes de franc-aleu l'enclave est bon d'un seigneur à un autre, pour obliger celui qui n'a pas l'enclave, à rapporter des titres péremptoires ; mais il prétend qu'il n'en est pas de même contre le détempteur, qu'il faut à son égard un titre précis. M. Guyot en son traité des fiefs, traité des prescriptions, rapporte cependant un arrêt du 4 Septemb. 1727, qui paroît avoir jugé pour l'enclave ; mais dans la coûtume de Vitry il peut avoir eu pour motif que la coutume n'a pas été considérée comme allodiale. (A)

ENCLAVE se dit d'une portion de place qui forme un angle ou un pan, & qui anticipe sur une autre par une possession antérieure ou par un accommodement ; ensorte qu'elle en diminue la superficie & en ôte la régularité. On dit aussi qu'une cage d'escalier dérobé, qu'un petit cabinet, ou qu'un ou plusieurs tuyaux de cheminée font enclave dans une chambre, quand par leur avance ils en diminuent la grandeur. Diction. de Trévoux & Chambers. (P)

ENCLAVES, (Hydraulique) sont des enfoncemens qu'on a ménagés en bâtissant les faces des bajoyers d'une écluse pour y loger les grandes portes, lorsqu'on est obligé de les ouvrir pour le passage des bâtimens. Rien n'est mieux imaginé, non-seulement pour la conservation de ces portes, mais encore pour ne point faire d'obstacle au passage des bâtimens. (K)


ENCLAVÉadj. en termes de Blason, se dit d'un écu parti, dont l'une des portions entre dans l'autre en forme quarrée, comme un tenon de menuiserie. Voyez TENON.

Pelckhosen en Allemagne, parti enclavé d'argent en gueules à senestre.


ENCLAVERv. act. en Architecture, c'est encastrer les bouts des solives d'un plancher dans les entailles d'une poutre. C'est aussi arrêter une piece de bois avec des clés ou boulons de fer. Enclaver une pierre, c'est la mettre en liaison après-coup avec d'autres, quoique de différentes hauteurs, comme il se pratique dans les raccordemens. (P)


ENCLIQUETAGES. m. en Horlogerie, signifie la méchanique que l'on employe ordinairement, lorsqu'on veut qu'une roue puisse tourner dans un sens, & qu'elle ne le puisse pas dans le sens contraire. L'encliquetage est composé de trois pieces (voyez c c, la fig. 7. Planche III. de l'Horlogerie) ; du rochet 7, du cliquet c c, & du ressort r r. Leur maniere d'agir est si simple, qu'elle se concevra facilement par la seule figure ; car on voit que le cliquet c c mobile autour de la vis u u, est continuellement poussé dans les dents du rochet 7 par le ressort r r, & par conséquent que le rochet ne peut tourner de 14 en 7 ; mais qu'il le peut facilement de 7 en 14, le cliquet ne s'opposant point à son mouvement dans ce sens. Par ce dernier mouvement le cliquet est élevé par le talus des dents ; & à chacune de celles qui échappent, il retombe, par la force du ressort, au fond de la dent qui lui a succédé, ce qui cause ce bruit que l'on entend lorsque l'on monte une pendule ou une montre. Certaines gens, lorsque ce bruit est fort sensible, disent qu'ils ont un bon ressort à leur montre, tandis que le ressort, comme on voit, n'y a aucune part. Pour peu que le cliquet fasse bien son effet, il faut qu'il s'oppose de la maniere la plus avantageuse au mouvement du rochet, & par conséquent qu'il soit poussé sur le centre du mouvement r r, dans une ligne de direction de la tangente au rochet.

Encliquetage se dit encore du tout composé du rochet, du cliquet, & de son ressort. Voyez CLIQUET, ROCHET, RESSORT, &c. (T)


ENCLIQUETERv. act. se dit, en Horlogerie, de la maniere dont un cliquet s'engage dans les dents d'un rochet. On dit qu'un cliquet encliquete bien, lorsqu'il s'engage suffisamment dans les dents du rochet, & qu'il s'oppose à leur mouvement de la maniere la plus avantageuse. Voyez CLIQUET, ROCHET, &c. (T)


ENCLITIQUEadj. féminin pris subst. terme de Grammaire, & sur-tout de Grammaire greque, par rapport à la lecture & à la prononciation. Ce mot vient de l'adjectif grec , incliné. R. , inclino. Ce mot est une expression métaphorique.

Une enclitique est un petit mot que l'on joint au mot qui le précede, en appuyant sur la derniere syllabe de ce mot ; c'est pour cela que les Grammairiens disent que l'enclitique renvoye l'accent sur cette derniere syllabe, & s'y appuie : l'on baisse la voix sur l'enclitique : c'est par cette raison qu'elle est appellée enclitique, c'est-à-dire enclinée, appuyée. Les monosyllabes que, ne, ve, sont des enclitiques en latin : rectè, beatè-que vivendum ; terra-que, pluit-ne ? alter-ve. C'est ainsi qu'en françois, au lieu de dire aime-je, en séparant je de aime, & faisant sentir les deux mots, nous disons aimé-je, en joignant je avec aime : je est alors une enclitique. En un mot être enclitique, dit la méthode de Port-royal, à l'avertissement de la regle xxij. n'est autre chose que s'appuyer tellement sur le mot précédent, qu'on ne fasse plus que comme un seul mot avec lui.

Les Grammairiens aiment à personnifier les mots : les uns gouvernent, régissent, veulent ; les autres, comme les enclitiques, s'inclinent, panchent vers un certain côté. Ceux-ci, dit-on, renvoyent leur accent sur la derniere syllabe du mot qui les précede ; ils s'y unissent & s'y appuient, & voilà pourquoi, encore un coup, on les appelle enclitiques.

Il y a, sur-tout en grec, plusieurs de ces petits mots qui étoient enclitiques, lorsque, dans la prononciation, ils paroissoient ne faire qu'un seul & même mot avec le précédent ; mais si dans une autre phrase la même enclitique suivoit un nom propre, elle cessoit d'être enclitique & gardoit son accent ; car l'union de l'enclitique avec le nom propre, auroit rendu ce nom méconnoissable : ainsi , aliquid, est enclitique ; mais il n'est pas enclitique dans cette phrase, , Act. 25. je n'ai rien fait contre César. Si étoit enclitique, on prononceroit tout de suite , ce qui défigureroit le nom grec de César.

Les personnes qui voudroient avoir des connoissances pratiques les plus détaillées sur les enclitiques, peuvent consulter le jxe livre de la méthode greque de Port-royal, où l'on traite de la quantité des accens & des enclitiques. Ces connoissances ne regardent que la prononciation du grec avec l'élévation & l'abaissement de la voix, & les inflexions qui étoient en usage quand le grec ancien étoit encore une langue vivante. Sur quoi il est échappé à la méthode de Port-royal de dire, p. 548, " qu'il est bien difficile d'observer tout cela exactement, n'y ayant rien de plus embarrassant que de voir un si grand nombre de regles accompagnées d'un nombre encore plus grand d'exceptions ". Et à l'avertissement de la regle xxij. l'auteur de cette methode dit " qu'une marque que ces regles ont été souvent forgées par les nouveaux grammairiens, ou accommodées à leur usage, c'est que non-seulement les anciens, mais ceux du siecle passé même, ne s'accordent pas toûjours avec ceux-ci, comme on voit dans Vergare, l'un des plus habiles, qui vivoit il y a environ 150 ans ". Je me sers de l'edition de la méthode greque de Port-royal, à Paris, 1696.

Il y avoit encore à Paris à la fin du dernier siecle, des savans qui prononçoient le grec en observant avec une extrême exactitude la différence des accens ; mais aujourd'hui il y a bien des gens de Lettres qui prononcent le grec, & même qui l'écrivent sans avoir égard aux accens, à l'exemple du P. Sanadon, qui dans sa préface sur Horace dit : " J'écris le grec sans accens ; le mal n'est pas grand, je pourrois même prouver qu'il seroit bon qu'on ne l'écrivît point autrement ". Préface p. 16. C'est ainsi que quelques-uns de nos beaux esprits entendent fort bien les livres anglois ; mais ils les lisent comme s'ils lisoient des livres françois. Ils voyent écrit people, ils prononcent people au lieu de piple ; & disent, avec le P. Sanadon, que le mal n'est pas grand, pourvû qu'ils entendent bien le sens. Il y a pourtant bien de la différence, par rapport à la prononciation, entre une langue vivante & une langue morte depuis plusieurs siecles. (F)


ENCLOSadj. en termes de Blason, se dit du lion d'Ecosse. Ce royaume porte d'or au lion de gueules, enclos dans un double trecheur, fleuré & contre-fleuré de même.

ENCLOS, en terme d'Epinglier, est un demi-cercle de bois qui environne la place des entêteurs, pour que chacun puisse reconnoître son ouvrage. Voyez les Planches & les figures de l'Epinglier.


ENCLOUÉ(Manége & Maréch.) cheval encloüé. Voyez ENCLOUEURE.


ENCLOUERv. act. (Gramm.) c'est ficher un clou. On encloue un canon, un cheval s'encloue. Voyez les articles suivans.

ENCLOUER UNE PIECE D'ARTILLERIE, (Art militaire) c'est en boucher la lumiere avec un clou quarré d'acier, qu'on y fait entrer à grands coups de marteau, de maniere qu'il la remplisse exactement. Lorsque le clou ne peut plus s'enfoncer, on donne un coup de marteau sur son côté, afin de casser sa partie supérieure, & qu'il ne reste aucune prise hors de la lumiere, pour l'en tirer ou arracher.

On trempe dans du suif les clous dont on se sert pour cette opération, afin qu'ils se rompent plus aisément après avoir été enfoncés dans les lumieres des pieces. Quand on en a le tems, on introduit le refouloir dans la piece, pour plier ou river la pointe du clou en-dedans, ce qui augmente la difficulté de le tirer. La lumiere étant ainsi bouchée, le canon est hors de service jusqu'à ce qu'on ait trouvé le moyen de faire sauter le clou, ou qu'on lui ait repercé une nouvelle lumiere.

On peut encore empêcher le service du canon, en faisant entrer à force dans la piece, lorsqu'elle n'est pas chargée, un boulet d'un plus grand calibre que celui qui lui convient. Pour cela on augmente le calibre de son boulet, en le mettant dans un chapeau, ou dans quelqu'autre chose qui donne le moyen de faire tenir fortement le boulet dans la piece.

Il y a plusieurs expédiens pour remédier à l'encloüage des pieces, mais on n'en a point encore trouvé pour remédier à cette derniere pratique ; c'est pourquoi elle est plus avantageuse que l'encloüage ordinaire, mais elle a le défaut d'être d'une exécution moins promte & moins facile.

On encloue les pieces, lorsque dans un siege ou dans une bataille on s'est emparé du canon de l'ennemi, & que l'on manque de tems ou de chevaux pour l'emmener. On en use de même pour le rendre inutile à l'ennemi, lorsque dans certaines circonstances on se trouve forcé de le lui abandonner. On peut encore l'empêcher de s'en servir, au moins pendant quelque tems, en brisant les affuts.

On rapportera ici une méthode singuliere qu'on trouve dans l'Art de la guerre, par M. Vautier officier d'Artillerie, pour rendre dans un siége les pieces hors de service & les faire crever : l'effet en paroît infaillible, mais l'execution souffre de grandes difficultés. Quoi qu'il en soit, voici en quoi consiste ce moyen.

" On prend un coin de fer, qu'on fait jetter pendant une nuit obscure dans l'ame d'une piece. Le bout de ce coin, qui doit être très-mince & en talud, est poussé dans la piece ; dès qu'on la tire, le boulet serré par le coin, s'éleve, & fait à la piece un effort si prodigieux, qu'elle creve infailliblement. Les canonniers chargés de cette périlleuse expédition, prennent soin d'envelopper chaque coin dans un sac de toile bien juste, afin qu'il ne fasse point de bruit en le plaçant avec une perche dans l'ame de la piece. Pendant ce tems la mousqueterie de la place redouble son feu sans charger à balle, & elle dérobe quelquefois à l'ennemi, par cet artifice, la connoissance de cette entreprise, qui peut réussir quand elle est exécutée par des canonniers habiles, & assez déterminés pour arriver aux embrasures de batterie des assiégeans ".

Il est évident que cette très-périlleuse expédition ne peut se tenter que quand les batteries de l'ennemi sont proches de la place ; & pour que le coin fasse son effet, il faut qu'il soit introduit dans la piece quand elle est déchargée : c'est pourquoi le canonnier doit profiter du moment que l'assiégeant remet la piece dans l'embrasure, ce qu'il fait après l'avoir chargée.

La méthode de rendre le canon hors de service en l'encloüant, est fort ancienne. Le chevalier Deville prétend que le premier qui trouva cet expédient, fut un certain Vimercatus de Breme, qui encloüa le canon de Sigismond Malatesta ; mais Juvenal des Ursins fait mention d'un canon encloüé au siege de Compiegne par Charles VI. en 1415, c'est-à-dire environ un an avant la naissance de Malatesta. Les assiégés ayant fait une sortie sur le camp du roi, " passerent outre, dit cet auteur, jusqu'au lieu où l'on avoit assis les canons, & au plus gros, nommé bourgeoise ; mirent au trou par où on boutoit le feu, un clou, tellement que devant ladite ville oncques ne put jetter, &c. "

Il y a deux manieres de remédier à l'encloüage du canon. La premiere consiste à mettre une charge de poudre dans la piece, & à la bien comprimer avec un tampon de bois. On y met le feu par une meche imbibée d'une composition d'artifice qui passe dans le tampon, dont un des bouts communique avec la charge de poudre, & l'autre sort de la piece. Il arrive quelquefois, sur-tout lorsque le clou n'est pas rivé, que la poudre en s'enflammant fait assez d'effort sur le clou pour le faire sauter de la lumiere.

Une simple charge de poudre sans tampon peut aussi produire le même effet ; on en trouve un exemple dans les mémoires de M. de Puysegur, qui fait voir que cette pratique n'est pas nouvelle : c'est au siége d'Hesdin en 1639. Les ennemis ayant dans une sortie encloüé une batterie de quatre pieces de canon, M. de la Meilleraye, alors grand-maître de l'artillerie, en fit ôter les boulets, & il fit mettre le feu à ces pieces par leur embouchure, & la poudre en s'enflammant fit sauter les clous des lumieres.

Lorsque cet expédient ne réussit pas, il faut nécessairement percer une nouvelle lumiere aux pieces : c'est le second moyen de remédier à l'encloüage, & celui dont le succès est plus certain. Il y a longtems qu'on a trouvé l'expédient de remédier à l'encloüage du canon, sans le refondre. Juvenal des Ursins qui nous apprend, comme nous venons de le dire, qu'il y eut un canon encloüé au siége de Compiegne sous Charles VI. nous apprend aussi qu'on trouva le moyen de le desencloüer, en marquant " qu'on y avoit mis tel remede, qu'on en ouvroit & travailloit très-bien ".

Louis Collado ingénieur du roi d'Espagne dans le Milanois, qui a écrit sur l'Artillerie long-tems avant Diégo Ufana, parle aussi de la maniere de remettre un canon encloüé en état de servir, en lui perçant une nouvelle lumiere. Lorsqu'une piece se trouve encloüée, on peut, sans lui mettre un grain, lui percer une nouvelle lumiere ; opération d'environ deux ou trois heures. Mais comme la poudre pourroit à la fin faire sauter le clou de la premiere lumiere, & qu'alors il lui faudroit nécessairement un grain, il est plus convenable de le mettre d'abord, pour s'assûrer du service de la piece, & pour n'être point obligé de lui percer deux lumieres au lieu d'une. Voy. GRAIN, mém. d'Artillerie de S. Remy, troisieme édition. (Q)

ENCLOUER UN CHEVAL, (Manége & Maréchall.) accident qui arrive conséquemment à la négligence & à l'ignorance du maréchal. Voyez ENCLOUEURE, FERRURE, FERRER. (e)


ENCLOUEURE(Manége & Maréchall.) blessure faite au pié du cheval par le maréchal qui le ferre.

Brocher de façon que le clou, au lieu de traverser simplement l'ongle, entre & pénetre dans le vif, c'est encloüer. Brocher de maniere que la lame presse seulement la partie vive, c'est serrer. La premiere faute donne toûjours lieu à une plaie plus ou moins dangereuse selon la profondeur de la blessure, & selon le genre des parties blessées ; & la seconde occasionne une contusion plus ou moins forte.

Dans les unes & les autres de ces circonstances, le cheval feint ou boite, plus ou moins bas, aussitôt après la ferrure, & c'est à cette marque que l'on reconnoît un cheval encloüé, ou dont le pié a été serré.

Le moyen de discerner le clou qui le pique ou qui le serre, est de frapper avec un brochoir sur la tête des uns & des autres des cloux. Celui d'où résultera l'encloüeure étant frappé, la douleur que ressentira l'animal se manifestera par un mouvement de contraction dans les muscles du bras, mouvement qui annonce la sensibilité de la partie frappée. Ceux qui s'arrêtent, pour en juger, à celui du pié de l'animal ensuite du coup de brochoir, sont souvent trompés & recourent à un indice très-faux & très-équivoque ; car la plûpart des chevaux font à chaque coup que le maréchal donne, un leger effort pour retirer le pié ; le tout à raison de la surprise & de la crainte, & non à raison d'une douleur réelle. Pour s'assûrer encore plus positivement de son véritable siége, il est bon de déferrer l'animal, de presser ensuite avec des triquoises tout le tour du pié, en appuyant un des côtés de ces triquoises vers les rivets, & l'autre vers l'entrée des clous, & dès-lors il sera facile de reconnoître précisément le lieu affecté. Ce lieu reconnu, on découvrira le mal, soit avec le boutoir, soit avec une petite gouge, en creusant & en suivant jusqu'à ce que l'on n'apperçoive plus les vestiges ou les traces qu'aura laissé la lame.

On ne doit jamais craindre de pratiquer une ouverture trop large & trop profonde, parce qu'il faut nécessairement se convaincre de l'état de l'encloüeure, & que d'ailleurs s'il y a épanchement de sang, ou s'il y a de la matiere suppurée, on ne sauroit se dispenser de frayer une issue dans la partie déclive ; autrement ce fluide ou cette matiere séjournant dans le pié, corromproit bien-tôt toutes les parties intérieures, se feroit jour en refluant à la couronne, & dessouderoit inévitablement le sabot. Voy. REFLUX & PIE.

A mesure cependant que l'on pénetre dans l'ongle, on doit prendre garde d'offenser ces mêmes parties.

Si le pié n'a été que serré, & que la contusion n'ait occasionné aucune dilacération ; si en un mot on ne rencontre point de matiere, on se contentera d'appliquer sur la partie une remolade (voyez REMOLADE), ou de faire sur toute la sole une fondue d'onguent de pié (voyez ENCASTELURE) ; on garnira ensuite d'étoupes le dessous du pié, & on maintiendra cette étoupe avec des éclisses (voy. ECLISSES). On ne fixera pas le fer, ou l'arrêtera simplement en brochant deux clous de chaque côté, après quoi on oindra de ce même onguent la paroi extérieure, à l'endroit où la lame a serré. Cet onguent, fondu sur la sole & mis sur cette paroi, détendant & donnant plus de souplesse à l'ongle, calmera & dissipera enfin la douleur.

Mais dès que, l'ouverture étant pratiquée, on sera convaincu par l'inspection de la matiere de la certitude de l'encloüeure, on nettoyera exactement la plaie, & l'on aura recours aux remedes capables de s'opposer aux progrès du mal. Ces remedes sont les liqueurs spiritueuses, telles que l'esprit-de-vin, l'essence de térébenthine, la teinture de myrrhe & d'aloès, &c. & non des remedes graisseux, qui ne sauroient convenir dans les plaies des parties tendineuses & aponévrotiques. On vuidera sur la partie suppurante une quantité proportionnée des unes ou des autres de ces liqueurs ; on les couvrira d'un plumaceau que l'on en baignera aussi, & l'on garnira le dessous du pié avec les étoupes & avec les éclisses, comme dans le premier cas. Il est plusieurs attentions à faire dans ces pansemens, qui doivent avoir lieu tous les jours.

1°. On tiendra la plaie toûjours nette ; 2°. on la garantira des impressions de l'air ; 3°. on comprimera soigneusement le plumaceau à l'effet de prévenir une regénération trop abondante, c'est-à-dire, pour me servir des expressions des Maréchaux, afin d'éviter des cerises, & d'empêcher que la chair ne surmonte ; cette compression ne sera pas néanmoins telle qu'elle puisse attirer une nouvelle inflammation & de nouvelles douleurs ; elle sera conséquemment moderée, & ne donnera pas lieu à tous ces inconvéniens qui obligent d'employer les consomptifs, & qui étonnent & allarment l'ouvrier qui les a occasionnés par son ignorance.

Le cheval peut encore être piqué & serré en conséquence d'une retraite (voyez RETRAITE, voyez FERRER) on ne peut en espérer la guérison, que l'on n'ait fait l'extraction de ce corps étranger ; extraction quelquefois difficile, & souvent funeste, si elle est tentée par un ouvrier qui n'ait aucune lumiere sur le tissu & sur le genre des parties, qu'il ne peut s'empêcher de détruire en opérant. Lorsque cette retraite a été chassée dans le vif, il y a plaie compliquée. Souvent aussi la matiere suppurée entraîne ce corps dans son cours ; c'est ainsi que la nature trouve en elle-même des ressources & des moyens par lesquels elle supplée à notre impuissance. (e)

CLOU DE RUE, c'est une espece d'encloüeure, qui fait tantôt une piquûre simple, tantôt une plaie compliquée, ou souvent une plaie contuse, selon la nature & la configuration du corps qui a fait cette lésion. Quoique ce ne soit point le lieu de parler du clou de rue, néanmoins comme cette blessure & l'encloüeure ont beaucoup d'analogie, & qu'il n'est rien de plus fréquent que cet accident, ni rien de plus rare que la guérison parfaite, lorsqu'il est grave, le peu qu'on en a dit en son article nous engage à en donner succinctement la description, ainsi que les moyens que nous employons pour parvenir plus sûrement & plus promtement à une cure radicale ; moyens d'autant plus avantageux, qu'ils nous font éviter la dessolure, opération douloureuse, abusive, & le plus souvent pernicieuse pour le traitement du clou de rue, comme l'expérience journaliere ne le prouve que trop bien.

Pour nous, quelque grave que soit la plaie du clou de rue, nous ne dessolons jamais ; nous retirons de cette pratique des avantages qui concourent promtement & efficacement à la guérison de cet accident. 1°. En ne dessolant point, la sole nous sert de point d'appui pour contenir les chairs & l'appareil. 2°. Nous avons la liberté de panser la plaie aussi-tôt & si souvent que le cas l'exige, sans craindre ni hémorrhagie, ni que la sole surmonte, ni qu'il s'y forme des inégalités. 3°. Nous épargnons de grandes souffrances à l'animal, tant du côté des nouvelles irritations que la dessolure causeroit à la partie affectée, que du côté des secousses violentes que le cheval se donne dans le travail ; espece de torture qui lui cause ordinairement la fievre, & qui par conséquent met obstacle à la formation des liqueurs balsamiques, propres à une loüable suppuration. Quoique notre opinion soit fondée sur les succès constans & multipliés d'une pratique de plus de vingt ans, que nous avons suivie, tant à l'armée qu'ailleurs, sans qu'aucune de ces expériences que nous avons faites ait trompé notre attente, nous ne doutons pas que cette méthode n'éprouve des contradictions, puisqu'elle a le préjugé le plus général à combattre, & la plus longue habitude à vaincre. On peut nous objecter que beaucoup de chevaux guérissent par le moyen de la dessolure : nous répondons 1°. que s'il en guérit beaucoup, beaucoup en sont estropiés, & qu'en ne dessolant pas, la méthode que nous pratiquons les sauve tous : 2°. que ceux qu'on guérit avec la dessolure, ne sont le plus souvent que legerement piqués, & qu'il en échappe très-peu de ceux qui sont blessés dans les parties susceptibles d'irritation, au lieu que les uns & les autres sont conservés par notre méthode : 3°. que ceux qui sont traités par la dessolure, sont quelquefois six mois, quelquefois des années entieres abandonnés dans un pré, ou envoyés au labourage, d'où ils reviennent comme ils y ont été, boiteux & hors d'état de servir ; au lieu que les plaies les plus dangereuses & les cures les plus lentes dans ce genre, ne nous ont jamais coûté plus de six semaines : 4°. que les accidens qui suivent la dessolure, demandent souvent que l'on repete la même opération ; au lieu que les chevaux traités selon notre méthode, sont guéris sans aucun retour.

Si l'on est surpris de la différence que nous mettons entre ces deux pratiques ; si l'on révoque en doute notre expérience, notre témoignage, & la notoriété publique, qui en est garante, on se rendra du moins à la force de l'évidence, & nous croyons pouvoir nommer ainsi la preuve qui résulte de la seule comparaison des deux traitemens.

Nous supposons, pour abreger, que l'on connoît la composition anatomique du pié du cheval, & nous renvoyons pour cela à l'excellent traité d'hippiatrique de M. Bourgelat : nous rappellerons seulement que le pié du cheval est composé de chair, de vaisseaux sanguins, lymphatiques, & nerveux, de tendons, de ligamens, de cartilages, & d'os, de l'aponévrose, du périoste, & de la corne qui renferme toutes ces parties, la plûpart susceptibles d'irritation, de corruption, & de douleur à la moindre atteinte qu'elles reçoivent de quelque corps étranger ; combien à plus forte raison doivent-elles être affectées par le clou de rue, quand le cas est grave, & combien plus par la dessolure ? c'est bien alors qu'on peut dire que le remede est pire que le mal.

Voici le contraste qui résulte de la dessolure appliquée au clou de rue, & la démonstration que nous avons promise du danger de cette méthode : après la dessolure, les regles de l'art nous prescrivent six jours au moins avant de lever l'appareil, pour donner le tems à la nature de faire la regénération de la sole unie & bien conformée ; les mêmes regles de l'art nous prescrivent de lever tous les jours l'appareil du clou de rue, pour procurer l'évacuation du pus, & prévenir la corruption des parties saines & affectées. Si l'on suit les regles de l'art à l'égard de la dessolure, la plaie du clou de rue est négligée, la matiere par son séjour ne manque point de s'enflammer, & de produire des engorgemens, & quelquefois des abcès qui corrodent, tantôt les tendons, tantôt l'aponévrose, tantôt le périoste, quelquefois l'os & la capsule qui laisse échapper la synovie, quelquefois même enfin elle se fraye des routes vers la couronne, d'où suit un délabrement dans le pié, un desséchement, une difformité dans le sabot, qui rendent le plus souvent, comme nous l'avons dit, l'animal inutile.

Si au contraire on suit les regles de l'art à l'égard du clou de rue, on panse la plaie toutes les 24 heures ; mais en ôtant l'appareil, il arrive dans la partie déchirée par la dessolure une hémorrhagie qui dérobe au Maréchal l'état de la plaie, & l'empêche d'en observer les accidens & les progrès ; l'inflammation redouble par les nouvelles secousses & compressions que reçoivent les parties affectées, la sole surmonte par l'inégalité des compressions, la plaie s'irrite, la fievre survient, les liqueurs s'aigrissent, enfin à chaque pansement l'on aggrave la maladie au lieu de la modérer. Il s'ensuit qu'on ne peut traiter la plaie du clou de rue comme elle doit l'être, sans manquer à ce qu'exige le traitement de la dessolure, ou qu'on ne peut traiter la dessolure comme elle doit l'être, sans manquer à ce qu'exige le traitement du clou de rue, ce qui démontre le danger d'une méthode qui complique deux maladies dont les pansemens sont incompatibles.

Cure du clou de rue simple. Le clou de rue est plus ou moins difficile à guérir, selon la partie que cette blessure a affectée : il y en a de superficielles qui n'intéressent que la substance des chairs, soit à la fourchette, soit à la sole ; quoiqu'elles fournissent beaucoup de sang, elles se guérissent facilement en y procurant une promte réunion par le secours de quelques huiles, baumes, onguens, vulnéraires, tels que nous les avons indiqués dans le traitement des encloüeures simples, & même en y fondant du suif, de la cire à cacheter, ou de l'huile boüillante, ou quelque liqueur spiritueuse, & le plus souvent elles se guérissent d'elles-même sans aucun médicament : c'est de cette facilité de guérison, que beaucoup de gens se croyent en possession d'un remede spécifique à cet accident ; dans tous les cas ils le croyent merveilleux, & le soûtiennent tel avec d'autant plus de confiance qu'ils l'ont vû éprouver ou qu'ils l'ont éprouvé eux-mêmes avec succès ; ils ne sont pas obligés de savoir que l'accident que ce remede a guéri, se seroit guéri sans remede.

Cure pour le clou de rue grave & compliqué. 1°. Le jour qu'on a fait l'extraction du corps étranger, on doit déferrer le pié boiteux, le bien parer, amincir la sole, fondre dans le trou de la piquûre (sans y faire aucune incision) quelques médicamens propres à prévenir ou calmer les accidens qui doivent suivre le genre de blessure, & mettre une emmiellure dans le pié, après avoir rattaché le fer. 2°. Deux ou trois jours après que l'accident est arrivé, tems auquel la suppuration est établie, on doit faire une ouverture à l'endroit du clou de rue, & enlever simplement de la corne (sans faire venir du sang) une partie proportionnée à la gravité du mal ; cette ouverture doit être faite & conduite avec beaucoup d'adresse & d'intelligence pour éviter les accidens qu'un instrument mal conduit, ou des remedes mal appliqués, peuvent causer dans une partie aussi délicate & aussi composée, & c'est de quoi mille exemples nous ont appris à ne pas nous rendre garants. Les remedes que l'on peut employer avec le plus de fruit au traitement du clou de rue compliqué, sont l'huile rouge de térébenthine dulcifiée, que l'on doit faire un peu chauffer, le baume du Pérou ou de Copahu, l'un ou l'autre de ces médicamens mêlé avec de l'huile, des jaunes d'oeufs ; on trempe dans l'un de ces remedes des plumaceaux mollement faits, que l'on introduit dans l'ouverture ; on met une éclisse par-dessus pour contenir l'appareil, un défensif autour du sabot, comme nous l'avons indiqué dans le traitement des encloüeures ; l'on doit tenir la plaie ouverte tant qu'elle ne présente point d'indication à la réunion ; répéter ce pansement chaque jour, & changer de médicamens selon le cas : par exemple, s'il y a quelque partie à exfolier, on doit se servir des exfoliatifs, les uns propres à exfolier les os, & les autre le tendon (voyez EXFOLIATIF). On ne doit pas négliger la saignée, plus ou moins répétée, suivant les circonstances ; enfin lorsque la plaie est en voie de guérison, que les grands accidens sont calmés, on doit éloigner le pansement, pour éviter les impressions de l'air.

Telle est cette méthode, aussi simple qu'elle est peu dangereuse ; nous observons en finissant, que nous n'employons point au clou de rue compliqué, non plus qu'à l'encloüeure grave, les digestifs, les suppuratifs, ni la teinture de myrrhe, ni celle d'aloès, ni tous ces baumes & onguens vulnéraires, que tant de praticiens appliquent à cette blessure avec si peu de fruit & avec un danger certain. Toutes les fois que le clou de rue a piqué ou contus le tendon, l'aponévrose, le périoste, ou enfin quelque cordon de nerf, ces sortes de médicamens qui contiennent des sels âcres, ne manquent pas d'augmenter la douleur, l'inflammation, & les autres accidens qui accompagnent ces lésions, & font souvent une maladie incurable, d'un accident qu'un traitement doux & simple auroit guéri en peu de jours. Cet article nous a été fourni par M. GENSON.


ENCLUMES. f. instrument commun à presque tous les ouvriers qui employent les métaux ; on y distingue plusieurs parties dont nous ferons mention. Il faut la considerer en général comme une masse plus ou moins considérable de fer aciéré, sur laquelle on travaille au marteau différens ouvrages en fer, en acier, en or, en argent, en cuivre, &c. Il y a des enclumes de toutes grosseurs. Il y en a de coulées ; il y en a de forgées. Voyez dans nos planches l'attelier & les différentes manoeuvres d'un forgeur d'enclumes.

Pour forger une enclume, on commence par avoir une masse de fer telle qu'on la voit en a ; cette masse s'appelle mise. On voit vignette de la planche en a a, la forge à forger les mises. La figure premiere représente un enfant qui fait aller le soufflet.

On a une barre b qu'on appelle ringale ; on soude cette barre à la mise, comme on le voit en c : par ce moyen, on a une espece de poignée ou de queue à l'aide de laquelle on meut l'ouvrage commodément. On voit en e d, deux mises avec leurs ringales soudées ensemble ; & en f, un corps d'enclume formé de quatre mises.

Comme les parties dont on forme un corps d'enclume, sont des masses de fer considérables qu'on auroit de la peine à remuer, soit à la forge, soit sur l'enclume ; pour se soulager dans ce travail, les ouvriers se servent d'un long instrument de bois, au bout duquel est une barre de fer arrêtée ; c'est si l'on veut la queue d'une mise. On voit dans la vignette fig. 2 & 3, la forge & l'enclume à forger les corps ; un des forgerons est assis sur la jauge, & meut la masse qui est à la forge, par le poids de son corps & l'action de ses jambes ; un autre forgeron travaille cette masse en attisant le feu ; d'autres font aller les soufflets avec leurs piés. On voit autour de la forge & de l'enclume, m, n, o, p, q, x, les marteaux à forger & la tranche ; r r, est un étang où l'on trempe les enclumes.

Lorsque l'enclume ne s'acheve pas dans l'endroit où le corps ou billot s'est forgé, on prend ce billot, on le met à la forge, on le fait chauffer ; & on le prépare à recevoir les autres parties qui forment l'enclume, en le refoulant par les deux bouts ; & s'il a conservé assez de chaleur, en y pratiquant quatre trous quarrés, un au milieu de chaque bout, & un au milieu de chaque côté. Ces trous sont destinés à recevoir l'extrémité de la jauge, ou de cette perche qui sert à mouvoir l'enclume à la forge & sous le marteau. Ces trous quarrés ont environ trois pouces au plus ; les trous percés, on remet le corps à la forge pour y souder la poitrine.

Le morceau g, formera ce qu'on appelle l'estomac ou la poitrine de l'enclume : on la fait chauffer dans la forge a a de la vignette. Un forgeron l'apporte de-là quand il est tems de la souder ; alors le corps est posé sur le tas ; on fixe la poitrine perpendiculairement sur le milieu du corps ; on la serre & fait attacher au corps à coups de marteau. La poitrine est une piece de fer large d'environ deux pouces, ou deux pouces & demi suivant la force de l'enclume : elle est de même épaisseur par le bas ; mais elle va en diminuant & perd par le bout d'enhaut, environ le tiers de son épaisseur ; sa longueur est d'environ les deux tiers du corps de l'enclume.

On voit en h, le corps ou billot auquel la poitrine est soudée. Lorsque la poitrine sera bien soudée & corroyée avec le corps, on reportera la piece à la forge pour recevoir la paroire qu'on fait aussi chauffer à part dans la forge a a, vignette. Quand le corps & la paroire sont chauds, on met le corps sur le tas, & on apporte la paroire.

On place sur l'estomac la piece i i, qu'on appelle la paroire ; elle s'y soude pareillement, & forme des arcades avec la poitrine qui lui sert comme de pilier. On voit en i k l, l'assemblage de ces pieces soudées ; la paroire est comme on voit, le long du haut du corps, & forme avec la poitrine une espece de T ; la paroire est une piece de fer plat, qui a pour largeur environ le tiers de la hauteur du corps, & qui a d'épaisseur selon la force de l'enclume environ un pouce ou un pouce & demi : elle sert à donner plus de largeur à la table ; les arcades qu'on lui a données, fortifient toute la masse.

Cela fait, il s'agit de former les piés de l'enclume ; ce sont les pieces qu'on apperçoit en m m, où l'enclume est représentée renversée. Pour donner des piés à l'enclume, on reporte le corps à la forge ; on fait chauffer les piés à part ; ce sont des pieces de fer de deux à trois pouces en quarré, toûjours relativement à la grosseur de l'enclume ; on les soude aux deux côtés au bas du corps ; il faut trois chaudes pour chaque pié. Lorsque les enclumes sont très-grosses, pour leur donner plus de solidité, on ajoûte à côté des piés d'autres mises de fer quarré de la moitié moins fort ; c'est-à-dire que si les mises des premiers piés ont trois pouces en quarré, les mises des seconds piés n'auront que dix-huit lignes. Ces seconds piés se soudent sur les premiers, comme ceux-ci sur l'enclume : il faut autant de chaudes pour souder un premier pié qu'un second.

Quand l'enclume a ses piés, on lui donne la saillie ou le talon. On voit en n o, une enclume portée en cet état. La saillie ou le talon est composé de trois mises de différentes grosseurs ; il y en a quelquefois moins lorsque l'enclume n'est pas d'une force à l'exiger. Ces mises sont soudées ensemble, & forment un talon quarré dont la largeur est la même que l'épaisseur du corps de l'enclume, y compris l'épaisseur de la paroire qui ne fait plus qu'une masse avec le corps. On fait chauffer la saillie ou le talon à part, comme on l'a dit des autres pieces ; on la soude au côté droit.

Il y a des enclumes à deux talons ; p est la piece ou morceau destiné à former l'un ou l'autre ; & la figure q montre une de ces enclumes à deux talons.

Quand l'enclume a son talon, on la dispose à recevoir sa bigorne. La bigorne se place à l'autre côté, comme on voit en i k. Avant que de souder la bigorne, on commence à adapter à l'endroit où elle doit être placée, une piece qui doit lui servir de racine. Cette racine de bigorne ou mise de fer étant soudée, il faut travailler à sa partie la plus importante, celle d'où dépend seule la qualité bonne ou mauvaise de l'enclume : on l'appelle la table. La table de l'enclume est sa partie supérieure, sa surface, à prendre depuis la racine de la bigorne, jusqu'à l'extrémité de la saillie ou du talon.

Pour former la table, on a une mise ou masse de fer r ; on en forge une table r s, un peu plus longue que la surface de l'enclume. On y pratique des hachures ; on a de petites billes d'acier ; on fixe ces billes sur la table par le moyen des hachures ; c'est ce qu'on voit en t r v v t ; on remplit l'intervalle de ces billes d'acier par d'autres, comme il est représenté en a a z z ; on fixe cet assemblage de billes d'acier sur la table, par le moyen d'un étrier b, & l'on soude le tout. Au reste cette maniere de contenir les billes d'acier sur la table, n'est pas la seule ; on se sert quelquefois d'un étrier rond ; cet étrier contient les billes sur la plaque, comme on voit dans la figure c c d ; on remplit les intervalles vuides avec de petits quarrés d'acier f, qu'on enleve de la barre d'acier g ; on aciere la table avec une, deux, ou même trois mises d'acier ; les billes dont ces mises sont faites, sont du meilleur acier.

Quand la table est forgée, on coupe avec la tranche tout le fer de l'étrier qui entouroit ou contenoit les billes ; on n'y réserve que la queue qui servira à porter la table sur l'enclume quand on voudra la souder, & qu'on en séparera après cette manoeuvre. On soude la table avec le reste de l'enclume, & cet ouvrage est achevé : il ne restera plus qu'à attacher la bigorne l, à sa racine. On la soude comme les autres pieces ; on observe seulement de placer à la partie supérieure de la bigorne de petits lardons d'acier qui font liaison entre la table & la bigorne ; le bout de la bigorne n'est pas communément aciéré, il en seroit trop cassant.

Voilà l'enclume formée, toutes ses pieces sont soudées ; cependant elle n'est pas tout-à-fait achevée ; on lui donne encore plusieurs chaudes, ce qu'on appelle la reparer. Quand elle est reparée, il s'agit de la tremper.

Quand on ne trempe point l'enclume en paquet, on la fait chauffer convenablement, ni trop rouge ni pas assez. C'est à l'expérience à instruire l'ouvrier de la couleur que doit avoir son enclume au sortir de la forge, pour qu'elle sorte de l'étang bien trempée, & on la plonge dans de l'eau la plus fraîche.

Quant à la trempe en paquet, chaque ouvrier a sa composition ; voyez à l'article TREMPE, celle qui est le plus en usage.

Il y a des enclumes à deux bigornes, une ronde & une quarrée ; la bigorne quarrée est à droite, à la place du talon ; les enclumes des éperonniers sont à deux bigornes.

Mais il y a des especes d'enclumes qui retiennent le nom de bigornes, & en effet, ce ne sont proprement que deux bigornes dont les bases seroient soudées, sans un petit espace en table qui les separe ; voici comment on les forge.

Ayez une barre de fer plus ou moins forte selon la bigorne que vous voudrez forger. Donnez lui à la forge la forme que vous lui voyez en m n ; la virole n marquera l'embase ; la figure n, le corps de la bigorne paré ; la figure q r, la tige de la bigorne avec une amorçure r, ou une refente destinée à recevoir la masse s destinée à former la bigorne.

Mettez la piece s dans l'amorçure r ; soudez & vous aurez la piece t t ; achevez votre ouvrage à la forge, & vous aurez la bigorne v x ; cette bigorne sera quarrée en v, & ronde en x.

Ayez de l'acier roulé comme vous le voyez en y ; cela vous servira à former la table de votre bigorne.

Mettez cet acier sur une barre de fer z, soudez cette barre & cet acier ; donnez ensuite à votre morceau la forme de la table de votre bigorne ; soudez cette table à votre bigorne : trempez ensuite, & l'ouvrage sera achevé.


ENCLUMEAUou ENCLUMOT, s. m. (Art. mech.) petite enclume posée sur un pié de bois ou de plomb, que l'on met sur l'établi, pour que l'ouvrier ne soit pas obligé de sortir de sa place à tous momens, pour aller forger de petites parties à la grande enclume.

L'enclumot est à l'usage des Orfévres, des Metteurs-en-oeuvre, des Chauderonniers, des Horlogers, & d'un grand nombre d'autres ouvriers en métaux.

ENCLUMEAU, (Chauderonnier) petite enclume à main dont les Chauderonniers se servent pour redresser les chauderons, & autres ustenciles de cuisine, ou pour river leurs clous. L'enclumeau est quarré ; sa tête est plate, d'environ un pouce & demi de superficie ; la queue par où on le tient a trois ou quatre pouces de longueur. Lorsqu'on s'en sert pour redresser, on l'appuie contre la bosse du chauderon ou autre piece de chauderonnerie, & l'on frappe de l'autre côté avec le maillet de buis. Pour river, on se sert d'un marteau de fer. Voyez les Pl. du Chauderonn. L'enclumeau de ces ouvriers est quelquefois percé dans le milieu.


ENCLUMETTES. f. est en Boissellerie, un morceau de fer court & gros, un peu écrasé par les deux bouts, dont les Boisseliers se servent pour soûtenir les planches qu'ils veulent clouer ensemble, & river leurs clous. Voyez la Planche du Boisselier.

ENCLUMETTE, (Metteur en oeuvre, &c.) petite enclume de fer, montée sur une buche qui lui sert de billot, & que l'ouvrier met entre ses jambes pour forger de petites parties. Voyez Pl. du Metteur en oeuvre.


ENCOCHES. f. (Art. mech.) si l'on frappe avec un instrument ou tranchant, ou qui en fasse la fonction, sur un corps moins dur que cet instrument, de maniere que le corps frappé n'en soit divisé qu'en partie ; cette division s'appelle une encoche. On fait avec la carne du marteau une encoche au fer ; on fait avec le tranchant du couteau, une encoche au bois. L'encoche devient une espece d'arrêt.


ENCOCHÉadj. en terme de Blason, se dit du trait qui est sur un arc, soit que celui-ci soit bandé ou non.

L'archet coupé d'or & de gueules, à deux arcs tendus & encochés de l'un à l'autre.


ENCOCHERv. act. (Vannier) c'est planter des chevilles dans les trous qu'on a pratiqués au fond de tout vaisseau qui doit être fait d'osier, & où les chevilles sont destinées à serrer & à soûtenir les osiers.


ENCOCURE(Marine) Voyez ENCOQUURE.


ENCOGNURES. f. en Architecture, se dit autant des coins principaux d'un bâtiment, que de ceux de ses avant-corps ; & lorsque ces avant-corps sont flanqués de pilastres, on les nomme antes, Voyez ANTES. (P)


ENCOLLERv. act. terme commun à plusieurs artistes, aux manufacturiers en soie, laine, fil, coton, &c. aux doreurs ; c'est, chez les premiers, donner un apprêt de gomme ou de colle ; chez les seconds, c'est placer une couche de la matiere qui doit servir d'assiette à l'or.

ENCOLLER, terme de Doreur, préparation qu'on donne au bois dont on veut se servir pour dorer ; ce qui se fait en y appliquant une ou plusieurs couches de la colle préparée pour cet effet. On l'employe toute bouillante, parce qu'elle pénétre mieux ; on l'affoiblit avec un peu d'eau si elle est trop forte ; & on la couche avec une brosse de poil de sanglier, en adoucissant, si c'est un ouvrage uni. S'il y a de la sculpture, on met la colle en tapant avec la brosse, ce qui s'appelle encoller. Voyez l'article DORURE. Dict. de Trev.

ENCOLLER, terme de Tisserand, &c. c'est gommer ou enduire de colle ; les Tisserands encollent le fil de leurs chaînes, c'est-à-dire la frottent avec une composition de gomme, ou de colle pour la rendre plus ferme. Voyez TISSERAND.


ENCOLPES. f. (Hist. éccl.) mot formé de & de , sur le sein ; petite boîte qui contenoit quelque relique de saint, & qu'on portoit suspendue à son cou.


ENCOLURES. f. (Man. Maréchall.) partie du corps du cheval qui répond à celle que dans l'homme nous désignons par le terme de cou.

Elle donne à l'animal dans son avant-main, des graces, de la beauté & de l'agrément, lorsqu'elle monte dès sa sortie du garrot ; qu'elle s'éleve jusqu'à la tête en diminuant imperceptiblement, & en se contournant à mesure qu'elle en approche, & que sa partie inférieure descend jusqu'au poitrail en forme de talus.

L'encolure est dite & appellée fausse, lorsque cette même partie inférieure ne montre aucune obliquité & tombe à-plomb ; renversée, quand le contour, l'arc ou la rondeur se trouvent en-dessous ; & penchante, si sa partie supérieure tombe & se déverse d'un côté ou d'un autre.

Les encolures renversées sont semblables à celles des cerfs ; elles ne partent point directement du garrot, elles semblent naître d'une espece d'enfoncement vulgairement nommé coup de hache, & ne donnent pas moins au cheval la facilité de s'armer ou de s'encapuchonner, que celles qui sont trop roüées, c'est-à-dire dont la rondeur à leur partie supérieure est trop considérable & trop marquée.

Les encolures penchantes sont ordinairement trop chargées de chair près de la criniere, où elles devroient être tranchantes, & c'est le poids de cette chair qui occasionne leur deversement & leur chûte. Nous voyons ce défaut dans la plûpart des chevaux entiers d'un certain âge.

Quant à l'épaisseur & à la longueur de cette partie, on doit desirer qu'elles soient en proportion avec le total de la machine. Voyez PROPORTIONS.

Sa bonne ou mauvaise conformation décide des qualités que l'on recherche dans le cheval. L'encolure est-elle molle & effilée ? sa foiblesse influe tellement sur sa bouche, que l'animal ne pourra soûtenir un appui ferme ; il bégayera sans-cesse, il battra fréquemment à la main : est-elle courte, épaisse & chargée ? il pesera inévitablement, & il sera infiniment plus difficile de l'amener au pli dans lequel on voudra le mettre. Les barbes, les jumens & les chevaux d'Espagne nous font communément souhaiter un peu plus d'épaisseur dans leur encolure ; celle de ces derniers diminue visiblement à mesure qu'ils vieillissent.

Les premieres leçons que l'on doit donner à tout cheval que l'on entreprend, ne tendent véritablement qu'à le déterminer & à le résoudre. Vainement néanmoins auroit-il acquis l'habitude d'embrasser le terrein franchement & sans contrainte, si l'on ne s'attache ensuite à le dénoüer entierement, en mettant insensiblement en jeu toutes ses parties, & en les sollicitant à tous les mouvemens qui leur sont possibles. Les moyens de les accomplir ont été accordés à l'animal par la nature même ; mais elle a pour ainsi dire réservé à l'exercice & à l'art, le droit de lui en procurer la liberté & la facilité, & c'est cette liberté & cette facilité qui constituent ce que nous appellons proprement la souplesse.

Il suffit de considérer d'une part la proximité de l'encolure & de la tête du cheval, & de l'autre les attaches & les usages des muscles divers qui concourent à leurs actions, pour être convaincu de leur étroite correspondance & de leur intimité mutuelle & réciproque. On ne voit presqu'aucun de ces instrumens destinés à abaisser, à fléchir, à étendre, à élever, à mouvoir latéralement & semi-circulairement la tête, qui ne se propagent & qui n'aboutissent par l'une de leurs extrémités dans une multitude de points différens du cou du cheval ; j'en apperçois même plusieurs de ce même cou qui, lorsqu'ils en operent l'extension, contribuent en même tems à certains mouvemens de la tête. Dans cet état, il n'est pas permis de douter que l'aptitude & l'aisance avec lesquelles l'encolure se prêtera dans tous les sens divers, aideront incontestablement à la juste position de cette partie, à la franchise & à la sûreté de la bouche, & conséquemment à l'exacte précision des effets des renes.

De toutes les portions extérieures & mobiles du corps de l'animal, l'encolure est aussi la premiere que nous devons tenter d'assouplir. Je dis la premiere ; car tout homme digne du nom d'homme de cheval, doit être persuadé par l'expérience autant que par la théorie, de l'indispensable nécessité d'opérer successivement & séparément sur chacune d'elles. La plûpart des déréglemens & des desordres auxquels nombre de chevaux s'abandonnent, n'ont d'autre source en effet que l'indiscrétion & la profonde ignorance du cavalier qui agit indifféremment, sans distinction, sans choix, sans ordre & sans mesure, & qui confondant toutes les parties ensemble, exige d'elles une union & une harmonie dont elles ne peuvent être parfaitement capables qu'autant qu'elles y ont été préalablement disposées & préparées en particulier, & que la souplesse des unes & des autres a prévenu l'accord dans lequel il s'efforce inutilement de les mettre.

Supposons d'abord qu'ensuite des différentes opérations d'une main également ferme, douce & active, le cavalier soit déjà parvenu, dans une allure tranquille & en quelque maniere écoutée, à déterminer l'encolure, selon la nature de l'animal, à des mouvemens de flexion ou d'extension, tels qu'il a dû les lui suggérer pour commencer à se placer, & pour reconnoître l'appui (voyez PLACER, voyez TETE), il ne me restera à examiner ici que les moyens de consommer l'ouvrage, & d'assouplir entierement cette partie, en lui imprimant les autres actions qui lui sont permises, c'est-à-dire en la dirigeant dans le sens des flexions latérales, qui ne sont autre chose que ce que nous entendons dans nos manéges par le terme de plis.

Ces actions imprimées par la voie de la force, lorsqu'on employe à cet égard le caveçon, n'en demandent aucune de la part du cavalier, qui pour y parvenir n'a recours qu'à la puissance de la bride ; elles ne doivent être produites au contraire que conséquemment à la subtilité & au tempérament de la main savante qui travaille, & nous avons dès-lors l'avantage, non-seulement d'inspirer à l'animal une sorte de goût pour le pli auquel nous l'invitons, mais de l'amener enfin à une position réguliere, agréable, & très-différente d'une attitude toûjours fausse, quand elle n'est dûe qu'à la contrainte & à la violence.

Il est certain que les effets des renes portés sur le champ jusqu'au point d'opérer le mouvement latéral dont il s'agit, falsifieroient par une impression trop vive, l'appui que ce même mouvement justement & peu-à-peu incité, facilite & perfectionne, & exciteroient le cheval à se roidir ou à ne céder qu'imparfaitement. Ils ne doivent donc point se manifester d'abord au-delà de la tête ; & tout ce que l'on doit en desirer & en attendre dans les commencemens, se borne à mouvoir cette partie ; de maniere que sans abandonner la ligne perpendiculaire qu'elle décrit, & sans fausser cette ligne par l'obliquité la plus legere, elle puisse être détournée de côté & d'autre, & fixée de façon que l'animal soit libre dans sa marche d'entrevoir le dedans.

Son intelligence une fois frappée du souhait & de la volonté du cavalier, & l'habitude de cheminer ainsi étant acquise, il est tems que ces mêmes effets s'exercent sur l'encolure déjà émûe, s'il m'est permis d'user de cette expression, par la premiere action consentie ; mais si l'on vouloit, aussi-tôt après ce consentement gagné, vaincre tout-à-coup encore l'inflexibilité du cou, en négligeant inconsidérément d'observer les degrés divers par lesquels on doit successivement passer pour le conduire au période de souplesse auquel il importe nécessairement de le résoudre, il n'est pas douteux que l'on s'exposeroit également à la résistance de l'animal, & même à la perte totale du fruit de la premiere opération.

Il seroit assez difficile de déterminer en général la mesure précise du pli à suggérer, parce qu'elle varie selon la structure des chevaux, & selon la conformation de l'encolure. Elle peut être néanmoins connue relativement à chacun d'eux en particulier ; car il est constant que dès que l'effet de la main du cavalier qui agit avec connoissance & en suivant les gradations, c'est-à-dire en augmentant toûjours imperceptiblement la flexion, se transmet jusque sur l'épaule & l'entreprend, cette mesure est outre-passée.

Il faut cependant faire attention à la direction de la rene qui opere.

Imaginons, pour nous rendre plus intelligibles, que notre intention est de plier la tête ou l'encolure à droite ; la rene de ce côté doit effectuer le pli. 1°. J'en proportionnerai la force au plus ou moins de sensibilité de l'animal : 2°. dès que je m'appercevrai que la résistance est à un certain point, je céderai, pour reprendre aussi-tôt après que j'aurai rendu, afin de ne pas endommager la bouche par une opposition indiscrette : 3°. j'accompagnerai l'action de ma main, s'il en est besoin, d'une legere action de ma jambe droite, qui, en chassant la partie droite de l'arriere-main seulement en-avant, & non de côté ; invitera l'animal à se prêter avec plus d'aisance : 4°. je tempérerai l'effet de ma rene droite par l'effet de ma rene gauche, que je modérerai de maniere qu'elle ne nuise point à mon dessein ; & je ne la laisserai point absolument oisive, dans la crainte que la puissance de la premiere n'étant point contre-balancée, elle ne détermine la tête dans le sens oblique & défectueux dont j'ai parlé : 5°. la direction de cette même rene gauche sera mixte ; c'est-à-dire qu'en même tems que je lui imprimerai une foible tension, par le port insensible de ma main à moi, je la croiserai imperceptiblement du côté de dedans, pour maintenir d'une part, ainsi que je viens de le dire, la tête dans son à-plomb, & pour aider à seconder de l'autre le port de cette même partie & de l'encolure à droite : 6°. enfin la direction de ma rene droite sera telle, que dans sa tension elle répondra toûjours, dans le plan incliné qu'elle décrit, directement à la branche qu'elle meut, sans se détourner de la ligne, ou sans être croisée ; parce que dès que l'animal est dans le pli, pour peu qu'elle soit portée en-dehors, elle opere sur son épaule, & ne le met pas moins dans une sujétion qui le révolte, si le cou n'est point suffisamment assoupli, qu'une flexion trop excessive & trop outrée.

Quelqu'efficaces que soient les unes & les autres des aides que je viens de détailler, il s'agit néanmoins de distinguer encore celles qui conviennent aux diverses especes de chevaux. Ceux qui se plient avec le plus de facilité, communément s'encapuchonnent ; on les desarmera en éloignant la main du corps, & par le moyen des deux renes ensemble. Il en est d'autres, & le nombre en est considérable, qui dans cette attitude pesent ou tirent, s'abaissent sur le devant, ou portent bas. Le premier de ces défauts est le plus souvent occasionné par le cavalier, qui ne cesse de tenir le cheval asservi, tandis qu'il devroit toûjours rendre subtilement aussi-tôt qu'il l'a soûmis au pli ; & reprendre doucement & moëlleusement, au moment où l'animal tente d'en sortir : c'est très-fréquemment aussi la contrainte de la main, plûtôt que la contrainte de la situation dans laquelle, lorsque nous soulageons savamment les barres, le cheval semble même se plaire, qui fait naître en lui l'aversion & la répugnance qu'il témoigne pour cette action. Les chevaux qui portent bas, doivent être travaillés sur les lignes droites, & peu exercés sur les cercles ; & l'on peut encore imputer au cavalier cette position desagréable, puisqu'il étoit en son pouvoir de s'y opposer & de la prévenir, en dirigeant l'effet de ses renes en-avant, & en relevant l'animal par le secours & par l'action répetée de celle de dehors. Enfin il en est qui montrent beaucoup plus de liberté à une main qu'à l'autre : ceux-là demandent un travail plus constant sur la main qui leur est plus difficile.

Du reste je ne prononcerai point ici entre les écuyers qui prétendent qu'il suffit d'amener le bout du nez du cheval en-dedans, & ceux qui soûtiennent que le pli ne sauroit être trop considérable. Les premiers sont sans-doute peu éclairés sur les avantages qui résultent de la souplesse de l'encolure, & ne devroient pas ignorer que qui peut le plus, peut le moins ; & les seconds n'ont jamais apparemment connu ce milieu si difficile à saisir en toutes choses, & d'où dépendent dans notre art la justesse, la finesse, & la grace de l'exécution. (e)


ENCOMBOMATES. m. (Antiq.) sorte d'habit blanc à l'usage des jeunes filles. Les uns prétendent qu'il n'étoit porté que par les esclaves : d'autres le confondent avec l'étole, stola.


ENCOMBRES. f. (Archit.) ruines entassées les unes sur les autres, & faisant embarras dans quelques passages.


ENCOMBRÉadj. (Jurispr.) signifie embarrassé. Mariage encombré se dit en Normandie, lorsque le mari a aliéné quelqu'héritage de sa femme. Voyez MARIAGE ENCOMBRE. (A)


ENCOMBREMENTS. m. (Marine) c'est l'embarras que causent dans un vaisseau les marchandises qui sont d'un gros volume & tiennent beaucoup de place, comme des balles de plumes, de chanvre, du liége, &c. Lorsqu'il s'agit du fret des marchandises, on en fait l'évaluation suivant l'encombrement, c'est-à-dire par rapport à l'embarras qu'elles peuvent causer, ou à la place qu'elles peuvent occuper dans le vaisseau. (Z)


ENCOQUERv. act. (Marine) c'est faire couler un anneau de fer ou la boucle de quelque cordage, le long de la vergue pour l'y attacher. L'étrope des pendans de chaque bras est encoqué dans le bout de la vergue. (Z)


ENCOQUURou ENCOCURE, s. m. (Marin.) c'est cet enfilement qui fait entrer le bout de la vergue dans une boucle ou dans un anneau, pour y suspendre quelque poulie ou quelque boute-dehors.

C'est aussi l'endroit du bout de chaque vergue où l'on amarre les bouts des voiles par en-haut. L'encocure du fer des boute-dehors est à-peu-près à un quart de distance du milieu de la vergue. (Z)


ENCORBELLEMENTsubst. m. en Architecture, toute saillie portant à faux au-delà du nud du mur, comme console-corbeau, &c. (P)


ENCORNAILTROU ou TROUS DU CLAN, (Marine) c'est un trou ou une mortaise qui se pratique dans l'épaisseur du sommet d'un mât le long duquel court la vergue, par le moyen d'un roüet de poulie dont l'encornail est garni ; l'étague y passe & saisit le milieu de la vergue, pour la faire courir le long du mât. (Z)


ENCORNÉadj. (Manége, Maréchall.) javart encorné, atteinte encornée ; épithete dont nous nous servons pour désigner la situation plus dangereuse de l'une & de l'autre de ces maladies, c'est-à-dire leur position dans le voisinage de la couronne : alors elles peuvent donner lieu à de vrais ravages, sur-tout si la suppuration qui doit en résulter, se creuse des sinus, & si la matiere suppurée flue & descend dans l'ongle même. Voyez JAVART. (e)


ENCOUDERv. act. (Agricult.) il se dit d'un cep de vigne ; c'est lui faire faire un coude en l'attachant à l'échalas. Voyez VIGNE.


ENCOURAGERv. act. donner du courage. Voyez COURAGE.


ENCOURIRv. act. ne se prend jamais qu'en mauvaise part ; c'est s'attirer, mériter, subir. Certains écrivains ont encouru la haine de tous les gens de Lettres, par la maniere outrageante dont ils en ont traité quelques-uns ; le mépris des gens sensés, par le spectacle indécent de leurs convulsions ; & la sévérité du gouvernement, par les troubles qu'on en craignoit.

ENCOURIR, (Jurisp.) signifie s'attirer, subir quelque peine : par exemple, encourir une amende, c'est se mettre dans le cas de la devoir. L'amende est encourue, lorsque la contravention est commise. On dit de même encourir la mort civile, une censure, une excommunication. Il y a des peines qui sont encourues ipso facto, c'est-à-dire de plein droit ; d'autres qui ne le sont qu'après un jugement qui les déclare encourues. Voyez AMENDE, MORT CIVILE, CENSURE, EXCOMMUNICATION. (A)


ENCOUTURÉadj. (Mar.) bordages encouturés l'un sur l'autre ; il se dit des bordages qui passent l'un sur l'autre, au lieu de se joindre quarrément. Les bateaux chalands de la Loire sont fort legers & vont à la voile ; ils ne sont bâtis que de planches encouturées l'une sur l'autre, jointes à des pieces de liure qui n'ont ni plats-bords ni matieres pour les tenir fermes.


ENCRAINÉadj. (Maréchall.) cheval encraîné, pour dire égaroté. Ce mot n'est plus d'usage. Voyez EGAROTE.


ENCRATITESS. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques qui s'éleverent dans le deuxieme siecle. L'auteur de cette secte étoit Tatien disciple de S. Justin martyr, homme éloquent, & qui avoit même écrit en faveur de la religion chrétienne ; mais après la mort de son maître, il tomba dans les erreurs de Valentin, de Marcion & de Saturnin. Il soûtenoit entr'autres choses qu'Adam n'étoit pas sauvé, & traitoit le mariage de corruption & de débauche, en attribuant l'origine au démon. De-là ses sectateurs furent nommés Encratites ou Continens. Ils s'abstenoient de la chair des animaux & du vin, dont ils ne se servoient pas même dans l'Eucharistie, ce qui leur fit aussi donner le nom d'Aquariens & d'Hydroparastates.

Ils fondoient cette aversion pour le vin sur ce qu'ils s'imaginoient que cette liqueur étoit une production du diable, alléguant en preuve l'ivresse de Noé & la nudité qui en fut la suite ; ce n'est pas qu'ils respectassent fort l'autorité de l'ancien Testament ; ils n'en admettoient que quelques passages qu'ils tournoient à leur fantaisie. Fleury, Hist. ecclés. tome I. liv. IV. tit. viij. p. 436. (G)


ENCRE A ECRIRES. f. (Arts) en latin atramentum scriptorium, liqueur noire composée d'ordinaire de vitriol romain & de noix de galle concassées, le tout macéré, infusé, & cuit dans suffisante quantité d'eau, avec un peu d'alun de roche ou de gomme arabique, pour donner à la liqueur plus de consistance.

Entre tant de recettes d'encre à écrire, nous nous contenterons d'indiquer celles de MM. Lémery & Geoffroy ; le lecteur choisira, ou même les perfectionnera.

Prenez, dit M. Lémery, eau de pluie, six livres ; noix de galle concassées, seize onces. Faites-les bouillir à petit feu dans cette eau jusqu'à réduction des deux tiers, ce qui formera une forte décoction jaunâtre, dans laquelle les noix de galle ne surnageront plus ; jettez-y gomme arabique pulvérisée, deux onces, que vous aurez fait dissoudre auparavant dans du vinaigre en quantité suffisante. Mettez ensuite dans la décoction, couperose ou vitriol romain, huit onces ; donnez encore à votre décoction, devenue noire, quelques legers bouillons ; laissez-la reposer. Enfin versez-la doucement & par inclination dans un autre vaisseau pour votre usage.

Prenez, dit M. Geoffroy, eau de riviere, quatre livres ; vin blanc, deux livres ; noix de galle d'Alep pilées, six onces. Macérez pendant vingt-quatre heures, en remuant de tems en tems votre infusion. Faites-la bouillir ensuite pendant une demi-heure, en l'écumant avec un petit bâton fourchu, élargi par le bas ; retirez le vaisseau du feu. Ajoûtez à votre décoction, gomme arabique, deux onces ; vitriol romain, huit onces ; alun de roche, trois onces. Digérez de nouveau pendant vingt-quatre heures ; donnez-y maintenant quelques bouillons : enfin passez la décoction refroidie au travers d'un linge.

On fait même de l'encre sur le champ, ou du moins une liqueur noire, par le mélange du vitriol verd avec la teinture de noix de galle. Cette couleur noire vient de la promte revivification du fer contenu dans ce vitriol ; & cela est si vrai, que la noix de galle sans vitriol, mais seulement jointe avec de la limaille de fer, donne une pareille teinture, dès qu'elle a eu le tems de diviser ce fer qui est en limaille. Ainsi le vitriol dont on fait l'encre, est du fer dissous par un acide avec lequel il est intimement mêlé ; la noix de galle est un alkali qui s'unit avec les acides, & leur fait lâcher le fer qui reparoît dans sa noirceur naturelle. Voila la méchanique de l'encre ; aussi des quatre especes de vitriol, celui qu'on appelle vitriol de Chypre ou de Hongrie, est le seul qui ne fasse point d'encre, parce que c'est le seul dont la base soit de cuivre, au lieu que dans les autres c'est du fer.

Si, après que l'encre est faite, on y jette quelques gouttes d'esprit de vitriol, la couleur noire disparoît, parce que le fer se réunit au nouvel acide, & redevient vitriol ; par la même raison les acides effacent les taches d'encre. C'est avec les végétaux tels que le sumac, les roses, les glands, &c. que se fait l'encre commune. Article de M(D.J.)

ENCRE NOIRE à l'usage de l'Imprimerie. Celle dont on se sert pour l'impression des livres, est un mélange d'huile & de noir ; on convertit cette huile en vernis par la cuisson : le noir se tire de la poix-résine ; on retient artistement toutes les parties qu'exhale la fumée de cette sorte de poix quand on vient à la brûler dans une bâtisse faite exprès, nommée dans la profession sac à noir : on le décrira dans la suite de cet article.

Le vaisseau dans lequel l'on veut faire le vernis d'Imprimerie, peut être de fer, de fonte ou de cuivre ; de ce dernier métal il est fait assez ordinairement en forme de poire, & on le nomme ainsi : les autres sont tout simplement de la figure & forme d'une chaudiere ordinaire. De quelque matiere que soit le vaisseau, & quelque forme qu'on lui suppose, il doit avoir un couvercle de cuivre, avec lequel on puisse à volonté le boucher très-exactement. Le corps de ce vaisseau doit être armé vers le milieu de deux anneaux de fer, un peu plus hauts que le niveau du couvercle qui a aussi le sien : ces anneaux servent à passer un ou deux bâtons, au moyen desquels un homme à chaque bout peut sans risquer, porter & transporter ce vaisseau, lorsqu'on veut le retirer de dessus le feu, ou l'y remettre.

Pour se précautionner contre tous les accidens qui peuvent arriver, il est de la prudence, pour faire ce vernis, de choisir un lieu spacieux, tel qu'un jardin, & même d'éviter le voisinage d'un bâtiment.

Si, comme je le suppose, on veut faire cent livres de vernis, réduction faite ; mettez dans votre poire ou chaudiere cent dix à cent douze livres d'huile de noix ; observez que cette quantité, ou que celle que peut contenir votre vaisseau, ne le remplisse qu'aux deux tiers au plus, afin de donner de l'aisance à l'huile, qui s'éleve à mesure qu'elle s'échauffe.

Votre vaisseau en cet état, bouchez-le très exactement, & le portez sur un feu clair que vous entretiendrez l'espace de deux heures. Ce premier tems donné à la cuisson, si l'huile est enflammée, comme cela doit arriver, en ôtant votre poire de dessus le feu, chargez le couvercle de plusieurs morceaux de vieux linge ou étoffes imbibées d'eau. Laissez brûler quelque tems votre huile, à laquelle il faut procurer ce degré de chaleur, quand elle ne le prend pas par elle-même, mais avec ménagement & à différentes fois. Ce feu ralenti, découvrez votre vaisseau avec précaution, & remuez beaucoup votre huile avec la cuillier de fer : ce remuage ne peut être trop répété, c'est de lui d'où dépend en très-grande partie la bonne cuisson. Ces choses faites, remettez votre vaisseau sur un feu moins vif ; & dès l'instant que votre huile reprendra chaleur, jettez dans cette quantité d'huile une livre pesant de croutes de pain seches & une douzaine d'oignons, ces choses accélerent le dégraissement de l'huile ; puis recouvrez votre vaisseau, & le laissez bouillir à très-petit feu trois heures consécutives ou environ : dans cet espace de tems votre huile doit parvenir à un degré parfait de cuisson. Pour le connoître & vous en assûrer, vous trempez la cuillier de fer dans votre huile, & vous faites égoutter la quantité que vous avez puisée sur une ardoise ou une tuile : si cette huile refroidie est gluante, & file à peu-près comme feroit une foible glue, c'est une preuve évidente qu'elle est à son point, & dès-lors elle change son nom d'huile en celui de vernis.

Le vernis ainsi fait, doit être transvasé dans des vaisseaux destinés à le conserver ; mais avant qu'il perde sa chaleur, il faut le passer à plusieurs reprises dans un linge de bonne qualité, ou dans une chausse faite exprès, afin qu'il soit net au point d'être parfaitement clarifié.

L'on doit avoir de deux sortes de vernis : l'un foible, pour le tems froid ; l'autre plus fort, pour le tems chaud. Cette précaution est d'autant plus indispensable, que souvent on se trouve obligé de modifier ou d'accroître la quantité de l'un par celle de l'autre.

On peut faire le vernis foible au même feu que le vernis fort, mais dans un vaisseau séparé : on peut aussi employer, & c'est mon avis, pour ce vernis l'huile de lin, parce qu'à la cuisson elle prend une couleur moins brune & moins chargée que celle de noix, ce qui la rend plus propre à l'encre rouge dont nous allons parler.

Le vernis foible, pour sa perfection, exige les mêmes soins & précautions que le vernis plus fait : toute la différence consiste à ne lui donner qu'un moindre degré de feu, mais ménagé de telle sorte néanmoins, qu'en lui faisant acquérir proportionnellement les bonnes qualités du vernis fort, il soit moins cuit, moins épais, & moins gluant que le fort.

Si l'on veut faire ce demi-vernis de la même huile de noix dont on se sert pour le vernis fort, ce qui n'est qu'un petit inconvénient, lorsqu'il s'agit de l'employer pour faire l'encre rouge, ou s'épargner la peine de le faire séparément & de différente huile ; il est tout simple de saisir l'occasion de la premiere cuisson de l'autre à l'instant qu'on lui reconnoîtra les qualités requises, & d'en tirer la quantité desirée, & même de celle qui est sur le feu.

Les huiles de lin & de noix sont les seules propres à faire le bon vernis d'Imprimerie ; celle de noix mérite la préférence à tous égards : quant aux autres sortes, elles ne valent rien, parce qu'on ne peut les dégraisser parfaitement, & qu'elles font maculer l'impression en quelque tems qu'on la batte, ou qu'elle jaunit à mesure qu'elle vieillit.

Cependant dans quelques imprimeries on use de celle de navette & de chanvre, mais c'est pour imprimer des livres de la bibliotheque bleue : ce ménage est de si peu de conséquence, que l'on peut assûrer que c'est employer de propos délibéré de mauvaise marchandise.

Il y a des imprimeurs qui croyent qu'il est nécessaire de mettre de la terebenthine dans l'huile pour la rendre plus forte, & afin qu'elle seche plûtôt. Elle fait ces effets, mais il en résulte nombre d'inconvéniens. La premiere difficulté est de la faire cuire si précisément, qu'elle n'épaississe pas trop le vernis, ce qui est très-rare d'éviter : alors le vernis est si fort & si épais, qu'il effleure le papier sur la forme & la remplit en fort peu de tems : si la terebenthine est cuite à son point, elle forme une pâte assez liquide, mais remplie de petits grains durs & comme de sable qui ne se broyent jamais.

La terebenthine, ainsi que la litharge, dont quelques-uns usent, & font un secret précieux, ont encore le défaut de s'attacher si fort au caractere, qu'il est presque impossible de bien laver les formes, quelque chaude que soit la lessive ; d'ailleurs elles sechent & durcissent si promtement, qu'outre qu'elles nuisent à la distribution des lettres, tant elles sont collées les unes contre les autres, elles en remplissent encore l'oeil au point qu'il n'y a plus d'espérance de le vuider, ce qui met un caractere qui a peu servi, dans l'état fâcheux d'être remis à la fonte.

Dans le cas où par défaut de précaution l'on employeroit pour faire du vernis, de l'huile très-nouvellement faite, la terebenthine est d'un usage forcé, parce qu'alors il est inévitable que l'impression ne macule pas ; dans cette conjoncture on peut mettre la dixieme partie de terebenthine, que l'on fera cuire séparément, dans le même tems, en lieu pareil que le vernis & avec les mêmes précautions. On la fera bouillir deux heures environ : pour reconnoître son degré de cuisson, on y trempe un morceau de papier ; & s'il se brise net comme la poussiere, sans qu'il reste rien d'attaché dessus ce papier en le frottant si-tôt qu'il sera sec, la terebenthine est assez cuite. Votre vernis hors de dessus le feu, vous versez dans le même vaisseau cette terebenthine en remuant beaucoup avec votre cuillier de fer, ensuite on remet le tout sur le feu l'espace d'une demi-heure au plus sans cesser de remuer, afin que le vernis se mélange avec la terebenthine. Le moyen de se dispenser de l'usage de la terebenthine & de la litharge, & de se garantir des inconvéniens qu'elles produisent, c'est de n'employer que de l'huile très-vieille.

Le sac à noir est construit de quatre petits soliveaux de trois ou quatre pouces d'équarrissage & de sept à huit piés de hauteur, soûtenus de chaque côté par deux traverses ; ses dimensions en tout sens dépendent de la volonté de celui qui le fait construire ; le dessus est un plancher bien joint & bien fermé ; le fond ou rez-de-chaussée, pour plus grande sûreté & propreté, doit être ou pavé ou carrelé : vous reservez à cette espece de petite chambre une porte basse pour entrer & sortir ; vous tapissez tout le dedans de cette chambre d'une toile bonne, neuve, & serrée, le plus tendue qu'il est possible avec des clous mis à distance de deux pouces les uns des autres : cela fait, vous collez sur toute votre toile du papier très-fort, & vous avez attention de calfeutrer les jours que vous appercevrez, afin que la fumée ne puisse sortir d'aucun endroit. Un sac à noir ainsi tapissé est suffisant, mais il est de plus de durée & bouche beaucoup plus exactement garni avec des peaux de mouton bien tendues.

C'est dans ce sac que se brûle la poix-résine dont on veut tirer le noir de fumée : pour y parvenir, on prépare une quantité de poix-résine, en la faisant bouillir & fondre dans un ou plusieurs pots, suivant la quantité ; avant qu'elle soit refroidie, on y pique plusieurs cornets de papier ou des meches soufrées, on pose les pots avec ordre au milieu du sac, enfin on met le feu à ces meches, & on ferme exactement la petite porte en se retirant.

La poix-résine consommée, la fumée sera attachée à toutes les parties intérieures du sac à noir ; & quand le sac sera refroidi, vous irez couvrir les pots & refermer la porte ; puis frappant avec des baguettes sur toutes les faces extérieures, vous ferez tomber tout le noir de fumée, alors vous le ramassez & vous le mettez dans un vaisseau de terre ou autre. Comme il arrive qu'en le ramassant avec un balai il s'y mêle quelque ordure, vous avez la précaution de mettre au fond du vaisseau une quantité d'eau ; & quand elles sont précipitées, vous relevez votre noir avec une écumoire, ou au moyen de quelque autre précaution, pour le mettre dans un vaisseau propre à le conserver. Ce noir de fumée est sans contredit le meilleur que l'on puisse employer pour l'encre d'imprimerie, il en entre deux onces & demie sur chaque livre de vernis ; je suppose la livre de seize onces : cependant c'est à l'oeil à déterminer par la teinte de l'encre la quantité de noir.

Pour bien mêler le noir de fumée avec le vernis, il suffit d'être très-attentif en les mêlant ensemble, de les mêler à différentes reprises, & de les remuer à chaque fois beaucoup, & de façon que le tout forme une bouillie épaisse, qui produit une grande quantité de fils quand on la divise par parties.

Il est d'usage dans quelques Imprimeries de ne mêler le noir de fumée dans le vernis que sur l'encrier ; le coup d'oeil décide également de la quantité des deux choses. Je ne vois à la composition de cette encre aucun inconvénient, si ce n'est celui de craindre que l'on ne broye pas assez ce mélange, parce que cela demande du tems ; ou que l'encre ainsi faite par différentes mains, ne soit pas d'une teinte égale dans la même Imprimerie : d'où j'infere qu'il vaut mieux avoir son encre également préparée, sans se fier trop aux compagnons.

Encre rouge : on se sert de cette encre assez fréquemment, & presque indispensablement dans l'impression des breviaires, diurnaux, & autres livres d'église ; quelquefois pour les affiches des livres, & par élégance aux premieres pages.

Pour l'encre rouge, le vernis moyen est le meilleur que l'on puisse employer ; il doit être fait d'huile de lin en force & nouvelle, parce qu'elle ne noircit pas en cuisant comme celle de noix, & que ce vernis ne peut être trop clair. On supplée au noir de fumée le cinnabre ou vermillon bien sec & broyé le plus fin qu'il est possible. Vous mettez dans un encrier reservé à ce seul usage, une petite quantité de ce vernis, sur lequel vous jettez partie de vermillon ; vous remuez & écrasez le tout avec le broyon ; vous relevez avec la palette de l'encrier cette premiere partie d'encre au fond de l'encrier ; vous répétez cette manoeuvre à plusieurs reprises, jusqu'à ce que vous ayez employé par supposition une livre de vernis & une demi-livre de vermillon. Plusieurs personnes mêlent dans cette premiere composition, trois ou quatre cuillerées ordinaires d'esprit-de-vin ou d'eau-de-vie, dans laquelle on a fait dissoudre vingt-quatre heures avant, un morceau de colle de poisson de la grosseur d'une noix. J'ai reconnu par expérience que ce mélange ne remplissant pas toutes les vûes que l'on se proposoit, il étoit plus certain d'ajoûter pour la quantité donnée d'encre rouge, un gros & demi de carmin le plus beau ; il rectifie la couleur du vermillon, qui souvent n'est pas aussi parfaite qu'on la souhaiteroit ; il ajoûte à son éclat, & l'empêche de ternir : cela est plus dispendieux, je l'avoue, mais plus satisfaisant. Quand donc vous aurez ajoûté ces choses, vous recommencerez de broyer votre encre de façon qu'elle ne soit ni trop forte, ni trop foible, l'encre rouge forte étant très-sujette à empâter l'oeil de la lettre. Si vous ne consommez pas, comme cela arrive, tout ce que vous avez fait d'encre rouge ; pour la conserver, relevez votre encrier par le bord, & remplissez-le d'eau que vous entretiendrez, afin que le vermillon ne seche pas, & ne se mette pas en petites écailles sur la surface du vernis, dont il se sépare par l'effet du hâle & de la sécheresse.

Quoiqu'on n'employe ordinairement que les deux sortes d'encre dont nous venons de parler, on peut probablement en faire de différentes couleurs, en substituant au noir de fumée & au vermillon les ingrédiens nécessaires, & qui produisent les différentes couleurs. On pourroit, par exemple, faire de l'encre verte avec le verd-de-gris calciné & préparé ; de la bleue, avec du bleu de Prusse aussi préparé ; de la jaune, avec de l'orpin ; de la violette, avec de la laque fine calcinée & préparée, en broyant bien ces couleurs avec du vernis pareil à celui de notre encre rouge. La préparation du verd-de-gris, du bleu de Prusse, & de la laque fine, consiste à y mêler du blanc de céruse pour les rendre plus claires ; sans cela ces couleurs rendroient l'encre trop foncée. Cet article est de M. LE BRETON.

ENCRE DE LA CHINE, est une composition en pain ou en bâton, qui délayée avec de l'eau ou de la gomme arabique, & quelquefois un peu de bistre ou de sanguine, sert à tracer & laver les desseins.

Elle se prépare avec du sain-doux. Mettez en deux livres dans une terrine ; placez au milieu une meche allumée, couvrez le tout d'un plat vernissé, ne laissant que le moins d'ouverture qu'il sera possible entre la terrine & le plat. Lorsque vous aurez laissé brûler votre meche pendant un certain tems, ramassez le noir de fumée qui se sera formé au plat ; calcinez-le, ou le dégraissez.

ENCRE SYMPATHIQUE, (Physiq. Chim.) on appelle encres sympathiques, toutes liqueurs avec lesquelles on trace des caracteres auxquels il n'y a qu'un moyen secret qui puisse donner une couleur autre que celle du papier. On les distribue de la maniere suivante.

Faire passer une nouvelle liqueur, ou la vapeur d'une nouvelle liqueur sur l'écriture invisible. Exposer la premiere écriture à l'air, pour que les caracteres se teignent. Passer legerement sur l'écriture une matiere colorée réduite en poudre subtile. Exposer l'écriture au feu.

Pour faire la premiere liqueur, prenez une once de litharge ou de minium plus ou moins, que vous mettrez dans un matras, versant dessus cinq ou six onces de vinaigre distillé ; faites digérer à froid pendant cinq ou six jours, ou sept ou huit heures au bain de sable ; le vinaigre dissoudra une partie de la litharge ou du minium, & s'en saoulera : après quoi vous filtrerez par le papier, & le garderez dans une bouteille. Cette dissolution est connue en Chimie sous le nom de vinaigre de Saturne.

Pour préparer la seconde liqueur, prenez une once d'orpiment en poudre, deux onces de chaux vive ; mettez-les ensemble dans un matras, ou tel autre vase de verre convenable ; versez par-dessus une chopine d'eau commune ; faites digérer le tout à une chaleur douce l'espace de sept ou huit heures, agitant de tems en tems le mêlange, une partie de l'orpiment, & une partie de la chaux s'uniront & formeront avec l'eau une liqueur jaunâtre, connue dans l'art sous le nom de foie d'arsenic. Vous pouvez filtrer cette liqueur, ou bien la laisser clarifier d'elle-même par le repos, la décanter & l'enfermer dans une bouteille.

Si vous versez un peu de cette seconde liqueur sur une petite quantité de la premiere, ces deux liqueurs de claires & de limpides qu'elles étoient, se troubleront & deviendront d'un noir-brun foncé : c'est cette propriété du foie d'orpiment qui le rend propre à découvrir les vins lithargirés. Voyez VIN.

Mais ces deux liqueurs nous présentent un phénomene beaucoup plus surprenant. Prenez une plume neuve, écrivez avec la premiere liqueur sur du papier ; les caracteres que vous aurez formés ne paroîtront pas, ou du moins ne paroîtront que comme si on eût écrit avec de l'eau, c'est-à-dire que le papier sera mouillé par-tout où la plume aura passé : vous pouvez le laisser sécher de lui-même, ou le présenter au feu, marquant seulement l'endroit où vous aurez passé la plume. Couvrez l'écriture de deux ou trois feuilles de nouveau papier, & passez legerement avec la barbe d'une plume ou une petite éponge, un peu de la seconde liqueur sur la feuille de papier la plus éloignée de celle où vous avez tracé les caracteres, à l'endroit qui répond aux caracteres formés avec l'autre liqueur ; sur le champ les caracteres d'invisibles qu'ils étoient paroîtront très-bien, & seront presque aussi noirs que s'ils eussent été formés avec de l'encre ordinaire. Bien plus, si vous enfermez le papier écrit avec la premiere liqueur entre plusieurs mains de papier, que vous frottiez la feuille avec la seconde liqueur & que vous mettiez ces mains de papier à la presse sous quelque gros livre, quelque tems après vous pouvez retirer votre papier dont les caracteres seront devenus noirs. Deux cent feuilles de papier interposées entr'elles, ne sont pas capables d'empêcher leur effet ; elles ne font que le retarder.

Autre exemple de la premiere classe. On fait dissoudre dans de l'eau régale tout l'or qu'elle peut dissoudre, & l'on affoiblit cette dissolution par cinq ou six fois autant d'eau commune. On fait dissoudre à part de l'étain fin dans l'eau régale : lorsque le dissolvant en est bien chargé, on y ajoûte une mesure égale d'eau commune.

Ecrivez avec la dissolution d'or sur du papier blanc ; laissez-le sécher à l'ombre, & non au Soleil, l'écriture ne paroîtra pas, du moins pendant les sept ou huit premieres heures. Trempez un pinceau dans la dissolution d'étain, & passez ce pinceau sur l'écriture d'or, dans le moment elle paroîtra de couleur pourpre. On peut effacer la couleur pourpre de l'écriture d'or, en la mouillant d'eau régale. On la fera reparoître une seconde fois, en repassant dessus la solution d'étain.

Les caracteres qui ont été écrits avec une matiere qui a perdu sa couleur par être dissoute, reparoissent en trouvant le précipitant de ce qui l'a dissoute ; car alors elle se revivifie, renaît, & se rencontre avec sa couleur. Le dissolvant la lui avoit ôté, le précipitant la lui rend.

Sur cela est fondé un jeu d'encre sympathique qui a dû surprendre, quand il a été nouveau, il étoit bien imaginé pour écrire avec plus de mystere & de sûreté. Sur une écriture invisible, on met une écriture visible, & l'on fait disparoître l'écriture visible & fausse, & paroître l'invisible & vraie.

La seconde classe comprend les encres sympathiques dont l'écriture invisible devient colorée, en l'exposant à l'air. Ajoûtez, par exemple, à une dissolution d'or dans l'eau régale, assez d'eau pour qu'elle ne fasse plus de taches jaunes sur le papier blanc ; ce que vous écrirez avec cette liqueur, ne commencera à paroître qu'après avoir été exposé au grand air pendant une heure ou environ ; l'écriture continuera à se colorer lentement, jusqu'à ce qu'elle soit devenue d'un violet foncé presque noir.

Si au lieu de l'exposer à l'air, on la garde dans une boîte fermée ou dans du papier bien plié, elle restera invisible pendant deux ou trois mois ; mais à la fin elle se colorera, & prendra la couleur violette obscure.

Tant que l'or reste uni à son dissolvant, il est jaune ; mais l'acide de son dissolvant étant volatil, la plus grande partie s'en évapore, & il n'en reste que ce qu'il faut pour colorer la chaux d'or qui est demeurée sur le papier.

La dissolution de l'argent fin dans de l'eau-forte, qu'on a affoiblie ensuite par l'eau de pluie distillée comme on a affoibli celle de l'or, fait aussi une écriture invisible, qui tenue bien enfermée ne devient lisible qu'au bout de trois ou quatre mois ; mais elle paroît au bout d'une heure si on l'expose au Soleil, parce qu'on accélere l'évaporation de l'acide. Les caracteres faits avec cette solution sont de couleur d'ardoise ; parce que l'eau-forte est un dissolvant toûjours un peu sulphureux, & que tout ce qui est sulphureux noircit l'argent. Cependant comme ce sulphureux est volatil, il s'évapore ; & dès qu'il est entierement évaporé, les lettres reprennent la véritable couleur d'argent, sur-tout si celui qu'on a employé dans l'expérience est extrêmement fin, & si l'expérience se fait dans un endroit exempt de vapeurs.

On peut mettre encore dans cette classe plusieurs autres dissolutions métalliques, comme du plomb dans le vinaigre, du cuivre dans l'eau-forte, &c. mais elles rongent & percent le papier.

La troisieme classe est celle des encres sympathiques dont l'écriture invisible paroît en la frottant avec quelque poudre brune ou noire. Cette classe comprend presque tous les sucs glutineux & non-colorés, exprimés des fruits & des plantes, le lait des animaux, ou autres liqueurs grasses & visqueuses. On écrit avec ces liqueurs ; & quand l'écriture est seche, on fait passer dessus legerement & en remuant le papier, quelque terre colorée réduite en poudre subtile, ou de la poudre de charbon. Les caracteres resteront colorés, parce qu'ils sont formés d'une espece de glu qui retient cette poudre subtile.

Enfin la quatrieme classe est celle de ces écritures qui ne sont visibles qu'en les chauffant. Cette classe est fort ample, & comprend toutes les infusions & toutes les dissolutions dont la matiere dissoute peut se brûler à très-petit feu, & se réduire en une espece de charbon. En voici un exemple qui suffira.

Dissolvez un scrupule de sel ammoniac dans deux onces d'eau pure ; ce que vous écrirez avec cette solution ne paroîtra qu'après l'avoir échauffé sur le feu, ou après avoir passé dessus un fer un peu chaud. Il y a grande apparence que la partie grasse & inflammable du sel ammoniac, se brûle & se réduit en charbon à cette chaleur, qui ne suffit pas pour brûler le papier. Au reste cette écriture étant sujette à s'humecter à l'air, elle s'étend, les lettres se confondent, & au bout de quelque tems elles ne sont plus distinguées ou séparées les unes des autres.

Quand l'écriture invisible a une fois paru par un de ces quatre moyens, elle ne disparoît plus, à moins qu'on ne verse dessus une liqueur nouvelle, qui fasse une seconde dissolution de la matiere précipitée.

L'encre sympathique de M. Hellot après avoir paru, disparoît & reparoît ensuite de nouveau tant que l'on veut, sans aucune addition, sans altération de couleur, & pendant un très-long tems, si elle a été faite d'une matiere bien conditionnée. C'est en l'exposant au feu & en lui donnant un certain degré de chaleur, qu'on la fait paroître ; refroidie elle disparoît, & toûjours ainsi de suite.

Cette encre n'a la singularité de disparoître après avoir paru, que quand on ne l'a exposée au feu que le tems qu'il falloit pour la faire paroître, ou un peu plus ; si on l'y tient trop long-tems, elle ne disparoît plus en se refroidissant, tout ce qui faisoit le jeu des alternatives d'apparition & de disparition a été enlevé : elle rentre donc alors dans la classe des encres sympathiques communes qui se rapportent au feu. Cette encre est susceptible d'une poussiere colorée, & enfin il y a une liqueur ou une vapeur qui agit sur elle. Quand elle est dans sa perfection, elle est d'un verd mêlé de bleu, d'une belle couleur de lilas : alors cette couleur est fixe, c'est-à-dire toûjours la même de quelque sens qu'on la regarde, quel que soit la position de l'oeil par rapport à l'objet & à la lumiere. Mais il y a des cas où cette couleur est changeante, selon que l'oeil est différemment posé ; tantôt elle est lilas sale, tantôt feuille-morte ; & ce qui prouve que cela doit être compté pour une imperfection & non pour un agrément, c'est que l'encre à couleur changeante ne pourra paroître ou disparoître, que quinze ou seize fois : au lieu que celle de couleur fixe soûtiendra un bien plus grand nombre de pareilles alternatives.

Si l'on veut que cette encre devienne de la classe qui se rapporte à l'air, alors il faudra tenir l'écriture exposée à l'air pendant huit ou dix jours ; elle sera de couleur de rose. On altérera aussi le plus souvent sa couleur, en la faisant passer dans les autres classes ; mais il paroît que ces deux couleurs extrêmes ou les plus différentes, sont celle de lilas & celle de rose. M. Hellot qui vit de cette encre pour la premiere fois entre les mains d'un artiste allemand, trouva dans les minéraux de bismuth, de cobolt, & d'arsenic, qui contiennent de l'azur, la matiere colorante qui étoit son objet ; & l'on croira sans peine, comme le dit M. de Fontenelle, que M. Hellot a tiré de cette matiere tout ce qu'elle a de plus caché. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENCRENÉEadj. f. pris subst. (Grosses forges) C'est ainsi qu'on appelle dans quelques atteliers, l'état que le fer prend sous le marteau, lorsqu'il y est porté pour la seconde fois, au sortir de l'affinerie. Voyez FORGES.


ENCRIERENCRIER


ENCRINUou ENCRINITE, s. f. (Hist. nat. fossil.) Quelques naturalistes donnent ce nom à une pétrification qui représente assez bien la figure d'un lis à cinq ou six pétales qui ne sont point encore épanoüies, ce qui est cause que quelques auteurs allemands la nomment lilien-stein, pierre de lis. Ces cinq pétales partent d'une tige composée d'un assemblage de petites pierres ou arrondies ou anguleuses, qui se séparent les unes des autres. Celles qui sont arrondies, se nomment trochites ou entrochites ; celles qui sont angulaires ou de la forme d'une étoile, se nomment astéries. M. Wallerius & d'autres naturalistes conjecturent que l'encrinus n'est qu'une étoile de mer pétrifiée. Agricola, lib. V. de nat. fossil. dit qu'il s'en trouve dans les fossés qui regnent autour des murs de la ville d'Hildeshein en Westphalie. (-)


ENCROISER(Manufact. en soie, en laine, en fil, &c.) C'est la façon de donner de l'ordre aux différens brins de soie, de laine, de fil, &c. qui composent la chaîne. Voyez ENCROIX. Les brins doivent être passés suivant le rang de cet encroix, d'abord dans les lisses, & ensuite dans le peigne : ordre absolument nécessaire, puisque sans lui il seroit impossible de s'y reconnoître, & tout seroit en danger d'être perdu. On verra à l'article OURDIR, qu'il faut encroiser à deux brins lorsqu'on est en-haut de l'ourdissoir ; ce qui arrive quand le brin se trouve vis-à-vis de l'endroit où a commencé l'ourdissage. Voici comment se fait l'encroix. L'ourdisseur introduit le doigt index de la main dont il encroise (les uns se servant de la droite, les autres de la gauche), sur les deux brins, le pouce étant dessous ces deux brins : il passe le pouce sur un des deux, l'index alors est dessous : il continue de suite & de même alternativement : il reprend toûjours dans le même ordre, jusqu'à ce qu'il finisse, observant bien de ne se pas tromper à cette alternative. Les brins ainsi placés deux à deux sur ses doigts, sont posés sur les chevilles de l'encroix, d'où ils sont ensuite conduits pêle-mêle sur la cheville voisine de celle-ci, où est fixé le bout de la piece. On les laisse pendre pour être encroisés de nouveau, & pour être de même placés sur les chevilles. Voyez l'article OURDIR.


ENCROIXS. m. (Manufact. en soie, fil, laine, &c.) Ce sont trois chevilles placées à demeure sur les traverses de deux des aîles du moulin, en-haut. Ces chevilles sont boutonnées par le bout, pour retenir les soies, qui sans cela s'échapperoient. Une de ces chevilles est fixée sur une autre aîle, & c'est ordinairement sur l'aîle la plus prochaine des deux dont on vient de parler. Cette derniere cheville reçoit le bout de la piece ; les deux autres qui sont auprès, portent les soies encroisées, ainsi qu'on verra aux articles OURDIR & ENCROISER. Ces chevilles se trouvent répétées au bas de ce moulin, puisqu'il faut aussi encroiser en-bas. Si l'on ourdit de l'un à l'autre de ces encroix, la piece contiendra 144 aulnes de long ; c'est la mesure la plus ordinaire, & l'étendue des ourdissoirs. Il y a encore un encroix mobile, qui consiste en une tringle de même forme que les traverses qui portent les encroix fixes dont on vient de parler. Celui-ci n'est pas plus long qu'il ne faut pour pouvoir entrer entre deux aîles du moulin : il est chantourné par les bouts, suivant le contour des aîles, qui étant les mêmes dans tout l'ourdissoir, on posera où l'on voudra. Il doit être fait de façon qu'il entre juste, & même un peu serré. Les aîles par leur délicatesse pouvant aisément reculer un peu pour lui faire place, il est mis communément au milieu ; en ce cas ses bouts se reposent sur les traverses de ce milieu : mais si on le vouloit mettre ailleurs, il faudroit avoir soin de lier les deux bouts avec les aîles qui le porteroient, de crainte qu'ils n'échappassent malgré la petite gêne avec laquelle ils sont entrés. Cet encroix mobile donne la facilité d'ourdir de telle longueur que l'on veut au-dessous de 144 aulnes ; mais lorsqu'on emplit l'ourdissoir en totalité, cet encroix est vacant, & doit être ôté de dessus le moulin, où il nuiroit.


ENCROUÉadj. (Jurispr.) terme d'eaux & forêts, qui se dit d'un arbre lequel en tombant s'embarrasse dans les branches d'un autre arbre qui est sur pié. L'ordonnance des eaux & forêts, tit. xv. art. 43. porte que les arbres seront abattus, ensorte qu'ils tombent dans les ventes sans endommager les arbres retenus, à peine de dommages & intérêts contre le marchand ; que s'il arrivoit que les arbres abattus demeurassent encroüés, les marchands ne pourront faire abattre l'arbre sur lequel celui qui sera tombé se trouvera encroüé, sans la permission du grand-maître ou des officiers, après avoir pourvû à l'indemnité du roi (A)


ENCYCLOPÉDIES. f. (Philosoph.) Ce mot signifie enchaînement de connoissances ; il est composé de la préposition greque εγ, en, & des substantifs κύκλος, cercle, & παιδεία connoissance.
En effet, le but d'une Encyclopédie est de rassembler les connoissances éparses sur la surface de la terre, d'en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, & de le transmettre aux hommes qui viendront après nous ; afin que les travaux des siecles passés n'aient pas été des travaux inutiles pour les siecles qui succéderont ; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même tems plus vertueux & plus heureux, & que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain.

Il eût été difficile de se proposer un objet plus étendu que celui de traiter de tout ce qui a rapport à la curiosité de l'homme, à ses devoirs, à ses besoins, & à ses plaisirs. Aussi quelques personnes accoutumées à juger de la possibilité d'une entreprise, sur le peu de ressources qu'elles apperçoivent en elles-mêmes, ont prononcé que jamais nous n'acheverions la nôtre. Voyez le Dict. de Trévoux, derniere édit. au mot Encyclopédie. Elles n'entendront de nous pour toute réponse, que cet endroit du chancelier Bacon,qui semble leur être particulierement adressé. De impossibilitate ità statuo ; ea omnia possibilia & praestabilia esse censenda quae ab aliquibus perfici possunt, licèt non à quibusvis ; & quae à multis conjunctìm, licèt non ab uno ; & quae in successione saeculorum, licèt non eodem aevo ; & denique quae multorum curâ & sumptû, licèt non opibus & industriâ singulorum. Bac. lib. II. de augment. scient. cap. j. pag. 103.

Quand on vient à considérer la matiere immense d'une Encyclopédie, la seule chose qu'on apperçoive distinctement, c'est que ce ne peut être l'ouvrage d'un seul homme. Et comment un seul homme, dans le court espace de sa vie, réussiroit-il à connoître & à développer le système universel de la nature & de l'art ? tandis que la société savante & nombreuse des académiciens de la Crusca a employé quarante années à former son vocabulaire, & que nos académiciens françois avoient travaillé soixante ans à leur dictionnaire, avant que d'en publier la premiere édition ! Cependant, qu'est-ce qu'un dictionnaire de langue ? qu'est-ce qu'un vocabulaire, lorsqu'il est exécuté aussi parfaitement qu'il peut l'être ? Un recueil très-exact des titres à remplir par un dictionnaire encyclopédique & raisonné.

Un seul homme, dira-t-on, est maître de tout ce qui existe ; il disposera à son gré de toutes les richesses que les autres hommes ont accumulées. Je ne peux convenir de ce principe ; je ne crois point qu'il soit donné à un seul homme de connoître tout ce qui peut être connu ; de faire usage de tout ce qui est ; de voir tout ce qui peut être vû ; de comprendre tout ce qui est intelligible. Quand un dictionnaire raisonné des sciences & des arts ne seroit qu'une combinaison méthodique de leurs élémens, je demanderois encore à qui il appartient de faire de bons élémens ; si l'exposition élémentaire des principes fondamentaux d'une science ou d'un art, est le coup d'essai d'un éleve, ou le chef-d'oeuvre d'un maître. Voyez l'article ÉLEMENS DES SCIENCES.

Mais pour démontrer avec la derniere évidence, combien il est difficile qu'un seul homme exécute jamais un dictionnaire raisonné de la science générale, il suffit d'insister sur les seules difficultés d'un simple vocabulaire.

Un vocabulaire universel est un ouvrage dans lequel on se propose de fixer la signification des termes d'une langue, en définissant ceux qui peuvent être définis, par une énumération courte, exacte, claire & précise, ou des qualités ou des idées qu'on y attache. Il n'y a de bonnes définitions que celles qui rassemblent les attributs essentiels de la chose désignée par le mot. Mais a-t-il été accordé à tout le monde de connoître & d'exposer ces attributs ? L'art de bien définir est-il un art si commun ? Ne sommes nous pas tous, plus ou moins, dans le cas même des enfans, qui appliquent avec une extrême précision, une infinité de termes à la place desquels il leur seroit absolument impossible de substituer la vraie collection de qualités ou d'idées qu'ils représentent ? De-là, combien de difficultés imprévues, quand il s'agit de fixer le sens des expressions les plus communes ? On éprouve à tout moment que celles qu'on entend le moins, sont aussi celles dont on se sert le plus. Quelle est la raison de cet étrange phénomene ? C'est que nous sommes sans-cesse dans l'occasion de prononcer qu'une chose est telle ; presque jamais dans la nécessité de déterminer ce que c'est qu'être tel. Nos jugemens les plus fréquens tombent sur des objets particuliers, & le grand usage de la langue & du monde suffit pour nous diriger. Nous ne faisons que répéter ce que nous avons entendu toute notre vie. Il n'en est pas ainsi, lorsqu'il s'agit de former des notions générales qui embrassent, sans exception, un certain nombre d'individus. Il n'y a que la méditation la plus profonde & l'étendue de connoissances la plus surprenante qui puissent nous conduire sûrement. J'éclaircis ces principes par un exemple : nous disons, sans qu'il arrive à aucun de nous de se tromper, d'une infinité d'objets de toute espece qu'ils sont de luxe ; mais qu'est-ce que ce luxe que nous attribuons si infailliblement à tant d'objets ? Voilà la question à laquelle on ne satisfait avec quelqu'exactitude, qu'après une discussion que les personnes qui montrent le plus de justesse dans l'application du mot luxe, n'ont point faite, & ne sont peut-être pas même en état de faire.

Il doit définir tous les termes, excepté les radicaux, c'est-à-dire ceux qui désignent des sensations simples ou les idées abstraites les plus générales. V. l'article DICTIONNAIRE. En a-t-on omis quelques-uns ? le vocabulaire est incomplet. Veut-on n'en excepter aucun ? qui est-ce qui définira exactement le mot conjugué, si ce n'est un géometre ? le mot conjugaison, si ce n'est un grammairien ? le mot azimuth, si ce n'est un astronome ? le mot épopée, si ce n'est un littérateur ? le mot change, si ce n'est un commerçant ? le mot vice, si ce n'est un moraliste ? le mot hypostase, si ce n'est un théologien ? le mot métaphysique, si ce n'est un philosophe ? le mot gouge, si ce n'est un homme versé dans les arts ? D'où je conclus que, si l'académie françoise ne réunissoit pas dans ses assemblées toute la variété des connoissances & des talens, il seroit impossible qu'elle ne négligeât beaucoup d'expressions qu'on cherchera dans son dictionnaire, ou qu'il ne lui échappât des définitions fausses, incomplete s, absurdes, ou même ridicules.

Je n'ignore point que ce sentiment n'est pas celui de ces hommes qui nous entretiennent de tout & qui ne savent rien ; qui ne sont point de nos académies, qui n'en seront pas, parce qu'ils ne sont pas dignes d'en être ; qui se mêlent cependant de désigner aux places vacantes ; qui, osant fixer les limites de l'objet de l'académie françoise, se sont presqu'indignés de voir entrer dans cette compagnie les Mairans, les Maupertuis, & les d'Alemberts, & qui ignorent que la premiere fois que l'un d'eux y parla, ce fut pour rectifier la définition du terme midi. On diroit, à les entendre, qu'ils prétendroient borner la connoissance de la langue & le dictionnaire de l'academie à un très-petit nombre de termes qui leur sont familiers. Encore, s'ils y regardoient de plus près, parmi ces termes, en trouveroient-ils plusieurs, tels qu'arbre, animal, plante, fleur, vice, vertu, vérité, force, loi, pour la définition rigoureuse desquels ils seroient bien obligés d'appeller à leur secours le philosophe, le jurisconsulte, l'historien, le naturaliste ; en un mot celui qui connoit les qualités réelles ou abstraites qui constituent un être tel, & qui le spécifient ou qui l'individualisent, selon que cet être a des semblables ou qu'il est solitaire.

Concluons donc qu'on n'exécutera jamais un bon vocabulaire sans le concours d'un grand nombre de talens, parce que les définitions de noms ne different point des définitions de choses (Voyez l'art. DEFINITION), & que les choses ne peuvent être bien définies ou décrites que par ceux qui en ont fait une longue étude. Mais, s'il en est ainsi, que ne faudra-t-il point pour l'execution d'un ouvrage où, loin de se borner à la définition du mot, on se proposera d'exposer en détail tout ce qui appartient à la chose ?

Un Dictionnaire universel & raisonné des Sciences & des Arts ne peut donc être l'ouvrage d'un homme seul. Je dis plus ; je ne crois pas que ce puisse être l'ouvrage d'aucune des sociétés littéraires ou savantes qui subsistent, prises séparément ou en corps.

L'academie françoise ne fourniroit à une Encyclopédie que ce qui appartient à la langue & à ses usages ; l'académie des inscriptions & Belles-lettres, que des connoissances relatives à l'Histoire profane, ancienne & moderne, à la Chronologie, à la Géographie & à la Littérature ; la Sorbonne, que la Théologie, l'Histoire sacrée, & l'Histoire des Superstitions ; l'académie des sciences, que des Mathématiques, de l'Histoire naturelle, de la Physique, de la Chimie, de la Medecine, de l'Anatomie, &c. l'académie de Chirurgie, que l'art de ce nom ; celle de Peinture, que la Peinture, la Gravûre, la Sculpture, le Dessein, l'Architecture, &c. l'Université, que ce qu'on entend par les Humanités, la Philosophie de l'école, la Jurisprudence, la Typographie, &c.

Parcourez les autres sociétés que je peux avoir omises, & vous vous appercevrez, qu'occupées chacune d'un objet particulier, qui est sans-doute du ressort d'un dictionnaire universel, elles en négligent une infinité d'autres qui doivent y entrer ; & vous n'en trouverez aucune qui vous fournisse la généralité de connoissances dont vous aurez besoin. Faites mieux ; imposez-leur à toutes un tribut ; vous verrez combien il vous manquera de choses encore, & vous serez forcé de vous aider d'un grand nombre d'hommes répandus en différentes classes ; hommes précieux, mais à qui les portes des académies n'en sont pas moins fermées par leur état. C'est trop de tous les membres de ces savantes compagnies pour un seul objet de la science humaine ; ce n'est pas assez de toutes ces sociétés pour la science de l'homme en général.

Sans-doute, ce qu'on pourroit obtenir de chaque société savante en particulier seroit très-utile, & ce qu'elles fourniroient toutes avanceroit rapidement le Dictionnaire universel à sa perfection. Il y a même une tâche qui rameneroit leurs travaux au but de cet ouvrage, & qui devroit leur être imposée. Je distingue deux moyens de cultiver les sciences : l'un d'augmenter la masse des connoissances par des découvertes ; & c'est ainsi qu'on mérite le nom d'inventeur : l'autre de rapprocher les découvertes & de les ordonner entr'elles, afin que plus d'hommes soient éclairés, & que chacun participe, selon sa portée, à la lumiere de son siecle ; & l'on appelle auteurs classiques, ceux qui réussissent dans ce genre qui n'est pas sans difficulté. J'avoue que, quand les sociétés savantes répandues dans l'Europe s'occuperoient à recueillir les connoissances anciennes & modernes, à les enchaîner, & à en publier des traités complets & méthodiques, les choses n'en seroient que mieux ; du moins jugeons-en par l'effet. Comparons les quatre-vingt volumes in-4°. de l'académie des sciences, compilés selon l'esprit dominant de nos plus célebres académies, à huit ou dix volumes exécutés, comme je le conçois, & voyons s'il y auroit à choisir. Ces derniers renfermeroient une infinité de matériaux excellens dispersés dans un grand nombre d'ouvrages, où ils restent sans produire aucune sensation utile, comme des charbons épars qui ne formeront jamais un brasier ; & de ces dix volumes, à peine la collection académique la plus nombreuse en fourniroit-elle quelques-uns. Qu'on jette les yeux sur les mémoires de l'académie des inscriptions, & qu'on calcule combien on en extrairoit de feuilles pour un traité scientifique. Que dirai-je des Transactions philosophiques, & des Actes des curieux de la nature ? Aussi tous ces recueils énormes commencent à chanceler ; & il n'y a aucun doute que le premier abréviateur qui aura du goût & de l'habileté ne les fasse tomber. Ce devoit être leur dernier sort.

Après y avoir sérieusement réfléchi, je trouve que l'objet particulier d'un académicien pourroit être de perfectionner la branche à laquelle il se seroit attaché, & de s'immortaliser par des ouvrages qui ne seroient point de l'académie, qui ne formeroient point ses recueils, qu'il publieroit en son nom ; mais que l'academie devroit avoir pour but de rassembler tout ce qui s'est publié sur chaque matiere, de le digérer, de l'éclaircir, de le serrer, de l'ordonner & d'en publier des traités où chaque chose n'occupât que l'espace qu'elle mérite d'occuper, & n'eût d'importance que celle qu'on ne lui pourroit enlever. Combien de mémoires, qui grossissent nos recueils, ne fourniroient pas une ligne à de pareils traités !

C'est à l'exécution de ce projet étendu, nonseulement aux différens objets de nos académies, mais à toutes les branches de la connoissance humaine, qu'une Encyclopédie doit suppléer ; Ouvrage qui ne s'exécutera que par une société de gens de lettres & d'artistes, épars, occupés chacun de sa partie, & liés seulement par l'intérêt général du genre humain, & par un sentiment de bienveillance réciproque.

Je dis une société de gens de lettres & d'artistes, afin de rassembler tous les talens. Je les veux épars, parce qu'il n'y a aucune société subsistante d'où l'on puisse tirer toutes les connoissances dont on a besoin, & que, si l'on vouloit que l'ouvrage se fît toûjours & ne s'achevât jamais, il n'y auroit qu'à former une pareille société. Toute société a ses assemblées, ces assemblées laissent entr'elles des intervalles, elles ne durent que quelques heures, une partie de ce tems se perd en discussions, & les objets les plus simples consument des mois entiers ; d'où il arrivera, comme le disoit un des Quarante, qui a plus d'esprit dans la conversation que beaucoup d'auteurs n'en mettent dans leurs écrits, que les douze volumes de l'Encyclopédie auront paru que nous en serons encore à la premiere lettre de notre vocabulaire ; au lieu, ajoutoit-il, que si ceux qui travaillent à cet ouvrage avoient des séances encyclopédiques, comme nous avons des séances académiques, nous verrions la fin de notre ouvrage, qu'ils en seroient encore à la premiere lettre du leur ; & il avoit raison.

J'ajoute, des hommes liés par l'intérêt général du genre humain & par un sentiment de bienveillance réciproque, parce que ces motifs étant les plus honnêtes qui puissent animer des ames bien nées, ce sont aussi les plus durables. On s'applaudit intérieurement de ce que l'on fait ; on s'échauffe ; on entreprend pour son collegue & pour son ami, ce qu'on ne tenteroit par aucune autre considération ; & j'ose assurer, d'après l'expérience, que le succès des tentatives en est plus certain. L'Encyclopédie a rassemblé ses matériaux en assez peu de tems. Ce n'est point un vil intérêt qui en a réuni & hâté les auteurs ; ils ont vû leurs efforts secondés par la plûpart des gens de lettres dont ils pouvoient attendre quelques secours ; & ils n'ont été importunés dans leurs travaux que par ceux qui n'avoient pas le talent nécessaire pour y contribuer seulement d'une bonne page.

Si le gouvernement se mêle d'un pareil ouvrage, il ne se fera point. Toute son influence doit se borner à en favoriser l'exécution. Un monarque peut d'un seul mot faire sortir un palais d'entre les herbes ; mais il n'en est pas d'une société de gens de lettres, ainsi que d'une troupe de manouvriers. Une Encyclopédie ne s'ordonne point. C'est un travail qui veut plûtôt être suivi avec opiniâtreté, que commencé avec chaleur. Les entreprises de cette nature se proposent dans les cours, accidentellement, & par forme d'entretien ; mais elles n'y intéressent jamais assez pour n'être point oubliées, à-travers le tumulte & dans la confusion d'une infinité d'autres affaires plus ou moins importantes. Les projets littéraires conçus par les grands, sont comme les feuilles qui naissent aux printems, se sechent tous les automnes, & tombent sans-cesse les unes sur les autres au fond des forêts, où la nourriture qu'elles ont fournie à quelques plantes stériles, est tout l'effet qu'on en remarque. Entre une infinité d'exemples en tout genre, qui me sont connus, je ne citerai que celui-ci. On avoit projetté des expériences sur la dureté des bois. Il s'agissoit de les écorcer, & de les laisser mourir sur pié. Les bois ont été écorcés, sont morts sur pié, apparemment ont été coupés ; c'est-à-dire que tout s'est fait, excepté les expériences sur la dureté des bois. Et comment étoit-il possible qu'elles se fissent ? Il devoit y avoir six ans entre les premiers ordres donnés, & les dernieres opérations. Si l'homme sur lequel le souverain s'en est reposé vient à mourir, ou à perdre la faveur, les travaux restent suspendus, & ne se reprennent point, un ministre n'adoptant pas communément les desseins d'un prédécesseur, ce qui lui mériteroit toutefois une gloire, sinon plus grande, du moins plus rare que celle de les avoir formés. Les particuliers se hâtent de recueillir le fruit des dépenses qu'ils ont faites ; le gouvernement n'a rien de cet empressement économique. Je ne sais par quel sentiment très-repréhensible, on traite moins honnêtement avec le prince, qu'avec ses sujets. On prend les engagemens les plus legers, & on en exige les récompenses les plus fortes. L'incertitude que le travail soit jamais de quelque utilité, jette parmi les travailleurs une indolence inconcevable ; & pour ajouter aux inconvéniens toute la force possible, les ouvrages ordonnés par les souverains ne se conçoivent jamais sur la raison de l'Utilité, mais toûjours sur la dignité de la Personne, c'est-à-dire qu'on embrasse la plus grande étendue ; que les difficultés se multiplient ; qu'il faut des hommes, des talens, du tems à proportion pour les surmonter, & qu'il survient presque nécessairement une révolution qui vérifie la fable du Maître d'école. Si la vie moyenne de l'homme n'est pas de vingt ans, celle d'un ministre n'est pas de dix ans. Mais ce n'est pas assez que les interruptions soient plus communes, elles sont plus funestes encore aux projets littéraires, lorsque le gouvernement est à la tête de ces projets, que quand ils sont conduits par des particuliers. Un particulier recueille au moins les débris de son entreprise : il renferme soigneusement des matériaux qui peuvent lui servir dans un tems plus heureux ; il court après ses avances. L'esprit monarchique dédaigne cette prudence. Les hommes meurent ; & les fruits de leurs veilles disparoissent, sans qu'on puisse découvrir ce qu'ils sont devenus.

Mais ce qui doit donner le plus grand poids aux considérations précédentes, c'est qu'une Encyclopédie, ainsi qu'un vocabulaire, doit être commencée, continuée, & finie dans un certain intervalle de tems, & qu'un intérêt sordide s'occupe toûjours à prolonger les ouvrages ordonnés par les rois. Si l'on employoit à un dictionnaire universel & raisonné les longues années que l'étendue de son objet semble exiger, il arriveroit par les révolutions, qui ne sont guere moins rapides dans les Sciences, & sur-tout dans les Arts, que dans la langue, que ce dictionnaire seroit celui d'un siecle passé, de même qu'un vocabulaire qui s'exécuteroit lentement, ne pourroit être que celui d'un regne qui ne seroit plus. Les opinions vieillissent, & disparoissent comme les mots ; l'intérêt que l'on prenoit à certaines inventions, s'affoiblit de jour en jour, & s'éteint ; si le travail tire en longueur, on se sera étendu sur des choses momentanées, dont il ne sera déjà plus question ; on n'aura rien dit sur d'autres, dont la place sera passée ; inconvenient que nous avons nous-mêmes éprouvé, quoiqu'il ne se soit pas écoulé un tems fort considérable entre la date de cet ouvrage, & le moment où j'écris. On remarquera l'irrégularité la plus desagréable dans un ouvrage destiné à réprésenter, selon leur juste proportion, l'état des choses dans toute la durée antérieure ; des objets importans étouffés ; de petits objets boursoufflés : en un mot, l'ouvrage se défigurera sans-cesse sous les mains des travailleurs ; se gâtera plus par le seul laps de tems, qu'il ne se perfectionnera par leurs soins ; & deviendra plus défectueux & plus pauvre par ce qui devroit y être ou raccourci ou supprimé, ou rectifié, ou suppléé, que riche par ce qu'il acquerrera successivement.

Quelle diversité ne s'introduit pas tous les jours dans la langue des Arts, dans les machines & dans les manoeuvres ? Qu'un homme consume une partie de sa vie à la description des Arts ; que dégoûté de cet ouvrage fatiguant, il se laisse entraîner à des occupations plus amusantes & moins utiles, & que son premier ouvrage demeure renfermé dans ses porte-feuilles : il ne s'écoulera pas vingt ans, qu'à la place de choses nouvelles & curieuses, piquantes par leur singularité, intéressantes par leurs usages, par le goût dominant, par une importance momentanée, il ne trouvera que des notions incorrectes, des manoeuvres surannées, des machines ou imparfaites, ou abandonnées. Dans les nombreux volumes qu'il aura composés, il n'y aura pas une page qu'il ne faille retoucher ; & dans la multitude des planches qu'il aura fait graver, presque pas une figure qu'il ne faille redessiner. Ce sont des portraits dont les originaux ne subsistent plus. Le luxe, ce pere des Arts, est comme le Saturne de la fable, qui se plaisoit à détruire ses enfans.

La révolution peut être moins forte & moins sensible dans les Sciences & dans les Arts libéraux, que dans les arts méchaniques ; mais il s'y en fait une. Qu'on ouvre les dictionnaires du siecle passé, on n'y trouvera à aberration, rien de ce que nos Astronomes entendent par ce terme ; à peine y aura-t-il sur l'électricité, ce phénomene si fécond, quelques lignes qui ne seront encore que des notions fausses & de vieux préjugés. Combien de termes de Minéralogie & d'Histoire naturelle, dont on en peut dire autant ? Si notre Dictionnaire eût été un peu plus avancé, nous aurions été exposés à répéter sur la nielle, sur les maladies des grains, & sur leur commerce, les erreurs des siecles passés, parce que les découvertes de M. Tillet & le système de M. Herbert sont récens.

Quand on traite des êtres de la nature, que peut-on faire de plus, que de rassembler avec scrupule toutes leurs propriétés connues dans le moment où l'on écrit ? Mais l'observation & la physique expérimentale multipliant sans-cesse les phénomenes & les faits, & la philosophie rationelle les comparant entr'eux & les combinant, étendent ou resserrent sans-cesse les limites de nos connoissances, font en conséquence varier les acceptions des mots institués ; rendent les définitions qu'on en a données inexactes, fausses, incomplete s, & déterminent même à en instituer de nouveaux.

Mais ce qui donnera à l'ouvrage l'air suranné, & le jettera dans le mépris, c'est sur-tout la révolution qui se fera dans l'esprit des hommes, & dans le caractere national. Aujourd'hui que la Philosophie s'avance à grands pas ; qu'elle soûmet à son empire tous les objets de son ressort ; que son ton est le ton dominant, & qu'on commence à secouer le joug de l'autorité & de l'exemple pour s'en tenir aux lois de la raison, il n'y a presque pas un ouvrage élémentaire & dogmatique dont on soit entierement satisfait. On trouve ces productions calquées sur celles des hommes, & non sur la vérité de la nature. On ose proposer ses doutes à Aristote & à Platon ; & le tems est arrivé, où des ouvrages qui joüissent encore de la plus haute réputation, en perdront une partie, ou même tomberont entierement dans l'oubli ; certains genres de littérature, qui, faute d'une vie réelle & de moeurs subsistantes qui leur servent de modeles, ne peuvent avoir de poétique invariable & sensée, seront négligés ; & d'autres qui resteront, & que leur valeur intrinseque soûtiendra, prendront une forme toute nouvelle. Tel est l'effet du progrès de la raison ; progrès qui renversera tant de statues, & qui en relevera quelques-unes qui sont renversées. Ce sont celles des hommes rares, qui ont devancé leur siecle. Nous avons eu, s'il est permis de s'exprimer ainsi, des contemporains sous le siecle de Louis XIV.

Le tems qui a émoussé notre goût sur les questions de critique & de controverse, a rendu insipide une partie du dictionnaire de Bayle. Il n'y a point d'auteur qui ait tant perdu dans quelques endroits, & qui ait plus gagné dans d'autres. Mais si tel a été le sort de Bayle, qu'on juge de ce qui seroit arrivé à l'Encyclopédie de son tems. Si l'on en excepte ce Perrault, & quelques autres, dont le versificateur Boileau n'étoit pas en état d'apprécier le mérite, la Mothe, Terrasson, Boindin, Fontenelle, sous lesquels la raison & l'esprit philosophique ou de doute a fait de si grands progrès ; il n'y avoit peut-être pas un homme qui en eût écrit une page qu'on daignât lire aujourd'hui. Car, qu'on ne s'y trompe pas, il y a bien de la différence entre enfanter, à force de génie, un ouvrage qui enleve les suffrages d'une nation qui a son moment, son goût, ses idées & ses préjugés, & tracer la poétique du genre, selon la connoissance réelle & réfléchie du coeur de l'homme, de la nature des choses, & de la droite raison, qui sont les mêmes dans tous les tems. Le génie ne connoît point les regles ; cependant il ne s'en écarte jamais dans ses succès. La Philosophie ne connoît que les regles fondées dans la nature des êtres, qui est immuable & éternelle. C'est au siecle passé à fournir des exemples ; c'est à notre siecle à prescrire les regles.

Les connoissances les moins communes sous le siecle passé, le deviennent de jour en jour. Il n'y a point de femmes, à qui l'on ait donné quelqu'éducation, qui n'employe avec discernement toutes les expressions consacrées à la Peinture, à la Sculpture, à l'Architecture, & aux Belles-Lettres. Combien y a-t-il d'enfans qui ont du Dessein, qui savent de la Géométrie, qui sont Musiciens, à qui la langue domestique n'est pas plus familiere que celle de ces arts, & qui disent, un accord, une belle forme, un contour agréable, une parallele, une hypothénuse, une quinte, un triton, un arpégement, un microscope, un télescope, un foyer, comme ils diroient une lunette d'opera, une épée, une canne, un carrosse, un plumet ? Les esprits sont encore emportés d'un autre mouvement général vers l'Histoire naturelle, l'Anatomie, la Chimie, & la Physique expérimentale. Les expressions propres à ces sciences sont déja très-communes, & le deviendront nécessairement davantage. Qu'arrivera-t-il delà ? c'est que la langue, même populaire, changera de face ; qu'elle s'étendra à mesure que nos oreilles s'accoûtumeront aux mots, par les applications heureuses qu'on en fera. Car si l'on y refléchit, la plûpart de ces mots techniques, que nous employons aujourd'hui, ont été originairement du néologisme ; c'est l'usage & le tems qui leur ont ôté ce vernis équivoque. Ils étoient clairs, énergiques, & nécessaires. Le sens métaphorique n'étoit pas éloigné du sens propre. Ils peignoient. Les rapports sur lesquels le nouvel emploi en étoit appuyé, n'étoient pas trop recherchés ; ils étoient réels. L'acception figurée n'avoit point l'air d'une subtilité : le mot étoit d'ailleurs harmonieux & coulant. L'idée principale en étoit liée avec d'autres que nous ne nous rappellons jamais sans instruction ou sans plaisir. Voilà les fondemens de la fortune que ces expressions ont faite ; & les causes contraires sont celles du discrédit, où tomberont & sont tombées tant d'autres expressions.

Notre langue est déjà fort étendue. Elle a dû, comme toutes les autres, sa formation au besoin, & ses richesses à l'essor de l'imagination, aux entraves de la poésie, & aux nombres & à l'harmonie de la prose oratoire. Elle va faire des pas immenses sous l'empire de la Philosophie ; & si rien ne suspendoit la marche de l'esprit, avant qu'il fût un siecle, un dictionnaire oratoire & poétique du siecle de Louis XIV, ou même du nôtre, contiendroit à peine les deux tiers des mots qui seront à l'usage de nos neveux.

Dans un vocabulaire, dans un dictionnaire universel & raisonné, dans tout ouvrage destiné à l'instruction générale des hommes, il faut donc commencer par envisager son objet sous les faces les plus étendues : connoître l'esprit de sa nation, en pressentir la pente, le gagner de vîtesse, ensorte qu'il ne laisse pas votre travail en arriere ; mais qu'au contraire il le rencontre en avant ; se résoudre à ne travailler que pour les générations suivantes, parce que le moment où nous existons passe, & qu'à peine une grande entreprise sera-t-elle achevée, que la génération présente ne sera plus. Mais pour être plus longtems utile & nouveau, en devançant de plus loin l'esprit national qui marche sans-cesse, il faut abreger la durée du travail, en multipliant le nombre des collegues ; moyen qui toutefois n'est pas sans inconvénient, comme on le verra dans la suite.

Cependant les connoissances ne deviennent & ne peuvent devenir communes, que jusqu'à un certain point. On ignore, à la vérité, quelle est cette limite. On ne sait jusqu'où tel homme peut aller. On sait bien moins encore jusqu'où l'espece humaine iroit, ce dont elle seroit capable, si elle n'étoit point arrêtée dans ses progrès. Mais les révolutions sont nécessaires ; il y en a toûjours eu, & il y en aura toûjours, le plus grand intervalle d'une révolution à une autre est donné : cette seule cause borne l'étendue de nos travaux. Il y a dans les Sciences un point au-delà duquel il ne leur est presque pas accordé de passer. Lorsque ce point est atteint, les monumens qui restent de ce progrès, sont à jamais l'étonnement de l'espece entiere. Mais si l'espece est bornée dans ses efforts, combien l'individu ne l'est-il pas dans les siens ? L'individu n'a qu'une certaine énergie dans ses facultés, tant animales qu'intellectuelles ; il ne dure qu'un tems ; il est forcé à des alternatives de travail & de repos ; il a des besoins & des passions à satisfaire, & il est exposé à une infinité de distractions. Toutes les fois que ce qu'il y a de négatif dans ces quantités formera la plus petite somme possible, ou que ce qu'il y a de positif formera la somme possible la plus grande ; un homme appliqué solitairement à quelque branche de la science humaine, la portera aussi loin qu'elle peut être portée par les efforts d'un individu. Ajoûtez au travail de cet individu extraordinaire, celui d'un autre, & ainsi de suite, jusqu'à ce que vous ayez rempli l'intervalle d'un révolution, à la révolution la plus éloignée ; & vous vous formerez quelque notion de ce que l'espece entiere peut produire de plus parfait, sur-tout si vous supposez en faveur de son travail, un certain nombre de circonstances fortuites qui en auroient diminué le succès, si elles avoient été contraires. Mais la masse générale de l'espece n'est faite ni pour suivre, ni pour connoître cette marche de l'esprit humain. Le point d'instruction le plus élevé qu'elle puisse atteindre, a ses limites : d'où il s'ensuit qu'il y aura des ouvrages qui resteront toûjours au-dessus de la portée commune des hommes ; d'autres qui descendront peu-à-peu au-dessous, & d'autres encore qui éprouveront cette double fortune.

A quelque point de perfection qu'une Encyclopédie soit conduite, il est évident par la nature de cet ouvrage, qu'elle se trouvera nécessairement au nombre de ceux-ci. Il y a des objets qui sont entre les mains du peuple, dont il tire sa subsistance, & à la connoissance pratique desquels il s'occupe sans relâche. Quelque traité qu'on en écrive, il viendra un moment où il en saura plus que le livre. Il y a d'autres objets sur lesquels il demeurera presqu'entierement ignorant, parce que les accroissemens de sa connoissance sont trop foibles & trop lents, pour former jamais une lumiere considérable, quand on les supposeroit continus. Ainsi l'homme du peuple & le savant auront toûjours également à desirer & à s'instruire dans une Encyclopédie. Le moment le plus glorieux pour un ouvrage de cette nature, ce seroit celui qui succéderoit immédiatement à quelque grande révolution ; qui auroit suspendu les progrès des Sciences, interrompu les travaux des Arts, & replongé dans les ténebres une portion de notre hémisphere. Quelle reconnoissance la génération, qui viendroit après ces tems de trouble, ne porteroit-elle pas aux hommes qui les auroient redoutés de loin ; & qui en auroient prévenu le ravage, en mettant à l'abri les connoissances des siecles passés ? Ce seroit alors (j'ose le dire sans ostentation, parce que notre Encyclopédie n'atteindra peut-être jamais la perfection qui lui mériteroit tant d'honneurs), ce seroit alors qu'on nommeroit avec ce grand ouvrage le regne du Monarque sous lequel il fut entrepris ; le Ministre auquel il fut dédié ; les Grands qui en favoriserent l'exécution ; les Auteurs qui s'y consacrerent ; tous les hommes de lettres qui y concoururent. La même voix qui rappelleroit ces secours n'oublieroit pas de parler aussi des peines que les auteurs auroient souffertes, & des disgraces qu'ils auroient essuyées ; & le monument qu'on leur éleveroit, seroit à plusieurs faces, où l'on verroit alternativement des honneurs accordés à leur mémoire, & des marques d'indignation attachées à la mémoire de leurs ennemis.

Mais la connoissance de la langue est le fondement de toutes ces grandes espérances ; elles resteront incertaines, si la langue n'est fixée & transmise à la postérité dans toute sa perfection ; & cet objet est le premier de ceux dont il convenoit à des Encyclopédistes de s'occuper profondement. Nous nous en sommes apperçus trop tard ; & cette inadvertance a jetté de l'imperfection sur tout notre ouvrage. Le côté de la langue est resté foible (je dis de la langue, & non de la Grammaire ;) & par cette raison ce doit être le sujet principal, dans un article où l'on examine impartialement son travail, & où l'on cherche les moyens d'en corriger les défauts. Je vais donc traiter de la Langue, spécialement & comme je le dois. J'oserai même inviter nos successeurs à donner quelque attention à ce morceau ; & j'espérerai des autres hommes à l'usage desquels il est moins destiné, qu'ils en avoueront l'importance, & qu'ils en excuseront l'étendue.

L'institution de signes vocaux qui représentassent des idées, & de caracteres tracés qui représentassent des voix, fut le premier germe des progrès de l'esprit humain. Une science, un art, ne naissent que par l'application de nos réflexions aux réflexions déjà faites, & que par la réunion de nos pensées, de nos observations & de nos expériences, avec les pensées, les observations & les expériences de nos semblables. Sans la double convention qui attacha les idées aux voix, & les voix à des caracteres, tout restoit au-dedans de l'homme & s'y éteignoit : sans les Grammaires & les dictionnaires, qui sont les interpretes universels des peuples entr'eux, tout demeuroit concentré dans une nation, & disparoissoit avec elle. C'est par ces ouvrages que les facultés des hommes ont été rapprochées & combinées entr'elles ; elles restoient isolées sans cet intermede : une invention, quelque admirable qu'elle eût été, n'auroit représenté que la force d'un génie solitaire, ou d'une société particuliere, & jamais l'énergie de l'espece. Un idiome commun seroit l'unique moyen d'établir une correspondance qui s'étendît à toutes les parties du genre humain, & qui les liguât contre la Nature, à laquelle nous avons sans-cesse à faire violence, soit dans le physique, soit dans le moral. Supposé cet idiome admis & fixé, aussitôt les notions deviennent permanentes, la distance des tems disparoît ; les lieux se touchent ; il se forme des liaisons entre tous les points habités de l'espace & de la durée, & tous les êtres vivans & pensans s'entretiennent.

La langue d'un peuple donne son vocabulaire, & le vocabulaire est une table assez fidele de toutes les connoissances de ce peuple : sur la seule comparaison du vocabulaire d'une nation en différens tems, on se formeroit une idée de ses progrès. Chaque science a son nom ; chaque notion dans la science a le sien : tout ce qui est connu dans la Nature est désigné, ainsi que tout ce qu'on a inventé dans les arts, & les phénomenes, & les manoeuvres, & les instrumens. Il y a des expressions & pour les êtres qui sont hors de nous, & pour ceux qui sont en nous : on a nommé & les abstraits & les concrets, & les choses particulieres & les générales, & les formes & les états, & les existences & les successions & les permanences. On dit l'univers ; on dit un atome : l'univers est le tout, l'atome en est la partie la plus petite. Depuis la collection générale de toutes les causes jusqu'à l'être solitaire, tout a son signe ; & ce qui excede toute limite, soit dans la Nature, soit dans notre imagination ; & ce qui est possible & ce qui ne l'est pas ; & ce qui n'est ni dans la Nature ni dans notre entendement, & l'infini en petitesse, & l'infini en grandeur, en étendue, en durée, en perfection. La comparaison des phénomenes s'appelle Philosophie. La Philosophie est pratique ou spéculative, toute notion est ou de sensation ou d'induction ; tout être est dans l'entendement ou dans la Nature : la Nature s'employe, ou par l'organe nud, ou par l'organe aidé de l'instrument. La langue est un symbole de cette multitude de choses hétérogenes : elle indique à l'homme pénétrant jusqu'où l'on étoit allé dans une science, dans les tems mêmes les plus reculés. On apperçoit au premier coup d'oeil que les Grecs abondent en termes abstraits que les Romains n'ont pas, & qu'au défaut de ces termes il étoit impossible à ceux-ci de rendre ce que les autres ont écrit de la Logique, de la Morale, de la Grammaire, de la Métaphysique, de l'Histoire naturelle, &c. & nous avons fait tant de progrès dans toutes ces sciences, qu'il seroit difficile d'en écrire, soit en grec, soit en latin, dans l'état où nous les avons portées, sans inventer une infinité de signes. Cette observation seule démontre la supériorité des Grecs sur les Romains, & notre supériorité sur les uns & les autres.

Il survient chez tous les peuples en général, rélativement au progrès de la langue & du goût, une infinité de révolutions legeres, d'évenemens peu remarqués, qui ne se transmettent point : on ne peut s'appercevoir qu'ils ont été, que par le ton des auteurs contemporains ; ton ou modifié ou donné par ces circonstances passageres. Quel est, par exemple, le lecteur attentif qui, rencontrant dans un auteur ce qui suit, cantus autem & organa pluribus distantiis utuntur, non tantum diapente, sed sumpto initio à diapason, concinnunt per diapente & diatessaron ; & unitonum, & semitonium, ità ut & quidem putent inesse & diesin quae sensu percipiatur, ne se dise sur le champ à lui-même, voilà les routes de notre chant ; voilà l'incertitude où nous sommes sur la possibilité ou l'impossibilité de l'intonation du quart de ton. On ignoroit donc alors si les anciens avoient eu ou non une gamme enharmonique ? Il ne restoit donc plus aucun auteur de musique par lequel on pût résoudre cette difficulté ? On agitoit donc, au tems de Denis d'Halicarnasse, à-peu-près les mêmes questions que nous agitons sur la mélodie ? Et s'il vient à rencontrer ailleurs que les auteurs étoient très-partagés sur l'énumération exacte des sons de la langue greque ; que cette matiere avoit excité des disputes fort vives, sed talium rerum considerationem grammatices & poetices esse ; vel etiam, ut quibusdam placet, philosophiae, n'en conclura-t-il pas qu'il en avoit été parmi les Romains ainsi que parmi nous ? c'est-à-dire qu'après avoir traité la science des signes & des sons avec assez de légéreté, il y eut un tems où de bons esprits reconnurent, qu'elle avoit avec la science des choses plus de liaison qu'ils n'en avoient d'abord soupçonné, & qu'on pouvoit regarder cette spéculation comme n'étant point du-tout indigne de la Philosophie. Voilà précisément où nous en sommes ; & c'est en recueillant ainsi des mots échappés par hasard, & étrangers à la matiere traitée spécialement dans un auteur où ils ne caractérisent que ses lumieres, son exactitude & son indécision, qu'on parviendroit à éclaircir l'histoire des progrès de l'esprit humain dans les siecles passés.

Les auteurs ne s'apperçoivent pas quelquefois eux-mêmes de l'impression des choses qui se passent autour d'eux ; mais cette impression n'en est pas moins réelle. Les Musiciens, les Peintres, les Architectes, les Philosophes, &c. ne peuvent avoir des contestations, sans que l'homme de lettres n'en soit instruit : & réciproquement, il ne s'agitera dans la littérature aucune question, qu'il n'en paroisse des vestiges dans ceux qui écriront ou de la Musique, ou de la Peinture, ou de l'Architecture, ou de la Philosophie. Ce sont comme les reflets d'une lumiere générale qui tombe sur les Artistes & les Lettrés, & dont ils conservent une lueur. Je sai que l'abus qu'ils font quelquefois d'expressions dont la force leur est inconnue, décele qu'ils n'étoient pas au courant de la philosophie de leur tems ; mais le bon esprit qui recueille ces expressions, qui saisit ici une métaphore, là un terme nouveau, ailleurs un mot relatif à un phénomene, à une observation, à une expérience, à un système, entrevoit l'état des opinions dominantes, le mouvement général que les esprits commençoient à en recevoir, & la teinte qu'elles portoient dans la langue commune. Et c'est là, pour le dire en passant, ce qui rend les anciens auteurs si difficiles à juger en matiere de goût. La persuasion générale d'un sentiment, d'un système, un usage reçu, l'institution d'une loi, l'habitude d'un exercice, &c. leur fournissoient des manieres de dire, de penser, de rendre, des comparaisons, des expressions, des figures dont toute la beauté n'a pû durer qu'autant que la chose même qui leur servoit de base. La chose a passé, & l'éclat du discours avec elle. D'où il s'ensuit qu'un écrivain qui veut assûrer à ses ouvrages un charme éternel, ne pourra emprunter avec trop de réserve sa maniere de dire des idées du jour, des opinions courantes, des systèmes régnans, des arts en vogue ; tous ces modeles sont en vicissitude, il s'attachera de préférence aux êtres permanens, aux phénomenes des eaux, de la terre & de l'air, au spectacle de l'Univers, & aux passions de l'homme, qui sont toûjours les mêmes ; & telle sera la vérité, la force, & l'immutabilité de son coloris, que ses ouvrages feront l'étonnement des siecles, malgré le desordre des matieres, l'absurdité des notions, & tous les défauts qu'on pourroit leur reprocher. Ses idées particulieres, ses comparaisons, ses métaphores, ses expressions, ses images ramenant sans-cesse à la nature qu'on ne se lasse point d'admirer, seront autant de vérités partielles par lesquelles il se soûtiendra. On ne le lira pas pour apprendre à penser ; mais jour & nuit on l'aura dans les mains pour en apprendre à bien dire. Tel sera son sort, tandis que tant d'ouvrages qui ne seront appuyés que sur un froid bon sens & sur une pesante raison, seront peut-être fort estimés, mais peu lûs, & tomberont enfin dans l'oubli, lorsqu'un homme doüé d'un beau génie & d'une grande éloquence les aura dépouillés, & qu'il aura reproduit aux yeux des hommes des vérités, auparavant d'une austérité seche & rebutante, sous un vêtement plus noble, plus élégant, plus riche, & plus séduisant.

Ces révolutions rapides qui se font dans les choses d'institution humaine, & qui auront tant d'influence sur la maniere dont la postérité jugera des productions qui lui seront transmises, sont un puissant motif pour s'attacher dans un ouvrage, tel que le nôtre, où il est souvent à-propos de citer des exemples, à des morceaux dont la bonté soit fondée sur des modeles permanens : sans cette précaution les modeles passeront ; la vérité de l'imitation ne sera plus sentie, & les exemples cités cesseront de paroître beaux.

L'art de transmettre les idées par la peinture des objets, a dû naturellement se présenter le premier : celui de les transmettre en fixant les voix par des caracteres, est trop délié ; il dut effrayer l'homme de génie qui l'imagina. Ce ne fut qu'après de longs essais qu'il entrevit que les voix sensiblement différentes n'étoient pas en aussi grand nombre qu'elles paroissoient, & qu'il osa se promettre de les rendre toutes avec un petit nombre de signes. Cependant le premier moyen n'étoit pas sans quelque avantage, ainsi que le second n'est pas resté sans quelque défaut. La peinture n'atteint point aux opérations de l'esprit ; l'on ne distingueroit point entre des objets sensibles distribués sur une toile, comme ils seroient énoncés dans un discours, les liaisons qui forment le jugement & le syllogisme ; ce qui constitue un de ces êtres sujet d'une proposition ; ce qui constitue une qualité de ces êtres, attribut ; ce qui enchaîne la proposition à une autre pour en faire un raisonnement, & ce raisonnement à un autre pour en composer un discours ; en un mot il y a une infinité de choses de cette nature que la peinture ne peut figurer ; mais elle montre du moins toutes celles qu'elle figure : & si au contraire le discours écrit les désigne toutes, il n'en montre aucune. Les peintures des êtres sont toûjours très-incomplete s ; mais elles n'ont rien d'équivoque, parce que ce sont les portraits mêmes d'objets que nous avons sous les yeux. Les caracteres de l'écriture s'étendent à tout, mais ils sont d'institution ; ils ne signifient rien par eux-mêmes. La clé des tableaux est dans la nature, & s'offre à tout le monde : celle des caracteres alphabétiques & de leur combinaison est un pacte dont il faut que le mystere soit revélé ; & il ne peut jamais l'être complete ment, parce qu'il y a dans les expressions des nuances délicates qui restent nécessairement indéterminées. D'un autre côté, la peinture étant permanente, elle n'est que d'un état instantanée. Se propose-t-elle d'exprimer le mouvement le plus simple, elle devient obscure. Que dans un trophée on voye une Renommée les aîles déployées, tenant sa trompette d'une main, & de l'autre une couronne élevée au-dessus de la tête d'un héros, on ne sait si elle la donne ou si elle l'enleve : c'est à l'Histoire à lever l'équivoque. Quelle que soit au contraire la variété d'une action, il y a toûjours une certaine collection de termes qui la représente ; ce qu'on ne peut dire de quelque suite ou grouppe de figures que ce soit. Multipliez tant qu'il vous plaira ces figures, il y aura de l'interruption : l'action est continue, & les figures n'en donneront que des instans séparés, laissant à la sagacité du spectateur à en remplir les vuides. Il y a la même incommensurabilité entre tous les mouvemens physiques & toutes les représentations réelles, qu'entre certaines lignes & des suites de nombres. On a beau augmenter les termes entre un terme donné & un autre ; ces termes restant toûjours isolés, ne se touchant point, laissant entre chacun d'eux un intervalle, ils ne peuvent jamais correspondre à certaines quantités continues. Comment mesurer toute quantité continue par une quantité discrette ? Pareillement, comment représenter une action durable par des images d'instans séparés ? Mais ces termes qui demeurent dans une langue nécessairement inexpliqués, les radicaux, ne correspondent-ils pas assez exactement à ces instans intermédiaires que la peinture ne peut représenter ? & n'est-ce pas à-peu-près le même défaut de part & d'autre ? Nous voilà donc arrêtés dans nôtre projet de transmettre les connoissances, par l'impossibilité de rendre toute la langue intelligible. Comment recueillir les racines grammaticales ? quand on les aura recueillies, comment les expliquer ? Est-ce la peine d'écrire pour les siecles à venir, si nous ne sommes pas en état de nous en faire entendre ? Résolvons ces difficultés.

Voici premierement ce que je pense sur la maniere de discerner les radicaux. Peut-être y a-t-il quelque méthode, quelque système philosophique, à l'aide duquel on en trouveroit un grand nombre : mais ce système me semble difficile à inventer ; & quel qu'il soit, l'application m'en paroît sujette à erreur, par l'habitude bien fondée que j'ai de suspecter toute loi générale en matiere de langue. J'aimerois mieux suivre un moyen technique, d'autant plus que ce moyen technique est une suite nécessaire de la formation d'un Dictionnaire Encyclopédique.

Il faut d'abord que ceux qui coopéreront à cet ouvrage, s'imposent la loi de tout définir, tout, sans aucune exception. Cela fait, il ne restera plus à l'éditeur que le soin de séparer les termes où un même mot sera pris pour genre dans une définition, & pour différence dans une autre : il est évident que c'est la nécessité de ce double emploi qui constitue le cercle vicieux, & qu'elle est la limite des définitions. Quand on aura rassemblé tous ces mots, on trouvera, en les examinant, que des deux termes qui sont définis l'un par l'autre, c'est tantôt le plus général, tantôt le moins général qui est genre ou différence ; & il est évident que c'est le plus général qu'il faudra regarder comme une des racines grammaticales. D'où il s'ensuit que le nombre des racines grammaticales sera précisément la moitié de ces termes recueillis ; parce que de deux définitions de mots, il faut en admettre une comme bonne & légitime, pour démontrer que l'autre est un cercle vicieux.

Passons maintenant à la maniere de fixer la notion de ces radicaux, il n'y a, ce me semble, qu'un seul moyen, encore n'est-il pas aussi parfait qu'on le desireroit ; non qu'il laisse de l'équivoque dans les cas où il est applicable, mais en ce qu'il peut y avoir des cas auxquels il n'est pas possible de l'appliquer, avec quelqu'adresse qu'on le manie. Ce moyen est de rapporter la langue vivante à une langue morte : il n'y a qu'une langue morte qui puisse être une mesure exacte, invariable & commune pour tous les hommes qui sont & qui seront, entre les langues qu'ils parlent & qu'ils parleront. Comme cet idiome n'existe que dans les auteurs, il ne change plus ; & l'effet de ce caractere, c'est que l'application en est toûjours la même, & toûjours également connue.

Si l'on me demandoit de la langue greque ou latine quelle est celle qu'il faudroit préférer, je répondrois ni l'une ni l'autre : mon sentiment seroit de les employer toutes deux ; le grec par-tout où le latin ne donneroit rien, ou ne donneroit pas un équivalent, ou en donneroit un moins rigoureux : je voudrois que le grec ne fût jamais qu'un supplément à la disette du latin, & cela seulement, parce que la connoissance du latin est la plus répandue : car j'avoue que s'il falloit se déterminer par la richesse & par l'abondance, il n'y auroit pas à balancer. La langue greque est infiniment plus étendue & plus expressive que la latine, elle a une multitude de termes qui ont une empreinte évidente de l'onomatopée : une infinité de notions qui ont des signes en cette langue, n'en ont point en latin, parce qu'il ne paroît pas que les Latins se fussent élevés à aucun genre de spéculation. Les Grecs s'étoient enfoncés dans toutes les profondeurs de la Métaphysique des Sciences, des Beaux-Arts, de la Logique & de la Grammaire. On dit avec leur idiome tout ce qu'on veut ; ils ont tous les termes abstraits, relatifs aux opérations de l'entendement : consultez là-dessus Aristote, Platon, Sextus Empiricus, Apollonius, & tous ceux qui ont écrit de la Grammaire & de la Rhétorique. On est souvent embarrassé en latin par le défaut d'expression : il falloit encore des siecles aux Romains pour posséder la langue des abstractions, du moins à en juger par le progrès qu'ils y ont fait pendant qu'ils ont été sous la discipline des Grecs ; car d'ailleurs un seul homme de génie peut mettre en fermentation tout un peuple, abréger les siecles de l'ignorance, & porter les connoissances à un point de perfection & avec une rapidité qui surprendroient également. Mais cette observation ne détruit point la vérité que j'avance : car si l'on compte les hommes de génie, & qu'on les répande sur toute la durée des siecles écoulés, il est évident qu'ils seront en petit nombre dans chaque nation & pour chaque siecle, & qu'on n'en trouvera presqu'aucun qui n'ait perfectionné la langue. Les hommes créateurs portent ce caractere particulier. Comme ce n'est pas seulement en feuilletant les productions de leurs contemporains qu'ils rencontrent les idées qu'ils ont à employer dans leurs écrits, mais que c'est tantôt en descendant profondement en eux-mêmes, tantôt en s'élançant au dehors, & portant des regards plus attentifs & plus pénétrans sur les natures qui les environnent, ils sont obligés, sur-tout à l'origine des langues, d'inventer des signes pour rendre avec exactitude & avec force ce qu'ils y découvrent les premiers. C'est la chaleur de l'imagination & la méditation profonde qui enrichissent une langue d'expressions nouvelles ; c'est la justesse de l'esprit & la sévérité de la Dialectique qui en perfectionnent la Syntaxe ; c'est la commodité des organes de la parole qui l'adoucit ; c'est la sensibilité de l'oreille qui la rend harmonieuse.

Si l'on se détermine à faire usage des deux langues, on écrira d'abord le radical françois, & à côté le radical grec ou latin, avec la citation de l'auteur ancien d'où il a été tiré, & où il est employé, selon l'acception la plus approchée pour le sens, l'énergie, & les autres idées accessoires qu'il faut déterminer.

Je dis le radical ancien, quoiqu'il ne soit pas impossible qu'un terme premier, radical & indéfinissable dans une langue, n'ait aucun de ces caracteres dans une autre : alors il me paroît démontré que l'esprit humain a fait plus de progrès chez un des peuples que chez l'autre. On ne sait pas encore, ce me semble, combien la langue est une image rigoureuse & fidele de l'exercice de la raison. Quelle prodigieuse supériorité une nation acquiert sur une autre, sur-tout dans les sciences abstraites & les Beaux-Arts, par cette seule différence ! & à quelle distance les Anglois sont encore de nous par la considération seule que notre langue est faite, & qu'ils ne songent pas encore à former la leur ! C'est de la perfection de l'idiome que dépendent & l'exactitude dans les sciences rigoureuses, & le goût dans les Beaux-Arts, & par conséquent l'immortalité des ouvrages en ce genre.

J'ai exigé la citation de l'endroit où le synonyme grec & latin étoit employé, parce qu'un mot a souvent plusieurs acceptions ; que le besoin, & non la Philosophie, ayant présidé à la formation des langues, elles ont & auront toutes ce vice commun ; mais qu'un mot n'a qu'un sens dans un passage cité, & que ce sens est certainement le même pour tous les peuples à qui l'auteur est connu. , &c. arma virumque cano, &c. n'ont qu'une traduction à Paris & à Pekin : aussi rien n'est-il plus mal imaginé à un françois qui sait le latin, que d'apprendre l'anglois dans un dictionnaire anglois-françois, au lieu d'avoir recours à un Dictionnaire anglois-latin. Quand le dictionnaire anglois-françois auroit été ou fait ou corrigé sur la mesure invariable & commune, ou même sur un grand usage habituel des deux langues, on n'en sauroit rien ; on seroit obligé à chaque mot de s'en rapporter à la bonne foi & aux lumieres de son guide ou de son interprete : au lieu qu'en faisant usage d'un dictionnaire grec ou latin, on est éclairé, satisfait, rassûré par l'application ; on compose soi-même son vocabulaire par la seule voie, s'il en est une, qui puisse suppléer au commerce immédiat avec la nation étrangere dont on étudie l'idiome. Au reste, je parle d'après ma propre expérience : je me suis bien trouvé de cette méthode ; je la regarde comme un moyen sûr d'acquérir en peu de tems des notions très-approchées de la propriété & de l'énergie. En un mot, il en est d'un dictionnaire anglois-françois & d'un dictionnaire anglois-latin, comme de deux hommes, dont l'un vous entretenant des dimensions ou de la pesanteur d'un corps, vous assûreroit que ce corps a tant de poids ou de hauteur, & dont l'autre, au lieu de vous rien assurer, prendroit une mesure ou des balances, & le peseroit ou le mesureroit sous vos yeux.

Mais quel sera la ressource du nomenclateur dans les cas où la mesure commune l'abandonnera ? Je répons qu'un radical étant par sa nature le signe ou d'une sensation simple & particuliere, ou d'une idée abstraite & générale, les cas où l'on demeurera sans mesure commune ne peuvent être que rares. Mais dans ces cas rares, il faut absolument s'en rapporter à la sagacité de l'esprit humain : il faut espérer qu'à force de voir une expression non définie, employée selon la même acception dans un grand nombre de définitions où ce signe sera le seul inconnu ; on ne tardera pas à en apprécier la valeur. Il y a dans les idées, & par conséquent dans les signes (car l'un est à l'autre comme l'objet est à la glace qui le répete) une liaison si étroite, une telle correspondance ; il part de chacun d'eux une lumiere qu'ils se réfléchissent si vivement, que quand on possede la Syntaxe, & que l'interprétation fidele de tous les autres signes est donnée, ou qu'on a l'intelligence de toutes les idées qui composent une période, à l'exception d'une seule, il est impossible qu'on ne parvienne pas à déterminer l'idée exceptée ou le signe inconnu.

Les signes connus sont autant de conditions données pour la solution du problème : & pour peu que le discours soit étendu & contienne de termes, on ne conçoit pas que le problème reste au nombre de ceux qui ont plusieurs solutions. Qu'on en juge par le très-petit nombre d'endroits que nous n'entendons point dans les auteurs anciens : que l'on examine ces endroits, & l'on sera convaincu que l'obscurité naît ou de l'écrivain même qui n'avoit pas des idées nettes, ou de la corruption des manuscrits, ou de l'ignorance des usages, des lois, des moeurs, ou de quelqu'autre semblable cause ; jamais de l'indétermination du signe, lorsque ce signe aura été employé selon la même acception en plusieurs endroits différens, comme il arrivera nécessairement à une expression radicale.

Le point le plus important dans l'étude d'une langue, est sans-doute la connoissance de l'acception des termes. Cependant il y a encore l'ortographe ou la prononciation sans laquelle il est impossible de sentir tout le mérite de la Prose harmonieuse & de la Poésie, & que par conséquent il ne faut pas entierement négliger, & la partie de l'ortographe qu'on appelle la ponctuation. Il est arrivé par les altérations qui se succedent rapidement dans la maniere de prononcer, & les corrections qui s'introduisent lentement dans la maniere d'écrire, que la prononciation & l'écriture ne marchent point ensemble, & que quoiqu'il y ait chez les peuples les plus policés de l'Europe, des sociétés d'hommes de lettres chargés de les modérer, de les accorder, & de les rapprocher de la même ligne, elles se trouvent enfin à une distance inconcevable ; ensorte que de deux choses dont l'une n'a été imaginée, dans son origine, que pour réprésenter fidelement l'autre, celle-ci ne differe guere moins de celle-là, que le portrait de la même personne peinte dans deux âges très-éloignés. Enfin l'inconvénient s'est accrû à un tel excès qu'on n'ose plus y remédier. On prononce une langue, on en écrit une autre ; & l'on s'accoûtume tellement pendant le reste de la vie à cette bisarrerie qui a fait verser tant de larmes dans l'enfance, que si l'on renonçoit à sa mauvaise ortographe pour une plus voisine de la prononciation, on ne reconnoîtroit plus la langue parlée sous cette nouvelle combinaison de caracteres.

Mais on ne doit point être arrêté par ces considérations si puissantes sur la multitude & pour le moment. Il faut absolument se faire un alphabet raisonné, où un même signe ne représente point des sons différens, ni des signes différens un même son, ni plusieurs signes une voyelle ou un son simple. Il faut ensuite déterminer la valeur de ces signes par la description la plus rigoureuse des différens mouvemens des organes de la parole dans la production des sons attachés à chaque signe ; distinguer avec la derniere exactitude les mouvemens successifs & les mouvemens simultanés ; en un mot ne pas craindre de tomber dans des détails minutieux. C'est une peine que des auteurs célebres qui ont écrit des langues anciennes, n'ont pas dédaigné de prendre pour leur idiome ; pourquoi n'en ferions-nous pas autant pour le nôtre qui a ses auteurs originaux en tout genre, qui s'étend de jour en jour, & qui est presque devenu la langue universelle de l'Europe ? Lorsque Moliere plaisantoit les grammairiens, il abandonnoit le caractere de philosophe, & il ne savoit pas, comme l'auroit dit Montagne, qu'il donnoit des soufflets aux auteurs qu'il respectoit le plus, sur la joue du Bourgeois-Gentilhomme.

Nous n'avons qu'un moyen de fixer les choses fugitives & de pure convention : c'est de les rapporter à des êtres constans : & il n'y a de base constante ici que les organes qui ne changent point, & qui, semblables à des instrumens de musique, rendront à-peu-près en tout tems les mêmes sons, si nous savons disposer artistement de leur tension ou de leur longueur, & diriger convenablement l'air dans leur capacité ; la trachée artere & la bouche composent une espece de flûte, dont il faut donner la tablature la plus scrupuleuse. J'ai dit à-peu-près, parce qu'entre les organes de la parole il n'y en a pas un qui n'ait mille fois plus de latitude & de variété qu'il n'en faut pour répandre des différences surprenantes & sensibles dans la production d'un son. A parler avec la derniere exactitude, il n'y a peut-être pas dans toute la France, deux hommes qui ayent absolument une même prononciation. Nous avons chacun la nôtre ; elles sont cependant toutes assez semblables, pour que nous n'y remarquions souvent aucune diversité choquante ; d'où il s'ensuit que si nous ne parvenons pas à transmettre à la postérité notre prononciation, nous lui en ferons passer une approchée, que l'habitude de parler corrigera sans-cesse ; car la premiere fois que l'on produit artificiellement un mot étranger, selon une prononciation dont les mouvemens ont été prescrits, l'homme le plus intelligent, qui a l'oreille la plus délicate, & dont les organes de la parole sont les plus souples, est dans le cas de l'éleve de M. Pereire. Forçant tous les mouvemens & séparant chaque son par des repos, il ressemble à un automate organisé : mais combien la vîtesse & la hardiesse qu'il acquérera peu-à-peu n'affoibliront-t-elles pas ce défaut ? bien-tôt on le croira né dans le pays, quoiqu'au commencement il fût, par rapport à une langue étrangere, dans un état pire que l'enfant par rapport à sa langue maternelle, il n'y avoit que sa nourrice qui l'entendît. L'enchaînement des sons d'une langue n'est pas aussi arbitraire qu'on se l'imagine ; j'en dis autant de leurs combinaisons. S'il y en a qui ne pourroient se succéder sans une grande fatigue pour l'organe, ou ils ne se rencontrent point, ou ils ne durent pas. Ils sont chassés de la langue par l'euphonie, cette loi puissante qui agit continuellement & universellement sans égard pour l'étymologie & ses défenseurs, & qui tend sans intermission à amener des êtres qui ont les mêmes organes, le même idiome, les mêmes mouvemens prescrits, à-peu-près à la même prononciation. Les causes dont l'action n'est point interrompue, deviennent toûjours les plus fortes avec le tems, quelque foible qu'elles soient en elles-mêmes.

Je ne dissimulerai point que ce principe ne souffre plusieurs difficultés, entre lesquelles il y en a une très-importante que je vais exposer. Selon vous, me dira-t-on, l'euphonie tend sans-cesse à approcher les hommes d'une même prononciation, sur-tout lorsque les mouvemens de l'organe ont été déterminés. Cependant les Allemands, les Anglois, les Italiens, les François, prononcent tous diversement les vers d'Homere & de Virgile ; les Grecs écrivent , & il y a des Anglois qui lisent mi, nine, a, i, dé, zi, è ; des François qui lisent mè, nine, a, ei, ye, dé thé, a (ei, comme dans la premiere de neige, & ye, comme dans la derniere de paye ; cet y est un yeu consonne qui manque dans notre alphabet, quoiqu'il soit dans notre prononciation). (voyez les notes de M. Duclos sur la gramm. génér. raisonn.)

Mais ce qu'il y a de singulier, c'est qu'ils sont tous également admirateurs de l'harmonie de ce début : c'est le même enthousiasme, quoiqu'il n'y ait presque pas un son commun. Entre les François la prononciation du grec varie tellement, qu'il n'est pas rare de trouver deux savans qui entendent très-bien cette langue, & qui ne s'entendent pas entr'eux ; ils ne s'accordent que sur la quantité. Mais la quantité n'étant que la loi du mouvement de la prononciation, la hâtant ou la suspendant seulement, elle ne fait rien ni pour la douceur ni pour l'aspérité des sons. On pourra toûjours demander comment il arrive que des lettres, des syllabes, des mots ou solitaires ou combinés soient également agréables à plusieurs personnes qui les prononcent diversement. Est-ce une suite du préjugé favorable à tout ce qui nous vient de loin, le prestige ordinaire de la distance des tems & des lieux, l'effet d'une longue tradition ? Comment est-il arrivé que parmi tant de vers grecs & latins, il n'y ait pas une syllabe tellement contraire à la prononciation des Suédois, des Polonois, que la lecture leur en soit absolument impossible ? Dirons nous que les langues mortes ont été si travaillées, sont formées d'une combinaison de sons si simples, si faciles, si élémentaires, que ces sons forment dans toutes les langues vivantes où ils sont employés, la partie la plus agréable & la plus mélodieuse ? que ces langues vivantes en se perfectionnant toûjours ne font que rectifier sans-cesse leur harmonie & l'approcher de l'harmonie des langues mortes ? en un mot que l'harmonie de ces dernieres, factice & corrompue par la prononciation particuliere de chaque nation, est encore supérieure à l'harmonie propre & réelle de leurs langues.

Je répondrai premierement, que cette derniere considération aura d'autant plus de force, qu'on sera mieux instruit des soins extraordinaires que les Grecs avoient pris pour rendre leur langue harmonieuse : je n'entrerai point dans ce détail ; j'observerai seulement en général, qu'il n'y a presque pas une seule voyelle, une seule diphthongue, une seule consonne, dont la valeur soit tellement constante que l'euphonie n'en puisse disposer, soit en altérant le son, soit en le supprimant : secondement que, quoique les anciens ayent pris quelques précautions pour nous transmettre la valeur de leurs caracteres, il s'en faut beaucoup qu'ils ayent été là-dessus aussi exacts, aussi minucieux qu'ils auroient dû l'être : troisiemement, que le savant qui possédera bien ce qu'ils nous en ont laissé, pourra toutefois se flater de réduire à une prononciation fort approchée de la sienne, tout homme raisonnable & conséquent : quatriemement, qu'on peut démontrer sans réplique à l'Anglois, qu'en prononçant mi, nine, a, i, dé, zi, è, il fait six fautes de prononciation sur sept syllabes. Il rend la syllabe par mi ; mais un auteur ancien nous apprend que les brebis rendoient en bêlant le son de l'. Dira-t-on que les brebis greques bêloient autrement que les nôtres ; & disoient bi, bi, & non bè bè, Nous lisons d'ailleurs dans Denis d'Halicarnasse : infrà basim linguae allidit sonum consequentem, non suprà, ore moderatè aperto, mouvemens que n'exécute en aucune maniere celui qui rend par i. Il rend qui est une diphthongue, par un i, voyelle & son simple. Il rend le

par un z ou par une s grasseyée, tandis que ce n'est qu'un t ordinaire aspiré : il rend

par zi, c'est-à-dire qu'au lieu de déterminer vivement l'air vers le milieu de la langue pour former l'é fermé bref, allidit spiritum circà dentes, ore parum adaperto, nec labris sonitum illustrantibus, ou qu'il prononce le caractere i. Il rend par è, c'est-à-dire que allidit sonum infrà basim linguae, ore moderatè aperto ; tandis qu'il étoit prescrit pour la juste prononciation de ce caractere , spiritum extendere, ore aperto, & spiritu ad palatum vel suprà elato.

Celui au contraire qui prononce ces mots grecs , mè, nine, a, ei, ye, dé, thé, a, remplit toutes les lois enfreintes par la prononciation angloise. On peut s'en assûrer en comparant les caracteres grecs avec les sons que j'y attache, & les mouvemens que Denis d'Halicarnasse prescrit pour chacun de ces caracteres, dans son ouvrage admirable de collocatione verborum. Pour faire sentir l'utilité de ses définitions, je me contenterai de rapporter celles de l'r & de l's. L' se forme, dit-il, linguae extremo spiritum repercutiente, & ad palatum propè dentes sublato : & l', linguâ adductâ suprà ad palatum, spiritu per mediam longitudinem labente, & circà dentes cum tenui quoddam & angusto sibilo exeunte. Je demande s'il est possible de satisfaire à ces mouvemens, & de donner à l'r & à l's d'autres valeurs que celles que nous leur attachons. Il n'est pas moins précis sur les autres lettres.

Mais, insistera-t-on, si les peuples subsistans qui lisent le grec se conformoient aux regles de Denis d'Halicarnasse, ils prononceroient donc tous cette langue de la même maniere, & comme les anciens grecs la prononçoient.

Je répons à cette question par une supposition qu'on ne peut rejetter, quelqu'extraordinaire qu'elle soit dans ce pays-ci ; c'est qu'un Espagnol ou un Italien pressé du desir de posséder un portrait de sa maîtresse, qu'il ne pouvoit montrer à aucun peintre, prit le parti qui lui restoit d'en faire par écrit la description la plus étendue & la plus exacte ; il commença par déterminer la juste proportion de la tête entiere ; il passa ensuite aux dimensions du front, des yeux, du nez, de la bouche, du menton, du cou ; puis il revint sur chacune de ces parties, & il n'épargna rien pour que son discours gravât dans l'esprit du peintre la véritable image qu'il avoit sous les yeux ; il n'oublia ni les couleurs, ni les formes, ni rien de ce qui appartient au caractere : plus il compara son discours avec le visage de sa maîtresse, plus il le trouva ressemblant ; il crut sur-tout que plus il chargeroit sa description de petits détails, moins il laisseroit de liberté au peintre ; il n'oublia rien de ce qu'il pensa devoir captiver le pinceau. Lorsque sa description lui parut achevée, il en fit cent copies, qu'il envoya à cent peintres, leur enjoignant à chacun d'exécuter exactement sur la toile ce qu'ils liroient sur son papier. Les peintres travaillent, & au bout d'un certain tems notre amant reçoit cent portraits, qui tous ressemblent rigoureusement à sa description, & dont aucun ne ressemble à un autre, ni à sa maîtresse. L'application de cet apologue au cas dont il s'agit, n'est pas difficile ; on me dispensera de la faire en détail. Je dirai seulement que, quelque scrupuleux qu'un auteur puisse être dans la description des mouvemens de l'organe lorsqu'il produit différens sons, il y aura toûjours une latitude, legere en elle-même, infinie par rapport aux divisions réelles dont elle est susceptible, & aux variétés sensibles, mais inappréciables, qui résulteront de ces divisions. On n'en peut pas toutefois inférer, ni que ces descriptions soient entierement inutiles, parce qu'elles ne donneront jamais qu'une prononciation approchée, ni que l'euphonie, cette loi à laquelle une langue ancienne a dû toute son harmonie, n'ait une action constante dont l'effet ne tende du moins autant à nous en rapprocher qu'à nous en éloigner. Deux propositions que j'avois à établir.

Je ne dirai qu'un mot de la ponctuation. Il y a peu de différence entre l'art de bien lire & celui de bien ponctuer. Les repos de la voix dans le discours, & les signes de la ponctuation dans l'écriture, se correspondent toûjours, indiquent également la liaison ou la disjonction des idées, & suppléent à une infinité d'expressions. Il ne sera donc pas inutile d'en déterminer le nombre selon les regles de la Logique, & d'en fixer la valeur par des exemples.

Il ne reste plus qu'à déterminer l'accent & la quantité. Ce que nous avons d'accent, plus oratoire que syllabique, est inappréciable ; & l'on peut réduire notre quantité à des longues, à des breves, & à des moins breves ; en quoi elle paroît admettre moins de variété que celle des anciens qui distinguoient jusqu'à quatre sortes de breves, sinon dans la versification, au moins dans la prose, qui l'emporte évidemment sur la poésie, pour la variété de ses nombres. Ainsi ils disoient que dans , les premieres qui sont breves, n'en avoient pas moins une quantité sensiblement inégale. Mais c'est encore ici le cas où l'on peut s'en rapporter à l'organe exercé, du soin de réparer ces négligences.

Voici donc les conditions praticables & nécessaires, pour que la langue, sans laquelle les connoissances ne se transmettent point, se fixe autant qu'il est possible de la fixer par sa nature, & qu'il est important de la fixer pour l'objet principal d'un Dictionnaire universel & raisonné. Il faut un alphabet raisonné, accompagné de l'exposition rigoureuse des mouvemens de l'organe & de la modification de l'air dans la production des sons attachés à chaque caractere élémentaire, & à chaque combinaison syllabique de ces caracteres : écrire d'abord le mot selon l'alphabet usuel, l'écrire ensuite selon l'alphabet raisonné, chaque syllabe séparée & chargée de sa quantité ; ajoûter le mot grec ou latin qui rend le mot françois, quand il est radical seulement, avec la citation de l'endroit où ce mot grec ou latin est employé dans l'auteur ancien ; & s'il a différens sens, & que parmi ces sens il devienne quelquefois radical, le fixer autant de fois par le radical correspondant dans la langue morte ; en un mot le définir quand il n'est pas radical, car cela est toûjours possible, & le synonime grec ou latin devient alors superflu. On voit combien ce travail est long, difficile, épineux. Quel usage il faut avoir de deux ou trois langues, afin de comparer les idées simples représentées par des signes différens qui ayent entre eux un rapport d'identité, ou ce qui est plus délicat encore, les collections d'idées représentées par des signes qui doivent avoir le même rapport ; & dans les cas fréquens où l'on ne peut obtenir l'identité de rapport, combien de finesse & de goût pour distinguer entre les signes ceux dont les acceptions sont les plus voisines ; & entre les idées accessoires, celles qu'il faut conserver ou sacrifier. Mais il ne faut pas se laisser décourager. L'académie de la Crusca a levé une partie de ces difficultés dans son célebre vocabulaire. L'Académie Françoise rassemblant dans son sein l'universalité des connoissances, des poëtes, des orateurs, des mathématiciens, des physiciens, des naturalistes, des gens du monde, des philosophes, des militaires, & étant bien déterminée à n'écouter dans ses élections que le besoin qu'elle aura d'un talent plûtôt que d'un autre, pour la perfection de son travail, il seroit incroyable qu'elle ne suivît pas ce plan général, & que son ouvrage ne devînt pas d'une utilité essentielle à ceux qui s'occuperont à perfectionner la foible esquisse que nous publions.

Elle n'aura pas oublié sans-doute de désigner nos gallicismes, où les différens cas dans lesquels il arrive à notre langue de s'écarter des lois de la grammaire générale raisonnée ; car un idiotisme ou un écart de cette nature, c'est la même chose. D'où l'on voit encore qu'en tout il y a une mesure invariable & commune, au défaut de laquelle on ne connoît rien, on ne peut rien apprécier, ni rien définir ; que la grammaire générale raisonnée est ici cette mesure ; & que sans cette grammaire, un dictionnaire de langue manque de fondement, puisqu'il n'y a rien de fixe à quoi on puisse rapporter les cas embarrassans qui se présentent ; rien qui puisse indiquer en quoi consiste la difficulté ; rien qui désigne le parti qu'il faut prendre ; rien qui donne la raison de préférence entre plusieurs solutions opposées ; rien qui interprete l'usage, qui le combatte, ou le justifie, comme cela se peut souvent. Car ce seroit un préjugé que de croire que la langue étant la base du commerce parmi les hommes, des défauts importans puissent y subsister long-tems, sans être apperçûs & corrigés par ceux qui ont l'esprit juste & le coeur droit. Il est donc vraisemblable que les exceptions à la loi générale qui resteront, seront plûtôt des abréviations, des énergies, des euphonies, & autres agrémens légers, que des vices considérables. On parle sans-cesse ; on écrit sans-cesse ; on combine les idées & les signes en une infinité de manieres différentes ; on rapporte toutes ces combinaisons au joug de la syntaxe universelle ; on les y assujettit tôt ou tard, pour peu qu'il y ait d'inconvenient à les en affranchir ; & lorsque cet asservissement n'a pas lieu, c'est qu'on y trouve un avantage qu'il est quelquefois difficile, mais qu'il seroit toûjours impossible de développer sans la grammaire raisonnée, l'analogie & l'étymologie que j'appellerai les aîles de l'Art de parler, comme on a dit de la Chronologie & de la Géographie, que ce sont les yeux de l'Histoire.

Nous ne finirons pas nos observations sur la langue, sans avoir parlé des synonymes. On les multiplieroit à l'infini, si on ne commençoit par chercher quelque loi qui en fixât le nombre. Il y a dans toutes les langues des expressions qui ne different que par des nuances très-délicates. Ces nuances n'échappent ni à l'orateur ni au poëte qui connoissent leur langue ; mais ils les négligent à tout moment, l'un contraint par la difficulté de son art, l'autre entraîné par l'harmonie du sien. C'est de cette considération qu'on peut déduire la loi générale dont on a besoin. Il ne faudra traiter comme synonymes que les termes que la Poésie prend pour tels ; afin de remédier à la confusion qui s'introduiroit dans la langue par l'indulgence que l'on a pour la rigueur des lois de la versification. Il ne faudra traiter comme synonymes que les termes que l'art oratoire substitue indistinctement les uns aux autres ; afin de remédier à la confusion qui s'introduiroit dans la langue, par le charme de l'harmonie oratoire, qui tantôt préfere & tantôt sacrifie le mot propre, abandonnant le jugement du bon sens & de la raison, pour se soûmettre à celui de l'oreille ; abandon qui paroît d'abord l'extravagance la plus manifeste & la plus contraire à l'exactitude & à la vérité ; mais qui devient, quand on y réfléchit, le fondement de la finesse, du bon goût, de la mélodie du style, de son unité, & des autres qualités de l'élocution, qui seules assûrent l'immortalité aux productions littéraires. Le sacrifice du mot propre ne se faisant jamais que dans les occasions où l'esprit n'en est pas trop écarté par l'expression mélodieuse, alors l'entendement le supplée ; le discours se rectifie ; la période demeure harmonieuse ; je vois la chose comme elle est ; je vois de plus le caractere de l'auteur, le prix qu'il a attaché lui-même aux objets dont il m'entretient, la passion qui l'anime ; le spectacle se complique, se multiplie, & en même proportion, l'enchantement s'accroît dans mon esprit ; l'oreille est contente, & la vérité n'est point offensée. Lorsque ces avantages ne pourront se réunir, l'écrivain le plus harmonieux, s'il a de la justesse & du goût, ne se résoudra jamais à abandonner le mot propre pour son synonyme. Il en fortifiera ou affoiblira la mélodie à l'aide d'un correctif ; il variera les tems, ou il donnera le change à l'oreille par quelqu'autre finesse. Indépendamment de l'harmonie, il faut encore laisser le mot propre pour un autre, toutes les fois que le premier reveille des idées petites, basses, obscenes, ou rappelle des sensations desagréables. Mais dans les autres circonstances, ne seroit-il pas plus à-propos, dira-t-on, de laisser au lecteur le soin de suppléer le mot harmonieux que celui de suppléer le mot propre ? Non ; quand il seroit aussi facile à l'oreille, le mot propre étant donné, d'entendre le mot harmonieux, qu'à l'esprit, le mot harmonieux étant donné, de trouver le mot propre. Il faut, pour que l'effet de la musique soit produit, que la musique soit entendue : elle ne se suppose point ; elle n'est rien, si l'oreille n'en est pas réellement affectée.

On recueillera toutes les expressions que nos grands poëtes & nos meilleurs orateurs auront employées & pourront employer indistinctement. C'est sur-tout la postérité qu'il faut avoir en vûe. C'est encore une mesure invariable. Il est inutile de nuancer les mots qu'on ne sera point tenté de confondre, quand la langue sera morte. Au-delà de cette limite, l'art de faire des synonymes devient un travail aussi étendu que puérile. Je voudrois qu'on eût deux autres attentions dans la distinction des mots synonymes. L'une de ne pas marquer seulement les idées qui différencient, mais celles encore qui sont communes. M. l'abbé Girard ne s'est asservi qu'à la premiere partie de cette loi ; cependant celle qu'il a négligée n'est ni moins essentielle, ni moins difficile à remplir. L'autre, de choisir ses exemples de maniere qu'en expliquant la diversité des acceptions, on exposât en même tems les usages de la nation, ses coûtumes, son caractere, ses vices, ses vertus, ses principales transactions, &c. & que la mémoire de ses grands hommes, de ses malheurs, & de ses prospérités, y fût rappellée. Il n'en coûtera pas plus de rendre un synonyme utile, sensé, instructif & vertueux, que de le faire contraire à l'honnêteté ou vuide de sens.

Ajoûtons à ces observations, un moyen simple & raisonnable d'abreger la nomenclature & d'éviter les redites. L'Académie françoise l'avoit pratiqué dans la premiere édition de son dictionnaire, & je ne pense pas qu'elle y eût renoncé en faveur des lecteurs bornés, si elle eût considéré combien il étoit facile de les secourir. Ce moyen d'abréger la nomenclature, c'est de ne pas distribuer en plusieurs articles séparés, ce qui doit naturellement être renfermé sous un seul. Faut-il qu'un dictionnaire contienne autant de fois un mot, qu'il y a de différences dans les vûes de l'esprit ? l'ouvrage devient infini, & ce sera nécessairement un cahos de répétitions. Je ne ferois donc de précipitable, précipiter, précipitant, précipitation, précipité, précipice, & de toute autre expression semblable, qu'un article auquel je renverrois dans tous les endroits où l'ordre alphabétique m'offriroit des expressions liées par une même idée générale & commune. Quant aux différences, le substantif désigne ou la chose, ou la personne, ou l'action, ou la sensation, ou la qualité, ou le tems, ou le lieu ; le participe, l'action, considérée ou comme possible, ou comme présente, ou comme passée ; l'infinitif, l'action relativement à un agent, à un lieu, & à un tems quelconque indéterminé. Multiplier les définitions selon toutes ces faces, ce n'est pas définir les termes ; c'est revenir sur les mêmes notions à chaque face nouvelle qu'un terme présente. N'est-il pas évident que ce qui convient à une expression considérée une fois sous ces points de vûe différens, convient à toutes celles qui admettront dans la langue la même variété ? Je remarquerai que pour la perfection d'un idiome, il seroit à souhaiter que les termes y eussent toute la variété dont ils sont susceptibles. Je dis dont ils sont susceptibles, parce qu'il y a des verbes, tels que les neutres, qui excluent certaines nuances, ainsi aller ne peut avoir l'adjectif allable. Mais combien d'autres dont il n'en est pas ainsi, & dont le produit est limité sans raison, malgré le besoin journalier, & les embarras d'une disette qui se fait particulierement sentir aux écrivains exacts & laconiques ? Nous disons accusateur, accuser, accusation, accusant, accusé, & nous ne disons pas accusable, quoiqu'inexcusable soit d'usage. Combien d'adjectifs qui ne se meuvent point vers le substantif, & des substantifs qui ne se meuvent point vers l'adjectif ? Voilà une source féconde où il reste encore à notre langue bien des richesses à puiser. Il seroit bon de remarquer à chaque expression les muances qui lui manquent, afin qu'on osât les suppléer de notre tems, ou de crainte que trompé dans la suite par l'analogie, on ne les regardât comme des manieres de dire, en usage dans le bon siecle.

Voilà ce que j'avois à exposer sur la langue. Plus cet objet avoit été négligé dans notre ouvrage, plus il étoit important relativement au but d'une Encyclopédie ; plus il convenoit d'en traiter ici avec étendue ; ne fût-ce, comme nous l'avons dit, que pour indiquer les moyens de réparer la faute que nous avons commise. Je n'ai point parlé de la Syntaxe, ni des autres parties du rudiment françois ; celui qui s'en est chargé, n'a rien laissé à desirer là-dessus ; & notre Dictionnaire est complet de ce côté.

Mais après avoir traité de la langue, ou du moyen de transmettre les connoissances, cherchons le meilleur enchaînement qu'on puisse leur donner.

Il y a d'abord un ordre général, celui qui distingue ce Dictionnaire de tout autre ouvrage ou les matieres sont pareillement soûmises à l'ordre alphabétique ; l'ordre qui l'a fait appeller Encyclopédie. Nous ne dirons qu'une chose de cet enchaînement considéré par rapport à toute la matiere encyclopédique, c'est qu'il n'est pas possible à l'architecte du génie le plus fécond d'introduire autant de variété dans la construction d'un grand édifice, dans la décoration de ses façades, dans la combinaison de ses ordres, en un mot, dans toutes les parties de sa distribution, que l'ordre encyclopédique en admet. Il peut être formé soit en rapportant nos différentes connoissances aux diverses facultés de notre ame, (c'est ce système que nous avons suivi), soit en les rapportant aux êtres qu'elles ont pour objet ; & cet objet est ou de pure curiosité, ou de luxe, ou de nécessité. On peut diviser la science génerale, ou en science des choses & en science des signes, ou en science des concrets, ou en science des abstraits. Les deux causes les plus générales, l'Art & la Nature, donnent aussi une belle & grande distribution. On en rencontrera d'autres dans la distinction ou du physique & du moral ; de l'existant & du possible ; du matériel & du spirituel ; du réel & de l'intelligible. Tout ce que nous savons ne découle-t-il pas de l'usage de nos sens & de celui de notre raison ? N'est-il pas ou naturel ou révélé ? Ne sont-ce pas ou des mots, ou des choses, ou des faits ? Il est donc impossible de bannir l'arbitraire de cette grande distribution premiere. L'univers ne nous offre que des êtres particuliers, infinis en nombre, & sans presqu'aucune division fixe & déterminée ; il n'y en a aucun qu'on puisse appeller ou le premier ou le dernier ; tout s'y enchaîne & s'y succede par des nuances insensibles ; & à-travers cette uniforme immensité d'objets, s'il en paroît quelques-uns qui, comme des pointes de rochers, semblent percer la surface & la dominer, ils ne doivent cette prérogative qu'à des systèmes particuliers, qu'à des conventions vagues, qu'à certains évenemens étrangers, & non à l'arrangement physique des êtres & à l'intention de la nature. Voyez le Prospectus.

En général la description d'une machine peut-être entamée par quelque partie que ce soit. Plus la machine sera grande & compliquée, plus il y aura de liaisons entre ses parties, moins on connoîtra ces liaisons ; plus on aura de différens plans de description. Que sera-ce donc si la machine est infinie en tout sens ; s'il est question de l'univers réel & de l'univers intelligible, ou d'un ouvrage qui soit comme l'empreinte de tous les deux ? L'univers soit réel soit intelligible a une infinité de points de vûe sous lesquels il peut être représenté, & le nombre des systèmes possibles de la connoissance humaine est aussi grand que celui de ces points de vûe. Le seul, d'où l'arbitraire seroit exclu, c'est comme nous l'avons dit dans notre Prospectus, le système qui existoit de toute éternité dans la volonté de Dieu. Et celui où l'on descendroit de ce premier être éternel, à tous les êtres qui dans le tems émanerent de son sein, ressembleroit à l'hypothese astronomique dans laquelle le philosophe se transporte en idée au centre du soleil, pour y calculer les phénomenes des corps célestes qui l'environnent ; Ordonnance qui a de la simplicité & de la grandeur, mais à laquelle on pourroit reprocher un défaut important dans un ouvrage composé par des philosophes, & adressé à tous les hommes & à tous les tems ; le défaut d'être lié trop étroitement à notre Théologie, science sublime, utile sans-doute par les connoissances que le Chrétien en reçoit, mais plus utile encore par les sacrifices qu'elle en exige, & les récompenses qu'elle lui promet.

Quant à ce système général d'où l'arbitraire seroit exclu, & que nous n'aurons jamais ; peut-être ne nous seroit-il pas fort avantageux de l'avoir ; car quelle différence y auroit-il entre la lecture d'un ouvrage où tous les ressorts de l'univers seroient développés, & l'étude même de l'univers ? presqu'aucune : nous ne serions toûjours capables d'entendre qu'une certaine portion de ce grand livre ; & pour peu que l'impatience & la curiosité qui nous dominent, & interrompent si communément le cours de nos observations, jettassent de desordre dans nos lectures, nos connoissances deviendroient aussi isolées qu'elles le sont ; perdant la chaîne des inductions, & cessant d'appercevoir les liaisons antérieures & subséquentes, nous aurions bien-tôt les mêmes vuides & les mêmes incertitudes. Nous nous occupons maintenant à remplir ces vuides, en contemplant la nature ; nous nous occuperions à les remplir, en méditant un volume immense qui n'étant pas plus parfait à nos yeux que l'univers, ne seroit pas moins exposé à la témérité de nos doutes & de nos objections.

Puisque la perfection absolue d'un plan universel ne remédieroit point à la foiblesse de notre entendement, attachons-nous à ce qui convient à notre condition d'homme, & contentons-nous de remonter à quelque notion très-générale. Plus le point de vûe d'où nous considérerons les objets sera élevé, plus il nous découvrira d'étendue, & plus l'ordre que nous suivrons sera instructif & grand. Il faut par conséquent qu'il soit simple, parce qu'il y a rarement de la grandeur sans simplicité ; qu'il soit clair & facile ; que ce ne soit point un labyrinthe tortueux où l'on s'égare, & où l'on n'apperçoive rien au-delà du point où l'on est ; mais une grande & vaste avenue qui s'étende au loin, & sur la longueur de laquelle on en rencontre d'autres également bien distribuées, qui conduisent aux objets solitaires & écartés par le chemin le plus facile & le plus court.

Une considération sur-tout qu'il ne faut point perdre de vûe, c'est que si l'on bannit l'homme ou l'être pensant & contemplateur de dessus la surface de la terre ; ce spectacle pathétique & sublime de la nature n'est plus qu'une scene triste & muette. L'univers se taît ; le silence & la nuit s'en emparent. Tout se change en une vaste solitude où les phénomenes inobservés se passent d'une maniere obscure & sourde. C'est la présence de l'homme qui rend l'existance des êtres intéressante ; & que peut-on se proposer de mieux dans l'histoire de ces êtres, que de se soûmettre à cette considération ? Pourquoi n'introduirons-nous pas l'homme dans notre ouvrage, comme il est placé dans l'univers ? Pourquoi n'en ferons-nous pas un centre commun ? Est-il dans l'espace infini quelque point d'où nous puissions, avec plus d'avantage, faire partir les lignes immenses que nous nous proposons d'étendre à tous les autres points ? Quelle vive & douce réaction n'en résultera-t-il pas des êtres vers l'homme, de l'homme vers les êtres ?

Voilà ce qui nous a déterminé à chercher dans les facultés principales de l'homme, la division générale à laquelle nous avons subordonné notre travail. Qu'on suive telle autre voie qu'on aimera mieux, pourvû qu'on ne substitue pas à l'homme un être muet, insensible & froid. L'homme est le terme unique d'où il faut partir, & auquel il faut tout ramener, si l'on veut plaire, intéresser, toucher jusque dans les considérations les plus arides & les détails les plus secs. Abstraction faite de mon existance & du bonheur de mes semblables, que m'importe le reste de la nature ?

Un second ordre non moins essentiel que le précédent, est celui qui déterminera l'étendue relative des différentes parties de l'ouvrage. J'avoue qu'il se présente ici une de ces difficultés qu'il est impossible de surmonter, quand on commence, & qu'il est difficile de surmonter à quelqu'édition qu'on parvienne. Comment établir une juste proportion entre les différentes parties d'un si grand tout ? Quand ce tout seroit l'ouvrage d'un seul homme, la tâche ne seroit pas facile ; qu'est-ce donc que cette tâche, lorsque le tout est l'ouvrage d'une société nombreuse ? En comparant un Dictionnaire universel & raisonné de la connoissance humaine à une statue colossale, on n'en est pas plus avancé, puisqu'on ne sait ni comment déterminer la hauteur absolue du colosse, ni par quelles sciences, ni par quels arts, ses membres différens doivent être représentés. Quelle est la matiere qui servira de module ? sera-ce la plus noble, la plus utile, la plus importante, ou la plus étendue ? préférera-t-on la Morale aux Mathématiques, les Mathématiques à la Théologie, la Théologie à la Jurisprudence, la Jurisprudence à l'Histoire naturelle, &c. Si l'on s'en tient à certaines expressions génériques que personne n'entend de la même maniere, quoique tout le monde s'en serve sans contradiction, parce que jamais on ne s'explique ; & si l'on demande à chacun ou des élémens, ou un traité complet & général, on ne tardera pas à s'appercevoir combien cette mesure nominale est vague & indéterminée. Et celui qui aura crû prendre avec ses différens collegues des précautions telles que les matériaux qui lui seront remis quadreront à peu près avec son plan, est un homme qui n'a nulle idée de son objet, ni des collegues qu'il s'associe. Chacun a sa maniere de sentir & de voir. Je me souviens qu'un artiste à qui je croyois avoir exposé assez exactement ce qu'il avoit à faire pour son art, m'apporta d'après mon discours, à ce qu'il prétendoit, sur la maniere de tapisser en papier, qui demandoit à peu près un feuillet d'écriture & une demie planche de dessein, dix à douze planches énormément chargées de figures, & trois cahiers épais, in-folio, d'un caractere fort menu, à fournir un à deux volumes in-douze. Un autre au contraire à qui j'avois prescrit exactement les mêmes regles qu'au premier, m'apporta sur une des manufactures les plus étendues par la diversité des ouvrages qu'on y fabrique, des matieres qu'on y employe, des machines dont on se sert, & des manoeuvres qu'on y pratique, un petit catalogue de mots sans définition, sans explication, sans figure, m'assûrant bien fermement que son art ne contenoit rien de plus : il supposoit que le reste ou n'étoit point ignoré, ou ne pouvoit s'écrire. Nous avions espéré d'un de nos amateurs les plus vantés, l'article Composition en Peinture, (M. Watelet ne nous avoit point encore offert ses secours). Nous reçumes de l'amateur, deux lignes de définition, sans exactitude, sans style, & sans idées, avec l'humiliant aveu, qu'il n'en savoit pas davantage ; & je fus obligé de faire l'article Composition en Peinture, moi qui ne suis ni amateur ni peintre. Ces phénomenes ne m'étonnerent point. Je vis avec aussi peu de surprise la même diversité entre les travaux des savans & des gens de lettres. La preuve en subsiste en cent endroits de cet Ouvrage. Ici nous sommes boursoufflés & d'un volume exorbitant ; là maigres, petits, mesquins, secs & décharnés. Dans un endroit, nous ressemblons à des squeletes ; dans un autre, nous avons un air hydropique ; nous sommes alternativement nains & géants, colosses & pigmées ; droits, bien faits & proportionnés ; bossus, boiteux & contrefaits. Ajoûtez à toutes ces bisarreries celle d'un discours tantôt abstrait, obscur ou recherché, plus souvent négligé, traînant & lâche ; & vous comparerez l'ouvrage entier au monstre de l'art poétique, ou même à quelque chose de plus hideux. Mais ces défauts sont inséparables d'une premiere tentative, & il m'est évidemment démontré qu'il n'appartient qu'au tems & aux siecles à venir de les réparer. Si nos neveux s'occupent de l'Encyclopédie sans interruption, ils pourront conduire l'ordonnance de ses matériaux à quelque degré de perfection. Mais, au défaut d'une mesure commune & constante, il n'y a point de milieu ; il faut d'abord admettre sans exception tout ce qu'une science comprend, abandonner chaque matiere à elle-même, & ne lui prescrire d'autres limites que celles de son objet. Chaque chose étant alors dans l'Encyclopédie ce qu'elle est en soi, elle y aura sa vraie proportion, sur-tout lorsque le tems aura pressé les connoissances, & réduit chaque sujet à sa juste étendue. S'il arrivoit après un grand nombre d'éditions successivement perfectionnées, que quelque matiere importante restât dans le même état, comme il pourroit aisément arriver parmi nous à la Minéralogie & à la Métallurgie, ce ne sera plus la faute de l'Ouvrage, mais celle du genre humain en général, ou de la nation en particulier, dont les vûes ne se seront pas encore tournées sur ces objets.

J'ai fait souvent une observation, c'est que l'émulation qui s'allume nécessairement entre des collegues, produit des dissertations au lieu d'articles. Tout l'art des renvois ne peut alors remédier à la diffusion ; & au lieu de lire un article d'Encyclopédie, on se trouve embarqué dans un mémoire académique. Ce défaut diminuera à mesure que les éditions se multiplieront ; les connoissances se rapprocheront nécessairement ; le ton emphatique & oratoire s'affoiblira ; quelques découvertes devenues plus communes & moins intéressantes occuperont moins d'espace ; il n'y aura plus que les matieres nouvelles, les découvertes du jour qui seront enflées. C'est une sorte de condescendance qu'on aura dans tous les tems, pour l'objet, pour l'auteur, pour le public, &c. Le moment passé, cet article subira la circoncision comme les autres. Mais en général les inventions & les idées nouvelles introduisant une disproportion nécessaire ; & la premiere édition étant celle de toutes qui contient le plus de choses, sinon récemment inventées, du-moins aussi peu connues que si elles avoient ce caractere, il est évident & par cette raison & par celles qui précedent, que c'est l'édition où il doit régner le plus de désordre ; mais qui en revanche montrera à-travers ses irrégularités un air original qui passera difficilement dans les éditions suivantes.

Pourquoi l'ordre encyclopédique est-il si parfait & si régulier dans l'auteur anglois ; c'est que se bornant à compiler nos dictionnaires & à analyser un petit nombre d'ouvrages, n'inventant rien, s'en tenant rigoureusement aux choses connues, tout lui étant également intéressant ou indifférent, n'ayant ni d'acception pour aucune matiere, ni de moment favorable ou défavorable pour travailler, excepté celui de la migraine ou du spleen ; c'étoit un laboureur qui traçoit son sillon, superficiel, mais égal & droit. Il n'en est pas ainsi de notre ouvrage. On se pique. On veut avoir des morceaux d'appareil. C'est même peut-être en ce moment ma vanité. L'exemple de l'un en entraîne un autre. Les éditeurs se plaignent, mais inutilement. On se prévaut de leurs propres fautes contre eux-mêmes, & tout se porte à l'excès. Les articles de Chambers sont assez régulierement distribués ; mais ils sont vuides. Les nôtres sont pleins, mais irréguliers. Si Chambers eût rempli les siens, je ne doute point que son ordonnance n'en eût souffert.

Un troisieme ordre est celui qui expose la distribution particuliere à chaque partie. Ce sera le premier morceau qu'on exigera d'un collegue. Cet ordre ne me paroît pas entierement arbitraire ; il n'en est pas d'une science ainsi que de l'univers. L'univers est l'ouvrage infini d'un Dieu. Une science est un ouvrage fini de l'entendement humain. Il y a des premiers principes, des notions générales, des axiomes donnés. Voilà les racines de l'arbre. Il faut que cet arbre se ramifie le plus qu'il sera possible ; qu'il parte de l'objet général comme d'un tronc ; qu'il s'éleve d'abord aux grandes branches ou premieres divisions ; qu'il passe de ces maîtresses branches à de moindres rameaux ; & ainsi de suite, jusqu'à-ce qu'il se soit étendu jusqu'aux termes particuliers qui seront comme les feuilles & la chevelure de l'arbre. Et pourquoi ce détail seroit-il impossible ? chaque mot n'a-t-il pas sa place, ou, s'il est permis de s'exprimer ainsi, son pédicule & son insertion ? Tous ces arbres particuliers seront soigneusement recueillis ; & pour présenter les mêmes idées sous une image plus exacte, l'ordre encyclopédique général sera comme une mappemonde où l'on ne rencontrera que les grandes régions ; les ordres particuliers, comme des cartes particulieres de royaumes, de provinces, de contrées ; le dictionnaire, comme l'histoire géographique & détaillée de tous les lieux, la topographie générale & raisonnée de ce que nous connoissons dans le monde intelligible & dans le monde visible ; & les renvois serviront d'itinéraires dans ces deux mondes, dont le visible peut être regardé comme l'Ancien, & l'intelligible comme le Nouveau.

Il y a un quatrieme ordre moins général qu'aucun des précédens, c'est celui qui distribue convenablement plusieurs articles différens compris sous une même dénomination. Il paroît ici nécessaire de s'assujettir à la génération des idées, à l'analogie des matieres, à leur enchaînement naturel, de passer du simple au figuré, &c. Il y a des termes solitaires qui sont propres à une seule science, & qui ne doivent donner aucune sollicitude. Quant à ceux dont l'acception varie & qui appartiennent à plusieurs sciences & à plusieurs arts, il faut en former un petit systême dont l'objet principal soit d'adoucir & de pallier autant qu'on pourra la bisarrerie des disparates. Il faut en composer le tout le moins irrégulier & le moins décousu, & se laisser conduire tantôt par les rapports, quand il y en a de marqués, tantôt par l'importance des matieres ; & au défaut des rapports, par des tours originaux qui se présenteront d'autant plus fréquemment aux éditeurs, qu'ils auront plus de génie, d'imagination & de connoissances. Il y a des matieres qui ne se séparent point ; telles que l'Histoire sacrée & l'Histoire profane ; la Théologie & la Mythologie ; l'Histoire naturelle, la Physique, la Chimie & quelques arts, &c. La science étymologique, la connoissance historique des êtres & des noms, fourniront aussi un grand nombre de vûes différentes qu'on pourra toujours suivre sans crainte d'être embarrassé, obscur, ou ridicule.

Au milieu de ces différens articles de même dénomination à distribuer, l'éditeur se comportera comme s'il en étoit l'auteur ; il suivra l'ordre qu'il eût suivi s'il eût eu à considérer le mot sous toutes ses acceptions. Il n'y a point ici de loi générale à prescrire ; on en connoîtroit une, que le moindre inconvénient qu'il y auroit à la suivre, ce seroit l'ennui de l'uniformité. L'ordre encyclopédique général jetteroit de tems en tems dans des arrangemens bisarres. L'ordre alphabétique donneroit à tout moment des contrastes burlesques ; un article de Théologie se trouveroit relégué tout au-travers des arts méchaniques. Ce qu'on observera communément & sans inconvénient, c'est de débuter par l'acception simple & grammaticale ; de tracer sous l'acception grammaticale un petit tableau en raccourci de l'article en entier ; d'y présenter en exemples autant de phrases différentes, qu'il y a d'acceptions différentes ; d'ordonner ces phrases entr'elles, comme les différentes acceptions du mot doivent être ordonnées dans le reste de l'article ; à chaque phrase ou exemple, de renvoyer à l'acception particuliere dont il s'agit. Alors on verra presque toûjours la Logique succéder à la Grammaire, la Métaphysique à la Logique, la Théologie à la Métaphysique, la Morale à la Théologie, la Jurisprudence à la Morale, &c. malgré la diversité des acceptions, chaque article traité de cette maniere formera un ensemble ; & malgré cette unité commune à tous les articles, il n'y aura ni trop d'uniformité, ni monotonie. J'insiste sur la liberté & la variété de cette distribution, parce qu'elle est en même tems commode, utile & raisonnable. Il en est de la formation d'une Encyclopédie ainsi que de la fondation d'une grande ville. Il n'en faudroit pas construire toutes les maisons sur un même modele, quand on auroit trouvé un modele général, beau en lui-même & convenable à tout emplacement. L'uniformité des édifices, entraînant l'uniformité des voies publiques, répandroit sur la ville entiere un aspect triste & fatiguant. Ceux qui marchent ne résistent point à l'ennui d'un long mur, ou même d'une longue forêt qui les a d'abord enchantés.

Un bon esprit (& il faut supposer au moins cette qualité dans un éditeur) saura mettre chaque chose à sa place, & il n'y pas à craindre qu'il ait dans les idées assez peu d'ordre, ou dans l'esprit assez peu de goût pour entremêler sans nécessité des acceptions disparates. Mais il y auroit aussi de l'injustice à l'accuser d'une bisarrerie qui ne seroit que la suite nécessaire de la diversité des matieres, des imperfections de la langue, & de l'abus des métaphores, qui transporte un même mot de la boutique d'un artisan sur les bancs de la Sorbonne, & qui rassemble les choses les plus hétérogenes sous une commune dénomination.

Mais quel que soit l'objet dont on traite, il faut exposer le genre auquel il appartient ; sa différence spécifique, ou la qualité qui le distingue, s'il y en a une ; ou plutôt l'assemblage de celles qui le constituent, (car il résulte de cet assemblage une différence nécessaire, sans quoi deux ou plusieurs êtres physiques étant absolument les mêmes au jugement de tous nos sens, nous ne les distinguerions pas) ; ses causes, quand on les connoît ; ce qu'on sait de ses effets ; ses qualités actives & passives ; son objet ; sa fin ; ses usages ; les singularités qu'on y remarque ; sa génération ; son accroissement ; ses vicissitudes ; ses dimensions ; son dépérissement, &c. d'où il s'ensuit qu'un même objet considéré sous tant de faces doit souvent appartenir à plusieurs sciences, & qu'un mot pris sous une seule acception fournira plusieurs articles différens. S'il s'agit, par exemple, de quelque substance minérale, c'est communément le grammairien ou le naturaliste qui s'en empare le premier ; il la transmet au physicien ; celui-ci au chimiste ; le chimiste au pharmacien ; le pharmacien au medecin, au cuisinier, au peintre, au teinturier, &c.

D'où naît un cinquieme ordre qui sera d'autant plus facile à instituer, que les collegues se seront renfermés plus rigoureusement dans les bornes de leurs parties, & qu'ils auront bien saisi le point de vûe sous lequel ils avoient à considérer la chose individuelle dont il s'agit. Une énumération méthodique & raisonnée des qualités déterminera ce cinquieme & dernier ordre, qui sera aussi susceptible d'une grande variété. La suite des procédés par lesquels on fait passer une substance, selon l'usage auquel on la destine, suggérera la place que chaque notion doit occuper. Au reste, je pense qu'il faut laisser les collegues s'expliquer séparément. Le travail des éditeurs seroit infini, s'ils avoient à fondre tous leurs articles en un seul ; il convient d'ailleurs de reserver à chacun l'honneur de son travail, & au lecteur la commodité de ne consulter que l'endroit d'un article dont il a besoin.

J'exige seulement de la méthode, quelle qu'elle soit. Je ne voudrois pas qu'il y eût un seul article capital, sans division & sans sous-division. C'est l'ordre qui soulage la mémoire. Mais il est difficile qu'un auteur prenne cette attention pour le lecteur, qu'elle ne tourne à son propre avantage. Ce n'est qu'en méditant profondément sa matiere qu'on trouve une distribution générale. C'est presque toûjours la derniere idée importante qu'on rencontre. C'est une pensée unique qui se développe, qui s'étend & qui se ramifie, en se nourrissant de toutes les autres qui s'en rapprochent comme d'elles-mêmes. Celles qui se refusent à cette espece d'attraction, ou sont trop éloignées de sa sphere, ou elles ont quelqu'autre défaut plus considérable ; & dans l'un & l'autre cas, il est à propos de les rejetter. D'ailleurs un dictionnaire est fait pour être consulté ; & le point essentiel, c'est que le lecteur remporte nettement dans sa mémoire le résultat de sa lecture. Une marche à laquelle il faudroit s'assujettir quelquefois, parce qu'elle représente assez bien la méthode d'invention, c'est de partir des phénomenes individuels & particuliers, pour s'élever à des connoissances plus étendues & moins spécifiques ; de celles-ci à de plus générales encore, jusqu'à-ce qu'on arrivât à la science des axiomes, ou de ces propositions que leur simplicité, leur universalité, leur évidence, rendent indémontrables. Car en quelque matiere que ce soit, on n'a parcouru tout l'espace qu'on avoit à parcourir, que quand on est arrivé à un principe qu'on ne peut ni prouver, ni définir, ni éclaircir, ni obscurcir, ni nier, sans perdre une partie du jour dont on étoit éclairé, & faire un pas vers des ténebres qui finiroient par devenir très-profondes, si on ne mettoit aucune borne à l'argumentation.

Si je pense qu'il y a un point au-delà duquel il est dangereux de porter l'argumentation, je pense aussi qu'il ne faut s'arrêter, que quand on est bien sûr de l'avoir atteint. Toute science, tout art a sa métaphysique. Cette partie est toujours abstraite, élevée & difficile. Cependant ce doit être la principale d'un dictionnaire philosophique ; & l'on peut dire que tant qu'il y reste à défricher, il y a des phénomenes inexplicables, & réciproquement. Alors l'homme de lettres, le savant & l'artiste marchent dans les ténebres ; s'ils font quelques progrès, ils en sont redevables au hasard ; ils arrivent comme un voyageur égaré qui suit la bonne voie sans le savoir. Il est donc de la derniere importance de bien exposer la métaphysique des choses, ou leurs raisons premieres & générales ; le reste en deviendra plus lumineux & plus assûré dans l'esprit. Tous ces prétendus mysteres tant reprochés à quelques sciences, & tant allégués par d'autres pour pallier les leurs, discutés métaphysiquement, s'évanoüissent comme les phantômes de la nuit à l'approche du jour. L'art éclairé dès le premier pas s'avancera sûrement, rapidement, & toujours par la voie la plus courte. Il faut donc s'attacher à donner les raisons des choses, quand il y en a ; à assigner les causes, quand on les connoît ; à indiquer les effets, lorsqu'ils sont certains ; à résoudre les noeuds par une application directe des principes ; à démontrer les vérités ; à dévoiler les erreurs ; à décréditer adroitement les préjugés ; à apprendre aux hommes à douter & à attendre ; à dissiper l'ignorance ; à apprécier la valeur des connoissances humaines ; à distinguer le vrai du faux, le vrai du vraisemblable, le vraisemblable du merveilleux & de l'incroyable, les phénomenes communs des phénomenes extraordinaires, les faits certains des douteux, ceux-ci des faits absurdes & contraires à l'ordre de la nature ; à connoître le cours général des évenemens, & à prendre chaque chose pour ce qu'elle est, & par conséquent à inspirer le goût de la science, l'horreur du mensonge & du vice, & l'amour de la vertu ; car tout ce qui n'a pas le bonheur & la vertu pour fin derniere n'est rien.

Je ne peux souffrir qu'on s'appuie de l'autorité des auteurs dans les questions de raisonnement ; & qu'importe à la vérité que nous cherchons, le nom d'un homme qui n'est pas infaillible ? Point de Vers sur-tout ; ils ont l'air si foible & si mesquin au-travers d'une discussion philosophique. Il faut renvoyer ces ornemens légers aux articles de littérature ; c'est-là que je peux les approuver, pourvû qu'ils y soient placés par le goût, qu'ils y servent d'exemple, & qu'ils fassent sortir avec force le défaut qu'on reprend, ou qu'ils donnent de l'éclat à la beauté qu'on recommande.

Dans les traités scientifiques, c'est l'enchaînement des idées ou des phénomenes qui dirige la marche ; à mesure qu'on avance, la matiere se développe, soit en se généralisant, soit en se particularisant, selon la méthode qu'on a préferée. Il en sera de même par rapport à la forme générale d'un article particulier d'Encyclopédie, avec cette différence que le dictionnaire ou la co-ordination des articles aura des avantages qu'on ne pourra guere se procurer dans un traité scientifique, qu'aux dépens de quelque qualité ; & de ces avantages, elle en sera redevable aux renvois, partie de l'ordre encyclopédique la plus importante.

Je distingue deux sortes de renvois : les uns de choses, & les autres de mots. Les renvois de choses éclaircissent l'objet, indiquent ses liaisons prochaines avec ceux qui le touchent immédiatement, & ses liaisons éloignées avec d'autres qu'on en croiroit isolés ; rappellent les notions communes & les principes analogues ; fortifient les conséquences ; entrelacent la branche au tronc, & donnent au tout cette unité si favorable à l'établissement de la vérité & à la persuasion. Mais quand il le faudra, ils produiront aussi un effet tout contraire ; ils opposeront les notions ; ils feront contraster les principes ; ils attaqueront, ébranleront, renverseront secrettement quelques opinions ridicules qu'on n'oseroit insulter ouvertement. Si l'auteur est impartial, ils auront toujours la double fonction de confirmer & de réfuter ; de troubler & de concilier.

Il y auroit un grand art & un avantage infini dans ces derniers renvois. L'ouvrage entier en recevroit une force interne & une utilité secrette, dont les effets sourds seroient nécessairement sensibles avec le tems. Toutes les fois, par exemple, qu'un préjugé national mériteroit du respect, il faudroit à son article particulier l'exposer respectueusement, & avec tout son cortege de vraisemblance & de séduction ; mais renverser l'édifice de fange, dissiper un vain amas de poussiere, en renvoyant aux articles où des principes solides servent de base aux vérités opposées. Cette maniere de détromper les hommes opere très-promtement sur les bons esprits, & elle opere infailliblement & sans aucune fâcheuse conséquence, secrettement & sans éclat, sur tous les esprits. C'est l'art de déduire tacitement les conséquences les plus fortes. Si ces renvois de confirmation & de réfutation sont prévus de loin, & préparés avec adresse, ils donneront à une Encyclopédie le caractere que doit avoir un bon dictionnaire ; ce caractere est de changer la façon commune de penser. L'ouvrage qui produira ce grand effet général, aura des défauts d'exécution ; j'y consens. Mais le plan & le fond en seront excellens. L'ouvrage qui n'opérera rien de pareil, sera mauvais. Quelque bien qu'on en puisse dire d'ailleurs ; l'éloge passera, & l'ouvrage tombera dans l'oubli.

Les renvois de mots sont très-utiles. Chaque science, chaque art a sa langue. Où en seroit-on, si toutes les fois qu'on employe un terme d'art, il falloit en faveur de la clarté, en répéter la définition ? Combien de redites ? & peut-on douter que tant de digressions & de parenthèses, tant de longueurs ne rendissent obscur. Il est aussi commun d'être diffus & obscur, qu'obscur & serré ; & si l'un est quelquefois fatiguant, l'autre est toûjours ennuyeux. Il faut seulement, lorsqu'on fait usage de ces mots & qu'on ne les explique pas, avoir l'attention la plus scrupuleuse de renvoyer aux endroits où il en est question, & auxquels on ne seroit conduit que par l'analogie, espece de fil qui n'est pas entre les mains de tout le monde. Dans un Dictionnaire universel des Sciences & des Arts, on peut être contraint en plusieurs circonstances à supposer du jugement, de l'esprit, de la pénétration ; mais il n'y en a aucune où l'on ait dû supposer des connoissances. Qu'un homme peu intelligent se plaigne, s'il le veut, ou de l'ingratitude de la nature, ou de la difficulté de la matiere, mais non de l'auteur, s'il ne lui manque rien pour entendre, ni du côté des choses ni du côté des mots.

Il y a une troisieme sorte de renvois à laquelle il ne faut ni s'abandonner, ni se refuser entierement ; ce sont ceux qui en rapprochant dans les sciences certains rapports, dans des substances naturelles des qualités analogues, dans les arts des manoeuvres semblables, conduiroient, ou à de nouvelles vérités spéculatives, ou à la perfection des arts connus, ou à l'invention de nouveaux arts, ou à la restitution d'anciens arts perdus. Ces renvois sont l'ouvrage de l'homme de génie. Heureux celui qui est en état de les appercevoir. Il a cet esprit de combinaison, cet instinct que j'ai défini dans quelques-unes de mes pensées sur l'interprétation de la nature. Mais il vaut encore mieux risquer des conjectures chimériques, que d'en laisser perdre d'utiles. C'est ce qui m'enhardit à proposer celles qui suivent.

Ne pourroit-on pas soupçonner sur l'inclinaison & la déclinaison de l'aiguille aimantée, que son extrémité décrit d'un mouvement composé une petite ellipse semblable à celle que décrit l'extrêmité de l'axe de la terre ?

Sur les cas très-rares où la nature nous offre des phénomenes solitaires qui soient permanens, tels que l'anneau de Saturne ; ne pourroit-on pas faire rentrer celui-ci dans la loi générale & commune, en considérant cet anneau, non comme un corps continu, mais comme un certain nombre de satellites mus dans un même plan, avec une vîtesse capable de perpétuer sur nos yeux une sensation non-interrompue d'ombre ou de lumiere ? C'est à mon collegue M. d'Alembert à apprécier ces conjectures.

Ou pour en venir à des objets plus voisins de nous, & d'une utilité plus certaine ; pourquoi n'exécuteroit-on pas des figures de plantes, d'oiseaux, d'animaux & d'hommes, en un mot des tableaux, sur le métier des ouvriers en soie, où l'on exécute déjà des fleurs & des feuilles si parfaitement nuancées ?

Quelle impossibilité y auroit-t-il à remplir sur les mêmes métiers les fonds de ces tapisseries en laine qu'on fait à l'aiguille, & à ne laisser que les endroits du dessein à nuancer, vuides & prêts à être achevés à la main, soit en laine, soit en soie ? ce qui donneroit pour la célérité de l'exécution de ces sortes d'ouvrages au métier, celle qu'on a dans la machine à bas pour la façon des mailles. J'invite les Artistes à méditer là-dessus.

Ne pourroit-on pas étendre le petit art d'imprimer en caracteres percés, à l'impression ou à la copie de la Musique ? On auroit du papier réglé. Les portées de ce papier seroient aussi tracées sur les petites lames des caracteres. A l'aide de ces traits & des jours mêmes des caracteres, on les rangeroit facilement sur les portées. Les barres qui séparent les mesures, celles qui lient les notes, & tous les autres signes de la Musique seroient au nombre des caracteres. On donneroit aux lames des largeurs qui seroient entr'elles comme les valeurs des notes ; conséquemment les notes occuperoient sur une portée des espaces proportionnés à leurs valeurs, & les mesures se correspondroient rigoureusement les unes aux autres, sur différentes portées, sans la moindre attention de la part du musicien. Cela fait, on auroit un chassi qui contiendroit chaque portée, qu'on appliqueroit successivement sur autant de papiers différens qu'on voudroit, ce qui donneroit autant de copies d'un même morceau. La seule peine qu'il faudroit prendre, ce seroit de hausser & baisser avec un petit instrument les petites lames mobiles les unes entre les autres, dans les endroits où elles ne correspondroient pas aussi exactement qu'il le faut, soit aux lignes, soit aux entre-lignes. J'abandonne le jugement de cette idée à mon ami M. Rousseau.

Enfin une derniere sorte de renvoi qui peut être ou de mot, ou de chose, ce sont ceux que j'appellerois volontiers satyriques ou épigrammatiques ; tel est, par exemple, celui qui se trouve dans un de nos articles, où à la suite d'un éloge pompeux on lit, voyez CAPUCHON. Le mot burlesque capuchon, & ce qu'on trouve à l'article capuchon, pourroit faire soupçonner que l'éloge pompeux n'est qu'une ironie, & qu'il faut lire l'article avec précaution, & en peser exactement tous les termes.

Je ne voudrois pas supprimer entierement ces renvois, parce qu'ils ont quelquefois leur utilité. On peut les diriger secrettement contre certains ridicules, comme les renvois philosophiques contre certains préjugés. C'est quelquefois un moyen délicat & léger de repousser une injure, sans presque se mettre sur la défensive, & d'arracher le masque à de graves personnages, qui curios simulant & bacchanalia vivunt. Mais je n'en aime pas la fréquence ; celui-même que j'ai cité ne me plaît pas. De fréquentes allusions de cette nature couvriroient de ténebres un ouvrage. La postérité qui ignore de petites circonstances qui ne méritoient pas de lui être transmises, ne sent plus la finesse de l'à-propos, & regarde ces mots qui nous égayent, comme des puérilités. Au lieu de composer un dictionnaire sérieux & philosophique, on tombe dans la pasquinade. Tout bien considéré, j'aimerois mieux qu'on dît la vérité sans détour, & que, si par malheur ou par hasard on avoit à faire à des hommes perdus de réputation, sans connoissances, sans moeurs, & dont le nom fût presque devenu un terme deshonnête, on s'abstint de les nommer ou par pudeur, ou par charité, ou qu'on tombât sur eux sans ménagement, qu'on leur fît la honte la plus ignominieuse de leurs vices, qu'on les rappellât à leur état & à leurs devoirs par des traits sanglans, & qu'on les poursuivît avec l'amertume de Perse & le fiel de Juvénal ou de Buchanan.

Je sai qu'on dit des ouvrages où les auteurs se sont abandonnés à toute leur indignation : Cela est horrible ! On ne traite point les gens avec cette dureté-là ! Ce sont des injures grossieres qui ne peuvent se lire, & autres semblables discours qu'on a tenus dans tous les tems & de tous les ouvrages où le ridicule & la méchanceté ont été peints avec le plus de force, & que nous lisons aujourd'hui avec le plus de plaisir. Expliquons cette contradiction de nos jugemens. Au moment où ces redoutables productions furent publiées, tous les méchans allarmés craignirent pour eux : plus un homme étoit vicieux, plus il se plaignoit hautement. Il objectoit au satyrique, l'âge, le rang, la dignité de la personne, & une infinité de ces petites considérations passageres qui s'affoiblissent de jour en jour & qui disparoissent avant la fin du siecle. Croit-on qu'au tems où Juvénal abandonnoit Messaline aux portefaix de Rome, & où Perse prenoit un bas valet, & le transformoit en un grave personnage, en un magistrat respectable, les gens de robe d'un côté, & toutes les femmes galantes de l'autre ne se récrierent pas, ne dirent pas de ces traits qu'ils étoient d'une indécence horrible & punissable ? Si l'on n'en croit rien, on se trompe. Mais les circonstances momentanées s'oublient ; la postérité ne voit plus que la folie, le ridicule, le vice & la méchanceté, couverts d'ignominie, & elle s'en réjoüit comme d'un acte de justice. Celui qui blâme le vice légerement ne me paroît pas assez ami de la vertu. On est d'autant plus indigné de l'injustice, qu'on est plus éloigné de la commettre ; & c'est une foiblesse repréhensible que celle qui nous empêche de montrer pour la méchanceté, la bassesse, l'envie, la duplicité, cette haine vigoureuse & profonde que tout honnête homme doit ressentir.

Quelle que soit la nature des renvois, on ne pourra trop les multiplier. Il vaudroit mieux qu'il y en eût de superflus que d'omis. Un des effets les plus immédiats, & des avantages les plus importans de la multiplicité des renvois, ce sera premierement, de perfectionner la nomenclature. Un article essentiel a rapport à tant d'articles différens, qu'il seroit comme impossible, que quelqu'un des travailleurs n'y eût pas renvoyé. D'où il s'ensuit qu'il ne peut être oublié ; car tel mot qui n'est qu'accessoire dans une matiere, est le mot important dans une autre. Mais il en sera des choses ainsi que des mots. L'un fait mention d'un phénomene, & renvoye à l'article particulier de ce phénomene ; l'autre d'une qualité, & renvoye à l'article de la substance ; celui-ci d'un système, celui-là d'un procédé, & chacun fait son renvoi à l'endroit convenable, non sur ce qu'il contient, car il ne lui a point été communiqué, mais sur ce qu'il présume y devoir être contenu, pour éclaircir & complete r l'article qu'il travaille. Ainsi à tout moment la Grammaire renverra à la Dialectique, la Dialectique à la Métaphysique, la Métaphysique à la Théologie, la Théologie à la Jurisprudence, la Jurisprudence à l'Histoire, l'Histoire à la Géographie & à la Chronologie, la Chronologie à l'Astronomie, l'Astronomie à la Géométrie, la Géométrie à l'Algebre, l'Algebre à l'Arithmétique, &c. Une précaution de la derniere conséquence, c'est de n'avoir pas assez bonne opinion de son collegue pour croire qu'il n'aura rien omis. Il y a tant d'autres raisons que la mauvaise foi, soit pour passer un article, soit pour n'y pas traiter tout ce qui est de son objet, qu'on ne peut être trop scrupuleux à y renvoyer.

Ce sera secondement, d'éviter les répétitions. Toutes les Sciences empietent les unes sur les autres : ce sont des rameaux continus & partant d'un même tronc. Celui qui compose un ouvrage, n'entre pas dans son sujet d'une maniere abrupte, ne s'y renferme pas en rigueur, n'en sort pas brusquement : il est contraint d'anticiper sur un terrein voisin du sien d'un côté ; ses conséquences le portent souvent dans un autre terrein contigu du côté opposé ; & combien d'autres excursions nécessaires dans le corps de l'ouvrage ? Quelle est la fin des avant-propos, des introductions, des préfaces, des exordes, des épisodes, des digressions, des conclusions ? Si l'on séparoit scrupuleusement d'un livre, ce qui est hors du sujet qu'on y traite, on le réduiroit presque toûjours au quart de son volume. Que fait l'enchaînement encyclopédique ? cette circonscription severe. Il marque si exactement les limites d'une matiere, qu'il ne reste dans un article, que ce qui lui est essentiel. Une seule idée neuve engendre des volumes sous la plume d'un écrivain ; ces volumes se réduisent à quelques lignes sous la plume d'un encyclopédiste. On y est asservi, sans s'en appercevoir, à ce que la méthode des Géometres a de plus serré & de plus précis. On marche rapidement. Une page présente toûjours autre chose que celle qui la devance ou la suit. Le besoin d'une proposition, d'un fait, d'un aphorisme, d'un phénomene, d'un système, n'exige qu'une citation en Encyclopédie, non plus qu'en Géométrie. Le géometre renvoye d'un théorème ou d'un problème à un autre, & l'encyclopédiste d'un article à un autre. Et c'est ainsi que deux genres d'ouvrages, qui paroissent d'une nature très-différente, parviennent par un même moyen, à former un ensemble très-serré, très-lié, & très-continu. Ce que je dis est d'une telle exactitude, que la méthode selon laquelle les Mathématiques sont traitées dans notre Dictionnaire, est la même qu'on a suivie pour les autres matieres. Il n'y a sous ce point de vûe aucune différence entre un article d'Algebre, & un article de Théologie.

Par le moyen de l'ordre encyclopédique, de l'universalité des connoissances & de la fréquence des renvois, les rapports augmentent, les liaisons se portent en tout sens, la force de la démonstration s'accroît, la nomenclature se complete , les connoissances se rapprochent & se fortifient ; on apperçoit ou la continuité, ou les vuides de notre système, ses côtés foibles, ses endroits forts, & d'un coup-d'oeil quels sont les objets auxquels il importe de travailler pour sa propre gloire, & pour la plus grande utilité du genre humain. Si notre Dictionnaire est bon, combien il produira d'ouvrages meilleurs ?

Mais comment un éditeur vérifiera-t-il jamais ces renvois, s'il n'a pas tout son manuscrit sous les yeux ? Cette condition me paroît d'une telle importance que je prononcerai de celui qui fait imprimer la premiere feuille d'une Encyclopédie, sans avoir prélû vingt fois sa copie, qu'il ne sent pas l'étendue de sa fonction ; qu'il est indigne de diriger une si haute entreprise ; ou qu'enchaîné, comme nous l'avons été, par des évenemens qu'on ne peut prévoir, il s'est trouvé inopinément engagé dans ce labyrinthe, & contraint par honneur d'en sortir le moins mal qu'il pourroit.

Un éditeur ne donnera jamais au tout un certain degré de perfection, s'il n'en possede les parties que successivement. Il seroit plus difficile de juger ainsi de l'ensemble d'un dictionnaire universel, que de l'ordonnance générale d'un morceau d'architecture, dont on ne verroit les différens ordres que séparés, & les uns après les autres. Comment n'omettra-t-il pas des renvois ? Comment ne lui en échappera-t-il pas d'inutiles, de faux, de ridicules ? Un auteur renvoye en preuve, du moins c'est son dessein, & il se trouve qu'il a renvoyé en objection. L'article qu'un autre aura cité, ou n'existera point du tout, ou ne renfermera rien d'analogue à la matiere dont il s'agit. Un autre inconvénient, c'est qu'il ne manque quelque portion du manuscrit, que parce que l'auteur la compose à mesure que l'ouvrage s'imprime ; d'où il arrivera qu'abusant des renvois pour consulter son loisir, ou pour écouter sa paresse, la matiere sera mal distribuée, les premiers volumes en seront vuides, les derniers surchargés, & l'ordre naturel entierement perverti. Mais il y a pis à craindre, c'est que ce travailleur, à la fin accablé sous une multitude prodigieuse d'articles renvoyés d'une lettre à une autre, ne les estropie, ou même ne les fasse point du tout, & ne les remette à une autre édition. Il balancera d'autant moins à prendre ce dernier parti, qu'alors la fortune de l'ouvrage sera faite, ou ne se fera point. Mais dans quel étrange embarras ne tombera-t-on pas, s'il arrive que le collegue, qui ne marche dans son travail qu'avec l'impression, meure ou soit surpris d'une longue maladie ! L'expérience nous a malheureusement appris à redouter ces évenemens, quoique le public ne s'en soit point encore apperçu.

Si l'éditeur a tout son manuscrit sous ses mains, il prendra une partie, il la suivra dans toutes ses ramifications. Ou elle contiendra tout ce qui est de son objet, ou elle sera incomplete ; si elle est incomplete , il est bien difficile qu'il ne soit pas instruit des omissions, par les renvois qui se feront des autres parties à celle qu'il examine, comme les renvois de celle-ci à d'autres, lui indiqueront ce qui sera dans ces dernieres, ou ce qu'il y faudra suppléer. Si un mot étoit tellement isolé, qu'il n'en fût mention dans aucune partie, soit en discours, soit en renvoi, j'ose assûrer qu'il pourroit être omis presque sans conséquence. Mais pense-t-on qu'il y en ait beaucoup de cette nature, même parmi les choses individuelles & particulieres ? il faudroit que celle dont il s'agit, n'eût aucune place remarquable dans les Sciences, aucune espece utile, aucun usage dans les Arts. Le marronnier d'Inde, cet arbre si fécond en fruits inutiles, n'est pas même dans ce cas. Il n'y a rien d'existant dans la nature ou dans l'entendement, rien de pratiqué ou d'employé dans les atteliers, qui ne tienne par un grand nombre de fils au système général de la connoissance humaine. Si au contraire la chose omise étoit importante ; pour que l'omission n'en fût ni apperçue ni réparée, il faudroit supposer au moins une seconde omission, qui en entraîneroit au moins une troisieme, & ainsi de suite, jusqu'à un être solitaire, isolé, & placé sur les dernieres limites du système. Il y auroit un ordre entier d'êtres ou de notions supprimé, ce qui est métaphysiquement impossible. S'il reste sur la ligne un de ces êtres, ou une de ces notions, on sera conduit de-là, tant en descendant qu'en montant, à la restitution d'une autre, & ainsi de suite, jusqu'à-ce que tout l'intervalle vuide soit rempli, la chaîne complete , & l'ordre encyclopédique continu.

En détaillant ainsi comment une véritable Encyclopédie doit être faite, nous établissons des regles bien séveres, pour examiner & juger celle que nous publions. Quelqu'usage qu'on fasse de ces regles, ou pour ou contre nous, elles prouveront du moins que personne n'étoit plus en état que les auteurs de critiquer leur ouvrage. Reste à savoir si nos ennemis, après avoir donné jusqu'à présent d'assez fortes preuves d'ignorance, ne se résoudront pas à en donner de lâcheté, en nous attaquant avec des armes que nous n'aurons pas craint de leur mettre à la main.

La prélecture réitérée du manuscrit complet, obvieroit à trois sortes de supplémens, de choses, de mots, & de renvois. Combien de termes, tantôt définis, tantôt seulement énoncés dans le courant d'un article, & qui rentreroient dans l'ordre alphabétique ? Combien de connoissances annoncées dans un endroit où on ne les chercheroit pas inutilement ? Combien de principes qui restent isolés, & qu'on auroit rapprochés par un mot de réclame ? Les renvois sont dans un article, comme ces pierres d'attente qu'on voit inégalement séparées les unes des autres, & saillantes sur les extrémités verticales d'un long mur, ou sur la convexité d'une voûte, & dont les intervalles annoncent ailleurs de pareils intervalles & de pareilles pierres d'attente.

J'insiste d'autant plus fortement sur la nécessité de posséder toute la copie, que les omissions sont, à mon avis, les plus grands défauts d'un dictionnaire. Il vaut encore mieux qu'un article soit mal fait, que de n'être point fait. Rien ne chagrine tant un lecteur, que de ne pas trouver le mot qu'il cherche. En voici un exemple frappant, que je rapporte d'autant plus librement, que je dois en partager le reproche. Un honnête homme achete un ouvrage auquel j'ai travaillé : il étoit tourmenté par des crampes, & il n'eut rien de plus pressé que de lire l'article crampe : il trouve ce mot, mais avec un renvoi à convulsion ; il recourt à convulsion, d'où il est renvoyé à muscle, d'où il est renvoyé à spasme, où il ne trouve rien sur la crampe. Voilà, je l'avoue, une faute bien ridicule ; & je ne doute point que nous ne l'ayons commise vingt fois dans l'Encyclopédie. Mais nous sommes en droit d'exiger un peu d'indulgence. L'ouvrage auquel nous travaillons, n'est point de notre choix : nous n'avons point ordonné les premiers matériaux qu'on nous a remis, & on nous les a, pour ainsi dire, jettés dans une confusion bien capable de rebuter quiconque auroit eu ou moins d'honnêteté, ou moins de courage. Nos collegues nous sont témoins des peines que nous avons prises & que nous prenons encore : personne ne sait comme eux, ce qu'il nous en a coûté, & ce qu'il nous en coûte, pour répandre sur l'ouvrage toute la perfection d'une premiere tentative ; & nous nous sommes proposés, sinon d'obvier, du moins de satisfaire aux reproches que nous aurons encourus, en relisant notre Dictionnaire, quand nous l'aurons achevé, dans le dessein de complete r la nomenclature, la matiere, & les renvois.

Il n'y a rien de minutieux dans l'exécution d'un grand ouvrage : la négligence la plus legere a des suites importantes : le manuscrit m'en fournit un exemple : rempli de noms personnels, de termes d'arts, de caracteres, de chiffres, de lettres, de citations, de renvois, &c. l'édition fourmillera de fautes, s'il n'est pas de la derniere exactitude. Je voudrois donc qu'on invitât les Encyclopédistes, à écrire en lettres majuscules, les mots sur lesquels il seroit facile de se méprendre. On éviteroit par ce moyen, presque toutes les fautes d'impression ; les articles seroient corrects, les auteurs n'auroient point à se plaindre, & le lecteur ne seroit jamais perplexe. Quoique nous n'ayons pas eu l'avantage de posséder un manuscrit tel que nous l'aurions pû desirer, cependant il y a peu d'ouvrages imprimés avec plus d'exactitude & plus d'élégance que le nôtre. Les soins & l'habileté du Typographe l'ont emporté sur le desordre & les imperfections de la copie ; & nous n'offenserons aucun de nos collegues, en assûrant que dans le grand nombre de ceux qui ont eu quelque part à l'Encyclopédie, il n'y a personne qui ait mieux satisfait à ses engagemens, que l'Imprimeur. Sous cet aspect, qui a frappé & qui frappera dans tous les tems les gens de goût & les bibliomanes, les éditions subséquentes égaleront difficilement la premiere.

Nous croyons sentir tous les avantages d'une entreprise telle que celle dont nous nous occupons. Nous croyons n'avoir eu que trop d'occasions de connoître combien il étoit difficile de sortir avec quelque succès d'une premiere tentative, & combien les talens d'un seul homme, quel qu'il fût, étoient au-dessous de ce projet. Nous avions là-dessus, longtems avant que d'avoir commencé, une partie des lumieres & toute la défiance qu'une longue méditation pouvoit inspirer. L'expérience n'a point affoibli ces dispositions. Nous avons vû, à mesure que nous travaillions, la matiere s'étendre, la nomenclature s'obscurcir, des substances ramenées sous une multitude de noms différens, les instrumens, les machines & les manoeuvres se multiplier sans mesure, & les détours nombreux d'un labyrinthe inextricable se compliquer de plus en plus. Nous avons vû combien il en coûtoit pour s'assûrer que les mêmes choses étoient les mêmes, & combien, pour s'assûrer que d'autres qui paroissoient très-différentes, n'étoient pas différentes. Nous avons vû que cette forme alphabetique, qui nous ménageoit à chaque instant des repos, qui répandoit tant de variété dans le travail, & qui sous ces points de vûe, paroissoit si avantageuse à suivre dans un long ouvrage, avoit ses difficultés qu'il falloit surmonter à chaque instant. Nous avons vû qu'elle exposoit à donner aux articles capitaux, une étendue immense, si l'on y faisoit entrer tout ce qu'on pouvoit assez naturellement espérer d'y trouver ; ou à les rendre secs & appauvris, si, à l'aide des renvois, on les élaguoit, & si l'on en excluoit beaucoup d'objets qu'il n'étoit pas impossible d'en séparer. Nous avons vû combien il étoit important & difficile de garder un juste milieu. Nous avons vû combien il échappoit de choses inexactes & fausses ; combien on en omettoit de vraies. Nous avons vû qu'il n'y avoit qu'un travail de plusieurs siecles, qui pût introduire entre tant de matériaux rassemblés, la forme véritable qui leur convenoit ; donner à chaque partie son étendue ; réduire chaque article à une juste longueur ; supprimer ce qu'il y a de mauvais ; suppléer ce qui manque de bon, & finir un ouvrage qui remplît le dessein qu'on avoit formé quand on l'entreprit. Mais nous avons vû que de toutes les difficultés, une des plus considérables, c'étoit de le produire une fois, quelqu'informe qu'il fût, & qu'on ne nous raviroit pas l'honneur d'avoir surmonté cet obstacle. Nous avons vû que l'Encyclopédie ne pouvoit être que la tentative d'un siécle philosophe ; que ce siecle étoit arrivé ; que la renommée, en portant à l'immortalité les noms de ceux qui l'acheveroient, peut-être ne dédaigneroit pas de se charger des nôtres ; & nous nous sommes sentis ranimés par cette idée si consolante & si douce, qu'on s'entretiendroit aussi de nous, lorsque nous ne serions plus ; par ce murmure si voluptueux, qui nous faisoit entendre dans la bouche de quelques-uns de nos contemporains, ce que diroient de nous des hommes à l'instruction & au bonheur desquels nous nous immolions, que nous estimions & que nous aimions, quoiqu'ils ne fussent pas encore. Nous avons senti se développer en nous ce germe d'émulation, qui envie au trépas la meilleure partie de nous-mêmes, & ravit au néant les seuls momens de notre existance dont nous soyons réellement flatés. En effet, l'homme se montre à ses contemporains & se voit tel qu'il est, composé bizarre de qualités sublimes & de foiblesses honteuses. Mais les foiblesses suivent la dépouille mortelle dans le tombeau, & disparoissent avec elle ; la même terre les couvre : il ne reste que les qualités éternisées dans les monumens qu'il s'est élevés à lui-même, ou qu'il doit à la vénération & à la reconnoissance publiques ; honneurs dont la conscience de son propre mérite lui donne une joüissance anticipée ; joüissance aussi pure, aussi forte, aussi réelle qu'aucune autre joüissance, & dans laquelle il ne peut y avoir d'imaginaire, que les titres sur lesquels on fonde ses prétentions. Les nôtres sont déposés dans cet ouvrage ; la postérité les jugera.

J'ai dit qu'il n'appartenoit qu'à un siecle philosophe, de tenter une Encyclopédie ; & je l'ai dit, parce que cet ouvrage demande par-tout plus de hardiesse dans l'esprit, qu'on n'en a communément dans les siecles pusillanimes du goût. Il faut tout examiner, tout remuer sans exception & sans ménagement : oser voir, ainsi que nous commençons à nous en convaincre, qu'il en est presque des genres de littérature, ainsi que de la compilation générale des lois, & de la premiere formation des villes ; que c'est à un hasard singulier, à une circonstance bizarre, quelquefois à un essor du génie, qu'ils ont dû leur naissance ; que ceux qui sont venus après les premiers inventeurs, n'ont été, pour la plûpart, que leurs esclaves ; que des productions qu'on devoit regarder comme le premier degré, prises aveuglément pour le dernier terme, au lieu d'avancer un art à sa perfection, n'ont servi qu'à le retarder, en réduisant les autres hommes à la condition servile d'imitateurs ; qu'aussi-tôt qu'un nom fut donné à une composition d'un caractere particulier, il fallut modeler rigoureusement sur cette esquisse, toutes celles qui se firent ; que s'il parut de tems en tems un homme d'un génie hardi & original, qui, fatigué du joug reçu, osa le secoüer, s'éloigner de la route commune, & enfanter quelqu'ouvrage auquel le nom donné & les lois prescrites ne furent point exactement applicables, il tomba dans l'oubli, & y resta très-long-tems. Il faut fouler aux piés toutes ces vieilles puérilités ; renverser les barrieres que la raison n'aura point posées ; rendre aux Sciences & aux Arts une liberté qui leur est si précieuse, & dire aux admirateurs de l'antiquité, appellez le Marchand de Londres, comme il vous plaira, pourvû que vous conveniez que cette piece étincelle de beautés sublimes. Il falloit un tems raisonneur, où l'on ne cherchât plus les regles dans les auteurs, mais dans la nature, & où l'on sentît le faux & le vrai de tant de poétiques arbitraires : je prends le terme de poétique dans son acception la plus générale, pour un système de regles données, selon lesquelles, en quelque genre que ce soit, on prétend qu'il faut travailler pour réussir.

Mais ce siecle s'est fait attendre si long-tems, que j'ai pensé quelquefois qu'il seroit heureux pour un peuple, qu'il ne se rencontrât point chez lui un homme extraordinaire, sous lequel un art naissant fît ses premiers progrès trop grands & trop rapides, & qui en interrompît le mouvement insensible & naturel. Les ouvrages de cet homme seront nécessairement des composés monstrueux, parce que le génie & le bon goût sont deux qualités très-différentes. La nature donne l'un en un moment : l'autre est le produit des siecles. Ces monstres deviendront des modeles nationaux ; ils décideront le goût d'un peuple. Les bons esprits qui succéderont, trouveront en leur faveur une prévention qu'ils n'oseront heurter ; & la notion du Beau s'obscurcira, comme il arriveroit à celle du Bien de s'obscurcir chez des barbares qui auroient pris une vénération excessive pour quelque chef d'un caractere équivoque, qui se seroit rendu recommandable par des services importans & des vices heureux. Dans le moral, il n'y a que Dieu qui doive servir de modele à l'homme ; dans les Arts, que la nature. Si les Sciences & les Arts s'avancent par des degrés insensibles, un homme ne différera pas assez d'un autre pour lui en imposer, fonder un genre adopté, & donner un goût à la nation ; conséquemment la nature & la raison conserveront leurs droits. Elles les avoient perdus ; elles sont sur le point de les recouvrer ; & l'on va voir combien il nous importoit de connoître & de saisir ce moment.

Tandis que les siecles s'écoulent, la masse des ouvrages s'accroît sans cesse, & l'on prévoit un moment où il seroit presqu'aussi difficile de s'instruire dans une bibliotheque, que dans l'univers, & presqu'aussi court de chercher une vérité subsistante dans la nature, qu'égarée dans une multitude immense de volumes ; il faudroit alors se livrer, par nécessité, à un travail qu'on auroit négligé d'entreprendre, parce qu'on n'en auroit pas senti le besoin.

Si l'on se représente la face de la Littérature dans les tems où l'impression n'étoit pas encore, on verra un petit nombre d'hommes de génies occupés à composer, & un peuple innombrable de manouvriers occupés à transcrire. Si l'on anticipe sur les siecles à venir, & qu'on se représente la face de la Littérature, lorsque l'impression, qui ne se repose point, aura rempli de volumes d'immenses bâtimens ; on la trouvera partagée derechef en deux classes d'hommes. Les uns liront peu & s'abandonneront à des recherches qui seront nouvelles ou qu'ils prendront pour telles, (car si nous ignorons déjà une partie de ce qui est contenu dans tant de volumes publiés en toutes sortes de langues, nous saurons bien moins encore ce que renfermeront ces volumes augmentés d'un nombre d'autres cent fois, mille fois plus grand) ; les autres, manouvriers incapables de rien produire, s'occuperont à feuilleter jour & nuit ces volumes, & à en séparer ce qu'ils jugeront digne d'être recueilli & conservé. Cette prédiction ne commence-t-elle pas à s'accomplir ? & plusieurs de nos littérateurs ne sont-ils pas déjà employés à réduire tous nos grands livres à de petits, où l'on trouve encore beaucoup de superflu ? Supposons maintenant leurs analyses bien faites, & distribuées sous la forme alphabetique en un nombre de volumes ordonnés par des hommes intelligens, & l'on aura les matériaux d'une Encyclopédie.

Nous avons donc entrepris aujourd'hui pour le bien des Lettres, & par intérêt pour le genre humain, un Ouvrage auquel nos neveux auroient été forcés de se livrer, mais dans des circonstances beaucoup moins favorables ; lorsque la surabondance des livres leur en auroit rendu l'exécution très-pénible.

Qu'il me soit permis, avant que d'entrer plus avant dans l'examen de la matiere encyclopédique, de jetter un coup d'oeil sur ces auteurs qui occupent déjà tant de rayons dans nos bibliotheques, qui gagnent du terrein tous les jours, & qui dans un siecle ou deux rempliront seuls des édifices. C'est, ce me semble, une idée bien mortifiante pour ces volumineux écrivains, que de tant de papiers qu'ils ont couverts d'écriture, il n'y aura pas une ligne à extraire pour le dictionnaire universel de la connoissance humaine. S'ils ne se soûtiennent par l'excellence du coloris, qualité particuliere aux hommes de génie, je demande ce qu'ils deviendront.

Mais il est naturel que ces réflexions qui nous échappent sur le sort de tant d'autres, nous fassent rentrer en nous-mêmes, & considérer le sort qui nous attend. J'examine notre travail sans partialité ; je vois qu'il n'y a peut-être aucune sorte de faute que nous n'ayons commise, & je suis forcé d'avoüer que d'une Encyclopédie telle que la nôtre, il en entreroit à peine les deux tiers dans une véritable Encyclopédie. C'est beaucoup, sur-tout si l'on convient qu'en jettant les premiers fondemens d'un pareil ouvrage, l'on a été forcé de prendre pour base un mauvais auteur, quel qu'il fût, Chambers, Alstedius, ou un autre. Il n'y a presqu'aucun de nos collegues qu'on eût déterminé à travailler, si on lui eût proposé de composer à neuf toute sa partie ; tous auroient été effrayés, & l'Encyclopédie ne se seroit point faite. Mais en présentant à chacun un rouleau de papiers, qu'il ne s'agissoit que de revoir, corriger, augmenter ; le travail de création, qui est toûjours celui qu'on redoute, disparoissoit, & l'on se laissoit engager par la considération la plus chimérique. Car ces lambeaux décousus se sont trouvés si incomplets, si mal composés, si mal traduits, si pleins d'omissions, d'erreurs, & d'inexactitudes, si contraires aux idées de nos collegues, que la plûpart les ont rejettés. Que n'ont-ils eu tous le même courage ? Le seul avantage qu'en ayent retiré les premiers, c'est de connoître d'un coup d'oeil la nomenclature de leur partie, qu'ils auroient pû trouver du moins aussi complete dans des tables de différens ouvrages, ou dans quelque dictionnaire de langue.

Ce frivole avantage a coûté bien cher. Que de tems perdu à traduire de mauvaises choses ? que de dépenses pour se procurer un plagiat continuel ? combien de fautes & de reproches qu'on se seroit épargnés avec une simple nomenclature ? Mais eût-elle suffi pour déterminer nos collegues ? D'ailleurs cette partie même ne pouvoit guere se perfectionner que par l'exécution. A mesure qu'on exécute un morceau, la nomenclature se développe, les termes à définir se présentent en foule ; il vient une infinité d'idées à renvoyer sous différens chefs ; ce qu'on ne fait pas est du moins indiqué par un renvoi, comme étant du partage d'un autre : en un mot, ce que chacun fournit & se demande réciproquement, voilà la source d'où découlent les mots.

D'où l'on voit 1°. qu'on ne pouvoit, à une premiere édition, employer un trop grand nombre de collegues ; mais que si notre travail n'est pas tout-à-fait inutile, un petit nombre d'hommes bien choisis suffiroit à l'exécution d'une seconde. Il faudroit les préposer à différens travailleurs subalternes, auxquels ils feroient honneur des secours qu'ils en auroient reçus, mais dont ils seroient obligés d'adopter l'ouvrage, afin qu'ils ne pussent se dispenser d'y mettre la derniere main ; que leur propre réputation se trouvât engagée, & qu'on pût les accuser directement ou de négligence ou d'incapacité. Un travailleur qui ose demander que son nom ne soit point mis à la fin d'un de ses articles, avoue qu'il le trouve mal fait, ou du moins indigne de lui. Je crois que, selon ce nouvel arrangement, il ne seroit pas impossible qu'un seul homme se chargeât de l'Anatomie, de la Médecine, de la Chirurgie, de la Matiere médicale, & d'une portion de la Pharmacie ; un autre de la Chimie, de la partie restante de la Pharmacie, & de ce qu'il y a de chimique dans des Arts, tels que la Métallurgie, la Teinture, une partie de l'Orfévrerie, une partie de la Chauderonnerie, de la Plomberie, de la préparation des couleurs de toute espece, métalliques ou autres, &c. Un seul homme bien instruit de quelque art en fer, embrasseroit les métiers de Cloutier, de Coutelier, de Serrurier, de Taillandier, &c. Un autre versé dans la Bijouterie se chargeroit des arts du Bijoutier, du Diamantaire, du Lapidaire, du Metteur en oeuvre. Je donnerois toûjours la préférence à un homme qui auroit écrit avec succès sur la matiere dont il se chargeroit. Quant à celui qui prépareroit actuellement un ouvrage sur cette matiere, je ne l'accepterois pour collegue que s'il étoit déjà mon ami, que l'honnêteté de son caractere me fût bien connue, & que je ne pusse, sans lui faire l'injure la plus grande, le soupçonner d'un dessein secret de sacrifier notre ouvrage au sien.

2°. Que la premiere édition d'une Encyclopédie, ne peut être qu'une compilation très-informe & très-incomplete .

Mais, dira-t-on, comment avec tous ces défauts vous est-il arrivé d'obtenir un succès qu'aucune production aussi considérable n'a jamais eu ? A cela je répons, que notre Encyclopédie a presque sur tout autre ouvrage, je ne dis pas de la même étendue, mais quel qu'il soit, composé par une société ou par un seul homme, l'avantage de contenir une infinité de choses nouvelles, & qu'on chercheroit inutilement ailleurs. C'est la suite naturelle de l'heureux choix de ceux qui s'y sont consacrés.

Il ne s'est point encore fait, & il ne se fera de longtems une collection aussi considérable & aussi belle de machines. Nous avons environ mille planches. On est bien déterminé à ne rien épargner sur la gravure. Malgré le nombre prodigieux de figures qui les remplissent, nous avons eu l'attention de n'en admettre presqu'aucune qui ne représentât une machine subsistante & travaillant dans la société. Qu'on compare nos volumes avec le recueil si vanté de Ramelli, le théatre des machines de Lupold, ou même les volumes des machines approuvées par l'académie des Sciences, & l'on jugera si de tous ces volumes fondus ensemble, il étoit possible d'en tirer vingt planches dignes d'entrer dans une collection, telle que nous avons eu le courage de la concevoir & le bonheur de l'exécuter. Il n'y a rien ici ni de superflu, ni de suranné, ni d'idéal : tout y est en action & vivant. Mais indépendamment de ce mérite, & quelque différence qu'il puisse & qu'il doive nécessairement y avoir entre cette premiere édition & les suivantes, n'est-ce rien que d'avoir débuté ? Entre une infinité de difficultés qui se présenteront d'elles-mêmes à l'esprit, qu'on pese seulement celle d'avoir rassemblé un assez grand nombre de collegues, qui, sans se connoître, semblent tous concourir d'amitié à la production d'un ouvrage commun. Des gens de Lettres ont fait pour leurs semblables & leurs égaux, ce qu'on n'eût point obtenu d'eux par aucune autre considération. C'est là le motif auquel nous devons nos premiers collegues ; & c'est à la même cause que nous devons ceux que nous nous associons tous les jours. Il regne entr'eux tous une émulation, des égards, une concorde qu'on auroit peine à imaginer. On ne s'en tient pas à fournir les secours qu'on a promis, on se fait encore des sacrifices mutuels, chose bien plus difficile ! De-là tant d'articles qui partent de mains étrangeres, sans qu'aucun de ceux qui s'étoient chargés des sciences auxquelles ils appartenoient en ayent jamais été offensés. C'est qu'il ne s'agit point ici d'un intérêt particulier ; c'est qu'il ne regne entre nous aucune petite jalousie personnelle, & que la perfection de l'ouvrage & l'utilité du genre humain, ont fait naître le sentiment général dont on est animé.

Nous avons joüi d'un avantage rare & précieux, qu'il ne faudroit pas négliger dans le projet d'une seconde édition. Les hommes de Lettres de la plus grande réputation, les Artistes de la premiere force, n'ont pas dédaigné de nous envoyer quelques morceaux dans leur genre. Nous devons Eloquence, Elégance, Esprit, &c. à M. de Voltaire. M. de Montesquieu nous a laissé en mourant des fragmens sur l'article Goût ; M. de la Tour nous a promis ses idées sur la Peinture ; M. Cochin fils ne nous refuseroit pas l'article Gravûre, si ses occupations lui laissoient le tems d'écrire.

Il ne seroit pas inutile d'établir des correspondances dans les lieux principaux du monde lettré, & je ne doute point qu'on n'y réussît. On s'instruira des usages, des coûtumes, des productions, des travaux, des machines, &c. si on ne néglige personne, & si l'on a pour tous, ce degré de considération que l'on doit à l'homme desintéressé qui veut se rendre utile.

Ce seroit un oubli inexcusable, que de ne se pas procurer la grande Encyclopédie allemande, le recueil des réglemens sur les Arts & Métiers de Londres & des autres pays ; les ouvrages appellés en anglois the mysteries, le fameux réglement des Piémontois sur leurs manufactures, des registres des doüannes, plusieurs inventaires de maisons de grands seigneurs & de bourgeois ; tous les traités sur les Arts en général & en particulier, les réglemens du Commerce, les statuts des Communautés, tous les recueils des Académies, sur-tout la collection académique dont le discours préliminaire & les premiers volumes viennent de paroître. Cet ouvrage ne peut manquer d'être excellent, à en juger par les sources où l'on se propose de puiser, & par l'étendue des connoissances, la fécondité des idées, & la fermeté de jugement & de goût de l'homme qui dirige cette grande entreprise. Le plus grand bonheur qui pût arriver à ceux qui nous succéderont un jour dans l'Encyclopédie, & qui se chargeront des éditions suivantes, c'est que le dictionnaire de l'Académie françoise, tel que je le conçois, & qu'il est conçu par les meilleurs esprits de cette illustre compagnie, ait été publié, que l'histoire naturelle ait paru toute entiere, & que la collection académique soit achevée. Combien de travaux épargnés !

Entre les livres dont il est encore essentiel de se pourvoir, il faut compter les catalogues des grandes bibliotheques ; c'est-là qu'on apprend à connoître les sources où l'on doit puiser : il seroit même à souhaiter que l'éditeur fût en correspondance avec les bibliothécaires. S'il est nécessaire de consulter les bons ouvrages, il n'est pas inutile de parcourir les mauvais. Un bon livre fournit un ou plusieurs articles excellens ; un mauvais livre aide à faire mieux. Votre tâche est remplie dans celui-ci, l'autre l'abrége. D'ailleurs, faute d'une grande connoissance de la Bibliographie, on est exposé sans-cesse à composer médiocrement, avec beaucoup de peine, de tems, & de dépense, ce que d'autres ont supérieurement exécuté. On se tourmente pour découvrir des choses connues. Observons qu'excepté la matiere des Arts, il n'y a proprement du ressort d'un dictionnaire que ce qui est déjà publié, & que par conséquent il est d'autant plus à souhaiter que chacun connoisse les grands livres composés dans sa partie, & que l'éditeur soit muni des catalogues les plus complets & les plus étendus.

La citation exacte des sources seroit d'une grande utilité : il faudroit s'en imposer la loi. Ce seroit rendre un service important à ceux qui se destinent à l'étude particuliere d'une science ou d'un art, que de leur donner la connoissance des bons auteurs, des meilleures éditions, & de l'ordre qu'ils doivent suivre dans leurs lectures. L'Encyclopédie s'en est quelquefois acquité, elle auroit dû n'y manquer jamais.

Il faut analyser scrupuleusement & fidelement tout ouvrage auquel le tems a assûré une réputation constante. Je dis le tems, parce qu'il y a bien de la différence entre une Encyclopédie & une collection de journaux. Une Encyclopédie est une exposition rapide & desintéressée des découvertes des hommes dans tous les lieux, dans tous les genres, & dans tous les siecles, sans aucun jugement des personnes ; au lieu que les journaux ne sont qu'une histoire momentanée des ouvrages & des auteurs. On y rend compte indistinctement des efforts heureux & malheureux, c'est-à-dire que pour un feuillet qui mérite de l'attention, on traite au long d'une infinité de volumes qui tombent dans l'oubli avant que le dernier journal de l'année ait paru. Combien ces ouvrages périodiques seroient abregés, si on laissoit seulement un an d'intervalle entre la publication d'un livre, & le compte qu'on en rendroit ou qu'on n'en rendroit pas : tel ouvrage dont on a parlé fort au long dans le journal, n'y seroit pas même nommé. Mais que devient l'extrait quand le livre est oublié ? Un dictionnaire universel & raisonné est destiné à l'instruction générale & permanente de l'espece humaine ; les écrits périodiques, à la satisfaction momentanée de la curiosité de quelques oisifs. Ils sont peu lu des gens de lettres.

Il faut particulierement extraire des auteurs les systèmes, les idées singulieres, les observations, les expériences, les vûes, les maximes, & les faits.

Mais il y a des ouvrages si importans, si bien médités, si précis, en petit nombre à la vérité, qu'une Encyclopédie doit les engloutir en entier. Ce sont ceux où l'objet général est traité d'une maniere méthodique & profonde, tels que l'essai sur l'entendement humain, quoique trop diffus ; les considérations sur les moeurs, quoique trop serrées ; les institutions astronomiques, bien qu'elles ne soient pas assez élémentaires, &c.

Il faut distribuer les observations, les faits, les expériences, &c. aux endroits qui leur sont propres.

Il faut savoir dépecer artistement un ouvrage, en ménager les distributions, en présenter le plan, en faire une analyse qui forme le corps d'un article, dont les renvois indiqueront le reste de l'objet. Il ne s'agit pas de briser les jointures, mais de les relâcher ; de rompre les parties, mais de les desassembler & d'en conserver scrupuleusement ce que les Artistes appellent les repères.

Il importe quelquefois de faire mention des choses absurdes ; mais il faut que ce soit légerement & en passant, seulement pour l'histoire de l'esprit humain, qui se dévoile mieux dans certains travers singuliers, que dans l'action la plus raisonnable. Ces travers sont pour le moraliste, ce qu'est la dissection d'un monstre pour l'historien de la Nature : elle lui sert plus que l'étude de cent individus qui se ressemblent. Il y a des mots qui peignent plus fortement & plus complete ment que tout un discours. Un homme à qui on ne pouvoit reprocher aucune mauvaise action, disoit un mal infini de la nature humaine. Quelqu'un lui demanda : mais où avez-vous vû l'homme si hideux ? en moi, répondit-il. Voilà un méchant qui n'avoit jamais fait de mal ; puisse-t-il mourir bien-tôt ! Un autre disoit d'un ancien ami : un tel est un très-honnête-homme ; il est pauvre, mais cela ne m'empêche pas d'en faire un cas singulier ; il y a quarante ans que je suis son ami, & il ne m'a jamais demandé un sou. Ah ! Moliere, où étiez-vous ? ce trait ne vous eût pas échappé, & votre Avare n'en offriroit aucun ni plus vrai ni plus énergique.

Comme il est au moins aussi important de rendre les hommes meilleurs, que de les rendre moins ignorans, je ne serois pas fâché qu'on recueillît tous les traits frappans des vertus morales. Il faudroit qu'ils fussent bien constatés : on les distribueroit chacun à leurs articles qu'ils vivifieroient. Pourquoi seroit-on si attentif à conserver l'histoire des pensées des hommes, & négligeroit-on l'histoire de leurs actions ? celle-ci n'est-elle pas la plus utile ? n'est-ce pas celle qui fait le plus d'honneur au genre humain ? Je ne veux pas qu'on rappelle les mauvaises actions ; il seroit à souhaiter qu'elles n'eussent jamais été. L'homme n'a pas besoin de mauvais exemples, ni la nature humaine d'être plus décriée. Il ne faudroit faire mention des actions deshonnêtes, que quand elles auroient été suivies, non de la perte de la vie & des biens, qui ne sont que trop souvent les suites funestes de la pratique de la vertu, mais que quand elles auroient rendu le méchant malheureux & méprisé au milieu des récompenses les plus éclatantes de ses forfaits. Les traits qu'il faudroit sur-tout recueillir, ce seroit ceux où le caractere de l'honnêteté est joint à celui d'une grande pénétration, ou d'une fermeté héroïque. Le trait de M. Pelisson ne seroit sûrement pas oublié. Il se porte accusateur de son maître & de son bienfaiteur : on le conduit à la bastille : on le confronte avec son accusé, qu'il charge de quelque malversation chimérique. L'accusé lui en demande la preuve. La preuve, lui répond Pelisson ? hé Monsieur, elle ne se peut tirer que de vos papiers, & vous savez-bien qu'ils sont tous brûlés : en effet ils l'étoient. Pelisson les avoit brûlés lui-même, mais il falloit en instruire le prisonnier ; & il ne balança pas de recourir à un expédient, sûr à la vérité, puisque tout le monde y fut trompé ; mais qui exposoit sa liberté, peut-être sa vie, & qui, s'il eût été ignoré, comme il pouvoit l'être, attachoit à son nom une infamie éternelle, dont la honte pouvoit réjaillir sur la république des lettres, où Pelisson occupoit un rang distingué. M. Gobinot de Reims supporte pendant quarante ans l'indignation publique, qu'il encouroit par une excessive parcimonie, dont il tiroit les sommes immenses qu'il destinoit à des monumens de la plus grande utilité. Associons-lui un prélat respectable par ses qualités apostoliques, ses dignités, sa naissance, la noble simplicité de ses moeurs, & la solidité de ses vertus. Dans une grande calamité, ce prélat, après avoir soulagé par d'abondantes distributions gratuites en argent & en grains, la partie de son troupeau qui laissoit voir toute son indigence, songe à secourir celle qui cachoit sa misere, en qui la honte étouffoit la plainte, & qui n'en étoit que plus malheureuse, contre l'oppression de ces hommes de sang, dont l'ame nage dans la joie au milieu du gémissement général, & il fait porter sur la place des grains qu'on y distribua à un prix fort au-dessous de celui qu'ils avoient coûté. L'esprit de parti qui abhorre tout acte vertueux qui n'est pas de quelqu'un des siens, traite sa charité de monopole, & un scélérat obscur inscrit cette atroce calomnie, parmi celles dont il remplit depuis si long-tems ses feuilles hebdomadaires. Cependant il survient de nouvelles calamités ; le zele inaltérable de ce rare pasteur continue de s'exercer, & il se trouve enfin un honnête homme qui éleve la voix, qui dit la vérité, qui rend hommage à la vertu, & qui s'écrie transporté d'admiration : quel courage ! quelle patience héroïque ! qu'il est consolant pour le genre humain que la méchanceté ne soit pas capable de ces efforts ! Voilà les traits qu'il faut recueillir ; & qui est-ce qui les liroit sans sentir son coeur s'échauffer ? Si l'on publioit un recueil qui contînt beaucoup de ces grandes & belles actions, qui est-ce qui se resoudroit à mourir sans y avoir fourni la matiere d'une ligne ? Croit-on qu'il y eût quelque ouvrage d'un plus grand pathétique ? Il me semble, quant à moi, qu'il y auroit peu de pages dans celui-ci, qu'un homme né avec une ame honnête & sensible n'arrosât de ses larmes.

Il faudroit singulierement se garantir de l'adulation. Quant aux éloges mérités, il y auroit bien de l'injustice à ne les accorder, qu'à la cendre insensible & froide de ceux qui ne peuvent plus les entendre : l'équité qui doit les dispenser, le cedera-t-elle à la modestie qui les refuse ? L'éloge est un encouragement à la vertu ; c'est un pacte public que vous faites contracter à l'homme vertueux. Si ses belles actions étoient gravées sur une colonne, perdroit-il un moment de vûe ce monument imposant ? ne seroit-il pas un des appuis les plus forts qu'on pût prêter à la foiblesse humaine ; il faudroit que l'homme se déterminât à briser lui-même sa statue. L'éloge d'un honnête homme est la plus digne & la plus douce récompense d'un autre honnête homme : après l'éloge de sa conscience, le plus flateur est celui d'un homme de bien. O Rousseau, mon cher & digne ami, je n'ai jamais eu la force de me refuser à ta loüange : j'en ai senti croître mon goût pour la vérité, & mon amour pour la vertu. Pourquoi tant d'oraisons funebres, & si peu de panégyriques des vivans ? Croit-on que Trajan n'eût pas craint de démentir son panégyriste ? Si on le croit, on ne connoit pas toute l'autorité de la considération générale. Après les bonnes actions qu'on a faites, l'aiguillon le plus vif pour en multiplier le nombre, c'est la notoriété des premieres ; c'est cette notoriété qui donne à l'homme un caractere public auquel il lui est difficile de renoncer. Ce secret innocent n'est-il pas même un des plus importans de l'éducation vertueuse ? Mettez votre fils dans l'occasion de pratiquer la vertu ; faites-lui de ses bonnes actions un caractere domestique ; attachez à son nom quelque épithete qui les lui rappelle ; accordez-lui de la considération : s'il franchit jamais cette barriere, j'ose assûrer que le fond de son ame est mauvais ; que votre enfant est mal né, & que vous n'en ferez jamais qu'un méchant ; avec cette différence qu'il se fut précipité dans le vice tête baissée, & qu'arrêté par le contraste qu'il remarquera entre les dénominations honorables qu'on lui a accordées, & celles qu'il va encourir, il se laissera glisser vers le mal, mais par une pente qui ne sera pas assez insensible, pour que des parens attentifs ne s'apperçoivent point de la dégradation successive de son caractere.

Je hais cent fois plus les satyres dans un ouvrage, que les éloges ne m'y plaisent : les personnalités sont odieuses en tout genre d'écrire ; on est sûr d'amuser le commun des hommes, quand on s'étudie à repaître sa méchanceté. Le ton de la satyre est le plus mauvais de tous pour un dictionnaire ; & l'ouvrage le plus impertinent & le plus ennuyeux qu'on pût concevoir, ce seroit un dictionnaire satyrique : c'est le seul qui nous manque. Il faut absolument bannir d'un grand livre ces à-propos légers, ces allusions fines, ces embellissemens délicats qui feroient la fortune d'une historiette : les traits qu'il faut expliquer deviennent fades, ou ne tardent pas à devenir inintelligibles. Ce seroit une chose bien ridicule, que le besoin d'un commentaire dans un ouvrage, dont les différentes parties seroient destinées à s'interpréter réciproquement. Toute cette légereté n'est qu'une mousse qui tombe peu-à-peu ; bien-tôt la partie volatile s'en est évaporée, & il ne reste plus qu'une vase insipide. Tel est aussi le sort de la plûpart de ces étincelles qui partent du choc de la conversation : la sensation agréable, mais passagere, qu'elles excitent, naît des rapports qu'elles ont au moment, aux circonstances, aux lieux, aux personnes, à l'évenement du jour ; rapports qui passent promtement. Les traits qui ne se remarquent point, parce que l'éclat n'en est pas le mérite principal, pleins de substance, & portant en eux le caractere de la simplicité jointe à un grand sens, sont les seuls qui se soûtiendroient au grand jour : pour sentir la frivolité des autres, il n'y a qu'à les écrire. Si l'on me montroit un auteur qui eût composé ses mélanges d'après des conversations, je serois presque sûr qu'il auroit recueilli tout ce qu'il falloit négliger, & négligé tout ce qu'il importoit de recueillir. Gardons-nous bien de commettre avec ceux que nous consulterons, la même faute que cet écrivain commettroit avec les personnes qu'il fréquenteroit. Il en est des grands ouvrages ainsi que des grands édifices ; ils ne comportent que des ornemens rares & grands. Ces ornemens doivent être répandus avec économie & discernement, ou ils nuiront à la simplicité en multipliant les rapports ; à la grandeur, en divisant les parties & en obscurcissant l'ensemble ; & à l'intérêt, en partageant l'attention, qui sans ce défaut qui la distrait & la disperse, se rassembleroit toute entiere sur les masses principales.

Si je proscris les satyres, il n'en est pas ainsi ni des portraits, ni des réflexions. Les vertus s'enchaînent les unes aux autres, & les vices se tiennent, pour ainsi dire, par la main. Il n'y a pas une vertu, pas un vice qui n'ait son cortege : c'est une sorte d'association nécessaire. Imaginer un caractere, c'est trouver d'après une passion dominante donnée, bonne ou mauvaise, les passions subordonnées qui l'accompagnent, les sentimens, les discours & les actions qu'elle suggere, & la sorte de teinte ou d'énergie que tout le système intellectuel & moral en reçoit : d'où l'on voit que les peintures idéales, conçues d'après les relations & l'influence réciproque des vertus & des vices, ne peuvent jamais devenir chimériques ; que ce sont elles qui donnent la vraisemblance aux représentations dramatiques & à tous les ouvrages de moeurs ; & qu'il se rencontrera éternellement dans la société des individus qui auront le bonheur & le malheur de leur ressembler. C'est ainsi qu'il arrive à un siecle très-éloigné d'élever des statues hideuses ou respectables, au bas desquelles la postérité écrit successivement différens noms : elle écrit Montesquieu où l'on avoit gravé Platon ; Desfontaines, où on lisoit auparavant Erostrate ou Zoïle : avec cette différence affligeante, qu'on ne manquera jamais de noms de plus en plus deshonorés pour remplacer celui d'Erostrate ou de Zoïle ; au lieu qu'on n'ose espérer de la succession des siecles, qu'elle nous en offre quelques-uns de plus en plus illustres pour succéder à Montesquieu, & pour être le troisieme ou le quatrieme depuis Platon. Nous ne pouvons élever un trop grand nombre de ces statues dans notre ouvrage : elles devroient être en bronze dans nos places publiques & dans nos jardins, & nous inviter à la vertu sur ces piédestaux, où l'on a exposé à nos yeux & aux regards de nos enfans les débauches des dieux du Paganisme.

Après avoir traité de la matiere Encyclopédique en général, on desireroit sans-doute que nous entrassions dans l'examen de chacune de ses parties en particulier ; mais c'est au public, & non pas à nous, qu'il appartient de juger du travail de nos collegues & du nôtre.

Nous répondrons seulement à ceux qui auroient voulu qu'on supprimât la Théologie, que c'est une science ; que cette science est très-étendue & très-curieuse, & qu'on auroit pû la rendre plus intéressante que la Mythologie, qu'ils auroient regrettée si nous l'eussions omise.

A ceux qui excluent de notre Dictionnaire la Géographie ; que les noms, la longitude & la latitude des étoiles qu'ils y admettent, n'ont pas plus de droit d'y rester que les noms, la longitude & la latitude des villes qu'ils en rejettent.

A ceux qui l'auroient desirée moins séche : qu'il étoit nécessaire de s'en tenir à la seule connoissance géographique des villes qui fût scientifique, à la seule qui nous suffiroit pour construire de bonnes cartes des tems anciens, si nous l'avions, & qui suffira à la postérité pour construire de bonnes cartes de nos tems, si nous la lui transmettons ; & que le reste, étant entierement historique, est hors de notre objet.

A ceux qui y ont regardé avec dégoût certains traits historiques, la cuisine, les modes, &c. qu'ils ont oublié combien ces matieres ont engendré d'ouvrages d'érudition ; que le plus succinct de nos articles en ce genre épargnera peut-être à nos descendans des années de recherches & des volumes de dissertations ; qu'en supposant les savans à venir infiniment plus réservés que ceux du siecle passé, il est encore à présumer qu'ils ne dédaigneront pas d'écrire quelques pages pour expliquer ce que c'est qu'un falbala ou qu'un pompon ; qu'un écrit sur nos modes, qu'on traiteroit aujourd'hui d'ouvrage frivole, seroit regardé dans deux mille ans, comme un ouvrage savant & profond, sur les habits François ; ouvrage très-instructif pour les Littérateurs, les Peintres & les Sculpteurs ; quant à notre cuisine, qu'on ne peut lui disputer d'être une branche importante de la Chimie.

A ceux qui se sont plaints que notre Botanique n'étoit ni assez complete ni assez intéressante : que ces reproches sont sans aucun fondement ; qu'il étoit impossible de s'étendre au-delà des genres, sans compiler des in-folio ; qu'on n'a omis aucune des plantes usuelles ; qu'on les a décrites ; qu'on en a donné l'analyse chimique, les propriétés, soit comme remedes, soit comme alimens ; que la seule chose qu'on auroit pû ajoûter, qui fût scientifique & qui n'auroit pas occupé un espace bien considérable, c'eût été d'indiquer à l'article du genre combien on comptoit d'especes, & combien de variétés : & quant à la partie des arbres qui est si importante, qu'elle a dans l'Encyclopédie, à commencer au troisieme volume, toute l'étendue qu'on lui peut desirer.

A ceux qui sont mécontens de la partie des Arts, & à ceux qui en sont satisfaits : qu'ils ont raison les uns & les autres, parce qu'il y a des choses dans cette matiere immense qui sont on ne peut pas plus mal-faites, & d'autres qu'il seroit peut-être difficile de mieux faire.

Mais comme les Arts ont été l'objet principal de mon travail, je vais m'expliquer librement, & sur les défauts dans lesquels je suis tombé, & sur les précautions qu'il y auroit à prendre pour les corriger.

Celui qui se chargera de la matiere des Arts, ne s'acquittera point de son travail d'une maniere satisfaisante pour les autres & pour lui-même, s'il n'a profondément étudié l'histoire naturelle, & sur-tout la Minéralogie ; s'il n'est excellent Méchanicien ; s'il n'est très-versé dans la Physique rationnelle & expérimentale, & s'il n'a fait plusieurs cours de Chimie.

Naturaliste, il connoîtra d'un coup d'oeil les substances que les Artistes employent, & dont ils font communément tant de mystère.

Chimiste, il possédera les propriétés de ces substances : les raisons d'une infinité d'opérations lui seront connues ; il éventera les secrets ; les Artistes ne lui en imposeront point ; il discernera sur le champ l'absurdité de leurs mensonges ; il saisira l'esprit d'une manoeuvre : les tours de mains ne lui échapperont point ; il distinguera sans peine un mouvement indifférent, d'une précaution essentielle ; tout ce qu'il écrira de la matiere des Arts sera clair, certain, lumineux ; & les conjectures sur les moyens de perfectionner ceux qu'on a, de retrouver des arts perdus, & d'en inventer de nouveaux, se présenteront en foule à son esprit.

La Physique lui rendra raison d'une infinité de phénomenes dont les ouvriers demeurent étonnés toute leur vie.

Avec de la méchanique & de la géométrie, il parviendra sans peine au calcul vrai & réel des forces ; il ne lui restera que l'expérience à acquérir, pour tempérer la rigueur des suppositions mathématiques ; qualité qui distingue, sur-tout dans la construction des machines délicates, le grand artiste de l'ouvrier commun, à qui on ne donnera jamais une juste idée de ce tempérament, s'il ne l'a point acquise, & en qui on ne la rectifiera jamais, s'il s'en est fait de fausses notions.

Muni de ces connoissances, il commencera par introduire quelque ordre dans son travail, en rapportant les arts aux substances naturelles : ce qui est toujours possible ; car l'histoire des Arts n'est que l'histoire de la nature employée. Voyez l'Arbre encyclopédique.

Il tracera ensuite pour chaque artiste un canevas à remplir ; il leur imposera de traiter de la matiere dont ils se servent, des lieux d'où ils la tirent, du prix qu'elle leur coûte, &c. des instrumens, des différens ouvrages, & de toutes les manoeuvres.

Il comparera les mémoires des Artistes avec son canevas ; il conférera avec eux ; il leur fera suppléer de vive voix ce qu'ils auront omis, & éclaircir ce qu'ils auront mal expliqué.

Quelque mauvais que ces mémoires puissent être ; quand ils auront été faits de bonne foi, ils contiendront toûjours une infinité de choses que l'homme le plus intelligent n'appercevra pas, ne soupçonnera point, & ne pourra demander. Il y en desirera d'autres à-la-vérité ; mais ce seront celles que les Artistes ne celent à personne : car j'ai éprouvé que ceux qui s'occupent sans-cesse d'un objet, avoient un penchant égal à croire que tout le monde savoit ce dont ils ne faisoient point un secret, & que ce dont ils faisoient un secret n'étoit connu de personne : ensorte qu'ils étoient toûjours tentés de prendre celui qui les questionnoit, ou pour un génie transcendant ou pour un imbécille.

Tandis que les Artistes seront à l'ouvrage, il s'occupera à rectifier les articles que nous lui aurons transmis, & qu'il trouvera dans notre dictionnaire. Il ne tardera pas à s'appercevoir que malgré tous les soins que nous nous sommes donnés, il s'y est glissé des bevûes grossieres (voyez l'article BRIQUE), & qu'il y a des articles entiers qui n'ont pas l'ombre du sens commun (voyez l'article BLANCHISSERIE DE TOILES) : mais il apprendra, par son expérience, à nous savoir gré des choses qui seront bien, & à nous pardonner celles qui seront mal. C'est sur-tout quand il aura parcouru pendant quelque tems les atteliers, l'argent à la main, & qu'on lui aura fait payer bien cherement les faussetés les plus ridicules, qu'il connoîtra quelle espece de gens ce sont que les Artistes, sur-tout à Paris, où la crainte des impôts les tient perpétuellement en méfiance, & où ils regardent tout homme qui les interroge avec quelque curiosité comme un émissaire des fermiers généraux, ou comme un ouvrier qui veut ouvrir boutique. Il m'a semblé qu'on éviteroit ces inconvéniens, en cherchant dans la province toutes les connoissances sur les Arts qu'on y pourroit recueillir : on y est connu ; on s'adresse à des gens qui n'ont point de soupçon ; l'argent y est plus rare, & le tems moins cher. D'où il me paroît évident qu'on s'instruiroit plus facilement & à moins de fraix, & qu'on auroit des instructions plus sûres.

Il faudroit indiquer l'origine d'un art, & en suivre pié-à-pié les progrès quand ils ne seroient pas ignorés, ou substituer la conjecture & l'histoire hypothétique à l'histoire réelle. On peut assûrer qu'ici le roman seroit souvent plus instructif que la vérité.

Mais il n'en est pas de l'origine & des progrès d'un art, ainsi que de l'origine & des progrès d'une science. Les Savans s'entretiennent : ils écrivent : ils font valoir leurs découvertes : ils contredisent : ils sont contredits. Ces contestations manifestent les faits & constatent les dates. Les Artistes au contraire vivent ignorés, obscurs, isolés ; ils font tout pour leur intérêt, ils ne font presque rien pour leur gloire. Il y a des inventions qui restent des siecles entiers renfermées dans une famille : elles passent des peres aux enfans ; se perfectionnent ou dégénerent, sans qu'on sache précisément ni à qui, ni à quel tems il faut en rapporter la découverte. Les pas insensibles par lesquels un art s'avance à la perfection, confondent aussi les dates. L'un recueille le chanvre ; un autre le fait baigner ; un troisieme le tille : c'est d'abord une corde grossiere ; puis un fil ; ensuite une toile : mais il s'écoule un siecle entre chacun de ces progrès. Celui qui porteroit une production depuis son état naturel jusqu'à son emploi le plus parfait, seroit difficilement ignoré. Comment seroit-il impossible qu'un peuple se trouvât tout-à-coup vêtu d'une étoffe nouvelle, & ne demandât pas à qui il en est redevable ? Mais ces cas n'arrivent point, ou n'arrivent que rarement.

Communément le hasard suggere les premieres tentatives ; elles sont infructueuses & restent ignorées : un autre les reprend ; il a un commencement de succès ; mais dont on ne parle point : un troisieme marche sur les pas du second : un quatrieme sur les pas du troisieme ; & ainsi de suite, jusqu'à ce que le dernier produit des expériences soit excellent : & ce produit est le seul qui fasse sensation. Il arrive encore qu'à peine une idée est-elle éclose dans un attelier, qu'elle en sort & se répand. On travaille en plusieurs endroits à la fois : chacun manoeuvre de son côté ; & la même invention, revendiquée en même tems par plusieurs, n'appartient proprement à personne, ou n'est attribuée qu'à celui qu'elle enrichit. Si l'on tient l'invention de l'étranger, la jalousie nationale taît le nom de l'inventeur, & ce nom reste inconnu.

Il seroit à souhaiter que le gouvernement autorisât à entrer dans les manufactures, à voir travailler, à interroger les ouvriers, & à dessiner les instrumens, les machines, & même le local.

Il y a des circonstances où les Artistes sont tellement impénétrables, que le moyen le plus court, ce seroit d'entrer soi-même en apprentissage, ou d'y mettre quelqu'un de confiance.

Il y a peu de secrets qu'on ne parvînt à connoître par cette voie : il faudroit divulguer tous ces secrets sans aucune exception.

Je sais que ce sentiment n'est pas celui de tout le monde : il y a des têtes étroites, des ames mal nées, indifférentes sur le sort du genre humain, & tellement concentrées dans leur petite société, qu'elles ne voyent rien au-delà de son intérêt. Ces hommes veulent qu'on les appelle bons citoyens ; & j'y consens, pourvû qu'il me permettent de les appeller méchans hommes. On diroit, à les entendre, qu'une Encyclopédie bien faite, qu'une histoire générale des Arts ne devroit être qu'un grand manuscrit soigneusement renfermé dans la bibliothéque du monarque, & inaccessible à d'autres yeux que les siens ; un livre de l'Etat, & non du peuple. A quoi bon divulguer les connoissances de la nation, ses transactions secrettes, ses inventions, son industrie, ses ressources, ses mysteres, sa lumiere, ses arts & toute sa sagesse ! ne sont-ce pas là les choses auxquelles elle doit une partie de sa supériorité sur les nations rivales & circonvoisines ? Voilà ce qu'ils disent ; & voici ce qu'ils pourroient encore ajoûter. Ne seroit-il pas à souhaiter qu'au lieu d'éclairer l'étranger, nous pussions répandre sur lui des ténébres, & plonger dans la barbarie le reste de la terre, afin de le dominer plus sûrement ? Ils ne font pas attention qu'ils n'occupent qu'un point sur ce globe, & qu'ils n'y dureront qu'un moment ; que c'est à ce point & à cet instant qu'ils sacrifient le bonheur des siecles à venir & de l'espece entiere. Ils savent mieux que personne que la durée moyenne d'un empire n'est pas de deux mille ans, & que dans moins de tems peut-être, le nom François, ce nom qui durera éternellement dans l'histoire, seroit inutilement cherché sur la surface de la terre. Ces considérations n'étendent point leurs vûes ; il semble que le mot humanité soit pour eux un mot vuide de sens. Encore s'ils étoient consequens ! mais dans un autre moment ils se déchaineront contre l'impénétrabilité des sanctuaires de l'Egypte ; ils déploreront la perte des connoissances anciennes ; ils accuseront la négligence ou le silence des auteurs qui se sont tûs, ou qui ont parlé si mal d'une infinité d'objets importans ; & ils ne s'appercevront pas qu'ils exigent des hommes d'autrefois ce dont ils font un crime à ceux d'aujourd'hui, & qu'ils blament les autres d'avoir été ce qu'ils se font honneur d'être.

Ces bons citoyens sont les plus dangereux ennemis que nous ayons eus. En général, il faut profiter des critiques, sans y répondre, quand elles sont bonnes ; les négliger, quand elles sont mauvaises. N'est-ce pas une perspective bien agréable pour tous ceux qui s'opiniâtrent à noircir du papier contre nous, que si l'Encyclopédie conserve dans dix ans la réputation dont elle jouit, il ne sera plus question de leurs écrits, & qu'il en sera bien moins question encore, si elle est ignorée.

J'ai entendu dire à M. de Fontenelle, que son appartement ne contiendroit pas tous les ouvrages qu'on avoit publiés contre lui. Qui est-ce qui en connoît un seul ? L'esprit des lois & l'histoire naturelle ne font que de paroître, & les critiques qu'on en a faites sont entierement ignorées. Nous avons déjà remarqué que, parmi ceux qui se sont érigés en censeurs de l'Encyclopédie, il n'y en a presque pas un qui eût les talens nécessaires pour l'enrichir d'un bon article. Je ne croirois pas exagérer, quand j'ajoûterois que c'est un livre dont la très-grande partie seroit à étudier pour eux. L'esprit philosophique est celui dans lequel on l'a composé, & il s'en faut beaucoup que la plûpart de ceux qui nous jugent, soient à cet égard seulement au niveau de leur siecle. J'en appelle à leurs ouvrages. C'est par cette raison qu'ils ne dureront pas, & que nous osons présumer que notre Dictionnaire sera plus lû & plus estimé dans quelques années, qu'il ne l'est encore aujourd'hui. Il ne nous seroit pas difficile de citer d'autres auteurs qui ont eu, & qui auront le même sort. Les uns (comme nous l'avons déjà dit plus haut) élevés aux cieux, parce qu'ils avoient composé pour la multitude, qu'ils s'étoient assujettis aux idées courantes, & qu'ils s'étoient mis à la portée du commun des lecteurs, ont perdu de leur réputation, à mesure que l'esprit humain a fait des progrès, & ont fini par être oubliés. D'autres au contraire, trop forts pour le tems où ils ont paru, ont été peu lûs, peu entendus, point goûtés, & sont demeurés obscurs, long-tems, jusqu'au moment où le siecle qu'ils avoient devancé fût écoulé, & qu'un autre siecle dont ils étoient avant qu'il fût arrivé, les atteignit, & rendit enfin justice à leur mérite.

Je crois avoir appris à mes concitoyens à estimer & à lire le chancelier Bacon ; on a plus feuilleté ce profond auteur depuis cinq à six ans, qu'il ne l'avoit jamais été. Nous sommes cependant encore bien loin de sentir l'importance de ses ouvrages ; les esprits ne sont pas assez avancés. Il y a trop peu de personnes en état de s'élever à la hauteur de ses méditations ; & peut-être le nombre n'en deviendra-t-il jamais guere plus grand. Qui sait si le novum organum, les cogitata & visa, le livre de augmento scientiarum, ne sont pas trop au-dessus de la portée moyenne de l'esprit humain, pour devenir dans aucun siecle, une lecture facile & commune ? C'est au tems à éclaircir ce doute.

Mais ces considérations sur l'esprit & la matiere d'un Dictionnaire encyclopédique nous conduisent naturellement à parler du style qui est propre à ce genre d'ouvrage.

Le laconisme n'est pas le ton d'un dictionnaire ; il donne plus à deviner qu'il ne le faut pour le commun des lecteurs. Je voudrois qu'on ne laissât à penser que ce qui pourroit être perdu, sans qu'on en fût moins instruit sur le fond. L'effet de la diversité, outre qu'il est inévitable, ne me paroît point ici déplaisant. Chaque travailleur, chaque science, chaque art, chaque article, chaque sujet a sa langue & son style. Quel inconvénient y a-t-il à le lui conserver ? s'il falloit que l'éditeur fît reconnoître sa main par-tout, l'ouvrage en seroit beaucoup retardé, & n'en seroit pas meilleur. Quelqu'instruit qu'un éditeur pût être, il s'exposeroit souvent à commettre une erreur de chose, dans l'intention de rectifier une faute de langue.

Je renfermerois le caractere général du style d'une Encyclopédie, en deux mots, communia, propriè ; propria, communiter. En se conformant à cette régle, les choses communes seroient toûjours élégantes ; & les choses propres & particulieres, toûjours claires.

Il faut considérer un dictionnaire universel des Sciences & des Arts, comme une campagne immense couverte de montagnes, de plaines, de rochers, d'eaux, de forêts, d'animaux, & de tous les objets qui font la variété d'un grand paysage. La lumiere du ciel les éclaire tous ; mais ils en sont tous frappés diversement. Les uns s'avancent par leur nature & leur exposition, jusque sur le devant de la scene ; d'autres sont distribués sur une infinité de plans intermédiaires ; il y en a qui se perdent dans le lointain ; tous se font valoir réciproquement.

Si la trace la plus legere d'affectation est insupportable dans un petit ouvrage, que seroit-ce au jugement des gens de Lettres, qu'un grand ouvrage où ce défaut domineroit ? Je suis sûr que l'excellence de la matiere ne contrebalanceroit pas ce vice de style, & qu'il seroit peu lû. Les ouvrages de deux des plus grands hommes que la nature ait produits, l'un philosophe, & l'autre poëte, seroient infiniment plus parfaits & plus estimés, si ces hommes rares n'avoient été doüés dans un degré très-extraordinaire, de deux talens qui me semblent contradictoires, le génie & le bel esprit. Les traits les plus brillans & les comparaisons les plus ingénieuses y déparent à tout moment les idées les plus sublimes. La nature les auroit traités beaucoup plus favorablement, si, leur ayant accordé le génie, elle leur eût refusé le bel esprit. Le goût solide & vrai, le sublime en quelque genre que ce soit, le pathétique, les grands effets de la crainte, de la commisération & de la terreur, les sentimens nobles & relevés, les grandes idées rejettent le tour épigrammatique & le contraste des expressions.

Si toutefois il y a quelqu'ouvrage qui comporte de la variété dans le style, c'est une Encyclopédie ; mais comme j'ai desiré que les objets les plus indifférens y fussent toûjours secrettement rapportés à l'homme, y prissent un tour moral, respirassent la décence, la dignité, la sensibilité, l'élévation de l'ame, en un mot qu'on y discernât par-tout le souffle de l'honnêteté ; je voudrois aussi que le ton répondît à ces vûes, & qu'il en reçût quelqu'austérité, même dans les endroits où les couleurs les plus brillantes & les plus gaies n'auroient pas été déplacées. C'est manquer son but, que d'amuser & de plaire, quand on peut instruire & toucher.

Quant à la pureté de la diction, on a droit de l'exiger dans tout ouvrage. Je ne sais d'où vient l'indulgence injurieuse qu'on a pour les grands livres & sur-tout pour les dictionnaires. Il semble qu'on ait permis à l'in-folio d'être écrit pesamment, négligemment, sans génie, sans goût & sans finesse. Croit-on qu'il soit impossible d'introduire ces qualités dans un ouvrage de longue haleine ? ou seroit-ce que la plûpart des ouvrages de longue haleine qui ont paru jusqu'à présent, ayant communément ces défauts, on les a regardés comme un apanage du format ?

Cependant on s'appercevra, en y regardant de près, que s'il y a quelqu'ouvrage où il soit facile de mettre du style, c'est un dictionnaire ; tout y est coupé par articles ; & les morceaux les plus étendus le sont moins qu'un discours oratoire.

Mais voici ce que c'est. Il est rare que ceux qui écrivent supérieurement, veuillent & puissent continuer long-tems une tâche si pénible ; d'ailleurs dans les ouvrages de société où la gloire du succès est partagée, & où le travail d'un homme est confondu avec le travail de plusieurs, on se désigne en soi-même un associé pour émule ; on compare son travail avec le sien ; on rougiroit d'être au-dessous ; on se soucie peu d'être au-dessus ; on n'employe qu'une partie de ses forces ; & l'on espere que ce qu'on aura négligé disparoîtra dans l'immensité des volumes.

C'est ainsi que l'intérêt s'affoiblit dans chacun, à mesure que le nombre des associés augmente ; & que, l'ouvrage d'un seul se distinguant d'autant moins qu'il a plus de collegues, le livre se trouve en général d'une médiocrité d'autant plus grande, qu'on y a employé plus de mains.

Cependant le tems leve le voile ; chacun est jugé selon son mérite. On distingue le travailleur négligent du travailleur honnête ou qui a rempli son devoir. Ce que quelques-uns ont fait, montre ce qu'on étoit en droit d'exiger de tous ; & le public nomme ceux dont il est mécontent, & regrette qu'ils ayent si mal répondu à l'importance de l'entreprise, & au choix dont on les avoit honorés.

Je m'explique là-dessus avec d'autant plus de liberté, que personne ne sera plus exposé que moi à cette espece de censure, & que, quelque critique qu'on fasse de notre travail, soit en général soit en particulier, il n'en restera pas moins pour constant, qu'il seroit très-difficile de former une seconde société de gens de Lettres & d'Artistes, aussi nombreuse & mieux composée que celle qui concourt à la composition de ce Dictionnaire. S'il étoit facile de trouver mieux que moi pour auteur & pour éditeur, il faudra que l'on convienne qu'il étoit, sous ces deux aspects, infiniment plus facile encore de rencontrer moins bien que M. d'Alembert. Combien je gagnerois à cette espece d'énumération où les hommes se compenseroient les uns par les autres ! Ajoûtons à cela qu'il y a des parties pour lesquelles on ne choisit point, & que cet inconvénient sera de toutes les éditions. Quelqu'honoraire qu'on proposât à un homme, il n'acquiteroit jamais le tems qu'on lui demanderoit. Il faut qu'un Artiste veille dans son attelier ; il faut qu'un homme public soit à ses fonctions. Celui-ci est malheureusement trop occupé, & l'homme de cabinet n'est malheureusement pas assez instruit. On se tire de-là comme on peut.

Mais s'il est facile à un dictionnaire d'être bien écrit, il n'est guere d'ouvrages auxquels il soit plus essentiel de l'être. Plus une route doit être longue, plus il seroit à souhaiter qu'elle fût agréable. Au reste, nous avons quelque raison de croire que nous ne sommes pas restés de ce côté sans succès. Il y a des personnes qui ont lû l'Encyclopédie d'un bout à l'autre ; & si l'on en excepte le dictionnaire de Bayle qui perd tous les jours un peu de cette prérogative, il n'y a guere que le nôtre qui en ait joüi & qui en joüisse. Nous souhaitons qu'il la conserve peu, parce que nous aimons plus les progrès de l'esprit humain que la durée de nos productions, & que nous aurions réussi bien au-delà de nos espérances, si nous avions rendu les connoissances si populaires, qu'il fallût au commun des hommes un ouvrage plus fort que l'Encyclopédie, pour les attacher & les instruire.

Il seroit à souhaiter, quand il s'agit de style, qu'on pût imiter Petrone, qui a donné en même tems l'exemple & le prétexte, lorsqu'ayant à peindre les qualités d'un beau discours, il a dit, grandis, & ut ità dicam pudica oratio neque maculosa est neque turgida, sed naturali pulchritudine exsurgit. La description est la chose même.

Il faut se garantir singulierement de l'obscurité, & se ressouvenir à chaque ligne qu'un dictionnaire est fait pour tout le monde, & que la répétition des mots qui offenseroit dans un ouvrage leger, devient un caractere de simplicité qui ne déplaira jamais dans un grand ouvrage.

Qu'il n'y ait jamais rien de vague dans l'expression. Il seroit mal dans un livre philosophique d'employer les termes les plus usités, lorsqu'ils n'emportent avec eux aucune idée fixe, distincte & déterminée ; & il y a de ces termes, & en très-grand nombre. Si l'on pouvoit en donner des définitions, selon la nature qui ne change point, & non selon les conventions & les préjugés des hommes qui changent continuellement ; ces définitions deviendroient des germes de découvertes. Observons encore ici le besoin continuel que nous avons d'un modele invariable & constant auquel nos définitions & nos descriptions se rapportent, tel que la nature de l'homme, des animaux, ou des autres êtres subsistans. Le reste n'est rien, & celui qui ne sait pas écarter certaines notions particulieres, locales & passageres, est gêné dans son travail & sans-cesse exposé à dire, contre le témoignage de sa conscience & la pente de son esprit, des choses inexactes pour le moment, & fausses ou du moins obscures & hasardées pour l'avenir.

Les ouvrages des génies les plus intrépides & les plus élevés, des plus grands philosophes de l'antiquité sont un peu défigurés par ce défaut. Il s'en manque beaucoup que ceux de nos jours en soient exempts. L'intolérance, le manque de la double doctrine, le défaut d'une langue hieroglyphique & sacrée, perpétueront à jamais ces contradictions, & continueront de tacher nos plus belles productions. On ne sait souvent ce qu'un homme a pensé sur les matieres les plus importantes. Il s'enveloppe dans des ténébres affectées ; ses contemporains mêmes ignorent ses sentimens ; & l'on ne doit pas s'attendre que l'Encyclopédie soit exempte de ce défaut.

Plus les matieres seront abstraites, plus il faudra s'efforcer de les mettre à la portée de tous les lecteurs.

Un Editeur qui aura de l'expérience, & qui sera maître de lui-même, se placera dans la classe moyenne des esprits. Si la nature l'avoit élevé au rang des premiers génies, & qu'il n'en descendit jamais ; conversant sans-cesse avec les hommes de la plus grande pénétration, il lui arriveroit de considérer les objets d'un point de vûe où la multitude ne peut atteindre. Trop au-dessus d'elle, l'ouvrage deviendroit obscur pour trop de monde. Mais s'il se trouvoit malheureusement, ou s'il avoit la complaisance de s'abaisser fort au-dessous ; les matieres traitées comme pour des imbécilles deviendroient longues & fastidieuses. Il considérera donc le Monde comme son école, & le Genre humain comme son pupille ; & il dictera des leçons qui ne fassent pas perdre aux bons esprits un tems précieux, & qui ne rebutent point la foule des esprits ordinaires. Il y a deux classes d'hommes, à-peu près également étroites, qu'il faut également négliger. Ce sont les génies transcendans & les imbécilles, qui n'ont besoin de maîtres ni les uns ni les autres.

Mais s'il n'est pas facile de saisir la portée commune des esprits, il l'est beaucoup moins encore à l'homme de génie de s'y fixer. Le génie tend naturellement à s'élever ; il cherche la région des nues ; s'il s'oublie un moment, il est emporté d'un vol rapide ; & bien-tôt les yeux ordinaires cessent de l'appercevoir & de le suivre.

Si chaque encyclopédiste s'étoit bien acquité de son travail, l'attention principale d'un éditeur se réduiroit à circonscrire rigoureusement les différens objets ; à renfermer les parties en elles-mêmes, & à supprimer des redites, ce qui est toûjours plus facile que de remplir des omissions ; les redites s'apperçoivent & se corrigent d'un trait de plume ; les omissions se dérobent & ne se suppléent pas sans travail. Le grand inconvénient, c'est que quand elles se montrent, c'est si brusquement, que l'éditeur se trouvant pressé entre une matiere qui demande du tems, & la vîtesse de l'impression qui n'en accorde point, il faut que l'ouvrage soit estropié, ou l'ordre perverti ; l'ouvrage estropié, si l'on remplit sa tâche selon le tems ; l'ordre perverti, si on la renvoye à quelqu'endroit écarté du dictionnaire.

Où est l'homme assez versé dans toutes les matieres, pour en écrire sur le champ, comme s'il s'en étoit long-tems occupé ? Où est l'éditeur qui aura les principes d'un auteur assez présens, ou des notions assez conformes aux siennes, pour ne tomber dans aucune contradiction ?

N'est-ce pas même un travail presqu'au-dessus de ses forces, que d'avoir à remarquer les contradictions qui se trouveront nécessairement entre les principes & les idées de ses associés ? S'il n'est pas de sa fonction de les lever quand elles sont réelles, il le doit au moins quand elles ne sont qu'apparentes : & dans le premier cas, peut-il être dispensé de les indiquer, de les faire sortir, d'en marquer la source, de montrer la route commune que deux auteurs ont suivie, & le point de division où ils ont commencé à se séparer ; de balancer leurs raisons ; de proposer des observations & des expériences pour & contre ; de désigner, le côté de la vérité, ou celui de la vraisemblance ? Il ne mettra l'ouvrage à-couvert du reproche, qu'en observant expressément que ce n'est pas le dictionnaire qui se contredit, mais les Sciences & les Arts qui ne sont pas d'accord. S'il alloit plus loin ; s'il résolvoit les difficultés, il seroit homme de génie : mais peut-on exiger d'un éditeur qu'il soit homme de génie ? Et ne seroit-ce pas une folie que de demander qu'il fût un génie universel ?

Une attention que je recommanderai à l'éditeur qui nous succédera, & pour le bien de l'ouvrage, & pour la sûreté de sa personne, c'est d'envoyer aux censeurs les feuilles imprimées, & non le manuscrit. Avec cette précaution, les articles ne seront ni perdus, ni dérangés, ni supprimés ; & le paraphe du censeur, mis au bas de la feuille imprimée, sera le garant le plus sûr qu'on n'a ni ajoûté, ni altéré, ni retranché, & que l'ouvrage est resté dans l'état où il a jugé à-propos qu'il s'imprimât.

Mais le nom & la fonction de censeur me rappellent une question importante. On a demandé s'il ne vaudroit pas mieux qu'une Encyclopédie fût permise tacitement, qu'expressément approuvée : ceux qui soûtenoient l'affirmative, disoient : " alors les auteurs joüiroient de toute la liberté nécessaire pour en faire un excellent ouvrage. Combien on y traiteroit de sujets importans ! les beaux articles que le droit public fourniroit ! Combien d'autres qu'on pourroit imprimer à deux colonnes, dont l'une établiroit le pour, & l'autre le contre ! L'historique seroit exposé sans partialité ; le bien loüé hautement ; le mal blâmé sans réserve ; les vérités assûrées ; les doutes proposés ; les préjugés détruits, & l'usage des renvois politiques fort restreint ".

Leurs antagonistes répondoient simplement " qu'il valoit mieux sacrifier un peu de liberté, que de s'exposer à tomber dans la licence ; & d'ailleurs, ajoûtoient-ils, telle est la constitution des choses qui nous environnent, que si un homme extraordinaire s'étoit proposé un ouvrage aussi étendu que le nôtre, & qu'il lui eût été donné par l'Etre suprême de connoître en tout la vérité, il faudroit encore pour sa sécurité, qu'il lui fût assigné un point inaccessible dans les airs, d'où ses feuilles tombassent sur la terre ".

Puisqu'il est donc si à-propos de subir la censure littéraire, on ne peut avoir un censeur trop intelligent : il faudra qu'il sache se prêter au caractere général de l'ouvrage ; voir sans intérêt ni pusillanimité ; n'avoir de respect que pour ce qui est vraiment respectable ; distinguer le ton qui convient à chaque personne & à chaque sujet ; ne s'effaroucher ni des propos cyniques de Diogene, ni des termes techniques de Winslou, ni des syllogismes d'Anaxagoras ; ne pas exiger qu'on réfute, qu'on affoiblisse ou qu'on supprime, ce qu'on ne raconte qu'historiquement ; sentir la différence d'un ouvrage immense & d'un in-douze ; & aimer assez la vérité, la vertu, le progrès des connoissances humaines & l'honneur de la nation, pour n'avoir en vûe que ces grands objets.

Voilà le censeur que je voudrois : quant à l'homme que je desirerois pour auteur, il seroit ferme, instruit, honnête, véridique, d'aucun pays, d'aucune secte, d'aucun état ; racontant les choses du moment où il vit, comme s'il en étoit à mille ans, & celles de l'endroit qu'il habite, comme s'il en étoit à deux mille lieues. Mais à un si digne collegue, qui faudroit-il pour éditeur ? Un homme doüé d'un grand sens, célébre par l'étendue de ses connoissances, l'élevation de ses sentimens & de ses idées, & son amour pour le travail : un homme aimé & respecté par son caractere domestique & public ; jamais enthousiaste, à moins que ce ne fût de la vérité, de la vertu, & de l'humanité.

Il ne faut pas imaginer que le concours de tant d'heureuses circonstances ne laissât aucune imperfection dans l'Encyclopédie : il y aura toûjours des défauts dans un ouvrage de cette étendue. On les réparera d'abord par des supplémens, à mesure qu'ils se découvriront : mais il viendra nécessairement un tems où le public demandera lui-même une refonte générale ; & comme on ne peut savoir à quelles mains ce travail important sera confié, il reste incertain si la nouvelle édition sera inférieure ou préférable à la précédente. Il n'est pas rare de voir des ouvrages considérables, revûs, corrigés, augmentés par des mal-adroits, dégénérer à chaque réimpression, & tomber enfin dans le mépris. Nous en pourrions citer un exemple récent, si nous ne craignions de nous abandonner au ressentiment, en croyant céder à l'intérêt de la vérité.

L'Encyclopédie peut aisément s'améliorer ; elle peut aussi aisément se détériorer. Mais le danger auquel il faudra principalement obvier, & que nous aurons prévû, c'est que le soin des éditions subséquentes ne soit pas abandonné au despotisme d'une société, d'une compagnie, quelle qu'elle puisse être. Nous avons annoncé, & nous en attestons nos contemporains & la postérité, que le moindre inconvénient qui pût en arriver, ce seroit qu'on supprimât des choses essentielles ; qu'on multipliât à l'infini le nombre & le volume de celles qu'il faudroit supprimer ; que l'esprit de corps, qui est ordinairement petit, jaloux, concentré, infectât la masse de l'ouvrage ; que les Arts fussent négligés ; qu'une matiere d'un intérêt passager étouffât les autres ; & que l'Encyclopédie subît le sort de tant d'ouvrages de controverse. Lorsque les Catholiques & les Protestans, las de disputes & rassasiés d'injures, prirent le parti du silence & du repos ; on vit en un instant une foule de livres vantés, disparoître & tomber dans l'oubli, comme on voit tomber au fond d'un vaisseau, le sédiment d'une fermentation qui s'appaise.

Voilà les premieres idées qui se sont offertes à mon esprit sur le projet d'un Dictionnaire universel & raisonné de la connoissance humaine ; sur sa possibilité ; sa fin ; ses matériaux ; l'ordonnance générale & particuliere de ces matériaux ; le style ; la méthode ; les renvois ; la nomenclature ; le manuscrit ; les auteurs ; les censeurs ; les éditeurs, & le typographe.

Si l'on pese l'importance de ces objets, on s'appercevra facilement qu'il n'y en a aucun qui ne fournît la matiere d'un discours fort étendu ; que j'ai laissé plus de choses à dire que je n'en ai dites ; & que peut-être la prolixité & l'adulation ne seront pas au nombre des défauts qu'on pourra me reprocher.


ENDECAGONEvoyez HENDECAGONE.


ENDECASYLLABE(Belles-Lett.) Voyez HENDECASYLLABE.


ENDEMIQUEadj. m. & f. , vernaculus, populaire, terme de Médecine ; épithete que l'on donne à certaines maladies particulieres à un pays, à une contrée, où elles attaquent un grand nombre de personnes en même tems, & continuellement ou avec des intervalles, après lesquels la même maladie reparoît de la même nature, avec les mêmes symptomes à-peu-près.

Ainsi le plica en Pologne, les écroüelles en Espagne, le goëtre dans les pays voisins des Alpes, sont des maladies endémiques ; les fievres intermittentes dans les endroits marécageux, &c. parce qu'il y a toûjours un grand nombre de personnes dans chacun de ces lieux, qui sont affectées de ces maladies respectives.

La cause des maladies de ce caractere doit être commune à tous les habitans du lieu où elles regnent constamment ; par conséquent on ne peut la trouver que dans la situation & le climat particulier du pays, dans les qualités de l'air & des eaux qui lui sont propres, & dans la maniere de vivre. Voyez l'admirable traité d'Hippocrate, qui est relatif à ce sujet, de aëre, locis & aquis. Voyez EPIDEMIE. (d)


ENDENTÉadj. en termes de Blason, se dit d'un pal, d'une bande, d'une fasce, & autres pieces de triangles alternés de divers émaux. On appelle croix endentée, celle dont les branches sont terminées en façon de croix ancrée, & qui a une pointe comme un fer de lance entre les deux crochets.

Guaschi en Piémont, tranché, endenté d'or & d'azur.


ENDENTURES. f. (Jurispr.) du latin indentatura. C'étoit un papier partagé en deux colonnes, sur chacune desquelles le même acte étoit écrit ; ensuite on coupoit ce papier par le milieu, non pas tout droit, mais en formant à droite & à gauche des especes de dents, afin que quand on rapporteroit un des doubles de l'acte, on pût vérifier si c'étoit le véritable, en le rapprochant de l'autre, & observant si toutes les dents se rapportoient parfaitement : c'est ce que l'on appelloit charta partita, charta indentata, & en françois chartie ou endenture. Voyez CHARTE PARTIE. (A)


ENDETTÉadj. (Comm.) qui doit beaucoup, qui a contracté quantité de dettes. Voyez DETTES. (G)


ENDETTERENDETTER

ENDETTER, (s') c'est faire des dettes en son propre & privé nom. (G)


ENDIVES. f. (Bot. Mat. méd. & Jard.) en latin endivia ou intybus, espece de chicorée : cependant Ray l'en distingue, tant à cause de ses feuilles qui sont plus courtes, & non découpées, que parce que cette plante est annuelle, au lieu que la chicorée est vivace. Il y a trois sortes d'endives en usage ; savoir l'endive à feuilles larges ou commune, la petite endive, & l'endive ou chicorée frisée.

L'endive à feuilles larges, ou commune, autrement dite chicorée blanche, est nommée par les Botanistes endivia latifolia, scariola latifolia, endivia vulgaris, &c.

Ses racines sont fibreuses & laiteuses : ses feuilles sont couchées sur terre avant qu'elle monte en tige ; elles sont longues, larges, semblables à celles de la laitue, crénelées quelquefois à leur bord, un peu ameres. Les feuilles qui sont sur la tige, sont semblables à celles du lierre, mais plus petites. La tige est haute d'une coudée, ou d'une coudée & demie ; lisse, cannelée, creuse, branchue, tortue, donnant du lait quand on la blesse. Ses fleurs naissent à l'aisselle des feuilles ; elles sont bleues, semblables à celles de la chicorée sauvage, aussi-bien que les graines.

La petite endive, en latin endivia minor, seu angustifolia, off. ne differe de la précédente que par ses feuilles qui sont plus étroites, plus ameres au goût ; & par sa tige qui est plus branchue.

L'endive ou chicorée frisée, endivia crispa seu romana, cicorium crispum, off. a ses feuilles plus grandes que celles de l'endive commune. Elles sont crêpues, & sinuées à leur fond. Sa tige est plus élevée, plus grosse & plus tendre que celle des autres endives. Sa graine est noire. Il y a long-tems que les Jardiniers ont l'art de rendre frisée l'endive commune, quoique Ray regarde ces deux plantes comme étant d'une espece différente.

On seme l'endive dans les jardins, pour l'usage de la cuisine. Lorsqu'on la seme au printems, elle croît promtement, fleurit, porte des graines en été, & meurt ensuite ; mais quand on la seme en été, elle dure l'hyver, pourvû qu'on la couvre de terre au commencement de l'automne, après avoir lié auparavant ses feuilles : elle devient alors blanche comme de la neige, agréable au goût, & peut tenir lieu de salade en hyver. Voyez dans Miller l'art de sa culture.

Les feuilles fraîches d'endive verte paroissent contenir un sel essentiel, nitreux, ammoniacal, mêlé avec un peu d'huile subtile & de terre. Elles ne donnent dans les épreuves chimiques aucune marque d'acide, à cause de la grande quantité de sel urineux. Les feuilles d'endive que l'on a blanchies en les liant, donnent quelqu'acide, mais moins de sel volatil & de terre. Leur suc, quand on les lie pour les blanchir, fermente un peu intérieurement ; & par-là les sels volatils, qui sont en grande quantité dans cette plante, sont un peu développés, s'envolent en partie, & il reste de l'acide & de l'eau : la terre est, par cette même fermentation, mêlée plus intimement avec les autres principes. Ces feuilles ainsi blanchies, sont plus tendres & plus agréables au goût, que lorsqu'elles sont vertes, à cause de la partie acide, qui est plus développée avec les sels alkalis & les huiles. Les feuilles vertes sont ameres, à cause de la grossiereté des molécules salines, & de leur différent mélange avec l'huile & la terre.

Les endives ne sont guere moins connues dans les boutiques d'apoticaires que dans les cuisines ; on les y employe vertes & blanchies, sur-tout les feuilles, rarement les graines, & presque jamais les racines. Toutes les endives sont rafraîchissantes, détersives & apéritives, en vertu de leur sel nitreux, ammoniacal, subtil, délayé dans beaucoup de flegme. Elles rafraîchissent encore ; en emportant les humeurs retenues dans les visceres ; elles amollissent & détachent la bile visqueuse ; elles divisent la sérosité gluante ou la pituite épaissie. Elles sont donc utiles dans la jaunisse, dans les fievres ardentes & bilieuses, dans les obstructions du foie, dans toutes les inflammations & les hémorrhagies : en un mot, ses vertus sont les mêmes que celles de la chicorée. On les employe dans les bouillons, les aposemes tempérans, rafraîchissans & apéritifs. On les joint commodément aux feuilles de bourache, de buglose, de laitue, de pourpier, de pimprenelle, d'aigremoine, de scolopendre, de fumeterre. On en donne aussi le suc clarifié, ou la décoction, à la dose que l'on veut. Enfin la graine d'endive est mise au nombre des quatres petites semences froides, & entre dans les émulsions, au défaut des autres graines. Voyez Ray, Tournefort, Bradley, Herman, Miller, Geoffroy ; ils vous instruiront complete ment sur cette plante. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENDNIG(Géogr. mod.) ville de Suabe en Allemagne ; elle appartient au Brisgaw.


ENDORMIadj. (Marine) Quelques-uns disent un vaisseau endormi, lorsqu'il perd son erre, soit lorsqu'il prend vent de vent, soit lorsqu'il met côté en-travers, soit pour avoir mis les voiles sur le mât. (Z)


ENDOSSEMENTS. m. (Jurispr.) est l'écriture que l'on met au dos d'un acte, & qui y est relatif ; ainsi on appelle endossement, la quittance qu'un créancier met au dos de l'obligation ou promesse de son débiteur, de ce qu'il a reçu en l'acquit ou déduction de son dû. On appelle aussi endossement, la quittance que le seigneur ou son receveur donne au dos d'un contrat d'acquisition, pour les droits seigneuriaux à lui dûs pour cette acquisition. Coûtume de Peronne, art. 260. Enfin le terme d'endossement se dit principalement de l'ordre que quelqu'un passe au profit d'un autre, au dos d'une lettre ou billet de change qui étoit tiré au profit de l'endosseur. On peut faire consécutivement plusieurs de ces endossemens ; c'est-à-dire que celui au profit de qui la lettre est endossée, met lui-même son endossement au profit d'un autre. Tous ceux qui mettent ainsi leur ordre sont appellés endosseurs, & le dernier porteur d'ordre a pour garans solidaires tous les endosseurs, tireurs & accepteurs. Voyez CHANGE, BILLET DE CHANGE, TTRE DE CHANGEANGE, PROTET, TIREUR. (A)


ENDOSSER(Relieur) Endosser le livre lorsqu'il est passé en parchemin, c'est prendre deux ais que l'on place à chaque côté du dos, que l'on nomme le mord. On met le livre avec ses ais en presse, en ayant soin que les parchemins sortent de moitié hors du dos ; après quoi on prend un poinçon & un petit marteau avec lequel on arrange les cahiers du livre, le mord bien égalisé & le dos bien droit. On serre la presse le plus qu'on peut, après quoi on lie le livre avec une ficelle cablée. Voyez la presse à endosser dans nos Planches de Reliure. Voyez aussi l'art. RELIURE.


ENDOUZINNERen terme de Boyaudier, c'est l'action de tourner les cordes en rond, & de les assembler par douzaines.


ENDRACHENDRACH(Hist. nat. Bot.) nom d'un arbre qui croît dans l'île de Madagascar. Son bois est si dur & si compact, qu'il ne se corrompt jamais, même sous la terre. Cet arbre est fort élevé ; son bois est jaunâtre, pesant, & dur comme du fer. Son nom en langue du pays signifie durable. Hubner, dictionn. universel.


ENDROITLIEU, synon. (Gramm.) Ces mots désignent en général la place de quelque chose. Voici les nuances qui les distinguent. Lieu semble désigner une place plus étendue qu'endroit, & endroit désigne une place plus déterminée & plus limitée ; ainsi on peut dire : tel bourg est un lieu considérable, il commence à l'endroit où on a bâti telle maison. On dit aussi le lieu des corps, un homme de bas lieu, un endroit remarquable dans un auteur, un beau lieu, un vilain endroit, &c. (O)


ENDROMISS. f. (Hist. anc.) nom que les Grecs donnoient, selon Pollux le Grammairien, à la chaussure de Diane, qui, en qualité de chasseresse, devoit en porter une fort legere ; aussi nommoit-on ainsi celle que portoient les coureurs dans les jeux publics. On croit que c'étoit une espece de bottine ou de cothurne, qui couvroit le pié & une partie de la jambe, & qui laissoit à l'un & à l'autre toute la liberté de leurs mouvemens. Les Latins avoient attaché à ce mot une signification toute différente, puisqu'ils désignoient par-là une sorte de robe épaisse & grossiere dont les athletes se couvroient après la lutte, le pugilat, la course, la paume & les autres exercices violens, pour se garantir du froid ; au moins Martial dans une épigramme attribue-t-il toutes ces propriétés au vêtement qu'il nomme endromida. Chambers. (G)


ENDUIREv. act. (Gramm.) c'est étendre sur la surface d'un corps une épaisseur plus ou moins considérable d'une substance molle.

ENDUIRE UN BASSIN, (Hydraul.) On enduit un bassin neuf de ciment d'un bon pouce de mortier fin, que l'on frotte avec de l'huile. Si ce bassin a été gâté par la gelée, ou long-tems sans eau, on peut le repiquer au vif, & l'enduire de trois à quatre pouces de cailloutage, & d'un enduit général de ciment. (K)

ENDUIRE, v. neut. (Fauconn.) se dit de l'oiseau quand il digere bien sa chair. Cet oiseau enduit bien, c'est-à-dire qu'il digere bien.


ENDUITen Architecture, composition faite de plâtre, ou de mortier de chaux & de sable, ou de chaux & de ciment, pour revêtir les murs. Il faut entendre dans les auteurs, par albarium opus, l'enduit de lait de chaux à plusieurs couches ; par arenatum, le crépi où le sable est mêlé avec la chaux ; par marmoratum, le stuc ; & par tectorium opus, tout ouvrage qui sert d'enduit, d'incrustation & de revêtement aux murs de maçonnerie. (P)

ENDUIT, en Peinture, se dit des couches qu'on applique sur les toiles, sur les murailles, le bois, &c. On ne se sert guere de ce terme ; on dit couche.


ENDYMATIES(LES) Littérat. Les endymaties étoient des danses vêtues qui se dansoient en Arcadie au son de certains airs composés pour la flûte. Plutarque en parle dans son traité de la Musique, mais si laconiquement que l'on n'en sait pas davantage ; ainsi l'on ignore si ces danses entroient dans le culte religieux, si elles étoient militaires, ou si elles n'avoient lieu que dans les divertissemens, soit publics, soit particuliers. Quelle qu'en ait pû être la destination, il est toûjours certain que les danseurs y étoient vêtus ; au lieu que les Lacédémoniens voisins des Argiens, & leurs maîtres dans l'art militaire, dansoient tout nuds dans leurs gymnopédies. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENEMIE(SAINTE) Géogr. mod. petite ville du Gevaudan en France.


ENEORÊMES. m. (Médecine) ; c'est, selon Hippocrate & les autres médecins grecs, la partie hétérogene des urines gardées un certain tems, qui paroît distinguée par plus d'opacité, & qui est comme suspendue entre la surface de ce fluide excrémentitiel, & le fond du vase dans lequel il est contenu.

Si la matiere de l'éneorême se tient à la partie supérieure de l'urine, elle est appellée par cet auteur, Epid. lib. III. , sublimamentum : si elle se soûtient dans le milieu, sous la forme de nuage, il la nomme , nubecula ; si elle est plus pesante, & tend vers le fond du vase ; si elle paroît avoir plus de consistance, & ressemble à la matiere spermatique, il lui donne le nom de , geniturae similis.

Ces différens éneorêmes sont composés de parties huileuses, & d'un sable plus ou moins atténué, de sorte qu'il est plus ou moins leger, & se tient plus ou moins élevé dans l'urine. Selon Boerhaave, comment. institut. §. 382. la nubécule est principalement formée de sel muriatique. Il dit avoir observé que ceux qui ont vécu pendant long-tems d'alimens salés, & n'ont pas bû beaucoup, comme les matelots après des voyages de long cours, rendent des urines dans lesquelles on voit toûjours la nubécule. Si on la considere avec le microscope, on y distingue les parties du sel marin.

Pour ce qui est des présages que l'on peut tirer de l'éneorême, par rapport à ses différences de consistance & de couleur, voyez URINE. (d)


ENEOSTIS(Hist. nat.) pierres qui ressemblent à des os pétrifiés. Boëce de Boot les regarde comme une espece de la pierre nommée ossifragus lapis. Voy. Boëtius de Boot, de lapidib. &c. Il y en a qui sont d'une grandeur extraordinaire, & qu'on croit avoir appartenu à des éléphans dont les os ont été pétrifiés sous terre. (-)


ENERGETIQUESS. m. pl. terme dont on s'est servi quelquefois dans la Physique. On a appellé corps ou particules énergétiques, les corps ou particules qui paroissent avoir, pour ainsi dire, une force & une énergie innée, & qui produisent des effets différens, selon les différens mouvemens qu'elles ont ; ainsi, dit-on, on peut appeller les particules du feu & de la poudre à canon, des corpuscules énergétiques. Au reste ce mot n'est plus en usage. (O)


ENERGIEFORCE, synon. (Gramm.) Nous ne considérerons ici ces mots qu'en tant qu'ils s'appliquent au discours ; car dans d'autres cas leur différence saute aux yeux. Il semble qu'énergie dit encore plus que force ; & qu'énergie s'applique principalement aux discours qui peignent, & au caractere du style. On peut dire d'un orateur qu'il joint la force du raisonnement à l'énergie des expressions. On dit aussi une peinture énergique, & des images fortes. (O)


ENERGIQUESS. m. pl. (Hist. ecclés.) nom qu'on a donné dans le xvj. siecle à quelques sacramentaires, disciples de Calvin & de Melanchton, qui soûtenoient que l'Eucharistie n'étoit que l'énergie, c'est-à-dire la vertu de Jesus-Christ, & ne contenoit pas réellement son corps & son sang. Voyez CALVINISME. (G)


ENERGUMENEsubst. m. terme usité parmi les Théologiens & les Scholastiques, pour signifier une personne possédée du démon, ou tourmentée par le malin esprit. Voyez DEMON.

Papias prétend que les énergumenes sont ceux qui contrefont les actions du diable, & qui operent des choses surprenantes qu'on croit surnaturelles. Il ne paroît pas fort persuadé de leur existence ; mais l'Eglise l'admet, puisqu'elle les exorcise. Le concile d'Orange les exclut de la prêtrise, ou les prive des fonctions de cet ordre, quand la possession est postérieure à leur ordination. Chambers. (G)


ENERVATIONS. f. terme dont on se sert en Anatomie pour exprimer les tendons qui se remarquent dans les différentes parties des muscles droits du bas-ventre. Voyez DROIT.

Les fibres des muscles droits de l'abdomen ne vont pas d'une extrémité de ce muscle à l'autre, mais elles sont entre-coupées par des endroits nerveux que les anciens ont appellés énervations, quoiqu'ils soient de véritables tendons. Voyez TENDON.

Leur nombre n'est pas toûjours le même, puisque les uns en ont trois, d'autres quatre, &c. (L)

ENERVATION, enervatio, est plus un terme de Médecine que de l'usage ordinaire ; il signifie à-peu-près la même chose que débilitation, affoiblissement. On employe en françois le verbe énerver plus communément que son substantif, pour exprimer les effets de la débauche du vin, des femmes, qui rend les hommes qui s'y adonnent, foibles, débiles, énervés. Voyez DEBILITE, FOIBLESSE.

Le mot énervation est composé de nerf, nervus, & de e privatif. Nerf est là pris dans le sens du vulgaire, qui appelle de ce nom les tendons & les muscles même ; ainsi on dit d'un homme musculeux qu'il est nerveux : on dit par conséquent d'un homme nerveux, qu'il est fort, vigoureux ; & au contraire d'un homme exténué, usé, qu'il est énervé, sur-tout quand l'affoiblissement provient des excès mentionnés.

Enervation, dans cette signification, est donc ce que les Grecs appellent , virium prostratio. C'est un abattement de forces, une langueur dans l'exercice des fonctions. On restraint même quelquefois encore plus le sens du mot énerver, pour exprimer l'action d'affoiblir, qu'opére une trop grande & trop fréquente répétition de l'acte vénérien, ou de l'effusion de la liqueur séminale, excitée par quelque moyen que ce soit ; & on se sert du mot énervé, pour indiquer celui qui est affoibli par ces causes : ainsi on dit d'une femme voluptueuse qui a un commerce assidu de galanterie, & qui excite son amant à des excès fréquens, qu'elle énerve cet homme. On dit aussi de bien des jeunes gens qu'ils s'énervent par la mastupration, lorsqu'ils se livrent avec excès à ce pernicieux exercice. Voyez SEMENCE, MASTUPRATION. (d)


ENERVERv. act. (Man. Maréchall.) opération pratiquée dans l'intention de diminuer le volume de l'extrémité inférieure de la tête du cheval, & dans le dessein de remédier à l'imperfection de ses yeux.

Il n'est question que de le priver à cet effet d'une partie que la nature ne lui a pas sans-doute accordée en vain, mais que les Maréchaux extirpent malgré l'utilité dont elle peut lui être.

Cette partie n'est autre chose que les muscles releveurs de la lévre antérieure. Leur attache fixe est au-dessous de l'orbite, dans l'endroit où se joignent l'os angulaire, l'os maxillaire, & l'os zigomatique. De-là ils descendent le long des naseaux, & dès la partie moyenne ils se changent chacun en un tendon qui à son extrémité s'unit avec celui du côté opposé, en formant une espece d'aponévrose qui se termine dans le milieu de la levre. Ils différent de tous les autres muscles destinés à mouvoir ces portions de la bouche, en ce qu'ils composent un corps rond qui n'est point cutané, & qui n'a aucune adhérence à la peau.

Quoi qu'il en soit, on ouvre les tégumens dès l'origine de chaque tendon, on les soûleve ensuite avec la corne de chamois ; après quoi on les insere l'un & l'autre dans un morceau de bois fendu, ou dans un instrument de fer imaginé pour cet usage. On pratique de plus d'autres ouvertures un peu au-dessus de leur réunion : là on incise ; & en tournant les deux bâtons, ou l'instrument dans lequel ils sont pris & arrêtés, on attire en-dehors la portion coupée, & on les coupe de même dans le haut. Quelques maréchaux font d'abord leur incision en-haut, & les retirent par les ouvertures inférieures.

Je tenterois vainement de vanter ici l'étendue du génie & des lumieres de ceux qui ont eu la premiere idée de cette opération ; & je crois que le détail que j'en ai fait prouveroit plûtôt au contraire que l'ignorance seule ose tout, & que les chevaux ne doivent point être compris dans la cathégorie des animaux, qu'un homme d'esprit de ce siecle félicitoit de n'avoir point de médecin. (e)


ENFAITEMENTS. m. terme de Plombier ; ce sont des morceaux de plomb de différentes figures & garnis de divers ornemens, que les Plombiers placent sur les couvertures d'ardoises, pour en garnir les faîtes. Les enfaîtemens contiennent plusieurs pieces, comme des brifiers, des bourseaux, des membrons, des bavettes, des amusures, & autres.


ENFAITERv. act. en Architecture ; c'est couvrir de plomb le faîte des combles d'ardoise ; ou arrêter des tuiles faîtieres avec des arêtes, sur ceux qui ne sont couverts que de tuile. (P)


ENFANCES. f. (Médecine) C'est la premiere partie de la vie humaine, selon la division que l'on en fait en différens âges, eu égard à ce qu'elle peut durer naturellement ; ainsi on appelle enfance l'espace de tems qui s'écoule depuis la naissance jusqu'à ce que l'homme soit parvenu à avoir l'usage de la raison, c'est-à-dire à l'âge de sept à huit ans. Voyez ENFANT, AGE.

Le bonheur dont on peut joüir dans ce monde, se réduit à avoir l'esprit bien réglé & le corps en bonne disposition : mens sana in corpore sano, dit Juvenal, sat. x. ainsi comme il faut posséder ces deux avantages, qui renferment tous les autres, pour n'avoir pas grand'chose à desirer d'ailleurs, on ne sauroit trop s'appliquer, pour le bien de l'humanité, à rechercher les moyens propres à en procurer la conservation ; lorsqu'on en joüit, à les perfectionner autant qu'il est possible, & à les rétablir lorsqu'on les a perdus.

C'est à l'égard de l'esprit que l'on trouve bien des préceptes concernant l'éducation des enfans : il en est peu concernant les soins que l'on doit prendre du corps pendant l'enfance : cependant quoique l'esprit soit la plus considérable partie de l'homme, & qu'on doive s'attacher principalement à le bien régler, il ne faut pas négliger le corps, à cause de l'étroite liaison qu'il y a entr'eux. La disposition des organes a le plus de part à rendre l'homme vertueux ou vicieux, spirituel ou idiot.

Il est donc du ressort de la Médecine de prescrire la conduite que doivent tenir les personnes chargées d'élever les enfans, & de veiller à tout ce qui peut contribuer à la conservation & à la perfection de leur santé ; à leur faire une constitution qui soit le moins qu'il est possible sujette aux maladies. C'est dans ce tems de la vie, où le tissu des fibres est plus délicat, où les organes sont le plus tendres, que l'économie animale est le plus susceptible des changemens avantageux ou nuisibles conséquemment au bon ou au mauvais effet des choses nécessaires, dont l'usage ou les impressions sont inévitables ; ainsi il est très-important de mettre de bonne heure à profit cette disposition, pour perfectionner ou fortifier le tempérament des enfans, selon qu'ils sont naturellement robustes ou foibles.

Tous ceux qui ont écrit sur ce sujet, s'accordent à-peu-près à proposer dans cette vûe une méthode, qui se réduit à ce peu de regles très-faciles à pratiquer ; savoir, de ne nourrir les enfans que de viandes les plus communes ; de leur défendre l'usage du vin & de toutes les liqueurs fortes ; de ne leur donner que peu ou point de médecines ; de leur permettre de rester souvent au grand air ; de les laisser s'exposer eux-mêmes au soleil, aux injures du tems ; de ne pas leur tenir la tête couverte ; d'accoûtumer leurs piés au froid, à l'humidité ; de leur faire prendre de l'exercice ; de les laisser bien dormir, sur-tout dans les premieres années de leur vie ; de les faire cependant lever de bon matin ; de ne leur pas faire des habits trop chauds & trop étroits ; de leur faire contracter l'habitude d'aller à la selle régulierement ; de les empêcher de se livrer à une trop forte contention d'esprit, de ne l'exercer d'abord que très-modérément, & d'en augmenter l'application par degrés. En se conformant à ces regles jusqu'à l'habitude, il n'y a presque rien que le corps ne puisse endurer, presque point de genre de vie auquel il ne puisse s'accoûtumer. C'est ce que l'on trouve plus amplement établi dans l'article HYGIENE, où sont expliquées les raisons sur lesquelles est fondée cette pratique. Voyez aussi l'ouvrage de Locke sur l'éducation des enfans, traduit de l'anglois par M. Coste. (d)

* ENFANCE DE JESUS-CHRIST, (Filles de l') Hist. ecclés. congrégation dont le but étoit l'instruction de jeunes filles, & le secours des malades. On n'y recevoit point de veuves : on n'épousoit la maison qu'après deux ans d'essai : on ne renonçoit point aux biens de famille en s'attachant à l'institut : il n'y avoit que les nobles qui pussent être supérieures. Quant aux autres emplois, les roturieres y pouvoient prétendre ; il y en avoit cependant plusieurs d'abaissées à la condition de suivantes, de femmes de chambre, & de servantes. Cette communauté bizarre commença à Toulouse en 1657. Ce fut un chanoine de cette ville qui lui donna dans la suite des réglemens qui ne réparerent rien ; on y observa au contraire d'en bannir les mots de dortoir, de chauffoir, de refectoire, & autres qui sentent le monastere. On ne s'appelloit point soeurs. Les filles de l'enfance de Jesus prenoient des laquais, des cochers ; mais il falloit que ceux-ci fussent mariés, & que les autres n'eussent point servi de filles dans le monde. Elles ne pouvoient choisir un régulier pour confesseur. Le chanoine de Toulouse soûtenant contre toute remontrance la sagesse profonde de ses réglemens, & n'en voulant pas démordre, le roi Louis XIV. cassa l'institut, & renvoya les filles de l'enfance de Jesus-Christ chez leurs parens. Elles avoient alors cinq ou six établissemens, tant en Provence qu'en Languedoc.


ENFANTS. m. fils ou fille, (Droit nat. Morale) relation de fils ou de fille à ses pere & mere, quoique dans le droit romain le nom d'enfant comprenne aussi les petits-fils, soit qu'ils descendent des mâles ou des femelles.

Les enfans ayant une relation très-étroite avec ceux dont ils ont reçû le jour, la nourriture & l'éducation, sont tenus par ces motifs à remplir vis-à-vis de leurs pere & mere des devoirs indispensables, tels que la déférence, l'obéissance, l'honneur, le respect ; comme aussi de leur rendre tous les services & leur donner tous les secours que peuvent inspirer leur situation & leur reconnoissance.

C'est par une suite de l'état de foiblesse & d'ignorance où naissent les enfans, qu'ils se trouvent naturellement assujettis à leurs pere & mere, auxquels la nature donne tout le pouvoir nécessaire pour gouverner ceux dont ils doivent procurer l'avantage.

Il résulte de-là que les enfans doivent de leur côté honorer leurs pere & mere en paroles & en effets. Ils leur doivent encore l'obéissance, non pas cependant une obéissance sans bornes, mais aussi étendue que le demande cette relation, & aussi grande que le permet la dépendance où les uns & les autres sont d'un supérieur commun. Ils doivent avoir pour leurs pere & mere des sentimens d'affection, d'estime & de respect, & témoigner ces sentimens par toute leur conduite. Ils doivent leur rendre tous les services dont ils sont capables, les conseiller dans leurs affaires, les consoler dans leurs malheurs, supporter patiemment leurs mauvaises humeurs & leurs défauts. Il n'est point d'âge, de rang, ni de dignité, qui puisse dispenser un enfant de ces sortes de devoirs. Enfin un enfant doit aider, assister, nourrir son pere & sa mere, quand ils sont tombés dans le besoin & dans l'indigence ; & l'on a loüé Solon d'avoir noté d'infamie ceux qui manqueroient à un tel devoir, quoique la pratique n'en soit pas aussi souvent nécessaire que celle de l'obligation où sont les peres & meres de nourrir & d'élever leurs enfans.

Cependant pour mieux comprendre la nature & les justes bornes des devoirs dont nous venons de parler, il faut distinguer soigneusement trois états des enfans, selon les trois tems différens de leur vie.

Le premier est lorsque leur jugement est imparfait, & qu'ils manquent de discernement, comme dit Aristote.

Le second, lorsque leur jugement étant mûr, ils sont encore membres de la famille paternelle ; ou, comme s'exprime le même philosophe, qu'ils n'en sont pas encore séparés.

Le troisieme & dernier état, est lorsqu'ils sont sortis de cette famille par le mariage dans un âge mûr.

Dans le premier état, toutes les actions des enfans sont soûmises à la direction de leurs pere & mere : car il est juste que ceux qui ne sont pas capables de se conduire eux-mêmes, soient gouvernés par autrui ; & il n'y a que ceux qui ont donné la naissance à un enfant, qui soient naturellement chargés du soin de le gouverner.

Dans le second état, c'est-à-dire lorsque les enfans ont atteint l'âge où leur jugement est mûr, il n'y a que les choses qui sont de quelqu'importance pour le bien de la famille paternelle ou maternelle, à l'égard desquelles ils dépendent de la volonté de leurs pere & mere ; & cela par cette raison, qu'il est juste que la partie se conforme aux intérêts du tout. Pour toutes les autres actions, ils ont alors le pouvoir moral de faire ce qu'ils trouvent à propos ; ensorte néanmoins qu'alors même ils doivent toûjours tâcher de se conduire, autant qu'il est possible, d'une maniere agréable à leurs parens.

Cependant comme cette obligation n'est pas fondée sur un droit que les parens ayent d'en exiger à la rigueur les effets, mais seulement sur ce que demandent l'affection naturelle, le respect & la reconnoissance envers ceux de qui on tient la vie & l'éducation, si un enfant vient à y manquer, ce qu'il fait contre le gré de ses parens n'est pas plus nul pour cela, qu'une donation faite par un légitime propriétaire contre les régles de l'économie, ne devient invalide par cette seule raison.

Dans le troisieme & dernier état, un enfant est maître absolu de lui-même à tous égards ; mais il ne laisse pas d'être obligé à avoir pour son pere & pour sa mere, pendant tout le reste de sa vie, les sentimens d'affection, d'honneur & de respect, dont le fondement subsiste toûjours. Il suit de ce principe, que les actes d'un Roi ne peuvent point être annullés, par la raison que son pere ou sa mere ne les ont pas autorisés.

Si un enfant n'acquéroit jamais un degré de raison suffisant pour se conduire lui-même, comme il arrive aux innocens & aux lunatiques de naissance, il dépendroit toûjours de la volonté de son pere & de sa mere ; mais ce sont-là des exemples rares, & hors du cours ordinaire de la nature : ainsi les liens de la sujetion des enfans ressemblent à leurs langes, qui ne leur sont nécessaires qu'à cause de la foiblesse de l'enfance. L'âge qui amene la raison, les met hors du pouvoir paternel, & les rend maîtres d'eux-mêmes ; ensorte qu'ils sont alors aussi égaux à leur pere & à leur mere, par rapport à l'état de liberté, qu'un pupille devient égal à son tuteur après le tems de la minorité réglé par les lois.

La liberté des enfans venus en âge d'hommes faits, & l'obeissance qu'ils doivent avant ce tems à leur pere & à leur mere, ne sont pas plus incompatibles que ne l'est, selon les plus zélés défenseurs de la monarchie absolue, la sujetion où se trouve un prince pendant sa minorité, par rapport à la reine régente, à sa nourrice, à ses tuteurs ou à ses gouverneurs, avec le droit qu'il a à la couronne qu'il hérite de son pere, ou avec l'autorité souveraine dont il sera un jour revêtu, lorsque l'âge l'aura rendu capable de se conduire lui-même & de conduire les autres.

Quoique les enfans, dès-lors qu'ils se trouvent en âge de connoître ce que demandent d'eux les lois de la nature, ou celles de la société civile dont ils sont membres, ne soient pas obligés de violer ces lois pour satisfaire leurs parens, un enfant est toûjours obligé d'honorer son pere & sa mere, en reconnoissance des soins qu'ils ont pris de lui, & rien ne sauroit l'en dispenser. Je dis qu'il est toûjours obligé d'honorer son pere & sa mere, parce que la mere a autant de droit à ce devoir que le pere ; jusque-là que si le pere même ordonnoit le contraire à son enfant, il ne doit point lui obéir.

Mais j'ajoûte en même tems ici, & très-expressément, que les devoirs d'honneur, de respect, d'attachement, de reconnoissance, dûs aux peres & meres, peuvent être plus ou moins étendus de la part des enfans, selon que le pere & la mere ont pris plus ou moins de soin de leur éducation, & s'y sont plus ou moins sacrifiés ; autrement un enfant n'a pas grande obligation à ses parens, qui, après l'avoir mis au monde, ont négligé de pourvoir selon leur état, à lui fournir les moyens de vivre un jour heureusement ou utilement, tandis qu'eux-mêmes se sont livrés à leurs plaisirs, à leurs goûts, à leurs passions, à la dissipation de leur fortune, par ces dépenses vaines & superflues dont on voit tant d'exemples dans les pays de luxe. " Vous ne méritez rien de la patrie, dit avec raison un poëte romain, pour lui avoir donné un citoyen, si par vos soins il n'est utile à la république dans la guerre & dans la paix, & s'il n'est propre à faire valoir nos terres ".

Gratum est, quod patriae civem, populoque dedisti ;

Si facis ut patriae sit idoneus, utilis agris,

Utilis & bellorum, & pacis rebus agendis.

Juven. sat. xjv. 70. & seqq.

Il est donc aisé de décider la question long-tems agitée, si l'obligation perpétuelle où sont les enfans envers leurs pere & mere, est fondée principalement sur la naissance, ou sur les bienfaits de l'éducation. En effet, pour pouvoir raisonnablement prétendre que quelqu'un nous ait grande obligation d'un bien qu'il reçoit par notre moyen, il faut avoir sû à qui l'on donnoit ; considérer si ce que l'on a fait a beaucoup coûté ; si l'on a eû intention de rendre service à celui qui en a profité, plûtôt que de se procurer à soi-même quelque utilité ou quelque plaisir ; si l'on s'y est porté par raison plûtôt que par les sens, ou pour satisfaire ses desirs ; enfin si ce que l'on donne peut être utile à celui qui le reçoit, sans que l'on fasse autre chose en sa faveur. Ces seules réflexions convaincront aisément, que l'éducation est d'un tout autre poids, pour fonder les devoirs des enfans envers leurs pere & mere, que ne l'est la naissance.

On agite encore sur ce sujet plusieurs questions importantes, mais dont la plûpart peuvent être résolues par les principes que nous avons établis : voici néanmoins les principales.

1°. On demande si les promesses & les engagemens d'un enfant sont valides. Je réponds que les promesses & les engagemens d'un enfant qui se trouve dans le premier état d'enfance dont nous avons parlé, sont nulles ; parce que tout consentement suppose 1°. le pouvoir physique de consentir ; 2°. un pouvoir moral, c'est-à-dire l'usage de la raison ; 3°. un usage sérieux & libre de ces deux sortes de pouvoir. Or les enfans qui n'ont pas l'usage de la raison, ne sont point dans ce cas ; mais quand le jugement est parfaitement formé, il n'est pas douteux que dans le droit naturel, l'enfant qui s'est engagé librement à quelque chose, où il n'a point été surpris ni trompé, comme à quelque emprunt d'argent, ne doive payer cet emprunt sans se prévaloir du bénéfice des lois civiles.

2°. On demande, si un enfant parvenu à un âge mûr, ne peut pas sortir de sa famille, sans l'acquiescement de ses pere & mere. Je réponds que dans l'indépendance de l'état de nature, les chefs de famille ne peuvent pas retenir un tel enfant malgré lui, lorsqu'il demande à se séparer de ses parens pour vivre en liberté, & par des raisons valables.

Il suit de ce principe, que les enfans en âge mûr peuvent se marier sans le consentement de leur pere & de leur mere, parce que l'obligation d'écouter & de respecter les conseils de ses supérieurs n'ôte pas par elle-même le droit de disposer de son bien & de sa personne. Je sai que le droit des peres & meres est légitimement fondé sur leur puissance, sur leur amour, sur leur raison ; tout cela est vrai, tant que les enfans sont dans l'état d'ignorance, & les passions dans l'état d'ivresse : mais quand les enfans ont atteint l'âge où se trouve la maturité de la raison, ils peuvent disposer de leur personne dans l'acte où la liberté est la plus nécessaire, c'est-à-dire dans le mariage ; car on ne peut aimer par le coeur d'autrui. En un mot, le pouvoir paternel consiste à élever & gouverner ses enfans, pendant qu'ils ne sont pas en état de se conduire eux-mêmes, mais il ne s'étend pas plus loin dans le droit de nature. Voyez PERE, MERE, POUVOIR PATERNEL.

3°. On demande si les enfans, ceux-là même qui sont encore dans le ventre de leur mere, peuvent acquérir & conserver un droit de propriété sur les biens qu'on leur transfere. Les nations civilisées l'ont ainsi établi ; de plus, la raison & l'équité naturelle autorisent cet établissement.

4°. Enfin on demande, si les enfans peuvent être punis pour le crime de leur pere ou de leur mere. Mais c'est-là une demande honteuse : personne ne peut être puni raisonnablement pour un crime d'autrui, lorsqu'il est lui-même innocent. Tout mérite & démérite est personnel, ayant pour principe la volonté de chacun, qui est le bien le plus propre & le plus incommunicable de la vie ; ce sont donc des lois humaines également injustes & barbares, que celles qui condamnent les enfans pour le crime de leur pere. C'est la fureur despotique, dit très-bien l'auteur de l'esprit des lois, " qui a voulu, que la disgrace du pere entraînât celle des enfans & des femmes : ils sont déja malheureux sans être criminels ; & d'ailleurs il faut que le prince laisse entre l'accusé & lui des supplians, pour fléchir sa clémence ou pour éclairer sa justice. Article de M(D.J.)

ENFANT, (Jurisprudence) Outre celui qui doit la naissance à quelqu'un, sous le nom d'enfans, on comprend encore les petits- enfans & arriere-petits-enfans.

La principale fin du mariage est la procréation des enfans, c'est la seule voie légitime pour en avoir. Ceux qui naissent hors le mariage ne sont que des enfans naturels ou bâtards. Chez les Romains il y avoit une autre sorte d'enfans légitimes qui étoient les enfans adoptifs : mais parmi nous il reste peu de vestige des adoptions. Voyez ADOPTION.

C'étoit une maxime chez les Romains, que l'enfant suivoit la condition de sa mere & non celle du pere, ce que les lois expriment par ces termes, partus sequitur ventrem : ainsi l'enfant né d'une esclave étoit aussi esclave, quoique le pere fût libre ; & vice versâ, l'enfant né d'une femme libre l'étoit pareillement, quoique le pere fût esclave, ce qui a encore lieu pour les esclaves que nous avons dans les îles.

Mais en France, dans la plûpart des pays où il reste encore des serfs & gens de main-morte, le ventre n'affranchit pas ; les enfans suivent la condition du pere.

Il en est de même par rapport à la noblesse ; autrefois en Champagne le ventre anoblissoit, mais cette noblesse utérine n'a plus lieu.

Le droit naturel & le droit positif ont établi plusieurs droits & devoirs réciproques entre les pere & mere & les enfans.

Les pere & mere doivent prendre soin de l'éducation de leurs enfans, soit naturels ou légitimes, & leur fournir des alimens, du moins jusqu'à ce qu'ils soient en état de gagner leur vie, ce que l'on fixe communément à l'âge de 7 ans.

Les biens des pere & mere décedés ab intestat, sont dévolus à leurs enfans ; où s'il y a un testament, il faut du moins qu'ils ayent leur légitime, & les enfans naturels peuvent demander des alimens.

Les enfans de leur part doivent honorer leurs pere & mere, & leur obéir en tout ce qui n'est pas contraire à la religion & aux lois. Ils sont en la puissance de leurs pere & mere jusqu'à leur majorité ; & même en pays de droit écrit, la puissance paternelle continue après la majorité, à moins que les enfans ne soient émancipés.

Suivant l'ancien droit romain, les peres avoient le pouvoir de vendre leurs enfans & de les mettre dans l'esclavage ; ils avoient même sur eux droit de vie & de mort, & par une suite de ce droit barbare, ils avoient aussi le pouvoir de tuer un enfant qui naissoit avec quelque difformité considérable : mais ce droit de vie & de mort fut réduit au droit de correction modérée, & au pouvoir d'exhéréder les enfans pour de justes causes : il en est de même parmi nous, quoique les Gaulois eussent aussi droit de vie & de mort sur leurs enfans. Voyez PUISSANCE PATERNELLE & ÉMANCIPATION.

Les mineurs n'étant pas réputés capables de gouverner leur bien, on leur donne des tuteurs & curateurs ; ils tombent aussi en garde noble ou bourgeoise. Voyez GARDE, TUTELE, CURATELLE.

Les enfans mineurs ne peuvent se marier sans le consentement de leur pere & mere ; les fils ne peuvent leur faire les sommations respectueuses qu'à 30 ans, & les filles à 25, à peine d'exhérédation.

Si les pere & mere & autres ascendans tombent dans l'indigence, leurs enfans leur doivent des alimens ; ils doivent même en pays de droit écrit, une légitime à leurs ascendans.

Le nombre des enfans excuse le pere de la tutele ; trois enfans suffisoient à Rome, il en falloit quatre en Italie, & cinq dans les provinces : ceux qui avoient ce nombre d'enfans joüissoient encore de plusieurs autres priviléges. Parmi nous trois enfans excusent de tutele & curatelle.

Par deux Edits de 1666 & de 1667, il avoit été accordé des pensions & plusieurs autres priviléges à ceux qui auroient dix ou douze enfans nés en loyal mariage, non prêtres, ni religieux ou religieuses, & qui seroient vivans ou décedés en portant les armes pour le service du roi ; mais ces priviléges ont été révoqués par une déclaration du 13 Janvier 1683.

Les enfans ne peuvent être obligés de déposer contre leur pere, & le témoignage qu'ils donnent en sa faveur est rejetté : un notaire ou autre officier public ne peut même prendre ses enfans pour témoins instrumentaires.

Le pere est civilement responsable du délit de ses enfans étant en sa puissance ; anciennement les enfans étoient aussi punis pour le délit de leur pere. Tassillon roi de Baviere ayant été condamné par le Parlement en 788, fut renfermé dans un monastere avec son fils, qui fut jugé coupable par le malheur de sa seule naissance.

Présentement les enfans ne sont point punis pour le délit du pere, si ce n'est pour crime de lése-majesté : lorsque Jacques d'Armagnac duc de Nemours eut la tête tranchée le 4 Août 1477 sous Loüis XI. on mit sous l'échafaud les deux enfans du coupable, afin que le sang de leur pere coulât sur eux.

Chez les Romains, les enfans des décurions étoient obligés de prendre le même état que leur pere, qui étoit une charge très-onéreuse ; au lieu que parmi nous il est libre aux enfans d'embrasser tel état que bon leur semble, &c. Voyez le traité des minorités, tuteles & curatelles, ch. xj. (A)

ENFANT ADOPTIF, est celui qui est considéré comme l'enfant de quelqu'un, quoiqu'il ne le soit pas réellement, au moyen de l'adoption que le pere adoptif a fait de lui. Voyez ADOPTION. (A)

ENFANT ADULTERIN, est celui qui est né d'un commerce adultérin, soit que l'adultere soit simple ou double, c'est-à-dire des deux côtés. (A)

ENFANT AGE ou EN AGE, signifie celui qui est majeur, soit de majorité parfaite, ou de majorité féodale ou coûtumiere ; ce qui doit s'entendre secundum subjectam materiam. (A)

ENFANT EN BAS AGE, est celui qui est au-dessous de l'âge de puberté. (A)

ENFANT BATARD, c'est celui qui est né hors le mariage. Voyez ADULTERE, BATARDISE & INCESTE. (A)

ENFANT CONÇU, est celui qui est dans le sein de la mere, & qui n'est pas encore né. (A)

ENFANT EMANCIPE. Voyez ci-dessus EMANCIPATION.

ENFANT EXPOSE, ou comme on l'appelle vulgairement, un enfant trouvé, est un enfant nouveau-né ou en très-bas âge & hors d'état de se conduire, que ses parens ont exposé hors de chez eux, soit pour ôter au public la connoissance qu'il leur appartient, soit pour se débarrasser de la nourriture, entretien & éducation de cet enfant.

Cette coûtume barbare est fort ancienne ; car il étoit fréquent chez les Grecs & les Romains que les peres exposoient leurs enfans : cette exposition fut même permise sous l'empire de Diocletien, de Maximien & de Constantin, & cela sans-doute, pour empêcher les peres qui n'auroient pas le moyen de nourrir leurs enfans, de les vendre.

Néanmoins Constantin voulant empêcher que l'on n'exposât les enfans nouveau-nés, permit aux peres qui n'auroient pas le moyen de les nourrir, de les vendre, à condition que le pere pourroit racheter son fils, ou que le fils pourroit dans la suite se racheter lui-même.

Les empereurs Valens, Valentinien & Gratien défendirent absolument l'exposition des enfans. Il étoit permis aux peres qui n'avoient pas le moyen de les nourrir, de demander publiquement.

L'exposition de part ou des enfans est aussi défendue en France par les ordonnances. Voyez ci-après EXPOSITION.

Il y avoit anciennement devant la porte des églises une coquille de marbre où l'on mettoit les enfans que l'on vouloit exposer ; on les portoit en ce lieu afin que quelqu'un touché de compassion se chargeât de les nourrir. Ils étoient levés par les marguilliers qui en dressoient procès-verbal & cherchoient quelqu'un qui voulût bien s'en charger, ce qui étoit confirmé par l'autorité de l'évêque, & l'enfant devenoit serf de celui qui s'en chargeoit.

Quelques-uns prétendoient que ces enfans devoient être nourris aux dépens des marguilliers ; l'autres, que c'étoit à la charge des habitans : mais les réglemens ont enfin établi que c'est au seigneur haut-justicier du lieu à s'en charger, comme joüissant des droits du fisc sur lequel cette charge doit être prise ; & par cette raison, dans les coûtumes telles que celle d'Anjou & autres, où les moyens & bas-justiciers prennent les épaves, les deshérences & la succession des bâtards, la nourriture des enfans exposés doit être à leur charge.

Dans les endroits où il y a des hôpitaux établis pour les enfans trouvés ou exposés, on y reçoit nonseulement ceux qui sont exposés, mais aussi tous enfans de pauvres gens quoiqu'ils ayent leurs pere & mere vivans ; à Paris on n'en reçoit guere au-dessus de quatre ans.

Les enfans exposés ne sont point réputés bâtards ; & comme il y en a souvent de légitimes qui sont ainsi exposés, témoin l'exemple de Moyse, on présume dans le doute pour ce qui est de plus favorable.

On pousse encore cette présomption plus loin en Espagne ; car à Madrid les enfans exposés sont bourgeois de cette ville & réputés gentilshommes, tellement qu'ils peuvent entrer dans l'ordre d'Habsito. Voyez Fevret de l'abus, liv. VII. ch. jx. n. 7. le traité des minorités de M. Mêlé, p. 193 ; le traité des fiefs de Poquet de Livonieres, liv. VI. ch. v. (A)

ENFANS DE FAMILLE, sont les fils & filles qui sont en la puissance de leur pere. Voyez PUISSANCE PATERNELLE. (A)

ENFANS DE FRANCE, sont les enfans & petits- enfans mâles & femelles des rois : les freres & soeurs du roi regnant & leurs enfans joüissent de ce titre, mais il ne s'étend point au-delà ; leurs petits- enfans ont seulement le titre de princes du sang.

Les filles de France ont toujours été exclues de la couronne ; mais sous les deux premieres races de nos rois, tous les fils partageoient également le royaume entr'eux, sans que l'aîné eût aucune prérogative de plus que les autres. Les bâtards avoüés héritoient même avec les fils légitimes ; chacun des fils, soit légitimes ou naturels, tenoit sa part en titre de royaume, & ces différens états étoient indépendans les uns des autres.

Le premier fils puîné de France qui n'eut point le titre de roi, ni même de légitime, fut Charles de France surnommé le jeune, qui fut duc de Lorraine.

Sous la troisieme race, fut introduite la coûtume de donner des apanages aux puînés. Les femelles en furent excluses. Voyez APANAGES.

Les filles & petites-filles de France sont dotées en argent. Voyez ci-dessus au mot DOT.

Les enfans de France avoient autrefois droit de prise. Voyez PRISE. (A)

ENFANT IMPUBERE, est celui qui n'a pas encore atteint l'âge de puberté. (A)

ENFANT INCESTUEUX, est celui qui est né du commerce illicite du frere & de la soeur, ou du pere & de la fille, de la mere & du fils ; ou qui est provenu d'un inceste spirituel, c'est à-dire du commerce que quelqu'un a eu avec une religieuse. V. INCESTE. (A)

ENFANT LEGITIME, est celui qui est provenu d'un mariage légitime, ou qui a été légitimé par mariage subséquent. Voyez MARIAGE.

ENFANT LEGITIME, est celui qui étant né dans l'état de bâtardise, a depuis été légitimé, soit par mariage subséquent ou par lettres du prince. Voy. LEGITIMATION. (A)

ENFANT MAJEUR ou MAJEUR D'ANS, est celui qui a atteint l'âge de majorité, soit parfaite, soit féodale ou coûtumiere. Voyez MAJORITE. (A)

ENFANT MALE, est celui qui est du sexe masculin : les enfans mâles descendans des mâles sont préférés en plusieurs cas à ceux qui descendent des femelles ; par exemple, pour la succession à la couronne, il n'y a que les mâles descendans par mâles, qui soient habiles à succéder. Dans les substitutions graduelles, on appelle ordinairement les mâles descendans par mâles avant les mâles descendans des femelles. Voyez SUBSTITUTION. (A)

ENFANT MINEUR, est celui qui n'a pas encore atteint l'âge de majorité, soit parfaite, féodale ou coûtumiere : quand on dit mineur de 25 ans, c'est-à-dire qu'il n'a pas encore atteint cet âge qui est la majorité parfaite. Voyez MAJORITE. (A)

ENFANT MORT-NE, est celui qui est mort lorsqu'il vient au monde : ces sortes d'enfans sont considerés comme s'ils n'avoient jamais été, ni nés, ni conçus, tellement que les successions qui leur étoient échûes pendant qu'ils vivoient dans le sein de leur mere, passent aux personnes à qui elles auroient appartenu si ces enfans n'eussent pas été conçus ; & ils ne les transmettent pas à leurs héritiers, parce que le droit qu'ils avoient à ces successions n'étoit qu'une espérance qui renfermoit la condition qu'ils fussent vivans en venant au monde. Voyez la loi 2. au cod. de posthum. haered. instit. (A)

ENFANS A NAISTRE. On comprend sous ce terme non seulement ceux qui sont déja conçûs, mais même ceux qui ne sont ni nés ni conçus : on peut faire une institution, soit contractuelle ou par testament, ou une substitution, ou un legs au profit des enfans à naître ; mais l'Ordonnance de 1735 pour les testamens, déclare, art. 49, que l'institution d'héritier faite par testament ne pourra valoir en aucun cas, si celui ou ceux au profit de qui elle aura été faite, n'étoient ni nés ni conçûs lors du décès du testateur. On donne un tuteur aux enfans à naître lorsqu'ils ont quelques intérêts à soûtenir. Voyez Furgole, tr. des testamens, tom. I. chap. vj. sect. 1. n. 5. & suiv.

ENFANT NATUREL, est celui qui est procréé selon la nature seule, c'est-à-dire hors le mariage. Voyez BATARD & BATARDISE. (A)

ENFANT NATUREL ET LEGITIME, est celui qui est procréé d'un mariage légitime : les enfans légitimes sont ainsi appellés dans quelques provinces, pour les distinguer des enfans adoptifs qui sont mis au rang des enfans légitimes, & ne sont pas en même tems enfans naturels. (A)

ENFANS EN PUISSANCE DE PERE ET DE MERE, sont ceux qui sont encore mineurs & non émancipés, & même en pays de droit écrit, les enfans majeurs non émancipés. Voyez FILS DE FAMILLE & PUISSANCE PATERNELLE. (A)

ENFANS (Petits) sont les enfans des enfans. On comprend aussi sous ce nom les arriere-petits-enfans en quelque degré qu'ils soient. (A)

ENFANS POSTHUMES sont ceux qui naissent après le décès de leur pere, quasi post humatum patrem. Voyez POSTHUME. (A)

ENFANT DU PREMIER LIT, c'est-à-dire du premier mariage ; enfant du second lit, c'est du second mariage, & ainsi des autres. (A)

ENFANT PUBERE, est celui qui a atteint l'âge de puberté, sçavoir 14 ans pour les mâles & 12 ans pour les filles. Voyez PUBERTE. (A)

ENFANT PUTATIF, est celui qui est réputé être procréé de quelqu'un, quoiqu'il ne le soit pas réellement, tel qu'un enfant adoptif ou un enfant supposé. (A)

ENFANT DU SECOND LIT. Voyez ci-dessus ENFANT DU PREMIER LIT.

ENFANT SUPPOSE, est celui que l'on suppose faussement être né de deux personnes, quoiqu'il provienne d'ailleurs. Voyez PART & SUPPOSITION DE PART. (A)

ENFANS TROUVES. Voyez ci-dessus ENFANS EXPOSES. (A)

* ENFANS, (Hist. anc.) Ils étoient ou légitimes, ou naturels & illégitimes. Les légitimes étoient nés d'un ou de plusieurs mariages ; les illégitimes étoient ou d'une concubine, ou d'une fille publique, ou d'une fille ou d'une veuve galante ; ou d'une femme mariée à un autre, & adultérins ; ou d'une proche parente, & incestueux.

Les Juifs desiroient une nombreuse famille ; la stérilité étoit en opprobre. On disoit d'un homme qui n'avoit point d'enfans : non est aedificator, sed dissipator. On mettoit le nouveau-né à terre ; le pere le levoit ; il étoit défendu d'en celer la naissance ; on le lavoit ; on l'enveloppoit dans des langes. Si c'étoit un garçon, le huitieme jour il étoit circoncis. Voyez l'article CIRCONCISION. On faisoit un grand repas le jour qu'on le sevroit. Lorsque son esprit commençoit à se développer, on lui parloit de la loi ; à cinq ans, il entroit dans les écoles publiques : on le conduisoit à douze ans aux fêtes de Jérusalem ; on l'accoûtumoit au jeûne ; on lui donnoit un talent : à treize ans, on l'assujettissoit à la loi ; il devenoit ensuite majeur. Les filles apprenoient le ménage de leur mere ; elles ne sortoient jamais seules ; elles étoient toûjours voilées ; elles n'étoient point obligées à s'instruire de la loi. Les enfans étoient tenus sous une obéissance sévere. S'ils s'échappoient jusqu'à maudire leurs parens, ils étoient lapidés. L'enfant qui perdoit son pere pendant la minorité, étoit mis en tutele : lorsqu'il étoit devenu majeur, il étoit tenu d'observer les 613 préceptes de Moyse : le pere déclaroit sa majorité en présence de dix témoins ; alors il devenoit son maître : mais il ne pouvoit contracter juridiquement avant l'âge de vingt ans. Tout le bien du pere passoit à ses enfans mâles. Les filles étoient dotées par leurs freres, pour qui c'étoit un si grand devoir qu'ils se privoient quelquefois du nécessaire ; la dot étoit communément de la dixieme partie du bien paternel. Au défaut d'enfans mâles, les filles étoient héritieres ; on comptoit les hermaphrodites au nombre des filles. Un pere réduit à la derniere indigence pouvoit vendre sa fille, si elle étoit mineure, & qu'il y eût apparence de mariage entre elle & l'acheteur ou le fils de l'acheteur : alors l'acheteur ne l'abaissoit à aucun service bas & vil ; ce n'étoit point une esclave ; elle vivoit libre, & on lui faisoit des dons convenables.

Chez les Grecs, un enfant étoit légitime & mis au nombre des citoyens, lorsqu'il étoit né d'une citoyenne, excepté chez les Athéniens, où le pere & la mere devoient être citoyens & légitimes. On pouvoit celer la naissance des filles, mais non celle des garçons. A Lacédémone, on présentoit les enfans aux anciens & aux magistrats, qui faisoient jetter dans l'Apothete ceux en qui ils remarquoient quelque défaut de conformation. Il étoit défendu, sous peine de mort, chez les Thébains, de celer un enfant. S'il arrivoit qu'un pere fût trop pauvre pour nourrir son enfant, il le portoit au magistrat qui le faisoit élever, & dont il devenoit l'esclave ou le domestique. Cependant la loi enjoignoit à tous indistinctement de se marier : elle punissoit à Sparte, & ceux qui gardoient trop long-tems le célibat, & ceux qui le gardoient toûjours. On honoroit ceux qui avoient beaucoup d'enfans. Les meres nourrissoient, à moins qu'elles ne devinssent enceintes avant le tems de sevrer ; alors on prenoit deux nourrices. Lorsqu'un enfant mâle étoit né dans une maison, on mettoit à la porte une couronne d'olivier ; on y attachoit de la laine, si c'étoit une fille. A Athenes, aussitôt que l'enfant étoit né, on l'alloit déclarer au magistrat, & il étoit inscrit sur des registres destinés à cet usage ; le huitieme jour, on le promenoit autour des foyers ; le dixieme, on le nommoit & l'on régaloit les conviés à cette cérémonie ; lorsqu'il avançoit en âge, on l'appliquoit à quelque chose d'utile. On resserroit les filles ; on les assujettissoit à une diete austere ; on leur donnoit des corps très-étroits, pour leur faire une taille mince & legere : on leur apprenoit à filer & à chanter. Les garçons avoient des pédagogues qui leur montroient les Beaux-arts, la Morale, la Musique, les exercices des Armes, la Danse, le Dessein, la Peinture, &c. Il y avoit un âge avant lequel ils ne pouvoient se marier ; il leur falloit alors le consentement de leurs parens ; ils en étoient les héritiers ab intestat.

Les Romains accordoient au pere trente jours pour déclarer la naissance de son enfant ; on l'annonçoit de la province par des messagers. Dans les commencemens on n'inscrivoit sur les registres publics que les enfans des familles distinguées. L'usage de faire un présent au temple de Junon Lucine étoit très-ancien ; on le trouve institué sous Servius Tullius. Les bonnes meres élevoient elles-mêmes leurs filles : on confioit les garçons à des pédagogues qui les conduisoient aux écoles & les ramenoient à la maison ; ils passoient des écoles dans les gymnases, où ils se trouvoient dès le lever du Soleil, pour s'exercer à la course, à la lutte, &c. Ils mangeoient à la table de leurs parens ; ils étoient seulement assis & non couchés ; ils se baignoient séparément. Il étoit honorable pour un pere d'avoir beaucoup d'enfans : celui qui en avoit trois vivans dans Rome, ou quatre vivans dans l'enceinte de l'Italie, ou cinq dans les provinces, étoit dispensé de tutele. Il falloit le consentement des parens pour se marier ; & les enfans n'en étoient dispensés que dans certains cas. Ils pouvoient être deshérités. Les centum-virs furent chargés d'examiner les causes d'exhérédation ; & ces affaires étoient portées devant les préteurs qui les décidoient. L'exhérédation ne dispensoit point l'enfant de porter le deuil. Si la conduite d'un enfant étoit mauvaise, le pere étoit en droit ou de le chasser de sa maison, ou de l'enfermer dans ses terres, ou de le vendre, ou de le tuer ; ce qui toutefois ne pouvoit pas avoir lieu d'une maniere despotique.

Chez les Germains, à peine l'enfant étoit-il né, qu'on le portoit à la riviere la plus voisine ; on le lavoit dans l'eau froide ; la mere le nourrissoit : quand on le sevroit, ce qui se faisoit assez tard, on l'accoûtumoit à une diete dure & simple ; on le laissoit en toute saison aller nud parmi les bestiaux ; il n'étoit aucunement distingué des domestiques, ni par conséquent eux de lui ; on ne l'en séparoit que quand il commençoit à avancer en âge ; l'éducation continuoit toûjours d'être austere ; on le nourrissoit de fruits cruds, de fromage mou, d'animaux fraîchement tués, &c. on l'exerçoit à sauter nud parmi des épées & des javelots. Pendant tout le tems qu'il avoit passé à garder les troupeaux, une chemise de lin étoit tout son vêtement, & du pain bis toute sa nourriture. Ces moeurs durerent long-tems. Charlemagne faisoit monter ses enfans à cheval ; ses fils chassoient & ses filles filoient. On attendoit qu'ils eussent le tempérament formé & l'esprit mûr, avant que de les marier. Il étoit honteux d'avoir eu commerce avec une femme avant l'âge de vingt ans. On ne peut s'empêcher de trouver dans la comparaison de ces moeurs & des nôtres, la différence de la constitution des hommes de ces tems & des hommes d'aujourd'hui. Les Germains étoient forts, infatigables, vaillans, robustes, chasseurs, guerriers, &c. De toutes ces qualités, il ne nous reste que celles qui se soûtiennent par le point d'honneur & l'esprit national. Les autres, auxquelles on exhorteroit inutilement, telles que la force du corps, sont presque entierement perdues : & elles iront toûjours en s'affoiblissant, à moins que les moeurs ne changent ; ce qui n'est pas à présumer.

ENFANS. Naissance des enfans, (Hist. nat. & Phys.) M. Derham a calculé que les mariages produisoient, l'un portant l'autre, quatre enfans, non-seulement en Angleterre, mais encore dans d'autres pays. Il est dit dans l'histoire généalogique de Toscane de Gamarini, qu'un noble de Sienne, nommé Pichi, a eu de trois de ses femmes cent-cinquante enfans légitimes & naturels, & qu'il en emmena quarante-huit à sa suite, étant ambassadeur vers le pape & l'empereur.

Dans un monument de l'Eglise des SS. Innocens de Paris, en l'honneur d'une femme qui a vécû quatre-vingt-huit ans, on rapporte qu'elle avoit pû voir jusqu'à deux cent quatre-vingt-huit de ses enfans, issûs d'elle directement ; ce qui est au-dessus de ce que M. Hakcwell rapporte de la dame Henoywood, femme de condition du comté de Kent, qui étoit née en 1527, avoit été mariée à seize ans au seul mari qu'elle ait eu, le Sr R. Henoywood de Kent, & mourut dans sa quatre-vingt-unieme année ; elle eut seize enfans, dont trois moururent jeunes, & un quatrieme n'eut point de postérité ; cependant sa postérité montoit à sa seconde génération à 114, & à la troisieme à deux cent vingt-huit, quoiqu'à la quatrieme elle retombât à neuf. Le nombre total d'enfans qu'elle avoit pû voir dans sa vie, étoit donc de trois cent soixante-sept, sçavoir 16 + 114 + 288 + 9 = 367 : de façon qu'elle pouvoit dire, comme dans les lettres de madame de Sévigné ; Ma fille, allez dire à votre fille que la fille de sa fille crie : le distique suivant va encore plus loin.

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Mater ait natae, dic natae, filia, natam

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Ut moneat, natae plangere, filiolam.

ENFANS (MALADIES DES) L'homme est exposé tant qu'il subsiste, à une infinité de maux ; mais il l'éprouve d'une maniere plus marquée en naissant & pendant les premiers tems de sa vie, puisqu'à peine a-t-il respiré, qu'il commence à annoncer ses miseres par ses cris, & qu'il est en danger continuel de perdre une vie qui semble ne lui être donnée que pour souffrir : c'est donc avec raison que l'on peut dire, d'après Pline, dans l'avant-propos du septieme livre de son histoire naturelle, que l'homme ne commence à sentir qu'il existe, que par les supplices au milieu desquels il se trouve, sans avoir commis d'autre crime que celui d'être né.

Ainsi quoique les maladies soient communes à tous les hommes, dans quelque tems de la vie que l'on les considere, il est évident que les enfans y sont plus particulierement sujets, à cause de la foiblesse de leur constitution & de la délicatesse de leurs organes, qui rendent leurs corps plus susceptibles des altérations que peuvent causer les choses qui l'affectent inévitablement ; &, ce qui est encore bien plus triste, c'est que plus ils ont de disposition à souffrir davantage que lorsqu'ils sont dans un âge plus avancé, moins il leur est donné de se préserver des maux qui les environnent, & d'y apporter remede lorsqu'ils en sont affectés : ils ne peuvent même faire connoître qu'ils souffrent, que par des pleurs & des gémissemens, qui sont des signes très-équivoques & très-peu propres à indiquer le siége, la nature, & la violence de leurs souffrances ; ensorte qu'ils semblent, à cet égard, être presque sans secours & livrés à leur malheureux sort.

Il est donc très-important au genre humain dont la conservation est comme confiée aux Medecins, qu'ils se chargent, pour ainsi dire, de la défense des enfans, contre tout ce qui porte atteinte à leur vie ; qu'ils s'appliquent à étudier les maux auxquels ils sont particulierement sujets ; à découvrir les signes par lesquels on peut connoître la nature de ces maux, & en prévoir les suites ; à rechercher les moyens, les précautions par lesquels on peut les écarter ; & enfin à trouver les secours propres à les en délivrer.

Hippocrate, dans le III. Liv. de ses aphorismes, n°. xxjv. xxv. & xxvj. fait ainsi, avec sa précision ordinaire, l'énumération des maladies qui sont particulieres aux enfans. Ceux qui sont nouveau-nés, dit-il, sont principalement sujets aux aphthes, aux vomissemens, à différentes especes de toux, aux insomnies, aux frayeurs, aux inflammations du nombril, aux amas de crasse humide dans les oreilles, aux douleurs de ventre : lorsqu'ils commencent à avoir des dents, ils éprouvent particulierement de fortes irritations dans les gencives, des agitations fébriles, des convulsions, des cours de ventre, surtout lors de la sortie des dents canines ; & cette derniere maladie arrive principalement aux enfans d'un gros volume & à ceux qui sont ordinairement constipés. Lorsqu'ils sont parvenus à un âge plus avancé, qui s'étend depuis deux ans jusqu'à dix & au-delà, ils sont affligés par des inflammations des amygdales, des oppressions asthmatiques, des graviers, des vers ronds, ascarides, des excroissances verruqueuses, des parotides enflées, des ardeurs d'urine, des écroüelles, & d'autres tubercules, des luxations des vertebres du cou : ainsi il paroît, d'après cette exposition, que les maladies des ensans ne sont pas les mêmes dans les différens tems plus ou moins éloignés de la naissance, & qu'elles ne les affectent pas toûjours de la même maniere ; qu'elles sont de plus ou moins longue durée, & qu'elles sont plus ou moins dangereuses, attendu que la différence de l'âge change le tissu des parties du corps, leur donne plus de fermeté. La différente nourriture & la diverse façon de vivre, ne contribuent pas peu aussi à changer la disposition des sujets à contracter différentes maladies.

Parmi celles qui viennent d'être rapportées d'après le pere de la Medecine, il en est qui se font d'abord connoître par elles-mêmes ; mais il en est d'autres que l'on ne peut connoître que difficilement. C'est pourquoi il est à propos d'en donner ici le diagnostic le plus exact qu'il est possible, quoique les signes soient souvent si cachés & si équivoques, que les medecins les plus pénétrans y sont quelquefois trompés ; car les enfans qui ne parlent pas ne peuvent pas faire connoître, par le rapport de ce qu'ils sentent, la nature de la maladie & jusqu'à quel point les fonctions sont lésées : on ne peut pas en juger par l'urine, avec quelque soin qu'on l'examine, ni par le pouls touché avec le plus d'attention, ni par les apparences extérieures qui sont très-souvent & très-facilement variables en bien & en mal : on ne peut s'assurer de rien par tous ces signes ; car l'urine des enfans, soit qu'ils se portent bien ou qu'ils soient malades, est presque toûjours épaisse & trouble ; & il n'est pas facile d'en avoir à part, parce qu'ils la rendent ordinairement avec les gros excrémens. Le pouls peut changer par une infinité de causes, être rendu ou plus fréquent ou plus lent ; ensorte qu'il pourroit en imposer à celui qui le touche, s'il portoit son jugement sur l'état du moment présent : d'ailleurs il est souvent très-difficile de s'assûrer, deux secondes de suite, du bras des enfans, qui ne cessent ordinairement de remuer & d'empêcher qu'on ne puisse fixer ses doigts sur le carpe.

Cependant le medecin, pour ne pas rester dans l'incertitude, puisqu'il ne peut tirer aucun indice de ces deux signes, doit s'informer des assistans, & particulierement des femmes au soin desquelles les enfans sont remis, s'ils font des cris, s'ils sont agités, inquiets, & s'ils passent le jour & la nuit sans dormir ; s'ils font par la bouche des vents aigres ou nidoreux ; s'ils font des efforts pour vomir ; s'ils vomissent en effet, & quelles matieres ils rendent par le vomissement ; s'ils ont le hocquet ; & s'ils sont fatigués par des mouvemens convulsifs ; s'ils toussent & s'ils sont oppressés ; s'ils se vuident librement des ventosités & des matieres fécales ; quelle en est la consistance & la couleur ; & il fera d'autres questions de cette nature ; il n'omettra pas d'examiner attentivement toute la surface du corps de l'enfant malade, de la tête aux piés, pour sçavoir s'il ne paroît pas en quelque partie extérieure des rougeurs inflammatoires, ou quelque espece d'exanthème : il tâchera aussi de lui faire ouvrir la bouche, & de sentir si son haleine est bien chaude ; s'il a des pustules dans la bouche ; s'il a les gencives enflées ou enflammées : on peut tirer de toutes ces choses, comme de principes connus, des conséquences par lesquelles on peut parvenir à découvrir ce qui est plus caché, comme la nature de la maladie, &c.

De tout ce qui vient d'être dit sur les moyens de connoître les maladies des enfans, de ceux sur-tout qui sont encore à la mammelle, il suit que quelque difficile qu'il soit d'en porter son jugement d'après l'inspection des malades, il est cependant possible de suppléer à ce qui manque de ce côté-là ; ainsi la plainte de ceux qui s'excusent du mauvais succès du traitement, sur l'incertitude du diagnostic, n'est pas tant fondée sur le défaut de symptome, que sur la précipitation & l'irrégularité de la méthode que l'on suit.

Boerhaave dans ses préleçons de Pathologie, publiées par le docteur Haller, en recherchant les causes des maladies des enfans, insiste sur ce qu'ils ont la tête & le genre nerveux plus considérables à proportion du reste du corps, que les adultes. Un homme nouveau-né, qui ne pese pas plus de douze livres, a la tête du poids de trois livres. Les adultes ont cette partie respectivement moins grosse à proportion qu'ils avancent plus en âge. Il conclud de-là que les maladies propres aux enfans sont presque toutes de la classe des convulsives, parce que le système des nerfs étant plus étendu dans les premiers tems de la vie que dans la suite, il est plus susceptible d'irritabilité, plus exposé à tout ce qui peut l'affecter. De mille enfans qui périssent, continue-t-il, à peine en voit-on mourir un sans que des mouvemens convulsifs ayent précédé. La plus petite fievre, une dent qui a de la peine à sortir, une legere douleur de ventre, une foible difficulté d'uriner ; tout mal de cette espece, qui n'affecteroit pas, pour ainsi dire, un homme de trente ans, fait tomber un enfant dans de violentes convulsions. Tout ce qui peut troubler l'économie dans cette petite machine, dispose à cet effet.

Car comme dans l'âge tendre les parties solides, à cause de leur débilité, n'agissent que foiblement sur les fluides, & ne les poussent qu'avec peine dans les extrémités des vaisseaux, il s'ensuit que le cours du sang & des autres humeurs peut être facilement ralenti, & que les secrétions doivent être conséquemment arrêtées. Cela étant, non-seulement les fluides augmentent en quantité de plus en plus, mais encore ils deviennent épais, & ils contractent des qualités absolument étrangeres & nuisibles. De cette plénitude non-seulement il se forme des engorgemens & des dégénérations ultérieures d'humeurs, mais encore il s'excite des mouvemens spasmodiques, par la pression, le tiraillement & l'irritation des nerfs des parties contenantes ; & la violence de ces spasmes affectant tous les solides & tous les fluides, toutes les fonctions en sont troublées, & les corps délicats des enfans, qui sont très-disposés à recevoir même les plus petites impressions, contractent aisément & promtement, par tous ces effets, de très-violentes maladies.

Il n'est par conséquent pas difficile, d'après toutes ces altérations, d'établir les véritables causes des principales maladies des enfans. En supposant, par exemple, une abondance d'humeurs pituiteuses, susceptibles de produire des engorgemens, on conçoit aisément comment ce vice dominant peut rendre les enfans sujets aux fréquentes fluxions catarrheuses, aux douleurs rhumatismales, aux embarras des poumons ; d'où les oppressions, les affections rheumatiques, asthmatiques, les déjections liquides, les diarrhées, les tumeurs des glandes, les amas d'ordures humides dans les oreilles, & autres semblables maladies. En supposant la dépravation & l'acrimonie des humeurs, il est aisé de voir pourquoi les enfans ont de la disposition à avoir fréquemment des aphthes & différentes affections exanthémateuses. Et enfin en supposant une très-grande sensibilité dans le genre nerveux, il paroît évidemment pourquoi ils sont tourmentés par de si violentes douleurs des parties internes, & de si fortes secousses convulsives des parties externes, pour peu qu'il se fasse d'irritation dans les nerfs. C'est à cause de la sensibilité du tissu des intestins & de toutes les entrailles, que ces petites créatures sont si souvent attaquées de fortes tranchées, de douleurs d'estomac & de boyaux, très-aiguës ; ce qui les met dans un état déplorable, quelquefois très-dangereux. L'irritabilité dont sont si susceptibles les membranes qui enveloppent le cerveau & la moëlle épiniere, les fait fréquemment souffrir, par des mouvemens convulsifs, épileptiques des membres ; par des agitations spasmodiques, subites, instantanées, mais fréquentes des extrémités. La distribution abondante de nerfs au cardia, au diaphragme, aux organes de la respiration, qui sont très-susceptibles d'irritation, par les matieres viciées contenues dans l'estomac, par la pituite acre qui se ramasse dans la trachée-artere, & dans toutes les voies pulmonaires de l'air, rend encore les enfans très-sujets à la toux, soit stomacale, soit pectorale, & à l'asthme convulsif, avec danger de suffocation. Et enfin le sentiment exquis des tuniques qui tapissent la bouche & les gencives, leur fait aussi souffrir des symptomes violens, par l'effet de la dentition difficile. Voilà un détail suffisant pour juger de tous les effets que peut produire dans les enfans la sensibilité du genre nerveux, qui doit par conséquent être regardée comme la cause matérielle principale des maladies auxquelles ils sont sujets ; mais elle n'est pas l'unique.

L'acide dominant dans leurs humeurs, auquel le docteur Harris, qui a si bien expliqué cette matiere, attribue tant d'effets dans ces maladies, qu'il ne craint pas d'avancer qu'elles sont presque toutes produites par cette cause particuliere, doit aussi être regardée comme une source principale d'une grande partie des maux qui surviennent aux enfans. C'est ce que prouvent dans un grand nombre de ces petits malades, les rapports & les vomissemens qui répandent une odeur tirant sur l'aigre, ou même bien aigre, & les matieres fécales, qui affectent l'odorat de la même maniere. On peut encore s'en convaincre, non-seulement par la facilité avec laquelle s'aigrit & se coagule le lait dont les enfans sont nourris, mais encore parce que la partie lymphatique de leurs humeurs ne contracte aucune mauvaise qualité aussi facilement que l'acidité, vû que leur nourriture, d'abord unique, & ensuite principale pendant les premiers tems de leur vie, consiste dans l'usage du lait de femme, auquel on joint des préparations alimentaires faites avec le lait des animaux, telles que des bouillies, des potages de farine, de pain ; toutes choses très-susceptibles de s'aigrir, ou de fournir matiere aux sucs aigres : vû encore qu'ils ne font point ou presque point d'exercice, qu'ils ne font même que très-peu de mouvement. Ainsi il n'y a pas lieu de douter que l'intempérie acide ne devienne aisément & promtement dominante dans le corps des enfans ; d'où peuvent naître un très-grand nombre de maladies. Voyez ACIDE & ACIDITE.

Les causes éloignées de la débilité & de la sensibilité des solides dans les enfans, sont principalement la disposition naturelle, eu égard à l'âge, & par conséquent la foiblesse du tempérament : mais comme cette foiblesse & cette sensibilité ne sont pas un vice, tant qu'elles ne sont pas excessives, puisqu'elles sont une suite nécessaire des principes de la vie, il s'agit de savoir ce qui les rend particulierement défectueuses, & propres à troubler l'économie animale ; ensorte qu'il en résulte de plus mauvais effets dans les uns, & de moins mauvais effets dans les autres. Rien ne paroît pouvoir contribuer davantage à établir ce vice dominant, que cette disposition héréditaire qui est transmise aux enfans par l'un des deux parens, ou par le pere & la mere ensemble ; c'est pourquoi il arrive souvent que des personnes d'une foible santé, ou qui sont épuisées par des excès de l'acte vénérien, par des débauches, par de trop grands travaux d'esprit, par la vieillesse, mettent au monde des enfans qui dès leur naissance menent une vie infirme, & sont sujets à des maladies dont la cause, qui vient de premiere origine, ne peut être détruite ni corrigée par aucun secours de l'art ; tels sont pour la plûpart ceux qui sont affectés de la goutte, du calcul, qui cherchent inutilement dans la Medecine quelque soulagement à leurs maux.

C'est encore plus particulierement des meres que viennent ces vices héréditaires, à cause des erreurs qu'elles commettent pendant leur grossesse, dans l'usage des choses qui influent le plus sur l'économie animale ; car on ne sauroit dire combien la plûpart des femmes grosses sont susceptibles de la dépravation d'appétit, & combien elles sont portées à s'y livrer, à moins qu'elles ne se contiennent par une grande force d'esprit, qui est extrêmement rare parmi elles, sur-tout dans ce cas. On ne pourroit exprimer combien elles ont de disposition à s'occuper de soins inutiles, de desirs vagues, d'imaginations déréglées ; combien elles se laissent frapper aisément par la crainte, la terreur, les frayeurs ; combien elles ont de penchant à la tristesse, à la colere, à la vengeance, & à toute passion forte, vive ; ce qui ne contribue pas peu à troubler le cours des humeurs, & à faire des impressions nuisibles dans les tendres organes des enfans renfermés dans la matrice. On doit craindre le même effet de l'intempérance des femmes qui se remplissent d'une grande quantité d'alimens, & souvent de mauvaise qualité ; qui sont dans l'habitude d'user immodérément de boissons spiritueuses, dont l'effet rend la plethore occasionnée par la grossesse, encore plus considérable, & n'est pas même corrigé par des saignées, qu'elles ne veulent pas souffrir. On peut encore mettre dans la classe des femmes qui nuisent considérablement aux enfans qu'elles portent, par leur indisposition personnelle, celles qui sont sujettes aux affections hystériques, qui sont fort avides du commerce des hommes, & s'y livrent fréquemment après la fécondation & pendant le cours de leur grossesse. Le coït trop fréquent pendant ce tems, est réellement, au sentiment de plusieurs auteurs, une puissante cause pour rendre les enfans infirmes & valétudinaires. Ce qui contribue principalement encore à détruire leur santé dans le ventre de la mere, c'est souvent les fatigues qu'ils essuient, les forces qu'ils épuisent dans les travaux de l'accouchement, soit lorsqu'elle n'agit pas assez, ne fait pas assez d'efforts pour l'expulsion du foetus, par indolence ou par foiblesse ; soit lorsqu'elle se presse trop, & force l'accouchement par impatience ou par trop de vigueur, ou par l'effet des remedes chauds employés mal-à-propos pour exciter les forces expulsives.

Les sages-femmes nuisent aussi très-souvent aux enfans, soit en employant imprudemment leur ministere pour faire l'extraction violente du foetus, qui sortiroit en bonne santé sans leur secours ; soit en le blessant de toute autre maniere, comme en comprimant si fort les os du crane, dont les sutures ne sont unies que foiblement, qu'elles établissent par ce traitement imprudent, la cause de différentes maladies considérables, telles que l'épilepsie, la paralysie, la stupidité, qui sont suivies d'une mort prochaine, ou qui produisent de fâcheux effets pendant toute la vie.

Les accidens qui surviennent aux enfans après leur naissance & pendant les premiers tems de leur vie, contribuent aussi beaucoup à rendre les enfans d'un tempérament plus foible & plus sensible, tels que les frayeurs auxquelles ils peuvent être exposés, les cris inattendus, les bruits frappans, les interruptions subites du sommeil avec surprise ; le lait qui leur est donné par leur nourrice trop promtement après quelque violente émotion de l'ame, quelque paroxysme de colere, de terreur, &c. toutes ces choses sont très-propres à produire différens genres de spasmes, de picotemens dans les nerfs, des ardeurs, des douleurs, des gonflemens d'entrailles, &c. qui se manifestent par des inquiétudes, des insomnies, par des agitations de membres, par des cris, des tremblemens, des sursauts convulsifs, & même par des mouvemens épileptiques. Toute sorte d'intempérie de l'air, mais sur-tout le froid & les changemens promts de celui-ci au chaud, & réciproquement, qui affectent les adultes, sur-tout ceux qui ont quelque foiblesse de nerfs, à cause des dérangemens dans la transpiration, qui en surviennent, font encore bien plus d'impression sur les enfans, & alterent bien plus considérablement leur santé, & produisent en eux de très-mauvais effets. Les trop grandes précautions que l'on prend pour les garantir des injures de l'air, pour les tenir chauds, peuvent au contraire leur être aussi très-nuisibles, de même qu'un régime trop recherché, & l'usage trop fréquent de remedes ; tout cela tend à affoiblir leur tempérament, parce qu'ils ne peuvent pas ensuite supporter les moindres erreurs dans l'usage des choses nécessaires, sans en éprouver de mauvais effets, des impressions fâcheuses ; c'est pourquoi les enfans des personnes riches, qui sont élevés trop délicatement, sont ordinairement d'une santé plus foible que ceux pour lesquels on n'a pas pris tant de soin, tels que ceux des gens de la campagne, des pauvres. C'est cette considération qui a fait dire à Locke dans son excellent ouvrage sur l'éducation des enfans, qu'il croiroit pouvoir renfermer dans cette courte maxime, " que les gens de qualité devroient traiter leurs enfans comme les bons paysans traitent les leurs ", tous les conseils qu'il pourroit donner sur la maniere de conserver & augmenter la santé de leurs enfans, ou du moins pour leur faire une constitution qui ne soit point sujette à des maladies ; & qu'il ne penseroit pas pouvoir donner une cause générale plus assûrée du contraire que celle-ci, " qu'on gâte la constitution des enfans par trop d'indulgence & de tendresse ", s'il n'étoit persuadé que les meres pourroient trouver cela un peu trop rude, & les peres un peu trop cruel. Il explique donc en faveur des uns & des autres sa pensée plus au long, dans la premiere section de l'ouvrage dont il s'agit, qui est sans contredit une des meilleures sources dans lesquelles on puisse puiser des préceptes salutaires pour l'éducation des enfans, soit physique, soit morale. Voyez ENFANCE.

Après avoir traité des causes qui contribuent à augmenter la foiblesse du tempérament des enfans, en augmentant la sensibilité du genre nerveux, il reste à dire quelque chose de celles qui produisent le même effet, en disposant ultérieurement leurs humeurs à l'acrimonie acide, qui est si souvent dominante dans leurs maladies. Ces causes sont très-différentes entr'elles : il en est plusieurs dont il a été fait mention ci-dessus. Les principales sont celles qui corrompent le lait ou dans le sein des nourrices, ou dans le corps des enfans ; le rendent épais, grossier, ou le font entierement cailler ; ce qui peut arriver de différentes manieres de la part des nourrices surtout. Si elles sont sujettes à de violentes passions, & qu'elles s'y livrent souvent ; si elles se nourrissent principalement de fruits ou de fromage, de différentes préparations au vinaigre, d'alimens aigres, acres, salés ; si elles usent pour leur boisson de beaucoup de vin qui ne soit pas bien mûr, ou de toute autre liqueur spiritueuse, il ne peut se former de toutes ces différentes matieres qu'un lait de mauvaise qualité, visqueux, grossier, acre, &c. qui s'aigrit facilement dans les premieres voies des enfans, d'où naissent non-seulement des obstructions dans les visceres du bas-ventre, & sur-tout dans les intestins & dans le mésentere, mais encore du gravier, des calculs dans la vessie ; ce qui n'est pas rare à cet âge : & même lorsque le lait se trouve chargé de parties actives fournies par les alimens, il s'échauffe aisément ; & étant porté dans le sang des enfans, il y excite des agitations fébriles, des fievres ardentes. Ce n'est pas seulement la qualité des alimens dont usent les meres, qui peut nuire à leurs nourriçons, c'en est aussi la quantité, même des meilleurs, lorsqu'elles ne font pas de l'exercice, qu'elles menent une vie trop sédentaire, parce qu'il ne peut résulter de cette façon de vivre que des humeurs épaisses, grossieres, qui fournissent un lait aussi imparfait ; germe de bien des maladies. Le froid des mammelles, en resserrant les vaisseaux galactoferes, peut aussi contribuer beaucoup à l'épaississement du fluide qu'ils contiennent. Le coït trop fréquent des nourrices, les menstrues qui leur surviennent, les attaques de passion hystérique, la constipation, les spasmes, les ventosités des premieres voies ; toutes ces altérations dans l'économie animale, corrompent leur lait, & les enfans qui s'en nourrissent deviennent foibles, languissans, pleureux, & indiquent assez par leur mauvais état le besoin qu'ils ont d'une meilleure nourriture ; ainsi l'on peut assûrer que leurs maladies sont le plus souvent produites par le mauvais régime & la mauvaise santé des nourrices, en tant qu'elles ne peuvent en conséquence leur fournir qu'un lait de très-mauvaise qualité. Elles peuvent aussi leur nuire, lors même qu'elles n'ont qu'une bonne nourriture à leur donner : si elles les remplissent trop, soit que ce soit du lait, soit des soupes, ou d'autres alimens les mieux préparés ; la quantité dont ils sont farcis surcharge leur estomac, sur-tout pendant qu'ils sont le plus foibles & petits ; ils ne peuvent pas la digérer, elle s'aigrit, & dégénere en une masse caillée ou plâtreuse qui distend ce viscere, en tiraille les fibres, en détruit le ressort ; d'où suivent bien de mauvais effets, tels que les enflures du ventricule, les cardialgies, les oppressions, les vomissemens, les diarrhées, & autres semblables altérations qui détruisent la santé de ces petites créatures. C'est ce qui a fait dire à Ettmuller, d'après Hippocrate, que les nourrices, en donnant trop de lait à la fois, ou de toute autre nourriture aux enfans, les font mourir par trop d'empressement à leur fournir les moyens de vivre, dum lactant, mactant ; car comme toute replétion excessive est mauvaise, sur-tout de pain pour les adultes, on peut dire la même chose de celles de lait pour les enfans. On fait encore bien plus de tort à leur santé, lorsqu'on leur donne des alimens trop variés, & souvent de mauvaise qualité, aigres, salés, acres ; lorsqu'on leur fait manger beaucoup de viande ; qu'on leur donne de la nourriture, sans attendre que celle qu'ils ont prise auparavant soit digérée ; qu'on les fait user de vin, de liqueurs spiritueuses, sous prétexte de ranimer leur appétit, ou de les fortifier, ou de les tranquilliser. Toutes ces fautes de régime sont très-pernicieuses aux enfans ; ces différentes matieres alimentaires, ou sont propres à faire cailler le lait, avec lequel elles se mêlent, elles affoiblissent l'estomac ; ou elles suivent leur tendance naturelle à la corruption, ou elles portent l'acrimonie, l'incendie dans le sang doux & balsamique de ces tendres éleves ; d'où naissent un grand nombre de maladies différentes. On peut joindre à toutes ces causes le changement trop fréquent de nourrices, & par conséquent de lait. Les qualités des alimens trop variées nuisent aux adultes, à plus forte raison aux enfans, non-seulement pendant qu'ils tetent, mais encore après qu'ils sont sevrés.

Pour ce qui est du prognostic à porter sur les maladies des enfans, il faut d'abord chercher à savoir s'ils sont nés de parens robustes, de bonne santé de corps & d'esprit, sur-tout à l'égard des meres, parce qu'ils ne sont pas ordinairement si délicats ; ils ne sont pas conséquemment si sujets à être affectés par les mauvaises impressions des choses nécessaires à la vie : ils ne deviennent pas si facilement malades, & ils n'ont pas autant de disposition à succomber aux maladies qui leur surviennent. On peut dire la même chose de ceux qui ne sont pas élevés si délicatement, qui sont accoûtumés à supporter impunément les effets des changemens d'air, d'alimens qui seroient pernicieux à tous autres, qui sont endurcis par un régime tel que celui qu'observent les paysans à l'égard de leurs enfans. Il est aussi certain en général que les maladies des enfans, quoiqu'innombrables, pour ainsi dire, sont plus faciles à guérir que celles des adultes, pourvû qu'elles soient bien traitées ; parce que comme ils sont plus susceptibles des altérations qui troublent en eux l'économie animale par de très-legeres causes, de même les moindres remedes placés à-propos, & différentes autres choses convenables à leur nature, peuvent en rétablir aisément les desordres ; ensorte que la plûpart ne meurent que parce que l'on employe souvent une trop grande quantité de secours, ou de trop puissans moyens pour leur rendre la santé, qui auroit pû être rétablie ou d'elle-même, ou avec très-peu de soins. Les Medecins ont peut-être plus nui au genre humain en médicamentant les enfans, qu'ils ne lui ont été utiles à cet égard. On observe constamment que les enfans gros, gras, charnus, & ceux qui tetent beaucoup, ceux qui ont des nourrices d'un grand embonpoint, pleines de sang, sont plus sujets à être malades, & à l'être plus fréquemment que d'autres ; ils sont plus communément affectés du rachitis, de la toux convulsive, des aphthes. Les enfans maigres sont ordinairement affligés de fievres, d'inflammations ; ceux qui ont le ventre libre, sont aussi mieux portans que ceux qui l'ont serré : & enfin comme la plûpart périssent par les douleurs de ventre, les tranchées & les mouvemens convulsifs, par les symptomes d'épilepsie, c'est toûjours un mauvais signe que ces différens maux se joignent avec les insomnies, aux différentes maladies dont ils sont affectés.

Les douleurs d'entrailles, les coliques, sont ordinairement épidémiques pour les enfans, depuis la mi-Juillet jusqu'à la mi-Septembre ; & il en meurt plus alors dans un mois, que dans quatre de toute autre partie de l'année, parce que les grandes chaleurs, qui se font principalement sentir dans ce tems-là, épuisent leurs forces, & les font aisément succomber à tous les maux qu'elles produisent, ou qui surviennent par toute autre cause. Les tranchées sont plus dangereuses à proportion qu'elles sont plus violentes, qu'elles durent davantage, ou qu'elles reviennent plus souvent, à cause des fievres, des affections asthmatiques, convulsives, épileptiques qu'elles peuvent occasionner, si on n'y apporte pas promtement remede. Celles qui sont causées par les vers, ne cessent pas qu'ils ne soient chassés du corps.

Les aphthes qui n'affectent qu'en petit nombre la surface de la bouche des enfans, qui ne causent pas beaucoup de douleur, qui sont rouges & jaunâtres, cedent plus facilement aux remedes que ceux qui s'étendent en grand nombre dans toute la bouche, qui sont noirâtres, de mauvaise odeur, & qui forment des ulceres profonds : ceux qui proviennent de cause externe, sont moins fâcheux que ceux qui sont produits par un vice de sang, par la corruption des humeurs. Les aphthes qui sont accompagnés d'inflammation, de difficulté d'avaler & de respirer, sont ordinairement très-funestes.

La maigreur & la consomption des enfans, sont toûjours des maladies très-dangereuses, sur-tout lorsqu'elles sont invétérées, & causées par des obstructions au mésentere & aux autres visceres du bas-ventre ou de la poitrine. Si la diarrhée s'y joint, & que les malades rendent par le fondement une matiere purulente, sanglante, de fort mauvaise odeur, le mal est incurable : il y a au contraire à espérer, si les digestions étant rectifiées, l'appétit revient, se soûtient régulierement ; si l'enflure du ventre diminue, & que les forces se rétablissent. Il conste par un grand nombre d'observations, que les fievres intermittentes ont souvent guéri des enfans de la consomption.

Pour ce qui est de la curation des maladies des enfans, on ne peut en donner ici qu'une idée fort en raccourci : la plûpart d'entr'elles, soit qu'elles leur soient propres, soit qu'elles leur soient communes avec les adultes, sont traitées chacune en son lieu ; ainsi voyez, par exemple, VEROLE (petite), ROUGEOLE, CHARTRE, RACHITIS, EPILEPSIE, CARDIALGIE, VERS, DENTITION, TEIGNE, &c. On peut dire en général que comme les principales causes des maladies des enfans consistent principalement dans le relâchement des fibres naturellement très-délicates, & la foiblesse des organes augmentée par l'humidité trop abondante dont ils sont abreuvés, & dans l'acidité dominante des humeurs, on doit combattre ces vices par les contraires : ainsi les astringens, les absorbans, les anti-acides, qui conviennent pour corriger l'état contre nature des solides & des fluides ; & les legers purgatifs, pour évacuer l'humide superflu & corrompu, employés avec prudence, selon les différentes indications qui se présentent, sont les remedes communs à presque toutes les curations des maladies des enfans. C'est ce qu'a parfaitement bien établi le docteur Harris dans sa dissertation sur ce sujet, en bannissant de la pratique, dans ce cas, l'usage des remedes chimiques, diaphorétiques, incendiaires, & de toute autre qualité, dont elle étoit surchargée. Il est certain même, indépendamment de la considération des causes de ces maladies, que la maniere de traiter ces petits malades ne sauroit être trop simplifiée, vû la difficulté qu'il y a à les soûmettre à prendre des drogues, & à leur faire observer un régime convenable, surtout avant qu'ils ayent atteint l'âge de connoissance.

A peine l'homme est-il mis au monde, qu'il se trouve souvent dans le cas d'avoir besoin des secours de la Medecine, & de payer le tribut à cet art, pour éviter de le payer si-tôt à la nature. En effet, dans le cas où les enfans nouveau-nés ont pour la plûpart des mucosités gluantes dans la bouche, l'oesophage, l'estomac, les intestins, & quelquefois des matieres nourricieres imparfaitement digérées, avant de sortir du ventre de leurs meres, qui ont pû s'échauffer dans les parties qui les contiennent, s'y corrompre par l'agitation excitée pendant le travail de l'accouchement, dont s'ensuivent des cardialgies, des douleurs de ventre, des tranchées, & autres symptomes fâcheux ; mais après avoir fait prendre aux enfans ainsi affectés, quelques gorgées du premier lait de la mere, qui est ce qu'on appelle colostrum, que la nature semble avoir destiné à cet usage, attendu qu'il est très-laxatif, si l'évacuation de ces matieres ne se fait pas, ou s'il est impossible de leur faire prendre le téton tant que le mal dure, il est à-propos d'ouvrir doucement la bouche au nouveau-né, & de répandre peu-à-peu & à différentes reprises dans l'intervalle de dix à douze heures, de l'eau en petite quantité, dans laquelle on a dissous du sucre ou délayé du miel, pour détremper ces différentes matieres, en purger les premieres voies, & en favoriser l'expulsion. Si ces impuretés sont si abondantes dans l'estomac & les intestins, qu'elles causent des nausées, des vomissemens, des tranchées, & même des mouvemens convulsifs, dans ce cas on peut employer quelque chose de plus laxatif que le miel & le sucre, lorsqu'ils ne sont pas suffisans : on fait usage de l'huile d'amandes douces récente, avec du sirop rosat solutif ; ou même s'il y a une plus grande indication de purger, on peut se servir du sirop de chicorée, avec la rhubarbe. Chacun de ces remedes doit être donné à très-petite dose, & à différentes reprises. On peut aussi appliquer quelqu'épithème aromatique, spiritueux, sur l'estomac & le ventre ; ce qui produit souvent de bons effets, en excitant l'action des visceres du bas-ventre.

Ces différens secours, qui viennent d'être mentionnés, employés selon les différens besoins, sont aussi très-utiles pour favoriser l'expulsion de l'humeur épaisse, noirâtre & excrémentitielle, qui est comme le marc de la nourriture du foetus, qui s'est ramassé dans les gros boyaux, dans le coecum surtout & son appendice, dont la cavité est par cette raison plus considérable à proportion que dans l'adulte. Voyez MECONIUM, COECUM. Cette matiere fécale doit être évacuée promtement, parce que quand elle est retenue après la naissance, soit à cause de sa trop grande consistance ou quantité, soit à cause de la sécheresse des voies par lesquelles elle doit être portée hors du corps, ou de la foiblesse de l'enfant, elle devient acrimonieuse & se corrompt facilement, par l'effet de la chaleur que produit la respiration dans tout le corps, & par le contact de l'air qui pénetre dans les intestins. On corrige la dureté des matieres en faisant prendre à l'enfant de tems en tems quelques gorgées de petit-lait avec du miel délayé, dont on peut aussi donner en lavement. On procure l'évacuation par les laxatifs dont il a été parlé ci-devant, employés en potion & en clystere ; par quelque doux suppositoire, par des linimens onctueux faits sur l'abdomen. On ranime les forces, pour soûtenir l'expulsion de ces excrémens, par quelque leger cordial, comme le vin chaud avec le miel & la canelle ; & si l'acide domine, comme il est ordinaire, ce que l'on connoît par l'odeur de la bouche, on unit les cordiaux avec les absorbans. On doit éviter soigneusement tout ce qui est trop atténuant, spiritueux, volatil. On ne doit employer qu'avec beaucoup de circonspection les opiatiques dans les mouvemens convulsifs qui proviennent de la retention du meconium ; & en général on ne doit en user que rarement dans toutes les maladies des enfans qui semblent les indiquer.

Celles qui sont produites par la coagulation du lait dans les premieres voies, & tous les symptomes qui en sont l'effet, doivent être traités avec des anti-acides fixes, unis à de doux purgatifs ; des lavemens de même qualité, de legers carminatifs, des huileux propres à corriger l'acrimonie qui irrite le genre nerveux ; & à détruire, si elle en est susceptible, la cause des attaques d'épilepsie, qui surviennent souvent dans ce cas.

Comme la plûpart des fievres, dont la cause est particuliere aux enfans, sont l'effet de l'acide dominant dans les humeurs ; on ne peut pas employer, pour les combattre, de meilleurs & de plus sûrs remedes que ceux que l'on vient de proposer contre la coagulation du lait, vû qu'elle est aussi toûjours causée par l'acidité qui infecte les premieres voies ; il convient par conséquent de mettre en usage ces moyens de corriger ce vice dominant, non-seulement pour les enfans, mais encore pour les nourrices. Elles doivent faire usage de remedes de même qualité, pour que le lait qu'elles fournissent en étant imprégné, ne soit pas autant disposé à s'aigrir qu'il l'est de sa nature, ou plus encore, par une suite de l'usage des alimens acescens, comme les fruits, &c. Elles doivent s'interdire ces sortes d'alimens, & ne se nourrir que de ceux qui sont d'une nature balsamique ; & en un mot vivre de régime, selon les regles de l'art, à l'égard desquelles on peut consulter l'article NOURRICE.

Il en est de même de la curation des aphthes. S'il y a lieu de soupçonner ou de croire que le lait ou la qualité des humeurs de la nourrice ont contribué à les produire, il faut lui prescrire l'usage des laxatifs, des infusions de rhubarbe, des tisanes tempérantes, diaphorétiques, faites avec l'infusion de salse-pareille, la décoction de scorsonere, & autres semblables ; ou changer de lait, si celui dont l'enfant se nourrit n'est pas susceptible d'être corrigé. Si la cause des aphthes vient de l'enfant, on doit aussi le traiter avec de doux purgatifs, tels que la manne, le sirop de chicorée, composé avec la rhubarbe, le sirop de fleurs de pêcher, & autres doux laxatifs. On doit aussi mettre en usage les remedes convenables pour empêcher que le lait ne devienne acre, & éviter soigneusement tout ce que l'on a lieu de croire avoir procuré les aphthes : on peut encore dans ce cas employer les cremes de ris, d'avoine, &c. pour corriger l'acrimonie des humeurs en général. On ne doit pas négliger les remedes topiques, pour émousser la qualité corrosive des sucs dont les aphthes sont abreuvés ; on use avec succès, dans ce cas, de quelques loocs faits, par exemple, avec le suc de grenade & le miel, le sirop de mûres délayé dans une suffisante quantité d'eau tiede, le suc de raves battu avec un jaune-d'oeuf & un peu de nitre, &c. On applique ces différens lénitifs avec le bout du doigt garni d'un linge imbû de ces préparations. Si les aphthes sont symptomatiques, il faut détruire la cause qui les a fait naître, avant que de les attaquer topiquement : il ne faut point troubler la nature dans ses opérations ; on doit se borner à faire usage de quelques legers diaphorétiques, de quelques émulsions tempérantes, avec les semences froides, & un peu de celle de pavot. Voyez APHTHES.

L'épilepsie des enfans doit aussi être traitée par des remedes donnés ou aux nourrices, si c'est d'elles que vient ce mal, ou aux enfans mêmes, si la cause ne leur est pas étrangere. Dans le premier cas, lorsque quelque frayeur, quelqu'accès de colere, ou toute autre agitation de l'ame, a corrompu le lait dans sa source, il convient d'éviter soigneusement tous les remedes spiritueux, acres, irritans, & de ne prescrire que ceux qui sont propres à calmer les tensions spasmodiques du genre nerveux, tels que les lavemens émolliens, carminatifs, les poudres anti-convulsives préparées avec celle de guttete, de cinnabre, & un peu de musc, données dans quelques eaux appropriées, telles que celle de tilleul. Lorsque la cause est dans l'enfant même, & qu'elle dépend du lait, ou de tout autre aliment devenu acre, corrosif dans les premieres voies, il faut employer les délayans laxatifs, huileux, qui peuvent évacuer les matieres viciées, ou les émousser ; & ensuite faire promtement usage des mêmes remedes indiqués ci-dessus contre les spasmes, à dose proportionnée, auxquels on peut ajouter le castoreum. La décoction un peu épaisse de corne de cerf donnée pour boisson, produit de bons effets dans ce cas. Si le vice du lait ou des autres alimens ne consiste qu'en ce qu'il est trop épais, trop grossier, il faut lui donner peu à teter ou à manger, & ne lui faire prendre qu'une nourriture propre à rendre plus fluides les matieres contenues dans les premieres voies ; & dans le cas où il y a lieu de croire qu'elles sont fort engorgées, on peut, après le paroxysme, donner une petite dose de quelqu'émétique, comme le sirop de Charas, de Glauber, ou un demi-grain de tartre Stibié dans le sirop de violettes, & quelqu'eau appropriée. Si la maladie est causée par quelques exanthèmes rentrés, tels que la gale, la teigne, il faut employer les moyens qui peuvent en rappeller la matiere à l'extérieur, tels que les vessicatoires appliqués à la nuque, les cauteres, les sétons : si elle dépend des vers, il faut la traiter convenablement à sa cause. Voyez VERS, & sur-tout l'article EPILEPSIE.

L'atrophie des enfans pouvant être produite par des causes bien différentes, elle demande par conséquent un traitement aussi varié, qui doit être le même à proportion que celui qui convient aux adultes pour cette maladie. Voyez ATROPHIE ou CONSOMPTION.

Il en est de même des autres maladies auxquelles les enfans sont sujets, qui leur sont communes avec les personnes d'un âge plus avancé, telles que la diarrhée, la dyssenterie, la cardialgie, la suppression d'urine, &c. Voyez en son lieu chacune de ces maladies : consultez aussi Ettmuller, Harris, Hoffman, Boerhaave, dans la partie de leurs ouvrages où ils traitent des maladies des enfans, ex professo. C'est d'Hoffman principalement & de Boerhaave qu'a été tiré ce qui a été dit ici à ce sujet. (d)

ENFANS DES DIEUX (Mythol.) Voyez FILS DES DIEUX.

ENFANS PERDUS, (Art milit.) terme de guerre, qui signifie des soldats qui marchent à la tête d'un corps de troupes, commandés pour le soutenir, & qu'on employe pour commencer quelque attaque, donner un assaut ou forcer quelque poste. Ils tirent ce nom du danger auquel ils sont exposés : les Anglois les appellent les abandonnés & les desespérés, ce sont à présent les grenadiers qui commencent ces sortes d'attaques, ou les dragons. Chambers. (Q)

ENFANS DE LANGUE. (Comm.) On nomme ainsi de jeunes François que le Roi fait d'abord élever à Paris, puis entretenir dans le Levant pour y apprendre les langues turque, arabe & greque, & servir ensuite de drogmans à la nation, & surtout aux consuls & aux négocians. Ces enfans sont élevés en France par les jésuites, & se perfectionnent au Levant chez les capucins. Voyez DROGMAN. (G)

ENFANTEMENT, s. m. (Méd. & Chirurg.) Voyez ACCOUCHEMENT ; mais comme cette opération naturelle a de grands besoins du secours de l'art, & que les chirurgiens qui s'y destinent, ne sauroient trop joindre à leur pratique & à leurs lumieres, l'étude des auteurs qui se sont attachés à la même profession, nous allons indiquer ici par supplément les principaux ouvrages de notre connoissance qui ont paru sur cette matiere en diverses langues, afin que ceux qui savent ces langues, & qui ne veulent rien négliger pour s'instruire, puissent se former une bibliotheque un peu complete des livres de leur métier : nocturnâ versate manu, versate diurnâ.

AUTEURS LATINS. Beccheri (Joh. Cour.) De inculpatâ ad servandam puerperam tract. Giessae, 1729. 4°. bon sur l'opération césarienne.

Cypriani (Abraham) historia foetus humani post xxj. menses ex uteri tubâ, matre salvâ ac superstite excisi. Lugd. Bat. 1700. 8°. c. f. c'est l'histoire d'un cas important en faveur de l'opération césarienne.

Deventer (Henrici) Ars obstetricandi. Lugd. Bat. 1701 & 1724. in -4°. ibid. 1725. fig. en François à Paris, 1733 & 1738, in -4°. avec fig. en Allemand Jenae, 1717 in -8°. fig. & en d'autres langues. C'est ici le meilleur ouvrage qui ait encore paru sur l'art des accouchemens dans aucun pays.

Hoffmanni (Daniel) Annotationes de partu tam naturali quàm violento. Francof. 1710 in -8°. il faut lire ces remarques en medecin, & non pas en sévere législateur.

Prato (Jasonis) de pariente & partu liber. Basil. 1527. 8°. Amstel. 1657. 12. il ne méritoit pas d'être r'imprimé chez Blaeu.

Rhodionis (Eucharii) de partu hominis. Paris, 1536. in-12. &c. Francof. 1554. 8°. c. f. ce petit ouvrage a été autrefois fort recherché, & souvent r'imprimé.

Rueff (Jacob.) de conceptu & generatione hominis, lib. jv. cum icon. Tiguri, 1554. fig. 1580. 4°. & Francof. 1587. in-4°. Auctior in Gynaeciorum libris à Spacchio. Argent. 1597. edit. fol. en haut Allemand à Francfort, 1660. 4°.

Sollingen (Cornel.) de obstetricantium officiis & opere. Francof. 1693. in-4°. avec ses oeuvres chirurgicales. L'original écrit en Hollandois, parut à Amst. en 1684. in-4°. & c'est un assez bon auteur.

Spacchius (Israel) Gynaeciorum libri illustrati. Argentorati, 1597. fol. Collection qui doit entrer dans la bibliotheque des Accoucheurs & des Medecins.

AUTEURS FRANÇOIS. Amand (Pierre) Nouvelles observations sur la pratique des accouchemens. Paris 1714. in-8. premiere édit. fig.

Bienassis (Paul) des divers travaux & enfantement des femmes, traduit du latin d'Eucharius Rhodion. Paris 1586. in-16.

Bourgeois (Louise) dite Boursier. Observations sur la stérilité, pertes de fruit, fécondité, les accouchemens, maladies de femmes, & enfans nouveau-nés. Paris, 1626. in-8. 1653. traduit en Hollandois & en Allemand, il est devenu rare.

Bury (Jacques) Le propagatif de l'homme, & secours des femmes en travail d'enfant. Paris, 1623. in-12. fig. mauvais ouvrage.

Dionis (Pierre) Traité des accouchemens. Paris, 1718. 1724. in-8. fig.

Du tertre (Marguerite) Instruction des Sages-femmes. Paris, 1677. in-12. très médiocre.

Duval (Jacques) Traité des Hermaphrodites, & de l'accouchement des femmes. Rouen, 1612. in -8. il est rare.

Fournier (Denis) l'Accoucheur méthodique. Paris, 1677. in-12. il ne mérite aucune estime.

Gervais de la Touche. L'industrie naturelle de l'enfantement contre l'impéritie des Sages-femmes. Paris, 1587. in-8. On le lisoit avant que Mauriceau parût.

Guillemeau (Jacques) de la grossesse & accouchement des femmes. Paris, 1621. in -8. fig. 1643. in -8. fig. Il y a du savoir dans cet ouvrage.

Instruction familiere & utile aux sages-femmes pour bien pratiquer les accouchemens. Paris, 1710. in -12. bon.

Levret (André) Observations sur les causes & les accidens de plusieurs accouchemens laborieux, avec des remarques, &c. Paris, 1747. in -8. c. f. 1750. seconde édit. Il faut qu'un praticien se munisse de livres de ce genre.

Marche (la Dame de la) Instructions utiles aux Sages-femmes. Paris 1710. & 1723. in -12. bon à recommander aux Accoucheurs.

Mauriceau (Fr.) Traité des maladies des femmes grosses. Paris, 1681. in -4. premiere édit. 1728. 2. vol. in -4. sixieme édit. Voilà le premier praticien du monde, celui à qui toute l'Europe est redevable de l'art des accouchemens & de ses progrès. Son ouvrage est traduit dans toutes les langues, & le mérite bien.

Mesnard (Jacques) le guide des accouchemens. Paris, 1743. in -8. avec fig.

Motte (Guillaume Mauquest de la) Traité des accouchemens. Paris, 1715. premiere édit. in -4. Ce livre est plein d'excellentes observations.

Peu (Philippe) Pratique des accouchemens. Paris, 1694. in -8.

Portal (Paul) la pratique des accouchemens. Paris, 1685. avec fig. premiere édit. in -8. fig. & Amst. 1690. in -8. en Hollandois.

Recueil général des caquets de l'accouchée. Paris, 1623. in -8. Ce recueil ne nous a rien appris, & il falloit nous instruire.

Rousset (François) Traité nouveau de l'Hysterotomotochie ou de l'enfantement césarien. Paris, 1581. in -8. premiere édit. en Allemand, par Melchior Sebisius. Strasb. 1583. in -8. en latin, par Casp. Bauhin, avec des additions. Basil. 1589. in -8. ibid. 1591. in -8. c. f. Francof. 1601. in -8. c. f. rare & curieux.

Ruleau (J.) Traité de l'opération césarienne, & des accouchemens difficiles & laborieux. Paris, 1704. in -12. premiere édit. curieux aussi.

S. Germain (Charles de) Traité des Fausses-couches. Paris, 1655. in -8.

Viardel (Cosme) Observations sur la pratique des accouchemens. Paris, 1681. Auteur médiocre qu'on a pourtant traduit en Allemand.

AUTEURS ANGLOIS. Braken (Henrici) A Treatise of Midwifery. Lond. 1737. in -8. bon à consulter.

Chamberlain. Practice of Midwifery. London, 1665. in -8. C'est le Mauriceau d'Angleterre, un des premiers qui ait acquis de la célébrité sur la pratique des accouchemens ; mais on l'a beaucoup perfectionné depuis.

Chapman (Edmund) A Treatise on the improvement of Midwifery, chiefly with regard to the operation. London, 1733. in -8. premiere edit. ibid. 1738. in -8. bon à consulter.

Giffard (William) Two hundred and twenty five cases in Midwifery. London, 1733. in -8. bon parce que ce sont des observations.

Hody (Edward) Cases in Midwifery by William Giffard revis'd. Lond. 1734. in -8. c. f. bon encore par la même raison.

J. P. The compleat Midwife's Practice. Lond. 1699. in -8. c. f.

Manningham (Richard) Artis obstetricandi compendium theoriam & praxim spectans. Lond. 1739. in -4. Hamb. 1746. in -4. c. f. avec des augmentations. C'est ici la meilleure édit. pour les choses.

Mowbray (John) The Female Physician, &c. London, 1725. in -8. With Copper-plates.

Ould (Thielding) A Treatise of Midwifery in three parts. London. 1720. in -8. fig. C'est un des livres médiocres d'Angleterre sur cette matiere.

Sermon (William) The english Midwife. Lond. 1671. in -8. c. f. Traité tombé dans l'oubli, quoiqu'il ait paru après celui de Chamberlain.

Sharp (Mrs.) The compleat Midwife's Companion. Lond. 1737. in -8. malgré le titre, c'est peu de chose.

Stone (Sarah) A complete Practice of Midwifery. London. 1737. in -8. On a encore plus promis dans le titre de ce livre, qu'on n'a tenu dans l'exécution.

AUTEURS ALLEMANDS. Boëkelman (André) Controverses sur l'extraction du foetus mort, en Allemand, mais originairement en Hollandois. Amst. 1697. in -8. bon.

Eckhardi, unvorsichtige Hebamme, c'est-à-dire, la sage-femme imprudente. Lips. 1715. in -8. utile.

Homburgen (Anna Elys.) Unterricht der Hebammen ; c'est-à-dire, instruction des sages-femmes. Hannov. 1700. in -8.

Hoorn. (Joh. Von) Art des accouchemens, en Suédois. Stockolm, 1697 & 1726. in -8. avec fig. C'est un des bons manuels qu'on ait en langue Suédoise, pour instruire les accoucheuses.

Richters (E. C.) Allezeit vorsichtige Web-mutter. Francof. 1738. in -8. bon.

Sigemundi (Justina) Brandenburgische Hoff-Webmutter. Berolini 1689 & 1708. in -4. Fort bon ouvrage, & je crois le meilleur qui ait paru en langue Allemande.

Sommers (Joh. Georg.) Hebammen Schul. c'est-à-dire, école des accoucheuses. Coburg. 1664. in -12. ibid. 1691. 1715. in -12. avec fig.

Sterren (Dyonisius Van-der) Traité de l'accouchement césarien, originairement en Hollandois à Leyden. 1682. in -12. Tout ce qui a été dit sur l'opération césarienne doit être recueilli.

Voëlters (Christophor.) Hebammen Schul ; c'est-à-dire, l'école des accouchemens ; Stutgard. 1679. in -8. On peut aller à meilleure école qu'à celle de cet Auteur.

Welschens (Gottfred) Kinder-mutter, und Hebem-men-Buch. Witteb. 1671. in -4. Ouvrage très-médiocre.

Widmannia (Barbara) anweisung Christilichen Hebammen ; c'est-à-dire, la sage-femme Chrétienne éclairée. Augustae Vindel. 1735. in -8. utile aux accoucheuses.

AUTEURS ITALIENS. Melli (Sebastiano) La Commare levatrice istrutta del suo officio. con fig. Venez. 1721. in -4. bon.

Mercurio (Scipione) la Commare, o, Riccogitrice in Venez. 1604. in -4. premiere édit. in Milano 1618. in -8. in Verona 1641. in -4. avec fig. sur bois. ibid. 1662. in -4. avec fig. en Allemand. Wittemb. 1671. & à Leipsig. 1692. avec fig. curieux & fort rare.

Santorini (Giovan Domenico) Historia d'un Feto felicimente estratto. Venezia, 1727. in -4. On peut compter sur les observations de cet habile Anatomiste.

Je n'ai pas besoin de remarquer en finissant ma liste, qu'on trouve sur les accouchemens d'excellentes observations semées dans les mém. de l'Acad. des sciences & de chirurgie de Paris ; les Transactions philosophiques de Londres, les actes de la societé d'Edimbourg, & autres semblables. Il seroit à souhaiter que le tout fût réuni en un seul corps pour l'utilité des gens de l'art. Article de M(D.J.)

ENFANTEMENT, douleurs de l'(Medec.) ce sont celles qui sont particulieres à la femme grosse, qui annoncent & qui précedent sa prochaine délivrance ; état bien touchant & bien intéressant pour l'humanité.

C'est dans cet état que la femme grosse devient ordinairement très-attentive à toutes les révolutions qui se font en elle. On ne peut raisonnablement blâmer ses frayeurs & sa prévoyance ; personne ne doit être plus intéressé qu'elle à la conservation de sa vie, & à celle du fruit qu'elle porte dans son sein. Elle va joüer le rôle le plus grave & le plus pénible dans l'action qui s'approche. En conséquence, les moindres douleurs qu'elle souffre ne manquent pas de l'allarmer, sur-tout dans sa premiere grossesse ; & le sentiment ou la connoissance du péril qu'elle peut courir, la presse d'appeller à son aide une habile accoucheuse, ou, ce qui vaut encore mieux, un accoucheur consommé.

Ceux-ci instruits par leurs lumieres & par leur expérience, commencent d'abord par examiner soigneusement & très-scrupuleusement l'espece de douleurs de la femme grosse. Cet examen est de la derniere importance ; parce que d'un côté il seroit très-imprudent de retarder un travail réel, & de l'autre ce seroit exposer la vie de la femme & celle de son enfant que de hâter, par les secours de l'art, une opération qui n'est pas encore préparée par les secrets de la nature. Je sai bien que les femmes qui ont eu plusieurs enfans, se croyent capables de distinguer les vraies douleurs de l'enfantement de celles qui proviennent de toute autre cause ; mais outre qu'elles s'abusent d'ordinaire, l'accoucheur lui-même, quoique très-éclairé dans son art, s'y trompe quelquefois. Il importe donc de parcourir les signes ici les plus distinctifs auxquels on peut reconnoître les fausses douleurs des véritables.

Les douleurs qui ne partent point de la matrice, qui ne la dilatent point, qui ne portent point en-embas, qui paroissent long-tems avant le terme, qui ne sont pas précédées de l'écoulement des eaux, sont ce qu'on appelle douleurs fausses, c'est-à-dire qui ne caractérisent point l'enfantement prochain. Ces douleurs fausses proviennent quelquefois des vents renfermés dans les intestins, que l'on reconnoît au murmure qui se fait dans le bas-ventre ; quelquefois de tenesmes, d'envies continuelles d'aller à la selle par la compression de l'uterus sur le rectum : d'autres fois une grande émotion ou des passions vives suffisent pour exciter sur la fin de la grossesse des douleurs violentes, sans qu'elles annoncent la délivrance prochaine.

Les douleurs vraies de l'enfantement commencent dans la région lombaire, s'étendent du côté de la matrice, rendent le pouls plus plein, plus fréquent, & plus élevé ; elles donnent de la couleur, parce que le sang est porté au visage avec plus de vitesse & en plus grande quantité ; elles se rallentissent & redoublent par intervalles. La douleur qui suit, est toûjours plus grande que celle qui l'a précédée, ensorte qu'on peut dire que c'est par un accroissement successif des douleurs qu'une femme est conduite à l'enfantement qui les termine.

Les douleurs vraies se distinguent encore des douleurs de colique, en ce que ces dernieres se dissipent, ou du moins reçoivent quelque soulagement par l'application des linges chauds sur l'abdomen, l'usage interne des émolliens onctueux, la saignée, les lavemens adoucissans, &c. au lieu que tous ces moyens semblent exciter plus fortement les véritables douleurs de l'enfantement.

Un autre signe assez distinctif, est le lieu de la douleur ; dans les coliques venteuses, l'endroit de la douleur est vague : dans l'inflammation il est fixe, & a pour siége les parties enflammées ; mais les douleurs de l'enfantement sont alternatives, déterminées vers la matrice avec resserrement & dilatation successive, & répondent toûjours en-embas.

On soupçonne toutes les douleurs qu'une femme souffre avant le neuvieme mois, d'être fausses, & par conséquent on ne doit pas chercher à les augmenter : s'il arrivoit néanmoins qu'au septieme mois de la grossesse une femme entrât réellement en travail, il faudroit non seulement ne le point retarder, mais le hâter avec prudence.

Au surplus, ce qu'il y a de mieux à faire, pour n'être point trompé dans cette occasion, c'est de toucher l'orifice de la matrice ; & son état fournira les notions les plus certaines sur la nature des douleurs, & les signes caractéristiques du futur accouchement. Si les douleurs sont fausses, l'orifice de la matrice se refermera plus étroitement qu'auparavant dès qu'elles seront passées ; si elles sont vraies, elles augmenteront la dilatation de l'orifice de la matrice. Ainsi l'on décidera du caractere des douleurs, en touchant l'utérus avant & après : en effet, lorsque la matrice agit sur l'enfant qu'elle renferme, elle tend à surmonter la résistance de l'orifice qui se dilate peu-à-peu. Si l'on touche cet orifice dans le tems des douleurs, on sent qu'il se resserre ; & lorsque la douleur est dissipée, l'orifice se dilate de nouveau. Ainsi par l'augmentation des souffrances, & par les progrès de la dilatation de l'orifice, lorsqu'elles seront cessées, on peut s'assûrer de la nature des douleurs, juger assez bien du tems de l'accouchement prochain, & diriger sa conduite en conséquence.

Les douleurs avant-courieres de l'enfantement, sont celles qui se font sentir à l'approche du travail pendant quelques heures, & même quelquefois pendant plusieurs jours : on les appelle mouches. Quoique les femmes en soient très-fatiguées, elles leur sont extrêmement salutaires ; ce sont elles qui produisent la dilatation successive de l'orifice de la matrice ; elles contribuent à la formation des eaux ; elles poussent l'enfant dans une situation propre à sortir ; elles préparent les passages qui se trouvent enduits d'une humeur émolliente & mucilagineuse qu'elles expriment de la matrice ; & peut-être servent-elles encore à détacher le placenta de la surface intérieure de l'utérus, détachement qui précede immédiatement la naissance de l'enfant. Je dis que la femme grosse éprouve quelquefois de pareilles douleurs pendant plusieurs jours ; c'est pourquoi l'accoucheur seroit imprudent de la mettre en travail, avant que les autres raisons décisives & réunies ensemble ne l'y déterminassent.

Enfin, comme il se fait souvent dans les femmes prêtes d'accoucher des mouvemens violens, soit dans le visage, les yeux, les levres, soit dans les bras, soit dans les organes de la respiration, soit dans le bas-ventre, soit dans les parties inférieures du corps ; ces mouvemens impétueux & presque convulsifs sont la voix de la nature même, qui apprend, qui crie à l'accoucheur, que les vraies douleurs de la femme grosse sont parvenues au degré de violence nécessaire pour l'expulsion de l'enfant, lequel à son tour aura besoin en naissant de secours de toute espece, incapable de faire aucun usage de ses organes, & de se servir de ses sens ; image de misere, de souffrances & d'imbécillité ! Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENFERS. m. (Théologie) lieu de tourmens où les méchans subiront après cette vie la punition dûe à leurs crimes.

Dans ce sens le mot d'enfer est opposé à celui de ciel ou paradis. Voyez CIEL & PARADIS.

Les payens avoient donné à l'enfer les noms de tartarus ou tartara, hades, infernus, inferna, inferi, orcus &c.

Les Juifs n'ayant point exactement de nom propre pour exprimer l'enfer dans le sens où nous venons de le définir (car le mot hébreu scheol se prend indifféremment pour le lieu de la sépulture, & pour le lieu de supplice réservé aux réprouvés), ils lui ont donné le nom de Gehenna ou Gehinnon, vallée près de Jérusalem, dans laquelle étoit un tophet ou place où l'on entretenoit un feu perpétuel allumé par le fanatisme pour immoler des enfans à Moloch. De-là vient que dans le nouveau Testament l'enfer est souvent désigné par ces mots Gehenna ignis.

Les principales questions qu'on peut former sur l'enfer se réduisent à ces trois points : son existence, sa localité, & l'éternité des peines qu'y souffrent les réprouvés. Nous allons les examiner séparément.

1°. Si les anciens Hébreux n'ont pas eu de terme propre pour exprimer l'enfer, ils n'en ont pas moins reconnu la réalité. Les auteurs inspirés en ont peint les tourmens avec les couleurs les plus terribles : Moyse, dans le Deutéronome, chap. xxxij. vers. 22. menace les Israëlites infideles, & leur dit au nom du Seigneur : Un feu s'est allumé dans ma fureur, & il brûlera jusqu'au fond de l'enfer ; il dévorera la terre & toutes les plantes, & il brûlera les fondemens des montagnes. Job, chap. xxjv. vers. 19. réunit sur la tête des réprouvés les plus extrêmes douleurs : Que le méchant, dit-il, passe de la froideur de la neige aux plus excessives chaleurs ; que son crime descende jusque dans l'enfer ; & au chap. xxvj. vers. 6. L'Enfer est découvert aux yeux de Dieu, & le lieu de la perdition ne peut se cacher à sa lumiere. Enfin, pour ne pas nous jetter dans des citations infinies, Isaïe, chap. lxvj. vers. 24. exprime ainsi les tourmens intérieurs & extérieurs que subiront les réprouvés : Videbunt cadavera virorum qui prevaricati sunt in me, vermis eorum non morietur, & ignis eorum non extinguetur, & erunt usque ad satietatem visionis omni carni ; c'est-à-dire, comme porte l'Hébreu, ils seront un sujet de dégoût à toute chair, tant leurs corps seront horriblement défigurés par les tourmens.

Ces autorités suffisent pour fermer la bouche à ceux qui prétendent que les anciens Hébreux n'ont eu nulle connoissance des châtimens de la vie future, parce que Moyse ne les menace ordinairement que de peines temporelles. Les textes que nous venons de citer énoncent clairement des punitions qui ne doivent s'infliger qu'après la mort. Ce qu'on objecte encore, que les écrivains sacrés ont emprunté ces idées des poëtes grecs, n'a nul fondement : Moyse est de plusieurs siecles antérieur à Homere. Soit que Job ait été contemporain de Moyse, ou que son livre ait été écrit par Salomon, comme le prétendent quelques critiques, il auroit vêcu, vers le tems du siege de Troye, qu'Homere n'a décrit que quatre cent ans après. Isaïe, à la vérité, étoit à-peu-près contemporain d'Hésiode & d'Homere ; mais quelle connoissance a-t-il eu de leurs écrits, dont les derniers sur-tout n'ont été recueillis que par les soins de Pisistrate, c'est-à-dire fort long-tems après la mort du poëte grec, & celle du prophete qu'on suppose avoir été le copiste d'Homere.

Il est vrai que les Esseniens, les Pharisiens, & les autres sectes qui s'éleverent parmi les Juifs depuis le retour de la captivité, & qui depuis les conquêtes d'Alexandre avoient eu commerce avec les Grecs, mêlerent leurs opinions particulieres aux idées simples qu'avoient eu les anciens Hébreux sur les peines de l'enfer. " Les Esseniens, dit Joseph dans son Hist. de la guerre des Juifs, liv. II. chap. xij. " tiennent que l'ame est immortelle, & qu'aussi-tôt qu'elle est sortie du corps, elle s'éleve pleine de joie vers le ciel, comme étant dégagée d'une longue servitude & délivrée des liens de la chair. Les ames des justes vont au-delà de l'Océan, dans un lieu de repos & de délices, où elles ne sont troublées par aucune incommodité ni dérangement des saisons. Celles des méchans au contraire sont reléguées dans des lieux exposés à toutes les injures de l'air, où elles souffrent des tourmens éternels. Les Esseniens ont sur ces tourmens à peu-près les mêmes idées que les poëtes nous donnent du Tartare & du royaume de Pluton ". Voyez ESSENIENS.

Le même auteur, dans ses antiquités judaïques, liv. XVIII. chap. ij. dit " que les Pharisiens croyent aussi les ames immortelles, & qu'après la mort du corps celles des bons joüissent de la félicité, & peuvent aisément retourner dans le monde animer d'autres corps ; mais que celles des méchans sont condamnées à des peines qui ne finiront jamais. " Voyez PHARISIENS.

Philon, dans l'opuscule intitulé de congressu quaerendae eruditionis causâ, reconnoît, ainsi que les autres Juifs, des peines pour les méchans & des récompenses pour les justes : mais il est fort éloigné des sentimens des Payens & même des Esseniens au sujet de l'enfer. Tout ce qu'on raconte de Cerbere, des Furies, de Tantale, d'Ixion, &c. tout ce qu'on en lit dans les poëtes, il le traite de fables & de chimeres. Il soûtient que l'enfer n'est autre chose qu'une vie impure & criminelle ; mais cela même est allégorique. Cet auteur ne s'explique pas distinctement sur le lieu où sont punis les méchans, ni sur le genre & la qualité de leur supplice ; il semble même le borner au passage que les ames font d'un corps dans un autre, où elles ont souvent beaucoup de maux à endurer, de privations à souffrir, & de confusion à essuyer : ce qui approche fort de la métempsycose de Pythagore. Voyez METEMPSYCOSE.

Les Saducéens qui nioient l'immortalité de l'ame, ne reconnoissoient par conséquent ni récompenses ni peines pour la vie future. V. SADUCEENS.

L'existance de l'enfer & des supplices éternels est attestée presque à chaque page du nouveau Testament. La sentence que Jesus-Christ prononcera contre les reprouvés au Jugement dernier, est conçûe en ces termes : Matth. XXV. . 34. Ite maledicti in ignem aeternum qui paratus est diabolo & angelis ejus. Il représente perpétuellement l'enfer comme un lieu ténébreux où regnent la douleur, la tristesse, le dépit, la rage, & comme un séjour d'horreur où tout retentit des grincemens de dents & des cris qu'arrache le desespoir. S. Jean, dans l'Apocalypse, le peint sous l'image d'un étang immense de feu & de soufre, où les méchans seront précipités en corps & en ame, & tourmentés pendant toute l'éternité.

En conséquence, les Théologiens distinguent deux sortes de tourmens dans l'enfer : savoir, la peine du dam, poenam damni seu damnationis ; c'est la perte ou la privation de la vision béatifique de Dieu, vision qui doit faire le bonheur éternel des saints : & la peine du sens poena sensûs, c'est à-dire, tout ce qui peut affliger le corps, & sur-tout les douleurs cuisantes & continuelles causées dans toutes ses parties par un feu inextinguible.

Les fausses religions ont aussi leur enfer : celui des Payens, assez connu par les descriptions qu'en ont faites Homere, Ovide & Virgile, est assez capable d'inspirer de l'effroi par les peintures des tourmens qu'ils y font souffrir à Ixion, à Promethée, aux Danaïdes, aux Lapythes, à Phlégias, &c. mais parmi les Payens, soit corruption du coeur, soit panchant à l'incrédulité, le peuple & les enfans même traitoient toutes ces belles descriptions de contes & de rêveries ; du moins c'est un des vices que Juvenal reproche aux Romains de son siecle.

Esse aliquos manes & subterranea regna,

Et contum, & Stygio ranas in gurgite nigras,

Atque unâ transire vadum tot millia cimbâ,

Nec pueri credunt, nisi qui nondùm aere lavantur,

Sed tu vera puta. Satyr. II.

Voyez ENFER, (Mythologie)

Les Talmudistes, dont la croyance n'est qu'un amas ridicule de superstitions, distinguent trois ordres de personnes qui paroîtront au jugement dernier. Le premier, des justes ; le second, des méchans ; & le troisieme, de ceux qui sont dans un état mitoyen, c'est-à-dire, qui ne sont ni tout-à-fait justes ni tout-à-fait impies. Les justes seront aussi-tôt destinés à la vie éternelle, & les méchans au malheur de la gêne ou de l'enfer. Les mitoyens, tant Juifs que Gentils, descendront dans l'enfer avec leur corps, & ils pleureront pendant douze mois, montant & descendant, allant à leurs corps & retournant en enfer. Après ce terme, leurs corps seront consumés & leurs ames brûlées, & le vent les dispersera sous les piés des justes : mais les hérétiques, les athées, les tyrans qui ont desolé la terre, ceux qui engagent les peuples dans le péché, seront punis dans l'enfer pendant les siecles des siecles. Les Rabbins ajoûtent que tous les ans au premier jour de Tirsi, qui est le premier jour de l'année judaïque, Dieu fait une espece de révision de ses registres, ou un examen du nombre & de l'état des ames qui sont en enfer. Talmud in Gemar. Tract. Rosch. haschana c. j. fol. 16.

Les Musulmans ont emprunté des Juifs & des Chrétiens, le nom de gehennem ou gehim, pour signifier l'enfer. Gehenem, en arabe, signifie un puits très-profond ; & gehim, un homme laid & difforme ; ben gehennem, un fils de l'enfer, un réprouvé. Ils donnent le nom de thabeck à l'ange qui préside à l'enfer. D'Herbelot, Biblioth. orient. au mot Gehennem.

Selon l'alcoran, au chap. de la priere, les Mahométans connoissent sept portes de l'enfer, ou sept degré de peines ; c'est aussi le sentiment de plusieurs commentateurs de l'alcoran, qui mettent au premier degré de peine, nommé gehennem, les Musulmans qui auront mérité d'y tomber ; le second degré, nommé ladha, est pour les Chrétiens ; le troisieme, appellé hothama, pour les Juifs ; le quatrieme, nommé saïr, est destiné aux Sabiens ; le cinquieme, nommé sacar, est pour les mages ou Guebres, adorateurs du feu ; le sixieme, appellé gehim, pour les Payens & les Idolatres ; le septieme, qui est le plus profond de l'abysme, porte le nom de haoviath, il est reservé pour les hypocrites qui déguisent leur religion, & qui en cachent dans le coeur une différente de celle qu'ils professent au-dehors.

D'autres interpretes mahométans expliquent différemment ces sept portes de l'enfer. Quelques-uns croyent qu'elles marquent les sept péchés capitaux. D'autres les prennent des sept principaux membres du corps dont les hommes se servent pour offenser Dieu, & qui sont les principaux instrumens de leurs crimes. C'est en ce sens qu'un poëte Persan a dit : " Vous avez les sept portes d'enfer dans votre corps ; mais l'ame peut faire sept serrures à ces portes ; la clef de ces serrures est votre libre arbitre, dont vous pouvez vous servir pour fermer ces portes, si bien qu'elles ne s'ouvrent plus à votre perte ". Outre la peine du feu ou du sens, les Musulmans reconnoissent aussi comme nous celle du dam.

On dit que les Cafres admettent treize enfers, & vingt-sept paradis, où chacun trouve la place qu'il a méritée suivant ses bonnes ou mauvaises actions.

Cette persuasion des peines dans une vie future, universellement répandue dans toutes les religions, même les plus fausses, & chez les peuples les plus barbares, a toûjours été employée par les législateurs comme le frein le plus puissant pour arrêter la licence & le crime, & pour contenir les hommes dans les bornes du devoir.

II. Les auteurs sont extrêmement partagés sur la seconde question : savoir, s'il y a effectivement quelque enfer local, ou quelque place propre & spécifique où les réprouvés souffrent les tourmens du feu. Les prophetes & les autres auteurs sacrés parlent en général de l'enfer comme d'un lieu soûterrain, placé sous les eaux & les fondemens des montagnes, au centre de la terre, & ils le désignent par les noms de puits & d'abysme : mais toutes ces expressions ne déterminent pas le lieu fixe de l'enfer. Les écrivains prophanes, tant anciens que modernes, ont donné carriere à leur imagination sur cet article ; & voici ce que nous en avons recueilli d'après Chambers.

Les Grecs, après Homere, Hésiode, &c. ont conçû l'enfer comme un lieu vaste & obscur sous terre, partagé en diverses régions, l'une affreuse où l'on voyoit des lacs dont l'eau bourbeuse & infecte exhaloit des vapeurs mortelles ; un fleuve de feu, des tours de fer & d'airain, des fournaises ardentes, des monstres & des furies acharnées à tourmenter les scélérats : (Voyez Lucien, de luctu, & Eustathe, sur Homere) l'autre riante, destinée aux sages & aux héros. Voyez ÉLYSEE.

Parmi les poëtes latins, quelques-uns ont placé l'enfer dans les régions soûterraines situées directement au-dessous du lac d'Averne, dans la Campagne de Rome, à cause des vapeurs empoisonnées qui s'élevoient de ce lac. AEneide, liv. VI. Voy. AVERNE.

Calipso dans Homere parlant à Ulysse, met la porte de l'enfer aux extrémités de l'Océan. Xenophon y fait entrer Hercule par la peninsule acherasiade, près d'Héraclée du Pont.

D'autres se sont imaginé que l'enfer étoit sous le Ténare, promontoire de Laconie, parce que c'étoit un lieu obscur & terrible, environné d'épaisses forêts, d'où il étoit plus difficile de sortir que d'un labyrinthe. C'est par-là qu'Ovide fait descendre Orphée aux enfers. D'autres ont crû que la riviere ou le marais du Styx en Arcadie étoit l'entrée des enfers, parce que ses exhalaisons étoient mortelles. Voyez TENARE & STYX.

Mais toutes ces opinions ne doivent être regardées que comme des fictions des poëtes, qui, selon le génie de leur art, exagérant tout, représenterent ces lieux comme autant de portes ou d'entrées de l'enfer, à l'occasion de leur aspect horrible, ou de la mort certaine dont étoient frappés tous ceux qui avoient le malheur ou l'imprudence de s'en trop approcher. Voyez ENFER, (Mythol.)

Les premiers Chrétiens, qui regardoient la terre comme un plan d'une vaste étendue, & le ciel comme un arc élevé ou un pavillon tendu sur ce plan, crurent que l'enfer étoit une place soûterraine & la plus éloignée du ciel, de sorte que leur enfer étoit placé où sont nos antipodes. Voyez ANTIPODES.

Virgile avoit eu avant eux une idée à-peu-près semblable.

.................................. tum Tartarus ipse

Bis patet in praeceps tantum, tenditque sub umbras,

Quantus ad aethereum coeli suspectus Olympum.

Tertullien, dans son livre de l'ame, représente les Chrétiens de son tems comme persuadés que l'enfer étoit un abysme situé au fond de la terre ; & cette opinion étoit fondée principalement sur la croyance de la descente de Jesus-Christ aux Lymbes. Matth. XII. . 40. V. LYMBES, & l'article suivant ENFER.

Whiston a avancé, sur la localité de l'enfer, une opinion nouvelle. Selon lui, les cometes doivent être considérées comme autant d'enfers destinés à voiturer alternativement les damnés dans les confins du Soleil, pour y être grillés par ses feux, & les transporter successivement dans des régions froides, obscures, & affreuses, au-delà de l'orbite de Saturne. Voyez COMETE.

Swinden, dans ses recherches sur la nature & sur la place de l'enfer, n'adopte aucune des situations ci-dessus mentionnées ; & il en assigne une nouvelle. Suivant ses idées, le Soleil lui-même est l'enfer local ; mais il n'est pas le premier auteur de cette opinion : outre qu'on pourroit en trouver quelques traces dans ce passage de l'Apocalypse, chap. xvj. . 8. & 9. Et quartus angelus effudit phialam suam in Solem, & datum est illi aestu affligere homines & igni, & aestuaverunt homines aestu magno. Pythagore paroît avoir eu la même pensée que Swinden, en plaçant l'enfer dans la sphere du feu, & cette sphere au milieu de l'univers. D'ailleurs Aristote de coelo, lib. II. fait mention de quelques philosophes de l'école italique ou pythagoricienne, qui ont placé la sphere du feu dans le Soleil, & l'ont même nommée la prison de Jupiter. Voyez PYTHAGORICIENS.

Swinden, pour soûtenir son système, entreprend de déplacer l'enfer du centre de la terre. La premiere raison qu'il en allegue, c'est que ce lieu ne peut contenir un fond ou une provision de soufre ou d'autres matieres ignées, assez considérable pour entretenir un feu perpétuel & aussi terrible dans son activité que celui de l'enfer ; & la seconde, que le centre de la terre doit manquer de particules nitreuses qui se trouvent dans l'air, & qui doivent empêcher ce feu de s'éteindre : " Et comment, ajoûte-t-il, un tel feu pourroit-il être éternel & se conserver sans fin dans les entrailles de la terre, puisque toute la substance de la terre en doit être consumée successivement & par degrés " ?

Cependant il ne faut pas oublier ici que Tertullien a prévenu la premiere de ces difficultés, en mettant une différence entre le feu caché ou interne & le feu public ou extérieur. Selon lui, le premier est de nature non-seulement à consumer, mais encore à réparer ce qu'il consume. La seconde difficulté a été levée par S. Augustin, qui prétend que Dieu, par un miracle, fournit de l'air au feu central. Mais l'autorité de ces peres, si respectable en matiere de doctrine, n'est pas irréfragable quand il s'agit de Physique : aussi Swinden continue à montrer que les parties centrales de la terre sont plûtôt occupées par de l'eau que par du feu ; ce qu'il confirme par ce que dit Moyse des eaux soûterraines, Exode, chap. xx. . 4. & par le Pseaume XXIII. . 2. Quia super maria fundavit eum (orbem), & super flumina praeparavit eum. Il allegue encore qu'il ne se trouveroit point au centre de la terre assez de place pour contenir le nombre infini de mauvais anges & d'hommes réprouvés. Voyez ABYSME.

On sait que Drexelius, de damnatorum carcere & rogo, a confiné l'enfer dans l'espace d'un mille cubique d'Allemagne, & qu'il a fixé le nombre des damnés à cent mille millions : mais Swinden pense que Drexelius a trop ménagé le terrein ; qu'il peut y avoir cent fois plus de damnés ; & qu'ils ne pourroient qu'être infiniment pressés, quelque vaste que soit l'espace qu'on pût leur assigner, au centre de la terre. Il conclut qu'il est impossible d'arranger une si grande multitude d'esprits dans un lieu si étroit, sans admettre une pénétration de dimension ; ce qui est absurde en bonne philosophie, même par rapport aux esprits : car si cela étoit, il dit qu'il ne voit pas pourquoi Dieu auroit préparé une prison si vaste pour les damnés, puisqu'ils auroient pû être entassés tous dans un espace aussi étroit qu'un four de Boulanger. On pourroit ajoûter que le nombre des réprouvés devant être très-étendu, & les réprouvés devant un jour brûler en corps & en ame, il faut nécessairement admettre un enfer plus spacieux que celui qu'a imaginé Drexelius, à moins qu'on ne suppose qu'au jugement dernier Dieu en créera un nouveau assez vaste pour contenir les corps & les ames. Nous ne sommes ici qu'historiens. Quoi qu'il en soit, les argumens qu'allegue Swinden, pour prouver que le Soleil est l'enfer local, sont tirés :

1°. De la capacité de cet astre. Personne ne pouvant nier que le Soleil ne soit assez spacieux pour contenir tous les damnés de tous les siecles, puisque les Astronomes lui donnent communément un million de lieues de circuit : ainsi ce n'est pas la place qui manque dans ce système. Le feu ne manquera pas non plus, si nous admettons le raisonnement par lequel Swinden prouve, contre Aristote, que le Soleil est chaud, page 208 & suiv. " Le bon-homme, dit-il, est saisi d'étonnement à la vûe des Pyrénées de soufre & des océans atlantiques de bitume ardent, qu'il faut pour entretenir l'immensité des flammes du soleil. Nos AEthnas & nos Vésuves ne sont que des vers luisans ". Voilà une phrase plus digne d'un gascon que d'un savant du nord.

2°. De la distance du Soleil, & de son opposition à l'empyrée, que l'on a toûjours regardé comme le ciel local. Une telle opposition répond parfaitement à celle qui se trouve naturellement entre deux places, dont l'une est destinée au séjour des anges & des élûs, & l'autre à celui des démons & des réprouvés, dont l'une est un lieu de gloire & de bénédictions, & l'autre est un lieu d'horreur & de blasphèmes. La distance s'accorde aussi très-bien avec les paroles du mauvais riche, qui dans S. Luc, chap. xvj. . 23. voit Abraham dans un grand éloignement, & avec la réponse d'Abraham dans ce même chap. . 26. & in his omnibus inter nos & vos chaos magnum firmatum est, ut hi qui volunt hinc transire ad vos non possint, neque indè huc transmeare. Or Swinden, par ce chaos ou ce gouffre, entend le tourbillon solaire. Voyez TOURBILLON.

3°. De ce que l'empirée est le lieu le plus haut, & le Soleil le lieu le plus bas de l'univers, en considérant cette planete comme le centre de notre système, & comme la premiere partie du monde créé & visible ; ce qui s'accorde avec cette notion, que le Soleil a été destiné primitivement non-seulement à éclairer la terre, mais encore à servir de prison & de lieu de supplice aux anges rebelles, dont notre auteur suppose que la chûte a précédé immédiatement la création du monde habité par les hommes.

4°. Du culte que presque tous les hommes ont rendu au feu ou au Soleil ; ce qui peut se concilier avec la subtilité malicieuse des esprits qui habitent le Soleil, & qui ont porté les hommes à adorer leur throne, ou plûtôt l'instrument de leur supplice.

Nous laissons au lecteur à apprécier tous ces systèmes ; & nous nous contentons de dire qu'il est bien singulier de vouloir fixer le lieu de l'enfer, quand l'Ecriture, par son silence, nous indique assez celui que nous devrions garder sur cette matiere.

III. Il ne conviendroit pas également de demeurer indécis sur une question qui intéresse essentiellement la foi ; c'est l'éternité des peines que les damnés souffriront en enfer. Elle paroît expressément décidée par les Ecritures, & quant à la nature des peines du sens, & quant à leur durée qui doit être interminable. Cependant, outre les incrédules modernes qui rejettent l'un & l'autre point, tant parce qu'ils imaginent l'ame mortelle comme le corps, que parce que l'éternité des peines leur semble incompatible avec l'idée d'un Dieu essentiellement & souverainement bon & miséricordieux ; Origene, dans son traité intitulé, , ou de principiis, donnant aux paroles de l'Ecriture une interprétation métaphorique, fait consister les tourmens de l'enfer, non dans les peines extérieures ou corporelles, mais dans les remords de la conscience des pécheurs, dans l'horreur qu'ils ont de leurs crimes, & dans le souvenir qu'ils conservent du vuide de leurs plaisirs passés. S. Augustin fait mention de plusieurs de ses contemporains qui étoient dans la même erreur. Calvin & plusieurs de ses sectateurs l'ont soûtenu de nos jours ; & c'est le sentiment général des Sociniens, qui prétendent que l'idée de l'enfer, admis par les Catholiques, est empruntée des fictions du paganisme. Nous trouvons encore Origene à la tête de ceux qui nient l'éternité des peines dans la vie future : cet auteur, au rapport de plusieurs peres, mais sur-tout de S. Augustin, dans son traité de la cité de Dieu, liv. XXI. chap. xvij. enseigne que les hommes, & les démons même, après qu'ils auront essuyé des tourmens proportionnés à leurs crimes, mais limités toutefois quant à la durée, en obtiendront le pardon & entreront dans le ciel. M. Huet, dans ses remarques sur Origene, conjecture que la lecture de Platon avoit gâté Origene à cet égard.

L'argument principal sur lequel se fondoit Origene, est que toutes les punitions ne sont ordonnées que pour corriger, & appliquées comme des remedes douloureux, pour faire recouvrer la santé aux sujets à qui on les inflige. Les autres objections sur lesquelles insistent les modernes sont tirées de la disproportion qui se rencontre entre des crimes passagers & des supplices éternels, &c.

Les phrases qu'employe l'Ecriture pour exprimer l'éternité, ne signifient pas toûjours une durée infinie, comme l'ont observé plusieurs interpretes ou critiques, & entr'autres Tillotson, archevêque de Cantorbéry.

Ainsi dans l'ancien Testament, ces mots, à jamais, ne signifient souvent qu'une longue durée, & en particulier jusqu'à la fin de la loi judaïque. Il est dit, par exemple, dans l'Epître de S. Jude, . 7. que les villes de Sodome & Gomorre ont servi d'exemple, & qu'elles ont été exposées à la vengeance d'un feu éternel, ignis aeterni poenam sustinentes, c'est-à-dire d'un feu qui ne pouvoit s'éteindre avant que ces villes fussent entierement réduites en cendres. Il est dit aussi, dans l'Ecriture, que les générations se succedent, mais que la terre demeure à jamais ou éternellement terra autem in aeternum stat. En effet, M. le Clerc remarque qu'il n'y a point de mot hébreu qui exprime proprement l'éternité ; le terme holam n'exprime qu'un tems dont le commencement ou la fin sont inconnus, & se prend dans un sens plus ou moins étendu, suivant la matiere dont il est question. Ainsi quand Dieu dit, au sujet des lois judaïques, qu'elles doivent être observées laholam, à jamais, il faut sousentendre qu'elles le seront aussi long-tems que Dieu le jugera à propos, ou pendant un espace de tems dont la fin étoit inconnue aux Juifs avant la venue du Messie. Toutes les lois générales, ou celles qui ne regardent pas des especes particulieres, sont établies à perpétuité, soit que leur texte renferme cette expression, soit qu'il ne la renferme pas ; ce qui toutefois ne signifie pas que la puissance législatrice & souveraine ne pourra jamais les changer ou les abréger.

Tillotson soûtient, avec autant de force que de fondement, que dans les endroits de l'Ecriture où il est parlé des tourmens de l'enfer, les expressions doivent être entendues dans un sens étroit & d'une durée infinie ; & ce qu'il regarde comme un raison décisive, c'est que dans un seul & même passage (en S. Matth. chap. xxv.), la durée de la punition des méchans se trouve exprimée par les mêmes termes dont on se sert pour exprimer la durée du bonheur des justes, qui, de l'aveu de tout le monde, doit être éternel. En parlant des réprouvés, il y est dit qu'ils iront au supplice éternel, ou qu'ils seront livrés à des tourmens éternels : & en parlant des justes, il est dit qu'ils entreront en possession de la vie éternelle ; & ibunt hi in supplicium aeternum, justi autem in vitam aeternam.

Cet auteur entreprend de concilier le dogme de l'éternité des peines avec ceux de la justice & de la miséricorde divine ; & il s'en tire d'une maniere beaucoup plus satisfaisante que ceux qui avoient tenté avant lui de sauver les contrariétés apparentes qui résultent de ces objets de notre foi.

En effet, quelques Théologiens, pour résoudre ces difficultés, avoient avancé que tout péché est infini, par rapport à l'objet contre lequel il est commis, c'est-à-dire par rapport à Dieu ; mais il est absurde de prétendre que tous les crimes sont aggravés à ce point par rapport à l'objet offensé, puisque dans ce cas le mal & le démérite de tout péché seroient nécessairement égaux, en ce qu'il ne peut y avoir rien au-dessus de l'infini que le péché offense. Ce seroit renouveller un des paradoxes des Stoïciens ; & par conséquent on ne pourroit fonder sur rien les degrés de punition pour la vie à venir : car quoiqu'elle doive être éternelle dans sa durée, il n'est pas hors de vraisemblance qu'elle ne sera pas égale dans sa violence, & qu'elle pourra être plus ou moins vive, à proportion du caractere ou du degré de malice qu'auront renfermé tels ou tels péchés. Ajoûtez que pour la même raison le moindre péché contre Dieu étant infini, par rapport à son objet, on peut dire que la moindre punition que Dieu inflige est infinie par rapport à son auteur, & par conséquent que toutes les punitions que Dieu infligeroit seroient égales, comme tous les péchés commis contre Dieu seroient égaux ; ce qui répugne.

D'autres ont prétendu que si les méchans pouvoient vivre toûjours, ils ne cesseroient jamais de pécher. " Mais c'est là, dit Tillotson, une pure spéculation, & non pas un raisonnement : c'est une supposition gratuite & dénuée de fondement. Qui peut assûrer, ajoûte-t-il, que si un homme vivoit si long-tems, il ne se repentiroit jamais " ? D'ailleurs la justice vangeresse de Dieu ne punit que les péchés commis par les hommes, & non pas ceux qu'ils auroient pû commettre ; comme sa justice rémunérative ne couronne que les bonnes oeuvres qu'ils ont faites réellement, & non celles qu'ils auroient pû faire, ainsi que le prétendoient les Sémi-Pélagiens. Voyez SEMI-PELAGIENS.

C'est pourquoi d'autres ont soûtenu que Dieu laisse à l'homme le choix d'une félicité ou d'une misere éternelle, & que la recompense promise à ceux qui lui obéissent, est égale à la punition dont il menace ceux qui refusent de lui obéir. On répond à cela, que s'il n'est point contraire à la justice de porter trop loin la récompense, parce que cette matiere est de pure faveur, il peut être contraire à la justice de porter la punition à l'excès. On ajoûte que dans ce cas l'homme n'a pas sujet de se plaindre, puisqu'il ne doit s'en prendre qu'à son propre choix. Mais quoique cette raison suffise pour imposer silence au pécheur, & lui arracher cet aveu, qu'il est la cause de son malheur, perditio tua ex te, Israel ; on sent qu'elle ne résout pas pleinement l'objection tirée de la disproportion entre le crime & le supplice.

Voyons comment Tillotson, mécontent de tous ces systèmes, a entrepris de résoudre cette difficulté.

Il commence par observer que la mesure des punitions par rapport aux crimes, ne se regle pas seulement ni toûjours sur la qualité & sur le degré de l'offense, & moins encore sur la durée & sur la continuation de l'offense, mais sur les raisons d'oeconomie ou de gouvernement, qui demandent des punitions capables de porter les hommes à observer les lois, & de les détourner d'y donner atteinte. Parmi les hommes, on ne regarde point comme une injustice de punir le meurtre, & plusieurs autres crimes qui se commettent souvent en un moment, par la perte ou privation perpétuelle de l'état de citoyen, de la liberté, & même de la vie du coupable ; de sorte que l'objection tirée de la disproportion entre des crimes passagers & des tourmens éternels, ne peut avoir ici aucune force.

En effet, la maniere de regler la proportion entre les crimes & les punitions, est moins l'objet de la justice, qu'elle n'est l'objet de la sagesse & de la prudence du législateur, qui peut appuyer ses lois par la menace de telles peines qu'il juge à propos, sans qu'on puisse à cette occasion l'accuser de la plus legere injustice : cette maxime est indubitable.

La premiere fin de toute menace n'est point de punir, mais de prevenir ou faire éviter la punition. Dieu ne menace point afin que l'homme peche & qu'il soit puni, mais afin qu'il s'abstienne de pécher & qu'il évite le châtiment attaché à l'infraction de la loi ; de sorte que plus la menace est terrible & imposante, plus il y a de bonté dans l'auteur de la menace.

Après tout, il faut faire attention, ajoûte le même auteur, que celui qui fait la menace se reserve le pouvoir de l'exécuter lui-même. Il y a cette différence entre les promesses & les menaces, que celui qui promet donne droit à un autre, & s'oblige à exécuter sa parole, que la justice & la fidélité ne lui permettent pas de violer : mais il n'en est pas de même à l'égard des menaces ; celui qui menace se reserve toûjours le droit de punir quand il le voudra, & n'est point obligé à la rigueur d'exécuter ses menaces, ni de les porter plus loin que n'exigent l'économie, les raisons, & les fins de son gouvernement. C'est ainsi que Dieu menaça la ville de Ninive d'une destruction totale, si elle ne faisoit pénitence dans un tems limité : mais comme il connoissoit l'étendue de son propre droit, il fit ce qu'il voulut ; il pardonna à cette ville, en considération de sa pénitence, se relâchant du droit de la punir.

Tels sont les raisonnemens de Tillotson, auxquels nous n'ajoûterons qu'une réflexion pour prévenir cette fausse conséquence qu'on en pourroit tirer : savoir, que ce qu'on lit dans l'Ecriture sur les peines de l'enfer, n'est simplement que comminatoire, comme le prétendent les Sociniens. Sans doute tant que l'homme est en cette vie, il peut les éviter ces peines ; mais après la mort, lorsque l'iniquité est consommée, & qu'il n'y a plus lieu au mérite pour fléchir le courroux d'un Dieu outragé & justement irrité, le pécheur peut-il l'accuser d'injustice, de lui infliger des peines éternelles ? puisque pendant la vie il étoit à son choix de les éviter, & de parvenir à une éternelle félicité. D'ailleurs, il est également révelé, & que ces menaces ont déjà été accomplies réellement dans les anges rebelles, & qu'elles seront réellement accomplies dans les réprouvés à la fin des siecles ; ce qui prouve que la raison seule ne suffit pas pour décider cette question, & qu'il faut nécessairement avoir recours à la révélation, pour démontrer l'éternité & la justice des peines de la vie future. (G)

ENFER, ades ou hades, (Théologie) se prend aussi quelquefois, dans le style de l'Ecriture, pour la mort & pour la sépulture, parce que les mots hébreux & grecs signifient quelquefois l'enfer, ou le lieu dans lequel sont les réprouvés, & quelquefois la sépulture des morts. V. TOMBEAU & SEPULCRE.

Les Théologiens sont divisés sur l'article du symbole des apôtres où il est dit que Notre Seigneur a été crucifié, qu'il est mort, qu'il a été enseveli, & qu'il est descendu aux enfers, hades ; quelques-uns n'entendent par cette descente aux enfers, que la descente dans le tombeau ou dans le sepulcre. Les autres leur objectent que dans le symbole même, ces deux descentes se trouvent expressément distinguées, & qu'il y est fait mention de la descente du Sauveur dans le sépulcre, sepultus est, avant qu'il soit parlé de sa descente aux enfers, descendit ad inferos. Ils soûtiennent donc que l'ame de Jesus-Christ descendit effectivement dans l'enfer soûterrain ou local, & qu'il y triompha des démons. Autrement les expressions du symbole seroient une pure tautologie.

Les Catholiques ajoûtent que Jesus-Christ descendit dans les lymbes, c'est-à-dire dans les lieux bas de la terre, où étoient détenues les ames des justes morts dans la grace de Dieu avant l'avenement & la passion du Sauveur, & qu'il les emmena avec lui dans le paradis, suivant ces passages d'Osée : ero mors tua, ô mors, & morsus tuus ero, inferne. Et de S. Paul : ascendens Christus in altum captivam duxit captivitatem. Voyez LYMBES & ASCENSION. (G)

ENFER, (Poétique) ou ENFERS, s. m. pl. (Myth.) nom général, qui, dans la théologie du Paganisme, désignoit les lieux soûterrains où alloient les ames des hommes, pour y être jugées par Minos, Eaque, & Rhadamanthe. Pluton en étoit le dieu & le roi ; Proserpine son épouse en étoit la déesse & la reine.

Cet endroit contenoit, entr'autres demeures, les Champs Elysées, & le Tartare environné de cinq fleuves, qu'on nomme le Styx, le Cocyte, l'Achéron, le Lethé, & le Phlégéton. Cerbere, chien à trois têtes & à trois gueules, admirablement dépeint par Virgile, étoit toûjours à la porte des enfers, pour empêcher les hommes d'y entrer & les ames d'en sortir. Avant que d'arriver à la cour de Pluton & au tribunal de Minos, il falloit passer l'Achéron dans une barque conduite par Caron, à qui les ombres donnoient une piece de monnoie pour leur passage. Virgile fait encore de ce batelier un portrait inimitable : " Un air mal-propre, une barbe longue & négligée, la parole rude, des yeux étincelans, les traits d'une vieillesse robuste & vigoureuse ". Tel étoit Caron ; mais lisez les vers de l'original ; je n'en donne qu'une esquisse.

Portitor has horrendus aquas & flumina servat,

Terribili squalore Charon, cui plurima mento

Canities inculta jacet, stant lumina flamma ;

Sordidus ex humeris nodo dependet amictus ;

Jam senior, sed cruda deo, viridisque senectus.

Presque tous les peuples du monde ont imaginé un paradis & un enfer, conformément à leur génie ; détail immense de la folie des humains, dans lequel nous n'entrerons point ici ! On peut lire là-dessus Thomas Hyde, Vossius, Marsham, & M. Huet. Borné présentement à la Mythologie, je remarquerai seulement que c'est Orphée, qui au retour de ses voyages d'Egypte, jetta en Grece le plan d'un nouveau système sur ce sujet, & que c'est de lui qu'est venu l'idée des champs Elysées & du Tartare, que tous les auteurs ont suivi, quoiqu'ils ayent extrêmement varié sur la situation des lieux destinés à punir les méchans, & à récompenser les bons.

C'est pourquoi l'on trouve dans les Poëtes tant d'entrées différentes qui conduisent aux enfers. Voyez sur cela l'article précédent.

En un mot, chacun a choisi pour l'endroit de la position des enfers, dont la religion payenne n'apprenoit rien de certain, le lieu qui lui a paru le plus propre à devenir le séjour du malheur ; & en conséquence, chacun a décrit ce lieu diversement, suivant le caractere de son imagination.

Mais aucun poëte n'a mieux réussi que Virgile. Il a mis dans le plus beau jour tout ce qu'Homere, & après lui Platon, avoient enseigné sur cet article. La description des enfers, du chantre de Mantoüe, est supérieure à celle de l'auteur de l'Odyssée, & encore plus au-dessus de celle de Silius Italicus, de Claudien, de Lucain, & de tous les autres qui ont travaillé après lui : c'est une topographie parfaite de l'empire de Pluton ; c'est le chef-d'oeuvre de l'art ; c'est le plus beau morceau de l'Enéïde.

Dans cette admirable carte topographique, le poëte divise le séjour des ombres en sept demeures. La premiere est celle des enfans morts en naissant, qui gémissent de n'avoir fait qu'entrevoir la lumiere du jour.

Infantumque animae flentes in limine primo,

Quos dulcis vitae exortes, & ab ubere raptos

Abstulit atra dies, & funere mersit acerbo.

Aenéïd. Liv. VI.

Ceux qui avoient été injustement condamnés à perdre la vie, occupent la seconde demeure.

Hos juxtà, falso damnati crimine mortis. Ibid.

Dans la troisieme, sont ceux qui, sans être coupables, mais vaincus par le chagrin & les miseres d'ici-bas, se sont eux-mêmes donné la mort.

Proxima deindè tenent moesti loca, qui sibi lethum

Insontes peperêre manu, lucemque perosi

Projecere animas : quam vellent aethere in alto

Nunc & pauperiem & duros perferre labores ! &c.

Fata obstant tristique palus inamabilis undâ

Alligat, & novies styx interfusa coercet.

M. de Voltaire, dans ses mêlanges de Littérature & de Philosophie, a traduit ces vers ainsi :

Là sont ces insensés, qui d'un bras téméraire

Ont cherché dans la mort un secours volontaire :

Ils n'ont pû supporter, foibles & furieux,

Le fardeau de la vie imposé par les dieux.

... Ils regrettent le jour, ils pleurent ; & le sort,

Le sort pour les punir les enchaîne à la mort,

L'abysme du Cocyte & l'Achéron terrible

Met entr'eux & la vie un obstacle invincible.

La quatrieme, appellée le champ des larmes, est le séjour de ceux qui avoient éprouvé les rigueurs de l'amour ; Phedre, Procris, Pasiphaë, Didon, &c.

Hîc, quos durus amor crudeli tabe peredit ;

Secreti celant calles, & myrthea circum

Sylva tegit ; curae non ipsâ in morte relinquunt.

His, Phaedram, Procrinque locis, moestamque Eriphylem,

Crudelis gnati monstrantem vulnera cernit,

Evadnenque, & Papsiphaën, &c.

La cinquieme, est le quartier des fameux guerriers qui avoient péri dans les combats ; Tydée, Adraste, Polybure, &c.

Hîc illi occurrit Tydeus, hîc inclytus armis

Parthenopoeus, & Adrasti pallentis imago, &c.

L'affreux Tartare, prison des scélérats, fait la sixieme demeure, environnée du bourbeux Cocyte & du brûlant Phlégéton. Là regnent les Parques, les Furies, &c. & c'est là aussi que Virgile se surpasse lui-même.

................................... tùm Tartarus ipse

Bis patet in praeceps tantum, tenditque sub umbras,

Quantus ad aethereum coeli suspectus Olympum.

Hîc genus antiquum terrae, Titania pubes,

Fulmine dejecti fundo volvuntur in imo. &c.

Enfin la septieme demeure fait le séjour des bienheureux, les Champs Elysées.

His demùm exactis perfecto munere divae,

Devenêre locos laetos, & amoena vireta

Fortunatorum nemorum, sedesque beatas, &c.

Je supprime à regret les autres détails admirables que Virgile nous donne des enfers, & je ne pense point à mettre à leur place ceux des auteurs qui l'ont précédé ou qui l'ont suivi ; il vaut beaucoup mieux nous attacher à ramener le système des fictions poétiques à leur véritable origine ; & en recherchant celle de la fable des enfers, démontrer en général qu'elle vient d'Egypte ; après quoi l'on jugera sans peine que la plûpart des circonstances dont on l'a embellie dans la suite, sont le fruit de l'imagination des poëtes grecs & romains.

Non-seulement Hérodote nous apprend que presque tous les noms des dieux sont venus d'Egypte dans la Grece, mais Diodore de Sicile nous explique, par le secours des traditions égyptiennes, la plûpart des fables qu'on a débité sur les enfers.

Il y a, dit cet excellent auteur, (liv. I.) un lac en Egypte au-delà duquel on enterroit anciennement les morts. Après les avoir embaumés, on les portoit sur le bord de ce lac. Les juges préposés pour examiner la conduite & les moeurs de ceux qu'on devoit faire passer de l'autre côté, s'y rendoient au nombre de quarante ; & après une longue délibération, s'ils jugeoient celui dont on venoit de faire l'information, digne de la sépulture, on mettoit son cadavre dans une barque, dont le batelier se nommoit Caron. Cette coûtume étoit même pratiquée à l'égard des rois ; & le jugement qu'on portoit contre eux étoit quelquefois si severe, qu'il y en eut qui furent réputés indignes de la sépulture.

La fable rapporte que le Caron des Grecs est toûjours sur le lac ; celui des Egyptiens avoit établi sa demeure sur les bords du lac Querron. Le Caron des poëtes grecs exigeoit impitoyablement son péage : celui des Egyptiens ne vouloit pas même faire grace au fils du roi ; il devoit justifier au prince régnant, qu'il n'amassoit tant de richesses que pour son service. Le lac des enfers étoit formé d'un fleuve : celui du Querron étoit formé des eaux du Nil. Le premier faisoit neuf fois le tour des enfers, novies Styx interfusa ; jamais pays n'a été plus arrosé que l'Egypte ; jamais fleuve n'a eu plus de canaux que le Nil.

L'idée de la prison du Tartare, dont une partie, selon Virgile, étoit aussi avant dans la terre que le ciel en est éloigné, ne paroît-elle pas prise du fameux labyrinthe d'Egypte, qui étoit composé de deux bâtimens, dont l'un étoit sous terre ? Les crocodiles sacrés que les Egyptiens nourrissoient dans des chambres soûterraines, désignent assez clairement les monstres affreux qu'on met dans le royaume de Pluton.

En un mot, il semble qu'aux circonstances près, on trouve en Egypte tout ce qui compose l'enfer des poëtes de la Grece & de Rome. Homere dit que l'entrée des enfers étoit sur le bord de l'Océan ; le Nil est appellé par ce même poëte . C'est en Egypte qu'on voit les portes du soleil ; elles ne sont autre chose que la ville d'Héliopolis. Les demeures des morts sont marquées par ce grand nombre de pyramides & de tombeaux, où les momies se sont conservées pendant tant de siecles. Caron, sa barque, l'obole qu'on donnoit pour le passage ; tout cela, est encore tiré de l'histoire d'Egypte. Il est même très-probable que le nom de l'Achéron vient de l'égyptien Achoucherron, qui signifie les lieux marécageux de Caron ; que le Cerbere a pris sa dénomination de quelqu'un des rois d'Egypte, appellé Chebrès ou Kébron ; qu'enfin le nom du Tartare vient de l'Egyptien Dardarot, qui signifie habitation éternelle ; qualification que les Egyptiens donnoient par excellence à leurs tombeaux.

Mais sans trop appuyer sur ces étymologies, & moins encore sans compter sur de plus recherchées, par lesquelles Bochart, le Clerc, & autres savans, trouvent chez les Egyptiens le système complet des enfers & des champs élysées ; c'est assez d'en connoître la premiere origine, il n'en faut pas demander davantage : de minimis non curandum.

Quant aux voyages que les poëtes font faire à leurs héros dans les enfers, je crois qu'ils n'ont d'autre fondement que les évocations, auxquelles eurent autrefois recours les hommes superstitieux pour s'éclaircir de leur destinée. Orphée, qui avoit été lui-même dans la Thesprotie pour évoquer le phantôme d'Eurydice sa chere épouse, nous en parle comme d'un voyage aux enfers, & prend occasion de-là de nous débiter tous les dogmes de la théologie payenne sur cette matiere. Les autres poëtes ne manquerent pas de suivre son exemple. Bayle, réponse aux questions d'un provincial. Voyez EVOCATION, MANES.

Quoi qu'il en soit, il arriva que les Grecs, contens d'avoir saisi en général les idées des Egyptiens sur l'immortalité des ames, & leur état après la mort, donnerent carriere à leur génie, & inventerent sur ce sujet quantité de fables dont ils n'avoient aucun modele. L'Italie suivit l'exemple des Grecs, & ajoûta de nouvelles fictions aux anciennes ; telles sont celles du rameau d'or, des furies, des parques, & des illustres scélérats que leurs poëtes placerent dans le Tartare.

Enfin, tant d'auteurs travaillerent successivement & en différens lieux à former le système poétique des enfers, que ce système produisit un mêlange monstrueux de fables ridicules, dont tout le monde vint à se moquer. Cicéron rapporte que de son tems il n'y avoit point de vieilles assez sottes pour y ajoûter la moindre foi. Dic, quaeso, nùm, te illa tenent, triceps apud inferos Cerberus, Cocyti fremitus, & transvectio Acherontis ? Adeòne me delirare censes, ista ut credam ?... Quae anus tam excors inveniri potest, quae illa, quae quondam credebantur, apud inferos portenta, extimescat ? De nat. deor. Juvenal nous assûre de son côté, que les enfans mêmes croyoient à peine l'ancienne doctrine des enfers. Voyez l'article précédent.

Cependant, malgré ce changement dans les opinions des particuliers, la pratique du culte public ne changea point de face, ni du tems de Cicéron, ni du tems de Juvénal. On vit subsister les mêmes fêtes, les mêmes processions & les mêmes sacrifices en l'honneur de Pluton, de Proserpine, & des autres divinités infernales, auxquelles personne ne croyoit plus. Tant il est vrai que les particuliers peuvent en matiere de religion se trouver desabusés, & le même culte public subsister. Polybe fait à ce sujet une réflexion par laquelle je finirai cet article.

" Le plus grand avantage, dit ce judicieux historien, qu'ait eu le gouvernement de Rome sur tous les autres états, est une chose généralement décriée, l'idolatrie & la superstition. Si une société, ajoûte-t-il, étoit formée seulement de gens sages, un tel plan n'auroit pas été nécessaire ; mais puisque la multitude est toûjours agitée de desirs illicites & de passions violentes, il n'y avoit pas d'autre moyen plus sûr de les réprimer que ce secret de fictions & de terreurs. C'étoit donc prudemment & sagement que les Romains inculquerent dans les esprits le culte de leurs dieux, & la crainte des punitions du Tartare " Liv. VI. p. 497. Voyez SUPERSTITION. Article de M(D.J.)

ENFER DE BOYLE, (Chimie) vaisseau circulatoire d'un verre fort, composé de plusieurs pieces, qui toutes ensemble font une espece de matras, ayant le col long & étroit & le globe très-applati, imaginé par le célébre Anglois dont il porte le nom, pour faire ce qu'on appelle le mercure fixé per se. Voy. nos Planches. Voyez MERCURE. (b)


ENFERMERv. act. Nous disons qu'un corps est enfermé dans un autre, lorsque celui-ci forme en tous sens un obstacle entre le premier & notre toucher ou nos yeux.


ENFERRURES. f. c'est une des opérations de l'exploitation de l'ardoise dans sa miniere. Voyez l'article ARDOISE.


ENFICELERENFICELER


ENFILADES. f. (Gramm.) suite ou continuation de plusieurs choses disposées dans une même ligne ou sur un même fil, comme une enfilade de chambres, de portes, de bâtimens, &c.

ENFILADE, en terme de Guerre, se dit des tranchées ou autres lignes qui sont droites, qui peuvent être nettoyées & balayées par le canon de l'ennemi en longueur ou dans leur propre direction, & qui par-là sont incapables de défense.

Il faut avoir soin que les tranchées ne soient point enfilées, au contraire la ligne de contre-approche doit être enfilée, afin qu'on en puisse chasser l'ennemi. Les derniers boyaux des tranchées, c'est-à-dire ceux qui se font au pié du glacis & sur le glacis, sont sujets à être enfilés, à cause de leur proximité du chemin couvert. Voyez TRANCHEES. (Q)

ENFILADE, en Architecture, c'est l'alignement de plusieurs portes de suite dans un appartement. Voy. APPARTEMENT. (P)

ENFILADE, (Jardinage) se dit de plusieurs salles de verdure qui se communiquent, & qui font un point de vûe. (K)

ENFILE, ad. en termes de Blason, se dit des couronnes, annelets, & autres choses rondes & ouvertes qui sont passées dans des fasces, bandes, lances, &c. On dit aussi enfilant.

Du Faure en Dauphiné, d'azur à trois couronnes d'or, enfilées dans une bande d'azur.


ENFILEMENTENFILEMENT


ENFILERv. act. (Gramm.) Il a deux acceptions assez différentes ; il se dit de l'aiguille, & il se dit de plusieurs objets où il y a ouverture. Enfiler une aiguille, c'est passer un fil dans son oeil ; enfiler des objets, c'est passer ou un fil ou une verge dans l'ouverture qui y est pratiquée. Ainsi on enfile des anneaux ; les Chandeliers enfilent des meches.

ENFILER, (Marine) On dit que le cabestan enfile les cables en virant, lorsque le cable tourne en rond autour du cabestan. (Z)

ENFILER, en terme d'Epinglier, se dit de l'action de passer la tête de l'épingle à l'endroit où elle doit être sertie ou rivée. Voyez EPINGLE.

* ENFILER, (Trictrac) Lorsqu'un des deux joüeurs A, ayant fait son plein, le garde assez long-tems pour que le joüeur B ou soit forcé d'empiler toutes ses dames sur la derniere case, ou ne puisse joüer sans battre à faux, ou ne puisse ni passer ses dames, ni les lever, ou ne puisse les lever sans les découvrir, ensorte que perdant presqu'à chaque coup qu'il joue un nombre de points plus ou moins grand, & son adversaire A en gagnant à chaque coup qu'il joue un nombre plus ou moins grand, soit en battant les dames découvertes, soit en gardant son plein, celui-ci marque un grand nombre de trous tout de suite ; ce nombre de trous s'appelle une enfilade ; on dit que le joüeur B est enfilé, & cela lui arrive assez souvent pour avoir tenu mal-à-propos.


ENFILEURS. m. en terme d'Epinglier, se dit de l'ouvrier qui est occupé à passer les têtes dans les branches, & à les préparer à être pressées entre les deux têtoirs.


ENFLAMMERv. act. (Gramm.) c'est appliquer le feu à un corps combustible d'une maniere sensible pour les yeux au-delà de la surface du corps ; le corps seroit seulement échauffé, si le feu n'y étoit sensible que pour le toucher ; il seroit seulement ardent ou embrasé, si le feu n'y étoit pas sensible pour les yeux au-delà de sa surface.


ENFLECHURESFIGURES, FIGULES, s. f. pl. (Marine) ces deux derniers ne sont guere d'usage.

Les enfléchures sont des cordes qui traversent les haubans en forme d'échelons, elles servent à monter aux hunes & au haut des mâts. Voyez Marine, Pl. I. n°. 40. (Z)


ENFLERv. act. c'est en général augmenter le volume d'un corps. Il se prend au physique & au moral, au simple & au figuré.

ENFLER DES PARTIES, ENFLER UN MEMOIRE, (Commerce) c'est y mettre les marchandises qu'on a livrées, à un plus haut prix qu'elles ne valent, ou qu'on n'en est convenu.

On dit aussi enfler la dépense d'un compte, pour signifier qu'on y employe des articles qui n'y peuvent ou n'y doivent point entrer. Dictionn. de Commerce, de Trévoux, de Chambers. (G)

ENFLER, (Orfévr.) opération de la retrainte ; c'est l'action d'aggrandir au marteau sur la bigorne les parties inférieures des pieces d'argenterie, qui doivent former le ventre des pieces, comme aux pots à l'eau, caffetieres, chocolatieres, &c.


ENFLURES. f. (Medecine) Ce terme est employé pour exprimer en général toute élévation contre nature qui se forme sur la surface du corps, par quelque cause & quelque matiere que ce soit ; ainsi on peut dire de toutes les tumeurs, qu'elles sont des enflures. Les parties externes affectées de phlegmon, d'érésypele, de skirrhe, sont toûjours plus ou moins enflées ; quelquefois même l'affection des parties internes cause une enflure qui se montre à l'extérieur, comme l'inflammation, & autre tumeur du ventricule ; les météorismes qui poussent en-dehors les tégumens, & les font paroître enflés : on dit aussi de la grossesse qu'elle fait enfler le ventre, qu'elle cause une enflure de neuf mois. Le trop d'embonpoint peut aussi être regardé comme une enflure produite par la trop grande abondance de graisse qui soûleve les tégumens, & forme comme une anasarque adipeuse. Voyez TUMEUR.

L'usage a cependant restraint la signification du mot enflure ; on s'en sert particulierement pour désigner un amas de fluides aériens ou aqueux, qui élévent la peau au-dessus de son niveau ordinaire dans l'état de santé, soit que cet amas s'étende à toute la surface du corps, soit qu'il n'ait lieu que dans quelqu'une de ses parties. Si c'est l'air renfermé sous la peau, qui est la matiere de l'enflure, on l'appelle emphyseme, qui peut être universel ou particulier : si cette espece d'enflure n'est pas fort étendue, on lui donne le nom de tumeur emphysémateuse : si la matiere aérienne est renfermée dans le ventre, & en distend considérablement les parois, on nomme cette sorte d'enflure tympanite, parce que lorsqu'on la frappe, elle raisonne comme un tambour (voyez EMPHYSEME TYMPANITE) : si c'est la sérosité ou toute autre humeur aqueuse, qui gonfle le tissu cellulaire, on appelle l'enflure qui en est formée, leucophlegmatie, anasarque ; si elle est étendue sur toute la surface du corps : on l'appelle bouffissure, si elle n'affecte que le visage : oedeme, si elle n'en occupe qu'une petite partie : on donne le nom d'enflure simplement aux tumeurs aqueuses ou séreuses, qui affectent les extrémités du corps, & particulierement les inférieures.

Si l'enflure est produite par un amas d'eau épanchée, renfermée dans la capacité du bas-ventre, ou dans toute autre cavité particuliere, on la nomme en général hydropisie, qui est aussi distinguée par différens noms, selon que les liquides épanchés occupent telle ou telle partie. Ainsi l'enflure aqueuse de la cavité de l'abdomen est appellée ascites, celle du scrotum est appellée hydrocele, &c. Voyez ANASARQUE, LEUCOPHLEGMATIE, OEDEME, HYDROPISIE, ASCITE, HYDROÏDE, &c. (d)

ENFLURE, (Manége, Maréchall.) terme communément & indéfiniment appliqué à toutes les maladies qui se montrent extérieurement, par l'augmentation du volume naturel d'une partie quelconque, ou d'une portion de cette partie ; mais quoique ce mot semble embrasser toutes les especes de tumeurs, nous dirons, pour le réduire à sa véritable signification, qu'il désigne un gonflement non circonscrit, accompagné de plus ou de moins de dureté, quelquefois mou, sans inflammation & sans douleur, ou suivi de l'une & de l'autre.

Toutes les parties extérieures du corps sont sujettes à l'enflure, il faut néanmoins convenir qu'il en est qui y paroissent plus exposées : les unes, à cause de la contexture plus lâche de leur tissu qui permet plus facilement le séjour des humeurs, ainsi que nous le voyons dans les paupieres, au fourreau, au scrotum, &c. les autres, attendu leur éloignement du centre du mouvement circulaire ; car les liqueurs ne pouvant y participer entierement de sa force, leur retour est beaucoup plus pénible : telles sont à cet égard les quatre extrémités, dont la position perpendiculaire est encore un surcroît d'obstacle à la liberté de ce même retour, puisque là les humeurs sont obligées de remonter contre leur propre poids.

L'enflure peut provenir de cause interne ou de cause externe. On doit l'envisager quelquefois comme une maladie particuliere, quelquefois aussi comme un symptome de maladie. Elle est formée par l'air dans les emphysemes, par des humeurs, c'est-à-dire par le sang seul dans les contusions, par de la sérosité dans les oedemes, &c.

L'enflure essentielle étant une maladie particuliere, ne demande qu'à être terminée par la résolution, de quelque espece qu'elle soit ; quant à celle qui est un symptome de maladie, on y remédie en traitant la maladie qu'elle annonce différemment, selon son génie & son caractere.

On ne peut par conséquent prescrire un traitement qu'eu égard à l'enflure essentielle. S'il y a douleur & inflammation, la saignée, un régime modéré & humectant, des topiques anodyns ou legerement résolutifs, un breuvage purgatif enfin administré dans le tems de la résolution de l'humeur, suffiront & rempliront parfaitement notre objet. Si nous n'appercevons ni l'un ni l'autre de ces accidens, nous mettrons d'abord en usage des résolutifs qui auront beaucoup plus d'activité, tels que les spiritueux ; & nous réitérerons les purgatifs, à moins qu'il ne s'agisse d'une enflure emphysémateuse, car en ce cas ces derniers remedes ne sont pas d'une aussi grande nécessité. (e)

ENFLURE, (Rhéthoriq.) vice du discours & de ses pensées ; fausse image du grand, du pathétique, que le bon sens réprouve : Tout doit tendre au bon sens...

L'on peut distinguer deux sortes d'enflure : l'une consiste dans des pensées qui n'ont rien d'élevé en elles-mêmes, & qu'un esprit faux s'efforce de rendre grandes, ou par le tour qu'il leur donne, ou par les mots dont il les masque ; c'est le nain qui se hausse sur la pointe des piés, ou qui se guinde sur des échasses pour paroître d'une plus haute taille.

L'autre sorte d'enflure est le sublime outré, ou ce que nous appellons assez communément le gigantesque. Les choses qui vont au-delà du ton de la nature, que l'expression rend avec obscurité, ou qu'elle peint avec plus de fracas que de force, sont une pure enflure.

L'enflure est dans les mots ou dans la pensée, & le plus souvent dans l'une & dans l'autre : c'est ce que quelques exemples font sentir.

Médée dans la tragédie qui porte son nom chez Seneque, s'excitant elle-même à se venger de Jason, & des complices de son infidélité, s'écrie : Quoi, l'auteur de notre race, le soleil voit ce qui se passe, il le voit, & se laisse voir ! Il parcourt sa route ordinaire dans le ciel, qu'aucun nuage n'obscurcit, ne retourne pas en arriere, & ne reporte pas le jour aux lieux qui l'ont vû naître. O, mon pere, laisse, laisse-moi voler dans les airs ! Confie les renes de ton char à mes mains ! Permets qu'avec tes guides enflammées, je conduise tes coursiers qui portent le feu de toutes parts ! On sent par ces puérilités, que Médée débite avec bien plus d'emphase dans l'original que dans cette traduction, ce que c'est que l'enflure du style.

Dans la Pharsale (lib. VIII. v. 793.) Cordus couvre d'une pierre la fosse dans laquelle il vient de brûler à demi le corps de Pompée. Là-dessus Lucain s'écrie : Il te plaît donc, ô Fortune, d'appeller le tombeau de Pompée, cet indigne endroit où son beau-pere même aime mieux qu'il soit enfermé, que s'il manquoit de sépulture ! O, main téméraire, pourquoi bornes-tu Pompée dans un sépulcre ? Pourquoi renfermes-tu ses manes errans ? Il gît dans l'univers, & le remplit jusqu'où la terre manque à la vûe de l'Océan qui l'entoure. Renverse ces pierres accusatrices des dieux. Si le mont Oeta tout entier est le sépulcre d'Hercule ; si Bacchus a pour lui celui de Nise, pourquoi le grand Pompée n'a-t-il qu'une seule pierre ? Il peut remplir toutes les campagnes de Lagus, pourvû qu'aucun gason n'offre son nom aux yeux des voyageurs. Peuples, éloignons-nous, & que par respect pour ses cendres, nos piés ne foulent aucun endroit des sables arrosés par le Nil.

Voilà ce que c'est que l'enflure du style & des pensées : voilà de plus des jeux de mots qui y sont réunis, & dans quelques endroits des Non-senses, si je puis me servir d'un terme anglois qui nous manque. En effet le corps d'un homme est nécessairement borné dans un tombeau de six à sept piés d'étendue, & celui de Pompée ne pouvoit remplir toutes les campagnes de Lagus. Mais Pompée, le grand Pompée avoit rempli l'univers du bruit de ses exploits, & l'immortalité de son nom étoit assûrée dans la mémoire des hommes. C'est donc là le monument que Lucain devoit faire valoir dans son ouvrage à la gloire du héros.

Ce que ce poëte dit dans un vers au sujet des Romains tués à la bataille de Pharsale, dont César voulut qu'on laissât pourrir les corps sur la terre, le ciel couvre celui qui n'a point de sépulcre, a fourni une réflexion judicieuse au P. Bouhours. " Cette pensée, dit-il, a un éclat qui frappe d'abord ; car c'est quelque chose de plus noble en apparence d'être couvert du ciel, que d'être enfermé dans une tombe : mais au fond le seul usage des monumens est de couvrir des cadavres pour les garantir des injures de l'air & des animaux, ce que ne fait pas le ciel, qui est destiné à tout autre ministere ".

Balzac qui fonda le premier un prix d'éloquence, & qui en a si bien connu la partie qui consiste dans la cadence des mots & l'harmonie des périodes ; Balzac, dis-je, tombe ordinairement dans l'enflure, lorsqu'il recherche le grand & le pathétique ; & c'est toûjours ce qu'il recherche. Il mandoit de Rome à Bois-Robert, en parlant des eaux de senteur, je me sauve à la nage dans ma chambre au milieu des parfums ; pure enflure de style. Il écrivoit au premier cardinal de Retz, lors de sa promotion au cardinalat, vous venez de prendre le sceptre des rois & la livrée des roses ; exemple d'enflure dans le style & dans la pensée.

Enfin un grand poëte moderne qui s'est élevé au sublime dans sa paraphrase de quelques pseaumes ; un poëte dont les odes sont si belles, si variées, si remplies d'images ; un poëte encore chez qui le jugement ne le céde point à l'imagination : en un mot Rousseau lui-même n'a pû éviter de tomber quelquefois dans le défaut dont il s'agit : ne fût-ce que dans son ode sur la naissance du duc de Bourgogne.

Où suis-je ? Quel nouveau miracle

Tient encore mes sens enchantés !

Quel vaste, quel pompeux spectacle

Frappe mes yeux épouvantés !

Un nouveau monde vient d'éclorre,

L'univers se reforme encore

Dans les abysmes du cahos !

Et pour réparer ses ruines,

Je vois des demeures divines

Descendre un peuple de héros.

Cette strophe entiere n'est qu'une véritable enflure dans la pensée & dans l'élocution. Des yeux épouvantés par la pompe d'un spectacle miraculeux, tandis que tous les autres sens sont enchantés ; ensuite l'univers se reformant dans un abysme de confusion, après qu'un nouveau monde est venu éclorre ; enfin un nouvel univers reformé a-t-il des ruines à reparer, pour lesquelles il faille qu'un peuple de héros descende des demeures divines ?

On voit présentement, que de toutes les especes d'enflure, les plus mauvaises sont, ou celles qui consistent dans des idées inintelligibles, parce qu'il faut se faire entendre ; ou celles qui consistent dans la fausseté des pensées, parce qu'on fait tort à son jugement : au lieu que les autres especes d'enflure, comme celle qui est contenue dans le passage que j'ai rapporté ci-devant de Seneque, roulent sur un fond réel, sur des pensées qui ont quelque chose de vrai. Voyez là-dessus les additions au traité du sublime de Longin.

Tirons de tout ceci deux conséquences : la premiere, que ceux qui cherchent le pathétique, & qui craignent qu'on ne leur reproche d'être foibles ou secs, sont librement & naturellement portés vers ce vice de l'enflure, persuadés que c'est une faute noble de ne tomber que par ce qu'on s'éleve.

La seconde conséquence, est que les plus grands orateurs & les premiers poëtes, lorsqu'ils veulent traiter le grand & le sublime, ont bien de la peine à se garder de l'enflure, & à l'éviter dans la chaleur de l'enthousiasme ; c'est pour cela qu'ils doivent ensuite se défier d'eux-mêmes, relire leurs écrits de sens froid & en juges séveres, avant que de les publier : enfin, s'il est possible, consulter des amis propres à censurer, à éclairer, & sur-tout (comme le dit l'auteur de l'art poëtique)

A réprimer des mots l'ambitieuse emphase.

Article de M(D.J.)

ENFLURE, (Manufact. de draps) c'est ainsi qu'on appelle dans les manufactures de draps d'Aumale une espece de fil.


ENFONÇAGEterme de Tonnelier ; c'est l'action de mettre le fond à une futaille, quand elle est tout-à-fait remplie de marchandises.


ENFONCEMENTS. m. en Architecture, se dit de la profondeur des fondations d'un bâtiment ; c'est pourquoi on a coûtume de marquer dans un devis, que les fondations auront tant d'enfoncement. Ce mot se dit aussi de la profondeur d'un puits, dont la fouille se doit faire jusqu'à un certain nombre de piés au-dessous de la superficie des plus basses eaux.

On appelle aussi enfoncement, la partie reculée d'une façade qui forme arriere-corps derriere un pavillon, un ressaut, un arriere-corps, &c. (P)


ENFONCERv. act. C'est déplacer dans un corps d'une forme donnée, une certaine portion de sa surface, de maniere que les parties de cette portion soient après le déplacement, plus voisines d'un point quelconque pris au-dedans du corps, qu'elles ne l'étoient auparavant. La différence qu'il y a entre enfoncer & creuser, c'est que pour enfoncer, il ne s'agit pas d'enlever au corps quelques-unes de ses parties, au lieu qu'il faut lui en enlever pour le creuser. D'ailleurs l'action d'enfoncer suppose de la part du corps plus de résistance que l'action de creuser ; on enfonce une porte, on creuse un fossé.

ENFONCER les éperons à un cheval, (Maréchall.) c'est les lui faire sentir avec violence.

ENFONCER, (Fauconnerie) se dit de l'oiseau qui fond sur sa proie, en la poussant jusqu'à la remise ; l'épervier vient d'enfoncer la perdrix.

ENFONCER (Jardinage) s'employe quand les arbres se plantent un peu avant dans la terre, c'est le même terme à peu-près qu'enfoüir.

ENFONCER en terme de Layetterie, c'est joindre ensemble le fond, les côtés, le devant, le dessus & le derriere d'un ouvrage.

ENFONCER en terme d'Orfévre, c'est creuser une piece, & lui donner une certaine capacité, de plate qu'elle étoit, ou distinguer le fond d'avec les autres parties ; ce terme revient à celui d'emboutir, & est la premiere opération de la retrainte.

ENFONCER en terme de Planeur, signifie l'action de faire sortir le bouge du fond, & de le faire distinguer de lui & de l'arrête. On se sert de ce terme apparemment, parce que le fond ne paroît tel que quand le bouge est fait.


ENFONÇURES. f. (Chirurg.) terme général qui signifie un affaissement de plusieurs pieces du crane qui a été fracassé par quelque coup violent.

Les médecins grecs distinguent trois especes d'enfonçures du crane ; savoir, l'ecpiesme, l'engisome, & le camarose. L'ecpiesme que les François appellent enfonçure avec esquilles, est une enfonçure du crane, où les esquilles piquent & blessent la dure mere. L'engisome nommée par nos Chirurgiens embarrure, est une enfonçure de quelques esquilles détachées, qui s'insinuent entre le crane & la dure-mere. Le camarose, que nous appellons voûture, est une enfonçure de quelques pieces d'os, dont le milieu s'éleve & forme une espece de voûte. Il est nécessaire de connoître la différente signification de ces termes de l'art, pour entendre les auteurs grecs & françois, lorsqu'ils employent les uns ou les autres dans leurs écrits, en parlant des diverses blessures du crane ; il est vrai que la connoissance des mots ne fait pas la science, mais elle y conduit, elle y sert d'entrée. Article de M(D.J.)

ENFONÇURE de mangeoire. Voyez MANGEOIRE.

ENFONÇURE, terme de Tonnelier. C'est ainsi qu'on appelle les douves qu'on employe à faire les fonds des tonneaux. Le mairrain qui sert à la Tonnellerie se distingue en mairrain d'enfonçure, & mairrain à faire des douves ; ce dernier est le plus long, le premier est le plus large. Voyez MAIRRAIN.

ENFONÇURE, c'est chez les Vanniers un aire qui remplit le fond d'une piece depuis son centre jusqu'à la circonférence.

ENFORCIR, v. n. (Maréchal) prendre des forces, devenir fort & vigoureux, ce cheval enforcit tous les jours, il a enforci de moitié & enforcira encore.


ENFORESTER(Hist. ancienne & moderne) suivant l'usage d'Angleterre, c'est mettre une terre en forêt royale. Voyez FORET.

En ce sens, enforester, est opposé à desenforester. Voyez DESENFORESTER.

Guillaume le conquérant & ses successeurs continuerent pendant plusieurs regnes d'enforester les terres de leurs sujets ; jusqu'à-ce qu'enfin la lésion devint si notoire & si universelle, que toute la nation demanda qu'on remît les choses dans l'état où elles étoient d'origine, ce qui fut enfin accordé, & en conséquence il y eut des commissaires nommés pour faire la visite & l'arpentage des terres nouvellement enforestées, desquelles on restitua le libre usage aux propriétaires, & ces terres desenforestées furent appellées purlieux. Chambers. (G)


ENFORMERen terme de Chauderonnier, c'est donner en gros à une piece, la forme qu'elle doit avoir quand elle sera finie. C'est proprement ébaucher & distinguer les parties les unes d'avec les autres sans les finir.


ENFOUIRv. act. (Jardinage) se dit du fumier qu'on enterre pour faire des couches sourdes, ou des lits qu'on met au fond des terreins qui doivent être effondrés.


ENFOURCHEMENTS. m. (coupe des pierres) est l'angle formé par la rencontre de deux douilles de voûte qui se rencontrent ; les voussoirs qui les lient ont deux branches, dont l'une est dans une voûte, & l'autre dans la contiguë. Voyez VOUTE D'ARRESTE. (D)


ENFOURCHURES. f. (Venerie) Il se dit de la tête du cerf, lorsque l'extrémité du bois se divisant en deux pointes forme la fourche.


ENFOURERc'est, en terme de batteur, l'action d'envelopper les outils dans des fourreaux. Voyez FOURREAUX, pour les empêcher de prendre des formes & des situations desavantageuses.


ENFOURNERen terme de Boulanger, c'est mettre le pain au four après qu'il est levé pour l'y faire cuire. La grosseur & l'épaisseur du pain détermine le tems qu'on doit l'y laisser ; les pains de quatre, de huit & de douze livres n'y doivent rester que trois quarts-d'heure, ou une heure tout au plus.


ENFUMERv. act. (Gramm.) c'est exposer à la fumée.

ENFUMER, noircir un tableau. Enfumé se dit en Peinture d'un tableau fort vieux que le tems a noirci. Quelquefois on enfume des tableaux modernes pour leur donner un air d'antiquité. C'est une ruse de brocanteur pour tirer parti de la manie de ceux qui ne veulent pas qu'il y ait rien de beau que ce qui est ancien, ni de vigoureux que ce qui est noir. (R)


ENGADME(Géog. mod.) vallée de Suisse située dans le pays des Grisons ; elle se divise en haute & basse ; elle est dans la ligue de la Maison-Dieu.


ENGAGEou VIF GAGE, s. m. (Jurisprud.) dont parlent les articles 54 & 55 de la coûtume de Bretagne, est un contrat par lequel le débiteur donne à son créancier la joüissance d'un héritage, à condition d'en imputer les fruits sur le principal qui lui est dû : ce qui est opposé à l'antichrese ou mort-gage, dans lequel les fruits sont donnés au créancier en compensation des intérêts à lui dûs. M. Hevin a fait une savante dissertation pour établir cette distinction de l'engage d'avec l'antichrese, où il releve l'erreur dans laquelle est tombé M. d'Argentré, qui dit que l'engage est la même chose que l'antichrese du droit Romain. Voyez les arrêts de Bretagne, par Frain, avec les notes d'Hevin, tome I. plaidoyer 77. observation 33. p. 312. Cet engage paroît être la même chose que l'engagement. Voyez ci-après ENGAGEMENT. (A)


ENGAGÉ(Commerce) On nomme ainsi aux antilles ceux qui s'engagent avec les habitans des îles pour les servir pendant trois ans. On les appelle plus communément trente-six mois à cause des trois années composées de douze mois chacune pour lesquelles ils s'engagent.

Comme notre commerce d'Amérique, tant dans les îles que dans la terre ferme, ne peut se soûtenir que par le travail de ces engagés, il y a sur cette matiere plusieurs reglemens, & particuliérement ceux du 16 Novembre 1716, du 20 Mai 1721, & du 15 Fevrier 1724.

Celui de 1716 assujettit les négocians françois qui envoyent des vaisseaux dans nos colonies, d'y embarquer un certain nombre d'engagés à proportion de la force de leur bâtiment, à peine de deux cent livres d'amende contre ceux qui ne rapporteroient pas des certificats de la remise de ces engagés dans les colonies ; permettant au surplus de compter pour deux engagés tout homme qui sauroit un métier ; comme de maçon, tailleur, charpentier, &c.

L'ordonnance de 1721 convertit le reglement de 1716 dans l'alternative d'envoyer un certain nombre d'engagés, ou de payer pour chacun d'eux la somme de soixante livres à l'Amirauté. Mais les négocians ayant abusé de cette indulgence, en présentant aux bureaux des classes du port de leur embarquement, des particuliers qu'ils disoient engagés, quoiqu'il n'en fût rien, qu'ils renvoyoient après les avoir fait passer en revûe, & pour la décharge desquels ils se contentoient de rapporter des certificats de désertion. Le reglement de 1724 ordonne, que sans nul égard à ces certificats de désertion, les négocians & capitaines de vaisseaux assujettis au transport des engagés payeront 60 livres pour chaque engagé, & cent vingt livres pour chaque engagé de métier qu'ils n'auront pas remis aux îles & dont ils ne rapporteront pas un certificat. Diction. de Comm. de Trev. & Chambers, & réglemens du Comm. (G)

ENGAGE, ou trente-six mois. (Marine) On donnoit ce nom en France à ceux qui veulent passer aux îles de l'Amérique pour chercher à travailler & y faire quelque chose, & n'ayant pas le moyen de payer leur passage, s'engageoient avec un capitaine pour trois années entieres, & ce capitaine cédoit l'engagé à quelque habitant des îles qui l'employoit & le faisoit travailler pendant les trois années, après lesquelles il étoit libre. Ce marché ne se fait plus aujourd'hui. Les Anglois passoient aussi des engagés dans leurs colonies, mais l'engagement étoit de sept ans.


ENGAGEMENTS. m. (Droit nat. Morale) obligation que l'on contracte envers autrui.

Les engagemens que l'on prend de soi-même envers autrui, sont des stipulations positives, par lesquelles on contracte quelque obligation où l'on n'étoit point auparavant.

Le devoir général que la loi naturelle prescrit ici, c'est que chacun tienne inviolablement sa parole, & qu'il effectue ce à quoi il s'est engagé par une promesse ou par une convention verbale. Sans cela, le genre humain perdroit la plus grande partie de l'utilité qui lui revient d'un tel commerce de services. D'ailleurs, si l'on n'étoit pas dans une obligation indispensable de tenir sa promesse, personne ne pourroit compter sur les secours d'autrui ; on appréhenderoit toûjours un manque de parole qui arriveroit aussi très-souvent. De-là naîtroient mille sujets légitimes de querelles & de guerres.

On s'engage, ou par un acte obligatoire d'une part seulement, ou par un acte obligatoire des deux côtés ; c'est-à-dire que tantôt il n'y a qu'une seule personne qui entre dans quelque engagement, envers une ou plusieurs autres, & tantôt deux ou plusieurs personnes s'engagent les unes envers les autres. Dans le premier cas, c'est une promesse gratuite, & dans l'autre une convention. Voyez PROMESSE, CONVENTION.

Il y a une chose absolument nécessaire, pour rendre valables & obligatoires les engagemens où l'on entre envers autrui, c'est le consentement volontaire des parties. Aussi tout engagement est nul, lorsqu'on y est forcé par une violence injuste de la part de celui à qui l'on s'engage ; mais le consentement d'une partie ne lui impose actuellement aucune obligation, sans l'acceptation réciproque de l'autre.

Pour former un engagement valable, il faut en général, que ce à quoi l'on s'engage, ne soit pas audessus de nos forces, ni de plus défendu par la religion ou par la loi ; autrement on est, ou fou, ou criminel. Personne ne peut donc s'engager à une impossibilité absolue. Il est vrai que l'impossibilité en matiere d'engagement n'est telle pour l'ordinaire, que par rapport à certaines personnes, ou par l'effet de certains accidens particuliers, mais cela n'importe, l'engagement n'en est pas moins nul. Par exemple, s'il se trouve qu'une maison de campagne qu'on avoit loüée, ait été consumée par le feu sans qu'on en sût rien de part ni d'autre, on n'est tenu à rien, & l'engagement tombe.

Il est clair encore que personne ne peut s'engager validement à une chose illicite ; mais il n'y a que les choses illicites en elles-mêmes, soit de leur nature ou à cause de la prohibition des lois civiles entre concitoyens qui les connoissent, qui ayent la vertu de rendre nulle une convention, d'ailleurs revêtue des qualités requises.

Il n'est pas moins certain que l'on ne sauroit s'engager validement, au sujet de ce qui appartient à autrui, ou de ce qui est déja engagé à quelqu'autre personne.

Il y a des engagemens absolus & des engagemens conditionnels ; c'est-à-dire, que l'on s'engage ou absolument & sans réserve, ou ensorte que l'on attache l'effet & la validité de l'engagement à quelque évenement, qui est, ou purement fortuit, ou dépendant de la volonté humaine ; ce qui a lieu surtout en matiere de simple promesse.

Enfin, on s'engage non-seulement par soi-même, mais encore par l'entremise d'un tiers que l'on établit pour interprete de notre volonté, & porteur de notre parole auprès de ceux à qui l'on promet ou avec qui l'on traite ; lorsqu'un tel entremetteur ou procureur a exécuté de bonne foi & exactement la commission qu'on lui avoit donnée, on entre par là dans un engagement valide envers l'autre partie, qui a regardé ce procureur & qui a eu lieu de le regarder comme agissant en notre nom & par notre ordre.

Voilà des principes généraux de droit naturel sur les engagemens. Leur observation est sans contredit un des plus grands & des plus incontestables devoirs de la Morale. Si vous demandez à un chrétien qui croit des récompenses & des peines après cette vie, pourquoi un homme doit tenir son engagement, il en rendra cette raison, que Dieu qui est l'arbitre du bonheur & du malheur éternel nous le recommande. Un disciple d'Hobbes à qui vous ferez la même question, vous dira que le public le veut ainsi, & que le Léviathan vous punira si vous faites le contraire. Enfin un philosophe payen auroit répondu à cette demande, que de violer sa promesse, c'étoit faire une chose deshonnête, indigne de l'excellence de l'homme & contraire à la vertu, qui éleve la nature humaine au plus haut point de perfection où elle soit capable de parvenir.

Cependant quoique le chrétien, le payen, le citoyen, reconnoissent également par différens principes le devoir indispensable des engagemens qu'on contracte ; quoique l'équité naturelle & la seule bonne foi obligent généralement tous les hommes à tenir leurs engagemens, pourvû qu'ils ne soient pas contraires à la religion, à la morale ; la corruption des moeurs a prouvé de tout tems, que la pudeur & la probité n'étoient pas d'assez fortes digues pour porter les hommes à exécuter leurs promesses. Voilà l'origine de tant de lois au sujet des conventions dans tous les pays du monde. Voilà ce qui dans le Droit françois, accable la Justice de tant de clauses, de conditions & de formalités sur cet article, que les parchemins inventés avec raison pour faire convenir ou pour convaincre les hommes de leurs engagemens, ne sont malheureusement devenus que des titres pour se ruiner en procédures, & pour faire perdre le fond par la forme. Si les hommes sont justes, ces formules sont d'ordinaire inutiles ; s'ils sont injustes, elles le sont encore très-souvent, l'injustice étant plus forte que toutes les barrieres qu'on lui oppose. Aussi pouvons-nous justement dire de nos engagemens ce qu'Horace disoit de ceux de son tems :

........................................... Adde Cicutae

Nodosi tabulas centum, mille adde catenas,

Effugiet tamen haec sceleratus vincula Proteus.

Lib. II. Sat. 3. 69.

Article de M(D.J.)

ENGAGEMENT, (Jurispr.) Il y a des engagemens fondés sur la nature ; tels que les devoirs réciproques du mariage, ceux des peres & meres envers les enfans, ceux des enfans envers les peres & meres, & autres semblables qui résultent des liaisons de parenté ou alliance, & des sentimens d'humanité.

D'autres sont fondés sur la religion ; tels que l'obligation de rendre à Dieu le culte qui lui est dû, le respect dû à ses ministres, la charité envers les pauvres.

D'autres engagemens encore sont fondés sur les lois civiles ; tels sont ceux qui concernent les devoirs respectifs du souverain & des sujets, & généralement tout ce qui concerne différens intérêts des hommes, soit pour le bien public, soit pour le bien de quelqu'un en particulier.

Les engagemens de cette derniere classe résultent quelquefois d'une convention expresse, ou tacite ; d'autres se forment sans convention directe, avec la personne qui y est intéressée, mais en vertu d'un contrat fait avec la justice, comme les engagemens des tuteurs & curateurs : d'autres ont lieu absolument sans aucune convention ; tels que les engagemens réciproques des co-héritiers & co-légataires, qui se trouvent avoir quelque chose de commun ensemble, sans aucune convention : d'autres encore naissent d'un délit ou quasi-délit, ou d'un cas fortuit : d'autres enfin naissent du fait d'autrui ; tels que les engagemens des peres par rapport aux délits & quasi-délits de leurs enfans ; & ceux des maîtres, par rapport aux délits & quasi-délits de leurs esclaves ou domestiques ; & les engagemens dont peuvent être tenus ceux dont un tiers a géré les affaires à leur insçû.

Tous ces différens engagemens sont volontaires, ou involontaires : les premiers sont ceux qui résultent d'une convention expresse, ou tacite : les autres sont ceux qui naissent d'un délit ou quasi-délit, d'un cas fortuit.

Enfin, toutes sortes d'engagemens sont simples ou réciproques : les premiers n'obligent que d'un côté : les autres sont synallagmatiques, c'est-à-dire obligatoires des deux côtés. Voyez CONTRAT & OBLIGATION ; voyez aussi l'auteur des lois civiles, en son traité des lois, chap. ij. & suiv. & liv. II. de la prem. partie. (A)

ENGAGEMENT D'UN BIEN : ce terme pris dans le sens le plus étendu, peut s'appliquer à tout acte par lequel on oblige un bien envers une autre personne, comme à titre de gage ou d'hypothéque. Voyez GAGE & HYPOTHEQUE.

Ce même terme engagement signifie aussi l'acte par lequel on en cede à quelqu'un la joüissance pour un tems.

Il y a deux sortes d'engagemens pour les biens.

Les uns sont faits par le débiteur au profit du créancier, pour sûreté de sa créance ; & ces engagemens se font en deux manieres différentes ; savoir, par forme d'antichrèse, ou par forme de contrat pignoratif. Voyez ANTICHRESE & CONTRAT PIGNORATIF.

L'autre sorte d'engagement est celle qui contient une espece d'aliénation faite sous la condition expresse ou tacite, que l'ancien propriétaire pourra exercer la faculté de rachat, soit pendant un certain tems, ou même à perpétuité.

Les ventes à faculté de rémeré, & les baux emphytéotiques, ne sont proprement que des engagemens.

Mais dans l'usage on ne donne guere ce nom qu'aux antichrèses, contrats pignoratifs, & aux aliénations que le roi fait en certains cas de quelques portions du domaine de la couronne. Voyez ENGAGEMENT DU DOMAINE. (A)

ENGAGEMENT DU DOMAINE DE LA COURONNE, est un contrat par lequel le roi céde à quelqu'un un immeuble dépendant de son domaine, sous la faculté de pouvoir lui & ses successeurs, le racheter à perpétuité toutes fois & quantes que bon leur semblera.

L'étymologie du mot engagement vient de gage, & de ce que l'on a comparé ces sortes de contrats aux engagemens ou antichrèses, que le débiteur fait au profit de son créancier.

Il y a néanmoins cette différence entre l'engagement ou antichrèse que fait un débiteur, & l'engagement du domaine du roi, que le premier, dans les pays où il est permis, ne peut être fait qu'au profit du créancier, lequel ne gagne pas les fruits ; ils doivent être imputés sur le principal, l'engagement n'étant à son égard qu'une simple sûreté : au lieu que l'engagement du domaine du roi peut être fait tant à prix d'argent, que pour plusieurs autres causes ; & l'engagiste gagne les fruits jusqu'au rachat, sans les imputer sur le prix du rachat, au cas qu'il lui en soit dû.

Le domaine de la couronne, soit ancien ou nouveau, grand ou petit, est inaliénable de sa nature ; c'est pourquoi les actes par lesquels le roi céde à quelqu'un une portion de son domaine, ne sont considérés que comme des engagemens avec faculté de rachat.

Ce grand principe a été long-tems ignoré : les engagemens du domaine proprement dit étoient cependant déja connus dès l'an 1311, comme il paroît par une ordonnance de Philippe-le-Bel ; mais on admettoit aussi alors plusieurs autres manieres d'aliéner le domaine ; savoir, la concession à titre d'apanage, l'assiete des terres pour les dots & doüaires des reines & filles de France, & l'inféodation qui étoit alors différente de l'engagement.

Présentement les apanages ne passent plus, comme autrefois, à tous les héritiers mâles ou femelles indistinctement ; ils sont reversibles à la couronne à défaut d'hoirs mâles.

Les terres du domaine ne sont plus données purement & simplement en mariage, mais seulement en payement des deniers dotaux, & comme un engagement ou espece de vente à la faculté de rachat. Les terres données pour le doüaire des reines, ne sont qu'en usufruit : ainsi il n'y a point d'aliénation.

Les inféodations du domaine faites à prix d'argent, ou pour récompense de services réels & exprimés dans l'acte avant l'ordonnance de 1566, ne sont pas sujettes à révocation comme les simples dons. Il y a d'autres inféodations du domaine qui ont été faites depuis cette ordonnance, en conséquence des édits du mois d'Avril 1574, Mars 1587, Septembre 1591, 4 Septembre & 23 Octobre 1592, 25 Février 1594, Mars 1619, Mars 1635, Mars 1639, Septembre 1645, Décembre 1652, Avril 1667, 1669 ; 7 Avril 1672, Mars & 19 Juillet 1695, 13 Mars, 3 Avril & 4 Septembre 1696, 13 Août 1697, Avril 1702, 2 Avril & 26 Septembre 1703, Août 1708, & 9 Mars 1715 : mais quoique plusieurs de ces édits & déclarations ayent ordonné la vente des domaines à titre d'inféodation & de propriété incommutable & à perpétuité, on tient pour maxime que toutes ces inféodations faites moyennant finance, & qui emportent diminution du domaine, en quelques termes qu'elles soient conçûes, ne sont toûjours que des engagemens sujets au rachat perpétuel ; comme il est dit par les édits de 1574, 1587, & plusieurs autres édits & déclarations postérieurs : à plus forte raison quand les inféodations participent de l'engagement, & qu'elles sont faites en rentes & en argent.

On distingue néanmoins les engagemens qui sont faits à titre d'inféodation, de ceux qui ne sont point faits à ce titre, & que l'on appelle engagemens simples. Les premiers donnent aux seigneurs engagistes un droit un peu plus étendu ; ils joüissent quasi domini, des domaines qui leur sont engagés, & participent à certains droits de fief & honorifiques : au lieu que les simples engagistes ne sont proprement que des créanciers antichrésistes, qui joüissent du domaine engagé pour l'intérêt de l'argent qu'ils ont prêté au roi ; du reste, ceux qui ont acquis un bien du domaine à titre d'inféodation, ne sont toûjours qualifiés que d'engagistes comme les autres, ainsi qu'on le voit dans tous les édits & déclarations intervenus sur cette matiere depuis 1667.

On ne doit pas confondre avec les engagemens les inféodations des domaines du roi, lorsqu'elles sont faites sans aucun payement de finance, sous la condition par l'inféodataire d'améliorer le domaine inféodé, comme de défricher ou dessécher un terrein, d'y bâtir ou planter, &c. & sous la reserve de la suzeraineté, emportant foi & hommage, droits seigneuriaux & féodaux ; ou de la directe, cens & surcens, emportant lods & ventes, saisine, & autres droits dûs aux mutations des fiefs ou des rotures, suivant qu'ils sont fixés par les coûtumes, ou stipulés par les contrats d'inféodation.

Ce qui a donné lieu quelquefois de confondre ces sortes d'inféodations avec les engagemens, est que par différens édits qui ont ordonné l'aliénation des domaines du roi à titre d'engagement, pour accréditer ces engagemens, on les a assimilé aux inféodations, en ordonnant que les engagistes joüiroient des domaines engagés à titre d'inféodation ; on y a même souvent ajoûté la reserve au roi, de la suzeraineté & de la directe. La plus grande partie des aliénations des justices a été faite à ce titre d'inféodation & sous ces reserves ; & quoiqu'il y ait eu des finances payées lors de ces aliénations, on doute encore si l'on doit considérer les aliénations de ces justices, faites depuis plus d'un siecle sous la reserve de la suzeraineté & du ressort, comme des aliénations des autres portions utiles du domaine du roi. Si on admettoit un pareil principe, on exposeroit la plus grande partie des propriétaires des terres & fiefs à être privés de leurs justices, dans lesquelles le roi auroit droit de rentrer comme n'étant possédées qu'à titre d'engagement : ce qui auroit bien des inconvéniens.

Sans entrer dans cette question, il est constant que toutes ces aliénations des portions des domaines du roi, faites sans finance & au seul titre d'inféodation, sous la reserve de la suzeraineté, de la féodalité, de la directe, censive & surcens, emportant droits seigneuriaux, lods & ventes aux mutations, ne sont point compris dans la classe des engagemens des domaines.

L'objet de l'inféodation est toûjours, que l'inféodataire étant propriétaire incommutable améliorera le domaine inféodé, & que par ces améliorations, les droits qui seront payés au roi lors des ventes & autres mutations deviennent si considérables, que le roi soit plus qu'indemnisé de la valeur du fonds qu'il a inféodé.

Il y a lieu de présumer que c'est par des inféodations que se sont faits les établissemens des fiefs, de la directe, & des censives ; toutes les directes qui appartiennent au roi sur les maisons de la ville de Paris, ne proviennent que d'inféodations faites des terreins qui appartenoient à sa majesté, & qui ont été par elle inféodés. Sans remonter aux tems reculés, il a été fait dans le dernier siecle plusieurs de ces inféodations par le roi, de semblables terreins ; tels que sont ceux que l'on comprend sous la dénomination d'île du Palais, où sont situées la rue Saint-Louis, la rue de Harlay, le quai des Orfevres, la place Dauphine, les salles neuves du Palais, les cours qui les environnent, appellées l'une la cour neuve, l'autre la cour de la Moignon : tous ces terreins ont été concédés à titre d'inféodation, sous la reserve de directe & de censives : toutes les fois que les propriétaires ont été inquiétés pour taxes ; ou sous d'autres prétextes, comme détempteurs de terreins du domaine du roi aliénés, ils ont été déchargés par des arrêts du conseil.

Les inféodations ne peuvent donc en général être mises dans la classe des engagemens du domaine, que quand elles sont faites moyennant finance, & qu'elles emportent une véritable aliénation & diminution du domaine.

Toute aliénation du domaine & droits en dépendans, à quelque titre qu'elle soit faite, excepté le cas d'apanage ou d'échange, n'est donc véritablement qu'un engagement, soit que l'acte soit à titre d'engagement, ou à titre d'inféodation, que ce soit à titre de vente, donation, bail à cens ou à rente, bail emphytéotique, ou autrement : & quand même le titre porteroit que c'est pour en joüir à perpétuité & incommutablement, sans parler de la faculté de rachat ; cette faculté y est toûjours sousentendue, & elle est tellement inhérente au domaine du roi, qu'on ne peut y déroger, & qu'elle est imprescriptible comme le domaine.

L'ordonnance de Blois, art. 333 & 334, distingue à la vérité la vente du domaine d'avec le simple engagement : mais il est sensible que les principes de cette matiere n'étoient point encore développés alors comme il faut ; & selon les principes qui résultent des ordonnances postérieures, il est constant que l'aliénation du domaine, faite à titre de vente, ne peut pas avoir plus d'effet que celle qui est faite simplement à titre d'engagement.

L'engagiste a même moins de droit qu'un acquéreur ordinaire à charge de rachat. En effet celui qui peut faire tous les actes de propriétaire jusqu'à-ce que le rachat soit exercé, & ce quand le tems du rachat est expiré, il devient propriétaire incommutable : au lieu que l'engagiste du domaine n'est en tout tems qu'un simple acquéreur d'usufruit, qui a le privilége de transmettre son droit à ses héritiers ou ayans cause.

La propriété du domaine engagé demeurant toûjours par devers le roi, il s'ensuit par une conséquence naturelle, que l'engagiste ne doit point de foi & hommage, ni de droits seigneuriaux, soit pour la premiere acquisition, soit pour les autres mutations qui surviennent de la part du roi, ou de celle de l'engagiste. Quelque clause qu'il y ait au contraire dans l'engagement, les chambres des comptes ne doivent jamais admettre les engagistes à l'hommage des domaines engagés, si ce n'est par rapport aux justices ; comme on l'a expliqué ci-devant pour les autres engagemens : cela seroit d'une trop dangereuse conséquence, & la chambre des comptes de Paris ne s'écarte jamais de ce principe.

Il ne peut pas, comme l'apanager, se qualifier duc, comte, marquis, ou baron d'une telle terre, mais seulement seigneur par engagement de cette terre, si ce n'est que l'engagement contînt permission de prendre ces qualités.

Quand le chef-lieu d'une grande seigneurie est engagé, les mouvances féodales qui en dépendent & la justice royale qui est attachée au chef-lieu, & tous les droits honorifiques, demeurent reservés au roi ; la justice s'y rend toûjours en son nom : on y ajoûte seulement en second celui du seigneur engagiste, mais celui-ci n'a point collation des offices, il n'en a que la nomination, & les officiers sont toûjours officiers royaux ; s'il fait mettre un poteau en signe de justice, les armes du roi doivent y être marquées : il peut seulement mettre les siennes au-dessous. Il n'a point droit de litre, ou de ceinture funebre ; il ne peut recevoir les foi & hommage, aveux & déclarations, ni donner les ensaisinemens : il a seulement tous les droits utiles du domaine engagé, excepté les portions qui ont été aliénées aux officiers du domaine, antérieurement aux engagemens, conformément à plusieurs réglemens, & notamment à l'édit du mois de Décembre 1743.

Mais quand le roi engage seulement quelque dépendance du chef-lieu de la seigneurie, & qu'il engage aussi la justice, alors c'est une nouvelle justice seigneuriale qui s'exerce au nom du seigneur ; il a la collation des offices, & tous les droits utiles & honorifiques, à l'exception néanmoins des droits qui sont une suite des mouvances du chef-lieu, lesquelles dans ce cas demeurent reservées au roi, conformément à l'édit du 15 Mai 1715.

Les droits de patronage, droits honorifiques, droits de retrait féodal, ne sont point comptés au nombre des droits utiles ; de sorte que l'engagiste ne les a point, à moins qu'ils ne lui ayent été cédés nommément.

Tout contrat d'engagement doit être registré en la chambre des comptes.

Les acquisitions que l'engagiste fait dans la mouvance du domaine qui lui est engagé, soit par voie de retrait, ou autrement, ne sont point réunies au domaine.

L'engagiste peut pendant sa joüissance sous-inféoder, ou donner à cens ou rente quelque portion du domaine qu'il tient par engagement : mais en cas de rachat de la part du roi, toutes ces aliénations faites par l'engagiste sont révoquées, & le domaine rentre franc de toute hypothéque de l'engagiste.

Cependant jusqu'au rachat, l'engagiste peut disposer comme bon lui semble du domaine ; il est considéré comme propre dans sa succession ; le fils aîné y prend son droit d'aînesse ; le domaine engagé peut être vendu par l'engagiste, ses héritiers ou ayans cause ; il peut être saisi & decreté sur eux : mais tout cela ne préjudicie point au rachat.

Tant que l'engagement subsiste, l'engagiste doit acquiter les charges du domaine ; telles que les gages des officiers, & autres prestations annuelles, pour fondation ou autrement, entretenir les bâtimens, prisons, ponts, chemins, chaussées, fournir le pain des prisonniers, payer les frais de leur transport, & généralement tous les frais des procès criminels où il n'y a point de partie civile ; gages d'officiers, rentes, revenant-bons, décharges & épices des comptes des domaines : mais cet édit n'a pas été par-tout pleinement exécuté. L'édit d'Octobre 1705 a ordonné que les engagistes rembourseroient les charges locales, telles que le payement des fiefs & aumônes ; à l'effet dequoi il est obligé d'en remettre le fonds au receveur des domaines & bois, lequel rapporte au jugement de son compte, les pieces justificatives de l'acquittement desdites charges.

Loyseau en son traité des offices, & Chopin en son traité du domaine, ont parlé des engagemens ; mais quoique ces auteurs ayent dit d'excellentes choses, il faut prendre garde que leurs principes ne sont pas toûjours conformes au dernier état de la jurisprudence sur cette matiere.

On peut aussi voir ce que Guyot en a dit en son traité des fiefs, tome VI. & en ses observations sur les droits honorifiques. Voyez DOMAINE. (A)

ENGAGEMENT, s. m. (Hist. mod.) nom donné aux voeux des anciens chevaliers dans leurs entreprises d'armes. Je n'en dirai qu'un mot d'après M. de Sainte-Palaye, & seulement pour crayonner une des plus singulieres extravagances dont l'homme soit capable.

Les chevaliers qui formoient des entreprises d'armes, soit courtoises, soit à outrance, c'est-à-dire meurtrieres, chargeoient leurs armes de chaînes, ou d'autres marques attachées par la main des dames, qui leur accordoient souvent un baiser, moitié oüi, moitié non, comme celui que Saintré obtint de la sienne.

Cette chaîne ou ce signe, quel qu'il fût, qu'ils ne quittoient plus, étoit le gage de l'entreprise dont ils juroient l'exécution, quelquefois même à genoux, sur les Evangiles. Ils se préparoient ensuite à cette exécution par des abstinences & par des actes de piété qui se faisoient dans une église où ils se confessoient, & dans laquelle ils devoient envoyer au retour, tantôt les armes qui les avoient fait triompher, tantôt celles qu'ils avoient remportées sur leurs ennemis.

On pourroit faire remonter l'origine de ces especes d'enchaînemens jusqu'au tems de Tacite, qui rapporte quelque chose de semblable des Cattes dans ses moeurs des Germains. Je crois pourtant qu'il vaut mieux la borner à des siécles postérieurs, où les débiteurs insolvables devenant esclaves de leurs créanciers, & proprement esclaves de leur parole, comme nous nous exprimons, portoient des chaînes de même que les autres serfs, avec cette seule distinction, qu'au lieu de fers ils n'avoient qu'un anneau de fer au bras. Les pénitens, dans les pélerinages auxquels ils se voüoient, également débiteurs envers l'église, porterent aussi des chaînes pour marque de leur esclavage ; & c'est de-là sans-doute que nos chevaliers en avoient pris de pareilles, pour acquiter ce voeu qu'ils faisoient d'accomplir leurs entreprises d'armes.

Ces emprises une fois attachées sur l'armure d'un chevalier, il ne pouvoit plus se décharger de ce poids qu'au bout d'une ou de plusieurs années, suivant les conditions du voeu, à moins qu'il n'eût trouvé quelque chevalier qui s'offrant de faire arme contre lui, le délivrât en lui levant son emprise, c'est-à-dire en lui ôtant les chaînes ou autres marques qui en tenoient lieu, telles que des pieces différentes d'une armure, des visieres de heaumes, des gardes-bras, des rondelles, &c.

Vous trouverez dans Olivier de la Marche les formalités qui s'observoient pour lever ces emprises, & les engagemens des chevaliers. On croit lire des contes arabes en lisant l'histoire de cet étrange fanatisme des nobles, qui régna si long-tems dans le midi de l'Europe, & qui n'a cessé dans un royaume voisin que par le ridicule dont le couvrit un homme de lettres, Miguel Cervantes Saavedra, lorsqu'il mit au jour, en 1605, son incomparable roman de dom Quichotte. Voyez ECUYER, CHEVALIER, & les mémoires de M. de Sainte-Palaye, dans le recueil de l'académie des Belles-Lettres. Article de M(D.J.)

ENGAGEMENT, c'est dans l'Art militaire, un acte que signe un particulier, par lequel il s'engage pour servir dans les troupes en qualité de soldat ou de cavalier. Tout engagement doit être au moins de six ans, à peine de cassation contre les officiers qui en auront fait pour un moindre tems. Voy. DESERTEUR. (Q)

ENGAGEMENT D'UN MATELOT, (Marine) c'est la convention qu'il fait avec le capitaine, ou le maître d'un navire, pour le cours du voyage. (Z)

ENGAGEMENT DES MARCHANDISES, (Comm.) est une espece de commerce ou de négociation très-commune à Amsterdam, & qui se fait ordinairement lorsque le prix des marchandises diminue considérablement, ou qu'il y a apparence qu'il augmentera de beaucoup dans peu. Dans ces deux cas, les marchands qui ont besoin d'argent comptant, & qui cependant veulent éviter une perte certaine, en donnant à trop bas prix ce qui leur a coûté fort cher, ou s'assûrer du gain qu'ils esperent de l'augmentation de leurs denrées, ont recours à l'engagement de leurs marchandises qui se fait en la maniere suivante.

Le marchand qui veut les engager, s'adresse à un courtier, & lui en donne une note. On convient de l'intérêt, qui est ordinairement depuis trois ou trois & demi jusqu'à six pour cent par an, selon l'abondance ou la rareté de l'argent ; on régle ce qu'il en doit coûter pour le magasinage, &c. L'accord fait, le courtier en écrit l'obligation sur un sceau, c'est-à-dire sur un papier scellé du sceau de l'état, à peu-près comme ce que nous appellons du papier timbré, dans une forme à peu-près semblable à la suivante, que Jean Pierre Ricard, dans son traité du Négoce d'Amsterdam, donné comme une formule de ces sortes d'engagemens, & dans laquelle il suppose que les marchandises engagées sont huit mille livres de caffé, valant lors de l'engagement vingt sols la livre, qu'on engage sur le pié de vingt-cinq sols la livre pour six mois, à raison de quatre pour cent d'interêt par an, & à trois sols par balle par mois de magasinage.

Formule d'un engagement de marchandises.

" Je soussigné, confesse par la présente, devoir loyalement à M. NN.... la somme de dix mille florins argent courant, pour argent comptant reçû de lui à ma satisfaction ; laquelle somme de dix mille florins je promets payer en argent courant dans six mois après la datte de la présente, franc & quitte de tous frais audit Sieur NN.... ou au porteur de la présente, avec intérêt d'icelle, à raison de quatre pour cent par an ; & en cas de prolongation, jusqu'au payement effectif du capital & de l'intérêt, engageant pour cet effet ma personne & tous mes biens, sans exception d'aucun, les soûmettant à tous juges & droits. En foi de quoi j'ai signé la présente de ma propre main. A Amsterdam, le 2 Novembre 1718. J. P. R.

On ajoûte ensuite :

Et pour plus grande assûrance du contenu ci-dessus, j'ai délivré & remis au pouvoir dudit Sieur NN... comme un gage volontaire, seize balles de caffé marquées J. P. R. de numero 1 à 16, pesant huit mille livres ou environ, desquels je le rends & fais maître dès-à-présent, l'autorisant de les vendre & faire vendre comme il trouvera à propos, même sans en demander aucune permission en justice, si je ne lui paye pas la susdite somme avec les intérêts & les fraix au jour de l'échéance ; & au cas de prolongation, jusqu'à son entier remboursement. Promettant de plus de lui payer trois sols par livre à chaque fois que le caffé pourra baisser de deux ou trois sols par livre, & trois sols par chaque balle par mois pour le magasinage, & tous autres frais qu'il pourra faire sur lesdites balles, l'affranchissant bien expressément de la perte ou dommage qui pourroit arriver audit caffé, soit par eau, soit par feu, par vol, ou par quelqu'autre accident prévû ou imprévû. A Amsterdam, ce 2 Novembre 1718. J. P. R. "

Quand l'intérêt est trop haut, comme de six pour cent par an, on se garde bien de le spécifier dans l'obligation, parce qu'il est usuraire ; mais on met qu'il sera payé à un demi par mois, ce qui revient au même, mais qu'on tolere, parce que l'emprunteur est censé pouvoir retirer sa marchandise tous les mois.

Si un emprunteur veut retirer sa marchandise avant le terme stipulé, il n'en paye pas moins l'intérêt convenu pour tout le tems, parce qu'en ce cas on suppose qu'il trouve sur sa marchandise un bénéfice considérable qui suffit pour payer l'intérêt.

Si l'on convient d'une prolongation, on en fait mention au bas de l'obligation. Enfin si le prêteur, après avoir averti l'emprunteur, veut avoir son argent à terme, & que celui-ci ne paye pas, les marchandises peuvent être vendues par autorité de justice en faveur du premier, jusqu'à concurrence du remboursement de la somme prêtée & des intérêts, l'excédant du prix qu'on en retire tournant au profit de celui qui a engagé la marchandise. Dictionn. de Commerce, de Trévoux, & de Chambers. (G)

ENGAGEMENT, en fait d'escrime, c'est l'effort réciproque de deux épées qui se touchent. Il y a engagement, lorsqu'un escrimeur place le fort ou le talon de son épée sur le foible de celle de son ennemi, & la force de façon qu'il ne peut plus la détourner.


ENGAGERv. act. mettre en gage. (Commerce)

ENGAGER, (Commerce) signifie aussi disposer d'une chose : j'ai engagé mes fonds.

ENGAGER, (Commerce) joint au pronom personnel ou réciproque se, veut quelquefois dire s'endetter, quelquefois entrer dans une affaire, dans une société, d'autres fois cautionner quelqu'un, & souvent prendre parti avec un maître.

Dans toutes ces significations, on dit en termes de commerce, qu'un marchand s'est engagé de tous côtés, qu'on s'engage dans une entreprise, qu'un jeune homme s'est engagé en qualité d'écrivain avec la compagnie des Indes, qu'un tel s'est engagé de dix mille écus pour tirer son associé d'affaire, qu'un compagnon s'est engagé chez un maître pour tel tems & à telles conditions. Diction. de Com. de Trévoux, & de Chambers. (G)

ENGAGER, (Escrime) c'est faire toucher son épée à celle de l'ennemi. On dit engagez quarte & tirez quarte, ou engagez quarte & tirez tierce, &c. On entend aussi par engager, saisir du fort ou du talon de son épée le foible de celle de l'ennemi, de maniere qu'il ne puisse plus détourner l'épée de son adversaire de sa direction. Voyez ENGAGEMENT.


ENGAGISTE(Jurisprud.) est celui qui jouit d'un bien à titre d'engagement : il y a deux sortes d'engagistes.

Les uns qui joüissent d'un bien par forme d'antichrèse pour sûreté de leurs créances.

Les autres sont ceux qui jouissent d'un domaine de la couronne à titre d'engagement.

L'engagiste qui joüit à titre d'antichrèse, peut retenir le fonds qui lui a été engagé jusqu'à-ce que le débiteur lui ait payé toutes les sommes qu'il lui doit, même au-delà du prix de l'engagement.

Aucune vente, soit pure & simple, ou à faculté de rachat, ou simplement des fruits, ne peut préjudicier au droit acquis antérieurement à l'engagiste.

Suivant le droit romain, l'engagiste peut stipuler qu'il retiendra les fruits de l'héritage, pour lui tenir lieu des intérêts de ses créances, ce qui s'observe au parlement de Toulouse ; mais au parlement de Paris cela n'est jamais permis, à moins que les fruits de l'héritage ne fussent fixes & certains ; comme si c'est une rente en argent, auquel cas l'engagiste seroit tenu d'imputer l'excédent, s'il y en a, sur le principal.

Ce ne sont pas seulement les fruits perçûs par l'engagiste dont il doit rendre compte, mais aussi ceux qu'il a pû percevoir.

Il est de son devoir de joüir comme un bon pere de famille, & par conséquent de faire toutes les réparations : mais aussi en cas de rachat, il est en droit de répéter toutes les dépenses utiles & nécessaires qu'il a faites à la chose engagée ; & jusqu'à-ce qu'il en soit remboursé, il peut retenir le bien engagé. A l'égard des dépenses voluptuaires, il ne peut les répéter, à moins qu'il ne les eût faites de l'ordre du débiteur.

Les cas fortuits ne sont pas à la charge de l'engagiste, nisi culpa casum praecessit.

L'engagiste ne peut par aucun tems prescrire le fonds contre le débiteur, à moins que l'engagement ne fût coloré du nom de vente à faculté de rachat, auquel cas il pourroit prescrire par trente ans.

Il peut aussi, par une joüissance de trente ans, prescrire l'hypothéque contre les créanciers antérieurs de son débiteur.

S'il vend, comme propriétaire, le bien à lui engagé, le tiers acquéreur pourra prescrire de son chef, n'ayant pas succédé à son vendeur à titre d'engagement.

Les créanciers, soit antérieurs ou postérieurs à l'engagement, ne peuvent faire saisir sur l'engagiste les fruits du fonds engagé par leur débiteur ; ils ne peuvent s'en prendre qu'au fonds par la voie de la saisie réelle.

Tant que l'engagiste n'a pas encore prescrit l'hypothéque, le créancier antérieur peut agir directement sur le fonds engagé, sans être obligé de discuter les autres biens du débiteur ; mais les créanciers postérieurs au contrat d'engagement ne peuvent déposséder l'engagiste qu'en le remboursant de son principal, fraix & loyaux coûts.

Pour savoir quel peut être l'effet du pacte commissoire à l'égard de l'engagiste, voyez PACTE COMMISSOIRE.

Voyez ff. de pignorat. act. & de pign. & hypoth. lib. I. & eod. etiam ob chirograph. pecun. pign. retin. poss. Decis. de Fromental, au mot Engagement. (A)

ENGAGISTE DU DOMAINE, est celui qui tient à titre d'engagement, c'est-à-dire sous faculté perpétuelle de rachat, quelque portion du domaine de la couronne.

Lorsque le domaine, ainsi aliéné, est tenu & cédé en fief, celui qui en joüit est ordinairement qualifié de seigneur-engagiste, ou engagiste simplement ; mais quand le domaine est cédé en roture, le possesseur ne peut prendre d'autre titre que celui d'engagiste. Voyez ci-devant ENGAGEMENT DU DOMAINE. (A)


ENGALADES. m. (Teinture) c'est l'action de teindre ou de préparer une étoffe avec la noix de gale, ou le rodoul, ou le fonic. On donne cet apprêt aux étoffes qui doivent être mises en noir ; il consiste à les faire bouillir dans une décoction de ces ingrédiens ; on use ensuite de la couperose. On éprouve l'engallage par le débouilli.


ENGASTREMITHEENGASTRIMYTHUS ou ENGASTREMANDE, s. m. , personne qui parle sans ouvrir la bouche, ou sans desserrer les levres ; de maniere que le son de la parole semble retentir dans le ventre, & en sortir.

Le nom d'engastremithe est composé du grec , dans, , ventre, & , parole. Les Latins disent par la même raison, ventriloquus, quasi ex ventre loquens. Voyez VENTRILOQUES.

Les philosophes anciens sont fort divisés sur le sujet des engastremithes ; Hippocrate parle de leur état comme d'une maladie. D'autres prétendent que c'est une espece de divination, & en donnent l'origine & la premiere invention à un certain Euriclus dont personne n'a jamais rien sû ; d'autres l'attribuent à l'opération ou à la possession d'un esprit malin, & d'autres à l'art & au méchanisme.

Les plus fameux engastremithes ont été les pythies ou les prêtresses d'Apollon, qui rendoient les oracles de l'intérieur de leur poitrine, sans proférer une parole, sans remuer la bouche ou les levres. Voyez PYTHIE.

S. Chrysostome & Oecumenius font expressément mention de certains hommes divins que les Grecs appelloient engastrimandri, dont les ventres prophétiques rendoient des oracles. Voyez ORACLE.

M. Scott, bibliothécaire du roi de Prusse, soûtient dans une dissertation qu'il a faite sur l'apothéose d'Homere, que les engastremithes des anciens n'étoient autre chose que des poëtes, qui, lorsque les prêtresses ne pouvoient parler en vers, suppléoient à leur défaut, en expliquant ou rendant en vers ce qu'Apollon disoit dans la cavité du bassin qui étoit placé sur le sacré trépié. Voyez TREPIE.

Léon Allatius a fait un traité exprès sur les engastremithes, qui a pour titre de engastremitis syntagma. Dictionn. de Trévoux & Chambers.

Il est très-vraisemblable que les prétendus ventriloques n'étoient que des fourbes ; parce que le méchanisme de la voix ne comporte pas que l'on puisse prononcer des paroles, sans que l'air qui est modifié pour en produire le son, sorte par la bouche & par le nez, sur-tout par la premiere de ces deux voies : d'ailleurs en supposant même qu'il y ait moyen de parler, en retirant l'air dans les poumons, le son retentiroit dans la poitrine & non pas dans le ventre ; ainsi ceux qui produiroient cette voix artificieuse, seroient improprement nommés ventriloques, parce qu'il ne pourroit jamais se faire qu'ils parussent parler du ventre. Voyez VOIX.

On pourroit donner le nom d'engastrémithe ou ventriloque aux enfans, que quelques auteurs prétendent avoir fait des cris dans le ventre de leurs meres. On trouve parmi les observations sur la Physique générale (vol. II.) un extrait du journal des savans, (répub. des Lettres, Août 1686, tom. VII.) dans lequel on atteste un fait de cette espece, & on ajoûte que quelque extraordinaire que soit ce phénomene, on en lit plusieurs exemples dans le livre intitulé Medicina septentrionalis collatitia.

Mais ces prétendus faits sont-ils croyables, dès que l'on est bien assûré que l'enfant ne respire point, & ne peut respirer dans la matrice, où il est toûjours plongé dans l'eau de l'amnios, sans autre air que celui qui est résolu en ses élémens dans la substance du fluide aqueux, qui n'a par conséquent aucune des propriétés nécessaires pour produire des sons ? Si la chose dont il s'agit est jamais arrivée, ce ne peut être qu'après l'écoulement de cette eau & la communication établie de l'intérieur des membranes avec l'atmosphere, de maniere que l'air ait pû pénétrer en masse jusque dans les poumons de l'enfant, & le faire respirer avant qu'il soit sorti de la matrice : mais, dans ce cas, il faut qu'il en sorte bien-tôt pour survivre, autrement les membranes flottantes venant à s'appliquer à sa bouche & à son nez, pourroient le suffoquer avant qu'il fût sorti du ventre de sa mere. Voyez RESPIRATION, FOETUS. (d)


ENGEL(Docimast.) poids fictif usité en Angleterre. Voyez POIDS.


ENGELURES. f. (Medecine) est une espece d'enflure inflammatoire qui survient en hyver, & qui affecte particulierement les talons, les doigts des piés & des mains ; & dans les pays bien froids, le bout du nez même & les lobes des oreilles. Les Grecs appellent cette maladie , de , hyems ; les Latins pernio. Les François lui donnent le nom de mule, lorsqu'elle a son siége au talon.

La cause prochaine de cette maladie est, comme celle de l'inflammation en général, l'empêchement du cours libre des fluides dans les vaisseaux de ces parties : cet empêchement est dans les engelures l'effet du froid, qui resserre les solides & qui condense les fluides. Quoique la chaleur du corps humain en santé surpasse celle de l'air qui l'environne, même pendant les plus grandes chaleurs de l'été, selon ce que prouvent les expériences faites à ce sujet par le moyen du thermometre, & qu'il faille par conséquent, pour que les parties de notre corps soient engourdies par le froid, qu'il soit bien violent : cependant comme le mouvement des humeurs & conséquemment la chaleur est moins considérable, tout étant égal dans les extrémités, dans les parties qui sont le plus éloignées du coeur que dans les autres, il s'ensuit que ces parties doivent être à proportion plus susceptibles de ressentir les effets du froid ; les vaisseaux rendus moins flexibles par cette cause, agissent moins sur le sang, qui n'est fluide que par l'agitation qu'il éprouve de l'action des solides, & celle-ci étant diminuée, il s'épaissit & circule avec peine : d'ailleurs les parties aqueuses qui lui servent de véhicule, se figent & se gelent, pour ainsi dire, par l'absence des particules ignées, & peut-être aussi par la pénétration des particules frigorifiques qui remplissent leurs pores, & leur font perdre la mobilité qui leur est ordinaire, d'où résulte une cause suffisante d'inflammation. Voyez FROID, GLACE.

Le tempérament pituiteux, les humeurs naturellement épaisses, la pléthore, le peu de soin à se garantir des rigueurs de l'hyver par les vêtemens & autres moyens, le passage fréquent du chaud au froid, sont les causes qui disposent aux engelures ; les enfans & les jeunes personnes y sont plus sujets que les autres, à cause de la viscosité dominante dans leurs fluides & de la débilité de leurs solides.

La pâleur des parties mentionnées, suivie de chaleur, de demangeaison, de cuisson même, qui sont très-incommodes ; la rougeur & la tension qui accompagnent cette affection, qui n'a lieu qu'en tems froid, ne laisse aucun doute sur la nature & la cause du mal.

Les engelures n'exposent ordinairement à aucun danger ; cependant, si on n'y apporte promtement remede, elles deviennent difficiles à guérir ; elles exulcerent souvent les parties où elles ont leur siége ; elles peuvent même attirer la suppuration, la gangrene, & le sphacele, que l'on voit souvent, dans les pays du Nord, survenir en très-peu de tems, & la corruption fait des progrès si rapides, qu'elles tombent & se détachent entierement ; ensorte que les effets du froid sur le corps humain, dans ces cas, sont presque semblables à ceux du feu actuel qui les détruit subitement. Les engelures de cette malignité sont très-rares dans ces climats : celles qui se voyent ordinairement, qu'elles soient ulcérées ou non ulcérées, disposent les parties à en être affectées tous les hyvers ; ou plutôt les personnes qui en ont été attaquées par une disposition des humeurs, y deviennent sujettes pendant presque toute leur vie, lorsque cette cause prédisponente subsiste toûjours.

Tous ceux qui sont dans ce cas, ne doivent donc pas moins chercher à se préserver de cette incommodité, qu'à s'en guérir lorsqu'elle a lieu : dans cette vûe on doit s'exposer le moins qu'il est possible au froid, & s'en garantir, pour ce qui regarde les piés, par de bons chaussons de lin ou de laine humectés d'esprit-de-vin ; on peut aussi en porter de peaux de lievre ou autres semblables : on peut encore appliquer sur les parties un emplâtre défensif, tel que celui de diapalme, auquel on joint le bol, l'huile rosat, & le vinaigre ; Turner dit s'en être bien trouvé pour lui-même.

On doit observer de ne pas se présenter tout-à-coup à un grand feu, lorsqu'on se sent les extrémités affectées d'un grand froid, parce qu'on met trop tôt en mouvement les humeurs condensées, qui ne pouvant pas couler librement dans leurs vaisseaux, les engorgent davantage, causent des douleurs violentes, & accélerent par-là l'inflammation & quelquefois la mortification. Il est convenable dans ce cas, de ne réchauffer les parties froides que par degrés, de les laver pour cet effet dans de l'eau tiéde pour détacher les solides, ouvrir les pores, détremper les fluides.

On est dans l'usage parmi les habitans des pays septentrionaux, lorsqu'ils viennent de s'exposer au froid, de ne pas entrer dans les étuves qu'on ne se soit frotté les piés, les mains, le visage, & les oreilles avec de la neige ; cette pratique qui passe pour un sûr préservatif contre les engelures, sembleroit confirmer l'opinion des Physiciens, qui attribuent la gelée à quelque chose de plus que l'absence ou la diminution des particules ignées, savoir à des corpuscules aigus, qui pénetrent les fluides & fixent le mouvement de raréfaction qui établit leur liquidité. La neige employée dans ce cas, ne semble pouvoir produire d'autre effet que d'attirer au-dehors ces aiguillons frigorifiques. Voyez sur cela ce qu'en dit le baron Vanswieten, dans son commentaire sur les aphorismes de Boerhaave, dans le chapitre de la gangrene : on trouve aussi dans les oeuvres de Guillaume Fabrice, prax. lib. V. part. I. de très-belles observations à ce sujet ; qu'il seroit trop long de rapporter ici.

Pour ce qui est de la curation des engelures ; lorsqu'elles sont formées & que la peau n'est cependant ni ulcerée ni ouverte, la premiere attention qu'on doit avoir est d'employer les remedes convenables pour resoudre ou donner issue, par les voies de la transpiration, à l'humeur arrêtée : on se sert pour cet effet d'une fomentation appropriée, appliquée sur la partie affectée avec des morceaux de flanelle. Quelques auteurs conseillent la saumure de boeuf, ou de cochon, ou l'eau salée simplement ; le jus ou la décoction de navets, qu'ils regardent presque comme un spécifique contre le mal dont il s'agit. La pulpe de rave cuite sous la braise & appliquée chaudement, produit le même effet que le remede précédent : l'huile de pétrole, dont on frotte la partie malade, peut servir aussi de remede, tant pour préserver que pour guérir : l'encens formé en liniment avec la graisse de porc, est aussi fort recommandé.

Lorsque les engelures viennent à s'ouvrir, s'ulcérer, on doit les panser avec l'onguent pompholix ou l'onguent blanc de Rhasis : mais de quelque remede qu'on se serve dans ce cas, il y a certaines engelures (sur-tout celles des enfans qui ne peuvent s'empêcher de marcher, de courir,) qui ne peuvent être guéries avant le retour de la saison où la chaleur commence à se faire sentir.

Si la gangrene succede à l'exulcération, elle doit être traitée selon les regles prescrites dans les cas de gangrene en général. Voyez GANGRENE.

Si elle survient subitement après que l'engelure est formée, & qu'elle soit considérable, le commentateur de Boerhaave, ci-dessus cité, recommande très-fort de ne pas se presser d'employer des remedes spiritueux, qui rendroient le mal plus considérable en hâtant le sphacele : toûjours fondé sur l'expérience des peuples du Nord, il conseille de frotter la partie gangrenée avec de la neige, ou de la plonger dans l'eau froide pour en tirer les corpuscules frigorifiques, & d'employer ensuite les moyens propres à rétablir la circulation des humeurs & la chaleur dans la partie affectée, tels que les frictions douces, les fomentations avec le lait dans lequel on ait fait une décoction de plantes aromatiques, & de faire user ensuite au malade, tenu chaudement dans le lit, de quelques legers sudorifiques, tels que l'infusion du bois sassafras prise en grande quantité, &c. Voyez Sennert, Turner sur les autres différens remedes qui peuvent convenir dans cette maladie. (d)


ENGEN(Géog. mod.) ville de Suabe, en Allemagne ; elle appartient au comte de Furstemberg : elle est située sur un ruisseau.


ENGENCEMENTS. m. en Peinture, se dit des draperies ou autres ajustemens, ou d'un assemblage d'objets qui se trouvent rarement réunis, & dont la composition est à la fois singuliere & piquante. On dit : ces choses sont belles, singulierement engencées ; l'engencement des draperies, des draperies bien engencées, singulierement engencées. (R)


ENGENDRERv. act. (Physiq.) désigne l'action de produire son semblable par voie de génération. Voyez GENERATION.

Ce terme s'applique aussi à d'autres productions de la nature ; c'est ainsi qu'on dit que les météores sont engendrés dans la moyenne région de l'air. Voyez METEORES, &c. Voyez aussi CORRUPTION.

En Géométrie on se sert du mot engendré, pour désigner une ligne produite par le mouvement d'un point, une surface produite par le mouvement d'une ligne, un solide produit par le mouvement d'une surface, ou bien encore pour désigner une ligne courbe produite dans une surface courbe par la section d'un plan. Ainsi on dit que les sections coniques sont engendrées dans le cone. Voyez CONIQUES & GENERATION.

On dit aussi qu'une courbe est engendrée par le développement d'une autre. Voyez DEVELOPPEE. On a proposé à cette occasion de trouver les courbes qui s'engendrent elles-mêmes par leur développement. Voici une solution bien simple de ce problème. 1°. Soit que la courbe développée s'engendre elle-même dans une situation directe ou dans une situation renversée, il est évident que la développée de la développée sera précisément située de la même maniere que la développante. 2°. Le petit côté de la développante sera parallele au petit côté qui lui correspond dans la développée de la développée (que j'appelle sous-développée) ; une figure très-simple peut aisément le faire voir. Donc, puisque la développante & la sous-développée sont semblables & égales (hyp.), & qu'outre cela leurs petits côtés correspondans sont paralleles, il est aisé d'en conclure que ces petits côtés sont égaux ; or nommant d s le petit côté de la développante ou courbe cherchée, & R le rayon de la développée, il est aisé de voir que le rayon osculateur de cette développée sera R d R/d s : savoir - si la courbe se développe dans une situation renversée, & + si elle se développe dans une situation directe. Donc, puisque le petit côté de la sous-développée est égal à d s, & que ce petit côté est égal à la différence du rayon osculateur, on aura d ( R d R/d s) = d s, & R d R = s d s + a d s, & R R = s s + 2 a s + b b ; c'est l'équation générale des courbes qui s'engendrent elles-mêmes par leur développement. Voyez le reste au mot OSCULATEUR.

Si l'on vouloit que la courbe génératrice fût non pas égale, mais semblable à la courbe engendrée, en ce cas la différence de R d R/d s devroit être en raison constante avec d s. Cela se prouve comme dans le cas précédent. On aura donc R R = m s s + e s + F. (O)


ENGERBERv. act. (Agricult.) il se dit du blé après qu'il a été moissonné ; c'est mettre les javelles en gerbe : il se dit aussi des muids ou tonneaux vuides ; les engerber, c'est les mettre les uns sur les autres, comme on voit les gerbes dans une grange.


ENGHIEou ANGUIEN, (Géog.) ville du comté de Hainaut, dans les Pays-Bas. Long. 21. 40. latit. 50. 40.


ENGIA(Géog. mod.) ville de Grece, située dans une île de même nom. Cette île a cinq lieues de long sur trois lieues de large. Il y a le golfe d'Angia. Long. 41. 44. lat. 37. 45.


ENGINS. m. (Méchaniq.) machine composée, dans laquelle il en entre plusieurs autres simples, comme des roues, des vis, des leviers, &c. combinés ensemble, & qui sert à enlever, à lancer, ou à soûtenir un poids, ou à produire quelqu'autre effet considérable, en épargnant ou du tems ou de la force. Voyez MACHINE.

Il y a des engins d'une infinité de sortes : les uns sont propres à la guerre, comme autrefois les balistes, les catapultes, les scorpions, les béliers, &c. Ces machines étoient fort en usage parmi les anciens, & elles avoient beaucoup de force ; on ne s'en sert plus aujourd'hui depuis l'invention de la poudre. D'autres servent dans les Arts, comme des moulins, des grues, des pressoirs. Voyez MOULIN, ROUE, PRESSOIR, POMPE, &c.

Le mot d'engin n'est plus guere en usage, du moins dans le sens qu'on vient de lui donner, c'est-à-dire de machine composée : celui de machine tout court a pris sa place, & on ne se sert guere du mot engin que pour désigner des machines simples, comme le levier, encore s'en sert-on rarement. (O)

ENGIN, (Arts méchaniq.) il se dit en général de toute machine qui sert à enlever, à porter, à traîner.

En Pêche, il se dit de toutes sortes de filets.

En Chasse, il se dit de l'équipage nécessaire en filets & autres outils pour la prise de quelques oiseaux.

Dans les Mines, il se dit de toutes les machines employées à vuider les eaux, à enlever les matieres hors de la mine, &c. Voyez l'article ARDOISE.

ENGIN, en Architecture, machine en triangle, composée d'un arbre soûtenu de ses arcs-boutans, & potencé d'un fauconneau par le haut, laquelle par le moyen d'un treuil à bras qui dévide un cable, enleve les fardeaux. Le gruau n'est différent de l'engin, que par sa piece de bois d'en-haut appellée gruau, qui est posée en rampant pour avoir plus de volée. Voici les pieces de l'engin.

1°. La solle. 2°. La fourchette. 3°. Le poinçon. 4°. La jambette. 5°. Les moises. 6°. Le treuil ou tour. 7°. Les bras. 8°. Le ranchet ou escalier. 9°. Les ranches ou chevilles. 10°. La sellette. 11°. Les liens. 12°. Le fauconneau ou étourneau. 13°. Les poulies. 14°. Le chable. 15°. Piece de bois à monter. 16°. Le halement. 17°. Le verboquet. Voyez les figures de la Pl. du Charpentier. Voyez GRUE, &c.

ENGIN, en terme d'Aiguillier & de Cloutier d'épingle ; il se dit d'une planche couverte de clous d'épingles plus ou moins forts, & plantés de distance en distance, entre lesquels on tire le fil-de-fer pour le redresser. Voyez TIRER. Voyez Planche de l'Aiguillier Bonnetier, fig. 1.


ENGISOMES. m. (Chirurgie) espece de fracture du crane, dans laquelle l'une des deux extrémités de l'os fracturé avance intérieurement sur la dure-mere, & l'autre extrémité s'éleve extérieurement faisant le pont-levis. Dans ce cas si l'on a pû avec des pincettes convenables faire l'extraction de la piece d'os, on traite le trepan accidentel comme s'il étoit artificiel, ayant soin d'emporter avec le couteau lenticulaire toutes les inégalités contre lesquelles la dure-mere pourroit heurter dans les mouvemens que le cerveau lui imprime : si au contraire la portion d'os engagée sous le crane, & pressant la dure-mere, formoit une embarrure, il faudroit appliquer une couronne de trépan, & même en multiplier l'application, s'il étoit nécessaire, pour dégager cette piece d'os & en permettre l'extraction. Voyez EMBARRURE & TREPAN. (Y)


ENGLANTÉadj. en termes de Blason, se dit d'un écu chargé d'un chêne, dont le gland est d'un autre émail que l'arbre.

Missirinen en Bretagne, d'argent au chêne de synople, englanté d'or, au canton dextre de gueules chargé de deux haches d'armes adossées d'argent.


ENGLECERIES. f. (Hist.) terme fort significatif chez les anciens Anglois, quoiqu'à présent il ne soit guere en usage : il signifioit proprement la qualité qu'un homme avoit d'être Anglois.

Autrefois quand un homme étoit tué ou assassiné en secret, on le réputoit francigent (ce qui comprenoit toutes sortes d'étrangers, & particulierement les Danois) ; cette imputation subsistoit jusqu'à-ce que l'on eût prouvé son englecerie, c'est-à-dire jusqu'à-ce que l'on eût démontré qu'on étoit naturel Anglois.

Voici l'origine de cette coûtume. Le roi Canut ayant conquis l'Angleterre, renvoya, à la requête des nobles, son armée en Danemark, & ne réserva qu'une garde de Danois pour sa personne : il fit une loi qui portoit que, si un Anglois tuoit un Danois, on lui feroit son procès comme à un meurtrier ; ou s'il arrivoit que le meurtrier prît la fuite, le village où se seroit commis le meurtre seroit obligé de payer à l'échiquier 66 marcs. Suivant cette loi, toutes les fois qu'il se commettoit quelque meurtre, il falloit prouver que l'homme assassiné étoit Anglois, afin que le village ne fût pas chargé de l'amende des 66 marcs.


ENGONASISen Astronomie, est le nom qu'on donne à Hercule, l'une des constellations boréales. Voyez HERCULE. (O)


ENGORGEMENTS. m. se dit, en Medecine, des vaisseaux du corps humain remplis, distendus par des fluides trop abondans ou trop épais pour pouvoir y couler avec facilité. L'engorgement a lieu dans toute sorte d'obstructions. Voy. OBSTRUCTION. (d)


ENGORGERen termes d'Artificiers, c'est remplir de composition le trou vuide, ou l'ame qu'on a laissée à l'orifice d'un jet, ou tel autre artifice. Dict. de Trévoux.


ENGOULÉadj. terme de Blason, qui se dit des bandes, croix, sautoirs, & autres pieces, dont les extrêmités entrent dans la gueule d'un lion, d'un léopard, d'un dragon, &c. comme les armoiries de Guichenon. Il y a aussi des mufles de lions qui engoulent le casque, comme dans les anciennes armoiries des ducs de Savoie.

Touar en Espagne, d'azur à la bande d'or engoulée de deux têtes de lion de même.


ENGOURDISSEMENTsub. m. (Medecine) ce terme est employé pour signifier la diminution de la faculté d'exercer le sentiment attaché à toute la surface du corps ; dans ce sens l'engourdissement est particulierement une lésion du tact, torpor.

Il peut être causé par le froid, qui resserre tellement la peau & les houpes nerveuses, que le fluide qui coule dans les nerfs des parties affectées, ne peut pas parvenir jusqu'à leurs extrêmités, ensorte que le tact semble se faire avec l'interposition d'un corps étranger. L'engourdissement de cette espece est aussi quelquefois l'effet de la compression des nerfs qui se distribuent à un membre, comme dans le cas où on est assis sur une cuisse dans une situation gênée ; elle empêche le cours libre du fluide dans ces nerfs, d'où doit résulter nécessairement le défaut, ou au moins la diminution du sentiment & même du mouvement de cette partie. C'est par cette raison que l'inflammation des reins cause aussi quelquefois l'engourdissement des cuisses.

Si l'engourdissement est général, & que l'exercice du sentiment & du mouvement ne puisse se faire que très-imparfaitement, c'est alors l'effet d'un vice dans le cerveau, qui diminue la distribution du fluide nerveux ; c'est souvent un avant-coureur de l'apoplexie dans les personnes qui n'étoient pas malades auparavant. Hippocrate, vij. coac. praes. sect. 2. Voyez APOPLEXIE. Ce peut être aussi une paralysie imparfaite. Voyez PARALYSIE.

L'engourdissement & la surdité qui surviennent dans les maladies aiguës, sont un très-mauvais signe, selon l'auteur des présages de cos, à moins qu'ils ne soient causés par un dépôt critique de la matiere morbifique sur le principe des nerfs, & dans ce cas-là même c'est un symptome fâcheux.

L'engourdissement, torpor, peut aussi être accompagné d'une sorte de sentiment douloureux, comme on l'éprouve par l'attouchement d'un corps élastique actuellement agité par de très-promtes & très-nombreuses vibrations ; l'effet que l'on attribue à la torpille est aussi de cette nature, & provient vraisemblablement d'une cause approchante. Voyez TORPILLE.

ENGOURDISSEMENT, se dit aussi de l'esprit, stupor, & dans ce sens il peut presque signifier la même chose que l'anastene de Boerhaave, instit. med. symptomatolog. §. 859. il en est comme le premier degré. C'est une affection du sensorium commune, qui le rend moins propre à recevoir les impressions qui constituent les sensations internes, ou à les transmettre à l'ame les ayant reçues ; l'engourdissement de l'esprit est aussi un symptome très-funeste dans les maladies aiguës, selon Hippocrate dans les coaques, 374. d'autant plus qu'elles deviennent mortelles, sans qu'on s'en apperçoive pour ainsi dire, le malade paroissant simplement être dans un état tranquille. Voyez SENSATION. (d)


ENGRAINERENGRAINER


ENGRAISS. m. (Oecon. rustique) On comprend sous ce nom toutes les choses qui, répandues sur la terre, servent à la féconder, comme sont les fumiers, les terres, &c.

Les engrais sont en général la plus grande ressource qu'ait l'Agriculture. Ils suppléent, jusqu'à un certain point, aux défauts des labours, & corrigent même l'intempérie des saisons. C'est un objet de dépense ; mais ce qu'il en coûte est pour le cultivateur un fonds placé au plus haut intérêt ; usure honnête que les lois & les moeurs devroient encourager de concert.

Quelques écrivains qui ont traité de l'Agriculture, ont paru vouloir affoiblir la nécessité des engrais. Ils disent que les plantes se nourrissant des parties les plus déliées de la terre, il suffit de les atténuer pour rendre celle-ci féconde. Ils ajoûtent que le fumier le fait par fermentation, mais qu'on y parvient beaucoup plus sûrement par la fréquence des labours ; que la charrue brise méchaniquement les molécules à une plus grande profondeur & beaucoup mieux. Nous connoissons dans toute son étendue l'utilité des labours ; & nous savons que la division des molécules de la terre est nécessaire à sa fécondité : mais cette division qu'operent les labours ne peut être que momentanée ; une pluie longue & violente l'anéantit. Quelque bien labourée qu'ait été une terre, si l'on y seme du blé sans l'avoir fumée, on la trouvera totalement affaissée à la fin de l'hyver, & ordinairement les racines du blé seront à la superficie. Un engrais, par sa fermentation continuelle, l'auroit défendu de l'affaissement. Il est difficile de se persuader qu'une division faite méchaniquement puisse fournir aux plantes assez de parties déliées pour leur nourriture. Une production continuelle doit épuiser ces parties, & les engrais en réparent l'épuisement : on doit attendre d'autant plus sûrement ce bien de ceux qu'on employe le plus, comme sont les fumiers, qu'eux-mêmes ne sont que les parties un peu altérées des plantes, qu'ils aident à reproduire. Ils contiennent des sels & des huiles qui sûrement, indépendamment de leur action, concourent, avec la terre proprement dite, à la nourriture des plantes.

Parmi les engrais que l'expérience a mis en usage, il en est dont l'effet dure un grand nombre d'années. Nous ne connoissons en France que la marne qui soit de ce genre. Les Anglois ont de plus leurs glaises, dont l'effet est excellent, & que peut-être nous pourrions avoir comme eux. Nous osons même assûrer, sans avoir fait là-dessus d'expériences directes, que le mélange de certaines glaises réussiroit dans nos terres legeres & chaudes. Tout mélange de terres de différente nature a toûjours eu des effets si heureux, que le succès de celui-là paroît démontré : il n'est question que d'éprouver si nous avons ici, comme en Angleterre, des mines de glaise à portée des terres auxquelles elles conviendroient. L'éloignement rendroit la dépense excessive. Voyez CULTURE.

La marne est une espece de terre blanchâtre & crétacée, qui se trouve quelquefois presque à la superficie, mais plus souvent à une assez grande profondeur. Elle contient beaucoup de sels : de leur quantité dépend en partie la durée de son effet ; mais elle dépend aussi de la qualité de la terre. Les Laboureurs disent de certaines terres, qu'elles usent leur marne plus promtement que d'autres. La durée la plus ordinaire est entre dix-huit & vingt-cinq ans ; il est rare que cette impression de fécondité se fasse sentir jusqu'à trente. La marne convient à toutes les terres froides, & elle est sur-tout excellente dans les terres appellées blanches, qui sont très-communes. La chaleur & l'activité qu'elle leur communique les rend aussi propres à rapporter du blé, qu'aucune terre que ce soit. Il n'est pas possible de déterminer d'une maniere précise la quantité de marne dont un arpent a besoin, puisque cela dépend & de sa qualité & de celle de la terre : cependant on peut l'évaluer à peu près à quatre cent minots, mesure de Paris, pour un arpent à 20 piés pour perche ; c'est une quantité moyenne sur laquelle on peut se regler, mais en consultant toûjours l'expérience pour chaque endroit. Les deux excès doivent être évités avec le plus grand soin ; ne pas marner assez, c'est s'exposer à recommencer bien-tôt une dépense considérable. Il y auroit encore plus de danger à marner trop. L'effet de cet engrais est d'échauffer ; il brûleroit, si l'on passoit certaines bornes.

Pendant les deux premieres années après qu'une terre est marnée, on doit y semer de l'avoine ; les recoltes de ce grain équivalent alors à des recoltes ordinaires de blé, soit par leur abondance, soit par le peu de frais qu'exige la culture : d'ailleurs le blé n'y réussiroit pas dans ces premiers momens du feu de la marne. La fermentation qu'elle excite le laisseroit trop long-tems verd ; mûriroit tard, & par-là seroit exposé à la rouille, qui est un des plus grands maux que le blé ait à craindre. L'avoine au contraire court moins de risque à proportion de ce qu'elle mûrit plus tard. Après deux recoltes de ce dernier grain, on peut en faire deux très-bonnes de blé, sans qu'il soit besoin d'employer d'autre engrais. Cependant quelques laboureurs, qu'on ne peut qu'approuver, craignant d'épuiser trop tôt leurs terres, y répandent du fumier en petite quantité, & du fumier le moins chaud, pour tempérer un peu le feu de la marne : quatre ou cinq années étant passées, on reprend le cours de la culture ordinaire, & une terre marnée devient alors dans le cas de toutes celles qui n'ont jamais eu besoin de l'être. Le bon effet de la marne se fait sentir, comme nous l'avons dit, pendant un tems plus ou moins long ; mais un inconvénient auquel il faut s'attendre, c'est que la terre devient plus stérile à la fin, que si on ne l'avoit pas contrainte à cet effort de fécondité : il est peut-être dans la nature qu'une fermentation extraordinaire soit suivie d'un repos proportionné. Quoiqu'il en soit, il est aisé de distinguer une terre marnée trop anciennement : son aspect est triste ; la pluie qui semble ouvrir toutes les autres terres, bat celle-ci, & en rapproche toutes les parties ; le Soleil la durcit plus qu'il ne l'échauffe ; les mauvaises herbes, & sur-tout le pavot sauvage, y dominent ; le grain y jaunit. Il n'est pas possible de la méconnoître à ces marques de stérilité. Le remede se trouve dans la marne même ; & alors elle devient absolument nécessaire : cela fait dire à quelques laboureurs, qu'elle enrichit le pere & ruine les enfans. On peut dire aussi qu'elle paye d'avance avec usure ce qu'il en coûte pour la renouveller. Nous devons ajoûter ici qu'avec l'aide des fumiers, on prolonge pendant plusieurs années l'effet de la marne ; mais il faut ne pas les épargner, & savoir s'exécuter sur la dépense : cette prolongation est même utile à la terre, & la pratique en est à conseiller. Enfin lorsqu'on renouvelle la marne, ce ne doit pas être sans y apporter des précautions : elle seroit pour une terre ainsi épuisée, ce que sont certains remedes actifs pour un estomac usé ; ils ne le raniment d'abord, que pour le laisser bien-tôt plus languissant. Il est donc presque nécessaire de donner du repos à la terre, avant de la marner une seconde fois : mais afin que ce tems de repos ne soit pas perdu, on peut y semer de la luzerne, du sain-foin, &c. comme nous le dirons ci-dessous, en parlant des terres fatiguées de rapporter du grain.

De tous les engrais, les fumiers sont ceux dont l'usage est le plus généralement reçû ; mais tous ne sont pas indifféremment propres à toutes sortes de terres. Le fumier de mouton, sur-tout celui qui est ramassé dans le fond de la bergerie, doit être reservé pour les terres froides & médiocrement fortes. Le fumier de cheval, pour les terres froides & fortes en même tems. Le fumier de vache est le meilleur engrais des terres chaudes & legeres : ces différens fumiers mêlés & consommés ensemble conviennent aux terres d'une qualité moyenne entre celles-là ; & ce sont les plus communes. Le plus chaud de tous les fumiers, est celui que donnent les pigeons ; mais il n'est jamais possible de s'en procurer beaucoup : il ne convient non plus qu'aux terres extrêmement froides. Loin d'en couvrir la terre, comme on doit faire des autres fumiers, on le seme legerement avec la main ; sa chaleur en rendroit la quantité dangereuse.

Le parcage des moutons a cela d'avantageux, que l'engrais est porté sur les terres par ces animaux mêmes. Par cette raison, il est à préférer à tous les autres pour tous les endroits éloignés de la ferme, & où la dépense des charrois seroit grande. Dans quelques provinces, les laboureurs intelligens empruntent les moutons de ceux qui ne le sont pas. Ils achetent le droit de les faire vivre pendant un certain tems sur leurs terres ; & l'abondance des recoltes est toûjours le fruit de cette location.

Une terre fumée habituellement conserve plus long-tems le principe de sa fécondité que celle qui ne l'est qu'en passant ; mais en général on ne peut guere évaluer qu'à deux ou trois ans la durée des effets du fumier. On fume ordinairement sur la jachere ; on en recueille le premier fruit par une abondante moisson de blé : celle d'avoine ou d'orge qui la suit se sent encore des bons effets de l'engrais. Après cela on laisse une année de repos à la terre, pour la façonner & la fumer de nouveau, avant de lui redemander une récolte de blé. C'est là le train commun de la culture pour la plus grande partie des terres ; mais cette année que l'on voit perdue, peut être employée dans les terres grasses par elles-mêmes, ou dans celles qui ont été bien engraissées ; on peut, on doit même y semer des pois ou de la vesce, qui donnent un fourrage excellent : ces plantes extirpent l'herbe, rendent la terre legere, sans l'épuiser beaucoup, & la disposent, peut-être mieux que les labours, à recevoir la semence du blé. Les pois ou la vesce étant recueillis, un seul labour, avec un leger engrais, devient une préparation suffisante. Une attention nécessaire dans ce cas là, & toutes les fois que l'on fume sur le dernier labour d'une jachere, c'est de n'employer que du fumier presqu'entierement consommé : s'il étoit trop crud, il tiendroit d'abord soulevées les parties de la terre ; elle s'affaisseroit ensuite pendant l'hyver, & laisseroit à découvert les racines du blé.

Si les fumiers ne sont pour les terres qu'un engrais passager, on peut dire aussi que c'est celui dont les effets sont les plus heureux & les plus sûrs. Il n'arrive presque jamais que la recolte soit mauvaise dans une terre fumée assidûement & depuis long-tems : on ne s'apperçoit pas non plus que la fermentation excitée par le fumier étant passée, les terres soient moins fertiles qu'auparavant, comme nous l'avons remarqué de la marne. Celle-ci ne fait guere que mettre en mouvement les parties de la terre ; le fumier, outre son action, augmente ses parties propres à nourrir, de toutes les siennes. On ne peut donc assez chercher les moyens de procurer à ses terres une grande quantité de cet engrais. Outre son excellence, c'est celui qui se trouve le plus aisément sous la main de tous les cultivateurs : les engrais dispendieux & dont l'effet est durable, comme est la marne, & comme pourroient être les glaises, devroient être réservés aux soins des propriétaires. Les fumiers doivent être l'objet & la ressource des fermiers, parce qu'il en retire promtement le fruit. L'augmentation du bétail entraîne celle du fumier, & les fumiers, à leur tour, procurent des recoltes qui mettent à même de nourrir une plus grande quantité de bétail. Les Anglois nous ont donné sur ce point l'exemple le plus encourageant : depuis que les pâturages artificiels ont multiplié chez eux les troupeaux & les engrais, leurs moissons sont augmentées à un point dont on douteroit, si l'on pouvoit se refuser aux témoins qui en font foi. Nous le savons ; & les moyens qui ont été employés sont connus de tout le monde : mais l'ignorance est moins à craindre dans ce genre, que la langueur. Un souffle de vie répandu sur la pratique pénible de ce qu'on sait, développeroit des connoissances qui ne sont étouffées que par le peu d'intérêt qu'on trouve à les employer. Dans tous les arts, une routine languissante est le partage du plus grand nombre des praticiens : l'activité & l'industrie en distinguent quelques-uns ; & ce sont elles qui paroissent multiplier les ressources entre leurs mains. Il en est ainsi dans l'Agriculture : un laboureur attentif trouvera des moyens d'engraisser ses terres, qui, quoique rarement employés, n'en sont pas moins connus de tout le monde ; & son exemple ne réveillera peut-être pas la stupidité de ses voisins.

La marne ne convient pas à toutes les terres ; l'engrais des fumiers est nécessairement borné ; certaines terres n'acquerreroient avec beaucoup de dépense, qu'une fécondité médiocre. Il suppléera de différentes manieres au défaut des fumiers. Nous avons dit que le mélange des terres étoit excellent. La campagne en offre quelquefois des monceaux qui restent inutiles par la négligence des Laboureurs. On cherche de l'or en fouillant dans le sein de la terre : on y trouveroit des richesses plus réelles, en répandant sur la superficie la plus grande partie des terres que l'on tire du fond. Toutes, excepté le sable pur, deviennent d'excellens engrais ; celles même qui paroissent stériles, comme la craie, ont leur utilité. Sur les terres froides elle fait presque l'effet de la marne : des parties de ruines, celles qui peuvent se dissoudre feront le même effet sur les mêmes terres, & les fertiliseront pendant quelques années. Tout le monde sait que ces amas d'ordures qui incommodent les villes peuvent enrichir les campagnes : il faut seulement que ceux qui les employent les laissent fermenter en dépôt pendant quelques tems, avant de les répandre sur les terres. Il est nécessaire aussi, dans l'usage de cet engrais, de multiplier les labours. Il contient les graines d'une infinité de plantes qui couvriroient la terre si on ne les arrêtoit pas. Outre les choses qui sont communes à tous les pays, il en est quelques-unes qui sont particulieres à chaque endroit. Toutes les cendres, celles de tourbe, celles de charbon de terre, celle de bruyere, sont d'excellens engrais. Dans quelques provinces on brûle la terre même, ou du moins le gazon qui la couvre ; & la pratique en a des effets très-heureux. Le marc d'olives est une ressource dans les pays où elles croissent. On peut dire en général que les secours ne manquent guere à l'activité qui les cherche & à l'industrie qui les fait valoir. Les plus mauvaises terres ne seront pas toûjours incultes pour l'homme intelligent. Leur défrichement lui donnera, pendant plusieurs années, des récoltes assez bonnes, au moins en menus grains ; si elles ont un peu de fond, il prolongera cette fécondité par la culture ; si elles en manquent, il attendra qu'un nouveau repos leur ait donné de nouvelles forces. Il y a des lieux où l'on ne fait rapporter les terres que tous les deux ans ; mais cette oisiveté périodique est un grand mal, & ne peut être envisagée comme une ressource que quand toutes les autres manquent. Nous avons dit qu'il y en avoit une également sûre & avantageuse pour les bonnes terres épuisées, savoir le changement de plantes. Nous sommes bien éloignés de vouloir décider ici si les plantes se nourrissent indifféremment de tous les sucs ; ou si avec beaucoup de principes communs, chaque plante n'en a pas de particuliers qui ne passent jamais dans d'autres. Nous savons seulement que les plantes qui vont chercher leur nourriture à une grande profondeur, comme la luzerne, le sainfoin, le treffle, servent de repos & d'engrais à la terre fatiguée de rapporter du grain. Ces plantes donnent beaucoup d'herbe, & d'une herbe excellente pour les bestiaux. La luzerne demande une terre qui ait beaucoup de fond, & elle y dure jusqu'à 15 ans. Le sainfoin exige moins de profondeur, & ne va guere jusqu'à dix ans. Le treffle ne dure tout au plus que 3 ans : aussi ne le seme-t-on ordinairement qu'avec de la graine de luzerne. Il donne de l'herbe pendant que celle-ci croît en racines, & il meurt lorsqu'elle devient en état de produire. Le tems étant arrivé auquel ces plantes commencent à languir, on défriche la terre, & elle est améliorée. Sa vigueur est telle qu'il faut prendre les mêmes précautions que pour une terre marnée, & y faire deux ou trois récoltes d'avoine consécutives, avant que d'y semer du blé.

Voilà tout ce qu'il est essentiel de savoir sur l'engrais des terres. Les prés méritent une attention particuliere ; ils en ont qui leur sont spécialement propres. Les prés sur lesquels on peut détourner l'eau des rivieres, trouvent dans cette eau seule un engrais plus sûr & meilleur qu'aucun autre. Il est surtout excellent, si cette eau est un peu limoneuse. On la répand ordinairement vers le 15 d'Avril pour la premiere fois, & dans les premiers jours de Mai pour la seconde. On ne fait alors qu'arroser les prés ; mais il n'est pas inutile de les noyer tout-à-fait pendant l'hyver, & d'y laisser séjourner l'eau pendant quelques jours. Cette précaution fait périr entierement les taupes, les mulots, & tous les insectes qui nuisent à la racine de l'herbe. Il ne faut cependant jamais risquer cette inondation sans être sûr de pouvoir retirer l'eau dès qu'on le voudra. Loin de féconder les prés, elle les détruiroit par un trop long séjour. Il est si peu dispendieux de procurer cet engrais aux prés voisins des rivieres, que c'est un soin rarement négligé. Arroser les prés, c'est les fertiliser sûrement : retirer l'eau d'un grand nombre de marais, ce seroit en faire sûrement des prés fertiles ; mais cette opération exige ordinairement beaucoup plus de dépense & d'industrie que l'autre. Dans les lieux où cela est facile, on ne peut que conseiller aux particuliers de s'y prêter. Dans ceux où l'objet seroit important & l'opération trop dispendieuse, un avantage aussi sûr mériteroit peut-être l'attention & le concours du gouvernement. Nous avons fait sentir l'influence que les paturages ont sur toute l'agriculture, par la multiplication des troupeaux & des engrais. Souvent une seule chaussée pourroit faire d'un marais inutile & malsain, une prairie féconde & un étang bien empoissonné.

Les prés ont cet avantage sur les terres, que l'engrais est la seule culture qu'ils demandent. Dans tous les lieux voisins des grandes villes, où la consommation des fourrages est sûre, on les regarde comme précieux ; mais ils le sont aussi dans les endroits les plus reculés, par toutes les ressources que fournit le bétail qu'ils nourrissent.

Les terres de toute espece, excepté le sable pur, sont un très bon engrais pour les prés. Nous n'entendons parler ici que des terres proprement dites ; il n'est pas d'usage d'y répandre de la marne ni de la craie. Nous croyons cependant que dans les prés extrêmement froids, ces deux engrais mis en petite quantité pourroient réussir ; mais nous n'avons pas d'expériences là-dessus. Le parcage des moutons est excellent dans les prés un peu froids, & le fumier de vache dans ceux qu'on appelle haut-prés. Le parcage qui comme nous l'avons dit est très-utile aux terres, nous paroît avoir encore du côté de l'abondance un meilleur effet pour les prés. Nous disons du côté de l'abondance, parce que tous les fumiers, & sur-tout celui des moutons, donnent la premiere année au fourrage une odeur & un goût qui rebute le bétail au premier abord ; mais il s'y accoûtume peu-à-peu. L'abondance doit d'ailleurs être le premier & peut-être le seul objet des cultivateurs. En voilà assez pour que l'on soit instruit de l'importance dont les engrais sont dans l'agriculture, & de la maniere dont ils doivent être employés. Les jardins de fleurs, les potagers, les serres où l'on force un grand nombre de plantes à croître sous un ciel étranger, ont aussi des préparations d'engrais qui leur sont propres ; mais nous n'entrerons point ici dans les détails de cette culture particuliere. Cet article est de M. le Roy, lieutenant des chasses de Versailles.


ENGRAISSERENGRAISSER


ENGRELÉad. en terme de Blason, se dit des pieces honorables de l'écu, qui sont bordées de petites dents fort menues dont les côtés s'arrondissent un peu. Gadagne à Florence, de gueules à la croix engrêlée d'or.


ENGRELURES. f. (Dentelle) C'est ainsi qu'on appelle le pié de la dentelle. L'engrelure se fait en même tems que la dentelle. Voyez l'art. DENTELLE.

On donne le même nom à une espece d'ouvrage qui se fait comme la dentelle au fuseau, avec le fil de Malines & sur le coussin, qui a depuis la largeur la plus petite jusqu'à la plus grande de la dentelle.

On se sert de cette derniere engrelure, soit pour redonner un pié à la dentelle lorsqu'elle passe par cet endroit, soit pour lui servir de monture, soit pour unir deux dentelles, &c.


ENGRENAGES. m. (Horlogerie) en général, signifie en méchanique la maniere dont les dents d'une roue entrent dans les aîles d'un pignon, & dont elles agissent sur ces aîles pour le faire tourner. V. DENT, ROUE, PIGNON, AILE, &c.

C'est une chose d'une grande importance dans les machines, que la perfection des engrenages. Car s'ils ne sont pas faits avec précision, il en résulte de grands frottemens, beaucoup d'usure, & quelquefois même des arrêts. Comme ceci est traité plus au long à l'article DENT, nous y renvoyons.

Deux grands défauts qu'on doit éviter dans un engrenage, c'est qu'il soit trop fort ou trop foible. Dans le premier cas, les dents de la roue sont sujettes à quoter, c'est-à-dire, que les deux pointes de deux dents voisines vont toucher les deux faces opposées des deux aîles du pignon ; de sorte que ni la roue ni le pignon ne peuvent se mouvoir. Dans le second, les extrémités des aîles du pignon sont sujettes à toucher & à arcbouter lorsqu'elle se présente à la dent qui les doit pousser ; d'où il résulte très-souvent des arrêts : il est à propos même de remarquer que c'est le défaut le plus ordinaire des engrenages. Ces deux défauts ont encore un autre inconvénient ; c'est qu'il est impossible que la roue mene le pignon uniformément, avantage très-important dans un engrenage ; car sans cela, dans une montre par exemple, les roues agissant sur les pignons, tantôt plus, tantôt moins avantageusement ; on est forcé d'employer une puissance capable de vaincre les résistances des frottemens, &c. dans les cas les plus desavantageux de l'action des roues sur les pignons, & par conséquent supérieure, & quelquefois de beaucoup, à celle que l'on auroit employée si cette action s'étoit faite uniformément. Voyez CHUTE, ENGRENER.

Les engrenages sont sujets à varier, & surtout à devenir plus foibles, par l'usure des trous dans lesquels roulent les pivots des roues & des pignons ; mais c'est à quoi on doit tâcher de remedier par la disposition respective de ces roues. V. CALIBRE. (T)

* ENGRENAGE, machine à (Horlogerie) C'est une machine à l'aide de laquelle on résout avec facilité le problème qui auroit l'énoncé suivant. Une roue à dent étant donnée de position, trouver tous les points sur lesquels le centre d'une autre roue étant placé, elles feront l'une avec l'autre un engrenage déterminé.

Voyez cet instrument parmi ceux de l'Horlogerie, fig. 75. les parties A B b a, A B b a, sont assemblées & se meuvent librement sur l'axe B b qui les traverse ; elles forment toujours dans quelque position qu'elles soient deux angles égaux A A B, a a b. Les baguettes de fer ou parties C c, & C c, sont paralleles & mobiles horisontalement. Pour résoudre le problème, soit le pignon d pris entre les baguettes c c ; ouvrez l'angle A A B à discrétion ; prenez la roue D entre les baguettes C, C ; rendez les baguettes immobiles, par le moyen des vis A, A, a, a ; refermez l'angle A A B jusqu'à-ce que la roue D fasse avec le pignon d, ou le pignon d avec la roue D, l'engrenage cherché. Fixez alors l'angle A A B, en serrant la vis E sur le quart du cercle qui traverse les branches a b, a b. Cela fait, portez l'extrémité C sur un plan en quelque point donné ; & de ce point C comme centre, & de l'intervalle C c, décrivez avec l'extrémité c une circonférence. Il est évident que si le centre du pignon d est placé sur cette circonférence en quelque point que ce soit, il formera l'engrenage cherché avec la roue D donnée de position. Ou du point c donné sur un plan, du centre c & de l'intervalle C c, décrivez avec l'extrémité C une circonférence. Il est évident que si le centre de la roue D est placé sur cette circonférence en quelque point que ce soit, elle formera l'engrenage cherché avec le pignon d ; qui dans ce cas est donné de position.


ENGRENERENGRENER

ENGRENER, voyez ENGRAINER.

ENGRENER, v. neut. (Horlogerie) se dit en méchanique, de la maniere dont les dents d'une roue entrent dans les aîles d'un pignon, & de celle dont elles agissent sur ces aîles pour le faire tourner. Voyez ROUE, DENT, PIGNON, AILE, ENGRENAGE, MACHINE A ENGRENAGE, &c.

On dit qu'une roue engrene trop lorsque la quantité dont ses dents entrent dans les aîles de son pignon est trop grande : & au contraire qu'elle n'engrene pas assez lorsque cette quantité est trop petite. Voyez ENGRENAGE, DENT, &c. (T)


ENGROSSIRv. act. en terme de Boyaudier. C'est l'action d'assembler les cordes à boyau en paquets de douze douzaines chacun.


ENGUAMBAS. m. (Hist. nat. botan.) arbre qui croît dans l'Amérique septentrionale, dans la province de Mechoacan, dans un terrein pierreux : ses feuilles sont longues & découpées ; les fleurs en sont verdâtres & attachées les unes aux autres en bouquets ; le fruit est noir & plein de graine dont on tire une huile d'une couleur jaune très-propre à la guérison des playes. Hubner, dictionn. universel.


ENGUICHÉadj. terme de Blason. Il se dit du col & des trompes dont l'embouchure est d'un émail différent.

Base en Danemark, d'azur à la fasce d'argent, chargée d'un cors de chasse de synople, lié, virolé & enguiché d'or.


ENGUICHURES. f. (Vénerie) c'est l'entrée de la trompe.


ENGYSCOPES. m. (Optique) machine qui est plus connue sous le nom de microscope. Ce mot vient des mots grecs , je vois, & proche, parce que l'engyscope ou microscope sert à faire distinguer des objets fort petits qu'on ne verroit pas à la vûe simple, & qu'on approche de l'oeil en mettant l'engyscope ou la loupe entre deux.

Il semble que le télescope ou lunette d'approche qui sert à rapprocher les objets, mériteroit encore mieux le nom d'engyscope que le microscope. Au reste ce mot n'est presque plus en usage. V. LOUPE, MICROSCOPE, TELESCOPE. (O)


ENHARMONIQUEadj. pris subst. (Musique) un des trois genres de la musique des Grecs, appellé aussi très-fréquemment harmonie par Aristoxene & ses sectateurs.

Il résultoit d'une division particuliere des tétracordes, selon laquelle l'intervalle qui se trouvoit entre le lichanos ou la troisieme corde, & la mese ou la quatrieme, étant d'un diton ou d'une tierce majeure, il ne restoit pour achever le tétracorde qu'un semi-ton à partager en deux intervalles ; savoir, de l'hypate à la parypate, & de la parypate au lichanos. Nous expliquerons au mot GENRE, la maniere dont se faisoit cette division.

Le genre enharmonique étoit le plus doux des trois au rapport d'Aristide Quintilien ; il passoit pour très-ancien, & la plûpart des auteurs en attribuent l'invention à Olympe. Mais son tétracorde, ou plûtôt son diatessaron de ce genre, étoit composé seulement de trois cordes ; & ce ne fut qu'après lui qu'on s'avisa d'en insérer une quatrieme entre les deux premieres, pour faire la division dont je viens de parler.

Ce genre si merveilleux, si loüé des anciens auteurs, ne demeura pas long-tems en vigueur. Son extrême difficulté le fit bientôt abandonner des musiciens, & Plutarque témoigne que de son tems il étoit entierement hors d'usage.

Nous avons aujourd'hui une espece de genre enharmonique entierement différent de celui des Grecs. Il consiste comme les deux autres, dans une progression particuliere de l'harmonie qui engendre dans les parties des intervalles enharmoniques, en employant à la fois, entre deux notes qui sont à un ton l'une de l'autre, le dièse de l'inférieure & le bémol de la supérieure. Mais quoique selon la rigueur des rapports, ce dièse & ce bémol dûssent former un intervalle entr'eux, cet intervalle se trouve nul, au moyen du tempérament, qui dans le système établi, fait servir le même son à ces deux usages : ce qui n'empêche pas qu'un tel passage ne produise par la force de la modulation & de l'harmonie, une partie de l'effet qu'on cherche dans les transitions enharmoniques.

Comme ce genre est assez peu connu, & que nos auteurs se sont contentés d'en donner quelques notions trop générales, nous croyons devoir l'expliquer ici un peu plus clairement.

Il faut d'abord remarquer que l'accord de septieme diminuée, est le seul sur lequel on puisse pratiquer des passages enharmoniques, & cela, en vertu de cette proprieté singuliere qu'il a de diviser juste l'octave entiere en quatre intervalles égaux. Qu'on prenne dans les quatre sons qui composent cet accord celui qu'on voudra pour fondamental, on trouvera toûjours également que les trois autres sons forment sur celui-ci un accord de septieme diminuée. Or le son fondamental de l'accord de septieme diminuée est toûjours une note sensible, de sorte que sans rien changer à cet accord, on pourroit le faire servir successivement sur quatre différentes fondamentales, c'est-à-dire sur quatre différentes notes sensibles.

Supposons l'accord sur ut dièse dans le ton naturel de ré : car cet accord ne peut avoir lieu que dans le mode mineur ; supposons, dis-je, l'accord de septieme diminuée sur ut dièse note sensible : si je prens la tierce mi pour fondamentale, elle deviendra note sensible à son tour, & annoncera par conséquent le mode mineur de fa : or cet ut dièse reste bien dans l'accord pris de cette maniere, mais c'est en qualité de ré bémol, c'est-à-dire, de sixieme note du ton, & de septieme diminuée de la note sensible ; ainsi cet ut dièse qui, comme note sensible, étoit obligé de monter dans le ton de ré, devenu ré bémol dans le ton de fa, est obligé de descendre comme septieme diminuée : voilà une transition enharmonique. Si au lieu de la tierce, on prend la fausse quinte sol, dans le même accord, pour nouvelle note sensible, l'ut dièse deviendra encore ré bémol en qualité de quatrieme note : autre passage enharmonique. Enfin si l'on prend pour note sensible la septieme diminuée elle-même au lieu de si bémol, il faudra nécessairement la considerer comme la dièse, ce qui fait un troisieme passage enharmonique sur le même accord.

A la faveur donc de ces deux différentes manieres d'envisager successivement le même accord, on passe d'un ton à un autre qui en paroît fort éloigné, on donne aux parties des progrès différens de celui qu'elles auroient dû avoir en premier lieu ; & ces passages ménagés à propos sont capables, non-seulement de surprendre, mais de ravir l'auditeur quand ils sont bien rendus ; le mal est qu'il faut changer si brusquement d'idées sur les mêmes notes, & les appliquer à des modulations si différentes, à des rapports si éloignés, que ce genre paroît absolument impraticable pour les voix telles qu'elles sont dressées par la musique d'aujourd'hui. C'est du moins de quoi l'on a vû il y a plusieurs années, un exemple mémorable à l'opera de Paris. (S)

Quart de ton enharmonique. On appelle ainsi la différence du semi-ton majeur 15/16 au semi-ton mineur 24/25 ; ou pour parler plus exactement, quoique d'une maniere différente des musiciens ordinaires, c'est le rapport de 15/16 à 24/25, c'est-à-dire, de 125 à 128. Voici comment on forme ce quart de ton. Soit la basse fondamentale par tierces majeures, ut, mi, sol , & au-dessus d'elle ce chant ut, mi, si , on trouvera que le si differe de l'ut d'un quart de ton enharmonique. Voyez mes élemens de musique, p. 87.

M. Rameau observe 1°. que le genre diatonique, qui est le plus simple & le plus facile de tous, vient de la progression de la basse fondamentale par quintes, progression qui est en effet la plus simple & la plus immédiatement indiquée par la nature. Voyez ECHELLE, DIATONIQUE & GAMME.

2°. Que le genre chromatique ou le semi-ton mineur qui est le plus simple après le précédent, vient de la progression de la basse fondamentale par tierces majeures, progression aussi indiquée par la nature, mais moins naturelle néanmoins que la progression par quintes. V. HARMONIE. En effet, si on forme cette basse fondamentale ut mi, on pourra mettre au-dessus ce chant sol sol , qu'on trouvera former un semi-ton mineur. 3°. enfin le genre enharmonique le moins naturel des trois, a son origine dans une basse ut mi sol , dont les deux extrêmes ut, sol , qui donnent le quart de ton enharmonique, forment une progression non naturelle. (O)

Diatonique enharmonique. On appelle ainsi un chant qui procede par une suite de semi-tons tous majeurs, qui se succedent immédiatement ; ce chant est diatonique parce que chaque semi-ton y est majeur (Voyez DIATONIQUE & CHROMATIQUE) ; & il est enharmonique, parce que deux semi-tons majeurs de suite forment un ton trop fort d'un quart de ton enharmonique. Pour former cette espece de chant il faut faire une basse fondamentale qui monte alternativement de quinte & de tierce, comme fa ut mi si, & cette basse donnera le chant fa mi mi ré , où tous les semi-tons sont majeurs. Une partie du trio des Parques de l'opéra d'Hyppolite est dans ce genre ; mais il n'a jamais pû être exécuté à l'opéra ; il l'avoit été ailleurs par des musiciens très-habiles & de bonne volonté, & M. Rameau assure que l'effet en est surprenant. (O)

Chromatique enharmonique. On appelle ainsi un chant qui procede par une suite de semi-tons mineurs, qui se succédent immédiatement. Ce chant est chromatique, parce que chaque semi-ton y est mineur (V. CHROMATIQUE) ; il est enharmonique, parce que les deux semi-tons mineurs consécutifs forment un ton trop foible d'un quart de ton enharmonique. Pour former cette espece de chant, il faut avoir une basse fondamentale composée de tierces mineures & majeures en cette sorte, ut ut la ut ut , & mettre au dessus ce chant mi , mi mi mi mi ; on trouvera par le calcul que mi mi, mi, mi, mi forment des semi-tons mineurs. M. Rameau nous apprend qu'il avoit fait dans ce genre de musique un tremblement de terre au second acte des Indes galantes en 1735, mais qu'il fut si mal servi qu'il fut obligé de le changer en une musique commune. Voyez mes Elémens de Musique, p. 91, 92, 93, & 116. (O)


ENHARNACHERHARNACHER, (Manege, Maréchall.) mettre les harnois sur le corps d'un cheval ; expressions synonymes. V. HARNACHER. (e)


ENHENDÉadj. terme de Blason. On appelle croix enhendée celle dont le pié est enhendé, c'est-à-dire refendu, du mot espagnol enhendido, qui signifie la même chose. Ces croix à refente sont communes en Allemagne.


ENHUCHE(Marine) Voyez HUCHE.


ENHYDRUSS. m. (Hist. natur. Minéralogie) Ce mot est composé de , in, & de , aqua : quelques naturalistes désignent par ce mot une aetite ou pierre d'aigle qui contient de l'eau. L'enhydrus est donc une pierre qui ressemble parfaitement aux autres pierres d'aigle qui sont ferrugineuses ; elle est de différentes grandeurs & varie pour la figure, est composée de plusieurs couches ou enveloppes appliquées les unes sur les autres ; les couches extérieures sont d'un jaune d'ochre ; la couche qui tapisse l'intérieur est presque toûjours noirâtre, & plus compacte que les couches extérieures. Lorsqu'on casse cette pierre, on trouve qu'elle a une cavité comme les autres aetites ; avec cette différence, qu'il en sort une liqueur qui est ordinairement épaisse, & quelquefois blanchâtre comme de la creme, dont elle a à peu-près la consistance : mais ce cas est rare ; elle est plus communément d'un blanc bleuâtre ou limpide, lorsqu'elle n'a point été salie par la matiere ochracée dont la pierre est composée ; cette liqueur est souvent entierement insipide, cependant elle a quelquefois un goût ferrugineux & astringent, & même nauséeux. Il y a de ces pierres en Angleterre & ailleurs. (-)


ENIGMES. m. & plus souvent f. (Litter. Poésie) c'étoit chez les anciens une sentence mystérieuse, une proposition qu'on donnoit à deviner, mais qu'on cachoit sous des termes obscurs, & le plus souvent contradictoires en apparence. L'énigme parmi les modernes, est un petit ouvrage ordinairement en vers, où sans nommer une chose, on la décrit par ses causes, ses effets & ses propriétés, mais sous des termes & des idées équivoques pour exciter l'esprit à la découvrir.

Souvent l'énigme est une suite de comparaisons qui caractérisent une chose, par des noms tirés de plusieurs sujets différens entr'eux, qui ressemblent à celui de l'énigme chacun à sa maniere, & par des rapports particuliers. Quelquefois pour la rendre plus difficile à deviner, on l'embarrasse, en mêlant le style simple au style figuré, en empruntant des métaphores, ou en personnifiant exprès le sujet de l'énigme afin de donner le change.

En général, pour constituer la bonté de nos énigmes modernes, il faut que les traits employés ne puissent s'appliquer tous ensemble qu'à une seule chose, quoique séparément ils conviennent à plusieurs.

Je ne m'arrêterai pas à rapporter les autres regles qu'on prescrit dans ce jeu littéraire, parce que mon dessein est bien moins d'engager les gens de Lettres à y donner leurs veilles, qu'à les détourner de semblables puérilités. Qu'on ne dise point en faveur des énigmes, que leur invention est des plus anciennes, & que les rois d'Orient se sont fait très-long-tems un honneur d'en composer & d'en résoudre, je répondrois que cette ancienneté même n'est ni à la gloire des énigmes, ni à celle des rois orientaux.

Dans la premiere origine des langues, les hommes furent obligés de joindre le langage d'action à celui des sons articulés, & de ne parler qu'avec des images sensibles. Les connoissances aujourd'hui les plus communes étoient si subtiles pour eux, qu'elles ne pouvoient se trouver à leur portée qu'autant qu'elles se rapprochoient des sens. Ensuite, quand on étudia les propriétés des êtres pour en tirer des allusions, on vit paroître les paraboles & les énigmes, qui devinrent d'autant plus à la mode, que les sages ou ceux qui se donnoient pour tels, crurent devoir cacher au vulgaire une partie de leurs connoissances. Par-là, le langage imaginé pour la clarté fut changé en mysteres : le style dans lequel ces prétendus sages renfermoient leurs instructions, étoit obscur & énigmatique, peut-être par la difficulté de s'exprimer clairement ; peut-être aussi à dessein de rendre les connoissances d'autant plus estimables qu'elles seroient moins communes.

On vit donc les rois d'Orient mettre leur gloire dans les propositions obscures, & se faire un mérite de composer & de résoudre des énigmes. Leur sagesse consistoit en grande partie dans ce genre d'étude. Un homme intelligent, dit Salomon, parviendra à comprendre un proverbe, à pénétrer les paroles des sages & leurs sentences obscures. C'étoit chez eux l'usage pour éprouver leur sagacité, de se présenter ou de s'envoyer les uns aux autres des énigmes, & d'y attacher des peines & des récompenses.

Entre plusieurs exemples que je pourrois alléguer, je n'en rapporterai qu'un seul, tiré de l'Ecriture-sainte, & je me servirai de la traduction des théologiens de Louvain, quoiqu'en vieux langage, parce que je n'ai présentement que cette traduction sous les yeux. Voici les propres paroles du Texte sacré, chap. xjv du livre des Juges, vers. 12 & suivans.

Samson dit : Je vous proposerai quelques propositions : que si vous me baillez la solution dedans les sept jours du convive, je vous donnerai trente fines chemises, & autant de robes.

Vers. 13. Mais si vous ne pouvez me bailler la solution, vous me donnerez trente fines chemises, & autant de robes. Lesquels lui répondirent : Propose ta proposition, afin que l'oyons.

Vers. 14. Et il leur dit : De celui qui mangeoit est sorti la viande, & du fort est venu la douceur. Et ne purent par trois jours donner la solution de la proposition.

Vers. 15. Et quand le septieme jour fut venu ; ils dirent à la femme de Samson : Flatte ton mari, & lui persuade qu'il te déclare quelle chose signifie la proposition.

Vers. 17. Et ainsi tous les jours du convive, elle pleuroit devant lui ; & finalement au septieme jour, comme elle le molestoit, il lui exposa : laquelle incontinent le fit savoir à ceux de son peuple.

Vers. 18. Et iceux lui dirent au septieme jour devant le soleil couchant : Quelle chose est plus douce que le miel, & quelle chose est plus forte que le lion ? Lors Samson leur dit : Si vous n'eussiez labouré avec ma génisse, vous n'eussiez point trouvé ma proposition.

Un savant Jurisconsulte met cet énigme au rang des gageures, en matiere de jeux d'esprit ; & il pourroit bien avoir raison, car il y a une stipulation de part & d'autre, de trente fines chemises, & autant de robes. Cependant les Philistins agirent de mauvaise foi, en obligeant la femme de Samson de tirer de la bouche de son mari l'explication de l'énigme, & à la leur apprendre, au lieu de la deviner par eux mêmes.

Au reste, dans notre siecle, l'énigme proposée par Samson ne seroit point dans les regles, parce qu'elle ne rouloit pas sur une chose ordinaire, ou un évenement commun, mais sur un fait particulier ; c'est à-dire sur un de ces cas qu'il est ordinairement presque impossible de deviner.

Quoi qu'il en soit, dans ce tems-là on n'étoit pas si scrupuleux ; on ne cherchoit qu'à attraper ceux à qui on présentoit des énigmes à expliquer : & c'est un fait si vrai, que l'intelligence des énigmes, ou des sentences obscures, devint un proverbe parmi les Hébreux, pour signifier l'adresse à tromper, comme on le peut conclure du portrait que Daniel fait d'Antiochus Epiphanes. " Lorsque les iniquités se seront accrues, dit-il, il s'élevera un roi qui aura l'impudence sur le front, & qui comprendra les sentences obscures ".

Le voile mystérieux de cette sorte de sagesse la rendit, comme il arrivera toûjours, le plus estimé de tous les talens : c'est pourquoi dans un pseaume, où il s'agit d'exciter fortement l'attention, le psalmiste débute en ces termes : " Vous peuples, écoutez ce que je vais dire. Que tous les habitans de la terre, grands & petits, riches & pauvres, prêtent l'oreille ; ma bouche publiera la sagesse.... je découvrirai sur la harpe mon énigme ".

Outre les causes que nous avons rapportées, qui contribuerent à conserver long-tems les énigmes en vogue, je croirois volontiers que l'usage des hyéroglyphes y concourut aussi pour beaucoup : en effet, quand on vint à oublier la signification des hyéroglyphes, on perdit peu-à-peu, quoique très-lentement, l'usage des énigmes.

Enfin elles disparurent, lorsqu'on devoit le moins s'y attendre ; je veux dire, dans le xvij. siecle : & ce n'est pas, ce me semble, par cet endroit qu'il mérite le plus qu'on le vante. Il est vrai qu'on habilla pour lors en Europe les énigmes avec plus d'art, de finesse & de goût, qu'elles ne l'avoient été dans l'Asie : on les soûmit, comme tous les autres poëmes, à des lois & à des regles étroites, dont le pere Menestrier même a publié un traité particulier. Mais quelque décoration qu'on ait donnée aux énigmes, elles ne seront presque jamais que de folles dépenses d'esprit, des jeux de mots, des écarts dans le langage & dans les idées.

Les gens de lettres un peu distingués du siecle passé, qui ont eu la foiblesse de donner dans cette mode, & de se laisser entraîner au torrent, seroient bien honteux aujourd'hui de lire leurs noms dans la liste de toutes sortes de gens oisifs, & de voir qu'un tems a été qu'ils se faisoient un honneur de deviner des énigmes ; & plus encore d'annoncer à la France, qu'ils avoient eu assez d'esprit pour exprimer, sous un certain verbiage, sous un jargon mystérieux & des termes équivoques, une flûte, une fleche, un éventail, une horloge.

Mais il faut bien se garder de confondre de telles inepties, avec les énigmes d'un autre genre ; j'entends ces fameux problèmes de la Géométrie transcendante, qui, sur la fin du même siecle, exercerent des génies d'un ordre supérieur. La solution de ces dernieres sortes d'énigmes peut avoir de grands usages ; elle demande du moins beaucoup de sagacité, & prouve qu'on s'est rendu familiere la connoissance de cette Géométrie sublime, dont Newton a la gloire d'être le premier inventeur. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENISKILLING(Géog. mod.) ville de la Province d'Ulster en Irlande ; elle appartient au comte de Fermanagh : elle est située sur le lac Earne. Long. 9. 55. lat. 54. 18.


ENJABLERv. act. terme de Tonnellier. C'est enfoncer les futailles ou y mettre des fonds, en arrêtant les douves d'enfonçures dans la rainure qui regne tout autour du jable en dedans. Voyez JABLE.


ENJALERENJALER


ENJAMBEMENTS. m. (Poésie) construction vicieuse, principalement dans les vers alexandrins. On dit qu'un vers enjambe sur un autre, lorsque la pensée du poëte n'est point achevée dans le même vers, & ne finit qu'au commencement ou au milieu du vers suivant. Ainsi ce défaut existe toutes les fois qu'on ne peut point s'arrêter naturellement à la fin du vers alexandrin, pour en faire sentir la rime & la pensée, mais qu'on est obligé de lire de suite & promtement l'autre vers, à cause du sens qui est demeuré suspendu. Les exemples n'en sont pas rares : en voici un seul.

Craignons qu'un Dieu vangeur ne lance sur nos têtes

La foudre inévitable.

Il y a ici un enjambement, parce que le sens ne permet pas qu'on se repose à la fin du premier vers.

Ce n'est pas assez d'éviter l'enjambement d'un vers à l'autre, il faut de plus éviter d'enjamber du premier hémistiche au second, c'est-à-dire, que si l'on porte un sens au-delà de la moitié du vers, il ne faut pas l'interrompre avant la fin, parce qu'alors le vers paroît avoir deux repos & deux césures, ce qui est très-desagréable. Il est encore bien moins permis d'enjamber d'une stance à l'autre. Voyez les auteurs sur la versification françoise.

Mais si l'enjambement est défendu dans les vers alexandrins, comme nous venons de le dire, il est autorisé dans les vers de dix syllabes, & il y produit même quelquefois un agrément, parce que cette espece de vers faite pour la poésie familiere souffre quelques licences, & ne veut pas être assujettie à une trop grande gêne.

Les poëtes du siecle passé ne s'embarrassoient guere de laisser enjamber leurs vers les uns sur les autres ; c'est à Malherbe le premier à qui l'on doit la correction de ce défaut de la versification. Par ce sage écrivain, par ce guide fidele, dit Despréaux,

Les Stances avec grace apprirent à marcher,

Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber.

Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENJOLIVERv. act. (Arts méchaniques) c'est répandre sur le fond d'un ouvrage de petits ornemens qui lui ôtent sa lourdeur & sa simplicité.


ENKAFATRAHES. m. (Hist. nat. bot.) c'est le nom d'un arbre qui se trouve dans l'île de Madagascar, dont le bois est verdâtre & rempli de veines ; on dit qu'il répand une odeur fort agréable & semblable à celle de la rose. On prétend qu'en l'écrasant sur une pierre avec de l'eau, & appliquant ce mêlange extérieurement sur le coeur ou sur la poitrine, c'est un remede souverain contre les foiblesses & palpitations. Hubner, dictionn. universel.


ENKISTÉÉE, adj. terme de Chirurgie, ce qui est renfermé dans un kiste, c'est-à-dire dans une membrane ou issue en forme de poche. On appelle tumeurs enkistées, abcès enkistés, des tumeurs & des abcès qui sont enveloppés d'une membrane : tels sont l'athéome, le méliceris, le stéatome, &c. Ce mot est formé du grec , in, en, dans, & de , cystis, sac, vessie.

La membrane qui fait cette poche n'est pas nouvellement formée dans la partie, comme on pourroit le déduire de la théorie de quelques auteurs sur cette maladie. On connoît un tissu folléculeux qui sépare toutes les parties les unes des autres, & qui en est le lien. S'il se fait un amas contre nature d'une humeur quelconque dans une de ces cellules, par son accroissement il étendra les parois de cette cellule, & les collera aux parois membraneuses des cellules circonvoisines qu'il oblitérera. C'est ainsi que commence le kiste, toûjours formé par la cohérence de plusieurs feuillets de la membrane cellulaire. A mesure que la tumeur augmente, la poche membraneuse s'épaissit par la réunion d'un plus grand nombre de feuillets. Le kiste est formé de la substance préexistente de la partie. Ces connoissances justifient le dogme pratique des anciens. L'expérience, qui est la même dans tous les siecles aux yeux des bons observateurs, leur avoit montré que pour la guérison de ces sortes de tumeurs, il ne falloit pas se contenter de les ouvrir, mais qu'il falloit extirper la poche ou sac qui renfermoit la matiere. Pour y parvenir, on fait communément une incision cruciale aux tégumens de la tumeur ; on les disseque sans intéresser le kiste, qu'on emporte en totalité, s'il est possible. Ses adhérences à quelques parties qu'il seroit important de ménager, est une raison pour s'abstenir d'une dissection trop recherchée. Alors on attend de la suppuration, la chûte ou plûtôt le détachement de la portion membraneuse qui reste du kiste. Quand les humeurs enkistées sont d'un volume considérable, l'extirpation, suivant la méthode décrite, feroit une plaie énorme. Si le kiste n'est pas trop épais, on peut, par un procédé plus doux, se contenter de fendre la tumeur des deux côtés, & de passer une bandelette de linge effilé en forme de séton, d'une ouverture à l'autre, pour conduire dans tout le trajet les médicamens nécessaires pour faire suppurer le kiste.

Il y a des pierres enkistées dans la vessie. M. Houstet de l'académie royale de Chirurgie, a donné dans le premier volume des mémoires de cette compagnie des observations particulieres qu'il a jointes à celles qui avoient été communiquées précédemment à l'académie, sur cette matiere. L'existence de ces sortes de pierres est constatée ; & l'auteur rend son mémoire aussi utile qu'il est curieux, en traitant des opérations qu'on peut tenter, & de celles qui ont été pratiquées pour faire l'extraction de ces pierres.

La fig. 4. de la Planche V. de Chirurgie représente une vessie ouverte par sa partie antérieure, derriere les os pubis qui sont renversés en-devant : on y voit une pierre logée dans une cellule formée par la membrane interne de la vessie. (Y)


ENLARMERv. act. (Chasse & Pêche) On dit, enlarmer un filet ; c'est un terme dont se servent ceux qui font des filets propres pour la Pêche ou pour la Chasse ; & ce n'est autre chose que pratiquer de grandes mailles à côté du filet avec de la ficelle.


ENLASSERv. act. (Charpent.) c'est, après que les tenons & mortoises sont faits, percer un trou au-travers pour les cheviller.


ENLASSURES. f. (Charpent.) c'est le trou percé avec le laceret à-travers des mortoises & des tenons, pour les cheviller ensemble.


ENLAYEou ENLOYER, déférer le serment, (Jurispr.) Dans l'article 153 de la très-ancienne coûtume de Bretagne, le serment est appellé lai ou loi ; d'où sont venus les termes enlayer & enloyer, pour dire déférer le serment : termes qui étoient fort usités dans l'ancien style judiciaire de la province, & qui le sont encore dans les jurisdictions inférieures, même dans quelques siéges royaux & présidiaux. Voyez les arrêts du parlement du Bretagne, par Frain, tome II. plaid. 112. pag. 689. (A)


ENLEVÉadj. terme de Blason, il se dit des pieces qui paroissent enlevées, comme aux armoiries d'Anglure en Champagne, qui sont d'or à pieces enlevées à angles ou croissans de gueules, soûtenant des grelots d'argent dont tout l'écu est semé.

Anglure en Champagne, d'or à pieces enlevées à angles ou en croissans de gueules, soûtenant des grelots d'argent dont tout l'écu est semé.


ENLEVEMENTS. m. (Jurisprud.) se dit d'une voie de fait dont on use pour ravir quelqu'un ou s'emparer de quelque chose. L'enlevement des personnes est plus communément nommé rapt ou crime de rapt. Voyez RAPT.

Enlevement signifie aussi quelquefois transport : par exemple, les adjudicataires des coupes de bois doivent enlever les bois coupés dans le tems porté par le marché. Une partie saisie s'oppose à l'enlevement de ses meubles, en donnant bon & solvable gardien. (A)

ENLEVER LES CHAUDERONS, terme de Chauderonnier ; c'est en faire le fond avec le marteau rond. On donne cette façon sur la grande bigorne.

Enlever signifie aussi redresser un chauderon, en ôter les bosses, ce qu'on fait avec le marteau de buis & l'enclumeau. Voyez les Planches du Chauderonnier.

ENLEVER, en terme d'Eperonnier, se dit de l'action de séparer sur l'enclume à coups de marteau, la branche d'un mors, d'un barreau de fer de dix à onze lignes d'épaisseur. Cette branche s'appelle branche d'enlevûre, parce qu'elle est effectivement enlevée de ce barreau : on enleve aussi du même barreau l'embouchure du mors ; & cette embouchure s'appelle enlevûre pour la même raison. On enleve ces parties d'un mors au moyen d'un ciseau appellé tranche, que l'on frappe sur le barreau à demi-chaud pour les en séparer. Voyez TRANCHE, & les figures de l'Eperonnier.

ENLEVER, terme de Serrurier & de Taillandier, c'est d'une barre de fer en faire la piece commandée ; & au lieu de dire forger une clé, une coignée, ils disent enlever une clé, une coignée.

ENLEVER LA MEUTE, (Vénerie) c'est lorsqu'au lieu de laisser chasser les chiens, on les entraîne par le plus court chemin au lieu où un chasseur a vû le cerf, & où on retrouve la voie.


ENLEVURES. f. (Ouvriers en fer) Tous les ouvriers en fer donnent ce nom à toute piece forgée, lorsqu'elle est séparée de la barre dont on l'a tirée.


ENLIERv. act. en Architecture, c'est dans la construction engager les pierres & les briques ensemble en élevant les murs ; ensorte que les unes soient posées sur leur largeur comme les carreaux, & les autres sur leur longueur ainsi que les boutisses, pour faire liaison avec le garni ou remplissage. (P)


ENLIGNER(Charpent.) c'est donner à une piece de bois exactement la même forme qu'à une autre ; ensorte que mis bout à bout, l'une ne paroisse que la continuation de l'autre : cela s'appelle enligner ; parce qu'on dispose les bois en cet état en se servant de la regle ou du cordeau pour tracer les lignes.


ENLISSERONNÉ(Rubanier) Voyez LISSERONS.


ENLOYER(Jurispr.) est la même chose qu'enlayer. Voyez ci-devant ENLAYER. (A)


ENLUMINERv. act. c'est l'art de mettre des couleurs à la gomme avec le pinceau, sur les estampes & les papiers de tapisserie ; & par conséquent l'enlumineur & l'enlumineuse sont celui & celle qui y travaillent : ces ouvriers & ouvrieres y appliquent aussi quelquefois de l'or & de l'argent moulu ; c'est ce qu'ils appellent rehausser, & ils le brunissent avec la dent de loup. L'enluminure est libre, & n'a point de maîtrise ; c'est en quelque façon une dépendance de la Gravure : & l'enlumineur peut tenir boutique ouverte, & vendre des estampes & des papiers de tapisserie. Ces commerçans s'honorent du titre de Graveurs en bois, ou en cuivre, ou d'images, quoique souvent ils n'ayent jamais manié le burin, ni la pointe. Article de M. PAPILLON.


ENMANCHEadj. c'est-à-dire entre dans la Manche. (Marine) Les navigateurs se servent de ce terme, lorsqu'ils entrent dans ce canal qui sépare la France de l'Angleterre, que l'on appelle la Manche. (Z)


ENNÉADÉCATÉRIDES. f. en Chronologie, est un cycle ou période de dix-neuf années solaires. Voyez CYCLE. Ce mot est grec, formé d', neuf, , dix, & , année.

Tel est le cycle lunaire inventé par Méthon, à la fin duquel la Lune revient à-peu-près au même point d'où elle est partie ; c'est pour cette raison que les Athéniens, les Juifs, & d'autres peuples qui ont voulu accommoder les mois lunaires avec l'année solaire, se sont servis de l'ennéadécatéride en faisant pendant dix-neuf ans, sept ans de treize mois lunaires, & les autres de douze.

L'ennéadécatéride des Juifs est proprement un cycle de dix-neuf années lunaires, qui commencent à molad tohu, c'est-à-dire à la nouvelle Lune que les Juifs supposent être arrivée un an avant la création. Chacune des 3e, 6e, 8e, 11e, 14e, 17e, 19e, &c. années de ce cycle sont embolismiques, ou de 383 jours 21 heures, & les autres communes, ou de 354 jours huit heures. Voyez AN. L'ennéadécatéride des Juifs est donc de 6939 jours 16 heures. D'où il s'ensuit que l'ennéadécatéride des Juifs differe de l'ennéadécatéride julienne, ou de dix-neuf années juliennes d'environ deux heures ; car dix-neuf années juliennes font 6939 jours 18 heures. Wolf, élém. de Chronol. & Chambers. Voyez EMBOLISMIQUE. (O)


ENNÉAGONES. f. en Géométrie ; figure de neuf angles, & de neuf côtés. Voyez POLIGONE. Ce mot est formé de , neuf, & , angle.

Pour tracer dans un cercle l'ennéagone régulier, il ne s'agit que de diviser en trois parties égales, l'angle au centre du triangle équilatéral, ainsi ce problème se réduit à celui de la trisection de l'angle. Voyez TRISECTION.

Un ennéagone, en Fortification, signifie une place qui a neuf bastions. Voyez FORTERESSE. (O)


ENNEEMIMERIS(Belles-Lettres) est une espece de césure d'un vers latin, où après le quatrieme pié il y a une syllabe irréguliere qui finit le mot, & qui aide a former le pié qui suit dans le mot d'après, comme dans cet exemple.

Ille latus niveum molli fultus hyacintho.

Qu'on scande ainsi :

Ille la | tus nive | um mol | li ful | tus hya | cintho.

Où il faut remarquer que la syllabe tus, breve de sa nature, devient longue en vertu de la césure. Voyez CESURE. Ce mot est très-peu en usage. (G)


ENNEMIS. m. (Droit des Gens) celui qui nous fait la guerre, ou à qui nous la faisons, en conséquence d'un ordre du souverain. Tous les autres contre qui on prend les armes, sont qualifiés de brigands, de voleurs, ou de corsaires. Au reste on ne regarde pas seulement comme ennemis ceux qui nous attaquent actuellement sur mer ou sur terre, mais encore ceux qui font des préparatifs pour venir nous attaquer, & qui dressent des batteries contre nos ports, nos villes, & nos citadelles, quoiqu'ils ne soient pas encore aux mains avec nous.

Il est certain que l'on peut tuer innocemment un ennemi ; je dis innocemment, tant selon la justice extérieure de toutes les nations, que selon la justice intérieure & les lois de la conscience. En effet, le but de la guerre veut de nécessité que l'on ait ce pouvoir ; autrement ce seroit en vain que l'on prendroit les armes, & que les lois de la nature le permettroient.

Mais le pouvoir de tuer l'ennemi s'étend-il sur tous les sujets de cet ennemi, sur les vieillards, les femmes, les enfans.... ? Dans les cas où il est permis d'ôter la vie à un ennemi, peut-on employer indifféremment toutes sortes de moyens, le fer, le feu, la ruse, le poison.... ? Peut-on profiter du ministere d'un traître pour se défaire de notre ennemi, lorsque... ?

Je frémis ; & pour couper court à toutes ces questions & à d'autres semblables, je réponds en général & en particulier, que l'on ne sauroit trop limiter, trop adoucir les droits cruels de la guerre ; je réponds, dis-je, que l'on ne sauroit trop inspirer, ni étendre trop loin les principes de la modération, de l'honneur, de la générosité, & si l'on peut parler ainsi, de l'humanité même dans les propres actes d'hostilité, que les usages de la guerre les plus reçus paroissent autoriser.

A l'égard des vieillards, des femmes, & des enfans, loin que le droit de la guerre exige que l'on pousse la barbarie jusqu'à les tuer, c'est une pure cruauté, une atrocité d'en user ainsi ; même lorsque le feu de l'action emporte le soldat, pour ainsi dire, malgré lui à commettre des actions d'inhumanité ; comme, par exemple, dans le dernier assaut à la prise d'une ville, qui par sa résistance a extrêmement irrité les troupes.

Je dis plus : le droit des gens est fondé sur ce principe, que les diverses nations doivent se faire dans la paix autant de bien, & dans la guerre le moins de mal qu'il est possible, sans nuire à leurs véritables intérêts : c'est pourquoi, tant qu'on peut l'éviter, les lois même de la guerre demandent que l'on s'abstienne du carnage, & que l'on ne répande pas du sang sans une pressante nécessité. L'on ne doit donc jamais ôter la vie à ceux qui demandent quartier, à ceux qui se rendent, à ceux qui ne sont ni d'un âge ni d'une profession à porter les armes ; & qui n'ont d'autre part à la guerre que de se trouver dans le pays ou le parti ennemi. En un mot le droit de la guerre ne va pas au-delà de notre propre conservation. Un état fait la guerre, parce que sa conservation est juste ; mais nous n'avons plus de droit de tuer, dès que nous ne sommes plus dans le cas de la défense naturelle & de notre propre conservation vis-à-vis de l'ennemi.

L'on comprend à plus forte raison que les droits de la guerre ne s'étendent pas jusqu'à autoriser ni à souffrir les outrages contre l'honneur des femmes : car outre qu'un tel attentat ne fait rien ni à notre conservation, ni à notre défense, ni à notre sûreté, ni au maintien de nos droits, il révolte la nature & ne peut servir qu'à satisfaire la brutalité du soldat, qu'il faut au contraire reprimer & punir très-severement.

Qu'on ne s'imagine pas aussi que les moyens d'ôter la vie à l'ennemi soient indifférens. Les coûtumes reçues chez les peuples civilisés, regardent comme une execrable lâcheté, non-seulement de faire donner à l'ennemi quelque breuvage mortel, mais d'empoisonner les sources, les fontaines, les puits, les fleches, les épées, les dards, les balles, & toutes autres especes d'armes. Les nations qui se sont piquées de générosité, ne se sont point écartées de ces sortes de maximes. On sait que les consuls romains, dans une lettre qu'ils écrivirent à Pyrrhus, lui marquerent qu'il étoit de l'intérêt de tous les peuples qu'on ne donnât point d'exemples différens de ceux qu'ils pratiquoient à son égard.

C'est une convention tacite dont l'intérêt des deux partis exige également l'observation ; ce sont de justes assûrances que les hommes se doivent respectivement pour leur propre intérêt ; & certainement il est de l'avantage commun du genre humain que les périls ne s'augmentent pas à l'infini.

Ainsi pour ce qui regarde la voie de l'assassinat, facile à exécuter par l'occasion d'un traître, je ne dis pas qu'on suborneroit, mais qui viendroit s'offrir de lui-même par haine, par espérance de sa fortune, par fanatisme, ou par tout autre motif possible ; aucun homme, aucun souverain, qui aura la conscience un peu délicate, n'embrassera cette indigne ressource, quelque avantage qu'il puisse s'en promettre. L'état d'hostilité qui dispense du commerce des bons offices, & qui autorise à nuire, ne rompt pas pour cela tout lien d'humanité, & n'empêche point qu'on ne doive éviter de donner lieu à quelque mauvaise action de l'ennemi, ou de quelqu'un des siens. Or un traître commet sans contredit une action également honteuse & criminelle, à laquelle il n'est pas permis de condescendre.

Il n'est pas plus permis de manquer de foi à un ennemi :

Optimus ille

Militiae, cui postremum est, primumque tueri

Inter bella fidem. Punic. lib. XIV. v. 169.

C'est-à-dire " le guerrier qui est homme de bien, n'a rien tant à coeur que de garder religieusement sa parole à l'ennemi ". Belle sentence de Silius Italicus, écrivain de mérite, & digne consul de Rome !

D'ailleurs, suivant la remarque de Cicéron, tout le monde chérit cette disposition d'esprit qui porte à garder la foi, lors même qu'on trouveroit son avantage à y manquer. N'y a-t-il pas entre les ennemis, quels qu'ils soient, une société établie par la nature ? N'est ce pas de cette société fondée sur la raison & la faculté de parler qui sont communes à tous les humains, que résulte l'obligation inaltérable de tenir les promesses qu'ils se sont faites ? C'est la foi publique, dit Quintilien, qui procure à deux ennemis, pendant qu'ils ont encore les armes à la main, le doux repos d'une treve : c'est elle qui assure aux villes rendues les droits qu'elles se sont reservés : enfin c'est elle qui est le lien le plus ferme & le plus sacré qui soit parmi les hommes.

Voilà ce que je crois d'essentiel à observer touchant les bornes qu'il faut mettre aux droits de la guerre sur les personnes des ennemis ; & quant à ce qui regarde leurs biens, j'en ai parlé au mot DEGAT. Ce sont les mêmes principes d'humanité & de raisons d'intérêt, qui doivent conduire les hommes à ces deux égards ; s'ils violent ces principes sans pudeur & sans remords, tout est perdu ; les représailles seront affreuses, les cris & les gémissemens se perpétueront de race en race, & des flots de sang inonderont la terre. Article de M(D.J.)

ENNEMI, en Peinture, on appelle couleurs ennemies, celles qui s'accordent mal & qui ne peuvent subsister ensemble sans offenser la vûe, ou sans se détruire en très-peu de tems. Le bleu & le vermillon sont des couleurs ennemies ; leur mêlange produit une couleur aigre, rude, & desagréable.

Les habiles peintres se font quelquefois un jeu de vaincre les difficultés qu'on prétend résulter de l'association des couleurs ennemies : ce qui seroit chez les ignorans une témérité, qui ne produiroit que des effets maussades, devient chez les habiles une hardiesse loüable, qui n'enfante que des prodiges. Dictionn. de Peint. (R)


ENNUIS. m. (Morale, Philos.) espece de déplaisir qu'on ne sauroit définir : ce n'est ni chagrin, ni tristesse ; c'est une privation de tout plaisir, causée par je ne sai quoi dans nos organes ou dans les objets du dehors, qui au lieu d'occuper notre ame, produit un mal-aise ou dégoût, auquel on ne peut s'accoûtumer. L'ennui est le plus dangereux ennemi de notre être, & le tombeau des passions ; la douleur a quelque chose de moins accablant, parce que dans les intervalles elle ramene le bonheur & l'espérance d'un meilleur état : en un mot l'ennui est un mal si singulier, si cruel, que l'homme entreprend souvent les travaux les plus pénibles, afin de s'épargner la peine d'en être tourmenté.

L'origine de cette triste & fâcheuse sensation vient de ce que l'ame n'est ni assez agitée, ni assez remuée. Dévoilons ce principe de l'ennui avec M. l'abbé du Bos, qui l'a mis dans un très-beau jour, en instruisant les autres de ce qui se passe en eux, & qu'ils ne sont pas en état de démêler, faute de savoir remonter à la source de leurs propres affections.

L'ame a ses besoins comme le corps, & l'un de ses plus grands besoins est d'être occupée. Elle l'est par elle-même en deux manieres ; ou en se livrant aux impressions que les objets extérieurs font sur elle, & c'est ce qu'on appelle sentir ; ou bien en s'entretenant par des spéculations sur des matieres, soit utiles, soit curieuses, soit agréables, & c'est ce qu'on appelle refléchir & méditer.

La premiere maniere de s'occuper est beaucoup plus facile que la seconde : c'est aussi l'unique ressource de la plûpart des hommes contre l'ennui : & même les personnes qui savent s'occuper autrement sont obligées, pour ne point tomber dans la langueur qui suit la durée de l'occupation, de se préter aux emplois & aux plaisirs du commun des hommes. Le changement de travail & de plaisir remet en mouvement les esprits qui commencent à s'appesantir : ce changement semble rendre à l'imagination épuisée une nouvelle vigueur.

Voilà pourquoi nous voyons les hommes s'embarrasser de tant d'occupations frivoles & d'affaires inutiles ; voilà ce qui les porte à courir avec tant d'ardeur après ce qu'ils appellent leur plaisir, comme à se livrer à des passions dont ils connoissent les suites fâcheuses, même par leur propre expérience. L'inquiétude que les affaires causent, ni les mouvemens qu'elles demandent, ne sauroient plaire aux hommes par eux-mêmes. Les passions qui leur donnent les joies les plus vives, leur causent aussi des peines durables & douloureuses ; mais les hommes craignent encore plus l'ennui qui suit l'inaction, & ils trouvent dans les mouvemens des affaires & dans l'ivresse des passions, une émotion qui les remue. Les agitations qu'elles excitent, se réveillent encore durant la solitude ; elles empêchent les hommes de se rencontrer tête à tête, pour ainsi dire, avec eux-mêmes, sans être occupés, c'est-à-dire de se trouver dans l'affliction ou dans l'ennui.

Quand dégoûtés de ce qu'on appelle le monde, ils prennent la résolution d'y renoncer, il est rare qu'ils puissent la tenir. Dès qu'ils ont connu l'inaction, dès qu'ils ont comparé ce qu'ils souffroient par l'embarras des affaires & par l'inquiétude des passions avec l'ennui de l'indolence, ils viennent à regretter l'état tumultueux dont ils étoient si las. On les accuse souvent à tort d'avoir fait parade d'une modération feinte, lorsqu'ils ont pris le parti de la retraite, ils étoient alors de bonne foi : mais comme l'agitation excessive leur a fait souhaiter une pleine tranquillité, un trop grand loisir leur a fait regretter le tems où ils étoient toûjours occupés. Les hommes sont encore plus legers qu'ils ne sont dissimulés ; & souvent ils ne sont coupables que d'inconstance, dans les occasions où on les accuse d'artifice. " Je crois des hommes plus mal-aisément la constance, que toute autre chose, & rien plus aisément & plus communément que l'inconstance ", dit Montagne.

En effet l'agitation où les passions nous tiennent, même durant la solitude, est si vive, que tout autre état est un état de langueur auprès de cette agitation. Ainsi nous courons, par instinct, après les objets qui peuvent exciter nos passions, quoique ces objets fassent sur nous des impressions qui nous coûtent souvent des nuits inquietes & des journées pleines d'amertume : mais les hommes en général souffrent encore plus à vivre sans passions que les passions ne les font souffrir.

L'ame trouve pénible, & même souvent impraticable la seconde maniere de s'occuper, qui consiste à méditer & à refléchir, principalement quand ce n'est pas un sentiment actuel ou récent, qui est le sujet des réflexions. Il faut alors que l'ame fasse des efforts continuels pour suivre l'objet de son attention ; & ces efforts rendus souvent infructueux, par la disposition présente des organes du cerveau, n'aboutissent qu'à une contention vaine & stérile, où l'imagination trop allumée ne présente plus distinctement aucun objet ; & une infinité d'idées sans liaisons & sans rapport, s'y succedent tumultueusement l'une à l'autre. Alors l'esprit las d'être tendu, se relâche ; & une rêverie morne & languissante, durant laquelle il ne joüit précisément d'aucun objet, est l'unique fruit des efforts qu'il a faits pour s'occuper lui-même.

Il n'est personne qui n'ait éprouvé l'ennui de cet état, où l'on n'a pas la force de penser à rien ; & la peine de cet autre état où, malgré soi, on pense à trop de choses, sans pouvoir se fixer à son gré sur aucune en particulier. Peu de personnes même sont assez heureuses pour n'éprouver que rarement un de ces états, & pour être ordinairement à elles-mêmes une bonne compagnie. Un petit nombre peut apprendre cet art, qui, pour me servir de l'expression d'Horace, fait vivre en amitié avec soi-même, quod te tibi reddat amicum.

Il faut, pour en être capable, avoir un certain tempérament qui rend ceux qui l'apportent en naissant très-redevables à la Providence ; il faut encore s'être adonné dès la jeunesse à des études & à des occupations, dont les travaux demandent beaucoup de méditation : il faut que l'esprit ait contracté l'habitude de mettre en ordre ses idées, & de penser sur ce qu'il lit ; car la lecture où l'esprit n'agit point, & qu'il ne soûtient pas en faisant des réflexions sur ce qu'il lit, devient bien-tôt sujette à l'ennui. Mais à force d'exercer son imagination, on la dompte ; & cette faculté rendue docile, fait ce qu'on lui demande. On acquiert, à force de méditer, l'habitude de transporter à son gré sa pensée d'un objet sur un autre, ou de la fixer sur un certain objet.

Cette conversation avec soi-même met ceux qui la savent faire à l'abri de l'état de langueur & de misere, dont nous venons de parler. Mais, comme on l'a dit, les personnes qu'un sang sans aigreur & des humeurs sans venin ont prédestinées à une vie intérieure si douce, sont bien rares ; la situation de leur esprit est même inconnue au commun des hommes, qui, jugeant de ce que les autres doivent souffrir de la solitude, par ce qu'ils en souffrent eux-mêmes, pensent que la solitude est un mal douloureux pour tout le monde.

Puisqu'il est si rare & comme impossible de pouvoir toûjours remplir l'ame par la seule méditation, & que la maniere de l'occuper, qui est celle de sentir, en se livrant aux passions qui nous affectent, est une ressource dangereuse & funeste, cherchons contre l'ennui un remede praticable, à portée de tout le monde, & qui n'entraîne aucun inconvénient, ce sera celui des travaux du corps réunis à la culture de l'esprit, par l'exécution d'un plan bien concerté que chacun peut former & remplir de bonne heure, suivant son rang, sa position, son âge, son sexe, son caractere, & ses talens.

Il est aisé de concevoir comment les travaux du corps, même ceux qui semblent demander la moindre application, occupent l'ame ; & quand on ne concevroit pas ce phénomene, l'expérience apprend qu'il existe. L'on sait également que les occupations de l'esprit produisent alternativement le même effet. Le mêlange de ces deux especes d'occupations, fournissant un objet qu'on remplit avec soin chaque jour, mettra les hommes à couvert des amertumes de l'ennui.

Il faut donc éviter l'inaction & l'oisiveté ; tant par remede que pour son propre bonheur. La Bruyere dit très-bien que l'ennui est entré dans le monde par la paresse, qui a tant de part à la recherche que les hommes font des plaisirs de la société, c'est-à-dire des spectacles, du jeu, de la table, des visites, & de la conversation. Mais celui qui s'est fait un genre de vie, dont le travail est à la fois l'aliment & le soûtien, a assez de soi-même, & n'a pas besoin des plaisirs dont je viens de parler pour chasser l'ennui, parce qu'alors il ne le connoît point. Ainsi le travail de toute espece est le vrai remede à ce mal. Quand même le travail n'auroit point d'autre avantage ; quand il ne seroit pas le fonds qui manque le moins, comme dit la Fontaine, il porteroit avec lui sa récompense dans tous les états de la vie, autant chez le plus puissant monarque, que chez le plus pauvre laboureur.

Qu'on ne s'imagine point que la puissance, la grandeur, la faveur, le crédit, le rang, les richesses, ni toutes ces choses jointes ensemble, puissent nous préserver de l'ennui ; on s'abuseroit grossierement. Pour convaincre tout le monde de cette vérité, sans nous attacher à la prouver par des réflexions philosophiques qui nous meneroient trop loin, il nous suffira de parler d'après les faits, & de transcrire ici, des anecdotes du siecle de Louis XIV. un seul trait d'une des lettres de madame de Maintenon à madame de la Maisonfort : il est trop instructif & trop frappant pour y renvoyer le lecteur.

" Que ne puis-je, dit madame de Maintenon, vous peindre l'ennui qui dévore les grands, & la peine qu'ils ont à remplir leurs journées ? Ne voyez-vous pas que je meurs de tristesse dans une fortune qu'on auroit eu peine à imaginer ? Je suis venue à la plus haute faveur, & je vous proteste, ma chere fille, que cet état me laisse un vuide affreux ". Elle dit un autre jour au comte d'Aubigné son frere : " Je ne peux plus tenir à la vie que je mene, je voudrois être morte ". On sait quelle réponse il lui fit.

Je conclus que si quelque chose étoit capable de détromper les femmes du bonheur prétendu des grandeurs humaines, & les convaincre de leur vain appareil contre l'ennui, ce seroit ces trois mots de madame de Maintenon : Je n'y peux plus tenir, je voudrois être morte. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENOENOS, AENOS, (Géogr. mod.) ville de la Romanie dans la Turquie européenne ; elle est située proche du golfe de même nom. Long. 43. 50. latit. 40. 46.


ENONCÉS. m. (Logique & Géométrie) Ce mot s'applique aux propositions & aux termes dans lesquels elles sont présentées. Ainsi on dit, cette proposition est obscure dans son énoncé, voici l'énoncé de la proposition, &c. (O)


ENONCIATIONS. f. (Logique) expression simple d'une chose en termes d'affirmation ou de négation.

Les philosophes scholastiques distinguent ordinairement trois opérations de l'esprit ; l'appréhension ou perception, l'énonciation ou jugement, & le raisonnement. Voyez ces mots.

Enonciation, en Logique, signifie la même chose que proposition. Voyez PROPOSITION.

* ENOPTE, s. m. (Hist. anc.) c'étoit dans les repas une espece d'inspecteur qui veilloit à ce que chacun bût également ; apparemment afin que le bon sens s'affoiblissant dans chacun en même proportion, il n'y eût pas la moitié d'une table enivrée qui servît d'amusement & de spectacle à l'autre moitié qui seroit restée sobre.

* ENOPTROMANTIE, s. f. (Divination) espece de divination par le miroir. Ce miroir magique montroit les évenemens à venir ou passés, même à celui qui avoit les yeux bandés. L'énoptromant étoit ou un jeune garçon ou une femme. Les Thessaliennes écrivoient leurs réponses sur le miroir en caracteres de sang ; & ceux qui les avoient consultées, lisoient leurs destins, non sur le miroir, mais dans la lune, qu'elles se vantoient de faire descendre du ciel : ce qu'il faut entendre apparemment, ou du miroir même qu'elles faisoient prendre pour la lune aux superstitieux qui recouroient à cette sorte d'incantation, ou de l'image de la lune qu'elles leur montroient dans ce miroir.


ENORCHISS. f. (Hist. nat. Minéralogie) Les Naturalistes ont donné ce nom à une pierre dont la figure ressemble aux testicules, ordinairement ce n'est autre chose que deux pyrites sphériques jointes ensemble par un de leurs côtés ; cependant il y en a qui sont seules & détachées : celles-là sont communément de la grosseur d'un oeuf de pigeon, & contiennent intérieurement une autre pierre qui est adhérente à l'enveloppe intérieure, & dont elle remplit la capacité. Cette espece d'énorchis est d'un gris de cendre à l'extérieur ; la pierre intérieure est d'une couleur obscure & foncée, & n'est point luisante. Boece de Boot la regarde comme une espece de géode, & dit qu'il s'en trouve près de Prague en Boheme. (-)


ENPOINTERv. act. en terme d'Epinglier, se dit de l'action de faire la pointe d'une épingle, sans avoir égard à sa finesse, ni à l'ébauchage. On se sert, pour enpointer les épingles, d'une meule d'acier tailladée sur toute sa surface. Voyez MEULE. Cette meule est plus ou moins grosse, selon que l'on fait dessus les pointes fines ou les grosses. Voyez POINTES FINES & POINTES GROSSES. Voyez l'article EPINGLE, & les figures des Planches de L'Epinglier.


ENQUÊTES. f. inquisitio, ou suivant l'ancien style du palais inquesta, (Jurisprud.) est un procès-verbal rédigé par ordre & en présence d'un juge ou commissaire, contenant des dépositions de témoins sur des faits dont quelqu'un veut avoir la preuve, soit par cette voie seule, soit pour faire concourir cette preuve testimoniale avec quelque preuve par écrit.

Autrefois sous le terme d'enquête on comprenoit également les enquêtes proprement dites, c'est-à-dire celles qui se font en matiere civile, & les informations qui sont des especes d'enquêtes en matiere criminelle ; mais présentement on ne donne le nom d'enquête à ces sortes d'actes, qu'en matiere civile.

L'usage des enquêtes, ou du moins de la preuve par témoins, est de tous les tems & de tous les pays ; mais les formalités des enquêtes ne sont pas par-tout uniformes, & elles ont souffert plusieurs changemens en France.

Les enquêtes sont verbales ou par écrit : les premieres sont la même chose que ce qu'on appelle enquête sommaire. Voyez ci-après ENQUETE SOMMAIRE.

On appelle enquêtes par écrit, celles qui ont été ordonnées par un jugement en vertu duquel elles sont rédigées avec toutes les formalités ordinaires.

Ces formalités ont été réglées par l'ordonnance de 1667, tit. xxij. suivant lequel dans les matieres où il échet de faire enquête, le même jugement qui les ordonne doit contenir les faits dont les parties pourront respectivement informer, sans autres interdits & réponses, jugemens ni commissions. Voyez INTERDITS.

Lorsque l'enquête est faite au même lieu où le jugement a été rendu, ou dans la distance de dix lieues, elle doit être commencée dans la huitaine du jour de la signification du jugement faite à la partie ou à son procureur, & achevée dans la huitaine suivante. Si la distance est plus grande, le délai augmente d'un jour pour dix lieues ; le juge peut néanmoins, si le cas le requiert, donner une autre huitaine pour la confection de l'enquête, sans que le délai puisse être prorogé.

Après que les reproches ont été fournis contre les témoins, ou que le délai d'en fournir est passé, on porte la cause à l'audience, sans faire aucun acte ou procédure pour la réception de l'enquête.

Il n'est plus d'usage comme autrefois de faire la publication de l'enquête, c'est-à-dire d'en faire la lecture publique à l'audience ; la communication de l'enquête tient lieu de cette publication ; on ne fournit plus aussi de moyens de nullité par écrit après les reproches, sauf à les proposer en l'audience ou par contredits, si c'est en procès par écrit.

Si l'enquête d'une partie n'est pas achevée dans les délais de l'ordonnance, l'autre partie peut poursuivre l'audience sur un simple acte, sans qu'il soit besoin de faire déclarer l'autre partie forclose de faire enquête, comme cela se pratiquoit autrefois, ce qui est abrogé par l'ordonnance.

Les témoins doivent être assignés à personne ou domicile, pour déposer, & les parties au domicile de leur procureur, pour voir prêter serment aux témoins : cela se fait en vertu d'ordonnance du juge, sans commission du greffe.

Le jour & l'heure pour comparoir doivent être marqués dans les assignations données aux témoins & aux parties ; & si les assignés ne comparent, on differe d'une autre heure, après laquelle les témoins présens prêtent serment & sont oüis, à moins que les parties ne consentent la remise à un autre jour.

Les témoins doivent comparoir à l'heure de l'assignation, ou au plus tard dans l'heure suivante, à peine de dix livres, au payement de laquelle ils peuvent être contraints par saisie & vente de leurs biens, mais non pas par emprisonnement, à moins que cela ne fût ainsi ordonné par le juge, en cas de manifeste desobéissance. Les ordonnances des juges sont exécutoires contre les témoins, nonobstant opposition ou appellation ; celles des commissaires-enquêteurs le sont aussi pour la peine de dix livres seulement.

Soit que la partie compare, ou non, au jour indiqué, le juge ou commissaire prend le serment des témoins qui sont présens, & procede à la confection de l'enquête, nonobstant & sans préjudice de toutes oppositions ou appellations, sauf au défaillant à proposer ses reproches ou moyens après l'enquête.

Si le juge fait l'enquête dans le lieu de sa résidence, & qu'il soit recusé ou pris à partie, il est tenu de surseoir jusqu'à ce que les récusations & prises à parties ayent été jugées.

L'édit de Novembre 1578 & une déclaration du 14 Décembre 1580, avoient créé des adjoints aux enquêtes, dont la fonction étoit d'assister aux enquêtes ; mais l'ordonnance de 1667 a supprimé la fonction de ces adjoints ; & la déclaration du mois de Novembre 1717 a pareillement supprimé les substituts-adjoints, qui avoient été créés en 1696.

Le juge ou commissaire, en quelque cour ou jurisdiction que ce soit, doit recevoir lui même le serment & la déposition de chaque temoin ; sans que le greffier ni autre puisse les recevoir, ni les rédiger par écrit hors la présence du juge ou commissaire.

On doit faire mention au commencement de la déposition, du nom, surnom, âge, qualité, & demeure du témoin, du serment par lui prêté ; s'il est serviteur, parent ou allié de l'une ou l'autre des parties, & en quel degré.

Les témoins ne peuvent déposer en la présence des parties, ni même en présence des autres témoins, excepté lorsque les enquêtes se font à l'audience ; hors ce cas, ils doivent être oüis chacun séparément, sans qu'il y ait aussi personne que le juge ou commissaire & le greffier qui écrit l'enquête.

La déposition achevée, on la doit lire au témoin, & l'interpeller de déclarer si elle contient vérité ; s'il y persiste, il doit signer sa déposition, ou s'il ne le peut faire, il doit le déclarer, & on en doit faire mention sur la minute & sur la grosse.

Le juge ou commissaire doit faire écrire tout ce que le témoin veut dire touchant le fait dont il s'agit entre les parties, sans en rien retrancher.

Si le témoin augmente, diminue ou change quelque chose à sa déposition, on doit l'écrire par apostilles & renvois en marge, qui doivent être signés par le juge, & le témoin s'il sait signer. On n'ajoûte point foi aux interlignes, ni même aux renvois qui ne sont point signés, & si le témoin ne sait pas signer, on en doit faire mention, comme il a déjà été dit.

Le juge doit demander au témoin s'il requiert taxe ; & si elle est requise, le juge la doit faire eu égard à la qualité, voyage, & séjour du témoin.

Tout ce qui a été dit jusqu'ici doit être observé à peine de nullité.

L'ordonnance défend en outre aux parties de faire oüir, en matiere civile, plus de dix témoins sur un même fait, & aux juges ou commissaires d'en entendre un plus grand nombre ; autrement la partie ne peut prétendre le remboursement des frais qu'elle aura avancés pour les faire oüir ; encore que tous les dépens lui fussent adjugés en fin de cause.

Le procès-verbal d'enquête doit être sommaire, & ne contenir que le jour & l'heure des assignations données aux témoins, pour déposer, & aux parties pour les voir jurer ; le jour & l'heure des assignations échues, leur comparution ou défaut, la prestation de serment des témoins ; si c'est en la présence ou absence de la partie, le jour de chaque déposition, le nom, surnom, âge, qualité & demeure des témoins, les requisitions des parties, & les actes qui en seront accordés.

Les greffiers ou autres qui ont écrit l'enquête & le procès-verbal, ne peuvent prendre d'émolumens que pour l'expédition de la grosse, selon le nombre de rôles, au cas que l'enquête ait été faite au lieu de leur demeure, & si elle a été faite ailleurs, ils ont le choix de prendre leurs journées, qui sont taxées aux deux tiers de celles du juge ou commissaire.

Les expéditions & procès-verbaux des enquêtes ne doivent être délivrés qu'aux parties, à la requête desquelles l'enquête a été faite. Voyez ENQUETE D'OFFICE.

Ceux que l'on prend pour greffiers en des commissions particulieres, n'ayant point de dépôt, doivent remettre la minute des enquêtes & procès-verbaux aux greffes des jurisdictions où le différent est pendant, trois mois après la commission achevée ; autrement ils peuvent y être contraints, sauf à eux de prendre exécutoire de leur salaire contre la partie. Voyez l'article 25.

L'usage qui s'observoit autrefois d'envoyer des expéditions des enquêtes dans un sac clos & scellé, a été abrogé par l'ordonnance, de même que les publications & receptions d'enquête, & tous jugemens portant que l'on donnera moyens de nullité par rapport aux reproches que l'on peut fournir contre les temoins. Voyez REPROCHES.

Si celui qui a fait l'enquête refuse ou néglige d'en faire signifier le procès-verbal & donner copie, l'autre partie pourra le sommer par un simple exploit de le faire dans trois jours, après quoi il pourra lever le procès-verbal ; & le greffier sera tenu de lui en délivrer expédition, en lui représentant l'acte de sommation & lui payant ses salaires de la grosse, dont il sera délivré exécutoire contre la partie qui en devoit donner copie.

La partie qui a fourni des reproches, ou renoncé à en fournir, peut demander copie de l'enquête ; & en cas de refus, l'enquête doit être rejettée, & l'on procede au jugement.

Si celui contre qui l'enquête a été faite en veut prendre avantage, il peut la lever en satisfaisant à ce qui a été dit dans l'article précédent.

Celui qui leve ainsi l'enquête au refus de son adversaire d'en donner copie, a huitaine pour lever le procès-verbal, & autant pour lever l'enquête ; & si elle a été faite hors du lieu où le différent est pendant, on donne un autre délai à raison d'un jour pour dix lieues.

Ces délais de huitaine ne sont que pour les cours & pour les bailliages, sénéchaussées, & présidiaux ; dans les autres siéges chaque délai n'est que de trois jours.

Avant de pouvoir demander copie du procès-verbal de sa partie, il faut donner copie du sien ; il en est de même pour l'enquête.

Celui qui a eu copie du procès-verbal & de l'enquête, ne peut, en cause principale ou d'appel, faire oüir à sa requête aucun témoin, ni fournir des reproches contre ceux de sa partie.

Si l'enquête a été ordonnée à l'audience sans appointer les parties, les enquêtes doivent être rapportées à l'audience pour y être jugées sur un simple acte.

Lorsque l'enquête est déclarée nulle par la faute du juge ou commissaire, on en fait une nouvelle aux dépens du juge ou commissaire, dans laquelle la partie peut faire oüir de nouveau les mêmes témoins. Voyez COMMISSAIRE ENQUETEUR, & ci-après ENQUETEUR, PREUVE PAR TEMOINS, REPROCHES, TEMOINS ; Franc. Marc, tome I. quest. 901 ; le traité de la preuve par témoins, de Danty ; la bibliotheque de Bouchel, au mot témoins ; le traité des enquêtes & témoins, de Guillaume Jaudin, inseré dans Bouchel, loc. cit. (A)

ENQUETES D'EXAMEN A FUTUR, étoit celle qui se faisoit d'avance & avant la contestation en cause, même avant que le procès fût commencé, lorsqu'on craignoit le dépérissement de la preuve, soit que les témoins fussent vieux, ou valétudinaires, ou sur le point de s'absenter.

Cette forme de procéder avoit été tirée par les docteurs & praticiens, tant du droit civil que du droit canonique, notamment de la loi 40, ff. ad leg. aquiliam, l. 32. ff. de furtis, l. 3. §. duae. ff. de Carboniano edicto, & des decrétales ; suivant le chapitre quoniam 5. in princip. extrà ; ut lite non contest. & cap. cum dilectae, 4. ext. de confirmat. utilit. vel inutilit.

Elle fut aussi autorisée par les anciennes ordonnances, comme il paroît par celle de Charles VIII. de l'an 1493, art. 58, qui défend néanmoins d'en faire en matiere de recréance ; & la raison est que cette procédure n'avoit lieu qu'en matiere civile, & non en matiere bénéficiale ou criminelle.

Quand le procès étoit déjà commencé, il falloit assigner la partie pour voir prêter serment aux témoins.

Lorsqu'on vouloit faire enquête avant qu'il y eût procès commencé, il falloit des lettres en chancellerie adressantes au juge pour faire oüir témoins ; & dans ce cas le juge tenoit sa procédure close & secrette jusqu'à ce qu'il fût nécessaire de la produire : mais la partie qui avoit fait faire cette enquête devoit former sa demande dans un an au plus tard, à compter de la confection de l'enquête, autrement l'enquête étoit nulle ; à l'égard du défendeur qui avoit fait une telle enquête pour appuyer sa défense, l'enquête duroit 30 ans.

Les inconvéniens qu'on a reconnus dans cette procédure prématurée, qui excitoit souvent une prévention dans l'esprit des juges, ont été cause qu'elle a été abrogée par l'ordonnance de 1667, tit. xiij.

Les auteurs qui en parlent, sont le style du parlement, à la fin ; Joannes Ferrarius, cap. quando testes prod. ad aetern. rei mem. Masuer, in prax. tit. de testibus ; Imbert, en ses instit. for. liv. I. ch. xljv. Papon, en ses not. liv. X. tit. des lettres incid. Rebuff. tract. de caus. benef. art. 2. glos. unic. n. 8. Bornier, sur l'ordonnance de 1667.

ENQUETE ou INFORMATION, ces termes étoient autrefois souvent confondus ; il y a encore certaines enquêtes civiles que l'on qualifie d'information, telle que l'information de vie & moeurs. (A)

ENQUETE JUSTIFICATIVE ; quelques praticiens donnent ce nom à l'enquête que l'accusé fait pour prouver son innocence, lorsqu'on l'a admis à la preuve de ses faits justificatifs. Voyez la pratique de Masuer, p. 292. & FAITS JUSTIFICATIFS. (A)

ENQUETE D'OFFICE, est une information que le juge ordonne & fait de son propre mouvement & sans y être provoqué par personne, pour instruire sa religion sur certains faits qui ont rapport à quelque affaire dont la connoissance lui appartient : quoique ces sortes d'enquêtes se fassent à la requête du ministere public, on ne laisse pas de les appeller toûjours enquêtes d'office, pour dire qu'il n'y a point de partie privée qui les ait demandées.

Les avis de parens & amis que le juge ordonne à l'occasion des tuteles, curatelles, émancipations, interdictions, sont des enquêtes d'office, lorsqu'il n'y a aucun parent qui les provoque.

C'est aussi une enquête d'office, lorsque le juge avant de procéder à l'enregistrement de quelques statuts, priviléges, & lettres patentes, ordonne qu'il sera informé de la commodité ou incommodité de ce dont il s'agit, ce que l'on appelle vulgairement une enquête de commodo vel incommodo.

Ces sortes d'enquêtes sont quelquefois qualifiées d'information, comme celle qui se fait de l'âge & des vies & moeurs d'une personne qui se présente pour être reçue dans quelque fonction publique, ce que l'on appelle communément une information de vie & moeurs.

Il y a des formalités prescrites pour les enquêtes ordinaires, qui paroissent inutiles pour les enquêtes d'office, quoique l'ordonnance ne le dise point ; par exemple, on ne peut pas assigner la partie pour voir prêter serment aux témoins, n'y ayant point de contradicteur dans ces sortes d'enquêtes.

Le terme d'enquête d'office n'est guere usité qu'en matiere civile : cependant quelques auteurs l'appliquent aussi en matiere criminelle aux informations qui se font à la requête du ministere public seul, sans qu'il y ait de partie civile privée. Voyez le style de Cayron, p. 221.

L'ordonnance de 1667, tit. xxij. art. 24. fait mention de ces sortes d'enquêtes, & ordonne qu'elles seront seulement délivrées à la partie publique qui les aura fait faire. Voyez aussi Loiseau, des offices, liv. I. ch. jv. n. 9. (A)

ENQUETES DU PARLEMENT. Voyez PARLEMENT à l'article CHAMBRE DES ENQUETES.

ENQUETES ou PIECES ; on comprenoit anciennement sous le terme d'enquêtes, non-seulement les enquêtes proprement dites, mais généralement toutes sortes de titres & pieces qui servoient à la preuve des faits. (A)

ENQUETES ou PROCES ; ces termes étoient autrefois synonymes, sur-tout pour les affaires de fait & procès par écrit, dont la décision dépendoit des titres & pieces que l'on comprenoit alors sous le terme d'enquêtes : il est dit dans des lettres de Philippe de Valois, du mois de Juin 1338, & dans d'autres du roi Jean, du mois de Janvier 1351, qu'il ne sera point fait d'enquête en matiere criminelle qu'après l'information, ce qui se trouve expliqué encore plus clairement dans d'autres lettres du roi Jean, du 12 Janvier 1354, où il est dit, non obstante quod processus seu inquestae inchoatae fuerint in nostrâ dictâ curiâ parlamenti. On trouve encore quelque chose de semblable dans des lettres du mois de Mai 1358, données par le dauphin, qui fut depuis le roi Charles V. (A)

ENQUETES DE SANG, signifioit autrefois information en matiere criminelle ; elles étoient ainsi nommées à cause que dans ces matieres elles tendent souvent à faire infliger à l'accusé quelque peine qui emporte effusion de sang. L'ordonnance de Philippe V. dit le Long, du mois de Décembre 1320, pour le parlement, porte que les enquêtes seront remises en trois huches ou coffres ; savoir, en l'une les enquêtes à juger, en l'autre les enquêtes jugées, & en la troisieme les enquêtes de sang. (A)

ENQUETE SECRETTE ; les informations en matiere criminelle étoient quelquefois ainsi nommées, parce qu'une des principales différences qu'il y a entre ces sortes de preuves & les enquêtes civiles, c'est que les informations sont pieces secrettes. (A)

ENQUETE SOMMAIRE, est celle qui se fait sommairement & sans beaucoup de formalité, lorsque le juge entend les témoins à l'audience, comme il se pratique dans les matieres sommaires.

L'ordonnance de 1667, tit. xvij. art. 8. dit que si les parties se trouvent contraires en faits dans les matieres sommaires, & que la preuve par témoins en soit reçûe, les témoins seront oüis en la prochaine audience, en la présence des parties si elles comparent, sinon en l'absence des défaillans ; & que néanmoins, à l'égard des cours, des requêtes de l'hôtel & du palais & des présidiaux, les témoins pourront être oüis au greffe par un conseiller, le tout sommairement, sans frais, & sans que le délai puisse être prorogé.

L'article 9. ajoûte que les reproches seront proposés à l'audience avant que les témoins soient entendus, si la partie en présente ; qu'en cas d'absence, il sera passé outre à l'audition, & qu'il sera fait mention sur le plumitif ou par le procès-verbal, si c'est au greffe, des reproches & de la déposition des témoins. Voyez aussi l'art. 25. de l'ordonnance. (A)

ENQUETES PAR TURBES, étoit une espece d'acte de notoriété ou information que les cours souveraines ordonnoient quelquefois, lorsqu'en jugeant un procès il se trouvoit de la difficulté, soit sur une coûtume non écrite, soit sur la maniere d'user pour celle qui étoit rédigée par écrit, ou sur le style d'une jurisdiction, ou enfin concernant des limites ou une longue possession, ou sur quelqu'autre point de fait important.

On les appelloit ainsi, parce que les dispositions étoient données per turbas, & non l'une après l'autre, comme il se pratique dans les enquêtes ordinaires & dans les informations.

Ces sortes d'enquêtes ne pouvoient être ordonnées que par les cours souveraines ; les présidiaux même n'en pouvoient pas ordonner.

La cour ordonnoit qu'un conseiller se transporteroit dans la jurisdiction principale de la coûtume ou du lieu.

Le commissaire y faisoit assembler, en vertu de l'arrêt, les avocats, procureurs & praticiens du bailliage ; il leur donnoit les faits & articles ; & les turbiers après être convenus de leurs faits, envoyoient au commissaire leur avis ou déclaration par un député d'entr'eux.

Chaque turbe devoit être composée au moins de dix témoins ; & il falloit du moins deux turbes pour établir un fait, chaque turbe n'étant comptée que pour un, suivant les ordonnances de Charles VII. en 1446, art. 22 ; de Louis XII. en 1498, art. 13 ; de François I. en 1535, chap. vij. art. 4. & 7.

Ces enquêtes occasionnoient de grands frais ; elles étoient souvent inutiles à cause de la diversité des opinions, & toûjours dangereuses à cause des factions qui s'y pratiquoient, c'est pourquoi elles ont été abrogées par l'ordonnance de 1667, tit. xiij.

Il y en a cependant eu depuis une confirmée par arrêt du conseil du 7 Septembre 1669 ; mais elle avoit été ordonnée dès 1666, & il y avoit eu arrêt en 1668, qui avoit permis de la continuer.

Présentement lorsqu'il s'agit d'établir un usage ou un point de jurisprudence, on ordonne des actes de notoriété, ou bien on employe des jugemens qui ont été rendus dans des cas semblables à celui dont il s'agit. Voyez NOTORIETE. (A)

ENQUETE VERBALE. Voyez ENQUETE SOMMAIRE.

ENQUETE VIEILLE, c'est-à-dire une enquête faite anciennement avec d'autres parties : elle ne laisse pas de faire preuve quand elle est en bonne forme ; mais étant res inter alios acta, elle n'a pas la même force que celle qui est faite contre la même partie. Voyez Peleus, quest. 46. (A)


ENQUÊTEURSS. m. pl. (Jurisp.) sont des officiers établis pour faire les enquêtes & informations ; on les appelle aussi examinateurs, parce qu'ils font l'examen des comptes, & ces deux titres sont ordinairement précédés de celui de commissaire, parce que ces offices ne sont proprement que des commissions particulieres établies pour décharger le juge d'une partie de l'instruction. Ce qui concerne ces officiers a déjà été expliqué aux mots COMMISSAIRE AU CHATELET & COMMISSAIRES-ENQUETEURS, auxquels nous renvoyons. (A)

ENQUETEURS DES FORETS, inquisitores forestarum, étoient des commissaires envoyés par le roi dans les provinces, pour connoître des abus qui se commettoient dans l'usage ou exploitation des bois. Il y a dans le tabulaire de S. Victor à Paris (cap. xiij.) un jugement fort ancien, dont la date ne peut se lire, rendu par Me Philippe le Convers, trésorier de S. Etienne de Troyes, clerc du roi, & Guillaume de Saint-Michel, enquêteurs des forêts. (A)


ENQUISadj. (Jurisprud.) Ce terme qui vient d'enquérir, signifie à peu-près la même chose qu'interrogé. Il est usité principalement dans les enquêtes ; le procès-verbal dit, en parlant d'un témoin, enquis de ses nom, surnom, âge & qualités, a répondu, &c. Voyez ENQUETE. (A)


ENRAYERv. neut. (Manége, Maréchall.) expression en usage, en parlant d'une voiture quelconque à deux ou à quatre roues, pour désigner l'action de fixer une ou deux d'entr'elles, de maniere que la voiture étant mise en mouvement, elles demeurent immobiles, & glissent sur le terrein au lieu d'y rouler.

Cette précaution est extrèmement prudente, lorsqu'il est question de descendre une montagne rapide. Par ce moyen on soulage considérablement des chevaux qui pourroient succomber sous le poids du fardeau qui les pousse, & qu'ils sont obligés de retenir, avec une force qui met à des épreuves cruelles leurs reins & leurs jarrets. On conçoit sans-doute les accidens qui pourroient arriver, si ce même poids, à la chûte duquel ils s'opposent, l'emportoit sur leur résistance. Voyez ENRAYURE. (e)


ENRAYURES. f. (Manége, Maréchall.) On appelle de ce nom toute corde, toute longe, tout lien destiné à enrayer une voiture. Une simple corde propre à tout autre usage, est nommée ainsi, lorsqu'on s'en sert à cet effet. Communément celles qui y sont consacrées, sont repliées en boucle à l'une de leurs extrémités ; on les passe d'abord dans un des brancards, & on les y fixe, en introduisant l'extrémité non repliée dans l'anneau fait à l'autre. Après les y avoir fermement arrêtées, on fait plusieurs tours, en embrassant deux rais de la roue & le même brancard en avant de la bande de cette même roue, & l'on termine toutes ces circonvolutions par un double noeud coulant. Il en est d'autres que l'on passe de même dans le brancard, mais l'extrémité qui répond aux roues est garnie d'un crochet de fer très-gros & très-fort que l'on accroche à un rais seulement. Celle-ci est plus ordinairement faite d'un cuir, ayant la même force que les traits des harnois ; on arrête ce cuir par le moyen d'une boucle au brancard qu'il embrasse, tandis que le crochet attaché à ce cuir par le moyen d'un anneau de fer tient pareillement à un des rais.

L'enrayure ordinaire des voituriers, des charretiers & des rouliers consiste dans une grande perche qu'ils attachent par un bout à l'extrémité postérieure du brancard, en arriere de la bande de la roue, & à l'extrémité antérieure en avant de la même bande, pour que cette même perche, par son appui forcé contre les jantes de la roue, occasionne un frottement qui tient lieu de l'enrayure, & fatigue moins le roüage. (e)

ENRAYURES, s. f. pl. (Charpente) c'est l'assemblage de toutes les pieces qui composent une ferme.


ENREGISTREMENTS. m. (Jurisprud.) signifie en général la transcription d'un acte dans un registre, soit en entier ou par extrait. Cette formalité a pour objet de conserver la teneur d'un acte dont il peut importer au Roi, ou au public, ou à quelque particulier, d'avoir connoissance.

Les marchands & négocians, banquiers & agens de change sont obligés, suivant l'ordonnance du commerce, d'avoir des livres ou registres, & d'y enregistrer (ou écrire) tout leur négoce, leurs lettres de change, dettes actives & passives.

On enregistre les baptêmes, mariages & sépultures, vêtures, professions en religion, en inscrivant les actes sur des registres publics destinés à cet effet.

Les actes sujets au contrôle, insinuation, centieme denier ou autre droit, sont enregistrés, c'est-à-dire transcrits en entier ou par extrait sur les registres destinés pour ces formalités.

On enregistre aussi les saisies réelles, les criées, les substitutions, des bulles & provisions, &c. (A)

ENREGISTREMENT des ordonnances, édits, déclarations, & autres lettres patentes, pris dans le sens littéral, n'est autre chose que la transcription de ces nouveaux reglemens que le greffier des jurisdictions, soit supérieures ou inférieures, fait sur les registres du tribunal en conséquence de la vérification qui en a été faite précédemment par les tribunaux supérieurs qui ont le droit & le pouvoir de vérifier les nouvelles lois.

Néanmoins dans l'usage, on entend aussi par le terme d'enregistrement la vérification que les cours font des nouvelles ordonnances, l'arrêt ou jugement qui en ordonne l'enregistrement, l'admission qui est faite en conséquence par le greffier, du nouveau réglement au nombre des minutes du tribunal, le procès-verbal qu'il dresse de cet enregistrement, la mention qu'il en fait par extrait sur le repli des lettres : on confond souvent dans le discours toutes ces opérations, quoiqu'elles soient fort différentes les unes des autres.

La vérification est un examen que les cours font des lettres qui leur sont adressées par le Roi, tant pour vérifier par les formes nationales si le projet de loi qui est présenté est émané du prince, ou si au contraire les lettres ne sont point supposées ou falsifiées, que pour délibérer sur la publication & enregistrement d'icelles, & consentir au nom de la nation que le projet de loi soit registré & exécuté, au cas qu'il y ait lieu de l'approuver.

L'arrêt d'enregistrement est le jugement qui, en conséquence de la vérification qui a été faite & du consentement donné à l'exécution de la loi, ordonne qu'elle sera mise au nombre des minutes du tribunal, & transcrite dans ses registres.

L'admission du nouveau réglement au nombre des minutes du tribunal, & qui est le véritable enregistrement, a pour objet de marquer que la loi a été vérifiée & reçûe, & en même tems de constater cette loi, en la conservant dans un dépôt public où elle soit permanente, & où l'on puisse recourir au besoin & vérifier sur l'original la teneur de ses dispositions. Elle est différente de la transcription qui se fait de ce même réglement sur les registres en parchemin pour en mieux assûrer la conservation.

Le procès-verbal d'enregistrement est la relation que fait le greffier de ce qui s'est passé à l'occasion de la vérification & enregistrement, & de l'admission qui a été faite en conséquence du nouveau réglement entre les minutes du tribunal.

La mention de l'enregistrement que le greffier met sur le repli des lettres, est un certificat sommaire par lequel il atteste qu'en conséquence de l'arrêt de vérification & enregistrement, il a mis le réglement au nombre des minutes & registres du tribunal.

La transcription sur les registres en parchemin n'est qu'une suite de l'enregistrement, & une opération qui ne se fait quelquefois que long-tems après, pour la police du greffe & pour suppléer au besoin la minute du réglement.

On conçoit, par ce qui vient d'être dit, combien la vérification est différente de la simple transcription qui se fait dans les registres ; mais comme le style des cours, lorsqu'elles ont vérifié une loi, est d'ordonner qu'elle sera registrée dans leur greffe, il est arrivé de-là que dans l'usage, lorsqu'on veut exprimer qu'une loi a été vérifiée, on dit communément qu'elle a été enregistrée ; ce qui dans cette occasion ne signifie pas simplement que la loi a été insérée dans les registres, on entend principalement par-là que la vérification qui précede nécessairement cet enregistrement a été faite.

Toutes les différentes opérations dont on vient de parler, se rapportent à deux objets principaux ; l'un est la vérification du nouveau réglement, l'autre est son admission dans les registres du tribunal : c'est pourquoi l'on se fixera ici à ces deux objets ; c'est-à-dire que l'on expliquera d'abord ce qui concerne l'enregistrement en tant qu'il est pris pour la vérification, & ensuite l'enregistrement en tant qu'il signifie l'admission ou transcription du réglement dans les minutes & registres du tribunal.

Avant d'expliquer de quelle maniere on procede à la vérification & enregistrement d'une loi, il est à propos de remonter à l'origine des vérifications & enregistremens, & de rappeller ce qui se pratiquoit auparavant pour donner aux nouvelles lois le caractere d'autorité nécessaire pour leur exécution.

On a toûjours eu l'attention chez toutes les nations policées, de faire examiner les nouvelles lois que le prince propose, par ceux qu'il a lui-même chargés du soin de les faire exécuter. La loi viij. au code de legibus, fait mention que les nouvelles lois devoient être proposées en présence de tous les grands officiers du palais & des sénateurs : Vopiscus dit de l'empereur Probus qu'il permit aux sénateurs ut leges quas ipse ederet senatus consultis propriis consecrarent, ce qui ressemble parfaitement à nos arrêts d'enregistrement.

En France on a pareillement toûjours reconnu la nécessité de faire approuver les nouvelles lois par la nation, ou par les cours souveraines qui la représentent en cette partie, & qui étant dépositaires de l'autorité royale, exercent à cet égard un pouvoir naturel, émané du Roi même par la force de la loi ; c'est ainsi que s'expliquoit le chancelier Olivier dans un discours fait au parlement en 1559.

Il est vrai que jusqu'au treizieme siecle il n'est point parlé de vérifications ni d'enregistremens, mais il y avoit alors d'autres formes équipollentes.

Sous les deux premieres races, lorsque nos rois vouloient faire quelque loi nouvelle, ils la proposoient ou faisoient proposer par quelque personne de considération dans un de ces parlemens généraux ou assemblées de la nation, qui se tenoient tous les ans, d'abord au mois de Mars, & que Pepin transféra au mois de Mai.

Ces assemblées étoient d'abord composées de toute la nation, des grands & du peuple ; mais sous ce nom de peuple, on ne comprenoit que les Francs, c'est-à-dire ceux qui composoient originairement la nation françoise, ou qui étoient descendus d'eux, & ceux qui étoient ingénus, c'est-à-dire libres.

Chacun dans ces assemblées avoit droit de suffrage : on frappoit sur ses armes pour marquer que l'on agréoit la loi qui étoit proposée ; ou s'il s'élevoit un murmure général, elle étoit rejettée.

Lorsque l'on écrivit & que l'on réforma la loi salique sous Clovis, cette affaire fut traitée dans un parlement, de concert avec les Francs, comme le marque le préambule de cette loi : Clodoveus unà cum Francis pertractavit ut ad titulos aliquid amplius adderet ; c'est aussi de-là qu'on lui donna le nom de pacte de la loi salique. On voit en effet que ce n'est qu'un composé d'arrêtés faits successivement dans les différens parlemens : elle porte entr'autres choses, que les Francs seroient juges les uns des autres avec le prince, & qu'ils décerneroient ensemble les lois à l'avenir, selon les occasions qui se présenteroient, soit qu'il fallût garder en entier ou réformer les anciennes coûtumes venues d'Allemagne.

Aussi Childebert en usa-t-il de cette sorte, lorsqu'il fit de nouvelles additions à cette loi : Childebertus tractavit, est-il dit, cum Francis suis.

Ce même prince, dans un decret qui contient encore d'autres additions, déclare qu'elles sont le résultat d'un parlement composé des grands & des personnes de toutes conditions, ce qui ne doit néanmoins être entendu que de personnes franches & libres : Cum nos omnes, calendis Martii (congregati) de quibuscumque conditionibus, unà cum nostris optimatibus pertractavimus. Ces additions furent même faites en différens parlemens ; l'une est datée du champ de Mars d'Atigny, l'autre du champ de Mars suivant, une autre du champ de Mars tenu à Maestricht, &c.

Les autres lois anciennes furent faites de la même maniere : celle des Allemands, par exemple, porte en titre dans les anciennes éditions, qu'elle a été établie par ses princes ou juges, & même par tout le peuple : Quae temporibus Clotarii regis, unà cum principibus suis, id sunt 34 episcopis, & 34 ducibus, & 72 comitibus, vel caetero populo constituta est.

On lit aussi dans la loi des Bavarois, qui fut dressée par Thierry, & revûe successivement par Childebert, Clotaire & Dagobert, qu'elle fut résolue par le roi & ses princes, & par tout le peuple : Hoc decretum est apud regem & principes ejus, & apud cunctum populum christianum, qui intra regnum Mervengorum constant.

Toutes les autres lois de ce tems font mention du consentement général de la nation, à peu-près dans les mêmes termes : Placuit atque convenit inter Francos & eorum proceres ; ita convenit & placuit leudis nostris. Ce terme leudes comprenoit alors non seulement les grands, mais en général tous les Francs, comme il est dit dans l'appendix de Grégoire de Tours, in universis leudis, tam sublimibus quam pauperibus. Pour ce qui est de l'ancienne formule, ita placuit & convenit nobis, il est visible que c'est de là qu'est venue cette clause de style dans les lettres patentes, car tel est notre plaisir, &c.

Les assemblées générales de la nation étant devenues trop nombreuses, on n'y admit plus indistinctement toutes les personnes franches : on assembloit les Francs dans chaque province ou canton pour avoir leur suffrage, & le voeu de chaque assemblée particuliere étoit ensuite rapporté par des députés à l'assemblée générale, qui n'étoit plus composée que des grands du royaume & des autres personnes qui avoient caractere pour y assister, tels que les premiers sénateurs ou conseillers.

C'est ainsi que Charlemagne, l'un de nos plus grands & de nos plus puissans monarques, en usa, lorsqu'il voulut faire une addition à la loi salique ; il ordonna que l'on demanderoit l'avis du peuple, & que s'il consentoit à l'addition nouvellement faite, chaque particulier y mît son seing ou son sceau : Ut populus interrogetur de capitulis quae in lege noviter addita sunt, & postquam omnes consenserint, suscriptiones vel manu firmationes suas in ipsis capitulis faciant. Cette ordonnance fut insérée dans la loi salique, & autorisée de nouveau par Charles le Chauve, lequel la fit insérer dans l'épitome qu'il donna de cette loi.

Plusieurs des capitulaires de Charles le Chauve portent pareillement qu'ils ont été faits ex consensu populi & constitutione regis, notamment ceux des années 844 & 864.

C'est donc de ces assemblées générales de la nation que se sont formés les anciens parlemens tenus sous la seconde race ; lesquels, d'ambulatoires qu'ils étoient d'abord, furent rendus sédentaires à Paris sous la troisieme race, du tems de Philippe le Bel.

Lorsque les parlemens généraux furent réduits aux seuls grands du royaume, & autres personnes qui avoient caractere pour y assister, tous les Francs étoient censés y délibérer par l'organe de ceux qui les y représentoient.

Les nouvelles ordonnances étoient alors délibérées en parlement, le roi y séant, ou autre personne qualifiée de par lui, c'est-à-dire qu'elles étoient dressées dans le parlement même, au lieu que dans la suite on en a rédigé le projet dans le conseil du roi.

La délibération en parlement tenoit lieu de la vérification & enregistrement, dont l'usage a été introduit depuis. Cette délibération étoit d'autant plus nécessaire pour donner force aux nouvelles lois, que suivant la police qui s'observoit alors pour les fiefs, les barons ou grands vassaux de la couronne qui étoient tous membres du parlement, étoient chacun maîtres dans leurs domaines, qui composoient au moins les deux tiers du royaume ; ils s'étoient même arrogé le droit d'y faire des réglemens ; & le roi n'y pouvoit rien ordonner que de leur consentement, c'est pourquoi il en fait mention dans plusieurs ordonnances qui devoient avoir lieu dans les terres de ces barons.

Tels sont deux établissemens ou ordonnances faites par Philippe-Auguste ; l'une du premier Mai 1209, touchant les fiefs du royaume, où il est dit que le roi, le duc de Bourgogne, les comtes de Nevers, de Boulogne & de Saint-Paul, le seigneur de Dompierre, & plusieurs autres grands du royaume, convinrent unanimement de cet établissement : convenerunt & assensu publico formaverunt, ut a primo die Maii in posterum ita sit de feodalibus tenementis ; l'autre ordonnance, qui est sans date, est un accord entre le roi, les clercs, & les barons.

On trouve aussi un établissement de Louis VIII. en 1223, où il dit : Noveritis quod per voluntatem & assensum archiepiscoporum, episcoporum, comitum, baronum & militum regni Franciae... fecimus stabilimentum per judaeos.

Joinville, en son histoire de S. Louis, fait mention des parlemens que tenoit ce prince pour faire ses nouveaux établissemens. Il suffit d'en donner quelques exemples, tels que son ordonnance du mois de Mai 1246, où il dit : Haec autem omnia.... de communi consilio & assensu dictorum baronum & militum, volumus & praecipimus, &c... & ce qu'il fit touchant le cours des esterlins, à la fin de laquelle il est dit, facta fuit haec ordinatio in parlamento omnium Sanctorum, anno Domini millesimo ducentesimo sexagesimo quinto.

Le regne de Philippe III. dit le Hardi, nous offre une foule d'ordonnances faites par ce prince en parlement, notamment celles qu'il fit aux parlemens de l'Ascension en 1272, de l'octave de la Toussaints de la même année, de la Pentecôte de l'année suivante, de l'Assomption en 1274, de la Toussaints ou de Noël en 1275, de l'Epiphanie en 1277, & de la Toussaints en 1283. Les ordonnances ainsi délibérées en parlement, étoient regardées en quelque sorte comme son ouvrage, de même que ses arrêts ; c'est pourquoi on les inscrivoit au nombre des arrêts de la cour, comme il est dit à la fin des ordonnances de 1283 : Haec ordinatio registrata est inter judicia, consilia & arresta expedita in parlamento omnium Sanctorum, anno Domini 1283. La même chose se trouve à la fin d'une ordonnance de 1287, & aussi de deux autres de 1327 & de 1331, & de plusieurs autres.

Philippe le Bel fit aussi plusieurs ordonnances en parlement dans les années 1287, 1288, 1290, 1291, 1296. La premiere de ces ordonnances, qui est celle de 1287, commence par ces mots, c'est l'ordonnance faite par la cour de notre seigneur le Roi & de son commandement ; & à la fin il est dit qu'elle fut faite au parlement, & qu'elle seroit publiée en chaque baillie en la premiere assise, &c.

A la fin de celle de 1288, il est dit que si quelqu'un y trouve de la difficulté, on consultera la cour du roi & les maîtres (du parlement).

Il s'en trouve aussi plusieurs du même prince, faites en parlement depuis qu'il eut rendu cette cour sédentaire à Paris en 1302 ; entr'autres celle du 3 Octob. 1303, faite avec une partie seulement des barons ; parce que, dit Philippe le Bel, il ne pouvoit pas avoir à ce conseil & à cette délibération les autres prélats & barons si-tôt que la nécessité le requerroit ; & les barons dans leur souscription s'énoncent ainsi : nous, parce que ladite ordonnance nous semble convenable & profitable à la besogne, & si peu greveuse... que nul ne la doit refuser, nous y consentons. L'ordonnance de ce prince du 28 Février 1308, deux autres du jeudi avant les Rameaux de la même année, & une autre du premier Mai 1313, sont faites en plein parlement.

Il s'en trouve de semblables de Philippe VI. dit de Valois, des 24 Juillet 1333, 10 Juillet 1336, 17 Mai 1345, & après la S. Martin d'hyver en 1347.

Il y a encore bien d'autres ordonnances du tems de ces mêmes princes, lesquelles furent aussi délibérées en parlement, quoique cela n'y soit pas dit précisément ; mais il est aisé de le reconnoître à l'époque de ces ordonnances, qui sont presque toutes datées des tems voisins des grandes fêtes auxquels on tenoit alors le parlement.

On trouve encore, du tems de Charles VI. un exemple de lettres du 5 Mars 1388, qui furent données en parlement.

Quelques-uns croyent que l'on en usa ainsi jusqu'au regne du roi Jean, par rapport à la maniere de former les nouvelles lois dans l'assemblée du parlement, & que ce fut ce prince qui changea cet usage par une de ses ordonnances, portant que les lois ne seroient plus délibérées au parlement, lorsque l'on en formoit le projet. Le chancelier Olivier, dans un discours qu'il prononça au parlement en 1559, cite cette ordonnance sans la dater ; il y a apparence qu'il avoit en vûe l'ordonnance faite le 27 Janvier 1359, pendant la captivité du roi, par Charles régent du royaume, & qui fut depuis le roi Charles V. il dit (art. 29.) que dorénavant il ne fera plus aucune ordonnance, ni n'octroiera aucun privilége, que ce ne soit par délibération de ceux de son conseil.

Mais l'usage de former les nouvelles ordonnances dans le conseil du roi est beaucoup plus ancien que celle de 1359 ; il s'étoit introduit peu-à-peu dès le tems de Philippe III. & de ses successeurs. La plûpart des nouvelles ordonnances commencerent à être délibérées dans le conseil du roi, qui étoit aussi appellé le grand conseil du roi, & on les envoyoit ensuite au parlement pour les vérifier & enregistrer, comme il se pratique encore présentement.

Il faut néanmoins prendre garde que dans les premiers tems où les ordonnances commencerent à être délibérées dans le conseil, plusieurs des ordonnances qui sont dites faites ainsi, par le roi ou son conseil, ou par le conseil le roi présent, ne laissoient pas d'être délibérées en parlement, attendu que le roi tenoit souvent son conseil en parlement. C'est ainsi que l'ordonnance de Philippe III. dit le Hardi, touchant les amortissemens qui seroient accordés par les pairs, commence par ces mots : ordinatum fuit per consilium de regis, rege presente ; ce qui n'empêche pas qu'elle n'ait été faite au parlement de l'Epiphanie en 1277.

On a déjà vû que dès l'année 1283, il est fait mention d'enregistrement au bas de quelques ordonnances. Il est vrai que la plûpart de celles où cette mention se trouve avoient été délibérées en parlement ; de sorte que cet enregistrement exprimé par le mot registrata, se rapportoit moins à une vérification telle qu'on l'entend aujourd'hui par le terme d'enregistrement, qu'à une simple transcription de la piece sur les registres ; la délibération faite en parlement tenoit lieu de vérification.

La plus ancienne ordonnance que j'aye trouvée du nombre de celles qui n'avoient pas été délibérées en parlement, & où il soit fait mention d'un enregistrement qui emporte en même tems la vérification de la piece, c'est l'ordonnance de Philippe-de-Valois, du mois d'Octobre 1334, touchant la régale. Ce prince mande à ses amés & féaux les gens qui tiendront le prochain parlement, & aux gens des comptes, que, à perpétuelle mémoire ils fassent ces présentes enregistrer és chambres de parlement & des comptes, & garder pour original au trésor des chartes.

On lit aussi au bas des lettres du même prince, du 10 Juillet 1336, concernant l'évêque d'Amiens, lecta per cameram, registrata in curiâ parlamenti in libro ordinationum regiarum, fol. 50, anno nono. Ce mot lecta fait connoître qu'il étoit dès-lors d'usage de faire la lecture & publication des lettres avant de les enregistrer : celles-ci à la vérité furent données en parlement. Et les autres mots registrata.... in libro ordinationum, justifient qu'il y avoit déjà des registres particuliers destinés à transcrire les ordonnances.

L'usage de la lecture & publication qui précede l'enregistrement, continua de s'affermir sous les regnes suivans. Il paroît par une ordonnance du roi Jean, du mois de Mai 1355, par laquelle il confirme pour la seconde fois celle de Philippe-le-Bel, du 23 Mars 1302, pour la réformation du royaume. Il est fait mention au bas de ces lettres, qu'elles ont été lûes & publiées solennellement en parlement, en présence de l'archevêque de Roüen chancelier, de plusieurs autres prélats, barons, présidens, & conseillers du roi au parlement, & en présence de tous ceux qui voulurent s'y trouver ; ce qui justifie que cette lecture se faisoit publiquement.

Charles V. dans une ordonnance du 14 Août 1374, mande aux gens de son parlement, afin que personne ne prétende cause d'ignorance de ladite ordonnance, de la faire publier & registrer tant à ladite cour, que dans les lieux principaux & accoûtumés des sénéchaussées dont cette ordonnance fait mention.

Dans le même mois fut enregistrée la fameuse ordonnance qui fixe la majorité des rois de France à l'âge de quatorze ans. Il est dit qu'elle fut lûe & publiée en la chambre du parlement, en présence du roi tenant son lit de justice, & en présence de plusieurs notables personnages, dont les principaux sont dénommés ; qu'elle fut écrite & mise dans les registres du parlement, & que l'original fut mis au trésor des chartes.

On trouve encore beaucoup d'autres exemples d'enregistremens du même regne : mais nous nous contenterons d'en rapporter encore un du tems de Charles VI. dont il est parlé dans son ordonnance du 5 Février 1388, touchant le parlement ; le roi lui-même ordonne aux gens de son parlement que cette presente ordonnance ils fassent lire & publier, & icelle enregistrer afin de perpétuelle mémoire.

Il seroit inutile de rapporter d'autres exemples plus récens de semblables enregistremens, cette formalité étant devenue dès-lors très-commune.

La forme des vérifications & enregistremens fut donc ainsi substituée au droit dont le parlement avoit toûjours joüi, de concourir avec le souverain à la formation de la loi. Le parlement conserva pour les vérifications la même liberté de suffrages qu'il avoit, lorsque les ordonnances étoient délibérées en parlement ; & si le régent dans son ordonnance du 27 Janvier 1359, n'a pas expliqué que cette liberté étoit conservée au parlement, c'est que la chose étoit assez sensible d'elle même, étant moins un droit nouveau qu'une suite du premier droit de cette compagnie. C'eût été d'ailleurs une entreprise impraticable à ce prince, sur-tout dans un tems de régence, d'abroger entierement des usages aussi anciens que précieux pour la nation & pour les intérêts même du roi ; on ne peut présumer une telle idée dans un prince encore entouré de vassaux qui disputoient de puissance avec leur souverain : ce fut assez pour le régent d'affranchir le roi de l'espece d'esclavage où étoient ses prédécesseurs, de ne pouvoir former le projet d'aucune loi sans le concours du parlement ; il se contenta de recouvrer la vraie prérogative du sceptre, & dont nos premiers rois usoient en dirigeant seuls ou avec leur conseil particulier, les lois qu'ils proposoient ensuite aux champs de Mars & de Mai.

Le roi Jean, & Charles son fils en qualité de régent du royaume, envoyerent donc leurs lois toutes dressées au parlement, qui les vérifia & enregistra avec toute liberté de suffrages. On fit des remontrances selon l'exigence des cas, pour justifier les motifs de son refus, ainsi que cela s'est toûjours pratiqué depuis : en quoi nos rois ont de leur part suivi cette belle parole que Cassiodore rapporte de Thierri roi d'Italie, pro aequitate servandâ etiam nobis patimur contradici.

L'enregistrement des nouvelles ordonnances n'est pas comme l'on voit un simple cérémonial ; & en insérant la loi dans les registres, l'objet n'est pas seulement d'en donner connoissance aux magistrats & aux peuples, mais de lui donner le caractere de loi, qu'elle n'auroit point sans la vérification & enregistrement, lesquels se font en vertu de l'autorité que le roi lui-même a confiée à son parlement.

Pour être convaincu de cette vérité, il suffit de rapporter deux témoignages non-suspects à ce sujet ; l'un de Louis XI. lequel disoit que c'est la coûtume de publier au parlement tous accords, qu'autrement ils seroient de nulle valeur ; l'autre de Charles IX. lequel en 1561 faisoit dire au pape par son ambassadeur, qu'aucun édit, ordonnance, ou autres actes n'ont force de loi publique dans le royaume, qu'il n'en ait été délibéré au parlement.

Nos rois en parlant de l'examen que les cours font des nouveaux réglemens qui leur sont présentés, l'ont eux-mêmes souvent qualifié de vérification ou enregistrement comme termes synonymes.

C'est ainsi que Charles régent du royaume, & qui fut depuis le roi Charles V. s'explique dans une ordonnance du dernier Novembre 1358 ; il défend aux gens des comptes qu'ils ne passent, vérifient, ou enregistrent en la chambre aucunes lettres contraires à cette ordonnance.

L'ordonnance de Roussillon, article 35, porte que les vérifications des cours de parlement sur les édits, ordonnances, & lettres patentes, seront faites en françois.

Celle qui fut faite au mois d'Octobre pour la Bretagne, porte que la cour procédera en toute diligence à la vérification des édits & lettres patentes.

L'édit d'Henri IV. du mois de Janvier 1597, art. 2. veut que si-tôt que les édits & ordonnances ont été renvoyés aux cours souveraines, il soit promtement procédé à la vérification, &c.

Il est vrai que pour l'ordinaire, dans l'adresse qui est faite des lettres aux cours, le roi leur mande seulement qu'ils ayent à les faire lire, publier, & enregistrer : mais cela est très-naturel ; parce que quand il envoye une loi, il présume qu'elle est bonne, & que la vérification ne fera aucune difficulté : d'ailleurs la lecture même qu'il ordonne être saite du réglement, est pour mettre les membres de la compagnie en état de délibérer sur la vérification.

Les ordonnances, édits, déclarations, & autres lettres patentes contenant réglement général, ne sont point enregistrées au conseil du roi, attendu que ce n'est pas une cour de justice ; elles ne sont adressées par le roi qu'aux cours souveraines & aux conseils supérieurs qui font les mêmes fonctions.

Lorsqu'on les adresse à différentes cours, elles sont d'abord vérifiées & enregistrées au parlement de Paris ; c'est une des prérogatives de ce parlement : c'est pourquoi Charles IX. ayant été déclaré majeur à 13 ans & jour au parlement de Roüen en 1563, le parlement de Paris n'enregistra cette déclaration qu'après d'itératives remontrances, fondées sur le droit qu'il a de vérifier les édits avant tous les autres parlemens & autres cours.

Les ordonnances & les édits sont enregistrés toutes les chambres assemblées ; & si c'est dans une compagnie semestre, on assemble pour cet effet les deux semestres. Les déclarations données en interprétation de quelque édit, sont ordinairement enregistrées par la grand-chambre seule, apparemment pour en faire plus promte expédition, & lorsque les déclarations sont moins de nouvelles lois, qu'une suite nécessaire & une simple explication de lois déjà enregistrées.

Il y a quelquefois de nouveaux réglemens qui ne sont adressés qu'à certaines cours, qu'ils concernent seules : mais quand il s'agit de réglemens généraux, ils doivent être enregistrés dans tous les parlemens & conseils souverains.

On les fait aussi enregistrer dans les autres cours souveraines, lorsqu'il s'agit de matieres qui peuvent être de leur compétence. C'est ainsi que dans une ordonnance de Charles V. du 24 Juillet 1364, il est dit que ces lettres seront publiées par-tout où il appartiendra, & enregistrées en la chambre des comptes & en celle du trésor à Paris.

Quand on refusoit d'enregistrer des lettres à la chambre des comptes, on les mettoit dans une armoire qui étoit derriere la porte de la grand-chambre (c'étoit apparemment le grand bureau), avec les autres chartes refusées & non-expédiées, & l'on en faisoit mention en marge des lettres. Il y en a un exemple dans des lettres de Charles V. du mois de Mars 1372. La chambre ayant refusé en 1595 d'enregistrer un édit portant création de receveurs provinciaux des parties casuelles, ordonna qu'il seroit informé contre ceux qui administrent mémoires & inventions d'édits préjudiciables à la grandeur & autorité du roi ; elle fit le 21 Juin des remontrances à ce sujet, & l'édit fut retiré.

Les généraux des aides dès les premiers tems de leur établissement, enregistroient aussi les lettres qui leur étoient adressées ; tellement que Charles V. par une ordonnance du 13 Novembre 1372, défend au receveur général de payer sur aucunes lettres ou mandemens, s'ils ne sont vérifiés en la chambre ou ailleurs, où les généraux seront assemblés ; & il est dit que dorénavant les notaires mettront ès vérifications le lieu où elle aura été faite ; qu'en toutes lettres & mandemens refusés en la chambre (des généraux), il sera écrit au dos signé des notaires, que les lettres ont été refusées, & cela quand même les généraux au lieu de les refuser absolument, prendront un long délai pour faire réponse ; & il ordonne, non pas que les lettres mêmes, mais que la teneur (c'est-à-dire la substance) des lettres sera enregistrée en la chambre ; ce qui signifie en cet endroit que l'on fera mention de ces lettres sur le registre, & que l'on y expliquera au long les causes du refus.

La cour des aides qui tire son origine de ces généraux des aides, est pareillement en possession de vérifier & enregistrer toutes les ordonnances, édits, déclarations, & autres lettres qui lui sont adressées, & d'en envoyer des copies aux siéges de son ressort, pour y être lûes, publiées, & registrées.

L'ordonnance de Moulins & l'édit du mois de Janvier 1597, enjoignent aux cours de procéder incessamment à la vérification des ordonnances, toutes autres affaires cessantes. L'ordonnance de 1667 ajoûte même la visite & jugement des procès criminels, ou affaires particulieres des compagnies.

Mais comme il peut échapper à nos rois de signer des ordonnances dont ils n'auroient pas d'abord reconnu le défaut, ils ont plusieurs fois défendu eux-mêmes aux cours d'enregistrer aucunes lettres qui seroient scellées contre la disposition des ordonnances. Il y a entr'autres des lettres de Charles VI. du 15 Mai 1403, pour la révocation des dons faits sur le domaine, qui font défenses aux gens des comptes & trésoriers à Paris, présens & à venir, supposé qu'il fut scellé quelques lettres contraires à celles-ci, d'en passer ni vérifier aucunes, quelques mandemens qu'ils eussent du roi, soit de bouche, ou autrement, sans en avertir le roi ou la reine, les oncles & freres du roi, les autres princes du sang, & gens du conseil.

Charles IX. par son édit du mois d'Octobre 1562, pour la Bretagne, dit que si la cour trouvoit quelque difficulté en la vérification des édits, elle enverra promtement ses remontrances par écrit, ou députera gens pour les faire.

La même chose est encore portée dans plusieurs autres déclarations postérieures.

Le parlement & les autres cours ont dans tous les tems donné au roi des preuves de leur attachement, en s'opposant à la vérification des ordonnances, édits, & déclarations, qui étoient contraires aux véritables intérêts de S. M. ou au bien public ; & pour donner une idée de la fermeté du parlement dans ces occasions, il suffit de renvoyer à ce que le premier président de la Vacquerie répondit à Louis XI. comme on le peut voir dans Pasquier, en ses recherches, liv. VI. chap. xxxjv.

Lorsque les nouveaux réglemens adressés aux cours sont seulement susceptibles de quelque explication, les cours les enregistrent avec des modifications. On en trouve des exemples dès le tems du roi Jean, notamment à la fin de deux de ses ordonnances du mois d'Avril 1361, où il est dit qu'elles ont été vûes, corrigées, & lûes en parlement. La possession des cours à cet égard est constante, & leur droit a été reconnu en différentes occasions, notamment par un réglement du conseil du 16 Juin 1644.

Les particuliers ne peuvent pas former opposition à l'enregistrement des ordonnances, édits, & déclarations, ni des lettres patentes portant réglement général, mais seulement aux lettres qui ne concernent que l'intérêt de quelques corps ou particuliers.

Le procureur général du roi peut aussi s'opposer d'office à l'enregistrement des lettres patentes obtenues par des particuliers, ou par des corps & communautés, lorsque l'intérêt du roi ou celui du public s'y trouve compromis. On trouve dès 1390 une opposition de cette espece formée à l'enregistrement de lettres patentes, du mois de Juin de la dite année, à la requête du procureur-général du roi, lequel fit proposer ses raisons à la cour par l'avocat du roi ; il fut plaidé sur son opposition, & l'affaire fut appointée. Le chapitre de Paris qui avoit obtenu ces lettres, se retira pardevers le roi, & en obtint d'autres, par lesquelles le roi enjoignit au parlement d'enregistrer les premieres. Le procureur-général du roi s'opposa encore à l'enregistrement de ces nouvelles lettres ; & lui & le chapitre ayant fait un accord sous le bon plaisir du parlement, & étant convenus de certaines modifications, le parlement enregistra les lettres à la charge des modifications.

Quoique les particuliers ne puissent pas former opposition à l'enregistrement des ordonnances, édits, déclarations, cette voie est néanmoins permise aux compagnies qui ont une forme publique, lorsque la loi que l'on propose paroît blesser leurs droits ou priviléges. Cela s'est vû plusieurs fois au parlement.

Pour ce qui est de la forme en laquelle se fait dans les cours l'enregistrement, c'est-à-dire l'inscription des nouveaux réglemens sur les registres, c'est une derniere opération qui est toûjours précédée de la lecture & vérification des réglemens ; elle étoit aussi autrefois précédée de leur publication, qui se faisoit à l'audience.

Il paroît que dès le tems de la seconde race, les comtes auxquels on envoyoit les nouveaux réglemens pour les faire publier dans leur siége, en gardoient l'expédition dans leur dépôt, pour y avoir recours au besoin ; mais il y avoit dès-lors un dépôt en chef dont tous les autres n'étoient qu'une émanation : ce dépôt étoit dans le palais du roi.

En effet Charles le Chauve ordonna en 803 que les capitulaires de son pere seroient derechef publiés ; que ceux qui n'en auroient pas de copie envoyeroient, selon l'usage, leur commissaire & un greffier, avec du parchemin, au palais du roi, pour en prendre copie sur les originaux qui seroient, dit-il, pour cet effet tirés de armario nostro ; c'est-à-dire du trésor des chartres de la couronne : ce qui fait connoître que l'on y mettoit alors l'original des ordonnances. C'est ce dépôt que S. Louis fit placer à côté de la sainte chapelle, où il est présentement, & dans lequel se trouve le registre de Philippe-Auguste, qui remonte plus haut que les registres du parlement, & contient plusieurs anciennes ordonnances de ce tems.

L'ancien manuscrit de la vie de S. Louis, que l'on conserve à la bibliotheque du Roi, fait mention que ce prince ayant fait plusieurs ordonnances, les fit enregistrer & publier au châtelet. C'est la premiere fois que l'on trouve ce terme, enregistrer, pour exprimer l'inscription qui se faisoit des reglemens entre les actes du tribunal ; ce qui vient de ce que jusqu'alors on n'usoit point en France de registres pour écrire les actes des tribunaux ; on les écrivoit sur des peaux, que l'on rouloit ensuite : & au lieu de dire les minutes & registres du tribunal, on disoit les rouleaux, rotula ; & lorsque l'on inscrivoit quelque chose sur ces rouleaux, cela s'appelloit inrotulare, comme il est dit dans deux ordonnances, l'une de Philippe-Auguste, de l'an 1218. art. 6. l'autre de Louis VIII. du mois de Novembre 1223. On trouve cependant au troisieme registre des olim, fol. 151 & 152, ensuite de deux arrêts, ces termes, ità registratum in rotulo istius parlamenti. Ainsi la mention que l'on faisoit d'un arrêt sur les rouleaux, s'appelloit aussi enregistrement.

Etienne Boileau, prévôt de Paris sous S. Louis, fut le premier qui fit écrire en cahiers ou registres, les actes de sa jurisdiction.

Jean de Montluc, greffier du parlement, fit de même un registre des arrêts de cette cour, qui commence en 1256 : cet usage fut continué par ses successeurs.

Le plus ancien registre de la chambre des comptes, appellé registre de S. Just, du nom de celui qui l'a écrit, fait mention qu'il a été copié par Jean de Saint Just, clerc des comptes, sur l'original à lui communiqué par Robert d'Artois.

Cet établissement de registres dans tous les tribunaux, a donné lieu d'appeller enregistrement, l'inscription qui est faite sur ces registres, des réglemens qui ont été vérifiés par les cours : & dans la suite on a aussi compris, sous le terme d'enregistrement, la vérification qui précede l'inscription sur les registres ; parce que cette inscription suppose que la vérification a été faite.

Dans les premiers tems où le parlement fut rendu sédentaire à Paris, il ne portoit guere dans ses registres que ses arrêts, ou les ordonnances qui avoient été délibérées ; c'est-à-dire dressées dans le parlement même : c'est de-là qu'au bas de quelques-unes il est dit, registrata est inter judicia, consilia & arresta expedita in parlamento, comme on l'a déja remarqué, en parlant d'une ordonnance de 1283. Le dauphin Charles, qui fut depuis le roi Charles V. dans une ordonnance qu'il fit au mois de Mars 1356, en qualité de lieutenant-général du royaume, pendant la captivité du roi Jean, dit, art. 14, qu'il seroit fait une ordonnance du nombre de gens qui tiendroient la chambre du parlement, les enquêtes & requêtes, &c, & que cette ordonnance tiendroit, seroit publiée & registrée. Le parlement faisoit inscrire ces ordonnances dans ses registres, comme étant en quelque sorte son ouvrage, aussi-bien que ses arrêts.

Quoiqu'il y eût alors plusieurs ordonnances qui n'étoient pas inscrites dans ses registres, il ne laissoit pas de les vérifier toutes, ou de les corriger, lorsqu'il y avoit lieu de le faire. L'expédition originale, qui avoit été ainsi vérifiée, étoit mise au nombre des actes du parlement ; ensuite il faisoit publier la nouvelle ordonnance à la porte de la chambre, ou à la table de marbre du palais : on en publioit aussi à la fenêtre, qui est apparemment le lieu où l'on délivre encore les arrêts. Voyez PUBLICATION.

Lorsque l'usage des vérifications commença à s'établir, on ne faisoit pas registre de cet examen, ni de la publication des ordonnances ; de sorte que l'on ne connoît guere si celles de ces tems ont été vérifiées, que par les corrections que le parlement y faisoit, lorsqu'il y avoit lieu, ou par les notes que le secrétaire du roi, qui avoit expédié les lettres, y ajoûtoit quelquefois.

Mais bien-tôt on fit registre exact de tout ce qui se passoit à l'occasion de la vérification & enregistrement, comme cela se pratique encore aujourd'hui.

Pour parvenir à la vérification d'une loi, on en remet d'abord l'original en parchemin, & scellé du grand sceau, entre les mains du procureur général, lequel donne ses conclusions par écrit ; la cour nomme un conseiller, qui en fait le rapport en la chambre du conseil : sur quoi, s'il y a lieu à l'enregistrement, il intervient arrêt, en ces termes : " Vû par la cour l'édit ou déclaration du tel jour, signé, scellé, &c. portant, &c. vû les conclusions du procureur général, & oui le rapport du conseiller pour ce commis ; la matiere mise en délibération, la cour a ordonné & ordonne que l'édit ou déclaration sera enregistré au greffe d'icelle, pour être exécuté selon sa forme & teneur, ou bien pour être exécuté sous telles & telles modifications. " Cet arrêt d'enregistrement renferme en soi la vérification & approbation de la loi, qu'il ordonne être registrée ; & c'est sans-doute la raison pour laquelle on confond la vérification avec l'enregistrement.

Le greffier fait mention de l'enregistrement sur le repli des lettres, en ces termes : " Registré, oüi le procureur général du roi, pour être exécuté selon sa forme & teneur, ou bien suivant les modifications portées par l'arrêt de ce jour. Fait en parlement le... signé, tel, &c. " C'est proprement un certificat, ou attestation, que le greffier met sur le repli des lettres de l'enregistrement, qui a été ordonné par l'arrêt.

Outre ce certificat, le greffier fait un procès verbal, soit de l'assemblée des chambres, si c'est un édit, ou de l'assemblée de la grand-chambre seule, si c'est une déclaration dont elle fasse seule l'enregistrement : ce procès verbal fait mention que la cour a ordonné l'enregistrement de tel édit, pour être exécuté selon sa forme & teneur, ou avec certaines modifications.

Aussi-tôt que l'arrêt de vérification & enregistrement est rendu, & que le procès verbal en est dressé, le greffier fait tirer une expédition en papier timbré, sur l'original en parchemin, de l'ordonnance, édit, déclaration, ou autres lettres que l'on a enregistrés : au bas de cette expédition, il fait mention de l'enregistrement, de même que sur l'original, & ajoûte seulement ce mot, collationné, c'est-à-dire comparé avec l'original, & il signe. Cette expédition, qui doit servir de minute, & l'arrêt & le procès verbal d'enregistrement, sont placés par le greffier entre les minutes de la cour ; & l'enregistrement est censé accompli dès ce moment, quoique la transcription de ces mêmes pieces sur les registres en parchemin, destinés à cet effet, ne se fasse quelquefois que plusieurs années après : car cette transcription sur les registres en parchemin n'est pas le véritable enregistrement, c'est seulement une opération prescrite par la police du greffe ; & les registres des ordonnances ne sont que des grosses, ou copies des minutes, un peu moins authentiques que l'original, & faites pour le suppléer au besoin : c'est pourquoi, sans attendre cette transcription, qui est censée faite dans le tems même de la vérification, le greffier met, comme on l'a dit, sur le repli de l'original, & sur l'expédition des lettres qui ont été vérifiées, son certificat de la vérification & enregistrement.

Ces différentes opérations faites, le greffier remet l'original des lettres enregistrées à M. le procureur général, lequel le renvoye à M. le chancelier, ou au secrétaire d'état qui les lui a adressées ; & au bout de quelque tems, le secrétaire d'état qui a ce département, envoye les ordonnances enregistrées dans le dépôt des minutes du conseil, qui est dans le monastere des religieux Augustins, près la place des Victoires.

Autrefois les arrêts de vérification & enregistremens, & les certificats d'iceux, se rédigeoient en latin : cet usage avoit même continué depuis l'ordonnance de 1539, qui enjoint de rédiger en françois tous les jugemens & actes publics : le certificat d'enregistrement, qui se met sur le repli des pieces, étoit conçu en ces termes : lecta, publicata & registrata, audito & requirente procuratore generali regis, &c. Mais Charles IX, par son ordonnance de Roussillon, art. 35, ordonna que les vérifications des édits & ordonnances seroient faites en françois.

Depuis ce tems, le greffier mettoit ordinairement son certificat en ces termes : lû, publié & registré, &c. on disoit publié, parce que c'étoit alors la coûtume de publier tous les arrêts à l'audience, comme cela se pratique encore dans quelques parlemens : mais dans celui de Paris on ne fait plus cette publication à l'audience, à moins que cela ne soit porté par l'arrêt de vérification ; auquel cas le greffier met encore dans son certificat, lû, publié & registré : quand il n'y a pas eu de publication à l'audience, le certificat du greffier porte seulement que le réglement a été registré, oui, & ce requerant le procureur général du roi, &c.

Ces sortes de certificats du greffier, ou mention qui est faite sur le repli des lettres de la vérification & enregistrement, étoient d'usage dès le tems de Philippe de Valois, comme on le voit sur les lettres du 10 Juillet 1336, dont on a déjà parlé, où on lit ces mots : lecta per cameram, registrata in curiâ parlamenti, in libro ordinationum, fol. 50, in anno nono. Ces termes, in anno nono, semblent annoncer que ce livre, ou registre des ordonnances, étoit commencé depuis neuf années : ce qui remonteroit jusqu'en 1328, tems où Philippe de Valois monta sur le throne. On ne connoît point cependant de registre particulier des ordonnances qui remonte si haut.

Les plus anciens registres du parlement, appellés les olim, contiennent, il est vrai, des ordonnances depuis 1252 jusqu'en 1273 : mais ces registres n'étoient pas destinés uniquement pour les enregistremens ; ils contiennent aussi des arrêts rendus entre particuliers, & des procédures.

Mais peu de tems après on fit au parlement des registres particuliers pour les enregistremens des ordonnances, édits, déclarations & lettres patentes, que l'on a appellés registre des ordonnances.

Le premier de ces registres, coté A, & intitulé ordinationes antiquae, commence en 1337 : il contient néanmoins quelques ordonnances antérieures, dont la plus ancienne, ce sont des lettres patentes de S. Louis, du mois d'Août 1229, qui confirment les priviléges de l'université de Paris.

Quand on transcrit une piece dans les registres du tribunal, en conséquence du jugement qui en a ordonné l'enregistrement, elle doit y être copiée toute au long, avec le jugement qui en ordonne l'enregistrement, & non pas par extrait seulement, ni avec des & caetera.

Ce fut sur ce fondement que le recteur & l'université de Paris exposerent, par requête au parlement en 1552, que quelqu'un de leurs suppôts ayant voulu lever un extrait du privilége accordé en 1336 aux écoliers étudians en l'université, il s'étoit trouvé quelques omissions faites sous ces mots & caetera, pour avoir plûtôt fait, par celui qui fit le registre ; que ces omissions étoient de conséquence ; & que si l'original du privilége se perdoit, le recours au registre ne seroit pas sûr : c'est pourquoi ils supplierent la cour d'ordonner que ce qui étoit ainsi imparfait sur le registre, par ces mots & caetera, fût rempli par collation qui se feroit du registre à l'original. Sur quoi la cour ayant ordonné que l'original seroit mis pardevers deux conseillers de la cour, pour le collationner avec le registre ; oüi le rapport desdits conseillers, la cour, par arrêt du 18 Août 1552, ordonna que l'original du privilége seroit de nouveau enregistré dans les registres d'icelle, pour être par le greffier délivré aux parties qui le requereroient.

Les arrêts de vérification ou enregistrement, faits au parlement, portent ordinairement, que copies collationnées du nouveau reglement & de l'arrêt seront envoyées aux bailliages & sénéchaussées du ressort, pour y être lûes, publiées & enregistrées : l'arrêt enjoint au substitut du procureur général du roi d'y tenir la main, & d'en certifier la cour dans un mois, suivant ledit arrêt.

Le procureur général de chaque parlement envoye des copies collationnées des nouveaux réglemens à tous les bailliages, sénéchaussées & autres justices royales ressortissantes nuement au parlement.

A l'égard des pairies du ressort, quoique régulierement elles dûssent tenir du juge royal la connoissance des nouveaux réglemens ; néanmoins, pour accélérer, M. le procureur général leur en envoye aussi directement des copies collationnées.

Si l'enregistrement est fait en la cour des aides, l'arrêt de vérification porte que l'on enverra des copies collationnées aux élections & autres siéges du ressort.

Lorsque les nouveaux réglemens, qui ont été vérifiés par les cours, sont envoyés dans les siéges de leur ressort pour y être enregistrés, cet enregistrement s'y fait sur les conclusions du ministere public, de même que dans les cours ; mais avec cette différence, que les cours ont le droit de délibérer sur la vérification, & peuvent admettre le projet de réglement, ou le refuser, s'il ne paroît pas convenable aux intérêts du roi, ou au bien public : au lieu que les juges inférieurs sont obligés de se conformer à l'arrêt de vérification, & en conséquence de rendre un jugement, portant que la nouvelle loi sera inscrite dans leurs registres, purement & simplement, sans pouvoir ajoûter aucunes modifications ; en sorte que cet enregistrement n'est proprement qu'une simple transcription dans leurs registres, & non une vérification.

Il faut néanmoins observer, que dans les provinces du ressort qui ont quelques priviléges particuliers, les juges inférieurs pourroient faire des représentations au parlement avant d'enregistrer, si le nouveau réglement étoit contraire à leurs priviléges. Du reste, les juges inférieurs n'ont pas droit de déliberer sur le fond de l'enregistrement ; mais ils ont la liberté de délibérer sur la forme en laquelle l'envoi des nouveaux réglemens leur est fait ; c'est-à-dire, d'examiner si cette forme est légitime & réguliere. Ils peuvent aussi, après avoir procédé à l'enregistrement de la nouvelle loi, faire sur cette loi (s'il y a lieu pour ce qui les concerne) faire des représentations au parlement, ou autre cour dont ils relevent, qu'ils adressent au procureur général.

Il paroît même, suivant l'ordonnance de Charles VII. de 1453, art. 66. & 67, & l'ordonnance de Louis XII. du 22. Décembre 1499, que les juges inférieurs peuvent, en certain cas, suspendre l'exécution des lois qu'on leur envoye, en représentant les inconvéniens qui peuvent en résulter, relativement à leurs provinces & aux réglemens antérieurs. Ces cas, selon les ordonnances de Charles VII. & de Louis XII. sont lorsque les lois qui leur sont envoyées peuvent être contraires aux ordonnances, & produire du trouble dans le royaume ; tel que seroit, par exemple, quelque établissement tendant à anéantir la forme du gouvernement.

Au châtelet de Paris, les nouvelles ordonnances sont enregistrées sur un registre particulier, appellé registre des bannieres ; ce qui signifie la même chose que registre des publications.

Tous les juges auxquels le procureur général envoye des copies collationnées des nouveaux réglemens, sont obligés d'envoyer dans le mois un certificat de l'enregistrement. Depuis environ 35 ans, il est d'usage de garder tous ces certificats dans les minutes du parlement, pour y avoir recours au besoin, & connoître la date de l'enregistrement dans chaque siége.

Les nouvelles ordonnances doivent être exécutées, à compter du jour de la vérification qui en a été faite dans les cours souveraines, ou après le délai qui est fixé par l'ordonnance, ou par l'arrêt d'enregistrement, comme cela se fait quelquefois, afin que chacun ait le tems de s'instruire de la loi.

Elle doit aussi être exécutée à compter du même jour, pour les provinces du ressort, & non pas seulement du jour qu'elle y a été enregistrée par les juges inférieurs. Néanmoins s'il s'agit de quelque disposition qui doive être observée par les juges, officiers, ou particuliers, la loi ne les lie que du jour qu'ils ont pû en avoir connoissance ; comme on voit que la novelle 66 de Justinien sur l'observation des constitutions impériales, avoit ordonné que les nouvelles lois seroient observées à Constantinople dans deux mois, à compter de leur date ; & à l'égard des provinces, à deux mois après l'insinuation qui y seroit faite de la loi : ce tems étant suffisant, dit la novelle, pour que la loi fût connue des tabellions & de tous les sujets.

Il n'est pas d'usage de faire enregistrer les nouveaux réglemens dans les justices seigneuriales, ni de leur en envoyer des copies, ces justices étant en trop grand nombre, pour que l'on puisse entrer dans ce détail : de sorte que les officiers de ces justices sont présumés instruits des nouveaux réglemens par la notoriété publique, & par l'enregistrement fait dans le siége royal auquel elles ressortissent.

Sur les enregistremens des ordonnances, voyez Martianus Capella, lib. I. part. xv. Cujas, lib. I. observ. cap. xjx. La Rocheflavin, des parlemens, liv. XIII. ch. xxviij. Pasquier, recherch. de la France, liv. VI. ch. xxxjv. Papon, liv. IV. tit. vj. n. 23. Bouchel, Bibliotheq. du Droit franç. au mot lois. (A)

ENREGISTREMENT des priviléges ou permissions pour l'impression des livres. Les priviléges que le roi accorde pour l'impression des livres, & les permissions simples du sceau, doivent être enregistrés à la chambre syndicale de la Librairie, par les syndic & adjoints, dans le terme de trois mois, à compter du jour de l'expédition. C'est une des conditions auxquelles ces lettres sont accordées ; & faute de la remplir, elles deviennent nulles. Ce réglement paroît avoir singulierement pour objet de mettre tous propriétaires d'ouvrages littéraires, à l'abri du préjudice auquel ils pourroient être exposés par les surprises faites à la religion du roi, dans l'obtention des priviléges ou permissions simples : en ce que 1°. il met les syndic & adjoints de la Librairie en état d'arrêter ces lettres à l'enregistrement, s'ils jugent qu'elles soient préjudiciables aux intérêts de quelque tiers : 2°. en ce qu'il fournit aux particuliers, auxquels elles sont préjudiciables, le moyen de s'opposer judiciairement à leur enregistrement, & d'en demander le rapport. Pour entendre comment & dans quelles circonstances ces lettres peuvent être préjudiciables à un tiers, il faut nécessairement lire dans le présent volume le mot DROIT DE COPIE ; nous y avons expliqué dans un assez grand détail quels sont les droits des auteurs & des libraires sur les ouvrages littéraires, & quel a été l'esprit de la loi dans l'établissement des priviléges. Nous y renvoyons pour éviter les longueurs & répétitions.


ENREGISTRERVoyez ENREGISTREMENT.


ENRÊNERv. act. (Maneg. Maréch.) terme par lequel on exprime relativement aux chevaux de carrosse, de chaise & de charrete, l'action d'arrêter & de nouer les renes.

Elles sont fixées, pour les chevaux de carrosse, par le moyen de deux bouts de cuir placés sur le milieu du coussinet ; pour le cheval de brancard, par le moyen d'une couroye, qu'on nomme la troussûre, & qui passe dans un trou pratiqué à cet effet dans l'arçon de devant ; tandis qu'à l'égard des chevaux de charrete elles montent par-dessus la croisée du collier, & s'unissent à une longe de cuir garnie d'un culeron, & qui sert de croupiere.

Rien n'est plus capable d'endurcir la bouche des chevaux, de leur rendre l'appui sourd, & de leur endommager les barres, que de les enrêner trop court. C'est sans-doute par cette considération, & pour remédier aux inconvéniens qui naissent de la constance avec laquelle les cochers gênent & contraignent leurs chevaux en les enrênant, que l'on a imaginé, depuis quelque tems, de placer un anneau quarré à chaque arc du banquet. Les renes passent dans ces anneaux ; & comme elles ne peuvent alors tirer le bas des branches en arriere, lorsque le cheval s'appuie, ou badine avec son mords, le point de résistance de la gourmette n'a plus lieu, & les parties de la bouche, sur lesquelles porte l'embouchure, sont extrèmement soulagées. Je préférerois néanmoins un bridon à ces anneaux ; & je crois qu'il seroit plus sûr & plus avantageux de débarrasser entierement l'embouchure, ou le mords, de toute action des renes.

Les cochers qui enrêneroient trop court de jeunes chevaux, s'exposeroient à des accidens, qui les puniroient peut-être de leur imprudence & de leur opiniâtreté.

On s'est encore servi de l'expression d'enrêner, en parlant de l'arrangement & de la division des guides, & pour distinguer, à cet égard, notre maniere de celle des Italiens. Selon l'usage françois, chaque guide est divisée en deux sur le dos de chaque cheval ; elle passe par deux anneaux situés sur le coussinet. Les branches, ou les longes de dedans, sont distribuées de façon qu'elles vont, en se croisant, se boucler ; savoir, celle qui part du cheval hors de la main, à la branche de dedans du mors du cheval qui est sous la main ; & celle qui part de celui-ci, à la branche de dedans du mors de l'autre : par ce moyen le cocher, agissant de la guide droite, opere sur le cheval hors la main, qui se trouve mû en ce sens, parce qu'il y est attiré, ainsi que le cheval sous la main, par la branche de dedans de cette guide : mais alors les impressions de la main du cocher se manifestent sur les deux bouches ensemble ; & s'il y a en elles inégalité de légereté, de sensibilité & de force, celle en qui réside le bon tempérament & la finesse, ne peut que souffrir des efforts que demande nécessairement l'autre.

La méthode des Italiens obvie à cette difficulté. Il n'est parmi eux aucune communication des branches des guides ; chacune d'elles n'est relative qu'à la bouche d'un seul & même cheval : telle est la premiere différence que nous offre leur maniere. La seconde consiste dans deux courroies qui se croisent d'un cheval à l'autre : chacune de ces courroies est arrêtée, par l'une de ses extrémités, à la branche de dedans du mors de chaque cheval, & va se terminer, savoir, celle qui est fixée à la branche du mors du cheval hors la main, à un anneau placé à côté du coussinet du cheval sous la main, & vice versâ ; ensorte que l'un & l'autre s'attirent réciproquement, selon les opérations du cocher, dont la main peut influer sur chaque bouche séparément.

Il faut convenir néanmoins que dans le nombre prodigieux des cochers qui ont adopté cette pratique, il en est peu qui, vû leur ignorance, ne nous y laissent appercevoir d'autres inconvéniens, qu'il seroit sans-doute trop long de détailler ici, & parmi lesquels les hommes les moins clairvoyans ont dû remarquer ceux qui résultent d'un écartement considérable, qui, mettant les chevaux hors de la ligne sur laquelle ils devroient tirer, augmente & multiplie le poids de la masse qu'ils traînent ; les oblige, en leur demandant une force plus grande, de se précipiter sur les épaules ; contraint celle de dehors à pousser beaucoup plus que l'autre contre le poitrail ; place par conséquent, chaque cheval de travers, &c. (e)


ENRIMERen terme d'Epinglier, c'est pousser le poinçon directement au-dessus de l'enclume, en approchant ou écartant la boîte, plus ou moins, avec le pousse-broche. V. BROCHE & POUSSE-BROCHE.


ENROLEMENTS. m. (Art milit.) action de lever, d'engager, de prendre des hommes, pour servir dans les troupes de terre, ou dans les armées navales.

Les Romains faisoient leurs enrôlemens avec beaucoup de précautions & de formalités. Il n'étoit pas permis à tous les citoyens de porter les armes ; & pour être enrôlé au service de la république, il falloit avoir certaines qualités dont on ne dispensoit que dans des occasions importantes, & qui demandoient des secours promts & extraordinaires.

Les préposés aux enrôlemens faisoient un examen rigoureux des personnes qui se présentoient pour être enrôlées. (Liv. II. §. 1. ff. de re militari) Ils s'informoient d'abord de la naissance de chacun ; car il n'y avoit que des hommes libres à qui il fût permis de porter les armes, & les esclaves en étoient exclus. Il falloit donc prouver sa liberté par des témoignages non suspects, & de plus il falloit établir le lieu de sa naissance.

On avoit aussi beaucoup d'attention à la taille ; & tous ceux à qui elle manquoit, étoient rejettés de l'honneur de servir. De-là vient que lorsqu'on vouloit loüer un homme, on disoit qu'il avoit une taille militaire ; c'est ce qui n'a pas échappé à Lampride dans son éloge de l'empereur Sévere. Cette taille militaire est marquée par une loi qui est dans le code théodosien, au titre de tyronibus ; elle nous apprend qu'alors un soldat devoit avoir cinq pieds sept pouces, quinque pedibus & septem unciis usualibus.

Vegece a remarqué que du tems de Marius on n'enrôloit que des gens de cinq piés dix pouces, parce que dans le grand nombre qui se présentoit, on pouvoit choisir ; mais depuis ce tems-là il fallut rabattre de cette mesure, les hommes étant devenus rares par les guerres civiles, le luxe, la débauche, & le changement de gouvernement.

Cependant l'on ne connoissoit point encore ce moyen nouveau, & contraire à toutes les lois de l'humanité, d'enrôler par la force, la fraude, le stratagème, & pareilles horreurs sur lesquelles, dans quelques pays, les princes & les ministres ferment les yeux en tems de guerre. " Les hommes, dit la Bruyere, sont au souverain comme une monnoie, dont il achete une place, ou une victoire. S'il fait ensorte qu'il lui en coûte moins, s'il épargne les hommes, il ressemble à celui qui marchande, & qui connoît mieux qu'un autre le prix de l'argent ". Aussi tout prospere sous un tel souverain, & dans une monarchie où l'on confond les intérêts de l'état avec ceux du monarque. Or j'ajoûte ici que les intérêts de l'état s'opposent à la violence & à l'artifice dans les enrôlemens ; non seulement parce que de telles pratiques blessent les droits de l'humanité, mais de plus parce que la peine capitale portée contre les déserteurs, devient alors une injustice qui révolte la nature. Voyez DESERTEUR. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENROUEMENTS. m. (Médecine) Ce terme est ordinairement employé pour signifier la maladie même, dont il n'est proprement qu'un symptome. Cette maladie est une espece de fluxion catarrheuse, qui a son siége dans le larynx, la trachée artere, & principalement dans les parties qui constituent l'organe de la voix.

Ces parties étant engorgées ou enduites d'une trop grande quantité d'humeurs pituiteuses, c'est-à-dire de la mucosité naturelle trop épaissie, ont leurs surfaces inégalement tuméfiées, mal unies, ensorte qu'elles rendent les collisions de l'air rudes, & sur-tout les vibrations de la glotte lourdes, lentes, très-peu & desagréablement sonores, d'où résulte le symptome dont il s'agit, l'enrouement, mot qui vient du Latin ravis, dont on a formé raucitas, raucedo, voix rauque.

Ce défaut peut aussi être produit par le relâchement des muscles qui servent à tendre les cordes vocales qui forment les bords de la glotte, & par le desséchement ou la trop grande tension de ces mêmes cordes. Voyez VOIX.

Pour ce qui est du traitement de cette maladie, si la cause est catarrheuse, il est le même que celui du catarrhe en général, de l'enchifrenement dont il a été fait mention ci-devant, & du rhume : voyez CATARRHE, ENCHIFRENEMENT, RHUME. Si le relâchement des muscles du larynx qui cause l'enrouement, dépend de la fibre lâche en général, les remedes contre ce vice universel conviennent aussi contre le particulier dont il est ici question : voyez FIBRE, LEUCOPHLEGMATIE. Si ce relâchement est un effet de la paralysie, il n'est pas susceptible d'une cure particuliere : voyez PARALYSIE. Le desséchement & la roideur de la glotte n'est pas ordinairement un vice propre à cette partie ; il tient à celui des solides en général, qui est de la même nature : on peut de plus employer la vapeur des décoctions de plantes émollientes, reçûe dans la bouche ouverte & dirigée vers la trachée-artère par de fréquentes inspirations, par lesquelles l'air chargé de cette humidité médicamenteuse est souvent appliqué aux parties viciées. Si la tension spasmodique, hystérique ou mélancholique, ou de toute autre espece, produit l'enrouement, il ne peut être traité que par les remédes propres contre les maladies dont il est un symptome : voyez SPASME, HYSTERICITE, MELANCHOLIE, MANIE, &c. La voix devenue rauque, par un accès de colere, se guérit par le repos du corps & de l'esprit, ou par les anodyns. (d)


ENROUILLERv. neut. (Jardinage) se dit d'un pré où le torrent a pénétré & couvert l'herbe, ce qui s'appelle enroüiller l'herbe. (K)


ENROULEMENTS. m. (Jardinage) que quelques-uns appellent rouleau, est une plate-bande de buis ou de gason contournée en ligne spirale. Cet ornement se confond avec les massifs & les volutes des parterres. (K)


ENS(Chimie) Paracelse & ses disciples ont donné à ce mot différentes significations ; ils l'ont employé sur-tout pour exprimer la force, la puissance d'un agent, &c. ou pour désigner les parties d'un corps dans lesquelles résident proprement leur efficacité ou leur vertu médicinale. C'est dans le premier sens que Paracelse employe ce mot dans les expressions suivantes, ens Dei, ens astrorum, ens naturale, &c. qui sont familieres à cet auteur ; & dans le second, qu'il faut prendre l'ens primum des minéraux, des animaux, des végétaux, & l'ens appropriatum de ces derniers.

C'est à cet ens primum des végétaux que les disciples de Paracelse, & sur-tout notre célebre le Febvre, ont attribué tant de vertus, celle entr'autres de rajeunir, ou de renouveller le corps, auxquelles M. Boyle, tout porté qu'il étoit à douter en Chimie, paroît avoir ajoûté foi, mais sur lesquelles au contraire nous avons poussé aujourd'hui notre incrédulité jusqu'à un point, où elle est peut être aussi peu sage que la confiance aveugle des philosophes. (b)

ENS VENERIS. Boyle a célébré sous ce nom un reméde chimique, qui n'est autre chose que la chaux douce du vitriol (ou le résidu de sa distillation lessivé avec de l'eau bouillante jusqu'à insipidité), sublimée avec partie égale de sel ammoniac. Le produit de cette sublimation est un mélange de fleurs de mars & de fleurs de cuivre ; car Boyle demande pour cette opération un vitriol de mars très-cuivreux. Ce reméde n'est absolument d'aucun usage parmi nous, & c'est avec raison que nous l'avons rejetté, des expériences réitérées nous ayant démontré que l'usage intérieur du cuivre n'étoit jamais exemt de danger. Voyez CUIVRE. (b)

ENS, (Géogr. mod.) ville de la haute Autriche, en Allemagne ; elle est située dans le pays & sur la riviere d'Ens. Long. 32. 22. lat. 48. 12.


ENSABATÉSadj. pris subst. (Hist. ecclésiast.) hérétiques Vaudois qui parurent dans le treizieme siecle. Ils prétendoient que le serment étoit toûjours illicite ; qu'on ne devoit de l'obéissance à aucun supérieur séculier ou ecclésiastique, & que tout châtiment infligé pour cause de religion étoit un acte de tyrannie. On les appella Ensabatés, d'une marque que les plus parfaits portoient sur le haut de leurs souliers, & qu'ils appelloient sabbatas.


ENSADou ENZADA, s. m. (Hist. nat. botan.) nom qu'on donne aux Indes à l'arbre des Banians. Voyez cet article.


ENSAISINEMENTS. m. (Jurisprud.) signifie mise en possession civile. Ensaisiner un contrat, c'est mettre l'acquéreur en saisine, c'est-à-dire en possession de l'héritage sur lequel le contrat lui accorde quelque droit.

La formalité de l'ensaisinement vient de ce que par l'ancien usage du châtelet de Paris & de toute la prevôté, & dans plusieurs autres provinces coûtumieres, aucune saisie ou possession n'étoit acquise de droit ni de fait sans qu'il y eût dévest & vest, c'est-à-dire qu'il falloit que le vendeur se fût dessaisi entre les mains du seigneur-censier, & que ce même seigneur eût ensuite investi l'acquéreur, c'est-à-dire qu'il lui eût donné la saisine ou possession, d'où est venu le terme d'ensaisinement, lequel néanmoins ne s'applique qu'aux mises en possession des biens en roture, car la même formalité à l'égard des fiefs s'appelle inféodation.

Quoique l'ensaisinement ne soit en effet qu'une mise en possession civile & fictive, il étoit néanmoins autrefois considéré comme une mise en possession réelle & de fait, ou du moins on doit entendre par-là qu'il étoit nécessaire pour autoriser le vendeur à se dessaisir, & l'acquéreur à prendre possession.

On étoit obligé de prendre du seigneur l'ensaisinement, du tems que les coûtumes notoires du châtelet furent rédigées, c'est-à-dire depuis l'an 1300 jusqu'en 1387. Suivant l'art. 72. de ces coûtumes, aucun ne pouvoit être propriétaire s'il n'étoit ensaisiné réellement & de fait par le seigneur ou par ses gens. Cet article exceptoit néanmoins le bail à cens, parce que ce bail étant fait par le seigneur même, investit suffisamment le preneur, sans qu'il soit besoin de prendre autre saisine.

On payoit dès-lors douze deniers parisis pour la saisine ou ensaisinement, tel que fût le prix de la vente ; & ce droit étoit appellé en Latin revestitura, comme on voit dans des lettres de S. Louis, du mois de Mars 1263.

Quelques seigneurs prétendoient avoir droit de prendre cinq sols pour l'ensaisinement, comme le dit l'auteur du grand coûtumier : le roi, l'évêque de Paris, les abbés de sainte Génevieve, de saint Magloire & de saint Denis, prétendoient être en possession de recevoir cinq sols pour la saisine. Il y eut des oppositions faites à ce sujet, lors des deux rédactions de la coûtume de Paris ; mais cette prétention n'a pas prévalu, & le droit de saisine n'est encore communément que de douze deniers parisis.

L'obligation de prendre saisine tomba bien-tôt en non usage, du moins dans la prevôté de Paris ; car l'auteur du grand coûtumier, qui écrivoit sous le régne de Charles VI. en parlant des lettres de saisine ou ensaisinement que l'on prenoit du seigneur ou de son baillif ou député, ajoûte, si ainsi est que le vendeur se veuille faire ensaisiner ; car par la coûtume de la prevôté de Paris, il ne prend saisine qui ne veut, & le seigneur ne reçoit que les ventes ; ce qui fut adopté dans plusieurs coûtumes, & notamment dans celle de Paris, rédigée d'abord en 1510, & réformée en 1580 dans celles de Meaux, Sens, Auxerre, Etampes, Montfort, Dourdan, Mantes, Senlis, & Montargis.

La coûtume de Clermont est la seule qui ait retenu l'ancien usage d'obliger l'acquéreur de se faire ensaisiner ; l'art. 114 de cette coûtume porte, que quand aucun a acquis quelque héritage roturier, il ne se peut mettre audit héritage sans saisine du seigneur, sur peine de soixante sols parisis d'amende.

Dans les autres coûtumes, qui n'ont aucune disposition à ce sujet, l'acquéreur est réputé mis en possession civile par le seul effet des clauses du contrat, par lesquelles le vendeur se dessaisit au profit de l'acquéreur, & ce dernier n'a pas besoin d'autre titre pour prendre possession réelle & de fait ; il peut pareillement disposer de l'héritage & le revendre, quoiqu'il n'ait point fait ensaisiner son contrat.

Le seigneur ne peut saisir pour être payé du droit d'ensaisinement ; il a seulement une action pour s'en faire payer, au cas que l'acquéreur ait pris saisine, & non autrement.

Il est néanmoins avantageux à l'acquéreur de faire ensaisiner son contrat, parce que l'année du retrait lignager ne court que du jour de l'ensaisinement ; & que si le contrat n'est pas ensaisiné, l'action en retrait dure trente ans ; & comme le seigneur a une action pour se faire exhiber le contrat d'acquisition & pour être payé des lods & ventes, on ne manque guere de faire ensaisiner le contrat, en payant les droits seigneuriaux.

L'ensaisinement se met en marge du contrat, & se donne sous seing privé. Il peut être donné par le fermier ou receveur du seigneur, ou autre ayant charge de lui. Toute la formalité consiste en ces mots, ensaisine l'acquéreur au présent contrat, &c.

Le seigneur ne doit pas refuser l'ensaisinement à l'acquéreur qui le demande, en payant par celui-ci le droit de douze deniers pour la saisine, & tous les droits qui sont dûs au seigneur, tant pour la derniere acquisition que pour les précédentes : si le seigneur refusoit mal-à-propos l'ensaisinement, l'acquéreur peut le poursuivre devant le juge supérieur de celui du seigneur. Voyez Brodeau sur l'article 82 de la coûtume de Paris, & les autres commentateurs des coûtumes au titre des censives. (A)

ENSAISINEMENT DE RENTES CONSTITUEES est une formalité qui se pratique dans quelques coûtumes, comme Senlis, Clermont, & Valois, pour donner la préférence aux contrats de rentes ensaisinés sur ceux qui ne le sont point : cet ensaisinement est différent du nantissement. Voy. COUTUMES DE SAISINE, MISE DE FAIT, NANTISSEMENT, RENTES CONSTITUEES, SAISINE. (A)

ENSAISINEMENT DES ACTES D'ALIENATION DES BIENS DOMANIAUX, est une formalité établie par arrêt du conseil d'état, du 7 Août 1703, qui ordonne qu'à l'avenir tous les contrats de vente, échanges, adjudications par decret, licitations, & autres actes translatifs de propriété de terres & héritages tenus en fief ou en roture, tant des domaines qui sont ès mains de S. M. que de ceux qui sont engagés, seront ensaisinés par les receveurs généraux des domaines & bois ; & que ceux qui possedent depuis 1685, seront tenus de faire ensaisiner leurs titres de propriété dans les tems prescrits, & sous les peines portées par les arrêts.

Ce même ensaisinement a été ordonné par déclaration du 23 Juin 1705, soit que l'ensaisinement ait lieu par la coûtume ou non.

La perception des droits pour cet ensaisinement a été réglée par plusieurs arrêts du conseil des 31 Janvier 1708 & premier Novembre 1735. Voyez aussi les édits de Décembre 1701 & 1727, sur la même matiere. (A)


ENSANGLANTÉadj. terme de Blason, qui se dit du pélican, & autres animaux sanglans.

Du Coin en Bretagne, d'or au pélican d'azur avec sa piété, le tout ensanglanté de gueules.


ENSEIGNES. m. (Hist. anc. & mod.) signe militaire sous lequel se rangent les soldats, selon les différens corps dont ils sont, ou les différens partis qu'ils suivent.

Dans la premiere antiquité, les enseignes militaires furent aussi simples que l'étoient les premieres armes ; & les diverses nations ou partis, pour se reconnoître dans les combats, employerent pour signal des choses très-communes, comme des branches de verdure, des oiseaux en plume, des têtes d'animaux, des poignées de foin mises au haut d'une perche ; mais à mesure qu'on se perfectionna dans la maniere de s'armer & de combattre, on imagina des enseignes ou plus solides ou plus riches, & chaque peuple voulut avoir les siennes caractérisées par des symboles qui lui fussent propres. Les Grecs, par les termes génériques de & de , & les Latins par ceux de signum & de vexillum, désignoient toutes sortes d'enseignes, soit qu'elles fussent en figure de relief, soit qu'elles fussent d'étoffe unie, peinte ou brodée ; néanmoins chaque enseigne d'une forme particuliere, avoit son nom propre, tant pour la donner à connoître sous sa forme, que pour montrer à quelle espece de milice elle convenoit.

Le nom d'enseigne est donc générique ; & parmi nous ce genre se subdivise en deux especes, drapeau pour l'infanterie, & étendard pour la cavalerie.

Les Juifs eurent des enseignes, chacune des douze tribus d'Israel ayant une couleur à elle affectée, avoit un drapeau de cette couleur, sur lequel on voyoit, à ce qu'on prétend, la figure ou le symbole qui désignoit chaque tribu, selon la prophétie de Jacob. L'Ecriture parle souvent du lion de la tribu de Juda, du navire de Zabulon, des étoiles & du firmament d'Issachar. Mais quoique chaque tribu eût son enseigne, on prétend que sur les douze il y en avoit quatre prédominantes : savoir, celle de Juda, où l'on voyoit un lion ; celle de Ruben, de Dan & d'Ephraïm, sur lesquelles on voyoit des figures d'hommes, d'aigles, d'animaux. L'existence des enseignes chez les Hébreux est attestée par l'Ecriture : Singuli per turmas, signa atque vexilla castrametabuntur filii Israel, dit Moyse, chap. ij. des nombres. Mais la représentation d'hommes & d'animaux sur ces enseignes n'est pas également prouvée ; elle paroît même directement contraire à la défense que Dieu, dans les Ecritures, réitere si souvent aux Israélites de faire des figures. On croit qu'après la captivité de Babylone, leurs drapeaux ne furent plus chargés que de quelques lettres qui formoient des sentences à la gloire de Dieu.

Il n'en étoit pas de même des nations idolatres ; leurs enseignes ou drapeaux portoient l'image de leurs dieux ou des symboles de leurs princes. Ainsi les Egyptiens eurent le taureau, le crocodile, &c. Les Assyriens avoient pour enseignes des colombes ou pigeons ; parce que le nom de leur fameuse reine Semiramis, originairement Chemirmor, signifie colombe. Jéremie, chap. xlvj. pour détourner les Juifs d'entrer en guerre avec les Assyriens, leur conseille de fuir devant l'épée de la colombe, à facie gladii columbae fugiamus, ce que les commentateurs ont entendu des drapeaux des Chaldéens.

Chez les Grecs, dans les tems héroïques, c'étoit un bouclier, un casque ou une cuirasse au haut d'une lance, qui servoient d'enseignes militaires. Cependant Homere nous apprend qu'au siége de Troye, Agamemnon prit un voile de pourpre & l'éleva en-haut avec la main, pour le faire remarquer aux soldats & les rallier à ce signal. Ce ne fut que peu-à-peu que s'introduisit l'usage des enseignes avec les devises. Celles des Athéniens étoient Minerve, l'olivier, & la choüette : les autres peuples de la Grece avoient aussi pour enseignes ou les figures de leurs dieux tutelaires, ou des symboles particuliers élevés au bout d'une pique. Les Corinthiens portoient un pégase ou cheval aîlé, les Messeniens la lettre grecque M, & les Lacédemoniens le , qui étoit la lettre initiale de leur nom.

Les Perses avoient pour enseigne principale une aigle d'or au bout d'une pique, placée sur un chariot, & la garde en étoit confiée à deux officiers de la premiere distinction, comme on le voit à la bataille de Thymbrée sous Cyrus ; & Xénophon dans la Cyropédie, dit que cette enseigne fut en usage sous tous les rois de Perse. Les anciens Gaulois avoient aussi leurs enseignes, & juroient par elles dans les ligues & les expeditions militaires ; on croit qu'elles représentoient des figures d'animaux, & principalement le taureau, le lion, & l'ours.

Il n'en est pas de même de celles des Romains ; à ces premieres enseignes grossieres, ces manipules ou poignées de foin qu'ils portoient pour signaux lorsqu'ils n'étoient encore qu'une troupe de brigands, ils substituerent, selon Pline, des figures d'animaux, comme de loup, de cheval, de sanglier, de minotaure ; mais Marius les réduisit toutes à l'aigle, si connue sous le nom d'aigle romaine.

Elles furent d'abord en relief ; les unes d'or, les autres d'argent, d'airain, ou de bois. Une légion étoit divisée en cohortes, la cohorte en manipules, & le manipule en centuries. Chaque cohorte étoit commandée par un tribun ; il en étoit, pour ainsi dire, le colonel. C'étoit ces officiers qui avoient seuls le droit d'avoir une aigle dans la cohorte que chacun d'eux commandoit. Il n'y avoit que deux aigles par légion ; & les enseignes des autres cohortes étoient d'une autre forme. Les aigles des légions étoient d'argent, à l'exception de la premiere aigle de la premiere légion, qui, dans une armée consulaire ou impériale, étoit d'or. Cette aigle d'or étoit regardée comme l'enseigne principale de la nation, & comme un symbole de Jupiter qu'elle reconnoissoit pour protecteur. Les autres enseignes inférieures aux aigles, telles que celles des manipules & des centuries, n'étoient que d'airain ou de bois.

Les enseignes romaines inférieures aux aigles étoient composées de plusieurs médaillons mis les uns sur les autres, attachés ou cloüés sur le bois d'une pique, & surmontés par quelques signes, soit d'une main symbole de la justice, soit d'une couronne de laurier symbole de la victoire. Une enseigne à médailles en contenoit depuis une jusqu'à cinq ou six, sur lesquelles se voyoit le monogramme des quatre lettres majuscules S. P. Q. R. & les portraits des empereurs, tant du prince regnant que de celui de ses prédecesseurs qui avoit créé le corps à qui appartenoit l'enseigne. Elles contenoient aussi l'emblème ou l'image du dieu que ce corps avoit choisi pour son dieu tutelaire ; mais les enseignes d'infanterie étoient chargés de plus de médaillons que celles de la cavalerie. Voyez nos Planches d'antiquités.

Dans toutes les enseignes au-dessous de la partie en relief étoit un petit morceau d'étoffe appellé labarum, qui pendoit en forme de banniere, & qui servoit, soit par sa couleur, soit par son plus ou moins de grandeur, à faire distinguer le manipule ou la centurie à qui l'enseigne appartenoit.

Quoique l'aigle d'or n'eût pas de labarum du tems de la république, il paroît qu'elle en a eu sous les empereurs, du moins du tems de Constantin ; car on sait qu'après la conversion de ce prince au Christianisme les enseignes romaines changerent de devises ; au lieu des emblèmes ou des figures des dieux empreintes sur les médaillons, on grava des croix. Si la légion conserva une de ses aigles, l'autre fut supprimée, & l'une des deux enseignes surmontée d'une croix. De plus le prince & ses successeurs se donnerent une enseigne de corps ou d'accompagnement de leurs personnes dans les batailles ; on la nomma labarum : elle étoit d'une riche étoffe & en forme d'une bannière, sur laquelle étoit brodé en pierreries le monogramme de Jesus-Christ ainsi figuré , & qu'on avoit substitué à celui-ci S. P. Q. R. On ne portoit le labarum à l'armée que quand l'empereur y étoit en personne. Julien l'apostat rétablit le labarum dans sa premiere forme, & mit dans tous les autres drapeaux la figure de quelque divinité du paganisme : mais cette innovation ne dura pas plus long-tems que le regne de ce prince, & le labarum de Constantin fut remis en honneur.

En tems de paix, les légions qui n'étoient point campées sur les frontieres déposoient leurs enseignes au trésor public, qui étoit dans le temple de Saturne, & on les en tiroit quand il falloit ouvrir la campagne. On ne passoit pas devant les aigles sans les saluer ; & on mettoit auprès, comme dans un asyle assûré, le butin & les prisonniers de guerre ; les officiers & les soldats y portoient leur argent en dépôt, & le porte-aigle en étoit le gardien. Après une victoire on les ornoit de fleurs & de lauriers, & l'on brûloit devant elles des parfums précieux.

A l'exemple des Grecs & des Romains, & pour la même fin, les nations qui se sont établies en Europe sur les débris de la puissance romaine, ont eu des enseignes dans leurs armées. Nous parlerons ici principalement de celles des François, dont le nombre, la couleur, & la forme n'ont pas toûjours été les mêmes. Ce que nous en dirons est extrait du commentaire qu'a donné sur cette matiere M. Beneton.

En remontant jusqu'à l'établissement de notre monarchie, on voit que les François qui entrerent dans les Gaules avoient des enseignes chargées de divers symboles. Les Ripuaires avoient pour symbole une épée qui désignoit le dieu de la guerre, & les Sicambres une tête de boeuf, qui, selon cet auteur, désignoit Apis dieu de l'Egypte, parce que ces deux nations étoient originairement descendues des Egyptiens & des Troyens, si on l'en croit. Quoi qu'il en soit, on convient assez communément que nos premiers rois portoient des crapauds dans leurs étendards.

Depuis la conversion de Clovis au Christianisme, la nouvelle religion ne permettant plus ces symboles qui se ressentoient de l'idolatrie, ce prince ne voulut plus que sa nation fût désignée que par une livrée prise de la religion qu'il suivoit. Ainsi l'enseigne ou la banniere de S. Martin de Tours qui fut le premier patron de la France, & qui étoit d'un bleu uni, fut pour les troupes le premier étendard, comme le labarum l'avoit été pour les Romains depuis la conversion de Constantin. Dans le même esprit, on avoit coûtume de porter dans les armées des châsses & des reliquaires. Mais outre ces enseignes de dévotion destinées à exciter la piété, il y avoit encore des enseignes de politique faites pour exciter la valeur, c'est-à-dire des enseignes ordinaires.

Auguste Galland a cru que ce qui étoit porté autrefois dans nos armées sous le nom de chape de S. Martin, étoit effectivement le manteau de ce saint attaché au haut d'une pique pour servir d'enseigne. Mais par le mot cappa, il faut entendre ce qui est signifié par capsa, c'est-à-dire une châsse, un coffret renfermant des reliques de saint Martin, qu'on pouvoit porter à l'armée suivant l'usage de ces tems-là. La véritable enseigne étoit une banniere bleue faite comme nos bannieres d'église. La cérémonie d'aller lever la banniere de S. Martin de dessus le tombeau du saint, où elle étoit mise, quand il étoit question de la porter à la guerre, étoit précédée d'un jeûne & de prieres. Les rois faisoient souvent cette levée eux-mêmes ; & comme il ne convenoit pas à un général de porter continuellement une enseigne, ils la confioient à quelque grand seigneur, duc, comte, ou baron pour la porter pendant l'expédition pour laquelle on la portoit. Les comtes d'Anjou comme advoüés de l'église de S. Martin de Tours avoient ordinairement cette commission. Voyez ADVOUE.

La dévotion envers S. Martin ayant peu-à-peu diminué, & les rois depuis Hugues Capet ayant fixé leur séjour à Paris, S. Denis patron de leur capitale devint bientôt celui de tout le royaume ; & le comté de Vexin, dont le comte étoit l'advoüé de l'abbaye de S. Denis, ayant été réuni à la couronne par Louis le Gros, ce prince mit la banniere de S. Denis au même crédit & au même rang qu'avoit eu celle de S. Martin sous ses prédécesseurs. On la nomma l'oriflamme ; elle étoit rouge, couleur affectée aux martyrs : quelques-uns ont prétendu qu'elle étoit chargée de flammes d'or, & que de-là étoit venu son nom, mais c'est une tradition peu fondée. L'oriflamme consistoit en un morceau d'étoffe de soie couleur de feu, monté sur un bâton qui faisoit la croix au-haut d'une lance ; l'étoffe de l'oriflamme se terminoit en pointe, ou selon, des auteurs, étoit fendu par le bas comme pour former une flamme à plusieurs pointes. En tems de guerre, avant que d'entrer en campagne, le roi alloit en grande pompe à S. Denis lever cet étendard, qu'il confioit à un guerrier distingué par sa naissance & par sa valeur, chargé de garder cette enseigne & de la rapporter à l'abbaye à la fin de la guerre ; mais les derniers portes-oriflamme négligerent cette derniere cérémonie, & la retinrent chez eux. On croit communément que l'oriflamme disparut à la bataille d'Azincourt sous Charles VI. du moins depuis cette époque il n'en est plus mention dans nos historiens.

Mais dans le tems même que cette enseigne étoit le plus en honneur dans nos armées, & qu'on la portoit à leur tête gardée par une troupe de cavalerie d'élite, il y avoit encore deux enseignes principales ; savoir, la banniere ou l'étendard de France, qui étoit la premiere enseigne séculiere de la nation, & qui tenoit la tête du corps de troupes le plus distingué qu'il y eût alors dans l'armée : 2°. le pennon royal, qui étoit une enseigne faite pour être inséparable de la personne du roi. Successivement les differens corps de troupes, infanterie & cavalerie & leurs divisions, ont eu leurs enseignes, qu'on a nommées bannieres, pennons, fanons, gonfanons, drapeaux, étendards, guidons.

La banniere, qui vient du mot ban ou pan, & celui-ci de pannus en latin drap ou étoffe, étoit commune à la cavalerie & à l'infanterie, & de la même forme que nos bannieres d'église, avec cette différence que celles des fantassins étoient plus grandes que celles des gens de cheval, qu'elles étoient toutes unies, au lieu que celles de la cavalerie étoient chargées de chiffres, de devises. La banniere de France étoit aussi plus remarquable que les autres par sa grandeur, elle étoit d'abord d'une étoffe bleue unie, qu'on chargea de fleurs de lis d'or quand elles eurent été introduites dans les armoiries de nos rois. On nomma les plus grandes bannieres gonfanons. Depuis, le morceau d'étoffe qui composoit la banniere fut attaché au bois de la pique par un de ses côtés, sans traverse, comme on le voit aux drapeaux d'aujourd'hui qui ont succedé aux bannieres de l'infanterie, comme l'étendard & le pennon aux bannieres de la cavalerie. Le pennon ou fanon étoit un morceau d'étoffe attaché le long de la pique aussi-bien que l'étendard, mais avec cette différence que celui-ci étoit quarré, & l'autre plus étroit, plus allongé, & terminé en pointe. Il y avoit des pennons à plus de pointes les uns que les autres. Le pennon d'un banneret suserain, par exemple, n'avoit qu'une pointe, & les pennons des bannerets ses vassaux en avoient deux. De plus parmi les chefs de pennonies rangés sous une banniere, quelques-uns étoient chevaliers, d'autres n'étoient que bacheliers ou écuyers, & les pennons marquoient la distinction de tous ces grades, ce qui montroit des pennons à une, à deux, à trois pointes.

Sous Charles VII. le changement arrivé dans notre ancienne gendarmerie, dont on forma des compagnies d'ordonnance, en introduisit aussi dans toutes les enseignes ; les bannieres & les pennons disparurent pour faire place aux drapeaux de l'infanterie, aux étendards & aux guidons de la gendarmerie, & aux cornettes de la cavalerie legere.

Le drapeau qui vient encore de pannus ou pennus, d'où l'on a fait par corruption pellus, pelletus, pellum, drapellum, & nos ancêtres drapel, est un morceau d'étoffe quarré, cloüé par un de ses côtés sur le bois d'une pique. L'usage d'y mettre des croix avoit commencé au tems des croisades, & ces croix furent rouges dans les enseignes de France jusqu'au tems de Charles VI. C'étoit alors la couleur de la nation, mais les Anglois qui avoient jusqu'alors porté dans leurs enseignes la croix blanche, ayant pris la rouge à cause des prétendus droits qu'ils croyoient avoir au royaume de France, Charles VII. qui n'étoit alors que dauphin, changea la croix rouge des enseignes de sa nation en une croix blanche ; & pour marquer plus intelligiblement qu'il établissoit cette couleur pour être desormais celle de la nation, il se donna à lui-même une enseigne toute blanche qu'il nomma cornette, & la donna pour enseigne à la premiere des compagnies de gendarmerie qu'il créa, & c'est ce qu'on nomma la cornette blanche.

Depuis qu'il y a des croix sur les enseignes, la couleur dont est cette croix montre la nation à qui appartient l'enseigne ; pour le fonds sur lequel est placé la croix, il fait partie de l'uniforme de la troupe à qui est l'enseigne. A mesure que les corps militaires qui subsistent aujourd'hui ont été créés, le premier commandant de chacun de ces corps a eu occasion de leur communiquer sa livrée dans ses enseignes, ce qui a tenu lieu d'uniforme jusqu'à ce que l'on ait imaginé l'uniforme des habits.

Depuis Charles VII. jusqu'à François I, il n'y eut en France que deux enseignes royales blanches ; savoir, la cornette de France ou la cornette blanche dont nous venons de parler, & la cornette royale qui étoit comme l'étendard de corps du prince, qu'on portoit auprès de lui, soit dans les batailles, & quelquefois en tems de paix dans les grandes solennités, comme aux entrées publiques, &c. Mais depuis les guerres du Calvinisme, outre les cornettes blanches des généraux d'armée à qui le roi accordoit cette prérogative par distinction, il y eut en France, sur-tout sous Charles IX, autant d'enseignes blanches qu'il y avoit de colonels généraux des différentes milices. En ce tems-là l'infanterie françoise étoit partagée sous deux colonels, savoir celui de l'infanterie qui étoit dans le royaume, & celui de l'infanterie qui étoit en Italie, qu'on appelloit colonel de l'infanterie de de-là les monts. Chacun de ces colonels avoit son drapeau blanc : le colonel des Suisses au service de la France avoit le sien, & les colonels des Lansquenets & des Corses avoient aussi les leurs. Chaque colonel mit son drapeau blanc dans sa compagnie colonelle ; & par la suite lorsque l'infanterie fut enrégimentée, le colonel général voulut avoir une compagnie dans chaque régiment, & que cette compagnie eût un drapeau blanc ; ce qui se pratique encore aujourd'hui pour toutes les compagnies colonelles, quoique la charge de colonel général de l'infanterie ne subsiste plus ; le droit du drapeau blanc a passé de la compagnie colonelle générale à la compagnie colonelle, la premiere ayant été supprimée, chaque mestre-de-camp ou colonel d'un corps particulier s'étant à cet égard arrogé les prérogatives du colonel général, usage qui a commencé sous Henri III. vers l'an 1580.

Les enseignes de la cavalerie ont été nommées étendards & guidons, au lieu de banniere & pennon, ensorte que l'étendard est au guidon ce que la banniere étoit au pennon ; cependant cette distinction ne subsiste plus, parce que l'étendard est commun à tous les corps de cavalerie, ainsi l'on dit un étendard de cavalerie & un guidon de gendarmerie ; mais dans cette derniere troupe c'est la charge qu'on nomme guidon & non pas l'enseigne, on la nomme étendard comme dans les autres corps : ces deux enseignes avoient tiré leur nom par similitude de l'action à laquelle elles sont propres. Le guidon est propre à guider & à conduire, l'étendard est fait pour être vû étendu ; car il est attaché à sa lance de soûtien de maniere à paroître tel, soit au moyen du vent, ou par le moyen d'une verge de fer à laquelle le chiffon qui fait proprement l'étendard peut être attaché comme il l'étoit autrefois : un étendard ainsi envergé restoit bien étendu au-haut de sa pique, & il y tournoit tout d'une piece comme une giroüette. Depuis l'introduction de la cornette blanche royale, le premier régiment de cavalerie a pris une cornette blanche pour sa compagnie colonelle, & outre cela il se nomme la cornette blanche, comme on a autrefois désigné les compagnies de cavalerie par le nom de cornettes ; ainsi l'on disoit qu'il y avoit dans une armée 100 cornettes de cavalerie, pour signifier 100 compagnies.

Les étendards des dragons ont quelque ressemblance avec les anciens pennons, en ce qu'ils sont plus longs que ceux de la cavalerie, & se terminent en double pointe. Les étendards sont chargés d'armes ou de devises & de légendes en broderie. Les enseignes d'infanterie ne sont qu'une grande piece de fort taffetas, avec une croix dont les bras s'étendent jusqu'aux bords ; le fonds est un champ peint de couleurs différentes, avec des fleurs de lis semées sans nombre dans quelques-uns, dans d'autres une couleur pleine, & dans quelques autres encore des flammes de diverses couleurs comme dans les drapeaux des Suisses.

Dans l'infanterie l'officier qui porte le drapeau s'appelle enseigne, & dans la cavalerie celui qui porte l'étendard s'appelle cornette. Chaque bataillon a trois drapeaux dans l'infanterie, la cavalerie a deux étendards par escadron, & les dragons n'en ont qu'un ; il s'appelle drapeau lorsque les dragons sont en bataillon, & étendard lorsqu'ils sont en escadron. Quand l'armée est rangée en bataille, tous les étendards sont à la premiere ligne, portés chacun sur le front de leurs escadrons ; & à droite & à gauche du porte-étendard sont deux cavaliers qu'on choisit parmi les plus braves pour le défendre, & empêcher que l'ennemi ne s'en saisisse. Chaque étendard porte d'un côté un soleil d'or brodé, avec la devise de Louis XIV. nec pluribus impar en lettres d'or, & de l'autre la devise du régiment.

Il y a à chaque drapeau & chaque étendard un morceau de taffetas noüé entre l'étoffe de l'étendard ou drapeau & le bout de la lance : on appelle ce morceau de taffetas la cravate ; sa couleur est ordinairement celle de la nation à laquelle appartient l'enseigne & la troupe ; comme la France, blanc ; l'Espagne, rouge ; l'Empereur, verd ; Baviere, bleu ; Hollande, jaune, &c.

Chaque nation a aussi ses enseignes particulieres.

Les enseignes des Turcs, comme celles de toutes les autres nations, sont attachées à une lance dont l'extrémité passe au dessus de l'étendard même.

Leurs étendards en général sont d'une étoffe de soie de diverses couleurs, chargée d'une épée flamboyante, environnée de caracteres arabes en broderie ; une grosse pomme dorée, attachée au bout de la lance, & surmontée d'un croissant d'argent, termine l'étendard ; ce qui, selon eux, représente le Soleil & la Lune. Si au-dessous de la pomme dorée & autour de la lance il n'y a que de gros flocons de queue de cheval à longs crins teints de diverses couleurs, on appelle ces étendards tongs. L'étendue du commandement regle le nombre de ces queues ; plus on a droit d'en faire porter devant soi, & plus on a d'autorité. On dit, un bacha à deux queues, un bacha à trois queues, pour signifier que celui-ci a plus de pouvoir que le premier.

Le principal étendard des Turcs est celui qu'ils appellent l'étendard du prophete, soit que ce soit celui de Mahomet même, ou quelqu'autre fait à son imitation. Il est verd. Les Turcs supposent que le salavat ou confession de foi mahométane, y étoit autrefois écrit en lettres noires ; mais il y a long-tems que toute cette écriture est effacée : pour toute inscription on y voit le mot alem au bout de la lance. Il paroît déchiré en beaucoup d'endroits ; aussi, pour le ménager, ne le déploye-t-on jamais. On le porte roulé autour d'une lance devant le grand-seigneur, & il demeure ainsi exposé jusqu'à ce que les troupes se mettent en marche. Aussi-tôt que l'armée est arrivée à son premier campement, on met l'étendard dans une caisse dorée, où se conservent aussi l'alcoran & la robe de Mahomet ; & toutes ces choses chargées sur un chameau, précedent le sultan ou le grand-visir. Autrefois cet étendard étoit en si grande vénération, que lorsqu'il arrivoit quelque sédition à Constantinople ou dans l'armée, il suffisoit de l'exposer à la vûe des rebelles pour les faire rentrer dans le devoir.

Le chevalier d'Arvieux, tome IV. en décrivant la marche du grand-seigneur pour se rendre à l'armée, dit qu'entre deux tongs qui le précédoient, étoit un autre cavalier qui portoit un grand drapeau de toile ou d'étoffe de laine verte, simple & sans ornement ; que le haut de la pique où il étoit attaché, étoit garni d'une boîte d'argent doré en forme d'un as de pique, qui renfermoit un alcoran ; & que ce drapeau uni & sans ornement, qui représentoit la pauvreté & la simplicité dont Mahomet faisoit profession, étoit suivi de deux autres fort grands de damas rouge ornés de passages de l'alcoran dont les lettres étoient formées de feuilles d'or appliquées à l'huile, après lequel suivoit un troisieme de toile ou d'étoffe de laine legere, tout rouge & sans ornement, qui est l'étendard de la maison impériale.

Sept grands étendards ou tongs précedent le grand-seigneur lorsqu'il va en campagne. Tous les gouverneurs de provinces ont aussi leurs étendards particuliers, comme des symboles de leur pouvoir, qui les accompagnent dans toutes leurs cérémonies, qu'ils placent dans un lieu remarquable de leur logis, & en guerre à la porte de leur tente.

S'il est question de lever une armée, tous les particuliers se rangent sous l'étendard du sanjac, chaque sanjac sous celui du bacha, & chaque bacha sous celui du beglerbeg. On arbore aussi à Constantinople les queues de cheval en différens endroits, pour marque de déclaration de guerre. Les bachas qui ne sont point d'un rang inférieur aux visirs, quoiqu'ils ne soient pas honorés de ce titre, ont deux queues de cheval, un alem verd, & deux autres étendards, aussi-bien que les princes de Moldavie & de Valachie ; un beg ou sanjac a les mêmes marques d'honneur, excepté qu'il n'a qu'un tong. L'alem ou grand étendard du grand-visir, quand il est à la tête des troupes, est beaucoup plus distingué que ceux des autres officiers généraux. Celui qu'on trouva devant la tente du grand-visir à la levée du siége de Vienne en 1683, étoit de crin de cheval marin travaillé à l'aiguille, brodé de fleurs & de caracteres arabesques. La pomme étoit de cuivre doré, & le bâton couvert de feuilles d'or. Celui que le roi de Pologne envoya à Rome pour marque de cette victoire, étoit encore plus riche. Le milieu de cet étendard étoit de brocard d'or à fond rouge ; le tout de brocard, argent, & verd, & les lambrequins de brocard incarnat & argent. On y voit ces paroles brodées en lettres arabes, la illahe illa allah Mahamet resul allah ; ce qui signifie, il n'y a point d'autre Dieu que le seul Dieu, & Mahomet envoyé de Dieu. On lisoit encore dans les rebords d'autres caracteres arabes, qui signifioient plaise à Dieu nous assister avec un secours puissant ; c'est lui qui a mis un repos dans le coeur des fideles pour fortifier leur foi. Le bâton de l'étendard étoit surmonté d'une pomme de cuivre doré, avec des houpes de soie verte.

Les étendards ou drapeaux des janissaires sont fort petits, & mi-partis de rouge & de jaune, surchargés d'une épée flamboyante en forme d'un éclat de foudre, vis-à-vis d'un croissant. Ceux des spahis sont rouges, & ceux des selictarlis sont jaunes. Tous les étendards des provinces sont à la garde d'un officier nommé émir alem, c'est-à-dire chef des drapeaux. Il a aussi la garde de ceux du sultan, qu'il précede immédiatement à l'armée, faisant porter devant lui une cornette mi-partie de blanc & de verd, pour marque de sa dignité.

Parmi les Tartares Monguls, ou Orientaux, chaque tribu a son ki ou étendard, qui consiste en un morceau d'étoffe appellé kitaïka, qui est d'une aune en quarré, attaché à une lance de douze piés de haut. Chez les Tartares mahométans, chaque ki a une sentence particuliere avec son nom écrit en arabe sur cette enseigne : mais chez les Tartares idolatres, tels que les Kalmouts, chaque horde ou tribu a un chameau, un cheval, ou quelqu'autre animal, & encore quelqu'autre marque distinctive, pour reconnoître les familles d'une même tribu. Les Tartares européens ont aussi des drapeaux & étendards, chargés de figures & de symboles ; tels que celui d'un kam des Tartares de Crimée, pris par les Moscovites en 1738 ; il étoit verd portant une main ouverte, deux cimeteres croisés, un croissant, & quelques étoiles, & le bouton d'en-haut étoit garni de plumes. Guer, moeurs des Turcs, tome II. mém. du chevalier d'Arvieux, tome IV. Beneton, comm. sur les enseignes.

Les Sauvages d'Amérique ont aussi des especes d'enseignes. Ce sont, dit le P. de Charlevoix dans son journal d'un voyage d'Amérique, de petits morceaux d'écorce coupée en rond, qu'ils mettent au bout d'une perche, & sur lesquels ils ont tracé la marque de leur nation, ou de leur village. Si le parti est nombreux, chaque famille ou tribu a son enseigne avec sa marque distinctive, qui leur sert à se reconnoître & à se rallier. (G)

ENSEIGNE DE VAISSEAU, (Marine) c'est un officier qui a rang après le lieutenant, & qui lui doit obéir ; mais en son absence, l'enseigne fait les fonctions du lieutenant. (Z)

ENSEIGNE DE POUPE, (Marine) c'est le pavillon qui se met sur la poupe. L'enseigne de poupe dans les vaisseaux françois est blanche pour les vaisseaux de guerre, & bleue pour les vaisseaux marchands. (Z)

ENSEIGNE, s. f. petit tableau pendu à une boutique de marchand, ou à une chambre d'ouvrier pour le désigner. L'on appelle encore enseigne, un tableau qu'on met sous l'auvent d'une boutique, & qui tient toute sa longueur.


ENSEIGNEMENTS. m. (Jurisp.) sont les preuves que l'on donne de quelque chose, tant par titres & pieces que par d'autres indications. Voyez PREUVE. (A)


ENSELLÉadj. (Manége & Maréch.) cheval ensellé : on désigne par ce mot un cheval dont le dos, au lieu d'être uni & égal dans toute son étendue, creuse dans son milieu, & y est, vû cette espece de concavité, infiniment plus bas que par-tout ailleurs.

Les chevaux ainsi conformés ont, il est vrai, l'encolure haute & relevée, la tête bien placée, l'avant-main, tout le bout de devant beau, nombre d'entr'eux ont de la legereté ; mais il en est aussi beaucoup qui sont foibles & qui se lassent aisément.

Il est extrêmement difficile d'ajuster la selle qu'on leur destine, & l'on est contraint de charpenter les arçons différemment, pour les approprier à leur tournure défectueuse. Voyez SELLE. (e)


ENSEMBLE(Peint.) Voici un mot dont la signification vague en apparence, renferme une multitude de lois particulieres imposées aux Artistes ; premierement par la nature, ou, ce qui revient au même, par la vérité ; & ensuite par le raisonnement, qui doit être l'interprete de la nature & de la vérité.

L'ensemble est l'union des parties d'un tout.

L'ensemble de l'univers est cette chaîne presque entierement cachée à nos yeux, de laquelle résulte l'existence harmonieuse de tout ce dont nos sens joüissent. L'ensemble d'un tableau est l'union de toutes les parties de l'art d'imiter les objets ; enchaînement connu des artistes créateurs, qui le font servir de base à leurs productions ; tissu mystérieux, invisible à la plûpart des spectateurs, destinés à joüir seulement des beautés qui en résultent.

L'ensemble de la composition dans un tableau d'histoire est de deux especes, comme la composition elle-même, & peut se diviser par conséquent en ensemble pittoresque, & en ensemble poétique.

Les acteurs d'une scene historique peuvent sans-doute être fixés dans les ouvrages des auteurs qui nous l'ont transmise. La forme du lieu où elle se passe, peut aussi se trouver très-exactement déterminée par leur récit : mais il n'en restera pas moins au choix de l'artiste un nombre infini de combinaisons que peuvent éprouver entr'eux les personnages essentiels & les objets décrits. C'est au peintre à créer cet ensemble pittoresque ; & je crois qu'on doit moins craindre de voir s'épuiser la variété dans les compositions, que le talent d'embrasser toutes les combinaisons qui peuvent la produire.

Celle des combinaisons possibles à laquelle on s'arrête, est donc dans un tableau son ensemble pittoresque ; il est plus ou moins parfait, selon que l'on a plus ou moins réussi à rendre les grouppes vraisemblables, les attitudes justes, les fonds agréables, les draperies naturelles, les accessoires bien choisis & bien disposés.

L'ensemble poétique exige à son tour cet intérêt général, mais nuancé, que doivent prendre à un évenement tous ceux qui y participent. L'esprit, l'ame des spectateurs veulent être satisfaits, ainsi que leurs yeux ; ils veulent que les sentimens dont l'artiste a prétendu leur faire passer l'idée, ayent dans les figures qu'il représente une liaison, une conformité, une dépendance, enfin un ensemble qui existe dans la nature. Car dans un évenement qui occasionne un concours de personnes de différens âges, de différentes conditions, de différens sexes ; le sentiment qui résulte du spectacle présent, semblable à un fluide qui tourbillonne, perd de son action en s'étendant loin de son centre : outre cela, il emprunte ses apparences différentes de la force, de la foiblesse, de la sensibilité, de l'éducation, qui sont comme différens milieux par lesquels il circule.

Dans cette multitude d'obligations qu'imposent les lois de l'ensemble, on juge bien que la couleur révendique ses droits.

Son union, son accord, sa dégradation insensible, forment son ensemble ; le clair-obscur compose le sien des grouppes de lumiere & d'ombre, & de l'enchaînement de ses masses : mais ce sujet mérite bien que l'on consulte les articles qui sont plus particulierement destinés à les approfondir ; ainsi je renverrai entr'autres, pour l'explication plus étendue de ce genre d'ensemble, au mot HARMONIE, qui l'exprime.

La couleur a des tons, des proportions, des intervalles ; il n'est pas étonnant que la Peinture emprunte de la Musique le mot harmonie, qui exprime si bien l'effet que produisent ces différens rapports : & la Musique à son tour peut adopter le mot coloris ; en nommant ainsi cette variété de style qui peut l'affranchir d'une monotonie, à laquelle il semble qu'elle s'abandonne parmi nous.

Si je ne me suis arrêté qu'à des réflexions générales sur le mot ensemble, on doit sentir que je l'ai fait pour me conformer à l'idée que présente ce terme : cependant il devient d'une signification moins vague & plus connue, lorsqu'il s'applique au dessein. Il est plus communément employé par les artistes ; & de cet usage plus fréquent doit naturellement résulter une idée plus nette & plus précise : aussi n'est-il pas d'éleve qui ne sache ce qu'on entend par l'ensemble d'une figure, tandis que peut-être se trouveroit-il des artistes qui auroient peine à rendre compte de ce que signifie ensemble poétique & ensemble pittoresque.

Cet usage plus ou moins fréquent des termes de Sciences & d'Arts, est un des obstacles les plus difficiles à vaincre pour parvenir à fixer les idées des hommes sur leurs différentes connoissances. Les mots sont-ils peu usités ? on ne connoît pas assez leur signification. Le deviennent-ils ? bien-tôt ils le sont trop ; on les détourne, on en abuse au point qu'on ne sauroit plus en faire l'usage méthodique auquel ils sont destinés.

Mais sans m'arrêter à citer des exemples trop faciles à rencontrer, je reviens au mot ensemble. Lorsqu'il s'agit d'une figure, c'est l'union des parties du corps & leur correspondance réciproque. On dit un bon ou un mauvais ensemble ; par conséquent le mot ensemble ne signifie pas précisément la perfection dans le dessein d'une figure, mais seulement l'assemblage vraisemblable des parties qui la composent.

L'ensemble d'une figure est commun & à la figure, & à l'imitation qu'on en fait. Il y a des hommes dont on peut dire qu'ils sont mal ensemble ; parce que disgraciés dès leur naissance, leurs membres sont effectivement mal assemblés. Mais n'est-il pas étonnant que l'extravagance des modes & l'aveuglement des prétentions ayent souvent engagé plusieurs de ces êtres indéfinissables qu'on nomme petits-maîtres, à défigurer un ensemble quelquefois très-parfait, ou au moins passable, dont ils étoient doüés, pour y substituer une figure décomposée qui contredit desagréablement la nature ?

Les graces sont plus respectées par la Peinture ; & si on ne leur sacrifie pas toûjours, au moins a-t-on toûjours pour objet d'obtenir leur aveu par la perfection de l'ensemble. Les Grecs qui entr'autres avantages ont sur nous celui de nous avoir précédés, ont fait une étude particuliere de ce qui doit constituer la perfection de l'ensemble d'une figure.

Ils ont trouvé dans leur goût pour les Arts, dans leur émulation, dans les ressources de leur esprit, & dans les usages qu'ils pratiquoient, des facilités & des moyens qui les ont menés à des succès que nous admirons. Je reprendrai ce fil, qui me conduiroit insensiblement à parler des proportions, & de la grace, aux mots PROPORTION, GRACE ; voyez aussi BEAU ; & je me contenterai de dire que la justesse de l'ensemble dépend beaucoup de la connoissance de l'Anatomie, puisqu'il est l'effet extérieur des membres mis en mouvement par les muscles & les nerfs, & soûtenus dans ce mouvement par les os qui sont la charpente du corps.

L'effet du tout ensemble est, comme on le sent bien, le résultat des ensembles dont je viens de parler, comme le mot effet général est le résultat des effets particuliers de chacune des parties de l'art de peindre, dont on fait usage dans un tableau. Voyez EFFET. Cet article est de M. WATELET.

ENSEMBLE, s. m. en Architecture, se dit de toutes les parties d'un bâtiment, qui étant proportionnées les unes avec les autres, forment un beau tout, ce qu'on entend quelquefois aussi par masse ; on dit, la masse d'un tel édifice, ou bâtiment, fait un bel ensemble. (P)

ENSEMBLE, (Art militaire) L'ensemble dans la tactique, c'est l'exacte exécution des mêmes mouvemens, de la même maniere, & dans le même tems.

Ainsi l'ensemble dans la marche d'une troupe, ou d'un bataillon, c'est l'union de tous les hommes du bataillon, qui doivent agir comme s'ils étoient mûs par une seule & même cause qui agiroit également sur chacun d'eux. Une troupe dont tous les soldats marchent bien ensemble, garde toûjours son même arrangement : ses rangs & ses files sont toûjours en ligne droite, & aucune des parties ne va ni plus vîte, ni plus lentement que l'autre.

Cet ensemble est d'une grande utilité dans les mouvemens des troupes ; mais les soldats ne peuvent l'acquérir que par un exercice fréquent. (Q)

ENSEMBLE, (Manége) L'ensemble n'est autre chose que la situation d'un cheval exactement contre-balancé sur ses quatres membres. Mettre un cheval ensemble, c'est l'obliger à rassembler les parties de son corps & ses forces, en les distribuant également sur ses quatre jambes, & en les réunissant pour ainsi dire. On prononce sans-cesse le mot d'ensemble dans nos manéges ; peu d'écuyers sont en état de le définir. On verra toute l'étendue de sa signification à l'article UNION. (e)


ENSEMENCERv. act. On dit ensemencer une terre, un potager, une pepiniere, quand on la fait labourer, fumer, & qu'on y a semé les plantes convenables. Voyez SEMENCE. (R)


ENSINIERv. act. c'est chez les Tondeurs de draps un terme qui signifie graisser legerement une étoffe avec du saindoux, pour la rendre plus aisée à être frisée.


ENSISHEIM(Géog. mod.) ville de la haute Alsace, en France. Elle est située sur l'Ill. Long. 25d. 1'. 55". lat. 47d. 51'. 2".


ENSKIRREN(Géog. mod.) ville de Westphalie, en Allemagne. Elle appartient au duché de Juliers. Long. 23. 56. lat. 50. 58.


ENSOUAILLES. f. terme de riviere, petite corde servant à retenir le bout de la crosse d'un gouvernail d'un bateau foncet.


ENSOUFRERv. act. c'est exposer les laines au soufre. L'endroit où on les expose s'appelle l'ensoufroir. Cette préparation se donne à tous les ouvrages en laine blanche. Pour cet effet, on prend une terrine bien vernissée ; on en couvre le fond de cendres ; on forme sur ces cendres un petit bucher de bâtons de soufre. On prend les ouvrages au sortir de la fouloire pour les bonnetiers, les couverturiers, les drapiers, &c. en un mot, pour tous les ouvriers en laine. On passe dans un des bouts un petit bout de fil en boucle ; on passe la boucle dans des cordes tendues, auxquelles les ouvrages restent suspendus. On met le feu au soufre : la vapeur du soufre leur donne une blancheur éclatante, & les rend plus faciles à peigner. Mais il faut bien observer que la terrine soit de terre vernissée, & non pas de fer : le soufre détache, selon toute apparence, des particules qui empêchent le blanchiment ; car il est d'expérience que cet effet en produit.


ENSUPLEENSUBLE, ENSOUBLE, ENSOUPLE, s. f. terme général d'Ourdissage. Tous les métiers des manufacturiers en soie, en laine, en fil, &c. ont des ensuples. Ce sont deux rouleaux de bois, dont l'un est placé au-devant du métier, & l'autre au derriere. La chaine est portée sur ces rouleaux ; elle se déroule de dessus l'ensuple de derriere, à mesure que l'étoffe se fabrique : & l'étoffe fabriquée s'enroûle sur celle de devant.

Nous allons donner la description des ensuples du manufacturier en soie, du rubanier, du friseur d'étoffe, du tapissier & du tisserand ; celles du gazier, du drapier, & des autres ouvriers ourdisseurs, en different peu : & d'ailleurs nous en parlons aux articles de leur métier. Voyez DRAP, GAZE, &c.

Ensuple de devant, partie du métier de l'étoffe de soie. L'ensuple de devant le métier est un rouleau de 6 à 7 pouces de diametre, de 3 piés environ de longueur. Il a une chanée de 2 piés environ, de 3/4 de pouce de large, sur autant de profondeur, dans laquelle entre la verge & le composteur. Il a à un bout un cercle de fer qui est coché, pour servir à faire la chaîne tirante, au moyen du chien de fer qui mord dans les cochées dudit cercle. Il est de plus, & du même côté, percé à double ; & au moyen de ces trous, dans lesquels entre la cheville de fer, on tourne l'ensuple avec la cheville, à force d'hommes, & on dévide l'étoffe à mesure qu'elle se fabrique.

Ensuple de derriere. L'ensuple de derriere est un rouleau de bois de 7 pouces de diametre & de 4 piés de long environ. Il est percé à double d'un côté, & il avoit jadis de l'autre un nerf de boeuf, cloüé tout-autour, pour fixer la corde du valet : mais les ensuples d'aujourd'hui ont des moulures qui tiennent lieu du nerf de boeuf dont on parle.

Ensuple de velours uni. L'ensuple de velours uni est fait comme celui des autres étoffes ; il n'y a de différence que dans la chanée, qui est plus large à l'embouchure, & qui perce l'ensuple d'outre en outre.

Ensuple de velours façonné. L'ensuple du velours façonné est faite comme celles ci-dessus, avec cette différence, qu'il n'y a point de chanée : & pour contenir l'étoffe à mesure qu'elle se fabrique, ces sortes d'ensuples sont garnies de petites pointes de fer très-aiguës, qui entrent dans l'étoffe à mesure qu'elle se roule dessus.

Ensuple de poil. L'ensuple de poil est faite comme l'ensuple de derriere, décrite ci-dessus, avec la seule différence, qu'elle est de moitié plus petite, & que les deux bouts sont proportionnés au rayon, dont l'ouverture est ordinairement très-petite.

Ensuple de devant est une piece de bois ronde, d'environ 4 ou 5 pouces de diametre, de toute la largeur du métier : elle est terminée à ses deux bouts par deux petits tourillons qui entrent dans deux petites mortoises pratiquées dans les deux barres le long du métier. La même ensuple est traversée diamétralement du côté de la main droite de l'ouvrier, à 5 ou 6 pouces de son extrémité, par deux menus bâtons, dont les bouts saillans servent à faire rouler ladite ensuple, lorsque l'ouvrier tire sa tirée. Il est bon de dire que lorsque l'on fait quelque ouvrage extrêmement lourd, ces deux bâtons croisés se trouvent répetés à l'autre bout de l'ensuple ; ce qui fait que l'ouvrier, par cette double force réunie, vient plus aisément à bout de tirer sa tirée. Cette ensuple a encore à son bout, à main gauche, une roue dentelée : il y a un trou quarré pratiqué dans le centre de cette roue, & qui sert à la tenir fixée sur la piece, aussi quarrée, de l'ensuple, qui lui sert d'axe. Cette roue ne doit pas être fixée à demeure dans ce tenon, attendu que si l'on vouloit que l'ensuple enroulât en-dessous, au lieu d'enrouler dessus, il n'y auroit qu'à retourner cette roue, dont les dents, se trouvant en sens contraire, arrêteront l'ensuple du côté que l'on jugera nécessaire. Cette roue est rendue stable, & fixe l'ensuple, au moyen d'une petite piece de bois, appellée chien, attachée sur la barre de long, du côté de la roue que l'on décrit, dont la machoire engrenant dans les dents de la roue, du sens opposé à son tirage, l'empêche de dérouler. L'usage de cet ensuple est de recevoir l'ouvrage fait, à mesure que l'ouvrier tire ce que l'on appelle tirée. Voyez TIRE.

ENSUPLE, (Rubanier) est une piece de bois faite au tour : les bouts qui la terminent sont menus, pour entrer dans les échancrures des potenceaux : les moulures servent, par leur éminence, à retenir les cordes des contre-poids, & les empêcher de glisser. Il y a une entaille pratiquée dans le corps de l'ensuple, pour recevoir le vergeon, passé lui-même dans les soies de la piece. Lorsque ce vergeon est placé dans cette entaille, on glisse sur lui deux ficelles nommées brasselets, qui sont entortillées & noüées sur l'ensuple : ces ficelles venant sur ce vergeon, le retiennent & l'empêchent de sortir de sa place ; conséquemment les soies de la chaîne se déroulent de dessus les ensuples, jusqu'à ce que le vergeon ainsi arrêté par les ficelles ci-dessus dites, qui servent à le retenir, l'ensuple ne pourra plus dérouler : pour lors on se sert de la corde à encorder, qu'il faut voir à son lieu. L'usage des ensuples est de porter tout ce qu'on appelle chaîne.

ENSUPLE, (Drapier) est une partie de la machine à friser, sur laquelle tourne l'étoffe en sortant de dessous les tables. Elle est garnie de cardes de fer, pour empêcher l'étoffe de se chiffonner sous les tables, & soûtenue sur un chassis sur le devant, dans deux petits collets à chaque montant. L'ensuple se termine à droite par un hérisson, qui reçoit son mouvement d'une petite lanterne placée vis-à-vis. Voyez HERISSON, & les figures, Planches de la Draperie.

ENSUPLE, espece de gros & long cylindre ou rouleau de bois, placé en large sur le derriere du métier de ceux qui travaillent de la navette, tels que sont les Tisserands, Tisseurs ou Tissiers, &c. On l'appelle aussi rouleau. Voyez BASSE-LISSE.

ENSUPLE, piece du métier des Tisserands ; c'est un gros cylindre ou rouleau de bois long, placé en large sur le derriere du métier, sur lequel les fils qui composent la chaine d'une toile sont roulés, & d'où on les déroule à mesure que la toile se fabrique. Cette ensuple est percée, par les deux bouts, de plusieurs trous, dans lesquels on introduit un bâton, appellé le bachelier, pour l'arrêter & l'empêcher de se dérouler.


ENTABLEMENTS. m. du latin tabulatum, plancher, (Architecture) Sous ce mot on entend la partie qui couronne la colonne, ou le pilastre. Ila, selon Vignole, le quart de l'ordre ; selon Palladio, le cinquieme, & selon Scamozzi, entre le quart & le cinquieme. Les autres commentateurs de Vitruve sont aussi d'avis différent ; mais les trois que nous citons sont le plus généralement approuvés, & peuvent être employés avec succès suivant ces trois mesures, selon qu'ils couronnent un édifice qui a plus ou moins d'étendue, plus ou moins d'élévation, ou qui doit être apperçû d'un point de distance plus ou moins éloigné.

L'entablement est nommé improprement, par Vitruve & Vignole, ornement : il ne faut pourtant pas confondre ces deux mots ; car l'entablement, qui est une partie essentielle de l'ordre, est lui-même susceptible d'ornement, en plus ou moins grande quantité, selon qu'il appartient à un ordre viril ou délicat. On dit : cet entablement couronne bien cet édifice ; les ornemens qui y sont appliqués sont d'un beau choix : les ornemens sont donc les parties de détail de l'entablement ; celui-ci en est la totalité.

L'entablement en général est composé de trois parties ; savoir, de l'architrave (voyez ARCHITRAVE), de la frise (voyez FRISE), & de la corniche (voyez CORNICHE). Le rapport le plus parfait que l'on puisse donner à ces trois membres, est de faire en sorte que l'architrave soit à la frise, ce que la frise est à la corniche. Les entablemens toscan & ionique de Vignole sont disposés ainsi ; dans le premier l'architrave a 12 pouces, la frise 14, & la corniche 16 pouces ; dans le second l'architrave 1 module 1/4, la frise 1 module 1/2, & la corniche 1 module 3/4 : les autres entablemens de cet auteur sont moins réguliers. Plusieurs architectes font leur corniche égale à leur architrave ; Serlio fait les trois membres de l'entablement toscan égaux. (Voyez le Parallele de M. de Chambrai.) Rien n'est plus propre à diriger le goût que de constater les rapports qu'on doit observer entre les parties & le tout, non-seulement de l'entablement dont nous parlons, mais aussi de l'ordre en général, qui nécessairement doit donner le ton à toute la décoration d'un édifice, soit qu'on y employe les ordres, soit qu'on veuille seulement n'en emprunter que l'expression. (P)


ENTABLERv. act. (Manege) Quelques-uns ont très-mal-à-propos confondu ce mot avec celui d'acculer, & ont employé cette derniere expression dans le sens qui naturellement ne convient qu'à la premiere. Nous expliquerons ici la différence de la signification de l'une & de l'autre.

Tout cheval entablé est celui dont les hanches devancent les épaules, lorsqu'il manie de deux pistes, tant sur les voltes que sur les changemens de main, larges ou étroits.

Cette fausse position précipite le devant & le derriere dans une contrainte, qui non-seulement s'oppose à toute justesse, mais qui est capable de causer de véritables desordres. Les épaules, d'une part, trop en dehors, & de l'autre les hanches trop rapprochées du dedans, ou du centre, ne joüissent plus de cette liberté mutuelle & nécessaire qu'elles se communiquent ou se ravissent toûjours réciproquement, attendu l'intimité de leur rapport & de leur correspondance : dès-lors l'animal ne sauroit avancer, ainsi qu'il le doit, un pas à chaque tems ; au contraire, il se resserre, il se retrécit du derriere, & si on ne le tire de cette situation forcée, il est impossible qu'enfin il ne s'accule.

Ce défaut, qui se rencontre dans une multitude étonnante de chevaux, est naturel ou accidentel : naturel, quand on peut en accuser l'animal ; accidentel, quand il a pour principe des leçons prématurées, peu réfléchies, administrées sans jugement, ou quand il n'est que momentané, & qu'il ne peut être imputé qu'à une faute passagere du cavalier. On ne doit donc point être surpris qu'un cheval foible des reins, dont les jarrets n'ont point de solidité & sont atteints de divers maux, & dont le derriere est en proie à quelque douleur, ainsi que celui qui est né avec une si forte disposition à s'unir, que la nature l'a en quelque façon construit pour être ramingue, s'entable souvent & facilement. Nous devons l'être encore moins de le voir tomber dans ce vice, lorsque, sans avoir égard à son peu de souplesse, à la nécessité de le déterminer, de le résoudre, de l'élargir avec soin sur les voltes simples & par le droit (voyez ÉLARGIR), & sans penser à l'obligation de perfectionner son appui & de parer à l'incertitude de ses hanches fausses ou trop legeres, on a cherché à l'assujettir précipitamment & tout-à-coup, ainsi que le pratiquent encore aujourd'hui nombre de maîtres, qui se persuadent que les aides forcées des jambes, & même les châtimens redoublés, sont la seule voie & l'unique moyen d'engager le derriere à accompagner le devant de l'animal, qu'ils mettent indistinctement sur deux pistes. Dans le premier cas, le cheval s'entable sans-doute, à raison de sa foiblesse, ou des maux qu'il ressent ; & si son derriere se resserre plûtôt qu'il ne s'élargit, ce n'est que parce que l'épaule ne recevant pas de ce même derriere, les secours dont elle auroit besoin pour embrasser beaucoup de terrein, & étant trop retenue sur le dehors, la hanche de ce même côté est surchargée, & par conséquent l'animal est obligé de jetter son extrémité postérieure dans le sens contraire, c'est-à-dire, dans celui où il est plus libre & moins contraint. Dans le second cas, il ne falsifie sa ligne que par la mauvaise habitude qu'on lui a suggérée ; & l'on peut dire qu'il ne s'entable que pour avoir été trop entablé.

Il suffit de connoître la source de ce mouvement faux & desordonné, pour être instruit des moyens d'y remédier. Le derriere du cheval se meut toûjours dans le sens opposé à celui où se meut le devant : ce principe est d'autant plus constant, qu'il est tiré de la structure de l'animal. Or lorsqu'il s'agira de maintenir la croupe en liberté, ou de l'assujettir proportionnément à la capacité du cheval & au genre d'action, à laquelle je le sollicite, je déterminerai toûjours plus ou moins l'épaule, selon ce genre d'action & son pouvoir : pour cet effet je croiserai plus ou moins ma rene de dehors, en la portant en-dedans ; & l'épaule étant constamment libre, le derriere ne sera jamais trop asservi. De plus, si les hanches tendoient, attendu la grande facilité que je leur conserve, à s'éloigner du centre, plûtôt qu'à s'en approcher, c'est-à-dire, à s'élargir plûtôt qu'à se retrécir, je les soûtiendrois ; non d'abord avec ma jambe de dehors, mais en croisant ma rene de dedans en-dehors, & en mettant en second lieu ma rene de dehors à moi, & je n'approcherois ma jambe qu'autant que les effets résultans de ma main seroient impuissans.

Mais il n'est pas question ici d'indiquer les moyens de commencer à mettre un cheval sur deux pistes, ce détail appartient à l'article qui concerne les voltes ou les changemens de main : je ne dois donc me proposer dans celui-ci, que de rechercher les voies de corriger l'animal qui s'entable. De quelque cause que provienne le retrécissement de son derriere, on y obviera, 1°. par le secours de la rene de dehors, qui étant croisée, renversera l'épaule en-dedans ; 2°. par celui de la rene de dedans à soi ; 3°. enfin par celui de la jambe de ce même côté, appliquée avec plus ou moins de ménagement au corps du cheval. Ces trois aides seront employées dans l'ordre où je les décris : elles ne doivent être mises en usage que successivement ; car réunies & données ensemble, elles le surprendroient inévitablement. Il est néanmoins des chevaux qui ne peuvent être réduits à l'obéissance que par les châtimens & par le fer ; tels sont les chevaux ramingues, coleres, obstinés, & dans lesquels cette habitude est invétérée. Il est bon, après avoir lassé & épuisé sa patience, d'en venir prudemment aux actes de rigueur ; mais on ne sauroit traiter avec trop de douceur & trop d'égard, ceux qui ont une débilité naturelle, puisque l'exécution leur coûte plus qu'à d'autres, & ceux qui montrent beaucoup d'ardeur & de vivacité, parce qu'on couroit risque de les gendarmer & de les confirmer dans leur vice, plûtôt que de les en guérir. Du reste la méthode la plus assûrée, relativement au cheval qui s'entable, conséquemment aux fausses leçons qu'il a reçûes, est de le remettre aux premiers principes de l'école, & de les lui faire entendre. Lorsqu'on l'aura conduit, & qu'on l'aura fait passer avec ordre par tous ceux qui peuvent le préparer à décrire des voltes ou des changemens de main larges & étroits, en observant les hanches, on tentera de le faire passager sur ces différentes formes de terrein : s'il persévere dans son retrécissement, & s'il se ressent toûjours des anciennes impressions, on le châtiera selon son naturel & son inclination : on le soûtiendra, on l'attaquera discretement avec la jambe de dedans, on le fera marcher quelques pas par le droit ; & lorsque les hanches seront élargies, on l'arrondira de nouveau, ou on le rappellera sur une diagonale. J'observerai encore que les chevaux s'entablent plus fréquemment dans les changemens de main, lorsqu'ils sont larges que lorsqu'ils sont étroits ; la longueur de la ligne fatigue ceux qui sont foibles, & révolte les autres.

En coupant ou en interrompant souvent la marche du cheval qui travaille de deux pistes, pour ne le faire cheminer que sur une seule & droit devant lui, & en passant alternativement de l'une à l'autre de ces actions, on est en quelque façon assûré de l'empêcher enfin de s'entabler. Il est même à-propos, lorsqu'il s'entable avec précipitation, & qu'il jette violemment son derriere en-dedans, de le pincer vivement du talon du même côté, & de profiter du port ou de la situation actuelle de son épaule en-dehors, pour le contre-changer. Au bout de quelques pas on le remet par le droit ; on le fait rentrer ensuite sur la ligne oblique, & on le contre-change de nouveau lorsqu'il commet la même faute.

Si le terme d'entabler, de s'entabler est uniquement restraint à la seule signification du retrécissement du derriere, quel sera le sens dans lequel nous employerons celui d'acculer, de s'acculer ? Il me semble que cette question est facile à résoudre, d'autant plus que ce dernier mot présente en quelque sorte à l'esprit l'idée de l'action même qu'il désigne. Supposons que par une cause quelconque les jambes antérieures soient tellement rejettées en-arriere, ou les jambes postérieures tellement rejettées en-avant, que les piés de derriere outre-passent le centre de gravité de l'animal, il est certain que dès-lors les hanches étant non-seulement surchargées, ainsi que les jarrets, mais étant hors de leur point de force & de soûtien, elles fléchiront de maniere que le cheval s'accroupira, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi ; & voilà ce que nous appellons en général être acculé. Que s'il demeuroit un certain intervalle de tems dans cette fausse position, sa chûte en-arriere seroit inévitable. Les chevaux qui ont peu de reins, des jarrets foibles & mous, & dont le derriere peche par quelque maladie, sont plus sujets à s'acculer que les autres. Lorsque pour élargir le derriere du cheval qui s'entable, & pour renverser l'épaule en-dedans, nous agissons de la main, de maniere que l'effet de notre rene de dehors qui ne croise point assez, contraint la partie que nous voudrions dégager, nous acculons l'animal. Nous l'entablons & l'acculons encore en même tems, quand nous le renfermons si fort, que d'une part la sujétion dans laquelle il est, l'oblige de se resserrer du derriere, & de l'autre de reculer du devant, ce même derriere étant immobile & fixé en-dedans. Enfin tout cheval peut être acculé dans les piliers, au parer, au reculer, &c. Voyez ces mots à leur place. On conçoit d'avance qu'il ne peut être tiré de cet état chancelant & incertain, qu'autant que les piés antérieurs acquerront la liberté de s'éloigner de ceux de derriere ; ou qu'enfin ceux de derriere, par un effort que n'accompagne jamais la grace, parviendront eux-mêmes à se dégager. (e)


ENTACAGES. m. (Manuf. en velours) c'est un assemblage de différentes baguettes, qui se place en une chanée ou logement pratiqué à l'ensuple de devant des métiers à velours.

Cette ensuple étoit, avant l'invention de cette machine ingénieuse, garnie de petites pointes qui passoient à-travers le velours, & qui le tenoient appliqué sur l'ensuple. On étoit obligé d'employer ces pointes aux velours, parce que si l'on eût enroulé cette étoffe sur elle-même, comme les autres, son poil se seroit écrasé, n'auroit pû se redresser, & l'étoffe eût été gâtée ; mais d'un autre côté les pointes l'érailloient, la cribloient de petits trous, & nuisoient beaucoup à sa qualité. Ce fut ce qui détermina un ouvrier à chercher un remede à ces inconvéniens ; & il trouva l'entacage, qui consiste à faire faire plusieurs tours au velours, sur les baguettes auxquelles son envers est toûjours appliqué, & contre lesquelles il est si fortement retenu par le seul frottement, qu'on déchireroit plûtôt l'étoffe que de l'en séparer. Entre ces baguettes il y en a à la vérité une de fer assez large, & dont la surface est toute hachée, afin d'augmenter le frottement par ces inégalités. On trouvera à l'article VELOURS une description plus détaillée de cette invention, & l'on en verra la figure & la coupe dans nos Planches de soierie. En attendant nous proposons à ceux qui voudront sentir tout le mérite de cette invention, de résoudre ce problème de Méchanique : Substituer aux pointes de l'ensuple, une machine telle que l'étoffe soit tenue fortement & également tendue sur toute sa largeur, sans la percer de trous ni écraser son poil.


ENTAILLES. f. en Architecture ; c'est une ouverture qu'on fait pour joindre quelque chose avec une autre. Les entailles se font quarrément de la demi-épaisseur du bois, par embrévent à queue d'aronde, en adent, &c. ainsi que les assemblages. On fait des entailles dans les incrustations de pierre ou de marbre, pour y placer les morceaux postiches. On fait encore des entailles à queue d'aronde pour mettre un tenon de noeud de bois de chêne, ou un crampon de fer ou de bronze incrusté de son épaisseur, pour retenir un fil dans un quartier de pierre, ou dans un bloc de marbre. (P)

ENTAILLES, (Lutherie) ce sont dans le sommier de l'orgue, ces vuides ou mortoises que l'on fait aux longs côtés du chassis, pour recevoir les barres qui forment les gravures. Voyez SOMMIER DE GRAND ORGUE.

ENTAILLES, ce sont aussi les ouvertures que l'on fait derriere les tuyaux de montre, pour les amener à leur ton. Ce sont de grands trous a a b (figure 31. Planche d'Orgue), dont l'usage est de déterminer la longueur du tuyau, lorsqu'on l'a fait plus long qu'il ne faut pour remplir la face du fust d'orgue. L'entaille ou ouverture inférieure b, qui met le tuyau à son ton, a plusieurs fentes à sa partie inférieure, qui forment plusieurs lambeaux qu'on n'ôte pas tout-à-fait, avec lesquels, comme avec les oreilles, on accorde les tuyaux. Voyez OREILLES.


ENTAILLOIRSENTAILLOIRS


ENTALINGUER(Mar.) voyez TALINGUER.


ENTAMERv. act. au physique, c'est séparer d'un corps qu'on considere comme un tout, une partie qu'on regarde comme la premiere, qu'on appelle l'entamure. Au figuré, il est synonyme à commencer ; ainsi entamer une négociation, c'est la commencer.

ENTAMER, (Manég.) terme que nous employons en divers sens.

Entamer un cheval, ou commencer à lui faire comprendre les premieres leçons du Manége, expressions synonymes : ce cheval n'est qu'entamé.

Entamer une volte, un changement de main, se dit pour désigner l'instant où l'on commence cette volte ou changement de main : Vous n'avez pas saisi les tems justes par lesquels vous deviez entamer votre changement de main.

Entamer se dit encore en parlant du terrein que l'animal embrasse, & de la jambe qui précede ou qui est la premiere à l'embrasser. Au galop à droite la jambe de devant du hors-montoir, & au galop la jambe de devant du montoir, doivent entamer. Voy. GALOP. C'est-à-dire qu'à l'un la jambe droite doit précéder la gauche, & qu'à l'autre la jambe gauche doit devancer la droite. (e)


ENTAMURES. f. (Chirurgie) division de continuité qui se fait avec les instrumens tranchans, tant sur les parties dures que sur les parties molles.

Les anciens ont distingué cinq manieres de faire une entamure sur les parties dures ; savoir en troüant ou trépanant, en raclant, en sciant, en limant, & en coupant.

On troue ou on trépane avec un instrument tranchant en forme de scie ronde, appellée trépan. On racle avec un instrument nommé rugine ; cette opération emporte la superficie des os corrompus, ce qui rend plus promt l'effet des remedes appliqués. On scie les os des membres qu'on doit amputer. On lime les dents pour les séparer, pour les rendre égales, & pour en emporter la carie. On coupe avec des tenailles incisives les extrémités des os cassés, dont les pointes peuvent piquer certaines parties. On coupe les os mêmes dans leur continuité, lorsqu'on ne peut les scier, ou les séparer dans leur contiguité. Voyez TREPAN, RUGINE, SCIE, LIME, & TENAILLES INCISIVES en Chirurgie.

Les anciens ont aussi distingué douze manieres de faire une entamure aux parties molles ; l'aplotomie, la phlébotomie, l'artériotomie, l'oncotomie, le catacasmos, la périérèse, l'hypospatisme, le périscithisme, l'encopé, l'acrotériasme, l'angéïotomie, & la lithotomie. La définition de tous ces mots, que nous allons ajoûter ici contre notre coûtume, ne tiendra guere plus d'espace que la désignation des renvois.

L'aplotomie est une simple ouverture faite à une partie molle ; la phlébotomie est l'ouverture d'une veine ; l'artériotomie, celle d'une artere ; & l'oncotomie, celle d'un abcès. Le catacasmos est ce qu'on appelle en françois scarification : il y en a de trois sortes ; savoir, la moucheture, qui ne va pas au-delà de la peau ; l'incision, qui pénetre jusqu'aux muscles ; & la taillade, qui va jusqu'aux os. La périerèse est une espece d'incision que les anciens faisoient autour des grands abcès ; l'hypospatisme est une incision qu'ils pratiquoient au-devant de la tête, & qui pénétroit jusqu'à l'os ; le périscithisme est une incision circulaire qu'ils continuoient depuis une tempe jusqu'à l'autre, & qui pénétroit jusqu'à l'os. La cruauté de ces trois especes d'opérations, & leur peu de succès, les ont proscrites. L'encopé est l'amputation d'une petite partie, par exemple, d'un doigt ; l'acrotériasme est l'amputation d'un membre considérable, par exemple d'une jambe ; l'angéïotomie est l'ouverture d'un vaisseau ; la lithotomie est une ouverture qu'on fait à la vessie pour en tirer une pierre. Principes de Chirurgie. Article de M(D.J.)

ENTAMURE, en Architecture : ce mot se dit des premieres pierres d'une carriere nouvellement découverte. (P)


ENTÉadj. terme de Blason, qui se dit des partitions, & des faces ou bandes qui entrent les unes dans les autres à ondes rondement.

Maillé-Brezé en Normandie, fascé, enté, ondoyé d'or & de gueules.


ENTEENTER, ENTURE, (Jardinage) est la même chose que greffe. Voyez GREFFE. (K)


ENTÉESS. f. (Venerie) Ce sont des fumées de cerf ou de biche, dont deux ne font qu'une, & qui peuvent se séparer sans se rompre.


ENTENDEMENTS. m. (Logique) n'est autre chose que notre ame même, en tant qu'elle conçoit ou reçoit des idées.

Quand je dis affirmation, négation, desir, contentement, ennui, approuver, &c. je ne prononce point des mots destitués de sens : cependant je ne me représente point ce dont je parle sous aucune forme corporelle. La puissance que nous avons de penser ainsi, s'appelle l'entendement, ou la faculté intellectuelle. A la vérité, dans le tems même que l'entendement pur s'exerce & s'applique sur ses idées, l'imagination présente aussi ses images & ses phantômes : mais bien loin de nous aider par ses soins, elle ne fait que nous retarder & nous troubler. Il faut donc mettre une grande différence entre les idées de l'entendement, & les phantômes de l'imagination. L'entendement conçoit avec netteté ; mais dans ce que l'imagination présente, il n'y a le plus souvent que confusion. Je comprends fort bien ce que c'est qu'une figure formée de 120 ou de 124 côtés égaux ; j'en démontrerai la génération & les propriétés : mais la peinture que l'imagination s'en fait, n'est point distincte. L'entendement détermine tous ces côtés, & les compte nettement ; l'imagination n'oseroit l'entreprendre, elle n'en sauroit venir à bout. L'entendement & l'imagination ont l'un & l'autre des idées fort claires d'un triangle ; mais celle de l'imagination est plus vive & plus frappante, parce qu'elle est accompagnée de sensations. Quant à une figure de 120 côtés, celle que l'imagination présente est confuse. Lorsque dans une histoire l'on me parle de 50 bataillons & de 53 escadrons, ces deux nombres sont très-précisément conçûs par mon entendement ; mais l'imagination s'embrouille, & ce qu'elle conçoit, elle se le représenteroit de même, si ce détail avoit été composé d'autres nombres.

Non-seulement l'entendement se forme des idées précises de ce que l'imagination ne présente que très-confusément, il en rectifie de plus les contradictions. L'imagination ne se représentera jamais les Antipodes que renversés ; mais l'entendement se convainc qu'un homme n'a point cette situation, dès que ses piés sont plus près que sa tête du centre de la terre. Voyez ANTIPODES.

L'esprit a d'autant plus d'étendue, qu'il peut penser à un plus grand nombre de choses à la fois, passer plus rapidement d'une pensée à une autre, & en parcourir un grand nombre comme d'un seul coup-d'oeil ; de même qu'un bras est plus robuste, lorsqu'il agit avec plus de promtitude & qu'il soûtient une plus grande quantité de poids en même tems. Or il en est de la force de l'entendement, comme de celle du corps ; elles croissent l'une & l'autre par l'exercice, mais par un exercice modéré, reglé, & dont les efforts s'augmentent insensiblement. Un esprit qui restera dans l'inaction, demeurera toûjours étroit ; & celui qui entreprendra tout-à-la-fois un trop grand nombre de choses, & se portera d'abord aux plus difficiles, loin de redoubler ses forces, les affoiblira & courra risque de les perdre entierement. Il faut donc aller par ordre, c'est-à-dire commencer par le plus aisé, & des connoissances les plus simples ne passer jamais tout d'un coup aux plus difficiles ; mais s'avancer par degrés des simples à celles qui ne sont que tant-soit-peu composées, & de-là s'élever à d'autres un peu plus difficiles à démêler, &c. Il n'en faut jamais quitter aucune sans l'avoir distinctement comprise, & se l'être rendue familiere. Quand on étudie les Mathématiques avec cette précaution, les démonstrations les plus compliquées ne font guere plus de peine que les plus simples n'en faisoient au commencement. Un enfant n'attend pas six ans pour compter jusqu'à trois ; qu'on lui apprenne à dire 3 & 1 c'est 4, 4 & 1 c'est 5 ; qu'un quart-d'heure après on le lui fasse répéter, il n'a plus besoin d'effort pour compter jusqu'à cinq. Qu'on mette toûjours des intervalles entre les progrès qu'on lui fera faire ; la seconde dixaine le fatiguera encore un peu : dès qu'il sera venu à 20, on lui rendra familiers peu-à-peu les noms des dixaines jusqu'à 100 ; & dès qu'il saura remplir l'intervalle de 20 à 30, il saura remplir les autres jusqu'à cent. Voyez les articles ÉVIDENCE, SENSATIONS, où l'on expose & l'on déduit par une méthode philosophique l'origine & le progrès de nos idées, c'est-à-dire des opérations de notre entendement. Cet article est tiré des papiers de M. FORMEY.


ENTENDREENTENDRE

ENTENDRE LES TALONS, (Manége) Voy. FUIR LES TALONS.


ENTENNESS. f. (Marine) Les entennes d'une machine à mâter sont trois mâts plantés sur le côté de la machine, où sont frappées les caliournes qui servent à élever les mâts. (Z)


ENTENTES. f. On dit, en Peinture, ce tableau est bien entendu, est d'une belle entente ; c'est-à-dire que l'ordonnance en est bien entendue, qu'il est conduit avec beaucoup d'entente, soit pour la disposition du sujet, soit pour les expressions, le contraste, ou la distribution des lumieres. Entente se dit aussi d'une partie d'un tableau seulement : ce grouppe, cette figure sont d'une belle entente de lumiere, de contraste, &c. Dictionn. de Peint. (R)


ENTERv. act. en Architecture, se dit de deux pieces de bois assemblées bout-à-bout, posées perpendiculairement comme des poteaux-corniers & autres. (P)

ENTER, (Fauconn.) c'est lorsqu'un oiseau a une penne froissée, rompue, albrenée, la rejoindre à une autre. Il se dit aussi de la penne qu'on raccommode à l'aiguille ou au tuyau.


ENTÉRINEMENTS. m. (Jurisprud.) signifie la disposition d'un jugement, qui donne un plein & entier effet à quelque acte qui ne pouvoit valoir autrement. Ce terme vient du mot gaulois enterin, qui signifioit entier, & entérinement qui signifioit entierement. On disoit fief entérin, pour fief entier. On demande en justice l'entérinement des lettres de rescision, & des lettres de requête civile ; & lorsqu'elles paroissent bien fondées, le juge en ordonne l'entérinement, c'est-à-dire la pleine & entiere exécution. Ce terme paroît propre pour exprimer l'exécution qui est ordonnée de certaines lettres du prince ; pour les statuts, transactions, sentences arbitrales, on se sert du terme d'homologation. (A)


ENTÉRO-HYDROMPHALES. f. en Chirurgie, espece d'exomphale dans laquelle, outre le déplacement de l'intestin qui lui est commun avec l'exomphale, il se ramasse encore une quantité d'humeur aqueuse. Voyez EXOMPHALE.

Ce mot est formé du grec , intestin, , aqua, eau, sérosité, & de , nombril. (Y)


ENTÉROCELES. f. en Chirurgie, hernie ou descente des intestins dans le pli de l'aine. Le mot est formé du grec , intestin, & , tumeur.

C'est ordinairement l'intestin iléon qui forme la tumeur herniaire dont il est question.

La cause prochaine de l'entérocele est la relaxation ou l'extension de la partie inférieure du péritoine, qui passe alors à-travers l'anneau du muscle oblique externe. Ses causes éloignées sont les grands efforts, les exercices trop rudes, la toux violente, le fréquent vomissement, les cris &c. ce qui fait que les enfans y sont plus sujets que les autres. Voyez HERNIE. (Y)


ENTÉROÉPIPLOCELES. f. (Chirurg.) tumeur au pli de l'aine, formée par l'intestin & l'épiploon. Voyez HERNIE.

Ses causes sont les mêmes que celles de l'entérocele. Voyez ENTEROCELE. (Y)


ENTÉROÉPLIPLOMPHALES. f. (Chirurgie) espece d'exomphale ou de hernie, dans laquelle les intestins & l'épiploon forment une tumeur au nombril. Voyez EXOMPHALE.

Ce mot est composé de , intestin, , épiploon, & , nombril. (Y)


ENTÉROLOGIES. f. (Anatomie) mot composé de , intestin, viscere, & , sermo, discours ; c'est proprement un traité des visceres, quoique ce mot s'entende généralement des visceres des trois cavités, de la tête, de la poitrine, & du bas-ventre. Voyez VISCERE. (L)


ENTEROMPHALES. f. (Chirurgie) espece d'exomphale, dans laquelle les intestins sortent de leur place, & forment une tumeur dans le nombril. Voy. EXOMPHALE.

Ce mot est formé du grec , intestin, & , nombril. (Y)


ENTÉROTOMIES. f. opération de Chirurgie, incision à l'intestin pour en tirer des corps étrangers. Cette opération est un remede extrême, qu'on ne doit employer que dans des cas où il pourroit encore donner quelque espérance, & où, faute de recourir, la mort est inévitable.

L'expérience nous fournit la preuve de la possibilité de cette opération dans la guérison des plaies des intestins. L'entérotomie peut être très-nécessaire dans plusieurs circonstances, & principalement dans l'opération de la hernie, lorsque des corps étrangers se seront glissés dans la portion étranglée de l'intestin, & qu'ils en empêcheront la réduction : dans ce cas il faudra retenir l'intestin au bord de la plaie, pour éviter l'épanchement qui pourroit arriver si on le replaçoit dans le ventre après cette opération.

M. Hevin a traité de la possibilité & de la nécessité de l'entérotomie, dans un mémoire sur les corps étrangers de l'oesophage, inséré dans le I. volume de ceux de l'académie royale de Chirurgie. (Y)


ENTERRAGES. m. terme de Fonderie, est un massif de terre dont on remplit régulierement la fosse autour du moule, pour le rendre plus solide & l'entretenir de tous côtés. On remplit les galeries jusqu'à l'effleurement du dessus des grais, au-dessous de la grille, avec du moilon maçonné avec du plâtre mêlé de terre cuite pilée. On comble la fosse avec de la terre mêlée de plâtre, qu'on bat avec des pilons de cuivre pour la rendre plus ferme. Voyez les Fonderies des figures en bronze.


ENTERREMENTS. m. (Jurisprud.) Voyez SEPULTURE.


ENTERRERENTERRER


ENTESS. f. (Chasse) peaux d'oiseaux remplies de foin ou de paille, qu'on fiche à un piquet planté en terre, pour servir d'appas aux autres oiseaux, & les attirer dans les rets qu'on leur a tendus.


ENTETEMENTS. m. (Morale) l'entêtement est une forte attache à son sentiment, qui rend insensible aux raisons de ceux qui veulent nous persuader le contraire.

L'entêtement naît de l'orgueil, c'est-à-dire de la trop bonne opinion que l'on a de soi-même, ou d'un défaut de capacité dans l'esprit, quelquefois aussi d'une dialectique vicieuse. Un entêté est toujours prévenu en sa faveur, & en garde contre les opinions des autres ; il ne cherche qu'à éluder la force des meilleures raisons, par des distinctions frivoles & de mauvais subterfuges. Il croiroit se déshonorer, s'il se relâchoit de ses sentimens. Il n'envisage les oppositions qu'il éprouve en les soutenant, que comme des effets d'un mauvais vouloir qu'on a contre lui. L'entêtement dans un homme du monde passe pour une grossiereté qui le fait mépriser ; c'est un vice opposé aux qualités sociales. Dans un homme en place, l'entêtement rend son gouvernement tyrannique & devient la source de mille injustices. Un dévot prend son entêtement pour du zele : il regarde ceux qui sont opposés à son sentiment, comme les ennemis de la religion, il les hait & les persécute.

Il ne faut pas confondre la fermeté avec l'entêtement, l'homme ferme soutient & exécute avec vigueur ce qu'il croit vrai & conforme à son devoir, après avoir murement pesé les raisons pour & contre. L'entêté n'examine rien, son opinion fait sa loi.

L'opiniâtreté ne differe de l'entêtement, que du plus au moins. On peut réduire un entêté en flattant son amour propre, jamais un opiniâtre, il est inflexible & arrêté dans ses sentimens. L'hérésie est un attachement opiniâtre à son sentiment.

D'où il résulte, que l'entêtement comme l'opiniâtreté, sont des vices du coeur ou de l'esprit, quelquefois aussi d'une mauvaise méthode de raisonner.

La maniere artificielle de raisonner que l'on a introduite dans l'école a perverti le sens de la raison. On peut l'appeller la chicane du raisonnement, elle n'a servi qu'à perpétuer les disputes & à faire des entêtés. La forme de ses raisonnemens diverge les rayons de la lumiere naturelle, qui saisit plus promptement & plus sûrement la vérité, lorsque ses rayons sont réunis sous un seul point de vûe. Article de M. MILLOT, curé de Loisey, diocèse de Toul.


ENTÊTERv. act. c'est, en termes d'Epinglier, attacher la tête à la hanse, de maniere qu'elle paroisse y avoir été soudée. Cela se fait dans le métier entre le poinçon & l'enclume. Voy. METIER, POINÇON, ENCLUME, EPINGLE, & les figures, Planche de l'Epinglier.


ENTHLASISS. f. (Chirurgie) espece de fracture du crane faite par instrument contondant, dans laquelle l'os est brisé en plusieurs pieces, avec dépression & plusieurs sentes qui se croisent. Ce mot est grec , collisio, infractio, fracture à plusieurs pieces, du verbe , infringo, je brise. Voyez TREPANER. (Y)


ENTHOUSIASMES. m. (Philos. & Belles-Lett.) Nous n'avons point de définition de ce mot parfaitement satisfaisante : je crois cependant utile au progrès des beaux arts qu'on en cherche la véritable signification, & qu'on la fixe, s'il est possible. Communément on entend par enthousiasme, une espece de fureur qui s'empare de l'esprit & qui le maîtrise, qui enflamme l'imagination, l'éleve, & la rend féconde. C'est un transport, dit-on, qui fait dire ou faire des choses extraordinaires & surprenantes ; mais quelle est cette fureur & d'où naît-elle ? quel est ce transport, & quelle est la cause qui le produit ? C'est-là, ce me semble, ce qu'il auroit été nécessaire de nous apprendre, & dont on a cependant paru s'occuper le moins.

Je crois d'abord que ce mouvement qui éleve l'esprit & qui échauffe l'imagination, n'est rien moins qu'une fureur. Cette dénomination impropre a été trouvée de sang froid, pour exprimer une chose dont les effets (quand on est dans cet état paisible) ne sauroient manquer de paroître fort extraordinaires. On a cru qu'un homme devoit être tout-à-fait hors de lui-même, pour pouvoir produire des choses qui mettoient réellement hors d'eux-mêmes ceux qui les voyoient ou qui les entendoient : ajoûtez à cette premiere idée l'enthousiasme feint ou vrai des prêtres du Paganisme, que la charlatanerie les engageoit à charger de grimace & de contorsion, & vous trouverez l'origine de cette fausse dénomination. Le peuple avoit appellé ce dernier enthousiasme, fureur prophétique ; & les pédans de l'antiquité (autre partie du peuple peut-être encore plus bornée que la premiere) donnerent à leur tour à la verve des poëtes, dont il n'est pas donné aux esprits froids de pénétrer la cause, le nom superbe de fureur poétique.

Les poëtes flatés qu'on les crût des êtres inspirés, n'eurent garde de détromper la multitude ; ils assûrerent dans leurs vers, au contraire, qu'ils l'étoient en effet, & peut-être le crurent-ils de bonne foi eux-mêmes.

Voilà donc la fureur poétique établie dans le monde comme un rayon de lumiere transcendante, comme une émanation sublime d'enhaut, enfin comme une inspiration divine. Toutes ces expressions en Grece & à Rome étoient synonymes aux mots dont nous avons formé en françois celui d'enthousiasme.

Mais la fureur n'est qu'un accès violent de folie, & la folie est une absence ou un égarement de la raison ; ainsi lorsqu'on a défini l'enthousiasme, une fureur, un transport, c'est comme si l'on avoit dit qu'il est un redoublement de folie, par conséquent incompatible pour jamais avec la raison. C'est la raison seule cependant qui le fait naître ; il est un feu pur qu'elle allume dans les momens de sa plus grande supériorité. Il fut toûjours de toutes ses opérations la plus promte, la plus animée. Il suppose une multitude infinie de combinaisons précédentes, qui n'ont pû se faire qu'avec elle & par elle. Il est, si on ose le dire, le chef-d'oeuvre de la raison. Comment peut-on le définir, comme on définiroit un accès de folie ?

Je suppose que, sans vous y être attendu, vous voyez dans son plus beau jour un excellent tableau. Une surprise subite vous arrête, vous éprouvez une émotion générale, vos regards comme absorbés restent dans une sorte d'immobilité, votre ame entiere se rassemble sur une foule d'objets qui l'occupent à la fois ; mais bien-tôt rendue à son activité, elle parcourt les différentes parties du tout qui l'avoit frappée, sa chaleur se communique à vos sens, vos yeux lui obéissent & la préviennent : un feu vif les anime ; vous appercevez, vous détaillez, vous comparez les attitudes, les contrastes, les coups de lumiere, les traits des personnages, leurs passions, le choix de l'action représenté, l'adresse, la force, la hardiesse du pinceau ; & remarquez que votre attention, votre surprise, votre émotion, votre chaleur, seront dans cette circonstance plus ou moins vives, selon le différent degré de connoissances antérieures que vous aurez acquis, & le plus ou le moins de goût, de délicatesse, d'esprit, de sensibilité, de jugement, que vous aurez reçû de la nature.

Or ce que vous éprouvez dans ce moment est une image (imparfaite à la vérité, mais suffisante pour éclaircir mon idée) de ce qui se passe dans l'ame de l'homme de génie, lorsque la raison, par une opération rapide, lui présente un tableau frappant & nouveau qui l'arrête, l'émeut, le ravit, & l'absorbe.

Observez que je parle ici de l'ame d'un homme de génie ; parce que j'entends par le mot génie, l'aptitude naturelle à recevoir, à sentir, à rendre les impressions du tableau supposé. Je le regarde comme le pinceau du peintre, qui trace les figures sur la toile, qui les crée en effet, mais qui est toûjours guidé par des inspirations précédentes. Dans les livres, comme dans la conversation, on commence à partir du pinceau, comme s'il étoit le premier moteur. Le style figuré chez des peuples instruits, tels que le nôtre, devient insensiblement le style ordinaire ; & c'est par cette raison que le mot génie, qui ne designe que l'instrument indispensable pour produire, a été successivement employé pour exprimer la cause qui produit.

Observez encore que je n'ai point employé le mot imagination, qu'on croit communément la source unique de l'enthousiasme, parce que je ne la vois dans mon hypothèse que comme une des causes secondes, & telle (pour m'aider encore d'une comparaison prise de la Peinture), telle, dis-je, qu'est la toile sous la main du peintre. L'imagination reçoit le dessein rapide du tableau qui est présenté à l'ame, & c'est sur cette premiere esquisse que le génie distribue les couleurs.

Je parle enfin, dans la définition que je propose, d'un tableau nouveau ; car il ne s'agit point ici d'une opération froide & commune de la mémoire. Il n'est point d'homme à qui elle ne rappelle souvent les différens objets qu'il a déjà vûs : mais ce ne sont-là que de foibles esquisses qui passent devant son entendement, comme des ombres legeres, sans surprendre, affecter, ou émouvoir son ame, ne supposent que quelques sensations déjà éprouvées, & point de combinaisons précédentes. Ce n'est-là peut-être qu'un des apanages de l'instinct ; j'entends développer ici un des plus beaux priviléges de la raison.

Il s'agit donc d'un tableau qui n'a point encore été vû, d'un tableau que la raison vient de créer, d'une image toute de feu qu'elle présente tout-à-coup à une ame vive, exercée, & délicate ; l'émotion qui la saisit est en proportion de sa vivacité, de ses connoissances, de sa délicatesse.

Or il est dans la nature que l'ame n'éprouve point de sentiment, sans former le desir promt & vif de l'exprimer ; tous ses mouvemens ne sont qu'une succession continue de sentimens & d'expressions ; elle est comme le coeur, dont le jeu machinal est de s'ouvrir sans-cesse pour recevoir & pour rendre : il faut donc qu'à l'aspect subit de ce tableau frappant qui occupe l'ame, elle cherche à répandre au-dehors l'impression vive qu'il fait sur elle. L'impulsion qui l'a ébranlée, qui la remplit, & qui l'entraîne, est telle que tout lui cede, & qu'elle est le sentiment prédominant. Ainsi, sans que rien puisse le distraire, ou l'arrêter, le peintre saisit son pinceau, & la toile se colore, les figures s'arrangent, les morts revivent ; le ciseau est déjà dans la main du sculpteur, & le marbre s'anime ; les vers coulent de la plume du poëte, & le théatre s'embellit de mille actions nouvelles qui nous intéressent & nous étonnent ; le musicien monte sa lyre, & l'orchestre remplit les airs d'une harmonie sublime ; un spectacle inconnu, que le génie de Quinault a créé, & qu'elle embellit, ouvre une carriere brillante aux Arts divers qu'il rassemble ; des mazures dégoûtantes disparoissent, & la superbe façade du Louvre s'éleve ; des jardins réguliers & magnifiques prennent la place d'un terrein aride, ou d'un marais empoisonné ; une éloquence noble & mâle, des accens dignes de l'homme, font retentir le barreau, nos tribunes, nos chaires ; la face de la France change ainsi rapidement comme une belle décoration de théatre ; les noms des Corneille, des Moliere, des Quinault, des Lully, des Lebrun, des Bossuet, des Perrault, des le Nôtre, volent de bouche en bouche, & l'Europe entiere les répete & les admire : ils sont desormais des monumens immuables de la gloire de notre nation & de l'humanité.

L'enthousiasme est donc ce mouvement impétueux, dont l'essor donne la vie à tous les chefs-d'oeuvre des Arts, & ce mouvement est toûjours produit par une opération de la raison aussi promte que sublime. En effet, que de connoissances précédentes ne suppose-t-il pas ? que de combinaisons l'instruction ne doit-elle pas avoir occasionnées ? que d'études antérieures n'est-il pas nécessaire d'avoir faites ? de combien de manieres ne faut-il pas que la raison se soit exercée, pour pouvoir créer tout-à-coup un grand tableau auquel rien ne manque, & qui paroît toûjours à l'homme de génie, à qui il sert de modele, bien supérieur à celui que son enthousiasme lui fait produire ? D'après ces réflexions puisées dans une métaphysique peu abstraite, & que je crois fort certaine, j'oserois définir l'enthousiasme une émotion vive de l'ame à l'aspect d'un tableau NEUF & bien ordonné qui la frappe, & que la raison lui présente.

Cette émotion, moins vive à la vérité, mais du même caractere, se fait sentir à tous ceux qui sont à portée de joüir des diverses productions des beaux Arts. On ne voit point sans enthousiasme une tragédie intéressante, un bel opéra, un excellent morceau de peinture, un magnifique édifice, &c. ainsi la définition que je propose paroît convenir également, & à l'enthousiasme qui produit, & à l'enthousiasme qui admire.

Je crains peu d'objections de la part de ceux que l'expérience peut avoir éclairés, sur le point que je traite ; mais ce tableau spirituel, cette opération rapide de la raison, cet accord mutuel entre l'ame & les sens duquel naît l'expression promte des impressions qu'elle a reçues, paroîtront chimériques peut-être à ces esprits froids, qui se souviennent toûjours, & qui ne créeront jamais.

Pourquoi, diront-ils, dénaturer les choses ? à quoi bon des systèmes nouveaux ? on a cru jusqu'ici l'enthousiasme une espece de fureur, l'idée reçûe vaut bien la nouvelle ; & quand l'ancienne seroit une erreur, quel desavantage en résulteroit-il pour les Arts ? Les grands poëtes, les bons peintres, les musiciens excellens qu'on a cru & qui se sont crus eux-mêmes des gens inspirés, ont été aussi loin sans tant de métaphysique : on refroidit l'esprit, on affoiblit le génie par ces recherches incertaines ou au moins inutiles des causes ; contentons-nous des effets. Nous savons que les gens de génie créent ; que nous importe de savoir comment ? Quand on aura découvert que la raison est le premier moteur des opérations de leur ame, & non l'imagination, qu'on en a cru chargée jusqu'à présent, pense-t-on qu'on donnera du génie ou du talent à ceux à qui la nature aura refusé un don si rare ?

A ces objections générales je répondrai 1°. qu'il n'est point d'erreur dans les Arts, de quelque nature qu'elle soit, qu'il ne paroisse évidemment utile de détruire.

2°. Que celle dont il s'agit est infiniment préjudiciable aux Artistes & aux Arts.

3°. Que c'est applanir des routes qui sont encore assez difficiles, que de chercher, de trouver, d'établir les premiers principes. Les regles n'ont été faites que sur le méchanisme des Arts ; & en paroissant les gêner, elles les ont guidés jusqu'au point heureux où nous les voyons aujourd'hui. Que s'il est possible de porter des lumieres nouvelles sur leur partie purement spirituelle, sur le principe moteur duquel dérivent toutes leurs opérations, elles deviendront dèslors aussi sûres que faciles. Il en est des Arts comme de la Navigation ; on ne couroit les mers qu'en tatonnant avant la découverte de la boussole.

4°. Ne craignons point d'affoiblir l'esprit, ou de refroidir le génie en les éclairant. Si tout ce que nous admirons dans les productions des Arts est l'ouvrage de la raison, cette découverte élevera l'ame de l'artiste, en lui donnant une opinion plus glorieuse encore de l'excellence de son être ; & de cette élévation attendez de nouveaux miracles, sans en craindre un plus grand orgueil. La vanité n'est le grand ressort que des petites ames ; le génie en suppose toûjours une supérieure.

5°. Les mots d'imagination, de génie, d'esprit, de talent, ne sont que des termes trouvés pour exprimer les différentes opérations de la raison : il en est d'eux à-peu-près comme des divinités inférieures du paganisme : elles n'étoient aux yeux des sages, que des noms commodes pour exprimer les divers attributs d'un Dieu unique ; l'ignorance seule de la multitude leur fit partager les honneurs de la divinité.

6°. Si l'enthousiasme, à qui seul nous sommes redevables des belles productions des Arts, n'est dû qu'à la raison comme cause premiere ; si c'est à ce rayon de lumiere plus ou moins brillant, à cette émanation plus ou moins grande d'un être suprême, qu'il faut rapporter constamment les prodiges qui sortent des mains de l'humanité, dès-lors tous les préjugés nuisibles à la gloire des beaux Arts sont pour jamais détruits, & les Artistes triomphent. On pourra desormais être poëte excellent, sans cesser de passer pour un homme sage ; un musicien sera sublime, sans qu'il soit indispensablement réputé pour fou. On ne regardera plus les hommes les plus rares comme des individus presqu'inutiles, peut-être même s'imaginera-t-on un jour qu'ils peuvent penser, vivre, agir comme le reste des hommes. Ils auront alors plus d'encouragement à espérer, & moins de dégoûts à soûtenir. Ces têtes legeres, orgueilleuses & bruyantes, ces automates lourds & dédaigneux qui décident en maîtres dans la société, seront peut-être à la fin persuadés qu'un artiste, qu'un homme de lettres tiennent dans l'ordre des choses un rang supérieur à celui d'un intendant qui les a subjugués & qui les ruine, d'un vil complaisant qui les amuse & qui les joüe, d'un caissier qui leur refuse leur argent pour le faire valoir à son profit, même d'un secrétaire qui fait mal leur besogne, & très-adroitement sa fortune.

Au reste soit que la vérité triomphe enfin de l'erreur, soit que le préjugé plus puissant demeure le tyran perpétuel des opinions contemporaines, que nos illustres modernes se consolent & se rassûrent : les ouvrages du dernier siecle sont regardés maintenant, sans contradiction, comme des chefs-d'oeuvre de la raison humaine, & il n'est pas à craindre qu'on ose prétendre qu'ils ont été faits sans enthousiasme : tel sera le sort, dans le siecle prochain, de tous ces divers monumens glorieux aux Arts & à la patrie, qui s'élevent sous nos yeux. La multitude en est frappée, il est vrai, sans les apprécier, les demi connoisseurs les discutent sans les sentir : on s'en occupe moins long-tems aujourd'hui que d'une parodie sans esprit, dont on n'a pas honte de rire : qu'importe, en seront-ils moins un jour l'école & l'admiration de tous les esprits & de tous les âges ?

Mais la définition que je propose convient-elle à toute sorte d'enthousiasme & à toutes les especes de talens ? Quel est le tableau, dira-t-on peut-être, que la raison peut offrir à peindre à l'art du musicien ? Il ne s'agit là que d'un arrangement géométrique de tons, &c. L'éloquence d'ailleurs est sublime sans enthousiasme, & il faut supprimer de cet article tout ce qui a été dit des orateurs du siecle dernier.

Je répons 1°. qu'il n'existe point de musique digne de ce nom, qui n'ait peint une ou plusieurs images : son but est d'émouvoir par l'expression, & il n'y a point d'expression sans peinture. Voyez la question plus au long aux art. EXPRESSION, MUSIQUE, OPERA.

2°. Mettre en doute l'enthousiasme de l'orateur, c'est vouloir faire douter de l'existence de l'éloquence même, dont l'objet unique est de l'inspirer. Ce discours qui vous émeut, qui vous intéresse ou qui vous révolte ; ces détails, ces images successives qui vous attachent, qui ouvrent votre coeur d'une maniere insensible à celui des sentimens que l'on veut vous inspirer, tout cela n'est & ne peut être que l'effet de l'émotion vive qui a précédé dans l'ame de l'orateur celle qui se glisse dans la vôtre. On fait une déclamation, une harangue, peut-être même un discours académique sans enthousiasme ; mais ce n'est que de lui qu'on peut attendre un bon sermon, un plaidoyer transcendant, une oraison funebre qui arrache des larmes. Voyez ELOCUTION.

Je finis cet article par quelques observations utiles aux vrais talens, & que je supplie tous ceux qui s'érigent en juges souverains des Arts de me permettre.

Sans enthousiasme point de création, & sans création les Artistes & les Arts rampent dans la foule des choses communes. Ce ne sont plus que de froides copies retournées de mille petites façons différentes : les hommes disparoissent ; on ne trouve plus à leur place que des singes & des perroquets.

J'ai dit plus haut qu'il y a deux sortes d'enthousiasme ; l'un qui produit, l'autre qui admire ; celui-ci est toûjours la suite & le salaire du premier, & la preuve certaine qu'il a été un enthousiasme véritable.

Il y a donc de faux enthousiasmes. Un homme peut se croire des talens, du génie, & n'avoir que des réminiscences, une facilité malheureuse, & un penchant ridicule, qui en est presque toûjours la suite, pour tel genre ou tel art.

Il n'est point d'enthousiasme sans génie, c'est le nom qu'on a donné à la raison au moment qu'elle le produit ; ni sans talens, autre nom qu'on a donné à l'aptitude naturelle de l'ame à recevoir l'enthousiasme & à le rendre. Voyez GENIE, TALENS.

L'enthousiasme plonge les hommes privilégiés qui en sont susceptibles, dans un oubli presque continuel de tout ce qui est étranger aux arts qu'ils professent. Toute leur conduite est en géneral si peu ressemblante avec ce que nous regardons comme les manieres d'être, adoptées dans la société, qu'on se trouve porté, presque sans le vouloir, à les regarder comme des especes singulieres ; ce n'est rien moins qu'à la raison qu'on attribue ce qu'on appelle leurs bisarreries ou leurs écarts, de-là tous les préjugés établis, & que l'instruction a bien de la peine à détruire. Mais a-t-on vû encore quelque espece d'hommes parfaite ? en trouve-t-on beaucoup qui portent une raison supérieure dans plusieurs genres ? qu'il nous suffise de dire qu'on rencontre communément dans les vrais talens une bonne foi comme naturelle, une franchise de caractere, & sur-tout l'antipathie la plus décidée pour tout ce qui a l'air d'intrigue, d'artifice, de cabale. Pense-t-on que ce soit-là un des moindres ouvrages de la raison ? Aussi lorsque vous verrez un homme de lettres, un peintre, un musicien souple, rampant, fertile en détours, adroit courtisan, ne cherchez point chez lui ce que nous appellons le vrai talent. Peut-être aura-t-il des succès : il en est de passagers que la cabale procure. Ne soyez point surpris de le voir envahir toutes les places de son état, & celles même qui paroissent lui être le plus étrangeres ; il a la sorte de mérite qui les donne : mais un nom illustre, une gloire pure & durable, cette considération flateuse, apanage honorable des talens distingués, ne seront jamais son partage. La charlatanerie trompe les sots, entraîne la multitude, ébloüit les grands ; mais elle ne donne que des joüissances de peu de durée. Pour produire des ouvrages qui restent, pour acquérir une gloire que la postérité confirme, il faut des ouvrages & des succès qui résistent aux efforts du tems, & à l'examen des sages ; il faut avoir senti un enthousiasme vrai, & l'avoir fait passer dans tous les esprits ; il faut que le tems l'entretienne, & que la réflexion, loin de l'éteindre, le justifie.

Il est de la nature de l'enthousiasme de se communiquer & de se reproduire ; c'est une flamme vive qui gagne de proche en proche, qui se nourrit de son propre feu, & qui loin de s'affoiblir en s'étendant, prend de nouvelles forces à mesure qu'elle se répand & se communique.

Je suppose le public assemblé pour voir la représentation d'un excellent ouvrage ; la toile se leve, les acteurs paroissent, l'action marche, un transport général interrompt tout-à-coup le spectacle ; c'est l'enthousiasme qui se fait sentir, il augmente par degrés, il passe de l'ame des acteurs dans celle des spectateurs ; & remarquez qu'à mesure que ceux-ci s'échauffent, le jeu des premiers devient plus animé ; leur feu mutuel est comme une balle de paume que l'adresse vive & rapide des joüeurs se renvoye ; c'est-là où nous devons toûjours être sûrs d'avoir du plaisir en proportion de la sensibilité que nous montrons pour celui qu'on nous donne.

Dans ces spectacles magnifiques, au contraire, que le zele le plus ardent prépare, mais où le respect lie les mains, vous éprouvez une espece de langueur à-peu-près vers le milieu de la représentation ; elle augmente par degrés jusqu'à la fin, & il est rare que l'ouvrage le plus fait pour émouvoir ne vous laisse pas dans un état tranquille. La cause de cette sorte de phénomene est dans l'ame de l'acteur & du spectateur. On ne verra jamais de représentation parfaite, sans cette chaleur mutuelle qui entretient la vivacité de celui qui represente, & le charme de ceux qui l'écoutent ; c'est un méchanisme constant établi par la nature. L'enthousiasme de ce genre le plus vif s'éteint, s'il ne se communique.

Il y a en nous une analogie secrette entre ce que nous pouvons produire & ce que nous avons appris. La raison d'un homme de génie décompose les différentes idées qu'elle a reçues, se les rend propres, & en forme un tout, qui, s'il est permis de s'exprimer ainsi, prend toûjours une physionomie qui lui est propre : plus il acquiert de connoissances, plus il a rassemblé d'idées ; & plus ses momens d'enthousiasme sont fréquens, plus les tableaux que la raison présente à son ame sont hardis, nobles, extraordinaires, &c.

Ce n'est donc que par une étude assidue & profonde de la nature, des passions, des chefs-d'oeuvre des Arts, qu'on peut développer, nourrir, réchauffer, étendre le génie. On pourroit le comparer à ces grands fleuves, qui ne paroissent à leur source que de foibles ruisseaux : ils coulent, serpentent, s'étendent ; & les torrens des montagnes, les rivieres des plaines se mêlent à leur cours, grossissent leurs eaux, ne font qu'un seul tout avec elles : ce n'est plus alors un leger murmure, c'est un bruit imposant qu'ils excitent ; ils roulent majestueusement leurs flots dans le sein de l'océan, après avoir enrichi les terres heureuses qui en ont été arrosées. Voilà l'examen philosophique de l'enthousiasme ; voyez à l'article ECLECTISME, sur-tout à la page 276, un abrégé historique de quelques-uns de ses effets. (B)


ENTHOUSIASTES. m. (Philos. & Beaux-Arts) personne qui est dans l'enthousiasme. Voyez ENTHOUSIASME.

Ce mot, séparé du sens qu'on lui donne dans les Beaux-Arts, se prend souvent en mauvaise part pour désigner un fanatique. Voyez FANATIQUE. (G)


ENTHOUSIASTESS. m. pl. (Hist. eccl.) nom d'anciens sectaires, les mêmes que ceux qui ont été appellés Massaliens, Enchites. On leur avoit donné ce nom, à ce que dit Théodoret, parce qu'étant agités du démon, ils croyoient avoir de véritables inspirations. On donne encore aujourd'hui le nom d'Enthousiastes aux Anabaptistes, aux Quakers ou Trembleurs, qui se croyent remplis d'une inspiration divine, & soûtiennent que la sainte Ecriture doit être expliquée par les lumieres de cette inspiration. Voyez QUAKER, &c. (G)


ENTHRONISTIQUEadj. pris sub. (Hist. eccl.) somme d'argent déterminée que les ecclésiastiques du premier ordre étoient obligés de payer pour être installés.


ENTHYMÈMES. m. (Logique) est un argument qui ne comprend que deux propositions, l'antécédent, & le conséquent qu'on en tire. Il faut cependant observer que c'est un syllogisme parfait dans l'esprit, mais imparfait dans l'expression, parce qu'on y supprime quelqu'une des propositions, comme trop claire & trop connue, & comme étant facilement suppléée par l'esprit de ceux à qui on parle. Cette maniere d'argument est si commune dans les discours & dans les écrits, qu'il est rare, au contraire, qu'on y exprime toutes les propositions. L'esprit humain est flaté qu'on lui laisse quelque chose à suppléer ; sa vanité est satisfaite qu'on se remette de quelque chose à son intelligence : d'ailleurs la suppression d'une proposition, assez claire pour être supposée, en abrégeant le discours, le rend plus fort & plus vif. Il est certain, par exemple, que si de ce vers de la Médée d'Ovide, qui contient un enthymème très-élégant,

Servare potui, perdere an possim rogas ?

on en avoit fait un argument en forme, toute la grace en seroit ôtée : & la raison en est, que comme une des principales beautés d'un discours est d'être plein de sens, & de donner occasion à l'esprit de former une pensée plus étendue que n'est l'expression, c'en est au contraire un des plus grands défauts d'être vuide de sens, & de renfermer peu de pensées ; ce qui est presque inévitable dans les syllogismes philosophiques, où la même pensée est pesamment renfermée dans trois propositions. C'est ce qui rend ces sortes d'argumens si rares dans le commerce des hommes ; parce que, sans même y faire réflexion, on s'éloigne de ce qui ennuie, & l'on se réduit à ce qui est précisément nécessaire pour se faire entendre.

Il arrive aussi quelquefois que l'on renferme les deux propositions de l'enthymème dans une seule proposition, qu'Aristote appelle pour ce sujet sentence enthymématique. Tel est ce vers qu'il cite lui-même d'Euripide, si je ne me trompe :

Mortel, ne garde pas une haine immortelle.

Tel est encore ce vers de Racine :

Mortelle, subissez le sort d'une mortelle.

V. LOGIQUE, SYLLOGISME. Article de M. FORMEY.


ENTICHITESS. m. pl. (Hist. eccl.) est le nom qu'on a donné à certains sectateurs de Simon le Magicien, dans le premier siecle. Ils célébroient des sacrifices abominables, dont la pudeur défend de rapporter la matiere & les circonstances. (G)


ENTIENGIES. f. (Hist. nat. Ornithologie) oiseau d'Afrique qui se trouve dans le royaume de Congo, & dont la peau est de différentes couleurs & mouchetée. On raconte, entr'autres merveilles de cet oiseau, que lorsqu'il pose le pié à terre il meurt aussi-tôt : ce qui fait qu'il vole d'arbre en arbre, ou se soûtient dans l'air. Il est environné de petits animaux noirs, que les habitans du pays nomment embis ou embas, qui l'accompagnent comme des satellites quand il vole : on prétend qu'il y en a dix qui le précedent, & autant qui le suivent. Sa peau est regardée comme une chose si précieuse, qu'il n'est permis d'en porter qu'au roi, & aux princes à qui il accorde cette prérogative. Les autres rois du pays, tels que ceux de Loango, Cacongo & Goy, envoyent des ambassades solemnelles à celui de Congo, pour en obtenir des peaux de cet oiseau. Hubner, Dictionn. univ.


ENTIERadj. (Géométrie) Nombre entier. Voyez NOMBRE.


ENTIERCEMENTS. m. (Jurisprud.) terme de coûtume qui signifie enlevement d'une chose mobiliaire & mise en main tierce, ainsi que le dit du Molin sur l'art. 454. de la coûtume d'Orléans.

Cet usage est fort ancien ; car on trouve dans les lois saliques & ripuaires, & dans les capitulaires de Charlemagne & de ses enfans, intertiare & res intertiata, pris dans le même sens que l'on entend ici l'entiercement.

La coûtume d'Orléans, art. 454. dit que la chose mobiliaire étant vûe à l'oeil, c'est-à-dire reconnue dans un marché, foire ou place publique, peut être entiercée, sauf le droit d'autrui, c'est-à-dire que sans qu'il soit besoin de permission de justice, elle peut être enlevée & mise en main tierce.

Ce droit de suite s'exerce ordinairement par ceux auxquels on a volé ou détourné quelque meuble, comme un cheval qu'on auroit détourné d'une métairie, & que l'on retrouve exposé en vente dans un marché ou foire publique.

Pour entiercer une chose dérobée ou perdue, il faut la faire voir à l'huissier ou sergent, lequel peut ensuite l'enlever, comme le dit la coûtume.

Lorsque des meubles ont été vendus en justice, ou dans une foire ou marché, il n'y a plus lieu à l'entiercement.

Celui sur qui la chose est entiercée, & ceux qui peuvent y avoir intérêt, ont le droit de s'opposer à l'entiercement ; & sur l'opposition, c'est à celui qui entierce, comme étant demandeur, à prouver que la chose lui appartient.

Lorsqu'un créancier, en faisant saisir & arrêter les meubles & effets de son débiteur, reconnoît parmi les meubles saisis quelques effets appartenans à lui saisissant, alors, suivant le même article 454, il peut à cet égard convertir sa saisie en entiercement, pourvû que la chose ait eté vûe à l'oeil par le sergent qui a fait la saisie.

Au surplus, l'article 455 défend à tous sergens & autres personnes d'entrer en la maison d'autrui pour faire entiercer & enlever les biens étant en icelle, sans autorité de justice : la présence du juge est même quelquefois nécessaire. Voyez la coûtume de Dunois, art. 93. & le gloss. de Lauriere au mot Entiercement. (A)


ENTOILAGES. m. (Commerce) On donne en général ce nom dans tous les ajustemens en linge, en dentelle, &c. à tout ce qui sert de soûtien ou de monture à quelque autre partie de l'ajustement d'un travail plus fin, plus délicat, & plus précieux. L'entoilage a lieu dans les tours-de-gorge, les garnitures, les manchettes, &c. C'est ou de la mousseline qui soutient de la dentelle, ou une dentelle moins belle qui en soûtient une plus belle, &c.


ENTOILERv. act. c'est coller sur une toile une estampe, une these, un dessein ; pour cet effet, on passe de la colle faite avec de l'eau & de la farine bouillie sur une toile tendue sur un chassis, sur laquelle on applique l'estampe ou dessein qu'on veut y coller, après quoi on met un papier dessus, sur lequel on frotte en appuyant, pour que la colle prenne bien par-tout, & qu'il ne reste point de vent. (R)


ENTOIRS(Jardinage) Voyez GREFFOIRS.


ENTOISERv. act. terme de Maçonnerie, c'est arranger quarrément des matériaux, comme moilons & platras, pour ensuite en mesurer le cube. (P)


ENTONNERv. act. en Musique, c'est former juste avec la voix les sons & les intervalles que l'on s'est proposé. Les consonances simples & les petits intervalles sont faciles à entonner ; mais il y a plus de difficulté à entonner de grands intervalles, surtout quand ils sont dissonans, parce qu'alors la glotte se modifie selon des rapports plus grands & plus composés.

Entonner est encore commencer le chant d'une hymne, d'un pseaume, d'une antienne, pour en donner le ton à tout le choeur. (S)

ENTONNER, terme d'économie rustique, de marchand de vin & de brasseur, c'est remplir les tonneaux de vin ou de biere.


ENTONNERIES. f. terme de Brasseur ; c'est un lieu placé au-dessous des cuves, où sont rangés des tonneaux qu'on remplit de biere à mesure qu'elle se fait.


ENTONNOIRS. m. (Anatomie) cavité ou fossette assez profonde, qu'on découvre dans la partie inférieure du troisieme ventricule du cerveau, & dont l'ouverture évasée, se retrécissant insensiblement, aboutit à la glande pituitaire, qui est logée dans la cavité de la selle turcique. L'entonnoir a, dit-on, deux ouvertures ; l'une, qu'on appelle aujourd'hui ouverture antérieure commune, parce qu'elle communique avec les ventricules latéraux, & l'autre, qu'on nomme ouverture commune postérieure, parce qu'elle communique au cervelet, suivant l'hypothèse généralement reçûe.

Mais ces deux ouvertures de l'entonnoir, & les communications qu'on lui attribue, sont-elles bien certaines ? Du moins tout le monde n'en convient pas : M. Lieutaud, par exemple, croit s'être assûré du contraire par des administrations multipliées ; cet anatomiste, loin d'admettre aucune cavité dans l'entonnoir, a trouvé que cette partie du troisieme ventricule du cerveau (qu'il nomme tige pituitaire, à cause de sa solidité) est une espece de cylindre de deux à trois lignes de hauteur, formé par la substance cendrée, & recouvert de la pie-mere. Il a encore observé que ce cylindre est nourri dans son axe par de très-petits vaisseaux, lesquels communiquent avec ceux de la glande pituitaire, qui reçoit cette colonne ou qui la soûtient.

Je ne prétends point ici que M. Lieutaud ait raison, & que les autres anatomistes soient dans l'erreur ; je ne décide rien entre les maîtres de l'art, moi qui ne suis qu'un écolier. Je dis seulement que tout ce qui regarde la structure des diverses parties du cerveau, est entierement sujet à un nouvel examen, non parce qu'il faut espérer, en s'y dévoüant, de découvrir quelque chose de leurs fonctions, puisque la nature a pris à tâche de nous en voiler le mystere, mais parce qu'il est important de n'établir pour faits que ceux que les dissections démontrent clairement à tout le monde, sans aucune contradiction. Aussi nous garderons-nous bien d'exposer dans ce livre des opinions anatomiques, sans tracer en même tems l'histoire des doutes & des incertitudes. Article de M(D.J.)

ENTONNOIR, instrument de Chirurgie dont on se sert pour conduire le cautere actuel sur l'os unguis dans l'opération de la fistule lacrymale, afin d'en détruire la carie. Cet entonnoir est d'acier, son pavillon a sept lignes de diametre, son extrémité inférieure deux & demie ; cette extrémité est taillée en talus pour s'accommoder au plan incliné de l'os. La longueur de l'instrument est d'environ un pouce & demi ; on le tient avec un manche plat de la même matiere, soudé sur le côté du pavillon. On ne se sert plus du cautere actuel, ni par conséquent de l'entonnoir dans cette maladie, à cause de l'inflammation & d'autres accidens fâcheux qui en résultent. Voyez FISTULE LACRYMALE. (Y)

ENTONNOIR, (Pharmacie & Chimie) Outre l'usage ordinaire de l'entonnoir qui est connu de tout le monde, il y en a encore plusieurs autres, soit en Pharmacie, soit en Chimie ; on s'en sert très-commodément pour filtrer, ou, pour mieux dire, pour soûtenir les filtres (Voyez FILTRE), & pour séparer les huiles essentielles de l'eau qui les a accompagnées dans la distillation, &c. Voyez HUILE ESSENTIELLE.

Les entonnoirs dont on se sert le plus communément dans les laboratoires, sont de verre, & ce sont en effet les meilleurs pour la filtration des sels, des sucs de plantes, de fruits, du petit lait, &c. Ceux qui sont faits d'étain ou de fer-blanc peuvent servir en bien des cas, mais il faut avoir soin de n'y point filtrer des liqueurs qui pourroient les attaquer. Ceux de fer-blanc sont les plus mauvais, ils sont trop sujets à la rouille, aussi s'en sert-on fort peu. On doit toûjours leur préférer les entonnoirs de verre : ces derniers, à la vérité, sont fort sujets à se casser ; & souvent même sans qu'on les touche, ils se fendent d'eux-mêmes d'un bout à l'autre, quelquefois en ligne droite, quelquefois en spirale : ils ne sont pas pour cela hors d'état de servir, on rapproche exactement leurs parties, & avec du blanc d'oeuf & de la chaux éteinte à l'air on fait une pâte liquide, qui étendue sur du linge, & appliquée de distance en distance sur les fêlures, les contient, & met l'entonnoir en état de servir comme auparavant. Voyez VAISSEAUX CHIMIQUES.

L'entonnoir est aussi mis en usage pour porter la fumée de certains remedes sur les dents, dans l'anus & dans le vagin. Voyez SUFFUMIGATION. (b)

ENTONNOIR (Art milit.) dans l'Artillerie, est l'incavation ou l'espece de trou que les mines font en sautant ou en joüant. On l'appelle ainsi, à cause de sa ressemblance à un entonnoir renversé. Voyez MINE. (Q)

ENTONNOIR, en terme de Blanchisserie, est un pot de cuivre évasé, ayant un bec & un manche : il n'est guere d'usage que dans les blanchisseries.

ENTONNOIR, instrument de Tonnelier ; c'est un vaisseau fait ordinairement de fer-blanc, en forme de cone, à la pointe duquel est un col plus ou moins long, suivant l'usage auquel on le destine : on s'en sert pour entonner du vin dans des futailles.

Il y a deux sortes d'entonnoirs : de petits, pour tirer le vin en bouteilles ; & de grands, pour remplir les tonneaux de vin sans le troubler. Ceux-ci ont un long col bouché par l'extrémité, mais garni de petits trous dans sa longueur.


ENTORSES. f. terme de Chirurgie, mouvement dans lequel une articulation est forcée, sans que les os souffrent de déplacement sensible. Les mouvemens des articulations ne peuvent être portés au-delà des bornes naturelles, sans que les ligamens destinés à borner ces mouvemens ne soient forcément allongés ou rompus. Ces extensions violentes & les ruptures plus ou moins considérables des tendons & même des muscles occasionnent plus ou moins d'accidens, parmi lesquels la douleur & le gonflement se manifestent d'abord. Les entorses du pié sont les plus communes ; elles sont la suite des faux pas. Les douleurs sont très-vives, & l'inflammation proportionnée à la sensibilité des parties affectées & à l'effort qu'elles ont souffert. La rupture des ligamens & des capsules articulaires occasionne assez souvent l'épanchement de la synovie, dont l'altération peut ulcérer les parties, carrier les os, & produire des maladies très-longues, souvent incurables, & même mortelles.

Pour prévenir ces fâcheux accidens, il faut, s'il est possible, dans l'instant que l'entorse est arrivée, plonger la partie dans un seau d'eau très-froide. Ce repercussif empêche l'épanchement de la synovie, prévient l'inflammation, & appaise la douleur.

Si l'on n'a pas employé ce moyen sur le champ, il faut saigner copieusement, prescrire une diete sévere, tenir le ventre libre, & appliquer sur la partie des linges trempés dans des liqueurs spiritueuses, coupées avec des decoctions résolutives. On met ensuite des cataplasmes fortifians de mie de pain & de vin. Quand les accidens sont passés, on met la partie, si c'est la main ou le pié, dans le ventre ou dans la gorge d'un boeuf ou autre animal nouvellement tué. On fait des douches de différentes especes ; & s'il est besoin, on a recours aux eaux minérales de Bourbon, Bourbonne, Barege, Aix-la-Chapelle, &c. Voyez les maladies des os de M. Petit. (Y)

ENTORSE, (Manége, Maréchall.) maladie commune à l'homme & au cheval, & qui quelquefois est si rebelle dans l'un & dans l'autre, qu'elle est en quelque façon l'opprobre de ceux à qui le traitement en est confié.

On entend par le terme d'entorse tout mouvement dans lequel l'articulation est forcée, sans cependant que les os souffrent de déplacement sensible.

Quoiqu'elle soit infiniment moins dangereuse que la luxation, elle peut être accompagnée d'accidens très-graves. Les plus fâcheuses sont celles des parties qui ont un grand nombre de ligamens capables de s'opposer au déplacement, d'autant plus que ces ligamens doivent avoir beaucoup souffert, & qu'il a fallu un grand effort pour vaincre leur resistance. Ajoûtons que non seulement elles sont d'autant plus funestes que les articles sont munis de ligamens plus multipliés ; mais que les suites en sont terribles, si ces articulations sont encore recouvertes de plusieurs tendons, qui, de même que leur gaîne, ne peuvent être violemment distendus qu'il ne survienne de vives douleurs & une inflammation proportionnée à la sensibilité des parties affectées. La synovie, cette humeur dont l'usage est de lubréfier & de faciliter le mouvement, s'amassant ensuite dans ces gaînes, augmente beaucoup les douleurs, tant par la distension & l'écartement de ces mêmes gaînes, que par la compression des tendons.

Les symptomes de l'entorse sont la claudication, l'action de traîner la partie souffrante, la chaleur, la dureté & le gonflement causés par l'inflammation de toutes les parties distendues, & sur-tout conséquemment à l'amas de la synovie qui, rompant aussi quelquefois les gaînes, s'épanche dans tout le voisinage de l'article, & forme même des tumeurs dans lesquelles on trouve une fluctuation sensible.

Ses causes sont constamment externes, & sont renfermées dans le nom que nous lui donnons relativement aux chevaux, c'est-à-dire dans celui de mémarchure, terme qui nous en offre sur le champ une idée. En effet, un cheval fait un faux pas, il pose le pié à faux dans un lieu raboteux, il se trouve pris dans une orniere, & l'arrache sur le champ avec force, il se le détourne entre des pavés, ce qui arrive fréquemment par la faute des palefreniers, qui tournent l'animal trop court ; & l'on conçoit que dèslors il peut en résulter une entorse plus ou moins formidable, selon le plus ou le moins d'extension des tendons & des ligamens dans l'articulation du boulet, ou dans celle du paturon, ou dans celle de la couronne. Je dois encore observer que celles dont sont atteintes les unes & les autres de ces parties dépendantes des extrémités postérieures, sont toûjours plus à craindre que celles qui arrivent à ces articles des colonnes qui soûtiennent l'avant-main, parce que les premieres étant extrêmement travaillées dans toutes les différentes actions de l'animal, les humeurs y affluent avec plus d'abondance, & en rendent toûjours les maladies plus compliquées & plus difficiles à vaincre.

En général, la marche du maréchal dans le traitement de celle-ci doit être différente selon le tems & ses degrés. Les remedes repercussifs, restrinctifs, conviennent dans ses commencemens, parce qu'ils préviennent l'épanchement qui pourroit se faire, & rendent aux parties leur ton naturel ; ainsi on peut mener le cheval à l'eau, appliquer sur le lieu affecté des linges trempés dans de l'eau & du vinaigre, &c.

Dans le cas où il y a inflammation, douleur, épanchement, il faut nécessairement saigner à la jugulaire, appliquer en forme de cataplasmes des résolutifs doux & qui ne crispent pas, tels que celui des roses de Provins bouillies avec du gros son dans du gros vin, &c. & les réitérer soir & matin : j'ai été quelquefois obligé de mêler avec ces mêmes roses des plantes émollientes, & je ne suis parvenu souvent à la guérison de ces maux, fréquemment opiniâtres, que par les applications répétées de ces derniers médicamens employés sans mélange.

J'ai de plus eu à combattre des dépôts ensuite de l'acrimonie & de la perversion des humeurs : j'ai été forcé d'en hâter la suppuration par les mêmes émolliens, ou par l'onguent suppuratif, & de leur frayer ensuite une issue, en pratiquant une ouverture avec le fer plutôt qu'avec le feu, par la raison que la plaie en étoit plus aisément guérie.

Enfin les humeurs ayant acquis dans d'autres circonstances, & après des fautes encore commises par des maréchaux, un caractere d'induration, j'ai eu recours aux emplâtres fondans, tels que le diachylon, celui de mercure, de mucilage, dont j'ai fait usage séparément, ou en les mêlant les uns & les autres avec beaucoup de succès.

Dans tout le traitement de cette maladie l'animal doit joüir du repos ; cependant, dans ce dernier cas d'endurcissement, quelques mouvemens modérés favoriseront l'atténuation & la résolution de l'humeur. (e)


ENTORTILLERv. act. couvrir en tout ou en partie une chose avec une autre qui fait plusieurs tours sur celle-ci. On prend ce mot au physique & au moral. On dit un discours entortillé ; le lierre s'entortille sur toutes les plantes qui lui sont voisines.


ENTOURERv. act. en terme de Metteur en oeuvre ; c'est l'action d'environner une pierre de plusieurs autres qui sont plus petites qu'elle. On dit entouré double, lorsque ce rang de petites pierres est doublé. D'entourer, on a fait le substantif entourage.


ENTR'ACTES. m. (Belles-Lett.) est en général l'espace de tems qui sépare deux actes d'une piece de théatre, soit qu'on remplisse cet espace de tems par un spectacle différent de la piece, soit qu'on laisse cet espace absolument vuide.

Entr'acte, dans un sens plus limité, est un divertissement en dialogue ou en monologue, en chant ou en danse, ou enfin mêlé de l'un & de l'autre, que l'on place entre les actes d'une comédie ou d'une tragédie. L'objet de ce divertissement isolé & de mauvais goût, est de varier l'amusement des spectateurs, souvent de donner le tems aux acteurs de changer d'habits, & quelquefois d'allonger le spectacle ; mais il n'en peut être jamais une partie nécessaire : par conséquent il n'est qu'une mauvaise ressource qui décele le manque de génie dans celui qui y a recours, & le défaut de goût dans les spectateurs qui s'en amusent.

Les Grecs avoient des entr'actes de chant & de danse dans tous leurs spectacles : il ne faut pas les en blâmer. L'art du théatre, quoique traité alors avec les plus belles ressources du génie, ne faisoit cependant que de naître ; ils ne l'ont connu que dans son enfance, mais c'étoit l'enfance d'Hercule qui joüoit avec les lions.

Les Romains, en adoptant le théatre des Grecs, prirent tous les défauts de leur genre, & n'atteignirent à presqu'aucune de leurs beautés. En France, lorsque Corneille & Moliere créerent la tragédie & la comédie, ils profiterent des fautes des Romains pour les éviter ; & ils eurent assez de génie & de goût pour se rendre propres les grandes beautés des Grecs, & pour en produire de nouvelles, que les Sophocles & les Aristophanes n'auroient pas laissé échapper, s'ils avoient vécu deux mille ans plus tard.

Ainsi le théatre françois, dans les mains de ces deux hommes uniques, ne pouvoit pas manquer d'être à jamais débarrassé d'entr'actes & d'intermedes. Voyez INTERMEDE.

L'entr'acte à la comédie françoise, est composé de quelques airs de violons qu'on n'écoute point.

A l'opéra le spectacle va de suite ; l'entr'acte est une symphonie que l'orchestre continue sans interruption, & pendant laquelle la décoration change. Cette continuité de spectacle est favorable à l'illusion, & sans l'illusion il n'y a plus de charme dans un spectacle en musique. Voyez ILLUSION.

Le grand ballet sert d'entr'acte dans les drames de collége. Voyez BALLET DE COLLEGE.

L'opéra italien a besoin d'entr'actes ; on les nomme en Italie intermezzi, intermedes. Oseroit-on le dire ? auroit-on besoin de ce malheureux secours dans un opéra qu'un intérêt suivi ou qu'une variété agréable soûtiendroient réellement ? On parle beaucoup en France de l'opéra italien : croit-on le connoître ? Voyez OPERA. Les Italiens eux-mêmes, toûjours amoureux & jaloux de ce spectacle, l'ont-ils jamais examiné ? On avance ici une proposition que l'expérience seule ne nous a pas suggerée ; elle nous a été confirmée par des personnes sages & instruites, dont aucune nation ne peut récuser le suffrage. Il n'y a pas un homme en Italie qui ait écouté de suite une seule fois en sa vie tout l'opéra italien. On a eu recours aux intermedes de bouffons ou à des danses pantomimes, pour combattre l'ennui presque continuel de plus de quatre heures de spectacle ; & cette ressource est un défaut très-grand du génie, comme il sera démontré à l'article INTERMEDE. (B)


ENTR'OUVERTadj. (Manége & Maréchallerie.) cheval qui a fait un effort violent. Voyez ECART.


ENTR'OUVERTURES. f. (Manége & Maréch.) terme par lequel on désigne la maladie qui résulte d'un violent écart. Voyez ECART. (e)


ENTRAGES. m. (Jurispr.) signifie quelquefois entrée ou commencement de possession & joüissance ; plus souvent il signifie un droit en argent que le nouveau possesseur est obligé de paver au seigneur : il en est parlé dans la coûtume de Nivernois, tit. xxij. art. 8. Bourbonnois, art. 274 & 442. Voyez ISSUE. (A)


ENTRAIGUES(Géog. mod.) ville du comté du Roüergue en France ; elle est située à l'endroit où la Truyere se jette dans le Lot.


ENTRAILLESS. f. plur. (Anatomie) intestins, boyaux. Avoir les entrailles échauffées, rafraîchir les entrailles. Il se prend quelquefois dans un sens plus général, pour tous les visceres, toutes les parties renfermées dans le corps des hommes & des animaux. L'inspection des entrailles des victimes a aidé à connoître la structure du corps sain.

L'oblation des victimes étoit une cérémonie religieuse de nos premiers parens, comme on le voit par l'histoire d'Abel dans la Genese, & par les plus anciennes fables de l'âge d'or. On auroit crû déplaire à la divinité, & ne pouvoir appaiser sa colere, si la victime eût été souillée de la moindre maladie ; c'est pourquoi nous lisons dans le Lévitique qu'on n'immoloit que les animaux les plus sains & les plus purs, & c'est ainsi que les prêtres commencerent à s'appliquer à connoître les marques distinctives de la santé & de la maladie. Voyez ANATOMIE. Chambers. (L)

* ENTRAILLES, (Mythol.) c'étoient les parties des animaux que les aruspices consultoient particulierement. Il faut voir avec quelle impiété Cicéron parle de cette pratique de sa religion. Il suit de son discours que l'inspection des entrailles est la derniere des extravagances ; & que ceux qui en sont chargés, sont assez communément des imposteurs. C'est à cette occasion qu'il rapporte un mot de Caton, qui auroit pû avoir lieu dans une infinité d'autres cas, si la prévention n'eût point fasciné les yeux & les esprits. Caton disoit " qu'il étoit toûjours étonné qu'un aruspice qui en rencontroit un autre, ne se mît pas à rire ".


ENTRAITS. m. (Charpent.) est une poutre sur laquelle portent les solives des galetas, & les arbalestriers. Voyez les figures des Planches du Charpentier.

ENTRAIT, (double) il se dit de ceux qui sont dans les enrayures.


ENTRAVAILLÉadj. terme de Blason, qui se dit des oiseaux qui, ayant le vol éployé, ont un bâton ou quelqu'autre chose passée entre les aîles & les piés. Dictionn. de Trévoux.


ENTRAVERENTRAVER

ENTRAVER, v. neut. (Faucon.) c'est raccommoder les jets de l'oiseau, de sorte qu'il ne peut se déchaperonner.


ENTRAVESS. f. (Man. Maréchall.) espece de liens par le secours desquels nous pouvons nous assûrer & nous rendre maîtres des chevaux, soit qu'il s'agisse de les retenir dans les pâturages, ou de leur ôter la liberté, dans l'écurie, d'élever leurs piés de devant sur l'auge ou contre les rateliers ; soit que nous soyons dans l'obligation de les assujettir ou de les abattre pour leur faire quelques opérations.

Les entraves dont nous faisons usage dans le premier cas, sont composés de deux entravons qui sont unis par des anneaux ou par une chaîne de fer, ou quelquefois par une laniere non moins forte que celles qui forment les entravons. Voyez ENTRAVON. On doit avoir la précaution d'en délivrer l'animal, pour lui laisser plus de liberté lorsqu'il veut se coucher. Il est bon aussi de faire attention que les jambes du cheval entravé très-long-tems, peuvent insensiblement s'arquer, & que souvent par cette même raison l'animal devient panard.

Dans le second cas nous n'employons que des entravons non unis, mais séparés ; nous les fixons, ainsi que les premieres entraves, dans le pli des paturons des quatre jambes ensemble, ou d'une ou de deux seulement, selon le besoin ; en observant de les boucler de façon que les boucles soient en-dehors.

Lorsque notre intention est d'empêcher uniquement le cheval de rüer, nous ne mettons nos entravons qu'aux extrémités postérieures, & nous passons une corde de chaque côté, dans l'anneau dont doit être pourvû chacun d'eux. Nous croisons ensuite chacune de ces cordes ou de ces longes sous le ventre de l'animal, & nous les arrêtons fermement par une seule boucle coulante, qu'il nous est facile de défaire promtement, aux deux côtés de l'encolure, & à des anneaux de fer dont est garni un collier de cuir que nous avons passé sur la tête & sur l'encolure du cheval. Est-il question de l'abattre & de le renverser ? les quatre paturons seront saisis des entravons ; nous attacherons une longe à l'anneau de l'un de ceux de devant, nous en ferons passer l'autre extrémité dans celui de l'autre entravon de ce même devant, & ensuite dans les deux anneaux de ceux de derriere : nous repasserons une seconde fois dans le premier anneau auquel la longe est attachée ; après quoi plusieurs hommes réunissant leurs forces, tireront cette longe, & rapprocheront ainsi les piés de l'animal, qui ne pourra s'opposer à sa chûte. C'est ainsi que nous devons nous précautionner contre les efforts qu'il feroit pour nous résister, & nous mettre en garde contre les coups dont il pourroit nous atteindre.

L'animal étant renversé, nous le plaçons dans la situation la plus convenable à l'opération que nous avons dessein de pratiquer. Au surplus, en indiquant les moyens de le soûmettre en conséquence des liens dont il s'agit, je n'ai pas décrit ce que font la plûpart des maréchaux dans ces sortes de cas : j'en ai dit assez pour instruire sur ce qu'ils devroient faire. (e)


ENTRAVESTISSEMENT DE SANG (Jurisprud.) ou RAVESTISSEMENT DE SANG, dans les coûtumes de Cambray, Bethune, Arras & Bapaume, est la succession qui a lieu au profit du survivant des conjoints.

Entravestissement par lettres, est la succession qui a lieu en vertu d'une sentence du juge. Il en est fait mention dans la coûtume particuliere de Calloeuë, sous Artois. (A)


ENTRAVONS. m. (Manége, Maréchall.) n'est autre chose que la partie de l'entrave qui entoure précisément le paturon du cheval. Voyez ENTRAVER. Il est fait d'un cuir fort & épais, d'une largeur proportionnée à son usage, & muni d'une boucle servant à l'attacher & à le fixer, ainsi que d'un anneau de fer, lorsqu'il n'est point destiné à complete r des entraves. On a de plus l'attention de le rembourrer dans sa surface intérieure, afin qu'il ne puisse causer aucune excoriation. (e)


ENTREBASou DEMI-CLAIRES VOIES, (Manufacture en Drap) défaut du drap, qui vient de ce que la chaîne n'est pas aussi serrée dans un endroit qu'elle le doit être ; soit parce qu'elle a été mal distribuée, ou qu'il y manque un fil, ou que le fil est trop foible.


ENTREBATTESS. f. (Manuf. en Drap) c'est dans les étoffes de sayetterie, qui se fabriquent à Beauvais, une des marques du maître, sans laquelle il est défendu de vendre l'étoffe. Ce terme se dit aussi de deux barres ou bandes qu'on fait à chaque bout de la piece, avec une trame de couleur différente de celle de l'étoffe.


ENTRECHATS. m. (Danse) c'est un saut leger & brillant, pendant lequel les deux piés du danseur se croisent rapidement, pour retomber à la troisieme position. Voyez POSITION.

L'entrechat se prend en marchant, ou avec un coupé. Le corps s'élance en l'air, & les jambes passent également à la troisieme position.

Il n'est jamais entrechat qu'il ne soit formé à quatre ; on le passe à six, à huit, à dix, & on a vû des danseurs assez vigoureux pour le passer à douze.

Ce dernier n'est point, & ne sauroit jamais être théatral ; on n'use pas même au théatre de celui à dix. Quelque vigueur qu'on puisse supposer au danseur, les passages alors sont trop rapides pour qu'ils pûssent être apperçûs par les spectateurs.

Les excellens danseurs se bornent pour l'ordinaire à six, & le passent rarement à huit. Dupré se bornoit à six.

L'entrechat employe deux mesures ; la premiere sert au coupé ; la seconde à l'élancement du corps, au battement & au tomber.

Il se fait de face, en tournant, & de côté ; & on lui donne alors ces noms différens.

Deruel danseur de l'opéra du dernier siecle, faisoit la capriole en montant, & l'entrechat en tombant.

Peu de danseurs, même fameux alors, faisoient l'entrechat, pas même celui à quatre, qu'on appelle improprement demi-entrechat.

J'ai vû naître les entrechats des danseuses ; mademoiselle Salley ne l'a jamais fait sur le théatre ; mademoiselle Camargo le faisoit d'une maniere fort brillante à quatre ; mademoiselle Lany est la premiere danseuse en France qui l'ait passé au théatre à six.

J'ai entendu dans les commencemens de grands murmures sur l'agilité de la danse moderne : Ce n'est pas ainsi, disoit-on, que les femmes devroient danser. Que devient la décence ? O tems ! ô moeurs ! Ah, la Prévôt ! la Prévôt... ! Elle avoit les piés en-dedans & des jupes longues, que nous trouverions encore aujourd'hui trop courtes. (B)


ENTRE-COUPES. f. (Coupe des pierres) intervalle vuide entre deux voûtes qui sont l'une sur l'autre, ensorte que la doüelle de la supérieure enveloppe l'extrados de l'inférieure, laquelle est quelquefois ouverte, comme au dome des Invalides à Paris.

On fait souvent des entre-coupes pour suppléer à la charpente d'un dome, en élevant une voûte pour la décoration extérieure au-dessus de la premiere, qui paroîtroit trop écrasée au-dehors, comme à S. Pierre de Rome & en plusieurs autres églises d'Italie. (D)


ENTRE-COUPER(S') SE COUPER, S'ENTRE-TAILLER, v. pass. Manége, Maréchall. expressions qui ne signifient qu'une seule & même chose, & par le moyen desquelles nous désignons l'action du cheval qui en cheminant s'atteint à la partie latérale interne du boulet, & quelquefois à sa portion postérieure.

Les causes de ce vice sont, 1°. la foiblesse naturelle : l'animal dont les reins seront foibles & les membres peu proportionnés, s'entre-coupera infailliblement. 2°. Un vice de conformation : tout cheval mal planté & défectueusement situé sur ses jambes, soit qu'il soit serré, soit qu'il soit cagneux ou panard (voyez JAMBES), soit enfin qu'il soit crochu en-dedans ou en-dehors (voyez JARRETS), ne pourra que se couper. 3°. La lassitude : aussi voyons-nous que nombre de chevaux s'entre-taillent à la suite d'un long voyage. 4°. La paresse : ainsi les barbes, dont l'allure est communément froide, s'entre-coupent quand on les mene en main. 5°. Le defaut d'habitude de cheminer : car des poulains qui n'ont pas été exercés, se coupent & même s'attrapent dans les commencemens qu'on les travaille. 6°. Enfin une vieille, une mauvaise ferrure, ou des rivets qui débordent, puisqu'il est incontestable que la source la plus ordinaire de l'entre-taillure, est dans l'impéritie ou dans la négligence du maréchal.

Il faut au surplus considérer qu'il y a une très-grande différence entre un cheval qui s'entre-taille, & un cheval qui s'attrape : celui qui s'entre-taille, se frappe toûjours au même lieu ; il y a communément entamure ou plaie, & le poil s'y montre toûjours hérissé : celui qui s'attrape, s'atteint au contraire & se heurte en différens endroits ; & comme la partie contuse n'est pas toûjours la même, le heurt n'y fait pas d'impression visible & apparente. Selon le plus ou le moins de sensibilité dans la partie sur laquelle a porté le coup, l'animal boîte le pas qui suit, & ne boîte plus après en avoir cheminé quelques autres. Quand il est las, il bronche en s'attrapant ; il tombe même, si son allure est pressée, ou s'il galope. Ce défaut doit faire rejetter un cheval ; il est d'autant plus essentiel, qu'il est comme impossible d'y remédier. Il provient de l'action des jambes qui se croisent sans-cesse ; & il est certain que si la bonne école n'a pû rien opérer, il n'est produit que par une grande foiblesse, contre laquelle tous les secours de l'art seront toûjours impuissans.

Il n'en est pas ainsi de l'entre-taillure ; on peut y obvier par la voie de la ferrure, soit que l'animal s'entre-taille d'un pié, de deux, ou de tous les quatre ensemble. Voyez FERRURE. (e)


ENTRE-COURSS. m. (Jurisp.) étoit anciennement une société contractée entre deux seigneurs, au moyen de laquelle les sujets d'un seigneur, qui alloient demeurer ou se marier dans la terre d'un autre seigneur, devenoient eux & leurs enfans sujets de ce dernier seigneur. C'est ainsi que le terme d'entre-cours est entendu dans quelques anciennes chartres, dont le glossaire de Ducange fait mention au mot inter-cursus : à quoi se rapporte encore le chap. 45 des coûtumes de Beauvoisis, par Beaumanoir.

Il arrivoit souvent par-là qu'un roturier qui étoit franc dans un lieu, devenoit serf dans un autre, parce qu'en transférant son domicile dans un lieu où les sujets du seigneur étoient serfs, & y demeurant par an & jour, le seigneur du lieu en acquéroit la saisine, & l'homme franc devenoit de même condition que les autres sujets serfs. Pour parer à cet inconvénient, quelques seigneurs faisoient entr'eux des sociétés par rapport à leurs sujets, suivant lesquelles les sujets de l'un pouvoient librement & sans danger de perdre leur franchise, aller demeurer dans la seigneurie de l'autre seigneur, & même s'y marier avec une personne serve ou sujette de ce seigneur. Ces sociétés furent aussi nommées entre-cours, & le droit qui en résultoit en faveur des sujets, fut appellé droit d'entre-cours.

Au moyen de cet entre-cours, l'homme franc ou bourgeois qui passoit d'une seigneurie dans une autre, devenoit bien l'homme ou sujet du dernier seigneur, mais il conservoit sa franchise.

Il y avoit un pareil entre-cours entre les comtes de Champagne & les comtes de Bar, comme il se voit dans les articles 78 & 79 de la coûtume de Vitry.

Le premier de ces articles porte que par l'entre-cours gardé & observé entre les pays de Champagne & Barrois, quand aucun homme ou femme né du Barrois, vient demeurer au bailliage de Vitry, il est acquis de ce même fait au roi, & lui doit sa jurée, comme les autres hommes & femmes de jurée demeurant audit bailliage ; que le roi est en possession & saisine de la lever ainsi sur eux ; & que quand tels hommes ou femmes nés en Barrois, & demeurans au bailliage de Vitry, vont de vie à trépas sans héritier légitime demeurant avec eux audit pays, & qui soit regnicole à l'heure de leur trépas, le roi représente l'héritier absent, leur succede, & prend leurs biens au moyen dudit entre-cours.

L'article suivant porte que pareillement si quelqu'un du comté de Champagne va demeurer au duché de Bar, il est acquis au seigneur duc, au moyen dudit entre-cours ; que s'il y décede, ses enfans nés avec lui audit pays & duché au jour de son trépas, ne succedent en ses biens assis & situés audit bailliage, mais qu'ils appartiennent au roi par droit d'attrayere, qui représente lesdits enfans absens ; mais s'il y avoit des héritiers prochains, demeurans au bailliage de Vermandois, tels héritiers lui succéderoient.

Les seigneurs dérogeoient aussi au droit de mainmorte, par rapport au mariage de leurs serfs ; & par les traités d'entre-cours qu'ils faisoient entr'eux à ce sujet, le serf de l'un pouvoit librement, & sans peine de for-mariage, se marier avec une personne serve d'un autre seigneur. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot entre-cours.

On trouve des exemples de ces entre-cours, tant par rapport au domicile que pour les mariages, dans l'histoire de Verdun, aux preuves, pag. 13 & 14.

Le droit d'entre-cours est quelquefois appellé parcours, quoique ce dernier terme s'applique plus ordinairement aux conventions qui ont trait à la réciprocité du pâturage entre deux seigneuries. Voyez PARCOURS. (A)


ENTRE-DEUXS. m. (Drap.) il se dit de quelques endroits d'une étoffe, où elle n'a pas été tondue assez ras. On ne repare ce défaut qu'en y repassant la force.


ENTRE-DUERO-E-MINHO(Géog. mod.) c'est une des provinces du Portugal ; elle a environ dixhuit lieues de longueur sur autant de largeur. Brague en est la capitale.


ENTRE-FERou ENTRE DEUX FERS, (Comm.) il se dit dans le poids des marchandises, de l'arrêt ou du repos de la lance ou du fleau exactement au milieu de la chape ; si la lance ou le fleau incline un peu de l'un ou de l'autre côté des deux plats de la balance, on dit alors que le trait est forcé. Il faut que le trait fort ou forcé soit du côté de la marchandise, c'est-à-dire que la marchandise l'emporte un peu en pesanteur sur son poids.


ENTRE-FESSONvoyez PERINE.


ENTRE-LIGNES. f. ou, comme on dit ordinairement, INTERLIGNE, c'est l'espace qui est entre deux lignes d'écriture. On ne doit rien ajoûter dans les actes entre-lignes ; il est plus convenable de faire des renvois & apostilles en marge : en tout cas, les entre-lignes ou interlignes ne sont valables qu'autant qu'ils sont approuvés par les parties, notaires, & témoins. (A)


ENTRE-METSS. m. (Hist. mod.) Le mot entremets s'est dit pendant long-tems au lieu de celui d'intermede, dans nos pieces de théatre ; entre-mets de la tragédie de Sophonisbe dans les oeuvres de Baïf ; il signifioit une espece de spectacle muet, accompagné de machines ; une représentation comme théatrale où l'on voyoit des hommes & des bêtes exprimer une action ; quelquefois des bateleurs & autres gens de cette espece y faisoient leurs tours.

Ces divertissemens avoient été imaginés pour occuper les convives dans l'intervalle des services d'un grand festin, dans l'entre-deux d'un mets ou service à un autre mets ; d'où le mot entre-mets a passé dans nos tables pour désigner simplement le service particulier qui est entre le rôt & le fruit, & les divertissemens se sont évanoüis.

Ces divertissemens anciens, qui méritoient bien mieux le nom d'entre-mets que le service de nos tables honoré aujourd'hui de cette qualification, étoient des spectacles fort singuliers qu'on donnoit du tems de l'ancienne chevalerie, le jour d'un banquet, pour rendre la fête plus magnifique & plus solemnelle. Il faut lire tout ce qui concerne ces fêtes dans l'histoire de la chevalerie de M. de Sainte-Palaye ; il en parle avec autant de connoissance que s'il eût vécu dans ces tems-là, & qu'il eût écrit son ouvrage en assistant aux banquets des preux-chevaliers.

On voyoit paroître dans la salle diverses décorations, des machines, des figures d'hommes & d'animaux extraordinaires, des arbres, des montagnes, des rivieres, une mer, des vaisseaux ; tous ces objets entre-mêlés de personnages, d'oiseaux, & d'autres animaux vivans, étoient en mouvement dans la salle ou sur la table, & représentoient des actions relatives à des entreprises de guerre & de chevalerie, sur-tout à celles des croisades.

Il est vraisemblable que l'usage des entre-mets dans les banquets s'étoit introduit avant le regne de saint Louis : aussi furent-ils employés aux noces de son frere Robert à Compiegne en 1237. Une chronique manuscrite de S. Germain fait une ample description des entre-mets qui se virent au festin que Charles V. donna en 1378 au roi des Romains, fils de l'empereur Charles de Luxembourg, que ses indispositions empêcherent de s'y trouver. Mais rien n'est plus curieux que le détail que Matthieu de Couci & Olivier de la Marche nous ont laissé de la fête donnée à Lille en 1453, par Philippe-le-Bon duc de Bourgogne, à toute sa cour & à toute la noblesse de ses états, pour la croisade contre les Turcs qui venoient d'achever la conquête de l'empire d'Orient par la prise de Constantinople. Je pourrois citer un grand nombre d'autres représentations semblables, qui furent long-tems à la mode dans nos cours ; mais ces citations seroient inutiles après les exemples que nous venons de rapporter.

On vit encore les restes de cette ancienne magnificence au mariage du prince de Navarre en 1572, avec la soeur du roi ; de même qu'à la suite d'un autre festin, que la reine donna l'année suivante au duc d'Anjou roi de Pologne. Le goût de ces plaisirs s'est conservé à Florence jusqu'en 1600, suivant la description du banquet donné dans cette ville pour le mariage de Marie de Médicis avec Henri IV.

Enfin la mode des entre-mets s'évanoüit entierement au commencement du xvij. siecle. Louis XIV. fit succéder d'autres magnificences, mieux entendues, dignes de lui, & qui ont aussi cessé. Elles ont été remplacées par un genre de luxe plus général, plus voluptueux, qui se répete journellement, & qui présente à nos yeux toute la mollesse ou l'ennui des Sibarites. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ENTRE-NERFSS. m. pl. (Reliure) ce sont les espaces que laissent entr'eux, sur le dos, les ficelles auxquelles les livres sont cousus. On remplit les entre-nerfs de dorure. Voyez DORER.


ENTRE-PASS. m. (Manége) allure défectueuse, train rompu du cheval. Voyez MANEGE. (e)


ENTRE-PILASTRES. m. en Architecture, c'est l'espace qui est entre deux pilastres. (P)


ENTRE-PLANTERv. act. (Agriculture) c'est planter du cherclu à la place des seps qui ont manqué.


ENTRE-POINTILLÉadj. il se dit, chez les Graveurs en bois, des tailles entre lesquelles il y a du pointillé. Tailles entre-pointillées. Article de M. PAPILLON.


ENTRE-SABORSS. m. (Marine) bordages qui sont entre les ouvertures des sabors, ou dans la distance des sabors. Voyez BORDAGES. (Z)


ENTRE-SOLS. m. petites pieces pratiquées au-dessus d'un petit appartement à rez-de-chaussée, ou au premier étage d'un bâtiment, pour se procurer quelques garde-robes ou cabinets de plus dans un château ou maison de plaisance. Ces entre-sols sont quelquefois destinés aussi à faire de petits appartemens d'hyver pour les maîtres, lorsque la cage du bâtiment est peu spacieuse, tels que sont ceux que l'on a pratiqués au château de Marly pour Mesdames & Madame la Dauphine ; quelquefois aussi on y pratique des bains, des cabinets de toilette, &c. Les entre-sols doivent être dégagés par des escaliers qui rendent leur communication facile avec les appartemens d'en-bas & avec ceux d'en-haut, en observant qu'ils soient éclairés, soit en lanternes, soit en abajour ou autrement.

Quelquefois aussi on pratique des entre-sols sans nécessité de logement, mais seulement pour corriger la trop grande élevation des planchers, qui, dans une piece d'un petit diametre, deviendroient desagréables, ce qu'on ne peut souvent éviter à cause de la grandeur des pieces de société, de parade, &c. Voyez FAUX-PLANCHER. (P)


ENTRE-TAILLESsub. f. mot imaginé dans les principes de la Gravure en bois, pour désigner des tailles plus nourries à certains endroits que dans le reste de leur longueur ; c'est ce que les Graveurs au burin appellent tailles rentrées : elles se font ordinairement à deux fois, c'est-à-dire que l'on repasse un burin plus gros dans chaque taille pour la rendre plus épaisse où il est nécessaire, tandis que celle de bois entre-taillé doit être gravée du premier coup comme il faut qu'elle reste, étant pour ainsi dire par endroit une taille entée sur une autre. Voyez à l'art. GRAVURE EN BOIS la façon de pratiquer les entre-tailles. Mellan, très-habile graveur au burin, & qu'aucun autre n'a osé imiter dans sa maniere de graver, ne formoit ses ombres que par des tailles rentrées, ce qu'il faisoit d'un même coup de burin, tant il possédoit parfaitement le dessein ; ainsi les Graveurs en bois trouveront dans ses ouvrages des entre-tailles de toutes façons : la sainte Face couronnée d'épines, de grandeur naturelle, est un de ses morceaux les plus admirables. La taille commençant au bout du nez, allant toûjours en tournant sans discontinuer, & embrassant toute la grandeur de l'estampe, forme les yeux, la bouche, les cheveux, la couronne, le linge, & jusqu'aux gouttes de sang, par les seules forces ou gras de cette taille rentrée à-propos aux endroits nécessaires : c'est un miracle de l'art. François Chauveau, aussi célebre graveur en cuivre, est celui qui a le mieux approché de la maniere de Mellan ; on le peut voir dans les planches du carrousel, & dans celles qu'il a faites pour plusieurs romans & poëmes, tels que le Cyrus, la Cléopatre, la Clélie, S. Louis ou la sainte couronne reconquise, Alaric, Clovis, & autres. Cet article est de M. PAPILLON.

ENTRE-TAILLE, se dit encore, dans la Gravure en bois, des tailles ménagées & faites entre d'autres tailles, & ordinairement plus fines & plus courtes que les autres ; c'est ce que les Graveurs en cuivre appellent entre-deux, ou également entre-tailles : elles servent, tant dans l'une que dans l'autre Gravure, à donner du brillant aux étoffes, à l'eau, aux métaux, &c. Voyez à l'article GRAVURE EN BOIS, la maniere de les exécuter. Article de M. PAPILLON.


ENTRÉES. f. (Grammaire) se dit généralement au simple, de toute ouverture qui conduit du dehors d'un lieu au-dedans de ce lieu. Ce mot se prend au figuré, pour le commencement, le début.

ENTREE, se dit, en Astronomie, du moment auquel le Soleil ou la Lune commence à parcourir un des signes du zodiaque. Ainsi on dit l'entrée du Soleil ou de la Lune dans le Bélier, dans le Taureau, &c. Voyez SIGNE, SOLEIL, &c.

On se sert aussi du mot entrée dans ces phrases : l'entrée de la Lune dans l'ombre, dans la pénombre, &c. Voyez ECLIPSE. (O)

ENTREES, s. f. pl. (Hist. anc.) privilége accordé à des particuliers d'être admis auprès des rois & des princes, dans certains tems & à certaines heures.

La coûtume des rois, des princes, & des grands seigneurs, de distinguer leurs courtisans & les personnes qui leur sont attachées par les différentes entrées qu'ils leur donnent chez eux, est une coûtume fort ancienne. Séneque, dans son livre IV. des bienfaits, chap. xxjv. nous instruit que C. Gracchus & Livius Drusus, tribuns du peuple, en furent les auteurs à Rome. " Parmi nous, dit-il, Gracchus & après lui Livius Drusus, ont commencé à séparer la foule de leurs amis & de leurs courtisans, en recevant les uns en particulier, les autres avec plusieurs, & les autres avec tout le monde ".

Les premiers étoient appellés propiores, ou primi amici, ou primae admissionis ; les amis de la premiere entrée : les seconds, secundi amici, ou secundae admissionis ; les amis de la seconde : & les derniers, inferiores amici, ou ultimae admissionis ; les amis qui n'avoient que les dernieres entrées.

Cet usage qui avoit été long-tems interrompu, & qui ne subsistoit point à la cour d'Auguste, fut rétabli par Tibere, qui, comme Suétone nous l'apprend, partagea sa cour en ces trois classes, & appella la derniere la classe des Grecs ; parce que les Grecs étoient des gens dont on faisoit alors peu de cas, & qui n'entroient que les derniers chez cet empereur.

La coûtume dont je parle se perdit encore après Tibere ; elle fut renouvellée par d'autres empereurs, & elle prit enfin de si fortes racines sous Constantin, qu'elle s'est toûjours conservée depuis, & qu'il n'y a pas d'apparence qu'on la laisse tomber : au fond, il est bien juste que les princes ayent la même prérogative & la même liberté que se donnent les particuliers, de recevoir différentes personnes chez eux à différentes heures, les unes plus tôt, les autres plus tard, selon qu'elles leur sont ou agréables, ou nécessaires. Cependant aujourd'hui ce qu'on appelle entrée dans les cours de l'Europe, est un privilége spécialement attaché à certains emplois & à certaines charges, d'entrer à certaines heures dans la chambre des rois, quand les autres n'y entrent pas. C'est donc un droit que donne la charge, & non la personne ; c'est une pure étiquette qui ne prouve point de confiance particuliere du prince dans ceux qui joüissent de ce droit. Voyez l'article ETIQUETTE. Article de M(D.J.)

ENTREE, (Hist. mod.) réception solemnelle qu'on fait aux rois & aux reines lorsqu'ils entrent la premiere fois dans les villes, ou qu'ils viennent triomphans de quelque grande expédition.

Ces sortes de cérémonies varient suivant le tems, les lieux, & les nations ; mais elles sont toûjours un monument des usages des différens peuples, & de la diversité de ces usages dans une même nation, lesquels font communément un excellent tableau de caractere : c'étoit, par exemple, un spectacle singulier que l'appareil de décorations profanes & de mascarades de dévotion qui se voyoit en France aux entrées des rois & des reines, dans le xv. siecle. L'auteur des essais sur Paris qui parurent l'année passée (1754, in -12.), en donne une esquisse tirée d'après l'histoire, qu'il suffira de rapporter pour exemple : il seroit trop long de transcrire ici, même par extrait, ce que j'ai recueilli sur cette matiere avant & depuis Charles VII.

Comme les rois & les reines (dit l'auteur dont je viens de parler) faisoient leurs entrées par la porte Saint-Denis, on tapissoit toutes les rues sur leur passage, & on les couvroit en-haut avec des étoffes de soie & des draps camelotés ; des jets-d'eaux de senteurs parfumoient l'air, le lait & le vin couloient de plusieurs fontaines. Les députés des six corps de marchands portoient le dais. Les corps de métiers suivoient à cheval, représentant en habits de caractere les sept péchés mortels, les sept vertus, foi, espérance, charité, justice, prudence, force, & tempérance, la mort, le purgatoire, l'enfer, & le paradis.

Il y avoit de distance en distance des théatres où des acteurs pantomimes, mêlés avec des choeurs de musique, représentoient des histoires de l'ancien & du nouveau Testament, le sacrifice d'Abraham, le combat de David contre Goliath, l'ânesse de Balaam prenant la parole pour la porter à ce prophete, des bergers avec leurs troupeaux dans un bocage, à qui l'ange annonçoit la naissance de Notre-Seigneur, & qui chantoient le Gloria in excelsis Deo, &c. & pour lors le cri de joie étoit Noël, Noël. Voy. COMEDIE SAINTE.

A l'entrée de Louis XI, en 1461, on imagina un nouveau spectacle : Devant la fontaine du Ponceau, dit Malingre, pag. 208 de ses antiquités & annales de Paris (ouvrage plus passable que ceux qu'il a publiés depuis) étoient plusieurs belles filles en syrenes toutes nues, lesquelles en faisant voir leur beau sein, chantoient des petits motets de bergerettes, fort doux & charmans.

Il paroît qu'à l'entrée de la reine Anne de Bretagne, on poussa l'attention jusqu'à placer de distance en distance, de petites troupes de dix ou douze personnes, avec des pots-de-chambre pour les dames & demoiselles du cortege qui en auroient besoin.

Ajoûtez sur-tout à ces détails, la description curieuse que le P. Daniel a donnée dans son histoire de France, de l'entrée de Charles VII. & vous conviendrez en rassemblant tous les faits, que quoique ces sortes de réjoüissances ne soient plus du goût, de la politesse, & des moeurs de notre siecle, cependant elles nous prouvent en général deux choses qui subsistent toûjours les mêmes ; je veux dire 1°. la passion du peuple françois pour les spectacles quels qu'ils soient, 2°. son amour & son attachement inviolable pour nos rois & pour nos reines.

Je ne parle pas ici des cérémonies d'entrées de princes étrangers, légats, ambassadeurs, ministres, &c. ce n'est qu'une vaine étiquette de cérémonial dont toutes les cours paroissent lasses, & qui finira quand la principale de l'Europe jugera de son intérêt de montrer l'exemple. Article de M(D.J.)

ENTREE, (Jurisprud.) signifie dans cette matiere acquisition, prise de possession. On appelle deniers d'entrée, ceux qui sont payés par le nouveau propriétaire au précédent, pour entrer en joüissance. Voyez DENIERS. Entrage est ce qui se paye au seigneur pour le droit d'entrée, c'est-à-dire pour la mutation. (A)

ENTREE, (Comm.) droit ou impôt qu'on leve au nom du souverain sur les marchandises qui entrent dans un état, soit par terre, soit par mer, suivant le tarif qui en est dressé, & qui doit être affiché en lieu apparent dans les bureaux où l'on exige ces droits.

Les droits d'entrée se payent aussi en France sur les marchandises qui entrent dans les provinces qui sont réputées étrangeres ; & il y en a d'autres encore qui se levent à l'entrée de quelques villes.

Lorsque le droit d'entrée de quelque marchandise n'est pas réglé par le tarif, on le paye par estimation, c'est-à-dire à proportion de ce qu'une autre marchandise, à-peu-près de même qualité, a coûtume de payer.

Les droits d'entrée se payent y compris les caisses, tonneaux, serpillieres, cartons, pailles, toiles, & autres emballages, à la reserve des drogueries & épiceries, sur lesquelles les emballages sont déduits.

Toutes sortes de marchandises ne peuvent entrer en France par toutes sortes de villes & de ports, même en payant les droits, mais seulement pour certaines marchandises par les lieux qui leur sont marqués, ou par les ordonnances, ou par les arrêts du conseil, comme les drogueries & épiceries par la Rochelle, Roüen, & Calais, Bordeaux, Lyon, & Marseille ; les chevaux par Dourlens, Peronne, Amiens, &c. les manufactures étrangeres par Saint-Valery, Calais, &c. & ainsi de quelques autres.

Les peines contre ceux qui veulent faire entrer des marchandises en fraude, sont la confiscation de ces marchandises & des équipages & harnois, & une amende statuée par les arrêts & ordonnances. Voy. CONTREBANDE, DROIT & TARIF. Dict. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)

ENTREE, (Comm.) terme de teneur de livres en parties doubles. L'entrée du grand livre, c'est l'état des débiteurs & créditeurs portés par la balance ou le bilan du livre précédent. Voyez LIVRES. (G)

ENTREE, (Danse) air de violon sur lequel les divertissemens d'un acte d'opéra entrent sur le théatre. On donne aussi ce nom à la danse même qu'on exécute. Ce sont ordinairement les choeurs de danse qui paroissent sur cet air ; c'est pour cette raison qu'on les nomme corps d'entrée. Ils en dansent un commencement ; un danseur ou une danseuse danse un commencement & une fin, & les choeurs reprennent la derniere fin. Chaque danse qu'un danseur ou une danseuse exécute, s'appelle aussi entrée. On lui donne encore le nom de pas. Voyez PAS. Un maître fort supérieur avec qui j'ai conféré souvent sur cette matiere, m'a confié un résultat de ses observations, qui peut être fort utile à l'art. Le voici.

Dans toute entrée de danse, le danseur, à qui on suppose de la vigueur & de l'habileté, a trois objets principaux & indispensables à remplir. Le premier, les contrastes perpétuels de la force & de la grace, en observant que la grace suive toûjours les coups de vigueur. Le second, l'esprit de l'air que ses pas doivent rendre ; car il n'est point d'air de danse, quelque plat que le musicien puisse le faire, qui ne présente une sorte d'esprit particulier au danseur qui a de l'oreille & du goût. Le troisieme, de former toûjours sa danse de pas, & de ne les sacrifier jamais aux sauts : ceux-ci sont plus aisés à faire que les autres. Le mélange sage de tous les deux, forme la danse agréable & brillante.

Chaque partie séparée des ballets anciens étoit nommée entrée. Dans les modernes, on a conservé ce nom à chacune des actions séparées de ces poëmes. Ainsi on dit : l'entrée de Tibulle dans les fêtes greques & romaines est fort ingénieuse, c'est une des meilleures entrées de ballet que nous ayons à l'opéra. Voyez BALLET.

Ce nom qu'on donne encore aux diverses parties de ces sortes d'ouvrages, doit faire connoître aux commençans & quelle est l'origine de ce genre difficile, & quelle doit être leur coupe pour qu'ils soient agréables au public ; c'est sur-tout cette méchanique très-peu connue qui paroît fort aisée, & qui fourmille de difficultés qu'il faut qu'ils étudient. Voyez COUPE.

Il seroit ridicule que l'on y fît commencer l'action dans un lieu, & qu'on la dénoüât dans un autre. Le tems d'une entrée de ballet doit être celui de l'action même. On ne suppose point des intervalles ; il faut que l'action qu'on veut représenter se passe aux yeux du spectateur, comme si elle étoit véritable. Quant à sa durée, on juge bien que puisque le ballet exige ces deux unités, il exige à plus forte raison l'unité d'action : c'est la seule qu'on regarde comme indispensable dans le grand opéra ; on le dispense des deux autres. L'entrée de ballet, au contraire, est astrainte à toutes les trois. Voyez BALLET, OPERA, POEME LYRIQUE. (B)

ENTREE, (Serrurerie) c'est l'ouverture par laquelle la clé entre dans la serrure.


ENTREJOUS. m. (Jurisprud.) terme usité dans quelques coûtumes & anciens titres, pour exprimer un certain espace nécessaire pour donner cours à l'eau. Suivant la coûtume de Berri, t. xvj. art. 2. chacun peut en son héritage par lequel passe aucun fleuve ou riviere non navigable ni publique, faire édifier moulin, pourvû que le lieu soit disposé pour ce faire ; à savoir qu'il y ait saut & entrejou, c'est-à-dire, qu'il y ait de l'espace pour faire une abée ou lanciere par où l'eau puisse avoir cours quand le moulin ne va pas. Voyez Cujas, observ. 24, chap. xxjv. & le gloss. de Lauriere, au mot Entrejou. Voyez aussi LANCIERE. (A)


ENTRELACÉadj. en terme de Blason, se dit de trois croissans, de trois anneaux, & autres choses semblables, passées les unes dans les autres.

Bourgeois en Bourgogne, d'azur à trois annelets entrelacés l'un dans l'autre en triangle d'or.


ENTRELASS. m. en Architecture, ornement composé de listeaux & de fleurons liés & croisés les uns avec les autres, qui se taille sur les moulures & dans les frises. (P)

ENTRELAS D'APPUI, (Sculp.) ornemens à jour, de pierre ou de marbre, qui servent quelquefois au lieu de balustres pour remplir les appuis évidés des tribunes, balcons, & rampes d'escalier. (P)


ENTREMETTEURS. m. dans le Commerce, est un médiateur qui intervient entre deux marchands, pour faciliter quelque marché ou négociation.

Les Commerçans se servent plus ordinairement du terme d'agent de change, si c'est pour des remises d'argent ou autres affaires de banque ; & de celui de courtier lorsqu'il s'agit d'achat ou de vente de marchandises. Voyez AGENT DE CHANGE & COURTIER. Dictionn. du Comm. de Trév. & Chambers. (G)


ENTREMISESS. f. (Marine) ce sont de petites pieces de bois, qui étant posées dans un vaisseau entre les autres, les tiennent sujettes & servent aussi à les renforcer. Voyez Pl. IV. fig. 1. n. 127. les entremises du second pont au milieu entre les caillebotis ; n. 148. entremises du gaillard derriere au milieu entre les caillebotis.

Entremises emmortoisées dans les équilletes, & regnant le long des serre-bauquieres.

Entremises se dit aussi de certaines pieces de bois qui sont posées entre les taquets ou fuseaux du cabestan, pour les tenir. (Z)


ENTREPOSERv. act. (Commerce) mettre des marchandises dans un magasin d'entrepôt. Voyez ENTREPOT. (P)


ENTREPOSEURS. m. (Comm.) commis qui a soin d'un magasin ou d'un bureau d'entrepôt.

L'auteur du dictionnaire de Commerce observe que ce terme est nouveau, & ne se trouve dans aucun acte public avant la déclaration du roi, du 10 Octobre 1723, qui accordant à la compagnie des Indes l'exploitation de la vente exclusive du caffé, porte qu'elle pourra établir des magasins, bureaux, & entrepôts, & y préposer tels receveurs, gardes-magasins, & entreposeurs, en tel nombre & dans telles villes & lieux qu'elle jugera nécessaires. Dict. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)


ENTREPOTS. m. (Commerce) lieu de réserve où l'on dépose quelque chose qui vient du dehors, & où on le garde pendant quelque tems pour l'en tirer & pour l'envoyer ailleurs.

Villes d'entrepôt, sont des villes dans lesquelles arrivent des marchandises pour y être déchargées, mais non pas vendues, & d'où elles passent aux lieux de leur destination, en les chargeant sur d'autres voitures, soit par terre soit par eau. Smyrne est la principale ville du Levant où les François, les Anglois, les Hollandois, & les autres nations font l'entrepôt de leurs magasins pour la Perse & les états du grand-seigneur. Batavia est l'entrepôt de la compagnie de Hollande, pour le commerce des Indes orientales. Nous avons en France plusieurs villes d'entrepôt, tant pour les marchandises qui viennent de l'étranger, que pour celles du royaume qui doivent passer dans les états voisins.

Commissionnaires d'entrepôt ; ce sont des facteurs qui résident dans les villes d'entrepôt, où ils ont soin de retirer les marchandises qui arrivent pour leurs commettans, & de les leur faire tenir. Voyez COMMISSIONNAIRE.

Magasin d'entrepôt, est un magasin établi dans quelques bureaux des cinq grosses fermes, en conséquence de l'ordonnance de 1664 & de celle de 1684, pour y recevoir les marchandises destinées pour les pays étrangers. Les villes où il y a de ces sortes de magasins sont la Rochelle, Ingrande, Roüen, le Havre-de-Grace, Dieppe, Calais, Abbeville, Guise, Troyes, & Saint-Jean de Losne. Les étrangers & les François ont également droit d'y interposer leurs marchandises, qui ne sont sujettes à aucun droit d'entrée & de sortie, pourvû qu'elles soient transportées hors du royaume dans six mois, par les mêmes lieux par lesquels elles sont entrées.

Ces magasins sont fermés à deux clés, dont une reste entre les mains du fermier, l'autre en celle d'un député des marchands. Pour y interposer des marchandises, les négocians ou voituriers doivent représenter leurs lettres de voiture ou connoissemens au commis, avec la déclaration en détail de ce qui est contenu dans les ballots & paquets, pour en être fait la vérification & être ensuite scellés & plombés. Aucune marchandise ne peut être interposée, à moins que la destination n'en soit faite par lesdites lettres de voiture & connoissemens, & ne peuvent être ensuite vendus dans le royaume, à peine de confiscation & de cinq cent livres d'amende.

Tout autre magasin d'entrepôt, hors ceux qui sont marqués ci-dessus, sont défendus dans les quatre lieues proche les frontieres de la ferme, & dans les huit lieues près de la ville de Paris, à peine de confiscation & de trois cent livres d'amende.

Entrepôt, se prend aussi pour une personne interposée. Ecrire par entrepôt, c'est écrire par le moyen d'une personne dont on est convenu avec son correspondant. Dictionn. du Comm. de Trév. & de Chambers. (G)


ENTREPRENDREv. act. (Gramm.) c'est en général se charger de la réussite d'une affaire, d'un négoce, d'une manufacture, d'un bâtiment, &c. La compagnie de l'Assiente a entrepris la fourniture des negres pour l'Amérique espagnole. Le sieur Cadeau est le premier qui ait entrepris en France la manufacture des draps façon de Hollande. Ce maître maçon a entrepris ce bâtiment, & doit le rendre la clé à la main. Voyez ENTREPRENEUR. (G)


ENTREPRENEURS. m. (Gramm.) il se dit en général de celui qui se charge d'un ouvrage : on dit un entrepreneur de manufactures, un entrepreneur de bâtimens, pour un manufacturier, un maçon. Voy. MANUFACTURIER, MAÇON.

ENTREPRENEUR EN BATIMENT, est celui qui se charge, qui entreprend, & qui conduit un bâtiment pour certaine somme, dont il est convenu avec le propriétaire, soit en bloc ou à la toise. (P)

ENTREPRENEUR, (Marine) c'est celui qui s'engage à faire fabriquer & fournir un vaisseau tout construit, aux termes d'un certain devis qui se fait entre lui & l'acheteur, pour le prix dont ils sont convenus. (Z)


ENTREPRISES. f. (Gramm.) c'est en général ou le dessein d'exécuter quelque chose, ou l'exécution même de ce dessein. On dit d'un homme, qu'il ne voit pas tous les dangers de son entreprise ; que son entreprise lui a réussi ; qu'il y a gagné cent mille écus. Entreprise, dans un autre sens, est synonyme à usurpation, comme dans ces phrases : la puissance civile peut former des entreprises sur la puissance ecclésiastique ; la puissance ecclésiastique peut former des entreprises sur la puissance souveraine. Le même terme a lieu, selon la même signification, dans les Arts & Métiers. Si les maîtres de quelque communauté s'immisçoient de faire des ouvrages qui fussent du ressort d'une autre communauté ; comme si les Orfévres vouloient débiter des pincettes de fer, ce qui appartient aux Serruriers ; ces sortes d'entreprises occasionneroient infailliblement de grandes contestations.

ENTREPRISE, (Art Milit.) c'est, à la guerre, la résolution que l'on prend d'exécuter quelqu'opération, comme de combattre, de faire un siége, &c.

" Quand une entreprise a été une fois résolue dans un conseil de guerre, il est d'une extrême conséquence que les officiers & les soldats même ignorent le pour & le contre ; car il y en a toûjours un fort grand nombre qui comptent les avis plutôt qu'ils ne les pesent. Souvent dans les conseils ce ne sont pas les plus sages qui sont les plus écoutés & qui décident ; mais ceux qui sont à la tête, à qui il est permis de faire & de dire tout ce qui leur plaît : outre que l'on a de l'éloignement dans ces sortes d'assemblées pour tout ce qui tend à éviter ou retarder le combat, de peur qu'on ne doute de leur courage. Il importe donc que ceux qui ont été d'un sentiment contraire, paroissent approuver ce qui s'y est déterminé, quelque mauvais qu'il puisse être, il faut qu'ils le maintiennent publiquement ; ce qui fait que le général, ou celui qui en est l'auteur, perd cette crainte que cause ordinairement le doute où l'on est de ne pas réussir ". Comment. sur Polybe, de M. le chevalier de Folard, tom. IV. pag. 162.

L'objet de l'auteur dans ces réflexions est d'empêcher, lorsqu'un général a une fois pris un parti qu'on croit dangereux, & dont on ne peut pas le distraire, de lui donner, ainsi qu'aux officiers & aux soldats de l'armée, aucune inquiétude sur l'évenement ; parce que, comme il l'observe avec beaucoup de raison, la vérité qui frappe, & à laquelle on se refuse, nous laisse souvent dans une suspension d'esprit & une espece de crainte de ne pas réussir, qui est toujours dangereuse. (Q)


ENTRERENTRER


ENTRETAILLE(S') S'ENTRE-COUPER, SE COUPER, (Manége, Maréchall.) termes synonymes. Voyez S'ENTRE-COUPER.


ENTRETAILLURES. f. (Manége, Maréchall.) c'est ainsi que quelques personnes appellent les écorchures, ou les érosions & les plaies, qui sont une suite des heurts & des frottemens du fer, ou du pié de l'animal contre le boulet de la jambe voisine de celle qui est en action, lorsqu'il chemine & qu'il s'entretaille (voyez S'ENTRE-COUPER). Ces blessures demandent à-peu-près le même traitement que celles qui naissent de l'enchevêtrure (voyez ENCHEVETRURE). Mais on doit avoir attention d'entourer & de garnir la partie blessée, d'un cuir capable de la défendre de l'impression des nouveaux coups que le cheval pourroit se donner en travaillant ; il est même nombre de gens qui pour prévenir l'entretaillure, ont à cet effet la précaution d'employer une espece de botte assez desagréable à la vûe, incommode pour les chevaux dans les commencemens, mais qui néanmoins est d'une réelle utilité. (e)


ENTRETENUadj. terme de Blason, il se dit de plusieurs clés & autres choses liées ensemble par leurs anneaux.

Clugny, en Bourgogne, d'azur à deux clés d'or, adossées en pals, & entretenues par le bas.


ENTRETOISES. f. (Charpent.) il se dit en général d'une piece de bois placée entre deux autres, & assemblée avec elles à tenon & mortoise.

L'entretoise forme chassis, & produit le même effet dans les ouvrages de charpente, que ce qu'on appelle traverse dans les ouvrages de menuiserie. Voyez l'article TRAVERSE.

ENTRETOISE, terme de Charron ; c'est un morceau de bois qui surmonte les deux moutons de derriere, qui y est enchâssé par des mortoises, & qui les tient en état. Voy. les figures de la Planche du Sellier.


ENTREVALS. m. (Jurisprud.) quasi intervallum, terme ancien qui se trouve dans quelques coûtumes pour exprimer l'espace qui est entre deux maisons. Voyez la coûtume de S. Sever, tit. de bâtir maisons, article 2. (A)


ENTREVAUX(Géog.) ville de Provence, en France ; elle est située sur le Var. Long. 24. 46. lat. 44. 1.


ENTURES. f. Voyez les articles ENTER & BAS AU METIER.

ENTURES, (Carrier) c'est ainsi qu'on appelle les différentes pieces de bois dont l'échelle des Carriers est composée. Le nombre des entures est d'autant plus grand, que la carriere est plus profonde ; la premiere des entures est la plus grande, elle a dix piés ; les autres sont moins hautes.


ÉNUMÉRATION(Art poëtique) Cette figure de Rhétorique est admirable en Poësie, parce qu'elle rassemble, dans un langage harmonieux, les traits les plus frappans d'un objet qu'on veut dépeindre, afin de persuader, d'émouvoir & d'entraîner l'esprit, sans lui donner le tems de se reconnoître. Je n'en citerai qu'un seul exemple, tiré de la tragédie d'Athalie.

Jehu, qu'avoit choisi sa sagesse profonde ;

Jehu, sur qui je vois que votre espoir se fonde,

D'un oubli trop ingrat a payé ses bienfaits.

Jehu laisse d'Achab l'affreuse fille en paix ;

Suit des rois d'Israël les prophanes exemples ;

Du vil dieu de l'Egypte a conservé les temples.

Jehu, sur les hauts lieux, osant enfin offrir

Un téméraire encens que Dieu ne peut souffrir,

N'a, pour servir sa cause & venger ses injures,

Ni le coeur assez droit, ni les mains assez pures.

Article de M(D.J.)

ENUMERATION, DENOMBREMENT, (Hist. anc.) l'action de compter ou de marquer le nombre des choses. Voyez NUMERATION.

Au tems de la naissance de Notre-Seigneur, César-Auguste avoit ordonné qu'on fît le dénombrement du monde, ou plûtôt du peuple de son empire ; quoique d'habiles auteurs croyent que ce census ou dénombrement, dont parle S. Luc, ne s'étendit pas sur tout l'empire, mais qu'il fut particulier à la Judée. Voyez Perizonius, de censu judaïco, & Berger, de viis militaribus.

On étoit à Rome dans l'usage de faire le dénombrement de toutes les familles. Ce fut Servius Tullius qui fit le premier, lequel ne se trouva comprendre que 80 mille hommes : Pompée & Crassus en firent un second, qui fut de 400 mille hommes : celui de César ne fut que de 100 mille hommes ; ainsi la guerre civile avoit fait périr 300 mille citoyens romains.

Sous Auguste, en l'an 725, les citoyens romains, dans toute l'étendue de l'empire, se trouverent monter à quatre millions soixante-trois mille. L'an 746 on fit encore le dénombrement des citoyens romains, qui se trouva monter à quatre millions deux cent trente-trois mille. L'an 766, qui fut le dernier de la vie d'Auguste, ce prince fit avec Tibere un autre dénombrement des citoyens romains, dont le nombre se trouva monter à quatre millions cent trente-sept mille personnes. Claude fit un nouveau dénombrement l'an 48 de Jesus-Christ ; & suivant le rapport de Tacite, les citoyens romains répandus dans tout l'empire, se trouvoient monter alors à six millions soixante-quatre mille, quoique d'autres représentent ce nombre comme beaucoup plus grand. Une médaille de Claude très-rare marque plus précisément le dénombrement fait par Claude, qu'elle appelle ostensio, & qu'elle fait monter à sept millions de personnes en état de porter les armes, sans parler des armées qui étoient sur pié, & qui montoient à cinquante légions, cinquante-sept cohortes & soixante soldats. Après cette énumération, nous n'en trouvons plus jusqu'à celle de Vespasien, qui a été la derniere. Voyez l'article DENOMBREMENT. Chambers. (G)


ENVELOPPES. f. (Gram.) se dit en général de tout ce qui sert de couverture artificielle à quelque chose ; ainsi le papier ou la toile qui sert à empaqueter & à couvrir des marchandises, en est une enveloppe. On appelle même papier d'enveloppe & toile d'enveloppe, certaines sortes de papier & de toile qui servent à cet usage.

ENVELOPPE : les arbres, les graines ont plusieurs enveloppes qui changent de dénomination.

ENVELOPPE, parmi les Boursiers, est le morceau de cuir qui couvre le bois d'une cartouche.


ENVELOPPÉES. f. ou SILLON, terme de Fortification, par lequel on exprime une espece d'ouvrage construit dans le fossé, pour en diminuer la largeur. Voyez SILLON. (Q)


ENVELOPPEMENT(Comm.) action d'envelopper. Ce terme n'est guere en usage.


ENVELOPPERv. act. c'est couvrir une chose d'une autre qui s'applique exactement sur la premiere, en conséquence de sa flexibilité. Il se dit au simple & au figuré.

ENVELOPPER, (Gramm.) c'est couvrir d'une enveloppe de papier, de toile ou de carton, pour conserver ou mettre en paquet.


ENVERGERv. act. chez les Boisseliers ; c'est garnir les soufflets de plusieurs verges ou baguettes de bois, qui sont courbées selon la forme des soufflets, & sur lesquelles s'applique le cuir qui les couvre.

ENVERGER, dans les Manufactures de soie ; c'est faire croiser les fils de soie sur ses doigts, de maniere que l'un ne puisse pas passer devant l'autre, pour les disposer ensuite sur des chevilles.

On enverge aussi les semples, le rame, le corps, &c. & le terme enverger n'a pas une acception autre, que quand il s'agit des fils de soie.

ENVERGER UNE CORDE, terme de Riviere ; c'est la porter au-dessus d'un pont, pour le passage d'un bateau. Il y a un officier envergeur de corde au pont-royal.


ENVERGEUREENVERGEURE

ENVERGEURE, terme de la Fabrique des étoffes de soie. Les envergeures sont de petits bouts de ficelle très-fine & très-douce, qui servent à enverger les chaînes avant de les lever de dessus l'ourdissoir.

Le même mot se dit aussi des ficelles de soie ou de fil qu'on passe dans les deux séparations des fils de soie, &c. quand on les a envergés.


ENVERGUERENVERGUER


ENVERGURES. m. (Marine) c'est la position ou l'assortiment des vergues avec les mâts & les voiles. Ce mot se dit aussi de la largeur des voiles ; ce qui s'entend par navire qui a beaucoup d'envergure, & navire qui a peu d'envergure. (Z)


ENVERSS. m. (Gramm.) On donne généralement ce nom à la face la moins belle ou la moins commode dans tout ouvrage où l'on distingue deux faces, dont l'une est ou plus belle ou plus commode que l'autre ; ainsi le drap a son envers, dont le côté opposé s'appelle l'endroit. S'il arrive que l'ouvrage soit aussi beau ou aussi commode à l'envers qu'à l'endroit, alors on dit qu'il a deux envers. On diroit plus exactement qu'il est sans envers, ou qu'il a deux endroits.


ENVERSAINS. m. (Manufact. en drap) étoffes qu'on nomme autrement cordillats de Crest. Voyez CORDILLATS.


ENVIES. f. (Morale) inquiétude de l'ame, causée par la considération d'un bien que nous desirons, & dont joüit une autre personne.

Il résulte de cette définition de M. Locke, que l'envie peut avoir plusieurs degrés ; qu'elle peut être plus ou moins malheureuse, & plus ou moins blâmable. En général elle a quelque chose de bas, car d'ordinaire cette sombre rivale du mérite ne cherche qu'à le rabaisser, au lieu de tâcher de s'élever jusqu'à lui : froide & seche sur les vertus d'autrui, elle les nie, ou leur refuse les loüanges qui leur sont dûes.

Si elle se joint à la haine, toutes deux se fortifient l'une l'autre, & ne sont reconnoissables entr'elles, qu'en ce que la derniere s'attache à la personne, & la premiere à l'état, à la condition, à la fortune, aux lumieres ou au génie. Toutes deux multiplient les objets, & les rendent plus grands qu'ils ne sont ; mais l'envie est en outre un vice pusillanime, plus digne de mépris que de ressentiment.

Sans rassembler ici ce que les auteurs ont dit d'excellent sur cette passion, il suffiroit pour se préserver de sa violence, de considérer l'envieux dans ses chagrins, ses ressources, & ses délices.

Les objets qui donnent le plus de satisfaction aux ames bien nées, lui causent les plus vifs déplaisirs, & les bonnes qualités de ceux de son espece lui deviennent ameres : la jeunesse, la beauté, la valeur, les talens, le savoir, &c. excitent sa douleur. Triste état, d'être blessé de ce que l'on ne peut s'empêcher de goûter & d'estimer intérieurement !

Les ressources de l'envie se bornent à ces petites taches & à ces legers défauts qui se découvrent dans les personnes les plus illustres.

Sa joie & ses délices sont à-peu-près semblables à celles d'un géant de roman, qui met sa gloire à tuer des hommes, pour orner de leurs membres les murailles de son palais.

On ne sauroit trop présenter les malheureux effets de l'envie, lorsqu'elle porte les gens en place à regarder comme leurs rivaux & comme leurs ennemis, ceux dont les conseils pourroient les aider à remplir leur ambition. Agésilas, en mettant Lysandre à la tête de ses amis, fournit un exemple sensible de sa sagesse.

L'envie est particulierement la ruine des républiques. Tandis que les Achéens ne porterent point d'envie à celui qui étoit le premier en mérite, & qu'ils lui obéirent, non-seulement ils se maintinrent libres au milieu de tant de grandes villes, de tant de grandes puissances, & de tant de tyrans, mais de plus par cette sage conduite ils affranchirent & sauverent la plûpart des villes greques.

Quoi qu'il en soit des effets de l'envie contre les gens vertueux dans toutes sortes de gouvernemens, Pindare dit avec raison que pour l'appaiser il ne faut pas abandonner la vertu ; ce seroit acheter trop cher la paix avec cette passion lâche & maligne, d'autant plus qu'elle illustre son objet, lorsqu'elle travaille à l'obscurcir : car à mesure qu'elle s'acharne sur le mérite supérieur qui la blesse, elle rehausse l'éclat de l'hommage involontaire qu'elle lui rend, & manifeste davantage la bassesse de l'ame qu'elle domine. C'est ce qui faisoit dire à Thémistocle qu'il n'envioit point le sort de qui ne fait point d'envieux ; & à Cicéron, qu'il avoit toûjours été dans ce sentiment, que l'envie acquise par la vertu, étoit de la gloire. Article de M(D.J.)

ENVIE, (Medec.) . Cette affection de l'ame, qui consiste dans une maligne tristesse que l'on ressent en considérant les avantages d'autrui, soit par rapport aux qualités de l'esprit, soit par rapport à la fortune, cette basse & vile passion, qui rend l'humeur chagrine, & n'occupe que de choses qui paroissent très-desagréables & très-fâcheuses, relativement à son objet, peut être tellement excessive, qu'elle constitue une sorte de délire mélancolique, & qu'elle peut produire les mêmes effets que cette maladie, & sur-tout la maigreur, l'atrophie ; parce que les envieux sont rêveurs, éprouvent des ennuis mortels, des agitations continuelles, des insomnies ; perdent l'appétit, & tombent dans un état de langueur qui est le plus souvent accompagné de fievre lente, &c. C'est ce que donne à entendre fort judicieusement la description que font les poëtes de l'envie. Entr'autres traits qui la caractérisent, selon eux, c'est un serpent qui lui ronge le sein. Ils donnent à entendre par-là que si elle fait du mal, elle n'en ressent pas moins, & qu'elle porte renfermé en elle-même le supplice de sa méchanceté.

Lorsque l'envie est poussée à ce degré qui la rend si nuisible à l'économie animale, qu'elle peut être regardée comme une vraie maladie, il faut la traiter comme l'affection hypocondriaque. Les bains domestiques, les eaux minérales, le laitage, les anodins, peuvent produire de bons effets ; mais à ces remedes physiques il convient de joindre les remedes moraux, que la philosophie & la religion fournissent, pour tâcher de guérir l'esprit en même tems que l'on travaille à changer la disposition du corps : sans ceux-ci, ceux-là sont ordinairement inefficaces. Voyez MELANCOLIE, MANIE, & autres affections spirituelles.

ENVIE, en sous-entendant déréglée : est aussi le nom que l'on donne communément à la dépravation du sentiment, qui porte naturellement l'homme à manger, à user des choses qui doivent servir à sa nourriture. Cette dépravation consiste dans un desir immodéré de prendre des alimens solides ou fluides d'une espece particuliere, de bonne ou de mauvaise qualité, qui ne sont pas d'usage ou de saison, préférablement à tous autres ; ou d'employer comme alimens, des matieres absurdes, nuisibles par elles-mêmes, par la disposition des personnes qui en usent. Cet appétit dépravé a reçû indistinctement de quelques auteurs, tel que Riviere, le nom de pica, & celui de malacia.

Les affections désignées par ces différens termes, ne different, selon eux, que par l'intensité & la durée. D'autres sont d'avis avec Sennert, qu'il convient de distinguer deux especes de dépravations de l'appétit ; d'appeller pica celle qui excite ceux qui en sont affectés, tant hommes que femmes, à manger des choses d'une nature absolument différente, & contraire même à celle des alimens, comme de la craie, des charbons, des excrémens, &c. & de donner le nom de malacia à celle qui affecte plus particulierement les femmes grosses, & ne leur fait souhaiter de manger que des choses ordinaires & de bonne qualité ; mais avec une ardeur & une impatience à se les procurer, qui tiennent de la passion, & qui sont quelquefois si démesurées, que celles qui éprouvent ces sentimens, tombent dans la langueur & dans l'abattement de corps & d'esprit, qui dégénere en une vraie mélancolie ; ou qu'elles sont agitées par ce violent desir, au point de faire une fausse couche si elles ne sont pas satisfaites.

La dépravation d'appétit de la premiere espece, est commune parmi les filles & les femmes ; les enfans des deux sexes y sont fort sujets : les hommes en sont très-rarement affectés. Il ne conste presque par aucun exemple que les vieillards ayent éprouvé cette sorte d'indisposition. On ne voit guere que les femmes grosses qui ayent des envies passionnées pour certains alimens plûtôt que pour d'autres, ce qui leur arrive ordinairement pendant les premiers mois de la grossesse ; mais elles ne sont pas moins sujettes au vice d'appétit de la premiere espece, pour lequel elles ont une disposition qui leur est commune avec toutes les personnes de leur sexe.

Le sentiment naturel qui nous porte à prendre la nourriture convenable pour corriger le vice que contractent nos humeurs, lorsqu'elles ne sont pas renouvellées, & pour réparer les pertes qui se font par l'action de la vie, tant des parties solides que des parties fluides de notre corps ; ce sentiment qui sert le plus à exciter nos sens pour la conservation de notre individu, nous fait avoir naturellement en horreur tout ce qui est connu de nature à pouvoir nuire à l'économie animale, étant pris en forme d'alimens ; & il nous fait aussi répugner à manger des choses qui ne sont pas d'usage, dans la crainte qu'elles ne soient pas salutaires : ainsi le sentiment contraire, qui porte à faire usage des choses absurdes, de mauvaise qualité, ou de celles que l'on n'employe pas ordinairement pour se nourrir, ne peut pas être produit par une disposition naturelle des organes, dont la fonction est d'exciter à manger. On ne peut pas même attribuer la cause prochaine de la dépravation de l'appétit, au vice des humeurs salivaires, stomacales, & autres de telle ou de telle nature, parce qu'il est certain que ce vice supposé, de quelque nature qu'il puisse être, ne peut suffire pour déterminer par lui-même cette dépravation, telle que l'observation l'a fait connoître, sans qu'il s'y joigne une autre condition essentielle pour l'établir.

Lorsqu'il s'est passé un certain tems depuis que l'on a pris de la nourriture, on se sent porté à en prendre de nouveau. L'homme le plus appliqué à l'étude, occupé des plus profondes méditations, peut à la vérité s'abstenir de manger pendant un tems considérable ; mais il éprouve enfin, même contre son gré, & quelque résolution qu'il ait formée de prolonger encore l'abstinence, l'aiguillon de la faim qui le presse, l'inquiete, l'importune par quelque cause que ce soit, jusqu'à-ce qu'il ait pris des alimens. Le corps, la machine ont des droits dont il n'est pas au pouvoir de la volonté de les frustrer. Voyez FAIM.

Cependant, quel que puisse être le vice des organes ou des sucs digestifs, soit dans la bouche, soit dans l'estomac, qui concourent à exciter ce sentiment salutaire, il pourra bien former une cause déterminante de la dépravation de l'appétit, mais il ne sera pas suffisant pour la produire immédiatement. Il n'y a vraisemblablement que la lésion de l'imagination (d'où naît un desir ardent de telle ou telle chose, absurde, nuisible, ou de quelqu'aliment de bonne qualité, mais qui n'est pas de saison, qu'il est souvent impossible de trouver) que l'on puisse regarder comme la cause prochaine de ce vice dans la faculté concupiscible. L'expérience de personnes qui ont été affectées de cette indisposition, l'observation que l'on a faite de ce qui peut la produire, prouvent constamment que l'on ne peut en imputer la cause efficiente qu'à la lésion de l'imagination.

Il est souvent arrivé à des personnes susceptibles de la dépravation d'appétit, d'en contracter le vice & l'habitude même, d'après une trop forte application à considérer dans un tableau quelque chose qui pût être l'objet de cette dépravation. On ne peut pas dire avec fondement, que dans ce cas l'humeur viciée reflue dans la bouche ou dans l'estomac, précisément à cause de l'attention que l'on donne à regarder une peinture. On ne peut pas dire non plus que la cause de cette affection est engendrée subitement à cette occasion, si on la fait consister dans le vice de quelqu'humeur ou de quelqu'organe que ce puisse être ; l'imagination ne s'est tournée à desirer ardemment telle ou telle chose, que conséquemment à ce que cette chose lui a été présentée dans ce tableau. Il ne paroît pas que l'on puisse rendre autrement raison de ce phénomene, d'autant plus que ce desir immodéré des choses absurdes ou autres, qui constitue la dépravation de l'appétit, subsiste quelquefois pendant long-tems, comme un objet fixe de délire, qui détourne l'esprit de toute autre pensée, qui ne l'occupe que de la chose désirée, soit pour se la procurer, soit pour s'en fournir & en continuer l'usage ; ensorte que cette affection peut se faire sentir presque sans relâche, ou au moins par des retours très-fréquens.

Elle est tellement de la nature des maladies qui dépendent principalement du vice de l'imagination, que l'on a souvent guéri des personnes qui avoient l'appétit dépravé, en éloignant soigneusement tout ce qui pouvoit rappeller ou fixer l'idée de l'objet de cet appétit ; en évitant même d'en faire mention, & en ne présentant que de bons alimens qui pûssent effacer l'idée des mauvais dont on étoit occupé.

On ne doit pas être surpris de voir les femmes surtout très-sujettes à cette espece de maladie spirituelle, si l'on fait attention à ce qu'elles ont des organes beaucoup plus délicats & plus sensibles que les hommes ; qu'elles menent ordinairement une vie plus sédentaire ; qu'elles ont l'imagination plus vive ; qu'elles éprouvent pour la plûpart de fréquens dérangemens dans leurs fonctions, à cause du flux menstruel, dont la diminution & la suppression, soit à l'égard des filles par maladie, soit à l'égard des femmes par la grossesse, font des changemens dans la circulation du sang, qui, après avoir croupi dans les vaisseaux utérins, reflue dans la masse des humeurs, s'y mêle, & la corrompt de maniere qu'il s'ensuit bien des troubles dans l'économie animale, que l'on ne sauroit attribuer à la seule quantité du sang excédente par le défaut d'évacuation périodique, puisque les saignées répetées, qui en enlevent plus qu'il n'en est retenu de trop, ne font pas le plus souvent cesser ces desordres. Voyez OPILATION, GROSSESSE.

Il résulte par conséquent de toutes ces dispositions, que les personnes du sexe sont plus susceptibles d'engendrer de mauvaises humeurs, & de fournir matiere aux causes déterminantes & prochaines qui peuvent produire la dépravation de l'appétit. C'est dans cette idée que Riviere dit que les humeurs dominantes peuvent être de nature à déterminer la fantaisie à desirer des choses absurdes, &c. ainsi il semble par-là reconnoître les mêmes causes des envies, que celles qui viennent d'être établies.

Si quelques hommes se trouvent avoir les dispositions approchantes de celles que l'on observe dans les femmes, ils sont aussi sujets qu'elles à l'affection dont il s'agit ; c'est pourquoi on en a vû d'un tempérament délicat ressentir comme elles tous les effets de la dépravation de l'appétit. C'est par la même raison que quelques jeunes garçons ont aussi des envies, des fantaisies de manger certains alimens, ou autres choses qu'ils prennent comme alimentaires : mais il n'est pas aussi aisé de rendre raison d'un pareil vice dans les vieillards, qui n'est pas sans exemple : on en trouve un entr'autres dans Manget, Bibl. med. pract. tom. III. à l'égard d'un artisan d'un âge assez avancé, à qui il étoit arrivé plusieurs fois d'éprouver une dépravation d'appétit bien marquée, & des vomissemens très-fréquens & très-fatiguans, toutes les fois que sa femme devenoit enceinte. Ces symptomes ne pouvoient être vraisemblablement qu'une suite de la lésion de l'imagination de cet homme, dont la sensibilité sur l'état de sa femme, qui étoit sans-doute la premiere affectée, changeoit la disposition des fibres de son cerveau, & établissoit la cause prochaine d'une sorte de délire mélancolique concernant les alimens, tel que celui de sa femme. Il n'est pas d'ailleurs rare, quant au vomissement de cet homme, que des personnes se sentent des nausées & vomissent même en voyant vomir quelqu'un.

La dépravation de l'appétit peut être facilement distinguée de toute autre maladie, par les signes caractéristiques mentionnés dans la définition de cette maladie, sous le nom d'envie. La différence des especes de cette affection a aussi été suffisamment établie au commencement de cet article : ainsi lorsque des femmes grosses n'ont des envies que pour des alimens d'usage ordinaire, cette dépravation d'appétit, qui ne consiste que dans le desir immodéré, & souvent hors de saison, de ces alimens, doit être distinguée, par le nom de malacie, du violent desir des choses absurdes, qui constitue la maladie appellée pica : celle-là se change souvent en celle-ci. En effet, on voit journellement des femmes enceintes qui ont les fantaisies les plus singulieres : plusieurs souhaitent de mordre des animaux, d'étrangler des oiseaux avec les dents ; quelques-unes mangent même des animaux vivans. Drincavel rapporte de sa mere, qu'elle avoit mangé des écrevisses crues. Forestus, liv. VIII. obs. 7. fait mention de plusieurs femmes enceintes, qui avoient dévoré des anguilles vivantes : il parle aussi d'une qui avoit mangé toute la peau d'une brebis, avec sa laine. Il est même arrivé, selon Langius, lib. II. epist. 12. qu'une femme grosse avoit eu une forte envie de mordre le bras d'un jeune boulanger, & qu'il avoit fallu la satisfaire, à quelque prix que ce fût, pour éviter qu'elle ne se blessât. Une autre, selon le même auteur, avoit eu une fantaisie de cette espece, bien plus violente encore ; c'étoit de se nourrir de la chair de son mari : quoiqu'elle l'aimât tendrement, elle ne laissa pas de le tuer, pour assouvir son cruel appétit ; & après avoir mangé une partie de son corps, elle sala le reste, pour le conserver & s'en rassasier à plusieurs reprises. Ce sont là des exemples très-rares, au moins, s'ils sont bien certains.

Mais ce qui arrive plus communément, c'est que les femmes grosses ayent des envies de manger des choses absurdes & nuisibles, telles que du poivre en grande quantité. Nicolas Florentin, sermon. V. tract. IV. cap. xxxvj. dit en avoir vû une qui en avoit mangé près de vingt livres, sans que cet excès la fît avorter : d'autres mangent du linge, de la chaux, du cuir, des excrémens mêmes, selon l'observation de Borelli, cent. III. observ. 2. d'autres des cendres, du charbon, de la craie, du sel, du vinaigre, &c. & ne prennent aucun bon aliment avec goût, pendant qu'elles usent avec avidité de ces différentes ordures.

La plûpart de ces choses sont aussi l'objet de l'appétit dépravé des filles ; mais il est rare qu'elles soient aussi excessives dans leurs désirs déréglés que les femmes grosses : la dépravation de l'appétit dans les filles est toûjours accompagnée d'un vice des humeurs, qui peche par sa quantité ou par sa qualité, qui dispose le plus souvent à la suppression des régles, ou en est une suite. Ce vice est différent, selon la différence des objets absurdes de l'appétit dépravé ; ce vice dominant se fait connoître par les nausées, les vomissemens, les douleurs que les personnes affectées rapportent à l'estomac, la pâleur du visage, & autres symptomes qui dépendent de ce vice, dont il n'est d'ailleurs pas possible de déterminer précisément la nature particuliere, qui fait varier le goût pour les différentes matieres qui font l'objet de l'appétit dépravé.

Il est plus aisé de juger des suites que peut avoir cette affection, & de prévoir si elle se terminera par le rétablissement de la santé, ou par la mort ; si elle dégénérera en quelqu'autre maladie. Lorsqu'elle est simple, il n'y a rien à en craindre, quand même elle auroit duré depuis long-tems. Les obstructions, la cachexie, les pâles-couleurs, l'hydropisie, la fievre lente, &c. sont les maladies auxquelles elle se trouve souvent jointe, & qu'elle peut aussi produire par les effets de la mauvaise nourriture. Les femmes enceintes sont ordinairement délivrées du malacia, & même du pica, environ le quatrieme mois de leur grossesse ; parce que l'enfant qu'elles portent dans leur sein, a acquis alors assez d'accroissement pour consumer toute la partie surabondante des humeurs qui se portent à la matrice ; par conséquent elle n'est plus dans le cas d'y engorger les vaisseaux, d'y croupir, de refluer dans la masse & d'y produire les mauvais effets mentionnés. Si la dépravation de l'appétit subsiste au-delà du quatrieme mois, elle devient dangereuse, parce qu'elle dépend d'une autre cause que la simple grossesse, & qu'elle prive le foetus de la nourriture ; alors elle ne peut qu'être extrèmement nuisible à la mere & à l'enfant. On a vû différentes sortes d'envies terminées par la mort : mais, dans ces cas, elles n'étoient pas simples ; elles n'étoient que des symptomes de maladies plus considérables, qui sont devenues mortelles, sans qu'on pût en accuser les envies dont elles étoient accompagnées.

On doit en général se proposer deux objets dans la curation de l'appétit dépravé ; savoir, de corriger l'erreur de l'imagination, & le vice dominant du corps : si c'est l'esprit qui est le plus affecté, le médecin doit y faire beaucoup d'attention, & s'appliquer particulierement à le remettre en bon état, par des remedes moraux : s'il y a indice de mauvais sucs abondans dans les premieres ou dans les secondes voies, on doit faire ensorte qu'ils soient évacués, ou qu'ils changent de qualité & s'améliorent : il faut presque toujours, dans cette affection, traiter en même tems le corps & l'esprit. Après avoir employé les remedes généraux, selon qu'ils sont indiqués, on doit ensuite avoir recours aux altérans appropriés au vice dominant des humeurs ; & comme elles sont le plus souvent épaisses, grossieres & disposées à former des obstructions, on fait usage avec succès de legers apéritifs, rendus plus actifs par degré, sous différentes formes. Les eaux minérales, celles de Balaruc, surtout, comme purgatives, & celles de Vals comme altérantes, ou toutes autres de nature approchante, sont très-recommandées dans ce cas. Si le sang peche par acrimonie, comme lorsqu'il a contracté ce vice par l'usage excessif, qui a précédé, du poivre, du sel, de la chaux, & autres choses semblables, après avoir rempli les préalables convenables, on doit employer les humectans, les rafraichissans & les adoucissans, auxquels on pourra associer efficacement les legers apéritifs, les laitages, & les eaux minérales acidules.

Au reste, on doit avoir beaucoup égard dans le traitement de la dépravation de l'appétit, à la différence de l'âge, du sexe & du tempérament des personnes qui en sont affectées. Il est de la prudence du medecin de varier les remedes, conséquemment à ces diversités ; & dans le cas où cette affection ne dépend que de la grossesse, il doit se tenir oisif, ou au moins ne donner des secours qu'avec un extrème ménagement ; car il y a à craindre qu'en travaillant à guérir le pica ou le malacia des femmes grosses, on ne leur fasse faire des fausses couches, comme il est arrivé quelquefois : d'ailleurs il est très-rare que les choses dont elles usent, pour satisfaire leur appétit dépravé, leur soient nuisibles, selon ce que montre l'expérience journaliere.

On peut presque dire la même chose des filles, dont les envies ridicules les portent à manger des choses si peu propres à être digérées, qui ne paroissent cependant pas produire les mauvais effets qu'elles produiroient, si elles en mangeoient en santé de même qualité, ou en aussi grande quantité : elles prennent avec une extrême avidité du mortier, des scories de fer, ou seulement des croûtes de pain en abondance. Tout cela est extrèmement sec ; cependant quelques-unes ne boivent presque point, pour détremper ces matieres dans l'estomac : c'est que ce viscere est plus copieusement abreuvé dans ces cas des sucs salivans, que dans l'état naturel ; ce qui supplée au défaut de la boisson, dissout ces matieres concressibles, & les empêche de se former en masse, qui sortiroit difficilement du ventricule, le tirailleroit par son poids, le blesseroit par ses aspérités, & produiroit les mêmes effets dans les boyaux, si elle pouvoit y être portée en détail. Ces filles, ainsi affectées, n'ont de l'appétit que pour des choses de cette espece, & leur appétit est excessif à cet égard : ce dont elles se rassasient semble en être le remede ; car celles qu'on empêche de se satisfaire, en suivant leur goût dépravé, ne sont que très-difficilement guéries, & l'auroient été beaucoup plûtôt, si on les avoit laissées libres à cet égard.

Boerhaave rapporte, praelect. in instit. §. 803. qu'un habitant d'Amsterdam, extrèmement riche, qui avoit un dégoût insurmontable pour toutes sortes d'alimens, & menoit une vie misérable avec tous ses biens, les remedes n'étant d'aucun effet, eut enfin idée de manger des anchois ; il s'en rassasia, & recouvra la santé. Les poules, qui ne se nourrissent que de grains, engendrent beaucoup d'acides ; ce qui les porte à manger souvent du gravier, & elles périssent si elles n'en trouvent pas : la raison en est évidente. Les enfans & les filles cachectiques débiles, sont fort sujets à engendrer des sucs acides dans les premieres voies ; c'est ce qui les porte naturellement à manger des matieres terreuses, cretacées, & autres propres à absorber les acides & à en corriger la mauvaise qualité, en faisant par ce mélange un corps neutre : & ces matieres ne nuisent point, tant que l'acide est le vice dominant. Les Medecins se proposent la même indication à remplir, lorsqu'ils employent les absorbans, surtout dans les maladies des enfans, &c. Tout cela prouve que les envies, qui portent à manger des choses qui paroissent si absurdes, sont causées par quelque humeur dominante, dont le vice est d'une nature souvent inconnue, qui ne peut être corrigé que par les choses mêmes qui font l'objet de l'appétit dépravé. C'est sur ce fondement qu'Hippocrate recommande aux Médecins d'avoir égard aux fantaisies des malades pour des choses absurdes, quoiqu'elles paroissent contraires au caractere de la maladie.

Au reste, le pica & le malacia des filles & autres, étant presque toûjours un symptome de quelque maladie principale, comme des obstructions, des suppressions des regles, des pâles-couleurs, ils doivent être traités conformément à la cause de la maladie dont ils dépendent. Voyez OBSTRUCTION, SUPPRESSION, PALES-COULEURS.

On a vû des personnes avoir des envies de choses qui ne sont point relatives à la nourriture. Salmuth, observ. fait mention d'une espece de pica, dans lequel ceux qui en étoient affectés souhaitoient & se procuroient ardemment de voir des choses blanches, & étoient tristes, mélancoliques, sans appétit, lorsqu'ils ne pouvoient pas se satisfaire. Ceux qui ont été piqués de la tarentule ont aussi des fureurs pour certaines couleurs : ils ont quelquefois la passion de se rouler dans la boue, de courir, de battre, &c. les danses, les divertissemens dissipent, dans ces cas, ces sortes de fantaisies. Certaines filles ont la passion d'aimer les mauvaises odeurs, comme celle des cuirs tannés, moisis, de la fumée de la chaux, de la poussiere des cendres. M. de Sauvages parle, dans ses classes de maladies, d'un homme d'esprit, qui étant affecté de mélancolie, s'occupoit principalement à compter le nombre des escaliers, des carreaux de vitre, des briques & autres choses semblables : il ne cessoit de répéter cette opération, & il s'y portoit avec passion ; c'étoit-là son envie.

Ce mot se dit aussi des taches ou autres choses contre nature qui paroissent sur le corps des enfans nouveaux-nés, que l'on attribue au pouvoir de l'imagination des femmes enceintes, d'imprimer sur le corps des enfans renfermés dans leur sein, les figures des objets qui les ont frappées particulierement, ensuite des fantaisies qu'elles ont eues pour certaines choses, sans pouvoir se satisfaire ; ce qui a fait donner proprement le nom d'envie à ces défectuosités. C'est mal-à-propos qu'elles sont nommées ainsi, lorsqu'elles sont réputées une suite de la crainte, de la frayeur, ou de tout autre sentiment de l'ame, qui n'est point agréable : ces marques sont appellées des Latins d'une maniere plus générique, naevi, & des Grecs . Voyez FOETUS, GROSSESSE, IMAGINATION. (d)

* ENVIE, (Myth.) Les poëtes grecs & romains en ont fait une divinité infernale : ils ont dit qu'elle avoit les yeux louches, le corps décharné, le front pâle, l'air inquiet, la tête coiffée de serpens, &c.


ENVIEUXJALOUX, synon. Voici les nuances par lesquelles ces mots different. 1°. On est jaloux de ce qu'on possede, & envieux de ce que possedent les autres : c'est ainsi qu'un amant est jaloux de sa maîtresse, un prince jaloux de son autorité. 2°. Quand ces deux mots sont relatifs à ce que possedent les autres, envieux dit plus que jaloux : le premier marque une disposition habituelle & de caractere ; l'autre peut désigner un sentiment passager : le premier désigne aussi un sentiment actuel plus fort que le second. On peut être quelquefois jaloux sans être naturellement envieux ; la jalousie, surtout au premier mouvement, est un sentiment dont on a quelquefois peine à se défendre : l'envie est un sentiment bas, qui ronge & tourmente celui qui en est pénétré. (O)


ENVOIS. m. (Gramm.) action par laquelle on fait transporter une chose d'un lieu à un autre. On dit faire un envoi de marchandises par terre ou par eau, faire un envoi de lettres de change par un courier ou par un exprès. (G)


ENVOIE(Marine) terme de commandement que l'on fait au timonnier de pousser la barre du gouvernail, pour mettre le vaisseau vent devant. (Z)


ENVOILER(s') v. pass. (Art. méchan.) il se dit de tout corps qui venant à se tourmenter, se fléchit, & dont les parties qui étoient auparavant dans un même plan, se trouvent dans des plans différens. S'envoiler est synonyme à se déjetter ; les planches s'envoilent par l'action de l'humidité, les lames se déjettent à la trempe.


ENVOYÉadj. pris subst. (Hist. mod.) se dit d'une personne députée ou envoyée exprès pour négocier quelque affaire avec un prince étranger ou quelque république. Voyez MINISTRE.

Les ministres qui vont de la cour de France ou de celle d'Angleterre, à Genes, vers les princes d'Allemagne, & autres petits princes & états, n'ont point la qualité d'ambassadeurs, mais de simples envoyés. Joignez à cela que ceux que quelques grands princes envoyent à d'autres de même rang, par exemple l'Angleterre à l'empereur, n'ont souvent que le titre d'envoyé, lorsque le sujet de leur commission n'est pas fort important. Voyez AMBASSADEUR.

Les envoyés sont ou ordinaires ou extraordinaires. Voyez ORDINAIRE & EXTRAORDINAIRE.

Les uns & les autres joüissent de toutes les prérogatives du droit des gens aussi-bien que les ambassadeurs, mais on ne leur rend pas les mêmes honneurs. La qualité d'envoyé extraordinaire, suivant l'observation de Wiquefort, est très-moderne, & même beaucoup moins ancienne que celle de résident. Les ministres qui en ont été revêtus, ont voulu d'abord se faire considérer presque comme des ambassadeurs, mais on les a mis depuis sur un autre pié.

La cour de France en particulier déclara en 1654, qu'on ne feroit plus à ces ministres l'honneur de leur donner les carrosses du roi & de la reine pour les conduire à l'audience, & qu'on ne leur accorderoit plus divers autres honneurs.

Justiniani, le premier envoyé extraordinaire de la république de Venise à la cour de France, depuis que les honneurs y ont été réglés, prétendit se couvrir en parlant au roi, & cela lui fut refusé. Le roi déclara même à cette occasion qu'il n'entendoit point que l'envoyé extraordinaire qui est de sa part à Vienne fût regardé autrement qu'un résident ordinaire. Depuis ce tems, on a traité de la même maniere ces deux especes de ministres. Voyez Wiquefort, Chamb. & le dictionn. de Trévoux. (G)


ENVOYERv. act. (Gramm.) faire l'envoi dune chose. La compagnie des Indes envoye tous les ans un certain nombre de vaisseaux à Pondichery.


ENYALIUS(Mythol.) surnom qu'on donnoit à Mars, fils de Bellone, qu'on appelloit aussi Enyo.


EOLE(Mythol.) c'est le roi, ou pour mieux dire le dieu des vents ; car, suivant la remarque du P. Sanadon, les vents paroissent dans la Mythologie comme des especes de petits génies, volages, inquiets & mutins, qui semblent prendre plaisir à bouleverser l'univers. Ce sont eux qui ont donné entrée à la mer au milieu des terres, qui ont détaché quantité d'îles du continent, & qui ont causé une infinité d'autres ravages dans la nature.

Pour prévenir de pareilles entreprises dans la suite, la fable les resserra dans de certains pays, particulierement dans les îles éoliennes, aujourd'hui les îles de Lipari, entre l'Italie & la Sicile ; & en conséquence la même fable leur donna un roi nommé Eole.

Ce nouveau monarque, ou plûtôt ce nouveau dieu, a joüé un grand rôle dans la Poësie, pour élever les tempêtes, ou pour les calmer. Ulysse s'adresse à lui dans Homere, pour en obtenir une heureuse navigation : mais dans Virgile, la reine même des dieux ne dédaigne pas d'implorer son secours, pour traverser l'établissement de la colonie troyenne en Italie, & l'on peut dire que le roi des vents a la gloire de commencer le noeud de cette grande action dans l'Eneïde.

C'est lui qui, dans un antre vaste & profond, tient tous les vents enchaînés, il les gouverne par sa puissance ; & se tenant assis sur la montagne la plus haute, il appaise à sa volonté leur furie, s'oppose à leurs efforts, les arrête dans leurs prisons, ou les met en liberté : s'il cessoit un moment de veiller sur eux, le ciel, la terre, la mer, tous les élémens seroient confondus.

............................. Celsâ sedet Oeolus arce

Sceptra tenens, mollitque animos, & temperat iras.

Ni faciat, maria, ac terras, coelumque profundum

Quippe ferant rapidi secum, verrantque per auras.

Aeneid. lib. I. v. 52. & sequ.

Junon, pour l'engager à servir sa colere, lui offre en mariage une des quatorze nymphes de sa suite, & la plus belle de toutes, en un mot Déjopée :

Sunt mihi bis septem praestanti corpore nymphae :

Quarum, quae formâ pulcherrima, Dejopeiam

Connubio jungam stabili, propriamque dicabo :

Omnes ut tecum meritis pro talibus annos

Exigat, & pulchrâ faciat te prole parentem.

A ces mots, Eole enfonce sa lance dans le flanc de la montagne, & l'entr'ouvre : tous les vents à l'instant sortent impétueusement de leurs cavernes, & se répandent sur la terre & sur la mer :

Haec ubi dicta, cavum conversâ cuspide montem

Impulit in latus. At venti, velut agmine facto,

Quâ data porta, ruunt, & terras turbine perflant.

Alors s'éléve une tempête affreuse, dont il faut lire la peinture admirable dans le poëme même, car elle n'a point de rapport direct à cet article. Voyez encore sur Eole, Diodore de Sicile, lib. V. Strabon, lib. I. Ovide, Métamorph. lib. XI. Pline, lib. III. c. jx. Bochard, l'abbé Banier, les dictionn. de Mythologie, &c. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EOLIou EOLIDE, s. f. (Géogr.) contrée de l'Asie mineure, qui s'appella Mysie, avant que les Eoliens vinssent l'habiter & lui donner leur nom. Elle est située sur la mer Egée, au midi de la Troade, & au septentrion de l'Ionie, entre ces deux pays.


EOLIEou EOLIQUE, adj. (terme de Gramm.) nom d'un des cinq dialectes de la langue grecque. Voy. GREC & DIALECTE.

Il fut d'abord en usage dans la Béotie, d'où il passa en Eolie. C'est dans ce dialecte que Sapho & Alcée ont écrit.

Le dialecte éolien rejette sur-tout l'accent rude ou âpre. Du reste il s'accorde en tant de choses avec le dorique, qu'on ne fait ordinairement de ces deux qu'un seul dialecte. C'est pourquoi la plûpart des grammairiens ne comptent que quatre différens dialectes grecs, quoiqu'il y en ait réellement cinq, en en faisant deux de l'éolien & du dorique. Voyez DORIQUE & DIALECTE. (G)

EOLIEN, en Musique, est le nom que les anciens donnoient à un de leurs modes ou tons, duquel la corde fondamentale étoit immédiatement au-dessus de celle du mode phrygien. Voyez MODES.

Le mode éolien étoit grave, au rapport de Lasus. " Je chante, dit-il, Cérès & sa fille Mélibée épouse de Pluton, sur le mode éolien, rempli de gravité. " (S)


EOLIENNESadj. pris subst. (Géogr. anc. Mythol.) ce sont aujourd'hui les îles de Lipari. Les volcans répandus dans la principale, avoient donné lieu aux prêtres d'en faire l'antre de Vulcain, & d'y placer ses forges : ce fut de là qu'elle s'appella Vulcanie.


EOLIENSS. m. pl. (Géogr. Hist. anc.) peuples de Grece, ainsi appellés d'Eole fils d'Hellen. Ils passerent dans l'Asie mineure, & s'établirent dans la Mysie, dont ils changerent le nom en celui d'Eolie. Voyez EOLIE.


EOLIPYLES. m. (Phys.) instrument hydraulique qui consiste dans une boule de métal creuse, ayant un cou ou un tuyau. Cette boule étant remplie d'eau & exposée au feu, il sort par le tuyau un vent violent. Descartes & d'autres se sont servis de cet instrument pour expliquer la cause & la génération du vent ; c'est pourquoi il est appellé éolipyle, comme qui diroit pila Aeoli, boule d'Eole ; parce que Eole étoit le dieu des vents. On voit la forme de cet instrument (Pl. de Physiq. fig. 28.) A est la boule posée sur des charbons ardens B, & C est son cou, par lequel sort le vent ou la vapeur. On écrit ordinairement éolipyle, comme on prononce ; on devroit écrire aeolipyle, suivant l'étymologie : mais il vaut encore mieux se conformer à la prononciation.

Quelquefois le cou de l'éolipyle est joint à la boule par une vis ; ce qui est plus commode, parce qu'alors on a plus de facilité à remplir d'eau la cavité. S'il n'y a pas de vis, on peut la remplir de la maniere suivante : faites chauffer la boule jusqu'à-ce qu'elle soit rouge, & jettez-la dans un vaisseau plein d'eau ; l'eau entrera par le tuyau, & remplira environ les deux tiers de la cavité.

Si on met ensuite l'éolipyle sur le feu, ou devant le feu, en sorte que l'eau & le vaisseau s'échauffent beaucoup ; l'eau étant alors raréfiée & convertie en vapeur, s'échappera avec beaucoup de bruit & de violence, mais par bonds, & non pas d'une maniere égale & uniforme.

" En mettant l'éolipyle sur un brasier bien allumé, dit M. Formey, d'après la plûpart des Physiciens, dans un article qu'il nous a communiqué sur ce sujet ; " le feu y dilate l'air, allant & venant au travers des pores de la boule, sans aucun accident sensible ; parce que l'air qu'il chasse trouve à s'échapper par la sortie du goulot. Si cette boule rougie par le feu est plongée dans l'eau, l'air dilaté qui y demeure se resserre aux approches de celle-ci. Le vase se trouve peu-à-peu rempli d'eau & d'air, par portions à-peu-près égales. Remettez pour lors l'éolipyle sur les charbons en y enfonçant un peu le petit-bout, & en tournant à l'air l'ouverture du goulot, que l'eau remplit par ce moyen sans s'écouler ; dès que le brasier sera vivement allumé, le feu qui sembloit ne pas agir sur l'intérieur de cette poire quand elle étoit sans eau, & que rien ne le retenoit, commence par y dilater l'air. L'air débande tous ses ressorts contre l'eau qui l'enveloppe ; celle-ci, quoique naturellement sans activité, étant fortement poussée en tout sens & en même tems resserrée de toutes parts par les parois du vaisseau, ne trouve que l'issue du goulot vers laquelle se tourne toute la furie du feu & de l'air, & par conséquent de l'eau. L'eau en sort malgré la petitesse de l'issue, & malgré la résistance de l'air extérieur, en s'élançant à quinze & à vingt piés de distance. Ainsi le feu qui s'entretient paisiblement sous une masse de cendre, par la liberté que mille petits sentiers lui laissent de s'échapper à l'air & d'en tirer quelque secours, vient-il à recevoir autour de lui quelques gouttes d'eau, il les étend, il les soûleve, & soûleve avec elles la braise & la cendre. C'est par cette raison que le feu soûterrein qui étant seul rouleroit autour ou au-travers d'un petit caillou sans le déplacer, se joignant à l'air & à l'eau, soûleve des masses énormes, ébranle les régions, perce les terres, & fait voler les rochers. Quand le feu, secondé de l'air, pousse devant lui des surfaces d'élémens durs & massifs, comme le sel & l'eau, qui ne peuvent être reçus par les ouvertures qui livreroient passage au fer, il fait alors des ravages épouvantables, & il renverse, brise, ou dissipe par ce secours ce qu'il auroit traversé par un écoulement continuel étant seul. Ainsi quoique l'élasticité du feu ne soit pas toûjours sensible, elle est toûjours réelle, & c'est de cette élasticité modifiée ou secondée par les autres élémens, qu'on peut déduire les différentes actions du feu ". M. Formey cite ici le spectacle de la nature, tome IV.

Cette expérience de l'éolipyle est une des plus fortes preuves que puissent alléguer en faveur de leur sentiment, ceux qui croyent que l'air est la principale cause de l'ébullition des fluides. Il paroît vraisemblable au premier coup d'oeil, que le vent de l'éolipyle est produit par l'air renfermé dans l'eau. Mais lorsqu'on remplit d'eau l'éolipyle, il n'y avoit presque point d'air, & l'eau qu'on a fait entrer ne contient qu'une dixieme partie d'air ; une si petite quantité d'air peut-elle être la matiere de ce souffle impétueux ? De plus, lorsque le vent est dans sa plus grande force, plongez le cou de l'éolipyle dans un vaisseau plein d'eau froide, on ne voit point paroître à la surface les bulles que ce vent devroit produire, s'il étoit produit lui-même par l'air. Donc, conclut-on, la cause du vent de l'éolipyle est la même que celle de l'ébullition, la vapeur de l'eau dilatée 13 ou 14000 fois au-delà de son état naturel ? Cette derniere raison est-elle bien convaincante ; car quand ce seroit la vapeur de l'eau qui produiroit le souffle de l'éolipyle, pourquoi cette vapeur exposée dans l'eau froide ne produiroit-elle pas des bulles d'air à la surface, comme on prétend qu'elle en produit dans l'ébullition ? Voyez EBULLITION, & les mém. acad. 1748. M. Musschenbroeck, essais de Phys. art. 870, paroit aussi attribuer le souffle de l'éolipyle à la vapeur de l'eau. Quoi qu'il en soit, voilà les raisons de part & d'autre, sur lesquelles on peut juger, & sur lesquelles on fera peut-être encore mieux de suspendre son jugement.

La vapeur ou l'air qui sort de l'éolipyle, a une chaleur sensible près de l'orifice ; mais à quelque distance de là elle est froide, comme nous l'observons dans notre haleine. On ne convient pas de la cause de ce phénomene. Les partisans des corpuscules l'expliquent en disant, que le feu qui est contenu dans la vapeur raréfiée, quoique suffisant pour se faire sentir près de l'orifice, s'en débarrasse ensuite, & devient insensible avant que d'être arrivé à l'extrémité de la vapeur. Voyez FEU.

Les philosophes méchaniciens d'un autre côté prétendent que la vapeur en sortant de la boule, a une sorte de mouvement circulaire en quoi consiste proprement la chaleur ; & qu'à mesure qu'elle s'éloigne de la boule, ce mouvement diminue de plus en plus par la réaction de l'air contigu, jusqu'à-ce qu'enfin la chaleur devient insensible. Voy. CHALEUR. Pour nous, qui ne nous flatons pas de savoir en quoi consiste la chaleur & le froid, & qui croyons tous les Physiciens aussi peu avancés que nous sur ce point, nous avoüons sans peine que la cause de ce phénomene nous est inconnue, ainsi que bien d'autres.

Quelques auteurs ont proposé différens usages de l'éolipyle. 1°. Ils croyent qu'on pourroit l'employer au lieu de soufflet pour souffler le feu, lorsqu'on a besoin d'une très-grande chaleur. 2°. Si on ajustoit une trompette, un cor, ou quelque autre instrument sonore au cou de l'éolipyle, il pourroit les faire sonner. 3°. Si le cou étoit tourné perpendiculairement en-haut, & prolongé par le moyen d'un tube ou cylindre creux qu'on y adapteroit, & qu'on mit une boule creuse sur l'orifice du tube ; cette boule seroit élevée en l'air & y seroit soûtenue en voltigeant, tantôt plus haut, tantôt plus bas, comme dans un jet d'eau. Voyez FONTAINE, 4°. L'éolipyle étant rempli d'une eau de senteur, au lieu d'eau simple, pourroit servir à parfumer une chambre. Tous ces usages, comme l'on voit ne sont pas fort importans ; quelques-uns seroient tout au plus curieux. (O)


EONESvoyez EONS.


EONIENSS. m. pl. (Hist. eccl.) on appella ainsi dans le xij. siecle les sectateurs d'Eon de l'Etoile, gentilhomme breton, qui abusant de la maniere dont on prononçoit alors ces paroles, per eum (on prononçoit eon) qui venturus est judicare vivos & mortuos, &c. prétendoit qu'il étoit le Fils de Dieu, devant juger un jour les vivans & les morts. Cette hérésie, ou plûtôt cette ridicule extravagance, ne mérite de place dans l'histoire que par le trouble qu'elle causa. Plusieurs sectateurs de cet Eon se laisserent brûler vifs, plûtôt que de renoncer à une si étrange folie. O miseras hominum mentes ! Mais notre siecle que nous croyons si éclairé, est-il plus sage ? Voyez CONVULSIONNAIRES. (O)


EONou EONES, (Théologie) mot tiré du grec , qui signifie siecle, éternité. Voyez SIECLE.

Quelques anciens hérétiques ont attaché une autre idée au mot aeon ; & partant des principes de la philosophie de Platon, qu'ils entendoient mal, ils donnerent de la réalité aux idées que ce philosophe avoit imaginées en Dieu ; c'est-à-dire qu'ils les personnifierent, & les distinguerent de Dieu même, prétendant qu'il les avoit produites les unes mâles & les autres femelles. Voyez IDEE & PLATONISME.

Ils appelloient ces idées éons ou éones ; & de leur assemblage complet ils formoient la Divinité, qu'ils nommoient , c'est-à-dire plénitude.

A commencer dès Simon le Magicien, tous les hérétiques des premiers siécles trouvant la doctrine de l'Eglise trop simple, & à force de vouloir relever plus haut le Dieu qu'ils reconnoissoient pour souverain, avoient ainsi confondu les idées corporelles avec les spirituelles, & formé une science mystérieuse qu'ils appelloient Gnosse, qui leur fit donner à tous en général le nom de Gnostiques, c'est-à-dire plus parfaits ou plus éclairés que le commun des hommes.

" L'hérésiarque Valentin qui parut vers l'an 134 de J. C. raffinant, dit M. Fleury, sur ceux qui l'avoient précédé, déduisoit une longue généalogie de plusieurs Eones ou Aiones ; il en faisoit des personnes. Le premier & le plus parfait étoit dans une profondeur invisible & inexplicable, & il le nommoit Proon, préexistant, & de plusieurs autres noms ; mais plus ordinairement Bythos, c'est-à-dire profondeur. Il étoit demeuré plusieurs siécles inconnu en silence & en repos, ayant avec lui seulement Ennoïa, c'est-à-dire la pensée, que Valentin nommoit aussi Charis, grace, ou Sigé, silence, & dont il faisoit la femme. Enfin Bythos avoit voulu produire le principe de toutes choses, & avec Sigé il avoit engendré Nous, son fils unique, semblable & égal à lui, seul capable de le comprendre. Ce fils étoit le pere & le principe de toutes choses. en grec signifie intelligence, mais il est du genre masculin, c'est pourquoi les Valentiniens en faisoient un fils ; & quoiqu'il fût unique, ils lui donnoient une soeur Aletheïa, c'est-à-dire la vérité. Ces deux premiers couples, Bythos & Sigé, Nous & Aletheïa, formoient un quarré qui étoit comme la racine & le fondement de tout le système : car Nous avoit engendré deux autres personnages ou Eones, Logos & Zoé, le verbe & la vie, & ces deux en avoient encore produit deux autres, Anthropos & Ecclesia, l'homme & l'église.

Le Verbe & la Vie, continue le même auteur, voulant glorifier le pere, avoient encore produit dix autres éones, c'est-à-dire cinq couples ; car ils étoient toûjours deux à deux. L'Homme & l'Eglise avoient produit douze autres éones, entre lesquelles étoit le paraclet, la foi, l'espérance, la charité. Les deux derniers étoient Teletos, le parfait, & Sophia, la sagesse. Voilà les trente éones, qui tous ensemble faisoient le pleroma ou plénitude invisible & spirituelle ". Hist. ecclés. tom. I. liv. III. pag. 443. & 444.

Ces hérétiques croyoient trouver clairement tout cela dans quelques passages de l'Ecriture, auxquels ils donnoient des explications allégoriques & forcées. En voilà plus qu'il n'en faut sur ces extravagances. (G)


EORIESadj. pris subst. (Myth.) fêtes que les Athéniens célébroient en l'honneur d'Erigone, qui avoit attiré par ses prieres une fâcheuse malédiction sur les filles des Athéniens ; parce qu'ils avoient négligé de vanger la mort d'Icare son pere. Le ciel permit que les filles des Athéniens devinssent amoureuses d'hommes qui ne répondirent point à leur passion, & qu'elles s'en pendissent de desespoir. On consulta là-dessus l'oracle d'Apollon, qui ordonna les fêtes éories aux manes d'Erigone ; & les filles des Athéniens continuerent apparemment d'aimer, & quelquefois de n'être point aimées, mais ne s'en pendirent plus.


EPACHTESS. f. (Hist. anc.) fêtes que les Athéniens célébroient en l'honneur de Cérès, & en commémoration de la douleur qu'elle ressentit de l'enlevement de Proserpine sa fille. Le mot épachtes est composé de , sur, & , douleur.


EPACTES. f. en Chronologie, est proprement l'excès du mois solaire sur le mois synodique lunaire, ou de l'année solaire sur l'année lunaire de douze mois synodiques, ou de plusieurs mois solaires sur autant de mois synodiques, & de plusieurs années solaires sur autant de douzaines de mois synodiques.

Les épactes sont donc ou annuelles, ou menstruelles. Les épactes menstruelles sont les excès du mois civil, ou du mois du calendrier sur le mois lunaire. Voyez MOIS.

Supposons par exemple qu'il y ait nouvelle Lune le premier de Janvier ; puisque le mois lunaire est de 29j 12h 44' 3", & que le mois de Janvier contient 31j, l'épacte menstruelle est donc de 1j 11h 15' 57".

Les épactes annuelles sont l'excès de l'année solaire sur la lunaire. Voyez AN.

Ainsi comme l'année julienne est de 365j 6h, & que l'année lunaire est de 354j 8h 48' 38", l'épacte annuelle est de 10j 21h 11' 22", c'est-à-dire de près de 11j ; & par conséquent l'épacte de deux ans sera de 22j ; celle de trois ans de 33j, ou plûtôt de trois, puisque trente jours font un mois embolismique ou intercalaire. Voyez EMBOLISMIQUE. Par la même raison l'épacte de quatre ans sera de 14j, & ainsi des autres ; & par conséquent l'épacte de chaque dix-neuvieme année deviendra trente ou zéro. D'où il s'ensuit que la vingtieme épacte sera encore 11, & qu'ainsi le cycle des épactes expire avec le nombre d'or, ou le cycle lunaire de dix-neuf ans, & recommence encore dans le même tems, comme on le voit dans la table suivante.

De plus comme les mois lunaires reviennent les mêmes tous les 19 ans, c'est-à-dire qu'après cette période ils recommencent aux mêmes jours ; de même la différence entre l'année lunaire & l'année solaire, revient la même après dix-neuf ans ; & comme il faut toûjours ajoûter cette différence à l'année lunaire, pour la concilier avec l'année solaire, ou la rendre égale à l'année solaire, on appelle ces différences, qui appartiennent respectivement à chaque année du cycle lunaire, épacte annuelle, ou simplement épacte. Ainsi le mot épacte signifie, dans l'usage ordinaire, le nombre qu'il faut ajoûter à l'année lunaire, pour la faire correspondre à la solaire.

C'est sur ce rapport mutuel entre le cycle de la Lune & le cycle des épactes, qu'est fondée la regle qui enseigne à trouver l'épacte convenable à une année quelconque du cycle lunaire ; elle consiste à multiplier l'année donnée du cycle lunaire par onze ; & si le produit est moindre que 30, il indique lui-même l'épacte cherchée ; s'il est plus grand que trente, il faudra le diviser par 30, & ce qui reste après la division sera l'épacte. Par exemple je veux connoître l'épacte de l'année 1712 : comme c'est la troisieme année du cycle lunaire, il s'ensuit de-là que 3 est l'épacte de cette même année 1712 ; car 11 x 3 = 33 ; & 33 étant divisé par 30, on trouve 3 pour reste de la division, c'est-à-dire pour l'épacte. Il faut remarquer qu'il s'agit ici de l'épacte julienne, le nombre 3, qui multiplie 11 dans le calcul précédent, indique que l'année 1712 est la troisieme du cycle lunaire : or nous avons vû ci-dessus que la premiere année du cycle lunaire a 11 d'épacte, la seconde 22 ou 2 fois 11, la troisieme 33 ou 3 fois 11, & ainsi de suite. Nous enseignerons plus bas à trouver l'épacte grégorienne. Voyez CYCLE.

On peut trouver par le moyen de l'épacte à quel jour d'un mois & d'une année donnée, doit tomber la nouvelle Lune ; on en vient à-bout en cette sorte. On ajoûte l'épacte de l'année donnée au nombre de mois, à compter depuis Mars inclusivement ; si la somme est moindre que trente, il faudra la soustraire de 30 ; si elle est plus grande, il la faudra soustraire de 60, & le reste marquera dans les deux cas le jour de la nouvelle Lune.

Si on cherche la nouvelle Lune pour les mois de Janvier & de Mars, alors il ne faudra rien ajoûter à l'épacte ; si c'est pour Fevrier ou Avril, il ne faudra ajoûter que l'unité.

Par exemple je veux connoître à quel jour de Décembre est tombée la nouvelle Lune en l'année 1711, dont l'épacte étoit 22 ; je trouve par les regles précédentes que ce doit avoir été le 28 Decembre, car 22 + 10 = 32, & 60 - 32 = 28. Voyez LUNE.

La raison de cette pratique est évidente. L'épacte étant 22 par l'hypothese, la Lune a 22 jours au premier de Mars, à-peu-près 23 au premier d'Avril, 24 au premier de Mai, &c. car puisque l'épacte croit de 11 jours par an, on peut supposer qu'elle croit à-peu-près d'un jour par mois depuis Mars jusqu'en Décembre. Donc au premier Decembre la Lune a 32 jours, c'est-à-dire la nouvelle Lune a 2 jours. Donc pour avoir la nouvelle Lune de Decembre, il faut de 30 ôter 2, ou ce qui est la même chose, 32 de 60.

Ayant ainsi trouvé le jour auquel tombe la nouvelle Lune, il est aisé de conclure de-là quel est l'âge de la Lune pour un jour donné. Voyez LUNE & AGE.

Il y a d'ailleurs pour cela une autre regle particuliere, & que voici.

Il faut ajoûter ensemble l'épacte de l'année, le nombre de mois depuis Mars inclusivement, & le jour donné dans le mois. Si le total est moins que 30, il marquera l'âge de la Lune ; s'il est plus grand que 30, il faudra le diviser par 30, & le reste de la division montrera l'âge de la Lune, c'est-à-dire combien il s'est écoulé de jours depuis la nouvelle Lune. Cette méthode ne peut jamais être sujette à un seul jour d'erreur.

Par exemple si l'on demande quel étoit l'âge de la Lune le 31 Decembre de l'année 1711, on trouvera par cette regle que la Lune avoit trois jours, c'est-à-dire qu'il s'étoit écoulé trois jours depuis la nouvelle Lune ; car 22 + 10 + 31 = 63, & 63 étant divisé par 30, il reste 3 ; ce qui convient exactement avec la regle précédente, par laquelle on a trouvé que la nouvelle Lune étoit arrivée la même année le 28 Decembre.

On peut encore abréger cette pratique par le moyen d'une table, où l'on marquera les épactes, & qui fera voir tout d'un coup le jour de la nouvelle Lune. Voici comment cette table est formée. On écrit de suite tous les mois, chacun avec le nombre des jours qu'ils contiennent ; on met au premier Janvier le nombre 30 ou *, au second du même mois le nombre 29, au troisieme le nombre 28, & ainsi de suite jusqu'à 1 inclusivement : après quoi on recommence le même ordre, & on forme de cette maniere une suite de douze mois lunaires & de quelques jours, avec cette précaution qu'on met les nombres 25 & 24 au même jour dans les mois pairs lunaires.

La raison de cette pratique est que les mois lunaires sont alternativement de 30 & de 29 jours. Par le moyen de cette table, on trouvera facilement la nouvelle Lune de chaque mois ; car il n'y aura qu'à chercher le jour du mois auquel est jointe l'épacte de l'année proposée. Cependant il y a encore une précaution à prendre ; car il faut distinguer entre l'épacte julienne & la grégorienne : la différence de ces deux épactes vient de ce que l'année julienne commence plus tard que l'année grégorienne de 11 jours ; c'est pourquoi après avoir trouvé, comme nous l'avons enseigné, l'épacte julienne, on ôtera 11 de cette épacte, qu'on augmentera de 30 jours s'il est nécessaire, & on aura l'épacte grégorienne. Ainsi on trouvera que l'épacte grégorienne de 1712 est 22 ; & les nouvelles Lunes dans l'année 1712, nouveau style, se trouveront 11 jours plus tard dans chaque mois, que dans l'année julienne, comme cela doit être en effet. Nous ne mettrons point ici cette table, qu'on peut voir dans un grand nombre d'ouvrages, entre autres dans les élémens de Chronologie de Wolf, dans le traité du calendrier de M. Rivard, &c.

Il se trouve par un hasard heureux, que le nombre des jours dont l'année grégorienne différe de l'année julienne, est précisément le même que le nombre des jours dont l'année solaire surpasse l'année lunaire : car il arrive par-là que l'épacte grégorienne pour une année, est la même que l'épacte julienne de l'année précédente.

Il faut observer que comme le cycle de dix-neuf années anticipe sur les nouvelles Lunes d'un jour en 312 ans, de même aussi le cycle des épactes n'a pas toûjours lieu, la proemptose diminuant les différentes épactes d'un jour en 312. ans. V. PROEMPTOSE.

Il faut donc pour avoir les épactes, diminuer alors d'une unité celles qu'on devroit avoir par la regle ci-dessus. Ainsi l'épacte que donne alors le calendrier n'est pas exacte, de sorte que si elle est 22 suivant le calendrier, il faudra prendre 21, parce que la nouvelle Lune au lieu de tomber au jour du mois où est marqué 22, tombe au jour précédent ; c'est pourquoi au bout de ce tems l'ordre des épactes change, & au bout de 312 autres années il change encore, & ainsi de suite. Une autre raison qui fait changer le cycle des épactes dans le calendrier grégorien, c'est que sur quatre années séculaires, il y en a trois qui ne sont point bissextiles ; de sorte que ces années-là les nouvelles Lunes au lieu de tomber au jour marqué dans le calendrier, tombent le jour d'après : car si le 10 de Mars, par exemple, il doit y avoir nouvelle Lune, en supposant l'année augmentée d'un jour, cette nouvelle Lune ne tombera que le 11, en supposant que cette année ne soit point ainsi augmentée. V. METEMPTOSE. On a donc été obligé de former deux autres tables pour les épactes, dont nous allons tâcher de donner une idée.

Voici comment on construit la premiere. On écrit d'abord horisontalement, les uns à côté des autres, tous les nombres d'or successifs, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 1, 2 ; ensuite sous le premier chiffre 3, on écrit dans une colonne verticale les chiffres 30 ou *, 29, 28, 27, &c. jusqu'à 1 inclusivement ; puis à côté de chacun de ces chiffres on écrit horisontalement, sous les chiffres des nombres d'or, les chiffres des épactes, en supposant que la premiere épacte soit le nombre qui est le plus à gauche dans chaque rangée horisontale : ainsi à côté de 30 ou de *, on écrit les épactes 11, 22, 3, 14, &c. à côté de 29 on écrit les épactes 10, 21, 2, 13. &c. & ainsi de suite. On peut voir cette table dans les élémens de Chronologie de Wolf dejà cités.

Outre cette table, on en forme une seconde par le moyen de laquelle on voit quel doit être le cycle des épactes pour chaque siecle ; & cette table se voit encore dans les élémens de Chronologie de Wolf : ainsi on voit que le cycle des épactes pour le siecle où nous sommes est 22, 3, 14, &c. c'est-à-dire que l'année dont le nombre d'or est 3, a pour épacte grégorienne 22, que l'année suivante a pour épacte grégorienne 3, &c. Ce même ordre durera dans le siecle qui suivra celui-ci ; mais en 1900 il changera, & l'ordre des épactes dans ce siecle & dans les trois autres consécutifs, sera 21, 2, 13, 24, &c. & ainsi de suite. Voyez aussi, sur cette matiere, l'abrégé du calendrier par M. Rivard, & le grand ouvrage que prépare M. Coucicault ancien échevin, & que nous croyons sous presse. Ce dernier ouvrage nous a paru fait avec beaucoup d'intelligence, de soin & de détail.

Par l'ordre des cycles des épactes, il paroît que le même cycle peut avoir à la fois les épactes 24 & 25 ; comme on le verra facilement dans le cycle qui commence par le nombre 24, dans celui qui commence par le nombre 10, &c. Or nous avons dit ci-dessus que dans le calendrier des épactes on met les nombres 24 & 25 au même jour, & cependant les nouvelles Lunes ne peuvent tomber au même jour dans le cours de dix-neuf ans. Pour obvier à l'erreur qui pourroit résulter de-là, on écrit dans tous les mois pairs lunaires les nombres 26 & 25 à côté l'un de l'autre, mais le dernier en plus petit caractere ; & toutes les fois que les épactes 24 & 25 se trouvent ensemble dans le même cycle, alors il faut se servir de l'épacte 25, écrite en petit caractere ; & on ne doit point craindre de confusion de la combinaison des épactes 24, 25, 26, parce que ces trois épactes ne peuvent jamais se trouver ensemble dans un même cycle. A l'égard des épactes 26 & 25, lorsqu'elles se rencontrent dans un même cycle, il faut se servir de l'épacte 25, qui est jointe au même jour avec 24. Enfin dans ce même calendrier on met l'épacte 19 au dernier Décembre, avec l'épacte 20 ; parce que la nouvelle Lune tombe au dernier Décembre toutes les fois que l'épacte 19 répond au nombre d'or 19. De plus, les épactes sont disposées de maniere qu'elles donnent la nouvelle Lune environ un jour trop tard ; la raison que Clavius apporte de cette disposition, c'est qu'il vaut mieux que les épactes donnent les nouvelles Lunes, & par conséquent les pleines Lunes, trop tard, que trop tôt, afin qu'on ne soit point en risque de célébrer la fête de Pâque avant la pleine Lune, ce qui seroit contraire au décret du concile de Nicée.

Cependant quelque soin que le pape Grégoire XIII. & les astronomes dont il s'est servi, ayent employé pour la détermination des nouvelles Lunes par les épactes, & pour fixer la Pâque, il faut avoüer que la méthode de trouver ainsi les nouvelles Lunes n'a pas toute l'exactitude qu'on pourroit desirer. En premier lieu, la fixation de l'équinoxe du printems au 21 de Mars, est fautive, puisque cet équinoxe peut arriver quelquefois le 19, & quelquefois le 23, comme nous l'avons remarqué dans l'article CALENDRIER. On trouve de plus dans le tome IV. des oeuvres de M. Jean Bernoulli, imprimées à Lausanne en 1743, une piece curieuse sur ce sujet, où l'on voit l'erreur dans laquelle l'épacte peut induire quelquefois. En 1724, suivant le calcul de ce savant géometre, la vraie pleine Lune paschale a dû tomber le samedi 8 Avril à 4h 21' du soir, l'équinoxe étant arrivé le 20. Mars. Or suivant le calcul par l'épacte, on trouve que la pleine Lune paschale de 1724 a dû tomber le 9 Avril, qui étoit un dimanche ; de sorte que par la régle établie, Pâque n'a été que le 16 Avril, au lieu qu'il auroit dû être le 9. La même chose est arrivée en 1744, où Pâque s'est trouvé 8 jours plus tard qu'il n'auroit dû être : car on verra dans les almanachs de cette année-là, que la pleine Lune paschale est arrivée le samedi 28 Mars, ainsi Pâque devoit être le lendemain 29 ; au lieu que par le calcul de l'épacte, la pleine Lune n'a dû être que le 29, qui étoit un dimanche, ce qui a fait remettre Pâque au 5 Avril suivant. Il en arrivera autant, selon M. Bernoulli, en 1778 & 1798, par l'erreur de l'épacte. Voyez PAQUE.

Dans la préface de l'art de vérifier les dates, pag. 38 & suiv. on trouvera des observations utiles sur l'usage du calcul des épactes pour la chronologie, & pour les dates des anciens titres. (O)


EPACTROCELES. m. (Hist. anc.) bâtiment leger à l'usage des pirates anciens. Ce mot, composé de grec, signifie bâtiment chargé de butin.


EPAGNEULSS. m. pl. (Vénerie) Voyez l'article CHIENS. Les chiens épagneuls ou espagnols sont plus chargés de poil que les braques, & conviennent mieux dans les pays couverts ; ils chassent de gueule, & forcent le lapin dans les broussailles : quelquefois ils rident, & suivent la piste de la bête sans crier. Ils sont bons aussi pour la plume, & chassent le nez bas.


EPAGOGESS. m. (Hist. anc.) magistrats d'Athenes, institués pour juger les différends qui survenoient entre les marchands.


EPAGOMENESadj. pl. (Hist. anc. & Chronol.) On appelloit ainsi les cinq jours qu'on ajoûtoit à la fin de l'année égyptienne, dont chaque mois avoit trente jours : ces cinq jours ajoûtés faisoient 365. Voyez AN. (O)


EPAILLERv. act. (Bijoutier, Metteur en oeuvre, Orfévre, &c.) c'est avec l'échope à épailler (dont nous avons décrit la forme), enlever de l'or toutes les saletés, doublures & porures qui proviennent de la fonte ou du mal-forgé. Quand l'or est à une certaine épaisseur, on enleve à l'échope plate toute la superficie ; ensuite on le ploye & reploye avec un marteau de bois. Cette courbure découvre toutes les cavités qui sont dans l'or, & on les enleve avec l'échope à épailler. L'or étant plus sujet aux saletés que l'argent, à cause de son alliage, cette opération est de plus grande conséquence pour le Bijoutier que pour tout autre artiste, d'autant plus que le poli de l'or demande une grande netteté dans le métal.


EPAISadj. (Gramm.) Il se prend ou relativement à la dimension, ou relativement au nombre, ou relativement à la consistance. Dans le premier cas on dit un livre épais, un bloc épais ; dans le second on dit des bataillons épais ; dans le troisieme on dit une encre épaisse, un vin épais, &c. Il se prend aussi au figuré, & l'on dit un homme épais, une machoire épaisse.

Un livre épais est celui qui contient un trop grand nombre de feuillets, eu égard à son format ; car un in-folio pourroit être trop mince avec le même nombre de feuillets qu'un in -douze trop épais : d'où l'on voit que le mot épais est un terme relatif. Le substantif d'épais est épaisseur. Si la dimension d'un corps qu'on aura appellée sa largeur, est parallele à l'horison, son épaisseur sera perpendiculaire à sa largeur.

EPAIS, adject. en Musique : genre épais ou dense, ; est, selon la définition d'Aristoxene, celui où dans chaque tétracorde la somme des deux premiers intervalles est toûjours moindre que le troisieme : ainsi le genre enharmonique est épais, parce que les deux premiers intervalles, qui sont d'un quart de ton chacun, ne forment ensemble qu'un semi-ton ; somme beaucoup moindre que le troisieme intervalle, qui est une tierce majeure. Le genre chromatique est aussi un genre épais ; car ses deux premiers intervalles ne forment qu'un ton, moindre encore que la tierce mineure qui suit. Mais le genre diatonique n'est point épais, car ses deux premiers intervalles forment un ton & demi ; somme plus grande que le ton qui suit. Voyez TETRACORDE, GENRE, &c. (S)


EPAISSISSANT(Thérapeutique) Voyez INCRASSANT.


EPAISSISSEMENTS. m. (Médecine) se dit ordinairement des humeurs du corps humain qui ont trop de consistance.

Toutes les parties élémentaires qui constituent le composé des corps fluides, ont une certaine force de cohésion entr'elles ; il en est par conséquent de même de ceux qui se trouvent dans les animaux : & pour que ceux-ci puissent couler dans la cavité des plus petits conduits, il est nécessaire que les molécules qui y sont portées sous une forme plus ou moins volumineuse, se séparent les unes des autres, pour pouvoir passer chacune en particulier avec un diametre proportionné à celui du canal ; il faut par conséquent que les puissances qui font mouvoir ces masses fluides, & les poussent vers les dernieres filieres des vaisseaux, ayent une force supérieure à celle de la cohésion des molécules, qui les tient unies entre elles jusqu'à un certain point, & leur donne le degré de consistance convenable à leur nature & à leurs usages.

S'il arrive donc par quelque cause que ce soit, que la cohésion des parties élémentaires qui composent les humeurs du corps humain, soit augmentée, de maniere que ne pouvant pas être séparées les unes des autres par l'action du coeur & des vaisseaux, ces particules restent unies ; & que conservant un volume trop considérable, respectivement à la capacité des vaisseaux dans lesquels elles doivent être distribuées, elles trouvent de la résistance à couler dans leurs extrémités, elles y causent des engorgemens, des obstructions de différente nature, selon la différence des humeurs épaissies. La plûpart d'entr'elles, comme le sang, la lymphe, n'étant fluides que par accident, c'est-à-dire à cause des parties aqueuses qui entrent dans leur composition, qui leur servent de véhicule, & du mouvement de la vie saine, qui s'oppose continuellement à leur concrétion, sont par conséquent naturellement très-disposées à contracter ce vice, & à devenir par-là moins propres à circuler, à être distribuées dans leurs vaisseaux respectifs. Le mouvement & le repos, la chaleur & le froid, la force & la foiblesse du corps, favorisent également cette disposition, & produisent l'épaississement de ces différens fluides : comme aussi bien d'autres causes ; telles que les coagulans acides, spiritueux ; les visqueux, les huileux mêlés avec la masse des humeurs.

Ainsi on doit employer pour corriger ce vice, des moyens aussi différens que ses causes. Si le sang trop épais occasionne des engorgemens inflammatoires dans le poumon, dans le foie, la saignée & les délayans, sont les remédes que l'on met en usage avec succès dans ce cas : ce même traitement ne pourroit que produire de très-mauvais effets, si on l'employoit pour combattre la viscosité pituiteuse. Voyez SANG, & ses vices ; OBSTRUCTION, INFLAMMATION. (d)


EPANADIPLOSES. f. figure de diction, . Ce mot est composé de la préposition , & de , reduplicatio. R. , duplex. Il y a anadiplose & épanadiplose ; ce sont deux especes de répétitions du même mot. Dans l'anadiplose, le mot qui finit une préposition, est répeté pour commencer la préposition suivante :

... Sequitur pulcherrimus Astur,

Astur equo fidens. Aeneid. l. X. v. 180.

& dans Ovide, au second livre des Métam. v. 206.

.... Sylvae cum montibus ardent ;

Ardet Athos, Taurusque, &c.

& en françois, Henriade, liv. I.

Il apperçoit de loin le jeune Teligny ;

Teligny, dont l'amour a mérité sa fille.

au lieu que dans l'épanadiplose le même mot qui commence une préposition, est répeté pour finir le sens total :

Ambo florentes aetatibus, Arcades ambo. Virg. ég. 7.

& Ovide, au liv. II. des Fastes, v. 235. dit :

Una dies Fabios ad bellum miserat omnes ;

Ad bellum missos perdidit una dies.

On trouve le dystique suivant dans deux anciennes inscriptions rapportées par Gruter ; l'une au tome I. p. 615. & l'autre au tome II. p. 912.

Balnea, vina, Venus, corrumpunt corpora nostra ;

Sed vitam faciunt balnea, vina, Venus.

L'épanadiplose est aussi nommée épanaplese par Donat & par quelques autres grammairiens.

Pour moi je trouve qu'il suffit d'observer qu'il y a répétition, & de sentir la grace que la répétition apporte au discours, ou le dérangement qu'elle cause. Il est d'ailleurs bien inutile d'appeller la répétition, ou anadiplose, ou épanadiplose, selon les diverses combinaisons des mots répetés. Ceux qui se sont donné la peine d'inventer ces sortes de noms sur de pareils fondemens, ne sont pas ceux qui ont le plus enrichi la république des Lettres. (F)


EPANCHEMENTS. m. (Medec.) Ce terme est employé à-peu-près dans le même sens qu'effusion, extravasation ; il semble cependant plus particulierement affecté pour exprimer l'écoulement considérable d'un fluide, dans quelqu'espace du corps humain qui n'est pas destiné à en contenir, comme lorsque la sérosité du sang sort de ses vaisseaux, & se répand dans la cavité du bas-ventre : d'où résulte une hydropisie ascite, &c. Voyez EFFUSION, EXTRAVASATION, HYDROPISIE, &c. (d)


EPANNELERv. act. terme de Sculpture ; c'est couper à pans. Le sculpteur-statuaire, après avoir déterminé la base du bloc de marbre qu'il veut employer, & avoir fait faire le lit pour la plinthe, épannele le bloc ; c'est-à-dire qu'après avoir dessiné avec le crayon sur ce bloc, & arrêté les masses principales de son sujet, il fait donner plusieurs traits de scie ou de ciseau pour jetter en-bas les superfluités, & dégager de sa masse la tête, les bras & autres parties, suivant son modele, & les traits qu'il a formés sur le marbre. Cette opération, qui rend le bloc plus maniable & plus aisé à manoeuvrer, se fait alternativement sur ses quatre faces. Voyez LIT, PLINTHE, BLOC, ULPTURETURE.


EPANORTHOSES. f. (Belles-Lettr.) figure de Rhétorique, par laquelle l'orateur rétracte ou corrige quelque chose de ce qu'il a déjà avancé, & qui lui paroît trop foible : il y ajoûte quelque chose de plus énergique, & de plus conforme à la passion qui l'occupe ou le transporte. Voyez CORRECTION.

Cicéron employe cette figure dans son oraison pour Caelius, lorsqu'il dit : O stultitiam ! stultitiamne dicam ? an impudentiam singularem ? & dans sa premiere catilinaire : Quamquam quid loquor ? te ut ulla res frangat ? tu ut unquam te corrigas ? tu ut ullam fugam meditêre ? tu ut ullum exilium cogites ? utinam tibi illam mentem dii immortales donarent !

Ainsi Térence, dans son heautontimorumenos, fait dire au vieillard Menedeme :

Filium unicum adolescentulum

Habeo. Ah ! quid dixi habere me ? imo habui,

Chreme ;

Nunc habeam, nec-ne, incertum est. (G)


EPANOUIR(s') Gram. il se dit de l'accroissement qui suit la sortie du bouton d'une fleur ; ce bouton sorti, la fleur commence à se former par l'épanoüissement du bouton. Il se dit aussi de la fleur, lorsqu'elle a pris toute sa beauté & toute son étendue : cette fleur est entierement épanoüie. Il se prend quelquefois activement & passivement, & l'on dit : vous vous épanoüissez, épanoüissez votre coeur.


EPARERv. neut. (Manége) terme par lequel nous désignons l'action d'un cheval qui détache ses ruades avec une telle force, que ses jarrets parfaitement & vigoureusement étendus, font souvent entendre un bruit à-peu-près semblable à celui d'un leger coup de foüet.

Cette action est principalement requise dans l'air des caprioles, & le distingue des airs relevés que nous nommons croupades & ballotades. Voyez RELEVES (airs) (e)


EPARGNES. f. (Morale) signifie quelquefois le thrésor du prince, thrésorier de l'épargne, les deniers de l'épargne, &c.

Epargne en ce sens n'est plus guere d'usage ; on dit plûtôt aujourd'hui thrésor royal.

Epargne, la loi de l'épargne, expression employée par quelques physiciens modernes, pour exprimer le decret par lequel Dieu regle de la maniere la plus simple & la plus constante tous les mouvemens, toutes les altérations, & les autres changemens de la nature. Voyez ACTION, COSMOLOGIE, &c.

Epargne, dans le sens le plus vulgaire, est une dépendance de l'économie ; c'est proprement le soin & l'habileté nécessaires pour éviter les dépenses superflues, & pour faire à peu de frais celles qui sont indispensables. Les réflexions que l'on va lire ici, auroient pû entrer au mot ECONOMIE, qui a un sens plus étendu, & qui embrasse tous les moyens légitimes, tous les soins nécessaires pour conserver & pour accroître un bien quelconque, & sur-tout pour le dispenser à-propos. C'est en ce sens que l'on dit économie d'une famille, économie des abeilles, économie nationale. Au reste les termes d'épargne & d'économie énoncent à-peu-près la même idée ; & on les employera indifféremment dans ce discours, suivant qu'ils paroîtront plus convenables pour la justesse de l'expression.

L'épargne économique a toûjours été regardée comme une vertu, & dans le Paganisme, & parmi les Chrétiens ; il s'est même vû des héros qui l'ont constamment pratiquée : cependant, il faut l'avoüer, cette vertu est trop modeste, ou, si l'on veut, trop obscure pour être essentielle à l'héroïsme ; peu de héros sont capables d'atteindre jusque-là. L'économie s'accorde beaucoup mieux avec la politique ; elle en est la base, l'appui, & l'on peut dire en un mot qu'elle en est inséparable. En effet, le ministere est proprement le soin de l'économie publique : aussi M. de Sully, ce grand ministre, cet économe si sage & si zélé, a-t-il intitulé ses mémoires, Economies royales, &c.

L'épargne économique s'allie encore parfaitement avec la piété, elle en est la compagne fidele ; c'est-là qu'une ame chrétienne trouve des ressources assûrées pour tant de bonnes oeuvres que la charité prescrit.

Quoi qu'il en soit, il n'est peut-être pas de peuple aujourd'hui moins amateur ni moins au fait de l'épargne, que les François ; & en conséquence il n'en est guere de plus agité, de plus exposé aux chagrins & aux miseres de la vie. Au reste, l'indifférence ou plûtôt le mépris que nous avons pour cette vertu, nous est inspiré dès l'enfance par une mauvaise éducation, & sur-tout par les mauvais exemples que nous voyons sans-cesse. On entend loüer perpétuellement la somptuosité des repas & des fêtes, la magnificence des habits, des appartemens, des meubles, &c. Tout cela est représenté, non-seulement comme le but & la récompense du travail & des talens, mais sur-tout comme le fruit du goût & du génie, comme la marque d'une ame noble & d'un esprit élevé.

D'ailleurs, quiconque a un certain air d'élégance & de propreté dans tout ce qui l'environne ; quiconque sait faire les honneurs de sa table & de sa maison, passe à coup sûr pour homme de mérite & pour galant homme, quand même il manqueroit essentiellement dans le reste.

Au milieu de ces éloges prodigués au luxe & à la dépense, comment plaider la cause de l'épargne ? Aussi ne s'avise-t-on pas aujourd'hui dans un discours étudié, dans une instruction, dans un prône, de recommander le travail, l'épargne, la frugalité, comme des qualités estimables & utiles. Il est inoüi qu'on exhorte les jeunes gens à renoncer au vin, à la bonne-chere, à la parure, à savoir se priver des vaines superfluités, à s'accoûtumer de bonne heure au simple nécessaire. De telles exhortations paroîtroient basses & mal-sonnantes ; elles sont néanmoins bien conformes aux maximes de la sagesse, & peut-être seroient-elles plus efficaces que toute autre morale, pour rendre les hommes réglés & vertueux. Malheureusement elles ne sont point à la mode parmi nous, on s'en éloigne même tous les jours de plus en plus ; par-tout on insinue le contraire, la mollesse & les commodités de la vie. Je me souviens que dans ma jeunesse on remarquoit avec une sorte de mépris les jeunes gens trop occupés de leur parure ; aujourd'hui on regarderoit avec mépris ceux qui auroient un air simple & négligé. L'éducation devroit nous apprendre à devenir des citoyens utiles, sobres, desintéressés, bienfaisans : qu'elle nous éloigne aujourd'hui de ce grand but ! elle nous apprend à multiplier nos besoins, & par-là elle nous rend plus avides, plus à charge à nous-mêmes, plus durs & plus inutiles aux autres.

Qu'un jeune homme ait plus de talent que de fortune, on lui dira tout au plus d'une maniere vague, qu'il doit songer tout de bon à son avancement ; qu'il doit être fidele à ses devoirs, éviter les mauvaises compagnies, la débauche, &c. mais on ne lui dira pas, ce qu'il faudroit pourtant lui dire & lui répeter sans-cesse, que pour s'assûrer le nécessaire & pour s'avancer par des voies légitimes, pour devenir honnête homme & citoyen vertueux, utile à soi & à sa patrie, il faut être courageux & patient, travailler sans relâche, éviter la dépense, mépriser également la peine & le plaisir, & se mettre enfin au-dessus des préjugés qui favorisent le luxe, la dissipation & la mollesse.

On connoît assez l'efficacité de ces moyens : cependant comme on attache mal-à-propos certaine idée de bassesse à tout ce qui sent l'épargne & l'économie, on n'oseroit donner de semblables conseils, on croiroit prêcher l'avarice ; sur quoi je remarque en passant, que de tous les vices combattus dans la morale, il n'en est pas de moins déterminé que celui-ci.

On nous dépeint souvent les avares comme des gens sans honneur & sans humanité, gens qui ne vivent que pour s'enrichir, & qui sacrifient tout à la passion d'accumuler ; enfin comme des insensés, qui, au milieu de l'abondance, écartent loin d'eux toutes les douceurs de la vie, & qui se refusent jusqu'au rigide nécessaire. Mais peu de gens se reconnoissent à cette peinture affreuse ; & s'il falloit toutes ces circonstances pour constituer l'homme avare, il n'en seroit presque point sur la terre. Il suffit pour mériter cette odieuse qualification, d'avoir un violent desir des richesses, & d'être peu scrupuleux sur les moyens d'en acquérir. L'avarice n'est point essentiellement unie à la lésine, peut-être même n'est-elle pas incompatible avec le faste & la prodigalité.

Cependant, par un défaut de justesse, qui n'est que trop ordinaire, on traite communément d'avare l'homme sobre, attentif & laborieux, qui, par son travail & ses épargnes, s'éleve insensiblement au-dessus de ses semblables ; mais plût au ciel que nous eussions bien des avares de cette espece ! la société s'en trouveroit beaucoup mieux, & l'on n'essuyeroit pas tant d'injustices de la part des hommes. En général ces hommes resserrés, si l'on veut, mais plutôt ménagés qu'avares, sont presque toûjours d'un bon commerce ; ils deviennent même quelquefois compatissans ; & si on ne les trouve pas généreux, on les trouve au moins assez équitables. Avec eux enfin on ne perd presque jamais, au lieu qu'on perd le plus souvent avec les dissipateurs. Ces ménagers en un mot sont dans le système d'une honnête épargne, à laquelle nous prodiguons mal-à-propos le nom d'avarice.

Les anciens Romains plus éclairés que nous sur cette matiere, étoient bien éloignés d'en user de la sorte ; loin de regarder la parcimonie comme une pratique basse ou vicieuse, erreur trop commune parmi les François, ils l'identifioient, au contraire, avec la probité la plus entiere ; ils jugeoient ces vertueuses habitudes tellement inséparables, que l'expression connue de vir frugi, signifioit tout à la fois, chez eux, l'homme sobre & ménager, l'honnête homme & l'homme de bien.

L'Esprit-Saint nous présente la même idée ; il fait en mille endroits l'éloge de l'économie, & partout il la distingue de l'avarice. Il en marque la différence d'une maniere bien sensible, quand il dit d'un côté qu'il n'est rien de plus méchant que l'avarice, ni rien de plus criminel que d'aimer l'argent (Ecclésiast. x. 9. 10.) & que de l'autre il nous exhorte au travail, à l'épargne, à la sobriété, comme aux seuls moyens d'enrichissement, lorsqu'il nous représente l'aisance & la richesse comme des biens desirables, comme les heureux fruits d'une vie sobre & laborieuse.

Allez, dit-il au paresseux, allez à la fourmi, & voyez comme elle ramasse dans l'été de quoi subsister dans les autres saisons. Prov. vj. 6.

Celui, dit-il encore, qui est lâche & négligent dans son travail, ne vaut guere mieux que le dissipateur. Prov. xviij. 9.

Il nous assûre de même, que le paresseux qui ne veut pas labourer pendant la froidure, sera réduit à mendier pendant l'été. Prov. xx. 4.

Il nous dit dans un autre endroit : pour peu que vous cédiez aux douceurs du repos, à l'indolence, à la paresse, la pauvreté viendra s'établir chez vous & s'y rendra la plus forte : mais, continue-t-il, si vous êtes actif & laborieux, votre moisson sera comme une source abondante, & la disette fuira loin de vous. Prov. vj. 10. 11.

Il rappelle une seconde fois la même leçon, en disant que celui qui laboure son champ sera rassasié ; mais que celui qui aime l'oisiveté sera surpris par l'indigence. Prov. xxviij. 19.

Il nous avertit en même tems, que l'ouvrier sujet à l'ivrognerie ne deviendra jamais riche. Ecclésiastique, xjx. 1.

Que quiconque aime le vin & la bonne chere, non-seulement ne s'enrichira point, mais qu'il tombera même dans la misere. Prov. xxj. 17.

Il nous défend de regarder le vin lorsqu'il brille dans un verre, de peur que cette liqueur ne fasse sur nous des impressions agréables mais dangereuses, & qu'ensuite semblable à un serpent & à un basilic, elle ne nous tue de son poison. Prov. xxiij. 31. 32.

Retranchez, dit-il ailleurs, retranchez le vin à ceux qui sont chargés du ministere public, de peur qu'enivrés de cette boisson traîtresse, ils ne viennent à oublier la justice, & qu'ils n'alterent le bon droit du pauvre. Prov. xxxj. 4. 5.

Contentez-vous, dit-il encore, du lait de vos chevres pour votre nourriture, & qu'il fournisse aux autres besoins de votre maison, &c. Prov. xxvij. 27.

Que d'instruction & d'encouragement à l'épargne & aux travaux économiques, ne trouve-t-on pas dans l'éloge qu'il fait de la femme forte ! Il nous la dépeint comme une mere de famille attentive & ménagere, qui rend la vie douce à son mari & lui épargne mille sollicitudes ; qui forme des entreprises importantes, & qui met elle-même la main à l'oeuvre ; qui se leve avant le jour pour distribuer l'ouvrage & la nourriture à ses domestiques ; qui augmente son domaine par de nouvelles acquisitions ; qui plante des vignes ; qui fabrique des étoffes pour fournir sa maison & pour commercer au-dehors ; qui n'a d'autre parure qu'une beauté simple & naturelle ; qui met néanmoins dans l'occasion les habits les plus riches ; qui ne profère que des paroles de douceur & de sagesse ; qui est enfin compatissante & secourable pour les malheureux. Prov. xxxj. 10. 11. 12. 13. 14. 15. &c.

A ces préceptes, à ces exemples d'économie si bien tracés dans les livres de la Sagesse, joignons un mot de S. Paul, & confirmons le tout par un trait d'épargne que J. C. nous a laissé. L'apôtre écrivant à Timothée, veut entr'autres qualités dans les évêques, qu'ils soient capables d'élever leurs enfans & de regler leurs affaires domestiques, en un mot qu'ils soient de bons économes ; en effet, dit-il, s'ils ne savent pas conduire leur maison, comment conduiront-ils les affaires de l'Eglise ? Si quis autem domui suae prae esse nescit, quomodò ecclesiae Dei diligentiam habebit ? I. épître à Timothée, ch. iij. . 4. 5.

Le Sauveur nous donne aussi lui-même un excellente leçon d'économie, lorsqu'ayant multiplié cinq pains & deux poissons au point de rassasier une foule de peuple qui le suivoit, il fait ramasser ensuite les morceaux qui restent & qui remplissent douze corbeilles, & cela, comme il le dit, pour ne rien laisser perdre : colligite quae superaverunt fragmenta ne pereant. Jean, vj. 12.

Malgré ces autorités si respectables & si sacrées, le goût des vains plaisirs & des folles dépenses est chez nous la passion dominante, ou plutôt c'est une espece de manie qui possede les grands & les petits, les riches & les pauvres, & à laquelle nous sacrifions souvent une bonne partie du nécessaire.

Au reste il faudroit n'avoir aucune expérience du monde, pour proposer sérieusement l'abolition totale du luxe & des superfluités ; aussi n'est-ce pas là mon intention. Le commun des hommes est trop foible, trop esclave de la coûtume & de l'opinion, pour résister au torrent du mauvais exemple ; mais s'il est impossible de convertir la multitude, il n'est peut-être pas difficile de persuader les gens en place, gens éclairés & judicieux, à qui l'on peut représenter l'abus de mille dépenses inutiles au fond, & dont la suppression ne gêneroit point la liberté publique ; dépenses qui d'ailleurs n'ont proprement aucun but vertueux, & qu'on pourroit employer avec plus de sagesse & d'utilité : feux d'artifice & autres feux de joie, bals & festins publics, entrées d'ambassadeurs, &c. que de momeries, que d'amusemens puériles, que de millions prodigués en Europe, pour payer tribut à la coûtume ! tandis qu'on est pressé de besoins réels, auxquels on ne sauroit satisfaire, parce qu'on n'est pas fidele à l'économie nationale.

Mais que dis-je ? On commence à sentir la futilité de ces dépenses, & notre ministere l'a déjà bien reconnue, lorsque le ciel ayant comblé nos voeux par la naissance du duc de Bourgogne, ce jeune prince si cher à la France & à l'Europe entiere, on a mieux aimé pour exprimer la joie commune dans cet heureux évenement, on a mieux aimé, dis-je, allumer de toutes parts le flambeau de l'hymenée, & présenter aux peuples ses ris & ses jeux pour favoriser la population par de nouveaux mariages, que de faire, suivant la coûtume, des prodigalités mal entendues, que d'allumer des feux inutiles & dispendieux qu'un instant voit briller & s'éteindre.

Cette pratique si raisonnable rentre parfaitement dans la pensée d'un sage suédois, qui donnant une somme, il y a deux ans, pour commencer un établissement utile à sa patrie, s'exprimoit ainsi dans une lettre qu'il écrivoit à ce sujet : " Plût au ciel que la mode pût s'établir parmi nous, que dans tous les évenemens qui causent l'allégresse publique, on ne fît éclater sa joie que par des actes utiles à la société ! on verroit bientôt nombre de monumens honorables de notre raison, qui perpétueroient bien mieux la mémoire des faits dignes de passer à la postérité, & seroient plus glorieux pour l'humanité que tout cet appareil tumultueux de fêtes, de repas, de bals, & d'autres divertissemens usités en pareilles occasions ". Gazette de France, 8 Décembre 1753. Suede.

La même proposition est bien confirmée par l'exemple d'un empereur de la Chine qui vivoit au dernier siecle, & qui dans l'un des grands évenemens de son regne, défendit à ses sujets de faire les réjoüissances ordinaires & consacrées par l'usage, soit pour leur épargner des frais inutiles & mal placés, soit pour les engager vraisemblablement à opérer quelque bien durable, plus glorieux pour lui-même, plus avantageux à tout son peuple, que des amusemens frivoles & passagers, dont il ne reste aucune utilité sensible.

Voici encore un trait que je ne dois pas oublier : " Le ministere d'Angleterre, dit une gazette.... de l'année 1754, a fait compter mille guinées à M. Wal, ci-devant ambassadeur d'Espagne à Londres ; ce qui est, dit-on, le présent ordinaire que l'état fait aux ministres étrangers en quittant la Grande-Bretagne ". Qui ne voit que mille guinées ou mille louis forment un présent plus utile & plus raisonnable que ne seroit un bijou, uniquement destiné à l'ornement d'un cabinet ?

Après ces grands exemples d'épargne politique, oseroit-on blâmer cet ambassadeur hollandois, qui recevant à son départ d'une cour étrangere le portrait du prince enrichi de diamans, mais qui trouvant bien du vuide dans ce présent magnifique, demanda bonnement ce que cela pouvoit valoir. Comme on l'eut assûré que le tout coûtoit quarante mille écus : que ne me donnoit-on, dit-il, une lettre-de-change de pareille somme à prendre sur un banquier d'Amsterdam ? Cette naïveté hollandoise nous fait rire d'abord ; mais en examinant la chose de près, les gens sensés jugeront apparemment qu'il avoit raison, & qu'une bonne lettre de quarante mille écus est bien plus de service qu'un portrait.

En suivant le même goût d'épargne, que de retranchemens, que d'institutions utiles & praticables en plusieurs genres différens ! Que d'épargnes possibles dans l'administration de la justice, police, & finances, puisqu'il seroit aisé, en simplifiant les régies & les autres affaires, d'employer à tout cela bien moins de monde qu'on ne fait à présent ! Cet article est assez important pour mériter des traités particuliers ; nous en avons sur cela plusieurs qu'on peut lire avec beaucoup de fruit.

Que d'épargnes possibles dans la discipline de nos troupes, & que d'avantages on en pourroit tirer pour le roi & pour l'état, si l'on s'attachoit comme les anciens à les occuper utilement ! J'en parlerai dans quelqu'autre occasion.

Que d'épargnes possibles dans la police des Arts & du Commerce, en levant les obstacles qu'on trouve à chaque pas sur le transport & le débit des marchandises & denrées, mais sur-tout en rétablissant peu-à-peu la liberté générale des métiers & négoces, telle qu'elle étoit jadis en France, & telle qu'elle est encore aujourd'hui en plusieurs états voisins ; supprimant par conséquent les formalités onéreuses des brevets d'apprentissage, maîtrises & réceptions, & autres semblables pratiques, qui arrêtent l'activité des travailleurs, souvent même qui les éloignent tout-à-fait des occupations utiles, & qui les jettent ensuite en des extrémités funestes ; pratiques enfin que l'esprit de monopole a introduites en Europe, & qui ne se maintiennent dans ces tems éclairés, que par le peu d'attention des législateurs. Nous n'avons déjà, tous tant que nous sommes, que trop de répugnance pour les travaux pénibles ; il ne faudroit pas en augmenter les difficultés, ni faire naître des occasions ou des prétextes à notre paresse.

De plus, indépendamment des maîtrises, il y a parmi les ouvriers mille usages abusifs & ruineux qu'il faudroit abolir impitoyablement ; tels sont, par exemple, tous droits de compagnonage, toutes fêtes de communauté, tous frais d'assemblée, jettons, bougies, repas & buvettes ; occasions perpétuelles de fainéantise, d'excès & de pertes, qui retombent nécessairement sur le public, & qui ne s'accordent point avec l'économie nationale.

Que d'épargnes possibles enfin dans l'exercice de la religion, en supprimant les trois quarts de nos fêtes, comme on l'a fait en Italie, dans l'Autriche, dans les Pays-Bas, & ailleurs : la France y gagneroit des millions tous les ans ; outre que l'on épargneroit bien des frais qui se font ces jours-là dans nos églises. Qu'on pardonne sur cela les détails suivans, à un citoyen que l'amour du bien public anime.

Quel soulagement & quelle épargne pour le public, si l'on retranchoit la distribution du pain-beni ! C'est une dépense des plus inutiles, dépense néanmoins considérable & qui fait crier bien des gens. On dit que certains officiers des paroisses font sur cela de petites concussions, ignorées sans-doute de la police, & que la loi n'ayant rien fixé là-dessus, ils rançonnent les citoyens impunément selon qu'ils les trouvent plus ou moins faciles. Quoi qu'il en soit, il est démontré par un calcul exact, que le pain-beni coûte en France plusieurs millions par an ; il n'est cependant d'aucune nécessité, il y a même des contrées dans le royaume où l'on n'en donne point du tout : en un mot, il ne porte pas plus de bénédiction que l'eau qu'on employe pour le benir ; & par conséquent ou pourroit s'en tenir à l'eau qui ne coûte rien, & supprimer la dépense du pain-beni comme onéreuse à bien du monde.

Après avoir indiqué la suppression du pain-beni, je ne crois pas devoir épargner davantage la plûpart des quêtes usitées parmi nous, & sur-tout la location des chaises. Tous négoces sont défendus dans le temple du Seigneur ; lui-même les a proscrits hautement, & je ne vois rien dans l'évangile sur quoi il ait parlé avec tant de force. Domus mea domus orationis est, vos autem fecistis illam speluncam latronum. Luc, xjx. 46. Il me semble que c'est une leçon & pour les pasteurs & pour les magistrats.

Rien de plus indécent que de vendre la place à l'église ; MM. les ecclésiastiques ont grand soin de s'y mettre à l'aise & proprement, assis & à genoux : il conviendroit que tous les fideles y fussent de même commodément, & sans jamais financer. Pour cela il y faudroit mettre des bancs appropriés à cette fin, bancs qui rempliroient la nef & les côtés, & n'y laisseroient que de simples passages. J'ai vû quelque chose d'approchant dans une province du royaume, mais beaucoup mieux en Angleterre & en Hollande, où l'on est assis dans les temples sans aucuns frais, & sans être interrompu par des mendians, par des quêteurs, ni par des loüeurs de chaises. En quoi les Protestans nous donnent un bel exemple à suivre, si nous étions assez raisonnables, assez desintéressés pour cela.

Mais, dira-t-on sans-doute, cette recette retranchée, comment fournir aux dépenses ordinaires ? En voici le moyen sûr & facile, c'est de retrancher tout-à-fait une bonne partie de ces dépenses, & de modérer, comme il est possible, celles que l'on croit les plus indispensables. Quelle nécessité d'avoir tant de chantres & autres officiers dans les paroisses ? A quoi bon tant de luminaires, tant d'ornemens, tant de cloches, &c. Si l'on étoit un peu raisonnable faudroit-il tant d'étalage, tant de cire & de sonnerie pour enterrer les morts ? On en peut dire autant de mille autres superfluités onéreuses, & qui dénotent plus dans les uns l'amour du lucre, dans les autres l'amour du faste, que le zele de la religion & de la vraie piété.

Au surplus, il n'est pas possible que de simples particuliers remédient jamais à de pareils abus ; chacun sent la tyrannie de la coûtume, chacun même en gémit dans son particulier ; cependant tout le monde porte le joug. L'homme enfant craint la censure & le qu'en dira-t-on, & personne n'ose résister au torrent. C'est donc au gouvernement à déterminer une bonne fois, suivant la différence des conditions, tous frais funéraires, frais de mariage & de baptême, &c. & je crois qu'on pourroit, au grand bien du public, les reduire à-peu-près au tiers de ce qu'il en coûte aujourd'hui ; ensorte que ce fût une regle constante pour toutes les familles, & qu'il fût absolument défendu aux particuliers & aux curés de faire ou de souffrir aucune dépense au-delà.

Quelques politiques modernes ont sagement observé que le nombre surabondant des gens d'église étoit visiblement contraire à l'opulence nationale, ce qui est principalement vrai des réguliers de l'un & de l'autre sexe. En effet, excepté ceux qui ont un ministere utile & connu, tous les autres vivent aux dépens des vrais travailleurs, sans rien produire de profitable à la société ; ils ne contribuent pas même à leur propre subsistance, fruges consumere nati ; Hor. l. I. ep. ij. v. 29. & bien qu'issus la plûpart des conditions les plus médiocres, bien qu'assujettis par état aux rigueurs de la pénitence, ils trouvent moyen d'éluder l'antique loi du travail, & de mener une vie douce & tranquille sans être obligés d'essuyer la sueur de leur visage.

Pour arrêter un si grand mal politique, il ne faudroit admettre aux ordres que le nombre de sujets nécessaires pour le service de l'église. A l'égard des reclus qui ont un ministere public, on ne peut que loüer leur zele à remplir leurs fonctions pénibles, & on doit les regarder comme des sujets précieux à l'état. Pour les autres qui n'ont pas d'occupations importantes, il paroîtroit à-propos d'en diminuer le nombre à l'avenir, & de chercher des moyens pour les rendre plus utiles.

Voilà plusieurs moyens d'épargne que les politiques ont déjà touchés ; mais en voici un autre qu'ils n'ont pas encore effleuré, & qui est néanmoins des plus intéressans : je parle des académies de jeu, qui sont visiblement contraires au bien national ; mais je parle sur-tout des cabarets si multipliés, si nuisibles parmi nous, que c'est pour le peuple la cause la plus commune de sa misere & de ses desordres.

Les cabarets, à le bien prendre, sont une occasion perpétuelle d'excès & de pertes ; & il seroit très-utile, dans les vûes de la religion & de la politique, d'en supprimer la meilleure partie à mesure qu'ils viendroient à vaquer. Il ne seroit pas moins important de les interdire pendant les jours ouvrables à tous les gens établis & connus en chaque paroisse ; de les fermer séverement à neuf heures du soir dans toutes les saisons, & de mettre enfin les contrevenans à une bonne amende, dont moitié aux dénonciateurs, moitié aux inspecteurs de police.

Ces réglemens, dira-t-on, bien qu'utiles & raisonnables, diminueroient le produit des aides ; mais premierement le royaume n'est pas fait pour les aides, les aides au contraire sont faites pour le royaume ; elles sont proprement une ressource pour subvenir à ses besoins : si cependant par quelque occasion que ce puisse être, elles devenoient nuisibles à l'état, il n'est pas douteux qu'il ne fallût les rectifier ou chercher des moyens moins ruineux, à-peu-près comme on change ou qu'on cesse un remede lorsqu'il devient contraire au malade.

D'ailleurs les réglemens proposés ne doivent point allarmer les financiers, par la grande raison que ce qui ne se consommeroit pas dans les cabarets, se consommeroit encore mieux, & plus universellement, dans les maisons particulieres, mais pour l'ordinaire sans excès & sans perte de tems ; au lieu que les cabarets, toûjours ouverts, dérangent si bien nos ouvriers, qu'on ne peut d'ordinaire compter sur eux, ni voir la fin d'un ouvrage commencé. Nous nous plaignons sans-cesse de la dureté des tems ; que ne nous plaignons-nous plutôt de notre imprudence, qui nous porte à faire & à tolérer des dépenses & des pertes sans nombre ?

Autre proposition qui tient à l'épargne publique, ce seroit de fonder des monts de piété dans toutes nos bonnes villes, pour faire trouver de l'argent sur gage & sans intérêt ; si ce n'est peut-être qu'on pourroit tirer deux pour cent par année, pour fournit aux frais de la régie. On sait que les prêteurs-usuraires sont très-nuisibles au public, & qu'ainsi l'on éviteroit bien des pertes si l'on pouvoit se passer de leur ministere. Il seroit donc à souhaiter que les ames pieuses & les coeurs bienfaisans songeassent sérieusement à effectuer les fondations favorables dont nous parlons.

Outre la commodité générale d'un emprunt gratuit & facile pour les peuples, je regarde comme l'un des avantages de ces établissemens, que ce seroit autant de bureaux connus où l'on pourroit déposer avec confiance des sommes qu'on n'est pas toûjours à portée de placer utilement, & dont on est quelquefois embarrassé. Combien d'avares qui, craignant pour l'avenir, n'osent se défaire de leur argent ; & qui malgré leurs précautions, ont toûjours à redouter les vols, les incendies, les pillages, &c. Combien d'ouvriers, combien de domestiques & d'autres gens isolés, qui ayant épargné une petite somme, dix pistoles, cent écus, plus ou moins, ne savent actuellement qu'en faire, & appréhendent avec raison de les dissiper ou de les perdre ? Je trouve donc qu'il seroit avantageux dans tous ces cas de pouvoir déposer sûrement une somme quelconque, avec liberté de la retirer à son gré. Par-là on feroit circuler dans le public une infinité de sommes petites ou grandes qui demeurent aujourd'hui dans l'inaction. D'un autre côté, les particuliers déposans éviteroient bien des inquiétudes & des filouteries ; outre qu'ils seroient moins exposés à prêter leur argent mal-à-propos, ou à le dépenser follement. Ainsi chacun retrouveroit ses fonds ou ses épargnes, lorsqu'il se présenteroit de bonnes affaires, & la plûpart des ouvriers & des domestiques deviendroient plus économes & plus rangés.

Cette habitude d'économie dans les moindres sujets est plus importante qu'on ne croit au bien général ; & c'est en quoi nous sommes fort au-dessous des nations voisines, qui presque toutes sont plus accoûtumées que nous à l'épargne & aux attentions économiques. Voici sur cela un trait qui est particulier aux Anglois, & qui mérite d'être rapporté. On assûre donc qu'il y a chez eux, dans la plûpart des grandes maisons, ce qu'ils appellent a saving-man, c'est-à-dire un domestique attentif & ménager qui veille perpétuellement à ce que rien ne traîne, à ce que rien ne se perde ou ne s'égare. Son unique emploi est de roder à toute heure dans tous les recoins d'une grande maison, depuis la cave jusqu'au grenier, dans les cours, écuries, jardins, & autres dépendances, de remettre en son lieu tout ce qu'il trouve déplacé, & d'emporter dans son magasin tout ce qu'il rencontre épars & à l'abandon, de la ferraille de toute espece, des bouts de planche & autres bois, des cordes, du cuir, de la chandelle, toute sorte de hardes, meubles, ustenciles, outils, &c.

Outre une infinité de choses, chacune de peu de valeur, mais dont l'ensemble est important, & dont cet économe prévient la perte, il conserve aussi bien souvent des choses de prix, que des maîtres, des domestiques ou des ouvriers laissent traîner par oubli, ou par quelque autre raison que ce puisse être. Sa vigilance réveille l'attention des autres, & il devient par état l'antagoniste de la friponnerie & le réparateur de la négligence.

J'ai déjà marqué ci-devant qu'il n'étoit ici question que d'épargne publique, & que je ne touchois presque point à la conduite des particuliers. Plusieurs néanmoins ne m'ont opposé que de prétendus inconvéniens contre la suppression totale de notre luxe, ce qui n'attaque point ma thèse, & porte par conséquent à faux : cependant je tâcherai de répondre à l'objection, comme si je lui trouvois quelque fondement solide.

Si l'on suivoit, dit-on, tant de projets de perfection & de réformes ; que d'un côté l'on supprimât les dépenses inutiles ; que de l'autre, on se livrât de toutes parts à des entreprises fructueuses ; en un mot, que l'économie devînt à la mode parmi les François, on verroit bien-tôt, à la vérité, notre opulence sensiblement accrue ; mais que feroit-on de tant de richesses accumulées ? D'ailleurs la plûpart des sujets, moins employés aux arts de somptuosité, n'auroient guere de part à tant d'opulence, & languiroient apparemment au milieu de l'abondance générale.

Il est aisé de répondre à cette difficulté. En effet, si l'épargne économique s'établissoit parmi nous ; qu'on donnât plus au nécessaire & moins au superflu, il se feroit, j'en conviens, moins de dépenses frivoles & mal-placées, mais aussi s'en feroit-il beaucoup plus de raisonnables & de vertueuses. Les riches & les grands, moins obérés, payeroient mieux leurs créanciers : d'ailleurs plus puissans & plus pécunieux, ils auroient plus de facilité à marier leurs enfans ; au lieu d'un mariage, ils en feroient deux ; au lieu de deux, ils en feroient quatre, & l'on verroit ainsi moins de renversement & moins d'extinctions dans les familles. On donneroit moins au faste, au caprice, à la vanité ; mais on donneroit plus à la justice, à la bienfaisance, à la véritable gloire ; en un mot, on employeroit beaucoup moins de sujets à des arts stériles, arts d'amusement & de frivolité, mais beaucoup plus à des arts avantageux & nécessaires ; & pour lors, s'il y avoit moins d'artisans du luxe & des plaisirs, moins de domestiques inutiles & desoeuvrés, il y auroit en récompense plus de cultivateurs, & d'autres précieux instrumens de la véritable richesse.

Il est démontré, pour quiconque refléchit, que la différence d'occupation dans les sujets produit l'opulence ou la disette nationale, en un mot le bien ou le mal de la société. On sent parfaitement que si quelqu'un peut tenir un homme à ses gages, il lui sera plus avantageux d'avoir un bon jardinier que d'entretenir un domestique de parade. Il y a donc des emplois infiniment plus utiles les uns que les autres ; & si l'on occupoit la plûpart des hommes avec plus d'intelligence & d'utilité, la nation en seroit plus puissante, & les particuliers plus à leur aise.

D'ailleurs la pratique habituelle de l'épargne produisant, au moins chez les riches, une surabondance de biens qui ne s'y trouve presque jamais, il en résulteroit pour les peuples un soulagement sensible, en ce que les petits alors seroient moins inquiétés & moins foulés par les grands. Que le loup cesse d'avoir faim, il ne désolera plus les bergeries.

Quoi qu'il en soit, les propositions & les pratiques énoncées ci-dessus nous paroîtroient plus intéressantes, si une mauvaise coûtume, si l'ignorance & la mollesse ne nous avoient rendus indifférens sur les avantages de l'épargne, & sur-tout si cette habitude précieuse n'étoit confondue le plus souvent avec la sordide avarice. Erreur dont nous avons un exemple connu dans le jugement peu favorable qu'on a porté de nos jours d'un citoyen vertueux & desintéressé, feu M. Godinot, chanoine de Reims.

Amateur passionné de l'Agriculture, il consacroit à l'étude de la Physique & aux occupations champêtres tout le loisir que lui laissoit le devoir de sa place. Il s'attacha spécialement à perfectionner la culture des vignes, & plus encore la façon des vins, & bien-tôt il trouva l'art de les rendre si supérieurs & si parfaits, qu'il en fournit dans la suite à tous les potentats de l'Europe ; ce qui lui donna moyen dans le cours d'une longue vie, d'accumuler des sommes prodigieuses, sommes dont ce philosophe chrétien méditoit de longue-main l'usage le plus noble & le plus digne de sa bienfaisance.

Du reste, il vivoit dans la plus grande simplicité, dans la pratique fidele & constante d'une épargne visible, & qui sembloit même outrée. Aussi les esprits vulgaires qui ne jugent que sur les apparences, & qui ne connoissoient pas ses grands desseins, ne le regarderent pendant bien des années qu'avec une sorte de mépris ; & ils continuerent toûjours sur le même ton, jusqu'à ce que plus instruits & tout-à-fait subjugués par les établissemens & les constructions utiles dont il décora la ville de Reims, & sur-tout par les travaux immenses qu'il entreprit à ses frais, pour y conduire des eaux abondantes & salubres qui manquoient auparavant, ils lui prodiguerent enfin avec le reste de la France le tribut d'éloges & d'admiration, qu'ils ne pouvoient refuser à son généreux patriotisme.

Un si beau modele touchera sans-doute le coeur des François, encouragés d'ailleurs par l'exemple de plusieurs sociétés établies en Angleterre, en Ecosse & en Irlande, sociétés uniquement occupées de vûes économiques, & qui de leurs propres deniers font tous les ans des largesses considérables aux laboureurs, & aux artistes qui se distinguent par la supériorité de leurs travaux & de leurs découvertes. Le même goût s'est répandu jusqu'en Italie. On apprit l'an passé le nouvel établissement d'une académie d'Agriculture à Florence.

Mais c'est principalement en Suede que la science économique semble avoir fixé le siége de son empire. Dans les autres contrées elle n'est cultivée que par quelques amateurs, ou par de foibles compagnies encore peu accréditées & peu connues : en Suede, elle trouve une académie royale qui lui est uniquement dévoüée ; qui est formée d'ailleurs & soûtenue par tout ce qu'il y a de plus savant & de plus distingué dans l'état ; académie qui, écartant tout ce qui n'est que d'érudition, d'agrément & de curiosité, n'admet que des observations & des recherches tendantes à l'utilité physique & sensible.

C'est de ce fonds abondant que s'enrichit le plus souvent notre journal économique, production nouvelle digne par son objet de toute l'attention du ministere, & qui l'emporteroit par son utilité sur tous nos recueils d'académies, si le gouvernement commettoit à la direction de cet ouvrage des hommes parfaitement au fait des sciences & des arts économiques, & que ces hommes précieux, animés & conduits par un supérieur éclairé, ne fussent jamais à la merci des entrepreneurs, jamais frustrés par conséquent des justes honoraires si bien dûs à leur travail.

Ce seroit en effet une vûe bien conforme à la justice & à l'économie publique, de ne pas abandonner le plus grand nombre de sujets à la rapacité de ceux qui les employent, & dont le but principal, ou pour mieux dire unique, est de profiter du labeur d'autrui sans égard au bien des travailleurs. Sur quoi j'observe que dans ce conflit d'intérêts, le gouvernement devroit abroger toute concession de droits privatifs, fermer l'oreille à toute représentation qui, colorée du bien public, est au fond suggérée par l'esprit de monopole, & qu'il devroit opérer sans ménagement ce qui est équitable en soi, & favorable à la franchise des arts & du commerce.

Quoi qu'il en soit, nous pouvons féliciter la France de ce que, parmi tant d'académiciens livrés à la manie du bel esprit, mais peu touchés des recherches utiles, elle compte des génies supérieurs, des hommes consommés en tout genre de sciences, lesquels ont toûjours allié la beauté du style, les graces même de l'éloquence avec les études les plus solides, & qui s'étant consacrés depuis bien des années à des travaux & à des essais économiques, nous ont enrichis, comme on sait, des découvertes les plus intéressantes.

Il paroît enfin que depuis la paix de 1748, le goût de l'économie publique gagne insensiblement l'Europe entiere. Les princes aujourd'hui, plus éclairés qu'autrefois, ambitionnent beaucoup moins de s'aggrandir par la guerre. L'histoire & l'expérience leur ont également appris que c'est une voie incertaine & destructive. L'amélioration de leurs états leur en présente une autre plus courte & plus assûrée ; aussi tous s'y livrent comme à l'envi, & ils paroissent plus disposés que jamais à profiter de tant d'ouvrages publiés de nos jours sur le commerce, la navigation, & la finance, sur l'exploitation des terres, sur l'établissement & le progrès des arts les plus utiles ; dispositions favorables, qui contribueront à rendre les sujets plus économes, plus sains, plus fortunés, & je crois même plus vertueux.

En effet, la véritable économie également inconnue à l'avare & au prodigue, tient un juste milieu entre les extrèmes opposés ; & c'est au défaut de cette vertu si déprimée, qu'on doit attribuer la plûpart des maux qui couvrent la face de la terre. Le goût trop ordinaire des amusemens, des superfluités & des délices entraîne la mollesse, l'oisiveté, la dépense, & souvent la disette, mais toûjours au moins la soif des richesses, qui deviennent d'autant plus nécessaires qu'on s'assujettit à plus de besoins ; ce qui produit ensuite les artifices & les détours, la rapacité, la violence, & tant d'autres excès qui viennent de la même source.

Je prêche donc hautement l'épargne publique & particuliere ; mais c'est une épargne sage & desintéressée, qui donne du courage contre la peine, de la fermeté contre le plaisir, & qui est enfin la meilleure ressource de la bienfaisance & de la générosité ; c'est cette honnête parcimonie si chere autrefois à Pline le jeune, & qui le mettoit en état, comme il le dit lui-même, de faire dans une fortune médiocre, de grandes libéralités publiques & particulieres. Quidquid mihi pater tuus debuit, acceptum tibi ferri jubeo ; nec est quod verearis ne sit mihi ista onerosa donatio. Sunt quidem omnino nobis modicae facultates, dignitas sumptuosa, reditus propter conditionem agellorum nescio minor an incertior ; sed quod cessat ex reditu, frugalitate suppletur, ex quâ velut à fonte liberalitas nostra decurrit. Lettres de Pline, livre II. lettre jv. On trouve dans toutes ces lettres mille traits de bienfaisance. Voyez sur-tout liv. III. lett. xj. liv. IV. lett. xiij. &c.

Rien ne devroit être plus recommandé aux jeunes gens que cette habitude vertueuse, laquelle deviendroit pour eux un préservatif contre les vices. C'est en quoi l'éducation des anciens étoit plus conséquente & plus raisonnable que la nôtre. Ils accoûtumoient les enfans de bonne-heure aux pratiques du ménage, tant par leur propre exemple que par le pécule qu'ils leur accordoient, & que ceux-ci, quoique jeunes & dépendans, faisoient valoir à leur profit. Cette legere administration leur donnoit un commencement d'application & de sollicitude, qui devenoit utile pour le reste de la vie.

Que nous pensons là-dessus différemment des anciens ! on n'oseroit aujourd'hui tourner les jeunes gens à l'économie ; & ce seroit, comme l'on pense, n'avoir pas de sentimens que de leur en inspirer l'estime & le goût. Erreur bien commune dans notre siecle, mais erreur funeste qui nuit infiniment à nos moeurs. On a fondé en mille endroits des prix d'éloquence & de poësie ; qui fondera parmi nous des prix d'épargne & de frugalité ?

Au reste, ces propositions n'ont d'autre but que d'éclairer les hommes sur leurs intérêts, de les rendre plus attentifs sur le nécessaire, moins ardens sur le superflu, en un mot d'appliquer leur industrie à des objets plus fructueux, & d'employer un plus grand nombre de sujets pour le bien moral, physique & sensible de la société. Plût au ciel que de telles moeurs prissent chez nous la place de l'intérêt, du luxe & des plaisirs ; que d'aisance, que de bonheur & de paix il en résulteroit pour tous les citoyens ! Cet article est de M. FAIGUET.


EPARS(Gramm.) Il se dit en général d'un grand nombre d'objets de la même espece, distribués sur un espace beaucoup plus grand que celui qu'ils devroient naturellement occuper : ainsi épars est encore un terme relatif ; & les deux termes de la comparaison sont le nombre & le lieu, ou les distances des objets les uns à l'égard des autres.


EPARTSS. m. pl. terme de Charron, sont des morceaux de bois plat, de l'épaisseur d'un bon pouce, long environ de cinq piés, qui joignent les deux limons & les assujettissent à pareille distance : c'est dessus les éparts que l'on assujettit les planches du fond.


EPARVIou EPERVIN, s. m. (Manége Maréch.) tumeur qui affecte les jarrets, & qui ne doit être regardée que comme un gonflement de l'éminence osseuse qui est à la partie latérale interne & supérieure de l'os du canon : les anciens ont donné à cette éminence le non d'éparvin ou d'épervin ; & c'est en conséquence de cette dénomination que l'on a appellé ainsi la tumeur dont il s'agit, & sur laquelle je ne peux me dispenser de m'étendre dans cet article.

Presque tous les auteurs ont distingué trois sortes d'éparvins ; l'éparvin sec, l'éparvin de boeuf ; & l'éparvin calleux.

Par l'éparvin sec ils ont prétendu désigner une maladie qui consiste dans une flexion convulsive & précipitée de la jambe qui en est attaquée lorsque l'animal marche. Ce mouvement irrégulier que nous exprimons, d'un commun accord, par le terme harper, est très-visible dès les premiers pas que fait le cheval, & continue jusqu'à ce qu'il soit échauffé ; après quoi on ne l'apperçoit plus : si néanmoins la maladie est à un certain période, l'animal harpe toûjours. Un cheval crochu avec ce défaut doit être absolument rejetté : ceux dans les deux jambes desquels il se rencontre, n'ont pas été rebutés & proscrits des manéges, quand ils ont eu des qualités d'ailleurs ; parce qu'au moyen de ces deux prétendus éparvins, leurs courbettes ont paru plus trides, & leurs battues plus sonores. On doit encore observer que ce mal ne suscite aucune claudication ; & s'il arrive que l'animal boite au bout d'un certain tems, c'est en conséquence de quelque autre maladie qui survient au jarret, fatigué par la continuité de l'action forcée qui résulte de la flexion convulsive dont j'ai parlé.

On ne doit chercher la raison de cette flexion que dans les muscles mêmes qui servent à ce mouvement, c'est-à-dire dans les muscles fléchisseurs, ou dans les nerfs qui y aboutissent ; car les nerfs sont les renes, par le moyen desquelles les corps sont mûs, tournés & agités en divers sens, & ce n'est qu'à eux que les parties doivent véritablement leur action & leur jeu. C'est aussi dans leur tension irréguliere, & dans la circulation précipitée des esprits animaux, que nous découvrons le principe & la source des convulsions & des mouvemens convulsifs : mais alors ces mouvemens se remarquent indistinctement dans plusieurs parties, & ont lieu de différentes manieres & en toutes sortes de tems ; tandis qu'ici ils se manifestent constamment, & toûjours dans les seuls muscles fléchisseurs de la jambe, & qu'ils ne sont sensibles qu'autant que l'animal chemine. Or pour déterminer quelque chose dans une matiere aussi abstraite & aussi embarrassante, je dirai que cette maladie arrivera, lorsqu'en conséquence d'un exercice violent & réitéré, ces muscles, & même le tissu des fibres nerveuses qui en font partie, auront souffert une distention telle qu'il en résultera une douleur plus ou moins vive, au moindre mouvement de contraction qu'ils seront sollicités de faire ; & c'est précisément cette douleur que l'animal ressent dans le moment, qui l'oblige à hâter, à précipiter son mouvement, à harper : que si la maladie n'est pas parvenue à un degré considérable, cette sensation douloureuse n'existera que pendant les premiers mouvemens, c'est-à-dire dans les premiers instans où ces muscles entreront en contraction, après lesquels elle cessera, & l'action de la partie s'opérera dans l'ordre naturel, comme si l'on pouvoit dire que les fibres souffrantes s'accoûtument & se font à ce mouvement. Nous avons un exemple de cette diminution & de cette cessation de sensibilité & de douleur dans certains chevaux qui boitent de l'épaule, & qui sont droits après un certain tems de travail, c'est-à-dire lorsque cette partie est échauffée.

Il est donc de toute impossibilité d'assigner raisonnablement à cette maladie une place dans le jarret ou dans les parties qui l'environnent. 1°. Son siége n'est point apparent, & elle ne s'annonce par aucun signe extérieur. 2°. J'ai vû trois chevaux harper du devant, au moment où ils fléchissoient le genou. 3°. Dans ce cas l'animal boiteroit infailliblement, & retarderoit son action, loin de la hâter. Que le jeu d'une articulation quelconque soit en effet traversé par quelque obstacle d'où puisse résulter une impression douloureuse ; qu'il y ait dans le jarret une courbe accrue à un certain point ; qu'un osselet ou boulet gêne & contraigne les tendons dans leur passage, le cheval, pour échapper à la douleur, & pour diminuer la longueur du moment où il la ressent, ne précipitera point son mouvement, ou s'il le précipite, ce ne sera qu'en se rejettant promtement sur la partie qui n'est point affectée, pour soulager celle qui souffre, & non en hâtant & en forçant l'action à laquelle il étoit déterminé. C'est aussi ce qui me confirme dans l'idée que je me suis formée des causes de la flexion convulsive dont il est question. Le premier moment de la contraction des muscles est l'instant de la douleur, & la preuve en est palpable, si l'on fait attention qu'avant l'influx des esprits animaux qui produisent la contraction, les fibres dans une situation ordinaire n'étoient point agitées, & l'animal ne souffroit point : or si le premier moment de la contraction est celui de la douleur, il faut donc conclure que le siége du mal est dans la partie qui se contracte, c'est-à-dire dans la portion charnue des muscles, & non dans les tendons qui sont simplement tirés par le moyen de la contraction, ainsi que les autres parties auxquelles ces muscles ont leurs attaches ; & conséquemment cette flexion convulsive, ce mouvement irrégulier & extraordinaire ne peut être imputé à un vice dans les jarrets.

Les deux autres especes d'éparvins peuvent véritablement affecter cette partie, mais les idées que l'on en a conçûes jusqu'ici ne sont pas exactement distinctes.

Le premier est appellé éparvin de boeuf, parce que les boeufs d'un certain âge, & après un certain tems de travail, y sont extrèmement sujets. Dans ces animaux, selon la dissection que j'en ai faite moi-même, on apperçoit une tumeur humorale d'un volume extraordinaire, située à la partie latérale interne du jarret, & qui occupe presque toute cette portion : elle est produite par des humeurs lymphatiques arrêtées dans les ligamens de l'articulation, & notamment dans le ligament capsulaire. Cette humeur molle dans son origine, mais s'endurcissant par son séjour, devient platreuse ; de maniere que la tumeur qu'elle forme est extrèmement dure. Il s'agiroit donc de savoir si dans le cheval c'est cette même tumeur que l'on appelle éparvin : pour cet effet considérons-en la situation, le volume & la consistance, soit dans son principe, soit dans ses progrès. Quant à sa situation, elle occupe, ainsi que je viens de le remarquer, toute la partie latérale interne du jarret : son volume est donc plus considérable dans le boeuf que dans le cheval, & son siége n'est pas précisément le même, puisque nous ne lui en assignons d'autre dans celui-ci que l'éminence, qui est à la partie latérale interne & supérieure du canon. Quant à sa consistance, j'avoue ingénuement que jamais l'éparvin ne m'a paru mol dans son commencement & lors de sa naissance : ainsi, sans prétendre nier la possibilité de l'existence de cette tumeur humorale dans le jarret du cheval, si elle s'y rencontre, je l'envisagerai comme une tumeur d'une nature qui n'a rien de particulier, & qui peut arriver indistinctement à d'autres parties.

Je nommerai par conséquent seulement éparvin la tumeur ou le gonflement de l'éminence osseuse même dont j'ai parlé ; & dans le cas où le jarret sera affecté d'une tumeur pareille à celle qui se montre quelquefois sur le jarret du boeuf, je la considérerai comme une maladie totalement différente de l'éparvin, soit qu'elle soit molle, soit qu'elle soit endurcie ; parce que ce qui caractérise l'éparvin est sa situation, & que dans la maladie que je reconnois pour telle, je ne vois de gonflement qu'à la portion de l'os du canon, que l'on a nommée ainsi ; & c'est un mal dont le siége, ainsi que celui de la courbe, est dans l'os même.

La courbe n'est en effet autre chose qu'une tumeur ou un gonflement du tibia : elle est située supérieurement à l'éparvin, à la partie interne inférieure de cet os ; c'est-à-dire, qu'elle en occupe le condile de ce même côté, & elle en suit la forme, puisqu'elle est oblongue & plus étroite à sa partie supérieure & à son origine qu'à sa partie inférieure. Le gonflement, en augmentant, ne peut que gêner l'articulation ; ce qui produit insensiblement & peu-à-peu la difficulté du mouvement : il contraint aussi les tendons & les ligamens qui l'environnent ; ce qui, outre la difficulté du mouvement, excitera & occasionnera la douleur. Aussi voyons-nous que l'animal qui est attaqué de cette maladie boite plus ou moins, selon les degrés & les progrès du mal : sa jambe est roide, la flexion du jarret n'est point facile, & il souffre, de maniere enfin qu'elle est presque entierement interrompue ; cette indisposition dégénere alors en fausse anchylose. Il faut encore observer qu'elle paroît souvent accompagnée d'un gonflement au pli du jarret, à l'endroit où surviennent les varices : mais, en premier lieu, ce gonflement peut n'être qu'une tension plus grande de la peau ; tension qui résulte de l'élévation formée par la courbe ou par la tumeur de l'os : en second lieu, il peut être une suite du gênement de la circulation.

Le véritable éparvin & la courbe ont un même principe, les causes en sont communément externes, & peuvent en être internes : quelquefois les unes & les autres se réunissent.

Les premieres seront des coups, un travail violent & forcé ; & les secondes seront produites par le vice de la masse.

Les coups donneront lieu à ces tumeurs ou à ces gonflemens, parce qu'ils occasionneront une dépression, qui sera suivie de l'extravasion des sucs & de la perte de la solidité des fibres osseuses : ces sucs répandus, non-seulement la partie déprimée se relevera, mais elle augmentera en volume, selon l'abord des liqueurs.

Le trop grand exercice, un travail violent & forcé contribueront aussi à leur arrêt & à leur stagnation : 1°. par le frottement fréquent de ces os, avec lesquels ils sont articulés ; frottement suffisant pour produire le gonflement : 2°. par la disposition que des humeurs éloignées du centre de la circulation, & obligées de remonter contre leur propre poids, ont à séjourner, sur-tout celles qui sont contenues dans des veines & dans des canaux qui ne sont point exposés à l'action des muscles ; action capable d'en accélerer le mouvement progressif & le cours, & telles sont celles qui sont dans les os & dans les extrémités inférieures de l'animal.

Enfin si à défaut des causes externes nous croyons ne devoir accuser que le vice du sang, nous trouverons que des sucs épaissis ne pourront que s'arrêter dans les petites cellules qui composent les têtes ou le tissu spongieux des os, qu'ils écarteront les fibres osseuses à mesure qu'ils s'y accumuleront, qu'ils s'y durciront par leur séjour ; & de-là l'origine & l'accroissement de la courbe & de l'éparvin, lorsque ces tumeurs ne reconnoissent que des causes internes.

L'une & l'autre cedent à l'efficacité des mêmes médicamens. Si elles sont le résultat de ces dernieres causes, on débutera par les remedes généraux, c'est-à-dire par la saignée, le breuvage purgatif, dans lequel on fera entrer l'aquila alba : on mettra ensuite l'animal à l'usage du crocus metallorum, à la dose d'une once, dans laquelle on jettera quarante grains d'éthiops minéral, que l'on augmentera chaque jour de cinq grains, jusqu'à la dose de soixante.

A l'égard du traitement extérieur, borné jusqu'à présent à l'application inutile du cautere actuel, application qui, n'outre-passant pas le tégument, ne peut rien contre une tumeur résidente dans l'os, on aura soin d'exercer sur le gonflement un frottement continué, par le moyen d'un corps quelconque dur, mais lissé & poli, afin de commencer à diviser l'humeur retenue. Aussi-tôt après on y appliquera un emplâtre d'onguent de vigo, au triple de mercure, & on y maintiendra cet emplâtre avec une plaque de plomb très-mince, qui sera elle-même maintenue par une ligature, ou plûtôt par un bandage fait avec un large ruban de fil : on renouvellera cet emplâtre tous les trois jours, & ces tumeurs s'évanoüiront & se résoudront incontestablement. Il est bon de raser le poil qui les recouvre, avant d'y fixer le résolutif que je prescris, & dont j'ai constamment éprouvé les admirables effets.

Le même topique doit être employé dans le cas où ces gonflemens devroient leur naissance aux causes externes ; la saignée néanmoins sera convenable, mais on pourra se dispenser d'ordonner la purgation, le crocus metallorum, & l'éthiops minéral.

La cure de la tumeur humorale, en supposant qu'elle se montre dans le cheval, n'aura rien de différent de celle de toutes les autres tumeurs : ainsi, ensuite des remedes généraux, & après avoir, selon l'inflammation & la douleur, eu recours aux anodyns, aux émolliens, on tentera les résolutifs. Si néanmoins la tumeur se dispose à la suppuration, & paroît fuir la voie premiere que nous avons voulu lui indiquer, on appliquera des suppurans, après quoi on procédera à son ouverture : & si elle incline à se terminer par induration, on usera des émolliens, qui seront suivis par degrés des médicamens destinés à résoudre, lorsqu'on s'appercevra de leurs effets, &c. On ne doit point aussi oublier le régime que nous avons prescrit en parlant des maladies qui demandent un traitement intérieur & méthodique.

Celui du prétendu éparvin sec, que j'ai démontré n'exister en aucune façon dans le jarret, n'est pas encore véritablement connu. J'ai vainement eu recours à tous les remedes innombrables que j'ai trouvé décrits dans les ouvrages des auteurs anciens & modernes de toutes les nations, & qu'ils conseillent dans cette circonstance, aucun d'eux ne m'a réussi : j'y ai substitué, conformément à la saine pratique, les topiques, les médicamens gras, adoucissans, émolliens : j'ai employé ensuite la graisse de cheval, la graisse humaine, la graisse de blaireau, de castor, de viperes, auxquelles j'ai ajoûté les huiles distillées de rue, de lavande, de marjolaine, de muscade, de romarin, & que j'ai cherché à rendre plus pénétrantes, en les aiguisant avec quelques gouttes de sel volatil armoniac ; tous mes efforts n'ont eu aucun succès. Quelquefois cette maladie, qui d'ailleurs n'influe en aucune façon sur le fond de la santé de l'animal, a paru céder à ces remedes ; mais leur efficacité n'a été qu'apparente, & l'action de harper n'a cessé que pour quelque tems. Je ne peux donc point encore indiquer des moyens sûrs pour la vaincre ; mais j'espere que les expériences auxquelles je me livre sans-cesse, aux dépens de tout, & sans espoir d'autre récompense que celle d'être utile, m'en suggéreront d'autres, que je publierai dans mes Elémens d'Hippiatrique : ce n'est que du travail & du tems que nous devons attendre les découvertes. (e).

L'objet de l'Hippiatrique est maintenant d'une telle importance, qu'après avoir vû ce que M. Bourgelat pense de l'éparvin, on ne sera pas fâché de trouver à la suite de ses idées celles qui nous ont été communiquées par M. Genson.

C'est un avantage bien précieux pour l'Encyclopédie, d'avoir pû se procurer en même tems sur cette matiere les secours & les lumieres des deux hommes de France qui la connoissent le mieux.

Ceux pour qui l'objet de l'Hippiatrique est intéressant, trouveront ici de quoi se satisfaire ; & les hommes qui courent la même carriere remarqueront, dans ce que nous allons ajoûter de M. Genson, un exemple de cette équité, avec laquelle il seroit toûjours à souhaiter qu'on se traitât réciproquement, autant pour l'intérêt de l'art que pour l'honneur de l'humanité.

Les différens symptomes de l'éparvin ont fait diviser cette maladie en plusieurs especes : les uns prétendent en distinguer trois, l'éparvin de boeuf, l'éparvin sec, & l'éparvin calleux : les autres n'en admettent que de deux ; l'éparvin sec, & l'éparvin calleux. Les plus expérimentés n'en reconnoissent qu'un proprement dit, qui est le calleux. C'est, comme on l'a vû par ce qui précede, le sentiment de M. Bourgelat, que l'expérience nous a confirmé. On entend par l'éparvin de boeuf, une tumeur osseuse, semblable à celle qui se trouve au jarret de cet animal ; mais nous pouvons attester avec M. Bourgelat, que nous n'avons jamais rien trouvé de la nature de cet éparvin dans le jarret du cheval. On entend par éparvin sec, un mouvement convulsif que le jarret du cheval éprouve, mais qu'il faut distinguer de l'éparvin, comme ayant des causes, des accidens, & un siége différent.

Quoique l'éparvin calleux ou la tumeur osseuse contre nature, qu'on désigne par ce nom, tire sa cause principale des violentes extensions que le jarret du cheval a souffert, dont nous parlerons dans la suite, elle en reconnoît encore d'autres qui sont internes ou héréditaires, comme une mauvaise conformation des os, des ligamens, des muscles ; d'où résultent des jarrets étroits, mal-faits, crochus, trop ou trop peu arqués. Cette difformité dans le cheval vient le plus souvent de l'étalon ou de la jument qui l'ont produit, & l'éparvin est presqu'inséparable de ce vice de conformation : les parties qui en sont affectées n'ayant point leur juste proportion ni le degré de solidité, sont peu propres à soûtenir le poids énorme du cheval, encore moins à résister aux différens mouvemens que l'on lui fait faire dans de certains cas ; d'où s'ensuit que le suc nourricier des os pressé par la tension & la collision des parties encore tendres, s'épanche sur la surface supérieure latérale & interne du canon. Ce suc se durcit, & gêne plus ou moins le mouvement du jarret, selon qu'il est plus ou moins proche de l'articulation. Tantôt cette concrétion osseuse soude le canon avec quelques-uns des os voisins : pour lors elle fait boiter l'animal dès le commencement de la formation de la tumeur, & de tous les tems. Tantôt cette tumeur ne fait que pincer l'articulation : dans ce cas l'animal boite jusqu'à ce que la surface intérieure de la tumeur étant usée par le frottement de l'os voisin, laisse un mouvement libre à l'articulation ; & c'est alors qu'on dit improprement que l'éparvin est sorti.

Ce qu'on appelle proprement éparvin sec, est, comme nous l'avons dit, un mouvement convulsif dans les jarrets du cheval. M. Bourgelat en fixe le siége dans les muscles fléchisseurs, propres aux jarrets de cet animal, & la cause dans la distension de ces parties organiques, & des nerfs qui entrent dans leur composition : mais nous croyons que le siége en est aussi dans les ligamens du jarret ; car ces parties qui attachent les os ensemble, ne sont pas simples, & destinées seulement à les assujettir, comme l'ont imaginé les anciens. Ces ligamens sont des parties composées, qui par leur vertu élastique contribuent bien plus au mouvement des membres, que les muscles : or les petits tuyaux qui les composent étant fort serrés & fort étroits, pour peu que leur calibre vienne à changer dans les mouvemens violens que l'animal éprouve, les esprits animaux qui passent dans les pores de ces tuyaux retrécis, font effort pour changer & redresser ces petits tubes, & les remettre dans l'état où ils étoient ; ce qui ne peut s'exécuter sans causer à cette partie un mouvement convulsif que nous appellons harper ou trousser.

Il est inutile de proposer des remedes pour ces genres de maladies, puisque la cure en est jusqu'à présent inconnue. Ceux qui se flatent d'avoir guéri les éparvins, s'approprient mal-à-propos les effets de la nature, qui seule, pendant leurs traitemens inutiles, travaille par le frottement à lever l'obstacle que la tumeur oppose à l'articulation : aussi ces cures prétendues n'arrivent-elles que dans les cas où l'éparvin est superficiel, c'est-à-dire dans le cas où le frottement suffit pour rendre aux parties voisines la liberté de leur mouvement. Mais le vrai remede pour l'éparvin, est d'en connoître, d'en prévenir & éviter les causes primitives. Ces causes sont, 1° dans la génération du poulain, 2° dans l'éducation, 3° dans le maquignonage, 4° dans l'usage que l'on fait des chevaux.

Essayons de combattre tous ces abus, de faire sentir pourquoi les éparvins sont plus communs aux chevaux en ce tems-ci, qu'ils ne l'étoient autrefois, & d'où vient que les beaux & bons chevaux sont si rares de nos jours. 1°. De l'abondance des bons chevaux avant que les abus en eussent altéré l'espece, résultoit que l'on pouvoit faire facilement choix des bons étalons & jumens propres à multiplier : on ne les employoit point à la propagation qu'ils n'eussent atteint l'âge de six ou sept ans, & par-là presque tous les poulains étoient bien conformés. 2°. Le particulier qui avoit des poulains, ne trouvant à les vendre qu'à un certain âge, ne s'empressoit point de les dresser : ces jeunes sujets ainsi ménagés, acquéroient dans toutes leurs parties, & nommément au jarret, un parfait degré de solidité, qui les garantissoit des éparvins. 3°. Les maquignons du tems passé ignoroient la méthode de mettre continuellement leurs chevaux sur les hanches ; ignorance avantageuse pour la conservation des jarrets de ces animaux, qui semblent aujourd'hui n'être faits que pour servir de victime à ces pernicieux écuyers, qui les sacrifient à leur cupidité. 4°. Anciennement le travail que l'on faisoit faire aux chevaux, étoit des plus modérés ; ceux de carrosse étoient menés tranquillement, & ceux de selle avoient dans toutes leurs parties la bonne conformation & la solidité nécessaire pour soûtenir les courses auxquelles on les destinoit. Il résultoit de cette propagation, de cette éducation, de cette ignorance des maquignons, & de cet emploi opportun, que l'espece s'en conservoit dans la beauté & la bonté.

1°. Aujourd'hui les propriétaires des poulains, pour peu qu'ils soient beaux & bien faits, avant l'âge de trois ans en veulent tirer de la race avant de les vendre, & les employent non-seulement à la propagation, mais encore au travail. Cette avare économie les ruine, tant mâles que femelles ; & les parties qui souffrent le plus dans ces jeunes chevaux, sont les jarrets, où il se forme des éparvins, comme il est aisé de le comprendre en se rappellant les causes immédiates de cette maladie. 2°. Avant de les vendre on veut les rétablir, ou, pour mieux dire, continuer de les user, en les montant & les rassemblant pour leur donner plus de grace, & pour séduire les demi-connoisseurs. 3°. Les marchands qui les achetent, contribuent encore à leur ruiner les jarrets, en les mettant continuellement sur la montre, un énorme foüet à la main. Un garçon qui les tient vigoureusement assujettis, armé d'un bridon long de branche de plus d'un pié, enleve le cheval pardevant, tandis que le maître qui est par-derriere, le fustige sans pitié. L'animal ne sait à qui répondre ; on diroit, à voir ces réformateurs de la nature, qu'ils veulent accoûtumer ces animaux à marcher sur les deux piés de derriere, comme les singes : or est-il possible que les chevaux qui ont tout au plus quatre ans, comme presque tous ceux que les marchands vendent aujourd'hui, soient en état de supporter jusqu'à vingt fois par jour ces cruels exercices, sans que leurs jarrets soient affectés d'éparvins ? 4°. Enfin, autrefois les chevaux mouroient sans être usés, ils le sont aujourd'hui avant d'être formés. On sait à quels exercices ils sont destinés, sur-tout les plus fringans & les plus beaux : autrefois le maître étoit esclave de son cheval, aujourd'hui le cheval est esclave du maître ; usage plus raisonnable, mais plus pernicieux aux chevaux. De ces différences résulte la raison pour laquelle les chevaux finissoient autrefois leur carriere sans éparvins, au lieu qu'ils en ont souvent aujourd'hui avant même de la commencer. Ce sont les éparvins qui font la disette des bons chevaux, & cette disette à son tour occasionne les éparvins. Cet article est de M. GENSON.


ÉPATéadject. (Gramm.) se dit en général de toute partie d'un corps qui a moins de saillie qu'elle n'en doit avoir, ensorte que son applatissement lui donne alors la figure d'un pié de pot qui a peu de hauteur, eu égard à sa base. On dit que le nez des Negres est épaté. Voyez NEGRE.

EPATE, (Metteur en oeuvre) On appelle sertissure épatée, celle dont la circonférence est plus large d'enbas que d'en-haut. On employe ces sortes de sertissures aux pierres roboles & inégales, pour masquer leurs inégalités & grossir leur étendue.


EPAUFRURES. f. en Architecture ; c'est l'éclat du bord du parement d'une pierre, emporté par un coup de têtu mal donné : & encornure, c'est un autre éclat qui se fait à l'arrête de la pierre lorsqu'on la taille, qu'on la conduit, qu'on la monte, ou qu'on la pose. (P)


EPAULARDS. m. orca, (Hist. nat. Ichthiolog.) poisson cétacé, que l'on appelle dorgue en Languedoc. Il est presque rond. Il a, comme le dauphin, un conduit pour tirer l'air, & il lui ressemble par le museau, les nageoires, & la queue : mais il est vingt fois plus gros. Ses dents sont larges & pointues ; il mord la baleine, & la fait mugir comme un taureau & fuir sur les côtes, ce qui est très-favorable aux pêcheurs : aussi empêchent-ils autant qu'ils peuvent qu'on ne blesse les épaulards. Rondelet, histoire des poissons, liv. XVI. chap. jx. Voyez POISSON. (I)


EPAULES. f. (Anat.) partie double du corps humain, située à l'extrémité supérieure, & qui est composée de deux pieces osseuses ; l'une antérieure appellée clavicule, & l'autre postérieure dite omoplate. Voyez CLAVICULE, OMOPLATE.

On sait que c'est principalement de l'omoplate que dépendent les différentes attitudes de l'épaule ; car la clavicule ne fait que suivre les mouvemens de l'omoplate, en bornant néanmoins ces mouvemens dans certaines attitudes : aussi la clavicule n'a d'autre muscle que le soûclavier, tandis que l'omoplate en a cinq considérables qui servent à la lever, à l'abaisser, à la porter en-arriere, à la ramener en-devant, en un mot à tous les mouvemens de l'épaule.

Les épaules sont plus hautes ou plus basses, plus larges ou plus étroites dans différentes personnes, ce qui dépend des deux pieces qui forment cette partie : mais par leur substance cartilagineuse & flexible dans la premiere enfance, elles sont susceptibles de prendre de mauvaises conformations, comme de s'arrondir ou de se voûter, de produire l'engoncement, & même de contracter une inégalité de hauteur ; trois difformités principales qui gâtent entierement la beauté de la taille. Indiquons donc les moyens de prévenir ou de corriger ces sortes de défauts, d'après les bons auteurs d'Orthopédie.

Les épaules s'arrondissent & se voûtent en les serrant par-devant, en creusant la poitrine, ou amenant les bras sur l'estomac, comme font quelques personnes dans leurs prieres, s'imaginant que cette posture est essentielle à la dévotion : il faut au contraire, pour éviter une voussure, qui ne croît que trop avec l'âge, engager les enfans à avancer la poitrine en-devant, à retirer les épaules en-arriere, à porter leurs coudes sur les hanches.

Une seconde précaution nécessaire pour conserver aux enfans le dos plat, c'est de les empêcher, quand ils sont assis, qu'ils ne se renversent sur leur siége, & les obliger de se tenir à-plomb sur leur séant : en effet quand on est assis renversé, le dos prend nécessairement une courbure creuse en-dedans.

Une troisieme précaution, c'est de faire ensorte que la tablette du siége sur laquelle les enfans s'asseyent, au lieu d'être enfoncée dans le milieu, soit absolument plate ; parce que quand on est assis dans un enfoncement, l'effort que l'on fait naturellement & sans dessein pour ramener le corps à l'équilibre, oblige la taille à se voûter encore davantage : c'est cependant dans des siéges enfoncés que l'on assied les enfans dès leurs plus tendres années, au lieu de leur donner des fauteuils ou des chaises dont le siége soit d'une planche de bois bien unie. On peut remédier à l'enfoncement des chaises ou fauteuils de paille dans lesquels on assied les enfans, en mettant sous cet enfoncement une vis de bois qui monte & descende, sur laquelle sera posée une petite planche ; ensorte qu'en tournant la vis selon un certain sens, elle pousse la planche & éleve en-haut la paille qui est sous la chaise. Comme cette vis doit porter sur quelque chose qui lui serve d'appui, on la pose sur le milieu d'une petite traverse de bois, dont on cloue en-bas les deux bouts à deux bâtons de la chaise.

Enfin une quatrieme précaution est de coucher l'enfant pendant la nuit le plus à-plat qu'il sera possible ; & si une de ses épaules se trouve plus grosse que l'autre, on le fera coucher sur le côté opposé à cette épaule, parce que l'épaule sur laquelle on se couche s'éleve toûjours sur la surface du dos.

Passons à la seconde difformité, qui consiste dans l'engoncement, c'est-à-dire dans le cou enfoncé dans les épaules.

Les nourrices, les sevreuses, les gouvernantes, qui suspendent sans-cesse un enfant par la lisiere en le soûlevant en l'air, l'exposent à avoir le cou enfoncé dans les épaules. Les maîtres ou les maîtresses à lire & à écrire, qui font manger, lire, ou écrire dans leurs pensions, un enfant sur une table trop haute, & qui monte au-dessus des coudes de l'enfant (au lieu qu'elle doit être deux doigts plus basse), l'exposent pareillement à avoir le cou enfoncé dans les épaules.

Cet inconvénient est difficile à éviter dans les écoles publiques, où il n'y a d'ordinaire qu'une même table pour tous les enfans de quelque taille qu'ils soient : ainsi cette table proportionnée seulement pour quelques-uns, se trouve trop haute ou trop basse pour un grand nombre d'autres ; alors ceux pour qui la table est trop haute, sont obligés d'élever les épaules plus qu'il ne faut, ce qui à la longue les rend engoncés ; & ceux pour qui la table est trop basse, sont obligés de se voûter & d'avancer les épaules en-arriere, ce qui ne peut que contribuer à les leur arrondir. Mais dans les maisons domestiques les enfans qui mangent à la même table que leurs peres & meres, ne seront point exposés aux inconvéniens dont on vient de parler, dès qu'on leur donnera des siéges proportionnés à la hauteur de la table, avec un marche-pié pour appuyer leurs jambes.

Un autre moyen seroit de ne point asseoir les enfans dans des siéges, ou dans des roulettes qui ont des accoudoirs un peu hauts ; parce que de pareils accoudoirs sur lesquels les enfans s'appuient toûjours, leur font nécessairement lever les épaules. Le remede, si le défaut est contracté, consiste à se servir des avis que nous venons de donner, & à y joindre tous les moyens qui peuvent tendre à mettre les deux épaules au niveau, où elles doivent être à l'égard de la partie inférieure du cou.

Parlons à présent du surjettement d'une épaule audessus de l'autre, ou de l'inégalité de leur hauteur, qui fait que l'une s'éleve trop, ou que l'autre baisse trop.

Un bon moyen pour corriger un enfant qui leve ou qui baisse trop une épaule, c'est de lui mettre quelque chose d'un peu lourd sur l'épaule qui baisse, & de ne point toucher à celle qui leve ; car le poids qui sera sur l'épaule qui baisse, la fera lever, & obligera en même tems celle qui leve à baisser.

L'épaule qui porte un fardeau, monte toûjours plus haut que celle qui n'est pas chargée ; & alors la ligne centrale de toute la pesanteur du corps & du fardeau, passe par la jambe qui soûtient le poids : si cela n'étoit pas, le corps tomberoit ; mais la nature y pourvoit, en faisant qu'une égale partie de la pesanteur du corps se jette du côté opposé à celui qui porte le fardeau, & produit ainsi l'équilibre ; car alors le corps est obligé de se pancher du côté qui n'est pas chargé, & de s'y pancher jusqu'à ce que ce côté non chargé participe au poids du fardeau qui se trouve de l'autre côté : d'où il résulte que l'épaule chargée se hausse, & que celle qui ne l'est pas se baisse. Cette méchanique de la nature démontre l'erreur de ceux qui, pour obliger un enfant à baisser l'épaule qui leve trop, lui mettent un plomb sur cette épaule, s'imaginant que ce poids la lui fera baisser ; c'est au contraire le vrai moyen de la lui faire lever davantage.

On peut se contenter, au lieu de lui mettre un poids sur l'épaule qu'on veut faire lever, de faire porter par l'enfant, avec la main qui est du côté de cette épaule, quelque chose d'un peu pesant, il ne manquera point alors de lever l'épaule de ce côté-là, & de baisser l'autre ; ce dernier expédient est sur-tout d'une grande utilité, quand un enfant a la taille considérablement plus tournée d'un côté que de l'autre ; car dans ce cas, soit qu'on lui fasse porter quelque poids sous le bras, ou qu'on lui fasse lever par exemple une chaise, un tabouret, avec la main qui est du côté vers lequel sa taille panche, il ne manquera point de se pancher du côté opposé. Un autre moyen, c'est d'amuser l'enfant en l'exerçant à porter une petite échelle faite exprès ; ensorte qu'il la soûtienne d'une épaule qu'il posera sous un échelon ; l'épaule sur laquelle sera l'échelon, levera, & l'autre baissera.

Nous venons de dire que lorsqu'on soûleve d'un bras une chaise ou un tabouret, l'épaule de ce côté-là hausse, & l'autre baisse. Mais il faut observer que si l'on porte avec la main pendante un vase qui ait une anse posée de niveau avec le bord du vase, & que l'on porte ce vase par l'anse, ensorte 1° que le second doigt entre dans l'anse & la soûtienne par le haut, 2° que le doigt du milieu aille sous l'anse & en soûtienne le bas, 3° que le pouce passe sur l'anse, & que le pouce appuyant en cet endroit sur le bord du vase même, entre un peu dans le vase, alors l'épaule du bras qui porte le vase ne se hausse pas comme dans les cas précédens, mais se baisse au contraire : ainsi c'est un autre moyen dont on peut facilement se servir à l'égard d'une jeune personne qui leve trop une épaule.

Voici deux autres expédiens très-simples & très aisés. Premier expédient. Si l'enfant leve trop une épaule, faites-le marcher appuyé de ce côté-là sur une canne fort basse ; & si au contraire il la baisse trop, donnez-lui une canne un peu haute ; ensuite lorsqu'il voudra se reposer, faites-le asseoir dans une chaise à deux bras, dont l'un soit plus haut que l'autre, ensorte que le bras haut soit du côté de l'épaule qui baisse, & l'autre du côté de celle qui leve. Deuxieme expédient. Comme personne n'ignore que lorsqu'on se carre d'un bras, c'est-à-dire qu'on plie le bras en forme d'anse, en appuyant le poing sur la hanche du même côté, l'épaule de ce côté-là leve, & l'autre baisse ; & que si l'on couche alors l'autre bras le long du corps, ensorte qu'il pende jusqu'à l'endroit de la cuisse auquel il peut atteindre, l'épaule de ce côté-là baissera encore davantage : servez-vous de ce moyen simple, & répétez-le, pour rectifier dans un enfant le défaut de l'épaule qui leve ou qui baisse trop.

Enfin quelquefois un enfant panche trop l'épaule sur un des côtés, soit le gauche, soit le droit ; s'il panche trop l'épaule du côté gauche, faites-le soûtenir sur le pié droit, car se soûtenant alors sur ce pié à l'exclusion de l'autre, qui dans ce tems-là demeure oisif, il arrivera nécessairement que l'épaule droite qui levoit trop, baissera, & que l'épaule gauche qui baissoit trop, levera : cela se fait naturellement en vertu de l'équilibre, sans quoi le corps seroit en risque de tomber ; parce que quand on se soûtient sur un seul pié, la jambe opposée, qui alors est un peu pliée, ne soûtient point le corps, elle demeure sans action & comme morte, ainsi qu'on le voit dans les enfans qui jouent à cloche-pié ; de sorte qu'il faut nécessairement que le poids d'en-haut qui porte sur cette jambe, renvoye le centre de sa pesanteur sur la jointure de l'autre jambe qui soûtient le corps. Si donc l'enfant panche trop l'épaule sur le côté droit, dites-lui de se soûtenir sur le pié gauche ; s'il la panche trop sur le côté gauche, dites-lui de se soûtenir sur le pié droit.

Je laisse à imaginer d'autres moyens analogues à ceux-ci, & de meilleurs encore ; je remarquerai seulement que tous ceux que nous avons indiqués demandent pour le succès une longue continuation, guidée par des regards attentifs de la part des peres & des meres sur leurs enfans, & ce n'est pas communément la branche de l'éducation dont ils sont le moins occupés ; il est vrai cependant que malgré l'intérêt qu'ils y prennent, l'art orthopédique le plus savant ne corrige les difformités des épaules que dans ces premieres années de l'enfance, où les pieces cartilagineuses qui composent les épaules, sont encore tendres & flexibles.

Au reste l'Anatomie, la Chirurgie, & la Méchanique, se prêtent de mutuels secours pour guérir les graves accidens auxquels cette partie du corps humain se trouve exposée. D'un autre côté la Physiologie, Tantùm scientiarum cognatio, juncturaque pollet ! tâche d'expliquer les causes de quelques symptomes singuliers, que le hasard offre quelquefois à nos regards surpris ; & pour en citer un seul exemple, c'est par les lumieres de cette science qu'on peut comprendre pourquoi l'on a vû des personnes qui, après avoir été blessées à l'épaule, ont perdu tout-à coup l'usage de la parole, & ne l'ont recouvert que par la guérison de la plaie. Ce phénomene dépend de la communication d'un des muscles de l'os hyoïde avec l'épaule ; ce muscle qui a deux ventres & un tendon au milieu est le coraco-hyoïdien, qu'on pourroit nommer à plus juste titre omoplato-hyoïdien, parce qu'il a son attache fixe à la côte supérieure de l'omoplate, & finit à la corne de l'os hyoïde. Article de M(D.J.)

EPAULE, (Manége) partie de l'avant-main du cheval.

Accoûtumés à n'envisager cet animal que par le dehors & par la superficie, nous avons jusqu'à présent compris dans la dénomination de l'épaule, toute l'étendue qui se trouve depuis la sommité du garrot jusqu'à la portion supérieure de la jambe. On a donc indistinctement confondu cette partie, qui n'est proprement composée que de l'omoplate, avec le bras qui est formé par l'humerus ; & par une suite de cette erreur, on a donné à la partie résultante du cubitus, le nom de bras, tandis qu'elle devroit être appellée l'avant-bras.

Il importoit cependant essentiellement à ceux qui s'érigent en connoisseurs, & qui font profession de dresser des chevaux, ainsi qu'aux personnes qui se livrent au traitement de leurs maladies, de se former une idée juste de la structure de cet animal. Comment en effet décider de la franchise & de la beauté de ses mouvemens, si on ignore d'où ils doivent partir ? comment juger de la possibilité des actions qu'on lui demande, & mettre en jeu ses ressorts, si l'on n'a acquis la connoissance du lieu & de l'espece des articulations, à la faveur desquelles ses parties doivent se mouvoir ? d'ailleurs, s'il arrive fréquemment des écarts, des entre-ouvertures, &c. comment y remédier dès qu'on sera hors d'état de s'orienter en quelque façon, relativement aux différens articles, & de parler des ligamens, des muscles, des cartilages, de la synovie, & des vaisseaux des parties qui souffrent ?

Ces considérations m'ont suggéré la division que j'ai faite, & dont je m'écarterois indiscrettement, si je ne rapportois aux bras toutes les observations qui ont été adoptées & qui ont paru ne concerner que l'épaule : ainsi je dirai que le bras ne doit point être recouvert par des muscles trop épais & trop charnus, & que cette partie doit conséquemment être petite, plate, libre, & mouvante. Pour distinguer si elle est doüée des deux premieres qualités, il suffit de considérer 1°. cette saillie visible formée par l'articulation de l'humerus avec l'omoplate, saillie que l'on appelle encore la pointe de l'épaule ; le muscle commun recouvre cette articulation : or si ce muscle est d'une épaisseur considérable, cette partie au lieu d'être plate sera grosse, ronde, & charnue, & dès-lors le cheval sera pesant, il se lassera aisément, il bronchera, les jambes de devant étant en quelque façon surchargées, ne pourront être que bientôt ruinées ; la grosseur demesurée des os articulés, peut encore occasionner ce défaut. On examinera, en second lieu, le vuide ou l'intersection qui est entre le muscle commun & le grand pectoral. Cette intersection marque la séparation du bras & du poitrail, & le grand pectoral forme cette élévation qui est à la partie antérieure de la poitrine de l'animal : or si le repli ou pli que nous appercevons ordinairement, & que je nomme intersection, n'est point distinct, s'il n'est point apparent, attendu le trop de chair ou l'épaisseur des muscles, il en résultera que le cheval sera chargé & ne sera propre qu'au tirage. Enfin, en supposant de la contrainte dans le mouvement de cette partie, l'animal ne marchera jamais agréablement & sûrement ; parce que son action ne partant en quelque sorte que de la jambe, elle sera hors de la nature de celle à laquelle le membre mû étoit destiné, & sera inévitablement privée de fermeté, de solidité, & de grace. Aussi voyons-nous que tels chevaux se fatiguent aisément, pesent à la main, & rasent continuellement le tapis.

Ce défaut de liberté peut se réparer par l'art & par l'exercice, pourvû que cette partie ne soit que noüée & entreprise ; mais si elle se trouve chevillée, ou froide, ou dessechée, ce seroit une témérité que de former une pareille espérance.

On reconnoîtra qu'elle est chevillée, à un défaut de jeu que les meilleures leçons ne sauroient lui rendre. J'entens par défaut de jeu, une inaction véritable, qui n'a sa source que dans la conformation défectueuse de l'animal, dont les bras sont tellement serrés, qu'ils semblent attachés l'un à l'autre par une cheville.

Nous disons qu'elle est froide, lorsqu'elle est dépourvûe de sentiment & de mouvement. Il est rare qu'on y remédie avec efficacité, à moins qu'on ne tente cette cure dès le commencement & dès l'origine du mal. Il provient de plusieurs causes. Premierement, de la structure naturelle du cheval : ainsi celui dans lequel cette partie sera trop décharnée, sera plus sujet à cette froideur, que celui dans lequel elle sera exactement proportionnée. Que l'on considere, en effet, que les muscles sont les organes du mouvement, & que de leur seule petitesse naît le décharnement dont il s'agit ; comme ils ne peuvent être plus petits, qu'autant que leur tissu est composé d'une moins grande quantité de fibres, ou que ces fibres sont plus minces, dès-lors la force ne peut être que moins grande dans la partie, qui deviendra nécessairement débile après un certain tems de travail. On observera néanmoins que dans ce cas il n'y a que difficulté de mouvement, sans douleur.

Une seconde cause, est le passage subit de la chaleur au froid. Un cheval sue ; loin de lui abattre la sueur, on le laisse refroidir. Dès-lors les pores se resserrent, & en conséquence de ce resserrement & de cette constriction, la transpiration est interceptée. Cette humeur arrêtée ne peut que contracter de mauvaises qualités & un caractere d'acrimonie, par le moyen duquel elle picote les membranes de l'articulation & des muscles ; ce qui donne lieu à la douleur, à la roideur, & à la difficulté du mouvement dans cette partie.

Une troisieme cause sera encore le séjour de l'animal dans un lieu trop humide. En ce cas les vaisseaux se relâcheront insensiblement, principalement les vaisseaux lymphatiques, dans lesquels le cours des liqueurs est toûjours plus lent. Ce relâchement produira un engorgement qui sera dans les ligamens de l'article, où ces vaisseaux lymphatiques sont en plus grand nombre. De-là la douleur & la difficulté dans le mouvement, comme nous le voyons dans les rhûmatismes ; que si quelquefois nous appercevons de l'enflure, c'est que l'engorgement est plus considérable, & qu'il occupe le tissu cellulaire ou les membranes des muscles.

Enfin, une quatrieme cause que l'on peut admettre & reconnoître, est un obstacle quelconque dans la circulation des esprits animaux. Leur cours étant intercepté, la diastole & la systole des arteres, ainsi que la contraction des muscles, ne peuvent que diminuer ; ce sont néanmoins autant d'agens nécessaires pour aider au suc nourricier à se porter dans les parties les plus intimes ; aussi l'expérience démontre-t-elle que ces mouvemens étant diminués & abolis par la continuation de l'interception, cette partie tombe bientôt dans l'atrophie & dans le desséchement.

Ce desséchement peut provenir du défaut d'exercice. Ainsi, par exemple, si nous supposons un effort, ou un écart, ou quelque mal considérable à un pié, il est constant que l'animal, tant que la maladie subsistera dans toute sa force, ne sauroit mouvoir la partie affectée. Or s'il ne peut la mouvoir, & que la maladie soit longue, la circulation ne s'y fera jamais parfaitement ; parce que les liqueurs ne pénétreront plus dans les dernieres & dans les plus petites ramifications des vaisseaux, & que c'est précisément dans ces mouvemens les plus ténus que s'exécute la nutrition.

Les signes auxquels on reconnoîtra que la partie dont il s'agit est froide ou prise, sont le défaut ou la difficulté du mouvement, quelquefois la douleur que l'animal ressent, & la difficulté du mouvement tout ensemble, selon la différence des causes de la froideur. Les symptômes du desséchement sont une inégalité manifeste, & qui frappe dès qu'on examine les deux bras en même tems ; & leur diminution apparente & sensible, ainsi que l'impossibilité de les mouvoir, lorsque l'une & l'autre s'atrophient, ce qui n'arrive que rarement.

Il est certain que si l'on prévient les progrès de ces maladies par des résolutifs spiritueux & aromatiques, & par un exercice modéré, on pourra attirer dans ces parties les sucs qui les entretiennent & qui les nourrissent, & elles seront bientôt ranimées ; mais dès que le mal est ancien, nos tentatives sont infructueuses. On ne peut, en effet, se livrer raisonnablement à l'espoir de faire circuler des liqueurs dans des vaisseaux totalement obstrués & oblitérés. J'ai dit que la nutrition s'exécute dans les dernieres & dans les plus petites ramifications. Imaginons donc une partie privée depuis long-tems de la faculté d'agir, la circulation s'y ralentira ; & les liqueurs ne parvenant plus dès-lors dans les dernieres series des canaux, ces mêmes canaux, naturellement élastiques & disposés par conséquent à la contraction, se resserreront insensiblement & s'oblitéreront à la fin. Or par quel moyen r'ouvrira-t-on aux fluides cette voie, qui, une fois fermée, leur est à jamais interdite ? C'est assûrément tenter l'impossible, & faire profession d'ignorance que de l'entreprendre.

L'épaule ou l'omoplate peut être portée en-avant, en-arriere, en-haut ; elle peut être encore rapprochée des côtes. A l'égard du bras ou de l'humerus joint avec l'omoplate par une articulation très-libre, c'est-à-dire par genou, il peut se mouvoir en tout sens, en-avant, en-arriere, en-dedans, en-dehors, & en rond, en maniere de pivot, & en maniere de fronde. La libre exécution de tous les mouvemens permis à l'une & à l'autre de ces parties, est sans-doute ce que tous les auteurs qui ont écrit sur le Manége, & principalement le duc de Newcastle, ont appellé la souplesse des épaules.

La nécessité de les faciliter à l'animal a été regardée, avec raison, par cet écrivain illustre, comme la base de toutes les actions auxquelles nous pouvons solliciter l'animal ; & ce n'est sans-doute qu'à la force & à la solidité de cette maxime, toûjours présente à son esprit, que nous devons une foule de répétitions sur ce point, qui rendent son ouvrage prolixe sans le rendre plus instructif. Je tâcherai d'éviter ce défaut, & de ne pas mériter ce reproche.

Dès que nous connoissons les mouvemens dont l'épaule & le bras sont capables, & dès que nous sommes convaincus, qu'assouplir les parties d'un cheval quelconque n'est autre chose que leur faire acquérir par l'habitude la liberté de se mouvoir dans tous les sens qui leur sont possibles, il est aisé de juger par les effets qui peuvent résulter des leçons que nous donnons à l'animal, de celles qui sont les plus propres & les plus convenables à notre objet.

Toute action en-avant, en-arriere, & par le droit, opére nécessairement la flexion, l'élévation, l'extension, l'abaissement, & le port en-arriere des omoplates & des humerus, qui sont les principaux & les uniques agens d'où dépend réellement la translation de l'animal d'un lieu à un autre (voyez MANEGE). Ainsi le pas, le reculer, & principalement le trot déterminé & délié, qui excite ses parties à de grands mouvemens, sont des moyens très-efficaces pour les dénoüer & pour en faciliter le jeu dans les uns & dans les autres de ces sens ; ces allures sur des cercles, ou quoi qu'il en soit en tournant pour reprendre d'autres lignes droites, influe encore sur elles relativement au mouvement circulaire dont le bras est doüé ; mais elles ne suscitent pas ce même mouvement dans toute son étendue ; & leur impression n'étant que foible & legere, & ne pouvant animer tous les ressorts qui l'effectuent, l'animal ne sauroit acquérir l'entiere facilité par cette voie.

Le duc de Newkastle est le premier qui nous en a ouvert une, en nous indiquant diverses leçons à donner sur les cercles larges & d'une piste ; je ne me propose ici, ni de les extraire, ni d'apprécier sa méthode. M. de la Gueriniere, à l'imitation de la Broue, a préféré les leçons données sur les quarrés, & admet celles des voltes, qu'il blâme d'ailleurs, parce qu'il croit qu'elles mettent le cheval sur le devant, dans la circonstance, où pour éviter la trop grande sujétion de ce qu'il nomme l'épaule en-dedans, l'animal y porte trop cette même épaule ou y jette la croupe ; ainsi, d'un côté il improuve la pratique des cercles, & de l'autre il la présente comme une ressource dans le cas où la pratique des quarrés porte l'animal à se défendre. C'est sans-doute d'après sa propre expérience, que M. de la Gueriniere a connu que la tête dedans, la croupe dehors, contraint & asservit beaucoup moins le cheval qui trace une figure ronde, que la tête dedans & la croupe dehors sur des lignes droites ; & c'est apparemment aussi d'après cette vérité dont il s'est convaincu, qu'il veut bien permettre de recourir au cercle pour procurer aux chevaux la premiere souplesse. Sans m'abandonner à l'examen de tous les raisonnemens auxquels il se livre, & sans perdre un tems précieux à marquer les contradictions qui en résultent, il me suffit que l'action sur la volte soit moins pénible, moins difficile à l'animal, pour que je lui donne la préférence sur toute autre.

On ne doit point oublier que mon unique intention est d'assouplir l'omoplate & l'humerus, & que je ne dois avoir à présent d'autre but que de solliciter le mouvement en rond, dont le bras principalement, ou son articulation sphéroïde, est susceptible ; pénétré de l'importance dont il est de ne travailler d'abord toutes les portions dont la machine entiere est formée, que séparément & non ensemble (voyez ENCOLURE) ; mon premier soin sera de diviser en quelque façon celles que j'ai déjà mises en jeu, & celles que je me propose de dénoüer ici, des côtes & de la croupe, sur lesquelles je ne dois rien encore entreprendre directement, & que je ne contraindrai dans mes opérations, qu'autant que leur connexion avec la tête, l'encolure, & les épaules pourra m'y obliger.

Les leçons par lesquelles j'ai provoqué les flexions latérales du cou & le port de la tête de côté & d'autre, m'offrent tous les moyens de parvenir à mes vûes. Je trouve en elles non-seulement l'avantage que je désire, eu égard à l'action circulaire, mais celui d'augmenter la facilité du pli, dont ces deux premieres parties ont déjà contracté l'habitude ; & c'est ainsi qu'une seule route me conduit à tout, assûre toûjours de plus en plus mes succès, & que j'ôte, en un mot, tout prétexte & toute idée de défense à l'animal, puisque je ne le soûmets à l'obéissance que par la liberté que je lui donne d'obéir.

Détournez legerement, au moyen du port de la rêne de dehors en-dedans, & de l'approche de la jambe de ce même dedans, si la rene déterminante a besoin de ce secours, le cheval dont l'encolure est pliée, & qui par le droit & au pas regarde dans le centre (voyez ENCOLURE), à l'effet de lui faire décrire des cercles d'une étendue proportionnée à son plus ou moins de disposition & de volonté. Aussi-tôt qu'il a quitté la ligne droite sur laquelle il cheminoit, augmentez subitement l'action de la rene de dedans à vous, & maintenant la rene de dehors dans un degré de tension, non aussi fort, mais seulement en raison du soûtien qui doit en résulter ; croisez-la imperceptiblement & pour seconder simplement celle qui plie. Dans cet état si vous parcourez la ligne de la volte, en élargissant insensiblement le cheval, il est certain que sa jambe de dedans dans chacune de ses foulées se trouvera précisément au-devant de la piste de la jambe de dehors sa voisine ; or elle ne peut s'y placer, qu'autant que les parties supérieures dont elle est une dépendance, & auxquelles elle doit ses mouvemens, sont rapprochées du corps de l'animal & mûes dans un sens oblique ; d'où nous devons conclure que cette leçon convient parfaitement à notre projet, puisqu'elle suscite dans l'humerus & dans l'omoplate une partie de l'action que nous nous proposions de leur imprimer, & que cette même action n'apportant aucun changement dans la piste du derriere, ne trouble en aucune maniere l'ordre des jambes postérieures, dont la marche s'effectue sans qu'elles se resserrent ou se retrécissent.

Le cheval habitué à cheminer aux deux mains, librement & dans cette position où il aura été entretenu par la puissance constamment combinée des deux renes confiées à une main habile, & par des aides modérées de la jambe de dedans, si elles ont été nécessaires, le cavalier pourra tenter de porter les parties qu'il doit dénoüer à faire un plus grand effort. Il croisera donc la rene de dehors, dont il cherchera à assûrer les effets par l'approche de sa jambe de dedans, de façon que la jambe de dehors du cheval avoisine davantage le centre, & soit dans une opposition plus ou moins forte, selon les progrès de l'animal, avec l'extrémité antérieure de dedans ; alors, & dans chacun des instans où la jambe dirigée vers la volte sera posée ou dans son appui, & ou l'autre extrémité sera élevée ou dans son soûtien (voyez MANEGE), il croisera la rene de dedans qui opére principalement le pli par sa tension, & qui opérera encore, par son obliquité, le port de cette même extrémité vers le dehors & au-delà de la piste qu'elle marquoit, lorsque l'une & l'autre étoient moins assujettis ; ainsi au lieu de se placer simplement dans sa battue au-devant de la jambe de dehors, elle chevalera & passera sur cette même jambe. Or si dans la premiere action nous avons observé que l'omoplate & l'humerus accomplissoient une partie du mouvement que notre unique dessein est de solliciter, il est visible que, dans celle-ci, qui demande de la part du maître qui travaille une précision, une justesse & une attention singuliere, nous obtenons de l'animal tout ce qu'il peut nous accorder, & tout ce que nous devons en attendre, dès qu'en nous conformant scrupuleusement à cette sage maxime qui nous astraint à détacher, pour ainsi dire, du corps du cheval les parties que nous voulons assouplir, avant d'entreprendre de les mettre toutes ensemble & d'accord, nous nous bornons à n'exercer ici que le bras & l'épaule, indépendamment des côtés & des hanches, de la souplesse desquelles nous ne sommes point encore occupés.

J'avoue que les extrémités postérieures reçoivent néanmoins dans ce dernier cas une impression dont je ne peux douter, puisque je vois que la jambe de derriere de dedans est pressée & rapprochée de la jambe de derriere de dehors, & que leur piste est à-peu-près marquée comme celle des jambes antérieures, sur les premiers cercles que j'ai assignés ; mais ce retrécissement est inévitable, puisqu'il n'est pas possible de desunir absolument le derriere du devant, & d'interdire entr'eux une relation qui ne pourroit cesser qu'ensuite d'une disjonction entiere & réelle, la croupe n'éprouve qu'une legere contrainte, & non une gêne dont l'animal puisse souffrir & se gendarmer.

Tel est aussi le point auquel nous devons nous arrêter. Engager sur ces mêmes cercles le devant, & chasser les hanches, ainsi que le prescrit le duc de Newcastle dans sa leçon de la tête de dedans, de la croupe de dehors, ou exécuter cette même leçon sur les quarrés, selon le voeu de M. la Gueriniere (qui, s'il n'avoit pas jugé à propos de couper une phrase du premier par un &c. n'auroit pû déguiser que les cercles ne mettent un cheval sur le devant que par la faute du cavalier qui néglige de le soûtenir), ce seroit travailler à la fois, de l'aveu même de l'un & de l'autre, non-seulement les épaules, mais les côtés & la croupe, sans parler de la tête & de l'encolure, pour l'assouplissement desquelles nous ne trouvons dans leur ouvrage aucune leçon particuliere.

Que l'on réfléchisse sans partialité sur l'entreprise de faire mouvoir ensemble & tout-à-coup une foule de ressorts, dont la force naturelle prouve la difficulté de vaincre la roideur, tandis que tous nos efforts, pour les mettre en jeu, ne peuvent s'imprimer directement que sur une partie foible, délicate, & aussi sensible que la bouche ; & l'on jugera dès-lors sainement du mérite d'une méthode que j'admirerois, si je ne consultois que le préjugé, le nombre de sectateurs qu'elle a eu, & la multitude de partisans qu'elle a encore. (e)

EPAULE. (Maréchallerie) Cette partie du cheval est sujette à beaucoup d'infirmités, comme entre-ouverture, écart, ou effort d'épaule, &c.

Pour mieux expliquer la cause, les effets de ces genres de maladies, il est important de développer la composition anatomique de la partie qui en est le siége.

L'épaule du cheval renferme dans sa composition des os, des cartilages, des ligamens, des muscles, des vaisseaux sanguins, lymphatiques & nerveux ; la peau sert d'enveloppe à toutes ces parties organiques.

Le premier des os est l'omoplate, qui a presque la figure triangulaire, dont deux angles sont supérieurs, l'un antérieur, & le second postérieur, qui est plus obtus : le troisieme est antérieur-inférieur. Cet os a deux sortes de connexions ; la premiere se fait par sysarcose, avec les vertebres du garrot, au moyen d'une forte membrane ligamenteuse qui attache & assujettit à cette partie les deux angles supérieurs de cet os, qu'on nomme paleron ; ce ligament, & les muscles qui lui sont propres, l'attachent aux os voisins : l'autre articulation se fait par artrodie avec l'humerus, l'omoplate ayant à son angle antérieur-inférieur une cavité glenoïde qui reçoit la tête de l'humerus. Cette cavité est induite d'un cartilage qui facilite le mouvement : elle a un bord ligamenteux qui la rend plus profonde & plus capable d'embrasser la tête de l'humerus, & en fortifie l'articulation.

Le dernier des os est l'humerus ; il est articulé par ses deux extrémités, par celle d'en-haut avec l'omoplate par artrodie (on appelle vulgairement cette articulation la pointe de l'épaule), & par celle d'enbas doublement, savoir par ginglime avec le cubitus, & par artrodie avec le radius. Le cubitus est adhérant au radius au-dessous de l'apophyse olecrane, partie où le cheval se blesse, quand il se couche en vache.

Ces articulations sont recouvertes de forts ligamens membraneux, qui prennent leur attache aux extrémités des os articulés, qu'ils tiennent fortement joints ensemble, afin qu'ils ne puissent sortir de leur place : ils ont seulement la liberté d'exécuter leurs divers mouvemens.

L'omoplate fait ses différens mouvemens, au moyen de cinq muscles, qui sont le trapeze, le rhomboïde, le releveur propre, le petit pectoral, & le grand dentelé, qui prend son origine de la base de l'omoplate.

L'humerus est la partie de l'épaule du cheval qui exécute les plus forts mouvemens : ces mouvemens sont faits par le moyen de plusieurs muscles, qui sont le deltoïde, le sus-épineux, le latissimus, le grand rond, le grand pectoral, le coracoïdien, le sous-épineux, le petit rond, & le sous-scapulaire.

On sait que les muscles ont deux sortes de mouvemens, celui de contraction, & celui d'extension, d'où suivent tous les divers mouvemens que nous voyons faire à l'animal. On peut y en ajoûter un troisieme, qu'on appelle mouvement tonique, qui se fait lorsque plusieurs muscles agissent de concert, & tiennent une partie ferme & bandée.

Or la cause principale de l'effort d'épaule vient de ce que l'un de ces mouvemens a été exécuté avec violence par cet organe, soit antérieurement, soit postérieurement, soit latéralement, ou dans un sens oblique : les fibres nerveuses, les tendineuses, les petits tuyaux sanguins & lymphatiques qui entrent dans la composition des muscles, & qui se sont trouvés les uns en contraction, & les autres en extension dans ces mouvemens forcés, en sont plus ou moins affectés ; ce qui produit un effort d'épaule, ou entr'ouverture, ou disjonction de cette partie, plus ou moins difficile à guérir, selon le cas. Si les parties qui composent ces muscles n'ont subi que de legers tiraillemens, & qu'on y apporte un promt secours, quoique le cheval en boite, on le guérit facilement ; on appelle cette maladie faux écart, ou effort d'épaule simple : si au contraire la secousse a été assez tumultueuse pour déranger le tissu cellulaire des muscles, rompre & déchirer ses parties organiques, les liquides ne pouvant circuler que difficilement, si on n'y apporte un promt secours, la partie s'obstrue, la maladie devient souvent incurable, & pour lors on l'appelle disjonction d'épaule ou entre-ouverture ; fausse dénomination qu'on a donnée à beaucoup de maladies qui font boiter le cheval, & dont on ne connoît point la cause. Ce n'est pas que l'éloignement des os de l'épaule soit impossible ; mais cet accident constitue un autre genre de maladie que celle que l'on a entendue sous le nom d'entre-ouverture ou disjonction d'épaule.

L'entre-ouverture ou disjonction des os de l'épaule proprement dite, est un des plus funestes accidens qui puissent arriver au cheval ; voici les signes symptomatiques qui le caractérisent : 1°. une grande douleur qui fait boiter cet animal à ne pouvoir poser le pié à terre : 2°. une tumeur qui s'étend quelquefois sur toute cette extrémité, & qui empêche le cheval de se coucher : 3°. la perte du boire & du manger : 4°. un grand battement de flancs qui suppose toujours la fievre : enfin quelquefois la fourbure, d'où suit assez communément la nécessité de faire tuer le cheval.

Cure pour l'écart ou effort d'épaule simple. On saigne le cheval à la veine céphalique, qu'on appelle communément l'ars, & l'on fait une charge de son sang sur toute la partie affligée : cinq ou six heures après la saignée, on employe des médicamens résolutifs, pour dissiper les obstructions, & donner aux liqueurs nourricieres du mouvement, & les volatiliser. Ces médicamens sont l'esprit de terebenthine, d'aspic ou lavande, l'huile de pétrole, le baume de sioravanti ou du Pérou, le tout mêlé avec l'esprit-de-vin camfré & appliqué sur la partie : on a soin de les faire pénétrer par des frictions avec la main, d'exposer le cheval, si c'est en été, au grand soleil ; en hyver on présente une pelle de fer bien chaude auprès de la partie, dans la même intention : on attache le cheval à deux longes, l'une au ratelier, & l'autre à la mangeoire, afin qu'il ne puisse point se coucher de neuf jours, pendant lesquels on le laisse à la diete, savoir à la paille, au son mouillé donné en petite quantité, & à l'eau blanche.

Si le cheval n'est point guéri au bout de ce tems, ou qu'il lui reste quelque foiblesse à cette partie, on se sert d'un bain, pour y faire deux fois par jour des fomentations un peu chaudes. Ce bain doit être composé avec les herbes aromatiques & émollientes ; savoir, le scordium, l'absynthe, la sauge, le romarin, la graine de genievre pilée, les sommités de millepertuis, de camomille, de bouillon blanc, du thym & du pouillot, &c. on fait bouillir pendant une heure le tout dans de la lie de vin, & dans du vin, au defaut de la lie.

Si l'effort d'épaule est ancien, il demande des remedes plus forts, qui soient capables de résoudre les liqueurs arrêtées dans le tissu cellulaire des muscles. Ces médicamens sont les baumes du Pérou, mêlés avec l'esprit de vin camfré, l'esprit de genievre, l'esprit de ver de terre, de sel armoniac ou d'urine ; ou, à la place de cette composition, on se servira de l'emplâtre de gomme dissous dans l'huile de tartre, appliqué un peu chaud sur la partie affligée. Si ces médicamens ne réussissent point, on fait au cheval un cautere entre l'épaule & le sternum, qu'on laisse couler pendant l'espace de dix à douze jours, & plus, si le cas l'exige : on se sert aussi du séton, qu'on lui applique tantôt à une partie de l'épaule, tantôt à une autre. Pour dernier remede on y met le feu en baies ou en pointes ; on y applique un siroëne par-dessus le feu, qu'on laisse jusqu'à ce qu'il tombe : enfin on fait promener le cheval en main pendant un certain tems, pour donner la facilité à la nature de rétablir les forces dans cette partie ; car l'effort d'épaule, quoique simple, devient souvent incurable par l'empressement que l'on a de vouloir se servir trop-tôt de l'animal, & de l'erreur où l'on est en le croyant guéri : il peut l'être en effet pour de certains petits usages ; car tel cheval est droit d'un écart pour rouler doucement, qui ne le seroit pas pour pousser un relai de quatre ou six lieues sur le pavé, mené vivement : de même si c'est un cheval de selle, il peut être droit pour un voyageur qui ne va qu'au pas, & il ne le seroit pas si on le menoit à la chasse ou à quelqu'autre exercice semblable. On peut conclure de-là que la guérison de cet accident dépend autant du ménagement que l'on doit avoir pour le cheval, que des remedes qu'on lui administre.

Les épaules des chevaux sont sujettes à un autre genre de maladie, que nous allons diviser en trois especes différentes, qui ont chacune leur cause particuliere, & quelquefois plusieurs ensemble ; on les a souvent confondues sous une même dénomination. On appelle cette sorte de maladie tantôt épaules froides ou entreprises, tantôt épaules chevillées, tantôt épaules étroites ou serrées. 1°. On doit entendre d'un cheval qu'il a les épaules froides, lorsque ses parties étant bien conformées, sans aucune apparence d'accident, il ne laisse pas de boiter, au sortir de l'écurie, des deux jambes de devant, comme s'il étoit fourbu, jusqu'à ce qu'il soit échauffé par le travail, du moins quand ces parties sont engourdies à un certain degré. 2°. On doit dire que cet animal a les épaules chevillées, lorsqu'il a ces parties fort grosses, fort larges & fort charnues, ainsi que le garrot. 3°. Un cheval a les épaules étroites ou serrées, lorsqu'il a ces parties si près l'une de l'autre, qu'à peine peut-il marcher sans croiser les jambes.

Ces deux derniers défauts sont des vices de conformation, opposés l'un à l'autre : ils causent pour l'ordinaire au cheval la même infirmité que l'accident que nous venons de désigner sous le nom d'épaules froides ou entreprises.

En remontant à la premiere cause de cet accident, nous allons faire sentir pourquoi les chevaux anglois, & sur-tout les chevaux de selle, sont plus sujets à cette maladie que ceux des autres nations.

Dans les courses violentes qu'on fait faire à un cheval, avant qu'il ait atteint l'âge & les forces propres à résister à ces fatigues, telles que les Anglois en font soûtenir à leurs chevaux, les muscles & les ligamens n'ayant point encore acquis la consistance nécessaire pour supporter les extensions que ces parties éprouvent dans ces mouvemens forcés, il arrive que ces ligamens & ces muscles se relâchent ; la synovie perd sa fluidité, les petits vaisseaux lymphatiques & les petits cordons nerveux se distendent ; la lymphe ne pouvant plus circuler dans ses petits tuyaux, non plus que les esprits (s'il en existe réellement), les fibres perdent de leur mouvement & de leur ressort, faute d'être tenus bandés & raccourcis par l'élasticité des nerfs, & l'animal est perclus. Cet accident augmente encore par le passage du chaud au froid, après ces violens exercices ; alors les corpuscules de l'air s'insinuent dans les pores de la peau, que la chaleur a dilatés, coagulent la lymphe, & causent des obstructions dans toute la substance des muscles & des ligamens de l'épaule : d'où suit que la sérosité ne pouvant plus être contenue dans ses petits tuyaux, s'épanche, ne circule que difficilement, & acquiert cette acidité qui cause une éréthisme aux fibres membraneuses, ce qui gêne le mouvement.

Mais comme l'obstruction ne se fait que par degrés, l'affoiblissement & l'engourdissement qu'elle cause ne sont pas tout-à-coup sensibles : quelque palliatif même, & un travail modéré, fait disparoître pour un tems cette lésion dans les épaules des chevaux ; de sorte que celui qui a envie de les acheter n'en peut rien appercevoir. En effet quel est le connoisseur qui peut deviner qu'un cheval périra par les épaules, lorsqu'il voit ces parties bien conformées & libres en apparence, & que l'animal est d'ailleurs gai, vigoureux, potelé ? car malheureusement l'acquéreur n'a point la liberté de le travailler assez pour le tâter à fond, & de le voir le lendemain troter après qu'il est refroidi. Il ne peut donc que l'acheter au hasard, à moins qu'il n'oblige le marchand à lui donner le tems de l'éprouver & de le connoître ; précaution que celui-ci a intérêt d'éluder, mais qu'on a encore plus d'intérêt à prendre. Au défaut de cet examen, quand on vient, après l'avoir acquis, à le faire travailler un peu fort, on commence par degrés à s'appercevoir de la foiblesse des épaules, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, & quelquefois des deux en même tems : enfin le cheval s'engourdit tellement, & va si près du tapin, qu'il bronche à chaque instant, & devient par succession des tems si perclus, qu'il paroît comme fourbu au sortir de l'écurie.

On voit par cet exposé, 1°. pourquoi les chevaux anglois sont plus sujets que d'autres à avoir les épaules froides ou entreprises : 2°. quel danger on court en les achetant, puisque l'on n'a pas le tems de les éprouver à fond. Pour être convaincu de ce danger, il suffit de voir qu'entre ceux que l'on achete pour les remontes des écuries royales, qui sont sans contredit choisis, soignés & montés par d'excellens écuyers, cependant il en est beaucoup qui périssent par ces parties, sans que tout l'art & toute l'expérience possible ait pû les faire prévoir dans les achats.

Cette maladie reconnoît encore pour cause seconde, le trop de repos donné au cheval, nommément au cheval anglois, qui a presque toûjours subi ces violens exercices dès sa tendre jeunesse : car les muscles & les ligamens restant long-tems dans l'inaction, après ces courses outrées, deviennent roides & inflexibles ; parce que le suc nourricier que leurs fibres fatiguées & distendues reçoivent en cet état, remplit leurs petites cellules, s'y épaissit, s'y condense, & comprime les petits cordons nerveux, ce qui prive ces parties organiques de leur souplesse naturelle, ainsi que de leur élasticité ; d'où résulte cet engourdissement qu'on appelle épaule froide ou entreprise.

Le défaut des épaules chevillées est, comme nous l'avons dit, un vice de conformation de ces parties : car il résulte nécessairement qu'un cheval qui a les épaules & le garrot fort gros & fort charnus, doit avoir le mouvement moins libre que celui qui a ces parties bien faites & bien conformées ; car les muscles & les ligamens propres à mouvoir ces parties étant enveloppés de chair & de graisse, n'executent qu'avec peine leurs divers mouvemens.

Les épaules serrées & étroites sont de même un vice de conformation ; car un cheval qui est fort serré & fort étroit des épaules a par conséquent le sternum très-étroit : les omoplates & les humerus appliqués & collés sur le sternum laissent si peu de distance d'un avant-bras à l'autre, qu'à peine l'animal peut troter ou galoper sans se croiser les jambes & se couper ; ce vice fait tomber les épaules du cheval dans un amaigrissement total. Cette espece d'atrophie influe non seulement sur les graisses, mais encore sur les muscles, sur les ligamens & sur les articulations ; ces parties n'étant pas assez enduites par un nouveau suc nourricier, deviennent si seches & si arides, qu'elles ne peuvent que difficilement agir.

On voit, par ce que nous venons de dire de ces maladies, que celles qui sont produites par vice de conformation sont incurables ; elles ont seulement servi, & servent encore de regle presque générale, pour prédire ce qui doit résulter de l'un ou l'autre. Quoique cette regle souffre des exceptions, il est toûjours très-prudent de ne point s'en écarter, surtout dans l'achat des chevaux de selle, & encore plus de ceux qu'on destine à la chasse & à des exercices violens.

Nous finissons à regret l'article de ces maladies, particulierement de celle des épaules froides ou entreprises, sans pouvoir indiquer aucun spécifique propre à la vaincre : on a fait mille tentatives infructueuses qui n'annoncent que trop notre insuffisance à la guérir : on y a essayé quantité de remedes internes & externes ; les internes sont les fondans, les sudorifiques, les diurétiques, les panacées mercurielles & antimoniales ; & pour remedes externes, les fomentations, les frictions, les emplâtres, les onguens, les sétons, les cauteres potentiels & actuels, & tout cela fort inutilement ; car si quelques chevaux entrepris des épaules se sont trouvés guéris, on doit plûtôt l'attribuer au repos modéré qu'on leur a donné, qu'aux remedes : mais nous dirons de cette maladie ce que nous avons dit de l'éparvin, que le bon moyen de la guérir c'est de ne pas la causer. Cet article est de M. GENSON.

EPAULE, en terme de Fortification, est la partie du bastion où la face & le flanc se joignent ensemble, & où ils font un angle qu'on appelle l'angle de l'épaule. Voyez BASTION. (Q)

EPAULE DE MOUTON, (Charpent.) la plus grande des coignées dont se servent ces ouvriers pour dresser & équarrir leurs bois.

EPAULES D'UN VAISSEAU, (Marine) virures de l'avant : ce sont les parties du bordage qui viennent de l'éperon vers les hauts bans de misene, où il se forme une rondeur qui soûtient le vaisseau sur l'eau. (Z)


EPAULÉES. f. en Maçonnerie. Ce terme a lieu, lorsqu'un bâtiment, au lieu d'être levé de suite & de niveau, est repris par redens, c'est-à-dire à diverses reprises ou à divers tems, comme cela se pratique quand on travaille par sous oeuvre. (P)


EPAULEMENTS. m. en terme de Fortification, est un ouvrage ou une élévation de terre qui sert à couvrir du canon de l'ennemi. Ainsi on appelle épaulement tout parapet à l'abri duquel on peut faire le service ; c'est pourquoi, dans l'artillerie, le parapet des batteries est appellé épaulement. Voyez BATTERIE.

C'est encore la partie avancée d'un flanc couvert, non arrondie. Voyez ORILLON.

Il étoit autrefois d'usage de faire des épaulemens dans les siéges pour couvrir la cavalerie du canon de l'assiégé : mais cette coûtume ne subsiste plus. (Q)

EPAULEMENT, (Charpente) sert à couvrir un des côtés de la mortoise, & il se fait en recran d'un côté, d'environ un pouce, de la largeur du tenon. Voyez les Planches du Charpentier.


EPAULEREPAULER


EPAULIERESS. f. pl. (Bas au métier) parties du métier à faire des bas. Voyez l'article BAS AU METIER.


EPAULIESS. m. pl. c'est ainsi que les Grecs appelloient le lendemain des noces. Ce jour les parens & les conviés faisoient des présens aux nouveaux mariés. On l'appelloit épaulie, de ce que l'épouse n'habitoit la maison de son époux que de ce jour. On donnoit le même nom aux présens, surtout aux meubles que le mari recevoit de son beau-pere. Ces présens se transportoient publiquement & en cérémonie ; un jeune homme, vêtu de blanc & portant à la main un flambeau allumé, précédoit la marche.


EPAVESS. f. pl. (Jurisp.) sont les choses mobiliaires égarées ou perdues, dont on ignore le légitime propriétaire.

Quelques-uns tirent l'origine de ce terme du grec , qui signifie choses égarées & perdues.

Mais il paroît que ce mot vient plûtôt du latin expavescere, parce que les premieres choses que l'on a considérées comme épaves, étoient des animaux effarouchés qui s'enfuyoient au loin, expavefacta animalia.

On a depuis compris sous le terme d'épaves, toutes les choses mobiliaires perdues, & dont on ne connoît point le véritable propriétaire.

Il y a même des personnes qu'on appelle épaves, & épaves foncieres & immobiliaires, comme on le dira dans les subdivisions suivantes ; mais communément le terme d'épaves ne s'entend que de choses mobiliaires, telles qu'animaux égarés, ou autres choses perdues.

En Normandie on les appelle choses gayves. Voyez GAYVES.

Les biens vacans sont différens des épaves, en ce que ces sortes de biens sont ordinairement des immeubles, ou une universalité de meubles, & que d'ailleurs on en connoît l'origine, & le dernier propriétaire qui n'a point d'héritier connu ; au lieu que les épaves sont des choses dont on ignore le propriétaire.

Il y a aussi beaucoup de différence entre un trésor & une épave. Le trésor est vetus pecuniae depositio, cujus memoria non extat. L'épave est toute chose mobiliaire qui se trouve égarée & perdue : l'un & l'autre se reglent par des principes différens. Voyez TRESOR.

Les lois romaines veulent que ceux qui trouvent quelques bestiaux égarés, les fassent publier par affiches, afin de les rendre à ceux qui les reclameront justement.

Dans notre usage les épaves appartiennent au seigneur haut-justicier, & non au propriétaire du fonds où elles sont trouvées, ni même au seigneur féodal, ni au seigneur moyen-justicier.

Celui qui trouve une épave, est obligé d'en faire la déclaration au seigneur haut-justicier dans les vingt-quatre heures : la coûtume de Nivernois l'ordonne ainsi.

Après la déclaration de celui qui a trouvé l'épave, le seigneur doit la faire publier par trois dimanches consécutifs, afin qu'elle puisse être reclamée. Ces publications se faisoient autrefois au prône ; mais depuis l'édit de 1695, toutes publications pour ces sortes d'affaires temporelles doivent être faites par un huissier à la porte de l'église.

La plûpart des coûtumes donnent au propriétaire de l'épave quarante jours pour la reclamer, à compter du jour de la premiere publication, en justifiant par lui de son droit, & en payant les frais de garde & autres.

Les publications faites & les quarante jours expirés, le seigneur haut-justicier ne devient pas encore de plein droit propriétaire de l'épave ; il faut qu'elle lui soit adjugée en justice, comme l'ordonne la coûtume d'Orléans, article 156.

Après l'expiration des quarante jours, & l'adjudication faite en bonne forme au seigneur, le propriétaire de l'épave n'est plus recevable à la reclamer.

On n'exige pas tant de formalités ni de délais, quand l'épave est de peu de valeur, ou qu'il s'agit de quelqu'animal dont la nourriture absorberoit le prix. La coûtume de Sens, article 11, permet en ce cas de la faire vendre après la premiere quinzaine, & après deux criées ou proclamations, à la charge de garder l'argent pour le rendre au propriétaire.

On distingue plusieurs sortes d'épaves, dont il sera parlé dans les subdivisions suivantes.

Les coûtumes qui contiennent quelques dispositions sur cette matiere, sont Meaux, Melun, Sens, Montfort, Mantes, Senlis, Troyes, Chaumont, Châlons, Chauny, Boulenois, Artois, les deux Bourgognes, Nivernois, Montargis, Orléans, Lodunois, Dunois, Amiens, Auxerre, Grand-Perche, Bourbonnois, Auvergne, la Marche, Poitou, Bordeaux, Montreuil, Beauquesne, Peronne, Berry, Cambray, S. Pol sous Artois, Bar, Lille, Hesdin, Lorraine.

Les auteurs qui traitent des épaves, sont Bouthillier, en sa somme rurale ; Conan, en ses commentaires de droit civil, lib. III. cap. de thesauris & rebus adespotis ; Bacquet, des droits de justice, ch. xxxiij. le gloss. de M. de Lauriere ; & les commentateurs des coûtumes dont on a parlé. (A)

EPAVES D'ABEILLES ou AVETTES, sont des essains de mouches à miel qui viennent se poser dans le fonds de quelqu'un, & ne sont poursuivies par personne. Ces épaves appartiennent au seigneur haut-justicier du fonds où les mouches sont venues se poser, & non pas au premier occupant, ni même au propriétaire du fonds. Voyez la coûtume de Tours, art. 17 & 54. la coûtume locale de Preully, ressort de Tours ; celle de Lodunois, ch. j. art. 13. & ch. iij. art. 3. Anjou, art. 12. Maine, art. 13. Ce dernier article porte que les épaves des avettes, nonobstant qu'elles soient mouvantes, tenant & étant en aucun arbre, ou autrement assises au fief d'aucun, appartiennent pour le tout au seigneur du fonds où elles sont assises, si ledit seigneur du fonds y a justice fonciere en nuesse ; & s'il n'a justice en son fonds, elles lui appartiennent pour la moitié, & au justicier en nuesse pour l'autre moitié. Mais si lesdites avettes sont poursuivies avant qu'elles soient encore logées & pris leur nourrissement aud. lieu où elles sont assises, celui à qui elles appartiennent les peut poursuivre, & les doit avoir comme siennes. (A)

EPAVES D'AUBAINS. En quelques coûtumes, comme Vermandois & autres, on appelle épaves les hommes & femmes nés hors le royaume en pays si lointain, que l'on ne peut avoir connoissance du lieu de leur naissance ; à la différence de ceux dont le lieu de la naissance est connu, que l'on appelle simplement aubains ou étrangers. Voyez Bacquet, du droit d'aubaine, premiere partie, ch. jv. n°. 20. (A)

EPAVES D'AVETTES ou ABEILLES, voyez ci-dev. EPAVES D'ABEILLES.

EPAVE DU DESTRIER, qu'on devroit écrire dextrier ; est le droit qui appartient au seigneur baron, d'avoir à titre d'épave le destrier ou grand cheval de guerre, appellé aussi coursier ou cheval de lance, qui se trouve égaré sur sa terre, sans être reclamé par celui auquel il appartenoit : les coûtumes d'Anjou, art. 47. & Maine, art. 55. lui attribuent ce droit. Voyez la note de Bodreau sur les articles de la coûtume du Maine. (A)

EPAVE DU FAUCON, est le droit qui appartient au seigneur baron dans les coûtumes d'Anjou & du Maine, de prendre à titre d'épave tout faucon ou autre oiseau de leurre ou de proie qui se trouve égaré dans sa terre, sans être reclamé par celui auquel il appartenoit. Voyez la coûtume d'Anjou, art. 47. & celle du Maine, art. 55. & Bodreau sur cet article. (A)

EPAVES FONCIERES, sont les immeubles qui échéent au seigneur à titre d'épave, pour droit de bâtardise ou de deshérence. Quelques coûtumes y comprennent aussi les immeubles délaissés par les aubains ; mais dans l'usage ces sortes d'épaves aubaniales appartiennent au roi, & non au seigneur, quoi qu'en disent au contraire la coûtume d'Anjou, art. 10. & celle du Maine, art. 11. (A)

EPAVES MARINES ou MARITIMES, sont tous les effets que la mer pousse & jette à terre, qui se trouvent sur les bords, & ne sont réclamés par aucun légitime propriétaire.

On les nommoit en vieux langage herpes marines, du gaulois harpir, qui signifioit prendre. Ce nom leur fut donné, parce que ces sortes d'épaves appartiennent au roi ou aux seigneurs des lieux, selon les différentes coûtumes ; & que les officiers des justices royales ou seigneuriales les peuvent faire prendre & enlever.

Les poissons qui viennent échoüer, ou qui sont poussés par la violence des flots sur les bords de la mer, sont du nombre des épaves maritimes ; personne ne peut les reclamer, si ce n'est le roi ou le seigneur, selon la coûtume du lieu. Le droit naturel qui donne au premier occupant les poissons qui sont pêchés & pris dans les eaux, cesse à l'égard de ceux-ci, attendu que ce n'est point par l'effet d'aucune industrie que le premier occupant les peut avoir en sa possession.

Les jugemens d'Oleron, qui font partie des anciennes coûtumes de la mer, ne comprennent au nombre des épaves maritimes que les poissons à lard, tels que les baleines, veaux marins, &c. Il est dit que le seigneur en doit avoir sa part, suivant la coûtume du pays, & non en autre poisson ; que si un navire trouve en plaine mer un poisson à lard, il sera totalement à ceux qui l'ont trouvé, s'il n'y a poursuite ; & que nul seigneur n'y doit prendre part, encore qu'on l'apporte à sa terre : qu'en toutes choses trouvées à la côte de la mer, lesquelles autrefois ont été possédées, comme vin, huile & autres marchandises, quoiqu'elles ayent été jettées & délaissées des marchands, & qu'elles doivent être au premier occupant, toutefois la coûtume du pays doit être gardée, comme des poissons ; que s'il y a présomption qu'ils soient d'un navire qui ait péri, en ce cas le seigneur ou l'inventeur ne doivent rien prendre pour les retenir, mais en doivent faire du bien aux pauvres nécessiteux ; qu'autrement ils encourent le jugement de Dieu. Voyez Clairac sur les jugemens d'Oleron, ch. xxxvj.

La coûtume de Normandie, chap. xxiij. appelle varech ce que l'on appelle ailleurs épaves maritimes. Voyez VARECH.

L'ordonnance de la Marine du mois d'Août 1681, ch. vij. déclare les dauphins, esturgeons, saumons & truites être poissons royaux, & en cette qualité appartenir au roi, quand ils sont trouvés échoüés sur le bord de la mer, en payant les salaires de ceux qui les auront rencontrés & mis en lieu de sûreté.

Les baleines, marsoüins, veaux de mer, thons, souffleurs, & autres poissons à lard, échoüés & trouvés sur les greves de la mer, doivent, suivant la même ordonnance, être partagés comme épaves, de même que les effets échoüés.

Mais lorsque les poissons royaux & à lard ont été pris en plaine mer, ils appartiennent à ceux qui les ont pêchés ; sans que les receveurs du roi, ni les seigneurs particuliers, & leurs fermiers, y puissent prétendre aucun droit, sous quelque prétexte que ce soit. (A)

EPAVE MOBILIAIRE, est celle qui consiste dans quelque effet mobiliaire, comme un animal, un poisson, &c. Ces sortes d'épaves sont surnommées mobiliaires, pour les distinguer des épaves foncieres, qui consistent en immeubles. Il en est parlé dans la coûtume de Tours, art. 47 & 52 ; & en la coûtume locale de Maizieres, ressort de Tours ; Lodunois, ch. ij. art. 9. ch. iij. art. 1. Anjou, art. 40, 41, 150. le Maine, art. 47, 48, 183. Blois, art. 26 & 32. (A)

EPAVE DE PERSONNE, est la même chose qu'épave d'aubains ; ce qui ne s'entend que de ceux dont le lieu de la naissance n'est point connu. Voyez ci-devant EPAVE D'AUBAIN. Voyez aussi ci-devant ENFANS EXPOSES. (A)

EPAVE DE RIVIERE : on appelle ainsi tout ce qui est trouvé abandonné sur les rivieres, soit par naufrage, débordement, inondation, chûte de pont, ou autres accidens, & qui n'est point reclamé par le légitime propriétaire.

L'ordonnance des eaux & forêts, tit. xxxj. de la pêche, art. 16, veut que toutes les épaves qui seront pêchées sur les fleuves & rivieres navigables, soient garrées sur terre, & que les pêcheurs en donnent avis aux sergens & gardes-pêche, qui seront tenus d'en donner procès-verbal, & de les donner en garde à des personnes solvables, qui s'en chargeront, dont le procureur du roi prendra communication au greffe, aussi-tôt qu'il y aura été porté par le sergent ou garde-pêche, & qu'il en soit fait lecture à la premiere audience : surquoi le maître particulier, ou son lieutenant, doit ordonner que si dans un mois les épaves ne sont demandées & réclamées, elles seront vendues au profit du roi, au plus offrant & dernier enchérisseur, & les deniers en provenans mis ès mains des receveurs de S. M. sauf à les délivrer à celui qui les réclamera, un mois après la vente, s'il est ainsi ordonné en connoissance de cause.

L'article suivant défend de prendre & enlever les épaves sans la permission des officiers des maîtrises, après la reconnoissance qui en aura été faite, & qu'elles auront été adjugées à celui qui les aura réclamées. (A)


EPAVITÉS. f. (Jurisprud.) se dit, en quelques coûtumes, pour aubaine ; de même que les aubains ou étrangers y sont appellés épaves. La coûtume de Vitri, art. 72, dit qu'épavité ne gît en noblesse, d'autant que, suivant cette coûtume, les nobles nés & demeurant hors le royaume, doivent succéder à leurs parens décédés dans le royaume, ou ailleurs, en tous leurs biens meubles ou immeubles, nobles ou roturiers. Mais Bacquet, en son traité du droit d'aubaine ch. xxx, dit que cette coûtume ne préjudicie point aux droits que le roi a sur la succession des aubains. Suivant les ordonnances du duc de Bouillon, art. 617, le droit d'épavité appartient audit sieur duc, par le décès d'un étranger qui n'est point son sujet, & a délaissé des biens meubles ou immeubles, en ses terres & seigneuries, & il est dit qu'il a quitté & remis ce droit aux bourgeois de Sedan. Voyez EPAVES & AUBAINE. (A)


EPEAUTRES. m. (Agriculture) espece de froment dont le grain est petit & plus brun qu'au froment ordinaire. On en distingue de deux sortes ; le simple, & celui qui a double bourre & toûjours deux grains dans chaque gousse. On en fait du pain qui n'est pas desagréable au goût, mais qui est lourd à l'estomac. Les anciens en composoient leur fromentée, espece de bouillie qu'ils ont beaucoup vantée, & l'on en fait aujourd'hui en quelques endroits de la biere. L'épeautre est un grain moyen entre le froment & l'orge. La plante ressemble beaucoup à celle du froment ; elle a le tuyau plus mince, l'épi plat & uni, le grain jetté seulement de deux côtés, & une barbe longue & déliée. On donne encore le nom d'épeautre à une espece de seigle blanc.


EPECHER POILE(Fontaines salantes) c'est à la fin d'une remandure, (voyez REMANDURE) puiser le reste de la muire (voyez MUIRE) qui se trouve au fond de la poîle, & la porter aux cuves ou reservoirs, pour y fortifier les eaux foibles. Voyez SALINE.


ÉPÉES. f. (Escrime) arme offensive qu'on porte au côté, enfermée dans un fourreau, qui perce, pique & coupe, & qui est en usage chez presque toutes les nations. Elle est composée d'une lame, d'une garde, d'une poignée & d'un pommeau ; à quoi l'on peut ajoûter la tranche de la garde, le fourreau, le crochet & le bout. Voyez GARDE, FOURREAU.

La lame est un morceau de fer ou d'acier qui a deux tranchans, deux plats, une pointe, & la soie.

Le tranchant (en terme d'escrime le vrai tranchant) est la partie de la lame avec laquelle on se défend ; c'est celui qui est du côté gauche de la lame, quand on a l'épée placée dans la main.

Le faux tranchant, est celui dont on fait rarement usage, & qui est du côté droit de la lame.

Le tranchant se divise en trois parties, qu'on appelle le talon, le foible, & le fort.

Le talon, est le tiers du tranchant le plus près de la garde.

Le foible, est le tiers du tranchant qui fait l'extrémité de la lame.

Le fort, est le tiers du tranchant qui est entre le foible & le talon.

Le plat, est la partie de la lame qui est entre les deux tranchans.

La pointe, est la partie de la lame avec laquelle on perce l'ennemi.

La soie, est la partie de la lame qui enfile la garde, la poignée, & le pommeau.

La garde, est la partie de l'épée qui garantit la main.

La poignée, est la partie de l'épée avec laquelle on la tient.

Le pommeau, est la partie de l'épée à l'extrémité de laquelle on rive la soie, & où elle est attachée.

Les maîtres en fait d'armes divisent encore l'épée en trois parties, la haute, la moyenne & la basse, & en fort, mi-fort & foible. Le fort de l'épée est la partie la plus proche de la garde. Le mi-fort gît au milieu & aux environs de la lame, & le foible est le reste qui va jusqu'à la pointe. Ils divisent de même le corps en trois, dont la partie haute comprend la tête, la gorge & les épaules ; la moyenne, la poitrine, l'estomac & le ventre supérieur ; & la basse, le ventre inférieur & au défaut jusque vers le milieu des cuisses. Voyez ESCRIME.

Epée à deux mains ou espadon, est une large épée qu'on tient à deux mains, & qu'on tourne si vîte & si adroitement, qu'on en demeure toûjours couvert.

Il y a des épées quarrées, il y en a de plates, de longues & de courtes.

Les sauvages du Mexique, dans le tems que les Espagnols y aborderent pour la premiere fois, n'avoient que des épées de bois, dont ils se servoient avec autant d'avantage que nous des nôtres.

En Espagne, la longueur des épées est fixée par autorité publique. Les anciens chevaliers donnoient des noms à leurs épées : celle de Charlemagne s'appelloit joyeuse, celle de Roland durandal, &c.

Les épées dans les premiers tems de la troisieme race de nos rois devoient être larges, fortes, & d'une bonne trempe, pour ne point se casser sur les casques & sur les cuirasses, qui faisoient tant de résistance ; & telle fut celle de Godefroy de Bouillon, dont quelques histoires de croisades disent, qu'il fendoit un homme en deux. La même chose est racontée de l'empereur Conrad au siége de Damas.

M. Ducange dit que ces faits, tout incroyables qu'ils paroissent, ne lui semblerent plus tout-à-fait hors de vraisemblance depuis qu'il eut vû à saint Faron de Meaux une épée antique que l'on dit avoir été celle d'Ogier le Danois, si fameux du tems de Charlemagne, au moins dans les romans, tant cette épée est pesante, & tant par conséquent elle supposoit de force dans celui qui la manioit. Le P. Mabillon qui l'a faite peser, dit qu'elle pese cinq livres & un quarteron. Histoire de la milice françoise. M. le maréchal de Puysegur prétend que l'épée est une arme inutile & embarrassante au soldat. Voyez ARMES. (Q)

EPEE, (Hist. mod.) ordre de chevalerie, autrefois en honneur dans l'île de Chypre, où il fut institué par Guy de Lusignan, qui avoit acheté cette île de Richard, roi d'Angleterre, en 1192. Les chevaliers de cet ordre portoient un collier composé de cordons ronds de soie blanche, liés en lacs d'amour, entremêlés de lettres S formées d'or. Au bout du collier pendoit un ovale où étoit une épée ayant la lame émaillée d'argent, la garde croisetée & fleurdelisée d'or, & pour devise ces mots, securitas regni. La premiere cérémonie s'en fit en 1195, par le roi Guy de Lusignan, qui conféra cet ordre à son frere Amaury connétable de Chypre, & à trois cent barons qu'il établit dans son nouveau royaume. Favin, théat. d'honn. & de chevalerie. (G)

* EPEES. (Hist. mod.) L'ordre des deux épées de J. C. ou les chevaliers du Christ des deux épées ; ordre militaire de Livonie & de Pologne en 1193. Dans ces tems où l'on croyoit suivre l'esprit de l'Evangile & se sanctifier, en forçant les hommes d'embrasser le Christianisme, Bertold, second évêque de Riga, engagea quelques gentilshommes qui revenoient de la croisade, de passer en Livonie, & d'employer leurs armes à l'avancement de la religion ; mais ce projet ne fut exécuté que par Albert son frere, chanoine de Reims, & son successeur. La troupe de nos soldats convertisseurs fut érigée en ordre militaire. Vinnus en fut le premier grand-maître en 1203. Ils portoient dans leurs bannieres deux épées en sautoir. Ils s'opposerent avec succès aux entreprises des idolatres.

EPEE ROMAINE, (Manége, Maréchall.) On nomme ainsi un épi, qui dans quelques chevaux regne tout le long de l'encolure, près de la criniere, tantôt de deux côtés, tantôt d'un seul. Je ne rechercherai point les raisons qui lui ont mérité cette dénomination & par lesquelles il a pû se rendre digne de l'estime & du cas infini qu'on en fait. Il seroit à souhaiter que les préjugés qui nous maîtrisent dans notre art, ne nous eussent pas aveuglés jusqu'au point de ne nous faire envisager que certains jeux de la nature, & de nous donner de l'éloignement pour tous les travaux qui pouvoient nous faire connoître, & admirer les opérations qu'elle veut bien ne pas dérober à notre foible vûe. (e)

EPEES, (Marine) Voyez BARRES DE VIREVAUT.

EPEE, terme de Cordier ; c'est un instrument de buis, long d'un pié & large de deux pouces, dont cet ouvrier se sert pour battre la sangle qu'il fabrique. C'est proprement le battant du métier à sangle. On l'appelle épée, parce qu'il a la forme d'un coutelas.

EPEE, en terme de Diamantaire, est le lien de fer AB (Pl. II. du Diamantaire, fig. 2.) qui unit le bras avec le coude de l'arbre de la grande roue. Ce lien est composé de plusieurs pieces de fer, dont les deux fg & FG s'assemblent à charniere en B, où elles entourent le coude de l'arbre de la grande roue ; elles sont assujetties l'une contre l'autre par le moyen d'un anneau e dans lequel passe un coin qui serre les platines l'une contre l'autre. Entre les deux platines on introduit une troisieme A h h ou a b, que l'on assujettit entre les deux premieres par le moyen des deux anneaux h h serrés avec des coins. Cette troisieme barre est percée d'un trou, dans lequel passe un boulon a qui traverse le bras de bas en haut, où il est retenu par une cheville ou clavette o qui l'empêche de ressortir. Ce mouvement imprimé au bras, se communique par le moyen de l'épée au coude qui fait mouvoir l'arbre & la roue qui est montée dessus.

EPEE, (Manufact. en soie) c'est une des parties du chevalet à tirer les soies. Voyez l'art. SOIE.


EPEICHES. f. (Hist. nat. Ornith.) cul rouge, picus varius major, oiseau de la grosseur du merle, ou un peu plus gros. La femelle pesoit trois onces ; elle avoit neuf pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & seulement huit jusqu'au bout des ongles : l'envergure étoit d'un pié. Le bec a un pouce & plus de longueur ; il est droit, de couleur noire, épais à sa racine, & pointu à l'extrémité. Les ouvertures des narines sont recouvertes par des poils noirâtres ; l'iris des yeux est rouge ; sa langue ressemble à celle du pic-verd. Le mâle a au-dessous du sommet de la tête une belle bande rouge & transversale. La gorge & la poitrine de la femelle sont d'un blanc-sale ou jaunâtre ; les plumes du bas-ventre, qui se trouvent sous la queue, sont d'une belle couleur rouge, ce qui fait donner à cet oiseau le nom de cul-rouge. Les plumes qui entourent la base de la piece supérieure du bec, les yeux & les oreilles, sont blanches : la couleur de la tête & du dos est noire. Il y a sur les épaules une grande tache blanche, & on voit une large bande noire qui s'étend depuis les coins de la bouche jusqu'au dos, & qui est coupée au-dessous de la tête par une autre ligne transversale. Chaque aîle a vingt grandes plumes ; la premiere est très-courte : elles sont toutes de couleur noire, & elles ont des taches figurées en demi-cercle. Les plumes intérieures des aîles forment une partie de la tache blanche des épaules, dont il vient d'être fait mention. Les plumes qui recouvrent les aîles à l'extérieur, ont une ou deux taches en demi-cercle : la base de l'aîle est blanche : la queue a trois pouces & demi de longueur : elle est composée de douze plumes ; les deux du milieu sont fort roides, pointues, recourbées, & plus longues que les autres. Toutes les plumes paroissent fourchues à l'extrémité, parce que le tuyau ne s'étend pas jusqu'au bout : la plume extérieure de chaque côté est noire, à l'exception d'une tache blanche qui se trouve sur les bords extérieurs : les deux suivantes sont noires par le bas, & le reste est blanc, avec deux taches noires ; celle du dessus coupe transversalement toute la plume, & l'autre ne s'étend que sur les barbes intérieures : la couleur noire monte plus haut dans la quatrieme plume que dans la troisieme ; & la partie supérieure, qui est blanche, n'a qu'une tache noire : la cinquieme est noire presqu'en entier ; elle n'a qu'une tache blanche faite en demi-cercle vers la pointe, qui est d'un blanc roussâtre : les deux plumes du milieu sont entierement noires. Mais ces couleurs varient souvent. Les doigts sont de couleur plombée ; il y en a deux en-arriere, comme dans les autres pics : ceux de devant sont joints ensemble jusqu'à la premiere articulation. Ces oiseaux vivent d'insectes. Willugh. Ornith. Voyez OISEAU. (I)


EPELERv. act. (Gramm.) le second pas de l'art de lire. Le premier est de connoître les lettres ; le second, d'en former des syllabes, ou d'épeler ; le troisieme, d'assembler des syllabes, & de lire. Ce second pas est très-difficile, grace au desordre de notre ortographe. Voyez ALPHABET.


EPENTHESES. f. terme de Gramm. RR. , in, , pono. C'est une figure de diction qui se fait lorsqu'on insere une lettre ou même une syllabe au milieu d'un mot : c'est une liberté que la langue latine accordoit à ses poëtes, soit pour allonger une voyelle, soit pour donner une syllabe de plus à un mot. Notre langue est plus difficile. Ainsi Lucrece ayant besoin de rendre longue la premiere syllabe de religio, a redoublé l'l :

Tantùm religio potuit suadere malorum.

Lucrece, liv. I.

Virgile ayant besoin de trouver un dactyle dans alitum, au lieu de dire régulierement ales, alitis, & au génitif pluriel alitum, a dit alituum :

Alituum, pecudumque genus sopor altus habebat.

Aeneid. lib. VII. v. 27.

ALITUUM pro ALITUM, metri causâ, addidit syllabam, dit Servius sur ce vers de Virgile.

Juvenal a dit induperator pour imperator :

Romanus, Graïusque, ac barbarus induperator.

Juven. sat. x. v. 138.

& au vers 29 de la quatrieme satyre, il dit :

Quales tunc epulas ipsum glutîsse putemus

Induperatorem.

On trouve aussi relliquias pour reliquias. Ce sont autant d'exemples de l'épenthese. (F)


EPERIES(Géog. mod.) ville de la haute Hongrie ; c'est la capitale du comté de Saros : elle est située sur la Tarza. Long. 38. 36. lat. 48. 50.


EPERLANS. m. eperlanus, (Hist. nat. Ichthiol.) poisson ainsi nommé, parce qu'il a une belle couleur de perle. Il se trouve aux embouchures des rivieres qui se jettent dans l'Océan. Il y en a de deux sortes ; l'une est dans la mer, sur les rivages ; l'autre dans les rivieres. L'éperlan ressemble aux petits merlans : sa longueur ne va guere au-delà d'un demi-pié : il a le corps mince & rond, & la bouche grande & garnie de dents. Ses nageoires sont semblables à celles des saumons ; la derniere du dos est ronde & épaisse. La chair de l'éperlan est transparente, & a une odeur de violette : on le pêche à la fin de l'été & au commencement de l'automne. Rond. hist. des poissons. Voyez POISSON. (I)

EPERLAN, (Diete) Il nourrit médiocrement, & se digere facilement ; il est estimé apéritif, & propre pour la pierre & pour la gravelle.

On ne remarque point qu'il produise de mauvais effets ; il contient beaucoup d'huile & de sel volatil.

Il convient en tout tems, à toute sorte d'âge & de tempérament.


EPERLINS. m. (Fontaines salantes) C'est ainsi qu'on appelle dans les fontaines salantes, des rouleaux de bois d'un pouce & demi de diametre ou environ, qu'on établit entre les bourbons & la poîle, pour la contenir, & résister autant qu'il est possible aux efforts du feu.


ÉPERONS. m. (Manége) L'éperon est une piece de fer, ou une sorte d'aiguillon, quelquefois à une seule pointe, communément à plusieurs, dont chaque talon du cavalier est armé, & dont il se sert comme d'un instrument très-propre à aider le cheval dans de certains cas, & le plus souvent à le châtier dans d'autres.

Il n'est pas douteux que les anciens avoient des éperons, & qu'ils en faisoient usage. Les Grecs les appelloient , calcari cruentare. Virgile, ainsi que Silius Italicus, nous les désignent par cette expression, ferratâ calce :

Quadrupedemque citum ferratâ calce fatigat,

dit le premier ;

& le second :

Ferratâ calce, atque effusâ largus habenâ

Cunctantem impellebat equum.

Térence en fait aussi mention, contra stimulum ut calces. Cicéron encore caractérise cet instrument par le mot de calcar ; il l'employe même dans un sens métaphorique, tel que celui dans lequel Aristote parloit de Callisthene & de Théophraste, lorsqu'il disoit que le premier avoit besoin d'aiguillon pour être excité, & l'autre d'un frein pour le retenir. Il paroît donc que l'usage des éperons pris dans le sens naturel, étoit anciennement très-fréquent : nous n'en voyons cependant aucune trace dans les monumens qui nous restent, & sur lesquels le tems n'a point eu de prise ; mais on doit croire, après les autorités que nous venons de rapporter, que cette armure ne consistant alors que dans une petite pointe de fer sortant en-arriere du talon, on a négligé de la marquer & de la représenter sur les marbres & sur les bronzes.

Le pere de Montfaucon est de ce sentiment : nous trouvons dans son ouvrage une gravure qui nous offre l'image d'un ancien éperon. Ce n'est autre chose qu'une pointe attachée à un demi-cercle de fer qui s'ajustoit dans la caliga, ou dans le campagus, ou dans l'ocrea, chaussures en usage dans ces tems, & qui tantôt étoient fermées & tantôt ouvertes. A une des extrémités du demi-cercle étoit une sorte de crochet qui s'inséroit d'un côté. Le moyen de cette insertion ne nous est pas néanmoins connu. L'autre bout étoit terminé par une tête d'homme.

Autrefois les éperons étoient une marque de distinction dont les gens de la cour étoient même jaloux. Plusieurs ecclésiastiques, peu empressés d'édifier le peuple par leur modestie, en portoient, à leur imitation, sans-doute pour s'attirer des hommages que les personnes sensées leur refusoient, & qu'elles leur auroient plûtôt rendus en faveur du soin avec lequel ils se seroient tenus dans les bornes de leur état, qu'eu égard à ces vains ornemens dont ils se paroient. Louis le Débonnaire crut devoir réprimer en eux cette vanité puérile, qui cherche toûjours à se faire valoir & à se faire remarquer par de petites choses. Des évêques assemblés qui pensoient, comme Flechier, que tout ce qui n'a que le monde pour fondement, se dissipe & s'évanoüit avec le monde, condamnerent & réprouverent hautement ces témoignages d'orgueil dans des hommes destinés à prêcher l'humilité, non-seulement par leurs discours, mais par leur exemple.

Ce qui fait le plus de honte à l'humanité, est l'attention & le besoin que l'on eut dans tous les siecles de s'annoncer plûtôt par ses titres que par son mérite. L'épéron doré établissoit la différence qui regne entre le chevalier & l'écuyer : celui-ci ne pouvoit le porter qu'argenté. Je ne sai si la grosseur de ce fer, & l'énorme longueur du collet, étoit encore une preuve de bravoure & une marque d'honneur accordées aux grands hommes de guerre ; en ce cas, à en juger par les éperons dont on a décoré les talons de Gatta Mela général Vénitien, dans sa statue élevée vis-à-vis la porte de l'église de S. Antoine de Padoue, on devroit le regarder comme infiniment supérieur en ce genre aux grands Condé, aux Luxembourg, aux Eugene, aux maréchaux de Turenne & de Saxe.

Ne considérons ici l'éperon que relativement à l'usage que nous en faisons, & non relativement à ces magnifiques bagatelles. Il en est de différentes sortes, de plus ou moins simples, & de plus ou moins composés. Nous en avons vû qui ne consistoient qu'en une petite tige de fer longue de quelques lignes ; cette tige terminée par un bout en une extrémité saillante, ou en plusieurs pointes disposées en couronne, & fermement arrêtée par son autre extrémité dans l'épaisseur de la partie de la botte qui revêt le haut du talon, & quelquefois dans le talon de la botte même, par une platine de métal qui lui sert de base. Cette espece d'aiguillon est très-défectueuse : 1°. on ne peut le séparer de la botte & le transporter à une autre : 2°. les pointes en étant fixes, portent au flanc du cheval qui en est frappé, une atteinte bien plus cruelle que si elles étoient mobiles : 3°. le cavalier voulant marcher avec cette chaussure, se trouve en quelque maniere engagé dans des entraves dont il ne peut se débarrasser, sur-tout s'il n'a pas contracté l'habitude de cheminer en botte. Quelques éperonniers, dans l'espérance de remédier à ces inconvéniens, ont d'une part arrêté simplement par vis cette tige aiguë dans la platine, de sorte qu'elle peut en être enlevée ; & de l'autre ils l'ont refendue en chape, & ont substitué à ces pointes une roue de métal qu'ils y ont montée en guise de poulie, & qu'ils ont refendue en plusieurs dents pareillement pointues, qui lui donnent une figure étoilée. Cette roue est très-mobile sur son axe ; elle est portée verticalement par la tige, qui conserve une situation presqu'horisontale : ses pointes peuvent donc être, vû sa mobilité & sa position, successivement imprimées sur l'animal, puisqu'elle a dès-lors la facilité de rouler sur son flanc. On peut dire néanmoins que tous ces changemens n'operent rien de bien avantageux. L'incommodité de ne pouvoir appliquer cet éperon à une autre botte, subsiste toûjours ; les impressions fâcheuses qui résultoient du choc des pointes fixes contre le corps du cheval, peuvent encore avoir lieu, si la vis vient à se relâcher, & que conséquemment à ce relâchement la roue ou la poulie, que nous appellerons dans un moment par son vrai nom, de verticale qu'elle étoit & qu'elle doit toûjours être, devenoit horisontale. Enfin je ne pense pas que la facilité de pouvoir ôter la tige de dedans la platine pour marcher avec plus d'aisance, puisse n'être pas balancée par les risques de perdre cette tige ou cette armure. Ce dernier évenement a été prévû ; il a suggéré de nouvelles corrections, & l'idée des éperons à ressort.

Dans ceux-ci la platine, au lieu d'écrou, porte deux anneaux quarrés l'un au-dessus de l'autre, & distans entr'eux de sept ou huit lignes. La tige est prolongée par un petit bras quarré, retourné d'équerre en contre-bas pour enfiler ces deux anneaux, & y être reçû avec justesse. Un petit ressort qui recouvre une partie de sa face antérieure, lui laisse la liberté d'entrer, mais s'oppose à sa sortie aussi-tôt qu'il est en place. En effet, il se sépare alors par le haut de la face sur laquelle l'anneau le tenoit collé, & porte sous ce même anneau jusqu'à ce qu'en le pressant avec le doigt, on le repousse contre cette même face, pour le désaisir & pour dégager l'éperon. Cette construction n'est point exempte de défaut ; le talon se trouve souvent desarmé, le moindre choc déforme ces anneaux, & l'éperon ne peut y rentrer qu'après que l'ouvrier a réparé le mal. Dès qu'ils sont déplacés on les perd facilement, attendu leur petitesse : en un mot ils ne peuvent être changés & servir à une autre chaussure, à moins que la platine n'y soit transportée.

Les éperons préférables à tous égards à ceux que nous venons de décrire, sont ceux dans lesquels nous distinguons le collier, les branches, le collet & la mollette. Le collier est cette espece de cerceau qui embrasse le talon. Il est des éperonniers qui croyent devoir l'appeller le corps de l'éperon. Les branches, qu'ils nomment alors les bras, sont les parties de ce même collier, qui s'étendent des deux côtés du pié jusque sous la cheville. Le collet est la tige qui semble sortir du collier, & qui se propage en-arriere. Enfin la mollette n'est autre chose que cette sorte de roue dont j'ai parlé, qui est engagée comme une poulie dans le collet refendu en chape, & qui est refendue elle-même en plusieurs dents pointues. Le collier & le collet, & quelquefois les branches, sont tirés de la même piece de métal, par la forge ou par le même jet de fonte. Ce collier & ces branches doivent être plats en-dedans ; les arêtes doivent en être exactement abattues & arrondies. Quant à la surface extérieure, elle peut être à côtes, à filets, ou ornée d'autres moulures que je sacrifierois néanmoins à un beau poli ; car elles ne servent communément qu'à offrir une retraite à la boue. La largeur du collier sera de cinq ou six lignes à son appui sur le talon, & elle diminuera insensiblement, de maniere qu'elle sera réduite à deux ou trois lignes à l'extrémité de chaque branche. Cet appui se fera & sera fixé à l'origine du talon, directement au-dessous de la saillie du tendon d'Achille, afin que d'un côté cette partie sensible ne soit pas exposée à l'impression douloureuse de la réaction, lorsque le cavalier attaque vivement son cheval ; & que de l'autre on ne soit pas obligé d'allonger le collet pour faciliter cette attaque, & d'élever la mollette, dont la situation contraindroit le cavalier, si le collier portoit plus bas, à décoller sa cuisse de dessus les quartiers de la selle, ou à s'efforcer de chercher l'animal sous le ventre, pour l'atteindre & pour le frapper. Du reste il est nécessaire que le collier & les branches soient sur deux plans différens, c'est-à-dire que le collier embrasse parfaitement le talon, & que les branches soient legerement rabaissées au-dessous de la cheville, sans qu'elles s'écartent néanmoins de leur parallélisme avec la plante du pié ; parallélisme qui fait une partie de la grace de l'éperon.

Elles doivent de plus être égales dans leurs plis & en toutes choses dans la même paire d'éperons ; mais elles sont souvent terminées diversement dans différentes paires. Dans les unes elles finissent par une platine quarrée de dix lignes ; cette platine étant toûjours verticale, & refendue en une, & plus fréquemment en deux châsses longues, égales, paralleles & horisontales, au-travers desquelles, & dans ce cas, une seule courroie passe de dedans en-dehors & de dehors en-dedans, pour ceindre ensuite le pié, & pour y assujettir l'éperon. Dans les autres, & cette méthode est la meilleure, chaque carne de leurs extrémités donne naissance à un petit oeil de perdrix : cet oeil est plat. Le supérieur est plus éloigné de l'appui que l'inférieur, quoiqu'ils se touchent en un point de leur circonférence extérieure. Dans chaque oeil de la branche intérieure est assemblé mobilement par S fermée, ou par bouton rivé, un membret à crochet ou à bouton. Dans l'oeil inférieur de la branche extérieure est assemblé de même un autre membret semblable aux deux premiers ; & l'oeil supérieur de cette même branche porte par la chape à S fermée ou à bouton rivé, une boucle à ardillon. Les deux membrets inférieurs saisissent une petite courroie qui passe sous le pié, & que par cette raison j'appellerai le sous-pié, par ses bouts qui sont refendus en boutonnieres, tandis que le membret supérieur & la boucle en saisissent un autre fort large dans son milieu, qui passant sur le cou du pié, doit être appellé le sus-pié. En en engageant le bout plus ou moins avant dans la boucle, on assujettit plus ou moins fermement l'éperon.

Le membret à S est le plus commun : il est banni des ouvrages de prix. Ce n'est autre chose qu'un morceau de fer long de dix-huit ou vingt lignes, contourné en S, dont la tête seroit ramenée jusqu'à la pance pour former un chaînon, dont la queue restante en crochet seroit élargie & épatée par le bout, pour rendre sa sortie de la boutonniere plus difficile ; dont le plein seroit applati & élargi, pour présenter au pié une plus large surface, précaution sans laquelle il pourroit le blesser ; dont les déliés enfin seroient ronds sur une ligne de diametre.

Le membret à boutons est plus recherché : c'est une petite lame de métal arrondie par plan à ses deux extrémités ; elle est ébauchée du double plus épaisse qu'elle ne doit rester. L'un de ses bouts est ravalé à moitié épaisseur, pour recouvrir extérieurement l'oeil de l'éperon, ravalé lui-même à moitié de l'épaisseur de la branche. Ils sont assemblés par un clou rond, dont la tête formée en bouton reste en-dehors, & dont la tige, après avoir traversé librement le membret, est rivée immobilement à l'oeil. L'autre extrémité du membret est ravalée à demi-épaisseur de dehors en-dedans, pour racheter l'épaisseur de la courroie qui doit recouvrir cette extrémité, & le bouton fortement arrêté au centre de la portion du cercle qui termine le membret. La mesure de la longueur de cette tige entre la superficie du membret & le dessous du bouton, est l'épaisseur de la courroie du sous-pié ou du sus-pié, qui doit être librement logée entre deux, quand le bouton est dans la boutonniere.

C'est une très-bonne méthode de briser en charnieres les branches de l'éperon destiné à une chaussure legere ; mais il faut que le noeud de cette charniere soit totalement jetté en-dehors, & que l'intérieur du collier ne soit interrompu par aucune saillie. Au moyen de ces charnieres, les branches sont exactement collées sur la botte, & l'éperon chausse plus juste toute sorte de piés.

Le collet seroit trop matériel, s'il avoit autant de diametre que nous avons laissé de largeur au collier dans son appui : on doit le réduire d'un tiers au moins, mais en-dessus seulement, afin de conserver en-dessous une surface incapable de couper le porte-éperon fixé & cousu à la botte. Il peut être rond ou à pans ; il acquiert de la grace, & devient plus propre à sa destination, si d'horisontal qu'il est à sa naissance, il commence à se relever dès les deux premieres lignes de sa longueur, & continue à se relever de plus en plus à mesure qu'il s'éloigne du collier, pour ensuite être legerement recourbé en contre-bas à son extrémité terminée par deux petites bossettes, par le centre desquelles doit passer l'axe de la mollette. Cet axe doit être exactement rivé.

On fait encore usage d'une autre sorte d'éperon, dont les branches ne sont nullement brisées, & qui ne sont ni refendues à leurs extrémités en une ou deux chasses, ni garnies d'aucun membret. Le collier en est rond de deux lignes environ à la naissance du collet ; il diminue insensiblement par les branches qui sont réduites à leur fin à environ une ligne : là elles sont arrondies ou retournées en voltes très-serrées, d'une seule spire dans le plan du collier, qui n'a d'autre courbure que celle qui lui est nécessaire pour embrasser la chaussure entre son talon & la semelle d'une part, & le quartier de l'empeigne de l'autre, dans le creux de la couture qui les unit. Le collet est relevé perpendiculairement jusqu'à l'appui des éperons ordinaires, & recourbé ensuite contre le flanc du cheval. Ces éperons n'étant maintenus par aucune espece d'attache, peuvent se perdre très-aisément quelque force qu'ayent les ressorts, à moins que la semelle ne soit des plus grossieres. Nous les laissons aux medecins, aux barbiers, aux curés de village, & aux moines. Ils sont connus dans quelques provinces & chez quelques éperonniers, par le nom d'éperons à la chartreuse.

Au surplus, dans la construction de l'éperon en général, la forme de la mollette est ce qui mérite le plus d'attention. Il ne s'agit pas d'estropier, de faire des plaies au cheval, d'en enlever le poil ; il suffit qu'il puisse être sensible à l'aide & au châtiment, & que l'instrument préposé à cet effet soit tel, que par lui nous puissions remplir notre objet. Une mollette refendue en un grand nombre de petites dents, devient une scie, souvent aussi dangereuse que l'éperon à couronne. Une mollette à quatre pointes est défectueuse, en ce que l'une de ces pointes peut entrer jusqu'à ce que les côtés des deux autres, en portant sur la peau, l'arrêtent ; si elle est longue, elle atteindra jusqu'au vif ; si elle est courte, il faut que les trois autres le soient aussi ; & dès-lors si elle se présentent deux ensemble, elles ne font qu'une impression qui est trop legere. La mollette à cinq pointes paroît plus convenable, pourvû que leur longueur n'excede pas deux lignes. La mollette à six pointes est moins vive ; à sept, elle retombe dans les inconvéniens de la multiplicité. Il n'est pas à-propos encore que ces pointes soient exactement aiguës. La mollette angloise est cruelle par cette raison & par celle de la position horisontale, que quelques éperonniers lui ont nouvellement donné, au lieu de la placer verticalement. Du reste ces ouvriers, par la délicatesse & par la simplicité de leur travail, font honte à nos éperonniers françois. Il faut enfin que cette même piece de l'éperon puisse rouler sans obstacle, & être assez épaisse & percée assez juste pour qu'elle ne se déverse point sur la goupille qui la traverse.

L'éperon peut être fait de toute sorte de métal. Je voudrois du moins que la mollette fût en argent ; les blessures qu'elle peut faire seroient moins à craindre. Il doit être ébauché de près à la forge, fini à la lime douce, s'il est de fer, & ensuite doré, argenté ou étamé, & bruni ; s'il est d'autre métal, on le mettra en couleur, & on le brunira de même : c'est le moyen de la défendre plus long-tems contre les impressions qui peuvent en ternir l'éclat & hâter sa destruction. Voyez quant à la figure de l'éperon, nos Planches de l'Eperonnier.

Anciennement on s'est servi dans les manéges d'une longue perche, ferrée par un bout d'une mollette d'éperon, ou d'un aiguillon, à l'effet de hausser le derriere du cheval dans les sauts. Un écuyer à pié suivoit l'animal, & lui appliquoit cette perche sur la croupe ou dans les fesses, dans le même tems que le cavalier qui le montoit en élevoit le devant. On regardoit comme un habile homme, & l'on admiroit la pratique de celui qui saisissoit parfaitement le tems, & qui choisissoit avec jugement l'endroit où il devoit piquer le cheval avec cet instrument. Il arrivoit souvent que le derriere de l'animal qui détachoit, alloit au-devant de la perche ; il se blessoit vivement, & renversoit l'écuyer ainsi armé en la repoussant avec force. On s'apperçut encore que cette méthode tendoit à décourager certains chevaux, & à en rendre d'autres rétifs ou vicieux ; on l'abandonna, & l'on confia au cavalier une mollette énorme, placée au bout d'un manche de bois d'environ deux piés & demi de longueur. Le collet de ce nouveau genre d'éperon étoit replié d'équerre, & entroit à vis dans ce manche, dont une des extrémités étoit terminée par une virole à écrou. Ensuite de cette grande & heureuse découverte, l'écuyer étant à cheval travailloit seul & sans le secours d'un aide ; sans-doute que les avantages & les succès de pareils moyens ont été tels que nous avons crû devoir les abandonner.

Nous avons observé en définissant l'éperon, qu'il nous sert tantôt à aider, tantôt à châtier ; l'approche de l'éperon près du poil, approche qui s'exécute en pliant insensiblement les genoux & sans frapper, forme en effet ce que nous nommons l'aide du pincer ; elle est la plus forte de toutes, aussi ne doit-elle pas toûjours & continuellement être employée : car bientôt le cheval ne seroit plus sensible aux autres. Telle est néanmoins la maniere de la plûpart des écuyers ; leur talon est sans-cesse appliqué au corps de l'animal, qu'ils chassent avec force d'un côté ou d'un autre, lorsqu'ils travaillent de deux pistes : de-là naissent l'endurcissement, l'insensibilité, le peu de grace & de justesse de leurs chevaux, qu'ils présentent comme des chevaux parfaitement mis, parce qu'ils fuient avec plus ou moins de promtitude les talons, mais qui s'échappent & s'entablent plûtôt qu'ils ne manient, & dont tous les mouvemens contraints se ressentent de la force qui les a sollicités, & non de l'aisance avec laquelle le maître doit les diriger. Ajoûtons encore que cette mauvaise habitude produit dans l'animal celle de mouvoir sans-cesse la queue ; action désagréable que nous appellons guailler, & à laquelle des jambes mal assûrées & branlantes portent souvent les chevaux. L'aide du pincer ne doit donc être administrée que rarement & dans le besoin, c'est-à-dire quand les autres n'operent point l'effet que nous devions en attendre : elle fait l'office de châtiment sur des chevaux d'une extrême finesse, & nous la substituons alors aux coups d'éperon violens, que nous réservons pour ceux qui ont beaucoup moins de sensibilité. Il seroit à craindre de les appliquer sur les premiers ; on les révolteroit d'autant plus aisément, que si le cavalier se roidit seulement sur eux, ils s'inquietent, dérobent les hanches ou les épaules, se traversent, & sont prêts à se livrer à quelque défense. Il est vrai que des chevaux ainsi dressés ne se rencontrent pas dans tous les manéges, & sur-tout dans ceux où l'on enseigne aux éleves à agir plûtôt de leurs jambes que de leur main. L'aide dont il s'agit opere au surplus directement sur la croupe, & dispose l'animal à entendre les autres aides qui sont infiniment plus douces, comme les châtimens avec les éperons le préparent à connoître celle-ci.

Pour attaquer parfaitement le cheval, il faudroit s'attacher à faire le contraire de ce que l'on voit pratiquer à la plûpart des hommes, que l'on envisage comme de bons modeles. Pour cet effet, au lieu d'ouvrir les jambes ou de les porter d'abord en-avant, lorsqu'on veut vivement frapper des deux, on les approchera legerement du corps de l'animal, & on piquera fortement en appuyant les deux talons. On aura soin aussi de les ôter sur le champ ; car l'éperon fixé au corps de l'animal un certain espace de tems, l'avilit, le courrouce, & l'endurcit. Cet instrument ne devroit être confié qu'à des maîtres véritablement maîtres, c'est-à-dire à des hommes sages, savans, & persuadés qu'il n'en est point de plus nuisible quand on en abuse. Combien est-il de chevaux dont les vices n'ont d'autre source que la violence & la répétition des châtimens ? L'ignorant fait souvent par ce moyen d'un animal paisible & obéissant, un animal rétif, ramingue, & capable de tous les desordres que l'on peut imaginer : l'homme de cheval, au contraire, en rejettant la force & la rigueur, & en dispensant à-propos & avec connoissance les récompenses & les peines, triomphe du cheval le plus indocile & le plus rebelle. (e)

ÉPERON, (Hist. mod.) nom d'un ordre de chevalerie établi par le pape Pie IV. l'an 1560. Les chevaliers portent une croix tissue de filets d'or. Le pape Innocent XI. le conféra à l'ambassadeur de Venise, le 3 Mai 1677.

Autrefois, lorsqu'on dégradoit un chevalier de l'éperon, ou autre, on le faisoit botter & prendre ses éperons dorés, & on les lui brisoit sur les talons à coups de hache. Voyez le roman de Garin, manuscrit.

Li éperon li soit copé parmi

Près del talon, au franc acier forbi.

Voyez CHEVALIER.

EPERONS, dans la Fortification, sont des solides de maçonnerie joints au revêtement, qui le mettent plus en état de résister à la poussée des terres du rempart. Voyez CONTRE-FORTS. (Q)

ÉPERON, POULAINE, CAP, AVANTAGE, (Mar.) ces noms ont la même signification ; mais les deux derniers ne sont guere en usage.

L'éperon ou la poulaine est un assemblage de plusieurs pieces de bois, qu'on pose en saillie au-devant du vaisseau, qui sert à ouvrir les eaux de la mer, & à assujettir le mât de beaupré par des cordages, qu'on nomme des lieures. On y place plusieurs poulies, pour passer des manoeuvres. Voyez Marine, Planc. I. l'éperon coté N.

L'éperon fait une saillie en-avant du corps du vaisseau, à prendre de l'étrave, que les constructeurs reglent sur la nature du bâtiment. Pour les vaisseaux, ils prennent la douzieme partie de l'étrave à l'étambord, qui leur sert à fixer la sortie de l'éperon au-dehors de l'étrave ; pour les frégates, la treizieme partie ; pour les corvettes, la quatorzieme. Par exemple, un vaisseau de quatre-vingt-dix canons, de 168 piés de longueur, aura 14 piés pour la sortie de l'éperon ; une frégate de 28 canons, de 151 piés 3 pouces de longueur, aura 7 piés 9 pouces 2 lignes de sortie de l'éperon.

Il est bon de raccourcir l'éperon & de diminuer sa pesanteur le plus qu'il est possible. Les constructeurs d'aujourd'hui le font beaucoup plus court que les anciens ; ils le restreignent à ce qui est nécessaire pour assujettir le beaupré, & pour placer les poulies qui servent à orienter la misaine, ainsi que toutes les autres voiles d'avant qui sont de grand usage, sur-tout pour faire arriver les vaisseaux : car c'est l'opération à laquelle la plûpart se refusent le plus.

L'éperon est composé d'un grand nombre de pieces, dont la situation se verra beaucoup plus aisément en renvoyant aux figures. Voyez Planche IV. figure 1. Les principales sont la gorgere ou taillemer, cotée 193 ; les aiguilles d'éperon, n°. 184 ; la frise, 185 ; la courbe capucine du gibelot, 186 ; allonge de gibelot, 187 ; les porte-vergues, 188 ; les courbâtons de porte-vergues, 189 ; vaigre de caillebotis d'éperon, 190 ; caillebotis d'éperon, 191 ; traversins d'éperon, 192 ; courbe de la poulaine, 194 ; herpes, 195.

On pourroit entrer dans le détail particulier de la grandeur & des proportions de chacune de ces pieces ; mais cela seroit très-long, & ici de peu d'utilité : on peut en cas de besoin avoir recours à l'excellent traité de la construction des vaisseaux de M. Duhamel. (Z)

ÉPERON, (Hydraulique) est le même que arc-boutant. On s'en sert pour soûtenir les murs des terrasses contre la poussée des terres, ou quand on construit un bassin ou un aqueduc dans des terres rapportées. Voyez ARC-BOUTANT. (K)


EPERONNÉadj. (Manége) ne se dit plus qu'avec le mot botté. Je suis botté & éperonné ; ce qui signifie, il y a des éperons aux bottes que je viens de mettre. Voyez BOTTE.


EPERONNIERsub. m. (Art méchaniq.) artisan qui forge, qui construit & qui vend des éperons, des mors de toute espece, des mastigadours, des filets, des bridons, des caveçons, des étriers, des étrilles, des boucles de harnois, &c. Les Eperonniers peuvent dorer, argenter, étamer, vernir, mettre en violet ou en couleur d'eau leurs ouvrages. Ils ont encore le droit de faire toutes sortes de boucles d'acier poli pour ceintures, porte-manchons, jarretieres, souliers, &c. mais communément ils ne se livrent pas à ce genre de travail.

Anciennement on comprenoit sous le titre de Lormiers, les Eperonniers, les Selliers & les Bourreliers, que l'on appelloit alors Couturiers de lormerie, & ces ouvriers ne formoient ensemble qu'un seul & même corps. En 1678, les Selliers-Lormiers-Carrossiers, ou les Selliers-garnisseurs, obtinrent sans la participation des Lormiers-Eperonniers, des statuts, en qualité de maîtres d'une communauté particuliere : c'est ainsi que ces artisans se sont desunis, & qu'ils composent aujourd'hui deux corps de métiers différens.

Des lettres du roi Jean I. appellé par d'autres Jean II. données à Paris le 20 Mai 1357, & adressées au prevôt de Paris ou à son lieutenant, prouvent l'ancienneté des maîtres Lormiers, déjà établis en corps de jurande, puisqu'ils supplioient S. M. de vouloir bien retrancher des statuts de leur communauté nombre d'articles qui depuis très-long-tems n'étoient d'aucune utilité, & y en ajoûter plusieurs autres également nécessaires au bien public & à celui de leur corps. En exécution de ces lettres le prevôt de Paris ayant assemblé la plus grande & la plus saine partie des maîtres & des compagnons, on dressa de nouveaux réglemens que l'on rédigea en trente-un articles, & qui furent approuvés, confirmés & homologués par des lettres-patentes données au mois de Septembre de la même année.

Les statuts faits en 1576, en conséquence de l'ordonnance d'Orléans, pour la correction & la réformation de tous les statuts & réglemens donnés jusqu'alors aux maîtres des communautés érigées en corps de jurande, different peu de ceux de 1357 ; d'une part ils expliquent & reglent la police & la discipline du corps, & de l'autre ils contiennent le détail des ouvrages que les Lormiers peuvent fabriquer & vendre.

La séparation des Eperonniers & des Selliers, opérée en 1678, ne porta aucune atteinte à leurs droits ; les Lormiers-Eperonniers s'étant fait maintenir en l'année 1717 par arrêt du Parlement, dans la faculté de faire & de vendre des carrosses & autres semblables voitures & ouvrages, ainsi qu'elle leur étoit accordée dans leurs anciens réglemens ; & les Lormiers-Selliers-Carrossiers ayant conservé dans leurs statuts de 1678, le privilége de forger, dorer, argenter, vernir & vendre toutes sortes d'étriers, mors, éperons, &c.

Au surplus, S. Eloi étoit autrefois le patron des Lormiers-Eperonniers, comme il l'est encore des Selliers-Lormiers-Carrossiers ; mais la communauté des Eperonniers de la ville & fauxbourgs de Paris n'invoque à-présent que S. Leu & S. Gilles, parce que le nommé Gilles ancien juré de ce corps, & sa femme, laisserent à la confrairie qui est érigée dans l'église de S. Jacques de la Boucherie, une somme, à condition que S. Gilles en seroit à l'avenir le patron. La loi par laquelle Gilles a voulu immortaliser son nom, & qui a contraint cette communauté de renoncer à la protection de S. Eloi, ne lui a rien offert que d'avantageux, puisqu'outre les fonds dont elle a été gratifiée, elle a acquis un patron de plus (e)


EPERVIERS. m. (Hist. nat. Ornith.) accipiter, fringillarius, seu recentiorum nisus ; oiseau de proie gros comme un pigeon. Il a près de treize pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & l'envergure est de deux piés. Le bec est court, crochu, & de couleur bleue, excepté la pointe qui est noire. La machoire supérieure a sur sa base une membrane de couleur livide, & de chaque côté une sorte d'appendice pointu qui se trouve audessous des narines ; elles sont oblongues : le palais est bleu, la langue épaisse & noirâtre : les yeux sont de médiocre grandeur : l'iris est jaune, & les sourcils sont fort avancés. Le sommet de la tête est brun ; le derriere de la tête, & la partie qui est au-dessus des yeux, sont tachés de blanc : le dos, les épaules, les ailes & le dessous du cou sont bruns, excepté quelques plumes des ailes les plus près du dos, qui ont des taches blanches. Le dessous du cou, la poitrine, le ventre, les côtés, le dessous des ailes, sont colorés de blanc & de brun par bandes transversales, & alternativement blanches & brunes : les blanches sont les plus larges. Les ailes pliées sont bien moins longues que la queue ; elles ont vingt-quatre grandes plumes. La queue a près de deux palmes de longueur ; elle est composée de douze plumes, & traversée par cinq ou six bandes noirâtres : la pointe de ses plumes est blanches. Les cuisses sont grosses, les jambes minces & jaunâtres, & les doigts également longs ; l'extérieur est attaché à celui du milieu par une membrane, jusqu'à la premiere articulation. Les ongles sont noirs. La femelle pond cinq oeufs qui sont blancs ; il y a vers le gros bout une espece de couronne formée par des taches rouges. Cet oiseau, quoique de grosseur médiocre, est très-fort & très-courageux ; on le dresse pour la chasse. Willugh. Ornith. Voyez OISEAU. (I)

* EPERVIER DU FURET, terme de Pêche ; sorte de filet avec lequel on prend le poisson dans les rivieres. C'est un grand sac de rets dont la forme est conique, & dont les mailles ont onze lignes en quarré. Le bord inférieur de ce filet est garni de plomb : le tout est retenu par une corde fixée au sommet du cone. On pose ce filet sur l'épaule, comme un manteau à l'espagnole, & de l'autre bras on le jette à l'eau, ensorte qu'il se développe, & que les plommées forment un cercle qui fait couler le filet à fond, & le disposent en tombant en une espece de voute sous laquelle le poisson se trouve renfermé sans en pouvoir sortir. On retire ensuite le filet par son cordon, & les plombs dont l'extrémité inférieure est garnie, se réunissent, & empêchent le poisson de sortir pendant qu'on retire le filet.

La pêche avec l'épervier est défendue par l'ordonnance de 1669. Voyez nos Planches de Pêche.


EPETERv. act. (Jurisp.) quasi appetere, est un ancien terme de coûtumes qui signifie empiéter sur l'héritage d'autrui. Voyez la coûtume de Troyes, art. 130 ; Pithou sur cet article. (A)


EPHAS. m. (Hist. anc.) mesure greque qui étoit en usage parmi les Hébreux. Voyez MESURE.

L'épha étoit la mesure la plus commune parmi les anciens Juifs, par laquelle se régloient les autres. On croit que cette mesure réduite à celle des Romains, contenoit quatre boisseaux & demi : chaque boisseau de grain ou de farine pesoit vingt livres ; ainsi l'épha pesoit quatre-vingt-dix livres. Le docteur Arbuthnot réduit l'épha à trois picotins ou pintes d'Angleterre.

L'écriture vante l'hospitalité de Gédéon, pour avoir fait cuire un épha de farine pour un ange seul ; ce qui auroit pû suffire à la nourriture de quarante-cinq hommes pendant un jour. Chambers (G)


EPHEBEUMS. m. (Littérat.) L'ephebeum étoit une piece particuliere du gymnase où les jeunes gens qui n'avoient pas atteint leur seizieme année, & qu'on nommoit éphebes par cette raison, s'assembloient de grand matin pour y prendre les exercices dans le particulier & sans avoir de spectateurs. Rien ne manquoit parmi les Grecs & les Romains pour procurer tous les secours nécessaires à la jeunesse qui vouloit s'instruire & se perfectionner dans les exercices. Nous pourrions prendre dans Vitruve une idée de la grandeur des édifices publics destinés à cette branche de l'éducation, de leur nombre, de leurs diverses parties & de leur distribution ; mais nous ne lisons ni Vitruve, ni les auteurs d'antiquités. Nous croyons en voyant nos colléges & nos académies, que nous avons des merveilles inconnues aux siecles passés. Combien souvent & à combien d'égards peut-on nous dire : " ô Athéniens ! vous n'êtes que des enfans, vous pensez comme des enfans ". Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPHELIDES. f. (Medecine) , mot composé de la préposition , qui dans ce cas a la signification de par, & d', soleil. C'est le nom que les Grecs ont donné aux taches rousses, noires, sans élevation, qui surviennent à la peau des parties qui restent habituellement découvertes, sur-tout au visage.

Ces taches sont ordinairement l'effet du soleil, à l'ardeur duquel on a resté exposé ; elles sont quelquefois accompagnées d'âpreté, de rudesse dans l'épiderme ; quelques-unes ont la figure & l'étendue d'une lentille ; elles sont distinguées par le nom de lentigines, que leur donnent les Latins. Celles de cette espece peuvent être produites par la seule application de l'air chaud, ou par la réverberation des rayons du soleil (Voyez LENTILLE) : d'autres sont étendues sur toute la surface des parties qui ont été exposées à l'action immédiate de cet astre ; elles forment ce qu'on appelle le hâle, morphaea solaris. Voyez HALE.

On comprend encore parmi les éphélides, mais improprement, certaines taches brunes, quelquefois rougeâtres, qui affectent le visage & le front, sur-tout des femmes grosses, & même des filles. On n'a pû être autorisé à les nommer ainsi, que par la ressemblance qu'on a crû leur trouver avec les véritables éphélides ; les fausses dont il s'agit proviennent de cause interne, & principalement de la suppression des régles, par la grossesse ou par maladie : le sang qui se porte à la matrice ayant croupi dans les sinus, & étant reporté dans la masse des humeurs avec les mauvaises qualités qu'il y a contractées, cause beaucoup de trouble dans l'économie animale, & fournit quelquefois aux colatoires de la peau des sucs viciés qui les engorgent, & occasionnent ces changemens de couleur qui la tachent. Hippocrate regardoit ces sortes d'éphélides comme des signes de grossesse : mais ils sont très-équivoques ; elles se dissipent quelquefois vers le quatrieme mois avec les autres symptomes qu'elle produit ; d'autres fois elles paroissent & disparoissent à diverses reprises pendant le cours des neuf mois, & ne sont entierement détruites que par l'accouchement : il en est même qui subsistent après l'accouchement, & deviennent ineffaçables. Dans les filles elles ne sont parfaitement emportées que par la cessation de la suppression des régles qui les a fait naître.

Pour ce qui est de la maniere de traiter les fausses éphélides, elle doit être bornée aux topiques pour les femmes enceintes : on conseille l'usage des graines de laurier réduites en poudre, après en avoir ôté l'écorce, & mêlées avec du miel en forme d'onguent, dont on oint le visage : l'émulsion de graines de chanvre, dont on lave la partie affectée, est aussi employée avec succès dans ce cas. On recommande, pour les filles, de frotter les taches avec un linge imbu du suc qui découle d'une racine de buglose coupée & exprimée, dans le tems du flux menstruel ; car il faut, avant tout, qu'il soit rétabli, pour que ce remede puisse être de quelque utilité. Voyez TACHE. (d)


EPHEMERES. f. (Hist. nat. Insectolog.) musca ephemera, insecte qui meurt presqu'aussitôt qu'il est transformé en mouche ; la plûpart vivent à peine une demi-heure ou une heure dans cet état : celles qui y restent depuis le coucher du soleil jusqu'à l'aurore du lendemain, passent pour avoir vécu longtems. On en distingue grand nombre d'especes, elles ressemblent beaucoup à des papillons ; mais il n'y a point de poussiere sur leurs ailes, comme sur celles des papillons ; elles sont fort transparentes & très-minces. Les éphémeres ont quatre ailes, deux en-dessus & deux en-dessous : les ailes supérieures sont de beaucoup plus grandes que les inférieures. Le corps est allongé, & composé de dix anneaux ; il sort du dernier une queue beaucoup plus longue que tout le reste de l'animal, & formée par deux ou trois filets extrèmement fragiles.

Ces insectes vivent dans l'eau pendant un, deux ou trois ans sous la forme de ver, & ensuite de nymphe, avant que de se transformer en mouche. En les considérant dans ces différens états, leur vie est longue relativement à celle des insectes ; & même on a donné le nom d'éphémere à des mouches qui vivent pendant quelques jours après leur métamorphose. Le ver ne différe de la nymphe qu'en ce que celle-ci a seulement de plus que le ver, des fourreaux d'aile sur le corcelet. L'un & l'autre ont six jambes écailleuses attachées au corcelet. La tête est triangulaire & un peu applatie ; il y a deux gros yeux ordinairement bruns, & un filet grainé au côté intérieur de chaque oeil. La bouche est garnie de dents, & le corps composé de dix anneaux, dont les premiers sont plus gros que les derniers. La partie postérieure du corps est terminée par trois filets qui forment une longue queue : ces filets sont écartés les uns des autres, & bordés des deux côtés par une frange de poils. Ces insectes ont une teinte plus ou moins foncée de couleur brune, jaunâtre ou blanchâtre. Ils restent dans des trous creusés en terre au-dessous de la surface de l'eau d'une riviere, ou d'une autre eau moins courante ; les uns n'en sortent que très-rarement, d'autres plus souvent : ceux-ci nagent dans l'eau, & marchent sur les corps qu'ils y rencontrent, ou se tiennent cachés sous des pierres, &c. Lorsqu'on les observe de près, on voit le long du corps, de chaque côté, des sortes de petites houpes qui ont un mouvement fort rapide, & qui tiennent lieu d'oüies à ces animaux.

Comme les insectes qui doivent se transformer en mouches éphémeres, ne nagent que très-rarement dans l'eau, il faut, quand on les veut voir, les chercher dans une terre compacte, où ils font des trous : la consistance de cette terre approche de celle de la glaise. Lorsque les eaux de la Seine & de la Marne ne sont pas hautes, on voit sur les bords de ces rivieres, jusqu'à deux ou trois piés au-dessus du niveau de l'eau, la terre criblée de ces trous, dont les ouvertures ont deux ou trois lignes de diamêtre ; ils sont vuides, les insectes les ont abandonnés lorsqu'ils se sont trouvés à sec, & ont fait d'autres trous plus bas dans la terre que l'eau baigne ; il y en a jusqu'à plusieurs piés au-dessous de la surface de l'eau. Ces trous sont dirigés horisontalement ; ils ont deux ouvertures placées l'une à côté de l'autre, de sorte que la cavité du trou est semblable à celle d'un tuyau coudé. L'insecte entre par l'une des ouvertures, & sort par l'autre : la capacité du trou est proportionnée au volume de son corps dans ses différens degrés d'accroissement. La transformation de la nymphe en mouche est très-promte ; celle-ci quitte son fourreau avec beaucoup de facilité : quelques-unes prennent leur essor avant que de s'en être entierement dégagées, & emportent leur dépouille qui tient encore à leur queue.

Le tems de l'apparition des mouches éphémeres n'est pas toûjours le même pour toutes les especes de ces mouches. C'est vers la fête de la saint Jean qu'elles paroissent, dans des pays plus froids que le nôtre. A Paris on les voit vers la mi-Août, quelquefois plûtôt, & d'autres fois plûtard. Sur le Rhin, la Meuse, &c. les éphémeres commencent à voler environ deux heures avant le coucher du soleil. Sur la Seine & la Marne on n'en voit que dans le tems où le soleil est prêt à se coucher ; elles ne viennent en grand nombre que lorsqu'il a disparu : alors il s'éleve en l'air une prodigieuse multitude de ces insectes ; ils volent si près les uns des autres, que l'on ne voit que des éphémeres autour de soi, sur-tout si l'on tient une lumiere. Elles s'y portent de toutes parts ; elles décrivent des cercles tout-autour & en tout sens ; elles se répandent par-tout en un instant ; elles tombent comme les flocons de la neige la plus abondante, la surface de l'eau en est couverte ; la terre en est jonchée sur les bords de la riviere, où elles s'amoncellent, & forment une couche d'une épaisseur considérable.

En 1738, le 19 Août, cette grande affluence d'éphémeres ne dura sur la Marne à Charenton, que depuis neuf heures jusqu'à neuf heures & demie ; leur nombre diminua peu-à-peu, & sur les dix heures on n'en appercevoit plus que quelques-unes qui voloient sur la riviere : on en avoit déjà vû le jour précédent. Le 20, ces insectes parurent en aussi grand nombre que le 19 ; le 21 il y en eut à peine le tiers ; le 22 on en vit moins : mais quoiqu'il fît moins chaud que les jours précédens, & qu'il tombât de la pluie, elles parurent à la même heure. Les quatre ou cinq jours suivans il en vint encore, mais leur nombre diminuoit de jour en jour : les premieres s'étoient montrées chaque jour entre huit heures & un quart & huit heures & demie. En 1739, les éphémeres vinrent dès le 6 Août ; mais elles ne parurent que vers les neuf heures & demie, ou les neuf heures trois quarts. Il y en eut beaucoup moins cette année que la précédente. Les Pêcheurs regardent les éphémeres comme une manne qui sert de nourriture aux poissons, & ils prétendent que cette manne ne tombe que pendant trois jours. En effet, ces insectes ne paroissent que pendant trois jours en grande abondance. La plûpart se noyerent dans la riviere, & les autres resterent sur les bords presque sans mouvement, entassées les unes sur les autres, & moururent bientôt ; à peine s'en trouva-t-il qui vécussent jusqu'au lever du soleil. Elles avoient plus de deux pouces de longueur, en y comprenant les filets de la queue. Les ailes étoient blanches lorsqu'elles ne se touchoient pas, & d'un blanc-sale ou rougeâtre lorsqu'elles étoient appliquées l'une sur l'autre. Les mâles ont un des filets de la queue plus court que les deux autres.

Dès que les femelles ont quitté leur dépouille, elles sont prêtes à pondre ; après avoir pris leur vol, elles déposent leurs oeufs dans le premier endroit où elles se trouvent en tombant, ou en se posant soit sur la surface de l'eau, soit sur la terre. La ponte est faite en un moment, quoique le nombre des oeufs soit très-grand. Ils étoient arrangés dans chaque femelle de façon qu'ils formoient deux grappes composées de grains qui se touchoient ; la longueur de chacune étoit de trois lignes & demie ou quatre lignes, & le diamêtre d'environ une demi-ligne ou une ligne : il y avoit sept ou huit cent oeufs dans les deux grappes. L'éphémere vole à fleur d'eau, & s'appuie sur l'eau par le moyen des filets de la queue ; lorsqu'elle pond, les grappes sortent de l'insecte toutes les deux à-la-fois, & tombent au fond de l'eau qui les dissout, de façon que les oeufs se séparent & se dispersent sur le fond de la riviere. On ne sait pas combien de tems ils y restent avant que les vers en sortent : on ne sait pas bien non plus si les éphémeres s'accouplent, ou si le mâle féconde les oeufs après la ponte. Mém. pour servir à l'histoire des Insectes, tome VI. Voy. INSECTE. (I)

ÉPHEMERE, adj. (Medecine) ce terme est grec, , composé de la préposition , dans, & , jour ; ainsi il est employé pour signifier ce qui se passe dans un jour, dans l'espace de 24 heures ; c'est aussi l'étymologie du mot éphémeride, qui a la même signification, & qui est quelquefois employé en Medecine au lieu de calendrier. Voyez EPHEMERIDES.

éphémere est une épithete que les Medecins donnent à une sorte de fievre, qui fait son cours dans l'espace d'un jour ; c'est celle que Galien appelle , & les Latins febris diaria : quelques-uns ont improprement étendu la signification de fievre éphémere à celle dont le cours est prolongé jusqu'au troisieme jour inclusivement, qu'il est plus convenable de ranger simplement parmi les fievres continues non putrides. Voyez FIEVRE PUTRIDE.

La fievre éphémere doit aussi être regardée comme continue, puisqu'il est de son caractere que l'agitation fébrile qui la constitue, étant commencée, ne cesse pas que la maladie ne soit terminée ; ensorte que dans l'espace de tems qu'elle dure, elle parcourt les quatre degrés que l'on observe dans toute sorte de fievre ; savoir, le principe, l'accroissement, l'état, la déclinaison : mais celle-ci n'est pas une maladie aiguë, parce qu'elle n'est pas accompagnée d'un grand changement, soit dans les parties solides, soit dans les fluides, & qu'elle ne produit pas par conséquent un grand dérangement dans les fonctions ; ainsi la fievre éphémere proprement dite est distinguée de la suete ou sueur angloise, qui est le nom que l'on donne à une sorte de fievre qui a regné en Angleterre à différentes reprises, pendant les deux derniers siecles, dont le principal symptome étoit une sueur si abondante, qu'elle faisoit périr la plûpart de ceux qui en étoient attaqués en moins d'un jour, & quelquefois en peu d'heures ; celle-ci est de l'espece des fievres malignes très-aiguës : si on lui donne le nom d'éphémere, on doit lui joindre l'épithete de pestilentielle (voyez SUETE ou SUEUR ANGLOISE, FIEVRE MALIGNE, PESTE). La fievre éphémere differe de toute autre fievre continue, par le peu de trouble qu'elle cause dans l'économie animale, & par sa courte durée : le défaut de retour la distingue des fievres intermittentes.

Elle est le plus souvent causée par quelqu'abus des choses qu'on appelle dans les écoles non-naturelles, comme lorsque la personne qui en est affectée s'est exposée à l'ardeur du soleil, ou a fait un exercice violent, ou a trop bû ou trop mangé, ou qu'elle a fait des veilles excessives, ou s'est livrée à un trop grand travail d'esprit, à quelqu'accès de colere, &c. Quelqu'une de ces causes étant récentes & n'ayant pas vicié notablement la masse des humeurs, & n'y ayant produit qu'un épaississement, ou une raréfaction, ou une constriction des vaisseaux peu considérables ; le sang trouvant conséquemment un peu de résistance à parcourir les extrémités artérielles, il s'excite par la cause générale, qui détermine toutes les fievres de quelqu'espece qu'elles soient, un mouvement fébrile, qui tend à faire cesser l'obstacle, à détruire le vice dominant ; & attendu qu'il n'est pas de nature à résister beaucoup, il cede bien-tôt, & la fievre se termine.

Cette fievre éphémere n'est point précédée par le dégoût des alimens, ni par la lassitude spontanée, ni par aucun frisson ou tout autre avant-coureur des fievres de toute espece ; elle survient presque subitement sans aucun fâcheux symptome, &c. il ne se fait aucun changement dans les urines, & elle finit souvent sans aucune évacuation sensible, & quelquefois par de fortes moiteurs ou des sueurs legeres sans mauvaise odeur, ou par quelque douce évacuation, par le vomissement ou par la voie des selles ; tel est le caractere constant de cette fievre : cependant il n'est pas facile de la connoître dans son principe, & de s'assûrer qu'elle n'est qu'éphémere, parce qu'il arrive souvent que les fievres continues simples de plusieurs jours, & même les putrides, commencent de la même maniere & ne se montrent qu'imparfaitement, attendu que la matiere morbifique est d'abord trop tenace, ne se développe dans les premieres voies ou dans le sang que peu-à-peu, & n'occasionne quelquefois, qu'après quelques jours, les symptomes qui caractérisent la maladie ; par conséquent les fievres de cette espece en imposent souvent dans leur commencement, & paroissent être ou une fievre éphémere, ou une fievre continue simple. On est cependant fondé à regarder une fievre commençante, comme étant de l'espece de ces dernieres, lorsqu'elle est produite dans une personne qui étoit bien saine auparavant, par une cause legere ; lorsque les symptomes n'ont rien de violent, & que les évacuations critiques, s'il s'en fait de sensibles, suivent de près ; & enfin lorsque le pouls redevient naturel & absolument tranquille d'abord après la fin de la fievre : toutes ces conditions étant reunies, on ne risque guere de se tromper dans le jugement que l'on porte sur la nature de la maladie.

La fievre éphémere, telle qu'elle vient d'être décrite, n'est jamais accompagnée d'aucun danger : cependant le medecin doit prudemment attendre que la fievre tende à sa fin, avant de dire son sentiment sur la nature de l'évenement, puisqu'il peut être trompé dans la connoissance de la maladie, comme il a été dit ci-dessus ; & s'il y a le moindre soupçon de fievre intermittente, il faut encore plus suspendre son jugement, pour ne pas compromettre sa réputation & l'honneur de l'art. M. Wanswietem dit qu'il a vû des personnes qui étoient sujettes à avoir deux ou trois fois dans l'année un accès de fievre éphémere, sans y donner occasion, mais vraisemblablement par un amas de bile, dont l'évacuation étant faite par un doux vomissement, tout mouvement & tout symptome fébrile cessoient, ils recouvroient la santé.

Il suit de ce qui a été dit jusqu'ici de la fievre éphémere, qu'elle peut être regardée comme salutaire, & que la curation en est facile : elle se dissipe même souvent sans aucun secours, & elle se termine promtement de sa nature, pourvû qu'elle n'en change pas par un mauvais traitement, & qu'on ne la fasse pas dégénerer en une autre espece de fievre de mauvaise qualité.

Il suffit donc, pour la cure de cette fievre, que le malade s'abstienne absolument de manger, qu'il ne prenne, pour toute nourriture pendant vingtquatre heures, que du bouillon de viande, très-leger, en petite quantité, & même qu'il se borne à boire beaucoup de tisane d'orge ou de petit-lait, pour délayer & détremper la masse des humeurs ; qu'il observe de se livrer au repos du corps & de l'esprit. La saignée est très-rarement employée dans cette espece de fievre, & ce n'est que dans le cas où les symptomes sont violens, où le malade se plaint beaucoup de douleur de tête ; mais alors il y a lieu de craindre que la fievre ne devienne aiguë, & ne se termine pas aussi-tôt que la nature de l'éphémere le comporte : c'est ce dont on ne tarde pas à être instruit par la continuation de la fievre & les nouveaux symptomes qui surviennent, ou par une sorte de cessation, qui annonce d'avance le retour de la fievre par un accès prochain. Voyez FIEVRE CONTINUE, INTERMITTENTE. (d)


EPHEMEREUTES. m. (Hist. anc.) prêtre des Thérapeutes. Voyez THERAPEUTES.


ÉPHÉMÉRIDESS. f. pl. (Astronom.) tables calculées par des astronomes, qui marquent l'état présent du ciel pour chaque jour. Voyez PLANETE, LIEU & TABLE.

C'est par ces tables qu'on détermine les éclipses, les conjonctions & les aspects des planetes, l'heure du lever & du coucher de la lune & du soleil pour chaque jour, les nouvelles & pleines lunes, &c. Nous avons des éphémérides de Képler, d'Argolus, de Mezzavaccha, de la Hire & de plusieurs autres.

Feu M. Desplaces, grand calculateur, a publié depuis 1715, de dix ans en dix ans, des éphémerides célestes qu'il a poussées jusqu'en 1745. M. l'abbé de la Caille, de l'Académie des Sciences, & professeur de Mathématiques au collége Mazarin, en a donné la continuation depuis 1745, avec plusieurs additions, dont on peut voir le détail dans l'Histoire de l'Académie de 1743 : ces additions sont précédées d'une introduction qui en donne l'intelligence, & qui met tout lecteur médiocrement instruit en état de s'en servir.

On doit mettre au nombre des éphémerides l'ouvrage intitulé connoissance des tems, que l'académie des Sciences publie régulierement tous les ans depuis le commencement de ce siecle. On doit mettre aussi de ce nombre l'ouvrage intitulé état du ciel, publié en 1754 & 1755 par M. Pingré, chanoine de sainte Génevieve, &c. Cet ouvrage est principalement destiné aux navigateurs, & leur sera très-utile par le détail, l'exactitude & l'intelligence avec laquelle il est fait. Le volume de 1755 est fort supérieur au précédent, quoique celui-ci méritât déjà beaucoup d'estime. (O)


ÉPHÉMÉRIESS. f. pl. (Hist. anc.) Les prêtres des Juifs étoient distribués en éphéméries : il y en avoit huit, quatre des descendans d'Eleazar, quatre de ceux d'Ithamar. Cette division étoit celle de Moyse, selon quelques auteurs ; d'autres prétendent qu'il en avoit institué seize, auxquelles David en avoit ajoûté huit. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il y avoit sous ce roi vingt-quatre éphéméries de prêtres, seize de la postérité d'Eleazar, huit de celle d'Ithamar : chaque éphémérie vaquoit au service divin pendant une semaine. L'éphémérie étoit sous-divisée en six familles ou maisons, qui avoient chacune leur jour & leur rang, excepté le jour du sabbat, qui occupoit l'éphémérie entiere. Un prêtre, pendant sa semaine de service, ne pouvoit coucher avec sa femme, boire du vin, ou se faire raser, &c. la famille ou maison de service ne buvoit point de vin, pas même pendant la nuit. Comme les prêtres étoient répandus dans toute la contrée, ceux dont la semaine approchoit se mettoient en chemin pour Jérusalem ; ils se faisoient raser en arrivant ; ils se baignoient ensuite : ceux qui demeuroient trop loin restoient chez eux, ou ils s'occupoient à lire l'écriture dans les synagogues, à prier, à jeûner : leur absence ne causoit aucun trouble dans le service divin, parce qu'une éphémérie étoit souvent de plus de cinq mille hommes ; d'où l'on voit que sous David le temple étoit desservi par cent vingt mille hommes & davantage. Ceux qui se rendoient à Jerusalem entroient dans le temple le soir que leur service commençoit : lorsque l'holocauste du soir étoit offert, & que tout étoit disposé pour le service du lendemain, l'éphémérie en exercice sortoit & faisoit place à la suivante. Tout le corps des lévites étoit aussi divisé en éphéméries, & l'éphémérie en familles ou maisons : ces éphéméries faisoient le service divin dans le même ordre que les prêtres ; & dans les grandes solennités les six maisons des lévites étoient occupées ainsi que celles des prêtres.


EPHEMERIUSS. m. (Hist. anc.) C'est ainsi qu'on appelloit, dans l'église greque, l'écclésiastique qui veilloit à ce que les heures fussent chantées régulierement, à ce que les jeunes choristes sûssent leur chant, & que tout se fît en ordre.

On donnoit encore ce nom en quelques endroits à ceux qui assistoient les patriarches & les évêques, qui ne les quittoient ni le jour ni la nuit, & qui, témoins assidus de leurs moeurs & de leur conduite, pouvoient en répondre dans l'occasion.


EPHEMERUMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleurs liliacées, composées de trois petales & soûtenues par un calice divisé en trois parties. Le pistil devient dans la suite un fruit oblong, qui est partagé en trois loges, & qui renferme des semences semblables à des grains de froment. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


EPHÈSE(Géogr. & Hist. anc.) autrefois ville maritime de l'Asie mineure, nommée présentement Ajasaloue par les Turcs, auxquels elle appartient.

Cette ville jadis si célébre, dit M. de Tournefort, le plus exact de tous les écrivains qui en ont parlé ; cette ville si fameuse par son temple, qui y attiroit des étrangers de toutes parts ; cette ville qui a produit tant d'hommes illustres & d'artistes célébres, entr'autres, à ce qu'on croit, Parrhasius ; enfin cette ville qui se glorifioit d'être la métropole de toute l'Asie, n'est plus qu'un misérable village bâti de boue, parmi de vieux marbres cassés. Ce village encore n'est habité que par une trentaine de familles greques, qui certainement, comme M. Spon le remarque, ne sont pas capables d'entendre les épîtres que S. Paul leur a écrites.

Nous avons peu de villes dont il reste autant de médailles ; les unes nous apprennent qu'elle fut une fois néocore de Diane, & trois fois néocore des Césars ; les autres, qu'elle fut bâtie à l'occasion d'un sanglier ; la plûpart représentent Diane, ou chasseresse, ou à plusieurs mammelles, ou parée de ses attributs.

L'origine de cette ville, ses anciens noms, & ceux de ses fondateurs, ne nous intéressent guere aujourd'hui ; mais il n'est pas inutile de dire que pendant les guerres des Athéniens & des Lacédémoniens, Ephèse avoit la sagesse de vivre en bon accord avec les deux partis, & que le jour de la naissance d'Alexandre, les devins de la cité se mirent à crier que le destructeur de l'Asie étoit venu au monde.

On n'oublie point que ce destructeur se rendit à Ephèse après la bataille du Granique, & qu'il y rétablit la démocratie ; que la place fut prise par Lysimachus, l'un de ses successeurs ; qu'ensuite Antigonus eut l'adresse de s'en emparer, & qu'il y pilla les trésors de Polysperchon.

On ne sauroit encore oublier qu'Annibal vint s'aboucher à Ephèse avec Antiochus, pour y prendre ensemble des mesures contre les Romains ; que ce fut dans cet endroit que se commit le massacre effroyable des mêmes Romains, par les ordres de Mithridate ; & que Scipion, beau-pere de Pompée, s'empara des trésors du temple, sans crainte & sans scrupule.

Personne n'ignore aussi quelle fut la magnificence des fêtes que Lucullus y donna ; le voyage exprès d'Auguste, de Pompée & de Cicéron dans cette ville ; sur-tout celui de Cicéron, qui mandoit à ses amis qu'il ne faisoit aucun pas dans la Grece sans y trouver de nouveaux sujets d'admiration.

Enfin l'on sait que Tibere, pendant son regne, fit rebâtir cette métropole, & qu'avant lui on y avoit dressé des temples à Jules-César & à la ville de Rome ; tous ces événemens renouvellent les grandes idées qu'on a sucées dans sa jeunesse de l'histoire ancienne : mais rien n'est si consolant pour ceux qui sont chrétiens, que de suivre S. Paul & S. Jean à Ephèse, d'y voir ce premier fonder l'église d'Ephèse, & y établir Timothée pour évêque : il est vrai que cet établissement ne fut pas de longue durée ; les persécutions succéderent, les Perses pillerent cette ville dans le troisieme siecle, & les Scythes ne l'épargnerent pas quelque tems après.

Enfin au bout d'un grand nombre de révolutions, Ephèse s'est vû tomber entre les mains de Mahomet I. & elle est restée depuis ce tems-là soûmise à l'empire ottoman. Son port, au sujet duquel on avoit autrefois frappé tant de médailles, n'est à présent qu'une rade découverte que personne ne fréquente : tout son commerce a passé tant à Smyrne qu'à Scalanova. Plus de vestiges de cette ville & de son temple ; l'église de S. Jean a été convertie en mosquée, & les blocs de marbre qui restoient des ruines d'Ephèse, ont été transportés à Constantinople pour servir à la construction des mosquées royales. Article de M(D.J.)

EPHESE (Temple d') Hist. anc. temple superbe à l'honneur de Diane, bâti près d'Ephèse, & qui a été plusieurs fois détruit & réédifié. Traçons-en succinctement l'histoire, dont la plûpart des écrivains modernes ont confondu les faits.

Le premier temple que les Ephésiens dresserent à l'honneur de Diane, n'étoit qu'une espece de niche creusée dans le tronc d'un ormeau, où apparemment la figure de la déesse étoit placée. Ce n'est pas sans-doute de cet ouvrage qu'entend parler Pindare, lorsqu'il avance que les Amazones firent édifier le temple d'Ephèse dans le tems qu'elles faisoient la guerre à Thésée.

Le temple de Pindare n'étoit pas non plus cette merveille du monde, ce superbe édifice dont Chersiphron fut l'architecte, & qui fut construit aux dépens des plus puissantes villes d'Asie : Pline remarque que la premiere invention de mettre des colonnes sur un pié d'estal, & de les orner de chapiteaux & de vases, fut pratiquée dans ce temple.

Il avoit 425 piés de long sur 220 piés de large : on y voyoit 127 colonnes, dont les rois d'Asie avoient fait la dépense, & ces colonnes portoient chacune 60 piés de haut : il y en avoit trente-six couvertes de bas-reliefs, & parmi celles-ci il s'en trouvoit une de la main de Scopas. Les portes étoient de cyprès toûjours luisant & poli ; la charpente étoit de cedre, & la statue de Diane étoit d'or, si l'on en croit Xénophon. Les richesses & les ornemens de ce magnifique édifice étoient sans nombre : on le venoit voir de fort loin, & les étrangers tâchoient à l'envi d'en emporter des modeles.

Voilà le temple d'Ephèse ou de Diane, car c'est la même chose, qui fut brûlé par l'insensé Erostrate, le jour de la naissance d'Alexandre, l'an du monde 3648. Ce grand prince, comme on sait, fit dire aux Ephésiens, qu'il feroit volontiers la dépense de sa reconstruction, pourvû qu'on mît son nom sur le frontispice ; mais ils répondirent avec beaucoup de sagesse, " qu'il ne convenoit pas à un dieu de dresser des temples à d'autres divinités "

Avides de rebâtir eux-mêmes leur temple, si malheureusement consumé, ils en vendirent les colonnes, convertirent en argent tous les bijoux des dames de la ville, rassemblerent des fonds de toutes parts, & employerent toutes ces sommes à faire, s'il étoit possible, un édifice aussi magnifique que celui qui avoit péri par les flammes. Cheiromocrate en fut l'architecte : les plus fameux sculpteurs de Grece l'ornerent de leurs ouvrages : l'autel étoit presque tout de la main de Praxitele. Outre les bas-reliefs & les statues des plus grands maîtres, ce temple fut, selon les apparences, embelli des tableaux admirables de la main de Parrhasius & de plusieurs autres illustres artistes. Strabon en parle pour l'avoir vû du tems d'Auguste : ainsi le temple que Pline a décrit étoit le même que celui que Strabon avoit vû.

Nous avons plusieurs médailles, sur le revers desquelles il est représenté avec un frontispice, tantôt à deux colonnes, à quatre, à six, & même jusque à huit, aux têtes des empereurs Domitien, Adrien, Antonin Pie, Marc-Aurele, Lucius Verus, Septime Severe, Caracalla, Macrin, Eliogabale, Alexandre Severe, Maximin.

Néron, qui étoit né pour dessoler le monde, en emporta les plus grandes richesses ; les Scythes le dépouillerent ensuite, & le brûlerent en 263 ; les Goths en pillerent les restes sous l'Empereur Galien : enfin il est vraisemblable qu'il fut entierement démoli sous Constantin, en conséquence de l'édit par lequel il ordonna de renverser tous les temples du paganisme. Quoi qu'il en soit, ce dernier temple de Diane a disparu comme les autres, de maniere qu'il ne reste autour de ses ruines que des débris de maisons, jadis bâties de briques, dans lesquelles logeoient peut-être les prêtres de Diane, ou les vierges prêtresses confiées à leurs soins. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPHESIESadj. pris subst. (Hist. anc.) fêtes qu'on célébroit à Ephèse en l'honneur de Diane. De toutes les circonstances de cette solennité, il ne nous en reste que celle-ci ; c'est que les hommes s'enivroient pieusement, & passoient la nuit à mettre la ville, & sur-tout les marchés, en tumulte.


EPHESTIESadj. pris subst. (Myth.) fêtes instituées en l'honneur de Vulcain, dans lesquelles trois jeunes garçons se disputoient le prix de la course : ce prix étoit accordé à celui qui atteignoit le premier le but, sans que le flambeau allumé qu'il portoit à la main s'éteignît.


EPHESTRIDEVoyez CHLAMIDE ; c'est la même chose, selon Artemidore.


EPHESTRIESadj. pris subst. (Myth.) fêtes que l'on célébroit à Thebes en l'honneur de Tyrésias. On habilloit la statue du devin en femme ; & après qu'on l'avoit bien promenée sous ce vêtement, on la deshabilloit, & on lui mettoit un habit d'homme ; c'est ce qui est désigné par le mot éphestrie, qui signifie une sorte de vêtement.


EPHETES. m. (Hist. anc.) magistrat chez les Athéniens, dont le nombre varia de même que le district. Voyez M. Samuël Petit, dans ses commentaires latins sur les lois d'Athenes, liv. VIII. ouvrage plein de savoir.

Le roi Démophon créa les éphetes, pour connoître seulement des meurtres ; ensuite Dracon étendit leur pouvoir & leur nombre pour en former un tribunal suprême, tant criminel que civil. Il le composa de cinquante-un juges, tirés de ce que la république d'Athenes avoit de meilleur dans son sein : il falloit, pour y être admis, avoir, outre l'âge de 50 ans, de la naissance, une fortune au-dessus de la médiocre, & sur toutes choses une vertu épurée, trois qualités si rarement réunies. On appelloit à cet auguste tribunal des décisions de tous les autres, & il jugeoit de toutes les affaires en dernier ressort. Mais il arriva que l'Aréopage, humilié par Dracon, reprit sous Solon toute sa splendeur, & anéantit celle des éphetes : cependant ce célébre Aréopage lui-même, après s'être attiré pendant quelque tems le respect des peuples, vit à son tour ses beaux jours s'évanoüir, & tout son lustre se ternir par les vices & la corruption. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPHIALTESCOCHEMAR, INCUBE, sorte de maladie. Voyez INCUBE.


EPHODS. m. (Histoire sacrée) ornement sacerdotal en usage chez les Juifs. C'étoit une espece de tunique fort riche, à l'usage du grand-prêtre ; mais il y en avoit de plus simples pour les ministres inférieurs.

Ce mot est hébreu, & il vient de aphael, qui signifie habiller. Les commentateurs & les interpretes sont fort partagés sur la forme de l'éphod ; voici ce que dit Josephe de celui du grand-prêtre : " L'éphod étoit une espece de tunique raccourcie, & il avoit des manches : il étoit tissu, teint de diverses couleurs & mêlangé d'or, & laissoit sur l'estomac une ouverture de quatre doigts en quarré, qui étoit couverte du rational. Deux sardoines enchâssées dans de l'or, & attachées sur les deux épaules, servoient comme d'agraffes pour fermer l'éphod : les noms des douze fils de Jacob étoient gravés sur ces sardoines en lettres hébraïques ; savoir, sur celle de l'épaule droite les noms des six plus âgés, & ceux des six puînés sur celle de l'épaule gauche ". Philon le compare à une cuirasse, & S. Jerôme dit que c'étoit une espece de tunique semblable aux habits appellés caracalle ; d'autres prétendent qu'il n'avoit point de manches, & que par derriere il descendoit jusqu'aux talons.

Il y avoit deux sortes d'éphod ; l'un étoit commun à tous ceux qui servoient au temple, & étoit fait seulement de lin ; c'est celui dont il est fait mention au premier livre des rois : l'autre fait d'or, d'hiacynthe, de pourpre, de cramoisi & de fin lin retors, étoit uniquement à l'usage du grand-prêtre, qui ne pouvoit faire aucune des fonctions attachées à sa dignité, sans être revêtu de cet ornement. On voit dans le II. livre des Rois, chap. vj. vers. 14, que David marchoit devant l'arche revêtu d'un éphod de lin ; d'où quelques auteurs ont conclu que l'éphod étoit aussi un habillement des rois dans les cérémonies solemnelles.

On trouve dans le livre des Juges, chap. viij. vers. 26, que Gédéon, des dépouilles des Madianites, fit faire un éphod magnifique qu'il déposa à Ephra, lieu de sa résidence ; que les enfans d'Israël en abuserent jusqu'à le faire servir d'ornement aux prêtres des idoles, & que ce fut la cause de la ruine de Gédéon & de toute sa maison. Les sentimens sont partagés sur cet éphod : les uns veulent que Gédéon ne l'ait fait faire que pour être toûjours en état de recevoir, même chez lui, les ordres de Dieu par l'organe du grand-prêtre ; ce qui n'étoit pas défendu par la loi : d'autres prétendent que cet éphod n'avoit rien de sacré, mais que c'étoit un vêtement de distinction dont Gédéon, en qualité de juge & de premier magistrat de la nation, avoit dessein de se servir dans les assemblées & les cérémonies publiques. Ses descendans n'eurent pas les mêmes idées : ils en abuserent par des pratiques idolatres ; car l'éphod n'étoit pas inconnu parmi les payens. Il paroît par Isaïe qu'on revêtoit les faux-dieux d'éphods, peut-être lorsqu'on vouloit consulter leurs oracles. (G)


EPHORES. m. (Hist. anc.) magistrat de Lacédémone. Ce mot vient de , veiller, formé de la préposition , sur, & du verbe , voir : signifie donc proprement un surveillant, un inspecteur ; aussi les éphores étoient les inspecteurs de toute la république ; ils parvenoient à cette dignité par la nomination du peuple, mais leur charge ne duroit qu'un an.

Ils étoient au nombre de cinq, & quelques-uns ont écrit que les Romains réglerent sur les éphores de Sparte, l'autorité des tribuns du peuple. Xénophon représente leur pouvoir en peu de mots ; ils abolissoient la puissance des autres magistrats ; pouvoient appeller chacun d'eux en justice, les mettre en prison si bon leur sembloit, & leur faire rendre compte de leurs moeurs & de leurs actions.

Ils eurent l'administration des deniers de l'état, lorsque pour le malheur de la république, Lysander y apporta les trésors qu'il avoit tirés de ses conquêtes. On avoit bâti près de la salle où ils rendoient leurs jugemens, une chapelle dédiée à la Peur, pour montrer qu'il falloit les craindre & les respecter à l'égal des rois. En effet, leur pouvoir s'étendoit d'un côté à tout ce qui concernoit la religion ; de l'autre, ils présidoient aux jeux publics, avoient inspection sur tous les magistrats, & prononçoient sur des tribunaux qu'Elien nomme des thrones : enfin ils étoient si absolus, qu'Aristote compare leur gouvernement à la tyrannie, c'est-à-dire à la royauté. Ils ne contrebalançoient pas seulement l'autorité du sénat ; mais ils faisoient à Sparte ce que les rois pouvoient faire ailleurs, régloient les délibérations du peuple, les déclarations de guerre, les traités de paix, l'emploi des troupes, les alliances étrangeres, & les récompenses, aussi bien que les châtimens.

Les armées des Lacédémoniens prenoient leur nom du principal des cinq éphores, comme celles des Athéniens le prenoient de leur premier archonte. L'élection des éphores se faisoit vers le solstice d'hyver, & c'étoit alors que commençoit l'année des Spartiates.

Hérodote & Xénophon attribuent leur institution à Lycurgue, qui imagina ce moyen pour maintenir la juste balance d'autorité dans le gouvernement. Suivant Plutarque, la création de cette suprême magistrature est dûe à Théopompe, roi de Sparte. Ce prince, dit cet historien, trouvant lui même la puissance des rois & du sénat trop considérable, y opposa pour frein l'autorité des éphores, environ 130 ans après Lycurgue. Il ajoûte, que la femme de Théopompe lui reprochant que par cet établissement il laisseroit à ses enfans la royauté beaucoup moindre qu'il ne l'avoit reçûe ; Théopompe lui répondit admirablement : " Au contraire, je la leur laisserai plus grande, d'autant qu'elle sera plus durable ". Ce qui est certain, c'est que cet établissement contribua long-tems à maintenir la royauté & le sénat, dans les justes bornes de la douceur & de la modération.

Ces bornes sont nécessaires au maintien de toute aristocratie ; mais sur-tout dans l'aristocratie de Lacédémone, à la tête de laquelle se trouvoient deux rois qui étoient comme les chefs du sénat, on avoit besoin de moyens efficaces pour que les sénateurs rendissent justice au peuple. Il falloit donc qu'il y eût des tribuns, des magistrats, qui parlassent pour ce peuple, & qui pussent dans certaines circonstances mortifier l'orgueil de la domination ; il falloit sapper les lois qui favorisent les distinctions que la vanité met entre les familles, sous prétexte qu'elles sont plus nobles ou plus anciennes : distinctions qu'on doit mettre au rang des petitesses des particuliers. Mais d'un autre côté, comme la nature du peuple est d'agir par passion, il falloit des gens qui pussent le modérer & le réprimer ; il falloit par conséquent la subordination extrème des citoyens aux magistrats qu'ils avoient une fois nommés. Voilà ce qu'opéra l'institution des éphores, propre à conserver une heureuse harmonie dans tous les ordres de l'état. On voit dans l'histoire de Lacédémone comment, pour le bien de la république, ils surent, dans plusieurs conjonctures, mortifier les foiblesses des rois, celles des grands, & celles du peuple.

Elien nous raconte aussi des traits de leur sagesse : dans la chaleur des factions, quelques Clazoméniens ayant un jour répandu de l'ordure sur les siéges des éphores, ces magistrats se contenterent pour les punir, de faire publier par toute la ville de Sparte, que de telles sottises seroient permises aux Clazoméniens.

L'unique remede qu'on trouva pour détruire leur pouvoir, fut de tâcher de les brouiller les uns avec les autres, & cela réussit quelquefois. Pausanias, par exemple, pratiqua adroitement ce stratagème, lorsque jaloux des victoires de Lysander, il gagna trois des éphores pour se faire donner la commission de continuer la guerre aux Athéniens. Mais le roi Cléomene III. du nom prit un parti plus infame ; il excita des troubles dans sa patrie, fit égorger les éphores, partagea les terres, donna l'abolition des dettes, & le droit de bourgeoisie aux étrangers, comme Agis l'avoit proposé. Cependant il paroît par des passages de Polybe, de Josephe, & de Philostrate, que les éphores furent rétablis après la mort de Cléomene ; les Spartiates ne connoissant aucun inconvénient comparable aux avantages d'une magistrature faite pour empêcher que ni l'autorité royale & aristocratique ne penchassent vers la dureté & la tyrannie, ni la liberté populaire vers la licence & la révolte. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPHYDRIADESS. f. pl. (Myth.) nymphes qu'on appelle quelquefois aussi Hydriades. Elles présidoient aux eaux, comme l'indique assez clairement leur nom qu'on a fait du mot grec, eau, .


EPIS. m. (Bot.) c'est dans une plante l'endroit où se forme le fruit ou la fleur, quand elle est montée. Il y a beaucoup de plantes à épi.

EPI D'EAU, potamogeton, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur faite en forme de croix, composée de quatre pétales sans calice. Le pistil produit quatre semences, qui sont ordinairement oblongues & rassemblées en grouppe. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

EPI DE LA VIERGE, spica Virginis, (Astronom.) est une étoile de la premiere grandeur, qui est dans la constellation de la Vierge. Voyez VIERGE.

On trouvera aux mots ASCENSION, DECLINAISON, LONGITUDE, LATITUDE, &c. la position de cette étoile. (O)

EPIS, (Hydraul.) sont les bouts ou extrémités d'une digue construite en maçonnerie, ou avec des coffres de charpente remplis de pierres. (K)

EPIS DE FASCINAGE, (Hydraul.) sont des extrémités d'une digue, construite d'un tissu de fascinage piqueté, tuné, & garni d'une couche de gravier ; on les place sur les bords d'une riviere, pour contraindre le courant d'aller d'un certain côté pour soûtenir les eaux, & pour empêcher les dégradations des rivieres. (K)

EPI ou MOLLETTE, termes synonymes, (Man. & Maréch.) L'épi est, selon quelques personnes, un assemblage de poils frisés, qui placés sur un poil couché & abattu, forment une marque approchante de la figure d'un épi de blé. Je préférerois l'idée de ceux qui ne l'envisagent que comme un retour ou un rebroussement du poil, provenant de la configuration des pores.

On peut diviser les épis en ordinaires & en extraordinaires.

Les épis ordinaires seront ceux qui se trouvent indistinctement & indifféremment sur tous les chevaux ; tandis que nous entendons par épis extraordinaires, ceux qui ne se rencontrent que sur quelques-uns d'eux.

Il n'est pas étonnant que dans des tems de ténébres & d'obscurité, la superstition ait pû ériger en maximes tout ce qu'elle suggere ordinairement à des esprits foibles & crédules ; mais il est singulier que dans un siecle aussi éclairé que le nôtre, on puisse croire encore que les épis placés aux endroits que le cheval peut voir en pliant le cou, doivent dépriser l'animal, & sont incontestablement d'un très-sinistre présage. On ne peut persévérer dans de semblables erreurs, qu'autant que l'on persévere dans son ignorance, & peut-être cette preuve n'est-elle pas la seule de notre constance à fuir toute lumiere. (e)

EPI, en termes de Boutonnier, c'est un ornement de bouillon d'or ou d'argent, formant deux rangs séparés & plusieurs de travers, parfaitement vis-à-vis l'un de l'autre. Chacun de ces derniers est plus élevé à son extrémité extérieure, qu'à celle qui aboutit à la rainure, & ils semblent monter le long d'elle comme la maille monte le long de la tige d'un épi de blé : ressemblance qui a donné le nom d'épi à cet ornement.


EPIALEadj. (Med.) on donne cette épithete à une fievre quotidienne continue, dans laquelle on a une chaleur répandue par tout le corps, & en même tems des frissons vagues & irréguliers. Voyez l'article FIEVRE.


EPIANS. m. terme de Voyageurs, nom que les naturels de l'île de Saint-Domingue donnent à cette maladie chez eux endémique, qui parut pour la premiere fois l'an 1494 en Europe, où elle fut appellée par les François le mal de Naples, & par les Italiens le mal françois, les uns & les autres ignorant son origine mexiquaine. Tout le monde connoît aujourd'hui l'épian sous le terme générique de maladie vénérienne, ou sous celui de vérole. Voyez VEROLE. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPIBATERIONS. m. (Belles-Lettr.) mot purement grec, qui signifie une espece de composition poëtique, en usage parmi les anciens Grecs. Lorsqu'une personne distinguée revenoit chez soi après une longue absence, il assembloit ses concitoyens un certain jour, & leur faisoit un discours ou récitoit une piece de vers, dans laquelle il rendoit graces aux dieux de son heureux retour, & qu'il terminoit par un compliment à ses compatriotes. Diction. de Trév. & Chambers. (G)


EPIBDA(Hist. anc. & Myth.) on entend par ce terme, ou le second jour des apaturies, ou en général le lendemain d'une fête, ou le second jour des noces. Voyez APATURIE, NOCE, &c.


EPICEDIONS. m. (Belles-Lettr.) mot qui dans la poësie greque & latine, signifie un poëme ou une piece de vers sur la mort de quelqu'un.

Chez les anciens, aux obseques des personnes de marque, on prononçoit ordinairement trois sortes de discours : celui qu'on récitoit au bûcher s'appelloit nenia : celui qu'on gravoit sur le tombeau, épitaphe : & celui qu'on prononçoit dans la cérémonie des funérailles, le corps présent & posé sur un lit de parade, s'appelloit épicédion. C'est ce que nous appellons oraison funebre. Voyez ORAISON FUNEBRE. (G)


EPICENEadj. terme de Grammaire, , super communis, au-dessus du commun. Les noms épicenes sont des noms d'espece, qui sous un même genre se disent également du mâle ou de la femelle. C'est ainsi que nous disons, un rat, une linote, un corbeau, une corneille, une souris, &c. soit que nous parlions du mâle ou de la femelle. Nous disons, un coq, une poule ; parce que la conformation extérieure de ces animaux nous fait connoître aisément celui qui est le mâle & celui qui est la femelle : ainsi nous donnons un nom particulier à l'un, & un nom différent à l'autre. Mais à l'égard des animaux qui ne nous sont pas assez familiers, ou dont la conformation ne nous indique pas plus le mâle que la femelle, nous leur donnons un nom que nous faisons arbitrairement ou masculin, ou féminin ; & quand ce nom a une fois l'un ou l'autre de ces deux genres, ce nom, s'il est masculin, se dit également de la femelle, & s'il est féminin, il ne se dit pas moins du mâle, une carpe uvée : ainsi l'épicene masculin garde toûjours l'article masculin, & l'épicene féminin garde l'article féminin, même quand on parle du mâle. Il n'en est pas de même du nom commun, sur-tout en latin : on dit hic civis quand on parle d'un citoyen, & haec civis si l'on parle d'une citoyenne, hic parens, le pere, haec parens, la mere, hic conjux, le mari, haec conjux, la femme. Voyez la liste des noms latins épicenes, dans la méthode latine de P. R. au traité des genres. (F)


EPICÉRASTIQUES. m. (Pharm.) , de , mêler, tempérer : remede externe ou interne, qui corrige, émousse, tempere l'acrimonie des humeurs, & appaise la sensation incommode qu'elle cause.

On met communément dans ce nombre les racines émollientes ; comme celles de guimauve, de mauve, & de réglisse ; les feuilles de mauve, de nénuphar, de grande joubarbe, de pourpier, & de laitue ; les semences de jusquiame blanche, de laitue, de pavot blanc, & de rue : parmi les fruits, les jujubes, les raisins, les pommes, les sebestes, les amandes douces, & les pignons ; parmi les sucs & les liqueurs, le lait d'amande, l'eau d'orge, les bouillons gras, le lait du laiteron, la crême de décoction d'orge, le suc des feuilles de morelle, de sureau, &c. parmi les parties des animaux, le lait, le petit-lait, la tête & les piés de veau, & les bouillons qu'on en prépare ; parmi les mucilages, ceux qui sont faits avec les semences de psyllium, de coings, de lin, &c. parmi les huiles, celles d'olive, de behen, d'amandes douces, les huiles exprimées des graines de calebasse, de jusquiame blanche, de pavot blanc, &c. parmi les onguens, l'onguent rosat, l'onguent blanc camphré, &c. parmi les sirops, ceux de violettes, de pommes, de guimauve, de fernel, de réglisse, de jujubes, de pavot, de pourpier, &c. parmi les préparations officinales, la pulpe de casse, les juleps adoucissans, le miel violat, &c.

Mais quelque vraie que soit cette liste, elle est informe & fautive ; parce que dans la bonne théorie le véritable épicérastique sera toûjours celui qui pourra tempérer, corriger l'acrimonie particuliere dominante. Par cette raison, tantôt les acides, tantôt les alkalis pourront être rangés dans la classe des épicérastiques internes, puisqu'ils seront propres à produire l'effet qu'on desire, suivant la nature des humeurs morbifiques, qu'il s'agira d'adoucir, de tempérer, de corriger. C'est un point qu'il faut sans cesse avoir devant les yeux dans le traitement des maladies, que de varier les remedes suivant les causes, & c'est ce que l'empirisme ne comprendra jamais. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPICESS. f. pl. (Comm.) On donne ce nom en général à toutes les drogues orientales & aromatiques, telles que le gérofle, le poivre, le gingembre, &c. dont nos Epiciers font le commerce.

EPICES, (Fines) Pharm. c'est, suivant M. Pomet, un mêlange de poivre noir, de gérofle, de muscade, de gingembre, d'anis verd, & de coriandre, en proportion convenable. Prenez, par exemple, gingembre choisi, douze livres & demie ; gérofle, muscade, de chaque une livre & demie ; semences d'anis, coriandre, quantité proportionnée : mêlez & les pulvérisez assez subtilement, puis les gardez dans une boîte bien bouchée.

Ces fines épices ne sont employées que pour les ragoûts ; mais elles pourroient être, si l'on vouloit, d'un grand usage dans la Medecine, d'autant que c'est une poudre aromatique qui est stomachique, carminative, céphalique, expectorante, antiputride. On peut s'en servir pour fortifier le cerveau, pour atténuer les humeurs visqueuses, pour faire éternuer. James & Chambers.

EPICES, (Jurisprud.) sont des droits en argent que les juges de plusieurs tribunaux sont autorisés à recevoir des parties pour la visite des procès par écrit.

Ces sortes de rétributions sont appellées en Droit sportulae ou species, qui signifioit toutes sortes de fruits en général, & singulierement les aromates ; d'où l'on a fait en françois épices, terme qui comprenoit autrefois toutes sortes de confitures, parce qu'avant la découverte des Indes, & que l'on eût l'usage du sucre, on faisoit confire les fruits avec des aromates ; on faisoit aux juges des présens de ces sortes de fruits, ce qui leur fit donner le nom d'épices.

L'origine des épices, même en argent, remonte jusqu'aux Grecs.

Homere, Iliade, VI. dans la description qu'il fait du jugement qui étoit figuré sur le bouclier d'Achille, rapporte qu'il y avoit deux talens d'or posés au milieu des juges, pour donner à celui qui opineroit le mieux. Ces deux talens étoient, il est vrai alors, de peu de valeur ; car Budée, en son IVe. liv. de asse, en parlant de talento homerico, prouve par une autre passage du XXIVe. de l'Iliade, que ces deux talens d'or étoient estimés moins qu'un chauderon d'airain.

Plutarque, en la vie de Periclès, fait mention d'un usage qui a encore plus de rapport avec les épices ; il dit que Periclès fut le premier qui attribua aux juges d'Athenes des salaires appellés prytanées, parce qu'ils se prenoient sur les deniers que les plaideurs consignoient à l'entrée du procès dans la prytanée, qui étoit un lieu public destiné à rendre la justice. Cette consignation étoit du dixieme, mais tout n'étoit pas pour les juges : on prenoit aussi sur ces deniers le salaire des sergens ; celui du juge étoit appellé .

A Rome, tous les magistrats & autres officiers avoient des gages sur le fisc, & faisoient serment de ne rien exiger des particuliers. Il étoit cependant permis aux gouverneurs de recevoir de petits présens appellés xenia, mais cela étoit limité à des choses propres à manger ou boire dans trois jours. Dans la suite, Constantin abolit cet usage, & défendit à tous ministres de justice d'exiger ni même de recevoir aucuns présens, quelque legers qu'ils fussent ; mais Tribonien, qui étoit lui-même dans l'usage d'en recevoir, ne voulut pas insérer cette loi dans le code de Justinien.

L'empereur lui-même se relâcha de cette sévérité par rapport aux juges d'un ordre inférieur ; il permit, par sa novelle xv. chap. vj. aux défenseurs des cités de prendre, au lieu de gages, quatre écus pour chaque sentence définitive ; & en la novelle lxxxij. chap. xjx. il assigne aux juges pedanées quatre écus pour chaque procès, à prendre sur les parties, outre deux marcs d'or de gages qu'ils avoient sur le public.

Ces épices étoient appellées sportulae, de même que le salaire des appariteurs & autres ministres inférieurs de la jurisdiction, ce qui venoit de sporta, qui étoit une petite corbeille où l'on recueilloit les petits présens que les grands avoient coûtume de distribuer à ceux qui leur faisoient la cour.

Par les dernieres constitutions greques, la taxe des épices se faisoit eu égard à la somme dont il s'agissoit ; comme de cent écus d'or on prenoit un demi-écu, & ainsi des autres sommes à proportion, suivant que le remarque Théophile, §. tripl. instit. de action.

On appelloit aussi les épices des juges pulveratica, comme on lit dans Cassiodore, lib. XII. variar. où il dit, pulveratica olim judicibus praestabantur ; pulveraticum étoit le prix & la récompense du travail, & avoit été ainsi appellé en faisant allusion à cette poussiere dont les lutteurs avoient coûtume de se couvrir mutuellement lorsqu'ils alloient au combat, afin d'avoir plus de prise sur leur antagoniste.

Quelques-uns ont crû qu'anciennement en France les juges ne prenoient point d'épices ; cependant, outre qu'il est probable que l'on y suivit d'abord le même usage que les Romains y avoient établi, on voit dans les lois des Visigoths, liv. I. tit. ij. ch. xxv. qui étoient observées dans toute l'Aquitaine, qu'il étoit permis au rapporteur de prendre un vingtieme, vigesimum solidum pro labore & judicatâ causâ ac legitimè deliberatâ. Il est vrai que le concile de Verneuil tenu l'an 884 au sujet de la discipline ecclésiastique, défendit à tous juges ecclésiastiques ou laïques de recevoir des épices, ut nec christus, nec abbas, nec ullus laïcus pro justitiâ faciendâ sportulas accipiat.

Mais il paroît que cela ne fut pas toûjours observé ; en effet, dès le tems de S. Louis, il y avoit certaines amendes applicables au profit du juge, & qui dans ces cas tenoient lieu d'épices. On voit, par exemple, dans l'ordonnance que ce prince fit en 1254, que celui qui loüoit une maison à quelque ribaude, étoit tenu de payer au bailli du lieu, ou au prevôt ou au juge, une somme égale au loyer d'une année.

Ce même prince, en abolissant une mauvaise coûtume qui avoit été long-tems observée dans quelques tribunaux, par rapport aux dépens judiciaires & aux peines que devoient supporter ceux qui succomboient, ordonne qu'au commencement du procès les parties donneront des gages de la valeur du dixieme de ce qui fait l'objet du procès ; que ces gages seront rendus aux parties, & que dans tout le cours du procès on ne levera rien pour les dépens, mais qu'à la fin du procès celui qui succombera, payera à la cour la dixieme partie de ce à quoi il sera condamné, ou l'estimation ; que si les deux parties succombent chacune en quelque chef, chacune payera à proportion des chefs auxquels elle aura succombé ; que ceux qui ne pourront pas trouver des gages, donneront caution, &c.

Ce dixieme de l'objet du procès, que l'on appelloit decima litium, servoit à payer les dépens dans lesquels sont compris les droits des juges. Il étoit alors d'usage dans les tribunaux laïcs que le juge, sous prétexte de fournir au salaire de ses assesseurs, exigeoit des parties ce dixieme, ou quelque autre portion, avec les dépenses de bouche qu'ils avoient faites, ce qui fut défendu aux juges d'église par Innocent III. suivant le chap. x. aux décrétales de vitâ & honestate clericorum, excepté lorsque le juge est obligé d'aller aux champs & hors de sa maison ; le chapitre cum ab omni, & le chapitre statutum, veulent en ce cas que le juge soit défrayé.

Il n'étoit pas non plus alors d'usage en cour d'église de condamner aux dépens : mais en cour laie il y avoit trois ou quatre cas où l'on y condamnoit, comme il paroît par le chap. xcij. des établissemens de S. Louis en 1270, & ce même chapitre fait mention que la justice prenoit un droit pour elle.

Les privileges accordés à la ville d'Aiguesmortes par le roi Jean, au mois de Février 1350, portent que dans cette ville les juges ne prendroient rien pour les actes de tutele, curatelle, émancipation, adoption, ni pour la confection des testamens & ordonnances qu'ils donneroient ; qu'ils ne pourroient dans aucune affaire faire saisir les effets des parties pour sûreté des frais, mais que quand l'affaire seroit finie, celui qui auroit été condamné payeroit deux sous pour livre de la valeur de la chose si c'étoit un meuble ou de l'argent ; que si c'étoit un immeuble, il payeroit le vingtieme en argent de sa valeur, suivant l'estimation ; que si celui qui avoit perdu son procès, ne pouvoit en même tems satisfaire à ce qu'il devoit à sa partie & aux juges, la partie seroit payée par préférence.

Il y eut depuis quelques ordonnances qui défendirent aux juges, même laïcs, de rien recevoir des parties ; notamment celle de 1302, rapportée dans l'ancien style du parlement, en ces termes : Praefati officiarii nostri nihil penitus exigant subjectis nostris.

Mais l'ordonnance de Philippe de Valois, du 11 Mars 1344, permit aux commissaires députés du parlement, pour la taxe des dépens, ou pour l'audition des témoins, de prendre chacun dix sous parisis par jour, outre les gages du roi.

D'un autre côté, l'usage s'introduisit que la partie qui avoit gagné son procès, en venant remercier ses juges, leur présentoit quelques boîtes de confitures seches ou de dragées, que l'on appelloit alors épices. Ce qui étoit d'abord purement volontaire passa en coûtume, fut regardé comme un droit, & devint de nécessité. Ces épices furent ensuite converties en argent : on en trouve deux exemples fort anciens avant même que les épices entrassent en taxe : l'un est du 12 Mars 1369 ; le sire de Tournon par licence de la cour sur sa requête donna vingt francs d'or pour les épices de son procès jugé, laquelle somme fut partagée entre les deux rapporteurs : l'autre est que le 4 Juillet 1371, un conseiller de la cour, rapporteur d'un procès, eut après le jugement de chacune des parties six francs.

Mais les juges ne pouvoient encore recevoir des épices ou présens des parties qu'en vertu d'une permission spéciale, & les épices n'étoient pas encore toûjours converties en argent. En effet, Charles VI. par des lettres du 17 Mars 1395, pour certaines causes & considérations, permit à Guillaume de Sens, Pierre Boschet, Henri de Marle, & Ymbert de Boisy, présidens au parlement, & à quelques conseillers de cette cour, que chacun d'eux pût sans aucune offense prendre une certaine quantité de queues de vin à eux données par la reine de Jérusalem & de Sicile, tante du roi.

Papon, en ses arrêts, tit. des épices, rapporte un arrêt du 7 Mai 1384, qu'il dit avoir jugé qu'en taxant les dépens de la cause principale, on devoit taxer aussi les épices de l'arrêt.

Cependant du Luc, liv. V. de ses arrêts, tit. v. art. 1. en rapporte un postérieur du 17 Mars 1403, par lequel il fut décidé que les épices, qu'il appelle tragemata, n'entroient point en taxe, lorsqu'on en accordoit aux rapporteurs.

Il rapporte encore un autre arrêt de la même année, qui énonce que dans les affaires importantes & pour des gens de qualité, on permettoit aux rapporteurs de recevoir deux ou trois boîtes de dragées ; mais l'arrêt défend aux procureurs de rien exiger de leurs parties sous ombre d'épices.

Ces boîtes de dragées se donnoient d'abord avant le jugement pour en accélérer l'expédition : les juges regarderent ensuite cela comme un droit, tellement que dans quelques anciens registres du parlement on lit en marge, non deliberetur donec solvantur species ; mais comme on reconnut l'abus de cet usage, il fut ordonné par un arrêt de 1437, rapporté par du Luc, liv. IV. tit. v. art. 10. qu'on ne payeroit point les épices au rapporteur, & qu'on ne lui distribueroit point d'autre procès qu'il n'eût expédié celui dont il étoit chargé. Il appelle en cet endroit les épices dicastica, ce qui feroit croire qu'elles étoient alors converties en argent.

On se plaignit aux états de Tours, tenus en 1483, que la vénalité des offices induisoit les officiers à exiger de grandes & excessives épices, ce qui étoit d'autant plus criant qu'elles ne passoient point encore en taxe ; cependant l'usage en fut continué, tellement que par un arrêt du 30 Novembre 1494, il fut décidé que les épices des procès jugés, sur lesquels les parties avoient transigé, devoient être payées par les parties & non par le roi ; & ce ne fut que par un réglement du 18 Mai 1502 qu'il fut ordonné qu'elles entreroient en taxe.

L'ordonnance de Roussillon, art. 31, & celle de Moulins, art. 14, défendirent aux juges présidiaux, & autres juges inférieurs, de prendre des épices, excepté pour le rapporteur.

La chambre des comptes fut autorisée à en prendre par des lettres patentes du 11 Décembre 1581, registrées en ladite chambre le 24 Mars 1582.

Il y a cependant encore plusieurs tribunaux où l'on ne prend point d'épices, tels que le conseil du roi, les conseils de guerre.

Les épices ne sont point accordées pour le jugement, mais pour la visite du procès.

L'édit du mois d'Août 1669 contient un réglement général pour les épices & vacations.

Il ordonne que par provision, & en attendant que S. M. se trouve en état d'augmenter les gages des officiers de judicature, pour leur donner moyen de rendre la justice gratuitement, les juges, même les cours, ne puissent prendre d'autres épices que celles qui auront été taxées par celui qui aura présidé, sans qu'aucun puisse prendre ni recevoir de plus grands droits, sous prétexte d'extraits, de sciendum, ou d'arrêts ; ce qui est conforme à ce qui avoit déjà été ordonné par l'art. 127 de l'ordonnance de Blois, qui veut que la taxe en soit faite sur les extraits des rapporteurs qu'ils auront faits eux-mêmes, & que l'on y use de modération.

Celui qui a présidé, doit écrire de sa main au bas de la minute du jugement la taxe des épices, & le greffier en doit faire mention sur les grosses & expéditions qu'il délivre.

M. Duperray, en son traité des dixmes, chap. xij. fait mention d'une déclaration du roi, dont il ne dit pas la date, qui remit, à ce qu'il dit, aux juges subalternes les épices mal-prises, en payant une taxe. Il paroît être d'avis que cette taxe ne dispense pas ces juges de faire restitution à ceux dont ils ont exigé indûement des épices.

On ne doit taxer aucunes épices pour les procès qui sont évoqués, ou dont la connoissance est interdite aux juges, encore que le rapporteur en eût fait l'extrait, & qu'ils eussent été mis sur le bureau, & même vûs & examinés.

Il en est de même de tous les jugemens rendus sur requête & des jugemens en matiere bénéficiale, lorsqu'après la communication au parquet toutes les parties sont d'accord de passer appointemens sur la maintenue du bénéfice contentieux, s'il intervient arrêt portant que les titres & capacités des parties seront vûes.

Il fut créé en 1581 & 1586 des offices de receveurs des épices dans les différens tribunaux du royaume : ceux de Beaujolois furent supprimés en 1588, & tous les autres furent supprimés en 1626, & réunis aux offices de greffiers & de maîtres-clercs des greffes. Mais par édit du mois de Février 1629, on rétablit tous ceux qui avoient été reçûs & installés, & qui n'avoient point été remboursés. Ensuite on en créa d'alternatifs & de triennaux, qui ont été supprimés ou réunis. Il y a eu encore nombre d'autres créations & suppressions dont le détail seroit trop long ; il suffit d'observer que dans quelques tribunaux ces officiers sont en titre d'office, dans d'autres ils sont par commission.

L'édit de 1669 porte que les épices seront payées par les mains des greffiers, ou autres personnes chargées par l'ordre des compagnies qui en tiendront registres, sans que les juges ou leurs clercs puissent les recevoir par les mains des parties ou autres personnes.

Il est défendu aux greffiers, sous peine d'amende, de refuser la communication du Jugement, quoique les épices & vacations n'ayent pas été payées.

Louis XII. avoit donné une ordonnance qui autorisoit les juges à user de contrainte contre les parties pour leurs épices ; mais cette ordonnance ne fut pas vérifiée, on permettoit seulement aux juges de se pourvoir par requête suivant les arrêts rapportés par Guenois : usage qui a été aboli, aussi-bien que celui de faire consigner les épices avant le jugement, comme cela s'observoit dans quelques parlemens ; ce qui fut abrogé par une déclaration du 26 Février 1683, & autres à-peu-près du même tems.

Présentement les juges, soit royaux, ou des seigneurs, ne peuvent décerner en leur nom, ni en celui de leurs greffiers, aucun exécutoire pour les épices, à peine de concussion ; mais on peut en délivrer exécutoire à la partie qui les a déboursées.

Les épices ne sont pas saisissables.

Les procureurs généraux & procureurs du roi, & leurs substituts sont aussi autorisés à prendre des épices pour les conclusions qu'ils donnent dans les affaires de rapport. Voyez Pasquier en ses recherches de la France, liv. II. ch. jv. Loyseau, des offic. ch. viij. Joly, des offic. tit. des épices. Bornier, sur l'édit de 1669. Bouchel, au mot Epices, & les arrêts de réglemens des 10 Avril 1691 & 8 Août 1714. (A)


EPICHERÊMES. f. (Logique) L'école a donné le nom d'épicherême aux syllogismes dans lesquels l'on joint à chaque prémisse sa preuve, au moins lorsque chacune en a besoin. M. de Crousaz en donne l'exemple suivant :

Il est raisonnable de penser que les biens qui ont le plus de rapport à ce que notre nature renferme de plus excellent, sont les plus capables de nous rendre heureux ; car la félicité & la perfection doivent aller d'un pas égal, puisqu'elles sont l'une & l'autre notre but.

Or la science & la sagesse sont des biens qui perfectionnent ce qu'il y a en nous de plus excellent, puisque l'entendement & la volonté sont des facultés beaucoup plus estimables que les sens.

Il est donc raisonnable de penser que l'on se rendra plus heureux par la connoissance & par la sagesse, que par les voluptés des sens.

L'épicherême, dit-on, a un grand avantage ; c'est de ne point retarder l'impatience de l'homme, parce qu'elle prouve ses prémisses en les avançant : ce qui est court & très-agréable ; mais il ne s'agit pas ici d'agrément. Ou de si courtes preuves sont inutiles par l'évidence de la proposition, ou elles ne sont pas suffisantes pour la démontrer. L'épicherême de M. de Crousaz lui-même n'est peut-être pas trop solide ; mais qu'il le soit ou non, je dis que des preuves que l'on fait passer si rapidement devant l'esprit, ne sont guere propres qu'à l'ébloüir, au lieu de l'éclairer : ainsi l'usage de ce syllogisme irrégulier, qu'on nomme épicherême, n'est bon que pour former les récapitulations des orateurs, quand les principes d'où dépend leur conclusion, ont déjà été précédemment établis & approuvés par ordre. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPICIERS. m. On appelle à Paris le corps d'Epiciers, celui des six corps de marchands où se fait le commerce des drogues, & autres marchandises comprises sous le nom d'épicerie : il est le second des six corps, & a rang après celui de la draperie.

Le corps d'Epicerie est partagé en Apothicaires & Epiciers, & ces derniers en Droguistes, Confituriers, & Ciriers ou Ciergiers ; ensorte qu'il y a cinq sortes de marchands dans ce corps. Il est gouverné par les mêmes maîtres & gardes, & régi par les mêmes lois. Ces maîtres & gardes sont au nombre de six, trois apothicaires & trois épiciers. Les plus anciens de ces deux corps actuellement en charge, sont appellés grands-gardes ou présidens. Leur préséance est alternative. Tous les ans, après la saint Nicolas leur patron, on élit deux nouveaux gardes, un épicier, & l'autre apothicaire. Cette élection se fait dans le bureau, en présence du lieutenant général de police, du procureur du roi du châtelet, & d'un greffier : les Apothicaires & les Epiciers sont de l'assemblée : tous les épiciers qui ont passé par la charge de garde, y ont entrée, avec quarante autres qu'on appelle des mandés, tirés des modernes & des anciens. On n'est jamais deux fois mandé de suite. Les gardes- épiciers sont élus avec les Apothicaires, qui nomment seuls ceux de leur art. La fonction de ces gardes est de tenir la main à l'exécution des statuts & réglemens ; de faire au moins trois visites par an, & de faire en outre des visites générales chez tous les marchands, maîtres des coches, &c. pour confronter les poids & les balances. Il n'y a que les marchands des cinq autres corps qui soient exempts de ces visites. Il n'y a que les Epiciers qui puissent la faire, parce qu'ils ont de tout tems eu des étalons des poids en dépôt. Ils les doivent encore faire vérifier de six ans en six ans par la cour des monnoies, sur les matrices originales. L'un des gardes est encore chargé de la dépense commune ; successivement un apothicaire & un épicier, qui rend son compte tous les ans devant les gardes en charge & les anciens qui l'ont été. Nul ne peut être reçu dans le corps d'Epicerie, qu'il ne soit françois, ou naturalisé par lettres-patentes. Pour être apothicaire il faut avoir fait quatre ans d'apprentissage, & avoir six ans de service chez les maîtres ; il n'y a qu'eux qui soient obligés au chef-d'oeuvre. Les épiciers aspirans doivent avoir fait trois ans de compagnonage, & six de service. Les veuves des uns & des autres peuvent, en viduité, exercer le commerce de leurs maris avec un garçon approuvé par les maîtres & gardes : elles ne peuvent faire d'apprentis, ni donner leur boutique à un garçon sous leur nom, à moins qu'il ne demeure avec elles. Les épiciers qui ne sont point droguistes, ne peuvent vendre aucune marchandise d'Apothicairerie. Les drogueries & épiceries sont d'abord, avant la distribution générale, déposées au bureau, & examinées par les gardes.

Leurs statuts ont été confirmés par lettres patentes de plusieurs de nos rois, entr'autres de Henri IV. en 1594, & de Louis XIII. en 1611 & en 1624. Dans les cérémonies publiques les gardes de ce corps ont droit de porter la robe de drap noir, à collet & manches pendantes, bordées & parementées de velours de la même couleur. Cette robe est la consulaire, & commune aux maîtres des cinq autres corps. Un épicier qui est garde, ou qui l'a été, décédant, les maîtres en charge sont obligés d'assister à son service & enterrement ; les quatre plus jeunes portant le poile, & les deux grands suivant immédiatement le corps, accompagnés des quatre courtiers du corps menant le deuil. La même cérémonie s'observe à l'égard des femmes, veuves ou non. Le bureau fournit le poile & six chandeliers d'argent, six flambeaux de cire blanche ornés des armoiries du corps, les Apothicaires & les Epiciers en ayant qui leur sont particulieres. Dictionn. & réglem. du Commerce.


EPICLIDIESadj. pris subst. (Mythol.) fêtes que les Athéniens avoient instituées en l'honneur de Cérès. Hésychius qui nous a transmis ce nom, ne nous en dit pas davantage.


EPICOMBESS. m. pl. (Hist. anc.) bouquets enrichis de monnoies ou pieces d'or, d'argent & de cuivre, qu'un sénateur jettoit au peuple, lorsque l'empereur de Constantinople sortoit de l'église. Il y avoit ordinairement dix mille de ces bouquets, & chaque bouquet renfermoit au moins trois pieces d'or & trois pieces d'argent. Cette largesse étoit très-considérable, & la forme en étoit honnête.


EPICRANES. m. (Anat.) partie qui environne le crane. Voyez CRANE & MUSCLE.


EPICRENES. f. (Mythol.) fêtes que les Lacédémoniens célébroient, & qu'ils appelloient la fête des fontaines : c'est tout ce que nous en savons.


EPICURÉISMou EPICURISME, subst. m. (Hist. de la Philosophie) La secte éléatique donna naissance à la secte épicurienne. Jamais philosophie ne fut moins entendue & plus calomniée que celle d'Epicure. On accusa ce philosophe d'athéisme, quoiqu'il admit l'existence des dieux, qu'il fréquentât les temples, & qu'il n'eût aucune répugnance à se prosterner aux piés des autels. On le regarda comme l'apologiste de la débauche, lui dont la vie étoit une pratique continuelle de toutes les vertus, & surtout de la tempérance. Le préjugé fut si général, qu'il faut avoüer, à la honte des Stoïciens qui mirent tout en oeuvre pour le répandre, que les Epicuriens ont été de très-honnêtes gens qui ont eu la plus mauvaise réputation. Mais afin qu'on puisse porter un jugement éclairé de la doctrine d'Epicure, nous introduirons ce philosophe même, entouré de ses disciples, & leur dictant ses leçons à l'ombre des arbres qu'il avoit plantés. C'est donc lui qui va parler dans le reste de cet article ; & nous espérons de l'équité du lecteur, qu'il voudra bien s'en souvenir. La seule chose que nous nous permettrons, c'est de jetter entre ses principes quelques-unes des conséquences les plus immédiates qu'on en peut déduire.

De la philosophie en général. L'homme est né pour penser & pour agir, & la Philosophie est faite pour régler l'entendement & la volonté de l'homme : tout ce qui s'écarte de ce but, est frivole. Le bonheur s'acquiert par l'exercice de la raison, la pratique de la vertu, & l'usage modéré des plaisirs ; ce qui suppose la santé du corps & de l'ame. Si la plus importante des connoissances est de ce qu'il faut éviter & faire, le jeune homme ne peut se livrer trop tôt à l'étude de la Philosophie, & le vieillard y renoncer trop tard. Je distingue entre mes disciples trois sortes de caracteres : il y a des hommes, tels que moi, qu'aucun obstacle ne rebute, & qui s'avancent seuls & d'un mouvement qui leur est propre, vers la vérité, la vertu & la félicité ; des hommes, tels que Métrodore, qui ont besoin d'un exemple qui les encourage ; & d'autres, tels qu'Hermaque, à qui il faut faire une espece de violence. Je les aime & les estime tous. Oh, mes amis ! y a-t-il quelque chose de plus ancien que la vérité ? la vérité n'étoit-elle pas avant tous les Philosophes ? Le philosophe méprisera donc toute autorité & marchera droit à la vérité, écartant tous les fantômes vains qui se présenteront sur sa route, & l'ironie de Socrate & la volupté d'Epicure. Pourquoi le peuple reste-t-il plongé dans l'erreur ? c'est qu'il prend des noms pour des preuves. Faites-vous des principes ; qu'ils soient en petit nombre, mais féconds en conséquences. Ne négligeons pas l'étude de la nature, mais appliquons-nous particulierement à la science des moeurs. De quoi nous serviroit la connoissance approfondie des êtres qui sont hors de nous, si nous pouvions, sans cette connoissance, dissiper la crainte, obvier à la douleur, & satisfaire à nos besoins ? L'usage de la dialectique poussé à l'excès, dégénere dans l'art de semer d'épines toutes les Sciences : je hais cet art. La véritable Logique peut se réduire à peu de regles. Il n'y a dans la Nature que les choses & nos idées ; & conséquemment il n'y a que deux sortes de vérités, les unes d'existence, les autres d'induction. Les vérités d'existence appartiennent aux sens ; celles d'induction, à la raison. La précipitation est la source principale de nos erreurs. Je ne me lasserai donc point de vous dire, attendez. Sans l'usage convenable des sens, il n'y a point d'idées ou de prénotions ; & sans prénotions, il n'y a ni opinion ni doute. Loin de pouvoir travailler à la recherche de la vérité, on n'est pas même en état de se faire des signes. Multipliez donc les prénotions par un usage assidu de vos sens ; étudiez la valeur précise des signes que les autres ont institués, & déterminez soigneusement la valeur de ceux que vous instituerez. Si vous vous résolvez à parler, préférez les expressions les plus simples & les plus communes, ou craignez de n'être point entendus, & de perdre le tems à vous interpreter vous-mêmes. Quand vous écouterez, appliquez-vous à sentir toute la force des mots. C'est par un exercice habituel de ces principes que vous parviendrez à discerner sans effort le vrai, le faux, l'obscur & l'ambigu. Mais ce n'est pas assez que vous sachiez mettre de la vérité dans vos raisonnemens, il faut encore que vous sachiez mettre de la sagesse dans vos actions. En général, quand la volupté n'entraînera aucune peine à sa suite, ne balancez pas à l'embrasser ; si la peine qu'elle entraînera est moindre qu'elle, embrassez-la encore : embrassez même la peine dont vous vous promettrez un grand plaisir. Vous ne calculerez mal, que quand vous vous abandonnerez à une volupté qui vous causera une trop grande peine, ou qui vous privera d'un plus grand plaisir.

De la philosophie en général. Quel but nous proposerons-nous dans l'étude de la Physiologie ? si ce n'est de connoître les causes générales des phénomenes, afin que délivrés de toutes vaines terreurs, nous nous abandonnions sans remords à nos appétits raisonnables ; & qu'après avoir joüi de la vie, nous la quittions sans regret. Il ne s'est rien fait de rien. L'Univers a toûjours été, & sera toûjours. Il n'existe que la matiere & le vuide ; car on ne conçoit aucun être mitoyen. Joignez à la notion du vuide l'impénétrabilité, la figure & la pesanteur, & vous aurez l'idée de la matiere. Séparez de l'idée de matiere les mêmes qualités, & vous aurez la notion du vuide. La Nature considérée, abstraction faite de la matiere, donne le vuide ; le vuide occupé donne la notion du lieu ; le lieu traversé donne l'idée de région. Qu'entendrons-nous par l'espace, sinon le vuide considéré comme étendu ? La nécessité du vuide est démontrée par elle-même ; car sans vuide, où les corps existeroient-ils ? où se mouveroient-ils ? Mais qu'est-ce que le vuide ? est-ce une qualité ? est-ce une chose ? Ce n'est point une qualité. Mais si c'est une chose, c'est donc une chose corporelle ? il n'en faut pas douter. Cette chose uniforme, homogene, immense, éternelle, traverse tous les corps sans les altérer, les détermine, marque leurs limites, & les y contient. L'Univers est l'aggrégat de la matiere & du vuide. La matiere est infinie, le vuide est infini : car si le vuide étoit infini & la matiere finie, rien ne retiendroit les corps & ne borneroit leurs écarts : les percussions & les répercussions cesseroient ; & l'Univers, loin de former un tout, ne seroit dans quelqu'instant de la durée qui suivra, qu'un amas de corps isolés, & perdus dans l'immensité de l'espace. Si au contraire la matiere étoit infinie & le vuide fini, il y auroit des corps qui ne seroient pas dans l'espace, ce qui est absurde. Nous n'appliquerons donc à l'Univers aucune de ces expressions par lesquelles nous distinguons des dimensions & nous déterminons des points dans les corps finis. L'Univers est immobile, parce qu'il n'y a point d'espace au-delà. Il est immuable, parce qu'il n'est susceptible ni d'accroissement ni de diminution. Il est éternel, puisqu'il n'a point commencé, & qu'il ne finira point. Cependant les êtres s'y meuvent, des lois s'y exécutent, des phénomenes s'y succedent. Entre ces phénomenes les uns se produisent, d'autres durent, & d'autres passent ; mais ces vicissitudes sont relatives aux parties, & non au tout. La seule conséquence qu'on puisse tirer des générations & des destructions, c'est qu'il y a des élémens dont les êtres sont engendrés, & dans lesquels ils se résolvent. On ne conçoit ni formation ni résolution, sans idée de composition ; & l'on n'a point l'idée de composition, sans admettre des particules simples, primitives & constituantes. Ce sont ces particules que nous appellerons atomes. L'atome ne peut ni se diviser, ni se simplifier, ni se résoudre ; il est essentiellement inaltérable & fini : d'où il s'ensuit que dans un composé fini, quel qu'il soit, il n'y a aucune sorte d'infini ni en grandeur, ni en étendue, ni en nombre. Homogenes, eu égard à leur solidité & à leur inaltérabilité, les atomes ont des qualités spécifiques qui les différencient. Ces qualités sont la grandeur, la figure, la pesanteur, & toutes celles qui en émanent, telles que le poli & l'anguleux. Il ne faut pas mettre au nombre de ces dernieres, le chaud, le froid, & d'autres semblables ; ce seroit confondre des qualités immuables avec des effets momentanés. Quoique nous assignions à l'atome toutes les dimensions du corps sensible, il est cependant plus petit qu'aucune portion de matiere imaginable : il échappe à nos sens, dont la portée est la mesure de l'imaginable, soit en petitesse, soit en grandeur. C'est par la différence des atomes que s'expliqueront la plûpart des phénomenes relatifs aux sensations & aux passions. La diversité de figure étant une suite nécessaire de la diversité de grandeur, il ne seroit pas impossible que dans tout cet Univers il n'y eût pas un composé parfaitement égal à un autre. Quoiqu'il y ait des atomes, les uns anguleux, les autres crochus, leurs pointes ne s'émoussent point, leurs angles ne se brisent jamais. Je leur attribue la pesanteur comme une qualité essentielle, parce que se mouvant actuellement, ou tendant à se mouvoir, ce ne peut être qu'en conséquence d'une force intrinseque, qu'on ne peut ni concevoir ni appeller autrement que pondération. L'atome a deux mouvemens principaux ; un mouvement de chûte ou de pondération qui l'emporte ou qui l'emporteroit sans le concours d'aucune action étrangere ; & le choc ou le mouvement de réflexion qu'il reçoit à la rencontre d'un autre. Cette derniere espece de mouvement est variée selon l'infinie diversité des masses & des directions. La premiere étant une énergie intrinseque de la matiere, c'est elle qu'il faut regarder comme la conservatrice du mouvement dans la Nature, & la cause éternelle des compositions. La direction générale des atomes emportés par le mouvement de pondération, n'est point parallele ; elle est un peu convergente ; c'est à cette convergence qu'il faut rapporter les chocs, les cohérences, les compositions d'atomes, la formation des corps, l'ordre de l'Univers avec tous ses phénomenes. Mais d'où naît cette convergence ? de la diversité originelle des atomes, tant en masse qu'en figure, & qu'en force pondérante. Telle est la vîtesse d'un atome & la non-résistance du vuide, que si l'atome n'étoit arrêté par aucun obstacle, il parcouroit le plus grand espace intelligible dans le tems le plus petit. En effet, qu'est-ce qui le retarderoit ? Qu'est-ce que le vuide, eu égard au mouvement ? Aussi-tôt que les atomes combinés ont formé un composé, ils ont dans ce composé, & le composé a dans l'espace différens mouvemens, différentes actions, tant intrinseques qu'extrinseques, tant au loin que dans le lieu. Ce qu'on appelle communément des élemens, sont des composés d'atomes ; on peut regarder ces composés comme des principes, mais non premiers. L'atome est la cause premiere par qui tout est, & la matiere premiere dont tout est. Il est actif essentiellement & par lui-même. Cette activité descend de l'atome à l'élément, de l'élément au composé, & varie selon toutes les compositions possibles. Mais toute activité produit ou le mouvement local, ou la tendance. Voilà le principe universel des destructions & des régénérations. Les vicissitudes des composés ne sont que des modes du mouvement, & des suites de l'activité essentielle des atomes qui les constituent. Combien de fois n'a-t-on pas attribué à des causes imaginaires, les effets de cette activité qui peut, selon les occurrences, porter les portions d'un être à des distances immenses, ou se terminer à des ébranlemens, à des translations imperceptibles ? C'est elle qui change le doux en acide, le mou en dur, &c. Et même, qu'est-ce que le destin, sinon l'universalité des causes ou des activités propres de l'atome, considéré ou solitairement, ou en composition avec d'autres atomes ? Les qualités essentielles connues des atomes, ne sont pas en grand nombre ; elles suffisent cependant pour l'infinie variété des qualités des composés. De la séparation des atomes plus ou moins grande, naissent le dense, le rare, l'opaque, le transparent : c'est de-là qu'il faut déduire encore la fluidité, la liquidité, la dureté, la molesse, le volume, &c. D'où ferons-nous dépendre la figure, sinon des parties composantes ; & le poids, sinon de la force intrinseque de pondération ? cependant à parler avec exactitude, il n'y a rien qui soit absolument pesant ou leger. Il faut porter le même jugement du froid & du chaud. Mais qu'est-ce que le tems ? C'est dans la nature une suite d'évenemens ; & dans notre entendement, une notion qui est la source de mille erreurs. Il faut porter le même jugement de l'espace. Dans la nature, sans corps point d'espace ; sans évenemens successifs, point de tems. Le mouvement & le repos sont des états dont la notion est inséparable en nous de celle de l'espace & du tems. Il n'y aura de productions nouvelles dans la nature, qu'autant que la composition diverse des atomes en admettra. L'atome incréé & inaltérable est le principe de toute génération & de toute corruption. Il suit de son activité essentielle & intrinseque, qu'il n'y a nul composé qui soit éternel : cependant il ne seroit pas absolument impossible qu'après notre dissolution, il ne se fît une combinaison générale de toute la matiere, qui restituât à l'Univers le même aspect qu'il a, ou du moins une combinaison partielle des élémens qui nous constituent, en conséquence de laquelle nous ressusciterions ; mais ce seroit sans mémoire du passé. La mémoire s'éteint au moment de la destruction. Le monde n'est qu'une petite portion de l'Univers, dont la foiblesse de nos sens a fixé les limites ; car l'Univers est illimité. Considéré relativement à ses parties & à leur ordre réciproque, le monde est un ; il n'a point d'ame : ce n'est donc point un dieu ; sa formation n'exige aucune cause intelligente & suprème. Pourquoi recourir à de pareilles causes dans la Philosophie, lorsque tout a pû s'engendrer & peut s'expliquer par le mouvement, la matiere, & le vuide ? Le monde est l'effet du hasard, & non l'exécution d'un dessein. Les atomes se sont mûs de toute éternité. Considérés dans l'agitation générale d'où les êtres devoient éclorre dans le tems, c'est ce que nous avons nommé le chaos ; considérés après que les natures furent écloses, & l'ordre introduit dans cette portion de l'espace, tel que nous l'y voyons, c'est ce que nous avons appellé le monde : ce seroit un préjugé que de concevoir autrement l'origine de la terre, de la mer, & des cieux. La combinaison des atomes forma d'abord les semences générales : ces semences se développerent, & tous les animaux, sans en excepter l'homme, furent produits seuls, isolés. Quand les semences furent épuisées, la terre cessa d'en produire, & les especes se perpétuerent par différentes voies de la génération. Gardons-nous bien de rapporter à nous les transactions de la nature ; les choses se sont faites, sans qu'il y eût d'autre cause que l'enchaînement universel des êtres matériels qui travaillât, soit à notre bonheur, soit à notre malheur. Laissons-là aussi les génies & les démons ; s'ils étoient, beaucoup de choses, ou ne seroient pas, ou seroient autrement. Ceux qui ont imaginé ces natures n'étoient point philosophes, & ceux qui les ont vûes n'étoient que des visionnaires. Mais si le monde a commencé, pourquoi ne prendroit-il pas une fin ? n'est-ce pas un tout composé ? n'est-ce pas un composé fini ? l'atome n'a-t-il pas conservé son activité dans ce grand composé, ainsi que dans sa portion la plus petite ? cette activité n'y est-elle pas également un principe d'altération & de destruction ? Ce qui révolte notre imagination, ce sont les fausses mesures que nous nous sommes faites de l'étendue & du tems ; nous rapportons tout au point de l'espace que nous occupons, & au court instant de notre durée. Mais pour juger de notre monde, il faut le comparer à l'immensité de l'Univers, & à l'éternité des tems : alors ce globe eût-il mille fois plus d'étendue, rentrera dans la loi générale, & nous le verrons soûmis à tous les accidens de la molécule. Il n'y a d'immuable, d'inaltérable, d'éternel, que l'atome ; les mondes passeront, l'atome restera tel qu'il est. La pluralité des mondes n'a rien qui répugne. Il peut y avoir des mondes semblables au nôtre ; il peut y en avoir de différens. Il faut les considérer comme de grands tourbillons appuyés les uns contre les autres, qui en resserrent entr'eux de plus petits, & qui remplissent ensemble le vuide infini. Au milieu du mouvement général qui produisit le nôtre, cet amas d'atomes que nous appellons Terre, occupa le centre ; d'autres amas allerent former le ciel & les astres qui l'éclairent. Ne nous en laissons pas imposer sur la chûte des graves : les graves n'ont point de centre commun ; ils tombent parallelement. Concluons-en l'absurdité des Antipodes. La Terre n'est point un corps sphérique ; c'est un grand disque que l'atmosphere tient suspendu dans l'espace : la Terre n'a point d'ame ; ce n'est donc point une divinité. C'est à des exhalaisons soûterraines, à des chocs subits, à la rencontre de certains élémens opposés, à l'action du feu, qu'il faut attribuer ses tremblemens. Si les fleuves n'augmentent point les mers, c'est que relativement à ces volumes d'eaux, à leurs immenses reservoirs, & à la quantité de vapeurs que le Soleil éleve de leur surface, les fleuves ne sont que de foibles écoulemens. Les eaux de la mer se répandent dans toute la masse terrestre, l'arrosent, se rencontrent, se rassemblent, & viennent se précipiter derechef dans les bassins d'où elles s'étoient extravasées : c'est dans cette circulation qu'elles sont dépouillées de leur amertume. Les inondations du Nil sont occasionnées par des vents étésiens, qui soûlevent la mer aux embouchures de ce fleuve, y accumulent des digues de sables, & le font refluer sur lui-même. Les montagnes sont aussi anciennes que la terre. Les plantes ont de commun avec les animaux, qu'elles naissent, se nourrissent, s'accroissent, dépérissent, & meurent : mais ce n'est point une ame qui les vivifie ; tout s'exécute dans ces êtres par le mouvement & l'interposition. Dans les animaux, chaque organe élabore une portion de semence, & la transmet à un réservoir commun : de-là cette analogie propre aux molécules séminales, qui les sépare, les distribue, les dispose chacune à former une partie semblable à celle qui l'a préparée, & toutes, à engendrer un animal semblable. Aucune intelligence ne préside à ce méchanisme. Tout s'exécutant comme si elle n'existoit point, pourquoi donc en supposerions-nous l'action ? Les yeux n'ont point été faits pour voir, ni les piés pour marcher : mais l'animal a eu des piés, & il a marché ; des yeux, & il a vû. L'ame humaine est corporelle ; ceux qui assûrent le contraire ne s'entendent pas, & parlent sans avoir d'idées. Si elle étoit incorporelle, comme ils le prétendent, elle ne pourroit ni agir ni souffrir ; son hétérogénéité rendroit impossible son action sur le corps. Recourir à quelque principe immatériel, afin d'expliquer cette action, ce n'est pas résoudre la difficulté, c'est seulement la transporter à un autre objet. S'il y avoit dans la nature quelque être qui pût changer les natures, la vérité ne seroit plus qu'un vain nom : or pour qu'un être immatériel fût un instrument applicable à un corps, il faudroit changer la nature de l'un ou de l'autre. Gardons-nous cependant de confondre l'ame avec le reste de la substance animale. L'ame est un composé d'atomes si unis, si legers, si mobiles, qu'elle peut se séparer du corps sans qu'il perde sensiblement de son poids. Ce réseau, malgré son extrême subtilité, a plusieurs qualités distinctes ; il est aérien, igné, mobile, & sensible. Répandu dans tout le corps, il est la cause des passions, des actions, des mouvemens, des facultés, des pensées, & de toutes les autres fonctions, soit spirituelles, soit animales ; c'est lui qui sent, mais il tient cette puissance du corps. Au moment où l'ame se sépare du corps, la sensibilité s'évanoüit, parce que c'étoit le résultat de leur union ; les sens ne sont qu'un toucher diversifié ; il s'écoule sans-cesse des corps mêmes, des simulacres qui leur sont semblables, & qui viennent frapper nos sens. Les sens sont communs à l'homme & à tous les animaux. La raison peut s'exercer, même quand les sens se reposent. J'entens par l'esprit, la portion de l'ame la plus déliée. L'esprit est diffus dans toute la substance de l'ame, comme l'ame est diffuse dans toute la substance du corps ; il lui est uni ; il ne forme qu'un être avec elle ; il produit ses actes dans des instans presqu'indivisibles ; il a son siége dans le coeur : en effet c'est delà qu'émanent la joie, la tristesse, la force, la pusillanimité, &c. L'ame pense, comme l'oeil voit, par des simulacres ou des idoles ; elle est affectée de deux sentimens généraux, la peine & le plaisir. Troublez l'état naturel des parties du corps, & vous produirez la douleur ; restituez les parties du corps dans leur état naturel, & vous ferez éclorre le plaisir. Si ces parties au lieu d'osciller pouvoient demeurer en repos, ou nous cesserions de sentir, ou, fixés dans un état de paix inaltérable, nous éprouverions peut-être la plus voluptueuse de toutes les situations. De la peine & du plaisir, naissent le desir & l'aversion. L'ame en général s'épanoüit & s'ouvre au plaisir ; elle se flétrit & se resserre à la peine. Vivre, c'est éprouver ces mouvemens alternatifs. Les passions varient selon la combinaison des atomes qui composent le tissu de l'ame. Les idoles viennent frapper le sens ; le sens éveille l'imagination ; l'imagination excite l'ame, & l'ame fait mouvoir le corps. Si le corps tombe d'affoiblissement ou de fatigue, l'ame accablée ou distraite succombe au sommeil. L'état où elle est, obsédée de simulacres errans qui la tourmentent ou qui l'amusent involontairement, est ce que nous appellerons l'insomnie ou le rêve, selon le degré de conscience qui lui reste de son état. La mort n'est que la cessation de la sensibilité. Le corps dissous, l'ame est dissoute ; ses facultés sont anéanties ; elle ne pense plus ; elle ne se ressouvient point ; elle ne souffre ni n'agit. La dissolution n'est pas une annihilation ; c'est seulement une séparation de particules élémentaires. L'ame n'étoit pas avant la formation du corps, pourquoi seroit-elle après sa destruction ? Comme il n'y a plus de sens après la mort, l'ame n'est capable ni de peine, ni de plaisir. Loin de nous donc la fable des enfers & de l'élisée, & tous ces récits mensongers dont la superstition effraye les méchans qu'elle ne trouve pas assez punis par leurs crimes mêmes, ou repaît les bons qui ne se trouvent pas assez recompensés par leur propre vertu. Concluons, nous, que l'étude de la nature n'est point superflue, puisqu'elle conduit l'homme à des connoissances qui assûrent la paix dans son ame, qui affranchissent son esprit de toutes vaines terreurs, qui l'élevent au niveau des dieux, & qui le ramenent aux seuls vrais motifs qu'il ait de remplir ses devoirs. Les astres sont des amas de feu. Je compare le Soleil à un corps spongieux, dont les cavités immenses sont pénétrées d'une matiere ignée, qui s'en élance en tout sens. Les corps célestes n'ont point d'ame : ce ne sont donc point des dieux. Parmi ces corps, il y en a de fixes & d'errans : on appelle ces derniers planetes. Quoiqu'ils nous semblent tous sphériques, ils peuvent être ou des cylindres, ou des cones, ou des disques, ou des portions quelconques de sphere ; toutes ces figures & beaucoup d'autres ne répugnent point avec les phénomenes. Leurs mouvemens s'exécutent, ou en conséquence d'une révolution générale du ciel qui les emporte, ou d'une translation qui leur est propre & dans laquelle ils traversent la vaste étendue des cieux qui leur est perméable. Le Soleil se leve & se couche, en montant sur l'horison & descendant au-dessous, ou en s'allumant à l'orient & s'éteignant à l'occident, consumé & reproduit journellement. Cet astre est le foyer de notre monde : c'est de-là que toute la chaleur se répand ; il ne faut que quelques étincelles de ce feu pour embraser toute notre atmosphere. La Lune & les planetes peuvent briller ou de leur lumiere propre, ou d'une lumiere empruntée du Soleil ; & les éclipses avoir pour cause, ou l'extinction momentanée du corps éclipsé, ou l'interposition d'un corps qui l'éclipse. S'il arrive à une planete de traverser des régions pleines de matieres contraires au feu & à la lumiere, ne s'éteindra-t-elle pas ? ne sera-t-elle pas éclipsée ? Les nuées sont ou des masses d'un air condensé par l'action des vents, ou des amas d'atomes qui se sont accumulés peu-à-peu, ou des vapeurs élevées de la terre & des mers. Les vents sont ou des courans d'atomes dans l'atmosphere, ou peut-être des souffles impétueux qui s'échappent de la terre & des eaux, ou même une portion d'air mise en mouvement par l'action du Soleil. Si des molécules ignées se réunissent, forment une masse, & sont pressées dans une nuée, elles feront effort en tout sens pour s'en échapper, & la nuée ne s'entre-ouvrira point sans éclair & sans tonnerre. Quand les eaux suspendues dans l'atmosphere seront rares & éparses, elles retomberont en pluie sur la terre, ou par leur propre poids, ou par l'agitation des vents. Le même phénomene aura lieu, quand elles formeront des masses épaisses ; si la chaleur vient à les raréfier, ou les vents à les disperser. Elles se mettent en gouttes, en se rencontrant dans leur chûte : ces gouttes glacées ou par le froid ou par le vent, forment de la grêle. Le même phénomene aura lieu, si quelque chaleur subite vient à resoudre un nuage glacé. Lorsque le Soleil se trouve dans une opposition particuliere avec un nuage, qu'il frappe de ses rayons, il forme l'arc-en-ciel. Les couleurs de l'arc-en-ciel sont un effet de cette opposition, & de l'air humide qui les produit toutes, ou qui n'en produit qu'une qui se diversifie selon la région qu'elle traverse, & la maniere dont elle s'y meut. Lorsque la terre a été trempée de longues pluies & échauffée par des chaleurs violentes, les vapeurs qui s'en élevent infectent l'air & répandent la mort au loin, &c.

De la théologie. Après avoir posé pour principe qu'il n'y a dans la nature que la matiere & du vuide, que penserons-nous des dieux ? abandonnerons-nous notre philosophie pour nous asservir à des opinions populaires, ou dirons-nous que les dieux sont des êtres corporels ? Puisque ce sont des dieux, ils sont heureux ; ils joüissent d'eux-mêmes en paix ; rien de ce qui se passe ici-bas ne les affecte & ne les trouble ; & il est suffisamment démontré par les phénomenes du monde physique & du monde moral, qu'ils n'ont eu aucune part à la production des êtres, & qu'ils n'en prennent aucune à leur conservation. C'est la nature même qui a mis la notion de leur existence dans notre ame. Quel est le peuple si barbare, qui n'ait quelque notion anticipée des dieux ? nous opposerons-nous au consentement général des hommes ? éleverons-nous notre voix contre la voix de la nature ? La nature ne ment point ; l'existence des dieux se prouveroit même par nos préjugés. Tant de phénomenes, qui ne leur ont été attribués que parce que la nature de ces êtres & la cause des phénomenes étoient ignorées ; tant d'autres erreurs ne sont-elles pas autant de garans de la croyance générale ? Si un homme a été frappé dans le sommeil par quelque grand simulacre, & qu'il en ait conservé la mémoire à son réveil ; il a conclu que cet idole avoit nécessairement son modele errant dans la nature ; les voix qu'il peut avoir entendues, ne lui ont pas permis de douter que ce modele ne fût d'une nature intelligente ; & la constance de l'apparition en différens tems & sous une même forme, qu'il ne fût immortel : mais l'être qui est immortel, est inaltérable, & l'être qui est inaltérable, est parfaitement heureux, puisqu'il n'agit sur rien, ni rien sur lui. L'existence des dieux a donc été & sera donc à jamais une existence stérile, & par la raison même qu'elle ne peut être altérée ; car il faut que le principe d'activité, qui est la source féconde de toute destruction & de toute reproduction, soit anéanti dans ces êtres. Nous n'en avons donc rien à espérer ni à craindre. Qu'est-ce donc que la divination ? qu'est-ce que des prodiges ? qu'est-ce que les religions ? S'il étoit dû quelque culte aux dieux, ce seroit celui d'une admiration qu'on ne peut refuser à tout ce qui nous offre l'image séduisante de la perfection du bonheur. Nous sommes portés à croire les dieux de forme humaine ; c'est celle que toutes les nations leur ont attribuée ; c'est la seule sous laquelle la raison soit exercée, & la vertu pratiquée. Si leur substance étoit incorporelle, ils n'auroient ni sens, ni perception, ni plaisir, ni peine. Leur corps toutefois n'est pas tel que le nôtre, c'est seulement une combinaison semblable d'atomes plus subtils ; c'est la même organisation, mais ce sont des organes infiniment plus parfaits ; c'est une nature particuliere si déliée, si ténue, qu'aucune cause ne peut ni l'atteindre, ni l'altérer, ni s'y unir, ni la diviser, & qu'elle ne peut avoir aucune action. Nous ignorons les lieux que les dieux habitent : ce monde n'est pas digne d'eux, sans-doute ; ils pourroient bien s'être refugiés dans les intervalles vuides que laissent entre eux les mondes contigus.

De la morale. Le bonheur est la fin de la vie : c'est l'aveu secret du coeur humain ; c'est le terme évident des actions mêmes qui en éloignent. Celui qui se tue regarde la mort comme un bien. Il ne s'agit pas de réformer la nature, mais de diriger sa pente générale. Ce qui peut arriver de mal à l'homme, c'est de voir le bonheur où il n'est pas, ou de le voir où il est en effet, mais de se tromper sur les moyens de l'obtenir. Quel sera donc le premier pas de notre philosophie morale, si ce n'est de rechercher en quoi consiste le vrai bonheur ? Que cette étude importante soit notre occupation actuelle. Puisque nous voulons être heureux dès ce moment, ne remettons pas à demain à savoir ce que c'est que le bonheur. L'insensé se propose toûjours de vivre, & il ne vit jamais. Il n'est donné qu'aux immortels d'être souverainement heureux. Une folie dont nous avons d'abord à nous garantir, c'est d'oublier que nous ne sommes que des hommes. Puisque nous désespérons d'être jamais aussi parfaits que les dieux que nous nous sommes proposés pour modeles, resolvons-nous à n'être point aussi heureux. Parce que mon oeil ne perce pas l'immensité des espaces, dédaignerai-je l'ouvrir sur les objets qui m'environnent ? Ces objets deviendront une source intarissable de volupté, si je sais en joüir ou les négliger. La peine est toûjours un mal, la volupté toûjours un bien : mais il n'est point de volupté pure. Les fleurs croissent à nos piés, il faut au moins se pencher pour les cueillir. Cependant, ô volupté ! c'est pour toi seule que nous faisons tout ce que nous faisons ; ce n'est jamais toi que nous évitons, mais la peine qui ne t'accompagne que trop souvent. Tu échauffes notre froide raison ; c'est de ton énergie que naissent la fermeté de l'ame & la force de la volonté ; c'est toi qui nous meus, qui nous transportes, & lorsque nous ramassons des roses pour en former un lit à la jeune beauté qui nous a charmés, & lorsque bravant la fureur des tyrans, nous entrons tête baissée & les yeux fermés dans les taureaux ardens qu'elle a préparés. La volupté prend toutes sortes de formes. Il est donc important de bien connoître le prix des objets sous lesquels elle peut se présenter à nous, afin que nous ne soyons point incertains quand il nous convient de l'accueillir ou de la repousser, de vivre ou de mourir. Après la santé de l'ame, il n'y a rien de plus précieux que la santé du corps. Si la santé du corps se fait sentir particulierement en quelques membres, elle n'est pas générale. Si l'ame se porte avec excès à la pratique d'une vertu, elle n'est pas entierement vertueuse. Le musicien ne se contente pas de tempérer quelques-unes des cordes de sa lyre ; il seroit à souhaiter pour le concert de la société, que nous l'imitassions, & que nous ne permissions pas, soit à nos vertus, soit à nos passions, d'être ou trop lâches ou trop tendues, & de rendre un son ou trop sourd ou trop aigu. Si nous faisons quelque cas de nos semblables, nous trouverons du plaisir à remplir nos devoirs, parce que c'est un moyen sûr d'en être considérés. Nous ne mépriserons point les plaisirs des sens ; mais nous ne nous ferons point l'injure à nous-mêmes, de comparer l'honnête avec le sensuel. Comment celui qui se sera trompé dans le choix d'un état sera-t-il heureux ? comment se choisir un état sans se connoître ? & comment se contenter dans son état, si l'on confond les besoins de la nature, les appétits de la passion, & les écarts de la fantaisie ? Il faut avoir un but présent à l'esprit, si l'on ne veut pas agir à l'aventure. Il n'est pas toûjours impossible de s'emparer de l'avenir. Tout doit tendre à la pratique de la vertu, à la conservation de la liberté & de la vie, & au mépris de la mort. Tant que nous sommes, la mort n'est rien, & ce n'est rien encore quand nous ne sommes plus. On ne redoute les dieux, que parce qu'on les fait semblables aux hommes. Qu'est-ce que l'impie, sinon celui qui adore les dieux du peuple ? Si la véritable piété consistoit à se prosterner devant toute pierre taillée, il n'y auroit rien de plus commun : mais comme elle consiste à juger sainement de la nature des dieux, c'est une vertu rare. Ce qu'on appelle le droit naturel, n'est que le symbole d'une utilité générale. L'utilité générale & le consentement commun doivent être les deux grandes regles de nos actions. Il n'y a jamais de certitude que le crime reste ignoré : celui qui le commet est donc un insensé qui joue un jeu où il y a plus à perdre qu'à gagner. L'amitié est un des plus grands biens de la vie, & la décence, une des plus grandes vertus de la société. Soyez décens, parce que vous n'êtes point des animaux, & que vous vivez dans des villes, & non dans le fond des forêts, &c.

Voilà les points fondamentaux de la doctrine d'Epicure, le seul d'entre tous les Philosophes anciens qui ait sû concilier sa morale avec ce qu'il pouvoit prendre pour le vrai bonheur de l'homme, & ses préceptes avec les appétits & les besoins de la nature ; aussi a-t-il eu & aura-t-il dans tous les tems un grand nombre de disciples. On se fait stoïcien, mais on naît épicurien.

Epicure étoit Athénien, du bourg de Gargette & de la tribu d'Egée. Son pere s'appelloit Néoclès, & sa mere Chérestrata : leurs ancêtres n'avoient pas été sans distinction ; mais l'indigence avoit avili leurs descendans. Néoclès n'ayant pour tout bien qu'un petit champ, qui ne fournissoit pas à sa subsistance, il se fit maître d'école ; la bonne vieille Chérestrata, tenant son fils par la main, alloit dans les maisons faire des lustrations, chasser les spectres, lever les incantations ; c'étoit Epicure qui lui avoit enseigné les formules d'expiations, & toutes les sottises de cette espece de superstition.

Epicure naquit la troisieme année de la cent neuvieme olympiade, le septieme jour du mois de Gamilion. Il eut trois freres, Néoclès, Charideme & Aristobule : Plutarque les cite comme des modeles de la tendresse fraternelle la plus rare. Epicure demeura à Téos jusqu'à l'âge de dix-huit ans : il se rendit alors dans Athenes avec la petite provision de connoissances qu'il avoit faites dans l'école de son pere ; mais son séjour n'y fut pas long. Alexandre meurt ; Perdiccas desole l'Attique, & Epicure est contraint d'errer d'Athenes à Colophone, à Mytilene, & à Lampsaque. Les troubles populaires interrompirent ses études ; mais n'empêcherent point ses progrès. Les hommes de génie, tels qu'Epicure, perdent peu de tems ; leur activité se jette sur tout ; ils observent & s'instruisent sans qu'ils s'en apperçoivent ; & ces lumieres, acquises presque sans effort, sont d'autant plus estimables, qu'elles sont relatives à des objets plus généraux. Tandis que le Naturaliste a l'oeil appliqué à l'extrémité de l'instrument qui lui grossit un objet particulier, il ne joüit pas du spectacle général de la nature qui l'environne. Il en est ainsi du philosophe ; il ne rentre sur la scene du monde qu'au sortir de son cabinet ; & c'est-là qu'il recueille ces germes de connoissances qui demeurent long-tems ignorés dans le fond de son ame, parce que ce n'est point à une méditation profonde & déterminée, mais à des coups-d'oeil accidentels qu'il les doit : germes précieux, qui se développent tôt ou tard pour le bonheur du genre humain.

Epicure avoit trente-sept ans lorsqu'il reparut dans Athenes : il fut disciple du platonicien Pamphile, dont il méprisa souverainement les visions : il ne put souffrir les sophismes perpétuels de Pyrrhon : il sortit de l'école du pythagoricien Nausiphanès, mécontent des nombres & de la métempsycose. Il connoissoit trop bien la nature de l'homme & sa force, pour s'accommoder de la sévérité du Stoïcisme. Il s'occupa à feuilleter les ouvrages d'Anaxagore, d'Archelaüs, de Metrodore & de Démocrite ; il s'attacha particulierement à la philosophie de ce dernier, & il en fit les fondemens de la sienne.

Les Platoniciens occupoient l'académie, les Péripatéticiens le Lycée, les Cyniques le cynosarge, les Stoïciens le portique ; Epicure établit son école dans un jardin délicieux, dont il acheta le terrein, & qu'il fit planter pour cet usage. Ce fut lui qui apprit aux Athéniens à transporter dans l'enceinte de leur ville le spectacle de la campagne. Il étoit âgé de quarante-quatre ans lorsqu'Athenes, assiégée par Démétrius, fut desolée par la famine : Epicure, résolu de vivre ou de mourir avec ses amis, leur distribuoit tous les jours des fèves, qu'il partageoit au compte avec eux. On se rendoit dans ses jardins de toutes les contrées de la Grece, de l'Egypte & de l'Asie : on y étoit attiré par ses lumieres & par ses vertus, mais sur-tout par la conformité de ses principes avec les sentimens de la nature. Tous les philosophes de son tems sembloient avoir conspiré contre les plaisirs des sens & contre la volupté : Epicure en prit la défense ; & la jeunesse athénienne, trompée par le mot de volupté, accourut pour l'entendre. Il ménagea la foiblesse de ses auditeurs ; il mit autant d'art à les retenir qu'il en avoit employé à les attirer ; il ne leur développa ses principes que peu-à-peu. Les leçons se donnoient à table ou à la promenade ; c'étoit ou à l'ombre des bois, ou sur la mollesse des lits, qu'il leur inspiroit l'enthousiasme de la vertu, la tempérance, la frugalité, l'amour du bien public, la fermeté de l'ame, le goût raisonnable du plaisir, & le mépris de la vie. Son école, obscure dans les commencemens, finit par être une des plus éclatantes & des plus nombreuses.

Epicure vêcut dans le célibat : les inquiétudes qui suivent le mariage lui parurent incompatibles avec l'exercice assidu de la philosophie ; il vouloit d'ailleurs que la femme du philosophe fût sage, riche & belle. Il s'occupa à étudier, à écrire & à enseigner : il avoit composé plus de trois cent traités différens ; il ne nous en reste aucun. Il ne faisoit pas assez de cas de cette élégance à laquelle les Athéniens étoient si sensibles ; il se contentoit d'être vrai, clair & profond. Il fut chéri des grands, admiré de ses rivaux, & adoré de ses disciples : il reçut dans ses jardins plusieurs femmes célebres, Léontium, maîtresse de Métrodore ; Thémiste, femme de Léontius ; Philénide, une des plus honnêtes femmes d'Athenes ; Nécidie, Erotie, Hédie, Marmarie, Bodie, Phédrie, &c. Ses concitoyens, les hommes du monde les plus enclins à la médisance, & de la superstition la plus ombrageuse, ne l'ont accusé ni de débauche ni d'impiété.

Les Stoïciens féroces l'accablerent d'injures ; il leur abandonna sa personne, défendit ses dogmes avec force, & s'occupa à démontrer la vanité de leur système. Il ruina sa santé à force de travailler : dans les derniers tems de sa vie il ne pouvoit ni supporter un vêtement, ni descendre de son lit, ni souffrir la lumiere, ni voir du feu. Il urinoit le sang ; sa vessie se fermoit peu-à-peu par les accroissemens d'une pierre : cependant il écrivoit à un de ses amis que le spectacle de sa vie passée suspendoit ses douleurs.

Lorsqu'il sentit approcher sa fin, il fit appeller ses disciples ; il leur légua ses jardins ; il assûra l'état de plusieurs enfans sans fortune, dont il s'étoit rendu le tuteur ; il affranchit ses esclaves ; il ordonna ses funérailles, & mourut âgé de soixante & douze ans, la seconde année de la cent vingt-septieme olympiade. Il fut universellement regretté : la république lui ordonna un monument ; & un certain Théotime, convaincu d'avoir composé sous son nom des lettres infames, adressées à quelques-unes des femmes qui fréquentoient ses jardins, fut condamné à perdre la vie.

La philosophie épicurienne fut professée sans interruption, depuis son institution jusqu'au tems d'Auguste ; elle fit dans Rome les plus grands progrès. La secte y fut composée de la plûpart des gens de lettres & des hommes d'état ; Lucrece chanta l'épicuréisme, Celse le professa sous Adrien, Pline le Naturaliste sous Tibere : les noms de Lucien & de Diogene Laerce sont encore célebres parmi les Epicuriens.

L'épicuréisme eut, à la décadence de l'empire romain, le sort de toutes les connoissances ; il ne sortit d'un oubli de plus de mille ans qu'au commencement du dix-septieme siecle : le discrédit des formes plastiques remit les atomes en honneur. Magnene, de Luxeu en Bourgogne, publia son democritus reviviscens, ouvrage médiocre, où l'auteur prend à tout moment ses rêveries pour les sentimens de Démocrite & d'Epicure. A Magnene succéda Pierre Gassendi, un des hommes qui font le plus d'honneur à la Philosophie & à la nation : il naquit dans le mois de Janvier de l'année 1592, à Chantersier, petit village de Provence, à une lieue de Digne, où il fit ses humanités. Il avoit les moeurs douces, le jugement sain, & des connoissances profondes : il étoit versé dans l'Astronomie, la Philosophie ancienne & moderne, la Métaphysique, les langues, l'histoire, les antiquités ; son érudition fut presque universelle. On a pû dire de lui que jamais philosophe n'avoit été meilleur humaniste, ni humaniste si bon philosophe : ses écrits ne sont pas sans agrément ; il est clair dans ses raisonnemens, & juste dans ses idées. Il fut parmi nous le restaurateur de la philosophie d'Epicure : sa vie fut pleine de troubles ; sans-cesse il attaqua & fut attaqué : mais il ne fut pas moins attentif dans ses disputes, soit avec Fludd, soit avec mylord Herbert, soit avec Descartes, à mettre l'honnêteté que la raison de son côté.

Gassendi eut pour disciples ou pour sectateurs, plusieurs hommes qui se sont immortalisés, Chapelle, Moliere, Bernier, l'abbé de Chaulieu, M. le grand-prieur de Vendôme, le marquis de la Fare, le chevalier de Bouillon, le maréchal de Catinat, & plusieurs autres hommes extraordinaires, qui, par un contraste de qualités agréables & sublimes, réunissoient en eux l'héroïsme avec la mollesse, le goût de la vertu avec celui du plaisir, les qualités politiques avec les talens littéraires, & qui ont formé parmi nous différentes écoles d'épicuréisme moral dont nous allons parler.

La plus ancienne & la premiere de ces écoles où l'on ait pratiqué & professé la morale d'Epicure, étoit rue des Tournelles, dans la maison de Ninon Lenclos ; c'est-là que cette femme extraordinaire rassembloit tout ce que la cour & la ville avoient d'hommes polis, éclairés & voluptueux : on y vit madame Scarron ; la comtesse de la Suze, célebre par ses élégies ; la comtesse d'Olone, si vantée par sa rare beauté & le nombre de ses amans ; Saint-Evremont, qui professa depuis l'épicuréisme à Londres, où il eut pour disciples le fameux comte de Grammont, le poëte Waller, & madame de Mazarin ; la duchesse de Bouillon Mancini, qui fut depuis de l'école du Temple ; des Yvetaux, (voyez ARCADIENS), M. de Gourville, madame de la Fayette, M. le duc de la Rochefoucault, & plusieurs autres, qui avoient formé à l'hôtel de Rambouillet une école de Platonisme, qu'ils abandonnerent pour aller augmenter la société & écouter les leçons de l'épicurienne.

Après ces premiers épicuriens, Bernier, Chapelle & Moliere disciples de Gassendi, transférerent l'école d'Epicure de la rue des Tournelles à Auteuil : Bachaumont, le baron de Blot, dont les chansons sont si rares & si recherchées, & Desbarreaux, qui fut le maître de madame Deshouilleres dans l'art de la poësie & de la volupté, ont principalement illustré l'école d'Auteuil.

L'école de Neuilly succéda à celle d'Auteuil : elle fut tenue, pendant le peu de tems qu'elle dura, par Chapelle & MM. Sonnings ; mais à peine fut-elle instituée, qu'elle se fondit dans l'école d'Anet & du Temple.

Que de noms célebres nous sont offerts dans cette derniere ! Chapelle & son disciple Chaulieu, M. de Vendôme, madame de Bouillon, le chevalier de Bouillon, le marquis de la Fare, Rousseau, MM. Sonnings, l'abbé Courtin, Campistron, Palaprat, le baron de Breteuil, pere de l'illustre marquise du Châtelet ; le président de Mesmes, le président Ferrand, le marquis de Dangeau, le duc de Nevers, M. de Catinat, le comte de Fiesque, le duc de Foix ou de Randan, M. de Périgny, Renier, convive aimable, qui chantoit & s'accompagnoit du luth, M. de Lasseré, le duc de la Feuillade, &c. cette école est la même que celle de St. Maur ou de madame la duchesse.

L'école de Seaux rassembla tout ce qui restoit de ces sectateurs du luxe, de l'élégance, de la politesse, de la philosophie, des vertus, des lettres & de la volupté, & elle eut encore le cardinal de Polignac, qui la fréquentoit plus par goût pour les disciples d'Epicure, que pour la doctrine de leur maître, Hamilton, St. Aulaire, l'abbé Gênet, Malesieu, la Motte, M. de Fontenelle, M. de Voltaire, plusieurs académiciens, & quelques femmes illustres par leur esprit ; d'où l'on voit qu'en quelque lieu & en quelque tems que ce soit, la secte épicurienne n'a jamais eu plus d'éclat qu'en France, & sur-tout pendant le siecle dernier. Voyez Brucker, Gassendi, Lucrece, &c.


EPICYCLES. m. en Astronomie, cercle dont le centre est dans la circonférence d'un autre cercle, qui est censé le porter en quelque maniere.

Ce mot est formé des mots grecs, , suprà, sur, & de , cercle, comme si l'on disoit cercle sur cercle.

De même que les anciens astronomes ont inventé un cercle excentrique pour expliquer les irrégularités apparentes du mouvement des planetes, & leur différente distance de la terre, ils ont aussi inventé un petit cercle pour expliquer les stations & les rétrogradations des planetes. Ce cercle, qu'ils appellent épicycle, a son centre dans la circonférence du plus grand, qui est l'excentrique de la planete. Voyez EXCENTRIQUE.

C'est dans cet excentrique que se meut le centre de cet épicycle, lequel emporte avec lui la planete, dont le centre se meut régulierement dans la circonférence de l'épicycle, suivant l'ordre des signes, lorsqu'elle est dans la partie inférieure de l'épicycle, & contre l'ordre des signes, lorsqu'elle est dans la partie supérieure.

Le point le plus haut de l'épicycle s'appelle apogée, & le point le plus bas s'appelle périgée. Voyez APOGEE & PERIGEE.

Quoique les phénomènes des stations & rétrogradations des planetes s'expliquent d'une maniere bien plus naturelle dans le système de Copernic, on ne peut disconvenir que la maniere dont Ptolomée les a sauvées ne soit ingénieuse : c'est apparemment pour cette raison que M. Godin, dans un mémoire imprimé parmi ceux de l'Académie, en 1733, a cherché à développer cette théorie, & à donner les lois du mouvement apparent des planetes dans les épicycles. Lorsqu'on ne cherche qu'à connoître les apparences, & à construire des tables, il importe peu, dit l'historien de l'Académie, quelle hypothèse on choisisse, pourvû que cette hypothèse les sauve toutes, & que ces tables les représentent. De plus, les satellites de Jupiter & de Saturne ont, par rapport à nous, des apparences de mouvemens semblables à celles que doivent avoir les planetes dans le système de Ptolomée : la Terre & la Lune, vûes du Soleil ou de quelque autre point du système solaire, sont aussi dans le même cas ; c'est pourquoi la théorie dont il s'agit peut être de quelque utilité. D'ailleurs M. Godin l'a donnée d'une maniere beaucoup plus simple que n'ont fait jusqu'ici tous les Astronomes : il n'a besoin pour cela que des deux suppositions suivantes ; 1°. la direction apparente d'un corps qui décrit un cercle, est à chaque instant la tangente au point du cercle qu'il décrit dans cet instant ; 2°. un corps mû par deux forces, dont les directions font angle entr'elles, ou paroissent faire angle, décrira ou paroîtra décrire la diagonale d'un parallelogramme formé sur ces directions.

Le grand cercle, dans la circonférence duquel l'épicycle est situé, s'appelle aussi le déférent de l'épicycle. Voyez DEFERENT.

Riccioli, quoique ennemi déclaré du mouvement de la terre, n'a jamais pû faire de tables astronomiques qui s'accordassent tant-soit-peu avec les observations, sans supposer ce mouvement de la terre, quoiqu'il appellât à son secours, d'une maniere un peu forcée, les épicycles variables, sujets à des augmentations & à des décroissemens perpétuels, & différemment inclinés à l'écliptique. Voyez COPERNIC, STATION, RETROGRADATION, &c.

Quoique les épicycles des planetes, imaginés par Ptolomée, soient aujourd'hui entierement bannis de l'Astronomie, cependant quelques astronomes modernes s'en sont servis pour expliquer les irrégularités du mouvement de la Lune ; mais avec cette différence, qu'ils n'ont pas prétendu que la lune parcourût en effet la circonférence d'un épicycle, comme Ptolomée prétendoit que les planetes la parcouroient : ils ont seulement dit que les inégalités apparentes du mouvement de la Lune étoient les mêmes que si cette planete se mouvoit dans un épicycle. M. Machin, dans un ouvrage fort court qui a pour titre, the laws of moon's motion, les lois du mouvement de la Lune, fait mouvoir la Lune dans une ellipse dont le petit axe est la moitié du grand : tandis que le centre de cette ellipse décrit d'un mouvement uniforme un cercle autour de la Terre, la Lune se meut dans l'ellipse, de maniere qu'elle y parcourt des aires proportionnelles aux tems. Mais M. Clairaut, dans un mémoire imprimé parmi ceux de l'académie, en 1743, soûtient que M. Machin se trompe, & qu'on ne peut expliquer par cette supposition les mouvemens de la Lune. M. Halley a supposé que la Lune se mouvoit dans une ellipse, & que le centre de cette ellipse étoit dans un épicycle dont le centre se mouvoit uniformément autour de la Terre : il a déduit de ce mouvement les inégalités qu'on observe dans la vîtesse de l'apogée, & dans l'excentricité de l'orbite de cette planete. Voyez LUNE. Voyez aussi les Dict. de Harris, de Chambers, & les élém. d'Astr. de Wolf, d'où une partie de cette article est tirée. (O)


EPICYCLOIDES. f. en Géométrie, ligne courbe qui est engendrée par la révolution d'un point de la circonférence d'un cercle, lequel se meut en tournant sur la partie convexe ou concave d'un autre cercle.

Chaque point de la circonférence d'un cercle qui avance en droite ligne sur un plan, tandis qu'il tourne en même tems sur son centre, décrit une cycloïde (voyez CYCLOÏDE) ; & si le cercle générateur, au lieu de se mouvoir sur une ligne droite, se meut sur la circonférence d'un autre cercle, ou égal ou inégal à lui, la courbe que décrira chacun des points de sa circonférence s'appelle épicycloïde.

Par exemple, si une roue de carosse rouloit sur la circonférence d'une autre roue, la courbe que décriroit un des clous de cette roue seroit une épicycloïde.

Si le mouvement progressif du cercle roulant est plus grand que son mouvement circulaire, l'épicycloïde est nommée allongée, & accourcie s'il est plus petit.

Si le cercle générateur se meut sur la convexité de la circonférence, l'épicycloïde est nommée supérieure & extérieure ; & s'il se meut sur sa concavité, on la nomme épicycloïde inférieure ou intérieure ; on appelle base de l'épicycloïde la partie de cercle sur laquelle se meut le cercle générateur, tandis qu'il fait un tour entier. Ainsi dans les Planches de Géométrie, fig. 58. D B est la base de l'épicycloïde, V son sommet, V B son axe, D P V la moitié de l'épicycloïde extérieure produite par la révolution du demi-cercle V L B, qu'on appelle cercle générateur, sur le côté convexe de la base D B.

On trouvera dans les Transact. philosoph. n. 18 & dans les infiniment petits de M. de l'Hopital, les démonstrations des principales propriétés de l'épicycloïde, sur-tout ce qui concerne les tangentes de ces courbes, leurs rectifications & leurs quadratures. M. Nicole a aussi donné sur la rectification des épicycloïdes allongées & accourcies un excellent mémoire dans le vol. de l'académie de 1708.

Le volume de 1732 de la même académie renferme plusieurs écrits de MM. Bernoulli, de Maupertuis, Nicole, & Clairaut, sur une autre espece d'épicycloïdes appellées épicycloïdes sphériques. Ces épicycloïdes sont encore engendrées par le point de la circonférence d'un cercle qui roule sur un autre cercle ; mais avec cette différence que dans les épicycloïdes ordinaires le cercle roulant est dans le même plan que le cercle sur lequel il roule ; au lieu que dans celle-ci le plan du cercle roulant fait un angle constant avec le plan de l'autre cercle. Les épicycloïdes sphériques ont plusieurs belles propriétés que l'on peut voir dans les mémoires dont nous venons de parler, & dont le détail seroit au-dessus de la portée du plus grand nombre de nos lecteurs.

Nous nous contenterons de donner ici en peu de mots une théorie des épicycloïdes simples ou ordinaires. Cette théorie contiendra le germe de tous les problèmes qu'on peut se proposer sur les épicycloïdes, & facilitera le moyen d'étendre ces problèmes à des épicycloïdes plus composées.

Je suppose d'abord que 1 soit le rayon du cercle roulant ou générateur, & que l'épicycloïde soit extérieure. Soit x l'arc qui a roulé, r le rayon de l'autre cercle, il est évident qu'en prenant dans ce second cercle un arc = x, & tirant ensuite la corde de l'arc x dans le cercle générateur, on aura un des points de l'épicycloïde. Or les angles formés par deux arcs égaux dans différens cercles, sont entr'eux en raison inverse des rayons de ces cercles. Voyez ANGLE, DEGRE, MESURE, &c. Donc il ne s'agit que de diviser un angle en raison de r à 1, pour avoir un point de l'épicycloïde.

Donc si r est à 1 en raison de nombre à nombre, l'épicycloïde sera une courbe géométrique, puisqu'on peut toûjours diviser un angle géométriquement en raison de nombre à nombre. V. TRISECTION, &c.

Considérons à présent les deux cercles comme deux polygones réguliers d'une infinité de côtés chacun, mais dont les côtés soient égaux, en sorte que ces polygones ne soient point semblables : il est visible, 1°. que l'angle de contingence du cercle générateur sera d x ; que l'angle de contingence de l'autre sera (d x)/r (voyez POLYGONE & COURBE) : 2°. que pendant le roulement où l'application d'un côté infiniment petit du cercle générateur sur le coté correspondant de l'autre, une des extrémités de la corde de l'arc x pourra être regardée comme fixe, & que l'autre décrira un arc de cercle qui sera le petit côté de l'épicycloïde : 3°. que la tangente de l'épicycloïde (voyez TANGENTE) sera par conséquent perpendiculaire à la corde de l'arc x dans le cercle générateur : 4°. que le petit côté de l'épicycloïde sera (d x + (d x)/r)) x cord. x = d x X 2 sin. x /2 x ((r + 1)/ r) ; donc l'arc total de l'épicycloïde sera ((2 r + 2)/ r) x 2 x (1 - cos. x /2) voyez SINUS : 5°. que l'élément de l'aire de l'épicycloïde sera égal au petit triangle scalene, dont d x est la base & cord. x un des côtés, plus au triangle isoscele qui a cord. x pour côté, & pour base d x ((1 + r)/r) 2 sin. x /2. Cela se voit à l'oeil par la seule inspection d'une figure. Or le premier de ces élémens est l'élément du cercle, & le second est dx ((1 + r)/r) 2 sin. x /2 x 1/2 cord. x = d x ((2 + 2 r)/r) (sin. x /2)2 = d x ((2 + 2 r)/ r) x (- 1/2 cos. x + 1/2). Voyez SINUS. Donc l'aire de l'épicycloïde est égale à l'aire du cercle, plus à l'intégrale de la quantité précédente ; intégrale aisée à trouver ; voyez SINUS, INTEGRAL, & le traité de M. de Bougainville le jeune. 6°. L'angle que font ensemble deux côtés consécutifs de l'épicycloïde, se trouvera aisément, & toûjours par la seule inspection d'une figure fort simple ; car cet angle est égal, 1°. à (d x) /2 ; 2°. à deux angles à la base d'un triangle isoscele, dont l'angle du sommet est d x + (d x)/r ; c'est-à-dire 180 - d x - (d x)/r : donc l'angle de contingence est (d x) /2 + (d x)/r. Or le rayon osculateur est égal au côté de la courbe divisé par l'angle de contingence. Voyez OSCULATEUR & DEVELOPPEE. Donc le rayon osculateur est égal à 2 ((1 + r) cord. x)/(2 + r).

Si on fait r négative dans les calculs précédens, on aura les propriétés de l'épicycloïde intérieure.

Si dans les mêmes calculs on fait r = à l'infini, on aura les propriétés de la cycloïde ordinaire.

On peut encore considérer d'une autre maniere toutes les épicycloïdes ordinaires, allongées, accourcies, sphériques, &c. Au lieu de faire rouler le cercle générateur, il n'y a qu'à supposer que le centre de ce cercle décrive une ligne quelconque, & qu'en même tems un point mobile se meuve sur la circonférence de ce cercle. Par le principe de la composition des mouvemens, on aura facilement les élémens de l'épicycloïde ; l'épicycloïde sera simple ou ordinaire, c'est-à-dire ni allongée ni accourcie, si l'arc décrit par le centre, pendant que le point mobile décrit la circonférence, est à cette circonférence comme r + 1 est à r. Voyez ROUE D'ARISTOTE.

Nous n'en dirons pas davantage sur cet article. Il nous suffit d'avoir mis ici en quelques lignes tout le traité des épicycloïdes, d'une maniere assez nouvelle à plusieurs égards, & fourni aux commençans, & peut-être à des géometres plus avancés, une occasion de s'exercer.

Sur l'usage des épicycloïdes en Méchanique, voyez DENT.

M. de Maupertuis, dans les mémoires de l'acad. de 1727, a examiné les figures rectilignes formées par le roulement d'un polygone régulier sur une ligne droite, & il en a déduit d'une maniere élégante les dimensions de la cycloïde. Pour généraliser sa théorie, supposons que le roulement du polygone se fasse à l'extérieur sur un autre polygone régulier, dont les côtés soient égaux à ceux du polygone roulant, il est aisé de voir par tout ce qui a été dit ci-dessus, 1°. que la figure rectiligne formée ainsi sera égale à l'aire du polygone roulant, plus à un triangle isoscele qui auroit 1 pour côté, & pour angle au sommet la somme des angles extérieurs des deux polygones, ce triangle étant multiplié par la moitié de la somme des quarrés des cordes du polygone roulant : or on a dans le liv. X. des sections coniques de M. de l'Hôpital, une méthode fort simple pour trouver la somme de ces quarrés. 2°. Le contour de la figure sera égal à la corde de la somme des angles extérieurs multipliée par la somme des cordes du polygone roulant : or on a dans le même ouvrage & au même endroit la méthode de trouver la somme des cordes d'un polygone. 3°. L'angle extérieur formé par deux côtés rectilignes consécutifs de l'épicycloïde, est égal à la moitié de l'angle au centre du polygone roulant, plus à l'angle extérieur de l'autre polygone.

Enfin il est visible que cette méthode peut s'étendre très-aisément à la recherche des propriétés de toute épicycloïde formée par le roulement d'une courbe quelconque sur une autre quelconque. (O)


EPIDAURIEadj. pris subst. fête que les habitans d'Epidaure célébrerent en l'honneur d'Esculape, & que les Athéniens instituerent aussi parmi eux.


EPIDELIUS(Myth.) surnom d'Apollon. Ménophanès, qui commandoit la flotte de Mithridate, prit Délos, pilla le temple d'Apollon, & jetta la statue du dieu dans la mer ; mais les eaux la soûtinrent miraculeusement, & la porterent sur les côtes de la Laconie, aux environs du promontoire de Mala, où les Lacédémoniens éleverent un temple à Apollon Epidélius, c'est-à-dire Apollon venu de Délos. La statue merveilleuse fut placée dans ce temple, & le sacrilége de l'impie Ménophanès fut puni par une mort promte & douloureuse. Quoiqu'il n'y ait guere de faits merveilleux accompagnés d'un plus grand nombre de circonstances difficiles à rejetter en doute ; que le miracle dont il s'agit ait un caractere d'autenticité qui n'est pas commun, & qu'il soit confirmé par le témoignage & le monument de tout un peuple, il ne faut pas le croire : il n'est pas nécessaire d'en exposer les raisons ; il suffit, pour le rejetter, de savoir que le vrai Dieu eût engagé les hommes dans l'idolatrie, s'il eût permis de pareils prodiges. Il y a des cas où il faut juger de la vérité des faits par les conséquences, & d'autres où il faut juger des conséquences par la vérité des faits.


EPIDEMIES. f. (Medecine) maladie épidémique, c'est-à-dire, qui affecte presque en même tems & dans un même lieu un grand nombre de personnes de quelque sexe, âge & qualité qu'elles soient, avec les mêmes symptomes essentiels, dont la cause réside le plus souvent dans les choses desquelles on ne peut pas éviter de faire usage pour les besoins de la vie, & dont le traitement est dirigé par une même méthode. Le mot grec επιδημία, épidémie, est formé d'επι, dans ou parmi, & δημία, peuple ; il est par conséquent employé pour signifier quelque chose qui est dans ou parmi le peuple, commun au peuple. L'usage en a fixé le sens, lorsqu'on l'employe seul, pour énoncer une maladie populaire, que quelques auteurs, comme Boerhaave, nomment quelquefois maladie universelle, morbus epidemicus, popularis, universalis.

Les maladies épidémiques forment un genre particulier parmi les différences accidentelles des maladies en général, à l'égard du lieu où elles régnent. Les épidémies ne sont pas plus familieres dans un pays que dans un autre ; en quoi elles different des endémies, qui sont des maladies d'un même caractere, qui affectent particulierement & presque sans discontinuité les habitans d'une contrée. Voyez ENDEMIQUE. Les maladies épidémiques sont aussi distinguées des sporadiques, parce que celles-ci sont absolument particulieres aux personnes qu'elles attaquent, & dépendent d'une cause qui leur est propre. Voyez SPORADIQUE.

Les maladies épidémiques ne s'établissent que dans certains tems & dans certains lieux. Elles ne sont pas d'un seul & même genre ; elles différent au contraire beaucoup, selon la différence des saisons qui ont précédé & qui subsistent, selon la différente nature des habitans d'un pays. Quelquefois elles affectent tout le corps, comme les fievres ; d'autrefois elles ne portent que sur certaines parties, comme sont les douleurs, les fluxions catarrheuses : tantôt elles sont bénignes, & font leur cours sans causer beaucoup de désordres dans l'économie animale ; tantôt elles sont contagieuses & accompagnées de symptomes très-violens, & elles font périr beaucoup de monde. Il meurt plus de gens, & dans la vigueur de l'âge même, par l'effet des maladies épidémiques, que par toute autre sorte de maladie. Elles changent presque chaque année de caractère & de nature, dans les cas même où elles paroissent avoir les mêmes symptomes : il n'appartient qu'à un medecin très-attentif & grand observateur, de distinguer ce qu'il y a d'essentiellement différent dans ces apparences ; souvent même les plus habiles s'y trompent.

Les différentes causes des épidémies, qui sont dans l'air, dépendent quelquefois du vice de ses qualités sensibles & manifestes, telles que la chaleur, le froid, l'humidité, la sécheresse, &c. D'autres fois l'air, en pénétrant le corps humain par les différentes voies ordinaires, dont on ne peut pas lui fermer l'accès, y porte avec lui & applique à diverses parties certains miasmes d'une nature inconnue, qui produisent cependant les mêmes effets dans toutes les personnes affectées, comme on le voit dans la peste, dans la petite vérole. La différente situation des lieux, le différent aspect, l'exposition à certains vents, les exhalaisons des marais ; les grandes inondations, qui rendent les terreins marécageux, suivies d'un tems chaud, ou d'un vent de midi, qui hâte la putréfaction des eaux croupissantes, d'où il s'éleve continuellement dans l'air des matieres fétides, vermineuses ou acrimonieuses, qui infectent cet élément dans lequel nous vivons, & les différentes substances qui servent à nôtre nourriture, contribuent beaucoup aussi à établir les différentes especes d'épidémies.

Les alimens, comme causes communes, sont souvent aussi, par leur nature, la cause des maladies populaires. C'est ce qu'on observe dans les villes assiégées, où les riches comme les pauvres manquant de tout pour se nourrir, sont contraints à manger des choses peu propres à cet usage & de très-mauvaise qualité ; & se trouvant ainsi pressés par la même nécessité, & reduits à la même misere, ils éprouvent les mêmes effets, ils sont affligés des mêmes maladies. On a vû la peste faire des ravages terribles dans une place de guerre assiégée, dénuée de secours, investie par une armée abondamment pourvûe de vivres, qui étoit entiérement exemte de cette maladie.

Il résulte de ce qui vient d'être dit des causes des épidémies, qu'elles ne se communiquent pas aussi communément qu'on le pense, d'une personne affectée à une autre qui ne l'est pas : il n'est pas nécessaire de recourir à la contagion pour rendre raison de cette communication ; il est rare qu'elle se fasse par cette cause ; il est plus naturel de l'attribuer à la cause commune qui a affecté le premier, & qui continue à produire ses effets dans les sujets qui se trouvent disposés à en recevoir les impressions.

Pour s'en préserver, on doit soigneusement éviter tout ce qui peut contribuer à arrêter l'insensible transpiration, & pour cela ne pas sur-tout s'exposer à l'air froid du matin ou du soir, ne se livrer à aucun exercice violent, ne vivre que d'alimens de facile digestion, & user des choses propres à fortifier, à entretenir la fluidité des humeurs, favoriser les secrétions & excrétions.

A l'égard des pays en général, on peut tenter quelquefois avec succès d'empêcher qu'ils ne soient infectés des maladies épidémiques, ou de les en délivrer, en purifiant l'air par le moyen des feux allumés fréquemment, dans les lieux habités, avec des bois résineux, dont on forme des bûchers nombreux à certaines distances les uns des autres. Hippocrate ne balance pas à proposer d'après l'expérience qu'il en avoit faite, l'effet de ces feux comme un préservatif contre la peste, & même comme un moyen de corriger l'infection de l'air qui la cause. On a remarqué, selon Hoffman, que les lieux, les villes sur-tout, où l'on brûle du charbon de pierre plus qu'on ne faisoit autrefois, sont moins sujets aux maladies épidémiques, & plus sains, généralement parlant, qu'ils n'étoient avant cet usage ; la fumée de ces matieres fossiles ayant la propriété de changer les qualités des mauvaises exhalaisons qui pouvoient produire des maladies de toute espece. Il est encore un autre moyen très-propre à prévenir les infections de l'air, & à en arrêter les effets, lorsqu'elles ont lieu ; c'est de dessécher les marais ; de donner un cours aux eaux croupissantes ; d'empêcher qu'il ne s'en ramasse de nouvelles ; de tenir les égoûts, les fossés des villes, des campagnes, bien nettoyés & bien libres.

On doit beaucoup espérer, pendant les maladies épidémiques, ou lorsqu'on craint qu'elles ne s'établissent, du bon effet des vents du septentrion & du levant, comme étant très-propres à purifier l'air, ou à empêcher qu'il ne s'y mêle des exhalaisons qui pourroient le corrompre. Ils ont aussi la propriété de rendre le corps humain moins susceptible des mauvaises impressions qu'elles peuvent faire, en lui donnant de la vigueur par l'augmentation du ressort de ses fibres, & en conservant par ce moyen l'exercice libre de toutes les fonctions. Les pluies sont aussi très-salutaires dans le tems d'épidémie causée par l'infection de l'air ; elles entraînent & précipitent avec elles toutes les matieres hétérogenes qui formoient la corruption de cet élément.

Lorsqu'il survient une maladie épidémique, dont le caractere n'est pas bien connu, ce qui arrive souvent ; les medecins doivent, selon le conseil de Boerhaave, s'appliquer à en bien observer tous les symptomes dans le tems des équinoxes, où elles sont ordinairement le plus en vigueur. Pour en découvrir la cause, par comparaison avec l'espece de maladie connue à laquelle l'épidémique ressemble le plus, ils doivent éviter d'employer des remedes qui soient propres à produire de grands changemens dans l'économie animale, dans la crainte qu'ils ne déguisent le caractère de la maladie, & qu'ils n'empêchent d'observer les phénomenes que la nature du mal peut produire constamment dans les différens tems qui précedent le rétablissement de la santé ou de la mort, qui annoncent un meilleur ou un plus mauvais état. Ils doivent observer avec une grande attention ce que la nature fait ou tente de faire dans le cours de la maladie, ensuite des différentes choses que les malades prennent, soit alimens, soit remedes, ce qui fait de bons ou de mauvais effets, les évacuations qui sont salutaires ou nuisibles. Ils doivent enfin comparer ce qui se passe dans les maladies de la même espece de plusieurs personnes affectées en même tems, en ayant égard à la différence de sexe, d'âge, & de tempérament.

C'est de ces recherches faites avec soin, qu'on peut tirer les indications convenables pour déterminer la méthode que l'on doit suivre dans le traitement des maladies épidémiques. Si l'on avoit un recueil d'observations exactes sur toutes celles qui ont paru jusqu'à présent, on seroit peut-être assez instruit de leur differente nature & des remedes qui ont été employés avec succès dans chaque espece, pour pouvoir par analogie appliquer une curation presque sûre à chacune de celles qui paroîtroient dans la suite ; car il est très-vraisemblable qu'il ne s'en établit pas toûjours qui soient absolument nouvelles par rapport au passé ; leur variété est peut-être épuisée. Il est donc très-important pour le genre humain qu'on travaille à suppléer à ce qui manque à cet égard. On ne sauroit assez exhorter tous les Medecins, qui ont à coeur l'avancement de leur art, à faire l'histoire de toutes les maladies épidémiques qu'ils ont occasion de traiter ; à les décrire avec exactitude & sincérité ; à en bien observer toutes les circonstances ; à ne pas négliger de faire mention des lieux, des climats où ils pratiquent, des accidens qui ont pû faire naître l'épidémie, de la saison où elle régne, de la constitution de l'air, & de ses variétés déterminées par l'inspection du barometre, du thermometre, & de l'hygrometre, autant que faire se peut, & en un mot de prendre pour modeles, dans ces sortes d'observations, celles du plus ancien & du plus grand medecin connu, du sage Hippocrate, qui a le premier senti la nécessité de les faire, & qui nous a laissé sur ce sujet des écrits immortels ; celles de l'Hippocrate moderne, Sydenham, qui est presque le seul, dans un si long espace de tems, qui ait marché à cet égard sur les traces du pere de la Medecine, & qui a donné un exemple, que l'on doit se faire un devoir de suivre dans tous les siecles ; celles de la société d'Edimbourg, &c. Voyez l'article AIR, & ce qui est dit de cet élement comme cause des maladies épidémiques. (d)

* EPIDEMIES, adj. pris subst. fêtes instituées dans Argos en l'honneur de Junon, & dans les villes de Milet & de Délos, en l'honneur d'Apollon. Les épidémies étoient comme les fêtes de la présence du dieu. Les payens croyoient que leurs divinités, sensibles aux cérémonies de l'évocation, se transportoient au milieu d'eux ; & ils les honoroient par des fêtes & des sacrifices.


EPIDERMES. m. & par quelques-uns f. (Anat.) Cette pellicule fine, transparente, & insensible, qui recouvre extérieurement toute la peau à laquelle elle est étroitement attachée, s'appelle épiderme, surpeau, cuticule (voyez CUTICULE) ; & pour en complete r l'article, joignez-y du moins les observations suivantes, dans lesquelles on examine la structure de cette toile merveilleuse, qui enveloppe tout le corps humain, excepté les endroits occupés par les ongles.

Il faut remarquer dans l'épiderme, 1°. son union étroite avec la peau, dont on le sépare néanmoins dans les cadavres par le moyen de l'eau bouillante. Le feu, la brûlure, les vésicatoires, levent l'épiderme en maniere de vessies dans les sujets vivans. Quoiqu'il adhere fortement aux mamelons cutanés, & plus encore au corps réticulaire, dont il paroît être une portion, on peut cependant l'en séparer avec de l'eau chaude, ou, ce qui est mieux & qui l'altere moins, en le faisant tremper pendant quelque tems dans de l'eau froide. La séparation par le scalpel n'est pas impossible, mais elle ne découvre rien de sa structure.

2°. Sa régénération. Elle est évidente, promte, & même surprenante, sans aucune marque de cicatrice, lorsque l'épiderme a été détaché par quelque cause externe ou interne. Il se régénere au palais de la bouche, après en avoir été enlevé par les alimens trop chauds ; il se régénere aussi par-tout ailleurs, même sous les emplâtres qu'on y applique ; enfin il se répare autant de fois qu'il a été détruit.

3°. Son origine ou sa formation. Elle est encore inconnue. Il ne faut pas s'imaginer, avec les anciens, que cette membrane soit produite par la condensation des vapeurs de la transpiration ; il ne faut pas non plus croire avec Morgagny, que l'action de l'air desséchant la surface de la peau, fasse naître l'épiderme, car il se trouve formé dans le foetus avant qu'il ait vû le jour. Il vaudroit donc mieux attribuer, avec Leuwenhoek, l'origine de l'épiderme à l'expansion des conduits excrétoires de la peau ; ou avec Ruysch, à l'expansion des houpes nerveuses du même organe qui forment plusieurs petites lames en s'unissant ; ou avec Heister, à l'expansion des tuyaux excrétoires, & des papilles nerveuses réunies ; ou enfin avec M. Winslow, à une matiere qui suinte des mamelons.

4°. La substance. Elle paroît uniforme du côté de la peau, & composée au-dehors de plusieurs petites lames écailleuses d'une grande finesse, & très-étroitement unies, mais par-tout sans apparence de tissu fibreux ou vasculeux, excepté de petits filamens qui l'attachent aux mamelons. Cette substance est serrée, quoique susceptible de quelque gonflement ou épaississement, comme la simple macération dans l'eau commune, & les cloches ou ampoules qui s'élévent sur la peau par des vésicatoires, par la brûlure ou autrement, le font assez voir ; de sorte qu'à cet égard l'épiderme paroît être une espece de tissu spongieux ; il prête considérablement dans les enflures, mais il n'y résiste pas toûjours.

Les attouchemens durs & réitérés détachent l'épiderme plus ou moins imperceptiblement, & aussi-tôt il renaît une nouvelle couche qui soûleve la premiere, & à laquelle en pareil cas il arrive un pareil détachement par la naissance d'une troisieme couche nouvelle.

C'est à-peu-près de cette maniere que se forment les callosités aux piés, aux mains & aux genoux, & qu'arrive la pluralité des lames ou couches que quelques anatomistes ont prises pour être naturelles.

En effet, les callosités ne sont autre chose que des couches de plusieurs épidermes ; mais pour que ces callosités se forment, il ne faut pas que l'épiderme se sépare entierement, car alors la matiere de la transpiration ou de la sueur s'éleveroit en vésicules : c'est ce qui arrive dans les brûlures. Voyez CALLOSITE, BRULURE.

5°. Ses trous ou pores. Ils donnent passage aux poils, aux liqueurs du dehors en-dedans ; à celles du dedans en dehors, telles que sont les exhalaisons de la transpiration & de la sueur. Cependant les petits trous ou pores par où s'échappe la sueur, étant bien examinés, il semble que l'épiderme s'y insinue pour achever les tuyaux excrétoires des glandes cutanées. Les niches ou fossettes des poils sont garnies des allongemens de l'épiderme, & les poils mêmes en paroissent recevoir une espece d'écorce : les canaux presqu'imperceptibles des pores cutanés en sont encore intérieurement revêtus. En effet, au moyen d'une longue macération de la peau, on en peut détacher avec l'épiderme tous ces allongemens, de façon qu'ils entraînent les poils, leurs racines, & même les glandes axillaires.

On pourroit expliquer par cette remarque, comment les cloches ou empoules qui s'élevent sur la peau, restent gonflées pendant un tems considérable, sans laisser la sérosité extravasée échapper par les trous, qui doivent être aggrandis par la distraction & l'extension de l'épiderme soûlevé. Lorsqu'il se détache ainsi du corps de la peau, il arrache quelquefois des portions de ces petits tuyaux cutanés, qui se plissent & bouchent les pores de l'épiderme soûlevé, à-peu-près comme les tuyaux des ballons à joüer. Ne seroit-ce point ces petites portions de l'épiderme détaché, que quelques anatomistes ont prises pour des valvules des tuyaux cutanés ?

6°. Son épaisseur différente en diverses parties du corps. L'épiderme est fort épais dans le creux des mains & aux plantes des piés, ou plûtôt il y a dans ces endroits plusieurs couches d'épidermes les unes sur les autres ; par-tout ailleurs l'épiderme n'est qu'un tissu fort fin. Remarquons ici que quand quelque portion de cette toile se détache de la peau, cette portion devient alors plus épaisse, comme on le voit dans la cuticule des vessies, & dans celle qui se sépare des bords des ulceres ou des plaies.

7°. Ses sillons plus ou moins considérables en différentes parties du corps. On les remarque sur-tout à la paume des mains & au bout des doigts, où ils se manifestent en lignes spirales. Ils défendent peut-être les vaisseaux excrétoires qui sont dans leurs cavités. Quoi qu'il en soit, comme l'épiderme est intimement appliqué à la superficie de la peau, il n'est pas étonnant qu'il en prenne la forme, & qu'il soit marqué comme elle des mêmes plis, des mêmes rides, des mêmes sillons & des mêmes losanges.

8°. Son insensibilité. On n'y apperçoit point non plus de vaisseaux, & Ruysch n'a jamais pû en découvrir par ses injections les plus subtiles : de-là vient qu'il ne coule point de sang quand l'épiderme est blessé. Cependant il est naturellement si souple, qu'il permet aux corps tangibles de communiquer suffisamment leur impression aux houpes nerveuses situées au-dessous.

9°. Son incorruptibilité, si je puis parler ainsi : du moins l'épiderme est la partie de tout le corps la moins exposée à la corruption, & la moins sujette à être rongée. Dans les abcès le pus n'a guere d'autre action sur l'épiderme, que de le séparer de la peau, & de le déchirer ; mais il ne le dissout pas. Dans la gangrene & le sphacele l'épiderme se conserve entier, tandis que toutes les parties qu'il recouvre tombent en pourriture. Il ne permet pas même à la pierre infernale de le pénétrer, & de détruire les parties qu'il couvre, sans avoir été divisé le premier. Ces effets viennent-ils de ce qu'il n'a point de vaisseaux qui lui soient propres, & de ce qu'il ne reçoit point la liqueur ?

10°. Sa couleur. L'épiderme est généralement blanc, du moins les recherches exactes ont fait voir qu'il change peu chez les divers peuples, & qu'il conserve presque dans tous sa couleur blanche. Je dis qu'il conserve presque dans tous sa couleur blanche, parce qu'on a observé que dans les Negres il n'est point aussi blanc que dans les peuples de nos climats ; mais il est d'une couleur de corne brûlée, c'est-à-dire jaunâtre. Ainsi la couleur de l'épiderme ne détermine point absolument celle de la peau, mais plûtôt celle du corps muqueux situé au-dessous. Cela n'empêche pas que l'épiderme qui recouvre immédiatement le corps réticulaire, ne rende le teint plus ou moins délicat, selon qu'il est plus ou moins épais.

11°. Son usage : le voici. L'épiderme sert à maintenir les pinceaux ou filamens nerveux des mamelons dans une situation égale, à les empêcher de flotter confusément, & à modifier l'impression des objets, qui auroient été douloureux, si cette impression s'étoit faite immédiatement sur les papilles nerveuses de la peau.

D'un autre côté, le tact particulier, aussi-bien que le toucher en général, est plus ou moins exquis, selon la finesse ou l'épaisseur de l'épiderme, dont la callosité affoiblit, & même fait perdre l'un & l'autre.

Un autre usage de l'épiderme, est de régler les évacuations cutanées ; je veux dire celles de la sueur, & de la transpiration insensible qui est la plus considérable. Il sert vraisemblablement à retrécir les vaisseaux cutanés, parce qu'il en forme les extrémités. En effet, nous remarquons que toutes les fois qu'il est enlevé, ces vaisseaux laissent échapper les liqueurs qu'ils contiennent, en plus grande abondance que de coûtume.

Enfin, comme l'épiderme rend la surface de la peau égale & polie, il contribue extrèmement à la beauté de cette partie ; car plus la cuticule est mince & diaphane, plus le teint est brillant & délicat.

Au surplus l'épiderme mérite fort l'examen & les recherches des Physiologistes ; car outre que sa structure n'est pas à beaucoup près bien connue, il a des propriétés singulieres, qu'aucun auteur ne s'est donné la peine d'approfondir jusqu'à ce jour.

Je finis cet article par une remarque utile aux Accoucheurs. Comme les enfans naissent rarement sans épiderme, comme cette toile ne doit point son origine à la condensation de l'air, j'avoue que lorsqu'elle se détache du corps des enfans avant leur naissance, dans les parties par lesquelles ils se présentent, on a lieu de craindre pour leurs jours, & de soupçonner qu'ils soient déjà morts dans l'utérus ; cependant il ne faut pas regarder le détachement de l'épiderme pour un signe certain de la mort de l'enfant, l'expérience a souvent justifié la fausseté d'un pareil jugement, & l'erreur de ceux qui l'avoient prononcé : on en trouvera la preuve dans les observateurs. M. Saviard, qui en particulier a eu tant d'occasions de s'éclairer sur ce sujet, en sa qualité de chirurgien-accoucheur de l'Hôtel-Dieu de Paris, nous assûre qu'il a vû plusieurs enfans dont l'épiderme s'enlevoit avant leur naissance ; lesquels enfans sont toutefois venus au monde bien-vivans, & ont vécu depuis aussi long-tems que son âge lui a permis d'en être le témoin. Les signes de la virginité des filles, de la grossesse des meres, de leur accouchement prochain, de la vie ou de la mort des enfans qu'elles portent, sont quatre points qui demandent l'époché des Grecs, ou le non-liquet des Latins. C'est-là le doute raisonnable qui distingue le physicien éclairé, modeste, & par conséquent toûjours retenu dans ses décisions, du dogmatique ignorant, hardi, & présomptueux. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPIDIDYMES. m. en Anatomie, nom de deux corps variqueux situés sur la partie supérieure des testicules, dont ils semblent proprement être une partie, quoique différens du reste en forme & en consistance. Voyez TESTICULE.

Ce mot est formé du grec , sur, & de , jumeau, testicule.

Les épididymes, de même que les testicules, sont composés de la circonvolution des tuyaux séminaires mêlés avec les vaisseaux sanguins ; ils différent seulement en ce que dans les épididymes les tuyaux séminaires sont réunis en un seul, dont les différentes circonvolutions sont plus fermement liées ensemble par une forte membrane de la tunique albuginée ; ce qui les rend plus compacts au toucher que les testicules. Voyez SEMENCE, SPERMATIQUE, &c.

Les épididymes & les testicules sont renfermés dans trois membranes qui leur sont propres. La premiere vient du muscle cremaster, la seconde est appellée la virginale, & la troisieme l'albuginée. Voyez chacune de ces membranes sous leur article particulier. Chambers. (L)


EPIDOTESadject. pris subst. (Mythol.) Ce terme est fait d', j'augmente : c'est ainsi qu'on appelloit les dieux qui présidoient à l'accroissement des enfans.


EPIEadj. (Venerie) Il se dit d'un chien qui a du poil au milieu du front, plus grand que l'autre, & dont les pointes se rencontrent & viennent à l'opposite : c'est une marque de vigueur & de force.


EPIERS. m. (Jurisprud.) est un droit domanial qui ne se leve sous ce nom que dans la seule province de Flandres. Guypers, Burgunduc, & plusieurs autres jurisconsultes flamands, prétendent que le mot épier qu'ils rendent en latin par le terme spicarium, vient de spica, épi. En effet, cette explication développe très-bien la nature de cette redevance, qui consiste presque toûjours en blé, en avoine dure & molle ; quelquefois aussi en chapons, poules, oies ; en oeufs, beurre ou fromage. Le tout se paye aujourd'hui en argent, suivant les évaluations du prix actuel de ces denrées.

Quant à l'origine de ce droit, elle nous paroît se rapporter à celle que les auteurs françois attribuent communément aux droits seigneuriaux. Sans être parfaitement instruits de la véritable forme du gouvernement des Pays-Bas dans les tems qui ont précédé le comte Baudoin gendre de Charles le Chauve, nous savons assez que ces provinces étoient autrefois peu habitables, par la nature du terrein marécageux, sauvage, couvert de vastes forêts ; & de-là le nom de forestiers, dont plusieurs historiens ont gratifié sans preuve les premiers souverains de la Flandres.

La face actuelle de ces mêmes provinces, où les terres sont aujourd'hui cultivées avec le plus grand succès, où les villes multipliées à l'infini, sont peuplées de citoyens qui ne respirent que le travail ; ce coup-d'oeil, disons-nous, ne permet pas de douter que les premiers princes qui les ont gouvernées, n'ayent donné toute leur attention à l'agriculture. Mais pour animer & fortifier le zele de leurs vassaux & sujets, il a fallu leur accorder la propriété des terres qu'ils défricheroient, en se réservant seulement une legere reconnoissance pour marque de la souveraineté.

Des mémoires particuliers assûrent que Charlemagne avoit chargé les terres de Flandres de la redevance de l'épier, par un édit donné en l'an 709, dont on prétend que l'original se trouve dans les archives de l'abbaye de S. Winocq à Bergues.

Quoi qu'il en soit, il paroît que cette redevance ayant été imposée sur toutes les terres du pays, différens chefs de famille, curieux d'en affranchir la plus grande partie de leurs biens, avoient assigné & hypothéqué sur la moindre portion la reconnoissance de l'épier. Les tems ont amené successivement de nouveaux propriétaires. Ceux-ci en ont formé d'autres, & par eux-mêmes, & par les alliances. Les biens des différentes maisons se sont mêlés ; une nouvelle succession les a rendus à d'autres, & les a subdivisés. Tous ces changemens ont servi à confondre l'héritage du premier mort ; en sorte que les receveurs de l'épier s'étant uniquement attachés à l'assignation spéciale, perdirent de vûe l'hypothéque générale. Ces moindres parties hypothéquées spécialement, ayant été dans la suite surchargées de nouvelles tailles & impositions, les propriétaires voyant que le revenu ne suffisoit pas pour acquiter ces charges, voulurent les abandonner, sans faire attention qu'elles payoient un impôt assigné originairement sur la totalité éclipsée.

La difficulté de retrouver les terres qui avoient fait partie de cette totalité, ainsi que les possesseurs ou détempteurs, ne causoit pas un médiocre embarras ; elle donnoit lieu à une infinité de procès également onéreux au souverain & aux particuliers.

Ce fut pour y mettre fin que les archiducs Albert & Isabelle rendirent le placard du 13. Juillet 1602, par lequel ils ordonnerent aux receveurs de faire de nouveaux registres, & aux redevables de fournir le dénombrement des reconnoissances par eux dûes ; leur permettant d'hypothéquer spécialement telles parties de terres qu'ils jugeroient à-propos, & généralement leurs personnes ou leurs autres biens. Voy. l'article 6. de ce placard.

Et par les articles 59, 60, 61, 62 & autres, il est dit que les rentes de l'épier de Flandre seront payables solidairement par l'hoffman, où il y a hofmanie ; & où il n'y en a pas, par le chef de la communauté, ou par les plus grands tenanciers, sauf leur recours contre leurs co-détempteurs. On voit par-là que l'hypothéque générale a été rétablie sur toutes les terres, sans que le souverain ait même voulu s'astreindre à faire la discussion de la spéciale.

Il s'est encore assez récemment élevé des contestations à ce sujet ; mais les particuliers qui les ont formées ont été condamnés par différentes sentences du bureau des finances de Lille, & entr'autres par celles des 6 Août 1722, 12 Août 1723, & 2 Décembre 1724. M. Meliand intendant de la province, a rendu ses ordonnances des 8 Avril & 25 Octobre 1726, sur les mêmes principes ; & M. de la Grandville son successeur les a suivies dans une ordonnance du 3 Novembre 1732, par laquelle ce magistrat enjoint aux hofmans de la châtellenie de Bergues de rapporter entre les mains du receveur de l'épier, les rôles des terres & des noms des tenanciers ; & aux greffiers de donner une déclaration des terres chargées de cette redevance. Voyez HOFFMAN.

M. de Ghewiet auteur des institutions au droit belgique, imprimées à Lille en 1736, partie II. titre ij. §. 3. atteste que les redevances de l'épier se levent à Gand, Bruges, Ypres, Dixmude, Ruremonde, Courtray, Alost, Harlebeck, Furnes, Bergues-Saint-Winocq, Mont-Cassel, & Geertrudenbergh. Une partie de ces rentes a été engagée ou aliénée en vertu des édits qui ont ordonné l'aliénation des rentes albergues. Voyez RENTES ALBERGUES. Il y a des receveurs de l'épier, dont les offices sont érigés en fiefs relevans directement du souverain ; il y en a d'autres établis par commission. Article de M. DE LA MOTTE-CONFLANS, avocat au parlement.


EPIERRERverb. act. (Jardinage) C'est, après avoir effondré un terrein, passer les terres à la grosse claie pour en ôter les pierres, & ensuite les passer au rateau fin. (K)


EPIEUS. m. (Chasse) arme faite d'un long morceau de bois garni à l'une de ses extrémités d'un fer large & pointu : le bois s'appelloit la hampe. On s'en servoit beaucoup dans les tems où l'on se piquoit de faire la chasse aux animaux les plus dangereux & les plus féroces.


EPIGAMIES. f. (Littérature) , droit réciproque que des personnes de différente nation avoient de se marier ensemble ; c'étoit une sorte de convention que l'on inséroit chez les Grecs dans le traité d'alliance. Xénophon en parle dans la cyropédie. (D.J.)


EPIGASTRES. m. , en Anatomie, la partie moyenne de la région épigastrique. Voyez EPIGASTRIQUE.

Ce mot est formé de , sur, & de , ventre. (L)


EPIGASTRIQUE(Anat.) région épigastrique ; nom qu'on donne à la partie supérieure de l'abdomen, & qui s'étend depuis le cartilage xiphoïde jusqu'auprès du nombril. Voyez REGION.

On la divise ordinairement en deux parties ; les côtés ou la partie latérale, qu'on appelle hypocondre ; & le milieu, qu'on appelle épigastre. Voyez ABDOMEN.

Il y a aussi des veines & des arteres épigastriques. Les arteres sont des branches des arteres iliaques externes. Les veines se déchargent dans les veines iliaques externes. Chambers (L)

EPIGASTRIQUE, (région) Physiolog. Cette partie du corps humain située entre la partie inférieure de la cavité de la poitrine & l'estomac, a été regardée par plusieurs auteurs, & entr'autres par celui d'un ouvrage intitulé Specimen novae Medicinae conspectus (à Paris, chez Guerin, 1751), comme un point de réunion & comme un centre d'où les forces organiques semblent partir pour s'y réunir de nouveau.

C'est le diaphragme qui joue le principal rôle dans cette région. L'auteur le considere comme un balancier, qui donne, pour ainsi dire, le branle à tous les visceres, & dont l'empire paroît s'étendre à toutes les parties du corps. Il leur communique la force sensitive, c'est-à-dire la tension, la mobilité, l'activité, le ton qu'excitent les sensations & les affections de l'ame. Mais il a une correspondance plus particuliere avec les membranes du cerveau ; l'auteur en allegue pour preuve différentes observations pratiques : il s'appuie sur des faits anatomiques : il cite en sa faveur une remarque de M. Petit, qui mettoit dans la région épigastrique l'origine du nerf intercostal (mém. de l'acad. des Scienc. 1727) ; mais sans recourir à des expériences contestées, il auroit pû aussi se prévaloir de la quantité prodigieuse de nerfs qui se distribuent au diaphragme, ensorte qu'il communique par leur moyen avec tous les visceres.

D'ailleurs l'auteur remarque avec raison, qu'on peut regarder cet organe comme le vrai centre du système nerveux & aponévrotique ; son tissu, sa situation, sa mobilité, son union avec le péricarde, sa communication sensible avec la plevre & le péritoine, & par le moyen de ces deux membranes qui enveloppent tous les visceres du tronc avec tout le genre aponévrotique ; son action, principalement sur l'estomac & sur les intestins, dont l'auteur croit qu'il détermine le mouvement péristaltique ; enfin l'étendue de ses productions, qu'Albinus a poursuivies plus loin que personne, & qui vont peut-être beaucoup au-delà : tout cela paroît conspirer à rendre cet organe propre à exercer une réciprocation avec toutes les parties, & sur-tout avec le système aponévrotique, qui enveloppe & pénetre toutes les parties du corps.

L'auteur ajoûte que cette réciprocation du diaphragme est considérablement excitée par les différentes sensations que nous font éprouver nos besoins successifs, & par l'inquiétude avec laquelle nous cherchons à y pourvoir.

Tous les Medecins savent, dit-il encore, que la plûpart des malades qui meurent d'une gangrene dans quelque partie inférieure au diaphragme, sentent très-distinctement & par intervalles, comme une masse qui monte peu-à-peu ; & dès que ce poids est parvenu à la région épigastrique,, le malade tombe dans une syncope qui est bien-tôt suivie de la mort. On peut trouver plusieurs exemples de cas approchans dans les anciens medecins. Hippocrate dit dans les prénotions de Cos, que les plaies du diaphragme sont toûjours mortelles. Les épileptiques sentent quelquefois à l'approche de l'accès, des vapeurs qui s'élevent peu-à-peu des extrémités inférieures ; & ils perdent connoissance dès qu'elles sont arrivées à la région du diaphragme, comme Galien l'a observé, de loc. affect. lib. III.

Vanhelmont est rempli d'observations semblables. Il rapporte dans son traité du siége de l'ame, qu'un écolier & un cocher étoient morts subitement d'un coup qu'ils avoient reçu vers l'orifice supérieur de l'estomac : il observe aussi que les goutteux sentent les approches de l'accès par une agitation qu'ils éprouvent dans cette partie ; il l'a vûe quelquefois si sensible, qu'on ne pouvoit y souffrir l'application de la main. Tout le monde sait que le chagrin, la tristesse, & même le plaisir & la joie, font une impression sensible vers le creux de l'estomac ; Vanhelmont l'avoit très-bien remarqué, mais il se trompe par rapport au principe, en ce qu'il rapporte cette sensation, ainsi que toutes celles dont il fait mention à ce sujet, à l'orifice supérieur de l'estomac, tandis qu'il est certain que c'est la partie tendineuse du diaphragme qui est alors affectée. Ceux qui seront curieux de voir un plus grand détail sur cette matiere, & un plus grand nombre d'observations du genre de celles qui viennent d'être rapportées, n'auront qu'à consulter l'ouvrage même. Extrait du Journal des Sav. Septembre 1751. (d)


EPIGENÊMES. m. (Medecine) ce terme est tiré d', supervenio, il signifie un symptome, qui, dans une maladie avancée dans son cours, survient & se joint aux symptomes qui étoient déjà établis ; c'est la même chose qu'épiphenomêne. Voyez EPIPHENOMENE. (d)


EPIGENEUM(Hist. anc.) instrument de Musique, dont nous savons seulement qu'il étoit à cordes, & qu'il en avoit quarante.


EPIGEONNERv. act. (Maçonnerie) c'est employer le plâtre un peu serré, sans le plaquer ni le jetter, mais en le levant doucement avec la main & la truelle par pigeons, c'est-à-dire par poignées, comme lorsqu'on fait les tuyaux & languettes de cheminée qui sont de plâtre pur. (P)


EPIGIESS. m. pl. (Mythol.) ou nymphes de la terre. Il y avoit aussi les nymphes uranies ou du ciel. Epigie est formé de , sur, & , terre.


EPIGLOTTES. f. , en Anatomie, la couverture ou le couvercle du larynx. Voyez LARYNX.

Ce mot est formé de , sur, & , ou bien , langue.

L'épiglotte est un cartilage mince, mobile, de la forme d'une feuille de lierre ou d'une petite langue, & qu'on appelle en conséquence lingula.

Il sert à couvrir la fente du larynx, qu'on appelle glotte. Voyez GLOTTE & VOIX.

Galien croit que l'épiglotte est le principal organe de la voix, & qu'elle sert à la varier, à la moduler, & à la rendre harmonieuse. Sa base qui est assez large, est située dans la partie supérieure du cartilage scutiforme, & sa partie large & mince est tournée vers le palais ; elle ne se ferme que par la pesanteur des morceaux qu'on avale, mais ce n'est pas si exactement que quelque goutte de la boisson ne se fourvoye quelquefois, & n'entre dans la trachée-artere. Voyez TRACHEE, LARYNX, VOIX. (L)


EPIGONESS. m. pl. (Myth.) c'est ainsi qu'on appelle les enfans des sept capitaines qui assiégerent en vain la ville de Thebes. Les épigones, dix ans après l'expédition malheureuse de leurs peres, marcherent contre Thebes sous la conduite d'Alcméon, vengerent la mort de leurs parens & la honte de la premiere expédition ; prirent Thebes ; firent un butin considérable, & emmenerent l'aveugle Tirésias avec sa fille Manto, à qui ils confierent l'administration du temple de Delphes.


EPIGRAMMES. f. (Belles-Lettres) petit poëme ou piece de vers courte, qui n'a qu'un objet, & qui finit par quelque pensée vive, ingénieuse, & saillante.

D'autres définissent l'épigramme une pensée intéressante, présentée heureusement & en peu de mots ; ce qui comprend les divers genres d'épigrammes, telles que les anciens les ont traitées, & telles qu'elles ont été connues par les latins & par les modernes.

Les épigrammes, dans leur origine, étoient la même chose que ce que nous appellons aujourd'hui inscriptions. On les gravoit sur les frontispices des temples, des arcs de triomphe, sur les pié-d'estaux des statues, les tombeaux, & autres monumens publics. Elles se réduisoient quelquefois au monogramme : on leur donna peu-à-peu plus d'étendue ; on les tourna en vers pour les rendre plus faciles à être retenues par mémoire. Hérodote & d'autres nous en ont conservé plusieurs.

On s'en servit depuis à raconter brievement quelque fait, ou à peindre le caractere des personnes ; & quoiqu'elles eussent changé d'objet, elles conserverent le même nom.

Les Grecs les renfermoient ordinairement dans des bornes assez étroites ; car quoique l'Anthologie en renferme quelques-unes assez longues, elles ne passent pas communément six ou au plus huit vers. Les Latins n'ont pas été si scrupuleux à observer ces bornes, & les modernes se sont donnés encore plus de licence. On peut pourtant dire en général que l'épigramme n'étant qu'une seule pensée, il est difficile qu'elle communique ce qu'elle a de piquant à un grand nombre de vers.

M. le Brun, dans la préface qu'il a mise à la tête de ses épigrammes, définit l'épigramme un petit poëme susceptible de toutes sortes de sujets, qui doit finir par une pensée vive, juste, & inattendue ; ces trois qualités, selon lui, sont essentielles à l'épigramme, mais sur-tout la briéveté & le bon mot. Pour être courte, l'épigramme ne doit se proposer qu'un seul objet, & le traiter dans les termes les plus concis ; c'étoit le sentiment de M. Despreaux :

L 'épigramme plus libre, en son tour plus borné,

N'est souvent qu'un bon mot de deux rimes orné.

On est divisé sur l'étendue qu'on peut donner à l'épigramme ; quelques-uns la fixent depuis deux jusqu'à vingt vers, quoique les anciens & les modernes en fournissent qui vont bien au-delà de ce dernier nombre ; mais on convient que les plus courtes sont souvent les meilleures & les plus parfaites. Les sentimens sont aussi partagés sur la pensée qui doit terminer l'épigramme : les uns veulent qu'elle soit saillante, inattendue comme dans celles de Martial, tout le reste, disent-ils, n'étant que préparatoire ; d'autres prétendent que les pensées doivent être répandues & se soûtenir dans toute l'épigramme, & c'est la maniere de Catulle ; d'autres enfin adoptent également ces deux genres.

Si l'on consulte l'Anthologie, les épigrammes greques ne nous offriront guere de ce qu'on appelle bons mots ; elles ont seulement un certain air d'ingénuité & de simplicité accompagné de vérité & de justesse, tel que seroit le discours d'un homme de bon sens ou d'un enfant qui auroit de l'esprit. Elles n'ont point le sel piquant de Martial, mais une certaine douceur qui plaît au bon goût ; ce qui n'a pas empêché qu'on ne donnât le nom d'épigramme greque à toute épigramme fade ou insipide : mais nous ne sommes pas dans le point de vûe convenable pour juger du véritable mérite des épigrammes de l'Anthologie ; il faut si peu de chose pour défigurer un bon mot ; en connoît-on toute la finesse, les rapports, &c. à 2000 ans d'intervalle ?

Selon quelques modernes, c'est le bon mot qui caracterise l'épigramme, & qui la distingue du madrigal. Le P. Mourgues dit que c'est par le nombre des vers & par le bon mot, que ces deux especes de petits poëmes sont distingués entr'eux dans la versification moderne ; que dans l'épigramme le nombre des vers ne doit être ni au-dessus de huit ni au-dessous de six, mais rien n'est moins fondé que cette regle ; ce qu'il ajoûte est plus vrai, que la fin de l'épigramme doit avoir quelque chose de plus vif & de plus recherché que la pensée qui termine le madrigal. Voyez MADRIGAL.

L'épigramme est encore regardée comme le dernier & le moins considérable de tous les ouvrages de poésie ; & quelqu'un qui n'y réussissoit apparemment pas, dit que les bonnes épigrammes sont plutôt un coup de bonheur qu'un effet du génie. Le P. Bouhours a prétendu qu'elles tiroient leur principal mérite de l'équivoque. Mais considérer l'épigramme par ses rapports, c'est faire le procès à ses défauts sans rendre justice aux beautés réelles qu'elle peut renfermer, & l'on en pourroit citer un grand nombre de ce genre tant anciennes que modernes.

Selon quelques autres une des plus grandes beautés de l'épigramme, est de laisser au lecteur quelque chose à suppléer ou à deviner, parce que rien ne plaît tant à l'esprit que de trouver dequoi s'exercer dans les choses qu'on lui présente. Mais d'un autre côté on demande pour le moins avec autant de fondement, si une épigramme peut être louche, & si c'est la même chose qu'une énigme.

La matiere de l'épigramme est d'une grande étendue ; elle exprime ce qu'il y a de plus grand & de plus noble dans tous les genres, elle s'abaisse à ce qu'il y a de plus petit, elle loue la vertu & censure le vice, peint & fronde les ridicules. Il semble pourtant qu'elle se trouve mieux dans les genres simples ou médiocres que dans le genre élevé, parce que son caractere est la liberté & l'aisance.

Comme l'épigramme ne roule que sur une pensée, il seroit ridicule d'y multiplier les vers ; elle doit avoir une sorte d'unité comme le drame, c'est-à-dire ne tendre qu'à une pensée principale, de même que le drame ne doit embrasser qu'une action. Néanmoins elle a nécessairement deux parties ; l'une qui est l'exposition du sujet, de la chose qui a produit ou occasionné la pensée ; & l'autre, qui est la pensée même ou ce qu'on appelle le bon mot. L'exposition doit être simple, aisée, claire, libre par elle-même & par la maniere dont elle est tournée.

Sans parler de la malignité & de l'obscénité, que la raison seule reprouve, les défauts qu'on doit éviter dans l'épigramme, sont la fausseté des pensées, les équivoques tirées de trop loin, les hyperboles, les pensées basses & triviales. (G)

Une des meilleures épigrammes modernes, est celle de M. Piron contre le Zoïle de notre siecle ; puisse-t-elle servir de leçon à ses semblables ! Une anecdote très-plaisante à ce sujet, c'est que M. Piron l'a fait écrire en sa présence par le Zoïle même : la voici ; elle est à deux tranchans.

Cet écrivain si fécond en libelles,

Croit que sa plume est la lance d'Argail ;

Sur le Parnasse entre les neuf Pucelles

Il s'est placé comme un épouvantail :

Que fait le bouc en si joli bercail ?

Y plairoit-t-il ? chercheroit-il à plaire ?

Non, c'est l'eunuque au milieu du serrail :

Il n'y fait rien, & nuit à qui veut faire.


EPIGRAPHES. m. (Hist. anc.) On appelloit ainsi dans Athenes, des especes de commis qui tenoient les registres des impôts, ou des livres où chaque citoyen pouvoit s'instruire de ce qu'il devoit à l'état, selon l'estimation de ses facultés.

EPIGRAPHE, s. f. (Belles-Lettres) c'est un mot, une sentence, soit en prose soit en vers, tirée ordinairement de quelqu'écrivain connu, & que les auteurs mettent au frontispice de leurs ouvrages pour en annoncer le but : ces épigraphes sont devenues fort à la mode depuis quelques années. M. de Voltaire a mis celle-ci à la tête de sa Mérope, d'où il a banni la passion de l'amour :

Hoc legite, austeri, crimen amoris abest.

Les épigraphes ne sont pas toûjours justes, & promettent quelquefois plus que l'auteur ne donne. On ne court jamais de risque à en choisir de modestes. (G)

EPIGRAPHE, s. f. (Arts) nom que l'on donne à toutes les inscriptions qu'on met sur les bâtimens, pour en faire connoître l'usage, ou pour marquer le tems & le nom de ceux qui les ont fait élever. Ces inscriptions se gravent le plus souvent en anglet, sur la pierre & sur le marbre. Les anciens se servoient de caracteres de bronze pour celles des arcs de triomphe & des temples, & ils en couloient les crampons en plomb. Le mot épigraphe n'est guere usité en ce sens ; on se sert du mot inscription. Voyez INSCRIPTION.

On nomme encore épigraphe, toute inscription qu'on grave au-haut ou au-bas d'une estampe pour en indiquer l'esprit & le caractere. L'abbé de Choisy, connu par son ambassade de Siam, par la vie de quelques-uns de nos rois, & par des ouvrages de piété, dédia sa traduction de l'imitation de Jesus-Christ à madame de Maintenon, & fit graver pour épigraphe au-bas de la taille-douce, qui représente cette dame à genoux au pié du crucifix, les 11 & 12 du Ps. xljv. suivant la vulgate, & xlv. selon l'Hébreu : Audi filia, & inclina aurem tuam, & obliviscere domum patris tui ; & concupiscet rex decorem tuum. On dit qu'on retrancha cette épigraphe dans la seconde édition ; mais elle existe dans la premiere, & c'est pour cette raison qu'on la recherchoit très-curieusement du tems de Louis XIV. Voyez M. Dupin, bib. des aut. ecclés. du xvij. siecle, tom. VII. & Amelot de la Houssaye, tom. II.

Il seroit à souhaiter, comme M. l'abbé du Bos l'a fort bien remarqué, que les Peintres qui ont un si grand intérêt à nous faire connoître les personnages dont ils veulent se servir pour nous toucher, accompagnassent toûjours leurs tableaux d'histoire d'une courte épigraphe. Le sens des peintres gothiques, tout grossier qu'il étoit, leur a fait connoître l'utilité des épigraphes pour l'intelligence du sujet des tableaux. Il est vrai qu'ils ont fait un usage aussi barbare de cette connoissance, que de leurs pinceaux. Ils faisoient sortir de la bouche de leurs figures, par une précaution bizarre, des rouleaux sur lesquels ils écrivoient ce qu'ils prétendoient faire dire à ces figures indolentes ; c'étoit-là véritablement faire parler ces figures.

Les rouleaux gothiques se sont anéantis avec le goût gothique : à la bonne heure ; mais en corrigeant la maniere on peut en retenir l'idée, & dans certaines occasions on ne sauroit s'en passer ; aussi les plus grands maîtres ont jugé quelquefois une épigraphe de deux ou trois mots nécessaire à l'intelligence du sujet de leurs ouvrages, & en conséquence ils n'ont pas fait scrupule de les écrire dans un endroit du plan de leurs tableaux où ils ne gâtoient rien. Raphaël & les Carrache en ont usé ainsi ; & M. Antoine Coypel a placé de même des bouts de vers de Virgile dans la galerie du palais royal, pour aider à l'intelligence de ses sujets qu'il avoit tirés de l'éneïde.

Enfin tous les peintres dont on grave les ouvrages ont senti l'utilité de ces épigraphes, & ils en mettent au bas des estampes qui se font d'après leurs tableaux. On peut donc suivre le même usage pour les tableaux mêmes ; car les trois quarts des spectateurs, qui sont d'ailleurs très-capables de rendre justice à l'ouvrage, ne sont point assez lettrés pour deviner le sujet d'une estampe ni d'un tableau : ces sujets sont souvent pour les spectateurs une belle personne qui plaît, mais qui parle une langue qu'ils n'entendent point : on s'ennuie bien-tôt de la regarder, parce que la durée des plaisirs où l'esprit ne prend point de part est bien courte. Art. de M(D.J.)


EPILANCES. f. (Fauconnerie) espece d'épilepsie à laquelle les oiseaux sont sujets. Quand ils en sont attaqués, ils tombent subitement du poing ou de la perche ; ils restent quelque tems comme morts ; ils ont les yeux clos, les paupieres enflées, l'haleine puante, & s'efforcent d'émeutir. Ces accès les prennent deux fois par jour : on prétend que cette maladie est contagieuse.


EPILENIES. f. (Hist. anc.) danse pantomime des Grecs, dans laquelle ils imitoient ce qui se passe dans la foule des raisins.


EPILEPSIES. f. (Medecine) est une espece de maladie convulsive qui affecte toutes les parties du corps, ou quelques-unes en particulier, par accès périodiques ou irréguliers, pendant lesquels le malade éprouve la privation ou une diminution notable de l'exercice de tous ses sens & des mouvemens volontaires.

Le mot épilepsie, , vient du grec , qui signifie surprendre, à cause que ce mal saisit tout-à-coup ceux qui y sont sujets : les Latins ont appellé cette maladie comitialis morbus, parce que les Romains rompoient leurs assemblées, lorsqu'il arrivoit que quelqu'un y étoit attaqué d'épilepsie ; ce qu'ils regardoient comme de mauvais augure. D'autres l'ont nommée morbus acer, soit parce qu'ils la regardoient comme une punition du ciel, soit parce que le siége de la cause paroît être dans la tête, qu'ils regardoient comme la partie sacrée du corps, sacra palladis arx ; soit parce que les personnes qui sont surprises par un accès d'épilepsie le sont si subitement, qu'elles semblent frappées de la foudre. On lui a encore donné le nom de morbus herculeus, ou parce qu'Hercule étoit sujet à cette maladie, ou parce qu'elle semble résister avec beaucoup de force à celle des remedes, qui ne peuvent que très-difficilement en surmonter la cause & la détruire. L'on donne aussi communément à l'épilepsie le nom de morbus caducus, mal caduc, à cadendo, & celui de haut mal, parce que les malades ne peuvent s'empêcher ordinairement de tomber de leur haut, s'ils sont debout, lorsque l'accès les surprend ; celui de sonticus, parce que cette maladie nuit beaucoup à l'économie animale : on trouve encore dans plusieurs auteurs cette maladie désignée sous le nom de morbus puerilis, , selon Hippocrate, parce que les enfans sont très-susceptibles d'être attaqués de cette maladie.

L'épilepsie admet plusieurs différences, ou par les divers accidens qu'elle produit, ou par les différens siéges de sa cause : celles-là consistent en ce que la maladie peut être plus ou moins violente, récente ou invétérée, &c. celles-ci sont plus importantes à établir ; elles consistent en ce que la maladie peut être idiopathique, c'est-à-dire, que la cause réside dans la tête & affecte le cerveau immédiatement ; ou sympathique, dont la cause existe dans toute autre partie que le cerveau, & ne l'affecte que par communication, comme dans l'estomac, la matrice, ou dans toute autre partie du corps.

Les symptomes de cette maladie sont si variés, si extraordinaires & si terribles, qu'on a crû anciennement ne pouvoir les attribuer qu'à des causes surnaturelles, comme au pouvoir des dieux, des démons, aux enchantemens, ou à l'influence des astres, comme à celle de la lune, &c.

Cependant toutes ces variétés ne dépendent que des différens mouvemens des parties qui en sont susceptibles ; par conséquent des muscles : elles consistent principalement, ces variétés, dans les différentes contractions musculaires ; celles-ci ne peuvent être excitées que par la différente distribution, le cours involontaire, irrégulier du fluide nerveux dans les organes du mouvement, pendant qu'il est empêché de se porter aux organes du sentiment ; & par ce qui peut produire ces effets.

Les causes en sont très-nombreuses, telles 1°. que les lésions du cerveau dans ses enveloppes, sa surface, sa substance, ses cavités, par commotion, contusion, blessure, par abcès, effusion ou épanchement de sang, de sanie, de pus, d'ichorosité, de lymphe acrimonieuse, par quelque excroissance osseuse de la surface interne du crane, par enfoncement de quelques-unes de ses parties, par quelque fragment ou quelque esquille d'os, ou quelque corps dur étranger qui blesse les meninges ou la substance de ce viscere ; par un amas de globules mercuriels qui soient portés, par quelque voie que ce soit, dans ses vaisseaux ou ses cavités ; la corruption de la substance même du cerveau par les suites d'une inflammation, de l'érosion de ses membranes ; de la carie de sa boîte osseuse. Ces différentes causes sont rendues plus actives par tout ce qui peut augmenter la quantité des humeurs qui se portent vers le cerveau, comme la pléthore, l'exercice immodéré, la chaleur, l'excès dans l'usage du vin, de la bonne chere, du coït, la contention d'esprit, les profondes méditations, les grands efforts de l'imagination, & sur-tout la crainte & la terreur.

2°. On doit encore placer, parmi les causes des contractions musculaires irrégulieres, tout ce qui affecte violemment le genre nerveux, comme les douleurs fortes & périodiques, la passion hystérique, les irritations & les érosions causées dans les enfans par l'effet des vers, par des humeurs acres ramassées dans les boyaux, par la qualité acre-acide du lait, & par sa coagulation, par le méconium, par la dentition difficile, par le levain de la petite vérole, les violentes douleurs d'estomac, la matiere d'un ulcere renfermée dans quelque partie, la trop grande abstinence de manger, comme aussi la crapule & l'usage des alimens, de boisson acre, de remedes & de poisons de même qualité.

3°. On doit attribuer les mêmes effets aux causes suivantes ; savoir, à la suppression de certaines évacuations qui se faisoient auparavant, comme des menstrues, des lochies, des hémorrhoïdes, de sanie, de pus, d'urine ; à la répercussion de la galle, d'une dartre.

4°. On doit encore ranger parmi les causes des convulsions épileptiques, certaine vapeur dont le foyer a ordinairement son siége dans quelque partie des extrémités du corps, d'où elle semble s'élever au commencement de l'accès, en excitant le sentiment d'une espece d'air ou vapeur qui monte vers les parties supérieures jusqu'à-ce qu'il soit parvenu au cerveau ; ce qui est souvent l'effet d'un nerf comprimé par quelque cicatrice ou quelque tumeur, comme un skirrhe, un ganglion. Il n'est pas facile de rendre raison de ce phénomene ; il est cependant vraisemblable qu'il est produit par une contraction spasmodique qui resserre les vaisseaux des parties mentionnées (où se fait sentir cette espece d'aura frigida), y arrête le cours du sang, d'où le sentiment de froideur, & fait refluer les humeurs vers les parties supérieures ; d'où s'ensuit que la maladie, dans son commencement, ressemble souvent à une attaque d'apoplexie. Voyez une observation à ce sujet dans le recueil de celles de la société d'Edimbourg, tom. IV. Voyez VAPEUR.

5°. La plûpart de ces causes (I. II. III. IV.) peuvent être l'effet d'une mauvaise conformation des solides, d'un vice héréditaire transmis du pere ou de la mere, ou de quelques ancêtres ; en sorte qu'il arrive quelquefois que le fils n'en éprouve aucun mauvais effet, mais bien le petit-fils : peut-être peuvent-elles être aussi l'effet de l'imagination de la mere, qui ayant eu occasion de voir un épileptique pendant sa grossesse, en a eu l'esprit frappé.

Toute cette exposition des différentes causes de l'épilepsie, tirée de Boerhaave, est le résultat de ce qu'ont appris à cet égard l'observation des symptomes de cette maladie, & l'inspection des cadavres de ceux qui en ont été atteints ; en sorte qu'on peut en conclure que la cause prochaine dépend de la disposition du cerveau, dans laquelle les voies qui servent à distribuer le fluide nerveux aux organes du sentiment, sont fermées totalement, ou considérablement embarrassées, pendant que celles qui servent à distribuer le même fluide aux organes du mouvement, restent ouvertes & le reçoivent en abondance, avec beaucoup de célérité & sans ordre.

Les personnes qui sont sujettes aux attaques d'épilepsie, sentent qu'ils sont sur le point d'en souffrir une par les signes suivans : ils éprouvent d'abord une chaleur extraordinaire ; la vûe se trouble ; ils sentent des sursauts dans les tendons ; la mémoire est affoiblie. Des vertiges, des ébloüissemens, de mauvaises odeurs, du bruit dans les oreilles, des douleurs & des pesanteurs de tête, la pâleur du visage, un mouvement irrégulier dans la langue, une tristesse profonde, des ardeurs d'entrailles, sont aussi les avant-coureurs de cette maladie ; & lorsque l'accès commence, le malade est le plus souvent renversé tout-à-coup, ou, s'il est couché, les extrémités inférieures se plient & sont ramenées involontairement vers le tronc. Il fait d'abord de grands cris, & ensuite il respire avec peine & avec bruit, comme si on l'étrangloit ; il grince des dents ; il rend de l'écume par la bouche ; il fait des grimaces horribles ; il est agité par des convulsions dans tout son corps, & il éprouve des secousses violentes, qu'il n'est pas en son pouvoir d'empêcher ; il perd ordinairement l'usage de tous ses sens ; il se vuide involontairement des matieres fécales, de l'urine ; il se fait de même quelquefois un écoulement de semence, & il ne peut appercevoir rien de ce qui se présente autour de lui, pendant le paroxysme, dont il puisse se rappeller le souvenir après qu'il est fini : quelquefois cependant, lorsque l'attaque n'est pas forte, il n'a pas toutes les parties du corps en convulsion, & il ne tombe pas toûjours ; il n'a que quelques parties agitées ; sa tête, par exemple, éprouve des secousses, ou les yeux lui tournent, ou il jette ses bras & ses jambes de côté & d'autre, ou il tient opiniâtrement les poings fermés, ou il marche en tournant & court çà & là, sans parler cependant, sans rien entendre & sans rien sentir, ensorte qu'il ne se souvient aucunement de tout cela après l'accès. Marcellus Donatus a observé une épilepsie dans laquelle le malade ne tomboit point ; Antoine Benivenius & Sennert rapportent avoir vû un épileptique qui restoit debout pendant l'accès : Dodonée dit en avoir vû un qui restoit assis ; Eraste un autre qui couroit ; & Brunner parle d'un épileptique qui entendoit ce qu'on lui disoit & ce qu'on faisoit auprès de lui, dont il se ressouvenoit après le paroxysme : mais ce sont-là des cas très-rares.

On distingue l'épilepsie en général du spasme, en ce que celui-ci & toutes ses especes consistent dans une contraction des muscles constante & opiniâtre ; au lieu que dans l'épilepsie la contraction musculaire ne subsiste pas continuellement, & se fait par intervalles & comme par secousses. On la distingue aussi de la convulsion, parce que dans celle-ci il n'y a pas d'altération dans l'usage des sens, & dans celle-là il y a presque toûjours en même tems lésion des fonctions pour le mouvement & pour le sentiment.

Outre les signes ci-dessus rapportés qui caractérisent l'épilepsie en général, il y en a aussi pour connoître les différentes especes qui leur sont particulieres ; ainsi celle dans laquelle le cerveau est immédiatement affecté, se connoît parce que le malade n'a ordinairement point de pressentiment de l'attaque qu'il va essuyer : il en est surpris comme d'un coup de foudre ; il n'a pas le moindre sentiment de douleur dans aucune partie de son corps avant l'accès, & il ne se porte aucune autre impression des parties inférieures vers les supérieures ; il est habituellement sujet à des symptomes qui indiquent que le cerveau est affecté, tels que la pesanteur de tête, la pâleur du visage, les vertiges, l'obscurcissement de la vûe, le sommeil inquiet, agité, l'affoiblissement considérable de l'exercice des fonctions animales, l'engourdissement des sens. Les paroxysmes qui proviennent du vice du cerveau sont plus violens & plus longs, il sort de la bouche une plus grande quantité d'écume.

Les attaques d'épilepsie sympathique sont distinguées de celle de l'idiopathique, parce qu'il précede ordinairement quelques signes qui annoncent celles-là, tels que la douleur de quelque partie inférieure, & le sentiment d'une vapeur qui s'éleve en même tems vers la tête. Les paroxysmes sont moins violens à tous égards ; ceux qui sont occasionnés par le vice de l'estomac s'annoncent par un sentiment d'agitation, d'érosion & de morsure dans ce viscere, de pesanteur, de tension dans la région épigastrique. Lorsque la corruption du lait dans l'estomac des enfans donne lieu à l'épilepsie, ils éprouvent auparavant des douleurs d'entrailles, & ils rendent des matieres fécales saffranées, & quelquefois ressemblantes au verd-de-gris : d'ailleurs dans tous les cas où la cause de l'épilepsie a son siége dans l'estomac, on apperçoit les signes qui annoncent la lésion de ce viscere, tels que le défaut d'appétit, les digestions imparfaites, les rots, &c. Lorsque les vers sont la cause de l'épilepsie, on le connoît par les signes qui indiquent leur existence & leurs effets. Voyez VERS.

Lorsque la matrice est le siége de la cause de cette maladie, on s'en assûre par les symptomes qui font connoître la lésion de cet organe. Voyez MATRICE.

On peut juger si l'épilepsie provient d'une cause qui soit fixée dans une partie externe, en examinant si elle a été précédemment affectée de quelque blessure, ou abcès, ou ulcere, de la morsure de quelque bête venimeuse : s'il y ressent quelque douleur avant l'accès, on s'en assûre, si l'on peut en arrêter les progrès, ou au moins les modérer, en appliquant une ligature au membre d'où l'on soupçonne que vient le mal, au-dessus de l'endroit que l'on en croit le siége, & en faisant des frictions à la partie qui est au-dessous.

L'énumération de tous les signes des différentes especes d'épilepsie se trouve plus circonstanciée dans les oeuvres de Sennert, d'où on a tiré ce qui vient d'en être rapporté. Le même auteur entre dans un détail bien exact, pour recueillir tous les phénomènes qui peuvent servir à établir les signes prognostics de cette maladie. Nous allons en dire quelque chose ; on ne peut mieux faire que de le consulter, de même que Nicolas Pison, Lommius, pour ce qui peut manquer ici à cet égard.

L'épilepsie, de quelle espece qu'elle soit, est toûjours dangereuse ; elle est cependant ordinairement une maladie de long cours, à moins que les accès ne soient si violens, si fréquens, & de si longue durée, qu'ils occasionnent bien-tôt la mort : celle dans laquelle les fonctions animales sont abolies, les mouvemens convulsifs sont très-forts & durent long-tems, les excrémens sont rendus par le malade sans qu'il s'en apperçoive, & où il tombe ensuite dans l'inaction & le repos, en sorte qu'il semble mort, doit faire craindre un évenement fâcheux, sur-tout lorsqu'elle est invétérée : celle au contraire qui est récente, & dont les accès sont courts, sans convulsions violentes, est presque exemte de danger & susceptible de guérison, sur-tout si la respiration est libre.

L'épilepsie héréditaire, de quelque espece qu'elle soit, est presque toûjours incurable ; ni l'âge plus avancé, ni l'art, ne peuvent en détruire la cause. Selon Hippocrate, l'épilepsie qui survient avant l'âge du puberté peut être guérie ; celle qui attaque après l'âge de vingt-cinq ans ne cesse guere, qu'avec la vie, de produire ses effets ; c'est-là ce qui arrive ordinairement, mais non pas toûjours ; car il n'est pas sans exemple d'avoir vû des personnes d'un âge avancé qui ont été délivrées des accès d'épilepsie. " Les jeunes personnes attaquées de cette maladie, en sont guéries par le changement d'air, de résidence & de régime ", dit encore le pere de la Medecine.

Les enfans qui sont sujets à l'épilepsie dès leur naissance, sont plus en danger d'en périr, à proportion qu'ils sont moins avancés en âge : ceux qui prennent de la gale à la tête en sont rarement attaqués, selon la remarque de Baglivi. De quelque espece que soit cette maladie, il est plus ordinaire d'en voir les hommes attaqués que les femmes, les enfans que les vieillards : lorsqu'elle survient à ces derniers elle est presque incurable.

Rien ne dispose tant les enfans qui en sont atteints à en guérir, que d'avancer en âge ; car les garçons s'en délivrent par le coït, & les filles par l'éruption des regles.

On a observé fort justement que si une femme devient épileptique pendant sa grossesse, elle s'en délivre par l'accouchement : cependant il est très-dangereux qu'une femme grosse ait des attaques d'épilepsie ; il y a lieu de craindre l'avortement, & des suites encore plus fâcheuses.

L'épilepsie idiopathique est toûjours plus dangereuse & plus difficile à guérir que la sympathique ; & celle-ci est cependant très-pernicieuse, lorsque le vice de la partie qui affecte le cerveau par communication est invétéré.

Si le délire & la paralysie succedent à l'épilepsie, il n'y a plus de remede à tenter, le mal est incurable.

La mélancolie produit souvent l'épilepsie, comme l'épilepsie produit aussi la mélancolie, selon Hippocrate. L'apoplexie est quelquefois une suite très-funeste de celle-là : on prétend que c'est presque un remede assûré qu'il survienne une longue fievre à l'épilepsie, & sur-tout la fievre quarte.

Il est facile de conclure, de tout ce qui vient d'être dit de l'épilepsie, des différentes causes qui peuvent l'établir, de celles qui en déterminent les effets, des diverses parties du corps où peut être fixé le siége du mal, que l'on ne peut pas proposer une méthode générale pour le traitement de cette maladie ; il faut avoir égard à toutes les différences du vice dominant, efficient, & de celui qui est occasionnel, pour appliquer les remedes qui conviennent au caractere bien connu de ces différentes causes ; on doit examiner si elles sont susceptibles d'être détruites, ou si elles ne le sont pas : dans le premier cas on peut entreprendre la cure radicale de la maladie, & dans le second on ne peut s'occuper que de la cure palliative. On doit aussi distinguer dans le traitement le tems & l'intervalle des paroxysmes : ainsi le medecin appellé (ce qui arrive rarement) pour un malade qui est actuellement dans un accès d'épilepsie, doit d'abord le faire placer étendu sur le dos, la tête un peu relevée, plûtôt dans un lieu bien éclairé que dans un endroit obscur ; lui faire ensuite ouvrir la bouche, & lui faire mettre entre les machoires quelque corps qui résiste à l'action des dents, sans risque de les rompre, pour empêcher qu'il ne la ferme, afin de donner un écoulement à la salive & à l'écume qui se ramasse, de rendre la respiration libre en conséquence, & de prévenir l'effet des convulsions par lequel il pourroit se mordre la langue, comme il est arrivé souvent au point qu'il en a été entierement coupé des portions, selon l'observation de Galien & de Forestus : il faut en même tems disposer le malade, de maniere qu'il ne puisse pas se blesser par les différentes agitations de son corps.

Ces préalables remplis, quelques auteurs recommandent en général d'employer divers remedes spiritueux, volatils, dont on frotte les narines, les tempes, dont on verse quelques gouttes dans la bouche du malade ; de lui faire sentir des odeurs fortes, de lui souffler des poudres sternutatoires dans les narines, de lui donner des lavemens acres, irritans ; de lui faire des frictions aux extrémités, & d'y appliquer de tems en tems des ligatures, & les relâcher. Mais il faut observer que dans l'épilepsie habituelle il vaut mieux laisser le malade en repos, que de lui administrer tous ces remedes, qui ne font le plus souvent qu'augmenter la fatigue que lui causent les convulsions ; ils ne peuvent être utiles que dans le cas où il paroît que la circulation est ralentie, que la chaleur naturelle est considérablement diminuée, & qu'il y a lieu de craindre quelque défaillance mortelle, ou qu'une attaque d'apoplexie ne succede à celle d'épilepsie, ou que celle-ci ne dégénere en paralysie.

Après que l'accès épileptique a cessé, on doit s'appliquer à employer les moyens qui peuvent en empêcher le retour, ou au moins le rendre plus rare, en attendant que l'on puisse parvenir à détruire entierement la cause efficiente du mal, si elle en est susceptible ; & quoiqu'elle soit de différente nature, il y a cependant des indications à suivre, communes à toutes les especes de cette maladie : ainsi, comme il peut y avoir des signes de plethore après la fin de l'accès, de quelque cause qu'il provienne, on doit d'abord y remédier par les évacuations générales, mesurées & réglées sur les forces du malade, c'est-à-dire par la saignée & les purgations. Si la foiblesse du malade paroît être le symptome qui exige le remede le plus pressant, on a recours aux cordiaux & à la diete analeptique.

Dès que le malade est en disposition de soûtenir les remedes convenables contre le vice que l'on est assûré être la cause principale de l'épilepsie, on ne doit rien négliger pour le corriger ou pour empêcher ses funestes effets, avant que le mal ait jetté de plus profondes racines : ainsi lorsque l'épilepsie est idiopathique, & qu'elle est l'effet de quelque conformation vicieuse dans les solides du cerveau, ou de quelque tumeur osseuse, skirrheuse, ou de quelque autre cause de cette nature ; comme on ne peut pas savoir positivement le point où réside cette cause, & que quand on le pourroit connoître, il ne seroit souvent pas possible d'y atteindre pour la détruire, on doit se borner dans de semblables cas, à prévenir ou à faire cesser l'effet des causes occasionnelles, qui pourroient augmenter l'engorgement des vaisseaux du cerveau, dans la partie comprimée par plénitude ou par irritation : on obtiendra cet effet par les remedes propres contre la plethore & l'acrimonie des humeurs. Si la maladie est causée par la pression ou l'irritation occasionnée par quelque corps étranger, soit solide, soit liquide, on doit tâcher d'en faire l'extraction par le trépan, ou par tout autre moyen que l'art peut fournir. Les autres maladies du crane & du cerveau, qui peuvent donner lieu à l'épilepsie, doivent être traitées par les remedes appropriés, si elles sont de nature à en admettre quelqu'un, car le plus souvent elles sont incurables, sur-tout dans les adultes. Les causes déterminantes des paroxysmes, qui sont telles qu'elles peuvent se renouveller continuellement, doivent être soigneusement recherchées, pour employer les moyens propres à empêcher qu'elles n'ayent lieu, ou à les détruire. Lorsqu'elles sont formées elles sont très-nombreuses, ainsi il faut avoir bien distingué le caractere de chacune, avant que de lui opposer des remedes, tant préservatifs que curatifs. Le régime sert beaucoup en ces deux qualités, & l'usage réglé des six choses nécessaires, que l'école appelle non-naturelles, fournit aussi des secours efficaces pour remplir cette double indication.

Pour ce qui est des médicamens, ils doivent être choisis de nature à combattre le vice dominant des solides ou des fluides. Si les premiers pechent par trop de rigidité, de sécheresse, on doit employer les relâchans, les humectans intérieurement, extérieurement, tels que les tisanes appropriées, les eaux minérales froides, les lavemens, les bains tiedes. S'ils pechent par trop de tension, d'érétisme, comme dans les douleurs quelconques, on doit faire usage des anodins, des narcotiques, des antispasmodiques, & travailler ensuite à emporter la cause connue : si elle dépend des acres irritans, comme des matieres pourries, des vers dans les premieres voies, ce qui a presque toûjours lieu dans les enfans épileptiques, les vomitifs, les purgatifs, les amers, les mercuriels, les anthelmintiques, sont les moyens que l'on doit employer pour la détruire : si elle est occasionnée par la dentition, les remedes en sont indiqués en son lieu (voyez DENTITION) ; ainsi des autres vices qui peuvent occasionner la douleur, contre lesquels on doit user des moyens proposés dans les différens articles où il en est traité. Voyez DOULEUR, &c.

Si les fluides pechent par épaississement ou par acrimonie, on employe avec succès contre le vice de la premiere espece, les purgatifs aloétiques, hydragogues, les fondans antimoniaux, les apéritifs martiaux & mercuriels ; & contre celui de la seconde, les spécifiques, qui changent la nature des acres acides ou alkalis, en substances neutres qui sont moins nuisibles. Voyez ACIDE & ALKALI. Les bouillons de poulet, de tortue ; l'usage du lait, la diete blanche même, produisent de bons effets dans la cure de l'épilepsie qui provient de l'acrimonie des humeurs. S'il y a lieu de soupçonner que cette cause soit compliquée avec des obstructions, avec l'épaississement, on peut unir utilement le lait avec les apéritifs, en le faisant prendre coupé, avec des décoctions de plantes apéritives, avec les eaux minérales ferrugineuses. Le petit-lait rendu médicamenteux, conformément à l'indication, est aussi très-convenable.

Si le vice des fluides est particulier, & qu'il consiste, par exemple, en ce que certaines évacuations naturelles ou contre nature, devenues habituelles, sont supprimées ou diminuées, on ne doit s'occuper qu'à les rétablir par les remedes convenables. C'est dans cette vûe que l'on employe souvent avec succès contre l'épilepsie, dans ces cas, les emmenagogues, les diurétiques, les sudorifiques, &c. contre la suppression des regles, des urines, de la transpiration, &c. les vesicatoires, les caustiques, les sétons, pour faire des ulceres artificiels qui suppléent à d'autres, nécessaires pour donner issuë à de mauvaises humeurs. Les Indiens appliquent dans cette vûe des caustiques au bas des jambes.

Si le vice qui produit l'épilepsie, depend d'une tumeur, d'une cicatrice, ou de toute autre cause qui agit en comprimant, en irritant un nerf principal dans quelque partie externe, on doit tâcher de le détruire par toute sorte de moyen convenable à sa nature, en diminuant la sensibilité des nerfs en général, en les fortifiant par les remedes appropriés, par l'exercice, par le régime ; en appliquant des ligatures au membre affecté, pour arrêter la propagation du mal vers le cerveau, lorsque l'accès épileptique peut être prévenu ; & s'il résiste, & que le siége en soit connu, on n'a d'autre ressource que d'y pénétrer avec le fer ou le seu, & d'y former un ulcere dont on entretienne la suppuration, pour emporter le foyer du mal.

On propose en général bien de différens remedes contre l'épilepsie, tels que le cinnabre naturel, qui peut être employé avec d'autant plus de succès, qu'il a la propriété de dissoudre les concrétions sanguines & lymphatiques, & de produire cet effet dans des vaisseaux moins petits que ceux dans lesquels agit le mercure, sans agiter autant les humeurs. Le cinnabre n'est pas si pénétrant, parce qu'il est d'une moindre gravité spécifique. Les praticiens font aussi grand usage du gui de chêne, de l'ongle d'élan, qui sont particulierement recommandés par Baglivi ; la pivoine mâle, la valériane sauvage, la rue, le castoreum, le camphre, le succin, les vers de terre diversement préparés ; la poudre de guttete, qui est un composé de ceux-là, &c. mais il n'en est aucun que l'on puisse regarder comme spécifique contre toutes les différentes causes de cette maladie. La propriété de ces diverses drogues étant connue, on doit en faire l'application contre le vice dominant auquel elles sont opposées : on peut dire cependant qu'il est peu de cas dans lesquels elles ne puissent convenir, parce qu'elles peuvent toûjours produire l'effet essentiel de régler le cours du fluide nerveux, par l'analogie qu'ont leurs parties subtiles, intégrantes, avec celles de la matiere qui coule dans les nerfs. Voyez REMEDES ANTISPASMODIQUES.

On ne doit pas omettre ici de faire mention du kinkina, qui peut être employé avec succès dans toutes les especes d'épilepsie périodique.

Boerhaave, qui avoit d'abord pensé, à la suite de quelques expériences favorables, que le sel d'étain pouvoit être un remede assûré contre cette maladie en général, s'est convaincu par des observations ultérieures, qu'il n'est bon que contre celle qui provient de l'acidité dominante dans les premieres voies.

Il seroit trop long de rapporter ici tous les autres remedes que l'on a mis en usage contre l'épilepsie & ses différentes especes ; ceux dont on a fait mention, sont les plus usités dans la pratique, on n'en connoît point d'assûré jusqu'à présent : il n'y a que des charlatans qui disent en donner de tels, sans craindre la honte de manquer le succès, que l'on ne peut presque jamais se promettre dans le traitement de l'épilepsie des adultes. (d)

EPILEPSIE, (Manége, Maréchall.) maladie non moins redoutable dans les chevaux que dans les hommes, & dont le siége & les causes physico-méchaniques sont sans-doute les mêmes. Ses symptomes varient. Cette agitation violente & convulsive saisit en effet certains chevaux tout-d'un-coup ; ils tombent, ils frissonnent, ils écument, & le paroxysme est plus ou moins long. Il en est d'autres en qui l'accès s'annonce par des borborygmes, par un battement de flanc, par un flux involontaire d'urine, par un froid qui glace toutes leurs extrémités ; à peine sont-ils tombés, que leurs yeux semblent tourner dans les orbites ; leurs membres se roidissent : quelquefois aussi leurs articulations sont attaquées d'un tremblement extraordinaire. J'en ai vû qui se relevoient un instant après leur chûte, qui prenoient le fourrage qu'on leur présentoit sur le champ, & qui mangeoient aussi avidement que s'ils joüissoient d'une santé entiere. Un étalon atteint de ce mal, tomboit, sans qu'aucun signe précédât l'attaque ; il écumoit, mordoit sa langue, & la déchiroit avec ses dents : au bout d'un demi-quart d'heure son membre entroit en érection, il éjaculoit une quantité considérable de semence ; il se relevoit aussitôt, se secoüoit, & hennissoit pour demander du fourrage. Une jument n'avoit des accès épileptiques que lorsqu'elle étoit trop sanglée, & seulement dès les premiers pas qu'elle faisoit sous le cavalier. Un cheval de tirage, après avoir cheminé trente pas étant attelé ; un cheval napolitain, estrapassé, & gendarmé pendant long-tems dans les piliers ; un cheval limousin, naturellement timide, & qu'on effrayoit indiscrettement pour l'accoûtumer au feu ; un poulain dont une multitude de vers rongeoient les tuniques des intestins, étoient affligés de cette maladie, ainsi qu'un cheval sujet à une fluxion périodique sur les yeux, & dont on le guérit.

Les remedes convenables, selon les idées que nous nous formons de l'épilepsie, sont nombreux ; mais leur multiplicité n'en garantit pas le succès. Il paroît qu'on doit débuter par l'administration des médicamens généraux. Les saignées à la jugulaire sont propres à dégorger les sinus de la dure-mere ; on peut en pratiquer au plat de la cuisse, pour opérer une révulsion. On purgera plusieurs fois, & on fera entrer l'aquila alba dans le breuvage purgatif : on aura recours aux lavemens émolliens : on mettra enfin en usage la décoction des bois de gayac, de sassafras, de santaux, de racine de pivoine, dont on humectera le son que l'on donnera tous les matins à l'animal : dans la journée on mêlera dans cette même nourriture des poudres anti-épileptiques, telles que celles de vers de terre, de gui de chêne, d'ongle de cheval, de castoreum, de semence de pivoine, de grande valériane. On pourra & il sera bon d'employer le cinnabre ; on tentera des sétons à l'encolure, ou dans d'autres parties du corps. J'avoue néanmoins que j'ai éprouvé, relativement à cinq ou six chevaux que j'ai traités de cette maladie, l'insuffisance de tous ces médicamens ; leur plus grande efficacité s'est bornée à éloigner simplement les accès, mais nul d'entr'eux n'en a opéré la cure radicale. Cet aveu me coûte d'autant moins, que je trouverois, si mon amour propre pouvoit en être blessé, dans la sincérité de quelques medecins, & dans l'impuissance des secours qu'ils entreprennent de fournir aux hommes en pareil cas, de quoi me consoler de l'inutilité de mes soins & de mes efforts. (e)


EPILLER(Potier d'étain) Epiller l'étain, c'est ôter les jets des pieces avec le fer. Quand on a jetté toute sa fonte, on met du feu au fourneau. On ne se sert que de charbon de bois. Le fourneau doit être de brique, d'environ huit à dix pouces de long sur six ou sept de large, ouvert pardevant, avec une grille de fer dessous, pour porter les fers & le charbon qu'on y met. On se sert ordinairement de deux fers à souder, qui sont quarrés & pointus par le bout, & dont la queue entre dans un manche de bois percé, qui s'ôte & se remet chaque fois qu'on les prend. On frotte un côté du fer sur de la poix-résine mêlée de grais, égrugés ensemble. On essuie ensuite le fer sur un torchon mouillé qu'on nomme torche-fer ; & puis on ôte les jets des pieces, en les fondant avec le fer, & recevant l'étain qui en tombe dans une écuelle de bois. Voilà ce qu'on appelle épiller. Après quoi on bouche les trous & autres fautes des pieces : cela s'appelle revercher. Voyez REVERCHER. Pendant qu'un fer sert, l'autre chauffe, & on s'en sert alternativement, & ainsi de même lorsqu'on soude la poterie. Mais il faut apprêter auparavant ; après quoi on tourne les pieces qui sont à tourner, on forge la vaisselle, & on acheve la poterie ou menuiserie. Voyez APPRETER, SOUDER, TOURNER, FORGER, ACHEVER.


EPILOGUES. m. (Belles-Lettr.) dans l'art oratoire, conclusion ou derniere partie d'un discours ou d'un traité, laquelle contient ordinairement la récapitulation des principaux points répandus & exposés dans le corps du discours ou de l'ouvrage. Voyez PERORAISON.

EPILOGUE, dans la poésie dramatique, signifioit chez les anciens ce qu'un des principaux acteurs adressoit aux spectateurs lorsque la piece étoit finie, & qui contenoit ordinairement quelques réflexions relatives à cette même piece, & au rôle qu'y avoit joüé cet acteur.

Parmi les modernes ce nom & ce rôle sont inconnus ; mais à l'épilogue des anciens ils ont substitué l'usage des petites pieces ou comédies qu'on fait succéder aux pieces sérieuses, afin, dit-on, de calmer les passions, & de dissiper les idées tristes que la tragédie auroit pû exciter. Il est douteux que cette pratique soit bonne, & mérite des éloges : un auteur ingénieux la compare à une gigue qu'on joüeroit sur une orgue après un sermon touchant, afin de renvoyer l'auditoire dans le même état où il étoit venu. Mais quoique l'épilogue, considéré sous ce rapport, soit assez inconséquent, il est appuyé sur la pratique des anciens, dont l'exode, c'est-à-dire la fin, la sortie des pieces, exordium, étoit une farce pour essuyer les larmes qu'on avoit versées pendant la représentation de la tragédie : ut quidquid lacrymarum ac tristitiae cepissent ex tragicis affectibus, hujus spectaculi risus detergeret, dit le scholiaste de Juvenal. Voyez TRAGEDIE, SATYRE.

L'épilogue n'a pas même toûjours été d'usage sur le théatre des anciens, ni à beaucoup près si ancien que le prologue. Il est vrai que plusieurs auteurs ont confondu dans le drame grec, l'épilogue avec ce qu'on nommoit exode, trompés parce qu'Aristote a défini celui-ci une partie qu'on récite lorsque le choeur a chanté pour la derniere fois ; mais ces deux choses étoient en effet aussi différentes que le sont nos grandes & nos petites pieces, l'exode étant une des parties de la tragédie, c'est-à-dire la quatrieme & derniere, qui renfermoit la catastrophe ou le dénouement de l'intrigue, & répondoit à notre cinquieme acte ; au lieu que l'épilogue étoit un hors-d'oeuvre, qui n'avoit tout-au-plus que des rapports arbitraires & fort éloignés avec la tragédie. Voyez EXODE. (G)


EPIMEDIUMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en croix, composée de quatre pétales faites en forme de tuyau. Il sort du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit ou une silique qui ne forme qu'une capsule qui s'ouvre en deux parties, & qui renferme des semences. Tournef. Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


EPIMELETTESS. m. pl. (Myth.) c'étoit ainsi qu'on appelloit ceux d'entre les ministres du culte de Cérès, qui dans les sacrifices qu'on faisoit à cette divinité, servoient particulierement d'acolythes au roi des sacrifices.


EPIMENIESadj. pris subst. (Myth.) c'est ainsi qu'on appelloit dans Athenes les sacrifices faits aux dieux à chaque nouvelle lune, pour le bonheur de la ville.

On entendoit ailleurs par épimenies, la provision qu'on donnoit aux domestiques pour un mois. Ils parvenoient à se faire un pécule de ce qu'ils en épargnoient.


EPIMETRUM(Hist. anc.) partie de la cargaison totale d'un vaisseau, qu'on accordoit aux pilotes, & dont ils pouvoient disposer à leur profit. C'étoit une sorte d'indemnité ou de récompense par laquelle on se proposoit de les encourager à leurs devoirs. Quand on regarde l'epimetrum comme une indemnité, il désigne le déchet d'une marchandise en voyage : alors ce droit étoit d'autant plus considérable, que le voyage avoit été plus grand. L'epimetrum ou déchet accordé aux pilotes pour les vaisseaux de la flotte d'Alexandrie, étoit de quatre livres pesant sur cent livres de froment, ou d'un boisseau sur vingt-cinq.


EPINARSS. m. pl. (Hist. nat. Botan.) spinacia, genre de plante à fleur sans pétales, composée de plusieurs étamines soûtenues par un calice. Ces fleurs sont stériles. Les embrions naissent sur les especes de ce genre qui ne portent point de fleurs, & deviennent dans la suite des semences faites en forme de poire, & renfermées dans des capsules qui ont la même forme dans certaines especes, & qui sont cornues ou anguleuses dans d'autres. Tournef. Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Les épinars demandent la meilleure terre, dans laquelle on les seme deux ou trois fois l'année, pour en avoir dans plusieurs saisons. On les arrose dans les années trop seches, & on a grand soin de les sarcler. (K)

EPINARS, (Diete) L'épinars cuit à l'eau est en soi, & indépendamment de tout assaisonnement, un aliment peu nourrissant, & de facile digestion : il peut procurer ou entretenir la liberté du ventre.

Il est très-utile dans le cas où l'on interdit l'usage des viandes, sans reduire cependant à celui des bouillons ; comme lorsqu'on commence à manger après des indigestions de viandes ou de poisson : dans les diarrhées qui les suivent, & en général dans les dévoyemens accompagnés de rapports nidoreux, dans cette disposition des premieres voies, qui donne aux sucs digestifs la tournure alkalescente de Boerhaave.

On peut dire plus généralement encore, & peut-être avec plus de vérité, que l'épinars est un aliment assez sain, & à-peu-près indifférent pour le plus grand nombre de sujets. (b)


EPINCELEou EPINCER, v. act. (Draperie) c'est ôter les noeuds, pailles, & autres ordures du drap, avec des pinces. Ce sont des femmes qu'on employe à cet ouvrage, qui s'appelle aussi espoutier. Voyez l'article DRAP.

Les femmes qui épincelent sont appellées épinceleuses, ou énoüeuses, ou épinceuses, ou épincheleuses, du verbe épincheler, ou épincheuses, d'épincher.


EPINÇOIRS. m. (Mass.) gros marteau court & pesant à tête fendue en angle par les deux côtés ; ce qui forme à chaque bout deux coins ou dents assez tranchantes. Il sert aux Paveurs, soit à débiter le pavé au sortir de la carriere, soit à le tailler pour être mis en place. Cet outil est nécessaire pour le pavé d'échantillon.


EPINE(Botan.) petite pointe aiguë qui part du bois ou de l'écorce des arbres. Les épines sont ou ligneuses comme celles de l'épine-vinette, ou corticales comme celles du framboisier : les premieres partent du bois, & les dernieres de l'écorce.

Les petits poils dont plusieurs plantes sont revêtues, ont dans leur forme tant d'analogie avec les épines, que dans quelques-unes les poils un peu roides se changent en épines, comme dans la tige de la bourache, & même dans la partie supérieure de ses feuilles.

La base de chaque épine est composée de petites trachées ou vaisseaux excrétoires oblongs, rouges dans les tiges tendres, & verdâtres dans les autres. La hampe de l'épine est un tube plein d'un liquide transparent, qui sort par l'extrémité de ce tube quand on en rompt le bout.

On ne manque pas de plantes garnies de piquans, & quelques-unes, comme la courge, le sont dans leurs tiges, leurs feuilles, & leurs fleurs. Les branches de la bugrande, ou de l'arrête-boeuf, forment une palissade de pointes aiguës, qui percent l'endroit où sont posées les feuilles. L'ortie piquante, nommée par cette raison urtica aculeata, jette depuis sa tige quantité d'épines molles & foibles, entre lesquelles il en pousse d'autres plus fortes, plus grandes, droites, horisontales, courbes, diversement panchées tantôt en-haut, tantôt en-bas ; elles sont plantées dans une base solide & ligneuse, s'élevent ensuite, & finissent en forme de stilet. La bardane pousse aussi des feuilles garnies de longues épines crochues.

Je ne détaillerai point les noms des arbustes & des arbres armés d'épines ligneuses ou corticales ; ce sont des faits si connus, que plusieurs botanistes ont imaginé que le seul usage des épines étoit de servir de défense ou d'appui aux parties qu'elles avoisinent.

Le rosier, cet arbrisseau qui donne les plus belles & les plus odorantes fleurs du monde, est tout hérissé d'épines dans sa tige, ses fleurs, & ses feuilles. Les piquans de l'épine-vinette sortent de la tige d'une année, à l'origine de la feuille qui tombe, & se cachent sous l'apparence de boutons feuillus ; ils sont revêtus d'une écorce molle, formée de vaisseaux excrétoires rouges & diaphanes : la partie ligneuse de l'épine de cet arbrisseau s'endurcit, & vient ensuite se terminer en pointe. A la base de cette épine, sous les petites feuilles de la tige, il se forme d'ordinaire une nouvelle épine, qui reçoit un pareil accroissement : enfin, pour abréger, toutes les especes de néflier, l'aubépine, & l'épine -jaune, sont si chargées d'aiguillons épineux, tournés en différens sens, qu'il n'est pas possible d'y porter la main sans se piquer.

Mais quel que soit le nombre des plantes épineuses, & la différente position de leurs épines, on remarque qu'en général elles naissent de la base des boutons, ou paroissent vers les noeuds des plantes. Est-ce que le suc nourricier qui doit servir à l'accroissement des boutons & des rejettons, n'ayant pas acquis dans les trachées la ténuité requise, & en conséquence ne pouvant être reçu dans les branches supérieures, perce nécessairement par la base des boutons, s'éleve ensuite en petit rejetton qui s'amenuise faute de nourriture, & devient finalement une pointe ligneuse, laquelle disparoît avec le tems à mesure que la plante s'éleve & prospere ? C'est le système du célebre Malpighi, qui nous paroît cependant plus ingénieux que solide.

Il vaut mieux avoüer ici deux choses : l'une, qu'on n'a point encore trouvé la vraie cause de l'origine des épines : l'autre, que leur utilité nous est également inconnue. Souvent les épines nous offrent dans leur distribution les mêmes variétés que les fleurs & les fruits ; souvent elles suivent le même arrangement que les feuilles ; souvent aussi le contraire se présente : en un mot, tout ce qui regarde cette matiere est un champ neuf à défricher. On a fait des recherches & des découvertes sur toutes les autres parties des plantes, le bois, l'écorce, la racine, les feuilles, les fleurs, les fruits, & les graines : mais on n'a jetté que de loin des regards sur les épines ; il semble qu'on ait craint d'en approcher. Article de M(D.J.)

EPINE-JAUNE, scolimus, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur, composée de plusieurs demi-fleurons, portés chacun sur un embryon, dont le filet s'insere dans le trou qui est au-bas de chacun de ces demi-fleurons ; ils sont séparés les uns des autres par une petite feuille, & ils sont soûtenus par un calice écailleux. Lorsque la fleur est passée, chaque embryon devient une semence qui tient à une petite feuille, & qui est attachée à la couche. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

EPINE-VINETTE, berberis, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Il s'éleve du milieu de la fleur un pistil, qui devient dans la suite un fruit de figure cylindrique, qui est mou, plein de suc, & qui renferme une ou deux semences oblongues. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

L'épine-vinette est un arbrisseau épineux, qui croît naturellement en Europe dans les bois & dans les haies des pays plus froids que chauds, & plûtôt en montagnes, que dans les vallées. Il pousse du pié plusieurs tiges assez droites, dont l'écorce lisse, mince, grise en-dessus, est d'une belle couleur jaune en-dessous. Ses jeunes branches sont hérissées d'épines foibles, longues, & souvent doubles ou triples. Il fait de copieuses racines qui sont peu profondes, & dont l'écorce est d'un jaune encore plus vif que celles des tiges. Sa feuille est ovale, finement dentelée, d'un verd tendre, & d'un goût aigrelet. Au commencement de Mai l'arbrisseau donne ses fleurs, qui durent pendant trois semaines : elles sont jaunâtres & assez apparentes, mais d'une odeur forte & desagréable. Le fruit qui succede est cylindrique, d'une belle couleur rouge, disposé en grappe comme la groseille sans épines, & d'un goût fort aigre, mais rafraîchissant & très-sain. Il mûrit au mois de Septembre.

Cet arbrisseau s'éleve jusqu'à dix piés quand on le cultive, mais le plus souvent il n'en a que quatre ou cinq. Il vient à toute exposition, & dans tous les terreins ; cependant il se plaît davantage dans les terres fortes & humides. On peut le multiplier de graine, c'est la voie la plus longue ; de branches couchées, qui font de bonnes racines la même année ; de rejettons, que l'on trouve ordinairement au pié des vieux arbrisseaux, & c'est le plus court moyen ; enfin par les racines mêmes, qui reprennent & poussent aisément en les plantant de la longueur du doigt. Le meilleur service que l'on puisse tirer de cet arbrisseau, c'est d'en former des haies vives qui croissent promtement, qui font une bonne défense, & qui sont de longue durée. On fait quelqu'usage en Bourgogne du fruit de cet arbrisseau, qui y est fort commun ; on en fait des confitures, qui sont en réputation. L'écorce de ses racines a la propriété de teindre en jaune ; on s'en sert aussi pour donner du lustre aux cuirs corroyés.

On connoît six especes ou variétés de cet arbrisseau.

1. L'épine-vinette commune ; c'est principalement à cette espece qu'on doit appliquer ce qui vient d'être dit en général.

2. L'épine-vinette sans pepin ; c'est une variété accidentelle qui se rencontre dans quelques vieux piés de l'espece commune, qui ont été cultivés, & qui sont sur le déclin : encore se trouve-t-il souvent que tous les fruits du même arbrisseau ne sont pas sans pepin. Mais cette variété n'est pas constante : il n'est guere possible de la perpétuer par la transplantation des rejettons de l'arbrisseau dont le fruit est sans pepin ; parce que ces rejettons acquérant par ce déplacement de nouvelles forces, ils font des plants vigoureux, qui perfectionnent leur fruit & produisent des semences : quoiqu'il puisse encore arriver que ces rejettons transplantés donnent pendant un tems des fruits sans pepin, relativement au degré de culture & à la qualité du terrein. Ceci s'accorde avec l'observation que l'on a faite, que c'est sur les plus vieilles tiges de l'arbrisseau que l'on trouve des fruits sans pepin, & que c'est tout le contraire sur les jeunes rejettons qui sont sur le même pié.

3. L'épine-vinette à fruit blanc ; c'est une variété qui est fort rare, & qui ne differe de l'espece commune que par la couleur du fruit.

4. L'épine-vinette de Canada. Cet arbrisseau, qui se trouve dans la plûpart des pays septentrionaux de l'Amérique, est aussi robuste & s'éleve à la même hauteur que l'espece commune, dont il differe surtout par sa feuille qui est plus grande, & dont l'arbrisseau n'est pas si garni.

5. L'épine-vinette de Candie. Cet arbrisseau est si rare, que n'étant point encore connu en France, il faut s'en tenir à la description qui en a été faite par Belus medecin de l'île de Candie, & qui a été donnée par J. Bauhin. " Il s'éleve à six ou sept piés ; il est hérissé d'une grande quantité d'épines qui ont trois pointes, comme celles de l'espece commune. Sa feuille est petite, legerement dentelée, & d'une forme approchante de celle du buis. Il donne beaucoup de fleurs jaunes, ressemblantes à celles du palivre, mais plus petites. Le fruit qui en provient contient une ou deux graines ; il est cylindrique comme celui de l'épine-vinette commune, mais il ne vient point en grappe ; il est de couleur noire, & il rend au goût un mêlange d'acide & de douceur. L'écorce du bois de cet arbrisseau loin d'être lisse, comme dans l'espece commune, est raboteuse & d'une couleur grisâtre. Son bois est jaune, ainsi que sa racine, dont on peut faire la plus belle teinture ".

6. L'épine-vinette du Levant. Cet arbrisseau qui a été découvert par Tournefort, dans son voyage au Levant, est aussi rare & aussi peu connu que le précedent. Tout ce que l'on en sait, c'est qu'il fait un plus grand arbrisseau que ceux dont on vient de parler, & qu'il produit un fruit noir très-agréable au goût. (c)

EPINE-VINETTE, berberis, (Pharm. & Mat. méd.) Il n'y a que les fruits de cet arbrisseau qui soient usités en Pharmacie ; on en exprime le suc, dont on fait le sirop & le rob ; on nettoye les pepins, & on les fait sécher, pour s'en servir dans différentes compositions ; comme le suc exprimé entre aussi dans plusieurs préparations, on en conserve sous l'huile. On trouve chez les Confiseurs les grains d'épine-vinette confits avec le sucre, aussi-bien que la gelée des mêmes fruits.

Le suc de berberis étoit un des menstrues que les Chimistes employoient pour faire ce qu'ils appelloient teinture de corail, de perle, &c.

Simon Pauli préparoit un sel essentiel d'épine-vinette, qu'il appelloit tartre de berberis. Il prenoit deux livres de suc de ces fruits bien dépuré ; il y ajoûtoit deux onces de suc de citron, il faisoit évaporer à un petit feu jusqu'à ce que la liqueur fût réduite à moitié, & il la mettoit dans un endroit frais ; au bout de quelques jours, il la retiroit du vase, dont le fond se trouvoit couvert de quantité de crystaux ; il faisoit évaporer derechef le suc qui lui avoit fourni ces crystaux, & il en retiroit des nouveaux, &c.

Le suc d'épine-vinette occupe dans la classe des corps muqueux, l'extrême marqué par l'excès d'acide, avec le citron & les groseilles, auxquels il peut être substitué, & qui sont réciproquement ses succédanés propres. Voyez MUQUEUX & CITRON.

La gelée, le rob, le sirop de berberis, sont des analeptiques rafraîchissans, qui ont toutes les propriétés des doux-aigrelets. Voyez DOUX, ACIDE, CITRON, LIMONADE.

Le suc de berberis entre dans le sirop magistral astringent ; ses pepins dans la poudre astringente, dans l'électuaire de psyllium, de diaprun, la confection hyacinthe, le diascordium, &c. (b)

EPINE DU DOS, (Anat.) colonne osseuse, composée de vingt-quatre pieces mobiles appellées vertebres, appuyées sur l'os sacrum. Le nom d'épine lui a été donné, parce qu'elle est munie à sa partie postérieure de plusieurs apophyses pointues en forme d'épines. Elle ressemble un peu à deux pyramides inégales, dont les bases sont communes ou jointes ensemble : cependant l'épine, au lieu d'être droite, a quatre ou cinq courbures considérables ; mais nonobstant ces courbures, il se rencontre toûjours que son centre de gravité qui soûtient un grand poids, tombe sur le milieu de la base commune. Entrons dans un plus grand détail, dont nous tirerons les conséquences.

L'épine est articulée avec la tête, & prend depuis l'apophyse condyloïde de l'os occipital, jusqu'à l'extrémité du coccyx.

Comme le crane est composé de différentes pieces osseuses, qui contiennent, conservent, & défendent le cerveau, de même l'épine forme un canal osseux, qui contient, conserve, & défend des injures extérieures la moëlle spinale, qui est une continuité du cerveau dans toute la longue route qu'elle parcourt.

Cette colonne est le principal appui de la tête, des bras, & de la poitrine. Sa composition est formée de plusieurs pieces osseuses, articulées ensemble par des cartilages & des ligamens, qui lui donnent la facilité d'obéir aux mouvemens du corps. Ces pieces osseuses s'appellent vertebres, du verbe latin vertere, qui signifie tourner ; parce que le corps se tourne diversement par leur moyen. Voyez VERTEBRE.

Les plus grandes & les plus massives de ces vertebres constituent la base de l'épine du dos ; ce qui fait qu'elle est plus solidement appuyée & mieux soûtenue.

Les vertebres en montant perdent insensiblement quelque chose de leur volume ; de sorte que l'épine considérée dans sa totalité de bas en-haut, finit en maniere de pyramide. C'est à l'égard de cette figure pyramidale, que M. Winslow a remarqué que toute l'épine étant vûe de front & par-devant, la largeur de ce corps n'augmente d'abord que depuis la deuxieme vertebre du cou jusqu'à la septieme ; ensuite elle diminue de plus en plus jusqu'à la quatrieme ou cinquieme vertebre du dos ; de-là elle recommence son augmentation de suite jusqu'à l'os sacrum : cette disposition est ordinairement constante par rapport aux visceres du bas-ventre.

Ainsi lorsqu'on regarde l'épine par sa partie antérieure ou postérieure, elle paroît droite ; quand, au contraire, on la considere par une de ses parties latérales, on reconnoît qu'elle se jette tantôt en-dedans, tantôt en-dehors : mais il est impossible d'imiter cette figure en montant un squelete ; il la faut observer dans un cadavre, après avoir emporté les parties qui empêchent de s'en bien éclaircir.

Toute cette suite de pieces osseuses posées les unes sur les autres, & qui contiennent l'épine, se divise en vraies & en fausses vertebres : les vraies vertebres sont les vingt-quatre os supérieurs de l'épine, qui forment la longue pyramide supérieure avec sa base inférieure : les fausses vertebres composent l'os sacrum, & forment la courte pyramide inférieure avec sa base supérieure.

Les connexions de l'épine sont distinguées en communes & en propres. J'appelle connexions communes, celles qu'a l'épine avec les parties voisines, comme avec l'occipital, les côtes, & les os des îles : les propres sont celles que les différentes pieces qui les composent ont entr'elles. Ces dernieres sont de deux sortes : la premiere est la connexion que l'os sacrum, le coccyx, & les vertebres ont ensemble par leur corps, & que l'on peut nommer syneuro-synchondrosiale, ou ligamenteuse mixte, puisque les ligamens n'y ont pas moins de part que les cartilages : la seconde est celle qu'elles ont par leurs apophyses obliques.

Les cartilages qui unissent les vertebres en recouvrant leur surface, ont plus d'épaisseur en-devant qu'en-arriere, & sont maintenus dans leur état par une espece de mucilage onctueux. Les ligamens qui affermissent ces mêmes vertebres, qui attachent étroitement leurs apophyses obliques, épineuses, & transverses, sont composés de fibres élastiques & très-fortes ; les uns de ces ligamens s'étendent extérieurement sur toute l'épine ; d'autres tapissent la surface interne du canal. Il y a encore quantité de petits ligamens, dont les uns attachent les bords de chaque vertebre, & recouvrent leurs cartilages ; d'autres sont attachés à la circonférence des apophyses, pour faciliter les mouvemens de l'épine, & s'opposer à l'écoulement de la synovie, qui humecte continuellement ces parties. Telle est en gros la structure de la colonne osseuse, dont les pieces sont en si grand nombre & si merveilleusement articulées ensemble, qu'on ne peut se lasser de l'admirer.

Il résulte de cette structure de l'épine plusieurs considérations très importantes : nous allons en exposer quelques-unes aux yeux des Physiciens.

1°. Il paroît de cette structure, que la premiere courbure de l'épine est formée par le poids de la tête, & pour la capacité de la poitrine. Comme la partie inférieure est chargée d'un très-pesant fardeau, on ne doit point être surpris que les vertebres des lombes s'avancent considérablement en-devant pour recevoir la ligne de direction de toute la masse qu'elle supporte, sans quoi nous ne saurions nous tenir debout. Il est aisé de remarquer cette méchanique dans les chiens qu'on a instruits à marcher sur deux piés ; leur épine dans cette attitude prend la courbure que nous observons dans celle des hommes, au lieu qu'elle est droite lorsqu'ils marchent sur leurs quatre jambes.

2°. Il suit de la structure de l'épine, que comme les jointures dont cette colonne est composée sont en très-grand nombre, la moëlle épiniere, les nerfs, & les vaisseaux sanguins, ne sont pas sujets à des compressions & à des tiraillemens lors des mouvemens du tronc ; & comme plusieurs vertebres sont employées à chaque mouvement de l'épine, il se fait toûjours alors une petite courbure à l'endroit où se joignent deux vertebres.

3°. Que l'attitude droite est la plus ferme & la plus assûrée ; parce que la surface de contact des points d'appui est plus large, & que le poids porte dessus plus perpendiculairement.

4°. Que les muscles qui meuvent l'épine ont plus de force pour amener le tronc à une attitude droite, que pour se prêter à aucune autre, car pour courber le tronc du corps en devant, en arriere, ou sur les côtés, il faut que les muscles qui concourent à ces actions, s'approchent des centres du mouvement ; & par conséquent leur levier est plus court que quand le centre du mouvement est sur la partie des vertebres, opposée à celle où ces muscles sont insérés, comme il arrive quand le tronc est droit.

En effet, à mesure que l'épine s'écarte de la position perpendiculaire, le poids du corps l'incline bientôt du côté que nous voulons ; au lieu que quand nous nous tenons droits, ce grand poids est plus que contre-balancé.

5°. Qu'en calculant la force qu'employent les muscles qui meuvent l'épine, il en faut distribuer une partie pour l'action des cartilages d'entre les vertebres, lesquels cartilages, dans tout mouvement qui s'écarte de l'attitude droite, sont tirés d'un côté, & comprimés de l'autre ; au lieu que le tronc étant dans une attitude droite, ces mêmes cartilages y concourent par leur force naturelle.

6°. Il est aisé de déduire, de la structure de l'épine, la raison du phénomène observé par M. Wasse, que notre taille est allongée le matin, & diminuée le soir : cette raison est que les cartilages intermédiaires des vertebres, pressés tout le jour par le poids de notre corps, sont le soir plus compactes ; mais après qu'ils ont été remis de cette pression, par le repos de la nuit, ils reprennent leur état naturel. Voyez le mot ACCROISSEMENT.

7°. Les différentes articulations, soit des corps, soit des processus obliques des vertebres, & le plus ou moins de force des différens ligamens, montre que leur destination est plûtôt de faciliter le mouvement en devant, que celui du mouvement en arriere : ce dernier est de difficile exécution, & même sujet dans les adultes à rompre, par un tiraillement excessif, les vaisseaux sanguins qui sont contigus aux corps des vertebres.

C'est un fait si vrai, que les danseurs de corde & les voltigeurs, qui plient leur corps en tant de manieres différentes, ne le font que parce qu'ils y sont accoûtumés, & même façonnés dès la plus tendre enfance, cet âge de la vie où les apophyses & les bords des vertebres ne sont encore que des cartilages flexibles, & où les ligamens sont d'une extrême souplesse. Cette flexibilité & cette souplesse continuent de se maintenir par un exercice & une habitude perpétuellement répétée ; & c'est peut-être par cette raison que dans la dissection des cadavres de deux danseurs de corde, âgés d'environ vingt ans, Riolan observa que leurs épiphyses n'étoient pas encore devenues apophyses.

8°. Du méchanisme général de l'épine on peut déduire aisément toutes les différentes courbures contre nature dont l'épine est capable ; car si une ou plusieurs vertebres sont d'une épaisseur inégale à des côtés opposés, il faudra que l'épine panche sur le côté le plus mince, qui ne soûtenant que la moindre partie du poids du corps, sera de plus en plus comprimée, & par conséquent ne pourra pas s'étendre autant que l'autre côté, qui étant bien moins chargé, aura toute l'aisance propre à le laisser grossir excessivement.

Les causes d'où provient cette inégalité d'épaisseur dans différens côtés des vertebres sont différentes ; car l'inégalité peut procéder ou d'une distension trop forte des vaisseaux d'un côté, ou d'un accroissement contre nature de l'épaisseur de cette partie, ou, ce qui est encore plus commun, de l'obstruction des vaisseaux, qui empêche l'application de la substance alimentaire nécessaire à l'os. Cette obstruction dépend, 1°. de la disposition vicieuse des vaisseaux ou des fluides, 2°. d'une pression méchanique inégale, occasionnée par la foiblesse paralytique des muscles & des ligamens, 3°. de l'action spasmodique des muscles sur un côté de l'épine, 4°. d'une longue continuité, ou de la reprise fréquente d'une posture éloignée de la droite.

Dans tous ces cas il arrive également que les vertebres s'épaissiront du côté que les vaisseaux sont libres, & demeureront minces du côté où les vaisseaux sont obstrués. Toutes les fois qu'il arrive une pareille courbure contre nature, il en résulte presque infailliblement une autre, mais dans une direction opposée à la premiere, tant parce que les muscles du côté convexe de l'épine étant tiraillés, tirent avec plus de force les parties auxquelles leurs extrémités sont attachées, que parce que la personne incommodée fait ses efforts pour maintenir le centre de gravité de son corps dans une direction perpendiculaire à sa base.

Dès qu'on aura compris comment se forment ces courbures contre nature de l'épine, il sera plus aisé de faire un prognostic sur l'indisposition du malade, & d'imaginer la méthode propre à y remédier : mais une indication générale que le chirurgien doit suivre, c'est d'affoiblir la puissance courbante, en augmentant la compression sur la partie convexe de la courbure, & la diminuant sur la partie concave. Or la maniere de pratiquer cette méthode varie suivant la différence des cas, & demande qu'on fasse une attention particuliere aux diverses causes du déjettement de l'épine. Voyez GIBBOSITE. Article de M(D.J.)

EPINE, s. f. en Anatomie, se dit de certaines éminences qui ont à-peu-près la figure d'une épine.

L'épine occipitale, voyez OCCIPITAL.

L'épine des os des isles, voyez ILEON.

L'épine nasale, voyez MAXILLAIRE.

L'épine frontale ou coronale, voyez CORONALE.

EPINE, (Manége, Maréchall.) Faire tirer l'épine. pratique non moins digne de la sagacité de la plûpart des maréchaux, que celle de faire nager à sec dans la circonstance d'un écart. Quelques-uns d'entr'eux s'y livrent encore aujourd'hui dans le cas d'une luxation arrivée dans une des extrémités de l'animal : ils mettent un entravon à l'extrémité affectée, & ils le fixent au-dessous de la partie luxée ; ils passent ensuite une longe dans l'anneau de ce même entravon, l'y arrêtent par un bout, & attachent l'autre à un arbre quelconque : après quoi ils assomment le cheval à coups de foüet, & l'obligent de fuir en avant, de maniere que l'extrémité malade, prise & retenue dans cette fuite précipitée, essuie une extension qui favorise, selon eux, la rentrée de l'os déplacé dans son lieu.

C'en est assez ; & que pourrois-je dire de plus ? Voyez LUXATION, FRACTURE. (e)


EPINETTES. f. (Lutherie) sorte de petit clavecin. Il y en a de forme parallélogramme ; & d'autres, qu'on appelle à l'italienne, ont à-peu-près la figure du clavecin : il y en a qui sonnent l'octave, d'autres la quarte ou la quinte au-dessus du clavecin ; du reste c'est la même facture & la même méchanique. Voyez CLAVECIN, & la fig. 6. Pl. XVI. de la Lutherie. Les épinettes n'ont qu'une seule corde sur chaque touche, & qu'un seul rang de sautereaux.

EPINETTE (Fête de l'), Hist. de Flandres, la plus célebre des fêtes des Pays-Bas, dont la mémoire est presque effacée, quoique cette fête fût encore dans toute sa splendeur au milieu du XVe siecle. On a une liste des rois de cette fête pendant 200 ans, c'est-à-dire depuis 1283 jusqu'à 1483. Le P. Jean Buzelin l'a donnée dans sa Gallo-Flandria.

Les peuples de Flandres & des Pays-Bas ont toûjours aimé les jeux & les spectacles ; ce goût s'y conserve même encore dans ce qu'ils appellent triomphes, dans leurs processions & dans leurs autres cérémonies publiques : c'est une suite de l'oisiveté & du manque de commerce.

Dans les xiij. & xjv. siecles, chaque ville de ces pays-là avoit des fêtes, des combats, des tournois ; Bruges avoit sa fête du Forestier, Valenciennes celle du prince de Plaisance, Cambray celle du roi des Ribauds, Bouchain celle du prévôt des Etourdis : dans beaucoup de lieux on célébroit celle de Behourt. A ces différentes fêtes accouroient non-seulement les villes voisines, mais plusieurs grands seigneurs des pays éloignés : Lille en particulier attiroit, par la magnificence de la fête de l'épinette & par les divertissemens qui s'y donnoient, un concours extraordinaire de monde.

La fête de l'épinette avoit son roi, que l'on élisoit tous les ans le jour du mardi-gras : on élisoit en même tems deux joûteurs pour l'accompagner. Les jours précédens & le reste de la semaine se passoient en festins & en bals.

Le dimanche des brandons, ou premier dimanche de carême, le roi se rendoit en grande pompe au lieu destiné pour le combat ; les combattans y joûtoient à la lance : le prix du victorieux étoit un épervier d'or. Les quatre jours suivans, le roi, avec ses deux joûteurs & le chevalier victorieux, étoient obligés de se trouver au lieu du combat, pour rompre des lances contre tous ceux qui se présentoient. Jean duc de Bourgogne honora cette fête de sa présence en 1416 ; le duc Philippe le Bon s'y trouva avec le roi Louis XI. en 1464.

L'excessive dépense à laquelle cette qualité de roi engageoit, la ruine de plusieurs familles qu'elle avoit occasionnée, le refus que firent quelques habitans de Lille d'accepter cet honneur prétendu, & l'obligation où la ville s'étoit trouvée de faire elle-même ces dépenses ; enfin l'indécence que quelques personnes trouvoient à voir toutes ces réjoüissances, ces divertissemens & ces bals, dans les deux premieres semaines de carême, obligerent Charles duc de Bourgogne à suspendre cette fête depuis 1470 jusqu'en 1475. Elle se rétablit en partie, mais aux dépens des fonds publics, jusqu'en 1516 : Charles V. en interrompit l'exercice pendant presque tout le cours de son regne, par lettres données en 1528 & en 1538. Enfin Philippe II. la supprima entierement en 1556 : il ne s'en est conservé pour mémoire que le nom de l'épinette, que l'on donne à un des bas-officiers du magistrat ou de la maison de ville de Lille, qui représente en quelque façon le hérault par qui les rois de l'épinette avoient droit de se faire précéder.

Plusieurs historiens ont parlé de cette fête, entr'autres l'auteur d'une petite histoire de Lille, imprimée en 1730. On ignore son instituteur, de même que l'origine de son nom, qui vient peut-être de ce que l'on donnoit au roi de l'épinette une petite épine pour marque de sa dignité, & qu'il alloit tous les ans en pompe honorer la sainte épine, que les Dominicains de Lille prétendent posséder dans leur église. Il mangeoit chez ces peres avec ses chevaliers le dimanche des Rameaux, & y assistoit à tous les offices de la semaine-sainte. Hist. de l'Acad. des belles-Lettres.

C'est de cette maniere qu'on associoit alors la dévotion aux spectacles profanes, aux festins, aux joûtes, aux tournois, aux combats particuliers. Il y avoit aussi dans les mêmes siecles d'autres fêtes plaisantes, telle qu'étoit celle de Bourgogne, nommée la compagnie des fous. Voyez MERE-FOLLE. Enfin on célébroit même encore de la façon la plus scandaleuse dans les églises de la partie septentrionale & méridionale de l'Europe, en Flandres, en France & en Espagne, la fameuse fête des fous, si connue par son indécence & son extravagance. Voyez FETE DES FOUS. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPINEUXEUSE, adj. en Anatomie, se dit de différentes parties.

Ainsi on dit, les apophyses épineuses, le trou épineux de l'os sphénoïde, voyez SPHENOÏDE.

On dit, le trou épineux, ou trou borgne du coronal, voyez CORONAL.

Il y a le muscle épineux du dos, le grand épineux du dos, les épineux du cou, les interépineux du cou. Voyez VERTEBRE.

Sur l'omoplate & sur la partie supérieure de l'humérus, on remarque le sus-épineux & le sous-épineux. Voyez OMOPLATE.

L'artere épineuse est une branche de la maxillaire interne, voyez MAXILLAIRE. (L)


EPINGLES. f. (Art. Méchaniq.) petit instrument de métal, droit & pointu par un bout, qui sert d'attache amovible au linge & aux étoffes, pour fixer les différens plis qu'on leur donne à la toilette, à l'ouvrage, & dans les emballages.

L'épingle est de tous les ouvrages méchaniques le plus mince, le plus commun, le moins précieux, & cependant un de ceux qui demandent peut-être le plus de combinaisons : d'où il résulte que l'art, ainsi que la nature étale ses prodiges dans les petits objets, & que l'industrie est aussi bornée dans ses vûes, qu'admirable dans ses ressources ; car une épingle éprouve dix-huit opérations avant d'entrer dans le commerce.

1°. On jaunit le fil de laiton : il arrive de Suede ou de Hambourg, en bottes de 25 à 28 livres chacune, pliées en cercle comme un collier, d'où on les appelle aussi torques, & toutes noires de la forge : on les fait bouillir dans une chaudiere d'eau avec de la gravelle ou lie de vin blanc, environ une livre par botte. Un ouvrier les fesse à force de bras sur un billot de bois, avant de les faire bouillir : après une heure de feu, on les trempe dans un baquet d'eau fraîche, & on les rabat encore, observant de tremper & de battre alternativement. Ainsi dérouillées & assouplies, l'ouvrier replie le fil de laiton ébauché autour de son bras ; d'où il passe au tirage, après avoir séché au feu ou au soleil.

2. On tire le fil à la bobille : cette opération se fait sur un banc ou établi, qui est une grosse table de bois en quarré, longue & fort épaisse. Voyez au bas de la Pl. I. fig. 4. Le fil s'entortille autour d'un moulinet ou devidoir 1, ou six branches enchâssées dans deux planches plates & rondes, celle d'en-bas plus grande que celle d'en-haut. Ce devidoir tourne sur un pivot qui le traverse au centre : vers l'autre extrémité est une filiere 3 ; c'est une piece de fonte d'un pié & demi de long, & d'un pouce d'épaisseur sur deux de largeur, percée à cent douze trous égaux : mais comme elle est d'une matiere malléable, on peut élargir ou diminuer les trous, selon la grosseur où l'on veut réduire le fil à tirer. On se sert pour cela d'un poinçon 7 : après avoir battu la filiere à coups de marteau 11, & bouché ses trous avec un polissoir sur un chantier 13, on la fixe avec des coins entre deux crampons 44 de fer, panchée 3 au niveau de l'endroit de la bobille où le fil doit tourner. L'ouvrier ayant appetissé la pointe du fil avec une lime, sur un petit quarré de bois 12 qu'il appelle étibeau, il le fait passer par le trou de la filiere, & le tire d'abord avec des bequettes ou tenailles plates en dedans, & mordantes comme une lime (car elles ont des dents), jusqu'à ce qu'il puisse l'accrocher à la bobille par un ou deux petits anneaux de fer. La bobille est un cylindre de bois 2, fixé autour d'un arbre de fer qui le traverse au centre par la base, elle tourne au moyen d'une manivelle de fer, attachée à la bobille par une patte 10 avec un manche mobile de bois ou de corne. L'ouvrier (fig. 4. vignette de la Pl. I.) prend le manche à deux mains, & tourne en frottant de tems en tems le fil à l'huile avec un pinceau ou un linge, afin de le rendre plus coulant autour de la bobille. Avant de passer le fil dans le trou de la filiere, on se sert d'une jauge pour déterminer la mesure : la jauge est un fil d'archal (VIII. fig. 5. au bas de la même Planche) qui se replie en serpentant. Elle a douze portes, six de chaque côté ; ce sont les points par où le fil d'archal se rapproche le plus : elles servent à fixer la grosseur où l'ouvrier doit reduire son fil, selon l'espece des épingles qu'il veut faire.

3°. On dresse le fil, (Pl. II. fig. 2. vignette). Sur une grosse table à deux ou trois piés, est un moulinet autour duquel on met le fil qui sort de la bobille. A un pié de distance est un engin d, c'est-à-dire un morceau de bois plat & quarré fixé sur la table, & garni de sept à huit clous sans tête, placés de suite, mais à deux distances, de façon à former une équerre curviligne. Voyez dans la figure 17, au bas de la même Planche, le moulinet G, & l'engin avec les clous H K. Le dresseur fait passer le fil à-travers ces clous, devant le premier, derriere le second, &c. de façon qu'il prend une ligne droite, dont il ne peut s'écarter, à moins que les clous ne plient de côté ou d'autre ; mais alors on les redresse avec un marteau. Cette opération est d'autant plus délicate, que le moindre défaut rend le fil tors & inutile. Le dresseur saisit le fil avec des tenailles tranchantes, & recule en-arriere à la distance de 18 piés environ ; puis il revient cueillir sa dressée, c'est-à-dire trancher son fil avec les tenailles, pour commencer une seconde dressée de la même longueur.

4°. On coupe la dressée. L'ouvrier prend une boîte ou mesure de bois traversée ou terminée par une petite plaque de fer. Cette boîte a différens numeros, selon les diverses especes d'épingles ; il ajuste sa boîte à la dressée, & la coupe avec des tenailles tranchantes appellées triquoises, en autant de tronçons ou parties aliquotes, qu'elle contient de fois la longueur de la mesure, prenant 10 à 12 dressées à-la-fois ; puis il met les tronçons dans une écuelle de bois, g, fig. 3. vignette de la même Planche.

5°. On empointe. Un homme (fig. 6. même vign.) tourne une grande roue de bois, telle qu'on en voit chez les Couteliers, autour de laquelle est une corde de chanvre ou de boyau, aboutissant à la noix d'un arbre qui porte une meule dentelée. Cette meule est enchâssée dans un billot de bois, f, quarré & creux par le milieu. L'empointeur (figure 5.) se place les jambes repliées en croix contre les cuisses, sur une sellette en pente devant la meule ; prend une tenaillée, c'est-à-dire 12 à 15 tronçons à-la-fois ; les place entre les deux index & les pouces, l'un au-dessus de l'autre (fig. 16. au bas de la même Planche) ; applique les tronçons rangés en ligne sur la meule ; tire en baissant, & les faisant tourner au moyen des deux pouces qu'il avance & retire alternativement, afin que la pointe aille en s'arrondissant : c'est ainsi qu'il empointe les deux extrémités des tronçons l'une après l'autre.

6°. On repasse, c'est-à-dire que la même opération se répete sur une meule voisine (fig. 7 & 8. vignette de la même Planche), plus douce que la premiere, afin d'affiler les pointes qui ne sont qu'ébauchées. C'est en quoi les épingles de Laigle & des autres villes de Normandie, sont préférables à celles de Bordeaux, où l'on ne donne qu'une façon à la pointe. Les meules sont d'un fer bien trempé, d'un demi-pié de diametre environ : elles sont couvertes de dents tout-autour, qu'on a taillées avec un ciseau sur des lignes droites tracées au compas. On remet les meules au feu, quand elles sont usées ; on polit la surface à la lime, & l'on y taille de nouvelles dents. L'axe des meules est un fuseau de fer, dont les extrémités pointues entrent dans deux tapons du bois le plus dur, qui servent de pivots ou de soûtien à la meule. L'empointeur appuie plus ou moins legerement, selon que sa pointe est avancée.

7°. On coupe les tronçons. Le coupeur prend une boîte de fer (fig. 15. au bas de la seconde Planche) ; il ajuste les tronçons en pointes dans cette boîte, & les assujettit avec une crosse n sur un métier de bois m, revêtu d'une chausse de cuir l l, qui s'attache autour de la cuisse avec des courroies k k. L'ouvrier assis par terre, étend une jambe & replie l'autre, ensorte que le pié de celle-ci donne contre le jarret de la jambe étendue. Dans cette posture, la cuisse de la jambe repliée lui sert de ressort pour mouvoir la branche inférieure des grands ciseaux avec lesquels il tranche les tronçons. Ces boîtes qui servent à déterminer la mesure de chaque épingle, comme les boîtes de bois fixent la mesure des tronçons, ont environ trois pouces de longueur sur deux de large, avec une séparation vers le milieu, & sont revêtues sur les côtés de deux bords dans lesquels on trouve la place du pouce, afin d'aligner les tronçons. Les pointes appuient sur la base du quarré que forme la boîte, & par-là même sont exposées à s'émousser, quoiqu'elles ne pressent pas fortement contre le fer. On coupe les tronçons par douzaines, arrangés comme on les voit au bas de la même Planche (fig. 21. 19. p. r. s.) ; & on les divise en deux, en trois ou en quatre, selon le nombre des épingles qu'ils contiennent. Les extrémités qui débordent hors du niveau, s'appellent hanses, & le coupeur les tranche dans la situation déjà décrite, & que la fig. 4. de la même Planche achevera de rendre intelligible.

8°. On tourne les têtes. Sur le haut bout d'une table panchée, est un roüet (fig. 9. au milieu de la seconde Planche), dont la corde aboutit à une noix de bois placée à l'autre extrémité de la table, & fixée sur des pivots enfoncés dans la table. Au bout de cette noix est une broche ou tuyau de fer enchâssé dans la noix. Cette broche est percée par le bout, & creusée environ d'un pouce ; elle est percée au-dessus d'un second trou semblable à l'embouchure du flageolet. C'est par ces deux trous voisins qu'on fait d'abord passer le moule des têtes, pour l'attacher autour de la broche. Ce moule, a, n'est autre chose qu'un fil de laiton plus ou moins gros, à proportion de la grosseur des têtes qu'on veut faire, mais toûjours plus gros que les épingles à qui ces têtes conviendront. Le fil des têtes, plus mince que l'épingle, est en botte autour du moulinet b, planté sur un pivot enfoncé dans un pié-d'estal. Le tourneur ou faiseur de têtes prend une porte, c'est-à-dire un morceau de bois long de six pouces, sur trois de circonférence. Au-dessus est un diametre, ou une ligne creusée dans le bois par le moule qui se trouve trop gêné entre deux épingles sans tête placées à chaque extrémité, & l'anneau de fer fiché dans le centre. C'est par cet anneau, qui est proprement la porte, que passe le fil à tête, & de-là dans la broche par les trous indiqués, pour être accroché au bec. Le tourneur saisit la porte à poing fermé, fait passer le fil à tête entre l'index & le doigt du milieu ; ensorte qu'il coupe le moule à angles droits : il tourne le roüet d'une main ; & le fil que le moulinet laisse aller, s'entortille autour du moule à mesure que l'ouvrier recule. Le moule rempli ou couvert à la longueur de cinq à six piés environ, on détache le fil de la broche ; on le tire, & il vous reste à la main une chaîne de têtes semblable à ces cordons d'or dont on borde quelquefois les chapeaux.

9°. On coupe les têtes. Un homme assis par terre (fig. 10. au milieu de la même Planche), les jambes croisées en-dessous, prend une douzaine de ces cordons à tête n (fig. 8. Pl. III.) ; il a des ciseaux, o, camards ou sans pointe, dont la branche supérieure se termine par une espece de crochet qui porte sur la branche inférieure, afin que les doigts ne soient point foulés : car il ne fait que saisir la branche supérieure, & la presser contre l'inférieure ; au moyen de quoi il coupe les têtes, observant de ne jamais couper plus ou moins de deux tours de fil : car la tête est manquée, quand elle excede ou n'atteint pas ces limites. Cette opération est d'autant plus difficile, qu'il n'y a que l'habitude de l'oeil ou de la main qui puisse assujettir l'ouvrier à cette regle ; cependant il ne coupe pas moins de 12 mille têtes par heure.

10°. On amollit les têtes. Il ne faut pour cela que les faire rougir sur un brasier, dans une cueiller de fer pareille à celle des Fondeurs d'étain ou de plomb, afin qu'elles soient plus souples au frappage, & qu'elles s'accrochent mieux autour des hanses.

11°. On frappe les têtes. Le métier qui sert à cette opération, est composé d'une table o (fig. 12. au milieu de la Pl. III.) ou billot quarré ou triangulaire qui en fait la base, de deux montans ou piliers de bois s s, liés ensemble par une traverse t t. Dans un de ces montans, plus haut que l'autre environ de demi-pié, passe une bascule d ou levier, qui vient répondre par une de ses extrémités c au milieu de la traverse des montans, & s'attache par une corde ou chaînette à une barre b, qui sort par le milieu de la traverse d'un contre-poids a. Ce levier répond de l'autre bout e, par une corde, à une planche ou marchette f, fixée à terre ou au plancher par un crampon & un anneau. Dans cette espece de case sont deux branches ou broches de fer x x paralleles aux montans, plantées sur la base du métier, & enchâssées dans la traverse d'en-haut avec des coins. Sous le contre-poids est une seconde traverse de fer qui vient s'accrocher aux deux broches y y, pour fixer le contre-poids, de façon qu'il ne puisse s'écarter à droite ou à gauche du point sur lequel il doit tomber. Ce contre-poids a, qu'on nomme pesée, est un massif de plomb sphérique ou cylindrique, pesant 10 à 11 livres ; il contient un esquibot de fer, dans lequel est enchâssé un outil ou canon d'acier, au point z. Cet outil est percé d'une auche, c'est-à-dire d'une cavité hémisphérique qui enchâsse la tête de l'épingle : au-dessous est une enclume surmontée d'un outil enchâssé, pareil au supérieur, & percé d'une auche toute semblable, à laquelle conduit une petite ligne creusée dans l'outil pour placer le corps de l'épingle, qui casseroit faute de cette précaution. Ces deux auches ou têtoirs servent à serrer à-la-fois les deux parties de la tête ; ce qui s'appelle enclorre. On les forme avec des poinçons, tels qu'on en voit un dans la figure désignée ; ce qui s'appelle enhaucher. Le frappeur assis sur une sellette (o, figure 12. & 13. Pl. II. au milieu), a devant lui trois écuelles de bois ou poches de cuir, dont l'une (z, figure 2. Pl. III.) est pleine de hanses empointées ; l'autre (o, o, fig. 18. au bas de la même Planche) est pleine de têtes ; & la troisieme (z, 3. 10. figure précédemment citée) sert à mettre les épingles entêtées. Tandis que d'une main il enfile les épingles dans les têtes, ce qu'on appelle brocher, de l'autre il enrhune ou place la tête dans les auches, & du pié il fait joüer le contrepoids, au moyen de la marchette qu'il frappe à coups redoublés, observant de tourner l'épingle dans les têtoirs, pour bien frapper la tête de tous les côtés. Il y a des métiers à plusieurs places, tels qu'on en voit un à trois (fig. 12. & 13. Planche II.) C'est la même machine multipliée sur une seule base.

12°. On jaunit les épingles. On employe à cet usage de la gravelle qu'on fait bouillir avec les épingles dans l'eau pendant un certain tems, jusqu'à ce que les têtes noircies au feu reprennent la couleur naturelle du laiton.

13°. On blanchit les épingles. Comme on a besoin pour cette opération, de plaques d'étain, voici la maniere de les mouler.

On dresse un établi (figure 6. Pl. III. vignette), formé de deux ou trois planches bien unies, de sept à huit piés de long sur deux de large ; on étend pardessus une couverture de laine, qu'on revêt d'un coutis bien tendu, & attaché avec des clous. Un ouvrier tient un moule ou chassis de bois, qui forme un quarré long de deux piés sur deux pouces d'épaisseur, à trois côtés, ou plûtôt deux côtés & la base. Le chassis appliqué sur une extrémité de l'établi, on prend quelques cueillerées de l'étain fondu dans une chaudiere m, qu'on verse sur ce lit, & qui se trouve arrêté par le chassis. Cette lame d'étain a deux pouces de profondeur ; & comme les plaques ne doivent avoir que deux lignes d'épaisseur environ, on la laisse étendre sur l'établi qui est en pente, en reculant doucement avec le chassis, que l'étain liquide suit toûjours, jusqu'à ce qu'il ait pris sur le coutis. Quand il est refroidi, on leve toute la coulée, qui se détache d'elle-même, & on la partage en disques ou plaques tracées au compas, de seize pouces de diametre chacune. Venons au blanchissage.

Pour cent livres d'épingles qu'on blanchit à-la-fois, on jette dans une chaudiere (fig. 14. Pl. III. vers le bas de la Planche), six seaux d'eau de huit pots chacun, où l'on répand trois livres de gravelle ou lie de vin blanc. Sur une plaque d'étain qui pese une livre à-peu-près, on met environ deux livres d'épingles ; qu'on prend à poignée sans les peser, & qu'on étend sur la plaque (figure 15), afin qu'elles s'étament mieux : les bords de la plaque sont relevés tout-autour, de peur que les épingles ne tombent. On met ainsi plusieurs plaques garnies l'une sur l'autre, ensorte que chaque lit d'épingles se trouve toûjours entre deux plaques. Un certain nombre de ces plaques forme ce qu'on appelle une portée (fig. 10. 10.) qu'un ouvrier met dans la chaudiere, au moyen d'une croix de fer en sautoir (fig. 3. 3. 1. 14.) suspendue par des fils d'archal ou de laiton (figure 2.) Ces fils débordent hors de la chaudiere, afin de pouvoir retirer les portées : chaque portée est séparée des autres par une plaque plus forte. Il faut que l'eau bouille avec la gravelle & les épingles pendant quatre heures. La gravelle sert à détacher les parties d'étain, qui s'attachent ensuite à l'épingle. Telle est la divisibilité de l'étain, qu'il ne perd que quatre onces sur cent livres d'épingles ; ainsi l'opération de couler les plaques ne revient qu'après dix-huit mois d'intervalle. L'étain dont on se sert en Angleterre, est du plus pur & très-bien calciné ; aussi les épingles y sont-elles très-blanches. Celles de Bordeaux ont encore un avantage sur celles-ci pour l'éclat & la durée de la blancheur, parce qu'on y mêle du tartre dans le blanchissage.

14°. On éteint les épingles, c'est-à-dire qu'on les lave dans un baquet d'eau fraîche (fig. 1. Pl. III.) suspendu en l'air sur un bâton, ou par des anses attachées à des crochets avec des cordes qu'on appelle la branloire ; on les secoue en ballotant le baquet de côté & d'autre, pour séparer la gravelle qui tombe au fond, & purifier l'étamage.

15°. On seche les épingles. Il n'y a qu'à les mêler avec du son bien gros & bien sec, dans des sacs de cuir que deux hommes agitent chacun par un bout (5. fig. 4.) ; ou bien on les met dans un auget o ou boîte de bois qui va en retrécissant, & finit par une ouverture d'où les épingles coulent dans un barril foncé (B. fig. 2.) qu'on appelle frotoire. A la place de la bonde est un trou de six pouces quarré, qui s'ouvre & se ferme par une porte de bois doublée de papier, afin que les épingles & le son ne s'arrêtent ou ne tombent pas en tournant. Cette porte mobile est enchâssée entre deux liteaux, le long desquels elle monte & descend, comme les chassis de certaines fenêtres sans volet ; ensorte qu'elle ferme presque hermétiquement ce barril suspendu sur deux montans, & traversé d'un axe ; il se tourne avec un manche ou une manivelle à chaque bout, ou à un seul.

16°. On vanne les épingles, c'est-à-dire qu'on en sépare le son. Cette opération se fait dans un plat de bois d'environ deux piés & demi de circonférence, où l'on secoue les épingles, comme dans un crible ou dans un van à blé ; ou bien on les met dans une grosse cruche de terre (d. figure 3), d'où on les fait couler ; & tandis que les épingles tombent, le vent emporte le son, qui sert plusieurs fois, pourvû qu'on le resseche au four ou au soleil, car le plus usé se trouve le meilleur.

17°. On pique les papiers. Après qu'on les a pliés en plusieurs doubles, qui forment autant d'étages de 40 à 50 épingles chacun, jusqu'à la concurrence d'un demi-millier, on prend un poinçon ou peigne de fer à 20 ou 25 dents, d'où il tire le nom de quarteron ; & d'un seul coup de marteau qu'on frappe sur une élévation qui se trouve au dos du peigne, dans le centre, voilà la place faite à un quarteron d'épingles. Les demi-milliers sont divisés en deux colonnes, dont chacune contient 10 ou 12 rangs d'épingles. Outre ces papiers, il y en a dont on empaquete les demi-milliers par sixains ou dixains, qui contiennent 6 ou 10 milliers. Ces papiers sont marqués en rouge, à la marque de l'ouvrier qui fait les épingles, ou plûtôt du marchand qui les fait faire, & les débite en gros.

18°. On boute les épingles. C'est les placer dans le papier. On les prend à poignée, on les range par douzaine à-la-fois : il le faut bien, pour bouter jusqu'à 36 milliers d'épingles par jour ; encore ne gagne-t-on, quand on y excelle, que trois sous : aussi cet ouvrage reste entre les mains des enfans, qui gagnent deux liards pour 6 milliers qu'ils en peuvent bouter dans un jour.

On distingue l'espece & le prix des épingles par les numeros, qui varient avec la longueur & la grosseur. Tel est l'ordre des numeros : 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 12. 14. 17. 18. 20. 22. 24. 26. 30. 36. celles qui sont au-dessus s'appellent houseaux, espece d'épingles jaunes dont le millier se compte à la livre : il y a des milliers d'une livre, de deux & de trois. Le fil de laiton arrive de Suede en bottes de trois grosseurs : celles de la premiere grosseur servent à faire les houseaux & les drapieres ; la drapiere est une épingle grosse & courte, que les Drapiers employent à emballer leurs étoffes, ou à les attacher en double : la seconde grosseur s'employe aux épingles moyennes, c'est-à-dire depuis n°. 20 jusqu'au n°. 10 ; & la troisieme grosseur, depuis le n°. 10 jusqu'au n°. 3, qui est le camion ou la demoiselle ; & pour en venir à ce point de finesse, le fil n'a besoin de passer que cinq à six fois par la filiere, tant il est ductile.

Il y a des épingles de fer qui passent par les mêmes épreuves que celles de laiton, excepté qu'au lieu de les blanchir, on les teint quelquefois en noir, pour le deuil ou pour les cheveux ; & qu'au lieu de les empointer, on en fait à double tête pour ce dernier usage : mais les têtes sont toûjours de laiton. La façon même de les blanchir est particuliere ; on y employe une poudre composée de sel ammoniac, d'étain commun, & d'étain de glace ou de vif-argent, qu'on fait bouillir avec les épingles dans un pot de fer.

Voici la maniere de préparer le fer pour le réduire en fil d'épingle, ou la description d'une allemanderie qu'on voit à Laigle en Normandie, à 30 lieues de Paris. Il y a d'abord une grande roue à palettes, que l'eau fait tourner comme celle des moulins à blé. L'arbre de cette roue est d'environ 24 piés de long sur 18 pouces de diametre : il est armé vers les deux extrémités de coins ou cames, placés tout-autour, les uns, vers le côté de la roue, acérés d'acier au nombre de 16, larges de 4 pouces, épais d'un pouce & demi, enfoncés dans l'arbre d'un demi-pié, & saillans de 4 pouces ; les autres, placés à l'opposite sont de bois, au nombre de 8, épais de 3 pouces, larges de 6, enfoncés de 8, & saillans de 8 aussi : à 3 ou 4 piés de l'arbre, sur une ligne parallele, est une poutre de la même longueur, large de 2 piés, épaisse d'un pié & demi : elle porte sur quatre piliers ou montans de bois qui la traversent, deux à chaque extrémité, vis-à-vis les cames, à 2 piés & demi de distance l'une de l'autre ; ils sont enchâssés dans la poutre, & taillés de façon que la poutre appuie dessus vers le milieu, & se trouve fixée en-haut par des coins de bois qui traversent les montans. Entre les deux premiers piliers, c'est-à-dire du côté de la grande roue, est un levier de bois qu'on appelle le manche du marteau, de 10 piés de long, & d'un pié quarré en grosseur, soûtenu par un axe ou hesse de fer qui le traverse par le milieu, & va s'appuyer sur deux brigues de fonte cloüées aux montans. Ce manche est armé de cercles de fer, & d'une plaque ou semelle de fer aussi, sur laquelle portent les coins ou cames de fer, qui la foulent en bascule à mesure que la roue tourne. L'autre bout du levier est armé d'un marteau ou martinet de fer acéré d'acier, pesant 40 livres, avec un bec d'environ 8 pouces de long sur 2 de large ou d'épaisseur ; sa surface ou sa base est convexe ; il tombe de la hauteur de demi-pié sur une enclume qui est au-dessous. Cette enclume de fer saillante d'environ 6 pouces, est enchâssée dans un sabot de fonte de 15 pouces de largeur & autant d'épaisseur, sur 20 de longueur. Le sabot est lui-même enchâssé à la profondeur de 6 pouces, dans un billot de bois de 3 piés de diametre, armé d'un cercle de fer, enfoncé dans la terre de 3 piés sur des pilotis de 3 à 4 piés de long, & saillant d'un pié hors de la terre. De l'autre côté est un ouvrage pareil à celui-ci, excepté que le manche n'est point de cercles ni d'une semelle de fer, que le marteau de fonte pese 280 livres, avec une enclume de même matiere & d'un poids égal, l'une & l'autre à surface plate.

La roue qui fait marcher les deux marteaux, fait aller aussi le soufflet de la forge, & voici comment. A l'extrémité de l'arbre opposée à la roue, est un tourillon de fer fiché dans l'arbre. Ce tourillon entre dans une nille ou manivelle de fer, semblable à celles dont on se sert pour monter les poids d'une horloge ou d'un tourne-broche. Le manche de la nille entre dans le branle, c'est-à-dire une piece de bois longue & mince, suspendue par une traverse ou cheville de fer à un morceau de bois fourchu. Cette fourche est clouée par la queue à un pouillerot ou petit madrier de bois, qui monte & descend au moyen d'un axe mobile dans ses pivots ; mais ces pivots sont fixés eux-mêmes dans la muraille voisine, ou à la charpente de la forge. Vers le milieu du pouillerot est une autre fourche, au bout de laquelle est un second branle de 18 piés de long. Ce branle placé horisontalement, est suspendu par une troisieme fourche, qui est attachée à un pouillerot semblable au premier, & qui soûtient la quatrieme fourche d'où pend la chaine du soufflet, & tout joüe à proportion que la nille tourne avec la roue.

Le fer qui vient des grosses forges en lingots ou en barres, est d'abord rougi au feu & passe sous le gros marteau qui l'amoindrit, le scie, le soude, le courroye lorsqu'il est pailleux, & lui donne enfin une meilleure qualité. De-là il passe sous le martinet. Un ouvrier est assis sur une bancelle ou planche accrochée par un anneau à un des piliers ou montans cités plus haut, & suspendue par une branloire ou chaîne de fer, à une poutre qui soûtient le toît de la forge, ensorte qu'elle est mobile. Un autre ouvrier met les barres à la forge, & les donne toutes rouges à celui qui est près du martinet. Celui-ci les présente & les tourne à chaque coup de marteau, tantôt à droite tantôt à gauche, & d'une seule chaude, dans l'espace de trois minutes, d'une barre de fer longue de 2 piés & grosse de 2 pouces quarrés, l'on tire une verge de 6 piés de long, ou plûtôt une verge de 4 piés & de 2 lignes de diametre, le surplus restant en barre, car la verge n'en a pris que 2 pouces quarrés. C'est afin que la barre puisse s'allonger que la bancelle est mobile, ensorte que l'ouvrier avance ou recule selon le besoin. La verge sort de ses mains machée sur tous ses angles par la convexité du martinet. De la forge les verges passent à une trifilerie à l'eau, voyez les articles FORGES GROSSES & TRIFILERIES. En voici une à bras (fig. 1. Pl. I.) composée d'un banc, sur lequel est une filiere en-travers, avec une tenaille en forme de ciseaux, dont les branches sont prises par un chaînon ou cercle de fer armé d'un crochet qui va aboutir à une bascule que l'ouvrier foule à force de bras.

La perfection de l'épingle consiste dans la roideur ou plûtôt la dureté du laiton, dans la blancheur de l'étamage, dans la tournure des têtes, & la finesse des pointes : il seroit à souhaiter que cette façon fût une des dernieres ; car la pointe s'émousse dans les épreuves par où passe l'épingle au sortir de la meule : on pourroit du moins les tenir toûjours dans des poches de cuir ou dans le son.

Cet article est de M. DELAIRE, qui décrivoit la fabrication de l'épingle dans les atteliers même des ouvriers, sur nos desseins, tandis qu'il faisoit imprimer à Paris son analyse de la philosophie sublime & profonde du chancelier Bacon ; ouvrage qui joint à la description précédente, prouvera qu'un bon esprit peut quelquefois, avec le même succès, & s'élever aux contemplations les plus hautes de la Philosophie, & descendre aux détails de la méchanique la plus minutieuse. Au reste ceux qui connoîtront un peu les vûes que le philosophe anglois avoit en composant ses ouvrages, ne seront pas étonnés de voir son disciple passer sans dédain de la recherche des lois générales de la nature, à l'emploi le moins important de ses productions.

ÉPINGLES, s. m. pl. (Jurisprud.) que les auteurs comprennent sous le terme de jocalia ou monilia, sont un présent de quelques bijoux, ou même d'une somme d'argent, que l'acquéreur d'un immeuble donne quelquefois à la femme ou aux filles du vendeur, pour les engager à consentir à la vente. Les épingles sont pour les femmes, ce que le pot-de-vin est pour le vendeur ; mais elles ne sont point censées faire partie du prix, parce que le vendeur n'en profite pas directement ; elles sont regardées comme des présens faits volontairement à un tiers, & indépendans des conventions, ensorte qu'elles n'entrent point dans la composition du prix pour la fixation des droits d'insinuation & centieme denier, ni des droits seigneuriaux, à moins que le présent ne fût excessif, & qu'il n'y eût une fraude évidente.

Mais elles sont censées faire partie des loyaux coûts, pourvû qu'elles soient mentionnées & liquidées par le contrat, auquel cas le retrayant féodal ou lignager est tenu de les rendre à l'acquéreur. Voyez Buridan, sur la coûtume de Vermandois, article 236. & Billecoq, tr. des fiefs, p. 136 & 444. (A)

Cens en épingles ; j'ai vû une déclaration passée à la seigneurie de Gif, le 19 Octobre 1713, où le censitaire se chargeoit pour un arpent, entr'autres choses, de portion d'un cens d'épingles dû sur 13 arpens. (A)

Délit d'épingle. Sauval, en ses antiquités de Paris, tom. II. p. 594, dit, qu'en 1445 une insigne larronesse dont on ignore le pays, mais qui n'étoit ni de Paris, ni des environs, ni peut-être même de France, creva les deux yeux à un enfant de deux ans, & commit le délit d'épingles, ce qui étoit dit-on, une grande cruauté ; mais Sauval avoue qu'il n'entend point ces paroles : il ajoûte que cette femme fut mise en croix, on l'exécuta toute déchevelée, avec une longue robe, & ceinte d'une corde les deux jambes ensemble au-dessous ; que toutes les femmes de Paris, à cause de la nouveauté, la voulurent voir mourir, interprétant son supplice chacune à leur maniere ; que les unes disoient que c'étoit à la mode de son pays, d'autres que sa sentence le portoit ainsi, afin qu'il en fût plus longuement mémoire aux autres femmes ; que le délit étoit si énorme, qu'il méritoit encore une plus grande punition. S'il m'est permis d'hasarder une conjecture sur le sens de ces termes délit d'épingle, je pense qu'ils ne signifient autre chose que le crime commis par cette femme d'avoir crevé les yeux à ce jeune enfant, ce qu'elle fit apparemment avec une épingle. Il fut un tems en France où l'on condamnoit les criminels à perdre la vûe, en leur passant un fer chaud devant les yeux : apparemment que quelques particuliers pour assouvir leur cruauté sur quelqu'un, lui crevoient les yeux avec une épingle, & que cela s'appelloit le délit d'épingle. (A)

ÉPINGLES des Cartiers ; ce sont de petits fils-de-fer enfoncés dans un morceau de parchemin plié en quatre, dont ils se servent pour attacher à des cordes les feuilles de carton dont ils font les cartes, afin de les faire sécher à l'air.

ÉPINGLE, (Rubanier) est un petit outil de fer, long d'environ 3 ou 4 pouces, d'égale grosseur dans toute sa longueur, en forme de grosse épingle, mais sans pointe ; sa tête est ordinairement faite avec de la cire d'Espagne, & lui sert de prise : on s'en sert au même usage que le couteau à velours, excepté que celles-ci ne coupent point les soies, & ne font que former les boucles du velours en les tirant successivement comme les couteaux. Voyez COUTEAU A VELOURS.


ÉPINGLETTES. f. c'est, dans l'Artillerie, une espece de petite aiguille de fer, dont on se sert pour percer les gargousses lorsqu'elles sont introduites dans les pieces, avant de les amorcer. (Q)


ÉPINGLIERS. m. (Commerce) marchand qui vend des épingles, des clous d'épingles, des touches, des aiguilles, &c.

Les Epingliers à Paris font un corps gouverné par trois jurés, dont la jurande dure deux ans. On les élit à deux reprises différentes ; au mois de Mai on en élit deux, l'année suivante on élit le troisieme, & ainsi de suite. Les statuts de cette communauté sont très-anciens. Leur principal travail étoit autrefois les épingles : mais depuis que les vivres sont devenus plus chers, & Paris plus peuplé, ils ne les font plus, ils les tirent de Laigle & autres endroits de la Normandie, où les ouvriers sont à meilleur compte.


EPINICIONS. m. (Belles-Lett.) dans la poésie greque & latine signifie, 1°. une fête ou des réjouissances pour une victoire remportée sur l'ennemi : 2°. un poëme, une piece de vers sur le même sujet, un chant de victoire. Scaliger traite expressément de cette sorte de poëme dans sa poétique, lib. I. ch. xljv. L'épître de Boileau, le poëme de Corneille sur le passage du Rhin, celui de M. Adisson sur la campagne de 1704, & celui de M. de Voltaire sur la victoire de Fontenoy, sont de ce genre.

Le poëme d'Adisson a pour objet la bataille d'Hocstet ; c'est un des plus beaux ouvrages de cet illustre auteur ; celui de M. de Voltaire ne mérite pas moins d'être lû ; la préface que l'auteur y a mise contient des réflexions judicieuses sur ce genre de poëme, & sur l'épître de Despréaux. (G)


EPINOCHou EPINARDE, subst. f. (Hist. nat. Icthiolog.) pisciculus aculeatus, poisson d'eau douce, le plus petit de tous. Il n'a qu'une seule nageoire, qui est sur le dos, & au-devant de laquelle il se trouve trois piquans séparés les uns des autres. Il a aussi deux piquans sur le ventre ; ils sont plus grands & plus forts que les autres, & ils tiennent à un os qui a la forme d'une nageoire ; car ce poisson a deux lames osseuses, de figure triangulaire, à la place des nageoires du ventre. Il dresse & il abaisse à son gré ses piquans : il est sans écailles, & on le trouve dans les ruisseaux.

Il y a une autre espece d'épinoche, qui differe de la précédente par les caracteres suivans : elle a dix ou onze piquans sur le dos, qui sont dirigés alternativement à droite & à gauche ; le corps est plus long, & elle n'a point de lames osseuses : on la trouve aussi dans les ruisseaux. Rau, synop. meth. pisc. Rond. hist. des poissons de riviere. Voyez POISSON. (I)

EPINOCHE, c'est ainsi que les Epiciers appellent la fleur du meilleur caffé.


EPINYCTIDES. f. (Medecine) ; c'est une espece d'exanthème ou d'éruption cutanée en forme de pustule livide, de la grosseur d'une petite feve, remplie d'une matiere muqueuse, qui s'ouvre ensuite & se change en un petit ulcere qui cause de grandes inquiétudes dans la nuit, par les vives douleurs qu'il occasionne : d'où lui vient, selon Celse, le nom que les Grecs lui ont donné, qui signifie dans la nuit, étant composé de la proposition , dans, & de , nuit.

Cet auteur, dans la description très-exacte qu'il donne de l'épinyctide, lib. V. cap. xxviij. dit qu'elle est ordinairement fort enflammée tout-autour, & que le sentiment douloureux qu'elle fait naître est beaucoup plus considérable que la grosseur ne semble pouvoir la causer ; elle fournit, quand elle est ouverte, une sanie sanguinolente.

Cette tumeur est produite par une matiere bilieuse âcre qui se ramasse dans quelque follicule de la peau, la ronge, & se fait une issue en l'exulcérant : l'âcreté & la subtilité particuliere de cette humeur viciée la rendent susceptible de produire une irritation considérable dans les nerfs voisins, & d'être aisement agitée par la chaleur du lit & l'augmentation qui se fait dans la transpiration pendant la nuit.

Il est facile de distinguer cette tumeur exanthémateuse de toute autre, par les symptomes qui lui sont propres, rapportés dans la définition : elle est extrêmement incommode à cause des mauvais effets qu'elle produit dans la nuit : s'il en paroît plusieurs en même tems, c'est un indice de la qualité bilieuse & acrimonieuse, dominante dans la masse des humeurs.

Les personnes qui ont des épinyctides doivent observer un régime délayant & adoucissant : on a recours à la saignée si elles sont nombreuses ; la purgation convient pour détourner de la peau l'humeur viciée & l'évacuer ; les digestifs & les épulotiques ordinaires sont les topiques, dont l'usage est indiqué dans cette affection. Voyez EXANTHEME. (d)


EPIPEDOMETRIES. f. dans les Mathématiques, signifie la mesure des figures qui s'appuient sur une même base. Ce mot n'est plus en usage. Harris & Chambers. (E)


EPIPHANÈS(Mythologie) surnom de Jupiter. Jupiter épiphanès ou Jupiter qui se manifeste, c'est la même chose. Jupiter fut ainsi appellé, de ce qu'il rendoit souvent sa présence sensible par des éclairs, par le tonnerre, de ce qu'il se plaisoit à se mêler parmi les hommes, & sur-tout parmi les femmes, sous différentes formes corporelles.


EPIPHANIES. f. (Hist. ecclés.) terme d'Eglise, qui veut dire la fête des Rois, ou de l'apparition de Jesus-Christ aux Gentils, car le mot grec signifie apparition. Les Chrétiens d'Orient nomment aussi cette fête, la Théophanie, ou la fête des lumieres. C'est une fête double de la premiere classe, qui se célebre le 6 Janvier de chaque année.

Les Grecs appelloient l'Epiphanie, la présence des dieux sur la terre, soit qu'ils se fissent voir en personne aux yeux des hommes, soit qu'ils manifestassent leur présence par quelques effets extraordinaires. Cette présence des dieux leur fournit l'occasion d'instituer les fêtes ou sacrifices, qu'ils nommoient épiphanies, , en mémoire de ces apparitions prétendues.

L'on a nommé semblablement, parmi les Chrétiens, l'Epiphanie la fête des Rois, dans la prévention généralement établie, que les mages étoient des rois. Cette fête ne se célébroit autrefois qu'après avoir été précédée d'une veille & d'un jeûne très-sévere ; & il paroît surprenant qu'une coûtume si pieuse ait été abolie, pour y substituer une solennité bien opposée à l'abstinence & à la mortification.

L'exemple des Payens a pû servir, selon quelques auteurs, à chasser le jeûne, pour lui subroger la bonne-chere. La conformité qu'ont trouvé ces mêmes auteurs entre la fête du roi-boit & les saturnales, leur a fait avancer que la premiere étoit une imitation & une suite de la seconde : en effet, disent-ils, la fête des saturnales commençoit en Décembre, continuoit dans les premiers jours de Janvier, qui est aussi le tems de la fête des Rois. Les peres de famille envoyoient à l'entrée des saturnales, des gâteaux avec des fruits à leurs amis ; l'usage des gâteaux subsiste encore. Ces amis mangeoient ensemble : c'est ce que l'on pratique aussi la veille & le jour des Rois. La premiere cérémonie des saturnales consistoit à élire un roi de la fête ; & Lucien fait dire plaisamment à Saturne, faisons des rois à qui nous obéissions agréablement. L'élection d'un roi est aussi parmi nous la premiere action de l'Epiphanie, avec cette différence que les Payens élisoient leur roi par le sort des dés, & que nous l'élisons par la rencontre de la feve. Le même Lucien nous apprend que le plaisir consistoit à boire, s'enivrer, & crier. C'est à-peu-près la même chose parmi nous, & nous marquons notre joie non seulement par la bonne-chere, mais encore par nos acclamations quand le roi boit.

Cependant toutes ces applications générales ne prouvent rien, & ne se trouvent un peu justes que par les abus que le tems a amenés dans la célébration de la fête de l'Epiphanie ; car d'un côté la qualité des personnes qui célébroient ces deux fêtes, & de l'autre, le terme de leur durée, font voir clairement que ce sont deux différentes fêtes, qui n'ont qu'un rapport éloigné.

Disons donc qu'il est plus naturel de croire que le souper de la veille des Rois est une suite de la veille, que les Chrétiens célébroient d'abord avec beaucoup de respect & de religion ; mais le tems, le lieu, & les autres circonstances de ces assemblées nocturnes, favorisoient trop la corruption pour qu'elle ne s'introduisît pas dans la fête ; le scandale même devint à la fin si grand & si pernicieux, que par plusieurs conciles l'on fut obligé de défendre ces assemblées : cependant on ne put pas les abolir entierement ; & pour en conserver le souvenir, les parens s'assemblerent avec leurs amis, se régalerent ; & afin de remarquer l'origine du festin, ils observerent de le bénir avant que de se mettre à table ; & même en partageant le gâteau, la premiere portion étoit destinée pour Dieu, ce qui seul suffiroit, ce me semble, pour détruire la comparaison de la fête des Rois avec celle des saturnales.

On solennisoit autrefois dans notre royaume la fête des Rois avec beaucoup plus de pompe & d'apparat qu'à présent. En effet nous lisons dans le journal d'Henri III. " qu'en 1578, le lundi 6 de Janvier la demoiselle de Pons de Bretagne, royne de la feve, fut par le roy désespérément brave, frisé, & gauderonné, menée du chasteau du Louvre à la messe en la chapelle de Bourbon, étant le roy suivi de ses jeunes mignons, autant & plus braves que lui ". On sait aujourd'hui que l'Epiphanie se célebre à la cour avec une si grande simplicité, qu'elle seroit peut-être tolérée par ce sévere docteur de Sorbonne, qui regardoit toutes les réjoüissances de l'Epiphanie comme des profanations criminelles ; je parle de M. Jean Deslions, mort à Senlis au commencement de ce siecle, âgé de 85 ans. On connoît son petit livre sur cette matiere ; il est intitulé, discours ecclésiastique contre le paganisme du roi-boit. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPIPHÉNOMENES. m. (Med.) ce terme est grec, composé d', super, & , apparens. Les anciens s'en servoient dans le même sens que d'épigenême, , pour désigner les affections morbifiques qui surviennent dans une maladie, outre les symptomes qui lui sont propres, & qui procedent d'une cause différente de celle qui a produit ceux-ci.

M. Quesnay, dans son nouveau traité des fievres, dit avoir été obligé de se servir du terme d'épiphénomene, n'ayant pû trouver aucun nom françois assez significatif pour exprimer distinctement ce que les anciens entendoient par ce mot, & ce qu'il s'agit de désigner par une dénomination qui marque bien sensiblement le genre d'affection morbifique qui vient d'être défini ; ainsi c'est en quelque sorte malgré lui, ajoûte-il, qu'il s'est déterminé à rappeller un terme grec, qui depuis long-tems est presque entierement hors d'usage.

Les Arts & les Sciences gagnent toûjours à acquérir des termes propres, dès qu'ils peuvent servir à éviter les circonlocutions, ou l'obscurité dans leur langage respectif. Voyez MALADIE, SYMPTOME, ACCIDENT. (d)


EPIPHONÊMES. f. (Rhét.) mot consacré que nous avons emprunté des Grecs à l'exemple des Latins.

C'est une figure de Rhétorique qui consiste ou dans une espece d'exclamation à la fin d'un récit de quelque évenement, ou dans une courte réflexion sur le sujet dont on a parlé. Cette figure échappe aux esprits vifs & aux esprits profonds : son élégance part du goût, du choix, de la vérité ; il faut aussi qu'elle naisse du sujet, & qu'elle coule de source ; alors c'est un dernier coup de pinceau qui fait une image frappante dans l'esprit du lecteur, ou de l'auditeur. Ainsi Virgile, après avoir dépeint tout ce que la colere suggere à une déesse immortelle contre son héros, ne peut s'empêcher de s'écrier, Tantae-ne animis celestibus irae ! & dans un autre endroit, Tantae molis erat romanam condere gentem ! C'est encore une belle épiphonême, & souvent citée, que celle de S. Paul, lorsqu'après avoir discouru de la rejection des Juifs, & de la vocation des Gentils, il s'écrie : O profondeur des richesses, de la sagesse, & de la connoissance de Dieu !

Cette figure n'est déplacée dans aucun ouvrage, mais il me semble que c'est dans l'histoire qu'elle produit sur-tout un effet intéressant. Velleius Paterculus qui, indépendamment du style, nous a montré son talent pour l'éloquence, dans son éloge admirable de Cicéron, est l'historien romain qui se soit le plus servi de l'épiphonême ; il a l'art de l'employer avec tant de grace, que personne ne l'a surpassé dans cette partie. Aussi faut-il convenir que cette figure mise en oeuvre aussi judicieusement qu'il l'a sû faire, a des charmes pour tout le monde ; parce que rien ne plaît, ne délasse, n'attache, & n'instruit davantage, que ces sortes de pensées sentencieuses & philosophiques jointes à la fin d'un récit des grandes actions & des principaux faits, dont on vient de tracer le tableau fidele. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPIPHORES. m. (Med.) Epiphora est un terme qui vient du grec , de , cum impetu ferre, porter avec impétuosité. Il est employé en différens sens.

1°. Il signifie, généralement pris, toute sorte de transport contre nature d'humeurs dans quelque partie du corps que ce soit, & particulierement du sang, selon Scribonius Largus, n. 243. ainsi il peut être appliqué à toute tumeur inflammatoire.

2°. On appelle plus spécialement epiphora, selon Galien, l. IV. de C. M. S. C. cap. vij. &c. une fluxion inflammatoire qui se fait sur les yeux ; ce qui est la même chose que l'ophthalmie. V. OPHTHALMIE.

3°. La signification la plus reçue du mot épiphore, est appliquée au flux de larmes habituel, causé par un relâchement des canaux excrétoires des glandes, dans lesquelles se fait la secrétion de cette humeur : ces canaux n'offrant pas assez de résistance à l'impulsion des fluides qu'ils reçoivent dans leur cavité, il s'y fait une dérivation des parties voisines ; ils en sont abreuvés en trop grande quantité, n'ayant pas la force de les retenir, il s'en fait un écoulement proportionné, & par conséquent immodéré respectivement à l'état naturel : c'est un vrai diabete des glandes lacrymales ; l'humeur dont elles regorgent se répand sur la surface de l'oeil, & sur le bord de la paupiere inférieure en plus grande abondance, que les points lacrymaux n'en peuvent recevoir, pour la porter dans la cavité des narines : elle se ramasse conséquemment vers le grand angle de l'oeil, & s'écoule hors de la gouttiere sur la surface extérieure de la paupiere & des joues, ensorte que les yeux paroissent toûjours mouillés & pleurans tant que dure ce vice, qui est quelquefois incurable, " ceux qui y sont sujets, dit Maitre-Jean, dans son traité des maladies de l'oeil, part. III. chap. iij. " ont ordinairement la tête grosse & large, sont d'un tempérament phlegmatique, & travaillés souvent de fluxions sur les yeux ".

Les collyres astringens sont les seuls topiques qu'il convient d'employer contre le relâchement qui cause l'épiphore. On peut avoir recours aux vesicatoires appliqués derriere les oreilles à la nuque, pour faire diversion à l'humeur qui engorge les glandes lacrymales. Le cautere au bras peut aussi satisfaire à la même indication ; mais ce qui est plus propre à la remplir, c'est l'usage réitéré des purgatifs qui ont de l'astriction, comme la rhubarbe. L'évacuation par la voie des selles est en général plus propre qu'aucun autre moyen, à détourner la matiere de fluxions qui se font sur les yeux, ou sur les parties qui en dépendent. Hippocrate l'avoit éprouvé sans-doute, lorsqu'il a dit que le cours-de-ventre à celui qui a une fluxion sur les yeux, est très-salutaire, lippienti profluvio alvi corripi, bonum. Aphor. xvij. sect. 6. Ainsi on doit imiter la nature, c'est-à-dire suppléer à son défaut, par les secours de l'art, pour procurer une évacuation de cette espece dans le cas dont il s'agit, dont l'utilité est autant constatée par l'expérience, que l'autorité de celui qui l'assûre est bien établie par l'exactitude & la vérité de ses observations. Voyez FLUXION. (d)


EPIPHYSES. f. (Anat.) appendice cartilagineuse, en grec , de , croître dessus. Epiphyse est le nom que donnent les Anatomistes à certaines éminences cartilagineuses, qui paroissent des pieces rapportées, ajoûtées, & unies au corps de l'os, de la même maniere que la partie cartilagineuse des côtés l'est à l'égard de leur portion osseuse. Les épiphyses se rencontrent dans toutes les articulations avec mouvement.

L'union des épiphyses au corps de l'os, se fait par le moyen d'un cartilage qui se durcit, s'ossifie presque toûjours vers la deuxieme année, & ne forme dans la suite avec l'os qu'une seule piece, de maniere qu'il n'est plus possible de les séparer. En effet si dans l'adulte avancé en âge l'on scie l'os & l'épiphyse en même tems, on y découvre à peine les traces du cartilage qui faisoit auparavant leur union : cependant il est certain que le bout des os des extrémités, & la plûpart des apophyses, ont été épiphyses dans l'enfance ; phénomene curieux dont l'explication mériteroit un traité particulier qui nous manque encore en Physiologie. Mais ne pouvant entrer ici dans un pareil détail, nous nous contenterons seulement de remarquer que l'union des épiphyses au corps de l'os, permet à une partie du périoste de s'insinuer entre deux, de sorte que par ce moyen plusieurs vaisseaux sanguins s'y glissent, & portent à l'os de même qu'à la moelle, la matiere de leur nourriture.

Observons aussi qu'il y a des épiphyses qui ont encore leur apophyse, comme l'épiphyse inférieure du tibia ; & qu'il y a semblablement des apophyses qui portent des épiphyses, comme il paroît dans le grand trochanter. Ainsi la tête du fémur est dans les jeunes sujets, quelquefois dans les adultes, un épiphyse de la partie de cet os qu'on appelle son cou.

Les épiphyses prennent, ainsi que les apophyses, des noms différens tirés de leur figure. Par exemple, quand elles sont sphéroïdes, elles s'appellent tête ; quand l'éminence est placée immédiatement au dessous de la tête, cou ; quand la tête est plate, condyle ; quand sa surface est raboteuse, tubérosité : celles qui se terminent en maniere de stilet, sont nommées stiloïdes ; celles qui ont la forme d'un mamelon, mastoïdes ; celles qui ressemblent à une dent, odontoïdes ; à une chauve-souris, ptérigoïdes, &c. mais tous ces rapports, vrais ou prétendus, ne sont que de pures minuties anatomiques dont cette science est accablée.

Les épiphyses ont des usages qui leur sont communs avec les apophyses, comme de servir en général à l'articulation, à attacher les muscles & les ligamens dont elles augmentent la fermeté, à rendre les os plus legers par leur spongiosité, plus forts & moins cassans, en multipliant les pieces. Elles servent encore à augmenter la force des muscles, en donnant plus d'étendue à l'extrémité des os : on peut ajoûter que la situation & la figure particuliere des épiphyses, les rendent capables d'autant d'usages différens. Enfin ces sortes d'éminences cartilagineuses préviennent dans les enfans la fracture des os, & font que dans l'accroissement du corps ils peuvent s'allonger plus aisément, & parvenir à leur juste grandeur. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPIPLOCELES. f. en Chirurgie, espece de hernie ou tumeur, qui est occasionnée par la descente de l'épiploon dans l'aine. Voyez HERNIE & ENTERO-EPIPLOCELE. (Y)


EPIPLOIQUEadj. en Anatomie, se dit des arteres & des veines qui se distribuent dans la substance de l'épiploon. Il y a une artere épiploïque qui vient de la branche hépatique.

L'épiploïque droite est une branche de l'artere coeliaque, qui vient du côté droit de la partie intérieure ou postérieure de l'estomac. Voyez COELIAQUE.

L'épiploïque postérieure, c'est une branche de l'artere coeliaque qui part de l'extrémité de la splénique, & qui va se distribuer à la partie postérieure de l'épiploon.

L'épiploïque gauche est une branche de l'artere coeliaque, qui se distribue au côté gauche & inférieur de l'épiploon. (L)


EPIPLONPHALES. f. en Chirurgie, espece d'exomphale ou descente du nombril, qui consiste en une tumeur ou gonflement de cette partie, produit par le déplacement de l'épiploon. Voyez EXOMPHALE & ENTERO-EPIPLONPHALE.

Ce mot est composé du grec, , épiploon, coiffe, & , nombril. (Y)


EPIPLOONS. m. en Anatomie, membrane grasse répandue sur les intestins, & qui entre même dans leurs sinuosités. On l'appelle aussi omentum, & le peuple la nomme coiffe.

Ce mot est formé du grec, , flotter dessus, parce que cette membrane paroît à la vérité flottante sur les intestins. (L)


EPIPLOSARCONPHALES. f. en Chirurgie, espece de tumeur ou d'exomphale, qui est formée de l'épiploon, & compliquée d'une excroissance de chair. Voyez EXOMPHALE.

Ce mot est formé de trois mots grecs, , épiploon, , chair, , nombril. (Y)


EPIPYRGIDEadj. pris subst. c'est-à-dire plus grande qu'une tour ; c'est ainsi que les Athéniens appelloient une statue colossale à trois corps, qu'ils avoient consacrée à Hécate.


EPIQUEadj. Poëme épique : on appelle ainsi un poëme où l'on célebre quelques actions signalées d'un héros. Voyez EPOPEE.


EPIRE(Hist. anc. Géog.) Le nom d'Epire se prend en deux sens par les écrivains grecs ; ils s'en servent quelquefois pour exprimer en général ce que nous appellons Continent, & quelquefois pour désigner plus particulierement un pays d'Europe, qui étoit situé entre la Thessalie & la mer Adriatique, & qui fait partie de l'Albanie moderne.

Son voisinage avec la Grece a sur-tout contribué à le rendre fameux dans l'ancienne histoire ; & quoiqu'il fût d'une très-petite étendue, cependant Strabon y compte jusqu'au nombre de quatorze nations Epirotes : tels furent les Chaoniens, les Thesprotes, les Molosses, les Ethisiens, les Athamanes, les Perrhebes, les Embrasiens, &c. Mais nous ne nous engagerons point dans ce défilé ; nous ne rechercherons pas non plus les raisons qui ont porté les Poëtes à placer leur enfer dans cette partie de la Grece ; encore moins parlerons-nous du combat d'Hercule & de Geryon, qui rendit ce pays célebre : tout cela n'est point du ressort de cet Ouvrage. Nous devons, au contraire, nous hâter de dire que l'Epire, qui étoit d'abord un royaume libre, fut ensuite soûmis aux rois de Macédoine, & tomba enfin sous le pouvoir des Romains. On sait que Paul Emile ayant vaincu Persée, dernier roi de Macédoine, ruina soixante-dix villes des Epirotes qui avoient pris le parti de ce prince, y fit un butin immense, & emmena 150 mille esclaves.

Les empereurs de Grece établirent des Despotes en Epire, qui posséderent ce pays jusqu'au regne d'Amurat II. Ce conquérant le réunit aux vastes états de la porte ottomane. Ainsi les Epirotes libres dans leur origine, riches, braves, & guerriers, sont à présent serfs, lâches, misérables : épars dans les campagnes ruinées, ils s'occupent à cultiver la terre, ou à garder les bestiaux dans de gras pâturages, qui nous rappellent ceux qu'avoient les boeufs de Geryon, dont les historiens nous ont tant parlé ; mais c'est la seule chose des états du fils d'Achille qui subsiste encore la même. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPISCAPHIESadj. pris subst. (Myth.) Les Rhodiens célébroient des fêtes qu'ils appelloient les fêtes des barques, ou les épiscaphies. Episcaphie vient d', sur, & de , barque.


EPISCENESad. pris subst. (Myth.) Les Lacédémoniens célébroient des fêtes qu'ils appelloient les fêtes des tentes, ou les épiscenes. Episcenes est formé d', sur, & de , tente.


EPISCOPALse dit de tout ce qui a rapport à la dignité ou à la personne des évêques : ainsi l'on dit dignité épiscopale, le corps épiscopal, croix épiscopale, palais épiscopal, &c.


EPISCOPATS. m. (Hist. eccl.) ordre ou dignité d'un évêque : c'est la plénitude & le complement du sacerdoce de la loi nouvelle.

On convient généralement que tous les évêques, en vertu de la dignité épiscopale, ont une égale puissance d'ordre ; & c'est en ce sens que l'on dit qu'il n'y a qu'un épiscopat, & que cet épiscopat est solidairement possédé par chacun des évêques en particulier. Episcopatus unus est (dit S. Cyprien, lib. de unit. Ecclesiae), cujus pars à singulis in solidum tenetur.

Les Théologiens scholastiques sont partagés sur la question, savoir si l'épiscopat, c'est-à-dire l'ordination épiscopale, est un ordre & un sacrement. Les uns, comme Guillaume d'Auxerre, Almani, Cajetan, Bellarmin, Maldonat, Isambert, &c. soûtiennent que l'épiscopat est un sacrement & un ordre proprement dit, distingué de la prêtrise, mais qui doit toûjours néanmoins en être précédé : Hugues de S. Victor, Pierre Lombard, S. Bonaventure, Soto & plusieurs autres, prétendent que l'épiscopat n'est ni un ordre ni un sacrement, mais que l'ordination épiscopale confere à celui qui la reçoit une puissance & une dignité supérieure à celle des prêtres. Durand & quelques autres regardent simplement l'épiscopat comme une extension du caractere sacerdotal. Le premier de ces sentimens est le plus généralement suivi ; mais ceux qui le soûtiennent sont encore divisés sur ce qui constitue la matiere & la forme de l'épiscopat considéré comme sacrement.

Comme on pratique dans la consécration des évêques plusieurs cérémonies différentes, telles que l'imposition des mains, l'onction sur la tête & sur les mains, l'imposition du livre de l'évangile sur le col & les épaules de l'élû, la tradition de la crosse & de l'anneau, & celle même du livre des évangiles, les Théologiens ont pensé qu'outre l'imposition des mains quelqu'une de ces cérémonies étoit matiere essentielle de l'épiscopat. Mais comme en ce point on doit plus faire attention à la pratique universelle & constante de l'Eglise qu'aux opinions particulieres des Théologiens, il est clair que la plûpart de ces cérémonies n'ont été ni par-tout, ni de tout tems en usage dans la consécration des évêques. Quant à l'onction de la tête & des mains, elle n'est point en usage chez les Grecs, comme le remarquent les PP. Morin, Goar & Martenne, cependant on ne leur conteste point la validité ni la succession de l'épiscopat. L'imposition du livre des évangiles sur la tête & les épaules de l'évêque élû n'est point fondée dans l'antiquité ; Isidore de Seville, qui vivoit dans le vij. siecle, n'en dit pas un mot dans la description qu'il donne de la consécration des évêques, lib. II. de officiis divin. cap. v. Almain & Amalaire, traitant des mêmes matieres, regardent cette cérémonie comme une chose nouvelle qui n'avoit aucun fondement dans la tradition, & qu'on ne pratiquoit point encore de leur tems dans les églises de France & d'Allemagne. Enfin la tradition de l'évangile, de la crosse & de l'anneau, est d'un usage encore plus récent, & même aujourd'hui inconnu dans l'église greque, comme l'observe le P. Morin : d'où il est aisé de conclure que l'imposition des mains seule est la matiere de l'épiscopat ; elle est expressément marquée dans l'Ecriture comme le signe sensible qui confere la grace. Les Peres & les Conciles s'accordent à la regarder comme matiere ; l'usage de l'église latine & greque la confirme dans cette possession, & toutes les diverses autres cérémonies, dont nous venons de parler, n'ont pour elles ni la même antiquité dans l'origine, ni la même uniformité dans la pratique.

Ce partage de sentimens, sur ce qui constitue la matiere essentielle de l'épiscopat, en a entraîné nécessairement un pareil, sur ce qui doit en faire la forme : les uns l'ont fait consister dans ces paroles, recevez le S. Esprit ; d'autres dans celles qui accompagnent la tradition de l'évangile, de l'anneau & de la crosse ; d'autres dans celles que profere l'évêque consécrateur, en faisant l'onction sur la tête & sur les mains de l'évêque élû. Mais comme il est de principe parmi les Théologiens, que la forme doit toûjours être jointe avec la matiere ; dès qu'il est évident, comme nous l'avons insinué, qu'aucune de ces cérémonies extérieures n'est matiere de l'épiscopat, il s'ensuit nécessairement qu'aucune des prieres qui les accompagnent n'en est la forme, & par conséquent qu'elle se réduit aux prieres, qui attirent sur celui qui est élû la grace du S. Esprit, & qui accompagnent l'imposition des mains.

On forme encore sur l'épiscopat une question importante, savoir si une personne qui n'est pas prêtre peut être ordonnée évêque, & si son ordination & sa consécration en cette derniere qualité est valide. Tous les Théologiens conviennent que l'ordination dont il s'agit est illicite, parce que les regles de l'Eglise demandent qu'on monte par degrés à l'épiscopat, & qu'on reçoive les ordres inférieurs : mais ils se partagent sur la validité de l'ordination épiscopale qui n'est pas précédée de l'ordination sacerdotale. Bingham, dans ses origines ecclésiastiques, liv. XI. chap. x. §. 5. prétend que plusieurs diacres ont été ordonnés évêques sans avoir passé par l'ordre de prêtrise : Cecilien, selon Optat, n'étoit qu'archidiacre, c'est-à-dire premier diacre de l'église de Carthage, lorsqu'il en fut fait évêque. Théodoret & S. Epiphane assûrent la même chose de S. Athanase, lorsqu'il fut élevé sur le siége d'Alexandrie : Libérat, Socrate & Théodoret disent aussi que les papes Agapet, Vigile & Félix n'étoient que diacres lorsqu'ils furent élûs papes. Mais outre que ces auteurs marquent simplement le degré où étoient les sujets dont ils parlent lorsqu'ils avoient été élûs, & qu'ils ne marquent point qu'entre leur élection & leur consécration ils n'ont pas été ordonnés prêtres, il paroît que la coûtume de l'Eglise étoit de n'ordonner aucun évêque qui n'eût passé préalablement par l'ordre de prêtrise ; c'est la disposition du concile de Sardique, can. X. Si quis ex foro, sive dives, sive scholasticus, episcopus fieri dignus habeatur, non priùs constituatur quàm lectoris, & diaconi, & presbyteri ministerium peregerit. Il veut même qu'entre chaque ordre on garde des interstices assez longs pour s'assûrer de la foi & des moeurs du sujet : & nous voyons que si dans les occasions extraordinaires, comme dans la promotion de S. Ambroise à l'épiscopat, on dispensoit de ces interstices, on ne dispensoit pas pour cela de la réception des ordres, ni par conséquent de la prêtrise ; d'où il est aisé de conclure qu'on n'en exempta ni Cécilien, ni S. Athanase, ni Agapet, ni les autres, & que l'expression cum diaconus esset, episcopus ordinatus est, doit se réduire à celle-ci, cùm diaconus esset, episcopus electus est ; ce qui n'exclut point la promotion à la prêtrise.

D'ailleurs il est difficile de concevoir comment ces ordinations n'auroient pas été nulles ; car c'est aux évêques à ordonner des prêtres, c'est-à-dire à communiquer à certains fideles le pouvoir de célébrer les saints mysteres & d'absoudre les pécheurs, pouvoir que les évêques ne peuvent communiquer, si eux-mêmes ne l'ont reçû : or l'ordination épiscopale seule ne confere pas ce double pouvoir ; les évêques n'en pourroient donc être la source ni le principe, s'ils n'avoient été préalablement ordonnés prêtres. Mais quoique cette derniere opinion paroisse la mieux fondée, l'autre néanmoins ne peut être accusée d'erreur, l'Eglise n'ayant rien décidé sur ce point. Voyez EVEQUE. (G)


EPISCOPAUX(Hist. mod. d'Angl.) c'est le nom qu'on donna en Angleterre sous Jacques I. à ceux qui adhéroient aux rits de l'église anglicane, par opposition aux Calvinistes, qu'on appella Presbytériens. Voyez PRESBYTERIENS.

Dans la suite, sous Charles I. ceux qui suivoient le parti du roi furent nommés Episcopaux rigides, & les parlementaires, Presbytériens rigides.

Quand Charles II. fut monté sur le throne, les différentes branches des deux partis commencerent à se mieux distinguer ; & comme ils se rapprocherent, ils formerent les deux branches de Wighs & de Torys mitigés par rapport à la religion, de même que par rapport au gouvernement.

Il faut se mettre au fait du sens qu'ont eu tous ces divers mots, suivant les tems & les conjonctures, pour bien entendre l'histoire d'une nation libre, & par conséquent toûjours agitée, où les deux partis qui dominent dans l'état, échauffés par les disputes, animés de plusieurs passions, se distinguent par des sobriquets, par des noms particuliers plus ou moins odieux ; ces noms changent souvent, augmentent de force ou s'adoucissent, selon que le peuple, inquiet sur sa situation, grossit l'objet de ses craintes, ou revenant des impressions violentes qu'on lui a données, appaise ses frayeurs, rentre dans le calme, & se sert alors dans chaque parti de termes plus modérés que ceux qu'il employoit auparavant. Article de M(D.J.)

De tous les sectaires les Episcopaux sont ceux qui sont le moins éloignés de l'église romaine, pour ce qui concerne la discipline ecclésiastique ; ils ont des évêques, des prêtres, des chanoines, des curés & autres ministres inférieurs, & un office qu'ils appellent liturgie. Il est vrai que les Catholiques ne conviennent pas que l'ordination des ministres de cette société soit légitime & valide : on a agité cette question avec beaucoup de chaleur depuis 25 ans ; le P. le Courayer, ci-devant chanoine régulier & bibliothéquaire de sainte Génevieve, aujourd'hui réfugié en Angleterre & docteur d'Oxford, ayant écrit en faveur des Anglicans, sa dissertation a été réfutée par le P. Hardouin, jésuite, & par le P. le Quien, jacobin réformé, sans parler de deux ou trois autres théologiens qui sont encore entrés en lice, & auxquels le P. le Courayer a repliqué. Voyez ORDINATION.

Les Episcopaux, outre ces titres, ont retenu une grande partie du droit canon & des décretales des papes pour la discipline & la police ecclésiastique. Leur liturgie, qu'ils nomment autrement le livre des communes prieres, contient non-seulement leur office public, qui est presque le même que celui de l'église latine, mais encore la maniere dont ils administrent les sacremens. Ils ont l'office des matines qu'ils commencent par Domine labia nostra aperies ; ensuite on chante le pseaume Venite, puis les pseaumes & les leçons de chaque jour : ils disent aussi le cantique Te Deum, & quelques pseaumes de ceux que nous lisons dans l'office de laudes. Ils commencent aussi leurs vêpres par les versets Domine labia nostra aperies, & Deus in adjutorium, &c. puis ils récitent les pseaumes propres au jour, & ils ont à cet effet un calendrier où sont marquées les féries & les fêtes fixes ou mobiles, ayant pour chacune des offices propres. Ils célebrent aussi les dimanches, & distinguent ceux de l'avent, d'après l'épiphanie, d'après la pentecôte, ceux de la septuagésime, sexagésime, quinquagésime, trinité, &c. ils ont pour chacun de ces jours des collectes ou offices du matin, pour tenir lieu de la messe, qu'ils ont abolie, & dont ils ont proscrit jusqu'au nom. On y récite l'épître, l'évangile, quelques oraisons, le gloria in excelsis, le symbole, des préfaces propres à chaque solennité ; mais ils ont réformé le canon de la messe, & font leur office en langue vulgaire pour être entendus du peuple. La maniere dont ils administrent les sacremens est aussi marquée dans ce livre, & est peu différente de la nôtre : le ministre qui baptise, après avoir prononcé les paroles sacramentelles, je te baptise au nom du pere, &c. fait un signe de croix sur le front de l'enfant. L'évêque donne aussi la confirmation en imposant les mains sur la tête des enfans, & récitant quelques oraisons auxquelles il ajoûte sa bénédiction. Enfin on trouve dans cette liturgie la maniere d'ordonner les prêtres, les diacres, &c. la forme de bénir le mariage, de donner le viatique aux malades, & plusieurs autres cérémonies fort semblables à celles qu'on pratique dans l'église romaine : par exemple, ils reçoivent la communion à genoux ; mais ils ont déclaré qu'ils n'adoroient point l'Eucharistie, dans laquelle ils ne pensent pas que Jesus-Christ soit réellement présent : sur ce point, & sur presque tout ce qui concerne le dogme, ils conviennent avec les Calvinistes. Cette liturgie fut autorisée sous Edouard VI. la cinquieme ou sixieme année de son regne, par un acte du parlement, & confirmée de même sous Elisabeth. Les évêques, prêtres, diacres & autres ministres épiscopaux peuvent se marier, & la plûpart le sont. Leur église est dominante en Angleterre & en Irlande ; mais en Ecosse, où les Presbytériens & les Puritains sont les plus forts, on les regarde comme non conformistes : ceux-ci, à leur tour, ont le même nom en Angleterre ; on les y laisse joüir des mêmes priviléges que les Anglicans, & cela sans restriction : ils ne sont pas même assujettis au serment du test ; & lorsqu'on les met dans des emplois de confiance, on leur fait seulement prêter serment au gouvernement. Quant aux ministres épiscopaux, ils sont sujets à plusieurs lois pénales, sur-tout s'ils refusent de prêter les sermens du test & de suprématie. Voyez TEST & SUPREMATIE. (G)


EPISODES. m. (Belles-Lettres) se prend pour un incident, une histoire ou une action détachée, qu'un poëte ou un historien insere dans son ouvrage & lie à son action principale pour y jetter une plus grande diversité d'évenemens, quoiqu'à la rigueur on appelle épisode tous les incidens particuliers dont est composée une action ou une narration.

Dans la poësie dramatique des anciens on appelloit épisode la seconde partie de la tragédie. L'abbé d'Aubignac & le P. le Bossu ont traité l'un & l'autre de l'origine & de l'usage des épisodes. La tragédie à sa naissance n'étant qu'un choeur, on imagina depuis, pour varier ce spectacle, de diviser les chants du choeur en plusieurs parties ; & d'en occuper les intervalles par un récitatif qu'on confia d'abord à un seul acteur, ensuite à deux, & enfin à plusieurs, & qui étant comme étranger ou surajoûté au choeur, en prit le nom d'épisode.

De-là l'ancienne tragédie se trouva composée de quatre parties, savoir le prologue, l'épisode, l'exode, & le choeur : le prologue étoit tout ce qui précédoit l'entrée du choeur (voyez PROLOGUE) : l'épisode tout ce qui étoit interposé entre les airs que le choeur chantoit : l'exode tout ce qu'on récitoit après que le choeur avoit fini de chanter pour la derniere fois ; & le choeur, tous les chants qu'exécutoit la partie des acteurs, qu'on nommoit proprement le choeur. Voyez CHOEUR & EXODE.

Ce récit des acteurs étant distribué en différens endroits, on peut le considérer comme un seul épisode composé de plusieurs parties, à moins qu'on n'aime mieux donner à chacune de ces parties le nom d'épisode : en effet c'étoit quelquefois un même sujet divisé en différens récits, & quelquefois chaque récit contenoit son sujet particulier indépendant des autres. A ne considérer que la premiere institution de ces pieces surajoûtées, il ne paroît nullement nécessaire qu'on y ait observé l'unité du sujet, au contraire, trois ou quatre récits d'actions différentes, sans liaison entr'elles, paroissent avoir été également propres à soulager les acteurs, à divertir le peuple, & conformes à la grossiereté de l'art, qui n'étant encore qu'au berceau, auroit mal soûtenu la continuité d'une action, pour peu qu'il eût voulu lui donner d'étendue : difficulté qui a fait tolérer jusqu'ici les épisodes dans le poëme épique. Voyez EPOPEE.

Ce qui n'avoit été qu'un ornement dans la tragédie, en étant devenu la partie principale, on regarda la totalité des épisodes comme ne devant former qu'un seul corps, dont les parties fussent dépendantes les unes des autres. Les meilleurs poëtes conçurent leurs épisodes de la sorte, & les tirerent d'une même action ; pratique si généralement établie du tems d'Aristote, qu'il en a fait une regle, en sorte qu'on nommoit simplement tragédies, les pieces où l'unité de ces épisodes étoit observée, & tragédies épisodiques, celles où elle étoit négligée. Les épisodes étoient donc dans les drames des anciens, ce que nous appellons aujourd'hui actes dans une tragédie ou comédie. Voyez EPISODIQUE.

EPISODE, dans le même sens, est un incident, une partie de l'action principale. Toute la différence qu'Aristote met entre l'épisode tragique & l'épisode épique, c'est que celui-ci est plus susceptible d'étendue que le premier. Voyez EPIQUE.

Ce philosophe employe le mot d'épisode en trois sens différens. Le premier est pris du dénombrement des parties de la tragédie, tel que nous l'avons rapporté ci-dessus ; d'où il s'ensuit que dans la tragédie ancienne l'épisode étoit tout ce qui ne composoit ni le prologue, ni l'exode, ni le choeur ; & comme ces trois dernieres parties n'entrent point dans la tragédie moderne, le terme d'épisode signifieroit en ce sens la tragédie toute entiere. De même l'épisode épique seroit le poëme tout entier, en en retranchant la proposition & l'invocation ; mais si les parties & les incidens dont le poëte compose son ouvrage sont mal liés les uns avec les autres, le poëme sera épisodique & défectueux : c'est-à-dire, pour éclaircir la pensée de l'auteur grec, que le terme épisode est équivalent à poëme ou à unité d'action. Mais ce n'est pas là proprement le sens que les modernes lui donnent. De plus comme tout ce qu'on chantoit dans la tragédie, quoique divisé en scenes, étoit compris sous le nom général de choeur, de même chaque partie de la fable ou de l'action, chaque incident, quoiqu'il formât à part un épisode, étoit compris sous le nom général d'épisode, qu'on donnoit à toute l'action prise ensemble. Les parties du choeur étoient autant de choeurs, & les parties de l'épisode autant d'épisodes.

En ce sens (& c'est le second qu'Aristote donne à ce terme) chaque partie de l'action exprimée dans le plan & dans la premiere constitution de la fable, étoient autant d'épisodes ; telles sont dans l'Odissée, l'absence & les erreurs d'Ulysse, le desordre qui regne dans sa maison, son retour, & sa présence qui rétablissent toutes choses.

Aristote nous donne encore une troisieme sorte d'épisode, lorsqu'il dit que ce qui est compris & exprimé dans le premier plan de la fable, est propre, & que les autres choses sont des épisodes. Par propre il entend ce qui est absolument nécessaire, & par épisode ce qui n'est nécessaire qu'à certains égards, & que le poëte peut ou employer ou rejetter. C'est ainsi qu'Homere après avoir dressé le premier plan de sa fable de l'Odyssée, n'a plus été maître de faire ou de ne pas faire Ulysse absent d'Ithaque ; cette absence étoit essentielle, & par cette raison Aristote le met au rang des choses propres à la fable : mais il ne nomme point de la sorte les avantures d'Antiphate, de Circé, des Syrennes, de Scylla, de Caribde, &c. le poëte avoit la liberté d'en choisir d'autres ; ainsi elles sont des épisodes distinguées de la premiere action, à laquelle en ce sens elles ne sont point propres ni immédiatement nécessaires. Il est vrai qu'on peut dire qu'elles le sont à quelques égards ; car l'absence d'Ulysse étant nécessaire, il falloit aussi nécessairement que n'étant pas dans son pays il fût ailleurs. Si donc le poëte avoit la liberté de ne mettre que les avantures particulieres que nous venons de citer, & qu'il a choisies, il n'avoit pas la liberté générale de n'en mettre aucunes. S'il eût omis celles-ci, il eût été nécessairement obligé de leur en substituer d'autres, ou bien il auroit omis une partie de la matiere contenue dans son plan, & son poëme auroit été défectueux. Le défaut de ces incidens n'est donc pas d'être tels que le poëte eût pû, sans changer le fonds de l'action, leur en substituer d'autres ; mais de n'être pas liés entr'eux de façon que le précédent amene celui qui le suit ; car c'est peu de se succéder, il faut encore qu'ils naissent les uns des autres.

Le troisieme sens du mot épisode, revient donc au second ; toute la différence qui s'y rencontre, c'est que ce que nous appellons épisode dans le second sens, est le fonds ou le canevas de l'épisode pris dans le troisieme sens, & que ce dernier ajoûte à l'autre certaines circonstances vraisemblables, quoique non nécessaires, des lieux, des princes, & des peuples chez lesquels Ulysse a été jetté par le courroux de Neptune.

Il faut encore ajoûter que dans l'épisode pris en ce troisieme sens, l'incident ou l'épisode dans le premier sens sur lequel l'autre est fondé, doit être étendu & amplifié, sans quoi une partie essentielle de l'action & de la fable n'est pas un épisode.

Enfin c'est à ce troisieme sens qu'il faut restraindre le précepte d'Aristote, qui prescrit de ne faire les épisodes qu'après qu'on a choisi les noms qu'on veut donner aux personnages. Homere, par exemple, n'auroit pas pû parler de flotte & de navires comme il a fait dans l'Iliade, si au lieu des noms d'Achille, d'Agamemnon, &c. il avoit employé ceux de Capanée, d'Adraste, &c. Voyez FABLE.

Le terme d'épisode, au sentiment d'Aristote, ne signifie donc pas dans l'épopée un évenement étranger ou hors d'oeuvre, mais une partie nécessaire & essentielle de l'action & du sujet ; elle doit être étendue & amplifiée avec des circonstances vraisemblables.

C'est par cette raison que le même auteur prescrit que l'épisode ne soit point ajoûté à l'action & tiré d'ailleurs, mais qu'il fasse partie de l'action même ; & que ce grand maître parlant des épisodes ne s'est jamais servi du terme ajoûter, quoique ses interpretes l'ayent trouvé si naturel ou si conforme à leurs idées, qu'ils n'ont pas manqué de l'employer dans leurs traductions ou dans leurs commentaires. Il ne dit cependant pas qu'après avoir tracé son plan & choisi les noms de ses personnages, le poëte doive ajoûter les épisodes, mais il se sert d'un terme dérivé de ce mot, comme si nous disions en françois que le poëte doit épisodier son action.

Ajoûtez à cela, que pour faire connoître quelle doit être la véritable étendue d'une tragédie ou de l'épopée, & pour enseigner l'art de rendre celle-ci plus longue que l'autre, il ne dit pas qu'on ajoûte peu d'épisodes à l'action tragique, mais simplement que les épisodes de la tragédie sont courts & concis, & que l'épopée est étendue & amplifiée par les siens. En un mot la vengeance & la punition des méchans énoncée en peu de paroles, comme on la lit dans le plan d'Aristote, est une action simple, propre, & nécessaire au sujet ; elle n'est point un épisode, mais le fonds & le canevas d'un épisode ; & cette même punition expliquée & étendue avec toutes les circonstances du tems, des lieux, & des personnes, n'est plus une action simple & propre, mais une action épisodiée, un véritable épisode, qui pour être plus au choix & à la liberté du poëte, n'en contient pas moins un fonds propre & nécessaire.

Après tout ce que nous venons de dire, il semble qu'on pourroit définir les épisodes, les parties nécessaires de l'action étendue avec des circonstances vraisemblables.

Un épisode n'est donc qu'une partie de l'action, & non une action toute entiere ; & la partie de l'action qui sert de fonds à l'épisode, ne doit pas, lorsqu'elle est épisodiée, demeurer dans la simplicité, telle qu'elle est énoncée dans le premier plan de la fable.

Aristote, après avoir rapporté les parties de l'Odyssée considérées dans cette premiere simplicité, dit formellement qu'en cet état elles sont propres à ce poëme, & il les distingue des épisodes. Ainsi que dans l'Oedipe de Sophocle la guérison des Thébains n'est pas un épisode, mais seulement le fonds & la matiere d'un épisode, dont le poëte étoit le maître de se servir. De même Aristote en disant qu'Homere dans l'Iliade a pris peu de chose pour son sujet, mais qu'il s'est beaucoup servi de ses épisodes, nous apprend que le sujet contient en soi beaucoup d'épisodes dont le poëte peut se servir, c'est-à-dire qu'il en contient le fonds ou le canevas, qu'on peut étendre & développer comme Sophocle a fait le châtiment d'Oedipe.

Le sujet d'un poëme peut s'amplifier de deux manieres ; l'une, quand le poëte y employe beaucoup de ses épisodes ; l'autre, lorsqu'il donne à chacun une étendue considérable. C'est principalement par cet art, que les poëtes épiques étendent beaucoup plus leurs poëmes que les dramatiques ne font les leurs. D'ailleurs il y a certaines parties de l'action qui ne présentent naturellement qu'un seul épisode, comme la mort d'Hector, celle de Turnus, &c. au lieu que d'autres parties de la fable plus riches & plus abondantes, obligent le poëte à faire plusieurs épisodes sur chacune, quoique dans le premier plan elles soient énoncées d'une maniere aussi simple que les autres : telles sont les combats des Troyens contre les Grecs, l'absence d'Ulysse, les erreurs d'Enée, &c. car l'absence d'Ulysse hors de son pays & pendant plusieurs années, exige nécessairement sa présence ailleurs ; le dessein de la fable le doit jetter en plusieurs périls & en plusieurs états ; or chaque péril & chaque état fournit un épisode, que le poëte est maître d'employer ou de négliger.

De tous ces principes il résulte 1°. que les épisodes ne sont point des actions, mais des parties d'une action : 2°. qu'ils ne sont point ajoûtés à l'action & à la matiere du poëme, mais qu'eux-mêmes sont cette action & cette matiere, comme les membres sont la matiere du corps : 3°. qu'ils ne sont point tirés d'ailleurs, mais du fonds même du sujet ; qu'ils ne sont pas néanmoins unis & liés nécessairement à l'action, mais qu'ils sont unis & liés les uns aux autres : 4°. que toutes les parties d'une action ne sont pas des épisodes, mais seulement celles qui sont étendues & amplifiées par les circonstances particulieres ; & qu'enfin l'union qu'ont entr'eux les épisodes est nécessaire dans le fonds de l'épisode, & vraisemblable dans les circonstances. (G)

EPISODE, en Peinture, sont des scenes qu'on introduit dans un tableau, qui semblent étrangeres au sujet principal du tableau, & qui néanmoins y sont nécessairement liées. Voyez COMPOSITION.

Ces scenes ou épisodes seroient, par exemple, dans un morceau représentant un sacrifice, un homme qui portant du bois pour entretenir le feu de l'autel, en laisse tomber quelques morceaux que d'autres ramassent ; où des femmes qui s'intéressant à la conservation d'un enfant, le dérangent du passage de la victime. Ces hommes qui ramassent les morceaux de bois tombés, ces femmes qui dérangent l'enfant, forment des épisodes ; & cependant liés avec le sujet ; ces épisodes jettent une variété, & même une sorte d'intérêt, qui produit de grands effets, particulierement dans la représentation des actions qui ne sont pas suffisamment intéressantes par elles-mêmes.


EPISODIQUEadj. (Belles-Lettres) En Poésie on nomme fable épisodique, celle qui est chargée d'incidens superflus, & dont les épisodes ne sont point nécessairement ni vraisemblablement liés les uns aux autres. Voyez EPISODE.

Aristote dans sa poétique établit que les tragédies dont les épisodes sont ainsi comme décousus & indépendans entr'eux, sont défectueuses, & il les nomme drames épisodiques, comme s'il disoit, superabundantes in episodis, surchargés d'épisodes ; & il les condamne parce que tous ces petits épisodes ne peuvent jamais former qu'un ensemble vicieux. Voy. FABLE.

Les actions les plus simples sont les plus sujettes à cette irrégularité, en ce qu'ayant moins d'incidens & de parties que les autres plus composées, elles ont plus besoin qu'on y en ajoûte d'étrangeres. Un poëte peu habile épuisera quelquefois tout son sujet dès le premier ou le second acte, & se trouvera par-là dans la nécessité d'avoir recours à des actions étrangeres pour remplir les autres actes. Aristote, poetiq. chap. jx.

Les premiers poëtes françois sont tombés dans ce défaut ; pour remplir chaque acte, ils prenoient des actions qui appartenoient bien au même héros, mais qui n'avoient aucune liaison entr'elles.

Si l'on insere dans un poëme un épisode dont le nom & les circonstances ne soient pas nécessaires, & dont le fonds & le sujet ne fassent pas la partie principale, c'est-à-dire le sujet du poëme, cet épisode rend alors la fable épisodique.

Une maniere de connoître cette irrégularité, c'est de voir si l'on pourroit retrancher l'épisode, & ne rien substituer en sa place, sans que le poëme en souffrît ou qu'il devînt défectueux. L'histoire d'Hypsipile, dans la Thébaïde de Stace, nous fournit un exemple de ces épisodes défectueux. Si l'on retranchoit toute l'histoire de cette nourrice & de son enfant piqué par un serpent, le fil de l'action principale n'en iroit que mieux ; personne n'imagineroit qu'il y eût rien d'oublié ou qu'il manquât rien à l'action. Le Bossu, traité du poëme épique.

Dans le poëme dramatique, lorsque la fable ou le morceau d'histoire que l'on traite fournit naturellement les incidens & les obstacles qui doivent contraster avec l'action principale, le poëte est dispensé d'imaginer un épisode, puisqu'il trouve dans son sujet même ce qu'en vain il chercheroit mieux ailleurs. Mais lorsque le sujet n'en suggere point, ou que les incidens ne sont pas eux-mêmes assez importans pour produire les effets qu'on se propose, alors il est permis d'imaginer un épisode & de le lier au sujet, ensorte qu'il y devienne comme nécessaire. C'est ainsi que M. Racine a inséré dans son Andromaque l'amour d'Oreste pour Hermione, & que dans Iphigénie il a imaginé l'épisode d'Eriphile. L'Andromaque & Iphigénie ne sont pas des pieces épisodiques, dans le sens qu'Aristote l'entend & qu'il condamne.

Depuis quelques années on a mis sur le théatre françois quelques pieces vraiment épisodiques, composées de scenes détachées, qui ont un rapport à un certain but général, & qu'on appelle autrement pieces à tiroirs. Le nom de comédie ne leur convient nullement, parce que la comédie est une action, & emporte nécessairement dans son idée l'unité d'action ; or ces pieces à tiroirs, que le défaut de génie a si étrangement multipliées, ne sont que des déclamations partagées en plusieurs points contre certains ridicules. Voyez UNITE. (G)


EPISSEREPISSER

Pour épisser deux cables ensemble, il faut premierement détordre les trois tourons, longueur d'environ deux brasses de chaque cable, puis passer chaque touron dans le cable, tant d'un bout que de l'autre, par trois fois ; les tourons étant ainsi passés, on décorde un cordon de chaque touron, on le coupe à l'endroit où il est passé, & on y fait entrer les bouts de ces cordons coupés ; ensuite on passe chaque touron des cordons restans deux fois dans les cables, & de chaque côté ; après cela on les décorde encore, & l'on coupe un des cordons de chaque touron à l'endroit qui est passé dans le cable, & on l'y fait entrer ; enfin l'on passe chacun des cordons qui restent dans les tourons du cable, une fois de l'un & de l'autre bout, & on les coupe. (Z)


EPISSOIRS. m. (Corderie) instrument de corne, de buis, ou de fer, pointu par un bout, qui sert à défaire les noeuds & à détortiller les tourons d'un cordage.


EPISSURES. f. (Corderie & Marine) c'est un entrelassement de deux bouts de cordes que l'on fait pour les joindre ensemble, au lieu d'y faire un noeud, afin que la corde puisse passer & rouler aisément sur la poulie.

Epissure longue ; c'est celle qui se fait avec des bouts de corde inégaux, qu'on assemble de façon qu'ils puissent passer sur une poulie.

Epissure courte ; c'est celle où les deux bouts de corde qu'on veut épisser sont égaux, c'est-à-dire coupés de même longueur. (Z)


EPISTAPHYLINadject. en Anatomie ; nom d'un muscle de la luette, qu'on appelle aussi staphylin & azigos. Voyez LUETTE, &c. (L)


EPISTATES. m. (Hist. anc.) nom du sénateur d'Athenes qui étoit en semaine de présider. Ce mot vient d', au-dessus, & , je suis ; ainsi épistate désigne celui qui présidoit au-dessus des autres.

Les dix tribus d'Athenes formées par Clisthenes, élisoient par an chacune au sort, cinquante citoyens ou sénateurs qui entroient en fonction pour l'année, & composoient le sénat des cinq cent. Les autres attendoient pour suppléer, ou pour être appellés à l'exercice actuel par l'élection de l'année suivante. Chaque tribu avoit tour-à-tour la préséance, & la cédoit successivement aux autres.

Les cinquante sénateurs en fonction se nommoient prythanes. Le lieu particulier où ils s'assembloient s'appelloit prytanée ; & le tems de leur exercice, ou de la prytanie, duroit trente-cinq ou trente-six jours, suivant que ce terme quadroit pour remplir le nombre des jours de l'année lunaire.

Pendant les trente-cinq ou trente-six jours de prytanie, dix des cinquante prytanes regnoient par semaine sous le nom de proëdres ; & celui des proëdres qui dans le cours de la semaine étoit en jour de présider, s'appelloit épistate. Des dix proëdres de chaque semaine, il en restoit toûjours trois que le sort n'appelloit point à la place d'épistate, parce que la semaine n'est que de sept jours.

Celui qui une fois avoit été épistate, ne pouvoit jamais espérer de l'être une seconde fois dans le reste de sa vie, quand même il auroit été appellé différentes fois à être prytane. La raison de cette exclusion étoit qu'il auroit pû se laisser tenter de satisfaire sa cupidité, & s'arranger pour devenir le maître des grands biens dont il s'étoit vû dépositaire. Le jour de sa fonction il avoit les clés du thrésor, des titres & des archives de l'état, & du sceau de la république.

Les particuliers qui avoient quelqu'affaire à poursuivre au tribunal des prytanes, s'adressoient à un des officiers de leur tribu, pour obtenir audience pardevant celle qui étoit en fonction.

Si quelqu'affaire importante survenoit, l'épistate de jour indiquoit l'assemblée, & le motif, afin que chacun pût s'instruire, & se préparer à apporter un suffrage raisonné. Après la discussion des suffrages, l'épistate dressoit & prononçoit à haute & distincte voix la loi formée sur la pluralité des suffrages : ensuite chacun se retiroit, & les prytanes se rendoient au prytanée avec ceux qui avoient droit d'y manger aux dépens de la république.

Voyez PRYTANE, PRYTANEE, PROEDRE ; car tous ces mots forment un enchaînement dont la connoissance est nécessaire pour entendre les auteurs qui nous parlent du gouvernement d'Athenes. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPISTEMONARQUEadject. (Hist. anc. ecclés.) étoit dans l'ancienne église greque, une personne chargée de veiller sur la doctrine de l'église, & d'avoir inspection, en qualité de censeur, sur tout ce qui concernoit la foi. Cette charge répondoit assez à celle du maître du sacré palais à Rome. Voyez INQUISITION. (G)


EPISTITEou HEPHISTRITES, (Histoire nat.) pierre d'un rouge fort éclatant, dans laquelle Ludovico Dolce a trouvé un grand nombre de vertus que l'on rougiroit de rapporter. Boëtius de Boot, de lapidibus & gemmis.


EPISTOLAIREadj. (Belles-Lettr.) terme dont on se sert principalement en parlant du style des lettres, qu'on appelle style épistolaire.

Il est plus facile de sentir que de définir les qualités que doit avoir le style épistolaire ; les lettres de Cicéron suffisent pour en donner une juste idée. Il y en a de pur compliment, de remerciment, de loüange, de recommandation ; on en trouve d'enjoüées, dans lesquelles il badine avec beaucoup d'aisance & de grace ; d'autres graves & sérieuses, dans lesquelles il examine & traite des affaires importantes. Celle qu'il adresse à son frere Quintus & à Caton, sont pleines de délicatesse, quoiqu'elles roulent sur des affaires d'état & des matieres politiques. Celles de Pline le jeune ne réunissent pas moins d'agrémens & de solidité. Mais les épîtres de Seneque sont trop travaillées : ce n'est point un homme qui parle à son ami, c'est un rhéteur qui arrange des phrases pour se faire admirer ; l'esprit y pétille à chaque ligne, mais le sentiment & l'effusion de coeur ne s'y trouvent pas.

Dans notre langue nous n'avons guere de lettres politiques que celles du cardinal d'Ossat, qui sous un style un peu suranné, contiennent des maximes profondes & des détails intéressans pour le commerce ordinaire de la vie. Celles de madame de Sevigné sont généralement les plus estimées.

Celles de Balzac, même ses lettres choisies, sont trop guindées, & sentent trop le travail : le tour nombreux & périodique de ses phrases, est diamétralement opposé à l'aisance & à la naïveté de la conversation, que le genre épistolaire se propose de copier. Pour celles de Voiture, quelqu'ingénieuses qu'elles soient, le ton en est trop singulier & le style trop peu exact, pour que personne ambitionnât aujourd'hui d'écrire comme cet auteur.

On pourroit encore moins proposer pour modele certains recueils de lettres faites à tête reposée, & avec un dessein prémédité d'y mettre de l'esprit ; telles que les lettres du chevalier d'Her**, les lettres à la Marquise, &c. Le soin qu'on a pris de les embellir à l'excès, est précisément ce qui les masque & les défigure ; en retranchant la moitié de l'estime qu'elles eurent autrefois, il leur resteroit la portion qu'elles méritent. Essai sur l'étude des Belles-Lett. pag. 64 & suiv.

Epistolaire se dit aussi quelquefois des auteurs qui ont écrit des lettres ou des épîtres, tels que sont Cicéron, Pline le jeune, Seneque, Sidoine Apollinaire, Pétrarque, Politien, Busbeck, Erasme, Juste-Lipse, Muret, Milton, Petau, Launoy, Sarrau, Balzac, Voiture, & les autres que nous avons déjà nommés. (G)


EPISTOMIUMS. m. en termes d'Hydraulique, est un instrument par l'application duquel l'orifice d'un vaisseau peut être fermé & r'ouvert ensuite à volonté ; tels sont les pistons des pompes, des seringues, qui remplissent leur cavité, & qui peuvent à volonté être tirés & repoussés. (K)


EPISTROPHEUSterme d'Anatomie, qui vient d', converto, je tourne autour.

On donne ce nom à la seconde vertebre du cou, à cause de son apophyse odontoïde. Voyez VERTEBRE & APOPHYSE. (L)


EPISTYLES. m. dans l'ancienne Architecture, est un terme dont les Grecs se servoient pour désigner ce que nous appellons aujourd'hui architrave, c'est-à-dire un massif de pierre, ou une piece de bois posée immédiatement sur le chapiteau d'une colonne. Voyez ARCHITRAVE.


EPISYNAPHES. f. est dans la Musique ancienne, au rapport de Bacchius, la conjonction de trois tétracordes consécutifs, comme sont les tétracordes hypaton, meson & synnemenon. Voyez SYSTEME, TETRACORDE. (S)


EPISYNTHÉTIQUEadj. (Medecine) est le nom d'une secte de medecins ; il est tiré d'un verbe grec qui signifie entasser ou assembler, , secta supercompositiva.

Ceux qui formoient cette secte, tels que Léonides & ceux de son parti, prétendoient vraisemblablement joindre les maximes des Méthodiques avec celles des Empyriques & des Dogmatiques, & rassembler ou concilier ces diverses sectes les unes avec les autres.

C'est tout ce qu'on peut dire, n'ayant pas d'autres lumieres sur ce sujet : on ne sait pas même quand Léonides, qui est le medecin le plus connu de la secte épisynthétique, a vêcu, quoiqu'il soit probable que Soranus, le plus habile de tous les Méthodiques, l'a précédé de quelque tems. Voyez l'histoire de la Medecine de le Clerc, dont cet article est extrait. (d)


EPITAPHES. f. (Belles-Lettr.) , inscription gravée, ou supposée devoir l'être, sur un tombeau, à la mémoire d'une personne défunte.

Ce mot est formé du grec , sur, & de , j'ensevelis. Voyez SEPULCRE. Il y a un style particulier pour les épitaphes, sur-tout pour celles qui sont conçûes en latin, qu'on nomme style lapidaire. Voyez STYLE LAPIDAIRE.

A Sparte on n'accordoit des épitaphes qu'à ceux qui étoient morts dans un combat, & pour le service de la patrie ; usage fondé sur le génie de cette république, ou plûtôt sur la constitution politique de son gouvernement, qui n'admettoit guere que la vertu guerriere. On dit que le mausolée du duc de Malboroug est encore sans épitaphe, quoique sa veuve eût promis une récompense de 500 liv. sterl. à celui qui en composeroit une digne de ce héros.

Dans les épitaphes on fait quelquefois parler la personne morte, par forme de prosopopée ; nous en avons un bel exemple, digne du siecle d'Auguste, dans ces deux vers, où une femme morte à la fleur de son âge, tient ce langage à son mari :

Immatura perî ; sed tu felicior, annos

Vive tuos, conjux optime, vive meos.

Du même genre est celle-ci, faite par Antipater le Thessalonicien, qu'on trouve dans l'Anthologie manuscrite de la bibliotheque du Roi, & que M. Boivin a traduite ainsi :

" Née en Lybie, ensevelie à la fleur de mes ans sous la poussiere ausonienne, je repose près de Rome, le long de ce rivage sablonneux. L'illustre Pompéia, qui m'a élevée avec une tendresse de mere, a pleuré ma mort, & a déposé mes cendres dans un tombeau qui m'égale aux personnes libres. Les feux de mon bucher ont prévenu ceux de l'hymen qu'elle me préparoit avec empressement. Le flambeau de Proserpine a trompé nos voeux ".

La formule sta viator, qui se rencontre dans un grand nombre d'épitaphes modernes (comme dans celle-ci : Sta, viator ; heroem calcas), fait allusion à la coûtume des anciens Romains, dont les tombeaux étoient le long des grands chemins. Voyez TOMBEAU. (G)

L'épitaphe est communément un trait de loüange ou de morale, ou de l'une & de l'autre.

L'épitaphe de cet homme si grand & si simple, si vaillant & si humain, si heureux & si sage, auquel l'antiquité pourroit tout au plus opposer Scipion & César, si le premier avoit été plus modeste, & le second moins ambitieux ; cette épitaphe qui ne se trouve plus que dans les livres :

Turenne a son tombeau parmi ceux de nos Rois, &c.

fait encore plus l'éloge de Louis XIV. que celui de M. de Turenne.

Celle d'Alexandre, que gâte le second vers, & qu'il faut réduire au premier :

Sufficit huic tumulus, cui non suffecerat orbis.

est un trait de morale plein de force & de vérité : c'est dommage qu'Aristote ne l'ait pas faite par anticipation, & qu'Alexandre ne l'ait pas lûe.

Le même contraste est vivement exprimé dans celle de Newton :

Isaacum Newton,

Quem immortalem

Testantur Tempus, Natura, Caelum,

Mortalem hoc marmor

Fatetur.

Mais ce contraste si humiliant pour le conquérant, n'ôte rien à la gloire du philosophe. Qu'un être avec des ressorts fragiles, des organes foibles & bornés, calcule les tems, mesure le Ciel, sonde la Nature ; c'est un prodige. Qu'un être haut de cinq piés, qui ne fait que de naître & qui va mourir, dépeuple la terre pour se loger, & s'y trouve encore à l'étroit ; c'est un petit monstre.

Du reste cette idée a été cent fois employée par les Poëtes. Voyez dans les Catalectes l'épitaphe de Scipion l'Afriquain, celle de Cicéron, celle d'Antenor. Voyez Ovide sur la mort de Tibulle, Properce sur la mort d'Achille, &c.

Les Anglois n'ont mis sur le tombeau de Dryden que ce mot pour tout éloge,

Dryden.

& les Italiens sur le tombeau du Tasse,

Les os du Tasse.

Il n'y a guere que les hommes de génie qu'il soit sûr de loüer ainsi.

Parmi les épitaphes épigrammatiques, les unes ne sont que naïves & plaisantes, les autres sont mordantes & cruelles. Du nombre des premieres est celle-ci, qu'on ne croiroit jamais avoir été faite sérieusement, & qu'on a vûe cependant gravée dans une de nos églises :

Ci gît le vieux corps tout usé

Du Lieutenant civil rusé, &c.

Lorsque la plaisanterie ne porte que sur un leger ridicule, comme dans l'exemple précédent, elle n'est qu'indécente ; on croit voir les fossoyeurs d'Hamlet, qui jouent avec des ossemens. Mais les épitaphes insultantes & calomnieuses, telles que la rage en inspire trop souvent, sont de tous les genres de satyre le plus noir & le plus lâche. Il y a quelque chose de plus infame que la calomnie ; c'est la calomnie contre les morts. L'expression des anciens, troubler la cendre des morts, est trop foible. Le satyrique qui outrage un homme qui n'est plus, ressemble à ces animaux carnaciers qui fouillent dans les tombeaux pour se repaître de cadavres. Voyez SATYRE.

Quelquefois l'épitaphe n'est que morale, & n'a rien de personnel ; telle est celle de Jovianus Pontanus, qui n'a point été mise sur son tombeau :

Servire superbis dominis,

Ferre jugum superstitionis,

Quos habes caros sepelire,

Condimenta vitae sunt.

L'épitaphe à la gloire d'un mort, est de toutes les loüanges la plus noble & la plus pure, sur-tout lorsqu'elle n'est que l'expression naïve du caractere & des actions d'un homme de bien. Les vertus privées ont droit à cet hommage, comme les vertus publiques ; & les titres de bon parent, de bon ami, de bon citoyen, méritent bien d'être gravés sur le marbre. Qu'il me soit permis à cette occasion de placer ici, non pas comme un modele, mais comme un foible témoignage de ma reconnoissance, l'épitaphe d'un citoyen dont la mémoire me sera toûjours chere :

Non sibi, sed patriae vixit, regique, suisque.

Quod daret, hinc dives ; felix numerare beatos.

Les gens de Lettres seroient bien à plaindre, si dans un ouvrage public on leur envioit quelques retours sur eux-mêmes, quelques traits relatifs à leurs sentimens & à leurs devoirs. Si leur plume doit leur être bonne à quelque chose, c'est à ne pas mourir ingrats. Mais la reconnoissance fait en eux, parce qu'elle est noble, ce que l'espoir des récompenses n'eût jamais fait, parce qu'il est bas & servile. On a remarqué au commencement de cet article, que le tombeau du duc de Malboroug étoit encore sans épitaphe ; le prix proposé justifie & rend vraisemblable la stérilité des poëtes anglois. Devant une place assiégée un officier françois fit proposer aux grenadiers une somme considérable pour celui qui le premier planteroit une fascine dans un fossé exposé à tout le feu des ennemis. Aucun des grenadiers ne se présenta ; le général étonné, leur en fit des reproches : Nous nous serions tous offerts, lui dit l'un de ces braves soldats, si l'on n'avoit pas mis cette action à prix d'argent. Il en est des bons vers comme des actions courageuses. Voyez ELOGE.

Quelques auteurs ont fait eux-mêmes leur épitaphe. Celle de la Fontaine, modele de naïveté, est connue de tout le monde. Il seroit à souhaiter que chacun fît la sienne de bonne heure ; qu'il la fît la plus flateuse qu'il est possible, & qu'il employât toute sa vie à la mériter. Art. de M. MARMONTEL.


EPITASES. f. (Belles-Lettres) dans l'ancienne poësie, signifioit la seconde partie ou division d'un poëme dramatique, dans laquelle l'action proposée dans la premiere partie ou protase, étoit noüée, conduite, & poussée par différens incidens jusqu'à sa fin ou son dénoüement, qui formoit la troisieme partie appellée catastase. Voyez TRAGEDIE.

L'épitase commençoit au second acte, ou au plûtard avec le troisieme. Cette division n'a plus lieu dans les pieces dramatiques modernes, quant au nom, parce qu'on les divise en actes ; mais l'épitase y subsiste toûjours, quant au fond, & c'est ce que nous appellons noeud & intrigue. Voyez NOEUD & INTRIGUE.

Les anciens scholiastes de Térence ont défini l'épitase, incrementum processusque turbarum, ac totius nodus erroris ; & Scaliger l'appelle pars in quâ turbae aut excitantur aut involvuntur ; ce qui revient parfaitement à ce que nous entendons par noeud ou intrigue. (G)

EPITASE, (Med.) , de , augesco. Ce terme est employé par Hippocrate pour signifier l'accroissement d'une maladie, & sur-tout des fievres, dans leurs paroxysmes & dans leurs exacerbations. Voyez FIEVRE, PAROXYSME. (d)


EPITES. f. (Art méchaniq.) petit coin que l'on applique à l'extrémité d'un autre pour le grossir.


EPITHALAMES. m. (Poësie) poëme à l'occasion d'un mariage ; chant de noces pour féliciter des époux.

Le mot épithalame vient du grec ; & ce dernier, en ajoûtant , signifie chant nuptial : en est la véritable étymologie.

Or les Grecs nommerent ainsi leur chant nuptial, parce qu'ils appelloient l'appartement de l'époux ; & qu'après la solennité du festin, & lorsque les nouveaux mariés s'étoient retirés, ils chantoient l'épithalame à la porte de cet appartement. Il est inutile de rechercher ce qui les détermina à choisir par préférence ce lieu particulier, moins encore de songer à refuter les écrivains, qui en alleguent une raison peut-être aussi frivole qu'elle est communément reçûe. Quoi qu'il en soit, cette circonstance du lieu est regardée par quelques modernes comme si nécessaire, que tout chant nuptial qui ne l'exprime pas, ne doit point, selon eux, être nommé épithalame.

Mais sans nous arrêter à cette pédanterie, non plus qu'à toutes les distinctions frivoles d'épithalames, imaginées par Scaliger, Muret & autres ; ni même sans considérer ici servilement l'étymologie du mot, nous appellerons épithalame tout chant nuptial qui félicite de nouveaux époux sur leur union ; qu'il soit un simple récit, ou qu'il soit mêlé de récit & de chant ; que le poëte y parle seul, ou qu'il introduise des personnages ; & quel que soit enfin le lieu de la scene, s'il est permis d'user d'une expression si impropre.

L'épithalame est en général une espece de poësie très-ancienne ; les Hébreux en connurent l'usage dès le tems de David, du moins les critiques regardent le pseaume xljv. comme un véritable épithalame. Origene donne aussi le nom d'épithalame au cantique des cantiques ; mais en ce cas c'est une sorte d'épithalame d'une nature bien singuliere.

Les Grecs connurent cette espece de chant nuptial dans les tems héroïques, si l'on s'en rapporte à Dyctis, & la cérémonie de ce chant ne fut point oubliée aux noces de Thétis & de Pelée ; mais dans sa premiere origine l'épithalame n'étoit qu'une simple acclamation d'hymen, o hymenée. Le motif & l'objet de cette acclamation sont évidens : chanter hymen, o hymenée, c'étoit sans doute féliciter les nouveaux époux sur leur union, & souhaiter qu'ils n'eussent qu'un même coeur & qu'un même esprit, comme ils n'alloient plus avoir qu'une même habitation.

Cette acclamation passa depuis dans l'épithalame ; & les poëtes en firent un vers intercalaire, ou une espece de refrain ajusté à la mesure qu'ils avoient choisie : ainsi ce qui étoit le principal devint comme l'accessoire, & l'acclamation d'hymen, o hymenée amenée par intervalles égaux, ne servit plus que d'ornement à l'épithalame, ou plûtôt elle servit à marquer les voeux & les applaudissemens des choeurs, lorsque ce poëme eut pris une forme réglée.

Stésichore, qui florissoit dans la xlij. olympiade, passe communément pour l'inventeur de l'épithalame ; mais l'on sait qu'Hésiode s'étoit déjà exercé sur ce même genre, & qu'il avoit composé l'épithalame de Thétis & de Pélée : ouvrage que nous avons perdu, mais dont un ancien scholiaste nous a conservé un fragment. Peut-être que Stésichore perfectionna ce genre de poësie, en y introduisant la cithare & les choeurs.

Quoi qu'il en soit, l'épithalame grec est un véritable poëme, sans cependant imiter aucune action. Son but est de faire connoître aux nouveaux époux le bonheur de leur union par les louanges réciproques qu'on leur donne, & par les avantages qu'on leur annonce pour l'avenir. Le poëte introduit des personnages, qui sont ou les compagnes de l'épouse, comme dans Théocrite ; ou les amis de l'époux, comme dans Apollonius.

L'épithalame latin eut à-peu-près la même origine que l'épithalame grec : comme celui-ci commença par l'acclamation d'hymenée, l'épithalame latin commença par l'acclamation de Talasius : on en sait l'occasion & l'origine.

Parmi les Sabines qu'enleverent les Romains, il y en eut une qui se faisoit remarquer par sa jeunesse & par sa beauté ; ses ravisseurs craignant avec raison, dans un tel desordre, qu'on ne leur arrachât un butin si précieux, s'aviserent de crier qu'ils la conduisoient à Talasius, jeune homme beau, bienfait, vaillant, considéré de tout le monde, & dont le nom seul imprima tant de respect, que loin de songer à la moindre violence, le peuple accompagna par honneur les ravisseurs, en faisant sans cesse retentir ce même nom de Talasius. Un mariage que le hasard avoit si-bien assorti, ne pouvoit manquer d'être heureux : il le fut, & les Romains employerent depuis dans leur acclamation nuptiale le mot Talasius, comme pour souhaiter aux nouveaux époux une semblable destinée.

A cette acclamation, qui étoit encore en usage du tems de Pompée, & dont on voit des vestiges au siecle même de Sidonius, se joignirent dans la suite les vers fescenniens ; vers extrèmement grossiers, & pleins d'obscénités.

Les Latins n'eurent point d'autres épithalames avant Catulle, qui prenant Sapho pour modele, leur montra de véritables poëmes en ce genre, & substitua l'acclamation greque d'hymenée à l'acclamation latine de Talasius. Il perfectionna aussi les vers fescenniens ; mais, comme il arrive d'ordinaire, s'il les rendit plus chastes par l'expression, ils ne furent peut-être que plus obscenes par le sens.

Nous en avons des exemples dans un épithalame de ce poëte (epithal. Jul.) dans une petite piece qui nous est restée de l'empereur Galien, & dans le Centon d'Ausone principalement. Stace, qui a fleuri sous Domitien, ne s'est permis dans l'épithalame de Violantille & de Stella, aucune expression peu mesurée. Claudien n'a pas toûjours été si retenu, il s'échappe d'une maniere indécente dans celui d'Honorius & de Marie.

Pour Sidonius, aussi-bien que tous les modernes, dont les poësies sont lûes des honnêtes gens, comme Buchanan parmi les Ecossois, Malherbe & quelques autres parmi nous, excepté Scarron, ils sont irréprochables à cet égard ; si pourtant l'on excepte encore parmi les Italiens le cavalier Marini, qui mêle sans respect pour ses héros, à des loüanges quelquefois délicates, des traits tout-à-fait licentieux.

Il semble que l'épithalame admettant toute la liberté de la Poësie, il ne peut être assujetti à des préceptes ; mais comment arriver à la perfection de l'art, sans le secours de l'art même ? Aussi Denys d'Halicarnasse donnant aux orateurs les regles de l'épithalame, ne dit pas qu'elles soient inutiles ; il les renvoye même aux écrits de Sapho. Rien n'est si avantageux, en général, que d'étudier les modeles, parce qu'ils renferment toûjours les préceptes, & qu'ils en montrent encore la pratique.

Il est vrai qu'il n'y a point de regles particulieres prescrites pour le genre, pour le nombre, ni pour la disposition des vers propres à cet ouvrage ; mais comme le sujet en tout genre de poësie est ce qu'il y a de principal, il semble que le poëte doit chercher une fiction qui soit tout ensemble juste, ingénieuse, propre & convenable aux personnes qui en seront l'objet ; & c'est en choisissant les circonstances particulieres, qui ne sont jamais absolument les mêmes, que l'épithalame est susceptible de toutes sortes de diversités.

Claudien & Buchanan, sans être en tout & à tous égards de vrais modeles, ont rendu propres à leurs héros les épithalames qu'ils nous ont laissés. Pour le cavalier Marini, loin qu'il soit heureux dans le choix des circonstances, ou dans les fictions qu'il ne doit qu'à lui-même, on n'y trouve presque jamais ni convenance ni justesse. L'épithalame qui a pour titre, les travaux d'Hercule, & pour objet un seigneur de ce nom, n'est qu'une indécente & froide allusion aux travaux de ce dieu de la fable. Dans l'hymenée où il s'agit des noces de Vincent Caraffe, c'est Silene qui chante tout simplement l'épithalame du berger Amynte. Telles sont ordinairement les fictions de cet auteur : s'il en a d'une autre nature, il les emprunte de Claudien, de Sidonius même ; ou il les gâte par des descriptions si longues & si fréquentes, qu'elles rebutent l'esprit, & font disparoître le sujet principal.

Fuyez de cet auteur l'abondance stérile,

Et ne vous chargez point d'un détail inutile,

dit un de nos meilleurs poëtes dans une occasion toute semblable.

Parlons à présent des images ou des peintures qui conviennent à ce genre de poëme. L'épithalame étant par lui-même destiné à exprimer la joie, à en faire éclater les transports, on sent qu'il ne doit employer que des images riantes, & ne peindre que des objets agréables. Il peut représenter l'Hymenée avec son voile & son flambeau ; Vénus avec les graces, mêlant à leurs danses ingénues de tendres concerts ; & les Amours cueillant des guirlandes pour les nouveaux époux.

Mais ramener dans un épithalame le combat des géans, & la fin tragique des héroïnes fabuleuses, comme fait Sidonius, ou le repas de Thyeste, & la mort de César, comme fait le cavalier Marini, c'est (pour le dire avec un ancien) être en fureur en chantant l'hymenée.

Pour les images indécentes, ou qui révoltent la modestie, quiconque en employe de ce caractere ne peche pas moins contre les regles de l'art en général, que contre ses vrais intérêts. En effet, si un discours n'a de véritable beauté qu'autant qu'il exprime une chose qui fait plaisir à voir ou à entendre, ou bien qu'il présente un sens honnête, comme Théophraste le soûtient, & comme la raison même le persuade, que doit-on penser de ces sortes d'images ? Et se les permettre dans une matiere chaste par elle-même, n'est-ce pas en quelque maniere imiter Ausone, qui pour avoir travesti en poëte sans pudeur le plus sage de tous les Poëtes, n'a pû trouver encore depuis tant de siecles un seul apologiste ?

Bien différent de cet écrivain, Théocrite n'offre à l'esprit que des images agréables ; il ne représente que des objets gracieux, & avec des idées & des expressions enchanteresses. Telle est son épithalame d'Hélene, chef-d'oeuvre en ce genre qu'on ne sauroit trop loüer.

Après avoir donné des couronnes de jacinthe aux filles de Lacédémone qui chantent l'hymenée, il leur fait relever en ces termes le bonheur de Ménélas. " Vous êtes arrivé à Sparte sous des auspices bien favorables ; seul entre les demi-dieux, vous devenez le gendre de Jupiter, vous épousez Hélene ! Les graces l'accompagnent, les amours sont dans ses yeux ; elle étoit l'ornement de Sparte, comme le cyprès est l'honneur des jardins ". Puis venant à Hélene même : " Uniquement occupés de vous, nous allons, disent-elles, vous cueillir une guirlande de lotos ; nous la suspendrons à un plane, & en votre honneur nous y répandrons des parfums. Sur l'écorce du plane, on gravera ces mots : honorez-moi, je suis l'arbre d'Hélene ". S'adressant ensuite aux deux époux : " Puisse Vénus, ajoûtent-elles, vous inspirer une ardeur mutuelle & durable ! puisse Latone vous accorder une heureuse postérité, & Jupiter vous donner des richesses que vous transmettiez à vos descendans " !

Ce poëme, au reste, a deux parties qui sont bien marquées, & qui paroissent essentielles à tout épithalame ; l'une qui comprend les loüanges des nouveaux époux, l'autre qui renferme des voeux pour leur prospérité.

La premiere partie exige tout l'art du poëte ; car il en faut infiniment pour donner des loüanges, qui soient tout ensemble ingénieuses, naturelles, & convenables : & voilà sans doute pourquoi l'on dit si souvent que l'épithalame est l'écueil des Poëtes.

Les loüanges seront ingénieuses, si elles sortent, pour ainsi dire, du fond même de la fiction ; naturelles, si elles ne blessent pas la vraisemblance poëtique ; convenables, si elles sont accommodées selon les regles de cette vraisemblance au sexe, à la naissance, à la dignité, au mérite personnel.

Il en est de même, à proportion, des voeux ; ils doivent être naturels, ou se renfermer dans la vraisemblance poëtique ; & convenables, ou ne pas excéder la vraisemblance relative, si je puis m'exprimer ainsi avec M. Souchai ; car j'ai tiré toutes les réflexions qu'on vient de lire dans cet article, d'un de ses discours inséré dans le recueil de l'académie des Belles-Lettres, & je ne crois pas que personne ait mieux traité cette matiere.

C'est peut-être un travail en pure perte, que celui de notre savant ; du moins on a lieu de le penser ; quand on considere à quel point tout le monde est dégoûté de ce genre de poëme, soit par la difficulté du succès, soit par l'exemple de tant de gens qui y ont échoüé avec mépris, soit enfin par le peu d'honneur qu'on gagne à courir dans cette carriere : il est du moins certain que les épithalames sont tombés dans un tel discrédit, que les Hollandois qui en étoient les plus grands protecteurs, non-seulement les ont abandonnés, mais même ont pris le parti de leur substituer des estampes particulieres, qu'ils appellent de ce nom, comme s'ils pensoient que l'épithalame poëtique ne pût jamais ressusciter. Article de M(D.J.)

EPITHALAME, s. f. (Gravure) Les Graveurs de Hollande, comme on l'a dit dans l'article précédent, appellent épithalames certaines estampes faites en l'honneur de quelques nouveaux mariés, dans lesquelles on les représente avec des attributs allégoriques, convenables à leur état & à leur qualité ; on y joint toûjours quelques vers à leur loüange. Il n'y a que les personnes riches qui fassent cette dépense, & l'on ne tire qu'un très-petit nombre de ces estampes, pour les distribuer aux parens & aux amis des mariés. Quand ce nombre est tiré, on dore la planche, que l'on met ensuite en bordure, ce qui rend ces sortes de pieces fort rares.

Personne n'a mieux réussi dans ce genre que Bernard Picart. Ses épithalames sont les morceaux les plus gracieux & les plus estimés de ce maître. Dict. de Peint.

Cependant on a lieu de leur reprocher d'être quelquefois si recherchés en allégories, qu'ils sont inintelligibles ; mais en général les pensées en sont belles & pleines de noblesse ; d'ailleurs la netteté & la propreté du travail caractérisent toûjours ce célébre artiste. On ne fait plus aujourd'hui que recopier en Hollande les estampes de cet habile maître, avec quelques legers changemens dans les attributs, pour fournir les épithalames de commande ; & encore la mode en est presque passée, parce que tout ce qui est de mode passe très-vîte. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EPITHEMES. m. (Pharmac.) du grec , j'applique, je mets dessus, nom générique de tout remede destiné à être appliqué à la surface du corps.

L'usage a exclu cependant les emplâtres & les onguens de la classe des épithèmes, qui ne comprend que les remedes extérieurs appliqués sous forme liquide, sous forme seche, & sous forme de bouillie. Les épithèmes des deux premieres especes sont beaucoup plus connus sous le nom de fomentation, voyez FOMENTATION ; & ceux de la derniere, sous celui de cataplasme. Voyez CATAPLASME.

Les fomentations appliquées sur le coeur ou sur le foie, sont spécialement désignées par le mot d'épithème, qui est presque oublié dans cette acception même, comme l'emploi des secours de ce genre. Voyez TOPIQUE.

Le sachet, la cucuphe, & la demi-cucuphe, le frontal, l'écusson, &c. sont des especes d'épithèmes secs. Voyez ces articles. (b)


EPITHETES. f. terme de Grammaire & de Rhétorique, du grec , adjectitius, accessorius, imposititius, dont le neutre est , epithetum : on sousentend , nomen ; ainsi ce mot épithete pris substantivement, veut dire nom ajoûté. Nos peres plus voisins de la source, faisoient ce mot masculin ; mais enfin les femmes & les personnes sans études voyant ce mot terminé par un e muet, l'ont fait du genre féminin, & cet usage a prévalu. Le peuple abuse en plusieurs mots de ce que l'e muet est souvent le signe du genre féminin, sur-tout dans les adjectifs, saint, sainte ; époux, épouse ; ouvrier, ouvriere, &c.

Encore si pour rimer, dans sa verve indiscrette,

Ma muse au moins souffroit une froide épithete.

Boil. Sat.

M. l'abbé Girard n'a point fait d'observation sur la différence qu'il y a entre épithete & adjectif. Il semble que l'adjectif soit destiné à marquer les propriétés physiques & communes des objets, & que l'épithete désigne ce qu'il y a de particulier & de distinctif dans les personnes & dans les choses, soit en bien, soit en mal : Louis le Begue, Philippe le Hardi, Louis le Grand, &c. c'est en partie de la liberté que nos peres prenoient de donner des épithetes aux personnes, qu'est venu l'usage des noms propres de famille.

Quand le simple adjectif ajoûté à un nom commun ou appellatif le fait devenir nom propre, alors cet adjectif est une épithete : urbs, ville, est un nom commun : mais quand on disoit magna urbs, on entendoit la ville de Rome.

Te canit agricola, magnâ cùm venerit urbe.

Tibul. l. I. el. 7.

Tous les adjectifs qui sont pris en un sens figuré, sont des épithetes ; la pâle mort, une verte vieillesse, &c.

Les adjectifs patronymiques, c'est-à-dire tirés du nom du pere ou de quelqu'un des ayeux, sont des épithetes ; Telamonius Ajax, Ajax fils de Télamon. Il en est de même des adjectifs tirés du nom de la patrie : c'est ainsi que Pindare est souvent appellé le poëte thébain, poeta thebanus ; Dyon syracusanus, Dyon de Syracuse, &c. Souvent les noms patronymiques sont employés substantivement par antonomase, , per excellentiam. C'est ainsi que par le philosophe on entend Aristote, & par le poëte, on désigne Homere ; mais alors philosophe & poëte n'étant point joints à des noms propres, sont pris substantivement, & par conséquent ne sont point des épithetes.

On doit user avec art des épithetes ou adjectifs ; on ne doit jamais ajoûter au substantif une idée accessoire, déplacée, vaine, qui ne dit rien de marqué. Les épithetes doivent rendre le discours plus énergique. M. de Fénelon ne se contente pas de dire, que l'orateur, comme le poëte, doit employer des figures, des images, & des traits ; il dit qu'il doit employer des figures ORNEES, des images VIVES, & des traits HARDIS, lorsque le sujet le demande.

Les épithetes qui ne se présentent pas naturellement, & qui sont tirées de loin, rendent le discours froid & ennuyeux. On ne doit jamais se servir d'épithetes par ostentation ; on n'en doit faire usage que pour appuyer sur les objets sur lesquels on veut arrêter l'attention. (F)


EPITHRICADIESadj. f. pris subst. (Hist. anc.) fêtes instituées en l'honneur d'Apollon. Il ne nous en est resté que le nom.


EPITHYME(Pharm. Botan. & Mat. méd.) Voyez CUSCUTE.


EPITIES. m. (Marine) c'est un petit retranchement de planches fait le long du côté du vaisseau, pour mettre les boulets. Il porte ce nom, quoiqu'on le fasse en quelqu'autre endroit du vaisseau. (Z)


EPITOGES. f. (Hist. anc.) espece de manteau qui se mettoit sur la toge. Voyez TOGE.

L'épitoge ne nous est pas inconnu. C'est ainsi qu'on appelloit le chaperon que les présidens-à-mortier & le greffier en chef du parlement, portoient autrefois sur la tête dans les grandes cérémonies, & qu'ils ne portent plus que sur l'épaule.


EPITOIRS. m. instrument de fer, pointu & quarré, qui sert à ouvrir l'extrémité d'une cheville de bois, lorsqu'il s'agit de la renfler par un coin qu'on appelle épite.


EPITOMES. m. (Belles-Lettres) abregé ou réduction des principales matieres d'un grand ouvrage, resserrées dans un beaucoup moindre volume.

On reproche souvent aux auteurs d'épitome, que leur travail occasionne la perte des originaux. Ainsi on attribue à l'épitome de Justin, la perte de l'histoire universelle de Trogue Pompée ; & à l'abregé de Florus, celle d'une grande partie des décades de Tite-Live. Voyez les raisons sur lesquelles est fondé ce reproche, au mot ABREGE. (G)


EPITRES. f. (Belles-Lettres) ce mot vient du grec , sur, & du verbe , j'envoye.

Ce terme n'est presque plus en usage que pour les lettres écrites en vers, & pour les dédicaces des livres.

Quand on parle des lettres écrites par des auteurs modernes, ou dans les langues vivantes, & sur-tout en prose, on ne se sert point du mot épître : ainsi l'on dit, les lettres du cardinal d'Ossat, de Balzac, de Voiture, de madame de Sevigné, & non pas les épîtres du cardinal d'Ossat, de Balzac, &c.

Au contraire, on se sert du mot épître, en parlant des lettres écrites par des anciens, ou dans une langue ancienne : ainsi l'on dit les épîtres de Cicéron, de Séneque, &c. Il est pourtant vrai que les modernes se sont servis du terme de lettres, en parlant de celles de Cicéron & de Pline.

Le mot épître paroît encore plus particulierement restraint aux écrits de ce genre, en matiere de religion : ainsi l'on dit les épîtres de S. Paul, de S. Pierre, de S. Jean, & non les lettres de S. Paul, &c. (G)

On attache aujourd'hui à l'épître l'idée de la réflexion & du travail, & on ne lui permet point les négligences de la lettre. Le style de la lettre est libre, simple, familier. L'épître n'a point de style déterminé ; elle prend le ton de son sujet, & s'éleve ou s'abaisse suivant le caractere des personnes. L'épître de Boileau à son jardinier, exigeoit le style le plus naturel ; ainsi ces vers y sont déplacés, supposé même qu'ils ne soient pas mauvais par-tout.

Sans cesse poursuivant ces fugitives fées,

On voit sous les lauriers haleter les Orphées.

Boileau avoit oublié en les composant, qu'Antoine devoit les entendre.

L'épître au roi sur le passage du Rhin, exigeoit le style le plus héroïque : ainsi l'image grotesque du fleuve essuyant sa barbe, y choque la décence. Virgile a dit d'un genre de poësie encore moins noble, sylvae sint consule dignae.

Si dans un ouvrage adressé à une personne illustre on doit annoblir les petites choses, à plus forte raison n'y doit-on pas avilir les grandes ; & c'est ce que fait à tout moment dans les épîtres de Boileau, le mêlange de Cotin avec Louis le Grand, du sucre & de la canelle avec la gloire de ce héros. Un bon mot est placé dans une épître familiere ; dans une épître sérieuse & noble, il est du plus mauvais goût.

Boileau n'étoit pas de cet avis ; il lui en coûta de retrancher la fable de l'huitre, qu'il avoit mise à la fin de sa premiere épître au roi, pour délasser, disoit-il, des lecteurs qu'un sublime trop sérieux peut enfin fatiguer. Il ne fallut pas moins que le grand Condé pour vaincre la répugnance du poëte à sacrifier ce morceau.

En général, les défauts dominans des épîtres de Boileau sont la sécheresse & la stérilité, des plaisanteries parasites, des idées superficielles, des vûes courtes, & de petits desseins. On lui a appliqué ce vers :

Dans son génie étroit il est toûjours captif.

Son mérite est dans le choix heureux des termes & des tours. Il se piquoit sur-tout de rendre avec grace & avec noblesse des idées communes, qui n'avoient point encore été rendues en Poësie. Une des choses par exemple qui le flatoient le plus, comme il l'avoue lui-même, étoit d'avoir exprimé poétiquement sa perruque.

Au contraire, la bassesse & la bigarrure du style défigurent la plûpart des épîtres de Rousseau. Autant il s'est élevé au-dessus de Boileau par ses odes, autant il s'est mis au-dessous de lui par ses épîtres.

Dans l'épître philosophique, la partie dominante doit être la justesse & la profondeur du raisonnement. C'est un préjugé dangereux pour les Poëtes & injurieux pour la Poësie, de croire qu'elle n'exige ni une vérité rigoureuse, ni une progression méthodique dans les idées. Nous ferons voir ailleurs que les écarts même de l'enthousiasme ne sont que la marche réguliere de la raison. V. ODE & ENTHOUSIASME.

Il est encore plus incontestable, que dans l'épître philosophique on doit pouvoir presser les idées sans y trouver le vuide, & les creuser sans arriver au faux. Que seroit-ce en effet qu'un ouvrage raisonné, où l'on ne feroit qu'effleurer l'apparence superficielle des choses ? Un sophisme revêtu d'une expression brillante, n'est qu'une figure bien peinte & mal dessinée ; prétendre que la Poësie n'a pas besoin de l'exactitude philosophique, c'est donc vouloir que la Peinture puisse se passer de la correction du dessein. Or qu'on mette à l'épreuve de l'application de ce principe & les épîtres de Boileau, & celles de Rousseau, & celles de Pope lui-même. Boileau, dans son épître à M. Arnaud, attribue tous les maux de l'humanité à la honte du bien. La mauvaise honte ou plûtôt la foiblesse en général, produit de grands maux :

Tyran qui cede au crime & détruit les vertus.

Henriade.

Voilà le vrai. Mais quand on ajoûte, pour le prouver, qu'Adam, par exemple, n'a été malheureux que pour n'avoir osé soupçonner sa femme ; voilà de la déclamation. Le desir de la loüange & la crainte du blâme produisent tour à tour des hommes timides ou courageux dans le bien, foibles ou audacieux dans le mal ; les grands crimes & les grandes vertus émanent souvent de la même source : quand ? & comment ? & pourquoi ? voilà ce qui seroit de la philosophie.

Dans l'épître à M. de Seignelai, la plus estimée de celles de Boileau, pour démasquer la flaterie le poëte la suppose stupide & grossiere, absurde & choquante au point de loüer un général d'armée sur sa défaite, & un ministre d'état sur ses exploits militaires ; est-ce là présenter le miroir aux flateurs ? Il ajoûte que rien n'est beau que le vrai ; mais confondant l'homme qui se corrige avec l'homme qui se déguise, il conclut qu'il faut suivre la nature.

C'est elle seule en tout qu'on admire & qu'on aime.

Un esprit né chagrin, plaît par son chagrin même.

Sur ce principe vague, un homme né grossier plaira donc par sa grossiéreté ? un impudent par son impudence ? &c.

Qu'auroit fait un poëte philosophe ? qu'auroit fait par exemple, l'auteur des discours sur l'égalité des conditions, & sur la modération dans les desirs ? Il auroit pris le naturel inculte & brute, comme il l'est toûjours : il l'auroit comparé à l'arbre qu'il faut tailler, émonder, diriger, cultiver enfin, pour le rendre plus beau, plus fécond, & plus utile. Il eût dit à l'homme : " ne veuillez jamais paroître ce que vous n'êtes pas, mais tâchez de devenir ce que vous voulez paroître : quel que soit votre caractere, il est voisin d'un certain nombre de bonnes & de mauvaises qualités ; si la nature a pû vous incliner aux mauvaises, ce qui est du moins très-douteux, ne vous découragez point, & opposez à ce penchant la contention de l'habitude. Socrate n'étoit pas né sage, & son naturel en se redressant ne s'étoit pas estropié ".

On n'a besoin que d'un peu de philosophie pour n'en trouver aucune dans les épitres de Rousseau. Dans celle à Clément Marot il avoit à développer & à prouver ce principe des Stoïciens, que l'erreur est la source de tous les vices, c'est-à-dire qu'on n'est méchant que par un intérêt mal entendu. Que fait le poëte ? il établit qu'un vaurien est toujours un sot sous le masque ; & au lieu de citer au tribunal de la raison un Aristophane, un Catilina, un Narcisse, qu'il auroit eu bien de la peine à faire passer pour d'honnêtes gens, ou pour des sots ; il prend un fat, mauvais plaisant, dont l'exemple ne conclut rien, & il dit de ce fat, plus sot encore :

A sa vertu je n'ai plus grande foi

Qu'à son esprit. Pourquoi cela ? Pourquoi ?

Qu'est ce qu'esprit ? Raison assaisonnée,

....

Qui dit esprit, dit sel de la raison :

....

De tous les deux se forme esprit parfait,

De l'un sans l'autre un monstre contrefait.

Or quel vrai bien d'un monstre peut-il naître ?

Sans la raison puis-je vertu connoître ?

Et sans le sel dont il faut l'apprêter,

Puis-je vertu faire aux autres goûter ?

Passons sur le style ; quelle logique ! La raison sans sel fait un monstre, incapable de tout bien : pourquoi ? parce qu'elle est fade nourriture, qu'elle n'assaisonne pas la vertu, & ne la fait pas goûter aux autres. D'où il conclut qu'un homme qui n'a que de la raison, & qu'il appelle un sot, ne sauroit être vertueux. Moliere, le plus philosophe de tous les poëtes, a fait un honnête homme d'Orgon, quoiqu'il n'en ait fait qu'un sot, & n'a pas fait un sot de Tartuffe, quoiqu'il n'en ait fait qu'un méchant homme.

Pope, dans les épitres qui composent son essai sur l'homme, a fait voir combien la poësie pouvoit s'élever sur les aîles de la philosophie. C'est dommage que ce poëte n'ait pas eu autant de méthode que de profondeur. Mais il avoit pris un système, il falloit le soûtenir. Ce système lui offroit des difficultés épouvantables ; il falloit ou les vaincre, ou les éviter : le dernier parti étoit le plus sûr & le plus commode ; aussi, pour répondre aux plaintes de l'homme sur les malheurs de son état, lui donne-t-il le plus souvent des images pour des preuves, & des injures pour des raisons. Article de M. MARMONTEL.

ÉPITRE DEDICATOIRE. Il faut croire que l'estime & l'amitié ont inventé l'épitre dédicatoire, mais la bassesse & l'intérêt en ont bien avili l'usage : les exemples de cet indigne abus sont trop honteux à la Littérature pour en rappeller aucun ; mais nous croyons devoir donner aux auteurs un avis qui peut leur être utile, c'est que tous les petits détours de la flaterie sont connus. Les marques de bonté qu'on se flate d'avoir reçues, & que le Mécene ne se souvient pas d'avoir données ; l'accueil favorable qu'il a fait sans s'en appercevoir ; la reconnoissance dont on est si pénétré, & dont il devroit être si surpris ; la part qu'on veut qu'il ait à un ouvrage dont la lecture l'a endormi ; ses ayeux dont on lui fait l'histoire souvent chimérique ; ses belles actions & ses sublimes vertus qu'on passe sous silence pour de bonnes raisons ; sa générosité qu'on loue d'avance, &c. toutes ces formules sont usées, & l'orgueil qui est si peu délicat, en est lui-même dégoûté. Monseigneur, écrit M. de Voltaire à l'électeur Palatin, le style des dédicaces, les vertus du protecteur, & le mauvais livre du protégé, ont souvent ennuyé le public.

Il ne reste plus qu'une façon honnête de dédier un livre : c'est de fonder sur des faits la reconnoissance, l'estime, ou le respect qui doivent justifier aux yeux du public l'hommage qu'on rend au mérite. Cet article est de M. MARMONTEL.

ÉPITRE (Hist. eccles.) C'est une des parties de la Messe, & qui précede l'évangile ; ou plûtôt, c'est cette partie de la Messe chantée aujourd'hui par le soûdiacre, un peu avant l'évangile, & qui est un texte de l'écriture-sainte. Cette partie de l'écriture-sainte n'est jamais prise des quatre Evangiles, mais de quelque endroit de la Bible, & souvent des épitres de S. Paul, ou de celles des autres apôtres, ce qui leur a fait donner le nom d'épitre.

Pour connoître l'origine de l'épitre & l'usage de l'Eglise à cet égard, il faut remarquer que les Juifs faisoient lire dans leurs synagogues quelques endroits de la Loi & des prophetes, particulierement dans les jours du sabbat. Les Chrétiens conserverent parmi eux cette coutûme ; ils commençoient la célébration de l'Eucharistie par la lecture des saintes Ecritures, selon le témoignage de Tertullien dans son Apologétique ; & comme les actes des apôtres & les épitres de S. Paul contenoient de grands exemples & des instructions très-utiles, on lisoit ordinairement quelques endroits de l'un & de l'autre, mais le plus souvent des épitres de S. Paul, ensorte que par une espece d'habitude, on a donné à cette lecture le titre d'épitre.

Quelques auteurs ont observé, que lorsque l'on lit un endroit des épitres de S. Paul, on commence par ce mot, Fratres, parce que cet apôtre appelloit ainsi ceux à qui il écrivoit : & quand on lit quelques passages de l'ancien & du nouveau Testament, on dit toujours, in diebus illis.

Cette lecture introduisit l'ordre des lecteurs, dont la fonction a cependant cessé depuis quelques siecles dans l'église catholique, où la lecture a été attribuée aux soûdiacres. Fleury, Hist. ecclés. Dict. de Richelet & de Trév. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ÉPITRITES. m. (Belles-Lettres) est un pié composé de quatre syllabes, trois longues & une breve. Voyez PIE.

Les Grammairiens comptent quatre sortes d'épitrites : le premier est composé d'un iambe & d'un spondée, comme sltnts ; le second d'un trochée & d'un spondée, comme cnctt ; le troisieme d'un spondée, & d'un iambe, comme cmmncns ; & le quatrieme d'un spondée & d'un trochée, comme ncntr. (G)

ÉPITRITE, (Musique) étoit chez les Grecs le nom d'un rapport, appellé autrement raison sesquitierce, & qui est celui de 3 à 4, ou de la quarte. Voyez QUARTE.

C'étoit aussi le nom d'un des rythmes de leur musique, duquel les deux tems étoient entr'eux dans ce même rapport. Voyez RYTHME. (S)


ÉPITROPES. f. figure de Rhétorique, appellée par les Latins concessio, par laquelle l'orateur accorde quelque chose qu'il pourroit nier, afin que par cette marque d'impartialité, il puisse obtenir à son tour qu'on lui accorde ce qu'il demande.

Ainsi M. Despreaux a dit de Chapelain par épitrope :

Qu'on vante en lui la foi, l'honneur, la probité ;

Qu'on prise sa candeur & sa civilité :

Qu'il soit doux, complaisant, officieux, sincere ;

On le veut, j'y souscris, & suis prêt de me taire.

Mais que pour un modele on montre ses écrits,

Qu'il soit le mieux renté de tous les beaux esprits ;

Comme roi des auteurs, qu'on l'éleve à l'empire,

Ma bile alors s'échauffe & je brûle d'écrire.

Sat. jx. v. 212. (G)

ÉPITROPE, s. m. (Hist. mod.) sorte de juge, ou plutôt d'arbitre que les chrétiens grecs qui vivent sous la domination des Turcs, choisissent dans plusieurs villes pour terminer les différends qui s'élevent entr'eux, & pour éviter de porter ces différends devant les magistrats Turcs.

Il y a dans chaque ville divers épitropes : M. Spon remarque dans ses voyages qu'à Athenes il y en a huit, qui sont pris des différentes paroisses & appellés vecchiardi, c'est-à-dire vieillards. Mais Athenes n'est pas le seul endroit où il y ait des épitropes : il y en a dans toutes les îles de l'Archipel.

Quelques auteurs latins du cinquieme siecle appellent épitropi, ceux qu'on appelloit plus anciennement villici, & qu'on a dans la suite appellé vidames. Voyez VIDAME.

Dans des tems encore plus reculés, les Grecs employoient le terme dans le même sens que les Latins employoient celui de procurator : c'est-à-dire, que ce mot signifioit chez eux un commissionnaire ou intendant. Voyez PROCURATOR.

Ainsi les commissionnaires des provisions dans les armées des Perses sont appellés epitropi par Hérodote & Xénophon : dans le nouveau Testament, signifie le steward ou supérieur d'une maison, que la vulgate traduit par procurator. Voyez le Dict. de Trévoux & Chambers. (G)


ÉPLAIGNERvoyez LAINER.


ÉPLOYéadj. en termes de Blason, se dit des oiseaux qui ont leurs aîles étendues, & particulierement de l'aigle de l'Empire, à cause de la tête & du cou, qui étant ouverts & séparés, représentent deux cous & deux têtes.

Ronchival en Beaujolois, d'or à l'aigle éployé de gueules, membré & béqué d'azur.


ÉPLUCHERv. act. dans plusieurs arts méchaniques, c'est nettoyer d'ordures avec une attention scrupuleuse. Il se dit en jardinage d'un plan qu'on dégage avec la serfoüette des herbes inutiles ; il se dit dans les manufactures en laines, en soie, &c... d'une étoffe dont on enleve toutes les ordures ; & cette opération s'appelle l'épluchage. Il y a l'épluchage des laines comme celui des draps ; il se dit dans les verreries, de la terre qu'on employe à faire les pots, & de la séparation des ordures ; ce sont des femmes qu'on employe à cet ouvrage, & qu'on appelle éplucheuses ; ce qu'elles séparent de la terre s'appelle épluchage ; on épluche les soies de chaîne & de trame ; on épluche les ouvrages qui en sont faits, en ôtant toutes les bourres qui restent sur l'ouvrage, aux lisieres, &c. Les chapeliers épluchent les peaux de castor, & l'épluchage s'appelle le jarre. Voyez CHAPELIER. Eplucher, chez les Vanniers, c'est couper tous les bouts d'osier qui excedent l'aire d'une piece, quand elle est faite, &c.


ÉPLUCHOIRS. m. (terme de Vannier) C'est une lame d'acier assez forte, triangulaire, émoussée vers la pointe, & montée à virole sur un manche de bois ; on s'en sert pour parer l'ouvrage, en coupant toutes les extrémités des osiers qui hérissent la surface. Il y a des épluchoirs de plusieurs grandeurs.


EPODES. f. (Poësie anc.) espece de poësie des Grecs & des Latins. Mais développons l'ambiguité du mot épode, dont les diverses significations ont causé des débats entre les littérateurs.

1°. On appelloit épode chez les Grecs un assemblage de vers lyriques, ou la derniere stance qui, dans les odes, se chantoit immédiatement après deux autres stances nommées strophe & antistrophe. Ces trois sortes de stances se répétoient ordinairement plusieurs fois suivant ce même ordre, dans le cours d'une seule ode, & le nombre de ces répétitions remplissoit l'étendue de ce poëme. La strophe & l'antistrophe contenoient toûjours autant de vers l'une que l'autre, & pouvoient par conséquent se chanter sur le même air. L'épode, tantôt plus longue, tantôt plus courte, leur étoit rarement égale ; elle devoit donc, pour l'ordinaire, se chanter sur un air différent : elle terminoit le chant de ce que les Grecs nommoient période, & de ce que nous pourrions appeller un couplet de trois stances, & elle en faisoit comme la clôture ; c'est aussi de cette circonstance que lui venoit son nom, dérivé du verbe , chanter par-dessus, chanter à la fin. Après avoir chanté le premier couplet de l'ode composé de ces trois stances, on chantoit le second, puis le troisieme, & ainsi des autres. Presque toutes les odes de Pindare fournissent des preuves de ce que l'on vient d'avancer.

2°. On donnoit le nom d'épode à un petit poëme lyrique composé de plusieurs distiques, dont les premiers vers étoient autant d'ïambes-trimetres, ou de six piés, & les derniers étoient plus courts, & seulement des ïambes-dimetres ou de quatre piés. De ce genre étoient les épodes d'Archiloque, c'est-à-dire ces pieces dans lesquelles ce poëte satyrique déchiroit impitoyablement Lycambe, Néobulé sa fille, & plusieurs de ses parens distingués par leur naissance ou par leurs emplois.

S'il en faut croire Victorinus le grammairien, c'étoit proprement le petit vers qui s'appelloit épode, parce qu'il terminoit le sens du distique, de même que l'épode des odes en finissoit le chant. Ce grammairien ajoûte que chaque vers trimetre ne doit point se faire entendre sans être suivi du petit vers dimetre, qui en fait comme la clôture & le complément.

3°. Le grammairien-poëte Terentianus attribue le nom d'épode à un demi-vers élégiaque, & Victorinus lui-même va jusqu'à prodiguer cette dénomination au petit vers adonien mis après trois vers saphiques, & de plus à un petit poëme composé de plusieurs vers adoniens rangés de suite.

4°. Enfin on a étendu la signification du mot épode, jusqu'à désigner par-là tout petit vers mis à la suite d'un ou de plusieurs grands : en ce sens le pentametre est le vers épode après l'hexametre qui est le proodique.

Si l'on demandoit à présent ce que signifient ces mots, liber épodon, que porte le livre V. des odes d'Horace, je répondrois que ce livre a pris ce nom de l'inégalité des vers, rangés de maniere que chaque grand vers est suivi d'un petit, qui en est le complément ou la clausule. Quand donc le livre V. des odes d'Horace est intitulé liber épodon, livre des épodes, c'est-à-dire liber versuum épodon, livre de vers épodes, livre où chaque grand vers de l'ode est suivi d'un petit vers qui termine le sens ; & cependant les huit dernieres odes de ce livre ne sont point du caractere épodique des dix premieres. Article de M(D.J.)

EPODES, (Musique) chant des anciens choeurs des Grecs, qu'ils exécutoient sans se mouvoir, pour représenter l'immobilité de la terre qu'ils croyoient fixe. Voyez BALLET, CHOEURS, DANSE. (B)


EPOINTÉadj. (Manége, Maréchallerie) cheval épointé. Cette épithete a la même signification que celle d'éhanché. Voyez ÉHANCHE. (e)


EPOINTERv. act. (Relieur) c'est racler avec un couteau ordinaire les bouts des ficelles avec lesquelles les livres sont cousus, afin de pouvoir les coller & les passer en carton.


EPOISS. m. pl. (Venerie) cors qui sont au sommet de la tête du cerf : il y a des épois de coronure, de paulmure, de trochure & d'enfourchure.


EPONES. f. (Mythol.) déesse tutelaire des muletiers.


EPONGES. f. Spongia, (Hist. nat.) substance legere, molle & très-poreuse, qui s'imbibe d'une grande quantité d'eau à proportion de son volume. On avoit mis l'éponge au rang des zoophites ; on a crû aussi que c'étoit une plante, jusqu'à ce que M. Peyssonel, medecin de Marseille, ait découvert que l'éponge étoit formée par des insectes de mer, de même que beaucoup d'autres prétendues plantes marines. On distingue plusieurs especes d'éponges, qui different sur-tout par la forme ; les unes sont plates, les autres rondes : il y en a qui ressemblent à un tuyau ou à un entonnoir : on en voit de branchues, que l'on appelle rameuses, &c. Les éponges fines different de celles que l'on nomme grosses éponges, en ce que leur tissu est plus serré, & que leurs pores sont plus étroits : les unes & les autres sont de couleur jaunâtre ; les meilleures & les plus fines ont une teinte de gris cendré. Voyez l'article POLYPIER.

EPONGE, (Pharmacie. Matiere médicale.) On fait en Pharmacie deux différentes préparations de l'éponge ; l'une est connue sous le nom d'éponge brûlée, & l'autre sous celui d'éponge préparée.

Pour faire l'éponge brûlée, on prend des éponges fines qu'on lave bien ; & desquelles on sépare des petites pierres qui s'y trouvent ordinairement, on fait secher les éponges, on les met dans un pot de terre, on les calcine à feu ouvert pendant une heure, après quoi on les pulverise, & on les garde dans un bocal pour s'en servir au besoin.

L'éponge connue dans l'art sous le nom d'éponge préparée, se prépare de la maniere suivante : on choisit de gros morceaux d'éponge fine, on en sépare exactement toutes les petites pierres ou coquilles, & on les trempe dans de la cire jaune fondue ; & sitôt qu'ils en sont bien imbibés, on les met un à un, ou séparés les uns des autres, dans une presse entre deux plaques d'étain que l'on a fait chauffer : on serre la presse au point d'exprimer le plus de cire qu'il est possible ; par ce moyen un gros morceau d'éponge se réduit en un très-petit volume.

On attribuoit autrefois beaucoup de vertus à l'éponge brûlée : Duchêne, plus connu sous le nom de Quercetan, dit que les medecins de son tems s'en servoient avec beaucoup de succès pour guérir le bronchocele ou gouètre ; ils la faisoient prendre dans du vin blanc pendant un mois lunaire.

On l'employe encore aujourd'hui quelquefois dans le même cas, mais apparemment sans succès. Voyez CHARBON.

L'éponge préparée avec la cire fournit un secours commode pour empêcher la cicatrice de certaines plaies, dont on ménage l'ouverture à dessein de procurer par cette issue l'écoulement de certaines matieres. Voyez TENTE.

On se sert d'une éponge entiere pour appliquer des fomentations. Voyez FOMENTATION.

L'analyse chymique de l'éponge confirme la découverte des Naturalistes modernes, qui rangent cette production marine dans la classe des substances animales. (b)

EPONGE de rosier sauvage, d'églantier. Voyez EGLANTIER.

EPONGE, (Manége, Maréchall.) nom par lequel nous désignons l'extrémité de chaque branche d'un fer de cheval. Voyez FER, FERRURE, FORGER.

EPONGE, (Manége, Maréchall.) maladie, tumeur située à la tête ou à la pointe du coude, qui tire sa dénomination de la cause même qui la produit ; nous l'appellons en effet éponge, parce qu'elle n'est occasionnée que par le contact violent & réitéré des éponges de fer qui appuient contre cette partie lorsque les chevaux se couchent en vaches, c'est-à-dire lorsqu'étant couchés ils plient les jambes, de maniere que leurs talons répondent au coude, & soûtiennent ainsi presque tout le poids de l'avant-main de l'animal.

Ce contact violent est suivi d'une compression qui non-seulement meurtrit la peau, mais qui fait perdre aux fibres & aux vaisseaux leur ressort naturel. Ce ressort naturel perdu, ils ne peuvent plus contribuer à la circulation qui se fait dans cette partie : les humeurs s'y accumulent donc, principalement la lymphe, dont le mouvement est plus lent, & qui d'ailleurs est renfermée dans des canaux dont le tissu est infiniment plus foible que celui des vaisseaux sanguins. Cette humeur arrêtée, & l'abord de celle qui y survient sans cesse, tout contribuera à dilater les petits tuyaux ; la partie la plus subtile se dissipera, ou en s'échappant à l'obstacle pour se soumettre aux lois de la circulation, ou en passant & en se faisant jour à-travers les pores, tandis que la partie la plus grossiere de cette même humeur se durcira par son séjour. De-là les progrès de la tumeur, qui sera de la nature de celles que nous appellons loupes : elle augmentera plus ou moins en volume & en dureté, selon la disposition de la lymphe, selon le plus ou moins de force des vaisseaux, ou enfin selon la durée ou la force du contact ou de la compression ; mais la lenteur de son accroissement préservera la partie sur laquelle elle a établi son siége, de la douleur, de l'inflammation & de tous les autres accidens qui accompagnent en général les tumeurs dont la formation est promte & soudaine.

Quelquefois aussi la même cause produit des effets différens ; car au lieu de donner lieu à une tumeur en forme de loupe, elle n'occasionne qu'une callosité, qui n'est autre chose qu'un desséchement des vaisseaux comprimés ; desséchement qui n'arrive que conséquemment au contact, qui affaissant les vaisseaux, les oblitere & ferme tout passage aux liqueurs qui circulent.

La callosité se distingue de la loupe, en ce que le volume n'en est jamais aussi considérable, & en ce qu'elle ne s'étend point au-delà de l'endroit comprimé : du reste l'une & l'autre ne présentent rien de dangereux, & la callosité ne mérite même aucune attention.

Pour ce qui concerne la loupe, il sera bon de tenter de résoudre l'humeur avant qu'elle soit entierement concrete ; on employera pour cet effet les emplâtres résolutifs : celui de vigo, en triplant la dose de mercure, m'a toûjours paru véritablement le plus efficace ; mais si son impuissance ne nous laisse aucun espoir de procurer la résolution, il conviendra d'extirper la tumeur : cette opération, dont les suites ne sauroient être fâcheuses, peut se pratiquer de deux manieres.

Si la loupe est dans le corps même du tégument, on l'emportera avec la peau, car il seroit impossible de l'en dégager : si au contraire elle est au-dessous, & que le tégument soit mobile & vacillant au-dessus, on y fera une incision proportionnée au volume de la tumeur, c'est-à-dire que cette incision sera simplement longitudinale ou cruciale, selon ce volume. On disséquera ensuite les lambeaux des tégumens ; après quoi on soûlevera la loupe avec une errigne, & on la disséquera elle-même dans toute sa circonférence, à l'effet de l'emporter entierement : l'extirpation en étant faite, on réunira les lambeaux, on les assujettira, s'il est nécessaire, par des points de suture, & on pansera le tout comme une plaie simple. Ce procédé demande plus de pratique & d'adresse que le premier ; mais on a l'avantage de terminer la cure beaucoup plûtôt : la plaie circulaire faite conséquemment à l'autre moyen est toûjours avec déperdition de substance, & demande pour se cicatriser une espace de tems assez considérable. Au reste on ne doit pas oublier que la premiere attention dans le traitement de cette maladie, est de garantir l'animal du contact qui l'a occasionné ; & pour cet effet on peut matelasser l'éponge du fer, en y attachant un petit coussinet rembourré, de façon que la partie contuse porte sur ce coussinet lorsque l'animal se couche.

Il est sans doute inutile de parler de l'éponge dont se servent les palefreniers pour laver les crins & les extrémités de l'animal, puisqu'elle ne differe point des éponges communes. Voyez PANSER. (e)

EPONGES. (terme de Plombier) Ce sont les deux bordures qui environnent dans sa longueur la table ou moule sur laquelle les Plombiers versent leur plomb. Voyez la figure 1. Pl. du Plombier.

Le rable qui sert à pousser le métal fondu jusqu'au bout du moule, & à donner une juste épaisseur à la table de plomb, est appuyé par les deux bouts sur ces éponges, où il est comme enchâssé par deux rainures qui l'assujettissent & l'empêchent de se détourner quand le plombier le pousse jusqu'au bout de la table ou moule. Voyez PLOMBIER, & les fig. 1. & 10. Pl. I. du Plombier.

EPONGES, pl. (Vener.) c'est ce qui forme le talon des bêtes.


EPONGERv. act. en terme de Pain-d'épicier, c'est passer une éponge imbibée d'une composition de jaunes d'oeufs battus ensemble, pour donner de la couleur au pain-d'épice.


EPONIMES. m. (Hist. anc.) c'étoit le chef des Archontes. Voyez ARCHONTES.


EPONTILLERv. act. c'est, parmi les Tondeurs, ôter avec des pinces la bourre ou la paille qui se sont introduites dans le drap en l'ourdissant. Voy. LAINE.


EPONTILLESSPONTILLES, s. m. pl. (Mar.) ce sont des étais ou pieces de bois posées perpendiculairement de deux en deux bancs pour fortifier les ponts & les gaillards. Celles qui sont voisines du grand & du petit cabestan sont à charniere, pour qu'on puisse les ôter quand il faut virer, mais aussitôt après on les remet à leur place : on met une forte épontille sous le mât d'artimon, & dans tous les endroits où les ponts sont chargés d'un grand poids. Voyez Pl. IV. de Marine fig. 1, les épontilles ou étances des gaillards, n° 135, & celles d'entre deux ponts, n° 110. (Z)


EPOPÉES. f. (Belles-Lettres) c'est l'imitation, en récit, d'une action intéressante & mémorable. Ainsi l'épopée differe de l'histoire, qui raconte sans imiter ; du poëme dramatique, qui peint en action ; du poëme didactique, qui est un tissu de préceptes ; des fastes en vers, de l'apologue, du poëme pastoral, en un mot de tout ce qui manque d'unité, d'intérêt ou de noblesse.

Nous ne traitons point ici de l'origine & des progrès de ce genre de poésie : la partie historique en a été développée par l'auteur de la Henriade, dans un essai qui n'est susceptible ni d'extrait, ni de critique. Nous ne réveillerons point la fameuse dispute sur Homere : les ouvrages que cette dispute a produits sont dans les mains de tout le monde. Ceux qui admirent une érudition pédantesque, peuvent lire les préfaces & les remarques de madame Dacier, & son essai sur les causes de la décadence du goût. Ceux qui se laissent persuader par un brillant enthousiasme & par une ingénieuse déclamation, goûteront la préface poétique de l'Homere anglois de Pope. Ceux qui veulent peser le génie lui-même dans la balance de la Philosophie & de la Nature, consulteront les réflexions sur la critique par la Motte, & la dissertation sur l'Iliade par l'abbé Terrasson.

Pour nous, sans disputer à Homere le titre de génie par excellence, de pere de la Poésie & des dieux ; sans examiner s'il ne doit ses idées qu'à lui-même, ou s'il a pû les puiser dans les poëtes nombreux qui l'ont précédé, comme Virgile a pris de Pisandre & d'Apollonius l'aventure de Sinon, le sac de Troye, & les amours de Didon & d'Enée ; enfin sans nous attacher à des personnalités inutiles, même à l'égard des vivans, & à plus forte raison à l'égard des morts, nous attribuerons, si l'on veut, tous les défauts d'Homere à son siecle, & toutes ses beautés à lui seul : mais après cette distinction nous croyons pouvoir partir de ce principe ; qu'il n'est pas plus raisonnable de donner pour modele en Poésie le plus ancien poëme connu, qu'il le seroit de donner pour modele en Horlogerie la premiere machine à roüage & à ressort, quelque mérite qu'on doive attribuer aux inventeurs de l'un & de l'autre. D'après ce principe, nous nous proposons de rechercher dans la nature même de l'épopée, ce que les regles qu'on lui a prescrites ont d'essentiel ou d'arbitraire. Les unes regardent le choix du sujet, les autres la composition.

Du choix du sujet. Le P. le Bossu veut que le sujet du poëme épique soit une vérité morale, présentée sous le voile de l'allégorie ; ensorte qu'on n'invente la fable qu'après avoir choisi la moralité, & qu'on ne choisisse les personnages qu'après avoir inventé la fable ; cette idée creuse, présentée comme une regle générale, ne mérite pas même d'être combattue.

L'abbé Terrasson veut que sans avoir égard à la moralité, on prenne pour sujet de l'épopée l'exécution d'un grand dessein, & en conséquence il condamne le sujet de l'Iliade, qu'il appelle une inaction. Mais la colere d'Achille ne produit-elle pas son effet, & l'effet le plus terrible, par l'inaction même de ce héros ? Ce n'est pas la premiere fois qu'on a confondu, en Poésie, l'action avec le mouvement. Voy. TRAGEDIE.

Il n'y a point de regle exclusive sur le choix du sujet. Un voyage, une conquête, une guerre civile, un devoir, un projet, une passion, rien de tout cela ne se ressemble, & tous ces sujets ont produit de beaux poëmes : pourquoi ? parce qu'ils réunissent les deux grands points qu'exige Horace ; l'importance & l'intérêt, l'agrément & l'utilité.

L'action d'un poëme est une, lorsque du commencement à la fin, de l'entreprise à l'évenement, c'est toûjours la même cause qui tend au même effet. La colere d'Achille fatale aux Grecs, Itaque délivrée par le retour d'Ulysse, l'établissement des Troyens dans l'Ausonie, la liberté romaine défendue par Pompée & succombant avec lui, toutes ces actions ont le caractere d'unité qui convient à l'épopée ; & si les Poëtes l'ont alteré dans la composition, c'est le vice de l'art, non du sujet.

Ces exemples ont fait regarder l'unité d'action comme une regle invariable ; cependant on a pris quelquefois pour sujet d'un poëme épique tout le cours de la vie d'un homme, comme dans l'Achilléïde, l'Heracléïde, la Théséïde, &c.

M. de la Motte prétend même que l'unité de personnage suffit à l'épopée, par la raison, dit-il, qu'elle suffit à l'intérêt : mais c'est-là ce qui reste à examiner. Voyez INTERET.

Quoiqu'il en soit, l'unité de l'action n'en détermine ni la durée ni l'étendue. Ceux qui ont voulu lui prescrire un tems, n'ont pas fait attention qu'on peut franchir des années en un seul vers, & que les évenemens de quelques jours peuvent remplir un long poëme. Quant au nombre des incidens, on peut les multiplier sans crainte ; ils formeront un tout régulier, pourvû qu'ils naissent les uns des autres, & qu'ils s'enchaînent mutuellement. Ainsi quoiqu'Homere pour éviter la confusion, n'ait pris pour sujet de l'Iliade que l'incident de la colere d'Achille, l'enlevement d'Helene vengé par la ruine de Troye n'en seroit pas moins une action unique, & telle que l'admet l'épopée dans sa plus grande simplicité.

Une action vaste a l'avantage de la fécondité, d'où résulte celui du choix : elle laisse à l'homme de goût & de génie la liberté de reculer dans l'enfoncement du tableau ce qui n'a rien d'intéressant, & de présenter sur les premiers plans les objets capables d'émouvoir l'ame. Si Homere avoit embrassé dans l'Iliade l'enlevement d'Helene vengé par la ruine de Troye, il n'auroit eu ni le loisir ni la pensée de décrire des tapis, des casques, des boucliers, &c. Achille dans la cour de Déidamie, Philoctete à Lemnos, & tant d'autres incidens pleins de noblesse & d'intérêt, parties essentielles de son action, l'auroient suffisamment remplie ; peut-être même n'auroit-il pas trouvé place pour ses dieux, & il y auroit perdu peu de chose.

Le poëme épique n'est pas borné comme la tragédie aux unités de lieu & de tems : il a sur elle le même avantage que la Poésie sur la Peinture. La tragédie n'est qu'un tableau ; l'épopée est une suite de tableaux qui peuvent se multiplier sans se confondre. Aristote veut avec raison que la mémoire les embrasse ; ce n'est pas mettre le génie à l'étroit que de lui permettre de s'étendre aussi loin que la mémoire.

Soit que l'épopée se renferme dans une seule action comme la tragédie, soit qu'elle embrasse une suite d'actions comme nos romans, elle exige une conclusion qui ne laisse rien à desirer ; mais le poëte dans cette partie a deux excès à éviter ; savoir, de trop étendre, ou de ne pas assez développer le dénouement. Voyez DENOUEMENT.

L'action de l'épopée doit être mémorable & intéressante, c'est-à-dire digne d'être présentée aux hommes comme un objet d'admiration, de terreur, ou de pitié : ceci demande quelque détail.

Un poëte qui choisit pour sujet une action dont l'importance n'est fondée que sur des opinions particulieres à certains peuples, se condamne par son choix à n'intéresser que ces peuples, & à voir tomber avec leurs opinions toute la grandeur de son sujet. Celui de l'Enéide, tel que Virgile pouvoit le présenter, étoit beau pour tous les hommes ; mais dans le point de vûe sous lequel le poëte l'a envisagé, il est bien éloigné de cette beauté universelle ; aussi le sujet de l'Odyssée, comme l'a saisi Homere (abstraction faite des détails), est bien supérieur à celui de l'Enéide. Les devoirs de roi, de pere, & d'époux appellent Ulysse à Itaque ; la superstition seule appelle Enée en Italie. Qu'un héros échappé à la ruine de sa patrie avec un petit nombre de ses concitoyens, surmonte tous les obstacles pour aller donner une patrie nouvelle à ses malheureux compagnons, rien de plus intéressant ni de plus noble. Mais que par un caprice du destin il lui soit ordonné d'aller s'établir dans tel coin de la terre plutôt que dans tel autre ; de trahir une reine qui s'est livrée à lui, & qui l'a comblé de biens, pour aller enlever à un jeune prince une femme qui lui est promise ; voilà ce qui a pû intéresser les dévots de la cour d'Auguste, & flater un peuple enivré de sa fabuleuse origine, mais ce qui ne peut nous paroître que ridicule ou révoltant. Pour justifier Enée, on ne cesse de dire qu'il étoit pieux ; c'est en quoi nous le trouvons pusillanime : la piété envers des dieux injustes ne peut être reçu que comme une fiction puérile, ou comme une vérité méprisable. Ainsi ce que l'action de l'Enéide a de grand est pris dans la nature, ce qu'elle a de petit est pris dans le préjugé.

L'action de l'épopée doit donc avoir une grandeur & une importance universelles, c'est-à-dire indépendantes de tout intérêt, de tout système, de tout préjugé national, & fondée sur les sentimens & les lumieres invariables de la nature. Quidquid delirant reges plectuntur achivi, est une leçon intéressante pour tous les peuples & pour tous les rois ; c'est l'abregé de l'Iliade. Cette leçon à donner au monde, est le seul objet qu'ait pû se proposer Homere ; car prétendre que l'Iliade soit l'éloge d'Achille, c'est vouloir que le paradis perdu soit l'éloge de satan. Un panégyriste peint les hommes comme ils doivent être ; Homere les peint comme ils étoient. Achille & la plûpart de ses héros ont plus de vices que de vertus, & l'Iliade est plutôt la satyre que l'apologie de la Grece.

Lucain est sur-tout recommandable par la hardiesse avec laquelle il a choisi & traité son sujet aux yeux des Romains devenus esclaves, & dans la cour de leur tyran.

Proxima quid soboles, aut quid meruere nepotes

In regnum nasci ? Pavidè num gessimus arma ?

Teximus an jugulos ? Alieni poena timoris

In nostrâ cervice sedet....

Ce génie audacieux avoit senti qu'il étoit naturel à tous les hommes d'aimer la liberté, de détester qui l'opprime, d'admirer qui la défend : il a écrit pour tous les siecles ; & sans l'éloge de Néron dont il a souillé son poëme, on le croiroit d'un ami de Caton.

La grandeur & l'importance de l'action de l'épopée dépendent de l'importance & de la grandeur de l'exemple qu'elle contient : exemple d'une passion pernicieuse à l'humanité ; sujet de l'Iliade : exemple d'une vertu constante dans ses projets, ferme dans les revers, & fidele à elle-même ; sujet de l'Odyssée, &c. Dans les exemples vertueux, les principes, les moyens, la fin, tout doit être noble & digne ; la vertu n'admet rien de bas. Dans les exemples vicieux, un mêlange de force & de foiblesse, loin de dégrader le tableau, ne fait que le rendre plus naturel & plus frappant. Que d'un intérêt puissant naissent des divisions cruelles ; on a dû s'y attendre, & l'exemple est infructueux. Mais que l'infidélité d'une femme & l'imprudence d'un jeune insensé dépeuplent la Grece & embrasent la Phrygie, cet incendie allumé par une étincelle inspire une crainte salutaire ; l'exemple instruit en étonnant.

Quoique la vertu heureuse soit un exemple encourageant pour les hommes, il ne s'ensuit pas que la vertu infortunée soit un exemple dangereux : qu'on la présente telle qu'elle est dans le malheur, sa situation ne découragera point ceux qui l'aiment. Caton n'étoit pas heureux après la défaite de Pompée ; & qui n'envieroit le sort de Caton tel que nous le peint Séneque, inter ruinas publicas erectum ?

L'action de l'épopée semble quelquefois tirer son importance de la qualité des personnages : il est certain que la querelle d'Agamemnon avec Achille, n'auroit rien de grand si elle se passoit entre deux soldats ; pourquoi ? parce que les suites n'en seroient pas les mêmes. Mais qu'un plébéïen comme Marius, qu'un homme privé comme Cromwel, Fernand Cortès, &c. entreprenne, exécute de grandes choses, soit pour le bonheur, soit pour le malheur de l'humanité, son action aura toute l'importance qu'exige la dignité de l'épopée. On a dit : il n'est pas besoin que l'action de l'épopée soit grande en elle-même, pourvû que les personnages soient d'un rang élevé ; & nous disons : il n'est pas besoin que les personnages soient d'un rang élevé pourvû que l'action soit grande en elle-même.

Il semble que l'intérêt de l'épopée doive être un intérêt public, l'action en auroit sans doute plus de grandeur, d'importance, & d'utilité ; toutefois on ne peut en faire une regle. Un fils dont le pere gémiroit dans les fers, & qui tenteroit pour le délivrer tout ce que la nature & la vertu, la valeur & la piété peuvent entreprendre de courageux & de pénible ; ce fils, de quelque condition qu'on le supposât, seroit un héros digne de l'épopée, & son action mériteroit un Voltaire ou un Fenelon. On éprouve même qu'un intérêt particulier est plus sensible qu'un intérêt public, & la raison en est prise dans la nature (voyez INTERET). Cependant comme le poëme épique est sur-tout l'école des maîtres du monde, ce sont les intérêts qu'ils ont en main qu'il doit leur apprendre à respecter. Or ces intérêts ne sont pas ceux de tel ou de tel homme, mais ceux de l'humanité en général, le plus grand & le plus digne objet du plus noble de tous les poëmes.

Nous n'avons consideré jusqu'ici le sujet de l'épopée qu'en lui-même ; mais quelle qu'en soit la beauté naturelle, ce n'est encore qu'un marbre informe que le ciseau doit animer.

De la composition. La composition de l'épopée embrasse trois points principaux, le plan, les caracteres, & le style. On distingue dans le plan l'exposition, le noeud, & le dénouement : dans les caracteres, les passions & la morale ; dans le style, la force, la précision, & l'élégance, l'harmonie & le coloris.

Du plan. L'exposition a trois parties, le début, l'invocation, & l'avant-scene.

Le début n'est que le titre du poëme plus développé, il doit être noble & simple.

L'invocation n'est une partie essentielle de l'épopée, qu'en supposant que le poëte ait à révéler des secrets inconnus aux hommes. Lucain qui ne devoit être que trop instruit des malheurs de sa patrie, au lieu d'invoquer un dieu pour l'inspirer, se transporte tout-à-coup au tems où s'alluma la guerre civile. Il frémit, il s'écrie :

" Citoyens, arrêtez ; quelle est votre fureur !

L'habitant solitaire est errant dans nos villes ;

La main du laboureur manque à vos champs stériles. "

Desuntque manus poscentibus arvis.

Ce mouvement est plein de chaleur ; une invocation eût été froide à sa place.

L'avant-scene est le développement de la situation des personnages au moment où commence le poëme, & le tableau des intérêts opposés, dont la complication va former le noeud de l'intrigue.

Dans l'avant-scene, ou le poëte suit l'ordre des évenemens, & la fable se nomme simple ; ou il laisse derriere lui une partie de l'action pour se replier sur le passé, & la fable se nomme implexe : celle-ci a un grand avantage, non-seulement elle anime la narration, en introduisant un personnage plus intéressé & plus intéressant que poëte, comme Henri IV. Ulysse, Enée, &c. mais encore en prenant le sujet par le centre, elle fait refluer sur l'avant-scene l'intérêt de la situation présente des acteurs, par l'impatience où l'on est d'apprendre ce qui les y a conduits.

Toutefois de grands évenemens, des tableaux variés, des situations pathétiques, ne laissent pas de former le tissu d'un beau poëme, quoique présentés dans leur ordre naturel. Boileau traite de maigres historiens, les poëtes qui suivent l'ordre des tems ; mais n'en déplaise à Boileau, l'exactitude ou les licences chronologiques sont très-indifférentes à la beauté de la Poésie ; c'est la chaleur de la narration, la force des peintures, l'intérêt de l'intrigue, le contraste des caracteres, le combat des passions, la vérité & la noblesse des moeurs, qui sont l'ame de l'épopée, & qui feront du morceau d'histoire le plus exactement suivi, un poëme épique admirable.

L'intrigue a été jusqu'ici la partie la plus négligée du poëme épique, tandis que dans la tragédie elle s'est perfectionnée de plus en plus. On a osé se détacher de Sophocle & d'Euripide, mais on a craint d'abandonner les traces d'Homere : Virgile l'a imité, & l'on a imité Virgile.

Aristote a touché au principe le plus lumineux de l'épopée, lorsqu'il a dit que ce poëme devoit être une tragédie en récit. Suivons ce principe dans ses conséquences.

Dans la tragédie tout concourt au noeud ou au dénouement : tout devroit donc y concourir dans l'épopée. Dans la tragédie, un incident naît d'un incident, une situation en produit une autre : dans le poëme épique les incidens & les situations devroient donc s'enchaîner de même. Dans la tragédie l'intérêt croît d'acte en acte, le péril devient plus pressant : le péril & l'intérêt devroient donc avoir les mêmes progrès dans l'épopée. Enfin le pathétique est l'ame de la tragédie : il devroit donc être l'ame de l'épopée, & prendre sa source dans les divers caracteres & les intérêts opposés. Qu'on examine après cela quel est le plan des poëmes anciens. L'Iliade a deux especes de noeuds ; la division des dieux, qui est froide & choquante ; & celle des chefs, qui ne fait qu'une situation. La colere d'Achille prolonge ce tissu de périls & de combats qui forment l'action de l'Iliade ; mais cette colere, toute fatale qu'elle est, ne se manifeste que par l'absence d'Achille, & les passions n'agissent sur nous que par leurs développemens. L'amour & la douleur d'Andromaque ne produisent qu'un intérêt momentané, presque tout le reste du poëme se passe en assauts & en batailles ; tableaux qui ne frappent guere que l'imagination, & dont l'intérêt ne va jamais jusqu'à l'ame.

Le plan de l'Odyssée & celui de l'énéïde sont plus variés ; mais comment les situations y sont-elles amenées ? un coup de vent fait un épisode ; & les avantures d'Ulysse & d'Enée ressemblent aussi peu à l'intrigue d'une tragédie, que le voyage d'Anson.

S'il restoit encore des Daciers, ils ne manqueroient pas de dire qu'on risque tout à s'écarter de la route qu'Homere a tracée, & que Virgile a suivie ; qu'il en est de la Poésie comme de la medecine, & ils nous citeroient Hippocrate pour prouver qu'il est dangereux d'innover dans l'épopée. Mais pourquoi ne feroit-on pas à l'égard d'Homere & de Virgile, ce qu'on a fait à l'égard de Sophocle & d'Euripide ? on a distingué leurs beautés de leurs défauts ; on a pris l'art où ils l'ont laissé ; on a essayé de faire toûjours comme ils avoient fait quelquefois, & c'est sur-tout dans la partie de l'intrigue que Corneille & Racine se sont élevés au-dessus d'eux. Supposons que tout le poëme de l'énéïde fût tissu comme le quatrieme livre ; que les incidens naissant les uns des autres, pussent produire & entretenir jusqu'à la fin cette variété de sentimens & d'images, ce mêlange d'épique & de dramatique, cette alternative pressante d'inquiétude & de surprise, de terreur & de pitié ; l'énéïde ne seroit-elle pas supérieure à ce qu'elle est ?

L'épopée, pour remplir l'idée d'Aristote, devroit donc être une tragédie composée d'un nombre de scenes indéterminé, dont les intervalles seroient occupés par le poëte : tel est ce principe dans la spéculation, c'est au génie seul à juger s'il est pratiquable.

La tragédie dès son origine a eu trois parties, la scene, le récit, & le choeur ; & de-là trois sortes de rôles, les acteurs, les confidens, & les témoins. Dans l'épopée, le premier de ces rôles est celui des héros, le poëte est chargé des deux autres. Pleurez, dit Horace, si vous voulez que je pleure. Qu'un poëte raconte sans s'émouvoir des choses terribles ou touchantes, on l'écoute sans être émû, on voit qu'il récite des fables ; mais qu'il tremble, qu'il gémisse, qu'il verse des larmes, ce n'est plus un poëte, c'est un spectateur attendri, dont la situation nous pénetre. Le choeur fait partie des moeurs de la tragédie ancienne ; les réflexions & les sentimens du poëte font partie des moeurs de l'épopée :

Ille bonis faveatque, & consilietur amicis,

Et regat iratos, & amet peccare timentes. Horat.

Tel est l'emploi qu'Horace attribue au choeur, & tel est le rôle que fait Lucain dans tout le cours de son poëme. Qu'on ne dédaigne pas l'exemple de ce poëte. Ceux qui n'ont lû que Boileau méprisent Lucain ; mais ceux qui lisent Lucain, font bien peu de cas du jugement que Boileau en a porté. On reproche avec raison à Lucain d'avoir donné dans la déclamation ; mais combien il est éloquent lorsqu'il n'est pas déclamateur ! combien les mouvemens qu'excite en lui-même ce qu'il raconte, communiquent à ses récits de chaleur & de véhémence !

César, après s'être emparé de Rome sans aucun obstacle, veut piller les thrésors du temple de Saturne, & un citoyen s'y oppose. L'avarice, dit le poëte, est donc le seul sentiment qui brave le fer & la mort ?

Les lois n'ont plus d'appui contre leur oppresseur,

Et le plus vil des biens, l'or trouve un défenseur !

Les deux armées sont en présence, les soldats de César & de Pompée se reconnoissent : ils franchissent le fossé qui les sépare ; ils se mêlent, ils s'attendrissent, ils s'embrassent. Le poëte saisit ce moment pour reprocher à ceux de César leur coupable obéissance :

Lâches, pourquoi gémir ? pourquoi verser des larmes ?

Qui vous force à porter ces parricides armes ?

Vous craignez un tyran dont vous êtes l'appui !

Soyez sourds au signal qui vous rappelle à lui.

Seul avec ses drapeaux, César n'est plus qu'un homme :

Vous l'allez voir l'ami de Pompée & de Rome.

César au milieu d'une nuit orageuse, frappe à la porte d'un pêcheur. Celui-ci demande : Quel est ce malheureux échappé du naufrage ? Le poëte ajoûte :

Il est sans crainte ; il sait qu'une cabane vile

Ne peut être un appas pour la guerre civile.

César frappe à la porte, il n'en est point troublé.

Quel rempart ou quel temple à ce bruit n'eût tremblé ?

Tranquille pauvreté ! &c.

Pompée offre aux dieux un sacrifice ; le poëte s'adresse à César.

Toi, quels dieux des forfaits, & quelles Eumenides

Implores-tu, César, pour tant de parricides ?

Sur le point de décrire la bataille de Pharsale, saisi d'horreur il s'écrie :

O Rome ! où sont tes dieux ? Les siecles enchaînés,

Par l'aveugle hasard sont sans doute entraînés.

S'il est un Jupiter, s'il porte le tonnerre,

Peut-il voir les forfaits qui vont souiller la terre ?

A foudroyer les monts sa main va s'occuper,

Et laisse à Cassius cette tête à frapper.

Il refusa le jour au festin de Thieste,

Et répand sur Pharsale une clarté funeste ;

Pharsale où les parens, ardens à s'égorger,

Freres, peres, enfans, dans leur sang vont nager.

C'en est assez pour indiquer le mélange de dramatique & d'épique que le poëte peut employer, même dans sa narration directe ; & le moyen de rapprocher l'épopée de la tragédie, dans la partie qui les distingue le plus.

Mais, dira-t-on, si le rôle du choeur rempli par le poëte, étoit une beauté dans l'épopée, pourquoi Lucain seroit-il le seul des poëtes anciens qui s'y seroit livré ? Pourquoi ? parce qu'il est le seul que le sujet de son poëme ait intéressé vivement. Il étoit romain, il voyoit encore les traces sanglantes de la guerre civile : ce n'est ni l'art ni la réflexion qui lui a fait prendre le ton dramatique, c'est son ame, c'est la nature elle-même ; & le seul moyen de l'imiter dans cette partie, c'est de se pénétrer comme lui.

La scene est la même dans la tragédie & dans l'épopée, pour le style, le dialogue & les moeurs ; ainsi pour savoir si la dispute d'Achille avec Agamemnon, l'entretien d'Ajax avec Idomenée, &c. sont tels qu'ils doivent être dans l'Iliade, on n'a qu'à les supposer au théatre. Voyez TRAGEDIE.

Cependant comme l'action de l'épopée est moins serrée & moins rapide que celle de la tragédie, la scene y peut avoir plus d'étendue & moins de chaleur. C'est-là que seroient merveilleusement placées ces belles conférences politiques dont les tragédies de Corneille abondent ; mais dans sa tranquillité même la scene épique doit être intéressante : rien d'oisif, rien de superflu. Encore est-ce peu que chaque scene ait son intérêt particulier, il faut qu'elle concoure à l'intérêt général de l'action ; que ce qui la suit en dépende, & qu'elle dépende de ce qui la précede. A ces conditions on ne peut trop multiplier les morceaux dramatiques dans l'épopée ; ils y répandent la chaleur & la vie. Qu'on se rappelle les adieux d'Hector & d'Andromaque, Priam aux piés d'Achille dans l'Iliade ; les amours de Didon, Euriale & Nisus, les regrets d'Evandre dans l'énéïde ; Armide & Clorinde dans le Tasse ; le conseil infernal, Adam & Eve dans Milton, &c.

Qu'est-ce qui manque à la Henriade pour être le plus beau de tous les poëmes connus ? Quelle sagesse dans la composition ! quelle noblesse dans le dessein ! quels contrastes ! quel coloris ! quelle ordonnance ! quel poëme enfin que la Henriade, si le poëte eût connu toutes ses forces lorsqu'il en a formé le plan ; s'il y eût déployé la partie dominante de son talent & de son génie, le pathétique de Mérope & d'Alzire, l'art de l'intrigue & des situations ! En général, si la plûpart des poëmes manquent d'intérêt, c'est parce qu'il y a trop de récits & trop peu de scenes.

Les poëmes où, par la disposition de la fable, les personnages se succedent comme les incidens, & disparoissent pour ne plus revenir ; ces poëmes qu'on peut appeller épisodiques, ne sont pas susceptibles d'intrigue : nous ne prétendons pas en condamner l'ordonnance, nous disons seulement que ce ne sont pas des tragédies en récit. Cette définition ne convient qu'aux poëmes dans lesquels des personnages permanens, annoncés dès l'exposition, peuvent occuper alternativement la scene, & par des combats de passion & d'intérêt, noüer & soûtenir l'action. Telle étoit la forme de l'Iliade & de la Pharsale, si les poëtes avoient eu l'art ou le dessein d'en profiter.

L'Iliade a été plus que suffisamment analysée par les critiques de ces derniers tems ; mais prenons la Pharsale pour exemple de la négligence du poëte dans la contexture de l'intrigue. D'où vient qu'avec le plus beau sujet & le plus beau génie, Lucain n'a pas fait un beau poëme ? Est-ce pour avoir observé l'ordre des tems & l'exactitude des faits ? nous avons prévenu cette critique. Est-ce pour n'avoir pas employé le merveilleux ? nous verrons dans la suite combien l'entremise des dieux est peu essentielle à l'épopée. Est-ce pour avoir manqué de peindre en poëte, ou les personnages ou les tableaux que lui présentoit son action ? les caracteres de Pompée & de César, de Brutus & de Caton, de Marcie & de Cornélie, d'Afranius, de Vultéïus, & de Scéva, sont saisis & dessinés avec une noblesse & une vigueur dont nous connoissons peu d'exemples. Le deuil de Rome à l'approche de César (erravit sine voce dolor), les proscriptions de Sylla, la forêt de Marseille & le combat sur mer, l'inondation du camp de César, la réunion des deux armées, le camp de Pompée consumé par la soif, la mort de Vultéïus & des siens, la tempête que César essuie, l'assaut soûtenu par Scéva, le charme de la Thessalienne ; tous ces tableaux, & une infinité d'autres répandus dans ce poëme, ne sont peints quelquefois qu'avec trop de force, de hardiesse & de chaleur. Les discours répondent à la beauté des peintures ; & si dans l'un & l'autre genre Lucain passe quelquefois les bornes du grand & du vrai, ce n'est qu'après y avoir atteint ; & pour vouloir renchérir sur lui-même, le plus souvent le dernier vers est empoulé, & le précédent est sublime. Qu'on retranche de la Pharsale les hyperboles & les longueurs, défauts d'une imagination vive & féconde, correction qui n'exige qu'un trait de plume, il restera des beautés dignes des plus grands maîtres, & que l'auteur des Horaces, de Cinna, de la mort de Pompée, ne trouvoit pas au-dessous de lui. Cependant avec tant de beautés la Pharsale n'est que l'ébauche d'un beau poëme, non-seulement par le style, qui en est inculte & raboteux, non-seulement par le défaut de variété dans les couleurs des tableaux, vice du sujet plûtôt que du poëte, mais sur-tout par le manque d'ordonnance & d'ensemble dans la partie dramatique. L'entretien de Caton avec Brutus, le mariage de Caton & de Marcie, les adieux de Cornélie & de Pompée, la capitulation d'Afranius avec César, l'entrevûe de Pompée & de Cornélie après la bataille ; toutes ces scenes, à quelques longueurs près, sont si intéressantes & si nobles ! Pourquoi ne les avoir pas multipliées ? Pourquoi Caton, cet homme divin, si dignement annoncé au second livre, ne reparoît-il plus ? pourquoi ne voit-on pas Brutus en scene avec César ? pourquoi Cornélie est-elle oubliée à Lesbos ? pourquoi Marcie ne va-t-elle pas l'y joindre, & Caton l'y retrouver en même tems que Pompée ? Quelle entrevûe ! quels sentimens ! quels adieux ! Le beau contraste de caracteres vertueux, si le poëte les eût rapprochés ! Ce n'est point à nous à tracer un tel plan, nous en sentons les difficultés ; mais nous écrivons ici pour les hommes de génie.

Des caracteres. Nous ne nous étendrons point sur les caracteres, dans le dessein de traiter en son lieu cette partie du poëme dramatique (voyez TRAGEDIE) ; mais nous placerons ici quelques observations particulieres aux personnages de l'épopée.

Rien n'est plus inutile, à notre avis, que le mêlange des êtres surnaturels avec les hommes : tout ce que le poëte peut se promettre, c'est de faire de grands hommes de ses dieux, en les habillant de nos pieces, suivant l'expression de Montagne. Et ne vaut-il pas mieux employer les efforts de la poésie à rapprocher les hommes des dieux, qu'à rapprocher les dieux des hommes ? Humana ad deos transtulerunt, dit Ciceron en parlant des Philosophes mythologues, divina mallem ad nos.

Ce que j'y vois de plus certain, dit Pope au sujet des dieux d'Homere, c'est qu'ayant à parler de la divinité sans la connoître, il en a pris une image dans l'homme : il contempla dans une onde inconstante & fangeuse l'astre qu'il y voyoit réfléchi.

On peut nous opposer que l'imagination ne raisonne point ; que le merveilleux l'enivre ; qu'il emporte l'ame hors d'elle-même, sans lui donner le tems de se replier sur les idées qui détruiroient l'illusion : tout cela est vrai, & c'est ce qui nous empêche de bannir le merveilleux de l'épopée ; c'est ce qui nous a engagé à l'admettre même dans la tragédie. Voyez DENOUEMENT. Mais dans l'un & l'autre de ces poëmes il est encore moins raisonnable de l'exiger que de l'interdire. Voyez MERVEILLEUX.

Cependant comment suppléer aux personnages surnaturels dans l'épopée ? Par les vertus & les passions, non pas allégoriquement personnifiées (l'allégorie anime le physique & refroidit le moral), mais rendues sensibles par leurs effets, comme elles le sont dans la nature, & comme la tragédie les présente. L'épopée n'exige donc pour personnages que des hommes, & les mêmes hommes que la tragédie ; avec cette différence, que celle-ci demande plus d'unité dans les caracteres, comme étant resserrée dans un moindre espace de tems.

Il n'est point de caractere simple. L'homme, dit Charon, est un sujet merveilleusement divers & ondoyant : cependant comme la tragédie n'est qu'un moment de la vie d'un homme, que dans ce moment même il est violemment agité d'un intérêt principal & d'une passion dominante, il doit, dans ce court espace, suivre une même impulsion, & n'essuyer que le flux & le reflux naturel à la passion qui le domine ; au lieu que l'action du poëme épique étant étendue à un plus long espace de tems, la passion a ses relâches, & l'intérêt ses diversions : c'est un champ libre & vaste pour l'inconstance & l'instabilité, qui est le plus commun & apparent vice de la nature humaine. (Charon). La sagesse & la vertu seules sont au-dessus des révolutions ; & c'est un genre de merveilleux qu'il est bon de réserver pour elles.

Ainsi quoique chacun des personnages employés dans l'épopée doive avoir un fond de caractere & d'intérêt déterminé, les orages qui s'y élévent ne laissent pas quelquefois d'en troubler la surface & d'en dérober le fond. Mais il faut observer aussi qu'on ne change jamais sans cause d'inclination, de sentiment ou de dessein ; ces changemens ne s'operent, s'il est permis de le dire, qu'au moyen des contrepoids : tout l'art consiste à charger à propos la balance ; & ce genre de mécanisme exige une connoissance profonde de la nature. Voyez dans Britannicus avec quel art les contrepoids sont ménagés dans les scenes de Burrhus avec Néron, de Néron avec Narcisse ; & au contraire prenons le dernier livre de l'iliade. Achille a porté la vengeance de Patrocle jusqu'à la barbarie : Priam vient se jetter à ses piés pour lui demander le corps de son fils : Achille s'émeut, se laisse fléchir ; & jusque-là cette scene est sublime. Achille invite Priam à prendre du repos. " Fils de Jupiter (lui répond le divin Priam) ne me forcez point à m'asseoir, pendant que mon cher Hector est étendu sur la terre sans sépulture ". Quoi de plus pathétique & de moins offensant que cette réponse ! Qui croiroit que c'est à ces mots qu'Achille redevient furieux ? Il s'appaise de nouveau ; il fait laisser sur le chariot de Priam une tunique & deux voiles pour envelopper le corps : avant de le rendre à ce pere affligé, il le prend entre ses bras, le met sur un lit, & place ce lit sur le chariot. Alors il se met à jetter de grands cris ; & s'adressant à Patrocle, mon cher Patrocle, s'écrie-t-il, ne sois pas irrité contre moi ". Ce retour est encore admirable ; mais achevons. " Mon cher Patrocle, ne sois pas irrité contre moi, si on te porte jusque dans les enfers la nouvelle que j'ai rendu le corps d'Hector à son pere ; car (on s'attend qu'il va dire, je n'ai pû résister aux larmes de ce pere infortuné ; mais non) car il m'a apporté une rançon digne de moi ". Ces disparates prouvent que jamais on n'a moins connu l'héroïsme que dans les tems appellés héroïques.

Du style. Nous supposons dans le lecteur une idée juste des qualités du style en général : il peut consulter les articles STYLE, ÉLEGANCE, PRECISION, &c. Appliquons en peu de mots au style de l'épopée celles de ces qualités qui lui conviennent : les premieres sont la force, la précision, & l'élégance. La force & la précision sont inséparables ; mais c'est avec l'élégance qu'il est difficile de les concilier. Parmi les auteurs qui en écrivant se livrent à leur génie, ceux qui pensent le plus ne sont pas ceux qui écrivent le mieux ; leurs idées, qui se pressent & se foulent dans leur impétuosité, font que leurs expressions se serrent & se froissent : au contraire, ceux dont les idées moins tumultueuses se succedent & s'arrangent à leur aise, conservent dans leur style cette liante facilité ; leur imagination donne à leur plume le loisir d'être élégant. Du nombre des premiers sont Séneque, Tacite & Lucain, Corneille, Pascal & Bossuet ; du nombre des seconds, Cicéron, Tite-Live & Virgile, Racine, Malebranche & Fléchier.

Un ouvrage plus élégant & moins pensé, a communément plus de succès qu'un ouvrage plus pensé & moins élégant : la lecture du premier est agréable & facile ; la lecture du second est utile, mais fatigante : celui-ci est une mine d'or ; celui-là une feuille legere, mais artistement travaillée : on l'admire, on en joüit ; & qui va fouiller dans les mines ? Ceux même qui s'y enrichissent se gardent bien de les faire connoître. Combien d'auteurs célebres doivent leur fortune à d'obscurs écrivains qu'ils n'ont jamais daigné nommer ? On a dit qu'une pensée appartenoit à celui qui la rendoit le mieux : cela ressemble au droit du plus fort. Dans le fait, il est du moins vrai que l'homme de génie est souvent comme le ver à soie qui file pour l'ouvrier : Sic vos, non vobis....

Mais le soin qu'on prend de polir le style ne peut-il pas refroidir l'imagination & ralentir la pensée ? Non, lorsque le poëte se hâte d'abord de répandre ses idées dans toute leur rapidité, & ne donne à la correction que les intervalles du génie. Dans ce premier jet, l'expression se fond avec la pensée, & ne faisant plus qu'un même corps avec elle, ne laisse à la réflexion que des traits à rechercher & des contours à arrondir. Rien n'est plus vif ni plus élégant que les scenes passionnées de Racine ; c'est ainsi qu'il les a travaillées ; c'est ainsi sans doute qu'avoit commencé celui qui est mort à vingt-sept ans, & nous a laissé la Pharsale.

L'harmonie & le coloris distinguent sur-tout le style de l'épopée. Il y a deux sortes d'harmonie dans le style, l'harmonie contrainte, l'harmonie libre : l'harmonie contrainte, qui est celle des vers, résulte d'une division symmétrique & d'une mesure réguliere dans les sons. Bornons-nous au vers héroïque, le seul qui ait rapport à ce que nous voulons prouver.

On sait que l'hexametre des anciens étoit composé de six mesures à quatre tems : c'est d'après ce modele que supposant longues ou de deux tems toutes les syllabes de notre langue, on en a donné douze à notre vers alexandrin. Mais comme notre langue, quoique moins dactilique que le grec & le latin, ne laisse pas d'être mêlée de longues & de breves, & que le choix en est arbitraire dans les vers, il arrive qu'un vers a deux, trois, quatre, & jusqu'à huit tems de plus qu'un autre vers de la même mesure en apparence.

J n vex qe l vor, suprr t murr.

Trãçt ps trdfs n pnbl slln.

Ainsi le mêlange des syllabes breves & longues détruit dans nos vers la régularité de la mesure : or point de vers harmonieux sans ce mêlange ; d'où il suit que l'harmonie & la mesure sont incompatibles dans nos vers. Le choix des sons y est arbitraire : ce n'est donc pas encore ce choix qui rend nos vers préférables à la prose. Enfin la rime, qui peut causer un moment le plaisir de la surprise, ennuie & fatigue à la longue. Qu'est-ce donc qui peut nous attacher à une forme de vers qui n'a ni rythme ni mesure, & dont l'irréguliere symmétrie prive la pensée, le sentiment & l'expression des graces nobles de la liberté ?

La prose a son harmonie ; & celle-ci, que nous appellons libre, se forme, non de tel ou de tel mêlange de sons régulierement divisés, mais d'un mêlange varié de syllabes faciles, pleines & sonores, tour-à-tour lentes & rapides, au gré de l'oreille, & dont les suspensions & les repos ne lui laissent rien à souhaiter. Là tous les nombres que l'oreille s'est choisis par prédilection, dactyle, spondée, iambe, &c. se succedent & s'allient avec une variété qui l'enchante & ne la fatigue jamais : la mesure précipitée ou soûtenue, interrompue ou remplie, suivant les mouvemens de l'ame, laisse au sentiment, d'intelligence avec l'oreille, choisir & marquer les divisions : c'est là que le trimetre, le tétrametre, le pentametre trouvent naturellement leur place ; car c'est une affectation puérile que d'éviter dans la prose la mesure d'un vers harmonieux, si ce n'est peut-être celle du vers héroïque, dont le retour continu est trop familier à notre oreille, pour qu'elle ne soit pas étonnée de trouver ce vers isolé au milieu des divisions irrégulieres de la prose. V. ELOCUTION.

Que l'harmonie imitative ait fait une des beautés des vers anciens, c'est ce qui n'est sensible pour nous que dans un très-petit nombre d'exemples : quelquefois elle peint le physique :

Nec brachia longo

Margine terrarum porrexerat Amphitrite.

quelquefois elle peint l'idée :

Magnum Jovis incrementum.

....

Monstrum horrendum, informe, ingens, cui lumen ademptum.

Mais rien n'est plus difficile ni plus rare que de donner à nos vers cette expression harmonique ; & si notre langue en est susceptible, ce n'est tout-au-plus que dans la prose, dont la liberté laisse au goût & à l'oreille du poëte le choix des termes & des tours : c'est peut-être ce qui manque à la prose nombreuse, mais monotone, du Télémaque.

Cependant, s'il faut céder à l'habitude où nous sommes de voir des poëmes en vers, il y auroit un moyen d'en rompre la monotonie, & d'en rendre jusqu'à un certain point l'harmonie imitative : ce seroit d'y employer des vers de différente mesure, non pas mêlés au hasard, comme dans nos poésies libres, mais appliqués aux différens genres auxquels leur cadence est le plus analogue. Par exemple, le vers de dix syllabes, comme le plus simple, aux morceaux pathétiques ; le vers de douze aux morceaux tranquilles & majestueux ; les vers de huit aux harangues véhémentes ; les vers de sept, de six & cinq aux peintures les plus vives & les plus fortes.

On trouve dans une épître de l'abbé de Chaulieu au chevalier de Bouillon, un exemple frappant de ce mêlange de différentes mesures.

Tel qu'un rocher dont la tête

Egalant le mont Athos,

Voit à ses piés la tempête

Troubler le calme des flots.

La mer autour brüit & gronde ;

Malgré ses émotions,

Sur son front élevé regne une paix profonde,

Que tant d'agitations,

Et que les fureurs de l'onde

Respectent à l'égal du nid des Alcyons.

Mais faudroit-il éviter le retour fatiguant de la rime redoublée, croiser les vers, & varier les repos avec un art d'autant plus difficile, qu'il n'a point de regles.

Le coloris du style est une suite du coloris de l'imagination ; & comme il en est inséparable, nous avons crû devoir les réunir sous un même point de vûe.

Le style de la tragédie est commun à toute la partie dramatique de l'épopée. Voyez TRAGEDIE.

Mais la partie épique permet, exige même des peintures plus fréquentes & plus vives : ou ces peintures présentent l'objet sous ses propres traits, & on les appelle descriptions ; ou elles le présentent revêtu de couleurs étrangeres, & on les appelle images.

Les descriptions exigent non-seulement une imagination vive, forte & étendue, pour saisir à-la-fois l'ensemble & les détails d'un tableau vaste, mais encore un goût délicat & sûr pour choisir & les tableaux, & les parties de chaque tableau qui sont dignes du poëme héroïque. La chaleur des descriptions est la partie brillante & peut-être inimitable d'Homere ; c'est par-là qu'on a comparé son génie à l'essieu d'un char qui s'embrase par sa rapidité.... Ce feu, dit-on, n'a qu'à paroître dans les endroits où manque tout le reste, & fût-il environné d'absurdités, on ne le verra plus. (Préf. de l'Homere Angl. de Pope.) C'est par-là qu'Homere a fait tant de fanatiques parmi les savans, & tant d'enthousiastes parmi les hommes de génie : c'est par-là qu'on l'a regardé tantôt comme une source intarissable où s'abreuvoient les Poëtes,

A quo ceu fonte perenni

Vatum pieriis ora rigantur aquis. Ovid.

tantôt comme l'avoit représenté le peintre Galathon, cujus vomitum alii poetae adstantes absorbent. Oelianus, l. XIII.

Mais ce n'est point assez de bien peindre, il faut bien choisir ce qu'on peint : toute peinture vraie a sa beauté ; mais chaque beauté a sa place. Tout ce qui est bas, commun, incapable d'exciter la surprise, l'admiration, ou la curiosité d'un lecteur judicieux, est déplacé dans l'épopée.

Il faut, dit-on, des peintures simples & familieres pour préparer l'imagination à se prêter au merveilleux : oui sans doute : mais le simple & le familier ont leur intérêt & leur noblesse. Le repas d'Henri IV. chez le solitaire de Gersai, n'est pas moins naturel que le repas d'Enée sur la côte d'Afrique : cependant l'un est intéressant, & l'autre ne l'est pas. Pourquoi ? Parce que l'un renferme les idées accessoires d'une vie tranquille & pure, & l'autre ne présente que l'idée toute nue d'un repas de voyageurs.

Les Poëtes doivent supposer tous les détails qui n'ont rien d'intéressant, & auxquels la réflexion du lecteur peut suppléer sans effort : ils seroient d'autant moins excusables de puiser dans ces sources stériles, que la Philosophie leur en a ouvert de très-fécondes. Pope compare le génie d'Homere à un astre qui attire en son tourbillon tout ce qu'il trouve à la portée de ses mouvemens : & en effet Homere est de tous les Poëtes celui qui a le plus enrichi la poésie des connoissances de son siecle. Mais s'il revenoit aujourd'hui avec ce feu divin, quelles couleurs, quelles images ne tireroit-il pas des grands effets de la nature, si savamment développés, des grands effets de l'industrie humaine, que l'expérience & l'intérêt ont porté si loin depuis trois mille ans ? La gravitation des corps, la végétation des plantes, l'instinct des animaux, les développemens du feu, l'action de l'air, &c. les mécaniques, l'astronomie, la navigation, &c. voilà des mines à-peine ouvertes, où le génie peut s'enrichir : c'est de-là qu'il peut tirer des peintures dignes de remplir les intervalles d'une action héroïque : encore doit-il être avare de l'espace qu'elles occupent, & ne perdre jamais de vûe un spectateur impatient, qui veut être délassé sans être refroidi, & dont la curiosité se rebute par une longue attente, sur-tout lorsqu'il s'apperçoit qu'on le distrait hors de propos. C'est ce qui ne manqueroit pas d'arriver, si par exemple, dans l'un des intervalles de l'action on employoit mille vers à ne décrire que des jeux (Enéïde, l. V.). Le grand art de ménager les descriptions est donc de les présenter dans le cours de l'action principale, comme les passages les plus naturels, comme les moyens les plus simples. Art bien peu connu, ou bien négligé jusqu'à nous.

Il nous reste à examiner la partie des images ; mais comme elles sont communes à tous les genres de poésie, & que la théorie en exige un détail approfondi, nous croyons devoir en faire un article séparé. Voyez IMAGE.

Nous n'avons pû donner ici que le sommaire d'un long traité ; les exemples sur-tout, qui appuient & développent si bien les principes, n'ont pû trouver place dans les bornes d'un article : mais en parcourant les Poëtes, un lecteur intelligent peut aisément y suppléer. D'ailleurs, comme nous l'avons dit dans l'article CRITIQUE, l'auteur qui, pour composer un poëme, a besoin d'une longue étude des préceptes, peut s'en épargner le travail. Cet article est de M. MARMONTEL.


EPOQUES. f. (Logiq.) suspension de jugement ; c'est l'état de l'esprit par lequel nous n'établissons rien, n'affirmant & ne niant quoi que ce soit. Les philosophes sceptiques ayant pour principe, que toute raison peut être contredite par une raison opposée & d'un poids égal, ne sortoient jamais des bornes de l'époque, & ne recevoient aucun dogme. Pour arriver à cette époque, ils employoient dix moyens principaux, que je vais détailler d'après Sextus Empiricus, livre I. des hypotyposes, ou institutions pyrrhoniennes.

Le premier est tiré de la diversité des animaux. Voici un précis des exemples & des raisonnemens, sur lesquels Sextus appuie ce premier moyen. Il est aisé, dit-il, de remarquer qu'il y a une grande diversité dans les perceptions & dans les sensations des animaux, si l'on considere leur origine différente & la diverse constitution de leur corps. A l'égard de leur origine, on voit qu'entre les animaux, les uns naissent par la voie ordinaire de la génération, & les autres sans l'union du mâle & de la femelle. Ici Sextus s'étend sur ces prétendues générations spontanées, que la saine physique a entierement bannies. Quant à ceux qui viennent par l'accouplement des sexes, continue-t-il, les uns viennent d'animaux de même espece, ce qui est le plus ordinaire ; d'autres naissent d'animaux de différente espece, comme les mulets : les uns naissent vivans des animaux ; d'autres sortent d'un oeuf, comme les oiseaux ; d'autres sont mal formés, comme les ours. Ainsi il ne faut pas douter que les diversités & les différences qui se trouvent dans les générations, ne produisent de grandes antipathies parmi les animaux, qui sans contredit tirent de ces diverses origines des tempéramens tout-à-fait différens, & une grande discordance & contrariété les uns à l'égard des autres. Le philosophe sceptique entasse des exemples, qui justifient ce qu'il a avancé ; d'où il conclut ainsi : si les mêmes choses paroissent différentes à cause de la diversité des animaux, il est vrai que nous pourrons bien dire d'un objet quel il nous paroît ; mais nous nous en tiendrons à l'époque, nous demeurerons en suspens, nous ne déciderons rien, s'il s'agit de dire quel il est véritablement & naturellement. Car enfin nous ne pouvons pas juger entre nos perceptions & celles des autres animaux, lesquelles sont conformes à la nature des choses ; & la raison de cela, c'est que nous sommes des parties discordantes & intéressées dans ce procès, & que nous ne pouvons pas être juges dans notre propre cause.

Le second, de la différence des hommes. Quand nous accorderions qu'il faut s'en tenir au jugement des hommes plûtôt qu'à celui des animaux, la seule différence qui regne entre les hommes, suffit pour maintenir l'époque. Nous sommes composés de deux choses, d'un corps & d'une ame ; mais à l'égard de ces deux choses, nous sommes différens les uns des autres en bien des manieres : du côté du corps, la figure ou conformation, & le tempérament, varient ; Sextus en allegue quantité d'exemples : & quant à l'ame, une preuve de la différence presque infinie, qui se trouve entre les esprits des hommes, c'est la contrariété des sentimens des dogmatiques en toutes choses, & sur-tout dans la question des choses qu'on doit éviter ou rechercher. Or, ou nous croirons tous les hommes, ou nous en croirons quelques-uns. Si nous voulons les croire tous, nous entreprendrons une chose impossible, & nous admettrons des contradictions ; & si nous en croyons seulement quelques-uns, auxquels donnerons-nous la préférence ? Un platonicien nous dira qu'il faut s'en rapporter à Platon, un épicurien à Epicure ; mais c'est précisément cette contrariété qui nous persuade d'en demeurer à l'époque.

Le troisieme, de la comparaison des organes des sens. Nous ne sommes point certains si les objets qui se présentent à nous revêtus de certaines qualités, n'ont que ces seules qualités, ou plûtôt si elles n'en ont qu'une, & si la diversité apparente de ces qualités ne vient point de la différente constitution de nos organes, ou enfin s'ils n'ont point plus de qualités que celles qui nous paroissent, quelqu'une de ces qualités pouvant ne pas tomber sous nos sens. Sextus n'a fait qu'ébaucher la matiere des sens de leurs divers rapports & de leurs erreurs ; au lieu que Malebranche, dans son excellente recherche de la vérité, l'a presque épuisée.

Le quatrieme, des circonstances. Par ce terme, dit Sextus, nous entendons les habitudes, les dispositions, & les conditions différentes. Ce moyen consiste à considérer quelles sont les sensations & les perceptions d'une personne, conformes ou non conformes à sa nature, dans la veille ou dans le sommeil, dans les différens âges de la vie, dans le mouvement ou dans le repos, dans la haine ou dans l'amour, quand elle a faim ou quand elle est rassasiée, quand elle a de certaines dispositions ou habitudes, quand elle est dans la confiance ou dans la crainte, dans la tristesse ou dans la joie. Il est constant, & Sextus le prouve au long, que, suivant ces différentes dispositions, les hommes sont tantôt dans un certain état, tantôt dans un autre. Ainsi l'on peut dire facilement comment un objet est apperçû de chacun ; mais il ne sera pas également facile de prononcer quel peut être réellement cet objet. Pour trouver un juge recevable qui décidât entre ces contrariétés infinies, il faudroit trouver un homme qui ne fût dans aucune disposition, dans aucune circonstance : mais c'est une supposition impossible. Tout homme est lui-même une partie discordante ; tout homme est du nombre des choses dont on dispute.

Le cinquieme, des situations, des distances, & des lieux. Selon que ces relations sont différentes, les mêmes choses paroissent diversement. Un même portique, si on le regarde par une des extrémités de sa longueur, paroît aller toûjours en diminuant ; mais si on le regarde par son milieu, il semble égal partout. Un vaisseau vû de loin, paroît petit & sans mouvement ; de près, il paroît grand & en mouvement. Une même tour vûe de loin paroît ronde, & de près quarrée. Voilà pour les distances. A l'égard des lieux, la lumiere d'une lampe est obscure au Soleil, & brillante dans les ténebres. Une rame paroît rompue dans l'eau, & droite dehors. Un oeuf est mou dans le corps de l'oiseau, & dur dehors. Le corail est mou dans la mer, & se durcit à l'air. Une même voix paroît autre dans une trompette, autre dans les flûtes, & autre dans l'air simple. Quant aux positions ; une peinture vûe presque tout-à-fait de côté, ensorte que l'oeil ne soit presque point élevé au-dessus du tableau, paroît unie ; mais si l'oeil est plus élevé, si le tableau est moins incliné, ou vis-à-vis de l'oeil, l'image paroît avoir des éminences & des enfoncemens. Le cou des pigeons paroît de diverses couleurs, suivant qu'ils se tournent. Or tous les objets des sens se présentant à eux de quelque distance, dans quelque lieu, & dans quelque position (toutes choses, qui chacune à part causent de grandes différences dans les perceptions & dans les idées), nous sommes obligés par ces raisons-là d'adopter l'époque.

Le sixieme, des mêlanges. Rien de tout ce qui est hors de nous, ne tombe sous nos sens seul & pur, mais toûjours avec quelqu'autre chose ; d'où il arrive qu'il est apperçû & senti diversement par ceux qui le considerent. La couleur de notre visage, par exemple, paroît autre quand il fait chaud que quand il fait froid ; ainsi nous ne pouvons pas dire quelle elle est purement & simplement, mais seulement quelle elle nous paroît avec le chaud ou avec le froid. Mais outre les mêlanges extérieurs, il y en a qui résident dans les organes mêmes de nos sens, & qui varient infiniment la perception des objets. Nos yeux ont en eux-mêmes des tuniques & des humeurs. Ainsi comme nous ne pouvons pas voir les objets extérieurs sans le mêlange de ces choses qui sont dans nos yeux, nous ne pouvons pas non plus les appercevoir purement & exactement, & jamais nous ne les appercevons qu'avec quelque mêlange. C'est la raison pourquoi toutes choses paroissent pâles & d'une couleur morte à ceux qui ont la jaunisse, & d'une couleur de sang à ceux qui ont un épanchement de sang dans les yeux. Il en est de même des oreilles, de la langue, &c. lesquelles sont si souvent chargées d'humeurs qui modifient l'impression des objets de plusieurs façons différentes. Tous ces mêlanges ne permettant pas aux sens de recevoir exactement les qualités des objets extérieurs, l'entendement ne peut non plus juger quels ils sont purement & simplement ; parce que les sens qui lui servent de guide se trompent, outre que peut-être il mêle lui-même certaines choses qui lui sont propres, aux perceptions qui lui viennent des sens.

Le septieme, des quantités & des compositions. Il est évident que ce moyen nous oblige encore à suspendre nos jugemens touchant la nature des choses. Par exemple, les raclures de cornes de chevres paroissent blanches, quand on les considere simplement & à part ; mais dans la substance même de la corne, elles semblent noires. Les grains de sable séparés les uns des autres, paroissent raboteux, & en monceau on les trouve mous. Si l'on mange de l'ellébore réduit en poudre, il étrangle ; mais il ne fait pas le même effet quand on le mange en gros morceaux, &c. Cette raison des quantités & des compositions fait donc que nous n'appercevons que d'une maniere obscure les qualités réelles des objets extérieurs, & nous conduit encore à l'époque.

Le huitieme, des relations. Toutes choses sont relatives à quelques autres. Une chose peut être dite relative à deux égards : 1°. à l'égard de celui qui juge ; car un objet extérieur paroît tel ou tel, relativement à quelque être qui en juge : 2°. une chose est relative à tout ce qui accompagne la perception ou la considération de cette chose. C'est ainsi que le côté droit est relatif au gauche, on ne peut penser à l'un sans penser à l'autre. Il y a des relations d'identité & de diversité, d'égalité & d'inégalité, de signe & de chose signifiée, sous lesquelles tous les êtres sans exception sont compris. Il est donc évident que nous ne pouvons pas dire ce qu'est une chose purement & de sa nature, mais seulement quelle elle paroît par rapport à une autre : nouveau principe d'époque.

Le neuvieme, des choses qui arrivent fréquemment ou rarement. Le Soleil est sans doute quelque chose de bien plus surprenant à voir, qu'une comete ; mais parce que nous le voyons souvent, & que nous voyons rarement une comete, elle nous épouvante tellement, que nous nous imaginons que les dieux veulent nous présager par-là quelque grand évenement, pendant que le Soleil ne fait point cet effet sur nous. Mais imaginons-nous que le Soleil parût rarement, ou qu'il se couchât rarement, & qu'après avoir éclairé tout le monde, il le laissât ensuite pour long-tems dans les ténebres, nous trouverions-là de grands sujets d'étonnement. Un tremblement de terre effraye tout autrement ceux qui le sentent pour la premiere fois, que ceux qui y sont accoûtumés. Quelle n'est pas la surprise de ceux qui voyent la mer pour la premiere fois ? On estime les choses rares ; mais celles qui sont familieres, sont vûes avec indifférence. Puis donc que les mêmes objets nous paroissent tantôt précieux & dignes d'admiration, & tantôt tout différens, suivant leur abondance ou leur rareté, nous en concluons qu'on peut bien dire comment une chose nous paroît selon qu'elle arrive fréquemment ou rarement, mais que nous ne saurions rien affirmer nuement & simplement sur son compte.

Le dixieme, des instituts, des coûtumes, des lois, des persuasions fabuleuses, & des opinions des dogmatiques. C'est ici la source la plus abondante des contrariétés humaines, & des raisons d'adhérer à l'époque. Suivons encore notre guide, qui nous fournit les définitions & les exemples que vous allez lire. Un institut est le choix que l'on fait d'un certain genre de vie, ou quelque plan de conduite & de pratiques, que l'on prend d'une seule personne, comme par exemple de Diogene, ou des Lacédémoniens. Une loi est une convention écrite par les gouverneurs de l'état, laquelle convention emporte avec elle une punition contre celui qui la transgresse. La coûtume est l'approbation d'une chose fondée sur le consentement & la pratique commune de plusieurs, dont la transgression n'est point punie comme celle de la loi : par exemple, c'est une loi de ne point commettre d'adultere, mais c'est une coûtume parmi nous de ne point habiter avec sa femme en public. Une persuasion fabuleuse est l'approbation que l'on donne à des choses feintes & qui n'ont jamais été, telles que sont entr'autres choses les fables que l'on raconte de Saturne ; car ces choses-là sont reçûes comme vraies parmi le peuple. Une opinion dogmatique est l'approbation que l'on donne à une chose qui paroît être appuyée sur le raisonnement, ou sur une démonstration : par exemple, que les premiers élémens de toutes choses sont des atomes indivisibles, ou des homaeomeries, c'est-à-dire des parties similaires qui se distribuent différemment pour composer les différens corps, &c. Or nous opposons chacun de ces genres, ou avec lui-même, ou avec chacun des autres. Par exemple, nous opposons une coûtume à une coûtume en cette maniere. Quelques peuples d'Ethiopie, disons-nous, impriment des marques sur le corps de leurs enfans, & non pas nous. Les Perses croyent qu'il est décent de porter un habit bigarré de diverses couleurs & long jusqu'aux talons ; & nous, nous croyons que cela est indécent. Les Indiens caressent leurs femmes à la vûe de tout le monde, mais plusieurs autres peuples trouvent cela honteux. Nous opposons loi à loi. Ainsi, chez les Romains, celui qui renonce aux biens de son pere, ne paye point les dettes de son pere ; & chez les Rhodiens, il est obligé de les payer. Dans la Chersonese Taurique en Scythie, c'étoit une loi d'immoler les étrangers à Diane ; mais chez nous il est défendu de tuer un homme dans un temple. Nous opposons institut à institut, lorsque nous opposons la maniere de vivre de Diogene à celle d'Aristippe, ou l'institut des Lacédémoniens à celui des Italiens. Nous opposons une persuasion fabuleuse à une autre, lorsque nous disons que quelquefois Jupiter est appellé, dans les fables, le pere des dieux & des hommes, & que quelquefois l'Océan, est appellé l'origine des dieux, & Thétis leur mere, suivant l'expression de Junon dans Homere. Nous opposons les opinions dogmatiques les unes aux autres, lorsque nous disons que les uns croyent l'ame mortelle, & d'autres immortelle ; que les uns assûrent que la providence des dieux dirige les évenemens, & que d'autres n'admettent point de providence. Sextus, après avoir ainsi opposé ces chefs à eux-mêmes, les met aux prises les uns avec les autres ; mais ce détail nous meneroit trop loin. Tels sont les dix moyens de l'époque : renfermée dans de justes bornes, elle est sans contredit le principe le plus excellent qu'aucune secte ait jamais avancé, le préservatif le plus infaillible contre l'erreur. Aussi Descartes, ce restaurateur immortel de la saine philosophie, est-il parti, pour ainsi dire, de-là ; par une suspension universelle du jugement, il a frayé, à la vérité, de nouvelles routes qui, malgré les prétentions de quelques philosophes plus récens, sont les seules qui conviennent à l'esprit humain. L'époque, principe mort entre les mains des Sceptiques qui se contentoient de détruire sans édifier, & qui se jettoient tête baissée dans un doute universel, devient une source de lumiere & de vérité, lorsqu'elle est employée par un philosophe judicieux & exempt de préjugés. Voyez DOUTE. Cet article est tiré des papiers de M. FORMEY.

EPOQUE, en Astronomie. On appelle époque ou racine des moyens mouvemens d'une planete, le lieu moyen de cette planete déterminé pour quelque instant marqué, afin de pouvoir ensuite, en comptant depuis cet instant, déterminer le lieu moyen de la planete, pour un autre instant quelconque.

Parmi les planetes nous comprenons aussi le soleil, que les tables astronomiques supposent, ou peuvent supposer en mouvement, en lui attribuant le mouvement de la terre. Voyez COPERNIC. Voyez aussi MOUVEMENT MOYEN, LIEU MOYEN, TEMPS MOYEN, EQUATION DU TEMPS.

Les astronomes sont convenus de faire commencer l'année dans leurs tables à l'instant du midi qui précede le premier jour de janvier, c'est-à-dire, à midi le 31 Décembre, ensorte qu'à midi du premier Janvier on compte déjà un jour complet ou vingtquatre heures écoulées. Ainsi, quand on trouve dans les tables astronomiques au méridien de Paris l'époque de la longitude moyenne du soleil en 1700, de 9 signes 10 degrés 7 minutes 15 secondes ; cela signifie que le 31 Décembre 1699, à midi, à Paris, la longitude moyenne du soleil, c'est-à-dire, sa distance au premier point d'Aries, en n'ayant égard qu'à son mouvement moyen, étoit de 9 signes 10 degrés 7 minutes 15 secondes, & ainsi des autres.

L'époque une fois bien établie, le lieu moyen pour un instant quelconque est aisé à fixer par une simple regle de trois. Car on dira ; comme une année ou 365 jours est au tems écoulé depuis ou avant l'époque, ainsi le mouvement moyen de la planete, ou le tems périodique moyen pendant une année (Voyez PERIODE & MOUVEMENT MOYEN) est au mouvement cherché, qu'on ajoûtera à l'époque ou qu'on en retranchera. Toute la difficulté se réduit donc à bien fixer l'époque, c'est-à-dire le vrai lieu moyen pour un tems déterminé. Pour cela il faut observer la planete le plus exactement qu'il est possible dans les points de son orbite où le lieu vrai se confond avec le lieu moyen, c'est-à-dire où les équations du moyen mouvement sont nulles (Voyez ÉQUATION). On aura donc le lieu moyen de la planete pour cet instant, & par conséquent une simple regle de trois donnera le lieu moyen à l'instant de l'époque. Par exemple, le lieu moyen du Soleil se confond sensiblement avec le lieu vrai, lorsque le soleil est apogée ou périgée, parce qu'alors l'équation du centre est nulle ; le lieu moyen de la Lune se confond à peu près avec le lieu vrai lorsque la Lune est apogée ou périgée, & de plus en conjonction ou opposition ; je dis à peu près, parce que dans ce cas-là même il y a encore quelques équations, la plûpart assez petites, que les tables & la théorie donnent, & auxquelles il est nécessaire d'avoir égard pour déterminer le vrai mouvement moyen : aussi, comme ces équations ne sont pas exactement connues, l'époque du lieu moyen de la lune ne peut être fixée que par une espece de tâtonnement & par des combinaisons répétées & délicates. Il paroît en effet que M. Halley l'avoit trop reculée d'environ une minute, & d'autres astronomes la font de près de deux minutes plus avancée. Ce sont les observations réitérées des lieux de la Lune comparés avec les calculs de ces mêmes lieux, qui peuvent servir à fixer l'époque aussi exactement qu'il est possible. Voyez LUNE ; & les articles cités ci-dessus. (O)

EPOQUE, s. f. (Histoire) On appelle ainsi certains évenemens remarquables dont le tems est exactement ou à-peu-près connu dans la chronologie ancienne & moderne, & qui servent comme de points fixes pour y rapporter les autres évenemens. Ce mot vient d'un mot grec qui signifie s'arrêter, parce que les époques dans l'histoire sont comme des lieux de repos, & pour ainsi dire, des stations où l'on s'arrête pour considérer de-là plus à son aise ce qui suit & ce qui précede, & pour lier entr'eux les évenemens. Voyez ce que dit sur ce sujet M. Bossuet dans son discours sur l'Histoire universelle.

Les principales époques de l'Histoire sacrée, par exemple, sont la création du monde, le déluge, la vocation d'Abraham, la sortie d'Egypte, Saul ou les Juifs gouvernés par des rois, la captivité de Babylone, le retour de la captivité, la naissance de J. C. Les tems de ces différentes époques sont différens, selon la chronologie que l'on juge à-propos de suivre. Voyez AGE, CHRONOLOGIE, &c.

Les principales époques de l'Histoire ecclésiastique, sont Constantin ou la paix de l'église, la naissance du Mahométisme, le schisme des Grecs, les croisades, le grand schisme d'Occident, le Luthéranisme, &c.

Celles de l'histoire de France sont Clovis, Pepin, Hugues Capet, tige des trois races de nos rois : & dans chacune de ces trois époques principales on peut en placer d'autres ; par exemple, depuis Hugues Capet, on peut placer différentes époques à S. Louis, à Charles le Sage, à François I, à Henri IV, à Louis XIV. Il en est de même de l'histoire des autres peuples. Voyez HISTOIRE. Voyez aussi l'article ERE. La regle qu'on doit se proposer pour les époques, c'est qu'elles ne soient ni trop, ni trop peu nombreuses. On en sent aisément la raison. Dans le premier cas, le lecteur ou l'historien s'arrêteroit inutilement à chaque pas : dans le second il s'épuiseroit de fatigues, ayant trop de terrein à embrasser à la fois. (O)

L'époque est donc proprement un terme ou point fixe de tems, depuis lequel on compte les années. Voyez AN.

Les nations ont différentes époques, & cela n'est pas surprenant ; car comme il n'y a point de raisons tirées de l'Astronomie qui rendent l'une préférable à l'autre, la fixation des époques est purement arbitraire. La principale époque des Chrétiens est celle de la naissance ou incarnation de J. C. ; celle des Mahométans est l'hégire ; celle des Juifs, la création du monde ; celle des anciens Grecs, les Olympiades ; celle des Romains, la fondation de Rome ; celle des anciens Perses & Assyriens, est l'époque ou l'ere de Nabonassar. Voyez INCARNATION, HEGIRE, OLYMPIADE, &c.

La connoissance & l'usage des époques est d'un grand avantage dans la Chronologie. Voyez CHRONOLOGIE.

C'est principalement dans l'histoire ancienne que les époques sont nécessaires. L'incertitude de la chronologie oblige de se fixer à quelques points principaux pour se former un système suivi. La maniere différente de compter l'année chez les différens peuples, contribue à la difficulté de bien fixer les époques.

Pour réduire les années d'une époque à celle d'une autre, c'est-à-dire pour trouver quelle est l'année de l'une qui correspond à une année donnée de l'autre, on a inventé une période d'années qui commence avant toutes les époques connues, & qui en est, pour ainsi dire, le rendez-vous commun ; cette période est appellée periode julienne. C'est à cette periode que l'on réduit toutes les époques, en déterminant l'année de cette période, à laquelle chaque époque commence. Ainsi, il ne reste plus qu'à ajoûter l'année proposée d'une époque à l'année de la période qui correspond au commencement de cette époque, & à retrancher de cette même année proposée l'année de la même période qui répond à l'autre époque, le reste est l'année de cette autre époque. Voyez PERIODE JULIENNE.

L'époque de Jesus-Christ ou de notre Seigneur, est l'époque vulgaire de toute l'Europe ; elle commence à la nativité du Sauveur le 25 Décembre, ou plûtôt, selon la maniere ordinaire de compter, à sa circoncision le premier Janvier : mais en Angleterre, elle commence à l'incarnation ou à l'annonciation de la Vierge le 25 de Mars, neuf mois avant la nativité. Voyez NATIVITE, CIRCONCISION, ANNONCIATION, &c.

L'année de la période julienne répondante à celle de la naissance & de la circoncision de J. C. est ordinairement comptée pour la 4713 de cette période. Ainsi la premiere année de notre ere répond à la 4714 année de la période julienne.

Donc 1°. si à une année donnée de J. C. on ajoûte 4713, la somme sera l'année de la periode julienne qui répond à l'année proposée ; par exemple, si à la présente année 1755 on ajoûte 4713, la somme 6468 sera l'année où nous sommes de la période julienne. 2°. Au contraire, si on ôte 4713 d'une année donnée de la période julienne, le reste est l'année courante de J. C. Par exemple, si de l'année 6468 de la période julienne on ôte 4713, le reste sera l'année courante 1755.

L'époque de la naissance de notre Seigneur sert non seulement au calcul des années écoulées depuis le commencement de l'époque, mais encore aux calculs de celles qui l'ont précédé.

Pour trouver l'année de la période julienne, répondante à une année donnée avant J. C. il faut soustraire de 4714 l'année proposée, le reste sera l'année correspondante que l'on cherche. Ainsi on trouvera que l'année 752 avant J. C. est l'année 3956 de la période julienne. Au contraire, si on soustrait de 4714 une année proposée de la période julienne de 4714, le reste est l'année correspondante avant J. C.

L'auteur de l'époque vulgaire, ou de la méthode de compter les années depuis la naissance de J. C. est Denis le Petit, Abbé de Rome, Scythe de nation, qui florissoit sous l'empire de Justinien vers l'an 507 ; ce Denis en avoit eu la premiere idée par un moine égyptien, nommé Panodore. Jusqu'alors les Chrétiens comptoient les années ou depuis la fondation de Rome, ou par l'ordre des empereurs & des consuls, ou suivant les autres méthodes des peuples parmi lesquels ils vivoient.

Cette diversité occasionna une grande dispute entre les églises d'Orient & celles d'Occident. Denis pour la faire cesser, proposa le premier une nouvelle forme d'année, & une nouvelle ere générale, qui furent l'une & l'autre généralement reçues en peu d'années.

Denis commença son ere à l'incarnation, ou à la fête appellée communément annonciation de la Vierge. Cette méthode est encore en usage dans les pays de la domination de la grande Bretagne, mais elle n'est plus en usage que là ; dans les autres pays de l'Europe, on commence l'année au premier Janvier, excepté en cour de Rome, où l'époque de l'incarnation est encore employée dans la date des bulles. Voyez INCARNATION.

Il faut ajoûter que dans cette époque de Denis il y a une méprise : on croit communément qu'il a mis la naissance de J. C. un an trop tard, ou que J. C. étoit né l'hyver d'avant celui que Denis marque pour la conception. Mais la vérité est que cette faute doit être imputée à Bede qui a mal entendu Denis, & dont nous suivons l'interprétation ; c'est ce que le P. Petau a fort bien prouvé par les lettres mêmes de Denis. Car Denis commence son cycle à l'année 4712 de la période julienne, mais il ne commence son époque qu'à l'année 4713, où l'ere vulgaire suppose que J. C. a été incarné.

Ainsi la premiere année de J. C. selon l'époque vulgaire, est la seconde selon le calcul de Denis. Par conséquent la présente année 1755 devroit être en rigueur 1756 ; quelques chronologistes prétendent même qu'il y a erreur, non-seulement d'un an, mais de deux.

C'est à cette ere vulgaire que les Chronologistes réduisent toutes les autres époques comme à un point fixe & déterminé : cependant il n'y a aucune de ces époques qui ne soit le sujet de quelque dispute, tant il y a d'incertitude dans la doctrine des tems. Nous allons rapporter les principales de ces époques, réduites à la periode julienne.

L'époque de la création, orbis conditi, appellée aussi époque juive, est, selon le calcul des Juifs, l'année 953 de la période julienne, qui répond à l'année 3761 avant J. C. & commence au 7 d'Octobre.

Donc si on ôte 952 ans d'une année donnée de la période julienne, le reste sera l'année de l'époque juive qui y répond. Par exemple, la présente année étant la 6459 de la période julienne, se trouvera être la 5507 de l'époque juive, ou de la création du monde.

Cette époque est encore en usage parmi les Juifs.

L'époque de la création, en usage parmi les historiens grecs, est l'année 787 avant la période julienne, répondant à l'année 5500 avant J. C.

Ajoûtant donc 787 à une année donnée de la période julienne, la somme est l'année de cette époque : par exemple, 6459 étant l'année où nous sommes de la période julienne, la présente année de cette époque, ou de l'âge du monde, suivant le calcul des Grecs, sera 7246.

L'auteur de cette époque est Jules Africain qui l'a tirée des Historiens. Mais quand on voulut s'en servir dans l'usage civil, il fallut y ajoûter huit ans, afin que chaque année divisée par quinze pût marquer l'indiction dont les empereurs d'Orient se servoient pour dater leurs chartres & leurs diplomes.

L'époque de la création en usage parmi les Grecs modernes & parmi les Russiens, est l'année 735 avant la période julienne, ou l'année 5509 avant J. C. commençant au premier de Septembre ; cependant les Russiens ont admis dans la suite le calendrier julien, qui commence l'année au premier de Janvier.

Ajoûtant donc 795 à une année donnée de la période julienne, la somme sera l'année de cette époque ; ainsi l'année julienne étant aujourd'hui 6468, la présente année de la création, selon ce calcul, sera 7263 ; & de la présente année 7263 ôtant 5508, le reste sera l'année courante 1755.

Cette ere étoit employée par les empereurs d'Orient dans leurs diplomes, & c'est pour cela aussi qu'on l'appelloit l'ere civile des Grecs. Elle est en effet la même que l'époque de la période constantinopolitaine ; c'est pourquoi quelques-uns l'appellent l'époque de la période de Constantinople. Voyez PERIODE.

L'époque alexandrienne de la création, est l'année 780 avant la période julienne, qui répond à l'année 5494 avant J. C. & qui commence au 29 d'Août.

Ajoûtant donc 5493 à la présente année de J. C. 1755, la somme 7248 donnera la présente année de cette époque, ou les années écoulées depuis la création, en suivant cette méthode de calculer.

Cette époque fut imaginée par Panodore, moine égyptien, pour faciliter le calcul de la Pâque ; c'est pourquoi quelques auteurs l'appellent l'époque ecclésiastique greque.

L'époque eusébienne de la création, est l'année 486 de la période julienne, qui répond à l'année 4228 avant J. C. & commence en automne.

Otant donc 486 de la présente année julienne 6468, ou ajoûtant 4228 à la présente année de J. C. le nombre 5983 qui en résulte, sera la présente année, suivant l'époque eusébienne.

Cette époque est celle qui est suivie dans la chronique d'Eusebe & dans le martyrologe romain.

L'époque des olympiades est l'année 3938 de la période julienne, répondant à l'année 776 avant J. C. & à l'année 2985 de la création ; elle commence à la pleine-lune qui suit le solstice d'été, & chaque olympiade renferme quatre ans.

Cette époque est fort célebre dans l'histoire ancienne ; elle étoit en usage principalement chez les Grecs, & tiroit son origine des jeux olympiques, que l'on célébroit au commencement de chaque cinquieme année. Voyez OLYMPIADE.

Epoque de la fondation de Rome, ou Urbis conditae, V. C. est l'année 3961 de la période julienne, selon Varron ; ou l'année 3962, selon les fastes capitolins : elle repond à l'année 753 ou 752 avant J. C. & commence au 21 d'Avril. Donc si les années de cette époque sont moindres que 754, il faudra les soustraire de 754 ou 753, pour avoir les années correspondantes avant J. C. Si elles sont plus grandes que 754, il faudra les ajoûter pour avoir l'année de la fondation de Rome, & en soustraire 754 pour avoir l'année de J. C. ainsi, selon le calcul de Varron, la présente année 1755 est la 2518e. de la fondation de Rome.

L'époque de Nabonassar est l'année 3967 de la période julienne, qui répond à l'année 774 avant J. C. & commence au 26 Février.

Cette ere est ainsi appellée du nom de son instituteur Nabonassar roi de Babylone, & c'est celle dont Ptolomée s'est servi dans les observations astronomiques, aussi bien que Censorin & plusieurs autres.

L'époque dioclétienne, ou l'époque des martyrs, est l'année 4997 de la période julienne, répondant à l'année 293 de J. C. On l'appelle ere des martyrs, à cause du grand nombre de Chrétiens qui souffrirent le martyre sous le regne de cet empereur.

Les Abyssins, qui s'en servent encore dans toutes leurs computations, l'appellent les années de grace : cependant leurs années ne forment pas une suite continue depuis cette époque ; mais quand la période Dionysienne de 534 est expirée, ils recommencent à compter de nouveau par 1, 2, &c.

L'époque de l'hégire, ou époque mahometane, est l'année 5335 de la période julienne, qui répond à l'an 622 de J. C. Elle commence au 16 de Juillet, qui est le jour où Mahomet s'enfuit de la Meque à Médine.

Cette époque est celle dont se servent les Turcs & les Arabes, & en général tous les Musulmans sectateurs de la loi de Mahomet. Son premier instituteur fut Omar, troisieme empereur des Turcs. Les astronomes Alfraganus, Albategnius, Alphonse, & Ulugh-Beigh, mettent la fuite de Mahomet au 15 de Juillet ; mais tous les peuples qui font usage de cette époque, la fixent au 16 de ce même mois. Voyez HEGIRE.

L'époque des Séleucides, dont les Macédoniens se servoient, est l'année 4402 de la période julienne, répondant à l'année 312 avant Jesus-Christ. Voyez SELEUCIDES.

L'époque persienne, ou yezdegerdique, est l'année 5345 de la période julienne, répondant à l'année 632 de J. C. & commençant au 16 de Juin.

Cette époque est fixée à la mort d'Yezdegerde dernier roi de Perse, tué dans une bataille contre les Sarrasins.

Epoque julienne, ou époque des années juliennes, est l'année 4668 de la période julienne, répondant à l'année 45 avant J. C.

Cette époque commence à l'année où Jules-César réforma le calendrier. On appelle cette année, année de confusion. Voyez AN.

Epoque grégorienne, Voyez GREGORIEN.

Epoque espagnole, est l'année 4676 de la période julienne, répondant à l'année 38. avant J. C. Voyez ERE.

L'époque actiaque ou actienne, est l'année 4684 de la période julienne, répondant à l'année 30 avant J. C. & commençant au 29 d'Août.

Les autres mémorables époques sont celle du déluge, l'an 1656 de la Création ; la naissance d'Abraham en 2079 ; l'exode des Israélites, ou leur sortie d'Egypte en 2544 ; la construction du temple de Jérusalem en 3002 ; la destruction de ce même temple l'an 50 de J. C. la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, &c. Chambers. (G)


EPOTIDESS. f. (Hist. anc.) poutres ou grosses pieces de bois qui s'avançoient aux deux côtés de la proue, pour empêcher les coups violens des épérons ; leur saillie étoit d'environ six coudées.


EPOUSAILLESS. f. pl. (Jurisprud.) Ce terme dans les coûtumes signifie la même chose que la bénédiction nuptiale : par exemple, la coûtume de Paris, art. 220, dit que la communauté commence au jour des épousailles & bénédiction nuptiale. Voyez MARIAGE.


EPOUSSETEREPOUSSETER


EPOUSSETOIRS. m. (Metteur en oeuvre) petit pinceau de poil fort doux, & tenu proprement dans un étui, dont les Metteurs en oeuvre se servent pour ôter la poussiere & le duvet qui pourroient être restés sur le diamant, lorsqu'on l'a nettoyé avec une houppe avant que de l'arrêter dans son oeuvre.


EPOUSSETTES. f. (Manége, Maréchall.) nom qui a été donné à un morceau d'une étoffe quelconque, dont se servent les palefreniers pour chasser & pour faire voler la poussiere & la crasse qu'ils ont attirées & laissées à la superficie du corps & des poils du cheval en l'étrillant.

L'époussette est communément faite d'environ une aulne de quelque drap de laine très-grossier.

Il en est de frise que l'on humecte & que l'on passe après la brosse & le bouchon de paille, dans l'intention d'unir parfaitement le poil.

Il en est de crin, que l'on employe au même usage.

Il en est encore de toile, dont les palefreniers se font un tablier en travaillant. (e)

EPOUSSETTE, (Gravure) c'est une espece de brosse ou gros pinceau fait de la queue du petit-gris, qui sert à nettoyer le dessus de la planche vernissée, des ordures & portions du vernis détachées dans le travail, par la pointe & les autres outils employés.


EPOUVANTAILS. m. (Jardinage) ce sont des haillons que l'on met au bout d'une perche, pour épouvanter les oiseaux & les bêtes noires qui viennent manger les graines & les raisins. (K)


EPPINGEN(Géog. mod.) ville du Palatinat du Rhin en Allemagne, sur l'Esalts. Long. 27. 34. lat. 49. 12.


EPREINTES(Medec.) douleurs vives au rectum, à la vessie ou à la matrice, & qui font faire des efforts comme pour pousser au-dehors la cause irritante, quelle qu'elle soit. On restraint vulgairement le terme d'épreintes à une maladie du fondement, qui cause de fréquentes & inutiles envies d'aller à la selle. Voyez TENESME. La dyssenterie & les hémorrhoïdes causent des épreintes, dont la continuation produit assez ordinairement le renversement de la membrane interne du rectum. Pour prévenir cet inconvénient, & pour y remédier, il est très-utile de se tenir le siége dans du lait, ou dans une décoction de plantes émollientes, afin que la membrane qui, poussée par les efforts répetés, forme un bourrelet à l'extérieur, soit humectée, baignée & rafraîchie, & qu'elle devienne moins susceptible de l'impression des causes irritantes. Ce traitement local calme la tension inflammatoire. Mais quand les douleurs & les accidens diminuent, si l'on continue les injections, il est à-propos de rendre la liqueur un peu résolutive, par l'addition des fleurs de camomille, de mélilot, de sureau, &c. aux plantes émollientes. On supprime enfin celles-ci, pour ajoûter aux fleurs susdites celles de roses rouges, &c. sur-tout si le relâchement de la membrane a été considérable, afin de fortifier les parties que la maladie & les remedes relâchans, qui conviennent dans son commencement & ses progrès, ont affoiblies. Ceux qui ont la pierre dans la vessie, sont sujets aux épreintes du rectum, par la communication qu'il y a entre ces parties, par le moyen des nerfs & des vaisseaux.

La vessie a aussi des épreintes dans la plûpart de ses maladies, & dans celles des parties qui l'avoisinent. L'envie fréquente d'uriner, dans laquelle les malades rendent l'urine en petite quantité & avec grande douleur, a été appellée tenesme de la vessie, & plus communément strangurie. Voyez ce mot. Cette maladie peut avoir pour cause occasionnelle les embarras du canal de l'urethre. Voy. CARNOSITE. Une vessie racornie, des parois de laquelle il exude une humeur muqueuse susceptible de devenir âcre, est sujette aux épreintes. Lorsque la capacité de la vessie est diminuée, les envies d'uriner doivent être fréquentes, parce qu'une petite quantité d'urine fait une impression sensible sur les parois de cet organe. Une boisson adoucissante & fort abondante, relâche & distend la vessie ; mais il faut avoir soin que la secrétion de l'urine, qui est augmentée, trouve une issue libre ; & l'usage de la sonde placée dans la vessie, est un moyen sans lequel les malades ne se détermineroient pas à boire plus copieusement, parce qu'ils ont la fâcheuse expérience qu'ils souffrent d'autant plus, qu'ils urinent plus fréquemment : aussi la plûpart craignent-ils de boire. Les injections qu'on fait dans la vessie, délayent & entraînent les matieres qui y croupissoient, & concourent efficacement avec la boisson, à mondifier la cavité de ce viscere dans les cas susdits, & dans celui d'ulcération.

Les vaisseaux variqueux à l'orifice de la vessie, sont susceptibles de gonflement, de phlogose & d'inflammation ; de-là des épreintes, ou ce sentiment douloureux qui excite continuellement à faire des efforts pour uriner, la vessie même étant vuide. Quoiqu'on reçoive dans ce cas du soulagement de la sonde laissée dans la vessie, il n'est pas nécessaire d'y avoir recours, l'usage des bougies est suffisant, il faut les augmenter de volume par degré, & comme elles ne doivent agir qu'en comprimant les vaisseaux, elles doivent être très-adoucissantes. Le blanc de baleine, l'huile d'amandes douces, & la quantité de cire nécessaire pour donner la consistance requise, sont les seuls ingrédiens qui entrent dans la composition de ces sortes de bougies.

Quand la chûte de la matrice est compliquée d'inflammation, il survient difficulté & fréquence d'uriner : ce sont des épreintes symptomatiques, la réduction de la matrice les fait cesser.

On excite des épreintes par des lavemens âcres, pour procurer la sortie d'un enfant mort, ou du placenta resté dans la matrice. Cet effet des lavemens irritans montre l'utilité des anodins dans le cas où il faut relâcher & détendre, comme dans l'inflammation de la matrice, de la vessie, & des parties circonvoisines. (Y)

EPREINTES, c'est ainsi qu'on nomme les fientes des loutres.


EPREUVEESSAI, EXPÉRIENCE, (Gram.) termes relatifs à la maniere dont nous acquérons la connoissance des objets. Nous nous assûrons par l'épreuve, si la chose a la qualité que nous lui croyons ; pat l'essai, quelles sont ses qualités ; par l'expérience, si elle est. Vous apprendrez par expérience que les hommes ne vous manquent jamais dans certaines circonstances. Si vous faites l'essai d'une recette sur des animaux, vous pourrez ensuite l'employer plus sûrement sur l'espece humaine. Si vous voulez conserver vos amis, ne les mettez point à des épreuves trop fortes. L'expérience est relative à l'existence, l'essai à l'usage, l'épreuve aux attributs. On dit d'un homme qu'il est expérimenté dans un art, quand il y a longtems qu'il le pratique, qu'une arme a été éprouvée, lorsqu'on lui a fait subir certaines charges de poudre prescrites, qu'on a essayé un habit, lorsqu'on l'a mis une premiere fois pour juger s'il fait bien.

EPREUVE, s. f. (Hist. mod.) maniere de juger & de décider de la verité ou de la fausseté des accusations en matiere criminelle, reçue & fort en usage dans le neuvieme, le dixieme, & le onzieme siecles, qui a même subsisté plus long-tems dans certains pays, & qui est heureusement abolie.

Ces jugemens étoient nommés jugemens de Dieu, parce que l'on étoit persuadé que l'évenement de ces épreuves, qui auroit pû en toute autre occasion être imputé au hasard, étoit dans celle-ci un jugement formel, par lequel Dieu faisoit connoître clairement la vérité en punissant le coupable.

Il y avoit plusieurs especes d'épreuves : mais elles se rapportoient toutes à trois principales ; savoir le serment, le duel, & l'ordalie ou épreuve par les élémens.

L'épreuve par serment, qu'on nommoit aussi purgation canonique, se faisoit de plusieurs manieres : l'accusé qui étoit obligé de le prêter, & qu'on nommoit jurator ou sacramentalis, prenoit une poignée d'épis, les jettoit en l'air, en attestant le ciel de son innocence : quelquefois une lance à la main, il déclaroit qu'il étoit prêt à soûtenir par le fer ce qu'il affirmoit par serment ; mais l'usage le plus ordinaire, & le seul qui subsista le plus long-tems, étoit de jurer sur un tombeau, sur des reliques, sur l'autel, sur les évangiles. On voit par les lois de Childebert, par celles des Bourguignons & des Frisons, que l'accusé étoit admis à faire jurer avec lui douze témoins, qu'on appelloit conjuratores ou compurgatores.

Quelquefois, malgré le serment de l'accusé, l'accusateur persistoit dans son accusation ; & alors celui-ci, pour preuve de la vérité, & l'accusé, pour preuve de son innocence, ou tous deux ensemble, demandoient le combat. Il falloit y être autorisé par sentence du juge, & c'est ce qu'on appelloit épreuve par le duel. Voyez DUEL, COMBAT, AMPIONPION.

A ce que nous en avons détaillé sous ces mots, nous ajoûterons seulement ici que, quoique certaines circonstances marquées par les lois faites à ce sujet, & les dispenses de condition & d'état, empêchassent le duel en quelques occasions, rien n'en pouvoit dispenser, quand on étoit accusé de trahison : les princes du sang même étoient obligés au combat.

Nous observerons encore que l'épreuve par le duel étoit si commune, & devint si fort du goût de ce tems-là, qu'après avoir été employée dans les affaires criminelles, on s'en servit indifféremment pour décider toutes sortes de questions, soit publiques, soit particulieres. S'il s'élevoit une dispute sur la propriété d'un fonds, sur l'état d'une personne, sur le sens d'une loi ; si le droit n'étoit pas bien clair de part & d'autre, on prenoit des champions pour l'éclaircir. Ainsi l'empereur Othon I. vers l'an 968, fit décider si la représentation avoit lieu en ligne directe, par un duel, où le champion nommé pour soûtenir l'affirmative demeura vainqueur.

L'ordalie, terme saxon, ne signifioit originairement qu'un jugement en général, mais comme les épreuves passoient pour les jugemens par excellence, on n'appliqua cette dénomination qu'à ces derniers, & l'usage le détermina dans la suite aux seules épreuves par les élémens, & à toutes celles dont usoit le peuple. On en distinguoit deux especes principales, l'épreuve par le feu, l'épreuve par l'eau.

La premiere, & celle dont se servoient aussi les nobles, les prêtres, & autres personnes libres qu'on dispensoit du combat, étoit la preuve par le fer ardent. C'étoit une barre de fer d'environ trois livres pesant ; ce fer étoit béni avec plusieurs cérémonies, & gardé dans une église qui avoit ce privilége, & à laquelle on payoit un droit pour faire l'épreuve.

L'accusé, après avoir jeûné trois jours au pain & à l'eau, entendoit la messe ; il y communioit & faisoit, avant que de recevoir l'Eucharistie, serment de son innocence ; il étoit conduit à l'endroit de l'église destiné à faire l'épreuve ; on lui jettoit de l'eau bénite ; il en buvoit même ; ensuite il prenoit le fer qu'on avoit fait rougir plus ou moins, selon les présomptions & la gravité du crime ; il le soûlevoit deux ou trois fois, ou le portoit plus ou moins loin, selon la sentence. Cependant les prêtres récitoient les prieres qui étoient d'usage. On lui mettoit ensuite la main dans un sac que l'on fermoit exactement, & sur lequel le juge & la partie adverse apposoient leurs sceaux pour les lever trois jours après ; alors s'il ne paroissoit point de marque de brûlure, & quelquefois aussi, suivant la nature & à l'inspection de la plaie, l'accusé étoit absous ou déclaré coupable.

La même épreuve se faisoit encore en mettant la main dans un gantelet de fer rouge, ou en marchant nuds piés sur des barres de fer jusqu'au nombre de douze, mais ordinairement de neuf. Ces sortes d'épreuves sont appellées ketelvang dans les anciennes lois des Pays-Bas, & sur-tout dans celles de Frise.

On peut encore rapporter à cette espece d'épreuve celle qui se faisoit ou en portant du feu dans ses habits, ou en passant au-travers d'un bucher allumé, ou en y jettant des livres pour juger, s'ils brûloient ou non, de l'orthodoxie ou de la fausseté des choses qu'ils contenoient. Les historiens en rapportent plusieurs exemples.

L'ordalie par l'eau se faisoit ou par l'eau bouillante, ou par l'eau froide ; l'épreuve par l'eau bouillante étoit accompagnée des mêmes cérémonies que celle du fer chaud, & consistoit à plonger la main dans une cuve, pour y prendre un anneau qui y étoit suspendu plus ou moins profondément.

L'épreuve par l'eau froide, qui étoit celle du petit peuple, se faisoit assez simplement. Après quelques oraisons prononcées sur le patient, on lui lioit la main droite avec le pié gauche, & la main gauche avec le pié droit, & dans cet état on le jettoit à l'eau. S'il surnageoit, on le traitoit en criminel ; s'il enfonçoit, il étoit déclaré innocent. Sur ce pié-là il devoit se trouver peu de coupables, parce qu'un homme en cet état ne pouvant faire aucun mouvement, & son volume étant d'un poids supérieur à un volume égal d'eau, il doit nécessairement enfoncer. Dans cette épreuve le miracle devoit s'opérer sur le coupable, au lieu que dans celle du feu, il devoit arriver dans la personne de l'innocent. Il est encore parlé dans les anciennes lois de l'épreuve de la croix, de celle de l'Eucharistie, & de celle du pain & du fromage.

Dans l'épreuve de la croix les deux parties se tenoient devant une croix les bras élevés ; celle des deux qui tomboit la premiere de lassitude perdoit sa cause. L'épreuve de l'Eucharistie se faisoit en recevant la communion, & occasionnoit bien des parjures sacriléges. Dans la troisieme on donnoit à ceux qui étoient accusés de vol, un morceau de pain d'orge & un morceau de fromage de brebis sur lesquels on avoit dit la messe ; & lorsque les accusés ne pouvoient avaler ce morceau, ils étoient censés coupable. M. du Cange, au mot cormed, remarque que cette façon de parler, que ce morceau de pain me puisse étrangler, vient de ces sortes d'épreuves par le pain.

Il est constant, par le témoignage d'une foule d'historiens & d'autres écrivains, que toutes ces différentes sortes d'épreuves ont été en usage dans presque toute l'Europe, & qu'elles ont été approuvées par des papes, des conciles, & ordonnées par des lois des rois & des empereurs. Mais il ne l'est pas moins qu'elles n'ont jamais été approuvées par l'Eglise. Dès le commencement du jx. siecle, Agobard archevêque de Lyon, écrivit avec force contre la damnable opinion de ceux qui prétendent que Dieu fait connoître sa volonté & son jugement par les épreuves de l'eau & du feu, & autres semblables. Il se recrie vivement contre le nom de jugement de Dieu qu'on osoit donner à ces épreuves ; comme si Dieu, dit-il, les avoit ordonnées, ou s'il devoit se soumettre à nos préjugés & à nos sentimens particuliers pour nous révéler tout ce qu'il nous plaît de savoir. Yves de Chartres dans le xj. siecle les a attaquées, & cite à ce sujet une lettre du pape Etienne V. à Lambert évêque de Mayence, qui est aussi rapportée dans le decret de Gratien. Les papes Célestin III. Innocent III. & Honorius III. réiterent ces défenses. Quatre conciles provinciaux assemblés en 829 par Louis le Débonnaire, & le jx. concile général de Latran, les défendirent. Ce qui prouve que l'Eglise en général, bien loin d'y reconnoître le doigt de Dieu, les a toûjours regardées comme lui étant injurieuses & favorables au mensonge. De-là les théologiens les plus sages ont soûtenu après Yves de Chartres & S. Thomas, qu'elles étoient condamnables, parce qu'on y tentoit Dieu toutes les fois qu'on y avoit recours, parce qu'il n'y a de sa part aucun commandement qui les ordonne, parce qu'on veut connoître par cette voye des choses cachées qu'il n'appartient qu'à Dieu seul de connoître. D'où ils concluent que c'est à juste titre qu'elles ont été proscrites par les souverains pontifes & par les conciles.

Mais les défenseurs de ces épreuves opposoient pour leur justification les miracles dont elles étoient soûvent accompagnées. Ce qui ne doit s'entendre que des ordalies ; car pour l'épreuve par le serment, le duel, la croix, &c. elles n'avoient rien que d'humain & de naturel ; & de-là naît une autre question très-importante, savoir de quel principe part le merveilleux ou le surnaturel qu'une infinité d'auteurs contemporains attestent avoir accompagné ces épreuves. Vient-il de Dieu, vient-il du démon ?

Les théologiens mêmes qui condamnoient les épreuves, sans contester la vérité de ces miracles, n'ont pas balancé à en attribuer le merveilleux au démon, ce que Dieu permettoit, disoient-ils, pour punir l'audace qu'on avoit de tenter sa toute-puissance par ces voyes superstitieuses ; sentiment qui peut souffrir de grandes difficultés. Un auteur moderne qui a écrit sur la vérité de la religion, prétend que Dieu est intervenu quelquefois dans ces épreuves, ou par lui-même, ou par le ministere des bons anges, pour suspendre l'activité des flammes & de l'eau bouillante en faveur des innocens, sur-tout lorsqu'il s'agissoit de doctrine ; mais il convient d'un autre côté que si le merveilleux est arrivé dans le cas d'une accusation criminelle, sur la vérité ou la fausseté de laquelle ni la raison ni la révélation ne donnoient aucune lumiere, il est impossible de décider qui de Dieu ou du démon en étoit l'auteur ; & s'il ne dit pas nettement que c'étoit celui-ci, il le laisse entrevoir.

M. Duclos de l'académie des Belles-Lettres, dans une dissertation sur ces épreuves, prétend au contraire qu'il n'y avoit point de merveilleux, mais beaucoup d'ignorance, de crédulité, & de superstition. Quant aux faits il les combat, soit en infirmant l'autorité des auteurs qui les ont rapportés, soit en développant l'artifice de plusieurs épreuves, soit en tirant des circonstances dont elles étoient accompagnées des raisons de douter du surnaturel qu'on a prétendu y trouver. On peut les voir dans l'écrit même d'où nous avons tiré la plus grande partie de cet article, & auquel nous renvoyons le lecteur comme à un exemple excellent de la logique dont il faut faire usage dans l'examen d'une infinité de cas semblables. Mém. de l'acad. Tom. XV. (G)

Comme toutes les épreuves dont on vient de parler s'appelloient en Saxon ordéal, ordéal par le feu, ordéal par l'eau, &c. il est arrivé que leur durée a été beaucoup plus grande dans le Nord, que partout ailleurs. Elles ont subsisté en Angleterre jusqu'au xiij. siecle. Alors elles furent abandonnées par les juges, sans être encore supprimées par acte du parlement ; mais enfin leur usage cessa totalement en 1257. Emma mere d'Edoüard le confesseur, avoit elle-même subi l'épreuve du fer chaud. La coûtume qu'avoient les paysans d'Angleterre, dans le dernier siecle, de faire les épreuves des sorciers en les jettant dans l'eau froide piés & poings liés, est vraisemblablement un reste de l'ordéal par l'eau ; & cette pratique ne s'est pas conservée moins long-tems dans nos provinces, où l'on y a souvent assujetti, même par sentence de juge, ceux qu'on faisoit passer pour sorciers.

Non-seulement l'Eglise toléra pendant des siecles toutes les épreuves, mais elle en indiqua les cérémonies, donna la formule des prieres, des imprécations, des exorcismes, & souffrit que les prêtres y prétassent leur ministere ; souvent même ils étoient acteurs, témoin Pierre Ignée. Mais pourquoi dans l'épreuve de l'eau froide, estimoit-on coupable & non pas innocent, celui qui surnageoit ? C'est parce que dans l'opinion publique ; c'étoit une démonstration que l'eau (que l'on avoit eu la précaution de bénir auparavant) ne vouloit pas recevoir l'accusé, & qu'il falloit par conséquent le regarder comme très-criminel.

La loi salique en admettant l'épreuve par l'eau bouillante, permettoit du moins de racheter sa main du consentement de la partie, & même de donner un substitut : c'est ce que fit la reine Teutberge, bru de l'empereur Lothaire, petit-fils de Charlemagne, accusée d'avoir commis un inceste avec son frere moine & soûdiacre : elle nomma un champion qui se soûmit pour elle à l'épreuve de l'eau bouillante, en présence d'une cour nombreuse : il prit l'anneau béni sans se brûler. On juge aisément que dans ces sortes d'avantures, les juges fermoient les yeux sur les artifices dont on se servoit pour faire croire qu'on plongeoit la main dans l'eau bouillante ; car il y a bien des manieres de tromper.

On n'oubliera jamais, en fait d'épreuve, le défi du dominicain qui s'offrit de passer à-travers un bucher pour justifier la sainteté de Savonarole, tandis qu'un cordelier proposa la même épreuve pour démontrer que Savonarole étoit un scélerat. Le peuple avide d'un tel spectacle en pressa l'exécution, le magistrat fut contraint d'y souscrire ; mais les deux champions s'aiderent l'un l'autre à sortir de ce mauvais pas, & ne donnerent point l'affreuse comédie qu'ils avoient préparée.

Bien des gens admirent que les peuples ayent pû si long-tems se figurer que les épreuves fussent des moyens sûrs pour découvrir la vérité, tandis que tout concouroit à démontrer leur incertitude, outre que les ruses dont on les voiloit auroient dû desabuser le monde ; mais ignore-t-on que l'empire de la superstition est de tous les empires le plus aveugle & le plus durable ?

Au reste les curieux peuvent consulter Heinius, Ebelingius, Cordemoy, du Cange, le P. Mabillon, le célebre Baluze, & plusieurs autres savans qui ont traité fort au long des épreuves, ou pour mieux dire, des monumens les plus bisarres qu'on connoisse de l'erreur & de l'extravagance de l'esprit humain dans la partie du monde que nous habitons. Article de M(D.J.)

EPREUVE, s. f. c'est dans l'Artillerie les moyens qu'on employe pour s'assûrer de la bonté des pieces de canon & de mortiers, & de celle de la poudre.

Suivant l'article xj. de l'ordonnance du 7 Octobre 1732, l'épreuve des pieces de canon doit être faite de la maniere suivante.

" Les pieces seront mises à terre, appuyées seulement sous la volée près les tourillons sur un morceau de bois ou chantier ; elles seront tirées trois fois de suite avec des boulets de leur calibre, la premiere fois chargées de poudre à la pesanteur de leur boulet, la seconde aux trois quarts, & la troisiéme aux deux tiers. Si la piece soûtient cette épreuve, on y brûlera de la poudre pour la flamber, & aussi-tôt en bouchant la lumiere, on la remplira d'eau que l'on pressera avec un bon écouvillon pour connoître si elle ne fait point eau par quelqu'endroit. Après ces deux épreuves, on examinera avec le chat & une bougie allumée, ou le miroir lorsqu'il fera soleil, s'il n'y a point de chambres dans l'ame de la piece, si les métaux sont bien exactement partagés, & si l'ame de la piece qui doit être droite & concentrique n'est point égarée & ondée. "

Par une autre ordonnance du 11 Mars 1744, les pieces doivent être tirées pour l'épreuve cinq fois de suite avec des boulets de leur calibre, mais chargées seulement les deux premieres fois d'une quantité de poudre égale aux deux tiers du poids du boulet, & les trois autres de la moitié du boulet.

Pour l'épreuve des mortiers, on les examine en grattant intérieurement avec un instrument bien aceré les endroits où l'on soupçonne qu'il y a quelque defaut ; & ceux où l'on n'en a point reconnu d'essentiels, sont mis sur leur culasse en terre, les tourillons appuyés sur des billots de bois pour empêcher qu'ils ne s'enterrent. On les fait tirer trois fois avec des bombes de leur diamêtre, la chambre remplie de poudre, & les bombes pleines de terre mêlée de sciure de bois. On bouche ensuite la lumiere, & on remplit le mortier d'eau pour voir s'il s'y est fait quelque évent ou ouverture, & après l'avoir fait laver, on le visite de nouveau avec le grattoir pour examiner s'il n'y a point de chambres. S'il ne s'en trouve point, le mortier est reçu.

Pour l'épreuve de la poudre, voyez POUDRE & ÉPROUVETTE. (Q)

EPREUVE, dans l'usage de l'Imprimerie, s'entend des premieres feuilles qu'on imprime sur la forme après qu'elle a été imposée : la premiere épreuve se doit lire à l'Imprimerie sur la copie ; c'est sur cette premiere épreuve que se marquent les fautes que le compositeur a faites dans l'arrangement des caracteres. La seconde qu'on envoye à l'auteur ou au correcteur, devroit uniquement servir pour suppléer à ce qui a été omis à la correction de la premiere : mais presque tous les auteurs ne voyent les épreuves que pour se corriger eux-mêmes, & font des changemens qui en occasionnent une troisieme, & quelquefois même une quatrieme ; ce qui pour l'ordinaire dérange toute l'économie d'un ouvrage, & prolonge les opérations à l'infini.

EPREUVE, dans l'Imprimerie en taille-douce, se dit de la feuille de papier imprimée sur une planche, dont avant on avoit rempli toutes les gravûres d'encre, qui est un noir à l'huile fort épais : ce noir sort, au moyen de la pression de la presse, des gravûres du creux de la planche, & s'attache à la feuille de papier qui représente trait pour trait, mais en sens contraire, toutes les hachures de la planche : en ce sens toutes les planches du Dictionnaire Encyclopédique seront des épreuves des cuivres gravés qui auront servi à les imprimer.


EPROUVETTEsub. f. c'est, dans l'Artillerie, une machine propre à faire juger de la bonté de la poudre.

Il y a des éprouvettes de plusieurs especes ; la plus ordinaire représentée Planche II. Art milit. figure 2. consiste dans une maniere de batterie F de pistolet, avec son chien & son bassinet, montée sur un petit fût de bois, dont le canon G, qui est de fer & long d'un peu plus d'un pouce, est placé verticalement pour recevoir la poudre que l'on veut éprouver. Ce canon est couvert d'un petit couvercle de fer qui tient à une roue dentelée H, dont les crans sont arrêtés par un ressort I qui est au bout du fût. Quand on lâche la détente de la batterie, la poudre voulant sortir du canon chasse la roue avec violence, & lui fait parcourir un certain nombre de crans, qui est ce qui marque la bonne ou la mauvaise poudre ; ce nombre néanmoins, pour la qualité de la poudre en général, n'est point fixé ; ainsi ce n'est que par la comparaison d'une poudre avec une autre, que l'on peut se rendre certain de la bonté de celle qu'on éprouve.

La figure 3. de la même Planche II. représente une autre éprouvette qui ne differe guere de la précédente, qu'en ce que le canon qui contient la poudre est placé en K d'une maniere différente ; sa lumiere est en L ; M est le couvercle du canon K, qui est élevé par la poudre, & qui s'arrête dans la roue au moyen des crans qui y sont renfermés, & qui ne se voyent point par le profil.

N, est une clé ou vis, laquelle pressant le ressort O, le lâche & le serre comme on veut.

La fig. 4. est aussi une éprouvette d'une autre espece : elle est composée d'une plaque de cuivre jaune A, A, sur laquelle est creusé le bassinet où se met l'amorce, & qui répond à la lumiere. Elle a un canon B, où se met la charge de la poudre. C'est un poids massif, qui s'éleve plus ou moins haut suivant la force de la poudre, & qui est retenu par les crans de la cremailliere D. E & E sont deux tenons qui s'ouvrent lorsque le poids s'éleve, & qui l'empêchent de descendre quand il est une fois élevé.

Toutes les différentes sortes d'éprouvettes qu'on vient de décrire, ne peuvent servir qu'à faire juger de plusieurs especes de poudres quelle peut être la meilleure. C'est pourquoi pour avoir quelque chose de plus précis, le feu roi Louis XIV, par une ordonnance du 18 Septembre 1686, qui est encore en usage aujourd'hui, a ordonné que l'épreuve de la poudre se feroit avec un petit mortier, qui chasseroit un boulet de 60 livres à la distance au moins de 50 toises avec trois onces de poudre seulement. S. le boulet va à une plus petite distance, la poudre n'est pas reçue dans les arsénaux de Sa Majesté.

La figure 5. de la Planche II. Art milit. fait voir ce mortier, qu'on nomme aussi éprouvette à cause de son usage. Voici ses dimensions suivant l'ordonnance de 1686.

A A le diamêtre à la bouche du mortier porte 7 pouces & trois quarts de ligne.

B B longueur de l'ame, 8 pouces 10 lignes.

C C diamêtre de la chambre, 1 pouce 10 lignes.

B D longueur ou profondeur de la chambre, 2 pouces 5 lignes.

E lumiere au ras du fond de la chambre.

F diamêtre par le dehors du mortier à la volée, 8 pouces 10 lignes.

G G diamêtre par le dehors du mortier à l'endroit de la chambre, 4 pouces 8 lignes & demie.

H diamêtre de la lumiere, 1 ligne & demie.

A I l'épaisseur du métal à la bande sans comprendre le cordon, 10 lignes.

K K la longueur de la semelle de fonte du mortier est de 16 pouces ; la largeur de ladite semelle est de 9 pouces, & son épaisseur d'un pouce 6 lignes.

N N le diamêtre du boulet de 60 livres.

O une anse représentant deux dauphins se tenant par la queue, ladite anse placée sur le milieu de la volée.

P languette de fonte qui tient au ventre du mortier, sur lequel il repose, & qui répond au bout de la semelle étant justement placé dans le milieu. Voyez POUDRE A C ANON. (Q)

EPROUVETTE, (Commerce) c'est une espece de jauge dont les commis des aides se servent dans les visites qu'ils font chez les Marchands de vin & Cabaretiers, pour connoître ce qui reste de vin dans une futaille en vuidange.

Cette éprouvette est ordinairement une petite chaînette de fer, dont un des bouts est appesanti par un peu de plomb. On la fait entrer par le bondon de la piece, & lorsqu'on sent le fond on la retire, le commis évaluant la liqueur sur la partie de la chaîne qu'il en tire humectée. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chambers.

EPROUVETTE, les Potiers d'étain nomment ainsi une petite cuillere de fer, dans laquelle ils fondent leur étain, pour en connoître la qualité avant que de le mettre en oeuvre. Voyez POTIER D'ETAIN. Dictionn. du Comm.


EPSS. f. (Jurisp.) du latin apes, dans quelques coûtumes signifie mouches-à-miel. Voyez Amiens, art. 191. (A)


EPTACORDEVoyez HEPTACORDE.


EPTAGONEVoyez HEPTAGONE. Ces mots doivent être écrits par une h, parce que dans leur racine , l' porte un esprit rude : il en est de même d'EXAGONE, &c. au lieu que dans Ennéagone il n'y a point d'h, parce que l', d', neuf, est marqué d'un esprit doux. (O)


EPTAMERIDEVoyez HEPTAMERIDE.


EPUISEMENTS. m. (Medecine) , exhaustio, dissipatio, ce terme est employé pour signifier la perte des forces, des esprits, par l'effet de quelqu'exercice violent long-tems continué, ou de la fievre lorsqu'elle est très-aiguë ou qu'elle a été de longue durée, ou des débauches de femmes, de vin, ou des travaux, des contentions d'esprit, des veilles immodérées. Voy. FORCE, DEBILITE, ATROPHIE, ENERVATION, EXTENUATION. (d)


EPULIDES. m. (Medecine) , de , sur, & , gencive ; se dit de certain tubercule ou excroissance de chair, qui se forme sur les gencives ou sur les parties qui les avoisinent, principalement vers les dernieres dents molaires. Voyez EXCROISSANCE CHARNUE.

On distingue deux sortes d'épulides ; savoir, celles qui ne sont point accompagnées de douleur, & celles qui en causent beaucoup, qui ont un caractere de malignité, & sont susceptibles de devenir chancreuses : d'ailleurs de quelque espece qu'elles soient, il y en a de dures & de molles, de grosses & de petites, de larges & d'étroites par leur base. Elles produisent aussi des effets différens ; elles gênent les mouvemens de la mâchoire ; elles sont si douloureuses qu'elles occasionnent une tension spasmodique dans toutes les parties qui les environnent ; elles empêchent aussi quelquefois la mastication par leur volume, en s'interposant dans l'espace qui se forme entre les deux mâchoires ouvertes, & en s'opposant à ce qu'elles se rapprochent ; elles peuvent encore par ces deux raisons, empêcher le libre passage de la parole.

Ces fâcheux effets déterminent à en hâter la cure ; on peut l'entreprendre par le moyen des gargarismes fortement résolutifs & astringens employés fréquemment : si les épulides ne cedent pas assez tôt à ces remedes, il faut avoir recours à la ligature, quand on peut y appliquer un fil noüé, & les serrer par leur base, dans le cas où elle peut être saisie. L'excroissance n'ayant plus de communication avec la partie saine, de laquelle elle forme une extension contre-nature, se mortifie, se détache ; & la cicatrice se fait aisément. Mais lorsque la partie inférieure de la tumeur est d'un trop grand volume pour pouvoir être liée, on ne peut suppléer au défaut de ce moyen, que par les corrosifs d'une médiocre activité, appliqués avec prudence, ou en emportant l'excroissance avec les ciseaux ou le bistouri, de maniere à ne rien prendre sur les parties saines. On peut aussi tenter de l'arracher avec les pincettes dont on se sert pour les polypes des narines ; & si l'on ne peut pas réussir à détruire entierement l'épulide, & qu'elle renaisse, souvent après avoir été extirpée, quelques auteurs conseillent l'application du cautere actuel. S'il survient une hémorragie après l'opération, de quelque maniere qu'elle se fasse, on peut l'arrêter en faisant laver souvent la bouche au malade avec du vin chaud rendu astringent avec un peu d'alun, jusqu'à ce que le sang ne coule plus : on doit ensuite s'appliquer à consolider la plaie selon les regles de l'art. Voyez les institutions chirurgiques d'Heister, d'où cet article est extrait en partie. (d)


EPULONS. m. (Hist. anc.) signifioit anciennement, chez les Romains, un ministre des sacrifices.

Comme les pontifes ne pouvoient assister à tous les sacrifices qu'on faisoit à Rome, tant étoit grand le nombre des dieux que le peuple adoroit, ils nommoient trois ministres, qu'on appelloit epulones, parce qu'ils étoient chargés du soin & du gouvernement du festin qui se donnoit dans les jeux publics & solemnels.

C'étoit eux qui ordonnoient & servoient le sacré banquet, qu'on offroit dans ces occasions à Jupiter, &c. Ils portoient une robe bordée de pourpre comme les pontifes : leur nombre fut porté dans la suite jusqu'à sept, & César les augmenta jusqu'à dix. Ils furent établis l'an de Rome 558, sous le consulat de L. Furius Purpureo, & de M. Claudius Marcellus. Dict. de Trévoux & Chambers. (G)


EPULUMchez les anciens, signifioit un banquet, une fête sacrée préparée pour les dieux. Voy. FETE & LECTISTERNE.

On mettoit les statues des dieux sur des coussins posés sur des lits richement décorés, & on leur servoit un festin comme si elles eussent voulu manger. Toutes les viandes qu'on leur offroit tournoient au profit des ministres des sacrifices, qu'on appelloit pour cette raison épulons. Voyez EPULON.


EPURE(Coupe des pierres) du mot épurer, mettre au net, est le dessein d'une voûte tracée sur une muraille ou sur le plancher, de la grandeur dont elle doit être exécutée, pour y prendre les mesures nécessaires. Une épure ordinaire est l'extension de la douille C D H G, (fig. 12.) à l'entour de laquelle on met les panneaux de lit C G I K, D L M H, & ceux de tête A B D C, G H , que l'on peut aussi projetter comme F G H E. La figure 12. n°. 1. représente l'épure d'un berceau cylindrique.

Un pareil dessein pour la charpente change de nom, & s'appelle ételon. (D)


EPURGE(Matiere médic.) espece de tithimale. Voyez TITHIMALE.


EQUANTS. m. en Astronomie, est un cercle que les anciens astronomes imaginoient dans le plan du cercle déférant ou excentrique, pour diriger & pour regler certains mouvemens dans les planetes.

On n'en fait plus d'usage aujourd'hui, depuis que Kepler a banni les excentriques, & a démontré que les planetes se mouvoient dans des ellipses dont le Soleil occupoit le foyer. Voyez DEFERENT, EPICYCLE, EXCENTRIQUE, COPERNIC, PLANETE, &c. (O)


EQUARRIRv. act. (Architect.) c'est mettre une pierre d'équerre en tout sens. (P)

EQUARRIR UN TROU, parmi les Horlogers, signifie l'aggrandir en y passant un équarrissoir. Voyez EQUARRISSOIR. (T)


EQUARRISSEMENTS. m. (Coupe des pierres) Tailler par équarrissement est une maniere de tailler les pierres sans le secours des panneaux, les ayant seulement préparées en les rendant de forme parallélipipede, pour y appliquer les mesures des hauteurs & profondeurs que l'on a trouvées dans le dessein de l'épure pour chaque voussoir. (D)


EQUARRISSOIRS. m. outil d'Horlogerie, espece de broche d'acier trempé, un peu en pointe, qui a plusieurs pans ou faces égales, & dont ils se servent pour croître les trous. Le nombre des pans d'un équarrissoir n'est pas toûjours le même ; on en fait depuis quatre jusqu'à six pans : plus ils ont de faces, plus ils rendent ronds les trous que l'on croît ; mais aussi ils les croissent fort lentement, leurs quarres ou angles devenant alors peu aigus : moins ils en ont, plus au contraire ils les croissent vîte ; mais aussi moins ils les rendent ronds. Les meilleurs sont ordinairement à cinq pans. Voyez la figure 38, Pl. XIV. d'Horlog. qui représente un équarrissoir à cinq faces. Cet outil est emmanché d'un manche de bois, garni d'une virole de cuivre comme celui d'une lime. (T)


EQUATEURS. m. en Astronomie & en Géographie, est un grand cercle de la sphere, qui est également éloigné des deux poles du monde, ou dont les poles sont les mêmes que ceux du monde. Voyez CERCLE.

Tel est le cercle représenté par la ligne D A (Pl. astron. fig. 52.) Ses poles sont P & Q. On le nomme équateur, ou parce qu'il divise la sphere en deux parties égales, ou parce que quand le Soleil est dans ce cercle, il y a égalité entre les jours & les nuits : c'est pourquoi on l'appelle aussi équinoxial ; & quand il est tracé sur les cartes & les planispheres, on l'appelle la ligne équinoxiale, ou simplement la ligne. Voyez EQUINOXIAL.

Chaque point de l'équateur est éloigné d'un quart de cercle des poles du monde : d'où il suit que l'équateur divise la sphere en deux hémispheres, dans l'un desquels est le pole septentrional, & dans l'autre le méridional. Voyez HEMISPHERE.

L'équateur coupe la zone torride par le milieu ; le Soleil décrit ce grand cercle le premier jour du printems, & le premier jour de l'automne : ainsi il y revient deux fois par an. Les peuples qui l'habitent ont pendant toute l'année les jours égaux aux nuits. Car l'horison des peuples qui habitent sous l'équateur, passe par l'axe de la terre, & est perpendiculaire à tous les cercles paralleles à l'équateur, dont le Soleil décrit ou paroît décrire un chaque jour : d'où il s'ensuit qu'une moitié de ces cercles paralleles est au-dessus de l'horison des habitans de l'équateur, & l'autre moitié au-dessous : ainsi ils ont précisément autant de jour que de nuit, si ce n'est que le crépuscule du matin & du soir peut augmenter un peu leurs jours & diminuer leurs nuits. Les longues nuits sont très-nécessaires dans ces climats, dont le Soleil ne s'éloigne jamais de plus de 23 degrés 1/2 ; de sorte que quand il est le plus éloigné du zénith des habitans de l'équateur, il en est encore plus près qu'il ne l'est de notre zénith le jour du solstice d'été : car il est alors éloigné de plus de 25 degrés. Or comme la longueur des jours & la briéveté des nuits est une des causes de la chaleur, il s'ensuit que la chaleur de l'équateur n'est pas à proportion aussi grande qu'elle devroit être, eu égard à la position du Soleil. Il y a même dans ces climats, des pays qui joüissent d'une chaleur modérée &, pour ainsi dire, d'un printems perpétuel : tels sont certains endroits du Pérou. Le haut des montagnes y est aussi excessivement froid, comme il arrive par-tout ailleurs.

Le tems égal ou moyen de l'équateur, s'estime par les passages de ses arcs sur le méridien. On a fréquemment occasion de s'en servir, pour convertir les degrés de l'équateur en tems, ou pour convertir les parties du tems en parties de l'équateur.

Pour faire ces conversions, on a dressé la table suivante, dans laquelle sont marqués les arcs de l'équateur qui passent par le méridien dans les différentes heures, minutes, &c. du tems moyen. Voyez EQUATION DU TEMS.

Il est très-aisé de construire cette table : car l'équateur étant supposé divisé en 360 degrés, comme il fait sa révolution en 24 heures & uniformément, il s'ensuit qu'il fait 15 degrés par heure ; par conséquent en une minute la 60e partie de 15 degrés, c'est-à-dire 15 minutes de dégré, en une seconde 15 secondes de degré, & ainsi de suite ; & il ne faut plus que des additions fort simples, pour savoir le nombre de degrés, de minutes, & de secondes qu'il parcourt dans un tems donné.

Dans cette table, les minutes, secondes, &c. de degré, sont en romain : & les minutes, secondes, &c. d'heure, sont en italique. Ainsi on voit par les trois premieres colonnes, qu'à une minute de degré de l'équateur répondent 0 minutes 4 secondes d'heure ; de même par la 4e & la 5e colonne, ou par les trois dernieres, on voit que 5 minutes d'heure donnent 75 secondes de degré, ou une minute 15 secondes.

L'usage de cette table est facile. Supposez, par exemple, que l'on propose de convertir en tems 19 degrés 13 minutes 7 secondes de l'équateur ; auprès de 15 degrés, dans la premiere colonne, on trouve une heure 0 minutes 00 secondes ; auprès de 4 degrés, on trouve 16 minutes 00 secondes ; auprès de 10 minutes, 40 secondes ; auprès de 3 minutes, 12 secondes 000 tierces ; auprès de 5 secondes, 00 minutes 20 tierces ; & auprès de 2 secondes, 8 tierces : ce qui ajoûté ensemble donne une heure 16 minutes 52 secondes 28 tierces.

De plus, supposé que l'on propose de trouver quels degrés, minutes, &c. de l'équateur répondent à 23 heures 25 minutes 17 secondes & 9 tierces ; auprès de 21 heures, dans la quatrieme colonne de la table, on trouve 315 degrés ; auprès de 2 heures, 30 degrés ; auprès de 20 minutes, 5 degrés ; auprès de 5 minutes, 0 degré 15 minutes ; auprès de 10 secondes, 2 minutes 30 secondes ; auprès de 5 secondes, une minute 15 secondes 0 tierces ; auprès de 2 secondes, 30 secondes 0 tierces ; auprès de 6 tierces, une seconde 30 tierces ; auprès de 3 tierces, 45 tierces : le tout ajoûté ensemble donne 351 degrés 19 minutes 17 secondes 15 tierces.

On voit par-là que cette table est fort utile dans la recherche des longitudes ; car connoissant la différence des heures entre deux lieux, par le moyen des éclipses de Lune ou des satellites de Jupiter, on connoît tout de suite par cette table de combien de degrés les méridiens de ces lieux sont éloignés l'un de l'autre. Par exemple, s'il est une heure à Constantinople lorsqu'il est midi à Paris, on voit que le Soleil passe au méridien de Paris une heure après le méridien de Constantinople, & que par conséquent le méridien de Paris est plus occidental de 15 degrés, que celui de Constantinople. Voyez LONGITUDE.

Elévation ou hauteur de l'équateur, est un arc d'un cercle vertical, qui est compris entre l'équateur & l'horison.

L'élévation de l'équateur avec celle du pole est toûjours égale à un quart de cercle ; ou, ce qui revient au même ; l'élévation de l'équateur est égale à la distance du pole au zénith. Cette élévation est donc le complément de la hauteur du pole ou de la latitude. Voyez LATITUDE & HAUTEUR DU POLE ; voyez aussi ELEVATION & HAUTEUR. (O)


EQUATIONS. f. en Algebre, signifie une expression de la même quantité présentée sous deux dénominations différentes. Voyez EGALITE.

Ainsi quand on dit 2 x 3 = 4 + 2 ; cela veut dire qu'il y a équation entre deux fois trois & quatre plus deux.

On peut définir l'équation un rapport d'égalité entre deux quantités de différentes dénominations, comme quand on dit 60 sous = 3 liv. ou 20 sous = 1 liv. ou b = d + e, ou 12 = (a + b) /5, &c.

Ainsi mettre des quantités en équation, c'est représenter par une double expression des quantités réellement égales & identiques.

Le caractere ou le signe d'équation = ou ; ce dernier est plus fréquent dans les anciens algébristes, & l'autre dans les modernes. Voyez CARACTERE.

La résolution des problèmes par le moyen de leurs équations, est l'objet de l'Algebre. Voyez ALGEBRE.

Membres d'une équation, ce sont les deux quantités qui sont séparées par le signe = ou ; & termes d'une équation, ce sont les différentes quantités ou parties, dont chaque membre de l'équation est composé, & qui sont jointes entr'elles par les signes + & -. Ainsi dans l'équation b + c = d, b + c est un membre, & d l'autre ; & b, c, d, sont les termes ; & l'équation signifie que la seule quantité d est égale aux deux b & c prises ensemble. Voyez TERME, MEMBRE.

Racine d'une équation, est la valeur de la quantité inconnue de l'équation. Ainsi dans l'équation a2 + b2 = x2, la racine est . Voyez RACINE.

Les équations, eu égard à la puissance plus ou moins grande à laquelle l'inconnue y monte, se divisent en équations simples, quarrées, cubiques, &c.

Equation simple ou du premier degré, est celle dans laquelle l'inconnue ne monte qu'à la premiere puissance ou au premier degré, comme x = a + b.

Equation quarrée ou du second degré, est celle où la plus haute puissance de l'inconnue est de deux dimensions, comme x2 = a2 + b2 ou x2 + a x = b b. Voyez QUARRE & DEGRE.

Equation cubique ou du troisieme degré, est celle où la plus haute puissance de l'inconnue est de trois dimensions, comme x3 = a3 - b3 ou x3 + a x x + b b x = c3. Voyez CUBIQUE.

Si la quantité inconnue est de quatre dimensions, comme x4 = a4 - b4 ou x4 + a x3 + b3 x = c4, l'équation est appellée biquadratique ou quarrée quarrée, ou plus communément du quatrieme degré ; si l'inconnue a cinq dimensions, l'équation est nommée surde-solide ou du cinquieme degré, &c. V. PUISSANCE.

On peut considérer les équations sous deux points de vûe, ou comme les dernieres conclusions auxquelles on arrive dans la solution des problèmes, ou comme les moyens par lesquels on parvient à la solution finale. Voyez SOLUTION & PROBLEME.

Les équations de la premiere espece ne renferment qu'une quantité inconnue mêlée avec d'autres quantités données ou connues ; celles de la seconde espece renferment différentes quantités inconnues qui doivent être comparées & combinées ensemble, jusqu'à ce que l'on arrive à une nouvelle équation qui ne renferme plus qu'une inconnue mêlée avec des connues.

Pour trouver la valeur de cette inconnue, on prépare & on transforme l'équation de différentes manieres, qui servent à l'abaisser au moindre degré, & à la rendre la plus simple qu'il est possible.

La théorie & la pratique des équations, c'est-à-dire la solution des questions par les équations, a plusieurs branches ou parties. 1°. La dénomination qu'on doit donner aux différentes quantités en les exprimant par les signes ou symboles convenables. 2°. La réduction du problème en équation. 3°. La réduction de l'équation même au degré le plus bas & à la forme la plus simple. 4°. On y peut ajoûter la solution de l'équation ou la représentation de ses racines par des nombres ou des lignes. Nous allons donner d'abord les regles particulieres aux deux premiers articles, c'est-à-dire en général la méthode de mettre en équation une question proposée.

Une question ou un problème étant proposé, on suppose que les choses cherchées ou demandées sont déjà trouvées, & on les marque ordinairement par les dernieres lettres x, y, z, &c. de l'alphabet, marquant en même tems les quantités connues par les premieres lettres de l'alphabet, comme b, c, d, &c. Voyez QUANTITE, CARACTERE, &c.

Toutes les quantités qui doivent entrer dans la question, étant ainsi nommées, on examine si la question est sujette à restriction, ou non, c'est-à-dire si elle est déterminée ou indéterminée. Voici les regles par lesquelles on peut le savoir.

1°. S'il y a plus de quantités inconnues qu'il n'y a d'équations données ou renfermées dans la question, le problème est indéterminé, & peut avoir une infinité de solutions. Quand les équations ne sont pas expressément contenues dans le problème, on les trouve par le moyen des théorèmes sur l'égalité des grandeurs. Voyez EGAL.

2°. Si les équations données ou renfermées dans le problème sont précisément en même nombre que les quantités inconnues, le problème est déterminé, c'est-à-dire n'admet qu'un nombre de solutions limité.

3°. S'il y a moins d'inconnues que d'équations, le problème est plus que déterminé, & on découvre quelquefois qu'il est impossible par les contradictions qui se trouvent dans les équations. Voyez DETERMINE.

Maintenant, pour mettre une question en équation, c'est-à-dire pour la réduire en différentes équations médiates par le moyen desquelles on puisse parvenir à une équation finale, la principale chose à laquelle on doit faire attention, c'est d'exprimer toutes les conditions de la question par autant d'équations. Pour y parvenir, il faut examiner si les propositions ou mots dans lesquels la question est exprimée, peuvent être rendus par des termes algébriques, comme nous rendons nos idées ordinaires en caracteres grecs, latins ou françois, &c. Si cela est ainsi, comme il arrive généralement dans toutes les questions que l'on fait sur les nombres ou sur les quantités abstraites, en ce cas il faut donner des noms aux quantités inconnues & connues, autant que la question le demande, & traduire ainsi en langage algébrique le sens de la question. Ces conditions ainsi traduites donneront autant d'équations que le problème peut en fournir. On a déjà donné au mot ARITHMETIQUE UNIVERSELLE un exemple de cette traduction d'une question en langage algébrique.

Donnons encore un autre exemple. Un marchand augmente tous les ans son bien d'un tiers, en ôtant 100 liv. qu'il dépense par an dans sa famille, au bout de trois ans il trouve son bien doublé. On demande combien ce marchand avoit de bien au commencement de ces trois ans. Pour résoudre cette question, il faut bien prendre garde aux différentes propositions qu'elle renferme, & qui fourniront les équations suivantes.

La question se réduit donc à résoudre cette équation (64 x - 14800)/27 = 2 x, par le moyen de laquelle on trouvera la valeur de x de la maniere suivante.

On multipliera l'équation par 27, & on aura 64 x - 14800 = 54 x ; on ôtera de part & d'autre 54 x, & on aura 10 x - 14800 = 0, ou 10 x = 14800 ; divisant par 10, il viendra x = 1480. Ainsi ce marchand avoit 1480 liv. de bien.

Il résulte de ce que nous venons de dire, que pour résoudre les questions qu'on propose sur les nombres ou sur les quantités abstraites, il ne faut presque que les traduire du langage ordinaire en langage algébrique, c'est-à-dire en caracteres propres à exprimer nos idées sur les rapports des quantités. Il est vrai qu'il peut arriver quelquefois que le discours dans lequel l'équation est proposée, ne puisse être rendu algébriquement ; mais en y faisant quelques petits changemens, & ayant principalement égard au sens, plûtôt qu'aux mots, la traduction deviendra assez facile ; la difficulté qui peut se rencontrer dans cette traduction vient uniquement de la différence des idiomes, comme dans les traductions ordinaires. Cependant pour faciliter la solution de ces sortes de problèmes, nous allons en donner un exemple ou deux.

1°. Etant donné la somme de deux nombres a, & la différence de leurs quarrés b, trouver les nombres ; supposons que le plus petit de ces nombres soit x, l'autre sera a - x, & les quarrés seront x x, & a a - 2 a x + x x, dont la différence est a a - 2 a x, qui doit être égale à b ; donc a a - 2 a x = b ; donc a a - b = 2 a x & (a a - b) /2 a = x.

Supposons, par exemple, que la somme des nombres ou la quantité a soit = 8, & que la différence des quarrés soit 16, alors (a a - b) /(2 a) ou a /2 - b /2 a sera 4 - 1 = 3 = x, & on aura a - x = 5 ; donc les nombres cherchés sont 3 & 5. Voyez DIOPHANTE.

2°. Trouver trois quantités x, y, z, dont on connoisse la somme, étant prises deux à deux. Supposons que la somme de x & de y soit a, que celle de x & de z soit b, & que celle de y & de z soit c, on aura les trois équations x + y = a, x + z = b, y + z = c ; pour chasser maintenant deux des trois quantités x, y, z, par exemple, z & y, on aura par la premiere & par la seconde équation y = a - x & z = b - x ; on substituera dans la troisieme équation ces valeurs au lieu de y & de z, & l'on aura a - x + b - x = c, & x = (a + b - c) /2 ; x étant trouvée, on aura y & z par le moyen des équations y = a - x & z = b - x.

Par exemple, si la somme de x & de y est 9, celle de x & de z, 10, & celle de y & de z, 13 ; dans les valeurs de x, y & z, on écrira 9 pour a, 10 pour b, & 13 pour c, & on aura a + b - c = 6, par conséquent x ou (a + b - c) /2 = 6/2 = 3 ; y ou a - x = 6 & z ou b - x = 7.

3°. Diviser une quantité donnée en un nombre quelconque de parties, telles que les différences des plus grandes sur les plus petites, soient égales à des quantités données. Supposons que a soit une quantité que l'on propose de diviser en quatre parties, telles que la premiere & la plus petite soit x ; que l'excès de la seconde sur la premiere soit b, celui de la troisieme soit c, & celui de la quatrieme d, x + b sera la seconde partie, x + c la troisieme, x + d la quatrieme ; & la somme 4 x + b + c + d de toutes ces parties sera égale à a. Retranchant b + c + d de part & d'autre, on aura 4 x = a - b - c - d & x = (a - b - c - d) /4.

Imaginons, par exemple, qu'on propose de diviser une ligne de vingt piés en quatre parties, de maniere que l'excès de la seconde partie sur la premiere soit de 2 piés, celui de la troisieme de 3 piés, & celui de la quatrieme de 7 piés, on aura x ou (a - b - c - d) /4 = (20 - 2 - 3 - 7)/4 = 8/4 = 2, x + b = 4, x + c = 5, & x + d = 9. On peut se servir de la même méthode pour diviser une quantité donnée en un nombre quelconque de parties avec des conditions pareilles.

4°. Une personne voulant distribuer trois sous à un certain nombre de pauvres, trouve qu'il lui manque huit sous ; ainsi elle ne leur donne à chacun que deux sous, & elle a trois sous de reste. On demande combien cette personne avoit d'argent, & combien il y avoit de pauvres ? Soit x le nombre des pauvres ; & comme il s'en faut huit sous qu'ils ne puissent avoir trois sous chacun, l'argent est donc 3 x - 8, dont il faut ôter 2 x, & il doit rester 3 ; donc 3 x - 8 - 2 x = 3 ou x = 11.

5°. Le pouvoir ou l'intensité d'un agent étant donnés, déterminer combien il faut d'agens semblables pour produire un effet donné a dans un tems donné b. Supposons que l'agent puisse produire dans le tems d l'effet c, on dira comme le tems d est au tems b, ainsi l'effet c que l'agent peut produire dans le tems d, est à l'effet qu'il peut produire dans le tems b, qui sera par conséquent (b c)/d. Ensuite on dira, comme l'effet (b c)/d est à l'effet a, ainsi un des agens est à tous les agens ; donc le nombre des agens sera (a d)/(b c). Voyez REGLE DE TROIS.

Par exemple, si un clerc ou secrétaire transcrit quinze feuilles en huit jours de tems, on demande combien il faudra de clercs pour transcrire 405 feuilles en neuf jours ? Rép. 24. Car si on substitue 8 pour d, 15 pour c, 405 pour a, & 9 pour b, le nombre (a d)/(b c) deviendra (405 x 8)/(9 x 15), c'est-à-dire 3240/135 ou 24.

6°. Les puissances de différens agens étant données, déterminer le tems x dans lequel ils produiroient un effet donné d, étant jointes ensemble. Supposons que les puissances des agens A, B, C, soient telles que dans les tems e, f, g, ils produisent les effets a, b, c, ces agens dans le tems x produiront les effets (a x)/e, (b x)/f, (c x)/g, on aura donc (a x)/e + (b x)/f + (c x)/g = d, & x = .

Imaginons, par exemple, que trois ouvriers finissent un certain ouvrage en différens tems. Par exemple, A une fois en trois semaines, B trois fois en huit semaines, & c cinq fois en douze semaines, on demande combien il leur faudra de tems pour finir le même ouvrage, en y travaillant tous ensemble ; les puissances des agens sont telles que dans les tems 3, 8, 12, ils produisent les effets 1, 3, 5, & on veut savoir en combien de tems ils produiroient l'effet 1, étant réunis. Au lieu de a, b, c, d, e, f, g, on écrira 1, 3, 5, 1, 3, 8, 12, & il viendra x = 1/(1/3 + 3/8 + 5/12) ou 8/9 de semaine, c'est-à-dire six jours cinq heures & 1/3 d'heure pour le tems qu'ils mettroient à finir l'ouvrage proposé.

7°. Etant données les pesanteurs spécifiques de plusieurs choses mêlées ensemble, & la pesanteur spécifique de leur mélange, trouver la proportion des ingrédiens dont le mélange est composé. Supposons que e soit la gravité spécifique du mélange A + B, a celle de A, & b celle de B ; comme la gravité absolue ou le poids d'un corps est en raison composée de son volume & de sa pesanteur spécifique (voy. DENSITE) a A sera le poids de a, & b B celui de B, & a A + b B sera = e A + e B ; donc a A - e A = e B - b B, & a - e : e - b : : B : A.

Supposons, par exemple, que la pesanteur spécifique de l'or soit 19, celle de l'argent 10 1/3, & celle d'une couronne composée d'or & d'argent 17, on aura A : B : : e - b : a - e : : 7 - 1/3 : 2 : : 20 : 6 : : 10 : 3 ; ce sera le rapport du volume de l'or de la couronne au volume de l'argent : & 190. 31 : : 19 X 10 : 10 1/3 X 3 : : a X : ; ce sera le rapport du poids de l'or de la couronne au poids de l'argent : enfin 221 : 31, comme le poids de la couronne est au poids de l'argent. Voyez ALLIAGE.

Pour réduire en équations les problèmes géométriques, on remarquera d'abord que les questions géométriques ou celles qui ont pour objet la quantité continue, se mettent en équations de la même maniere que les questions arithmétiques. Ainsi la premiere regle que nous devons donner ici, est de suivre pour ces sortes de problèmes les mêmes regles que pour les problèmes numériques.

Supposons, par exemple, qu'on demande de couper une ligne droite A B (Planche d'Algeb. fig. 6.) en moyenne & extrème raison en C ; c'est-à-dire de trouver un point C, tel que B E quarré de la plus grande partie soit égale au rectangle B D fait de la ligne entiere & de sa plus petite partie.

Supposant A B = a, & C B = x, on aura A C = a - x, & x x = a par a - x ; équation du second degré, qui étant résolue, comme on l'enseignera plus bas, donnera x = - 1/2 a + .

Mais il est rare que les problèmes géométriques se réduisent si facilement en équations ; leur solution dépend presque toûjours de différentes positions & relations de ligne : de sorte qu'il faut souvent un art particulier & de certaines regles pour traduire ces questions en langage algébrique. Il est vrai que ces regles sont fort difficiles à donner ; le génie est la meilleure & la plus sûre qu'on ait à suivre dans ces cas-là.

On peut cependant en donner quelques-unes, mais fort générales, pour aider ceux qui ne sont pas versés dans ces opérations : celles que nous allons donner sont principalement tirées de M. Newton.

Observons donc, 1°. que les problèmes concernant les lignes qui doivent avoir un certain rapport les unes aux autres, peuvent être différemment envisagés, en supposant telles ou telles choses connues & données, & telles ou telles autres inconnues ; cependant quelles que soient les quantités que l'on prend pour connues & celles qu'on prend pour inconnues, les équations que l'on aura seront les mêmes quant au fond, & ne différeront entr'elles que par les noms qui serviront à distinguer les grandeurs connues d'avec les inconnues.

Supposons, par exemple, qu'on propose de comparer les côtés B C, B D, & la base C D (figure 7. d'Algebre) d'un triangle isoscele inscrit dans un cercle, avec le diametre de ce même cercle. On peut se proposer la question, ou en regardant le diametre comme donné, avec les côtés, & cherchant ensuite la base, ou en cherchant le diametre par le moyen de la base & des côtés supposés donnés, ou enfin en cherchant les côtés par le moyen de la base & du diametre. Or sous quelque forme qu'on se propose ce problème, les équations qui serviront à la résoudre auront toûjours la même forme.

Ainsi, supposons que l'on cherche le diametre, on nommera A B, x, C D, a, & B C ou B D, b ; ensuite tirant A C, on remarquera que les triangles A B C & C B E sont semblables, & qu'ainsi A B : B C : : B C : B E, ou x : b : : b : B E ; donc B E = (b b)/x & C E = 1/2 C D ou 1/2 a ; & comme l'angle C E B est un angle droit, C E 2 + B E 2 = B C 2, c'est-à-dire (a a) /4 + (b 4)/(x x) = b b. Cette équation étant résolue donnera le diametre cherché x. Si c'est la base qu'on demande, on fera A B = c, C D = x, & B C ou B D = b ; ensuite on tirera A C, & les triangles semblables A B C & C B E donneront A B : B C : : B C. B E, ou c : b : : b : B E.

Donc B E = (b b)/a & C E = 1/2 C D ou 1/2 x ; & comme l'angle C B E est droit, on aura C E2 + B E2 = C B2 ; donc 1/4 x x + (b 4)/ c c = b b. D'où l'on tirera la valeur de la base cherchée x.

Enfin si les côtés B C & B D sont supposés inconnus, on fera A B = c, C O = a, & B C ou B D = x, on tirera ensuite A C ; & à cause des triangles semblables A B C & C B E, on aura A B : B C : : B C : B E ou c : x : : x : B E ; donc B E = (x x)/c, C E = 1/2 C D ou 1/2 a, & l'angle droit C B E donnera C E2 + B E2 = B C2, c'est-à-dire 1/4 a a + x 4/ (c c) = x x ; équation qui étant résolue donnera la valeur x d'un des côtés cherchés.

On voit par-là que le calcul pour arriver à l'équation, & l'équation elle-même, sont semblables dans tous les cas, excepté que les mêmes lignes y sont désignées par des lettres différentes selon les données & les inconnues que l'on suppose. Il est vrai que la différence des données fait que la résolution des équations est différente ; mais elle ne produit point de changement dans l'équation même. Ainsi on n'est point absolument obligé de prendre telle ou telle quantité pour inconnue ; mais on est le maître de choisir pour données & pour inconnues les quantités qu'on croit les plus propres à faciliter la solution de la question.

3°. Un problème étant donc proposé, il faut commencer par comparer entr'elles les quantités qu'il renferme, & sans faire aucune distinction entre les connues & les inconnues, examiner le rapport quelles ont ensemble, afin de connoître quelles sont celles d'entr'elles qui peuvent faire trouver plus facilement les autres. Dans cet examen il n'est pas nécessaire de s'assûrer par un calcul algébrique exprès, que telles ou telles quantités peuvent être déduites de telles ou telles autres ; il suffit de remarquer en général qu'on peut les en tirer par le moyen de quelque connexion directe qui est entr'elles.

Par exemple, si on donne un cercle dont le diametre soit A D (fig. 8. algébr.) & dans lequel soient inscrites trois lignes A B, B C, C D, desquelles on demande B C, les autres étant connues, il est évident au premier coup-d'oeil que le diametre A D détermine le demi-cercle, & que les lignes A B & C D, qu'on suppose inscrites dans le cercle, déterminent aussi les points B & C, & que par conséquent la ligne cherchée B C a une connexion directe avec les lignes données. Voilà dequoi il suffit de s'assûrer d'abord, sans examiner par quel calcul analytique la valeur de la ligne B C peut être réellement déduite de la valeur des trois lignes données.

4°. Après avoir examiné les différentes manieres dont on peut composer & décomposer les termes de la question, il faut se servir de quelque méthode synthétique, en prenant pour données certaines lignes, par le moyen desquelles on puisse arriver à la connoissance des autres, de maniere que le retour de celles-ci aux premieres soit plus difficile ; car quoiqu'on puisse suivre dans le calcul différentes routes, cependant il faut le commencer par bien choisir ses données ; & une question est souvent plus facile à résoudre, en choisissant des données qui rendent les inconnues plus faciles à trouver, qu'en considérant le problème sous la forme actuelle sous laquelle il est proposé.

Ainsi, dans l'exemple que nous venons de donner, si on propose de trouver A D, les trois autres lignes étant connues, je vois d'abord que ce problème est difficile à résoudre synthétiquement ; mais que cependant s'il étoit ainsi résolu, je pourrois facilement appercevoir la connexion directe qui est entre cette ligne & les autres. Je prends donc A D pour donnée, & je commence à faire mon calcul comme si elle étoit en effet connue, & que quelqu'une des autres quantités A B, B C ou C D, fût inconnue ; combinant ensuite les quantités données avec les autres, j'aurai toûjours une équation en comparant entr'elles deux valeurs de la même quantité : soit que l'une de ces valeurs soit une lettre par laquelle cette quantité aura été marquée, en commençant le calcul ; & l'autre, une expression de cette quantité qu'on aura trouvée par le calcul même, soit que les deux valeurs ayent été trouvées chacune par deux différens calculs.

5°. Ayant ainsi comparé en général les termes de la question entr'eux, il faut encore de l'art & de l'adresse pour trouver parmi les connexions ou relations particulieres des lignes, celles qui sont les plus propres pour le calcul ; car il arrive souvent que tel rapport qui paroît facile à exprimer algébriquement, quand on l'envisage au premier coup-d'oeil, ne peut être trouvé que par un long circuit ; de maniere qu'on est quelquefois obligé de recommencer une nouvelle figure, & de faire son calcul pas-à-pas, comme on pourra s'en assûrer en cherchant B C par le moyen de A D, A B & C D. Car on ne peut y parvenir que par des propositions dont l'énoncé soit tel, qu'elles puissent être rendues en langage algébrique, & dont quelques-uns peuvent se tirer d'Euclide. Ax. 19. proposit. 4. L. VI. & proposit. 47. L. I. element.

Pour parvenir plus aisément à connoître les rapports des lignes qui entrent dans une figure, on peut employer différens moyens : en premier lieu, l'addition & la soustraction des lignes ; car par les valeurs des parties on peut trouver celles du tout, ou par la valeur du tout & par celle d'une des parties, on peut connoître la valeur de l'autre partie : en second lieu, par la proportionnalité des lignes ; car, comme nous l'avons déjà supposé dans quelques exemples ci-dessus, le rectangle des termes moyens d'une proportion, divisé par un des extrèmes, donne l'autre, ou ce qui est la même chose, si les valeurs de quatre quantités sont en proportion, le produit des extrèmes est égal au produit des moyens. Voyez PROPORTION. La meilleure maniere de trouver la proportionnalité des lignes, est de se servir des triangles semblables ; & comme la similitude des triangles se connoît par l'égalité de leurs angles, l'analyste doit principalement se rendre ce point familier. Pour cela il doit posséder les proposit. 5, 13, 15, 29. 32 du premier livre d'Euclide ; les proposit. 4, 5, 6, 7, 8, du livre VI. & les 20, 21, 22, 27 & 31 du livre III. On peut y ajoûter la troisieme proposit. du livre VI. ou les proposit. 35 & 36 du livre III. Troisiemement, on fait aussi beaucoup d'usage de l'addition & de la soustraction des quarrés, sur-tout lorsqu'il se trouve des triangles rectangles dans la figure. On ajoûte ensemble les quarrés des deux petits côtés pour avoir le quarré du grand, ou du quarré du plus grand côté on ôte le quarré d'un des côtés, pour avoir le quarré de l'autre. C'est sur ce petit nombre de principes qu'est établi tout l'art analytique, au moins pour ce qui regarde la géométrie rectiligne, on y ajoûtant seulement la proposit. 1re. du VI. livre d'Euclide, lorsque la question proposée regarde des surfaces, & aussi quelques propositions des XI. & XII. livres. En effet toutes les difficultés des problèmes de la géométrie rectiligne peuvent se réduire à la seule composition des lignes & à la similitude des triangles ; de sorte qu'il ne se rencontre jamais d'occasion de faire usage d'autres théorèmes, parce que tous les autres théorèmes dont on pourroit se servir, peuvent se réduire à ces deux-là, & que par conséquent ces derniers peuvent leur être substitués dans quelque solution que ce puisse être.

6°. Pour accommoder ces théorèmes à la construction des problèmes, il est souvent nécessaire d'augmenter la figure, soit en prolongeant certaines lignes jusqu'à ce qu'elles en coupent d'autres, ou qu'elles deviennent d'une certaine longueur ; soit en tirant des paralleles ou des perpendiculaires de quelque point remarquable ; soit en joignant quelques points remarquables ; soit enfin comme cela arrive quelquefois, en construisant une nouvelle figure suivant d'autres méthodes, selon que le demandent les problèmes & les théorèmes dont on veut faire usage pour la résoudre.

Par exemple, si deux lignes qui ne se rencontrent point l'une & l'autre, font des angles donnés avec une certaine autre ligne, on peut les prolonger jusqu'à ce qu'elles se rencontrent ; de maniere qu'on aura un triangle dont on connoîtra tous les angles, & par conséquent le rapport des côtés ; ou bien si un angle est donné, ou doit être égal à un angle quelconque, souvent on peut complete r la figure, & en former un triangle donné d'espece, ou semblable à quelqu'autre : ce qui se fait, soit en prolongeant quelques-unes des lignes de la figure, soit en tirant une ligne qui soustende un angle. Si un triangle proposé est obliquangle, souvent on le résoud en deux triangles rectangles, en abaissant une perpendiculaire d'un des angles sur le côté opposé. Si la question regarde des figures de plusieurs côtés, on les résoud en triangles par des lignes diagonales, & ainsi des autres : mais il faut toûjours avoir attention que par ces divisions la figure se trouve partagée, ou en triangles donnés, ou en triangles semblables, ou en triangles rectangles.

Ainsi, dans l'exemple proposé, on tirera la diagonale B D, afin que le trapèse A B C D puisse se résoudre en deux triangles, l'un rectangle A B D, & l'autre obliquangle B C D (fig. 8.). On résoudra ensuite le triangle obliquangle en deux triangles rectangles, en abaissant une perpendiculaire de quelqu'un des angles B, C, D, sur le côté opposé ; par exemple, du point B sur la ligne C D, qu'on prolongera en E, afin que B E puisse la rencontrer perpendiculairement. Or comme les angles B A D & B C D pris ensemble font deux droits (par la prop. 22 du III. Eucl.), aussi-bien que B C E & B C D, il s'ensuit que les angles B A D & B C E sont égaux ; par conséquent les triangles B C E & D A B sont semblables. Ainsi prenant A D, A B & B C pour données, & cherchant C D, on peut faire le calcul de la maniere suivante. A D & A B donnent B D à cause du triangle rectangle A B D. A D, A B, B D B C, à cause des triangles semblables A B D & C E B, donnent B E & C E. B D & B E donnent E D, à cause du triangle rectangle B E D, & E D - E C donne C D. Ainsi on aura une équation entre la valeur de la ligne C D trouvée par ce calcul, & la valeur de cette même ligne exprimée par une lettre algébrique. On peut aussi (& souvent il vaut mieux suivre cette méthode, que de pousser trop loin un seul & même calcul) ; on peut, dis-je, commencer le calcul par différens principes, ou au moins le continuer par diverses méthodes, pour arriver à une seule & même conclusion, afin de pouvoir trouver deux valeurs différemment exprimées de la même quantité, lesquelles valeurs puissent être ensuite faites égales l'une à l'autre. Ainsi A D, A B & B C, donnent B D, B E & C E, comme ci-devant, ensuite C D + C E donne E D, enfin D B & E D donnent B E, à cause du triangle rectangle B E D.

7°. Ayant choisi & déterminé la méthode suivant laquelle on doit procéder, & fait sa figure, on donne d'abord des noms aux quantités qui doivent entrer dans le calcul, c'est-à-dire desquelles on doit tirer la valeur des autres jusqu'à ce qu'on arrive à une équation ; pour cela on aura soin de choisir celles qui renferment toutes les conditions du problème, & qui paroissent, autant qu'on peut en juger, les plus propres à rendre la conclusion simple & facile, de maniere cependant qu'elle ne soit pas plus simple que le sujet & le dessein du calculateur ne le demandent. Ainsi il ne faut point donner de nouveaux noms aux quantités dont on peut exprimer la valeur par celle des quantités à qui on a déjà donné des noms. Par exemple, si une ligne donnée est divisée en parties, ou si on a un triangle rectangle, on doit laisser sans nom quelqu'une des parties de la ligne ou toute la ligne entiere, ou un des côtés du triangle, parce que les valeurs de ces quantités peuvent se déduire de la valeur des données, comme dans l'exemple déjà proposé. Si on fait A D = x & B A = a, on ne marquera B D par aucune lettre, parce qu'elle est le troisieme côté du triangle rectangle A B D, & que par conséquent sa valeur est . Si on nomme ensuite B C, b, on verra que les triangles semblables D A B & B C E donnent A D : A B : : B C : C E. Or de ces quatre lignes les trois premieres sont déjà données ; ainsi on ne donnera point de nom à la quatrieme C E, dont la valeur se trouvera être (a b)/x par le moyen de la proportion précédente. Si donc on nomme D C, c, on ne donnera point de nom à D E, parce que ses parties D C & C E, étant l'une c, l'autre (a b)/x, leur somme c + (a b)/x est la valeur de D E.

8°. Par les différentes opérations qu'on fait pour exprimer les lignes auxquelles on n'a point donné de noms, le problème est déjà presque réduit à une équation ; car après qu'on a exprimé ainsi les différentes lignes qui doivent entrer dans la solution de la question proposée, il ne faut plus que faire attention aux conditions du problème, pour découvrir une équation.

Par exemple, dans le problème dont nous avons déjà parlé, il ne faut que trouver par le moyen des triangles rectangles B C E & B D E, deux valeurs de B E ; en effet on aura B C2 - C E2 ou b b - (a a b b)/(x x) = B E2 & B D2 - D E2, ou x x - a a - c c - (2 a b c)/x - (a a b b)/(x x) = B E2. Egalant ensemble ces deux valeurs de B E2, & ôtant (a a b b)/(x x), on aura l'équation b b = x x - a a - c c - (2 a b c)/x, qui délivrée des fractions, donne x3 = a a x + b b x + 2 a b c + c c x.

9°. A l'égard de la géométrie des lignes courbes, on a coûtume de déterminer ces lignes, ou en les supposant décrites par le mouvement local de quelques lignes droites, ou en les représentant par des équations, qui expriment indéfiniment le rapport de certaines lignes droites, disposées entr'elles dans un certain ordre & suivant une certaine loi, & terminées à la courbe par une de leurs extrémités. Voyez COURBE & LIEU.

Les anciens déterminoient les courbes, ou par le mouvement continu de quelque point, ou par les sections des solides, mais moins commodément qu'on ne les détermine par la seconde des deux manieres dont nous venons de parler. Les calculs qui regardent les courbes, lorsqu'on les décrit de la premiere maniere, se font par une méthode semblable à celle que nous avons donnée jusqu'ici. Supposons, par exemple, que A K C (fig. 9.) soit une ligne courbe décrite par le point vertical K d'un angle droit A K , dont un côté A K puisse se mouvoir librement, en passant toûjours par le point A donné de position, tandis que l'autre côté K d'une longueur déterminée coule ou glisse le long d'une ligne droite A D, aussi donnée de position. On demande de trouver le point C, dans lequel une ligne droite C D aussi donnée de position doit couper cette courbe : pour cela on tirera les lignes A C, C F, qui peuvent représenter l'angle droit dans la position qu'on cherche ; on menera la perpendiculaire C B sur A F ; on s'appliquera ensuite à trouver le rapport des lignes, sans examiner celles qui sont données ou celles qui ne le sont pas, & on verra que toutes dépendent de C F, & de l'une des quatre lignes B C, B F, A F & A C ; supposant donc C F = a, & C B = x, on aura d'abord B F = , & A B = ; car à cause des triangles rectangles A C F, C B F, on a B F : B C : : B C : A B. De plus, comme C D est donnée de position, A D est donnée ; ainsi on appellera A D, b ; on connoît aussi la raison de B C à B D, qu'on supposera comme d à e, & on aura B D = (e x)/d & A B = b - (e x)/d : donc b - e x/d = . Si on quarre les deux membres de cette équation, & qu'on les multiplie ensuite par a a - x x, on réduira l'équation à cette forme x4 = ; & par le moyen des quantités données a, b, d, e, on tirera de cette équation la valeur de x. Cette valeur de x ou de B C étant connue, on tirera à la distance B C une ligne droite parallele à A D, qui coupera la courbe, & C D au point cherché C.

Si, au lieu de descriptions géométriques, on se sert d'équations pour désigner les lignes courbes, les calculs deviendront encore plus simples & plus faciles, puisqu'on aura moins d'équations à trouver ; ainsi supposons que l'on cherche le point d'intersection C de l'ellipse donnée A C E (fig. 10.) avec la ligne droite C D donnée de position ; pour désigner l'ellipse, on prendra une des équations qui la déterminent, comme r x - r/q x x = y y, dans laquelle x marque une partie indéterminée A B ou A b de l'axe prise depuis le sommet A, & y une perpendiculaire B C, terminée à la courbe, & où r & q sont données par l'espece donnée de l'ellipse. Or, puisque C D est donnée de position, A D sera aussi donnée ; on la nommera A, & B D sera a - x ; l'angle A B C sera aussi donné, & par conséquent le rapport de B D à B C, qu'on supposera être celui de 1 à e ; & B C (y) sera a e - e x, dont le quarré e e a a - 2 e 2 a x + e e x x doit être égal à r x - (r x x)/q. Cette équation étant réduite, donnera x x = ou x = . On remarquera que lors même que l'on détermine les courbes par des descriptions géométriques ou par des sections de solides, on peut toûjours les désigner par des équations, & que par conséquent toutes les difficultés des problèmes qu'on peut proposer sur les courbes, se réduisent au cas où on envisageroit les courbes sous ce dernier point de vûe. Ainsi dans le premier exemple (fig. 9.), si A B est appellé x, & B C, y, la troisieme proportionelle B F sera y y/x, dont le quarré joint au quarré B C est égal à C F2, c'est-à-dire que y4/ (x x) + y y = a a ou y4 + x x y y = a a x x. Par cette équation on peut déterminer tous les points C de la courbe A K C, en trouvant la longueur de chaque ligne B C qui répond à chaque partie de l'axe A B ; & cette équation peut être fort utile dans la solution des problèmes qu'on aura à résoudre sur cette courbe.

Quand une courbe n'est point donnée d'espece, mais qu'on propose de la déterminer, on peut supposer une équation à volonté qui exprime sa nature d'une maniere générale ; on prendra cette équation pour la véritable équation de la courbe, afin de pouvoir par ce moyen arriver à des équations, par le moyen desquelles on déterminera la valeur des quantités qu'on a prises pour données.

Jusqu'ici nous n'avons fait que traduire l'article équation à-peu-près tel qu'il se trouve dans l'Encyclopédie angloise. Cet article est tiré presque en entier de l'Arithmétique universelle de M. Newton ; il est aisé d'y reconnoître en effet la main d'un grand maître, & nous avons crû devoir le donner tel qu'il est par cette raison, l'Arithmétique universelle n'ayant point d'ailleurs été traduite jusqu'ici en notre langue. Mais il reste encore sur la théorie des équations beaucoup de choses à dire pour rendre cet article complet dans un ouvrage tel que l'Encyclopédie. Nous allons tâcher de satisfaire à cet objet ; & quoique la matiere ait déjà été fort maniée dans un grand nombre d'ouvrages, nous espérons montrer qu'elle a été traitée d'une maniere insuffisante à plusieurs égards, & la présenter d'une maniere presque entierement nouvelle.

Je ne parlerai point ici de la maniere de préparer une équation, en faisant évanoüir les fractions, les radicaux, & toutes les inconnues, excepté une seule, &c. Ces opérations seront détaillées au mot EVANOUIR.

Je ne parlerai point non plus de l'abaissement des équations. Voyez ABAISSEMENT & REDUCTION.

Je ne parlerai point enfin des équations du premier degré, c'est-à-dire de celles où l'inconnue ne monte qu'à une dimension : leur solution est sans difficulté. V. TRANSPOSITION. J'entrerai donc en matiere par les équations d'un degré plus élevé que l'unité ; je les suppose abaissées au plus petit degré possible, & délivrés de radicaux & de fractions, enfin ordonnées suivant les dimensions de l'inconnue x, c'est-à-dire de maniere que le premier terme contienne x élevée au plus haut degré, que le second terme contienne x élevée au plus haut degré suivant, & ainsi de suite jusqu'au dernier terme, qui ne contiendra point x ; je suppose enfin que le premier terme n'ait d'autre coefficient que l'unité (nous enseignerons au mot TRANSFORMATION cette maniere de préparer l'équation), & que le second membre de l'équation soit zéro.

Soit donc xm + p x(m - 1) + q x(m - 2)... + r = 0, l'équation à résoudre, dans laquelle il faut trouver la valeur de x.

Il est évident, par l'énoncé même de la question, qu'il faut trouver une quantité a, positive ou négative, réelle ou imaginaire, qui étant substituée à la place de x dans xm + p x(m - 1) + &c. tout se détruise. Je suppose qu'on ait trouvé cette quantité a, je dis que la quantité xm + p x(m - 1) + q x(m - 2).... + r (en faisant, si l'on veut, abstraction de son égalité à zéro, & en la regardant comme une quantité algébrique réelle) sera divisible exactement par x - a. Car il est évident, 1°. que x ne montant qu'au premier degré dans le diviseur, on pourra par les regles de la division algébrique ordinaire (voyez DIVISION), pousser l'opération jusqu'à ce qu'on arrive à un reste que j'appelle R, & dans lequel x ne se trouvera pas. Soit donc Q le quotient, il est évident que si au produit du quotient Q par le diviseur x - a, on ajoûte le reste, R, on aura une quantité égale & identique au dividende. Or, en faisant dans le dividende x = a, tout s'évanoüit par l'hypothese ; donc tout doit s'évanoüir aussi, en faisant x = a dans la quantité (x - a) Q + R, & cette quantité doit alors se réduire à zéro ; mais en faisant x = a, cette quantité est (a - a) Q + R. Donc, puisque (a - a) Q + R = 0, on a R = 0. Donc la division se fait sans reste. Donc xm + p x(m - 1) + q x(m - 2).... + r se divise exactement par x - a.

Je fais un raisonnement semblable sur le quotient provenu de la division : je suppose que b substitué à la place de x, fasse évanoüir tous les termes de ce quotient, je dis qu'il est divisible par x - b ; & il est évident que si b substitué à la place de x, fait évanoüir le quotient Q, il fera évanoüir aussi le dividende : car le dividende est = (x - a) Q ; donc toute supposition qui réduira Q à zéro, y réduira aussi le dividende. Donc x - b divise aussi exactement le dividende.

On trouvera de même, qu'en supposant une quantité c, qui substituée à la place de x, fasse évanoüir le quotient de Q divisé par x - b, ce nouveau quotient, & par conséquent le dividende, sera divisible par x - c.

Ainsi on aura autant de quantités simples x - a, x - b, x - c, qu'il y a d'unités dans m, lesquelles quantités simples donneront par leur multiplication le dividende ou équation proposée.

On pourra donc, au lieu de l'équation donnée, supposer (x - a) (x - b) (x - c) = 0 : mais il faut bien se garder d'en conclure, comme font tous les auteurs d'Algebre, qu'on aura x - a = 0, x - b = 0, x - c = 0, &c. car, pourra dire un commençant, comment se peut-il faire qu'une même quantité x soit égale à plusieurs grandeurs différentes a, b, c ? Si vous dites que x, dans ces équations, ne désigne qu'en apparence la même grandeur, & désigne en effet des grandeurs différentes, en ce cas vous vous rejettez dans une autre difficulté ; car si cela étoit, dans une équation du second degré, par exemple, comme x x + p x + q, x x ne seroit plus un quarré, cependant tous les Algébristes le traitent comme tel ? Voici la réponse à cette difficulté, qui, comme je le sai par expérience, peut embarrasser bien des commençans. La quantité proposée est le produit de x - a par x - b, par x - c, &c. Or la quantité proposée est supposée égale à zéro, & quand une quantité est égale à zéro, il faut qu'un de ses facteurs le soit ; ainsi la quantité ou équation proposée est le produit de x - a = 0 par x - b & par x - c, &c. ou de x - b = 0 par x - a & par x - c, &c. ou de x - c = 0 par x - a & par x - b, &c. Dans chacun de ces cas on ne suppose à la fois qu'une des équations partielles égale à zéro ; x est la même quantité dans chacun des cas ; & elle est différente dans les différens cas. Ainsi x x - a x + a b = 0 est x - a = 0 par x - b, ou x - b = 0 par x - a ; cette

- b x

équation x x - a x - b x + a b = 0 représente ces deux-ci ; l'une a a - a a + a b (en mettant a pour x

- b x - a b

), & l'autre b b - a b + a b (en mettant b pour x).

- b b

Dans l'un des cas, x & ses puissances représentent a & ses puissances ; dans l'autre, x & ses puissances représentent b & ses puissances. Ainsi une équation d'un degré quelconque représente réellement autant d'équations particulieres qu'il y a d'unités dans son degré ; équations dans chacune desquelles x a une valeur différente. Poursuivons & approfondissons cette matiere, qui, je le répete, est fort mal développée par-tout.

La démonstration précédente, dira-t-on, suppose qu'il y a toûjours une quantité a possible, qui substituée à la place de x dans une quantité algébrique, xm + p x(m - 1), &c. fera évanoüir tous les termes. Sans doute : mais cette supposition est légitime. J'ai démontré le premier, Mém. de l'ac. de Berlin, 1746, qu'il y avoit toûjours en effet une telle quantité, laquelle sera ou réelle, ou égale à m + n - 1, m & n étant réelles, & m pouvant être = 0. Cette proposition fondamentale de l'Algebre & même du calcul intégral (Voyez FRACTION RATIONNELLE & INTEGRAL) n'avoit été démontrée par personne avant moi : j'y renvoye le lecteur, il la trouvera encore plus développée, & mise à la portée des commençans dans le traité du calcul intégral de M. de Bougainville le jeune, premiere partie. Voyez IMAGINAIRE.

De-là il s'ensuit qu'une équation est le produit d'autant de quantités simples, x - a, x - b, x - c, &c. qu'il y a d'unités dans le degré de l'équation ; quelques-unes des quantités a, b, c, ou toutes, peuvent marquer des quantités réelles, égales ou inégales, imaginaires simples comme n - 1, ou mixtes imaginaires comme m + n - 1.

On remarquera maintenant que le produit de x - a par x - b ne peut être égal à un autre produit x - e par x - f ; car si cela étoit, on auroit (x - a)/(x - f) = (x - e)/(x - b). Il faudroit donc ou que x - a fût divisible exactement par x - f, ainsi que x - e par x - b, ce qui ne se peut, ou que x - f & x - b eussent un diviseur commun, ainsi que x - a & x - e, ce qui ne se peut encore. Tout cela est évident par soi-même.

Donc une quantité quelconque x x + p x + q, où x monte au second degré, ne peut être le produit que de deux facteurs simples x - a, x - b, & il ne peut y en avoir d'autres que ces deux-là. Donc dans une équation du second degré, x ne peut avoir que deux valeurs différentes a, b, & jamais davantage. C'est une suite des propositions précédentes.

De même on ne sauroit supposer x - a par x - b par x - c, égal à x - c par x - f par x - g ; car on auroit (x - a)/(x - f) (x - g) = (x - e)/(x - b) (x - c). Donc les dénominateurs de ces fractions devroient avoir un diviseur commun, & par conséquent aussi leurs numérateurs x - a, x - e, ce qui ne se peut. Donc dans une équation du troisieme degré, & par la même raison dans toute équation, l'inconnue ne peut avoir qu'autant de valeurs, soit réelles, soit imaginaires, qu'il y a d'unités dans le degré de l'équation. Voilà encore une proposition qu'aucun auteur n'avoit suffisamment prouvée. On appelle racines, les différentes valeurs de l'inconnue. Voyez RACINE.

Il pourroit se présenter aux commençans une difficulté sur la démonstration précédente. Soit, diront-ils, a = 4, b = 17, c = 7, e = 8, & x = 2, on aura (x - a) x (x - b) = - 2 x - 15 = - 5 x - 6 = (x - 7) x (x - 8) = (x - c) x (x - e) ; on peut donc avoir, continueront-ils, (x - a) (x - b) = (x - c) (x - e). La réponse à cette objection est bien simple ; il est vrai qu'il peut y avoir des cas où, en donnant à x une certaine valeur, on ait (x - a) (x - b) = (x - c) (x - e) ; mais il faudroit, pour renverser la démonstration précédente, que quelque valeur qu'on donnât à x, on eût toûjours cette derniere équation, x marquant ici une quantité générale & indéterminée : or cela est impossible. En effet, si cela étoit, supposons x = a, on auroit donc, à cause de l'égalité supposée, (a - a) (a - b) = (a - c) (a - e), c'est-à-dire 0 = (a - c) (a - e) ; ce qui ne se peut, puisque c & e sont différentes de a & de b. De-là on tire une autre démonstration de la proposition dont il s'agit, & qu'on peut appliquer aux degrés plus composés ; par exemple, si (x - a) (x - b) (x - c) pouvoit être égal à (x - e) (x - f) (x - g), on auroit (a - e) (a - f) (a - g) = 0, ce qui ne se peut ; & ainsi du reste.

Je passe un grand nombre de propositions qu'on trouvera suffisamment démontrées par-tout, par exemple celles qui sont indiquées au mot COEFFICIENT : c'est principalement à des choses nouvelles, ou du moins présentées d'une maniere nouvelle & rigoureuse, que je destine cet article. J'observerai seulement que les propositions connues sur les coefficiens des équations, servent quelquefois à démontrer d'une maniere simple & élégante des propositions de Géométrie ; M. de l'Hôpital, dans le liv. X. de ses sections coniques, s'en est heureusement servi pour démontrer certaines propriétés des cordes du cercle.

Si une des racines de l'équation xm + p x(m - 1).... + r = 0 est un nombre entier a, positif ou négatif, ce nombre a sera un des diviseurs du dernier terme r ; car on a am + p a(m - 1) + n a + r = 0, donc am + p a(m - 1).... + n a = - r, donc a(m - 1) + p a(m - 2)... + n = - r/a. Or le premier membre de cette équation est un entier, puisqu'il est composé d'entiers ; donc r/a est un entier, donc a est un des diviseurs de r. La démonstration ordinaire de cette proposition me paroît sujette à difficulté ; c'est par cette raison que j'en ai substitué une autre.

Si toutes les racines d'une équation sont réelles, & que tous les termes de l'équation ayent le signe +, toutes ces racines seront négatives ; car, puisque tous les termes ont le signe +, il est évident qu'il ne peut y avoir de quantité positive, qui étant substituée à la place de x, rende l'équation égale à zéro.

Dans une équation, les racines imaginaires vont toûjours deux à deux ; ensorte que si a + b - 1 est racine d'une équation, a - b - 1 en sera une autre. J'ai démontré le premier cette proposition dans les mém. de l'acad. de Berlin 1746. Voyez aussi l'ouvrage de M. de Bougainville déjà cité, & l'art. IMAGINAIRE.

Donc puisque les racines imaginaires sont toûjours en nombre pair, il s'ensuit que dans les équations d'un degré impair il y a du moins une racine réelle ; ce qu'on peut encore démontrer en cette sorte. Soit, par exemple, x3 + p x2 + q x + r = 0, en donnant à x toutes les valeurs positives possibles depuis 0 jusqu'à l'infini, on a toûjours un résultat réel, & ce résultat devient infini & positif quand x = , c'est-à-dire 3 ; de même en donnant à x toutes les valeurs négatives possibles depuis 0 jusqu'à l'infini, on aura toûjours un résultat réel, & le dernier résultat est infini & négatif quand x = - , c'est-à-dire - 3 ; donc puisqu'on a une suite de résultats tous réels & sans interruption, dont les deux extrèmes sont de différens signes, il s'ensuit qu'il y a un de ces résultats égal à zéro. Donc il y a une valeur réelle de x qui rend x3 + p x2 + q x + r = 0. Donc x a au moins une valeur réelle dans cette équation. Il en est de même des autres cas.

Dans une équation délivrée de fractions, & dont le premier terme n'a d'autre coefficient que l'unité, la racine ne sauroit être une fraction a/b, dont le dénominateur & le numérateur soient des nombres entiers & rationnels. Voilà encore une proposition bien mal prouvée dans presque tous les auteurs. En voici une meilleure démonstration. Soit x3 + p x2 + q x + r = 0 ; & supposons que a/b soit racine de l'équation, on aura donc a3/ b3 + p a2/ b2 + q a/b + r = 0, & a3 + p a2 b + q a b2 + r b3 = 0. Donc, suivant la théorie des équations donnée ci-dessus, le nombre entier a doit être diviseur du dernier terme r b3 or comme a & b n'ont aucun diviseur commun, car la fraction a/b est supposée, comme de raison, réduite à ses moindres termes (Voy. DIVISEUR, FRACTION, & l'addition à l'article DIVISEUR dans l'errata de ce volume), il s'ensuit que a & b3 n'ont aucun diviseur commun ; donc a doit être diviseur de r ; donc r = n a, n étant un nombre entier. Donc on aura a3 + p a2 b + q a b2 + n a b3 = 0 donc a2 + p a b + q b2 + n b3 = 0 Donc, par la même raison que ci-dessus, a doit être un diviseur du dernier terme q b2 + n b3, & par conséquent de q + b n ; donc q + b n = m a ; donc a2 + p a b + b2 m a = 0 ; donc a + p b + b2 m = 0 ; donc a/b = - p - m b. Donc a/b n'étoit point une fraction, ce qui est contre l'hypothese. On démontrera de la même maniere dans tous les autres cas, la proposition dont il s'agit. Donc, &c.

Il est évident, par la nature de cette démonstration, qu'elle ne s'étend qu'aux fractions rationnelles. Une équation sans fractions & sans radicaux peut en effet avoir pour racines des fractions irrationnelles ; par exemple, x2 - x - 1 = 0, & une infinité d'autres.

Voyez au mot TRANSFORMATION, ce qui regarde la maniere de transformer une équation en une autre, matiere qui n'a d'ailleurs aucune difficulté, & qui est assez bien traitée dans presque tous les Algébristes ; par exemple, dans l'Analyse démontrée du P. Reyneau, &c.

On trouvera au mot RACINE, le fameux théorème de Descartes sur les racines des équations, démontré par M. l'abbé de Gua dans les mém. de l'acad. de 1741, auxquels le lecteur peut avoir recours. Nous nous bornerons ici à quelques réflexions générales sur les racines des équations.

Les racines d'une équation sont les différentes valeurs de l'inconnue ; il semble donc qu'un problème doive avoir autant de solutions qu'une équation a de racines ; & cela est vrai en effet dans un certain sens, mais ceci a pourtant besoin d'une plus ample explication.

1°. Si on proposoit de trouver un nombre x, tel que le quarré de ce nombre plus 15 fût égal à 8 fois le nombre cherché, c'est-à-dire tel que xx - 8 x + 15 fût = 0, on trouveroit que cette équation auroit deux racines réelles & positives x = 3, x = 5 ; & en effet, le quarré de 3 qui est 9 augmenté de 15, donne 24 égal à 8 fois 3 ; & le quarré 25, augmenté de 15, donne 40, égal à 8 fois 5. Ainsi les deux racines de l'équation satisfont en ce cas au problème, sans rien changer à son énoncé. Il y a donc des cas où toutes les racines d'une équation résolvent chacune le problème dans le sens le plus direct & le plus immédiat que son énoncé présente.

2°. Si on proposoit de trouver un nombre x plus petit que 1, & tel que le quarré de 1 - x fût égal à 1/4, on auroit (1 - x)2 = 1/4, & 1 - x = ± 1/2 ; donc x = 1/2 & x = 3/2 Voilà deux racines réelles & positives, cependant il n'y a proprement que la racine 1/2 qui satisfasse au problème, car la racine 3/2 donne 1 - x = - 1/2, quantité négative. Or l'on suppose dans l'énoncé que x est plus petit que 1 ; pourquoi donc trouve-t-on une autre racine réelle & positive ? le voici. Si on eût proposé ce problème : trouver un nombre x plus grand que 1, & tel que (x - 1)2, soit égal à 1/4, on auroit eu précisément la même équation que celle qui est donnée par la solution du problème précédent ; & en ce cas x = 3/2 auroit été la vraie valeur de l'inconnue, ainsi l'équation 1 - 2 x + x x = 1/4 représente réellement ces deux-ci, (1 - x)2 = 1/4 & (x - 1)2 = 1/4, qui sont la traduction algébrique de deux questions, très-différentes dans leur énoncé. La premiere de ces questions a pour réponse x = 1/2 la seconde x = 3/2. Donc, quoique les racines d'une équation soient toutes deux réelles & positives, il ne s'ensuit pas toûjours qu'elles résolvent toutes exactement & rigoureusement la question ; mais elles la résolvent, en la présentant en deux sens différens, dont l'Algebre ne peut exprimer la différence ; par exemple, dans le cas dont il s'agit, l'énoncé devroit être : trouver une grandeur x telle que la retranchant de l'unité, ou retranchant l'unité d'elle, le quarré du reste soit égal à 1/4. La traduction algébrique du premier énoncé est par sa nature plus générale que ce premier énoncé ; c'est donc le second qu'il faut y substituer pour répondre à toute l'étendue de la traduction. Plusieurs algébristes regardent cette généralité comme une richesse de l'Algebre, qui, disent-ils, répond non seulement à ce qu'on lui demande, mais encore à ce qu'on ne lui demandoit pas, & qu'on ne songeoit pas à lui demander. Pour moi, je ne puis m'empêcher d'avoüer que cette richesse prétendue me paroît un inconvénient. Souvent il en résulte qu'une équation monte à un degré beaucoup plus haut qu'elle ne monteroit, si elle ne renfermoit que les seules racines propres à la vraie solution de la question, telle qu'elle est proposée. Il est vrai que cet inconvénient seroit beaucoup moindre, & seroit même en un sens une véritable richesse, si on avoit une méthode générale pour résoudre les équations de tous les degrés ; il ne s'agiroit plus que de démêler parmi les racines celles dont on auroit vraiment besoin : mais malheureusement on se trouve arrêté dès le troisieme degré. Il seroit donc à souhaiter, puisqu'on ne peut résoudre toute équation, qu'on pût au moins l'abaisser au degré de la question, c'est-à-dire à n'avoir qu'autant d'unités dans l'exposant de son degré que la question a de solutions vraies & directes, mais la nature de l'Algebre ne paroît pas le permettre.

3°. Si on proposoit de trouver un nombre x, tel que retranchant l'unité de ce nombre, le quarré du reste fût égal à quatre, on trouveroit (x - 1)2 = 4, x = 3 & x = - 1. La premiere racine x = 3, qui est réelle & positive, résout la question ; à l'égard de x = - 1, elle ne résout point la question proposée, elle résout celle-ci : trouver un nombre, auquel ajoûtant l'unité, le quarré de la somme soit égal à quatre. On voit que dans cet énoncé, ajoûter se trouve au lieu de retrancher, & somme au lieu de reste. En effet (x + 1)2 = 4 donne x = 1 & x = - 3, qui sont précisément les racines de l'équation précédente prises avec des signes contraires. D'où l'on voit que les racines négatives satisfont à la question, non telle qu'elle est proposée, mais avec de legers changemens qui consistent à ajoûter ce qu'on devoit retrancher, ou à retrancher ce qu'on devoit ajoûter. Le signe - qui précede ces racines indique une fausse supposition qui a été faite dans l'énoncé, d'addition au lieu de soustraction, &c. & ce signe - redresse cette fausse supposition. En veut-on un exemple plus simple ? qu'on propose de trouver un nombre x, qui étant ajoûté à 20, la somme soit égale à 10, on aura 20 + x = 10 & x = - 10, ce qui signifie qu'il falloit énoncer ainsi la question : trouver un nombre qui étant retranché de 20, le reste soit égal à 10, & ce nombre est 10.

4°. Si on proposoit cette question, trouver un nombre x, tel que, ajoûtant l'unité à ce nombre, le quarré du tout soit égal à 1/4, on auroit (x + 1)2 = 1/4, x = - 1/2, x = - 3/2 : voilà deux racines négatives, ce qui signifie qu'il falloit changer ainsi la question ; trouver un nombre tel, que retranchant l'unité de ce nombre, s'il est plus grand, ou le retranchant de l'unité, s'il est plus petit, le quarré du reste soit égal à 1/4. C'est précisément le cas du n°. 1 précédent, dont les racines sont les mêmes que de ce cas-ci, avec des signes contraires.

5°. Tout nous prouve donc que les racines négatives ne sont destinées qu'à indiquer de fausses suppositions faites dans l'énoncé, & que le calcul redresse. C'est pour cela que les racines négatives ont été appellées fausses par plusieurs auteurs, & les racines positives, vraies, parce que les premieres ne satisfont, pour ainsi dire, qu'à un faux énoncé de la question. Au reste je dois encore remarquer ici que quand toutes les racines sont négatives, comme dans le cas précédent, l'inconvénient est leger ; ces racines négatives indiquent que la solution avoit un énoncé absolument faux : redressez l'énoncé, toutes les racines deviendront positives. Mais quand elles sont en partie positives, & en parties négatives, l'inconvénient que cause la solution algébrique est, ce me semble, alors plus grand ; elles indiquent que l'énoncé de la question est, pour ainsi dire, en partie vrai & en partie faux ; elles mêlent, malgré nous, une question étrangere avec la question proposée, sans qu'il soit possible de l'en séparer, en rectifiant même l'énoncé ; car qu'on change dans l'énoncé les mots ajoûter & somme, en ôter & reste, la racine négative devient à la vérité positive ; mais la positive devient négative, & on se trouve toûjours dans le même embarras, sans pouvoir réduire la question à un énoncé qui ne donne que des racines réelles positives. Il en est de même dans le cas du n°. 1 précédent, où, quoique les racines soient toutes réelles & positives, cependant elles ne résolvent pas toutes la question ; néanmoins il y a encore cette différence entre ce cas & celui du n°. 3, que dans celui-ci, pour changer les racines négatives en positives, il ne faut changer qu'en parties les signes de x + 1, c'est-à-dire écrire x - 1 ou 1 - x ; au lieu que dans le cas du n°. 1, il faut changer tout-à-la-fois les deux signes de 1 - x, & écrire x - 1 dans l'énoncé, pour employer la racine positive inutile à la question.

6°. Les racines négatives, je le répete, sont un inconvénient, sur-tout lorsqu'elles sont mêlées avec les positives ; mais il y a bien de l'apparence qu'on ne parviendra jamais à lever cet inconvénient ; peut-être pourroit-on le diminuer, si on avoit une bonne méthode de résoudre les équations. C'est ce que nous tâcherons plus bas de faire sentir, ou plûtôt entrevoir, en parlant des équations du second degré. Mais ce qui prouve que les racines négatives ne sont pas tout-à-fait inutiles à la solution d'un problème, c'est l'application de l'Algebre à la Géométrie. Les ordonnées négatives d'une courbe sont aussi réelles que les positives, & appartiennent aussi essentiellement à la courbe ; nous l'avons prouvé au mot COURBE d'une maniere aussi rigoureuse que nouvelle, en faisant voir que les ordonnées négatives deviennent positives, en transposant seulement l'axe. De même en transformant une équation algébrique, on peut rendre toutes les racines réelles positives ; car soit b la plus grande des racines négatives, & soit fait x = z - A, A étant une quantité plus grande que b ou égale à b ; alors les facteurs, au lieu d'être, par exemple, x - a, x + b, seront z - A - a, z - A + b, toutes deux positives. Voy. encore sur cet article ce que nous dirons plus bas, en parlant des équations appliquées à la Géométrie.

7°. Si on proposoit de trouver un nombre x, tel que (x + 1)2 + 4 fût = 0, on auroit x = - 1 + , & x = - 1 - ; valeurs imaginaires qui indiquent que l'énoncé de la question est absurde, & qu'il n'est pas possible de la résoudre. Mais, dira-t-on, pourquoi deux racines imaginaires ? une feule suffiroit pour avertir de l'absurdité. Je réponds que les deux imaginaires avertissent que la question est absurde non-seulement dans son énoncé, mais même dans tout autre qu'on lui substitueroit, c'est-à-dire en mettant x - 1 ou 1 - x à la place de x + 1. En effet 2 + 4 = 0, ou 2 + 4 = 0, donne x = 1 - & x = 1 + ; racines imaginaires & de signe contraire aux précédentes, parce que l'énoncé de la question, quoique changé, demeure impossible.

8°. Ainsi, quand une équation n'a que des racines négatives ou fausses, cela indique que le problème est impossible dans le sens direct, mais non pas dans un autre sens ; au lieu que quand elle n'a que des racines imaginaires, cela indique que le problème est impossible dans quelque sens qu'on le présente. Quand les racines sont réelles & incommensurables, cela indique que le problème n'a point de solution numérique exacte, mais qu'on peut trouver un nombre qui approche aussi près qu'on voudra des conditions proposées ; donc les racines négatives, imaginaires & incommensurables, désignent différentes especes d'impossibilité dans la solution, mais d'impossibilité plus ou moins entiere, plus ou moins absolue.

9°. Mais quand les racines imaginaires sont mêlées avec des racines réelles, qu'est-ce qu'indiquent alors ces racines imaginaires ? Par exemple, u3 - b3 = 0, a pour racine réelle u - b, & deux autres racines imaginaires qui sont celles de l'équation u u + b u + b b = 0, comme on l'a vû au mot CAS IRREDUCTIBLE. Ces deux racines imaginaires, dira-t-on, paroissent ici bien inutiles. Je réponds que ces deux imaginaires ne sont point de trop ; elles indiquent que s'il y avoit une quantité u, telle que u u + b u + b b pût être égal à zéro, le cube de cette quantité u seroit égal à b3. Voilà, ce me semble, tout ce qui regarde les racines des équations suffisamment éclairci ; passons à d'autres observations.

Il y a quelques remarques à faire sur la maniere dont on résoud ordinairement les équations du 2d degré : soit x x - p x = q, on en conclud tout de suite x - p/2 = + ; mais, dira-t-on, pourquoi fait-on x - p /2 positif égal à la quantité négative - + q ? il est bien vrai que deux quarrés égaux donnent des racines égales ; mais ce doit être des racines de même signe : cela est évident ; car de ce que 4 = 4, en conclura-t-on que 2 = - 2 ? D'ailleurs p /2 - x est aussi-bien que x - p /2 la racine de x x - p x + (p p) /4 ; on devroit donc avoir x + p/2 = . Je réponds, 1°. que cette derniere équation donne les quatre suivantes x - p/2 = , x - p/2 = - , p/2 - x = - , p/2 - x = : or les deux dernieres sont évidemment les mêmes que les deux premieres ; il suffit donc de prendre le double signe ± dans un des membres, & non dans les deux à la fois : 2°. J'aimerois mieux résoudre l'équation en raisonnant de cette sorte : La racine quarrée de x x - p x + (p p) /4 est x - p /2, si x > p /2 ; & p /2 - x, si x < p/2 : dans le premier cas, on a x - p/2 = ; dans le second, on a p/2 - x = : ce sont ces deux cas très-distincts & très-clairement énoncés de cette maniere, qu'on énonce tous les deux ensemble implicitement, & si je l'ose dire, obscurément, en écrivant x - p/2 = + . Les inventeurs de l'Algebre ont imaginé cette expression pour abréger ; & cette expression commode rend la métaphysique plus obscure. Voyez sur cela ce qui a été dit au mot ELEMENS DES SCIENCES.

Si on avoit x x + p x = q, alors on trouveroit, en suivant le raisonnement précédent, x + p/2 = , ce qui ne donneroit que la racine positive ; à l'égard de la racine négative ou fausse, on n'en a que faire, puisqu'elle ne résout pas le problème ; cependant on auroit cette racine, si on vouloit, en changeant l'énoncé de la question suivant les régles données ci-dessus ; ce qui donneroit x x - p x = q & p /2 - x, ou x - p/2 = .

On voit donc que par cette maniere que je propose de résoudre les équations du second degré, on sépareroit les racines positives nécessaires d'avec les inutiles, les vraies d'avec les fausses, &c. cette méthode s'appliqueroit aux autres degrés, si on avoit une régle générale pour résoudre toute équation : mais la régle dont il s'agit est encore à trouver.

J'ai donné au mot CAS IRREDUCTIBLE une théorie suffisante & neuve presque à tous égards de la résolution des équations du troisieme degré ; j'y renvoye le lecteur. Je n'y ai supposé qu'une proposition, c'est que si le second terme d'une équation du troisieme degré est nul, & que les trois racines soient réelles, le troisieme terme a toûjours le signe -. La question se reduit à prouver que si a + b + c = 0, a, b, c, étant de tel signe qu'on voudra, & réelles, (voyez COEFFICIENT), on aura a b + a c + b c négative, c'est-à-dire - a a - a c - c c négative, ce qui est évident ; donc si le troisieme terme est positif, il y a deux racines imaginaires. Nous rappellerons ici ce qui a été remarqué dans l'errata du troisieme volume, qu'à l'article CAS IRREDUCTIBLE, l'imprimeur a mis par-tout 2 y pour 27 ; cette faute d'impression ne peut embarrasser que les premiers commençans. Du reste on trouvera dans cet article, ou explicitement, ou implicitement, toute la théorie des équations du troisieme degré. Passons au quatrieme degré.

Soit x4 + q x2 + r x + s = 0, une équation à résoudre, on suppose qu'elle soit le produit de x x + y x + z = 0, & x x - y x + u = 0 ; & on trouve, en multipliant ces deux équations l'une par l'autre, & comparant le produit terme à terme avec la proposée, les équations suivantes :

z = q y + y3 - r/2 y.

q y + y3 - r/2 y = 2 s y/ q y - y3 + r, ou

y6 + 2 q y4 + q2 y2 - r r = 0.

- 4 s y2

u = s/z = 2 s y/ q y - y3 - r = q y/2 + y2/2 + r/2 y.

L'équation y 6, &c. = 0, étant du sixieme degré a six racines ; & les équations x x + y x + z = 0, x x - y x + u = 0, en donnant chacune deux pour chaque valeur de y ; voilà donc, dira-t-on, vingt-quatre racines, quoique, suivant la théorie connue, l'équation x4, &c. ne doive avoir que quatre racines possibles. Je vais montrer que ces vingt-quatre racines se réduisent à quatre.

1°. Dans l'équation y6, &c. = 0, où tous les termes pairs manquent, il est évident que chaque racine positive a sa pareille négative. Cela est évident ; car faisant y y = z, l'équation est du troisieme degré. Voy. ABAISSEMENT. Or soient A, B, C, les valeurs de z, on aura donc y y = A ; donc y = + A, y = - A ; de même y = + B, y = + C. Cela posé.

Soit a une des valeurs de y, - a en sera une autre ; & l'équation x x + y x + z donnera

x x + a x + q /2 + a2/2 - r /2 a = 0

x x - a x + q /2 + a2/2 + r /2 a = 0.

L'équation x x - y x + u, donnera

x x - a x + q /2 + a2/2 + r /2 a = 0

x x + a x + q /2 + a2/2 - r /2 a = 0.

Ces deux dernieres équations reviennent au même que les deux précédentes ; donc voilà déjà quatre équations réduites à deux, & vingt-quatre à douze.

Je dis maintenant que x x ± a x + q /2 + a2/2 + r /2 a, donnera les mêmes racines que x x + b x + q/2 + b2/2 r/2 b, en supposant + b, - b deux autres racines de l'équation y b + 2 q y4, &c. = 0. Car soit y y - a a, y y - b b, y y - c c, les trois racines, on aura 2 q = - a a - b b - c c, r = a b c ; & les deux équations précédentes deviendront x x + a x - b b/4 + a2/4 - c c/4 = 0, & x x + b x - a a/4 + b2/4 - c c/4 a c/2 = 0, dont les racines sont aisées à trouver, & sont les mêmes. On trouvera de même que x x + c x - a a/4 + c c/4 - b b/4 a b = 0, donne encore les mêmes racines ; donc en général les douze racines se réduisent à quatre, & ces quatre seront

- a /2 + (b - c) /2.

- a /2 + (c - b) /2.

+ a /2 + (b - c) /2.

+ a /2 + (c - b) /2.

Car il faut remarquer que le signe - de b c /2 répond à + a x, & que le signe + répond à - a x ; il ne faut pas prendre + a x avec + b c, ni - a x avec - b c.

Si on fait quatre équations simples des quatre valeurs précédentes de x, on formera par le produit une équation du quatriéme degré qui sera la même que la proposée, en mettant pour q, s, r, leurs valeurs - aa - bb - cc /2, q2/4 - (aa b b - a a c c - b b c c)/4, & a b c. Ainsi tout s'accorde parfaitement, comme on le voit. Il y a quelques auteurs qui ont traité ce dernier article des équations du quatrieme degré avec assez de soin ; mais, ce me semble, d'une maniere moins simple que nous ne venons de faire.

En résolvant d'une certaine façon quelques équations du quatrieme degré, on tomberoit dans un inconvénient semblable à celui du cas irréductible, c'est-à-dire qu'on trouveroit des quantités réelles sous une forme imaginaire. Soit, par exemple, x4 - a4 = 0, on a deux racines réelles x = a, x = - a, & deux autres imaginaires x = , x = - ; cependant si on supposoit que l'équation x4 - a4 = 0, fût venue de ces deux-ci x x + p x + q, x x - p x + q, on trouveroit 2 q - pp = 0, q q = - a4 : ainsi on auroit pour les deux équations, dont la multiplication produit x4 - a4, ces deux-ci : x x + x + <(-a4)Racine> = 0 ;

x x x + <(-a4)Racine> = 0 ;

équations d'où l'on ne tirera que des valeurs de x sous une forme imaginaire ; néanmoins de ces différentes valeurs une sera = a, & une autre = - a. Voyez sur cela l'article IMAGINAIRE. Voyez aussi les mémoires de l'acad. de Berlin, 1746, & l'ouvrage cité de M. de Bougainville.

Il est aisé de voir par tout ce qui a été dit, qu'il n'y a jusqu'à présent que les équations du second degré dont on ait une solution complete ; car 1°. les équations du troisieme degré tombent souvent dans le cas irréductible. 2°. Si une équation du troisieme degré a une racine réelle & commensurable, cette racine commensurable se présente sous une forme incommensurable, & il faut du travail pour la dégager de cette forme. Voy. RACINE & EXTRACTION. 3°. Les équations du quatrieme degré se réduisent, comme on vient de le voir, au troisieme, & sont par conséquent sujettes aux mêmes inconvéniens.

Lorsqu'une équation du troisieme degré a une racine commensurable, le plus court moyen de la déterminer, est d'essayer tous les diviseurs du dernier terme ; M. Newton, dans son arithmétique universelle, a donné une méthode pour abréger considérablement cet essai. Nous ne dirons rien de cette méthode, qui a été suffisamment expliquée & développée par MM. Gravesande & Clairaut, dans leurs élémens d'Algebre.

Passé le quatrieme degré, on n'a plus de méthode, même imparfaite & tronquée, pour résoudre les équations. Si la racine est réelle, il faut essayer les diviseurs du dernier terme ; si elle est incommensurable, il faut tâcher de connoître à-peu-près cette racine en nombres entiers, & se servir ensuite de la méthode expliquée au mot APPROXIMATION, pour approcher de plus en plus de la vraie valeur. La difficulté est d'avoir d'abord la racine cherchée exprimée à-peu-près en nombres entiers ou rompus ; on n'a point de méthode générale pour cela ; on n'a que des tentatives & des essais ; la méthode des cascades expliquée à l'article CASCADE, est très-limitée, & par conséquent très-fautive. Cette méthode suppose, 1°. que la proposée ait toutes ses racines réelles ; 2°. que l'équation du maximum des y ait aussi toutes ses racines réelles ; 3°. que l'on puisse connoître toutes les racines de cette derniere équation du maximum, ou du moins qu'on les puisse connoître à-peu-près, ce qui revient à la même difficulté.

Si on trouve deux quantités a, b, peu différentes l'une de l'autre, qui étant substituées à la place de x dans une équation, donnent, l'une un résultat positif, l'autre un résultat négatif, il s'ensuit que la valeur qui donne le résultat = 0, & qui est la vraie racine de l'équation, sera entre a & b. En effet construisons une courbe de genre parabolique, nous verrons clairement que si une valeur de x donne l'ordonnée positive, & qu'une autre valeur de x donne l'ordonnée négative, la valeur de x qui donnera l'ordonnée = 0, sera entre ces deux-là : mais il n'en faut pas conclure, que si on diminue, ou qu'on augmente tant soit peu cette valeur de x, qui donne le résultat = 0, on aura deux résultats de signe différent ; car il est évident qu'une courbe parabolique peut atteindre son axe sans le couper, mais en le touchant seulement ; & en général pour qu'une quantité passe par le zéro, il n'est point nécessaire que les deux états voisins de cette quantité, l'un avant, l'autre après l'égalité à zéro, soient des états opposés. Cela est clair par les tangentes paralleles au diametre du cercle, où l'ordonnée positive devient zéro, & redevient ensuite positive, & par une infinité d'autres cas semblables.

Dans les mémoires de l'académie des Sciences pour l'année 1747, pag. 665, on trouve un savant mémoire de M. Fontaine sur la résolution des équations. L'auteur annonce qu'il donne ce mémoire pour l'analyse en entier, telle qu'on la cherche, dit-il, si inutilement depuis l'origine de l'Algebre. Il se propose en effet de donner dans cet ouvrage des régles pour déterminer, dans une équation quelconque proposée, 1°. la nature & le nombre des racines, c'est-à-dire si elles sont réelles, égales ou inégales, toutes positives, toutes négatives, ou en partie positives & négatives, ou enfin imaginaires en tout ou en partie. L'auteur suppose dans cet ouvrage la vérité d'un théorème que j'ai démontré le premier, & dont il a déja été fait mention plus haut : savoir que toute racine imaginaire d'une équation peut toûjours être exprimée par a + b , a & b étant deux quantités réelles, & qu'il y a en ce cas encore une autre racine exprimée par a - b . Nous n'entrerons point ici dans le détail de la méthode donnée par M. Fontaine ; elle est si bien expliquée dans le mémoire cité, & présentée avec tant de précision, que nous ne pourrions absolument que la transcrire ici ; nous y renvoyons donc le lecteur. Nous ferons seulement les remarques suivantes, dans lesquelles nous supposerons qu'il ait le mémoire sous les yeux.

1°. La quantité ou fonction formée des coefficiens m, n, p, &c. (qui est égale à zéro dans certains cas, plus grande que zéro dans d'autres, & plus petite dans d'autres) se trouve, en faisant égales entr'elles, quelques quantités parmi les racines de l'équation ; car il y a toûjours autant de quantités a, b, c, d, &c. dans les racines de l'équation, qu'il y a de coefficiens m, n, p, q, &c. on a donc autant d'équations entre a, b, c, d, &c. & m, n, p, q, &c. qu'il y a de coefficiens m, n, p, q ; & on ne peut arriver à une quantité ou équation finale, de laquelle a, b, c, d, &c. ayent disparu, que dans le cas où quelques-unes des quantités a, b, c, d, &c. seront égales ; autrement, après toutes les opérations ordinaires destinées à faire évanoüir les inconnues a, b, c. d, (voy. EVANOUIR) &c. il en resteroit toûjours une, puisqu'il y auroit autant d'équations que d'inconnues. Prenons, par exemple, un des cas que M. Fontaine a proposés, x2 - 3 x + 1 = 0, ou x x - m x + n = 0 ; on trouve que (x - a) (x - b) ou (x - a + b - 1) (x - a - b - 1) ou (x - b + a - 1) (x - b - a - 1) peuvent être les trois systèmes de facteurs de cette formule. Or pour que les deux premiers systèmes de facteurs deviennent les mêmes, il faut que dans le premier système b = a, & que dans le second b = 0 ; d'où l'on tire x x - 2 a x + a a = x x - m x + n ; donc m = 2 a, n = a a = m m /4 ; donc dans le cas de a = b, on a m m - 4 n = 0. Maintenant pour que le second & le troisieme système de facteurs deviennent le même, il faut que b = a dans les deux systèmes ; ainsi on aura xx - 2 a x + a a + a a = 0 ; donc m = 2 a, n = 2 aa = (2 m m)/4 ; donc m m - 2 n = 0 ; ainsi m m - 4 n & m m - 2 n sont les deux quantités égales, plus grandes ou plus petites que zéro, qui doivent déterminer ici les racines égales ou les racines réelles, ou les racines imaginaires, & de plus le signe & la forme des racines.

2°. On voit assez par la nature de la méthode de M. Fontaine, qu'un systéme de facteurs étant donné dans le second, ou même dans le troisieme degré, on trouvera la nature de la formule d'équation qui en résulte, c'est-à-dire le signe de chaque coefficient de cette formule ; mais on ne voit pas, ce me semble, avec la même clarté comment on déterminera la formule qui résulte d'un système de facteurs, dans les équations plus composées que le troisieme degré ; ni s'il sera toûjours possible d'assigner exactement toutes les formules qui résultent d'un même systême de facteurs, en cas que ce système puisse produire plusieurs formules. Il seroit à souhaiter que ceux qui travailleront dans la suite d'après la méthode de M. Fontaine, s'appliquassent à développer ce dernier objet.

3°. M. Fontaine suppose que la quantité qui est = 0 dans le cas de la coincidence de deux systèmes de facteurs, est nécessairement plus grande que zéro pour l'un de ces systèmes de facteurs, & plus petite pour l'autre. Il est vrai qu'il arrive le plus souvent qu'une quantité égale à zéro dans l'hypothèse de deux quantités qui coïncident, est positive & négative dans les deux cas immédiatement voisins ; mais cela n'arrive pas toûjours. Par exemple, lorsqu'une courbe de genre parabolique touche son axe, & que par conséquent l'abscisse x répondante à l'ordonnée y = 0, a deux racines égales, il arrive souvent qu'en faisant x plus grande ou plus petite qu'une de ces racines, on a y positive dans les deux cas. Ce n'est pas tout. Il pourroit arriver que dans les cas infiniment voisins, ou extrèmement voisins de celui qui a donné l'égalité à zéro, la quantité formée de m, n, p, q, &c. fût plus grande que zéro pour un de ces cas, & plus petite pour l'autre ; mais est-il bien certain que dans les cas qui ne seront pas fort voisins de celui qui a donné l'égalité à zéro, il y en aura toûjours un qui donnera la fonction > 0, & que l'autre donnera la même fonction < 0 ? Une courbe qui coupe son axe en un point, a près de ce point en-dessus & en-dessous des ordonnées de différens signes ; mais il est très-possible que toutes les ordonnées au dessus & au-dessous ne soient pas nécessairement de différens signes, parce que la courbe peut encore couper son axe ailleurs. M. Fontaine dit que s'il y a plusieurs fonctions = 0, il sera toûjours facile de reconnoître laquelle de ces fonctions est toûjours plus grande que zéro dans l'un des deux systèmes, & toûjours moindre dans l'autre ; il semble que, suivant son principe, dès qu'une fonction est égale à zéro dans le cas de la coïncidence de deux systèmes de facteurs, elle est toûjours plus grande que zéro dans un de ces systèmes, & moindre dans l'autre. S'il y a des cas où cela puisse n'avoir pas lieu (comme M. Fontaine semble l'insinuer), pourquoi, dira-t-on, n'arriveroit-il pas quelquefois que cela n'auroit lieu dans aucun cas ?

Enfin M. Fontaine détermine par le calcul d'un seul cas numérique particulier d'un des deux systèmes, celui où la fonction est > 0, & celui où la fonction est plus petite. Cela peut être encore sujet à difficulté ; car cela suppose que la formule est toûjours > 0 dans un des cas, & toûjours ou < 0, dans les deux cas pris ensemble ; mais qu'après avoir été plus grande que zéro dans l'un de ces cas, jusqu'à une certaine valeur des quantités a, b, c, d, &c. & plus petite dans l'autre cas, elle devînt ensuite plus petite que zéro dans le premier cas, & plus grande dans le second ?

Nous ne prétendons point par ces difficultés attaquer, ni encore moins renverser la méthode de M. Fontaine ; elle nous paroît pleine de sagacité & de finesse, & digne de toute l'attention des savans ; nous la regardons comme une nouvelle preuve du génie supérieur que l'auteur a déjà montré dans d'autres ouvrages (voyez INTEGRAL & TAUTOCHRONE) ; nous désirons seulement que M. Fontaine trouve ces difficultés assez capables d'arrêter les géometres, pour daigner les lever entierement dans un autre écrit, & mettre sa méthode à l'abri même de toute chicane. Afin de l'y engager, voici à quoi nous réduisons la question. La formule est = 0 dans le cas de l'égalité de certaines racines ; soit cette formule appellée P. Supposons maintenant les racines inégales, en sorte que 2 t soit leur différence (c'est-à-dire que + t doive être ajoûté à l'une, & - t à l'autre), en ce cas la formule deviendra P + R t + S t t + Q t 3, &c. R, S, Q, désignant des quantités connues : or, pour que la méthode de M. Fontaine ait lieu dans tous les cas, il faut, 1°. que R ne soit jamais = 0, ou du moins que si R = 0, S le soit aussi, en un mot que t se trouve toûjours à une puissance impaire dans le premier des coefficiens ; autrement étant supposé très-petit, les deux formules seroient l'une & l'autre > ou < 0, t étant positif ou négatif : 2°. qu'en supposant t positif, R t + S t t + Q t3 &c. soit toujours du même signe, t ayant telle valeur qu'on voudra : 3°. qu'en supposant t négatif, R t + S t t + Q t3, &c. soit toûjours de signe contraire au précédent, t ayant telle valeur qu'on voudra. Ces trois propositions démontrées, il ne restera plus de doute sur la généralité & la certitude de la méthode proposée par M. Fontaine.

Il seroit encore à souhaiter que l'auteur donnât une démonstration de la méthode qu'il propose, pour approcher, aussi près qu'on veut, des racines des équations ; il semble supposer encore dans l'exposé de cette méthode, que quand une certaine valeur de rend = 0 une quantité ou fonction de , deux autres valeurs de , l'une plus grande, l'autre plus petite, donneront l'une moins ou plus que zéro, l'autre plus ou moins que zéro. Cela n'est pas vrai en général, mais cela pourroit l'être dans le cas particulier de M. Fontaine ; & c'est ce qu'il seroit bon de prouver. Voyez l'article RACINE.

Il nous reste à faire quelques réflexions sur les équations appliquées à la Géométrie. Nous avons indiqué au mot DECOUVERTE, par quel raisonnement Descartes est parvenu à appliquer les équations indéterminées aux courbes ; les mots COURBE, DIFFERENTIEL, TANGENTE, &c. & autres semblables, font voir en détail les applications & les conséquences de ce principe. On a vû aussi au mot CONSTRUCTION, comment on construit les équations par la Géométrie. Il ne nous reste ici qu'un mot à dire sur la multiplicité des racines des équations en Géométrie. Les observations que nous avons à faire sur ce sujet, sont une suite de celles que nous avons déja faites sur les racines multiples des équations algébriques.

Supposons, par exemple, qu'on propose de diviser une ligne a en moyenne & extrème raison, nommant x la partie cherchée de cette ligne, on aura a : x : : x : a - x ; d'où l'on tire x x + a x = a a, & x = - a/2 + ; la racine négative de cette équation ne sauroit servir ici, mais elle serviroit à la solution de ce problème, trouver dans le prolongement de la ligne donnée a une ligne x, telle que a : x : : x : a + x ; dans ce cas la racine négative devient positive, & la positive négative ; & l'équation est x x - a x = a a.

Si on propose de tirer du point A une ligne A E (fig. 11. d'Algeb.) dans un cercle, telle que B O étant perpendiculaire au diametre A D, & donnée de position, on ait F E = à une ligne donnée a, on aura en nommant B F, x, une équation du quatrieme degré qui n'aura ni second, ni quatrieme terme ; cette équation aura deux racines positives B F & B f, telles que F E d'une part, & f e de l'autre, seront égales à a ; & deux autres racines égales aux deux précédentes & de signes contraires, parce qu'en achevant le cercle, & prolongeant O B en-dessous, le problème aura deux solutions pareilles ; si a étoit plus grand que B D, les racines seroient imaginaires.

Si on nommoit A F, x, B O, b, A C, r, A B, c, on auroit b b - x x + c c = a x ou 2 r c = xx + ax ; la racine positive est A F, & la négative Af, parce que cette racine négative, si on la traitoit comme positive, donneroit a x = B f2 - B O2 = x x - b b - c c = x x - 2 r c, & non pas a x = B O2 - B F2. Voilà un cas où deux racines de différens signes n'indiquent pas des positions diamétralement opposées dans les lignes A F, A f, qui représentent ces racines, mais seulement le changement de signe du second terme a x dans l'équation du problème.

Dans ce dernier cas, c'est-à-dire en prenant A F pour l'inconnue, l'équation n'est que du second degré, au lieu qu'en prenant B F pour inconnue, elle monte au quatrieme ; d'où l'on voit comment par le bon choix des inconnues on peut simplifier un problème en plusieurs occasions. Mais, dira-t-on, pourquoi le problème a-t-il quatre solutions dans un cas, & deux seulement dans un autre ? Je réponds que dans le dernier cas il a aussi quatre solutions comme dans le premier ; ou pour parler plus exactement, que B F a quatre valeurs dans les deux cas ; car B F = + , ce qui donne deux valeurs égales de différent signe pour chaque valeur de A F. Voyez encore d'autres observations sur un problème de ce genre à l'article SITUATION.

Autre question. On propose d'inscrire dans un rectangle donné A B D E (fig. 11. alg. n. 2.) un rectangle a b d e, dont les côtés soient également éloignés des côtés du grand, & qui soit à ce grand rectangle comme m est à n : soit A B = a, A D = b, A C = x, on aura (a - 2 x) x (b - 2 x) : a b : : m : n, & on trouvera par la résolution de cette équation, qu'en supposant m < n, xa deux valeurs réelles & positives ; cependant le problème n'a évidemment qu'une solution, mais il renferme une condition que l'Algebre ne peut pas énoncer, savoir que le rectangle a b d e soit au-dedans de l'autre : si on avoit a b : (2 x - a) (2 x - b) : : n : m ; on trouveroit la même équation, & cependant ce ne seroit plus le même problème. Le parallélogramme rectangle qui satisferoit à cette question, seroit alors celui qu'on voit, fig. 11. n. 3. dans lequel A C est égal à la plus grande valeur positive de x, & A C = C a ; le côté a d est éloigné de A D comme le côté c a de A B, & ainsi du reste ; mais le rectangle a b c d n'est pas au-dedans de l'autre ; condition que l'Algebre ne peut exprimer. Voyez SITUATION.

Sur les équations différentielles, exponentielles, &c. voy. DIFFERENTIEL, EXPOSANT, EXPONENTIEL, INTEGRAL, CONSTRUCTION, &c.

On appelle quelquefois équation, en Géométrie & en Méchanique, ce qui n'est qu'une simple proportionnalité indiquée d'une maniere abrégée ; par exemple, quand on dit qu'un rectangle est égal au produit de sa base par sa hauteur, cela signifie explicitement : si on a deux rectangles, & qu'on prenne une quantité quelconque linéaire a pour la mesure commune de leur base & de leur hauteur ; que B soit le nombre de fois (entier ou rompu, rationnel ou irrationnel) que la base de l'un contient a ; que H soit le nombre de fois que la hauteur du même contient a ; que b soit le nombre de fois que la base de l'autre contient a ; que h soit le nombre de fois que la hauteur du même contient ; a, les aires de ces deux rectangles seront entr'elles comme le produit des nombres B, H, est au produit des nombres b, h. De même, quand on dit que la vîtesse d'un corps qui se meut uniformément, est égale à l'espace divisé par le tems, cela veut dire explicitement : si deux corps se meuvent uniformément, & parcourent, l'un l'espace E pendant le tems T, l'autre l'espace e pendant le tems t ; qu'on prenne une ligne a pour commune mesure des espaces E, e, & un tems

pour communes mesures des tems T, t, les vîtesses seront comme le nombre E/a divisé par le nombre T/, est au nombre e/a divisé par le nombre t/. Voyez MESURE, VITESSE, &c. (O)

EQUATION DE L'HORLOGE, est la même chose que l'équation du tems. Voyez l'article suivant.

EQUATION DU TEMS, en Astronomie, est la différence entre le tems vrai ou apparent, & le tems moyen ; c'est-à-dire la réduction du tems inégal apparent, ou du mouvement inégal, soit du Soleil, soit d'une planete, à un tems ou à un mouvement moyen, égal & uniforme. Voyez TEMS & MOUVEMENT.

Le tems ne se mesure que par le mouvement ; & comme le tems en lui-même coule toûjours uniformément, on se sert, pour le mesurer, d'un mouvement qu'on suppose égal & uniforme, ou qui conserve toûjours la même vîtesse.

Le mouvement du Soleil est celui dont on se sert communément pour cela, parce que ce mouvement est celui qu'on observe le plus facilement : cependant il manque de la principale qualité nécessaire pour mesurer le tems, c'est-à-dire de l'uniformité. En effet les Astronomes ont remarqué que le mouvement apparent du Soleil n'est pas toûjours égal & uniforme ; mais que ce mouvement tantôt s'accélere, tantôt se ralentit : il ne peut donc servir à mesurer le tems, qui est uniforme par sa nature. Voyez SOLEIL.

Ainsi le tems mesuré par le mouvement du Soleil, & qu'on appelle le tems vrai ou apparent, est différent du tems moyen & uniforme, suivant lequel on mesure & on calcule tous les mouvemens des corps célestes.

Voici comment on explique cette inégalité. Le jour naturel ou solaire n'est pas proprement mesuré par une révolution entiére de l'équateur, ou par vingt-quatre heures équinoxiales, mais par le tems qui s'écoule, tandis que le plan d'un méridien qui a passé sous le Soleil, vient à y repasser une seconde fois par la rotation de la Terre ; & ce tems est la distance qu'il y a entre le midi d'un jour & le midi du jour suivant. Voyez JOUR & MERIDIEN.

Or si la Terre n'avoit point d'autre mouvement que celui de sa rotation autour de son axe, tous les jours seroient exactement égaux les uns aux autres, & auroient tous pour mesure le tems de la révolution de l'équateur : mais cela n'est pas tout-à-fait ainsi, car tandis que la Terre tourne autour de son axe, elle avance en même tems dans son orbite : de sorte que quand un méridien qui a passé sous le centre du Soleil a fait une révolution entiere, ce méridien ne revient pas sous le Soleil précisément, comme il paroît par la figure.

Soit S le Soleil (Pl. Astr. fig. 50) & soit A B une portion de l'écliptique ; supposons que la ligne M D représente un méridien quelconque, dont le plan prolongé passe par le centre du Soleil lorsque la Terre est en A ; imaginons ensuite que la Terre avance dans son orbite, & qu'en faisant une révolution autour de son axe elle arrive en B, le méridien M D se trouvera dans une position m d parallele à la premiere : par conséquent le méridien, dans ce nouvel état, ne passera pas par le centre du Soleil, & les peuples qui l'habitent n'auront point encore midi. Il faut pour cela que le méridien d m fasse encore un mouvement angulaire, & décrive l'angle d B f, afin que son plan puisse passer par le Soleil. Voyez TERRE.

De-là il s'ensuit que les jours solaires sont plus longs que le tems d'une révolution de la Terre autour de son axe.

Cependant si les plans de tous les méridiens étoient perpendiculaires au plan de l'orbite terrestre, & que la terre parcourût son orbite avec un mouvement uniforme, l'angle d B F seroit égal à l'angle B S A, & les arcs d f & A B seroient semblables : par conséquent l'intervalle d'un midi à l'autre seroit toûjours le même, puisque l'arc A B & l'angle d B F seroient toûjours de la même quantité de degrés. Tous les jours solaires seroient donc égaux, & le tems moyen seroit le même que le tems vrai.

Mais les choses sont bien autrement, car la Terre n'a point un mouvement uniforme dans son orbite ; elle décrit, lorsqu'elle est aphélie, un plus petit arc, & lorsqu'elle est périhélie, un plus grand arc dans le même tems. Voyez plus bas EQUATION DU CENTRE. D'ailleurs les plans des méridiens ne sont point perpendiculaires à l'écliptique, mais à l'équateur ; & cette seule raison, indépendamment de l'inégalité du mouvement de la Terre, doit rendre les jours inégaux, car l'écliptique fait avec l'équateur un angle d'environ 23 degrés 1/2 : & si on divise l'écliptique en plusieurs petits arcs égaux qui représentent le chemin (supposé uniforme) du Soleil pendant chaque jour, & par les poles du monde & par chacun des points de division on fasse passer des méridiens célestes, les arcs de l'équateur, compris entre ces méridiens, ne seront point égaux entr'eux comme les arcs de l'écliptique ; par conséquent la distance entre le moment où le Soleil passe par un méridien, & le moment du jour suivant où il retourne à ce même méridien, ne sera pas la même pour tous les jours. Nous substituons ici au mouvement réel de la Terre, le mouvement apparent du Soleil, qui produit le même effet, & rend la chose un peu plus facile à entendre.

Ainsi en supposant même que le Soleil eût un mouvement uniforme dans l'écliptique, le tems qui coule uniformément ne pourroit être représenté par la distance entre le midi d'un jour & le midi d'un autre : les Astronomes ont donc été obligés d'inventer, pour la commodité de leurs calculs, des jours fictifs, tous égaux entr'eux, & moyens entre le plus long & le plus court des jours inégaux.

Pour déterminer ces jours, on a pris d'abord le nombre d'heures de la révolution totale du Soleil dans l'écliptique, & on a divisé le tems total en autant de parties qu'il y a d'heures, dont vingt-quatre composent un jour.

De plus, comme nous ne connoissons point dans la nature de corps dont le mouvement soit uniforme, & que cependant un tel mouvement est la seule vraie mesure du tems, on imagine un corps fictif, par ex. une étoile qui se meut uniformément dans l'équateur d'occident en orient, & qui, sans accélérer ni retarder jamais son mouvement, parcourt l'équateur, précisément dans le même tems que le Soleil fait sa révolution dans l'écliptique : le mouvement de cette étoile représente le tems égal ou moyen, & son mouvement diurne dans l'équateur est de 59' 8", c'est-à-dire le même que le mouvement moyen du Soleil dans l'écliptique : par conséquent le jour égal & moyen se détermine par l'arrivée de cette étoile au méridien, & il est égal au tems que les 360 degrés de la circonférence de l'équateur mettent à faire une révolution entiére, & à 59' 8" de plus. Comme cette addition de 59' 8" est toûjours la même, les jours moyens sont constamment égaux entr'eux.

Puis donc que le Soleil va vers l'orient inégalement, par rapport à l'équateur, il arrivera au méridien quelquefois plûtôt que cet astre imaginaire, & quelquefois plus tard : de-là vient la différence qu'il y a entre le tems vrai & le tems moyen. On connoît cette différence quand on sait le lieu de l'astre imaginaire dans l'équateur, & le point de l'équateur qui vient au méridien avec le Soleil ; car l'arc compris entr'eux étant converti en tems, fait voir la différence qu'il y a entre le tems vrai & le tems moyen : c'est cette différence qu'on appelle équation du tems.

On peut donc définir l'équation du tems, le tems qui s'écoule tandis que l'arc de l'équateur, compris entre le point qui détermine l'ascension droite du Soleil, & le lieu de l'astre imaginaire, passe par le méridien : ou, comme Tycho l'explique, & après lui Street, la différence entre la vraie longitude du Soleil & son ascension droite.

Trouver l'équation des jours solaires, c'est-à-dire convertir le tems vrai en tems moyen, & le tems moyen en tems vrai. 1°. Si l'ascension droite du Soleil est égale à son mouvement moyen, le Soleil imaginaire & le vrai passeront par le méridien dans le même tems ; & par conséquent le tems vrai est confondu avec le tems moyen.

2°. Si l'ascension droite est plus grande que le mouvement moyen, il faut soustraire le dernier du premier ; & changeant cette différence en tems solaire, la retrancher du tems vrai pour trouver le tems moyen, ou l'ajoûter au tems moyen pour trouver le tems vrai.

3°. Enfin si l'ascension droite est moindre que le mouvement moyen, ôtez le premier du dernier ; & changeant la différence en tems solaire, ajoûtez-la au tems vrai pour trouver le tems moyen, ou ôtez-la du tems moyen pour trouver le tems vrai.

Cette théorie de l'inégalité & de l'équation des jours naturels est en usage, non seulement dans les calculs astronomiques, mais aussi pour régler les horloges, les montres, & autres instrumens qui mesurent le tems. Par-là nous connoissons pourquoi une pendule, ou autre mouvement qui mesure le tems moyen, ne s'accorde point avec le Soleil qui mesure le tems vrai, mais va quelquefois avant, & quelquefois après lui : c'est pour cela que les cadrans solaires & les horloges ne sont jamais parfaitement d'accord. Voyez HORLOGE & CADRAN.

Ainsi quand on dit, par exemple, à midi de tems moyen, on parle du midi mesuré sur le mouvement de l'horloge ; mouvement qui est uniforme & semblable à celui de l'astre imaginaire, que nous avons supposé plus haut : & quand on dit à midi de tems vrai, il s'agit du moment où le Soleil est arrivé au méridien du lieu ; moment souvent différent de celui où l'horloge marque midi. De même quand on dit à 2 heures 15 minutes après midi tems moyen, on entend à deux heures 15 minutes marquées par la pendule après le midi moyen : & quand on dit 2 heures 15 minutes tems vrai, on entend 2 heures 15 minutes après l'instant du midi vrai.

On a souvent besoin en Astronomie de réduire le tems moyen en tems vrai, parce que les mouvemens des planetes sont calculés dans les tables, par rapport au tems uniforme ou moyen, & qu'il est ensuite nécessaire, pour se conformer à l'usage civil, de connoître ces mouvemens, par rapport au tems estimé selon le mouvement du Soleil : de même on a besoin de réduire le tems vrai en tems moyen, lorsqu'il s'agit de comparer aux tables astronomiques l'observation de quelque phénomene.

C'est l'équation du tems qui a produit l'équation de l'horloge, qui n'est autre chose que la quantité de tems dont une pendule bien réglée doit avancer ou retarder sur une bonne méridienne, cette méridienne donnant toujours le midi vrai. On trouve dans presque tous les almanachs astronomiques, comme dans la connoissance des tems, dans l'état du ciel de M. Pingré, &c. l'équation de l'horloge pour chaque jour. Nous renvoyons à ces ouvrages & à ces tables, & plus bas à l'article EQUATION, Horlogerie, ceux qui auront besoin de régler leurs pendules sur le mouvement du Soleil. Il nous suffit d'avoir expliqué ici clairement, d'après les Astronomes modernes, en quoi consiste principalement l'équation du tems : nous disons principalement, car nous n'avons eu égard jusqu'ici qu'à une des causes de l'inégalité des jours naturels, à celle qui vient de l'obliquité de l'écliptique : nous n'avons touché qu'en passant une autre cause de cette inégalité, celle qui vient de l'inégalité réelle du mouvement du Soleil dans l'écliptique. Pour avoir exactement l'équation du tems ou de l'horloge, il faut avoir égard à cette seconde inégalité, & il faut que la table de l'équation de l'horloge, quand elle est exacte, renferme cette inégalité & la précédente. Cette table ne sauroit être perpétuelle, à cause de la précession des équinoxes & du changement de l'apogée du Soleil, qui fait que l'inégalité de son mouvement n'est pas exactement la même à la fin de l'année révolue : mais comme le mouvement de précession des équinoxes, & celui de l'apogée du Soleil sont fort lents, la table de l'équation de l'horloge peut servir sans erreur sensible pendant plusieurs années consécutives.

Il ne nous reste plus qu'à expliquer en quoi consiste la seconde inégalité du mouvement du Soleil, qu'on appelle équation du centre ; c'est l'objet de l'article suivant.

EQUATION DU CENTRE. Pour faire entendre bien clairement ce que c'est que cette équation, il est nécessaire de comparer le mouvement d'une planete dans les divers points de son orbite, avec le mouvement d'un corps qui parcouroit la circonférence d'un cercle d'un mouvement toûjours égal & uniforme. On se ressouviendra d'abord de ces deux principes ; 1°. que les planetes décrivent autour du Soleil des ellipses ; 2°. que les aires décrites par les planetes sont proportionnelles aux tems. Voyez PLANETE & Képler. Cela posé, soit A E B F (fig. 51. n°. 2. Astronom.) l'orbite d'une planete, au foyer de laquelle se trouve le Soleil en S ; soit A B le grand axe, O Q le petit axe, on décrira du centre S & de l'intervalle S E (que je suppose moyen proportionnel entre A K & O K, c'est-à-dire entre les deux demi-axes) le cercle C E G F, dont la surface sera par conséquent égale à celle de l'ellipse, comme cela est démontré dans les sections coniques. Supposons présentement qu'un corps céleste parcoure la circonférence C E G F d'un mouvement toûjours égal, mais de telle sorte qu'il acheve sa révolution précisément dans le tems que la planete parcourt la circonférence entiére de son ellipse : dans cette supposition, lorsque la planete sera à son aphélie au point A, le corps céleste, que nous supposons emporté d'un mouvement toûjours égal & uniforme, se trouvera pour lors dans la ligne des apsides au point C, & partant son mouvement représentera le mouvement égal, ou le moyen mouvement de la planete, puisqu'il décrira autour du point S des secteurs de cercles proportionnels aux tems, lesquels seront égaux aux aires elliptiques que la planete a dû décrire dans le même tems.

Supposons présentement que le secteur de cercle C S M représente le mouvement moyen de ce corps, ou l'angle proportionnel au tems qu'il a dû décrire autour du point S, on prendra sur l'ellipse l'aire A S P, égale à l'aire C S M ; & le lieu de la planete dans son orbite sera par conséquent au point P, & l'angle M S D, qui est la différence entre le mouvement vrai & le mouvement moyen de la planete, est ce qu'on appelle l'équation du centre ou la prosthaphérese (voyez PROSTHAPHERESE) : mais l'aire A C D P sera égale au secteur D S M ; c'est pourquoi l'aire A C D P est toûjours proportionnelle à l'équation du centre. Au point R, l'équation du centre sera égale à l'aire A C E P A moins l'aire E m R, & ainsi de suite : d'où il est aisé de voir, 1°. que l'équation du centre est la plus grande aux points E, F ; 2°. qu'elle est nulle aux points A, B de l'aphélie ou du périhélie ; 3°. que depuis A jusqu'en B l'équation du centre est soustractive, c'est-à-dire, doit se retrancher du mouvement moyen, & que depuis B jusqu'en A elle est additive, c'est-à-dire doit être ajoûtée à ce mouvement.

Les Astronomes ont calculé des tables de l'équation du centre, & c'est par le moyen de ces tables qu'ils déterminent le lieu vrai du Soleil & des planetes pour chaque jour : nous avons donné au mot ELLIPSE la formule pour l'équation du centre, & indiqué la maniere de trouver cette formule.

L'anomalie étant la distance du lieu d'une planete à son aphélie, il s'en suit que si, depuis l'aphélie jusqu'au périhélie, on retranche l'équation du centre de l'anomalie moyenne, c'est-à-dire de la distance entre le lieu moyen & l'aphélie, & si on ajoûte cette même équation à l'anomalie moyenne, depuis le périhélie jusqu'à l'aphélie, on aura l'anomalie vraie, ou égalée, c'est-à-dire la distance du lieu vrai de la planete à l'aphélie.

Pendant ce xviij. siecle, lorsque le Soleil est au 10 degré du Scorpion, ou la Terre au 10 degré du Taureau, alors l'équation de l'horloge, formée des deux inégalités ci-dessus expliquées, est la plus grande qu'il est possible, étant de 16' 11": c'est ce qui arrive le 3 Novembre ; la pendule retarde alors de cette quantité. Dès ce moment la pendule retarde de moins en moins jusqu'au 23 Décembre à midi, qu'elle s'accorde très-exactement, ou à très-peu près avec le Soleil. De-là jusqu'au 15 Avril elle avance sur le Soleil ; du 15 Avril jusqu'au 17 Juin elle retarde, du 17 Juin jusqu'au 31 Août elle avance, & du 30 Août jusqu'au 23 Décembre elle retarde.

En effet, supposant le 23 Décembre à midi un astre placé dans l'écliptique qui la décrive non uniformément, mais avec l'inégalité de mouvement que donne l'équation du centre du Soleil, & supposant en ce même instant un astre imaginaire qui ait la même ascension droite, & qui décrive uniformément l'équateur, on verra, par les méthodes indiquées ci-dessus, que jusqu'au 15 Avril l'astre imaginaire passera au méridien avant le Soleil, qu'ensuite il y passera plus tard jusqu'au 17 Juin, &c.

EQUATION DU MOUVEMENT DES PLANETES. L'équation du centre n'est pas la seule inégalité à laquelle le mouvement des planetes soit sujet ; il est encore d'autres inégalités qui viennent principalement de l'action mutuelle que les planetes exercent les unes sur les autres, ou de celle que le Soleil exerce sur les Satellites.

C'est principalement dans la Lune que ces équations sont sensibles ; elles le sont aussi dans Jupiter & dans Saturne, mais la quantité n'en est pas si bien déterminée. Sur quoi voyez les articles LUNE, SATURNE, JUPITER. Je me contenterai de faire ici les observations suivantes à l'égard de la Lune.

1°. Depuis la publication de mon ouvrage, qui a pour titre, recherches sur les différens points importans du système du monde, Paris 1754, j'ai trouvé moyen de simplifier à certains égards, & de rendre encore plus exactes à d'autres, les tables du mouvement de la Lune données dans cet ouvrage. Dans les tables de correction qui se trouvent à la page 147 de la premiere partie, on doit supprimer entierement la I. table de la page 149 : dans la XIII. table, page 153, l'équation doit être 1' 21", au lieu de 1': & dans la XVI. table, page 155, l'équation doit être 39", au lieu de 1' 39".

2°. Outre les équations du mouvement du noeud, qu'on trouve dans les tables des Inst. astronomiques, on a encore ces deux-ci : 4' 45" multipliées par le sinus du double de la distance de l'apogée de la Lune au noeud ascendant ; plus 8' 22" multipliées par le sinus du double de la distance de la Lune au noeud, moins le sinus du double de la distance de la Lune au Soleil. Toutes les autres tables de l'équation du noeud peuvent être supprimées : ainsi on peut simplifier beaucoup nos tables des pages 190, 191, 195 de l'ouvrage cité ; on les réduira à deux de la forme suivante.

I. Table. Distance de l'apogée de la Lune au noeud, ajoûtez en descendant, &c.

II. Table. Distance de la Lune au noeud, ajoûtez en descendant, &c.

Distance de la Lune au Soleil, ôtez en descendant, &c.

Dans la premiere de ces tables, la plus grande équation sera de 4' 45", comme dans la seconde colonne de la page 191 de mon ouvrage : dans la seconde table, la plus grande équation sera de 8' 22", comme dans la seconde colonne de la page 190.

3°. Dans les tables pour corriger l'inclinaison, page 102 du même ouvrage, on peut supprimer encore la seconde table de la page 103, & la premiere de la page 104.

Les raisons de ces différentes corrections aux tables publiées dans mon ouvrage, seront expliquées dans la troisieme partie de ce même ouvrage, que j'espere publier bien-tôt, & qui contiendra beaucoup d'autres remarques importantes sur les tables de la Lune.

Sur la construction & la forme des tables d'équation des planetes, voyez l'article TABLES ASTRONOMIQUES.

EQUATION LUNAIRE, en Chronologie, est la même chose que la proemptose, ou anticipation de la nouvelle Lune. Voyez PROEMPTOSE.

EQUATION SOLAIRE, en Chronologie, est la même chose que la métemptose, ou retardement de la nouvelle Lune. Voyez METEMPTOSE.

EQUATION, (Horlogerie, &c.) L'équation est cette partie de l'Horlogerie qui indique les variations du Soleil, ou la différence de son retour au méridien.

Ayant parlé des deux tems vrai & moyen (voyez ci-dessus ÉQUATION du tems), & donné une idée de leurs causes, il faut passer à la description des machines qu'on a employées pour les indiquer.

Les premieres horloges qui ont été faites, ont indiqué le tems moyen : la disposition de ces machines ne pouvoit marquer les parties du tems que par des intervalles égaux.

Ce ne fut que lorsqu'on eut déterminé la quantité de variation apparente du Soleil par le moyen des observations astronomiques, que l'on chercha les moyens de faire suivre aux horloges ces mêmes variations du Soleil ; ce qui donna lieu aux pendules à équation.

Les différentes especes de construction que l'on a mises en usage pour faire marquer le tems vrai & moyen, peuvent se réduire en général aux suivantes. 1°. Aux pendules à équation qui marquoient les deux tems par le moyen de deux aiguilles : telle est celle dont parle le P. Alexandre dans son traité des Horloges, page 343. Cette piece étoit dans le cabinet de Philippe II. roi d'Espagne ; elle fut la premiere pendule à équation connue.

Voici ce que dit M. de Sully, regle artificielle du tems, dans sa réponse au P. Kefra sur les premieres équations. " Il y a, dit-il, deux manieres de produire à-peu-près la même chose (de marquer l'équation) ; l'une est par une pendule dont les vibrations sont réglées sur le tems égal ou moyen, & dont la réduction du tems égal à l'apparent, est faite par le mouvement particulier d'une seconde aiguille de minutes sur le cadran ; & c'est de cette maniere qu'est faite la pendule du roi d'Espagne, & toutes les autres qu'on a faites jusqu'ici, & que l'on appelle pendules d'équation.

La seconde maniere, qui est celle que j'entends, & qui n'a pas encore été exécutée, que je sache, est par une pendule dont les vibrations seroient réglées sur le tems apparent, & qui par conséquent seroient inégales entr'elles. Cette pendule ayant son cadran à l'ordinaire, ses aiguilles d'heures, de minutes, de secondes, seroient toûjours d'accord, & montreroient uniquement & précisément le tems apparent, comme il nous est mesuré par le Soleil ". Cette derniere construction d'équation appartient au P. Alexandre : c'est la même dont je parlerai bientôt.

Celles que l'on construisit en Angleterre, étoient aussi sur le même principe : j'ignore quelle étoit la disposition intérieure de ces premiers ouvrages ; mais je suppléerai à cela en faisant la description de celle de M. Julien le Roi, qui est aussi à deux aiguilles, & qui a été une des premieres pendules à équation.

La seconde est celle du P. Alexandre, dont il a fait la description dans son traité des Horloges. Cette construction, toute simple & ingénieuse qu'elle est, a trop de défauts pour que je m'arrête à la décrire en entier, j'en donnerai simplement l'idée ci-après ; ceux qui seront curieux de la connoître mieux, pourront recourir au traité de l'Horlogerie de cet auteur : je ne crois pas qu'elle ait été exécutée ; elle ne pourroit d'ailleurs marquer le tems moyen.

Je puis comprendre dans ce second genre une construction de M. de Rivaz, qui ne marque que les heures & minutes du tems vrai ; mais elle est exempte des défauts de celle du P. Alexandre : j'en ferai la description, & on en verra le plan dans la fig. 38. A.

La troisieme est celle du sieur le Bon : cette construction marque les heures, minutes & secondes du tems vrai, & les heures & minutes du tems moyen ; c'est par le moyen de plusieurs cadrans qu'il a produit ces effets. Je ne connois cet ouvrage que par l'extrait de la lettre de M. le Bon à l'abbé de Hautefeuille, indiqué dans le livre du P. Alexandre, page 342.

Les pendules d'équation à cercles mobiles sont aussi de ce genre. La pendule à équation que j'ai construite, ainsi que la montre, peuvent y être comprises ; la description que j'en donne ci-après, suppléera à celle que j'aurois donnée de celle de M. le Bon, si j'avois eu la facilité de le faire.

Une derniere espece de pendules à équation, est celle dont une aiguille marque les minutes du tems moyen ; & une autre la différence ou le nombre de minutes dont le tems vrai en differe. Cette derniere aiguille ne fait qu'une demi-révolution environ, pour répondre à 30' 53". Cette quantité est la somme des variations du Soleil ; car on voit par la table d'équation ci-après, que le Soleil avance de 16' 9' le premier Novembre sur le tems moyen ; & qu'au contraire il retarde de 14' 44" sur le même tems le 11 Février, & la somme de ces variations est de 30' 53".

On peut voir la description de la pendule dont il s'agit, dans le traité de M. Thiout, ainsi que plusieurs constructions d'équations qui y sont décrites, dont une partie sont en usage parmi les Horlogers, telle que celle de l'invention du sieur Enderlin, savant artiste, que l'Horlogerie regrettera long-tems ; une de M. Thiout, auteur du traité ; une du sieur Regnaud, de Châlons. Je ne m'arrêterai sur aucune de ces pieces, qui sont d'ailleurs connues ; mon but étant d'exposer ici ce qu'on a trouvé depuis l'impression des traités de M. Thiout & du P. Alexandre, ou qui n'a pas encore été donné au public.

Avant de faire la description des différentes équations, on me permettra quelques remarques sur le choix des constructions d'équation, & sur ce qu'exige l'exécution de cette partie de l'Horlogerie.

Il y a trois sortes de personnes qui travaillent, ou se mêlent de travailler à l'Horlogerie ; les premiers, dont le nombre est le plus considérable, sont ceux qui ont pris cet état sans goût, sans disposition ni talent, & qui le professent sans application, & sans chercher à sortir de leur ignorance : ils travaillent simplement pour gagner de l'argent, & le hasard a décidé du choix.

Les seconds sont ceux qui, par une envie de s'élever fort loüable, cherchent à acquérir quelques connoissances & principes de l'art, mais aux efforts desquels la nature ingrate se refuse.

Enfin le petit nombre renferme ces artistes intelligens, qui nés avec des dispositions particulieres, ont l'amour du travail & de l'art, & s'appliquent à découvrir de nouveaux principes, & à approfondit ceux qui ont déjà été trouvés.

Pour être un artiste de ce genre, il ne suffit pas d'avoir un peu de théorie & quelques principes généraux des Méchaniques, & d'y joindre l'habitude de travailler ; il faut une disposition particuliere donnée par la Nature. Cette disposition seule tient lieu de tout ; lorsqu'on est né avec elle, on ne tarde pas à acquérir les autres parties. Si on veut faire usage de ce don précieux, le tems donne bientôt la pratique, & un tel artiste n'exécute rien dont il ne sente les effets, ou qu'il ne cherche à les analyser : enfin rien n'échappe à ses observations ; & quel chemin ne fera-t-il pas dans son art, s'il joint à ces dispositions l'étude de ce que l'on a découvert jusqu'à lui ? Il est sans doute rare de trouver des génies heureux qui réunissent toutes ces parties nécessaires ; mais on en trouve qui ont toutes les dispositions naturelles, il ne leur manque que d'en faire l'application ; ce qu'ils feroient sans doute, s'ils avoient plus de motifs pour les porter à se livrer tout entiers à la perfection de leur art. Il ne faudroit, pour rendre un service essentiel à l'Horlogerie & à la société, que piquer leur amour-propre, faire une distinction de ceux qui sont horlogers de nom, ou qui le sont en effet ; enfin confier l'administration du corps de l'Horlogerie aux plus intelligens ; faciliter l'entrée à ceux qui ont du talent, & la fermer à jamais à ces misérables ouvriers qui ne peuvent que retarder le progrès de l'art ; qu'ils ne tendent même qu'à détruire ; ou, si l'on veut que cette communauté subsiste telle qu'elle est, que l'on érige du moins une société particuliere, composée des plus fameux artistes, qui seront juges du talent de ceux qui devront en être reçûs, & qui décideront du mérite de toutes les nouvelles productions. Cette digression, si c'en est une, doit être pardonnée à mon zele pour le progrès de l'art.

On peut réduire à deux points essentiels ou généraux, toutes les parties de l'Horlogerie ; la construction, c'est-à-dire la disposition des différens méchanismes, & l'exécution. L'une & l'autre sont également nécessaires pour rendre les effets que l'on s'est proposé ; sans l'intelligence de l'artiste, l'exécution la plus belle ne forme que des parties séparées, qui n'ont point d'ame, & ne peuvent rendre que très-mal des effets ; & sans la pratique le théoricien ne peut mettre en exécution ses idées. D'ailleurs la pratique nous instruit de bien des phénomenes qu'on n'apperçoit qu'en exécutant.

La construction des ouvrages d'équation a été jusqu'à présent trop composée, & les êtres multipliés sans raison, inconvénient ordinaire aux nouvelles productions. Enderlin avoit employé six roues de plus qu'aux pendules ordinaires, pour son équation. On verra par celle que je décrirai ci-après, que l'on est parvenu à les retrancher toutes dans certaines constructions, & à n'en employer que trois ou quatre dans d'autres.

Ce nombre de roues que l'on employoit, a produit non-seulement une augmentation d'ouvrage, mais encore un obstacle assez grand pour la justesse de l'équation. J'ai observé qu'une pendule construite avec six roues de cadrature, malgré tous les soins apportés à l'exécution de ces roues, tant pour les arrondir que pour les fendre ; j'ai observé, dis-je, que les aiguilles du tems vrai & moyen s'éloignent & se rapprochent à chaque révolution qu'elles font. La pendule qui m'a donné lieu de faire cette remarque, étoit exécutée avec soin, & les aiguilles s'éloignoient de trente secondes. On conçoit que c'est l'inégalité des roues qui produit cet effet. Il ne faut pas qu'elle soit sensible, pour ne donner que cette quantité ; il ne faut que faire attention à leur nombre : ainsi s'il y en a six, comme à celle en question, c'est l'inégalité de six roues qui est multipliée par la différence de la longueur des aiguilles au rayon des roues.

La conduite de la roue annuelle n'étoit pas moins composée ; on s'étoit attaché à la faire mouvoir continuellement, afin d'imiter par-là la progression insensible de l'augmentation ou diminution d'équation. Il me paroît que cette précision étoit assez superflue, si on envisage l'équation, non comme un simple objet de curiosité, mais comme une chose utile.

Si une pendule à équation ne sert simplement qu'à contenter un curieux, on a raison de ne lui rien laisser à desirer ; car dès-lors l'augmentation de l'ouvrage ne doit plus faire un obstacle ; mais si ces sortes de pieces sont destinées à un usage réel, il faut en faciliter l'exécution aux ouvriers ordinaires, produire les effets avec le moins de pieces possible, & reserver pour des artistes choisis les opérations délicates qui échappent au général.

La plus grande variation du Soleil en vingt-quatre heures, est de 30 secondes (voyez la table ci-après) ; or si le changement d'équation ne se fait qu'une fois par jour (& en quelques heures, comme de minuit à deux heures, par exemple), au lieu de se faire insensiblement & par un mouvement continuel, il s'ensuivra de-là qu'à six heures du matin l'aiguille du tems vrai marquera 7 1/2 secondes de plus qu'elle ne devroit, en suivant la progression naturelle de la variation du Soleil ; à midi elle marquera juste l'équation, & à six heures du soir elle marquera 7 1/2 secondes de moins : ainsi dans la plus grande variation journaliere du Soleil, l'erreur qui résultera d'une construction d'équation dont le changement ne se fera pas insensiblement, sera de 7"1/2 ; quantité même qui ne pourra être remarquée dans un cadran de 10 piés de diametre : mais d'ailleurs à midi elle sera juste, ainsi on pourra voir le méridien & régler la pendule en se réglant sur l'aiguille du tems vrai, comme avec les constructions composées.

Description de la pendule à équation de M. JULIEN LE ROY, figures 37. 38. 39. 40. & 41. La roue A (fig. 41.) fait sa révolution en 365 jours. Sur cette roue sont gravés les mois de l'année & les quantiemes du mois, qui paroissent par une ouverture faite au cadran à l'endroit de 6 heures. Cette roue A est concentrique au cadran, & mûe par le mouvement, dont la premiere roue porte quarrément du côté de la cadrature, un pignon d (figure 37.) de 15 dents, qui fait, ainsi que la roue, un tour en 10 heures ; il engrene dans la roue de champ A (fig. 39.) de 30 dents ; elle est rivée sur une tige qui porte la piece B, qui est une vis sans fin, simple, laquelle engrene dans la roue C de 30 dents. La tige de cette roue passe à-travers la plaque, & porte quarrément le pignon D (fig. 40.) Ce pignon est de 15 ; il engrene dans la roue annuelle A de 219 dents. Le prolongement du quarré du pignon D passe au-travers du cadran ; il sert à faire tourner le pignon D séparément de la roue C (figure 39.) il tourne à frottement sur cette tige, par le moyen d'un ressort qui presse la roue C contre l'assiette de ce pignon.

Les secondes sont concentriques au cadran. La tige du rochet des secondes porte un pignon C de 12 dents (figure 37.) lequel passe au-travers de la piece A B, qui a le même centre de mouvement que le rochet. Cette piece A B se meut sur un pont, & peut faire une demi-révolution qui produit la variation de l'aiguille du tems vrai. La roue D, de 90 dents, engrene dans le pignon C fixé sur la tige du rochet des secondes. Cette roue est portée par la piece A B, & par un petit pont E attaché à cette piece. La roue D porte un pignon F de 12 dents, qui engrene dans la roue O du tems vrai (figure 38.) qui a 96 dents. Cette derniere porte à frottement la roue I fixée sur le canon qui porte l'aiguille du tems vrai ; ensorte qu'on peut faire tourner cette roue I indépendamment de celle O. La roue I engrene dans celle de renvoi F : ces deux roues sont de même nombre. La roue F porte un pignon p, qui fait mouvoir la roue H du cadran : ainsi en faisant tourner l'aiguille du tems vrai, celle du cadran se meut aussi, mais celle du tems moyen reste immobile ; & en la faisant tourner, elle ne fait point mouvoir celle du tems vrai, ce qui a obligé de faire graver sur la roue annuelle la différence du tems vrai au tems moyen pour tous les jours de l'année, afin de remettre les aiguilles à l'équation, lorsque la pendule a été arrêtée. La roue F porte 4 chevilles qui servent à lever la détente M de la sonnerie qui sonne les heures & quarts du tems vrai.

La tige de la troisieme roue du mouvement porte un pignon gg, de 9 dents, qui fait mouvoir la roue G du tems moyen, de 72 dents. Le coq E (fig. 37. ou 38.) porte une broche n qui passe à-travers la fausse plaque par l'ouverture Z. Cette broche est conduite par une fourchette que porte la roue T, qui engrene dans le rateau R, lequel appuie sur l'ellipse ou courbe. Les différens diametres de l'ellipse font avancer ou retarder l'aiguille du tems vrai, ce qui se fait par le mouvement que ce rateau imprime à la piece A B (fig. 3.), laquelle peut parcourir un peu plus d'une demi-circonférence. Cette piece ou chassis A B entraîne avec elle la roue D, qui engrene dans celle du tems vrai. Le plus petit rayon de la courbe répond au 11 Février, tems où le Soleil retarde de 14' 44"; & le plus grand au premier Novembre, où au contraire il avance de 16'9". La somme de ces deux excès du tems vrai sur le moyen, donne l'espace que doit parcourir la roue du tems vrai, sans que celle du tems moyen se meuve ; ce que l'on verra mieux dans la partie où je parle de l'exécution des pendules à équation, qui terminera cet article.

Le ressort g g (fig. 37 ou 38.) appuie sur un levier mis en-dedans de la cage, lequel porte à son extrémité un bout de corde à boyau qui s'enveloppe sur une petite poulie fixée sur la piece A B. L'effet de ce ressort est de faire presser continuellement le rateau sur la courbe.

Description d'une cadrature d'équation construite par M. DAUTHIAU, horloger. La figure 35 A représente cette cadrature vûe de profil. Les secondes sont concentriques ; la tige du rochet passe à-travers le pont marqué p p, fixé sur la platine des piliers. Ce pont porte les deux roues des tems vrai & moyen, & celle de cadran. La roue m du tems moyen est menée par le pignon C, que porte la tige de la roue qui engrene dans le rochet d'échappement.

La tige h est celle de la roue du mouvement qui fait sa révolution en une heure. Cette tige passe à la cadrature, & porte quarrément un canon sur lequel est rivée une roue de champ e, qui fait mouvoir le pignon a, dont l'axe est parallele au plan de la platine. Ce pignon est posé & tourne entre deux petits ponts fixés sur la roue x x, d'un nombre de dents à volonté. Cette roue x x engrene dans un rateau, dont un bout appuie sur l'ellipse. Ce rateau n'est point ici représenté ; sa position dépend de celle de la roue annuelle, que l'on peut faire concentrique au cadran, ou on peut également la placer hors du centre.

Quoique la position de la roue annuelle ne doive pourtant pas être arbitraire, puisqu'à tous égards celle qui sera excentrique au cadran est préférable, non-seulement pour les frottemens qu'elle évite, mais encore pour la facilité de tailler la courbe, &c. cependant la disposition des boîtes, ou la construction d'une piece ne permet pas toujours de la placer de cette sorte.

Le pignon a engrene dans une roue de champ v de même nombre que celle qui fait mouvoir le pignon ; elle est d'un diametre plus petit que celle c, pour que le pignon qui est mené ait la grosseur requise pour faire mouvoir lui-même. Voyez ENGRENAGE.

La roue de champ v pourroit ne former qu'une seule roue avec celle b qui engrene dans la roue R du tems vrai ; mais si cela étoit, en tournant l'aiguille des minutes du tems vrai, celle des heures resteroit immobile ; ce qui seroit un défaut d'autant plus grand, que par celle du tems moyen, on ne peut faire tourner ni l'une ni l'autre aiguille du tems vrai ; ainsi il faudroit les faire tourner séparément l'une de l'autre, & faire des divisions des quarts pour l'aiguille des heures, afin de pouvoir toujours la remettre à des parties d'heures correspondantes à celles des minutes : il faut donc que la roue b tourne à frottement sur la roue de champ v, & que le pignon o qui mene la roue q de cadran soit rivé sur la roue b, l'un & l'autre tournant sur le prolongement de la tige h.

La roue x est concentrique à l'axe de la roue de champ, & peut faire plus d'une demi-révolution en emportant avec soi le pignon a, sans que la roue de champ e tourne ; c'est cette demi-révolution qui fait la variation de l'aiguille du tems vrai ; cet effet est produit comme dans celle de M. Julien le Roy & autres, par les différens diametres de la courbe, qui font parcourir une espace au rateau, & par conséquent à la roue dans lequel il engrene.

Les tiges, c, h, telles qu'elles sont vûes dans la figure, paroissent éloignées l'une de l'autre ; cependant elles ne doivent l'être en effet que de la longueur du rayon de la roue du mouvement fixée sur la tige h. Cette roue fait son tour en une heure, elle engrene dans un pignon que porte la tige C en-dedans de la cage ; ce qui se verroit aisément, si j'eusse donné le calibre du mouvement qui est à l'ordinaire ; j'ai pû par cette raison me dispenser de le faire, en renvoyant les plans de pendules à secondes, à l'article pendule à secondes. Voyez PENDULE A SECONDES.

Construction d'une équation de M. DE RIVAZ, à deux cadrans & deux aiguilles, figure 36 A. Je donne le plan de cette équation d'après une pendule où l'auteur l'a appliquée, ainsi que son pendule.

Cette pendule a deux cadrans, dont un excentrique sert pour faire marquer par une aiguille le tems vrai, & l'autre est à l'ordinaire pour les heures & minutes du tems moyen ; la tige de la roue de minutes porte un pignon P mis sous la roue de chaussée, qui ainsi que la roue de renvoi & de cadran ne sont pas ici représentés ; étant à l'ordinaire, elles sont mues par la roue de chaussée, portée par la tige qui porte le pignon P, centre du grand cadran ou du tems moyen. Le pignon P engrene dans la roue M ; la piece C C D est posée sur la platine & mobile au point S, centre du pignon B. Elle porte une têtine tournée sur le trou même du pivot du pignon B. Cette têtine roule dans un trou fait à la platine, ainsi la piece C C D se meut circulairement sur le centre du pignon B ; les petites pieces p p sont faites pour contenir la piece C C D contre la platine. Le pignon B se meut entre un pont p p & la piece C D, ainsi que la roue M, ce qui forme une petite cage pour la roue M & le pignon B. Le pivot de ce pignon traverse ce pont, il est de longueur suffisante pour porter l'aiguille du tems vrai, la piece C D porte un levier E qui est pour appuyer sur la courbe x portée par la roue annuelle A A que fait mouvoir le pignon F, ce levier E se meut suivant les différens diametres de la courbe, & par conséquent la partie o de la roue m décrit une portion de cercle n n, qui oblige la roue M à faire une partie de révolution ; cette même roue M engrene dans les deux pignons P B d'égal nombre & même diametre ; (à cela près que celui qui mene doit être plus gros que l'autre ;) mais le pignon P étant immobile & fixe sur sa tige, la roue M faisant une partie de révolution, le pignon B dans lequel elle engrene doit tourner aussi, il fera donc un demi-tour passé pour répondre à la variation apparente du Soleil ; & l'on voit que c'est la courbe qui détermine la quantité de son mouvement, ainsi qu'à toutes les constructions de cadrature d'équation.

Comme cette variation ne peut être produite que par la différence du point du mouvement de la piece C D à celui de la roue M, lesquels different entr'eux de la longueur du rayon de la roue M ; le point O ne peut s'éloigner de la ligne des centres, sans que l'engrenage de cette roue avec le pignon P change & devienne fort ou foible, & par conséquent que l'aiguille du tems vrai acquierre du jeu ; cette équation, d'ailleurs très-simple, a un défaut, puisque, comme je l'ai remarqué dans cette piece, à 2 ou 3 minutes près, on n'est pas assuré de la justesse de l'équation du jour, il faudroit donc faire ensorte d'y adapter un ressort spiral, foible, qui presse le pignon B toujours du même côté.

Le nombre des dents de la roue M paroît d'abord assez arbitraire ; cependant, c'est de la nature de l'engrenage de cette roue avec les pignons P & B que dépend en partie le ballotage de l'aiguille du tems vrai. Les pignons pour cet effet doivent être au moins de douze & faire douze tours, pendant que la roue en fera un, l'espace que le point o parcourra devenant d'autant plus petit, que le nombre des tours du pignon sera grand, par rapport à ceux de la roue M.

Equation présentée en 1752 à l'académie des sciences, par Ferdinand BERTHOUD, figure 37 A. Cette pendule marque aussi l'année bissextile, ce qui évite de retoucher aux quantiemes, &c.

La roue de barillet de sonnerie engrene dans un pignon qui fait un tour en 24 heures. La tige de ce pignon passe à la cadrature, & porte quarrément une assiette sur laquelle est rivée la piece a a. Sur le prolongement de cette tige est ajustée la piece S o n qui porte une dent partagée en deux parties, dont l'une est plus saillante que l'autre. Ce cylindre ou piece S o peut monter & descendre sur cette tige, dont la partie qui passe à-travers le cylindre est ronde.

La partie o de la piece S o n a une petite tige cylindrique, qui passe à-travers la piece a a, qui par ce moyen en tournant entraîne avec elle la piece S o n. C'est la partie n ou dent qui fait tourner la roue annuelle B fendue à rochet de 366 dents ; elle est maintenue par un sautoir ; aux années bissextiles la partie la moins saillante de la dent de la piece S o n fait passer à chaque tour de la piece a a une dent de la roue annuelle, & lui fait faire un tour en 366 jours.

Dans les années de 365 jours, la partie la moins saillante de la dent fait passer 364 dents de la roue annuelle, & les deux dents de cette roue qui restent encore sont prises en un seul tour de la piece a a par la partie la plus saillante de la dent ; ensorte que les 366 dents de la roue annuelle sont prises en 365 fois qui répondent à autant de jours. Il reste à voir comment la piece S o n change de position & monte pour présenter à la roue annuelle trois fois en quatre ans la partie la plus large de sa dent. L'étoile L divisée en huit parties est mue par deux chevilles que porte la roue annuelle, dont une fait passer une dent de l'étoile le 31 Décembre à minuit, & l'autre le 29 Février à la même heure. Cette étoile porte une plaque qui passe entre la roue annuelle & le cadran, où est gravé premiere, deuxieme, troisieme année, & année bissextile, lesquelles paroissent alternativement à-travers une ouverture faite pour cet effet au cadran. Cette étoile porte les trois parties p p p, qui sont des plans inclinés, qui servent à éloigner de la piece a a trois fois en quatre ans la piece S o n, & lui font présenter la partie n de la palette pour faire passer deux dents de la roue annuelle. Le ressort m est pour faire redescendre la piece S o n aussi-tôt que le plan incliné lui en donne la liberté, ce qui se fait à l'instant que la palette fait passer la dent de la roue annuelle qui répond au premier Mars.

La dent de l'étoile parvenue à l'angle du sautoir g est obligée de parcourir un espace qui éloigne en même tems le plan S de la piece S o, laquelle a un intervalle creusé dans la longueur du cylindre S. C'est dans cette partie que le plan incliné vient agir pour faire monter la piece o S n.

Cette méthode de marquer les années bissextiles & de faire mouvoir la roue annuelle, quoique plus simple que celle qu'on avoit suivie jusqu'au tems que je construisis cette pendule, ne m'ayant pas encore satisfait, j'ai cherché depuis un nouveau moyen, qui étant plus simple conserve toute la solidité possible ; ce que je compte avoir trouvé, ainsi qu'on le verra à la suite de la description que je donne d'une pendule à équation où je l'ai appliquée ; la comparaison de ces deux constructions m'a persuadé que l'on ne parvient pas sûrement à faire des machines simples, sans avoir vû ou passé par les composées.

La roue A est celle du tems moyen qui engrene à l'ordinaire dans celle C de renvoi, dont le pignon engrene dans celle de cadran : sur cette roue A est attachée une partie I L de cuivre, laquelle porte un petit pont R qui fait une espece de cage pour l'étoile E fendue en 20 parties. Cette étoile porte un pignon à lanterne de quatre dents qui engrenent dans la roue b du tems vrai ; c'est en faisant tourner l'étoile de l'un ou de l'autre côté, que l'on fait avancer ou retarder la roue du tems vrai, sans que celle du tems moyen se meuve. Le levier F T mobile au point Z sert à produire cette variation. La partie T de ce levier porte deux chevilles, celle de la partie supérieure sert à faire retarder l'aiguille du tems vrai, & l'autre au contraire à la faire avancer ; ce sont les différents diametres de la piece O taillée en limaçon, qui déterminent la quantité de dents qu'une des chevilles doit faire passer, & dans quel sens elle doit le faire. Ces pas de limaçons sont déterminés par l'équation du jour, chaque pas de la piece o comme q sert pendant que l'équation est constante (puisqu'ils sont tous formés par des portions de cercle concentrique à la roue annuelle, & par conséquent à la piece O fixée sur la roue annuelle), & ils changent lorsque l'équation varie.

Le levier F T peut se mouvoir non-seulement en tournant sur ses pivots, mais encore monter & baisser, suivant leur longueur ; l'assiette de ce levier repose sur la piece a a ; cette piece a une entaille x, qui se présente à l'assiette à chaque 24 heures à 11 du soir, & lui permet de s'y enfoncer ; alors le levier présente l'une ou l'autre de ses chevilles à l'étoile E, qui emportée par la roue des minutes du tems moyen, rencontre une des chevilles du levier T, laquelle s'engage entre les rayons de l'étoile, & la fait tourner plus ou moins, suivant que la cheville se présente loin ou près du centre ; c'est cette quantité qui représente l'équation diurne : à minuit, l'entaille dans laquelle l'assiette étoit descendue, continuant à se mouvoir, fait remonter le levier par un plan incliné fait à l'entaille. Le levier reste élevé jusqu'à 11 heures du soir suivant, ce qui empêche les chevilles qu'il porte de s'engager pendant tout ce tems dans les dents de l'étoile, quoique l'étoile fasse la même révolution, & soit toûjours emportée par la roue des minutes.

La piece D que porte cette roue est pour faire équilibre, non-seulement avec l'étoile & sa petite cage, mais encore avec l'aiguille des minutes du tems moyen ; l'aiguille du tems vrai est d'équilibre par elle-même.

Pour que les enfoncemens des portions de limaçon puissent être plus grands, & par-là ôter toutes les erreurs qui en pourroient résulter (comme, par exemple, qu'une des chevilles qui fait tourner l'étoile ne se présente pour faire passer trois dents au lieu de deux, &c.) ; la piece a a porte une cheville qui, pendant que la dent de la piece o s n en fait passer une de la roue annuelle, éloigne la partie F du levier F T des pas de limaçon les plus élevés de la piece O ; en sorte que ces pas de limaçon n'exigent point de plans inclinés pour faire passer le levier F T à un pas plus élevé.

Lorsque la palette de la piece o n S a fait passer une dent de la roue annuelle, la piece a a continuant à se mouvoir, lorsque la sonnerie frappe telle heure ; l'entaille y du levier F T, sert à y laisser entrer la cheville, & permet au levier de reprendre sa situation naturelle, & par conséquent à la partie F du levier de poser sur la portion de cercle qui se présente ; c'est après ces changemens que l'entaille x se présente à l'assiette du levier F T, & que se fait, comme on l'a vû, le changement d'équation.

J'ai fait graver sur la roue annuelle, dans une partie au-dessous de celle des mois, & de leurs quantiemes, la différence du tems vrai au tems moyen ; afin que si on laissoit la pendule arrêtée, on la puisse remettre à l'équation, sans le secours d'une table ; il n'y a que ce cas particulier qui oblige de retoucher à cette équation, puisqu'en faisant tourner l'aiguille des minutes du tems moyen, celles du tems vrai & de cadran tournent aussi.

Je joins ici une table particuliere que j'ai dressée pour tailler la courbe ou piece o : elle sert à déterminer l'espace qui doit être compris depuis chaque pas de limaçon jusqu'à l'autre ; & pour ne rien laisser à desirer, & éviter l'embarras où pourroient se jetter ceux qui voudroient exécuter ces sortes de pendules, je marquerai les moyens que j'ai mis en usage pour plusieurs de ces ouvrages que j'ai exécuté sur ce principe avec beaucoup de facilité. J'aurois dû remettre ce qui regarde l'exécution pour la fin de cet article, que je terminerai par la partie de l'exécution ; mais comme les moyens d'opérer pour cette construction-ci lui sont particuliers, & ne peuvent servir à d'autres, il me paroît plus naturel de les placer immédiatement après la description.

J'ai ajusté sur la plaque du cadran la piece ponctuée l l, qui passe sous le levier F, qui peut parcourir un certain espace dessus cette piece l l. Elle a une entaille au-travers de laquelle passe une vis taraudée dans un morceau de cuivre i ; de sorte que par la pression de cette vis, je puis rendre le levier immobile au point que je veux.

Je fixe d'abord le levier, en sorte que ni l'une ni l'autre cheville de la partie T ne puissent s'engager dans l'étoile E ; & là je trace sur le plan 2 de la piece l un trait qui soit fin, & près du levier qui me sert de regle, je marque zéro sur ce trait qui me servira pour tracer les parties de la courbe, où d'un jour à l'autre l'équation n'est ni augmentée, ni diminuée : je fais changer le levier de position, & le place de sorte que la cheville supérieure puisse s'engager pour faire tourner une dent de l'étoile ; ce qui répond à cinq secondes, & marque 1 sur ce trait, & continuant les mêmes opérations en marquant successivement 1 dent, 2, 3, &c. jusqu'à-ce que le levier s'engage assez avant dans l'étoile pour faire changer six dents, lesquelles feront 30 secondes, qui est la plus grande quantité dont le Soleil varie en 24 heures. Sur ce côté je marque retarde, afin de me souvenir que c'est pour faire retarder l'aiguille du tems vrai ; ensuite je fais passer mon levier de l'autre côté du trait de zero, & je marque quatre traits, avec les soins que j'avois pris pour les autres, c'est-à-dire que l'un réponde à l'enfoncement qu'exige la cheville inférieure pour faire tourner l'étoile d'une dent, & ensuite de 2, 3 jusqu'à 4 qui feront 20 s. & marquer de ce côté avance. Ceci détermine donc tous les enfoncemens des pas de limaçon ; il n'est plus question que de leur longueur qui est marquée dans la table ci-après.

La roue annuelle, l'ellipse, & le levier étant ainsi en place, je fixe le levier sur le trait de zéro, & fais tourner la roue annuelle, & la mets au 18 de Mai ; & par un trou percé au point F du levier F T, je marque un point sur la courbe ; il faut ensuite faire passer une dent de la roue annuelle, ce qui donnera le 19 Mai, & mettre le levier sur le trait 1, côté du retard, marquer un point sur la courbe avec le foret ; ensuite faire passer la roue annuelle au 30 Mai, marquer encore un point, & suivre ainsi la table jusqu'à-ce que la révolution annuelle soit faite : enfin percer des trous fins pour tous les points marqués, & tirer des traits de compas par tous les trous qui se trouvent à la même distance du centre ; les pas formés, il ne s'agira plus, l'ayant limée, que d'égaler la piece O ; la piece l l servira encore pour cela. Cette opération faite, les pieces ponctuées i l l 2 deviendront inutiles, & ne doivent pas rester attachées à la plaque ; elles peuvent servir au contraire pour tracer d'autres courbes semblables.

Table pour tracer la courbe de la pendule ci-dessus calculée, pour les années bissextiles & communes.

Des pendules à heures & minutes du Soleil, lesquelles ne marquent point le tems moyen. De celle du pere ALEXANDRE. La roue annuelle fait sa révolution en 365 jours 5 heures 48 minutes 58 secondes 38/49 de secondes.

Je dois joindre ici les nombres des roues & pignons que le pere Alexandre a employés pour cette révolution annuelle astronomique. Les voici pour tout le roüage comme il l'a donné.

Rochet 30, pignon 88.

Roue moyenne 60.

Pignon 10.

Roue des minutes ou d'une heure 80.

La roue de douze heures 96.

Pignon 7.

Roue suivante 50.

Pignon 7.

Roue pénultieme 69.

Pignon 8.

Derniere roue, ou annuelle 83.

Cette révolution astronomique est fort exacte, & est sans contredit une des meilleures que l'on ait employées. Ceux qui voudront faire mouvoir différentes planetes, doivent consulter le pere Alexandre pour les calculs. M. Camus dans son Traité de méchanique statique, III. part. a donné les calculs de différens roüages ; il y a joint celui d'une révolution annuelle, qui ne differe de la révolution annuelle moyenne du Soleil, que d'une seconde 14 tierces. En voici les nombres : une roue de 12 heures porte un pignon 4, qui engrene dans une roue de 25 ; celle-ci porte un pignon 7, qui engrene dans une roue de 69 ; celle-ci porte un pignon 7, qui fait mouvoir la roue annuelle de 83, qui fait la révolution en 365 jours 5 heures 48 minutes 48 secondes 46 tierces : une révolution de la Lune termine ce qu'il a écrit du calcul des planetes.

La roue annuelle du pere Alexandre porte une ellipse sur laquelle appuie un levier qui porte le pendule suspendu par un ressort qui passe bien juste dans une fente d'un coq, fait comme ceux des pendules à seconde ordinaires, le ressort peut monter & descendre dans cette fente ; c'est le coq qui donne le centre d'oscillation du pendule : ce coq est fixé sur la cage du mouvement. Pour produire les variations apparentes du Soleil, le pere Alexandre fait allonger & raccourcir le pendule ; effet qui est produit par l'ellipse, dont les diametres sont donnés en raison de l'allongement ou racourcissement qu'exige le pendule pour faire avancer ou retarder de telle quantité en 24 heures ; il est entré là-dessus dans des détails fort étendus, qu'on peut voir dans son livre page 147. Sa théorie a sans doute le mérite de la simplicité ; mais pour l'approuver, il ne faut pas faire attention aux inconvéniens que la pratique entraine ; une seule erreur détruit tout l'édifice : l'erreur la moins sensible que puisse avoir la courbe, produira une variation sensible aux aiguilles ; car je suppose que le pendule soit trop court par l'inégalité de l'ellipse de la douzieme partie d'une ligne, le pendule avancera de 12 secondes en 24 heures, &c. toutes les vibrations qu'elle fera pendant ce tems, se feront en moins de tems qu'elles ne devroient ; & cette erreur multipliée par leurs nombres, donnera les 12 secondes pour 1 point seulement, & chaque jour même difficulté ; & d'ailleurs cette méthode n'est pas pratiquable avec les pendules pesans, tels qu'on les fait aujourd'hui, & dont les propriétés ont été bien démontrées de nos jours par M. de Rivaz ; & enfin, je ne sens pas trop l'avantage d'un pendule, qui divise le tems en des parties inégales seulement : il étoit cependant àpropos de donner une idée de cette construction, pour l'intelligence de tout ce qui a rapport à l'équation ; & de plus, je suis persuadé que la connoissance de toutes sortes de méchanismes aide beaucoup à d'autres constructions, pour produire certains effets ; quoiqu'ils n'ayent cependant pas de relations apparentes avec ce qui en a fait naître la premiere idée ; ainsi il n'y a rien à négliger de ce qui regarde les arts méchaniques ; il faut cependant toûjours supposer de l'intelligence dans celui qui en fait une nouvelle application à d'autres objets.

Description d'une cadrature d'équation à heures & minutes du tems vrai, par M. DE RIVAZ, fig. 38 A. L'ellipse O est portée par une roue qui fait un tour en un an, laquelle est menée par un pignon du mouvement qui passe à la cadrature ; la partie E du levier D E F, porte un rouleau qui appuie sur l'ellipse : ce levier est mobile au point D, & tient à la piece B C par une vis à assiette n ; en sorte que la courbe en faisant monter & descendre le levier, fait nécessairement monter & descendre cette piece B C, qui est une plaque de cuivre qui pose sur la platine du mouvement ; la plaque B C a une entaille formée par une portion du cercle o x, dont le centre est celui r de la roue a ; m est une vis à assiette, qui tient à la platine, & donne la liberté à la piece B C de se mouvoir, suivant l'entaille o x ; sur la plaque B C est attaché le pont P, par le moyen de deux vis. Le pont P & la plaque B C forment une cage, dans laquelle se meuvent la roue d de cadran & le pignon e, l'un & l'autre ayant un centre commun. La tige de ce pignon est de grosseur & de longueur nécessaires, pour que sur la prolongueur qui passe à-travers le canon de la roue de cadran, soit fait un quarré pour porter l'aiguille des minutes.

Le pignon e engrene dans la roue R de renvoi, qui se meut sur une tige ou tenon, fixée sur la plaque B C : cette roue porte un pignon qui engrene dans la roue de cadran, & lui fait faire un tour en douze heures. Le pignon e engrene dans la roue a, rivée sur la tige d'une roue du mouvement qui passe à la cadrature, & est portée par le petit pont p : la roue a fait donc mouvoir le pignon, & par conséquent la roue R, & celle de cadran, qui toutes sont portées par le pont P & la piece B C, excepté la roue a. Or, si on suppose que l'ellipse tourne, la piece B C ainsi que toutes celles qu'elle porte, monteront & descendront suivant la portion du cercle o p : ainsi le pignon e parcourra un espace autour du centre de la roue a, ce qu'il ne peut faire sans tourner en même tems sur lui-même ; c'est ce dernier mouvement qui produit les variations apparentes du Soleil. L'espace que le pignon e doit parcourir autour du point r, sera environ la moitié de la circonférence de ce même pignon, quantité qui répondra aux 30' 53" de variations du Soleil. Si donc on suppose que le diametre du pignon e soit de six lignes, son centre montera ou descendra de 10 à 11 lignes environ ; espace qu'il parcourra autour du point R, suivant la ligne S u.

Quoique l'on puisse diminuer ce diametre, on ne pourra le faire assez pour que le centre des aiguilles ne differe sensiblement de celui du cadran ; ce qui causeroit une variation : d'ailleurs, de cette diminution de diametre il en résulteroit un plus grand ballotage à l'aiguille des minutes ; c'est ce qui a obligé M. de Rivaz à faire porter le cadran par le pont P ; ainsi il monte & baisse dans la boîte, suivant l'espace que parcourt la piece B C, ou le pignon e.

On pourroit peut-être croire que la pesanteur du cadran doit causer une résistance, qui exigera que le mouvement ait un ressort plus fort, ou un poids plus pesant ; mais si on fait attention à la lenteur du mouvement de l'ellipse, & au peu d'espace parcouru, l'objection sera réduite à rien.

DES CONSTRUCTIONS d'équation par une seule aiguille, & à cadran mobile.

Description d'une montre d'équation à secondes concentriques, marquant les quantiemes du mois & mois de l'année, par FERDINAND BERTHOUD, fig. 39 A, 40 A, & 41 A. La figure 39 A représente le cadran de cette montre ; l'aiguille des secondes est entre celle des minutes & celle des heures ; l'aiguille des minutes est de deux parties diamétralement opposées, dont la plus grande marque les minutes du tems moyen sur le grand cadran, & l'autre où est gravé un soleil, marque les minutes du tems vrai sur le cadran A qui est au centre du premier. L'ouverture C faite dans le grand cadran, est pour laisser paroître les mois de l'année gravés sur la roue annuelle, ainsi que les quantiemes qui le sont de cinq en cinq ; l'usage de ces quantiemes est principalement pour remettre la montre lorsqu'elle a été arrêtée, ensorte que l'équation réponde exactement à celle du jour où l'on est.

Figure 41 A. L'étoile e dont un des rayons passe toûjours par une entaille faite à la fausse plaque, donne la liberté en la faisant tourner, de faire mouvoir la roue annuelle.

La montre se remonte par-dessous ; ce qui m'a fait appliquer au fond de la boîte un cercle de quantieme, construit comme ceux dont parle M. Thiout, traité d'Horlogerie, tome II. pag. 387.

Figure 40 A. Cette figure représente l'intérieur de la fausse plaque, qui porte en-dehors le grand cadran qui est fixé contre cette plaque, & dessous sont ajustées les pieces qui forment l'équation, où donnent les variations du Soleil. A est la roue annuelle de 146 dents fendues à rochet, mise immédiatement sous le cadran, & tourne sur un canon que porte la fausse plaque, sur laquelle elle s'appuie par son plan. L'ellipse B est attachée sur la roue annuelle ; cette ellipse fait mouvoir le rateau m, qui engrene dans le pignon n, lequel est porté par un canon qui passe dans l'intérieur de celui de la fausse plaque. Sur le canon où est fixé le pignon n, est attaché en-dehors le cadran A du tems vrai : on voit qu'en faisant mouvoir la roue annuelle & l'ellipse, ce cadran doit nécessairement se mouvoir, tantôt en avançant, & ensuite en rétrogradant, suivant qu'il y est obligé par les différens diametres de l'ellipse ; ce qui produit naturellement les variations du Soleil. Venons au moyen dont je me sers pour faire mouvoir la roue annuelle ; c'est en remontant la montre à chaque 24 heures, que l'étoile e par le moyen de deux palettes opposées qu'elle porte, fait tourner la roue annuelle, & lui fait faire une 365e partie de sa révolution.

Figure 41 A. Le garde-chaîne de la montre est fixé sur une tige, dont les pivots se meuvent dans les deux platines, & peut y décrire un petit arc de cercle ; un de ces pivots porte un quarré, sur lequel est ajusté dans la cadrature le levier d à pié de biche.

Lorsqu'on remonte la montre, le garde-chaîne e c ponctué, fixé sur la tige & mis entre les deux platines, est soûlevé par la chaîne jusqu'à-ce qu'il soit à la hauteur du crochet de la fusée : ce crochet lui donne un petit mouvement circulaire, qu'il communique au pié de biche d, dont l'extrémité s'engage dans l'étoile e qui est à cinq rayons, & fait passer un de ces rayons toutes les fois que le crochet de la fusée pousse le garde-chaîne.

L'étoile est assujettie par un valet ou sautoir, qui lui fait faire sûrement la cinquieme partie d'un tour, & l'empêche de revenir en sens contraire lorsque le pié de biche se dégage. L'axe de cette même étoile porte, comme je l'ai dit, deux palettes opposées pour conduire la roue annuelle, ensorte que deux dents de cette roue passent nécessairement en cinq jours ; ce qui lui fait faire sa révolution en 365 jours. Sur la fausse plaque, fig. 41 A, est attaché un ressort qui sert de sautoir pour maintenir la roue annuelle ; ensorte que les palettes que porte l'étoile ne puissent lui faire passer ni plus ni moins de deux dents pendant une des révolutions de cette étoile.

D'une pendule à équation à secondes concentriques, marquant les mois & quantiemes des mois, les années bissextiles, & va treize mois sans être montée, par FERDINAND BERTHOUD. La suspension du pendule est à ressort ; l'échappement est celui de Graham renversé, disposé pour faire décrire au pendule d'aussi petits arcs que l'on veut.

Le roüage du mouvement est composé d'une roue plus que les pendules à 15 jours. La premiere roue du mouvement engrene dans un pignon, qui fait un tour en trois jours ; la tige de ce pignon porte trois palettes ou dents, qui engrenent successivement dans la roue annuelle, fendue sur 366 à rochet, & maintenue par un sautoir. Cette roue porte, comme celle de la montre, une ellipse qui agit sur un rateau, dont le mouvement alternatif se transmet au cadran d'équation, par le moyen d'un pignon placé sur le canon du cadran concentrique à celui des heures & minutes du tems moyen. La construction de cette partie de la pendule est absolument semblable à celle de la montre ; ainsi je ne m'y arrêterai pas. Je passe donc à la construction d'année bissextile, dont j'ai parlé ci-devant.

Figure 42 A. Les années communes & bissextiles sont marquées par la révolution d'un petit cadran C, tel que celui de la pendule que j'ai décrit ci-devant, lequel reçoit son mouvement de la roue annuelle A, de 366 dents fendues à rochet, & maintenues par un sautoir ; des chevilles posées sur cette roue, agissent sur l'étoile B de huit rayons, & déterminent les positions de ce petit cadran divisé en quatre années.

Pour que la roue annuelle marque exactement les jours du mois, il faut que pendant trois années consécutives les dents de cette roue, qui répondent au 29 Février & premier Mars, passent le même jour ; tandis qu'à l'année bissextile, ces deux mêmes dents passent en deux jours. Venons actuellement au moyen que j'ai employé. Une des chevilles de la roue annuelle qui répond au premier Janvier, fait tourner l'étoile A de huit rayons d'un huitieme de sa révolution, & fait indiquer au cadran C que porte l'étoile, la premiere, seconde, troisieme année, ou l'année bissextile ; une autre cheville qui répond au 28 Février, fait encore tourner cette étoile d'un autre huitieme. La palette S qui fait mouvoir la roue annuelle, ayant fait passer la dent qui répond au 29 Février, le rayon de l'étoile qui se trouve actuellement en action avec le valet, est parvenu à l'angle de ce valet, lequel acheve de faire parcourir un espace à l'étoile A, dont un rayon vient poser sur une troisieme cheville que porte la roue annuelle ; ce qui oblige celle-ci de se mouvoir de la quantité d'une dent qui répond au premier Mars : ainsi la dent que fait passer la palette, & celle que le valet & l'étoile ont obligé de se mouvoir, font les deux dents qui passent en un seul jour, ce qui donne les années communes qui se succedent trois fois de suite ; & comme la quatrieme doit avoir un jour de plus, le rayon de l'étoile qui y répond est entaillé, de sorte qu'il n'a point d'action sur la cheville du premier Mars : ainsi les deux dents du 29 Février & premier Mars passent en deux jours.

Je fais marcher cette pendule pendant treize mois avec deux poids égaux de dix livres, qui agissent alternativement sur le roüage, & ne descendent que de 15 pouces. J'ai réduit la chûte à cette quantité, pour éviter les inconvéniens qui résultent de l'approche des poids contre la lentille qui parcourt de très-petits arcs.

Le cylindre où s'enveloppe la corde qui porte le poids, est un mois à faire la révolution ; son diametre est d'environ deux pouces, ensorte que pour 15 pouces de chûte d'un poids mouflé, il fait six tours 1/2. Pour doubler ce tems, j'ai fixé au milieu de la boîte au-haut une poulie où passe la corde du mouvement, laquelle passe encore par une poulie mobile du second poids ; le bout de cette corde est enfin fixé au côté de la boîte, opposé à celui par où descend la corde depuis le cylindre ; cette même corde porte donc deux poids à-peu-près d'égale pesanteur, à cela près que le second doit être plus pesant de la quantité qu'il faut pour vaincre le frottement des pivots des poulies. Lorsque le premier poids descend de quinze pouces, la corde qui mene le mouvement se développe de trente pouces ; & ce poids étant alors arrêté sur une planche qui l'y oblige, le second commence à descendre, jusqu'à-ce que descendu au même point, il ait développé la corde d'une même quantité. Ce développement de soixante pouces répond à treize révolutions du cylindre, qui font mouvoir la pendule pendant treize mois.

De l'exécution des pendules à équation. La difficulté de l'exécution de ces sortes de machines dépend en partie de la construction que l'on a adoptée ; en général la plus grande difficulté naît de la courbe : c'est aussi à la façon de la tailler que je m'arrêterai ; les autres parties sont des engrenages. Or pour exécuter le moindre ouvrage d'Horlogerie, il faut savoir faire des engrenages de même que des ajustemens avec intelligence ; ainsi je puis me dispenser d'entrer dans les détails où m'entraîneroient ces différens objets : d'ailleurs ceux qui n'ont qu'une foible connoissance de l'engrenage, doivent recourir à l'article Engrenage. Voyez ENGRENAGE.

Pour tailler une courbe ou ellipse, il faut commencer par remonter la cadrature d'équation, former des repairs ; si c'est une construction qui en exige, attacher le cadran, mettre la roue annuelle en place, ainsi que l'ellipse, & le levier qui doit appuyer dessus ; percer un trou à ce levier : ce trou doit d'abord servir 1° à tracer la courbe, 2° à porter une fraise ou lime circulaire dont je parlerai bien-tôt, & enfin il doit porter un cylindre pour appuyer sur l'ellipse lorsqu'elle est finie ; ce trou doit être percé de sorte que dans les différens points où l'ellipse le pousse, il fasse à-peu-près une tangente de cette courbe.

Il faut après que cela est ainsi disposé, mettre en place les aiguilles du tems vrai & moyen, & fixer cette derniere à 60 minutes précises.

Alors faisant mouvoir celle du tems vrai, & par son moyen le levier ou rateau, on mettra la roue annuelle au premier Janvier, par exemple ; & voir dans une table d'équation, soit celle de la connoissance des tems qui a pour titre, table du tems moyen au midi vrai, ou autres, la quantité dont le Soleil avance ou retarde le premier Janvier par rapport au tems moyen ; & conduisant l'aiguille du tems vrai au nombre de minutes & secondes indiquées, prendre le foret avec lequel on a percé le trou du levier ou rateau, & marquer un point sur la plaque qui doit former la courbe. Cette opération faite, il faut faire passer cinq divisions de la roue annuelle qui répondent à cinq jours, ce qui par conséquent donnera le cinq Janvier on verra dans la table l'équation dudit jour, & l'on conduira l'aiguille du tems vrai à la quantité que marque la table ; & comme au premier Janvier on marquera un point sur la plaque, ainsi de cinq jours en cinq jours on fera de même, jusqu'à ce que la révolution annuelle soit achevée. Les points marqués par le foret détermineront donc la figure de la courbe, il ne s'agira plus que de la tailler ; lorsque l'on aura percé un trou à chaque point marqué, on pourra avec une petite scie couper cette courbe, en ne faisant qu'effleurer les trous, & reservant pour les emporter à le faire avec une lime.

Une courbe taillée avec les soins que je viens d'indiquer, pourroit être assez juste ; cependant pour y donner un plus grand degré de perfection, il faut l'égalir avec une fraise ou lime circulaire d'environ 3 lignes de diametre ; cette fraise porte deux pivots, dont un roule dans le trou qui a servi à marquer la courbe, & l'autre est porté par un petit pont attaché sur le rateau.

La fraise mise dans cette espece de cage porte un cuivrot ou poulie, dans laquelle on fait passer une corde d'archet, par le moyen duquel faisant tourner la fraise, on emporte la matiere qu'il y a de trop à certaine partie de la courbe.

Pour cet effet on verra la table d'équation, & de quelle quantité l'aiguille du tems vrai differe du nombre des minutes & secondes données pour tel jour ; mais il faut observer avant de rien limer à la courbe, que le diametre de la fraise, que j'ai supposé de 3 lignes, éloigne par conséquent d'une ligne & demie le rateau de la courbe de plus qu'il ne l'étoit lorsqu'il a servi à la tracer, ce qui changera nécessairement la situation de l'aiguille du tems vrai : ainsi pour faire reprendre à cette aiguille la place que détermine la table d'équation, il faudroit emporter tout-autour de la courbe la grandeur du rayon de la fraise, ce qui seroit un ouvrage inutile, pénible, & qui rendroit la courbe plus petite qu'elle ne doit être. Pour parer cette difficulté, je fais le levier de deux pieces ; celle qui agit & pose sur la courbe, peut se mouvoir séparement de l'autre partie du rateau ; de sorte qu'on éloigne & approche la partie qui touche la courbe, jusqu'à ce qu'appuyant sur cette courbe au point où elle est trop enfoncée, l'aiguille marque l'équation répondant audit jour. Alors ayant fixé ensemble les deux parties du rateau, on emportera d'abord de cinq jours toutes les parties de la courbe où il y a trop de matiere, & on limera les intervalles lorsque l'on aura fait la révolution.

Enfin on peut après cela y toucher à chaque jour, & l'égalir jusqu'à ce que l'aiguille marque exactement l'équation ; il ne sera plus question que de substituer en place de la fraise un rouleau de même diametre qui tournera dans les mêmes trous, lequel appuyera sur l'ellipse.

Pour tailler une courbe avec beaucoup de précision, il ne suffit pas de diviser par la simple vûe chaque division des minutes du cadran, en des parties que l'on suppose être de 30 secondes, de 15, de 10, de 5, &c.

Il faut de plus les diviser en effet avec un compas, de sorte que chaque division de minutes soit divisée en douze autres parties, plus ou moins, suivant la précision que l'on voudra donner à sa courbe.

Je joins ici une table d'équation, qui pourra servir à tracer les courbes, & à faire connoître la variation du soleil. Je la dressai il y a quelques années d'après celle de la connoissance des tems ; j'y fis quelques changemens, qui m'ont paru en rendre l'usage plus facile.

Il y a dans la connoissance des tems deux tables différentes pour l'équation du tems ; je dirai dans la suite de cet article la raison qui m'a fait préférer celle-ci.

M. Pingré chanoine régulier de sainte Génevieve, & correspondant de l'académie royale des Sciences, dans son état du ciel, pour les années 1754 & 1755 ; dont il a été parlé au mot EPHEMERIDES, donne aussi une table de l'équation de l'horloge à la derniere colonne de la premiere page de chaque mois : cette table est différente de celle qu'on trouve dans la connoissance des tems à la derniere colonne de la seconde page de chaque mois. Nous ne faisons ici usage ni de l'une ni de l'autre ; mais celle de M. Pingré étant tantôt en avance, tantôt en retard, nous paroît plus commode que celle de la connoissance des tems, par la raison qu'on verra plus bas, & qui nous fait préférer la seconde table de la connoissance des tems à la premiere.

Dans la table que je donne ici, la premiere colonne indique le jour du mois, la seconde marque de combien le Soleil retarde ou avance sur la pendule : par exemple, au premier Janvier le Soleil retarde de 3' 59", c'est-à-dire qu'il est midi vrai, quand la pendule marque midi 3' 59" ; la troisieme colonne marque la différence d'un jour à l'autre : ainsi du premier au 2 Janvier le Soleil retarde de 29" de plus, &c.

TABLE de la différence du tems vrai au tems moyen pour le Midi de chaque jour, au Méridien de Paris.

De l'usage de la table d'équation, pour regler les ouvrages d'Horlogerie. Après avoir parlé de la cause des variations du soleil, de la construction des différens méchanismes propres à imiter ces effets, des moyens de les exécuter, & de se servir des tables d'équation pour tailler l'ellipse, je dois m'arrêter à l'usage que l'on fait de ces tables pour regler les pendules ordinaires, ainsi que les montres, & donner des méthodes pour en rendre l'usage facile.

Les pendules & montres ne peuvent marquer constamment que le tems moyen. Ces machines étant bien construites, ne sauroient diviser le tems qu'en des parties égales ; lors donc que l'on veut regler une pendule par le méridien, il faut savoir si la quantité de tems écoulée entre le passage du soleil au méridien d'un jour, est égale à celle de son retour au même point pour un autre jour.

Les tables d'équation servent particulierement à indiquer les différences du retour du soleil, ainsi il reste à donner les moyens de s'en servir ; avant de le faire, il est à propos de faire connoître les deux sortes de tables d'équation que donne l'académie des Sciences, lesquelles sont jointes & font partie de la connoissance des tems.

Quoiqu'il n'y ait qu'une seule équation ou différence du tems vrai au tems moyen du soleil, cette différence peut cependant être exprimée différemment, suivant l'époque ou point d'où l'on part : pour la former on a construit deux tables d'équation, comme on le peut voir dans la connoissance des tems.

Dans la premiere espece de table, qui est celle que donne la connoissance des tems à la sixieme colonne de la seconde page de chaque mois, pour tous les jours de l'année, la variation du soleil est toûjours dans le même sens ; ensorte qu'une pendule réglée sur le tems moyen, mise le premier Novembre (époque que l'on a choisie pour la construction de cette table) avec le Soleil à son passage au méridien, avancera en certains tems de l'année de 30' 53" sans être jamais en retard ; ainsi le Soleil retardera toûjours sur le tems moyen. Une pendule mise sur cette table de l'équation de l'horloge, ne se trouvera juste avec le Soleil qu'une fois par an, qui est le premier Novembre, jour où elle est supposée avoir été mise avec lui à son passage au méridien.

La seconde table d'équation de la connoissance des tems a pour titre, table du tems moyen au midi vrai pour le méridien de Paris. Dans celle-ci on a partagé la somme de la variation du Soleil : ainsi une pendule reglée sur le tems moyen ne peut avancer que de 14' 44", mais doit retarder de 16' 9"; ces deux quantités forment la même variation 30' 53" de la premiere table.

Une pendule reglée sur cette seconde espece de table, se trouvera quatre fois par an avec le Soleil ; les deux tems vrai & moyen ne différeront pas l'un de l'autre le 15 Avril, le 15 Juin, le 31 Août, & le 23 Décembre. Quoique l'une & l'autre table d'équation puissent également servir à regler les montres & pendules, il auroit été fort-à-propos d'éviter au public le choix entre ces deux tables, en envisageant leur usage simplement relatif aux montres & pendules, ou comme ne devant servir qu'à regler ces machines.

Le tems moyen donné par l'une, sera, il est vrai, aussi propre à regler les pendules que le tems moyen donné par l'autre ; mais ces deux tems paroîtront différer, quoiqu'étant au fond une même chose ; car, pour en donner un exemple, une pendule qu'on aura reglée sur le moyen mouvement du Soleil, & qui aura été mise sur la premiere espece de table de l'équation de l'horloge, au passage du Soleil par le méridien le premier Novembre marquera midi juste, dans l'instant de ce passage du Soleil, tandis qu'une autre pendule, aussi reglée sur le tems moyen par la seconde table, retardera de 16' 9". Ce même jour les deux tems moyens donnés par ces deux tables & marqués par deux pendules, différeront donc entr'eux de 16' 9", & ainsi des autres tems de l'année.

Cette seconde espece de table, qui est celle que j'ai donné ci-devant d'après celle de la connoissance des tems ; cette table, dis-je, me paroît devoir être uniquement suivie, puisque la premiere n'a point d'autre propriété que la seconde, & que celle-ci au contraire a un avantage, c'est que le Soleil dans le tems qu'il est le plus éloigné de son moyen mouvement, ne l'est que de 16' 9"; & l'autre au contraire ayant toute l'erreur dans le même sens, peut en différer de 30' 53".

Méthode pour regler une pendule par le méridien, & lui faire suivre le tems moyen ou égal. Il faut mettre la pendule au moment du passage du Soleil par le méridien, à la quantité de minutes & de secondes que la table indique, ayant égard, si le jour proposé le Soleil avance, de mettre en retard l'aiguille ; & au contraire s'il retarde, d'avancer l'aiguille du nombre de minutes & secondes qui répond audit jour.

On verra le lendemain si la pendule se trouve au passage du Soleil par le méridien à la différence que la table marque pour ce jour ; si elle se rencontre, c'est une preuve qu'elle est reglée ; au contraire si elle excede cette différence, soit en avance ou en retard, il faut baisser ou hausser la lentille proportionnellement à l'erreur qu'elle aura faite, & au sens dont elle se sera écartée de la table.

On doit mettre la pendule en retard, si la table marque que le Soleil avance, par la raison que cette pendule étant proposée pour marquer le tems moyen, le Soleil ne peut avancer sans que ce tems ne soit en retard, & qu'au contraire il ne peut retarder sans que le tems moyen n'avance, puisque c'est d'après la comparaison de ces deux tems que la table a été faite.

Exemple. Le 18 Décembre on a vû le meridien, & mis la pendule à deux minutes 34 secondes (nombre que la table marque à ce jour) : on observera le lendemain si elle retarde de la quantité que la table donne pour le 19, qui est 2 minutes 4 secondes ; si elle se rencontre à cette quantité, c'est une preuve qu'elle est reglée.

Si elle a avancé sur ce nombre, baissez la lentille ; au contraire si elle a retardé, faites-la monter par l'écrou en raison de l'erreur qu'elle aura faite, & répétez la même opération jusqu'à ce qu'elle suive la différence que la table indique.

On peut se dispenser de voir tous les jours le méridien, & en laisser écouler plusieurs, en se souvenant du nombre, afin que si la pendule differe de la table, on touche à la lentille en raison du nombre de jours écoulés, & de celui de minutes & secondes dont elle a avancé ou retardé.

On peut aussi, lorsque la pendule est reglée, savoir l'heure du tems vrai, en voyant par la table d'équation de quelle quantité le Soleil avance ou retarde sur le tems moyen au jour proposé.

Méthode pour faire suivre le tems vrai à une pendule. Pour faire suivre ce tems à une pendule, il faut s'assujettir à conduire l'aiguille chaque jour suivant que le Soleil varie ; car il n'y a que les pendules à équation qui puissent suivre cette variation. Il faut donc avoir soin en faisant suivre à une pendule ordinaire le tems vrai, d'y toucher de tems à autre, en conduisant l'aiguille suivant que le Soleil avance ou retarde, & faire attention si la pendule s'éloigne chaque jour du Soleil du nombre de secondes marquées à la derniere colonne de chaque mois, ensorte que le mouvement de la pendule suive toûjours le tems moyen : la différence dont le Soleil varie d'un jour à l'autre est marquée à la derniere colonne de chaque mois ; on peut se servir de cette variation pour regler la pendule proposée, si elle avance ou retarde d'une plus grande quantité que cette différence de 24 heures, il faut toucher à la lentille à proportion de l'erreur.

Dans le cas où on ne pourroit pas voir le Soleil tous les jours, la méthode dont je viens de parler pour faire suivre le tems vrai à l'aiguille, & regler la pendule par la troisieme colonne, ou excès de 24 heures, deviendroit difficile.

Il faut donc avant de faire varier l'aiguille comme le Soleil, commencer par regler la piece sur le tems moyen (par la premiere méthode), après quoi il est très-facile de faire suivre à l'aiguille le mouvement du Soleil, comme on le verra par cet exemple, qui suppose la pendule reglée sur le tems moyen, à laquelle on veut faire suivre les variations du Soleil ou le tems vrai.

Exemple pour regler la pendule sur le tems moyen, en lui faisant suivre le tems vrai. Ayant mis le premier Mars la pendule avec le Soleil à son passage au méridien, observez le 13 du même mois le Soleil, qui depuis le premier s'est approché de trois minutes du tems moyen : voyez pour cet effet la table d'équation, laquelle marque pour le premier Mars, le Soleil retarde de 12' 36", & le 13 de 9' 36", donc il a avancé de 3 minutes. Si la pendule est reglée sur le tems moyen, elle doit être en retard du Soleil de cette quantité ; si elle en differe en plus ou en moins, il faut monter la lentille si elle retarde, & la baisser si au contraire elle avance.

Pour regler une pendule à secondes ou d'observation, il est à-propos d'avoir une montre à secondes, que l'on arrête sur midi, & à l'instant du passage du Soleil par le méridien, on la laisse marcher (les montres à secondes ont ordinairement un petit levier qui sert pour cela), de sorte que cette montre donne exactement l'heure du Soleil ; car avec un méridien que j'ai fait, je suis assûré du passage du Soleil par le méridien à cinq secondes près, je puis même dire à deux secondes ; ainsi ayant une table d'équation, on met la pendule à la quantité de minutes & secondes qu'elle indique ; de cette façon on peut regler une pendule avec beaucoup d'exactitude.

Quant aux pendules & montres ordinaires, il n'est pas besoin de cette grande précision, & on ne doit pas même l'attendre ; de sorte qu'on peut négliger quelques secondes que l'on appercevra de variation en un jour ; & même quand il y auroit 30 secondes pour les montres, on ne doit pas y faire attention ; le méridien peut aussi ne pas donner exactement l'instant de midi.

Description d'un moyen particulier de faire une révolution annuelle astronomique, de marquer les quantiemes des mois, les mois de l'année, & années bissextiles, par M. ADMYRAULD, horloger à Paris ; figures 42 A & 43 A. Cette piece est exécutée dès 1734 ; & quoique le méchanisme en soit assez ingénieux pour avoir mérité d'être présenté à l'académie, l'auteur ne l'a pas jugé à propos, & cela par un sentiment de modestie qui ne peut que lui faire honneur ; car de nos jours on cherche à se faire payer de la moindre production par des éloges, que l'on n'a pas toûjours mérités : quoi qu'il en soit, il a bien voulu me confier cette piece pour la faire dessiner & en faire part au public, auquel je crois faire un présent, quoique l'ouvrage paroisse trop composé & pouvoir se réduire à une moindre quantité de pieces ; mais rien n'est à négliger en fait d'arts, sur-tout lorsque la composition annonce du génie, & un homme qui possede son objet.

La roue annuelle A (fig. 42 A), fait sa révolution en 365 jours dans les années communes, & en 366 dans les bissextiles, par un moyen que nous allons expliquer.

Cette roue A fait mouvoir un petit roüage qui lui est particulier, composé des roues d e f & du volant g, mises dans une petite cage formée par la platine des piliers, & par la piece ponctuée p. La tige du pignon de la roue f passe à-travers la piece p, & porte quarrément un pignon r de 4 dents. Ce pignon engrene dans le cercle (A fig. 43 A), où sont gravés les quantiemes du mois, & lui fait faire une révolution en 31 jours. La roue f fait un tour chaque jour, lorsque les doubles détentes b e ont donné la liberté à la cheville que porte cette roue, de se dégager & de faire cette révolution. Ces détentes font le même effet que celle d'une sonnerie. La détente b est portée par le quarré d'une tige qui passe à-travers les platines. La partie de la tige qui passe à-travers l'autre platine, porte quarrément un levier qui est mû par une roue de la sonnerie, qui fait un tour en 24 heures ; laquelle porte une cheville qui fait agir les détentes b c, & dégage la cheville de la roue f.

Sur la platine des piliers, au-dessous de la roue annuelle, est fixé un barrillet, dans lequel agit un ressort qui fait tourner la roue annuelle, au moyen d'un encliquetage qu'elle porte, & sur lequel agit un rochet que porte l'arbre du barrillet dont le quarré va jusqu'au cadran, & sert à remonter ce petit roüage tous les quatre ans seulement.

On peut envisager ce roüage comme une espece de sonnerie, dont la plaque O est la roue de compte, qui fait faire 372 tours à la roue f, qui répondent à autant de jours, & font tous les mois de 31.

On conçoit que cette roue f n'étant dégagée qu'une fois chaque jour, à ne suivre que ce méchanisme, la roue annuelle feroit une révolution en 372 jours. L'effet de la plaque O est donc pour faire passer le nombre des jours dont la roue annuelle est composée, pour chaque mois, lesquels sont tous de 31, comme je viens de le dire, & qui excede celui dont tel mois est composé ; ensorte que si c'est un mois de vingt-huit jours, la roue f fera quatre tours en un seul jour, par le moyen de la partie saillante de la roue de compte O qui fait rester la détente c levée jusqu'à ce que la roue f ait fait quatre révolutions, & ainsi des autres mois.

La roue A emporte avec elle, en tournant, la roue d de 40 ; celle-ci engrene dans un pignon E de 10, à lanterne, fixé sur la plaque ponctuée p p : cette roue d fait donc un tour en quatre ans. Elle porte une plaque T, laquelle a une entaille où le levier q h entre tous les quatre ans une fois. Ce levier est porté par la roue annuelle ; il sert pour les années bissextiles ; c'est-à-dire à faire que la roue de compte présente une partie saillante moins large, & qui par conséquent ne fasse passer que trois jours, au lieu de quatre qu'il en doit passer dans les années communes de 365 jours, puisque l'on a dit que la roue annuelle est calculée pour faire une révolution en 372 jours, ensorte que chaque mois seroit de 31 jours : le mois de Février de l'année commune est donc composé de quatre jours de trop.

La partie saillante de la roue de compte a une largeur qui tient la détente levée jusqu'à ce que la roue f ait fait trois tours ; & la partie i du levier q h est mise contre la partie saillante de la roue de compte qui répond au mois de Février, & la rend plus large d'une quantité qui répond à un jour ; ainsi ces deux parties tiennent levées les détentes, & permettent à la roue de faire quatre tours qui répondent à quatre jours. Le levier q h reste dans cette position pendant trois années ; & à la quatrieme, qui est la bissextile, il entre dans l'entaille de la plaque T, & diminue pour lors la largeur de la dent saillante de la roue de compte ; de sorte que la roue f ne fait que trois tours pendant que la détente c reste levée : ainsi le mois de Février est composé par-là de 29 jours. Le cercle des mois marque aussi par ce moyen les quantiemes de mois exactement. Le levier b porte un bras à l'extrémité duquel il y a un pié-de-biche. Le bras s du levier b sert à faire changer à chacun de ses mouvemens une dent de l'étoile F de sept rayons, laquelle porte un chaperon où sont gravés les jours de la semaine.

La roue annuelle porte 12 chevilles, dont chacune sert & est placée à propos pour faire passer une dent de l'étoile M (fig. 43.), aussi de 12 rayons. Cette étoile porte un limaçon de 12 pas, sur lesquels appuie un bras du levier O. Ce levier monte & descend, suivant qu'il y est obligé par le limaçon P ; il sert à marquer les mois de l'année qui sont gravés sur la partie q r : ils paroissent alternativement à-travers de l'ouverture faite pour cet effet à la plaque ou cadran. L'étoile M porte une cheville qui fait mouvoir le levier a b c, mobile au point a, brisé en b, & dont la partie c sert à faire tourner l'étoile E de huit rayons. Cette étoile porte un limaçon de quatre pas différens, lesquels sont répétés diamétralement deux fois, ce qui fait huit pas. L'étoile E reste huit ans à faire un tour ; elle pourroit même n'en rester que quatre, puisque son usage est pour marquer les années bissextiles, & qu'elles ne sont que tous les quatre ans. Mais M. Admyrauld l'a fait, afin que le levier a b c ne fût pas obligé de faire un trop grand chemin pour faire passer une dent de l'étoile, qui ne seroit pour lors que de quatre. Les pas de limaçon f font monter & descendre le levier d e, & marquer les années communes & bissextiles qui sont gravées sur la partie e, & paroissent, comme ceux des mois, au-travers de la plaque. Chacune des étoiles dont j'ai parlé est maintenue par un sautoir, comme on le verra par les figures.

On peut fixer sur la roue annuelle une ellipse, & faire servir par ce moyen le mouvement annuel à faire marquer l'équation. C'est en l'envisageant aussi sous ce point de vûe que j'ai crû devoir joindre la description de cette piece à l'article équation. Cet article est de M. FERDINAND BERTHOUD, horloger.


EQUERRES. f. (Géometr.) C'est un instrument fait de bois ou de métal, qui sert à tracer & mesurer des angles droits, comme L E M, Planche de Géom. fig. 42.

Elle est composée de deux regles ou jambes, qui sont jointes ou attachées perpendiculairement sur l'extrémité l'une de l'autre. Quand les deux branches sont mobiles à un point, on l'appelle biveau ou fausse équerre. Voyez BIVEAU.

Pour examiner si une équerre est juste ou non, décrivez un demi-cercle A E F d'un diametre à discrétion ; & dans ce demi-cercle tirez de chaque extrémité du diametre A & F des lignes droites, vers un point pris à volonté dans la circonférence, comme E : appliquez l'équerre aux côtés de l'angle AEF, de maniere que son sommet soit en E. Si l'équerre s'ajuste exactement aux côtés de l'angle, elle est juste ; autrement, elle est fausse. Harris & Chambers.

On dit que deux lignes, &c. sont d'équerre, quand elles sont perpendiculaires l'une à l'autre.

EQUERRE D'ARPENTEUR, en terme d'Arpentage ; c'est un cercle de cuivre d'une bonne consistance, de 4, 5 ou 6 pouces de diametre. Pl. d'Arpent. fig. 17. On le divise en quatre parties égales, par deux lignes qui s'entre-coupent à angles droits au centre. Aux quatre extrémités de ces lignes & au milieu du limbe, on met quatre fortes pinnules bien rivées dans des trous quarrés, & très-perpendiculairement fendues sur ces lignes, avec des trous au-dessous de chaque fente, pour mieux distinguer les objets éloignés. On évide ce cercle, pour le rendre leger.

Au-dessous & au centre de l'instrument se doit monter à vis une virole, qui sert à soûtenir l'équerre sur son bâton de 4 à 5 piés (fig. 18.) suivant la hauteur de l'oeil de l'observateur. Ce bâton est garni d'un fer pointu par le bout qui entre en terre, & l'autre bout est arrondi, pour que la virole y reste juste.

Toute la précision de cet instrument consiste en ce que les pinnules soient bien exactement fendues à angles droits ; ce que l'on connoîtra facilement en bornayant par deux pinnules un objet éloigné, & un autre objet par les deux autres pinnules. Il faut ensuite tourner l'équerre bien juste sur son bâton, & regarder les mêmes objets par les pinnules opposées : s'ils se rencontrent bien exactement dans l'alignement des fentes, c'est une marque de la justesse de l'instrument.

Pour éviter de fausser cette équerre, il faut, 1° enfoncer en terre le bâton seul ; & quand il est bien affermi, placer ladite équerre sur la virole, par le moyen de sa vis.

On fait aussi de ces sortes d'équerres où l'on met huit pinnules, de la même maniere que celles décrites ci-dessus ; elles servent pour avoir les angles de 45 degrés, ainsi qu'aux Jardiniers pour aligner & planter des allées d'arbres en étoile.

Voici la maniere de se servir de cet instrument. Supposons qu'on veuille lever le plan du champ A B C D E (Pl. de l'Arpent. figure 24.), on plantera des jalons ou des piquets bien à-plomb à tous les angles ; on mesurera la ligne A C, & les perpendiculaires qui tombent des angles sur cette ligne, & l'on écrira séparément ces mesures. Pour trouver le point F, extrémité d'une des perpendiculaires, on plantera des jalons à discrétion sur la ligne A C, & l'on mettra le pié de l'instrument sur la même ligne, de maniere qu'à-travers deux alidades opposées on puisse voir deux des jalons plantés sur cette ligne ; & à-travers les deux autres alidades, le jalon E. Si dans cette station le point E n'est point visible, on reculera ou l'on avancera l'instrument, jusqu'à ce que les lignes AF, EF fassent un angle droit en F : par ce moyen on aura le plan du triangle A F E. On trouvera de la même maniere le point H où tombe la perpendiculaire D H, dont on mesurera la longueur avec celle de H F, pour avoir le plan du trapese E F H D.

On mesurera ensuite H C, qui fait un angle droit avec H D, & on aura le plan du triangle D H C. Il ne restera plus après cela qu'à trouver le point G, où tombe la perpendiculaire B G. On trouvera ce point de la même maniere que les autres, & on aura par ce moyen le plan de tout le champ A B C D E, dont on aura l'aire ou la surface en ajoûtant ensemble les triangles & les trapeses. Voyez AIRE, SURFACE, TRIANGLE, TRAPESE, &c. Voyez aussi ARPENTEUR, CHAINE, LEVER UN PLAN, &c. (E)

EQUERRE, (Architect.) L'équerre des Architectes n'a rien de particulier ; c'est une équerre commune, telle que celle des Géometres, dont on a donné la description au commencement de cet article. Il n'y a presqu'aucun art où elle ne soit d'usage, & nous y renverrons dans les articles suivans.

ÉQUERRE, en Architecture, s'entend aussi d'un lien de fer coudé, qu'on met aux poteaux corniers d'une encoignure de pan de bois, aux portes de menuiserie & à d'autres ouvrages. (P)

EQUERRES, (Hydrauliq.) sont des coudes qu'on est obligé de faire à une conduite, lorsque le dessein d'un jardin vous assujettit à des angles indispensables.

Equerre se dit encore de grosses plates-bandes de fer dont on garnit les angles des reservoirs de plomb élevés en l'air, pour soûtenir la poussée & l'écartement des côtés. (K)

EQUERRE, en terme de Bijoutier, est un instrument formant un triangle équilatéral, dont ils se servent pour tracer des angles.

EQUERRE dont se servent les Graveurs & Dessinateurs, est une planche de bois représentée figure 12. Pl. I. de la Gravûre, qui a deux arêtes, AB, CD, perpendiculaires l'une à l'autre ; & un trou D, pour pouvoir mettre le doigt & lever l'équerre facilement, & sans toucher à l'encre dont les arêtes peuvent être mouillées.

EQUERRE DES JARDINIERS, voyez EQUERRE DES ARPENTEURS.

EQUERRE DES MAÇONS, voyez EQUERRE DES GEOMETRES.

EQUERRE DES CHARPENTIERS, voyez EQUERRE DES GEOMETRES.

EQUERRE A EPAULEMENT, (Charpent.) Celle-ci ne differe de l'équerre ordinaire, qu'en ce qu'une des branches est triple en épaisseur de l'autre : c'est par cette raison qu'elle a un épaulement de chaque côté. Cet épaulement sert à soûtenir l'équerre ferme, lorsque l'on veut tracer une ligne. Voyez la fig. 10. Pl. des outils du Charpentier.

EQUERRE DU CHARRON, voyez EQUERRE DES GEOMETRES : ils en ont de grandes & de petites.

EQUERRE, outil de Graveur de poinçons à lettres, est un morceau de bois ou de cuivre plié en équerre (fig. 53. Planche III. de la Gravure) ; ensorte que la ligne AB, qui est l'angle ou jonction des deux parties de l'équerre, soit perpendiculaire au plan ou face de la pierre à l'huile sur laquelle on la pose. Le dessous de l'équerre est garni d'une semelle d'acier, qui glisse sur la pierre à l'huile. Lorsqu'on s'en sert pour dresser un poinçon par la face de la lettre, on place le poinçon dans l'angle de l'équerre, où on le tient assujetti avec le pouce, pendant que les autres doigts pressent extérieurement l'équerre. On fait glisser le tout sur la pierre, qui use à-la-fois la semelle d'acier de l'équerre, & la face du poinçon où la lettre est gravée, qui par ce moyen est parfaitement dressée. Voyez l'article GRAVURE DES POINÇONS A LETTRE, & la figure 51. qui représente le poinçon dans l'équerre à dresser qui est posée sur la pierre à l'huile.

EQUERRE DES FERBLANTIERS, voyez EQUERRE DES GEOMETRES.

EQUERRE DU MENUISIER, voyez EQUERRE DU GEOMETRE & DU CHARPENTIER.

EQUERRE DE L'ECRIVAIN, voyez EQUERRE DU GEOMETRE.

EQUERRE DE L'ARQUEBUSIER, voyez EQUERRE DU GEOMETRE.

EQUERRE, en terme de Potier de terre, est une plaque de fer à plusieurs pans, qui sert de patron ou de modele sur lequel on coupe le carreau.

EQUERRE, en termes de Vitrier, est une grande équerre d'acier percée d'espace en espace, & à biseaux en-dedans : elle sert à mettre les panneaux à l'équerre.

EQUERRES DES CLOCHERS, (Jurisprudence) ou ESQUIERS DES CLOCHERS & DES EGLISES, signifie, selon quelques-uns, l'endroit où sont assis les clochers ; ou, selon d'autres, l'espace qui se trouve d'un clocher à l'autre. Plusieurs coûtumes disent que le droit de vaine pâture pour les bestiaux d'une paroisse, s'étend jusqu'aux équerres des clochers voisins, c'est-à-dire d'un clocher à l'autre. Voyez les coûtumes de Vitry, art. 212. Châlons, 266. Chaumont, art. 103. Troyes, 169. Sens, 145. Melun, art. 302. & PATURAGE, PATURE, VAINE-PATURE. (A)


EQUESTREadj. (Gramm.) est un terme dont on se sert sur-tout dans cette phrase, statue équestre, qui signifie une statue représentant une personne à cheval. Voyez STATUE.

Ce mot est formé du latin eques, chevalier, homme de cheval ; de equus, cheval. Voyez CHEVALIER.

La Fortune équestre, dans l'ancienne Rome, étoit une statue de cette divinité à cheval. Nous disons aussi quelquefois une colonne équestre. Voyez COLONNE.

Ordre équestre, chez les Romains, signifioit l'ordre des chevaliers, ou equites. Chambers.


EQUIANGLEadj. en Géométrie, se dit des figures dont les angles sont égaux. Voyez ANGLE.

Un quarré est une figure équiangle. Voyez QUARRE. Un triangle équilatéral est aussi équiangle. Voyez EQUILATERAL.

Quand les trois angles d'un triangle sont égaux aux trois angles d'un autre triangle, on appelle ces triangles équiangles entr'eux. Voyez TRIANGLE. (E)

Le mot équiangle s'employe plus souvent dans ce dernier sens relatif, lorsqu'on compare les angles d'une figure à ceux d'une autre, que dans le premier sens ; lorsqu'on compare entr'eux les angles d'une seule figure. Cependant il est utile de s'en servir dans les deux acceptions, pour éviter les circonlocutions, ayant soin d'ailleurs que ce mot ne fasse point d'équivoque ; une figure équiangle tout court, est une figure dont les angles sont égaux entr'eux ; une figure équiangle à une autre ou deux figures équiangles entr'elles, sont deux figures dont les angles sont égaux chacun à chacun. Peut-être feroit-on encore mieux de se servir dans le premier cas du mot équiangulaire (qui n'est pas même tout-à-fait hors d'usage) à l'exemple de quadrangulaire, & d'employer dans le second cas le mot équiangle : une figure équiangulaire, deux figures équiangles, &c. (O)


EQUICRURALadj. (Géom.) Un triangle équicrural est celui dont deux côtés sont égaux, & qu'on appelle plus communément un triangle isoscele. Voyez ISOSCELE & TRIANGLE. (E)

On peut appeller équicrural, un angle, une figure dont les côtés sont égaux. Mais ce mot n'est plus en usage, parce que ceux d'isoscele & équilatéral y suppléent. (O)


EQUICULUSEQUULEUS, ou EQUUS MINOR, (Astronom.) est une constellation de l'hémisphere septentrional, autrement nommé cheval ou petit cheval. Voyez CHEVAL, (Astron.) (O)


EQUIDIFFÉRENTadj. en Arithmétique. Si dans une suite de trois quantités il y a la même différence entre la premiere & la seconde, qu'entre la seconde & la troisieme, on dit alors que ces quantités sont continuement équidifférentes ; mais si dans une suite de quatre quantités, il y a la même différence entre la premiere & la seconde, qu'entre la troisieme & la quatrieme ; on appelle ces quantités discretement équidifférentes. Voyez RAISON & RAPPORT.

Ainsi, 3, 6, 7 & 10 sont discretement équidifférentes ; & 3, 6 & 9 continuement équidifférentes. Harris & Chambers. Voyez DISCRET, CONTINU & QUANTITE. Voyez aussi PROPORTION ARITHMETIQUE. (E)


EQUIDISTANTadj. en Géométrie, est un terme qui exprime la relation de deux choses, en tant qu'elles sont à la même ou à une égale distance l'une de l'autre. Voyez DISTANCE.

Ainsi on peut dire que les lignes paralleles sont équidistantes, ou également distantes ; parce que ni l'une ni l'autre ne s'éloigne ni ne s'approche. Voyez PARALLELE. Harris & Chambers. (E)

On peut néanmoins remarquer qu'il y a cette différence entre équidistant & parallele, que le dernier s'applique à une étendue continue, ou considerée comme telle, & le premier à des parties de cette étendue isolées & comparées ; ainsi on peut dire que dans deux lignes paralleles deux points quelconques correspondans, c'est-à-dire situés dans la même perpendiculaire à ces deux lignes, sont toujours équidistans ; que dans deux rangées d'arbres paralleles chaque arbre est équidistant de son correspondant dans l'autre allée. Equidistant s'employe encore lorsque dans une même portion d'étendue on compare des particules situées à égales distances les unes des autres ; ainsi dans une seule rangée d'arbres plantés à égale distance l'un de l'autre, on peut dire que les arbres sont équidistans ; au lieu que parallele ne s'employe jamais qu'en comparant la position de deux portions d'étendue distinguées. Telles sont les différences des mots parallele & équidistant : la Géométrie, comme l'on voit, a ses synonymes ainsi que la Grammaire. (O)


EQUILATÉRALou EQUILATERE, adj. (Géom.) se dit de tout ce qui a les côtés égaux. Ce mot est formé des deux mots latins aequus égal, & latus côté.

Ainsi un triangle équilatéral est celui dont les côtés sont tous d'une égale longueur. Dans un triangle équilatéral, tous les angles sont aussi égaux. Voyez TRIANGLE & FIGURE.

Tous poligones réguliers & tous corps réguliers sont équilatéraux. Voyez POLIGONE, REGULIER, &c. Harris & Chambers. (E)

Le mot équilatéral est plus en usage qu'équilatere, cependant ce dernier n'est pas encore tout-à-fait proscrit ; il est même en quelques cas plus en usage que l'autre, comme dans le cas suivant.

Hyperbole équilatere est celle dans laquelle les axes conjugués comme A B d e sont égaux. Planche des coniques, fig. 20.

Donc 1° comme le parametre d'une hyperbole est une troisieme proportionnelle aux axes conjugués, il leur est égal dans l'hyperbole équilatere : 2°, si dans l'équation y2 = b x + b x2 : a qui est l'équation générale des hyperboles, nous faisons b = a ; l'équation y2 = a x + x x est celle d'une hyperbole équilatere. Voyez HYPERBOLE.

Dans cette derniere équation on prend l'origine des coordonnés au sommet de l'hyperbole : si on les prenoit au centre, l'équation de l'hyperbole équilatere rapportée à son premier axe seroit y y = x x - (a a) /4, & rapportée au second axe, elle seroit y y = x x + (a a) /4. (O)


EQUILIBRES. m. en Méchanique, signifie une égalité de force exacte entre deux corps qui agissent l'un contre l'autre. Une balance est en équilibre quand les deux parties se soûtiennent si exactement, que ni l'une ni l'autre ne monte ni ne descend, mais qu'elles conservent toutes deux leur position parallele à l'horison. C'est de-là que le mot équilibre tire son étymologie, étant composé de aequus, égal, & libra, balance. C'est pourquoi aussi on se sert souvent du mot balancer ou contre-balancer pour désigner l'équilibre. Voyez BALANCE & LEVIER.

En général, la partie de la Méchanique qu'on appelle statique, a pour objet les loix de l'équilibre des corps.

Pour que deux corps ou deux forces se fassent équilibre, il faut que ces forces soient égales, & qu'elles soient directement opposées l'une à l'autre.

Lorsque plusieurs forces ou puissances agissent les unes contre les autres, il faut commencer par réduire deux de ces puissances à une seule, ce qui se fera en prolongeant leurs directions jusqu'à ce qu'elles se rencontrent, & cherchant ensuite par les regles de la composition des forces la direction & la valeur de la puissance qui résulte de ces deux-là ; on cherchera ensuite de la même maniere la puissance résultante de cette derniere, & d'une autre quelconque des puissances données, & en opérant ainsi de suite, on réduira toutes ces puissances à une seule. Or pour qu'il y ait équilibre, il faut que cette derniere puissance soit nulle, ou que sa direction passe par quelque point fixe qui en détruise l'effet.

Si quelques-unes des puissances étoient paralleles, il faudroit supposer que leur point de concours fût infiniment éloigné, & on trouveroit alors facilement la valeur de la puissance qui en resulteroit & sa direction. Voyez la Méchanique de Varignon.

Le principe de l'équilibre est un des plus essentiels de la Méchanique, & on y peut réduire tout ce qui concerne le mouvement des corps qui agissent les uns sur les autres d'une maniere quelconque. Voyez DYNAMIQUE.

Il y a équilibre entre deux corps, lorsque leurs directions sont exactement opposées, & que leurs masses sont entr'elles en raison inverse des vîtesses avec lesquelles ils tendent à se mouvoir. Cette proposition est reconnue pour vraie par tous les Méchaniciens. Mais il n'est peut-être pas aussi facile qu'ils l'ont crû, de la démontrer en toute rigueur, & d'une maniere qui ne renferme aucune obscurité. Aussi la plûpart ont-ils mieux aimé la traiter d'axiome que de s'appliquer à la prouver. Cependant, si on y veut faire attention, on verra qu'il n'y a qu'un seul cas où l'équilibre se manifeste d'une maniere claire & distincte, c'est celui où les deux corps ont des masses égales & des vîtesses de tendance égales & en sens contraires. Car alors il n'y a point de raison pour que l'un des corps se meuve plûtôt que l'autre. Il faut donc tâcher de réduire tous les autres cas à ce premier cas simple & évident par lui-même ; or c'est ce qui ne laisse pas d'être difficile, principalement lorsque les masses sont incommensurables. Aussi n'avons-nous presque aucun ouvrage de Méchanique, où la proposition dont il s'agit soit prouvée avec l'exactitude qu'elle exige. La plûpart se contentent de dire que la force d'un corps est le produit de sa masse par sa vîtesse, & que quand ces produits sont égaux, il doit y avoir équilibre, parce que les forces sont égales ; ces auteurs ne prennent pas garde que le mot de force ne présente à l'esprit aucune idée nette, & que les Méchaniciens même sont si peu d'accord là-dessus, que plusieurs prétendent que la force est le produit de la masse par le quarré de la vîtesse. Voyez FORCES VIVES. Dans mon traité de Dynamique, imprimé en 1743, page 37 & suiv. j'ai tâché de démontrer rigoureusement la proposition dont il s'agit, & j'y renvoye mes lecteurs ; j'ajoûterai seulement ici les observations suivantes.

1°. Pour démontrer le plus rigoureusement qu'il est possible la proposition dont il s'agit, il faut supposer d'abord que les deux corps qui se choquent soient des parallelepipedes égaux & rectangles, dont les bases soient égales, & s'appliquent directement l'une sur l'autre ; ensuite on supposera que la base demeurant la même, un des parallelepipedes s'allonge en même proportion que sa vîtesse diminue ; par ce moyen on démontrera l'équilibre dans les parallelepipedes de même base, en suivant la méthode de l'endroit cité dans notre traité de Dynamique.

2°. Quand un des parallelepipedes est double de l'autre, au lieu de partager la vîtesse V du petit en deux, on peut partager la masse m du grand en deux autres qui ayent chacune la vîtesse V /2, & dont, outre cela, la partie antérieure ait encore la vitesse V /2, & la partie postérieure la vîtesse V /2 en sens contraire ; car par ce moyen les deux parties du grand corps se feront équilibre entr'elles, & il ne restera plus qu'une masse M d'une part, animée de la vîtesse V, & de l'autre qu'une masse m /2 ou M animée de la vîtesse V /2 + V /2 = V, c'est-à-dire que tout sera égal de part & d'autre. On peut appliquer le même raisonnement aux autres cas plus composés.

3°. Quand on aura démontré les lois de l'équilibre pour des parallelepipedes de même base, on les démontrera pour des parallelepipedes de bases différentes, en employant le principe suivant : si deux parallelepipedes, égaux, rectangles, & semblables, sont fixés aux deux extrémités d'un levier, & qu'entre ces deux parallelepipedes on en place deux autres à égale distance des extrémités du levier, & qui agissent en sens contraire aux deux premiers, avec la même vîtesse de tendance, il y aura équilibre ; proposition dont la vérité ne sera point contestée, mais qu'il est peut-être difficile de démontrer rigoureusement. Sur quoi voyez l'article LEVIER.

4°. On applique ensuite cette même proposition pour demontrer l'équilibre des corps de figure quelconque, dont les masses sont en raison inverse de leurs vîtesses, & qui agissent l'un sur l'autre suivant des lignes qui passent par leur centre de gravité. Par le moyen de ces différens théoremes on aura démontré rigoureusement & sans restriction la loi de l'équilibre dans les corps qui se choquent directement. A l'égard de l'équilibre dans le levier, & autres machines, voyez LEVIER, POULIE, FORCES MOUVANTES, ROUE, COIN, MACHINE FUNICULAIRE, VIS, &c.

5°. On a demandé plusieurs fois si les lois du choc des corps sont telles qu'il ne pût pas y en avoir d'autres. Nous avons démontré au mot DYNAMIQUE, que les lois du choc dépendent de celles de l'équilibre ; ainsi la question se réduit à savoir, si les lois de l'équilibre sont telles qu'il ne puisse pas y en avoir d'autres ; or les lois de l'équilibre se réduisent, comme nous avons vû dans cet article, à l'équilibre de deux corps égaux & semblables, animés en sens contraire de vîtesses de tendance égales. Tout se reduit donc à savoir, s'il peut encore y avoir équilibre dans d'autres cas ; c'est-à-dire par exemple si deux corps égaux dont les vîtesses contraires sont inégales, pourront se faire absolument équilibre, ou ce qui est la même chose, comme il est aisé de le voir, si un corps A animé d'une vîtesse quelconque a, & venant frapper un autre corps égal en repos, les deux corps resteront en repos après le choc. Il semble que ce dernier cas est impossible ; car au lieu de supposer le second corps en repos, supposons-le animé de la vîtesse- a égale & en sens contraire à la vîtesse a ; il est certain d'abord que dans ce cas il y aura équilibre ; supposons à présent que dans l'instant où il est animé de la vîtesse- a, par laquelle il fait équilibre au premier corps, il soit animé de la vîtesse + a, il est évident 1°. que rien n'empêchant l'action de cette derniere vîtesse, puisque l'autre- a est détruite par l'action du premier corps, rien n'empêchera ce second corps de se mouvoir avec la vîtesse + a ; cependant ce même corps animé des vîtesses + a, - a, est dans un cas semblable à celui du repos, où nous l'avons supposé, & puisqu'on suppose que ce second corps en repos ne seroit point mû par le premier, ce second corps seroit donc tout à la fois en repos & en mouvement, ce qui est absurde. Donc il n'y a de vrai cas d'équilibre que celui des vîtesses égales & contraires. Donc, &c.

6°. Donc quand deux corps sont en équilibre, en vertu de la raison inverse de leur vîtesse & de leurs masses, si on augmente ou qu'on diminue si peu qu'on voudra la masse ou la vîtesse d'un des corps, il n'y aura plus d'équilibre. Il faut nécessairement supposer cette derniere proposition, pour démontrer la proposition ordinaire de l'équilibre dans le cas de l'incommensurabilité des masses, voyez page 39 de ma Dynamique ; car dans le cas des incommensurables on ne démontre que par la réduction à l'absurde ; & la seule absurdité à laquelle on puisse réduire ici, comme on le peut voir par la démonstration citée, c'est qu'une masse plus grande fait le même effet qu'une moindre avec la même vîtesse. Il est assez singulier que pour démontrer une proposition nécessairement vraie, telle que celle de l'équilibre des masses en raison inverse des vîtesses, il faille absolument supposer cette autre proposition qui paroît moins nécessairement vraie ; qu'un corps en mouvement venant frapper un autre corps en repos, lui donnera nécessairement du mouvement. Cette connexion forcée n'est-elle pas une preuve que la seconde proposition est aussi nécessairement vraie que la premiere ? Il me semble que ce raisonnement n'est pas sans force, sur-tout si on le joint à celui de l'article 5 précédent.

De tout cela il s'ensuit, qu'il n'y a qu'une seule loi possible d'équilibre, un seul cas où il ait lieu, celui des masses en raison inverse des vîtesses ; que par conséquent un corps en mouvement en mouvera toujours un autre en repos : or ce corps en mouvement, en communiquant une partie du sien, en doit garder le plus qu'il est possible, c'est-à-dire, n'en doit communiquer que ce qu'il faut pour que les deux corps aillent de compagnie après le choc avec une vîtesse égale. De ces deux principes résultent les lois du mouvement & de la Dynamique ; & il résulte de tout ce qui a été dit, que ces lois sont non seulement les plus simples & les meilleures, mais encore les seules que le Créateur ait pû établir d'après les propriétés qu'il a données à la matiere. Voyez DYNAMIQUE, PERCUSSION.

Sur l'équilibre des fluides, voyez FLUIDE, HYDROSTATIQUE, &c.

Au reste on ne devroit à la rigueur employer le mot équilibre, que pour désigner le repos de deux puissances ou deux corps qui sont dans un état d'effort continuel, & continuellement contre-balancé par un effort contraire, en sorte que si un des deux efforts contraires venoit à cesser ou à être diminué, il s'ensuivroit du mouvement. Ainsi deux poids attachés aux bras d'une balance sont en équilibre dans le sens proprement dit : car ces deux poids agissent sans cesse l'un contre l'autre, & si vous diminuez un des poids, la balance sera en mouvement. Au contraire deux corps égaux & durs qui se choquent en sens opposés avec des vîtesses égales, détruisent à la vérité leurs mouvemens, mais ne sont pas proprement en équilibre, parce que l'effort réciproque des deux corps est anéanti par le choc ; après l'instant du choc ces deux corps ont perdu leur tendance même au mouvement, & sont dans un repos absolu & respectif, en sorte que si on ôtoit un des corps, l'autre resteroit en repos sans se mouvoir. Cependant pour généraliser les idées, & simplifier le langage, nous donnons dans cet article le nom d'équilibre à tout état de deux puissances ou forces égales qui se détruisent, soit que cet état soit instantané, soit qu'il dure aussi long-tems qu'on voudra. (O)

EQUILIBRE, (Economie animale) est un terme fort employé par Baglivi, & adopté par plusieurs physiologistes, mais dans un sens qui n'est pas exactement conforme à celui dans lequel il est usité en Méchanique & en Hydraulique.

L'égalité de forces entre des corps qui agissent les uns sur les autres par leur gravité spécifique, ou par toute autre cause, d'où résulte la cessation de leur mouvement, dès l'instant où cette égalité est établie (en quoi consiste le véritable équilibre, pris à la rigueur), ne peut pas avoir lieu dans l'économie animale, qui exige un mouvement continuel dans tous les organes nécessaires pour l'entretien de la vie, & dans tous les fluides que ces organes sont destinés à mouvoir : ainsi ce n'est pas de la théorie de l'équilibre proprement dit qu'on se propose de faire une application à la physique du corps humain.

L'auteur cité, & ceux qui admettent avec lui le terme d'équilibre dans la théorie de la Medecine, ont seulement prétendu désigner par ce terme, ou par celui d'équilibration, à défaut d'un autre plus propre, une égalité non absolue, mais respective, une proportion dans les forces actives & passives, qui peut être conçue dans toutes les parties tant solides que fluides du corps animal, par rapport à ce que chacune de ces parties doit opérer pour la fonction à laquelle elle est destinée. C'est en vertu de cette proportion de forces dans toutes les fibres qui composent les différens vaisseaux dont est formé le corps humain, que chaque fluide est retenu en quantité déterminée, est réglé dans son cours, & reçoit l'élaboration qui lui est nécessaire, dans les canaux qui lui sont propres ; en sorte qu'il est conservé entr'eux une égalité d'action & de réaction alternatives, qui ne laisse point prédominer, d'une maniere durable, les parties contenues sur les parties contenantes, & réciproquement celles-ci sur celles-là, tant que l'état de santé subsiste.

Cette disposition est absolument requise pour cet effet : c'est de la différence habituelle de cette disposition dans les différens sujets, que dépend aussi la diversité des tempéramens, dont les uns sont plus ou moins robustes que les autres, selon que cette disposition est plus ou moins susceptible qu'il y soit porté atteinte par l'usage ou par l'abus des choses nécessaires à la vie, que l'on appelle dans les écoles les choses non naturelles.

Cette sorte d'équilibre, ainsi conçue dans le corps humain, peut-être considérée de trois manieres différentes, par rapport aux solides comparés entr'eux, par rapport aux solides comparés avec les fluides, & par rapport aux fluides comparés entr'eux-mêmes : c'est ce qu'il est nécessaire d'expliquer.

Pour que l'équilibre, tel qu'on en a donné l'idée, relativement à l'économie animale, subsiste entre les différens organes, il faut que le tissu, le ressort de tous les vaisseaux, soit proportionné à la quantité des liquides qu'ils doivent recevoir, au mouvement qu'ils doivent communiquer à ces liquides, & à l'effort qu'ils doivent en éprouver : ainsi les vaisseaux lymphatiques, par exemple, doivent avoir autant de force d'action & de résistance que les vaisseaux sanguins, respectivement à la quantité, au mouvement & à l'effort du liquide que ceux-là reçoivent, contiennent & distribuent à des vaisseaux subalternes de différens ordres.

Ainsi dans un corps bien conformé, & joüissant d'une santé aussi parfaite qu'il est possible, tous les solides, dans les vaisseaux de toutes les especes, doivent avoir proportionnément la même force d'action, de résistance & de réaction.

Mais pour que cette force puisse être exercée librement, il est nécessaire qu'il existe une proportion entr'elle & la quantité, la consistance des différens fluides, respectivement aux solides qu'ils contiennent ; d'où s'ensuit que l'équilibre des solides entr'eux suppose nécessairement celui des solides avec les fluides, & celui des fluides comparés les uns aux autres : par conséquent l'équilibre dont il s'agit dépend principalement de l'état des parties solides qui ont dans l'animal toute l'action, ou naturelle, c'est-à-dire élastique, ou sur-ajoûtée, c'est-à-dire musculaire, tandis que les fluides n'ont que des forces passives, telles que la pesanteur, la mobilité : celle-ci même doit presque annuller les effets de celle-là ; de maniere que la masse des humeurs animales ne doit avoir de poids que pour être susceptible de recevoir un mouvement réglé, pour résister à en trop prendre, & non pour suivre sa tendance comme corps grave.

On doit se représenter toutes les fibres qui entrent dans la structure de l'animal, comme dans un état de distractilité continuelle, plus ou moins grande, à proportion que les vaisseaux qu'elles forment sont plus ou moins remplis ou dilatés par les liquides contenus : elles sont dans un état violent, attendu que, laissées à elles-mêmes, celles qui sont dans une position longitudinale tendent à se raccourcir de plus en plus, & les vaisseaux à s'oblitérer par la contraction des fibres circulaires, qui en est aussi un véritable racourcissement. Ces effets n'ont jamais lieu dans les vaisseaux qui contiennent quelque liquide ; ils ne peuvent jamais parvenir à l'état de contraction parfaite ; ils en approchent seulement plus ou moins, à proportion qu'ils sont plus ou moins distendus par la quantité & l'effort des fluides qu'ils contiennent, tant que la distribution des fluides se fait avec égalité, c'est-à-dire proportionnément à ce que chaque vaisseau doit en recevoir dans l'état naturel.

Tous les solides, dans quelque état qu'on les considere, soit de systole, soit de diastole, forment un ressort d'une seule piece, dont les parties soûtiennent l'effort les unes des autres, sans qu'aucune plie : mais s'il arrive, par quelque cause que ce soit, que les fibres ou les tuniques de quelques vaisseaux viennent à perdre de cette force de ressort, celle de toutes les autres restant la même, les fluides éprouvant moins de résistance à se porter dans la partie affoiblie, y sont poussés plus abondamment, & diminuent proportionnément leur effort vers les vaisseaux des autres parties, dont le ressort n'a rien perdu de ses forces, & résiste toûjours également & plus efficacement, attendu que ces vaisseaux peuvent se resserrer de plus en plus, en suivant leur disposition intrinseque, qui étoit auparavant sans effet excédent.

Ainsi lorsque l'équilibre est rompu par relâchement dans quelques-unes des parties contenantes, l'effort des fluides y devenant de plus en plus supérieur à la résistance des solides, ceux-ci cedent aussi de plus en plus, se laissent allonger au point que les vaisseaux qui en sont composés se dilatent outre mesure, quelquefois jusqu'à se rompre : les liquides contenus n'éprouvant que foiblement, ou point du-tout, la réaction des vaisseaux trop dilatés, croupissent & dégénerent de leurs qualités naturelles, ou ils s'épanchent de la cavité de ceux dans lesquels s'est fait une solution de continuité, ou ils transudent par les pores les plus ouverts, à cause de l'écartement des fibres, ou ils coulent plus abondamment qu'ils ne devroient, pour le bien de l'économie animale, par l'orifice forcé des vaisseaux, qui se trouve plus ouvert qu'il ne doit être dans l'état naturel.

De tous ces différens effets s'ensuivent des symptomes, dont la différence dépend principalement de celle du siége & des fonctions des organes qui pechent par le relâchement. Si ce vice a lieu dans le tissu cellulaire qui appartient aux tégumens en général, il en provient une leucophlegmatie ; si ce n'est que dans le tissu cellulaire des extrémités inférieures, il en résulte seulement l'enflure de ces parties ; s'il s'établit dans les vaisseaux lymphatiques du bas-ventre, ou de la poitrine, ou de la tête, il en est produit une hydropisie, ou un engorgement sérieux des poumons, ou un épanchement dans la poitrine d'humeurs de même nature, ou une hydropisie de différente espece.

Mais le mal n'est jamais plus grand que lorsque les vaisseaux relâchés servent à une excrétion quelconque : alors les liquides contenus s'écoulant sans résistance par les conduits qui leur sont propres, sont suivis par les autres parties de la masse des humeurs, qui sont de consistance à ne pas trouver plus d'obstacle à s'écouler par la même voie ; ce qui rend le flux continuel, ou presque tel. Tous les autres vaisseaux du corps recevant & contenant à proportion moins des fluides qu'il s'en porte plus dans la partie foible, ont la liberté de se resserrer davantage : le chyle, avant de se changer en sang, la matiere même du suc nourricier se portent aussi avec les parties les plus fluides de la masse des humeurs, vers les vaisseaux les plus libres, les moins résistans, c'est-à-dire vers ceux dont les fibres ont perdu l'équilibre : d'où il résulte que la déperdition des fluides en général, par la voie ouverte, venant à excéder la réparation, il se fait une diminution proportionnée du volume dans toutes les parties du corps, attendu qu'il dépend principalement de la quantité des humeurs qui tiennent les vaisseaux dans l'état de la dilatation ; cette diminution fait l'amaigrissement. Le cerveau ne recevant pas une suffisante quantité de fluides travaillés pour être changés en esprits animaux, il en resulte la foiblesse, l'abattement, l'impuissance au mouvement. Le suc nourricier manquant dans les vaisseaux auxquels il doit être distribué, ils s'obliterent peu-à-peu, d'où le marasme. La partie relâchée devenant comme un égout, vers lequel tendent les humeurs de toutes les parties, la plûpart des vaisseaux deviennent vuides & affaissés ; le corps se desseche, & la flexibilité nécessaire aux solides en général, qui ne peut être attribuée qu'à l'interposition convenable des fluides, venant à manquer conséquemment à leur défaut, le mouvement qui ne peut avoir lieu sans cette flexibilité, cesse, & la mort suit.

Cette théorie convient à toutes sortes de fluxions, de dépôts, d'amas considérables, & d'écoulemens d'humeurs qui proviennent de la perte de l'équilibre des solides, par cause de relâchement dans quelque partie du corps que ce soit. On peut regarder tous les effets provenans de cette cause, comme autant de diabetes : les eaux ramassées dans le ventre, dans la poitrine, dans la tête, dans le tissu cellulaire des tégumens en général, des paupieres, des bourses en particulier, ne different aucunement des liquides qui s'évacuent dans le diabetes proprement dit, provenans du relâchement des tuyaux uriniferes : les jambes des hydropiques, qui se crevent d'elles-mêmes, ne donnent-elles pas un écoulement de sérosités qui forme comme un diabetes ? Ainsi les vaisseaux lymphatiques de la tête, de la poitrine, du bas-ventre, qui laissent échapper continuellement dans les hydropisies de ces parties, le liquide qu'ils transportent, ne forment-ils pas comme autant de syphons qui semblent, par une de leurs extrémités qui est leur principe, tremper dans la masse des humeurs, & par l'autre répandre ce qu'ils sucent ? Ainsi dans le relâchement des vaisseaux secrétoires de l'urine, il se fait un écoulement de sérosité à laquelle se mêle, à proportion que le relâchement augmente, la lymphe, le chyle le plus fin, & ensuite le chyle le plus grossier, pour ainsi dire sous forme de lait ; ce qui rend, dans le diabetes proprement dit, les urines douçâtres & blanchâtres, quand il a duré un certain tems : d'où s'ensuit la consomption, comme de toute autre évacuation de cette espece, dans quelque partie du corps que ce soit. N'a-t-on pas vû des plaies produire cet effet par d'abondantes suppurations, & devenir comme un égout, par lequel s'écouloit presque toute la masse des humeurs, à cause du relâchement qui survenoit dans les solides de la partie, & de la moindre résistance qu'offroient les vaisseaux, toûjours disposés à s'ouvrir ?

Les ventouses ne produisent pas autrement la tuméfaction des parties sur lesquelles elles sont appliquées, qu'en rompant, par la diminution de la compression de l'air, l'équilibre de résistance dans les vaisseaux, qui se laissent en conséquence engorger d'humeurs. Les animaux ne se gonflent sous le recipient de la machine du vuide, que parce que le poids de l'air étant aussi diminué par la suction, s'oppose moins à l'effort des fluides, qui tendent à dilater les vaisseaux de l'habitude du corps : ceux-ci ne pechent alors que par défaut d'équilibre ; d'où l'on peut inférer que la force qui le conserve dans l'économie animale saine, n'est pas seulement intrinseque à l'égard des fibres, mais qu'elle est aussi extrinseque.

Il est même, outre le poids de l'atmosphere, une autre cause qui y contribue, qui, quoiqu'étrangere à chaque vaisseau en particulier, ne l'est cependant pas à l'animal même ; c'est la pression réciproque des vaisseaux entr'eux, par laquelle ils contre-balancent, les uns par rapport aux autres, les efforts que les fluides font dans leur cavité respective, tendans à en écarter les parois outre mesure.

On voit, par tout ce qui vient d'être exposé, les pernicieux effets que peut produire dans l'économie animale le défaut d'équilibre causé par la trop grande diminution du ressort dans les parties solides : ce même défaut, occasionné par la trop grande élasticité dans les fibres d'une partie, ou par leur rigidité, ou par la constriction spontanée ou spasmodique des tuniques musculaires des vaisseaux, n'est pas une source moins féconde de dérangement dans l'économie animale ; c'est ce qui semble suffisamment prouvé par les considérations suivantes.

Ainsi le resserrement d'un vaisseau considérable, ou de plusieurs vaisseaux dans une partie quelconque, ou tout autre obstacle formé au cours des humeurs, en quelque organe que ce soit, peuvent produire la fievre, ou dans les parties affectées, si la cause n'est pas bien considérable, ou dans tout le corps, en tant que les fluides poussés vers cette partie, ne pouvant pas y continuer leur mouvement progressif avec liberté, sont repoussés vers leurs sources par l'action même des vaisseaux engorgés, qui réagissent avec plus de force, à proportion qu'ils sont plus distendus au-delà de leur ton naturel ; ce qui dilate de proche en proche les troncs, & en force le ressort, qui par sa réaction sur les mêmes fluides repoussés, les renvoye vers l'obstacle, d'où naît une espece de pléthore particuliere entre l'obstacle & les troncs des vaisseaux embarrassés ; ce qui établit une sorte de fievre dans la partie, comme on l'observe, par exemple, dans un panaris commençant, par les fortes pulsations qui se font sentir dans tout le doigt affecté. Si la cause de l'obstacle est considérable, un plus grand nombre de vaisseaux collatéraux participent à l'engorgement, & de proche en proche l'embarras gagne, la circulation se trouble, la pléthore devient générale, la puissance motrice, qui tend toûjours à conserver l'équilibre ou à le rétablir, augmente l'action dans tous les vaisseaux, à proportion de la résistance : de-là une sorte d'agitation fébrile s'établit dans tout le corps, laquelle, si la cause est de nature à subsister, donne lieu à une véritable fievre.

N'est-ce pas à un defaut d'équilibre de cette espece, qu'on peut attribuer la plûpart des indispositions que causent les commencemens de la grossesse à un grand nombre de femmes ? le sang menstruel ne s'évacuant point dans cette circonstance, & formant par conséquent une pléthore particuliere dans la matrice, qui augmente de plus en plus, tant que le foetus ne peut pas encore consumer en entier, pour sa nourriture & son accroissement, les humeurs surabondantes, que la nature a destinées à cet usage : les vaisseaux utérins, distendus outre mesure, ne cedent cependant que jusqu'à un certain point à leur dilatation ultérieure ; le tiraillement de leurs tuniques forcées, qui approche du déchirement, est un sentiment stimulant, qui les excite à réagir extraordinairement en y attirant des forces surajoûtées, par l'influx du fluide nerveux & des contractions des fibres musculaires ; ainsi, ils deviennent par-là en état de résister aux plus grands efforts des humeurs, qui tendent à s'y porter plus abondamment : il se fait d'abord une espece d'hérence dans le cours des fluides de tous les vaisseaux utérins ; elle s'étend de proche en proche, comme par l'effet d'une digue ou écluse ; le ressort des vaisseaux réagissans, étant un peu dégagé, force ensuite ce qui reste encore de surabondant, dans leur cavité, à refluer dans les troncs des vaisseaux, d'où ils ont été distribués (ce reflux peut réellement avoir lieu dans le cas dont il s'agit ici, si l'on convient qu'il se fait dans la résolution des inflammations produites par erreur de lieu, voyez INFLAMMATION, ERREUR DE LIEU) : de ce reflux, ainsi conçû, ou de l'embarras dans le cours des humeurs de la matrice, s'ensuit l'engorgement des mammelles, parce que le sang, qui trouve de la résistance à aborder dans ce viscere, se replie par les vaisseaux épigastriques vers les mammaires, qui logent ainsi une partie des humeurs surabondantes.

Mais la pléthore se renouvellant continuellement, il succede toûjours de nouveaux fluides à placer : ils sont repoussés, & se jettent toûjours où ils trouvent moins de résistance ; il s'en fait d'abord une dérivation dans tous les vaisseaux collatéraux, qui se trouvent disposés à ceder ; ce qui donne souvent lieu à une plus grande secrétion dans les glandes & dans tous les filtres des intestins, dont l'excrétion fournit souvent la matiere d'un cours de ventre : ou les humeurs se portent dans les vaisseaux de l'estomac, les distendent, tiraillent leurs fibres musculaires, les nerfs de ce viscere, d'où s'ensuivent les mouvemens convulsifs, qui produisent des nausées, des efforts pour vomir, & le vomissement même, lorsqu'il y a des matieres dans l'estomac, qui pesent sur ses parois tendues, par l'engorgement de ses vaisseaux qui le rend beaucoup plus susceptible d'irritation : ou le transport des humeurs se fait vers les poumons, lorsqu'ils sont d'un tissu à proportion moins résistant que les autres parties du corps ; il y occasionne des suffocations, des oppressions, des crachemens de sang, &c. ou il se fait dans les vaisseaux des membranes du cerveau, de sa substance, & il y cause des douleurs, des pesanteurs de tête, un assoupissement extraordinaire, des vertiges, &c. Tous ces effets supposent l'équilibre rompu entre les vaisseaux utérins, qui résistent à être engorgés ultérieurement, & les vaisseaux des autres parties, qui pretent & se laissent engorger par les humeurs surabondantes, qui refluent de la matrice, ou qui, restant dans la masse, tendent à se jetter sur quelque partie foible, & s'y logent en effet, en forçant ses vaisseaux.

Mais si toutes les parties résistent également, le sang superflu restant dans les gros vaisseaux, sans pouvoir être distribué, gêne la circulation, cause des défaillances, des syncopes, ce qui rend, dans ce cas, la saignée si salutaire, par la promtitude avec laquelle elle rétablit l'équilibre, en dégorgeant les gros vaisseaux ; elle peut aussi produire de bons effets dans tous les autres engorgemens particuliers, par la même raison, mais ils sont moins sensibles : dans ce même cas encore, la nature, qui tend toûjours à conserver ou à rétablir l'équilibre, peut avoir une autre ressource que la saignée ; tous les vaisseaux étant dans un état de résistance, & par conséquent de réaction égales, peuvent quelquefois, par leurs forces combinées, vaincre celles des vaisseaux utérins, & en forcer les orifices, donner lieu à une hémorrhagie qui peut rétablir l'équilibre perdu ; c'est par cette raison que plusieurs femmes ont des pertes pendant les premiers mois de leur grossesse, sur-tout les femmes robustes, sans aucun mauvais effet.

Tout ce qui vient d'être dit, peut convenir à bien des égards à ce qui se passe dans la suppression des regles, & peut tenir lieu d'explication de ce que Boerhaave dit simplement être un desordre dans la circulation, sans dire en quoi consiste ce desordre, ce changement, ce mouvement renversé dans le cours du sang, qu'il reconnoît, sans en indiquer la cause, sans la faire pressentir même : il semble cependant qu'on peut en rendre raison, de la maniere précédente, en suivant la nature dans ses opérations, sans rien supposer. On voit, par exemple, pourquoi les femmes grosses sont sujettes à de si fréquentes & de si grandes agitations, à des fréquences dans le pouls, qui en sont une suite, sur-tout pendant le tems de la digestion, de l'entrée du chyle dans le sang : effet que l'on peut regarder comme étant des efforts que la nature fait pour rétablir l'équilibre ; efforts qui sont véritablement fébriles, & seroient de conséquence, s'ils n'étoient pas si irréguliers, & le plus souvent de très-peu de durée ; parce que la cause est ordinairement de nature à être aisément & promtement détruite, ou peut subsister sans danger : il n'y a pas de vice intrinseque dans les humeurs ; elles ne pechent que par l'excès de quantité : il n'en est pas de même dans les suppressions du flux menstruel ; la cause étant le plus souvent difficile à vaincre, occasionne des efforts continuels de la nature, pour détruire la pléthore & rétablir l'équilibre ; ce qui donne souvent lieu, dans ce cas, à des fievres considérables, & dont les suites peuvent être fâcheuses.

Ainsi, les inflammations occasionnant aussi une sorte de pléthore, plus ou moins étendue, produisent la fievre générale ou particuliere : le resserrement spasmodique des parties nerveuses dans un viscere, dans un membre, dans un tendon, dans un tronc de nerf picqué, irrité, produit le même effet ; de même aussi les irritations qui affectent les membranes nerveuses, comme celles des intestins, la plevre, la dure-mere, l'enveloppe des muscles, le périoste, &c. les remedes irritans, tels, sur-tout, que les purgatifs, les vomitifs, les vésicatoires, les synapismes, les phoenigmes, &c. semblent n'attirer un plus grand abord d'humeurs dans les parties où ils agissent, que parce qu'ils excitent la réaction des vaisseaux éloignés vers ceux qui sont d'abord plus resserrés par l'irritation, mais qui sont bien-tôt forcés de céder à toutes les puissances des solides réunies contre eux ; ce qui opere une dérivation d'humeurs vers la partie irritée ; dérivation qui est, par cette raison, le plus souvent précédée d'une augmentation de mouvement dans tous les fluides, dans la circulation entiere. N'est-ce pas ainsi que l'on peut concevoir la maniere d'agir des topiques irritans, dont on se sert pour attirer la goutte dans les extrémités ? l'action des cauteres actuels, du moxa, produit aussi à-peu-près les mêmes effets : l'orgasme, dans les parties susceptibles d'impressions voluptueuses, fait ainsi naître une agitation générale, en tant que la tension de leurs parties nerveuses y forme des obstacles au cours ordinaire des humeurs, qui refluent dans tout le corps, y font une pléthore passagere, c'est-à-dire proportionnée à la durée de la cause de cette tension, & cette pléthore cesse avec le sentiment qui en a été la cause déterminante : c'est ce qu'on éprouve dans l'acte vénérien, dans la seule érection de la verge, du clitoris, soûtenue par l'imagination échauffée, dans le gonflement des parties de la vulve, des mamelons : tout ce qui tend les nerfs plus qu'à l'ordinaire, comme une épine dans un tendon, dans des chairs bien sensibles, comme les brûlures, &c. produit un plus grand abord de sang dans les parties affectées ; d'où s'ensuit un battement d'arteres plus fort dans ces parties, ou une agitation générale, à proportion de l'intensité de la cause, &c.

Il résulte de ce qui a été dit jusqu'ici sur les différentes causes qui peuvent déranger l'équilibre de la machine dans l'économie animale, que dans le relâchement, l'élasticité naturelle qui subsiste dans les fibres, suffit en général, pour leur donner un degré de force qui détermine le cours des fluides vers la partie qui a perdu de son ressort ; mais le défaut d'équilibre, qui est produit par l'irritation, ne peut pas avoir lieu, sans qu'il soit ajoûté généralement à tous les solides, une force qui puisse l'emporter sur la résistance de la partie où se fait l'irritation ; en sorte que dans ce cas, ils acquierent plus de force d'action sur les fluides par un resserrement qui dépend des nerfs, & l'équilibre se détruit, tout comme si les parties irritées péchoient par relâchement, parce que celles-ci sont forcées de céder à l'action combinée de tous les vaisseaux du corps contr'elle ; étant alors inférieures en résistance, elles ne tiennent pas contre l'action des fibres, en général devenues plus fortes, que dans l'état naturel, par un moyen surajoûté, qui leur est commun à toutes, vis unita fortior. Ainsi de deux causes opposées, le relâchement & le resserrement des fibres ou des vaisseaux, il peut également en résulter un défaut d'équilibre dans le corps animal.

Il est naturel de conclure de tout ce qui vient d'être exposé au sujet de l'équilibre dans le corps humain, qu'il est très-important de s'instruire de tout ce qui sert à faire connoître les phénomenes, les lois constantes de cette condition requise pour la vie saine, de cet agent, qui paroît joüer un si grand rôle dans l'économie animale, qui est un principe fécond, d'où on peut déduire une infinité de causes, qui entretiennent la santé, qui produisent les maladies, selon les diverses dispositions des solides entr'eux, & relativement aux fluides. Les réflexions, sur ce sujet, semblent justifier la théorie des anciens medecins méthodiques, qui vouloient faire dépendre l'exercice reglé ou vicié de toutes les fonctions, de ce qu'ils appelloient le strictum & le laxum ; ils ne se sont vraisemblablement écartés de la vérité à cet égard, que pour avoir voulu tout attribuer à la disposition des solides, sans reconnoître aucun vice essentiel dans les fluides. Baglivi a trop fait dépendre l'équilibre, qu'il avoit justement entrevû dans le corps animal, du mouvement systaltique, qu'il attribuoit aux membranes du cerveau ; mais en ramenant cette théorie aux vrais avantages que l'on peut en tirer, elle peut fournir de grandes lumieres dans l'étude de la nature & de ses opérations, dans l'état de la santé & dans celui de maladie ; par exemple, à l'égard de la distribution des différentes humeurs dans toutes les parties du corps, du méchanisme des secrétions en général, de l'influence du poids de l'air & de ses autres qualités, du chaud, du froid, du sec, de l'humide, &c. sur le corps humain, sur les poumons principalement, des évacuations critiques & symptomatiques, des métastases, &c. Voyez sur ce sujet l'article METHODIQUE, Prosper Alpin, de medecinâ methodicâ, & les oeuvres de Baglivi. Si l'on admet l'importance des résultats, qui dérivent des observations sur l'équilibre dans l'économie animale, tel qu'on vient de le représenter, on ne peut pas refuser de convenir qu'elles doivent être aussi d'une très-grande utilité dans la pratique medecinale, pour établir les indications dans le traitement des maladies, & pour diriger l'administration de la plûpart des remedes, comme les évacuans, dérivatifs, révulsifs, fortifians, relâchans, anodyns, narcotiques, antispasmodiques, & autres qui peuvent produire des effets relatifs à ceux-là. Voyez ces mots & les articles qui ont rapport à celui qui vient d'être terminé, tel que FIBRE, FLUXION, RELACHEMENT, SPASME, &c. (d)

EQUILIBRE, terme de Peinture. Omne corpus, nisi extrema sese undiquè contineant, librenturque ad centrum, collabatur ruatque necesse est : voilà un passage qui me paroît définir le terme dont il s'agit ici, & j'espere qu'une explication un peu détaillée de ce texte, & un précis de ce que Léonard de Vinci dit sur cette partie dans son traité de la Peinture, suffiront pour en donner une idée claire. Pomponius Gaurie qui a composé en latin un traité de la Sculpture, est l'auteur de la définition que j'ai citée ; elle se trouve au chapitre vj. intitulé de statuarum statu, motu, & otio. Toute espece de corps, dit-il, dont les extrémités ne sont pas contenues de toutes parts, & balancées sur leur centre, doit nécessairement tomber & se précipiter.

La chaîne qui unit les connoissances humaines, joint ici la Physique à la Peinture ; ensorte que le physicien qui examine la cause du mouvement des corps, & le peintre qui veut en représenter les justes effets, peuvent, pour quelques momens au moins, suivre la même route, & pour ainsi dire voyager ensemble. L'on doit même remarquer que ces points de réunion des Sciences, des Arts, & des connoissances de l'esprit, se montrent plus fréquens, lorsque ces mêmes connoissances tendent à une plus grande perfection. Cependant on a pu observer aussi (comme une espece de contradiction à ce principe), que souvent la théorie perfectionnée a plûtôt suivi que précédé les âges les plus brillans des beaux arts, & qu'au moins elle n'a pas toûjours produit les fruits qu'on sembleroit devoir en espérer. Je reserve pour les mots THEORIE & PRATIQUE quelques réflexions sur cette singularité. Il s'agit dans cet article d'expliquer le plus précisément qu'il est possible ce que l'on entend par équilibre dans l'art de Peinture.

Le mot équilibre s'entend principalement des figures qui par elles-mêmes ont du mouvement ; telles que les hommes & les animaux.

Mais on se sert aussi de cette expression pour la composition d'un tableau ; & je vais commencer par développer ce dernier sens. M. du Fresnoy, dans son poëme immortel de arte graphicâ, recommande cette partie ; & voici comment il s'exprime :

Seu multis constabit opus, paucisque figuris,

Altera pars tabulae vacuo ne frigida campo

Aut deserta siet, dum pluribus altera formis

Fervida mole suâ supremam exurgit ad oram :

Sed tibi sic positis respondeant utraque rebus ;

Ut si aliquid sursum se parte attollat in unâ,

Sic aliquid parte ex aliâ consurgat, & ambas

Aequiparet, geminas cumulando aequaliter oras.

" Soit que vous employiez beaucoup de figures, ou que vous vous réduisiez à un petit nombre ; qu'une partie du tableau ne paroisse point vuide, dépeuplée, & froide, tandis que l'autre enrichie d'une infinité d'objets, offre un champ trop rempli : mais faites que toute votre ordonnance convienne tellement que si quelque corps s'éleve dans un endroit, quelqu'autre le balance, ensorte que votre composition présente un juste équilibre dans ses différentes parties ".

Cette traduction qui peut paroître moins conforme à la lettre qu'elle ne l'est au sens, donne une idée de cet équilibre de composition dont M. du Fresnoy a voulu parler ; & j'ai hasardé avec d'autant plus de plaisir d'expliquer sa pensée dans ce passage, que la traduction qu'en donne M. de Piles présente des préceptes qui, loin d'être avoüés par les artistes, sont absolument contraires aux principes de l'art & aux effets de la nature. Je vais rapporter les termes dont se sert M. de Piles.

" Que l'un des côtés du tableau ne demeure pas vuide, pendant que l'autre est rempli jusqu'au haut ; mais que l'on dispose si bien les choses, que si d'un côté le tableau est rempli, l'on prenne occasion de remplir l'autre ; ensorte qu'ils paroissent en quelque façon égaux, soit qu'il y ait beaucoup de figures, ou qu'elles y soient en petit nombre ".

On apperçoit assez dans ces mots, en quelque façon, qui ne sont point dans le texte, que M. de Piles lui-même a senti qu'il falloit adoucir ce qu'il venoit d'avancer : mais cet adoucissement ne suffit pas. Il n'est point du tout nécessaire de remplir un côté du tableau, parce que l'on a rempli l'autre, ni de faire ensorte qu'ils paroissent, en quelque façon même, égaux. Les lois de la composition sont fondées sur celles de la nature, & la nature moins concertée ne prend point pour nous plaire les soins qu'on prescrit ici à l'artiste. Sur quoi donc sera fondé le précepte de du Fresnoi ? que deviendra ce balancement de composition à l'aide duquel j'ai rendu son idée ? Il naîtra naturellement d'un heureux choix des effets de la nature, qui non-seulement est permis aux Peintres, mais qu'il faut même leur recommander ; il naîtra du rapprochement de certains objets que la nature ne présente pas assez éloignés les uns des autres, pour qu'on ne soit pas autorisé à les rassembler & à les disposer à son avantage.

En effet il est rare que dans un endroit enrichi, soit par les productions naturelles, soit par les beautés de l'art, soit par un concours d'êtres vivans, il se trouve dans le court espace que l'on peut choisir pour sujet d'un tableau (qui n'est ordinairement que celui qu'un seul regard peut embrasser), un côté dénué de toute espece de richesses, tandis que l'autre en sera comblé. La nature garde plus d'uniformité dans les tableaux qu'elle compose ; elle n'offre point brusquement le contraste de l'abondance & de l'extrême aridité. Les lieux escarpés se joignent imperceptiblement à ceux qui sont unis ; les contraires sont séparés par des milieux, d'où résulte cette harmonie générale qui plaît à nos regards : d'ailleurs ce balancement ne consiste pas seulement dans la place, la grandeur, & le nombre des objets ; il a encore une source plus cachée dans la disposition & l'enchaînement des masses que forment la lumiere & l'ombre. C'est sur-tout cet ordre ingénieux, ce chemin qu'on fait faire à la lumiere dans la composition d'un tableau, qui contribuent à son balancement & à son équilibre, qui contentent la vûe, & qui sont cause que ce sens étant satisfait, l'esprit & l'ame peuvent prendre leur part du plaisir que leur offre l'illusion de la Peinture.

J'insisterai d'autant plus sur ce principe d'équilibre de la composition, qu'il y a un danger infini pour les artistes dans l'affectation d'une disposition d'objets trop recherchée, & que c'est par cette route que se sont introduits ces faux principes de contraste & de disposition pyramidale.

Les beautés de la nature ont un caractere de simplicité qui s'étend sur ses tableaux les plus composés, & qui plaît dans ceux qu'on pourroit accuser de monotonie. Plusieurs figures dans la même attitude, sur le même plan, sans contraste, sans opposition, bien loin d'être monotones dans la nature, nous y présentent des variétés fines, des nuances délicates, & une union d'action qui enchantent. Il faut pour imiter ces beautés, une extrême justesse ; & la naïveté, je l'avoue, est voisine de la sécheresse, & d'un goût pauvre qu'il faut éviter avec autant de soin que le genre outré. Mais c'en est assez pour la signification de ces mots, équilibre de composition. Consultons Léonard de Vinci sur l'équilibre des corps en particulier.

" La pondération, dit-il chap. cclx, ou l'équilibre des hommes, se divise en deux parties : elle est simple, ou composée. L'équilibre simple est celui qui se remarque dans un homme qui est debout sur ses piés sans se mouvoir. Dans cette position, si cet homme étend les bras en les éloignant diversement de leur milieu, ou s'il se baisse en se tenant sur un de ses piés, le centre de gravité tombe par une ligne perpendiculaire sur le milieu du pié qui pose à terre ; & s'il est appuyé également sur les deux piés, son estomac aura son centre de gravité sur une ligne qui tombe sur le point milieu de l'espace qui se trouve entre les deux piés.

L'équilibre composé est celui qu'on voit dans un homme qui soûtient dans diverses attitudes un poids étranger ; dans Hercule, par exemple, étouffant Antée qu'il suspend en l'air, & qu'il presse avec ses bras contre son estomac. Il faut, dans cet exemple, que la figure d'Hercule ait autant de son poids au-delà de la ligne centrale de ses piés, qu'il y a du poids d'Anthée en-deçà de cette même ligne ".

On voit par ces définitions de Léonard de Vinci, que l'équilibre d'une figure est le résultat des moyens qu'elle employe pour se soûtenir, soit dans une action de mouvement, soit dans une attitude de repos.

Mais comme les principes & les réflexions excellentes de cet auteur sont peu liés ensemble dans son ouvrage, je vais, en les fondant avec les miennes, leur donner, s'il se peut, un ordre qui en rende l'intelligence plus facile, pour ceux mêmes qui ne pratiquent pas l'art de la Peinture.

Quoique le peintre de figure ne puisse produire qu'une représentation immobile de l'homme qu'il imite, l'illusion de son art lui permet de choisir pour cette représentation dans les actions les plus animées, comme dans les attitudes du plus parfait repos : il ne peut représenter dans les unes & dans les autres qu'un seul instant ; mais une action quelque vive, quelque rapide qu'elle soit, est composée d'une suite infinie de momens, & chacun d'eux doit être supposé avoir quelque durée : ils sont donc tous susceptibles de l'imitation que le peintre en peut faire dans cette succession de momens dont est composée une action. La figure doit (par une loi que la nature impose aux corps qui se meuvent d'eux-mêmes) passer alternativement de l'équilibre, qui consiste dans l'égalité du poids de ses parties balancées & reposées sur un centre, à la cessation de cette égalité. Le mouvement naît de la rupture du parfait équilibre, & le repos provient du rétablissement de ce même équilibre.

Ce mouvement sera d'autant plus fort, plus promt, & plus violent, que la figure dont le poids est partagé également de chaque côté de la ligne qui la soutient, en ôtera plus d'un de ces côtés pour le rejetter de l'autre, & cela avec violence & précipitation.

Par une suite de ce principe, un homme ne pourra remuer ou enlever un fardeau, qu'il ne tire de soi-même un poids plus qu'égal à celui qu'il veut mouvoir, & qu'il ne le porte du côté opposé à celui où est le fardeau qu'il veut lever. C'est de-là qu'on doit inférer, que pour parvenir à une juste expression des actions, il faut que le peintre fasse ensorte que ses figures démontrent dans leur attitude la quantité de poids ou de force qu'elles empruntent pour l'action qu'elles sont prêtes d'exécuter. J'ai dit la quantité de force ; parce que si la figure qui supporte un fardeau rejette d'un côté de la ligne qui partage le poids de son corps, ce qu'il faut de plus de ce poids pour balancer le fardeau dont elle est chargée, la figure qui veut lancer une pierre ou un dard, emprunte la force dont elle a besoin, par une contorsion d'autant plus violente, qu'elle veut porter son coup plus loin ; encore est-il nécessaire, pour porter son coup, qu'elle se prépare par une position anticipée à revenir aisément de cette contorsion à la position où elle étoit avant que de se gêner : ce qui fait qu'un homme qui tourne d'avance la pointe de ses piés vers le but où il veut frapper, & qui ensuite recule son corps, ou le contourne, pour acquérir la force dont il a besoin, en acquerra plus que celui qui se poseroit différemment ; parce que la position de ses piés facilite le retour de son corps vers l'endroit qu'il veut frapper, & qu'il y revient avec vîtesse, enfin s'y retrouve placé commodément.

Cette succession d'égalité & d'inégalité de poids dans des combinaisons innombrables (que notre instinct, sans notre participation & à notre insçu, fait servir à exécuter nos volontés avec une précision géométrique si admirable) se remarque aisément dès que l'on y fait la moindre attention : cependant elle est encore plus visible, lorsqu'on examine les danseurs & les sauteurs, dont l'art consiste à en faire un usage plus raisonné & plus approfondi. Les faiseurs d'équilibre & les funambules sur-tout, en offrent des démonstrations frappantes ; parce que dans les mouvemens qu'ils se donnent sur des appuis moins solides, & sur des points de surface plus restraints, l'effet des poids est plus remarquable & plus subit, sur-tout lorsqu'ils exécutent leurs exercices sans appui, & qu'ils marchent ou sautent sur la corde sans contre-poids : c'est alors que vous voyez l'emprunt qu'ils font à chaque instant d'une partie du poids de leur corps pour soûtenir l'autre, & pour mettre alternativement leur poids total dans un juste balancement, ou dans une égalité qui produit leurs mouvemens ou le repos de leurs attitudes : c'est alors qu'on voit dans la position de leurs bras l'origine de ces contrastes de membres qui nous plaisent, & qui sont fondés sur la nécessité ; plus ces contrastes sont justes & conformes à la pondération nécessaire des corps, plus ils satisfont le spectateur, sans qu'il cherche à se rendre compte de cette satisfaction qu'il ressent ; plus ils s'éloignent de la nécessité, moins ils produisent d'agrémens, ou même plus ils blessent, sans qu'on puisse bien clairement se rendre raison de cette impression.

Ce sont ces observations qui doivent engager les artistes à imiter Léonard de Vinci, & à employer leurs momens de loisir à des réflexions approfondies ; ils se formeront par-là des principes certains, & ces principes produiront dans leurs ouvrages ces beautés vraies & ces graces naturelles, qu'on regarde injustement comme des qualités arbitraires, & pour la définition desquelles on employe si souvent ce terme de je ne sai quoi : expression plus obscure cent fois que ce que l'on veut définir, & trop peu philosophique pour qu'il soit permis de l'admettre autrement que comme une plaisanterie.

En invitant les artistes à s'occuper sérieusement de l'équilibre & de la pondération des corps, comme je les ai déja exhortés à faire des études profondes de l'Anatomie, je crois les rappeller à deux points fondamentaux de leur art. Je ne répéterai pas ce que j'ai dit de l'Anatomie ; mais j'ose leur avancer que la variété, les graces, la force de l'expression, ont aussi leurs sources dans les lois de l'équilibre & de la pondération ; & sans entrer dans des détails qui demanderoient un ouvrage entier, je me contenterai de mettre sur la voie ceux qui voudront réfléchir sur ce sujet. Pour commencer par la variété, qu'elle ressource n'a-t-elle pas dans cette nécessité de dispositions différentes, relatives à l'équilibre, que la nature exige au moindre changement d'attitude ? Le peu d'attention sur les détails de cette partie, peut laisser croire à un artiste superficiel, qu'il n'y a qu'un certain nombre de positions qui soient favorables à son talent ; dès que son sujet le rapprochera tant-soit-peu d'une de ces figures favorites, il se sentira entraîné à s'y fixer par l'habitude ou par la paresse ; & si l'on veut décomposer tous ses ouvrages & les réduire à leur juste mérite, quelques attitudes, quelques grouppes, & quelques caracteres de têtes éternellement répétés, offriront le fond médiocre sur lequel on portera un jugement qui lui sera peu favorable. Ce n'est point ainsi qu'ont exercé, & qu'exercent encore cet art immense, les artistes qui aspirent à une réputation solidement établie ; ils cherchent continuellement dans la nature les effets, & dans le raisonnement les causes & la liaison de ces effets : ils remarquent, comme je viens de le dire, que le moindre changement dans la situation d'un membre, en exige dans la disposition des autres, & que ce n'est point au hasard que se fait cette disposition, qu'elle est déterminée non-seulement par le poids des parties du corps, mais par l'union qu'elles ont entr'elles par leur nature, c'est-à-dire par leur plus ou moins de solidité ; & c'est alors que les lumieres de l'anatomie du corps doivent guider les réflexions qu'on fait sur son équilibre. Ils sentiront que cette disposition différente qu'exige le moindre mouvement dans les membres, est dirigée à l'avantage de l'homme par un instinct secret, c'est-à-dire que la nature le porte à se disposer toujours de la façon la plus commode & la plus favorable à son dessein. La juste proportion des parties & l'habitude des mouvemens y concourent : de-là naît dans ceux qui voyent agir naturellement une figure bien conformée, l'idée de la facilité, de l'aisance ; ces idées plaisent : de-là naît celle de la grace dans les actions. Pour l'expression, comme elle résulte du mouvement que l'ame exige du corps, & que ce dernier exécute ; on sent qu'elle est ainsi subordonnée aux principes physiques des mouvemens corporels, auxquels il est obligé de se soûmettre, pour obéir à l'ame jusque dans ses volontés les plus rapides & les plus spontanées. Cet article est de M. WATELET.


EQUILLES. f. (Fontaines salantes) ce terme a plusieurs acceptions : il se dit premierement d'une espece de croûte qui se forme au fond des poëles par la grande ardeur du feu, & qui arrête les coulés lorsqu'on héberge muire : secondement, d'un outil tranchant, avec lequel un des deux ouvriers qui hébergent muire rompt la croûte qui couvre le coulé dans l'endroit que lui indique le champeur, afin d'y jetter de la chaux-vive détrempée qui arrête le coulé, lorsqu'il arrive à l'eau de se faire issue sous la croûte, & de s'échapper : troisiemement, de la croûte qui s'est formée au fond des poëles après la salinaison ; celle-ci se porte à la petite saline, pour y être employée avec les autres matieres salées.


EQUILLEURS. m. (Fontaines salantes) c'est celui qui après la salinaison, est chargé de détacher l'équille du fond des poëles ; ce qu'il exécute avec une masse de fer.


EQUIMULTIPLEadj. en Arithmétique & en Géométrie, se dit des grandeurs multipliées également, c'est-à-dire par des quantités ou des multiplicateurs égaux. Voyez MULTIPLICATION.

Si on prend A autant de fois que B, c'est-à-dire si on les multiplie également, il y aura toûjours le même rapport entre les grandeurs ainsi multipliées, qu'il y avoit entre les grandeurs primitives avant la multiplication. Or ces grandeurs ainsi également multipliées, sont nommées équimultiples de leurs primitives A & B ; c'est pourquoi nous disons que les équimultiples sont en raison des quantités simples. Voyez RAISON.

En Arithmétique, on se sert en général du terme équimultiple, pour exprimer des nombres qui contiennent également ou un égal nombre de fois leurs sous-multiples.

Ainsi 12 & 6 sont équimultiples de leurs sous-multiples 4 & 2 ; parce que chacun d'eux contient son sous-multiple trois fois. Voyez SOUS-MULTIPLE & MULTIPLE. Harris & Chambers. (E)


EQUINOCTIALVoyez EQUINOXIAL.


EQUINOXES. m. en Astronomie, est le tems auquel le Soleil entre dans l'équateur, & par conséquent dans un des points équinoxiaux. Voyez EQUINOXIAL.

Le tems où le Soleil entre dans le point équinoxial du printems, est appellé particulierement l'équinoxe du printems ; & celui auquel le Soleil entre dans le point équinoxial d'automne, est appellé équinoxe d'automne. Voyez PRINTEMS & AUTOMNE.

Les équinoxes arrivant quand le Soleil est dans l'équateur (voyez ÉQUATEUR), les jours sont pour lors égaux aux nuits par toute la terre, ce qui arrive deux fois par an ; savoir, vers le 20e jour de Mars, & le 20° de Septembre ; le premier est l'équinoxe du printems, & le second celui d'automne. C'est de-là que vient le mot équinoxe, formé de aequus, égal, & de nox, nuit. Depuis l'équinoxe du printems jusqu'à celui d'automne, les jours sont plus grands que les nuits ; c'est le contraire depuis l'équinoxe d'automne jusqu'à celui du printems.

Comme le mouvement du Soleil est inégal, c'est-à-dire tantôt plus vîte tantôt plus lent (sur quoi voyez plus haut l'article ÉQUATION DU CENTRE), il arrive qu'il y a environ huit jours de plus de l'équinoxe du printems à l'équinoxe d'automne, que de l'équinoxe d'automne à l'équinoxe du printems ; parce que le Soleil employe plus de tems à parcourir les signes septentrionaux, qu'il n'en met à parcourir les méridionaux.

Suivant les observations de M. Cassini, le Soleil employe 186 jours 14 heures 53 minutes à parcourir les signes septentrionaux, & 178 jours 14 heures 56 minutes à parcourir les méridionaux : la différence est de sept jours 23 heures 57 minutes.

Le Soleil avançant toûjours dans l'écliptique, & gagnant un degré tous les jours, ne s'arrête point dans les points des équinoxes, mais au moment qu'il y arrive il les quitte.

Donc quoiqu'on appelle jour de l'équinoxe celui où le Soleil entre dans le point équinoxial, parce qu'il est réputé égal à la nuit, cependant cela n'est pas de la derniere précision ; car si le Soleil en se levant entre dans l'équinoxe du printems, en se couchant il l'aura passé & s'en sera éloigné du côté du septentrion d'environ 12 minutes ; par conséquent ce jour-là aura un peu plus de 12 heures, & la nuit à proportion en aura moins. Il n'y a que les habitans de l'équateur qui ont un équinoxe perpétuel ; car sous l'équateur les jours sont pendant toute l'année égaux aux nuits, abstraction faite des crépuscules. Voyez ÉQUATEUR.

Le tems des équinoxes, c'est-à-dire le moment auquel le Soleil entre dans l'équateur, se peut trouver, de la maniere suivante, par observation, lorsqu'on connoît la latitude du lieu où l'on observe.

Le jour de l'équinoxe ou celui qui le précede, prenez la hauteur précise du Soleil à midi ; si elle est égale à la hauteur de l'équateur, ou au complément de la latitude, le Soleil est dans l'équateur au moment même de midi ; si elle n'est pas égale, la différence marque la déclinaison du Soleil. Le jour suivant observez comme la veille la hauteur du Soleil à midi, & trouvez sa déclinaison. Si la déclinaison est de différentes dénominations, c'est-à-dire l'une nord & l'autre sud, l'équinoxe est arrivé dans l'intervalle des deux observations ; sinon, ou le Soleil avoit déjà passé l'équinoxe au tems de la premiere observation, ou il n'y est pas encore entré. Au moyen de ces deux observations, il est aisé de fixer le tems de l'équinoxe par un calcul assez simple. Cette méthode est expliquée plus au long dans les institutions astronomiques de M. le Monnier, pag. 467, & on peut, si on veut, y avoir recours. Mais M. le Monnier la regarde comme peu propre à donner le moment de l'équinoxe, parce qu'une erreur de 5 secondes dans la déclinaison, en produit une de 5 minutes dans le moment de l'équinoxe. C'est pourquoi il croit qu'on doit chercher le moment de l'équinoxe par une autre méthode, qui consiste à employer pour cela les ascensions droites des étoiles, & qu'il explique page 388 de ce même ouvrage.

On trouve par les observations, que les points des équinoxes & tous les autres points de l'écliptique, se meuvent continuellement d'orient en occident contre l'ordre des signes. Ce mouvement retrograde des points équinoxiaux, est appellé précession des équinoxes. Voyez PRECESSION, NUTATION, &c.

EQUINOXE, (Medecine) Les Medecins font aussi mention des équinoxes, parmi les causes des maladies ; parce qu'ils déterminent le commencement du printems & de l'automne, qui sont des saisons où les variétés dans la température de l'air sont si considérables & si fréquentes, qu'elles produisent ordinairement de grandes altérations dans l'économie animale. Voyez AIR, SAISON. (d)


EQUINOXIALsubst. m. en Astronomie, est un grand cercle immobile de la sphere, sous lequel l'équateur se meut dans son mouvement journalier. V. SPHERE.

L'équinoxial ou la ligne équinoxiale, est ordinairement confondue avec l'équateur, mais ce n'est pas la même chose ; l'équateur est mobile, la ligne équinoxiale ne l'est pas : l'équateur est supposé tracé sur la surface convexe de la sphere, mais la ligne équinoxiale est imaginée tracée sur la surface concave du grand orbe. Voyez ÉQUATEUR.

On conçoit la ligne équinoxiale, en supposant un rayon de la sphere prolongé par-delà l'équateur, & qui par la rotation de la sphere sur son axe, décrit un cercle sur la surface immobile & concave du grand orbe.

Toutes les fois que le Soleil dans son mouvement apparent arrive à ce cercle, les jours & les nuits sont égales pour tout le globe, ce qui n'arrive dans aucun autre tems de l'année. Voyez ÉQUATEUR. C'est de-là que ce cercle tire son nom. Voyez ÉQUINOXE.

L'équinoxial est donc un cercle que le Soleil décrit ou paroît décrire dans le tems des équinoxes ; c'est-à-dire quand la longueur du jour est exactement ou sensiblement égale à la longueur de la nuit, ce qui arrive deux fois par an.

Equinoxial se prend aussi adjectivement ; ainsi outre les mots ligne équinoxiale, qu'on employe quelquefois pour désigner l'équinoxial, on se sert encore des manieres de parler suivantes.

Points équinoxiaux, sont les deux points dans lesquels l'équateur & l'écliptique se coupent l'un l'autre : l'un, qui est au premier point du Bélier, est appellé l'équinoxe du printems ; l'autre, qui est au premier point de la Balance, est appellé l'équinoxe d'automne, sur quoi voyez PRECESSION & ZODIAQUE.

Colure équinoxial ou colure des équinoxes, est celui qui passe par les points des équinoxes. V. COLURE.

Cadran équinoxial, est celui dont le plan est parallele à l'équateur. Voyez CADRAN.

Orient équinoxial, est le point où l'horison d'un lieu est coupé par l'équateur vers l'orient ; il en est de même de l'occident équinoxial ; ces points sont le levant & le couchant aux équinoxes, differens du levant & du couchant d'hyver & d'été. Voyez LEVANT, COUCHANT, ORIENT, OCCIDENT, &c.

France équinoxiale, est le nom que quelques auteurs ont donné aux pays qui appartiennent à la France, & qui se trouvent sous l'équinoxial ou fort près de ce grand cercle. L'île de Cayenne, qui appartient aux François, & qui est à 4 degrés de l'équateur, fait la plus grande partie de la France équinoxiale. M. Barrere medecin de Perpignan, & correspondant de l'académie des Sciences de Paris, a donné un essai sur l'histoire naturelle de la France équinoxiale.

Le mot équinoxial doit s'écrire ainsi, si on le dérive d'équinoxe, & même de aequus & nox ; mais il doit s'écrire équinoctial, si on le dérive de aequus, & d'un des cas du mot nox, comme noctis, noctes ; nous avons préféré la premiere ortographe comme plus conforme à la prononciation, & du moins aussi conforme à l'étymologie ; cependant plusieurs écrivent équinoctial. (O)


ÉQUIPAGES. m. (Gramm.) il se dit en plusieurs occasions de toutes les choses nécessaires pour commencer, continuer, & finir avec facilité & succès, certaines opérations, ou agréables, ou utiles, ou périlleuses, &c. Ainsi on dit, équipage de guerre. Voy. l'article suiv. EQUIPAGE DE CHASSE, EQUIPAGE DE PECHE, &c.

ÉQUIPAGE DE GUERRE, se dit en France des différentes choses utiles à la guerre, c'est-à-dire des chevaux, des harnois, des tentes, & autres ustensiles que les officiers, tant généraux que particuliers, font porter avec eux. L'artillerie & ce qui concerne les vivres forment aussi des parties essentielles des équipages de l'armée. Les équipages de l'artillerie sont composés du canon, des mortiers, & de toutes les especes d'armes & de munitions nécessaires à leur service. Pour les vivres, ses équipages consistent en caissons ou chariots couverts pour voiturer le pain des troupes, les farines, &c.

Les équipages de guerre des officiers doivent être le moins nombreux, & le plus simple qu'il est possible. Nous avons sur ce sujet de très-bonnes ordonnances pour limiter & fixer le nombre des équipages, mais qui ne sont pas toûjours observées rigoureusement. Une trop grande quantité d'équipage est fort incommode & embarrassante dans les marches ; le nombre des chevaux & mulets augmente aussi la consommation du fourrage dans les camps ; ce qui oblige le général d'envoyer promtement fourrager au loin, au grand préjudice de sa cavalerie, & ce qui l'oblige aussi souvent à quitter un camp avantageux, parce que la disette & l'éloignement des fourrages ne lui permettent plus d'y subsister.

Les équipages de guerre se divisent en gros & en petits. Les gros comprennent les chariots & les charrettes ; & les petits, les chevaux de bât & les mulets. Lorsque le général a dessein de combattre, il débarrasse son armée des gros équipages. On les envoye avec une escorte sous le canon de quelque ville des environs ou de quelque poste fortifié. On s'en débarrasse encore dans les détachemens & dans les courses qu'on veut faire dans le pays ennemi, parce qu'ils retarderoient la marche, & qu'ils ne pourroient pas passer dans tous les chemins. On n'a donc dans ces sortes d'expéditions que les menus équipages, c'est-à-dire des mulets & des chevaux de bât. Les gros équipages, comme chariots & charrettes, sont plus commodes que les petits pour transporter beaucoup de bagages avec moins de chevaux, mais ils ont l'inconvénient de ne pas pouvoir aller dans toutes sortes de chemins. C'est pourquoi les Romains ne se servoient guere que de bêtes de charge pour porter les équipages de l'armée ; encore étoient-elles en petit nombre, parce qu'il n'y avoit que les personnes d'un rang distingué qui eussent des valets.

Dans nos armées, le général peut avoir, selon l'ordonnance du 20 Juillet 1741, tel nombre de gros équipages qu'il juge à-propos ; un lieutenant-général ne doit avoir que trente chevaux ou mulets, y compris ceux qui sont employés aux attelages de trois voitures à roues ; un maréchal de camp, vingt chevaux, y compris les attelages de deux voitures à roues ; & un brigadier, colonel ou mestre-de-camp, seize chevaux, y compris une voiture à roues seulement.

Il est défendu aux lieutenans-colonels, capitaines, & autres officiers subalternes, d'avoir aucune voiture à roues, & un plus grand nombre de chevaux de monture ou de bât, que celui pour lequel ils reçoivent du fourrage.

Les officiers, qui, à cause de leurs infirmités, ne peuvent se tenir à cheval ou en supporter la fatigue, obtiennent une permission du général pour avoir une chaise roulante. Chaque bataillon peut avoir un chariot ou une charrette pour un vivandier, qui campe avec le bataillon. Il en est de même pour un régiment de cavalerie de deux ou trois escadrons.

Les régimens de cavalerie, dragons, & infanterie, peuvent aussi avoir une charrette pour un boulanger. Il est défendu aux colonels d'avoir ces charrettes à la place des vivandiers & des boulangers, auxquels elles sont permises pour les besoins du régiment ; elles doivent être attelées de quatre bons chevaux. Voyez sur ce sujet le code militaire de Briquet, ou l'abregé qu'en a donné M. d'Hericourt dans le livre intitulé élémens de l'art militaire.

Il est du devoir du général de veiller à la conservation des équipages de son armée, parce que leur enlevement met les officiers qui les ont perdus dans de grands embarras, & qu'il leur ôte d'ailleurs la confiance qu'ils peuvent avoir au général ; attendu que cet inconvénient ne peut arriver, selon M. de Feuquiere, que par la faute du commandant, au moins les enlevemens généraux ; car il en arrive tous les jours de particuliers par la faute des valets qui s'écartent de la colonne des équipages, & dont le général ne peut être responsable.

Les équipages de guerre de Charles XII. roi de Suede, ne devoient point être fort considérables : " son lit, dit M. de Folard, qui l'avoit vû en Scanie, consistoit en deux bottes de paille, & une peau d'ours par-dessus. Il couchoit tout habillé comme le moindre de ses soldats. Le comte de la Marck ambassadeur de France, que ce prince estimoit infiniment, lui persuada de coucher dans un lit pour la premiere fois depuis la guerre ; mais quel étoit ce lit ! un seul matelas, des draps, & une couverture, sans rideaux.... Toute sa vaisselle étoit de fer battu, jusqu'à son gobelet ". Note sur Polybe, tome V. p. 484.

L'usage de la vaisselle d'argent pour les généraux n'est pas ancien dans nos armées. On prétend que le comte d'Harcourt (Henri de Lorraine mort le 25 Juillet 1666), qui commandoit les armées du tems de Louis XIII. & dans la minorité de Louis XIV. est le premier qui s'en soit servi. Suivant l'ordonnance du 8 Avril 1735, les colonels, capitaines, officiers subalternes ou volontaires, ne peuvent avoir dans leur équipage d'autre vaisselle d'argent que des cuilleres, des fourchettes, & des gobelets. M. le marquis de Santa-Crux ayant prouvé dans ses réflexions militaires, tom. I. p. 417. & suiv. les inconvéniens des équipages trop nombreux, observe que leur excès vient de la diversité des mets, que de cette diversité naît l'intempérance, & que de l'intempérance viennent les maladies. " Les trop grands équipages, dit ce savant & illustre officier, sont des suites des soins honteux qu'on se donne pour contenter sa bouche. Peut-on sans indignation, ajoûte-t-il, entendre des généraux de certaines nations, qui ne parlent jamais que de sausses & de ragoûts, & font de leurs entretiens une conversation de cuisiniers ? Combien de fois arrive-t-il qu'un général occupe son imagination des plats qu'on doit servir sur sa table, quand il ne devroit penser qu'aux devoirs importans du service de son prince " ? (Q)

EQUIPAGE D'UN VAISSEAU (Marine) On entend par ce mot le nombre des officiers, soldats & matelots qui sont embarqués sur un vaisseau, pour son service & sa manoeuvre pendant le cours de la campagne. Les vaisseaux de guerre ont un équipage bien plus fort & plus nombreux que les vaisseaux marchands : un vaisseau de 80 pieces de canon en a davantage qu'un vaisseau de 50.

L'ordonnance de la Marine, de 1689, regle le nombre d'hommes qui composent l'équipage d'un vaisseau, selon son rang. Ceux du premier rang, premier, second & troisieme ordre, ont 800, 700 & 600 hommes d'équipage.

Ceux du second rang, premier, second & troisieme ordre, ont 500, 450 & 400 hommes.

Ceux du troisieme & quatrieme rang ont 350 & 300 hommes.

Aujourd'hui les équipages sont plus forts que dans ces tems-là ; cependant en 1704, au combat de Malaga, le vaisseau le Foudroyant, de 104 canons, avoit 950 hommes d'équipage. Le vaisseau du Roi, l'Espérance, de 78 pieces de canon, armé en 1740, avoit 660 hommes d'équipage. On comprend dans l'équipage l'état-major, les officiers-mariniers, les matelots, les soldats, & les mousses.

Dans un vaisseau où il y a 8 à 900 hommes d'équipage, l'état-major est à-peu-près de 15 à 20 personnes. Les officiers-mariniers montent au moins à 100, canonniers environ 50, matelots 450, soldats 250 ; mais ceci est susceptible de beaucoup de variétés, suivant les circonstances & la destination de l'armement. (Z)

EQUIPAGE D'ATTELIER, (Marine) se dit dans le port, de toutes les machines & outils qui servent pour la construction. (Z)

EQUIPAGE DE POMPE, (Mar.) Il se dit de toutes les pieces & garnitures qui sont nécessaires pour la mettre en état de servir. (Z)

EQUIPAGE, (Hydraul.) On dit l'équipage d'une pompe, ce qui renferme seulement les corps, les pistons, les fourches, les tringles, & les moises qui les attachent à des chassis qui sont à coulisses, & qui se peuvent glisser dans les rainures des dormans ou bâtis de charpente scellés dans les puits & citernes où on construit des pompes. (K)

EQUIPAGE : on nomme ainsi, dans le Commerce de terre, tout ce qui sert à conduire les charrettes, chariots & autres voitures par terre ; ce qui comprend les chevaux, leurs selles, traits & attelages : on le dit aussi des chevaux, mulets & autres animaux de charge des messagers & voituriers.

Les chevaux & équipages des voituriers & autres personnes qui veulent faire entrer ou sortir des marchandises en fraude des droits du roi, ou celles qui sont censées de contrebande, sont sujets à confiscation par les ordonnances du roi pour les cinq grosses fermes, aides & gabelles. Dictionn. de Commerce, de Trévoux, & Chambers.

EQUIPAGE, (Architecture) se dit dans un attelier, tant des grues, grüans, chevres, vindas, chariots & autres machines, que des échelles, baliveaux, dosses, cordages, & tout ce qui sert pour la construction & pour le transport des matériaux. (P)


EQUIPES. f. terme de Riviere ; c'est une suite de bateaux attachés à la suite les uns des autres, & allant à la voile, quand le vent est favorable ; ou tirés par des hommes, quand le vent est contraire. Ce terme est sur-tout usité sur la Loire.


EQUIPÉadj. en Blason : il se dit d'un cavalier armé de toutes pieces. Il se dit aussi d'un vaisseau qui a ses voiles & ses cordages.

La Nauve, de gueules à la nef équipée d'argent, surmontée de trois étoiles d'or.


EQUIPEMENou ARMEMENT, s. m. (Mar.) c'est l'assemblage de tout ce qui est nécessaire, tant pour la manoeuvre du vaisseau, que pour la subsistance & armement des équipages. (Z)


EQUIPEREQUIPER


EQUIPOLÉadj. terme de Blason, qui se dit de neuf quarrés mis en forme d'échiquier, dont cinq, savoir ceux des quatre coins & du milieu, sont d'un métal différent de celui des quatre autres.

Saint-Priest en Forès, cinq points d'or équipolés à quatre d'azur.


EQUIPOLLENCES. f. adject. terme de Logique. Lorsque deux ou plusieurs expressions ou propositions signifient une seule & même chose, ces expressions ou ces propositions sont dites équipollentes ; & la propriété qu'elles ont d'exprimer la même chose de différentes façons, se nomme équipollence. Voyez SYNONYME & EQUIVALENT.


EQUIPOLLENTadj. (Jurisprud.) se dit d'une chose qui équivaut à une autre ; ainsi l'on dit que le seigneur peut prendre un droit de mutation pour tous les contrats de vente, & autres équipollens à vente, c'est-à-dire pour tous les actes qui, quoique non qualifiés de vente, operent le même effet.

Equipollente étoit aussi un droit qui se levoit sur les choses mobiliaires du tems de Charles VI. pour les frais de la guerre, au lieu de 12 deniers pour livre qui se levoient ailleurs. Voyez EQUIVALENT.

Equipollent se dit aussi quelquefois en Languedoc, pour équivalent, qui est un subside qui se paye au roi. Voyez ci-après EQUIVALENT. (A)


EQUIRIESS. f. (Hist. anc.) fêtes instituées par Romulus en l'honneur du dieu Mars ; on les célébroit le 27 de Février dans le champ de Mars, par des courses à cheval.


EQUITATIONS. f. (Hist. anc. & mod.) c'est l'art de monter à cheval.

De l'ancienneté de l'équitation, & de l'usage des chevaux dans les armées. L'art de monter à cheval semble être aussi ancien que le monde. L'Auteur de la Nature, en donnant au cheval les qualités que nous lui connoissons, avoit trop sensiblement marqué sa destination, pour qu'elle pût être long-tems ignorée. L'homme ayant sû, par un jugement sûr & promt, discerner dans la multitude infinie d'êtres différens qui l'environnoient, ceux qui étoient particulierement destinés à son usage, en auroit-il négligé un si capable de lui rendre les services les plus utiles ? La même lumiere qui dirigeoit son choix lorsqu'il soûmettoit à son domaine la brebis, la chevre, le taureau, l'éclaira sans doute sur les avantages qu'il devoit retirer du cheval, soit pour passer rapidement d'un lieu dans un autre, soit pour le transport des fardeaux, soit pour la facilité du commerce.

Il y a beaucoup d'apparence que le cheval ne servit d'abord qu'à soulager son maître dans le cours de ses occupations paisibles. Ce seroit trop présumer que de croire qu'il fut employé dans les premieres guerres que les hommes se firent entr'eux : au commencement, ceux-ci n'agirent point par principes ; ils n'eurent pour guide qu'un emportement aveugle, & ne connurent d'autres armes que les dents, les ongles, les mains, les pierres, les bâtons (a). L'airain & le fer servirent ensuite leur fureur ; mais la découverte de ces métaux ayant facilité le triomphe de l'injustice & de la violence, les hommes, qui formoient alors des sociétés naissantes, apprirent, par une funeste expérience, qu'inutilement ils compteroient sur la paix & sur le repos, tant qu'ils ne seroient point en état de repousser la force par la force : il fallut donc réduire en art un métier destructeur, & inventer des moyens pour le pratiquer avec plus d'avantage.

On peut compter parmi ces moyens, celui de combattre à cheval ; aussi l'histoire nous atteste-t-elle que l'homme ne tarda point à le découvrir & à le mettre en pratique : l'antiquité la plus reculée en offre des témoignages certains.

Les inclinations guerrieres de cet animal, sa vigueur, sa docilité, son attachement, n'échapperent point aux yeux de l'homme, & lui mériterent l'honneur de devenir le compagnon de ses dangers & de sa gloire.

Le cheval paroît né pour la guerre ; si l'on pouvoit en douter, cette belle description qu'on voit dans le livre de Job (ch. xxxjv. v. 19.) suffiroit pour le prouver : c'est Dieu qui parle, & qui interroge le saint patriarche.

" Est-ce de vous, lui demande-t-il, que le cheval tient son courage & son intrépidité ? vous doit-il son fier hennissement, & ce souffle ardent qui sort de ses narines, & qui inspire la terreur ? Il frappe du pié la terre, & la réduit en poudre ; il s'élance avec audace, & se précipite au-travers des hommes armés : inaccessible à la crainte, le tranchant des épées, le sifflement des fleches, le brillant éclat des lames & des dards, rien ne l'étonne, rien ne l'arrête. Son ardeur s'allume aux premiers sons de la trompette ; il frémit, il écume, il ne peut demeurer en place : d'impatience il mange la terre. Entend-il sonner la charge ? il dit, allons : il reconnoît l'approche du combat, il distingue la voix des chefs qui encouragent leurs soldats : les cris confus des armées prêtes à combattre,

(a) Arma antiqua manus, ungues, dentesque fuerunt, Et lapides, & item sylvarum fragmina rami, &c.

Lucretius, de rerum naturâ, lib. V.

excitent en lui une sensation qui l'anime & qui l'intéresse ".

Equus paratur in diem belli, a dit le plus sage des rois. Prov. ch. xxj.

L'unanimité de sentiment qui regne à cet égard chez tous les peuples, est une preuve qu'elle a son fondement dans la Nature. Les principaux traits de la description précédente se retrouvent dans l'élégante peinture que Virgile a tracée du même animal :

Continuo pecoris generosi pullus in arvis

Altius ingreditur, & mollia crura reponit ;

Primus & ire viam, & fluvios tentare minaces

Audet, & ignoto sese committere ponti,

Nec vanos horret strepitus....

....

.. Tum si qua sonum procul arma dedêre,

Stare loco nescit, micat auribus, & tremit artus,

Collectumque premens volvit sub naribus ignem.

Virg. Georg. lib. III. vers. 75.

Homere (Il. l. XIII.) le plus célébre de tous les poëtes, & le chantre des héros, dit que les chevaux sont une partie essentielle des armées, & qu'ils contribuent extrèmement à la victoire. Tous les auteurs anciens ou modernes qui ont traité de la guerre, ont pensé de même ; & la vérité de ce jugement est pleinement justifiée par la pratique de toutes les nations. Le cheval anime en quelque sorte l'homme au moment du combat ; ses mouvemens, ses agitations calment cette palpitation naturelle dont les plus braves guerriers ont de la peine à se défendre au premier appareil d'une bataille.

A la noble ardeur qui domine dans ce superbe animal, à son extrème docilité pour la main qui le guide, ajoûtons pour dernier trait qu'il est le plus fidele & le plus reconnoissant de tous les animaux, & nous aurons rassemblé les puissans motifs qui ont dû engager l'homme à s'en servir pour la guerre.

Fidelissimum inter omnia animalia, homini est canis atque equus, dit Pline, (l. VIII. c. xl.) Amissos lugent dominos, ajoûte-t-il plus bas (ibid. c. xlij.), lacrymasque interdum desiderio fundunt. Homere (Iliade, liv. XVII.) fait pleurer la mort de Patrocle par les chevaux d'Achille. Virgile donne le même sentiment au cheval de Pallas fils d'Evandre :

.... Positis insignibus Aethon

It lacrymans, guttisque humectat grandibus ora.

Aeneïd. l. XI. v. 89.

L'histoire (b) n'a pas dédaigné de nous apprendre que des chevaux ont défendu ou vengé leurs maîtres à coups de piés & de dents, & qu'ils leur ont quelquefois sauvé la vie.

Dans la bataille d'Alexandre contre Porus (Aul. Gell. noctium Attic. l. V. c. ij. & Q. Curt. l. VIII.) Bucéphale couvert de blessures & perdant tout son sang, ramassa néanmoins le reste de ses forces pour tirer au plus vîte son maître de la mêlée, où il couroit le plus grand danger : dès qu'il fut arrivé hors de la portée des traits, il tomba, & mourut un instant après ; paroissant satisfait, ajoûte l'historien, de n'avoir plus à craindre pour Alexandre.

Silius Italicus (l. X.) & Juste Lipse (in epistol. ad Belgas.) nous ont conservé un exemple remarquable de l'attachement extraordinaire dont les chevaux sont capables.

A la bataille de Cannes un chevalier romain nommé Claelius, qui avoit été percé de plusieurs coups, fut laissé parmi les morts sur le champ de bataille. Annibal s'y étant transporté le lendemain, Claelius, à qui il restoit encore un souffle de vie prêt à s'éteindre, voulut, au bruit qu'il entendit, faire un effort pour lever la tête, & parler ; mais il expira aussitôt, en poussant un profond gémissement. A ce cri, son cheval qui avoit été pris le jour d'auparavant, & que montoit un Numide de la suite d'Annibal, reconnoissant la voix de son maître, dresse les oreilles, hennit de toutes ses forces, jette par terre le Numide, s'élance à-travers les mourans & les morts, arrive auprès de Claelius : voyant qu'il ne se remuoit point, plein d'inquiétude & de tristesse, il se courbe comme à l'ordinaire sur les genoux, & semble l'inviter à monter. Cet excès d'affection & de fidélité fut admiré d'Annibal, & ce grand homme ne put s'empêcher d'être attendri à la vûe d'un spectacle si touchant.

Il n'est donc pas étonnant que par un juste retour (s'il est permis de s'exprimer ainsi) d'illustres guerriers, tels qu'un Alexandre & un César, ayent eu pour leurs chevaux un attachement singulier. Le premier bâtit une ville en l'honneur de Bucéphale : l'autre dédia l'image du sien à Vénus. On sait combien la pie de Turenne étoit aimée du soldat françois, parce qu'elle étoit chere à ce héros (c)

Le peu de lumieres que nous avons sur ce qui s'est passé dans les tems voisins du déluge, ne nous permet pas de fixer avec précision celui où l'on commença d'employer les chevaux à la guerre. L'Ecriture (Gen. ch. xjv.) ne dit pas qu'il y eût de la cavalerie dans la bataille des quatre rois contre cinq, ni dans la victoire qu'Abraham bientôt après remporta sur les premiers, qui emmenoient prisonnier Loth son neveu. Mais quoique nous ignorions, faute de détails suffisans, l'usage que les patriarches ont pû faire du cheval, il seroit absurde d'en conclure qu'ils eurent l'imbécillité, suivant l'expression de S. Jérôme (Comment. du chap. xxxvj. d'Isaïe), de ne s'en pas servir.

Origene cependant l'a voulu croire. On ne voit nulle part, dit-il, (Homélie xviij.) que les enfans d'Israël se soient servis de chevaux dans les armées. Mais comment a-t-il pû savoir qu'ils n'en avoient point ? il faut, pour le prouver, une évidence bien réelle & des faits constans. La loi du Deutéronome (ch. xvij. v. 16.) dont s'appuie S. Jérôme, non multiplicabit sibi equos, n'exclut pas les chevaux des armées des Juifs ; elle ne regarde que le roi, sibi, encore (d) ne lui en défend-elle que le grand nombre, non multiplicabit. C'étoit une sage prévoyance de la part de Moyse, ou parce que le peuple de Dieu devoit habiter un pays coupé, sec, aride, peu propre à nourrir beaucoup de chevaux ; ou bien, selon que l'a remarqué M. Fleury, pour lui ôter le desir & le moyen de retourner en Egypte. C'est apparemment par la même raison qu'il fut ordonné à Josué (II. 6.) de faire couper les jarrets aux chevaux des Chananéens ; ce qu'il exécuta après la défaite de Jabin roi d'Azor (vers l'an du monde 2559, avant J. C. 1445). David (II. Reg. viij. 4.) en fit autant à ceux qu'il prit sur Adaveser ; il n'en réserva que cent.

Quoi qu'il en soit du sentiment d'Origene, la défense portée au dix-septieme chapitre du Deutéronome, le vingtieme chapitre du même livre (e), & le quinzieme de l'Exode (equum & ascensorem dejecit

(b) Occiso Schytharum Regulo ex provocatione dimicante, hostem (cum victor ad spoliandum venisset) ab equo ejus ictibus morsuque confectum esse.... Ibidem Phylarchus refert Centaretum è Galatis in praelio, occiso Antiocho, potito equo ejus, conscendisse ovantem ; at illum indignatione accensum, demptis fraenis ne regi posset, praecipitem in abrupta isse exanimatumque unâ. Lib. VIII. c. xlij. de Pline.

(c) Chez les Scythes, Achéas leur roi pansoit lui-même son cheval, persuadé que c'étoit-là le moyen de se l'attacher davantage, & d'en retirer plus de service : il parut étonné, lorsqu'il sut par les ambassadeurs de Philippe que ce prince n'en usoit pas ainsi. Vie de Philippe de Macédoine, liv. XIII. par M. Olivier.

(d) Salomon avoit mille quatre cent chariots & douze mille cavaliers. III. des Rois, ch. x. vers. 26. II. Paralip. c. jv. v. 24.

(e) Si vous allez au combat contre vos ennemis, & qu'ils ayent un plus grand nombre de chevaux & de chariots, & plus de troupes que vous, ne les craignez pas, &c. . 1.

in mare), sont autant de preuves certaines que du tems de Moyse l'art de l'équitation & l'usage de la cavalerie dans les armées n'étoient pas regardés comme une nouveauté.

Le premier endroit où ce législateur en ait parlé avec une sorte de détail, est au quatorzieme chapitre de l'Exode, où il décrit le passage de la mer rouge par les Israëlites (ans du monde 2513, avant J. C. 1491, selon M. Bossuet). Pharaon qui les poursuivoit, fut englouti par les eaux avec ses chariots de guerre, ses cavaliers, & toutes les troupes qu'il avoit pû rassembler. Son armée, suivant Josephe, étoit composée de 200 mille hommes de pié, 50 mille cavaliers, & 600 chars (f)

Si les livres du Pentateuque n'offrent point de preuve plus ancienne de l'usage de la cavalerie dans les armées, c'est que conformément au plan que Moyse s'étoit tracé, il n'a pas dû nous instruire des guerres que les Egyptiens avoient eues contre leurs voisins avant la délivrance des Juifs, & qu'il s'est borné seulement à raconter les faits essentiellement liés avec l'histoire du peuple de Dieu.

Mais outre qu'il seroit absurde de prétendre établir en Egypte l'époque de l'équitation par une cavalerie si nombreuse qu'elle égale ce que les plus grandes puissances de l'Europe peuvent en entretenir aujourd'hui, on doit encore observer que les chevaux ont toûjours fait une des principales richesses des Egyptiens (g). D'ailleurs le livre de Job (h), probablement écrit avant ceux de Moyse, parle de l'équitation & de chevaux employés à la guerre, comme de choses généralement connues.

L'histoire profane est sur ce point entierement conforme à l'Ecriture-sainte. Les premiers faits qu'elle allegue, & qui ont rapport à l'équitation, supposent tous à cet art une antiquité beaucoup plus grande : disons mieux, on ne découvre en nul endroit les premieres traces de son origine.

On voyoit, selon Diodore de Sicile, liv. I. gravée sur de la pierre dans le tombeau d'Osimandué, l'histoire de la guerre que ce roi d'Egypte avoit fait aux peuples révoltés de la Bactriane : il avoit mené contre eux, disoit-on, quatre cent mille hommes d'infanterie, & vingt mille chevaux (i). Entre cet Osimandué & Sésostris, qui vivoit long-tems avant la guerre de Troye, & avant l'expédition des Argonautes, Diodore compte vingt-cinq générations : voilà donc la cavalerie admise dans les armées, bien peu de siecles après le déluge.

Sésostris, le plus grand & le plus puissant des rois d'Egypte, avant formé le dessein de conquérir toute la terre, assembla, dit le même historien (Diodore de Sicile, l. I.), une armée proportionnée à la grandeur de l'entreprise qu'il méditoit : elle étoit composée de six cent mille hommes depié, vingt-quatre mille chevaux, & vingt-sept mille chariots de guerre. Avec ce nombre prodigieux de troupes de terre, & une flotte de quatre cent navires, ce prince soûmit les Ethiopiens, se rendit maître de toutes les provinces maritimes, & de toutes les îles de la mer-rouge, pénétra dans les Indes, où il porta ses armes plus loin que ne fit depuis Alexandre : revenant sur ses pas, il conquit la Scythie, subjugua tout le reste de l'Asie & la plûpart des Cyclades, passa en Europe & après avoir parcouru la Thrace, où son armée manqua de périr, il retourna au-bout de neuf ans dans ses états, avec une réputation supérieure à celle des rois ses prédécesseurs.

Ce prince avoit fait dresser dans les lieux qu'il avoit soûmis, des colonnes avec l'inscription suivante en caracteres égyptiens (k) Sésostris, roi des rois, a conquis cette province par ses armes. Quelques-unes de ces colonnes s'étoient conservées jusqu'au tems d'Hérodote, & cet historien (l. II.) ajoûte qu'il y avoit encore alors sur les frontieres de l'Ionie deux statues en pierre de Sésostris, l'une sur le chemin d'Ephese à Phocée, l'autre sur celui de Sardis à Smirne. Un rouleau portant une inscription, j'ai conquis cette terre avec mes épaules, peu différente de celle qu'on vient de lire, traversoit la poitrine de ces statues.

Ninus roi des Assyriens fit une premiere entreprise contre la Bactriane, qui ne lui réussit pas. Il résolut quelques années après d'en tenter un seconde ; mais connoissant le nombre & le courage des habitans de ce pays, que la nature avoit d'ailleurs rendu inaccessible en plusieurs endroits, il tâcha de s'en assûrer le succès en mettant sur pié une armée à laquelle rien ne pût résister : elle montoit, poursuit Diodore, selon le dénombrement qu'en a fait Ctésias dans son histoire, à dix-sept cent mille hommes d'infanterie, deux cent dix mille de cavalerie, & près de dix mille sit cent chariots armés de faulx.

Le regne de Ninus, en suivant la supputation d'Hérodote, que l'on croit la plus exacte, & qui rapproche beaucoup de nous la fondation du premier empire des Assyriens, doit se rencontrer avec le gouvernement de la prophétesse Débora, 514 ans avant Rome, 1267 ans avant Jesus-Christ, c'est-à-dire qu'il est antérieur à la ruine de Troye, au moins de 80 (l) ans. L'on conviendra aisément qu'une si grande quantité de cavalerie en suppose l'usage établi chez les Assyriens plusieurs siecles auparavant.

Tout ce qui nous reste dans les auteurs sur l'histoire des différens peuples d'Asie, démontre l'ancienneté de l'équitation : elle étoit (dit Hérodote, l. IV.) connue chez les Scolothes, nation Scythe, qui comptoient mille ans depuis leur premier roi, jusqu'au tems où Darius porta la guerre contre eux.

Par un usage aussi ancien que leur monarchie, le roi se rendoit tous les ans dans le lieu où l'on conservoit une charrue, un joug, une hache & un vase, le tout d'or massif, & que l'on disoit être tombés du ciel ; & il se faisoit en cet endroit de grands sacrifices. Le Scythe à qui pour ce jour la garde du thrésor étoit confiée, ne voyoit jamais, disoit-on, la fin de l'année : en récompense on assûroit à sa famille autant de terre qu'il en pouvoit parcourir dans un jour, monté sur un cheval.

Que ce fait soit véritable ou non, il est certain que les Scythes en général, eux qui sous des noms différens occupoient en Asie & en Europe une étendue immense de pays, qui firent plusieurs irruptions

(f) L'Exode dit de même, six cent chars. Le nombre de l'infanterie & de la cavalerie n'y est point spécifié.

(g) Il y a apparence que du tems du patriarche Joseph, les rois d'Egypte avoient des gardes à cheval, & que ce sont eux qui courent après Benjamin, & qui l'arrêtent. Hist. des Juifs par Josephe, lib. I.

(h) On peut en conclure que les chars sont postérieurs à la simple cavalerie : Job ne parle que de celle ci, c. xxxjv. v. 18. 19. & suiv. Au vers. 18. il est dit que l'autruche se moque du cheval & de celui qui le monte : les versets suivans contiennent la belle description du cheval qu'on a vûe ci-devant.

(i) Le sentiment de Marsham & de Newton qui a suivi le premier est insoûtenable, suivant M. Freret même. Ces deux Anglois font Sésostris postérieur à la guerre de Troye ; mais il est évident, par tous les anciens, que ce roi d'Egypte a vécu long-tems avant le siege de Troye & l'expédition des Argonautes. Mém. de litt. de l'acad. des Inscript. to. VII. p. 145. De cette expédition à la guerre de Troye, il y a au moins soixante-dix ans d'intervalle. En supposant Sésostris antérieur aux Argonautes du même nombre d'années ; & en comptant trois générations par siécle, il n'y auroit qu'un petit nombre de siécles d'intervalle entre le déluge & Osimandué.

(k) In cippis illis pudendum viri, apud gentes quidem strenuas & pugnaces, apud ignaves autem & timidas, feminae, expressit : ex praecipuo hominis membro, animarum in singulis affectionem, posteris evidentissimam fore ratus. Diod. lib. I. apud Rhodanum.

(l) M. Bossuet, qui suit cette chronologie, place le siége de Troye l'an 1184, avant J. C.

dans l'Asie-mineure, & qui dominerent pendant 28 ans sur toute cette seconde partie du monde, ont nourri de tout tems une prodigieuse quantité de chevaux, & qu'ils faisoient du lait de leurs jumens leur boisson ordinaire. Il seroit donc ridicule de penser qu'ils eussent ignoré l'art de monter à cheval (m). Cela ne souffre aucune difficulté, quand on lit ce qu'Hérodote raconte des Amazones, femmes guerrieres qui descendoient des anciens Scythes.

Les Grecs (Hérodote, ibid.) les ayant vaincues en bataille rangée sur les bords de Thermodon, firent plusieurs prisonnieres, qu'ils mirent sur trois vaisseaux, & reprirent le chemin de leur patrie.

Quand on fut en plaine mer, nos héroïnes saisissant un moment favorable, se jetterent sur les hommes, les desarmerent, & leur couperent la tête. Comme elles ignoroient l'art de la navigation, elles furent obligées de s'abandonner à la merci des vents & des vagues, qui les porterent enfin sur un rivage des Palus Méotides, où étant descendues à terre, elles monterent sur les premiers chevaux qu'elles purent trouver, & coururent ainsi tout le pays.

Ce fait s'accorde parfaitement avec ce que l'abréviateur de Trogue Pompée (Justin, l. II.) rapporte de l'éducation des Amazones : " elles ne passoient pas, dit-il, leur tems dans l'oisiveté ou à filer ; elles s'exerçoient continuellement au métier des armes, à monter à cheval, & à chasser ". Strabon, l. II. d'après Métrodore &c. dit encore que les plus robustes des Amazones alloient à la chasse, & faisoient la guerre montées sur des chevaux. Le tems de leur célébrité est antérieur à la guerre de Troye : une partie de l'Asie & de l'Europe sentit le poids de leurs armes ; elles bâtirent dans l'Asie mineure plusieurs villes (Justin, l. II.), entr'autres Ephèse, où il y a apparence qu'elles instituerent le culte de Diane.

Thésée étoit avec Hercule, lorsque ce héros à la tête des Grecs remporta sur elles la victoire du Thermodon. Résolues de tirer une vengeance éclatante de cet affront, elles se fortifierent de l'alliance de Sigillus, roi des Scythes, qui envoya à leur secours une nombreuse cavalerie commandée par son fils. Marchant tout de suite contre les Athéniens, qui obéissoient à Thésée, elles leur livrerent bataille jusque dans les murs d'Athenes, avec plus de courage que de prudence. Un différend survenu entr'elles & les Scythes empêcha ceux-ci de combattre : aussi furent-elles vaincues ; & cette cavalerie ne servit qu'à favoriser leur retraite & leur retour.

Les annales des autres peuples, soit d'Europe, soit d'Afrique, concourent également à prouver l'ancienneté de l'équitation ; on la voit établie chez les Macédoniens, avant que les Héraclides eussent conquis la Macédoine (Hérodote, l. VIII.). Les Gaulois, les Germains, les peuples d'Italie faisoient usage des chars ou de la cavalerie dans leurs premieres guerres qui nous sont connues. (Diodore de Sicile, liv. V.) Les Ibériens ont de tout tems élevé d'excellens chevaux, de même que les Arabes, les Maures, & tous les peuples du Nord de l'Afrique.

Les traits historiques que nous venons de rapporter nous montrent évidemment, chez les Assyriens & les Egyptiens, les chevaux employés de toute antiquité dans les armées, à porter des hommes & à traîner des chars. Les Egyptiens ont inondé l'Asie de leurs troupes, pénétré dans l'Europe, & fondé plusieurs colonies dans la Grece : les Amazones & les Scythes, chez qui l'art de l'équitation étoit en usage de tems immémorial, avoient parcouru de même une partie de l'Europe & de l'Asie, sur-tout de l'Asie-mineure, & s'étoient fait voir dans la Grece. De ces évenemens, tous antérieurs à la guerre de Troye, on pourroit conclure, sans chercher de nouvelles preuves, que dans le tems de cette expédition l'art de monter à cheval n'étoit ignoré ni des Grecs ni des Troyens.

II. L 'équitation connue chez les Grecs avant la guerre de Troye. Cette proposition, que nous croyons vraie dans toute son étendue, a trouvé néanmoins deux contradicteurs célébres, madame Dacier & M. Freret : fondés sur le prétendu silence d'Homere, & sur ce qu'il ne fait jamais combattre ses héros à cheval, mais montés sur des chars, ils ont prétendu que l'époque de l'équitation dans la Grece & dans l'Asie-mineure, étoit postérieure à la guerre de Troye, & que les Grecs, de même que les Troyens, ne savoient en ce tems-là faire usage des chevaux que lorsqu'ils étoient attelés à des chars.

Il semble qu'une opinion si singuliere doive tomber d'elle-même, quand on observe que les Grecs existoient long-tems avant le passage de la mer Rouge, puisque Argos étoit alors à son sixieme roi (n), & que plus de quatre cent ans avant ce passage, l'égyptien Ourane avoit franchi le Bosphore pour donner des lois à ces Grecs, qui n'étoient encore que des sauvages, vivans comme les bêtes des herbes qu'ils broutoient. D'ailleurs plusieurs villes de la Grece n'étoient que des colonies des Egyptiens ou des Phéniciens. L'Egyptien Cecrops (environ 1556 ans avant J. C.) qui vivoit dans le siecle de Moyse, avoit fondé les douze bourgs d'où se forma depuis la ville d'Athenes : presque tout ce qui concernoit la religion, les lois, les moeurs, avoit été porté d'Egypte dans la Grece. Sur quel fondement croira-t-on que les Egyptiens qui humaniserent & policerent les Grecs, leur eussent laissé ignorer l'art de l'équitation, qu'ils possédoient si bien eux-mêmes, & qu'ils n'eussent voulu seulement que leur apprendre à conduire des chars ? Comment ces Grecs, témoins des exploits de Sésostris, & qui avoient combattu contre les Amazones, ne virent-ils que des chars dans des armées où il y avoit indubitablement de la cavalerie ?

Malgré la solidité de ces réflexions, il s'en est peu fallu que le sentiment de M. Freret & de madame Dacier, soûtenu par un profond savoir, n'ait prévalu sur les plus grandes autorités : mais la déférence que l'on accorde à l'opinion de certains personnages, quand elle n'a point la vérité pour base, cede tôt ou tard à l'évidence.

M. l'abbé Sallier (histoire de l'Académie des inscriptions & belles-lettres, tom. VII. p. 37.) est celui qui a coupé court au progrès de l'erreur : il a démontré sensiblement que l'art de monter à cheval étoit connu des Grecs long-tems avant la guerre de Troye ; mais il ne résout pas entierement la question : il finit ainsi son mémoire.

" Le seul point sur lequel on ne trouve pas de témoignages dans Homere, se réduit donc à dire que les Grecs dans leurs combats, devant Troye, n'avoient point de soldats servans & combattans à cheval ".

On va donc s'attacher à prouver, par l'examen des raisons mêmes qu'a eu M. Freret de croire le contraire, que l'équitation étoit connue des Grecs & des Troyens avant le siége de Troye, & que ces peuples avoient dans leurs armées de la cavalerie

(m) Il y avoit au nord-est des Palus Méotides, des Scythes nommés Iyrces, qui ne vivoient que du produit de leur chasse, & voici comment ils la pratiquoient. Cachés parmi les arbres qui étoient là en grand nombre, & ayant près d'eux un chien & un petit cheval couché sur le ventre, ils tiroient sur la bête à son passage, & montoient tout de suite à cheval pour courir à sa poursuite avec leur chien. Hérodote, liv. IV.

(n) Ce royaume d'Argos avoit été fondé par l'égyptien Danaüs, vers l'an 1476, avant J. C.

distinguée des chars : nous conjecturons que ces chars ne servoient que pour les principaux chefs, lorsqu'ils marchoient à la tête des escadrons.

Madame Dacier, qui pensoit sur la question présente de même que l'illustre académicien, " ne comprend pas, dit-elle (préf. de la traduct. de l'Iliade, édit. 1741. p. 60.) comment les Grecs, qui étoient si sages, se sont servis si long-tems de chars au lieu de cavalerie, & comment ils n'ont pas vû les inconvéniens qui en naissoient ". Sans examiner la difficulté bien plus grande de conduire un char que de manier un cheval, ni le terrein considérable que ces chars devoient occuper, elle se contente d'observer, ajoûte-t-elle, " que quoiqu'il y eût sur chaque char deux hommes des plus distingués & des plus propres pour le combat, il n'y en avoit pourtant qu'un qui combattît, l'autre n'étant occupé qu'à conduire les chevaux : de deux hommes en voilà donc un en pure perte. Mais il y avoit des chars à trois & à quatre chevaux pour le service d'un seul homme : autre perte digne de considération ". Madame Dacier conclut, malgré ces observations, qu'il falloit bien que l'art de monter à cheval ne fût point connu des Grecs dans le tems de la guerre de Troye.

Quelle erreur de sa part ! Pour supposer dans ce peuple une si grande ignorance, il faut ou qu'elle n'ait pas toûjours bien entendu le texte de son auteur ; ou qu'elle n'ait pas assez réfléchi sur les expressions d'Homere. On doit convenir cependant qu'elle étoit si peu sûre de son opinion, qu'elle a dit ailleurs (Remarques sur le X. liv. de l'Iliade) : " Dans les troupes il n'y avoit que des chars ; les cavaliers n'étoient en usage que dans les jeux & dans les tournois ". Mais qu'étoient ces jeux & ces tournois, que des exercices & des préparations pour la guerre ? Et pourroit-on penser que les Grecs s'y fussent distingués dans l'art de monter des chevaux, sans profiter d'un si grand avantage dans les combats ?

M. Freret moins indéterminé (mém. de Litt. de l'Acad. des inscript. tom. VII. p. 286.) ne se dément pas dans son opinion. " On est surpris, dit-il, en examinant les ouvrages des anciens écrivains, surtout ceux d'Homere, de n'y trouver aucun exemple de l'équitation, & d'être obligé de conclure que l'on a long-tems ignoré dans la Grece l'art de monter à cheval, & de tirer de cet animal les services que nous en tirons aujourd'hui, soit pour le voyage, soit pour la guerre ".

Telle est la proposition qui fait le sujet de sa dissertation : elle est remplie de recherches curieuses & savantes, mais qui, toutes prises dans leur véritable sens, peuvent servir à prouver le contraire de ce qu'il avance.

Après avoir établi pour principe qu'Homere ne parle en aucun endroit de ses poëmes, de cavaliers, ni de cavalerie, il prétend que ce poëte, quoiqu'il écrivît dans un tems où l'équitation étoit connue, s'est néanmoins abstenu d'en parler, pour ne pas choquer ses lecteurs par un anachronisme contre le costume, qui eût été remarqué de tout le monde. Cet argument négatif est la base de tous ses raisonnemens ; & M. Freret n'oublie rien pour lui donner d'ailleurs une force qu'il ne sauroit avoir de sa nature.

Pour cet effet, 1°. il examine & combat tous les témoignages des écrivains postérieurs à Homere que l'on peut lui opposer : 2°. il discute dans quel tems ont été élevés les plus anciens monumens de la Grece, sur lesquels on voyoit représentés des cavaliers ou des hommes à cheval, pour montrer qu'ils sont tous postérieurs à l'établissement de la course des chevaux dans les jeux olympiques : 3°. il cherche à prouver que la fable des Centaures n'avoit dans son origine aucun rapport à l'équitation : 4°. il termine ses recherches par quelques conjectures sur le tems où il croit que l'art de monter à cheval a commencé d'être connu des Grecs.

Examen du texte d'Homere. Puisque Homere est regardé, pour ainsi dire, comme le juge de la question, voyons d'abord si son silence est réel, & si nous ne pouvons pas trouver dans ses ouvrages des témoignages positifs en faveur de l'équitation.

Dans le dénombrement (Iliad. l. II.) des Grecs qui suivirent Agamemnon au siége de Troye, il est dit de Ménesthée, le chef des Athéniens, " qu'il n'avoit pas son égal dans l'art de mettre en bataille toute sorte de troupes, soit de cavalerie, soit d'infanterie ". Sur quoi il est bon d'observer que les Athéniens habitoient un pays coupé, montueux, très-difficile, & dans lequel l'usage des chars étoit bien peu pratiquable.

On trouve parmi les troupes troyennes les belliqueux escadrons des Ciconiens ; & l'on voit dans l'odyssée (livre IX. pag. 262. édit. 1741.) que ces Ciconiens savoient très-bien combattre à cheval, & qu'ils se défendoient aussi à pié, quand il le falloit. Quoi de plus clair que l'opposition de combattre à pié & de combattre à cheval ? Ils étoient en plus grand nombre ; voilà donc beaucoup de gens de cheval. Madame Dacier le dit de même dans sa traduction : elle pensoit donc autrement quand elle composa la préface de sa traduction de l'Iliade.

Quand Nestor conseille (Iliad. l. VII.) aux Grecs de retrancher leur camp : " nous ferons, leur dit-il, un fossé large & profond, que les hommes & les chevaux ne puissent franchir ". Que peut-on entendre par ces mots, si ce n'est des chevaux de cavaliers ? Les Grecs avoient-ils naturellement à craindre que des chars attelés de deux, trois ou quatre chevaux franchissent des fossés ?

Ulysse & Diomede (Iliad. l. X.) s'étant chargés d'aller reconnoître pendant la nuit la position & les desseins des Troyens, rencontrerent Dolon, que les Troyens envoyoient au camp des Grecs dans le même dessein, & ils apprirent de lui que Rhésus, arrivé nouvellement à la tête des Thraces, campoit dans un quartier séparé du reste de l'armée. Sur cet avis les deux héros coupent la tête de Dolon, pressent leur marche, & arrivent dans le camp des Thraces, qu'ils trouverent tous endormis, chacun d'eux ayant auprès de soi ses armes à terre & ses chevaux. Ils étoient couchés sur trois lignes ; au milieu dormoit Rhésus leur chef, dont les chevaux étoient aussi tout-près de lui, attachés à son char.

Diomede se jette aussi-tôt sur les Thraces, en égorge plusieurs, & le roi lui-même : après quoi, pendant qu'Ulysse va détacher les chevaux de Rhésus, il essaye d'en enlever le char ; mais Minerve lui ordonne d'abandonner cette entreprise. Il obéit, rejoint Ulysse, & montant ainsi que lui sur l'un des chevaux de Rhésus, ils sortent du camp & volent vers leurs vaisseaux, poussant les chevaux, qu'ils foüettent avec un arc. Arrivés dans l'endroit où ils avoient laissé le corps de Dolon, Diomede saute legerement à terre, prend les armes de l'espion troyen, remonte promtement à cheval, & Ulysse & lui continuent de pousser à toute bride ces fougueux coursiers, qui secondent merveilleusement leur impatience. Nestor entend le bruit, & dit : il me semble qu'un bruit sourd, comme d'une marche de chevaux, d frappé mes oreilles.

Tout lecteur non prévenu verra sans doute dans cette épisode une preuve de la connoissance que les Grecs, ainsi que les Thraces, avoient de l'équitation. Les cavaliers thraces, couchés sur trois rangs, ont leurs chevaux & leurs armes auprès d'eux : mais les chevaux de Rhésus sont attachés à son char, sur lequel étoient ses armes : & c'est-là le seul char qu'on apperçoive dans cette troupe. D'où l'on doit conclure que les chefs des escadrons étoient seuls sur des chars.

Quelle est l'occupation d'Ulysse, pendant que Diomede égorge les principaux d'entre les Thraces ? C'est d'en retirer les corps de côté, afin que le passage ne fût point embarrassé. Il l'eût été bien davantage par des chars : cependant Homere n'en dit rien.

Pense-t-on d'ailleurs qu'il eût été possible à ces princes Grecs, de monter, & à poil, des coursiers fougueux, de les galoper à toute bride, de descendre & de remonter legerement sur eux, si les hommes & les chevaux n'avoient pas été de longue main accoûtumés à cet exercice ? Trouverions-nous aujourd'hui des cavaliers plus lestes & plus adroits ? C'est aussi sur cela que madame Dacier se fonde, pour croire qu'il y avoit des gens de cheval dans les tournois, pour se servir de sa même expression.

Le bruit sourd qu'entend Nestor, n'est point un bruit qu'il entende pour la premiere fois ; il distingue fort bien qu'il est causé par une marche de chevaux, & n'ignoroit pas que le bruit des chars étoit différent.

Qu'oppose M. Freret à un récit qui parle d'une maniere si positive en faveur de l'équitation ? " Le défaut de vraisemblance, dit-il, de plusieurs circonstances de cet épisode, est sauvé dans le système d'Homere, par la présence & par la protection de Minerve, qui accompagne ces deux héros, & qui se rend visible, non-seulement pour soûtenir leur courage, mais encore pour les mettre en état d'exécuter des choses qui, sans son secours, leur auroient été impossibles " : ainsi, selon lui, le parti que prennent Ulysse & Diomede, de monter sur les chevaux de Rhésus, pour les emmener au camp des Grecs, leur est inspiré par Minerve : cette déesse les accompagne dans leur retour, & ne les abandonne que lorsqu'ils y sont arrivés ; & comme c'est-là, ajoûte-t-il, le seul exemple de l'équitation qui se trouve dans les poëmes d'Homere, on n'est point en droit d'en conclure qu'il la regardât comme un usage déjà établi au tems de la guerre de Troye.

Il est vrai qu'Homere " regarde quelquefois les hommes comme des instrumens dont les dieux se servent pour exécuter les decrets des destinées " ; mais l'on doit convenir aussi que ce poëte, pour ne point trop s'éloigner du vraisemblable, ne les fait jamais intervenir, & prêter aux hommes l'appui de leur ministere, que dans les actions qui paroissent audessus des forces de l'humanité.

Le desir de se procurer d'excellens chevaux & des armes couvertes d'or, fut ce qui tenta Diomede & Ulysse, & leur inspira le dessein d'entrer dans le camp des Thraces, & de pénétrer jusqu'à la tente de Rhésus. Deux hommes, pour réussir dans une entreprise semblable, ont certainement besoin de l'assistance des dieux ; Ulysse implore donc celle de Pallas, & la supplie de diriger elle-même leurs pas jusqu'à l'endroit où étoient les chevaux, le char, & les armes de Rhésus.

La protection de la déesse se fait bien-tôt sentir : les héros grecs arrivent dans le camp des Thraces : un silence profond y regne ; point de gardes sur les avenues ; tous les cavaliers étendus par terre près de leurs chevaux, sont ensevelis dans le sommeil ; le même calme & la même sécurité sont autour de la tente du chef. Alors Ulysse ne pouvant plus méconnoître l'effet de sa priere, & enhardi par le succès, propose à son compagnon de tuer les principaux Thraces, tandis, qu'il ira détacher les chevaux de Rhésus : voilà une conjoncture où le secours de la déesse devient encore très-nécessaire ; aussi Homere dit qu'elle donna à Diomede un accroissement de force & de courage : douze Thraces périssent de sa main avec leur roi. Les chevaux détachés par Ulysse, Diomede peu content de ces avantages, veut encore enlever le char de Rhésus ; mais la déesse, justement étonnée de cette imprudence, se rend visible à lui, & le presse de retourner au plûtôt, de crainte que quelque dieu ne reveille enfin les Troyens. Diomede reconnoissant la voix de Pallas, monte aussi-tôt à cheval, & part suivi d'Ulysse. Jusque-là Homere a marqué exactement toutes les circonstances de l'entreprise dans lesquelles la déesse prêta son secours aux héros Grecs : il consiste à les conduire sûrement à-travers le camp, à favoriser le massacre des Thraces & l'enlevement des chevaux, à les obliger de partir, lorsque l'appas d'avoir des armes d'or les retient mal-à-propos, mais nullement à les placer sur les chevaux ; & une fois sortis du camp, elle les quitte, quoi qu'en ait dit M. Freret ; car dans Homere, elle n'accompagne pas leur retour comme cet académicien l'avance gratuitement. S'il étoit vrai cependant, qu'ils eussent eu besoin d'elle la premiere fois pour monter à cheval, son secours n'eût pas été moins nécessaire à Diomede, quand il fut obligé de sauter à terre pour prendre les armes de Dolon, & de remonter tout de suite ; & Homere n'auroit pas manqué de le faire remarquer, car il ne devoit pas ignorer qu'on ne devient pas si vîte bon cavalier.

Disons donc que c'est uniquement parce qu'il étoit très-ordinaire dans les tems héroïques de monter à cheval, qu'Homere ne fait point intervenir le ministere de Pallas dans une action si commune.

Le XV. livre de l'Iliade nous offre un exemple de l'équitation, dans lequel cet art est porté à un degré de perfection bien supérieur à ce que nous oserions exiger aujourd'hui de nos plus habiles écuyers. Le poëte qui veut dépeindre la force & l'agilité d'Ajax qui passant rapidement d'un vaisseau à l'autre, les défend tous à la fois, fait la comparaison suivante.

" Tel qu'un écuyer habile, accoûtumé à manier plusieurs chevaux à la fois, en a choisi quatre des plus vigoureux & des plus vîtes, & en présence de tout un peuple qui le regarde avec admiration, les pousse à toute bride, par un chemin public, jusqu'à une grande ville où l'on a limité sa course : en fendant les airs, il passe legerement de l'un à l'autre, & vole avec eux. Tel Ajax, &c. ".

(o) M. Freret veut qu'Homere, pour orner sa narration, & la rendre plus claire, ait expliqué en cet endroit des choses anciennes par des images familieres à son siecle : tel est, ajoûte-t-il, le but de ses comparaisons, & en particulier de celle-ci : " tout ce qu'on en peut conclure, c'est que l'art de l'équitation étoit commun de son tems dans l'Ionie. Des scholiastes d'Homere lui font un crime d'avoir emprunté des comparaisons de l'équitation ; ils les ont regardé comme un anachronisme, tant ils étoient persuadés que cet art étoit encore nouveau dans la Grece du tems d'Homere ". Mais ils ont crû, sans examen, & sans avoir éclairci la question. Puisque dans toute l'économie de ses poëmes, Homere est si exact, si sévere observateur des usages & des tems, qu'il paroît toûjours transporté dans celui où vivoient ses héros, & qu'on ne

(o) Au V. liv. de l'Odyssée, v. 366. un coup de vent ayant brisé l'esquif qui restoit à Ulysse après la tempête qu'il essuya en sortant de l'île de Calypso, il en saisit une planche sur laquelle il sauta, & s'y posa comme un homme se met sur un cheval de selle. M. Freret feroit sans doute à cette comparaison la même réponse qu'à la précédente, quoique avec aussi peu de fondement.

peut, selon les mêmes scholiastes, lui reprocher aucun autre anachronisme : par quelle raison croira-t-on qu'il se soit permis celui-ci ? Dira-t-on qu'il n'avoit pas assez de ressource dans son génie pour varier & ranimer ses peintures ? De plus, Homere n'a vêcu que trois cent ans (p) après la guerre de Troye : un si court intervalle est-il suffisant pour y placer à la fois la naissance & les progrès de l'équitation, & pour la porter à un degré de perfection duquel nous sommes encore fort éloignés ? Cette réflexion tire du système de M. Freret une nouvelle force, en ce qu'il ne place dans l'Ionie la connoissance de l'art de monter à cheval, que 150 ans après la guerre de Troye.

Homere a suivi constamment les anciennes traditions de la Grece ; il dépeint toûjours ses héros, tels qu'on croyoit qu'ils avoient été. Leurs caracteres, leurs passions, leurs jeux, tout est conforme au souvenir qu'on en conservoit encore de son tems. C'est ainsi qu'il fait dire à Hélene, " je ne vois (Iliad. liv. III.) pas mes deux freres ", Castor si célebre dans les combats à cheval, , & Pollux si renommé dans les exercices du ceste. Ce passage ne fait aucune impression sur M. Freret. Le nom de dompteur de chevaux, , de conducteur, de cavalier, ou encore celui de , conscensores equorum, dont se sert, en parlant de ces mêmes Tyndarides, l'auteur des hymnes attribuées à Homere ; tous ces noms sont donnés quelquefois à des Grecs ou à des Troyens montés sur des chars, donc ils ne signifient jamais autre chose dans le langage de ce tems là. Ce raisonnement est-il bien juste ? il le seroit davantage, si l'on convenoit que ces mots ont quelquefois eu l'une ou l'autre signification : mais en ce cas, M. Freret ne pourroit nier que le titre de conducteur, de cavalier, , que Nestor (Iliad. XI. v. 745.) donne au chef des Eléens, ne veuille dire ce qu'il dit effectivement. Parce que ce chef combattoit sur un char, cela n'empêche pas qu'il n'ait commandé des gens de cheval. On peut dire la même chose d'Achille & de Patrocle, qu'Homere (Iliad. 16.) nomme des cavaliers, .

Plusieurs autres passages de l'Iliade, semblent désigner des gens de cheval ; mais ils n'ont sans doute paru dignes d'aucune considération à M. Freret, ou bien il a craint qu'ils ne fussent autant de preuves contre son sentiment (Iliad. liv. XVIII.) On voyoit sur le bouclier d'Achille, une ville investie par les armées de deux peuples différens : l'un vouloit détruire les assiégés par le fer & par le feu ; l'autre étoit résolu de les recevoir à composition. Pendant qu'ils disputoient entr'eux, ceux de la ville étant sortis avec beaucoup de secret, se mettent en embuscade, & fondent tout-à-coup sur les troupeaux des assiégeans : aussi-tôt l'allarme se répand dans les deux armées ; tous prennent à la hâte leurs armes & leurs chevaux, arma & equos propere arripiunt, & l'on marche à l'ennemi. La célérité d'un tel mouvement convient mieux à de la cavalerie qu'à des chars : n'eût-elle pas été bien ralentie par le tems qu'il auroit fallu pour préparer ces chars, & les tirer hors des deux camps ?

Il est dit dans le combat particulier de Ménelas contre Paris (Iliad. liv. III.), que les troupes s'assirent toutes par terre, chacun ayant près de soi ses armes & ses chevaux. Doit-on entendre par ce dernier mot des chevaux attelés à des chars ? Celui qui les conduisoit & celui qui combattoit dessus, étoient l'un & l'autre d'un rang distingué, & n'étoient pas gens à s'asseoir par terre, confondus avec les moindres soldats : d'ailleurs ils eussent été mieux assis dans leurs chars ; c'étoit, pendant ce combat, la situation la plus avantageuse, pour mieux remarquer ce qui s'y passoit. Les gens de cheval, au contraire, en descendent fort souvent pour se délasser, eux & leurs chevaux.

Dans le combat d'Ajax contre Hector (Iliad. liv. VII.), on trouve encore une preuve de l'équitation. Le héros troyen dit à son adversaire : je sais manier la lance ; & soit à pié, soit à cheval, je sais pousser mon ennemi.

Ne semble-t-il pas dans plusieurs combats généraux, que l'on voye manoeuvrer de véritables troupes de cavalerie ?

" Chacun se prépare au combat (Iliad. liv. II. ou bien XI.), & ordonne à son écuyer de tenir son char tout prêt, & de le ranger sur le bord du fossé : toute l'armée sort des retranchemens en bon ordre : l'infanterie se met en bataille aux premiers rangs ; & elle est soûtenue par la cavalerie qui déploye ses aîles derriere les bataillons.... Les Troyens de leur côté étendent leurs bataillons & leurs escadrons sur la colline ".

Ici le mot chacun ne doit s'appliquer qu'aux chefs : pour peu qu'on lise Homere avec attention, on verra qu'il n'y avoit jamais que les principaux capitaines qui fussent dans des chars. Le nombre de ces chars ne devoit pas être bien considérable, puisqu'ils peuvent être rangés sur le bord du fossé. Quant à l'infanterie & la cavalerie, la disposition en est simple, & ne pourroit pas être autrement rendue aujourd'hui, qu'il n'y a plus de chars dans les armées.

Si les Troyens n'eussent eu que des escadrons de chars, ce n'est pas sur une colline qu'ils les eussent placés ; & l'on doit entendre par escadrons, ce que les Grecs ont toûjours entendu, & ce que nous comprenons sous cette dénomination.

La description du combat ne prouve pas moins, que l'ordre de bataille, qu'il y avoit & des chars & des cavaliers. " Hippolochus se jette à bas de son char, & Agamemnon, du tranchant de son épée, lui abat la tête, qui va roulant au milieu de son escadron ". On lit dans le même endroit, que l'écuyer d'Agastrophus tenoit son char à la queue de son escadron.

Nestor renverse un troyen de son char, & sautant legerement dessus, il enfonce ses escadrons (liv. XI.). Ne peut-on pas induire de-là, avec raison, que les chefs étoient sur des chars à la tête de leurs escadrons ? Cela n'est-il pas plus vraisemblable que des escadrons de chars ?

" L'infanterie enfonce les bataillons troyens, & la cavalerie presse si vivement les escadrons qui lui sont opposés, qu'elle les renverse : les deux armées sont ensevelies dans des tourbillons de poussiere, qui s'éleve de dessous les piés de tant de milliers d'hommes & de chevaux ".

M. Freret, lui-même, auroit-il mieux décrit une bataille, s'il eût voulu faire entendre qu'il y avoit de la cavalerie distinguée des chars, ou des chars à la tête des escadrons de gens de cheval ?

Il est dit, dans une autre bataille, que " Nestor plaçoit à la tête ses escadrons, avec leurs chars & leurs chevaux.... derriere eux, il rangeoit sa nombreuse infanterie pour les soûtenir. Les ordres qu'il donnoit à sa cavalerie, étoient de retenir leurs chevaux, & de marcher en bon ordre, sans mêler ni confondre leurs rangs (Iliad. liv. IV.).

Si Homere n'eût voulu parler que de chars, auroit-il ajoûté au mot escadron, avec leurs chars & leurs chevaux ?

Que peut-on entendre par mêler & confondre des rangs ? Pouvoit-il y avoir plusieurs rangs de chars ? A quoi eût été bon un second rang ? le premier victorieux, le second ne pouvoit rien de plus ; le premier

(p) Selon les marbres d'Arondel, le P. Pétau place Homere deux cent ans après la guerre de Troye.

rang vaincu, le second l'étoit conséquemment, & sans ressource ; car comment faire faire à des chars mis en rang, des demi-tours à droite pour la retraite ?

Il paroît suffisamment prouvé par les remarques que nous venons de faire sur quelques endroits du texte d'Homere, que l'art de monter les chevaux a été connu dans la Grece avant le siége de Troye, & qu'il y avoit même dans les armées des Grecs & des Troyens, des troupes de cavalerie, proprement dite. Si ce poëte n'a point décrit particulierement de combats de cavalerie, on ne voit pas non plus qu'il soit entré dans un plus grand détail, par rapport aux combats d'infanterie. Son véritable objet, en décrivant des batailles, étoit de chanter les exploits des héros & des plus illustres guerriers des deux partis : ces héros combattoient presque tous sur des chars, & l'on oseroit presque assûrer qu'il n'appartenoit qu'à eux d'y combattre. Leur valeur & leur fermeté y paroissoient avec d'autant plus d'éclat, que leur attention n'étoient point divisée par le soin de conduire les chevaux. Voilà pourquoi les descriptions des combats de chars sont si fréquentes, si longues, si détaillées. C'étoit par ces combats que les grandes affaires s'entamoient, parce que les chefs, montés sur des chars, marchoient toûjours à la tête des troupes : Homere n'en omet aucune circonstance, & pese sur tous les détails, parce qu'il a sû déjà nous intéresser vivement au sort des guerriers qu'il fait combattre. Son grand objet se trouvant rempli par-là, dès que les troupes se mêlent, & que l'affaire devient générale, il passe rapidement sur le reste du combat ; & pour ne point fatiguer le lecteur, il se hâte de lui en apprendre l'issue, sans descendre à cet égard dans aucune particularité. Tel est la méthode d'Homere, quand il décrit des combats ou des batailles.

Témoignages des écrivains postérieurs à Homere. M. Freret qui s'étoit fait un principe constant de soûtenir que les Grecs & les Troyens au tems de la guerre de Troye ne connoissoient que l'usage des chars, & qu'on ne pouvoit prouver par les poëmes d'Homere que l'art de monter à cheval leur fût connu, récuse conséquemment à son système, les témoignages de tous les écrivains postérieurs à ce poëte, & particulierement tous ceux que les auteurs latins fournissent contre son opinion.

" Virgile, dit-il, & les poëtes latins, ont été moins scrupuleux qu'Homere, & ils n'ont pas fait difficulté de donner de la cavalerie aux Grecs & aux Troyens ; mais ces poëtes postérieurs d'onze ou douze siecles aux tems héroïques, écrivoient dans un siecle où les moeurs des premiers tems n'étoient plus connues que des savans.... leur exemple, ajoûte-t-il, ne peut avoir aucune autorité lorsqu'ils s'écartent de la conduite d'Homere ".

Si le témoignage de Virgile, postérieur d'onze ou douze siecles à la ruine de Troye, ne peut avoir aucune force : pourquoi M. Freret veut-il que le sien postérieur de trois mille ans, soit préféré ? pourquoi admet-il plûtôt celui de Pollux auteur grec, plus moderne que Virgile d'environ deux cent ans ? Quant à ce qu'il dit que les moeurs des premiers tems n'étoient connues que des savans, ce reproche ne convient point à Virgile : au titre si justement acquis de prince des Poëtes, il joignoit celui de savant & d'excellent homme de lettres.

De plus, son Enéide qu'il fut douze ans à composer, est entierement faite à l'imitation d'Homere. Virgile ayant pris ce grand poëte pour modele, & pour sujet de son poëme, des évenemens célébres qui touchoient, pour ainsi dire, à ceux qui sont chantés dans l'Iliade, croira-t-on qu'il ait confondu les usages & les tems, & méprisé le suffrage des savans au point de faire combattre ses héros à cheval, s'il n'avoit pas regardé comme un fait constant que l'équitation étoit en usage de leur tems ?

Tout ce qu'on peut présumer, c'est que Virgile s'est abstenu de parler de chars aussi fréquemment qu'Homere, pour rendre ses narrations plus intéressantes, & parce que les Romains n'en faisoient point usage dans leurs armées. Enfin les faits cités par les auteurs doivent passer pour incontestables, quand ils sont appuyés sur une tradition ancienne, publique, & constante : tel étoit l'usage établi depuis un tems immémorial chez les Romains, de nommer les exercices à cheval de leur jeunesse, les jeux troyens.

Trojaque nunc pueri trojanum dicitur agmen. (En. l. V. v. 602.) Virgile n'invente rien en cet endroit, il se conforme à l'histoire de son pays, qui rapportoit apparemment l'origine des courses de chevaux dans le cirque, au dessein d'imiter de semblables jeux militaires pratiqués autrefois par les Troyens, & dont le souvenir s'étoit conservé dans les anciennes annales du latium. Enée faisoit exercer ses enfans à monter à cheval : Frenatis lucent in equis. (Id. v. 557.)

C'est en suivant les plus anciennes traditions greques, que Virgile (Georg. l. III. v. 115.) attribue aux Lapithes de Pélétronium l'invention de l'art de monter à cheval. Il nous apprend dans le même endroit (Ib. v. 113.) l'origine des chars qui furent inventés par Ericthonius, quatrieme roi d'Athenes (q) depuis Cécrops ; & ce qui suppose nécessairement que l'équitation étoit connue en Grece avant Ericthonius, c'est que la tradition véritable ou fabuleuse de ces tems là, rapporte que ce fut pour cacher la difformité de ses jambes qui étoient tortues, que ce prince inventa les chars.

Hygin qui, de même que Virgile, vivoit sous le regne d'Auguste, a fait de Bellérophon un cavalier (Fable 273.), & dit que ce prince remporta le prix de la course à cheval aux jeux funebres de Pelias, célébrés après le retour des Argonautes ; mais parce qu'on ignore dans quel poëte ancien Hygin a puisé ce fait, M. Freret le traite impitoyablement de commentateur sans goût, sans critique, indigne qu'on lui ajoûte foi. Il en dit autant de Pline (l. VII. c. lvj.), qui en faisant l'énumération de ceux auxquels les Grecs attribuoient l'invention de quelque art ou de quelque coûtume, ose d'après les Grecs, regarder Bellérophon comme l'inventeur de l'équitation, & ajoûter que les centaures de Thessalie combattirent les premiers à cheval.

Pour réfuter ce qu'Hygin dit de Bellérophon, M. Freret prétend premierement que, selon Pausanias (lib. VI.), l'opinion commune étoit que Glaucus pere de Bellérophon, avoit dans les jeux funebres de Pelops, disputé le prix à la course des chars : secondement, que ces mêmes jeux étoient représentés sur un très-ancien coffre, dédié par les Cypselides de Corinthe, & conservé à Olympie au tems de Pausanias (l. V.), & qu'on ne voyoit dans la représentation de ces jeux ni Bellérophon, ni de course à cheval. On peut facilement juger de la solidité de cette réfutation.

Le témoignage de Pausanias favorisant ici l'opinion de M. Freret, il s'en rapporte aveuglément à lui : mais il doit reconnoître de même la vérité d'un autre passage de cet auteur, capable de renverser son système.

Pausanias (l. V.) assûre que Casius arcadien, & pere d'Atalante, remporta le prix de la course à cheval, aux jeux funebres de Pelops à Olympie (r). Ce

(q) Il vivoit environ 1489 ans avant J. C. Il succéda à Amphiction, & institua les jeux panathénaïques en l'honneur de Minerve.

(r) Ces jeux, dit M. Freret, sont postérieurs de quelques années à ceux de Pélias, & c'est ce que l'on nomme l'olympiade d'Hercule, qui combattit à ces jeux, & qui en regla la forme soixante ans avant la guerre de Troye.

fait qui donneroit aux courses à cheval presque la même ancienneté que celle qu'on trouve dans Hygin, M. Freret soûtient qu'il n'est fondé que sur une tradition peu ancienne : Pindare, dit-il, n'en a pas fait usage lorsqu'il a célébré des victoires remportées dans les courses de chevaux. " Dans ces occasions, ajoûte-t-il, l'histoire ancienne ne lui fournissant aucun exemple de ces courses, il a recours aux avantures des héros qui se sont distingués dans les courses de chars (s) ". Mais qui ne voit que le poëte a voulu varier ses descriptions, en faisant de ces deux sortes de courses un objet de comparaison, capable de jetter plus de feu, plus de brillant, plus d'énergie dans ses odes ?

Si ces courses à cheval, dit M. Freret, avoient été en usage dès le tems de l'olympiade d'Hercule, pourquoi n'en trouve-t-on aucun exemple jusqu'à la trente-troisieme olympiade de Coroebus, célébrée l'an 648 (t) avant J. C. 700 ans après les jeux funebres de Pelops, & 240 ans après le renouvellement des jeux olympiques par Iphitus ? Ce raisonnement ne prouve rien du tout : car on pourroit avec autant de raison dire à M. Freret : vous assûrez qu'au tems d'Homere l'art de l'équitation étoit porté à un tel degré de perfection, qu'un seul écuyer conduisoit à toute bride quatre chevaux à la fois, s'élançant avec adresse de l'un à l'autre pendant la rapidité de leurs courses ; & moi je dis que si cela étoit vrai, on n'auroit pas attendu près de trois cent ans depuis Homere, pour mettre les courses de chevaux au nombre des spectacles publics.

Il y a quelque apparence que la nouveauté des courses de chars fut la cause qu'on abandonna les autres pendant long-tems, & qu'on n'y revint qu'après plusieurs siecles : il falloit en effet bien plus d'art & de dextérité pour conduire dans la carriere un char attelé de plusieurs chevaux, que pour manier un seul cheval. Qu'on en juge par le discours de Nestor à Antiloque son fils. (Iliad. l. XXIII.)

La fable & Homere après elle, ont parlé du cheval d'Adraste : ce poëte le nomme le divin Arion ; il avoit eu pour maître Hercule ; ce fut étant monté sur Arion (Paus. II. vol. p. 181.) que ce héros gagna des batailles, & qu'il évita la mort. Après avoir pris Augias roi d'Elis, & après la guerre de Thebes antérieure à celle de Troye, il donna ce cheval à Adraste. Comme on voit dans presque tous les auteurs qui en ont parlé, ce rapide coursier toûjours seul, on en a conclu avec assez de vraisemblance, que c'étoit un cheval de monture : mais M. Freret lui trouve un second qu'on nommoit Cayros. Voilà un fait. Antimaque (u) l'assûre ; il faut l'en croire : mais il doit aussi servir d'autorité à ceux qui ne pensent pas comme M. Freret. Or Antimaque dit positivement qu'Adraste fuit en deuil monté sur son Arion. On a donc eu raison de regarder Arion comme un cheval accoûtumé à être monté, sans nier toutefois qu'il n'ait pû être quelquefois employé à conduire un char. Antimaque ajoûte qu'Adraste fut le troisieme qui eut l'honneur de dompter Arion : c'est qu'il avoit appartenu d'abord à Onéus, qui le donna à Hercule. Tout cela ne prouve-t-il pas en faveur de l'équitation de tems antérieurs à la guerre de Troye ?

Monumens anciens. M. Freret suit la même marche dans l'examen des monumens anciens. Ceux où il n'a point vû de chevaux de monture, méritent seuls quelque croyance, ils sont autant de preuves positives : les autres sont ou factices, ou modernes, on ne doit point y ajoûter foi.

(Pausan. l. V.) Le coffre des Cypsélides dont il a déjà été parlé, est, selon cet académicien, un monument du huitieme siecle avant J. C. On y voyoit représentés les évenemens les plus célebres de l'histoire des tems héroïques, la célébration des jeux funebres de Pelias, plusieurs expéditions militaires, des combats, & même en un endroit deux armées en présence : dans toutes ces occasions, les principaux héros étoient montés sur des chars à deux ou à quatre chevaux, mais on n'y voyoit point de cavaliers ; doit-on conclure qu'il n'y en avoit point, de ce que Pausanias n'en parle pas ? mais son silence ne prouve rien ici : au contraire, l'expression qu'il employe donneroit lieu de croire qu'il y en avoit. En décrivant deux armées représentées sur ce coffre, il dit que l'on y voyoit des cavaliers montés sur des chars (Paus. l. V.) Ce n'est point-là affirmer qu'il n'y en avoit point de montés sur des chevaux, car il ne dit pas qu'ils fussent tous sur des chars : d'ailleurs les chefs, dans les tems héroïques, combattant pour l'ordinaire sur des chars, il se pourroit fort bien que le sculpteur, qui ne s'attachoit qu'à faire connoître ces chefs & par leur portrait & par leur nom, n'ait représenté qu'eux, pour ne pas jetter trop de confusion dans ses bas-reliefs en y ajoûtant un grand nombre de figures d'hommes à cheval. Cette raison est d'autant plus plausible, que dans le tems où ce coffre a été fait il y avoit, de l'aveu de M. Freret, au moins 250 ans que l'équitation étoit connue des Grecs.

Sur le massif qui soûtenoit la statue d'Apollon dans le temple d'Arayclé, Castor & Pollux étoient représentés à cheval (Paus. l. III.), de même que leurs fils Anaxias & Mnasinoüs. Pausanias rapporte encore qu'on voyoit à Argos (lib. II.) dans le temple des Dioscures, les statues de Castor & Pollux, celles de Phoebe & Ilaïra leurs femmes, & celles de leurs fils Anaxias & Mnasinoüs, & que ces statues étoient d'ébene, à l'exception de quelques parties des chevaux. Il y avoit à Olympie (Pausan. l. V.) un grouppe de deux figures représentant le combat d'Hercule contre une amazone à cheval ; les mêmes Castor & Pollux étoient représentés à Athenes debout, & leurs fils à cheval. (Paus. l. II.)

M. Freret qui rapporte tous ces monumens, & quelques autres d'après Pausanias, étale une érudition immense pour montrer que les plus anciens sont postérieurs à l'établissement de la course des chevaux aux jeux olympiques. Quand on en conviendroit avec lui, on n'en seroit pas moins autorisé à croire que la plûpart de ces monumens n'ont été faits que pour en remplacer d'autres que la longueur du tems ou les fureurs de la guerre avoient détruits ; & que les sculpteurs se sont exactement conformés à la maniere distinctive dont les héros avoient été représentés dans les anciens monumens, de même qu'à ce que la tradition en rapportoit. La pratique constante de toutes les nations & de tous les tems, donne à cette conjecture beaucoup de vraisemblance.

(s) M. Freret cite en preuve la premiere olympionique de Pindare, où, à propos de la victoire remportée par Hiéron à la course des chevaux, ce poëte rapporte l'histoire de Pélops, vainqueur à la course des chars. Mais du tems l'Hiéron, à celui où l'on introduisit aux jeux olympiques les courses des chevaux, il y a cent soixante ans d'intervalle : les exemples anciens ne pouvoient donc pas manquer à Pindare, s'il avoit eu dessein d'en rapporter.

(t) Ce calcul de M. Freret n'est ni le plus exact, ni le plus suivi. Les plus savans chronologistes rapportent l'olympiade de Coroebus à l'an 776 avant J. C. l'époque de la fondation de Rome, liée avec cette olympiade, semble donner à ce dernier sentiment toute la force d'une démonstration. Il suit de-là que les courses de chevaux furent admises au nombre des spectacles des jeux olympiques cent vingt-huit ans plûtôt que M. Freret ne l'a crû.

(u) Auteur d'un poëme de la Thébaïde ; il vivoit du tems de Socrate. Quintilien dit qu'on lui donnoit le second rang après Homere ; Adrien le mettoit au-dessus d'Homere même.

Quoique tous les monumens de la Grece se soient accordés à représenter les Tyndarides (x) à cheval ; quoiqu'un fait remarquable, arrivé pendant la troisieme guerre de Messene (y), prouve manifestement l'accord de la tradition avec les Sculpteurs ; quoique cette tradition ait pénétré jusqu'en Italie, & quoi qu'Homere lui-même en ait dit, M. Freret ne peut se résoudre à croire que Castor & Pollux ayent jamais sû monter à cheval : il veut absolument que ces deux héros & même Bellérophon, ne fussent que d'habiles pilotes, & leurs chevaux, comme celui qui accompagnoit les statues de Neptune, un emblème de la navigation.

M. Freret revient au récit de Pausanias sur l'Arcadien Iassius, vainqueur dans une course de chevaux, & cela à l'occasion d'un monument qui autorisoit cette tradition : c'étoit (Paus. liv. VIII.) une statue posée sur l'une des deux colonnes qu'on voyoit dans la place publique de Tégée, vis-à-vis le temple de Vénus. Les paroles (z) du texte de Pausanias l'ont fait regarder comme une statue équestre ; mais le savant académicien veut qu'elles signifient seulement que cette statue a un cheval auprès d'elle, & tient de la main droite une branche de palmier : d'où il conclut qu'elle ne prouve point en faveur de l'équitation, & qu'on l'érigea en l'honneur de Iassius, parce qu'il avoit peut-être trouvé le secret d'élever des chevaux en Arcadie, pays froid, montagneux, où les races des chevaux transportés par mer des côtes d'Afrique, avoient peine à subsister. Quand une telle supposition auroit lieu, pourroit-on s'imaginer que ce Iassius qui auroit tiré des chevaux d'Afrique où l'équitation étoit connue de tout tems, eût ignoré lui-même l'art de les monter, & ne s'en fût servi qu'à traîner des chars ?

Fable des centaures. La fable des centaures que les Poëtes & les Mythologistes ont tous représentés comme des monstres à quatre piés, moitié hommes, moitié chevaux, avoit toûjours été alléguée en preuve de l'ancienneté de l'équitation. Toutes les manieres dont on raconte leur origine, malgré la variété des circonstances, concouroient néanmoins à ce but. " Selon quelques-uns (Diod. liv. IV.), Ixion ayant embrassé une nuée qui avoit la ressemblance de Junon, engendra les centaures qui étoient de nature humaine : mais ceux-ci s'étant mêlés avec des cavales, ils engendrerent les hippocentaures, monstres qui tenoient en même tems de la nature de l'homme & de celle du cheval. D'autres ont dit qu'on donna aux centaures le nom d'hippocentaures, parce qu'ils ont été les premiers qui ayent sû monter à cheval ; & que c'est de-là que provient l'erreur de ceux qui ont cru qu'ils étoient moitié hommes, moitié chevaux ".

Il est dit (Diodore, ib.) dans le récit du combat qu'Hercule soûtint contre eux, que la mere des dieux les avoit doüés de la force & de la vîtesse des chevaux, aussi bien que de l'esprit & de l'expérience des hommes. Ce centaure Nessus, qui moyennant un certain salaire transportoit d'un côté à l'autre du fleuve Evénus ceux qui vouloient le traverser, & qui rendit le même service à Déjanire, n'étoit vraisemblablement qu'un homme à cheval ; on ne sauroit le prendre pour un batelier, qu'en lui supposant un esquif extrèmement petit, puisqu'il n'auroit pû y faire passer qu'une seule personne avec lui (a).

Presque tous les monumens anciens ont dépeint les centaures avec un corps humain, porté sur quatre piés de cheval. Pausanias (l. V.) assûre cependant que le centaure Chiron étoit représenté sur le coffre des Cypsélides, comme un homme porté sur deux piés humains, & aux reins duquel on auroit attaché la croupe, les flancs, & les jambes de derriere d'un cheval. M. Freret, que cette représentation met à l'aise, ne manque pas de l'adopter aussitôt comme la seule véritable ; & il en conclut qu'elle désigne moins un homme qui montoit des chevaux, qu'un homme qui en élevoit. Croyant par cette réponse avoir pleinement satisfait à la question, il se jette dans un long détail astronomique, pour trouver entre la figure que forment dans le ciel les étoiles de la constellation du centaure, & la figure du centaure Chiron que l'on voyoit sur le coffre des Cypsélides, une ressemblance parfaite ; & il finit cet article en disant que les différentes représentations des centaures n'avoient aucun rapport à l'équitation.

Une semblable assertion ne peut rien prouver contre l'ancienneté de l'art de monter à cheval, qu'autant qu'on s'est fait un principe de n'en pas admettre l'existence avant un certain tems. M. Freret, à qui la foiblesse de son raisonnement ne pouvoit être inconnue, a cru lui donner plus de force en jettant des nuages sur l'ancienneté de la fiction des centaures ; il a donc prétendu qu'elle étoit postérieure à Hésiode & à Homere, & qu'on n'en découvroit aucune trace dans ces poëtes.

Mais il n'y aura plus rien qu'on ne puisse nier ou rendre problématique, quand on détournera de leur véritable sens, les expressions les plus claires d'un auteur. Homere (Iliad. l. I. & II.) appelle les centaures des monstres couverts de poil, ; cette expression qui paroît d'une maniere si précise se rapporter à l'idée que l'on se formoit du tems de ce poëte, sur la foi de la tradition, de ces êtres phantastiques, M. Freret veut qu'elle désigne seulement la grossiereté & la férocité de ces montagnards.

Enfin quoique ces peuples demeurassent dans la Thessalie, province qui a fourni la premiere & la meilleure cavalerie de la Grece, plûtôt que de trouver dans ce qu'on a dit d'eux le moindre rapport avec l'équitation ou avec l'art de conduire des chars, M. Freret aimeroit mieux croire qu'ils ne surent jamais faire aucun usage des chevaux, pas même pour les atteler à des chars ; il se fonde sur ce que dans l'Iliade les meilleurs chevaux de l'armée des Grecs étoient ceux d'Achille & d'Eumelus fils d'Admete, qui regnoient sur le canton de la Thessalie le plus éloigné de la demeure des centaures. Un pareil raisonnement n'a pas besoin d'être réfuté.

Conjectures de M. Freret. Le quatrieme & dernier article de la savante dissertation de M. Freret, contient ses conjectures sur l'époque de l'équitation dans l'Asie mineure & dans la Grece : elles se réduisent à établir que l'art de monter à cheval n'a été connu dans l'Asie mineure que par le moyen des différentes incursions que les Trérons & les Cimmeriens y firent, & dont les plus anciennes étoient postérieures

(x) Les Romains représentoient les Tyndarides à cheval. Denys d'Halicarnasse, liv. VI. dit que le jour de la bataille du lac Rhégille, l'an de Rome 258 & 494 avant J. C. on avoit vû deux jeunes hommes à cheval d'une taille plus qu'humaine qui chargerent à la tête des Romains la cavalerie latine, & la mirent en déroute. Le même jour ils furent vûs à Rome dans la place publique, annoncerent la nouvelle de la victoire, & disparurent aussi-tôt.

(y) Pendant que les Lacédémoniens célébroient la fête des dioscures, deux jeunes messéniens revêtus de casaques de pourpre, la tête couverte de toques semblables à celles que l'on donnoit à ces dieux, & montés sur les plus beaux chevaux qu'ils purent trouver ; se rendirent au lieu où les Lacédémoniens étoient assemblés pour le sacrifice. On les prit d'abord pour les dieux mêmes dont on célébroit la fête, & l'on se prosterna devant eux : mais les deux messéniens profitant de l'erreur, se jetterent au milieu des Lacédémoniens, & en blesserent plusieurs à coups de lances. Cette action fut regardée comme un véritable sacrilege, parce que les messéniens adoroient aussi les dioscures. Pausanias, liv. IV.

(z) .

(a) Déjanire étoit avec Hercule & Hyllus son fils.

de 150 ans à la guerre de Troye, & de quelques années seulement, suivant Strabon, à l'arrivée des colonies éoliennes & ïoniennes dans ce pays. Quant à la Grece européenne, il ne veut pas que l'équitation y ait précédé de beaucoup la premiere guerre de Messene, parce que Pausanias dit que les peuples du Péloponnèse étoient alors peu habiles dans l'art de monter à cheval. M. Freret pense encore que la Macédoine est le pays de la Grece où l'usage de la cavalerie a commencé ; qu'il a passé de-là dans la Thessalie, d'où il s'est répandu dans le reste de la Grece méridionale.

Ainsi l'on voit premierement que M. Freret ne s'attache ni à déduire ni à discuter les faits constans que nous avons cités de Sésostris, des Scolothes ou Scythes, & des Amazones. Il est vrai qu'il nie que ces femmes guerrieres ayent jamais combattu à cheval, parce qu'Homere ne le dit pas ; car le silence d'Homere est par-tout une démonstration évidente pour lui, quoiqu'il ne veuille pas s'en rapporter aux expressions positives de ce poëte : mais cette assertion gratuite & combattue par le témoignage unanime des historiens, ne sauroit détruire les probabilités que l'on tire en faveur de l'ancienneté de l'équitation chez les Grecs, des conquêtes des Scythes & des Egyptiens, & des colonies que ceux-ci & les Phéniciens ont fondées dans la Grece plusieurs siecles avant la guerre de Troye.

Secondement, fixer seulement l'époque de l'équitation dans la Grece européenne vers le tems de la premiere guerre de Messene, c'est contredire formellement Xénophon (de rep. Lacedaemon.), qui attribue à Lycurgue les réglemens militaires de Sparte, tant par rapport à l'infanterie pesamment armée, que par rapport aux cavaliers : dire que ceux-ci n'ont jamais servi à cheval, & dériver leur dénomination du tems où elle désignoit aussi ceux qui combattoient sur des chars, c'est éluder la difficulté & supposer ce qui est en question. Ces cavaliers, dit Xénophon, étoient choisis par des magistrats nommés hippagiritae, ab equitatu congregando ; ce qui prouve une connoissance & un usage antérieurs de la cavalerie. Cet établissement de Lycurgue, tout sage qu'il étoit, souffrit ensuite diverses altérations, mais il ne fut jamais entierement aboli. Les hommes choisis, qui suivant l'intention du législateur avoient été destinés pour combattre à cheval, s'en dispenserent peu-à-peu, & ne se chargerent plus que du soin de nourrir des chevaux durant la paix, qu'ils confioient pendant la guerre (b) à tout ce qu'il y avoit à Sparte d'hommes peu vigoureux & peu braves. M. Freret confond en cet endroit l'ordre des tems. A la bataille de Leuctres, dit-il, la cavalerie lacédemonienne étoit encore très-mauvaise, selon Xénophon ; elle ne commença à devenir bonne qu'après avoir été mêlée avec la cavalerie étrangere, ce qui arriva au tems d'Agésilaüs : ce prince étant passé dans l'Asie mineure, leva parmi les Grecs asiatiques un corps de 1500 chevaux, avec lesquels il repassa dans la Grece, & qui rendit de grands services aux Lacédemoniens.

Agésilaüs avoit fait tout cela avant la bataille de Leuctres. La suite des évenemens est totalement intervertie dans ces réflexions de M. Freret. Il suit de cette explication, qu'encore que les cavaliers spartiates n'ayent pas toûjours combattu à cheval, il ne laissoit pas d'y avoir toûjours de la cavalerie à Sparte, mais à la vérité très-mauvaise : on le voit surtout dans l'histoire des guerres de Messene. Pausanias, l. IV.

Il est à propos de remarquer que Strabon, sur lequel M. Freret s'appuye en cet endroit, prouve contre lui. Lorsque cet auteur dit (Strabon, l. X.) que les hommes choisis, que l'on nommoit à Sparte les cavaliers, servoient à pié ; il ajoûte qu'ils le faisoient à la différence de ceux de l'île de Crete : ces derniers combattoient donc à cheval. Or Lycurgue avoit puisé dans l'île de Crete la plûpart de ses lois, par conséquent l'usage de la cavalerie avoit précédé dans la Grece le tems où ce législateur a vécu.

S'il est vrai qu'au commencement des guerres de Messene les peuples du Péloponnèse fussent très-peu habiles dans l'art de monter à cheval (c), il l'est encore davantage qu'ils ne se servoient point de chars ; on n'en voit pas un seul dans leurs armées, quoiqu'il y eût de la cavalerie. Il est bien singulier que ces Grecs, qui, dans les tems héroïques n'avoient combattu que montés sur des chars, qui encore alors se faisoient gloire de remporter dans les jeux publics le prix à la course des chars, ayent cessé néanmoins tout-à-coup d'en faire usage à la guerre, qu'on n'en voye plus dans leurs armées, & qu'ils n'ayent commencé d'en avoir que plusieurs siecles après, lorsque les généraux d'Alexandre se furent partagés l'empire que ce grand prince avoit conquis sur Darius.

Une chose étonnante dans le système de M. Freret, c'est qu'il suppose nécessairement que l'usage des chars a été connu des Grecs avant celui de l'équitation. La marche de la Nature qui nous conduit ordinairement du simple au composé, se trouve ici totalement renversée, quoi qu'en ait dit Lucrece dans les vers suivans :

Et priùs est repertum in equi conscendere costas,

Et moderarier hunc fraeno, dextraque vigere,

Quambijugo curru belli tentare pericla. Lucr. l. V.

Ce poëte avoit raison de regarder l'art de conduire un char attelé de plusieurs chevaux, comme quelque chose de plus combiné, que celui de monter & conduire un seul cheval. Mais M. Freret soûtient que cela est faux, & que la façon la plus simple & la plus aisée de faire usage des chevaux, celle par où l'on a dû commencer, a été de les attacher à des fardeaux, & de les leur faire tirer après eux : " Par-là, dit-il, la fougue du cheval le plus impétueux est arrêtée, ou du moins diminuée.... Le traîneau a dû être la plus ancienne de toutes les voitures ; ce traîneau ayant été posé ensuite sur des rouleaux, qui sont devenus des roues lorsqu'on les a attachées à cette machine, s'éleva peu-à-peu de terre, & a formé des chars anciens à deux ou à quatre roues. Quelle combinaison, quelle suite d'idées il faut supposer dans les premiers hommes qui se sont servis du cheval ? Cet animal a donc été très-longtems inutile à l'homme, s'il a fallu, avant qu'il le prît à son service, qu'il connût l'art de faire des liens, de façonner le bois, d'en construire des traîneaux ? Mais pourquoi n'a-t-il pû mettre sur le dos du cheval les fardeaux qu'il ne pouvoit porter lui-même ? Ne diroit-on pas que le cheval a la férocité du tigre & du lion, & qu'il est le plus difficile des animaux, lui qu'on a vû sans bride & sans mors obéir aveuglement à la voix du numide ". ? Mais pour combattre un raisonnement aussi extraordinaire que celui de M. Freret, il suffit d'en appeller à l'expérience connue des siecles passés & à nos usages

(b) Equos enim locupletiores alebant, cum vero in expeditionem eundum esset, veniebat is qui designatus erat, & equum & arma... qualiacumque accipiebat, atque ita militabat. Equis inde milites corporibus imbecilles, animisque languentes imponebant. Xénoph. hist. greq. lib. VI.

(c) L'état de foiblesse où se trouvoit alors toute la Grece en général étoit une suite de l'irruption des Doriens de Thessalie, sous la conduite des Héraclides : cet évenement arrivé un siecle après la prise de Troye, jetta la Grece dans un état de barbarie & d'ignorance à peu-près pareil, dit M. Freret, à celui où l'invasion des Normands jetta la France sur la fin du neuvieme siecle. Cela est conforme à ce que rapporte Thucydide, liv. I. il fallut plusieurs siecles pour mettre les Grecs en état d'agir avec vigueur.

présens : on ne s'avise d'atteler les chevaux à des charrues, à des charrettes, &c. qu'après qu'ils ont été domptés, montés, & accoûtumés avec l'homme ; une méthode contraire mettroit en danger la vie du conducteur & celle du cheval. Mais l'histoire dépose encore ici contre cet académicien : par le petit nombre de chars que l'on compte dans les dénombremens qui paroissent les plus exacts des armées anciennes, & la grande quantité de cavalerie (d), il est aisé de juger que celle-ci a nécessairement précédé l'usage des chars. Ce n'est pas qu'on ne trouve souvent les chars en nombre égal, & même supérieur à celui des gens de cheval ; mais on a lieu de soupçonner qu'à cet égard il s'est glissé de la part des copistes des erreurs dans les nombres. On en est bien-tôt convaincu, quand on réfléchit sur l'impossibilité de mettre en bataille & de faire manoeuvrer des vingt ou trente mille chars (e) : on observe d'ailleurs, que bien loin de trouver dans les tems mieux connus cette quantité extraordinaire de chars, chez les peuples mêmes qui en ont toûjours fait le plus grand usage, on en compte à peine mille dans les plus formidables armées qu'ils ayent mis sur pié. (f)

Pour terminer enfin cet article, je tire de M. Fréret même une preuve invincible que l'équitation a dû précéder dans la Grece l'usage des chars.

Selon cet auteur, les chevaux étoient rares en ce pays : on n'y en avoit jamais vû de sauvages, ils avoient tous été amenés de dehors. Dans les anciens poëtes on voit que les chevaux étoient extrèmement chers, & que tous ceux qui avoient quelque célébrité étoient regardés comme un présent de Neptune, ce qui dans leur langage figuré, signifie qu'ils avoient été amenés par mer des côtes de la Lybie & de l'Afrique.

Cela posé, est-il vraisemblable que quelqu'un ait transporté de ces pays des chevaux dans la Grece, & qu'il n'ait pas enseigné à ceux qui les achetoient la maniere la plus promte, la plus utile, la plus générale de s'en servir ? Il est incontestable que l'équitation étoit connue en Afrique long-tems avant la guerre de Troye. Par quelle raison les marchands en vendant leurs chevaux fort cher aux Grecs, leur auroient-ils caché l'art de les monter ? ou pourquoi les Grecs se seroient-ils chargés de chevaux à un prix excessif, sans apprendre les différentes manieres de les conduire, de les manier, & d'en faire usage ?

M. Freret devoit, pour donner à son système un air de vérité, prouver avant toute autre chose que l'art de monter à cheval étoit ignoré dans tous les lieux d'où les Grecs ont pû tirer leurs premiers chevaux. Ne l'ayant pas fait, sa dissertation malgré toute l'érudition qu'elle renferme, ne pourra jamais établir son étrange paradoxe, & il demeurera pour constant que l'équitation a été pratiquée par les Grecs long-tems avant le siége de Troye. Cet article est de M. D'AUTHVILLE, commandant de bataillon.

EQUITATION, (Medecine) , equitatio, l'action d'aller à cheval ; elle est considérée comme un exercice qui fait partie de la Gymnastique, & qui peut être employé utilement pour la conservation de la santé, & pour son rétablissement.

Le mouvement du corps que procure l'équitation lorsqu'elle est modérée, peut être très-salutaire ; il cause de douces secousses dans les visceres de la poitrine & du bas-ventre ; il les applique & les presse sans effort les uns contre les autres ; il donne occasion à ce que l'on change d'air, & que l'on respire celui de la campagne ; il fait que ce fluide pénetre avec plus de force dans la poitrine ; il dispose à l'excrétion des matieres fécales.

Il résulte de tous ces effets combinés des changemens si avantageux, dans les cas où l'équitation est faite à-propos, qu'ils sont presqu'incroyables. Elle convient en général aux personnes d'un tempérament foible, délicat, dans les maladies qui produisent de grandes diminutions de force : on doit observer qu'elle ne doit pas avoir lieu pendant que l'estomac est plein d'alimens, mais avant les repas, ou lorsque la digestion est presque faite, attendu que les secousses que donne le cheval, ne pourroient que causer des tiraillemens douloureux à ce viscere par le poids des matieres contenues.

L'expérience avoit appris à Sydenham à faire tant de cas de l'équitation, qu'il la croyoit propre à guérir, sans autre secours, non-seulement de petites infirmités, mais encore des maladies desespérées, telles que la consomption, la phthisie même accompagnée de sueurs nocturnes & de diarrhée colliquative ; & il témoigne dans sa dissertation épistolaire, n'être pas moins assûré de l'efficacité de ce secours dans cette derniere maladie, que de celle du mercure dans la curation de la vérole, & de celle du kinquina contre les fievres intermittentes : il avertit en même tems qu'il ne faut pas que ceux qui mettent en usage l'équitation, se fatiguent tout-d'un-coup par une course trop précipitée ; mais qu'ils doivent faire cet exercice, d'abord fort doucement & pendant un petit espace de tems, ensuite en augmenter peu-à-peu le mouvement & la durée. Il rapporte un grand nombre d'exemples de très-belles cures qu'il a faites par ce moyen. Voyez la dissertation citée ci-dessus, parmi les oeuvres de cet auteur. Voy. GYMNASTIQUE. (d)


EQUITÉsub. f. (Morale, Droit politiq.) c'est, en général, cette vertu par laquelle nous rendons à chacun ce qui lui appartient justement, conformément aux différentes circonstances où chaque personne peut être relativement à notre égard & aux lois de la société.

On confond quelquefois l'équité avec la justice ; mais cette derniere paroît plûtôt désignée pour récompenser ou punir, conformément à quelques lois ou regles établies, que conformément aux circonstances variables d'une action. C'est par cette raison que les Anglois ont une cour de chancellerie ou d'équité, pour tempérer la sévérité de la lettre de la loi, & pour envisager l'affaire qui y est portée, uniquement par la regle de l'équité & de la conscience. Cette cour de chancellerie est un des beaux établissemens qu'il y ait en Angleterre, & des plus dignes d'être imité par les nations civilisées.

En effet, l'intérêt d'un souverain & son amour pour ses peuples, qui l'engage à prendre garde qu'il ne se fasse rien dans son empire de contraire au bien commun, demande aussi qu'il redresse, qu'il rectifie, & qu'il corrige ce qui peut avoir été fait de tel.

Ainsi l'équité, prise dans ce sens particulier, est une volonté du prince, disposée par les regles de la prudence à corriger ce qui se trouve dans une loi de son état, ou dans un jugement civil de la magistrature établie par ses ordres, quand les choses y ont été reglées autrement que la vûe du bien commun ne le demanderoit dans les circonstances proposées ; car il arrive souvent que la loi se servant d'expressions générales, ou la foiblesse de l'esprit humain étant telle qu'elle empêche les législateurs de prévoir tous les cas possibles, les chefs de l'état s'éloignent du but auquel ils tendoient sincerement.

L'amour du bien commun exige donc alors, que

(d) Lors du passage de la mer Rouge les Egyptiens avoient six cent chars & cinquante mille hommes de cavalerie, & Salomon sur douze mille hommes de cavalerie avoit quatorze cent chars. En faisant un calcul, on trouveroit le commandant de chaque escadron sur un char.

(e) Guerre des Philistins contre les Israélites. Josephe, liv. VI. chap. vij

(f) Voyez l'expédition de Xerxès, & le dénombrement de son armée, &c.

les législateurs mêmes, après avoir examiné de près les circonstances du cas présent, mieux qu'ils n'ont pû le faire en l'envisageant de loin, corrigent par une cour d'équité, à la faveur de la connoissance plus parfaite qu'ils ont des choses exposées à leurs yeux, ce qu'ils avoient établi pour regle là-dessus.

C'est de la loi naturelle que tire toute son autorité un jugement favorable, où l'on prononce, non à la rigueur, mais avec un adoucissement équitable ; & par conséquent cette loi naturelle est la vraie source de l'équité, digne de toute notre attention. Voy. LOI NATURELLE.

Outre son usage très-important dans la correction des lois civiles, & quand il s'agit de faire de telles lois, elle est de la derniere nécessité dans les cas où les lois civiles se taisent, & pour le dire en un mot, dans la pratique de tous les devoirs des hommes les uns envers les autres, dont elle est la regle & le fondement.

En effet, ce n'est point des conventions humaines & arbitraires que dépend l'équité ; son origine est éternelle & inaltérable, de maniere que si nous étions libres du joug de la religion, nous ne devrions pas l'être de celui de l'équité ; aussi quelle joie, dit M. de Montesquieu, quel plaisir pour un homme, quand il s'examine, de trouver qu'il a le coeur juste ! Il voit son être autant au-dessus de ceux qui ne goûtent pas ce bonheur, qu'il se voit au-dessus des tigres & des ours ; oui, Rhédi, ajoûte cet aimable & vertueux écrivain, sous le nom d'Usbek (Lett. Pers. lxxxj.), si j'étois sûr de suivre inviolablement cette équité que j'ai devant les yeux, je me croirois le premier des hommes ! Voyez DROIT, JUSTICE, ECONOMIE POLITIQUE, BIEN, MAL, &c. Article de M(D.J.)

* EQUITE, (Mythol.) divinité des Grecs & des Romains. Ils la représentoient tenant une épée d'une main, & une balance de l'autre. Ils la confondoient quelquefois avec Astrée & avec la Justice ; quelquefois ils l'en distinguoient. Pindare donne trois filles à l'Equité, la Paix, Eunomie, & Dicé.


EQUIVALENTadj. (Philos.) se dit de ce qui a la même valeur, la même force & les mêmes effets qu'une autre chose. Voyez EGALITE.

Il y a plusieurs sortes d'équivalence : dans les propositions, dans les termes, & dans les choses.

Les propositions équivalentes sont celles qui disent la même chose en différens termes, comme : il est midi juste : le Soleil passe au méridien au-dessus de l'horison.

Les termes équivalens sont ceux qui, quoique différens pour le son, ont cependant une seule & même signification, comme tems & durée, &c.

Les choses équivalentes sont ou morales, ou physiques, ou statiques : morales, comme quand nous disons que commander ou conseiller un meurtre, est un crime équivalent à celui du meurtrier : physiques, comme quand on dit qu'un homme qui a la force de deux hommes, équivaut à deux : statique, comme quand un moindre poids équivaut à un plus grand, en l'éloignant davantage du centre. Chambers.

EQUIVALENT, (Jurispr.) est une imposition qui se paye au roi dans la province de Languedoc, sur certaines marchandises : on la nomme équivalent, parce qu'elle fut établie pour tenir lieu d'une aide que l'on payoit auparavant. Pour bien entendre ce que c'est que cet équivalent, & à quelle occasion il fut établi, il faut observer que Philippe de Valois, dans le tems de ses guerres avec l'Angleterre, ayant établi un aide ou subside sur le pié de 6 deniers pour livre de toutes les marchandises qui seroient vendues dans le royaume, le roi Jean, du consentement des états, porta ce droit jusqu'à 8 den. & Charles V. à 12 den. ce qui fait le vingtieme ; & pour le vin vendu en détail, il en fixa le droit au huitieme, & au quatrieme du prix, selon les différens pays où s'en faisoit la vente.

Charles VI. au commencement de son regne, déchargea ses sujets de cette imposition.

Elle fut rétablie par Charles VII. d'abord par tout le royaume ; mais il la supprima en 1444, pour le Languedoc seulement, au moyen d'une somme de 80000 livres qui lui fut promise & payée pendant trois années. Pour former cette somme il permit de lever un droit d'un denier pour livre sur la chair fraiche & salée, & sur le poisson de mer, avec le sixieme du vin vendu en détail. Ce droit fut nommé équivalent, parce qu'en effet il équivaloit à l'imposition de l'aide.

Les trois années étant expirées, & les besoins de l'état étant toûjours les mêmes, le Languedoc fut obligé de continuer le même payement, & même de l'augmenter ; car sous prétexte que la somme de 80000 liv. ne suffisoit pas pour indemniser le roi de ce qu'il auroit pû tirer de l'aide, la province consentit à l'imposition d'un nouveau droit, montant à 111776 livres, pour remplir ce qui manquoit à la valeur de l'équivalent ; à condition néanmoins que si la recette de l'équivalent montoit à plus de 80000 liv. il seroit fait diminution d'autant sur le nouveau droit, qui fut appellé, du nom de l'imposition commune, aide.

En 1456 Charles VII. diminua l'équivalent, & le réduisit à 70000 l. mais en même tems il augmenta l'aide jusqu'à 120000 liv.

Louis XI. en 1462 ceda le droit d'équivalent à la province, au moyen de 70000 livres de préciput ; mais il ne paroît pas que ce traité ait jamais eu d'exécution, comme il résulte de la déclaration donnée à Lyon par François I. en 1522.

On voit d'ailleurs que Louis XI. par des lettres du 12 Septembre 1467, attribua la connoissance de l'équivalent, en cas de ressort & de souveraineté, à la cour des aides de Montpellier ; & cette attribution fut confirmée par plusieurs autres patentes postérieures, entr'autres par Charles IX. le 20 Juillet 1565 ; desorte que nos rois ont toûjours joüi de l'équivalent jusqu'à l'édit de Beziers, du mois d'Octobre 1632, par lequel Louis XIII. en fit la remise à la province, & de toutes autres impositions. Les états solliciterent néanmoins la révocation de cet édit, parce qu'il donnoit d'ailleurs atteinte à leurs priviléges ; & ils obtinrent en effet un autre édit au mois d'Octobre 1649, qui confirma à la province la remise entiere du droit de l'équivalent, confirmée par celui de 1649, au moyen de quoi ce droit est présentement affermé au profit de la province : le bail monte annuellement à 335000 liv. de sorte que la province y trouve un avantage considérable, attendu qu'elle ne paye au roi sur cet article que 69850 liv. l'aide étant demeurée à son point fixe & ordinaire de 120000 liv. Voyez PATENTE DE LANGUEDOC. Voyez le style du parlement de Toulouse, par Cayron, pag. 273. (A)

EQUIVALENT est aussi le nom que l'on donne en certaines provinces à une imposition qui tient lieu de la taille, comme on voit par des lettres du 10 Mai 1643, registrées en la chambre des comptes, portant établissement de ce droit au lieu de la taille dans les îles de Marennes. (A)

EQUIVALENT, en quelques lieux, est ce que le pays paye au roi au lieu du droit de gabelles, & pour avoir la liberté d'acheter & vendre du sel, & être exempt des greniers & magasins à sel. Voyez le gloss. de M. de Lauriere, au mot équivalent. (A)

EQUIVALENT est aussi un droit qui se paye en quelques provinces, comme Auvergne & autres, pour être exempt du tabellionage. Voyez le gloss. de M. de Lauriere, ibid. (A)


EQUIVOQUES. f. (Gramm.) double sens d'une phrase, produit par sa mauvaise construction.

Les équivoques sont des expressions louches, qui rendent le discours réellement obscur, & embarrassent l'esprit du lecteur pour en découvrir le véritable sens. Les langues qui demandent de la clarté, & la langue françoise en particulier, sont ennemies de ces sortes d'ambiguités de construction. Il est vrai que toute la lecture de la période en fait d'ordinaire comprendre le sens, dès que l'on y donne un peu plus d'attention ; mais il vaudroit mieux que cela n'arrivât point : car c'est aux paroles à faire entendre le sens, & non pas au sens à faire entendre les paroles. Si l'on vous relit deux fois, dit M. de Vaugelas, que ce soit pour vous admirer, & non pas pour chercher ce que vous avez voulu dire. Le même critique a justement remarqué que la plûpart des équivoques se forment dans notre langue par les pronoms relatifs, possessifs, & démonstratifs. Exemple du pronom relatif : c'est le fils de cette femme qui a fait tant de mal. On ne sait si ce qui se rapporte à fils ou à femme ; de sorte que si l'on veut qu'il se rapporte à fils, il faut mettre lequel au lieu de qui. Exemple du pronom possessif : il a toûjours aimé cette personne au milieu de son adversité. Ce son est équivoque ; car on ne sait s'il se rapporte à cette personne ou à il, qui est celui qu'on a aimé. Il en est de même du pronom démonstratif.

Les équivoques se font encore, quand un mot qui est entre deux autres se peut rapporter à tous les deux, comme dans cette période d'un célebre auteur : je passerai par-dessus ce qui ne sert de rien ; mais aussi veux-je bien particulierement traiter ce qui me semblera nécessaire. Le bien se rapporte à particulierement, & non pas à veux-je ; c'est pourquoi pour écrire nettement il falloit mettre, aussi veux-je traiter bien particulierement, & non pas, aussi veux-je bien particulierement traiter.

Les équivoques se font enfin, quand on met quelques mots entre ceux qui ont du rapport ensemble, & que néanmoins les derniers mots se peuvent rapporter aux mots qui sont entre deux ; un exemple le va faire entendre : l'orateur arrive à son but, qui est de persuader, d'une façon toute particuliere. L'intention de celui qui s'exprime ainsi, est que ces mots, d'une façon toute particuliere, se rapportent à ceux-ci, arrive à son but ; mais comme ils sont placés, il semble qu'ils se rapportent à persuader : il faudroit donc dire, l'orateur arrive d'une façon toute particuliere à son but, qui est de persuader.

Quoique ce précis, tiré de M. de Vaugelas, puisse ici suffire, il seroit bon d'étudier toutes les observations de cet auteur, de même que celles de nos meilleurs critiques, sur les équivoques de construction ; car c'est le défaut dans lequel tombent les plus grands écrivains, parce qu'il est très-difficile de l'éviter, si on n'y donne une grande attention, & si on ne relit souvent ses ouvrages à tête reposée ; mais il ne faut pas en même tems porter ses timides scrupules jusqu'à l'excès, énerver son style, & prendre l'ombre d'une équivoque pour une équivoque réelle.

Equivoque se dit aussi dans notre langue d'un terme à double-sens, dont abusent seulement ceux qui cherchent à joüer sur les mots. Voyez POINTE ou JEU DE MOTS. Article de M(D.J.)

EQUIVOQUE, (Morale) discours ou proposition à double-sens ; l'un naturel, qui paroît être celui qu'on veut faire entendre, & qui est effectivement entendu de ceux qui écoutent ; l'autre détourné, qui n'est entendu que de la personne qui parle, & qu'on ne soupçonne pas même pouvoir être celui qu'elle a intention de faire entendre. C'est un expédient imaginé pour ne point dire la vérité & ne point mentir en même tems ; mais cet expédient n'est réellement qu'une tromperie condamnable dans ceux qui s'en servent, parce qu'ils manquent à la bonne-foi. Il n'y a, dit très-bien un de nos auteurs modernes, que la subtilité d'une éducation scholastique qui puisse persuader que l'équivoque soit un moyen de sauver du naufrage sa sincérité ; car dans le monde ce moyen n'empêche pas de passer pour menteur & pour mal-honnête homme, & il donne de plus un ridicule d'esprit très-méprisable.

Cependant, n'est-il jamais permis de se servir de termes ambigus, ou même obscurs ? Je réponds avec Grotius & Puffendorf, qu'on ne doit jamais y avoir recours, à moins que ce moyen ne soit nécessaire, par exemple, à l'instruction de ceux qui sont confiés à nos soins, ou à éluder une question importante ou captieuse, qu'on n'a pas droit de nous faire ; ou à nous procurer quelqu'avantage innocent sans nuire à un tiers. Du reste, toutes les fois qu'on est dans l'obligation de découvrir clairement sa pensée à quelqu'un, il n'y a pas moins de crime à le tromper par une équivoque que par un mensonge. Enfin, de l'aveu même des Payens, c'est un lâche artifice & une insigne fourberie, que d'avoir recours aux équivoques lorsqu'il s'agit de contrat ou de quelqu'affaire d'intérêt. En un mot, les équivoques sont si blâmables en général, qu'on ne peut apporter trop de reserve à spécifier les cas fort rares où elles seroient innocentes. Article de M(D.J.)

EQUIVOQUE, adj. (Medecine) est aussi l'épithete que donnent les Medecins aux signes qui ne constituent pas essentiellement le caractere d'une maladie, & qui ne la distinguent pas d'une autre. Equivoque en ce sens est opposé à univoque, qui est l'épithete des signes qui conviennent uniquement à une maladie, tirés des symptomes qui en sont inséparables. Voyez SIGNE. (d)


EQUULEUSvoyez EQUICULUS.


ERABLES. m. acer, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Il sort du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit composé de deux, & quelquefois de trois capsules, qui sont terminées chacune par un feuillet membraneux, & qui renferment une semence arrondie. Tournef. inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

ERABLE, (Jardinage) c'est un arbre de différente grandeur, selon les diverses especes de son genre. Plusieurs de ces érables croissent naturellement en Europe, quelques-uns dans le Levant, & le plus grand nombre en Amérique. Il est peu d'arbres qui rassemblent autant de variété, d'agrément & d'utilité que ceux-ci, qui croissent avec plus de vîtesse & d'uniformité, qui s'accommodent mieux des plus mauvaises expositions, & qui exigent moins de soins & de culture ; qui résistent mieux à toutes les intempéries des saisons, & que l'on puisse pour la plûpart multiplier avec plus de facilité.

Toutes les especes d'érables que l'on connoît, semblent faites pour la température de ce climat ; elles y réussissent à souhait ; elles s'y soûtiennent contre quantité d'obstacles qui arrêtent beaucoup d'autres arbres, & elles remplissent tout ce qu'on en peut attendre. Dans les terres seches & legeres, dans les lieux élevés & arides, dans les terreins les plus superficiels, on voit les érables profiter, grossir & s'élever aussi-bien que s'ils étoient dans les meilleures terres de vallée. Les différentes especes de cet arbre offrent à plusieurs égards une variété dont on peut tirer grand parti pour l'embellissement des jardins : la verdure de leur feuillage fait autant de différentes nuances qu'il y a d'especes d'érables : la forme & la largeur des feuilles varient également ; elles paroissent de bonne heure au printems, & ne tombent que fort tard en automne : il y a aussi quelques especes qui donnent des fleurs d'une assez belle apparence. On peut distinguer les différentes especes d'érables, en grands & en petits arbres. Les grands érables forment de belles tiges bien droites ; ils ont l'écorce unie & la feuille fort grande : on peut les préférer à beaucoup d'autres arbres pour faire des avenues, & bosquets, & du couvert. Les petits érables ont un accroissement plus lent, le bois plus menu, & la feuille plus petite : ils sont très-propres à former des palissades & des haies à hauteur d'appui ; à quoi ils conviennent souvent d'autant mieux, qu'ils ont le mérite singulier de croître à l'ombre & sous les autres arbres.

Voici les différentes especes d'érables les plus connues jusqu'à présent.

L'érable sycomore, grand arbre qui croît naturellement dans quelques forêts de l'Europe & de l'Amérique septentrionale, & plus ordinairement dans les pays de montagnes. Sa tige est fort droite, son écorce est unie & roussâtre, sa feuille est large, lisse, découpée en cinq parties principales, d'un verd brun en-dessus, & blanchâtre en-dessous : ses fleurs viennent en grappes longues & pendantes : elles sont d'une couleur herbacée, qui n'a nulle belle apparence : la graine qui en provient est à-peu-près de la forme d'un pepin d'orange ; elle est renfermée dans une double écaille, qui est terminée par une aîle legere. Cet arbre est très-propre à faire des allées & du couvert sur les lieux élevés & dans les plus mauvais terreins, il s'y soûtient contre les grandes chaleurs & les longues sécheresses, même dans les provinces méridionales de ce royaume, où l'on n'a pas eu de meilleure ressource que de recourir au sycomore pour remplacer avec succès différentes especes d'autres arbres qui avoient péri successivement dans une partie du cours d'Aix en Provence, soit à cause de la grande chaleur de ce climat, soit par rapport à la mauvaise qualité du sol. Cet arbre réussit également dans les bonnes terres de la plaine & sur les croupes des montagnes exposées au nord, il ne redoute aucune mauvaise qualité de l'air. M. Miller assûre que le sycomore soûtient mieux qu'aucun autre arbre les vapeurs de la mer. Mais un autre avantage particulier à cet arbre, c'est qu'il résiste parfaitement à la continuité & à la violence des vents, ensorte que pour se garantir de leur impétuosité, & défendre à cet égard les bâtimens, les plantations & tout espace que l'on veut abriter, c'est cet arbre que l'on doit y employer par préférence. Le sycomore devient en peu de tems un gros & grand arbre ; il se garnit d'un feuillage épais, qui donne beaucoup d'ombre & de fraîcheur : il est si robuste, que les hyvers les plus rigoureux de ce climat ne lui portent aucun préjudice, même dans sa premiere jeunesse, & qu'il soûtient le froid excessif qui se fait dans le Canada, où cet arbre est fort commun, & où l'on en tire la seve par incision, dont on fait de bon sucre. Le bois du sycomore est sec, leger, sonore, brillant, & d'une qualité fort approchante de celle du bois de hêtre : il n'est pas sujet à se tourmenter, à se déjetter ni à se fendre ; on l'employe aux petits ouvrages des Tourneurs, Menuisiers, Sculpteurs, Armuriers, Ebénistes & Luthiers. Il est propre aux mêmes usages que le bois du tilleul & du hêtre : c'est le meilleur de tous les bois blancs. On peut multiplier cet arbre de graine, de branches couchées, ou par le moyen de la greffe, sur les autres érables, & même en plantant les racines qu'on auroit retranchées du tronc d'un sycomore. Mais cet arbre a quelques petits défauts ; ses feuilles sont d'un verd très-brun, & elles sont sujettes à être gâtées par les insectes. Il est vrai que sa verdure est fort brune, & même encore plus foncée lorsque l'arbre commence à pousser ; ce qui étant entierement opposé au verd naissant & tendre de presque tous les autres arbres, c'est un contraste de verdure dont on pourra tirer parti. On convient aussi que les hannetons attaquent souvent les feuilles du sycomore ; mais ils ne l'endommagent pas assez, pour que l'arbre fasse un aspect desagréable.

L'érable-sycomore panaché : c'est une variété de l'espece précédente, dont cet arbre ne differe que par la couleur de ses feuilles, qui sont plus ou moins bigarrées de jaune & de verd ; & qui font un agrément singulier. On sait que ce mêlange de couleur, qui n'est qu'un accident occasionné par la foiblesse ou la maladie de l'arbre, ou par la mauvaise qualité du terrein, ne se soûtient dans la plûpart des autres arbres panachés, qu'en les multipliant par la greffe, ou en couchant leurs branches, & nullement en semant leurs graines, attendu que les plants qui en naissent, rentrent dans l'état naturel. Mais il en est autrement du sycomore panaché, dont on peut conserver la diversité de couleur, non-seulement en couchant ses branches ou en le greffant sur le sycomore ordinaire, mais encore en semant sa graine, qui produit des plants dont la plûpart sont panachés.

L'érable plane, grand arbre qui fait une belle tige très-droite, dont l'écorce est lisse & blanchâtre. Sa feuille a beaucoup de ressemblance avec celle du platane, ce qui lui a fait donner le nom d'érable plane : mais elle n'est ni si grande ni si épaisse, ni d'un verd si tendre que celle du platane. Ses fleurs viennent en bouquets de couleur jaune, qui ont quelqu'apparence ; elles commencent à paroître avant les feuilles, à la fin d'Avril. La graine qui en provient est plate & terminée par une aîle, comme celle du sycomore. Après le platane, c'est l'un des plus beaux arbres que l'on puisse employer pour l'embellissement des jardins ; il a toutes les bonnes qualités du sycomore, avec lequel il a tant d'analogie & de ressemblance, qu'on peut faire à l'érable plane l'application de tout ce que l'on vient de dire du sycomore ; mais il n'a pas, comme celui-ci, le défaut d'avoir des feuilles d'un verd trop rembruni, ni d'être sujet aux attaques de quelques insectes, qui au contraire ne portent aucune atteinte aux feuilles de l'érable plane, dont la verdure tendre & agréable se soûtient avec égalité pendant toute la belle saison, & ne passe que fort tard en automne. Son feuillage étant encore plus fourni que celui du sycomore, il fait un meilleur couvert, & de plus belles allées en palissade sur tige, pour lesquelles l'érable plane est des plus convenables ; mais il faut donner à ces arbres un quart de distance moins qu'aux tilleuls, parce que cette espece d'érable prend plus de hauteur que d'extension. Cet arbre croît encore plus promtement que le sycomore : j'ai vû souvent des plants venus de semence en terrein sec, s'élever jusqu'à douze piés en trois ans. Les Anglois lui donnent le nom d'érable de Norwege, parce que vraisemblablement il leur est venu de ce pays-là, où il est fort commun. Mais comme la plûpart des Jardiniers de Paris, & ceux des provinces à plus forte raison, confondent cet arbre avec le sycomore, il est à-propos de rapporter ici quelques caracteres apparens, qui puissent les faire distinguer l'un de l'autre. L'érable plane a l'écorce blanchâtre sur le vieux bois, les boutons rougeâtres pendant l'hyver, la feuille plate, mince, & d'un verd tendre ; les fleurs jaunes, disposées en bouquets relevés, & la graine applatie : le sycomore au contraire a la tige plus grosse, la tête plus étendue, l'écorce roussâtre, les boutons jaunes en hyver, la feuille plus épaisse, plus brune, & un peu repliée en-dessus, les fleurs d'un petit jaune verdâtre, bien moins apparentes, disposées en grappes pendantes, & sa graine est ronde.

L'érable plane, panaché : c'est une variété de l'espece qui précede, & à laquelle on peut appliquer ce qui a été dit plus haut du sycomore panaché, si ce n'est pourtant qu'il n'est pas encore certain qu'en semant les graines de celui-ci, on doive s'attendre que les nouveaux plants conserveront la même variété.

Le petit érable plane, ou l'érable à sucre : arbre de moyenne grandeur, qui croît naturellement dans la Virginie, où il est fort commun, & où on lui donne le nom d'érable à sucre. Sa tige est très-droite & fort menue, son écorce est cendrée ; les boutons des jeunes branches sont d'une couleur très-brune pendant l'hyver : sa feuille a beaucoup de ressemblance avec celle de l'érable plane ordinaire : mais elle est plus grande, plus mince, & d'un verd plus pâle, tenant du jaunâtre en-dessus, mais un peu bleuâtre en-dessous. Son accroissement est beaucoup plus lent que celui de l'érable plane dont on a parlé ; il étend bien moins ses branches, & il ne fait qu'une petite tête : il donne de la verdure de très-bonne heure au printems, & avant tous les autres érables. Cet arbre est encore fort rare en France ; mais il y en a plusieurs plants dans les jardins de M. de Buffon à Montbard en Bourgogne, qui, quoiqu'âgés de dix ans, n'ont encore donné ni fleur ni graine. Cet arbre est très-robuste, il soûtient les grandes chaleurs aussi-bien que les longues sécheresses ; il résiste à l'effort des vents impétueux & à la rigueur des grands hyvers, & il prend plus d'accroissement dans un terrein sec & élevé, que dans les bonnes terres de vallée. On prétend que les habitans de la Virginie font de bon sucre, & en grande quantité, avec la seve qu'ils tirent de cet arbre par incision.

L'érable blanc : arbre de moyenne grandeur, originaire de l'Amérique septentrionale, sur-tout de la Virginie, où il est plus commun qu'ailleurs. Il fait une belle tige droite : son écorce sur le vieux bois est plus blanche que celle d'aucune espece d'érable ; mais celle des jeunes rameaux est rougeâtre, ainsi que les boutons, pendant l'hyver : ses feuilles d'un verd brillant en-dessus, & argentin en-dessous, font une des grandes beautés de cet arbre ; elles deviennent rougeâtres avant leur chûte en automne. Dès le mois de Janvier, dans les hyvers peu rigoureux, il commence à donner des fleurs rougeâtres qui durent plus d'un mois, & qui sont assez apparentes pour faire un aspect agréable dans une telle saison : les graines qui succedent, & qui sont de la même couleur, font durer le même agrément pour autant de tems : peu après ces graines se trouvent en maturité, à moins que les fleurs n'ayent été flétries par les gelées du printems, qui gâtent si souvent les graines en Bourgogne, que des arbres de vingt ans n'en on point encore rapporté. Cet arbre exige plus de choix sur la qualité du sol, que les autres especes d'érable ; il perd de sa beauté dans les terreins secs, élevés & superficiels : ce n'est pas qu'il n'y grossisse & qu'il n'y prenne de l'élevation autant que les autres arbres de son genre ; mais il n'y donne que de petites feuilles qui font peu d'ombrage, & qui tombent de bonne heure, souvent même dès le commencement du mois de Septembre dans les années trop seches. Il faut donc à l'érable blanc une bonne terre, quelque culture & de l'humidité, pour l'amener à sa perfection ; du reste il ne dégénere pas des especes qui précedent, pour la vîtesse de l'accroissement & les autres bonnes qualités qu'on leur a attribuées.

L'érable blanc à grandes fleurs : arbre de moyenne grandeur, que l'on nomme communément en Angleterre l'érable de Charles Wager, parce que c'est cet amiral qui l'a fait venir d'Amérique, mais cet arbre n'est point encore parvenu en France. Il a beaucoup de ressemblance avec le précédent, dont il ne differe que par une beauté qu'il a de plus. Ce sont ses fleurs de couleur écarlate, qui, au rapport de M. Miller, forment de très-grandes grappes, dont les plus jeunes branches sont si bien garnies, qu'à une petite distance l'arbre en paroît tout couvert ; ce qui est cause que l'on ne fait plus tant de cas de l'espece précédente, qui a moins d'agrément. C'est tout ce qu'a dit récemment M. Miller de ce bel arbre, qui auroit bien mérité quelque détail de plus.

L'érable à feuille de frêne ; grand arbre qui nous est aussi venu de la Virginie où il croît communément, & où il devient un des plus gros arbres. Sa tige est droite. Son écorce est cendrée sur le vieux bois, & verte sur les jeunes branches. Sa feuille est différente de celle de toutes les autres especes d'érables ; elle est composée de trois & le plus souvent de cinq lobes ou petites feuilles, tenant à une même queue & irrégulierement échancrées : ce qui a fait donner à cet arbre le nom d'érable à feuille de frêne, quoique cette ressemblance soit fort imparfaite. Ses fleurs, d'une couleur herbacée qui n'a nulle belle apparence, viennent en longues grappes pendantes & applaties. Les graines qu'elles produisent sont plates aussi, toûjours jumelles, & recourbées en-dedans. Cet arbre mérite qu'on s'attache à le multiplier ; on peut en tirer de l'agrément par rapport à son beau feuillage qui est d'un verd tendre, & dont l'aspect a l'air étranger. Il réussit dans tous les terreins ; il résiste à l'intempérie des différentes saisons dans ce climat. Son accroissement est très-promt ; & sa multiplication des plus faciles. Le plus court procédé pour y parvenir, c'est d'en faire des boutures dont le succès n'est jamais équivoque, & conduit d'ordinaire à les voir s'élever jusqu'à sept piés en deux ans ; même dans un terrein leger & sec, pourvû qu'on leur fasse de l'ombre. Il seroit avantageux de multiplier cet arbre par l'utilité que l'on pourroit retirer de son bois, qui est d'aussi bonne qualité que celui des autres especes d'érables.

L'érable à feuille ronde, ou l'opale ; il croît naturellement dans les pays méridionaux de l'Europe, sur-tout en Italie & particulierement aux environs de Rome, où il est l'un des plus grands arbres de ce canton-là, & où on lui donne le nom d'opale. Cet arbre est à peine connu en France ; il est même très-rare en Angleterre, quoique assez robuste pour le plein air. Mais comme M. Miller assûre que l'on fait cas de l'opale en Italie à cause de la beauté de son feuillage, qui faisant beaucoup d'ombre engage à le planter le long des grands chemins & proche des maisons de plaisance, il faut espérer que le goût qui regne pour l'agriculture, portera les amateurs à faire venir des graines de cet arbre pour le multiplier.

L'érable commun, ou le petit érable ; arbre très-commun en Europe, tantôt petit, tantôt élevé, selon sa position, ou suivant la qualité du sol. Comme il croît volontiers dans les mauvais terreins, on ne le voit ordinairement qu'en sous-ordre & de la forme d'un arbrisseau dans les haies, les buissons, & les places vagues ; mais s'il se trouve en bonne terre, & qu'on lui laisse prendre son accroissement parmi les autres grands arbres des forêts, il s'éleve & grossit avec le tems jusqu'au point, que j'ai vû de ces érables qui avoient plus de cinquante piés de haut, & jusqu'à sept ou huit piés de pourtour. Cet arbre fait de lui-même une tige droite ; & si on le voit souvent tortu & rabattu, c'est parce qu'il aura été endommagé par le bétail, ou dégradé par d'autres atteintes. Son écorce est brute, ridée, & fort inégale ; même sur les jeunes branches, bien différent en cela des autres especes d'érables, qui tous ont l'écorce très-unie. Sa feuille est petite, d'un verd pâle, & découpée en cinq parties principales. Ses fleurs verdâtres & de peu d'apparence, viennent en bouquet. Ses graines sont jumelles, plates, aîlées, & plus petites que celles des grands érables. Cet arbre est très-robuste ; il croît promtement, il se plaît dans tous les terreins, & par préférence dans ceux qui sont sablonneux, élevés, & superficiels ; il se multiplie aisément, & même par la simple voie des boutures ; il réussit très-bien à la transplantation : on peut l'employer de toute hauteur, sans qu'il faille retrancher beaucoup de branches. On en fait usage dans les jardins, pour former des palissades & d'autres embellissemens de cette espece ; mais le cas que l'on fait aujourd'hui de cet arbre, n'est pas fondé sur les seules bonnes qualités que l'on vient de rapporter, il est d'une ressource infinie pour suppléer à la charmille par-tout où elle refuse de venir, soit à cause de la mauvaise qualité du terrein, ou par le défaut d'air suffisant. Le petit érable a le mérite singulier de croître avec succès dans les terres usées & défectueuses, & il réussit également dans les endroits trop resserrés & à l'ombre, & sous le dégouttement des autres arbres. Son bois est blanc & veiné, assez dur quoique leger, & d'un grain fin & sec ; il est bon à brûler, très-propre aux ouvrages du tour, & fort utile à d'autres petits usages.

L'érable de Montpellier ; petit arbre qui vient naturellement dans les provinces méridionales de ce royaume, sur-tout aux environs de Montpellier où il est commun. Cet arbre peut être comparé à l'érable commun pour le volume ; il fait quelquefois un assez bel arbre. J'en ai vû qui s'étoient élevés à plus de trente piés, & qui en avoient quatre de pourtour ; mais plus ordinairement il n'a pas moitié de ce volume, sur-tout lorsqu'il n'a pas été cultivé. Il ne croît pas si vîte ni si droit que le petit érable. La couleur de son écorce est d'un brun roussâtre. Sa feuille est petite, lisse, ferme, & découpée en trois parties qui sont égales & sans dentelures : elle est d'un verd brun & brillant en-dessus, & d'un petit blanc bleuâtre en-dessous. Ses fleurs disposées en bouquet, sont jaunâtres & assez apparentes. Ses graines sont petites, rondes, aîlées, & elles viennent par paires ; on pourroit faire usage de cet arbre pour l'ornement d'un jardin, où il seroit plus propre que le petit érable à former des palissades ; ses jeunes rameaux sont plus souples que ceux de ce dernier arbre, il pousse plus foiblement, & sa verdure est plus belle. Quoique originaire des contrées méridionales de ce royaume, il résiste parfaitement au froid de nos provinces septentrionales ; il garnit bien une palissade, sa verdure est stable, & son feuillage n'est nullement sujet à la dépradation des insectes ; il ne se refuse à aucun terrein, il réussit bien à la transplantation, mais il n'est pas facile de le multiplier au loin, parce qu'il faut semer ses graines au moment de leur maturité ; elles ne levent pas dès qu'il faut du retard pour les faire arriver à leur destination, à moins pourtant qu'on n'eut pris la précaution, si utile pour la plûpart des graines, qui est de les envoyer dans de la terre.

L'érable de Candie ; petit arbre originaire des îles de l'Archipel, où il est fort commun. C'est le plus petit de tous les érables connus. J'en ai vû de fort âgés que l'on avoit laissé croître à leur gré dans un bon terrein, & qui n'avoient que dix-huit piés de haut & cinq pouces de diamêtre. Cet arbre au premier aspect a beaucoup de ressemblance avec le précédent. Son écorce est un peu grise. Sa feuille, qui est aussi découpée en trois parties, a quelques dentelures irrégulieres ; elle est comme celle de l'arbre précédent, d'un verd foncé & brillant en-dessus, & du même verd en-dessous, & la queue qui soûtient cette feuille est très-courte, au lieu que dans l'autre espece elle est fort longue. La fleur & la graine n'ont pas des différences bien sensibles. Cet arbre a toutes les bonnes qualités de l'érable de Montpellier, & quelques avantages de plus ; tels que la facilité de pouvoir le multiplier par le simple moyen des boutures, & le mérite particulier de conserver sa verdure jusqu'à la fin de l'arriere saison. De tous les arbres robustes qui ne sont pas toûjours verds, c'est celui dont la feuille se soûtient le plus long-tems contre les premieres fraîcheurs de l'hyver ; ensorte que le plus souvent elles sont encore bien saines au commencement du mois de Novembre.

Il y a encore trois ou quatre especes d'érables que l'on a découvertes dans le Canada, & qui sont si rares en Europe, qu'elles ne sont point encore assez connues pour en faire ici une description satisfaisante.

Tous ces différens érables donnent presqu'en même tems leurs fleurs à la fin d'Avril, ou au plus tard les premiers jours du mois de Mai, & leurs graines se trouvent en maturité au commencement du mois d'Octobre, à l'exception de celles de l'érable blanc, qui meurissent beaucoup plutôt. Mais comme ces graines tombent bien-tôt après leur maturité, & qu'elles sont sujettes à être dispersées par le vent à cause de leur legereté, il faut avoir attention de les faire cueillir à propos, si on veut les semer. L'automne est le tems le plus propre à cette opération ; car si on attendoit au printems, elles ne leveroient que l'année suivante. Au bout de deux ans, les plants seront en état d'être transplantés en pepiniere, où il faudra les laisser trois ou quatre ans, après quoi on pourra les placer à demeure. Ces arbres réussissent bien à la transplantation, qui leur cause peu de retard ; ils souffrent la taille en été comme en hyver, & c'est au commencement du mois de Juillet qu'il faut tailler les palissades formées avec les érables de la petite espece. (c)

ERABLE, (Mat. med.) On ne fait point d'usage de l'érable parmi nous ; on regarde cependant son fruit & ses feuilles comme de bons astringens. L'infusion des feuilles dans du vin, passe sur-tout pour un remede contre le larmoyement involontaire. (b)


ERAILLÉadj. se dit, dans les Manufactures en étoffes, lorsque la laine du filé a été enlevée de dessus la soie qui la porte, & que l'on voit cette soie à découvert. Il se dit encore de toute lésion faite à l'ouvrage pendant ou après sa fabrique.


ERAILLEMENTERAILLEMENT


ERAILLERv. act. terme d'Ourdissage ; c'est tirer une étoffe, une toile, une gase, de façon que les fils s'entr'ouvrent, se séparent, & se relâchent. La mousseline, la gase, & le crêpe, font fort sujets à s'érailler.


ERAILLURES. f. terme d'Ourdissage ; il se dit de l'endroit d'une étoffe, d'une toile, ou d'une gase, dont le tissu s'est séparé dans la trame ou dans la chaîne, pour avoir été tirée trop violemment.


ERANARQUES. m. (Hist. anc.) c'étoit, chez les anciens Grecs un officier public, dont la charge consistoit à présider & à avoir l'inspection des aumônes & des provisions faites pour les pauvres.

L'éranarque étoit proprement l'administrateur ou l'intendant des pauvres. Lorsque quelqu'un étoit réduit à la pauvreté, ou fait prisonnier, ou qu'il avoit une fille à marier, & ne la pouvoit pourvoir faute d'argent ; l'éranarque assembloit les amis & les voisins de cette personne, & taxoit chacun pour contribuer selon ses moyens & son état. C'est ce que nous apprend Cornelius Nepos, dans la vie d'Epaminondas. Dictionn. de Trev. & Chambers. (G)


ERARIUMS. m. (Hist. anc.) étoit le thrésor de l'état sous les empereurs romains.

Le temple de Saturne à Rome où se gardoit ce thrésor, s'appelloit par cette raison aerarium, du mot aes, aeris, cuivre ; parce qu'il n'y avoit pas eu d'autre monnoie à Rome que de ce métal, avant l'an 485 de sa fondation. Voyez MONNOIE, ESPECE.

Ce fut Auguste qui le commença, & il fut entretenu de ce que chacun y contribua volontairement ; mais ces contributions ne suffisant pas pour les besoins de l'état, le vingtieme des legs & des successions fut assigné à ce thrésor, pourvû néanmoins que les héritiers ou les légataires ne fussent pas des proches parens, ou des pauvres.

On tira de la cohorte prétorienne trois officiers, à qui on en confia la garde avec la qualité de praefecti aerarii. Chambers.


ERASTIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) secte ou parti de religion qui s'éleva en Angleterre durant le tems des guerres civiles, en 1647. On l'appelloit ainsi du nom de son chef Erastus. La doctrine de cette secte étoit que l'Eglise n'avoit point d'autorité quant à la discipline, c'est-à-dire n'avoit point le pouvoir légitime d'excommunier, d'exclure, d'absoudre, de prononcer des censures, de faire des decrets, &c. Chambers. (G)


ERATO(Myth.) celle des neuf muses qui présidoit aux poésies amoureuses. On lui attribue l'invention de la lyre & du luth ; & on la réprésente couronnée de myrthes & de roses, tenant une lyre d'une main & un archet de l'autre, & ayant à ses côtés un amour debout avec son flambeau.

Il y avoit aussi une néréide du même nom.


ERCEUS(Myth.) surnom sous lequel les gardes des murs d'une ville invoquoient Jupiter. Jupiter erceus, c'est la même chose que Jupiter garde-murailles. Erceus vient de , septum.


ERES. f. en Astronomie, est la même chose qu'époque, en Astronomie. Voyez EPOQUE, qui est beaucoup plus usité en ce sens.

Le mot ere, selon quelques-uns, vient du mot arabe arach ou erach, qui signifie qu'on a fixé le tems. D'autres croyent qu'il vient des lettres initiales de l'époque des Espagnols : Ab Exordio Regni Augusti. (O)

ERE, (Chronol.) terme synonyme à celui d'époque, & qui désigne un tems fixe d'où on part pour compter les années chez différens peuples. Voyez EPOQUE. Nous ignorons l'origine du mot ere ; mais il est consacré aux époques particulieres qui suivent. Ajoûtons seulement sur cette matiere, qu'on peut consulter Baronius, Calvisius, Képler, Marsham, Onuphrius, Pétau, Pagi, Prideaux, Riccioli, Salian, Scaliger, Sigonius, Sponde, Vossius, Ussérius, &c. Article de M(D.J.)

ERE DES ABYSSINS, voyez ERE DE DIOCLETIEN, qui est l'ere dont les Abyssins se servent.

ERE ACTIAQUE, (Chronol.) époque des Egyptiens, qui a pris son nom de la bataille d'Actium, que l'armée d'Auguste commandée par Agrippa gagna contre Marc-Antoine l'an 723 de la fondation de Rome, & qui entraîna l'année suivante la conquête de toute l'Egypte.

C'est à cette conquête que l'ere actiaque doit son origine, suivant l'ordonnance des Romains qui fut ponctuellement exécutée. En effet on se servit depuis ce moment-là de cette époque en Egypte, jusqu'à la premiere année du regne de Dioclétien qui tombe à l'an 284 de J. C. Alors l'ere actiaque changeant de nom, fut appellée l'ere de Dioclétien, & par les chrétiens de ce pays-là, l'ere des martyrs ; parce que ce fut sous le regne de cet empereur qu'arriva la dixieme persécution de l'Eglise, où tant de martyrs scellerent de leur sang la vérité de leur religion.

Quoique l'ere actiaque tirât sa dénomination de la bataille d'Actium, elle ne commença pourtant que le 29 Août de l'année suivante, & l'on fixa ce jour-là, parce que c'étoit le premier jour du mois de Fhoth qui faisoit de tems immémorial le premier jour de l'an des Egyptiens. D'ailleurs les Romains trouverent le 29 Août d'autant plus propre à regler le commencement de la nouvelle ere d'Egypte, qu'ils avoient réduit ce royaume sous leur joug vers la fin du mois d'Août.

C'est aussi pourquoi le sénat changea par un decret l'ancien mois de Sextilis en celui d'Augustus, & il ne s'en tint pas à cette seule marque de bassesse & de flaterie pour l'empereur. Mais sans nous y arrêter, admirons le sort des choses humaines ! Octave par la victoire d'Actium enleve l'empire du monde à Antoine, & ce fut la postérité d'Antoine qui dans la suite joüit de cet empire, du moins pendant quelque tems, tandis que celle d'Auguste ne parvint jamais à le posséder, sic vos non vobis.... Voyez M. Prideaux, qui entre dans de plus grands détails. Article de M(D.J.)

ERE D'ALEXANDRE, voyez ERE PHILIPPIQUE.

ERE D'ANTIOCHE, (Chronol.) cette époque dont se servent plusieurs écrivains ecclésiastiques, commençoit 49 ans avant J. C. en la 4e année de la 182e olympiade, l'an 705 de Rome. Ce fut aussi la premiere année de la dictature de Jules-César, & celle de la liberté de la ville d'Antioche. Quelques auteurs fixent cette ere d'après l'autorité de Scaliger à la 48e année avant J. C. mais on prétend qu'ils se trompent. Voyez Pagi, dissert. de periodo Graeco-romana ; Pétau, de doct. Temp. l. X. cap. lxij. Riccioli, chronol. reform. l. III. cap. xj. p. 1. Article de M(D.J.)

* ERE ARMENIENNE, qui est encore en usage parmi les Arméniens. Elle commence le 9 Juillet de l'an du monde 4501, ou après la naissance de J. C. 552.

ERE DES ARABES, voyez HEGIRE.

ERE DE LA CAPTIVITE, elle commence au tems où Nabuchodonosor conduisit à Babylone Jéchonias avec 18000 Juifs d'élite, l'an du monde 3349.

* ERE CHALDAÏQUE, Ptolomée en a fait mention, elle commence au 26 Septembre, de l'an du monde 3639.

ERE-CHRETIENNE, (Chronol.) Elle commence au premier jour de Janvier après la naissance de J. C. dont personne ne sait aujourd'hui l'année.

L'opinion commune de l'église catholique romaine la met au 25 Décembre 753 de la fondation de Rome. Sur quoi il faut remarquer qu'il y a au moins huit opinions différentes touchant l'année de la naissance de N. S.

La premiere opinion suppose cette naissance en l'année 748 de la fondation de Rome, sous le consulat de Loelius Balbus, & d'Antistius Verus : c'est l'idée de Képler.

La seconde opinion la met en l'année 749 de Rome, sous le consulat de l'empereur Auguste avec Cornelius Sylla : le P. Petau, Jésuite, est entr'autres de ce sentiment.

La troisieme opinion est de ceux qui croyent que J. C. naquit l'an de Rome 750, sous le consulat de Calvisius Sabinus & de Passienus Rufus : c'est l'avis de Sulpice Sévere, &c.

La quatrieme opinion est de ceux qui pensent que le Sauveur du monde est né l'an 751 de Rome, sous le consulat de Cornelius Lentulus, & de Valerius Messalinus : le cardinal Baronius, Sponde, Scaliger & Vossius sont du nombre de ceux qui goûtent cette idée.

La cinquieme opinion place la naissance du Messie en l'année 752 de Rome, sous le consulat d'Auguste avec Plantius Silvanus : le P. Salian, Onuphrius, &c. suivent cette conjecture.

La sixieme est la commune qui fixe la naissance de J. C. en l'année 753 de la fondation de Rome, sous le consulat de Cornélius Lentulus & de Calpurinus Piso : c'est le sentiment de Denys le Petit, de Bede, &c. & l'Eglise romaine l'a autorisé par son martyrologe, le breviaire, & l'ancien calendrier.

La septieme est de ceux qui tiennent pour l'an de Rome 754, comme George Hervat, &c.

La huitieme est de ceux qui prétendent que le Sauveur naquit l'an 756 de Rome, deux ans plus tard que l'époque commune : Paul de Middelbourg a été de ce sentiment, qui est universellement rejetté.

Cette diversité d'opinions vient des difficultés qu'il y a sur l'année de la mort d'Herode, qui vivoit encore lorsque J. C. vint au monde, in diebus Herodis, Matth. ch. ij. sur le commencement de l'empire d'Auguste, dont on croit que c'étoit la quarante-deuxieme année, & de celui de Tibere la quinzieme année, anno 15 imperii Caesaris, Luc. ch. iij. sur l'année du dénombrement du peuple romain sous Cyrénius ou Quirénius, gouverneur de Syrie, dont il est parlé en S. Luc, ch. ij. Voyez DENOMBREMENT.

On trouve à tous ces égards les auteurs fort partagés : les uns mettent la mort d'Hérode l'an 754 de Rome, & les autres quelques années auparavant : les uns commencent le regne d'Auguste à la mort de César, d'autres à son premier consulat : les uns font commencer l'empire de Tibere après la mort d'Auguste, & les autres deux ans auparavant, parce que, disent-ils, il étoit alors collegue d'Auguste. Il y a eu plusieurs dénombremens sous ce prince, & on a de la peine à fixer l'année de celui dont il est fait mention dans S. Luc.

Telles sont les causes qui ont produit les différentes opinions sur le tems de la naissance de J. C. quoique dans l'usage on suive l'année de l'époque vulgaire.

Remarquons d'ailleurs que les anciens Peres de l'Eglise n'ont pas commencé de marquer les années par la naissance de J. C. ils se servoient d'autres époques : ceux du patriarchat d'Alexandrie prenoient la leur de l'ere actiaque, ou du jour de la bataille d'Actium : les chrétiens d'Egypte lui substituerent l'ere qu'ils appellerent dioclétienne, autrement dite des Martyrs. Enfin les autres chrétiens comptoient leurs années, ou de la fondation de Rome, ou d'après les fastes consulaires, ou selon la maniere des peuples, au milieu desquels ils vivoient.

Denys, surnommé le Petit, né en Scythie, & qui demeuroit à Rome sous le titre d'abbé, au commencement du vj. siecle, crut qu'il n'étoit pas honorable à des chrétiens de compter leurs années du regne d'un tyran qui avoit fait périr inhumainement tant de fideles ; mais qu'il étoit plus à-propos de fixer une époque de la naissance de celui pour lequel les Chrétiens avoient si constamment versé leur sang. Il fit pour cet effet un cycle paschal, & en assigna le jour au 25 Décembre de l'an de Rome 753, pour commencer à compter l'an premier de l'ere chrétienne, au mois de Janvier 754 du consulat de C. César & de Paul Emile. Cette ere fut généralement approuvée par les Chrétiens, peu d'années après qu'elle fut introduite, c'est-à-dire vers l'an 527 : elle n'eut pourtant sa vogue entiere qu'environ cent ans après, sous Charles Martel, au commencement du vij. siecle que l'église latine la suivit, & on l'appella depuis universellement l'ere vulgaire.

Il est néanmoins vrai que cette ere commença trois ou quatre ans plus tard que la véritable naissance de N. S. & que Denys le Petit s'est trompé environ de cet espace de tems dans la fixation de son époque. Sans en discuter ici les preuves, je dirai seulement que M. Vaillant le pere a fait voir en particulier, par des médailles de Quintilius Varus & d'Antipas fils d'Hérode, que la naissance de J. C. assignée par l'Eglise au 25 de Décembre, doit être placée dans la 749e année de Rome, puisque Josephe rapporte la mort d'Hérode à la fin de Mars de l'an 750 de la fondation de cette ville.

Quoi qu'il en soit de l'opinion de M. Vaillant, fondée sur ses médailles, il ne faut pas s'étonner si tant de personnes éclairées ignorent les choses les plus cachées, puisqu'elles ne savent pas les plus communes. Les Chrétiens ne parlent que de la mort de J. C. tandis qu'ils en ignorent réellement l'année, de même que celui de sa naissance. La connoissance qu'on pouvoit avoir de l'une & de l'autre s'est perdue peu-à-peu, & l'on est enfin venu à n'en savoir plus les dates. Article de M(D.J.)

ERE DE DIOCLETIEN, (Chronol.) Epoque qui commença la premiere année de l'empire de Dioclétien, c'est-à-dire l'an 284 après la naissance de J. C. c'est la même que celle qu'on appella l'ere des Martyrs. Voyez ci-devant ERE ACTIAQUE. Article de M(D.J.)

* ERE D'EDESSE, c'est la même que l'ere d'Alexandre.

ERE D'ESPAGNE, (Chronol.) Cette époque des Espagnols commence 38 ans avant l'ere chrétienne : elle est d'un grand usage dans l'histoire d'Espagne, même dans celle de la partie méridionale des Gaules, & dans une grande partie de l'Afrique. Pierre IV. roi d'Aragon abolit cette ere dans ses états l'an 1350 de J. C. on en usa de meme dans le royaume de Valence en 1358, aussi-bien qu'en Castille en 1383 : enfin le roi Jean I. l'abolit en Portugal en 1415. Article de M(D.J.)

* ERE GELALEENNE, c'est l'ere que les Persans suivent aujourd'hui : elle commence au 14 de Mars de l'an de J. C. 1079.

* ERE DES GRECS, dont il est fait mention au premier livre des Macchabées ; elle commence au 13 Mars de l'an du monde 3638.

* ERE DES HASMONEENS, elle commence au tems où Simon délivra entierement Jérusalem de la domination des Syriens, ou le 16 Mai de l'an du monde 3808.

* ERE DE L'HEGIRE que suivent les Turcs ; elle commence au tems où Mahomet se sauva de la Meque, ou le 15 Juillet de l'an de J. C. 622.

* ERE JEZDEGERDIQUE, en usage parmi les Persans ; elle commence au tems où Osmarin, général des Sarrazins, défit & tua Jezdegerd roi des Persans, ou le 16 Juin de l'an de J. C. 632.

* ERE DES JUIFS, celle qu'ils suivent encore aujourd'hui, commence au 3 Octobre de la 189e année du monde.

* ERE JULIENNE ; elle commence à la correction du tems ou du calendrier, ordonnée par Jules-César l'an du monde 3905.

* ERE DE LAODICEE ; elle commence l'an du monde 3900.

* ERE DU MONDE. Voyez ce qui a été dit à l'ere chrétienne.

* ERE DES MARTYRS. Voyez ERE DE DIOCLETIEN.

* ERE DE NABONASSAR, (Chronol.) fameuse époque astronomique dont se sont servis Ptolomée, Censorin, & autres auteurs. Elle a commencé la septieme année de la fondation de Rome, la seconde de la huitieme Olympiade, 747 avant J. C. c'est-à-dire avant le commencement de l'ere vulgaire, & l'an 3967 de la période julienne.

Ce fut alors que l'ancien empire des Assyriens, ayant pris fin à la mort de Sardanapale ; après avoir eu la domination de l'Asie pendant plus de 1300 ans, il se forma de ses débris deux empires, l'un fondé par Arbaces, gouverneur des Medes, qui établit son siége à Ninive, & l'autre par Bélésis, gouverneur de Babylone, qui conserva pour lui cette ville, la Chaldée & l'Arabie : voilà les deux empires qui ont détruit les royaumes d'Israel & de Juda. Bélésis est le même que Nabonassar, du regne duquel commença l'époque dont il s'agit ici, nommée ere de Nabonassar. Ce prince est appellé dans l'Ecriture (Isaïe 39. 1.) Baladan, pere de ce Moradac ou Mordace Empadus, qui envoya des ambassadeurs au roi Ezéchias pour le féliciter sur sa convalescence. Article de M(D.J.)

* ERE DES OLYMPIADES, elle fut long-tems en usage chez les Grecs ; elle commençoit au 23 Juillet de l'an du monde 3174.

* ERE DES PATRIARCHES ou DES PELERINAGES, elle commence au tems où Abraham quitta Haran, l'an du monde 2023 : on rapporte à cette époque plusieurs faits particuliers de la Bible.

* ERE PHILIPPIQUE, (Chronol.) époque particuliere à l'Egypte.

Dès que Aridée, frere bâtard d'Alexandre le Grand, déclaré roi, eut changé son nom en celui de Philippe, on appella ere philippique la suite des années, dont celle de la mort d'Alexandre est la premiere. Cette ere ne commença pas au jour de la mort d'Alexandre, mais au jour de l'année où ce conquérant mourut, c'est-à-dire à notre 12 de Novembre de l'an 323 avant J. C. A l'ere philippique succéda l'ere actiaque, l'an 724 de Rome ; & à cette derniere l'ere de Dioclétien, l'an 284 de J. C. Pour entendre en gros l'histoire d'Egypte, il faut se rappeller la succession des diverses eres qui ont eu cours dans ce pays-là, & y appliquer les faits, afin d'éviter la confusion : le reste de cette histoire est un abysme. Article de M(D.J.)

L'ere philippique commence au 12 Novembre, ce jour étant le premier de l'année vague égyptienne. C'est de cette époque que Théon, Albategnius, &c. se sont servis. On peut observer qu'entre les deux eres de Nabonassar & la mort d'Alexandre, il s'est écoulé précisément 424 années égyptiennes.

* ERE DE ROME, elle commence au tems de la fondation de cette ville par Romulus, ou le 21 Avril de l'année 3190 du monde.

ERE DES SELEUCIDES, (Chronol.) Cette époque très-celebre, & qu'on appelloit en Orient les années des Grecs, est fixée vers l'équinoxe d'automne de l'an 312 avant J. C. & de la période julienne 3402.

C'est à l'entrée du sage & brave Seleucus dans Babylone, après la défaite de Nicanor, l'an 312 avant J. C. que commença l'ere fameuse des Seleucides, cette ere dont tout l'Orient, Payens, Juifs, Chrétiens, Mahométans, se sont servis. Les Juifs la nomment autrement à-la-vérité ; ils l'appellent l'ere des contrats, parce que, lorsqu'ils tomberent sous le gouvernement des rois Syro-Macédoniens, ils furent obligés de l'employer dans toutes les dates des contrats & des autres pieces civiles. Cependant ils s'y accoûtumerent si bien, que plus de 1000 ans encore aprés J. C. ils n'avoient point encore d'autres époques : ce ne fut qu'alors qu'ils s'aviserent de compter les années depuis la création du monde, comme ils font aujourd'hui. Tant qu'ils resterent en Orient, ils suivirent la coûtume des nations d'Orient, où l'on marquoit les années par cette ere ; mais quand vers l'an 1040 ils en furent chassés & obligés de se jetter dans l'Occident, & de s'établir en Espagne, en France, en Angleterre & en Allemagne, ils apprirent de quelques chronologistes chrétiens à compter depuis la création du monde.

La premiere année de cette ere de la création, selon leur compte, tombe sur l'an 953 de la période julienne, & commence à l'équinoxe d'automne ; mais, selon Scaliger, la véritable année de la création du monde tombe 189 ans, & selon d'autres 249 ans plus tôt que les Juifs ne la mettent dans leur ere : quoi qu'il en soit, cette ere des contrats n'est pas encore tout-à-fait hors d'usage parmi eux.

Les Arabes la nomment taric dilcarnain, l'ere du bicornu ou de l'homme à deux cornes. Les auteurs qui veulent que cette ere regarde Alexandre se trompent, puisqu'elle ne commence que douze ans après la mort de ce prince, savoir au tems du rétablissement de Seleucus à Babylone : il faut donc chercher l'origine de taric dilcarnain dans la personne de Seleucus, qui effectivement, au rapport d'Appien, étoit si fort ou si adroit, qu'en prenant un taureau par les cornes il l'arrêtoit tout court ; ce qui avoit donné lieu aux Sculpteurs de la représenter ordinairement avec deux cornes de boeuf à la tête.

Les deux livres des Macchabées (I. Macch. j. 10. 11.) l'appellent l'ere du royaume des Grecs, & tous deux l'employent dans leurs dates ; avec cette différence pourtant, que le premier de ces livres la fait commencer au printems, & l'autre à l'automne de la même année. Le calcul de ce dernier se trouve par-là être le même que celui qu'ont suivi les Syriens, les Arabes, les Juifs, en un mot tous ceux qui se servoient autrefois de cette ere, ou qui l'employent encore aujourd'hui, à la reserve des seuls Chaldéens ; car ces derniers ne regardant pas Seleucus comme bien établi à Babylone, avant le printems de l'année suivante, ils ne fixerent l'ere des Séleucides qu'à cette époque, d'où vient que toutes les années de cette ere commençoient aussi parmi eux dans la même saison.

Je ne déguiserai point qu'il y a dans la maniere de compter des deux livres des Macchabées quelque chose d'assez surprenant, dont aucun critique, que je sache, n'a jamais rendu raison, ni le célebre Uscher, ni le savant Prideaux lui-même. Les dates du premier livre des Macchabées précedent d'un an entier celles du style de Chaldée ; & celles du second livre des Macchabées ne précedent le style de Chaldée que de six mois. On sait bien que dans l'ere des Séleucides le style de Chaldée & de Syrie différoient, en ce que le style de Chaldée commençoit six mois après celui de Syrie au printems suivant : mais d'où vient la différence des styles qui est entre le premier & le second livre des Macchabées, & d'où vient même que le premier livre des Macchabées est le seul qui fasse commencer l'ere des Séleucides un an entier avant le style des Chaldéens ? Article de M(D.J.)

* ERE DE SYRACUSE, elle commence au tems où Timoléon rétablit les affaires des Syracusains, où l'an du monde 3607.

* ERE DE TROYE, elle commence à la prise de cette ville, ou l'an du monde 2766.

* ERE DES TURCS. Voyez ERE DE L'HEGIRE.

* ERE DES TYRIENS, elle commence au tems où ces peuples recouvrerent leur liberté, ou l'an du monde 3825.


EREBES. m. (Mythol.) Ce mot signifie ténebres. L'Erebe est selon Hésiode, fils du cahos & de la nuit, & pere du jour.

Les Anciens ont encore donné le nom d'érebe à une partie de leurs enfers ; c'est la demeure de ceux qui ont bien vécu. Il y avoit une expiation particuliere pour les ames détenues dans l'érebe.


ERECTEURSERECTEURS

ERECTEURS DE LA VERGE ou ISCHIO CAVERNEUX, sont deux muscles, charnus dans leur origine, qui viennent de la tubérosité de l'ischium, au-dessus des corps caverneux de la verge, ces muscles s'inserent dans les épaisses membranes des corps caverneux. Voyez CAVERNEUX & MUSCLE.


ERECTIONS. f. (Gram.) se dit dans un sens figuré : comme l'érection d'un marquisat ou duché : les évêchés ne peuvent être érigés que par le roi.

C'étoit anciennement un usage de lever ou d'ériger des statues aux grands hommes. On demandoit un jour à Caton le censeur, pourquoi on ne lui avoit point érigé de statue. Demandez plûtôt, répondit-il, pourquoi on m'en auroit érigé une.

ERECTION, (Physiolog.) se dit de l'action par laquelle l'homme couché se leve, pour mettre son corps debout ; c'est-à-dire dans une situation perpendiculaire à l'horison, de la tête aux piés.

La condition essentielle pour l'exercice de cette action consiste, en ce que le cours des humeurs se fasse avec égalité dans toute la substance corticale du cerveau & de celle-ci dans sa médullaire, d'où il résulte une abondante secrétion d'esprits animaux, qui puissent être distribués librement & en juste proportion dans tous les nerfs & dans tous les muscles ; en sorte que les extenseurs d'un membre trouvent une certaine fermeté dans les fléchisseurs d'un autre membre & réciproquement. Voyez MUSCLE.

L'érection considerée physiquement, présente une très-grande complication de mouvemens, qui sont tous très-considérables, par la force nécessaire pour les produire, quoiqu'ils paroissent l'être très-peu.

Il n'est pas possible d'expliquer ici le méchanisme de cette fonction musculaire, quelque belle & quelqu'intéressante qu'en pourroit être l'exposition, parce qu'elle ne renfermeroit guere moins que l'histoire de tous les muscles & de tous les os du corps humain : il suffit de dire ici que dans la plûpart des mouvemens, & particulierement dans l'érection, les os du bassin sont le point fixe commun à toutes les parties de cet admirable édifice. Extrait d'Haller. Voyez MOUVEMENT MUSCULAIRE ; Borelli, de motu animalium. (d)

ERECTION, (Medecine physiol.) est le terme employe pour signifier l'état du membre viril, dans lequel il cesse d'être pendant & se soûtient de lui-même, relevé, dressé ; ensorte que le gland, qui en étoit la partie inférieure, en devient la supérieure : cela se fait conséquemment à ce que les corps caverneux & spongieux qui composent la verge sont gonflés, tendus ; ce qui la rend dure, ferme, de flasque & molle qu'elle étoit avant ce changement.

C'est dans l'érection que consiste la disposition nécessaire pour l'intromission du membre viril dans le vagin, relativement à la fonction à laquelle est destiné cet organe pour la génération. C'est dans le même sens, quoique pour une fin différente, que l'on dit du clitoris qu'il est susceptible d'érection, attendu que cette partie est en petit de la même structure que la verge.

On peut encor regarder comme une sorte d'érection le gonflement qui survient aux mamelons de l'un & de l'autre sexe ; sur-tout à ceux des femmes, dans lesquels il est plus marqué.

Toutes les parties dont il vient d'être fait mention, ont cela de commun, qu'elles passent à cet état d'érection, en conséquence de l'imagination échauffée par la représentation idéale ou physique des objets propres à exciter l'appétit vénérien, & sur-tout de l'attouchement sensuel ou de toute autre impression extérieure, qui peuvent mettre en jeu la sensibilité dont ces organes sont doüés, & exciter l'éréthisme des parties nerveuses dont ils sont composés, qui empêche le retour par les veines, du sang porté par les arteres dans les cavités ou cellules que l'Anatomie démontre dans la structure de tous ces différens organes.

Le méchanisme de l'arrêt du sang, nécessaire pour établir l'érection, a été diversement expliqué, sur-tout à l'égard de la verge (Voyez VERGE) ; mais les raisons que l'on en a données jusqu'à présent, ne paroissent pas entierement satisfaisantes, parce qu'il faudroit qu'elles pussent convenir à l'égard de toutes les parties susceptibles d'érection ; attendu qu'il y a lieu de croire que la nature n'opere pas le même effet différemment dans l'une que dans l'autre ; c'est cette cause commune qui reste à assigner ; on ne peut en faire la recherche que d'après l'exposition anatomique des parties mêmes : ainsi on ne peut placer ce qui peut être dit à ce sujet, que dans les articles concernant les différens organes dont il s'agit. Voyez les articles ERECTEURS, VERGE, CLITORIS, MAMELON, COIT, GENERATION, GROSSESSE. (d)


EREMONTSS. m. pl. terme de Charon. Ce sont deux morceaux de bois quarrés, posés & enchâssés sur l'avant-train, & qui sortent en-dehors & viennent embrasser le timon du carosse. Voyez la figure, Planche du Charon qui représente un avant-train.


ERESIES. f. eresia, (Hist. Nat. Bot.) genre de plante dont le nom a été dérivé de celui de la patrie de Théophraste dans l'isse de Lesbos. La fleur des plantes de ce genre est monopétale, en forme de cloche ouverte & découpée. Il s'éleve du calice un pistil qui est attaché comme un clou, & qui devient dans la suite un fruit rond, membraneux, & rempli de semences qui tiennent à un placenta. Plumier, nova plant. amer. gener. Voyez PLANTE. (I)


ERESIPELES. f. (Médecine) est le nom d'une maladie inflammatoire, qui a le plus souvent son siége à la surface du corps, elle consiste dans une tumeur assez étendue, sans bornes marquées, peu élevée au-dessus du niveau des parties voisines, sans tension notable, accompagnée de douleur avec demangeaison, de chaleur âcre & d'une couleur rouge tirant sur le jaune ; qui cede à la pression des doigts, blanchit par cet effet, & devient rougeâtre dès que la pression cesse ; & ce qui caractérise ultérieurement cette tumeur, c'est qu'elle semble changer de place, à mesure qu'elle se dissipe dans la premiere qu'elle occupoit ; elle s'étend de proche en proche aux parties voisines.

Le mot érésipele, , vient de , ruber, & de , propè, presque rouge, ce qui convient à la couleur de cette tumeur, qui n'est pas d'un rouge foncé comme le phlegmon, mais plûtôt de couleur de rose, ce qui lui a fait donner le nom de rosa par les Latins ; l'érésipele a aussi été appellée par les anciens ignis sacer, feu sacré, à cause de la chaleur vive que l'on ressent dans la partie qui en est affectée.

L'érésipele peut être de différente espece : lorsqu'elle n'est pas accompagnée d'autres symptomes que ceux qui ont été mentionnés dans la définition, elle est simple ; & lorsque le milieu de la tumeur érésipélateuse est occupé par un phlegmon, par une oedeme, ou par un skirrhe, elle est composée & prend différente dénomination en conséquence, selon la nature de la tumeur à laquelle elle se trouve jointe ; ainsi elle est dans ces cas-là, érésipele phlegmoneuse, oedemateuse, ou skirrheuse : on la distingue en essentielle, si elle ne dépend d'aucune maladie antérieure, & en symptomatique, si elle est compliquée avec une autre maladie qui l'ait produite : elle est encore distinguée en interne ou externe, selon le différent siége qu'elle occupe ; en bénigne & en maligne, selon la nature des symptomes qu'elle produit ; en accidentelle ou habituelle, selon qu'elle attaque une seule fois, ou qu'elle revient plusieurs fois & même périodiquement tous les mois ou tous les ans, selon qu'il conste par plusieurs observations.

L'érésipele externe affecte communément la peau, la membrane adipeuse, & quelquefois, mais rarement, la membrane des muscles.

Lorsqu'elle est interne, elle peut avoir son siége dans tous les visceres, & vraisemblablement dans leur tissu cellulaire sur-tout ; mais alors il est rare qu'on la considere autrement que comme une inflammation en général.

Le sang qui forme l'érésipele est moins épais, moins dense que celui qui forme le phlegmon (voyez PHLEGMON) ; mais il est d'une nature plus âcre & plus susceptible à s'échauffer : ces qualités du sang étant posées, si son cours vient à être retardé tout-à-coup dans les extrémités artérielles, & qu'il en passe quelques globules dans les vaisseaux lymphatiques, qui naissent des arteres engorgées, l'action du coeur & de tout le système des vaisseaux restant la même, ou devenant plus forte, toutes ces conditions étant réunies, la cause continente de l'érésipele se trouve établie avec le concours de toutes les autres circonstances qui constituent l'inflammation en général. Voyez INFLAMMATION.

Les causes éloignées de l'érésipele sont très-nombreuses ; elle est souvent l'effet de différentes évacuations supprimées, comme des menstrues, des lochies arrêtées, d'une retention d'urine, mais plus communément du défaut de respiration insensible, occasionnée par le froid ; elle est quelquefois produite par l'ardeur du soleil à laquelle on reste trop long-tems exposé ; par l'application de quelques topiques âcres, de quelque emplâtre qui bouche les pores d'une partie de la peau, des répercussifs employés mal à propos ; le mauvais régime, l'usage des alimens âcres, des liqueurs fortes, les mauvaises digestions, sur-tout celles qui fournissent au sang des sucs alkalins, rances, le trop grand exercice, les veilles immoderées, les peines d'esprit, contribuent aussi à faire naître des tumeurs érésipélateuses, qui peuvent être encore des symptomes de plaies & d'ulceres, dans les cas où il y a disposition dans la masse des humeurs : cette disposition qui consiste en ce qu'elles soient acrimonieuses, & qui dépend souvent d'un tempérament bilieux, a aussi beaucoup de part à rendre efficaces toutes les causes éloignées tant internes qu'externes qui viennent d'être mentionnées.

Le caractere de l'érésipele est trop bien distingué par les symptomes qui lui sont propres, rapportés dans la définition, pour qu'on puisse la confondre avec toute autre espece de tumeur s'ils sont bien observés.

L'érésipele n'est pas toûjours accompagnée de symptomes violens, sur-tout lorsqu'elle n'attaque pas le visage, cependant il s'y en joint souvent de très-fâcheux, tels que la fievre qui est plus ou moins forte & plus ou moins ardente ; les insomnies, les inquiétudes : & comme elle est dans plusieurs cas une maladie symptomatique, dépendante d'une fievre putride, par exemple, les accidens qu'elle produit varient selon les différentes circonstances.

L'érésipele n'est pas dangereuse, lorsqu'elle est sans fievre, & qu'elle n'est accompagnée d'aucun symptome de mauvais caractere ; & au contraire il y a plus ou moins à craindre pour les suites de la maladie, à proportion que la fievre est plus ou moins considérable, & que les autres accidens sont plus ou moins nombreux & violens.

L'érésipele de la face est de plus grande conséquence, tout étant égal, que celle qui affecte les autres parties du corps ; à cause de la délicatesse du tissu de celle du visage, dont les vaisseaux ont moins de force pour se débarrasser de l'engorgement inflammatoire. Cet engorgement est cependant moins difficile à détruire que dans toute autre inflammation ; parce que la matiere qui le forme n'a pas beaucoup plus de ténacité que les humeurs saines qui coulent naturellement dans les vaisseaux de la partie affectée : ainsi elle est très-disposée à la résolution. Voyez RESOLUTION. Mais cette maniere dont se termine ordinairement l'érésipele n'est pas toûjours parfaite, l'humeur viciée peut être dissoute, sans être entierement corrigée ; ensorte qu'elle ne soit pas encore propre à couler dans les autres vaisseaux, où elle est jettée par l'action de ceux qui s'en sont débarrassés : quelquefois elle ne cede qu'à la force de ces derniers & reprend sa consistance vicieuse lorsqu'elle est parvenue dans des vaisseaux voisins qui agissent moins, ainsi l'érésipele change de siége comme en rampant de proche en proche ; elle est souvent rébelle dans ce cas & donne beaucoup de peine ; elle parcourt quelquefois la moitié de la surface du corps sans qu'on puisse en arrêter les progrès, parce qu'alors le sang est pour ainsi dire infecté d'un levain érésipélateux, qui fournit continuellement dequoi renouveller l'humeur morbifique dans les parties affectées ou dans les voisines ; mais ce changement est bien plus fâcheux encore, lorsque le transport de cette humeur se fait du dehors au-dedans, & se fixe dans quelque viscere ; alors l'érésipele qui en résulte est d'autant plus dangereuse que la fonction du viscere est plus essentielle : on doit aussi très-mal augurer de celle qui sans changer de siége tend à la suppuration ou à la gangrene, car il résulte du premier de ces deux évenemens, qu'il se fait une fonte de matieres âcres, rongeantes, qui forment des ulceres malins, très-difficiles à guérir, & il suit de la gangrene érésipélateuse, qu'ayant par la nature de l'humeur qui la produit beaucoup de facilité à s'étendre, elle consume & fait tomber comme en putrilage la substance des parties affectées, en sorte qu'il est très-difficile d'en arrêter les progrès & presque impossible de la guérir.

Toute autre maniere que la résolution dont l'érésipele peut se terminer, étant funeste, on doit donc diriger tout le traitement de cette espece d'inflammation, à la faire résoudre, tant par les remedes internes que par les topiques, d'autant plus que la matiere morbifique y a plus de disposition que dans toute autre tumeur inflammatoire. Pour parvenir à ce but si desirable, on doit d'abord prescrire une diete severe, comme dans toutes les maladies aiguës, qui consiste à n'user que d'une petite quantité de bouillon peu nourrissant, adoucissant & rafraîchissant, & d'une grande quantité de boisson qui soit seulement propre à détremper & à calmer l'agitation des humeurs pour les premiers jours, & ensuite à diviser legerement & à exciter la transpiration. Il faut en même tems ne pas négliger les remedes essentiellement indiqués, tels que la saignée, qui doit être employée & répétée proportionnément à la violence de la fievre, si elle a lieu ; ou à celle des symptomes, aux forces & au tempérament du malade, à la saison & au climat. Il convient de donner la préférence à la saignée du pié, dans le cas où l'érésipele affecte la tête ou le visage. Il faut de plus examiner, à l'égard de toute sorte d'érésipele, si le mal provient du vice des premieres voies, & s'il n'est pas un symptome de fievre putride. Si la chose est ainsi, d'après les signes qui doivent l'indiquer, on doit se hâter de faire usage des purgatifs, des lavemens, & même des vomitifs répétés : ces derniers sont particulierement recommandés contre l'érésipele de la face, qu'ils disposent à une promte résolution, selon que le démontre l'expérience journaliere : on calmera le soir l'agitation causée par ces divers évacuans, en faisant prendre au malade un julep anodyn ou une émulsion. Pour ce qui est des topiques, on ne peut pas les employer pour l'érésipele de la face, parce que les émolliens anodyns, en relâchant le tissu déjà très-foible de cette partie, peuvent disposer l'inflammation à devenir gangreneuse, & parce que les résolutifs atténuans ne peuvent pas agir sans augmenter l'action des solides, la réaction des fluides, sans rendre la chaleur & l'acrimonie plus considérable ; ce qui dispose l'érésipele à s'exulcérer, & à causer des douleurs extrêmes ; ce qui peut être aussi suivi de la mortification : ainsi il vaut mieux n'employer aucun remede externe dans ce cas, que d'en essayer dont il y a lieu de craindre de si mauvais effets.

Lorsque l'érésipele occupe toute autre partie de la surface du corps, on peut faire usage avec beaucoup de succès, des topiques émolliens & résolutifs, par le moyen desquels on parvienne à relâcher plus ou moins le tissu de la partie affectée, à tempérer l'acrimonie du sang & de la lymphe, à modérer la chaleur, à calmer la douleur, & à rendre plus fluides les humeurs qui forment l'inflammation, afin d'en faciliter au plûtôt la résolution. Il faut choisir parmi ces remedes, ceux qui sont le plus proportionnés à la nature du mal, & mêler à-propos les émolliens avec les résolutifs, ou les employer séparément, selon l'exigence des cas, sous forme de fomentations ou de cataplasmes, qui doivent être diversement préparés, selon les différentes especes d'érésipeles. On doit aussi en commencer ou en cesser l'usage plûtôt ou plus tard, selon que l'exigent les indications. Voyez EMOLLIENS, RESOLUTIFS, &c.

Il n'est aucun cas où l'on puisse appliquer des remedes repercussifs sur l'érésipele, de quelqu'espece qu'elle soit, non plus que des narcotiques, des huileux. Les premiers, en resserrant les vaisseaux, y fixeroient la matiere morbifique, & la disposeroient à se durcir, ou la partie à se gangrener, ou donneroient lieu à des métastases funestes. Les seconds, en suspendant l'action des vaisseaux engorgés, tendroient également à produire la mortification. Les troisiemes, en bouchant les pores, en empêchant la transpiration, augmenteroient la pléthore de la partie affectée, l'acrimonie des humeurs, & par conséquent rendroient plus violens les symptomes de l'érésipele. S'il se forme des vessies sur l'érésipele, par la sérosité acre, qui détache l'épiderme & le sépare de la peau, ce qui arrive souvent, il faut donner issue à l'humeur contenue, qui par sa qualité corrosive & par un plus long séjour, pourroit exulcérer la peau. On doit, pour éviter ces mauvais effets, ouvrir ces vessies avec des ciseaux, en exprimer le contenu avec un linge, & y appliquer quelque lénitif, si l'érosion est commencée par la nature du mal, ou par mauvais traitement. Lorsque l'érésipele se termine par la suppuration ou par la gangrene, il faut employer les remedes convenables à ces différens états. Voyez SUPPURATION, ULCERE, GANGRENE.

Lorsque l'érésipele ne provient pas d'une cause interne, d'un vice des humeurs, & qu'elle est causée par la crasse de la peau, par l'application de quelqu'emplâtre qui a pû arrêter la transpiration, embarrasser le cours des fluides dans la partie, il faut d'abord emporter la cause occasionnelle, nettoyer la peau avec de l'eau ou du vin chaud, ou de l'huile d'olive, selon la nature des matieres qui y sont attachées : lorsqu'elles sont acres, irritantes, comme celles des synapismes, des phoenigmes, des vesicatoires, on doit laver la partie avec du lait, ou y appliquer du beurre, ou l'oindre avec de l'huile d'oeufs. Dans les cas où l'érésipele n'est pas simple, où elle est phlegmoneuse, oedemateuse, elle participe plus ou moins de l'une des deux tumeurs compliquées, on doit par conséquent traiter celle qui est dominante, ou qui présente les indications les plus urgentes, sans avoir égard à l'autre : celle-là étant guérie, s'il reste des traces de celle-ci, on la traitera à son tour selon les regles de l'art. Voyez PHLEGMON, OEDEME. (d)

ERESIPELE, (Manége, Maréchall.) maladie cutanée. Rien ne prouve plus évidemment l'uniformité de la marche & des opérations de la nature dans les hommes & dans les animaux, que les maladies auxquelles les uns & les autres sont sujets : les mêmes troubles, les mêmes dérangemens supposent nécessairement en eux un même ordre, une même économie ; & quoique quelques-unes des parties qui en constituent le corps, nous paroissent essentiellement dissemblables, pour peu que l'on pénetre les raisons de ces variétés, on n'en est que plus sensiblement convaincu que ces différences apparentes, ces voies particulieres qu'il semble que cette mere commune s'est tracées, ne servent qu'à la rapprocher plus intimement des lois générales qu'elle s'est prescrites.

Quand on considere dans l'animal l'érésipele par ses causes externes & internes, & quand on en envisage le génie, le caractere, les suites & le traitement, on ne sauroit se déguiser les rapports qui lient & qui unissent la Medecine & l'art vétérinaire. Cette maladie, qui tient & participe aussi quelquefois des autres tumeurs génériques, c'est-à-dire du phlegmon, de l'oedeme & du skirrhe, peut être en effet dans le cheval essentielle ou symptomatique ; elle peut être également produite conséquemment à l'acrimonie & à l'épaississement des humeurs, ou conséquemment à un air trop chaud ou trop froid ; à des alimens échauffans, tels que l'avoine prise ou donnée en trop grande quantité, à des exercices outrés, à un repos immodéré, à des compressions faites sur les parties extérieures, à l'irritation des fibres du tégument ensuite d'une écorchure, d'une brûlure, du long séjour de la crasse sur la peau, &c. Les signes en sont encore les mêmes, puisqu'elle s'annonce souvent, sur-tout lorsqu'elle occupe la tête du cheval, par la fievre, par le dégoût, par une sorte de stupeur & d'abattement, & toûjours, & en quelque lieu qu'elle ait établi son siége, par la tension, la douleur, la grande chaleur, le gonflement & la rougeur de la partie ; symptome, à la vérité, qu'on n'apperçoit pas dans tous les chevaux, mais qui n'existe pas moins, & que j'ai fort aisément distingué dans ceux dont la robe est claire, & dont le poil est très-fin.

Cette tumeur fixée sur les jambes de l'animal, en gêne plus ou moins les mouvemens, selon son plus ou moins d'étendue ; elle est pareillement moins formidable en lui que l'érésipele de la face & de la tête, que quelques maréchaux ont prise pour ce fameux mal de tête de contagion supposé par une foule d'auteurs anciens & modernes, & sur les causes & la cure duquel ils ne nous ont rien présenté d'utile & de vrai.

Quoiqu'il en soit, les indications curatives qui sont offertes au maréchal, ne different point de celles qui doivent guider le medecin. Les saignées plus ou moins répétées, selon le besoin, détendront les fibres cutanées, desobstrueront, vuideront les vaisseaux, appaiseront la fougue du sang, faciliteront son cours, & préviendront les reflux qui pourroient se faire. Ces effets seront aidés par des lavemens émolliens, par des décoctions de plantes émollientes données en boisson, & mêlées avec l'eau blanche. Lorsque les symptomes les plus violens se seront évanoüis par cette voie, on purgera l'animal ; & quand on présumera que les filtres destinés à donner issuë aux humeurs viciées, ont acquis une souplesse capable d'assûrer la liberté de leur sortie, on prescrira de legers diaphorétiques, tels que le gayac & la racine des autres bois mise en poudre, donnée à la dose d'une once dans du son ; ou, si l'on veut, on humectera cet aliment avec une forte décoction de ces mêmes bois, dans laquelle on fera infuser une once de crocus metallorum.

Quant aux topiques & aux remedes externes, les cataplasmes émolliens, ou les cataplasmes anodyns, seront employés pour éteindre la chaleur, adoucir la cuisson & relâcher la peau, dont l'épiderme se sépare quelquefois en forme de vessie ou en forme d'écailles farineuses ; ce qui sollicite & précipite la chûte des poils. On se servira ensuite de l'eau de fleur de sureau, dans laquelle on fera dissoudre du sel de Saturne ; on l'aiguisera avec quelques gouttes d'esprit-de-vin camphré, & on en bassinera fréquemment la partie, pour résoudre enfin l'humeur arrêtée, & pour faciliter la transpiration ; & par le secours de tous ces remedes réunis, mais administrés avec connoissance, l'animal parviendra à une guérison entiere & parfaite. (e)


ERETHISMES. m. (Medecine) , irritamentum. C'est une sorte d'affection des parties nerveuses, dans laquelle il s'excite une plus grande tension ou une crispation de leur tissu qui souffre quelqu'irritation, d'où s'ensuit plus de sensibilité.

Cet état est produit par le mouvement déréglé & trop impétueux des esprits animaux, qui sont le principe de l'action de tous les organes du corps humain. Voyez IRRITABILITE, SPASME. (d)


ERFORT(Géog. mod.) ville d'Allemagne ; elle est capitale de la haute Saxe : elle est située sur la Gera. Long. 28. 55. lat. 51. 4.


ERGANE(Myth.) surnom de Minerve : il vient de , art ; ainsi Minerve-Ergane, ou Minerve inventrice des arts, c'est la même chose. En effet, on attribuoit à cette divinité l'invention de l'art militaire ; de l'architecture ; de l'ourdissage de la toile ; du fil, de la tapisserie, des draps, du linge, &c. des chariots ; de la flûte ; des trompettes ; de la culture de l'olivier, &c. C'étoit à ces titres qu'elle avoit un autel dans Athenes, & c'étoit-là que sacrifioient les descendans de Phidias.


ERGASTULES. m. (Hist. anc.) c'étoit un lieu soûterrain ou cachot qui ne recevoit le jour que par des soupiraux étroits, où les Romains renfermoient à leurs campagnes les esclaves condamnés pour quelques forfaits aux travaux les plus pénibles. Un ergastule pouvoit contenir jusqu'à quinze hommes : ceux qui y étoient confinés, s'appelloient ergastules, & leur geolier, ergastulaire. On y précipita dans la suite d'honnêtes gens qu'on enlevoit & qui disparoissoient de la société, sans qu'on sût ce qu'ils étoient devenus. Ce desordre détermina Adrien à faire détruire ces lieux. Théodose ordonna la même chose par une autre considération, le desordre causé dans la société par les ergastules, lorsqu'ils étoient mis en liberté par des factieux qui brisoient leurs fers, & qui se les associoient.


ERGATIESadj. pris sub. fêtes que les Spartiates célébroient en l'honneur d'Hercule.


ERGOTS. m. (Hist. nat.) C'est ainsi que l'on appelle une sorte de corne molle qui se trouve derriere le boulet du cheval, qui est recouverte par le poil du fanon. On a aussi donné le même nom aux châtaignes ou lichenes du même animal, qui sont de petites tumeurs sans poil, de la grosseur d'une châtaigne, & de la consistance d'une corne molle : il y en a une dans chacune des quatre jambes, placée, dans celles de devant, en-dedans du bras, un peu au-dessus & à côté du genou ; & dans les jambes de derriere, un peu au-dessus & à côté du jarret. Mais les ergots proprement dits, sont derriere les boulets du cheval & des animaux à pié fourchu : ceux-ci en ont deux à chaque pié ; ils sont composés chacun d'une corne de même nature que celle des sabots de chaque doigt. On nomme, en terme de chasse, les ergots du sanglier, du cerf, du chevreuil, &c. les gardes. On a aussi donné le nom d'ergot aux éperons du coq. Voyez COQ. (I)

ERGOT, (Agricult. & Econom. domest.) maladie singuliere dont le seigle est attaqué. Quelques-uns donnent ce nom au grain même qui est attaqué de la maladie, & qu'on appelle aussi blé-cornu ; & ces noms viennent en général de ce que le grain de seigle malade a quelque ressemblance avec la figure d'un ergot de coq. Langius, medecin & savant naturaliste, est un des auteurs qui ont le mieux décrit cette maladie du seigle, & ses effets funestes. Voyez Act. Lips. 1718, p. 309. Les grains attaqués sont plus gros que les autres ; d'une couleur noire ; ont un goût acre ; sont fendus en plusieurs endroits, suivant leur longueur, &c. Le seigle ergoté, mêlé dans le pain, produit des effets funestes : c'est sur-tout en 1709 qu'on l'a observé. Les seigles de la Sologne contenoient près d'un quart de blé-cornu, que les pauvres gens négligeoient de séparer du bon grain, à cause de l'extrême disette qui suivit le grand hyver : le pain infecté de ce blé, donna à plusieurs une gangrene affreuse, qui leur fit tomber successivement & par parties tous les membres. Voyez mém. acad. des Sciences, 1709, pag. 63.

La plûpart des auteurs qui ont parlé de cette maladie, l'attribuent aux brouillards qui gâtent les épis. M. Tillet, directeur de la monnoie de Troyes, combat cette explication, dans une excellente dissertation sur la cause qui corrompt les grains de blé dans les épis ; dissertation couronnée avec justice par l'académie de Bordeaux en 1754, & imprimée dans la même ville en 1755. Comment, dit-il, les brouillards qui produisent l'ergot dans le seigle, ne produisent-ils jamais cette maladie dans l'orge, dans l'avoine, ni même dans une quantité prodigieuse d'épis de froment sans barbe, & où l'on ne voit presque jamais d'ergot ? D'ailleurs les brouillards couvrant ordinairement une certaine partie de terrein, devroient produire un effet assez général ; or souvent un épi est ergoté, sans que son voisin le soit ; un arpent est ergoté, sans que l'arpent voisin ait souffert : un épi même n'est jamais entierement ergoté. Enfin le seigle qui est au haut des pieces ensemencées, est attaqué de l'ergot, comme celui qui est au bas, & qui sembleroit devoir plus souffrir de l'humidité & du brouillard ; & le seigle est ergoté dans les années seches comme dans les pluvieuses. A ces preuves on peut ajoûter les suivantes. L'ergot n'est pas une maladie particuliere au seigle, il attaque la plante appellée gramen loliaceum, le gramen micosuros de la plus petite espece, & l'ivraie. Ces trois plantes sont ergotées dans des lieux & des tems secs, comme dans des lieux & des tems humides. Souvent ces plantes ne souffrent point de l'ergot dans des lieux inondés, où le seigle & le froment sont noyés sans ressource. L'ergot ne vient donc point de l'humidité.

M. Tillet croit devoir plûtôt l'attribuer à la piquûre de quelqu'insecte ; en examinant plusieurs grains de seigle ergotés, il y a apperçû un petit ver à peine sensible aux yeux : ce ver renfermé dans un gobelet de crystal avec le grain ergoté, se nourrit de ce grain, & le consomme. En ce cas l'ergot seroit semblables à plusieurs maladies qu'on observe dans d'autres plantes, & qui sont causées de même par des piquûres d'insectes. Voyez GALLE, &c.

Langius croit qu'il y a de l'ergot nuisible à ceux qui en mangent, & de l'ergot qui ne l'est pas. M. Tillet croit que l'ergot est toûjours nuisible, mais qu'il doit être pour cela en certaine quantité.

Le froment, selon les observations de M. Tillet, est aussi sujet à l'ergot, mais le cas est rare : la poussiere des grains ergotés ne paroît pas contagieuse comme la poussiere des grains de froment cariés. Voyez l'article GRAINS, où nous donnerons un extrait plus étendu de l'excellent ouvrage de M. Tillet ; ouvrage également recommandable par l'importance de l'objet qu'il se propose, & par l'intelligence avec laquelle il l'a rempli.

L'auteur, depuis la publication de sa dissertation imprimée à Bordeaux en 1755, dédiée & présentée au Roi au mois de Mai de la même année, a ajoûté à cette dissertation de nouvelles réflexions, fruit de ses nouvelles expériences, & imprimées à Paris dans le cours du même mois de Mai. Voici en peu de mots un precis de ce qu'on lit sur l'ergot dans ces nouvelles recherches.

M. Tillet a trouvé quelques épis ergotés, tant dans les endroits où il avoit semé le seigle pur, que dans ceux où il avoit été sali avec la poussiere de quelques ergots broyés ; preuve que cette poussiere n'a rien de contagieux pour le grain.

Il a conservé, malgré le grand froid, plusieurs des insectes ou petites chenilles qu'il avoit trouvées dans les grains ergotés. Quelques-unes se changerent en assez jolis papillons d'une très-petite espece, semblables à d'autres que M. Tillet avoit vûs sur la surface de l'eau d'un cuvier exposé au soleil, & qu'il ne se rappelle point d'avoir vûs en plaine campagne. Ces papillons avoient attaché à des grains de seigle des oeufs qui avoient produit les petites chenilles, auxquelles les ergots ont servi de nourriture. Il y a apparence, suivant les observations de M. Tillet, que l'ergot commence à se former par le suintement de la liqueur contenue dans le grain altéré par l'insecte.

Parmi un grand nombre d'ergots, il n'y en a qu'un très-petit nombre qui contiennent des chenilles ; la plûpart des grains, altérés simplement par l'insecte, selon M. Tillet, ne reçoivent point d'oeufs, ou les oeufs périssent. Quelquefois une chenille consomme entierement l'ergot, & n'y laisse que l'écorce, qui sert alors comme d'enveloppe à l'insecte.

S'il y a des années où l'ergot est très-commun, & d'autres où il est très-rare, il est facile d'expliquer ces différences par le tems plus ou moins favorable à la propagation des chenilles, les accidens qui peuvent les faire périr, &c. C'est ainsi qu'il y a des années où les arbres à fruit souffrent considérablement, & d'autres où ils sont très-peu endommagés, selon que l'année est plus ou moins favorable à la production des insectes qui dévorent ces fruits. (O)

ERGOT, s. m. (Manége, Maréchallerie) Nous appellons de ce nom un corps d'une consistance plus ou moins molle, d'un volume plus ou moins considérable dans certains chevaux que dans d'autres, & d'une forme vague & irréguliere, qui est situé sur chaque jambe derriere le boulet, & que le fanon recouvre ; communément il a moins de dureté que la châtaigne, & cette espece de corne est dénuée toûjours de poil. Je ne sais quelle est l'intention des Maréchaux, qui pratiquent sur ce corps une incision cruciale, & qui le fendent ainsi dans le cas des enflûres des jambes, des boulets, & dans celui des eaux, des mules traversines, des grappes, &c. ce qu'ils appellent desergoter. Je ne leur ferai néanmoins aucune question à cet égard, parce que je suis très-persuadé que leur réponse ne présenteroit rien de satisfaisant. Ce dont je ne suis pas moins assûré, c'est qu'une pareille opération est inutile, & en pure perte. (e)


ERGOTÉ(Venerie) un chien est ergoté quand il a un ongle de surcroît au-dedans & au-dessus du pié.


ERGUETterme de Pêche. Voyez l'article COLERET.


ERICTHONIUS(Astron.) nom d'une constellation astronomique, qui est la même que le cocher, auriga. Voyez COCHER. (O)


ERIDANS. m. (Astron.) nom que les Astronomes ont donné à la troisieme constellation des quinze méridionales. Cette constellation de l'hémisphere méridional, & qu'on représente sur le globe par une riviere, consiste, suivant le catalogue de Ptolomée, en trente étoiles ; en dix-neuf, suivant Tychobrahé ; & en soixante-huit, suivant Flamsteed. Article de M(D.J.)

ERIDAN, s. m. (Géog.) ancien nom du Pô, que Virgile appelle le roi des fleuves (Géorg. liv. I. v. 482). Les poëtes l'ont rendu célebre par la fable de la chûte de Phaéton. Voyez la peinture de Lucain dans sa Pharsale de la traduction de Brébeuf, qui est un bon morceau dans cet endroit. Voyez le Dictionn. de Trévoux. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ERIÉ(Géog. mod.) grand lac du Canada, d'environ 300 lieues de circuit.


ERIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques ainsi nommés d'Erius l'ancien, qui vivoit sous Valentinien I. l'an 349 de J. C. il prétendoit qu'il n'y avoit aucune différence entre un évêque & un ancien ; que les évêques ne pouvoient conférer l'ordre ; que la priere pour les morts étoit superflue ; qu'il ne falloit prescrire aucun jeûne ; & qu'il ne falloit laisser approcher de la sainte cene, que ceux qui avoient absolument renoncé au monde.


ERIGERv. act. terme qui dans l'art de bâtir, signifie élever ; ainsi on dit ériger un mur, ériger un pan de bois, &c.


ERIGNou AIRIGNE, s. f. petit instrument de Chirurgie, terminé par un crochet, dont on se sert pour élever & soûtenir des parties qu'on veut disséquer, afin de les couper plus facilement.

Il y a des érignes simples qui n'ont qu'un crochet, & des doubles qui en ont deux.

Cet instrument est composé de deux parties, de la tige, & du manche. La tige est une pyramide d'acier, exactement cylindrique, qui a environ trois pouces de long ; son extrémité postérieure est une mitre qui est ordinairement appuyée sur un manche ; du milieu de la mitre, & du côté postérieur, qui est plane & limé grossierement, il s'éleve une scie quarrée, d'un pouce & demi de haut, qui s'ajuste dans le manche, & y est fixée avec du mastic.

L'extrémité antérieure est une espece d'aiguille recourbée, crochue, & fort pointue : dans l'érigne double, c'est une fourche ou double crochet.

Cet instrument est monté sur un manche d'ébene ou d'ivoire, qui peut avoir six lignes de diametre dans l'endroit le plus large, & trois pouces de longueur ; il est fait à pans, pour présenter plus de surface, & être tenu avec plus de fermeté.

Cet instrument donne la facilité de disséquer, & d'emporter des petites glandes gonflées, qui ont échappé à l'extirpation d'une grosse tumeur ; il est aussi d'usage dans l'opération de l'anevrisme, pour soûlever l'artere, afin d'en faire la ligature, sans y comprendre le nerf & la veine. On peut se servir aussi d'une érigne d'argent, dont la pointe soit mousse dans l'opération de la hernie, pour faire l'incision du sac herniaire, &c. Cet instrument sert plus en Anatomie qu'en Chirurgie ; il convient sur-tout pour soûlever le filet nerveux dans la dissection de ces parties. Voyez les figures 9 & 10, Planche XXVI. (Y)


ERINACEAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plantes qui different du genista-spartium, en ce qu'elles sont chargées d'épines. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


ERINACEUSS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plantes qui ne differe du polyporus, que parce que la partie inférieure du chapiteau est découpée en petites dents longues & cylindriques, auxquelles tiennent des semences rondes ou arrondies. Nova plant. amer. gener. &c. par M. Micheli. (I)


ERISSO(Géog. mod.) ville de Macédoine, dans la Turquie européenne.


ERISSONRISSON, GRAPIN, s. m. (Marine) c'est une ancre à quatre bras, dont on se sert dans les bâtimens de basbord, & dans les galeres. (Z)


ERISTALISS. f. (Hist. nat.) pierre dont parle Pline, liv. XXXVII. chap. x. il dit qu'elle est blanche, & quand on la tourne ou incline, elle paroît prendre une nuance rougeâtre ; c'étoit apparemment une espece d'opale. Voyez OPALE.


ERIVAN(Géog.) autrement CHIRVAN, grande ville d'Asie dans la Perse, sur la riviere de Zengui, & capitale de l'Arménie persienne, depuis que Cha-Sefi, roi de Perse, l'enleva aux Turcs en 1635 : elle est le siége d'un patriarche Arménien. M. Chardin a mieux connu Erivan, qu'aucun de nos voyageurs, suivant la remarque de M. Tournefort. Sa long. est 63. 15. lat. 40. 20. Elle est bâtie sur une colline, & toute remplie de jardins & de vignes, qui produisent de très-bon vin. Le kan ou gouverneur y vient seulement quelquefois se rafraîchir au fort des chaleurs, dans des chambres qui sont construites sous le pont de Zengui : son gouvernement lui vaut vingt mille tomans, & passe pour un si beau poste, que les habitans du pays ne connoissent rien au-dessus. C'est sans doute par cette raison, qu'une femme d'Erivan, qui avoit obtenu une grace du roi de Perse, lui souhaita mille fois, dans les bénédictions qu'elle lui donna, que le ciel le fît gouverneur d'Erivan. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ERKELENS(Géog. mod.) ville du duché de Juliers en Gueldres. Long. 24. 8. lat. 51. 6.


ERLACH(Géog. mod.) ville du canton de Berne, dans la Suisse.


ERLANG(Géog. mod.) ville du cercle de Franconie, en Allemagne ; elle appartient au marquisat de Culemback, & elle est située sur la Regnitz. Long. 28. 42. lat. 49. 38.


ERMELAND(Géog. mod.) petite contrée du Palatinat de Marienbourg, en Pologne.


ERMEou HERMES, adj. (Jurispr.) terres ermes, sont des terres desertes & abandonnées sans aucune culture : ce mot paroît venir du latin eremus, qui signifie desert, d'où on a fait herema, dont il est parlé dans la loi 4. au code de censibus. Papon les appelle aussi praedia herema ; & la coûtume de Bourbonnois, terres hermes, en l'art. 331. suivant lequel les terres hermes & les biens vacans sont au seigneur justicier. Il y a cependant de la différence entre les terres ermes & les biens vacans : les premieres sont des terres en friche & desertes, dont on ne connoît point le dernier possesseur ; au lieu que les biens vacans sont des biens qui ne sont réclamés par personne, comme une succession vacante. (A)


ERMINS. m. (Comm.) c'est ainsi qu'on nomme dans les échelles du Levant, & particulierement à Smyrne, le droit de douanne que l'on paye pour l'entrée & la sortie des marchandises. Les François ont payé long-tems cinq pour cent de droit d'ermin, tandis que les Anglois n'en payoient que trois. Mais en vertu des capitulations entre la France & la Porte, renouvellées par M. de Nointel en 1673, ce droit a été réduit à trois pour cent en faveur des François, & de ceux qui vont au Levant sous la banniere de France. On paye outre cela un droit qu'on appelle le droit doré, qui va environ à un quart par cent. Dictionn. du Comm. & de Chambers. (G)


ERMINETTES. f. (Menuiserie) espece de hache un peu recourbée, à l'usage des Menuisiers ; ces ouvriers s'en servent pour dégrossir leur bois.


ERNÉE(Géog. mod.) ville du Maine en France ; elle est située sur la riviere qui porte le même nom.


EROMANTIES. f. (Divination) c'étoit une des six especes de divination, pratiquée chez les Perses ; elle se faisoit par le moyen de l'air. Voyez DIVINATION.


EROSIONS. f. (Medecine) c'est une sorte de solution de continuité, qui se fait imperceptiblement, & en détail, dans les parties solides du corps humain, par une chose acre & mordicante, appliquée extérieurement ou intérieurement, qui est d'une activité moyenne entre les détersifs & les caustiques, c'est-à-dire plus pénétrante que les premiers, & moins violente que les derniers ; les poisons, les humeurs même de notre corps, qui dégénerent & acquierent de semblables qualités, telle que la bile, l'urine, rendues acrimonieuses : l'érosion est la même chose que la corrosion, que la diabrose, . Voyez CORROSION, DIABROSE, &c. (d)

EROSION, (Chirurgie) maladie des dents, qui consiste dans l'inégalité de leur émail. Cette maladie est fort différente de la carie, en ce que celle-ci est un ulcere en l'os (voyez CARIE), & que l'érosion n'est formée que par des tubercules & des enfoncemens à l'émail.

M. Bunon chirurgien dentiste à Paris, & de Mesdames de France, qu'une mort prématurée a enlevé au public, s'étoit donné des peines & des soins incroyables pour faire des observations utiles sur les maladies des dents. Il avoit observé la naissance & les progrès des dents, avec tout ce qui pouvoit y avoir le moindre rapport, depuis leur germe dans le foetus jusqu'à l'âge le plus avancé. Un travail long, soûtenu par beaucoup d'ardeur & d'émulation, produisit plusieurs découvertes, & entr'autres celle de l'érosion. L'auteur a prouvé par beaucoup de faits, que l'érosion étoit causée par les maladies de l'enfance, telles que la petite-vérole, la rougeole, le rachitis, &c. & que ces maladies ne faisoient impression que sur les dents qui étoient alors renfermées dans leurs alvéoles. Ainsi, si l'on étoit exact sur le choix des nourrices, on éviteroit ou on éloigneroit la plûpart des maladies qui tourmentent si cruellement l'enfance, maladies d'où provient nécessairement la mauvaise qualité des dents, qui prépare aux enfans un enchaînement de douleurs pour toute la suite de leur vie.

La carie est l'effet ordinaire de l'érosion ; il est cependant restraint à certaines circonstances ; la qualité des dents, leur plus ou moins de solidité, les impressions plus ou moins fortes que l'érosion a faites, & l'arrangement des dents, donnent plus ou moins lieu à la carie ; car celles qui sont serrées, mal en ordre, & disposées de maniere à retenir certaines portions de limons, ou les restes de quelques alimens acres ou acides, y sont constamment les plus sujettes. Quand ces dispositions n'ont pas lieu, si l'érosion n'est que superficielle, ses impressions peu profondes (surtout si les dents en sont exemptes, ou foiblement atteintes dans leurs parties latérales), elles retiennent difficilement ces particules de limon ou d'alimens qui les font carrier. Si la carie vient à s'y former, elle fera bien moins de progrès, principalement sur les grosses molaires & sur celles qui remplacent les molaires de lait, pourvû néanmoins qu'on ait eu l'attention d'empêcher la communication des dents de lait cariées sur ces secondes dents.

M. Bunon, à la premiere inspection d'une dent marquée d'érosion, disoit avec certitude, en suivant les principes & le tems de la dentition, que la personne avoit eu une maladie à tel âge, parce que ses observations lui avoient fait connoître que l'érosion étoit toûjours une affection du germe de la dent, par une maladie survenue dans le tems qu'elle étoit encore dans l'alvéole. Cela est d'une grande utilité pour la pratique : aux exemples que l'auteur en a donnés dans ses deux traités sur les maladies des dents, j'en ajoûterai un qui me regarde personnellement. La carie d'une seconde petite molaire de la mâchoire supérieure, m'obligea d'avoir recours à M. Bunon : avant d'en faire l'extraction, il me dit que cette dent avoit souffert de l'érosion, & que la carie avoit été un effet de l'altération de la surface émaillée de la dent ; il ajoûta que les dents se formant ordinairement par paire, il appréhendoit que la pareille du côté opposé n'en fût pareillement altérée ; il avoit raison, & par le moyen d'une petite sonde il me fit sentir que malgré sa bonté apparente il y avoit un commencement de corrosion. Il me conserva cette dent, en enlevant au moyen de la lime la carie qui n'étoit que superficielle, & qui continuant à faire du progrès, ne se seroit manifestée que par des douleurs cruelles, dont l'extraction de la dent auroit été l'unique remede.

Les limes qui servent à détruire les caries superficielles, sont gravées, Planc. XXV. fig. 8. (Y)


EROTIDEou EROTIDIES, adj. pris subst. (Myth.) fêtes & jeux institués en l'honneur de l'Amour. Les Thespiens les célébroient tous les cinq ans, avec magnificence & solennité.


EROTIQUEchanson, (Poésie) espece d'ode anacréontique, dont l'amour & la galanterie fournissent la matiere. Rien n'est plus commun dans notre langue que ces sortes de chansons, & l'on peut assûrer que nous en avons de parfaites. Nous voulons que les pensées en soient fines, les sentimens délicats, les images douces, le style leger, & les vers faciles. La subtilité des réflexions, la profondeur des idées, & les tours trop recherchés, y sont des défauts ; l'esprit & l'art n'y doivent point paroître, le coeur seul y doit parler. La chanson érotique tire encore un grand agrément des images, & des faits mythologiques que l'auteur y sait répandre avec goût. C'est même dans la délicatesse de leurs rapports & des allusions, que consiste principalement la finesse de son art. Une fiction ingénieuse qui rassembleroit tout cela sous un seul point de vûe, rendroit une chanson de cette espece beaucoup plus intéressante, que celle dont les pensées détachées n'auroient pas cette intime liaison. Quelques-uns de nos poëtes ont eu le talent de réunir toutes les graces dont nous venons de parler, & nous ont donné des chefs-d'oeuvre en ce genre. Article de M(D.J.)

EROTIQUE (Mélancolie) Voyez MELANCOLIE.

EROTIQUE, adj. (Medecine) de , amour, d'où a été formé ; c'est une épithete qui s'applique à tout ce qui a rapport à l'amour des sexes : on l'employe particulierement pour caractériser le délire, qui est causé par le déreglement, l'excès de l'appétit corporel à cet égard, qui fait regarder l'objet de cette passion comme le souverain bien, & fait souhaiter ardemment de s'unir à lui ; c'est une espece d'affection mélancolique, une véritable maladie ; c'est celle que Willis appelle eroto-mania, & Sennert, amor insanus.

On distingue l'amour insensé d'avec la fureur utérine & le satyriasis, qui sont aussi des excès de cette passion, en ce que ceux qui sont affectés de ces derniers ont perdu toute pudeur, au lieu que les amoureux en ont encore, souvent même accompagnée d'un sentiment très-respectueux, quelquefois déplacé.

Le délire érotique a différens degrés ; quelques-uns de ceux qui en sont affectés aiment passionnément un objet, dont ils ne peuvent pas se procurer la joüissance ; cependant ils conservent la raison, & sentent parfaitement l'inutilité de leur passion ; ils avoüent leur égarement sans pouvoir s'en corriger, parce qu'ils sont portés malgré eux à s'occuper de l'objet de leurs desirs impuissans, par la cause de leur mélancolie amoureuse (voyez MELANCOLIE en général) : ils éprouvent toutes les suites de cette maladie, ne pensent ni à manger ni à boire, ils refusent de subvenir aux besoins les plus pressans, & ils périssent, en se voyant périr, sans pouvoir se défendre de l'affection d'esprit qui les entraîne au tombeau. D'autres ressentent cette passion d'une maniere encore plus fâcheuse ; ils sont agités, tourmentés jour & nuit par les inquiétudes, les chagrins, la tristesse, les larmes, la jalousie, la colere même, & la fureur, sentimens auxquels ils se livrent en réfléchissant sur leur malheureuse passion ; & il arrive souvent qu'ils perdent l'esprit & qu'ils se donnent la mort lorsqu'ils desesperent de pouvoir se satisfaire ; & au contraire lorsqu'ils s'imaginent qu'ils seront heureux, & que leurs desirs seront remplis, ils se laissent aller à des sentimens de contentement, de joie immodérée accompagnée de grands éclats de rire, lorsqu'ils sont seuls ; & quand ils se trouvent avec d'autres, ils tiennent à ce sujet des propos extravagans : ils s'exposent souvent à des dangers, dans l'espérance de mettre le comble à leur bonheur.

On trouve une très-belle description des effets de l'amour excessif dans Plaute, in cistell. act. ij. scen. 1. divers auteurs en ont aussi donné de très-exactes, tels que Paul Eginete, lib. III. de re medicâ, c. xvij. Galien, lib. de praecogn. ad posth. cap. vj. Valere-Maxime, Amatus Lusitanus, Valleriola, Sennert, &c. On trouve dans Tulpius un exemple d'érotomanie, qui avoit jetté le malade dans la catalepsie : Manget fait mention d'un amoureux phrénétique avec fievre violente.

L'amour démesuré ne s'annonce cependant pas toûjours par des signes évidens, il se tient quelquefois caché dans le coeur ; le feu dont il le brûle, dévore la substance de celui qui est affecté de cette passion, & le fait tomber dans une vraie consomption : il est difficile de connoître la cause de tous les mauvais effets qu'elle produit en silence. Tout le monde sait comment Erasistrate connut l'amour d'Antiochus pour Stratonice sa belle-mere ; en touchant le pouls à l'amant en présence de l'objet de sa passion, l'émotion trahit son secret : on peut de même découvrir la véritable cause d'une maladie produite par l'amour, lorsqu'on soupçonne cette passion, en parlant au malade de tout ce qui peut y avoir rapport, & de la personne que l'on peut croire y avoir donné lieu. Le changement subit du pouls, l'inégalité, l'altération des pulsations de l'artere qui se font sentir alors décelent infailliblement le secret de l'ame, sur-tout lorsque le pouls devient tranquille après qu'on a changé de conversation.

On voit par tout ce qui vient d'être rapporté, tous les desordres que produisent dans l'économie animale la folie de l'amour ; elle constitue par conséquent une sorte de maladie très-dangereuse, sur-tout lorsqu'elle est portée à un certain degré d'excès où les remedes moraux, c'est-à-dire la raison, les réflexions, la philosophie, la religion ne sont d'aucun secours, tous autres remedes étant employés presqu'à pure perte dans cette affection. On peut cependant tenter l'effet de ceux que la Pharmacie peut fournir de plus convenables à rendre le calme à l'esprit, en appaisant l'agitation des humeurs ; tels sont les rafraîchissans, les adoucissans, comme le lait, les émulsions des semences froides, les tisanes appropriées, les bains, les anodyns : les préparations de plomb mises en usage avec prudence, peuvent aussi produire de bons effets, comme étant propres à engourdir l'appétit vénérien : on doit accompagner ces remedes d'une diete très-severe : les saignées & les purgatifs peuvent aussi trouver place dans ce traitement, selon les différentes indications qui se présentent, tirées de l'âge, du tempérament, de la force du malade. Voyez AMOUR, PASSION, MELANCOLIE. (d)


EROTYLOSS. m. (Hist. nat.) pierre fabuleuse dont Démocrite, & Pline d'après lui, vantent l'usage dans la divination. Voyez DIVINATION.


ERPACH(Géog. mod.) château du cercle de Soüabe, en Allemagne. Long. 27. 42. latit. 48. 23.


ERPSES. f. Voyez ci-devant ERESIPELE.


ERRATAS. m. terme de Littérature & d'Imprimerie, qui signifie une liste qu'on trouve au commencement ou à la fin d'un livre, & qui contient les fautes échappées dans l'impression, & quelquefois dans la composition d'un ouvrage. Voyez IMPRIMERIE.

Ce mot est purement latin, & signifie les fautes, les méprises ; mais on l'a francisé, & du pluriel latin on en a fait en notre langue un singulier : on dit un errata bien fait.

Lindenberg a fait une dissertation particuliere sur les erreurs typographiques ou fautes d'impression, de erroribus typographicis. Il en recherche les causes & propose les moyens de prévenir ces défauts ; mais il ne dit rien sur cette matiere, qui ne soit ou commun ou impraticable. Les auteurs, les compositeurs, & les correcteurs d'Imprimerie, dit-il, doivent faire leur devoir : qui en doute ? Chaque auteur, continue-t-il, doit avoir son imprimerie chez lui : cela est-il possible ? & le souffriroit-on dans aucun gouvernement ?

Quelqu'un a appellé l'ouvrage du P. Hardoüin sur les médailles, l'errata de tous les antiquaires ; mais il est trop plein de choses singulieres, hasardées, & quelquefois fausses, pour n'avoir pas besoin lui-même d'un bon errata. Les critiques sur l'histoire par Perizonius, peuvent être à plus juste titre appellées l'errata des anciens historiens. Le dictionnaire de Bayle a été regardé comme l'errata de celui de Moreri, cependant on y a découvert bien des fautes ; elles sont comme inséparables des ouvrages fort étendus. Dict. de Trévoux & Chambers. (G)


ERRES. f. en terme de Marine, signifie l'allure ou la façon dont le vaisseau marche. (Z)

ERRES DU CERF, (Ven.) sont ses naces ou voies.


ERREMENSS. m. plur. (Jurisprud.) les derniers erremens, sont les dernieres procédures qui ont été faites de part ou d'autre dans une affaire. Ce terme paroît venir du latin arrhae, d'où l'on a fait en françois aires ou erres, airemens ou erremens, les procédures & productions étant considérées comme des especes d'arrhes ou gages que les parties se donnent mutuellement pour la décision du procès. Les erremens du plaids étoient cependant opposés aux gages de batailles ; les premiers n'avoient lieu que dans les affaires civiles, les autres dans les affaires criminelles qui se décidoient par la voie du duel : cette différence est établie par Beaumanoir, chap. vij, pag. 49. lig. 7. & 8. ch. l. p. 271. & ch. lxj. p. 318.

On donne encore copie des derniers erremens, c'est-à-dire des dernieres procédures, & on procede suivant les derniers erremens, lorsque l'on reprend une contestation dans le même état & dans les mêmes qualités dans lesquelles on procédoit ci-devant ; mais il faut pour cela que l'instance ne soit pas périe. Voyez l'ancien style du parlement, chap. j. & xjv. Joan. Galli, quaest. 167. & 200. Boutillier, en sa somme rurale ; la pratique de Masuer, & le gloss. de M. de Lauriere au mot Erremens. (A)


ERREURS. f. (Philos.) égarement de l'esprit qui lui fait porter un faux jugement. Voyez JUGEMENT.

Plusieurs philosophes ont détaillé les erreurs des sens, de l'imagination & des passions : mais leur théorie trop imparfaite est peu propre à éclairer dans la pratique. L'imagination & les passions se replient de tant de manieres, & dépendent si fort des tempéramens, des tems, & des circonstances, qu'il est impossible de dévoiler tous les ressorts qu'elles font agir.

Semblable à un homme d'un tempérament foible qui ne releve d'une maladie que pour retomber dans une autre ; l'esprit, au lieu de quitter ses erreurs, ne fait souvent qu'en changer. Pour délivrer de toutes ses maladies un homme d'une foible constitution, il faudroit lui faire un tempérament tout nouveau : pour corriger notre esprit de toutes ses foiblesses, il faudroit lui donner de nouvelles vûes, & sans s'arrêter au détail de ses maladies, remonter à leur source même & la tarir.

Nous trouverons cette source dans l'habitude où nous sommes de raisonner sur des choses dont nous n'avons point d'idées, ou dont nous n'avons que des idées mal déterminées. Ce qui doit être attribué au tems de notre enfance, pendant lequel nos organes se développant lentement, notre raison vient avec encore plus de lenteur, & nous nous remplissons d'idées & de maximes, telles que le hasard & une mauvaise éducation les présentent. Quand nous commençons à refléchir, nous ne voyons pas comment les idées & les maximes que nous trouvons en nous, auroient pû s'y introduire ; nous ne nous rappellons pas d'en avoir été privés : nous en joüissons donc avec sécurité, quelque défectueuses qu'elles soient : nous nous en rapportons d'autant plus volontiers à ces idées, que nous croyons souvent que si elles nous trompoient, Dieu seroit la cause de notre erreur ; parce que nous les regardons sans raison comme l'unique moyen que Dieu nous ait donné pour arriver à la vérité.

Ce qui accoûtume notre esprit à cette inexactitude, c'est la maniere dont nous apprenons à parler. Nous n'atteignons l'âge de raison, que long-tems après avoir contracté l'usage de la parole. Si l'on excepte les mots destinés à faire connoître nos besoins, c'est ordinairement le hasard qui nous a donné occasion d'entendre certains sons plûtôt que d'autres, & qui a décidé des idées que nous leur avons attachées.

En rappellant nos erreurs à l'origine que je viens d'indiquer, on les renferme dans une cause unique. Si nos passions occasionnent des erreurs, c'est qu'elles abusent d'un principe vague, d'une expression métaphorique, & d'un terme équivoque, pour en faire des applications d'où nous puissions déduire les opinions qui nous flatent. Donc, si nous nous trompons, les principes vagues, les métaphores, & les équivoques, sont des causes antérieures à nos passions ; il suffira par conséquent de renoncer à ce vain langage, pour dissiper tout l'artifice de l'erreur.

Si l'origine de l'erreur est dans le défaut d'idées, ou dans des idées mal déterminées, celle de la vérité doit être dans des idées bien déterminées. Les Mathématiques en sont la preuve. Sur quelque sujet que nous ayons des idées exactes, elles seront toûjours suffisantes pour nous faire discerner la vérité : si au contraire nous n'en avons pas, nous aurons beau prendre toutes les précautions imaginables, nous confondrons toûjours tout. Sans des idées bien déterminées, on s'égareroit même en Arithmétique.

Mais comment les Arithméticiens ont-ils des idées si exactes ? C'est que connoissant de quelle maniere elles s'engendrent, ils sont toûjours en état de les composer, ou de les décomposer, pour les comparer selon tous leurs rapports.

Les idées complexes sont l'ouvrage de l'esprit ; si elles sont défectueuses, c'est parce que nous les avons mal faites. Le seul moyen pour les corriger, c'est de les refaire. Il faut donc reprendre les matériaux de nos connoissances, & les mettre en oeuvre comme s'il n'avoient pas été employés.

Les Cartésiens n'ont connu ni l'origine ni la génération de nos connoissances. Le principe des idées innées d'où ils sont partis, les éloignoit de cette découverte. Locke a mieux réussi, parce qu'il a commencé aux sens. Le chancelier Bacon s'est aussi apperçû que les idées qui sont l'ouvrage de l'esprit, avoient été mal faites, & que par conséquent pour avancer dans la recherche de la vérité, il falloit les refaire : Nemo, dit-il, adhuc tantâ mentis constantiâ & rigore inventus est, ut decreverit & sibi imposuerit theorias & notiones communes penitùs abolere, & intellectum abrasum & aequum ad particularia de integro applicare. Itaque illa ratio humana quam habemus, ex multâ fide, & multo etiam casu, nec non ex puerilibus, quos primo hausimus, notionibus, farrago quaedam est & congeries. Quod si quis aetate maturâ, & sensibus integris, & mente repurgatâ, se ad experientiam & ad particularia de integro applicet, de eo meliùs sperandum est.... Non est spes nisi in regeneratione scientiarum ; ut eâ scilicet ab experientiâ certo ordine excitentur & rursùs condantur : quod adhuc factum esse aut cogitatum, nemo, ut arbitramur, affirmaverit. Prévenu comme on l'étoit pour le jargon de l'école & pour les idées innées, on traita de chimérique le projet de renouveller l'entendement humain. Bacon proposoit une méthode trop parfaite, pour être l'auteur d'une révolution ; celle de Descartes devoit réussir ; elle laissoit subsister une partie des erreurs.

Une seconde cause de nos erreurs, sont certaines liaisons d'idées incompatibles qui se forment en nous par des impressions étrangeres, & qui sont si fortement jointes ensemble dans notre esprit, qu'elles y demeurent unies. Que l'éducation nous accoûtume à lier l'idée de honte ou d'infamie à celle de survivre à un affront, l'idée de grandeur d'ame ou de courage à celle d'exposer sa vie en cherchant à en priver celui de qui on a été offensé, on aura deux préjugés ; l'un qui a été le point d'honneur des Romains ; l'autre qui est celui d'une partie de l'Europe. Ces liaisons s'entretiennent & se fomentent plus ou moins avec l'âge. La force que le tempérament acquiert, les passions auxquelles on devient sujet, & l'état qu'on embrasse, en resserrent ou en coupent les noeuds.

Une troisieme cause de nos erreurs, mais qui est bien volontaire, c'est que nous prenons plaisir à nous défigurer nous-mêmes, en effaçant les traits de la nature & en obscurcissant la lumiere qu'elle avoit mise en nous ; & cela par le mauvais usage de la liberté qu'elle nous a donnée.

C'est ce qui peut arriver de diverses manieres : tantôt par une curiosité outrée, qui nous portant à connoître les choses au-delà des bornes de notre esprit & de l'étendue de nos lumieres, fait que nous ne rencontrons plus que ténebres : tantôt par une ridicule vanité qui nous inspire de nous distinguer des autres hommes, en pensant autrement qu'eux, dans les choses où ils sont naturellement capables de penser aussi-bien que nous : tantôt par la prévention d'un parti ou d'une secte, qui fait illusion en certain tems & en certain pays : tantôt par la suite imposante d'un grand nombre de vérités de conséquence, qui en ébloüissant nos yeux, font disparoître la fausseté de leur principe : tantôt enfin par un intérêt secret qu'on trouve à obscurcir & à méconnoître les sentimens de la nature, afin de se délivrer des vérités incommodes. Voyez l'essai sur l'origine des connoissances humaines, par M. l'abbé de Condillac. Article tiré des papiers de M. FORMEY. Voyez encore, sur les erreurs de l'esprit, l'article EVIDENCE, §. 2838.

ERREUR, (Jurisprud.) c'est lorsque l'on a dit ou fait une chose, croyant en dire ou faire une autre.

L'erreur procede du fait ou du droit.

L'erreur ou ignorance de fait, consiste à ne pas savoir une chose, qui est, par exemple, si un héritier institué ignore le testament qui le nomme héritier, ou si sachant le testament, il ignore la mort de celui à qui il succede.

On appelle aussi erreur de fait, lorsqu'un fait est avancé pour un autre, & que cela est fait par ignorance ; en ce cas c'est une erreur ou un faux énoncé : si le fait faux étoit avancé sciemment, il y auroit de la mauvaise foi.

L'erreur ou ignorance de droit, consiste à ne pas savoir ce qu'une loi ou coûtume ordonne.

On peut être dans l'erreur par rapport au droit positif ; mais personne n'est présumé ignorer le droit naturel ; les gens mêmes les plus simples & les plus grossiers ne sont pas excusés à cet égard : nec in eâ re rusticitati veniâ praebeatur. Lib. II. cod. de in jus voc.

L'ignorance où quelqu'un est de ses droits, peut venir d'une erreur de fait, ou d'une erreur de droit. Par exemple, s'il ignore qu'il soit parent, c'est une ignorance de fait ; s'il croit qu'un plus proche que lui l'exclut, ne sachant qu'il concourt avec lui par le moyen de la représentation, c'est une ignorance de droit.

L'erreur de fait ou de droit ne nuit jamais au mineur.

A l'égard des majeurs, l'erreur de fait ne leur préjudicie pas ; parce que celui qui fait ainsi quelque chose par erreur n'est pas censé consentir, puisqu'il ne le fait pas en connoissance de cause : mais il faut pour cela que l'erreur de fait soit telle qu'il paroisse évidemment qu'elle a été le seul fondement du consentement qui a été donné, encore l'acte n'est-il pas nul de plein droit, mais il faut prendre la voie des lettres de rescision.

Si le consentement peut avoir été déterminé par plusieurs causes, l'erreur qui se trouve par rapport à quelques-unes de ces causes, ne détruit pas l'acte dès qu'il y a encore quelque autre cause qui peut le faire subsister.

L'ignorance des faits qui a induit en erreur est toûjours présumée, lorsqu'il n'y a pas de preuve contraire, excepté dans les choses qui sont personnelles à celui qui allegue l'erreur, parce que chacun est présumé savoir ce qui est de son fait.

Lorsqu'un des contractans a été induit en erreur par le dol de l'autre, ce dol forme un double moyen de restitution.

L'erreur de droit n'est point excusée à l'égard des majeurs, car chacun est présumé savoir les lois, & sur-tout le droit naturel.

Néanmoins s'il s'agit d'une loi de droit positif, & qu'il soit évident que l'on n'a traité qu'à cause de l'ignorance de ce droit, il peut y avoir lieu à la restitution : mais si l'acte peut avoir eu quelque autre cause, si l'on peut présumer que celui qui n'a pas fait valoir son droit y a renoncé volontairement, en ce cas l'erreur de droit ne forme pas un moyen de restitution. Voyez au digeste le titre de juris & facti ignorantiâ. (A)

ERREUR DE CALCUL, est la méprise qui se fait en comptant & marquant un nombre pour un autre. Cette erreur ne se couvre point, l. unic. cod. de err. calc. Voyez l'ordonnance de 1667, titre xxjx. art. 21. (A)

ERREUR COMMUNE, est celle où sont tombés la plûpart de ceux qui avoient intérêt de savoir un fait qu'ils ont cependant ignoré. C'est une maxime en droit que error communis facit jus, c'est-à-dire qu'elle excuse celui qui y est tombé, comme les autres. Il y a dans les livres de Justinien deux exemples remarquables de l'effet que produit l'erreur commune.

L'un est en la fameuse loi barbarius Philippus, au ff. de officio praetorum ; c'est l'espece d'un esclave qui avoit fait l'office de préteur : la loi décide que tout ce qu'il a fait est valable.

L'autre est la loi si quis, au ff. de senatusc. maced. qui décide que si un homme a traité avec un fils de famille, qui passoit publiquement pour être pere de famille ; ce fils de famille ne pourra pas exciper contre lui du bénéfice du macédonien, quia publicè.... sic agebat, sic contrahebat. (A)

ERREUR DE COMPTE, voyez ci-devant ERREUR DE CALCUL.

ERREUR DE DROIT ; voyez ce qui a été dit ci-devant au premier article sur le mot ERREUR (Jurisp.)

ERREUR DE FAIT, voyez Ibidem.

ERREUR DE NOM, est lorsque dans un acte on nomme une personne pour une autre, ou une chose pour une autre. Une telle erreur vicie le legs, à moins que la volonté du testateur ne soit d'ailleurs constante. Voyez la loi 9. ff. de hered. instit. & leg. 4. ff. de legatis primo instit. de legat. §. 29. (A)

ERREUR DE PERSONNE, c'est-à-dire lorsque l'on croit traiter avec une personne, & que l'on traite avec une autre, le contrat est nul. Voyez ce qui a été dit ci-devant au mot EMPECHEMENT DE MARIAGE. (A)

ERREUR, (Proposition d'-) voyez au mot PROPOSITION.

ERREUR DE LIEU, (Med.) error loci ; c'est une expression employée en Medecine pour désigner le changement qui se fait dans le corps humain, lorsqu'un fluide d'une nature déterminée & qui doit être contenu dans des vaisseaux qui lui sont propres, sort de ces vaisseaux & se porte dans d'autres voisins qui ne sont pas naturellement destinés à le recevoir. Comme ce changement n'est bien sensible que par rapport au sang qui passe de ses vaisseaux dans les lymphatiques ou autres, c'est-là proprement ce que les Medecins appellent erreur de lieu.

Les globules rouges sont la partie la plus grossiere que l'on observe dans le sang ; cette partie ne peut être naturellement contenue & mise en mouvement que dans les vaisseaux du corps qui ont le plus de capacité. La partie de ce fluide qui approche le plus du globule rouge par rapport à son volume, peut pénétrer dans des vaisseaux dont la capacité approche le plus des vaisseaux sanguins ; mais qui donne l'exclusion aux globules rouges, parce qu'ils sont trop grossiers pour y pénétrer, & peut admettre toutes les autres parties des fluides plus subtils. La même chose a lieu vraisemblablement par rapport aux différens ordres de vaisseaux qui diminuent de capacité les uns respectivement aux autres, jusqu'aux vaisseaux les plus simples du corps humain, & la santé semble consister principalement en ce que les différens fluides restent chacun dans les vaisseaux qui lui sont proportionnés. C'est dans les parties les plus grossieres de chaque fluide, que réside la qualité propre qui le caractérise.

Lorsqu'il arrive que la trop grande quantité de sang, ou la raréfaction excessive de ce fluide, ou son mouvement trop impétueux, dilate ses propres vaisseaux & conséquemment les orifices des vaisseaux d'un genre différent, qui en naissent immédiatement au point de permettre le passage des parties les plus grossieres du sang, qui devoient naturellement rester dans les vaisseaux sanguins ; ces parties pénetrent dans les vaisseaux continus où elles sont étrangeres : elles occupent un lieu, où elles ne sont admises que par un effet contre nature. Ce même effet peut aussi être produit sans aucun changement dans les parties solides contenantes, si la consistance des fluides contenus, ou le volume des parties qui le composent, sont tellement diminués qu'ils puissent pénétrer dans des conduits où ils n'auroient pas pû être admis avec leur consistance naturelle. Le premier cas se présente souvent dans les inflammations considérables ; & le second, dans les dissolutions chaudes de la masse des humeurs, par l'effet de quelque exercice violent, de quelque cause physique ou de toute autre de cette nature.

L'ophthalmie fournit un exemple bien marqué du passage du sang dans des vaisseaux de différent genre, par l'effet de l'inflammation : toute la conjonctive ou albuginée, qui étoit avant l'ophthalmie d'une blancheur éclatante, devient quelquefois dans cette maladie d'un rouge très-foncé ; ce qui ne peut pas se faire sans que les vaisseaux lymphatiques soient eux-mêmes engorgés de la partie rouge du sang, y ayant si peu de vaisseaux sanguins distribués dans le tissu de cette membrane de l'oeil, dans l'état naturel.

Cette sorte d'erreur de lieu dans les inflammations est d'ailleurs démontrée par l'inspection anatomique, selon l'expérience du célebre Vieussens, rapportée dans son ouvrage intitulé novum systema vasorum ; par l'observation fréquente des cas dans lesquels on a vû des femmes, qui dans la suppression des regles par la voie naturelle, éprouvoient un supplément à cette évacuation par les orifices des vaisseaux galactopheres, qui sont autour des mamelons ; ensorte qu'il se faisoit sans aucune solution de continuité dans les vaisseaux sanguins, une véritable transmission des globules rouges, par les conduits destinés à ne porter ordinairement que la lymphe, & à séparer de la masse des humeurs la matiere du lait à l'occasion de la grossesse. Les crachats, dans la péripneumonie, ne sont souvent aussi teints de sang, que parce qu'il a été poussé quelques globules rouges dans les vaisseaux secrétoires & excrétoires de l'humeur bronchique.

Il ne manque pas aussi d'exemples du passage du sang dans des vaisseaux étrangers, par l'effet de la dissolution des humeurs ; on le voit arriver dans les petites véroles qui sont accompagnées d'une si grande fonte d'humeurs, qu'ayant perdu leur consistance naturelle, les plus grossieres deviennent susceptibles de pénétrer dans les vaisseaux les plus déliés ; ainsi les globules rouges passent par les couloirs des urines, & constituent le pissement de sang ; ils sont poussés dans les vaisseaux cutanés, ils y fournissent matiere à des sueurs sanglantes ; ils y font des taches de couleur d'écarlate, ou pourprées, &c. V. SANG, INFLAMMATION, PETITE VEROLE, SUEUR, POURPRE, &c.

On trouve même, dans l'économie animale saine, des preuves du passage du sang dans des vaisseaux de différens genres, que l'on ne doit cependant pas appeller erreur de lieu, puisqu'il se fait naturellement ; mais qui sert à établir la possibilité de celui qui est contre nature, & qui se fait véritablement par erreur de lieu : elles sont tirées de ce qui se passe dans l'écoulement du flux menstruel ; il est certain que le sang, après s'être ramassé dans les vaisseaux utérins qui lui sont propres ; dilate l'orifice des autres vaisseaux de la matrice, qui ne servant, hors du tems menstruel, qu'à porter une lymphe séreuse, pénetre dans ces vaisseaux & dans leur sinus, & parvient à l'embouchure de ces mêmes conduits, qui aboutissent à la surface interne de la matrice, où il se répand d'abord en petite quantité, mêlé avec la sérosité sous forme de sanie, & ensuite de sang en masse, jusqu'à-ce que ces vaisseaux, dans lesquels il est étranger, soient désemplis, & puissent se resserrer au point de ne plus permettre aux globules rouges de pénétrer dans leur cavité. Voyez MENSTRUES. (d)

ERREUR, (Comm.) défaut de calcul, omission de partie, article mal porté sur un livre, dans un compte, ou dans une facture.

Dans le Commerce, on dit en ces divers sens : il y a erreur dans cette addition ; vous vous êtes trompé dans la facture que vous m'avez envoyée un tel jour ; vous tirez en ligne 1677 liv. 10 s. au lieu de 1657 l. 10 s. pour 130 aunes de drap à 12 liv. 15 s. c'est une erreur de vingt livres qui doit tourner à mon profit ; j'ai trouvé plusieurs erreurs dans votre compte ; l'article porté en crédit le 1 Juillet pour 1540 liv. ne doit être que de 1530 liv. vous me débitez le 20 Août de 400 liv. pour ma traite du 3 dudit à Lambert, je n'en ai point de connoissance.

Dans l'arrêté des comptes que les marchands & négocians soldent ensemble, ils ne doivent pas omettre la clause, sauf erreur de calcul, ou omission de parties.

On dit en proverbe qu'erreur n'est pas compte, pour faire entendre que quoiqu'un compte soit soldé, si l'on y trouve quelque défaut de calcul ou omission de parties, on doit réciproquement s'en faire raison. Dict. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)


ERRHINSadj. pl. (Pharmacie) Ce mot vient du grec , in, dans, & , nasus, nez.

C'est ainsi qu'on appelle tous les remedes qui sont destinés à être introduits dans le nez.

Ces remedes se préparent sous différentes formes ; tantôt ils sont liquides, tantôt solides, tantôt c'est une poudre, quelquefois c'est un liniment, une pommade, un onguent.

Ceux qui sont sous forme liquide, ou bien en poudre, se reniflent.

Ceux qui sont solides se forment en petits bâtons pyramidaux, qu'on introduit dans les narines, & qu'on y laisse autant de tems qu'il est nécessaire.

Les linimens, les pommades, les onguens se portent dans le nez avec le bout du doigt.

Les remedes errhins sont quelquefois destinés à provoquer l'éternument, & alors on les nomme sternutatoires. Voyez STERNUTATOIRES. La véritable signification du mot errhin est celle que nous venons de lui donner avec les auteurs les plus exacts ; mais ce n'est pas dans ce sens générique que la plûpart l'ont pris : quelques-uns ont restraint le nom d'errhin aux remedes qui excitoient doucement l'excrétion des narines, & ils ne les distinguoient des sternutatoires que par le dégré d'activité ; quelques autres définissent l'errhin par la forme liquide ; d'autres prétendent au contraire que la consistance pulvérulente, molle, liquide ou solide lui est indifférente, &c.

La signification du mot errhin étant bornée, selon son acception la plus ordinaire, à désigner les remedes qui évacuent la membrane pituitaire, nous observerons que les errhins les plus doux peuvent devenir sternutatoires sur certains sujets, & que les sternutatoires, au contraire, peuvent n'être que des évacuans doux pour d'autres sujets. La maniere d'agir de ces remedes est donc la même ; ils operent une irritation sur la membrane pituitaire, & ils déterminent une évacuation par ses couloirs, en excitant avec plus ou moins d'énergie l'excrétion de l'humeur qu'elle sépare. Voyez EXCRETION & IRRITATION. Cette irritation portée à un certain point, détermine cette secousse violente & convulsive de plusieurs organes, qui est connue sous le nom d'éternument ; secousse inutile à l'évacuation des narines, mais que l'on cherche à exciter dans certains cas, pour une autre vûe. Voyez ETERNUMENT & STERNUTATOIRE.

Les errhins, considérés comme évacuans, s'employent le plus souvent contre les incommodités connues dans le langage ordinaire sous le nom de fluxions, & sur-tout de celles qui attaquent les yeux & les oreilles, principalement lorsqu'elles sont absolument séreuses. Voyez FLUXION. Les affections véritablement inflammatoires des yeux & des paupieres sont plûtôt augmentées que diminuées par l'usage des errhins, quoiqu'à dire vrai ils deviennent bien-tôt si indifférens par une courte habitude, que le medecin ne peut guere compter sur ces secours.

L'usage presque général du tabac, qui est un errhin (que la plûpart des preneurs de tabac s'appliquent continuellement sans le savoir, comme M. Jourdain faisoit de la prose), & même le seul que nous employons aujourd'hui, a rendu ce secours encore plus inutile, ou du moins plus rarement applicable ; comme l'habitude de boire du vin a privé la plûpart des hommes d'une grande ressource contre plusieurs maux. (b)


ERSS. m. (Hist. nat. Bot.) Ervum, genre de plantes à fleurs papilionacées. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite une silique dont les deux faces sont relevées en ondes ou en noeuds ; elle renferme des semences arrondies : ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les feuilles sont rangées par paires sur une côte. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

ERS ou OROBE. (Pharmacie & matiere médicale) La semence, ou plûtôt la farine de l'ers, est la seule partie de cette plante qui soit d'usage en Medecine : les anciens medecins la réduisoient en poudre, & la donnoient incorporée avec le miel dans l'asthme humide, pour faciliter l'expectoration. Galien, dans son premier livre des facultés des alimens, dit que quoiqu'on ne mange point la semence d'ers, à cause de son mauvais goût & de son mauvais suc, cependant dans des disettes on a quelquefois été obligé d'y recourir.

La farine d'ers est une des quatre farines résolutives, elle n'a d'autre usage magistral, que d'être un des ingrédiens des cataplasmes qu'on prépare avec ces farines. Voyez FARINE RESOLUTIVE. La farine d'ers entre dans les trochisques scillitiques.


ERSES. f. (Marine) c'est une corde qui entoure le moufle de la poulie, & qui sert à l'amarrer. Voyez ETROPE. (Z)


ERTZGEBURGEGéog. mod. nom d'un des cercles de l'électorat de Saxe.


ERUCAGOS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plantes à fleurs en croix. Il sort du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit qui ressemble à une petite massue à quatre faces, dont les arêtes sont relevées en forme de crêtes. Ce fruit est partagé en trois loges, & renferme des semences qui sont arrondies, pour l'ordinaire, & qui ont un petit bec. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

ERUCAGO. (Matiere medicale) Lémery dit que l'erucago segetum, sinapi echinatum, J. B. est incisive, atténuante, propre pour raréfier la pituite du cerveau, & pour faire éternuer. On lui attribue une qualité anti-scorbutique, comme à la vraie roquette, dont elle a les principes. Chambers.


ERUCIR(Venerie) Il se dit d'un cerf, quand il prend une branche dans sa gueule, & la suce pour en tirer le suc.


ERUDITadj. m. (Littérature) On appelle de la sorte celui qui a de l'érudition (voyez ÉRUDITION) ; ainsi on peut dire que Saumaise étoit un homme très érudit. Erudit se prend aussi substantivement ; on dit par ellipse, un érudit, pour un homme érudit : l'ellipse a toûjours lieu dans les adjectifs pris substantivement. Voyez ELLIPSE, ADJECTIF, SUBSTANTIF, &c.

Les mots érudit & docte sont bornés à désigner les hommes profonds dans l'érudition ; savant s'applique également aux hommes versés dans les matieres d'érudition & dans les sciences de raisonnement. Voyez SCIENCE, DOCTE, &c. (O)


ERUDITIOS. f. (Philosoph. & Litt.) Ce mot, qui vient du latin erudire, enseigner, signifie proprement & à la lettre, savoir, connoissance ; mais on l'a plus particulierement appliqué au genre de savoir qui consiste dans la connoissance des faits, & qui est le fruit d'une grande lecture. On a réservé le nom de science pour les connoissances qui ont plus immédiatement besoin du raisonnement & de la réflexion, telles que la Physique, les Mathématiques, &c. & celui de belles-lettres pour les productions agréables de l'esprit, dans lesquelles l'imagination a plus de part, telles que l'Eloquence, la Poésie, &c.

L'érudition, considérée par rapport à l'état présent des lettres, renferme trois branches principales, la connoissance de l'Histoire, celle des Langues, & celle des Livres.

La connoissance de l'Histoire se subdivise en plusieurs branches ; histoire ancienne & moderne ; histoire sacrée, profane, ecclésiastique ; histoire de notre propre pays & des pays étrangers ; histoire des Sciences & des Arts ; Chronologie ; Géographie ; Antiquités & Médailles, &c.

La connoissance des Langues renferme les langues savantes, les langues modernes, les langues orientales, mortes ou vivantes.

La connoissance des livres suppose, du moins jusqu'à un certain point, celle des matieres qu'ils traitent, & des auteurs ; mais elle consiste principalement dans la connoissance du jugement que les savans ont porté de ces ouvrages, de l'espece d'utilité qu'on peut tirer de leur lecture, des anecdotes qui concernent les auteurs & les livres, des différentes éditions & du choix que l'on doit faire entr'elles.

Celui qui posséderoit parfaitement chacune de ces trois branches, seroit un érudit véritable & dans toutes les formes : mais l'objet est trop vaste, pour qu'un seul homme puisse l'embrasser. Il suffit donc, pour être aujourd'hui profondément érudit, ou du moins pour être sensé tel, de posséder seulement à un certain point de perfection chacune de ces parties : peu de savans ont même été dans ce cas, & on passe pour érudit à bien meilleur marché. Cependant, si l'on est obligé de restraindre la signification du mot érudit, & d'en étendre l'application, il paroît du moins juste de ne l'appliquer qu'à ceux qui embrassent, dans un certain degré d'étendue, la premiere branche de l'érudition, la connoissance des faits historiques, sur-tout des faits historiques anciens, & de l'histoire de plusieurs peuples ; car un homme de lettres qui se seroit borné par exemple, à l'histoire de France, ou même à l'histoire romaine, ne mériteroit pas proprement le nom d'érudit ; on pourroit dire seulement de lui qu'il auroit beaucoup d'érudition dans l'histoire de France, dans l'histoire romaine, &c. en qualifiant le genre auquel il se seroit appliqué. De même on ne dira point d'un homme versé dans la connoissance seule des Langues & des Livres, qu'il est érudit, à moins qu'à ces deux qualités, il ne joigne une connoissance assez étendue de l'Histoire.

De la connoissance de l'Histoire, des Langues & des Livres, naît cette partie importante de l'érudition, qu'on appelle critique, & qui consiste, ou à démêler le sens d'un auteur ancien, ou à restituer son texte, ou enfin (ce qui est la partie principale) à déterminer le degré d'autorité qu'on peut lui accorder par rapport aux faits qu'il raconte. Voyez CRITIQUE. On parvient aux deux premiers objets par une étude assidue & méditée de l'auteur, par celle de l'histoire de son tems & de sa personne, par le parallele raisonné des différens manuscrits qui nous en restent. A l'égard de la critique, considérée par rapport à la croyance des faits historiques, en voici les regles principales.

1°. On ne doit compter pour preuves que les témoignages des auteurs originaux, c'est-à-dire de ceux qui ont écrit dans le tems même, ou à-peu-près ; car la mémoire des faits s'altere aisément, si on est quelque tems sans les écrire : quand ils passent simplement de bouche en bouche, chacun y ajoûte du sien, presque sans le vouloir. " Ainsi, dit M. Fleury, premier discours sur l'hist. eccl. les traditions vagues des faits très-anciens, qui n'ont jamais été écrits, ou fort tard, ne méritent aucune créance, principalement quand elles répugnent aux faits prouvés : & qu'on ne dise pas que les histoires peuvent avoir été perdues ; car, comme on le dit sans preuve, on peut répondre aussi qu'il n'y en a jamais eu ".

2°. Quand un auteur grave & véridique d'ailleurs cite des écrits anciens que nous n'avons plus, on doit, ou on peut au moins l'en croire : mais si ces auteurs anciens existent, il faut les comparer avec celui qui les cite, sur-tout quand ce dernier est moderne ; il faut de plus examiner ces auteurs anciens eux-mêmes, & voir quel degré de créance on leur doit. " Ainsi, dit encore M. Fleuri, on doit consulter les sources citées par Baronius, parce que souvent il a donné pour authentiques des pieces fausses ou suspectes, & qu'il a suivi des traductions peu fideles des auteurs grecs ".

3°. Les auteurs, même contemporains, ne doivent pas être suivis sans examen : il faut savoir d'abord si les écrits sont véritablement d'eux ; car on n'ignore pas qu'il y en a eu beaucoup de supposés. Voyez DECRETALES, &c. Quand l'auteur est certain, il faut encore examiner s'il est digne de foi, s'il est judicieux, impartial, exempt de crédulité & de superstition, assez éclairé pour avoir sû démêler le vrai, & assez sincere pour n'avoir pas été tenté quelquefois de substituer au vrai ses conjectures, & des soupçons dont la finesse pouvoit le séduire. Celui qui a vû est plus croyable que celui qui a seulement oüi dire, l'écrivain du pays plus que l'écrivain étranger, & celui qui parle des affaires de sa doctrine, de sa secte, plus que les personnes indifférentes, à moins que l'auteur n'ait un intérêt visible de rapporter les choses autrement qu'elles ne sont. Les ennemis d'une secte, d'un pays, doivent sur-tout être suspects ; mais on prend droit sur ce qu'ils disent de favorable au parti contraire. Ce qui est contenu dans les lettres du tems & les actes originaux, doit être préféré au récit des historiens : s'il y a entre les écrivains de la diversité, il faut les concilier ; s'il y a de la contradiction, il faut choisir. Il est vrai qu'il seroit bien plus commode pour l'écrivain de se borner à rapporter les différentes opinions, & de laisser le jugement au lecteur ; mais il est plus agréable pour celui-ci, qui aime mieux savoir que douter, d'être décidé par le critique.

Il y a dans la critique deux excès à fuir également, trop d'indulgence, & trop de sévérité. On peut-être très-bon chrétien sans ajoûter foi à une grande quantité de faux actes des Martyrs, de fausses vies des Saints, d'évangiles & d'épîtres apocryphes, à la legende dorée de Jacques de Voragine, à la fable de la donation de Constantin, à celle de la papesse Jeanne, à plusieurs même des miracles rapportés par Grégoire de Tours & par d'autres écrivains crédules, &c. mais on ne pourroit être chrétien en rejettant les prodiges, les révélations & les autres faits extraordinaires que rapportent S. Irenée, S. Cyprien, S. Augustin, &c. auteurs respectables, qu'il n'est pas permis de regarder comme des visionnaires.

Un autre excès de critique est de donner trop aux conjectures : Erasme, par exemple, a rejetté témérairement, selon M. Fleury, quelques écrits de saint Augustin, dont le style lui a paru différer de celui des autres ouvrages de ce pere ; d'autres ont corrigé des mots qu'ils n'entendoient pas, ou nié des faits, parce qu'ils ne pouvoient pas les accorder avec d'autres d'une égale ou d'une moindre autorité, ou parce qu'ils ne pouvoient les concilier avec la chronologie dans laquelle ils se trompoient. On a voulu tout savoir & tout deviner ; chacun a raffiné sur les critiques précédens, pour ôter quelque fait aux histoires reçues & quelque ouvrage aux auteurs connus : critique dangereuse & dédaigneuse, qui éloigne la vérité en paroissant la chercher. Voyez Fleury, premier discours sur l'hist. eccl. ch. iij. &v. Nous en avons extrait ces regles de critique, qui y sont très-bien développées, auxquelles nous renvoyons le lecteur.

L'érudition est un genre de connoissance où les modernes se sont distingués par deux raisons : plus le monde vieillit, plus la matiere de l'érudition augmente, & plus par conséquent il doit y avoir d'érudits ; comme il doit y avoir plus de fortunes lorsqu'il y a plus d'argent. D'ailleurs l'ancienne Grece ne faisoit cas que de son histoire & de sa langue, & les Romains n'étoient qu'orateurs & politiques : ainsi l'érudition proprement dite n'étoit pas extrêmement cultivée par les anciens. Il se trouva néanmoins à Rome, sur la fin de la république, & ensuite du tems des empereurs, un petit nombre d'érudits, tels qu'un Varron, un Pline le Naturaliste, & quelques autres.

La translation de l'empire à Constantinople, & ensuite la destruction de l'empire d'Occident anéantirent bien-tôt toute espece de connoissances dans cette partie du monde : elle fut barbare jusqu'à la fin du xv. siecle ; l'Orient se soûtint un peu plus long-tems ; la Grece eut des hommes savans dans la connoissance des Livres & dans l'Histoire. A la vérité ces hommes savans ne lisoient & ne connoissoient que les ouvrages grecs, ils avoient hérité du mépris de leurs ancêtres pour tout ce qui n'étoit pas écrit en leur langue : mais comme sous les empereurs romains, & même long-tems auparavant, plusieurs auteurs grecs, tels que Polybe, Dion, Diodore de Sicile, Denis d'Halicarnasse, &c. avoient écrit l'histoire romaine & celle des autres peuples, l'érudition historique & la connoissance des livres, même purement grecs, étoit dès-lors un objet considérable d'étude pour les gens de lettres de l'Orient. Constantinople & Alexandrie avoient deux bibliotheques considérables ; la premiere fut détruite par ordre d'un empereur insensé, Léon l'Isaurien : les savans qui présidoient à cette bibliotheque s'étoient déclarés contre le fanatisme avec lequel l'empereur persécutoit le culte des images ; ce prince imbécille & furieux fit entourer de fascines la bibliotheque, & la fit brûler avec les savans qui y étoient renfermés.

A l'égard de la bibliotheque d'Alexandrie ; tout le monde sait la maniere dont elle fut brûlée par les Sarrasins en 740, le beau raisonnement sur lequel le calife Omar s'appuya pour cette expédition, & l'usage qu'on fit des livres de cette bibliotheque pour chauffer pendant six mois quatre mille bains publics. Voyez BIBLIOTHEQUE.

Photius qui vivoit sur la fin du jx. siecle, lorsque l'Occident étoit plongé dans l'ignorance & dans la barbarie la plus profonde, nous a laissé dans sa fameuse bibliotheque un monument immortel de sa vaste érudition : on voit par le grand nombre d'ouvrages dont il juge, dont il rapporte des fragmens, & dont une grande partie est aujourd'hui perdue, que la barbarie de Léon & celle d'Omar n'avoient pas encore tout détruit en Grece ; ces ouvrages sont au nombre d'environ 280.

Quoique les savans qui suivirent Photius n'ayent pas eu autant d'érudition que lui, cependant longtems après Photius, & même jusqu'à la prise de Constantinople par les Turcs, en 1453, la Grece eut toûjours quelques hommes instruits & versés (du moins pour leur tems) dans l'Histoire & dans les Lettres, Psellus, Suidas, Eustathe commentateur d'Homere, Tzetzes, Bessarion, Gennadius, &c.

On croit communément que la destruction de l'empire d'Orient fut la cause du renouvellement des Lettres en Europe ; que les savans de la Grece, chassés de Constantinople par les Turcs, & appellés par les Medicis en Italie, rapporterent la lumiere en Occident : cela est vrai jusqu'à un certain point ; mais l'arrivée des savans de la Grece avoit été précédée de l'invention de l'Imprimerie, faite quelques années auparavant, des ouvrages du Dante, de Pétrarque & de Boccace, qui avoient ramené en Italie l'aurore du bon goût ; enfin d'un petit nombre de savans qui avoient commencé à débrouiller & même à cultiver avec succès la littérature latine, tels que le Pogge, Laurent Valla, Philelphe & quelques autres. Les grecs de Constantinople ne furent vraiment utiles aux gens de lettres d'Occident, que pour la connoissance de la langue greque qu'ils leur apprirent à étudier : ils formerent des éleves, qui bientôt égalerent ou surpasserent leurs maîtres. Ainsi ce fut par l'étude des langues greque & latine que l'érudition renaquit : l'étude approfondie de ces langues & des auteurs qui les avoient parlées, prépara insensiblement les esprits au goût de la saine littérature ; on s'apperçut que les Démosthenes & les Cicérons, les Homeres & les Virgiles, les Thucydides & les Tacites avoient suivi les mêmes principes dans l'art d'écrire, & on en conclut que ces principes étoient les fondemens de l'art. Cependant, par les raisons que nous avons exposées dans le Discours préliminaire de cet ouvrage, les vrais principes du goût ne furent bien connus & bien développés que lorsqu'on commença à les appliquer aux langues vivantes.

Mais le premier avantage que produisit l'étude des Langues fut la critique, dont nous avons déja parlé plus haut : on purgea les anciens textes des fautes que l'ignorance ou l'inattention des copistes y avoient introduites ; on y restitua ce que l'injure des tems avoit défiguré ; on expliqua par de savans commentaires les endroits obscurs ; on se forma des regles pour distinguer les écrits vrais d'avec les écrits supposés, regles fondées sur la connoissance de l'Histoire, de la Chronologie, du style des auteurs, du goût & du caractere des différens siecles. Ces regles furent principalement utiles lorsque nos savans, après avoir comme épuisé la littérature latine & greque, se tournerent vers ces tems barbares & ténébreux qu'on appelle le moyen âge. On sait combien notre nation s'est distinguée dans ce genre d'étude ; les noms des Pithou, des Sainte-Marthe, des Ducange, des Valois, des Mabillon, &c. se sont immortalisés par elle.

Graces aux travaux de ces savans hommes, l'antiquité & les tems postérieurs sont non-seulement défrichés, mais presque entierement connus, ou du moins aussi connus qu'il est possible, d'après les monumens qui nous restent. Le goût des ouvrages de bel esprit & l'étude des sciences exactes a succédé parmi nous au goût de nos peres pour les matieres d'érudition. Ceux de nos contemporains qui cultivent encore ce dernier genre d'étude, se plaignent de la préférence exclusive & injurieuse que nous donnons à d'autres objets ; voyez l'histoire de l'Acad. des Belles-Lettres, tome XVI. Leurs plaintes sont raisonnables & dignes d'être appuyées ; mais quelques-unes des raisons qu'ils apportent de cette préférence ne paroissent pas aussi incontestables. La culture des Lettres, disent-ils, veut être préparée par les études ordinaires des colléges, préliminaire que l'étude des Mathématiques & de la Physique ne demande pas. Cela est vrai ; mais le nombre de jeunes gens qui sortent tous les ans des écoles publiques, étant très-considérable, pourroit fournir chaque année à l'érudition des colonies & des recrues très-suffisantes, si d'autres raisons, bonnes ou mauvaises, ne tournoient les esprits d'un autre côté. Les Mathématiques, ajoûte-t-on, sont composées de parties distinguées les unes des autres, & dont on peut cultiver chacune séparément, au lieu que toutes les branches de l'érudition tiennent entr'elles & demandent à être embrassées à la fois. Il est aisé de répondre, 1° qu'il y a dans les Mathématiques un grand nombre de parties qui supposent la connoissance des autres ; qu'un astronome, par exemple, s'il veut embrasser dans toute son étendue & dans toute sa perfection la science dont il s'occupe, doit être très-versé dans la géométrie élémentaire & sublime, dans l'analyse la plus profonde, dans la méchanique ordinaire & transcendante, dans l'optique & dans toutes ses branches, dans les parties de la physique & des arts qui ont rapport à la construction des instrumens : 2° que si l'érudition a quelques parties dépendantes les unes des autres, elle en a aussi qui ne se supposent point réciproquement ; qu'un grand géographe peut être étranger dans la connoissance des antiquités & des médailles ; qu'un célebre antiquaire peut ignorer toute l'histoire moderne ; que réciproquement un savant dans l'histoire moderne peut n'avoir qu'une connoissance très-générale & très-legere de l'histoire ancienne, & ainsi du reste. Enfin, dit-on, les Mathématiques offrent plus d'espérances & de secours pour la fortune que l'érudition : cela peut être vrai des mathématiques pratiques & faciles à apprendre, comme le génie, l'architecture civile & militaire, l'artillerie, &c. mais les mathématiques transcendantes & la Physique n'offrent pas les mêmes ressources, elles sont à-peu-près à cet égard dans le cas de l'érudition ; ce n'est donc pas par ce motif qu'elles sont maintenant plus cultivées.

Il me semble qu'il y a d'autres raisons plus réelles de la préférence qu'on donne aujourd'hui à l'étude des Sciences, & aux matieres de bel esprit. 1°. Les objets ordinaires de l'érudition sont comme épuisés, par le grand nombre de gens de lettres qui se sont appliqués à ce genre ; il n'y reste plus qu'à glaner ; & l'objet des découvertes qui sont encore à faire, étant d'ordinaire peu important, est peu propre à piquer la curiosité. Les découvertes dans les Mathématiques & dans la Physique, demandent sans doute plus d'exercice de la part de l'esprit, mais l'objet en est plus attrayant, le champ plus vaste, & d'ailleurs elles flattent davantage l'amour propre par leur difficulté même. A l'égard des ouvrages de bel esprit, il est sans doute très-difficile, & plus difficile peut-être qu'en aucun autre genre, d'y produire des choses nouvelles ; mais la vanité se fait aisément illusion sur ce point ; elle ne voit que le plaisir de traiter des sujets plus agréables, d'être applaudie par un plus grand nombre de juges. Ainsi les Sciences exactes & les Belles Lettres, sont aujourd'hui préférées à l'érudition, par la même raison qui au renouvellement des Sciences leur a fait préférer celle-ci, un champ moins frayé & moins battu, & plus d'occasions de dire des choses nouvelles, ou de passer pour en dire ; car l'ambition de faire des découvertes en un genre est, pour ainsi dire, en raison composée de la facilité des découvertes considérées en elles-mêmes, & du nombre d'occasions qui se présentent de les faire, ou de paroître les avoir faites.

2°. Les ouvrages de bel esprit n'exigent presqu'aucune lecture ; du génie & quelques grands modeles suffisent : l'étude des Mathématiques & de la Physique ne demande non plus que la lecture réfléchie de quelques ouvrages ; quatre ou cinq livres d'un assez petit volume, bien médités, peuvent rendre un mathématicien très-profond dans l'Analyse & la Géométrie sublime ; il en est de même à proportion des autres parties de ces sciences. L'érudition demande bien plus de livres ; il est vrai qu'un homme de lettres qui, pour devenir érudit, se borneroit à lire les livres originaux, abrégeroit beaucoup ses lectures, mais il lui en resteroit encore un assez grand nombre à faire ; d'ailleurs il auroit beaucoup à méditer, pour tirer par lui-même, de la lecture des originaux, les connoissances détaillées que les modernes en ont tirées peu-à-peu, en s'aidant des travaux les uns des autres, & qu'ils ont développés dans leurs ouvrages. Un érudit qui se formeroit par la lecture des seuls originaux, seroit dans le cas d'un géometre qui voudroit suppléer à toute lecture par la seule méditation ; il le pourroit absolument avec un talent supérieur, mais il iroit moins vîte, & avec beaucoup plus de peine.

Telles sont les raisons principales qui ont fait tomber parmi nous l'érudition ; mais si elles peuvent servir à expliquer cette chûte, elles ne servent pas à la justifier.

Aucun genre de connoissance n'est méprisable ; l'utilité des découvertes, en matiere d'érudition, n'est peut-être pas aussi frappante, sur-tout aujourd'hui, que le peut être celle des découvertes dans les sciences exactes ; mais ce n'est pas l'utilité seule, c'est la curiosité satisfaite, & le degré de difficulté vaincu, qui font le mérite des découvertes : combien de découvertes, en matiere de science, n'ont que ce mérite ? combien peu même en ont un autre ?

L'espece de sagacité que demandent certaines branches de l'érudition, par exemple, la critique, n'est guere moindre que celle qui est nécessaire à l'étude des Sciences, peut-être même y faut-il quelquefois plus de finesse ; l'art & l'usage des probabilités & des conjectures, suppose en général un esprit plus souple & plus délié, que celui qui ne se rend qu'à la lumiere des démonstrations.

D'ailleurs, quand on supposeroit (ce qui n'est pas) qu'il n'y a plus absolument de progrès à faire dans l'étude des langues savantes cultivées par nos ancêtres, le Latin, le Grec, & même l'Hébreu ; combien ne reste-t-il pas encore à défricher dans l'étude de plusieurs langues orientales, dont la connoissance approfondie procureroit à notre littérature les plus grands avantages ? On sait avec quel succès les Arabes ont cultivé les Sciences ; combien l'Astronomie, la Medecine, la Chirurgie, l'Arithmétique, & l'Algebre, leur sont redevables ; combien ils ont eu d'historiens, de poëtes, enfin d'écrivains en tout genre. La bibliotheque du roi est pleine de manuscrits arabes, dont la traduction nous vaudroit une infinité de connoissances curieuses. Il en est de même de la langue chinoise. Quel vaste matiere de découvertes pour nos littérateurs ? On dira peut-être que l'étude seule de ces langues demande un savant tout entier, & qu'après avoir passé bien des années à les apprendre, il ne restera plus assez de tems, pour tirer de la lecture des auteurs, les avantages qu'on s'en promet. Il est vrai que dans l'état présent de notre littérature, le peu de secours que l'on a pour l'étude des langues orientales, doit rendre cette étude beaucoup plus longue, & que les premiers savans qui s'y appliqueront, y consumeront peut-être toute leur vie ; mais leur travail sera utile à leurs successeurs ; les dictionnaires, les grammaires, les traductions se multiplieront & se perfectionneront peu-à-peu, & la facilité de s'instruire dans ces langues augmentera avec le tems. Nos premiers savans ont passé presque toute leur vie à l'étude du grec ; c'est aujourd'hui une affaire de quelques années. Voilà donc une branche d'érudition, toute neuve, trop négligée jusqu'à nous, & bien digne d'exercer nos savans. Combien n'y a-t-il pas encore à découvrir dans des branches plus cultivées que celle-là ? Qu'on interroge ceux qui ont le plus approfondi la Géographie ancienne & moderne, on apprendra d'eux, avec étonnement, combien ils trouvent dans les originaux de choses qu'on n'y a point vûes, ou qu'on n'en a point tirées, & combien d'erreurs à rectifier dans leurs prédécesseurs. Celui qui défriche le premier une matiere avec quelque succès, est suivi d'une infinité d'auteurs, qui ne font que le copier dans ses fautes même, qui n'ajoûtent absolument rien à son travail ; & on est surpris, après avoir parcouru un grand nombre d'ouvrages sur le même objet, de voir que les premiers pas y sont à peine encore faits, lorsque la multitude le croit épuisé. Ce que nous disons ici de la Géographie, d'après le témoignage des hommes les plus versés dans cette science, pourroit se dire par les mêmes raisons, d'un grand nombre d'autres matieres. Il s'en faut donc beaucoup que l'érudition soit un terrein où nous n'ayons plus de moisson à faire.

Enfin les secours que nous avons aujourd'hui pour l'érudition, la facilitent tellement, que notre paresse seroit inexcusable, si nous n'en profitions pas.

Cicéron a eu, ce me semble, grand tort de dire que pour réussir dans les Mathématiques, il suffit de s'y appliquer ; c'est apparemment par ce principe qu'il a traité ailleurs Archimede de petit homme, homuncio : cet orateur parloit alors en homme très-peu versé dans ces sciences. Peut-être à la rigueur, avec le travail seul, pourroit-on parvenir à entendre tout ce que les Géometres ont trouvé ; je doute même si toutes sortes de personnes en seroient capables, la plûpart des ouvrages de Mathématiques étant assez mal faits, & peu à la portée du grand nombre des esprits, au niveau desquels on auroit pû cependant les rabaisser (voyez ELEMENS & LOGIQUE) ; mais pour être inventeur dans ces sciences, pour ajoûter aux découvertes des Descartes & des Newtons, il faut un degré de génie & de talens auquel bien peu de gens peuvent atteindre. Au contraire, il n'y a point d'homme qui, avec des yeux, de la patience, & de la mémoire, ne puisse devenir très-érudit à force de lecture. Mais cette raison doit-elle faire mépriser l'érudition ? nullement. C'est une raison de plus pour engager à l'acquérir.

Enfin, on auroit tort d'objecter que l'érudition rend l'esprit froid, pesant, insensible aux graces de l'imagination. L'érudition prend le caractere des esprits qui la cultivent ; elle est hérissée dans ceux-ci, agréable dans ceux-là, brute & sans ordre dans les uns, pleine de vûes, de goût, de finesse, & de sagacité dans les autres : l'érudition, ainsi que la Géométrie, laisse l'esprit dans l'état où elle le trouve ; ou pour parler plus exactement, elle ne fait d'effet sensible en mal, que sur des esprits que la nature y avoit déja préparés ; ceux que l'érudition appesantit, auroient été pesans avec l'ignorance même ; ainsi la perte, à cet égard, n'est jamais grande ; on y gagne un savant, sans y perdre un écrivain agréable. Balzac appelloit l'érudition le bagage de l'antiquité ; j'aimerois mieux l'appeller le bagage de l'esprit, dans le même sens que le chancelier Bacon appelle les richesses le bagage de la vertu : en effet, l'érudition est à l'esprit, ce que le bagage est aux armées ; il est utile dans une armée bien commandée, & nuit aux opérations des généraux médiocres.

On vante beaucoup, en faveur des sciences exactes, l'esprit philosophique, qu'elles ont certainement contribué à répandre parmi nous ; mais croit-on que cet esprit philosophique ne trouve pas de fréquentes occasions de s'exercer dans les matieres d'érudition ? Combien n'en faut-il pas dans la critique, pour démêler le vrai d'avec le faux ? Combien l'histoire ne fournit-elle pas de monumens de la fourberie, de l'imbécillité, de l'erreur, & de l'extravagance des hommes, & des philosophes même ? matiere de réflexions aussi immense qu'agréable pour un homme qui sait penser. Les sciences exactes, dira-t-on, ont à cet égard beaucoup d'avantage ; l'esprit philosophique, que leur étude nourrit, ne trouve dans cette étude aucun contre-poids ; l'étude de l'histoire, au contraire, en a un pour des esprits d'une trempe commune : un érudit, avide de faits, qui sont les seules connoissances qu'il recherche & dont il fasse cas, est en danger de s'accoûtumer à trop d'indulgence sur cet article ; tout livre qui contient des faits, ou qui prétend en contenir, est digne d'attention pour lui ; plus ce livre est ancien, plus il est porté à lui accorder de créance ; il ne fait pas réflexion que l'incertitude des histoires modernes, dont nous sommes à portée de vérifier les faits, doit nous rendre très-circonspects dans le degré de confiance que nous donnons aux histoires anciennes ; un poëte n'est pour lui qu'un historien qui dépose des usages de son tems ; il ne cherche dans Homere, comme feu M. l'abbé de Longuerue, que la géographie & les moeurs antiques ; le grand peintre & le grand homme lui échappent. Mais en premier lieu, il s'ensuivroit tout au plus de cette objection, que l'érudition, pour être vraiment estimable, a besoin d'être éclairée par l'esprit philosophique, & nullement qu'on doive la mépriser en elle-même. En 2d lieu, ne fait-on pas aussi quelque reproche à l'étude des sciences exactes, celui d'éteindre ou d'affoiblir l'imagination, de lui donner de la sécheresse, de rendre insensible aux charmes des Belles-Lettres & des Arts, d'accoûtumer à une certaine roideur d'esprit qui exige des démonstrations, quand les probabilités suffisent, & qui cherche à transporter la méthode géométrique à des matieres auxquelles elle se refuse ? Voyez DEGRE. Si ce reproche ne tombe pas sur un certain nombre de géometres, qui ont sû joindre aux connoissances profondes les agrémens de l'esprit, ne s'adresse-t-il pas au plus grand nombre des autres ? & n'est-il pas fondé, du moins à quelques égards ? Convenons donc que de ce côté tout est à-peu-près égal entre les sciences & l'érudition, pour les inconvéniens & les avantages.

On se plaint que la multiplication des journaux & des dictionnaires de toute espece, a porté parmi nous le coup mortel à l'érudition, & éteindra peu-à-peu le goût de l'étude ; nous croyons avoir suffisamment répondu à ce reproche dans le Discours préliminaire, page xxxjv. dans l'Avertissement du troisieme volume, & à la fin du mot DICTIONNAIRE, à l'art. DICTIONNAIRES DES SCIENCES & DES ARTS. Les partisans de l'érudition prétendent qu'il en sera de nous comme de nos peres, à qui les abrégés, les analyses, les recueils de sentences, faits par des moines & des clercs dans les siecles barbares, firent perdre insensiblement l'amour des Lettres, la connoissance des originaux, & jusqu'aux originaux même. Nous sommes dans un cas bien différent ; l'Imprimerie nous met à couvert du danger de perdre aucun livre vraiment utile : plût à Dieu qu'elle n'eût pas l'inconvénient de trop multiplier les mauvais ouvrages ! Dans les siecles d'ignorance, les livres étoient si difficiles à se procurer, qu'on étoit trop heureux d'en avoir des abrégés & des extraits : on étoit savant à ce titre ; aujourd'hui on ne le seroit plus.

Il est vrai, graces aux traductions qui ont été faites en notre langue d'un très-grand nombre d'auteurs, & en général, graces au grand nombre d'ouvrages publiés en françois sur toute sorte de matieres ; il est vrai, dis-je, qu'une personne uniquement bornée à la connoissance de la langue françoise, pourroit devenir très-savante par la lecture de ces seuls ouvrages. Mais outre que tout n'est pas traduit, la lecture des traductions, même en fait d'érudition pure & simple (car il n'est pas ici question des lectures de goût), ne supplée jamais parfaitement à celle des originaux dans leur propre langue. Mille exemple nous convainquent tous les jours de l'infidélité des traducteurs ordinaires, & de l'inadvertance des traducteurs les plus exacts.

Enfin, car ce n'est pas un avantage à passer sous silence, l'étude des Sciences doit tirer beaucoup de lumieres de la lecture des anciens. On peut sans doute savoir l'histoire des pensées des hommes sans penser soi-même ; mais un philosophe peut lire avec beaucoup d'utilité le détail des opinions de ses semblables ; il y trouvera souvent des germes d'idées précieuses à développer, des conjectures à vérifier, des faits à éclaircir, des hypothèses à confirmer. Il n'y a presque dans notre physique moderne aucuns principes généraux, dont l'énoncé ou du moins le fond ne se trouve chez les anciens ; on n'en sera pas surpris, si on considere qu'en cette matiere les hypothèses les plus vraisemblables se présentent assez naturellement à l'esprit, que les combinaisons d'idées générales doivent être bien-tôt épuisées, & par une espece de révolution forcée être successivement remplacées les unes par les autres. Voy. ECLECTIQUE. C'est peut-être par cette raison, pour le dire en passant, que la philosophie moderne s'est rapprochée sur plusieurs points de ce qu'on a pensé dans le premier âge de la Philosophie, parce qu'il semble que la premiere impression de la nature est de nous donner des idées justes, que l'on abandonne bientôt par incertitude ou par amour de la nouveauté, & auxquelles enfin on est forcé de revenir.

Mais en recommandant aux philosophes même la lecture de leurs prédécesseurs, ne cherchons point, comme l'ont fait quelques savans, à déprimer les modernes sous ce faux prétexte, que la philosophie moderne n'a rien découvert de plus que l'ancienne. Qu'importe à la gloire de Newton, qu'Empedocle ait eu quelques idées vagues & informes du système de la gravitation, quand ces idées ont été dénuées des preuves nécessaires pour les appuyer ? Qu'importe à l'honneur de Copernic, que quelques anciens philosophes ayent crû le mouvement de la terre, si les preuves qu'ils en donnoient n'ont pas été suffisantes pour empêcher le plus grand nombre de croire le mouvement du Soleil ? Tout l'avantage à cet égard, quoi qu'on en dise, est du côté des modernes, non parce qu'ils sont supérieurs en lumieres à leurs prédécesseurs, mais parce qu'ils sont venus depuis. La plûpart des opinions des anciens sur le système du monde, & sur presque tous les objets de la Physique, sont si vagues & si mal approuvées, qu'on n'en peut tirer aucune lumiere réelle. On n'y trouve point ces détails précis, exacts, & profonds qui sont la pierre de touche de la vérité d'un système, & que quelques auteurs affectent d'en appeller l'appareil, mais qu'on en doit regarder comme le corps & la substance, & qui en font par conséquent la difficulté & le mérite. En vain un savant illustre, en revendiquant nos hypotheses & nos opinions à l'ancienne philosophie, a crû la venger d'un mépris injuste, que les vrais savans & les bons esprits n'ont jamais eu pour elle ; sa dissertation sur ce sujet (imprimée dans le tome XVIII. des Mém. de l'Acad. des Belles-Lettres, pag. 97.) ne fait, ce me semble, ni beaucoup de tort aux modernes, ni beaucoup d'honneur aux anciens, mais seulement beaucoup à l'érudition & aux lumieres de son auteur.

Avoüons donc d'un côté, en faveur de l'érudition, que la lecture des anciens peut fournir aux modernes des germes de découvertes ; de l'autre, en faveur des savans modernes, que ceux-ci ont poussé beaucoup plus loin que les anciens les preuves & les conséquences des opinions heureuses que les anciens s'étoient, pour ainsi dire, contentés de hasarder.

Un savant de nos jours, connu par de médiocres traductions & de savans commentaires, ne faisoit aucun cas des Philosophes, & sur-tout de ceux qui s'adonnent à la physique expérimentale. Il les appelle des curieux fainéans, des manoeuvres qui osent usurper le titre de sages. Ce reproche est bien singulier de la part d'un auteur, dont le principal mérite consistoit à avoir la tête remplie de passages grecs & latins, & qui peut-être méritoit une partie du reproche fait à la foule des commentateurs par un auteur célebre dans un ouvrage où il les fait parler ainsi :

Le goût n'est rien ; nous avons l'habitude

De rédiger au long de point en point

Ce qu'on pensa ; mais nous ne pensons point.

Volt. Temple du Goût.

Que doit-on conclure de ces réflexions ? Ne méprisons ni aucune espece de savoir utile, ni aucune espece d'hommes ; croyons que les connoissances de tout genre se tiennent & s'éclairent réciproquement ; que les hommes de tous les siecles sont à-peu-près semblables, & qu'avec les mêmes données, ils produiroient les mêmes choses : en quelque genre que ce soit, s'il y a du mérite à faire les premiers efforts, il y a aussi de l'avantage à les faire, parce que la glace une fois rompue, on n'a plus qu'à se laisser aller au courant, on parcourt un vaste espace sans rencontrer presqu'aucun obstacle ; mais cet obstacle une fois rencontré, la difficulté d'aller au-delà en est plus grande pour ceux qui viennent après. (O)


ERUPTIONS. f. (Medecine) Ce terme est ordinairement employé dans le même sens qu'exanthème, pour signifier la sortie de la matiere morbifique sur la surface de la peau dans les affections cutanées, qui forme des taches ou de petites tumeurs, comme dans la fievre pourprée, dans la petite vérole.

L'action qui produit l'apparition des taches rouges dans la premiere de ces maladies, & celle des boutons dans la seconde, est ce qu'on appelle éruption. Voy. EXANTHEME, & toutes les maladies exanthémateuses, comme la petite-vérole, la rougeole, la gale, &c.

Eruption se prend encore dans un autre sens, mais plus rarement : lorsqu'il se fait une excrétion abondante & subite de sang, de pus, par l'ouverture d'un vaisseau, d'un abcès, on lui donne le nom d'éruption. (d)


ERYCINES. f. ou adj. (Mythol.) surnom de Venus. Il lui venoit du mont Erix en Sicile, où Ericé lui éleva un temple lorsqu'il aborda dans l'isle ; la piété des Egestans l'avoit enrichi de vases, de phioles, & d'encensoirs précieux. Dédale y avoit consacré une vache d'or d'un travail exquis. Il y avoit beaucoup d'autres ouvrages de sa main. Voyez dans Elien toutes les merveilles qu'il raconte de ce temple. Venus Erycine avoit aussi dans Rome un temple qui passoit pour fort ancien dès le tems même de Thucydide.


ERYMANTHES. m. (Géographie ancienne & Mythol.) montagne de l'Arcadie, le séjour de ce terrible sanglier qui ravageoit toutes ces contrées, qu'Hercule prit tout vivant & qu'il conduisit chez Euristhée. Ce fut un de ses douze travaux.


ERYNNIESS. f. pl. (Mythol.) c'est ainsi que les Grecs appelloient les Furies. Elles avoient un temple dans Athenes. Ce temple des Furies étoit voisin de l'Aréopage. Voyez FURIES.


ERYNNISS. ou adj. (Mythol.) Céres Erynnis ou Céres furieuse, fut ainsi appellée par les Siciliens, parce que ce fut dans une caverne de la Sicile qu'elle se retira & que Pan la découvrit, lorsque l'injure que Neptune lui fit, tandis qu'elle parcouroit le monde pour retrouver Proserpine sa fille, lui eut aliéné l'esprit. Céres séduite par Neptune alla se laver dans un fleuve, & se réfugia dans le fond d'un antre de la Sicile. Cependant la peste & la stérilité ravagoient la terre : les dieux inquiets du sort des hommes chercherent Céres ; mais ils ne l'auroient point trouvée si Pan ne l'eût apperçue en gardant ses troupeaux. Il en avertit Jupiter qui lui envoya les Parques qui la déterminerent à venir au secours des hommes. Il n'est pas difficile d'appercevoir à-travers les circonstances de cette fable, des vestiges d'allégorie, ni d'expliquer comment le voile de l'allégorie enveloppe à la longue les faits historiques : la tradition en se corrompant commence cet ouvrage, & la poésie l'acheve.


ERYTHRÉadj. pris subst. (Mythol.) Hercule fut surnommé Erithré d'un temple qu'il avoit à Erythrée en Arcadie. Le dieu y étoit représenté sous la forme d'un radeau. C'est ainsi, disoient les Erythréens, qu'il étoit venu de Tyr par mer. Le dieu radeau entre dans la mer Ionienne, s'arrête au promontoire de Junon, à moitié chemin d'Erythrès à Chio : les habitans de ces lieux employent pour l'amener à bord tous les moyens que la marine & la dévotion leur suggerent ; mais c'est inutilement : un aveugle d'Erythrée, qui se mêloit de pêche avant que de faire le métier de devin,, annonce à ses concitoyens que le seul moyen de mouvoir le radeau, c'est de le tirer avec une corde filée des cheveux des femmes érythréennes ; les femmes d'Erythrée aiment mieux conserver leur chevelure que d'avoir un dieu de plus, & Hercule radeau restoit en mer, lorsque des Thraciennes nées libres, mais esclaves dans Erythrée, plus pieuses que les Erythréennes, sacrifient la leur, & mettent les Erythréens en possession du dieu. On récompensa le zele de ces Thraciennes, en leur accordant le privilége exclusif d'entrer dans le temple d'Hercule. Pausanias dit qu'on montroit encore de son tems la corde de cheveux. Quant au pêcheur aveugle, il recouvra la vûe pour le reste de ses jours. Voyez MIRACLE.


ERYTHRÉou ERYTHRÉENNE, adj. (Myth.) La sybille Erythrée est la premiere des quatre d'Elien, & la cinquiéme des dix de Varron. On dit qu'elle prédit aux Grecs qui partoient pour l'expédition de Troye, qu'ils prendroient cette ville, & qu'Homere feroit de leurs exploits la matiere d'un ouvrage plein de fables.


ERYTHREUou LE ROUGE, s. m. (Myth.) C'est un des chevaux du soleil.


ERYTHROIDEadj. pris subst. (Anat.) est le nom que donnent les Anatomistes à la premiere des membranes propres qui environnent les testicules. Voyez TESTICULE.

Cette membrane est mêlée de fibres charnues qui viennent du muscle cremaster, & qui la font paroître rougeâtre. Voyez ELYTHROIDE.

C'est pour cette raison qu'elle porte le nom d'érithroïde, qui vient des mots grecs rouge, & forme. (L)


ERZEROM(Géog.) ville assez grande de la Turquie Asiatique, située sur l'Euphrate, & bâtie dans une plaine au pié d'une chaîne de montagnes, ce qui y rend les hyvers également longs & rudes. Elle est à cinq journées de la mer Noire, & à dix de la frontiere de Perse. On la regarde comme le passage & le reposoir de toutes les marchandises des Indes par la Turquie. M. de Tournefort en parle fort au long dans ses voyages, & ce qu'il en dit mérite d'être lu. Long. 6. 34. 15. lat. 39. 56. 35. suivant le P. de Beze. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ÈSpréposition qui n'est aujourd'hui en usage que dans quelques phrases consacrées, comme maître-ès-arts. Elle vient, selon quelques-uns du grec ou , in, en ; & selon d'autres, c'est un abrégé pour en les, à les, aux.

Robert Etienne dans sa grammaire, page 23, en parlant des articles, dit qu'il vaut mieux dire il est ès champs, que il est aux champs. Traité de la grammaire françoise, page 1569. Mais quelques années après l'usage changea. Nicot en 1606 dit qu'il est plus commun de dire, il loge aux forsbourgs, que ès forsbourgs.

ès est aussi quelquefois une préposition inséparable qui entre dans la composition des mots ; elle vient de la préposition latine è ou ex, & elle a divers usages. Souvent elle perd l's, & quelquefois elle le retient, esplanade, escalade, &c. sur quoi on ne peut donner d'autre regle que l'usage. (F)


ESCABEAUou ESCABELLE, s. m. (Menuis.) petit siége de bois, quarré, qui n'est ni couvert ni rembourré, qui n'a ni bras ni dossier, & dont on usoit autrefois dans les salles à manger au lieu de chaises. Ce mot est quelquefois synonyme à marchepié.


ESCABLONS. m. (Antiq.) espece de pié d'estal, ou de pierre, ou de marbre, ou de bois marbré, qui va en diminuant du haut en bas, qui peut avoir trois piés de hauteur, & sur lequel on place dans les cabinets & dans les galeries des bustes & autres morceaux semblables.


ESCACHES. f. (Manége) Nous nous écarterons ici sans scrupule de la définition que nous trouvons du terme d'escache dans le dictionnaire de Trévoux. Tous les auteurs qui ont employé ce mot, l'ont appliqué indifféremment à toutes sortes d'embouchures, parce que toute embouchure a la puissance d'escacher en quelque façon la barre ; & comme les anciens ne connoissoient qu'une seule maniere d'assembler les branches au mors, les éperonniers modernes qui l'ont totalement abandonnée, ainsi que nous avons abandonné nous-mêmes le terme d'escache, pour désigner une embouchure, l'ont adapté mal à propos à cette ancienne monture. Elle étoit telle, qu'au lieu de la fonçûre & du chaperon, chaque extrémité du canon étoit prolongée en un assez long triangle, pour embrasser la broche du banquet & venir cacher sa pointe dans une mortaise au-dessus de l'appui du canon sur les barres. On comprend que les branches ne pouvoient point être aussi solidement fixées qu'elles le sont par les méthodes que nous avons préférées. Voyez EMBOUCHURE. (e)


ESCADRES. f. (Marine) C'est un nombre de vaisseaux réunis ensemble sous le commandement d'un officier général, soit lieutenant général, soit chef d'escadre. Il faut au moins 4 ou 5 vaisseaux ensemble pour qu'on leur donne le nom d'escadre.

Lorsqu'une escadre est considérable, c'est-à-dire composée de quinze ou vingt vaisseaux, on la partage en plusieurs divisions & le plus ordinairement en trois ; chaque division a son commandant particulier aux ordres du commandant général.

Les armées navales sont partagées en France en trois escadres ; savoir, l'escadre blanche, l'escadre bleue, & l'escadre bleue & blanche. Voyez ARMEE NAVALE. (Z)


ESCADRONS. m. (Art. milit.) agmen equestre, turma equestris. Dans la premiere origine on disoit agmen quadratum, d'où il est aisé de conclure que du mot italien quadro, les François ont fait celui de scadron, comme on disoit il n'y a pas encore cent ans :

Aux scadrons ennemis on a vu sa valeur

Peupler les monumens.

Racan, de l'Acad. Franç.

Ducange le fait venir de scara, mot de la basse latinité.

Bellatorum acies quas vulgari sermone scaras vocamus.

Hincmar, aux évêq. de Rheims, c. 3.

Scaram quam nos turmam vel cuneum appellare consuevimus.

Aimoin, liv. IV. c. xxvj.

Les Espagnols disent escadro, per avar forma quadrada ; les Allemands appellent l'escadron, schwadron, geswader ou reuter schaar, qui veut dire bande de reistres.

Escadron est un assemblage de gens à cheval destinés pour combattre ; le nombre des hommes, celui des rangs & des files, ainsi que la forme qu'on doit donner aux escadrons, a varié de tous les tems, & n'est point encore déterminée ; l'espece de gens à cheval, la quantité qu'on en a, les occurrences, & plus encore l'opinion de ceux qui commandent, ont jusqu'à présent fait la loi à cet égard.

Les deux plus anciens livres que nous ayons, l'un sacré, & l'autre prophane, ne nous disent rien de l'ordre dans lequel on faisoit servir la cavalerie ; Moyse nous apprend seulement qu'avant lui l'usage de monter à cheval étoit connu ; & Homere ne nous enseigne rien de la maniere dont les Grecs & les Troyens se servoient de leur cavalerie dans la guerre qu'ils eurent ensemble. Voyez EQUITATION. Ainsi nous parlerons de celle des tems moins reculés, comme on se l'est proposé par le renvoi du mot cavalerie à celui d'escadron : & après avoir dit quelque chose de son utilité, de ses services, des succès qu'elle a procurés, &c. on expliquera les différentes formes qu'on a donné à la cavalerie, comprise sous le nom d'escadron.

Les plus grands capitaines ont toûjours fait un cas particulier de la cavalerie ; les services qu'ils en ont tirés, le grand nombre de succès décisifs, dûs principalement à ce corps dans les occasions les plus importantes dont l'histoire ancienne & moderne nous a transmis le détail ; enfin le témoignage unanime des auteurs que nous regardons comme nos maîtres dans l'art de la guerre, sont autant de preuves indubitables que la cavalerie est non-seulement utile, mais d'une nécessité absolue dans les armées.

Polybe attribue formellement les victoires remportées par les Carthaginois à Cannes & sur les bords du Tessin, celles de la Trébie & du lac de Thrasymenne, à la supériorité de leur cavalerie. " Les Carthaginois, dit-il, (liv. III. ch. xxjv.) eurent la principale obligation de cette victoire, aussi-bien que des précédentes, à leur cavalerie, & par-là donnerent à tous les peuples qui devoient naître après eux, cette importante leçon, qu'il vaut beaucoup mieux être plus fort en cavalerie que son ennemi, même avec infanterie moindre de moitié, que d'avoir même nombre que lui de cavaliers & de fantassins ".

La réputation dont joüit Polybe depuis près de vingt siecles, d'être l'écrivain le plus consommé dans toutes les parties de la guerre, semble mettre son opinion hors de doute ; il n'a d'ailleurs écrit que ce qui s'est passé pour ainsi dire sous ses yeux, & il a pour garans de son précepte tous les faits dont son histoire est remplie, les victoires d'Annibal aussi-bien que sa défaite à Zama ; & l'on peut regarder la seconde guerre punique, comme la véritable époque de l'établissement de la cavalerie dans les armées ; avant ce tems les Grecs & les Romains en avoient très-peu, parce qu'ils en ignoroient l'usage, & que d'ailleurs les Grecs n'eurent long-tems à combattre que les uns contre les autres, & dans des pays stériles où la cavalerie n'auroit pû trouver à subsister, & qui étoient coupés de montagnes impraticables pour elle. La fameuse retraite des dix mille n'est pas un exemple qui prouve que les Grecs sûssent se passer de cavalerie ; il n'y a qu'à les écouter, pour s'assûrer qu'ils étoient au contraire très-convaincus qu'elle leur auroit été d'un grand secours : " les Grecs, dit Xénophon en parlant de cette retraite dont il fut un des principaux chefs, " s'affligeoient beaucoup quand ils considéroient que faute de cavalerie la retraite leur devenoit impossible au cas qu'ils fussent battus, & que vainqueurs ils ne pouvoient ni poursuivre les ennemis, ni profiter de la victoire ; au lieu que Tisapherne, & les autres généraux qu'ils avoient à combattre, mettoient facilement leurs troupes en sûreté toutes les fois qu'ils étoient repoussés ". Ce passage prouve bien que si les Grecs n'eurent pas de cavalerie dans les tems de la guerre des Perses, c'est qu'ils n'avoient pas les moyens d'en avoir. Les uns étoient pauvres, & regardoient la pauvreté comme une loi de l'état, parce qu'elle étoit un rempart contre la molesse & contre tous les vices qu'introduit l'opulence, aussi dangereuse dans les petits états qu'elle est nécessaire dans les grands. Les autres plus riches furent obligés de tourner leurs principales vûes du côté de la mer, & l'entretien de leur flotte absorboit les fonds militaires, qui auroient pû servir à se procurer de la cavalerie.

Les Grecs une fois enrichis des dépouilles de la Perse, crurent ne devoir faire un meilleur usage des thrésors de leurs ennemis, qu'en augmentant leurs armées de cavalerie. Ils en avoient à la bataille de Leuctres, & celle des Thébains contribua beaucoup à la victoire. On leur compte aussi cinq mille chevaux sur cinquante mille hommes à la bataille de Mantinée, & ce fut à sa cavalerie qu'Epaminondas dut en grande partie la victoire. C'est à sa sage prévoyance que les Thébains durent chez eux cet utile établissement, qui doit être regardé comme l'époque du rôle le plus brillant qu'ils ayent joüé sur la terre. Ce général, le plus grand homme peut-être que la Grece ait produit, entendoit trop bien l'art de la guerre pour en négliger une partie aussi essentielle. Dès ce moment les Grecs ne se tiennent plus sur la défensive ; on les voit porter la guerre jusqu'aux extrémités de l'Orient : dessein que jamais Alexandre n'eut sans doute osé concevoir, si son armée n'avoit été composée que d'infanterie. On sait que les Thessaliens ayant imploré le secours de Philippe contre leurs tyrans, il les défit, & qu'il s'attacha par-là ce peuple dont la cavalerie étoit alors la meilleure du monde ; ce fut elle qui jointe à la phalange macédonienne, fit remporter tant de victoires à Philippe & à son fils : c'est cette cavalerie que Tite-Live appelle Alexandri fortitudo. Quant aux Romains, il est encore vrai que dans leur premier tems ils n'eurent que très-peu de cavalerie. L'histoire nous apprend que Romulus n'avoit dans les armées les plus florissantes de son regne, que mille chevaux sur quarante-six mille hommes de pié : ce qu'on en peut conclure c'est que Romulus n'étoit pas fort riche ; la dépense qu'il eût été obligé de faire pour s'en procurer davantage & pour l'entretenir, auroit de beaucoup excédé ses forces, dans un tems sur-tout où il avoit tant d'autres établissemens à faire : d'ailleurs les environs de Rome, le seul pays qu'il possédoit & ceux d'Italie en général, étoient peu propres pour la guerre : enfin les premieres guerres des Romains furent contre leurs voisins, qui comme eux n'étoient pas en état de s'en fournir, & dans ce cas les choses étoient égales de part & d'autre. Les conquêtes & les alliances que firent par la suite les Romains, leur donnerent les moyens d'augmenter leur cavalerie ; celle que les peuples, devenus sujets ou alliés de Rome, entretenoient pour elle à leurs dépens, étoit en ce genre la principale force des armées romaines : mais cette cavalerie étoit mal armée. Les Romains ignorerent long-tems l'art de s'en servir avec avantage ; & c'est cette inexpérience qu'on peut regarder comme le principe de tous les malheurs qu'ils essuyerent dans les deux premieres guerres puniques : dans la premiere, Regulus est entierement défait par la cavalerie carthaginoise ; & dans la seconde, comme on l'a déjà dit, Annibal bat les Romains dans toutes les occasions. La cavalerie faisoit au moins le cinquieme de ses troupes ; aussi Fabius n'est pas plûtôt à la tête des armées romaines, qu'il prend le sage parti d'éviter le combat ; & que pour n'avoir rien à souffrir de la cavalerie carthaginoise, il est obligé de ne plus conduire ses légions que sur le pié des montagnes.

Les Carthaginois firent enfin sentir aux Romains l'obligation d'être forts en cavalerie, ils le leur apprirent à leurs dépens, & les Romains ne commencerent à respirer que lorsque des corps entiers de cavalerie numide eurent passé de leur côté : ces desertions qui affoiblissoient d'autant l'ennemi, leur procurerent insensiblement la supériorité sur les Carthaginois. Annibal obligé d'abandonner l'Italie pour aller au secours de Carthage, n'avoit plus cette formidable cavalerie avec laquelle il avoit remporté tant de victoires : à son arrivée en Afrique, il fut joint par deux mille chevaux ; mais un pareil renfort ne l'égaloit pas à beaucoup près à Scipion, dont la cavalerie s'étoit augmentée par des recrues faites dans l'Espagne nouvellement conquise, & par la jonction de Masinissa roi des Numides, qui avoit appris des Grecs à bien armer sa cavalerie, & à la bien faire servir : ce fut cette supériorité qui, au rapport de tous les historiens, décida de la bataille de Zama. " La cavalerie, dit M. de Montesquieu (cause de la grandeur & de la décadence des Romains), " gagna la bataille & finit la guerre ". Les Romains triompherent en Afrique par les mêmes armes qui tant de fois les avoient vaincus en Italie.

Les Parthes firent encore sentir aux Romains avec quel avantage on combat un ennemi inférieur en cavalerie. " La force des armées romaines, dit l'auteur ci-dessus cité, " consistoit dans l'infanterie la plus ferme, la plus forte, & la mieux disciplinée du monde ; les Parthes n'avoient pas d'infanterie, mais une cavalerie admirable, ils combattoient de loin & hors la portée des armes romaines, ils assiégeoient une armée plûtôt qu'ils ne la combattoient, inutilement poursuivis, parce que chez eux fuir c'étoit combattre : ainsi ce qu'aucune nation n'avoit pas encore fait (d'éviter le joug), celle des Parthes le fit, non comme invincible, mais comme inaccessible ". On peut dire plus, les Parthes firent trembler les Romains ; & c'est sans doute le péril où cette puissance rivale mit plus d'une fois leur empire en Orient, qui les força d'augmenter considérablement la cavalerie dans leurs armées. Cette augmentation leur devenoit d'autant plus nécessaire, que leurs frontieres s'étant fort étendues, ils n'auroient pû sans des troupes nombreuses en ce genre, arrêter les incursions des Barbares : d'ailleurs, le relâchement de la discipline militaire leur fit insensiblement perdre l'habitude de fortifier leurs camps, & dès-lors leurs armées auroient couru de grands risques, sans une cavalerie capable de résister à celle de leurs ennemis ; enfin l'on peut dire que presque toutes les disgraces essuyées, ainsi que la plûpart des avantages remportés par les Romains, ont été l'effet, les unes de leur infériorité, les autres de leur supériorité en cavalerie.

Si l'on veut lire avec attention les commentaires de César, on y verra que ce grand homme qui dut ses principaux succès à son inimitable célérité, se servoit si utilement de sa cavalerie, qu'on peut en quelque sorte regarder ses écrits comme la meilleure école que nous ayons en ce genre.

Quand il seroit vrai que les anciens se fussent passés de cavalerie, il n'en résulteroit pas qu'on dût aujourd'hui n'en point faire usage : autant vaudroit-il prétendre qu'on fît la guerre sans canon, ces deux propositions seroient d'une nature toute semblable ; ce sont des systèmes qu'on ne pourra faire approuver que lorsque toutes les nations guerrieres seront convenues entr'elles d'abolir en même tems l'usage de la cavalerie & du canon.

Pour ne parler que de nos tems & de nos plus grands généraux (les Turenne & les Condé), on sait que M. de Turenne dut la plûpart de ses succès, pour ne pas dire tous, à la cavalerie : ce général sans doute comparable aux plus grands personnages de l'antiquité, avoit pour maxime de travailler l'ennemi par détail, maxime qu'il n'auroit pû pratiquer s'il n'eût eu beaucoup de cavalerie ; aussi ses armées furent-elles composées presque toûjours d'un plus grand nombre de gens de cheval, que de gens de pié.

La célébre bataille de Rocroi nous apprend le cas que faisoit le grand Condé de la cavalerie, & combien il savoit la faire servir avec avantage. Cette victoire fixe l'époque la plus florissante de la nation françoise ; c'est elle qui commence le regne de Louis le Grand.

Dans cette fameuse journée, les manoeuvres de cavalerie furent exécutées avec autant d'ordre, de précision, & de conduite, qu'elles pourroient l'être dans un camp de discipline par des évolutions concertées ; jamais l'antiquité dans une affaire générale n'offrit des traits de prudence & de valeur tels que ceux qui ont signalé cette victoire ; elle rassemble dans ses circonstances tous les évenemens singuliers qui distinguent les autres batailles, & qui caractérisent les propriétés de la cavalerie. " Jamais bataille, dit M. de Voltaire, " n'avoit été pour la France ni plus glorieuse, ni plus importante ; elle en fut redevable à la conduite pleine d'intelligence du duc d'Anguien qui la gagna par lui-même, & par l'effet d'un coup-d'oeil qui découvrit à la fois le danger & la ressource ; ce fut lui qui à la tête de la cavalerie attaqua par trois différentes fois, & qui rompit enfin cette infanterie espagnole jusque-là invincible ; par lui le respect qu'on avoit pour elle fut anéanti, & les armes françoises dont plusieurs époques étoient fatales à leur réputation, commencerent d'être respectées ; la cavalerie acquit sur-tout en cette journée la gloire d'être la meilleure de l'Europe ".

Il n'est point étonnant que les plus grands hommes ayent pensé d'une maniere uniforme sur la nécessité de la cavalerie ; il ne faut que suivre pié à pié les opérations de la guerre pour se convaincre de l'importance dont il est, qu'une armée soit pourvûe d'une bonne & nombreuse cavalerie.

A examiner le début de deux armées, on verra que la plus forte en cavalerie doit nécessairement imposer la loi à la plus foible, soit en s'emparant des postes les plus avantageux pour camper, soit en forçant l'autre par des combats continuels à quitter son pays, ou celui dont elle auroit pû se rendre maîtresse.

Alexandre dans son passage du Granique, & Annibal dans son début en Italie par le combat du Tessin, nous fournissent deux exemples, qui donnent à cette proposition la force de l'évidence.

Or deux victoires dont tout l'honneur appartient à la cavalerie, & l'influence qu'elles ont eu l'une & l'autre sur les évenemens qui les ont suivis, prouvent combien ce secours est essentiel aux premieres opérations d'une campagne. Si l'on en veut des traits plus modernes & analogues à notre maniere de faire la guerre, la derniere nous en offre dans presque chacun de nos succès, ainsi que dans les circonstances malheureuses.

Dans les détails de la guerre, il y a quantité de manoeuvres, toutes fort essentielles, qui seroient impraticables à une armée destituée de cavalerie ; s'il s'agit de couvrir un dessein, de masquer un corps de troupes, un poste, c'est la cavalerie qui le fait. M. de Turenne fit lever le siége de Cazal en 1640, en rassemblant toute la cavalerie sur un même front ; les ennemis trompés par cette disposition, perdirent courage, prirent la fuite : jamais victoire ne fut plus complete pour les François, dit l'auteur de l'histoire du vicomte.

A la journée de Fleurus, M. le maréchal de Luxembourg fit faire à sa cavalerie un mouvement à-peu-près semblable, sur lequel M. de Valdec prit le change ; ce qui lui fit perdre la bataille (1690). C'est, dit M. de Feuquieres, une des plus belles actions de M. de Luxembourg.

La supériorité de la cavalerie donne la facilité de faire de nombreux détachemens, dont les uns s'emparent des défilés, des bois, des ponts, des débouchés, des gués ; tandis que d'autres, par de fausses marches, donnent du soupçon à l'ennemi, & l'affoiblissent en l'obligeant à faire diversion.

Une armée qui se met en campagne est un corps composé d'infanterie, de cavalerie, d'artillerie, & de bagage ; ce corps n'est parfait qu'autant qu'il ne lui manque aucun de ses membres ; en retrancher un, c'est l'affoiblir, parce que c'est dans l'union de tous que réside toute sa force, & que c'est cette union qui respectivement fait la sûreté & le soûtien de chaque membre. Dans la comparaison que fait Iphicrate d'une armée avec le corps humain, ce général athénien dit que la cavalerie lui tient lieu de pié, & l'infanterie legere de main ; que le corps de bataille forme la poitrine, & que le général en doit être regardé comme la tête. Mais sans s'arrêter à des comparaisons, il suffit d'examiner comment on dispose la cavalerie lorsqu'on veut faire agir, pour sentir l'étroite obligation d'en être pourvû. C'est elle dont on forme la tête, la queue, les flancs ; elle protege, pour ainsi dire, toutes les autres parties, qui sans elle couroient risque à chaque pas d'être arrêtées, coupées, & même enveloppées ; s'il est question de marcher, c'est la cavalerie qui assûre la tranquillité des marches, c'est à elle qu'on confie la sûreté des camps, laquelle dépend de ses gardes avancées ; plus elle sera nombreuse, & plus ses gardes seront multipliées : de-là les patrouilles pour le bon ordre & contre les surprises en seront plus fréquentes, & les communications mieux gardées ; les camps qui en deviendront plus grands, en seront plus commodes pour les nécessités de la vie ; ils pourront contenir des eaux, des vivres, du bois, & du fourrage, qu'on ne sera pas obligé de faire venir à grands frais avec beaucoup de peine & bien des risques.

On peut considérer que de deux armées, celle qui sera supérieure en cavalerie sera l'offensive, elle agira toûjours suivant l'opportunité des tems & des lieux, elle aura toûjours cette ardeur dont on est animé quand on attaque ; l'autre obligée de se tenir sur la défensive, sera toûjours contrainte par la nécessité des circonstances, qu'une grosse cavalerie fera naître à son desavantage à chaque moment ; le soldat sera toûjours surpris, découragé, il n'aura sûrement pas la même confiance que l'attaquant. Lorsqu'une armée sera pourvûe d'une nombreuse cavalerie, les détachemens se feront avec plus de facilité ; tous les jours sortiront de nouveaux partis, qui sans cesse obsédant l'ennemi, le gêneront dans toutes ses opérations, le harceleront dans ses marches, lui enleveront ses détachemens, ses gardes, & parviendront enfin à le détruire par les détails, ce qu'on ne pourra jamais espérer d'une armée foible en cavalerie quelque forte qu'elle soit d'ailleurs : au contraire réduite à se tenir enfermée dans un camp d'où elle n'ose sortir, elle ignore tous les projets de l'ennemi, elle ne sauroit joüir de l'abondance que procurent les convois fréquens, on les lui enleve tous ; ou s'il en échappe quelques-uns, ils n'abordent qu'avec des peines infinies. C'est la cavalerie qui produit l'abondance dans un camp ; sans elle point de sûreté pour les convois : il faut qu'à la longue une armée manque de tout ; vivres, fourrages, recrues, trésors, artillerie, rien ne peut arriver, si la cavalerie n'en assûre le transport.

Les escortes du général & de ses lieutenans sont aussi de son ressort, & c'est elle seule qui doit être chargée de cette partie du service. La guerre se fait à l'oeil. Un général qui veut reconnoître le pays & juger par lui-même de la position des ennemis, risqueroit trop de se faire escorter par de l'infanterie ; outre qu'il ne pourroit aller ni bien loin ni bien vîte, il se mettroit dans le danger de se faire couper & enlever, avant d'avoir apperçû les troupes de cavalerie ennemie chargées de cette opération. Le seul parti qu'ait à prendre un général, s'il manque de cavalerie, c'est de ne pas passer les gardes ordinaires : or que peut-on attendre de celui qui ne pouvant connoître par lui-même la disposition de l'ennemi, ne sauroit en juger que par le rapport des espions ? & le moyen que ses opérations puissent être bien dirigées, si faute de cavalerie il ne peut ni prendre langue, ni envoyer à la découverte, ni reconnoître les lieux ?

La vîtesse, comme le remarque Montecuculli, est bonne pour le secret, parce qu'elle ne donne pas le tems de divulguer les desseins ; c'est par-là qu'on saisit les momens, & c'est cette qualité qui distingue particulierement la cavalerie ; promte à se porter par-tout où son secours est nécessaire, on l'a vû souvent rétablir par sa célérité des affaires que le moindre retardement auroit pû rendre desespérées. La vivacité la met dans le cas de profiter des moindres desordres ; & si elle n'a pas toûjours l'avantage de vaincre, elle a en se retirant celui de n'être jamais totalement vaincue. La victoire, lorsqu'elle est l'ouvrage de la cavalerie, est toûjours complete ; celle que remporte l'infanterie seule, ne l'est jamais.

La guerre est pleine de ces occasions, dans lesquelles on ne sauroit sans risque accepter le combat. Il en est d'autres, au contraire, où l'on doit y forcer, & c'est par la cavalerie qu'on est le maître du choix.

Une armée ne peut se passer de vivres, d'hôpitaux, d'artillerie, d'équipages ; il faut du fourrage pour les chevaux destinés à ces différens usages, il en faut pour ceux des officiers généraux & particuliers ; & s'il n'y a point de cavalerie qui soit chargée du soin d'y pourvoir, l'infanterie ne pourra seule aller un peu loin faire ces fourrages ; elle n'ira pas interrompre ceux de l'ennemi, lui enlever ses fourrageurs ; la chaîne qu'elle formeroit ne seroit ni assez étendue pour embrasser un terrein suffisant, ni assez épaisse pour soûtenir l'impétuosité du choc de la cavalerie ennemie.

Pour peu que l'on considere la variété des opérations d'une armée, & l'étendue de ses besoins, on ne peut dire que l'infanterie soit seule en état d'y suffire.

Dans la guerre de plaine & dans toutes les occasions, par exemple, qui exigent un peu de célérité, & qui sont assûrément très-fréquentes, peut-on s'empêcher de convenir qu'elle ne soit d'une grande nécessité ? Est-il question de traverser une riviere à la nage ou à gué ? c'est la cavalerie qui facilite le passage en rompant la rapidité de l'eau par la force de ses escadrons, ou parce que chaque cavalier peut porter en croupe un fantassin. Si l'on veut présenter un grand front, si l'on veut déborder l'ennemi, l'envelopper, c'est par le moyen de la cavalerie qu'on le fait, c'est en détachant souvent des troupes de cavalerie qu'on maintient le bon ordre si nécessaire à une armée ; elles empêchent les deserteurs, les maraudeurs de sortir du camp ; ce sont elles qui veillent à ce qu'il n'y entre point d'espions ou autres gens aussi dangereux, & qui procurent aux paysans la sûreté chez eux, & la liberté d'apporter des vivres au camp.

Si l'on excepte les siéges qui sont des opérations auxquelles on ne peut procéder que lentement, & pour ainsi dire pié à pié, on ne trouvera peut-être point d'autres occasions à la guerre qui ne demande de la diligence, & conséquemment pour laquelle les services de la cavalerie ne soient très-avantageux : & d'ailleurs personne n'ignore que dans les sieges, la cavalerie n'ait un service qui lui soit uniquement affecté ; on l'a vû au dernier siége de Berg-op-zoom faire ses fonctions, & partager même celles de l'infanterie. Ce n'est pas le seul exemple qui prouve qu'elle est capable de servir utilement en mettant pié à terre.

Le premier service de la cavalerie dans les siéges, & le plus important, est celui de l'investissement de la ville qu'on veut assiéger avant que l'ennemi ait pû y faire entrer du secours ; veut-on, au contraire, secourir une ville menacée d'un siége, ou même qui est assiégée ? c'est au moyen de la cavalerie. Le grand Condé nous en fournit un exemple dans le service qu'elle lui a rendu en pareille occasion ; il s'agissoit de faire entrer du secours dans Cambrai que M. de Turenne tenoit assiégé, le tems pressoit : le prince de Condé rassemble à la hâte dix-huit escadrons, se met à leur tête, force les gardes, se fait jour jusqu'à la contrescarpe, il oblige M. de Turenne de lever le siége. Ce fut un seul détachement de cent chevaux qui en quelque sorte a donné lieu au dernier siége de Berg-op-zoom, siége à jamais glorieux pour les armes du Roi, & pour le général qui y a commandé ; car il est à présumer que le siége eût été différé, ou que peut-être on ne l'eût pas entrepris, si les grandes gardes de cavalerie qu'avoient en avant les ennemis, eussent tenu assez de tems pour leur donner celui d'envoyer leur cavalerie, & ensuite le reste de leur armée qui étoit de l'autre côté, s'établir entre la ville & notre camp : mais ces gardes firent peu de résistance ; une partie fut enlevée, & le reste prit la fuite.

La cavalerie n'est pas moins nécessaire pour la défense d'une place ; si des assiégés en manquoient, ils ne pourroient faire de sorties, ou leur infanterie couroit risque en sortant de se faire couper par la cavalerie des ennemis.

Un état dépourvû de cavalerie, pourroit peut-être garder pour un tems ses places avec sa seule infanterie ; mais combien en ce cas ne lui en faudroit-il pas ? & que lui serviroient ses places si l'ennemi, au moyen de sa cavalerie, pénétroit jusque dans le coeur du royaume ?

La levée & l'entretien d'un corps de cavalerie entraînent de la dépense ; mais les contributions qu'elle impose au loin, les vivres, les fourrages qu'elle en tire, la sûreté des convois qu'elle procure, & tant d'autres services qu'elle seule est en état de rendre, ne dédommagent-ils pas bien avantageusement de la dépense qu'elle occasionne ? D'ailleurs la cavalerie étant d'une utilité plus générale pour les opérations de la guerre, on ne sauroit dire qu'elle soit plus à charge à l'état que l'infanterie, puisque la levée d'un escadron n'est pas d'une dépense plus grande que celle d'un bataillon, & que l'entretien de celui-ci est bien plus considérable.

Enfin si l'on s'en rapporte aux plus grands capitaines, on sera forcé de convenir que l'avantage sera toûjours le plus grand pour celui des deux ennemis qui sera supérieur en cavalerie.

Cyrus, Alexandre, Annibal, Scipion, joüissent depuis plus de vingt siecles d'une réputation qu'ils doivent aux succès que leur a procuré leur cavalerie. Cyrus & Annibal avoient une cavalerie très-nombreuse ; Alexandre est celui des Grecs qui, à proportion de ses forces, en a eu le plus ; & l'on ne voit pas que les Grecs sous ce prince, non plus que les Perses & les Carthaginois du tems de Cyrus, ayent été sur leur déclin ; il sembleroit, au contraire, que la vie de ces grands hommes pourroit être regardée comme l'époque la plus florissante de leur nation.

Si les Romains, après avoir été vaincus par la cavalerie des Carthaginois, triomphent enfin d'eux, c'est que ceux-ci furent abandonnés de leur cavalerie, que leur enleva Scipion par ses alliances & ses conquêtes ; & cette guerre qui avoit commencé par être honteuse au peuple romain, finit par l'époque la plus florissante pour lui.

Les suffrages des auteurs modernes qui ont le mieux écrit de l'art militaire, se réunissent avec l'autorité des plus grands capitaines & des meilleurs écrivains de l'antiquité. Il sembloit au brave la Noue, que sur quatre mille lances il suffisoit de 2500 hommes d'infanterie : " Personne ne contredira, ajoûte cet auteur, qu'il ne faille toûjours entretenir bon nombre de gendarmerie ; mais d'infanterie, aucuns estiment qu'on s'en peut passer en tems de paix ". Mais on doit considérer que la Noue écrivoit dans un tems (1587) où l'infanterie étoit comptée pour peu de chose ; parce que les principales actions de guerre consistoient moins alors à prendre des places, qu'en des affaires de plaine campagne, où l'infanterie ne tenoit pas contre la cavalerie. Sa réflexion ne peut manquer de tomber sur la nécessité qu'il y a d'exercer pendant la paix la cavalerie, qui ne peut être bonne à la guerre si elle est nouvellement levée.

Un auteur fort estimé & en même tems grand officier (M. le maréchal de Puysegur), qui connoissoit sans doute en quoi consiste la force des armées, dont il avoit rempli les premiers emplois pendant cinquante-six ans, propose dans ses projets de guerre plus de moitié de cavalerie sur une fois autant d'infanterie.

Santa-Cruz veut qu'une armée soit toûjours composée d'une forte cavalerie ; il soûtient même qu'elle doit être une fois plus nombreuse que l'infanterie, suivant les circonstances : par exemple, si les ennemis la craignent davantage, ou si votre nation est plus propre à agir à cheval qu'à pié ; la nature du pays où l'on fait la guerre est une distinction qu'il a oublié de faire. " Un pays plain, dit M. de Turenne, est très-favorable à la cavalerie ; il lui laisse toute la liberté nécessaire à son service, & lui donne beaucoup d'avantage sur l'infanterie ". Ce grand général, dont les maximes font des lois, avoit toûjours, comme on l'a déjà dit, dans ses armées au moins autant de cavalerie que d'infanterie, & on l'a vû quelquefois avec un plus grand nombre de cavalerie.

Enfin Montécuculli, le Vegece de nos jours, estime que la cavalerie pesante doit au moins faire la moitié de l'infanterie, & la legere le quart au plus de la pesante : les sentimens de ces grands généraux de nations différentes, ceux des anciens & des plus grands capitaines, la raison & l'expérience, les opérations les plus importantes de la guerre, & tous les besoins d'une armée, sont autant de témoignages de la nécessité de la cavalerie.

C'est sans doute à cause de l'importance des services de la cavalerie en campagne, que de tout tems on a jugé que dans les occasions où il se trouve mêlange des deux corps, l'officier de cavalerie commanderoit le tout, parce que les opérations de la cavalerie exigent une expérience particuliere que ne peut avoir l'officier d'infanterie ; & l'on peut dire que si celle-ci attend la mort avec fermeté, l'autre y vole avec intrépidité.

On a prouvé de tout tems que des cavaliers épars n'auroient aucune solidité ; c'est ce qui a obligé d'en joindre plusieurs ensemble, & c'est cette union, comme on l'a déja dit, qu'on nomme escadron.

Bien des peuples formoient leurs escadrons en triangle, en coin, en quarré de toutes especes : le losange étoit l'ordonnance la plus généralement reçue, mais l'expérience a fait sentir qu'elle seroit vicieuse, & a fait prendre à toutes les nations la forme des escadrons quarrés. Les Turcs seuls se servent encore du losange & du coin ; ils pensent, comme les anciens, que cette forme est la plus propre pour mettre la cavalerie en bataille sur toutes sortes de terrein, & la faire servir avantageusement aux différentes opérations de la guerre d'autant plus facilement, qu'il y a un officier à chacun de ses angles : d'ailleurs comme cet escadron se présente en pointe, ils croyent qu'il lui est aisé de percer par un moindre intervalle ; que n'occupant pas un grand espace, il a plus de vivacité dans ses mouvemens, & qu'enfin il n'est pas sujet, lorsqu'il veut faire des conversions, à tracer de grands circuits comme l'escadron quarré, qui est contraint dans ce cas de parcourir une grande portion de cercle. Mais si les escadrons en losange ont effectivement ces avantages, ils ont aussi les défauts de ne présenter qu'un très-petit nombre de combattans ; les parties intérieures en sont inutiles, & la gauche n'en peut combattre avec avantage. Cet escadron, pris par un autre, formé sur un quarré long qui se recourbe de droite & de gauche, est immanquablement enveloppé sans avoir la liberté de se défendre ; & lorsqu'il est une fois rompu, il ne lui est plus possible de se reformer : ainsi il ne peut tout-au-plus être bon que pour une petite troupe servant de garde, & plûtôt faite pour avertir & se retirer que pour combattre. Voici en deux mots qu'elles étoient les différentes manieres de former ces escadrons en triangle.

Les Thessaliens, chez qui l'art de combattre à cheval étoit connu bien avant la guerre de Troye, furent les premiers qui donnerent à leurs escadrons la forme d'un losange : on sait que parmi les Grecs cette cavalerie thessalienne étoit en fort grande réputation ; ce fut Iléon le thessalien qui le premier établit cet ordre, & dont il porte le nom d'ilé. Voyez la tactique d'Elien.

Celui qui commandoit l'escadron ou losange s'appelloit ilarque, il tenoit la pointe de la tête ; ceux qui fermoient les droites & les gauches du rang du milieu étoient les gardes-flancs, & celui de la queue se nommoit le serre-file.

Il y avoit quatre manieres de former l'escadron en losange ; la premiere avec des files & des rangs, la seconde sans rangs & sans files, la troisieme avec des files, mais sans rangs, & la quatrieme avec des rangs & point de files.

Les Macédoniens, les Scythes & les Thraces trouverent les escadrons en losange trop pesans ; ils en retrancherent la queue & formerent, moyennant cette réforme, ce qu'ils appellerent le coin. On assûre que Philippe fut l'auteur de cette ordonnance : quoi qu'il en soit il ne paroît pas que ce fût-là l'ordre qu'observerent le plus communément les Macédoniens, puisque Polybe (l. VI. ch. xij.) nous apprend que leur cavalerie se rangeoit pour l'ordinaire sur huit de hauteur ; c'est, dit-il, la meilleure méthode. Tacite nous apprend que les Germains formoient aussi en coin les différens corps de leur armée.

Les Siciliens & la plûpart des peuples de la Grece formerent de leur cavalerie des escadrons quarrés ; ils leur sembloient plus faciles à former, & devoir marcher plus unis & plus serrés : d'ailleurs dans cet ordre, le front se trouve composé d'officiers & de ce qu'il y a de meilleurs cavaliers, & le choc se faisant tout ensemble, a plus de force & d'impétuosité. Le losange ou le coin, au contraire, ne présente qu'un seul combattant, lequel étant hors de combat cause infailliblement la perte de l'escadron.

Les Perses se servirent aussi des formes quarrées pour former leurs escadrons ; & comme ils avoient une nombreuse cavalerie, ils donnerent à ces escadrons beaucoup de profondeur : les files étoient de douze, quelquefois de seize cavaliers ; ce qui rendoit leurs escadrons si pesans, qu'ils furent presque toûjours battus, malgré la supériorité du nombre.

Les Romains formerent leurs escadrons ou leurs turmes sur une autre espece de quarré, les quarrés longs ; ils leur donnoient un front & une épaisseur beaucoup moins grands que les Grecs en général n'avoient fait : c'étoit l'usage reçu parmi les Romains pour la disposition de leurs escadrons ; mais ils n'y étoient pas tellement assujettis, que suivant les circonstances ils ne changeassent cet ordre. A la bataille de Pharsale nous voyons que Pompée, de beaucoup supérieur en cavalerie, joignit ensemble quatre turmes, & forma ses escadrons de quinze cavaliers de front sur huit de hauteur ; ce qui obligea César, qui n'avoit que trente-trois turmes, chacune de trente hommes, de les ranger sur dix de front & trois de hauteur, suivant l'usage ordinaire.

L'usage de ne faire combattre la cavalerie que sur un seul rang, a duré long-tems en Europe dans les premiers tems de notre monarchie ; l'espece de cavalerie, les armes offensives & défensives exigeoient cet ordre : il a duré jusqu'au milieu du regne d'Henri II. qui voyant les files de gendarmerie aisément renversées par les escadrons de lances & par ceux de reistres que l'empereur Charles V. avoit créés, donna à notre cavalerie la forme quarrée, mais avec une excessive profondeur. Cet usage, bien que sujet à mille inconvéniens, a subsisté en Europe depuis Henri II. jusqu'à Henri IV. sous lequel les escadrons de dix rangs qu'ils avoient auparavant furent réduits à huit, puis à six rangs. Alors les compagnies formoient autant d'escadrons ; elles étoient de quatre cent maîtres, & les capitaines qui vouloient combattre à la tête de leur compagnie, ne vouloient pas partager le commandement en la partageant : mais ces compagnies ayant depuis été mises à deux cent hommes, les escadrons eurent moins de front & moins de profondeur ; ils étoient encore trop lourds, & ne furent réduits à la proportion la plus convenable, que lorsqu'on les enrégimenta sous Louis XIII. en 1635. On les disposa sous trois ou quatre rangs de quarante ou de cinquante maîtres chacun ; c'est-là l'ordre que notre cavalerie observe encore aujourd'hui, & c'est en effet celui que l'expérience a prouvé être le meilleur. Les officiers les plus expérimentés estiment que l'escadron de cavalerie sur trois rangs, à quarante-huit maîtres chacun, est préférable à tout autre, étant le plus juste dans ses proportions ; celui de cent vingt, à quarante maîtres par rangs, peut être bon quand les compagnies sont foibles, parce qu'il comporte huit divisions égales : l'autre peut être divisé en seize.

Quelques personnes cependant se sont élevées contre la méthode de former nos escadrons sur trois rangs, & ont soûtenu qu'il seroit plus avantageux de leur en donner un quatrieme : quoique leur système puisse être appuyé de l'autorité des Gustaves & des Turennes, qui donnoient à leurs escadrons quatre, quelquefois même jusqu'à cinq rangs de profondeur, il faut croire que si l'usage de faire combattre les escadrons sur trois rangs n'étoit pas effectivement le meilleur, l'Europe entiere ne l'auroit pas adopté, ou ne l'eût pas au moins toûjours conservé depuis.

D'autres au contraire trouvent encore trop de profondeur aux escadrons disposés sur trois rangs, & prétendent que l'ordre des escadrons en bataille sur deux rangs est le plus avantageux à la cavalerie. Ceux qui sont prévenus de ce sentiment le soûtiennent, parce que l'ancienne cavalerie & la gendarmerie, qui ont fait si long-tems la principale force des armées de France, alloient à l'ennemi sur un seul rang. Mais que conclure de-là ? Dans ces tems reculés aucun peuple ne formoit sa cavalerie en escadrons, les ennemis n'avoient alors à cet égard aucun avantage sur nous ; d'ailleurs cette cavalerie étoit composée de l'élite de la noblesse françoise, hommes & chevaux étoient couverts d'une armure qui les rendoit presque invulnérables, & qui auroit donné une excessive pesanteur à des escadrons ainsi composés : leur arme offensive étoit la lance, qui ne permettoit pas non plus qu'ils combattissent en escadrons. N'auroit-ce pas été perdre sans nécessité d'excellens champions, que de doubler de pareils rangs ? D'ailleurs on sait que cette cavalerie fut toûjours battue lorsqu'elle eut à faire contre une autre disposée sur plusieurs rangs de hauteur.

La maison du roi combat sur trois rangs : comparable sans doute à tous égards à cette ancienne cavalerie, elle lui est de beaucoup supérieure pour la discipline ; & s'il y avoit un avantage réel de combattre sur deux rangs, il est aisé de penser que cet usage eût été établi dans ce corps, à qui une longue expérience a appris à toûjours vaincre, & dont deux rangs paroissent suffire pour cela. Le premier des trois rangs dans les escadrons des gardes-du-corps est composé entierement d'officiers ; & quand il ne s'en trouve pas suffisamment pour le complete r, on y admet les gardes qu'on nomme Carabiniers.

Si l'on veut comparer notre cavalerie avec la maison du roi, on se croira forcé de lui donner plûtôt six rangs que trois : ce sont bien les mêmes armes, mais ce ne sont pas les mêmes hommes ni les mêmes chevaux ; la nécessité oblige pendant la guerre d'ajoûter aux bons cavaliers des cavaliers médiocres, & même de mauvais, c'est-à-dire de jeunes gens ou de jeunes chevaux non exercés, dont il n'est pas possible de tirer un grand service. S'il est un moyen de remédier à ces défauts, ce ne peut être qu'en donnant à cette cavalerie la meilleure forme dont elle est susceptible ; elle doit être solide, mais en même tems facile à mouvoir : & pour cela il faut que la hauteur de l'escadron soit proportionnée à sa longueur, de maniere qu'il n'occupe ni trop ni trop peu de terrein. La disposition de l'escadron sur trois rangs est sans contredit la plus propre à réunir ces avantages : on espere le démontrer, en supposant toûjours que les escadrons doivent être de cent vingt à cent quarante-quatre hommes ; car s'ils étoient de cent & au-dessous de ce nombre, il seroit nécessaire de ne leur donner que deux rangs.

Le terrein qui dans un champ de bataille contient la cavalerie en escadrons disposés sur trois rangs, est déjà d'une étendue très-considérable. Si on ne donnoit plus que deux rangs à ces escadrons, on seroit obligé de prolonger la ligne d'un tiers ; cela est évident.

Qui ne voit d'un premier coup-d'oeil combien une pareille disposition entraîne de difficulté ? car enfin quand il seroit possible de trouver pour toutes les occasions des plaines assez vastes pour former sur deux rangs deux lignes de cinquante escadrons chacune (nombre aujourd'hui le plus ordinaire dans les armées), que d'inconvéniens ne résulte-t-il pas de la trop grande étendue d'un champ de bataille, où le général ne pouvant juger de tout par lui-même, ne sauroit donner des ordres à propos (a) ? Les secours arrivent trop tard, les momens sont précieux à la guerre ; & d'ailleurs quelle apparence que des aîles composées d'escadrons formés sur deux rangs puissent tenir contre le choc d'autres escadrons plus forts d'un rang ? Ce sont les aîles qui, comme on sait, décident presque toûjours du sort des batailles ; dénuée de leur secours, l'infanterie est bien-tôt prise tout-à-la-fois en flanc & en queue par la cavalerie ennemie, & de front par l'infanterie ; on ne sauroit donc trop rapprocher des yeux du général la cavalerie ; & la meilleure maniere de le faire, est d'en former les escadrons sur trois rangs ; le poste qu'elle occupe n'en est déjà que trop éloigné : d'ailleurs ses combats sont vifs, de peu de durée, & presque toûjours décisifs. Le général seul par sa présence est en état de parer à mille accidens que toute la prudence humaine n'auroit pû prévoir.

La trop grande étendue d'un escadron rend sa marche flottante & inégale ; ses mouvemens sont moins legers & plus difficiles ; il est fort à craindre qu'il ne s'ouvre ou qu'il ne creve par quelque endroit ; alors un tel escadron est vaincu avant que d'avoir combattu. Sa véritable force consiste à être également serré de toutes parts, mais sans gêne ; l'union en doit être parfaite : car, comme le remarque Montecuculli, " tout l'avantage à la guerre consiste à former un corps solide, si ferme & si impénétrable, qu'en quelque endroit qu'il soit ou qu'il aille, il y arrête l'ennemi comme un bastion mobile, & se défende par lui-même ".

Les mouvemens de l'escadron sur deux rangs ne peuvent être que fort lents & fort difficiles à exécuter ; il ne faut pour l'arrêter, ou au moins pour retarder considérablement sa marche, qu'un fossé, un ravin, une haie, une hauteur ou un ruisseau, qui se rencontrent sur sa route ; plus l'espace de terrein qu'il doit parcourir sera étendue, & plus il y a lieu de présumer qu'il trouvera de ces obstacles à vaincre ; obstacles bien moins à craindre pour l'escadron sur trois rangs, qui peut plus aisément les éviter ou les vaincre par le peu d'étendue de son front.

Dans l'escadron sur trois rangs, le premier de ces rangs est composé de l'élite de toute la troupe ; ce ne sont que des officiers, des brigadiers, des carabiniers, ou au moins les anciens cavaliers, dont les exercices, la valeur & l'expérience sont garants de leur conduite ; elle sert d'exemple, & pique d'émulation les deux rangs qui suivent. Dans l'escadron ordonné sur deux rangs, ils sont l'un & l'autre d'un tiers plus nombreux ; & il est impossible que le premier rang de celui-ci soit aussi-bien composé que le premier rang de l'escadron sur trois ; on sera forcé d'y admettre des hommes de recrues qui n'auront point été exercés, des chevaux neufs, ou des chevaux rétifs, qui n'étant point faits au bruit de la guerre, rompront infailliblement l'escadron. Les officiers d'ailleurs

(a) Melius est post aciem plur a servare praesidia quam latius militem spargere. Veget. lib. III. cap. xxvj.

dans un escadron sur deux rangs seroient trop éloignés les uns des autres ; & ce seroit perdre un des avantages les plus considérables des escadrons françois sur ceux de leurs ennemis, dont le nombre des officiers est moins grand, mais qui placés sur un front plus étroit & plus convenable, deviendroient à proportion plus forts que le nôtre, dispersés sur un front trop étendu.

Si le premier rang de l'escadron qui n'en a que deux, est une fois entamé, peut-on présumer que le second composé de ce qu'il y a de moindre en hommes & en chevaux, puisse opposer une grande résistance ? il n'en est pas ainsi de l'escadron sur trois rangs, les vuides du premier sont remplis par les cavaliers du second ; & ce qui manque à celui-ci se prend dans le troisieme rang.

On peut encore se procurer d'autres grands avantages d'un troisieme rang, en ne le faisant pas participer au choc, & le faisant rester un peu derriere les deux premiers ; il sert en ce cas à fixer un point de ralliement ; & ce dernier objet mérite une grande considération, puisqu'un escadron, comme l'on sait, lorsqu'il est une fois rompu, ne se rallie qu'avec beaucoup de peine. Ce troisieme rang peut encore dans le même cas se rompre à droite & à gauche, par le centre, & se porter sur les flancs & les derrieres de l'escadron ennemi, ou s'opposer à de pareilles petites troupes qu'il détacheroit pour la même opération.

Les seuls avantages que présente l'escadron sur deux rangs, c'est que plus de gens y combattent à la fois, & qu'il peut espérer de déborder celui de l'ennemi par la plus grande étendue de son front, sans craindre d'être débordé lui-même ; mais ces avantages, à les examiner de près, ne sont point si réels qu'ils paroissent ; car enfin on veut qu'il embrasse, & que même il déborde le front de l'escadron qui lui est opposé : mais que deviendra son centre attaqué par un ennemi, dont l'escadron plus leger dirigeant toute son action dans cette partie, l'aura infailliblement ouvert, avant qu'il ait eu le tems de courber ses flancs ? que lui servira-t-il alors d'avoir débordé l'ennemi, & que deviendront ses aîles débordantes après la déroute de leur centre ? Ces prétendus avantages ne séduisent jamais que les gens accoûtumés à juger des choses sur les apparences & dans le cabinet ; pour les gens du métier que l'habitude continuelle des exercices rend seuls juges compétens de cette matiere, ils ne s'y laisseront point surprendre ; ils pensent tous que de toutes les formes à donner à un escadron de cavalerie, celle des trois rangs à quarante-huit cavaliers est sans contredit la meilleure. On ne doit cependant pas pour cela négliger d'exercer les escadrons de cavalerie sur deux rangs ; car comme dans cet ordre ils sont plus difficiles à manier, cette méthode rendra plus aisée les évolutions de l'escadron sur trois rangs. L'intention du Roi expliquée par l'instruction du 14 Mai 1754, est que toute la cavalerie soit exercée, tantôt sur deux rangs, tantôt sur trois, & qu'elle sache combattre de ces deux manieres.

Tout ce qui vient d'être dit touchant l'obligation de former les escadrons sur trois rangs, ne doit cependant s'entendre que de ceux qui auront un front assez étendu, c'est-à-dire de quarante ou de quarante-huit maîtres ; car pour ceux qui ne pourroient avoir que trente-deux cavaliers de front, il faut, pour qu'ils ayent une juste proportion, qu'ils soient sur deux rangs de quarante-huit chacun.

Aujourd'hui, suivant l'instruction du 14 Mai 1754, les escadrons de cavalerie se forment sur deux ou trois rangs, à proportion de la force des compagnies, & comme l'ordonne celui qui commande. Ils sont chacun de quatre compagnies : la premiere d'un régiment composé de douze compagnies faisant trois escadrons, forme la droite du premier escadron ; la seconde, la droite du second ; & la troisieme, celle du troisieme ; la quatrieme prend la gauche du premier escadron ; la cinquieme, celle du second, & la sixieme, celle du troisieme : la septieme se met à la gauche de la premiere compagnie au premier escadron ; la huitieme à la gauche de la deuxieme au second escadron, & la neuvieme à la gauche de la troisieme au troisieme escadron ; la dixieme se place entre la septieme & la quatrieme ; la onzieme entre la huitieme & la cinquieme, enfin la douzieme entre la neuvieme & la sixieme.

Quand le régiment est plus fort ou plus foible, on suit le même ordre, en plaçant alternativement les compagnies suivant leur ancienneté (b) dans chaque escadron. Le commandant de chaque escadron se tient seul en avant du premier rang vis-à-vis le centre, entre la troisieme & la quatrieme compagnie de l'escadron ; en suivant l'ordre ci-dessus, le commandant du premier escadron est en avant de l'intervalle entre la septieme & la dixieme compagnie du régiment, & ainsi dans les autres.

Les majors & aides-majors n'ont point de place fixe ; ils se divisent & se tiennent à portée des commandans, pour recevoir leurs ordres.

Les capitaines & lieutenans sont dans le premier rang : savoir les deux capitaines des compagnies de la droite à la droite de leur compagnie, & les deux de la gauche à la gauche ; les deux lieutenans des compagnies de la droite à la gauche de leur compagnie, & ceux de la gauche à la droite ; les uns & les autres sont couverts sur la droite de deux brigadiers, & sur la gauche de deux carabiniers, ceux-ci devant fermer les gauches des premiers rangs de chaque compagnie.

Les maréchaux-des-logis se tiennent en serre-file derriere le centre du dernier rang.

Les deux étendards se placent au premier rang à la cinquieme file, lorsque l'escadron est sur trois rangs ; mais s'il est sur deux, on le met à la septieme.

Les quatre trompettes sont sur un rang à la droite de l'escadron, & les timbales derriere les trompettes du premier escadron.

(b) Le régiment Colonel général a depuis la paix douze compagnies ; celui de Royal des carabiniers en a quarante, & chacun des autres en a huit. Ce nombre augmente à la guerre.

A l'égard des escadrons de dragons, hussards, & des autres troupes legeres, leur maniere de combattre étant différente de celle de la cavalerie, chacun de leur rang formant autant de troupes détachées, pour entretenir le combat, & pouvoir attaquer de toutes parts ; il seroit fort bon qu'ils fussent plûtôt sur quatre rangs que sur trois.

Il faut de plus que ces rangs soient également mêlés d'anciens & de nouveaux, contre ce qui se pratique dans la cavalerie, dont le premier rang est toûjours composé des meilleurs & plus anciens cavaliers.

Auteurs qui ont écrit, particulierement sur la cavalerie.

Georges Basta, le gouvernement de la cavalerie legere. A Rouen, 1616. in-folio.

Jean Jacques de Wallhauzen, art militaire à cheval. Zutphen, 1620, in-folio.

Hermannus Hugo, de militiâ equestri antiquâ & novâ. Antuerpiae, 1630.

Lecocque-Madeleine, service de la cavalerie. Paris, in -12. 1720.

De Langais, devoir des officiers de cavalerie. Paris, 1725. in -12.

Cet article est de M. D'AUTHVILLE, Commandant de bataillon, qui se propose de faire imprimer incessamment des mémoires qui auront pour titre, essai sur la cavalerie. Voyez EQUITATION.


ESCADRONNERv. n. c'est dans l'Art militaire faire les différentes évolutions qui appartiennent à la cavalerie. Voyez EVOLUTIONS. (Q)


ESCAETESS. m. (Jurisprud.) sont des héritages & des rentes non nobles qui proviennent de la succession des prédécesseurs de ceux auxquels ils appartiennent. Voyez l'ancien style de la coût. de Norm. tit. des successions, page 301. édit. de 1552. (A)


ESCALADES. f. c'est dans l'art militaire l'attaque d'un lieu ou d'un ouvrage par surprise, en franchissant les murs ou les remparts avec des échelles.

La méthode de s'emparer des villes par l'escalade étoit bien plus commune avant l'invention de la poudre qu'aujourd'hui : aussi les anciens, pour s'en garantir, prenoient-ils les plus grandes précautions. Ils ne terrassoient point leurs murailles, & ils les élevoient beaucoup, ensorte que non-seulement il étoit besoin d'échelles pour monter dessus, mais encore pour en descendre dans la ville. Les tours dont la muraille étoit flanquée étoient encore plus élevées que la muraille, & l'espece de petit chemin qu'il y avoit du côté intérieur de cette muraille, & sur lequel étoient placés les soldats qui défendoient la ville, étoit coupé vis-à-vis de ces tours, ensorte que l'ennemi, pour être parvenu au haut de la muraille, n'étoit pour ainsi dire encore maître de rien. Cependant, malgré ces difficultés, les escalades s'entreprenoient souvent. Il y a apparence que la longueur du tems qu'il falloit employer pour faire breche au mur de la ville, faisoit prendre ce parti, & que le canon pouvant faire une ouverture au mur assez promtement, on a insensiblement, pour ainsi dire, perdu l'usage de s'emparer des villes par l'escalade.

Il se peut bien aussi que la disposition de nos fortifications modernes y ait contribué : les anciens n'ayant point de dehors, on pouvoit s'approcher tout d'un coup du bord de leur fossé, descendre dedans, & appliquer des échelles le long du mur. Nos dehors ne permettent pas un si facile accès au corps de la place : cependant lorsque le fossé est sec, comme il faut communément qu'il le soit dans les escalades, il ne seroit pas impossible, si la place n'avoit pour tout dehors que des demi-lunes & son chemin couvert, de parvenir à l'escalader, sur-tout si la garnison en étoit foible ; car ces sortes d'entreprises ne peuvent guere réussir contre une garnison nombreuse, en état de bien garnir ses postes & de les bien défendre : mais quand on supposeroit trop de difficultés pour y réussir dans nos villes fortifiées à la moderne, il se trouve souvent dans les pays où l'on fait la guerre, des villes qui ne sont entourées que de murailles terrassées, & devant lesquelles il n'y a qu'un simple fossé. Contre ces sortes de villes l'escalade pourroit s'employer & réussir heureusement, comme elle a réussi à Prague au mois de Décembre 1741.

Pour bien réussir dans l'escalade d'une ville, il faut d'abord une connoissance parfaite de la place & de ses fortifications, afin de se déterminer sur le côté le plus facile à escalader & le plus négligé par l'ennemi.

Il faut avoir provision d'un grand nombre d'échelles, afin de pouvoir faire monter un plus grand nombre de gens en même tems ; être munis de pétards, pour s'en servir pour rompre les portes & donner entrée aux troupes commandées pour soûtenir l'entreprise.

Pour trouver moins d'obstacle de la part de l'ennemi, il faut le surprendre : un ennemi qui seroit sur ses gardes à cet égard seroit bien plus difficile à être forcé, parce qu'il est aisé de se défendre contre l'escalade lorsqu'on est prévenu.

Mais dans le trouble que cause d'abord son exécution inattendue, l'ennemi ne pense pas à tout, ou du moins il ne peut parer à tout. On l'attaque de tous côtés afin qu'il partage ses forces : il ne lui est pas facile de démêler parmi les attaques, quelles sont les fausses & quelles sont les véritables ; il est donc obligé de soûtenir également tous ses postes, & pendant qu'il est occupé d'un côté, on entre dans la place par un autre.

Il est donc essentiel de cacher à l'ennemi le dessein de l'entreprise que l'on médite contre lui : pour cela il faut qu'il ne soit pas instruit de la construction des échelles nécessaires en pareil cas ; & s'il ne s'en trouve pas un nombre suffisant dans les magasins, il faut en faire construire secrettement.

On peut faire des échelles qui se démontent, c'est-à-dire composées de plusieurs parties ; elles se transportent beaucoup plus facilement : on s'en servit de cette espece pour l'escalade de Geneve en 1602.

Lorsque tout est préparé pour l'entreprise, & qu'il ne s'agit plus que d'aller l'exécuter, on prend la quantité de monde dont on juge avoir besoin, tant en infanterie qu'en cavalerie. La cavalerie peut servir à charger l'ennemi assemblé dans les différentes places de la ville, lorsqu'on lui en a donné l'entrée, à le dissiper promtement, & à favoriser la retraite, si l'on est dans l'obligation de se retirer, & s'il y a des plaines à passer dans la retraite. On mene aussi des serruriers & des charpentiers avec soi, pour s'en servir suivant le besoin & l'occasion.

On dirige la marche de maniere qu'on arrive devant la ville une ou deux heures avant le jour, & l'on ne néglige aucune attention pour que l'ennemi n'en puisse être informé de personne. S'il se rencontre quelqu'un en chemin il faut l'arrêter, & arriver devant la place avec le plus grand silence. Comme on doit être informé des chemins que l'on a à tenir, des défilés qu'il faut passer, on est en état de juger du tems que pourra durer la marche : il est important d'en faire le calcul exact ; car il pourroit arriver que l'armée étant trop long-tems en marche, arriveroit trop-tard devant la place pour commencer l'attaque avant le jour ; auquel cas, à moins d'une grande supériorité, il faudroit prendre le parti de s'en retourner. Il arrive quelquefois, suivant la situation des lieux, qu'on fait arriver les troupes devant la place par différens chemins ; en ce cas la marche est moins longue & moins embarrassante : mais les officiers qui conduisent chaque corps ne doivent pour aucune circonstance particuliere retarder leur marche, afin d'arriver devant la place à l'heure qui leur aura été indiquée, & que les différentes attaques commencent toutes en même tems, ou aux heures dont on sera convenu ; car il est quelquefois à propos, sur-tout lorsque la ville est fort grande, de les commencer successivement. La premiere attaque attire d'abord toute l'attention de l'ennemi, qui s'y porte promtement ; la seconde l'oblige de partager son attention ; & lorsque les premieres attaques, qui ordinairement sont fausses, ont attiré la plus grande partie de la garnison, on commence la véritable, dans laquelle on doit trouver moins de résistance.

On voiture les échelles sur des chariots devant la place ; ces chariots sont précédés de la plus grande partie des troupes destinées à cette expédition, lesquelles sont aussi précédées de quelques compagnies de grenadiers qui font leur avant-garde.

Etant arrivé auprès de la ville on s'y met en bataille, toûjours dans un grand silence ; on distribue les échelles aux premiers soldats qui doivent commencer l'escalade, & qui doivent être les plus braves & les plus vigoureux de la troupe.

On partage les troupes de l'attaque en plusieurs petits corps, comme de 100 ou 120 hommes commandés par leurs officiers, & l'on s'avance auprès de la place. S'il y a un chemin couvert, on se sert des serruriers pour en faire sauter les barrieres avec le moins de bruit qu'il soit possible. Les troupes, après y être entrées, cherchent à descendre dans le fossé ; les soldats qui ont des échelles s'en servent, supposé qu'il soit profond & revêtu, & qu'on ne puisse pas se glisser le long de son talud, ce qui est d'une bien plus promte expédition, & les autres y descendent par les degrés ou escaliers que l'on pratique ordinairement aux arrondissemens de la contrescarpe & à ses angles rentrans.

Dès que l'on est descendu dans le fossé, on applique avec la plus grande diligence les échelles contre le rempart ou son revêtement, & on se hâte de monter promtement sur le rempart, sans confusion & sans trop charger les échelles : lorsqu'il y a un corps de 100 ou 150 hommes de montés, on fait venir les serruriers & les charpentiers pour rompre la porte la plus prochaine. A mesure que les troupes montent sur le rempart on les range en bataille ; & si l'ennemi se présente, on le charge vigoureusement la bayonnette au bout du fusil, sans tirer, pour ne point donner une trop forte allarme aux corps-de-garde voisins : quand on est en assez grand nombre sur le rempart, & que l'on a fait ouvrir une porte pour faire entrer dans la ville les troupes du dehors, on s'étend tout le long du rempart pour s'en rendre solidement le maître, & ensuite on se joint avec le corps qui est entré par la porte, pour charger l'ennemi dans tous les lieux de la ville où il peut se retirer. Si lorsqu'il n'y a encore qu'un petit nombre d'hommes de montés sur le rempart, l'ennemi venoit pour les charger, ils se défendroient du mieux qu'ils pourroient contre lui, en se faisant un rempart des différentes choses qu'on peut trouver sur le rempart, comme des branches des arbres qui sont communément dessus ; & s'en faisant une espece de retranchement, derriere lequel on se tient jusqu'à ce qu'il soit monté sur le rempart un nombre d'hommes suffisant pour charger l'ennemi & le dissiper.

Si l'ennemi est exact à faire ses rondes, qu'il s'apperçoive que les troupes sont dans le fossé & prêtes à monter, qu'il fasse tirer les sentinelles pour donner l'allarme à la ville, on ne laissera pas de monter promtement. Comme il faut toûjours quelque espace de tems pour qu'il vienne du secours, on peut en profiter pour monter sur le rempart, en assez grand nombre pour s'y soûtenir contre les troupes de garde, qui sont les premieres qui peuvent se présenter sur le rempart pour en défendre l'accès.

S'il y a un château ou une citadelle dans la ville qui soit, comme il est d'usage, partie dans la ville & partie dans la campagne, il faudra y donner l'escalade en même tems qu'à la ville, afin que l'ennemi n'y trouve point de retraite, & que pressé de tous côtés, il soit dans la nécessité de se rendre.

Le tems le plus favorable pour surprendre les villes dont le fossé est plein d'eau, est l'hyver pendant une forte gelée : on peut franchir aisément le fossé en passant sur la glace, & monter sur le rempart, le pié des échelles étant posé sur la glace du fossé. Un gouverneur attentif a soin, dans les gelées, de faire rompre tous les jours la glace de ses fossés : mais il peut s'en trouver qui négligent cette attention ; & d'ailleurs ceux qui sont chargés de l'exécution peuvent la faire avec tant de négligence, qu'il soit encore possible de se servir de la glace pour planter les échelles au pié du rempart, & pour franchir le fossé. C'est à ceux qui se chargent de ces sortes d'entreprises de bien faire observer la conduite du gouverneur & celle de ceux qu'il charge de l'exécution de ses ordres, pour voir la maniere dont ils l'exécutent, & pour prendre leur parti en conséquence. Elémens de la guerre des siéges, II. vol.

A l'égard des précautions à prendre contre les escalades, elles consistent à avoir continuellement aussi de petits partis dans les environs de la place, pour être par eux instruit des démarches de l'ennemi, & faire des rondes continuelles pendant la nuit, pour que personne n'entre dans le fossé de la place sans qu'on en soit informé. On peut aussi pratiquer une cuvette dans le fossé, planter des palissades à quelque distance du mur pour empêcher l'ennemi d'y appliquer ses échelles, garnir les flancs des bastions de pieces de canon chargées à cartouche avec des balles d'un quarteron, ou de la ferraille, pour tirer sur ceux qui voudroient escalader la place vis-à-vis les courtines ; mettre dans les corps-de-garde à portée du rempart, des halebardes, des faulx emmanchées de revers, & toutes autres sortes d'armes propres à donner sur l'ennemi lorsqu'il paroît au haut de l'échelle, & à le pousser dans le fossé ; garnir le rempart d'une grande quantité de poutres cylindriques, pour les faire rouler sur les échelles & sur ceux qui sont dessus ; & si la garnison ne se trouve pas en assez grand nombre pour pouvoir occuper tout le rempart, on doit attacher sur la partie supérieure du parapet des chevaux de frise, ou autre chose qui puisse empêcher l'ennemi de passer par-dessus pour sauter sur le rempart. Le rempart doit aussi être garni de bombes & de grenades toutes chargées, pour faire rouler dans le fossé sur l'ennemi. On doit aussi avoir des artifices préparés pour jetter sur lui, comme fascines gaudronnées, barrils foudroyans, pots à feu, &c. & jetter aussi dans le fossé une grande quantité de balles à feu pour l'éclairer, & que le canon de la place puisse faire un grand effet sur les troupes qui sont dedans. On peut encore garnir aussi le fossé de chausses-trapes, de petits fossés couverts de claies & de terre, pour que l'ennemi ne s'en apperçoive point, & qu'il tombe dedans : il peut y avoir au milieu de ces petits fossés une palissade, ou plûtôt quelques longues pointes de fer disposées de maniere à enferrer ceux qui y tomberont, &c. (Q)

ESCALADE DES TITANS, grande & belle machine du prologue de Nais, dont on trouvera la figure & la description dans un des volumes des Planches gravées. (B)


ESCALES. f. (Commerce) On nomme ainsi, sur les côtes d'Afrique, ce qu'on appelle une échelle dans le Levant, c'est-à-dire un lieu de commerce où les marchands negres viennent apporter leurs marchandises aux Européens : on le dit aussi des endroits où les Européens vont faire la traite avec eux.

Au Senegal il y a quantité de ces escales le long de la grande riviere & de la riviere du Morphil, les unes à trente lieues, les autres jusqu'à cent lieues & davantage de l'habitation des François.

On nomme aussi escales sur l'Océan les ports où abordent les navires pendant leurs voyages, soit pour rafraîchissement & autres choses nécessaires, soit pour y décharger partie de leur fret, ou pour recevoir des marchandises dans leur bord.

Les escales en France pour Terre-Neuve sont Oleron, Broüage & la Rochelle, c'est-à-dire celles où les navires se fournissent ordinairement de sel, & souvent de biscuit, pour leur pêche.

Faire escaler, c'est entrer dans un port pour s'y rafraîchir, ou y prendre ou décharger des marchandises en passant. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)


ESCALETTou ECHELETTE, s. f. (Manuf. en soie) c'est un parallelepipede de bois bien équarri, où l'on a pratiqué cinquante coches, & chaque coche capable de renfermer huit cordes de semple ; il est de la largeur juste de la feuille du dessein, qui contient cinquante dixaines pour les métiers ordinaires de quatre cent cordes. L'escalette sert pour la lecture du dessein. Voyez l'escalette dans nos Planches de soyerie.

ESCALETTE, (Rubanier) espece de peigne de bois, servant à mettre les soies en largeur sur les ensuples lors du ployage. On verra dans nos Planches de Rubanerie, l'escalette toute ajustée ; les soies arrangées dans sa denture, & prêtes à être ployées sur l'ensuple ; l'escalette garnie de ses dents de fil-de-fer ; les deux petits montans des bouts terminés en tenons pour entrer dans les mortaises du dessus, & les trous du dessus pour recevoir les petites chevillettes, qui tiendront ces deux pieces unies ensemble. Voici l'usage de l'escalette ; on met une plus grande ou plus petite quantité des fils de la chaîne (ordinairement c'est une portée, quand on a un encroix par portée) dans chacune de ses dents, suivant la largeur que l'on veut donner au ployage ; ensuite le ployeur faisant agir le bâton à tourner de la main droite (voyez BATON A TOURNER), il conduit de la gauche l'escalette, ce qui sert à arranger les soies de la chaîne uniment & également sur l'ensuple, qui doit les porter jusqu'à la fin de l'ouvrage ; il conduit, dis-je, l'escalette, mais doucement, en tournant de tems en tems l'escalette devers lui, pour que les soies s'enroulent en plus petite, ensuite en plus grande largeur ; ce qui s'exécute, afin que ces mêmes soies ne se trouvent point emmoncelées toutes en un tas, & sujettes par-là à ébouler, ce qui mettroit une confusion très-nuisible sur l'ensuple ; confusion qu'il faut toûjours éviter dans ce métier, d'ailleurs assez confus.


ESCALIERDEGRé, MONTÉE, synonymes : ces trois mots désignent la même chose, c'est-à-dire cette partie d'une maison qui sert par plusieurs marches à monter aux divers étages d'un bâtiment, & à en descendre. Mais escalier est aujourd'hui devenu le seul terme d'usage. Degré ne se dit plus que par les bourgeois, & montée par le petit peuple. Degré s'employoit dans le dernier siecle, pour signifier chaque marche d'un escalier, & le mot de marche étoit uniquement consacré pour les autels. Nous aurions peut-être bien fait de conserver ces termes distinctifs, qui contribuent toûjours à enrichir une langue. Article de M(D.J.)

ESCALIER, du latin scalae, montées ; c'est, dans un bâtiment, une piece dans laquelle sont pratiqués des degrés ou marches, pour monter & descendre aux différens étages élevés les uns au-dessus des autres. Ces degrés se font de marbre, de pierre, de bois, selon l'importance de l'édifice, & se soûtiennent en l'air par différentes especes de voûtes, dont la poussée est retenue par les murs qui forment la cage de l'escalier.

Il se fait de plusieurs sortes d'escaliers ; savoir à trois rampes, comme celui des Tuileries construit en pierre (voyez celui du plan, faisant partie de la distribution d'un palais, dans les Planches d'Architect.) ; à deux rampes, comme celui de Saint-Cloud, de marbre ; à une seule rampe, tels que le sont la plûpart de ceux de nos hôtels à Paris, & que l'on appelle, selon la diversité de leur figure & de leur construction, escaliers triangulaires, cintrés, à jour, sphériques, suspendus, à vis saint-Gille, en arc de cloître, &c.

La situation des escaliers, leur grandeur, leur forme, la maniere de les éclairer, leur décoration, & leur construction, sont autant de considérations importantes à observer pour parvenir à les rendre commodes, solides, & agréables.

De leur situation. Anciennement on plaçoit les escaliers hors oeuvre du bâtiment ; ensuite on les a placés dans l'intérieur & au milieu de l'édifice, tels qu'on le voit encore aujourd'hui au palais du Luxembourg ; à présent on les place à côté du vestibule, ainsi qu'on le remarque au château des Tuileries ; ayant reconnu que les escaliers placés dans le milieu du bâtiment, masquoient l'enfilade de la cour avec celle des jardins. Plusieurs architectes regardent comme arbitraire de placer les escaliers à la droite ou à la gauche du vestibule ; cependant il faut convenir que la premiere situation est plus convenable, parce qu'il semble que nos besoins nous portent plus volontiers à chercher à droite ce qui nous est propre : néanmoins il y a des circonstances où l'on peut s'écarter de cette regle, lorsque par rapport à l'exposition & à la diversité des aspects d'un bâtiment, il paroît nécessaire de placer à droite les appartemens de société pour joüir d'un point de vûe, qui très-souvent dans une maison de plaisance ne se rencontre que de ce côté ; autrement on ne peut trop insister, soit préjugé, soit habitude, sur la nécessité de placer les escaliers comme nous le recommandons, & de les situer de maniere qu'ils s'annoncent dès l'entrée du vestibule. Voyez VESTIBULE.

De la grandeur des escaliers. La grandeur des escaliers en général dépend de l'étendue du bâtiment, & du diametre des pieces. Rien n'est plus contraire à la convenance, que de pratiquer un escalier principal trop petit pour monter à des appartemens spacieux, ou d'en ériger un trop grand dans une maison particuliere. Par la grandeur d'un escalier, on doit entendre l'espace qu'occupe sa cage, la longueur de ses marches, & le vuide que l'on observe entre ses murs d'échiffre ; car il est bon de savoir que dans tous les genres d'escalier destinés à l'usage des maîtres, la hauteur des marches, leur giron, & celle des appuis des balustrades, des rampes, doivent par-tout être les mêmes. L'on entend encore par la grandeur d'un escalier, non-seulement la surface qu'il occupe, mais aussi son élévation qui n'est jamais moins que de deux étages, & souvent beaucoup plus, ce qu'il faut éviter néanmoins ; il est mieux de pratiquer un escalier particulier pour monter aux étages supérieurs, aux combles, aux terrasses, &c. à moins qu'il ne s'agisse d'une maison économique, ou à loyer.

De la différente forme des escaliers. La forme des escaliers est aussi diverse que celle des bâtimens. Les anciens les faisoient presque tous circulaires ; ensuite on les a fait quadrangulaires ; aujourd'hui on les fait indistinctement de formes variées, selon que la distribution des appartemens, l'inégalité du terrein ou la sujetion des issues semblent l'exiger : il est cependant certain que dans les bâtimens de quelque importance, les formes régulieres doivent avoir la préférence, ces escaliers étant du nombre de ces choses où la simplicité des formes doit prévaloir sur le génie & l'invention ; considération pour laquelle, sans avoir égard aux exemples de nos modernes à ce sujet, on ne peut trop recommander de retenue & de vraisemblance dans la forme & la disposition d'un escalier ; & si quelquefois on se trouve contraint de faire les côtés opposés des murs de cage dissemblables, il faut que cette licence annonce visiblement une nécessité indispensable d'avoir voulu concilier ensemble la distribution des appartemens, la décoration des façades, & en particulier la symmétrie de cette sorte de pieces.

De la maniere la plus convenable d'éclairer les escaliers. Quoiqu'il semble qu'on fasse usage des escaliers autant de nuit que de jour, il n'en est pas moins vrai qu'on doit être attentif à répandre une lumiere égale sur la surface de leur rampe & de leurs paliers ; ce qui n'arrive pas lorsqu'on les éclaire seulement sur l'une de leur face, parce que les rampes qui sont opposées à la lumiere, sont presque toûjours obscures : défaut que l'on remarque dans le plus grand nombre de ceux de nos hôtels à Paris. Pour éviter cet inconvénient, ne conviendroit-il pas de les éclairer en lanterne ? alors la lumiere prolongeroit sur chaque rampe, ce qui rendroit leur usage plus facile, principalement, comme nous l'avons dejà remarqué, lorsque les marches, les paliers, & les rampes, se terminent au premier étage. On a vû pendant longtems le succès de cette lumiere pratiquée ainsi à l'escalier des ambassadeurs à Versailles, qui vient d'être démoli ; & cet exemple devroit servir d'autorité pour tous ceux qui demandent quelque considération : d'ailleurs, il est possible de masquer les lanternes que nous proposons par la hauteur des balustrades extérieures, lorsqu'on ne voudroit pas rendre leur élévation apparente dans les dehors.

De la décoration des escaliers. La convenance ici, comme par-tout ailleurs, doit présider dans la décoration d'un escalier, relativement à la matiere dont il est construit ; on doit user de retenue pour la multiplicité des membres d'architecture, & la prodigalité des ornemens : en général la simplicité doit être de leur ressort, la douceur des rampes, la longueur des marches, la grandeur de leur cage, le rapport de leur dimension, la symmétrie, & l'appareil de la construction, semblent devoir faire tous les frais de leur décoration, afin qu'il se rencontre une progression sensible de richesses entre la magnificence de ces genres de pieces & celle des appartemens, qui chacune séparément doit être décorée selon son usage & sa destination. Les escaliers des bâtimens de Paris qui paroissent décorés le plus convenablement, sont ceux des hôtels de Toulouse, d'Auvergne, de Tiers : ceux des hôtels de Soubise, de Luynes, de Tunis, &c. qu'on s'est apperçu après coup être trop simples, & où l'on a, par un excès opposé, répandu trop de richesse, montrent assez qu'il ne s'agit pas d'avoir pour objet d'imaginer un beau tableau. La vraisemblance doit avoir le pas sur tout ce que le génie le plus fertile peut produire d'élégant ; considération pour laquelle il est essentiel que l'architecte préside à tout ce qui se fait dans un bâtiment, en supposant qu'il ait acquis une connoissance de tous les arts relatifs à l'art de bâtir.

Plus il est nécessaire d'admettre de la magnificence dans un escalier, plus il est essentiel d'éviter que les paliers du premier étage mettent à couvert la premiere rampe du rez-de-chaussée. Rien n'est mieux, en mettant le pié sur la premiere marche, que de découvrir la partie supérieure de la cage & toute la lanterne qui doit l'éclairer ; mais en supposant qu'on ne fasse pas usage de ces lanternes, au moins saut-il éviter les sujets coloriés dans le plafond, ou les calottes qui les terminent. Cet ouvrage de peinture tranche trop sur le revêtissement des murs de cage, qui ordinairement sont tenus de pierre, de plâtre, ou de stuc, ainsi qu'on le remarque à l'escalier de la bibliotheque du roi, & dans plusieurs de nos maisons royales. La sculpture y paroît plus convenable, ou au défaut de celle-ci on doit y peindre des grisailles qui expriment les arcs doubleaux, les nervures, & les compartimens qu'on auroit mis en oeuvre, si cette partie supérieure avoit été voûtée. Et si enfin un sujet colorié peut entrer pour quelque chose dans la décoration d'un escalier, ce ne doit être qu'en supposant que les revêtissemens seront de marbre de couleurs variées, tel qu'étoit celui des ambassadeurs à Versailles, un des beaux ouvrages qui ayent été faits dans ce genre.

De la construction des escaliers. La construction est la partie la plus essentielle d'un escalier : elle consiste dans l'art du trait ; & la beauté de l'appareil ne suffisant pas pour donner aux voûtes une forme trop élégante la magie de l'art doit être mesurée à l'usage des pieces où on le met en oeuvre. Il faut que ceux qui les fréquentent trouvent une sorte de sûreté à les monter & à les descendre, sans pour cela qu'on soit dispensé de donner de la grace aux courbes qui en composent les voûtes. De toutes les pieces d'un appartement, celle dont il est question exige le plus la réunion de la théorie avec la pratique, afin de joindre une solidité réelle & apparente à tout ce qui peut contribuer à rendre son ordonnance agréable. Ici l'art & le métier doivent être un ; l'appareilleur, l'architecte, le décorateur, doivent se montrer partout : en un mot rien de si satisfaisant qu'un bel escalier dans un édifice d'importance ; rien qui montre tant l'insuffisance d'un architecte, lorsque quelques-unes des parties que nous recommandons ici manquent essentiellement dans leur situation, leur forme, leur décoration, & leur construction.

Regle la plus convenable pour constater la hauteur & le giron des marches. Le pas ordinaire d'une personne qui marche de niveau est communément de deux piés ; d'où il paroît que la longueur du pas horisontal est double de celui fait perpendiculairement : or pour la joindre ensemble, il faut que chaque hauteur de marche prise avec son giron compose un pas ordinaire qui égale la longueur de deux piés ; pour cet effet si on ne donne qu'un pouce de hauteur à une marche, il faut lui en donner vingt-deux de largeur ; si la marche a deux pouces de haut, qui valent autant que quatre pouces de large, elle ne doit avoir que vingt pouces de giron ; si elle a trois pouces de hauteur, la largeur doit être de dix-huit ; ainsi de suite. Cette proportion est confirmée par l'expérience, quoiqu'elle ne soit pas toûjours observée dans la plûpart de nos escaliers ; mais du moins faut-il éviter l'inégalité des girons dans les rampes comprises dans une même cage, de même que les ressauts dans les appuis ou balustrades, & ne jamais donner plus de six pouces à la hauteur des marches. Voy. MUR D'ECHIFFRE, GIRON, MARCHE.

On peut aussi renvoyer les amateurs de la piece du bâtiment dont on vient de parler, au célebre Palladio, un de ces hommes rares qui par leur génie & leurs talens travaillerent dans le xvj. siecle avec Trissin, Scamozzi, Bramante, Vignole, & quelques autres, à faire revivre les anciennes beautés de l'Architecture, & à rétablir les regles du bon goût si longtems éclipsées par la barbarie. Palladio est le premier qui ait décrit les choses les plus curieuses que nous ayons sur les ouvertures, la situation, la grandeur, les formes, & la construction des escaliers, & il a joint des desseins à ces descriptions ; ils sont à la suite du premier livre de son ouvrage d'Architecture, qui parut à Rome en 1570, in-folio (P)

ESCALIER, (Hydr.) On pratique dans la construction des cascades des escaliers de pierre, dont la plûpart sont en fer à cheval, avec un bassin qui en occupe le milieu ; quelquefois ces escaliers sont de gason. Voyez ESCALIER DE GASON. (K)

ESCALIER DE GASON, (Jard.) Rien n'est si commode dans les jardins en terrasse, que de fréquens escaliers. On préfere aujourd'hui aux escaliers de pierre ceux de gason ; qui cependant ne conviennent que dans des talus ou glacis, dans des bosquets, dans des vertugadins & amphithéatres de gason.

Autant qu'il est nécessaire de laisser une petite pente sur les girons des marches de pierre, pour faire écouler l'eau qui pourriroit les joints de recouvrement, autant il la faut conserver pour le maintien du gason, en tenant les girons des marches de gason très-droits.

Ces escaliers doivent être doux & peu nombreux en marches de suite, sans y trouver des paliers ou repos. Il les faut tondre au ciseau tous les mois, les battre après la pluie ou l'arrosement ; ce qui entretiendra long-tems leur beauté. (K)

ESCALIER, (Charpente) Il y a des escaliers de différentes sortes. On appelle escalier à noyau recreusé, ou collet rampant, celui qui laisse un jour au milieu de deux limons ; escalier à un noyau, celui qui est comme un vis, & ne laisse aucun jour au milieu ; escalier à deux noyaux, celui qui a un limon entre les deux noyaux, mais sans aucun jour ; escalier à quatre noyaux, celui qui laisse un jour quarré au milieu.


ESCALINS. m. (Comm.) petite monnoie de cours dans la Flandre autrichienne, évaluée à environ 12 sous de notre argent.


ESCAMOTERv. act. en terme de Brodeur au mêtier, c'est faire disparoître les bouts d'or ou de soie, &c. en les tirant de dessus l'ouvrage en dessous. On se sert pour cela d'une aiguille dans laquelle le fil est entré deux fois, & forme un anneau dans lequel se prend le bout, & se passe dessous la piece.


ESCAMOTESS. f. (Comm.) toiles de coton qui se tirent du Levant par la voie de Smirne. Elles se fabriquent à Menemen ; elles portent 30 piés de Smirne, évalués à dix cannes de Marseille.


ESCANDILLONAGES. m. (Jurisprud.) est un droit dû à quelques seigneurs féodaux pour la visite, examen, & étalonnage des poids & mesures. Ce terme vient du mot échantillon, qui étoit quelquefois usité en cette matiere pour étalon, l'échantillon étoit la regle des autres poids & mesures ; d'échantillon on a fait eschanteler, ou eschantiller. La charte des libertés de Mont-Royal de l'an 1287 porte : & si dicatur mensura falsa, vel ulna, ad mensuras vel ulnas eschantillandas vocentur duo vel tres burgenses meliores de villâ, & illi cujus est mesura vel ulna & in praesentiâ eorum eschantilletur, & videatur utrum sit falsa vel non.

Le terme d'échantiller est encore usité à Lyon pour les poids, & signifie confronter un poids avec le poids original. Le reglement du 28 Septembre 1689, ordonne que le fermier du droit de marque sur l'or & sur l'argent sera tenu de se servir dans l'argue de Lyon de poids échantillés sur la matrice du poids de marc étant au greffe de la monnoie de Lyon ; il est visible que de ce mot eschantiller on a fait eschantillonage, pour signifier l'action d'eschantiller & le droit qui se perçoit pour cette opération, & que dans la suite on a prononcé & écrit escandillonage pour eschantillonage. Voyez S. Julien dans son hist. de Châlons, p. 394. la coûtume de Lodunois, tit. de moyenne justice, art. 2. Begat, sur la coût. de Bourgogne, art. 187. Boizard, en son traité des monnoies. Voyez aussi ECHANTILLON, ETALON, MESURES, POIDS. (A)


ESCAPADES. f. (Manége) C'est ainsi que l'on a nommé autrefois & que l'on nomme encore aujourd'hui l'action licentieuse, fougueuse & déreglée d'un cheval, qui se révolte & qui refuse d'obéir & de se soûmettre. Voyez FANTAISIE. (e)


ESCAPEterme d'Architecture. Voyez CONGE.


ESCARBALLE(Comm.) c'est ainsi qu'on appelle les dents d'éléphans du poids de vingt livres & au-dessous.


ESCARBITES. f. (Marine) c'est un morceau de bois creusé d'environ huit pouces de long, sur quatre de large, dans lequel on met de l'étoupe mouillée, pour tremper les ferremens dont se servent les calfats quand ils travaillent. (Q)


ESCARBOTS. m. (Hist. nat. Insectolog.) scarabaeus, stercorarius, pilularius, seu cantharus, insecte du genre des scarabées ; il a le corps large, épais, de couleur noire, luisante, & mêlée d'une teinte de bleu. Il porte deux antennes dont l'extrémité est divisée en plusieurs filets ; ses pattes sont dentelées. On le trouve dans le fumier & dans l'ordure la plus puante ; c'est pourquoi on lui a donné le nom de stercorarius ; & parce qu'il en fait des pelotes avec ses pattes, on l'a appellé pilularius. On le nomme aussi par la même raison fouille-merde. Voyez SCARABEE, INSECTE.

ESCARBOT, (Mat. med. & Pharmacie) L'escarbot, en latin scarabeus, est plus connu chez les apothicaires sous le nom de scarabée, que sous celui d'escarbot. Voyez SCARABEE.

* ESCARBOT, (Myth.) cet insecte fut adoré des Egyptiens. Porphyre dit dans Eusebe, qu'ils sont tous mâles. L'escarbot est dans la table isiaque & dans une infinité d'autres anciens monumens égyptiens. Les Basilidiens ne l'avoient pas oublié dans leurs pierres magiques. Voyez BASILIDIENS.


ESCARBOUCLES. m. (Hist. nat. Litholog.) carbunculus, anthrax, pierre précieuse à laquelle les anciens ont donné ces noms, parce qu'elle ressembloit à un charbon ardent lorsqu'on l'exposoit au soleil. Dans ce sens, toutes les pierres transparentes de couleur rouge, sur-tout le grenat, sont des escarboucles. On s'est imaginé que le vrai escarboucle des anciens brilloit même dans les ténébres autant qu'un charbon ardent ; & comme on n'a point vû de pierre qui eût cette merveilleuse propriété, on a crû que l'escarboucle des anciens étoit perdu ; car on ne peut pas dire que les pierres qui restent lumineuses pendant quelque tems dans les lieux les plus obscurs, y brillent comme des charbons ardens. Il y a tout lieu de croire que l'escarboucle des anciens n'étoit qu'une pierre transparente, de couleur rouge comme le grenat, qui résiste plus qu'une autre à l'action du feu ; c'est encore un caractere que Théophraste attribue à l'escarboucle (I)


ESCARES. f. (Chirurg.) en Grec . On devroit donc écrire eschare, pour conserver l'étymologie, mais l'usage en a autrement décidé.

L'escare est une espece de croûte faite sur la peau par des cauteres actuels & potentiels, ou par toute autre cause externe, comme par le frottement violent, la compression, la ligature, la contusion, la gelée, la brûlure, &c. C'est pourquoi le nom d'escare se donne aux chairs brûlées, meurtries, contuses, & desséchées, que la suppuration détache d'une partie vivante. Voici comme l'escare se forme.

Les cauteres actuels qu'on met en usage pour la produire font une croûte sur la partie à laquelle ils sont appliqués, en échauffant les humeurs, qui venant à se raréfier par l'excessive chaleur qui leur est communiquée, rompent les vaisseaux qui les contiennent, ensorte que leurs molécules les plus subtiles s'exhalant en l'air, la partie demeure en croûte, seche, & privée de nourriture.

Les cauteres potentiels agissent sur la peau par la qualité de leurs sels qui déchirent la tissure des solides : les chairs étant forcées de se desunir par cette action des sels, forment une substance morte, qui ne recevant plus de nourriture, se desseche & s'encroûte.

Dans la brûlure, la partie extérieure des chairs ne peut essuyer l'action du feu, sans que le tissu des solides ne soit totalement altéré. Alors les fibres étant détruites & confondues, ne sont qu'un débris informe qui n'a plus de part à la vie du reste du corps animal ; & cette chair morte ne tenant plus à rien, tombe bientôt d'elle-même, tandis que les fluides sont répandus sous les solides séchés & brûlés, ce qui constitue l'escare. La même chose arrive intérieurement par la causticité d'un venin acre & pestilentiel. Ainsi l'escare peut être produite intérieurement par quelque humeur corrosive, capable de détruire le tissu des chairs en les abreuvant.

L'escare qui naît d'une cause externe, se rétablit en ôtant cette cause ; l'escare qui vient d'une cause interne & maligne, fait des progrès d'une façon cachée, & très-difficile à détruire ; on peut le tenter par les corroborans antiputrides. L'escare qui procede d'un frottement violent, & dont la cause persiste, demande à être traitée comme l'inflammation. Voyez INFLAMMATION, GANGRENE, MORTIFICATION. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ESCARLINGUE(Marine) voyez CARLINGUE.


ESCARMOUCHES. f. en terme de guerre, est une espece de combat sans ordre ou de rencontre, qui se fait en présence des deux armées, entre de petits corps de troupes qui se détachent exprès du corps, & qui engagent un combat général & régulier.

Ce mot semble être formé du mot François escarmouche, qui a la même signification, & que Nicod dérive du Grec , qui signifie en même tems combat & réjoüissance. Menage le fait venir de l'allemand schirmen ou sckermen, se défendre : Ducange dit qu'il vient de scarmuccia, petite action, de scara & muccia, qui signifie un corps de troupes en embuscade ; parce que la plûpart des escarmouches se font par des troupes en embuscade. Chambers, Trev. & Dict. étymol.

Les escarmouches s'engagent quelquefois malgré le général ; souvent aussi elles lui sont utiles pour amuser l'ennemi, & lui cacher quelques dispositions particulieres de l'armée. " Une maxime générale pour les escarmouches, dit M. le marquis de Feuquieres, c'est de les faire engager par peu de troupes, & de les soûtenir avec beaucoup, étant d'une grande conséquence de ne point accoûtumer l'ennemi à ramener impunément ceux par qui on a fait commencer l'escarmouche, qu'il faut toûjours faire soûtenir par un corps plus considérable que celui de l'ennemi ". C'est le terrein qui décide de la nature des troupes que l'on fait escarmoucher : ainsi si le terrein est ouvert & libre, on se sert de cavalerie ; d'infanterie, s'il est fourré ; & s'il est de l'une & l'autre espece, on y employe de la cavalerie & de l'infanterie. On est souvent obligé dans les retraites d'escarmoucher pour arrêter la marche de l'ennemi, & s'opposer aux différens corps de troupes legeres qui veulent harceler l'armée qui se retire. Voy. dans les études militaires de M. Bottée, p. 438, la maniere d'escarmoucher, & les différens mouvemens auxquels on doit exercer le soldat pour lui faire exécuter facilement l'ordre qu'il doit observer en escarmouchant. (Q)


ESCAROTIQUES. m. (Chirurg.) tout médicament qui appliqué extérieurement sur les chairs, y produit des croûtes ou des escares, en brûlant, en rongeant, ou en consumant ces chairs. Un escarotique s'appelle autrement caustique ou cautere. Voyez ces deux mots. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ESCARPES. f. c'est dans la Fortification le côté du revêtement du rempart, qui fait face à la campagne. Voy. REVETEMENT. L'escarpe commence au cordon, & elle se termine au fond du fossé. La ligne qui termine le fossé du côté de la campagne se nomme contrescarpe, parce qu'elle est opposée à l'escarpe. Voyez CONTRESCARPE. (Q)


ESCARPINS. m. (Cordonn.) la plus legere des chaussures d'homme ; c'est un soulier à simple semelle. Voyez SOULIER.


ESCARPOLETTES. f. (Gymn.) exercice de campagne qui consiste à s'asseoir & à se balancer sur une planchette, attachée par ses extrémités, à deux cordes qui se tendent à deux arbres éloignés d'une distance convenable, & qui la tiennent suspendue en l'air à la hauteur qu'on souhaite. Une ou deux personnes entretiennent la planchette en volée, en poussant les cordes, lorsque la planchette est descendue à son point le plus bas, du côté où elle va remonter.


ESCART-DOUCES. f. (Com.) coton qui vient d'Amérique par la voie de Marseille.


ESCARTABLEadj. (Fauconnerie) se dit des oiseaux sujets à s'écarter, tels que sont les plus vétus & les plus coûtumiers de monter en essor, quand le chaud les presse.


ESCARTSou ESCAS, s. m. (Jurispr.) est un droit dû au seigneur dans quelques coûtumes sur tous les biens meubles & cateux qui viennent & échéent soit par donation, succession, ou autrement, d'un bourgeois ou bourgeoise, en la main d'une personne foraine, c'est-à-dire qui n'est pas bourgeois ou bourgeoise du lieu. Ce droit est aussi dû par la femme ou fille bourgeoise qui se marie à un forain. Ce droit paroît être un reste de la servitude personnelle où étoient autrefois tous les sujets de ces seigneurs, & singulierement du droit que ces seigneurs avoient de succéder à leurs sujets main-mortables qui ne furent affranchis qu'à de certaines conditions, telles que ce droit d'escarts ou escas dans les coûtumes de la ville & échevinage de Douay, ch. xv. Ce droit est de 10 liv. pour 100 liv. Il est aussi parlé de ce droit d'escas & des meubles escassables, c'est-à-dire, sujets à ce droit dans la coûtume locale de Seclin & de la Bassée sous Lille, où ce droit est du dixieme, & a lieu sur les meubles cateux & héritages réputés pour meubles. Voyez le glossaire de M. de Lauriere, au mot Escarts. (A)

ESCARTS, s. m. (Com.) c'est ainsi qu'on appelle certains cuirs qui viennent d'Alexandrie : on donne le même nom en Barbarie à la plus mauvaise sorte de ceux que les Francs négocient avec les Maures. Les bons s'appellent foroux.


ESCAS(Jurisprud.) est la même chose qu'escarts. Voyez ci-devant ESCARTS. (A)


ESCASSABLE(Jurisprud.) meubles escassables, c'est-à-dire, sujets au droit d'escarts ou escas. Voyez ci-devant ESCARTS. (A)


ESCAUT(Géog. mod.) riviere des Pays-bas. Elle prend sa source à Beaurevoir, village du Vermandois, passe dans la Flandre : elle se divise en deux branches, dont l'une va dans le voisinage de Berg-op-zoom & se nomme l'Escaut oriental, & l'autre à Flessingue & se nomme l'Escaut occidental ; ces deux branches se jettent dans la mer d'Allemagne.


ESCAVESSADES. f. (Manege) expression qui signifie proprement une secousse des longes d'un cavesson quelconque qu'un cavalier tient dans ses mains lorsqu'il est à cheval, & par le moyen desquelles il prétend relever l'animal, le placer, le retenir, &c. ou une secousse de la longe seule placée à l'anneau du milieu de ce même cavesson, & donnée par exemple, par le piqueur ou le palefrenier à pié, dans le tems qu'un cheval trotant à la longe sur les cercles, hâte trop son action & veut passer à celle du galop. Voyez LONGE.

L'escavessade est un châtiment, puisqu'il en résulte un coup plus ou moins fort du cavesson sur le nez du cheval.

Nous avons banni cet appareil d'instrumens plus ou moins cruels, ces cavessons de chaînes, ces cavessons retords, ces sequettes, d'une, de deux, ou de trois pieces, & nous ne faisons usage dans de certains cas que du simple cavesson brisé, lequel est composé de trois pieces unies & de fer, repliées de maniere qu'assemblées par charniere, elles embrassent précisément le nez de l'animal. Ces trois pieces sont fixées sur cette partie par le moyen de deux montans de cuir auxquels elles sont suspendues, par une soûgorge, un frontail, & un petit bout de cuir, qui avec elles achevent de former postérieurement la muserole. De chacune de ces pieces part un anneau de fer ; j'ai déjà parlé de l'utilité de celui du milieu : à l'égard des deux autres, ou de chacun de ceux qui sont dans les côtés, on y passe des rênes, lorsqu'on ne veut pas confier la bouche de son cheval au palefrenier que l'on charge de le promener, ou deux longes de cordes tenues par deux hommes différens pour se rendre maîtres de l'animal, sans s'exposer à lui offenser les barres ; & souvent encore on a la précaution de garnir ce cavesson & de le rembourrer dans la crainte de faire une impression trop vive, & de blesser ou d'entamer la partie sur laquelle il repose.

Le cavesson dont nous nous servons pour arrêter & pour maintenir un cheval dans les piliers est très-fort, & uniquement fait avec du cuir. Quelques-uns l'appellent cavessine. Il est pareillement composé d'un dessus de tête, d'une soûgorge, d'un frontail, de deux montans & d'une muserole, aux deux côtés de laquelle sont fermement arrêtés deux anneaux de fer destinés à recevoir les longes qui s'y bouclent, par celle de leurs extrémités qui se trouve garnie d'un cuir, tandis que l'autre est engagée dans le trou pratiqué dans les piliers. Voyez PILIERS.

Tous les écuyers étrangers vantent unanimement les effets admirables du cavesson ; selon eux, il n'est que ce moyen de retenir, de relever, d'allégerir, d'assouplir le cheval, d'assurer sa tête & de le dresser en un mot, parfaitement & à toutes sortes d'airs sans offenser sa bouche ; en conséquence, ils ne cessent de nous reprocher l'obstination avec laquelle ils croyent que nous affectons de ne pas vouloir les imiter en ce point. Nous n'avons d'autre réponse à leur faire, si ce n'est, que si par le secours de la bride seule nous parvenons à conduire l'animal à un degré de perfection qui ne le cede point à celui où ils le mettent eux-mêmes, notre méthode doit incontestablement obtenir la préférence. Ainsi il seroit superflu de nous perdre les uns & les autres dans de vains raisonnemens, & une question que l'on peut décider par les faits cesse bien-tôt d'en être une.

Je sai qu'on pourroit nous opposer l'autorité du fameux duc de Newkastle ; mais quelque respectable qu'elle soit, elle ne sauroit l'emporter sur l'évidence d'une preuve aussi convaincante ; d'ailleurs, il n'est pas douteux qu'il est très-difficile que des mains habituées dans des maneges à n'agir qu'avec une force considérable, & à opérer sur des chevaux de maniere à les précipiter dans une contrainte, telle que celle dont les estampes qui ornent l'ouvrage de cet auteur célebre nous présentent une image fidele, puissent revenir à ce sentiment fin, subtil & délicat, qui distinguera toujours le véritable homme de cheval de cette multitude innombrable de prétendus praticiens qui n'en ont que la forme & l'apparence. (c)


ESCHARS(Marine) Voyez ECHARS.


ESCHÉATEURS. m. (Hist. mod.) étoit autrefois en Angleterre le nom d'un officier qui avoit soin des eschéats ou escas du roi dans une certaine étendue de pays, & d'en certifier l'échiquier ou la chancellerie. Voyez ESCAS.

Il étoit nommé par le lord thrésorier ; cette charge ne duroit qu'une année ; & personne ne pouvoit la posséder plus d'une fois en trois ans. Mais comme elle dépendoit principalement de la cour des forêts, elle n'existe plus aujourd'hui.

On trouve dans la collection de Rymer plusieurs actes d'Henri VIII & d'Elisabeth, qui commencent par ces mots : Rex escaetori suo in comitatu Wigormae, Regina escaetori suo, &c. Chambers. (G)


ESCHILLONS. m. (Marine) est un terme dont se servent les matelots de la mer Méditerranée, qui signifie une nuée noire, dont sort une longue queue qui est une sorte de météore que les matelots craignent autant que la plus forte tempête : cette queue va toujours en diminuant ; & s'allongeant dans la mer, elle en tire l'eau comme une pompe, ensorte que l'on voit cette eau qui bouillonne tout-autour, tant l'attraction paroît violente. La superstition de ceux qui craignent cette nuée, fait qu'ils piquent dans le mât un couteau à manche noir, persuadés qu'en faisant cela ils détourneront l'orage. Voyez PUCHOT. (Z)


ESCHINADESS. f. pl. (Mythol.) Cinq nayades étoliennes firent un sacrifice de dix taureaux, auquel elles inviterent tous les dieux champêtres, excepté Acheloüs. Ce fleuve courroucé gonfle ses eaux, & entraîne dans la mer & les nymphes, & le lieu de leur sacrifice. Neptune touché de leur sort les métamorphose en îles, & ce sont elles qu'on voit à l'embouchure de l'Acheloüs dans la mer d'Ionie.


ESCHRAKITESou ERASKITES, s. m. (Hist. mod.) secte de philosophes mahométans, qui adhérent à la doctrine & aux opinions de Platon.

Ce mot est dérivé de l'arabe schraka, qui signifie briller, éclairer comme le soleil, de sorte que eschrakite semble signifier illuminé.

Les eschrakites ou platoniciens mahométans font consister le bonheur suprème & le souverain bien dans la contemplation de la majesté divine, & méprisent l'idée grossiere & matérielle que l'alcoran donne du paradis. Voyez MAHOMETISME.

Ils évitent avec beaucoup de soin toute sorte de vices, conservent autant qu'ils le peuvent l'égalité & la tranquillité d'ame, aiment la musique, & s'amusent à composer de petits poëmes ou chants spirituels. Les schéics ou prêtres, & les principaux prédicateurs des mosquées impériales, sont eschrakites. Dict. de Trévoux & Chambers. (G)


ESCLAIRE(Fauconnerie) C'est ainsi qu'on appelle un oiseau dont le corps est d'une belle longueur, & qui n'est point épaulé. On dit que les esclaires sont plus beaux voleurs que les goussants, ou ceux qui sont courts & bas assis.


ESCLAME(Manége) terme qui n'est pas moins inusité que le mot estrac. L'un & l'autre étoient synonymes. Voyez ETROIT.


ESCLAVAGES. m. (Droit nat. Religion, Morale.) L'esclavage est l'établissement d'un droit fondé sur la force, lequel droit rend un homme tellement propre à un autre homme, qu'il est le maître absolu de sa vie, de ses biens, & de sa liberté.

Cette définition convient presque également à l'esclavage civil, & à l'esclavage politique : pour en crayonner l'origine, la nature, & le fondement, j'emprunterai bien des choses de l'auteur de l'esprit des lois, sans m'arrêter à loüer la solidité de ses principes, parce que je ne peux rien ajoûter à sa gloire.

Tous les hommes naissent libres ; dans le commencement ils n'avoient qu'un nom, qu'une condition ; du tems de Saturne & de Rhée, il n'y avoit ni maîtres ni esclaves, dit Plutarque : la nature les avoit fait tous égaux ; mais on ne conserva pas long-tems cette égalité naturelle, on s'en écarta peu-à-peu, la servitude s'introduisit par degrés, & vraisemblablement elle a d'abord été fondée sur des conventions libres, quoique la nécessité en ait été la source & l'origine.

Lorsque par une suite nécessaire de la multiplication du genre humain, on eut commencé par se lasser de la simplicité des premiers siecles, on chercha de nouveaux moyens d'augmenter les aisances de la vie, & d'acquérir des biens superflus ; il y a beaucoup d'apparence que les gens riches engagerent les pauvres à travailler pour eux, moyennant un certain salaire. Cette ressource ayant paru très-commode aux uns & aux autres, plusieurs se résolurent à assurer leur état, & à entrer pour toûjours sur le même pié dans la famille de quelqu'un, à condition qu'il leur fourniroit la nourriture & toutes les autres choses nécessaires à la vie ; ainsi la servitude a d'abord été formée par un libre consentement, & par un contrat de faire afin que l'on nous donne : do ut facias. Cette société étoit conditionnelle, ou seulement pour certaines choses, selon les lois de chaque pays, & les conventions des intéressés ; en un mot, de tels esclaves n'étoient proprement que des serviteurs ou des mercenaires, assez semblables à nos domestiques.

Mais on n'en demeura pas là ; on trouva tant d'avantages à faire faire par autrui ce que l'on auroit été obligé de faire soi-même, qu'à mesure qu'on voulut s'aggrandir les armes à la main, on établit la coûtume d'accorder aux prisonniers de guerre, la vie & la liberté corporelle, à condition qu'ils serviroient toujours en qualité d'esclaves ceux entre les mains desquels ils étoient tombés.

Comme on conservoit quelque reste de ressentiment d'ennemi contre les malheureux que l'on réduisoit en esclavage par le droit des armes, on les traitoit ordinairement avec beaucoup de rigueur ; la cruauté parut excusable envers des gens de la part de qui on avoit couru risque d'éprouver le même sort ; de sorte qu'on s'imagina pouvoir impunément tuer de tels esclaves, par un mouvement de colere, ou pour la moindre faute.

Cette licence ayant été une fois autorisée, on l'étendit sous un prétexte encore moins plausible, à ceux qui étoient nés de tels esclaves, & même à ceux que l'on achetoit ou que l'on acquéroit de quelque autre maniere que ce fût. Ainsi la servitude vint à se naturaliser, pour ainsi dire, par le sort de la guerre : ceux que la fortune favorisa, & qu'elle laissa dans l'état où la nature les avoit créés, furent appellés libres ; ceux au contraire que la foiblesse & l'infortune assujettirent aux vainqueurs, furent nommés esclaves ; & les Philosophes juges du mérite des actions des hommes, regarderent eux-mêmes comme une charité, la conduite de ce vainqueur, qui de son vaincu en faisoit son esclave, au lieu de lui arracher la vie.

La loi du plus fort, le droit de la guerre injurieux à la nature, l'ambition, la soif des conquêtes, l'amour de la domination & de la mollesse, introduisirent l'esclavage, qui à la honte de l'humanité, a été reçu par presque tous les peuples du monde. En effet, nous ne saurions jetter les yeux sur l'Histoire sacrée, sans y découvrir les horreurs de la servitude : l'Histoire prophane, celle des Grecs, des Romains, & de tous les autres peuples qui passent pour les mieux policés, sont autant de monumens de cette ancienne injustice exercée avec plus ou moins de violence sur toute la face de la terre, suivant les tems, les lieux, & les nations.

Il y a deux sortes d'esclavage ou de servitude, la réelle & la personnelle : la servitude réelle est celle qui attache l'esclave au fonds de la terre ; la servitude personnelle regarde le ministere de la maison, & se rapporte plus à la personne du maître. L'abus extrème de l'esclavage est lorsqu'il se trouve en même tems personnel & réel. Telle étoit chez les Juifs la servitude des étrangers ; ils exerçoient à leur égard les traitemens les plus rudes : en vain Moyse leur crioit, " vous n'aurez point sur vos esclaves d'empire rigoureux ; vous ne les opprimerez point ", il ne put jamais venir à bout, par ses exhortations, d'adoucir la dureté de sa nation féroce : il tâcha donc par ses lois d'y porter quelque remede.

Il commença par fixer un terme à l'esclavage, & par ordonner qu'il ne dureroit tout-au-plus que jusqu'à l'année du jubilé pour les étrangers, & par rapport aux Hébreux pendant l'espace de six ans. Lévit. ch. xxv. . 39.

Une des principales raisons de son institution du sabbat, fut de procurer du relâche aux serviteurs & aux esclaves. Exode, ch. xx. & xxiij. Deuteronome, ch. xvj.

Il établit encore que personne ne pourroit vendre sa liberté, à moins qu'il ne fût réduit à n'avoir plus absolument de quoi vivre. Il prescrivit que quand les esclaves se racheteroient, on leur tiendroit compte de leur service, de la même maniere que les revenus déja tirés d'une terre vendue entroient en compensation dans le prix du rachat, lorsque l'ancien propriétaire la recouvroit. Deutéron. ch. xv. Lévit. ch. xxv.

Si un maître avoit crevé un oeil ou cassé une dent à son esclave (& à plus forte raison sans doute s'il lui avoit fait un mal plus considérable), l'esclave devoit avoir sa liberté, en dédommagement de cette perte.

Une autre loi de ce législateur porte, que si un maître frappe son esclave, & que l'esclave meure sous le bâton, le maître doit être puni comme coupable d'homicide : il est vrai que la loi ajoûte que si l'esclave vit un jour ou deux, le maître est exempt de la peine. La raison de cette loi étoit peut-être que quand l'esclave ne mouroit pas sur le champ, on présumoit que le maître n'avoit pas eu dessein de le tuer ; & pour lors on le croyoit assez puni d'avoir perdu ce que l'esclave lui avoit coûté, ou le service qu'il en auroit tiré : c'est du moins ce que donnent à entendre les paroles qui suivent le texte, car cet esclave est son argent.

Quoi qu'il en soit, c'étoit un peuple bien étrange, suivant la remarque de M. de Montesquieu, qu'un peuple où il falloit que la loi civile se relâchât de la loi naturelle. Ce n'est pas ainsi que S. Paul pensoit sur cette matiere, quand, prêchant la lumiere de l'Evangile, il donna ce précepte de la nature & de la religion, qui devoit être profondément gravé dans le coeur de tous les hommes : Maîtres (Epit. aux Coloss. jv. 1.) rendez à vos esclaves ce que le droit & l'équité demandent de vous, sachant que vous avez un maître dans le ciel ; c'est-à-dire un maître qui n'a aucun égard à cette distinction de conditions, forgée par l'orgueil & l'injustice.

Les Lacédémoniens furent les premiers de la Grece qui introduisirent l'usage des esclaves, ou qui commencerent à reduire en servitude les Grecs qu'ils avoient faits prisonniers de guerre : ils allerent encore plus loin (& j'ai grand regret de ne pouvoir tirer le rideau sur cette partie de leur histoire), ils traiterent les Ilotes avec la derniere barbarie. Ces peuples, habitans du territoire de Sparte, ayant été vaincus dans leur révolte par les Spartiates, furent condamnés à un esclavage perpétuel, avec la défense aux maîtres de les affranchir ni de les vendre hors du pays : ainsi les Ilotes se virent soûmis à tous les travaux hors de la maison, & à toutes sortes d'insultes dans la maison ; l'excès de leur malheur alloit au point qu'ils n'étoient pas seulement esclaves d'un citoyen, mais encore du public. Plusieurs peuples n'ont qu'un esclavage réel, parce que leurs femmes & leurs enfans font les travaux domestiques : d'autres ont un esclavage personnel, parce que le luxe demande le service des esclaves dans la maison ; mais ici on joignoit dans les mêmes personnes l'esclavage réel & l'esclavage personnel.

Il n'en étoit pas de même chez les autres peuples de la Grece ; l'esclavage y étoit extrèmement adouci, & même les esclaves trop rudement traités par leurs maîtres pouvoient demander d'être vendus à un autre. C'est ce que nous apprend Plutarque, de superstitione, p. 66. t. I. édit. de Wechel.

Les Athéniens en particulier, au rapport de Xénophon, en agissoient avec leurs esclaves avec beaucoup de douceur : ils punissoient séverement, quelquefois même de mort, celui qui avoit battu l'esclave d'un autre. La loi d'Athenes, avec raison, ne vouloit pas ajoûter la perte de la sûreté à celle de la liberté ; aussi ne voit-on point que les esclaves ayent troublé cette république, comme ils ébranlerent Lacédémone.

Il est aisé de comprendre que l'humanité exercée envers les esclaves peut seule prévenir, dans un gouvernement modéré, les dangers que l'on pourroit craindre de leur trop grand nombre. Les hommes s'accoûtument à la servitude, pourvû que leur maître ne soit pas plus dur que la servitude : rien n'est plus propre à confirmer cette vérité, que l'état des esclaves chez les Romains dans les beaux jours de la république ; & la considération de cet état mérite d'attacher nos regards pendant quelques momens.

Les premiers Romains traitoient leurs esclaves avec plus de bonté que ne l'a jamais fait aucun autre peuple : les maîtres les regardoient comme leurs compagnons : ils vivoient, travailloient, & mangeoient avec eux. Le plus grand châtiment qu'ils infligeoient à un esclave qui avoit commis quelque faute, étoit de lui attacher une fourche sur le dos ou sur la poitrine, de lui étendre les bras aux deux bouts de la fourche, & de le promener ainsi dans les places publiques ; c'étoit une peine ignominieuse, & rien de plus : les moeurs suffisoient pour maintenir la fidélité des esclaves.

Bien-loin d'empêcher par les lois forcées la multiplication de ces organes vivans & animés de l'économique, ils la favorisoient au contraire de tout leur pouvoir, & les associoient par une espece de mariage, contuberniis. De cette maniere ils remplissoient leurs maisons de domestiques de l'un & de l'autre sexe, & peuploient l'état d'un peuple innombrable : les enfans des esclaves qui faisoient à la longue la richesse d'un maître, naissoient en confiance autour de lui ; il étoit seul chargé de leur entretien & de leur éducation. Les peres, libres de ce fardeau, suivoient le penchant de la nature, & multiplioient sans crainte une nombreuse famille ; ils voyoient sans jalousie une heureuse société, dont ils se regardoient comme membres, ils sentoient que leur ame pouvoit s'élever comme celle de leur maître, & ne sentoient point la différence qu'il y avoit de la condition d'esclave à celle d'un homme libre : souvent même des maîtres généreux faisoient apprendre à ceux de leurs esclaves qui montroient des talens, les exercices, la musique, & les lettres greques ; Térence & Phédre sont d'assez bons exemples de ce genre d'éducation.

La république se servoit avec un avantage infini de ce peuple d'esclaves, ou plûtôt de sujets : chacun d'eux avoit son pécule, c'est-à-dire son petit thrésor, sa petite bourse, qu'il possédoit aux conditions que son maître lui imposoit. Avec ce pécule il travailloit du côté où le portoit son génie ; celui-ci faisoit la banque, celui-là se donnoit au commerce de la mer ; l'un vendoit des marchandises en détail, l'autre s'appliquoit à quelque art méchanique, affermoit ou faisoit valoir des terres : mais il n'y en avoit aucun qui ne s'attachât à faire profiter ce pécule, qui lui procuroit en même tems l'aisance dans la servitude présente, & l'espérance d'une liberté future. Tous ces moyens répandoient l'abondance, animoient les arts & l'industrie.

Ces esclaves, une fois enrichis, se faisoient affranchir & devenoient citoyens ; la république se réparoit sans cesse, & recevoit dans son sein de nouvelles familles à mesure que les anciennes se détruisoient. Tels furent les beaux jours de l'esclavage, tant que les Romains conserverent leurs moeurs & leur probité.

Mais lorsqu'ils se furent aggrandis par leurs conquêtes & par leurs rapines, que leurs esclaves ne furent plus les compagnons de leurs travaux, & qu'ils les employerent à devenir les instrumens de leur luxe & de leur orgueil, la condition des esclaves changea totalement de face ; on vint à les regarder comme la partie la plus vile de la nation, & en conséquence on ne fit aucun scrupule de les traiter inhumainement. Par la raison qu'il n'y avoit plus de moeurs, on recourut aux lois ; il en fallut même de terribles pour établir la sûreté de ces maîtres cruels, qui vivoient au milieu de leurs esclaves comme au milieu de leurs ennemis.

On fit sous Auguste, c'est-à-dire au commencement de la tyrannie, le senatus-consulte Syllanien, & plusieurs autres lois qui ordonnerent que lorsqu'un maître seroit tué, tous les esclaves qui étoient sous le même toit, ou dans un lieu assez près de la maison pour qu'on pût entendre la voix d'un homme, seroient condamnés à la mort : ceux qui dans ce cas réfugioient un esclave pour le sauver, étoient punis comme meurtriers. Celui-là même à qui son maître auroit ordonné de le tuer, & qui lui auroit obéi, auroit été coupable : celui qui ne l'auroit point empêché de se tuer lui-même auroit été puni. Si un maître avoit été tué dans un voyage, on faisoit mourir ceux qui étoient restés avec lui & ceux qui s'étoient enfuis : ajoûtons que ce maître, pendant sa vie, pouvoit tuer impunément ses esclaves & les mettre à la torture. Il est vrai que dans la suite il y eut des empereurs qui diminuerent cette autorité : Claude ordonna que les esclaves qui étant malades auroient été abandonnés par leurs maîtres, seroient libres s'ils revenoient en santé. Cette loi assûroit leur liberté dans un cas rare ; il auroit encore fallu assûrer leur vie, comme le dit très-bien M. de Montesquieu.

De plus toutes ces lois cruelles, dont nous venons de parler, avoient même lieu contre les esclaves dont l'innocence étoit prouvée ; elles n'étoient pas dépendantes du gouvernement civil, elles dépendoient d'un vice du gouvernement civil ; elles ne dérivoient point de l'équité des lois civiles, puisqu'elles étoient contraires au principe des lois civiles : elles étoient proprement fondées sur le principe de la guerre, à cela près que c'étoit dans le sein de l'état qu'étoient les ennemis. Le senatus-consulte Syllanien dérivoit, dira-t-on, du droit des gens, qui veut qu'une société, même imparfaite, se conserve : mais un législateur éclairé prévient l'affreux malheur de devenir un législateur terrible. Enfin la barbarie sur les esclaves fut poussée si loin, qu'elle produisit la guerre servile que Florus compare aux guerres puniques, & qui par sa violence ébranla l'empire romain jusque dans ses fondemens.

J'aime à songer qu'il est encore sur la terre d'heureux climats, dont les habitans sont doux, tendres & compatissans : tels sont les Indiens de la presqu'île, en-deçà du Gange ; ils traitent leurs esclaves comme ils se traitent eux-mêmes ; ils ont soin de leurs enfans ; ils les marient, & leur accordent aisément la liberté. En général les esclaves des peuples simples, laborieux, & chez qui régne la candeur des moeurs, sont plus heureux que par-tout ailleurs ; ils ne souffrent que l'esclavage réel, moins dur pour eux, & plus utile pour leurs maîtres : tels étoient les esclaves des anciens Germains. Ces peuples, dit Tacite, ne les tiennent pas comme nous dans leurs maisons, pour les y faire travailler chacun à une certaine tâche, au contraire ils assignent à chaque esclave son manoir particulier, dans lequel il vit en pere de famille ; toute la servitude que le maître lui impose, c'est de l'obliger à payer une redevance en grains, en bétail, en peaux, ou en étoffes : de cette maniere, ajoûte l'historien, vous ne pourriez distinguer le maître d'avec l'esclave par les délices de la vie.

Quand ils eurent conquis les Gaules, sous le nom de Francs, ils envoyerent leurs esclaves cultiver les terres qui leur échûrent par le sort : on les appelloit gens de poëte, en latin gentes potestatis, attachés à la glebe, addicti glebae ; & c'est de ces serfs que la France fut depuis peuplée. Leur multiplication fit presque autant de villages des fermes qu'ils cultivoient, & ces terres retinrent le nom de villae, que les Romains leur avoient donné ; d'où sont venus les noms de village & de villains, en latin villa & villani : pour dire des gens de la campagne & d'une basse extraction, ainsi l'on vit en France deux especes d'esclaves, ceux des Francs & ceux des Gaulois, & tous alloient à la guerre, quoi qu'en ait pû dire M. de Boulainvilliers.

Ces esclaves appartenoient à leurs patrons, dont ils étoient réputés hommes de corps, comme on parloit alors : ils devinrent avec le tems sujets à de rudes corvées ; & tellement attachés à la terre de leurs maîtres, qu'ils sembloient en faire partie ; en sorte qu'ils ne pouvoient s'établir ailleurs, ni même se marier dans la terre d'un autre seigneur sans payer ce qu'on appelloit le droit de fors-mariage ou de mé-mariage ; & même les enfans qui provenoient de l'union de deux esclaves qui appartenoient à différens maîtres, se partageoient, ou bien l'un des patrons, pour éviter ce partage, donnoit un autre esclave en échange.

Un gouvernement militaire, où l'autorité se trouvoit partagée entre plusieurs seigneurs, devoit dégénérer en tyrannie ; c'est aussi ce qui ne manqua pas d'arriver : les patrons ecclésiastiques & laïques abuserent par-tout de leur pouvoir sur leurs esclaves ; ils les accablerent de tant de travaux, de redevances, de corvées, & de tant d'autres mauvais traitemens, que les malheureux serfs, ne pouvant plus supporter la dureté du joug, firent en 1108 cette fameuse révolte décrite par les historiens, & qui aboutit finalement à procurer leur affranchissement ; car nos rois avoient jusqu'alors tâché, sans aucun succès, d'adoucir par leurs ordonnances l'état de l'esclavage.

Cependant le Christianisme commençant à s'accréditer, l'on embrassa des sentimens plus humains ; d'ailleurs nos souverains, déterminés à abaisser les seigneurs & à tirer le bas-peuple du joug de leur puissance, prirent le parti d'affranchir les esclaves. Louis le Gros montra le premier l'exemple ; & en affranchissant les serfs en 1135, il réussit en partie à reprendre sur ses vassaux l'autorité dont ils s'étoient emparés : Louis VIII. signala le commencement de son régne par un semblable affranchissement en 1223 ; enfin Louis X. dit Hutin, donna sur ce sujet un édit qui nous paroît digne d'être ici rapporté. " Louis, par la grace de Dieu, roi de France & de Navarre : à nos amés & féaux.... comme selon le droit de nature chacun doit naître franc.... nous, considérant que notre royaume est dit & nommé le royaume des Francs, & voulant que la chose en vérité soit accordante au nom.... par délibération de notre grand conseil, avons ordonné & ordonnons que généralement par tout notre royaume.... franchise soit donnée à bonnes & valables conditions.... & pour ce que tous les seigneurs qui ont hommes de corps prennent exemple à nous de ramener à franchise, &c. Donné à Paris le tiers Juillet, l'an de grace 1315 ".

Ce ne fut toutefois que vers le XV. siecle que l'esclavage fut aboli dans la plus grande partie de l'Europe : cependant il n'en subsiste encore que trop de restes en Pologne, en Hongrie, en Bohème, & dans plusieurs endroits de la basse-Allemagne ; voyez les ouvrages de MM. Thomasius & Hertins : il y en a même quelques étincelles dans nos coûtumes ; voyez Coquille. Quoi qu'il en soit, presque dans l'espace du siecle qui suivit l'abolition de l'esclavage en Europe, les puissances chrétiennes ayant fait des conquêtes, dans ces pays où elles ont cru qu'il leur étoit avantageux d'avoir des esclaves, ont permis d'en acheter & d'en vendre, & ont oublié les principes de la Nature & du Christianisme, qui rendent tous les hommes égaux.

Après avoir parcouru l'histoire de l'esclavage, depuis son origine jusqu'à nos jours, nous allons prouver qu'il blesse la liberté de l'homme, qu'il est contraire au droit naturel & civil, qu'il choque les formes des meilleurs gouvernemens, & qu'enfin il est inutile par lui-même.

La liberté de l'homme est un principe qui a été reçu long-tems avant la naissance de J. C. par toutes les nations qui ont fait profession de générosité. La liberté naturelle de l'homme, c'est de ne connoître aucun pouvoir souverain sur la terre, & de n'être point assujettie à l'autorité législative de qui que ce soit, mais de suivre seulement les lois de la Nature : la liberté dans la société est d'être soûmis à un pouvoir législatif établi par le consentement de la communauté, & non pas d'être sujet à la fantaisie, à la volonté inconstante, incertaine & arbitraire d'un seul homme en particulier.

Cette liberté, par laquelle l'on n'est point assujetti à un pouvoir absolu, est unie si étroitement avec la conservation de l'homme, qu'elle n'en peut être séparée que par ce qui détruit en même tems sa conservation & sa vie. Quiconque tâche donc d'usurper un pouvoir absolu sur quelqu'un, se met par-là en état de guerre avec lui, de sorte que celui-ci ne peut regarder le procédé de l'autre, que comme un attentat manifeste contre sa vie. En effet, du moment qu'un homme veut me soûmettre malgré moi à son empire, j'ai lieu de présumer que si je tombe entre ses mains, il me traitera selon son caprice, & ne fera pas scrupule de me tuer, quand la fantaisie lui en prendra. La liberté est, pour ainsi dire, le rempart de ma conservation, & le fondement de toutes les autres choses qui m'appartiennent. Ainsi, celui qui dans l'état de la nature, veut me rendre esclave, m'autorise à le repousser par toutes sortes de voies, pour mettre ma personne & mes biens en sûreté.

Tous les hommes ayant naturellement une égale liberté, on ne peut les dépouiller de cette liberté, sans qu'ils y ayent donné lieu par quelques actions criminelles. Certainement, si un homme, dans l'état de nature, a mérité la mort de quelqu'un qu'il a offensé, & qui est devenu en ce cas maître de sa vie, celui-ci peut, lorsqu'il a le coupable entre ses mains, traiter avec lui, & l'employer à son service, en cela il ne lui fait aucun tort ; car au fond, quand le criminel trouve que son esclavage est plus pesant & plus fâcheux que n'est la perte de son existence, il est en sa disposition de s'attirer la mort qu'il desire, en résistant & désobéissant à son maître.

Ce qui fait que la mort d'un criminel, dans la société civile, est une chose licite, c'est que la loi qui le punit, a été faite en sa faveur. Un meurtrier, par exemple, a joüi de la loi qui le condamne ; elle lui a conservé la vie à tous les instans ; il ne peut donc pas reclamer contre cette loi. Il n'en seroit pas de même de la loi de l'esclavage ; la loi qui établiroit l'esclavage seroit dans tous les cas contre l'esclave, sans jamais être pour lui ; ce qui est contraire au principe fondamental de toutes les sociétés.

Le droit de propriété sur les hommes ou sur les choses, sont deux droits bien différens. Quoique tout seigneur dise de celui qui est soûmis à sa domination, cette personne-là est à moi ; la propriété qu'il a sur un tel homme n'est point la même que celle qu'il peut s'attribuer, lorsqu'il dit, cette chose-là est à moi. La propriété d'une chose emporte un plein droit de s'en servir, de la consumer, & de la détruire, soit qu'on y trouve son profit, ou par pur caprice ; en sorte que de quelque maniere qu'on en dispose, on ne lui fait aucun tort ; mais la même expression appliquée à une personne, signifie seulement que le seigneur a droit, exclusivement à tout autre, de la gouverner & de lui prescrire des lois, tandis qu'en même tems il est soûmis lui-même à plusieurs obligations par rapport à cette même personne, & que d'ailleurs son pouvoir sur elle est très-limité.

Quelque grandes injures qu'on ait reçu d'un homme, l'humanité ne permet pas, lorsqu'on s'est une fois réconcilié avec lui, de le réduire à une condition où il ne reste aucune trace de l'égalité naturelle de tous les hommes, & par conséquent de le traiter comme une bête, dont on est le maître de disposer à sa fantaisie. Les peuples qui ont traité les esclaves comme un bien dont ils pouvoient disposer à leur gré, n'ont été que des barbares.

Non-seulement on ne peut avoir de droit de propriété proprement dit sur les personnes ; mais de plus il répugne à la raison, qu'un homme qui n'a point de pouvoir sur sa vie, puisse donner à un autre, ni de son propre consentement, ni par aucune convention, le droit qu'il n'a pas lui-même. Il n'est donc pas vrai qu'un homme libre puisse se vendre. La vente suppose un prix ; l'esclave se vendant, tous ses biens entrent dans la propriété du maître. Ainsi le maître ne donneroit rien, & l'esclave ne recevroit rien. Il auroit un pécule, dira-t-on, mais le pécule est accessoire à la personne. La liberté de chaque citoyen est une partie de la liberté publique : cette qualité, dans l'état populaire, est même une partie de la souveraineté. Si la liberté à un prix pour celui qui l'achete, elle est sans prix pour celui qui la vend.

La loi civile, qui a permis aux hommes le partage des biens, n'a pû mettre au nombre des biens une partie des hommes qui doivent faire ce partage. La loi civile qui restitue sur les contrats qui contiennent quelque lésion, ne peut s'empêcher de restituer contre un accord, qui contient la lésion la plus énorme de toutes. L'esclavage n'est donc pas moins opposé au droit civil qu'au droit naturel. Quelle loi civile pourroit empêcher un esclave de se sauver de la servitude, lui qui n'est point dans la société, & que par conséquent aucune loi civile ne concerne ? Il ne peut être retenu que par une loi de famille, par la loi du maître, c'est-à-dire par la loi du plus fort.

Si l'esclavage choque le droit naturel & le droit civil, il blesse aussi les meilleures formes de gouvernement : il est contraire au gouvernement monarchique, où il est souverainement important de ne point abattre & de ne point avilir la nature humaine. Dans la démocratie, où tout le monde est égal, & dans l'aristocratie, où les lois doivent faire leurs efforts pour que tout le monde soit aussi égal que la nature du gouvernement peut le permettre, des esclaves sont contre l'esprit de la constitution ; ils ne serviroient qu'à donner aux citoyens une puissance & un luxe qu'ils ne doivent point avoir.

De plus, dans tout gouvernement & dans tout pays, quelque pénibles que soient les travaux que la société y exige, on peut tout faire avec des hommes libres, en les encourageant par des récompenses & des priviléges, en proportionnant les travaux à leurs forces, ou en y suppléant par des machines que l'art invente & applique suivant les lieux & le besoin. Voyez -en les preuves dans M. de Montesquieu.

Enfin nous pouvons ajoûter encore avec cet illustre auteur, que l'esclavage n'est utile ni au maître, ni à l'esclave : à l'esclave, parce qu'il ne peut rien faire par vertu ; au maître, parce qu'il contracte avec ses esclaves toutes sortes de vices & de mauvaises habitudes, contraires au lois de la société ; qu'il s'accoûtume insensiblement à manquer à toutes les vertus morales ; qu'il devient fier, promt, colere, dur, voluptueux, barbare.

Ainsi tout concourt à laisser à l'homme la dignité qui lui est naturelle. Tout nous crie qu'on ne peut lui ôter cette dignité naturelle, qui est la liberté : la regle du juste n'est pas fondée sur la puissance, mais sur ce qui est conforme à la nature ; l'esclavage n'est pas seulement un état humiliant pour celui qui le subit, mais pour l'humanité même qui est dégradée.

Les principes qu'on vient de poser étant invincibles, il ne sera pas difficile de démontrer que l'esclavage ne peut jamais être coloré par aucun motif raisonnable, ni par le droit de la guerre, comme le pensoient les jurisconsultes romains, ni par le droit d'acquisition, ni par celui de la naissance, comme quelques modernes ont voulu nous le persuader ; en un mot, rien au monde ne peut rendre l'esclavage légitime.

Le droit de la guerre, a-t-on dit dans les siecles passés, autorise celui de l'esclavage ; il a voulu que les prisonniers fussent esclaves, pour qu'on ne les tuât pas ; mais aujourd'hui on est desabusé de cette bonté, qui consistoit à faire de son vaincu son esclave, plûtôt que de le massacrer. On a compris que cette prétendue charité n'est que celle d'un brigand, qui se glorifie d'avoir donné la vie à ceux qu'il n'a pas tués. Il n'y a plus dans le monde que les Tartares qui passent au fil de l'épée leurs prisonniers de guerre, & qui croyent leur faire une grace, lorsqu'ils les vendent ou les distribuent à leurs soldats : chez tous les autres peuples, qui n'ont pas dépouillé tout sentiment généreux, il n'est permis de tuer à la guerre, que dans le cas de nécessité ; mais dès qu'un homme en a fait un autre prisonnier, on ne peut pas dire qu'il ait été dans la nécessité de le tuer, puisqu'il ne l'a pas tué. Tout le droit que la guerre peut donner sur les captifs, est de s'assûrer tellement de leurs personnes, qu'ils soient hors d'état de nuire.

L'acquisition des esclaves, par le moyen de l'argent, peut encore moins établir le droit d'esclavage, parce que l'argent, ou tout ce qu'il représente, ne peut donner le droit de dépouiller quelqu'un de sa liberté. D'ailleurs le trafic des esclaves, pour en tirer un vil gain comme des bêtes brutes, répugne à notre religion : elle est venue pour effacer toutes les traces de la tyrannie.

L'esclavage n'est certainement pas mieux fondé sur la naissance ; ce prétendu droit tombe avec les deux autres ; car si un homme n'a pû être acheté, ni se vendre, encore moins a-t-il pû vendre son enfant qui n'étoit pas né. Si un prisonnier de guerre n'a pû être réduit en servitude, encore moins ses enfans. En vain objecteroit-on que si les enfans sont conçus & mis au monde par une mere esclave, le maître ne leur fait aucun tort de se les approprier, & de les réduire à la même condition ; parce que la mere n'ayant rien en propre, ses enfans ne peuvent être nourris que des biens du maître, qui leur fournit les alimens & les autres choses nécessaires à la vie, avant qu'ils soient en état de le servir : ce ne sont là que des idées frivoles.

S'il est absurde qu'un homme ait sur un autre homme un droit de propriété, à plus forte raison ne peut-il l'avoir sur ses enfans. De plus, la nature qui a donné du lait aux meres, a pourvû suffisamment à leur nourriture, & le reste de leur enfance est si près de l'âge où est en eux la plus grande capacité de se rendre utiles, qu'on ne pourroit pas dire que celui qui les nourriroit, pour être leur maître, donnât rien ; s'il a fourni quelque chose pour l'entretien de l'enfant, l'objet est si modique, que tout homme, quelque médiocres que soient les facultés de son ame & de son corps, peut dans un petit nombre d'années gagner de quoi acquiter cette dette. Si l'esclavage étoit fondé sur la nourriture, il faudroit le réduire aux personnes incapables de gagner leur vie ; mais on ne veut pas de ces esclaves-là.

Il ne sauroit y avoir de justice dans la convention expresse ou tacite, par laquelle la mere esclave assujettiroit les enfans qu'elle mettroit au monde à la même condition dans laquelle elle est tombée, parce qu'elle ne peut stipuler pour ses enfans.

On a dit, pour colorer ce prétexte de l'esclavage des enfans, qu'ils ne seroient point au monde, si le maître avoit voulu user du droit que lui donne la guerre, de faire mourir leur mere ; mais on a supposé ce qui est faux, que tous ceux qui sont pris dans une guerre (fût-elle la plus juste du monde), surtout les femmes dont il s'agit, puissent être légitimement tuées. Esprit des lois, liv. XV.

C'étoit une prétention orgueilleuse que celle des anciens Grecs, qui s'imaginoient que les barbares étant esclaves par nature (c'est ainsi qu'ils parloient), & les Grecs libres, il étoit juste que les premiers obéissent aux derniers. Sur ce pié-là, il seroit facile de traiter de barbares tous les peuples, dont les moeurs & les coûtumes seroient différentes des nôtres, & (sans autre prétexte) de les attaquer pour les mettre sous nos lois. Il n'y a que les préjugés de l'orgueil & de l'ignorance qui fassent renoncer à l'humanité.

C'est donc aller directement contre le droit des gens & contre la nature, que de croire que la religion chrétienne donne à ceux qui la professent, un droit de réduire en servitude ceux qui ne la professent pas, pour travailler plus aisément à sa propagation. Ce fut pourtant cette maniere de penser qui encouragea les destructeurs de l'Amérique dans leurs crimes ; & ce n'est pas la seule fois que l'on se soit servi de la religion contre ses propres maximes, qui nous apprennent que la qualité de prochain s'étend sur tout l'univers.

Enfin c'est se joüer des mots, ou plûtôt se moquer, que d'écrire, comme a fait un de nos auteurs modernes, qu'il y a de la petitesse d'esprit à imaginer que ce soit dégrader l'humanité que d'avoir des esclaves, parce que la liberté dont chaque européen croit joüir, n'est autre chose que le pouvoir de rompre sa chaîne, pour se donner un nouveau maître ; comme si la chaîne d'un européen étoit la même que celle d'un esclave de nos colonies : on voit bien que cet auteur n'a jamais été mis en esclavage.

Cependant n'y a-t-il point de cas ni de lieux où l'esclavage dérive de la nature des choses ? Je réponds 1°. à cette question qu'il n'y en a point ; je réponds ensuite, avec M. de Montesquieu, que s'il y a des pays où l'esclavage paroisse fondé sur une raison naturelle, ce sont ceux où la chaleur énerve le corps, & affoiblit si fort le courage, que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par la crainte du châtiment ; dans ce pays-là, le maître étant aussi lâche à l'égard de son prince, que son esclave l'est à son égard, l'esclavage civil y est encore accompagné de l'esclavage politique.

Dans les gouvernemens arbitraires, on a une grande facilité à se vendre, parce que l'esclavage politique y anéantit en quelque façon la liberté civile. A Achim, dit Dampierre, tout le monde cherche à se vendre : quelques-uns des principaux seigneurs n'ont pas moins de mille esclaves, qui sont des principaux marchands, qui ont aussi beaucoup d'esclaves sous eux, & ceux-ci beaucoup d'autres ; on en hérite, & on les fait trafiquer. Là, les hommes libres, trop foibles contre le gouvernement, cherchent à devenir les esclaves de ceux qui tyrannisent le gouvernement.

Remarquez que dans les états despotiques, où l'on est déjà sous l'esclavage politique, l'esclavage civil est plus tolérable qu'ailleurs : chacun est assez content d'y avoir sa subsistance & la vie : ainsi la condition de l'esclave n'y est guere plus à charge que la condition de sujet : ce sont deux conditions qui se touchent ; mais quoique dans ces pays-là l'esclavage soit, pour ainsi dire, fondé sur une raison naturelle, il n'en est pas moins vrai que l'esclavage est contre la nature.

Dans tous les états mahométans, la servitude est récompensée par la paresse dont on fait joüir les esclaves qui servent à la volupté. C'est cette paresse qui rend les serrails d'Orient des lieux de délices pour ceux mêmes contre qui ils sont faits. Des gens qui ne craignent que le travail, peuvent trouver leur bonheur dans ces lieux tranquilles ; mais on voit que par-là on choque même le but de l'établissement de l'esclavage. Ces dernieres réflexions sont de l'Esprit des lois.

Concluons que l'esclavage fondé par la force, par la violence, & dans certains climats par excès de la servitude, ne peut se perpétuer dans l'univers que par les mêmes moyens. Article de M(D.J.)

ESCLAVAGE, (Comm.) On appelle ainsi en Angleterre un droit que l'on fait payer aux François, pour avoir permission d'enlever certaines sortes de marchandises, dont la vente appartient par privilége à quelques compagnies ou sociétés de marchands anglois. Dictionn. de Comm. & de Chambers. (G)

ESCLAVAGE, (Metteur en oeuvre) est un demi-cercle de pierreries qui couvre la gorge, & se rejoint par chacune de ses extrémités au collier, à-peu-près au-dessous des deux oreilles. L'esclavage est tantôt simple, tantôt double, ce qui fait qu'on dit rang d'esclavage.


ESCLAVE(Jurisp.) est celui qui est privé de la liberté, & qui est sous la puissance d'un maître.

Suivant le droit naturel tous les hommes naissent libres ; l'état de servitude personnelle est une invention du droit des gens. Voyez ESCLAVE.

Quelques-uns prétendent que les Lacédemoniens furent les premiers qui firent des esclaves, d'autres attribuent cela aux Assyriens, lesquels en effet furent les premiers qui firent la guerre, d'où est venue la servitude ; car les premiers esclaves furent les prisonniers pris en guerre. Les vainqueurs ayant le droit de les tuer, préférerent de leur conserver la vie, d'où on les appella servi quasi servati, ce qui devint en usage chez tous les peuples qui avoient quelques sentimens d'humanité, c'est pourquoi les lois disent que la servitude a été introduite pour le bien public.

Les Egyptiens, les Grecs avoient des esclaves ; il y en avoit aussi chez les Romains, ils inventerent même plusieurs façons nouvelles d'en acquérir, & firent beaucoup de lois pour regler leur état.

Ceux que les Romains avoient pris en guerre étoient appellés mancipia quasi manu capta ; on faisoit cependant une différence de ceux, qui, après avoir mis bas les armes, se rendoient au peuple romain ; on ne les mettoit point dans l'esclavage, ils étoient maintenus dans tous leurs priviléges, & demeuroient libres ; on les faisoit seulement passer sous le joug pour marquer qu'ils étoient soûmis à la puissance romaine : on les appelloit dedititii quia se dederant, au lieu que ceux qui étoient pris les armes à la main ou dans quelque siége devenoient vraiment esclaves.

Les Romains en achetoient aussi du butin fait sur les ennemis, & de la part reservée pour le public, ou de ceux qui les avoient pris en guerre, ou des marchands qui en faisoient trafic & les vendoient dans les marchés.

Il y avoit aussi des hommes libres qui se vendoient eux-mêmes. Les mineurs étoient restitués contre ces ventes, les majeurs ne l'étoient pas. Cette servitude volontaire fut introduite par un decret du sénat du tems de l'empereur Claude, & abrogée par Léon le Sage par sa novelle 44.

Les enfans nés d'une femme esclave étoient aussi esclaves par la naissance, suivant la maxime du droit romain, partus sequitur ventrem.

Enfin la peine de ceux qui s'étoient rendus indignes de la liberté, étoit de tomber dans l'esclavage, ce qui arrivoit à tous ceux qui avoient commis quelqu'action deshonorante & odieuse, tels que ceux qui s'étoient soustraits au dénombrement, ceux qui avoient deserté en tems de guerre, les affranchis qui étoient ingrats envers leur patron. Lorsqu'un criminel étoit condamné à quelque peine capitale, la peine étoit souvent commuée en celle de l'esclavage. Les femmes libres qui étoient devenues amoureuses d'un esclave participoient aussi à sa condition, mais Justinien abolit cette peine.

Quoique les esclaves fussent tous de même condition, on les distinguoit cependant par différens titres, selon l'emploi qu'ils avoient chez leur maître.

Ainsi servi actores étoient les intendans & économes des familles.

Ad manum, celui qui étoit propre à tout & employé à toutes sortes d'usages.

Ad limina custos, celui qui gardoit l'entrée de la maison. Voyez ci-après Atriensis.

Admissionales, ceux qui introduisoient chez les princes.

Adscriptii ou glebae adscripti, ceux qui étoient attachés à la culture d'une certaine terre, tellement qu'ils ne pouvoient être vendus qu'avec cette terre.

Ad vestem, celui qui avoit soin des habits & de la garde-robe.

A manu ou amanuensis, le secrétaire.

Analectae, ceux qui avoient soin de ramasser ce qui étoit tombé d'un festin, & de balayer la salle où l'on mangeoit.

Ante-ambulones, ceux qui conduisoient leurs maîtres pour leur faire faire place.

Aquarii, les porteurs d'eau.

Arcarii, ceux qui gardoient la caisse des marchands & banquiers.

Atriensis, celui qui gardoit l'atrium de la maison où l'on voyoit les images de cire des ancêtres d'une famille & les meubles ; on donnoit aussi ce nom au concierge ou garde-meubles.

Aucupes, ceux qui chassoient aux oiseaux.

Balneatores, les baigneurs. Voyez Unctores.

Calatores, ceux qui convoquoient les assemblées du peuple par curies & par centuries, ou les autres assemblées des prêtres & des pontifes.

Calculatores, calculateurs qui se servoient pour compter de petites pierres au lieu de jettons.

Capsarii, ceux qui gardoient dans les bains les habits de ceux qui se baignoient. On donnoit aussi ce nom à ceux qui suivoient les enfans de qualité allant aux lieux des exercices, & qui portoient leurs livres, à ceux qui tenoient la caisse des marchands & banquiers, enfin à ceux qui faisoient des caisses & des coffres à mettre de l'argent. Voyez Arcarii.

Cellarius, celui qui avoit soin du cellier & de la dépense.

Cubicularius, celui qui étoit à la chambre du prince, un valet-de-chambre.

Cursores, couriers, ceux qui portoient des nouvelles.

Dispensator, celui qui faisoit la dépense d'une famille, qui achetoit & payoit tout.

Emissarii, maquignons de maîtresses & de chevaux, ou émissaires qui cherchoient à découvrir quelque fait caché.

Ab ephemeride, celui qui avoit soin de consulter le calendrier romain, & d'avertir son maître du jour des calendes, des nones, & des ides.

Ab epistolis, celui qui écrivoit sous son maître les lettres qu'il lui dictoit, & servoit de secrétaire.

Fornacator, qui allumoit le fourneau des bains.

Janitores, portiers qui gardoient la porte pour l'ouvrir & la fermer.

Lecticarii, ceux qui portoient la litiere de leur maître, & ceux qui faisoient des litieres.

Liaetarii, ceux qui avoient soin des salles destinées à manger en été.

Librarii, qui transcrivoient les livres en notes abrégées.

Medici, ceux qui savoient & pratiquoient la Medecine.

Ministri ad ea quae sunt quietis, ceux qui faisoient faire silence. Voyez Silentiarii.

Molitores, ceux qui battoient le blé pour en tirer la farine avant l'usage des moulins.

Negociatores, ceux qui trafiquoient & négocioient.

Nomenclatores ou nomenculatores, ceux qui accompagnoient leurs maîtres & leur disoient les noms de ceux qui passoient.

Nutritii, ceux qui avoient soin de nourrir & élever les enfans.

Obsonatores, ceux qui alloient à la provision, qui achetoient des vivres.

Ostiarii, les portiers. Voyez Janitores.

Pastores, bergers.

A pedibus, valet-de-pié.

Peniculi, qui avoient soin de nettoyer la table avec une éponge.

Pistores, ceux qui faisoient le pain.

Pocillatores ou ad scyathos, les échansons, ceux qui versoient à boire.

Poenae, c'étoit un criminel qui étoit condamné aux mines.

Pollinctor, celui qui avoit soin de laver, d'oindre, & d'ajuster les corps des défunts.

Praegustator, qui faisoit l'essai du vin en servant son maître.

Procurator, qui avoit le soin des affaires de son maître.

Saccularii, ceux qui enlevoient d'un sac l'argent par des tours d'adresse.

Saltuarii, gardes bois.

Salutigeri, ceux qui alloient souhaiter le bon jour de la part de leurs maîtres.

Scoparii, les balayeurs, ceux qui avoient soin de nettoyer les latrines & les bassins des chaises-percées.

Ad scyathos. Voyez Pocillatores.

Silentiarii, ceux qui faisoient faire silence parmi les autres esclaves.

Structores, qui servoient & rangeoient les plats sur table.

Venatores, qui chassoient pour le maître.

Ad vestem ou à veste, valets de garde-robe.

Vestipici, ceux qui gardoient les habits, valets de garde-robe.

Villicus, qui avoit soin du bien de campagne.

Vividarii, qui avoient soin des vergers & boulingrins.

Vocatores, qui alloient convier à manger, les semoneurs.

Unctores, ceux qui oignoient avec des huiles de senteur les corps de ceux qui s'étoient baignés.

Les esclaves n'étoient point mis au rang des personnes, on ne les regardoit que comme des biens. Ils ne participoient point aux droits de la société ; tout ce qu'ils acquéroient tournoit au profit de leur maître ; ils pouvoient faire sa condition meilleure, mais non pas l'engager à son détriment : ils ne pouvoient contracter mariage ni aucune autre obligation civile ; mais quand ils promettoient quelque chose, ils étoient obligés naturellement ; ils étoient aussi obligés par leurs délits : ils ne pouvoient faire aucune disposition à cause de mort, ni être institués héritiers, ni être témoins dans aucun acte ; ils ne pouvoient accuser leur maître ni l'actionner en justice.

Par l'ancien droit romain, les maîtres avoient droit arbitraire de vie & mort sur les esclaves, la plûpart des autres nations n'en usoient pas ainsi ; cette sévérité fut adoucie par les lois des empereurs, & Adrien décerna la peine de mort contre ceux qui tueroient leurs esclaves sans raison, & même lorsque le maître usoit trop cruellement du droit de correction qu'il avoit sur son esclave, on l'obligeoit de le vendre.

Le commerce des esclaves & de leurs enfans fut toûjours permis à Rome ; ceux qui vendoient un esclave étoient obligés de le garantir & d'exposer ses défauts corporels aussi-bien que ceux de son caractere : il fut même ordonné par les édiles, que quand on meneroit un esclave au marché pour le vendre, on lui attacheroit un écriteau sur lequel toutes ses bonnes & mauvaises qualités étoient marquées ; à l'égard de ceux qui venoient des pays étrangers, comme on ne les connoissoit pas assez pour les garantir, on les exposoit piés & mains liées dans le marché, ce qui annonçoit que le maître ne se rendoit point garant de leurs bonnes ou mauvaises qualités.

L'affranchissement ou manumission étoit ordinairement la récompense des esclaves dont les maîtres étoient les plus satisfaits. Il se faisoit de trois manieres : savoir, manumissio per vindictam, lorsque le maître présentoit son esclave au magistrat ; depuis Constantin ces sortes d'affranchissemens se firent dans les églises : ou bien manumissio per epistolam & inter amicos, lorsque le maître l'affranchissoit dans un repas qu'il donnoit à ses amis ; enfin manumissio per testamentum, celle qui étoit faite par testament : l'effet de tous ces différens affranchissemens étoit de donner à l'esclave la liberté.

La loi fusia caninia avoit restraint le nombre d'esclaves qu'on pouvoit affranchir par testament, & vouloit qu'ils fussent désignés par leur nom propre ; mais cette loi fut abrogée par Justinien en faveur de la liberté.

L'esclavage n'ayant point été aboli par la loi de l'évangile, la coûtume d'avoir des esclaves a duré encore long-tems depuis le Christianisme, tant chez les Romains que chez plusieurs autres nations ; il y a encore des pays où les esclaves sont communs, comme en Pologne, où les paysans sont naturellement esclaves des gentilshommes.

En France il y avoit aussi autrefois des esclaves de même que chez les Romains, ce qui vint de ce que les Francs laisserent vivre les Gaulois & les Romains suivant leurs lois & leurs coûtumes.

Childebert ordonna en 554, que l'on ne passât point en débauches les nuits des vigiles de pâques, noël, & autres fêtes, à peine contre les contrevenans de condition servile & de cent coups de verge.

Outre les véritables esclaves, il y avoit en France beaucoup de serfs, qui tenoient un état mitoyen entre la servitude romaine & la liberté. Louis le Gros affranchit tous ceux qui étoient dans les terres de son domaine, & il obligea peu-à-peu les seigneurs de faire la même chose dans leurs terres. S. Louis & ses successeurs abolirent aussi autant qu'ils purent toutes les servitudes personnelles. Il y a pourtant encore des serfs de main-morte dans quelques coûtumes, qui sont en quelque sorte esclaves. V. SERFS.

Il y avoit même encore quelques esclaves en France dans le xiij. siecle ; en effet Philippe le Bel, en 1296, donna à Charles de France son frere comte de Valois, un juif de Pontoise, & il paya 300 liv. à Pierre de Chambly pour un juif qu'il avoit acheté de lui.

Mais présentement en France toutes personnes sont libres, & si-tôt qu'un esclave y entre, en se faisant baptiser il acquiert sa liberté, ce qui n'est établi par aucune loi, mais par un long usage qui a acquis force de loi.

Il ne reste plus d'esclaves proprement dits dans les pays de la domination de France, que dans les îles françoises de l'Amérique ; l'édit du mois de Mars 1685, appellé communément le code noir, contient plusieurs réglemens par rapport aux negres que l'on tient esclaves dans ces îles.

Cet édit ordonne que tous les esclaves qui seront dans les îles françoises seront baptisés, instruits dans la religion catholique, apostolique, & romaine : il est enjoint aux maîtres qui acheteront des negres nouvellement arrivés, d'en avertir dans huitaine les gouverneurs & intendans des îles, qui donneront les ordres pour les faire instruire & baptiser dans le tems convenable.

Les maîtres ne doivent point permettre ni souffrir que leurs esclaves fassent aucun exercice public ni assemblée, pour aucune autre religion.

On ne doit préposer à la direction des negres que des commandeurs faisant profession de la religion catholique, à peine de confiscation des negres contre les maîtres qui les auroient préposés, & de punition arbitraire contre les commandeurs qui auroient accepté cette charge.

Il est défendu aux Religionnaires d'apporter aucun trouble à leurs esclaves dans l'exercice de la religion catholique, à peine de punition exemplaire.

Il est pareillement défendu de faire travailler les esclaves les dimanches & fêtes, depuis l'heure de minuit jusqu'au minuit suivant, soit à la culture de la terre, à la manufacture des sucres, ou autres ouvrages, à peine d'amende & de punition arbitraire contre les maîtres, & de confiscation tant des sucres que des esclaves qui seront surpris dans le travail.

On ne doit pas non plus tenir ces jours-là le marché des negres, sur pareilles peines, & d'amende arbitraire contre les marchands.

Les hommes libres qui ont un ou plusieurs enfans de leur concubinage avec leurs esclaves, & les maîtres qui l'ont souffert, sont condamnés chacun à une amende de 2000 livres de sucre ; & si c'est le maître de l'esclave, il est en outre privé de l'esclave & des enfans, elle & eux sont confisqués au profit de l'hôpital, sans pouvoir jamais être affranchis. Ces peines n'ont cependant point lieu, lorsque le maître n'étant point marié à une autre, épouse en face d'église son esclave, laquelle est affranchie par ce moyen & les enfans rendus libres & légitimes.

Toutes les formalités prescrites par les ordonnances sont nécessaires pour le mariage des esclaves, excepté le consentement des pere & mere de l'esclave ; celui du maître suffit. Les curés ne doivent point marier les esclaves sans qu'on leur fasse apparoir de ce consentement. Il est aussi défendu aux maîtres d'user d'aucune contrainte sur leurs esclaves pour les marier contre leur gré.

Les enfans qui naissent d'un mariage entre esclaves sont aussi esclaves, & appartiennent aux maîtres des femmes esclaves, & non à ceux de leur mari, si le mari & la femme ont des maîtres différens.

Lorsqu'un esclave épouse une femme libre, les enfans tant mâles que femelles suivent la condition de leur mere, & sont libres comme elle nonobstant la servitude de leur pere ; & si le pere est libre & la mere esclave, les enfans sont pareillement esclaves.

Les maîtres doivent faire inhumer dans les cimetieres destinés à cet effet, les esclaves baptisés. Ceux qui décedent sans avoir reçu le baptême, sont inhumés dans quelque champ voisin du lieu où ils sont décédés.

Les esclaves ne peuvent porter aucunes armes offensives, ni de gros bâtons, à peine du foüet & de confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera saisis ; à l'exception de ceux qui sont envoyés à la chasse par leurs maîtres, & qui sont porteurs de leur billet ou marque connue.

Il est défendu aux esclaves de différens maîtres de s'attrouper, soit le jour ou la nuit, sous prétexte de nôces ou autrement, soit chez un de leurs maîtres ou ailleurs, encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle, qui ne peut être moindre que du foüet, & de la fleur-de-lis ; & en cas de fréquentes récidives & autres circonstances aggravantes, ils peuvent être punis de mort.

Les maîtres convaincus d'avoir permis ou toléré telles assemblées, composées d'autres esclaves que de ceux qui leur appartiennent, sont condamnés en leur propre & privé nom, à réparer tout le dommage qui aura été fait à leurs voisins à l'occasion de ces assemblées, en dix écus d'amende pour la premiere fois, & au double en cas de récidive.

Il est défendu aux esclaves de vendre des cannes de sucre pour quelque cause ou occasion que ce soit, même avec la permission de leur maître, à peine du foüet contre l'esclave, de dix livres contre le maître qui l'aura permis, & pareille amende contre l'acheteur.

Ils ne peuvent aussi exposer en vente au marché, ni porter dans les maisons pour vendre, aucunes denrées, fruits, légumes, bois, herbes, bestiaux de leurs manufactures, sans permission expresse de leurs maîtres par un billet ou par des marques connues, à peine de revendication des choses ainsi vendues sans restitution du prix par le maître, & de six livres d'amende à son profit contre l'acheteur. Il doit y avoir dans chaque marché deux personnes préposées pour tenir la main à cette disposition.

Les maîtres sont tenus de fournir chaque semaine à leurs esclaves, âgés de dix ans & au-dessus, pour leur nourriture, deux pots & demi mesure du pays de farine de Magnoc, ou trois cassaves pesant deux livres & demie chacun au moins, ou choses équivalant, avec deux livres de boeuf salé, ou trois livres de poisson, ou autres choses à proportion ; & aux enfans depuis qu'ils sont sevrés jusqu'à l'âge de dix ans, on doit fournir la moitié des mêmes vivres.

Il est défendu aux maîtres de donner aux esclaves de l'eau-de-vie de canne guildent, pour tenir lieu de ces vivres, ni de se décharger de la nourriture de leurs esclaves, en leur permettant de travailler certain jour de la semaine pour leur compte particulier.

Chaque esclave doit avoir par an deux habits de toile, ou quatre aulnes de toile au gré du maître.

Les esclaves qui ne sont point nourris, vêtus, & entretenus par leur maître, selon le réglement, peuvent en donner avis au procureur du roi, & mettre leurs mémoires entre ses mains, sur lesquels & même d'office les maîtres peuvent être poursuivis à sa requête & sans frais. La même chose doit être observée pour les crieries & traitemens inhumains des esclaves.

Ceux qui deviennent infirmes par vieillesse, maladie, ou autrement, soit que la maladie soit incurable ou non, doivent être nourris & entretenus par leur maître ; & en cas qu'il les eût abandonnés, les esclaves sont adjugés à l'hôpital, auquel les maîtres sont condamnés de payer six sous par jour pour chaque esclave pour sa nourriture & entretien.

Les esclaves ne peuvent rien avoir qui ne soit à leur maître ; & tout ce qui leur vient par industrie ou par la libéralité d'autres personnes ou autrement, est acquis en pleine propriété à leur maître, sans que les enfans des esclaves, leurs pere & mere, leurs parens, & tous autres libres ou esclaves, puissent rien prétendre par succession, disposition entre-vifs ou à cause de mort ; lesquelles dispositions sont nulles, ensemble toutes promesses & obligations qu'ils auroient faites, comme étant faites par gens incapables de disposer & de contracter de leur chef.

Les maîtres sont néanmoins tenus de ce que les esclaves ont fait par leur ordre, & de ce qu'ils ont géré & négocié dans la boutique, & pour le commerce auquel le maître les a préposés ; mais le maître n'est tenu que jusqu'à concurrence de ce qui a tourné à son profit. Le pécule que le maître a permis à son esclave, en est tenu après que le maître en a déduit par préférence ce qui peut lui en être dû, à moins que le pécule ne consistât en tout ou partie en marchandise, dont les esclaves auroient permission de faire trafic à part : le maître y viendroit par contribution avec les autres créanciers.

On ne peut pourvoir un esclave d'aucun office ni commission ayant quelque fonction publique, ni les constituer à gens pour autres que leur maître : ils ne peuvent être arbitres ; & si on les entend comme témoins, leur déposition ne sert que de mémoire, sans qu'on en puisse tirer aucune présomption, ni conjecture, ni adminicule de preuve : ils ne peuvent ester en jugement en matiere civile, soit en demandant ou défendant, ni être partie civile en matiere criminelle.

On peut les poursuivre criminellement sans qu'il soit besoin de rendre le maître partie, sinon en cas de complicité.

L'esclave qui frappe son maître, ou la femme de son maître, sa maîtresse, ou leurs enfans, avec contusion de sang, ou au visage, est puni de mort. Les autres excès commis sur des personnes libres, les vols, sont aussi punis séverement, même de mort s'il y échet.

En cas de vol ou autre dommage causé par l'esclave, outre la peine corporelle qu'il subit, le maître doit en son nom réparer le dommage, si mieux il n'aime abandonner l'esclave ; ce qu'il doit opter dans trois jours.

Un esclave qui a été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l'a dénoncé en justice, a les oreilles coupées & est marqué d'une fleur-de-lis sur l'épaule ; la seconde fois il est marqué de même, & on lui coupe le jarret ; la troisieme fois il est puni de mort.

Les affranchis qui donnent retraite aux esclaves fugitifs, sont condamnés par corps envers leur maître en l'amende de 300 livres de sucre pour chaque jour de retention.

L'esclave que l'on punit de mort sur la dénonciation de son maître, non complice du crime, est estimé avant l'exécution par deux personnes nommées par le juge, & le prix de l'estimation est payé au maître ; à l'effet dequoi il est imposé par l'intendant sur chaque tête de negre payant droit.

Il est permis aux maîtres, lorsque leurs esclaves l'ont mérité, de les faire enchaîner, de les faire battre de verges ou de cordes ; mais ils ne peuvent leur donner la torture, ni leur faire aucune mutilation de membre, à peine de confiscation des esclaves. Si un maître ou un commandeur tue un esclave à lui soûmis, il doit être poursuivi criminellement ; mais s'il y a lieu de l'absoudre, il n'est pas besoin pour cela de lettres de grace.

Les esclaves sont meubles, & comme tels entrent en communauté ; ils n'ont point de suite par hypotheque, se partagent également entre les héritiers, sans préciput ni droit d'aînesse ; ils ne sont point sujets au doüaire coûtumier, ni aux retraits féodal & lignager, aux droits seigneuriaux, aux formalités des decrets, ni au retranchement des quatre quints : on peut cependant les stipuler propres à soi, & aux siens de son côté & ligne.

Dans la saisie des esclaves, on suit les mêmes regles que pour les autres saisies mobiliaires ; il faut seulement observer que l'on ne peut saisir & vendre le mari & la femme & leurs enfans impuberes, s'ils sont tous sous la puissance du même maître. On doit observer la même chose dans les ventes volontaires.

Les esclaves âgés de 14 ans & au-dessus jusqu'à 60, travaillant actuellement dans les sucreries, indigoteries, & habitations, ne peuvent être saisis pour dettes, sinon pour ce qui sera dû sur le prix de leur achat, ou que la sucrerie, indigoterie, ou habitation, soit saisie réellement, les esclaves de cette qualité étant compris dans la saisie réelle.

Les enfans nés des esclaves depuis le bail judiciaire, n'appartiennent point au fermier, mais à la partie saisie, & sont ajoûtés à la saisie réelle. On ne distingue point dans l'ordre le prix des esclaves de celui du fonds ; mais les droits seigneuriaux ne sont payés qu'à proportion du fonds.

Les lignagers & seigneurs féodaux ne peuvent retirer les fonds decretés, sans retirer les esclaves vendus avec le fonds.

Les gardiens nobles & bourgeois, usufruitiers, admodiateurs, & autres, joüissant des fonds auxquels sont attachés des esclaves qui travaillent, doivent gouverner ces esclaves comme bons peres de famille, sans qu'ils soient tenus après leur administration de rendre le prix de ceux qui sont décédés ou diminués par maladie, vieillesse ou autrement, sans leur faute. Ils ne peuvent aussi leur retenir comme fruits les enfans nés des esclaves durant leur administration, lesquels doivent être rendus au propriétaire.

L'édit de 1685 permettoit aux maîtres âgés de 20 ans, d'affranchir leurs esclaves par acte entre-vifs, ou à cause de mort, sans être obligés d'en rendre raison, & sans avis de parens. Mais la déclaration du 15 Décembre 1723 défend aux mineurs, quoiqu'émancipés, de disposer des negres qui servent à exploiter leurs habitations, jusqu'à ce qu'ils ayent atteint l'âge de 25 ans accomplis, sans néanmoins que les negres cessent d'être réputés meubles par rapport à tous autres effets.

Les enfans d'esclaves qui sont nommés légataires universels par leur maître, ou nommés exécuteurs de son testament, ou tuteurs de ses enfans, sont réputés affranchis.

Ceux qui sont affranchis sont réputés régnicoles, sans qu'ils ayent besoin de lettres de naturalité.

Les affranchis sont obligés de porter un respect singulier à leurs anciens maîtres, à leurs veuves, & à leurs enfans ; en sorte que l'injure qu'ils leur font est punie plus grievement que si elle étoit faite à une autre personne : du reste les anciens maîtres ne peuvent prétendre d'eux aucun service ni droit sur leurs personnes & biens, ni sur leur succession.

Enfin l'édit accorde aux affranchis les mêmes droits, priviléges, & immunités dont joüissent les personnes nées libres.

L'édit du mois d'Octobre 1716, en confirmant celui de 1685, ordonne que lorsqu'un maître voudra amener en France un esclave negre, soit pour le fortifier dans notre religion, soit pour lui faire apprendre quelque art ou métier, il en obtiendra la permission du gouverneur ou commandant, qu'il la fera enregistrer au greffe de la jurisdiction du lieu de sa résidence avant son départ, & en celui de l'amirauté du lieu du débarquement, huitaine après l'arrivée en France. La même chose doit être observée, lorsque les maîtres envoyent leurs esclaves en France ; & au moyen de ces formalités, les esclaves ne pourront prétendre avoir acquis leur liberté sous prétexte de leur arrivée en France, & sont tenus de retourner dans les colonies quand leurs maîtres jugent à-propos.

Il est aussi défendu à toutes personnes d'enlever ni de soustraire en France les esclaves negres de la puissance de leurs maîtres, à peine de répondre de la valeur, & de 1000 livres d'amende pour chaque contravention.

Les esclaves negres de l'un & de l'autre sexe amenés ou envoyés en France, ne peuvent s'y marier sans le consentement de leurs maîtres ; & en vertu de ce consentement, les esclaves deviennent libres.

Pendant le séjour des esclaves en France, tout ce qu'ils peuvent acquérir par leur industrie ou par leur profession, en attendant qu'ils soient renvoyés dans les colonies, appartient à leurs maîtres, à la charge par ceux-ci de les nourrir & entretenir.

Si le maître qui a amené ou envoyé des esclaves en France vient à mourir, les esclaves restent sous la puissance des héritiers du maître décédé, lesquels doivent renvoyer les esclaves dans les colonies avec les autres biens de la succession, conformément à l'édit du mois de Mars 1685 ; à moins que le maître décédé ne leur eût accordé la liberté par testament ou autrement, auquel cas les esclaves seroient libres.

Les esclaves venant à décéder en France, leur pécule, si aucun y a, appartient à leur maître.

Il n'est pas permis aux maîtres, de vendre ni d'échanger leurs esclaves en France ; ils doivent les renvoyer dans les colonies pour y être négociés & employés, suivant l'édit de 1685.

Les esclaves negres étant sous la puissance de leur maître en France, ne peuvent ester en jugement en matiere civile, que sous l'autorité de leurs maîtres.

Il est défendu aux créanciers du maître de saisir les esclaves en France pour le payement de leur dû ; sauf à eux à les faire saisir dans les colonies, en la forme prescrite par l'édit de 1685.

En cas que quelques esclaves quittent les colonies sans la permission de leurs maîtres ; & qu'ils se retirent en France, ils ne peuvent prétendre avoir acquis leur liberté ; & il est permis à leurs maîtres de les réclamer par-tout où ils pourront s'être retirés, & de les renvoyer dans les colonies : il est même enjoint aux officiers des amirautés & autres qu'il appartiendra, de préter main-forte aux maîtres pour faire arrêter les esclaves.

Les habitans des colonies qui étant venus en France s'y établissent & veulent vendre leurs habitations, sont tenus dans un an du jour de la vente, & qu'ils auront cessé d'être colons, de renvoyer dans les colonies les esclaves negres de l'un & de l'autre sexe, qu'ils ont amenés ou envoyés dans le royaume. La même chose doit être observée par les officiers, un an après qu'ils ne seront plus employés dans les colonies ; & faute par les maîtres ou officiers de renvoyer ainsi leurs esclaves, ils seront libres.

Voyez, au digeste, les titres de servo corrupto ; de servis exportandis, &c. de fugitivis ; & au code de servis & colonis, si servus exportandus veneat ; si mancipium ita fuerit alienatum, &c. si mancipium ita venierit, &c. de furtis & servo corrupto ; si servus extraneo se emi mandaverit ; de servis reipublicae manumittendis ; de servo pignori dato manumisso, & les novelles de Léon, 9, 10, 11, 100, & 101. Voyez aussi AFFRANCHISSEMENT, MANUMISSION, SERF, SERVITEUR. (A).

* ESCLAVE, (Myth.) Hercule en étoit le dieu tutélaire. Hérodote dit que le temple que les Egyptiens lui avoient élevé, étoit un asile pour les esclaves.


ESCLAVONS. m. (Hist. mod.) ou LANGUE ESCLAVONNE, est la langue des Sclaves anciens peuples de la Scythie européenne, qui vers l'année 518 quitterent leur pays, ravagerent la Grece, fonderent des royaumes dans la Pologne & la Moravie, & enfin s'établirent dans l'Illyrie, qui prit d'eux le nom de Sclavonia. Voyez LANGUE.

L'esclavon passe pour être, après l'arabe, la langue la plus répandue depuis la mer Adriatique jusqu'à la mer du Nord, & depuis la mer Caspienne jusqu'à la mer Baltique. Cette langue est, dit-on, commune à un grand nombre de peuples différens, qui descendent tous des anciens Sclaves ; savoir, les Polonois, les Moscovites, les Bulgares, les Carinthiens, les Bohémiens, les Hongrois, les Prussiens, les peuples de Soüabe : cependant chacun de ces peuples a son dialecte particulier ; & l'esclavon est seulement la langue mere de tous ces idiomes particuliers, comme du polonois, du russien, du hongrois, &c.

Suivant une chronique latine de Sclavis composée par Helmold prêtre de Bosow, & par Arnould abbé de Lubec, & corrigée par M. Leibnitz, il paroît que les Sclaves habitoient autrefois les côtes de la mer Baltique, & que ces peuples se divisoient en Orientaux & Occidentaux : dans cette derniere classe étoient les Russiens, les Polonois, les Bohémiens, &c. & dans la premiere étoient les Vandales.

Don Maur-Orbini Roser, de l'ordre de Malte, dans son histoire italienne des Sclaves, intitulée il regno de gli Slavi, imprimée en 1601, prétend que ces peuples étoient originaires de Finlande en Scandinavie. Laurent Pribero de Dalmatie soûtient, dans un discours sur l'origine des Sclaves, que ces peuples venoient de Thrace, qu'ils étoient les mêmes que les Thraces, & descendoient de Thiras septieme fils de Japhet. Théod. Policarpowitz, dans un dictionnaire grec, latin & esclavon, imprimé à Moscow en 1704, remarque que le mot sclava, d'où est formé esclavon, signifie en cette langue gloire. Chambers. (G)


ESCOCHERv. act. (Boul.) c'est un terme particulierement à l'usage de ceux qui pétrissent le biscuit ; l'escocher, c'est en battre la pâte fortement avec la paume de la main, afin de le ramasser en une seule masse.


ESCOMPTES. m. (Arithmét. & Comm.) C'est en général la remise que fait le créancier, ou la perte à laquelle il se soûmet en faveur du payement anticipé qu'on lui fait d'une somme avant l'échéance du terme.

1. Plus particulierement escompter sur une somme, c'est en séparer les intérêts qu'on y suppose noyés & confondus avec leur capital.

2. Il y a deux manieres d'énoncer l'escompte ; on dit qu'il se fait à tant pour % par an (ou tel autre terme), ou qu'il se fait à tel denier. Nous nous en tiendrons à la premiere expression qui s'entend mieux, & qui est la plus usitée. Quant au moyen de ramener l'une à l'autre, voyez INTERET. Nous aurons souvent occasion de renvoyer à cet article, à cause de l'intime liaison qu'il y a entre les deux calculs ; & surtout parce que l'article INTERET (dont l'autre se déduit) devant naturellement précéder, si l'ordre alphabétique de cet ouvrage ne s'y opposoit, la matiere s'y trouve traitée plus à fond ; on y aura donc recours, même sans en être averti, s'il se trouve quelque point qui ne paroisse pas ici suffisamment expliqué.

3. Quand on dit que l'escompte se fait à tant pour % par an, par mois, par &c. un an, un mois, &c. est ce que nous nommerons terme d'escompte.

4. Dans toutes les questions de ce genre il entre nécessairement cinq élémens.

5. Comme c'est à exprimer t qu'on se trouve ordinairement le plus embarrassé, ce point demande quelque éclaircissement : t est proprement l'exposant du rapport du terme d'escompte au tems que le payement a été anticipé, c'est-à-dire celui-ci divisé par celui-là. La fraction subsiste, lorsque le diviseur n'est pas soûmultiple du dividende ; elle disparoît dans l'autre cas, qui est le plus ordinaire. C'est ce que les exemples feront mieux entendre.

6. Pour avoir r, faites d + it : d : : a : (a d)/(d + i t) = a x d/(d + i t).

Ainsi.... r = a x d/(d + i t).

7. Premier exemple. Un homme doit 1344 liv. payables dans quatre ans ; son créancier offre de lui escompter à raison de 3 pour % par an, s'il paye actuellement ; acceptant l'offre, que doit-il payer ?

Le même exemple retourné. Un homme qui devoit 1344 liv. exigibles dans un certain tems, s'acquite en payant actuellement 1200 liv. l'escompte étant à 3 pour % par an ; de combien d'années a-t-il anticipé le payement ?

Substituant dans la quatrieme formule, on trouve t = 100 x 144/3600 = 144/36 = 4.

8. Second exemple. Un homme doit 2000 liv. payables dans deux ans ; on offre de lui escompter à raison de 5 pour % par an, du jour qu'il pourra anticiper le payement ; il paye au bout de sept mois : quelle somme doit-il compter ?

Le payement est anticipé de deux ans-sept mois, ou réduisant les années en mois de 24 - 7 = 17. Prenant donc 17 pour numérateur de la fraction qui (n°. 5.) représente t, & lui donnant pour dénominateur le terme d'escompte un an aussi réduit en mois, on a t = 17/12.

Le même exemple retourné. Un homme qui devoit 2000 liv. payables dans deux ans, s'est acquité en payant au bout de sept mois 1867 liv. 181/257 ou 480000/257 liv. à combien pour % par an s'est fait l'escompte ?

Substituant dans la troisieme formule, on trouve (sous une expression que les fractions rendent nécessairement un peu compliquée)

i = 100 x = 100 x

= 1048560/209712 = 5.

9. La regle de change n'est souvent qu'une regle d'escompte ; & cela arrive lorsque le change se prend en-dedans de la somme principale. Un homme, par exemple, comptant à un banquier, sous cette condition, une somme de 3000 livres, de combien (le change supposé à 3 pour %) sera la lettre qu'il en recevra ?... appliquant la formule (& négligeant t qui n'est ici de nulle considération), on trouve qu'elle sera de 3000 x 100/103 = 300000/103 = 2912 liv. 64/103, le banquier retenant pour son droit 87 liv. 39/103.

Le même homme, s'il eût voulu que la lettre fût de 3000 liv. en plein, eût dû compter 3090 liv. le change montant alors à 90 liv.

Mais, demandera-t-on, pourquoi cette différence ? pourquoi l'intérêt étant le même, ajoûte-t-on dans un cas 90 liv. & que dans l'autre on n'ôte que 87 liv. 39/103 ? la réponse est bien simple, c'est que dans les deux cas on opere sur deux sommes différentes. Là, ce sont les intérêts de la somme même de 3000 liv. qu'on lui ajoûte ; ici, les intérêts qu'on ôte ne sont pas ceux de 3000 liv. mais d'une somme moindre qui y est renfermée & confondue avec eux. Cette somme même est 2912 liv. 64/103, dont les intérêts à 3 pour % produisent en effet 87 liv. 39/103 ; en sorte que la somme & ses intérêts font ensemble 3000 liv.

Tout ceci, comme on voit, n'est que la regle de trois dirigée par le jugement, & maniée avec un peu de dextérité.

On ne connoît dans le Commerce qu'une espece d'escompte ; c'est celle qu'on vient de voir, & qui correspond à l'intérêt simple : néanmoins comme escompter n'est proprement, ainsi qu'on l'a déjà observé, que séparer d'un capital un intérêt qui y est, ou du moins qu'on y suppose confondu, & que l'intérêt est de deux sortes, il semble qu'il doit y avoir aussi deux especes d'escompte, relatives chacune à l'espece d'intérêt qu'il est question de démêler d'avec le capital. En adoptant, si l'on veut, cette idée, nous avertissons que le supplément qu'elle semble exiger (& qui n'est guere que de pure curiosité) se trouve à l'article INTERET REDOUBLE, la seconde des formules qu'on y voit n'ayant pour objet que de retrouver une somme primitive confondue avec les intérêts & les intérêts d'intérêts. Nous y renvoyons donc pour éviter les redites. Cet article est de M. RALLIER DES OURMES, Conseiller d'honneur au présidial de Rennes.

En général soit 1/ m l'intérêt d'une somme S dû au bout d'un an, il est évident qu'on devra au bout de l'année S (1 + 1/ m) ; soit maintenant t le rapport d'un tems quelconque à une année, il est évident que dans le cas de l'intérêt simple (voyez INTERET), on devra au bout du tems t la somme S (1 + t/m), & que dans le cas de l'intérêt composé on devra la somme S (1 + 1/ m)t. Or si t = 1, ces deux quantités sont égales ; si t > 1, la seconde est plus grande que la premiere, comme il est aisé de le voir ; si t < 1, la premiere est plus grande que la seconde. Soit à présent S ce qu'on doit, en escomptant pour le tems t la somme q, on aura S (1 + t/m) = q dans le premier cas, & S (1 + 1/ m)t = q dans le second. Donc, 1°. si t = 1, l'escompte est le même dans le cas des deux intérêts. 2°. Si t > 1, la remise est plus grande dans le second cas que dans le premier ; c'est le contraire, si t < 1. Ainsi quand on escompte pour moins d'un an, il est avantageux à celui pour qui on escompte de supposer qu'il prête à intérêt compose ; c'est le contraire, si on escompte pour plus d'un an. C'est qu'en général l'intérêt composé est favorable au créancier pour les termes au-delà de l'année, & au débiteur pour les termes en-deçà. Voyez INTERET.

On voit aussi que pour trouver l'escompte de 100. liv. payables au bout d'un an, au denier 20, il faut prendre 100/(1 + 1/20) = (100. 20)/21 = 95 l. 4. s. 9 d. & non pas 95 l. comme l'on paye ordinairement. En effet il saute aux yeux que 95 liv. au bout d'un an doivent produire seulement 99 liv. 15 s. au den. 10, & non pas 100 liv. M. Deparcieux a déjà fait cette remarque, pag. 10 & 11 de son essai sur les probabilités de la durée de la vie humaine. La raison arithmétique de cette fausse opération, c'est que les banquiers prennent 100/(1 + 1/20) pour la même chose que 100 (1 - 1/20) : or 1/(1 + 1/20) est un peu plus grand que 1 - 1/20, puisque 1 est un peu plus grand que 1 - 1/400. (O)


ESCOPES. f. (Marine) c'est un brin de bois d'une très-médiocre grosseur, dont on se sert à jetter de l'eau de la mer le long du vaisseau, pour le laver & pour mouiller les voiles ; il est creusé par le bout & tient de la ligne droite & de la courbe, ayant un manche assez long. (Q)

ESCOPE, ECOPE, ESCOUPE, s. f. (Marine) c'est une sorte de petite pelle creuse, avec laquelle on puise & on jette l'eau qui entre dans une chaloupe ou dans un canot ; elle a le manche très-court, & il n'y en a que ce que la main peut empoigner. (Q)


ESCORTES. f. en terme de guerre, se dit d'une troupe qui accompagne un officier ou un convoi pour l'empêcher d'être pris par l'en nemi. Voyez CONVOI.

Les escortes doivent être proportionnées aux différens corps de troupes qu'elles peuvent avoir à combattre. Si elles sont à la suite d'un convoi, elles doivent être partie à la tête, à la queue, & sur les aîles ; elles doivent aussi envoyer des détachemens en-avant & sur les aîles pour examiner s'il n'y a point quelques embuscades à craindre de la part de l'ennemi. (Q)

ESCORTE (droit d') (Droit public & Histoire) jus conducendi ; c'est le droit qu'ont plusieurs princes d'Allemagne d'escorter moyennant une somme d'argent les marchands qui voyagent avec leurs marchandises ; il y a des princes de l'Empire qui ont le droit d'escorter même sur le territoire des autres. Ce droit tire son origine des tems où l'Allemagne étoit infestée de tyrans & de brigands qui en rendoient les routes peu sûres. Suivant les lois, celui qui a le droit d'escorter sur le territoire d'un autre, a aussi celui de punir les délits qui se commettent sur la voie publique ; & si pour ce droit on joüit du droit de péage, vectigal, on est tenu d'indemniser des pertes qu'on a souffertes. (-)


ESCOTS. m. (Marine) C'est l'angle le plus bas de la voile latine, qui est triangulaire. (Z)


ESCOTSS. m. pl. (Ardoisieres) C'est ainsi que l'on appelle au fond de ces carrieres des petits morceaux d'ardoise qui sont restés attachés à un banc, après qu'on en a séparé une grande piece, & qu'on en détache ensuite pour être employés. Voyez l'art. ARDOISE.


ESCOUADES. f. dans l'Art militaire, se dit d'un petit nombre de fantassins ou de soldats à pié. Une compagnie d'infanterie est ordinairement divisée en trois escoüades ; ce mot n'est en usage que parmi l'infanterie & non point dans la Cavalerie. On dit aussi, une escoüade de guet. (Q)

ESCOUADE BRISEE, c'est dans l'Art militaire une escoüade composée de soldats de différentes compagnies.


ESCOUSSOIRvoyez ECHANVROIR.


ESCRIMES. f. L'art de se défendre ou de se servir de l'épée pour blesser son ennemi, & se garantir soi-même de ses coups. Voy. EPEE & GARDE.

L'escrime est un des exercices qu'on apprend dans les académies, &c. Voyez EXERCICE & ACADEMIE. Le maître d'escrime s'appelle ordinairement parmi nous, maître en fait d'armes.

L'art de l'escrime s'acquiert en faisant des armes avec des fleurets appellés en latin rudes ; c'est pourquoi on appelle l'escrime, gladiatura rudiaria. Voyez GLADIATEUR.

On prétend que l'escrime est en si haute estime dans les Indes orientales, qu'il n'est permis qu'aux princes & aux nobles de s'adonner à cet exercice. Ils portent une marque ou une distinction sur leurs armes qu'on nomme dans leurs langues esaru, que les rois eux-mêmes leur donnent avec beaucoup de cérémonie, de même que les marques de distinction de nos ordres de chevalerie.

Montaigne nous apprend que de son tems toute la noblesse évitoit avec soin la réputation de savoir faire des armes, comme une chose capable de corrompre les bonnes moeurs. Voyez Dict. de Trévoux & Chambers.

Le mot escrime nous donne en général l'idée de combat entre deux personnes ; il désigne sur-tout le combat de l'épée, qui est si familier aux François, qui en ont fait une science qui a ses principes & ses regles. Le maître d'escrime commence par rompre le corps aux différentes attitudes qu'il doit affecter, pour rendre les articulations faciles, & donner de la souplesse dans les mouvemens ; ensuite il apprend à exécuter les mouvemens du bras & sur-tout de la main, qui portent les coups à l'ennemi ou qui tendent à éloigner les siens ; les premiers se nomment bottes, les seconds parades : il enseigne ensuite à mêler ces mouvemens pour tromper l'ennemi par de fausses attaques, ce qu'on nomme feintes ; enfin il vous apprend à vous servir à propos des feintes & des parades. Cette partie de l'art s'appelle assaut, & est vraiment l'image d'un combat. Voici en abrégé les élémens de l'escrime.

Dans la premiere attitude dans laquelle on se dispose à recevoir son ennemi ou à se lancer sur lui, le combattant doit avoir son pié gauche fermement appuyé sur la terre, & tourné de façon à favoriser la marche ordinaire, le pié droit tourné de façon à favoriser une marche sur le côté : les deux piés par ce moyen forment un angle droit ouvert par les pointes des souliers, & ils doivent être à trois, quatre ou cinq semelles l'un de l'autre disposés sur la même ligne ; de sorte cependant que si on veut faire passer le pié droit derriere le gauche, les deux talons ne puissent se choquer.

Les deux genoux doivent être un peu pliés, contre le principe de plusieurs qui font seulement plier la jambe gauche & font roidir la droite.

Le bassin dans l'attitude que j'adopte étant également fléchi sur les deux os femur, l'équilibre sera gardé, toutes les parties seront dans l'état de souplesse convenable, & les impulsions données se communiqueront & plus facilement, & plus rapidement.

Le tronc doit tomber à plomb sur le bassin ; il doit être effacé & suivre dans sa direction le pié droit, la tête doit se mouvoir librement sur le tronc, sans se pancher d'aucun côté ; la vûe doit se fixer au moins autant sur les mouvemens de l'adversaire que sur ses yeux.

Le bras droit ou le bras armé doit être étendu de façon à conserver une liberté entiere dans les mouvemens des articles : ce précepte est de la derniere conséquence, & fort opposé à celui de plusieurs maîtres qui font roidir le bras & le font tendre le plus qu'ils peuvent ; méthode condamnable ; car le combattant exécute ses mouvemens par les rotations de l'humérus, rotations très-lentes. Ajoûtez à cela que ces combattans font toûjours partir le corps le premier ; habitude la plus repréhensible de toutes celles que l'on peut contracter dans les armes : car dans ce cas on est un tems infini à porter son coup, & souvent on ne dégage pas. Quand le bras est un peu fléchi, le poignet a la facilité d'agir, ses mouvemens sont plus rapides ; vous avez déjà engagé le fer de votre adversaire du côté où il présente des jours, qu'il ne s'en est point apperçu : le bras en s'allongeant alors, seconde les mouvemens du poignet ; & le reste de la machine développant rapidement ses ressorts, se porte en-avant, & donne une forte impulsion au poignet dans la direction qu'il s'est choisie : il faut donc que les articulations de ce bras soient libres, sans qu'il soit trop raccourci.

Le fer doit être dirigé à la hauteur du tronc de l'adversaire, la pointe au corps.

Le bras gauche doit être un peu élevé, libre dans ses articles, & placé en forme d'arc sur la même ligne que le pié droit.

La seconde attitude est celle qu'on affecte dans l'extension, c'est-à-dire lorsque l'on se porte sur son ennemi.

A-t-on choisi un moment favorable pour s'élancer sur son adversaire ? le fer est-il engagé ? la tête de l'os du bras droit doit s'affermir dans sa cavité, & se porter vers le creux de l'aisselle ; on appelle cela dégagement des épaules ; cependant cet os du bras se dirige vers le corps de l'ennemi, & s'étend sur l'avant-bras qui s'affermit dans l'articulation du poignet ; celui-ci est ou en supination ou en pronation suivant les coups portés, afin de former opposition.

Pendant que tous ces mouvemens s'operent dans le bras, les muscles des autres parties obéissant également à la volonté, agissent & portent le corps enavant ; mais ce mouvement d'extension semble principalement être opéré par les muscles extenseurs des cuisses, qui dans leurs contractions écartent ces deux extrémités l'une de l'autre. Le bassin & le tronc se trouvent emportés en-avant par ce mouvement d'extension des extrémités, le pié droit s'éleve, parcourt en rasant la terre l'espace qui est entre lui & le pié de l'ennemi, & va tomber en droite ligne : il ne doit pas trop s'élever de terre.

Dans l'extension le corps doit avoir les attitudes suivantes.

Premierement les os du côté gauche doivent être affermis dans leurs articles, le pié du même côté ne doit point quitter la terre, toute la plante doit porter à plomb sur le sol.

Toute l'extrémité inférieure gauche doit donc être étendue, la droite au contraire fléchie dans toutes les articulations ; le bassin doit porter également sur ces deux extrémités, le tronc doit tomber à plomb sur le bassin. Ce précepte contrarie celui de quelques maîtres, qui après avoir fait poster dans la premiere attitude qu'on nomme garde, le tronc sur la partie gauche, veulent que dans l'attitude de l'extension le tronc se porte sur la partie droite ; il en résulte plusieurs inconvéniens, le tronc est dans une suspension gênante ; en outre il pese sur la partie qui doit se relever pour se porter en-arriere, & la fixe pour ainsi dire en-avant par sa gravité.

La tête doit rester droite sur le tronc & libre dans ses mouvemens ; pour la garantir il faut dégager les épaules, élever un peu le poignet, afin que tout le bras décrive un arc de cercle imperceptible : joignez à ceci une bonne opposition, & la tête sera éloignée & garantie des coups.

Quand on a porté son coup il faut se remettre en garde.

Après ces attitudes & ces mouvemens d'extension, viennent les mouvemens particuliers du poignet, comme dégagemens, bottes, &c. qui supposent la connoissance des mesures, des tems, des oppositions, & des appels.

La connoissance des mesures & des tems est le fruit d'un long travail & une science nécessaire des armes ; il faut un an pour acquérir la legereté, la souplesse & la promtitude des mouvemens.

Il faut des années pour apprendre à se battre en mesure, & à profiter des tems. La mesure est une juste proportion de distance entre deux adversaires de laquelle ils peuvent se toucher. On serre la mesure en avançant la jambe droite & en approchant ensuite la gauche dans la même proportion, de sorte qu'on se trouve dans la même situation où l'on étoit auparavant : ce mouvement doit approcher de l'ennemi ; on rompt la mesure quand on recule la jambe gauche de la droite, & que dans le second tems on approche la droite de la gauche ; ce mouvement doit éloigner de l'ennemi, on rompt toutes mesures en sautant en-arriere.

On désigne par le mot de tems les momens favorables que l'on doit choisir pour fondre sur l'ennemi, ils varient à l'infini, & il est impossible de rien dire de particulier là-dessus ; on manque les tems quand on part ou trop tôt ou trop tard ; on part trop tôt lorsque l'ennemi ne répondant point encore à de feints mouvemens qu'on a faits pour l'ébranler, on s'élance comme s'il y avoit répondu ; on part trop tard, lorsque voulant surprendre un ennemi dans ses propres mouvemens, on attend qu'il les ait exécutés & on ne part qu'en même tems que lui.

Quand on est en mesure on engage le fer, c'est-à-dire, que l'on croise son fer d'un ou d'autre côté avec celui de l'ennemi que l'on tâche toûjours de s'asservir en opposant le fort au foible. Voyez au mot EPEE ce que c'est que le fort & le foible.

Le dégagement est un mouvement promt & leger, par lequel sans déranger la pointe de son fer de la ligne du corps, on la passe par-dessus, ce qu'on appelle couper sur la pointe, ou par-dessous le fer de son ennemi, en observant comme nous venons de le dire, de s'en rendre maître autant que l'on peut par le moyen du fort au foible.

L'appel est un bruit que l'on fait sur la terre avec le pié qui doit partir, dans l'intention de déterminer son ennemi à faire quelque faux mouvement.

L'opposition a lieu dans les bottes & dans les parades, on oppose quand on courbe son poignet de façon que la convexité regarde le fer ennemi ; par ce moyen on éloigne l'épée de l'adversaire de la ligne de son corps, sans écarter la pointe de la sienne du corps de l'ennemi.

Quand on sait dégager & opposer, on s'exerce à tirer des bottes, c'est-à-dire à porter à l'ennemi des coups avec certaines positions du poignet qui caractérisent les bottes. Ces positions du poignet sont la supination, la pronation, & la position moyenne entre la supination & la pronation. Le poignet est en supination quand la paume de la main regarde le ciel. Il est en pronation quand la paume regarde la terre ; dans l'état moyen la paume de la main ne regarde ni la terre ni le ciel, mais elle est latéralement placée de façon que le pouce est en-haut : ces positions ne peuvent point se suppléer les unes aux autres, & on est obligé de les employer suivant les cas.

Les bottes sont la quarte simple, la quarte basse qui se tirent au-dedans de l'épée adverse, le poignet étant en supination.

La tierce, la seconde, ou tierce basse, qui se tirent au-dehors de l'épée.

La prime qui se tire au-dedans de l'épée, le poignet étant en pronation.

La quarte sur les armes, l'octave, la flanconade, qui se tirent au-dehors de l'épée, le poignet étant dans la position moyenne. Toutes ces bottes doivent être soûtenues par l'opposition la plus exacte.

Tous ces coups que l'ennemi peut porter dans leurs sens divers, obligent aux parades. On pare les coups de l'ennemi en frappant vivement & séchement son fer avec le sien, employant l'opposition la plus exacte & les différentes positions du poignet, suivant les cas ; observant de ne point parer de la pointe de l'épée, mais de la tenir toûjours dirigée vers l'ennemi.

La parade de quarte s'exécute en-dedans de l'épée par le poignet qui tombe en supination, & qui forme opposition.

La parade du demi-cercle s'exécute de même, mais est précédée d'un mouvement demi-circulaire du poignet, qui ramasse les coups portés bas de dehors en-dedans.

La parade de tierce haute, de tierce basse, s'exécute par l'opposition du poignet qui tombe en pronation dehors l'épée.

La parade de quarte sur les armes, d'octave, se forme dehors l'épée par l'opposition du poignet qui est dans une position moyenne.

La parade de prime exige la pronation du poignet, mais a lieu en-dedans de l'épée.

Quelques personnes parent d'une main, & tirent de l'autre ; ce qui paroît fort naturel & fort avantageux.

On peut placer ici les voltes qui ne sont que de certaines évolutions du corps, par lesquelles on s'éloigne soit à gauche, soit à droite, soit à demi, soit en entier de la ligne sur laquelle on attendoit l'ennemi. Ces évolutions tiennent lieu de parade contre un adversaire furieux qui s'élance sans regle & sans mesure. On peut mêler ses parades à l'infini, & déconcerter les desseins d'un adversaire : quand on s'est exercé à exécuter chaque botte, on apprend à les faire succéder à propos les unes aux autres, c'est-à-dire à former de feintes attaques.

Les principales sont les bottes de quarte en tierce, de tierce en quarte, les coulés sur le fer, &c.

On ne finiroit pas si on vouloit détailler toutes les feintes qui varient à l'infini, suivant les circonstances.

Lorsque l'athlete sait exécuter toutes les bottes, & les faire succéder avec vîtesse ; lorsqu'il sait former ses parades, les mêler, le maître d'escrime lui enseigne l'art de se servir à propos de ces coups & de ces parades, en lui présentant les occasions favorables de les mettre en usage avec précision, & par-là lui présente les accidens d'un combat dans lequel les coups se succedent en tout sens, suivent les parades, les précedent, &c. & cette image du combat s'appelle l'assaut.

Voici quelques préceptes généraux d'assaut, qu'on peut regarder comme des corollaires de ce qui précede.

I. Corollaire. Il faut se méfier de l'ennemi, & ne pas le craindre.

II. L'ennemi hors de mesure ne peut atteindre son estocade.

III. L'ennemi ne peut entrer en mesure sans avancer le pié gauche.

IV. L'ennemi en mesure ne peut porter l'estocade sans remuer le pié droit.

V. Quand on rompt la mesure il est inutile de parer.

VI. Si l'on n'est pas sûr de parer l'estocade, on rompt la mesure.

VII. Il ne faut jamais entrer en mesure sans être prêt à parer, car vous devez vous attendre que l'ennemi prendra ce tems pour vous porter une botte.

VIII. N'attaquez jamais l'ennemi par une feinte lorsque vous êtes en mesure ; car il pourroit vous prendre sur le tems, soit d'aventure ou de dessein prémédité. Voyez TEMS, ESTOCADE.

IX. Ne confondez pas la retraite avec rompre la mesure.

X. Quand l'ennemi rompt la mesure sur votre attaque, poursuivez-le avec feu & avec prudence.

XI. Quand il rompt la mesure de lui-même, ne le poursuivez pas ; car il veut vous attirer.

XII. Les battemens d'épée se font toûjours en mesure ; car hors de mesure ils seroient sans effet, puisqu'on ne pourroit saisir l'instant où l'on auroit ébranlé l'ennemi.

XIII. En mesure, on n'entreprend jamais une attaque en dégageant sans être prêt à parer l'estocade que l'ennemi vous pourroit porter sur ce tems.

XIV. Les plus grands mouvemens exposent le plus aux coups de l'ennemi.

XV. Lorsqu'on s'occupe d'un mouvement, quelque précipité qu'il soit, on se met en danger.

XVI. L'épée de l'ennemi ne peut être dehors & dedans les armes en même tems.

XVII. Pour éviter les coups fourrés, on ne détache jamais l'estocade d'une premiere attaque sans sentir l'épée de l'ennemi, & sans opposer.

XVIII. Quand on ne sent pas l'épée de l'ennemi, on ne détache l'estocade que lorsqu'il est ébranlé par une attaque.

XIX. La meilleure de toutes les attaques, est le coulement d'épée ; parce que le mouvement en est court & sensible, & qu'il détermine absolument l'ennemi à agir.

XX. A la suite d'un coulement d'épée, on peut faire une feinte pour mieux ébranler l'ennemi.

XXI. Ne détachez pas l'estocade où l'ennemi se seroit découvert, parce qu'il veut vous faire donner dedans ; mais si votre attaque le force à se découvrir, vous pouvez hardiment détacher la botte.

XXII. Toutes les fois que vous parez ou poussez, effacez. Voyez EFFACER.

XXIII. Quand vous parez ou poussez, ayez toûjours la pointe plus basse que le poignet.

XXIV. Quand l'ennemi pare le dedans des armes, il découvre le dehors, & quand il pare le dehors, il découvre le dedans, &c.

XXV. On ne peut frapper l'ennemi que dehors les armes, ou dans les armes.

XXVI. Tenez toûjours la pointe de votre épée vis-à-vis l'estomac de l'ennemi.

XXVII. Si l'ennemi détourne votre pointe d'un côté, faites-la passer de l'autre en dégageant.

XXVIII. Que votre épée n'aille jamais courir après celle de l'ennemi, car il profiteroit des découvertes que vous lui feriez ; mais remarquez son pié droit, & n'allez à la parade que lorsqu'il le détache. Voyez ALLER A L'EPEE.

XXIX. Après une attaque vive, faites retraite.

XXX. L'ennemi percera toûjours le côté qui est à découvert ; c'est pourquoi il ne faut pas allonger l'estocade sur cet endroit, mais feindre de la porter pour le prendre au défaut. Voyez DEFAUT.

Pour étudier plus en détail cette science, il faut lire Liancourt, la Batte, de Brie, Girard, Saint-Martin, &c. & sur-tout fréquenter l'arene. Voyez aux différens articles de cet Ouvrage chaque chose plus en détail, suivant la place qu'elle doit occuper dans l'ordre alphabétique. Voyez aussi nos Planches d'escrime avec leurs explications.


ESCULANUSS. m. (Myth.) dieu de l'airain.


ESCULAPES. m. (Myth.) dieu de la Medecine. Il est fils d'Apollon & de Coronis ; il perdit sa mere ; il fut alaité par une chevre ; le centaure Chyron l'éleva ; il apprit de ce maître la Médecine & les propriétés des plantes. Les nombreuses guérisons qu'il opéra exciterent les plaintes du dieu des morts ; Jupiter le foudroya à la sollicitation de Pluton ; Apollon pleura sa mort, & la vengea sur les cyclopes qui avoient forgé le foudre ; Jupiter en fit, à la sollicitation d'Apollon, la constellation du serpentaire. Epidaure lieu de la naissance d'Esculape, lui éleva les premiers autels qu'il ait eus. On le représenta tantôt sous la forme d'un serpent, tantôt sous la figure d'un homme qui tient à sa main un bâton autour duquel un serpent est entortillé ; le coq fut encore un de ses symboles. Il eut pour fils tous les grands medecins de l'antiquité ; on lui donne pour filles Hygie & Iaso, ou la santé & la guérison. Ses temples étoient en plaine campagne ; il y rendoit des oracles ; ceux d'Epidaure & de Pergame eurent beaucoup de célébrité ; il opéra plusieurs guérisons miraculeuses ; sa statue étoit d'ivoire à barbe d'or. La longue peste qui désola Rome l'an 462, fit passer dans cette capitale du monde le culte du dieu d'Epidaure. Sur l'avis des prêtres & des livres sibyllins, on alla chercher Esculape dans sa patrie ; le serpent qu'on y adoroit comme tel, s'offrit de lui-même, se promena dans les rues d'Epidaure pendant trois jours, se rendit de-là sur le vaisseau des ambassadeurs romains, s'empara de la chambre principale, & se laissa transporter paisiblement jusqu'à Antium où il s'élança hors du vaisseau, alla droit au temple qu'il avoit dans cet endroit, s'entortilla à une palme, & fit douter de son retour. Cependant il rentra dans le vaisseau, & se laissa conduire à Rome, où l'on eut à peine touché un des bords du Tibre, que le dieu serpent se jetta dans le fleuve, le traversa, & entra dans l'isle, où l'on bâtit dans la suite son temple. Mais le merveilleux de l'histoire, c'est qu'à peine fut-il arrivé que la peste cessa. Cet Esculape donné par les Epidauriens aux ambassadeurs romains, n'étoit apparemment qu'un de ces serpens qu'ils élevoient & qu'ils rendoient familiers ; & la cessation de la peste à l'arrivée du serpent ne doit être regardée que comme le concours fortuit de deux évenemens. Plus il y a d'évenemens combinés, plus l'esprit du peuple se porte fortement au prodige ; il ne peut concevoir que le cas qui l'étonne, quelque compliqué qu'il soit, n'est pas moins possible qu'un autre.


ESCUN(Géog. mod.) province du royaume de Maroc, en Afrique.


ESCURIALS. m. (Hist. mod.) ou comme l'écrivent les Espagnols, ESCORIAL, est un mot qui se rencontre fréquemment dans nos gazettes, & dans les nouvelles publiques. C'est un des lieux de la résidence des rois d'Espagne.

Escurial étoit originairement le nom d'un petit village d'Espagne, situé dans le royaume de Tolede, à sept lieues à l'occident de Madrid, & neuf à l'orient d'Avila. Ce village est sur une chaîne de montagnes, que quelques-uns appellent montagnes carpentaines ou carpentaniennes, & d'autres monts pyrenées, parce qu'elles sont une suite & comme une branche des grands monts pyrenées. Le roi Philippe II. fit bâtir en cet endroit un magnifique monastere pour les Hiéronimites, ou religieux de l'ordre de S. Jérome. Ce monastere est regardé par les Espagnols comme une des merveilles du monde ; & il est appellé l'Escurial.

Le P. François de los Padros, dans la description qu'il en a donnée, & qui a pour titre, description breve del monasterio de S. Lorenzo el real del Escorial, dit que ce monastere fut bâti par Philippe II. en mémoire de la bataille de S. Quentin, gagnée le jour de St. Laurent, & par l'intercession de ce saint, que les Espagnols ont en grande vénération.

Le roi & la reine d'Espagne y ont leurs appartemens, & le reste est habité par les moines. La plus grande partie des actes de cette cour étoit autrefois datée de l'Escurial.

Il y a dans l'Escurial une magnifique église, où Philippe IV. fit construire une très-belle chapelle, appellée Pantheon, ou Rotonde. Cette chapelle est le lieu de la sépulture des rois & des reines d'Espagne qui laissent des enfans ; ceux qui n'en laissent point sont enterrés dans un autre caveau de la même église, avec les infants & les autres princes. Voyez PANTHEON & ROTONDE. Dict. de Trév. & Chamb.

Ce monastere ou palais renferme trois bibliotheques, dans lesquelles on compte dix-huit mille volumes, & entr'autres trois mille manuscrits arabes. Voyez BIBLIOTHEQUE.

On prétend que les dépenses faites pendant trente-huit ans par Philippe II. pour la construction de l'Escurial, montent à cinq millions deux cent soixante & dix mille ducats, sans parler de plus d'un million qu'il employa pour les ornemens d'église ; à quoi il faut ajoûter les sommes immenses qu'a coûté la magnifique chapelle bâtie par les ordres de Philippe IV. Une partie de ce superbe édifice fut brûlée en 1671.


ESCUROLLES(Géog. mod.) petite ville du Bourbonnois, en France.


ESDRAou EZRA, (Théolog.) nom de deux livres canoniques de l'ancien Testament, dont le premier est connu sous le nom d'Esdras, & le second sous celui de Nehemias.

Ils sont ainsi appellés du nom de leurs auteurs. Esdras à qui l'on attribue le premier, fut grand prêtre des Juifs pendant la captivité, & particulierement vers le tems où ils retournerent en Palestine sous le regne d'Artaxerxe Longuemain. Il est appellé dans l'écriture scriba velox in lege Moysi, c'est-à-dire un docteur habile dans la loi de Moyse ; car le mot sopher, que la vulgate rend par scriba, ne signifie pas un écrivain, mais un docteur de la loi. Ce fut lui qui, selon les conjectures communes, recueillit tous les livres canoniques, les purgea des corruptions qui s'y étoient glissées, & les distingua en 22 livres, selon le nombre des lettres de l'alphabet hébreu. Ce qui a donné lieu à l'erreur de ceux qui ont pensé que les livres de l'ancien Testament étant perdus, il les avoit dictés de mémoire. On croit aussi que dans cette révision il changea quelques noms des lieux, & mit ceux qui étoient en usage à la place des anciens ; observation qui sert de réponse à plusieurs objections de Spinosa. On conjecture encore que par l'inspiration du S. Esprit, il ajoûta certaines choses arrivées après la mort des auteurs de ces livres.

Les deux livres d'Esdras sont canoniques & reconnus pour tels par la synagogue & par l'Eglise. Le troisieme & le quatrieme, qui se trouvent en latin dans les bibles ordinaires après l'oraison de Manassès, quoique reconnus pour canoniques en plusieurs pays, & particulierement chez les Grecs, sont regardés comme apocryphes par les Latins & même par les Anglicans. Le troisieme dont on a le texte grec, est une répétition de ce qui est contenu dans les deux premiers. Il est cité par S. Athanase, S. Augustin, S. Ambroise : S. Cyprien même semble l'avoir connu. Le quatrieme qu'on n'a qu'en latin, est plein de visions, de songes, & de quelques erreurs. Il est d'un autre auteur que le troisieme, & probablement de quelque juif converti.

Le canon d'Esdras est la collection des livres de l'Ecriture faite par ce pontife, qui selon Genebrard, de concert avec la grande synagogue, les distingua par livres, & ceux-ci par versets. S. Jérome dit qu'il les copia en caracteres chaldéens qui sont les quarrés, & laissa les anciens aux Samaritains. Il paroît que la synagogue ne s'en est pas tenue au canon d'Esdras, & qu'elle y a ajoûté d'autres livres ; témoin le livre d'Esdras lui-même, & celui de Nehemias. Voyez CANON. (G)


E. SI MI, E. MI LAou simplement E. caractere ou terme de Musique, qui indique la note de la gamme que nous appellons mi. Voyez GAMME. (S)


ESKIMAUX(Géog.) peuple sauvage de l'Amérique septentrionale, sur les côtes de la terre de Labrador & de la baie d'Hudson, pays extrêmement froids.

Ce sont les sauvages des sauvages, & les seuls de l'Amérique qu'on n'a jamais pû apprivoiser ; petits, blancs, gros, & vrais antropophages. On voit chez les autres peuples des manieres humaines, quoiqu'extraordinaires, mais dans ceux-ci tout est féroce & presqu'incroyable.

Malgré la rigueur du climat, ils n'allument point de feu, vivent de chasse, & se servent de fleches armées de pointes faites de dents de vaches marines, ou de pointes de fer quand ils en peuvent avoir. Ils mangent tout crud, racines, viande, & poisson. Leur nourriture la plus ordinaire est la chair de loups ou veaux marins ; ils sont aussi très-friands de l'huile qu'on en tire. Ils forment de la peau de ces sortes de bêtes, des sacs dans lesquels ils serrent pour le mauvais tems une provision de cette chair coupée par morceaux.

Ils ne quittent point leurs vêtemens, & habitent des trous soûterrains, où ils entrent à quatre pattes. Ils se font de petites tuniques de peaux d'oiseaux, la plume en-dedans, pour se mieux garantir du froid, & ont par-dessus en forme de chemise d'autres tuniques de boyaux ou peaux d'animaux cousues par bandes, pour que la pluie ne les pénetre point. Les femmes portent leurs petits-enfans sur leur dos, entre les deux tuniques, & tirent ces pauvres innocens par-dessous le bras ou par-dessus l'épaule pour leur donner le téton.

Ces sauvages construisent des canots avec des cuirs, & ils les couvrent par-dessus, laissant au milieu une ouverture comme à une bourse, dans laquelle un homme seul se met ; ensuite liant à sa ceinture cette espece de bourse, il rame avec un aviron à deux pelles, & affronte de cette maniere la tempête & les gros poissons.

Les Danois ont les premiers découvert les Eskimaux. Le pays qu'ils habitent est rempli de havres, de ports, & de baies, où les barques de Quebec vont chercher en troc de quincaillerie, les peaux de loups marins que ces sauvages leur apportent pendant l'été. Extrait d'une lettre de Ste Helene, du 30 Octobre 1751. Voyez aussi si vous voulez la relation du Groenland insérée dans les voyages du Nord, & ceux du baron de la Hontan : mais ne croyez point que ces livres satisfassent votre curiosité, ils ne contiennent que des fictions ; ce qui n'est pas étonnant, puisqu'aucun voyageur, ni aucun armateur, ne s'est encore hasardé de pénetrer dans le vaste pays de Labrador pour en pouvoir parler. Ainsi les Eskimaux sont le peuple sauvage de l'Amérique que nous connoissons le moins jusqu'à ce jour. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ESLINGEN(Géograph. mod.) ville du duché de Wirtemberg, dans le cercle de Soüabe, en Allemagne ; elle est située sur le Neckre. Long. 27. 50. lat. 48. 40.


ESMILIERv. act. terme d'Ouvrier de bâtiment ; c'est équarrir du moilon avec le marteau, & piquer son parement. (P)


ESMINou EMINE, s. f. (Commerce) sorte de mesure qui sert en quelques endroits à mesurer les grains & les légumes. Il y a aussi une autre émine qui étoit autrefois une mesure des liquides. Voyez HEMINE. (G)


ESMOUTIER(Géog. mod.) ville du Limosin, en France. Long. 19. 22. lat. 45. 45.


ESOTÉRIQUEadj. Voyez EXOTERIQUE.


ESPACEsubst. m. (Métaphys.) La question sur la nature de l'espace, est une des plus fameuses qui ayent partagé les Philosophes anciens & modernes ; aussi est-elle, selon plusieurs d'entr'eux, une des plus essentielle, par l'influence qu'elle a sur les plus importantes vérités de Métaphysique.

Les Philosophes en ont donné des définitions fort différentes, & même tout opposées. Les uns disent que l'espace n'est rien sans les corps, ni même rien de réel en lui-même ; que c'est une abstraction de l'esprit, un être idéal, que ce n'est que l'ordre des choses entant qu'elles co-existent, & qu'il n'y a point d'espace sans corps. D'autres au contraire soûtiennent que l'espace est un être absolu, réel, & distingué des corps qui y sont placés ; que c'est une étendue impalpable, pénétrable, non solide, le vase universel qui reçoit les corps qu'on y place ; en un mot une espece de fluide immatériel & étendu à l'infini, dans lequel les corps nagent.

Le sentiment d'un espace distingué de la matiere a été autrefois soûtenu par Epicure, Démocrite, & Leucippe, qui regardoient l'espace comme un être incorporel, impalpable, ni actif ni passif. Gassendi a renouvellé de nos jours cette opinion, & le célebre Locke dans son livre de l'entendement humain, ne distingue l'espace pur des corps qui le remplissent, que par la pénétrabilité.

Keill, dans son introduction à la véritable Physique, tous les disciples de Locke, ont soûtenu la même opinion ; Keill a même donné des théorèmes, par lesquels il prétend prouver que toute la matiere est parsemée de petits espaces ou interstices absolument vuides, & qu'il y a dans les corps beaucoup plus de vuide que de matiere solide.

L'autorité de M. Newton a fait embrasser l'opinion du vuide absolu à plusieurs mathématiciens. Ce grand homme croyoit, au rapport de M. Locke, qu'on pouvoit expliquer la création de la matiere, en supposant que Dieu auroit rendu plusieurs parties de l'espace impénétrables : on voit dans le scholium generale, qui est à la fin des principes de M. Newton, qu'il croyoit que l'espace étoit l'immensité de Dieu ; il l'appelle dans son optique le sensorium de Dieu, c'est-à-dire ce par le moyen de quoi Dieu est présent à toutes choses.

M. Clarke s'est donné beaucoup de peine pour soûtenir le sentiment de M. Newton, & le sien propre sur l'espace absolu, contre M. Leibnitz qui prétendoit que l'espace n'étoit que l'ordre des choses coexistantes. Donnons le précis des preuves dont les défenseurs de ces deux opinions se servent, & des objections qu'ils se font réciproquement.

Les partisans de l'espace absolu & réel appuient d'abord leur idée de tous les secours que l'imagination lui prête. Vous avez beau, disent-ils, anéantir toute matiere & tout corps, vous concevez que la place que cette matiere & ces corps occupoient subsiste encore, qu'on y pourroit remettre les mêmes choses, & qu'elle a les mêmes dimensions & propriétés. Transportez-vous aux bornes de la matiere, vous concevez au-delà un espace infini, dans lequel l'univers pourroit changer sans cesse de place. L'espace occupé par un corps, n'est pas l'étendue de ce corps ; mais le corps étendu existe dans cet espace, qui en est absolument indépendant ; car l'espace n'est point une affection d'un ou de plusieurs corps, ou d'un être borné, & il ne passe point d'un sujet à un autre. Les espaces bornés ne sont point des propriétés des substances bornées, ils ne sont que des parties de l'espace infini, dans lequel les substances bornées existent. Ensuite ces mêmes philosophes font sentir la difficulté qu'il y auroit pour les corps, de se mouvoir dans le plein absolu, contre lequel ils font trois objections principales : la premiere prise de l'impossibilité du mouvement dans le plein ; la seconde, de la différente pesanteur des corps ; & la troisieme, de la résistance par laquelle les corps qui se meuvent dans le plein, doivent perdre leur mouvement en très-peu de tems : mais l'examen de ces difficultés appartient à d'autres articles (V. PLEIN, VUIDE). Le reste des défenses & attaques dont se servent ceux qui maintiennent l'espace absolu, se trouve exposé dans le passage suivant ; il est tiré de la cinquieme réplique de M. Clarke à M. Leibnitz ; le savant anglois paroît y avoir fait ses derniers efforts sous ses étendards. " Voici, dit M. Clarke, voici ce me semble la principale raison de la confusion & des contradictions que l'on trouve dans ce que la plûpart des philosophes ont avancé sur la nature de l'espace. Les hommes sont naturellement portés, faute d'attention, à négliger une distinction très-nécessaire, & sans laquelle on ne peut raisonner clairement ; je veux dire qu'ils n'ont pas soin de distinguer, quoiqu'ils le dûssent toûjours faire, entre les termes abstraits & concrets, comme sont l'immensité & l'immense. Ils négligent aussi de faire une distinction entre les idées & les choses, comme sont l'idée de l'immensité que nous avons dans notre esprit, & l'immensité réelle qui existe actuellement hors de nous. Je crois que toutes les notions qu'on a eues touchant la nature de l'espace, ou que l'on peut s'en former, se réduisent à celles-ci : l'espace est un pur néant, ou il n'est qu'une simple idée, ou une simple relation d'une chose à une autre, ou bien il est la matiere de quelqu'autre substance, ou la propriété d'une substance.

Il est évident que l'espace n'est pas un pur néant ; car le néant n'a ni quantité, ni dimensions, ni aucune propriété. Ce principe est le premier fondement de toute sorte de science, & il fait voir la différence qu'il y a entre ce qui existe & ce qui n'existe pas.

Il est aussi évident que l'espace n'est pas une pure idée ; car il n'est pas possible de se former une idée de l'espace qui aille au-delà du fini, & cependant la raison nous enseigne que c'est une contradiction que l'espace lui-même ne soit pas actuellement infini.

Il n'est pas moins certain que l'espace n'est pas une simple relation d'une chose à une autre, qui résulte de leur situation ou de l'ordre qu'elles ont entr'elles, puisque l'espace est une quantité, ce qu'on ne peut pas dire des relations, telles que la situation & l'ordre. J'ajoûte que si le monde matériel est ou peut être borné, il faut nécessairement qu'il y ait une espace actuel ou possible au-delà de l'univers.

Il est aussi très-évident que l'espace n'est pas la matiere ; car en ce cas la matiere seroit nécessairement infinie, & il n'y auroit aucun espace qui ne résistât au mouvement, ce qui est contraire à l'expérience.

Il n'est pas moins certain que l'espace n'est aucune sorte de substance, puisque l'espace infini est l'immensité & non pas l'immense ; au lieu qu'une substance infinie est l'immense & non pas l'immensité ; comme la durée n'est pas une substance, parce qu'une durée infinie est l'éternité & non un être éternel ; mais une substance dont la durée est infinie, est un être éternel & non pas l'éternité.

Il s'ensuit donc nécessairement de ce qu'on vient de dire, que l'espace est une propriété de la même maniere que la durée. L'immensité est une propriété de l'être immense, comme l'éternité de l'être éternel.

Dieu n'existe point dans l'espace ni dans le tems, mais son existence est la cause de l'espace & du tems.... qui sont des suites nécessaires de son existence, & non des êtres distincts de lui dans lesquels il existe ". Voyez TEMS, ETERNITE.

L'espace, disent au contraire les Leibnitiens, est quelque chose de purement relatif, comme le tems ; c'est un ordre de co-existens, comme le tems est un ordre de successions ; car si l'espace étoit une propriété ou un attribut, il devroit être la propriété de quelque substance. Mais l'espace vuide borné que l'on suppose entre deux corps, de quelle substance sera-t-il la propriété ou l'affection ? dira-t-on que l'espace infini est l'immensité ? alors l'espace fini sera l'opposé de l'immensité, c'est-à-dire la mensurabilité ou l'étendue bornée : or l'étendue doit être l'affection d'un étendu ; mais si cet espace est vuide, il sera un attribut sans sujet. C'est pourquoi en faisant de l'espace une propriété, on tombe dans le sentiment qui en fait un ordre de choses, & non pas quelque chose d'absolu. Si l'espace est une réalité absolue, bien loin d'être une propriété opposée à la substance, il sera plus subsistant que les substances. Dieu ne le sauroit détruire, ni même changer en rien. Il est non-seulement immense dans le tout, mais encore immuable & éternel en chaque partie. Il y aura une infinité de choses éternelles hors de Dieu. Suivant cette hypothèse, tous les attributs de Dieu conviennent à l'espace ; car cet espace, s'il étoit possible, seroit réellement infini, immuable, incréé, nécessaire, incorporel, présent par-tout. C'est en partant de cette supposition, que Raphson a voulu démontrer géométriquement que l'espace est un attribut de Dieu, & qu'il exprime son essence infinie & illimitée.

De toutes les démonstrations contre la réalité de l'espace, celle que l'on fait valoir le plus est celle-ci : si l'espace étoit un être absolu, il y auroit quelque chose dont il seroit impossible qu'il y eût une raison suffisante. Ecoutons M. Leibnitz lui-même dans son troisieme écrit contre M. Clarke : " L'espace est quelque chose d'absolument uniforme, & sans les choses qui y sont placées, un point de l'espace ne differe absolument en rien d'un autre point de l'espace. Or il suit de cela (supposé que l'espace soit quelqu'autre chose en lui-même que l'ordre des corps entr'eux) qu'il est impossible qu'il y ait une raison pourquoi Dieu, gardant les mêmes situations des corps entr'eux, ait placé les corps dans l'espace ainsi & non pas autrement, & pourquoi tout n'a pas été pris à rebours, par exemple, par un échange de l'orient & de l'occident. Mais si l'espace n'est autre chose que cet ordre ou rapport, & n'est rien du tout sans les corps que la possibilité d'en mettre ; ces deux états, l'un tel qu'il est, l'autre pris à rebours, ne différeroient point entr'eux. Leur différence ne se trouve donc que dans la supposition chimérique de la réalité de l'espace en lui-même ; mais dans la vérité, l'un seroit précisément la même chose que l'autre, comme ils sont absolument indiscernables, &c. "

M. Clarke répondit à ce raisonnement, que la simple volonté de Dieu étoit la raison suffisante de la place de l'univers dans l'espace, & qu'il n'y en avoit point d'autre. On sent bien que les Leibnitiens ne se payerent pas de cette raison, ce qui au fond ne prouve rien contr'elle.

Voici, selon les Leibnitiens, comment nous venons à nous former l'idée de l'espace ; cet examen peut servir, selon eux, à découvrir la source des illusions que l'on s'est faites sur la nature de l'espace.

Nous sentons que lorsque nous considérons deux choses comme différentes, & que nous les distinguons l'une de l'autre, nous les plaçons dans notre esprit l'une hors de l'autre, ainsi nous voyons comme hors de nous tout ce que nous regardons comme différent de nous ; les exemples s'en présentent en foule. Si nous nous représentons dans notre imagination un édifice que nous n'aurons jamais vû, nous nous le représentons comme hors de nous, quoique nous sachions bien que l'idée que nous en avons existe en nous, & qu'il n'y a peut-être rien d'existant de cet édifice hors de notre idée ; mais nous nous le représentons comme hors de nous, parce que nous savons qu'il est différent de nous ; de même, si nous nous représentons idéalement deux hommes, ou que nous répétions dans notre esprit la représentation du même homme deux fois, nous les plaçons l'un hors de l'autre, parce que nous ne pouvons forcer notre esprit à imaginer qu'ils sont un & deux en même tems.

Il suit de-là que nous ne pouvons nous représenter plusieurs choses différentes comme faisant un, sans qu'il en résulte une notion attachée à cette diversité & à cette union des choses ; & cette notion nous la nommons étendue ; ainsi nous donnons de l'étendue à une ligne, entant que nous faisons attention à plusieurs parties diverses que nous voyons comme existant les unes hors des autres, qui sont unies ensemble, & qui sont par cette raison un seul tout.

Il est si vrai que la diversité & l'union font naître en nous l'idée de l'étendue, que quelques philosophes ont voulu faire passer notre ame pour quelque chose d'étendu, parce qu'ils y remarquoient plusieurs facultés différentes, qui cependant constituent un seul sujet, en quoi ils se trompoient : c'est abuser de la notion de l'étendue, que de regarder les attributs & les modes d'un être comme des êtres séparés, existans les uns hors des autres ; car ces attributs & ces modes sont inséparables de l'être qu'ils modifient.

Pour peu que l'on fasse attention à cette notion de l'étendue, on s'apperçoit que les parties de l'étendue, considérées par abstraction, & sans faire attention ni à leurs limites ni à leurs figures, ne doivent avoir aucune différence interne, elles doivent être similaires, & ne différer que par le nombre : car puisque pour former l'idée de l'étendue on ne considere que la pluralité des choses & leur union, d'où naît leur existance l'une hors de l'autre, & que l'on exclut toute autre détermination, toutes les parties étant les mêmes quant à la pluralité & à l'union, l'on peut substituer l'une à la place de l'autre, sans détruire ces deux déterminations de la pluralité & de l'union, auxquelles seules on fait attention ; & par conséquent deux parties quelconques d'étendue ne peuvent différer qu'entant qu'elles sont deux, & non pas une. Ainsi toute l'étendue doit être conçue comme étant uniforme, similaire, & n'ayant point de détermination interne qui en distingue les parties les unes des autres, puisque étant posées comme l'on voudra, il en résultera toûjours le même être ; & c'est de-là que nous vient l'idée de l'espace absolu que l'on regarde comme similaire & indiscernable. Cette notion de l'étendue est encore celle du corps géométrique ; car que l'on divise une ligne, comme & en autant de parties que l'on voudra ; il en résultera toûjours la même ligne en rassemblant ses parties, quelque transposition que l'on fasse entr'elles : il en est de même des surfaces & des corps géométriques.

Lorsque nous nous sommes ainsi formés dans notre imagination un être de la diversité de l'existance de plusieurs choses & de leur union, l'étendue, qui est cet être imaginaire, nous paroît distincte du tout réel dont nous l'avons séparée par abstraction, & nous nous figurons qu'elle peut subsister par elle même, parce que nous n'avons point besoin, pour la concevoir, des autres déterminations que les êtres, que l'on ne considere qu'entant qu'ils sont divers & unis, peuvent renfermer ; car notre esprit appercevant à part les déterminations qui constituent cet être idéal que nous nommons étendue, & concevant ensuite les autres qualités que nous en avons séparées mentalement, & qui ne font plus partie de l'idée que nous avons de cet être, il nous semble que nous portons toutes ces choses dans cet être idéal, que nous les y logeons, & que l'étendue les reçoit & les contient comme un vase reçoit la liqueur qu'on y verse. Ainsi entant que nous considérons la possibilité qu'il y a que plusieurs choses différentes puissent exister ensemble dans cet être abstrait que nous nommons étendue, nous nous formons la notion de l'espace, qui n'est en effet que celle de l'étendue, jointe à la possibilité de rendre aux êtres coexistans & unis, dont elle est formée, les déterminations dont on les avoit d'abord dépouillés par abstraction. On a donc raison, ajoûtent les Leibnitiens, de définir l'espace l'ordre des coexistans, c'est-à-dire la ressemblance dans la maniere de coexister des êtres ; car l'idée de l'espace naît de ce que l'on ne fait uniquement attention qu'à leur maniere d'exister l'un hors de l'autre, & que l'on se représente que cette coexistence de plusieurs êtres produit un certain ordre ou ressemblance dans leur maniere d'exister ; ensorte qu'un de ces êtres étant pris pour le premier, un autre devient le second, un autre le troisieme, &c.

On voit bien que cet être idéal d'étendue, que nous nous formons de la pluralité & de l'union de tous ces êtres, doit nous paroître une substance ; car entant que nous nous figurons plusieurs choses existantes ensemble, & dépouillées de toutes déterminations internes, cet être nous paroît durable ; & autant qu'il est possible, par un acte de l'entendement, de rendre à ces êtres les déterminations dont nous les avons dépouillées par abstraction, il semble à l'imagination que nous transportons quelque chose qui n'y étoit pas, & alors cet être nous paroît modifiable.

Il est donc certain, continuent les sectateurs de Leibnitz, qu'il n'y a d'espace qu'entant qu'il y a des choses réelles & coexistantes ; & sans ces choses il n'y auroit point d'espace. Cependant l'espace n'est pas les choses mêmes ; c'est un être qui en a été formé par abstraction, qui ne subsiste point hors des choses, mais qui n'est pourtant pas la même chose que les sujets dont on a fait cette abstraction ; car ces sujets renferment une infinité de choses qu'on a négligées en formant la notion de l'espace.

L'espace est aux êtres réels comme les nombres aux choses nombrées, lesquelles choses deviennent semblables & forment chacune une unité à l'égard du nombre, parce qu'on fait abstraction des déterminations internes de ces choses, & qu'on ne les considere qu'entant qu'elles peuvent faire une multitude, c'est-à-dire plusieurs unités ; car sans une multitude réelle des choses qu'on compte, il n'y auroit point de nombres réels & existans, mais seulement des nombres possibles : ainsi de même qu'il n'y a pas plus d'unités réelles qu'il n'y a de choses actuellement existantes, il n'y a pas non plus d'autres parties actuelles de l'espace que celles que les choses étendues actuellement existantes désignent ; & l'on ne peut admettre des parties dans l'espace actuel, qu'entant qu'il existe des êtres réels qui coexistent les uns avec les autres. Ceux donc, ajoûtent nos Leibnitiens, qui ont voulu appliquer à l'espace actuel les démonstrations qu'ils avoient déduites de l'espace imaginaire, ne pouvoient manquer de s'engager dans des labyrinthes d'erreur dont ils ne sauroient trouver l'issue.

Telles sont les deux opinions contraires sur la nature de l'espace ; elles ont l'une & l'autre des partisans distingués parmi les Philosophes. Je finirai cet article par une remarque judicieuse d'un grand physicien, c'est M. Musschenbroeck, qui s'exprime ainsi : " A quoi bon toutes ces disputes sur la possibilité ou l'impossibilité de l'espace ? car il pourroit arriver qu'il seroit seulement possible, & qu'il ne se trouveroit nulle part dans le monde, & alors toutes ces difficultés ne deviendroient-elles pas inutiles ? Il en est de même à l'égard de tout ce que les Philosophes disent touchant la possibilité : plusieurs d'entr'eux perdent ici bien du tems, prétendant que la Philosophie est une science qui doit traiter de la possibilité : certainement cette science seroit alors fort inutile & assujettie à bien des erreurs. En effet quel avantage me reviendroit-il d'employer mon tems à la recherche de tout ce qui est possible dans le monde, tandis que je négligerois de chercher ce qui est véritable ? d'ailleurs notre esprit est trop borné pour que nous puissions jamais connoître ce qui est possible ou ce qui ne l'est pas ; parce que nous connoissons si peu de choses, que nous ne prévoyons pas les contrariétés qui pourroient s'ensuivre de ce que nous croirions être possible ".

Cet article est tiré des papiers de M. FORMEY, qui l'a composé en partie sur le recueil des Lettres de Clarke, Leibnitz, Newton, Amsterd. 1740, & sur les inst. de Physique de madame du Châtelet. Nous ne prendrons point de parti sur la question de l'espace ; on peut voir, par tout ce qui a été dit au mot ELEMENS DES SCIENCES, combien cette question obscure est inutile à la Géométrie & à la Physique. Voyez TEMS, ETENDUE, MOUVEMENT, LIEU, VUIDE, CORPS, &c.

ESPACE, en Géométrie, signifie l'aire d'une figure renfermée ou bornée par les lignes droites ou courbes qui terminent cette figure.

L'espace parabolique est celui qui est renfermé par la parabole : de même l'espace elliptique, l'espace conchoïdal, l'espace cissoïdal sont ceux qui sont renfermés par l'ellipse, par la conchoïde, par la cissoïde, &c. Voyez ces mots ; voyez aussi QUADRATURE. Sur la nature de l'espace, tel que la Géométrie le considere, voyez l'article ETENDUE.

ESPACE, en Méchanique, est la ligne droite ou courbe que l'on conçoit qu'un point mobile décrit dans son mouvement. (O)

ESPACE, (Droit civil) étendue indéfinie de lieu, en longueur, largeur, hauteur & profondeur.

On met au rang des immeubles l'espace, qui de sa nature est entierement immobile. On peut le diviser en commun & particulier.

Le premier est celui des lieux publics, comme des places, des marchés, des temples, des théatres, des grands chemins, &c. l'autre est celui qui est perpendiculaire au sol d'une possession particuliere, par des lignes tirées tant du centre de la terre vers sa surface, que de la surface vers le ciel.

La possession de cet espace, aussi-loin qu'on peut y atteindre de dessus terre, est absolument nécessaire pour la possession du sol ; & par conséquent l'air qu'il renferme toûjours, quoique sujet à changer continuellement, doit aussi être regardé comme appartenant au propriétaire, par rapport aux droits qu'il a d'empêcher qu'aucun autre ne s'en serve ou n'y mette rien qui l'en prive, sans son consentement : cependant en vertu de la loi de l'humanité, il est tenu de ne refuser à personne un usage innocent de cet espace rempli d'air, & de ne rien exiger pour un tel service.

Chacun a aussi le droit naturel d'élever un bâtiment sur son sol, aussi haut qu'il le veut ; il peut encore creuser dans son sol aussi bas qu'il le juge à propos, quoique les lois civiles de certains pays adjugent au fisc ce qui se trouve dans les terres d'un particulier à une profondeur plus grande que celle où peut pénétrer le soc de la charrue.

Il faut au reste observer les lignes perpendiculaires tirées de la surface du sol, tant en haut qu'en bas : ainsi comme mon voisin ne sauroit légitimement élever un bâtiment qui, par quelque endroit, réponde directement à mon sol, quoiqu'il n'y soit pas appuyé, & qu'il porte sur des poutres prolongées en ligne horisontale ; de même je ne puis pas, à mon tour, faire une pyramide dont les côtés & les fondemens s'étendent au-delà de mon espace, à moins qu'il n'y ait à cet égard quelque convention entre mon voisin & moi ; c'est à quoi, pour le bien public, les lois s'opposent : ces lois sont fort sages en général, & les hommes toûjours insatiables & fort injustes en particulier. Article de M(D.J.)

ESPACE, en Musique, est cet intervalle qui se trouve entre une ligne & celle qui la suit immédiatement, en montant ou en descendant. Il y a quatre espaces entre les cinq lignes de la portée. Voyez PORTEE.

Guy Arétin ne posa d'abord des notes que sur les lignes ; mais ensuite, pour éviter la multiplication des lignes & ménager mieux la place, on en mit aussi dans les espaces. Voyez LIGNES. (S)

ESPACE. On appelle ainsi, dans l'usage de l'Imprimerie, ce qui sert à séparer dans la composition les mots les uns des autres : ce sont de petits morceaux de fonte de l'épaisseur du corps du caractere pour lequel ils sont fondus, & qui étant plus bas que la lettre, forment le vuide qui paroît dans l'impression entre chaque mot. Les espaces sont de différentes épaisseurs, il y en a de fortes, de minces & de moyennes, pour donner au compositeur la faculté de justifier. Voyez JUSTIFIER.


ESPACEMENTS. m. (Architect.) c'est dans l'art de bâtir, toute distance égale entre un corps & un autre : ainsi on dit l'espacement des poteaux d'une cloison, des solives d'un plancher, des chevrons d'un comble, des balustres d'un appui, &c. Espacer tant plein que vuide, c'est laisser les intervalles égaux aux solides. (P)


ESPACER(Jardinage) On se sert de ce terme pour marquer l'intervalle que l'on doit laisser d'un arbre à un autre. On espace ordinairement ceux des allées à 12 piés ; on les met dans la campagne à 17 & à 24 piés de distance. Les arbres à fruits de demi-tige dans les espaliers, se mettent à 12 piés avec un nain ou buisson entre deux ; lorsqu'ils sont de haute-tige ils demandent un espace de 4 toises avec un arbre entre deux : dans les vergers on les plante à 17 & à 24 piés. (K)


ESPADou ESPADON, s. m. (Cordier) est une palette de 2 piés de longueur, de 4 à 5 pouces de largeur & de 6 à 7 lignes d'épaisseur, dont on se sert pour espader le chanvre sur le chevalet. Voyez l'article & les Planches de la Corderie.

ESPADE, est une façon que l'on donne à la filasse après qu'elle a été broyée ; elle consiste à mettre du chanvre sur l'entaille du chevalet, & à le battre avec l'espade jusqu'à ce qu'il soit entierement net. Cette préparation a plusieurs avantages, elle débarrasse la filasse des petites parties de chenevottes qui y restent, ou des corps étrangers, feuilles, herbe, poussiere, &c. & de séparer du principal brin l'étoupe la plus grossiere, c'est-à-dire les brins de chanvre qui ont été rompus en plusieurs parties, ou très-bouchonnés. En second lieu, elle sépare les unes des autres les fibres longitudinales, qui par leur union forment des especes de rubans.

Il y a des provinces où au lieu d'espader le chanvre, on le pile avec des maillets.


ESPADEURSS. m. pl. (Corderie) ce sont les ouvriers qui travaillent à donner à la filasse la préparation nommée l'espade. Voyez CORDERIE.


ESPADONEMPEREUR, subst. m. (Hist. nat. Ichthiolog.) xiphias seu gladius ; poisson de mer qui a le bec fort allongé & fait en forme de glaive ou d'épée à deux tranchans, longue de deux coudées & dure comme un os. Voyez la Pl. XIII. fig. 22. On pourroit le distinguer de tout autre poisson par ce seul caractere qui lui est particulier. Il est aussi grand qu'un cétacée ; il pese plus de cent livres, & quelquefois même plus de deux cent, & il a cinq aulnes de longueur. Le corps est allongé & rond, & fort épais près de la tête : c'est la machoire du dessus qui se prolonge au point de former l'épée dont vient le nom d'espadon ; on croit qu'il a été appellé empereur, parce qu'on représente les empereurs avec une épée en main. La machoire du dessous est pointue par le bout ; il n'a qu'une nageoire sur le dos, mais elle s'étend presque d'un bout à l'autre : la queue est échancrée & a la figure d'un croissant. Ce poisson a une paire de nageoires auprès des oüies, & deux autres nageoires qui sont au-delà de l'anus : sa peau est rude & luisante, de couleur noire sur le dos, & blanche sur le ventre. L'espadon est très-fort ; il enfonce son bec pointu dans les navires, & il perce les plus grands poissons cétacées. Rai, synop. meth. pisc. Rond. hist. des poissons. Voyez POISSON. (I)

ESPADON, (Fourbiss.) grande & large épée qu'on tient à deux mains. Voyez ÉPEE.


ESPADOTS. m. terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Marennes ; c'est un instrument formé d'un petit fer d'environ 2 piés & demi de long, crochu par le bout, lequel on emmanche dans une petite perche d'environ 5 piés de long, plus grosse par le bout, qui sert de poignée. Les Pêcheurs se servent de cet instrument dans les écluses où ils vont la nuit avec des brandons de roseaux ou de paille ; & quand ils apperçoivent des poissons, ils les retirent avec le bout de l'espadot, & les tuent ensuite avec le même instrument.

Les langons sont des especes d'espadots formés de petites pointes ébarbelées, fichées au bout d'une perche : les foüannes ou fougnes ressemblent à celles qu'on trouvera décrites à l'article FOUANNE ; & les faucilles ne sont souvent que ces sortes de couteaux à scier des grains quand ils sont hors de service, ou quelques morceaux de fer crochus.


ESPAGNE(Géog. hist.) royaume considérable de l'Europe, borné par la mer, le Portugal & les Pyrénées : il a environ 240 lieues de long sur 200 de large. Long. 9. 21. lat. 36. 44.

Je laisse les autres détails aux Géographes, pour retracer ici le tableau qu'un grand peintre a fait des révolutions de ce royaume dans son Histoire du siecle de Louis XIV.

L'Espagne, soûmise tour-à-tour par les Carthaginois, par les Romains, par les Goths, par les Vandales, & par les Arabes qu'on nomme Maures, tomba sous la domination de Ferdinand, qui fut à juste titre surnommé roi d'Espagne, puisqu'il en réunit toutes les parties sous sa domination ; l'Aragon par lui-même, la Castille par Isabelle sa femme, le royaume de Grenade par sa conquête sur les Maures, & le royaume de Navarre par usurpation : il décéda en 1516.

Charles-Quint son successeur forma le projet de la monarchie universelle de notre continent chrétien, & n'abandonna son idée que par l'épuisement de ses forces & sa démission de l'empire en 1556.

Le vaste projet de monarchie universelle, commencé par cet empereur, fut soûtenu par Philippe II. son fils. Ce dernier voulut, du fond de l'escurial, subjuguer la Chrétienté par les négociations & par les armes ; il envahit le Portugal ; il désola la France ; il menaça l'Angleterre : mais plus propre à marchander de loin des esclaves qu'à combattre de près ses ennemis, il ne put ajoûter aucune conquête à la facile invasion du Portugal. Il sacrifia de son aveu quinze cent millions, qui font aujourd'hui plus de trois mille millions de notre monnoie, pour asservir la France & pour regagner les sept Provinces-Unies ; mais ses thrésors n'aboutirent qu'à enrichir les pays qu'il voulut dompter : il mourut en 1598.

Sous Philippe III. la grandeur espagnole ne fut qu'un vaste corps sans substance, qui avoit plus de réputation que de force. Ce Prince, moins guerrier encore & moins sage que Philippe II. eut peu de vertus de roi : il ternit son regne & affoiblit la monarchie par la superstition, ce vice des ames foibles, par les nombreuses colonies qu'il transplanta dans le Nouveau-Monde, & en chassant de ses états près de huit cent mille Maures, tandis qu'il auroit dû au contraire le peupler d'un pareil nombre de sujets : il finit ses jours en 1621.

Philippe IV. héritier de la foiblesse de son pere, perdit le Portugal par sa négligence, le Roussillon par la foiblesse de ses armes, & la Catalogne par l'abus du despotisme : il mourut en 1665.

Enfin l'inquisition, les moines, la fierté oisive des habitans, ont fait passer en d'autres mains les richesses du Nouveau-Monde. Ainsi ce beau royaume, qui imprima jadis tant de terreur à l'Europe, est par gradation tombé dans une décadence dont il aura de la peine à se relever.

Peu puissant au-dehors, pauvre & foible au-dedans, nulle industrie ne seconde encore dans ces climats heureux, les présens de la nature. Les soies de Valence, les belles laines de l'Andalousie & de la Castille, les piastres & les marchandises du Nouveau-Monde, sont moins pour l'Espagne que pour les nations commerçantes ; elles confient leur fortune aux Espagnols, & ne s'en sont jamais repenties : cette fidélité singuliere qu'ils avoient autrefois à garder les dépôts, & dont Justin fait l'éloge, ils l'ont encore aujourd'hui ; mais cette admirable qualité, jointe à leur paresse, forme un mêlange, dont il résulte des effets qui leur sont nuisibles. Les autres peuples font sous leurs yeux le commerce de leur monarchie ; & c'est vraisemblablement un bonheur pour l'Europe que le Mexique, le Pérou, & le Chily, soient possédés par une nation paresseuse.

Ce seroit sans doute un évenement bien singulier, si l'Amérique venoit à secoüer le joug de l'Espagne, & si pour lors un habile vice-roi des Indes, embrassant le parti des Amériquains, les soûtenoit de sa puissance & de son génie. Leurs terres produiroient bien-tôt nos fruits ; & leurs habitans n'ayant plus besoin de nos marchandises, ni de nos denrées, nous tomberions à-peu-près dans le même état d'indigence, où nous étions il y a quatre siecles. L'Espagne, je l'avoue, paroît à l'abri de cette révolution, mais l'empire de la fortune est bien étendu ; & la prudence des hommes peut-elle se flater de prévoir & de vaincre tous ses caprices ? Voyez ECOLE (philosophie de l'). Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ESPAGNOLETTES. f. (Drap.) étoffes de laine qui se fabriquent particulierement à Roüen, à Beauvais, & à Châlon. Les réglemens du commerce les ordonnent à Beauvais de laines d'Espagne pour la trame, ou des plus fines de France & du pays, sans agnelains ni peignons ; les croisées à cinquante-six portées, trois quarts & un seize de large, vingt-sept aunes de long, pour revenir foulées à demi-aune demi-quart de large, sur vingt-deux à vingt-trois aunes de long ; & les non-croisées à trente-six portées, trois quarts & demi de large, vingt-sept aunes de long, pour revenir foulées à demi-aune demi-quart de large, sur vingt-deux à vingt-trois aunes de long. Voyez les Régl. du Comm.

* ESPAGNOLETTE, (Econ. domestiq. & Serrurerie) espece de fermeture de fenêtre, dont on trouvera la description & la figure dans nos Planches de Serrurerie. En général, cette fermeture consiste en une longue barre de fer arrondie, attachée sur celui des deux battans de la fenêtre qui porte sur l'autre, & le contient ; à cette barre est unie, vers le milieu, une main qui fait mouvoir la barre sur elle-même ; les extrémités de la barre sont en crochet. Quand la barre est mûe sur elle-même, à l'aide de la main, de droite à gauche, les crochets sont reçus & retenus dans des gaches ; la main qui se meut aussi circulairement & verticalement sur une de ces extrémités, peut être arrêtée dans un crochet mobile attaché sur l'autre battant, & la fenêtre est fermée. Pour l'ouvrir, on fait sortir la main de son crochet, & par son moyen, on fait ensuite tourner la barre sur elle-même de gauche à droite ; alors ses extrémités sortent de leurs gaches, & la fenêtre est ouverte.


ESPALIERS. m. (Jardin) c'est une suite d'arbres fruitiers régulierement plantés contre des murs, assujettis par un treillage, & conduits avec intelligence pour former une tapisserie de verdure naturelle qui donne de beaux fruits, & qui fait le principal ornement des jardins potagers. L'espalier a aussi l'avantage de préserver les arbres de plusieurs intempéries, & d'avancer la maturité du fruit. Mais il faut des soins suivis, une culture entendue, & beaucoup d'art pour conduire les arbres en espalier ; c'est le point qui décele ordinairement l'ignorance des mauvais jardiniers, & c'est le chef-d'oeuvre de ceux qui ont assez d'habileté pour accorder la contrainte que l'on impose à l'arbre avec le rapport qu'on en attend. Tous les arbres à fruit ne sont pas propres à former un espalier : les fruits à pepin y conviennent moins que ceux à noyau, dont quelques especes y réussissent fort bien, & entr'autres le pêcher qui mérite sur-tout d'y être employé, quoiqu'il soit le plus difficile à conduire. La premiere & la principale attention, lorsqu'on veut planter un espalier, doit être de bien proportionner la distance des arbres, attendu que tout l'agrement & l'utilité qu'on peut se promettre d'un espalier, dépendront de ce premier arrangement. La distance des arbres, en pareil cas, doit se régler sur plusieurs circonstances auxquelles il faut avoir égard, comme à la hauteur des murs, à leur exposition, à la qualité du terrain, à la nature des arbres, &c. Les murs qui n'ont que huit à neuf piés, ne peuvent admettre que des arbres de basse tige, qu'il faut espacer à douze ou quinze piés. Si les murs ont environ douze piés d'élévation, on peut mettre alternativement entre chacun de ces arbres, d'autres fruitiers de six piés de tige pour garnir le haut des murailles. La bonne ou mauvaise qualité du sol doit décider du plus ou du moins de distance. L'exposition au nord, où les arbres poussent plus vigoureusement qu'au midi, en demande davantage : tout de même, quelques especes d'arbres occupent plus d'espace que d'autres ; il faut plus de place à l'abricotier qu'au pêcher, beaucoup plus au figuier, &c. La forme que l'on doit donner aux arbres en espaliers, n'est pas un objet indifférent : il semble d'abord qu'un espalier, dont tous les arbres en se réunissant garniroient entierement la muraille de verdure, devroit former le plus bel aspect ; mais cette uniformité n'est pas le but qu'on se doit proposer, parce qu'elle contrarieroit la production des fruits qui doivent faire le principal objet. Il faut au contraire que tous les arbres d'un espalier soient distinctement détachés les uns des autres, & qu'ils soient placés à une distance suffisante, pour permettre pendant toute leur durée d'étendre & d'arranger leurs branches, sans que la rencontre de celles des arbres voisins puisse y faire obstacle. Il a donc fallu leur approprier une forme particuliere qui, en se rapprochant le plus qu'il étoit possible de la façon dont les arbres prennent naturellement leur accroissement, fût autant agréable à l'oeil que favorable à la production du fruit. La figure d'une main ouverte, ou d'un éventail déplié, a paru la plus propre à remplir ces deux objets. Cependant comme la séve se porte plus volontiers dans les branches de l'arbre qui approchent de la ligne droite, que dans celles qui s'en écartent beaucoup, on doit avoir attention de laisser prendre aux arbres en espalier plus de hauteur que de largeur : très-différens en cela des arbres en contrespalier, auxquels il est d'usage de donner plus d'étendue en largeur qu'en hauteur, par des raisons de convenance. Voy. CONTRESPALIER. (c)


ESPALLEMENTS. m. terme en usage parmi les commis des aides, & qui signifie la même chose que jaugeage. Voyez JAUGEAGE.

Espallement ne se dit pourtant guere que du mesurage qui se fait dans les brasseries, lorsque les commis jaugent les cuves, bacs, & chaudieres dont se servent les brasseurs pour former leurs bieres, afin de faire l'évaluation des droits du roi.

L'article 2. du titre de l'ordonnance des aides de 1680, concernant les droits sur la biere, défend aux brasseurs de Paris & du reste du royaume, de se servir des cuves, chaudieres & bacs, que l'espallement n'en ait été fait avec le fermier ou les commis. Diction. de Comm. de Trév. & Chambers. (G)

Espallement se dit aussi de la comparaison qui se fait d'une mesure neuve avec la mesure originale ou matrice, pour ensuite l'étalonner & marquer de la lettre courante de l'année, si elle lui est trouvée égale & conforme.

Ce terme en ce sens n'est en usage que pour la vérification des mesures rondes qui servent à mesurer les grains, graines, fruits, légumes secs.

Louis XIV. ayant ordonné, par un édit du mois d'Octobre 1669, la fonte de nouveaux étalons sur lesquels se pût faire à l'avenir l'espallement des mesures de bois qui serviroient à la distribution & vente de toute nature de grains par le moyen de la trémie, régla aussi la maniere de faire cet espallement ou vérification, ainsi qu'il s'ensuit.

Le juré-mesureur-étalonneur met d'abord dans la trémie la quantité d'un minot & demi de graine de millet, & non autres, qu'il laisse couler dans l'étalon du minot à blé, jusqu'à ce qu'il soit comble. L'ayant ensuite radé, sans laisser grain sur bord, le millet qui reste dans cette mesure matrice est de nouveau mis dans la trémie pour en remplir une seconde fois le même étalon, où le grain est encore radé comme auparavant ; après quoi il est versé aussi par la trémie dans le minot qui doit être étalonné, & qui l'est en effet, & marqué de la lettre courante de l'année, s'il est trouvé de bonne contenance & de la même mesure que l'étalon. L'espallement des autres mesures, moindres que le minot, se fait à proportion, de la même maniere. Voyez MESURE & MINOT. Dictionnaire de Commerce & de Chambers. (G)


ESPALMER(Marine) c'est nettoyer, laver, & donner le suif depuis la quille jusqu'à la ligne de l'eau pour faire voguer un bâtiment avec plus de vîtesse. C'est la même chose que carener, mais le mot d'espalmer s'appliquoit autrefois particulierement aux galeres, & carener aux vaisseaux. (Z)


ESPARTS(Carriere) c'est ainsi qu'on appelle dans les carrieres, des six morceaux qui composent la civiere à tirer le moilon, les quatre qui sont emmortoisés avec les principales ou maîtresses pieces. Les esparts sont les plus petits.


ESPAVEvoyez EPAVE.


ESPECES. f. (Mét.) notion universelle qui se forme par l'abstraction des qualités qui sont les mêmes dans les individus. En examinant les individus, & les comparant entr'eux, je vois certains endroits par où ils se ressemblent ; je les sépare de ceux en quoi ils different ; & ces qualités communes, ainsi séparées, forment la notion d'une espece, qui comprend le nombre d'individus dans lesquels ces qualités se trouvent. La division des êtres en genre & en espece, n'est pas l'ouvrage de la Philosophie ; c'est celui de la nécessité. Les hommes sentant qu'il leur seroit impossible de tout reconnoître & distinguer, s'il falloit que chaque individu eût sa dénomination particuliere & indépendante, se hâterent de former ces classes indispensables pour l'usage, & essentielles au raisonnement ; mais si la Philosophie n'a pas inventé ces notions, c'est elle qui les épure, & qui de vagues qu'elles sont fréquemment dans la bouche du vulgaire, les rend fixes & déterminées, en suivant la méthode des Géometres, autant qu'elle est applicable à des êtres réels & physiques, dont l'essence n'est pas accessible comme celle des abstractions & des notions universelles.

La définition de l'espece exprime ordinairement celle du genre qui lui est supérieur, & les nouvelles déterminations qui par cette raison sont appellées spécifiques. En faisant attention à la production, ou génération des figures, les Géometres découvrent & démontrent la possibilité de nouvelles especes. Ce sont les qualités essentielles & les attributs qui servent à déterminer les especes ; mais à leur défaut, les possibilités des modes entrent aussi dans ces déterminations. Euclide définit d'abord la figure comme le genre suprème ; ensuite, après avoir donné l'idée du cercle, il passe aux figures rectilignes, qu'il considere comme un genre inférieur. De-là, continuant à descendre, il divise les figures rectilignes en trilateres, quadrilateres, & multilateres. Les figures trilateres se divisent de nouveau en équilatérales, isosceles, scalenes, &c. les quadrilateres en quarré, rhombe, trapeze, &c. Il s'en faut bien que cette précision puisse regner dans le développement des sujets réels & physiques. On n'en connoît que l'écorce, & il faut en détacher, le mieux qu'il est possible, ce qui paroît le plus propre à les caractériser. Or, faute de connoître l'essence de ces sujets, on ne suit pas la même route dans leurs définitions ; & de-là dans toutes les Sciences, ces disputes & ces embarras inconnus aux Géometres, entre lesquels les controverses ne sauroient exister, ou du moins ne sauroient durer. Jettez au contraire les yeux sur-toute autre science ; par exemple, sur la Botanique, les définitions y sont des descriptions d'êtres composés, dont on dénombre les parties, & dont on indique l'arrangement & la figure. Chaque botaniste choisissant ce qui le frappe le plus, vous ne reconnoîtrez pas la même plante décrite par deux d'entr'eux, au lieu que la notion du triangle ou du quarré est invariable entre les mains de quelque géometre que ce soit. Néanmoins, comme nous n'avons, ni ne pouvons rien espérer de meilleur que ces descriptions des sujets physiques, on doit travailler à les rendre de plus en plus complete s & distinctes, par les observations & par les expériences ; sur quoi voyez BOTANIQUE, METHODE, &c.

Les sujets qui ont les mêmes attributs propres, & les mêmes possibilités de mode, se rapportent à la même espece. Dans les êtres composés, les qualités des parties, & la maniere dont ces parties sont liées, servent à déterminer les especes. Voyez plus bas ESPECE, (Hist. nat.) Article de M. FORMEY.

ESPECE, en Arithmétique ; il y a dans cette science des grandeurs de même espece, & des grandeurs de différente espece.

Les grandeurs de même espece sont définies par quelques-uns, celles qui ont une même dénomination : ainsi 2 piés & 8 piés sont des grandeurs de même espece.

Les grandeurs de différente espece, selon les mêmes auteurs, ont des dénominations différentes ; par exemple, 3 piés & 3 pouces sont des grandeurs de différente espece. (E)

On définira plus exactement les grandeurs de différente espece, en disant que ce sont celles qui sont de nature différente ; par exemple, l'étendue & le tems, 12 heures & 12 toises sont des grandeurs de différente espece ; au contraire, 12 heures & 12 minutes d'heure sont de la même espece.

On ne sauroit multiplier l'une par l'autre des quantités de même espece, dans quelque sens qu'on prenne cette expression ; on ne peut multiplier des piés par des piés, ni des toises par des heures. Voyez -en la raison au mot MULTIPLICATION. On peut diviser l'une par l'autre des quantités de différente espece, prises dans le premier sens ; par exemple, 12 heures par 3 minutes (voyez DIVISION) ; mais on ne peut diviser l'une par l'autre des quantités de différente espece, prises dans le second sens ; par exemple, des toises par des heures. Voyez ABSTRAIT, CONCRET, &c.

On dit qu'un triangle est donné d'espece, quand chacun de ses angles est donné : dans ce cas, le rapport des côtés est donné aussi ; car tous les triangles équiangles sont semblables (voyez TRIANGLE & SEMBLABLE). Pour qu'une autre figure rectiligne quelconque soit donnée d'espece, il faut non-seulement que chaque angle soit donné, mais aussi le rapport des côtés.

On dit qu'une courbe est donnée d'espece, 1°. dans un sens plus étendu, lorsque la nature de la courbe est connue, lorsqu'on sait, par exemple, si c'est un cercle, une parabole, &c. 2°. dans un sens plus déterminé, lorsque la nature de la courbe est connue, & que cette courbe ayant plusieurs parametres, on connoît le rapport de ces parametres. Ainsi une ellipse est donnée d'espece, lorsqu'on connoît le rapport de ses axes ; il en est de même d'une hyperbole. Pour bien entendre ceci, il faut se rappeller que la construction d'une courbe suppose toûjours la connoissance de quelques lignes droites constantes qui entre dans l'équation de cette courbe, & qu'on nomme parametres de la courbe (voyez PARAMETRE). Les courbes qui n'ont qu'un parametre, comme les cercles, les paraboles, sont toutes semblables ; & si le parametre est donné, la courbe est donnée d'espece & de grandeur : les courbes qui ont plusieurs parametres, sont semblables quand leurs parametres ont entr'eux un même rapport. Ainsi deux ellipses, dont les axes sont entr'eux comme m est à n, sont semblables, & l'ellipse est donné d'espece quand on connoît le rapport de ses axes. Voyez SEMBLABLE & PARAMETRE. (O)

ESPECES IMPRESSES, ou ESPECES VISIBLES, sont, dans l'ancienne Philosophie, les images des corps que la lumiere produit, & peint dans leur vraie proportion & couleur au fond de l'oeil.

Les anciens donnoient ce nom à certaines images qu'ils supposoient s'élancer des corps, & venir frapper nos yeux. Ils n'avoient aucune idée de la façon dont les rayons de lumiere viennent se réunir dans le fond de l'oeil, & y peindre l'image des objets. Voyez VISION.

Les sectateurs d'Aristote s'imaginoient que ces images étoient immatérielles, & que cependant elles agissoient sur nos organes. Selon le système des philosophes modernes, ce n'est point l'image qui agit sur nos yeux ; car elle n'est qu'une peinture ou une espece d'ombre ; mais ce sont les rayons qui la forment par leur réunion, qui ébranlent les fibres de la nature, & cet ébranlement, communiqué au cerveau, est suivi de la sensation de la vûe.

Comme l'Encyclopédie est en partie l'histoire des opinions des hommes, voici une exposition & une réfutation abregée du système des anciens sur les especes. Celles que les objets impriment dans les sens extérieurs, sont par-là même appellées especes impresses ; elles sont alors matérielles & sensibles, mais l'intellect agent les rend intelligibles & propres à être reçûes par l'intellect patient : ces especes ainsi spiritualisées sont appellées especes expresses, parce qu'elles sont exprimées des impresses ; & c'est par elles que l'intellect patient connoît toutes les choses matérielles. Lucrece employe tout le IV. livre de son poëme à développer cette hypothèse des simulacres ou images, qui comme autant d'écorces & de membranes découlent perpétuellement de la surface des corps, & nous portent leurs especes & leurs figures.

Nunc agere incipiam tibi, quod vehementer ad has res

Attinet, esse ea quae rerum simulacra vocamus,

Quae quasi membranae summo de corpore rerum

Dereptae volitant ultro citroque per auras.

V. 33-37. & plus bas, v. 46-50.

Dico igitur rerum effigies, tenueisque figuras

Mittier ab rebus summo de corpore earum,

Quae quasi membrana vel cortex nominitanda est,

Quod speciem, aut formam similem gerit ejus imago, &c.

Diverses raisons détruisent entierement cette hypothèse.

1°. L'impénétrabilité des corps. Tous les objets, comme le soleil, les étoiles, & tous ceux qui sont proches de nos yeux, ne peuvent pas envoyer des especes qui soient d'autre nature qu'eux ; c'est pourquoi les Philosophes disent ordinairement que ces especes sont grossieres & matérielles, pour les distinguer des especes expresses qui sont spiritualisées : ces especes impresses des objets sont donc de petits corps ; elles ne peuvent donc pas se pénétrer, ni tous les espaces qui sont depuis la terre jusqu'au ciel, lesquels en doivent être tous remplis : d'où il est facile de conclure qu'elles devroient se froisser & se briser les unes allant d'un côté, & les autres de l'autre, & qu'ainsi elles ne peuvent rendre les objets visibles. De plus, on peut voir d'un même endroit & d'un même point un très-grand nombre d'objets qui sont dans le ciel & sur la terre : donc il faudroit que les especes de tous ces corps pussent se réduire en un point. Or elles sont impénétrables, puisqu'elles sont matérielles : donc, &c. Mais non-seulement on peut voir d'un même point un nombre immense de très-grands & de très-vastes objets ; il n'y a même aucun point dans tous ces grands espaces du monde d'où l'on ne puisse découvrir un nombre presque infini d'objets, & même d'objets aussi grands que le soleil, la lune, & les cieux : il n'y a donc aucun point dans l'Univers où les especes de toutes ces choses ne dussent se rencontrer ; ce qui est contre toute apparence de vérité.

2°. Le changement qui arrive dans les especes. Il est constant que plus un objet est proche, plus l'espece en doit être grand, puisque souvent nous voyons l'objet plus grand. On ne voit pas ce qui peut faire que cette espece diminue, & ce que peuvent devenir les parties qui la composoient lorsqu'elle étoit plus grande. Mais ce qui est encore plus difficile à concevoir selon ce sentiment, c'est que si on regarde un objet avec des lunettes d'approche ou un microscope, l'espece devient tout-d'un-coup cinq ou six cent fois plus grande qu'elle n'étoit auparavant ; car on voit encore moins de quelles parties elle peut s'accroître si fort en un instant.

3°. La différence qu'il y a entre certaines images & les objets qui les renvoyent. Quand on regarde un cube parfait, toutes les especes de ses côtés sont inégales, & néanmoins on ne laisse pas de voir tous ses côtés également quarrés. Et de même, lorsque l'on considere dans un tableau, sous un certain point de vûe, des ovales & des parallélogrammes qui ne peuvent envoyer que des especes de semblable figure, on n'y voit cependant que des cercles & des quarrés : de-là il s'ensuit évidemment qu'il n'est pas nécessaire que l'objet qu'on regarde produise, afin qu'on le voye, des especes qui lui soient semblables.

4°. La diminution que les corps en devroient souffrir. On ne peut pas concevoir comment il se peut faire qu'un corps qui ne diminue pas sensiblement, envoye toûjours hors de soi des especes de tous côtés, qu'il en remplisse continuellement de fort grands espaces tout-à-l'entour, & cela avec une vîtesse inconcevable : car un objet étant caché, dans l'instant même qu'il se découvre on le voit de plusieurs lieues & de tous les côtés ? On répondra peut-être que les odeurs sont des émanations qui n'affoiblissent point sensiblement le corps odoriférant ; mais quelle différence de ces émanations à celle de la lumiere, pour l'étendue qu'elles occupent ? Voyez ODEUR. Et ce qui paroît encore fort étrange, c'est que les corps qui ont beaucoup d'action, comme l'air & quelques autres, n'ont point la force de pousser au-dehors de ces images qui leur ressemblent ; ce que font les corps les plus grossiers, & qui ont le moins d'action, comme la terre, les pierres, & presque tous les corps durs.

A ces difficultés prises de ce qui se passe au-dehors on en pourroit joindre d'autres sur ce qui arrive intérieurement dans la transmutation des especes impresses & matérielles, en especes expresses & spiritualisées. Ces distinctions d'intellect agent & d'intellect patient, & cette multiplication des facultés attribués au sens intérieur & à l'entendement, sont autant de suppositions gratuites sur lesquelles on ne peut bâtir que des systèmes en l'air. Mais il reste si peu de partisans de ces anciennes chimeres, qu'il seroit superflu de s'y étendre davantage. Voyez Malebranche, rech. de la vérité, liv. III. part. II. chap. ij. Cet article est tiré des papiers de M. FORMEY.

ESPECE, (Hist. nat.) " Tous les individus semblables qui existent sur la surface de la terre, sont regardés comme composant l'espece de ces individus ; cependant ce n'est ni le nombre ni la collection des individus semblables qui fait l'espece, c'est la succession constante & le renouvellement non-interrompu de ces individus qui la constituent : car un être qui dureroit toûjours ne feroit pas une espece, non plus qu'un million d'êtres semblables qui dureroient aussi toûjours. L'espece est donc un mot abstrait & général, dont la chose n'existe qu'en considérant la nature dans la succession des tems, & dans la destruction constante & le renouvellement tout aussi constant des êtres : c'est en comparant la nature d'aujourd'hui à celle des autres tems, & les individus actuels aux individus passés, que nous avons pris une idée nette de ce que l'on appelle espece, & la comparaison du nombre ou de la ressemblance des individus n'est qu'une idée accessoire, & souvent indépendante de la premiere ; car l'âne ressemble au cheval plus que le barbet au levrier, cependant le barbet & le levrier ne font qu'une même espece, puisqu'ils produisent ensemble des individus qui peuvent eux-mêmes en produire d'autres ; au lieu que le cheval & l'âne sont certainement de différentes especes, puisqu'ils ne produisent ensemble que des individus viciés & inféconds.

C'est donc dans la diversité caractéristique des especes, que les intervalles des nuances de la nature sont les plus sensibles & les mieux marqués ; on pourroit même dire que ces intervalles entre les especes sont les plus égaux & les moins variables de tous, puisqu'on peut toûjours tirer une ligne de séparation entre deux especes, c'est-à-dire entre deux successions d'individus qui se produisent & ne peuvent se mêler, comme l'on peut aussi réunir en une seule espece deux successions d'individus qui se reproduisent en se mêlant. Ce point est le plus fixe que nous ayons en Histoire naturelle : toutes les autres ressemblances & toutes les autres différences que l'on pourroit saisir dans la comparaison des êtres, ne seroient ni si constantes, ni si réelles, ni si certaines....

L'espece n'étant donc autre chose qu'une succession constante d'individus semblables & qui se reproduisent, il est clair que cette dénomination ne doit s'étendre qu'aux animaux & aux végétaux, & que c'est par un abus des termes ou des idées, que les nomenclateurs l'ont employée pour désigner les différentes sortes de minéraux : on ne doit donc pas regarder le fer comme une espece, & le plomb comme une autre espece, mais seulement comme deux métaux différens.... " M. de Buffon, hist. nat. gen. & part. &c. tom. IV. p. 784 & suiv.

ESPECES, (Pharm.) en latin species. On entend, en Pharmacie, par especes, différentes drogues simples mêlées ensemble, & destinées à entrer dans les décoctions, dans les infusions, & même dans les électuaires. C'est ainsi qu'on dit espece de decoctum sudoriferum, especes de la confection hyacinthe, especes des tablettes diacarthami, &c.

On donne aussi ce nom à plusieurs poudres composées, officinales ; ainsi au lieu de dire la poudre de diarrhodon, on dit les especes diarrhodon, &c.

Les vulnéraires suisses s'appellent encore especes vulnéraires, &c.

On donne aussi le nom de thé aux especes qui sont destinées à être infusées ; ainsi on dit thé vulnéraire, thé céphalique, thé pectoral, aussi bien qu'especes vulnéraires, especes céphaliques, especes pectorales. (b)

ESPECES, (Chimie) Quelques auteurs de Chimie ont désigné par ce nom les produits généraux de l'ancienne analyse, ou les fameux principes des Chimistes, l'huile, le sel, &c. Voyez PRINCIPE. (b)

ESPECE, (Jurisp.) signifie quelquefois le fait & les circonstances qui ont précédé ou accompagné quelque chose : ainsi on dit l'espece d'une question, ou d'un jugement.

Espece signifie aussi quelquefois la chose même qui doit être rendue, & non pas une autre semblable. Il y a des choses fungibles qui peuvent être remplacées par d'autres, comme de l'argent, du grain, du vin, &c. mais les choses qui ne sont pas fungibles, comme un cheval, un boeuf, doivent être rendues en espece ; c'est-à-dire que l'on doit rendre précisément le même cheval ou boeuf qui a été prêté.

Especes, en style de Palais, signifie aussi quelquefois de l'argent comptant : on dit payable en especes ; on ajoûte quelquefois sonnantes, pour dire que le payement ne se fera point en billets. (A)

ESPECES, (Comm.) ce sont les différentes pieces de monnoie qui servent dans le Commerce, ou dans différentes actions de la vie civile, à payer le prix de la valeur des choses.

Il n'y a dans un état d'especes courantes, que celles autorisées par le prince : & le droit d'en faire fabriquer n'appartient qu'au souverain, & est un droit domanial de la couronne. Si anciennement divers seigneurs, barons, & évêques, avoient droit de faire battre monnoie, c'est que sans doute ce droit leur avoit été cédé avec la joüissance du fief, ou qu'ils le possédoient à titre de souveraineté ; ce qui sous les deux premieres races fut souffert dans le tems foible de l'autorité royale, tems où s'établit le genre d'autorité nommé suseraineté, espece de seigneurie que le bon droit eut tant de peine à détruire, après que le mauvais droit l'eut usurpé si facilement.

En 1262, l'ordonnance sur le fait des monnoies, dit que dans les terres où les barons n'avoient point de monnoie, il n'y aura que celle du roi qui y aura cours ; & que dans les terres où les barons auroient une monnoie, celle du roi aura cours pour le même prix qu'elle auroit dans ses domaines.

Philippe-le-Bel commença à reduire les hauts seigneurs à vendre leur droit de battre monnoie, & l'édit de 1313 gêna si fort la fabrication, qu'ils y renoncerent.

Philippe-le-Long songeoit quand il mourut (dit le président Hénault) à faire ensorte que dans la France on se servît de la même monnoie, & à rendre les poids & les mesures uniformes. Louis XI. eut depuis la même pensée. Voyez POIDS & MESURE.

Il n'appartient qu'à l'histoire de fixer le tems où l'on a commencé à fabriquer les différentes especes, de parler des matieres & des marques en usage dans les tems reculés.

Le but de l'Encyclopédie n'est que de faire remarquer aux hommes les choses qui se passent sous leurs yeux ; si l'on rappelle celles qui se sont passées, ce n'est que par le rapport qu'elles ont aux présentes, ou afin d'en faire une comparaison qui opere un avantage pour la reforme de ce qui se pratique. Il est bon de satisfaire la curiosité des lecteurs, il est mieux de les instruire utilement. Nous renvoyons donc à l'histoire pour tout ce qui n'est pas maintenant en usage. Il est à-propos cependant de parler du florin, du parisis, & du tournois. La premiere de ces especes étoit une monnoie réelle qui étoit fort sujette à varier d'autant plus souvent, que les rois de France regardoient les droits qu'ils retiroient de ces mutations comme une des principales branches de leurs revenus. En 1361, le bon florin, ou le florin de poids, valoit douze tournois d'argent, le tournois quinze deniers tournois, donc le florin valoit cent quatre-vingt deniers tournois, ou quinze sous tournois.

Le parisis n'est plus qu'un terme qui signifie le quart en sus. Ce nom vient de ce que la monnoie réelle frappée à Paris, valoit un quart en sus plus que celle frappée à Tours. Elle n'est plus d'usage ; nous n'en parlons que pour faire entendre que lorsqu'on trouvera dans quelque ordonnance ce terme employé, il signifie le quart en sus.

Le tournois étoit une monnoie frappée à Tours ; elle n'est plus monnoie réelle, elle est maintenant de compte : on dit une livre tournois, un sou tournois ; elle est moindre que le parisis du cinquieme, c'est celle qui est en usage aujourd'hui quant au terme seulement.

Les especes qui ont cours en France sont les pieces d'or, nommées anciennement écus. La fabrication des écus d'argent ne fut ordonnée qu'en Septembre 1641 ; & lorsqu'avant ce tems on parle d'écus, cela veut dire des écus d'or. Ce n'est pas qu'avant ce tems il n'y eût des especes d'argent ; la fabrication des grosses especes d'argent avoit commencé sous Louis XII. qui fit ouvrer les gros testons ; ils ont continué jusqu'à Henri III. lequel en interdisant leur fabrication, ordonna en 1575 celle des pieces de vingt sous, & en 1577 celle des pieces de moindre valeur ; mais aucune n'étoit nommée écu. Maintenant les pieces d'or s'appellent louis, soit quadruples, doubles, simples, & demi-louis.

Les pieces d'argent nommées écus doubles, que l'on appelle vulgairement gros écus, sont à six livres ; les écus simples ou petits écus, à trois livres ; les pieces de vingt-quatre sous, celles de douze sous, & de six sous.

Les pieces de bas billon & de cuivre sont les sous & les liards.

Quant aux especes des villes commerçantes de l'Europe, même des autres parties du monde, voyez le dictionnaire du Commerce au mot Monnoie.

L'or, l'argent, & le cuivre, ont été préférés pour la fabrication des especes. Ces métaux s'allient ensemble, il n'y a que le cuivre qui s'employe seul ; l'or s'allie avec l'argent & le cuivre, l'argent avec le cuivre seulement ; & lorsque la partie de cuivre est plus forte que celle d'argent, c'est ce qu'on appelle billon. Voyez BILLON & ALLIAGE.

En Angleterre on ne prend rien pour le droit du roi, ni pour les frais de la fabrication, ensorte que l'on rend poids pour poids aux particuliers qui vont porter des matieres à la monnoie : cela a été pratiqué plusieurs fois en France ; mais maintenant on prend le droit de seigneuriage, on ajoûte le grain de remede. Voyez MONNOYAGE au mot MONNOIE.

Les especes ont différens noms, suivant leur empreinte, comme les moutons, les angelots, les couronnes ; suivant le nom du prince, comme les louis, les henris (sur quoi il faut remarquer ce qu'on lit dans le pr. Hénault, que la premiere monnoie qui ait eu un buste en France est celle que la ville de Lyon fit frapper pour Charles VIII. & pour Anne de Bretagne ; la ville d'Aquila battit une monnoie en l'honneur de ce prince, dont la légende étoit françoise) ; suivant leur valeur, comme un écu de trois livres, une piece de vingt-quatre sous ; suivant le lieu où elles ont été frappées, comme un parisis, un tournois.

Les especes ont deux valeurs, une réelle & intrinseque, qui dépend de la taille qui est fixée maintenant en France à trente loüis au marc, lequel marc monnoyé vaut, en mettant le louis à vingt-quatre liv. prix actuel, sept cent vingt livres ; & pour les especes d'argent à huit 3/16 écus au marc, qui vaut monnoyé, en mettant l'écu à six livr. prix actuel, quarante-neuf livres seize sous.

L'autre valeur est imaginaire ; elle se nomme valeur de compte, parce qu'il est ordonné par l'ordonnance de 1667 de ne pas se servir dans les comptes d'autres dénominations que de celles de livres, sous, & deniers : cette valeur a eu beaucoup de variations ; elle étoit d'abord relative à la valeur intrinseque : une livre signifioit une livre pesant de la matiere dont il étoit question : un sou étoit la vingtieme partie du poids d'une livre ; & le denier la douzieme partie du sou ; mais il y eut tant d'altération dans les especes, que l'on s'est écarté au point où l'on est à présent. On lit dans le président Hénault que le sou & le denier n'avoient plus de valeur intrinseque que les deux tiers de ce qu'ils avoient valu sous saint Louis ; il en attribue la cause à la rareté de l'espece dans le royaume appauvri par les croisades ; ce qui ne contribuoit pas seul à augmenter la valeur numéraire, attendu que précédemment cette rareté étoit plus considérable, & la valeur beaucoup moindre. On en trouve la preuve dans deux faits rapportés par le même auteur sous le regne de Charles-le-Chauve. Vers l'an 837, il y eut un édit qui ordonna qu'il seroit tiré des coffres du roi cinquante livres d'argent pour être répandues dans le commerce, afin de réparer le tort que les especes décriées par une nouvelle fabrication avoient causé. Le second exemple est que le concile de Toulouse, tenu en 846, fixa à deux sous la contribution que chaque curé étoit tenu de fournir à son évêque, qui consistoit en un minot de froment, un minot de seigle, une mesure de vin, & un agneau ; & l'évêque pouvoit prendre à son choix ou ces quatre choses, ou les deux sous. Suivant le premier exemple, les cinquante liv. d'argent, tirées des coffres du roi, doivent revenir à 4980 l. (en supposant la livre de seize onces, il y a lieu de croire que semblable à la livre romaine, elle ne valoit que douze onces, qui n'en valoient pas même douze de notre poids de marc) ; si cette somme étoit capable de rétablir le crédit, il falloit effectivement que l'argent fût bien rare : au reste, suivant le second exemple, deux sous qui valoient tout au plus cinq livres d'à-présent, payant un minot de froment, un minot de seigle, une mesure de vin, & un agneau, montrent que peu d'argent procuroit beaucoup de denrées ; d'où il faut conclure que l'augmentation numéraire de la valeur de compte, n'augmente pas les richesses ; on n'est pas plus riche pour avoir plus à nombrer.

Nous ne nous étendrons point à détailler les augmentations périodiques de la valeur des especes ; nous renvoyons à la carte des parités réciproques de la livre numéraire ou de compte, proportionnément à l'augmentation arrivée sur le marc d'argent, dressée par M. Derius, chef du bureau de la compagnie des Indes, où l'on peut voir d'un coup-d'oeil la valeur respective de la livre numéraire, sous les différens regnes depuis Charlemagne jusqu'à présent. Voyez au surplus, le dictionnaire de Commerce au mot monnoie, où l'on a rapporté en détail les variations arrivées en France sur le fait des monnoies tant d'or que d'argent, depuis le mois de Mai 1718 jusqu'au dernier Mars 1726.

En tout pays l'espece d'or achete & paye celle d'argent, & plusieurs especes d'argent payent & achetent celle d'or, suivant & ainsi que la proportion de l'or à l'argent y est gardée, étant loisible à chacun de payer ce qu'il achete en especes d'or ou d'argent, au prix & à la proportion reçue dans le pays. En France, cette proportion est réduite & fixée par édit du mois de Septembre 1724, de 14 sous 1/2 environ, car il y a quelques différences : 14 marcs 1/2 d'argent valent 722 livres 2 s. & le marc d'or ne valut que 720 liv. comme nous l'avons dit ci-dessus, ce qui fait une différence de deux livres deux sous. Dans les autres pays cette proportion n'est pas uniforme ; mais en général la différence n'est pas considérable.

Cette proportion diversement observée, suivant les différentes ordonnances des princes, entre les villes qui commercent ensemble, fait la base du pair dans l'échange des monnoies. En effet, si toutes les especes & monnoies étoient dans tous les états au même titre & à la même loi qu'elles sont en France, les changes seroient au pair, c'est-à-dire que l'on recevroit un écu de 3 liv. dans une ville étrangere, pour un écu que l'on auroit donné à Paris ; si le change produisoit plus ou moins, ce seroit un effet de l'agiot & une suite nécessaire de la rareté ou de l'abondance des lettres ou de l'argent ; ce qui n'est d'aucune considération, attendu que si aujourd'hui les lettres sur Paris sont rares, elles le seront un autre jour sur Amsterdam, ainsi des autres villes : au lieu que l'on perd sur les remises qui se font dans les pays étrangers où l'argent est plus bas qu'en France. On veut remettre par exemple cent écus, monnoie de France, à trois livres, à Amsterdam, en supposant le change à 52 deniers de gros, on ne recevra que 130 livres ; parce que 52 deniers de gros ne sont que vingt-six sous, & qu'il y a trente-quatre sous de différence par écu : si au contraire on veut faire payer à Paris 100 écus de trois livres, & qu'on remette à Amsterdam la valeur en especes courantes audit lieu, en supposant le change au même prix, il n'en coûte que 5200 deniers de gros, qui divisés par cinquante-deux, donneront à recevoir à Paris, 100 écus valant 300 livres.

La réduction en monnoie de France des différentes especes qui ont cours dans toutes les villes de commerce est faite en tant d'endroits, qu'il est inutile de répéter ce que l'on trouve dans le dictionnaire de Commerce, le parfait négociant de Savary, la bibliotheque des jeunes négocians par M. Delarue, le traité des changes étrangers par M. Derius, & beaucoup d'autres livres qui sont entre les mains de tout le monde. Cet article est de M. DUFOUR.

De la circulation, du surhaussement, & de l'abaissement des especes. Tout ce qui suit est tiré du traité des élémens du Commerce de M. de Forboney ; ouvrage dont il avoit destiné les matériaux à l'Encyclopédie, & qu'il a publié séparément ; afin d'en étendre encore davantage l'utilité.

La multiplication des besoins des hommes par celle des denrées, introduisit dans le commerce un changement qui en fait la seconde époque. Voyez l'article COMMERCE. Les échanges des denrées entre elles étant devenus impossibles, on chercha par une convention unanime quelques signes des denrées, dont l'échange avec elles fût plus commode, & qui pussent les représenter dans leur absence. Afin que ces signes fussent durables & susceptibles de beaucoup de divisions sans se détruire, on choisit les métaux ; & parmi eux les plus rares pour en faciliter le transport. L'or, l'argent & le cuivre devinrent la représentation de toutes les choses qui pouvoient être vendues & achetées. Voyez les articles OR, ARGENT, CUIVRE & MONNOIE.

Alors il se trouva trois sortes de richesses. Les richesses naturelles, c'est-à-dire les productions de la nature ; les richesses artificielles ou les productions de l'industrie des hommes ; & ces deux genres sont compris sous le nom de richesses réelles : enfin, les richesses de convention, c'est-à-dire les métaux établis pour représenter les richesses réelles. Toutes les denrées n'étant pas d'une égale abondance, il est clair qu'on devoit exiger en échange des plus rares, une plus grande quantité des denrées abondantes. Ainsi les métaux ne pouvoient remplir leur office de signe, qu'en se subdivisant dans une infinité de parties.

Les trois métaux reconnus pour signes des denrées ne se trouvent pas non plus dans la même abondance. De toute comparaison résulte un rapport ; ainsi un poids égal de chacun des métaux devoit encore nécessairement être le signe d'une quantité inégale des mêmes denrées.

D'un autre côté, chacun de ces métaux tel que la nature le produit, n'est pas toujours également parfait ; c'est-à-dire, qu'il entre dans sa composition plus ou moins de parties hétérogenes. Aussi les hommes en reconnoissant ces divers degrés de finesse, convinrent-ils d'une expression qui les indiquât.

Pour la commodité du commerce, il convenoit que chaque portion des différens métaux fût accompagnée d'un certificat de sa finesse & de son poids. Mais la bonne foi diminuant parmi les hommes à mesure que leurs desirs augmentoient, il étoit nécessaire que ce certificat portât un caractere d'autenticité.

C'est ce que lui donna chaque législateur dans sa société, en mettant son empreinte sur toutes les portions des divers métaux : & ces portions s'appellerent monnoie en général.

La dénomination particuliere de chaque piece de monnoie fut d'abord prise de son poids. Depuis, la mauvaise foi des hommes le diminua ; & même les princes en retrancherent dans des tems peu éclairés où l'on séparoit leur intérêt de celui du peuple & de la confiance publique. La dénomination resta, mais ne fut qu'idéale : d'où vint une distinction entre la valeur numéraire ou la maniere de compter, & la valeur intrinseque ou réelle.

De l'autenticité requise pour la sûreté du commerce, dans les divisions de métaux appellées monnoies, il s'ensuit que le chef de chaque société a seul droit de les faire fabriquer, & de leur donner son empreinte.

Des divers degrés de finesse & de pesanteur dont ces divisions de métaux sont susceptibles, on doit conclure que les monnoies n'ont d'autre valeur intrinseque que leur poids & leur titre ; aussi est-ce d'après cela seul que les diverses sociétés reglent leurs payemens entr'elles.

C'est-à-dire que se trouvant une inégalité dans l'abondance des trois métaux, & dans les divers degrés de finesse dont chacun d'eux est susceptible, les hommes sont convenus en général de deux choses.

1°. De termes pour exprimer les parties de la plus grande finesse dont chacun de ces métaux soit susceptible.

2°. A finesse égale de donner un plus grand volume des moins rares en échange des plus rares.

De ces deux proportions, la premiere est déterminée entre tous les hommes.

La seconde ne l'est pas avec la même précision, parce qu'outre l'inégalité générale dans l'abondance respective des trois métaux, il y en a une particuliere à chaque pays. D'où il résulte que les métaux étant supposés de la plus grande finesse respective chez un peuple, s'il échange le métal le plus rare avec un plus grand volume des autres métaux, que ne le font les peuples voisins, on lui portera ce métal rare en assez grande abondance, pour qu'il soit bien-tôt dépouillé des métaux dont il ne fait pas une estime proportionnée à celle que les autres peuples lui accordent.

Comme toute société a des besoins extérieurs dont les métaux sont les signes ou les équivalens ; il est clair que celle dont nous parlons, payera ses besoins extérieurs relativement plus cher que les autres sociétés ; enfin qu'elle ne pourra acheter autant de choses au-dehors.

Si elle vend, il est également évident qu'elle recevra de la chose vendue une valeur moindre qu'elle n'en avoit dans l'opinion des autres hommes.

Tout ce qui n'est que de convention a nécessairement l'opinion la plus générale pour mesure ; ainsi les richesses en métaux n'ont de réalité pour leurs possesseurs, que par l'usage que les autres hommes permettent d'en faire avec eux : d'où nous devons conclure que le peuple qui donne à l'un des métaux une valeur plus grande que ses voisins, est réellement & relativement appauvri par l'échange qui s'en fait avec les métaux qu'il ne prise pas assez.

Soit en Europe, la proportion commune d'un poids d'or équivalent à un poids d'argent comme un à quinze. Soit a une livre d'or, & b une livre d'argent, a = 15 b.

Si un peuple hausse cette proportion en faveur de l'or, & que a = 16 b.

Les nations voisines lui apporteront a pour recevoir 16 b. Leur profit b sera la perte de ce peuple par chaque livre d'or qu'il échangera contre l'argent.

Il ne suffit pas encore que le législateur observe la proportion du poids que suivent les états voisins. Comme le degré de finesse ou le titre de ses monnoies dépend de sa volonté, il faut qu'il se conforme à la proportion unanimement établie entre les parties de la plus grande finesse, dont chaque métal est susceptible.

S'il ne donne pas à ses monnoies le plus grand degré de finesse, il faut que les termes diminués soient continuellement proportionnels aux plus grands termes.

Soient les parties de la plus grande finesse de l'or représentées par 16 c ; les parties de la plus grande finesse de l'argent par 6 d.

Si l'on veut monnoyer de l'or qui ne contienne que la moitié des parties de la plus grande finesse dont ce métal est susceptible, elles seront représentées par 8 c.

Conservant la proportion du poids entre l'or & l'argent, il faut que le titre de ce dernier soit équivalant à 3 d. Parce que 8 c. 3 d : : 16 c. 6 d.

Si la proportion du titre est haussée en faveur de l'or, & que 8 c = 4 d, les étrangers apporteront de l'or de pareil titre pour l'échanger contre l'argent. La différence d, ou la quatrieme partie de fin de chaque piece de monnoie d'argent enlevée sera leur profit. Dès-lors l'état sur qui il est fait en est appauvri réellement & relativement. La même chose s'opérera sur l'or, si la proportion du titre est haussée en faveur de l'argent.

Ainsi l'intérêt de chaque société exige que la monnoie fabriquée avec chaque métal, se trouve en raison exacte & composée de la proportion unanime des titres, & de la proportion du poids observée par les états voisins.

Dans les suppositions que nous avons établies,

a + 16 c = 15 b + 6 d

a + 8 c = 15 b + 3 d

Et ainsi du reste. Ou bien si l'une de ces proportions est rompue, il faut la rétablir par l'autre :

a + 16 c = 30 b + 3 d : : a + 16 c = 15 b + 6 d

a + 8 c = 7 1/2 b + 6 d : : a + 8 c = 15 b + 3 d

D'où il s'ensuit que l'alliage ou les parties hétérogenes qui composent avec les parties de fin le poids d'une piece de monnoie, ne sont point évaluées dans l'échange qui s'en fait avec les étrangers, soit pour d'autres monnoies, soit pour des denrées.

Ces parties d'alliage ont cependant une valeur intrinseque ; dès-lors on peut dire que le peuple qui donne le moins de degrés de finesse à ses monnoies, perd plus dans l'échange qu'il fait avec les étrangers ; qu'à volume égal de la masse des signes, il est moins riche qu'un autre.

De ce que nous venons de dire, on doit encore conclure que les titres étant égaux, c'est la quantité qu'il faut donner du métal le moins rare pour équivalent du métal le plus rare, qui forme le rapport ou la proportion entr'eux.

Lorsqu'un état a coûtume de recevoir annuellement une quantité de métaux pour compenser l'excédent des denrées qu'il vend sur celles qu'il achete ; & que sans s'écarter des proportions dont nous venons de parler au point de laisser une différence capable d'encourager l'extraction d'un de ses métaux monnoyés, il présente un petit avantage à l'un des métaux hors d'oeuvre sur l'autre : il est clair que la balance lui sera payée avec le métal préféré ; conséquemment après un certain nombre d'années, ce métal sera relativement plus abondant dans le Commerce que les autres. Si cette préférence étoit réduite, ce seroit augmenter la perte du peuple, qui paye la majeure partie de cette balance.

Si ce métal préféré est le plus précieux de tous ; étant par cela même moins susceptible de petites divisions & plus portatif, il est probable que beaucoup de denrées, mais principalement les choses que le riche paye lui même, hausseront plus de prix que si la préférence eût été donnée à un métal moins rare.

On conçoit que plus il y a dans un pays de subdivisions de valeurs dans chaque espece de métaux monnoyés, plus il est aisé aux acheteurs de disputer sur le prix avec les vendeurs, & de partager le différend.

Conséquemment si les subdivisions de l'or, de l'argent & du cuivre, ne sont pas dans une certaine proportion entr'elles, les choses payées par le riche en personne, doivent augmenter de prix dans une proportion plus grande que les richesses générales, parce que souvent le riche ne se donne ni le tems ni la peine de disputer sur le prix de ce qu'il desire ; quelquefois même il en a honte. Cette observation n'est pas aussi frivole qu'elle pourra le paroître au premier aspect ; car dans un état où les fortunes seront très-inégales hors du Commerce, l'augmentation des salaires commencera par un mauvais principe, & presque toûjours par les professions moins utiles ; d'où elle passe ensuite aux professions plus nécessaires. Alors le commerce étranger pourra en être affoibli, avant d'avoir attiré la quantité convenable d'argent étranger. Si l'augmentation du salaire des ouvriers nécessaires trouve des obstacles dans la pauvreté d'une partie du peuple, l'abus est bien plus considérable : car l'équilibre est anéanti entre les professions ; les plus nécessaires sont abandonnées pour embrasser celles qui sont superflues, mais plus lucratives. A Dieu ne plaise que je desire que le peuple ne se ressente pas d'une aisance dont l'état n'est redevable qu'à lui ! au contraire je pense que le dépôt des richesses n'est utile qu'entre ses mains, & le Commerce seul peut lui le donner, lui le conserver. Mais il me semble que ces richesses doivent être partagées le plus également qu'il est possible, & qu'aucun des petits moyens généraux qui peuvent y conduire n'est à négliger.

Par une conséquence naturelle de ce que nous venons de dire, il est évident qu'à mesure que les monnoies de cuivre disparoissent du Commerce, les denrées haussent de prix.

Cette double proportion entre les poids & les titres des divers métaux monnoyés n'est pas la seule que le législateur doive observer. Puisque le poids & le titre sont la seule valeur intrinseque des monnoies, il est clair qu'il est une autre proportion également essentielle entre les divisions & les subdivisions de chaque espece de métal.

Soit par exemple, une portion d'argent m, d'un poids a, d'un titre quelconque, sous une dénomination c. On aura a = c.

Si on altere le titre, c'est-à-dire si l'on substitue dans la portion d'argent m, à la place d'une quantité quelconque x de cet argent, une quantité y d'alliage, telle que la portion d'argent m reste toûjours du même poids a.

Soit z la différence en valeur réelle & générale de la quantité x & de la quantité y.

Il est clair qu'on aura un poids a = c & un poids a = c - z.

Si le législateur veut qu'un poids a, quel qu'il soit indistinctement, paye c ; c'est précisément comme s'il ordonnoit que c soit égal à c - z. Qu'arrivera-t-il de-là ? que chacun s'efforcera de faire le payement c avec le poids a = c - z, plutôt qu'avec le poids a = c ; parce qu'il gagnera la quantité z. Par la même raison personne ne voudra recevoir le poids a = c - z, d'où naîtra une interruption de commerce, un resserrement de toutes les quantités a = c, & un desordre général.

Ce n'est pas cependant encore tout le mal. Ceux qui se seront les premiers apperçus des deux valeurs d'un même poids a, auront acheté des poids a = c, avec des poids a = c - z ; ils auront fait passer les poids a = c dans les états voisins, pour les refondre & rapporter des poids a = c - z, avec lesquels ils feront le payement c tant que le desordre durera.

Si le bénéfice se partage avec l'étranger moitié par moitié, il est incontestable que sur chaque a = c reformée par l'étranger en a = c - z, l'état aura été appauvri réellement & relativement de la moitié de la quantité z.

Le cas seroit absolument le même si le législateur ordonnoit que de deux quantités a + b égales pour le titre & le poids, l'une passât sous la dénomination c en vertu de sa forme nouvelle, & l'autre sous la dénomination c - z. Car pour gagner la quantité z, le même transport se fera à l'étranger qui donnera la forme nouvelle à l'ancienne quantité ; même bouleversement dans le commerce, mêmes raisons de resserrer l'argent, mêmes profits pour les étrangers, mêmes pertes pour l'état.

D'où résulte ce principe, qu'un état suspend pour long-tems la circulation & diminue la masse de ses métaux, lorsqu'il donne à la fois deux valeurs intrinseques à une même valeur numéraire, ou deux valeurs numéraires différentes à une même valeur intrinseque.

Tous les états qui font des refontes ou des reformes de monnoies pour y gagner, s'écartent nécessairement de ce principe, & payent d'un secours leger la plus énorme des usures aux dépens des sujets.

Dans les pays où la fabrication des monnoies se fait aux dépens du public, jamais un semblable desordre n'arrive. Indépendamment de l'activité qu'une conduite si sage donne à la circulation intérieure & extérieure des dentées, & au crédit public, par la confiance qu'elle inspire, elle met encore les sujets dans le cas de profiter plus aisément des fautes des états voisins sur les monnoies : on sait que dans certaines circonstances ces profits peuvent être immenses.

N'ayant effleuré la matiere des monnoies, qu'autant que ce préambule paroissoit nécessaire à mon objet principal, qui est la circulation de l'argent, je ne parlerai du surhaussement & de la diminution des monnoies qu'à l'endroit où les principes de la circulation l'exigeront.

L'argent est un nom collectif, sous lequel l'usage comprend toutes les richesses de convention. La raison de cet usage est probablement, que l'argent tenant une espece de milieu entre l'or & le cuivre pour l'abondance & pour la commodité du transport, il se trouve plus communément dans le commerce.

Il est essentiel de distinguer d'une maniere très-nette les principes que nous allons poser, parce que leur simplicité pourra produire des conséquences plus compliquées, & sur-tout de resserrer ses idées dans chacun des cercles qu'on se propose de parcourir les uns après les autres.

Nous l'avons déjà remarqué, l'introduction de l'argent dans le commerce n'a évidemment rien changé dans la nature de ce commerce. Elle consiste toûjours dans un échange des denrées contre les denrées, ou dans l'absence de celles que l'on desire contre l'argent qui en est le signe.

La répétition de cet échange est appellée circulation.

L'argent n'étant que signe des denrées, le mot de circulation qui indique leur échange devoit donc être appliqué aux denrées, & non à l'argent ; car la fonction du signe dépend absolument de l'existence de la chose qu'on veut réprésenter.

Aussi l'argent est-il attiré par les denrées, & n'a de valeur représentative qu'autant que sa possession n'est jamais séparée de l'assûrance de l'échange contre les denrées. Les habitans du Potozi seroient réduits à déplorer leur sort auprès de vastes monceaux d'argent, & à périr par la famine, s'ils restoient six à sept jours sans pouvoir échanger leurs thrésors contre des vivres.

C'est donc abusivement que l'argent est regardé en soi comme le principe de la circulation ; c'est ce que nous tâcherons de développer.

Distinguons d'abord deux sortes de circulations de l'argent, l'une naturelle, l'autre composée.

Pour se faire une idée juste de cette circulation naturelle, il faut considérer les sociétés dans une position isolée ; examiner quelle fonction y peut faire l'argent en raison de sa masse.

Supposons deux pays qui se suffisent à eux-mêmes, sans relations extérieures, également peuplés, possédant un nombre égal des mêmes denrées ; que dans l'un la masse des denrées soit représentée par 100 livres d'un métal quelconque, & dans l'autre par 200 livres du même métal. Ce qui vaudra une once dans l'un coûtera deux onces dans l'autre.

Les habitans de l'un & de l'autre pays seront également heureux, quant à l'usage qu'ils peuvent faire de leurs denrées entr'eux ; la seule différence consistera dans le volume du signe, dans la facilité de son transport, mais sa fonction sera également remplie.

On concevra facilement d'après cette hypothese deux vérités très-importantes.

1°. Par-tout où une convention unanime à établi une quantité pour signe d'une autre quantité, si la quantité représentante se trouve accrue, tandis que la quantité représentée reste la même, le volume du signe augmentera ; mais la fonction ne sera pas multipliée.

2°. Le point important pour la facilité des échanges, ne consiste pas en ce que le volume des signes soit plus ou moins grand ; mais dans l'assûrance où sont les propriétaires de l'argent & des denrées, de les échanger quand ils le voudront dans leurs divisions, sur le pié établi par l'usage en raison des masses réciproques.

Ainsi l'opération de la circulation n'est autre chose que l'échange réitérée des denrées contre l'argent, & de l'argent contre les denrées. Son origine est la commodité du Commerce ; son motif est le besoin continuel & réciproque où les hommes sont les uns des autres.

Sa durée dépend d'une confiance entiere dans la facilité de continuer ses échanges sur le pié établi par l'usage, en raison des masses réciproques.

Définissons donc la circulation naturelle de l'argent de la maniere suivante :

C'est la présence continuelle dans le Commerce de la portion d'argent qui a coûtume de revenir à chaque portion des denrées, en raison des masses réciproques.

L'effet de cette circulation naturelle, est d'établit entre l'argent & les denrées une concurrence parfaite, qui les partage sans cesse entre tous les habitans d'un pays : de ce partage continuel, il résulte qu'il n'y a point d'emprunteurs ; que tous les hommes sont occupés par un travail quelconque, ou propriétaires des terres.

Tant que rien n'interrompra cet équilibre exact, les hommes seront heureux, la société très-florissante, soit que le volume des signes soit considérable ou qu'il ne le soit pas.

Il ne s'agit point ici de suivre la condition de cette société ; mon but a été de déterminer en quoi consiste la fonction naturelle de l'argent comme signe ; & de prouver que par-tout où cet ordre naturel existe actuellement, l'argent n'est point la mesure des denrées, qu'au contraire la quantité des denrées mesure le volume du signe.

Comme les denrées sont sujettes à une grande inégalité dans leur qualité, qu'elles peuvent se détruire plus aisément que les métaux, que ceux-ci peuvent se cacher en cas d'invasion de l'ennemi ou de troubles domestiques, qu'ils sont plus commodes à transporter dans un autre pays si celui qu'on habite cesse de plaire ; enfin que tous les hommes ne sont pas également portés à faire des consommations, il pourra arriver que quelques propriétaires de l'argent fassent des amas de la quantité superflue à leurs besoins.

A mesure que ces amas accroîtront, il se trouvera plus de vuide dans la masse de l'argent qui compensoit la masse des denrées : une portion de ces denrées manquant de son échange ordinaire, la balance panchera en faveur de l'argent.

Alors les propriétaires de l'argent voudront mesurer avec lui les denrées qui seront plus communes, dont la garde est moins sûre & l'échange moins commode : l'argent ne fera plus son office ; la perte que feront les denrées mesurées par l'argent, précipitera en sa faveur la chûte de l'équilibre ; le desordre sera grand en raison de la somme resserrée.

L'argent sorti du Commerce ne passant plus dans les mains où il avoit coûtume de se rendre, beaucoup d'hommes seront forcés de suspendre ou de diminuer leurs achats ordinaires.

Pour rappeller cet argent dans le Commerce, ceux qui en auront un besoin pressant, offriront un profit à ses propriétaires, pour s'en désaisir pendant quelque tems. Ce profit sera, en raison du besoin de l'emprunteur, du bénéfice que peut lui procurer cet argent, du risque couru par le prêteur.

Cet exemple engagera beaucoup d'autres hommes à se procurer par leurs réserves un pareil bénéfice, d'autant plus doux qu'il favorise la paresse. Si le travail est honteux dans une nation, cet usage y trouvera plus de protecteurs ; & l'argent qui circuloit, y sera plus souvent resserré que parmi les peuples qui honorent les travailleurs. L'abus de cet usage étant très-facile, le même esprit qui aura accrédité l'usage, en portera l'abus à un tel excès, que le législateur sera obligé d'y mettre un frein. Enfin lorsqu'il sera facile de retirer un profit ou un intérêt du prêt de son argent, il est évident que tout homme qui voudra employer le sien à une entreprise quelconque, commencera par compter parmi les frais de l'entreprise, ce que son argent lui eût produit en le prêtant.

Telle a été, ce me semble, l'origine de l'usure ou de l'intérêt de l'argent. Plusieurs conséquences dérivent de ce que nous venons de dire.

1°. La circulation naturelle est interrompue, à mesure que l'argent qui circuloit dans le Commerce en est retiré.

2°. Plus il y a de motifs de défiance dans un etat, plus l'argent se resserre.

3°. Si les hommes trouvent du profit à faire sortir l'argent du Commerce, il en sortira en raison de l'étendue de ce profit.

4°. Moins la circulation est naturelle, moins le peuple industrieux est en état de consommer, moins la faculté de consommer est également répartie.

5°. Moins le peuple industrieux est en état de consommer, moins la faculté de consommer est également répartie ; & plus les amas d'argent seront faciles, plus l'argent sera rare dans le Commerce.

6°. Plus l'argent sort du Commerce, plus la défiance s'établit.

7°. Plus l'argent est rare dans le Commerce, plus il s'éloigne de la fonction de signe pour devenir mesure des denrées.

8°. La seule maniere de rendre l'argent au Commerce, est de lui adjuger un intérêt relatif à sa fonction naturelle de signe, & à sa qualité usurpée de mesure.

9°. Tout intérêt assigné à l'argent est une diminution de valeur sur les denrées.

10°. Toutes les fois qu'un particulier aura amassé une somme d'argent dans le dessein de la placer à intérêt, la circulation annuelle aura diminué successivement, jusqu'à ce que cette somme reparoisse dans le commerce. Il est donc évident que le commerce est la seule maniere de s'enrichir, utile à l'état. Or le commerce comprend la culture des terres, le travail industrieux, & la navigation.

11°. Plus l'argent sera éloigné de sa fonction naturelle de signe, plus l'intérêt sera haut.

12°. De ce que l'intérêt de l'argent est plus haut dans un pays que dans un autre, on en peut conclure que la circulation s'y est plus écartée de l'ordre naturel ; que la classe des ouvriers y joüit d'une moindre aisance, qu'il y a plus de pauvres : mais on n'en pourra pas conclure que la masse des signes y soit intrinsequement moins considérable, comme nous l'avons démontré par notre premiere hypothese.

13°. Il est évident que la diminution des intérêts de l'argent dans un état ne peut s'opérer utilement, que par le rapprochement de la circulation vers l'ordre naturel.

14°. Enfin partout où l'argent reçoit un intérêt, il doit être considéré sous deux faces à-la-fois : comme signe, il sera attiré par les denrées : comme mesure, il leur donnera une valeur différente, suivant qu'il paroîtra ou qu'il disparoîtra dans le commerce ; dès-lors l'argent & les denrées s'attireront réciproquement.

Ainsi nous définirons la circulation composée, une concurrence inégale des denrées & de leurs signes, en faveur des signes.

Rapprochons à-présent les sociétés les unes des autres, & suivons les effets de la diminution ou de l'augmentation de la masse des signes par la balance des échanges que ces sociétés font entr'elles.

Si cet argent que nous supposons s'être absenté du Commerce, pour y rentrer à la faveur de l'usure, est passé pour toûjours dans un pays étranger, il est clair que la partie des denrées qui manquoit de son équivalent ordinaire, s'absentera aussi du Commerce pour toûjours ; car le nombre des acheteurs sera diminué sans retour.

Les hommes que nourrissoit le travail de ces denrées, seroient forcés de mandier, ou d'aller chercher de l'occupation dans d'autres pays. L'absence de ces hommes ainsi expatriés formeroit un vuide nouveau dans la consommation des denrées, la population diminueroit successivement, jusqu'à ce que la rareté des denrées les remît en équilibre avec la quantité des signes circulans dans le Commerce.

Conséquemment si le volume des signes ou le prix des denrées est indifférent en soi pour établir l'assûrance mutuelle de l'échange entre les propriétaires de l'argent & des denrées, en raison des masses réciproques, il est au contraire très-essentiel que la masse des signes, sur laquelle cette proportion & l'assûrance de l'échange ont été établies, ne diminue jamais.

On peut donc avancer comme un principe, que la situation d'un peuple est beaucoup plus fâcheuse, lorsque l'argent qui circuloit dans son Commerce en est sorti, que si cet argent n'y avoit jamais circulé.

Après avoir développé les effets de la diminution de la masse d'argent dans la circulation d'un état, cherchons à connoître les effets de son augmentation.

Nous n'entendons point par augmentation de la masse de l'argent, la rentrée dans le Commerce de celui que la défiance ou la cupidité lui avoient enlevés : il n'y reparoît que d'une maniere précaire, & à des conditions qui en avertissent durement ceux qui en font usage, enfin avec une diminution sur la valeur des denrées, suivant la neuvieme conséquence. Auparavant, cet argent étoit dû au Commerce, qui le doit aujourd'hui : il rend au peuple les moyens de s'occuper ; mais c'est en partageant le fruit de son travail, en bornant sa subsistance.

Nous parlons donc ici d'une nouvelle masse d'argent qui n'entre point précairement dans la circulation d'un état : il n'est que deux manieres de se la procurer, par le travail des mines, ou par le commerce étranger.

L'argent qui vient de la possession des mines, peut n'être pas mis dans le commerce de l'état, par diverses causes. Il est entre les mains d'un petit nombre d'hommes ; ainsi, quand même ils useroient de l'augmentation de leur faculté de dépenser, la concurrence de l'argent ne sera accrue qu'en faveur d'un petit nombre de denrées. La consommation des choses les plus nécessaires à la vie, n'augmente pas avec la richesse d'un homme ; ainsi la circulation de ce nouvel argent commencera par les denrées les moins utiles, & passera lentement aux autres qui le sont davantage.

La classe des hommes occupés par le travail des denrées utiles & nécessaires, est cependant celle qu'il convient de fortifier davantage, parce qu'elle soûtient toutes les autres.

L'argent qui entre en échange des denrées superflues, est nécessairement réparti entre les propriétaires de ces denrées par les négocians, qui sont les économes de la nation. Ces propriétaires sont ou des riches qui, travaillant avec le secours d'autrui, sont forcés d'employer une partie de la valeur reçue à payer des salaires ; ou des pauvres, qui sont forcés de dépenser presqu'en entier leur rétribution pour subsister commodément. Le commerce étranger embrasse toutes les especes de denrées, toutes les classes du peuple.

Nous établirons donc pour maxime que la circulation s'accroîtra plus sûrement & plus promtement dans un état, par la balance avantageuse de son commerce avec les étrangers, que par la possession des mines.

C'est aussi uniquement de l'augmentation de la masse d'argent par le commerce étranger, que nous parlerons.

Par-tout où l'argent n'est plus simple signe attiré par les denrées, il en est devenu en partie la mesure, & en cette qualité il les attire réciproquement : ainsi toute augmentation de la masse d'argent, sensible dans la circulation, commence par multiplier sa fonction de signe, avant d'augmenter son volume de signe ; c'est-à-dire que le nouvel argent, avant de hausser le prix des denrées, en attirera dans le Commerce un plus grand nombre qu'il n'y en avoit. Mais enfin ce volume du signe sera augmenté en raison composée des masses anciennes & nouvelles, soit des denrées, soit de leurs signes.

En attendant, il est clair que cette nouvelle masse d'argent aura nécessairement réveillé l'industrie à son premier passage. Tâchons d'en découvrir la marche en général.

Toute concurrence d'argent survenue dans le Commerce en faveur d'une denrée, encourage ceux qui peuvent fournir la même denrée, à l'apporter dans le Commerce, afin de profiter de la faveur qu'elle a acquise. Cela arrive sûrement, si quelque vice intérieur dans l'état ne s'y oppose point : car si le pays n'avoit point assez d'hommes pour accroître la concurrence de la denrée, il en arrivera d'étrangers, si l'on sait les accueillir & rendre leur sort heureux.

Cette nouvelle concurrence de la denrée favorisée, rétablit une espece d'équilibre entr'elle & l'argent ; c'est-à-dire que l'augmentation des signes destinés à échanger cette denrée, se répartit entre un plus grand nombre d'hommes ou de denrées : la fonction du signe est multipliée.

Cependant le volume du signe augmente communément de la portion nécessaire pour entretenir l'ardeur des ouvriers : car leur ambition se regle d'elle-même, & borne tôt ou tard la concurrence de la denrée en proportion du profit qu'elle donne.

Les ouvriers occupés par le travail de cette denrée se trouvant une augmentation de signe, établiront avec eux une nouvelle concurrence en faveur des denrées qu'ils voudront consommer. Par un enchaînement heureux, les signes employés aux nouvelles consommations, auront à leur tour la même influence chez d'autres citoyens : le bénéfice se répétera jusqu'à ce qu'il ait parcouru toutes les classes d'hommes utiles à l'état, c'est-à-dire occupés.

Si nous supposons que la masse d'argent introduite en faveur de cette denrée à une ou plusieurs reprises, ait été partagée sensiblement entre toutes les autres denrées par la circulation, il en résultera deux effets.

1°. Chaque espece de denrée s'étant approprié une portion de la nouvelle masse des signes, la dépense des ouvriers au travail desquels sera dû ce bénéfice, se trouvera augmentée, & leur profit diminué. Cette diminution des profits est bien différente de celle qui vient de la diminution de la masse des signes. Dans la premiere, l'artiste est soûtenu par la vûe d'un grand nombre d'acheteurs ; dans la seconde, il est desespéré par leur absence : la premiere exerce son génie : la seconde le dégoûte du travail.

2°. Par la répartition exacte de la nouvelle masse de l'argent, sa présence est plus assûrée dans le Commerce ; les motifs de défiance qui pouvoient se rencontrer dans l'état, s'évanoüissent ; les propriétaires de l'ancienne masse la répandent plus librement : la circulation est rapprochée de son ordre naturel ; il y a moins d'emprunteurs, l'argent perd de son prix.

L'intérêt payé à l'argent étant une diminution de la valeur des denrées, suivant notre neuvieme conséquence, la diminution de cet intérêt augmente leur valeur ; il y a dès-lors plus de profit à les apporter dans le Commerce : en effet, il n'est aucune de ses branches à laquelle la réduction des intérêts ne donne du mouvement.

Toute terre est propre à quelqu'espece de production ; mais si la vente de ces productions ne rapporte pas autant que l'intérêt de l'argent employé à la culture, cette culture est négligée ou abandonnée ; d'où il résulte que plus l'intérêt de l'argent est bas dans un pays, plus les terres y sont réputées fertiles.

Le même raisonnement doit être employé pour l'établissement des Manufactures, pour la Navigation, la Pêche, le défrichement des colonies. Moins l'intérêt des avances qu'exigent ces entreprises est haut, plus elles sont réputées lucratives.

De ce qu'il y a moins d'emprunteurs dans l'état, & plus de profit proportionnel dans le Commerce, le nombre des négocians s'accroît. La masse d'argent grossit, les consommations se multiplient, le volume des signes s'accroît : les profits diminuent alors ; & par une gradation continuelle l'industrie devient plus active, l'intérêt de l'argent baisse toûjours, ce qui rétablit la proportion des bénéfices ; la circulation devient plus naturelle.

Permettons à nos regards de s'étendre, & de parcourir le spectacle immense d'une infinité de moyens réunis d'attirer l'argent étranger par le Commerce. Mais supposons-en d'abord un seulement dans chaque province d'un état : quelle rapidité dans la circulation ? quel essor la cupidité ne donnera-t-elle point aux artistes ? leur émulation ne se borne plus à chaque classe particuliere ; lorsque l'appas du gain s'est montré à plusieurs, la chaleur & la confiance qu'il porte dans les esprits, deviennent générales. L'aisance réciproque des hommes les aiguillonne à la vûe les uns des autres, & leurs prétentions communes sont le sceau de la prospérité publique.

Ce que nous venons de dire de l'augmentation de la masse de l'argent par le commerce étranger, est la source de plusieurs conséquences.

1°. L'augmentation de la masse d'argent dans la circulation ne peut être appellée sensible, qu'autant qu'elle augmente la consommation des denrées nécessaires, ou d'une commodité utile à la conservation des hommes, c'est-à-dire à l'aisance du peuple.

2°. Ce n'est pas tant une grande somme d'argent introduite à-la-fois dans l'état, qui donne du mouvement à la circulation, qu'une introduction continuelle d'argent pour être réparti parmi le peuple.

3°. A mesure que la répartition de l'argent étranger se fait plus également parmi les peuples, la circulation se rapproche de l'ordre naturel.

4°. La diminution du nombre des emprunteurs, ou de l'intérêt de l'argent, étant une suite de l'activité de la circulation devenue plus naturelle ; & l'activité de la circulation, ou de l'aisance publique, n'étant pas elle-même une suite nécessaire d'une grande somme d'argent introduite à-la-fois dans l'état, autant que de son accroissement continuel pour être réparti parmi le peuple, on en doit conclure que l'intérêt de l'argent ne diminuera point par-tout où les consommations du peuple n'augmenteront pas : que si les consommations augmentoient, l'intérêt de l'argent diminueroit naturellement, sans égard à l'étendue de sa masse, mais en raison composée du nombre des prêteurs & des emprunteurs : que la multiplication subite des richesses artificielles, ou des papiers circulans comme monnoie, est un remede violent & inutile, lorsqu'on peut employer le plus naturel.

5°. Tant que l'intérêt de l'argent se soûtient haut dans un pays qui commerce avantageusement avec les étrangers, on peut décider que la circulation n'y est pas libre. J'entens en général dans un état ; car quelques circonstances pourroient rassembler une telle quantité d'argent dans un seul endroit, que la surabondance forceroit les intérêts de diminuer, mais souvent cette diminution même indiqueroit une interception de circulation dans les autres parties du corps politique.

6°. Tant que la circulation est interrompue dans un état, on peut assurer qu'il ne fait pas tout le commerce qu'il pourroit entreprendre.

7°. Toute circulation qui ne résulte pas du commerce extérieur, est lente & inégale, à moins qu'elle ne soit devenue absolument naturelle.

8°. Le volume des signes étant augmenté à raison de leur masse dans le Commerce ; si cet argent en sortoit quelque tems après, les denrées seroient forcées de diminuer de prix ou de masse en même tems que l'intérêt de l'argent hausseroit, parce que sa rareté accroîtroit les motifs de défiance dans l'état.

9°. Comme toutes choses auroient augmenté dans une certaine proportion par l'influence de la circulation, & que personne ne veut commencer par diminuer son profit, les denrées les plus nécessaires à la vie se soûtiendroient. Les salaires du peuple étant presque bornés à ce nécessaire, il faudroit absolument que les ouvrages se tinssent chers pour continuer de nourrir les artistes : ainsi ce seroit la masse du travail qui commenceroit par diminuer, jusqu'à-ce que la diminution de la population & des consommations fit rétrograder la circulation & diminuât les prix. Pendant cet intervalle les denrées étant cheres, & l'intérêt de l'argent haut, le commerce étranger déclineroit, le corps politique seroit dans une crise violente.

10°. Si une nouvelle masse d'argent introduite dans l'état, n'entroit point dans le Commerce, il est évident que l'état en seroit plus riche, relativement aux autres états, mais que la circulation n'en accroîtroit ni n'en diminueroit.

11°. Les fortunes faites par le Commerce en général ayant nécessairement accru ou conservé la circulation, leur inégalité n'a pû porter aucun dérangement dans l'équilibre entre les diverses classes du peuple.

12°. Si les fortunes faites par le commerce étranger en sortent, il y aura un vuide dans la circulation des endroits où elles répandoient l'argent. Elles y resteront, si l'occupation est protégée & honorée.

13°. Si ces fortunes sortent non-seulement du commerce étranger, mais encore de la circulation intérieure, la perte en sera ressentie par toutes les classes du peuple en général comme une diminution de masse d'argent. Cela ne peut arriver lorsqu'il n'y a point de moyens de gagner plus promts, plus commodes, ou plus sûrs que le Commerce.

14°. Plus le commerce étranger embrassera d'objets différens, plus son influence dans la circulation sera promte.

15°. Plus les objets embrassés par le commerce étranger approcheront des premieres nécessités communes à tous les hommes, mieux l'équilibre sera établi par la circulation entre toutes les classes du peuple, & dès-lors plûtôt l'aisance publique fera baisser l'intérêt de l'argent.

16°. Si l'introduction ordinaire d'une nouvelle masse d'argent dans l'état par la vente des denrées superflues, venoit à s'arrêter subitement, son effet seroit le même absolument que celui d'une diminution de la masse : c'est ce qui rend les guerres si funestes au Commerce. D'où il s'ensuit que le peuple qui continue le mieux son commerce à l'abri de ses forces maritimes, est moins incommodé par la guerre. Il faut remarquer cependant que les artistes ne desertent pas un pays à raison de la guerre aussi facilement, que si l'interruption subite du Commerce provenoit d'une autre cause ; car l'espérance les soûtient, & les autres parties belligérantes ne laissent pas d'éprouver aussi un vuide dans la circulation.

17°. Puisque le commerce étranger vivifie tous les membres du corps politique par le choc qu'il donne à la circulation, il doit être l'intérêt le plus sensible de la société en général, & de chaque individu qui s'en dit membre utile.

Ce commerce étranger dont l'établissement coûte tant de soins, ne se soûtiendra pas, si les autres peuples n'ont un intérêt réel à l'entretenir. Cet intérêt n'est autre que le meilleur marché des denrées.

Nous avons vû qu'une partie de chaque nouvelle masse d'argent introduite dans le Commerce, augmente communément le volume des signes.

Ce volume indifférent en soi à celui qui le reçoit, dès qu'il ne lui procure pas une plus grande abondance de commodités, n'est pas indifférent à l'étranger qui achete les denrées ; car si elles lui sont données dans un autre pays en échange de signes d'un moindre volume, c'est-là qu'il fera ses emplettes : également les peuples acheteurs chercheront à se passer d'une denrée, même unique, dès qu'elle n'est pas nécessaire, si le volume de son signe devient trop considérable relativement à la masse de signes qu'ils possedent.

Il paroîtroit donc que le commerce étranger, dont l'objet est d'attirer continuellement de nouvel argent, travailleroit à sa propre destruction, en raison des progrès qu'il fait dans ce genre, & dès-lors que l'état se priveroit du bénéfice qui en revient à la circulation.

Si réellement la masse des signes étoit augmentée dans un état à un point assez considérable, pour que toutes les denrées fussent trop cheres pour les étrangers, le commerce avec eux se réduiroit à des échanges ; ou si ce pays se suffisoit à lui-même, le commerce étranger seroit nul ; la circulation n'augmenteroit plus, mais elle n'en seroit pas moins affoiblie, parce que l'introduction de l'argent cesseroit par une suite de gradations insensibles. Ce pays contiendroit autant d'hommes qu'il en pourroit nourrir & occuper par lui-même ; ses richesses en métaux ouvragés, en diamans, en effets rares & précieux, surpasseroient infiniment ses richesses numéraires, sans compter la valeur des autres meubles plus communs. Ses hommes, quoique sans commerce extérieur, seroient très-heureux tant que leur nombre n'excéderoit pas la proportion des terres. Enfin l'objet du legislateur seroit rempli, puisque la société qu'il gouverne seroit revêtue de toutes les forces dont elle est susceptible.

Les hommes n'ont point encore été assez innocens pour mériter du ciel une paix aussi profonde & un enchaînement de prospérités aussi constant. Des fléaux terribles continuellement suspendus sur leurs têtes les avertissent de tems-en-tems par leur chûte, que les objets périssables dont ils sont idolatres, étoient indignes de leur confiance.

Ce qui purge les vices des hommes, délivre le Commerce de la surabondance des richesses numéraires.

Quoique le terme où nous avons conduit un corps politique, ne puisse moralement être atteint, nous ne laisserons pas de suivre encore un moment cette hypothése, non pas dans le dessein chimérique de pénétrer dans un lieu inaccessible, mais pour recueillir des vérités utiles sur notre passage.

Le pays dont nous parlons, avant d'en venir à l'interruption totale de son commerce avec les étrangers, auroit disputé pendant une longue suite de siecles le droit d'attirer leur argent.

Cette méthode est toûjours avantageuse à une société qui a des intérêts extérieurs avec d'autres sociétés, quand même elle ne lui seroit d'aucune utilité intérieure. L'argent est un signe général reçu par une convention unanime de tous les peuples policés. Peu content de sa fonction de signe, il est devenu mesure des denrées ; & enfin même les hommes en ont fait celle de leurs actions. Ainsi le peuple qui en possede le plus, est le maître de ceux qui ne savent pas le réduire à leur juste valeur. Cette science paroît aujourd'hui abandonnée en Europe à un petit nombre d'hommes, que les autres trouvent ridicules, s'ils n'ont pas soin de se cacher. Nous avons vû d'ailleurs que l'augmentation de la masse des signes anime l'industrie, accroît la population ; il est intéressant de priver ses rivaux des moyens de devenir puissans, puisque c'est gagner des forces relatives.

Il seroit impossible de déterminer dans combien de tems le volume des signes pourroit s'accroître dans un état au point d'interrompre le commerce étranger. Mais on connoît un moyen général & naturel qui prolonge dans une nation l'introduction des métaux étrangers.

Nous avons vû naître de l'augmentation des signes bien répartis dans un état, la diminution du nombre des emprunteurs, & la baisse des intérêts de l'argent. Cette réduction est la source d'un profit plus facile sur les denrées, d'un moyen assuré d'obtenir la préférence des ventes, enfin d'une plus grande concurrence des denrées des artistes & des négocians. Calculer les effets de la concurrence, ce seroit vouloir calculer les efforts du génie ou mesurer l'esprit humain. Du moindre nombre des emprunteurs & du bas intérêt de l'argent, résultent encore deux grands avantages.

Nous avons vû que les propriétaires des denrées superflues vendues à l'étranger, commencent par payer sur les métaux qu'ils ont reçus en échange, ce qui appartient aux salaires des ouvriers occupés du travail de ces denrées. Il leur en reste encore une portion considérable ; & s'ils n'ont pas besoin pour le moment d'un assez grand nombre de denrées pour employer leurs métaux en entier, ils en font ouvrager une partie, ou bien ils la convertissent en pierres précieuses, en denrées d'une rareté assez reconnue pour devenir dans tout le monde l'équivalent d'un grand volume de métaux.

La circulation ne diminue pas pour cela suivant notre dixieme conséquence sur l'augmentation de la masse de l'argent. Lorsque cet usage est le fruit de la surabondance dans la circulation générale, c'est une très-grande preuve de la prospérité publique. Il suspend évidemment l'augmentation du volume des signes, sans que la force du corps politique cesse d'être accrue. Nous parlons d'un pays où l'augmentation des fortunes particulieres est produite par le commerce & l'abondance de la circulation générale ; car s'il s'y trouve d'autres moyens de faire de grands amas de métaux, & qu'une partie soit convertie à cet usage, il est clair que la circulation diminuera de la somme de ces amas ; que toutes les conséquences qui résultent de nos principes sur la diminution de la masse d'argent, seront ressenties, comme si cet argent eût passé chez l'étranger, à moins qu'il ne soit aussi-tôt remplacé par une nouvelle introduction équivalente ; mais dans ce cas le peuple n'auroit point été enrichi.

Le troisieme avantage qui résulte du bas intérêt de l'argent, donne une grande supériorité à un peuple sur un autre.

A mesure que l'argent surabonde entre les mains des propriétaires des denrées, ne trouvant point d'emprunteurs, ils font passer la portion qu'ils ne veulent point faire entrer dans le commerce chez les nations où l'argent mesure les denrées. Ils le prêtent à l'état, aux négocians, à un gros intérêt qui rentre annuellement dans la circulation de la nation créanciere, & prive l'autre du bénéfice de la circulation. Les ouvriers du peuple emprunteur ne sont plus que des esclaves auxquels on permet de travailler pendant quelques jours de l'année, pour se procurer une subsistance médiocre : tout le reste appartient au maître, & le tribut est exigé rigoureusement, soit que cette subsistance ait été commode ou misérable. Le peuple emprunteur se trouve dans cet état de crise, dont nos huitieme & neuvieme conséquences sur l'augmentation de la masse de l'argent donnent la raison.

Après quelques années révolues, le capital emprunté est sorti réellement par le payement des arrérages, quoiqu'il soit encore dû en entier, & qu'il reste au créancier un moyen infaillible de porter un nouveau desordre dans la circulation de l'état débiteur, en retirant subitement ses capitaux. Enfin pour peu qu'on se rappelle le gain que fait sur les changes une nation créanciere des autres, on sera intimement convaincu de l'avantage qu'il y a de prêter son argent aux étrangers.

Diverses causes naturelles peuvent retarder la préférence de l'argent dans le Commerce, lors même que la circulation est libre ; son transport d'ailleurs est long & coûteux. Les hommes ont imaginé de le représenter par deux sortes de signes.

Les uns sont momentanés, & de simples promesses par écrit de fournir de l'argent dans un lieu & à un terme convenu.

Ces promesses passent de main en main en payement, soit des denrées, soit de l'argent même, jusqu'à l'expiration du terme.

Par la seconde sorte de signes de l'argent on entend des obligations permanentes comme la monnoie même dans le public, & qui circulent également.

Ces promesses momentanées & ces obligations permanentes n'ont de commun que la qualité de signes ; & comme tels, les uns ni les autres n'ont de valeur qu'autant que l'argent existe ou est supposé exister.

Mais ils sont différens dans leur nature & dans leur effet.

Ceux de la premiere sorte sont forcés de se balancer au tems prescrit avec l'argent qu'ils représentent ; ainsi leur quantité dans l'état est toûjours en raison de la répartition proportionnelle de la masse de l'argent.

Leur effet est d'entretenir ou de répéter la concurrence de l'argent avec les denrées, en raison de la répartition proportionnelle de la masse de l'argent. Cette proposition est évidente par elle-même, dès qu'on fait réflexion que les billets & les lettres de change paroissent dans une plus grande abondance, si l'argent est commun ; & sont plus rares, si l'argent l'est aussi.

Les signes permanens sont partagés en deux classes : les uns peuvent s'anéantir à la volonté du propriétaire ; les autres ne peuvent cesser d'exister, qu'autant que celui qui a proposé aux autres hommes de les reconnoître pour signes, consent à leur suppression.

L'effet de ces signes permanens est d'entretenir la concurrence de l'argent avec les denrées, non pas en raison de sa masse réelle, mais en raison de la quantité de signes ajoûtée à la masse réelle de l'argent. Le monde les a vûs deux fois usurper la qualité de mesure de l'argent, sans doute afin qu'aucune espece d'excès ne manquât dans les fastes de l'humanité.

Tant que ces signes quelconques se contentent de leur fonction naturelle & la remplissent librement, l'état est dans une position intérieure très-heureuse : parce que les denrées s'échangent aussi librement contre les signes de l'argent, que contre l'argent même ; mais avec les deux différences que nous avons remarquées.

Les signes momentanés répetent simplement la concurrence de la masse réelle de l'argent avec les denrées.

Les signes permanens multiplient dans l'opinion des hommes la masse de l'argent. D'où il résulte que cette masse d'argent a dans l'instant de sa multiplication l'effet de toute nouvelle introduction d'argent dans le Commerce ; dès-lors que la circulation répartit entre les mains du peuple une plus grande quantité des signes des denrées qu'auparavant ; que le volume des signes augmente ; que le nombre des emprunteurs diminue.

Si cette multiplication est immense & subite, il est évident que les denrées ne peuvent se multiplier dans la même proportion.

Si elle n'étoit pas suivie d'une introduction annuelle de nouveaux signes quelconques, l'effet de cette suspension ne seroit pas aussi sensible que dans le cas où l'on n'auroit simplement que l'argent pour monnoie ; il pourroit même arriver que la masse réelle de l'argent diminuât sans qu'on s'en apperçut, à cause de la surabondance des signes. Mais l'intérêt de l'argent resteroit au même point à moins de réductions forcées, & le Commerce ni l'Agriculture ne gagneroient rien dans ces cas.

Enfin il est important de remarquer que cette multiplication n'enrichit un état que dans l'opinion des sujets qui ont confiance dans les signes multipliés ; mais que ces signes ne sont d'aucun usage dans les relations extérieures de la société qui les possede.

Il est clair que tous ces signes, de quelque nature qu'ils soient, sont un usage de la puissance d'autrui : ainsi ils appartiennent au crédit. Il a diverses branches, & la matiere est si importante que nous la traiterons séparément. Voyez CREDIT. Mais il faudra toûjours se rappeller que les principes de la circulation de l'argent sont nécessairement ceux du crédit qui n'en est que l'image.

Des principes dont la nature même des choses nous a fourni la démonstration, nous en pouvons déduire trois qu'on doit regarder comme l'analyse de tous les autres, & qui ne souffrent aucune exception.

1°. Tout ce qui nuit au Commerce, soit intérieur, soit extérieur, épuise les sources de la circulation.

2°. Toute sûreté diminuée dans l'état, suspend les effets du Commerce, c'est-à-dire de la circulation, & détruit le Commerce même.

3°. Moins la concurrence des signes existans sera proportionnée dans chaque partie d'un état à celle des denrées, c'est-à-dire moins la circulation sera active, plus il y aura de pauvres dans l'état, & conséquemment plus il sera éloigné du degré de puissance dont il est susceptible.

Nous avons taché jusqu'à présent d'indiquer la source des propriétés de chaque branche du Commerce, & de développer les avantages particuliers qu'elles procurent au corps politique.

Les sûretés qui forment le lien d'une société, sont l'effet de l'opinion des hommes, elles ne regardent que les législateurs chargés par la providence, du soin de les conduire pour les rendre heureux. Ainsi cette matiere est absolument étrangere, quant à ses principes, à celle que nous traitons.

Il est cependant une espece de sûreté, qu'il est impossible de séparer des considérations sur le Commerce, puisqu'elle en est l'ame.

L'argent est le signe & la mesure de tout ce que les hommes se communiquent. La foi publique & la commodité ont exigé, comme nous l'avons dit au commencement, que le poids & le titre de cet équivalent fussent authentiques.

Les législateurs étoient seuls en droit de lui donner ce caractere : eux seuls peuvent faire fabriquer la monnoie, lui donner une empreinte, en régler le poids, le titre, la dénomination.

Toûjours dans un état forcé relativement aux autres législateurs, ils sont astreints à observer certaines proportions dans leur monnoie pour la conserver. Mais lorsque ces proportions réciproques sont établies, il est indifférent à la conservation des monnoies que leur valeur numéraire soit haute ou basse : c'est-à-dire que si les valeurs numéraires sont surhaussées ou diminuées tout d'un coup dans la même proportion où elles étoient avant ce changement, les étrangers n'ont aucun intérêt d'enlever une portion par préférence à l'autre.

Dans quelques états on a pensé que ce changement pouvoit être utile dans certaines circonstances. M. Melon & M. Dutot ont approfondi cette question dans leurs excellens ouvrages, sur-tout le dernier. On n'entreprendroit pas d'en parler, si l'état même de la dispute ne paroissoit ignoré par un grand nombre de personnes. Cela ne doit point surprendre, puisque hors du Commerce on trouve plus de gens en état de faire le livre de M. Melon, que d'entendre celui de son adversaire ; ce n'est pas tout, la querelle s'embrouilla dans le tems au point que les partisans de M. Melon publierent que les deux parties étoient d'accord ; beaucoup de personnes le crurent, & le répetent encore. Il en résulte que sans s'engager dans la lecture pénible des calculs de M. Dutot, chacun restera persuadé que les surhaussemens des monnoies sont utiles dans certaines circonstances.

Voici ce qu'en mon particulier, j'ai pû recueillir de plusieurs lectures des deux ouvrages.

Tous les deux conviennent unanimement qu'on ne peut faire aucun changement dans les monnoies d'un état, sans altérer la confiance publique.

Que les augmentations des monnoies par les réformes au profit du prince, sont pernicieuses : parce qu'elles laissent nécessairement une disproportion entre les nouvelles especes & les anciennes qui les font sortir de l'état, & qui jettent une confusion déplorable dans la circulation intérieure. M. Dutot en expliquant dans un détail admirable par le cours des changes, les effets d'un pareil desordre, prouve la nécessité de rapprocher les deux especes, soit en diminuant les nouvelles, soit en haussant les anciennes : que l'un ou l'autre opéroit également la cessation du desordre dans la circulation, & la sortie de l'argent ; mais il n'est point convenu que la diminution ou l'augmentation du numéraire fissent dans leur principe & dans leurs suites aucun bien à l'état. Il a même avancé en plus d'un endroit, qu'il valoit mieux rapprocher les deux especes en diminuant les nouvelles, & il l'a démontré.

M. Melon a avancé que l'augmentation simple des valeurs numéraires dans une exacte proportion entr'elles, étoit nécessaire pour soulager le laboureur accablé par l'imposition ; qu'elle étoit favorable au roi & au peuple comme débiteurs, qu'à choses égales, c'est le débiteur qu'il convient de favoriser.

M. Dutot a prouvé par des faits & par des raisonnemens, qu'une pareille opération étoit ruineuse à l'état, & directement opposée aux intérêts du peuple & du roi. La conviction est entiere aux yeux de ceux qui lisent cet ouvrage avec plus de méthode que l'auteur n'y en a employé : car il faut avoüer que l'abondance des choses & la crainte d'en répéter, lui ont fait quelquefois négliger l'ordre & la progression des idées.

Examinons l'opinion de M. Melon de la maniere la plus simple, la plus courte, & la plus équitable qu'il nous sera possible : cherchons même les raisons qui ont pû séduire cet écrivain, dont la lecture d'ailleurs est si utile à tous ceux qui veulent s'instruire sur le Commerce.

Si le numéraire augmente, le prix des denrées doit hausser ; ce sera dans une des trois proportions suivantes ; 1°. dans la même proportion que l'espece ; 2°. dans une proportion plus grande ; 3°. dans une moindre proportion.

Premiere supposition. Le prix des denrées hausse dans la même proportion que le numéraire.

Il est constant qu'aucune denrée n'est produite sans travail, & que tout homme qui travaille dépense. La dépense augmentant dans la proportion de la recette, il n'y a aucun profit dans ce changement pour le peuple industrieux, pour les propriétaires des fruits de la terre. Car les propriétaires des rentes féodales auxquels il est dû des cens & rentes en argent, reçoivent évidemment moins ; les frais des réparations ont augmenté cependant, dès-lors ils sont moins en état de payer les impôts.

Ceux qui ont emprunté ou qui doivent de l'argent, acquitteront leur dette avec une valeur moindre en poids & en titre. Ce que perdra le créancier sera gagné par le débiteur : le premier sera forcé de dépenser moins, & le second aura la faculté de dépenser davantage. La circulation n'y gagne rien, le changement est dans la main qui dépense. Disons plus, l'argent étant le gage de nos échanges, ou pour parler plus exactement le moyen terme qui sert à les évaluer, tout ce qui affecte l'argent ou ses propriétaires porte sur toutes les denrées ou leurs propriétaires. C'est ce qu'il faut expliquer.

S'il y avoit plus de débiteurs que de créanciers, la raison d'état (quoique mal entendue en ce cas) pourroit engager le législateur à favoriser le plus grand nombre. Cherchons donc qui sont les débiteurs, & l'effet de la valeur qu'on veut leur procurer.

Les créanciers dans un état sont les propriétaires de l'argent ou des denrées.

Il est sûr que l'argent est inégalement partagé dans tous les pays, principalement dans ceux où le commerce étranger n'est pas le principe de la circulation.

Si les propriétaires de l'argent ont eu la confiance de le faire rentrer dans le Commerce, surhausser l'espece, c'est les punir de leur confiance ; c'est les avertir de mettre leur argent à plus haut prix à l'avenir ; effet certain & directement contraire au principe de la circulation ; enfin c'est non-seulement introduire dans l'état une diminution de sûreté, mais encore autoriser une mauvaise foi évidente entre les sujets. Je n'en demande pas d'autre preuve que le système où sont quantité de familles dans le royaume de devoir toûjours quelque chose. Qu'attendent-elles, que l'occasion de pouvoir manquer à leurs engagemens en vertu de la loi ? Quel en est l'effet, sinon d'entretenir la défiance entre les sujets, de maintenir l'argent à un haut prix, & de grossir la dépense du prince ? Quoiqu'une longue & heureuse expérience nous ait convaincus des lumieres du gouvernement actuel, le préjugé subsiste, & subsistera encore jusqu'à ce que la génération des hommes qui ont été témoins du desordre des surhaussemens, soit entierement éteinte. Effet terrible des mauvaises opérations !

C'est donc le principe de la répartition inégale de l'argent qu'il faut attaquer ou réformer ; au lieu de dépouiller ses possesseurs par une violence dangereuse dans ses effets pendant des siecles. Mais ce n'est pas tout : observons que si les propriétaires de l'argent l'ont rendu à la circulation, elle n'est donc pas interrompue. C'est le cas cependant ou M. Melon conseille l'augmentation des monnoies. Si l'argent est resserré ou caché, il y a un grand nombre de demandeurs & point de prêteurs, dès-lors le nombre des débiteurs sera très-médiocre ; & ce seroit un mauvais moyen de faire sortir l'argent, que de rendre les propriétés plus incertaines.

Ce ne peut donc être des prêteurs ni des emprunteurs de l'argent, que M. Melon a voulu parler.

D'un autre côté le nombre de emprunteurs & des prêteurs des denrées est égal dans la circulation intérieure. Les denrées appartiennent aux propriétaires des terres, ou aux ouvriers qui sont occupés par le travail de ces denrées. Par l'enchaînement des consommations, tout ce que reçoit le propriétaire d'une denrée passe nécessairement à un autre : chacun est tout à la fois créancier & débiteur ; le superflu de la nation passe aux étrangers. Il n'y a donc pas plus de débiteurs à favoriser que de créanciers. Il n'y a que les débiteurs étrangers de favorisés ; car dans le moment du surhaussement payant moins en poids & en titre, ils acquitteront cependant le numéraire de leur ancienne dette. Présent ruineux pour l'état qui le fait ! Examinons l'intérêt du prince, & celui du peuple rélativement aux impôts.

Il est clair que le prince reçoit le même numéraire qu'auparavant, mais qu'il reçoit moins en poids & en titre. Ses dépenses extérieures restent absolument les mêmes intrinséquement, & augmentent numérairement ; le prix des denrées ayant augmenté avec l'argent, la dépense sera doublée ; il faudra donc recourir à des aliénations plus funestes que les impôts passagers, ou doubler le numéraire des impôts pour balancer la dépense. Où est le profit du prince & celui du peuple ?

Le voici sans doute. Si le prince a un pressant besoin d'argent, & qu'il lui soit dû beaucoup d'arrérages, la facilité de payer ces arrérages avec moins de poids & de titre, en accélérera la rentrée, cela ne souffre aucun doute ; mais il suffisoit de diminuer tant pour livre à ceux qui auroient payé leurs arrérages dans un certain terme, & dans la proportion qu'on se résoudroit à perdre, en cas d'augmentation de l'espece. Ceux qui n'auroient pas d'argent en trouveroient facilement, en partageant le bénéfice de la remise ; au lieu qu'en augmentant les especes, il n'en vient pas à ceux qui en manquent. Tout seroit resté dans son ordre naturel ; le peuple eût été soulagé, & le prince secouru d'argent.

Si le prince a des fonds dans son thrésor, & qu'il veuille rembourser des fournisseurs avec une moindre valeur, il se trompe lui-même par deux raisons.

1°. Le crédit accordé par les fournisseurs est usuraire, en raison des risques qu'ils courent : c'est une vérité d'expérience de tous les tems, de tous les pays.

2°. Ces fournisseurs doivent eux-mêmes, recevant moins, ils rembourseront moins : & à qui ? à des ouvriers, à des artistes, aux propriétaires des fruits de la terre.

La dépense étant augmentée, combien de familles privées de leur aisance ? quel vuide dans la circulation, dans le payement des impôts, qui n'en sont que le fruit !

Si c'est pour diminuer les rentes sur l'état, c'est encore perdre, puisque les nouveaux emprunts se feront à des conditions plus dures ; l'intérêt de l'argent haussant pour le prince, il devient plus rare dans le Commerce : la circulation s'affoiblit, & sans circulation, point d'aisance chez le peuple. Si cependant on se résout à perdre la confiance & à faire une grande injustice, il est encore moins dangereux de diminuer l'intérêt des rentes dûes par l'état, que de hausser l'espece : la confusion seroit moins générale ; la défiance n'agiroit qu'entre l'état & ses créanciers, sans s'étendre aux engagemens particuliers : mais ni l'un ni l'autre n'est utile.

Conclusion : en supposant le prix des denrées haussé en proportion de l'argent ; il en naît beaucoup de desordres ; pas un seul avantage réel pour le roi, ni pour le peuple.

Seconde supposition. Le prix des denrées hausse dans une plus grande proportion que le numéraire.

Le mal sera évidemment le même que dans la premiere hypothèse, excepté que les rentiers seront plus malheureux, & consommeront encore moins. Mais celle-ci a de plus un inconvénient extérieur ; car le superflu renchérissant, il n'est pas sûr que les étrangers continuent de l'acheter : du moins est-il constant qu'il arrivera quelque révolution dans le Commerce. Or ces révolutions font dans un état commerçant, le même effet que chez les Négocians ; elles l'enrichissent ou l'appauvrissent. Il s'en présente assez de naturelles, sans les provoquer & multiplier ses risques. Il est même un préjugé bien fondé, pour croire que le commerce étranger diminuera : car l'argent se soûtiendra cher, en raison des motifs de défiance qui sont dans l'état ; & les denrées augmentant encore par elles-mêmes, il est évident que l'état aura un desavantage considérable dans la concurrence des autres peuples.

Avant de passer à la troisieme supposition, il faut remarquer que l'expérience a prouvé que celle-ci est l'effet véritable des augmentations des monnoies, non pas tout-d'un-coup, mais successivement. Les denrées haussant continuellement, les dépenses de l'état augmentent, & par la même raison le numéraire des impôts. Le peuple, dont la recette est ordinairement bornée au simple nécessaire, quel que soit le numéraire, n'est pas plus riche dans un cas que dans l'autre : il n'a jamais de remboursemens à faire ; & s'il vient à payer plus de numéraire à l'état, en proportion de celui qu'il reçoit, il est réellement plus pauvre.

Les observations de M. l'abbé de Saint-Pierre, & les comparaisons que fait M. Dutot, des revenus de plusieurs de nos rois, ne laissent aucun doute sur cette vérité, que les denrées haussent successivement dans une plus haute proportion que la monnoie : cependant examinons la troisieme supposition, & voyons les effets qui résultent de son passage.

Troisieme supposition. Le prix des denrées n'augmente pas proportionnellement avec l'argent.

C'est la plus favorable au système de M. Melon. Considérons quelle aisance le peuple & l'état en retirent ; &, ce qui est plus important, combien en durent les effets. Supposons la journée des ouvriers 20 sous ; la dépense nécessaire à la subsistance, 15 sous : ce seront 5 sous pour le superflu.

Supposons l'augmentation numéraire de moitié, & l'augmentation du prix des denrées d'un quart ; la journée montera à 25 sous, qui ne vaudront intrinséquement que 16 sous 8 den. sur l'ancien pié. La dépense nécessaire sera de 18 sous 9 den. il restera pour le superflu 6 sous 3 d. Mais comme les denrées ont augmenté d'un quart, l'ouvrier n'achetera pas plus de choses qu'avec les 5 s. qu'il avoit coûtume de recevoir.

Ainsi de ce côté l'ouvrier ou le peuple ne gagne point d'aisance : la circulation ne gagne rien.

Examinons la position du commerce étranger.

Supposons son ancienne valeur de 48 ; les denrées ayant augmenté d'un quart, la nouvelle valeur sera 60.

Il n'est point de nation qui ne reçoive des denrées des peuples auxquels elle vend : c'est l'excédent des exportations sur les importations, qui lui procure de nouvel argent. Evaluons les échanges en nature aux trois quarts de l'ancienne valeur, c'est-à-dire à 36, le profit de la balance eût été 12. Il est évident que l'étranger paye ses achats sur le pié établi dans le pays du vendeur ; mais qu'il se fait payer ses ventes sur le pié établi chez lui, c'est-à-dire en poids & en titre.

Cela posé, on achetera de l'étranger 54 ce qu'on payoit 36. Les ventes seront 60, la balance restera 6.

Elle étoit de 12 auparavant ; par conséquent la circulation perd 6, & ces 6 n'équivaudront intrinséquement qu'à 4 sur l'ancien pié.

Par la même raison, tout ce que l'étranger devra au moment du surhaussement, sera payé la moitié moins ; & ce qui leur sera dû, coûtera la moitié de numéraire en-sus. Cette double perte pour les Négocians en ruinera un grand nombre au profit des étrangers ; les faillites rendront l'argent rare & cher : enfin l'état aura perdu tout ce que l'étranger aura payé de moins. Ces objets seuls sont de la plus grande importance, car si l'état ajoûte l'incertitude des propriétés aux risques naturels du Commerce, personne ne sera tenté d'y faire circuler ses capitaux ; le crédit des Négocians sera foible, l'usure s'en prévaudra : jamais les intérêts ne baisseront, & jamais l'état ne joüira de tous les avantages qu'il a pour commercer.

On objectera sans doute que les prix étant diminués d'un quart, les étrangers acheteront un quart de plus de denrées.

Si cela arrive, il est évident que l'industrie sera animée par cette nouvelle demande ; que la circulation recevra une très-grande activité ; que la balance numéraire sera 18, puisque la vente fera 72 ; enfin que l'état recevra autant de valeur intrinseque qu'auparavant. Mais il y a plusieurs observations à faire sur cette objection.

1°. S'il est vrai de dire en général, comme on doit en convenir, que le bon-marché de la denrée en procure un plus grand débit, il n'arrive pas toûjours pour cela que le débit s'accroisse dans une proportion exacte de la baisse des prix. Outre qu'il est des denrées dont la consommation est bornée par elle-même, le marchand qui les revend fait tout son possible pour retenir une partie du bon marché à son profit particulier.

2°. L'argent se soûtiendra cher par la diminution de la confiance, & le grand nombre de faillites qu'aura occasionné le passage du surhaussement : ainsi, quoique la main-d'oeuvre & les denrées n'ayent haussé que d'un quart en numéraire, il est certain que l'intérêt des avances faites par les Négocians, sera de moitié plus fort en numéraire ; & que cette moitié en sus du numéraire de l'intérêt, doit être ajoûtée au surhaussement des denrées, que nous avons supposé être d'un quart.

Si cet intérêt étoit de 6 pour %, ce seroit un douzieme & demi en sus. Celui qui possédoit dans son commerce 100 liv. avant le surhaussement, se trouvera posséder numérairement 150 livres. L'augmentation des denrées étant du quart, il sembleroit qu'avec ces 100 liv. on pourroit commercer sur 25 liv. de plus en denrées.

Reste donc pour 16 livres de plus en denrées, qu'on n'en avoit avant l'augmentation des especes. Cependant comme l'intérêt de ces 100 liv. étoit de 6 pour % également, il convient d'ajoûter 6 liv. aux 16 liv. ce qui en fera 22 liv.

Mais le plus fort numéraire des intérêts a évidemment diminué 3 livres sur les 25 livres que l'on espéroit trouver de plus en denrées, à raison de l'inégalité du surhaussement des denrées en proportion de celui des especes.

Ce calcul pourroit encore être poussé plus loin, si l'on évalue le bénéfice du commerçant, qui est toûjours au moins du double de l'intérêt.

3°. Toutes les manufactures où il entre des matieres étrangeres, hausseront non-seulement d'un quart, comme toutes les autres denrées, mais encore de l'excédent du numéraire qu'on donnera de plus qu'auparavant pour payer ces matieres.

4°. Si le pays qui a haussé sa monnoie, tire de l'étranger une partie des matieres nécessaires à la Navigation, son fret renchérira d'autant en numéraire ; il faudra encore y ajoûter le plus grand numéraire, & à raison de l'intérêt de l'argent, & à raison du prix des assûrances. Toutes ces augmentations formeront une valeur intrinseque qui donnera la supériorité dans cette partie essentielle, aux étrangers qui payent l'argent moins cher.

5°. Tout ce qui manquera à l'achat des étrangers pour répondre à ce quart de diminution sur le prix, diminuera la balance intrinseque de l'état. Si dans l'exemple proposé, au lieu d'exporter 72 on n'exporte que 66, la balance numéraire sera de 12, comme auparavant ; mais la balance intrinseque ne sera que 8.

6°. En supposant même le quart entier d'accroissement sur les ventes, ce qui n'est pas vraisemblable cependant, il est clair, suivant la remarque de M. Dutot, que l'étranger n'aura donné aucun équivalent en échange.

7°. Je conviens que l'état aura occupé plus d'hommes : c'est un avantage très-réel ; mais il faut reconnoître aussi que les denrées haussant successivement, comme l'expérience l'a toûjours vérifié, les ventes diminueront successivement dans la même proportion. La balance diminuera avec elles numérairement & intrinséquement ; & suivant les principes établis sur la circulation, le peuple sera en peu de tems plus malheureux qu'il n'étoit : car son occupation diminuera ; le nombre des signes qui avoit coûtume d'entrer en concurrence avec les denrées, n'entrant plus dans le commerce, la circulation s'affoiblira, l'intérêt de l'argent se soûtiendra toûjours. Telle est la vraie pierre de touche de la prospérité intérieure d'un état. Je veux bien compter pour rien le dérangement des fortunes particulieres & des familles, puisque la masse de ces fortunes restera la même dans l'état ; mais je demanderai toûjours s'il y a moins de pauvres, s'il y en aura moins par la suite, parce que la ressource de l'état peut être mesurée sur leur nombre.

Je ne crois point qu'on m'accuse d'avoir dissimulé les raisons favorables à l'opinion de M. Melon ; je les ai cherchées avec soin, parce qu'il ne me paroissoit pas naturel qu'un habile homme avançât un sentiment sans l'avoir médité. J'avoue même que d'abord j'ai hésité ; mais les suites pernicieuses & prochaines de cet embonpoint passager du corps politique, m'ont intimement convaincu qu'il n'étoit pas naturel ; enfin que l'opération n'est utile en aucun sens. C'est ainsi qu'en ont pensé Mun, Locke, & le célebre Law, qu'on peut prendre pour juges en ces matieres, lorsque leur avis se réunit. Il ne faut pas s'imaginer que l'utilité des augmentations numéraires n'ait pû se développer que parmi nous, à moins que l'influence du climat ne change aussi quelque chose dans la combinaison des nombres.

Enfin je ne me serai point trompé, si malgré une augmentation de denrée à raison de l'aggrandissement du royaume, malgré une augmentation de valeur de 150 millions dans nos colonies, la balance du commerce étranger n'est pas plus considérable depuis vingt-trois ans, que de 1660 à 1683.

Nous avons évidemment gagné, puisque depuis la derniere réforme il a été monnoyé près de treize cent millions ; mais il s'agit de savoir si nous n'aurions pas gagné davantage, en cas qu'on n'eût point haussé les monnoies ; si l'on verroit en Italie, en Allemagne, en Hollande sur-tout & en Angleterre, pour des centaines de millions de vieilles monnoies de France.

Jean de Wit évaluoit la balance que la Hollande payoit de son tems à la France, à 30 millions, qui en feroient aujourd'hui plus de 55. Je sai que nous avons étendu notre commerce : mais sans compter l'augmentation de nos terres & l'amélioration de nos colonies, supposons (ce qui n'est pas) que nous avons fait par nous-mêmes ou par d'autres peuples, les trois quarts du commerce que la Hollande faisoit pour nous en 1655, la balance avec elle devroit rester de plus de treize millions ; en 1752 elle n'a été que de huit.

Regle générale à laquelle j'en reviendrai toûjours, parce qu'elle est d'une application très-étendue : par-tout où l'intérêt de l'argent se soûtient haut, la circulation n'est pas libre. C'est donc avec peu de fondement que M. Melon a comparé les surhaussemens des monnoies, même sans réforme ni refonte, aux multiplications des papiers circulans. Je regarde ces papiers comme un remede dangereux par les suites qu'ils entraînent ; mais ils se corrigent en partie par la diminution des intérêts, & donnent au moins les signes & les effets d'une circulation intérieure, libre & durable. Ils peuvent nuire un jour à la richesse de l'état, mais constamment le peuple vit plus commodément. S'il étoit possible même de borner le nombre des papiers circulans, & si la facilité de dépenser n'étoit pas un présage presque certain d'une grande dépense, je les croirois fort utiles dans les circonstances d'un épuisement général dans tous les membres du corps politique : disons plus, il n'en est pas d'autre, sous quelque nom ou quelque forme qu'on les présente. Il ne s'agit que de savoir user de la fortune, & se ménager des ressources.

Cette discussion prouve invinciblement que le commerce étranger est le seul intérêt réel d'un état au-dedans. Cet intérêt est celui du peuple, & celui du peuple est celui du prince : ces trois parties forment un seul tout. Nulle distinction subtile, nulle maxime d'une politique fausse & captieuse, ne prouvera jamais à un homme qui joüit de sa raison, qu'un tout n'est point affecté par l'affoiblissement d'une de ses parties. S'il est sage de savoir perdre quelquefois, c'est dans le cas où l'on se réserve l'espérance de se dédommager de ses pertes.

M. Melon propose pour dernier appui de son sentiment, le problême suivant :

L'imposition nécessaire au payement des charges de l'état étant telle, que les contribuables, malgré les exécutions militaires, n'ont pas de quoi les payer par la vente de leurs denrées, que doit faire le législateur ?

J'aimerois autant que l'on demandât ce que doit faire un général dont l'armée est assiégée tout-à-la fois par la famine & par les ennemis, dans un poste très-desavantageux.

Dire qu'il ne falloit pas s'y engager, seroit une réponse assez naturelle, puisque l'on ne désigneroit aucune des circonstances de cette position ; mais certainement personne ne donneroit pour expédient de livrer la moitié des armes aux ennemis, afin d'avoir du pain pendant quatre jours.

C'étoit sans doute par modestie que M. Desmarests disoit qu'on avoit fait subsister les armées & l'état en 1709, par une espece de miracle. Quelque cruelle que fût alors notre situation, il me semble que les mots de miracle & d'impossibilité ne sont point faits pour les hommes d'état.

Toute position a ses ressources quelconques, pour qui sait l'envisager de sang-froid & d'après de bons principes. Il est vrai que dans ces occasions critiques, comme dans toutes les autres, il faut se rappeller la priere de David : Infatua, Domine, consilium Achitopel.

Ce que nous avons dit sur la balance de notre commerce en 1655, prouve combien peu est fondé ce préjugé commun, que notre argent doit être plus bas que celui de nos voisins, si nous voulons commercer avantageusement avec eux. M. Dutot l'a également démontré par les changes.

La vraie cause de cette opinion parmi quelques négocians, plus praticiens qu'observateurs des causes & des principes, est que nos surhaussemens ont presque toûjours été suivis de diminutions.

On a toutes les peines du monde alors à faire consentir les ouvriers à baisser leurs salaires, & les denrées se soûtiennent jusqu'à ce que la suspension du Commerce les ait réduites à leur proportion. C'est ce qui arrive même après les chertés considérables ; l'abondance ne ramene que très-lentement les anciens prix.

Ce passage est donc réellement très-desavantageux au Commerce, mais il n'a point de suites ultérieures. Observons encore que l'étranger qui doit, ne tient point compte des diminutions, & que cependant le négociant est obligé de payer ses dettes sur le pié établi par la loi. Il en résulte des faillites, & un grand discrédit général.

C'est donc la crainte seule des diminutions qui a enfanté cette espece de maxime fausse en elle-même, que notre argent doit être bas.

La vérité est qu'il est important de le laisser tel qu'il se trouve ; que parmi les prospérités de la France, elle doit compter principalement la stabilité actuelle des monnoies. Voyez les articles MONNOIE, OR, ARGENT, CUIVRE, &c.


ESPERANCES. f. (Morale) contentement de l'ame que chacun éprouve, lorsqu'il pense à la joüissance qu'il doit probablement avoir d'une chose qui est propre à lui donner de la satisfaction.

Le Créateur, dit l'auteur de la Henriade, pour adoucir les maux de cette vie,

A placé parmi nous deux êtres bienfaisans,

De la terre à jamais aimables habitans,

Soûtiens dans les travaux, thrésors dans l'indigence :

L'un est le doux sommeil, & l'autre l'espérance.

Aussi Pindare appelle l'espérance, la bonne nourrice de la vieillesse. Elle nous console dans nos peines, augmente nos plaisirs, & nous fait joüir du bonheur avant qu'il existe ; elle rend le travail agréable, anime toutes nos actions, & recrée l'ame sans qu'elle y pense. Que de philosophie dans la fable de Pandore !

Les plaisirs que nous goûtons dans ce monde sont en si petit nombre & si passagers, que l'homme seroit la plus misérable de toutes les créatures, s'il n'étoit doüé de cette passion qui lui procure quelque avant-goût d'un bonheur qui peut lui arriver un jour. Il y a tant de vicissitudes ici bas, qu'il est quelquefois difficile de juger à quel point nous sommes à bout de notre espérance ; cependant notre vie est encore plus heureuse, lorsque cette espérance regarde un objet d'une nature sublime : c'est pourquoi l'espérance religieuse soûtient l'ame entre les bras de la mort, & même au milieu des souffrances. Voyez l'article suivant ESPERANCE (Théologie).

Mais l'espérance immodérée des hommes à l'égard des biens temporels, est une source de chagrins & de calamités ; elle coûte souvent autant de peines, que les craintes causent de souci. Les espérances trop vastes & formées par une trop longue durée, sont déraisonnables, parce que le tombeau est caché entre nous & l'objet après lequel nous soupirons. D'ailleurs dans cette immodération de desirs, nous trouvons toûjours de nouvelles perspectives au-delà de celles qui terminoient d'abord nos premieres vûes. L'espérance est alors un miroir magique qui nous séduit par de fausses images des objets : c'est alors qu'elle nous aveugle par des illusions, & qu'elle nous trompe, comme ce verrier persan des contes arabes, qui dans un songe flateur renversa par un coup de pié toute sa petite fortune. Enfin l'espérance de cette nature, en nous égarant par des phantomes ébloüissans, nous empêche de goûter le repos, & de travailler à notre bien-être par le secours de la prévoyance & de la sagesse. Ce que Pyrrhus avoit gagné par ses exploits, il le perdit par ses vaines espérances ; car le desir de courir après ce qu'il n'avoit pas, & l'espoir de l'obtenir, l'empêcha de conserver ce qu'il avoit acquis ; semblable à celui qui joüant aux dés, amene des coups favorables, mais qui n'en sait pas profiter. Que ne vous reposez-vous dès-à-présent, lui dit Cinéas ?

Les conséquences qui naissent de ce petit nombre de réflexions, sont toutes simples. L'espérance est un présent de la nature que nous ne saurions trop priser ; elle nous mene à la fin de notre carriere par un chemin agréable, qui est semé de fleurs pendant le cours du voyage. Nous devons espérer tout ce qui est bon, dit le poëte Linus, parce qu'il n'y a rien en ce genre, que d'honnêtes gens ne puissent se promettre, & que les dieux ne soient en état de leur accorder ; mais les hommes flottent sans cesse entre des craintes ridicules & de fausses espérances. Loin de se laisser guider par la raison, ils se forgent des monstres qui les intimident, ou des chimeres qui les séduisent.

Evitons ces excès, dit M. Adisson, réglons nos espérances, pesons les objets où elles se portent, pour savoir s'ils sont d'une nature qui puisse raisonnablement nous procurer le fruit que nous attendons de leur joüissance, & s'ils sont tels que nous ayons lieu de nous flater de les obtenir dans le cours de notre vie. Voilà, ce me semble, le discours d'un philosophe auquel nous pouvons donner quelque créance.

C'est un sage qui nous conduit,

C'est un ami qui nous conseille.

Article de M(D.J.)

ESPERANCE, (Théologie) vertu théologale & infuse, par laquelle on attend de Dieu avec confiance le don de sa grace en cette vie & la béatitude en l'autre.

On peut avoir la foi sans l'espérance, mais on ne peut point avoir l'espérance sans la foi ; car comment espérer ce qu'on ne croiroit pas ? d'ailleurs l'apôtre nous apprend que la foi est la base & le fondement de l'espérance, est autem fides sperandarum substantia rerum. Hébr. cap. xj. mais on peut avoir l'espérance, sans avoir la charité. De-là vient que les Théologiens distinguent deux sortes d'espérance, l'une informe qui se rencontre dans les pécheurs, & l'autre formée ou perfectionnée par la charité dans les justes.

L'effet de l'espérance n'est pas de produire en nous une certitude absolue de notre sanctification, de notre persévérance dans le bien, & de notre glorification dans le ciel, comme le soûtiennent les Calvinistes rigides après la décision du synode de Dordrecht, mais d'établir dans les coeurs une simple confiance fondée sur la bonté de Dieu & les mérites de Jesus-Christ, que Dieu nous accordera la grace pour triompher des tentations & pratiquer le bien, afin de mériter la gloire, parce que l'homme doit toûjours travailler avec crainte & tremblement à l'ouvrage de son salut, & qu'il ne peut savoir en cette vie s'il est digne d'amour ou de haine. Voyez PREDESTINATION.

Les vices opposés à l'espérance chrétienne sont le desespoir & la présomption. Le desespoir est une disposition de l'esprit qui porte à croire que les péchés qu'on a commis sont trop grands, pour pouvoir en obtenir le pardon, & que Dieu est un juge inflexible qui ne les peut remettre. La présomption consiste à être tellement persuadé de sa justice & de son bonheur éternel, qu'on ne craigne plus de les perdre, ou à compter tellement sur les forces de la nature, qu'on s'imagine qu'elles suffisent pour opérer le bien dans l'ordre du salut. Telle étoit l'erreur des Pélagiens. Voyez PELAGIENS.

Les Philosophes opposent la crainte à l'espérance, & disent qu'elles s'excluent mutuellement d'un même sujet ; mais les Théologiens pensent que toute espece de crainte ne bannit pas du coeur l'espérance chrétienne. La crainte filiale qui porte à s'abstenir du péché, non-seulement dans la vûe d'éviter la damnation, mais encore par l'amour de la justice qui le défend, non-seulement n'est point incompatible avec l'espérance, mais même elle la suppose. La crainte simplement servile ne l'exclut pas non plus ; mais la crainte servilement servile ne laisse qu'une espérance bien foible dans le coeur de celui qu'elle anime. Voyez CRAINTE. (G)

* ESPERANCE, (Mythol.) c'étoit une des divinités du Paganisme ; elle avoit deux temples à Rome, l'un dans la septieme région, l'autre dans le marché aux herbes. On la voit dans les antiques couronnée de fleurs, tenant en main des épis & des pavots, appuyée sur une colonne, & placée devant une ruche. Les poëtes en ont fait une des soeurs du sommeil qui suspend nos peines, & de la mort qui les finit.

ESPERANCE, (cap-de-bonne) Géogr. Voyez CAP, &c. & ajoûtez-y que, selon M. Cassini, la longitude du Cap est est 37d 36' 0", 17d 44' 30" à l'orient de Paris, sa latitude 34d 15' 0" mérid. Selon M. de la Caille, la latitude est 34d 24', & la longitude à l'orient de Paris, 16d 10'.


ESPERNAI(Géog. mod.) ville de Champagne en France, sur la Marne. Longit. 21. 46. lat. 49. 2.


ESPERNON(Géog. mod.) ville de Beauce en France ; elle est située sur la Guesle. Long. 18. 20. lat. 48. 35.


ESPIERvoyez EPIER.


ESPINAL(Géog. mod.) ville de Lorraine ; elle est située proche les montagnes de Vosge, sur la Moselle. Long. 24. 14. lat. 48. 22.


ESPINGARDsubst. m. (Art milit.) petite piece d'Artillerie qui, comme l'émerillon, ne passe pas une livre de balle. Voyez EMERILLON. (Q)


ESPINOSA(Géog. mod.) il y a en Espagne deux villes de ce nom, l'une dans la Biscaye, l'autre dans la vieille Castille : celle-ci a de long. 13. 46. & de lat. 43. 2.


ESPIONS. m. (Art milit.) est une personne que l'on paye pour examiner les actions, les mouvemens, &c. d'une autre, & sur-tout pour découvrir ce qui se passe dans les armées.

Quand on trouve un espion dans un camp, on le pend aussi-tôt. Wicquefort dit qu'un ambassadeur est quelquefois un espion distingué qui est sous la protection du droit des gens. Voyez AMBASSADEUR. Chambers.

Une chose essentielle à un général, & même à tous ceux qui sont chargés de quelque expédition que ce soit, c'est d'avoir un nombre de bons espions & de bons guides ; car sans cela il tombera tous les jours dans de grands inconvéniens. Il ne doit jamais regretter la dépense qu'il fait pour l'entretien des espions ; & quand il n'a pas de quoi y satisfaire, il faut sacrifier celle de sa cuisine & de sa maison plûtôt que de manquer à cet article. C'est-là qu'il faut répandre l'argent à pleines mains. Il est rare en suivant cette maxime qu'on soit surpris, au contraire on trouve souvent l'occasion de surprendre l'ennemi. (Q)


ESPLANADE(DE PARAPET) s. f. en Fortification, s'appelle aussi glacis, partie qui sert à la contrescarpe ou chemin couvert ; c'est un talud, ou pente de terrein qui commence au haut de la contrescarpe, & qui en baissant insensiblement, devient au niveau de la campagne. Voyez GLACIS.

ESPLANADE signifie aussi le terrein plat & de niveau qui est entre le glacis de la contrescarpe & les premieres maisons, ou bien l'espace qui est entre les ouvrages & les maisons de la place. C'est encore le terrein ou l'espace renfermé dans la ville entre les maisons & la citadelle. Voyez CITADELLE. Voyez aussi Pl. IX. de Fortific. fig. 6.

On applique aussi ce terme généralement à tout terrein applani & de niveau, qui auparavant avoit quelqu'éminence qui incommodoit la place. (Q)

ESPLANADE, (Jardinage) est un lieu élevé & découvert pour joüir de la belle vûe. Ces esplanades se trouvent ordinairement dans la rencontre de deux terrasses formant un carrefour, dans le plein-pié d'un belvedere & dans de grands parterres élevés sur des terrasses. (K)

ESPLANADE, (Fauconnerie) c'est la route que tient l'oiseau lorsqu'il plane en l'air.


ESPOLIou ESPOULIN, s. m. terme d'Ourdissage. C'est une petite navette qui contient la dorure & la soie propre à brocher. Il y a des espolins à deux tuyaux : ces deux tuyaux portent la dorure.


ESPONCES. f. (Jurisprud.) signifie le déguerpissement que le détenteur fait d'un héritage chargé de cens, rente, ou autre devoir, pour en être déchargé à l'avenir. Ce terme est usité dans les coûtumes d'Anjou & Maine, Tours, Lodunois & Poitou. Le terme de quittance est quelquefois joint à celui d'esponce comme synonyme, non pas qu'esponce signifie une quittance proprement dite, mais pour dire que par l'esponce le détenteur quitte & abandonne l'héritage. (A)


ESPONCION(Jurisprud.) est la même chose qu'esponce. Voyez ESPONCE. (A)


ESPONDEILLAN(Géog. mod.) petite ville du Languedoc, en France, au diocèse de Beziers.


ESPONTILLESvoyez EPONTILLES.


ESPONTONvoyez SPONTON.


ESPORTES. f. (Jurisprud.) dans la coûtume de Bordeaux, art. 82, 83, 85, 88, 93, & 94, est ce que le vassal donne ou offre à son seigneur pour obtenir de lui l'investiture de quelque fief, ou pour le relief dû à quelque mutation ; ce mot vient du latin sportula, qui signifie don ou présent, d'où on a fait par contraction ou corruption sporta, ou sportula, & en françois esporte. Voyez le Glossaire de Ducange, au mot sporta. (A)


ESPRITS. m. terme de Grammaire greque. Le mot esprit, spiritus, signifie dans le sens propre un vent subtil, le vent de la respiration, un souffle. En termes de Grammaire greque, on appelle esprit, un signe particulier destiné à marquer l'aspiration comme dans l'article , le, , la. On prononce ho, hé, comme dans hotte, héros, ce petit ` qu'on écrit sur la lettre, est appellé esprit rude.

L'esprit des Grecs répond parfaitement à notre H ; car comme nous avons une h aspirée que l'on fait sentir dans la prononciation, comme dans haine, héros, & que de plus nous avons une h qu'on écrit, mais qu'on appelle muette, parce qu'on ne la prononce point, comme dans l'homme, l'heure, de même en grec il y a esprit rude qu'on prononce toujours, & il y a esprit doux qu'on ne prononce jamais. Nous avons dit que l'esprit rude est marqué comme un petit ` qu'on écrit sur la lettre ; ajoutons que l'esprit doux est marqué par une petite virgule '; ainsi l'esprit rude est tourné de gauche à droite `, & le doux de droite à gauche '.

Que nos h soient aspirées ou qu'elles ne le soient pas, il n'y a aucun signe qui les distingue ; on écrit également par h le héros & l'héroïne, mais les Grecs distinguoient l'esprit rude de l'esprit doux : je trouve que les Italiens sont encore plus exacts, car ils ne prennent pas la peine d'écrire l'h qui ne marque aucune aspiration ; homme, uomo ; les hommes, uomini ; philosophe, filosofo ; rhétorique, rettorica ; on prononce les deux t.

L'esprit rude étoit marqué autrefois par h, eta, qui est le signe de la plus forte aspiration des Hébreux, comme l'h en latin & en françois est la marque de l'aspiration. Ainsi ils écrivirent d'abord HEKATON, dit la Méthode de Port royal, & dans la suite ils ont écrit en marquant l'esprit sur l'e.

La même méthode observe, page 23, que les deux esprits sont des restes de h qui a été fendue en deux horisontalement, en sorte qu'une partie c a servi pour marquer l'esprit rude, & l'autre pour être le signe de l'esprit doux.

Le mécanisme des organes de la parole a souvent changé l'esprit rude, & même quelquefois le doux en s ou en v. Ainsi de , dessus, on a fait super ; de , dessous, on a fait sub ; de , vinum ; de , vis ; de , sal ; de , septem ; de , sex ; de , semis ; de , serpo. (F)

ESPRIT, mens, s. f. (Métaphys.) un être pensant & intelligent. Voyez PENSEE, &c.

Les philosophes chrétiens reconnoissent généralement trois sortes d'esprits, Dieu, les anges, & l'esprit humain.

Car l'être pensant est ou fini ou infini : s'il est infini, c'est Dieu ; & s'il est fini, ou bien il n'est joint à aucun corps, ou bien il est joint à un corps : dans le premier cas c'est un ange, dans le second c'est une ame. Voyez DIEU, ANGE, E AME.

On définit avec raison l'esprit humain, une substance pensante & raisonnable. Comme pensante, elle est distinguée du corps, & comme raisonnable, ou plutôt raisonnante, elle est distinguée de Dieu & des anges, qu'on suppose voir les choses intuitivement, c'est-à-dire sans avoir besoin d'aucune déduction ou raisonnement. Voyez RAISONNEMENT & JUGEMENT.

ESPRIT signifie aussi un être incorporel. Dans ce sens on dit Dieu est un esprit, le démon est un esprit de ténebres. Le pere Malebranche remarque qu'il est extrêmement difficile de concevoir ce qui pourroit faire la communication entre un corps & un esprit ; car, dit-il, si l'esprit n'a point de parties matérielles, il ne peut pas mouvoir le corps : mais cet argument est faux par les conséquences qui en résultent ; car nous croyons que Dieu peut mouvoir les corps, & cependant nous n'admettons en lui aucunes parties matérielles. Chambers. Voyez EVIDENCE.

ESPRIT, en Théologie. C'est le nom qu'on donne par distinction à la troisieme personne de la sainte Trinité qu'on appelle l'Esprit, le Saint-Esprit. Voyez TRINITE, PERSONNE.

Les Macédoniens ont nié la divinité du Saint-Esprit, les Ariens ont soûtenu qu'il n'étoit pas égal au pere, & les Sociniens nient son existence. Mais l'Ecriture, la tradition & les décisions de l'Eglise établissent uniformément les trois dogmes contraires à ces erreurs.

Le Saint-Esprit procede du pere & du fils comme d'un seul & même principe, ainsi que l'ont enseigné les peres, & qu'il a été défini au concile général de Lyon sous Grégoire X contre les Grecs qui nioient que le Saint-Esprit procédât du fils ; & c'étoit un des prétextes de leur schisme sous Michel Cérularius ; cependant ils reconnurent ce dogme dans la réunion qui se fit au concile de Florence.

Les Théologiens expliquent la maniere avec laquelle le Saint-Esprit est produit de toute éternité par la spiration active du pere & du fils. C'est de-là que lui vient le nom d'esprit, spiritus, quasi spiratus. Voyez SPIRATION.

Ils se servent aussi du mot esprit pour signifier la vertu & la puissance divine, & la maniere dont elle se communique aux hommes. C'est en ce sens qu'il est dit, Genese, chap. j. . 2, que l'esprit étoit répandu sur la surface de l'abysme, que les prophetes ont été inspirés par l'esprit de Dieu. C'est aussi dans ce sens qu'on dit que la providence divine est cet esprit universel par lequel Dieu fait agir toute la nature, & que le corps de Jesus-Christ a été formé dans le sein d'une vierge par l'opération du Saint-Esprit.

On donne encore le nom d'esprit aux substances créées & immatérielles connues sous celui d'anges & de démons. Les premiers sont appellés esprits célestes, esprits bienheureux, on appelle les autres les esprits de ténebres. (G)

ESPRIT PARTICULIER, spiritus privatus, terme célebre dans les disputes de religion des deux derniers siecles. Il signifie le sentiment particulier & la notion que chacun a sur les dogmes de la foi & sur le sens des écritures, suivant ce qui lui est suggéré par ses propres pensées & par la persuasion dans laquelle il est par rapport à ces matieres.

Les premiers réformateurs niant qu'il y eût aucun interprete infaillible des Ecritures, ni aucun juge des controverses, soûtinrent que chacun pouvoit interpreter & porter son jugement des vérités revélées, en suivant ses propres lumieres assistées de la grace de Dieu ; & c'est ce qu'ils appellent esprit ou jugement particulier. C'étoit lâcher la bride au fanatisme : aussi sans parler des variations innombrables que cette opinion a introduites parmi les prétendus-reformés, elle a donné naissance au Socinianisme & à plusieurs sectes également dangereuses auxquelles les reformés ont fourni des armes dont ils ne peuvent eux-mêmes parer les coups. En effet, de quelle autorité Calvin faisoit-il brûler Servet à Geneve, si l'esprit particulier étoit le seul interprete des Ecritures ; qu'elle certitude avoit-il de les entendre mieux que cet anti-trinitaire ? Voyez TOLERANCE.

Les Catholiques au contraire prétendent que les vérités revélées étant unes & les mêmes pour tous les fideles, la regle que Dieu nous a donnée pour en juger doit nous les représenter d'une maniere uniforme, ce qui ne se peut faire que par la voie d'autorité qui réside dans l'Eglise ; au lieu que l'esprit particulier sur le même point de doctrine inspire Luther d'une façon, & Calvin d'une autre. Il divise Oecolampade, Bucer, Osiandre, &c. & la doctrine qu'il découvre aux partisans de la confession d'Augsbourg, est diamétralement opposée à celle qu'il enseigne aux Anabaptistes, aux Mennonites, &c. sur le même passage de l'écriture. C'est un argument ad hominem auquel les protestans n'ont jamais répondu rien de solide. (G)

ESPRIT, (Saint -) ORDRE DU SAINT-ESPRIT, (Hist. mod.) est un ordre militaire établi en France sous le nom d'ordre & milice du Saint-Esprit, le 31 Décembre 1578, par Henri III. en mémoire de trois grands évenemens arrivés le jour de la Pentecôte & qui le touchoient personnellement ; savoir sa naissance, son élection à la couronne de Pologne, & son avancement à celle de France. L'ordre du Saint-Esprit doit n'être composé que de cent chevaliers, qui sont obligés pour y être admis de faire preuve de trois races.

Le roi est grand-maître de cet ordre, & prête en cette qualité serment le jour de son sacre, de maintenir toûjours l'ordre du Saint-Esprit ; de ne point souffrir, autant qu'il sera en son pouvoir, qu'il tombe, ou diminue, ou qu'il reçoive la moindre altération dans aucun de ses principaux statuts.

Tous les chevaliers portoient autrefois une croix d'or au cou, pendant à un ruban de couleur bleu celeste : maintenant elle est attachée sur la hanche au bas d'un large cordon bleu en baudrier. Tous les officiers & commandeurs portent toûjours la croix cousue sur le côté gauche de leurs manteaux, robes, & autres habillemens de dessus.

Avant que de recevoir l'ordre du S. Esprit, ils reçoivent celui de S. Michel ; ce qui fait que leurs armes sont entourées de deux colliers ; l'un de S. Michel, composé d'SS & de coquilles entrelacées ; l'autre du S. Esprit, qui est formé de fleurs-de-lis d'or, d'où naissent des flammes & des bouillons de feu, & d'H H couronnées avec des festons & des trophées d'armes.

Parmi les chevaliers sont compris neuf prélats, qui sont cardinaux, archevêques, évêques, ou abbés, du nombre desquels est toûjours le grand-aumônier, & ils sont nommés commandeurs de l'ordre du Saint-Esprit. Henri III. avoit aussi projetté d'attribuer à chacun des chevaliers des commanderies ; mais son dessein n'ayant pas eu d'exécution, il assigna à chacun d'eux une pension de mille écus d'or, réduite depuis à 3000 liv. qui sont payées sur le produit du droit du marc d'or affecté à l'ordre. (G)

ESPRIT, (Saint -) ORDRE DU SAINT-ESPRIT DU DROIT DESIR, (Hist. mod.) ordre de chevalerie institué à Naples dans le château de l'Oeuf en 1352, par Louis d'Anjou dit de Tarente, prince du sang de France, roi de Jérusalem & de Sicile, & époux de Jeanne 1ere reine de Naples. Les constitutions de cet ordre étoient en vingt-cinq chapitres, dont voici le préambule dans le style de ces tems-là : " Nous Loys, par la grace de Dieu roi de Jérusalem & de Sicile, allonneur du Saint-Esprit ; lequel jour par la grace nous fumes couronnés de nos royaumes, en essaucement de chevalerie & accroissement d'onneur, avons ordonné de faire une compagnie de chevaliers qui seront appellés les chevaliers du Saint-Esprit du droit desir, & les dits chevaliers seront au nombre de trois cens, desquels nous, comme trouveur & fondeur de cette compagnie, serons princeps, & aussi doivent être tous nos successeurs, rois de Jérusalem & de Sicile, &c. "

Mais la mort de ce prince sans laisser d'enfans, & les révolutions qui la suivirent, firent périr cet ordre presque dès sa naissance. On ne sait comment les constitutions en tomberent entre les mains de la république de Venise, qui en fit présent à Henri III. lorsqu'il s'en retournoit de Pologne en France. On dit que ce prince en tira l'idée & les statuts de l'ordre, qu'il institua ensuite sous le nom du Saint-Esprit ; & que pour ne pas perdre le mérite de l'invention, il remit ces constitutions du roi Louis d'Anjou au sieur de Chiverni, avec ordre de les brûler ; ce que celui-ci ayant cru pouvoir négliger sans préjudice de l'obéissance dûe à son souverain, elles se sont conservées dans sa famille, d'où elles avoient passé dans le cabinet du président de Maisons, & M. le Laboureur les a données au public dans ses additions aux mémoires de Castelnau. Mais en comparant ces statuts avec ceux qu'Henri III. fit dresser pour son nouvel ordre du Saint-Esprit, on n'y trouve aucune conformité qui prouve que ceux-ci soient une copie des premiers. (G)

ESPRIT, (Saint -) terme de Blason : Croix du Saint-Esprit, est une croix d'or à huit raies émaillées, chaque rayon pommeté d'or, une fleur-de-lis dans chacun des angles de la croix, & dans le milieu un Saint-Esprit ou colombe d'argent d'un côté, & de l'autre un Saint-Michel. La croix des prélats-commandeurs porte la colombe des deux côtés ; parce qu'ils n'ont que l'ordre du Saint-Esprit, & non celui de Saint-Michel. (G)

ESPRIT, (Philos. & Belles-Lettr.) ce mot, en tant qu'il signifie une qualité de l'ame, est un de ces termes vagues, auxquels tous ceux qui les prononcent attachent presque toûjours des sens différens. Il exprime autre chose que jugement, génie, goût, talent, pénétration, étendue, grace, finesse ; & il doit tenir de tous ces mérites : on pourroit le définir, raison ingénieuse.

C'est un mot générique qui a toûjours besoin d'un autre mot qui le détermine ; & quand on dit, voilà un ouvrage plein d'esprit, un homme qui a de l'esprit, on a grande raison de demander duquel. L'esprit sublime de Corneille n'est ni l'esprit exact de Boileau, ni l'esprit naïf de Lafontaine ; & l'esprit de la Bruyere, qui est l'art de peindre singulierement, n'est point celui de Malebranche, qui est de l'imagination avec de la profondeur.

Quand on dit qu'un homme a un esprit judicieux, on entend moins qu'il a ce qu'on appelle de l'esprit, qu'une raison épurée. Un esprit ferme, mâle, courageux, grand, petit, foible, leger, doux, emporté, &c. signifie le caractere & la trempe de l'ame, & n'a point de rapport à ce qu'on entend dans la société par cette expression, avoir de l'esprit.

L'esprit, dans l'acception ordinaire de ce mot, tient beaucoup du bel-esprit, & cependant ne signifie pas précisément la même chose : car jamais ce terme homme d'esprit ne peut être pris en mauvaise part, & bel-esprit est quelquefois prononcé ironiquement. D'où vient cette différence ? c'est qu'homme d'esprit ne signifie pas esprit supérieur, talent marqué, & que bel-esprit le signifie. Ce mot homme d'esprit n'annonce point de prétention, & le bel-esprit est une affiche ; c'est un art qui demande de la culture, c'est une espece de profession, & qui par-là expose à l'envie & au ridicule.

C'est en ce sens que le P. Bouhours auroit eu raison de faire entendre, d'après le cardinal du Perron, que les Allemands ne prétendoient pas à l'esprit ; parce qu'alors leurs savans ne s'occupoient guere que d'ouvrages laborieux & de pénibles recherches, qui ne permettoient pas qu'on y répandît des fleurs, qu'on s'efforçât de briller, & que le bel-esprit se mêlât au savant.

Ceux qui méprisent le génie d'Aristote au lieu de s'en tenir à condamner sa physique qui ne pouvoit être bonne, étant privée d'expériences, seroient bien étonnés de voir qu'Aristote a enseigné parfaitement dans sa rhétorique la maniere de dire les choses avec esprit. Il dit que cet art consiste à ne se pas servir simplement du mot propre, qui ne dit rien de nouveau ; mais qu'il faut employer une métaphore, une figure dont le sens soit clair & l'expression énergique. Il en apporte plusieurs exemples, & entr'autres ce que dit Periclès d'une bataille où la plus florissante jeunesse d'Athenes avoit péri, l'année a été dépouillée de son printems. Aristote a bien raison de dire, qu'il faut du nouveau ; le premier qui pour exprimer que les plaisirs sont mêlés d'amertumes, les regarda comme des roses accompagnées d'épines, eut de l'esprit. Ceux qui le répéterent n'en eurent point.

Ce n'est pas toûjours par une métaphore qu'on s'exprime spirituellement ; c'est par un tour nouveau ; c'est en laissant deviner sans peine une partie de sa pensée, c'est ce qu'on appelle finesse, délicatesse ; & cette maniere est d'autant plus agréable, qu'elle exerce & qu'elle fait valoir l'esprit des autres. Les allusions, les allégories, les comparaisons, sont un champ vaste de pensées ingénieuses ; les effets de la nature, la fable, l'histoire présentes à la mémoire, fournissent à une imagination heureuse des traits qu'elle employe à-propos.

Il ne sera pas inutile de donner des exemples de ces différens genres. Voici un madrigal de M. de la Sabliere, qui a toûjours été estimé des gens de goût.

Eglé tremble que dans ce jour

L'hymen plus puissant que l'amour,

N'enleve ses thrésors sans qu'elle ose s'en plaindre.

Elle a négligé mes avis.

Si la belle les eût suivis,

Elle n'auroit plus rien à craindre.

L'auteur ne pouvoit, ce semble, ni mieux cacher ni mieux faire entendre ce qu'il pensoit, & ce qu'il craignoit d'exprimer.

Le madrigal suivant paroît plus brillant & plus agréable : c'est une allusion à la fable.

Vous êtes belle & votre soeur est belle,

Entre vous deux tout choix seroit bien doux ;

L'amour étoit blond comme vous,

Mais il aimoit une brune comme elle.

En voici encore un autre fort ancien ; il est de Bertaud évêque de Sées, & paroît au-dessus des deux autres, parce qu'il réunit l'esprit & le sentiment.

Quand je revis ce que j'ai tant aimé,

Peu s'en fallut que mon feu rallumé

N'en fît le charme en mon ame renaître,

Et que mon coeur autrefois son captif

Ne ressemblât l'esclave fugitif,

A qui le sort fit rencontrer son maître.

De pareils traits plaisent à tout le monde, & caractérisent l'esprit délicat d'une nation ingénieuse. Le grand point est de savoir jusqu'où cet esprit doit être admis. Il est clair que dans les grands ouvrages on doit l'employer avec sobriété, par cela même qu'il est un ornement. Le grand art est dans l'à-propos. Une pensée fine, ingénieuse, une comparaison juste & fleurie, est un défaut quand la raison seule où la passion doivent parler, ou bien quand on doit traiter de grands intérêts : ce n'est pas alors du faux bel-esprit, mais c'est de l'esprit déplacé ; & toute beauté hors de sa place cesse d'être beauté. C'est un défaut dans lequel Virgile n'est jamais tombé, & qu'on peut quelquefois reprocher au Tasse, tout admirable qu'il est d'ailleurs : ce défaut vient de ce que l'auteur trop plein de ses idées veut se montrer lui-même, lorsqu'il ne doit montrer que ses personnages. La meilleure maniere de connoître l'usage qu'on doit faire de l'esprit, est de lire le petit nombre de bons ouvrages de génie qu'on a dans les langues savantes & dans la nôtre.

Le faux-esprit est autre chose que de l'esprit déplacé : ce n'est pas seulement une pensée fausse, car elle pourroit être fausse sans être ingénieuse ; c'est une pensée fausse & recherchée. Il a été remarqué ailleurs qu'un homme de beaucoup d'esprit qui traduisit, ou plûtôt qui abrégea Homere en vers françois, crut embellir ce poëte dont la simplicité fait le caractere, en lui prêtant des ornemens. Il dit au sujet de la réconciliation d'Achille :

Tout le camp s'écria dans une joie extrême,

Que ne vaincra-t-il point ? Il s'est vaincu lui-même.

Premierement, de ce qu'on a dompté sa colere, il ne s'ensuit point du tout qu'on ne sera point battu : secondement, toute une armée peut-elle s'accorder par une inspiration soudaine à dire une pointe ?

Si ce défaut choque les juges d'un goût sévere, combien doivent révolter tous ces traits forcés, toutes ces pensées alambiquées que l'on trouve en foule dans des écrits, d'ailleurs estimables ? comment supporter que dans un livre de mathématiques on dise, que " si Saturne venoit à manquer, ce seroit le dernier satellite qui prendroit sa place, parce que les grands seigneurs éloignent toûjours d'eux leurs successeurs " ? comment souffrir qu'on dise qu'Hercule savoit la physique, & qu'on ne pouvoit résister à un philosophe de cette force ? L'envie de briller & de surprendre par des choses neuves, conduit à ces excès.

Cette petite vanité a produit les jeux de mots dans toutes les langues ; ce qui est la pire espece du faux bel-esprit.

Le faux goût est différent du faux bel-esprit ; parce que celui-ci est toûjours une affectation, un effort de faire mal : au lieu que l'autre est souvent une habitude de faire mal sans effort, & de suivre par instinct un mauvais exemple établi. L'intempérance & l'incohérence des imaginations orientales, est un faux goût ; mais c'est plûtôt un manque d'esprit, qu'un abus d'esprit. Des étoiles qui tombent, des montagnes qui se fendent, des fleuves qui reculent, le Soleil & la Lune qui se dissolvent, des comparaisons fausses & gigantesques, la nature toûjours outrée, sont le caractere de ces écrivains, parce que dans ces pays où l'on n'a jamais parlé en public, la vraie éloquence n'a pu être cultivée, & qu'il est bien plus aisé d'être empoulé, que d'être juste, fin, & délicat.

Le faux esprit est précisément le contraire de ces idées triviales & empoulées ; c'est une recherche fatigante de traits trop déliés, une affectation de dire en énigme ce que d'autres ont déjà dit naturellement, de rapprocher des idées qui paroissent incompatibles, de diviser ce qui doit être réuni, de saisir de faux rapports, de mêler contre les bienséances le badinage avec le sérieux, & le petit avec le grand.

Ce seroit ici une peine superflue d'entasser des citations, dans lesquelles le mot d'esprit se trouve. On se contentera d'en examiner une de Boileau, qui est rapportée dans le grand dictionnaire de Trévoux : C'est le propre des grands esprits, quand ils commencent à vieillir & à décliner, de se plaire aux contes & aux fables. Cette réflexion n'est pas vraie. Un grand esprit peut tomber dans cette foiblesse, mais ce n'est pas le propre des grands esprits. Rien n'est plus capable d'égarer la jeunesse, que de citer les fautes des bons écrivains comme des exemples.

Il ne faut pas oublier de dire ici en combien de sens différens le mot d'esprit s'employe ; ce n'est point un défaut de la langue, c'est au contraire un avantage d'avoir ainsi des racines qui se ramifient en plusieurs branches.

Esprit d'un corps, d'une société, pour exprimer les usages, la maniere de penser, de se conduire, les préjugés d'un corps.

Esprit de parti, qui est à l'esprit d'un corps ce que sont les passions aux sentimens ordinaires.

Esprit d'une loi, pour en distinguer l'intention ; c'est en ce sens qu'on a dit, la lettre tue & l'esprit vivifie.

Esprit d'un ouvrage, pour en faire concevoir le caractere & le but.

Esprit de vengeance, pour signifier desir & intention de se vanger.

Esprit de discorde, esprit de révolte, &c.

On a cité dans un dictionnaire, esprit de politesse ; mais c'est d'après un auteur nommé Bellegarde, qui n'a nulle autorité. On doit choisir avec un soin scrupuleux ses auteurs & ses exemples. On ne dit point esprit de politesse, comme on dit esprit de vengeance, de dissention, de faction ; parce que la politesse n'est point une passion animée par un motif puissant qui la conduise, lequel on appelle esprit métaphoriquement.

Esprit familier se dit dans un autre sens, & signifie ces êtres mitoyens, ces génies, ces démons admis dans l'antiquité, comme l'esprit de Socrate, &c.

Esprit signifie quelquefois la plus subtile partie de la matiere : on dit esprits animaux, esprits vitaux, pour signifier ce qu'on n'a jamais vû, & ce qui donne le mouvement & la vie. Ces esprits qu'on croit couler rapidement dans les nerfs, sont probablement un feu subtil. Le docteur Méad est le premier qui semble en avoir donné des preuves dans la préface du traité sur les poisons.

Esprit, en Chimie, est encore un terme qui reçoit plusieurs acceptions différentes ; mais qui signifie toûjours la partie subtile de la matiere. Voyez plus bas ESPRIT, en Chimie.

Il y a loin de l'esprit, en ce sens, au bon esprit, au bel esprit. Le même mot dans toutes les langues peut donner toûjours des idées différentes, parce que tout est métaphore sans que le vulgaire s'en apperçoive. Voyez ELOQUENCE, ELEGANCE, &c. Cet article est de M. DE VOLTAIRE.

ESPRIT, (Chimie) ce nom a été employé dans sa signification propre, par les Chimistes comme par les Philosophes & par les Medecins, pour exprimer un corps subtil, délié, invisible, impalpable, une vapeur, un souffle, un être presque immatériel.

Tous les chimistes antérieurs à Stahl & à la naissance de la Chimie philosophique, ont été grands fauteurs des agens de cette classe, qui ont été mis en jeu dans plusieurs systèmes de physique. Un esprit du monde, un esprit universel, aérien, éthérien, ont été pour eux des principes dont ils se sont fort bien accommodés, & ils ont enrichi eux-mêmes la Physique de plusieurs substances de cette nature : l'archée, le blas, la magnale de Vanhelmont, les ens de Paracelse, &c. sont des phantômes philosophiques de cette classe, si ce ne sont point cependant des expressions énigmatiques, ou simplement figurées.

Des êtres très-existans qui mériteroient éminemment la qualité d'esprit, ce sont les exhalaisons qui s'élevent des corps fermentans & pourrissans de certaines cavités soûterraines, du charbon embrasé, & de plusieurs autres matieres. Ces corps sont véritablement incoercibles, invisibles, & impalpables ; mai on n'a pas coûtume dans le langage chimique, de le désigner par ce nom. Nous les connoissons sous celui de gas. Voyez GAS.

Depuis que notre maniere plus sage de philosophe nous a fait rejetter tous ces esprits imaginaires don nous avons parlé au commencement de cet article nous ne donnons plus ce titre qu'à différentes substances beaucoup plus matérielles même que les gas ; savoir à certains corps expansibles ou volatils, dont l'état ordinaire sous la température de nos climats est celui de liquidité, & dont les différentes especes qui sont classées par ce petit nombre de qualités communes, sont d'ailleurs essentiellement différentes, ensorte que c'est ici une qualification très-générique, exprimant une qualité très-extérieure très-vaguement déterminée.

Les diverses substances qu'on trouve désignées dans les ouvrages des Chimistes, par le nom d'esprit, sont :

Premierement, un être fort indéterminé, connu plus généralement sous le nom de mercure, qui est compté dans l'ancienne Chimie parmi les principes ou produits généraux de l'analyse des corps. Voyez MERCURE & PRINCIPE.

Secondement, la plûpart des liqueurs acides retirées des minéraux, des végétaux, des animaux, par la distillation. Voyez VITRIOL, NITRE, SEL MARIN, ANALYSE VEGETALE, au mot VEGETAL, VINAIGRE, SUBSTANCES ANIMALES, & FOURMI.

Troisiemement, les sels alkalis volatils sous forme liquide. Voyez SEL ALKALI VOLATIL.

Quatriemement, les liqueurs inflammables retirées des vins. Voyez ESPRIT DE VIN à l'article VIN.

Cinquiemement, les eaux essentielles ou esprits recteurs. Voyez EAUX DISTILLEES.

Sixiemement, les huiles essentielles très-subtiles, retirées des baumes par la distillation à feu doux. Voyez HUILE & TEREBENTHINE.

Septiemement, enfin les esprits ardens chargés par la distillation de la partie aromatique, ou alkali volatil de certains végétaux. Voyez EAUX DISTILLEES, ESPRIT ARDENT, CITRON, COCHLEARIA, & ESPRIT VOLATIL AROMATIQUE HUILEUX.

Nota. Que dans le langage ordinaire, on ne désigne le plus souvent les esprits particuliers que par le nom de la substance qui les a fournis, sans déterminer par une qualification spécifique la nature de chaque esprit. Ainsi on dit esprit de vitriol, & non pas esprit acide de vitriol ; esprit de soie, & non pas esprit alkali de soie ; esprit-de-vin, (c'est-à-dire de suc de raisin fermenté, selon la signification vulgaire du mot vin), & non pas esprit ardent de vin de raisin ; esprit de terebenthine, & non pas esprit huileux de terebenthine ; esprit de citron, & non pas esprit-de-vin chargé de l'aromate du citron. Ainsi toute cette nomenclature est presque absolument arbitraire ; & d'autant plus que diverses substances, comme le sel ammoniac, la terebenthine, le citron, &c. peuvent fournir plusieurs produits qui mériteroient également le nom d'esprit, quoiqu'il ne soit donné qu'à un seul dans le langage reçu : on se familiarise cependant bien-tôt avec ces dénominations vagues ; on les apprend comme des mots d'une langue inconnue. (b)

ESPRIT ARDENT, (Chimie) Voyez ESPRIT-DE-VIN, sous le mot VIN.

ESPRIT RECTEUR, (Chimie) Voyez EAUX DISTILLEES.

ESPRIT-DE-VIN, (Chimie) Voyez au mot VIN.

ESPRIT VOLATIL, (Chimie) Toutes les substances auxquelles les Chimistes ont donné le nom d'esprit, sont volatiles (voyez ESPRIT) ; il a plû cependant à quelques-uns de prendre la dénomination qui fait le sujet de cet article, dans un sens particulier ; de l'attribuer aux alkalis volatils sous forme fluide ; & de les distinguer par ce titre, des alkalis volatils, concrets, qu'ils ont appellés tout aussi arbitrairement, sels volatils. Voyez SEL ALKALI VOLATIL. (b)

ESPRIT-DE-VINAIGRE, spiritus aceti. Voyez VINAIGRE DISTILLE, au mot VINAIGRE.

ESPRITS SAUVAGES, (Chimie) spiritus sylvestres de Vanhelmont. Voyez GAS, FERMENTATION, N VIN.

ESPRIT VOLATIL AROMATIQUE HUILEUX, (Pharmac. & Mat. med.) On a donné ce nom à une préparation officinale, qui n'est proprement qu'un mêlange d'esprit volatil de sel ammoniac, & d'un esprit aromatique composé. Voici cette préparation, telle qu'elle est décrite dans la nouvelle pharmacopée de Paris.

Prenez six dragmes de zestes récens d'oranges, autant de ceux de citron ; deux dragmes de vanille, deux dragmes de macis, une demi-dragme de gérofle, une dragme de canelle, quatre onces de sel ammoniac : coupez en petits morceaux les zestes & la vanille : concassez le macis, le gérofle & la canelle : pulvérisez le sel ammoniac, & mettez le tout dans une cornue de verre, versant par-dessus quatre onces d'eau simple de canelle, & quatre onces d'esprit-de-vin rectifié : fermez le vaisseau, & laissez digérer pendant quelques jours, ayant soin de remuer de tems en tems.

Ajoûtez, après deux ou trois jours de digestion, quatre onces de sel de tartre ; & sur le champ ajoûtez au bec de la cornue un récipient convenable, que vous luterez selon les regles de l'art : faites la distillation au bain de sable. Vous garderez la liqueur qui passera, dans une bouteille bien bouchée.

L'esprit volatil aromatique huileux, est un cordial très-vif, un sudorifique très-efficace, un bon emménagogue, un hystérique assez utile. On le fait entrer ordinairement à la dose de trente ou de quarante gouttes, dans des potions de quatre à cinq onces, destinées à être prises par cuillerées. (b)

ESPRITS ANIMAUX. Voyez NERFS, FLUIDE NERVEUX, &c.


ESQUAINQUEIN, QLIN, (Marine) Ce sont les planches qui bordent les deux côtés de l'acastillage de l'arriere, au-dessus de la lisse de vibord ; elles sont beaucoup moins épaisses que les autres bordages, & vont en diminuant vers le haut.

L'esquain, ou le bordage de l'acastillage, est tout ce qui se pose du côté de l'arriere, au-dessus de la lisse de vibord. La premiere planche qu'on met audessus de cette lisse, doit être de chêne, & épaisse, à cause du calfatage : il faut qu'elle ait au moins la moitié de l'épaisseur des planches du franc-bordage. On y fait une rablure sur le côté qui est par le haut, pour y faire entrer la premiere planche du véritable esquain. Dans les grands vaisseaux, les planches de l'esquain ont d'ordinaire un pouce ou un pouce & un quart d'épaisseur, & vont un peu en diminuant de largeur de l'arriere à l'avant ; mais c'est peu de chose ; car si la premiere planche de l'esquain a dix pouces de large vers l'arriere, elle n'aura que neuf pouces & demi en-avant. Voyez ACASTILLAGE.


ESQUIF(Marine) C'est un petit bateau destiné pour le service d'un vaisseau, & que l'on embarque dans tous les voyages. On le place ordinairement sur le tillac, & on le met en mer lorsqu'on en a besoin pour aller à terre, soit chercher des provisions, soit y débarquer quelqu'un. Voyez CHALOUPE & CANOT.


ESQUILIESS. m. pl. (Hist. anc.) Voyez ESQUILIN.


ESQUILINadj. (Hist. anc.) Le mont Esquilin est une des sept collines de l'ancienne Rome ; c'est aujourd'hui le quartier de la montagne de sainte Marie majeure. Ce fut Servius Tullius qui l'enferma dans Rome. Il y avoit la porte esquiline, la tribu esquiline. C'est aux Esquilies que se faisoient les exécutions des criminels, & que leurs cadavres restoient exposés.


ESQUILLES. f. (Chirurgie) petit morceau détaché d'un os dans une fracture. Lorsque les esquilles picotent & irritent le périoste ou les chairs qui entourent l'os, & qu'on ne peut pas les réduire & les appliquer à l'os dont elles sont une continuité, on est obligé d'en faire l'extraction ; & pour cet effet, s'il n'y a point de plaie, on fait une incision.

On appelle aussi du mot d'esquilles, des petites portions d'os qui s'exfolient les unes après les autres. Voyez EXFOLIATION. (Y)


ESQUIMAN(Marine) Les Hollandois donnent ce nom à l'officier-marinier que nous appellons quartier-maître. C'est lui qui est chargé particulierement du service des pompes, & qui est l'aide du maître & du contre-maître. Voyez QUARTIER-MAITRE.


ESQUIMAUXVoyez ESKIMAUX.


ESQUINANCIES. f. (Medec.) est le nom d'une maladie de la gorge, que les Latins appellent angina, angine, d'ango, je serre, parce qu'il se fait un resserrement dans le gosier, par les causes de l'esquinancie ; ainsi la signification générale du mot angina convient à toute sorte d'affection des parties du gosier, qui tend à former des obstacles dans les voies qui servent à la respiration & à la déglutition, sans que le thorax, les visceres qui y sont renfermés, & l'estomac, y soient intéressés essentiellement.

Les anciens medecins, & particulierement les Grecs, qui vivoient peu de tems avant Galien, ont distingué l'angine de quatre différentes manieres, dont ils ont tiré autant d'especes de cette maladie, auxquelles ils ont donné des noms propres. Ils ont appellé cynanche, , l'angine, dans laquelle le vice réside dans les muscles & les parties inférieures du larynx. Ils ont fait allusion par ce mot, à l'état de ceux qui sont attaqués de cette espece d'angine, dans lequel ils tirent la langue, comme les chiens que l'on étrangle. Ils ont donné le nom paracynanche, , à l'angine dans laquelle le vice réside dans les parties extérieures du larynx. La préposition para est employée dans ce cas, comme dans bien d'autres, par les auteurs grecs, devant le nom d'une maladie, pour en distinguer l'espece la moins violente. Ils ont nommé cynanche, , l'angine qui attaque l'intérieur du pharynx ; & paracynanche, , celle qui a son siége à l'extérieur. Ces différens mots grecs sont composés de , serrer, étrangler ; & de , avec ; ou de , chien : ainsi de ou de on a formé le mot françois esquinancie.

Mais comme il arrive très-souvent qu'à cause de la proximité le pharynx n'est pas affecté sans que le larynx le soit, & réciproquement, ces distinctions sont plûtôt des subtilités que des conséquences tirées de l'observation : ainsi on ne doit pas y avoir égard pour prendre une juste idée de cette maladie ; il vaut mieux la diviser, avec les modernes, 1° en légitime ou vraie, qui est celle dans laquelle le gosier est retréci par une inflammation ; & en fausse, dans laquelle la gorge est affectée dans quelques-unes de ses parties, par un oedeme ou par un skirrhe qui gêne le passage de l'air ou des alimens : 2° en suffocatoire & non suffocatoire : 3° en idiopathique & en sympathique : 4° en épidémique & sporadique. Quelques auteurs distinguent encore l'angine en suppuratoire, en gangréneuse, en convulsive ; en celle qui est accompagnée de tumeurs, & en celle qui est sans tumeurs apparentes.

Le siége de cette maladie est principalement dans les différentes parties qui composent le larynx & le pharynx ; & toutes celles qui les avoisinent, telles que la langue, les amygdales, le voile du palais, la luette, la trompe d'Eustachi, & toutes les membranes musculeuses qui tapissent le fond de la gorge ; la concavité de la voûte osseuse formée au-dessus du larynx & du pharynx, où il se forme quelquefois des concrétions polypeuses, des sarcomes, qui en grossissant peuvent souvent boucher l'ouverture des arriere-narines, tenir baissé le voile du palais, descendre jusque sur le larynx, couvrir la glotte, la boucher, la presser. Le vice qui constitue l'angine s'étend aussi très-souvent à la membrane pituitaire, à celle qui revêt l'intérieur de la trachée-artere & de l'oesophage, & aux glandes dispersées dans toutes ces parties.

Les causes de l'esquinancie sont aussi différentes que les especes. Dans celle qui provient d'inflammation, il se forme subitement un obstacle à la circulation du sang dans les extrémités des vaisseaux sanguins, qui s'engorgent, se dilatent, se distendent. Les orifices des vaisseaux lymphatiques qui en naissent, sont ouverts à mesure, sont forcés à transmettre les globules rouges : la tumeur & tous les symptomes de l'inflammation s'ensuivent. Voyez INFLAMMATION. Dans l'angine oedémateuse ce n'est que l'humeur lymphatique qui s'arrête dans ses conduits, ensuite de la compression des veines dans lesquelles ils s'évacuent ; de l'obstruction dans le follicule des glandes muqueuses, ou dans leurs excrétoires ; du froid qui resserre l'extrémité de ces mêmes vaisseaux ; de la lenteur du mouvement des fluides : cette humeur s'y accumule, d'où naît le plus grand volume des parties affectées, qui cause l'empêchement de l'exercice des organes destinés à la respiration ou à la déglutition. Si le dépôt de cette humeur dure pendant quelque tems, il se fait une séparation des parties les plus fluides ; les grossieres qui restent se durcissent ; & forment la matiere d'un skirrhe ; d'où l'angine skirrheuse, qui peut ensuite devenir chancreuse par des causes particulieres. Voyez SKIRRHE, CHANCRE.

La cause de l'angine suffocatoire est celle de l'inflammation même, qui a son siége dans l'intérieur du larynx ; ensorte qu'il en résulte un si grand resserrement de la glotte, qu'elle ne permet pas l'entrée de l'air dans les poumons. Dodonée fait mention dans ses observations, de plusieurs esquinancies de cette espece, entr'autres à l'égard d'un boucher, qui s'étant plaint sur le midi d'une douleur à la gorge, d'une difficulté de respirer & d'avaler, mourut comme étranglé la nuit suivante.

La cause de l'angine non suffocatoire, est celle de l'inflammation de l'oedeme ou du skirrhe, ou toute autre qui a son siége dans des parties qui n'intéressent pas notablement la respiration.

L'angine idiopathique provient de l'une de ces causes mentionnées ci-devant, qui a son siége dans quelques-unes des parties même de la gorge, sans qu'elle provienne d'aucune autre maladie qui ait précédé, ni d'aucun vice des parties voisines.

La sympathique est causée par le vice de quelque autre partie qui influe sur celles de la gorge par communication, comme la luxation d'une vertebre du cou, occasionnée par une tumeur ou par quelque accident ; les vents arrêtés dans l'oesophage, qui compriment les différentes parties de la gorge ; le resserrement convulsif, ou le trop grand relâchement de ces mêmes parties, qui empêche l'exercice de leurs fonctions.

Les causes de l'esquinancie épidémique doivent être déduites de celles de l'épiderme en général (voyez EPIDERME) : elles ne sont pas encore assez connues, pour qu'on puisse déterminer pourquoi elles affectent plûtôt une partie du corps qu'une autre ; tout ce que l'on peut dire, c'est que si le vice est dans l'air que l'on respire, il doit affecter plûtôt les parties auxquelles il s'applique immédiatement & sans interruption, que toute autre ; par conséquent toutes celles de la gorge, vû sur-tout la grande délicatesse de leur tissu. L'esquinancie sporadique ne peut être attribuée qu'au mauvais usage que l'on fait des choses appellées non naturelles.

Pour ce qui est de l'angine suppuratoire, elle doit sa cause à l'inflammation qui a précédé ; elle en est une suite, une terminaison, de même que la gangréneuse. Voyez SUPPURATION, GANGRENE.

Le différent siége de l'engorgement des vaisseaux qui constitue le plus souvent l'esquinancie, étant intérieur ou extérieur, établit en-dehors ou en-dedans la tumeur dont elle est accompagnée dans ce cas ; ce qui la rend apparente ou non apparente. Il arrive aussi quelquefois qu'il n'y en a pas du tout ni en-dehors ni en-dedans, dans des cas où l'esquinancie provient, par exemple, du relâchement ou de la paralysie de la partie affectée.

Tout ce qui vient d'être dit des causes prochaines de l'esquinancie considérée dans ses différentes especes, réduit toutes les distinctions qu'on en fait, à deux principales ; savoir à l'esquinancie vraie & à la fausse, puisque toutes ces différences doivent être rapportées à l'une & à l'autre. La vraie, qui est toûjours causée par l'inflammation, est accompagnée souvent de symptomes si funestes, que la cause qui les produit ne laisse pas le tems d'y apporter aucun remede, ou rend inutiles ceux qu'on peut employer ; l'angine vraie est par conséquent celle qui exige le plus d'attention : l'ordre mene à en rechercher les causes éloignées.

Toutes celles qui peuvent contribuer à établir l'inflammation en général, peuvent produire l'angine inflammatoire ; mais il y a aussi bien d'autres causes particulieres qui peuvent déterminer l'inflammation sur les parties qui sont le siége de l'angine : telles sont la disposition particuliere du sujet qui en est affecté. Les jeunes gens y sont plus sujets que les vieillards, comme aussi ceux qui sont d'un tempérament sanguin. Sydenham a remarqué que les personnes qui ont le poil roux, sont plus souvent atteintes de cette maladie que d'autres. Quelques auteurs prétendent aussi qu'elle attaque moins les femmes que les hommes : ils appuient leur opinion sur un passage d'Hippocrate, liv. VI. des Epidémies, sect. vij. dans lequel, en décrivant une constitution épidémique, il assûre que parmi un grand nombre de personnes qui avoient été malades par des péripneumonies, des rhumes, des angines, il s'étoit trouvé très-peu de femmes ; ce que l'on pourroit attribuer à ce qu'elles s'exposent moins aux différentes causes occasionnelles qui peuvent produire ces sortes de maladies épidémiques, & qu'elles ont en général le sang moins chaud.

Aussi voit-on que tout ce qui peut en augmenter l'activité, contribue à procurer l'angine, comme la fin du printems, l'entrée de l'été ; les exercices violens, & sur-tout ceux de la gorge, tels que les déclamations soûtenues, le chant, les cris ; la sécheresse de cette partie, causée par l'air chaud que l'on respire au soleil ou dans un lieu chaud quelconque, comme un poële, &c. la course à cheval contre le vent froid, les grandes agitations du corps dans un air froid, une grande chaleur qui succede à un grand froid dans le printems ; comme aussi les fraîcheurs de la nuit, qui se font sentir ordinairement dans cette saison, après des jours assez chauds. C'est même de cette derniere cause dont Sydenham ne craint pas d'assûrer qu'elle fait périr plus de monde que la peste, la guerre, & la famine.

L'angine inflammatoire qui est occasionnée par quelques-unes de ces différentes causes, produit différens symptomes, parmi lesquels il en est de très-violens & de terribles, selon la diversité des parties qui en sont le siége.

Les symptomes communs à toute sorte d'angine qui la caractérisent, sont la difficulté de respirer ou d'avaler, avec un sentiment de douleur dans le fond de la gorge, sans que le thorax & les poumons ni l'estomac soient essentiellement affectés. L'angine vraie est distinguée en général de la fausse, parce que celle-là est accompagnée de rougeur, de chaleur dans le siége de la maladie, & la fievre s'y joint ordinairement : celle-ci n'est essentiellement accompagnée d'aucun de ces symptomes. On peut aussi distinguer par des signes propres les différentes parties affectées dans l'angine vraie ; si elle a son siége dans la membrane musculeuse de la trachée artere, on y ressent tous les symptomes de l'inflammation avec une fievre ardente très-violente, sans qu'il paroisse rien de changé à l'extérieur & dans le fond de la gorge : dans ce cas le malade a les yeux enflammés, saillans hors de la tête comme ceux d'un animal qu'on étrangle, & quelquefois même tournés : il parle avec beaucoup de peine ; il ne peut souvent pas articuler les paroles de maniere à se faire entendre ; la voix est aiguë & semblable aux cris des petits chats. Il est obligé de tenir toûjours la bouche ouverte, & il en coule une salive écumeuse ; il tire la langue, qui paroît enflammée & fort enflée : les levres deviennent livides ; il a le cou roide ; on y voit souvent de l'enflure avec rougeur, douleur & pulsation ; les veines jugulaires, frontales, canines paroissent variqueuses & fort gonflées ; la respiration est petite, fréquente. Le malade ne peut exercer cette fonction qu'étant sur son séant & avec de grands efforts, ce qui indique combien la circulation du sang est gênée dans les poumons ; il paroît avide de respirer un air frais, parce qu'il se sent une chaleur brûlante dans la poitrine : le pouls change à tout instant ; le malade est dans une agitation continuelle, d'une inquiétude extrème ; il se jette souvent hors du lit ; il ne peut pas rester couché sur le dos ; il ne voit, il n'entend que confusément ; il ne sait ni ce qu'il dit ni ce qu'il fait, tant il est occupé de la crainte de la suffocation, dont il est fortement menacé : quelquefois même il tombe dans un vrai délire.

Plus le mal est voisin de la glotte, plus les symptomes mentionnés sont violens ; & si l'inflammation gagne les muscles qui servent à la fermer, la suffocation suit de près : c'est le cas le plus terrible ; c'est l'angine la plus funeste ; c'est celle de cette espece que quelques auteurs distinguent par le nom de suffocatoire : Hippocrate en donne une description bien exacte, liv. III. de morbis. Il convient ici d'observer que dans cette sorte d'esquinancie il arrive souvent que non-seulement les parties intérieures du larynx & de la trachée-artere sont affectées, mais encore les poumons ; ce qui contribue beaucoup à rendre la respiration difficile : c'est ce qui a été prouvé par l'ouverture des cadavres de plusieurs personnes qui étoient mortes suffoquées par l'effet de la maladie dont il s'agit. Dodonée assûre dans ses observations avoir trouvé dans ce cas les poumons purulens ou abscédés.

Si l'inflammation n'affecte que les muscles destinés à élever l'os hyoide & le larynx, la respiration est presque aussi libre que dans l'état naturel ; le commencement de la déglutition est accompagné d'une douleur très-vive, & on peut appercevoir dans la gorge quelque rougeur avec tumeur.

Lorsque c'est le pharynx qui est enflammé, on peut en appercevoir les signes en examinant le fond de la bouche, après avoir abaissé la langue, en la comprimant vers sa base : la respiration est assez libre dans ce cas, mais la déglutition est très-douloureuse, se fait très-difficilement, & ne peut quelquefois pas se faire du tout. Ce que le malade veut avaler revient par les narines, ou il entre quelque partie dans le larynx & la trachée-artere, qui excite une toux violente : par conséquent il ne peut prendre ni aliment ni boisson ; la masse des humeurs s'échauffe, devient acre faute d'être renouvellée par le chyle ; la fievre qui accompagne presque toûjours cette espece d'angine, devient plus ardente, sans être aussi violente que dans la premiere espece, & celle-là ne tend pas aussi promtement à la mort.

Si l'inflammation a son siége dans les amygdales, la luete, les membranes musculeuses du voile du palais, ce dont on peut aussi s'assûrer par l'inspection des parties, la respiration est gênée, pénible ; il ne passe que peu ou point d'air par les narines : par conséquent le malade tient toûjours la bouche ouverte ; il ne peut avaler qu'avec de grandes douleurs, à cause que les organes affectés concourent beaucoup à la déglutition ; les alimens sont même souvent rejettés dans la bouche, parce qu'ils ne peuvent pas passer sous les arcades du voile du palais trop tendu & trop douloureux ; il se filtre une plus grande quantité d'humeurs dans les amygdales, & dans toutes les glandes muqueuses qui sont dispersées dans le tissu des parties enflammées : le malade ne cesse de cracher des matieres visqueuses, glaireuses en abondance ; il sent une douleur vive dans l'intérieur de l'oreille & dans la partie qui communique avec la gorge ; il sent aussi un craquement lorsqu'il avale, & quelquefois même il en résulte une surdité complete . Ces derniers accidens ne peuvent être attribués qu'à l'inflammation, qui affecte aussi la trompe d'Eustachi, en partie ou dans toute son étendue, ensorte même qu'elle s'étende jusqu'à la membrane qui tapisse la cavité du tambour de l'oreille.

Lorsque l'inflammation attaque l'oesophage proprement dit au-dessous du pharynx, les symptomes sont les mêmes que dans le cas où le pharynx est enflammé : on ne peut pas en découvrir les signes par l'inspection, mais le malade peut aisément indiquer le siége du mal par la douleur qu'il ressent dans la partie affectée, lorsque ce qu'il avale y est parvenu. La matiere de la déglutition est souvent repoussée & remonte dans la bouche, ce qu'on peut appeller regorgement, pour distinguer ce symptome du vomissement.

Si plusieurs de ces différentes especes d'inflammation attaquent en même tems un malade, il est facile d'en tirer la conséquence que la maladie sera d'autant plus violente & plus dangereuse, & les symptomes d'autant plus funestes, qu'il y aura un plus grand nombre de parties affectées : il est rare qu'aucune de ces especes d'inflammation se trouve solitaire ; le mal gagne de proche en proche, & s'étend plus ou moins sur les parties voisines.

L'angine aqueuse, oedémateuse, catarrheuse a ordinairement son siége dans les glandes, dans les vaisseaux secrétoires & excrétoires de la mucosité qui est destinée à lubrifier toutes les parties de la gorge ; ses effets sont l'enflure blanche & froide de ces mêmes parties, sans aucun des signes de l'inflammation, la douleur, s'il y en a, n'ayant lieu que par le mouvement & la distension des organes de la respiration ou de la déglutition : si la tumeur lymphatique devient schirreuse, on le connoît par les signes du skirrhe. Voy. SKIRRHE. De même que si celui-ci devient chancreux, on en jugera par les signes du chancre. Voyez CHANCRE.

Les symptomes ci-dessus énoncés caractérisent l'angine suffocatoire, & la distinguent de la non suffocatoire ; l'idiopathique & la sympathique, l'épidémique & la sporadique ont aussi leur caractere propre, que leur qualité spécifique annonce suffisamment : la suppuratoire & la gangreneuse se font connoître par les signes de la suppuration & de la gangrene.

Toutes les angines humorales sont formées par des tumeurs ; mais il n'y en a point dans la paralytique & la convulsive qui dépendent des muscles de la partie affectée, trop constamment contractés ou relâchés par le défaut des nerfs moteurs, qui pechent par trop ou trop peu de jeu. L'esquinancie paralytique est souvent une suite de l'apoplexie, de l'émiplégie, des grandes évacuations, des longues convalescences, pendant lesquelles les forces diminuent de plus en plus, bien-loin de se rétablir, de la compression des nerfs, par la luxation de quelque vertebre du cou, sur-tout de la seconde, &c. L'angine convulsive est un symptome de maladie spasmodique, comme l'épilepsie, la passion hystérique, hypocondriaque : on distingue ces deux especes d'angine par le défaut de tumeur, tant au-dedans qu'au-dehors, & par les signes des maladies dont elles sont les accessoires.

Après avoir exposé les principaux symptomes de l'esquinancie, considérée dans ses différentes especes, & après en avoir déduit les signes diagnostics pour chacune en particulier, l'ordre exige de passer aux prognostics, que l'on peut aussi tirer de ces mêmes symptomes : l'observation enseigne en général que les angines dans lesquelles la respiration est gênée, sont les plus dangereuses, & que les autres qui ne font que rendre la déglutition difficile, sont le moins à craindre pour les suites, pourvû que la respiration ne soit point lésée. Pour ce qui est de l'angine vraie, inflammatoire, qui rend la respiration difficile, celle qui a son siége dans la cavité du larynx, auprès de la glotte & dans ses bords sur-tout, est la plus mauvaise de toutes, & il y a plus à craindre de celle qui empêche la déglutition, lorsque l'on ne peut découvrir aucune tumeur ni rougeur dans la gorge, & que cependant le commencement de l'exercice de la déglutition est fort douloureux. On peut aussi dire de toutes angines inflammatoires, qu'elles doivent être regardées comme très-pernicieuses, & le plus souvent mortelles, lorsqu'elles sont situées dans l'intérieur de la gorge, de maniere que l'on ne puisse appercevoir ni tumeur ni rougeur : les autres de la même espece, quoique très-fâcheuses, sont cependant souvent moins dangereuses, sur-tout s'il paroît des tumeurs & des rougeurs dans la gorge, au cou & sur la poitrine ; mais si elles rentrent & disparoissent, & que la respiration devienne plus gênée, c'est un très mauvais signe, de même que si la douleur cesse tout-à-coup d'être manifeste, parce qu'il y a tout lieu de craindre, dans ce cas, que l'inflammation ne se termine bien-tôt par une gangrene mortelle. La suppuration, qui peut quelquefois terminer moins malheureusement l'angine, peut avoir aussi des suites très-dangereuses ; si l'abcès venant à se rompre tombe dans la trachée-artere, ce qui peut causer une promte suffocation ; si sa formation est suivie d'une fievre hectique, d'une toux seche & fréquente, d'une douleur de côté & d'une expectoration repétée souvent de crachats blancs & visqueux : dans l'angine suffocatoire la mort prévient ordinairement la suppuration.

Quoiqu'il arrive quelquefois que certaine angine inflammatoire n'affecte qu'une des parties de la gorge, & reste solitaire, néanmoins le plus souvent l'inflammation gagne les parties voisines & s'étend beaucoup ; ensorte qu'il en résulte un concours de plusieurs différens symptomes qui produisent un desordre proportionné dans les fonctions des parties affectées : d'où il est aisé de conclure que la maladie sera d'autant plus difficile à guérir, que les diverses especes d'angine seront plus multipliées en même tems ; il y aura plus à craindre de funestes évenemens de la complication de tant de maux, qui finissent souvent par la mort, après avoir fait essuyer des tourmens & des angoisses supérieures à tout ce que la patience humaine peut surmonter.

Dans l'angine suffocatoire le malade périt par la syncope comme étranglé, au bout de dix-huit heures, depuis le commencement de la maladie ; & dans les autres especes d'angines inflammatoires, qui ne sont guere moins violentes, la mort arrive vers le troisieme ou le quatrieme jour au plus tard. Toute angine formée par un dépôt critique à la suite d'une autre maladie, est mortelle : c'est un bon signe dans l'angine inflammatoire, de quelque espece qu'elle soit, que la respiration ne soit pas fort gênée, & que la déglutition de la salive & de la boisson se fasse sans beaucoup de peine ; que la fievre ne soit pas bien forte ; que le malade dorme, soit tranquille ; en un mot qu'il n'y ait aucun des mauvais symptomes mentionnés.

L'angine oedémateuse, catarrheuse, skirrheuse, & toute autre de cette nature, ne doit pas être regardée comme une maladie aiguë : ainsi comme elle est de plus long cours que l'inflammatoire la plus benigne, elle est aussi moins dangereuse ordinairement, tout étant égal. La cure est plus ou moins difficile, selon que l'humeur qui forme l'obstruction est plus ou moins susceptible de se résoudre aisément : si elle est devenue skirrheuse, le mal peut être de long cours, mais incurable ; à plus forte raison si le skirrhe dégénere en chancre, qui se trouve inévitablement toûjours exposé à l'air, & dont la matiere acre, rongeante détruit promtement toutes les parties auxquelles elle est appliquée, à cause de la délicatesse de leur tissu. De-là combien de maux qui, eu égard aux souffrances extrèmes qu'ils produisent, ne hâtent jamais assez la mort sûre qui les suit, & qui en peut être le seul remede.

L'angine paralytique est très-difficile à guérir ; si elle dépend d'une cause générale, elle dure quelquefois très long-tems : lorsqu'elle est causée par une résolution particuliere des muscles du larynx ou du pharynx, alors elle est suivie de marasme & de tous les mauvais effets du défaut de nourriture ; si la résolution est complete , la mort la suit de près. L'esquinancie paralytique causée par la luxation entiere d'une vertebre du cou, est aussi mortelle : si la luxation n'est pas entiere, on peut tenter la réduction, & la guérison peut suivre.

L'angine causée par une contraction spasmodique subite des muscles du larynx, peut causer la suffocation & une mort promte : si la convulsion n'est pas violente, elle effraye plus qu'elle n'est dangereuse ; elle cesse & revient souvent dans les maladies où le genre nerveux est sujet à des mouvemens spasmodiques irréguliers. Le globe hystérique qu'éprouvent si souvent bien des femmes, est une angine convulsive avec flatulence : l'air arrêté dans l'oesophage, par un resserrement convulsif, se raréfie, comprime la trachée-artere & dispose à la suffocation ; effet qui n'est pas ordinairement de longue durée.

Il suit de tout ce qui a été dit jusqu'ici sur l'affection qu'on appelle angine ou esquinancie, que ce n'est pas une maladie simple, mais un assemblage de différentes maladies sous le même nom : elles ont toutes cela de commun, qu'elles consistent dans la lésion de la respiration, ou de la déglutition causée par un vice des organes, qui servent à ces fonctions, situés au-dessus des poumons & de l'estomac ; mais elles different en ce qu'elles sont avec tumeur apparente ou non apparente, ou sans tumeur, par la nature & le siége de la tumeur, quand il y en a, & par le nombre des parties affectées qui intéressent la respiration ou la déglutition, ou les deux fonctions ensemble, d'où résultent des effets si variés ; par conséquent on ne peut pas indiquer une méthode de traitement qui convienne à toutes les différentes especes d'angine : comme les causes sont si différentes, les remedes doivent être variés à-proportion, ensorte qu'ils soient même quelquefois opposés par leur nature dans les cas qui le sont aussi, sans avoir cependant beaucoup d'égard à la différence des parties affectées.

Car soit que le larynx soit enflammé, ou le pharynx, c'est le traitement de l'inflammation qui est indiqué pour l'une comme pour l'autre partie : le danger plus ou moins grand, exige seulement des remedes plus ou moins promts.

L'angine inflammatoire peut se terminer de la même maniere que l'inflammation en général : ainsi la même cure de celle-ci convient à celle-là, dans ses différens états (voyez INFLAMMATION) comme dans celle-ci ; c'est à procurer la résolution de l'humeur morbifique qu'il faut diriger tous les secours employés à combattre l'angine : cette terminaison est même plus à desirer dans cette maladie que dans tout autre cas en général, parce que celles de la suppuration, du skirrhe, ou de la gangrene, ont des suites plus funestes dans les parties affectées, dont il s'agit, que dans toute autre : la gangrene, surtout, est toûjours suivie d'une mort promte, lorsqu'elle est étendue & profonde ; car il conste, par plusieurs observations, que celle qui est superficielle peut être guérie, quoiqu'elle détruise & détache par morceaux, en forme de croûtes ou pellicules blanchâtres, toutes les membranes qui tapissent la bouche, la gorge, l'oesophage, les arriere-narines, & autres parties voisines.

Lors donc que l'on s'est assûré par les signes propres que l'esquinancie a son siége dans l'intérieur du larynx & aux environs de la glotte, & qu'elle est inflammatoire, on examine si l'inflammation est encore en nature ; si on la trouve telle, on doit employer, avec le plus de diligence qu'il est possible, les moyens les plus propres à la résoudre : pour cet effet, on a recours sans délai à la saignée ; on la fait abondante, & on la repete aux bras, aux piés, & ensuite aux jugulaires & aux ranules, jusqu'à ce que la pâleur du malade, le refroidissement des membres, la foiblesse, l'abattement des forces annoncent que le volume des humeurs est suffisamment diminué, que les vaisseaux sont affaissés, & que l'effort du sang vers la tumeur n'est plus assez considérable pour l'augmenter & rendre les vaisseaux plus distendus dans les parties enflammées : on doit faire usage dans la même vûe des purgatifs, tant émétiques que cathartiques, & des lavemens de ces derniers sur-tout, rendus assez actifs dans les cas où le malade ne peut pas avaler, & où ils doivent par conséquent suppléer à tous évacuans de l'estomac & des intestins, sur-tout lorsque les remedes sont particulierement indiqués par les signes des mauvais levains dans les premieres voies, lesquels venant à passer dans le sang, peuvent contribuer à augmenter la cause du mal : c'est ainsi, par le moyen des lavemens, que l'on doit fournir, dans ce cas, au malade la nourriture qui lui est nécessaire, vû qu'il est démontré par l'expérience & l'anatomie, que les gros boyaux ont des veines lactées, propres à transmettre à la masse des humeurs, tant les remedes que les alimens, & ceux-ci sur-tout, de maniere qu'ils peuvent suffire pendant plusieurs jours pour soûtenir les forces du malade, pourvû qu'ils soient de nature à n'avoir pas besoin d'être préparés dans les visceres qui servent à la confection du chyle, & qu'ils contiennent un suc nourricier tout prêt, tels que les bouillons de viande, les oeufs délayés, le lait coupé avec de l'eau, le petit-lait, les décoctions de pain : ces trois dernieres especes d'alimens liquides sont préférables dans l'angine, selon Sydenham, qui défend l'usage de ceux qui sont préparés avec la viande, à cause de la disposition qu'ils ont à se pourrir : voyez les observations des auteurs sur les lavemens nourrissans, recueillies par Stalpart Wanderwiel.

Il faut en même tems employer des médicamens nitreux & tirans sur l'acide, que l'on fait entrer dans la composition des gargarismes avec le miel, dont on humecte souvent la gorge pour ramollir le tissu de ses parties & le relâcher : c'est pour remplir la même indication que l'on fait aussi recevoir au malade la vapeur humide & tiede de quelque préparation à-peu-près de même nature que les gargarismes mentionnés ; on doit répeter, presque sans discontinuer, l'usage de ces secours, qui peuvent être d'autant plus efficaces, qu'ils sont appliqués aux parties même enflammées : on doit encore faire des applications extérieures sous forme de fomentation, de cataplasmes ; les épispastiques propres à faire dérivation vers quelqu'autre partie moins importante que celles qui sont enflammées, les ventouses, les sinapismes appliqués au cou & à la poitrine, peuvent aussi produire de bons effets.

Si c'est le voisinage de l'os hyoïde & l'extérieur du larynx qui sont enflammés, on doit employer les mêmes remedes, mais plus legers & d'une maniere moins pressante : les cataplasmes adoucissans & relâchans, & toute application extérieure qui peut ramollir, sont plus particulierement recommandés dans les angines de cette espece.

L'inflammation du pharynx ne demande que les mêmes remedes indiqués dans les cas précédens, mais sur-tout les gargarismes & les suffumigations, dont on doit faire un usage encore plus fréquent, avec attention de ne mettre en mouvement les organes affectés, que le moins qu'il est possible : ainsi la matiere des gargarismes doit être retenue dans la bouche sans l'agiter, & les vapeurs doivent être reçues sans faire autre chose que tenir la bouche ouverte & immobile.

Si l'angine est suffocatoire, & que les remedes indiqués ayent été employés trop tard, ou qu'on ne les ait pas mis en usage, ou qu'on l'ait fait inutilement ; si la maladie ne fait que commencer, & qu'elle menace cependant d'étrangler le malade ; si les symptomes, quoique très-mauvais, n'annoncent pas que l'inflammation soit devenue gangreneuse, dans ce cas il faut avoir recours à l'opération qu'on appelle bronchotomie, pourvû que l'inflammation & l'obstacle à la respiration ne soient pas situés audessous de l'endroit où l'on peut faire l'ouverture de la trachée artere, pour suppléer par cette issue au défaut de la glotte qui est fermée dans ce cas. Voyez BRONCHOTOMIE.

Si l'inflammation angineuse a fait des progrès, & qu'il se soit formé un abcès, on tâchera de le faire ouvrir par des applications émollientes, relâchantes, qui puissent affoiblir le tissu du sac qui contient la matiere de la suppuration ; les gargarismes, les cataplasmes appropriés, doivent être employés à cette fin : on pourra aussi dans ce cas ranimer les forces du malade, pour que le mouvement des tumeurs augmente fasse effort dans l'intérieur de l'abcès, & en déchire les parois, pourvû qu'on n'ait rien à craindre par cette augmentation de volume de la compression des parties voisines de l'abcès ; s'il se trouve à portée d'être observé, & qu'il ne paroisse pas assez-tôt disposé à s'ouvrir, après qu'on s'est assûré que la tumeur est molle, que la matiere contenue est au point de maturation convenable pour être évacuée avec facilité, on doit en faire l'ouverture de la maniere que l'art le prescrit (voyez ABCES) : s'il arrive que la matiere de l'abcès se répande, par quelle cause que ce soit, dans l'intérieur de la trachée artere, il faut se hâter de l'évacuer en lui donnant issue par le moyen de la bronchotomie qui dégorge les poumons plus promtement que par la voie de la seule glotte : après l'ouverture d'un abcès, dans quelle partie de la gorge que ce puisse être, on doit faire user au malade de gargarismes & de tisanes propres à déterger les ulceres.

Lorsque l'angine devient gangreneuse, & que les parties ne sont pas assez profondément affectées pour que la mort suive de près, il convient d'empêcher les progrès de l'inflammation, pour arrêter ceux de la gangrene ; ce que l'on fait par les saignées ultérieures, si les forces le permettent, par les laxatifs propres à procurer une douce évacuation par la voie des selles, par les lavemens, par les autres remedes appropriés. Voyez GANGRENE. L'oximel délayé avec la décoction de fleur de sureau, peut être employé très-utilement en gargarismes, & sous forme de vapeurs reçues dans la bouche pour faciliter la séparation de l'escare.

La curation des angines humorales froides, telle que l'aqueuse, l'oedémateuse, la catarrheuse, la skirrheuse, s'exécute, 1°. par le moyen des remedes qui relâchent les orifices des vaisseaux excrétoires de la lymphe ou mucosité, s'ils ont été resserrés par le froid, par des astringens employés mal-à-propos ; tels sont les émolliens appliqués sous forme de cataplasme extérieurement, & sous forme de gargarisme, de vapeur dans la bouche : 2°. par le moyen des résolutifs, ou des corrosifs, ou des incisions, si l'engorgement des vaisseaux lymphatiques est occasionné par des obstructions, des concrétions qui gênent le cours des humeurs, si l'angine est causée par un skirrhe : 3°. par le moyen des purgatifs hydragogues, des sudorifiques, des diurétiques, des apophlegmatisans, des vesicatoires, des scarifications, & de la section des parties qui en sont susceptibles, & par l'abstinence des liquides & un régime échauffant, desséchant, si l'angine est causée par une infiltration du tissu cellulaire qui se remplit de sérosités.

L'angine chancreuse est incurable, & ne tarde pas à faire périr ceux qui ont le malheur d'en être affectés. L'angine qui est causée par un relâchement paralytique, se guérit par les remedes contre la paralysie. Voyez PARALYSIE.

Celle qui dépend du relâchement des organes de la gorge par épuisement, à la suite de quelque grande évacuation, de longues maladies, est ordinairement mortelle ; la diete cardiaque analeptique seroit le seul moyen que l'on pourroit employer pour en tenter la guérison, en faisant cesser la cause occasionnelle, si on en avoit le tems.

L'esquinancie qui est l'effet d'un resserrement convulsif, symptome de la passion hypocondriaque ou hystérique, doit être traitée par les remedes antispasmodiques & anti-hystériques.

L'angine qui est occasionnée par la compression des vents arrêtés & raréfiés dans l'oesophage, qui pressent la trachée-artere ou resserrent le larynx, doit être traitée par les remedes contre le spasme & la flatulence. Voyez FLATULENCE. La plus grande partie de cet article est extraite des aphorismes de Boerhaave, & du commentaire de cet ouvrage, par Wanswieten. (d)


ESQUINES. f. (Manége) terme qui a été employé par tous les auteurs anciens, & qui néanmoins n'est pas tombé dans l'oubli, ainsi que quelques personnes se le persuadent. Nous en faisons un usage fréquent en parlant du dos & des reins, non d'un cheval qui est dans le repos, mais d'un cheval qui manie & qui est en mouvement. Lorsque, par exemple, un cheval voûte en quelque maniere son dos en sautant, nous disons qu'il saute de l'esquine, nous vantons la force ou la foiblesse de son esquine, pour vanter la force ou la foiblesse de ses reins, &c. (e)


ESQUISSES. f. (Peinture) Ce terme, que nous avons formé du mot italien schizzo, a parmi nous une signification plus déterminée que dans son pays natal : voici celle que donne, au mot italien schizzo, le dictionnaire de la Crusca : spezie di disegno senza ombra, e non terminato ; espece de dessein sans ombre & non terminé. Il paroît par-là que le mot esquisse, en italien, se rapproche de la signification du mot françois ébauche ; & il est vrai que chez nous esquisser veut dire former des traits qui ne sont ni ombrés ni terminés ; mais par une singularité dont l'usage peut seul rendre raison, faire une esquisse ou esquisser, ne veut pas dire précisément la même chose. Cette premiere façon de s'exprimer, faire une esquisse, signifie tracer rapidement la pensée d'un sujet de peinture, pour juger ensuite si elle vaudra la peine d'être mise en usage ; c'est sur cette signification du mot esquisse que je vais m'arrêter, comme celle qui mérite une attention particuliere de la part des Artistes.

La difficulté de rendre plus précisément le sens de ce mot, vient de ce qu'au lieu d'avoir été pris dans les termes généraux de la langue, pour être adopté particulierement à la Peinture, il a été au contraire emprunté de la Peinture pour devenir un terme plus général : on dit faire l'esquisse d'un poëme, d'un ouvrage, d'un projet, &c.

En Peinture, l'esquisse ne dépend en aucune façon des moyens qu'on peut employer pour la produire.

L'artiste se sert, pour rendre une idée qui s'offre à son imagination, de tous les moyens qui se présentent sous sa main ; le charbon, la pierre de couleur, la plume, le pinceau, tout concourt à son but à-peu-près également. Si quelque raison peut déterminer sur le choix, la préférence est dûe à celui des moyens dont l'emploi est plus facile & plus promt, parce que l'esprit perd toûjours de son feu par la lenteur des moyens dont il est obligé de se servir pour exprimer & fixer ses conceptions.

L'esquisse est donc ici la premiere idée rendue d'un sujet de Peinture. L'artiste qui veut la créer, & dans l'imagination duquel ce sujet se montre sous différens aspects, risque de voir s'évanoüir des formes qui se présentent en trop grand nombre, s'il ne les fixe par des traits qui puissent lui en rappeller le souvenir.

Pour parvenir à suivre le rapide essor de son génie, il ne s'occupe point à surmonter les difficultés que la pratique de son art lui oppose sans cesse ; sa main agit pour ainsi dire théoriquement, elle trace des lignes auxquelles l'habitude de dessiner donne à-peu-près les formes nécessaires pour y reconnoître les objets ; l'imagination, maîtresse absolue de cet ouvrage, ne souffre qu'impatiemment le plus petit ralentissement dans sa production. C'est cette rapidité d'exécution qui est le principe du feu qu'on voit briller dans les esquisses des peintres de génie ; on y reconnoît l'empreinte du mouvement de leur ame, on en calcule la force & la fécondité. S'il est aisé de sentir par ce que je viens de dire, qu'il n'est pas plus possible de donner des principes pour faire de belles esquisses que pour avoir un beau génie, on doit en inférer aussi que rien ne peut être plus avantageux pour échauffer les Artistes, & pour les former, que d'étudier ces sortes de desseins des grands maîtres, & sur-tout de ceux qui ont réussi dans la partie de la composition.

Mais pour tirer de cette étude un avantage solide, il faut, lorsqu'on est à portée de le faire, comparer ensemble les différentes esquisses que les célebres artistes ont fait servir de préparation à leurs ouvrages : il est rare qu'un peintre de génie se soit borné à une seule idée pour une composition. Si quelquefois la premiere a l'avantage d'être plus chaude & plus brillante, elle est sujette aussi à des défauts inséparables de la rapidité avec laquelle elle a été conçue, l'esquisse qui suivra ce premier dessein offrira les effets d'une imagination déjà modérée ; les autres marqueront enfin la route que le jugement de l'artiste a suivie, & que le jeune éleve a intérêt de découvrir. Si après ce développement d'idées que fournissent différentes esquisses d'un grand maître, on examine les études particulieres qu'il a faites sur la Nature pour chaque figure, pour chaque membre, pour le nud de ces figures, & enfin pour leurs draperies, on découvrira la marche entiere du génie, & ce qu'on peut appeller l'esprit de l'art. C'est ainsi que les broüillons d'un auteur célebre pourroient souvent, mieux que des traités, montrer dans l'Eloquence & dans la Poësie les routes naturelles qui conduisent à la perfection.

Pour terminer la suite d'études & de réflexions que je viens d'indiquer, il est enfin nécessaire de comparer avec le tableau fini, tout ce que le peintre a produit pour parvenir à le rendre parfait. Voilà les fruits qu'on peut retirer, comme artiste, de l'examen raisonné des esquisses des grands maîtres ; on peut aussi, comme amateur, trouver dans cet examen une source intarissable de réflexions différentes sur le caractere des Artistes, sur leur maniere, & sur une infinité de faits particuliers qui les regardent : on y voit quelquefois, par exemple, des preuves de la gêne que leur ont imposée les personnes qui les ont employés, & qui les ont forcés à abandonner des idées raisonnables pour y substituer des idées absurdes. La superstition ou l'orgueil des princes & des particuliers ont souvent produit par la main des Arts, de ces fruits extravagans dont il seroit injuste d'accuser les artistes qui les ont fait paroître. Dans plusieurs compositions, l'artiste pour sa justification auroit dû écrire au bas : j'ai exécuté ; tel prince a ordonné. Les connoisseurs & la postérité seroient alors en état de rendre à chacun ce qui lui seroit dû, & de pardonner au génie luttant contre la sottise. Les esquisses produisent, jusqu'à un certain point, l'effet de l'inscription que nous demandons.

L'on y retrouve quelquefois la composition simple & convenable d'un tableau, dans l'exécution duquel on a été fâché de trouver des figures allégoriques, disparates, ou des assemblages d'objets qui n'étoient pas faits pour se trouver ensemble. Le tableau de Raphaël qui représente Attila, dont les projets sont suspendus par l'apparition des apôtres S. Pierre & S. Paul, en est un exemple. Il est peu de personnes qui ne sachent que dans l'exécution de ce tableau, qui est à Rome, au lieu de S. Léon, Leon X. en habits pontificaux, accompagné d'un cortége nombreux, fait la principale partie de la composition. Un dessein du cabinet du Roi disculpe Raphaël de cette servile & basse flaterie, pour laquelle & la grandeur du miracle, & la convenance du sujet, & le costume, & les beautés de l'art même ont été sacrifiés.

Le dessein représente une premiere idée de Raphaël sur ce sujet qui est digne de lui ; il n'y est point question de Léon X. de sa ressemblance, ni de son cortége ; S. Léon même n'y paroît que dans l'éloignement ; l'action d'Attila, l'effet que produit sur lui & sur les soldats qui l'accompagnent, l'apparition des apôtres est l'objet principal de son ordonnance, & la passion intéressante qu'il se proposoit d'exprimer. Mais c'en est assez, ce me semble, pour indiquer les avantages qu'on peut tirer de l'étude & de l'examen des esquisses ; il me reste à faire quelques réflexions sur les dangers que préparent aux jeunes artistes les attraits de ce genre de composition.

La marche ordinaire de l'art de la Peinture est telle que le tems de la jeunesse, qui doit être destiné à l'exercice fréquent des parties de la pratique de l'art, est celui dans lequel il semble qu'on soit plus porté aux charmes qui naissent de la partie de l'esprit ; c'est en effet pendant le cours de cet âge que l'imagination s'échauffe aisément, c'est la saison de l'enthousiasme, c'est le moment où l'on est impatient de produire, enfin c'est l'âge des esquisses ; aussi rien de plus ordinaire dans les jeunes éleves, que le desir & la facilité de produire des esquisses de composition, & rien de si dangereux pour eux que de se livrer avec trop d'ardeur à ce penchant. L'indécision dans l'ordonnance, l'incorrection dans le dessein, l'aversion de terminer, en sont ordinairement la suite ; & le danger est d'autant plus grand, qu'ils sont presque certains de séduire par ce genre de composition libre, dans lequel le spectateur exige peu, & se charge d'ajoûter à l'aide de son imagination tout ce qui y manque. Il arrive de-là que les défauts prennent le nom de beautés ; en effet, que le trait par lequel on indique les figures d'une esquisse soit outré, on y croit démêler une intention hardie & une expression mâle ; que l'ordonnance soit confuse & chargée, on s'imagine y voir briller le feu d'une imagination féconde & intarissable : qu'arrive-t-il après ces présages trompeurs ou mal expliqués ? l'un dans l'exécution finie offre des figures estropiées, des expressions exagérées ; l'autre ne peut sortir du labyrinthe dans lequel il s'est embarrassé ; le tableau ne peut plus contenir dans son vaste champ le nombre d'objets que l'esquisse promettoit, & les artistes reduits à se borner au talent de faire des esquisses n'ont pas tous les talens qui ont acquis à la Fage & au Parmesan une réputation dans ce genre.

L'artiste ne doit donc faire qu'un usage juste & modéré des esquisses ; elles ne doivent être pour lui qu'un secours pour fixer les idées qu'il conçoit, quand ces idées le méritent. Il doit se précautionner contre la séduction des idées nombreuses, vagues, & peu raisonnées que présentent ordinairement les esquisses ; & plus il s'est permis d'indépendance en ne se refusant rien de ce qui s'est présenté à son esprit, plus il doit faire un examen rigoureux de ces productions libertines lorsqu'il veut arrêter sa composition ; c'est par les regles de cette partie de la Peinture, c'est-à-dire par les préceptes de la composition, & au tribunal de la raison & du jugement, qu'il verra terminer les indécisions de l'amour propre, & décider du juste mérite de ses esquisses. Cet article est de M. WATELET.


ESQUIVEen terme de Raffineur en sucre, c'est proprement la terre dont on a couvert les pains, qui a perdu son eau, s'est raffermie, & forme une espece de fromage. Tourner l'esquive, c'est la mettre sens-dessus-dessous quand elle n'a pas la premiere fois produit l'effet qu'on en attendoit. Voyez TERRE.


ESSAIS. m. (Gram.) épreuve que l'on fait pour juger si une chose est de la qualité dont elle doit être.

Ce terme est fort usité dans le Commerce, & particulierement dans celui des denrées qui se consomment pour la nourriture. On dit en ce sens : donnez-moi un essai de cette huile ; si je suis content de cet essai de fromage, j'en envoyerai prendre telle quantité, &c. (G)

ESSAI, (Littérat.) ce mot employé dans le titre de plusieurs ouvrages, a différentes acceptions ; il se dit ou des ouvrages dans lesquels l'auteur traite ou effleure différens sujets, tels que les essais de Montaigne, ou des ouvrages dans lesquels l'auteur traite un sujet particulier, mais sans prétendre l'approfondir, ni l'épuiser, ni enfin le traiter en forme & avec tout le détail & toute la discussion que la matiere peut exiger. Un grand nombre d'ouvrages modernes portent le titre d'essai ; est-ce modestie de la part des auteurs ? est-ce une justice qu'ils se rendent ? C'est aux lecteurs à en juger. (O)

ESSAI, (Chimie métallurgique) examen d'un minéral, dans lequel on a pour but de connoître les différentes substances qui entrent dans sa composition, & la quantité en laquelle elles y sont contenues. Telle est l'acception particuliere de ce nom en Chimie, où on l'employe encore dans un sens plus général, pour désigner une expérience faite sur un objet de l'un des trois regnes, soit pour connoître la qualité des matieres dont il est composé, ce qui constitue la Chimie analytique ; soit pour savoir la quantité de chacune d'elles, condition qui caractérise proprement l'essai des minéraux, & le distingue de toute autre opération chimique, à l'exception pourtant de celles de la Métallurgie, avec laquelle il se trouveroit confondu, si l'on n'ajoûtoit à sa définition qu'il se fait sur de très-petites quantités de matieres, & avec un appareil, qui, en même tems qu'il est le plus en petit qu'il se puisse, répond au dessein qu'on a de connoître avec la plus grande exactitude les proportions des substances du corps examiné, au lieu que dans la Métallurgie les travaux se font si en grand qu'il peut en résulter de très-gros bénéfices. Il suit de ce que nous venons d'exposer, que les opérations des essais ne sont autre chose que l'analyse chimique de certains corps, à laquelle on applique le calcul. Leur point de réunion, ou plutôt ces mêmes opérations rassemblées en un corps de doctrine prennent le nom de Docimastique, qui signifie art des essais, art purement chimique, quoiqu'il puisse être isolé par l'exercice, de sa source comme les autres branches qui partent du même tronc, telles que la Teinture, la Peinture en émail, la Métallurgie, &c. il est vrai que la plûpart des auteurs ne l'ont pas toûjours regardé sous ce point de vûe ; c'est un reproche que l'on peut faire en particulier à M. Cramer. Cet illustre artiste, tout éclairé qu'il est, tombe là-dessus dans des contradictions perpétuelles. S'il eût été bien convaincu que la Docimastique n'est qu'une branche de la Chimie, comme il l'avance au commencement de sa préface, il n'eût pas intitulé son livre élémens de l'art des essais, selon la judicieuse remarque de M. Roüelle ; parce que les élémens de cet art doivent être puisés dans la Chimie, & ne sont en effet que cette science elle-même, dont les essais ne different qu'en ce qu'on y employe le calcul, & quelques instrumens particuliers nécessaires à son exactitude. Il ne se fût pas cru obligé de mettre à la tête de son livre une théorie, qui n'en est point une, puisqu'elle ne consiste presque qu'en une description des minéraux, qui appartient à l'Histoire naturelle, dont l'étude doit précéder celle de la Chimie ; d'instrumens, dont le plus grand nombre n'appartient qu'à la Chimie ; d'opérations, dont deux ou trois seulement sont strictement des essais, &c. Il eût supposé, comme il le devoit, que ceux qui vouloient exercer l'art des essais, devoient apporter à cette étude la connoissance préliminaire de l'Histoire naturelle & de la Chimie, sans entrer dans un détail de ces sciences, qui ne peut être d'aucune utilité aux commençans parce qu'il y est trop abstrait, & dont peuvent très-bien se passer ceux qui savent la Chimie, parce qu'ils n'y trouvent presque rien de neuf ; avec ces dispositions il eût abrégé une bonne partie de ce qu'il appelle sa théorie, & eût pû s'étendre davantage du côté de la pratique, quoiqu'il soit assez complet de ce côté là, & qu'on n'y voie autre chose qu'une espece d'affectation à ne lui vouloir donner pas plus d'étendue qu'à sa théorie. Cependant ces legers défauts sont effacés par mille bonnes choses qui feront toûjours estimer son ouvrage, comme le premier que nous ayons en ce genre.

Avant Agricola, la docimastique dont Kiesling attribue l'invention au travail des mines, n'avoit existé que dans les laboratoires. Personne n'en avoit rien écrit ; les auteurs ne faisoient que la nommer : ainsi elle ne se communiquoit pour lors que par l'expérience, & elle passoit du maître à l'éleve sans que personne songeât à la transmettre autrement ; sans doute faute de modele à suivre dans ce genre. C'est lui qui le premier en a saisi l'esprit, & à qui l'on a l'obligation d'avoir comme tiré du chaos ce qu'on peut appeller la base de la Métallurgie. Auparavant, ceux qui cultivoient les essais étoient les mêmes qui exerçoient la Métallurgie, comme cela se pratique encore presque par-tout : car une fonderie ne va jamais sans un laboratoire d'essais ; & l'on connoissoit seulement si une roche contenoit une matiere métallique ou non, si elle recéloit plusieurs métaux, ou s'il n'y en avoit que pour un seul, & quelle en étoit à-peu-près la quantité ; on savoit séparer les parties qui contenoient le métal, d'avec celles qui n'en donnoient point ; & parmi celles-là, on distinguoit les plus riches : sans quoi l'on auroit risqué de dépenser inutilement des sommes immenses pour mettre sur pié les travaux de Métallurgie. Les Artistes occupés de cette science aujourd'hui, ne different nullement de ceux qui existoient du tems d'Agricola ; M. Cramer leur fait le même reproche que cet auteur, & attribue à cette négligence l'ignorance où l'on est sur la nature de la plûpart des minéraux. Mais comment donner le goût des belles connoissances à des gens dont l'intérêt est l'unique mobile, & qui n'en ont d'ailleurs nulle idée, ou à qui le défaut d'éducation interdit cette acquisition ?

Les auteurs qui sont venus après Agricola, ont perfectionné ce qu'il n'avoit pour ainsi dire qu'ébauché. On est principalement redevable du degré de perfection où cet art a été porté de nos jours par MM. Cramer & Gellert son traducteur allemand, à Lazare Ercker, Modestin Fachs, à Schindler que l'illustre Stahl appelle ingénieux à juste titre, à Stahl lui-même, à Juncker, à Kiesling, & à Schlutter. On ne fait aucune mention des autres qui ont écrit sur cette matiere, quoiqu'en assez grand nombre ; parce qu'ils n'ont rien ajoûté à ceux qui les avoient précédés, ainsi que le remarque M. Cramer. Voyez DOCIMASIE. Ercker étoit premier essayeur de l'empire d'Allemagne ; Modestin Fachs étoit essayeur des minéraux du prince d'Anhalt en Saxe : son ouvrage a été imprimé à Léipsick en 1567, & a eu plusieurs éditions. L'ouvrage de Schindler perte pour titre, traité des essais : celui de Kiesling est intitulé, relatio practica de arte probatoriâ mineralium & metallorum, Léipsick 1742 ; il n'a fait que mettre en ordre & augmenter les leçons de Jean Schmieder professeur dans le laboratoire de sa majesté polonoise, après les avoir confirmées de ses propres expériences. L'ouvrage de Gellert a pour titre, chimie métallurgique, Léipsick 1750 ; il est scrupuleusement divisé, comme celui de M. Cramer, en deux parties, la premiere théorique, & la seconde pratique. Quant au livre de Schlutter, dont la traduction françoise vient d'être publiée par M. Hellot, il est entre les mains de tout le monde, ainsi que celui de M. Cramer dont j'ai donné la traduction depuis quelque tems. Le traité de Stahl se trouve dans ses opuscules : celui de Juncker, dans ses tables de Chimie. Malgré la loi que je me suis imposée de réduire le catalogue des auteurs de docimastique au petit nombre dont je viens de parler, je donnerai encore une notice des suivans. Dans le deuxieme volume de l'ouvrage, qui a pour titre otia metallica, imprimé à Schneeberg en Saxe en 1748, on trouve une docimastique sans feu ; elle consiste à se servir d'une balance hydrostatique, pour connoître le poids spécifique des minéraux, au moyen de l'eau douce, de l'eau salée, de la balance de Swedemborg, & de son pese-liqueur. L'instruction sur les mines de Lohneyss contient aussi un petit traité d'essais ; l'auteur anonyme qui a donné un volume in -12 intitulé procédés métallurgiques, imprimé à Hesse-Cassel en 1737, a écrit aussi deux traités dont l'un a pour titre ars docimastica fundamentalis, & l'autre ars docimastica curiosa. Jean Matthesius, auteur du traité intitulé sarepta, a écrit sur les essais ; ainsi que Libavius, & Glauber dans son traité des fourneaux.

Il faudroit être téméraire pour faire les frais des travaux qui concernent la Métallurgie, sans savoir s'ils doivent être compensés, non-seulement par le produit qu'on retirera de la mine, mais encore s'il y aura du bénéfice. L'art des essais seul peut décider la question. Les dépenses qu'il entraîne ne méritent pas d'entrer en comparaison avec celles de la Métallurgie, qui sont souvent ruineuses. C'est par son moyen qu'on peut déterminer si la mine essayée payera les frais des étais & étançons, qu'on est souvent obligé d'employer dans les étolles & les puits : des machines hydrauliques ou des digues employées à pomper ou à détourner les eaux, au cas que la mine se trouve dans un vallon ou une plaine : du transport de toutes les matieres nécessaires à son exploitation : du bocard & de sa suite : du bois & du charbon nécessaires à la fonderie : de la fonderie elle-même, & des engards & magasins : si elle fournira dequoi payer les différens ouvriers employés à ces sortes de travaux. C'est aux concessionnaires d'examiner mûrement tous ces points. Ils sont obligés d'ailleurs de satisfaire à certaines questions qui leur sont faites de la part du ministere, auxquelles la docimastique seule les met en état de fournir des réponses ; elles sont en partie les mêmes que les motifs qui doivent le déterminer : car quoiqu'il souhaite que les mines du royaume soient mises en valeur, il veut néanmoins s'opposer à toute entreprise mal concertée.

La difficulté & même l'impossibilité de connoître certaines mines à l'inspection, sont de nouveaux motifs qui prouvent la nécessité & les avantages de la docimastique ; sans elle il arriveroit souvent qu'on seroit induit en erreur, par l'apparence trompeuse d'une mine qui a l'éclat de l'or & de l'argent, & qui se ternit au moindre degré de feu : on n'eût peut-être jamais trouvé les moyens de perfectionner les travaux en grand, de diminuer la dépense, & de retirer tout l'aloi d'une mine ; je n'entends pas ici parler de ces améliorations & maturations qu'adoptent la crédulité & la cupidité, filles de l'ignorance & de l'avarice, mais de ces économies qui ont quelquefois doublé & au-delà le produit d'une mine. Voyez DOCIMASIE.

La docimastique est exercée par des artistes, qui ne s'occupent que de ce soin. En Allemagne où il y a une jurisdiction particuliere pour les mines qui font une grande partie du fonds de l'état, il y a des essayeurs en titre qui sont des officiers publics, & qui sont chargés de faire leur rapport à la compagnie dont ils font partie. Il y a outre cela des professeurs d'essais. Il y a des essayeurs dans les monnoies & chez les orfevres. C'est peut-être l'exercice isolé de cette profession, qui a porté M. Cramer & d'autres auteurs à croire qu'un essayeur & un chimiste faisoient deux êtres fort différens l'un de l'autre : peut-être bien encore la routine de la plûpart de ces sortes d'artistes leur aura-t-elle fait croire que l'on pouvoit posséder les essais sans être chimiste ; ce qui seroit encore plus déraisonnable. En France on ne connoît d'essayeurs en titre que dans les monnoies & au bureau des Orfévres.

Avant que d'en venir aux procédés, je donnerai le catalogue des ustensiles, que je regarde comme étant strictement de la docimastique, c'est-à-dire de ceux dont il faudroit qu'un chimiste se pourvût, s'il vouloit faire des essais. Quant à celui des ustensiles d'un laboratoire qu'on ne voudroit monter qu'à ce dessein, voyez DOCIMASIE. Un chimiste muni de tout ce qui lui est nécessaire à faire la chimie philosophique, doit ajoûter ce qui suit pour faire les essais en petit. Ceux qui se font en grand demandent encore d'autres appareils, qu'on trouvera encore à l'article DOCIMASIE.

Trois balances d'essai montées dans leurs lanternes.

Un poids de proportion.

Un poids de quintal en petit.

Un poids de marc en petit.

Un poids de karat.

Un poids de deniers.

Des bruselles.

Une cuillier d'essai.

Des moules pour les coupelles, scorificatoires, & creusets.

Des pinces pour les coupelles & scorificatoires.

Une plaque de fer fondu bien unie, servant de porphyre, avec son marteau.

Des cucurbites de départ avec leur trépié.

Des poesles à test.

Des granulatoires à l'eau, & par la voie seche.

Des creusets, tutes, coupelles, scorificatoires, & mouffles de différentes grandeurs.

Des fourneaux d'essai.

Des aiguilles d'essai de différens alliages, & une pierre de touche.

Je n'entrerai ici dans le détail que des balances & des fourneaux d'essai. Voyez les autres articles à leur rang. On parlera des aiguilles d'essai au mot TOUCHAU & PIERRE DE TOUCHE.

La balance d'essai dont nous allons parler, n'a été décrite nulle part ; elle ne se trouve qu'entre les mains de quelques particuliers. C'est au sieur Galonde qu'on est redevable de la perfection où elle est. Cet ingénieux artiste, connu dans Paris par l'habileté avec laquelle il fait les pendules & autres machines qui sont du ressort de l'Horlogerie, a retranché plusieurs inconvéniens qui se rencontroient dans les autres balances d'essai, & à rendu par-là la sienne en état de trébucher pour des fractions moindres qu'un millieme de grain : aussi doute-t-on avec raison que celle dont parle Boissard, fût assez sensible pour aller jusque-là. Cette balance étoit sans doute comme toutes les autres balances de Hollande, qu'on ne voit point avoir changé depuis Agricola jusqu'à M. Cramer qui en a donné la description ; excepté pourtant que cet auteur en propose une de sa façon dont la languette est renversée, & qu'il dit être plus juste que l'autre.

La balance en question se trouve dans nos Planches de Chimie. On y voit représentée la chape soûtenant le fléau, au bout duquel on voit les deux porte-bassins. Cette chape n'a presque rien de semblable aux autres que son usage ; elle est faite d'une lame de cuivre écroué, qui dans l'endroit qu'elle doit embrasser l'axe du fléau, se recourbe horisontalement en arriere, puis verticalement par en-bas, ensuite horisontalement en-devant, & enfin verticalement enhaut, & toûjours à angles droits. La partie supérieure de la chape est soudée aux deux extrémités d'une portion de cercle, marquée de quelques divisions arbitraires, qui mesurent l'inclinaison de la languette, & par conséquent celle du fléau auquel elle est soudée. La chape est réunie à son support par le moyen de la coulisse, formée des deux plaques rondes h & i, autre fig. mais elle n'y est pas tellement fixée, qu'elle ne puisse osciller de devant en arriere, jusqu'à ce qu'elle soit dans son centre de gravité ; au cas que l'on n'ait pas eu soin de mettre sa lanterne de niveau avec l'horison, on lui a laissé la liberté d'aller d'avant en arriere, au moyen des mantonnets l, dans lesquels passent les vis k, même fig. qui entrent dans un petit trou de la plaque h. Dans les grandes balances, celles qui servent pour peser le plomb ou la mine, & dont on peut charger chaque bassin de trois ou quatre onces, on fait embrasser la portion de cercle par la bifurcation de la chape, qui cesse pour lors d'être une affaire d'ornement ou de délicatesse ; & l'on fixe chaque branche à l'extrémité de l'arc de cercle, au moyen d'une vis qui a son écrou dans l'extrémité de la branche, & entre par la pointe dans un trou conique pratiqué dans l'extrémité de l'arc de cercle. Le support est, comme on le peut voir, même fig. en parallélipipede de cuivre, arrondi par le bas & percé dans sa hauteur d'une fente qui laisse le passage à la petite lame de cuivre, qui fixe mutuellement les plaques rondes h & i ; la partie supérieure de ce support se termine par une platine ronde posée horisontalement, au milieu de laquelle s'éleve une vis qui doit passer à-travers la glace supérieure de la lanterne, pour recevoir l'écrou n qui doit l'y fixer. Au-dessous de la platine horisontale b, est une poulie dont le boulon est engagé dans deux mantonnets en console, servant en même tems à donner plus d'assiette à la platine : cette poulie sert à faire rouler le cordon de soie, au moyen duquel on leve la balance. Dans les balances pour les mines & pour le plomb dont j'ai fait mention, le support qui est le même, est embrassé en queue d'aronde par une plaque de cuivre quarrée, qui fait les fonctions des plaques rondes h & i, auxquelles on la substitue, parce qu'elle est plus solide & moins sujette à vaciller. S'il arrive que la chape, étant abandonnée à elle-même, panche en avant ou en arriere, ensorte que le fléau n'ait pas son axe parfaitement horisontal, alors on met un contre-poids du côté qui s'écarte de la ligne verticale ; on en voit un, même fig. Les deux trous c & d destinés à recevoir l'axe du fléau, sont garnis inférieurement d'un coussinet d'acier en queue d'aronde, & mobile en cas qu'on veuille le changer : ce coussinet est fait de façon, qu'il ne peut entrer plus avant qu'il ne convient, & il est retenu en-dehors par la goutte d'acier, dont on a la liberté de placer les différens points de la surface vis-à-vis de l'extrémité du fléau, au cas que cette extrémité s'y pratique un trou. Le fléau & son axe sont faits d'une seule piece d'acier, trempé après qu'il est poli ; on ne lui donne de grosseur que celle qui lui est nécessaire, pour l'empêcher de se recourber par le poids qu'il doit supporter ; chacune de ses extrémités est terminée par un quarré, dont le côté devant soûtenir le porte-bassin est taillé en couteau : ce quarré n'est cependant pas d'une nécessité indispensable ; on peut lui substituer une autre figure. L'extrémité du fléau, par exemple, recourbée en avant en crochet horisontal, peut en tenir lieu, pourvû toutefois que ce crochet soit en droite ligne dans la partie taillée en couteau soûtenant le porte-bassin. Si une ligne droite tirée par le milieu des couteaux ne passoit pas par le centre du fléau, alors il faudroit le recourber en-arriere ou en-avant, jusqu'à ce qu'on fût parvenu à lui donner la disposition convenable ; car si la ligne passoit le fléau en-devant, la partie antérieure de l'axe porteroit & froteroit plus que la postérieure ; & réciproquement, si la ligne droite sailloit en arriere. L'axe du fléau est triangulaire, & tranchant du côté qui porte, afin qu'il y ait le moins de frottement qu'il est possible ; mais comme il n'auroit pas manqué de frotter par une large surface, si son extrémité eût été faillée perpendiculairement à son axe, on l'a coupée en talud ; ensorte que la seule partie qui peut toucher la goutte d'acier, est celle du centre du mouvement. La languette b est très-fine & assez haute pour marquer le moindre mouvement, & on lui a donné un contre-poids e. Il est inutile d'avertir qu'elle doit être assez longue pour se trouver vis-à-vis des divisions de la chape, ou que celle-ci doit être assez courte pour que les divisions de son arc de cercle ne soient pas plus haut que l'extrémité de la languette. Les porte-bassins sont faits d'un fil d'acier poli & trempé ; leur extrémité supérieure se termine en un crochet applati de dessus en-dessous, & assez large pour que le porte-bassin ne se tourne sur le couteau, ni d'un côté ni d'un autre ; l'inférieure est contournée, de façon que le centre de gravité se trouve à-peu-près le même que celui du bassin, & dans la même direction que la verge du porte-bassin ; je dis à-peu-près, parce que comme ce bassin est soûtenu sur un cercle soudé horisontalement à l'extrémité du porte-bassin, auquel il manque un arc d'environ 45 degrés, pour empêcher que la bruselle ne touche au cercle, on veut que le porte-bassin ne touche que par un petit talon qu'il porte à sa partie postérieure, de crainte qu'il ne vînt à adhérer au sol de la lanterne, comme cela ne manqueroit pas d'arriver, s'il y étoit appliqué par une large surface. Les bassins sont d'environ trois quarts de pouce de diamêtre, & sont faits d'une lame d'argent très-mince : on pourroit les faire de toute autre matiere ; cependant l'argent mérite la préférence, par la facilité qu'on a d'appercevoir les plus petits corps qui sont dessus, quand il est poli & bruni comme il doit l'être pour ces bassins. Cette balance, quoique susceptible de différentes grandeurs, doit toutefois ne pécher par aucun excès. Les dimensions de celle de nos Planches, sont les mêmes que de la balance copiée d'après nature. Cette balance & son support doivent être placés dans une lanterne garnie de glaces de tous côtés ; la partie antérieure seule doit s'ouvrir, & en coulisse : pour cet effet la glace qui y répond est garnie d'un petit bouton par le bas, au moyen duquel on la leve. Cette lanterne est assise sur un petit coffret, dont les piés sont en vis pour lui donner le niveau de l'horison, & qui contient une layette où l'on met les poids, pinces ou bruselles, & les autres ustensiles qui sont de la suite de la balance ; comme, par exemple, le bassin de verre & sa tare, &c. servant pour les eaux salées. On voit un poids coulant sur la tablette pour tenir la balance dans le degré d'élévation qu'on veut. Dans la balance qui s'appelle strictement balance d'essai, & qui n'est destinée qu'à peser des fractions de grains, l'on se contente de coller dessous ce poids un morceau de peau ou de drap, pour l'empêcher de glisser si aisément sur la petite lame de cuivre e ; au lieu que dans celles qui doivent peser de plus forts poids, on façonne la partie supérieure de cette lame de cuivre e en crémaillere, afin de retenir le poids en situation, au moyen d'un petit crochet qui s'abaisse par un ressort. Ce crochet est suspendu horisontalement en bascule, & se leve en comprimant un petit bouton f. Il faut observer que le cordon de soie ne doit pas être beaucoup au-dessus du niveau du petit crochet, sans quoi le poids de la balance feroit soûlever le côte du contre-poids roulant. On voit dans la même Planche une suite de fractions de la dragme. Quant à ces poids & les autres qui servent aux essais, dont il y a plusieurs especes, voyez POIDS FICTIFS ; & quant à la maniere de donner à la balance d'essai la justesse requise, voyez PESEE.

L'usage qu'on fait encore aujourd'hui des balances de Hollande que Juncker dit se trouver peut-être les meilleures de toutes, & dont la description se trouve dans M. Cramer, m'engage à la transcrire ici, avec d'autant plus de fondement, que je mettrai le lecteur à portée de juger par lui-même de l'avantage de la balance corrigée.

Son fléau doit être le plus long qui se puisse, afin d'être plus sensible au moindre défaut de justesse. Une longueur de dix ou douze pouces lui est pourtant suffisante ; & comme le plus fort poids qu'on met dans chacun de ses plateaux (j'appelle ainsi le bassin propre de la balance, & suis obligé de réserver le mot de bassin pour désigner ces petits segmens mobiles qu'on charge des pesées) excede rarement celui d'une drachme, la grosseur de son fléau doit être telle que pareil poids suspendu à chacune de ses extrémités a b, le fasse presque fléchir. Il ne doit être chargé d'aucun ornement, parce qu'il n'en seroit que plus pesant & plus sujet à amasser des saletés. On renferme ce fléau dans une châsse (V. les fig.) d'acier trempé, d'une feule & même piece, à chaque branche de laquelle il y a inférieurement deux trous a a, pour recevoir l'axe du fléau. Un braier ou bride (V. les fig.) flexible de laiton que l'on introduit dans deux autres trous inférieurs aux précédens, le maintient en sa place, en rendant paralleles & approchant à deux lignes & demie l'une de l'autre les deux branches qui tendent à s'écarter par leur ressort. L'arc de la chape sera garni intérieurement d'une aiguille c très-fine & très-aiguë, dont la pointe sera tournée vers le bas, la châsse étant suspendue, & dont la longueur sera telle qu'elle atteindra presque le sommet de la languette (V. les fig.) le fléau étant en équilibre : comme cette aiguille doit servir à l'annoncer, la partie de la chape où elle est placée, sera écartée de deux ou trois lignes b, de plus que le reste ; afin que l'artiste, étant vis-à-vis, puisse observer sa disposition. On peut donner à cette chape tel ornement qu'on voudra, pourvû qu'on ne gêne point le mouvement du fléau. A chaque extrémité de celui-ci sera attaché un crochet sigmoïde, qui tiendra suspendu au moyen de trois petits cordons de soie presque aussi longs que le fléau, un plateau d'argent fort mince, très-peu concave, & d'un pouce & demi de diamêtre. Chaque plateau doit être garni d'un petit bassin d'argent d'un pouce de diamêtre. C'est dans ces bassins qui doivent être de même poids, que l'on met, avant que de les placer eux-mêmes dans les plateaux de la balance, les corps qu'on veut peser. On les prend avec une bruselle ou une petite cuilliere ou couloire, s'ils sont en poudre. L'usage de ces bassins est de donner la facilité d'ôter & de mettre dans les plateaux ce qu'on doit y peser, sans être obligé de les toucher, parce que comme ils sont fort minces, il pourroit arriver qu'on les bossueroit, ou qu'on les saliroit, & qu'on leur feroit perdre leur justesse en les essuyant.

Un porte-balance mobile de laiton ou de cuivre, soûtient la balance en question. Il est composé d'un pié-d'estal (voy. les fig.), qui soûtient une colonne a d'environ vingt pouces de hauteur, à la partie supérieure de laquelle est attaché à angles droits un bras c d'un pouce & demi de long. A l'extrémité de ce bras est embrassée une poulie f de trois lignes de diamêtre ; une autre e est pareillement logée dans le sommet de la colonne, & une troisieme dans la base d : ces trois poulies doivent tourner avec facilité autour de leur axe ou boulon. Un pouce & demi audessous du bras supérieur est attaché un second bras g long de deux pouces, dont l'extrémité est percée perpendiculairement sous la poulie f du bras supérieur, d'une mortaise h longue de deux lignes, & large d'un quart, pour recevoir une lame i d'un pouce & demi de long, de telle largeur & de telle épaisseur, qu'elle puisse se mouvoir dans la mortaise sans vaciller. Cette lame sera munie d'un crochet à ses extrémités.

La balance d'essai étant si délicate que le moindre mouvement de l'air est capable de l'agiter, & d'y porter des saletés qui la rendroient fausse ; on la renferme avec son support dans une lanterne garnie de verre de tous côtés, & par le haut, afin d'en voir l'intérieur. Elle doit être assez grande pour que la balance & son support puissent y être à l'aise, & sans que ses plateaux en touchent les côtés, lorsqu'on l'élevera ou qu'on l'abaissera. Il ne faut cependant rien de trop, parce qu'on auroit moins de commodités pour peser, pour mettre & retirer les poids des plateaux. Ces fenêtres, droite, gauche, & antérieure, doivent s'emboîter dans leurs feuillures, de façon qu'on puisse les ouvrir & fermer sans ébranler sensiblement la lanterne. Deux godets tournés de laiton, hauts d'un pouce, de même concavité que les plateaux, mais plus larges, seront attachés au moyen d'une vis qu'ils auront à leur partie inférieure, à droite & à gauche de la lanterne, precisément sous les plateaux de la balance, qu'ils doivent recevoir ; ils sont destinés à les retenir, pendant que l'on y met ou qu'on en retire quelques corps : cette lanterne sera assise sur une espece de coffret, &c.

Mais un artiste versé dans la méchanique pratique, qui voudra fondre lui-même sa balance d'essai, la rendra beaucoup plus durable, & remplira plus aisément ses vûes, en s'y prenant de la maniere suivante. Il fera un fléau semblable au précédent, avec cette différence, que sa languette sera tournée par en-bas. La partie des anneaux destinée à recevoir ses puissances, sera dans la même ligne droite que l'axe, qui aura une longueur double de l'ordinaire. (voy. les fig.) Il fera la chape de deux lames d'acier larges d'un pouce, & longues de six, assemblées par leurs extrémités de façon à laisser entr'elles un intervalle parallele de deux lignes a a a a ; à la partie supérieure de cette châsse, il y aura une entaille b pour recevoir l'axe du fléau, & elle sera percée dans toute sa longueur, ensorte qu'on puisse voir le mouvement de la languette. Pour avoir une marque qui lui annonce l'équilibre du fléau, il attachera à l'une des lames de la châsse un menu brin de soie chargé d'un poids d'une drachme c ; il assujettira la châsse en scellant dans chacune de ses extrémités un parallélipipede de laiton large de deux lignes d, épais d'une demie, & long d'un pouce. Ces deux parallélipipedes destinés à tenir la chape suspendue, doivent être introduits dans deux mortaises en ligne perpendiculaire, l'une pratiquée à l'extrémité f du bras inférieur de la colonne, & l'autre dans le second bras, en descendant e du sommet de la même colonne : ensorte qu'avec ce méchanisme, elle peut être élevée ou abaissée librement sans être susceptible d'aucun autre mouvement. Il fixera l'axe dans sa place en entourant la châsse d'une bride g, pourvûe de deux échancrures vis-à-vis l'une de l'autre h, servant à le remettre en place quand on le baissera, au cas qu'il se fût tant soit peu dérangé quand on l'a eu élevé. Cette bride doit être assujettie au support à telle hauteur que l'axe soit un peu soûtenu par les coches qui le recevront, quand on baissera la balance.

Cette derniere balance est presque sujette aux mêmes inconvéniens que la premiere ; d'où il est évident que les cordons de soie soûtenant les plateaux sont sujets à prendre une humidité qui doit rendre la balance fausse. Dans la balance du sieur Galonde, on ne voit ni ces cordons, ni deux bassins mobiles, ni un support inutile, ni deux godets nuisibles, comme je l'ai remarqué dans ma traduction. Et en effet il est étonnant que M. Cramer n'ait pas fait attention à ce défaut. Dans la balance nouvelle le sol sur lequel portent les bassins est garni d'une glace, & encore ce corps-là n'est-il pas trop propre à remplir les vûes qu'on se propose, car il se charge d'une humidité que j'ai vû causer une erreur d'un quarantieme de grain. Mais on a remédié à ce défaut en contournant le porte-bassin de façon qu'il ne peut porter que sur le petit talon qui est inférieur au cercle. Sans cette correction, on eût été fort embarrassé à trouver un corps qui en même tems qu'il auroit été aussi poli que le verre, n'auroit point ainsi que lui réflechi l'humidité, & ne se seroit point déjetté.

Passons maintenant aux fourneaux d'essais, nous en donnerons de quatre especes : le premier sera celui de M. Cramer : le second sera celui des fournalistes de Paris : le troisieme celui de Schlutter qui est sans grille, & le quatrieme le fourneau d'essai à l'angloise, qui n'a encore été décrit nulle part, pas même par les Anglois que je sache. Ces fourneaux ont des différences réelles ; chaque espece a ses perfections & ses inconvéniens, qui peuvent la faire rechercher & abandonner.

Le principal fourneau d'un laboratoire docimastique, celui auquel on donne particulierement le nom de fourneau d'essai ou de coupelle, se construit de la maniere suivante. Voy. nos Planches de Chimie. Faites avec de la tole un prisme creux, quadrangulaire, large d'onze pouces, & haut de dix, a a b b : ajoûtez à sa partie supérieure une pyramide tronquée de même matiere, également creuse & quadrangulaire b b c c, haute de sept pouces, & terminée par une ouverture de même diamêtre. Vous ferez ce sol, ou bas du fourneau aussi d'un morceau de tole quarré, & de grandeur capable d'en former la partie inférieure a a. Tout près de ce sol, pratiquez une ouverture e, haute de trois pouces, & large de cinq, pour le soupirail ou porte du cendrier. Au-dessus de cette porte, à six pouces du bas du fourneau, faites-en une autre f arquée par sa partie supérieure, ressemblant à un demi-cercle, large de quatre pouces à sa base, & haute de trois dans sa partie la plus élevée. Préparez trois bandes de tole dont chacune sera longue d'onze pouces. La premiere sera de la largeur d'un demi-pouce g g ; vous l'attacherez par son bord inférieur au moyen de quelques clous à la base du fourneau, ayant eu soin auparavant de la plier de façon qu'elle forme entr'elle & le fourneau une rainure capable de laisser un libre exercice aux portes en coulisses k k qu'elle doit recevoir, lesquelles sont destinées à fermer le soupirail, & doivent être faites d'une tole épaisse. Vous placerez la seconde h h dont la largeur doit être de trois pouces, parallélement à la premiere, dans l'espace qui est entre la porte du cendrier & la bouche du foyer. Ses bords inférieurs & supérieurs doivent laisser également une rainure entr'eux & le fourneau. La premiere, c'est-à-dire l'inférieure, devant recevoir la partie supérieure des portes ou coulisses du soupirail, & la seconde ou superieure, la partie inférieure des portes & coulisses fermant la bouche du feu. Appliquez la troisieme bande, de même largeur que la premiere immédiatement au-dessus de la porte de la moufle, de façon que sa rainure soit tournée vers la partie inférieure du fourneau. Vous ferez ensuite les fermetures en coulisses dont nous venons de parler. Il y en aura deux pour fermer chaque porte. Elles seront de tole ainsi que le reste, de telle épaisseur, & construites de façon k k l l qu'elles puissent glisser librement dans les rainures. Vous pratiquerez une ouverture à la partie supérieure de chacune des fermetures l l de la porte de la moufle. L'une sera longue d'un pouce & demi, & large d'un cinquieme m ; & l'autre semi-circulaire, longue de 2 pouces n sur 1 de hauteur. Chaque coulisse sera munie d'une poignée, afin qu'on puisse la mouvoir avec facilité. Vers la partie inférieure de la porte de la moufle f, vous attacherez sur la bande h h un crampon x propre à recevoir un canal de tole forte b, & à l'appliquer vis-à-vis la même porte. Ce canal sera long de six pouces, large de quatre, & aura ses côtés hauts de trois. Il sera garni d'une dent y que l'on engrenera dans ce crampon a, quand il sera nécessaire de le placer devant la porte de la moufle. Vous ferez au fourneau cinq autres trous ronds d'un pouce de diamêtre, deux à la partie antérieure du fourneau o o, deux autres à la postérieure, à la distance de 5 pouces de sa base, & de 3 pouces & demi de chacun de ses côtés, & le dernier p, un pouce au-dessus du bord supérieur de la porte du foyer f. Le fourneau devant être garni de lut en-dedans ; pour l'y faire tenir, vous placerez à 3 pouces les uns des autres de petits crochets de fer d'un demi pouce de long. Vous adapterez à l'ouverture supérieure du fourneau, un dome creux, quadrangulaire q, de la hauteur de 3 pouces, large de 7 par sa base, ainsi que la partie supérieure de la pyramide d qui doit le recevoir, & se terminant en un tuyau ou cheminée r de 3 pouces de diamêtre, sur 2 de haut, un tant-soit-peu plus gros à son origine qu'à son extrémité. Ce commencement de tuyau est fait pour être reçu dans un autre également de tole, plus petit à sa partie supérieure qu'à sa base, de 2 piés de haut t, & destiné à rendre le feu de la derniere violence, étant adapté au précédent, qu'il doit embrasser très-exactement de la longueur d'un pouce & demi ou 2, ou à le diminuer par son absence. Ce dome q doit être garni de deux anses s s, afin de pouvoir l'ôter ou le remettre à volonté avec les tenailles. Vous aurez la précaution aussi pour rendre ce dome stable sur l'ouverture du fourneau, d'attacher à ses bords droits & gauches, une bande de tole que vous réfléchirez vers le fourneau, de façon qu'elle forme une rainure ouverte par le devant & par le derriere, capable de recevoir les bords latéraux du dome, de l'assujettir, & de permettre qu'on lui fasse faire un petit mouvement, en l'inclinant tantôt en arriere, & tantôt en avant ; quand il sera question de le mettre ou de l'ôter, vous attacherez aux parois intérieurs du fourneau, à la hauteur du bord supérieur du soupirail e, une bande de tole forte qui régnant tout autour, formera un quarré dont chaque côté sera large d'un pouce & demi. Ses fonctions seront de soûtenir la grille du cendrier & le garni du fourneau. Vous la ferez de deux pieces, afin d'avoir la commodité de l'introduire dans le fourneau, où elle sera soûtenue par des clous qui le perceront de toutes parts, à la hauteur dont nous avons parlé, & sailliront d'un pouce en-dedans. Reste maintenant à lui donner le garni que nous avons indiqué ci-dessus. Voyez GARNI.

Le fourneau d'essai des Fournalistes de Paris est aussi représenté dans nos Pl. Il est tout en terre & a trois portes à son cendrier. Sa pyramide n'est pas aussi haute que celle du fourneau de Cramer ; & il n'a point de dome, à moins qu'on ne donne ce nom à sa pyramide. Il est susceptible de recevoir un tuyau pour augmenter le jeu de l'air & la vivacité du feu. Il est un peu plus long d'arriere en avant, que large. Du reste, les proportions sont à-peu-près les mêmes dans l'un & dans l'autre, où nous remarquons le même défaut. Il consiste en ce qu'il ne peut tenir sous la moufle qu'une couche de charbon de 2 pouces tout au plus, au lieu qu'il en faut 4 ou 5 pour le moins ; sans quoi on aura de la peine à y fondre du cuivre. Il seroit nécessaire aussi de pratiquer une petite fenêtre en côté vis-à-vis de cette couche, afin de voir si le charbon s'affaisse. Faute de ce soin, on se donnera des peines inutiles pour faire la plûpart des opérations. Dans le fourneau en question, peu importe que le feu puisse devenir de la derniere vivacité, puisqu'on est le maître de le diminuer & même de le suffoquer tout-à-fait. Les barres de fer qui font la grille du fourneau de Cramer sont assujetties en losange par le garni ; au lieu que dans le fourneau en terre il y a à chaque côté deux rebords saillans d'un pouce, immédiatement au-dessus des soupiraux, dans lesquels on a fait des entailles propres à tenir les barres dans la même situation.

Voyez dans nos Planches le fourneau de Schlutter. On n'en voit que la coupe transversale ou d'un côté à l'autre, parce qu'on croit qu'elle suffira pour donner l'idée des différences qu'il a avec les autres. Cet auteur veut que le sol ou bas du fourneau soit quarré, c'est-à-dire qu'il doit avoir 12 pouces de profondeur & autant de largeur. Mais comme il n'est pas toujours nécessaire qu'il soit si grand, au lieu d'en régler les proportions selon un certain nombre de pouces, on pourra se servir de parties plus petites, & ces parties indiqueront de même les hauteurs & longueurs ; mais de dehors en dehors. Ainsi si le fourneau a douze de ces parties en bas, il faut qu'il en ait dix de hauteur jusqu'à l'endroit où il commence à se retrécir en forme de talus ; & ce talus entier aura six parties de hauteur perpendiculaire ; en sorte que la hauteur totale du fourneau sera de seize parties : l'ouverture d'en haut sera de huit parties en quarré. Du pié du fourneau en montant vers le haut, on compte une partie pour l'épaisseur du fond ou sol qui reçoit la braise & les cendres ; & de-là trois parties pour la hauteur du soupirail ou porte d'en bas, laquelle en aura quatre de large. Au-dessus de cette porte, on laisse un espace de deux parties, & l'on y fait deux trous pour les barres de fer qui soûtiennent la moufle. Chacun de ces trous aura une partie de diamêtre. On donnera à l'embouchure de la moufle qui est au-dessus de ces deux trous quatre parties de la largeur sur trois de hauteur. Plus haut & à la distance de deux parties au-dessus de l'arc ou voûte de la moufle, doit être le trou de la flamme qu'on nomme aussi l'oeil du fourneau, & on lui donne une partie & demie de diamêtre. On met des coulisses de tole forte prises dans des rainures, pour fermer en les coulant la porte du cendrier, l'embouchure de moufle, & le trou de la flamme ou l'oeil. C'est selon que le fourneau d'essai doit être grand ou petit, que la longueur de ces parties servant à ces proportions doit être déterminée ; on les fait de 10 lignes, d'un pouce, d'un pouce & demi ou de deux pouces : cependant, si ces parties excédoient le pouce, la porte du cendrier, l'ouverture de la moufle, & l'oeil du fourneau deviendroient trop grands & même difformes, en leur donnant le nombre de parties indiqué ci-dessus pour leur hauteur & leur largeur : ainsi il faut diminuer ces ouvertures & les faire selon une autre proportion. Dans les hôtels des monnoies d'Allemagne, les fourneaux d'essais se font selon les mesures d'un pouce, mais dans les fonderies pour les mines, on les fait plus grands, & ordinairement de 18 pouces en quarré ; en sorte qu'on y puisse passer jusqu'à quinze essais de mine à la fois. Quand le fourneau est en tole, il faut le garnir de terre en-dedans, &c.

Il faut bien que le fourneau d'essai sans grille ne soit pas tout-à-fait dépourvû de tout avantage, puisqu'on n'en employe presque point d'autre en Allemagne, & même dans les monnoies de France ; car celui de Boizard ressemble à celui de Schlutter : mais pourquoi ne pas profiter dans le fourneau en question comme dans les autres, de l'utilité qu'on peut retirer d'une grille ? On sait qu'elle est nécessaire pour donner du jeu à l'air, & augmenter la vivacité du feu, qui doit être quelquefois considérable dans les essais, mais qui ne peut manquer d'être ralenti par la présence des cendres qu'il n'est pas possible de tirer. Ainsi quand on a travaillé un certain tems dans le fourneau de Schlutter, le feu ne doit plus être si vif, sans compter qu'il n'a qu'un soupirail pendant qu'on en fait trois à ces sortes de fourneaux. D'ailleurs l'essayeur est bien assez incommodé par la chaleur qui lui est dardée de la moufle comme d'un canon de fusil, sans avoir encore à essuyer celle du soupirail, dont il doit tomber de tems en tems quelques charbons qui peuvent troubler son attention. Voyez ECRAN. On conçoit que le fourneau de Schlutter est à la grille près le même que celui de M. Cramer. Les dehors de l'un & de l'autre sont les mêmes, excepté que dans celui de Schlutter, l'intervalle compris entre la partie inférieure de la bouche du feu & la supérieure du soupirail est un peu moindre que dans l'autre. On peut observer ici que le fourneau des émailleurs est aussi sans grille, quoiqu'il leur faille un feu assez vif. Nous ne parlerons point des autres défauts ; c'est à l'article qui concerne leur art, qu'on pourra trouver ce qu'il y a à dire là-dessus. Voyez ci-devant l'article EMAIL.

Le fourneau d'essai à l'angloise (V. nos Pl. de Chimie) n'a aucun rapport avec les précédens, quant à sa construction. C'est tout-à-la-fois un fourneau de fusion, tel que celui de Glauber, & de reverbere, dans le goût du grand fourneau anglois, sur les principes duquel il est construit, quant au reverbere. On ne sait quel a été le premier inventé ; mais il y a toute apparence que l'un a dû mener à l'autre. On le construit de différentes grandeurs. Ceux qui servent dans les fonderies sont de brique, & ont ordinairement 5 piés de long à-peu-près, sur 2 piés 8 pouces de large, & 2 piés 8 ou 9 pouces de hauteur. On ne donne qu'environ moitié de ces dimensions à ceux qu'on veut placer dans les laboratoires philosophiques, & on les fait pour lors en terre. Nous décrirons celui des fonderies. D'abord on éleve une maçonnerie en brique (V. les fig.) à la partie b, de laquelle on laisse un espace vuide long de 21 pouces, & large de 10. A 18 pouces de haut on place quatre barres de fer plates, pour terminer l'ouverture du cendrier, & soûtenir les briques qui doivent en former la partie supérieure. On donne à ces barres 2 pouces de large, & on leur laisse à chaque extrémité un excédent de 6 pouces qu'on réfléchit en-haut & en-bas, pour servir d'armure au fourneau. La casse ou foyer est large de dix pouces en quarré, & profonde d'un pié. Elle communique avec le reverbere par l'espace e (voy. les fig.), qui est entre le carreau i & le pont, & qui a la même largeur que la casse, ou un peu moins, sur 2 pouces & demi de haut. Le reverbere est un espace long de 2 piés 3 pouces, sur 10 de large dans le milieu. Il est, ainsi qu'on peut le voir dans la fig. en ovale, & se termine par une issuë de 5 ou 6 pouces de large sur 4 de haut, au bout de laquelle il y a aussi un petit pont de 2 pouces de hauteur, qui le sépare de la partie inférieure de son tuyau, auquel on donne la même largeur. On fait ensorte de bâtir ce fourneau près d'une cheminée, pour y conduire son tuyau ; auquel cas on bouche le reste, ou bien on lui adapte un tuyau de tole de 18 ou 20 piés, pour augmenter l'ardeur du feu. Le reverbere a de hauteur, depuis les carreaux qui le recouvrent jusqu'à son sol, 10 pouces. On y a accès à la faveur d'une porte g (V. les fig.), de même hauteur que le reverbere, & de 7 pouces d'embrasure, qui se terminent à 5 en-dedans. Dans la circonstance où le tuyau en maçonnerie du fourneau se trouve sous une cheminée qu'il ferme, ou reçoit un tuyau de tole ajusté à demeure, on pratique tout vis-à-vis la partie inférieure du tuyau, une porte h (voyez les fig.) de même largeur que ce fond, & même un peu plus bas, pour avoir la commodité de le nettoyer de toutes les saletés qui s'y amassent.

Ce fourneau sert aux mêmes usages que les fourneaux de fusion ordinaires, & les fourneaux à calciner & à coupeller. Quand on ne veut que fondre, on place les creusets comme à l'ordinaire, mais sur une tourte bien élevée, s'ils sont sans piés, parce qu'ils sont fort sujets à s'y féler. S'il ne faut qu'un feu doux, on ferme une partie du soupirail avec des carreaux destinés à cet usage, & l'on ne met point sur le fourneau le couvercle c (V. les fig.), à moins qu'on ne le veuille rendre bien foible & bien lent ; auquel cas on passe une brique sur le pont e (voy. les fig.), & l'on met le couvercle. On lui donne plus de force en laissant le soupirail ouvert, ainsi que le haut de la casse ; mais quand on veut un feu bien vif, on se contente d'y ajoûter le couvercle, & pour lors la casse, le reverbere & la cheminée ne font plus qu'un canal continu, qui augmente la rapidité & la vivacité du feu en raison de sa longueur. Il n'est pas besoin d'avertir que la porte g du reverbere (V. les fig.) ne doit s'ouvrir que quand on veut mettre ou retirer quelque vaisseau ; & la décharge h (même fig.) ne s'ouvre que quand on soupçonne le bas de la cheminée plein de saletés. Dans les fonderies où l'on fait usage d'un pareil fourneau, c'est pour avoir la facilité de faire un essai sur huit ou dix livres de matiere à-la-fois, qu'on torrefie à nud sur le sol, ou que l'on affine sur une cendrée qu'on y accommode à ce dessein ; & l'on peut malgré cela rotir & coupeller un quintal fictif de matiere seulement. Mais il faut employer à ce sujet le charbon de terre ou le bois ; car il m'est arrivé de ne pouvoir affiner dans un pareil fourneau avec le charbon de bois, quoique la casse en fût remplie ; & la mine de plomb à facettes spéculaires, pure, ne pouvoit même y devenir pâteuse, tant la chaleur que donne sa flamme est peu de chose. Ce n'est pas que cette flamme ne montât bien haut dans ce tuyau de tole ; mais il est à présumer qu'elle n'avoit pas assez de consistance pour faire beaucoup d'effet. Il est vrai que le charbon de terre non calciné donne un soufre qui n'est pas bien favorable à un essai en petit ; mais ce fourneau n'est pas destiné à cela : &, en effet, on sent bien qu'il ne peut manquer de devenir faux par cette raison, & par la chûte des cendres, qui doivent se vitrifier conjointement avec la matiere qu'on veut essayer, ou dont l'alkali peut former un foie avec le soufre de la mine que l'on traite ; ainsi le bois coupé menu comme du charbon, est à préférer pour cette espece de fourneau, que l'on convient être insuffisant dans plusieurs circonstances. Il ne faut toutefois pas s'imaginer qu'on puisse faire usage de la casse & du reverbere en même tems, fondre & coupeller tout-à-la-fois, parce qu'il arrive que ces deux opérations demandent des degrés de feu qui ne sont pas les mêmes, dans le même tems précisément, en supposant qu'on les commence toutes les deux à-la-fois. Si, par exemple, l'on a à réduire une mine de plomb, & du plomb à affiner en même tems, il peut arriver qu'il faille donner chaud à l'affinage, pendant que le feu devra être ralenti, pour attendre que l'effervescence de la réduction soit passée. On ne nie pas pour cela qu'un artiste exercé ne puisse combiner assez juste pour réunir deux genres d'opérations, dont l'une ne souffre point du régime du feu nécessaire à l'autre, & réciproquement.

Voici maintenant les proportions qu'on donne communément au fourneau d'essai à l'angloise qu'on veut placer dans le laboratoire philosophique. Elles ont été communiquées par M. Baden fameux essayeur anglois, dont l'occupation consistoit uniquement à se transporter dans les fonderies mêmes où il étoit appellé pour les essais, ou à faire des cours de Docimastique ; & j'ai vû moi-même un fourneau construit en terre sur ses proportions, qui faisoit beaucoup plus d'effet qu'on n'auroit eu lieu de l'attendre, eu égard à sa grandeur. Il le faisoit construire quelquefois en briques de Windsor, dont les dimensions sont à-peu-près les mêmes que celles de nos briques de Bourgogne ; c'est-à-dire qu'elles ont 8 pouces de longueur environ, sur 4 ou 4 & demi de large, & sur 2 environ d'épaisseur, en comptant le trait de rustique. Il lui mettoit sept rangs de ces briques jusqu'à la grille du foyer, à laquelle il donnoit, ainsi qu'à la casse, 8 pouces de long sur 6 de large. Le soupirail doit avoir aussi 6 pouces de large, & être élevé jusqu'à la grille. La casse a 9 pouces de profondeur, & communique à un reverbere de même largeur, c'est-à-dire de 6 pouces, sur 4 de long, par un pont élevé d'un pouce & demi au-dessus du sol du reverbere, qui est éloigné de sa couverture de 3 pouces. Peu importe que ce pont soit épais ou mince : on le fait de briques, faute d'autre chose ; & pour lors il a, malgré qu'on en ait, 2 pouces d'épais. Le passage de la flamme, flew en anglois, est élevé d'un pouce au-dessus du sol du reverbere, & est surbaissé d'environ autant par le haut, afin de déprimer la flamme qui va gagner la cheminée, dont la largeur est de 6 pouces ; ainsi l'on doit concevoir que le fourneau commence à s'élargir immédiatement après qu'il s'est élevé par le bas, & qu'il s'est déprimé par le haut pour le passage de la flamme, qui est d'un pouce & un quart de haut. La cheminée a 4 pouces de large dans le bas, & se termine en un tuyau de 4 pouces de diamêtre, qu'on augmente avec un tuyau de tole. On couvre la casse d'un carreau de terre cuite, dont les bords excedent un peu les siens. Ce carreau est surmonté d'un bouton ou poignée pour le manier, comme celui de la figure. Pour rendre ce fourneau durable, on met à chaque côté, ainsi qu'en-devant, deux rangs de briques qu'on arme de cercles & barres de fer. Ceux qui se font en terre, durent & tiennent leur chaleur en raison de l'épaisseur qu'on leur donne, qui est arbitraire.

Nous allons passer aux opérations de Docimastique : notre but n'est point d'en donner un traité complet ; ceux qui voudront voir cette matiere exposée au long, doivent consulter les ouvrages mentionnés au commencement de cet article. Les opérations qui se font pour les essais, n'ont point d'autre définition générale que celles de la Chimie analytique ; elles ne sont, ainsi que celles de cette science, que les changemens qu'on fait subir à un corps, au moyen des instrumens de l'art, & selon les regles qu'il prescrit, à dessein de connoître la nature des substances qui entrent dans sa composition, & la quantité en laquelle elles s'y trouvent : derniere condition qui distingue l'essai de l'analyse pure & simple. Voyez CHIMIE. Je réduirai les opérations propres de Docimastique à la torréfaction, à la scorification, au départ concentré, à l'affinage & au raffinage, à l'inquart & au départ par la voie humide, à la liquation, & à quelques especes de cémentations ; & les préparatoires au lavage seulement. Toutes les autres, que M. Cramer met dans son catalogue, appartiennent à la Chimie philosophique. Mais il ne faut pas être étonné de cette erreur, elle est conséquente au principe qu'il a posé ; &, en effet, qui pourroit s'imaginer qu'un homme qui mérite avec raison le titre d'ingénieux que lui a donné son traducteur anglois dans son épître dédicatoire, & qui en donne des preuves continuelles dans son livre, eût rangé dans ce nombre l'évaporation, la sublimation, la distillation, &c. voyez pag. 321. premiere partie de l'édition latine ; & page 263, tome II. de la traduction françoise ; à moins que de le supposer accoûtumé à regarder la Docimastique comme une science isolée, & qui n'est pas plus la Chimie, quoiqu'elle en emprunte presque tout, que la Botanique n'est l'Anatomie, & réciproquement. Cette contradiction évidente est exposée bien clairement dans son §. 499 : Vix autem ulla habetur operatio chimica, quam non aliquando in arte docimastica opus sit perficere : è contrario plures sunt quas sibi Docimasia solas vindicat. Earum ideò quae huc tantùm propriè pertinent, vel, licet ex Chimia generaliori petitae sint, creberrimè tamen à Docimastis in usum vocantur, generalem licet conspectum, &c. C'est-à-dire : " A peine y a-t-il une opération de Chimie dont on puisse se passer en Docimastique : cette science au contraire en possede un grand nombre qui n'appartiennent qu'à elle seule. Nous allons donner un tableau général de celles qui sont proprement de son ressort, ou dont les Essayeurs font un fréquent usage, quoiqu'empruntées de la Chimie générale ". Ainsi la Docimastique pourra prendre ce que bon lui semblera dans la Chimie, sans que celle-ci puisse s'en plaindre, ni même donner ses titres à l'autre, sauf à lui faire honneur de ce qui lui appartiendroit. L'art des essais sera, comme on le peut voir, ce qu'il est, sans rien devoir à la Chimie, quoiqu'il tienne presque tout d'elle ; & il aura des opérations de son ressort, ou qui appartiendront à la Chimie générale. Un mot mis dans la place d'un autre, donnoit un sens à tout ceci, si M. Cramer eût dit, tum, licet ex Chimiâ, &c. au lieu de vel, licet ex Chimiâ, &c. il raisonnoit juste, & ne se contredisoit pas dans le même instant, mais seulement à l'égard de quelques autres endroits de son ouvrage ; comme, par exemple, avec celui du §. 497, sans aller plus loin : Primaria quaevis operatio docimastica, ab agendi modo omnibus communi, vocari potest solutio, &c. ce qui signifie que la dissolution, comme étant une action commune à toutes les opérations de Docimastique, peut être mise à leur tête. Nous ferons grace à Schlutter, quand il dit (page 73, ligne 2 par en-bas) " que quiconque n'est pas dans l'habitude de connoître les minéraux métalliques à la simple inspection, doit acquérir cette connoissance par l'analyse chimique, à laquelle on a donné le nom de Docimasie ", parce que nous ne confondons point l'artiste avec le dialecticien. On concevra aisément que quoique tout essai soit une analyse chimique, il ne s'ensuit pas pour cela que l'analyse chimique seule constitue l'essai ; il faut de plus quelques opérations particulieres à la Docimastique, & un appareil tourné du côté de l'exactitude que demande le calcul. Nous lui passerons encore la supposition qu'il fait, qu'on peut avoir l'habitude de connoître les minéraux métalliques à la seule inspection, parce qu'il est convenu (page 72.) que cela n'est pas toûjours possible.

En décrivant ces opérations, nous ferons ensorte que la premiere serve de clé à la suivante ; & c'est sur ces principes que nous commencerons par le plomb. Mais avant que d'essayer une mine de ce métal, il faut l'avoir lotie, au cas qu'on veuille savoir combien un tas de cette mine non triée, ou avec toute sa roche, peut fournir par quintal (voyez LOTISSAGE) ; car il arrive qu'on fait aussi un essai pour savoir ce que contient un quintal de mine lavée ou schlich ; ou bien encore ce que contient un quintal de mine pure. Soit donné pour exemple la mine de plomb à facettes spéculaires, ou de telle autre espece que ce soit, pourvû qu'elle soit fusible : mettez-la en petits morceaux gros comme des grains de chénevi ; pesez-en trois quintaux fictifs (voyez POIDS FICTIFS) ; étendez-les avec les doigts sur un test que vous placerez sous la moufle du fourneau d'essai, couvert d'un autre test qui ne laisse aucun intervalle entre lui & l'inférieur : vous aurez eu la précaution d'allumer le feu par le haut, & vous saisirez l'instant pour placer votre test sous la moufle, où elle n'aura pris qu'un rouge un peu obscur : vous augmenterez le feu jusqu'au point où le test sera au même ton de chaleur, & vous ne le découvrirez que quand la décrépitation de la mine aura cessé. La mine alors paroîtra terne & livide, & parsemée de petites molécules blanches, qui ne sont autre chose que sa roche qui a pris cette couleur. Continuez le même degré de feu pendant deux heures, & la mine sera pour lors d'un jaune grisâtre à sa surface. Retirez-la du feu quand elle sera refroidie ; mettez-la en poudre fine, & lui ajoûtez une partie de flux noir, & une demi-partie de limaille de fer non rouillée, avec autant de fiel de verre : mêlez bien le tout dans le mortier ; chargez-en une tute ou creuset d'essai, dont la moitié reste vuide quand vous l'aurez couvert d'un doigt de sel marin décrépité, que vous tallerez bien : adaptez à ce creuset un couvercle, dont vous lutterez bien les jointures avec de la terre à four : placez ce creuset ainsi chargé, dans la casse d'un fourneau à vent ; couvrez-le de charbons jusqu'à son couvercle ; allumez le feu par le haut avec quelques petits charbons ardens, que vous éloignerez du creuset le plus que vous pourrez : donnez quelques coups de soufflet, afin de rougir médiocrement votre vaisseau : continuez jusqu'à ce que vous entendiez un petit sifflement ; si-tôt que ce bruit sera cessé, soufflez de nouveau, après avoir remis assez de charbon pour excéder le couvercle du creuset de 2 ou 3 doigts. Si le bouillonnement recommençoit, il faudroit couvrir la casse, & cesser de souffler jusqu'à ce qu'il fût passé ; après quoi vous donneriez un bon feu de fonte pendant un quart d'heure ou une petite demi-heure : au bout de ce tems retirez votre creuset du feu, & le frappez de quelques petits coups par le côté, en appuyant vos tenailles de la main gauche sur le couvercle, pour l'empêcher de tomber. Quand il sera refroidi, cassez-le ; son poids vous indiquera la quantité qu'on peut retirer de la mine, si l'essai est bien fait.

Si au lieu d'une mine fusible vous avez à en essayer une réfractaire par les pyrites qu'elle contient, vous pourrez la torréfier à un feu un peu plus fort, à deux ou trois reprises : vous lui ajoûterez égale quantité de fiel de verre & le double de flux noir ; & procéderez, quant au reste, comme pour la mine fusible.

Si c'est une mine réfractaire, en conséquence de terre & de pierre inséparables par le lavage, ajoûtez-lui parties égales de fiel de verre, & trois ou quatre fois son poids de flux noir, que vous mêlerez bien intimement par la trituration, & procéderez ainsi que nous l'avons dit.

On divise la mine de plomb, afin qu'elle perde plus aisément le soufre qui la minéralise : il est pourtant de certaines bornes qu'il ne faut pas passer ; si elle étoit en poudre trop subtile, elle seroit plus sujette à pâter, & le soufre ne se dissiperoit pas si bien. C'est pour éviter cet inconvénient qu'on recommande encore de bien étendre la mine dans le test, afin qu'elle communique par une plus large surface avec l'air, qui est le véhicule des vapeurs. On a la précaution de couvrir ce test d'un autre renversé, ou d'un couvercle, pour empêcher que la mine en décrépitant ne sautille & ne rende l'essai faux ; autrement il s'en perdroit une bonne partie, sur-tout si la roche étoit abondante. J'ai roti quelquefois des mines de plomb si abondantes en soufre, que je voyois sa flamme secher la surface de la mine dans le premier instant que je lavois le test.

Avant que d'allumer le fourneau d'essai, on assujettit bien la moufle sur ses deux barres, & on en lutte l'embouchure avec la porte du foyer, de la grandeur de laquelle elle doit être : on a soin de casser le charbon de la grosseur d'un oeuf de pigeon, sans quoi il ne s'affaisseroit pas également. On allume le feu par le haut pour échauffer lentement : il est bon de passer de tems en tems par l'oeil du fourneau une verge de fer pour remuer le charbon & lui faire remplir les vuides qui peuvent se faire ; on en remet souvent, de crainte qu'une trop grande quantité fournie tout-à-coup ne refroidisse le fourneau & ne dérange l'opération. Si le feu étoit trop vif quand on place le test sur la moufle, on donneroit froid en fermant les soupiraux, jusqu'à ce qu'il fût du degré requis. Il faut tenir ce test d'un rouge obscur, sur-tout au commencement de l'opération, pour empêcher que la mine ne pâte & ne s'y attache ; car si cela arrivoit, il faudroit recommencer l'opération. Quand le soufre s'est dissipé en partie, alors on peut l'augmenter, mais toûjours avec discrétion. M. Cramer conseille de frotter le scorificatoire de sanguine ou de colchothar ; mais cette précaution est inutile quand on est exercé : il ne faut pas s'inquiéter de la présence des grains de sable, peu adhérans à la surface interne du test, que les Fournalistes de Paris saupoudrent pour leur commodité ; ils ne peuvent que se vitrifier avec le plomb : mais la réduction s'en fait pendant la fonte, en même tems que celle des particules vitreuses du fiel de verre. Il est bon d'observer que la mine ne doit être pesée que quand elle a été broyée, parce qu'il s'attache toûjours quelques molécules de la mine au mortier ou au porphyre des essayeurs, quelque polis qu'ils soient l'un & l'autre, ou qu'il s'en détache toûjours quelques petites molécules qui sautent de côté & d'autre ; ce qui rend l'essai faux. Il faut encore avoir un soin tout particulier à n'employer aucun vaisseau qui puisse porter dans l'essai une matiere étrangere, à moins qu'on ne se soucie peu de l'exactitude en pareille circonstance, ou qu'on soit sûr du résultat du corps qu'on essaye ; car les phénomenes peuvent être tous différens, en conséquence du nouveau corps introduit. Si l'on pese la mine de plomb rotie, on trouve que le poids est le même qu'avant de la griller, quelquefois plus foible, & quelquefois plus fort, quoiqu'elle ait cependant perdu une bonne quantité de soufre. Le même phénomene arrive encore au plomb calciné : quelques personnes attribuent l'augmentation de cette gravité spécifique au rapprochement des parties ; mais il me paroît qu'il est plus raisonnable de croire qu'elle est dûe à la surabondance de phlogistique qu'il prend dans cet état, quoiqu'il semble qu'il l'ait perdu. Mais la différence de combinaison produit celle de l'état : on voit une augmentation de poids dans le fer qu'on a réduit en acier, en le mettant dans un creuset tout seul, & fermant bien ce creuset ; & l'on voit en même tems qu'une surabondance de phlogistique n'est pas toûjours la cause d'une plus grande fusibilité, quoique combinée de la façon requise, comme il y a toute apparence.

Il n'y a nul inconvénient à faire plusieurs torréfactions à la fois, pourvû que ce soit des mines qui ne demandent pas des degrés de feu fort différens : on peut placer sous la moufle autant de scorificatoires qu'elle en peut contenir, observant de mettre vers son fond ceux qui demandent un plus grand feu, ou bien employant les instrumens (voyez MOUFLE), s'ils exigent tous un feu doux, ou mettant des charbons allumés dans le canal de tole du fourneau, ou à l'embouchure même de la moufle du fourneau (voyez la figure), auquel cas il n'est pas necessaire de l'allumer, la chaleur de la moufle suffisant pour cela. La matiere de chaque test veut être remuée avec un crochet particulier, qu'il faut placer dans le même ordre que les scorificatoires, afin que celle de l'un ne passe point dans l'autre, & réciproquement : la couleur terne de la mine annonce la dissipation d'une partie de son soufre ; quand il l'a perdue presque toute, alors il est d'un gris tirant sur le jaune.

On réduit en poudre fine la mine torréfiée, afin que chaque petite molécule de plomb soit, pour ainsi dire, environnée de plusieurs molécules de flux ; ce qui est nécessaire à la réduction. Voyez FLUX. On y ajoûte le flux noir pour lui donner un réductif avec un fondant, parce que le plomb qui a perdu son phlogistique avec son soufre se vitrifieroit, au lieu de paroître sous la forme métallique. Le fiel de verre sert à donner de la fusibilité au flux noir, beaucoup plus réfractaire que lui : la limaille de fer sert à absorber le soufre qui peut rester, & l'on ne doit pas craindre qu'elle préjudicie à l'essai ; le fer pur ou sulphuré ne peut contracter d'union avec le plomb. Peu importe que le fer entre en fonte, il n'en absorbe pas moins le soufre ; & d'ailleurs ce minéral le rend fusible, outre que le flux noir produit le même effet. Sans l'addition de la limaille la mine ne se convertiroit point en plomb, elle se précipiteroit à-peu-près dans le même état qu'on l'a mis calciner, ou bien le bouton seroit caverneux & blanc comme de l'argent, parce qu'il naîtroit de l'union du soufre de la mine & de l'alkali du flux, un foie de soufre, qui est le dissolvant des métaux, qui corroderoit l'extérieur du culot. M. Cramer met deux parties de flux noir contre une de mine ; ce qui est inutile, quoiqu'il n'y ait aucun inconvénient d'en mettre plus que moins. Une tute (voyez ce mot) est préférable au creuset à pié ordinaire, ou au creuset triangulaire sans pié, parce que son couvercle y entre comme un bouchon, & n'est pas si aisé à déranger que celui des creusets à piés, que le moindre charbon délute quelquefois. Sans compter que le feu dilatant plus le creuset que le couvercle, & faisant sécher le lut, il arrive que celui-ci est forcé d'abandonner le couvercle, qui ne ferme plus exactement pour lors, & laisse consumer une partie de la matiere charbonneuse du flux : il faut sécher les creusets avant que d'y mettre la matiere à réduire. Les sels qu'on employe dans les essais doivent être bien secs aussi ; c'est souvent faute d'avoir pris cette précaution que le creuset se délute : le même inconvénient doit arriver à ces artistes qui employent le flux crud au lieu du flux noir, pendant la détonation duquel il s'éleve des vapeurs épaisses capables de faire sauter le couvercle. C'est par la même raison qu'il faut faire décrepiter le sel marin, avant que d'en couvrir la matiere de l'essai ; & il est étonnant que M. Cramer, qui est convaincu de la nécessité de faire bien sécher tous ces fondans, laisse à ce sel toute son humidité. Il est inutile d'y en mettre une couche de quatre doigts, selon que le prescrit cet auteur ; un seul suffit pour garnir la matiere subjacente du contact de l'air : il n'est pas non plus nécessaire que le creuset reste les deux tiers vuides ; quand on sait gouverner le feu, deux doigts de bords sont tout ce qu'il faut : ainsi l'on ne doit pas cesser de faire une opération de cette espece, parce qu'on n'aura que des creusets dont le vuide ne pourra être plus considérable.

On peut faire plusieurs réductions d'une même fournée, comme plusieurs scorifications, pourvû que les degrés de feu soient les mêmes ; on doit même faire plus d'un essai à la fois de la même mine, afin de choisir celui qui aura le mieux réussi : pour cet effet on retire les creusets du feu, à quelque tems les uns des autres, & l'on se détermine pour les deux qui approchent le plus l'un de l'autre, en même tems qu'ils s'éloignent davantage des extrèmes.

Il est évident que c'est, pour échauffer peu-à-peu les creusets, qu'on allume le feu par le haut : en éloignant les charbons ardens des creusets, on fait en une seule fois ce que M. Cramer fait en deux, en prenant la peine d'en sécher le lut avant que de les mettre dans le fourneau. Quand la réduction se fait, elle est accompagnée d'une effervescence qui produit le sifflement qu'on entend, pendant lequel il faut ralentir l'action du feu, si l'on ne veut que la matiere souleve le couvercle & passe par-dessus les bords du creuset.

Cet inconvénient peut arriver même quelques minutes après que le bouillonnement est cessé, si l'on redonne tout d'un coup un feu trop fort. On a des indices que la matiere s'est répandue, par une flamme bleue & violette, & qui a odeur de foie de soufre : il faut bien se garder de la confondre avec la flamme jaunâtre, mêlée d'une fumée un peu épaisse & sentant legerement l'hépar, qu'on voit toûjours quand on fait une réduction, ou qu'en général l'on allume un fourneau. Ce phénomène vient des vapeurs sortant du creuset à-travers son lut, & sa cessation annonce la précipitation du régule : il ne faut cependant pas croire que l'opération doive être recommencée toutes les fois que la matiere surmonte les bords du creuset ; si cet accident n'arrive que sur la fin de la réduction, & que la matiere perdue ne soit pas en grande quantité, l'essai peut très-bien se trouver de même poids que ceux qui ont bien réussi, parce que ce n'est souvent que le sel marin, mêlé d'un peu de flux, qui s'est répandu.

En frappant le creuset de quelques petits coups, après qu'il a été retiré du feu, on a pour but d'achever de précipiter les petits grains métalliques qui peuvent être nichés dans les scories, pour les faire revenir au culot principal.

Il faut laisser refroidir le creuset de lui même, car si on le plongeoit dans l'eau, on trouveroit des grains de régule épars dans les scories ; & si on le cassoit encore chaud, on risqueroit de mettre en même tems le régule en morceaux.

L'opération est bien faite quand les scories n'ont point touché au couvercle ni passé à-travers son lut ; quand on n'y trouve point de molécules régulines ; que le culot est lisse, livide & malléable ; que les scories sont compactes, excepté dans leur milieu. Une scorie spongieuse & parsemée de grains métalliques, & un culot caverneux, ou même ressemblant encore à la mine, indiquent que le feu n'a été ni assez long ni assez fort : au contraire on est certain qu'il a été trop violent, quand le régule est d'un blanc brillant, quoique ce phénomène arrive encore en conséquence de ce que le flux n'étoit pas assez réductif, & étoit trop caustique, & quand il est recouvert d'une croûte scorifiée. Il m'est arrivé quelquefois de trouver toute blanche la masse du sel marin fondue qui surnage les scories salines : mais ce phénomène n'a rien de mauvais en soi ; l'essai est tout aussi exact de cette façon que d'une autre, pourvû que cet inconvénient soit arrivé seul. On peut l'attribuer à ce que le sel marin, qui n'est noirci que par le flux noir, a perdu cette couleur par l'accès de l'air qui a donné lieu à la matiere charbonneuse de se consumer & de se dissiper.

Cette opération peut également se faire dans l'aire d'une forge sur laquelle on imite avec des pierres ou des briques la casse d'un fourneau à vent.

M. Cramer préfere en cette circonstance le fourneau de fusion, animé par le jeu de l'air, à celui qui l'est par le vent du soufflet ; parce que, dit-il, on est plus le maître du feu dans celui-là que dans celui-ci ; mais je crois que c'est tout le contraire. Quand on a un bon soufflet double, on peut donner un feu très-vif dans un fourneau à vent, & le ralentir à volonté ; au lieu qu'un fourneau de fusion est souvent construit de façon qu'on ne peut le fermer exactement, ni par le haut ni par le bas.

On peut réduire la mine de plomb grillée, en la stratifiant avec les charbons. Ce travail est un modele de ce qui se passe en grand dans le fourneau à manche. On prend pour cet effet un quintal fictif de mine rotie, dont chaque livre soit d'une demi-once, un quart d'once ou un gros. On le met lit sur lit avec du charbon dans le fourneau de fusion (voy. les fig.) garni de son bassin de réception, accommodé avec de la brasque pesante, & accompagné d'un second catin ; la derniere couche doit toûjours être de charbon. On a la précaution de mettre la mine du côté opposé à la tuyere, afin qu'elle ne puisse être refroidie par le vent du soufflet. Il est bon d'avertir que les deux catins de réception doivent être sechés avant, au moins pendant une heure.

Il n'est point de plomb dans la nature qui ne contienne de l'argent. Souvent la quantité en est assez considérable, pour qu'on puisse l'affiner avec bénéfice dans les travaux en grand. On ne se donne pas cette peine quand le produit n'est pas capable de défrayer de la dépense. Soit donné le régule précédent, dont on veut connoître la quantité de fin. Prenez une coupelle capable de passer le culot en question ; vous le connoîtrez à ce qu'elle pesera la moitié de son poids : placez-la sous la moufle du fourneau d'essai, où vous aurez allumé le feu comme nous l'avons dit : faites-la évaporer pendant le tems requis. Il faut la tenir renversée, de crainte qu'il ne tombe dedans quelques corps étrangers, qu'on n'en retireroit peut-être qu'en détruisant son poli. Mettez dessus le régule de plomb séparé de ses scories, & après avoir abattu ses angles à coups de marteau, de peur qu'il n'endommage la cavité de la coupelle. Le plomb ne tarde pas à entrer en fonte ; il bout & il fume ; il lance des étincelles lumineuses ; & l'on voit sa surface continuellement recouverte d'une petite pellicule qui tombe vers les bords, où elle forme un petit cercle dont le plomb est environné à-peu-près comme une rose l'est de son chaton. Cette pellicule, qui n'est autre chose que de la litharge, s'imbibe dans la coupelle à mesure qu'elle s'y forme. Tant que le plomb n'est pas trop agité, trop bombé, & que ses vapeurs qui lechent sa surface s'élevent assez haut, il faut soûtenir le feu dans le même état ; mais s'il est trop convexe, & que la fumée du plomb s'éleve jusqu'à la voûte de la moufle, c'est une preuve qu'il est trop fort, & qu'il faut donner froid. Si le bouillonnement au contraire étoit peu considérable, & qu'il parût peu de vapeurs, ou point du tout, il faudroit donner chaud, pour empêcher que l'essai ne fût étouffé ou noyé. Voyez ces mots.

A mesure que le régule diminue, il faut hausser le feu, parce que le même degré n'est plus en état de tenir l'argent en fonte, qui est moins fusible que le plomb. S'il contient de l'argent, son éclat se convertit en des iris qui croisent continuellement & rapidement sa surface en tous sens, ce qu'on appelle circuler. La litharge pénetre la coupelle, & le bouton de fin paroît & fait son éclair (voy. ECLAIR). Sitôt que le feu n'est pas assez fort pour le tenir fondu, on le laisse un peu refroidir sous la moufle, & ensuite à son embouchure, parce que si on le retire si-tôt qu'il est passé, il se raréfie en vessie (voy. ÉCARTEMENT). Quand on s'apperçoit qu'il doit être figé, on le souleve de dessus la coupelle, parce que si on attendoit qu'il fût froid, on en emporteroit un morceau avec lui.

Cette opération prend le nom d'affinage, soit qu'elle se fasse pour connoître si la quantité d'argent que le plomb contient, peut être affinée avec bénéfice, ou à dessein de connoître quelle est la quantité d'argent que contient le plomb grenaillé qu'on employe aux essais, à laquelle on donne le nom de grain de plomb, de grain de fin, ou de témoin (voyez ces mots). Si on fait l'affinage dans un cendré, ou grande coupelle, on se sert des fourneaux qu'on trouvera dans nos Pl. Voyez leur explication.

Il est essentiel de donner chaud sur la fin, pour occasionner la destruction totale du plomb, dont il ne manquera pas de rester une petite quantité dans l'argent, qui induiroit en erreur. Il est vrai que quand le bouton est tant-soit-peu considérable, il est assez sujet à en retenir quelque portion dont on le dépouille par le raffinage, lequel détruira en même tems le cuivre qui peut s'y trouver.

Le raffinage de l'argent n'est que la repétition de l'opération que nous venons de détailler, excepté qu'on y ajoûte du plomb granulé à diverses reprises. Voyez RAFFINAGE.

L'affinage & le raffinage en grand, sont précisément les mêmes qu'en petit. On peut retirer par la coupelle l'argent de quelques-unes de ses mines, en les torréfiant avec parties égales de litharge, si elles sont de fusion difficile, les pulvérisant, leur ajoûtant huit fois autant de plomb granulé, si elles sont douces, ou le double, si elles sont rebelles. On met d'abord la moitié de la grenaille, à laquelle on ajoûte la mine rotie par fractions. Le coupelage se fait comme nous l'avons mentionné.

Si l'argent contient de l'or, on le précipite & on le coupelle en même tems. On les sépare au moyen du départ. Voyez ce mot & INQUART.

La mine de cuivre pyriteuse, sulphureuse, & arsénicale, se traite par la torréfaction & la précipitation, comme celle de plomb ; avec cette différence, qu'il faut la rotir jusqu'à trois fois en la triturant à chaque fois pour faire paroître de nouvelles surfaces, & achever de la dépouiller de son soufre & de son arsenic : comme ces matieres facilitent la fonte de la mine, il faut donner peu de feu au commencement du grillage, de crainte qu'elle ne se grumelle, sur-tout quand la mine est douce ; auquel cas l'opération dure le double de tems. On ajoûte un peu de graisse sur la fin pour achever de dissiper le reste du soufre, & empêcher que le cuivre ne devienne irréductible par la perte totale de son phlogistique.

Si la mine contient beaucoup de cuivre, la poudre en sera noirâtre : elle sera d'autant plus rouge, qu'elle sera mêlée d'une plus grande quantité de fer. Mêlez cette poudre avec égal poids d'écume de verre, & quatre fois autant de flux noir : mettez le tout dans un creuset, & avec les précautions que nous avons dit, vous aurez un culot demi-malléable, ordinairement noirâtre, & quelquefois blanchâtre, qu'on appelle communément cuivre noir.

On purifie ce cuivre noir en le mettant sur un test avec un quart de plomb granulé, s'il n'en contient point. On lui donne un feu capable de le faire bouillir legerement. Le cuivre est raffiné quand on apperçoit sa surface pure & brillante ; mais comme on ne peut savoir au juste quelle est la quantité de cuivre fin qu'on devoit retirer, parce que le plomb en a détruit une partie, il faut compter une partie de cuivre détruite par douze de plomb. Tels sont à-peu-près les rapports qu'on a découverts là-dessus.

On raffine encore le cuivre noir en le mettant au creuset avec égale quantité de flux noir : on le pile avant, & on le torréfie plusieurs fois, s'il est extrêmement impur.

On vient à bout de délivrer ainsi le cuivre de toute matiere étrangere, excepté de l'or & de l'argent, qui demandent une opération particuliere qu'on appelle liquation. Voyez cet article.

Nous transcrirons ici la méthode de M. Cramer, pour tirer l'étain de sa mine. Après l'avoir séparée de ses pierres & terres par le lavage, mettez en six quintaux dans un test ; couvrez-le, & le placez sous une moufle embrasée ; découvrez-le quelques minutes après. Il n'en est pas de cette mine, comme de celle de cuivre & de plomb dont on a parlé ; elle ne pâte point à la violence du feu : si-tôt que les fumées blanches disparoîtront, & que l'odeur d'ail, qui est celle de l'arsenic, ne se fera plus sentir, ôtez le scorificatoire : la mine étant refroidie, grillez-la une seconde fois, jusqu'à ce que vous ne sentiez plus d'odeur arsenicale, après l'avoir retirée. L'odorat est beaucoup meilleur juge que la vûe en ces sortes d'occasions. Si vous craignez d'être incommodé en respirant sur le test, couvrez-le d'une lame de fer épaisse & froide, & la retirez avant qu'elle ait eu le tems de s'y échauffer : elle sera couverte d'une vapeur blanchâtre, si la mine contient encore quelque peu d'arsenic.

On réduit cette mine rotie comme celle du plomb, excepté qu'on lui ajoûte un peu de poix.

On ne trouve presque jamais de mine d'étain sulphureuse : c'est au moyen de l'arsenic que ce métal est minéralisé, & pour lors la mine en est blanche principalement, demi-diaphane, & ressemble en quelque façon, quant à l'extérieur, à un spath ou à une stalactite blanche : elle est obscure quand il s'y trouve du soufre ; mais la quantité de ce minéral ne mérite pas d'entrer en considération auprès de celle de l'arsenic. Comme l'arsenic entraîne avec lui beaucoup d'étain, à l'aide du feu, qui le calcine rapidement, détériore le reste, & le réduit en un corps aigre & demi métallique ; il est essentiel d'en dépouiller sa mine par la torréfaction, le plus qu'il est possible. Il est à observer que ce métal se détruit en d'autant plus grande quantité & d'autant plus aisément, que sa mine supporte mieux la violence du feu, sans se réunir en masse. Alors il est irréductible, & se convertit en une scorie assez réfractaire, au lieu de se réduire. Il faut ajoûter à cela que l'étain provenant d'une mine à laquelle on a donné la torture par le feu, n'est jamais si bon que quand il n'a éprouvé du feu que le degré convenable de durée & d'intensité. On peut vérifier cette doctrine avec le bon étain réduit : alors on reconnoîtra qu'il devient d'autant plus chétif, qu'il est calciné & réduit plus de fois, & qu'on le traite à un feu plus fort, plus long, & plus pur. Voyez ETAIN.

On ne peut donc guere compter sur l'exactitude d'un essai fait par la réduction & précipitation dans les vaisseaux fermés de tout métal destructible au feu, & de l'étain sur-tout. Il est bien rare qu'un artiste, quelque exercé qu'il soit, qui répetera plusieurs fois ce procédé, retire des culots d'égal poids de la même mine, quoique réduite en poudre, exactement mêlée. La mine ou la chaux d'étain sont assez réfractaires, quand il s'agit de les réduire, & ont conséquemment besoin d'un grand feu. L'étain au contraire se détruit au même feu qui l'a réduit. On peut juger en quelque façon si une mine d'étain est riche ou pauvre, ou si elle tient un milieu entre ces deux états ; mais cela n'est presque pas possible à une livre près ; car on n'a aucun signe, pendant l'opération, qui indique si la précipitation est faite ; ensorte que l'on n'a de ressource que dans les conjectures. Il faut se rappeller à ce sujet les indices qui ont été donnés de l'issue de l'opération du plomb, qui est la même que celle-ci. D'ailleurs le flux salin, dont l'effet est de faciliter la scorification, n'a de matiere sur laquelle il puisse agir, que l'étain lui-même, vû qu'on sépare de sa mine les matieres terrestres qui y adherent, avec beaucoup plus de soin & d'exactitude que de toute autre mine. Il n'est donc pas étonnant que le flux attaque promtement l'étain, & le vitrifie en conséquence de la dissipation du phlogistique, occasionné par un feu continué beaucoup plus long-tems qu'il ne convient, sans compter que l'étain devient d'autant plus mauvais, qu'il est exposé plus long-tems à l'ardeur du feu. Néanmoins on peut juger de l'exactitude ou de l'inexactitude de l'opération par la perfection ou l'imperfection des scories salines, la dissémination des grains métalliques dans ces scories ou par les scories, provenant du métal détruit & réductible qui se trouve principalement dans le voisinage du culot. On peut inférer de tout ce qui vient d'être dit, qu'il faut avoir recours à une autre méthode par laquelle on puisse voir ce qui se passe dans les vaisseaux pendant l'opération. Elle consiste à placer un creuset dans un fourneau de fusion, à y jetter en deux ou trois fois rapprochées, quand il sera d'un rouge de cerise, le mêlange de mine & de flux, & de le recouvrir ; quelques minutes après, on en éloigne les charbons avant que de le découvrir. Alors si l'on voit le flux en fonte bien liquide & bouillant paisiblement sans écume, il faut l'ôter & le laisser refroidir. On le casse pour en avoir le culot.

La mine de fer se grille comme celle du plomb, mais plus fortement, & on la torréfie une seconde fois. On la mêle exactement avec trois parties de flux, composé d'une partie de verre pilé, d'une demi-partie de fiel de verre & de poussiere de charbon : on couvre le tout de sel commun. On place le creuset dans le fourneau à vent : on le casse quand il est refroidi pour en avoir le culot.

Quoique la torréfaction enleve la plus grande partie du soufre & de l'arsenic à la mine de fer, néanmoins il en passe encore dans le bouton une quantité qui l'aigrit. C'est pour lui enlever ces dernieres portions qu'on mêle aux mines de fer des absorbans terreux dans les travaux en grand, & qu'on forge ensuite la fonte, comme aussi pour lui enlever la terre non métallique qu'elle contient. Cet article est de M. DE VILLIERS.


ESSAIMS. m. (Hist. nat. Insectolog.) volée d'abeilles qui sortent d'une ruche ou d'un tronc d'arbre pour aller se loger ailleurs ; c'est ce qu'on appelle un essaim ou un jetton. Les essaims quittent la ruche en différens tems, relativement à la température du climat ou de la saison. Dans ce pays-ci c'est au plûtôt à la mi-Mai, & au plus tard après la mi-Juin. On sait qu'une ruche est en état d'essaimer, c'est-à-dire de donner un essaim, lorsqu'on y voit des abeilles mâles que l'on nomme faux-bourdons. S'il y a une très-grande quantité d'abeilles dans une ruche, & si on en voit une partie qui se tienne au-dehors contre la ruche ou sur le support, il est à croire qu'il en sortira un essaim ; mais ce signe est équivoque : la plus grande certitude est lorsque les abeilles ne sortent pas de la ruche pour aller dans la campagne en aussi grand nombre qu'à l'ordinaire, alors on peut compter sur un essaim pour le jour même.

Dans les ruches qui doivent bien-tôt essaimer, il se fait pour l'ordinaire un bourdonnement le soir & pendant la nuit ; quelquefois dans la même circonstance on n'entend, même en écoutant de près, que des sons clairs & aigus qui semblent n'être produits que par l'agitation des aîles d'une seule mouche. Ordinairement les essaims ne paroissent pas avant les dix ou onze heures du matin, ni après les trois heures du soir, selon l'exposition de la ruche. La chaleur que les mouches y produisent par leur grand nombre étant augmentée par l'ardeur du soleil, oblige l'essaim à sortir ; quelques heures d'un tems chaud & couvert ne sont pas moins efficaces pour cet effet, qu'un coup de soleil très-chaud : au contraire des jours trop froids pour la saison empêchent la sortie des essaims. Lorsque l'essaim est prêt à prendre l'essor, il se fait un grand bourdonnement dans la ruche, & plusieurs mouches en sortent : mais l'essaim ne subsisteroit pas s'il ne s'y trouvoit une reine, c'est-à-dire une abeille femelle. Dès qu'elle quitte la ruche, elle est suivie d'un grand nombre d'abeilles ouvrieres, & en moins d'une minute toutes celles qui doivent composer l'essaim s'élevent en l'air avec la reine, elles voltigent, & quelques-unes se posent sur une branche d'arbre pour l'ordinaire, d'autres s'y rassemblent ; la reine se tient à quelque distance de ce grouppe, & s'y joint lorsqu'il a grossi à un certain point. Alors toutes les abeilles s'y réunissent bien-tôt ; & quoiqu'elles soient à découvert, elles y restent en se tenant cramponées les unes aux autres par les jambes : on ne voit voltiger autour du grouppe, qu'autant de mouches qu'il s'en trouve autour d'une ruche dans un tems chaud : mais lorsqu'il n'y a point d'abeille femelle dans un essaim, il revient bien-tôt à l'ancienne ruche.

S'il ne se trouve pas auprès des ruches quelques arbres nains auxquels les essaims puissent s'attacher, s'il n'y a que des arbres élevés, l'essaim prend son vol si haut & va si loin qu'il est souvent difficile de le suivre. Le meilleur moyen pour l'arrêter, est de jetter en l'air du sable ou de la terre en poudre qui retombe sur les mouches, & les oblige à descendre plus bas & à se fixer. On est aussi dans l'usage de frapper sur des chauderons ou des poëles, sans doute pour effrayer les abeilles par ce bruit comme elles le sont par celui du tonnerre, qui les fait retourner à leur ruche lorsqu'elles se trouvent dans la campagne, mais il ne paroît pas que le bruit des chauderons fasse beaucoup d'impression sur les abeilles, car celles qui sont sur des fleurs ne les quittent pas à ce bruit.

Lorsque le soleil n'est pas trop ardent, on peut mettre l'essaim dans une ruche une demi-heure après qu'il est rassemblé, & que ses plus grands mouvemens ont été calmés ; on peut aussi attendre jusqu'à une heure ou deux avant le coucher du soleil. Mais si l'essaim étoit exposé à ses rayons, il pourroit changer de place, & se mettre dans un lieu où il seroit plus difficile à prendre : dans ce cas il n'y a pas de tems à perdre. Lorsqu'il se trouve fixé sur une branche d'arbre peu élevée, il est aisé de le faire passer dans une ruche. On la renverse, & on la tient de façon que l'ouverture soit sous l'essaim, on secoue la branche qui le soûtient, & il tombe dans la ruche ; il suffit même que la plus grande partie de l'essaim y entre dès qu'on a retourné la ruche & qu'on l'a posée à terre près de l'arbre, le reste y vient bientôt. Mais si plusieurs mouches retournoient sur la branche où étoit l'essaim, il faudroit la frotter avec des feuilles de sureau & de rue dont elles craignent l'odeur, y attacher des paquets de ces herbes, ou enfin y faire une fumigation avec du linge brûlé, pour faire fuir les mouches & les obliger à aller dans la ruche.

Lorsque l'essaim est sur un arbre si élevé ou dans des branches si touffues qu'on ne puisse pas en approcher la ruche, on le fait tomber sur une nappe, & on l'enveloppe pour le descendre ; en développant la nappe, on pose la ruche sur l'endroit où il se trouve le plus de mouches, & par des fumigations on oblige les autres, s'il est nécessaire, à entrer dans la ruche. On peut aussi emporter l'essaim en coupant la branche à laquelle il tient, les mouches ne se disperseront pas si on attend pour cette opération que le soleil soit couché. Lorsque l'essaim est entré dans le trou d'un arbre ou d'un mur, on peut en retirer les mouches avec une cuillere, & les jetter dans la ruche ; elles y restent, sur-tout si c'est le soir dans un tems frais.

Pour engager les abeilles à demeurer dans la ruche où on veut loger un essaim, on la frotte avec des feuilles de mélisse ou des fleurs de feves, &c. ou on enduit ses parois avec du miel ou de la creme, mais toutes ces précautions ne sont pas absolument nécessaires ; il est plus important d'empêcher que la ruche ne soit trop exposée au soleil après que l'essaim y est entré, une trop grande chaleur l'en feroit sortir ; c'est pourquoi si elle ne se trouve pas à l'ombre, il faut la couvrir avec une nappe ou des feuillages jusqu'à ce qu'on la transporte dans l'endroit où elle doit rester sur un support, ce qui se fait dans le tems du coucher du soleil ou quelque tems auparavant.

Une mere abeille est en état de conduire un essaim quatre ou cinq jours après qu'elle est métamorphosée en mouche, lorsqu'elle sort de la ruche elle est prête à pondre, & on croit que ses oeufs sont déjà fécondés. Comme il naît chaque année plusieurs abeilles femelles dans une ruche, il s'en rencontre toûjours pour conduire les essaims, & quelquefois il y en a plusieurs dans un seul essaim. S'il s'en trouve deux, il arrive souvent que l'essaim se partage en deux pelotons, dont l'un est beaucoup plus petit que l'autre ; chacun a sa reine, mais les mouches du petit peloton se réunissent peu-à-peu à l'autre, & la reine elle-même les suit & s'y mêle ; mais il ne doit en rester qu'une dans l'essaim, l'autre est bientôt tuée ; s'il y en a plusieurs de surnuméraires elles ont le même sort, & les abeilles ne s'arrangent & ne travaillent dans la ruche qu'après cette exécution. Il s'en fait une semblable dans l'ancienne ruche après que l'essaim est sorti ; s'il s'y trouve plus d'une abeille femelle, il n'en reste qu'une ; on trouve les autres mortes hors de la ruche.

Il sort quelquefois trois ou quatre essaims d'une même ruche, mais le premier est le meilleur ; les autres sont peu nombreux, & la ruche se trouve dépeuplée ; dans ce cas il convient d'en réunir deux dans une seule ruche. Pour empêcher qu'une ruche trop foible ne donne un essaim, ou que plusieurs essaims ne sortent d'une même ruche, on retourne le panier de façon que les parois qui étoient en-arriere se trouvent en-devant : on tâche par ce moyen de les engager à remplir de gâteaux le vuide qui étoit avant ce déplacement contre les parois postérieures de la ruche ; car les mouches commencent toûjours par garnir celles de devant : on exhausse aussi la ruche en l'allongeant par le bas, afin de donner un nouvel espace pour l'emplacement des gâteaux ; mais ces expédiens sont fort incertains.

Quelquefois deux ruches donnent en même tems chacune un essaim, & ces deux essaims se réunissent ensemble : on peut les mettre dans une même ruche s'ils ne sont pas trop gros ; on peut aussi les séparer en faisant tomber partie du grouppe qu'ils forment dans une ruche, & partie dans une autre. S'il y a une mere dans chaque ruche, les essaims réussiront ; mais s'il n'y en a point dans l'une des ruches, il faut nécessairement réunir le tout, & le partager de nouveau jusqu'à ce qu'il se trouve une mere dans chaque essaim ; pour cela on fait entrer toutes les mouches dans une seule ruche, & ensuite on en fait tomber une partie dans une autre ; on est sûr qu'il y a une mere dans chacune, lorsque les mouches s'y arrangent & y travaillent.

Il y a des essaims qui ne pesent qu'une livre, ils sont très-foibles ; car le poids des médiocres est de quatre livres, les bons doivent peser cinq livres, & les excellens six livres : on en a vû un qui pesoit jusqu'à huit livres & demie. On sait par expérience que cinq mille mouches pesent environ une livre.

Dès-qu'un essaim est dans une ruche où il se trouve bien, les mouches y font des gâteaux quoiqu'elles y paroissent en repos ; & dès le lendemain, si le tems est favorable, on en voit sortir pour aller dans la campagne ; quelquefois en moins de vingtquatre heures elles ont formé des gâteaux de plus de vingt pouces de longueur sur sept à huit pouces de largeur. Elles nettoyent aussi la ruche, & en ôtent tout ce qui leur déplaît, elles bouchent les ouvertures qui ne leur sont pas nécessaires, avec une espece de résine rougeâtre qu'on appelle propolis. Un essaim peut donner un autre essaim dans la même année ; mais cela n'arrive pour l'ordinaire dans les environs de Paris que l'année suivante. Mémoires pour servir à l'hist. des insect. tom. V. voyez ABEILLE, RUCHE, PROPOLIS. (I)


ESSALERv. act. (Font. salante) c'est une opération qui se fait sur la poesle, peu avant que de la mettre entierement au feu. On prend de la muire qui provient des égouttures du sel formé : cette muire est forte & gluante ; on en arrose la poesle, tandis que le feu s'allume dessous ; elle forme avec la chaux dont la poesle est enduite, une espece de mastic qui empêche les coulis. Cette précaution s'appelle essaler. Voyez l'article SALINE.


ESSARTER(Jard.) Voyez DEFRICHER.


ESSARTS(LES) Géog. mod. petite ville de Poitou en France.


ESSAYERIES. f. (Art méch.) c'est dans les souls des monnoies l'attelier où se font les essais.


ESSAYEURsubst. m. (à la Monnoie) officier de monnoie qui fait l'essai & reconnoît le titre des métaux que l'on veut employer, ou qui ont été fabriqués. C'est sur le rapport de l'essayeur général des monnoies de France, & sur celui de l'essayeur particulier de Paris, que la cour juge si les pieces fabriquées sont au titre prescrit ; & sur leur rapport, en cas d'écharseté, on procede à condamnation.


ESSES. f. (Carrier.) c'est un marteau courbé & formant le croissant ; il sert à sous-élever les pierres. Le picot à deux pointes des mêmes ouvriers, ne differe de l'esse qu'en ce qu'il est double.


ESSEAUS. m. (Ouvriers en bois) c'est une petite hache recourbée, à l'usage des Tabletiers, des Charpentiers, des Menuisiers, &c.

ESSEAU, (Couv.) petit ais qu'on employe dans la couverture des toîts. Voyez BARDEAU.


ESSEDUMS. m. (Hist. anc.) espece de chariot en usage chez les Belges & d'autres peuples des Gaules ; il étoit à deux roues, & tiré par deux chevaux ou deux mulets, marchant l'un à la queue de l'autre. On s'en servoit à la guerre. Les combattans appellés Essedains étoient debout dans leur essedum. Les gens du peuple, les personnes distinguées voyageoient dans cette voiture ; on y mettoit indistinctement & des hommes & des bagages ; on en conduisoit dans les triomphes ; on en fit courir dans les cirques ; on en fit même monter par des gladiateurs, d'où ils combattoient.


ESSEINS. m. (Comm.) mesure de continence pour les grains, dont on se sert à Soissons.

Le muid de blé, mesure de Soissons, est composé de douze septiers, & le septier de deux esseins. Il faut trente-huit esseins pour faire le muid mesure de Paris, mais seulement pour le blé. (G)


ESSEK(Géog. mod.) ville du comté de Walpon dans l'Esclavonie, en Hongrie ; elle est située sur la Drave. Long. 36. 30. lat. 45. 36.


ESSELIERS. m. chez les Brasseurs, c'est une des pieces du faux-fond d'une de leurs cuves : cette piece est à côté de la maîtresse piece, dans laquelle il y a un trou quarré, pour passer une pompe qui va jusqu'au fond de la cuve. Voyez l'article BRASSEUR.

ESSELIER, chez les Charpentiers, c'est un lieu qui lie l'arbalêtrier avec l'entrait. Voyez ENTRAIT.


ESSEN(Géog. mod.) ville de la Westphalie en Allemagne, Long. 24. 42. lat. 51. 25.


ESSENCES. f. (Métaph.) c'est ce que l'on conçoit comme le premier & le plus général dans l'être & ce sans quoi l'être ne seroit point ce qu'il est. Pour trouver l'essence d'une chose, il ne faut faire attention qu'aux qualités qui ne sont point déterminées par d'autres, & qui ne se déterminent pas réciproquement, mais en même tems qui ne s'excluent pas l'une l'autre. Le nombre des trois côtés & l'égalité de ces côtés, font l'essence du triangle équilatéral : 1°. parce que ces deux qualités peuvent co-exister : 2°. elles ne se déterminent point non plus l'une l'autre ; du nombre de trois ne résulte point l'égalité des lignes, ni vice versâ : 3°. elles ne sont point déterminées par d'autres qualités antérieures ; car on ne sauroit rien concevoir dans la formation du triangle équilatéral, qui soit antérieur au nombre & à la proportion des lignes : 4°. enfin sans elles on ne sauroit se représenter l'être. S'il y a plus ou moins de trois côtés, ce n'est plus un triangle ; si les côtés sont inégaux, ce n'est plus un triangle équilatéral.

L'essence de l'être une fois connue, suffit pour démontrer la possibilité intrinseque ; car l'essence comprend la raison de tout ce qui est actuellement dans l'être, ou de tout ce qui peut s'y trouver. Les qualités essentielles étant supposées, entraînent à leur suite les attributs, & ceux-ci donnent lieu aux possibilités des modes. Voyez ATTRIBUT, MODE.

Cette notion de l'essence est adoptée par tous les philosophes ; la diversité de leurs définitions n'est qu'apparente. François Suarez, l'un des plus profonds & des plus subtils scholastiques, définit l'essence, primum radicale & intimum principium omnium actionum ac proprietatum quae rei conveniunt (Tom. I. disp. ij. sect. 4.). Et expliquant ensuite sa définition conformément aux principes d'Aristote & de saint Thomas d'Aquin, il dit que l'essence est la premiere chose que nous concevons convenir à l'être, & qu'elle constitue l'être. Il ajoûte que l'essence réelle est celle qui n'implique aucune répugnance, & qui n'est pas une pure supposition arbitraire. On voit bien qu'il est aisé de ramener ces idées à la nôtre. Descartes s'en tint à ce que ses maîtres lui avoient appris là-dessus : una est, dit-il, cujusque substantiae praecipua proprietas quae ipsius naturam essentiamque constituit, & ad quam omnes aliae referuntur. Princip. philosoph. part. I. La chose en quoi & les Scholastiques & Descartes se sont trompés, c'est en affirmant si positivement qu'une seule propriété étoit la base de toutes les autres, & faisoit l'essence de l'être. Il peut y avoir & il y a pour l'ordinaire plus d'une qualité essentielle. Le nombre n'en est point fixe, & s'étend, comme nous l'avons dit, à toutes celles qui ne sont supposées par aucune autre, & qui ne supposent pas réciproquement.

De cette même notion des essences, il est aisé d'en déduire l'éternité & l'immutabilité. L'idée des essences arbitraires est une source de contradictions. Les essences des choses consistent, comme nous l'avons vû, dans la non-repugnance de leurs qualités primitives. Or il est impossible que des qualités une fois reconnues pour non-répugnantes, ayent jamais été ou puissent se trouver dans une opposition formelle. La possibilité de leur co-existence est donc nécessaire, & cette possibilité n'est autre chose que l'essence. Celle d'un triangle rectiligne, par exemple, consiste en ce qu'il ne répugne pas que trois lignes droites, dont deux prises ensemble sont plus grandes que la troisieme, se joignent de maniere qu'elles renferment un espace. Dira-t-on que le contraire est également possible, ou même qu'il peut devenir impossible que les trois lignes supposées soient propres à renfermer un espace ? Pour le soûtenir, il faut convenir qu'une chose peut être & ne pas être à la fois. Il est donc, il a été, & il sera à jamais nécessaire que trois lignes droites soient propres à renfermer un espace ; & voilà tout ce que nous prétendons quand nous disons que l'essence du triangle ou de toute autre figure est nécessaire. De même quand une créature, telle que l'homme, n'auroit jamais existé, son essence n'en seroit pas moins nécessairement possible, & Dieu n'auroit pû lui donner l'actualité sans cette possibilité antérieure d'essence. Ce n'est point limiter la puissance de Dieu, que de la renfermer dans les bornes du possible. Un pouvoir qui s'étend à tout ce qui n'implique point de contradiction, est un pouvoir infini ; car tout le reste est un pur néant, & le néant ne sauroit être l'objet d'une puissance active. Voyez DEFINITION, ELEMENS. Cet article est de M. FORMEY.

ESSENCE, (Pharm.) on donne ce nom à différentes préparations qu'on a regardées comme possédant éminemment la vertu médicamenteuse du simple dont elles étoient tirées.

Mais ce nom n'a jamais eu, en Pharmacie, une signification bien déterminée ; car on la donne indifféremment à des teintures, à des huiles essentielles, à de simples dissolutions, &c. Voy. HUILE ESSENTIELLE, TEINTURE.

Les Alchimistes se sont aussi servi quelquefois du mot essence, mais plus communément de celui de quintessence. Voyez QUINTESSENCE. (b)

ESSENCE D'ORIENT, (Joaillerie) nom donné par les ouvriers à la matiere préparée, avec laquelle on colore les fausses perles. Voyez PERLES FAUSSES.

On retire cette matiere des écailles du petit poisson qu'on appelle able. Voyez ABLE.

Vous trouverez sous ce mot tout ce qui regarde l'essence d'Orient. Nous ajoûterons uniquement que cette dénomination lui convient mal, puisqu'elle n'est pas plus essence ni liqueur, que ne l'est un sable extrêmement fin ou du talc pulvérisé, délayé avec de l'eau. Il est vrai qu'on ne peut bien la retirer des écailles de l'able qu'en les lavant, & que pour être employée, elle demande nécessairement, comme beaucoup de terres à peindre, à être mêlée avec de l'eau : mais néanmoins si on l'observe avec une bonne loupe, on la distinguera facilement du liquide dans lequel elle nage, & l'on s'assûrera que loin d'être liquide, elle n'est qu'un amas d'une infinité de petits corps ou de lames fort minces régulierement figurées, & dont la plus grande partie sont taillées quarrément.

Quoiqu'on employe à dessein des broyemens assez forts pour enlever ces lames des écailles, on ne les brise, ni on ne les plie ; du moins n'en découvre-t-on point qui soient brisées ou pliées ; & suivant les observations de M. de Reaumur, ces petites lames paroissent au microscope à-peu-près égales, & toûjours coupées en ligne droite dans leur grand côté. L'argent le mieux bruni n'approche pas, dit-il, de l'éclat que ces petites lames présentent aux yeux, aidés du microscope.

Il résulte de-là, qu'étant minces & taillées régulierement, elles sont très-propres à s'arranger sur le verre, & à y paroître avec le poli & le brillant des vraies perles : enfin elles cedent aisément au plus leger mouvement, & semblent dans une agitation continuelle, jusqu'à ce qu'elles soient précipitées au fond de l'eau. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ESSENIENSS. f. pl. (Théol.) secte célebre parmi les anciens Juifs.

L'historien Josephe parlant des différentes sectes de sa religion, en compte trois principales, les Pharisiens, les Saducéens, & les Esséniens ; & il ajoûte que ces derniers étoient originairement Juifs : ainsi S. Epiphane s'est trompé en les mettant au nombre des sectes samaritaines. On verra par ce que nous en allons dire, que leur maniere de vivre approchoit fort de celle des philosophes pythagoriciens.

Serarius, après Philon, distingue deux sortes d'Esséniens ; les uns qui vivoient en commun, & qu'on appelloit Practici ; les autres qu'on nommoit Theoretici, & qui vivoient dans la solitude & en contemplation perpétuelle. On a encore nommé ces derniers Thérapeutes, & ils étoient en grand nombre en Egypte. On a aussi nommé ces derniers Juifs solitaires & contemplatifs ; & quelques-uns pensent que c'est à l'imitation des Esséniens que les Coenobites & les Anachoretes dans le Christianisme, ont embrassé le genre de vie qui les distingue des autres Chrétiens. Grotius prétend que les Esséniens sont les mêmes que les Assidéens. Voyez ASSIDEENS.

De tous les Juifs, les Esséniens étoient ceux qui avoient le plus de réputation pour la vertu ; les Payens mêmes en ont parlé avec éloge ; & Porphyre dans son traité de l'abstinence, liv. IV. §. 11. & suiv. ne peut s'empêcher de leur rendre justice : mais comme ce qu'il en dit est trop général, nous rapporterons ce qu'en ont écrit Josephe & Philon le Juif, infiniment mieux instruits que les étrangers de ce qui concernoit leur nation, & d'ailleurs témoins oculaires de ce qu'ils avancent.

Les Esséniens fuyoient les grandes villes, & habitoient dans les bourgades. Leur occupation étoit le labourage & les métiers innocens ; mais ils ne s'appliquoient ni au trafic, ni à la navigation. Ils n'avoient point d'esclaves ; mais se servoient les uns les autres. Ils méprisoient les richesses, n'amassoient ni or ni argent, ne possédoient pas même de grandes pieces de terre, se contentant du nécessaire pour la vie, & s'étudiant à se passer de peu. Ils vivoient en commun, mangeant ensemble, & prenant à un même vestiaire leurs habits qui étoient blancs. Plusieurs logeoient sous un même toît : les autres ne comptoient point que leurs maisons leur fussent propres ; elles étoient ouvertes à tous ceux de la même secte, car l'hospitalité étoit grande entr'eux, & ils vivoient familierement ensemble sans s'être jamais vûs. Ils mettoient en commun tout ce que produisoit leur travail, & prenoient grand soin des malades. La plûpart d'entr'eux renonçoient au mariage, craignant l'infidélité des femmes & les divisions qu'elles causent dans les familles. Ils élevoient les enfans des autres, les prenant dès l'âge le plus tendre pour les instruire & les former à leurs moeurs. On éprouvoit les postulans pendant trois années, une pour la continence, & les deux autres pour le reste des moeurs. En entrant dans l'ordre ils lui donnoient tout leur bien, & vivoient ensuite comme freres ; ensorte qu'il n'y avoit entr'eux ni pauvres ni riches. On choisissoit des économes pour chaque communauté.

Ils avoient un grand respect pour les vieillards, & gardoient dans tous leurs discours & leurs actions une extrême modestie. Ils retenoient leur colere ; ennemis du mensonge & des sermens, ils ne juroient qu'en entrant dans l'ordre ; & c'étoit d'obéir aux supérieurs, de ne se distinguer en rien, si on le devenoit ; ne rien enseigner que ce que l'on auroit appris ; ne rien celer à ceux de sa secte ; n'en point révéler les mysteres à ceux de dehors, quand il iroit de la vie. Ils méprisoient la Logique comme inutile pour acquérir la vertu, & laissoient la Physique aux Sophistes & à ceux qui veulent disputer ; parce qu'ils jugeoient que les secrets de la nature étoient impénétrables à l'esprit humain. Leur unique étude étoit la Morale, qu'ils apprenoient dans la loi, principalement les jours de sabbat, où ils s'assembloient dans leurs synagogues avec un grand ordre. Il y en avoit un qui lisoit, un autre qui expliquoit. Tous les jours ils observoient de ne point parler des choses profanes avant le lever du Soleil, & de donner ce tems à la priere : ensuite leurs supérieurs les envoyoient au travail ; ils s'y appliquoient jusqu'à la cinquieme heure, ce qui revient à onze heures du matin : alors ils s'assembloient & se baignoient ceints avec des linges ; mais ils ne s'oignoient pas d'huile, suivant l'usage des Grecs & des Romains. Ils mangeoient dans une salle commune, assis en silence ; on ne leur servoit que du pain & un seul mets. Ils faisoient la priere devant & après le repas ; puis retournoient au travail jusqu'au soir. Ils étoient sobres, & vivoient pour la plûpart jusqu'à cent ans. Leurs jugemens étoient séveres. On chassoit de l'ordre celui qui étoit convaincu de quelque grande faute, & il lui étoit défendu de recevoir des autres mêmes la nourriture ; ensorte qu'il y en avoit qui mouroient de misere : mais souvent on les reprenoit par pitié. Il n'y avoit des Esséniens qu'en Palestine, encore n'y étoient-ils pas en grand nombre, seulement quatre mille ou environ : au reste c'étoient les plus superstitieux de tous les Juifs, & les plus scrupuleux à observer le jour du sabbat & les cérémonies légales ; jusque-là qu'ils n'alloient point sacrifier au temple, mais y envoyoient leurs offrandes, parce qu'ils n'étoient pas contens des purifications ordinaires. Il y avoit entr'eux des devins qui prétendoient connoître l'avenir par l'étude des livres saints, jointe à certaines préparations : ils vouloient même y trouver la medecine & les propriétés des racines, des plantes & des métaux. Ils donnoient tout au destin, & rien au libre-arbitre ; étoient fermes dans leurs résolutions, méprisoient les tourmens & la mort, & avoient un grand zele pour la liberté, ne reconnoissant pour maître & pour chef que Dieu seul, & prêts à tout souffrir plûtôt que d'obéir à un homme. Ce mêlange d'opinions sensées, de superstitions, & d'erreurs, fait voir que quelque austere que fût la morale & la vie des Esséniens, ils étoient bien au-dessous des premiers chrétiens. Cependant quelques auteurs, & entr'autres Eusebe de Césarée, ont prétendu que les Esséniens appellés Thérapeutes étoient réellement des chrétiens ou des juifs convertis par S. Marc, qui avoient embrassé ce genre de vie. Scaliger soûtient, au contraire, que ces Thérapeutes n'étoient pas des chrétiens, mais des Esséniens qui faisoient profession du Judaïsme. Quoi qu'il en soit, il admet les deux sortes d'Esséniens dont nous avons déjà parlé. Mais M. de Valois dans ses notes sur Eusebe, rejette absolument toute distinction. Il nie que les Thérapeutes fussent véritablement Esséniens ; & cela principalement sur l'autorité de Philon, qui ne leur donne jamais ce nom, & qui place les Esséniens dans la Judée & la Palestine : au lieu que les Thérapeutes étoient répandus dans l'Egypte, la Grece, & d'autres contrées. Josephe, de bell. Jud. lib. II. antiquit. lib. XIII. cap. jx. & lib. XVIII. cap. ij. Eusebe, lib. II. cap. xvij. Serarius, lib. III. Fleury, hist. ecclés. liv. I. pag. 7. & suiv. Dictionn. de Moréry & de la Bible. Voyez THERAPEUTES. (G)


ESSEQUEBE(Géog. mod.) riviere de la Guiane dans l'Amérique septentrionale ; ses bords sont habités par des Sauvages.


ESSERen termes de Cloutier d'épingle, c'est choisir la grosseur du fil qu'on veut employer par le moyen d'une mesure, dans laquelle on le fait entrer. Voyez ESSE.


ESSERES. f. (Med.) c'est une espece de gale, que Fallope appelle volante : elle paroît subitement en différentes parties du corps, en forme de petites tumeurs sous la peau, comme celles qui sont produites par la piquûre des orties, & cause des demangeaisons insupportables. Sydenham, qui en parle aussi, dit qu'elle survient dans tous les tems de l'année, & qu'elle est sur-tout occasionnée par l'usage des vins atténuans, ou des liqueurs spiritueuses de semblable qualité. La maladie commence, selon cet auteur, par une petite fievre, qui est d'abord suivie d'éruptions pustuleuses presque par tout le corps, qui rentrent & se cachent sous la peau, pour reparoître bientôt après avec une cuisson excessive qui se fait sentir après que la demangeaison a forcé à se gratter.

Cette gale paroît être la même que le sora ou sare des Arabes, dont Sennert traite dans sa pratique, lib. VI. part. I. cap. xxvj.

Pour ce qui est de la cause de cette sorte d'éruption, voyez EXEMTHEME, GALE.

Quant à la cure, elle consiste dans une diete rafraîchissante & tempérante, après avoir fait précéder la saignée & la purgation, qui doivent être répétées selon le besoin ; on doit dans cette affection cutanée, éviter toute sorte d'application sur la peau. Turner. (d)


ESSERET LONGoutil de Charron ; c'est un morceau de fer long d'environ deux ou trois piés, rond, de la circonférence d'un pouce par en-haut, & par en-bas formant un demi-cercle en-dedans, tranchant des deux côtés, un peu recourbé par en-bas, formant une petite cuiller, qui sert aux Charrons à percer des trous dans des pieces de bois épaisses. Cet outil est emmanché avec un morceau de bois percé dans sa longueur, ce qui forme une espece de croix. Voyez la Planche du Charron.

ESSERET court, outil de Charron : cet outil est fait comme l'esseret long, & ne sert aux Charrons que pour faire des trous dans des pieces de bois moins épaisses. Voyez la Planche du Charron.


ESSERRERc'est-à-dire, en termes de Pêche, haler à terre la pinne d'une seinne.


ESSETTEoutil de Charron, de Couvreur, de Charpentier, de Tonnelier, & autres ouvriers en bois ; c'est un morceau de fer courbé par un côté, & droit de l'autre, dont le côté courbé est applati & tranchant, large environ de six pouces, & l'autre côté est rond fait en tête comme un marteau : au milieu de ce morceau de fer est une douille enchâssée & rivée dans l'oeil qui est au milieu de l'essette ; l'on fixe dans cette douille un manche d'environ un pié & demi, plus gros du côté de la poignée que du côté de la douille. Cet outil sert aux Charrons à dégrossir & charpenter le bois qu'ils ont à employer. Voyez la Planche du Charron. L'essette des Couvreurs est comme une petite herminette à marteau ; elle leur sert à hacher les bois. Ils en ont une autre avec laquelle ils arrachent les clous de l'ardoise, lorsqu'on veut découvrir ou faire des recherches. Quant à l'essette des Tonneliers, c'est un marteau dont la tête est ronde, & qui se termine de l'autre côté en un large tranchant de fer acéré, qui se recourbe du côté du manche qui est de bois. Cet outil sert à arrondir l'ouvrage en-dedans.


ESSEX(Géog. mod.) province maritime d'Angleterre. Colchester en est la capitale.


ESSIEUS. m. (Méchan.) appellé aussi chez les anciens cathete, est la même chose qu'axe. Voyez AXE & CATHETE.

On ne se sert plus de ce terme qu'en parlant des roues, pour désigner la ligne autour de laquelle elles tournent ou sont censées tourner. Voyez ROUE.

Essieu dans le tour, c'est la même chose qu'axe dans le tambour. Voyez ce mot. Voyez aussi TOUR, TREUIL, CABESTAN.

Les anciens Géometres François, par exemple Descartes dans sa Géometrie, donnent le nom d'essieu à l'axe des courbes. Voyez AXE & COURBE. (O)

ESSIEU, (Charron) c'est en général une piece de bois de charronage qu'on débite & qu'on envoye en grume. Les essieux sont pour l'ordinaire d'orme, & quelquefois de charme. Il y en a de fer.


ESSIMERv. act. (Fauconnerie) c'est ôter la graisse excessive d'un oiseau par diverses cures, & l'amaigrir ; c'est comme si on disoit essuimer, ôter le suif ; c'est aussi le mettre en état de voler, lorsqu'on l'a dressé, ou qu'il sort de la mue.


ESSOGNou ESSONGNE, s. f. (Jurisprud.) est un droit ou devoir seigneurial dû par les héritiers ou successeurs du défunt aux seigneurs dans la censive desquels il possédoit des héritages au jour de son décès. Ce terme vient de sonniata, qui dans la basse latinité signifie procuration sonniere, seu hospitio excipere, procurare. Dans la suite ce terme fut pris pour la prestation qui se payoit au lieu du droit de procuration.

Ce droit est d'un ou deux deniers parisis en quelques endroits, c'est de douze en d'autres : c'est d'autant, ou du double, ou de la moitié du cens annuel. Voyez le procès-verbal de la coûtume de Reims.

Le droit de meilleur catel usité dans les Pays-bas a quelque rapport à ce droit d'essogne ; l'un & l'autre sont une suite du droit de main-morte. Comme les seigneurs prétendoient avoir les biens de leurs sujets décédés, on les rachetoit d'eux moyennant une certaine somme. Voyez le Glossaire de M. de Lauriere, au mot essongne. (A)


ESSONNIERS. m. terme de Blason, double orle qui couvre l'écu dans le sens de la bordure. C'étoit autrefois une enceinte où l'on plaçoit les chevaux des chevaliers, en attendant qu'ils en eussent besoin pour le tournoi. Il y avoit dans cette enceinte des barres & des traverses pour les séparer les uns des autres. Dict. de Trévoux.


ESSORS. m. (Gram.) l'action de l'oiseau partant librement pour s'élever dans les airs. On l'a transporté au figuré, & l'on dit d'un auteur qui a débuté hardiment, qu'il a pris son essor ; d'un poëte qui commence avec liberté, qu'il prend son essor : on dit aussi l'essor du génie, &c.


ESSORANTparticip. pres. en terme de Blason se dit des oiseaux qui n'ouvrent les aîles qu'à demi pour prendre le vent, & qui regardent le soleil.

Gauthiot au Comté de Bourgogne, d'azur au Gautherot, oiseau essorant d'argent, armé & couronné d'or.


ESSORÉpart. passé, en termes de Blason, se dit de la couverture d'une maison ou d'une tour, quand elle est d'un autre émail que celui du corps du bâtiment.

Grog ou Leszoye en Pologne, de gueules à une couverture de grains de quatre pieux d'argent, essorée d'or.


ESSORER(s') (Fauconnerie) c'est prendre l'essor trop fort, mauvaise qualité dans un oiseau de proie.

ESSORER, Jardinage. On se sert de ce mot pour exprimer ce qu'il convient de faire à des oignons de fleur qui sortent de terre. Cela veut dire qu'il faut les étendre sur un plancher, les y laisser s'essuyer, & se sécher avant que de les serrer dans des boîtes. (K)

ESSORER les peaux, terme de Chamoiseur ; c'est les faire sécher sur des cordes, dans un endroit qu'on appelle un étendoir. Voyez ETENDOIR. Voyez l'article CHAMOISEUR.


ESSOURISSERv. act. (Manége) opération dont très-peu d'auteurs font mention, & qui consiste, selon ceux qui en ont parlé, dans l'extirpation d'un polype dans le nez du cheval. Voyez POLYPE. La raison de cette dénomination n'est autre chose que la dénomination même du polype qu'ils ont jugé à propos d'appeller la souris. (e)


ESSUIS. m. (Art méc.) il se dit en général d'un lieu destiné à faire sécher. Les Tanneurs ont leur essui ; les Chamoiseurs, les Papetiers ont le leur.


ESTS. m. en Cosmographie, est l'un des points cardinaux de l'horison, celui où le premier vertical coupe l'horison, & qui est éloigné de 90 degrés du point nord ou sud de l'horison. Voyez ORIENT, POINTS CARDINAUX, HORISON, &c.

Pour trouver la ligne & les points d'est & d'oüest, Voyez LIGNE MERIDIENNE.

Le vent d'est est celui qui souffle du point d'est. Voyez VENT. Il s'appelle en latin Eurus, & en italien Levante, vent de levant.

Le sud-est souffle entre le sud & l'est, à 45 degrés de ces points, le nord-est à 45 degrés du nord & de l'est, &c. Voyez VENT, RHUMB. (O)


ESTACADES. f. terme de Riviere, file de pieux moisés, assemblés & couronnés, pour empêcher les glaces d'entrer dans un bras de riviere, où l'on a mis les bateaux à l'abri. Il y en a une à la tête de l'île Louvier.


ESTADOUS. m. en terme de Tabletier Cornetier, est une espece de scie à deux lames, entre lesquelles il n'y a de distance que celle que l'on veut mettre entre les dents du peigne. Cet instrument est monté sur un fût de bois dont le manche est droit, & la partie qui contient ces lames, un peu courbée. L'estadou sert, comme on peut le voir, à ouvrir les dents d'un peigne.


ESTAIN(Géog. mod.) ville du duché de Bar, en France. Long. 23. 18. lat. 49. 15.

ESTAINS, s. m. pl. ou CORNIERES, (Marine) sont deux pieces de bois qui par leur courbure, forment une espece de doucine ; elle prend sa naissance sur l'étambot, à l'élévation des façons de l'arriere, & va aboutir aux extrémités de la lisse de hourdi. Voyez MARINE, Planche IV. fig. 1. n°. 12.

Les estains sont unis à l'étambot & aux extrémités de la lisse de hourdi par des entailles & de grands clous chassés par-dehors, & comme ils font par leur réunion une varangue fort acculée avec une portion des genoux du couple extrême de l'arriere, leur dimension est pareille à celle des autres varangues. Par exemple dans un vaisseau de 176 piés de long sur 48 piés de large, l'estain a d'épaisseur sur le droit un pié deux pouces six lignes ; largeur sur le tour au pié, un pié trois pouces ; largeur sur le tour au bout d'en-haut, un pié un pouce.

Dans des vaisseaux de 151 piés de long sur 40 de large, l'estain aura d'épaisseur sur le droit 11 pouces cinq lignes de largeur ; sur le tour au pié, 10 pouces huit lignes de largeur ; sur le tour au bout d'en-haut, six piés 10 lignes, & ainsi à proportion de la force du vaisseau.


ESTAIRE(Géog. mod.) ville des Pays-bas ; elle est située sur la Lis.


ESTALAGESS. m. pl. (Forges) partie du fourneau des grosses forges. Voyez l'article GROSSES FORGES.


ESTAMBOTvoyez ETAMBOT.


ESTAMES. f. (Comm.) Le fil d'estame qui s'appelle aussi fil d'estaim, est un fil de laine, plus tors qu'à l'ordinaire, qu'on employe à fabriquer des bas, des bonnets, des gans, soit au tricot, soit au métier. Les gans, les bas, les bonnets, &c. faits de ce fil, s'appellent gans d'estame, bas d'estame.


ESTAMESS. m. (Comm.) petites étoffes de laine qui se fabriquent à Châlons-sur-Marne. Leur largeur doit être sur le métier d'une aulne sept huitiemes, & de trois quarts & demi, au retour du foulon.


ESTAMOYS. m. Les Vitriers appellent ainsi un ais sur lequel est attachée une plaque de fer, où l'on fait fondre la soudure & la poix-résine.


ESTAMPES. f. (Gravure) On appelle estampe, une empreinte de traits qui ont été creusés dans une matiere solide. Pour parvenir à m'expliquer plus clairement, je vais remonter à la Gravure, comme à la cause dont l'estampe est l'effet ; & j'employerai dans cette explication les secours généraux qui m'ont été fournis par M. Mariette. Cet illustre amateur travaille à l'histoire de la Gravure, & à celle des fameux artistes qui ont gravé. Cet ouvrage, dont on peut juger d'avance par les connoissances de l'auteur, nous fournira sans doute des matériaux pour enrichir un second article que nous donnerons au mot GRAVURE, comme un supplément nécessaire à celui-ci.

Pour produire une estampe, on creuse des traits sur une matiere solide ; on remplit ces traits d'une couleur assez liquide pour se transmettre à une substance souple & humide, telle que le papier, la soie, le vélin, &c. On applique cette substance sur les traits creusés, & remplis d'une couleur détrempée. On presse, au moyen d'une machine, la substance qui doit recevoir l'empreinte, contre le corps solide qui doit la donner ; on les sépare ensuite, & le papier, la soie ou le vélin, dépositaires des traits qui viennent de s'y imprimer, prennent alors le nom d'estampe.

Cette manoeuvre (dont j'ai supprimé les détails, pour les réserver aux places qui leur sont destinées, telles que les articles IMPRESSION, GRAVURE, &c.) suffit pour faire entendre d'une maniere générale ce que signifie le mot estampe ; mais comme il y a plusieurs sortes d'estampes, & que l'art de les produire, par une singularité très-remarquable, est moderne, tandis que la Gravure a une origine si ancienne qu'on ne peut la fixer, je vais entrer dans quelques détails.

On ne peut douter de l'ancienneté de la Gravure, puisque, sans parler d'une infinité de citations & de preuves de toutes especes, les ouvrages des Egyptiens, qui existent encore, sur-tout leurs obélisques ornés de figures hyéroglifiques gravées, sont des preuves incontestables que cet art étoit en usage chez un des peuples les plus anciens qui nous soient connus. Il est même vraisemblable que pour fixer l'origine de cet art, il faudroit remonter à l'époque où les premiers hommes ont cherché les moyens de se faire entendre les uns aux autres sans le secours des sons de la voix. La premiere espece d'écriture a été sans doute un choix de figures & de traits marqués & enfoncés sur une matiere dure, qui pût, en résistant aux injures de l'air, transmettre leur signification ; & si cette conjecture est plausible, de quelle ancienneté ne peut pas se glorifier l'art de graver ? Cependant l'un de ses effets (le plus simple, & en même tems le plus précieux), l'art de multiplier à l'infini par des empreintes, les traits qu'il sait former, ne prend naissance que vers le milieu du XV. siecle. Les Italiens disent que ce fut un orfévre de Florence, nommé Maso ou Thomas Finiguerra, qui fit cette découverte. Les Allemands prétendent au contraire que la petite ville de Bockholt dans l'évêché de Munster, a été le berceau de l'art des estampes : ils nomment celui à qui l'on doit l'honneur de cette découverte ; ce fut, à ce qu'ils assûrent, un simple berger appellé François. Ce qui paroît certain, c'est que de quelque côté qu'elle soit venue, elle fut uniquement l'effet du hasard. Mais si l'industrie des hommes se voit ainsi humiliée par l'origine de la plus grande partie de ses plus singulieres inventions, elle peut s'enorgueillir par la perfection rapide à laquelle elle conduit en peu de tems les moyens nouveaux dont le hasard l'enrichit.

Un orfévre ou un berger s'apperçoit que quelques traits creusés sont reproduits sur une surface qui les a touchés, il ne faut pas trois siecles pour que toutes les connoissances humaines s'enrichissent par le moyen des estampes. Ce court espace de tems suffit pour que chacun des hommes qui s'occupent de sciences & d'arts, puissent joüir à très-peu de frais de tout ce qui a existé de plus précieux avant lui dans le genre qu'il cultive. Enfin c'en est assez pour que d'avance on prépare à ceux qui nous suivront un amas presqu'intarissable de vérités, d'inventions, de formes, de moyens qui éterniseront nos Sciences, nos Arts, & qui nous donneront un avantage réel sur les anciens.

En effet, comme on ne peut pas douter que des routes par lesquelles les idées parviennent à notre conception, celle de la vûe ne soit la plus courte, puisqu'il est certain que les explications les plus claires parviennent plus lentement à notre esprit que la figure des choses décrites ; combien serions-nous plus instruits sur les miracles de l'antiquité, si à leurs ouvrages ils avoient pû joindre des cartes géographiques, les plans de leurs monumens, la représentation des pieces détaillées de leurs machines, enfin des portraits & les images des faits les plus singuliers ? Cependant il est nécessaire, comme on le sent aisément, que les secours que l'on tire des estampes pour ces différens objets, soient fondés sur la perfection de leur travail ; ce qui les soûmet à l'art de la Peinture dont elles font partie.

L'estampe peut donc aussi se définir une espece de peinture, dans laquelle premierement on a fixé par des lignes le contour des objets ; & secondement l'effet que produisent sur ces objets les jours & les ombres qu'y répand la lumiere. Le noir & le blanc sont les moyens les plus ordinaires dont on se sert ; encore le blanc n'est-il que négativement employé, puisque c'est celui du papier qu'on a soin de réserver pour tenir lieu de l'effet de la lumiere sur les corps.

Cette lumiere dans la nature frappe plus ou moins les surfaces, en raison de leur éloignement du point dont elle part & se répand.

Il résulte de-là que les surfaces les plus éclairées sont indiquées sur l'estampe par le blanc pur : celles qui sont moins lumineuses, y sont représentées foiblement obscurcies par quelques traits legers ; & ces traits qu'on appelle tailles, deviennent plus noirs, plus pressés ou redoublés, à mesure que l'objet doit paroître plus enveloppé d'ombre, & plus privé de lumiere. On sentira aisément par cette explication, que cette harmonie qui résulte de la lumiere & de sa privation (effet qu'en terme de Peinture on appelle clair-obscur), & la justesse des formes, sont les principes de la perfection des estampes, & du plaisir qu'elles causent. L'on croira aisément aussi que les deux couleurs auxquelles elles sont bornées, les privent de l'avantage précieux & du secours brillant que la peinture tire de l'éclat & de la diversité du coloris ; cependant l'art des estampes, en se perfectionnant, a fait des efforts pour vaincre cet obstacle, qui paroît insurmontable. L'adresse & l'intelligence des habiles artistes ont produit des especes de miracles, qui les ont fait franchir les bornes de leur art.

En effet, les excellens graveurs qu'ont employés Rubens, Vandeyck & Jordans, se sont distingués par leurs efforts dans cette partie. Si l'impossibilité absolue les a empêchés de présenter la couleur locale de chaque objet, ils sont parvenus du moins, par des travaux variés, & analogues à ce qu'ils vouloient représenter, à faire reconnoître la nature de la substance des différens corps. Les chairs représentées dans leurs ouvrages, font naître l'idée de la peau, des pores, & de ce duvet fin dont l'épiderme est couvert. La nature des étoffes se distingue dans leurs estampes ; on y démêle non-seulement la soie d'avec la laine, mais encore dans les ouvrages où la soie est employée, on reconnoît le velours, le satin, le taffetas. Représentent-ils un ciel ? leurs travaux en imitent la legereté, les eaux sont transparentes. Enfin il ne faut que s'arrêter sur les belles estampes de ces graveurs, & sur celles de Corneille Vischer, d'Antoine Masson, des Nanteuils, des Drevets, & de tant d'autres, pour avoüer que l'art des estampes a été porté à la plus grande perfection.

Pour approfondir davantage cet art, il faudroit en décomposer les moyens, décrire les outils, diviser les especes de productions. Cette division s'étendroit & dans l'exécution méchanique dépendante des matieres qu'on employe, & dans les genres de gravure, qui sont les routes différentes qu'on peut prendre dans une exécution raisonnée & sentie. Mais il me semble que ces choses appartiennent plus directement à la cause qu'à l'effet ; ainsi nous dirons à l'article GRAVURE, ce qui pourra donner une idée plus exacte de ces détails ; sans oublier dans l'article IMPRESSION, ce que l'opération d'imprimer produit de différence sur les estampes, pour leur plus ou moins grande perfection.

J'ajoûterai à cette occasion que l'estampe regardée comme le produit de l'impression, s'appelle épreuve : ainsi l'on dit d'une estampe mal imprimée, c'est une mauvaise épreuve ; on le dit aussi d'une estampe dont la planche est usée, ou devenue imparfaite. Article de M. WATELET.

* ESTAMPE, (Gram.) outil quelquefois d'acier, dans lequel il faut distinguer trois parties, la tête, la poignée, & l'estampe. L'estampe est la partie convexe ou concave qui donne à la piece que l'on estampe la forme qu'elle a ; la poignée est la partie du milieu que l'ouvrier tient à sa main en estampant, & la tête est celle sur laquelle il frappe pour donner à la piece la forme de l'estampe.

ESTAMPE QUARREE, outil d'Arquebusier ; c'est un morceau de fer exactement quarré, sur lequel on plie un morceau de fer plat, auquel on pratique des côtés quarrés. Pour cet effet on pose l'estampe sur l'enclume ; on met une plaque de fer rouge dessus, & l'on frappe avec un marteau à main, jusqu'à ce que la plaque de fer soit pliée en deux.

ESTAMPE, en terme d'Eperonnier, est un poinçon de fer qui a quelque grosseur, dont l'extrémité arrondie sert à amboutir les fonceaux ou autres pieces sur l'amboutissoir. Voyez FONCEAUX, AMBOUTIR, AMBOUTISSOIR. Voyez la figure 2. Planc. de l'Eperonnier.

ESTAMPE, outil d'Horloger ; c'est en général un morceau d'acier trempé & revenu, couleur de paille, auquel on donne différentes figures, selon les pieces que l'on veut estamper. Tantôt on le fait cylindrique, & on lui donne peu d'épaisseur, pour estamper des roues de champ ou des roues de rencontre : tantôt on le fait quarré & un peu long, pour pouvoir estamper des trous quarrément : enfin, comme nous l'avons dit, sa figure varie selon les différens usages auxquels on veut l'employer. Voyez ROUE DE CHAMP, ROUE DE RENCONTRE, &c. & la fig. 70. Planche XVI. de l'Horlogerie. (T)

ESTAMPE, (Manége, Maréchall.) instrument dont les Maréchaux se servent pour percer, c'est-à-dire pour estamper les fers qu'ils forgent, & qu'ils se proposent d'attacher aux piés des chevaux. Cet instrument n'est autre chose qu'un morceau de fer quarré d'environ un pouce & demi, & d'un demi-pié de longueur, fortement acéré par le bout, lequel est formé en pyramide quarrée, tronquée d'un tiers, ayant pour base la moitié de la longueur qui lui reste. On doit en acérer la tête, non-seulement pour assûrer la durée de cet outil, mais encore pour mettre à profit toute la percussion du marteau. Quand la tête n'est point acérée, une partie du coup se perd en l'écachant, & l'estampure en est moins franche. Communément au tiers inférieur de sa longueur est un oeil dans lequel est engagé un manche dont s'arme la main gauche du maréchal qui doit estamper, tandis que de l'autre il est occupé à frapper sur l'estampe avec le févretier. Voyez FORGER. (e)

ESTAMPE, en terme d'Orfévre en grosserie, est encore une plaque de fer gravée en creux de quarrés continus, sur laquelle on frappe la feuille d'argent dont on veut couvrir le bâton d'une crosse, &c. On appelle cet outil poinçon à feuilles, plus ordinairement qu'estampe.

ESTAMPE, en terme de Raffineur de sucre, n'est autre chose qu'une poignée de sucre qu'on mastique dans le fond d'une forme à vergeoise. Voyez VERGEOISE & ESTAMPER.

ESTAMPE, Broquette estampée, terme de Cloutier ; c'est la plus forte de toutes les broquettes : il y en a de deux sortes ; la premiere, qui pese deux livres le millier ; & l'autre, qui va de deux livres & demie à trois livres le millier. Voyez BROQUETTE.

Ces sortes de broquettes ont la tête hémisphérique : on fait ces têtes avec une estampe qui est au poinçon, qui, au lieu d'être aigu, a une cavité de la forme & grandeur que l'on veut donner aux têtes. Voyez la figure 26. Planche du Cloutier.


ESTAMPERv. act. Voyez l'article ESTAMPE.

ESTAMPER, terme de Chapelier ; c'est passer sur les bords des chapeaux l'outil qu'on appelle piece, afin d'en ôter les plis, & en faire en même tems sortir tout ce qui pourroit y être resté d'eau. Cette opération se fait sur la fouloire, dans le moment que le chapeau vient d'être dressé & enformé. Voyez PIECE & CHAPEAU. Voyez les Planches du Chapelier.

ESTAMPER, en terme d'Eperonnier ; c'est donner de la profondeur à un morceau de fer plat dont on veut faire un fonceau. On le met sur un cercle aussi de fer, dont les bords de dessus tombent toûjours en se retrécissant vers ceux de dessous ; & par le moyen d'un fer arrondi par le bout, on l'amboutit sur cette estampe.

ESTAMPER, en Horlogerie, signifie donner la figure requise à une piece & à un trou, par le moyen d'une estampe. On appelle estamper un trou quarrément, y faire entrer à coups de marteau une estampe quarrée. On dit encore estamper une roue de champ, pour signifier l'action par laquelle on lui donne la forme qu'elle doit avoir avec une estampe. Voyez ESTAMPE. (T)

* ESTAMPER un fer, (Manége, Maréchall.) c'est y percer & y pratiquer huit trous, quatre de chaque côté, à l'effet de fournir un passage aux lames qui doivent être brochées dans les parois du sabot, & qui sont destinées à maintenir & à fixer d'une maniere inébranlable le fer sous le pié de l'animal. Pour cet effet le maréchal repose le fer chaud sur la bigorne ; il place l'estampe, & en présente la pointe sur les endroits de ce fer qu'il doit percer ; il frappe ensuite de façon que cette pointe s'insinue, & occasionne une élevation en-delà des trous qu'il a commencés, & qu'il acheve en retournant le fer qu'il tient avec des tenailles, & en frappant de nouveau sur toutes les bosses auxquelles ses premiers coups ont donné lieu. Alors l'estampure est prête à recevoir la lame ; ou si elle n'est pas nette, il la perfectionne par le secours d'un poinçon. Voyez FORGER.

Estamper gras, c'est percer les trous très-près du rebord intérieur du fer.

Estamper maigre, c'est le pratiquer près du rebord extérieur.

Quelqu'essentielles que soient ces différences dans la pratique, les Maréchaux ne sont pas fort attentifs sur les cas où il seroit nécessaire de les observer. Voyez FERRURE, FERRER, (e)

ESTAMPER, en terme d'Orfévre en grosserie ; c'est faire le cuilleron d'une cuillere, par le moyen d'une estampe qu'on frappe à coups de marteau dans la cuillere, sur un plomb qui reçoit ainsi qu'elle l'empreinte de l'estampe. Voyez ESTAMPE.

ESTAMPER, en terme d'Orfévre en tabatiere ; c'est former les contours d'une boîte en l'amboutissant sur des mandrins, dans un creux de plomb sur lequel on a imprimé la forme du mandrin qui y est renfermé ; & à grands coups de marteau qu'on frappe sur l'estampe, la matiere pressée entre le plomb & le mandrin, prend la forme de celui-ci. Voyez ESTAMPE & MANDRIN.

ESTAMPER, en terme de Potier ; c'est l'action d'imprimer dans un creux telle ou telle partie d'une piece. Voyez CREUX.

ESTAMPER, en terme de Raffineur, est l'action de mastiquer une poignée de sucre dans le fond d'une batarde, où l'on veut jetter de la vergeoise (voyez VERGEOISE) ; ce sucre y forme par-là une espece de croûte capable de soûtenir l'effet de la matiere. Si la matiere avoit assez de corps, on n'estamperoit point la forme.


ESTAMPES(Géog. mod.) ville de la Beauce, en France ; elle est située sur la Suine. Long. 19. 45. lat. 48. 24.


ESTAMPEURS. m. en terme de Raffineur, est une sorte de pilon de bois, surmonté d'un manche d'environ deux piés & demi. On s'en sert pour estamper les formes où l'on veut faire des vergeoises. Voyez VERGEOISE & ESTAMPER.


ESTAMPOIRESTAMPOIR


ESTAMPURES. f. (Manége, Maréchall.) terme par lequel nous désignons en général tous les trous percés dans un fer de cheval. Une estampure grasse, une estampure maigre. Voyez ESTAMPER. (e)


ESTANCES(Marine) ce sont des pieces de bois ou piliers posés verticalement tout le long des hiloires, & qui soutiennent les barrotins ; ils ont de longueur toute la hauteur qui se trouve entre deux ponts. Voy. Pl. IV. de Marine, fig. 1. n°. 39. estances du fond de cale ; n°. 110. estances d'entre deux ponts ; n°. 135. estances des gaillards.

Estances à taquets, c'est l'estance du fond de cale, figure ci-dessus n°. 39. qui est entaillée à crans pour servir d'échelle, avec une corde à côté qu'on nomme tirevieille.


ESTANG(Géog. mod.) petite ville du bas Armagnac, en France.


ESTANGUEStermes de Monnoyeurs, espece de grandes tenailles, à l'usage de ces ouvriers.


ESTANTparticipe présent, (Jurisp.) du latin stans, terme d'Eaux & Forêts, qui se dit en parlant des bois qui sont debout & sur pié ; on les appelle bois en estant : l'ordonnance de 1669, tit. xvij. art. v. défend au garde-marteau de marquer, & aux officiers de vendre aucuns arbres en estant, sous prétextes qu'ils auroient été fourchés ou ébranchés par la chûte des chablis, mais veut qu'ils soient conservés à peine d'amende arbitraire. (A)


ESTAPLES(Géog. mod.) ville du Boulonnois, dans la Picardie, en France : elle est située à l'embouchure de la Canches. Long. 19. 18' 16" lat. 50. 30". 44'.


ESTAPO(Géog. mod.) ville de la nouvelle Espagne, dans l'Amérique : elle est située à l'embouchure du Tlaluc. Long. 273. 40. Lat. 17. 50.


ESTARKÉ(Géog. mod.) ville du Farsistan, en Perse.


ESTASESS. f. partie du métier d'étoffe de soie. Les estases sont deux pieces de bois de même longueur & grosseur ; elles ont ordinairement trois aunes 1/4 de long sur 6 à 7 pouces en quarré ; elles servent à fixer les quatre piés du métier.


ESTATEURS. m. (Commerce) on nomme ainsi un cessionnaire, c'est-à-dire un négociant qui ayant mal fait ses affaires, fait cession en justice de tous ses biens à ses créanciers.

Quelques-uns croyent que ce nom vient du latin stare, se tenir debout, parce que le cessionnaire doit présenter debout & tête découverte ses lettres de bénéfice de cession. D'autres pensent qu'il est dérivé du verbe ester, ancien terme de Jurisprudence, qui signifioit comparoître personnellement en justice. Dictionn. de Comm. Voyez l'article ESTANT.


ESTAVAYER(Géog. mod.) ville du canton de Fribourg, en Suisse ; elle est située sur le bord oriental du lac de Neufchatel. Long. 24. 30. lat. 46. 46.


ESTAVILLONterme de Gantier ; c'est un morceau de cuir taillé & disposé pour faire un gant.


ESTE(Géog. mod.) petite ville du Padoüan, dans l'état de Venise, en Italie. Longit. 29. 15. lat. 45. 15.


ESTELIou ESTERLIN, s. m. poids d'Orfévre qui pese vingt-huit grains & demi ; c'est la vingtieme partie d'une once. Le marc contient 160 estelins ou esterlins.

On a aussi nommé esterlin une espece de monnoie ancienne, à cause de la figure d'une étoile qui y étoit empreinte.


ESTELLou L'ETOILE, (Géog. mod.) petite ville du royaume de Navarre, en Espagne ; elle est située sur l'Ega. Long. 15. 50. lat. 42. 35.


ESTEPA(Géog. mod.) ville de l'Andalousie, en Espagne ; elle est située sur une montagne. Longit. 13. 25. lat. 37. 10.


ESTERS. f. (Comm.) espece de natte, ou tissu de paille. Les Orientaux les étendent par terre, & se couchent dessus ; ils n'ont point d'autre lit.

Il y a aussi des esters de crin de différentes couleurs avec lesquelles on forme divers compartimens ; celles-là servent à couvrir les matelats de canapés.


ESTERRE(Marine) on se sert de ce terme dans plusieurs endroits de l'Amérique, pour désigner un petit port ou un endroit dans lequel la mer s'enfonçant dans les terres, les petits bâtimens peuvent aborder & se mettre à l'abri.


ESTEVANESTEVAN


ESTHER(Théol.) livre de l'ancien Testament, qui tire son nom de celui d'une fille juive célebre, captive en Perse, que sa beauté éleva jusqu'à la qualité d'épouse d'Assuerus, & au throne de Perse, & qui en cette qualité délivra les Juifs ses compatriotes d'une proscription générale, dans laquelle Aman ministre & favori d'Assuerus vouloit les envelopper. L'histoire de cet évenement fait le sujet du livre d'Esther.

Les critiques sont partagés sur l'auteur du livre d'Esther. S. Augustin, S. Epiphane, & S. Isidore l'attribuent à Esdras, mais Eusebe le croit encore plus récent. Quelques-uns le donnent à Joachim grand-prêtre des Juifs, & petit-fils de Josedech ; d'autres disent que c'est l'ouvrage de la synagogue, à laquelle Mordechaï ou Mardochée écrivoit des lettres pour l'instruire de tous les évenemens contenus dans ce livre.

Mais la plûpart des interprétes hébreux, grecs, latins, &c. l'attribuent à Mardochée lui-même. Elias lévite, dans son mass-hamum, praef. 3. parle de ce sentiment comme incontestable. Il est fondé sur-tout sur le . 20 du ch. jx. du livre d'Esther, où il est dit que Mardochée écrit ces choses & envoie les lettres à tous les Juifs qui sont dispersés dans toutes les provinces, &c. On suppose aussi que la reine Esther y eut quelque part, comme il paroît par le . 29. du même chapitre, où cette princesse & Mardochée écrivent une seconde lettre par ordre d'Assuerus, pour ordonner de solenniser tous les ans la fête appellée purim, c'est-à-dire le jour des sorts, en mémoire de ce que les Juifs avoient été délivrés des sorts qu'Aman avoit consultés pour savoir quel jour devoit être fatal à la nation juive & l'exterminer.

On croit que le livre d'Esther a d'abord été composé en hébreu, puis amplifié par quelque juif helleniste, dont les additions ont été insérées en leur place dans la version grecque, & mises par S. Jérome toutes ensemble à la fin du livre depuis le 24 verset du chapitre X. Origene a cependant conjecturé que toutes ces pieces avoient été autrefois dans le texte hébreu : quoi qu'il en soit, le livre d'Esther étoit compris dans le canon des anciens Juifs. Il n'est cependant point dans quelques anciens canons des Chrétiens, mais il se trouve dans le concile de Laodicée & dans plusieurs autres. S. Jérome a rejetté hors du canon des livres sacrés les six derniers chapitres, & plusieurs auteurs catholiques, jusqu'à Sixte de Sienne, ont été de ce sentiment ; mais le concile de Trente a reconnu le livre entier pour canonique. Les Protestans sont de l'opinion contraire, & n'admettent ce livre que jusqu'au troisieme verset du chapitre X. Le reste jusqu'à la fin du chapitre xvj. est mis chez eux au nombre des livres apocryphes. Voyez APOCRYPHE. (G)


ESTIERS. m. terme de Pêche, canal, achenal, boucaut. On appelle ainsi, en terme de Pêche, les petites fosses des conduits de communication des lacs & des eaux des marais dans les grandes rivieres ou à la mer.


ESTILLES. f. (Manuf. en laine) c'est la même chose que métier. Ce terme est usité dans les sayetteries d'Amiens.


ESTIMATEURS. m. (Gram.) celui qui est choisi ou nommé pour faire une estimation. Voyez ESTIMATION.

Les huissiers sont jurés-priseurs, vendeurs, & estimateurs des biens meubles.


ESTIMATIF(Jurisp.) se dit de ce qui contient l'estimation de quelque chose, comme un procès-verbal ou rapport d'experts, un devis estimatif d'ouvrages. (A)


ESTIMATION(Jurisp.) signifie quelquefois la prisée ou évaluation d'une chose ; quelquefois on entend par le terme d'estimation, la somme même qui représente la valeur de la chose.

Toute estimation doit être faite en conscience & en la maniere usitée. Les estimations frauduleuses & à vil prix ne sont jamais autorisées ; cependant on ne fait pas toûjours estimation à juste valeur, par exemple, dans les pays où la crue des meubles a lieu on les estime à bas prix, parce que cette estimation ou prisée n'est que préparatoire, & que l'on sait que les meubles seront portés plus haut à la chaleur des encheres, ou que si on les prend suivant l'estimation, on y ajoûtera la crue.

Dans les licitations des immeubles appartenans à des mineurs, l'estimation doit en être préalablement faite par autorité de justice, & le juge ne peut adjuger les biens au-dessous de l'estimation qui en a été faite par les experts.

Il y a des cas où l'estimation d'une chose équivaut à une vente, c'est-à-dire qu'on en est quitte en rendant l'estimation ; c'est ainsi que dans quelques parlemens de droit écrit l'on tient pour maxime que aestimatio rei dotalis facit venditionem, c'est-à-dire que quand un bien dotal est estimé, le mari en peut disposer pourvû qu'il rende l'estimation. (A)


ESTIMES. f. (Droit nat.) degré de considération que chacun a dans la vie commune, en vertu duquel il peut être comparé, égalé, préféré, &c. à d'autres. On divise l'estime en estime simple, & en estime de distinction.

L'estime simple est ainsi nommée, parce qu'on est tenu généralement de regarder pour d'honnêtes gens tous ceux, qui, par leur conduite, ne se sont point rendus indignes de cette opinion favorable. Hobbes pense différemment sur cet article ; il prétend qu'il faudroit présumer la méchanceté des hommes jusqu'à-ce qu'ils eussent prouvé le contraire. Il est vrai, suivant la remarque de la Bruyere, qu'il seroit imprudent de juger des hommes comme d'un tableau ou d'une figure, sur une premiere vûe ; il y a un intérieur en eux qu'il faut approfondir : le voile de la modestie couvre le mérite, & le masque de l'hypocrisie cache la malignité. Il n'y a qu'un très-petit nombre de gens qui discernent, & qui soient en droit de prononcer définitivement. Ce n'est que peu-à-peu, & forcés même par le tems & les occasions, que la vertu parfaite & le vice consommé, viennent à se déclarer. Je conviens encore que les hommes peuvent avoir la volonté de se faire du mal les uns aux autres ; mais j'en conclurois seulement, qu'en estimant gens de bien tous ceux qui n'ont point donné atteinte à leur probité, il est sage & sensé de ne pas se confier à eux sans reserve.

Enfin je crois qu'il faut distinguer ici entre le jugement intérieur & les marques extérieures de ce jugement. Le premier, tant qu'il ne se manifeste point au-dehors par des signes de mépris, ne nuit à personne, soit qu'on se trompe ou qu'on ne se trompe point. Le second est legitime, lorsque par des actions marquées de méchanceté ou d'infamie on nous a dispensés des égards & des ménagemens. Ainsi naturellement chacun doit être réputé homme de bien, tant qu'il n'a pas prouvé le contraire : soit qu'on prenne cette proposition dans un sens positif, soit plutôt qu'on l'entende dans un sens négatif, qui se réduit à celui-ci ; un tel n'est pas méchant homme : puisqu'il y a des degrés de véritable probité, il s'en trouve aussi plusieurs de cette probité qu'on peut appeller imparfaite, & qui est si commune.

Le fondement de l'estime simple, parmi ceux qui vivent dans l'état de nature, consiste principalement en ce qu'une personne se conduit de telle maniere, qu'on a lieu de la croire disposée à pratiquer envers autrui, autant qu'il lui est possible, les devoirs de la loi naturelle.

L'estime simple peut être considérée dans l'état de nature, ou comme intacte, ou comme ayant reçu quelque atteinte, ou comme entierement perdue.

Elle demeure intacte, tant qu'on n'a point violé envers les autres, de propos délibéré, les maximes de la loi naturelle par quelqu'action odieuse ou quelque crime énorme.

Une action odieuse, par laquelle on viole envers autrui le droit naturel, porte un si grand coup à l'estime, qu'il n'est plus sûr desormais de contracter avec un tel homme sans de bonnes cautions : je ne sai cependant s'il est permis de juger des hommes par une faute qui seroit unique ; & si un besoin extrème, une violente passion, un premier mouvement, tirent à conséquence. Quoi qu'il en soit, cette tache doit être effacée par la réparation du dommage & par des marques sinceres de repentir.

Mais on perd entierement l'estime simple par une profession ou un genre de vie qui tend directement à insulter tout le monde & à s'enrichir par des injustices manifestes. Tels sont les voleurs, les brigands, les corsaires, les assassins, &c. Cependant si ces sortes de gens, & même des sociétés entieres de pirates, renoncent à leur indigne métier, réparent de leur mieux les torts qu'ils ont faits, & viennent à mener une bonne vie, ils doivent alors recouvrer l'estime qu'ils avoient perdue.

Dans une société civile, l'estime simple consiste à être réputé membre sain de l'état, ensorte que, selon les lois & les coûtumes du pays, on tienne rang de citoyen, & que l'on n'ait pas été déclaré infame.

L'estime simple naturelle a aussi lieu dans les sociétés civiles où chaque particulier peut l'exiger, tant qu'il n'a rien fait qui le rende indigne de la réputation d'homme de probité. Mais il faut observer que comme elle se confond avec l'estime civile, qui n'est pas toûjours conforme aux idées de l'équité naturelle, on n'en est pas moins réputé civilement honnête homme, quoiqu'on fasse des choses qui, dans l'indépendance de l'état de nature, diminueroient ou détruiroient l'estime simple, comme étant opposées à la justice : au contraire on peut perdre l'estime civile pour des choses qui ne sont mauvaises que parce qu'elles se trouvent défendues par les lois.

On est privé de cette estime civile, ou simplement à cause d'une certaine profession qu'on exerce, ou en conséquence de quelque crime. Toute profession dont le but & le caractere renferment quelque chose de deshonnête, ou qui du moins passe pour tel dans l'esprit des citoyens, prive de l'estime civile : tel est le métier d'exécuteur de la haute justice, parce qu'on suppose qu'il n'y a que des ames de bouë qui puissent le prendre, quoique ce métier soit nécessaire dans la société.

L'on est sur-tout privé de l'estime civile par des crimes qui intéressent la société : un seul de ces crimes peut faire perdre entierement l'estime civile, lors, par exemple, que l'on est noté d'infamie pour quelque action honteuse contraire aux lois, ou qu'on est banni de l'état d'une façon ignominieuse, ou qu'on est condamné à la mort avec flétrissure de sa mémoire.

Remarquons ici que les lois ne peuvent pas spécifier toutes les actions qui donnent atteinte civilement à la réputation d'honnête homme ; c'est pour cela qu'autrefois chez les Romains il y avoit des censeurs dont l'emploi consistoit à s'informer des moeurs de chacun, pour noter d'infamie ceux qu'ils croyoient le mériter.

Au reste il est certain que l'estime simple, c'est-à-dire la réputation d'honnête homme, ne dépend pas de la volonté des souverains, ensorte qu'ils puissent l'ôter à qui bon leur semble, sans qu'on l'ait mérité, par quelque crime qui emporte l'infamie, soit de sa nature, soit en vertu de la détermination expresse des lois. En effet comme le bien & l'avantage de l'état rejettent tout pouvoir arbitraire sur l'honneur des citoyens, on n'a jamais pû prétendre conférer un tel pouvoir à personne : j'avoue que le souverain est maître, par un abus manifeste de son autorité, de bannir un sujet innocent ; il est maître aussi de le priver injustement des avantages attachés à la conservation de l'honneur civil : mais pour ce qui est de l'estime naturellement & inséparablement attachée à la probité, il n'est pas plus en son pouvoir de la ravir à un honnête homme, que d'étouffer dans le coeur de celui-ci les sentimens de vertu. Il implique contradiction d'avancer qu'un homme soit déclaré infame par le pur caprice d'un autre, c'est-à-dire qu'il soit convaincu de crimes qu'il n'a point commis.

J'ajoûte qu'un citoyen n'est jamais tenu de sacrifier son honneur & sa vertu pour personne au monde : les actions criminelles qui sont accompagnées d'une véritable ignominie, ne peuvent être ni légitimement ordonnées par le souverain, ni innocemment exécutées par les sujets. Tout citoyen qui connoît l'injustice, l'horreur des ordres qu'on lui donne, & qui ne s'en dispense pas, se rend complice de l'injustice ou du crime, & conséquemment est coupable d'infamie. Crillon refusa d'assassiner le duc de Guise. Après la S. Barthélemy, Charles IX. ayant mandé à tous les gouverneurs des provinces de faire massacrer les Huguenots, le vicomte Dorté, qui commandoit dans Bayonne, écrivit au roi : " SIRE, je n'ai trouvé parmi les habitans & les gens de guerre, que de bons citoyens, de braves soldats, & pas un bourreau ; ainsi eux & moi supplions V. M. d'employer nos bras & nos vies à choses faisables ". Hist. de d'Aubigné.

Il faut donc conserver très-précieusement l'estime simple, c'est-à-dire la réputation d'honnête homme ; il le faut non-seulement pour son propre intérêt, mais encore parce qu'en négligeant cette réputation on donne lieu de croire qu'on ne fait pas assez de cas de la probité. Mais le vrai moyen de mériter & de conserver l'estime simple des autres, c'est d'être réellement estimable, & non pas de se couvrir du masque de la probité, qui ne manque guere de tomber tôt ou tard : alors si malgré ses soins on ne peut imposer silence à la calomnie, on doit se consoler par le témoignage irréprochable de sa conscience.

Voilà pour l'estime simple, considérée dans l'état de nature & dans la société civile : lisez sur ce sujet la dissertation de Thomasius, de existimatione, famâ & infamiâ. Passons à l'estime de distinction.

L'estime de distinction est celle qui fait qu'entre plusieurs personnes, d'ailleurs égales par rapport à l'estime simple, on met l'une au-dessus de l'autre, à cause qu'elle est plus avantageusement pourvûe des qualités qui attirent pour l'ordinaire quelque honneur, ou qui donnent quelque prééminence à ceux en qui ces qualités se trouvent. On entend ici par le mot d'honneur, les marques extérieures de l'opinion avantageuse que les autres ont de l'excellence de quelqu'un à certains égards.

L'estime de distinction, aussi-bien que l'estime simple, doit être considérée ou par rapport à ceux qui vivent ensemble dans l'indépendance de l'état de nature, ou par rapport aux membres d'une même société civile.

Pour donner une juste idée de l'estime de distinction, nous en examinerons les fondemens, & cela, ou en tant qu'ils produisent simplement un mérite, en vertu duquel on peut prétendre à l'honneur, ou en tant qu'ils donnent un droit, proprement ainsi nommé, d'exiger d'autrui des témoignages d'une estime de distinction, comme étant dûes à la rigueur.

On tient en général pour des fondemens de l'estime de distinction, tout ce qui renferme ou ce qui marque quelque perfection, ou quelque avantage considérable dont l'usage & les effets sont conformes au but de la loi naturelle & à celui des sociétés civiles. Telles sont les vertus éminentes, les talens supérieurs, le génie tourné aux grandes & belles choses, la droiture & la solidité du jugement propre à manier les affaires, la supériorité dans les sciences & les arts recommandables & utiles, la production des beaux ouvrages, les découvertes importantes, la force, l'adresse & la beauté du corps, en tant que ces dons de la nature sont accompagnés d'une belle ame, les biens de la fortune, en tant que leur acquisition a été l'effet du travail ou de l'industrie de celui qui les posséde, & qu'ils lui ont fourni le moyen de faire des choses dignes de loüange.

Mais ce sont les bonnes & belles actions qui produisent par elles-mêmes le plus avantageusement l'estime de distinction, parce qu'elles supposent un mérite réel, & parce qu'elles prouvent qu'on a rapporté ses talens à une fin légitime. L'honneur, disoit Aristote, est un témoignage d'estime qu'on rend à ceux qui sont bienfaisans ; & quoiqu'il fût juste de ne porter de l'honneur qu'à ces sortes de gens, on ne laisse pas d'honorer encore ceux qui sont en puissance de les imiter.

Du reste il y a des fondemens d'estime de distinction qui sont communs aux deux sexes, d'autres qui sont particuliers à chacun, d'autres enfin que le beau sexe emprunte d'ailleurs.

Toutes les qualités qui sont de légitimes fondemens de l'estime de distinction, ne produisent néanmoins par elles-mêmes qu'un droit imparfait, c'est-à-dire une simple aptitude à recevoir des marques de respect extérieur ; desorte que si on les refuse à ceux qui le méritent le mieux, on ne leur fait par-là aucun tort proprement dit, c'est seulement leur manquer.

Comme les hommes sont naturellement égaux dans l'état de nature, aucun d'eux ne peut exiger des autres, de plein droit, de l'honneur & du respect. L'honneur que l'on rend à quelqu'un, consiste à lui reconnoître des qualités qui le mettent au-dessus de nous, & à s'abaisser volontairement devant lui par cette raison : or il seroit absurde d'attribuer à ces qualités le droit d'imposer par elles-mêmes une obligation parfaite, qui autorisât ceux en qui ces qualités se trouvent, à se faire rendre par force les respects qu'ils méritent. C'est sur ce fondement de la liberté naturelle à cet égard, que les Scythes répondirent autrefois à Alexandre : " N'est-il pas permis à ceux qui vivent dans les bois, d'ignorer qui tu es, & d'où tu viens ? Nous ne voulons ni obéir ni commander à personne ". Q. Curce, liv. VII. c. viij.

Aussi les sages mettent au rang des sottes opinions du vulgaire, d'estimer les hommes par la noblesse, les biens, les dignités, les honneurs, en un mot toutes les choses qui sont hors de nous. " C'est merveille, dit si bien Montagne dans son aimable langage, " que " sauf nous, aucune chose ne s'apprécie que par ses propres qualités.... Pourquoi estimez-vous un homme tout enveloppé & empaqueté ? Il ne nous fait montre que des parties qui ne sont aucunement siennes, & nous cache celles par lesquelles seules on peut réellement juger de son estimation. C'est le prix de l'épée que vous cherchez, non de la gaîne : vous n'en donneriez à l'avanture pas un quatrain, si vous ne l'aviez dépouillée. Il le faut juger par lui-même, non par ses atours ; & comme le remarque très-plaisamment un ancien, savez-vous pourquoi vous l'estimez grand ? vous y comptez la hauteur de ses patins ; la base n'est pas de la statue. Mesurez-le sans ses échasses : qu'il mette à part ses richesses & honneurs, qu'il se présente en chemise. A-t-il le corps propre à ses fonctions, sain & alegre ? Quelle ame a-t-il ? est-elle belle, capable, & heureusement pourvûe de toutes ses pieces ? est-elle riche du sien ou de l'autrui ? la fortune n'y a elle que voir ? si les yeux ouverts, elle attend les espées traites ; s'il ne lui chaut par où lui sorte la vie, par la bouche ou par le gosier ? si elle est rassise, équable, & contente ? c'est ce qu'il faut voir ". Liv. I. ch. xlij. Les enfans raisonnent plus sensément sur cette matiere : Faites bien, disent-ils, & vous serez roi.

Reconnoissons donc que les alentours n'ont aucune valeur réelle ; concluons ensuite que quoiqu'il soit conforme à la raison d'honorer ceux qui ont intrinsequement une vertu éminente, & qu'on devroit en faire une maxime de droit naturel ; cependant ce devoir considéré en lui-même, doit être mis au rang de ceux dont la pratique est d'autant plus loüable, qu'elle est entierement libre. En un mot, pour avoir un plein droit d'exiger des autres du respect, ou des marques d'estime de distinction, il faut, ou que celui de qui on l'exige soit sous notre puissance, & dépende de nous ; ou qu'on ait acquis ce droit par quelque convention avec lui ; ou bien en vertu d'une loi faite ou approuvée par un souverain commun.

C'est à lui qu'il appartient de régler entre les citoyens les degrés de distinction, & à distribuer les honneurs & les dignités ; en quoi il doit avoir toûjours égard au merite & aux services qu'on peut rendre, ou qu'on a déjà rendu à l'état : chacun après cela est en droit de maintenir le rang qui lui a été assigné, & les autres citoyens ne doivent pas le lui contester. Voyez CONSIDERATION.

L'estime de distinction ne devroit être ambitionnée qu'autant qu'elle suivroit les belles actions qui tendent à l'avantage de la société, ou autant qu'elle nous mettroit plus en état d'en faire. Il faut être bien malheureux pour rechercher les honneurs par de mauvaises voies, ou pour y aspirer seulement afin de satisfaire plus commodément ses passions. La véritable gloire consiste dans l'estime des personnes qui sont elles-mêmes dignes d'estime, & cette estime ne s'accorde qu'au mérite. " Mais (dit la Bruyere) comme après le mérite personnel ce sont les éminentes dignités & les grands titres, dont les hommes tirent le plus de distinction & le plus d'éclat, qui ne sait être un Erasme, peut penser à être évêque ". Article de M(D.J.)

* ESTIME, (Marine) c'est le calcul que fait le pilote de la route & de la quantité du chemin du vaisseau. La route d'un vaisseau étant, comme elle l'est presque toûjours, oblique au méridien du lieu, il se forme un triangle rectangle dont elle est l'hypothénuse ; les deux autres côtés sont le chemin fait dans le même tems en longitude & en latitude. La latitude est connue par l'observation de la hauteur de quelque astre. On a par la boussole l'angle de la route, avec un côté du triangle ; on a la route en estimant la vîtesse du vaisseau pendant un tems donné, d'où se tire très-aisément la quantité de la longitude.

La difficulté consiste dans l'estime de la vîtesse du vaisseau. Pour l'avoir on jette le loch, piece de bois attachée à une ficelle, que l'on devide à mesure que le vaisseau s'éloigne (Voyez LOCH) ; car la mer n'ayant point de mouvement vers aucun endroit, le loch y demeure flottant & immobile, & devient un point fixe par rapport auquel le vaisseau a plus ou moins de vîtesse. Mais cette supposition cesse, si l'on est dans un courant : alors on est exposé à prendre pour vîtesse absolue, ce qui n'est que vîtesse relative ; savoir la différence en vîtesse du loch & du vaisseau. Erreur dangereuse. Cependant quand on auroit les longitudes par l'observation céleste, le ciel se couvrant quelquefois pour plusieurs jours, il en faudroit toûjours venir à la pratique de l'estime & du loch, qui ne sera jamais qu'un tatonnement. Mémoires de l'académ. 1702. Voyez NAVIGATION, &c.


ESTINE(Mar.) c'est le juste contre-poids qu'on donne à chaque côté d'un vaisseau, pour balancer sa charge avec tant de justesse, qu'un côté ne pese pas plus que l'autre ; ce qui est nécessaire pour qu'il sille & marche avec plus de facilité.


ESTIOLER(Jard.) On dit d'une plante qu'elle estiole ou s'estiole, quand en croissant elle devient menue & fluette, ce qui est un défaut ; cela arrive aux légumes, quand les graines sont semées trop serrées. (K)


ESTIRES. f. (Corroyeur) c'est un morceau de fer ou de cuivre, de l'épaisseur de cinq à six lignes, de la largeur de cinq à six pouces, moins large par en-haut que par en-bas. La partie la moins large sert de poignée à l'ouvrier.

Le corroyeur étend, abat le grain de fleur, ou décrasse ses cuirs à l'estire.

L'estire de fer est pour les cuirs noirs : celle de cuivre, pour ceux de couleur qu'on craint de tacher.


ESTISSEUSESS. f. (Manuf. en soie) petites tringles de fer qui retiennent les roquetins & les canons dans les cantres.


ESTISSUS. m. (Rubaniers) c'est la même chose que les estisseuses de l'article précédent.


ESTOCS. m. (Jurisprud.) signifie trone ou souche commune, dont plusieurs personnes sont issues. Ce mot vient de l'allemand stoc, ou de l'anglo-saxon stocce, qui veut pareillement dire tronc.

On se sert de ce terme en matiére de propres, soit réels ou fictifs, pour exprimer la souche commune d'où sortoit celui qui a possédé le propre.

Dans les coûtumes de simple côté ou de côté & ligne, on confond souvent le terme d'estoc avec celui de côté ; mais dans les coûtumes soucheres, le terme d'estoc s'entend, comme on vient de le dire, pour la souche commune.

La coûtume de Dourdan, qui est du nombre des coûtumes soucheres, explique bien (art. 117.) la différence qu'il y a entre estoc & coté & ligne ; & sont entendus, dit cet article, les plus prochains de l'estoc & ligne, ceux qui sont descendus de celui duquel les héritages sont procédés, & qui les a mis dans la ligne ; & où ils n'en seroient descendus, encore qu'ils fussent parens du défunt de ce côté, ils ne peuvent prétendre les héritages contre les plus prochains lignagers d'icelui défunt, posé qu'ils ne fussent lignagers dudit côté dont les héritages sont procédés. Voyez Renusson, traité des propres, ch. vj. sect. 5. & aux mots COTE, COUTUMES SOUCHERES, LIGNE, PROPRES. (A)

ESTOC-ET-LIGNE, (à la Monnoie) les enfans & petits-enfans des monnoyeurs, tailleresses, ouvriers ; enfin de ceux qui ont été reçus & qui ont prêté serment, sont dits être d'estoc-&-ligne de monnoyage : les aînés ont le droit d'être reçus, en cas de mort ou de résignation, à la place de leurs peres ou meres, selon le sexe & la place. Les cadets ne peuvent avoir ce droit, mais on les reçoit dans des places inférieures, & ils avancent selon les évenemens, les occasions, & leur habileté.

ESTOC, (Art milit.) c'est ainsi qu'on exprime souvent la pointe d'un sabre ou d'une épée. Frapper d'estoc, c'est pointer ou pousser l'épée ou le sabre pour le faire entrer par la pointe ; & frapper de taille, c'est sabrer ou donner des coups avec le tranchant du sabre ou de l'épée. Dans les différens exercices des soldats romains, " on leur montroit, dit Vegece, principalement à pointer : avec quelque force, qu'un coup de tranchant soit appuyé, il tue rarement, parce que les armes défensives & les os l'empêchent de pénétrer, tandis que la pointe, enfoncée seulement de deux doigts, fait souvent une blessure mortelle. D'ailleurs il n'est pas possible de donner un coup de sabre sans découvrir le bras & le côté droit ; au lieu qu'on peut pointer, sans donner de jour à son ennemi, & le percer avant qu'il voye venir l'épée ". Nouv. trad. de Vegece, par M. de Sigrais. (Q)

ESTOC, (Com. de bois) On dit une coupe à blanc-estoc, quand on abat tous les arbres d'une forêt, sans en réserver aucun.

ESTOCADE ou BOTTE, (Escrime) est un coup de pointe quelconque qu'on allonge à l'ennemi.

On peut terminer une estocade de cinq façons, dedans les armes, dehors les armes, dessus les armes, sous les armes, & en flanconade.


ESTOIRou ASTEROTES, s. f. terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Bayonne, est une sorte de filet qu'on peut rapporter à l'espece des bretellieres.

Le rêt que les pêcheurs Tillotiers (compagnie de Pêcheurs de Bayonne) nomment asterote ou rêt à plier, est un filet travaillé comme les tramaux de dreige ; il a environ une brasse & demie de chûte, & cinquante à soixante brasses de long ; il se tend par fond comme les bretellieres, ou flettes tramaillées à la mer des Pêcheurs hauts & bas Normands ; & la manoeuvre de la Pêche est la même que celle qui se fait avec le rêt de trente mailles ; il sert pour prendre le poisson plat, & les Pêcheurs s'en servent en-dedans le boucaut dans la riviere, & hors la barre à la mer ; le calibre de ce tramail est le même que l'ordonnance de 1681 permet pour la dreige à la mer : ainsi c'est un tramail sédentaire, qui a les hameaux ou l'émail de neuf pouces en quarré, & la toile, nappe, ou rêt du milieu, de 21 lignes en quarré.


ESTOMAC, ventriculus, en Anatomie, est une partie creuse, membraneuse, & organique de l'animal, qui est destinée à recevoir la nourriture après la déglutition, & à la convertir en chyle. Voyez NOURRITURE, DIGESTION, CHYLE, &c.

Il est d'une forme longue ; quelques-uns le comparent à une citrouille ; d'autres à une musette. Il est situé dans la région épigastrique, un peu plus panché du côté gauche que du côté droit. Sa partie supérieure est jointe au diaphragme & au petit épiploon ; sa partie inférieure au grand épiploon ; le côté droit au duodenum, & le côté gauche à la ratte. Le cartilage xiphoïde répond presqu'à la partie moyenne de l'estomac, il a deux orifices ; un à chaque extrémité. L'orifice gauche est appellé proprement , de , bouche ; on le nomme aussi : il se joint à l'oesophage, dont il est en quelque façon une continuation. C'est par cet orifice que les alimens entrent dans l'estomac, où étant digérés, ils montent obliquement au pylore, ou vers l'orifice droit qui est joint au premier des intestins. L'estomac est courbé ; il se forme en conséquence deux arcs entre ces deux orifices, un plus grand, convexe, tourné vers la partie inférieure, lorsque l'estomac est vuide, & en-devant, lorsqu'il est rempli ; l'autre plus petit, supérieur, concave, situé entre les deux orifices. Les visceres, voisins de l'estomac, sont la ratte à gauche, le foie à droite, & le pancreas derriere & inférieurement. Voyez FOYE, RATTE, PANCREAS, OESOPHAGE & PYLORE.

L'estomac est composé de quatre membranes ou enveloppes ; la premiere & la plus intérieure est formée de fibres courtes, qui sont situées perpendiculairement au-dessus des fibres de l'enveloppe voisine, & peuvent être manifestement apperçues vers le pylore : quand l'estomac est tendu par la nourriture, ces fibres deviennent épaisses & courtes : tandis qu'elles s'efforcent de se rétablir dans leur état, par leur élasticité naturelle, elles contractent la cavité de l'estomac, & lui font broyer & expulser les alimens. Cette enveloppe est plus large que les autres, & est remplie de plis & de rides, principalement vers le pylore : ces plis arrêtent le chyle, & l'empêchent de sortir de l'estomac, avant que d'être suffisamment digéré. Il y a dans cette enveloppe un grand nombre de petites glandes qui séparent une liqueur, qui humecte toute la cavité de l'estomac, & aide à la coction des alimens : c'est pourquoi cette enveloppe est nommée tunique glanduleuse.

La seconde tunique est plus mince & plus délicate ; elle est tout-à-fait nerveuse ; d'un sentiment exquis, & se nomme tunique nerveuse.

La troisieme est musculaire, & composée de fibres droites & circulaires ; celles qui sont droites, avancent sur la partie supérieure de l'estomac, entre l'orifice supérieur & l'inférieur ; & celles qui sont circulaires, vont obliquement depuis la partie supérieure de l'estomac, jusqu'au fond. Les plus intérieures de ces fibres descendent vers le côté droit, & les plus extérieures, vers le côté gauche : de sorte que par leur action, les deux extrémités de l'estomac sont attirées vers le milieu, & le tout est également contracté : c'est par la contraction & leur mouvement continuel, que l'attrition & la digestion des alimens se fait bien.

Toutes ces membranes sont unies entr'elles par un tissu cellulaire, que quelques-uns ont regardé comme des membranes particulieres.

Un grand nombre de vaisseaux se rendent à l'estomac, & ils viennent de différens troncs, afin qu'aucune pression ne pût intercepter le cours des liqueurs qu'ils renferment ; ce qui seroit très-aisément arrivé, s'il n'y avoit eu qu'un seul tronc : toutes ses arteres viennent en général de la coeliaque : la coronaire stomachique est une branche de la coeliaque, se distribue entre les deux orifices le long du petit arc ; la gastrique droite vient de l'hépatique, se porte le long du grand arc à droite, & s'anastomose avec la gastrique gauche qui vient de la sphérique, & qui se termine le long du grand arc à gauche ; les veines suivent à-peu-près la même direction, & se vuident dans des branches de la veine porte ventrale.

La huitieme paire de nerfs envoye à l'estomac deux branches considérables, qui s'étendent autour de l'orifice supérieur, & qui sont fort sensibles ; c'est de là aussi que naît la grande sympathie qu'il y a entre l'estomac, la tête, & le coeur ; ce qui a fait croire à Van-Helmont que l'ame a son siége à l'orifice supérieur de l'estomac.

Quand au mouvement de l'estomac, le docteur Pitt nous apprend dans les Transactions philosophiques, qu'en disséquant un chien, il a trouvé que le mouvement péristaltique des boyaux avoit, de même, lieu dans l'estomac ; le pylore, qu'on trouve pour l'ordinaire aussi haut que le diaphragme, tomboit à chaque ondulation au-dessous du fond de l'estomac ; de maniere qu'il pouvoit remarquer clairement un resserrement dans le milieu de l'estomac, à chaque mouvement en en-bas, tel qu'il étoit capable de comprimer tout ce qui étoit renfermé dans sa cavité. Ces mouvemens, dit-il, étoient aussi réguliers qu'aucun qu'on puisse appercevoir dans les intestins ; & il ajoûte qu'il a fait la même observation dans trois autres chiens ; d'où on peut conclure sûrement que cela se trouve dans tous. Voyez PERISTALTIQUE.

Les animaux qui ruminent, ont quatre estomacs : cependant on remarque que quelques-uns de ceux qui en ont quatre en Europe, n'en ont que deux en Afrique ; apparemment à cause que les herbes d'Afrique sont plus nourrissantes. Voyez RUMINANT.

Les oiseaux qui se nourrissent ordinairement de graines qui sont couvertes d'une peau dure, ont un espece d'estomac qu'on appelle jabot, qui est composé de quatre grands muscles en-dehors, & d'une membrane dure & calleuse au-dedans : ceux qui vivent de chair, comme les aigles, les vautours, &c. n'en ont qu'un. Voyez CARNIVORE, GRANIVORE, &c. Quant à l'action de l'estomac, voyez DIGESTION. (L)

ESTOMAC, (maladies de l') Les fonctions de cet organe sont très-nombreuses & très-variées ; elles sont par conséquent susceptibles de différentes lésions.

Celles de la premiere espece dépendent des vices de ce viscere, en tant qu'il est regardé comme le siége de l'appétit des alimens & de la boisson, qui est aboli dans l'anorexie, & diminué dans la dysorexie ou l'inappétence & le dégoût, ou apositie, dépravé dans la faim canine & les envies, c'est-à-dire le pica & le malacia. Voyez FAIM, ANOREXIE, DYSOREXIE, APOSITIE & ENVIE.

Les maladies de l'estomac de la seconde espece, regardent la coction, en tant qu'elle dépend principalement de l'action du ventricule ; ainsi lorsque les alimens, qui y sont contenus, ne sont pas digérés, ou lorsqu'ils ne le sont que lentement & avec peine, ou qu'ils changent de nature, & contractent des qualités qui ne sont point convenables au chyle, préparé d'une maniere naturelle ; ces différens vices constituent des maladies de l'estomac, qui sont l'apepsie, ou le défaut de digestion ; la dyspepsie, ou la digestion difficile, douloureuse ; la bradypepsie, ou la digestion trop ralentie ; & la diapthore, ou la digestion faite avec corruption : il a été traité de chacune de ses affections en son lieu, ou à l'article DIGESTION. Voyez APEPSIE, DYSPEPSIE, BRADYPEPSIE, APTHOREHORE. La trop promte digestion est rarement une maladie ; lorsqu'elle est regardée comme un vice, elle constitue ce qu'on appelle la boulimie, ou faim excessive. Voyez FAIM.

Les maladies de l'estomac de la troisieme espece, regardent l'action de ce viscere, tendante à expulser les matieres contenues dans sa cavité : telles sont le hoquet, la nausée, le vomissement, le cholera, le rot ; la lienterie est aussi de cette espece, en tant qu'elle dépend du vice de l'estomac, comme de celui des intestins. Voyez HOQUET, NAUSEE, VOMISSEMENT, CHOLERA-MORBUS, ROT & LIENTERIE.

Les maladies du ventricule de la quatrieme espece, dépendent des vices qui affectent spécialement les parties qui entrent dans la composition de sa substance : ainsi comme il reçoit un grand nombre de nerfs, qui se distribuent dans ses membranes, il est doüé d'un sentiment très-exquis ; ce qui le rend très-susceptible de douleur, sur-tout dans les environs de son orifice supérieur : cette sorte d'affection est ce qu'on appelle la cardialgie ou l'ardeur d'estomac. Voyez CARDIALGIE.

L'estomac étant composé de vaisseaux de tous les genres, est par conséquent sujet aux engorgemens inflammatoires, aux abcès, aux ulceres, à la gangrene, aux obstructions, à l'oedeme, au skirrhe : c'est de ces dernieres maladies, qui ne sont pas distinguées par des noms particuliers, dont il convient de donner succinctement l'histoire sous cet article.

De l'inflammation de l'estomac. Toute sorte d'engorgement de vaisseaux, dans quelque partie du corps que ce soit, augmente son volume, & y forme une tumeur ; ainsi l'engorgement inflammatoire en produit toûjours une dans la partie de l'estomac, où il a son siége ; mais elle n'est sensible au-dehors, que lorsqu'elle est dans la partie antérieure : il est rare qu'il soit entiérement enflammé dans toute l'étendue, tant interne qu'externe de ses membranes ; il ne l'est ordinairement qu'extérieurement, ou intérieurement dans une partie plus ou moins grande de sa substance.

Lorsque l'inflammation est formée, le malade ressent dans la région épigastrique une douleur fixe continue, pungitive, avec un sentiment de pesanteur, qui ne peut être calmée par l'application d'aucun remede approprié ; elle est accompagnée d'une fievre très-aiguë, d'une chaleur très-ardente, & d'une soif très-pressante ; & la douleur est augmentée, au moment même de l'entrée des alimens dans l'estomac, soit solides, soit liquides ; elle se fait alors plus particulierement sentir dans le point où est l'inflammation, & les matieres reçues dans sa capacité, ne tardent pas à en être expulsées par un vomissement très-douloureux, ou par une promte & fatigante déjection, à moins que l'engorgement inflammatoire ne s'étende au cardia & au pylore, & ne ferme ces deux orifices : le hoquet se joint à tous ces symptomes, & rend la douleur encore plus aiguë ; le malade se plaint d'une anxiété continuelle, & paroît être d'une inquiétude extrème, par les fréquentes agitations de son corps ; si l'inflammation affecte tout le ventricule, il ne trouve pas une situation où il ne ressente une douleur très-vive dans toute la région épigastrique, si ce n'est que la surface externe : la douleur se fait plus sentir pendant la digestion ; pendant que les fibres de l'estomac se contractent pour presser les matieres contenues, & ensuite les expulser de sa capacité, le malade prend, dans ce cas, les alimens nécessaires avec moins de peine, que lorsque c'est la surface interne qui est enflammée, parce que celle-ci est exposée au contact de ce qui est dans le viscere, ce qui la rend par conséquent extrémement susceptible d'irritation, & renouvelle la douleur d'une maniere insupportable : lorsque c'est la partie antérieure qui est le siége de l'inflammation, elle se manifeste par la tumeur qui est sensible au toucher, & même quelquefois à la vûe dans l'étendue des parties contenantes du bas-ventre, qui terminent le devant de la région épigastrique : cette partie est aussi d'une si grande sensibilité, que le malade ne peut rien supporter qui la presse, & même qui la touche, comme les couvertures du lit. Le malade souffre davantage, étant couché sur le dos, lorsque l'affection est dans la partie postérieure : il ne se couche qu'avec plus de douleur sur les parties latérales, si elles sont affectées ; d'ailleurs le malade distingue par lui-même si elles sont le siége du mal, & l'indique par son rapport : si l'inflammation tient plus de la nature de l'érésypele que du phlegmon, les symptomes sont tous plus violens, mais la tumeur & le sentiment de pesanteur de la partie affectée, sont moins considérables : lorsque l'inflammation est sort étendue, & que la maladie est conséquemment fort grande, il survient de fréquentes défaillances ; le malade éprouve de constantes insomnies, & tombe souvent dans le délire.

Avec tous ces signes, on a de la peine à distinguer l'inflammation de l'estomac d'avec l'inflammation d'une partie voisine, qui y a beaucoup de rapport ; c'est celle du petit lobe du foye, qui recouvre la partie supérieure du ventricule, ou celle des parties contenantes de l'abdomen, qui lui est contiguë : presque tous les mêmes symptomes se trouvent dans l'une comme dans l'autre ; en sorte que les medecins les plus expérimentés s'y sont souvent trompés : on ne peut en faire la différence, que par la violence extrème des accidens qui accompagnent l'inflammation de l'estomac.

Les causes tant prochaines qu'éloignées de cette affection, sont les mêmes que celles de l'inflammation en général, appliquées à la partie dont il s'agit. Le medecin peut en connoître la nature & les différences, par les informations qu'il prend sur la maniere de vivre qui a précedé ; sur l'abus des six choses non naturelles, auquel il a peut-être donné lieu ; sur l'âge, le sexe, le tempérament, la saison, &c. dont la différence peut beaucoup influer sur celles des causes de cette inflammation, qui peut encore être ou idiopathique ou sympathique, symptomatique ou critique.

Cette maladie devient très-dangereuse, & mortelle même en peu de tems, si on ne se hâte pas d'y apporter remede, parce que la fonction de la partie affectée est extrèmement nécessaire à la vie ; parce que le défaut de cette fonction lui est très-préjudiciable, & que l'organe en est très-fourni de nerfs, & a une grande connexion par leur moyen avec toutes les parties voisines. Les personnes d'un tempérament foible, délicat, guérissent rarement de l'inflammation d'estomac : elle est moins dangereuse pour ceux qui sont robustes. Le froid aux extrémités, est un signe de mort prochaine dans cette maladie : elle se termine, comme toutes les autres maladies inflammatoires, par la résolution, par la suppuration, ou par la gangrene ; ou elle se change en tumeur skirrheuse, chancreuse ; ou elle procure une mort promte, que les convulsions contribuent à accélérer. C'est la nature, & la violence de ses causes & de ses symptomes, qui dispose à ces différentes terminaisons, & les décide. Si l'inflammation de l'estomac tourne en suppuration, il s'ensuit plusieurs maux considérables, tels que la nausée, le vomissement, la douleur : ces symptomes sont quelquefois accompagnés de circonstances surprenantes ; on n'en connoît souvent pas la cause, & ils deviennent incurables : d'ailleurs le pus s'en répand ou dans la capacité de l'abdomen, ou dans celle du ventricule. Il se forme dans le premier cas un empieme : dans le second le pus est évacué par le vomissement ou par les déjections. Il résulte de l'un & de l'autre, que le malade tombe dans une vraie consomption à la suite de la fievre lente, que procure le pus en se mêlant avec la masse des humeurs. L'estomac s'affoiblit de plus en plus, les alimens ne se digerent pas ; & le corps ne recevant presque point de nourriture, périt par l'atrophie & le marasme.

L'exulcération de ce viscere n'est cependant pas toûjours l'effet de l'inflammation, elle peut être aussi produite immédiatement par la corrosion de quelque humeur acre, de quelque médicament, de quelque aliment de nature à ronger la substance de l'estomac : elle peut aussi être causée par des corps durs, rudes, pointus, comme des portions d'os, des aiguilles & autres choses semblables, avalées à dessein ou par mégarde. Les ulceres de cette espece ne sont pas ordinairement si dangereux que ceux qui se forment à la suite de l'inflammation de ce viscere.

Lorsque la gangrene lui succede, elle est incurable ; & la mort qui suit de près, ne laisse pas le tems de placer aucun remede, qui seroit d'ailleurs inutile, à cause du peu d'épaisseur des tuniques de l'estomac, qu'elle détruit très-promtement.

L'oedeme, les obstructions, le skirrhe, qui ont leur siége dans la substance du ventricule, sont très-difficiles à guérir, & dérangent considérablement les fonctions de cet organe : le chancre y cause des douleurs très-violentes, qui sont même susceptibles d'être augmentées par tout ce qui y est appliqué par la voie de la déglutition ; & qui deviennent fixes, insupportables & de longue durée par l'effet des remedes irritans, & de toute autre chose de semblable qualité, pris intérieurement.

Dès que le medecin est assûré par le concours des signes qui caractérisent l'inflammation de l'estomac, qu'elle est formée, il doit recourir tout de suite à la saignée, la prescrire copieuse, & la faire repéter, si le cas l'exige ; & cependant, comme les violentes douleurs causent souvent des foiblesses, des défaillances, il faut avoir grande attention de conserver les forces, & de ménager par cette raison les évacuations ; d'éviter l'usage des purgatifs, & encore plus celui des vomitifs, qui, en attirant un plus grand abord d'humeurs dans la partie affectée, en la mettant en mouvement, & en lui causant des agitations convulsives, violentes par les irritations, ne peuvent qu'être extrèmement nuisibles. Il convient par conséquent de ne faire diversion que dans les parties éloignées ; ainsi les lavemens antiphlogistiques sont utiles dans cette vûe. Le régime doit être exactement observé ; le malade doit se soûmettre à une diete très-severe, & ne faire aucun usage de viande ni de ses sucs, bouillons. Les délayans, les adoucissans, les tempérans, qui se trouvent réunis dans les tisanes émulsionnées, cuites, sont employés avec succès en grande quantité. Les décoctions de ris, d'orge, un peu miellées & aiguisées par quelques gouttes d'acide minéral, comme l'esprit de nitre, ou végétal, comme le suc de limon à petite dose, produisent aussi de bons effets, & contribuent à calmer le vomissement & les autres symptomes pressans, tels que l'ardeur de la fievre, la douleur. Les fomentations émollientes, repercussives, corroboratives & legerement astringentes ; les cataplasmes de même qualité, les onguens même appliqués sur l'estomac, sont encore très-utiles dans ce cas. On peut placer un doux purgatif sur la fin, lorsque la douleur paroît bien calmée. Si l'inflammation de l'estomac tourne en gangrene, il n'y a point de remede à employer, comme il a été dit : la mort de la partie est bientôt suivie de celle du tout. Si la partie enflammée vient à suppurer, & que l'on puisse le connoître, il faut traiter la maladie selon la méthode prescrite pour les abcès en général (voyez ABCES, ULCERE, SUPPURATION) ; & si l'estomac est affecté d'obstructions, d'oedeme, de skirrhe, de chancre, il faut aussi employer les remedes indiqués contre ces différens vices. Voyez OBSTRUCTION, OEDEME, SKIRRHE, CHANCRE. (d)


ESTOMBERESTOUSPER : on écrit plus souvent, & on prononce toûjours estrumber. Estomber, terme de Dessinateur, c'est frotter le crayon qu'on a mis sur son dessein, avec de petits rouleaux de papier barbus par le bout, ou avec du chamois roulé sur un petit bâton en forme de pinceau. Le chamois & le papier ainsi roulés, s'appellent estompes. On prend quelquefois du crayon en poudre avec l'estompe, & on le frotte sur le dessein. (R)


ESTONIE(Géogr. mod.) province de Russie, bornée à l'orient par la mer Baltique, au septentrion par le golfe de Finlande, à l'occident par l'Ingrie, & au midi par la Livonie. On la divise en cinq diocèses ; Alcuraxie, Virrie, Sarrie, Vixie, & Servie.


ESTOTILAND(Géog.) Ce pays de l'Amérique septentrionale, au nord du Canada, vers les terres arctiques, découvert par Antonio Zéni, dont tant de géographes & de cosmographes ont parlé, & dont Davity nous a donné la description, jusqu'à détailler les livres latins de la bibliotheque de celui qui y commandoit ; ce pays, dis-je, malgré tant de témoignages positifs, n'est qu'un pays idéal & chimérique : aussi M. de Lisle en a banni le nom de ses cartes, avec d'autant plus de raison que l'on ne sait même ce qu'il signifie. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ESTOUS. m. (Boucherie) table à claire-voie sur laquelle les Bouchers habillent les moutons & les veaux. Si vous ôtez les bras à la civiere des Maçons, vous aurez l'estou des Bouchers. L'estou est soutenu sur quatre bâtons posés aux quatre angles.


ESTOUPINÉTOUPIN, ou VALET, (Marine) C'est un peloton de fil de carret proportionné au calibre des canons : on s'en sert à bourrer la poudre quand on les charge.


ESTRAC(Manége, Maréchallerie) terme dont nous ne faisons plus aucun usage. Voyez ÉTROIT.


ESTRADES. f. (Gramm. & Hist. mod.) est un terme françois qui signifie à la lettre une route publique ou grand chemin. C'est de-là qu'est venue cette phrase militaire, battre l'estrade, c'est-à-dire envoyer des coureurs ou gens à cheval à la découverte, pour épier les dispositions de l'ennemi, & donner avis au général de tout ce qu'ils ont apperçû dans la route. Une armée ne marche jamais sans envoyer de tous côtés des batteurs d'estrade.

Ce mot est formé de l'italien strada, rue ou chemin, qui vient lui-même du latin strata, rue pavée. Quelques-uns le dérivent d'estradiots, qui étoient anciennement des cavaliers qu'on employoit à battre l'estrade.

Estrade signifie aussi une petite élevation sur le plancher d'une chambre, qui est ordinairement entourée d'une alcove ou balustrade pour mettre un lit, & qui, comme en Turquie, n'est quelquefois couverte que de beaux tapis, pour y recevoir les personnes de distinction qui viennent en visite. Voyez ALCOVE.

ESTRADE, (Art milit.) se dit du terrein des environs d'une ville ou d'une armée ; ainsi battre l'estrade, c'est parcourir les environs d'une armée ou d'une place, pour découvrir s'il y a quelques partis de l'ennemi. (Q)

ESTRADE, (Jardinage) Voyez GRADINS DE GAZON.


ESTRADIOTou STRADIOTS, s. m. pl. (Art milit.) espece de cavalerie legere qui a été autrefois d'usage en France. Voyez CAVALERIE. (Q)


ESTRAGONS. m. (Hist. nat. bot.) dracunculus esculentus. C'est une plante potagere qui pousse plusieurs tiges ou verges à la hauteur de deux piés, rameuses, & portant des feuilles longuettes, odorantes, d'un goût fort, mais agréable. Ses fleurs qui sont jaunes, sont si petites qu'à peine les découvre-t-on ; elles forment de petits bouquets, & sont suivies de petits fruits ronds qui en conservent la semence : on l'employe dans les fournitures de salade, & on en met dans le vinaigre pour le faire sentir bon.

L'estragon se multiplie de traînasses ou boutures, rarement de semence, & repousse quand il a été coupé : sa culture n'a rien de particulier. (K)

ESTRAGON, (Matiere medic. Chim.) Cette plante est puissamment incisive, apéritive, digestive ; elle donne de l'appétit, dissipe les vents, excite les urines & les regles, leve les obstructions : étant mâchée, elle fait sortir la pituite & la salive, comme la pyrethre, c'est pourquoi elle appaise les douleurs des dents, & purge le cerveau humide. On en fait usage très-fréquemment parmi nous dans les salades ; elle tempere le froid & la crudité des autres plantes avec lesquelles on la mêle. Geoffroy, mat. méd.

L'estragon contient une partie mobile, vive & piquante, qui a quelqu'analogie avec l'esprit volatil des cruciferes, mais qui n'a pas les caracteres essentiels de ces sels.

L'estragon doit être rangé à cet égard avec l'ail, l'oignon, le poireau, la capucine, & quelques autres, que M. Boerhaave & ses copistes placent mal-à-propos parmi les plantes qui contiennent un alkali volatil nud. On prépare avec cette plante un vinaigre qu'on appelle vinaigre d'estragon.

Le vinaigre d'estragon entre dans l'eau prophylactique de la pharmacopée de Paris. (b)

ESTRAGON, (Diete) On mange les feuilles de cette plante en salade, rarement seules ; ordinairement avec la laitue, dont elles relevent admirablement le goût. Cette espece d'assaisonnement peut devenir aussi fort utile pour l'estomac, & concourir efficacement avec le sel, le poivre & le vinaigre, à corriger la fadeur, l'inertie d'une plante aqueuse & insipide, telle que la laitue. Voyez LAITUE & SALADE. L'estragon est très-peu employé à titre de remede. (b)

ESTRAGON, (Chimie) L'estragon contient une partie vive & piquante au goût & à l'odorat, & aussi volatile que l'esprit de cruciferes, auquel il est d'ailleurs très-analogue. La nature de ce principe mobile n'est pas assez déterminée jusqu'à présent ; les Chimistes instruits savent seulement que ce n'est pas un alkali volatil. (b)


ESTRAMADUREESTRAMADURE

L'Estramadure Portugaise est une province du Portugal, située vers l'embouchure du Tage. Elle est bornée au septentrion par la province de Beira ; à l'orient & au midi par l'Alentéjo ; à l'occident par l'océan Atlantique. Elle se divise en cinq territoires, Sétuval, Alanguer, Santaren, Leiria, Torna. Lisbonne en est la Capitale.


ESTRAN(Marine) c'est une étendue de terrein le long de la côte, laquelle est très-plate & sablonneuse, & dont souvent une partie est couverte par les hautes marées, mais ce terme n'est en usage que le long des côtes de Flandres & de Picardie.


ESTRANGELadj. (Littérat.) certains caracteres de l'alphabet syriaque, qu'on en peut regarder aujourd'hui comme les lettres majuscules. On a cru que ces majuscules avoient été anciennement le véritable caractere courant.


ESTRAPADES. f. (Art milit.) est une espece de punition militaire, dans laquelle, après avoir lié au criminel les mains derriere le dos, on l'éleve avec un cordage jusqu'au haut d'une haute piece de bois, d'où on le laisse tomber jusqu'auprès de terre, de maniere qu'en tombant la pesanteur de son corps lui disloque les bras. Quelquefois il est condamné à recevoir trois estrapades, ou même davantage.

Ce mot vient, dit-on, du vieux mot estreper, qui signifie briser, arracher ; ou bien de l'italien strappata, du verbe strappare, tordre par force. Trévoux & Chambers.

L'estrapade n'est plus d'usage, au moins en France.

ESTRAPADE, (Marine) c'est le châtiment qu'on fait souffrir à un matelot, en le guindant à la hauteur d'une vergue, en le laissant ensuite tomber dans la mer, où l'on le plonge une ou plusieurs fois selon que le porte la sentence. C'est ce qu'on appelle autrement donner la cale. Voyez CALE.

ESTRAPADE, (Manége) expression ancienne, & par laquelle on entendoit un châtiment donné avec les renes du caveçon ou de la bride. Il seroit à souhaiter pour les chevaux, que l'action de châtier ainsi fut aussi inusitée que ce mot. Quelques-uns lui donnent une autre signification, ils prétendent qu'il n'a été employé & imaginé que pour définir des sortes de contre-tems communément appellés sauts de mouton. Ce qu'il y a de plus certain, c'est que s'il a exprimé quelque chose autrefois, il a tellement vieilli qu'il ne nous est, pour ainsi dire, plus connu. (e)


ESTRAPASSERESTRAPASSER


ESTRAPOIRESS. f. (Agriculture) ce sont de longues serpes en forme de croissant, attachées à l'extrémité d'un long bâton, dont on se sert pour couper le chaume à ras de terre. Cette manoeuvre s'appelle estraper.


ESTRAPONTIou HAMAC, (Marine) c'est une espece de lit fait d'un tissu de coton ou avec de la toile, & suspendu avec des cordes entre les ponts, sur lesquels on couche dans les vaisseaux. Voyez BRANLE & HAMAC.


ESTRAQUELLEsub. f. (Verrerie) c'est ainsi qu'on nomme la pelle à enfourner. Elle a sept piés & demi de long. Les Tiseurs s'en servent à tirer la matiere cuite des anses à cendriere & la porter aux monceaux, d'où on la verse dans les pots. Il faut cinq estraquelles. Les plis de l'estraquelle auront neuf pouces de largeur, un peu plus de longueur, & quatre pouces de profondeur. L'estraquelle est de fer ou de tole.


ESTRASSES. f. (Comm.) bourre de soie, qu'on appelle aussi cardasse.


ESTREAFLÉadj. (Venerie) se dit d'un chien qui a un os de la jambe hors de son lieu.


ESTREJURES(Jurisp.) sont des choses abandonnées (voyez Lindanum de Teneremonda, p. 218.) Il en est aussi parlé dans les coûtumes particulieres du baillage de S. Omer, art. 7. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot estrejures, & ci-devant le mot ESTRAYERS, qui a quelque rapport à celui-ci. (A)


ESTRELAGES. m. (Comm.) droit qui se leve sur le sel par quelques seigneurs, lorsque les voitures des fermiers passent sur leurs terres. La pancarte du droit d'estrelage doit être placée en un lieu éminent, près de l'endroit où on doit le lever. Ce droit se levoit autrefois en nature, mais par l'ordonnance de 1687, pour l'adjudication des gabelles, l'estrelage a été apprécié en argent, aussi-bien que tous les autres péages auxquels les sels des gabelles sont sujets sur les terres des seigneurs. Dictionn. de Comm. de Trév. & Chambers. (G)


ESTREMOou EXTREMOS, (Géog. mod.) ville de l'Alentejo, en Portugal : elle est située sur la Tera. Long. 10. 46. lat. 38. 44.


ESTRIBORou STRIBORD, (Marine) c'est le côté droit du vaisseau, eu égard à celui qui est assis à la poupe. On dit ordinairement stribord. Voyez STRIBORD.


ESTRIQUERv. act. en terme de Raffineur de sucre, c'est boucher les fentes & les crevasses que la terre fait tout-autour des bords de la forme en se séchant. Cela se fait en y mettant de la nouvelle terre, que l'on unit au niveau de l'autre avec un estriqueur. Voyez ESTRIQUEUR. Cette opération précede le rafraichi (voyez RAFRAICHI), parce que l'eau qu'on met alors sur la terre pourroit couler par ces crevasses, & faire des coulisses au pain. Voyez COULISSE.


ESTRIQUEURsubst. m. en terme de Raffinerie de sucre, est un morceau de cercle de bois plié en crochet, dont on se sert pour fermer la terre autour de la forme avant de rafraîchir. Voyez RAFRAICHIR.


ESTRIVIERESS. f. (Manuf. en soie) bouts de cordes attachés aux arbalestes des lisserons, quand il n'y a point de faux lisserons. Celles qui servent à faire lever la chaîne, tiennent aux calquerons ou carquerons ; & celles qui servent à faire baisser les lisses, tiennent aux arbalestes & aux faux lisserons.


ESTROPESTROPE. (Marine) Voyez ETROPE.


ESTROPIÉS. m. Il se dit, au simple, d'un animal qui a quelques-uns de ses membres défigurés, soit naturellement, soit par accident : on l'a transporté au figuré, à une multitude infinie d'objets différens.

ESTROPIE, adj. (Dessein & Peinture) se dit d'une figure d'un membre dessiné sans justesse & sans proportion. Ainsi une figure est estropiée, lorsque quelques-unes de ses parties sont trop grosses ou trop petites par rapport aux autres. On dit : ce peintre colorie bien, mais ses figures sont estropiées. (R)


ESTROPIER(Jardinage) Il est quelquefois à craindre qu'en arrachant les arbres dans des pepinieres, vous n'estropiez les racines des arbres voisins, c'est-à-dire que vous ne les coupiez, les écorchiez & ne les rompiez.

On peut encore estropier un arbre en le taillant mal, & lui ôtant les branches nécessaires à sa beauté & à la production des fruits. (R)


ESTUQUE(Géog. mod.) province du Biledulgerid, en Afrique.


ESTURGEONS. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) accipenser, poisson cartilagineux, qui a le corps long, & cinq rangs d'écailles osseuses, qui s'étendent d'un bout à l'autre, & qui forment les bords de cinq faces longitudinales. Le ventre est plat, les écailles sont terminées par une petite pointe ferme & recourbée. Le bec est long, large, mince, & prolongé au de-là de la bouche : il y a sous le bec quatre barbillons. La bouche est petite & dépourvûe de dents ; la queue ressemble à celle des chiens de mer ; le dessus du corps est d'un bleu noirâtre, & le dessous de couleur argentée. Ce poisson entre dans les grandes rivieres, & il y devient aussi grand qu'un poisson cétacée. On en a vû qui avoient plus de 16 piés de longueur, & qui pesoient jusqu'à deux cent soixante livres, mais dans la mer il ne passe guere un pié & demi. L'esturgeon est excellent à manger. Raii, synop. method. pisc. Rondelet, hist. des poissons. Voyez POISSON. (I)

* ESTURGEON, (Pêche) La pêche de l'esturgeon avec les tramaux dérivans commence en Février & dure jusqu'en Juillet & Août, & même plus tard, suivant la saison. Les pêcheurs qui font cette pêche dans la riviere, amarrent par un cordage de quelques brasses les bouts de leur tressure, qui a quelquefois plus de 100 brasses de long, à un pieu qui est planté à la rive, ou attaché à quelque arbre de bord. Le rets, suivant la profondeur des eaux, a 2, 3 & 4 brasses de chûte, & pour lors le tramail reste sédentaire sans dérive, & arrête au passage les créacs, c'est-à-dire les esturgeons qui montent ou qui descendent.

On fait encore cette même pêche à la seine, qui est traînée par deux petites filadieres montées chacune de trois à quatre hommes. Cette seine a une espece de sac ou chausse dans le milieu. Les Pêcheurs manoeuvrent toûjours de maniere que la marée soit portée dans la chausse, laquelle est soûlevée par le flot. Quand ils s'apperçoivent qu'il y a quelques esturgeons de pris, ils les retirent & les amarrent par des bouts de ligne qui passent au-travers des oüies & de la gueule du poisson : ils conservent ainsi les esturgeons vivans jusqu'à ce qu'ils en ayent assez pour faire un voyage à Bordeaux, où ils les portent tous ; & même un seul pêcheur amasse quelquefois les esturgeons des autres & les porte à la vente, pendant que les autres continuent leur pêche.


ESULE(Pharmacie & Matiere médic.) Voyez TITHYMALE.


ESUSS. m. (Myth.) divinité des Gaulois, à laquelle ils immoloient après la victoire tout ce qui tomboit vivant entre leurs mains. Ils arrosoient quelquefois ses autels du sang de leurs femmes & de leurs enfans. Esus étoit représenté à demi-nud, avec une hache à la main, qu'il laissoit tomber.


ESYMNETEadj. (Mythol.) surnom donné à Bacchus, & emprunté de la statue que Vulcain avoit faite de ce dieu, & que Jupiter même avoit donnée à Dardanus.


ETconjonction copulat. (Gram.) Ce mot marque l'action de l'esprit qui lie les mots & les phrases d'un discours, c'est-à-dire qui les considere sous le même rapport. Nous n'avons pas oublié cette particule au mot CONJONCTION ; cependant il ne sera pas inutile d'en parler ici plus particulierement.

1°. Notre & nous vient du latin &. Nous l'écrivons de la même maniere ; mais nous n'en prononçons jamais le t, même quand il est suivi d'une voyelle : c'est pour cela que depuis que notre Poésie s'est perfectionnée, on ne met point en vers un & devant une voyelle, ce qui feroit un bâillement ou hiatus que la Poésie ne souffre plus ; ainsi on ne diroit pas aujourd'hui :

Qui sert & aime Dieu, possede toutes choses.

2°. En latin le t de l'& est toûjours prononcé ; de plus l'& est long devant une consonne, & il est bref quand il précede une voyelle :

Qui mores hominum multorum vdt t rbs.

Horat. de Arte poëticâ, v. 143.

Reddere qui voces jam scit puer, t pd crt

Signat humum ; gestit paribus colldr, t rm

Colligit t ponit temerè, t mutatur in horas.

Ibid. v. 158.

3°. Il arrive souvent que la conjonction & paroît d'abord lier un nom à un autre, & le faire dépendre d'un même verbe ; cependant quand on continue de lire, on voit que cette conjonction ne lie que les propositions, & non les mots : par exemple, César a égalé le courage d'Alexandre, & son bonheur a été fatal à la république romaine. Il semble d'abord que bonheur dépende d'égalé, aussi-bien que courage ; cependant bonheur est le sujet de la proposition suivante. Ces sortes de constructions font des phrases louches, ce qui est contraire à la netteté.

4°. Lorsqu'un membre de période est joint au précédent par la conjonction &, les deux correlatifs ne doivent pas être séparés par un trop grand nombre de mots intermédiaires, qui empêchent d'appercevoir aisément la relation ou liaison des deux correlatifs.

5°. Dans les dénombremens la conjonction & doit être placée devant le dernier substantif ; la foi, l'espérance, & la charité. On met aussi & devant le dernier membre de la période : on fait mal de le mettre devant les deux derniers membres, quand il n'est pas à la tête du premier.

Quelquefois il y a plus d'énergie de répéter & : je l'ai dit & à lui & à sa femme.

6°. Et même a succédé à voire même, qui est aujourd'hui entierement aboli.

7°. Et donc : Vaugelas dit (Remarques, tome III. pag. 181.) que Coeffeteau & Malherbe ont usé de cette façon de parler : je l'entends dire tous les jours à la cour, poursuit-il, à ceux qui parlent le mieux ; il observe cependant que c'est une expression gasconne, qui pourroit bien avoir été introduite à la cour, dit-il, dans le tems que les Gascons y étoient en regne : aujourd'hui elle est entierement bannie. Au reste, je crois qu'au lieu d'écrire & donc, on devroit écrite hé donc : ce n'est pas la seule occasion où l'on a écrit & au lieu de l'interjection hé, & bien au lieu de hé bien, &c.

8°. La conjonction & est renfermée dans la négative ni. Exemple : ni les honneurs ni les biens ne valent pas la santé, c'est-à-dire, & les biens & les honneurs ne valent pas la santé. Il en est de même du nec des Latins, qui vaut autant que & non.

9°. Souvent, au lieu d'écrire & le reste, ou bien & les autres, on écrit par abréviation &c. c'est-à-dire & caetera. (F)


ET CAETERA(Jurisprud.) termes latins usités dans les actes & dans le style judiciaire, pour annoncer que l'on omet, pour abréger, le surplus d'une clause dont il n'y a que la premiere partie qui soit exprimée. L'usage de ces mots vient du tems que l'on rédigeoit les actes en latin, c'est-à-dire jusqu'en 1539 : on les a conservés dans le discours françois, comme s'ils étoient du même langage, lorsqu'en parlant on omet quelque chose.

C'est sur-tout dans les actes des notaires que l'on use de ces sortes d'abréviations, par rapport à certaines clauses de style qui sont toûjours sous-entendues ; c'est pourquoi on ne fait ordinairement qu'en indiquer les premiers termes, & pour le surplus on met seulement la lettre &c. c'est ce que l'on appelle vulgairement l'& caetera des notaires.

L'usage des & caetera de la part des notaires, étant une maniere d'abréger certaines clauses, semble avoir quelque rapport avec les notes ou abréviations dont les notaires usoient à Rome : ce n'est pourtant pas la même chose ; car les minutes des notaires de Rome étoient entierement écrites en notes & abréviations, au lieu que l'& caetera des notaires de France ne s'applique qu'à certaines clauses qui sont du style ordinaire des contrats, & que l'on met ordinairement à la fin : quae assidua sunt in contractibus, quae etsi expressa non sint, inesse videntur, suivant la loi quod si nolit, §. quia assidua, ff. de aedil. edicto. Dans nos contrats ces clauses sont conçues en ces termes : Promettant, &c. obligeant, &c. renonçant, &c. Chacun de ces termes est le commencement d'une clause qu'il étoit autrefois d'usage d'écrire tout au long, & dont le surplus est sousentendu par l'&c. Promettant de bonne-foi exécuter le contenu en ces présentes ; obligeant tous ses biens, meubles & immeubles à l'exécution dudit contrat ; renonçant à toutes choses à ce contraires.

Autrefois ces & caetera ne se mettoient qu'en la minute. Les notaires mettoient les clauses tout au long dans la grosse. Quelques praticiens, entr'autres Masuer, disent qu'ils doivent les interpréter & mettre au long à la grosse : mais présentement la plûpart des notaires mettent les & caetera dans les grosses & expéditions, aussi-bien que dans la minute ; & cela pour abréger. Il n'y a plus guere que quelques notaires de province qui étendent encore les & caetera dans les grosses & expéditions.

Mais soit que le notaire étende les & caetera, ou qu'il s'agisse de les interpréter, il est également certain qu'ils ne peuvent s'appliquer qu'aux objets qui sont déterminés par l'usage & qui sont de style, & sous-entendus ordinairement par ces termes, promettant, obligeant, renonçant ; ainsi les termes promettant & obligeant ne peuvent être étendus par ces mots, en son propre & privé nom, ni solidairement ou par corps ; & le terme renonçant ne peut s'appliquer qu'aux renonciations ordinaires, dont on a parlé, & non à des renonciations au bénéfice de division, discussion & fidéjussion ; ni au bénéfice du sénatus-consulte Velléïen, si c'est une femme qui s'oblige.

De même dans un testament l'& caetera ne peut suppléer la clause codicillaire qui y est omise ; toutes ces clauses, & autres semblables, indigent speciali notâ, & ne sont jamais sous-entendues.

Les & caetera ne peuvent donc servir à étendre les engagemens ou dispositions contenus dans les actes, ni y suppléer ce qui y seroit omis d'essentiel ; ils ne peuvent suppléer que ce qui est de style, & qui seroit toûjours sous-entendu de droit, quand on n'auroit point marqué d'& caetera : ainsi à proprement parler ils ne servent à rien.

Sur l'effet de cette clause, voyez Dumolin, cons. xxviij. & en son tr. des usures, quest. vij. Maynard, liv. VIII. ch. xxxj. Charondas, rép. liv. XII. n. 44. & liv. II. des pandectes ; Chorier sur Guipape, quest. cxxjx. la pratique de Masuer. tit. xviij. Loyseau, des off. liv. II. ch. v. n. 71. Danty, de la preuve par témoins, II. part. ch. j. aux additions.

Un seigneur, après avoir énoncé toutes les terres dont il est seigneur, ajoûte quelquefois un & caetera ; ce qui suppose qu'il possede encore d'autres seigneuries qui ne sont pas nommées, quoiqu'ordinairement chacun soit assez curieux de prendre tous ses titres ; mais quoiqu'il en soit, cet & caetera est ordinairement indifférent. Il y a néanmoins des cas où une autre personne pourroit s'y opposer : par exemple, si c'est dans une foi & hommage, ou aveu & dénombrement, & que le vassal, soit dans l'intitulé, soit dans le corps de l'acte, mît qu'il possede plusieurs fiefs, terres ou droits ; & qu'après en avoir énoncé plusieurs, il ajoûtât un & caetera pour donner à entendre qu'il en possede encore d'autres, le seigneur dominant peut blâmer l'aveu, & obliger le vassal d'exprimer tout au long les droits qu'il prétend avoir.

L'omission d'un & caetera fit dans le siecle précédent le sujet d'un différend très-sérieux, & même d'une guerre entre la Pologne & la Suede. Ladislas roi de Pologne, avoit fait en 1635 à Stumdorf une treve de vingt-six ans avec Christine reine de Suede ; ils étoient convenus que le roi de Pologne se qualifieroit roi de Pologne & grand duc de Lithuanie, & qu'ensuite l'on ajoûteroit trois &c. &c. &c. que Christine se diroit reine de Suede, grande-duchesse de Finlande, aussi avec trois &c. &c. &c. ce qui fut ainsi décidé à cause des prétentions que le roi de Pologne avoit sur la Suede, comme fils de Sigismond. Jean-Casimir qui regnoit en Pologne en 1655, ayant envoyé le sieur Morstein en Suede, lui donna des lettres de créance où par méprise on n'avoit mis à la suite des qualités de la reine de Suede que deux &c. &c. & au lieu de mettre de notre regne, on avoit mis de nos regnes ; ce qui déplut aux Suédois. Charles-Gustave arma puissamment, & ne voulut même pas accorder de suspension d'armes ; il fit la guerre aux Polonois, prit plusieurs villes. Voyez l'histoire du siecle courant, 1600, p. 347. (A)


ETABLAGou ETELLAGE, ou plûtôt ETALAGE, s. m. (Jurisprud.) en quelques coûtumes, comme en celle de Saint-Pol, art. 29, est un droit que le seigneur prend pour permettre aux marchands d'exposer & étaler leurs marchandises en vente. Ailleurs ce droit est appellé hallage, plaçage. (A)

ETABLAGE, s. m. (Art milit.) C'est ainsi qu'on appelle dans l'Artillerie, l'entre-deux des limonieres d'un avant-train ou d'une charrette. (Q)


ETABLES. m. (Econom. rustiq.) est un petit bâtiment dans la basse-cour d'une maison de campagne, ou une espece d'angard fermé où l'on tient le bétail. On appelle bouverie, celle où l'on met les boeufs ; bergerie, celle où l'on met les moutons, &c. Voyez BERGERIE, &c. (P)

ETABLE, s. f. (Marine) C'est la continuation de la quille du navire, laquelle commence à l'endroit où la quille cesse d'être droite. Voyez ETRAVE. (Z)

ETABLE, s'aborder de franc-étable. (Marine) C'est lorsque deux bâtimens se présentent la proue pour s'aborder ou s'enfoncer avec leurs éperons. S'aborder en belle ou debout au corps, c'est s'aborder par les flancs. (Z)


ETABLERv. act. (Manége, Maréchallerie) mot particulierement usité dans les haras, pour désigner l'action de mettre les poulains, les étalons & les jumens dans l'écurie. Voyez HARAS. (e)


ETABLIS. m. terme d'Art commun à presque tous les ouvriers : ils ont chacun leur établi. L'établi du bijoutier est une espece de table ayant tout-autour plusieurs places cintrées, pour autant d'ouvriers qui y travaillent. Ces places sont garnies vers le milieu d'une cheville plate, sur laquelle ils appuient leur ouvrage ; d'une peau en-dessous pour recevoir les limailles ; & d'un ou plusieurs tiroirs pour différens usages. Il faut que l'établi soit placé de maniere que toutes les places reçoivent également le grand jour. Il est soûtenu par un ou plusieurs piliers, outre qu'il est attaché ordinairement à l'appui d'une fenêtre. Voyez les Planches du Bijoutier.

Celui du Ceinturier, sur lequel il taille son ouvrage, est une espece de table ou comptoir de bois de la longueur de quatre ou cinq piés. Il en faut dire autant de celui du Chaînetier, du Charpentier, du Chauderonnier.

Mais outre cet établi commun à tant d'artisans, les Chauderonniers en ont encore un qui leur est propre, & qui fait une des principales parties de la machine qu'ils appellent tour à chauderons : on en parle ailleurs. Voyez TOUR DES CHAUDERONNIERS, & la figure, Planche du Chauderonnier.

L'établi du Ciseleur n'a rien de particulier.

Celui des Corroyeurs est une table faite de plusieurs planches fort unies & bien jointes ensemble, sur laquelle les Corroyeurs donnent le suif, l'huile, les couleurs aux cuirs, & toutes les façons, avec l'estive & la pommelle. Cette table a ordinairement trois piés & demi de largeur, & huit à neuf piés de longueur ; elle est posée sur deux ou trois treteaux, & assujettie de maniere que les mouvemens que les ouvriers se donnent en travaillant, ne puissent l'ébranler.

Le Marbreur de papier a deux établis ; l'un qui lui sert pour marbrer, & l'autre pour lisser. Le premier lui sert à poser le baquet, les peignes & les pots à couleurs ; il broye sur l'autre les couleurs & lisse le papier marbré & pour cet effet il est chargé de deux marbres ou pierres de liais, propres à ces deux usages différens. Voyez les Planches du Marbreur.

Voyez l'établi pour travailler les pierres de rapport, & l'étau qui sert à les tenir pour les scier, dans les Planches du Marqueteur en pierres de rapport.

L'établi des Menuisiers est une grosse table de bois d'hêtre pour l'ordinaire, montée sur quatre piés de bois de chêne forts à proportion, assemblés à doubles tenons dans ladite table, & par le bas avec quatre traverses ; à un pié du bout, & à trois pouces de la rive au bord du devant, est une mortoise quarrée qui perce de part en part de trois pouces en quarré, dans laquelle est un morceau de bois semblablement quarré, de neuf à dix pouces de long, dans lequel est monté le crochet de fer : c'est ce qui s'appelle boîte du crochet. Voyez les Planches de Menuiserie.

L'établi des Plombiers est une table de bois soûtenue par des treteaux placés de distance en distance : il a à une de ses extrémités un moulinet, avec une sangle autour, garnie d'un crochet de fer. Cet établi leur sert pour fondre les tuyaux sans soudure. Le moulinet & la sangle sont destinés à tirer des moules le boulon qui leur sert de noyau, lorsque la fonte est faite. Voyez les Planches du Plombier.

Celui des Tailleurs d'habits est une large table su laquelle ils coupent les habits ; & lorsque la besogne est taillée, ils montent sur cette table, se croisent les jambes sous eux, & travaillent à coudre & à achever leurs ouvrages.

L'établi des Bourreliers & des Selliers n'est autre chose qu'un dessus de table de quatre piés de longueur, & d'un pié & demi de largeur ; il est mobile, & se place sur une espece de bahut dans lequel ils jettent les rognures de leurs cuirs : c'est sur cette table que ces ouvriers coupent & taillent leurs cuirs avec le couteau à pié.

ETABLI, part. terme de Marine dont on se sert quelquefois pour dire être situé & gisant, & ce en parlant d'une côte : par exemple, la côte du Perou & du Chili est établie nord & sud, pour dire qu'elle est située nord & sud. (Z)


ETABLIRv. act. (Grammaire) terme fort usité dans la société, où il y a diverses significations déterminées par les expressions qu'on y ajoûte. Voici les principales.

Etablir un commerce avec des nations sauvages, c'est convenir avec elles des conditions sous lesquelles on veut négocier, des marchandises qu'on prendra d'elles, & de celles qu'on prétend leur donner en échange.

Etablir une manufacture ; c'est, en conséquence des lettres patentes qu'on a obtenues, rassembler des ouvriers & des matieres ; faire construire des machines ou des métiers convenables aux ouvrages qu'on veut entreprendre ; enfin occuper des fabriquans, ouvriers & artisans, qu'on a auparavant instruits, aux étoffes ou autres choses pour lesquelles on a obtenu le privilége.

Etablir un métier, c'est le faire monter & le mettre en état de travailler, y mettre des ouvriers qui y travaillent actuellement. Voyez METIER.

Etablir un comptoir, une loge, une factorie ; c'est mettre un marchand & des commis avec des marchandises dans un lieu propre pour le négoce. Voyez COMPTOIR, LOGE, FACTORIE.

Etablir se dit encore des fonds & des secours qu'on donne à un jeune marchand pour commencer son commerce, & des premiers succès qu'il a dans le négoce. Ce jeune homme commence à s'établir, ou son pere l'a bien établi.

Etablir une caisse ou mont de piété ; c'est faire des fonds pour les payemens ou les prêts qui doivent se faire dans l'une & dans l'autre. Dictionn. de Commerce, de Trévoux, & Chambers.

Etablir une ou plusieurs pierres, une ou plusieurs pieces de bois ; c'est tracer dessus quelque marque avec lettre alphabétique qui destine à chacune sa place. Dans les grands atteliers, chaque Appareilleur a sa marque particuliere pour reconnoître les pierres de son département.


ETABLISSEMENTS. m. (Gramm.) Il se prend dans tous les sens qu'a le verbe établir dans la même matiere. Voyez ETABLIR.

ETABLISSEMENT, (Jurispr.) stabilimentum, signifioit ce qui étoit établi par quelqu'ordonnance ou réglement. Il y a plusieurs anciennes ordonnances qui sont intitulées établissemens, entr'autres celles de S. Louis en 1270. Voyez ci-après ETABLISSEMENS DE S. LOUIS. (A)

ETABLISSEMENT DES FIEFS, stabilimentum feudorum ; c'est une ordonnance latine de Philippe-Auguste, datée du premier Mai 1209, faite dans une assemblée des grands du royaume à Villeneuve-le-Roi, près de Sens. Cette ordonnance est regardée par les connoisseurs comme la plus ancienne des rois de la troisieme race, qui porte une forme constitutive ; auparavant ils ne déclaroient leur volonté qu'en forme de lettres. Elle est singuliere, 1°. en ce qu'au lieu d'affermir les fiefs, comme le titre semble l'annoncer, elle tend au contraire à les réduire, en ordonnant que quand un fief sera divisé, tous ceux qui y auront part le tiendront nuement & en chef du seigneur, dont le fief relevoit avant la division ; & que s'il est dû pour le fief des services & des droits, chacun de ceux qui y auront part les payeront à proportion de la part qu'ils y auront : 2°. ce qui est encore plus remarquable, c'est qu'elle est rendue non-seulement au nom du roi, mais aussi en celui des seigneurs qui s'étoient trouvés en l'assemblée ; savoir le duc de Bourgogne, les comtes de Nevers, de Boulogne, & de Saint-Paul, le seigneur de Dampierre, & plusieurs autres grands du royaume qui ne sont pas dénommés dans l'intitulé. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, & M. de Boulainvilliers, lettres sur les parlemens, tome I. page 174. (A)

ETABLISSEMENS DE FRANCE, voyez ci-après ETABLISSEMENT DE S. LOUIS.

ETABLISSEMENS GENERAUX, étoient ceux que le roi faisoit pour tout le royaume, à la différence de ceux qu'il ne faisoit que pour les terres de son domaine : ces derniers n'étoient pas observés dans les terres des barons. Voyez Beaumanoir, chap. xlviij. p. 265. (A)

ETABLISSEMENT SUR LES JUIFS : il y a deux ordonnances latines concernant les Juifs, intitulées stabilimentum ; l'une de Philippe-Auguste, l'autre de Louis VIII. en 1223. Voyez les ordonnances de la troisieme race, tome I. (A)

ETABLISSEMENS-LE-ROI, sont la même chose que les établissemens de S. Louis. Voyez l'article suivant.

ETABLISSEMENS DE S. LOUIS, sont une ordonnance faite par ce prince en 1270 ; elle est intitulée les établissemens selon l'usage de Paris & d'Orléans, & de cour de baronie.

M. Ducange fut le premier qui donna en 1658 une édition de ces établissemens à la suite de l'histoire de S. Louis par Joinville. Dans sa préface sur ces établissemens, il dit que ce sont les mêmes que Beaumanoir cite sous le titre d'établissement-le-Roi ; ce qui se rencontre en effet assez souvent.

Dans un manuscrit de la bibliotheque de feu M. le chancelier Daguesseau, il y a en tête de cette ordonnance, ci commence li establissemens, le roy de France selon l'usage de Paris, & d'Orléans & de Touraine & d'Anjou, & de l'office de chevalerie & court de baron, &c. M. de Lauriere, dans ses notes sur ces établissemens, trouve ce titre plus juste, étant évident que les coûtumes d'Anjou, du Maine, de Touraine, & de Lodunois, ont été tirées en partie de ces établissemens.

Cette même ordonnance, dans un ancien registre qui est à l'hôtel-de-ville d'Amiens, est intitulée les établissemens de France confirmés en plein parlement par les barons du royaume.

Mais Ducange & plusieurs autres savans prétendent que ce titre est supposé ; que ces établissemens n'ont jamais eu force de loi, & qu'il n'est pas vrai qu'ils ayent été faits & publiés en plein parlement : ils se fondent,

1°. Sur ce que, suivant Guillaume de Nangis auteur contemporain, S. Louis étant parti d'Aiguemortes en 1269, le mardi d'après la Saint-Pierre qui arrive le 29 Juin, il n'est pas possible que ces établissemens ayent été publiés en 1270, avant le départ de ce prince pour l'Afrique.

2°. Sur ce que ces établissemens ne sont pas dans la forme des autres ordonnances, étant remplis de citations, de canons du decret, de chapitres des decrétales, & de plusieurs lois du digeste & du code.

3°. Ce qui est dit dans la préface, que ces établissemens furent faits pour être observés dans toutes les cours du royaume, n'est pas véritable ; car suivant l'article 15 du livre I. le douaire coûtumier est réduit au tiers des immeubles que le mari possédoit au jour du mariage ; au lieu que suivant le témoignage de Pierre de Fontaines & de Beaumanoir, le doüaire coûtumier étoit alors de la moitié des immeubles des maris, conformément à l'ordonnance de Philippe-Auguste en 1214, qui est encore observée dans une grande partie du royaume.

On répond à cela,

1°. Qu'il est constant que S. Louis fut près de deux mois à Aigue-mortes sans pouvoir s'embarquer, & qu'il mourut en arrivant à Tunis, la même année qu'il partit d'Aigue-mortes : ainsi étant décédé le 25 Août 1270, il s'ensuit qu'il étoit parti en 1270, & non en 1269, comme le dit Guillaume de Nangis ; ce qui est une erreur de sa part, ou une faute des copistes.

2°. La preuve du même fait se tire encore du testament de S. Louis, fait à Paris & daté du mois de Février 1269 ; car le roi étant parti vers le mois d'Août suivant, ce n'a pû être qu'en 1270.

3°. Quoique ces établissemens soient remplis de citations de canons, de decrétales, & de lois du digeste & du code, il ne s'ensuit pas que ce ne soit pas une ordonnance ; car de quelque maniere qu'elle ait été rédigée, dès que ces établissemens furent autorisés par le roi, c'étoit assez pour leur donner force de loi. Cette ordonnance n'est même pas la seule où il se trouve de semblables citations : celle que le même prince fit au mois de Mars 1268, porte (article 4.) que les promotions aux bénéfices seront faites selon les decrets des conciles & les décisions des peres ; & l'on doit être d'autant moins surpris de trouver tant de citations dans ces établissemens, que c'étoit-là l'ordonnance la plus considérable qui eût encore été faite ; que l'idée étoit de faire un code général, & que l'on n'avoit pas alors l'esprit de précision & le ton d'autorité qui convient dans la législation.

4°. S. Louis en confirmant ces établissemens n'ayant pas dérogé aux lois antérieures, ni aux coûtumes établies dans son royaume, il ne faut pas s'étonner si à Paris & dans plusieurs provinces le doüaire coûtumier a continué d'être de la moitié des immeubles du mari, suivant l'ordonnance de Philippe-Auguste en 1214.

Enfin ce qui confirme que ces établissemens furent revêtus du caractere de loi, c'est qu'ils sont cités non-seulement par des auteurs à-peu-près contemporains de S. Louis, tels que Philippe de Beaumanoir, mais aussi par des rois, enfans & successeurs de S. Louis, entr'autres par Charles-le-Bel dans ses lettres du 18 Juillet 1326, où il dit qu'en levant le droit d'amortissement sur les gens d'église, il suit les vestiges de S. Louis son bisayeul ; ce qui se rapporte évidemment au chapitre cxxv du premier livre des établissemens.

Toutes ces considérations ont déterminé M. de Lauriere à donner place à ces établissemens parmi les ordonnances de la troisieme race.

Ces établissemens sont divisés en deux livres. Le premier contient 168 chapitres, & le second en contient 42. Quoique les moeurs soient bien changées depuis cette ancienne ordonnance, elle sert cependant à éclaircir plusieurs points de notre droit françois. Voyez les notes de M. Ducange, & celles de M. de Lauriere sur cette ordonnance. (A)


ETABLURE(Marine) Voyez ETRAVE.


ETAGES. m. (Jurispr.) estagium seu stagium, signifioit maison, demeure, résidence.

Le devoir de lige étage étoit l'obligation des vassaux de résider dans la terre de leur seigneur, pour garder son château en tems de guerre.

Cet étage devoit se faire en personne par le vassal, huit jours après qu'il en avoit été sommé. Il devoit amener sa femme & sa famille ; & faute par lui de venir, le seigneur pouvoit saisir son fief.

Le vassal ne pouvoit retourner chez lui pendant la ligence, c'est-à-dire pendant le tems qu'il devoit l'étage ; & s'il le devoit à plusieurs seigneurs dans le même tems, il le faisoit successivement ; ou bien pendant qu'il étoit à l'étage d'un côté, de l'autre il fournissoit des hommes au seigneur.

Quand les vassaux n'avoient point de maison dans le lieu, le seigneur devoit leur en fournir. Voy. l'article 195 de la coûtume d'Anjou, & le 145 de celle du Maine, & le glossaire de Lauriere au mot Etage. (A)

ETAGE, terme d'Architecture ; on entend par ce mot toutes les pieces d'un ou de plusieurs appartemens, qui sont d'un même plain-pié.

Etage soûterrain, celui qui est voûté & plus bas que le rez-de-chaussée. Les anciens appelloient généralement tous les lieux voûtés sous terre, criptoporticus & hypogea.

Etage au rez-de-chaussée, celui qui est presqu'au niveau d'une rue, d'une cour, ou d'un jardin.

Etage quarré, celui où il ne paroît aucune pente du comble, comme un attique.

Etage en galetas, celui qui est pratiqué dans le comble, & où l'on voit des forces, des fermes, & autres pieces, quoique lambrissé. (P)

ETAGE, (Jard.) se dit d'un rang de branches, ainsi que d'un rang de racines placées horisontalement & sur la même ligne.


ETAGERS. m. (Jurisprud.) ou ESTAGIER, ou MANSIONNIER, c'est-à-dire celui qui demeure dans le fief ou terre qu'il tient du seigneur, ou qui est obligé d'y venir résider pendant un certain tems, en tems de guerre.

Il est parlé des étagers dans les coûtumes de Tours, Lodunois, Anjou, Maine, Perche, & Bretagne. Voyez ci-devant ETAGE. (A)

ETAGER LES CHEVEUX, terme de Perruquier, c'est tailler les cheveux de maniere que les plus hauts soient les plus courts, & les plus bas soient les plus longs, afin que quand ils sont frisés, les boucles soient arrangées sans se gêner les unes les autres.


ETAGUEITAQUE, ETAQUE, ITACLE, voyez ITAQUE.


ETAI(Marine) Voyez ETAY.


ETAINS. m. (Hist. nat. Minéralog. & Métallurg.) stannum, plumbum album, Jupiter, &c. c'est un métal blanc comme l'argent, très-flexible & très-mou, qui, quand on le plie, fait un bruit ou cri (stridor) qui le caractérise, & auquel il est aisé de le distinguer : c'est le plus leger de tous les métaux ; il n'est presque point sonore quand il est sans alliage, mais il le devient quand il est uni avec d'autres substances métalliques. C'est donc une erreur de croire, comme font quelques auteurs, que plus l'étain est sonore, plus il est pur. La pésanteur spécifique de l'étain est à celle de l'or comme 3 est à 8.

Les mines d'étain ne sont pas si communes que celles des autres métaux ; il s'en trouve cependant en plusieurs pays, tels que la Chine, le Japon, les Indes orientales. Celui qui nous vient de ces derniers pays est connu sous le nom d'étain de Malaque ; on lui donne la forme de petits pains ou de pyramides tronquées ; ce qui fait que les ouvriers le nomment étain en chapeau. Il s'en trouve aussi en Europe ; il y en a des mines en Bohème : celle de Schlakenwald en fournit une assez petite quantité, & passe pour contenir aussi de l'argent. Mais de tous les pays de l'Europe, il n'y en a point qui ait des mines d'étain aussi abondantes & d'une aussi bonne qualité, que la Grande-Bretagne ; elle étoit fameuse pour ses mines d'étain dans l'antiquité la plus reculée : on prétend que les Phéniciens en connoissoient la route, & y venoient chercher ce métal ; le savant Bochart croit même que le nom de Bretagne est dérivé du nom syrien Varatanac, qui signifie pays d'étain. Voyez le dict. de Chambers. Ce sont les provinces de Cornoüailles & de Devonshire qui en fournissent sur-tout une très-grande quantité.

Les mines d'étain, comme celles des autres métaux, se trouvent ou par filons, ou par masse, ou par morceaux détachés. Voyez l'article FILON & MINE. Dans la province de Cornoüailles, les filons de mines d'étain sont environnés d'une terre rougeâtre ferrugineuse, qui n'est vraisemblablement que de l'ochre. Ces filons ne sont quelquefois que légerement couverts de terre, & viennent même souvent aboutir & se montrer à nud à la surface ; mais quand ils sont cachés dans le sein des montagnes, les mineurs cherchent aux environs de l'endroit où ils soupçonnent une mine d'étain, s'ils ne trouveront point ce qu'ils appellent en anglois shoads : ce sont des fragmens du filon métallique, qu'ils supposent en avoir été détachés, soit par la violence des eaux du déluge universel, soit par les pluies, les torrens, ou d'autres révolutions particulieres. On distingue ces fragmens de mine des autres pierres, par leur pesanteur : on dit qu'ils sont quelquefois poreux & semblables à des os calcinés. Quand ils en trouvent, ils ont lieu de croire qu'ils ne sont point éloignés du filon. Ils ont encore plusieurs manieres de s'assûrer de la présence d'une mine d'étain ; mais comme elles sont communes à toutes les mines en général, nous en parlerons aux mots MINE, FILON, &c.

La direction des filons de mine d'étain de Cornoüailles & de Devonshire, est ordinairement de l'occident à l'orient, quoique dans d'autres parties d'Angleterre les filons aillent ordinairement du nord au sud ; pour lors constamment ces filons s'enfoncent vers le nord perpendiculairement de trois piés sur huit de cours. Les mineurs ont remarqué que les côtés latéraux de ces filons qui vont de l'occident à l'orient, ne sont jamais perpendiculaires, mais toûjours un peu inclinés. Voyez les Transactions philosophiques, n°. 69.

Quand on a découvert une mine d'étain, on en fait l'exploitation de même qu'aux mines des autres métaux, c'est-à-dire qu'on y pratique des puits, des galeries, des percemens, &c. Voyez ces différens articles. On trouve dans les mines d'étain de Cornoüailles des crystaux polygones, que les mineurs appellent Cornish diamonds, diamans de Cornoüailles. Il paroit qu'on peut les regarder comme une espece de grenats : en effet on dit qu'ils sont d'un rouge transparent comme le rubis ; d'ailleurs ils ont assez de dureté pour pouvoir couper le verre. Voyez les Transactions philosophiques, n°. 138.

Il y a en Saxe dans le district d'Altemberg une mine d'étain en masse que les Allemands nomment stockwerck, qui peut être regardée comme un prodige dans la Minéralogie ; cette mine a environ 20 toises de circonférence, & fournit de la mine d'étain depuis la surface de la terre jusqu'à 150 toises de profondeur perpendiculaire.

La mine d'étain se trouve aussi par morceaux détachés, & même en poussiere, & pour lors elle est répandue dans les premieres couches de la terre : c'est ce que les mineurs allemands nomment seyffenwerck, & les anglois shoads. A Eybenstock en Saxe il y a une mine de cette espece ; on fouille le terrein l'espace de plusieurs lieues jusqu'à six & même dix toises de profondeur, pour le laver & en séparer la partie métallique : on y trouve des fragmens de mine de fer & de mine d'étain, & de ces mines en poudre ; on y rencontre aussi quelquefois des paillettes d'or. Dans d'autres endroits du même district on ne fouille le terrein, pour le laver, qu'à quatre toises de profondeur, parce que le roc se trouve au-dessous, & l'on ne va pas plus avant ; peut être l'expérience a-t-elle appris qu'il ne s'y trouvoit rien ; cependant suivant les principes des Anglois, les fragmens de mine d'étain (shoads) annoncent le voisinage d'un filon, dont ils supposent toûjours que ces fragmens ont été détachés. Quoiqu'il en soit, on fait un canal le long de ce terrein dans lequel on fait venir de l'eau d'une hauteur voisine, afin qu'elle puisse entraîner la partie terrestre inutile ; on place des fagots & broussailles dans le fond du canal pour arrêter la partie minérale qui peut être utile ; des laveurs en bottes à l'épreuve de l'eau descendent dans le canal, & remuent avec des rateaux garnis de dents de fer ; ils jettent hors du canal tout ce qui se trouve de pierreux ; des jeunes garçons choisissent & mettent à part ce qui est bon. On enleve tous les jours avec une pelle la matiere pesante qui s'est déposée au fond du canal, & que l'eau n'a pû emporter ; on la passe par un crible de fil-de-fer ; on regarde ce qui a passé comme de la mine prête à fondre ; on porte le reste au bocard pour y être mis en poudre & lavé. Ces détails sont tirés de deux mémoires de MM. Saur & Blumenstein, insérés dans le traité de la fonte des mines de Schlutter, publié en françois par M. Hellot, de l'académie des Sciences, tome II. pag. 591 & 587 & 588.

Voici, suivant la minéralogie de M. Wallerius, les différentes especes de mines d'étain connues.

1°. L'étain vierge ; c'est de l'étain qu'on suppose n'être point minéralisé ni avec le soufre, ni avec l'arsenic, mais qui est tout pur & sous la forme métallique. On le dit très-rare ; cependant plusieurs naturalistes nient l'existence de l'étain vierge, & prétendent que les morceaux de mines sur lesquels on voit des grains d'étain tout formés, ne présentent ce métal que parce qu'on a employé le feu pour détacher la mine ; opération dans laquelle l'étain qui étoit minéralisé auparavant, a été réduit, c'est-à-dire mis dans l'état métallique.

2°. Les crystaux d'étain, que les minéralogistes allemands nomment zinn-graupen : c'est de l'étain combiné avec du fer & de l'arsenic, qui a pris un arrangement régulier sous la forme de crystaux à plusieurs côtés, dont les facettes sont très-luisantes ; les sommets des angles sont tronqués Ces crystaux sont, à l'exception des vrais métaux, la substance la plus pesante qu'il y ait dans la nature. M. Nichols dit que leur pesanteur spécifique est à celle de l'eau, comme 90 1/2 est à 10 ; ce qui a lieu de surprendre ; d'autant plus que l'étain est le plus leger des métaux. Voyez les Transactions philosophiques, n° 403. Ils ne sont point durs ; la couleur en est ou blanche, ou jaune, ou rougeâtre, ou brune, ou noire ; ils sont ordinairement transparens & de différentes grandeurs.

3°. La mine d'étain appellée Zwitter par les Allemands ; c'est de l'étain minéralisé avec le fer & l'arsenic. On ne peut point y remarquer de figure réguliere ; c'est un amas de petits crystaux difficiles à distinguer, qui sont renfermés dans des matrices ou minieres de différente nature. Il paroît qu'elle ne differe de la précédente, que par la petitesse de ses crystaux, & qu'elle ne doit en être regardée que comme une variété. C'est la mine d'étain la plus commune.

4°. La pierre d'étain ; c'est de la mine d'étain qui a pour matrice de la pierre de différente espece, qui en masque les petits crystaux ; ce qui fait qu'elle ressemble à des pierres ordinaires, dont on ne peut la distinguer que par sa pesanteur, & par l'odeur arsénicale que le feu en fait partir.

5°. La mine d'étain dans du sable : ce sont des particules de mine d'étain qui se trouvent mêlées avec de la terre ou du sable, qu'elles rendent noir.

Il est aisé de voir que ces deux dernieres especes ne devroient être regardées que comme des variétés des deux précédentes ; ainsi il n'y a réellement que deux especes de mines d'étain : ce sont celles des n° 2 & 3. La premiere paroît purement chimérique.

M. Cramer, dans sa docimasie, parle d'une mine d'étain blanche, demi-transparente, très-pesante, qui ressemble assez à du spath à l'extérieur : c'est, selon lui, de toutes les mines d'étain la plus rare. Cette mine est, selon toute apparence, de la seconde espece. On peut encore mettre les grenats au nombre des mines d'étain, attendu que ces pierres en contiennent souvent une portion, quoique très-petite. En général on peut dire que les mines d'étain sont composées d'étain, de beaucoup de parties ferrugineuses, d'une grande quantité d'arsenic, & d'une terre subtile, facile à vitrifier ou à réduire en scories.

La mine d'étain se trouve dans des pierres de toute espece comme les mines des autres métaux ; M. Henckel remarque cependant que c'est le talc blanc ou argent de chat & la stéatite, qui lui servent de matrice, au lieu qu'il est rare que ce soit du spath.

La mine d'étain est quelquefois engagée dans des roches si dures, que les outils des ouvriers ne peuvent la détacher ; & il y auroit de l'inconvénient à la faire sauter avec de la poudre, pour lors on fait brûler du bois contre le roc, afin que le feu venant à la pénétrer la rende plus tendre & plus facile à détacher ; la mine qui a été tirée de cette maniere ne peut être écrasée sous les pilons du bocard, qu'après avoir été préalablement calcinée, parce que sans cela elle seroit trop dure.

Voici une maniere de faire l'essai d'une mine d'étain ; elle est de M. Henckel. Prenez une partie d'étain noir, c'est-à-dire de mine d'étain grillée, pulvérisée & lavée, ou bien de mine d'étain réduite en poudre, de potasse ou de flux noir deux parties, de poix un quart, & d'huile de lin un huitieme : faites fondre brusquement le tout dans un creuset à grand feu. Voyez les élemens de Minéralogie de M. Henckel, part. II.

Les mines d'étain se trouvent presque toûjours unies avec un grand nombre de substances, qui les rendent difficiles à traiter ; telles sont sur-tout les mines de fer arsénicales & réfractaires, que les Allemands nomment wolffram, eisenmahl schirl, &c. les ochres, les pyrites : cela vient de la facilité avec laquelle le fer s'unit avec l'étain dans la fusion. Un autre obstacle vient encore des pierres réfractaires, c'est-à-dire non-calcinables & non-vitrifiables, qui accompagnent très-fréquemment la mine d'étain : telles que le talc, le mica, la pierre de corne (hornstein), &c.

Les mines d'étain d'Angleterre se trouvent fréquemment jointes avec une substance, que les mineurs anglois appellent mundic ; ce n'est autre chose qu'une pyrite arsénicale, & qui est quelquefois un peu cuivreuse. Avant donc que de traiter la mine d'étain au fourneau, il faut la séparer autant qu'on peut de toutes ces matieres étrangeres, qui rendroient l'étain impur & lui ôteroient sa ductilité. On se sert pour cela du bocard, on y fait écraser la mine, & l'eau des lavoirs entraîne les particules étrangeres, tandis que la mine d'étain qui, comme on l'a remarqué, est très-pesante, reste au fond du lavoir. Les Anglois nomment black-tin, étain noir, la mine d'étain, lorsqu'elle a été ainsi préparée : les Allemands la nomment zinnstein, pierre d'étain. Mais ce lavage ne suffit pas ; il faut encore outre cela que la mine, après avoir été écrasée & lavée, soit grillée, afin d'en dégager la partie arsénicale. Ce grillage se fait dans un fourneau de reverbere qui est quarré : ce fourneau est fermé en-haut par une large pierre qui a 6 piés de long & 4 piés de large, au milieu de laquelle est une ouverture quarrée d'un demi-pié de diametre. Cette pierre sert à en couvrir une autre semblable, qui est à un pié de distance au-dessous ; mais cette derniere est moins longue qu'elle d'un demi-pié, parce qu'il ne faut point qu'elle aille jusqu'au fond du fourneau, attendu qu'il faut y laisser une ouverture pour le passage de la flamme qui vient de dessous, où l'on fait un grand feu de fagots. La partie antérieure ressemble à un four ordinaire à cuire du pain. Lorsque ce fourneau a été bien échauffé, on verse l'étain noir par l'ouverture quarrée qui est à la pierre supérieure, il tombe sur la seconde pierre ; & quand elle en est couverte à trois ou quatre doigts d'épaisseur, on bouche l'ouverture de la pierre supérieure, afin que la flamme puisse rouler sur la matiere qu'on veut griller. Pendant ce tems, un ouvrier remue continuellement cette matiere avec un rable de fer, afin que tout le mundic soit entierement consumé ; ce que l'on reconnoît lorsque la flamme devient jaune, & par la diminution des vapeurs : car tant que le mundic brûle, la flamme est d'un bleu très-vif. Pour lors on pousse toute la matiere grillée dans le foyer du fourneau par l'ouverture qui est au fond, & l'on retire le mêlange de mine, de charbons & de cendres, par une ouverture quarrée qui est pratiquée à un des côtés du foyer. On laisse refroidir le tout à l'air libre pendant trois jours ; ou si l'on n'a pas le tems d'attendre, on l'éteint avec de l'eau, & ce mêlange devient comme du mortier. Il faut l'écraser de nouveau, avant que de le porter au fourneau de fusion. Voy. les Transactions philosophiques n°. 69.

Cependant il y a des mines d'étain assez pures pour pouvoir être traitées au fourneau de fusion, sans qu'il soit besoin de les griller auparavant. Quelquefois les mines d'étain sont mêlées d'une si grande quantité de parties ferrugineuses, qu'il est impossible de les en séparer entierement par le lavage ; celle de Breytenbrunn en Saxe est dans ce cas. Voici, suivant M. Saur, la maniere dont on s'y prend pour la dégager de son fer : elle est assez singuliere pour trouver place ici. D'abord on brise la mine en morceaux à-peu-près de la grosseur d'un oeuf, puis on la calcine & on l'écrase au bocard ; on la lave ensuite & on la calcine de nouveau dans un fourneau de reverbere : après quoi on met environ 50 livres de la mine ainsi préparée dans une bassine, & on passe par-dessus un aimant pour attirer le fer qu'on sépare à mesure que l'aimant s'en est chargé ; & l'on continue cette longue manoeuvre jusqu'à ce qu'on ait enlevé le fer autant qu'on a pû. La même chose se pratique en Boheme ; mais il suffit que la mine ait été pilée & lavée, sans qu'il soit besoin qu'elle soit calcinée. Voy. le traité de la fonte des mines de Schlutter, page 586 tome II. de la traduction françoise.

Dans les mines d'étain d'Allemagne, on sait encore tirer parti du soufre & de l'arsénic qui sont dégagés dans la calcination de la mine ; pour cet effet la fumée qui en part est reçue dans une cheminée de 40 ou 50 toises de longueur qui va horisontalement, & aux parois de laquelle l'arsénic s'attache sous la forme d'une poussiere blanche. La même chose se pratique pour la calcination des mines de cobalt. Voyez l'article COBALT.

Lorsque la mine d'étain a été préparée de la maniere qui vient d'être décrite, elle est en état d'être traitée au fourneau de fusion. Nous allons donner le détail de cette opération, telle qu'elle est décrite dans l'ouvrage allemand de Roessler, qui a pour titre, speculum Metallurgiae politissimum.

Le fourneau où l'on fait fondre l'étain, est un fourneau à manche de la même espece que celui où l'on traite la mine de plomb, excepté qu'il est plus petit, parce que l'étain se fond plus aisément que le plomb. Il faut que le sol du fourneau soit élevé d'environ quatre piés au-dessus du rez-de-chaussée de l'attelier ou de la fonderie ; le sol du fourneau se fait avec une table de pierre sur laquelle on éleve les murs latéraux : le tout doit être fait avec des pierres propres à résister au feu, que l'on maçonne avec de la glaise mêlée d'ardoise pilée ; en fermant le fourneau, on laisse par-devant un oeil ou ouverture d'environ deux doigts, pour que l'étain & ses scories puissent tomber dans la casse ou le bassin que l'on aura pratiqué à environ un demi-pié au-dessous de l'oeil pour les recevoir. Il faut que l'ouverture par où passe la tuyere soit disposée de façon que le vent des soufflets aille donner directement sur l'oeil par où la matiere fondue doit passer ; quand la fusion sera en train, l'étain fondu tombera dans la casse accompagné de ses scories, que l'on a soin d'enlever continuellement, & de mettre à part. L'étain se purifie dans cette casse ; on a soin qu'il y soit toûjours tenu en fusion ; c'est pourquoi on y met continuellement de la poussiere de charbon, & il faut que le vent des soufflets vienne donner sur cet étain fondu en passant par l'oeil du fourneau ; c'est pour cela que la casse ne doit point être placée trop bas au-dessous de l'oeil. Sur le rez-de-chaussée, au pié de la casse, on pratique un creux ou fosse oblongue que l'on forme avec de la pierre & de la terre grasse ; ce creux sert à mettre l'étain pur que l'on puise à mesure avec des cuilleres de fer dans la casse, quand il s'est un peu refroidi ; ou bien on fait un trou de communication de la casse avec la fosse ; & quand la casse est assez pleine, on débouche ce trou pour laisser couler l'étain fondu qui va s'y rendre. Au haut du fourneau on pratique une chambre sublimatoire (c'est une espece de caisse de bois que l'on enduit par-dedans avec de la terre grasse, pour que le feu ne puisse pas s'y mettre) ; on y laisse quelques ouvertures ou fenêtres pour le passage de la fumée : cette chambre est destinée à retenir les particules les plus légeres de la mine d'étain que la violence du feu pourroit entraîner en l'air ; quelquefois on forme une seconde chambre au-dessus de la premiere ; on fait des degrés à côté du fourneau pour pouvoir monter à ces chambres, & une porte pour pouvoir charger le fourneau. On ne se sert point de brasque, c'est-à-dire d'un enduit de terre & de charbon pour garnir ces fourneaux ; on y employe seulement un mélange de terre grasse & d'ardoise pilée. Pour charger le fourneau, on y met des couches alternatives de charbon & de mine mouillée ; on fait fondre brusquement, afin que l'étain n'ait point le tems de se calciner, de se dissiper ou de se réduire en chaux, & pour qu'il ne fasse, pour ainsi dire, que passer au-travers du fourneau ; la mine qui est en gros morceaux, ne doit pas être confondue avec celle qui a été réduite en une poudre fine ; il faut donc l'assortir & se régler là-dessus pour faire aller le vent des soufflets : on donne, par exemple, un vent très-fort pour la mine la plus grossiere & pour les scories qu'on remet au fourneau ; mais on le modere à proportion que la mine est plus ou moins fine. Lorsque la mine est d'une bonne espece, & qu'elle a été dûment préparée & séparée des substances étrangeres, on a de l'étain très-coulant, c'est-à-dire qui entre bien en fusion, & qui est très-ductile & très-doux ; mais si l'on n'a pas eu toutes les précautions nécessaires dans le travail préliminaire, & qu'on n'ait pas suffisamment divisé la mine avant de la porter au fourneau, on aura un étain aigre & cassant comme du verre. Le moyen d'y remédier, sera de le remettre au fourneau avec des scories qui lui enleveront son aigreur, & le rendront tel qu'il doit être. Les scories qu'on a enlevé de dessus l'étain fondu se jettent dans l'eau, & on les écrase pour les remettre au fourneau avec les crasses qui peuvent contenir encore des parties métalliques. Les scories peuvent être employées jusqu'à deux ou trois fois dans la fonte, pour achever d'en tirer l'étain qui peut y être resté.

Voilà la maniere dont le travail de l'étain se sait en Allemagne ; on ignore si elle est la même en Angleterre, d'autant plus que les Anglois n'en ont donné nulle part un détail satisfaisant, quoique personne ne fût plus à portée de jetter du jour sur cette matiere ; s'ils ont eu peur de divulguer leur secret aux autres nations, leur crainte est très-mal fondée, puisqu'en donnant la maniere d'opérer, ils ne donneroient pas pour cela les riches mines d'étain dont leur pays est seul en possession. Quoi qu'il en soit, voici le peu qu'on a pû découvrir de leurs procédés ; il a été communiqué à M. Roüelle, de l'académie royale des Sciences, à qui l'on en est redevable.

Le fourneau de fusion paroît être à-peu-près le même que celui de Roessler ; l'étain au sortir du fourneau est reçu dans une casse où il se purifie ; quand cette casse est remplie, on laisse au métal fondu le tems de se figer, sans cependant se refroidir entierement, pour lors on frappe à grands coups de marteau à sa surface ; cela fait que l'étain se fend & se divise en morceaux qui ressemblent assez aux glaçons qui s'attachent en hiver le long des toîts des maisons : c'est-là ce qu'on appelle étain vierge ; l'exportation en est, dit-on, défendue sous peine de la vie par les lois d'Angleterre.

On fait ensuite fondre de nouveau cet étain ; on le coule dans des lingotieres de fer fondu fort épaisses ; elles ont deux piés & demi de long sur un pié de large, & un demi-pié de profondeur. Ces lingotieres sont enterrées dans du sable, qu'on a soin de bien échauffer. Après y avoir coulé l'étain, on les couvre de leurs couvercles qui sont aussi de fer. On laisse refroidir lentement ce métal pendant deux fois vingt-quatre heures. Lorsqu'il est tout-à-fait refroidi, on sépare chaque lingot horisontalement en trois lames, avec un ciseau & à coups de maillet. La lame supérieure est de l'étain très-pur, & par conséquent fort mou ; on y joint trois livres de cuivre au quintal, afin de lui donner plus de corps. La seconde lame du lingot qui est celle du milieu, est de l'étain plus aigre ; parce qu'il est joint à des substances étrangeres, que le travail n'a point pû entierement en dégager : pour corriger cette aigreur, on joint cinq livres de plomb sur un quintal de cet étain. M. Geoffroi dit qu'on y joint deux livres de cuivre. La troisieme lame est plus aigre encore, & l'on y joint neuf livres de plomb, ou dix-huit, suivant M. Geoffroi, sur un quintal ; alors on fait encore refondre le tout ; on le fait refroidir promtement : c'est-là l'étain ordinaire qui vient d'Angleterre. On voit par-là qu'il n'est pas aussi pur qu'on se l'imagine, & qu'il est déjà allié avec du cuivre & du plomb avant que de sortir de ce pays.

Les Potiers-d'étain allient leur étain avec du bismuth ou étain de glace. Ceux de Paris mêlent du cuivre & du régule d'antimoine avec l'étain de Malaque ; ensuite de quoi quand ils en veulent former des vases ou de la vaisselle, on le bat fortement à coups de marteau, afin de rendre cet alliage sonore. C'est ce qu'on appelle écroüir l'étain.

Après avoir décrit les principaux travaux de l'étain, nous allons parler de ses propriétés & des phénomenes qu'il présente. L'étain s'unit facilement avec tous les métaux ; mais il leur ôte leur ductilité, & les rend aigres & cassans comme du verre : c'est cette mauvaise qualité de l'étain qui l'a fait appeller par quelques chimistes, diabolus metallorum. Un grain d'étain suffit, suivant M. Wallerius, pour ôter la malléabilité à un marc d'or ; la vapeur même de l'étain, quand il est exposé à l'action violente du feu, peut produire le même effet : il le produit cependant moins sur le plomb, que sur les autres métaux. Voyez Cramer, tome I. page 60. Urbanus Hiaerne, tome II. pag. 92 & 102 ; & le laboratoire chimique de Kunckel.

L'étain entre en fusion au feu très-promtement ; quand il est fondu, il se forme à sa surface une pellicule qui n'est autre chose qu'une chaux métallique. Cette chaux d'étain s'appelle potée ; elle sert à polir le verre, &c. Voyez POTEE.

Si on expose l'étain au foyer d'un miroir ardent, il répand une fumée fort épaisse, & se réduit en une chaux blanche, légere & fort déliée ; en continuant, il entre en fusion, & forme des petits crystaux semblables à des fils. Voyez Geoffroi, materia medica, page 283. tom. I.

Si on fait fondre ensemble parties égales de plomb & d'étain, en donnant un feu violent, l'étain se sépare du plomb pour venir à sa surface, y brûle en scintillant, & donne une fumée comme feroit une plante. Dans cette opération, l'étain se réduit en une chaux, & prend un arrangement symmétrique strié ; mais il faut pour cela que l'opération se fasse dans un creuset découvert, parce que le contact de l'air est nécessaire pour qu'elle réussisse. Cette préparation s'appelle étain fulminé sur le plomb ; elle donne une couleur jaune, propre à être employée sur la porcelaine & dans l'émail.

L'étain entre dans la composition de la soudure pour les métaux mous. Voyez l'art. SOUDURE. Il entre aussi dans la composition du bronze. Voyez BRONZE. Pour lors on l'allie avec du cuivre.

Si on fait fondre ensemble quatre parties d'étain & une partie de régule d'antimoine, & que sur deux parties de cet alliage on en mette une de fer, on obtiendra une composition métallique très-dure, qui fait feu lorsqu'on la frappe avec le briquet ; si on en met dans du nitre en fusion, il se fait un embrasement très-violent. Cette expérience est de Glauber.

En faisant fondre une demi-livre d'étain, y joignant ensuite une once d'antimoine & une demi-once de cuivre jaune, on aura une composition d'étain qui ressemble à de l'argent. On peut y faire entrer du bismuth au lieu de régule, & du fer ou de l'acier, au lieu de cuivre jaune ; le fer rend cette composition plus dure & plus difficile à travailler ; mais elle en est plus blanche. Ce procédé est de Henckel.

M. Wallerius rapporte un phénomene de l'étain qui mérite de trouver place ici : " Si on met du fer dans de l'étain fondu, ces deux métaux s'allient ensemble ; mais si on met de l'étain dans du fer fondu, le fer & l'étain se convertissent en petits globules, qui crevent & font explosion comme des grenades ". Voyez la minéralogie de Wallerius, tom I. pag. 546, de la traduction françoise.

Si on fait un alliage avec de l'étain, du fer, & de l'arsenic, on aura une composition blanche, dure, un peu cassante, propre à faire des chandeliers, des boucles, &c. mais elle noircit à l'air, après y avoir été exposée quelque tems.

L'étain s'attache extérieurement au fer & au cuivre : c'est sur cette propriété qu'est fondée l'opération d'étamer. Voy. cet article & celui de FER-BLANC.

L'étain fait une détonation vive avec le nitre ; il donne une flamme très-animée : par cette opération il se réduit en une chaux absolue. Cinq parties d'étain en grenailles, mêlées avec trois parties de soufre pulvérisé & mises sur le feu, s'enflamment vivement, & l'étain se réduit en une chaux d'une couleur de cendre ; si on continue la calcination, cette chaux devient brune comme de la terre d'ombre ; si on l'expose au fourneau de reverbere, elle devient d'un blanc sale ou jaunâtre : cette chaux d'étain fondue avec du verre de plomb & du sable, forme un verre opaque d'un blanc de lait, propre aux émaux & à faire la couverte de la fayence. Voy. les articl. EMAIL. & FAYENCE.

Il est très-difficile de réduire la chaux de l'étain, lorsqu'elle a été long-tems calcinée. Il y a lieu de soupçonner qu'une partie de ce métal a été détruite par la calcination.

L'étain se dissout, mais avec des différences, dans tous les acides. Il se dissout dans l'acide vitriolique, de la maniere suivante : on met deux ou plusieurs parties d'huile de vitriol sur une partie d'étain dans un matras, & on fait évaporer le mêlange jusqu'à siccité ; on reverse de l'eau sur le résidu ; & en donnant un degré de chaleur convenable, il se met en dissolution. Si on verse de l'alkali volatil dans cette dissolution, il se précipite une poudre blanche qui, selon Kunckel, montre des vestiges de mercure.

L'esprit de nitre dissout l'étain, mais il faut qu'il ne soit point trop concentré. Cette dissolution est d'un grand usage pour la teinture en écarlate, parce qu'elle exalte considérablement la couleur de la cochenille, & produit la couleur écarlate, ou le ponceau : mais pour réussir il faut que la dissolution de l'étain dans l'eau-forte se fasse lentement ; parce qu'il est important de ne pas laisser dissiper la partie mobile de l'acide nitreux qui part lorsque la dissolution se fait trop rapidement : rien n'est donc plus à propos que d'affoiblir le dissolvant.

L'étain dissous dans l'eau régale, forme une masse visqueuse comme de la glu, opale & blanchâtre. Quand ce métal est allié avec du cuivre, la dissolution devient verdâtre : mais pour que la dissolution réussisse il faut, suivant Cassius, que l'eau régale soit composée de parties égales d'esprit de sel marin & d'acide nitreux ; ou, selon M. Marggraf, de huit parties d'esprit de nitre & d'une partie de sel ammoniac : pour lors il se précipite une poudre grise, qui est de l'arsenic ; sur quoi l'on remarquera qu'il est très-difficile de séparer cette substance de l'étain par la voie seche ; il faut avoir recours à la voie humide.

Le vinaigre distillé agit aussi sur l'étain, mais difficilement ; l'alkali fixe dissous dans l'eau, l'attaque lorsqu'il est en limaille. L'étain s'unit facilement avec le soufre, & de cette union il en résulte une masse striée comme l'antimoine, fragile & difficile à fondre. Il est dissous parfaitement par l'hepar sulphuris.

L'étain s'amalgame très-bien avec le mercure, & fait avec lui une union parfaite : c'est sur cette propriété qu'est fondée l'opération d'étamer les glaces. Voyez l'article GLACES.

Pour faire le beurre d'étain ou étain corné, on fait un amalgame composé de parties égales d'étain & de mercure ; à une partie de cet amalgame, on joint trois parties de sublimé corrosif, on distille ce mélange : alors l'acide du sel marin abandonne le mercure pour s'unir avec l'étain, & le rend volatil. Cette liqueur répand continuellement des vapeurs blanches : on l'appelle liqueur fumante de Libavius. Les Alchimistes font usage de cette liqueur pour la volatilisation de l'or.

Mais parmi les phénomenes que présente l'étain, il n'en est point de plus remarquable que celui par lequel on obtient la précipitation de l'or en couleur pourpre. Cette opération se fait en mettant tremper des lames d'étain bien minces & bien nettes dans une dissolution d'or, dans l'eau régale étendue de beaucoup d'eau : pour lors il se fait un précipité d'un rouge foncé ou pourpre très-beau. Ce précipité dûement préparé peut servir à donner de la couleur aux verres, aux pierres précieuses factices, aux émaux, à la porcelaine, &c. il y a beaucoup d'autres façons de la préparer, qu'il seroit trop long de rapporter ici. Celle que nous venons d'indiquer est celle de Cassius, chimiste allemand. L'étain ainsi uni avec la dissolution d'or sans être édulcorée, peut teindre en pourpre la laine blanche, les poils, les plumes, les os, &c. en les faisant tremper dans de l'eau chaude, où l'on aura mis un peu de la dissolution qui vient d'être décrite. Voyez Juncker, conspectus chemiae, tab. xxxvij. p. 966. La dissolution d'étain ayant la propriété de donner une couleur pourpre avec la dissolution de l'or, il n'est point de moyen plus sûr pour éprouver s'il y a de l'or mêlé avec quelqu'autre matiere ; parce que pour peu qu'il y en ait, la dissolution d'étain versée dans la dissolution d'or ne manquera pas de le déceler.

M. Henckel, dans son traité intitulé flora saturnisans, dit que plusieurs auteurs ont cru qu'on pouvoit tirer de l'étain du genêt (genista) ; il cite à ce sujet un ouvrage qui a pour titre astronomia inferior, dans lequel on rapporte la lettre d'un habile apoticaire de Baviere, qui prétend qu'ayant " brûlé du genêt pour en avoir le sel, & en ayant mis la cendre dans un creuset, elle entra en fusion & se convertit en étain ; que craignant qu'il ne se fût par hasard glissé quelque particule d'étain dans son creuset, il avoit recommencé l'opération dans un nouveau creuset & avec de nouveau genêt, & qu'il avoit eu le même succès ". M. Henckel semble ajoûter foi à ce phénomene, & continue " qu'il n'est point impossible que le genêt, ou une autre plante, ne se charge de quelques particules d'étain, attendu que ce métal est poreux, volatil, & très-chargé du principe inflammable ". Tollius rapporte un fait à-peu-près semblable dans ses epistolae itinerariae, & s'appuie d'Alonso Barba. Quoi qu'il en soit de toutes ces différentes autorités, c'est à la seule expérience à faire voir ce qu'on doit en penser.

Toutes les propriétés de l'étain dont nous avons parlé dans cet article, ont fait conclure à quelques chimistes que ce métal étoit composé 1°. d'une terre alkaline ou calcaire : ce qui le prouve, c'est la difficulté qu'on éprouve à vitrifier l'étain : en effet, jamais sa chaux ne se vitrifie sans addition ; & quand elle est mêlée avec du verre, elle le rend opaque & laiteux, ce qui marque qu'il ne se fait point une vraie combinaison. Joignez à cela que l'étain rend toûjours opaques & laiteux tous les dissolvans auxquels on l'expose. Cette terre alkaline a la propriété du zinc & de la calamine ; & M. Henckel a tiré de l'étain une laine philosophique, semblable à celle que fournit le zinc. 2°. L'étain est composé de beaucoup de matiere inflammable ; ce que prouve sa détonation avec le nitre, &c. 3°. Il entre aussi du principe mercuriel ou arsenical dans sa composition ; ce que prouve l'odeur d'ail qu'il répand lorsqu'on le brûle. Voyez la minéralogie de Wallerius, tome I. page 551. & suiv.

Les usages de l'étain sont très-connus. On en trouvera quelques-uns à la suite de cet article. Le plus universel est en poterie d'étain. Voyez l'art. qui suit,

ETAIN (Potiers d'étain). On en fait des assietes, des plats, des pots, des pintes & toutes sortes d'ustensiles de ménage. Mais une chose que bien des gens ignorent, c'est que l'usage des vaisseaux d'étain peut être très-pernicieux, non-seulement lorsque ce métal est allié avec du plomb, mais encore lorsqu'il est sans alliage. M. Marggraf a fait voir dans les mém. de l'acad. royale des Scienc. de Berlin, année 1747, que tous les acides des végétaux agissoient sur l'étain, & en dissolvoient une partie : pour cet effet il a laissé séjourner du vinaigre, du vin du Rhin, du jus de citron, &c. dans des vaisseaux d'étain d'Angleterre, d'étain de Malaque, & d'étain d'Allemagne, & toûjours il a trouvé qu'il se dissolvoit une portion d'étain. Ce savant chimiste prouve dans le même mémoire, que l'étain contient presque toûjours de l'arsenic, non que cette substance soit de l'essence de ce métal, puisqu'il a obtenu de l'étain qui n'en contenoit point du tout ; mais parce que souvent les mines d'étain contiennent ce dangereux demi-métal, qui dans l'opération de la fusion s'unit très-facilement avec l'étain, & ne s'en separe plus que très-difficilement. M. Marggraf conclud de-là que l'usage journalier des vaisseaux d'étain doit être très-pernicieux à la santé, sur-tout si on y laisse séjourner des liqueurs aigres ou acides. Voyez l'article ETAMER.

A l'égard des usages medicinaux de l'étain, par ce que nous avons dit, on voit qu'ils doivent être très-suspects ; cependant on le fait entrer dans celui qu'on appelle l'anti-hectique de potier, qui n'est autre chose que de l'étain & du régule d'antimoine détonnés avec trois parties de nitre : mais les gens sensés savent que c'est un fort mauvais remede, & qui doit être par conséquent banni de la Medecine. Pour les autres usages de l'étain, nous renvoyons aux articles ETAMER, FACTEUR D'ORGUES, FER-BLANC, GLACES, MIROIRS METALLIQUES, &c. (-)

ETAIN, (Potiers-d'étain) Tout ce que nous allons ajoûter sur l'étain a été tiré du dictionnaire du Commerce & du dictionnaire de Chambers. La distinction des différens étains, ainsi que les autres opérations qui se font dans la boutique du potier d'étain, se sont trouvées assez exactes pour que l'artiste qui s'est chargé de cette partie n'ait eu besoin d'y faire ni addition, ni changement. Il faut bien distinguer cette partie de l'article ETAIN de la partie qui précéde. Je crois qu'on eût aisément reconnu qu'elles étoient de deux mains différentes, quand nous n'eussions pas pris la précaution d'en avertir. Les Potiers-d'étain distinguent l'étain doux qui est le plus fin d'avec l'étain aigre qui ne l'est pas tant. L'étain doux étant fondu & coulé, puis refroidi, est uni, reluisant & maniable comme le plomb. Celui qu'on appelle du Pérou, qu'on nomme petits chapeaux, est le plus estimé : c'est de cet étain doux que les Facteurs-d'orgue font les tuyaux de montre de buffet, & les Miroitiers le battent en feuilles, pour donner le teint aux glaces avec le vif-argent.

Pour employer de l'étain doux en vaisselle, les Potiers-d'étain y mettent de l'aloi. Cet aloi est du cuivre rouge, qu'on nomme cuivre de rosette, fondu à part, & que l'on incorpore dans l'étain étant aussi fondu. La dose est d'environ cinq livres de cuivre par cent d'étain doux : quelques-uns n'y en mettent que trois livres, & une livre d'étain de glace ou bismuth, & pour lors il perd sa qualité molle, & devient ferme, dur, & plus sonnant qu'il n'étoit. A l'égard de l'étain aigre on y met moins de cuivre, selon qu'il l'est plus ou moins, & quelquefois point du tout, principalement si on veut l'employer en poterie d'étain, & qu'on en ait du vieux qui ait servi pour le mêlanger, & qui l'adoucit.

Pour connoître le titre ou la qualité de l'étain, on en fait essai. Voyez ESSAI, & la suite de cet article.

Les étains qui nous viennent d'Angleterre sont sous plusieurs formes différentes. Les uns sont en lingots, les autres en saumons, & les autres en lames qu'on nomme verges. Les lingots pesent depuis trois livres jusqu'à 35 ; les saumons depuis deux cent cinquante livres jusqu'à environ quatre cent ; & les lames environ une demi-livre. Les saumons sont d'une figure quarrée, longue & épaisse comme une auge de Maçon ; mais tous pleins. Les lingots sont de la même forme, & les lames sont étroites & minces.

Il se tire des Indes espagnoles une sorte d'étain très-doux qui vient en saumons fort plats, du poids de cent vingt à cent trente livres. Il en vient aussi de Siam par masses irrégulieres, que les Potiers-d'étain nomment lingots, quoiqu'ils soient bien différens de ceux d'Angleterre. L'étain d'Allemagne qui se tire de Hambourg est en saumons de deux cent jusqu'à deux cent cinquante livres, ou en petits lingots de huit à dix livres, qui ont la figure d'une brique ; ce qui les fait appeller de l'étain en brique. L'étain d'Allemagne est estimé le moins bon, à cause qu'il a déjà servi à blanchir le fer en feuille ou fer-blanc.

Etain de glace, que les droguistes appellent bismuth. Voyez BISMUTH. Il sert à faire de la soudure légere. Voyez SOUDER.

Une matiere qui ressemble assez à l'étain de glace, mais qui est plus dure, qu'on appelle du zinc (voyez ZINC), sert aux Potiers d'étain pour décrasser l'étain lorsqu'il est fondu, avant de l'employer pour le jetter en moule, sur-tout si c'est de la vaisselle ; il faut prendre garde d'en mettre trop, car il occasionne des soufflures aux pieces. Ces soufflures sont des petits trous cachés dans l'intérieur des pieces, sur-tout si elles sont fortes, & ces trous ne se découvrent qu'en les tournant sur le tour. Une once ou environ de zinc suffit pour décrasser quatre à cinq cent livres d'étain fondu. Les Chauderonniers ne pourroient faire leur soudure sans zinc, &c.

L'étain en feuille est de l'étain neuf du plus doux, qu'on a battu au marteau sur une pierre de marbre bien unie. il sert aux Miroitiers à appliquer derriere les glaces des miroirs, par le moyen du vif-argent qui a la propriété de l'attacher à la glace ; ce sont les maîtres Miroitiers qui travaillent cette sorte d'étain pour le réduire en feuilles, ce qui leur fait donner dans leurs statuts le nom de Batteurs d'étain en feuille. Il se tire de Hollande une autre espece d'étain battu dont les feuilles sont très-minces & ordinairement roulées en cornet ; elles sont ou toutes blanches, ou mises en couleur seulement d'un côté. Les couleurs qu'on leur donne le plus communement sont le rouge, le jaune, le noir, & l'aurore ; ce n'est qu'un vernis appliqué sur l'étain : c'est de cette sorte d'étain que les marchands Epiciers-ciriers appellent de l'appeau, dont ils mettent sur les torches & autres ouvrages de cire qu'ils veulent enjoliver, & dont les Peintres se servent dans les armoiries, cartouches, & autres ornemens, pour les pompes funebres ou pour les fêtes publiques.

Etain en treillis ou en grilles. On nomme ainsi certains ronds d'étain à claire voie, que l'on voit attaché aux boutiques des Potiers d'étain, & qui leur servent comme de montre ou d'étalage. Ces treillis sont pour l'ordinaire d'étain neuf doux sans aloi, c'est-à-dire qu'il est tel qu'il étoit en saumons ou lingots, à la fonte près qu'on lui a donnée pour le mettre en treillis. Cette espece d'étain se vend aux Miroitiers, Vitriers, Ferblantiers, Plombiers, Facteurs-d'orgue, Eperonniers, Chauderonniers, & autres semblables ouvriers qui employent ce métal dans leurs ouvrages. Les Potiers-d'étain mettent l'étain en treillis pour la facilité de la vente, étant plus aisé de le débiter de cette maniere qu'en lingots ou saumons.

Etain d'antimoine, que les Potiers-d'étain nomment vulgairement métal ; c'est de l'étain neuf qu'on a allié de régule d'antimoine, d'étain de glace, & de cuivre rouge, pour le rendre plus blanc, plus dur, & plus sonnant. Cet alliage se fait en mettant sur un cent pesant d'étain huit livres de régule d'antimoine, une livre d'étain de glace, & quatre à cinq livres de cuivre rouge plus ou moins, suivant que l'étain est plus ou moins doux. On ne l'employe guere qu'en cuilleres & fourchettes, qu'on polit en façon d'argent. Voyez POLI.

Etain plané, c'est de l'étain neuf d'Angleterre, comme il est dit ci-devant. On le nomme étain plané, parce qu'il est travaillé au marteau sur une platine de cuivre placée sur une enclume avec un ou deux cuirs de castor entre l'enclume & la platine. Cette maniere de planer l'étain le rend très-uni tant dessus que dessous, & empêche qu'il n'y paroisse aucuns coups de marteau. Il n'y a que la vaisselle qui se plane. Voyez FORGER L'ETAIN.

Etain sonnant ou étain fin ; c'est celui qui est un peu moindre que le plané, où il y a plus de vieux étain, & qui est plus aigre ; ce qui le rend inférieur à l'étain plané, & à meilleur marché.

Etain commun ; on le fait en mettant quinze livres de plomb sur un cent d'étain neuf ; ou vingt livres, si l'étain neuf est bien bon.

Les Potiers-d'étain vendent à différens artisans une sorte de bas- étain, moitié plomb & moitié étain neuf, qu'ils appellent claire soudure ou claire-étoffe : cette espece d'étain est la moindre de toutes. Il n'est pas permis aux Potiers-d'étain de l'employer dans aucun ouvrage, si ce n'est en moule pour la fabrique des chandelles, à quoi il est très-propre. On en fait aussi quantité de petits ouvrages, que les Merciers appellent du bimblot.

Etain en rature, ou rature d'étain ; c'est de l'étain neuf sans alliage, que les Potiers-d'étain mettent en petites bandes très-minces, larges environ d'une ligne à deux par le moyen du tour & d'un instrument coupant nommé crochet. Cet étain en rature sert aux Teinturiers pour leurs teintures, étant plus facile à dissoudre dans l'eau-forte quand il est ainsi raturé, que s'il étoit en plus gros morceaux. Ils le mettent au nombre des drogues non-colorantes ; ils s'en servent particulierement pour le rouge écarlate. On nomme aussi ratures d'étain, tout ce que les crochets ôtent sur les pieces, que les Potiers-d'étain sont obligés de tourner.

Il entre de l'étain dans l'alliage des métaux qui servent à fondre les pieces d'artillerie, les cloches, & les statues, mais suivant diverses proportions. L'alliage pour l'artillerie est de six, sept, & huit livres d'étain, sur cent livres de rosette. L'étain empêche les chambres dans la fonte des canons ; mais aussi il est cause que la lumiere résiste moins. Quant à l'alliage pour les cloches, voyez l'article CLOCHE ; & à celui pour les statues équestres, voy. l'art. BRONZE.

Il étoit autrefois permis aux François d'enlever de l'étain d'Angleterre, en payant le double des droits de sortie que payoient les Anglois. Ce commerce leur est à-présent interdit, & il n'y a plus qu'une seule compagnie angloise qui, à l'exclusion de toute autre, ait le privilege d'en faire le négoce ; ce qui a doublé au moins le prix de l'étain. Voyez les diction. du Commerce & de Chambers.

ETAIN, (Essayer de l') On fait l'essai de l'étain de cette maniere, pour en connoître la qualité & le titre. On prend une pierre de craie dure, sur laquelle on fait un trou rond comme la moitié d'un moule de balle, qui contient environ deux onces d'étain ; on y joint une petite coulure de deux pouces de long & d'une ligne de large, & à-peu-près aussi profonde, & cela sur la surface plate de la pierre ; & par le moyen de cette coulure qu'on nomme le jet, on emplit ce trou d'étain fondu ; & lorsqu'il est froid, on voit sa qualité. L'étain doux est clair, uni, d'égale couleur dessus & dessous ; il se retire comme un petit point au milieu de l'essai. L'étain fin aigre se retire plus au milieu, & pique de blanc sur la surface ; il est uni & luisant par dessous. L'étain fin qui est moins bon, est tout blanc dessus & dessous. L'étain commun est tout blanc aussi, excepté où la queue du jet joint le rond de l'essai, où il se trouve un peu de brun ; & plus ce brun paroit avant dans l'essai, moins l'étain est bon : ensorte que si l'essai perd tout son blanc & devient brun en entier, ce n'est plus de l'étain commun, mais de la claire, que les Potiers-d'étain ne peuvent travailler : cela sert aux Chauderonniers pour étamer, & aux Vitriers pour souder les panneaux en plomb ; on peut cependant remettre cette claire en étain commun, en mettant sur chaque livre une livre d'étain fin.

L'étain fin qui se trouve abaissé, se rétablit en y mettant une quantité suffisante de bon étain neuf ou du plané.

Il y en a qui essayent d'une autre maniere : on prend un moule à faire des balles de plomb, & on jette de l'étain dedans ; on pese les balles des différens étains qu'on a jettés, & le plus leger est le meilleur.

Enfin une méthode d'essayer plus commune & plus ordinaire, est de toucher avec un fer à souder la piece qu'on veut essayer, & on connoît si elle est bonne ou mauvaise, à l'inspection de la touche.

La touche est un coup de fer chaud en coulant, qui dénote la qualité de l'étain ; s'il est fin, l'endroit touché est blanc, & pique un petit point au milieu : au commun l'endroit touché est brun autour, & blanc au milieu ; moins il y a de blanc, moins l'étain est bon : cela a assez de rapport à l'essai à la pierre, & les gens du métier s'en servent plûtôt pour essayer quelque piece douteuse, que pour essayer des saumons ou gros lingots ; car pour ceux-ci, il faut revenir à l'une ou l'autre des deux manieres ci-dessus.

Il est constant que la matiere d'étain, principalement le commun, peut s'altérer en y mettant plus de plomb qu'il ne faut : mais outre qu'un autre ouvrier s'y connoîtra aisément, l'obligation où se trouve chaque maître de mettre son poinçon sur son ouvrage, ne le fera-t-il pas connoître pour ce qu'il est ? Si dans les provinces où on n'est point assujetti aux visites des jurés, & où on ne marquera pas sa mauvaise marchandise, on croit faire plus de profit, c'est un mauvais moyen ; car 1°. à l'oeuvre on connoît l'ouvrier, & la marchandise se connoit à l'user ; 2°. ce qu'on croit gagner d'un côté on le perd de l'autre, parce qu'elle est plus mal-aisée à travailler ; 3°. enfin on se trompe souvent soi-même, parce qu'étant renfermé dans un certain canton, cette marchandise revient pour la plus grande partie à l'ouvrier qui l'a faite, ou aux siens après lui : ainsi il est de l'intérêt & de l'honneur du Potier-d'étain d'être fidele dans sa profession. Voyez les dictionnaires du Commerce & de Chambers.


ETALAGES. m. (Jurisprud.) est la même chose qu'établage. Voyez ci-dessus ETABLAGE (A)

ETALAGE, (Commerce) marchandise que l'on étale sur le devant d'une boutique, ou que l'on attache aux tapis qui sont au coin des portes des maisons, au-dedans desquelles il y a des magasins. L'étalage sert à faire connoitre aux passans les sortes d'ouvrages ou marchandises qu'on vend ou fabrique chez les marchands & ouvriers.

Ce terme vient du mot d'estal, ou, comme on dit aujourd'hui, estau, qui signifioit autrefois toutes sortes de boutiques.

Etalage signifie aussi un droit que payent les marchands pour la place ou la boutique que leurs marchandises occupent dans un marché, ou dans une foire ; & c'est ordinairement au profit du seigneur du lieu qu'on paye ce droit.

Etalage se dit encore d'une espece de table étroite qui est attachée avec des couplets de fer sur le devant des boutiques, qu'on abat le matin pour y faire l'étalage des marchandises, & qu'on releve le soir quand on détale. Ces étalages, suivant les ordonnances de police, ne doivent avancer dans la rue que de six pouces. Dict. de Comm. & de Trév. (G)


ETALCHE(Hist. nat. bot.) arbre exotique fort grand & épineux, qui ressemble au cedre & au genevrier par sa feuille. En Numidie son bois est blanc ; en Lybie il est violet & noir ; & en Ethiopie il est tout-à-fait noir. Les Italiens le nomment sangu. On en fabrique différens instrumens de musique : quand on y fait une coupure, il en découle une gomme ou résine qui ressemble au mastic. Selon les apparences cet arbre est une espece de génevrier que C. Bauhin a nommé juniperus major baccâ rufescente, & que Théophraste appelle oxycedrus. On se sert de sa résine pour faire du vernis. Hubner, dict. universel.


ETALER(Comm.) exposer de la marchandise en vente, c'est proprement ouvrir les boutiques & les portes des magasins, y attacher les tapis, & y arranger les diverses choses qui indiquent aux passans ce qu'on vend dedans, afin de les exciter d'y entrer & de faire emplette.

Il n'est pas permis à tous marchands d'étaler tous les jours, ni en tous lieux. Le lieutenant de police, & sous lui les commissaires de quartiers ont soin, à Paris, que les marchands n'étalent que dans les lieux & les tems permis par les ordonnances de police. Dict. de Comm. & de Trév. (G)

ETALER LES MAREES (Marine) c'est, lorsque le vent & les marées sont contraires à la route qu'on veut faire, être obligé de mouiller en attendant une autre marée favorable, soit pour sa route, soit pour entrer dans un port.

Refouler la marée, c'est le contraire de l'étaler.


ETALIERE(RETS DE BASSES-) terme de Pêche, sorte de rets que les pêcheurs du ressort de l'amirauté de Coutances, tendent à-peu-près de la même maniere que les filets flottés, dont on se sert dans les coudes ou les anses, où la marée montante apporte avec elle à la côte beaucoup de varech, & où il n'est pas possible d'établir des pêcheries toutes montées sur piquets. les pêcheurs de Briqueville tendent leurs étalieres en demi-cercle, enfoüissant le pié du filet, comme on le pratique aux rets flottés, afin que le rets prête & s'abaisse à mesure que le varech passe dessus, & pour empêcher que les herbes n'assujettissent le filet, en ensablant ou chargeant de varech les rabans qui en tiennent la tête ; outre quelques flottes de liege, les pêcheurs mettent dans le milieu de leur tente deux à trois piquets, hauts de dix pouces environ ; ils servent à contenir les rabans, & à faire ouvrir plus facilement l'étaliere au reflux, car l'étaliere ne prend rien que de marée baissante.

Ces sortes de rets sont établis à-peu-près de la même maniere que les colorets ou parcs volans des petits pêcheurs des côtes de Saintonge & d'Aunis, qui font avec leurs acons des pêcheries variables sur les basses de sable qui sont dans le fond des pertuis.

* ETALIERES, APPLETS ou TRESSURES FLOTEES, terme de Pêche. Les pêcheurs de la côte de Bretagne dans l'amirauté de Saint Malo, tendent leurs rets de piés ou tressures autrement que les autres, qui les amarrent sur des piquets en forme de bas parc ; celles-ci se tendent flottées & pierrées, ou plommées comme les cibaudieres, dont ce filet est une espece : ce filet se peut disposer à pié, sans qu'il soit besoin de bateaux pour pratiquer cette petite pêche.

Les pêcheurs étendent à plat, à la basse-mer, leurs rets ou tressures dont le pié regarde la mer, & qu'ils ensablent en le garnissant, soit de pierres, ou de sable, ou torchis de paille ou de goesmont, suivant le lieu où ils se trouvent, suivant la ligne des flottes que les pêcheurs nomment ligne de montant. Ils couchent une autre ligne qu'ils nomment ligne de bande, qui est arrêtée, pendant que la mer monte, par des pierres ou petits crochets de bois enfoncés dans le sable ; & au commencement du reflux, quand la mer commence à perdre, on leve la ligne de bande par un des bouts où le pêcheur a frappé une boüée : cette ligne le dégage des pierres, ou enleve les crochets qui la retenoient. En même tems les étalieres ou tressures se soûlevent au moyen des flottes, & se soûtiennent debout jusqu'à la basse mer : pour lors le pêcheur ramasse le poisson qui a monté à la côte avec la marée, & qui s'est trouvé arrêté par le filet des étalieres.

On ne pratique cette pêche que durant les chaleurs des mois de Mai, Juin, Juillet, Août & Septembre. On prend indifféremment des poissons ronds & plats. Les plus belles soles proviennent de cette pêche.


ETALINGUERETALINGUER


ETALONS. m. (Jurisprud. & Comm.) signifie le prototype ou l'exemple des poids & des mesures dont tout le monde se sert dans un lieu pour la livraison des denrées & marchandises qui se livrent par poids ou par mesure.

Comme on a senti de tout tems la nécessité de regler les poids & les mesures, afin que chacun en eût d'uniformes dans un même lieu, on a aussi bientôt reconnu la nécessité d'avoir des étalons ou prototypes, soit pour régler les poids & mesures que l'on fabrique de nouveau, soit pour confronter & vérifier ceux qui sont déjà fabriqués, pour voir s'ils ne sont point altérés, soit par l'effet du tems, ou par un esprit de fraude, & si l'on ne vend point à faux poids ou à fausse mesure.

Les Hébreux nommoient cette mesure originale, ou matrice, scahac, quasi portam mensurarum aridorum, la porte par laquelle toutes les autres mesures des arides devoient passer pour être jugées. Ils marquoient ensuite d'une lettre ou de quelqu'autre caractere, les mesures qui avoient passé par cet examen, & cette marque étoit appellée mensura judicis. Il y avoit aussi des étalons pour la mesure des liquides & pour les poids.

Les Grecs nommoient l'étalon des mesures , c'est-à-dire le prototype des mesures.

Les Romains le nommoient simplement mensura, par excellence, comme étant la mesure à laquelle toutes les autres devoient être conformes.

M. Menage croit que le terme étalon vient du latin est talis, & que l'on a aussi appellé la mesure originale, pour dire que cette mesure qui est exposée dans un lieu public, est telle qu'elle doit être, ou plûtôt que les autres mesures doivent être telles & conformes à celle-ci : mais il est plus probable que ce terme vient du saxon stalone, qui signifie mesure.

On disoit autrefois estellons ou estelons, pour étalons, comme on le voit dans les coûtumes de Tours, art. 41 ; Lodunois, chap. ij. art 3 & 4. & Bretagne, art. 698, 799, & 700.

Les étalons des poids & mesures ont toujours été gardés avec grande attention. Les Hébreux les déposoient dans le temple, d'où viennent ces termes si fréquens dans les livres saints : le poids du sanctuaire, la mesure du sanctuaire.

Les Athéniens établirent une compagnie de quinze officiers appellés , mensurarum curatores, qui avoient la garde des étalons : c'étoient eux aussi qui régloient les poids & mesures.

Du tems du paganisme, les Romains les gardoient dans le temple de Jupiter au capitole, comme une chose sacrée & inviolable ; c'est pourquoi la mesure originale étoit surnommée capitolina.

Les empereurs chrétiens ordonnerent que les étalons des poids & mesures seroient gardés par les gouverneurs ou premiers magistrats des provinces. Honorius chargea le préfet du prétoire de l'étalon des mesures, & confia celui des poids au magistrat appellé comes sacrarum largitionum, qui étoit alors ce qu'est aujourd'hui chez nous le contrôleur-général des finances.

Justinien rétablit l'usage de conserver les étalons dans les lieux saints ; il ordonna que l'on vérifieroit tous les poids & toutes les mesures, & que les étalons en seroient gardés dans la principale église de Constantinople ; il en envoya de semblables à Rome, & les adressa au sénat comme un dépôt digne de son attention. La novelle 118 dit aussi que l'on en gardoit dans chaque église ; il y avoit des boisseaux d'airain ou de pierre, & autres mesures différentes.

En France, les étalons des poids & mesures étoient autrefois gardés dans le palais de nos rois. Charles-le-Chauve renouvella en 864 le réglement pour les étalons ; il ordonna que toutes les villes & autres lieux de sa domination, rendroient leurs poids & mesures conformes aux étalons royaux qui étoient dans son palais, & enjoignit aux comtes & autres magistrats des provinces d'y tenir la main : ce qui fait juger qu'ils étoient aussi dépositaires d'étalons, conformes aux étalons originaux, que l'on conservoit dans le palais du roi. On en conservoit aussi dans quelques monasteres & autres lieux publics.

Le traité fait en 1222 entre Philippe-Auguste & l'évêque de Paris, fait mention des mesures de vin & blé comme un droit royal que le prince se reserve, & dont le prévôt de Paris avoit la garde. Le roi céda seulement à l'évêque les droits utiles qui se levoient dans les marchés, pour en joüir de trois semaines l'une, & ordonna au prévôt de paris de faire livrer les mesures aux officiers de l'évêque : mais cela concerne plûtôt le droit de mesurage, que la garde des étalons.

Sous le regne de Louis VII. la garde des mesures de Paris fut confiée au prévôt des marchands. Les statuts donnés par S. Louis au jurés-mesureurs font mention, qu'aucun mesureur ne pourroit se servir d'aucune mesure à grain qu'elle ne fût signée, c'est-à-dire marquée du seing du roi ; qu'autrement il seroit en la merci du prevôt de Paris : que si sa mesure n'étoit pas signée, il devoit la porter au parloir aux bourgeois pour y être justifiée & signée.

Les auteurs du Gallia Christiana, tome VII. col. 253. rapportent qu'avant l'an 1684, tems auquel la chapelle S. Leufroy fut démolie pour aggrandir les prisons du grand châtelet, on y voyoit une pierre qui étoit taillée en forme de mitre, qui étoit le modele des mesures & des poids de Paris, & que de-là étoit venu l'usage de renvoyer à la mitre de la chapelle de S. Leufroy, quand il survenoit des contestations sur les poids & les mesures. M. l'abbé Leboeuf, dans sa description du diocese de Paris, tome I. pense que cette pierre, qui par sa forme devoit être antique, avoit apparemment été apportée du premier parloir aux bourgeois, qui étoit contigu à cette église de Saint Leufroy ; il observe que ce parloir & un autre (situé ailleurs) ont été le berceau de l'hôtel-de-ville de Paris (où l'on a depuis transféré les étalons des poids & mesures). Il y a encore en quelques villes de provinces des étalons de pierre, pour la vérification des mesures.

Le roi Henri II. ordonna en 1557, que les étalons des gros poids & mesures seroient gardés dans l'hôtel-de-ville de paris.

Lorsqu'on établit en titre à Paris des jurés-mesureurs pour le sel, qui faisoit alors l'objet le plus important du commerce par eau dans cette ville, on leur donna la garde des étalons de toutes les mesures des arides : c'est pour la garde de ce dépôt qu'ils ont une chambre dans l'hôtel-de-ville.

Les Apoticaires & Epiciers de Paris ont conjointement la garde de l'étalon des poids de la ville, tant royal que medicinal ; ils ont même, par leurs statuts, le droit d'aller deux ou trois fois l'année, assistés d'un juré-balancier, visiter les poids & balances de tous les marchands & artisans de Paris ; c'est de-là qu'ils prennent pour devise lances & pondera servant.

Il faut neanmoins excepter les orfevres, qui ne sont sujets à cet égard qu'à la visite des officiers de la cour des monnoies, attendu que l'étalon du poids de l'or & de l'argent qui étoit anciennement gardé dans le palais du roi, est gardé à la cour des monnoies depuis l'ordonnance de 1540.

Les Merciers prétendent aussi n'y être pas sujets.

Pour ce qui est des provinces, la plus grande partie de nos coûtumes donnent aux seigneurs hauts-justiciers, & même aux moyens, le droit de garder les étalons des poids & mesures, & d'en étalonner tous les poids & mesures dont on se sert dans les justices de leur ressort.

Les coûtumes de Tours & de Poitou veulent que le seigneur qui a droit de mesure en dépose l'étalon dans l'hôtel de la ville la plus proche, si elle a droit de mairie ou de communauté, sinon au siége royal supérieur d'où sa justice releve.

Dans l'hôtel-de-ville de Copenhague il y a à la porte deux mesures attachées avec de petites chaînes de fer ; l'une est l'aulne du pays, qui ne fait que demi-aulne de Paris ; l'autre est la mesure que doit avoir un homme pour n'être pas convaincu d'impuissance. Cette mesure fut exposée en public sur les plaintes faites par une marchande, que son mari étoit incapable de génération. Voyage de l'Eur. t. VIII. p. 301.

Les étalons sont ordinairement d'airain, afin que la mesure soit moins sujette à s'altérer. Lorsqu'on en fait l'essai, pour voir s'ils sont justes, c'est avec du grain de millet qui est jetté dans une tremie, afin que le vase se remplisse toûjours également. Voyez Loiseau, des seigneuries, ch. jx. n. 20. & suiv. le traité de la police, tom. II. liv. V. chap. iij. le gloss. de Lauriere, au mot Etalon. (A)

ETALON, en termes d'Eaux & Forêts, signifie un baliveau de l'âge que le bois avoit lors de la derniere coupe. L'ordonnance des eaux & forêts, tit. xxxij. art. 4 fixe à cinquante livres l'amende encourue, pour avoir coupé un étalon. Voyez la coûtume de Boulenois, art. 32. (A)

ETALON, Manége & Maréchall.) Cheval entier, choisi & destiné à l'accouplement, & dont on veut tirer race. Voyez HARAS.


ETALONNAGou ETALONNEMENT, s. m. action d'étalonner, c'est-à-dire de vérifier une mesure sur l'étalon. Voyez ETALON.

Ces deux mots sont aussi usités pour signifier le droit qu'on paye à l'officier qui étalonne.

L'ordonnance de 1567 pour l'étalonnement des poids, portoit, qu'il seroit payé aux gardes pour chaque pile d'un ou plusieurs marcs, avec toutes les parties & diminutions, & aussi pour chaque garniture de trébuchet fourni de ses poids qu'ils auroient étalonnés, trois deniers tournois, qui leur seroient payés par l'ouvrier & marchands desdits poids, trébuchets & balances.

Par une ordonnance de l'année 1641, ce droit a été supprimé ; & il est dit que les Balanciers, Marchands, Fondeurs, &c. pourront faire étalonner & marquer leur poids gratuitement au greffe de la cour des monnoies. Dictionn. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)


ETALONNERv. act. terme de Batiment, c'est réduire des mesures à pareilles distances, longueurs, & hauteurs, en y marquant des reperes. (P)

ETALONNER, (Man. & Maréch.) couvrir une jument, expressions synonimes. Voyez HARAS.


ETALONNEURS. m. celui qui est commis pour marquer & étalonner les poids & mesures. L'ordonnance de la ville de Paris nomme les jurés-mesureurs de sel, étalonneurs de mesures de bois. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chamb.


ETAMBOTS. m. (Marine) L'étambot est une piece de bois droite qui termine la partie de l'arriere des vaisseaux ; on le place presque verticalement sur l'extrémité de la quille, à cet endroit qu'on nomme talon. Voyez Marine, Planche IV. fig. 1 n°. 4. la situation de l'étambot. Quelques-uns disent étambod.

Cette piece doit être solidement assujettie, puisqu'elle soûtient le gouvernail, & que c'est sur elle que viennent aboutir les bordages qui couvrent les façons de l'arriere ; c'est pour recevoir ces bordages qu'on fait à l'étambot, comme à l'étrave une rablure. Voyez Marine, Planche VI. fig. 74 l'étambot détaché ; a b est la queste ou la saillie de l'étambot ; a c sa hauteur ; b e, sa largeur par le bas ; f e, sa largeur par le haut ; g b, la longueur du faux étambot : c'est une piece de bois appliquée sur l'étambot pour le renforcer ; h, la rablure ou cannelure pour recevoir les bouts des bordages ; b d, l'extrémité de la quille, sa queste, & son épaisseur o e, contre-étambot : c'est une piece courbe qui lie l'étambot sur la quille ; k, tenon qui entre dans une mortaise, afin que la partie extérieure de l'étambot s'entretienne mieux avec l'extrémité de la quille, laquelle est aussi jointe à sa partie intérieure par des chevilles de fer & de bois.

On divise la hauteur de l'étambot comme on a fait celle de l'étrave, par piés, pour connoitre commodément le tirant d'eau de l'arriere.

La largeur de l'étambot est égale est à celle de la quille ; on augmente son épaisseur par embas de 5 lignes par pouce de l'épaisseur de la quille, & à son bout d'en-haut on le diminue d'un quart de cette épaisseur ; on peut même faire le bas de l'étambot de toute l'épaisseur que la piece peut porter.

Suivant plusieurs constructeurs, l'étambot doit avoir de hauteur mesurée perpendiculairement à la quille, 1/10 & 1/12 de la longueur totale du vaisseau. Suivant cette regle, un vaisseau qui auroit 168 piés de longueur, auroit, en prenant le dixieme & le douzieme, 30 piés 9 pouces 7 lignes. D'autres donnent une quarantieme partie de moins de hauteur à l'étambot, qu'à l'étrave. Mais puisque l'étambot détermine la longueur du vaisseau à l'arriere, comme l'étrave détermine la longueur du vaisseau en-avant, il vaut mieux additionner la hauteur du creux au milieu, la différence du tirant d'eau, & le relevement du premier pont en-arriere, l'épaisseur du bordage du 1er pont, & la distance du premier au second pont en-arriere sous le bau, y compris son bouge, moins l'épaisseur de la barre du gouvernail : l'addition de toutes ces sommes indiquera la hauteur de l'étambot. Exemple,

Cet exemple est suffisant pour les vaisseaux de toutes grandeurs ; on remarquera seulement que pour les frégates qui n'ont qu'un pont, il faut prendre le creux au maître couple, le relevement du pont à l'arriere, l'épaisseur du bordage du pont, & ajoûter deux piés six ou neuf pouces, & pour les frégates & corvettes deux piés trois pouces, aux sommes ci-dessus mentionnées.

Quelques-uns pour avoir la hauteur de l'étambot additionnent le creux à l'arriere, l'épaisseur des bordages du premier pont, le feuillet & la hauteur des sabords de la premiere batterie ou de la sainte-barbe, & l'épaisseur de la barre d'arcasse, qui est de treize pouces aux vaisseaux à trois ponts, de douze à ceux de soixante-quatorze canons, de neuf à dix à ceux de cinquante à soixante-quatre.

A l'égard de la queste ou saillie de l'étambot, quelques charpentiers lui donnent un pié par chaque six piés qu'il a de hauteur : ainsi notre étambot cité ci-dessus de 32 piés de haut, auroit cinq piés au moins de queste. M. Duhamel, dans son traité de construction pratique, d'où j'ai tiré presque tout cet article, remarque qu'on ne voit aucune raison de lui donner de la queste ; au lieu qu'en la supprimant le gouvernail en doit être plus solidement établi, & par sa situation perpendiculaire, résister mieux au fluide que s'il étoit oblique : d'ailleurs la queste de l'étambot fait que tous les poids de la poupe tendent à délier le vaisseau en cette partie, ou à ouvrir l'angle que l'étambot fait avec la quille. (Z)


ETAMBRAIESETAMBAIES, ETAMBRAIS, ETAMBRES, SERRES DE MATS, s. f. (Marine) ce sont deux grosses pieces de bois qui accolent un trou rond qui est dans le tillac, par où passe le mat, afin de renforcer le tillac en cet endroit, & tenir le mât plus ferme. Voyez Marine, Planche VI. fig. 21, la forme particuliere de l'étambrai du grand mât.

Dans un vaisseau de 60 canons & de 140 piés de longueur, l'étambrai du grand mât doit avoir 5 piés de long sur 4 de large, & 6 pouces d'épais.

On met un étambrai à tous les mâts sur chaque pont du vaisseau. Voyez Marine, Planche IV. fig. 1, l'étambraie du grand mât au premier pont, n°. 205 ; l'étambraie du grand mât au second pont, n°. 206 ; l'étambraie du mât de misaine au premier pont, n°. 207 ; l'étambraie du mât de misaine au second pont, n°. 208, l'étambraie du mât de misaine au château d'avant, n°. 209 ; l'étambraie du mât de beaupré, n°. 210 ; l'étambraie du mât d'artimon, n° 211.

On appelle aussi étambraie, le lieu où porte le pié du mât dans le fond du vaisseau.

Etambraies du cabestan, ce sont les ouvertures par où passent les cabestans. Voyez CABESTAN.

On donne aussi le nom d'étambraie à une toile poissée qui se met autour des mâts sur le tillac, de peur que l'eau ne les pourrisse. Voyez BRAIES. (Z)


ETAMERv. (Chimie, Arts & Métiers) Etamer n'est autre chose qu'appliquer une lame légere d'étain sur un autre métal ; ce qui est la même chose que souder. Voyez l'article SOUDURE. Les Chauderonniers se servent d'un alliage composé de deux parties d'étain & d'une partie de plomb, pour étamer les ustensiles de cuisine qui sont de cuivre. Pour cet effet, on avive la piece qu'on veut étamer, c'est-à-dire qu'on la racle avec un racloir ou instrument de fer tranchant, arrondi par le bout & arrêté dans un manche de bois assez long ; on fait chauffer la piece après qu'elle a été avivée ; on y jette de la poix-résine, & ensuite l'étain fondu, que l'on frotte & étend avec une poignée d'étoupes.

Il y a encore une autre façon d'étamer ; c'est avec le sel ammoniac. Pour cet effet, on met la casserolle ou piece qu'on veut étamer sur le feu ; lorsqu'elle est bien chaude, on y jette du sel ammoniac dont on frotte le dedans de la piece, ce qui nettoye parfaitement le cuivre ; on y verse promtement l'étain fondu, & on l'étend en frottant avec de l'étoupe & du sel ammoniac.

On se flatte, au moyen de cet étamage, de s'être mis à couvert des dangers du cuivre (voyez l'article CUIVRE) ; mais il est facile de prouver que c'est une erreur, & que sans remédier totalement à un mal on s'expose à beaucoup d'autres. 1°. L'étamage ne couvre jamais parfaitement & entierement le cuivre du vaisseau qu'on veut étamer ; pour s'en assûrer il suffit de regarder au microscope une piece qui vient d'être étamée, & l'on y remarquera toûjours des parties cuivreuses qui n'ont point été recouvertes par l'étamage, & l'on sait qu'une très-petite quantité de cuivre peut causer un très-grand mal. 2°. L'alliage dont on se sert pour étamer est composé d'étain & de plomb : les acides des végétaux sont très-disposés à agir sur ce dernier métal ; & on verra à l'article PLOMB, que ce métal mis en dissolution fournit un poison très-dangereux. 3°. Quand il n'entreroit que de l'étain bien pur dans l'étamage, on ne seroit point encore exemt de tout danger, attendu que l'étain contient toûjours une portion d'arsenic, qu'il est presque impossible d'en séparer par la voie seche. Voyez l'article ETAIN. Joignez à toutes ces considérations, que souvent le degré de feu qu'on employe pour faire un ragoût, est plus que suffisant pour faire fondre l'étamage ; & pour lors le cuivre doit rester à nud, du moins dans quelques endroits. (-)

ETAMER, en termes de Cloutier d'épingle, c'est donner aux clous de cuivre, &c. une couleur blanche qui imite celle de l'argent, par le moyen de l'étain ; ce qui se fait en faisant chauffer les clous dans un pot de terre jusqu'à un certain point : après quoi on jette dans ce pot de l'étain bien purifié & du sel ammoniac. L'étain se fond par la chaleur des clous, s'y amalgame, & les rend blancs.

ETAMER DES MIROIRS, c'est y étendre sur le derriere une composition, qui s'y attache bien étroitement, & qui sert à réfléchir l'image des objets. Voy. MIROIR.

La couche que l'on applique ainsi sur le derriere d'un miroir, s'appelle feuille ; elle se fait ordinairement de vif argent, mêlé avec d'autres ingrédiens. Voyez MERCURE.

Quant à la méthode d'étamer les miroirs, voyez VERRERIE.

Dans les Transactions philosophiques, n°. 245, on trouve une méthode d'étamer les miroirs qui sont en forme de globe ; c'est M. Southwell qui l'a communiquée au public. Le mêlange dont il se sert est composé de mercure & de marcassite d'argent, trois onces de chaque ; d'étain & de plomb, une demi once de chaque : on jette sur ces deux dernieres matieres la marcassite, & ensuite le mercure ; on les mêle & on les remue bien ensemble sur le feu : mais avant que d'y mettre le mercure, il faut les retirer de dessus le feu, & attendre qu'elles soient presque refroidies.

Pour en faire usage, le verre doit être bien chaud & bien sec. L'opération réussiroit pourtant sur un verre froid, quoiqu'elle se fit avec beaucoup plus de succès sur un verre chaud. Chambers.

ETAMER, (Hydraul.) Pour rendre les tables de plomb plus solides, quand on les employe à des cuvettes, des terrasses, & des réservoirs, on les fait étamer en y jettant dessus de l'étain chaud pour boucher les soufflures. (K)

ETAMER, terme de Plombier, signifie blanchir le plomb, le couvrir de feuilles d'étain après l'avoir fait chauffer. Ils appellent fourneau à étamer, un grand foyer de brique sur lequel ils allument un grand feu de braise au-dessous des ouvrages qu'ils veulent blanchir. Voyez les figures du Plombier.

L'article 33 des statuts des Plombiers fixe les ouvrages qui doivent être étamés dans les bâtimens neufs. Voyez PLOMB ; voyez aussi PLOMBIER.


ETAMEURS. m. ouvrier qui étame. Les maîtres Cloutiers de Paris prennent la qualité d'étameurs, & sont appellés dans leurs statuts maîtres Cloutiers-Lormiers-Etameurs. Voyez CLOUTIER.


ETAMINE(Botaniq.) sont les filets simples qui sortent du coeur fleuri d'une fleur, & autour du pistil. Ces étamines ont leurs sommets ou leurs extrémités un peu plus grosses que le reste, renfermant une poussiere qui s'épanoüit, tombe & féconde les embryons des graines contenues dans le pistil. (K)

ETAMINE, (Chimie) instrument de Pharmacie, espece de filtre. Voyez FILTRE. (b)

ETAMINE, (Marine) il se dit de l'étoffe dont on fait les pavillons. (Z)

* ETAMINE ou ETOFFE DE DEUX ETAIMS, (Drap.) si vous fabriquez une étoffe dont la trame ne soit point velue, ainsi qu'il y en a beaucoup, mais où cette trame soit de fil d'étaim ou de laine peignée comme la chaîne, vous aurez une étoffe lisse, qui eu égard à l'égalité ou presqu'égalité de ses deux fils, se nommera étamine ou étoffe à deux étaims.

Une étoffe fine d'étaim sur étaim à deux marches & serrée au métier, sera l'étamine du Mans.

* ETAMINE, s. f. (Manuf. en soie) La soyerie a ses étamines, ainsi que la draperie. On en distingue de simples & de jaspées. L'étamine simple est une étoffe dont la chaîne n'est point mêlangée, & qui est tramée de galette, laine, &c. La jaspée a la chaîne montée avec un organsin retors, teint avec deux fils de deux couleurs différentes, & elle est tramée de galette, laine, &c.

ETAMINE, en termes de Confiseur, est une piece de cuivre ou de fer-blanc un peu creuse, & percée de plusieurs trous en forme de passoire. On s'en sert pour égoutter les fruits, soit après les avoir blanchi à l'eau, soit même en les tirant du sucre. Voyez la planche du Confiseur. Au-dessous de l'étamine est une terrine ou vase, qui reçoit ce qui tombe des choses qu'on met égoutter.


ETAMPEETAMPER, ETAMPURE, &c. mots d'usage dans différens arts. Voyez ESTAMPE, ESTAMPER, &c.


ETAMURES. f. se dit de l'étain dont les Chauderonniers se servent pour étamer les divers ustensiles de cuivre, qu'ils fabriquent pour l'usage de la cuisine. Voyez ETAMER.


ETANCES(Marine) Voyez ESTANCES.


ETANÇONS. m. (Archit.) grosse piece de bois qu'on met, soit au-dedans, soit au-dehors d'une maison, pour soûtenir un plancher, un mur qu'on sappe ou qu'on reprend par-dessous-oeuvre.

Lorsqu'on bâtit des maisons, les charpentiers mettent souvent au-dessous des greniers & des façades quelques appuis ou étançons, qu'ils posent alors non perpendiculairement, mais un peu de biais. Cependant c'est une chose certaine, qu'un étançon posé obliquement ne sauroit supporter une aussi pesante charge que celui à qui on donneroit une situation perpendiculaire. Tout le monde comprend aisément cette vérité ; mais M. Musschenbroeck a calculé géométriquement dans ses essais de Physique, combien un appui peut moins supporter lorsqu'il est posé de biais, que perpendiculairement.

Il suffit pour cela de concevoir que cet appui oblique est l'hypoténuse d'un triangle rectangle, dont l'autre côté est la perpendiculaire, & le troisieme côté la ligne de la perpendiculaire jusqu'à l'hypothénuse ou la base : on peut donc comparer la force, qui seroit dans l'appui posé perpendiculairement, avec celle de l'hypothenuse ; car la force du poids se résoud en deux autres, l'une qui presse dans la direction de l'étançon, l'autre qui est perpendiculaire à l'étançon, & n'agit point sur lui : or par les propriétés du triangle rectangle, la force totale sera à la premiere de ces deux forces comme l'hypothénuse est à la perpendiculaire ; de sorte que la force d'un appui posé perpendiculairement sera à celle de l'appui oblique dans ce même rapport ; & puisque dans les petites obliquités l'hypothénuse ne différe pas beaucoup de la ligne perpendiculaire, les forces des appuis qui ne sont qu'un peu obliques, ne seront pas non plus fort différentes de celles des appuis perpendiculaires. C'est aussi ce que les expériences ont confirmé au physicien hollandois. Voyez tome I. de ses essais de Physiq.

Mais comme il est bon de savoir quelle est la force des étançons ou des poutres posés perpendiculairement, & jusqu'à quel point on peut les charger avant qu'elles se rompent ; voici deux regles que donne M. Musschenbroeck, & qu'il a apprises par un grand nombre d'expériences.

1°. La force d'un seul & même bois posé perpendiculairement qui a la même épaisseur, mais une longueur différente & qui se trouve comprimée par un fardeau dont il est chargé par en-haut, est en raison inverse des quarrés des longueurs. De cette maniere, la force d'un étançon long de 10 piés est à la force d'un autre appui de même épaisseur, mais qui n'a que cinq piés de long, comme un est à quatre.

2°. Les bois qui ont la même hauteur, mais dont l'épaisseur est différente, se trouvant chargés de pesans fardeaux, se courbent par leurs côtés les plus minces. Les forces de ces sortes de bois sont les unes aux autres, comme l'épaisseur des côtés qui ne se plient pas, & comme le quarré de l'épaisseur des côtés qui se recourbent. Article de M(D.J.)

ETANÇONS, s. m. pl. (Marine) ce sont des pieces de bois posées debout, qu'on met quelquefois sous les baux pendant que les vaisseaux demeurent amarrés dans le port, pour les soûtenir & faire qu'ils fatiguent moins. (Z)

ETANÇONS de presse d'Imprimerie, ce sont des pieces de bois plus ou moins longues & par proportion de dix, de quinze, ou dix-huit pouces de perimetre & posées par une des extrémités sur le haut des jumelles, & appuyées par l'autre, soit aux solives du plancher, soit aux murs du bâtiment, & disposées de façon que chaque étançon a presque toujours son antagoniste, c'est-à-dire un autre étançon qui lui est directement opposé. Ils servent à maintenir une presse dans un état stable & inébranlable.

ETANÇON, en terme de Vergettier, est un morceau de bois qu'on met au manche d'une raquette, pour remplir le vuide qu'y laissent les deux bouts du cercle de la raquette, qui ne sont pas encore réunis dans cet endroit.


ETANÇONNERETANÇONNER


ETANFICHES. f. terme d'Ouvrier de bâtiment, c'est la hauteur de plusieurs bancs de pierre, qui font masse dans une carriere. (P)


ETANGS. m. (Géog.) en latin stagnum, mot, dit Varron, formé du grec , quod non rimam habet. L'étang est un amas d'eaux dormantes qui ont quelque profondeur, & qui sont fournies, soit par les pluies, soit par quelques sources peu considérables. Il differe du lac en ce que le lac est plus grand, plus profond, qu'il reçoit & forme quelque riviere ou ruisseau ; au lieu que l'étang n'en forme, ni n'en reçoit. Il differe de la mare en ce que la mare est plus petite, moins profonde, & plus sujette à se dessécher durant l'été.

En France nous entendons communément par le mot d'étang, un réservoir d'eaux douces dans un lieu bas, fermé par une digue ou chaussée, pour y nourrir du poisson, & c'est ce que les anciens Latins nommoient piscina. Un des plus considérables étangs du royaume, est celui de Villers dans le Berri à dix lieues de Bourges, qui, lorsqu'il est dans son plein, a cinq ou six lieues de tour.

L'endroit le plus favorable pour un étang, sera large, spacieux, enfoncé d'un côté, & relevé de l'autre. Il faudra pouvoir y rassembler huit à dix piés d'eau. On en formera la chaussée, ou le mur destiné à soûtenir l'effort des eaux, des meilleurs matériaux. On la fortifiera avec des pieux enfoncés profondément en terre, entre lesquels on placera des branches d'arbres, des épines, des osiers entrelacés & serrés. On pratiquera à une des extrémités de l'étang une ouverture, par laquelle l'eau superflue puisse s'écouler ; & une autre au fond de l'étang, par laquelle on puisse le vuider. Il faudra faire griller ces ouvertures. Celle par laquelle l'étang se vuidera, s'appelle la bonde. On voit qu'elle doit être à l'endroit le plus bas. Un terrein ne fournissant pas toutes sortes de graines, un étang ne nourrit pas toutes sortes de poissons. C'est au mois de Mai qu'on empoissonne un étang. Il faut un millier d'alvin ou de petits poissons par arpent. On ne pêchera son étang que de cinq ans en cinq ans, si l'on veut avoir une belle pêche. Cette pêche se fera en Mars. Pour cet effet on met l'étang à sec, & l'on prend tout ce qui ne doit pas servir d'alvin.

On voit dans les Indes quantité d'étangs faits & ménagés avec industrie, pour fournir de l'eau de pluie pendant la sécheresse de l'été aux habitans qui sont trop loin des rivieres, ou dont le terroir n'est pas propre à creuser des puits. Voyez CITERNE.

Les étangs salés sont des amas d'eau de la mer qui n'ont qu'une issue. Quand la marée est haute, elle se répand dans ces sortes d'étangs, & les laisse remplis lorsqu'elle se retire. Il y en a plusieurs dans le monde. Nous en connoissons quelques-uns dans ce royaume, & entr'autres celui qu'on appelle l'étang de Languedoc ou de Maguelone : c'est même une espece de lac qui se décharge dans le golfe de Lyon. Art. de M(D.J.)

* ETANG, s. m. (Enclum.) ceux qui fabriquent les enclumes appellent ainsi le réservoir d'eau creusé en terre, où ils trempent ces masses de fer quand elles sont forgées. Il faut que l'étang soit d'une capacité proportionnée à la force de la piece à tremper ; sans cette précaution, l'eau n'étant pas assez longtems fraîche, la trempe en pourra être altérée.


ETAPE(DROIT D') Droit politique ; c'est un droit en vertu duquel le souverain arrête les marchandises qui arrivent dans ses ports, pour obliger ceux qui les transportent à les exposer en vente dans un marché ou un magasin public de ses états.

Plusieurs villes anséatiques & autres joüissent différemment du droit de faire décharger dans leurs magasins les effets qui arrivent dans leurs ports, en empêchant que les négocians puissent les vendre à bord de leurs vaisseaux, ou les débiter dans les terres & lieux circonvoisins.

Le mot d'étape, selon Ménage, vient de l'allemand stapelen, mettre en monceau. Guichardin prétend au contraire que le mot allemand vient du françois étaple, & celui-ci du latin stabulum. Il seroit bien difficile de dire lequel des deux étymologistes a raison, mais c'est aussi la chose du monde la moins importante.

Je crois que les étrangers ne sauroient raisonnablement se plaindre de ce qu'on les oblige à exposer en vente leurs marchandises dans le pays, pourvû qu'on les achete à un prix raisonnable. Mais je ne déciderai pas si ceux qui veulent amener chez eux des marchandises étrangeres, ou transporter dans un tiers pays des choses qui croissent ou qui se fabriquent dans le leur, peuvent être obligés légitimement à les exposer en vente dans les terres du souverain par lesquelles ils passent ; il me semble du moins qu'on ne pourroit autoriser ce procédé, qu'en fournissant d'un côté à ces étrangers les choses qu'ils vont chercher ailleurs au-travers de nos états, & en leur achetant en même tems à un prix raisonnable celles qui croissent ou qui se fabriquent chez eux ; alors il est permis d'accorder ou de refuser le passage aux marchandises étrangeres, en considérant toûjours les inconvéniens qui peuvent résulter de l'un ou de l'autre de ces deux partis. Je ne dis rien des traités que les diverses nations ont fait ensemble à cet égard, parce que tant qu'ils subsistent, il n'est pas permis de les altérer. Voyez sur cette matiere Buddeus, Hertius, Puffendorf, & Struvius, de jure pub. rom. german. &c. Art. de M. le Chevalier DE JAUCOURT,

ETAPE, s. f. (Art milit.) dans l'art militaire, ce sont les provisions de bouche & les fourrages qu'on distribue aux soldats quand ils passent d'une province dans un autre, ou dans les différentes marches qu'ils sont obligés de faire.

C'est de-là qu'on appelle étapiers ceux qui font marché avec le pays ou territoire, pour fournir les troupes de vivres. Chambers.

Feu M. de Louvois fit dresser par ordre du roi une carte générale des lieux qui seroient destinés au logement des troupes & à la fourniture des étapes sur toutes les principales routes du royaume ; & cette carte a depuis servi de regle pour toutes les marches des recrues, ou des corps qui se font dans le royaume.

Cet établissement avoit été projetté sous le regne de Louis XIII. L'ordonnance qu'il rendit à Saint-Germain-en-Laye le 14 Août 1623, porte qu'il seroit établi quatre principales brisées dans le royaume ; une de la frontiere de Picardie à Bayonne, une autre de la frontiere de la Basse-Bretagne à Marseille, une du milieu du Languedoc jusqu'au milieu de la Normandie, & une autre de l'extrémité de la Saintonge aux confins de la Bresse ; qu'il seroit tiré de moindres brisées traversant les provinces qui se trouveroient enfermées entre les quatre principales, & que dans ces brisées seroient affectés de traite en traite certains logemens & maisons, qui seroient délaissées vuides par les gouverneurs des provinces, baillis, sénéchaux, gouverneurs particuliers, maires & échevins de ville, lesquels logemens seroient mis en état de recevoir & loger les gens de guerre de cheval & de pié, passant de province à autre.

Cet arrangement rendit le logement & le passage des troupes moins onéreux aux provinces ; mais comme le soldat devoit vivre en route au moyen de sa solde, fixée à huit sous par soldat par ladite ordonnance, les troupes chargées de leur subsistance ne manquoient pas les occasions d'enlever des légumes, des volailles, & tout ce qui pouvoit contribuer à rendre leur nourriture meilleure.

Ce fut dans la vûe d'obvier à cette espece de pillage, que le roi Louis XIV. jugea à-propos de faire fournir la subsistance en pain, vin & viande, dans chaque lieu destiné au logement. Cet établissement produisit dans les provinces tout l'effet qu'on pouvoit en attendre ; les habitans de la campagne y trouverent leur intérêt dans une consommation utile de leurs denrées ; les troupes sûres de trouver en arrivant à leur logement une subsistance prête & abondante, n'eurent plus de motif de rien prendre ; la discipline devint réguliere dans les marches : enfin la facilité de porter des troupes d'une frontiere à l'autre, sans aucune disposition préliminaire pour assûrer leur subsistance, ne contribua pas peu dans les dernieres guerres au secret des projets & à la vivacité des opérations. Ainsi les princes voisins ont toûjours regardé les étapes comme un avantage infini que la France avoit en fait de guerre sur leurs états, qui par la constitution de leur gouvernement & par la différence de leurs intérêts, n'étoient pas susceptibles d'un pareil établissement.

Une utilité si marquée n'avoit pas cependant empêché de supprimer les étapes en 1718, au moyen de l'augmentation de paye que l'on accorda aux troupes. Insensiblement on retomba dans les inconvéniens que l'on avoit évités par cet établissement ; & les choses en vinrent à un tel point, que Sa Majesté attentive à favoriser ses peuples & à maintenir la discipline parmi ses troupes, ne crut rien faire de plus utile que de les rétablir par l'ordonnance du 13 Juillet 1727, dont les principaux articles sont tirés de celle qui fut rendue le 14 Juin 1702. Code militaire par M. Briquet. (Q)


ETAPIERS. m. (Art milit.) est celui qui fait un marché pour fournir aux troupes qui passent dans une province, les vivres & le fourrage nécessaires à leur subsistance & à celle de leurs chevaux. Voyez ETAPE. (Q)


ETAQU(Marine) Voyez ITAQUE.


ETARCURES. f. (Marine) on se sert quelquefois de ce mot pour désigner la hauteur des voiles : mais il n'est guere d'usage. (Z)


ETATS. m. (Métaph.) Etat d'un être en général & dans le sens onthologique, c'est la co-existence des modifications variables & successives, avec les qualités fixes & constantes : celles-ci durent autant que le sujet qu'elles constituent, & elles ne sauroient souffrir de détriment sans la destruction de ce sujet. Mais les modes peuvent varier, & varient effectivement ; ce qui produit les divers états, par lesquels tous les êtres finis passent. On distingue l'état d'une chose en interne & externe. Le premier consiste dans les qualités changeantes intrinseques ; le second dans les qualités extrinseques, telles que sont les relations. L'état interne de mon corps, c'est d'être sain ou malade ; son état externe, c'est d'être bien ou mal vêtu, dans un tel lieu, ou dans un autre. L'usage de cette distinction se fait sur-tout sentir dans la Morale, où il est souvent important de bien distinguer ces deux états de l'homme.

Deux choses qui ont les mêmes modifications actuelles, sont dans le même état interne, & au contraire. Il faut être circonspect dans l'application de ce principe, de peur de prendre pour les mêmes modifications celles qui ne sont pas telles effectivement. Par exemple, la chaleur est un mode de la pierre qui la constitue dans un état différent de celui qu'on appelle le froid. Concevez trois corps égaux qui ont le même degré de chaleur, & supposez que deux de ces corps se réunissent & en forment un qui soit double du troisieme ; il y aura dans le corps double le même degré de chaleur que dans le corps simple, quoique la quantité de chaleur, en tant qu'on la conçoit également répandue par toute la masse, soit double dans le corps double. C'est pour cela que l'état de chacune des parties du même corps est dit le même, abstraction faite de leur grandeur, pourvû qu'elles soient également chaudes, quoiqu'il faille plus de chaleur pour échauffer une partie plus grande que pour en échauffer une moindre. Wolf, ontolog. §. 707.

Le changement de relation change l'état externe. L'état interne d'un homme est changé, quand de sain il devient malade, de gai triste, &c. car ces dispositions du corps & de l'esprit sont des modes, & résident dans l'homme même. Mais celui qui de riche se transforme en pauvre, ne perd que son état externe en perdant son droit sur des biens qui étoient placés hors de lui. Cet article est de M. FORMEY.

ETAT DE NATURE(Droit nat.) C'est proprement & en général l'état de l'homme au moment de sa naissance : mais dans l'usage ce mot a différentes acceptions.

Cet état peut être envisagé de trois manieres ; ou par rapport à Dieu ; ou en se figurant chaque personne telle qu'elle se trouveroit seule & sans le secours de ses semblables ; ou enfin selon la relation morale qu'il y a entre tous les hommes.

Au premier égard, l'état de nature est la condition de l'homme considéré en tant que Dieu l'a fait le plus excellent de tous les animaux ; d'où il s'ensuit qu'il doit reconnoître l'Auteur de son existence, admirer ses ouvrages, lui rendre un culte digne de lui, & se conduire comme un être doüé de raison : desorte que cet état est opposé à la vie & à la condition des bêtes.

Au second égard, l'état de nature est la triste situation où l'on conçoit que seroit réduit l'homme, s'il étoit abandonné à lui-même en venant au monde : en ce sens l'état de nature est opposé à la vie civilisée par l'industrie & par des services.

Au troisieme égard, l'état de nature est celui des hommes, entant qu'ils n'ont ensemble d'autres relations morales que celles qui sont fondées sur la liaison universelle qui résulte de la ressemblance de leur nature, indépendamment de toute sujétion. Sur ce pié-là, ceux que l'on dit vivre dans l'état de nature, ce sont ceux qui ne sont ni soûmis à l'empire l'un de l'autre, ni dépendans d'un maître commun : ainsi l'état de nature est alors opposé à l'état civil ; & c'est sous ce dernier sens que nous allons le considérer dans cet article.

Cet état de nature est un état de parfaite liberté ; un état dans lequel, sans dépendre de la volonté de personne, les hommes peuvent faire ce qui leur plait, disposer d'eux & de ce qu'ils possedent comme ils jugent à-propos, pourvû qu'ils se tiennent dans les bornes de la loi naturelle.

Cet état est aussi un état d'égalité, ensorte que tout pouvoir & toute jurisdiction est réciproque : car il est évident que des êtres d'une même espece & d'un même ordre, qui ont part aux mêmes avantages de la nature, qui ont les mêmes facultés, doivent pareillement être égaux entr'eux, sans nulle subordination, & cet état d'égalité est le fondement des devoirs de l'humanité. Voyez EGALITE.

Quoique l'état de nature soit un état de liberté, ce n'est nullement un état de licence ; car un homme en cet état n'a pas le droit de se détruire lui-même, non plus que de nuire à un autre : il doit faire de sa liberté le meilleur usage que sa propre conservation demande de lui. L'état de nature a la loi naturelle pour regle : la raison enseigne à tous les hommes, s'ils veulent bien la consulter, qu'étant tous égaux & indépendans, nul ne doit faire tort à un autre au sujet de sa vie, de sa santé, de sa liberté, & de son bien.

Mais afin que dans l'état de nature personne n'entreprenne de faire tort à son prochain, chacun étant égal, a le pouvoir de punir les coupables, par des peines proportionnées à leurs fautes, & qui tendent à réparer le dommage, & empêcher qu'il n'en arrive un semblable à l'avenir. Si chacun n'avoit pas la puissance dans l'état de nature, de réprimer les méchans, il s'ensuivroit que les magistrats d'une société politique ne pourroient pas punir un étranger, parce qu'à l'égard d'un tel homme ils ne peuvent avoir plus de droit que chaque personne en peut avoir naturellement à l'égard d'un autre, c'est pourquoi dans l'état de nature chacun est en droit de tuer un meurtrier, afin de détourner les autres de l'homicide. Si quelqu'un répand le sang d'un homme, son sang sera aussi répandu par un homme, dit la grande loi de nature ; & Caïn en étoit si pleinement convaincu, qu'il s'écrioit, après avoir tué son frere : Quiconque me trouvera, me tuera.

Par la même raison, un homme dans l'état de nature peut punir les diverses infractions des lois de la nature, de la même maniere qu'elles peuvent être punies dans tout gouvernement policé. La plûpart des lois municipales ne sont justes qu'autant qu'elles sont fondées sur les lois naturelles.

On a souvent demandé en quels lieux & quand les hommes sont ou ont été dans l'état de nature. Je réponds que les princes & les magistrats des sociétés indépendantes, qui se trouvent par toute la terre, étant dans l'état de nature, il est clair que le monde n'a jamais été & ne sera jamais sans un certain nombre d'hommes qui soient dans l'état de nature. Quand je parle des princes & des magistrats de sociétés indépendantes, je les considere en eux-mêmes abstraitement ; car ce qui met fin à l'état de nature, est seulement la convention par laquelle on entre volontairement dans un corps politique : toutes autres sortes d'engagemens que les hommes peuvent prendre ensemble, les laissent dans l'état de nature. Les promesses & les conventions faites, par exemple, pour un troc entre deux hommes de l'île deserte dont parle Garcilasso de la Vega dans son histoire du Perou, ou entre un Espagnol & un Indien dans les deserts de l'Amérique, doivent être ponctuellement exécutées, quoique ces deux hommes soient en cette occasion, l'un vis-à-vis de l'autre, dans l'état de nature. La sincérité & la fidélité sont des choses que les hommes doivent observer religieusement, entant qu'hommes, non entant que membres d'une même société.

Il ne faut donc pas confondre l'état de nature & l'état de guerre ; ces deux états me paroissent aussi opposés, que l'est un état de paix, d'assistance & de conservation mutuelle, d'un état d'inimitié, de violence, & de mutuelle destruction.

Lorsque les hommes vivent ensemble conformément à la raison, sans aucun supérieur sur la terre qui ait l'autorité de juger leurs différends, ils se trouvent précisément dans l'état de nature ; mais la violence d'une personne contre une autre, dans une circonstance où il n'y a sur la terre nul supérieur commun à qui l'on puisse appeller, produit l'état de guerre ; & faute d'un juge devant lequel un homme puisse interpeller son aggresseur, il a sans-doute le droit de faire la guerre à cet aggresseur, quand même l'un & l'autre seroient membres d'une même société, & sujets d'un même état.

Ainsi je puis tuer sur le champ un voleur qui se jette sur moi, qui se saisit des renes de mon cheval, arrête mon carrosse, parce que la loi qui a statué pour ma conservation, si elle peut être interposée pour assûrer ma vie contre un attentat présent & subit, me donne la liberté de tuer ce voleur, n'ayant pas le tems nécessaire pour l'appeller devant notre juge commun, & faire décider par les lois, un cas dont le malheur pent être irréparable. La privation d'un juge commun revêtu d'autorité, remet tous les hommes dans l'état de nature ; & la violence injuste & soudaine du voleur dont je viens de parler, produit l'état de guerre, soit qu'il y ait ou qu'il n'y ait point de juge commun.

Ne soyons donc pas surpris si l'histoire ne nous dit que peu de choses des hommes qui ont vécu ensemble dans l'état de nature : les inconvéniens d'un tel état, que je vais bientôt exposer, le desir & le besoin de la société, ont obligé les particuliers à s'unir de bonne heure dans un corps civil, fixe & durable. Mais si nous ne pouvons pas supposer que des hommes ayent jamais été dans l'état de nature, à cause que nous manquons de détails historiques à ce sujet, nous pouvons aussi douter que les soldats qui composoient les armées de Xerxès, ayent jamais été enfans, puisque l'histoire ne le marque point, & qu'elle ne parle d'eux que comme d'hommes faits, portant les armes.

Le gouvernement précede toûjours les registres ; rarement les Belles-Lettres sont cultivées chez un peuple, avant qu'une longue continuation de societé civile ait, par d'autres arts plus nécessaires, pourvû à sa sûreté, à son aise & à son abondance. On commence à fouiller dans l'histoire des fondateurs de ce peuple, & à rechercher son origine, lorsque la memoire s'en est perdue ou obscurcie. Les sociétés ont cela de commun avec les particuliers, qu'elles sont d'ordinaire fort ignorantes dans leur naissance & dans leur enfance, & si elles savent quelque chose dans la suite, ce n'est que par le moyen des monumens que d'autres ont conservés : ceux que nous avons des sociétés politiques, nous font voir des exemples clairs du commencement de quelques-unes de ces sociétés, ou du moins ils nous en font voir des traces manifestes.

On ne peut guere nier que Rome & Venise, par exemple, n'ayent commencé par des gens indépendans, entre lesquels il n'y avoit nulle supériorité, nulle sujétion. La même chose se trouve encore établie dans la plus grande partie de l'Amérique, dans la Floride & dans le Brésil, où il n'est question ni de roi, ni de communauté, ni de gouvernement. En un mot, il est vraisemblable que toutes les sociétés politiques se sont formées par une union volontaire de personnes dans l'état de nature, qui se sont accordées sur la forme de leur gouvernement, & qui s'y sont portées par la considération des choses qui manquent à l'état de nature.

Premierement, il y manque des lois établies, reçûes & approuvées d'un commun consentement, comme l'étendart du droit & du tort, de la justice & de l'injustice ; car quoique les lois de la nature soient claires & intelligibles à tous les gens raisonnables, cependant les hommes, par intérêt ou par ignorance, les éludent ou les méconnoissent sans scrupule.

En second lieu, dans l'état de nature il manque un juge impartial, reconnu, qui ait l'autorité de terminer tous les différends conformément aux lois établies.

En troisieme lieu, dans l'état de nature il manque souvent un pouvoir coactif pour l'exécution d'un jugement. Ceux qui ont commis quelque crime dans l'état de nature, employent la force, s'ils le peuvent, pour appuyer l'injustice ; & leur résistance rend quelquefois leur punition dangereuse.

Ainsi les hommes pesant les avantages de l'état de nature avec ses défauts, ont bientôt préféré de s'unir en société. De-là vient que nous ne voyons guere un certain nombre de gens vivre long-tems ensemble dans l'état de nature : les inconvéniens qu'ils y trouvent, les contraignent de chercher dans les lois établies d'un gouvernement, un asyle pour la conservation de leurs propriétés ; & en cela même nous avons la source & les bornes du pouvoir législatif & du pouvoir exécutif.

En effet, dans l'état de nature les hommes, outre la liberté de jouir des plaisirs innocens, ont deux sortes de pouvoirs. Le premier est de faire tout ce qu'ils trouvent à propos pour leur conservation & pour celle des autres, suivant l'esprit des lois de la nature ; & si ce n'étoit la dépravation humaine, il ne seroit point nécessaire d'abandonner la communauté naturelle, pour en composer de plus petites. L'autre pouvoir qu'ont les hommes dans l'état de nature, c'est de punir les crimes commis contre les lois : or ces mêmes hommes, en entrant dans une société, ne font que remettre à cette société les pouvoirs qu'ils avoient dans l'état de nature : donc l'autorité législative de tout gouvernement ne peut jamais s'étendre plus loin que le bien public ne le demande ; & par conséquent cette autorité se doit réduire à conserver les propriétés que chacun tient de l'état de nature. Ainsi, qui que ce soit qui ait le pouvoir souverain d'une communauté, est obligé de ne suivre d'autres regles dans sa conduite, que la tranquillité, la sûreté, & le bien du peuple. Quid in toto terrarum orbe validum sit, ut non modò casus rerum, sed ratio etiam, causaeque noscantur. Tacit. histor. lib. I. Article de M(D.J.)




ETAT MORAL (Droit. nat.) On entend par état moral en général, toute situation où l'homme se rencontre par rapport aux êtres qui l'environnent, avec les relations qui en dépendent.

L'on peut ranger tous les états moraux de la nature humaine sous deux classes générales ; les uns sont des états primitifs ; & les autres, des états accessoires.

Les états primitifs sont ceux où l'homme se trouve placé par le souverain maître du monde, & indépendamment d'aucun évenement ou fait humain.

Tel est, premierement, l'état de sa dépendance par rapport à Dieu ; car pour peu que l'homme fasse usage de ses facultés, & qu'il s'étudie lui-même, il reconnoît que c'est de ce premier être qu'il tient la vie, la raison, & tous les avantages qui les accompagnent ; & qu'en tout cela il éprouve sensiblement les effets de la puissance & de la bonté du Créateur.

Un autre état primitif des hommes, c'est celui oû ils sont les uns à l'égard des autres. Ils ont tous une nature commune, mêmes facultés, mêmes besoins, mêmes desirs. Ils ne sauroient se passer les uns des autres, & ce n'est que par des secours mutuels qu'ils peuvent se procurer une vie agréable & tranquille : aussi remarque-t-on en eux une inclination naturelle qui les rapproche pour former un commerce de services, d'où procedent le bien commun de tous, & l'avantage particulier de chacun.

Mais l'homme étant par sa nature un être libre, il faut apporter de grandes modifications à son état primitif, & donner par divers établissemens, comme une nouvelle face à la vie humaine : de-là naissent les états accessoires, qui sont proprement l'ouvrage de l'homme. Voyez ETAT ACCESSOIRE.

Nous remarquerons seulement ici qu'il y a cette différence entre l'état primitif & l'état accessoire, que le premier étant comme attaché à la nature de l'homme & à sa constitution, est par cela même commun à tous les hommes. Il n'en est pas ainsi des états accessoires, qui supposant un fait humain, ne sauroient convenir à tous les hommes indifféremment, mais seulement à ceux d'entr'eux qui en joüissent, ou qui se les sont procurés.

Ajoûtons que plusieurs de ces états accessoires ; pourvû qu'ils n'ayent rien d'incompatible, peuvent se trouver combinés & réunis dans la même personne ; ainsi l'on peut être tout-à-la-fois pere de famille, juge, magistrat, &c.

Telles sont les idées que l'on doit se faire des divers états moraux de l'homme, & c'est de-là que résulte le système total de l'humanité. Ce sont comme autant de roues d'une machine, qui combinées ensemble & habilement ménagées, conspirent au même but ; mais qui au contraire étant mal conduites & mal dirigées, se heurtent & s'entre-détruisent. Article de M(D.J.)




ETAT ACCESSOIRE (Droit nat.) état moral où l'on est mis en conséquence de quelqu'acte humain, soit en naissant, ou après être né. Voyez ETAT MORAL.

Un des premiers états accessoires, est celui de famille. Voyez FAMILLE.

La propriété des biens, autre établissement très-important, produit un second état accessoire. Voyez PROPRIETE.

Mais il n'y a point d'état accessoire plus considérable que l'état civil, ou celui de la société civile & du gouvernement. Voyez SOCIETE CIVILE & GOUVERNEMENT.

La propriété des biens & l'état civil ont encore donné lieu à plusieurs établissemens qui décorent la société, & d'où naissent de nouveaux états accessoires, tels que sont les emplois de ceux qui ont quelque part au gouvernement, comme des magistrats, des juges, des ministres de la religion, &c. auxquels l'on doit ajoûter les diverses professions de ceux qui cultivent les Arts, les Métiers, l'Agriculture, la Navigation, le Commerce, avec leurs dépendances, qui forment mille autres états particuliers dans la vie.

Tous les états accessoires procedent du fait des hommes ; cependant comme ces différentes modifications de l'état primitif sont un effet de la liberté, les nouvelles relations qui en résultent, peuvent être envisagées comme autant d'états naturels, pourvû que leur usage n'ait rien que de conforme à la droite raison. Mais ne confondez point les états naturels, dans le sens que je leur donne ici, avec l'état de nature. Voyez ETAT DE NATURE. Article de M(D.J.)




ETAT (Droit polit.) terme générique qui désigne une société d'hommes, vivans ensemble sous un gouvernement quelconque, heureux ou malheureux.

De cette maniere l'on peut définir l'état, une société civile, par laquelle une multitude d'hommes sont unis ensemble sous la dépendance d'un souverain, pour joüir par sa protection & par ses soins, de la sûreté & du bonheur qui manquent dans l'état de nature.

La définition que Cicéron nous donne de l'état, revient à-peu-près à la même chose ; & est préférable à celle de Puffendorf, qui confond le souverain avec l'état. Voici la définition de Cicéron : Multitudo, juris consensu, & utilitatis communione sociata : " une multitude d'hommes joints ensemble par des intérêts & des lois communes, auxquelles ils se soûmettent d'un commun accord ".

On peut considérer l'état comme une personne morale, dont le souverain est la tête, & les particuliers les membres ; en conséquence on attribue à cette personne certaines actions qui lui sont propres, certains droits distincts de ceux de chaque citoyen, & que chaque citoyen, ni plusieurs, ne sauroient s'arroger.

Cette union de plusieurs personnes en un seul corps, produite par le concours des volontés & des forces de chaque particulier, distingue l'état d'une multitude : car une multitude n'est qu'un assemblage de plusieurs personnes, dont chacune a sa volonté particuliere ; au lieu que l'état est une société animée par une seule ame qui en dirige tous les mouvemens d'une maniere constante, relativement à l'utilité commune. Voilà l'état heureux, l'état par excellence.

Il falloit pour former cet état, qu'une multitude d'hommes se joignissent ensemble d'une façon si particuliere, que la conservation des uns dépendit de la conservation des autres, afin qu'ils fussent dans la nécessité de s'entre-secourir ; & que par cette union de forces & d'intérêts, ils pussent aisément repousser les insultes dont ils n'auroient pû se garantir chacun en particulier ; contenir dans le devoir ceux qui voudroient s'en écarter, & travailler plus efficacement au bien commun.

Ainsi deux choses contribuent principalement à maintenir l'état. La premiere, c'est l'engagement même, par lequel les particuliers se sont soûmis à l'empire du souverain ; engagement auquel l'autorité divine & la religion du serment ajoûtent beaucoup de poids. La seconde, c'est l'établissement d'un pouvoir supérieur, propre à contenir les méchans par la crainte des peines qu'il peut leur infliger. C'est donc de l'union des volontés, soûtenue par un pouvoir supérieur, que résulte le corps politique, ou l'état ; & sans cela on ne sauroit concevoir de société civile.

Au reste, il en est du corps politique comme du corps humain : on distingue un état sain & bien constitué, d'un état malade. Ses maladies viennent ou de l'abus du pouvoir souverain, ou de la mauvaise constitution de l'état ; & il faut en chercher la cause dans les défauts de ceux qui gouvernent, ou dans les vices du gouvernement.

Nous indiquerons ailleurs la maniere dont les états ou les sociétés civiles se sont formées pour subsister sous la dépendance d'une autorité souveraine. Voyez SOCIETE CIVILE, GOUVERNEMENT, SOUVERAIN, SOUVERAINETE ; & les différentes formes de souveraineté, connues sous les noms de REPUBLIQUE, DEMOCRATIE, ARISTOCRATIE, MONARCHIE, DESPOTISME, TYRANNIE, &c. qui sont tous autant de gouvernemens divers, dont les uns consolent ou soûtiennent, les autres détruisent & font frémir l'humanité. Article de M(D.J.)




ETATS COMPOSES (Droit politiq.) On appelle ainsi ceux qui se forment par l'union de plusieurs états simples. On peut les définir avec Puffendorf, un assemblage d'états étroitement unis par quelque lien particulier, ensorte qu'ils semblent ne faire qu'un seul corps, par rapport aux choses qui les intéressent en commun, quoique chacun d'eux conserve d'ailleurs la souveraineté pleine & entiere, indépendamment des autres.

Cet assemblage d'états se forme ou par l'union de deux ou de plusieurs états distincts, sous un seul & même roi ; comme étoient, par exemple, l'Angleterre, l'Ecosse & l'Irlande, avant l'union qui s'est faite de nos jours de l'Ecosse avec l'Angleterre ; ou bien lorsque plusieurs états indépendans se conféderent pour ne former ensemble qu'un seul corps : telles sont les Provinces-unies des Pays-bas, & les Cantons suisses.

La premiere sorte d'union peut se faire, ou à l'occasion d'un mariage, ou en vertu d'une succession, ou lorsqu'un peuple se choisit pour roi un prince qui étoit déjà souverain d'un autre royaume ; ensorte que ces divers états viennent à être réunis sous un prince qui les gouverne chacun en particulier par ses lois fondamentales.

Pour les états composés qui se forment par la confédération perpétuelle de plusieurs états, il faut remarquer que cette confédération est le seul moyen par lequel plusieurs petits états trop foibles pour se maintenir chacun en particulier contre leurs ennemis, puissent conserver leur liberté.

Ces états confédérés s'engagent les uns envers les autres à n'exercer que d'un commun accord certaines parties de la souveraineté, sur-tout celles qui concernent leur défense mutuelle contre les ennemis du dehors ; mais chacun des confédérés retient une entiere liberté d'exercer comme il le juge à propos les parties de la souveraineté dont il n'est pas mention dans l'acte de confédération, comme devant être exercée en commun.

Il est absolument nécessaire dans les états confédérés, 1° que l'on marque certains tems & certains lieux pour s'assembler ordinairement ; 2° que l'on nomme quelque membre qui ait pouvoir de convoquer l'assemblée pour les affaires extraordinaires, & qui ne peuvent souffrir de retardement : ou bien l'on peut, en prenant un autre parti, établir une assemblée qui soit toûjours sur pié, composée des députés de chaque état, & qui expédient les affaires communes, suivant les ordres de leurs supérieurs. Telle est l'assemblée des Etats-généraux à la Haye, & peut-être n'en pourroit-on pas citer d'autre exemple.

On demande si la décision des affaires communes doit dépendre du consentement unanime de tout le corps des confédérés, ou seulement du plus grand nombre. Il me semble en général que la liberté d'un état étant le pouvoir de décider en dernier ressort des affaires qui concernent sa propre conservation, on ne sauroit concevoir qu'un état soit libre par le traité de confédération, lorsqu'on peut le contraindre avec autorité à faire certaines choses. Si pourtant dans les assemblées des états confédérés il s'en trouvoit quelqu'un qui refusât, par une obstination insensée, de se rendre à la délibération des autres dans des affaires très-importantes, je crois qu'on pourroit ou rompre la confédération avec cet état qui trahit la cause commune, ou même user à son égard de tous les moyens permis dans l'état de liberté naturelle, contre les infracteurs des alliances.

Les états composés sont dissous, 1°. lorsque quelques-uns des confédérés se séparent pour gouverner leurs affaires à part, ce qui arrive ordinairement parce qu'ils croyent que cette union leur est plus à charge qu'avantageuse. 2°. Les guerres intestines entre les confédérés, rompent aussi leur union, à moins qu'avec la paix on ne renouvelle en même tems la confédération. 3°. Du moment que quelqu'un des états confédérés est subjugué par une puissance étrangere, ou devient dépendant d'un autre état, la confédération ne subsiste plus pour lui, à moins qu'après avoir été contraint à se rendre au vainqueur par la force des armes, il ne vienne ensuite à être délivré de cette sujétion. 4°. Enfin un état composé devient un état simple, si tous les peuples confédérés se soûmettent à l'autorité souveraine d'une seule personne ; ou si l'un de ces états, par la supériorité que lui donnent ses forces, réduit les autres en forme de province. Voyez sur cette matiere la dissertation latine de Puffendorf, de systematibus civitatum, in -4°. Lisez aussi l'histoire des Provinces-unies & celle des Cantons suisses ; vous y trouverez des choses curieuses sur leur union & leur confédération différentes. Article de M(D.J.)




ETATS CONFEDERESvoyez ETATS COMPOSES.




ETATS DE L'EMPIRE(Hist. & Droit publ.) On appelle ainsi en Allemagne les citoyens ou membres de l'Empire qui ont le droit de suffrage & de séance à la diete. Voyez DIETE. Pour joüir de cette prérogative il faut posséder des fiefs immédiats, c'est-à-dire dont on reçoive l'investiture de l'empereur lui-même, & non d'aucun autre prince ou état de l'Empire. Il faut outre cela que le nom de celui qui est état, soit inscrit sur la matricule de l'Empire, pour contribuer sa quote-part des collectes & autres impositions qu'on leve dans les besoins de l'Empire ; cependant cette derniere regle souffre des exceptions, parce qu'il y a des états de l'Empire qui sont exempts de ces sortes de contributions.

Les états de l'Empire se divisent en laïcs & en ecclésiastiques ; en Catholiques & en Protestans : ces derniers sont ou de la confession d'Augsbourg, ou de la religion réformée, attendu que ces deux religions sont admises dans l'Allemagne. On trouvera à l'article DIETE DE L'EMPIRE, les noms de ceux qui ont droit de suffrage & de séance à l'assemblée générale des états de l'Empire. Les états laïcs acquierent leur droit par succession, les ecclésiastiques l'acquierent par l'élection capitulaire ; les électeurs ecclésiastiques, les archevêques, prélats, abbés, abbesses, &c. deviennent états de l'Empire de cette maniere : enfin les villes impériales libres doivent aussi être regardées comme des états de l'Empire.

L'empereur ne peut dépouiller aucun des états de ses prérogatives, il faut pour cela le consentement de tout l'Empire. Voyez DIETE & EMPIRE. Cependant un état perd ses droits par ce qu'on appelle l'exemption. Voyez cet article.

Il ne faut point confondre les états de l'Empire, dont nous venons de parler, avec les états provinciaux, ou des cercles : ces derniers ne joüissent pas des mêmes prérogatives que les premiers ; cependant il y a des états qui ont en même tems séance à la diete générale de l'Empire, & aux dietes particulieres ou assemblées des cercles. (-)




ETATS(Hist anc. & mod. & Jurisp.) sont l'assemblée des députés des différens ordres de citoyens qui composent une nation, une province, ou une ville. On appelle états généraux, l'assemblée des députés des différens ordres de toute une nation. Les états particuliers sont l'assemblée des députés des différens ordres d'une province, ou d'une ville seulement.

Ces assemblées sont nommées états, parce qu'elles représentent les différens états ou ordres de la nation ; province ou ville dont les députés sont assemblés.

Il n'y a guere de nations policées chez lesquelles il n'y ait eu des assemblées, soit de tout le peuple ou des principaux de la nation ; mais ces assemblées ont reçû divers noms, selon les tems & les pays ; & leur forme n'a pas été réglée par-tout de la même maniere.

Il y avoit chez les Romains trois ordres ; savoir les sénateurs, les chevaliers, & le bas peuple, appellé plebs. Les prêtres formoient bien entr'eux différens colléges, mais ils ne composoient point un ordre à part : on les tiroit des trois autres ordres indifféremment. Le peuple avoit droit de suffrage, de même que les deux autres ordres. Lorsque l'on assembloit les comices oû l'on élisoit les nouveaux magistrats, on y proposoit aussi les nouvelles lois, & l'on y délibéroit de toutes les affaires publiques. Le peuple étoit divisé en trente curies ; & comme il eût été trop long de prendre toutes les voix en détail & l'une après l'autre ; on prenoit seulement la voix de chaque curie. Les suffrages se donnoient d'abord verbalement ; mais vers l'an 614 de Rome il fut réglé qu'on les donneroit par écrit. Servius Tullius ayant partagé le peuple en six classes qu'il subdivisa en 193 centuries, on prenoit la voix de chaque centurie. Il en fut de même lorsque le peuple eut été divisé par tribus ; chaque tribu opinoit, & l'on décidoit à la pluralité. Dans la suite les empereurs s'étant attribué seuls le pouvoir de faire des lois, de créer des magistrats, & de faire la paix & la guerre, les comices cesserent d'avoir lieu ; le peuple perdit par-là son droit de suffrage, le sénat fut le seul ordre qui conserva une grande autorité.

L'usage d'assembler les états ou différens ordres, a néanmoins subsisté dans plusieurs pays, & ces assemblées y reçoivent différens noms. En Pologne on les appelle dietes ; en Angleterre, parlemens ; & en d'autres pays, états.

Dans quelques pays il n'y a que deux ordres ou états, du moins qui soient admis aux assemblées générales, comme en Pologne, où la noblesse & le clergé forment seuls les états qu'on appelle dietes, les paysans y étant tous esclaves. Des nobles sont exclus de ces assemblées.

En Suede au contraire on distingue quatre états ou ordres différens de citoyens ; savoir la noblesse, le clergé, les bourgeois, & les paysans.

Dans la plûpart des autres pays on distingue trois états ; le clergé, la noblesse, & le tiers-état ou troisieme ordre, composé des magistrats municipaux, des notables bourgeois, & du peuple. Telle est la division qui subsiste présentement en France ; mais les choses n'ont pas été toûjours réglées de même à cet égard.

Avant la conquête des Gaules par Jules César, il n'y avoit que deux ordres : celui des druides, & celui des chevaliers : le peuple étoit dans une espece d'esclavage, & n'étoit admis à aucune délibération. Lorsque les Francs jetterent les fondemens de la monarchie françoise, ils ne reconnoissoient qu'un seul ordre dans l'état, qui étoit celui des nobles ou libres ; en quoi ils conserverent quelque tems les moeurs des Germains dont ils tiroient leur origine. Dans la suite le clergé forma un ordre à part, & obtint même le premier rang dans les assemblées de la nation. Le tiers-état ne se forma que long-tems après sous la troisieme race.

Quelques historiens modernes ont qualifié très-improprement d'états, les assemblées de la nation qui, sous la premiere race, se tenoient au mois de Mars ; & sous la seconde, au mois de Mai : d'où elles furent appellées champ de Mars & champ de Mai. On leur donnoit encore divers autres noms, tels que ceux de colloquium, concilium, judicium Francorum, placitum Mallum ; & sous le regne de Pepin elles commencerent à prendre le nom de parlemens. Ces anciens parlemens, dont celui de Paris & tous les autres tirent successivement leur origine, n'étoient pas une simple assemblée d'états, dans le sens que ce terme se prend aujourd'hui ; c'étoit le conseil du roi & le premier tribunal de la nation, où se traitoient toutes les grandes affaires. Le roi présidoit à cette assemblée, ou quelqu'autre personne par lui commise à cet effet. On y délibéroit de la paix & de la guerre, de la police publique & administration du royaume ; on y faisoit les lois ; on y jugeoit les crimes publics, & tout ce qui touchoit la dignité & la sûreté du roi, & la liberté des peuples.

Ces parlemens n'étoient d'abord composés que des nobles, & ils furent ensuite réduits aux seuls grands du royaume, & aux magistrats qui leur furent associés. Le clergé ne formoit point encore un ordre à part, desorte que les prélats ne furent admis à ces parlemens qu'en qualité de grands vassaux de la couronne. On ne connoissoit point encore de tiers-état ; ainsi ces anciens parlemens ne peuvent être considérés comme une assemblée des trois états. Il s'en faut d'ailleurs beaucoup que les assemblées d'états ayent jamais eu le même objet ni la même autorité, ainsi qu'on le reconnoîtra sans peine en considérant la maniere dont les états ont été convoqués, & dont les affaires y ont été traitées.

On ne connut pendant long-tems dans le royaume que deux ordres, la noblesse & le clergé.

Le tiers-état, composé du peuple, étoit alors presque tout serf ; il ne commença à se former que sous Louis-le-Gros, par l'affranchissement des serfs, lesquels par ce moyen devinrent bourgeois du roi, ou des seigneurs qui les avoient affranchis.

Le peuple ainsi devenu libre, & admis à posséder propriétairement ses biens, chercha les moyens de s'élever, & eut bientôt l'ambition d'avoir quelque part au gouvernement de l'état. Nos rois l'éleverent par degrés en l'admettant aux charges, & en communiquant la noblesse à plusieurs roturiers ; ce qu'ils firent sans-doute pour balancer le crédit des deux autres ordres, qui étoient devenus trop puissans.

Il n'y eut cependant, jusqu'au tems de Philippe-le-Bel, point d'autre assemblée représentative de la nation, que le parlement, lequel étoit alors composé seulement des grands vassaux de la couronne, & des magistrats, que l'on choisissoit ordinairement entre les nobles.

Philippe-le-Bel fut le premier qui convoqua une assemblée des trois états ou ordres du royaume, en la forme qui a été usitée depuis.

La premiere assemblée d'états généraux fut convoquée par des lettres du 23 Mars 1301, que l'on comptoit à Rome 1302. Ces lettres ne subsistent plus, mais on les connoît par la réponse qu'y fit le clergé, elles furent adressées aux barons, archevêques, évêques & prélats ; aux églises cathédrales, universités, chapitres & colléges, pour y faire trouver leurs députés ; & aux baillis royaux, pour faire élire par les villes des syndics ou procureurs.

Ce fut à la persuasion d'Enguerrand de Marigny son ministre, que Philippe-le-Bel assembla de cette maniere les trois états ; pour parvenir plus facilement à lever sur les peuples une imposition pour soûtenir la guerre de Flandres, qui continuoit toûjours, & pour fournir aux autres dépenses de Philippe-le-Bel, qui étoient excessives. Le roi cherchoit par-là à appaiser le peuple & à gagner les esprits, sur-tout à cause de ses démêlés avec Boniface VIII. qui commençoient à éclater.

Ces états tinrent plusieurs séances, depuis la mi-carême jusqu'au 10 Avril qu'ils s'assemblerent dans l'église de Notre-Dame de Paris. Philippe-le-Bel y assista en personne : Pierre Flotte son chancelier y exposa les desseins que le roi avoit de réprimer plusieurs abus, notamment les entreprises de Boniface VIII. sur le temporel du royaume. Il représenta aussi les dépenses que le roi étoit obligé de faire pour la guerre, & les secours qu'il attendoit de ses sujets ; que si l'état populaire ne contribuoit pas en personne au service militaire, il devoit fournir des secours d'argent. Le roi demanda lui-même que chaque corps formât sa résolution, & la déclarât publiquement par forme de conseil.

La noblesse s'étant retirée pour délibérer, & ayant ensuite repris ses places, assûra le roi de la résolution où elle étoit de le servir de sa personne & de ses biens.

Les ecclésiastiques demanderent un délai pour délibérer amplement, ce qui leur fut refusé. Cependant sur les interrogations que le roi leur fit lui-même, savoir de qui ils tenoient leurs biens temporels, & de ce qu'ils pensoient être obligés de faire en conséquence, ils reconnurent qu'ils tenoient leurs biens de lui & de sa couronne ; qu'ils devoient défendre sa personne, ses enfans & ses proches, & la liberté du royaume ; qu'ils s'y étoient engagés par leur serment, en prenant possession des grands fiefs dont la plûpart étoient revêtus ; & que les autres y étoient obligés par fidélité. Ils demanderent en même tems permission de se rendre auprès du pape pour un concile, ce qui leur fut encore refusé, vû que la bulle d'indication annonçoit que c'étoit pour procéder contre le roi.

Le tiers-état s'expliqua par une requête qu'il présenta à genoux, suppliant le roi de conserver la franchise du royaume. Quelques auteurs mal informés ont cru que c'étoit une distinction humiliante pour le tiers-état, de présenter ainsi ses cahiers à genoux ; mais ils n'ont pas fait attention que c'étoit autrefois l'usage observé par les trois ordres du royaume : & en effet ils présenterent ainsi leurs cahiers en 1576. La preuve de ce fait se trouve fol. 19 v°. 47 v°. 58 v°. d'un recueil sommaire des propositions & conclusions faites en la chambre ecclésiastique des états tenus à Blois en 1576, dressé par M. Guillaume de Taix, doyen de l'église de Troyes. Cet ouvrage fait partie d'un recueil en plusieurs cahiers imprimés, & donnés en 1619 sous le titre de Mêlange historique, ou recueil de plusieurs actes, traités, lettres missives, & autres mémoires qui peuvent servir à la déduction de l'histoire depuis l'an 1390 jusqu'en 1580. On trouve aussi dans le recueil de l'assemblée des états de 1615, rédigé par Florimond Rapine, & imprimé en 1651 avec privilége du Roi, page 465. que le président Miron, en présentant à genoux les cahiers du tiers-état, dit au roi que la conduite qu'avoient tenue le clergé & la noblesse, de n'avoir pas présenté ses cahiers à genoux, étoit une entreprise contre la respectueuse coûtume de toute ancienneté pratiquée par les plus grands du royaume, voire par les princes & par les évêques, de ne se présenter devant le roi qu'en mettant un genou en terre ; soit parce qu'en général le peuple n'est point retenu, comme la noblesse & le clergé, par l'appas des honneurs & des récompenses ; soit parce qu'alors le menu peuple étoit moins policé qu'il ne l'est aujourd'hui.

Tels furent les objets que l'on traita dans ces premiers états ; par où l'on voit que ces sortes d'assemblées n'étoient point une suite des champs de Mars & de Mai ; qu'ils ne furent point établis sur le même modele ni sur les mêmes principes. Ils n'avoient pas non plus les mêmes droits ni la même autorité ; n'ayant jamais eu droit de suffrage en matiere de législation, ni aucune jurisdiction, même sur leurs égaux : aussi est-il bien constant que c'est le parlement de Paris qui tire son origine de ces anciens parlemens, & non pas les états, dont l'établissement ne remonte qu'à Philippe-le-Bel, & n'avoit d'autre objet que d'obtenir le consentement de la nation par l'organe de ses députés, lorsqu'on vouloit mettre quelques impôts.

On n'entreprendra pas de donner ici une chronologie exacte de tous les états généraux & particuliers qui ont été tenus depuis Philippe-le-Bel jusqu'à présent ; outre que ce détail meneroit trop loin, les historiens ne sont souvent pas d'accord sur les tems de la tenue de plusieurs de ces états, ni sur la durée de leurs séances : quelques-uns ont pris des états particuliers pour des états généraux : d'autres ont confondu avec les états, de simples assemblées de notables, des lits de justice ; des parlemens, des conseils nombreux tenus par le roi.

On se contentera donc de parler des états généraux les plus connus, de rapporter ce qui s'y est passé de plus mémorable, de marquer comment ces états s'arrogerent peu-à-peu une certaine autorité, & de quelle maniere elle fut ensuite réduite.

Une observation qui est commune à tous ces états, c'est que dans l'ordre de la noblesse étoient compris alors tous les nobles d'extraction, soit qu'ils fussent de robe ou d'épée, pourvû qu'ils ne fussent pas magistrats députés du peuple : le tiers-état n'étoit autre chose que le peuple, représenté par ces magistrats députés.

Depuis les premiers états de 1301, Philippe-le-Bel en convoqua encore plusieurs autres : les plus connus sont ceux de 1313, que quelques-uns placent en 1314. Le ministre ne trouva d'autre ressource pour fournir aux dépenses du roi, que de continuer l'impôt du cinquieme des revenus & du centieme des meubles, même d'étendre ces impôts sur la noblesse & le clergé ; & pour y réussir, on crut qu'il falloit tâcher d'obtenir le consentement des états. L'assemblée fut convoquée le 29 Juin : elle ne commença pourtant que le premier Août. Mezeray dit que ce fut dans la salle du palais, d'autres disent dans la cour. On avoit dressé un échafaud pour le roi, la noblesse & le clergé ; le tiers-état devoit rester debout au pié de l'échafaud.

Après une harangue véhémente du ministre, le roi se leva de son throne & s'approcha du bord de l'échafaud, pour voir ceux qui lui accorderoient l'aide qui étoit demandée. Etienne Barbette prevôt des marchands, suivi de plusieurs bourgeois de Paris, promit de donner une aide suffisante, ou de suivre le roi en personne à la guerre. Les députés des autres communautés firent les mêmes offres ; & là-dessus l'assemblée s'étant séparée sans qu'il y eût de délibération formée en regle, il parut une ordonnance pour la levée de six deniers pour livre de toutes marchandises qui seroient vendues dans le royaume.

Il en fut à-peu-près de même de toutes les autres assemblées d'états ; les principaux députés, dont on avoit gagné les suffrages, décidoient ordinairement, sans que l'on eût pris l'avis de chacun en particulier ; ce qui fait voir combien ces assemblées étoient illusoires.

On y arrêta cependant, presque dans le moment où elles furent établies, un point extrêmement important ; savoir, qu'on ne leveroit point de tailles sans le consentement des trois états. Savaron & Mezeray placent ce réglement en 1314, sous Louis Hutin ; Boulainvilliers dans son Histoire de France, tome II. p. 468. prétend que ce réglement ne fut fait que sous Philippe de Valois : du reste ces auteurs sont d'accord entr'eux sur le point de fait.

Quoi qu'il en soit de cette époque, il paroît que Louis Hutin n'osant hasarder une assemblée générale, en fit tenir en 1315 de provinciales par bailliages & sénéchaussées, où il fit demander par ses commissaires un secours d'argent. Cette négociation eut peu de succès ; desorte que la cour mécontente des communes, essaya de gagner la noblesse, en convoquant un parlement de barons & de prélats à Pontoise pour le mois d'Avril suivant, ce qui ne produisit cependant aucune ressource pour la finance.

Philippe V. dit le Long, ayant mis, sans consulter les états, une imposition générale du cinquieme des revenus & du centieme des meubles sur toutes sortes de personnes sans exception, dès que cette ordonnance parut, tous les ordres s'émurent ; il y eut même quelques particuliers qui en interjetterent appel au jugement des états généraux, qu'ils supposoient avoir seuls le pouvoir de mettre des impositions.

Le roi convoqua les états, dans l'espérance d'y lever facilement ces oppositions, & que le suffrage de la ville de Paris entraîneroit les autres. L'assemblée se tint au mois de Juin 1321 ; mais le clergé, mécontent à cause des décimes que le roi levoit déjà sur lui ; éluda la décision de l'affaire, en représentant qu'elle se traiteroit mieux dans des assemblées provinciales ; ce qui ne fut pas exécuté, Philippe V. étant mort peu de tems après.

Charles IV. son successeur, ayant donné une déclaration pour la réduction des monnoies, des poids & des mesures, le clergé & la noblesse lui remontrerent qu'il ne pouvoit faire ces réglemens que pour les terres de son domaine, & non dans celles des barons. Le roi permit de tenir à ce sujet de nouvelles assemblées provinciales ; mais on ne voit pas quelle en fut la suite.

Les états de Normandie députerent vers le roi Philippe de Valois, & obtinrent de lui la confirmation de la charte de Louis Hutin, appellée la charte aux Normands, avec déclaration expresse qu'il ne seroit jamais rien imposé sur la province, sans le consentement des états ; mais on a soin dans tous les édits qui concernent la Normandie, de déroger expressément à cette charte.

Le privilége que leur accorda Philippe de Valois, n'étoit même pas particulier à cette province ; car les historiens disent qu'en 1338 & 1339 il fut arrêté dans l'assemblée des états généraux, en présence du roi, que l'on ne pourroit imposer ni lever tailles en France sur le peuple, même en cas de nécessité ou utilité, que de l'octroi des états.

Ceux qui furent assemblés en 1343, accorderent à Philippe-de-Valois un droit sur les boissons & sur le sel pendant le tems de la guerre. Il y avoit eu des avant 1338 une gabelle imposée sur le sel ; mais ces impositions ne duroient que pendant la guerre, & l'on ne voit point si les premieres furent faites en conséquence d'un consentement des états. Pour ce qui est de l'imposition faite en 1343, on étoit alors si agité qu'on ne parla point de l'emploi qui devoit être fait ; ce que les états n'avoient point encore omis.

Aucun prince n'assembla si souvent les états que le roi Jean ; car sous son regne il y en eut presque tous les ans ; soit de généraux ou de particuliers, jusqu'à la bataille de Poitiers.

L'objet de toutes ces assemblées étoit toûjours de la part du prince de demander quelque aide ou autre subside pour la guerre ; & de la part des états, de prendre les arrangemens convenables à ce sujet. Ils prenoient aussi souvent de-là occasion de faire diverses représentations pour la réformation de la justice, des finances, & autres parties du gouvernement ; après la séance des états il paroissoit communément une ordonnance pour régler l'aide qui avoit été accordée, & les autres objets sur lesquels les états avoient délibéré, supposé que le roi jugeât à-propos d'y faire droit.

Il y eut à Paris le 13 Février 1350 une assemblée générale des états tant de la Languedoil que de la Languedoc, c'est-à-dire des deux parties qui faisoient alors la division du royaume ; on croit neanmoins que les députés de chaque partie s'assemblerent séparément.

Les prélats accorderent sur le champ le subside qui étoit demandé ; mais les nobles & la plûpart des députés des villes qui n'avoient pas de pouvoir suffisant, furent renvoyés dans leur province pour y délibérer. Le roi y indiqua des assemblées provinciales, & y envoya des commissaires qui accorderent quelques-unes des demandes ; & sur les autres, il fut député pardevers le roi. Quelques provinces accorderent un subside de six deniers ; d'autres seulement de quatre.

Il paroît que sous le regne du roi Jean on n'assembla plus en même tems & dans un même lieu les états de la Languedoil & ceux de la Languedoc, & que l'on tint seulement des assemblées provinciales d'états. Il y eut entre autres ceux du Limousin en 1355, où l'on trouve l'origine des cahiers que les états présentent au roi pour exposer leurs demandes. Ceux du Limousin en présenterent un, qui est qualifié en plusieurs endroits de cédule.

Suivant les pieces qui nous restent de ces differentes assemblées, on voit que le roi nommoit d'abord des commissaires qui étoient ordinairement choisis parmi les magistrats, auxquels il donnoit pouvoir de convoquer ces assemblées, & d'y assister en son nom ; qu'il leur accordoit même quelquefois la faculté de substituer quelqu'un à la place de l'un deux.

Ces commissaires avoient la liberté d'assembler les trois états dans un même lieu, ou chaque ordre séparément, & de les convoquer tous ensemble, ou en des jours différens.

Les trois ordres, quoique convoqués dans un même lieu ; s'assembloient en plusieurs chambres ; ils formoient aussi leurs délibérations, & présentoient leurs requêtes séparément ; c'est pourquoi le roi à la fin de ces assemblées confirmoit par ses lettres tout ce qui avoit été conclu par chaque ordre, ou même par quelques députés d'un des ordres en particulier.

On appelloit états généraux du royaume ceux qui étoient composés des députés de toutes les provinces : on donnoit aussi le titre d'états généraux, à l'assemblée des députés des trois ordres de la Languedoil ou de la Languedoc ; parce que ces assemblées étoient composées des députés de toutes les provinces que comprenoient chacune de ces deux parties du royaume ; de sorte que les états particuliers ou provinciaux étoient seulement ceux d'une seule province, & quelquefois d'un seul bailliage ou sénéchaussée.

Les états généraux de la Languedoil ou pays coûtumier, furent assemblés en la chambre du parlement en 1355. Le chancelier leur ayant demandé une aide, ils eurent permission de se consulter entre eux ; ensuite ils se présenterent devant le roi en la même chambre, & offrirent d'entretenir 30000 hommes d'armes à leurs frais. Cette dépense fut estimée 50000 liv. & pour y subvenir, les états accorderent la levée d'une imposition.

L'ordonnance qui fut rendue à cette occasion le 28 Décembre 1355, fait connoître quel étoit alors le pouvoir que les états s'étoient attribué. Ils commencerent, par la permission du roi, à délibérer 1°, sur le nombre des troupes nécessaires pour la guerre ; 2°. sur les sommes nécessaires pour soudoyer l'armée ; 3°. sur les moyens de lever cette somme, & sur la régie & emploi des deniers ; ils furent même autorisés à nommer des généraux des aides pour en avoir la sur-intendance, & des élûs dans chaque diocèse pour faire l'imposition & levée des deniers, usages qui ont subsisté jusqu'à ce que le roi se réserva la nomination des généraux, & qu'il érigea les élûs en titre d'office ; il fut aussi arrêté que le compte de la levée & emploi des deniers seroit rendu en présence des états, qui se rassembleroient pour cet effet dans le tems marqué.

Les états avoient aussi demandé que l'on réformât plusieurs abus qui s'étoient glissés dans le gouvernement ; & le roi considérant la clameur de son peuple, fit plusieurs réglemens sur les monnoies, sur les prises de vivres & provisions qui se faisoient pour le roi & pour sa maison, sur les prêts forcés d'argent, sur la jurisdiction des juges ordinaires, enfin sur plusieurs choses qui concernoient la discipline des troupes.

Lorsque le roi Jean fut pris par les Anglois, le dauphin encore jeune croyant devoir ménager tous les différens ordres du royaume dans une conjoncture si fâcheuse, assembla les états à Paris au mois de Mai 1356, dans la salle du parlement, pour lui donner aide & conseil, tant pour procurer la promte délivrance du roi, que pour gouverner le royaume & conduire la guerre pendant son absence. Il se crut d'autant plus obligé d'en user ainsi, qu'il ne prenoit encore d'autre qualité que celle de lieutenant général du royaume, dont la régence ne lui fut formellement déférée qu'un an après par le parlement.

Les députés ayant obtenu un délai pour délibérer entr'eux, tinrent des assemblées particulieres dans le couvent des Cordeliers ; s'étant plaints au dauphin que la présence des commissaires du roi gênoit la liberté des délibérations, ces commissaires furent rappellés. On convint de cinquante députés des trois ordres pour dresser un projet de réformation : on délibéra aussi sur ce qui touchoit la guerre & la finance.

Le dauphin étant venu à leur assemblée : ils lui demanderent le secret, à quoi il ne voulut pas s'obliger. Les députés au lieu de s'occuper à chercher les moyens de délivrer le roi qui étoit prisonnier à Londres, firent des plaintes sur le gouvernement & voulurent profiter des circonstances, pour abaisser injustement l'autorité royale. Ils firent des demandes excessives qui choquerent tellement le dauphin, qu'il éluda long-tems de leur rendre réponse : mais enfin il se trouva forcé par les circonstances de leur accorder tout ce qu'ils demandoient.

Le roi qui avoit déjà pris des arrangemens avec les Anglois, fit publier à Paris des défenses pour lever l'aide accordée par les états, & à eux de se rassembler. Cependant comme les receveurs des états étoient maîtres de l'argent, le dauphin fut obligé de consentir à une assemblée. Il y en eut encore deux autres en 1357, où la noblesse ne parut point étant gagnée par le dauphin, qui d'un autre côté mit les villes en défiance contre la noblesse, pour les empêcher de s'unir.

Depuis que le dauphin eut été nommé régent du royaume, il ne laissa pas de convoquer encore en différentes années plusieurs états, tant généraux que particuliers : mais l'indécence avec laquelle se conduisirent les états à Paris en 1358, fut l'écueil où se brisa la puissance que les états s'étoient attribuée dans des tems de trouble. Depuis ce tems ils furent assemblés moins fréquemment ; & lorsqu'on les assembla ; ils n'eurent plus que la voix de simple remontrance.

Ceux de la sénéchaussée de Beaucaire & de Nîmes tenus en 1363, présenterent au roi un cahier ou mémoire de leurs demandes : c'est la premiere fois, à ce qu'il paroît, que les états se soient servi du terme de cahier pour désigner leurs demandes ; car dans les précédens états on a vû que ces sortes de mémoires étoient qualifiés de cédule, apparemment parce que l'on n'avoit pas encore l'usage d'écrire les actes en forme de cahier. Au reste il étoit libre au roi de faire ou ne pas faire droit sur leurs cahiers ; mais il fut toûjours nécessaire que l'ordonnance qu'il rendoit sur les cahiers des états généraux, fût vérifiée au parlement qui représente seul le corps de la nation.

Les états généraux ne furent assemblés que deux fois sous le regne de Charles V. en l'année 1369. La premiere de ces deux assemblées se tint en la grand-chambre du parlement, le roi séant en son lit de justice ; le tiers état étoit hors l'enceinte du parquet & en si grand nombre, que la chambre en étoit remplie. Il ne fut point question pour cette fois de subside, mais seulement de délibérer sur l'exécution du traité de Bretigny, & sur la guerre qu'il s'agissoit d'entreprendre. Les autres états furent tenus pour avoir un subside. Ce qu'il y a de plus remarquable dans ces deux assemblées, est que l'on n'y parla point de réformation comme les états avoient coûtume de faire, tant on étoit persuadé de la sagesse du gouvernement.

La foiblesse du regne de Charles VI. donna lieu à de fréquentes assemblées des états. Il y en eut à Compiegne, à Paris, & dans plusieurs autres villes. Le détail de ce qui s'y passa, aussi bien que dans ceux tenus sous le roi Jean, se trouve fort au long dans des préfaces de M. Secousse, sur les tomes III. & suiv. des ordonnances de la troisieme race.

Les guerres continuelles que Charles VII. eut à soûtenir contre les Anglois, furent cause qu'il assembla rarement les états ; il y en eut cependant à Melun-sur-Yevre, à Tours, & à Orléans.

Celui de tous nos rois qui sut tirer le meilleur parti des états, fut le roi Louis XI. quand il voulut s'en servir, comme il fit en 1467, pour régler l'apanage de son frere ; ce qui fut moins l'effet du pouvoir des états, qu'un trait de politique de Louis XI. car il y avoit déjà long-tems que ces assemblées avoient perdu leur crédit. Il s'agissoit d'ailleurs en cette occasion d'un objet qui ne concernoit point les états, & pour lequel il n'avoit pas besoin de leur consentement.

Depuis l'année 1483, époque du commencement du regne de Charles VIII. il n'y eut point d'états jusqu'en 1506, qu'on en tint à Tours sous Louis XII. à l'occasion du mariage de la fille aînée du roi.

Il n'y en eut point du tout sous François premier.

Du regne d'Henri II. il n'y en eut point avant 1558. Savaron en date pourtant d'autres de 1549 : mais c'étoit un lit de justice.

Les états généraux tenus du tems de Charles IX. donnerent lieu à trois célebres ordonnances, qui furent faites sur les plaintes & doléances des trois états ; savoir les états d'Orléans à l'ordonnance de 1560, pour la réformation du royaume, appellée l'ordonnance d'Orléans ; & à celle de Roussillon de l'année 1563, portant réglement sur le fait de la justice, pour satisfaire au surplus des cahiers des états, comme le roi l'avoit réservé par la premiere ordonnance. Les états de Moulins donnerent lieu à l'ordonnance de 1566, pour la réformation de la justice, appellée l'ordonnance de Moulins.

Les états généraux tenus à Blois sous Henri III. en 1576, donnerent aussi lieu à l'ordonnance de 1579, laquelle, quoique datée de Paris & publiée trois ans après les états de Blois, a été appellée ordonnance de Blois ; parce qu'elle fut dressée sur les cahiers de ces états. Il y en eut aussi à Blois en 1588 ; & l'insolence des demandes qu'ils firent, avança le desastre des Guises.

Le duc de Mayenne assembla à Paris en 1593 de prétendus états généraux, où l'on proposa vainement d'abolir la loi salique. Comme entre les trois ordres il n'y avoit que celui de la noblesse qui fût dévoüé au duc, & qu'il y avoit peu de noblesse considérable à cette assemblée, il proposa pour fortifier son parti d'ajoûter deux nouveaux ordres aux trois autres, savoir celui des seigneurs, & celui des gens de robe & du parlement ; ce qui fut rejetté. Ces états furent cassés par arrêt du parlement du 30 Mai 1594.

Les derniers états généraux sont ceux qui se tinrent à Paris en 1614. Le roi avoit ordonné que le clergé s'assemblât aux Augustins, la noblesse aux Cordeliers, & le tiers-état dans l'hôtel-de-ville ; mais la noblesse & le tiers-état demanderent permission de s'assembler aussi aux Augustins, afin que les trois ordres pussent conférer ensemble : ce qui leur fut accordé.

La chambre du clergé étoit composée de cent quarante personnes, dont cinq cardinaux, sept archevêques, & quarante-sept évêques.

Cent trente-deux gentilshommes composoient la chambre de la noblesse.

Celle du tiers-état où présidoit le prevôt des marchands, étoit composée de cent quatre-vingt-deux députés, tous officiers de justice ou de finance.

L'ouverture des états se fit le 27 Octobre, après un jeûne public de trois jours & une procession solemnelle ; que l'on avoit ordonné pour implorer l'assistance du ciel.

L'assemblée se tint au Louvre dans la grande salle de l'hôtel de Bourbon ; le roi y siégea sous un dais de velours violet semé de fleurs-de-lis d'or, ayant à sa droite la reine sa mere assise dans une chaise à dos, & près d'elle Elisabeth premiere fille de France, promise au prince d'Espagne, & la reine Marguerite.

A la gauche du roi étoit monsieur, son frere unique, & Christine seconde fille de France.

Le grand-chambellan étoit aux piés de sa majesté ; le grand-maître & le chancelier à l'extrémité du marche-pié ; le maréchal de Souvré, les capitaines des gardes & plusieurs autres personnes, étoient derriere joignant leurs majestés.

Les princes, les cardinaux, les ducs, étoient placés des deux côtés.

Aux piés du throne étoit la table des secrétaires d'état.

A leur droite étoient les conseillers d'état de robe longue, & les maîtres des requêtes ; à leur gauche, les conseillers de robe courte ; & tout de suite les bancs des députés des trois ordres : les ecclésiastiques occupoient le côté droit, la noblesse le côté gauche, le tiers-état étoit derriere eux.

Le roi dit en peu de mots, que son but étoit d'écouter les plaintes de ses sujets, & de pourvoir à leurs griefs.

Le chancelier parla ensuite de la situation des affaires ; puis ayant pris l'ordre du roi, il dit aux députés que sa majesté leur permettoit de dresser le cahier de leurs plaintes & demandes, & qu'elle promettoit d'y répondre favorablement.

Les trois ordres firent chacun leur harangue, les députés du clergé & de la noblesse debout & découverts, le prevôt des marchands à genoux pour le tiers-état ; après quoi cette premiere séance fut terminée.

Dans l'intervalle de tems qui s'écoula jusqu'à la séance suivante, la cour prit des mesures pour diviser les députés des différens ordres, en les engageant à proposer chacun des articles de réformation, que l'on prévoyoit qui seroient contredits par les députés des autres ordres ; on s'attacha sur-tout à écarter les demandes du tiers-état, que l'on regardoit comme le plus difficile à gagner.

On se rassembla le 4 Novembre suivant ; le clergé demanda la publication du concile de Trente, la noblesse demanda l'abolition de la paulette, le tiers-état le retranchement des tailles & la diminution des pensions.

L'université de Paris qui vouloit avoir séance dans la chambre des députés du clergé, donna à cet effet son cahier ; mais il fut rejette comme n'étant pas fait de concert entre les quatre facultés qui étoient divisées entr'elles.

La noblesse & le clergé prirent de-là occasion de demander la réformation des universités, & que les Jésuites fussent admis dans celle de Paris, à condition, entr'autres choses, de se soûmettre aux statuts de cette université ; mais cela demeura sans effet, les Jésuites n'ayant pas voulu se soûmettre aux conditions que l'on exigeoit d'eux.

On demanda ensuite l'accomplissement du mariage du roi avec l'infante, & celui de madame Elisabeth de France avec le prince d'Espagne.

Les trois ordres qui étoient divisés sur plusieurs objets, se réunirent tous pour un, qui fut de demander l'établissement d'une chambre pour la recherche des malversations commises dans les finances ; mais la reine éluda cette proposition.

Il y en eut une autre bien plus importante qui fut faite par les députés du tiers-état, pour arrêter le cours d'une doctrine pernicieuse qui paroissoit se répandre depuis quelque tems, tendante à attaquer l'indépendance des rois par rapport à leur temporel.

L'article proposé par le tiers-état portoit que le roi seroit supplié de faire arrêter en l'assemblée des états généraux, comme une loi inviolable & fondamentale du royaume, que le roi étant reconnu souverain en France, & ne tenant son autorité que de Dieu seul, il n'y a sur la terre aucune puissance spirituelle ou temporelle qui ait droit de le priver de son royaume, ni de dispenser ou d'absoudre ses sujets pour quelque cause que ce soit, de la fidélité & de l'obéissance qu'ils lui doivent ; que tous les François généralement tiendroient cette loi pour sainte, véritable, & conforme à la parole de Dieu, sans nulle distinction équivoque ou limitation ; qu'elle seroit jurée par tous les députés aux états généraux, & desormais par tous les bénéficiers & magistrats du royaume, avant que d'entrer en possession de leurs bénéfices ou de leurs charges : que l'opinion contraire, aussi bien que celle qui permet de tuer ou de déposer les souverains, & de se révolter contr'eux pour quelque raison que ce soit, seroient déclarées fausses, impies, détestables, & contraires à l'établissement de la monarchie françoise, qui dépend immédiatement de Dieu seul ; que tous les livres qui enseigneroient cette mauvaise doctrine, seroient regardés comme séditieux & damnables, &c. enfin que cette loi seroit lûe dans les cours souveraines & dans les tribunaux subalternes, afin qu'elle fût connue & religieusement observée.

Les partisans de la doctrine pernicieuse que cet article avoit pour objet de condamner, se donnerent tant de mouvemens, qu'ils engagerent les députés du clergé & de la noblesse à s'opposer à la réception de cet article sous différens prétextes frivoles ; comme de dire, que si l'on publioit cet article, il sembleroit que l'on eût jusqu'alors révoqué en doute l'indépendance de la couronne, que c'étoit chercher à altérer l'union qui étoit entre le roi & le saint pere, & que cela étoit capable de causer un schisme.

Le cardinal du Perron qui fut député du clergé pour aller débattre cet article en la chambre du tiers-état, poussa les choses encore plus loin ; il accordoit à la vérité que pour telle cause que ce soit il n'est pas permis de tuer les rois, & que nos rois ont tout droit de souveraineté temporelle en leur royaume : mais il prétendoit que la proposition qu'il n'y a nul cas auquel les sujets puissent être absous du serment de fidélité qu'ils ont fait à leur prince, ne pouvoit être reçûe que comme problématique.

Le président Miron pour le tiers-état défendit la proposition attaquée par le cardinal.

Cependant les députés des deux autres ordres parvinrent à faire ôter du cahier l'article qui avoit été proposé par le tiers-état ; & au lieu de cet article ils en firent insérer un autre, portant seulement que le clergé abhorroit les entreprises faites pour quelque cause ou prétexte que ce soit, contre les personnes sacrées des rois ; & que pour dissiper la mauvaise doctrine dont on a parlé, le roi seroit supplié de faire publier en son royaume la quinzieme session du concile de Constance.

Les manoeuvres qui avoient été pratiquées pour faire ôter du cahier l'article proposé par le tiers-état, exciterent le zele du parlement. Les gens du roi remontrerent dans leur requisitoire, que c'étoit une maxime de tout tems en France, que le roi ne reconnoît aucun supérieur au temporel de son royaume, sinon Dieu seul ; que nulle puissance n'a droit de dispenser les sujets de sa majesté de leur serment de fidélité & d'obéissance, ni de la suspendre, priver, ou dépouiller de son royaume, encore moins d'attenter ou de faire attenter par autorité, soit publique ou privée, sur les personnes sacrées des souverains : ils requirent en conséquence que les précédens arrêts intervenus à ce sujet, fussent derechef publiés en tous les siéges, afin de maintenir ces maximes ; sur quoi la cour rendit un arrêt conforme au requisitoire des gens du roi.

Les divisions que cette affaire occasionna entre les députés des états, firent presser la présentation des cahiers, afin de rompre l'assemblée. La clôture en fut faite le 23 Février 1615, avec la même pompe que l'ouverture avoit été faite.

Depuis ces derniers états généraux il y a eu quelques assemblées de notables, entr'autres celle qui se tint à Paris au mois de Décembre 1626 jusqu'au 23 Février 1627, où le duc d'Orléans présidoit. Quelques historiens qualifient cette assemblée d'états, mais improprement ; & en tout cas ce n'auroit été que des états particuliers, & non des états généraux ; & dans l'usage elle est connue sous le nom d'assemblée des notables.

Il paroît aussi qu'en 1651 la noblesse se donna de grands mouvemens pour faire convoquer les états généraux ; que le roi avoit résolu qu'on les tiendroit à Tours, mais que ces états n'eurent pas lieu : en effet on trouve dans les registres de la chambre des comptes un arrêté fait par cette chambre, portant qu'elle ne députeroit point à ces états.

On tient encore de tems en tems des états particuliers dans quelques provinces, qu'on appelle par cette raison pays d'états ; tels que les états d'Artois, ceux de Bourgogne, de Bretagne, &c. & autres, dont on parlera dans les subdivisions suivantes.

Quelques personnes peu au fait des principes de cette matiere, croyent que toute la robe indistinctement doit être comprise dans le tiers-état ; ce qui est une erreur facile à réfuter.

Il est vrai que les gens de robe qui ne sont pas nobles, soit de naissance ou autrement, ne peuvent être placés que dans le tiers-état ; mais ceux qui joüissent du titre & des prérogatives de noblesse, soit d'extraction ou en vertu de quelque office auquel la noblesse est attachée, ou en vertu de lettres particulieres d'annoblissement, ne doivent point être confondus dans le tiers-état ; on ne peut leur contester le droit d'être compris dans l'ordre ou état de la noblesse, de même que les autres nobles de quelque profession qu'ils soient, & de quelque cause que procede leur noblesse.

On entend par ordre ou état de la noblesse, la classe de ceux qui sont nobles ; de même que par tiers-état on entend un troisieme ordre distinct & séparé de ceux du clergé & de la noblesse, qui comprend tous les roturiers, bourgeois, ou paysans, lesquels ne sont pas ecclésiastiques.

Chez les Romains la noblesse ne résidoit que dans l'ordre des sénateurs, qui étoit l'état de la robe. L'ordre des chevaliers n'avoit de rang qu'après celui des sénateurs, & ne joüissoit point d'une noblesse parfaite, mais seulement de quelques marques d'honneur.

En France anciennement tous ceux qui portoient les armes étoient réputés nobles ; & il est certain que cette profession fut la premiere source de la noblesse ; que sous les deux premieres races de nos rois, ce fut le seul moyen d'acquérir la noblesse ; mais il faut aussi observer qu'alors il n'y avoit point de gens de robe, ou plûtôt que la robe ne faisoit point un état différent de l'épée. C'étoient les nobles qui rendoient alors seuls la justice : dans les premiers tems ils siégeoient avec leurs armes ; dans la suite ils rendirent la justice sans armes & en habit long, selon la mode & l'usage de ces tems-là, comme font présentement les gens de robe.

Sous la troisieme race il est survenu deux changemens considérables, par rapport à la cause productive de la noblesse.

L'un est que le privilége de noblesse dont joüissoient auparavant tous ceux qui faisoient profession des armes, a été restraint pour l'avenir à certains grades militaires, & n'a été accordé que sous certaines conditions ; ensorte que ceux qui portent les armes sans avoir encore acquis la noblesse, sont compris dans le tiers-état, de même que les gens de robe non-nobles.

L'autre changement est qu'outre les grades militaires qui communiquent la noblesse, nos rois ont établi trois autres voies pour l'acquérir ; savoir la possession des grands fiefs qui annoblissoit autrefois les roturiers, auxquels on permettoit de posséder fiefs ; l'annoblissement par lettres du prince ; & enfin l'exercice de certains offices d'épée, de judicature, ou de finance, auxquels le roi attache le privilége de noblesse.

Ceux qui ont acquis la noblesse par l'une ou l'autre de ces différentes voies, ou qui sont nés de ceux qui ont été ainsi annoblis, sont tous également nobles, car on ne connoît point parmi nous deux sortes de noblesse. Si l'on distingue la noblesse de robe de celle d'épée, ce n'est que pour indiquer les différentes causes qui ont produit l'une & l'autre, & non pour établir entre ces nobles aucune distinction. Les honneurs & priviléges attachés à la qualité de nobles, sont les mêmes pour tous les nobles, de quelque cause que procede leur noblesse.

On distingue à la vérité plusieurs degrés dans la noblesse ; savoir celui des simples gentilshommes nobles ou écuyers ; celui de la haute noblesse, qui comprend les chevaliers, comtes, barons, & autres seigneurs ; & le plus élevé de tous, qui est celui des princes. Le degré de la haute noblesse peut encore recevoir plusieurs subdivisions pour le rang : mais encore une fois il n'y a point de distinction entre les nobles par rapport aux différentes causes dont peut procéder leur noblesse. On ne connoît d'autres distinctions parmi la noblesse, que celles qui viennent de l'ancienneté, ou de l'illustration, ou de la puissance que les nobles peuvent avoir à cause de quelque office dont ils seroient revêtus : tels que sont les offices de judicature, qui conferent au pourvû l'exercice d'une partie de la puissance publique.

Ce qui a pu faire croire à quelques-uns que toute la robe étoit indistinctement dans le tiers-état, est sans-doute que dans le dénombrement des gens de cet état, on trouve ordinairement en tête certains magistrats ou officiers municipaux, tels que les prevôts des marchands, les maires & échevins, capitouls, jurats, consuls, & autres semblables officiers ; parce qu'ils sont établis pour représenter le peuple, qu'ils sont à la tête des députés du tiers-état pour lequel ils portent la parole. On comprend aussi dans le tiers-état tous les officiers de judicature & autres gens de robe non nobles ; & même quelques-uns qui sont nobles, soit d'extraction ou par leur charge, lorsqu'en leur qualité ils stipulent pour quelque portion du tiers-état.

Il ne s'ensuit pas de-là que toute la robe indistinctement soit comprise dans le tiers-état ; les gens de robe qui sont nobles, soit de naissance, ou à cause de leur office, ou autrement, doivent de leur chef être compris dans l'état de la noblesse, de même que les autres nobles.

Prétendroit-on que les emplois de la robe sont incompatibles avec la noblesse, ou que des maisons dont l'origine est toute militaire & d'ancienne chevalerie, ayent perdu une partie de l'éclat de leur noblesse pour être entrées dans la magistrature, comme il y en a beaucoup dans plusieurs cours souveraines, & principalement dans les parlemens de Rennes, d'Aix, & de Grenoble ? ce seroit avoir une idée bien fausse de la justice, & connoître bien mal l'honneur qui est attaché à un si noble emploi.

L'administration de la justice est le premier devoir des souverains. Nos rois se font encore honneur de la rendre en personne dans leur conseil & dans leur parlement : tous les juges la rendent en leur nom ; c'est pourquoi l'habit royal avec lequel on les représente, n'est pas un habillement de guerre, mais la toge ou robe longue avec la main de justice, qu'ils regardent comme un de leurs plus beaux attributs.

Les barons ou grands du royaume tenoient autrefois seuls le parlement ; & dans les provinces la justice étoit rendue par des ducs, des comtes, des vicomtes, & autres officiers militaires qui étoient tous réputés nobles, & siégeoient avec leur habit de guerre & leurs armes.

Les princes du sang & les ducs & pairs concourent encore à l'administration de la justice au parlement. Ils y venoient autrefois en habit long & sans épée ; ce ne fut qu'en 1551 qu'ils commencerent à en user autrement, malgré les remontrances du parlement, qui représenta que de toute ancienneté cela étoit reservé au roi seul. Avant M. de Harlai, lequel sous Louis XIV. retrancha une phrase de la formule du serment des ducs & pairs, ils juroient de se comporter comme de bons & sages conseillers au parlement.

Les gouverneurs de certaines provinces sont conseillers nés dans les cours souveraines du chef-lieu de leur gouvernement.

Les maréchaux de France, qui sont les premiers officiers militaires, sont les juges de la noblesse dans les affaires d'honneur.

Les autres officiers militaires font tous la fonction de juges dans les conseils de guerre.

Nos rois ont aussi établi dans leurs conseils des conseillers d'épée, qui prennent rang & séance avec les conseillers de robe du jour de leur réception.

Ils ont pareillement établi des chevaliers d'honneur dans les cours souveraines, pour représenter les anciens barons ou chevaliers qui rendoient autrefois la justice.

Enfin les baillis & sénéchaux qui sont à la tête des jurisdictions des bailliages & sénéchaussées, non-seulement sont des officiers d'épée, mais ils doivent être nobles. Ils siégent l'épée au côté, avec la toque garnie de plumes, comme les ducs & pairs ; ce sont eux qui ont l'honneur de conduire la noblesse à l'armée, lorsque le ban & l'arriere-ban sont convoqués pour le service du roi. Ils peuvent outre cet office, remplir en même tems quelque place militaire, comme on en voit en effet plusieurs.

Pourroit-on après cela prétendre que l'administration de la justice fût une fonction au-dessous de la noblesse ?

L'ignorance des barons qui ne savoient la plûpart ni lire ni écrire, fut cause qu'on leur associa des gens de loi dans le parlement ; ce qui ne diminua rien de la dignité de cette cour. Ces gens de loi furent d'abord appellés les premiers sénateurs, maîtres du parlement, & ensuite présidens & conseillers. Telle fut l'origine des gens de robe, qui furent ensuite multipliés dans tous les tribunaux.

Depuis que l'administration de la justice fut confiée principalement à des gens de loi, les barons ou chevaliers s'adonnerent indifféremment, les uns à cet emploi, d'autres à la profession des armes ; les premiers étoient appellés chevaliers en lois ; les autres, chevaliers d'armes. Simon de Bucy premier président du parlement en 1344, est qualifié de chevalier en lois ; & dans le même tems Jean le Jay président aux enquêtes, étoit qualifié de chevalier. Les présidens du parlement qui ont succédé dans cette fonction aux barons, ont encore retenu de-là le titre & l'ancien habillement de chevalier.

Non-seulement aucun office de judicature ne fait décheoir de l'état de noblesse, mais plusieurs de ces offices communiquent la noblesse à ceux qui ne l'ont pas, & à toute leur postérité.

Le titre même de chevalier qui distingue la plus haute noblesse, a été accordé aux premiers magistrats.

Ils peuvent posséder des comtés, marquisats, baronies ; & le roi en érige pour eux de même que pour les autres nobles : ils peuvent en prendre le titre non-seulement dans les actes qu'ils passent, mais se faire appeller du titre de ces seigneuries. Cet usage est commun dans plusieurs provinces, & cela n'est pas sans exemple à Paris : le chancelier de Chiverni se faisoit appeller ordinairement le comte de Chiverni ; & si cela n'est pas plus commun parmi nous, c'est que nos magistrats préferent avec raison de se faire appeller d'un titre qui annonce la puissance publique dont ils sont revêtus, plûtôt que de porter le titre d'une simple seigneurie.

Louis XIV. ordonna en 1665 qu'il y auroit dans son ordre de S. Michel six chevaliers de robe.

Enfin le duché-pairie de Villemor fut érigé pour le chancelier Séguier, & n'a été éteint que faute d'hoirs mâles.

Tout cela prouve bien que la noblesse de robe ne forme qu'un seul & même ordre avec la noblesse d'épée. Quelques auteurs regardent même la premiere comme la principale : mais sans entrer dans cette discussion, il suffit d'avoir prouvé qu'elles tiennent l'une & l'autre le même rang, & qu'elles participent aux mêmes honneurs, aux mêmes priviléges, pour que l'on ne puisse renvoyer toute la robe dans le tiers-état.

M. de Voltaire en son histoire universelle, tom. II. pag. 240, en parlant du mépris que les nobles d'armes font de la noblesse de robe, & du refus que l'on fait dans les chapitres d'Allemagne, d'y recevoir cette noblesse de robe, dit que c'est un reste de l'ancienne barbarie d'attacher de l'avilissement à la plus belle fonction de l'humanité, celle de rendre la justice.

Ceux qui seroient en état de prouver qu'ils descendent de ces anciens Francs qui formerent la premiere noblesse, tiendroient sans contredit le premier rang dans l'ordre de la noblesse. Mais combien y a-t-il aujourd'hui de maisons qui puissent prouver une filiation suivie au-dessus de xij. ou xiij. siecles ?

L'origine de la noblesse d'épée est à la vérité plus ancienne que celle de la noblesse de robe : mais tous les nobles d'épée ne sont pas pour cela plus anciens que les nobles de la robe. S'il y a quelques maisons d'épée plus anciennes que certaines maisons de robe, il y a aussi des maisons de robe plus anciennes que beaucoup de maisons d'épée.

Il y a même aujourd'hui nombre de maisons des plus illustres dans l'épée qui tirent leur origine de la robe, & dans quelques-unes les aînés sont demeurés dans leur premier état, tandis que les cadets ont pris le parti des armes, diroit-on que la noblesse de ceux-ci vaille mieux que celle de leurs aînés ?

Enfin quand la noblesse d'épée en général tiendroit par rapport à son ancienneté le premier rang dans l'ordre de la noblesse, cela n'empêcheroit pas que la noblesse de robe ne fût comprise dans le même ordre ; & il seroit absurde qu'une portion de la noblesse aussi distinguée qu'est celle-ci, qui joüit de tous les mêmes honneurs & privileges que les autres nobles, fut exceptée du rôle de la noblesse, qui n'est qu'une suite de la qualité de nobles, & qu'on la renvoyât dans le tiers-état, qui est la classe des roturiers, précisément à cause d'un emploi qui donne la noblesse, ou du moins qui est compatible avec la noblesse déjà acquise.

Si la magistrature étoit dans le tiers-état, elle seroit du moins à la tête ; au lieu que ce corps a toûjours été représenté par les officiers municipaux seulement.

Qu'on ouvre les procès-verbaux de nos coûtumes, on verra par-tout que les gens de robe qui étoient nobles par leurs charges ou autrement, sont dénommés entre ceux qui composoient l'état de noblesse, & que l'on n'a compris dans le tiers-état que les officiers municipaux ou autres officiers de judicature qui n'étoient pas nobles, soit par leurs charges ou autrement.

Pour ce qui est des états, il est vrai que les magistrats ne s'y trouvent pas ordinairement, soit pour éviter les discussions qui pourroient survenir entre eux & les nobles d'épée pour le rang & la préséance, soit pour conserver la supériorité que les cours ont sur les états.

Il y eut en 1558 une assemblée de notables, tenue en une chambre du parlement. La magistrature y prit pour la premiere fois séance ; elle n'y fut point confondue dans le tiers-état ; elle formoit un quatrieme ordre distingué des trois autres, & qui n'étoit point inférieur à celui de la noblesse. Mais cet arrangement n'étoit point dans les principes, n'y ayant en France que trois ordres ou états, & qu'un seul ordre de noblesse : aussi ne trouve-t-on point d'autre exemple, que la magistrature ait paru à de telles assemblées ; elle n'assista ni aux états de Blois, ni à ceux de Paris. (A)




ETAT(Jurispr.) ce terme a dans cette matiere plusieurs significations.

ETAT D'AJOURNEMENT PERSONNEL, c'est la position d'un accusé qui est decrété d'ajournement personnel. Se représenter en état d'ajournement personnel, c'est se présenter en justice prêt à répondre sur le decret. Un officier ou bénéficier qui demeure en état d'ajournement personnel, demeure interdit jusqu'à ce que le decret soit levé.

ETAT D'ASSIGNE POUR ETRE OUI, c'est la position d'un accusé décrété d'assigné pour être oüi. Voyez l'article précédent.

ETAT DE BATARDISE, c'est la situation d'un enfant né hors le mariage. Voyez BATARDISE.

ETAT en matiere bénéficiale, signifie recréance ou provision. L'article 18 du titre XV. de l'ordonnance de 1667, porte que si durant le cours de la procédure celui qui avoit la possession actuelle du bénéfice décede, l'état & la main-levée des fruits sera donnée à l'autre partie sur une simple requête, qui sera faite judiciairement à l'audience, en rapportant l'extrait du registre mortuaire, & les pieces justificatives de la litispendance, sans autres procédures.

Ce terme pris en ce sens est principalement usité en matiere de régale ; au lieu que dans les autres matieres bénéficiales on dit recréance : quand il y a d'autres prétendans droit au bénéfice que le roi a conféré en régale, l'avocat du régaliste se présente en la grande-chambre, & conclut sur le barreau à ce que sa partie soit autorisée à faire assigner les autres contendans, & cependant l'état, c'est-à-dire qu'il demande que par provision on adjuge la recréance à sa partie ; sur quoi il intervient ordinairement arrêt conforme. (A)

ETAT DERNIER, en matiere bénéficiale, est ce qui caractérise la derniere possession, soit par rapport à la nature du bénéfice, pour savoir s'il est séculier ou régulier, sacerdotal ou non, simple ou à charge d'ames ; soit par rapport aux collateurs & patrons, pour savoir s'il est en patronage ou en collation libre, & à qui appartient le patronage ou la collation ; soit enfin par rapport à la maniere de le posséder, pour savoir s'il est en regle ou en commande libre ou decrétée.

Ce dernier état décide souvent les questions possessoires, c'est-à-dire que l'on se détermine en faveur du pourvû par celui qui avoit un droit, au moins apparent, au tems de la derniere provision, suivant le chapitre querelam 24 extra de elect. & electi potest. le chapitre cum olim 7 extr. de caus. possess. & le chapitre consultationibus 19, x de jure patron. Voyez la jurisprud. canon. au mot Etat, sect. 2. (A)

ETAT DERNIER, en matiere de possession, signifie la situation où les choses étoient avant le trouble : ce terme suppose que l'état des choses étoit d'abord différent, & qu'en dernier lieu il a changé. Voyez POSSESSION, POSSESSOIRE.

ETAT DES ENFANS, c'est le rang qu'ils tiennent dans la famille & dans la société, selon leur qualité de naturels ou de légitimes. Lorsqu'on parle de l'état des enfans, on entend aussi souvent par ce terme leur filiation ; ainsi rapporter des preuves de leur état, assûrer leur état, c'est établir la filiation.

ETAT D'UNE FEMME, c'est la situation d'une femme en puissance de mari. Cet état a cela de singulier, que la femme ne peut s'obliger sans le consentement & autorisation de son mari ; elle ne peut pareillement ester en jugement sans être autorisée de lui, ou à son refus par justice, s'il y a lieu de l'accorder.

ETAT DE LEGITIMITE, c'est celui d'un enfant né d'un mariage légitime.

ETAT (se mettre en) de la part d'un accusé, c'est se représenter à justice.

ETAT, (mettre une cause, instance, ou procès en) c'est l'instruire & faire tout ce qui est nécessaire pour que l'affaire puisse être décidée. Voyez CAUSE, INSTANCE, PROCES.

ETAT ET OFFICE sont quelquefois termes synonymes. Voyez OFFICE.

ETAT signifie quelquefois simplement une place qui n'est point office, soit que cette place soit une dignité, ou que ce soit une simple fonction ou commission.

ETAT DE PERSONNE, c'est sa filiation & ce qui l'attache à une famille. On entend aussi quelquefois par-là tout ce qui donne un rang à quelqu'un dans la société ; comme la liberté, la vie civile, les droits de cité, la majorité, &c.

ETAT PREMIER est opposé à dernier état. Voyez ci-devant ETAT DERNIER.

ETAT DE PRISE DE CORPS, c'est la situation d'un accusé decrété de prise de corps. Voyez ce qui a été dit ci-devant au mot ETAT D'AJOURNEMENT PERSONNEL.

ETAT, (question d') c'est une contestation où l'on révoque en doute la filiation de quelqu'un, ou son état, & ses capacités personnelles. Voyez ETAT DE PERSONNE. (A)

ETAT, en matiere de compte, signifie un tableau ou mémoire dans lequel on détaille la recette & dépense du comptable, ses reprises, &c. Il y a plusieurs sortes d'états.

ETAT, (bref) est un compte par simple mémoire, à la différence d'un compte qui est rendu en la forme prescrite par l'ordonnance. Voyez COMPTE PAR BREF ETAT.

ETAT DE DEPENSE, est un mémoire de dépense. Voyez COMPTE & DEPENSE.

ETAT FINAL, à la Chambre des Comptes, est celui que le rapporteur écrit en fin du compte, suivant ce qui résulte des parties alloüées ou rejettées dans le compte.

ETAT DES MAISONS ROYALES, est le rôle des officiers qui y servent, & qui doivent joüir en conséquence de certains priviléges. Ces états sont envoyés à la cour des aides. Voyez les réglemens des tailles, de 1614, art. xxjv. 1634, art. viij. & la déclaration du 30 Mai 1664.

ETAT DE RECETTE, est un mémoire ou bordereau de recette.

ETAT DE REPRISE, est le mémoire des reprises que fait le rendant compte. Voyez COMPTE & REPRISE.

ETAT DU ROI, en style de la Chambre des Comptes, est l'état arrêté au conseil, de la recette & dépense à faire par le comptable. Voyez ce qui est dit dans l'article suivant.

ETAT AU VRAI, en style de la Chambre des Comptes, est un état arrêté, soit au conseil, soit au bureau des finances, de la recette & dépense réellement faite par le comptable ; à la différence de l'état du roi, qui est l'état de recette & dépense qu'il avoit à faire.

ETAT ut jacet, se dit à la chambre des comptes, lorsqu'on tarde à clorre un compte. L'auditeur-rapporteur du compte en doit faire l'état ut jacet, suivant l'ordonnance de 1454, pour empêcher que pendant ce retardement le comptable ne divertisse par des acquits mandiés, le fonds qu'il peut devoir. (A)




ETATen Normandie, signifie ordre du prix de l'adjudication par decret. On dit tenir état du prix de l'adjudication & des baux judiciaires. Article 5 de la coûtume. (A)




ETAT DE NEVILen Angleterre, est un ancien registre gardé par le secrétaire de l'échiquier, lequel contient l'énumération de la plûpart des fiefs que le roi possede dans le royaume d'Angleterre, avec des enquêtes sur les sergenteries, & sur les terres échûes à son domaine par droit d'aubaine. Il porte le nom de son compilateur, Jean de Nevil, qui étoit un des juges-ambulans sous le regne d'Henri III. roi d'Angleterre. (A)




ETATS D'ARTOISsont une assemblée des députés du clergé, de la noblesse, & du tiers-état de la province.

Ils sont convoqués par le roi, auquel seul en appartient le droit, suivant le placard du 12 Janvier 1664.

L'objet de cette assemblée est de régler ce qui est nécessaire par rapport aux subventions que la province accorde au roi, attendu qu'elle n'est pas sujette aux impositions qui ont lieu dans le royaume.

Cet usage est si ancien, qu'on n'en trouve point le commencement : on peut néanmoins l'attribuer à la composition de 14000 liv. que firent les habitans d'Artois avec le roi Charles V. le premier Décembre 1368, pour leur part de la contribution annuelle aux frais de la guerre. Cette somme de 14000 liv. qui a toûjours été nommée l'ancienne aide ou composition d'Artois, étoit réglée par les élus d'Artois, Boulenois, Saint-Pol, ressorts & relevemens, selon la caroline en charte du roi Charles VI. du 31 Octobre 1409.

La tenue de ces états n'a jamais été interrompue, si ce n'est depuis la prise d'Arras en 1640, jusqu'à la paix des Pyrenées, après laquelle le roi rétablit le pays dans ses anciens priviléges. La premiere assemblée se tint dans la ville de Saint-Pol en 1660 ; mais depuis on les tient toûjours à Arras.

L'évêque d'Arras est le président-né des états. Voyez l'état de France de Boulainvilliers ; dictionn. de la Martiniere ; & Maillart sur la coûtume d'Artois, p. 168.




ETATS DE BOURGOGNEsont les états particuliers ou assemblée des trois ordres du duché de Bourgogne, qui se fait tous les trois ans ou environ, au mois de Mai, à moins que le roi n'avance ou retarde la convocation.

On y regle les impositions de la province.

A l'égard du détail de ceux qui y ont entrée, voy. la description de Bourgogne, par Garreau. Voyez aussi ci-après ETATS DU CHAROLOIS & ETATS DU MACONNOIS.




ETATS DE BRESSEsont les états particuliers de cette province. Ils se tiennent toûjours avant ceux de Bourgogne, dont ils sont distingués, quoique du reste la Bresse fasse partie du gouvernement de Bourgogne. Le tiers-état y est composé des députés des vingt-cinq mandemens qui composent tout le pays. Voyez Piganiol de la Force.




ETATS DE BRETAGNEautrefois se tenoient tous les ans ; mais depuis 1630 on ne les assemble plus que de deux en deux ans. Le tiers-état est composé des députés des quarante communautés de la province, dont quelques-unes ont droit d'envoyer deux députés ; les autres un seulement. Ce corps n'a qu'une seule voix.




ETATS DU BUGEYoutre les assemblées générales des trois ordres, le tiers-état y tient des assemblées particulieres, avec la permission du gouverneur.




ETATS DU CHAROLOISquoique le Charolois fasse partie du duché de Bourgogne, il a néanmoins ses états particuliers, qui dépendent en quelque maniere des états généraux de la Province, dont ils reçoivent les commissions pour faire l'imposition de leur cote-part des charges générales. Ces états s'assemblent dans la ville de Charolles.




ETAT DU CLERGEou ETAT DE L'EGLISE ; c'est l'ordre des ecclésiastiques, composé de ceux qui sont députés aux états.




ETATS DE DAUPHINEcette province étoit autrefois un pays d'états ; mais ils furent supprimés en 1628, par une ordonnance qui établit en leur place six bureaux d'élections.




ETATS GENERAUXOU ETATS DU ROYAUME ; c'est-à-dire ceux où se trouvoient les députés des trois ordres de toutes les provinces. Voyez ci-devant ETATS.




ETATS DE LA LANGUEDOCétoient ceux qui se tenoient par les députés des trois ordres de la partie méridionale de la France ; laquelle partie étoit anciennement toute comprise sous le nom de pays de la Languedoc, qu'il ne faut pas confondre avec le Languedoc proprement dit. Du tems que les Anglois possédoient la Guyenne & autres pays circonvoisins, la Languedoc ne comprenoit que le Languedoc, le Quercy, & le Roüergue.

ETATS DE LANGUEDOC : leur établissement est fort ancien ; avant la réunion de cette province en un seul corps, les comtes de Toulouse & autres seigneurs particuliers assembloient chacun leurs sujets, lorsqu'ils vouloient faire sur eux quelque imposition. Depuis la réunion de cette province à la couronne, on observoit encore d'assembler les habitans du Languedoc par sénéchaussées, jusqu'à ce que l'on trouva plus à propos de les convoquer tous ensemble, c'est-à-dire deux députés de chaque diocèse ; un pour le clergé, qui est l'évêque ; & un baron pour la noblesse & les députés des principales villes. Quelques-uns prétendent que c'est sous Charles VII. que cette derniere forme a été établie : on trouve cependant encore depuis, quelques commissions adressées aux sénéchaux ; & ce n'est que depuis l'an 1500, tems auquel remontent seulement les registres des états, qu'on est certain que la forme qui a lieu présentement, étoit déjà observée.

Les états de Languedoc s'assemblent tous les ans : autrefois leur séance se tenoit alternativement dans différentes sénéchaussées, présentement ils s'assemblent ordinairement à Montpellier ; l'archevêque de Narbonne en est président-né.




ETATS DE LA LANGUEDOYLétoient ceux de la partie septentrionale de France ; ce qui comprenoit toutes les provinces qui sont en-deçà de la Loire. On disoit quelquefois, comme termes synonymes, états de la Languedoyl & du pays coûtumier ; cependant le Lyonnois, qui se régit par le droit écrit, envoyoit aussi ses députés aux états de Languedoc.




ETATS DU MACONNOIScette province, quoiqu'elle fasse partie du gouvernement de Bourgogne, a ses états particuliers, qui font l'imposition des charges que le Mâconnois doit supporter. Cette quotité étoit autrefois un quatorzieme au total ; aujourd'hui elle est du onzieme.




ETATS DE LA NOBLESSEsignifie l'ordre de la noblesse dans les états généraux & dans les procès-verbaux de coûtume, & autres assemblées publiques. Quand on parle de l'état de la noblesse, on entend par-là les députés de l'ordre de la noblesse.




ETATS PARTICULIERSsont ceux d'une province ou d'une ville ; ils sont opposés aux états généraux. Voyez ci-devant ce qui en a été dit au mot ETATS.




ETATS DU ROYAUMEsont la même chose que les états généraux. Voyez ci-devant ETATS.




ETAT(tiers -) c'est le troisieme ordre de l'état, composé des bourgeois & du peuple, représentés dans l'assemblée des états par les députés des villes. Voyez ce qui en a été dit ci-devant au mot ETAT.




ETATS, (trois) sont les trois ordres du royaume ; savoir le clergé, la noblesse, & le tiers-état.




ETATS DES VILLESsont l'assemblée particuliere des officiers, principaux habitans & notables bourgeois des villes, lorsque le roi leur permet de s'assembler en forme d'états, pour délibérer de leurs affaires communes. (A)




ETAT(Medecine) : ce terme est employé pour désigner le tems de la maladie auquel les symptomes n'augmentent plus ni en nombre ni en violence, & subsistent dans le dernier degré de leur accroissement : c'est alors que la maladie est dans toute sa force.

On se sert aussi du même terme à l'égard de l'augmentation fixée des symptomes qui accompagnent le redoublement ou l'accès dans les maladies qui en sont susceptibles. Voyez MALADIE, FIEVRE, TEMS, REDOUBLEMENT, PAROXYSME ou ACCES. (d)




ETAT DE LA GUERRECe que l'on appelle l'état de la guerre, c'est la disposition & les arrangemens nécessaires pour la faire avantageusement. C'est proprement le plan de conduite qu'on doit suivre, relativement à la nature & au nombre des troupes qu'on peut mettre en campagne, à celles de l'ennemi, & au caractere du général qui doit les commander.

Ainsi un prince qui ne peut avoir des armées aussi fortes que celles de son ennemi, doit lui faire une guerre de chicane ou défensive. L'état de la guerre formé par son général, consistera à éviter les affaires décisives, & à se poster toûjours assez avantageusement pour détruire les projets & les desseins de l'ennemi, sans s'exposer à être forcé de combattre. Un général dont la cavalerie sera supérieure à celle de l'ennemi, réglera l'état de la guerre, pour la faire agir ; c'est-à-dire que cet état consistera à faire ensorte d'attirer l'ennemi dans les plaines, & à le tirer des endroits fourrés, propres à l'infanterie. Si au contraire il est plus fort en infanterie, ou que la sienne soit meilleure que celle de l'ennemi, il occupera les lieux forts, où la cavalerie ne peut manoeuvrer que difficilement. Enfin, dans quelque situation qu'il se trouve, l'état de la guerre consiste à régler tout ce que l'on peut faire de mieux pour tirer le plus d'avantage possible de ses troupes, arrêter les desseins de l'ennemi, & lui faire, autant que l'on peut, supporter tous les malheurs de la guerre.

Il n'appartient qu'aux généraux du premier ordre de pouvoir régler avec succès l'état de la guerre qu'ils doivent faire ; c'est le fruit de la Science militaire, d'une expérience consommée & réfléchie, d'une grande connoissance du pays qui doit être le théatre de la guerre, de la nature des troupes qu'on aura à combattre, de l'habileté & du caractere des généraux qui doivent les commander, &c. Nous sommes fort éloignés de vouloir effleurer seulement cette importante matiere, sur laquelle il y a peu de détails satisfaisans dans les auteurs militaires. Nous renvoyons les lecteurs à la seconde partie de l'Art de la guerre, par M. le Maréchal de Puysegur ; au Commentaire sur Polybe, de M. le chevalier Folard, tome V. pag 342 & suiv. aux Mémoires de Montecuculli, &c. Nous ajoûterons seulement ici deux exemples de projets de guerre bien entendus & bien exécutés, qui pourront donner quelques idées de l'importance de cette partie essentielle de la guerre dans un général.

En 1674, les ennemis avoient formé le dessein de nous chasser entierement de l'Alsace. Ils avoient, selon M. le marquis de Feuquiere, une armée de plus de soixante mille hommes, & M. de Turenne n'en avoit pas vingt mille effectifs. M. de Louvois étoit, dit-on, d'avis de ne faire qu'un bucher de cette province, pour empêcher les ennemis de s'y établir & d'y prendre des quartiers d'hyver ; " mais M. de Turenne, que le grand nombre d'ennemis n'effraya jamais, fut effrayé d'une telle résolution. Ce grand capitaine fut d'un avis contraire à celui du ministre ; il regla l'état d'une campagne d'hyver qu'il communiqua au roi, & lui promit de faire ensorte que les quartiers d'hyver des Impériaux en Alsace, & la conquête de cette province importante, deviendroient une pure imagination, par le dessein qu'il s'étoit formé, & les mesures qu'il s'étoit résolu de prendre ". C'est ce qu'il effectua ensuite ? car il enleva tous les quartiers de l'armée ennemie les uns après les autres, & il chassa toute cette armée établie en-deçà du Rhin, bien au-delà de ce fleuve, pour aller chercher des quartiers ailleurs. On voit par-là un dessein pris & arrêté sur ce que l'ennemi pouvoit faire. M. de Turenne avoit prévû que les Impériaux ne pourroient pas marcher ensemble en corps d'armée, ni demeurer unis, par la difficulté de trouver des vivres. Sur cette considération il prend le parti de s'arranger pour les battre en détail, sans qu'ils pussent se secourir les uns les autres. Voilà un état de guerre, ou, si l'on veut, un projet de guerre réglé, bien entendu, & également bien exécuté.

Le second exemple qu'on rapportera, est celui de la campagne de 1677, de M. le Maréchal de Créqui. Ce général devoit agir contre M. le duc de Lorraine, qui avoit une armée supérieure à la sienne ; mais dès le commencement de la campagne M. de Créqui avoit écrit au roi que cette armée supérieure ne feroit rien, & qu'il finiroit lui-même cette campagne par la prise de Fribourg : c'est-à-dire qu'il avoit réglé un état de guerre défensive, suivant lequel l'ennemi ne pourroit rien entreprendre contre lui. En effet, " ce maréchal durant quatre mois, dit M. de Feuquiere, ne perdit jamais son ennemi de vûe, & s'opposa toûjours de front à tous les mouvemens en-avant qu'il voulut faire, soit du côté de la Sare, soit pour passer la Meuse du côté de Mouzon : sans que dans aucun des mouvemens hardis que M. le Maréchal de Créqui fit faire à son armée, M. de Lorraine pût trouver l'occasion de le combattre ; parce que M. de Créqui, qui vouloit éviter un engagement général, compassa si sagement jusqu'à ses moindres mouvemens, qu'il ne donna jamais à ce prince aucun tems qui pût lui procurer la possibilité de l'attaquer avec l'apparence d'un succès heureux. La campagne s'écoula presque toute entiere dans ces mouvemens, qui produisirent aux ennemis une grande perte d'hommes, un grand dépérissement des chevaux de leur cavalerie, & de leurs équipages ".

Le mauvais état de cette armée ayant obligé M. le duc de Lorraine de la séparer avant celle du roi, comme M. de Créqui l'avoit prévû : " Notre général, dit le savant officier qu'on vient de citer, qui fort secrettement s'étoit préparé au siége de Fribourg, eut le tems de prendre cette place avant que M. de Lorraine pût seulement rassembler une partie de sa cavalerie pour marcher au secours de cette ville ". Mémoires de M. le marquis de Feuquiere, tome II. de l'édition in -12.

Il est difficile de refuser son admiration à des projets de campagne tels que ceux dont on vient de parler ; on les voit aussi habilement exécutés que judicieusement conçûs. Il faut sans-doute de très-grands talens pour produire de ces exemples de la science du général ; ceux qui les possedent bien, font de grandes choses avec de petites armées. Les esprits ordinaires se contentent de pousser le tems bien ou mal ; les combinaisons des différens desseins de l'ennemi, & des moyens propres à arrêter ces desseins, leur paroissent difficiles, & elles le sont en effet. Il est plus commode d'agir selon les occasions ; mais lorsqu'on n'a point de projet ou d'objet antérieur, on parvient rarement à faire de grandes choses. " Qui prévoit de loin ne fait rien par précipitation, puisqu'il y pense de bonne heure ; & il est difficile de mal faire, lorsqu'on y a pensé auparavant ". Testament politique du cardinal de Richelieu. (Q)




ETAT-MAJORon appelle état-major général à l'armée, l'assemblage de plusieurs officiers chargés de veiller à tout ce qui concerne le service du corps ; sa marche, son campement, ses logemens, ses subsistances, sa police & sa discipline.

L'état-major de l'armée est composé du maréchal général des logis de l'armée, dont la fonction est de disposer les marches & de faire les campemens ; du maréchal général des logis de la cavalerie, qui doit faire les détails de la cavalerie ; du major général de l'infanterie, pour les détails de l'infanterie ; du capitaine des guides, qui en fournit quand il en est besoin ; de l'intendant avec les commissaires ; d'un prevôt avec ses archers, pour faire justice lorsqu'il en est besoin, &c.

L'infanterie a un état-major général, de même que la cavalerie legere & les dragons. L'état-major général de l'infanterie fut créé par François I. en 1525, celui de la cavalerie legere par Charles IX. en 1565, & celui des dragons par Louis XIV. en 1669.

Il y a aussi un état-major dans les places de guerre, & dans la plûpart des régimens. (Q)




ETAT D'ARMEMENT (Marine) c'est la liste que l'intendant de la marine envoye à la cour, contenant le nombre des vaisseaux qu'on doit armer dans son département ; avec le nombre des officiers, & autres officiers, matelots, &c. qui doivent y être employés.

ETAT D'ARMEMENT D'UN VAISSEAU, c'est un détail très-circonstancié, qui marque le nombre, la qualité & les proportions des agrès, apparaux & munitions qui sont employés pour le mettre en état de faire sa campagne ; & comme ce détail est curieux, nous joindrons ici un état d'armement pour un vaisseau du roi du premier rang.

ETAT de la garniture, armement & rechange d'un vaisseau du premier rang.

200 Balles de pierriers de pierres. 1000 Boulets à deux têtes, pesant 16 liv. l'un portant l'autre. 260 paquets de fer. 260 Lanternes à mitraille. 2100 Meches. 300 Palans à canon. 120 Bragues. 120 Coussins. 200 Coins de mire. 100 Platines de sumieres. 100 Pinces de fer. 100 Anspects. 28 Cullieres garnies. 12 Tirebours non garnis. 100 Refouloirs de bois. 80 Refouloirs de corde. 270 douzaines Parchemins. 10 livres Fil à gargousses. 72 Aiguilles à gargousses. 1 Balance. 220 Porte-gargousses. 100 Cornes à émorcer. 100 Boute-feux. 4 Crics. 4 Barrils à bourre. 2 Tamis à poudre. 6 Cuirs verts pour souttes. 35 l. Blanc d'Espagne. 3 barrils pesant 200 livres, Savon mou. 80 liv. Suif. 60 liv. Liége. 12 barrils de Noir. 400 Plomb en table. 1 morceau, Vieilles voiles pour gargousses. 4 Fanaux de fonte. 50 Fanaux de combat. 12 Lanternes claires. 4 Lanternes sourdes. 6 Lampions. 6 Mesures à poudre. 5 Entonnoirs à poudre. 60 Aiguillettes. 4 Coupelles. 1 Huiliere. 1/2 liv. Coton filé. 18 Bâtons de refouloirs. 18 Boutons de refouloirs. 24 Peaux en laine. 1500 Clous pour escouvillons. 2 Marteaux à dents. 1000 Clous pour parquets. 6 Pieces cordages neufs de 2 ou 3 pouces, pes. 531 liv. 18 Lignes, pesant 54 liv. 20 liv. Merlin lusin. 6 Cordage refait, pes. 531 liv. de 2 à 3 pouc. 4 liv. Fil de voiles. 12 Aiguilles de voiles. 36 Poulies doubles. 50 Poulies simples. 6 liv. Fil-d'archal. 200 Grenades. 80 Tuyaux de grenades. 60 Pots-à-feu. 30 liv. Huile de noix. 25 liv. Soufre. 2 liv. Salpetre. 50 Chevrons de 4 piés. 24 liv. Rouge brun. 3 Brosses à peindre. 2 Cadenats pour soutes. 2 Barres d'escoutilles, pes. 18 liv. piece. 2 Haches & hachots. 24 Crocs de palans, pes. 3 liv. 10 Espissoirs, pes. 7 liv. piece. 18 Plates-bandes d'affuts, pes. 10 l. 60 Esses d'affuts, pesant demi-livre piece. 24 Chevilles à oeillets d'affut, pes. 3 liv. 18 Grandes chevilles d'affut, pes. 15 liv. 24 Pantures de sabord, pes. 20 liv. 24 Gonds de sabords, pes. 14 liv. 30 Anneaux de sabord, pes. 2 liv. 24 Chevilles à boucles pour le bord, pes. 15 liv. 24 Chevilles à croc, pes. 14 liv. 80 Cosses. 60 Crampes. 150 Viroles, pesant 38 liv. à raison d'un quart piece. 150 Goupilles, pes. un huitieme de liv. piece. 18 Boutons de couvillons.

Armes.

200 Mousquets. 70 Mousquetons. 70 Pistolets. 300 Bandolieres. 1500 Balles de plomb. 70 Coutelas. 70 Haches d'armes. 30 Pertuisanes. 6 Halebardes. 70 Piques. 1000 Pierres-à-fusil. Espontons. 70 Demi-piques. 4 Baguettes de fer. 72 Baguettes de bois. 2 liv. Fil de fer. 300 Crochets pour les armes. 2 Caisses pour tambours.

Coffre de l'armurier.

1 Bigorne, pesant 10 liv. piece. 1 Etau, pesant 10 liv. piece. 2 Tenailles à vis. 1 tenaille sans vis. 1 Filiere garnie de quarreaux. 1 Boîte à forêts, garnie. 3 Tourne-vis. 3 Ciseaux à froid. 3 Racloirs en-dehors. 2 Rapes. 2 Burins. 1 Bec-d'âne. 2 Ciseaux en bois. 2 Gouges. 2 paquets, Cordes de boyaux. 3 pots Huile d'olive. 18 Limes assorties. 2 Marteaux. 3 Poinçons. 1 Tourne à gauche.

Ustensiles du maître.

12 Barrils goudron, pes. 260 liv. piece. 18 Brosses à goudronner. 1 Chaudiere à goudron. 800 liv. Suif. 60 liv. Oing. 3 Ecops à laver le vaisseau. 18 Seilleaux de cuir. 36 Seilleaux de bois. 3 Peaux de vache. 18 Peaux en laine. 24 Barrils de noir. 2 Lampes quarrées. 12 Ligoux. 1 Huiliere. 72 Racles. 36 Haches, pes. 36 liv. piece. 36 Epissoirs, pes. 6 liv. piece. 3 Chaines de vergues de 14 brass. pes. 260 l. 3 Grapins d'abordage & leur chaine, pesant 280 liv. 3 Grapins à main, pes. 30 liv. 2 Crocs à candelettes, pes. 50 liv. 15 Crocs de palans, pes. 6 liv. 15 Crocs de palanquins, pes. 4 liv. 48 Grandes crampes. 48 Crampes de vergues. 60 Anneaux de vergues, pes. 2 liv. piece. 48 Cosses. 10 douzaine, Balais.

Ustensiles du charpentier & calfat.

1 Bordage de 4 pieces, de 30 piés. 2 Bordages de 2 pieces, de 30 pieds. 3 Planches de prusse. 120 Planches de sapin. 40 pieces, Planches resciées. 24 pieces, Chevrons. 24 Esparres. 24 Barres de cabestan. 2 Tapons d'escubiere. 3. Pierres de meule. 1320 liv. Brai noir. 2 Pots à brai. 1 Cuilliere à brai 600 liv. Etoupes. 26 aunes, Frises pour sabare. 12 Pennes ou peaux. 400 liv. Plomb en table. 60 Maugeres de cuir. 1 Arpan. 2 Feuillets à point. 2 Couteaux à deux manches. 6 Tarrieres. 12 Vrilles. 3 Gouges. 8 Masses. 8 Marteaux à dents. 6 Ciseaux à froid. 6 Repoussoirs, pes. 6 liv. piece. 2 Chaînes d'aubans, pes. 160. 2 Chaînes de tirebords, pes. 12. liv. 12 Gambes de hunes, pes. 12 liv. 12 Chevilles d'aubans, pes. 25. liv. 36 Chevilles & gougeons, pes. 15 liv. piece. 12 Chevilles à boucles, pes. 45 liv. 3 Chevilles de billes, pesant 15 liv. 4 Verges de giroüette, pes. 8. liv. Cercles de boutehors. 1 Scie de long. Chevilles à billore. Claviere. 8 Coins à ouvrier, pes. 9. liv. 18 Anneaux à fiche pour panneaux, pes. 2 liv. 2 Cercles de cabestans, pes. 45 liv. 4 Fers d'arcboutans, pes. 6 liv. 100 Viroles, pes. un quart de livre. 100 Goupilles pes. un huitieme de livre. 48 Crampes. Rebouse. 1 Gabaril de gouvernail.

Ustensiles de pompe.

12 Verges de fer, pes. 25 liv. 15 Heuzes. 18 Chopines. 3 Crocs, pes. 25 liv. 2 Rouannes, pes. 25 liv. 2 Marteaux. 18 Chevilles, pes. 1 liv. 24 Jouets, pes. une demi-livre. 2 Cercles pes. 15 liv. 3 Bringuebales. 2 Echinées de cuir-fort, pes. 22 liv. 3. Potences.

Clouterie.

250 liv. Clous au poids. 1500 Doubles caravelles. 2500 Caravelles. 3000 Demi-caravelles. 3500 de Lisse. 4000 Double-tillacs. 4000 Tillacs. 4000 Demi-tillacs. 6000 de Plomb. 7000 de Maugeres. 8000 de Pompes. 500 de Sabord.

Ustensile du fond de calle.

60 Tonnes de 3 barriques, contenant 12 milliers pieces. 80 Pipes, contenant 8 milliers. 40 Barriques de 4 milliers. 30 Barrils à eau. 2 Manches à eau, pes. 150 liv. 20 liv. Liége. 24 Lanternes claires. 12 Lampions. 6 millerolles, Huit d'olive. 2 livres 1/2 Coton filé. 700 liv. Chandelles de suif. 12 Pelles ferrées. 12 Pelles de bois. 4 Piques ou sappes. 30 Mannes. 24 liv. Fer-blanc. 24 liv. Fer noir. 2 Barres pour prisonniers, pes. 50 liv. 2 Cadenats.

Cuisines.

2 Grandes chaudieres, pesant 100 liv. 2 Cuillieres. 2 Ecumoires. 2 Crocs pour chaudiere. 2 Chaines, pes. 6 liv. piece.

Chaloupes & canots garnis de leur gouvernail & roüets.

1 de 33 piés 9 pouces. 1 de 28 & demi. 1 de 16 piés & demi. 4 Mâts. 3 Vergues & trinquettes. 3 Pavillons contenant 35 aunes & un quart. 4 Girouettes, pes. 80 liv. 4 Grapins, pes. 80 liv. 6 Chandeliers, pes. 30 liv. 2 Verges de girouettes, pesant 6 liv. 4 Ferrures de gouvernail, pesant 8 liv. 10 Gaffes, pes. 2 liv. 72 Avirons. 12 Escapes. Cordage pour amarrer derriere le vaisseau, pesant 500 liv. 1 Piece cordage pour cableau de quatre pouces & demi, pesant 222 liv. 2 Pieces cordage, petite garniture de 2 pouces & demi, pes. 188 liv. 3 Piece quaranteniers, pes. 42 liv. 3 Pieces lingues d'amarrage, pesant 9 liv. 6 livres Merlin luzin. 40 liv. Bitord. 16 Poulies simples. 24 Caps de mouton. 18 Crampes. 12 Petits crocs. 6 Haches & marteaux. 3 Epissoirs, pesant 6 liv. 6 Racambauds, pesant 1 liv. & demie. 1 Piece cablot pour canot, de deux pouces, pesant 94 livres. 1 Piece garniture du canot, de 1 pouce trois quarts, pes. 40 liv. 1 Piece quaranteniers pour le canot, pes. 14. liv. 1 liv. Luzin. 3 Voiles & trinquettes, contenant 204 aunes.

Ornemens de chapelle.

1 Calice d'argent, sa patene, coeffe & étui. 1 Ciboire d'argent & son étui. 1 Pierre benite. 1 Crucifix d'argent. 4 Chandeliers d'argent 1 Bassin d'argent. 2 Burettes d'argent. 1 Boîte d'argent pour les saintes huiles. 1 Bénitier d'argent. 1 Missel. 1 Rituel. 1 Canon. 1 Evangile. 1 Lavabo. 2 Corporaux. 1 Palle. 3 Purificatoires. 1 Voile. 2 Amits. 2 Aubes. 2 Ceintures. 1 Manipule. 1 Etole. 1 Chasuble. 3 Nappes. 3 Serviettes. 1 Devant d'autel. 1 Surplis. 1 Bonnet quarré. 2 Coussins. 1 Clochette d'argent. 1 Boîte à hosties. 1 Fanal. 12 liv. Bougies. 1 Coffre pour mettre les ornemens de chapelle.

COFFRE DE MEDICAMENS pour six mois, à 800 hommes

Cordiaux.

36 onc. Confection d'Hyacinte, 24 onc. d'Alkermes. 32 onc. Opiate de Salomon. 2 liv. 1/2 Thériaque fine.

Electuaire.

12 liv. Catholicon fin. 40 liv. Catholicon simple. 10 liv. Confection hamech. 8 liv. Diaprum composé. 6 liv. Diaphocaica. 4 liv. Tripira persica. 2 liv. Poudre diacartami. 4. liv. Conserve de roses. 4 dragm. Laudanum.

Syrops simples & composés.

16 liv. 13 onc. Syrop rosat solutif. 16 liv. Syrop de chicorée composé. 10 liv. Syrop d'absynthe. 6 l. 3 onc. syrop de fleurs de pêcher. 3 liv. Syrop de capilaire. 3. liv. Syrop violat. 3 liv. Syrop de limon. 3 liv. Syrop de coins.

Miels.

16 liv. Miel rosat. 160 liv. Miel commun.

Eaux.

60 livres Eau cordiale. 12 livres Eau de rose. 12 livres Eau de Plantin. 8 liv. Eau de canelle. 128 liv. Eau de vie. 160 liv. Eau de chaux. 8 liv. Eau de la Reine d'Hongrie.

Esprits.

9 onces 1/2 Esprit de vitriol. 16 liv. Esprit de vin rectifié.

Huiles.

24 liv. Huile rosat. 5 liv. 8 onces Huile de lys. 8 liv. Huile de percicum. 10 liv. Huile de camomille. 4 liv. Huile de laurier. 3 liv. Huile d'amandes douces. 4 liv. Huile de terebenthine. 1. l. Huile de scorpion.

Onguens.

1 liv. Onguent rosat. 12 liv. Onguent d'album rasis. 16 liv. Onguent d'althéa. 8 liv. Onguent populeum. 20 liv. Onguent basilicum. 4 liv. Onguent apostolorum. 8 livres Onguent égyptiac. 6 liv. Baume d'arceus. 12 liv. Terebenthine fine. 20 liv. Terebenthine commune.

Emplâtres.

48 liv. Emplâtres diapalme. 10 liv. 10 onces. Emplâtres betonica. 8 liv. Emplâtres pro fracturis. 14 liv. Emplâtres diachylum magnum cum grammis. 8 liv. Emplâtres de muscilage. 8 liv. Emplâtres de vigo 4e mercurio.

Trochisques.

12 onc. Trochisque de corne de cerf préparé. 12 onc. Trochisque de corail préparé. 8 onc. Trochisque de thutie préparée. 8 onc. Trochisque d'album rasis. 2 onc. Trochisque d'ostanadal. 6 onc. Trochisque d'agaric.

Mercures.

4 onc. Mercure doux. 1 l. 12 onc. Mercure précipité rouge. 1 onc. Mercure précipité blanc. 1 livre Mercure crocus metallorum.

Drogues simples.

10 liv. Sené. 4 liv. Rhubarbe. 6 liv. Manne. 10 liv. Casse en bâton. 4 onc. Scamonée. 6 liv. Tamarins. 1 liv. Turbith. 2 liv. Polipode. 4 l. Mirobolans citrins. 4 liv. Jujubes.

Semences.

40 liv. Orge mondé. 2 liv. Anis. 2 liv. Semen contra. 16 liv. Semences froides. 4 liv. semences de lin.

Gommes.

2 liv. Encens. 2 liv. Myrrhe. 3 liv. Aloès. 1 liv. Mastic. 2 liv. Galbanum. 2 liv. 8 onc. Elemi.

Astringens.

8 liv. Bol fin. 76 liv. Bol commun. 2 liv. Terre sigillée. 2 liv. Sauge de dragon. 4 liv. Céruse.

Fleurs.

4 liv. Roses rouges. 4 liv. Camomille. 4 liv. Mélilot.

Racines.

8 liv. Aristoloche longue & ronde. 2 liv. Esguiny. 5 liv. Salsepareille. 80 liv. Gayac. 20 liv. Réglisse.

Drogues minéraux.

5 liv. Alun de roche. 12 onc. Alun brûlé. 2 liv. 8 onc. Calcanthum. 3 liv. Vitriol blanc. 1 liv. Vitriol de Chypre. 5 liv. 5 onc. minium. 2 liv. Verdet. 2 liv. Vitriol romain. 12 onc. Cantarides. 4 liv. Creme de tartre. 4 liv. Crystal minéral. 8 onc. Camphre. 8 liv. Soufre en canon. 8 onc. Canelle. 8 onc. Soaffrarena canon. 1 onc. 4 drach. Girofle. 1 onc. 4 drach. Pierre infernale. 6 liv. Cire jaune. 4 liv. Cire blanche. 8 pierres Cauteres potentiels. 4 liv. Sucre candy. 4 onc. Sublimé corrosif. 6 liv. Suc de réglisse. 8 liv. Poix de Bourgogne. 1 liv. 8 onc. Noix muscades. 60. des quatre farines.

Herbes.

120 liv. Vulnéraires. 120 liv. Carminatives. 120 liv. Emollientes.

Instrumens.

1 Trépan, & toutes ses pieces. 1 Couteau Courbe. 1 Scie avec sa feuille de rechange. 4 Cauteres actuels différens. 2 Bistouris, un droit & un courbe. 1 Bec de corbin. 1 Tenaille incisive. 2 Ciseaux à incisive. 4 Cannules différentes d'argent. 1 Pelican. 1 Davier. 1 Etui de Chirurgie garni. 12 Aiguilles courbes & droites. 2 Algaries d'argent, une droite & une courbe. 12 Lancettes à saigner. 2 Lancettes à bec. Des ligatures à saigner & à amputation.

Ustensiles.

2 Seringues. 2 Petites seringues. 6 Cannules de rechange. 2 Balances avec un marc de livre. 1 Trebuchet avec plusieurs garnis. 2 Mortiers de 5 liv. avec leur pilon. 2 Mortiers de 3 liv. 2 Bassines de cuivre pesant 5 liv. piece. 6 Spatules de fer. 8 Spatules de bois. 20 Gobelets d'étain. 1 Marmite pesant 20 liv. 1 Poêlon pesant 6 liv. 1 Coqmard pesant 6 liv. 1 Cuillere à pot. 1 Ecumoire. 14 Rechaux. 4 Bassins à barbe. 14 Ventouses différentes. 72 Fioles de livre. 96 Fioles de prise. 30 Fioles pour loger les médicamens. 14 Coqmards de terre. 20 pots de terre à faire les bouillons. 30 Pots pour mettre les médicamens. 72 Pichets. 14 Ecuelles à bec différentes. 72 Petites écuelles rondes. Vieux linge. 14 Torchons. 2 Cannes étamine blanche. 100 liv. Estoupe. 2 liv. Coton. 2 liv. fil. Demi-liv. Soie. 12000 Epingles.


ÉTAT(Droit politique) il faut ajouter les réflexions suivantes de Bacon,à l'article du Dictionnaire.

La grandeur d'un état se mesure par l'étendue de son territoire, par le calcul de ses revenus, par le dénombrement de ses habitans, par la quantité de ses villes, & la force de ses places ; par sa marine & par son commerce. Il y a des empires si grands, qu'ils ne peuvent que perdre & se démembrer ; d'autres si heureusement bornés, qu'ils doivent se maintenir dans leur constitution naturelle.

De bonnes citadelles, des arsenaux bien munis, de nombreux haras, une brillante artillerie, ne font pas la force d'un état, s'il n'y a des bras pour les mettre en oeuvre, & sur-tout du courage dans le coeur de la nation. On a beau dire que l'argent est le nerf de la guerre, si le soldat n'est pas libre & vigoureux. Les troupes étrangeres, soudoyées aux fraix d'une nation, la défendront, mais ne l'agrandiront pas.

Un état qui veut s'aggrandir, doit prendre garde au corps de sa noblesse ; car si elle vient à opprimer le peuple, il arrivera ce qu'on voit dans les forêts, où les arbres de haute futaie étouffent les rejettons. L'état a beau peupler alors, il n'en sera pas plus fort. L'Angleterre se soutient par la force du bas-peuple, à qui sa liberté releve le courage : elle a par cet endroit un avantage visible sur tous les pays voisins.

L'homme, il est vrai, ne peut ajouter une coudée à sa stature, mais il dépend toujours des souverains d'aggrandir le corps d'un empire ; les loix, les moeurs, les entreprises, sont autant de semences de grandeur ; c'est au génie à les développer ; mais comme les grands projets sont des peines brillantes, il en coûte moins aux ministres de livrer un empire au cours de la fortune.

C'est le commerce extérieur qui fait la principale richesse des états. Il roule sur la matiere, le travail & le transport ; trois objets dans le prix des marchandises. Souvent l'ouvrage surpasse la matiere, & le port ou les droits l'emportent sur l'une & l'autre ; c'est alors que l'industrie produit plus que le fonds.

Un état peut être fort riche, & les citoyens mourir de faim, si l'argent ne circule pas, ou s'il se trouve dans un trop petit nombre de mains. L'usure & les monopoles font plus de ravages que les brigands de la mer & des forêts. (D.J.)


ETAUS. m. (Commerce) quelques-uns écrivent estau, & on prononçoit autrefois estal. Il signifioit anciennement toutes sortes de boutiques, quoique ce ne fût proprement que le devant de la boutique sur lequel on met l'étalage.

Présentement étau se dit des lieux & places où les marchands-bouchers étalent leur viande dans les boucheries publiques de Paris.

ETAU se dit encore des petites boutiques, soit fixes, soit portatives, où les marchands de marée ou autres menues denrées font leur négoce dans les halles. Enfin étau s'entend des étalages ou ouvroirs des Savetiers ou Ravaudeuses établis au coin des rues. Dictionn. de Comm. Chamb. & Trév.

ETAU, terme de Serrurerie & de plusieurs autres Professions ; c'est une machine de fer composée de plusieurs pieces & d'une forte vis. Cette machine, qui est fixée à un établi, sert à tenir fermement les pieces d'ouvrage sur lesquelles on se propose de travailler de la lime ou du marteau. Cet outil est nécessaire à beaucoup de professions, & ne doit point manquer dans un attelier de méchanique. On fabrique des étaux depuis le poids d'une livre ou deux, jusqu'à celui de 400, 500, & même 600.

Autant un étau est nécessaire, autant il importe qu'il soit bien fabriqué : nous allons en faire entendre la facture.

Un étau consiste en deux montans paralleles que l'on nomme corps ou jumelles (fig. 6. & fig. 7. Pl. du Taillandier), qui sont attachées ensemble par le bas de l'articulation nommée ginglyme, autrement à charniere, ainsi que l'on voit fig. 7. Chacun de ces corps est percé d'un trou rond x x vers sa partie supérieure, que l'on appelle oeil, au-dessus duquel sont les mâchoires e d, ainsi nommées de leur fonction, qui est semblable à celle des animaux. L'une des mâchoires est fixe ; c'est celle de la jumelle A, qui s'applique à l'établi ; & l'autre, B, est mobile, & peut s'approcher ou s'éloigner horisontalement de la fixe, au moyen d'une forte vis qui passe dans les yeux des jumelles, comme on voit fig. 7, qui représente un étau complet. La vis a, dont la tête est traversée d'un levier, entre dans une boîte ou écrou b qui traverse l'oeil de la jumelle fixe.

Chaque jumelle doit être bien corroyée & étirée ; on y épargne un renflement x y, dans lequel on perce l'oeil à chaud. On releve aussi la feuille r r, qui est quelquefois ciselée en forme de coquille, dont l'usage est d'empêcher la limaille de tomber entre la porte de la vis & la jumelle. On soude des bandes d'acier aux parties supérieures e d. Ces bandes d'acier, que l'on taille en façon de limes, sont ce que proprement on appelle les mâchoires, dont les dents ou tailles, outre la pression de la vis, aident à retenir plus fortement les pieces que l'on serre dans l'étau.

Vers le bas de la jumelle fixe on soude à chaud, ou on ajuste avec des rivets perdus deux plaques de fer f g, appellées joues, entre lesquelles la partie inférieure h de la jumelle mobile est reçue & retenue par une cheville ; laquelle cheville est retenue par un écrou qui traverse les trois pieces. Le prolongement K de la jumelle fixe au-dessous de joues, s'appelle pié, & porte sur le pavé de l'attelier. Le bas de la jumelle mobile se termine ordinairement par une volute, comme on voit en h.

Entre les joues & les jumelles on ajuste un ressort d'acier G 4, que l'on voit en place fig. 7, dont l'usage est d'éloigner les jumelles l'une de l'autre lorsque l'on lâche la vis ; ce qui fournit le moyen de placer entre les mâchoires ce que l'on veut, & que l'on y comprime, aussi-bien que le ressort, en faisant tourner la vis en sens contraire.

On attache l'étau à l'établi par le moyen de la patte d'oie G 5, & de la bride G 6 qui entoure la partie quarrée de la jumelle fixe qui est près de l'oeil. Les parties inférieures ont les arêtes abattues, pour plus de grace & de legereté. On fixe la bride à la patte par une clavette qui passe dans les mortoises de ces deux pieces, ainsi qu'on la voit dans la fig. 7, & la patte est arrêtée sur l'établi par plusieurs clous, ainsi que l'on peut voir figure premiere de la vignette.

Ce que nous venons de dire suffit pour faire entendre la fabrique du corps de l'étau, qui est un ouvrage de forge, que l'on repare & reblanchit à la lime plus ou moins. Nous allons expliquer la fabrique de la vis, & l'usage des machines dont on se sert pour la former.

Le corps de la vis est un cylindre de fer massif. Pour le corroyer on prend une barre de fer A 3 d'une longueur convenable, que l'on place entre les deux branches d'une autre barre A 2 de fer plat. On chauffe le tout ensemble ; on le soude & corroye sur l'enclume, jusqu'à ce qu'il soit devenu cylindrique & d'une grosseur convenable. Cette opération faite, on soude sur le cylindre une virole de fer A 4 qui doit former la tête de la vis. On étampe à chaud cette tête entre deux étampes, qui y impriment les moulures & la gorge que l'on voit figure A 5. On y perce à chaud le trou qui doit recevoir le levier a m (fig. 7.) par le moyen duquel on fait tourner la vis dans sa boîte.

Après que la vis est forgée, on en tourne le corps & la tête ; le corps, pour le rendre cylindrique ; & la tête, pour perfectionner les moulures que les étampes n'ont formées qu'imparfaitement, & le rendre tel que l'on voit en A 6.

Pour tracer le filet de la vis, on prend une feuille de papier de forme parallélogramme rectangle, dont les dimensions sont données par le développement du cylindre que l'on veut former en vis. On divise les côtés de ce parallélogramme qui représentent la longueur, en autant de parties égales que l'on veut avoir de filets ou spires à la vis. Chacune de ces divisions doit être séparée en deux parties égales. On tire des diagonales 8, 7 ; 2, 6 ; 12, 13 ; 9, 10, &c. qui divisent le parallélogramme en bandes des zones paralleles, que l'on peut remplir alternativement d'une couleur qui les fasse distinguer. Ces zones doivent être telles, qu'en repliant le papier sur un cylindre, les bandes noires se répondent aussi-bien que les bandes blanches, & forment chacune une hélice continue autour du cylindre de la vis sur lequel le papier doit être collé, comme on peut voir fig. A 7.

Lorsque le papier est sec, on fait passer sur le corps de la vis l'empreinte des traits qui sont sur le papier, en le coupant avec le ciseau B 3, que les coups de marteau font imprimer dans le corps de la vis. Quand cette opération est faite, on échope avec le ciseau B 2 le fer compris entre deux traits paralleles ; on repare ensuite à la lime ou à la filiere toute cette ciselure, & la vis se trouve faite, comme on voit en A 8.

Les figures 3. 4. 5. de la vignette représentent deux autres manieres de former le filet de la vis. La fig. 4 est un tour en l'air, l. La poupée à clavette traversée par un arbre P O (fig.) dont la partie P est formée en vis ; dont les pas sont autant distans les uns des autres, que ceux de la vis qu'on se propose de faire, doivent l'être. m, dans la vignette, la poulie sur laquelle passe la corde du tourneur de roue (fig. 5.) à l'extrémité de l'axe de laquelle est ajustée la piece n, représentée seule fig. x y. C'est une manivelle double. La fonction de cette piece est telle, que quoique la roue tourne toûjours du même sens, l'ouvrage tourne alternativement sur l'ouvrier ; & au contraire, comme lorsque l'on tourne au pié, il y a de semblables manivelles dans les machines hydrauliques (voyez TOUR), ce que fait aussi l'ouvrier représenté dans la figure k est la perche ; h, la marche ou pédale ; h i k, la corde. Il est à remarquer qu'on ne peut pas faire de vis sur le tour, quand l'ouvrage tourne toûjours du même sens ; mais que le mouvement alternatif est nécessaire pour que la vis P ne sorte point de sa poupée.

La figure 3 de la vignette représente le même travail, mais sans le secours de la roue, en tournant seulement un moulinet qui est monté sur la guide, ainsi qu'il sera expliqué en détaillant les pieces qui composent cet affutage, représentées plus en grand dans les figures du bas de la Planche.

A B C D E F G, est en grand l'affutage de la fig. 4 : A, tourillon qui coule dans la poupée à lunette marquée V : V 2, les collets d'étain ou de cuivre qui embrassent ce tourillon : B, portion de la vis commencée avec les burins, bec-d'âne, grain d'orge, t, u : C, quarré de la vis, qui est une vis de presse : P, la boîte qui reçoit le quarré, dont le corps est représenté en M ; en M 2, sa virole garnie de quatre vis qui compriment le quarré ; la même boîte est représentée en K L toute montée : F, l'arbre : E, la poulie sur laquelle passe la corde venant de la roue : G H ; poupée des clavettes, dont la coupe se voit en S S T ; N, une des clavettes ou guides : R, une des clés qui assûrent la poupée sur le banc du tour : Q, la poulie : E, I, la vis de la presse toute achevée : X Y, extrémité des peignes droits & de côté, avec lesquels on trace les pas de vis, & dont on se sert aussi pour former les vis à filets aigus, différens des filets quarrés des vis d'étaux : z & z 2, autre vis de presse, dont le quarré est percé pour y passer des leviers, & dont le collet pratiqué à l'extrémité, sert à relever le sommier. Voyez PRESSE.

Explication des figures de l'affutage de la figure 3. e e, banc de l'établi : f l, poupée du guide, qui porte une boîte ou écrou dans laquelle passe la vis de l'arbre-guide : g, la boîte qui reçoit le quarré réservé à la tête de la vis d'étau, où il est assûré par une ou deux vis : on coupe ce quarré après que la vis est faite : h k, deux poupées dans lesquelles le cylindre de la vis tourne & coule en long au desir du guide : i, le porte-outil représenté séparement en q r : s, la clé qui assûre le porte-outil sur le banc : p o o, appareil des deux poupées & de la vis d'étau, représenté séparément.

Les machines que nous venons de décrire, sont peu en usage aujourd'hui : la plûpart des vis d'étau & de presse se font au ciselet, comme nous avons dit ci-dessus ; l'adresse des ouvriers est telle, que les pas de vis sont également bien formés : j'excepte celles que leur petit volume permet de former dans la filiere double (voyez FILIERE), qui sont toûjours mieux faites par ce moyen.

Reste à parler de la fabrique de la boîte ou écrou. On prend, pour la former, une plaque de fer d'une épaisseur convenable D 2, que l'on roule & arrondit sur un mandrin. On soude cette boîte, comme elle est en D 3. Ainsi formée, la vis pour laquelle elle est faite, doit y entrer un peu librement. On prend ensuite une verge de fer doux, de calibre à entrer dans les entre-filets de la vis, où on l'y plie comme on voit en C 2, C 3, jusqu'à ce que toute la vis en soit remplie. On lime l'excédent de ce filet, jusqu'à ce qu'il arase presque la vis ; & que tout monté sur cette vis, il puisse entrer, quoiqu'un peu à force, dans la boîte D 3, où on le laisse en retirant seulement la vis. On enfile sur la boîte la rondelle E 2, & on y ajuste le lardon D 5, comme on voit en D 4 ; & on braze toutes ces pieces ensemble avec du cuivre. Voyez BRAZER & SERRURERIE. On braze de la même maniere diverses autres rondelles, dont les unes sont embouties pour former une culasse, comme on voit en I 2, & en E 3. On tourne cette culasse, si l'on veut, & la boîte ou écrou est achevé, ainsi que la fig. D 6 le represente. On distingue dans cette fig. le lardon & la tête de la vis. La figure I 2 représente la même boîte sous un autre aspect, avec le levier qui traverse la tête de la vis.

La virole que l'on voit figure D 4, & qui reparoît dans toutes les autres figures de la boîte, forme une portée qui s'applique contre la partie extérieure de l'oeil de la jumelle fixe A (figure 6), & empêche la boîte de passer d'un bout à l'autre au-travers de l'oeil. Le lardon D 4 entre dans une entaille pratiquée à la partie inférieure de l'oeil de cette jumelle. Ce lardon empêche la boîte de tourner dans l'oeil lorsque l'on tourne la vis, qui a, ainsi que la boîte, une portée qui s'applique sur la face antérieure de la jumelle mobile, sur laquelle on applique une rondelle E 2, qui préserve la face de l'oeil de l'usure que le violent frottement ne manqueroit pas d'y causer.

La figure 7 représente un étau à pié tout monté, & prêt à être appliqué à un établi. On y voit le ressort G 4 qui repousse la jumelle mobile, & fait bâiller la mâchoire, lorsque l'on détourne la vis de m vers n : on tourne de n vers m pour comprimer la piece d'ouvrage que l'on a mise entre les mâchoires.

Un étau considéré mathématiquement, est une machine composée de trois machines simples ; d'un levier m a, d'une vis a b, & d'un levier du troisieme genre, c d e, qui est la jumelle mobile. L'action combinée de ces trois machines simples, donne la compression de l'étau, pression beaucoup plus grande que l'action de la main sur l'extrémité du levier m. Mais on peut trouver directement cette pression, ou le rapport qu'elle a avec la puissance appliquée en m, en faisant usage du principe de M. Descartes. Pour cela, après avoir fermé l'étau entierement, on remarquera à quel point de la circonférence (dont la tête de l'étau est le centre) répond l'extrémité m du levier a m. On ouvrira l'étau d'un seul tour de vis, jusqu'à ce que le levier soit revenu au même point de la circonférence où il s'étoit arrêté. On mesurera avec une échelle quelconque l'intervalle qui alors se trouvera entre les mâchoires. On mesurera aussi avec la même échelle la longueur du levier a m, à compter du centre de la tête jusqu'au point où la puissance s'applique. On déduira (toûjours en mêmes parties de l'échelle) la circonférence, dont le levier a m est le rayon. On divisera ensuite cette circonférence par l'intervalle qui est entre les mâchoires, & le quotient exprimera le rapport de la compression à la puissance. Ainsi si on nomme a le rayon du cercle décrit par le levier a m, & b l'intervalle entre les mâchoires, la circonférence sera 44 a /7 ; & divisant ce produit par b, intervalle entre les mâchoires, le quotient 44 a /7 b sera à l'unité, comme la force de compression est à la puissance.

On a trouvé nouvellement le moyen de fabriquer les boîtes d'étaux & de presses, ensorte que le filet de l'écrou est de la même piece que la boîte ; ce qui a beaucoup plus de solidité que le filet brazé. Cependant ce dernier, lorsqu'il est bien brazé & ajusté, est capable de résister à de très grands efforts. Nous expliquerons à l'article VIS ou TAREAU, la fabrique de ces sortes de boîtes.

Il y a beaucoup de petits étaux qui n'ont point de pié. Ces sortes d'étaux se fixent à l'établi, au moyen d'une patte qui est de la même piece que la jumelle fixe, & d'une vis dont la direction est parallele à la jumelle : on comprime l'établi entre cette patte & la partie supérieure de la vis. (D)

ETAU, outil d'Aiguillier-Bonnetier, représenté dans sa Planche, figure 3, est une machine qui sert à creuser les châsses des aiguilles du métier à bas. A, la queue en forme de pyramide, qu'on enfonce comme celle d'un tas d'orfévre, dans un billot de bois. B, le corps de l'étau, qui a un rebord a a a qui empêche l'étau d'enfoncer dans le billot. Les deux mâchoires laissent entr'elles une ouverture quarrée F, dans laquelle on place une piece d'acier G, laquelle a une gravure qui reçoit l'aiguille dont on veut faire la châsse. La piece G est arrêtée dans l'ouverture F par la vis E qui la presse latéralement : la piece C l'empêche de sortir par le côté par où elle est entrée ; l'autre côté étant plus étroit, l'empêche également de sortir. Au-dessus de la gravure de la piece G est une ouverture n, dans la mâchoire courbe de l'étau : cette ouverture doit répondre exactement au-dessus de cette gravure, & de l'aiguille qui y est placée. On assemble avec le corps de l'étau la piece H, au moyen de trois vis 1, 2, 3, qui font joindre cette piece sur les deux mâchoires. Il y a dans le plan supérieur de cette piece une ouverture m, par laquelle on fait passer le poinçon K L, qui passe ensuite par l'ouverture n de la mâchoire inférieure de l'étau : ainsi le poinçon est exactement dirigé sur l'aiguille, sur laquelle on le frappe avec un marteau ; le poinçon fait ainsi une empreinte sur l'aiguille, qu'on appelle châsse. Voyez CHASSE, & les figures des aiguilles des bas au métier.

L'étau des Arquebusiers est exactement fait comme les étaux des Serruriers, & sert aux Arquebusiers pour tenir en respect les pieces qu'ils veulent limer.

Les étaux à main de l'Orfévre, du Bijoutier, & de plusieurs autres Ouvriers en métaux, sont des especes de tenailles qui se resserrent & s'ouvrent par le moyen d'une vis & d'un écrou qui s'approchent & s'écartent à volonté d'une des branches de l'étau. Ils se terminent à leur extrémité inférieure par une charniere semblable à celle d'un compas simple. Les mâchoires en sont taillées en lime horisontalement, & ont à leur milieu, vis-à-vis, un trou qui les prend de haut en-bas, pour recevoir le fil ou autre matiere propre à être travaillée. Voyez les explications de nos Planches.

L'étau à bagues du Metteur en oeuvre, est formé de deux morceaux de buis plats, serrés avec une vis de fer, dont on se sert pour former à l'outil différens ornemens sur les corps de bagues ; ce qui pourroit s'exécuter difficilement dans un étau de fer, dont les mâchoires corromproient les parties déjà travaillées.

L'étau du Chaînetier est semblable à tous les étaux des autres métiers.

Celui du Charron est un étaux ordinaire, & les Charrons s'en servent pour serrer les écrous, & former des vis à la filiere.

L'étau du Coutelier ne differe pas de l'étau du Serrurier.

L'étau à brunir du Doreur, est une tenaille dont les mâchoires sont tarrodées, & prises dans deux morceaux de bois assez larges, qui servent à ménager la pierre à brunir. Voyez les Planches du Doreur.

L'étau à main du Doreur, est un étau qui sert à tenir une petite piece à la main : il y en a de toute espece. Voyez les Planches du Doreur.

Les étaux plats du Doreur sont des especes de tenailles dont les mâchoires sont renversées en-dehors, & dont les Doreurs se servent pour retenir les pieces sur leur plat ; elles sont assemblées par une charniere à leur extrémité, & ont un petit ressort dans le milieu.

L'étau du Fourbisseur est fait comme les étaux des autres ouvriers, & n'a rien de singulier. Voyez l'article ETAU, Serrurerie.

Il en est de même de l'étau du Ferblantier.

L'étau du Gaînier est à branches plates, quarrées, & semblable à celui des Horlogers ; les Gaîniers s'en servent pour serrer des petites vis, & pour les tenir plus commodément.

L'étau du Gaînier, mais en gros ouvrage, ressemble à celui des Serruriers, &c. & sert à différens usages, mais principalement à plier les coins & ornemens qu'on pose sur les ouvrages.

L'étau de bois des Orfévres, est une sorte de tenaille dont les mâchoires sont retenues par un écrou de fer qui les approche ou les éloigne l'une de l'autre à volonté. On se sert de cet étau pour y serrer des pieces finies, & dont on veut conserver le lustre, que le fer amatiroit.


ETAou ETAI, (Marine) C'est un gros cordage à douze tourons, qui par le bout d'en-haut se termine à un collier, pour saisir le mât sur les barres ; & par le bout d'en-bas il va répondre à un autre collier qui le bande & le porte vers l'avant du vaisseau, pour tenir le mât dans son assiette, & l'affermir du côté de l'avant, comme les haubans l'affermissent du côté de l'arriere. La position des différens étays se connoîtra plus aisément par la figure.

Le grand étay ou l'étay du grand mât : il descend depuis la hune du grand mât jusqu'au haut de l'étrave, où il est tenu par son collier. Voyez Marine, Planche premiere, n°. 104.

Etay de misene, 105.

Etay d'artimon, 106.

Etay du petit hunier, 88.

Etay du grand hunier, 77.

Etay du petit perroquet, 83.

Etay du grand perroquet, 75.

Etay du perroquet de fougue, 50.

A l'égard de la longueur & grosseur de ce cordage, qui est différente, suivant ses situations & ses usages, on peut les voir à l'article CORDAGES. (Z)


ETAYES. f. terme de bâtiment ; piece de bois posée en arc-boutant sur une couche, pour retenir quelque mur ou pan de bois déversé & en sur-plomb. On nomme étaye en gueule, la plus longue, ou celle qui ayant plus de pié, empêche le déversement ; & étaye droite, celle qui est à-plomb, comme un pointal.

ETAYE, terme de Blason ; petit chevron employé pour soûtenir quelque chose : il ne doit avoir que le tiers de la largeur ordinaire des chevrons. Voyez CHEVRON.


ETAYEMENTS. m. (Coupe des pierres) plancher pour soûtenir les voutes en plat-fond ; il fait le même effet que le cintre dans les voûtes concaves. (D)


ETAYERv. act. terme de bâtiment ; c'est retenir avec de grandes pieces de bois un bâtiment qui tombe en ruine, ou des poutres dans la refection d'un mur mitoyen. Voyez ETAYE. (P)


ETÉS. m. (Géog. & Phys.) est une des saisons de l'année, qui commence dans les pays septentrionnaux le jour que le soleil entre dans le signe du Cancer, & qui finit quand il sort de la Vierge. Voyez SAISON & SIGNE.

Pour parler plus exactement & plus généralement l'été commence lorsque la distance méridienne du Soleil au zénith est la plus petite, & finit lorsque sa distance est précisément entre la plus grande & la plus petite. Voyez SOLEIL.

La fin de l'été répond au commencement de l'automne. Voyez AUTOMNE.

Depuis le commencement de l'été jusqu'à celui de l'automne, les jours sont plus longs que les nuits ; mais ils vont toûjours en décroissant, & se trouvent enfin égaux aux nuits au commencement de l'automne.

Le premier jour de l'été étant celui où le Soleil darde ses rayons le plus à-plomb, ce devroit être naturellement le jour de la plus grande chaleur ; cependant c'est ordinairement vers le mois d'Août, c'est-à-dire au milieu de l'été, que nous ressentons le plus grand chaud : cela vient de la longueur des jours & de la briéveté des nuits de l'été, qui fait que la chaleur que le Soleil a donnée à la terre pendant le jour, subsiste encore en partie au commencement du jour suivant, & s'ajoûte ainsi à celle que le Soleil donne de nouveau. La chaleur ainsi conservée de plusieurs jours consécutifs, forme vers le milieu de l'été la plus grande chaleur possible. Voyez CHALEUR.

On appelle levant & couchant d'été, le point de l'horison où le Soleil se leve & se couche au solstice d'été. Ces points sont plus nord que les points est & oüest de l'horison, qui sont le levant & le couchant des équinoxes. Voyez EST, OUEST, LEVANT, COUCHANT.

Solstice d'été, voyez SOLSTICE. (O)


ETECHEMINSS. m. pl. (Géog. mod.) peuples de l'Acadie ; ils habitent tout le pays compris depuis Boston jusqu'au Port-royal. La riviere des Etechemins est la premiere qu'on rencontre le long de la côte, en allant de la riviere de Pentagouet à celle de Saint-Jean.


ETEIGNARYS. f. (Fontaines salantes) c'est ainsi qu'on appelle, dans les fontaines salantes, des femmes dont la fonction est d'éteindre les braises tirées de dessous les poesles, & de les porter au magasin.


ETEIGNOIRS. m. (Econ. domestiq.) petit cone creux de cuivre, d'argent, ou de fer-blanc, qu'on met sur le lumignon de la chandelle pour l'éteindre. L'éteignoir des églises est emmanché d'une longue baguette de bois.


ETEINDREv. a. (Gram.) il se dit de tout corps auquel l'application du feu est sensible. Eteindre c'est faire cesser l'action du feu. Ce terme se prend au simple & au figuré. L'eau éteint le feu ; l'âge éteint les passions.

ETEINDRE, (Pharmacie) on se sert de ce terme dans un sens propre, en parlant d'une certaine préparation médicinale du fer, qui consiste à plonger dans de l'eau commune, & par conséquent à y éteindre, des morceaux de fer rougis au feu. Voyez FER.

On se sert de la même expression dans un sens figuré, pour exprimer l'union du mercure à différentes substances, qui détruisent la fluidité sans le dissoudre chimiquement.

Unir le mercure à quelques-unes de ces substances, c'est éteindre le mercure, &c. Voyez MERCURE. (b)

ETEINDRE, en Peinture, c'est adoucir, affoiblir. L'on éteint, l'on affoiblit les trop grands clairs, les trop grands bruns dans un tableau ; on les adoucit particulierement vers les extrémités. On dit, il faut éteindre cette lumiere qui combat avec une autre ; lorsque vous aurez éteint cette partie, le reste fera un meilleur effet.


ETELIN(à la Monnoie) petit poids qui est de vingt-huit grains quatre cinquiemes, ou la vingtieme partie de l'once.


ETELONS. m. (Archit.) c'est l'épure des fermes & de l'enrayeure d'un comble, des plans d'escaliers, & de tout autre assemblage de charpenterie, qu'on trace sur plusieurs dosses disposées & arrêtées pour cet effet sur le terrein d'un chantier. (P)


ETENDAGES. m. (Draperie) c'est une des opérations qui se font sur les laines avant que de les employer. Voyez l'article MANUFACTURE EN LAINE.


ETENDARDS. m. (Art milit.) étoit autrefois un chiffon de soie envergé au bout d'une pique, de maniere qu'il tournoit comme une giroüette, & s'étendoit au moyen du vent & de l'agitation : c'est delà peut-être qu'il a pris sa dénomination à l'exemple des vexillationes des Romains. Les étendards étoient de toutes sortes de formes & de couleurs, au choix des chefs des différentes troupes de cavalerie ; aujourd'hui ils sont tous de satin brodé d'or ou d'argent, & de soie, larges d'un pié en quarré, fixés sur une lance.

" Il y aura dorénavant dans chaque escadron de cavalerie deux étendards de la livrée de mestre de camp. Sa majesté veut qu'aux étendards où il n'y aura pas de fleurs-de-lis, il y ait du côté droit un soleil, & que la devise du mestre de camp soit seulement sur le revers ; lesquels deux étendards seront portés par les cornettes des deux plus anciennes compagnies de chaque escadron ". Ordonn. du 1 Février 1689. Voyez DRAPEAU.

Pendant la paix il n'y a point de cornettes attachées aux régimens de cavalerie, & ce sont les lieutenans qui portent les étendards. Une lettre du 7 Août 1731 ; qu'on trouve dans le recueil de Briquet, regle que c'est aux lieutenans de la compagnie à laquelle chaque étendard est attaché, qui doit le porter.

" Les lances des étendards seront de la longueur de dix piés moins un pouce, compris le fer, qui est dans le bout d'en-haut, & la douille qui est à celui d'en-bas, ensorte qu'elles soient toutes uniformes ". Ordonn. du 7 Mars 1684.

Il est aussi ordonné de mettre au bout de la lance une écharpe de taffetas blanc.

Le salut de l'étendard se fait en baissant la lance doucement, & en la relevant de même.

Ce salut est dû au roi, à la reine, aux enfans de France, aux princes du sang & légitimés, aux maréchaux de France, au colonel général & au général de l'armée ; on ne le doit au mestre de camp général & au commissaire, qu'à l'entrée & à la sortie de la campagne, Briquet, t. 99.

En terme de Marine, ce qu'on nomme pavillon sur les vaisseaux s'appelle étendard sur les galeres. L'étendard royal est celui de la réale ou de la galere commandante.

De tous les tems il y a eu des signaux muets pour distinguer les troupes, les guider dans leurs marches, leur marquer le terrein & l'alignement sur lequel elles doivent combattre, régler leurs manoeuvres, mais plus particulierement pour les rallier & réformer en cas de déroute. Ces signaux ont changé, suivant les tems & les lieux, de figure & de nom. Mais comme nous désignons d'une maniere générale par le seul mot d'enseigne, toutes celles dont on a fait usage en France depuis le commencement de la monarchie ; ainsi les anciens comprenoient sous des termes génériques tous leurs signaux muets à quelques troupes qu'ils appartinssent, & quelle que pût être leur forme (a) ; les mêmes termes avoient encore chez eux comme chez nous, outre une signification générale, leur application particuliere. Chez les Romains par exemple qui se servoient indifféremment des mots signum & vexillum, pour désigner toutes sortes d'enseignes ; le premier mot signifioit néanmoins d'une maniere expresse les enseignes de l'infanterie

(a) Soit qu'ils fussent de relief, bas-relief, en images ou étoffes unies.

(b) légionnaire, & le second celles des troupes de cavalerie. Nous distinguons de même nos enseignes en deux especes, nous conservons le nom d'enseigne à celles dont on se sert dans l'infanterie ; nous appellons étendards, guidons, cornettes, les enseignes affectées aux gens de cheval.

Il y a toute apparence que dans les commencemens les choses les plus simples & les plus aisées à trouver, servirent de signes militaires. Des branches de feuillages, des faisceaux d'herbes, quelques poignées de chacune, furent sans-doute les premieres enseignes : on leur substitua dans la suite des oiseaux, ou des têtes d'autres animaux, mais à mesure que l'on se perfectionna dans la guerre, on prit aussi des enseignes plus composées, plus belles, & l'on s'attacha à les faire d'une matiere solide & durable, parce qu'elles devinrent des marques distinctives & perpétuelles pour chaque nation. On mit encore au rang des enseignes les images des dieux, (c) les portraits des princes, des empereurs (d), des Césars (e), des grands hommes, & quelquefois ceux des favoris (f).

On adopta aussi des figures symboliques : les Athéniens avoient dans leurs signes militaires la choüette, oiseau consacré à Minerve ; les Thébains, le sphinx ; d'autres peuples ont eu des lions, des chevaux, des minotaures, des sangliers, des loups, des aigles.

L'aigle a été l'enseigne la plus commune de l'antiquité : celle de Cyrus & des autres rois de Perse dans la suite, étoit une aigle d'or aux ailes éployées, portée au sommet d'une pique. L'aigle devint l'enseigne la plus célebre des Romains : elle étoit de même en relief posée à l'extrémité d'une pique (g) sur une base ou ronde triangulaire, tenant quelquefois un foudre dans ses serres ; sa grosseur n'excédoit pas celle d'un pigeon : ce qui paroît conforme au rapport de Florus (h), qui dit qu'après la défaite de Varus, un signifer en cacha une dans son baudrier.

L'on sait que chez les Romains le nombre des aigles marquoit exactement le nombre des légions ; parce que l'aigle en étoit la premiere enseigne. Les manipules avoient aussi leurs enseignes ; elles ne consisterent d'abord qu'en quelques poignées de foin qu'on suspendoit au bout d'une longue perche, & c'est de-là, dit Ovide, qu'est venu le nom que l'on donna à ces divisions de l'infanterie légionnaire.

Pertica suspensos portabat longa maniplos

Unde maniplaris nomina miles habet.

Ovid. l. III. fastorum.

Dans les tems postérieurs, ces marques de l'ancienne simplicité firent place à d'autres plus recherchées, dont on voit la représentation sur les médailles & les monumens qui se sont conservés jusqu'à nous : c'étoit une longue pique traversée à son extrémité supérieure d'un bâton en forme de T, d'où pendoit une espece d'étoffe quarrée. Voyez Montfaucon, Lipse, &c. La hampe de la pique portoit dans sa longueur des plaques rondes ou ovales, sur lesquelles on appliquoit les images des dieux, des empereurs, & des hommes illustres. Quelques-uns de ces signes sont terminés au bout par une main ouverte ; il y en a qui sont ornés de couronnes de laurier, de tours & de portes de villes ; distinction honorable accordée aux troupes qui s'étoient signalées dans une bataille, ou à la prise de quelque place.

L'étendard de la cavalerie nommé vexillum ou cantabrum, n'étoit qu'une piece d'étoffe précieuse d'environ un pié en quarré, que l'on portoit de même au bout d'une pique terminée en forme de T.

Les dragons ont encore servi d'enseignes à bien des peuples. Les Assyriens en portoient. Suidas (i) cite un fragment qui donne le dragon pour enseigne à la cavalerie indienne : il y en avoit un sur mille chevaux ; sa tête étoit d'argent, & le reste du corps d'un tissu de soie de diverses couleurs. Le dragon avoit la gueule béante, afin que l'air venant à s'insinuer par cette ouverture enflât le tissu de soie qui formoit le corps de l'animal, & lui fît imiter en quelque sorte le sifflement & les replis tortueux d'un véritable dragon.

Selon le même Suidas, les Scythes eurent pour enseignes de semblables dragons. Ces Scythes paroissent être le même peuple que les Goths, à qui l'on donnoit alors ce premier nom. On voit ces dragons sur la colonne trajane dans l'armée des Daces ; il n'est pas douteux que l'usage n'en ait été adopté par les Perses (k), puisque Zénobie leur en prit plusieurs.

Après Trajan, les dragons devinrent l'enseigne particuliere de chaque cohorte, & l'on nomma dragonnaires ceux qui les portoient dans les combat. Cet usage subsistoit encore lorsque Végece (l. II. c. xij.) composa son excellent abregé de l'art militaire.

On prit enfin des enseignes symboliques, comme des armes, des devises, & des chiffres ; les uns étoient ceux des princes, ceux des chefs ou d'autres affectés aux troupes.

L'honneur a fait de tous les tems une loi capitale du respect & de l'attachement des peuples pour leurs enseignes : quelques-uns ont poussé ce sentiment jusqu'à l'idolatrie ; & pour ne parler que des Romains, on sait qu'ils se mettoient à genoux devant les leurs, qu'ils juroient par elles, qu'ils les parfumoient d'encens, les ornoient de couronnes de fleurs, & les regardoient comme les veritables dieux des légions ; hors les tems de guerre, ils les déposoient dans les temples. Comme il y avoit une grande infamie à les perdre, c'étoit aussi une grande gloire que d'en prendre aux ennemis ; aussi préféroit-on plûtôt de mourir, que de se les laisser enlever ; & quiconque étoit convaincu de n'avoir pas défendu son enseigne de tout son pouvoir, étoit condamné à mourir : la faute rejaillissoit même sur toute la cohorte ; celle qui avoit perdu son enseigne étoit rejettée de la légion & contrainte à demeurer hors de l'enceinte du camp, & réduite à ne vivre que d'orge jusqu'à ce qu'elle eût

(b) Le mot vexillum désignoit encore les enseignes des troupes fournies par les alliés de Rome : ce n'est pas qu'on ne s'en servît quelquefois pour exprimer les enseignes de l'infanterie romaine ; car toutes ces choses sont assez souvent confondues.

(c) Les Egyptiens firent tout le contraire ; ils mirent au rang de leurs dieux les animaux dont la figure leur avoit servi d'enseigne.

Diodore dit que les Egyptiens combattant autrefois sans ordre, & étant souvent battus par leurs ennemis, ils prirent enfin des étendards pour servir de guides à leurs troupes dans la mêlée. Ces étendards étoient chargés de la figure de ces animaux qu'ils réverent aujourd'hui : les chefs les portoient au bout de leurs piques, & par-là chacun reconnoissoit à quel corps ou à quelle compagnie il appartenoit. Cette précaution leur ayant procuré la victoire plus d'une fois, ils s'en crurent redevables aux animaux représentés sur leurs enseignes ; & en mémoire de ce secours, ils défendirent de les tuer, & ordonnerent même qu'on leur rendit les honneurs que nous avons vû. Liv. I. parag. II. Tom. p. 183. de la trad. de L. Terrasson.

(d) Tacite, Annal. I. liv. parle des images de Drusus.

(e) Suétone, vie de Caligula, chap. xjv. dit du roi des Parthes : transgressus Euphratem, aquilas & signa romana Caesarumque imagines adoravit.

(f) Il est dit dans la vie de Tibere, que cet Empereur fit des largesses aux légions de Syrie, parce qu'elles étoient les seules qui n'eussent pas admis les images de Séjan au nombre de leurs enseignes militaires.

(g) Xénophon, liv. VII. de la Ciropédie.

(h) Liv. IV. chapit. xij. Signa & aquilas duces adhuc barbari possident. Tertiam signifer, priùs quam in manus hostium veniret, evulsit ; mersamque intrà baltei sui latebras gerens, in cruentâ palude sic latuit.

(i) Suidas, in verbo Indi.

(k) In vopisco.

réparé sa honte par des prodiges de valeur. Jamais les Romains ne firent de traités de paix que sous la condition que leurs enseignes leur fussent rendues : de-là les louanges d'Auguste par Horace (l), cet empereur s'étant fait restituer les enseignes que les Parthes avoient pris à Crassus.

Il faudroit des volumes entiers pour rapporter tous les usages des anciens sur les enseignes ; encore ne pourroit-on pas toûjours se flater d'avoir démêlé la vérité dans ce chaos de variations successives qui ont produit à cet égard une infinité de changemens dans les pratiques de toutes les nations. Quelles difficultés n'éprouvons-nous pas seulement pour accorder entr'eux nos propres auteurs (m) sur ce qu'ils ont écrit des enseignes dont on a fait usage dans les différens tems de notre monarchie ?

L'opinion commune est que l'oriflamme est le plus célebre & le plus ancien de tous nos étendards ; c'étoit celui de toute l'armée : on croit qu'il parut sous Dagobert en 630, & qu'il disparut sous Louis XI. Les histoires de France en parlent diversement. M. le président Hénault dit que Louis-le-Gros est le premier de nos rois qui ait été prendre l'oriflamme à Saint-Denis. On vit ensuite des gonfalons du tems de Charles II. dit le Chauve, en 840 ; il ordonna aux cornettes de faire marcher leurs vaisseaux sous leurs gonfalons.

Il y eut des étendards en 922. Charles III. dit le Simple en avoit un attaché à sa personne dans la bataille de Soissons contre Robert ; celui-ci portoit lui-même le sien, & celui de Charles étoit porté par un seigneur de la plus haute distinction, nommé Fulbert.

Depuis les rois de France ont eu pendant fort longtems un étendard attaché à leur personne, & distinctif de ceux des troupes ; on l'appelloit banniere du roi, pennon royal, ou cornette blanche du roi. D'anciens historiens ont parlé des étendards de Dagobert, de ceux de Pepin ; mais Ducange réfute ce qu'ils en ont dit, & prétend qu'ils n'ont pas existé.

Sous la troisieme race, les bannerets & les communes eurent des bannieres, & les Chevaliers, bacheliers, écuyers, des pennons.

Le connétable avoit aussi une banniere ; il avoit droit, en l'absence du roi, de la planter à l'exclusion de tous autres sur la muraille d'une ville qu'il avoit prise.

Ce droit étoit très-considérable ; il occasionna un grand démêlé entre Philippe-Auguste & Richard roi d'Angleterre, lorsqu'ils passerent ensemble en Sicile. Ce dernier ayant forcé Messine y planta son étendard sur les murailles ; Philippe s'en trouva fort offensé : " Eh quoi, dit-il, le roi d'Angleterre ose arborer son étendard sur le rempart d'une ville où il sait que je suis " ! A l'instant il ordonna à ses gens de l'arracher : ce que Richard ayant sû, il lui fit dire qu'il étoit prêt à l'ôter ; mais que si l'on se mettoit en devoir de le prévenir, il y auroit bien du sang répandu. Philippe se contenta de cette soûmission, & Richard fit enlever l'étendard. Brantome ne fixe l'origine des étendards de la cavalerie legere que sous Louis XII. il y a cependant apparence qu'il y en avoit longtems auparavant.

Les guidons subsistent depuis la levée des compagnies d'ordonnance sous Charles IX. & sont affectés au corps de la gendarmerie.

Les gardes-du-corps ont des enseignes, & les grenadiers à cheval un étendard ; les gendarmes & les chevaux-legers de la garde du roi ont des enseignes, les mousquetaires ont des enseignes & des étendards ; les dragons ont des enseignes & des étendards, ces deux corps étant destinés à servir & à pié & à cheval.

On dit servir à la cornette, quand on parle du service militaire près de la personne du roi.

Les cornettes sont connus depuis Charles VIII. A la bataille d'Ivri (1590) Henri IV. dit à ses troupes en leur montrant son panache blanc : " Enfans si les cornettes vous manquent, voici le signal du ralliement, vous le trouverez au chemin de la victoire & de l'honneur ".

Il est souvent parlé dans l'histoire de ces tems de la cornette blanche ; c'étoit l'étendard du roi, ou en son absence celui du général. Il y a encore dans la maison du roi une charge de porte-cornette blanche, & dans la compagnie colonelle du régiment colonel général de la cavalerie une autre charge de cornette blanche. Ducange a prétendu que la cornette blanche du roi a remplacé l'oriflamme vers le regne de Charles VI : mais cela lui a été contesté.

Des étymologistes ont dit que le nom de cornette qu'on a donné aux étendards, vient de ce qu'une reine attacha la sienne au bout d'une lance pour rassembler autour d'elle ses troupes débandées : d'autres prétendent que l'origine de ce nom est tiré d'une espece de cornette de taffetas, que les seigneurs de distinction portoient sur leur casque ; elle étoit de la couleur de la livrée de celui qui la portoit, pour qu'il pût être aisément reconnu des siens, & cela paroît plus vraisemblable. Il y avoit encore d'autres raisons qui faisoient porter de ces sortes de cornettes, comme pour empêcher que l'ardeur du Soleil n'échauffât trop l'acier de ce casque, & que par cette raison il ne causât des maux de tête violens, ou pour que la pluie ne les rouillât pas, & n'en gâtât pas les ornemens qui étoient précieux. Le nom de cornette est resté aux officiers qui portent les étendards. Ce sont les troisiemes officiers des compagnies ; ils se font un principe de ne jamais rendre leur étendard qu'avec le dernier soupir.

Dans l'ordre de bataille, chaque étendard est à-peu-près au centre du premier rang de la compagnie de la droite & de la gauche, où il est attaché. Si l'escadron est formé sur trois rangs, sa place est à la tête de la cinquieme file en comptant par le flanc ; & si l'escadron est sur deux rangs, il est à la septieme file.

Plusieurs officiers de cavalerie ont pensé qu'il seroit avantageux de réformer un des deux étendards qu'il y a par escadron, & de les réduire à un seul comme dans les dragons. On ne peut disconvenir qu'à certains égards la réforme d'un étendard ne fût un embarras de moins pour la cavalerie : mais s'il est de la plus grande conséquence que les escadrons soient à la même hauteur pour se couvrir mutuellement les flancs & pour la défense réciproque les uns des autres, & s'il faut nécessairement que les flancs de l'infanterie soient gardés par les ailes de la cavalerie, on sera forcé de reconnoître qu'il est absolument indispensable, pour que tous les corps puissent s'aligner entr'eux, d'avoir deux étendards par chaque escadron.

S'il n'y avoit qu'un étendard, il seroit possible qu'il n'y eût pas deux escadrons sur le même alignement, & que cependant ils parussent tous ensemble être exactement alignés ; les uns pourroient présenter leur front, & les autres leur flanc dans un aspect tout contraire, de sorte qu'ils seroient à découvert dans leur partie la plus foible : il pourroit encore arriver de ce défaut d'étendard, que l'escadron de la droite de l'aile droite fût à la juste hauteur du bataillon qui forme la pointe droite de l'infanterie, que cependant le flanc de cette infanterie fût dénué de cavalerie, & qu'il y eût un jour favorable à l'ennemi pour se couler derriere elle, parce que la gauche de l'aile droite de la cavalerie en seroit trop éloignée. Si l'on répond

(l) Et signa nostro restituit Jovi,

Direpta Parthorum superbis

Hostibus. Liv. IV. Ode XV.

(m) Claude Beneton est l'auteur qui en ait écrit le plus au long. Imprimé à Paris. in -12. 1742.

que ce second cas est impossible, parce qu'on ne pourroit former ce dernier escadron de la gauche de l'aile droite sans s'appercevoir qu'il seroit tout-à-fait hors de l'alignement de l'infanterie, du moins conviendra-t-on que pour remédier à ce défaut dès qu'il sera apperçu, il faudra que l'aile toute entiere se remette en mouvement, afin de se dresser de nouveau ; opération qui fera perdre beaucoup de tems, sans qu'on puisse encore espérer d'y réussir.


ETENDOIRS. m. c'est en général l'endroit où l'on expose, soit à l'action de l'air, soit à celle du feu, des corps qu'il faut sécher. Il se dit aussi quelquefois de l'instrument qui sert à placer les corps convenablement dans le lieu appellé l'étendoir.

L'étendoir des Cartonniers est un endroit où on étend les feuilles de carton sur des cordes pour les faire sécher, après qu'elles sont fabriquées & après qu'elles sont collées.

Celui des Chamoiseurs est l'endroit où l'on a posé des cordes pour étendre les peaux, afin qu'elles y soient séchées & essorées.

L'étendoir des Mégissiers est un endroit garni de perches, sur lesquelles ces ouvriers étendent les peaux de moutons passées en mégie, pour les faire sécher. Voy. les fig. Planches du Mégissier, vignette.

L'étendoir des Papeteries est une salle où on met sécher le papier sur des cordes. Cet endroit est pratiqué de maniere qu'on peut y faire entrer plus ou moins d'air, selon qu'on le juge à-propos, au moyen de plusieurs ouvertures ou fenêtres qu'on ferme & ouvre quand on veut avec des persiennes. Voyez PERSIENNE & la Planche de Papeterie, dans laquelle l'ouvrier C met une feuille de papier sur la corde, au moyen d'un T ou petite croix de bois, sur le travers de laquelle on plie la feuille en deux. L'ouvriere B apporte du papier pour le ranger par terre en piles comme des tuiles, & l'ouvriere D ôte le papier de dessus les cordes. Au bas de cette planche on voit le plan de l'étendoir.


ETENDREv. act. terme relatif à l'espace, & quelquefois au tems. Etendre, c'est faire occuper plus d'espace, ou embrasser plus de tems : on dit les métaux s'étendent sous le marteau ; l'heure d'un rendez-vous s'étend. Il se prend au simple & au figuré, comme on le voit dans ces exemples ; étendre une nappe, étendre ses idées.

ETENDRE, en terme de Cornetier, s'entend de l'action d'applatir aux pinces, & d'allonger le plus qu'il est possible les galins qui n'ont été qu'ouverts imparfaitement après la fente.


ETENDUES. f. (Ordre encyclopédique, Sens, Entendement, Philosophie, Métaphysique) On peut considérer l'étendue comme sensation, ou comme idée abstraite ; comme sensation, elle est l'effet d'une certaine action des corps sur quelques-uns de nos organes ; comme idée abstraite, elle est l'ouvrage de l'entendement qui a généralisé cette sensation, & qui en a fait un être métaphysique, en écartant toutes les qualités sensibles & actives qui accompagnent l'étendue dans les êtres matériels.

La sensation de l'étendue ne peut être définie par cela même qu'elle est sensation ; car il est de l'essence des notions particulieres immédiatement acquises par les sens, ainsi que des notions intellectuelles les plus générales formées par l'entendement, d'être les dernieres limites des définitions, & les derniers élémens dans lesquels elles doivent se résoudre. Il suffira donc de rechercher auxquels de nos sens on doit rapporter cette sensation, & quelles sont les conditions requises pour que nous puissions la recevoir.

Supposons un homme qui ait l'usage de tous ses sens, mais privé de tout mouvement, & qui n'ait jamais exercé l'organe du toucher, que par l'application immobile de cet organe sur une même portion de matiere ; je dis que cet homme n'auroit aucune notion de l'étendue, & qu'il ne pourroit l'acquerir que lorsqu'il auroit commencé à se mouvoir. En effet il n'est qu'un seul moyen de connoître l'étendue d'un corps ; c'est l'application successive & continue de l'organe du toucher sur la surface de ce corps : ce ne seroit point assez que ce corps fût en mouvement tandis que l'organe seroit en repos, il faut que l'organe lui-même se meuve ; car pour connoître le mouvement il faut avoir été en mouvement, & c'est par le mouvement seul que nous sortons pour ainsi dire de nous-mêmes, que nous reconnoissons l'existence des objets extérieurs, que nous mesurons leurs dimensions, leurs distances respectives, & que nous prenons possession de l'étendue. La sensation de l'étendue n'est donc que la trace des impressions successives que nous éprouvons lorsque nous sommes en mouvement : ce n'est point une sensation simple, mais une sensation composée de plusieurs sensations de même genre ; & comme c'est par les seuls organes du toucher que nous nous mettons en mouvement, & que nous sentons que nous sommes en mouvement, il s'ensuit que c'est au toucher seul que nous devons la sensation de l'étendue. On objectera peut-être que nous recevons cette sensation par la vûe, aussi bien que par le toucher ; que l'oeil embrasse un plus grand espace que la main n'en peut toucher, & qu'il mesure la distance de plusieurs objets que la main ne sauroit attendre même avec ses instrumens. Tout cela est vrai, mais n'est vrai que de l'oeil instruit par le toucher ; car l'expérience a démontré qu'un aveugle de naissance, à qui la vûe est rendue tout-à-coup, ne voit rien hors de lui, qu'il n'apperçoit aucune analogie entre les images qui se tracent dans le fond de ses yeux & les objets extérieurs qu'il connoissoit déjà par le toucher ; qu'il ne peut apprécier leurs distances ni reconnoître leur situation, jusqu'à ce qu'il ait appris à voir, c'est-à-dire à remarquer les rapports constans qui se trouvent entre les sensations de la vûe & celles du toucher : par conséquent un homme qui n'auroit jamais exercé l'organe du toucher, ne pourroit apprendre à voir ni à juger des dimensions des objets extérieurs, de leurs formes, de leurs distances, en un mot de l'étendue ; & quoiqu'on supposât en mouvement les images qui seroient tracées dans le fond de ses yeux, cependant comme il ne connoîtroit point le mouvement par sa propre expérience, ces mouvemens apparens ne lui donneroient qu'une simple idée de succession, comme feroit une suite des sons qui frapperoient successivement son oreille, ou d'odeurs qui affecteroient successivement son odorat ; mais jamais ils ne pourroient suppléer à l'expérience du toucher, jamais ils ne pourroient, au défaut de cette expérience, faire naître la perception du mouvement réel, ni par conséquent celle de l'étendue sensible. Et comment des sens aussi différens que ceux de la vûe & du toucher, pourroient-ils exciter en nous cette derniere perception ? L'oeil ne voit point les choses, il ne voit que la lumiere qui lui représente les apparences des choses par diverses combinaisons de rayons diversement colorés. Toutes ces apparences sont en nous, ou plûtôt sont nous-mêmes, parce que l'organe de la vûe est purement passif ; & que ne réagissant point sur les objets il n'éprouve aucune sorte de résistance que nous puissions rapporter à des causes extérieures : au lieu que l'organe du toucher est un organe actif qui s'applique immédiatement à la matiere, sent les dimensions & la forme des corps, détermine leurs distances & leurs situations, réagit sur eux directement & sans le secours d'aucun milieu interposé, & nous fait éprouver une résistance étrangere que nous sommes forcés d'attribuer à quelque chose qui n'est point nous ; enfin c'est le seul sens par lequel nous puissions distinguer notre être de tous les autres êtres, nous assûrer de la réalité des objets extérieurs, les éloigner ou les rapprocher suivant les lois de la nature, nous transporter nous-même d'un lieu dans un autre, & par conséquent acquérir la vraie notion du mouvement & de l'étendue.

Le mouvement entre si essentiellement dans la notion de l'étendue, que par lui seul nous pourrions acquérir cette notion, quand même il n'existeroit aucun corps sensiblement étendu. Le dernier atome qui puisse être senti par l'organe du toucher, n'est point étendu sensiblement, puisque les parties étant nécessairement plus petites que le tout, celles de cet atome échapperoient nécessairement au sens du toucher par la supposition : cependant si l'organe du toucher étant mis en mouvement se trouve affecté successivement en plusieurs points par cet atome, nous pourrons nous former par cela seul la notion de l'étendue, parce que le mouvement de l'organe & la continuité des impressions successives dont il est affecté, semblent multiplier cet atome & lui donner de l'extension. Il est donc certain que les impressions continues & successives que font les corps sur les organes du toucher mis en mouvement, constituent la vraie notion de l'étendue ; & même ces idées de mouvement & d'étendue sont tellement liées entre elles & si dépendantes l'une de l'autre, qu'on ne peut concevoir nettement aucune étendue déterminée que par la vîtesse d'un mobile qui la parcourt dans un tems donné ; & réciproquement que l'on ne peut avoir une idée précise de la vîtesse d'un mobile, que par l'étendue qu'il parcourt dans un tems donné : l'idée du tems entre donc aussi dans celle de l'étendue ; & c'est par cette raison que dans les calculs physico-mathématiques, deux de ces trois choses, tems, vitesse, étendue, peuvent toûjours être combinées de telle façon qu'elles deviennent l'expression & la représentation de la troisieme (car je ne distingue pas ici l'étendue de l'espace absolu des Géomêtres, qui n'est autre chose que l'idée de l'étendue généralisée autant qu'elle peut l'être) : ces trois idées doivent être inséparables dans nos raisonnemens, comme elles le sont dans leur génération ; & elles deviennent d'autant plus lumineuses, qu'on sait mieux les rapprocher. Celles de l'espace & du tems qui semblent, à certains égards, d'une nature entierement opposée, ont plus de rapports entr'elles qu'on ne le croiroit au premier coup-d'oeil. Nous concevons l'étendue abstraite ou l'espace, comme un tout immense, inaltérable, inactif, qui ne peut ni augmenter, ni diminuer, ni changer, & dont toutes les parties sont supposées coexister à la fois dans une éternelle immobilité : au contraire toutes les parties du tems semblent s'anéantir & se reproduire sans-cesse ; nous nous le représentons comme une chaîne infinie, dont il ne peut exister à-la-fois qu'un seul point indivisible, lequel se lie avec celui qui n'est déjà plus, & celui qui n'est pas encore. Cependant, quoique les parties de l'étendue abstraite ou de l'espace soient supposées permanentes, on peut y concevoir de la succession, lorsqu'elles sont parcourues par un corps en mouvement ; & quoique les parties du tems semblent fuir sans-cesse & s'écouler sans interruption, l'espace parcouru par un corps en mouvement, fixe pour ainsi dire, la trace du tems, & donne une sorte de consistance à cette abstraction légere & fugitive. Le mouvement est donc le noeud qui lie les idées si différentes en apparence du tems & de l'espace, comme il est le seul moyen par lequel nous puissions acquérir ces deux idées, & le seul phénomene qui puisse donner quelque réalité à celle du tems.

On pourroit encore assigner un grand nombre d'autres rapports entre le tems & l'espace ; mais il suffira de parcourir ceux qui peuvent jetter quelque lumiere sur la nature de l'étendue. L'espace & le tems sont le lien de toutes choses ; l'un embrasse toutes les co-existences possibles, l'autre toutes les successions possibles. Le tems est supposé couler avec une vîtesse constante & uniforme, par cela même qu'on en fait l'unité de mesure de toute succession ; car il est de l'essence de toute unité de mesure d'être uniforme : de même l'espace est supposé uniforme dans tous ses points, parce qu'il est avec le tems la mesure du mouvement ; d'ailleurs cette uniformité du tems & de l'espace ne pourroit être altérée que par des existences réelles, que l'abstraction exclut formellement de ces deux idées. Par la même raison ces deux idées sont indéterminées, tant qu'elles sont considérées hors des êtres physiques, desquels seuls elles peuvent recevoir quelque détermination. L'une & l'autre considérées dans les choses, sont composées de parties qui ne sont point similaires avec leur tout, c'est-à-dire que toutes les parties de l'étendue & de la durée sensibles, ne sont point étendue & durée ; car puisque l'idée de succession entre nécessairement dans l'idée de durée, cette partie de la durée qui répond à une perception simple, & dans laquelle nous ne concevons aucune succession, n'est point durée ; & l'atome de matiere dans lequel nos sens ne peuvent distinguer de parties, n'est point sensiblement étendu. J'ai grand soin de distinguer l'étendue abstraite de l'étendue sensible, parce que ce sont en effet des acceptions très-différentes du même mot. La véritable étendue sensible, c'est l'étendue palpable : elle consiste dans les sensations qu'excitent en nous les surfaces des corps parcourues par le toucher. L'étendue visible, si l'on veut absolument en admettre une, n'est point une sensation directe, mais une induction fondée sur la correspondance de nos sensations, & par laquelle nous jugeons de l'étendue palpable d'après certaines apparences présentes à nos yeux. Enfin l'étendue abstraite est l'idée des dimensions de la matiere, séparées par une abstraction métaphysique de toutes les qualités sensibles des corps, & par conséquent de toute idée de limites, puisque l'étendue ne peut être limitée en effet que par des qualités sensibles. Il seroit à souhaiter que chacune de ces diverses acceptions eût un terme propre pour l'exprimer : mais soit que l'on consente ou que l'on refuse de remédier à la confusion des signes, il est très-important d'éviter la confusion des idées ; & pour l'éviter, il faut, toutes les fois que l'on parle de l'étendue, commencer par déterminer le sens précis qu'on attache à ce mot. Par cette seule précaution une infinité de disputes qui partagent tous les jours le monde philosophe, se trouveroient décidées ou écartées. On demande si l'étendue est divisible à l'infini : mais veut-on parler du phénomene sensible, ou bien de l'idée abstraite de l'étendue ? Il est évident que l'étendue physique, celle que nous connoissons par les sens, & qui semble appartenir de plus près à la matiere, n'est point divisible à l'infini ; puisqu'après un certain nombre de divisions, le phénomene de l'étendue s'évanoüit, & tombe dans le néant rélativement à nos organes. Est-ce seulement de l'idée abstraite de l'étendue qu'on entend parler ? Alors comme il entre de l'arbitraire dans la formation de nos idées abstraites, je dis que de la définition de celle-ci doit être déduite la solution de la question sur l'infinie divisibilité. Si l'on veut que toute partie intelligible de l'étendue soit de l'étendue, la divisibilité à l'infini aura lieu ; car comme les parties divisées intellectuellement peuvent être représentées par une suite infinie de nombres, elles n'auront pas plus de limites que ces nombres, & seront infinies dans le même sens, c'est-à-dire que l'on ne pourra jamais assigner le dernier terme de la division. Une autre définition de l'étendue abstraite auroit conduit à une autre solution. La question sur l'infinité actuelle de l'étendue se resoudroit de la même maniere : elle dépend, à l'égard de l'étendue sensible, d'une mesure actuelle qu'il est impossible de prendre ; & l'étendue abstraite n'est regardée comme infinie, que parce qu'étant séparée de tous les autres attributs de la matiere, elle n'a rien en elle-même, comme nous l'avons déjà remarqué, qui puisse la limiter ni la déterminer. On demande encore si l'étendue constitue ou non l'essence de la matiere ? Je réponds d'abord que le mot essence est équivoque, & qu'il faut en déterminer la signification avant de l'employer. Si la question proposée se réduit à celle-ci, l'étendue est-elle un attribut de la matiere, tel que l'on puisse en déduire par le raisonnement tous ses autres attributs ? Il est clair dans ce sens que l'étendue, de quelque façon qu'on la prenne, ne constitue point l'essence de la matiere, puisqu'il n'est pas possible d'en déduire l'impénétrabilité, ni aucune des forces qui appartiennent à tous les corps connus. Si la question proposée revient à celle-ci : est-il possible de concevoir la matiere sans étendue ? Je réponds que l'idée que nous nous faisons de la matiere est incomplete toutes les fois que nous omettons par ignorance ou par oubli quelqu'un de ses attributs ; mais que l'étendue n'est pas plus essentielle à la matiere, que ses autres qualités : elles dépendent toutes, ainsi que l'étendue de certaines conditions pour agir sur nous. Lorsque ces conditions ont lieu, elles agissent sur nous aussi nécessairement que l'étendue, & toutes, sans excepter l'étendue, ne différent entr'elles que par les différentes impressions dont elles affectent nos organes. Je ne conçois donc pas dans quel sens de très-grands métaphysiciens ont cru & voulu faire croire que l'étendue étoit une qualité premiere qui résidoit dans les corps telle précisément, & sous la même forme qu'elle réside dans nos perceptions ; & qu'elle étoit distinguée en cela des qualités secondaires, qui, selon eux, ne ressemblent en aucune maniere aux perceptions qu'elles excitent. Si ces métaphysiciens n'entendoient parler que de l'étendue sensible, pourquoi refusoient-ils le titre de qualités premieres à toutes les autres qualités sensibles ? & s'ils ne parloient que de l'étendue abstraite, comment vouloient-ils transporter nos idées dans la matiere, eux qui avoient une si grande répugnance à y reconnoître quelque chose de semblable à nos sensations ? La cause d'une telle contradiction ne peut venir que de ce que le phénomene de l'étendue ayant un rapport immédiat au toucher, celui de tous nos sens qui semble nous faire le mieux connoitre la réalité des choses, & un rapport indirect à la vue, celui de tous nos sens qui est le plus occupé, le plus sensible, qui conserve le plus long-tems les impressions des objets, & qui fournit le plus à l'imagination, nous ne pouvons guere nous représenter la matiere sans cette qualité toûjours présente à nos sens extérieurs & à notre sens intérieur ; & de-là on l'a regardée comme une qualité premiere & principale, comme un attribut essentiel, ou plûtôt comme l'essence même des corps, & l'on a fait dépendre l'unité de la nature de l'extension & de la continuité des parties de la matiere, au lieu d'en reconnoître le principe dans l'action que toutes ces parties exercent perpétuellement les unes sur les autres, qu'elles exercent même jusque sur nos organes, & qui constitue la véritable essence de la matiere relativement à nous.

Au reste, comme il faut être de bonne foi en toutes choses, j'avoue que les questions du genre de celles que je viens de traiter, ne sont pas à beaucoup près aussi utiles qu'elles sont épineuses ; que les erreurs en pareille matiere intéressent médiocrement la société ; & que l'avancement des sciences actives qui observent & découvrent les propriétés des êtres qui combinent & multiplient leurs usages, nous importe beaucoup plus que l'avancement des sciences contemplatives, qui se bornent aux pures idées. Il est bon, il est même nécessaire de comparer les êtres, & de généraliser leurs rapports ; mais il n'est pas moins nécessaire, pour employer avantageusement ces rapports généralisés, de ne jamais perdre de vûe les objets réels auxquels ils se rapportent, & de bien marquer le terme où l'abstraction doit enfin s'arrêter. Je crois qu'on est fort près de ce terme toutes les fois qu'on est parvenu à des vérités identiques, vagues, éloignées des choses, qui conserveroient leur inutile certitude dans tout autre univers gouverné par des lois toutes différentes, & qui ne nous sont d'aucun secours pour augmenter notre puissance & notre bien-être dans ce monde où nous vivons. Cet article est de M. GUENEAU, éditeur de la collection académique ; ouvrage sur l'importance & l'utilité duquel il ne reste rien à ajouter, après le discours plein de vûes saines & d'idées profondes que l'éditeur a mis à la tête des trois premiers volumes qui viennent de paroître.

Sur l'étendue géométrique, & sur la maniere dont les Géomêtres la considerent, voyez l'art. GEOMETRIE, auquel cette discussion appartient immédiatement.

ETENDUE, (Voix) La nature a donné à la voix humaine une étendue fixe de tons ; mais elle en a varié le son à l'infini, comme les physionomies.

De la même maniere qu'elle s'est assujettie à certaines proportions constantes dans la formation de nos traits, elle s'est aussi attachée à nous donner un certain nombre de tons qui nous servissent à exprimer nos différentes sensations ; car le chant est le premier langage de l'homme. Voyez CHANT.

Mais ce chant formé de sons qui tiennent de la nature l'expression du sentiment qui leur est propre, a plus ou moins de force, plus ou moins de douceur, &c. le volume de la voix qui le forme, est ou large ou étroit, lourd ou léger : l'impression qu'il fait sur notre oreille, a des degrés d'agrément ; il étonne ou flate, il touche ou il égaye. Voyez SON. Or dans toutes ces différences il y a dans la voix bien organisée qui les produit, un nombre fixe de tons qui forment son étendue, comme dans tous les visages il y a un nombre constant de traits qui forme leur ensemble. Lorsque le chant est devenu un art, l'expérience a décomposé les voix différentes de l'homme, pour en établir la qualité & en apprécier la valeur. Nos Musiciens en France n'ont consulté que la nature, & voici la division qui leur sert de regle.

Dans les voix des femmes, le premier & le second dessus : ce dernier est aussi appellé bas-dessus. On donne le même nom & on divise de la même maniere les voix des enfans avant la mue. Voyez MUE.

Les voix d'hommes sont tailles ou haute-contres, ou basse-tailles ou basse-contres. Nous regardons comme inutiles les concordans & les faussets.

Nous n'admettons donc en France dans la composition de notre musique vocale, que six sortes de voix, deux dans les femmes, & quatre dans les hommes. La connoissance de leur étendue est nécessaire aux compositeurs : on va l'expliquer par ordre.

Premier dessus chantant : clé de sol sur la seconde ligne, parcourt depuis l'ut au-dessous de la clé, jusqu'au la octave au-dessus de celui de la clé ; ce qui fait diatoniquement dix tons & demi.

Second dessus, ou bas-dessus chantant : clé d'ut sur la premiere ligne, donne le sol en-bas au-dessous de la clé, & monte jusqu'au fa octave de celui de la clé ; ce qui fait diatoniquement onze tons.

Cette espece de voix est très-rare ; on en donne mal-à-propos le nom à des organes plus volumineux & moins étendus que les premiers dessus ordinaires, parce qu'on ne sait quel nom leur donner.

Je dois au surplus avertir que je parle ici, 1°. des voix en général : il y en a de plus étendues ; mais c'est le très-petit nombre, & les observations dans les arts ne doivent s'arrêter que sur les points généraux : les regles ont des vûes universelles, les cas particuliers ne forment que des exceptions sans conséquence. 2°. Qu'en fixant diatoniquement l'étendue ordinaire des voix, on les suppose au ton de l'opéra, par exemple. Il n'y en a point qui, en prenant le ton qui lui est le plus favorable, ne parcoure sans peine à-peu-près deux octaves. Mais elles se trouvent resserrées ou dans le haut ou dans le bas, lorsqu'elles sont obligées de s'assujettir au ton général établi ; & c'est de ce ton général qu'il est nécessaire de partir pour se former des idées exactes des objets qu'on veut faire connoitre.

La haute-contre : clé d'ut sur la troisieme ligne. Son étendue doit être depuis l'ut au-dessous de la clé, jusqu'à l'ut au-dessus ; ce qui fait deux octaves pleines, ou douze tons. Voyez HAUTE-CONTRE.

Taille : clé d'ut sur la quatrieme ligne. Elle doit donner l'ut au-dessous de la clé, & le la au-dessus ; ce qui fait diatoniquement dix tons & demi.

Cette espece de voix est la plus ordinaire à l'homme ; on s'en sert peu cependant pour nos théatres & pour notre musique latine. On croit en avoir apperçu la cause, 1° dans son étendue, moindre que celle de la haute-contre & de la basse-taille : 2° dans l'espece de ressemblance qu'elle a avec elles. La taille ne forme point le contraste que les sons de la basse-taille & de la haute-contre ont naturellement entr'eux ; ce qui donne au chant une variété nécessaire.

Basse-taille : clé de fa sur la quatrieme ligne, donne le sol au-dessous de la clé, & le fa au-dessus : diatoniquement onze tons & demi. Voyez BASSE-TAILLE.

Basse-contre : même clé & même portée en-bas que la basse-taille, mais ne donne que le mi en-haut. Le volume plus large, s'il est permis de se servir de cette expression, en fait une seconde différence. On fait usage de ces voix dans les choeurs ; elles remplissent & soûtiennent l'harmonie : on en a trop peu à l'opéra, l'effet y gagneroit. Voyez INSTRUMENT.

On a déjà dit que le concordant & le fausset étoient regardés comme des voix bâtardes & inutiles. Le premier est une sorte de taille qui chante sur la même clé, & qui ne va que depuis l'ut au-dessous de la clé, jusqu'au fa au-dessus : huit tons & demi diatoniquement.

On voit par le seul exposé, combien on a abusé de nos jours de l'ignorance de la multitude à l'égard d'une voix très-précieuse que nous avons perdue. On veut parler ici de celle du sieur Lepage, qu'on disoit tout-haut n'être qu'un concordant, & qui étoit en effet la plus légere, la mieux timbrée & la moins lourde basse-taille que la nature eût encore offerte en France à l'art de nos Musiciens. Ce chanteur parcouroit d'une voix égale & aisée, plus de tons que n'en avoient encore parcouru nos voix de ce genre les plus vantées. Il avoit de plus une grande facilité pour les traits de chant, qui seuls peuvent l'embellir & le rendre agréable. On lui refusoit l'expression, l'action théatrale, les graces de la déclamation : peut-être en effet n'étoit-il que médiocre dans ces parties ; mais quelle voix ! & il faut premierement chanter, & avoir de quoi chanter à l'opéra.

Le fausset est une voix de dessus factice ; elle parcourt avec un son aigre les mêmes intervalles que les voix de dessus. Il y a des chanteurs qui se le donnent, en conservant la voix qu'ils avoient avant la mue. Voyez MUE. D'autres l'ajoûtent à leur voix naturelle, & c'est une misérable imitation de ce que l'art a la cruauté de pratiquer en Italie.

C'est-là qu'un ancien usage a prévalu sur l'humanité ; une opération barbare y produit des voix de dessus, qu'on croit fort supérieures aux voix que la nature a voulu faire ; & de ce premier écart on a passé bientôt à un abus dont les inconvéniens surpassent de beaucoup les avantages qu'on en retire.

On a vû plus haut quelle est l'étendue déterminée par la nature des voix de dessus. Les musiciens d'Italie ont trouvé cette étendue trop resserrée ; ils ont travaillé dès l'enfance les voix des castrati, & à force d'art ils ont crû en écarter les bornes, parce qu'ils ont enté deux voix factices & tout-à-fait étrangeres, sur la voix donnée. Mais ces trois voix de qualités inégales, laissent toûjours sentir une dissemblance qui montre l'art à découvert, & qui par conséquent dépare toûjours la nature.

L'étendue factice des voix procurée par l'art, ne pouvoit pas manquer d'exciter l'ambition des femmes, qui se destinant au chant, n'avoient cependant qu'une voix naturelle. Dès qu'un dessus artificiel fournissoit (n'importe comment) plusieurs tons dans le haut & dans le bas, qui excédoient l'étendue d'un dessus naturel, il s'ensuivoit que celui-ci paroissoit lui être inférieur, & devenoit en effet moins utile. Les compositeurs resserrés dans les bornes de dix tons & demi, prescrites par la nature, se trouvoient bien plus à leur aise avec des voix factices, qui leur donnoient la liberté de se joüer d'une plus grande quantité d'intervalles, & qui rendoient par conséquent leurs compositions beaucoup plus extraordinaires & infiniment moins difficiles. Les voix de femme, si bien faites pour porter l'émotion jusqu'au fond de nos coeurs, n'étoient plus dans leur état naturel qu'un obstacle aux écarts des musiciens ; & ils les auroient abandonnées à perpétuité pour se servir des castrati (qu'on a d'ailleurs employés de tous les tems en femmes sur les théatres d'Italie), si elles n'avoient eu l'adresse & le courage de gâter leurs voix pour s'accommoder aux circonstances.

Ainsi à force d'art, de travail & de constance, elles ont calqué sur leurs voix plusieurs tons hauts & bas au-dessus & au-dessous du diapason naturel. L'art est tel dans les grands talens, qu'il enchante les Italiens habitués à ces sortes d'écarts, & qu'il surprend & flate même les bonnes oreilles françoises. Avec cet artifice les femmes se sont soûtenues au théatre, dont elles auroient été bannies, & elles y disputent de talent & de succès avec ces especes bisarres que l'inhumanité leur a donné pour rivales. Voyez CHANTEUR, CHANTRE.

A la suite de ces détails, qu'il soit permis de faire deux réflexions. La premiere est suggérée par les principes de l'art. Il n'est & ne doit être qu'une agréable imitation de la nature ; ainsi le chant réduit en regles, soûmis à des lois, ne peut être qu'un embellissement du son de la voix humaine ; & ce son de la voix n'est & ne doit être que l'expression du sentiment, de la passion, du mouvement de l'ame, que l'art a intention d'imiter : or il n'est point de situation de l'ame que l'organe, tel que la nature l'a donné, ne puisse rendre.

Puisque le son de la voix (ainsi qu'on l'a dit plus haut, & qu'on le prouve à l'article CHANT) est le premier langage de l'homme, les différens tons qui composent l'étendue naturelle de sa voix, sont donc relatifs aux différentes expressions qu'il peut avoir à rendre, & suffisans pour les rendre toutes. Les tons divers que l'art ajoûte à ces premiers tons donnés, sont donc, 1° superflus ; 2° il faut encore qu'ils soient tout-à-fait sans expression, puisqu'ils sont inconnus, étrangers, inutiles à la nature. Ils ne sont donc qu'un abus de l'art, & tels que le seroient dans la Peinture, des couleurs factices, que les diverses modifications de la lumiere naturelle ne sauroient jamais produire.

La seconde réflexion est un cri de douleur & de pitié sur les égaremens & les préjugés qui subjuguent quelquefois des nations entieres, & qui détruisent leur sensibilité au point de leur laisser voir de sang-froid les usages les plus barbares. L'humanité, la raison, la religion, sont également outragées par les voix factices, qu'on fait payer si cher aux malheureux à qui on les donne. C'est sur les noirs autels de l'avarice que des peres cruels immolent eux-mêmes leurs fils, leur postérité, & peut-être des citoyens qu'on auroit vû quelque jour la gloire & l'appui de leur patrie.

Qu'on ne croye pas, au reste, qu'une aussi odieuse cruauté produise infailliblement le fruit qu'on en espere ; de deux mille victimes sacrifiées au luxe & aux bisarreries de l'art, à peine trouve-t-on trois sujets qui réunissent le talent & l'organe : tous les autres, créatures oisives & languissantes, ne sont plus que le rebut des deux sexes ; des membres paralytiques de la société ; un fardeau inutile & flétrissant de la terre qui les a produits, qui les nourrit, & qui les porte. Voyez EGALITE, SON, VOIX, MAITRE A CHANTER. (B)


ETENTESETATES, PALIS, CIBAUDIERE, termes synonymes de Pêche ; sorte de rets ou filets. Les rets de hauts-parcs, dans le ressort de l'amirauté du bourg d'Ault, qui sont les étentes, étates ou palis pour la pêche du poisson passager, sont conformes au calibre prescrit par l'ordonnance de 1681. Les pieces qui ont vingt, trente, quarante, cinquante brasses, ont une brasse ou une brasse & demie de chûte ; ces filets sont pour lors montés sur une haute perche, bout-à-terre, bout-à-la-mer. On les tend encore en demi-cercle.

Les pêcheurs qui sont voisins de l'embouchure de la riviere de Brest, où les truites & les saumons entrent volontiers, en font aussi la pêche avec ces filets : ils sont pour lors tendus de la même maniere que les rets traversiers de la côte de basse-Normandie. Les pêcheurs plantent leurs petites perches ou piochons en droite ligne, bout-à-terre, bout-à-la-mer, ainsi que dans les hauts-parcs ; mais ils forment à l'extrémité un rond où ces poissons s'arrêtent. Cette sorte de pêcherie peut alors être regardée comme une espece de parc de perches & de filets, n'y ayant aucunes claies ni pierres par le pié pour le garnir.


ETERNALSS. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques des premiers siecles. Ils croyoient qu'après la résurrection le monde dureroit éternellement tel qu'il est, & que ce grand évenement n'apporteroit aucun changement dans les choses naturelles.


ETERNELLES. f. (Hist. nat. Botan.) elichrysum. Cette plante est ainsi nommée, parce que sa fleur, quoique coupée de dessus le pié, se conserve sans changer de couleur. C'est un petit bouton jaune-pâle ou rougeâtre, dont la tige & les feuilles sont d'un verd-blanchâtre ; elle vient de graine ou de bouture, & ne demande qu'une culture ordinaire. (K)


ETERNITÉ(Métaphys.) durée infinie & incommensurable.

On envisage l'éternité ou la durée infinie, comme une ligne qui n'a ni commencement ni fin. Dans les spéculations sur l'espace infini, nous regardons le lieu où nous existons, comme un centre à l'égard de toute l'étendue qui nous environne ; dans les spéculations sur l'éternité, nous regardons le tems qui nous est présent, comme le milieu qui divise toute la ligne en deux parties égales : de-là vient que divers auteurs spirituels comparent le tems présent à un isthme qui s'éleve au milieu d'un vaste océan qui n'a point de bornes, & qui l'enveloppe de deux côtés.

La philosophie scholastique partage l'éternité en deux, celle qui est passée, & celle qui est à venir ; mais tous les termes scientifiques de l'école n'apprennent rien sur cette matiere. La nature de l'éternité est inconcevable à l'esprit humain : la raison nous démontre que l'éternité passée a été, mais elle ne sauroit s'en former aucune idée qui ne soit remplie de contradictions. Il nous est impossible d'avoir aucune autre notion d'une durée qui a passé, si ce n'est qu'elle a été toute présente une fois ; mais tout ce qui a été une fois présent, est à une certaine distance de nous ; & tout ce qui est à une certaine distance de nous, quelqu'éloigné qu'il soit, ne peut jamais être l'éternité.

La notion même d'une durée qui a passé, emporte qu'elle a été présente une fois, puisque l'idée de celle-ci renferme actuellement l'idée de l'autre. C'est donc là un mystere impénétrable à l'esprit humain. Nous sommes assûrés qu'il y a eu une éternité ; mais nous nous contredisons nous-mêmes, dès que nous voulons nous en former quelque idée.

Nos difficultés sur ce point, viennent de ce que nous ne saurions avoir d'autres idées d'aucune sorte de durée, que celle par laquelle nous existons nous-mêmes avec tous les êtres créés ; je veux dire une durée successive, formée du passé, du présent, & de l'avenir. Nous sommes persuadés qu'il doit y avoir quelque chose qui existe de toute éternité, & cependant il nous est impossible de concevoir, suivant l'idée que nous avons de l'existence, qu'aucune chose qui existe puisse être de toute éternité. Mais puisque les lumieres de la raison nous dictent & nous découvrent qu'il y a quelque chose qui existe nécessairement de toute éternité, cela doit nous suffire, quoique nous ne le concevions pas.

Or, 1°. il est certain qu'aucun être n'a pû se former lui-même, puisqu'il faudroit alors qu'il eût agi avant qu'il existât, ce qui implique contradiction.

2°. Il s'ensuit de-là qu'il doit y avoir eu quelque être de toute éternité.

3°. Tout ce qui existe à la maniere des êtres finis, ou suivant les notions que nous avons de l'existence, ne sauroit avoir été de toute éternité.

4°. Il faut donc que cet être éternel soit le grand auteur de la nature, l'ancien des jours, qui se trouvant à une distance infinie de tous les êtres créés, à l'égard de ses perfections, existe d'une toute autre maniere qu'eux, & dont ils ne sauroient avoir aucune idée. Article de M(D.J.)

On demande si l'éternité est successive, c'est-à-dire si elle est composée de parties qui coulent les unes après les autres ; ou bien si c'est une durée simple qui exclut essentiellement le passé & l'avenir. Les Scotistes soûtiennent le premier sentiment, les Thomistes se sont déclarés pour le second. Chacun de ces deux partis est plus fort en objections qu'en solutions. Tous les chrétiens, disent les Scotistes, demeurent d'accord qu'il n'y a que Dieu qui ait toûjours existé ; que les créatures n'ont pas toûjours co-existé avec lui, que par conséquent il existoit avant qu'elles existassent. Il y avoit donc un avant lorsque Dieu existoit seul ; il n'est donc pas vrai que la durée de Dieu soit un point indivisible : le tems a donc précédé l'existence des créatures. Par ces conséquences ils croyent faire tomber en contradiction leurs adversaires : car si la durée de Dieu est indivisible, sans passé ni avenir, il faut que le tems & les créatures ayent commencé ensemble ; & si cela est, comment peut-on dire que Dieu existoit avant l'éxistence des créatures ?

On ne prend pas garde, continuent les Scotistes, qu'en faisant l'éternité un instant indivisible, on affoiblit l'hypothese du commencement des créatures. Comment prouvez-vous que le monde n'a pas toûjours existé ? n'est-ce pas par la raison qu'il y avoit une nature infinie qui existoit pendant qu'il n'existoit pas ? Mais la durée de cette nature peut-elle mettre des bornes à celle du monde ? peut-elle empêcher que la durée du monde ne s'étende au-delà de tous les commencemens particuliers que vous lui voudriez marquer ? Il s'en faut un point de durée indivisible, me direz-vous, que les créatures ne soient sans commencement ; car selon vous, elles n'ont été précédées que de la durée de Dieu, qui est un instant indivisible. Elles n'ont donc pas commencé, vous répondra-t-on ; car s'il ne s'en falloit qu'un point (je parle d'un point mathématique) qu'un bâton n'eût quatre piés, il auroit certainement toute l'étendue de quatre piés. Voilà une instance que l'on peut fonder sur la définition de Boëce, qui dit que l'éternité est interminabilis vitae tota simul & perfecta possessio ; car si l'on ne peut concevoir que tous les membres d'un homme demeurent distincts l'un de l'autre sous l'étendue d'un point mathématique, comment concevra-t-on qu'une durée qui n'a ni commencement ni fin, & qui co-existe avec la durée successive de toutes les créatures, s'est renfermée dans un instant indivisible.

Cette hypothese fournit une autre difficulté en faveur de ceux qui soûtiennent que les créatures n'ont point eu de commencement. Si le décret de la création n'enferme pas un moment particulier, il n'a jamais existé sans la créature ; car on doit concevoir ce decret sous cette phrase : je veux que le monde soit. Il est visible qu'en vertu d'un tel decret le monde a dû exister en même tems que cet acte de la volonté de Dieu. Or puisque cet acte n'a point de commencement, le monde n'en a point aussi. Disons donc que le decret fut conçu en cette maniere : je veux que le monde existe en un tel moment. Mais comment pourrons-nous dire cela, si la durée de Dieu est un point indivisible ? Peut-on choisir ce moment-là ou celui-ci plûtôt que tout autre, dans une telle durée ? Il semble donc que si la durée n'est point successive, le monde n'ait pû avoir de commencement.

Ce sont-là les principales raisons dont les Scotistes fortifient leur opinion. Voici celles sur lesquelles les Thomistes appuient la leur. 1°. Dans toute succession de durée, disent-ils, on peut compter par mois, années, siecles, &c. Si l'éternité est successive, elle renferme donc une infinité de siecles : or une succession infinie de siecles ne peut jamais être épuisée ni écoulée, c'est-à-dire qu'on n'en peut jamais voir la fin, parce qu'étant épuisée elle ne sera plus infinie. D'où l'on conclut que s'il y avoit une éternité successive, ou une succession infinie de siecles jusqu'à ce jour, il seroit impossible qu'on fût parvenu jusqu'aujourd'hui, puisque cela n'a pû se faire sans franchir une distance infinie ; & qu'une distance infinie ne peut être franchie, parce qu'elle seroit infinie & ne le seroit pas.

2°. L'éternité est une perfection essentielle à Dieu, or une perfection essentielle à Dieu peut-elle être successive ? Dieu ne doit-il pas toûjours la posséder toute entiere ? D'ailleurs, si une perfection essentielle à Dieu pouvoit être successive, ou ce seroit chaque partie en particulier qui seroit cette perfection, ou ce seroit la liaison de toutes ces parties successives : or on ne peut soûtenir ni l'une ni l'autre de ces deux opinions. Dira-t-on que chaque partie en particulier est cette perfection essentielle ? non sans-doute, parce que chaque partie en particulier étant tantôt présente, tantôt passée, tantôt future, il faudroit dire qu'une perfection essentielle peut éprouver les mêmes changemens. Dira-t-on que cette perfection essentielle consiste dans la liaison de toutes ces parties successives ? il faut donc accorder en même tems que Dieu, pendant toute l'éternité, est destitué d'une perfection qui lui est essentielle, parce qu'il ne possede jamais en même tems la liaison de toutes ces parties. Voyez TEMS. Article de M. FORMEY.

Nous rapportons ces objections des Thomistes & des Scotistes, 1° parce qu'elles appartiennent à l'histoire de la Philosophie, qui est l'objet de notre ouvrage : 2° parce qu'elles servent à montrer dans quel labyrinthe on se jette, quand on veut raisonner sur ce qu'on ne conçoit pas.

* ETERNITE, s. f. (Mytholog.) divinité des Romains, qui n'a jamais eu de temples ni d'autels. On la représentoit sous la figure d'une femme qui tient le soleil d'une main & la lune de l'autre. Elle avoit encore pour symbole le phénix, le globe, & l'éléphant.


ETERNÛMENTS. m. (Medecine) C'est une des fonctions secondaires des organes de la respiration, qui consiste dans une forte expiration excitée par un mouvement convulsif, qui determine l'air expiré à passer principalement par les narines, pour en emporter la cause de l'irritation, qui a mis en jeu les puissances qui servent à la respiration. Le méchanisme de l'éternûment peut être plus particulierement exposé, de la maniere qui suit.

Immédiatement avant que d'éternuer, on sent une sorte de chatouillement leger sous l'os cribleux, qui distribue les nerfs olfactifs aux narines : il s'excite ensuite une espece de mouvement convulsif des muscles qui servent à l'inspiration, qui dilatent le thorax beaucoup plus qu'à l'ordinaire ; ensorte que l'air entre dans les poumons en plus grande quantité : il y est retenu le plus long-tems qu'il se puisse, par l'action continuée des muscles inspirateurs. L'on paroît dans cet état hésiter & suspendre l'expiration qui doit nécessairement suivre ; l'air retenu dans les poumons par la glotte, qui est fermée dans ce tems-là, se raréfie beaucoup plus que de coûtume, à proportion de ce qu'il séjourne davantage dans la poitrine : il dilate par conséquent très-fortement les parties qui le renferment, il les applique contre les parois du thorax ; on sent une sorte de prurit au creux de l'estomac, vers le diaphragme. Cependant les cartilages des cotes, qui sont pliés & retenus dans une situation plus forcée qu'à l'ordinaire, tendent avec un effort proportionné à leur ressort trop bandé, à se remettre dans leur état naturel. En même tems, & par une sorte de convulsion, les muscles expirateurs se contractent très-fortement, & prévalent, par leur action promte & subite, sur les organes expirateurs, & chassent l'air des poumons avec une grande impétuosité, qui force la glotte à s'ouvrir ; frappe ses bords & toutes les parties par où il passe : d'où se forme un bruit éclatant, souvent accompagné d'une espece de cri. Les muscles qui servent à relever la racine de la langue, entrent aussi en contraction ; ce qui ferme presque le passage par la bouche, & détermine l'air à se porter presque tout vers la cavité des narines, où il se heurte fortement contre les membranes qui les tapissent, & entraîne avec lui toutes les matieres mobiles qui sont attachées à leur surface. Tous ces effets sont causés par une irritation violente des nerfs qui se distribuent à ces membranes (voyez NEZ, NARINES, MEMBRANE PITUITAIRE) ; laquelle irritation se transmettant à la commune origine des nerfs, excite une convulsion générale dans tous ceux qui se distribuent aux muscles de la poitrine, du dos & de la tête, de même qu'il arrive un spasme universel en conséquence de la piquûre, de la blessure de tout autre nerf ou tendon, dans quelque partie du corps que ce soit.

Il n'est par conséquent pas nécessaire, pour expliquer le méchanisme de l'éternûment, d'avoir recours à la communication particuliere des nerfs, qui n'est pas bien prouvée, entre ceux de la membrane pituitaire & ceux de la poitrine ; car ce ne sont pas les seuls organes de la respiration qui sont mis en jeu dans l'éternûment, mais encore les muscles du cou & de la tête. Les postérieurs la tirent en-arriere, & la retiennent dans cette situation pendant la grande inspiration qui précede l'éternûment proprement dit ; & ensuite les antérieurs agissant à leur tour avec une grande promtitude, ramenent la tête, & la fléchissent en-avant.

Tels sont les mouvemens combinés qui constituent l'éternûment. Comme la toux sert à nettoyer les voies de l'air dans les poumons (voyez TOUX), de même l'éternûment est produit pour nettoyer les narines.

L'irritation de la membrane pituitaire, causée par les humeurs dont elle est enduite, devenues acres, ou par toute autre matiere de même nature (voyez STERNUTATOIRE, portée & appliquée sur les nerfs qui s'y distribuent, forcent la nature à employer tous les moyens possibles pour faire cesser cette irritation ; ce qu'elle fait par le moyen de l'air qu'elle pousse avec impétuosité contre ces matieres irritantes, & qu'elle fait servir comme de balai pour les enlever & les chasser hors des narines. C'est pourquoi on éternue ordinairement le matin après le reveil, & sur-tout en s'exposant au grand jour, à cause de la mucosité qui s'est ramassée pendant la nuit, & qui est devenue acre, irritante. L'éternûment qu'elle excite, sert à l'enlever & à découvrir les nerfs olfactifs, pour qu'ils soient plus sensibles à l'action des corps odoriférans.

L'éternûment produit encore plusieurs autres bons effets, entant que les secousses qui en résultent, se communiquent à toutes les parties du corps, & particulierement au cerveau. Hippocrate faisoit exciter l'éternûment pour faire sortir l'arriere-faix. Aphor. xlvj. sect. 11. L'éternûment qui se fait deux ou trois fois après le sommeil, rend le corps agile, dispos, & ranime les fonctions de l'ame ; mais s'il est répeté un plus grand nombre de fois de suite, il affoiblit considérablement, à cause de la convulsion des nerfs ; & il fait naître une douleur dans le centre nerveux du diaphragme, par le trop grand tiraillement qu'il y excite. Il peut produire bien d'autres mauvais effets, dont il est fait mention en parlant des remedes & autres choses propres à faire éternuer Voyez STERNUTATOIRE & ERRHINS.

L'éternûment est aussi produit, mais rarement, par d'autres causes que cette irritation des narines. Hoadly, of the respiration, p. 96. fait mention d'un éternûment habituel, causé par un vice de l'abdomen, & peut-être aussi du diaphragme, puisque la respiration ne se faisoit que par le moyen des côtes. Hildanus, cent. I. obs. xxjv. fait mention d'un homme qui éternuoit à volonté, & qui faisoit cent éternûmens de suite ; exemple bien singulier, & peut-être unique. On a vû des femmes hystériques faire des éternûmens énormes, & pendant plusieurs jours par intervalles. Le pere Strada a fait un traité de l'éternûment, dans lequel il donne la raison de l'usage établi de saluer ceux qui éternuent. C'est, selon lui, une coûtume des Payens, qui étoit cependant reçûe chez les Juifs comme chez les Romains. Voyez l'ouvrage cité & l'article suivant.

L'éternûment excessif est une affection convulsive trop long-tems continuée, ou trop violente. L'indication qui se présente, est d'emporter la cause de l'irritation qui produit la convulsion ; il faut conséquemment employer des remedes adoucissans & mucilagineux, qui émoussent l'acreté des matieres attachées à la membrane pituitaire, & qui relâchent les nerfs trop tendus & trop sensibles. On conseille pour cet effet le lait chaud, l'huile d'amandes douces, attirés par le nez. On prétend aussi que l'on peut arrêter l'éternûment, en comprimant fortement avec le doigt le grand angle de l'oeil ; sans-doute parce qu'on engourdit par-là une branche du nerf de la cinquieme paire, qui entre dans l'orbite avant que de se répandre dans le tissu de la membrane pituitaire. Lorsque l'éternûment dépend d'une fluxion considérable d'humeurs acres sur les narines, on doit travailler à les détourner du siége qu'elles occupent, & où elles produisent un symptome si fatiguant, par le moyen des purgatifs hydragogues ; & dans le cas où l'éternûment dépend de quelqu'autre maladie, il faut s'appliquer à en emporter la cause par les remedes qui lui sont appropriés pour que l'effet cesse. Cet article est tiré en partie du commentaire & des notes sur les institutions de Boerhaave, par M. Haller. (d)

ETERNUMENT, (Littér.) L'ancienneté & l'étendue de la coûtume de faire des souhaits en faveur de ceux qui éternuent, a engagé les Littérateurs à rechercher curieusement, d'après l'exemple d'Aristote, si cet usage tiroit son origine de la religion, de la superstition, des raisons de morale ou de physique. Voyez là-dessus, pour couper court, les écrits de Strada, de Schootérius, & le mémoire de M. Morin ; qui est dans l'histoire de l'academie des Inscriptions.

Mais toutes les recherches qu'on a faites à ce sujet, ne laissent à desirer que la vérité ou la vraisemblance. Il faudroit être aujourd'hui bien habile pour deviner si dans les commencemens l'on a regardé les éternûmens comme dangereux, ou comme amis de la nature ; chaque peuple a pû s'en former des idées différentes, puisque les anciens medecins même ont été partagés : cependant aucun d'eux n'a adopté le système de Clément d'Alexandrie, qui ne considéroit les sternutations que comme une marque d'intempérance & de mollesse : c'est un système à lui tout seul.

Laissant donc à part la cause inconnue qui a pû porter les divers peuples à saluer un mouvement convulsif de la respiration, qui n'a rien de plus singulier que la toux ou le hoquet, il suffira de remarquer que les Grecs & les Romains, qui ont donné comme les autres dans cet usage, avoient la même formule de compliment à cette occasion ; car le des uns, vivez, & le salve des autres, portez-vous bien, sont absolument synonymes.

Les Romains faisoient de ce compliment, du tems de Pline le naturaliste, un des devoirs de la vie civile ; c'est lui qui nous l'apprend. Chacun, dit-il, salue quand quelqu'un éternue, sternutamentis salutamur ; & il ajoûte, comme une chose singuliere, que l'empereur Tibere exigeoit cette marque d'attention & de respect de tous ceux de sa suite, même en voyage & dans sa litiere : ce qui semble supposer que la vie libre de la campagne ou les embarras du voyage, les dispensoient ordinairement de certaines formalités attachées à la vie citadine.

Dans Pétrone, Giton qui s'étoit caché sous un lit, s'étant découvert par un éternûment, Eumolpus lui adresse aussi-tôt son compliment, salvere Gitona jubet. Et dans Apulée semblable contre-tems étant arrivé plusieurs fois au galant d'une femme, qui avoit été obligé de se retirer dans la garde-robe, le mari, dans sa simplicité, supposant que c'étoit sa femme, solito sermone salutem ei precatus est, fit des voeux pour sa santé, suivant l'usage.

La superstition qui se glisse par-tout, ne manqua pas de s'introduire dans ce phénomene naturel, & d'y trouver de grands mysteres. C'étoit chez les Egyptiens, chez les Grecs, chez les Romains, une espece de divinité familiere, un oracle ambulant, qui dans leur prévention les avertissoit en plusieurs rencontres du parti qu'ils devoient prendre, du bien ou du mal qui devoit leur arriver. Les auteurs sont remplis de faits qui justifient clairement la vaine crédulité des peuples à cet égard.

Mais l'éternûment passoit pour être particulierement décisif dans le commerce des amans. Nous lisons dans Aristénete (epist. v. lib. II.) que Parthénis, jeune folle entêtée de l'objet de sa passion, se détermine enfin à expliquer ses sentimens par écrit à son cher Sarpédon : elle éternue dans l'endroit de sa lettre le plus vif & le plus tendre ; c'en est assez pour elle, cet incident lui tient lieu de réponse, & lui fait juger qu'au même instant son cher amant répondoit à ses voeux : comme si cette opération de la nature, en concours avec l'idée des desirs, étoit une marque certaine de l'union que la sympathie établie entre les coeurs. Par la même raison les poëtes grecs & latins disoient des jolies personnes, que les amours avoient éternué à leur naissance.

Après cela l'on comprend bien qu'on avoit des observations qui distinguoient les bons éternûmens d'avec les mauvais. Quand la lune étoit dans les signes du taureau, du lion, de la balance, du capricorne, ou des poissons, l'éternument passoit pour être un bon augure ; dans les autres constellations, pour un mauvais présage. Le matin, depuis minuit jusqu'à midi, fâcheux pronostic ; favorable au contraire depuis midi jusqu'à minuit : pernicieux en sortant du lit ou de la table : il falloit s'y remettre, & tâcher ou de dormir, ou de boire, ou de manger quelque chose, pour rompre les lois du mauvais quart-d'heure.

On tiroit aussi de semblables inductions des éternûmens simples ou redoublés, de ceux qui se faisoient à droite ou à gauche, au commencement ou au milieu de l'ouvrage, & de plusieurs autres circonstances qui exerçoient la crédulité populaire, & dont les gens sensés se moquoient, comme on le peut voir dans Cicéron, dans Séneque, & dans les pieces des auteurs comiques.

Enfin tous les présages tirés des éternûmens ont fini, même parmi le peuple ; mais on a conservé religieusement jusqu'à ce jour dans les cours des princes, ainsi que dans les maisons des particuliers, quelque marque d'attention & de respect pour les supérieurs qui viennent à éternuer. C'est un de ces devoirs de civilité de l'éducation, qu'on remplit machinalement sans y penser, par habitude, par un salut qui ne coûte rien, & qui ne signifie rien, comme tant d'autres puérilités dont les hommes sont & dont ils seront toûjours esclaves. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ETERSILLONETRESILLON ou ARC-BOUTANT, s. m. (Art milit.) Ce sont, dans l'Artillerie, les pieces de bois que l'on met entre des ais ou dosses, à-peu-près parallelement au niveau du terrein, pour empêcher l'éboulement des terres dans les galeries de mines. Voyez MINE. (Q)


ETÉSIENS(VENTS) Hydrogr. & Hist. anc.) Les anciens donnoient le nom d'étésiens, du terme grec , qui signifie anniversaire, à des vents dont le souffle se faisoit sentir régulierement chaque année, & rafraîchissoit l'air pendant six ou sept semaines, depuis le solstice d'été jusque dans la canicule. Le regne des vents étésiens étoit annoncé par ceux que l'on nommoit prodromes ou précurseurs, durant quelques jours.

Ces vents mettant de la température dans l'air pendant la saison des chaleurs, la plus commune opinion veut qu'ils soufflent de la bande du nord ; & c'est ainsi que le vent de nord étant le traversier des bouches du Nil, dont le cours en général est du midi au septentrion, les anciens attribuoient aux vents étésiens, pendant Juin & Juillet, le refoulement des eaux du fleuve, qui pouvoit contribuer à son débordement régulier dans la même saison. Le rhumb de ce vent n'est pas néanmoins tellement fixé à cette région du monde, qu'il ne participe de plusieurs autres ; & le nom d'étésiens est appliqué à des vents venans du couchant comme du septentrion. C'est par cette raison que dans plusieurs auteurs anciens, les étésiens sont déclarés favorables sur la Méditerranée, à ceux qui font route d'occident en orient ; & accusés d'être contraires pour la route opposée. C'est ainsi qu'on peut entendre les vents étésiens dans quelques endroits de Cicéron & de Tacite. Aristote ou l'auteur grec, quel qu'il soit, du traité intitulé le Monde, dit formellement que les étésiens tiennent également du vent comme de l' ; & Diodore de Sicile, liv. I. ch. xxxjx. étend la bande des vents étésiens jusqu'au couchant d'été. On trouve même dans Pline & dans Strabon, d'après Possidonius, que des vents soufflans de l'est sont appellés étésiens ; mais il est constant qu'en cela ils s'écartent de l'idée la plus générale qu'on doit avoir des vents étésiens : & cette communication du nom d'étésiens à des vents étrangers à la région ordinaire des Etésiens, ne peut être admise ou autorisée, qu'autant que la dénomination en elle même deviendra propre à tout vent qui soufflera régulierement. Il en seroit de même du nom de vent alisé, qui vient du vieux terme alis, qui signifie réglé, quoiqu'il soit spécialement employé à désigner le vent qui regne sur les mers renfermées entre les tropiques, & qui dans la mer du Sud particulierement, conduit les navigateurs d'orient en occident. Voyez VENT & ALISE. Cet article est de M. D'ANVILLE, de l'académie royale des Inscriptions & Belles-Lettres.


ETÊTERv. act. (Jard.) c'est couper entierement la tête d'un arbre, ensorte qu'il ne paroît plus que comme un bâton, un tronçon. Cette opération se fait quand on le plante sans motte, ou bien quand on veut greffer en poupée, ou que l'on juge par le mauvais effet des branches, que l'arbre étant étêté en deviendra plus beau dans la suite. (K)

ETETE, en Blason, est un terme dont on se sert en France pour désigner un animal dont la tête a été arrachée de force, & dont le cou par conséquent est raboteux & inégal ; pour faire distinction d'avec défait ou décapité, auquel cas le cou est uni comme si la tête avoit été coupée. Voyez DEFAIT.


ETEUFS. m. terme de Paumier, c'est une espece de balle pour joüer & pousser avec la main. Ce sont les Paumiers qui les fabriquent ; aussi sont-ils appellés maîtres Paumiers-Raquetiers faiseurs d'éteufs, pelotes, & balles. Suivant leurs statuts, l'éteuf doit peser dix-sept ételins (l'ételin est la vingtieme partie d'une once), & doit être fait & doublé de cuir de mouton, & rembourré de bonne bourre de tondeur aux grandes forces.

Il y a encore une autre sorte d'éteuf ou balle dont on se sert pour joüer à la longue paume ; il est fort petit & très-dur, & doit être couvert de drap blanc & neuf. Le peloton se fait de rognures bien ficelées & garnies de poix. Voyez PAUMIER.


ETHERS. m. (Physiq.) on entend ordinairement par ce terme une matiere subtile qui, selon plusieurs philosophes, commençant aux confins de notre atmosphere, occupe toute l'étendue des cieux. Voyez CIEL, MONDE, &c.

Ce mot vient du grec ; c'est pour cette raison que l'on peut écrire indifféremment aether ou éther, parce que si la derniere maniere d'écrire ce mot en françois est plus conforme à l'usage, la premiere l'est davantage à l'étymologie.

Plusieurs philosophes ne sauroient concevoir que la plus grande partie de l'Univers soit entierement vuide, c'est pourquoi ils le remplissent d'une sorte de matiere appellée éther. Quelques-uns conçoivent cet éther comme un corps d'un genre particulier, destiné uniquement à remplir les vuides qui se trouvent entre les corps célestes, & par cette raison ils le bornent aux régions qui sont au-dessus de notre atmosphere. D'autres le font d'une nature si subtile, qu'il pénetre l'air & les autres corps, & occupe leurs pores & leurs intervalles. D'autres nient l'existence de cette matiere différente de l'air, & croyent que l'air lui-même, par son extrème ténuité & par cette expansion immense dont il est capable, peut se répandre jusque dans les intervalles des étoiles, & être la seule matiere qui s'y trouve. Voyez AIR.

L'éther ne tombant pas sous les sens & étant employé uniquement ou en faveur d'une hypothèse, ou pour expliquer quelques phénomenes réels ou imaginaires, les Physiciens se donnent la liberté de l'imaginer à leur fantaisie. Quelques-uns croyent qu'il est de la même nature que les autres corps, & qu'il en est seulement distingué par sa ténuité & par les autres propriétés qui en résultent ; & c'est-là l'éther prétendu philosophique. D'autres prétendent qu'il est d'une espece différente des corps ordinaires, & qu'il est comme un cinquieme élément, d'une nature plus pure, plus subtile, & plus spiritueuse que les substances qui sont autour de la terre, & dont aussi il n'a pas les propriétés, comme la gravité, &c. Telle est l'idée ancienne & commune que l'on avoit de l'éther, ou de la matiere éthérée.

Le terme d'éther se trouvant donc embarrassé par une si grande variété d'idées, & étant appliqué arbitrairement à tant de différentes choses, plusieurs philosophes modernes ont pris le parti de l'abandonner, & de lui en substituer d'autres qui exprimassent quelque chose de plus précis.

Les Cartésiens employent le terme de matiere subtile pour désigner leur éther. Newton employe quelquefois celui d'esprit subtil, comme à la fin de ses Principes ; & d'autres fois celui de milieu subtil ou éthéré, comme dans son Optique. Au reste, quantité de raisons semblent démontrer qu'il y a dans l'air une matiere beaucoup plus subtile que l'air même. Après qu'on a pompé l'air d'un récipient, il y reste une matiere différente de l'air ; comme il paroît par certains effets que nous voyons être produits dans le vuide. La chaleur, suivant l'observation de Newton, se communique à-travers le vuide presqu'aussi facilement qu'à travers l'air. Or une telle communication ne peut se faire sans le secours d'un corps intermédiaire. Ce corps doit être assez subtil pour traverser les pores du verre ; d'où l'on peut conclure qu'il traverse aussi ceux de tous les autres corps, & par conséquent qu'il est répandu dans toutes les parties de l'espace. Voyez CHALEUR, FEU, &c.

Newton, après avoir ainsi établi l'existence de ce milieu éthéré, passe à ses propriétés, & dit qu'il est non-seulement plus rare & plus fluide que l'air, mais encore beaucoup plus élastique & plus actif ; & qu'en vertu de ces propriétés, il peut produire une grande partie des phénomenes de la nature. C'est, par exemple, à la pression de ce milieu que Newton semble attribuer la gravité de tous les autres corps ; & à son élasticité, la force élastique de l'air & des fibres nerveuses, l'émission, la réfraction, la réflexion, & les autres phénomenes de la lumiere ; comme aussi le mouvement musculaire, &c. On sent assez que tout cela est purement conjectural, sur quoi voyez les articles PESANTEUR, GRAVITE, &c.

L'éther des Cartésiens non-seulement pénetre, mais encore remplit exactement, selon eux, tous les vuides des corps, ensorte qu'il n'y a aucun espace dans l'Univers qui ne soit absolument plein. Voyez MATIERE SUBTILE, PLEIN, CARTESIANISME, &c.

Newton combat ce sentiment par plusieurs raisons, en montrant qu'il n'y a dans les espaces célestes aucune résistance sensible ; d'où il s'ensuit que la matiere qui y est contenue, doit être d'une rareté prodigieuse, la résistance des corps étant proportionnelle à leur densité : si les cieux étoient remplis exactement d'une matiere fluide, quelque subtile qu'elle fût, elle résisteroit au mouvement des planetes & des cometes, beaucoup plus que ne feroit le mercure. Voyez RESISTANCE, VUIDE, PLANETE, COMETE, &c. Harris & Chambers. (O)

ETHER, (Chim. & Mat. méd.) nous désignons sous ce nom la plus tenue & la plus volatile des huiles connues, que nous retirons de l'esprit-de-vin par l'intermede de l'acide vitriolique, ou de l'acide nitreux. Voyez ETHER VITRIOLIQUE & ETHER NITREUX.

ETHER FROBENII, (Chim. & Mat. méd.) Ether ou liqueur éthérée de Frobenius, c'est une huile extrèmement subtile, legere, & volatile, sans couleur, d'une odeur très-agréable, qui imprime à la peau un sentiment de froid, qui est si inflammable qu'elle brûle sur la surface de l'eau froide, même en très-petite quantité, & qui a toutes les autres propriétés des huiles essentielles des végétaux très-rectifiés. V. HUILE.

Elle est un des produits de la distillation d'un mêlange d'esprit-de-vin & d'acide vitriolique, c'est-à-dire de l'analyse de l'esprit-de-vin par l'intermede de l'acide vitriolique.

Cette substance est connue dans l'art depuis longtems ; on en trouve, sinon des descriptions exactes, du moins des indications assez manifestes dans Raymond Lulle, Isaac le hollandois, Basile Valentin, & Paracelse. Un grand nombre d'auteurs plus modernes en ont fait mention d'une maniere plus ou moins claire, en ont décrit la préparation plus ou moins complete ment ; & cependant cette liqueur singuliere est restée presque absolument ignorée ou négligée, jusqu'à ce que Frideric Hoffman la tira de l'oubli & la fit connoître principalement par les vertus médicinales qu'il lui attribua ; mais elle n'a été généralement répandue que depuis qu'un chimiste allemand, qu'on croit avoir caché son nom sous celui de Frobenius, publia les expériences sur cette substance singuliere, dans les Trans. philos. années 1730. n. 413. & 1733. n. 428. C'est à cet auteur que la liqueur dont il s'agit doit le nom d'éther. Les chimistes qui l'avoient devancé l'avoient nommée eau tempérée, esprit de vitriol volatil, esprit doux de vitriol, huile douce de vitriol, &c. tous ces noms expriment des erreurs, & doivent être par conséquent rejettés.

Celui d'éther, qui est pris d'une qualité extérieure très-réelle du corps qu'il désigne, leur doit être préféré ; & il ne faut pas lui substituer celui d'acide vitriolique vineux, parce que ce nom que lui ont donné plusieurs chimistes modernes très-illustres, peche par le même défaut que les noms anciens. Il est imposé à cette liqueur d'après une fausse idée de sa nature, comme nous le verrons dans la suite de cet article.

Le lecteur qui sera curieux d'acquérir une érudition plus étendue sur cette matiere, pourra se satisfaire amplement en lisant la dissertation que le célebre M. Pott a composée en 1732 sur l'acide vitriolique vineux, qu'il permet d'appeller aussi esprit-de-vin vitriolé. Celui qui se contentera de connoître le procédé le plus sûr & le plus abregé pour préparer l'éther vitriolique en abondance, va le trouver ici tel que M. Hellot a eu la bonté de me le communiquer en 1752, avec permission de le répandre parmi les Artistes ; ce que je fis dès ce tems-là.

Prenez de l'esprit-de-vin rectifié, ou même de l'esprit-de-vin ordinaire, & de la bonne huile de vitriol telle qu'on nous l'apporte de Hollande ou d'Angleterre, parties égales, au moins deux livres de chacun : mettez votre esprit-de-vin dans une cornue à l'angloise de verre blanc, de la contenance d'environ six pintes ; versez dessus peu-à-peu votre huile de vitriol, en agitant votre mêlange qui s'échauffera de plus en plus à chaque nouvelle effusion de l'acide vitriolique, & en lui faisant parcourir presque toutes les parties de la cornue pour qu'elle s'échauffe uniformément. Quand vous aurez mêlé entierement vos deux liqueurs, le mêlange sera si chaud que vous ne pourrez pas tenir votre main appliquée au fond de la cornue ; il aura acquis une couleur délayée d'urine, lors même que vous aurez employé de l'acide vitriolique non coloré, & il répandra une odeur très-agréable. Vous aurez préparé d'avance un fourneau à bain de sable, dans lequel vous aurez allumé un feu clair de charbon, & vous aurez disposé à une distance & à une élévation convenable, un grand ballon ou deux moindres ballons enfilés & déjà lutés ensemble. Dès que votre mêlange sera fini, vous placerez votre cornue sur le bain de sable qui sera déjà chaud ; vous adapterez son bec dans l'ouverture du ballon ; vous luterez, vous ouvrirez le petit trou du ballon ; & vous soûtiendrez, ou même augmenterez le feu, jusqu'au point de porter brusquement votre liqueur au degré de l'ébullition. Le produit qui passera d'abord ne sera autre chose qu'un esprit-de-vin très-déflegmé ; vous le reconnoîtrez à l'odeur ; bientôt après en moins d'une demi-heure l'éther s'élevera : la différence de l'odeur & la violence du souffle qui s'échappera par le petit trou du ballon, vous annonceront ce produit : alors bouchez le petit trou, appliquez sur vos ballons & sur la partie inférieure du cou de la cornue des linges mouillés, que vous renouvellerez souvent ; ouvrez le petit trou de tems en tems, à-peu-près toutes les deux minutes, & laissez-le ouvert pendant deux ou trois secondes ; soûtenez le feu, mais sans l'élever davantage ; & continuez ainsi votre distillation jusqu'à ce que votre cornue commence à s'obscurcir par la production de legeres vapeurs blanches. Dès que ce signe paroîtra, enlevez votre cornue du sable, desappareillez sur le champ, & versez les deux liqueurs qui se sont ramassées dans le récipient, dans un vaisseau long & étroit ; vous appercevrez votre éther nageant sur l'esprit-de-vin élevé dans la distillation ; vous séparerez ces deux produits encore plus exactement, si vous les noyez d'une grande quantité d'eau : alors vous retirerez toute la liqueur inférieure par le moyen d'un petit syphon, ou par celui d'un entonnoir à corps cylindrique, haut & étroit ; & si vous ne vous proposez que d'obtenir de l'éther, votre opération est finie. Que s'il vous arrive d'avoir poussé le feu assez fort pour que la premiere apparition des vapeurs blanches soit accompagnée d'un gonflement considérable de la matiere, & d'un souffle très-violent par le petit trou du ballon ; si vous n'êtes pas assez exercé dans le manuel chimique pour savoir desappareiller dans un instant, n'hésitez point à casser le cou de votre cornue : car sans cela vous vous exposez à perdre tous vos vaisseaux & vos produits, & peut être à être blessé considérablement.

Nous remarquerons au sujet de ce procédé ; premierement, qu'il est plus con mode & plus sûr de faire le mêlange en versant l'acide sur l'esprit-de-vin, qu'en versant l'esprit-de-vin sur l'acide, quoique la derniere maniere ne manque pas de partisans : mais M. Roüelle, M. Pott, & l'experience sont pour la premiere. Secondement, que, même en procédant au mêlange par la voie que nous adoptons, l'union de ces deux liqueurs s'opere avec bruit, chaleur, & agitation intérieure & violente du mêlange ; qu'on ne doit point cependant appeller effervescence avec Hoffman, qui traite de ce phénomene dans une dissertation particuliere sur quelques especes rares d'effervescence. Fr. Hoffmanni, obs. physico-chim. select. lib. II. obs. jx. Voyez EFFERVESCENCE. Troisiemement, la dose respective des deux ingrédiens & leur dose absolue, sont nécessaires pour le succès de l'opération, ou au moins pour le plus grand succès. Si on employoit plus d'esprit-de-vin que d'acide vitriolique, non-seulement la quantité excédente d'esprit-de-vin seroit à pure perte, mais même elle retarderoit la production de l'éther, & en diminueroit la quantité : on pourroit tenter avec plus de raison d'augmenter la proportion de l'acide vitriolique. Quant à la dose absolue des deux ingrédiens, on n'obtient rien si elle est la moitié moindre que celle que nous avons prescrite, c'est-à-dire si on n'employe qu'une livre de chaque liqueur ; & l'on a fort peu d'éther, si l'on opere sur une livre & demie de chacune A la dose de deux livres, au contraire, on obtient jusqu'à huit & neuf onces d'éther par une seule distillation, quantité prodigieuse, en comparaison de celle qu'on obtenoit par l'ancien procédé, qui exigeoit plusieurs cohobations. Quatriemement le manuel essentiel, le véritable tour de main, le secret de cette opération, consiste dans l'application soudaine du plus haut degré de feu ; quoiqu'il soit écrit dans tous les livres qui traitent de cette matiere, qu'il faut administrer le feu le plus doux, le plus insensiblement gradué, c'est-à-dire prendre les précautions les plus sûres & les plus directes pour manquer son objet. Il est clair à-présent par le succès du nouveau procédé, que l'acide vitriolique n'agit efficacement sur l'esprit-de-vin que lorsqu'il est animé par le plus grand degré de chaleur dont il est susceptible dans ce mêlange, & qu'une chaleur douce dégage & enleve l'esprit-de-vin aussi inaltéré qu'il est possible. Or l'éther n'est absolument autre chose que le principe huileux de l'esprit-de-vin séparé des autres principes de la mixtion de cette substance, par une action de l'acide vitriolique inconnue jusqu'à présent ; mais vraisemblablement dépendante de la grande affinité de cet acide avec l'eau, qui est un principe très-connu de la mixtion ou de la composition de l'esprit-de vin. Cette action de l'acide pourroit bien aussi n'être que méchanique, c'est-à-dire se borner à porter dans l'esprit-de-vin une chaleur bien supérieure à celle dont sa volatilité naturelle le rend susceptible, & le disposer ainsi à éprouver une diachrèse pure & simple, dont la chaleur seroit en ce cas l'unique & véritable agent, & à laquelle l'acide ne concouroit que comme bain ou faux intermede. Voyez ce que nous disons des bains chimiques à l'article FEU. Voyez aussi INTERMEDE.

Toutes les propriétés de l'éther démontrent, à la rigueur, que cette substance n'est qu'une huile très-subtile, comme nous l'avons déjà avancé au commencement de cet article ; & l'on ne conçoit point comment des chimistes habiles ont pû se figurer qu'elle étoit formée par la combinaison de l'acide vitriolique & de l'esprit-de-vin.

La seule propriété chimique particuliere que nous connoissons à l'éther, est celle de dissoudre facilement, & par le secours d'une legere chaleur, certaines substances résineuses, telles que la gomme copale & le succin, qui sont peu solubles à ce degré de chaleur par les huiles essentielles connues : mais on voit bien que ceci ne sauroit être regardé comme une propriété essentielle ou distinctive.

Tous les medecins qui ont connu l'éther, lui ont accordé une qualité véritablement sédative, antispasmodique ; ils l'ont recommandé sur-tout dans les coliques venteuses, dans les hoquets opiniâtres, dans les mouvemens convulsifs des enfans, dans les accès des vapeurs hystériques, &c. Il est dit dans le recueil périodique d'observations de Medecine, Fév. 1755, qu'un remede nouveau usité en Angleterre contre le mal à la tête, c'est de prendre quelques dragmes d'éther de Frobenius dans le creux de la main, & de l'appliquer au front du malade. Quelques dragmes d'éther, c'est comme le boisseau de pilules de Crispin. Une personne qui se connoît mieux en doses de remedes, a appliqué, dans des violens maux à la tête, sur les tempes du malade, quelques brins de coton imbibés de sept à huit gouttes d'éther ; & elle assûre qu'au bout de quelques minutes la douleur a été dissipée comme par enchantement. Pendant cette application le malade éprouve sur la partie un sentiment de chaleur brûlante, auquel succede une fraîcheur très-agréable dès l'instant que le coton est enlevé. Au reste le charlatan de Londres qui dissipoit, ou du moins qui traitoit les douleurs de tête par une application des mains, & qui vraisemblablement a donné lieu à l'article du recueil d'observations que nous venons de citer, n'employoit point l'éther. Je tiens du même observateur, que cinq ou six gouttes d'éther données intérieurement, avoient suspendu avec la même promtitude des hoquets violens, soit qu'ils fussent survenus peu de tems après le repas, soit au contraire l'estomac étant vuide.

La dose ordinaire de l'éther pour l'usage intérieur, est de sept à huit gouttes. On en imbibe un morceau de sucre, qu'on mange sur le champ, ou qu'on fait fondre dans une liqueur appropriée & tiéde. Quand on le prend de cette derniere façon, on peut en augmenter un peu la dose, parce qu'il s'en évapore une partie pendant la dissolution du sucre.

La base de la liqueur minérale anodyne d'Hoffman, n'est autre chose que de l'esprit-de-vin empreint d'une legere odeur éthérée, retiré par une chaleur très-douce d'un mêlange de six parties d'esprit-de-vin & une partie d'acide vitriolique. C'est proprement un éther manqué. Voyez LIQUEUR MINERALE ANODYNE D'HOFFMAN.

L'examen ultérieur de la matiere qui reste dans la cornue après la production de l'éther, appartient à l'analyse de l'esprit-de-vin ; du moins l'article de l'Esprit-de-vin est-il celui de ce Dictionnaire, où il nous paroît le plus convenable de le placer. Voyez ESPRIT-DE-VIN au mot VIN.

ETHER NITREUX, (Chim. & Mat. med.) on peut donner ce nom à une huile extrèmement subtile, retirée de l'esprit-de-vin par l'intermede de l'acide nitreux, pourvû qu'on se souvienne que nitreux ne signifie ici absolument que séparé par l'acide nitreux. Il vaudroit peut-être mieux l'appeller éther de Navier.

L'éther nitreux & l'éther de Frobenius ne sont proprement qu'une seule & même liqueur ; la seule différence qui les distingue, c'est quelque variété dans l'odeur : celle de l'éther nitreux est moins douce, moins agréable.

La découverte de l'éther nitreux qui est très-moderne ; est dûe au hasard. Voici comment s'en explique (dans les mém. de l'acad. royale des Sc. an. 1742.) M. Navier medecin de Chaalons-sur-Marne, qui l'a observé le premier : " Comme je composois une teinture anti-spasmodique, où il entroit de l'esprit-de-vin & de l'esprit de nitre, le bouchon de la bouteille où l'on avoit fait ce mêlange sauta, & il se répandit une forte odeur d'éther ". C'est de l'éther de Frobenius que l'auteur entend parler.

M. Navier soupçonna avec juste raison sur cet indice, que le mêlange de l'acide nitreux & de l'esprit-de-vin devoit produire sans le secours de la distillation & par une simple digestion, une liqueur semblable à l'éther de Frobenius. Il mêla donc parties égales de ces deux liqueurs en mesure & non en poids, dans une bouteille, qu'il boucha ensuite exactement, & dont il assujettit le bouchon avec une ficelle ; & au bout de neuf jours il trouva une belle huile éthérée très-claire & presque blanche, qui surnageoit le reste de sa liqueur, & qui faisoit environ un sixieme du mêlange.

Il faut que M. Navier ait employé dans cette expérience, un esprit de nitre beaucoup plus foible que l'esprit de nitre ordinaire non fumant des distillateurs de Paris, ou qu'il n'ait pas observé le tems exact de la production de l'éther, & qu'il ne l'ait apperçû que long-tems après qu'il a été séparé, comme on le va voir dans un moment.

En répétant l'expérience de M. Navier, & en variant la proposition des deux matieres employées, on a découvert qu'on obtenoit de l'éther par ce procédé, lors même qu'on employoit dix & douze parties d'esprit-de-vin pour une d'acide nitreux foible ; & que l'action mutuelle de ces deux liqueurs n'avoit besoin d'être excitée que par la plus foible chaleur ; qu'elle avoit lieu au degré inférieur à celui de la congelation de l'eau.

Le mêlange de l'acide nitreux & de l'esprit-de-vin est, tout étant d'ailleurs égal, encore plus tumultueux, plus violent, plus dangereux que celui de l'acide vitriolique & de l'esprit-de-vin ; phénomene qui peut présenter une singularité à ceux qui croyent que l'acide vitriolique est ce qu'ils appellent plus fort que l'acide nitreux, mais qui ne paroîtra qu'un fait tout simple aux chimistes qui sauront que nul agent chimique ne possede une force absolue. Le premier mêlange s'exécute d'autant plus facilement & plus surement, qu'on employe moins d'esprit de nitre sur la même quantité d'esprit-de-vin, & un acide moins concentré : on a soin donc, lorsqu'on n'a en vûe que l'éther même, d'observer ces circonstances. On prend, par exemple, six parties d'esprit-de-vin ordinaire ; on le met dans une très-grande bouteille, eu égard à la quantité de mêlange qu'on a dessein d'y renfermer (il n'est point mal de prendre une bouteille de cinq ou six pintes pour un mêlange d'une livre & demie) ; on verse dessus peu-à-peu une partie d'esprit de nitre foible non fumant ; on ferme la bouteille avec un bon bouchon de liége ficelé avec soin, & on la place dans un lieu frais. Au bout de vingt-quatre ou trente-six heures, le mêlange qui jusqu'alors n'aura éprouvé aucune agitation intérieure sensible, subit tout d'un-coup une véritable effervescence, c'est-à-dire un mouvement violent dans ses parties, avec éructation d'air, élévation de vapeurs, &c. & elle est accompagnée de la production de l'éther, qu'on voit, l'effervescence étant cessée, surnager le reste du mêlange, & qu'on sépare par les moyens indiqués pour l'éther de Frobenius.

Cette effervescence est d'autant plus promte & d'autant plus violente, qu'on employe de l'esprit de nitre plus concentré, & de l'esprit-de-vin plus rectifié ; que la quantité de l'esprit de nitre approche davantage de celle de l'esprit-de-vin ; & que ces réactifs sont animés par un plus haut degré de chaleur. M. Roüelle a éprouvé par un grand nombre de tentatives, que la plus haute proportion à laquelle on peut porter dans le mêlange l'esprit de nitre très-fumant, sans que l'effervescence eût lieu dans le tems même du mêlange, étoit celle de deux parties d'acide contre trois d'esprit-de-vin ; & cela en se rendant maître, autant qu'il étoit possible, de la troisieme circonstance du degré de chaleur : en mettant d'avance à la glace l'esprit-de-vin & l'acide, & les mêlant dans un vaisseau couvert de glace. Ce vaisseau étoit un matras d'un verre très-épais qu'on avoit cuirassé, en appliquant dessus alternativement plusieurs couches de parchemin ou de vessies collées & bien tendues, & de ficelle goudronnée & dévidée ferme, & près à près ; on bouchoit exactement ce matras, & on l'enterroit sous la glace. Malgré ces précautions, quelques heures après le mêlange fait, il est arrivé plus d'une fois que le vaisseau a sauté en éclats avec une explosion aussi violente & un bruit aussi fort que celui de la plus grosse piece d'artillerie.

Tous les chimistes qui ont préparé l'esprit de nitre dulcifié, soit par la digestion seule, soit par la digestion & la distillation, ont fait de l'éther nitreux sans le savoir ; mais ils l'ont tous dissipé ou entierement, ou du moins pour la plus grande partie, comme nous le déduirons ailleurs des faits que nous venons de rapporter ici, & des méthodes ordinaires de procéder à la préparation de l'esprit de nitre dulcifié, que nous exposerons-là. Voyez Acide nitreux à l'article NITRE.

Quoi qu'il ne soit pas clair encore que l'éther nitreux soit toûjours mêlé d'un peu d'acide, cependant comme cela est très-possible, on doit, pour être plus assûré d'avoir l'éther pur, le laver avec une eau chargée d'alkali fixe, selon ce qui est prescrit dans les livres.

Les vertus médicinales de cet éther ne sont pas constatées encore par un grand nombre d'observations ; on est très-fondé à le regarder, en attendant, comme absolument analogue, à cet égard, à l'éther de Frobenius.

M. Navier a aussi obtenu de l'éther, en substituant une dissolution de fer dans l'acide nitreux, à l'acide nitreux pur, dans une expérience d'ailleurs semblable par toutes ses circonstances à celle que nous avons rapportée au commencement de cet article. Cet éther differe de celui qui est produit par l'acide nitreux pur, en ce qu'il acquiert dans l'espace d'environ trois semaines, une couleur rouge qui est dûe à quelques particules de fer, &c. Cette derniere expérience, avec toutes ses circonstances & dépendances, n'apprend rien ; chose très-ordinaire aux expériences tentées sans vûe. (b)


ETHÉRÉadj. (Physique) se dit de ce qui appartient à l'éther, ou qui tient de la nature de l'éther. Espaces éthérés, sont ceux que l'éther occupe ; matiere éthérée, est la matiere de l'éther, &c. (O)


ETHICOPROSCOPTESEthicoproscoptae, (Hist. ecclés.) nom par lequel S. Jean Damascene, dans son traité des hérésies, a désigné certains sectaires qui erroient sur les matieres de Morale, & sur les choses qu'on doit faire ou éviter, blâmant des choses loüables & bonnes en elles-mêmes, & en prescrivant ou pratiquant d'autres mauvaises, ou criminelles. Ce nom au reste convient moins à une secte particuliere, qu'à tous ceux qui alterent la saine Morale, soit par relâchement, soit par rigorisme. (G)


ETHIOPIE(Géog.) vaste contrée qui fait même la plus grande partie de l'Afrique, & celle qui s'avance davantage, tant vers l'orient que vers le midi principalement.

Les anciens reconnoissoient deux sortes d'Ethiopiens, ceux d'Asie & ceux d'Afrique. Hérodote les distingue en termes formels ; & voilà pourquoi dans les écrits de l'antiquité, le nom d'Ethiopie est commun à divers pays d'Asie & d'Afrique ; voilà pourquoi ils ont donné si souvent le nom d'Indiens aux Ethiopiens, & le nom d'Ethiopiens aux véritables Indiens. Dans Procope, par exemple, l'Ethiopie est appellée Inde. Voyez-en les raisons dans les observations de M. Freret.

Le Chusistan montre peut-être les premieres habitations des Ethiopiens, pendant que l'Inde & l'Afrique nous apprennent leurs divisions : aussi M. Huet soûtient fortement contre Bochart, que dans l'Ecriture l'Ethiopie est désignée par la terre de Chus. Voyez-en les preuves dans son histoire du paradis terrestre.

Les Grecs s'embarrassant peu de la science géographique, nommerent Ethiopiens tous les peuples qui avoient la peau noire ou basanée : c'est pour cela qu'ils appellerent les Colches Ethiopiens, & la Colchide Ethiopie. Mais Ptolomée est bien éloigné d'être tombé dans de pareils écarts : on lui doit au contraire la division la plus exacte & la plus méthodique qu'il y ait de l'ancienne Ethiopie. Voyez sa géographie, liv. IV. ch. vij. viij. & jx.

L'Ethiopie est illustre dans l'antiquité à plusieurs égards ; & comme il ne se trouve guere sous le ciel aucun peuple (ainsi qu'il n'y a presque aucune grande maison) qui ne se fasse gloire à-présent, ou qui ne se soit autrefois vanté d'être plus ancien que ses voisins, les Ethiopiens disputerent aux Egyptiens la primauté de l'ancienneté, & ils étoient fondés à la prétendre suivant M. l'abbé Fourmont. Voyez sa dissertation à ce sujet dans les Mémoires de l'académie des Belles-Lettres, tome VII.

Nos géographes ne s'accordent point sur les pays que l'on doit nommer l'Ethiopie ; il me paroît seulement que l'opinion la plus reçûe, fondée ou non, donne pour bornes à l'Ethiopie moderne la mer rouge, la côte d'Ajan & le Zanguébar à l'orient, le Monoëmugi & la Cafrerie au midi : le Congo à l'occident, la Nubie & l'Egypte au septentrion. Voyez la Méthode géographique de l'abbé Lenglet Dufresnoy.

Malgré la prodigieuse chaleur qui regne dans cette immense contrée, & malgré sa position sous la zone torride, elle est néanmoins par-tout habitée, contre l'opinion des anciens ; & les plus grandes rivieres de l'Afrique, le Nil & le Niger, y ont leurs sources. Voyez les descriptions de l'Afrique de nos Voyageurs.

On divise tout ce vaste pays en deux parties générales, savoir la haute & la basse Ethiopie. La haute Ethiopie est la partie la plus septentrionale, & en même tems la plus orientale ; elle renferme la Nubie, l'Abyssinie, les Giaques ou Galles, & les côtes d'Abex, d'Ajan, & de Zanguebar. La basse Ethiopie s'étend le plus vers le midi & vers le couchant ; elle renferme le Monoëmugi, le Monomotapa, & les grandes régions de Biafara, de Congo, & des Cafres. Les Portugais ont découvert depuis environ deux siecles & demi cette basse Ethiopie, qui étoit presque entierement inconnue aux anciens. Voyez l'Histoire de la découverte des Portugais en Afrique.

L'Ethiopie entiere est entre le 23 degré de latitude septentrionale, & le 35 de latitude méridionale. Sa longitude est entre les degrés 33 & 85. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ETHIOPIENSS. m. plur. (PHILOSOPHIE DES) Hist. de la Phil. Les Ethiopiens ont été les voisins des Egyptiens, & l'histoire de la philosophie des uns n'est pas moins incertaine que l'histoire de la philosophie des autres. Il ne nous est resté aucun monument digne de foi sur l'état des sciences & des arts dans ces contrées. Tout ce qu'on nous raconte de l'Ethiopie paroît avoir été imaginé par ceux qui, jaloux de mettre Apollonius de Tyane en parallele avec Jesus-Christ, ont écrit la vie du premier d'après cette vûe.

Si l'on compare les vies de la plûpart des législateurs, on les trouvera calquées à-peu-près sur un même modele ; & une regle de critique qui seroit assez sûre, ce seroit d'examiner scrupuleusement ce qu'elles auroient chacune de particulier, avant que de l'admettre comme vrai, & de rejetter comme faux tout ce qu'on y remarqueroit de commun. Il y a une forte présomption que ce qu'on attribue de merveilleux à tant de personnages différens, n'est vrai d'aucun.

Les Ethiopiens se prétendoient plus anciens que les Egyptiens, parce que leur contrée avoit été plus fortement frappée des rayons du Soleil qui donne la vie à tous les êtres.

D'où l'on voit que ces peuples n'étoient pas éloignés de regarder les animaux, comme des développemens de la terre mise en fermentation par la chaleur du Soleil, & de conjecturer en consequence que les especes avoient subi une infinité de transformations diverses, avant que de parvenir sous la forme où nous les voyons ; que dans leur premiere origine les animaux naquirent isolés ; qu'ils purent être ensuite mâles tout-à-la-fois & femelles, comme on en voit encore quelques-uns ; & que la séparation des sexes n'est peut-être qu'un accident, & la nécessité de l'accouplement qu'une voie de génération analogue à notre organisation actuelle. Voyez l'article DIEU.

Quelles qu'ayent été les prétentions des Ethiopiens sur leur origine, on ne peut les regarder que comme une colonie d'Egyptiens ; ils ont eu, comme ceux-ci, l'usage de la circoncision & des embaumemens, les mêmes vêtemens, les mêmes coûtumes civiles & religieuses ; les mêmes dieux, Hammon, Pan, Hercule, Isis ; les mêmes formes d'idoles, le même hiéroglyphe, les mêmes principes, la distinction du bien & du mal moral, l'immortalité de l'ame & les métempsycoses, le même clergé, le sceptre en forme de soc, &c. en un mot si les Ethiopiens n'ont pas reçu leur sagesse des Egyptiens, il faut qu'ils leur ayent transmis la leur ; ce qui est sans aucune vraisemblance : car la philosophie des Egyptiens n'a point un air d'emprunt ; elle tient à des circonstances inaltérables, c'est une production du sol ; elle est liée avec les phénomenes du climat par une infinité de rapports. Ce seroit en Ethiopie, proles sine matre creata : on en rencontre les causes en Egypte ; & si nous étions mieux instruits, nous verrions toûjours que tout ce qui est, est comme il doit être, & qu'il n'y a rien d'indépendant, ni dans les extravagances des hommes, ni dans leurs vertus.

Les Ethiopiens s'avouoient autant inférieurs aux Indiens, qu'ils se prétendoient supérieurs aux Egyptiens ; ce qui me prouve, contre le sentiment de quelques auteurs, qu'ils devoient tout à ceux-ci & rien aux autres. Leurs Gymnosophistes, car ils en ont eu, habitoient une petite colline voisine du Nil ; ils étoient habillés dans toutes les saisons à-peu-près comme les Athéniens au printems. Il y avoit peu d'arbres dans leur contrée ; on y remarquoit seulement un petit bois où ils s'assembloient pour délibérer sur le bonheur général de l'Ethiopie. Ils regardoient le Nil comme le plus puissant des dieux : c'étoit, selon eux, une divinité terre & eau. Ils n'avoient point d'habitations ; ils vivoient sous le ciel : leur autorité étoit grande ; c'étoit à eux qu'on s'adressoit pour l'expiation des crimes. Ils traitoient les homicides avec la derniere sévérité. Ils avoient un ancien pour chef. Ils se formoient des disciples, &c.

On attribue aux Ethiopiens l'invention de l'Astronomie & de l'Astrologie ; & il est certain que la sérénité continuelle de leur ciel, la tranquillité de leur vie, & la température toûjours égale de leur climat ; ont dû les porter naturellement à ce genre d'études.

Les phases différentes de la Lune sont, à ce qu'on dit, les premiers phénomenes célestes dont ils furent frappés, & en effet les inconstances de cet astre me semblent plus propres à incliner les hommes à la méditation, que le spectacle constant du Soleil, toûjours le même sous un ciel toûjours sérain. Quoique nous ayons l'expérience journaliere de la vicissitude des êtres qui nous environnent, il semble que nous nous attendions à les trouver constamment tels que nous les avons vûs une premiere fois ; & quand le contraire est arrivé, nous le remarquons avec un mouvement de surprise : or l'observation & l'étonnement sont les premiers pas de l'esprit vers la recherche des causes. Les Ethiopiens rencontrerent celles des phases de la lune ; ils assûrerent que cet astre ne brille que d'une lumiere empruntée. Les révolutions & même les irrégularités des autres corps célestes, ne leur échapperent pas ; ils formerent des conjectures sur la nature de ces êtres ; ils en firent des causes physiques générales. Ils leur attribuerent différens effets, & ce fut ainsi que l'Astrologie naquit parmi eux de la connoissance astronomique.

Ceux qui ont écrit de l'Ethiopie prétendent que ces lumieres & ces préjugés passerent de cette contrée dans l'Egypte, & qu'ils ne tarderent pas à pénétrer dans la Lybie : quoi qu'il en soit, le peuple par qui les Lybiens furent instruits, ne peut être que de l'ancienneté la plus reculée. Atlas étoit de Lybie. L'existence de cet astronome se perd dans la nuit des tems : les uns le font contemporain de Moyse : d'autres le confondent avec Enoch : si l'on suit un troisieme sentiment, qui explique fort bien la fable du ciel porté sur les épaules d'Atlas, ce personnage n'en sera que plus vieux encore ; car ces derniers en font une montagne.

La philosophie morale des Egyptiens se réduisoit à quelques points, qu'ils enveloppoient des voiles de l'énigme & du symbole : " Il faut, disoient-ils, adorer les dieux, ne faire de mal à personne, s'exercer à la fermeté, & mépriser la mort : la vérité n'a rien de commun ni avec la terreur des arts magiques, ni avec l'appareil imposant des miracles & du prodige : la tempérance est la base de la vertu : l'excès dépouille l'homme de sa dignité : il n'y a que les biens acquis avec peine dont on joüisse avec plaisir : le faste & l'orgueil sont des marques de petitesse : il n'y a que vanité dans les visions & dans les songes, &c. ".

Nous ne pouvons dissimuler que le sophiste, qui fait honneur de cette doctrine aux Ethiopiens, ne paroisse s'être proposé secrettement de rabaisser un peu la vanité puérile de ses concitoyens, qui renfermoient dans leur petite contrée toute la sagesse de l'Univers.

Au reste en faisant des Ethiopiens l'objet de ses éloges, il avoit très-bien choisi. Dès le tems d'Homere, ces peuples étoient connus & respectés des Grecs, pour l'innocence & la simplicité de leurs moeurs. Les dieux même, selon leur poëte, se plaisoient à demeurer au milieu d'eux. .... ..... ...... ..... Jupiter s'en étoit allé chez les peuples innocens de l'Ethiopie, & avec lui tous les dieux. Iliad.


ETHIOPIQUEadj. (Chronol.) Année éthiopique, est une année solaire composée de douze mois de trente jours, & de cinq jours ajoûtés à la fin. Voyez l'article AN.


ETHIQUES. f. est la science des moeurs. Ce mot qui n'est plus usité, ou dont on ne se sert que très-rarement pour désigner certains ouvrages, comme l'Ethique de Spinosa, &c. vient du grec , moeurs. Voyez MORALE, DROIT NATUREL, &c.


ETHMOIDALEadject. en Anatomie ; est le nom d'une des sutures du crane humain. Voyez CRANE.

Les sutures ordinaires sont celles qui séparent les os du crane d'avec les os des joues : il y en a quatre, la transverse, l'ethmoïdale, la sphéroïde, & la zygomatique. Voyez SUTURE.

L'ethmoïdale tire son nom de ce qu'elle regne autour de l'os ethmoïde. Voyez ETHMOÏDE. (L)


ETHMOIDEadj. pris subst. (Ostéolog.) os situé à la partie antérieure de la base du crane, & qui se trouve comme enchâssé dans une échancrure particuliere du coronal : il est presque tout placé dans les narines, dont il forme la cloison.

Son nom d'ethmoïde, c'est-à-dire cribleux, lui a été donné parce qu'en le regardant du coté du crane, il paroît percé d'une infinité de trous, comme un crible.

Il est joint avec le coronal, l'os sphéroïde, les os du nez, les os maxillaires, les os unguis, les os du palais, & le vomer. Voyez tous ces mots.

On a beaucoup de peine à séparer l'os ethmoïde sans le briser ; cependant l'on y doit réussir en s'y prenant avec adresse, & sur-tout en choisissant une de ces têtes seches qui ont les engrenures lâches.

Quoique sa figure soit irréguliere, on peut dire néanmoins qu'elle approche plus de la cuboïde que de toute autre ; mais il vaut mieux le considerer simplement dans sa face externe & dans sa face interne.

Etant examiné dans sa face externe, il présente trois parties ; une supérieure, une moyenne, & une inférieure.

La partie supérieure, qui est la plus petite & la plus connue, passe derriere l'épine frontale, s'éleve dans la cavité du crane, & porte le nom de crista galli, crête de coq. La partie moyenne occupe toute la portion des narines qui est entre les deux orbites ; elle est composée d'un grand nombre de lames osseuses, fines & très-cassantes, qui forment par leur disposition plusieurs cellules & anfractuosités irrégulieres. La partie inférieure comprend toute la base osseuse qui sépare la cavité des narines.

Il se trouve du côté de la cloison, une raînure où les cellules de l'os ethmoïde s'ouvrent pour communiquer dans le nez ; car dans tout le reste de la portion cellulaire, les cellules sont fermées pour la plûpart par les os voisins auxquels cette portion se trouve jointe. En effet, elles sont fermées en-haut par le coronal, & les sinus frontaux s'abouchent par-devant avec ces cellules. Dans la partie postérieure & dans la partie inférieure, ces cellules sont fermées par l'os sphéroïde & par les maxillaires. Enfin dans la partie externe du côté de l'orbite, ces cellules sont fermées par l'os unguis & par une lame fort égale, dont les anciens faisoient un os particulier qu'ils ont nommé os planum.

On considere dans la face interne de l'os ethmoïde, une lame nommée cribleuse ; les trous qui s'y trouvent, retiennent le nom des nerfs olfactifs qui y passent. Cette lame est traversée suivant sa longueur par l'éminence nommée crête de coq, dont j'ai parlé ci-dessus.

Ingrassias, né en Sicile en 1510, mort en 1580, savant anatomiste, à qui l'Ostéologie doit beaucoup de bonnes choses, est le premier qui ait donné une description exacte de l'ethmoïde, dans ses Commentaires sur le livre des os, de Galien. Son ouvrage fut imprimé à Palerme en 1603, in-fol. & est devenu très-rare. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ETHNARQUES. m. (Hist. anc.) est le gouverneur d'une nation. Voyez TETRARQUE.

Ce mot est formé du grec , nation, & , commandement.

Il y a plusieurs médailles d'Hérode I. surnommé le Grand, sur un côté desquelles on trouve , & de l'autre côté , c'est-à-dire Hérode l'ethnarque. Nous lisons qu'après la bataille de Philippe, Antoine passant par la Syrie, établit Hérode & Phasaël son frere, tétrarques, & en cette qualité leur confia l'administration des affaires de la Judée. Jos. ant. liv. XIV. chap. xxiij.

Hérode eut donc le gouvernement de cette province avant que les Parthes entrassent en Syrie, ou avant l'invasion d'Antigone, qui arriva environ cinq ou six ans après qu'Hérode fut fait commandant en Galilée. Jos. l. XIV. ch. xxjv. xxv. Conséquemment Hérode étoit alors vraiment ethnarque, car on ne pouvoit pas le nommer autrement ; de façon qu'il faut que ce soit dans cet espace de tems que les médailles qui lui donnent ce titre, ayent été frappées. Ces médailles sont une confirmation de ce que nous lisons dans l'histoire, que ce prince fut chargé de ce gouvernement avant d'être élevé à la dignité de roi.

Joseph appelle Hérode tétrarque au lieu d'ethnarque ; mais ces deux termes approchent si fort l'un de l'autre, qu'il étoit bien facile de les confondre. Voyez TETRARQUE.

Quoiqu'Hérode le Grand ait cedé de bonne volonté à Archélaüs toute la Judée, Samarie & l'Idumée, cependant Joseph nous dit qu'il fut seul appellé ethnarque. Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)


ETHNOPHRONESadj. masc. pl. (Hist. eccles.) hérétiques qui s'éléverent dans le vij. siecle, & qui prétendirent concilier la profession du Christianisme avec la pratique des cérémonies superstitieuses du Paganisme, telles que l'Astrologie judiciaire, les sorts, les augures, & les autres especes de divination. Ils pratiquoient aussi toutes les expiations des Gentils, célébroient toutes leurs fêtes, & observoient religieusement tous leurs jours, leurs lunes, leurs tems, & leurs saisons ; de-là leur vint le nom d'Ethnophrones, composé du grec , nation, gentil, payen ; & de , opinion, sentiment : c'est-à-dire sectaires qui conservoient les sentimens des Gentils ou Chrétiens paganisans. S. Jean Damasc. heraes. n. 94. (G)


ETHOPÉES. f. (Rhétor.) ethopaeia ou ethopia ; qu'on appelle aussi éthologie ; figure de Rhétorique. C'est une description, un portrait des moeurs, passions, génie, tempérament, &c. de quelque personne. Voyez HYPOTIPOSE.

Ce mot est formé du grec , moeurs, coûtumes ; & de , facio, fingo, describo. Quintilien., liv. IX. ch. ij. appelle cette figure imitatio morum alienorum : nou, la nommons portrait ou caractere.

Tel est ce beau passage où Salluste fait le portrait de Catilina : fuit magna vi & animi & corporis, sed ingenio malo, pravoque, & le reste qu'on peut voir dans cet historien. Nous en citerons ici deux autres également admirables. L'un est le portrait de Cromwel, tracé par M. Bossuet dans son oraison funebre de la reine d'Angleterre. " Un homme, dit-il, s'est trouvé d'une profondeur d'esprit incroyable ; hipocrite raffiné autant qu'habile politique, capable de tout entreprendre & de tout cacher : également actif & infatigable dans la guerre & dans la paix, qui ne laissoit rien à la fortune de ce qu'il pouvoit lui ôter par conseil & par prévoyance ; mais au reste si vigilant & si prêt à tout, qu'il n'a jamais manqué les occasions qu'elle lui a présentées : enfin un de ces esprits remuans & audacieux, qui semblent être nés pour changer le monde ".

L'autre est la peinture que Sarrasin a faite de ce Walstein, si fameux dans le dernier siecle. " Albert Walstein, dit-il, eut l'esprit grand & hardi, mais inquiet & ennemi du repos ; le corps vigoureux & haut, le visage plus majestueux qu'agréable. Il fut naturellement fort sobre, ne dormant presque point, travaillant toûjours ; surmontant les incommodités de la goutte & de l'âge par la tempérance & par l'exercice ; supportant aisément la faim, fuyant les délices, parlant peu & pensant beaucoup ; écrivant lui-même toutes les affaires ; vaillant & judicieux à la guerre, admirable à lever & à faire subsister les armées ; sévere à faire punir les soldats, prodigue à les récompenser, pourtant avec choix & dessein ; toûjours ferme contre le malheur ; civil dans le besoin, ailleurs fier & orgueilleux ; ambitieux sans mesure ; envieux de la gloire d'autrui, jaloux de la sienne ; implacable dans la haine, cruel dans la vengeance ; promt dans la colere ; ami de la magnificence, de l'ostentation & de la nouveauté ; extravagant en apparence, mais ne faisant rien sans dessein, & ne manquant jamais du prétexte du bien public, quoiqu'il rapportât tout à l'accroissement de sa fortune ; méprisant la religion, qu'il faisoit servir à sa politique ; artificieux au possible, & principalement à paroître desintéressé : au reste très-curieux & très-clairvoyant dans les desseins des autres ; très-avisé à conduire les siens, sur-tout adroit à les cacher ; & d'autant plus impénétrable, qu'il affectoit en public la candeur & la sincérité, & blâmoit en autrui la dissimulation, dont il se servoit en toutes choses ".

On divise l'éthopée en prosographie, & éthopée proprement dite. La premiere est une description du corps, de la contenance, de la figure, de l'ajustement, &c. L'autre est le portrait de l'esprit & du coeur. Celui de Walstein, que nous venons de citer, réunit toutes ces parties. (G)


ETIENNE(SAINT-) Géog. mod. ville du Forez en France : elle est située sur le ruisseau de Furens. Long. 22. lat. 45. 22.


ETIENNE D'AGEN(Saint-) Géog. mod. ville de l'Agénois dans la Guienne, en France.


ETIENNE D'ARGENTON(Saint-) Géogr. mod. ville du Berry en France : elle appartient à l'élection de la Chatre.


ETIENNE DE LAUZUN(Saint-) Géog. mod. ville de l'Agénois dans la Guienne, en France.


ETINCELANTadj. en termes de Blason, se dit des charbons dont il sort des étincelles. On appelle écu étincelant, celui qui est semé d'étincelles.

Bellegarde des Marches en Savoie, d'où est sorti le grand chancelier de Savoie ; Janus de Bellegarde ; d'azur à la sphere de feu en fasce, courbée d'un angle du chef à l'autre ; rayonnante & étincelante vers la pointe de l'écu d'or, au chef de même ; chargé d'un aigle de sable à deux têtes.


ETINCELLEMENTETINCELLEMENT

Cet étincellement n'a lieu que lorsque la lumiere est fort vive ; on l'observe quelquefois un peu dans Mercure & dans Vénus, & on le remarque dans le Soleil, vû même à-travers une lunette ou un verre enfumé.

En Arabie, sous le tropique du cancer, & à Bander-Abassi, port fameux du golfe persique, où le ciel est très-serein pendant presque toute l'année, on ne voit point d'étincellement dans les étoiles ; ce n'est qu'au milieu de l'hyver qu'on en apperçoit tant-soit-peu. Dans le Pérou, où il ne pleut presque jamais, tout le long de la côte, depuis le golfe de Guayaquil jusqu'à Lima, l'étincellement des étoiles est bien moins sensible que dans nos climats. Voyez SCINTILLATION & ETOILE. Hist. acad. 1743. (O)


ETINCELLES. f. (Physiq.) molécules enflammées & d'une grosseur sensible, qui se détachent d'un corps qui brûle, & qui s'en élancent au loin. Il se prend au simple & au figuré ; & l'on dit, ce corps est étincelant, & il n'a pas une étincelle de génie.


ETINDROS(Histoire nat.) pierre qu'Albert le Grand dit être semblable à du crystal, & dont il prétend qu'il tombe continuellement des gouttes d'eau. Boëtius de Boot, de lapid. & gemm.


ETIOLEMENTS. m. (Bot.) altération qui survient aux plantes qu'on éleve dans des lieux renfermés, & qui consiste en ce qu'alors elles poussent des tiges longues, éfilées, d'un blanc éclatant, terminées par de très-petites feuilles assez mal façonnées, d'un verd-pâle. Est-ce à un certain degré d'humidité, au défaut d'air, de chaleur ou de lumiere, qu'on doit attribuer la cause de cette altération ? M. Charles Bonnet, de Geneve, a déjà fait quelques expériences, par lesquelles ni l'humidité, ni le défaut d'air, ni le plus ou moins de chaleur, ne lui ont paru influer sur l'étiolement. Il soupçonne donc que cette maladie des plantes, qui est si remarquable, procede de la privation de la lumiere. Il n'assure rien cependant ; au contraire il reconnoît que ce sujet demande un examen plus approfondi, & un plus grand nombre d'expériences que celles qu'on a faites jusqu'à ce jour, pour expliquer ce phénomene. Mais sur les expériences de qui pourroit-on compter plus sûrement que sur les siennes, si son tems le lui permettoit ? personne n'ignore combien la Physique lui est déjà redevable. Voyez PUCERON. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


ETIOLOGIou AETIOLOGIE, s. f. (Medec.) de , cause, & de , discours. C'est le nom que l'on donne à la partie de la Pathologie dans laquelle on traite en général des causes des maladies. Voyez PATHOLOGIE, MALADIE. On appelle aussi Ethiologie, la recherche, la dissertation, l'exposition que l'on fait particulierement d'une maladie distinguée de toute autre. (d)


ETIQUET(Jurisprud.) Dans la coûtume de Troyes, art. 126 ; & dans celle d'Angoumois, art. 110 ; est le billet par écrit que le sergent qui fait des criées d'héritages saisis, met & attache à la porte de l'auditoire du lieu, pour annoncer la consistance de l'héritage, les noms du propriétaire & poursuivans & la somme pour laquelle la saisie est faite. Voyez ci-après ETIQUETTE. (A)

ETIQUET, voyez PRESSOIR.


ETIQUETER(Jurisp.) en style de palais, signifie ordinairement mettre une étiquette sur un sac, ou plûtôt mettre sur un sac ou sur une piece, un titre qui annonce brievement ce qui y est contenu.

ETIQUETER DES TEMOINS, c'est lorsqu'on donne au juge, enquêteur ou commissaire qui fait l'enquête, un brevet & mémoire par écrit ; qui contient les noms des témoins, & sur quels articles des écritures ils sont produits, afin qu'ils en soient enquis & oüis, comme il est dit au style de procéder des cours séculieres de Liege, ch. x. & ailleurs ; & aux ordonnances de la chambre d'Artois, chap. des plaidoyers ; & du duc de Bouillon, articles cxxjv. & ccxxij. On appelle étiquette en Flandres, les faits & articles sur lesquels on fait entendre des témoins, Lorsqu'on a donné un écrit de dépositions, & qu'on déclare que l'on ne fera point entendre de témoins au-dehors de ce qu'elles contiennent, on n'est pas tenu dans ce parlement de communiquer à sa partie adverse les étiquettes sur lesquelles on veut faire entendre les témoins. Instit. au Droit Belgique, pag. 462.

Etiqueter des témoins signifie aussi quelquefois les reprocher. (A)


ETIQUETTES. f. (Hist. mod.) cérémonial écrit ou traditionnel, qui regle les devoirs extérieurs à l'égard des rangs, des places & des dignités.

Si la noblesse & les places n'étoient que la récompense du mérite, & si elles en suivoient toûjours les degrés, on n'auroit jamais imaginé d'étiquette ; le respect pour la place se seroit naturellement confondu avec le respect pour la personne. Mais comme la noblesse & plusieurs autres distinctions sont devenues héréditaires ; qu'il est arrivé que des enfans n'ont pas eu le mérite de leurs peres ; qu'il y a eu nécessairement dans la distribution des places, des abus qu'il n'est pas toûjours possible de prévenir ou de réparer, il a été nécessaire de ne pas laisser les particuliers juges des égards qu'ils voudroient avoir, & des devoirs qu'ils auroient à rendre : le bon ordre, la philosophie même, & par conséquent la justice, ont obligé d'établir des regles de subordination. En effet, il seroit très-dangereux dans un état, de laisser avilir les places & les rangs, par un mépris, même fondé, pour ceux qui les occupent ; sans quoi le caprice, l'envie, l'orgueil & l'injustice, attaqueroient également les hommes les plus dignes de leurs rangs. Ainsi l'étiquette étant un abri contre le mépris personnel, est aussi une sauve-garde pour le vrai mérite ; &, ce qui est encore plus important, elle est le maintien du bon ordre. Les particuliers sont maîtres de leurs sentimens, mais non pas de leurs devoirs.

Il faut convenir que, généralement parlant, la sévérité & les minuties de l'étiquette ne forment pas un préjugé favorable pour un peuple qui en est trop occupé. L'étiquette s'étend à mesure que le mérite diminue. Le despotisme fait de l'étiquette une sorte de culte. D'un autre côté, il y a des peuples assez libres (les Anglois, qui servent à genoux leur roi), qui conservent une étiquette fort cérémonieuse pour leur prince : il semble qu'ils veuillent l'avertir par-là qu'il n'est que la représentation de l'autorité. C'est à-peu-près dans le même sens qu'on appelle étiquettes certains petits écriteaux qui se mettent sur des sacs, des boîtes ou des vases, pour distinguer des choses qui y sont renfermées, & qui sans cela pourroient être confondues avec d'autres.

Il y avoit une étiquette chez les empereurs du bas empire, c'est-à-dire lorsqu'il n'y avoit plus de Romains, quoiqu'il y eût un gouvernement qui en portoit le nom.

De tous tems il y a eu des distinctions de rangs & de fonctions dans un état ; mais l'étiquette proprement dite, n'est pas fort ancienne dans le système actuel de l'Europe : je ne crois pas qu'on en trouvât un détail en forme avant la seconde maison de Bourgogne. Philippe-le-Bon, aussi puissant qu'un roi, souffroit impatiemment de n'en pas porter le titre : ce fut peut-être ce qui lui fit former un état de maison qui pût effacer celles des rois, par la magnificence, le nombre des officiers, & le détail de leurs fonctions. Cette étiquette passa dans la maison d'Autriche, par le mariage de Marie avec Maximilien. Les Mores avoient porté la galanterie & les fêtes en Espagne ; l'étiquette y porta la morgue & l'ennui.

L'étiquette n'est ni sévere ni réguliere en France. Il y a peu d'occasions d'éclat où l'on ne soit obligé de rechercher ce qui s'est pratiqué à la cour en pareilles circonstances, on l'a oublié, & l'on tâche de se le rappeller, pour l'oublier encore. Le François est assez porté à estimer ce qu'il doit respecter, & à aimer ce qu'il estime : il n'est pas en lui de remplir froidement ni sérieusement certains devoirs ; il y manque avec légéreté, ou s'en acquite avec chaleur. Ce qui pourroit être ailleurs une marque de servitude, n'est souvent en France qu'un effet de l'inclination & du caractere. Cet article est de M. DUCLOS, historiographe de France, & l'un des quarante de l'Académie françoise.

ETIQUETTE, (Jurisp.) en style de palais, est un morceau de papier ou de parchemin que l'on attache sur les sacs des causes, instances ou procès : sur lequel on marque les noms des parties & de leurs procureurs. Celui auquel appartient le sac, met son nom à droite, & le nom des autres procureurs à gauche. Si c'est une cause, on met en tête de l'étiquette, cause à plaider dans un tel tribunal ; & au-dessous des noms des parties on met le nom de l'avocat qui doit plaider pour la partie pour laquelle est le sac. Si c'est une production de quelqu'instance ou procès, on met au haut de l'étiquette le titre de la production, & la date du jugement en conséquence duquel elle est faite. Au-dessus des noms des parties on met celui du rapporteur ; & s'il y a plusieurs chambres dans le tribunal, on marque de quelle chambre il est. On marque aussi l'enregistrement des productions, & le folio. L'origine de ce mot étiquette vient du tems que l'on rédigeoit les procédures en latin ; on écrivoit sur le sac, est hîc quaestio inter N.... & N.... & souvent au lieu d'écrire quaestio tout au long, on mettoit seulement quaest. ce qui faisoit est hîc quaest. d'où les praticiens ont fait par corruption étiquette. Voyez ci-devant ETIQUETTE, & ci-après ÉTIQUETER.

On appelle étiquette au grand-conseil, les placets & mémoires que l'on donne au premier huissier, pour appeller les causes à l'audience. (A)

Etiquettes de témoins, voyez ci-après ETIQUETER.

ETIQUETTE, terme de Pêche, sorte de petit couteau emmanché dont on se sert pour cueillir les moules : il est assez ressemblant à celui avec lequel les marchandes de cerneaux ouvrent & préparent ce fruit.


ETIRES. f. est un instrument dont les Corroyeurs se servent pour étendre leurs cuirs, pour en abattre le grain du côté de la fleur ou poil, ou bien pour les décrasser ; car cet instrument s'employe à ces différens usages. L'étire est un morceau de fer ou de cuivre plat, de six pouces de largeur, & d'environ cinq ou six lignes d'épaisseur ; plus large par en-bas que par en haut, & dont la partie la plus étroite forme une poignée par où l'ouvrier tient cet outil pour s'en servir. On se sert de l'étire de cuivre pour les cuirs de couleur, de peur de les tacher. Voyez la figure, Planche du Corroyeur, & la vignette où l'on voit un ouvrier qui se sert de l'étire.


ETLINGEN(Géog. mod.) ville de la Suabe au marquisat de Bade, en Allemagne. Long. 27. 6. lat. 48. 55.


ETNAvoyez GIBEL & VOLCAN.


ETNETS. m. (Métallurgie) C'est ainsi que dans les fonderies où l'on travaille le laiton, on appelle la pince à rompre le cuivre qui vient de l'arco. Voyez ARCO.


ETOCS. m. (Jurispr.) terme d'eaux & forêts, qui signifie souche d'arbres. Voyez l'art. 45. du titre premier de l'ordonnance de 1669. Ce terme paroît être venu par corruption de celui d'estoc, qui dans les successions signifie souche. (A)


ETOFFES. f. (Ourdissage) est un nom général qui signifie toutes sortes d'ouvrages d'or, d'argent, de soie, laine, poil, coton ou fil, travaillées au métier ; tels sont les velours, les brocards, les moeres, les satins, les taffetas, draps, serges, &c. Voyez DRAPS, VELOURS, MANUFACTURE, &c.

* ETOFFES, se dit plus particulierement de certaines sortes d'étoffes de laine legeres, qui servent pour les doublures ou les robes des femmes, comme les brocatelles, les ratines, &c.

* ETOFFE, terme de Chapelier : c'est ainsi que ces ouvriers nomment les matieres qui doivent entrer dans les chapeaux, comme les poils de castor, de lievre, de lapin, de chameau & d'autruche ; & les laines de moutons, d'agnelins & de brebis.

On appelle un chapeau bien étoffé, quand il est suffisamment fourni de matiere, & que cette matiere est bonne & bien conditionnée.

* ETOFFE, (Ruban) s'entend de toutes les matieres d'or & d'argent qui servent à la fabrication des ouvrages de ce métier ; ainsi on dit, donnez-moi des étoffes, pour dire, donnez-moi les filés, clinquans, cablés, cordonnets, &c. qui me sont nécessaires. Chaque ouvrier a une petite boîte fermant à clé, fixée sur la grande barre de son métier, près du pilier, dans laquelle il renferme ses étoffes.

* ETOFFE, (Manufact. en soie) Toutes les étoffes de la manufacture en soie sont distinguées en étoffes façonnées & en étoffes unies.

On appelle étoffes façonnées, celles qui ont une figure dans le fond, soit dessein à fleur, soit carrelé, &c. Voyez ces articles.

On appelle étoffes unies, celles qui n'ont aucune figure dans le fond.

Toutes les étoffes en général, soit façonnées, soit unies, sous quelque dénomination, genre ou espece qu'elles puissent être, ne sont travaillées que de deux façons différentes ; savoir en satin ou en taffetas.

On appelle étoffes travaillées en satin, celles dont la marche ne fait lever que la huitieme ou la cinquieme partie de la chaîne, pour faire le corps de l'étoffe. Voyez SATIN.

On appelle étoffes travaillées en taffetas, celles dont la marche fait lever la moitié de la chaîne, & alternativement l'autre moitié, pour faire également le corps de l'étoffe. Voyez TAFFETAS.

Il y a encore une espece d'étoffe appellée serge ; mais comme ce n'est qu'un diminutif du satin, & que d'ailleurs cette étoffe n'est faite que pour doublure d'habit, elle ne doit point être comprise sous la dénomination générale. Voyez SERGE.

Toutes les étoffes travaillées en satin, soit à huit lisses, pour lever la huitieme partie ; soit à cinq lisses, pour lever la cinquieme, doivent être composées depuis 75 portées (la portée de 80 fils) jusqu'à 100 portées ; mais les plus ordinaires, de 90.

Toutes les étoffes travaillées en taffetas, doivent être composées depuis 40 portées simples ou doubles, jusqu'à 160, & à proportion de leur largeur. Il y a des moeres qui ont jusqu'à 90 portées doubles ; ce qui vaut autant, pour la quantité des fils, que si elles avoient 180 portées.

Les étoffes ordinaires sont de 40 à 45 portées doubles ; ce qui vaut autant que 80 & 90 simples.

Outre les chaînes qui font le corps des étoffes façonnées, on y ajoûte encore d'autres petites chaînes appellées poils. Ces poils sont destinés à lier la dorure dans les étoffes riches ; à faire la figure dans d'autres étoffes, telles que les carrelés, cannelés, persiennes, doubles-fonds, ras de Sicile, &c. & dans les velours unis ou ciselés, à faire le velours. Voyez ces articles.

Il y a beaucoup d'étoffes façonnées qui n'ont point de poil, tant de celles qui sont brochées en soie, que de celles qui sont brochées en dorure & en soie ; ce qui dépend de la richesse de l'étoffe, ou de la volonté du fabriquant. Cependant il est de regle, lorsqu'une étoffe passe deux onces & demie, trois onces de dorure, de lui donner un poil, tant pour lier la dorure, que pour servir à l'accompagner.

On appelle accompagner la dorure, passer une navette garnie de deux ou trois brins de belle trame de la couleur de la dorure même, sous les lacs où cette dorure doit être placée ; savoir d'une couleur aurore pour l'or, & d'une couleur blanche pour l'argent.

Toutes les étoffes, tant façonnées qu'unies, soit satins, soit taffetas ; soit qu'elles ayent un poil, ou qu'elles n'en ayent point, doivent avoir une façon de faire lever les lisses, à laquelle on donne le nom d'armure. On pourroit cependant excepter les taffetas sans poil de cette regle, parce que la façon de faire lever les lisses dans ce genre d'étoffe, est uniforme & égale dans toutes, de même que dans les satins ; & à proprement parler ce n'est que le poil qui embarrasse pour l'armure, les mouvemens de la chaîne dans l'une ou l'autre étoffe, étant simples & aisés. Voyez MANUFACTURE & ARMURE.

* ETOFFE (Coutell. Serrur. Taill.). Presque tous les ouvriers en fer & en acier donnent ce nom à des morceaux d'acier commun dont ils forment les parties non-tranchantes de leurs ouvrages : les parties tranchantes sont faites d'un meilleur acier. Ils ont aussi une maniere économique d'employer tous les ouvrages manqués, tous les bouts d'acier qui ne peuvent servir ; en un mot, toute piece d'acier rebutée pour quelque défaut : c'est d'en faire de l'étoffe. Pour cet effet ils prennent une barre d'acier commun plus ou moins forte, selon la quantité de matiere de rebut qu'ils ont à employer ; ils en forment un étrier soit en l'ouvrant à la tranche ; soit en la courbant au marteau ; ils rangent & renferment dans cet étrier. la matiere de rebut ; ils la couvrent de ciment & de terre-glaise délayée ; ils mettent le tout au feu, & le soudent. Quand toutes ces parties détachées sont bien soudées, & forment une masse bien solide & bien uniforme, ils l'étirent en long, & en forment une barre plus ou moins forte, selon l'ouvrage auquel ils la destinent. Cette barre s'appelle de l'étoffe.

ETOFFE, (basse) terme de Potier d'étain ; c'est une composition faite en partie de plomb, & en partie d'étain. On l'appelle aussi petite étoffe, claire étoffe, & claire soudure. Voyez ETAIN.

ETOFFE, terme de riviere, se dit de toutes les parties de bois qui entrent dans la composition d'un train.


ETOFFÉadj. qui est garni de bonne étoffe, en terme de Sellier. Un carrosse bien étoffé, est celui dont les bois, les cuirs, les velours, &c. sont d'une bonne qualité.

ETOFFE. Les Corroyeurs appellent un cuir lissé, bien étoffé de suif, de chair & de fleur, celui où le suif a été mis bien épais des deux côtés.

ETOFFER, v. act. en terme de Sellier, signifie employer de bonne étoffe, & n'y épargner ni la qualité ni la quantité.

ETOFFER la creme ; c'est, chez les Pâtissiers, une opération par laquelle ils éclaircissent la creme & la rendent moins ferme, en la remuant beaucoup avec la hache ou la spatule.


ETOILES. f. stella, en Astronomie, est un nom qu'on donne en général à tous les corps célestes. Voyez CIEL, ASTRE, &c.

On distingue les étoiles par les phénomenes de leur mouvement, en fixes & errantes.

Les étoiles errantes sont celles qui changent continuellement de place & de distance les unes par rapport aux autres : ce sont celles qu'on appelle proprement planetes. Voyez PLANETE. On peut mettre aussi dans la même classe les astres que nous appellons communément cometes. Voyez COMETE.

Les étoiles fixes, qu'on appelle aussi simplement étoiles dans l'usage ordinaire, sont celles qui observent perpétuellement la même distance les unes par rapport aux autres. Voyez FIXE.

Les principaux points que les Astronomes examinent par rapport aux étoiles fixes, sont leur distance, leur grandeur, leur nature, leur nombre, & leur mouvement. Ces différens objets vont faire la matiere de cet article.

Distance des étoiles fixes. Les étoiles fixes sont des corps extrèmement éloignés de nous ; & si éloignés, que nous n'avons point de distance dans le système des planetes qui puisse leur être comparée.

En effet, les observations astronomiques nous apprennent que la Terre, cette masse qui nous paroît d'abord si énorme, ne seroit vûe cependant du soleil que comme un point imperceptible. Il faut donc que le Soleil soit prodigieusement éloigné de nous ; & néanmoins cette distance de la Terre au Soleil est très-petite en comparaison de celle des étoiles fixes.

Leur distance immense s'infere de ce qu'elles n'ont point de parallaxe sensible, c'est-à-dire de ce que le diametre de l'orbite de la Terre n'a point de proportion sensible avec leur distance ; mais qu'on les apperçoit de la même maniere dans tous les points de cette orbite : ensorte que quand même on regarderoit des étoiles fixes toute l'orbite que la Terre décrit chaque année, & dont le diametre est double de la distance du Soleil à la Terre, cette orbite ne paroîtroit que comme un point ; & l'angle qu'elle formeroit à l'étoile seroit si petit, qu'il n'est pas étonnant s'il a échappé jusqu'ici aux recherches des plus subtils astronomes. Supposant cet angle d'une demi-minute, ce qui est beaucoup plus grand que l'angle véritable, on trouveroit les étoiles plus loin de nous que le soleil 12000 fois, & au-delà.

M. Huyghens détermine la distance des étoiles par une autre méthode, c'est-à-dire en faisant l'ouverture d'un télescope si petite, que le Soleil vû à-travers, ne paroisse pas plus gros que Sirius. Dans cet état, il trouve que le diametre du Soleil est environ comme la 27664e partie de son diametre, quand il est vû à découvert. Si donc la distance du Soleil étoit 27664 fois aussi grande qu'elle l'est, on le verroit sous le même diametre que Sirius ; par conséquent si on suppose que Sirius est de même grandeur que le Soleil, on trouvera que la distance de Sirius à la Terre est à celle du Soleil, comme 27664 est à 1.

On dira peut-être que ces méthodes sont trop hypothétiques pour pouvoir en rien conclure ; mais du moins on peut démontrer que les étoiles sont incomparablement plus éloignées que Saturne, puisque Saturne a une parallaxe, & que les étoiles n'en ont point du tout. Voyez SATURNE & PARALLAXE. De plus il suit de ce que nous venons de dire un peu plus haut, que la distance des étoiles est au moins 10000 fois plus grande que celle du soleil ; supposition qu'on peut regarder comme incontestable.

Cette distance immense des étoiles sert à expliquer dans le système du mouvement de la Terre autour du Soleil, pourquoi certaines étoiles ne paroissent pas plus grandes dans un tems de l'année que dans l'autre ; & pourquoi la distance apparente où elles sont les unes à l'égard des autres, ne sauroit varier sensiblement par rapport à nous : car il y a telle étoile dont la Terre s'approche effectivement dans l'espace de six mois, de tout le diametre de son orbite ; & par la même raison elle s'en éloigne d'autant pendant les six autres mois de l'année. Si nous ne pouvons donc reconnoître de changemens sensibles dans la situation apparente de ces étoiles, c'est une marque qu'elles sont à une distance immense de la Terre, & que c'est précisément de même que si nous ne changions point de lieu. Il en est à-peu-près ainsi, lorsque nous appercevons sur la Terre deux tours à peu de distance l'une de l'autre, mais éloignées de notre oeil de plus de dix mille pas ; car si nous n'avançons que d'un seul pas, assûrément nous ne verrons pas pour cela les deux tours ni plus grandes, ni à une distance plus considérable l'une de l'autre : il faudroit, pour qu'il y eût un changement sensible, s'en approcher davantage. Ainsi, quoique la Terre soit un peu plus proche dans un tems de l'année de certaines étoiles, que six mois après ou six mois auparavant ; cependant comme ce n'est pas même d'une cinq millieme partie qu'elle en approche ; il ne sauroit y avoir de changemens remarquables, soit dans la grandeur, soit dans la distance apparente de ces étoiles.

Que l'on suppose présentement le Soleil à la même distance que l'étoile fixe la plus proche de la Terre, il est aisé de voir que l'angle sous lequel il nous paroîtroit, seroit au moins dix mille fois plus petit que celui sous lequel nous le voyons : or l'angle sous lequel nous voyons le Soleil, est d'environ 30 minutes ou un demi-degré. Il s'ensuit donc que si nous étions placés dans quelqu'étoile fixe, le Soleil ne nous y paroîtroit que sous un angle égal à la dix millieme partie de trente minutes, c'est-à-dire d'environ dix tierces.

On objectera peut-être que si la distance des étoiles fixes étoit aussi considérable que nous venons de la supposer, il faudroit nécessairement que les étoiles fussent beaucoup plus grandes que le Soleil ; bien plus, qu'il s'ensuivroit qu'elles seroient au moins aussi grandes que le diametre de l'orbe annuel de la Terre. C'est une objection que nous allons examiner dans l'article suivant, où nous parlerons de la grandeur des étoiles.

Grandeur & nombre des étoiles. La grandeur des étoiles fixes paroît être différente ; mais cette différence peut venir, au moins en partie, de la différence de leurs distances, & non d'aucune diversité qu'il y ait dans leurs grandeurs réelles.

C'est à cause de cette différence qu'on divise les étoiles en sept classes, ou en sept différentes grandeurs. Voyez CONSTELLATION.

Les étoiles de la premiere grandeur sont celles dont les diametres nous paroissent les plus grands : après celles-là sont celles de la seconde grandeur ; & ainsi de suite jusqu'à la sixieme, qui comprend les plus petites étoiles qu'on puisse appercevoir sans télescope. Toutes celles qui sont au-dessus, sont appellées étoiles télescopiques. La multitude de ces étoiles est considérable, & on en découvre de nouvelles à mesure qu'on employe de plus longues lunettes ; mais il n'étoit pas possible aux anciens de les ranger dans les six classes dont nous venons de parler. Voyez TELESCOPIQUE.

Ce n'est pas que toutes les étoiles de chaque classe paroissent être précisément de la même grandeur ; chaque classe est fort étendue à cet égard, & les étoiles de la premiere grandeur paroissent presques toutes différentes en éclat & en grosseur. Il y a d'autres étoiles de grandeurs intermédiaires, que les Astronomes ne peuvent placer dans telle classe plûtôt que dans la suivante, & qu'ils rangent à cause de cela entre deux classes.

Par exemple, Procyon, que Ptolomée regarde comme une étoile de la premiere grandeur, & que Tycho place dans la seconde classe, n'est rangé par Flamsteed ni dans l'une ni dans l'autre ; mais il le place entre la premiere & la seconde.

Il faudroit même, à proprement parler, établir autant de classes différentes qu'il y a d'étoiles fixes. En effet, il est bien rare d'en trouver deux qui soient précisément de la même grandeur ; & pour ne parler uniquement que de celles de la premiere grandeur, voici les principales différences qu'on y a reconnues. Sirius est la plus grande & la plus éclatante de toutes ; ensuite on trouve qu'Arcturus surpasse en grandeur & en lumiere Aldebaran ou l'oeil du Taureau, & l'épi de la Vierge ; & cependant on les nomme communément étoiles de la premiere grandeur.

Catalogue des Etoiles de différentes grandeurs, selon Kepler.

Ce nombre est celui des étoiles qu'on découvre à la vûe simple ; car avec le télescope, comme nous l'avons déjà dit, on en apperçoit beaucoup plus.

Quelques auteurs assûrent que le diametre apparent des étoiles de la premiere grandeur, est d'une minute au moins ; & comme on a déjà dit que l'orbite de la Terre, vûe des étoiles fixes, paroît sous un angle moindre que 30 secondes, ils ont conclu de-là que le diametre des étoiles est beaucoup plus grand que celui de toute l'orbite de la Terre. De plus, disent-ils, une sphere dont le demi-diametre égale seulement la distance du Soleil à la Terre, est dix millions de fois plus grande que le Soleil ; par conséquent ils croyent que les étoiles fixes doivent être bien plus de dix millions de fois plus grandes que le Soleil. Il y auroit donc une différence énorme entre la grosseur du Soleil & celle des étoiles fixes ; & par conséquent on ne pourroit plus dire que ce sont des corps lumineux semblables, & on seroit assez mal fondé à mettre le Soleil au nombre des étoiles fixes.

Mais on s'est trompé : car les diametres même des plus grandes étoiles, vûs à-travers un télescope qui rend les objets par exemple cent fois plus gros qu'ils ne sont, ne paroissent point du tout avoir de grandeur sensible, mais ne sont que des points brillans.

Ainsi cette prétendue grandeur des étoiles n'est fondée que sur des observations fort imparfaites ; & il est vrai que quelques astronomes peu habiles en ce genre, se sont fort trompés dans les diametres apparens qu'ils ont assigné aux étoiles. L'angle sous lequel paroissent les étoiles fixes de la premiere grandeur, n'est pas même d'une seconde ; car lorsque la Lune rencontre l'oeil du Taureau, le coeur du Lion, ou l'épi de la Vierge, l'occultation est tellement instantanée, & l'étoile si brillante à cet instant, qu'un observateur attentif ne sauroit se tromper, ni demeurer dans l'incertitude pendant une demi-seconde de tems. Or si ces étoiles avoient par exemple un diametre au moins de cinq secondes, on les verroit s'éclipser peu-à-peu, & diminuer sensiblement de grandeur pendant près de 10 secondes de tems, à raison de 13 degrés que la Lune parcourt en 24 heures. Il y a autour des étoiles, sur-tout pendant la nuit, une espece de fausse lumiere, un rayonnement ou scintillation qui nous trompe, & qui fait que nous les jugeons au moins cent fois plus grandes qu'elles ne sont. On fait disparoître cependant la plus grande partie de cette fausse lumiere, en regardant les étoiles par un trou fait à une carte avec la pointe d'une aiguille, ou plûtôt en y employant d'excellentes lunettes d'approche qui en absorbent la plus grande quantité, puisqu'on n'y apperçoit les étoiles fixes que comme des points lumineux, & beaucoup plus petites qu'à la vûe simple. On sait pourtant que les lunettes d'approche grossissent les objets : or il semble que le contraire paroît à l'égard des étoiles fixes ; ce qui prouve combien le diametre apparent de ces étoiles est peu sensible à notre égard. On ne sait comment le P. Riccioli s'y est laissé tromper, jusqu'à donner à Sirius un diametre de 18 secondes ; car si on suppose qu'à la vûe simple les deux lignes tirées des extrémités du diametre de Sirius forment dans notre oeil un angle de 18 secondes, une lunette qui augmenteroit 200 fois les objets, nous feroit par conséquent appercevoir cette étoile sous un angle de 3600 secondes, c'est-à-dire d'un degré : d'où il s'ensuivroit que Sirius vû à-travers la lunette, paroîtroit d'un diametre presque double de celui du Soleil ou de la Lune. Or quoique les plus excellentes lunettes ne soient pas même capables d'absorber totalement cette fausse lumiere qui environne les étoiles fixes, il est certain toutefois que Sirius n'y paroît pas plus grand que la planete de Mars mesurée au micrometre ou à la vûe simple ; mais le diametre de Mars dans sa plus petite distance de la Terre est au plus de 30 secondes : ainsi quoique la lunette augmente 200 fois environ le diametre apparent de Sirius, l'angle sous lequel on y apperçoit cette étoile n'est que d'environ 30 secondes, c'est-à-dire qu'à la vûe simple ce diametre ne seroit guere que de la 200e partie de 30 secondes ; ou d'environ neuf tierces. On demandera peut-être maintenant comment nous pouvons appercevoir les étoiles fixes, puisque leur diametre apparent répond à un angle qui n'est aucunement sensible : mais il faut faire attention que c'est ce rayonnement & cette scintillation qui les environnent, qui est cause que ces corps lumineux se voyent à des distances si prodigieuses. au contraire de ce qui arrive à l'égard de tout autre objet. L'expérience ne nous apprend-t-elle pas qu'une bougie ou un flambeau allumé se voyent pendant la nuit sous un angle très-sensible à plus de deux lieues de distance ? Au lieu que si dans le plus grand jour on expose tout autre objet de pareille grosseur à la même distance, on ne pourra jamais l'appercevoir : à peine pourroit-on même distinguer un objet qui seroit dix fois plus grand que la flamme de la bougie. La raison de cela est que les corps lumineux lancent de tous côtés une matiere incomparablement plus forte que celle qui est refléchie par les corps non lumineux ; & que celle-ci étant amortie par la réflexion, devient plus foible & se fait à peine sentir à une grande distance : l'autre au contraire est tellement vive, qu'elle ébranle avec une force incomparablement plus grande les fibres de la rétine ; ce qui produit une sensation tout-à-fait différente, & nous fait juger par cette raison les corps lumineux beaucoup plus grands qu'ils ne sont. Voyez les Instit. astron. de M. le Monnier. Il n'est pas inutile d'observer ici que la scintillation des étoiles est d'autant moindre, que l'air est moins chargé de vapeurs ; aussi dans les pays où l'air est extrèmement pur, comme dans l'Arabie, les étoiles n'ont point de scintillation. Voyez ETINCELLEMENT, SCINTILLATION, & l'hist. de l'acad. de 1743, pag. 28.

Catalogue des étoiles. On divise aussi les étoiles par rapport à leur situation, en astérismes ou constellations, qui ne sont autre chose qu'un assemblage de plusieurs étoiles voisines, qu'on considere comme formant quelque figure déterminée, par exemple d'un animal, &c. & qui en prend le nom : cette division est aussi ancienne au moins que le livre de Job, dans lequel il est parlé d'Orion & des Pleyades, &c. Voyez CONSTELLATION & ARCTURUS.

Outre les étoiles qui sont ainsi distinguées en différentes grandeurs ou constellations, il y en a qui ne font partie d'aucune. Celles qui ne sont point rangées en constellations sont nommées informes, ou étoiles sans forme. Les astronomes modernes ont formé de nouvelles constellations de plusieurs étoiles, que les anciens regardoient comme étoiles informes ; comme le coeur de Charles, cor Caroli, qui a été formé en constellation par Halley, & l'écu de Sobieski, scutum Sobiesci, par Hevelius, &c. V. COEUR, ECU, &c.

Celles qui ne sont point réduites en classes ou grandeurs, sont appellées étoiles nébuleuses ; parce qu'elles ne paroissent que foiblement & en forme de petits nuages brillans. Voyez NEBULEUX.

Le nombre des étoiles paroît très-grand & presque infini ; cependant il y a long-tems que les Astronomes ont déterminé le nombre de celles que les yeux peuvent appercevoir, qu'ils ont trouvé beaucoup moindre qu'on ne se l'imagineroit. 125 ans avant J. C. Hipparque fit un catalogue, c'est-à-dire une énumération des étoiles avec la description exacte de leurs grandeurs, situations, longitude, latitude, &c. Ce catalogue est le premier dont nous ayons connoissance ; & Pline ne craint point d'appeller cette entreprise, rem etiam Deo improbam. Hipparque fit monter le nombre des étoiles visibles à 1022 ; elles étoient distribuées en 48 constellations. Ptolomée ajouta quatre étoiles au catalogue d'Hipparque, & fit monter le nombre jusqu'à 1026. Dans l'année 1437, Ulug Beigh petit-fils de Tamerlan, n'en compte que 1017 dans un catalogue nouveau qu'il fit, ou qu'il fit faire.

Mais dans le seizieme & le dix-septieme siecles, lorsque l'Astronomie commença à refleurir, on trouva que le nombre des étoiles étoit beaucoup plus grand. On ajoûta aux 48 constellations des anciens douze autres nouvelles, qu'on observa vers le pole méridional, & deux autres vers le pole septentrional, &c. Voyez CONSTELLATION.

Ticho Brahé publia un catalogue de 777 étoiles, qu'il observa lui-même. Kepler, sur les observations de Ptolomée & autres, en augmenta le nombre jusqu'à 1163 : Riccioli jusqu'à 1468, & Bayer jusqu'à 1725. Halley en ajoûta 373, qu'il observa lui-même vers le pole antarctique : Hevelius, sur les observations de Halley & sur les siennes propres, fit un catalogue de 1888 étoiles ; & depuis, Flamsteed en a fait un contenant 3000 étoiles, qu'il a toutes observées lui-même avec exactitude.

Il est vrai que de ces 3000 étoiles il y en a beaucoup qu'on ne peut appercevoir qu'à-travers un télescope. S'il arrive souvent dans les belles nuits d'hyver qu'on en voye une quantité innombrable, cela vient de ce que notre vûe est trompée par la vivacité de leur éclat ; parce que nous ne les voyons que confusément, & que nous ne les examinons pas par ordre : au lieu que quand on vient à les considérer plus attentivement, & même à les distinguer l'une après l'autre, il seroit bien difficile d'en trouver qui n'ayent été marquées dans les cartes ou les catalogues d'Hevelius ou de Flamsteed. Bien plus, si on a devant les yeux un de ces grands globes, semblables à ceux de Blaeu, & qu'on le compare avec le ciel ; quelque excellente vûe que l'on ait, on n'en pourra guere découvrir, même parmi les plus petites étoiles, qui n'ait été placée sur la surface de ce globe. Cependant le nombre des étoiles est presque infini. Riccioli (ce qui est peut-être exagéré) avance dans son almageste, que quand quelqu'un diroit qu'il y en a plus de 20000 fois 20000, il ne diroit rien que de probable.

En effet un bon télescope dirigé vers un point quelconque du ciel, en découvre une multitude immense, que l'oeil seul ne peut pas appercevoir ; particulierement dans la voie lactée, qui pourroit bien n'être autre chose qu'un assemblage d'étoiles trop éloignées pour être vûes séparément ; mais arrangées si près les unes des autres, qu'elles donnent une apparence lumineuse à cette partie des cieux qu'elles occupent. Voyez GALAXIE & VOIE LACTEE.

Dans la seule constellation des Pleyades, au lieu de six ou sept étoiles qu'apperçoit l'oeil le plus perçant, le docteur Hooke avec un télescope de douze piés de long, en a apperçu 78 ; & avec des verres plus grands, une quantité encore plus grande de différentes grandeurs. Le P. Rheita capucin, assûre qu'il a observé plus de deux mille étoiles dans la seule constellation d'Orion ; il est vrai que ce dernier fait n'a point été confirmé. Le même auteur en a trouvé 188 dans les Pleyades ; & Huyghens considérant l'étoile qui est au milieu de l'épée d'Orion, a trouvé qu'au lieu d'une il y en avoit douze. Galilée en a trouvé 80 dans l'épée d'Orion, 21 dans l'étoile nébuleuse de sa tête, & 36 dans l'étoile nébuleuse nommée Praesepe.

En 1603, Jean Bayer astrologue allemand, publia des cartes célestes gravées, où toutes les constellations sont dessinées avec les étoiles visibles, dont chacune est composée. Il désigna ces étoiles par des lettres greques, appellant l'une , l'autre , &c. ce qui abrege les dénominations : ainsi on dit l'étoile de la grande ourse, au lieu de l'étoile de la seconde grandeur, qui est à l'extrémité de la queue de la grande ourse, &c.

Les changemens qu'ont éprouvé les étoiles sont très-considérables ; ce qui renverse l'opinion des anciens, qui soûtenoient que les cieux & les corps célestes étoient incapables d'aucun changement ; que leur matiere étoit permanente & éternelle, infiniment plus dure que le diamant, & n'étoit point susceptible d'une autre forme. En effet jusqu'au tems d'Aristote & même 200 ans après, on n'avoit encore observé aucun changement.

Le premier fut remarqué l'an 125 avant J. C. Hipparque s'apperçut qu'il paroissoit une nouvelle étoile ; ce qui l'engagea à faire son catalogue des étoiles, dont nous avons parlé, afin que la postérité pût appercevoir les changemens de cette espece qui pourroient arriver à l'avenir.

En 1572, Ticho Brahé observa encore une nouvelle étoile dans Cassiopée, qui lui donna pareillement occasion de faire son nouveau catalogue. Sa grandeur d'abord surpassoit celle de Sirius & de la luisante de la Lyre, qui sont les plus grandes de nos étoiles ; elle égaloit même celle de Vénus quand elle est le plus près de la Terre, & on l'apperçut en plein jour : elle parut pendant seize mois ; dans les derniers tems elle commença à décroître, & enfin disparut tout-à-fait sans avoir changé de place pendant tout le tems qu'elle dura.

Leovicius parle d'une autre étoile qui parut dans la même constellation vers l'an 945, & ressembloit à celle de 1572 ; & il cite une autre observation ancienne, par laquelle il paroît qu'on avoit vû une nouvelle étoile dans le même endroit en 1264.

Keill prétend que c'étoit la même étoile, & ne doute point qu'elle ne reparoisse de nouveau dans 150 ans.

Fabricius a découvert une autre nouvelle étoile dans le cou de la Baleine, qui parut & disparut différentes fois dans les années 1648 & 1662. Son cours & son mouvement ont été décrits par Bouillaud.

Simon Marius en a découvert une autre dans la ceinture d'Andromede en 1612 & 1613 : Bouillaud prétend qu'elle avoit déjà paru dans le quinzieme siecle. Kepler en a apperçû une autre dans le Serpentaire, & une autre de la même grandeur dans la constellation du Cygne proche du bec, en l'année 1601, qui disparut en 1626 ; qui fut encore observée par Hevelius en 1659, jusqu'en l'année 1661 ; & qui reparut une troisieme fois en 1666 & en 1671, comme une étoile de la sixieme grandeur.

Il est certain par les anciens catalogues, que plusieurs des anciennes étoiles ne sont plus visibles à présent : cela se remarque particulierement dans les Pleyades ou sept étoiles, dont il n'y en a plus que six que l'oeil peut appercevoir : c'est une observation qu'Ovide a faite il y a long-tems, témoin ce vers de cet auteur :

Quae septem dici, sex tamen esse solent.

Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'il y a des étoiles dont la lumiere, après s'être affoiblie successivement & par degrés, s'éteint enfin absolument pour reparoître ensuite ; parmi ces dernieres étoiles, celle du cou de la Baleine est célebre parmi les Astronomes. Il arrive pendant huit ou neuf mois qu'on cesse absolument de voir cette étoile, & les trois ou quatre autres mois de l'année, on la voit augmenter ou diminuer de grandeur. Quelques philosophes ont cru que cela venoit uniquement de ce que la surface de cette étoile est couverte, pour la plus grande partie, de corps opaques ou taches semblables à celles du Soleil ; qu'il n'y reste qu'une partie découverte ou lumineuse ; & que cette étoile achevant successivement les révolutions ou rotations autour de son axe, ne sauroit toûjours présenter directement sa partie lumineuse : ensorte que nous devons l'appercevoir tantôt plus, tantôt moins grande, & cesser de la voir entierement, lorsque sa partie lumineuse n'est plus tournée vers nous. Ce qui a fait soupçonner que c'étoient des taches qui causoient principalement ces changemens, c'est qu'en diverses années l'étoile ne conserve pas une régularité constante, ou n'est pas précisément de la même grandeur : tantôt elle égale en lumiere les plus belles étoiles de la seconde grandeur, tantôt celles de la troisieme ; en un mot l'augmentation ou la diminution de sa lumiere, ne répond pas à des intervalles égaux. Elle n'est visible quelquefois que pendant trois mois entiers : au lieu qu'on l'a vûe souvent pendant quatre mois & davantage. Cependant cette opinion des Philosophes sur l'apparition & la disparition des étoiles n'est guere vraisemblable, si on considere que nonobstant quelques irrégularités, l'étoile de la Baleine paroît & disparoît assez régulierement dans les mêmes saisons de l'année ; ce qu'on ne doit pas raisonnablement soupçonner dans l'hypothèse des taches qui peuvent se détruire ou renaître sans observer d'ordre, soit pour les tems, soit pour les saisons : il est bien plus simple de supposer, comme a fait M. de Maupertuis dans son livre de la figure des astres, que ces sortes d'étoiles ne sont pas rondes comme le Soleil, mais considérablement applaties, parce qu'elles tournent sans-doute très-rapidement autour de leur axe. Cette supposition est d'autant plus légitime, que l'on voit parmi nos planetes celles qui tournent le plus rapidement autour de leur axe, être bien plus applaties que les autres. Jupiter, selon l'observation de M. Picard faite en 1668, & selon les mesures de MM. Cassini & Pound, est considérablement applati ; ce qu'on ne peut pas dire des autres planetes : aussi Jupiter tourne-t-il très-rapidement sur son axe. Pourquoi donc ne seroit-il pas permis de supposer des étoiles fixes plus ou moins applaties, selon qu'elles tournent plus ou moins rapidement ? d'ailleurs comme de grosses planetes peuvent faire leurs révolutions autour de ces étoiles, & changer à notre égard la situation de l'axe de ces corps lumineux, il s'ensuit que selon leur inclinaison plus ou moins grande, ils paroîtront plus ou moins éclatans, jusqu'à ne nous envoyer qu'une très-petite quantité de lumiere. Voy. la figure des astres de M. de Maupertuis, chap. vij. pag. 114. seconde édition.

Montanari dans une lettre qu'il écrivit à la société royale en 1670, observe qu'il y avoit alors de moins dans les cieux deux étoiles de la seconde grandeur dans le navire Argo, qui ont paru jusqu'à l'année 1664 ; il ne sait quand elles commencerent à disparoître, mais il assûre qu'il n'en restoit pas la moindre apparence en 1668 : il ajoûte qu'il a observé beaucoup d'autres changemens dans les étoiles fixes, & il fait monter ces changemens à plus de cent. Nous ne croyons pas cependant que ces prétendues observations de Montanari méritent beaucoup d'attention, puisqu'il est vrai, selon M. Kirch, que les deux belles étoiles que Montanari prétend avoir perdu de vûe, ont été apperçûes continuellement depuis Ptolomée jusqu'à ce jour à un signe au-delà, ou 30 degrés loin de l'endroit du ciel où on les cherchoit. Ces étoiles, dit Montanari, sont marquées & dans Bayer, proche le grand chien. L'erreur des cartes de Bayer vient sans-doute de ce que cet auteur s'en est rapporté aux traductions latines du texte de Ptolomée ; au lieu que l'édition grecque de Basle nous apprend qu'il falloit chercher ces étoiles dans le vieux catalogue vers le 15 degré du Lion, & non pas au 15 de l'Ecrevisse.

Comme il y a des étoiles qui ne se couchent jamais pour nous (voyez CIRCONPOLAIRE), il en est d'autres qui ne se levent jamais ; ce sont celles qui sont à une distance du pole austral, moindre que notre latitude. M. Halley en avoit déjà dressé un catalogue (voyez CONSTELLATION) ; M. de la Caille dans son voyage récent au cap de Bonne-Espérance, assûre avoir déterminé en peu de tems la position de plus de 9800 étoiles comprises entre le pole austral & le tropique du capricorne ; il a construit un planisphere de 1930 de ces étoiles ; le tems en apprendra l'exactitude.

Nature des étoiles fixes. Leur éloignement immense ne nous permet pas de pousser bien loin nos découvertes sur cet objet : tout ce que nous pouvons en apprendre de certain par les phénomenes, se réduit à ce qui suit.

1°. Les étoiles fixes brillent de leur propre lumiere ; car elles sont beaucoup plus éloignées du Soleil que Saturne, & paroissent plus petites que Saturne : cependant on remarque qu'elles sont bien plus brillantes que Saturne ; d'où il est évident qu'elles ne peuvent pas emprunter leur lumiere de la même source que Saturne, c'est-à-dire du Soleil. Or puisque nous ne connoissons point d'autre corps lumineux dont elles puissent tirer leur lumiere, que le Soleil, il s'ensuit qu'elles brillent de leur propre lumiere.

On conclut de-là 2°. que les étoiles fixes sont autant de soleils : car elles ont tous les caracteres du Soleil ; savoir l'immobilité, la lumiere propre, &c. Voyez SOLEIL.

3°. Qu'il est très-probable que les étoiles ne sont pas plus petites que notre Soleil.

4°. Qu'il est fort probable que ces étoiles ne doivent point être dans une même surface sphérique du ciel ; car en ce cas elles seroient toutes à la même distance du Soleil, & différemment distantes entr'elles, comme elles nous le paroissent : or pourquoi cette régularité d'une part, & cette irrégularité de l'autre ? D'ailleurs pourquoi notre soleil occuperoit-il le centre de cette sphere des étoiles ?

5°. De plus, il est bien naturel de penser que chaque étoile est le centre d'un système & a des planetes qui font leurs révolutions autour d'elle de la même maniere que notre Soleil, c'est-à-dire qu'elle a des corps opaques qu'elle éclaire, échauffe, & entretient par sa lumiere : car pourquoi Dieu auroit-il placé tant de corps lumineux à de si grandes distances les uns des autres, sans qu'il y eût autour d'eux quelques corps opaques qui en reçussent de la lumiere & de la chaleur ? Rien ne paroît assûrément plus convenable à la sagesse divine qui ne fait rien inutilement. Au reste nous ne donnons ceci que pour une legere conjecture. Voyez PLURALITE DES MONDES. Les planetes imaginées autour de certaines étoiles, pourroient servir à expliquer le mouvement particulier qu'on remarque dans quelques-unes d'elles, & qui pourroit être causé par l'action de ces planetes, lorsque la théorie de la précession & de la nutation (voyez ces mots) ne suffit pas pour l'expliquer. C'est ainsi que le Soleil est tant-soit-peu dérangé par l'action des sept planetes, sur tout de Jupiter & de Saturne. Voyez mes recherches sur le système du monde, II. partie, ch. jv.

Mouvement des étoiles. Les étoiles fixes ont en général deux sortes de mouvemens apparens : l'un qu'on appelle premier, commun, ou mouvement journalier, ou mouvement du premier mobile ; c'est par ce mouvement qu'elles paroissent emportées avec la sphere ou firmament auquel elles sont attachées, autour de la Terre d'orient en occident dans l'espace de vingt-quatre heures. Ce mouvement apparent vient du mouvement réel de la Terre autour de son axe.

L'autre, qu'on appelle le second mouvement, est celui par lequel elles paroissent se mouvoir suivant l'ordre des signes, en tournant autour des poles de l'écliptique avec tant de lenteur, qu'elles ne décrivent pas plus d'un degré de leur cercle dans l'espace de 71 ou 72 ans, ou 51 secondes par an.

Quelques-uns ont imaginé, on ne sait sur quel fondement, que quand elles seront arrivées à la fin de leur cercle au point où elles l'ont commencé, les cieux demeureront en repos, à moins que l'Etre qui leur a donné d'abord leur mouvement, ne leur ordonne de faire un autre circuit.

Sur ce pié le monde doit finir après avoir duré environ 30000 ans, suivant Ptolomée ; 25816 suivant Ticho ; 25920 suivant Riccioli, & 24800 suivant Cassini. Voyez PRECESSION DES EQUINOXES. Mais ce calcul est appuyé sur une chimere.

En comparant les observations des anciens astronomes avec celles des modernes, nous trouvons que les latitudes de la plûpart des étoiles fixes sont toûjours sensiblement les mêmes ; abstraction faite de la nutation presque insensible de l'axe de la Terre (Voy. NUTATION) ; mais que leur longitude augmente toûjours de plus en plus, à cause de la précession.

Ainsi, par exemple, la longitude du coeur du Lion fut trouvée par Ptolomée, l'an 138, de 2d 3' ; en 1115 les Persans observerent qu'elle étoit 17d 30' ; en 1364 elle fut trouvée par Alphonse de 20d 40' ; en 1586, par le prince de Hesse, 24d 11' ; en 1601, par Ticho, 24d 17' ; & en 1690, par Flamsteed, 25d 31' 20" : d'où il est aisé d'inférer le mouvement propre des étoiles, suivant l'ordre des signes, sur des cercles paralleles à l'écliptique.

Ce fut Hipparque qui soupçonna le premier ce mouvement, en comparant les observations de Tymocharis & Aristille, avec les siennes. Ptolomée qui vécut 300 ans après Hipparque, le démontra par des argumens incontestables. Voyez LONGITUDE.

Tycho Brahé prétend que l'accroissement de longitude est d'un degré 25' par chaque siecle ; Copernic, d'un degré 23' 40" 12''' ; Flamsteed & Riccioli, d'un degré 23' 20" ; Bouillaud, d'un degré 24' 54" ; Hevelius, d'un degré 24' 46" 50''' : d'où il résulte, suivant Flamsteed, que l'accroissement annuel de longitude des étoiles fixes doit être fixé à 50".

Cela posé, il est aisé de déterminer l'accroissement de la longitude d'une étoile pour une année quelconque donnée ; & de-là la longitude d'une étoile pour une année quelconque étant donnée, il est aisé de trouver sa longitude pour toute autre année : par exemple la longitude de Sirius, dans les tables de M. Flamsteed pour l'année 1690, étant 9d 49' 1", on aura sa longitude pour l'année 1724, en multipliant l'intervalle de tems, c'est-à-dire 34 ans par 50" ; le produit qui est 1700", ou 28' 20", ajoûté à la longitude donnée, donnera la longitude 10d 17' 21".

Au reste la longitude des étoiles est sujette à une petite équation que j'ai donnée dans mes Recherches sur le systeme du monde, II. part. pag. 189. & je remarquerai à cette occasion qu'au bas de la table suivante, pag. 190 du même ouvrage, pour la correction de l'obliquité de l'écliptique, les mots ajoûtés & ôtés ont été mis par mégarde l'un à la place de l'autre.

Les principaux phénomenes des étoiles fixes qui viennent de leur mouvement commun & de leur mouvement propre apparens, outre leurs longitudes, sont leurs hauteurs, ascensions droites, déclinaisons, occultations, culminations, lever & coucher. Voyez HAUTEUR, ASCENSION, DECLINAISON, OCCULTATION, &c.

J'observerai seulement ici que la méthode donnée au mot ASCENSION pour trouver l'ascension droite, n'a proprement lieu que pour le Soleil ; ce qu'on appelle dans cet article le cosinus de la déclinaison de l'astre, est le cosinus de l'obliquité de l'écliptique. Pour trouver l'ascension droite des étoiles en général, on peut se servir des méthodes expliquées & détaillées dans les institutions astronomiques de M. le Monnier, pages 383 & 387. Nous y renvoyons le lecteur.

Le nombre des différentes étoiles qui forment chaque constellation, par exemple le Taureau, le Bouvier, Hercule, &c. se peut voir sous le propre article de chaque constellation ; TAUREAU, BOUVIER, HERCULE, &c.

Pour apprendre à connoître les différentes étoiles fixes par le globe, voyez GLOBE.

Voyez les élémens d'Astronomie de Wolf ; les dictionnaires d'Harris & de Chambers ; les mémoires de l'académie des Sciences ; les institutions astronomiques de M. le Monnier d'où nous avons tiré une grande partie de cet article. (O)

ETOILES ERRANTES, est le nom qu'on donne quelquefois aux planetes, pour les distinguer des étoiles fixes. Voyez ETOILE & PLANETE. (O)

ETOILES FLAMBOYANTES, est le nom que l'on a donné quelquefois aux cometes, à cause de la chevelure lumineuse dont elles sont presque toûjours accompagnées. Voyez COMETE. (O)

ETOILE TOMBANTE, (Physique) On donne ce nom à un petit globe de feu qu'on voit quelquefois rouler dans l'atmosphere, & qui répand çà & là une lumiere assez vive. " Il tombe aussi quelquefois à terre ; & comme il a quelque ressemblance avec une étoile, on lui donne le nom d'étoile tombante. Il paroît ordinairement au printems & dans l'automne. Lorsque cette étoile vient à tomber, & qu'on rencontre l'endroit où elle est, on remarque que la matiere qui reste encore, est visqueuse comme de la colle, de couleur jaunâtre ; & que tout ce qui en étoit combustible, ou qui pouvoit répandre de la lumiere, se trouve entierement consumé. On peut imiter ces sortes d'étoiles, en mêlant ensemble du camphre & du nitre avec un peu de limon, que l'on arrose avec du vin ou de l'eau-de-vie. Lorsqu'on a formé de ce mêlange une boule, & qu'on la jette dans l'air après y avoir mis le feu, elle répand en brûlant une lumiere semblable à celle de l'étoile tombante ; & quand elle est tombée, il ne reste plus qu'une matiere visqueuse, qui ne differe pas de celle que laisse l'étoile après sa chûte.

Il flotte ça & là dans l'air du camphre qui est fort volatil ; il y a aussi beaucoup de nitre & du limon fort délié ; de sorte que ces parties venant à se rencontrer, s'incorporent & forment une longue traînée, qui n'a plus alors besoin que d'être allumée par l'une ou par l'autre de ses extrémités, à l'aide de l'effervescence qui se fait par le mêlange de quelqu'autre matiere qu'elle rencontre. Aussitôt que cette traînée est en feu, & que la flamme passe d'un bout à l'autre, la matiere incombustible se rassemble ; elle devient beaucoup plus pesante que l'air, & tombe alors pour la plus grande partie à terre. La nature employe peut-être encore quelqu'autre matiere pour produire ce phénomene " Mussch. essais de Physiq. §. 1683. &c. (O)

ETOILE DE MER, stella marina, (Hist. nat.) animal qui doit ce nom à sa figure. Planc. XVIII. Les étoiles de mer sont découpées, ou plûtôt comme divisées en cinq parties qu'on peut nommer rayons. La surface supérieure des étoiles de mer, ou celle à laquelle les jambes ne sont pas attachées, est couverte par une peau très-dure : c'est peut-être ce qui a déterminé Aristote à les ranger parmi les testacées ou animaux à coquilles ; mais Pline donne avec plus de raison à cette peau le nom de callum durum, car elle ressemble par sa solidité à une espece de cuir ; elle est hérissée de diverses petites éminences d'une matiere beaucoup plus dure, & qui ressemble fort à celle des os ou des coquilles. Cette peau supérieure est différemment colorée dans diverses étoiles : dans quelques-unes elle est rouge : dans d'autres violette ; dans d'autres bleue & jaunâtre dans d'autres ; & enfin elle est souvent de diverses couleurs moyennes entre celles-ci. Les mêmes couleurs ne paroissent pas sur la surface inférieure, qui est presque couverte par les jambes & par diverses pointes qui bordent ses côtés, plus longues que celles de la surface supérieure.

On voit au milieu de l'étoile, lorsqu'on la regarde par-dessous, une petite bouche ou suçoir dont elle se sert pour tirer la substance des coquillages, desquels elle se nourrit, comme Aristote l'a fort bien remarqué. Il auroit eu moins de raison s'il avoit assûré, comme il paroît par la traduction de Gasa, que les étoiles ont une telle chaleur, qu'elles brûlent tout ce qu'elles touchent : Rondelet, qui veut faire parler Aristote plus raisonnablement, dit que cela doit s'entendre des choses qu'elles ont mangées, qu'elles digerent très-vîte. Pline cependant a adopté le sentiment d'Aristote dans le sens que Gaza l'a traduit ; car il dit expressément, tam igneum fervorem esse tradunt, parlant de l'étoile, ut omnia in mari contacta adurat. Après quoi il parle comme d'une chose différente de la facilité qu'elle a à digérer.

On a cru apparemment devoir leur attribuer une chaleur semblable à celle des astres dont elles portent le nom. Quoi qu'il en soit de cette chaleur imaginaire, il est certain qu'elles mangent les coquillages, & qu'elles ont autour de leur suçoir cinq dents, ou plûtôt cinq petites fourchettes d'une espece de matiere osseuse, par le moyen desquelles elles tiennent les coquillages, pendant qu'elles les sucent : peut-être que c'est avec les mêmes pointes qu'elles ouvrent leurs coquilles, lorsqu'elles sont de deux pieces. Chaque rayon de l'étoile est fourni d'un grand nombre de jambes, dont le méchanisme est ce qu'il y a de plus curieux dans cet animal.

Le nombre des jambes est si grand, qu'elles couvrent le rayon presque tout entier du côté où elles lui sont attachées. Elles y sont posées dans quatre rangs différens : chacun desquels est d'environ soixante-seize jambes ; & par conséquent l'étoile entiere est pourvûe de 1520 jambes, nombre assez merveilleux, sans que Belon le poussât jusqu'à près de cinq mille. Tout ce grand attirail de jambes ne sert cependant qu'à exécuter un mouvement très-lent ; aussi sont-elles si molles, qu'elles ne semblent guere mériter le nom de jambes. A proprement parler, ce ne sont que des especes de cornes telles que celle de nos limaçons de jardins, mais dont les étoiles se servent pour marcher ; ce n'est pas simplement par leur peu de consistance qu'elles ressemblent à des cornes de limaçons, elles ne leur sont pas moins semblables par leur couleur & leur figure : elles sont aussi souvent retirées comme les cornes d'un limaçon ; c'est seulement lorsque l'étoile veut marcher, qu'on les voit dans leur longueur, encore l'étoile ne fait-elle paroître alors qu'une partie de ses jambes : mais dans le tems même que l'étoile, ou plûtôt leur ressort naturel les tient elles-mêmes raccourcies, on apperçoit toûjours leur petit bout, qui est un peu plus gros que l'endroit qui est immédiatement au-dessous.

La méchanique que l'étoile employe pour marcher, ou plûtôt pour allonger ses jambes, doit nous paroître d'autant plus curieuse, qu'on l'apperçoit clairement ; chose rare dans ces sortes d'opérations de la nature, dont les causes nous sont ordinairement si cachées, que nous pouvons également les expliquer par des raisonnemens très-opposés ; il n'en est point, dis-je, de même, de la méchanique dont l'étoile se sert pour allonger ses jambes. Il est aisé de la remarquer très-distinctement, si-tôt que l'on a mis à découvert les parties intérieures d'un des rayons, en coupant sa peau dure du côté de la surface supérieure de l'étoile, ou de la surface opposée à celle sur laquelle les jambes sont situées : l'intérieur de l'étoile paroît alors divisé en deux parties par une espece de corps cartilagineux, quoique assez dur.

Le corps semble composé d'un grand nombre de vertebres faites de telle façon, qu'il se trouve une coulisse au milieu du corps, qu'elles forment par leur assemblage. A chaque côté de cette coulisse on voit avec plaisir deux rangs de petites sphéroïdes elliptiques, ou de boules longues, d'une clarté, d'une transparence très-grande, longues de plus d'une ligne, mais moins grosses que longues ; il semble que ce soient autant de petites perles rangées les unes auprès des autres. Entre chaque vertebre est attachée une de ces boules de part & d'autre de la coulisse : mais à deux distances inégales. Ces petites boules sont formées par une membrane mince, mais pourtant assez forte, dont l'intérieur est rempli d'eau ; ensorte qu'il n'y a que la surface de la boule qui soit membraneuse. Il n'est pas difficile de découvrir que ces boules sont faites pour servir à l'allongement des jambes de l'étoile. On développe toute leur ingénieuse méchanique, lorsqu'en pressant avec le doigt quelqu'une de ces boules on les voit se vuider, & qu'en même tems on observe que les jambes qui leur correspondent se gonflent. Enfin lorsqu'on voit qu'après avoir cessé de presser ces mêmes boules, elles se remplissent pendant que les jambes s'affaissent & se raccourcissent à leur tour : qui ne sent que tout ce que l'étoile a à faire pour enfler ses jambes, c'est de presser les boules. Ces boules pressées se déchargent de leur eau dans les jambes, qu'elles gonflent & étendent aussi-tot : mais dès que l'étoile cesse de presser les boules, le ressort naturel des jambes qui les affaisse, les raccourcit & chasse l'eau dans les boules dont elle étoit sortie. Ces jambes ainsi allongées, les étoiles s'en servent pour marcher sur les pierres & sur le sable, soit qu'elles soient à sec, soit que l'eau de la mer les couvre. Mémoires de l'acad. royale des Sciences, 1710, pag. 634, in -8°. Article de M. FORMEY, secrétaire de l'acad. roy. des Sciences & Belles-Lettres de Prusse.

Il résulte de ce détail, que l'étoile est un insecte de mer, divisé en plusieurs rayons, ayant au milieu du corps une petite bouche ou suçoir, autour duquel sont cinq dents ou fourchettes dures & comme osseuses. La surface supérieure de l'étoile de mer est revêtue d'un cuir calleux, diversement coloré. La surface inférieure & les rayons sont couverts des jambes, dont le méchanisme est, comme on l'a dit ci-dessus, extrèmement curieux.

L'insecte que Rondelet appelle soleil de mer, & celui que Gesner nomme lune de mer, paroît être le même que la petite étoile de mer à cinq rayons dont on vient de parler ; mais il n'a point de jambes à ses rayons. Les cinq rayons sont eux-mêmes les jambes. L'animal en accroche deux à l'endroit vers lequel il veut s'avancer, & se retire ou se traîne sur ces deux-là, tandis que le rayon qui leur est opposé, se recourbant en un sens contraire & s'appuyant sur le sable, pousse le corps de l'étoile vers le même endroit : alors les deux autres rayons demeurent inutiles ; mais ils ne le seroient plus, si l'animal vouloit tourner à droite ou à gauche. On voit par-là comment il peut aller de tous côtés avec une égale facilité, n'employant jamais que trois jambes ou rayons, & laissant reposer les deux autres.

Il y a plusieurs autres especes d'étoiles de mer grandes & petites, qui restent encore à connoître aux Naturalistes, sur-tout celles de la mer des Indes & du Sud. Les curieux en parent leurs cabinets, & les estiment à proportion de leur grosseur, de leur couleur, du nombre & de la perfection de leurs rayons.

Au reste les amateurs de cette petite branche de la Conchyliologie pourront se procurer l'ouvrage de Linckius sur les étoiles de mer. En voici le titre : Linckii (Joh. Henr.), de stellis marinis liber singularis cum observationib. Christ. Gab. Fischer ; accedunt Luydii, de Reaumur, & Dan. Cave in hoc argumentum opuscula. Lips. 1733, fol. cum tab. aeneis 42. Article de M(D.J.)

ETOILE, (Hist. mod.) est aussi une marque qui caractérise les ordres de la jarretiere & du bain. Voy. JARRETIERE.

L'ordre de l'étoile, ou de Notre-Dame de l'étoile, est un ordre de chevalerie institué ou renouvellé par Jean roi de France, en l'année 1352 ; ainsi nommé à cause d'une étoile qu'il portoit sur l'estomac.

D'abord il n'y eut que trente chevaliers, & de la noblesse la plus distinguée ; mais peu-à-peu cet ordre tomba dans le mépris à cause de la quantité de gens qu'on y admit sans aucune distinction : c'est pourquoi Charles VII. qui en étoit grand-maitre, le quitta & le donna au chevalier du guet de Paris & à ses archers. Mais d'autres traitent tout cela d'erreur, & prétendent que cet ordre fut institué par le roi Robert en 1022, en l'honneur de la sainte Vierge : durant les guerres de Philippe-de-Valois ; & que le roi Jean son fils le rétablit.

Le collier de l'ordre de l'étoile étoit d'or à trois chaines, entrelacées de roses d'or émaillées alternativement de blanc & de rouge, & au bout pendoit une étoile d'or à cinq rayons. Les chevaliers portoient le manteau de damas blanc, & les doublures de damas incarnat ; la gonnelle ou cotte d'armes de même, sur le devant de laquelle, au côté gauche, étoit une étoile brodée en or. Les chevaliers étoient obligés de dire tous les jours une couronne ou cinq dixaines d'Ave Maria & cinq Pater, & quelques prieres pour le roi & pour son état. Ce qui prouve que cet ordre a été institué par Robert, & non par le roi Jean, c'est qu'on trouve une promotion de chevaliers de l'étoile sous le premier, sous Philippe-Auguste, & sous S. Louis. 2°. Il ne paroît pas que Charles VII. ait avili, comme on prétend, l'ordre de l'étoile ; puisque trois ans avant sa mort il le conféra au prince de Navarre Gaston de Foix son gendre. Il est bien plus probable que Louis XI. ayant institué l'ordre de Saint Michel, les grands, comme il arrive ordinairement, aspirerent à en être décorés, & que celui de l'étoile tomba peu-à-peu dans l'oubli.

Justiniani fait mention d'un autre ordre de l'étoile à Messine en Sicile, qu'on nommoit aussi l'ordre du croissant. Il fut institué en l'année 1268 par Charles d'Anjou frere de S. Louis, roi des deux Siciles.

D'autres soûtiennent qu'il fut institué en 1464 par René duc d'Anjou, qui prit le titre de roi de Sicile ; du moins il paroît par les armes de ce prince, qu'il fit quelque changement dans le collier de cet ordre : car au lieu de fleurs de lumiere ou étoiles, il ne portoit que deux chaînes, d'où pendoit un croissant avec le vieil mot françois Loz, qui en langage de rébus signifioit Los en croissant ; c'est-à-dire honneur en croissant ou s'augmentant.

Cet ordre étant tombé dans l'obscurité, fut relevé de nouveau par le peuple de Messine sous le nom de noble académie des chevaliers de l'étoile, dont ils reduisirent l'ancien collier à une simple étoile placée sur une croix fourchue, & le nombre des chevaliers à soixante-deux. Ils prirent pour devise, monstrant regibus astra viam, qu'ils exprimerent par les quatre lettres initiales, avec une étoile au milieu . Voyez CROISSANT. Voyez le dictionnaire de Trévoux & Chambers. (G)

ETOILE, en Blason, signifie la représentation d'une étoile, dont on charge souvent les pieces honorables d'un écusson. Elle differe de la mollette ou roue d'un éperon, en ce qu'elle n'est point percée comme la mollette. Voyez MOLLETTE.

Elle est ordinairement composée de cinq rayons ou pointes : quand il y en a six ou huit, comme parmi les Italiens & les Allemands, il en faut faire mention en expliquant le blason d'une armoirie.

Sur les médailles, les étoiles sont une marque de consécration & de déification : on les regarde comme des symboles d'éternité. Le P. Jobert dit qu'elles signifient quelquefois les enfans des princes régnans, & quelquefois les enfans morts & mis au rang des dieux. Voyez APOTHEOSE. Ménétr. & Trév.

ETOILE, c'est, dans la Fortification, un petit fort qui a quatre, cinq, ou six angles saillans & autant de rentrans, & dont les côtés se flanquent obliquement les uns & les autres. Voyez FORT DE CAMPAGNE & FORT A ETOILE. (Q)

ETOILE ou PELOTE, (Manége & Maréch.) termes synonymes dont nous nous servons pour désigner un espace plus ou moins grand de poils blancs contournés en forme d'épi, & placés au milieu du front un peu au-dessus des yeux. On conçoit que ces poils blancs ne peuvent se distinguer que sur des chevaux de tout autre poil. Nous nommons des chevaux dont le front est garni de cette pelote, des chevaux marqués en tête, & cette pelote entre toûjours dans le détail de leur signalement. Les chevaux blancs ne peuvent être dits tels.

Souvent cette marque est artificielle & faite de la main du maquignon, soit qu'il se trouve dans la nécessité d'appareiller un cheval qui est marqué en tête avec un cheval qui ne l'est pas, soit aussi pour tromper les ignorans qui regardent un cheval qui n'a point d'étoile, comme un cheval défectueux. Voy. ZAIN.

Pour cet effet ils cherchent à faire une plaie au milieu du front de l'animal. Les uns y appliquent une écrevisse rôtie & brûlante : les autres percent le cuir avec une haleine, & pratiquent ainsi six trous dans lesquels ils insinuent longitudinalement & transversalement des petites verges de plomb, dont les extrémités restent en-dehors, & débordent de maniere que ces verges sont placées en figure d'étoile. Ils passent ensuite une corde de laine, ou un lien quelconque sous ces six pointes ; ils la recroisent ensuite dessus, & font autant de tours qu'il en faut pour que toute la place de la pelote soit couverte : après quoi ils arrêtent ce lien par un noeud, & rabattent les extrémités des verges sur la peau. Quelques jours après ils les retirent, & il en résulte une plaie qui occasionne la chûte du poil, lequel en renaissant reparoît blanc. Voyez POIL. (e)

ETOILE, (Artificier) on appelle ainsi un petit artifice lumineux d'un feu clair & brillant, comparable à la lumiere des étoiles. Lorsqu'il est adhérent à un saucisson, on l'appelle étoile à pet.

La maniere de faire cette espece d'artifice, peut être beaucoup variée, tant dans sa composition, que dans sa forme, & produire cependant toûjours à-peu-près le même effet. Les uns les font en forme de petites boules massives : les autres en boules de pâte, percées & enfilées comme des grains de chapelet : les autres en petits paquets de poudre seche, simplement enveloppée de papier ou d'étoupe : d'autres enfin en roüelles plates, de compositions aussi seches, mais bien pressées & enfilées avec des étoupilles.

Dose de composition pour les étoiles. Prenez quatre onces de poudre, deux onces de salpetre, autant de soufre ; deux tiers de limaille de fer, de camphre, d'ambre blanc, d'antimoine, & de sublimé, de chacun demi-once : on peut supprimer ces trois derniers ingrédiens si l'on veut. Après avoir réduit toutes ces matieres en poudre, on les trempe dans de l'eau-de-vie, dans laquelle on a fait dissoudre un peu de gomme adragant sur les cendres chaudes ; lorsqu'on voit que la gomme se fond, on y jette les poudres dont on vient de parler, pour en faire une pâte, qu'on coupe ensuite par petits morceaux, & qu'on perce au milieu avant qu'elle soit seche, pour les enfiler avec des étoupilles.

Des étoiles à pet. Lorsqu'on veut que la lumiere des étoiles finisse par le bruit d'un coup, on prend un cartouche de cette espece de serpenteaux qu'on appelle lardons, très-peu étranglé ; on le charge de la maniere des étoiles dont on a parlé, à la hauteur d'un pouce ; ensuite on l'étrangle fortement, de sorte qu'il n'y reste d'ouverture que celle qui est nécessaire pour la communication du feu ; on remplit le reste du cartouche de poudre grenée, laissant seulement au-dessus autant de vuide qu'il en faut pour le couvrir d'un tampon de papier, & l'étrangler totalement par-dessus. On met cet artifice dans le pot de la fusée, d'où étant chassé par la force de la poudre, il paroît en étoile & finit par un pet.

Des étoiles à serpenteaux. On étrangle un cartouche de gros serpenteaux de neuf à dix lignes de diametre, à la distance d'un pouce de ses bouts ; & l'ayant introduit dans son moule pour le charger, on a un culot dont la têtine est assez longue pour remplir exactement le vuide qu'on a laissé, afin que la partie qui doit contenir la matiere du serpenteau, soit bien appuyée sur cette tetine pour y être chargée avec une baguette de cuivre, comme les serpenteaux ordinaires & de la même matiere de leur composition.

Le serpenteau étant chargé & étranglé par son bout, on renverse le cartouche pour remplir la partie intérieure, dans laquelle entroit la têtine de la matiere seche ou humide des étoiles sans l'étrangler. Mais auparavant il faut ouvrir avec un poinçon un trou de communication au serpenteau dans le fond de cette partie, qu'on amorce de poudre avant que de mettre dessus la matiere à étoile.

Cette partie étant remplie & foulée comme il convient, on la laisse ainsi pleine sans l'étrangler, l'arrêtant seulement par un peu de pâte de poudre écrasée dans l'eau, pour l'amorcer & placer cet artifice dans un pot de fusée volante sur cette amorce. Traité des feux d'Artifice.

ETOILE, (Horlogerie) piece de la quadrature d'une montre, ou d'une pendule à répétition. On lui a donné ce nom à cause de sa figure, qui ressemble à celle que l'on donne ordinairement aux étoiles. Elle a douze dents. Voyez son usage à l'article REPETITION, & la fig. 57, Pl. II. de l'Horlogerie & suiv. marque B, & dans la 57. par. 1, 2, 3-12. (T)

ETOILE, (Jard.) on appelle ainsi plusieurs allées d'un jardin, ou d'un parc, qui viennent aboutir à un même centre, d'où l'on joüit de différens points de vûe. Il y a des étoiles simples & des doubles. Les simples sont formées de huit allées ; les doubles de douze ou de seize.

Etoile est encore un petit oignon de fleur, dont la tige est fort basse, & la fleur tantôt blanche, & tantôt jaune : c'est une espece d'ornithogalum. (K)

ETOILE, nom d'un outil dont se servent les Relieurs-Doreurs. On pousse les étoiles après le bouquet & les coins ; on en met plusieurs entre les coins & le bouquet, pour y servir d'ornement. On dit pousser les coins & les étoiles. Voyez FERS A DORER.

ETOILE, (Manuf. en soie) c'est une des pieces du moulin à mouliner les soies. Voyez l'article SOIE.

ETOILE, (Géog. mod.) petite ville du Dauphiné.


ETOILÉadj. terme de Chirurgie. On donne ce nom à une espece de bandage qui est de deux sortes, le simple & le double.

Le bandage étoilé simple est pour les fractures du sternum & des omoplates. Il se fait avec une bande roulée à un chef, longue de quatre aulnes, large de quatre travers de doigt. Si c'est pour les omoplates, on applique d'abord le bout de la bande sous l'une des aisselles ; on conduit le globe par-derriere sur l'épaule de l'autre côté, en passant sur les vertebres ensuite on descend par-dessous l'aisselle, pour revenir en-derriere croiser entre les deux omoplates, & assujettir le bout de la bande sous l'aisselle, pour remonter de derriere en-devant sur l'épaule, & continuer les mêmes croisés & circonvolutions, en faisant des doloires : on finit par quelques circulaires autour du corps. Quand on applique ce bandage pour le sternum, on fait par-devant les croisés, qui dans le bandage pour les omoplates se font par-derriere.

Le bandage étoilé double s'applique à la luxation des deux humérus à-la-fois, & à la fracture des deux clavicules. Il se fait avec une bande roulée à un chef, longue de six à sept aulnes, large de quatre travers de doigt, qu'on applique d'abord par-devant, & avec laquelle on fait quatre spica ; le premier sur le sternum, le second entre les omoplates, & un sur chaque épaule : ensuite on finit autour du corps. Si c'est pour les clavicules, on assujettit les deux bras autour du corps. Le nom de ces bandages vient de leur figure. (Y)

ETOILE (Blason). Une croix étoilée est celle qui a quatre rayons disposés en forme de croix, assez larges au centre, mais qui finissent en pointe. Voyez CROIX.

ETOILE, à la Monnoie, se dit d'un flanc qui recevant le coup de balancier, s'ouvre ou se casse par un défaut de recuite. Voyez RECUIRE.


ÉTOILE qui file(Physiq.) Ce n'est pas réellement une étoile comme le vulgaire l'imagine, c'est une espece d'exhalaison enflammée dans l'air, très-commune en été, & dont la lumiere parcourant rapidement un espace du ciel, fait voir une lumiere continue, parce que la ligne d'impression vive qu'elle trace dans l'oeil, s'opere si promptement, que tous les points de cette ligne d'impression subsistent ensemble un certain espace de tems. C'est ainsi que les enfans trompent leurs yeux, en remuant avec vîtesse un petit morceau de bois embrasé par le bout. (D.J.)


ETOLES. f. (Hist. ecclés.) ornement sacerdotal que les curés, dans l'Eglise romaine, portent pardessus le surplis, & qui est, selon quelques-uns, une marque de la supériorité qu'ils ont chacun dans leur paroisse. Le P. Thomassin prétend au contraire que l'étole paroît plus affectée à l'administration des sacremens, qu'à marquer la jurisdiction. Thomass. Discipl. eccl. part. IV. liv. I. ch. xxxvij.

Ce mot vient du grec qui signifie une robe longue ; &, en effet, chez les anciens Grecs & Romains, l'étole étoit un manteau commun même aux femmes, & nous l'avons confondu avec l'orarium, qui étoit une bande de linge dont se servoient tous ceux qui vouloient être propres, pour arrêter la sueur autour du cou & du visage, & dont les empereurs faisoient quelquefois des largesses au peuple romain, comme le remarque M. Fleury. Moeurs des Chrétiens, tit. xlj.

L'étole ainsi changée de forme, est aujourd'hui une longue bande de drap ou d'étoffe précieuse, large de quatre doigts, bordée ou galonnée, & terminée à chaque bout par un demi-cercle d'étoffe d'environ un demi-pié de large, sur chacun desquels est une croix en broderie ou autrement. Il y a aussi une croix à l'endroit de l'étole qui répond à la nuque du cou, & qui est garni d'un linge blanc, ou d'une dentelle de la longueur d'un pié ou environ. L'étole se passe sur le cou, & pend également par-devant perpendiculairement à droite & à gauche, tombant presque jusqu'aux piés, si ce n'est à la messe, où les prêtres la croisent sur l'estomac, & les diacres la portent passée en échappe de l'épaule gauche sous le bras droit.

L'étole des anciens étoit, comme nous avons déjà dit, fort différente de celles d'aujourd'hui ; il paroît même que c'étoit quelquefois un ornement fort riche, & un habit de cérémonie que les rois donnoient à ceux qu'ils vouloient honorer : de-là ces expressions de l'Ecriture, stolam gloriae induit eum. Les monarques d'Orient sont encore aujourd'hui dans l'usage de donner des vestes & des pelisses fort riches aux princes & aux ambassadeurs.

L'usage ou le droit qu'ont les curés de porter l'étole, n'est pas uniforme par-tout. Le premier concile de Milan ordonna aux prêtres de n'administrer les sacremens qu'en surplis & en étole ; ce que le cinquieme de la même ville, & celui d'Aix en 1585, enjoignirent même aux réguliers qui entendent les confessions. Les constitutions synodales de Roüen, celles d'Eudes de Paris, les conciles de Bude en 1276, de Roüen en 1581, de Reims en 1583, font assister les curés au synode avec une étole. Le concile de Cologne, en 1280, ne donne l'étole qu'aux abbés, aux prieurs, aux archiprêtres, aux doyens. Le synode de Nîmes ne donne pas non plus d'étole aux curés. En Flandres & en Italie les prêtres prêchent toûjours en étole. S. Germain, patriarche de Constantinople, dans ses explications mystiques des habits sacerdotaux, dit que l'étole représente l'humanité de Jesus-Christ teinte de son propre sang. D'autres veulent qu'elle soit une figure de la longue robe que portoit le grand-prêtre des Juifs. Thomass. Discipl. de l'Egl. part. IV. liv. I. ch. xxxvij. (G)

ETOLE, (Hist. mod.) ordre de chevalerie institué par les rois d'Aragon. On ignore le nom du prince qui en fut l'instituteur, le tems de sa création, aussi-bien que le motif de son origine, & les marques de sa distinction ; on conjecture seulement qu'elles consistoient principalement en une étole ou manteau fort riche, & que c'est de-là que cet ordre a tiré son nom ; les plus anciennes traces qu'on en trouve ne remontent pas plus haut qu'Alphonse V. qui commença à regner en 1416. Justiniani prétend que cet ordre a commencé vers l'an 1332.

ETOLE D'OR, (Ordre militaire à Venise) ainsi nommé à cause d'une étole d'or que les chevaliers portent sur l'épaule gauche, & qui tombe jusqu'aux genoux par-devant & par-derriere, & large d'une palme & demie. Personne n'est élevé à cet ordre, s'il n'est patricien ou noble Vénitien. Justiniani remarque qu'on ignore l'époque de son institution.


ETONNEMENTS. m. (Morale) c'est la plus forte impression que puisse exciter dans l'ame un évenement imprévû. Selon la nature de l'évenement, l'étonnement dégénere en surprise, ou est accompagné de joie, de crainte, d'admiration, de desespoir.

Il se dit aussi au physique de quelque commotion intestine, ainsi que dans cet exemple : j'eus la tête étonnée de ce coup ; & dans celui-ci : cette piece est étonnée, où il signifie une action du feu assez forte pour déterminer un corps à perdre la couleur qu'il a, & à commencer de prendre celle qu'on se proposoit de lui donner.

ETONNEMENT DE SABOT, (Manége, Maréchall.) secousse, commotion que souffre le pié en heurtant contre quelques corps très-durs ; ce qui peut principalement arriver lorsque, par exemple, le cheval, en éparant vigoureusement, atteint de ses deux piés de derriere, ensemble ou séparément, un mur qui se trouve à sa portée & derriere lui.

Cet évenement n'est très-souvent d'aucune conséquence ; il en résulte néanmoins quelquefois des maladies très-graves. La violence du heurt peut en effet occasionner la rupture des fibres & des petits vaisseaux de communication du sabot & des tégumens, ainsi que des expansions aponévrotiques du pié. Alors les humeurs s'extravasent, & détruisent toûjours de plus en plus, par leur affluence, toutes les connexions. Ces mêmes humeurs croupies, perverties, & changées en pus, corrodent encore par leur acrimonie toutes les parties ; elles forment des vuides, elles donnent lieu à des fusées, & se frayent enfin un jour à la portion supérieure du sabot, c'est-à-dire à la couronne : c'est ce que nous appellons proprement souffler au poil.

Si nous avions été témoins du heurt dont il s'agit, la cause maladive ne seroit point du nombre de celles que nous ne saisissons que difficilement, & nous attribuerions sur le champ la claudication de l'animal à l'ébranlement que le coup a suscité ; mais nous ne sommes pas toûjours certains de trouver des éclaircissemens dans la sincérité de ceux qui ont provoqué le mal, & qui sont plus ou moins ingénus, selon l'intérêt qu'ils ont de déguiser leur faute & leur imprudence : ainsi nous devons, au défaut de leur aveu, rechercher des signes qui nous le décelent.

Il n'en est point de véritablement univoques, car la claudication, l'augmentation de la douleur, la difficulté de se reposer sur la partie, sa chaleur, l'engorgement du tégument à la couronne, la fievre, l'éruption de la matiere, capable de dessouder l'ongle, si l'on n'y remédie, sont autant de symptomes non moins caractéristiques dans une foule d'autres cas, que dans celui dont il est question. On peut cependant, en remontant à ce qui a précédé, & en examinant si une enclouûre, ou des seymes saignantes, ou l'encastelure, ou des chicots, ou des maladies qui peuvent être suivies de dépôts, ou une infinité d'autres maux qui peuvent affecter le pié de la même maniere, n'ont point eu lieu ; décider avec une sorte de précision, & être assûré de la commotion & de l'étonnement.

Dès le moment du heurt, où il n'est que quelques fibres lésées, & qu'une legere quantité d'humeur extravasée, on y pare aisément en employant les remedes confortatifs & résolutifs, tels que ceux qui composent l'emmiellure suivante.

" Prenez poudre de plantes aromatiques, deux livres ; farines résolutives, qui sont celles de feve, d'orobe, de lupin & d'orge, demi-livre : faites bouillir le tout dans du gros vin, & ajoûtez-y miel commun, six onces, pour l'emmiellure, que vous fixerez sur la solle ".

Ce cataplasme cependant ne sauroit remplir toutes nos vûes. Il est absolument important de prévenir les efforts de la matiere, qui pourroit souffler au poil dans l'instant même où nous ne nous y attendrions pas ; & pour nous précautionner contre cet accident, nous appliquerons sur la couronne l'emmiellure répercussive que je vais décrire.

" Prenez feuilles de laitue, de morelle & de plantain, une poignée ; de joubarbe, demi-poignée : faites bouillir le tout dans une égale quantité d'eau & de vinaigre : ajoûtez-y de l'une des quatre farines résolutives, trois onces, & autant de miel ".

Mais les humeurs peuvent être extravasées de maniere à former une collection & à suppurer : alors il faut promtement sonder avec les triquoises toute la circonférence & la partie inférieure de l'ongle, & observer non-seulement le lieu où il y a le plus de chaleur, mais celui qui nous paroît le plus sensible, afin d'y faire promtement une ouverture avec le boutoir ou avec la gouge, ouverture qui offrira une issuë à la matiere, & qui nous fournira le moyen de conduire nos médicamens jusqu'au mal même. Supposons de plus que cette matiere se soit déjà ouvert une voie par la corrosion du tissu de la peau vers la couronne ; nous n'en ouvrirons pas moins la solle, & cette contre-ouverture facilitera la détersion du vuide & des parties ulcérées, puisque nous ne pourrons qu'y faire parvenir plus aisément les injections vulnéraires que nous y adresserons. On évitera, ainsi que je l'ai dit, relativement aux plaies suscitées par les chicots, les encloüures, &c. (voyez ENCLOUURE), les remedes gras, qui hâteroient la ruine des portions aponévrotiques, qui s'exfolient souvent ensuite de la suppuration (voyez FILANDRE) ; & l'on n'employera dans les pansemens que l'essence de terebenthine, les spiritueux, la teinture de myrrhe & d'aloës, &c. Si l'on apperçoit des chairs molles, on les consumera en pénétrant aussi profondément dans le pié qu'il sera possible, avec de l'alun en poudre, ou quelqu'autre cathérétique convenable ; & en suivant cette route on pourra espérer de voir bientôt une cicatrice, soit à la couronne, soit à la solle, qui n'aura pas moins de solidité que n'en avoient les parties détruites.

La saignée précédant ces traitemens, s'opposera à l'augmentation du mal, favorisera la résolution de l'humeur stagnante, & calmera l'inflammation.

Enfin il est des cas où les progrès sont tels, que la chûte de l'ongle est inévitable. Je ne dirai point, avec M. de Soleysel, qu'alors le cheval est totalement perdu ; mais je laisserai agir la nature, sur laquelle je me reposerai du soin de cette chûte & de la régénération d'un nouveau pié. Deux expériences m'ont appris qu'elle ne demande qu'à être aidée dans cette opération ; ainsi j'userai des médicamens doux ; je tempérerai la terebenthine dont je garnirai tout le pié, en y ajoûtant des jaunes d'oeufs & de l'huile rosat : mes pansemens en un mot seront tels, que les chairs qui sont à découvert, & qui sont d'abord très-vives, n'en seront point offensées ; & ensuite de la guérison on distinguera avec peine le pié neuf de celui qui n'aura été en proie à aucun accident.

Il seroit assez difficile, au surplus, de prescrire ici & à cet égard une méthode constante ; je ne pourrois détailler que des regles générales, dont la variété des circonstances multiplie les exceptions. Quand on connoît l'immense étendue des difficultés de l'art, on avoue aisément qu'on ne peut rien ; on se dépouille de ces vaines idées que nous suggere un amour-propre mal entendu, pour s'en rapporter à des praticiens habiles, que le savoir & l'expérience placent toûjours en quelque façon au-dessus de tous les événemens nouveaux & inattendus qui surviennent. (e)


ETOQUIAUS. m. (Horlogerie) signifie en général, parmi les ouvriers en fer, une petite cheville qu'on met dans plusieurs cas à la circonférence d'une roue, pour l'empêcher de tourner au-delà d'un certain point ; ainsi la cheville rivée à la circonférence du balancier, pour l'empêcher de renverser, s'appelle l'étoquiau. Voyez RENVERSEMENT.

On donne encore ce nom à une petite cheville rivée sur l'avant-derniere roue de la sonnerie, & qui sert à l'arrêter. Cette roue se nomme la roue d'étoquiau. Voyez ROUE, SONNERIE, &c.

On appelle aussi de même nom toute piece d'une machine en fer, destinée à en arrêter ou contenir d'autres. Il y a des étoquiaux à coulisse, & il y en a à patte. (T)


ETOUBLAGES. m. (Jurisp.) droit seigneurial énoncé dans une charte d'Odon archevêque de Roüen, de l'an 1262, qui se levoit sur les esteules, terme qui signifie également le blé & le chanvre. Ducange en son glossaire, au mot estoublagium, croit que ce droit consistoit apparemment dans l'obligation de la part des sujets du seigneur, de ramasser pour lui, après la récolte, du chanvre pour couvrir les maisons ; ce qui est assez vraisemblable. (A)


ETOUFFÉadj. (Docimast.) se dit d'un essai qui est recouvert de ses scories, parce qu'on n'a pas eu soin de donner ou de soûtenir le feu dans un degré convenable, ou qu'on a donné froid mal-à-propos : alors il ne boût plus & ne fume plus, parce qu'il n'a plus de communication avec l'air extérieur ; & c'est-là l'origine de sa dénomination. L'essai est fort sujet à devenir étouffé, quand il est mêlé d'étain. On dit encore dans le même sens, l'essai est noyé. Voyez ce mot. On remédie à ces deux inconvéniens en donnant très-chaud, & mettant un peu de poudre de charbon sur la coupelle. Voyez ESSAI. Article de M. DE VILLIERS.

ETOUFFE, (Jardinage) On dit un bois, un arbre étouffé, quand ils sont entourés d'autres arbres touffus qui leur nuisent.


ETOUFFERv. act. (Gramm.) Il se dit au simple & au figuré. Au simple, c'est supprimer la communication avec l'air libre ; ainsi l'on dit étouffer le feu dans un fourneau : j'étouffe dans cet endroit. Au figuré, il faut étouffer cette affaire, c'est-à-dire empêcher qu'elle n'ait des suites en transpirant.


ETOUPAGES. m. terme de Chapelier, qui signifie ce qui reste de l'étoffe après avoir fabriqué les quatre capades qui doivent former le chapeau ; & que ces ouvriers ménagent, après l'avoir feutré avec la main, pour garnir les endroits de ces capades qui sont les plus foibles. Voyez CHAPEAU.


ETOUPES. f. C'est le nom que les Filassieres donnent à la moindre de toutes les filasses, tant pour la qualité que pour la beauté. Voyez l'article CORDERIE.

ETOUPE A ETAMER. Les Chauderonniers nomment ainsi une espece de goupillon au bout duquel il y a de la filasse, dont ils se servent pour étendre l'étamure ou étain fondu, dans les pieces de chauderonnerie qu'ils étament. Voyez ETAMURE & ETAMER, & les Planches du Chauderonnier.


ETOUPERterme de Chapelier, qui signifie fortifier les endroits foibles d'un chapeau avec la même étoffe dont on a fait les capades. Voyez ETOUPAGE.


ETOUPIERESS. f. (Corderie) femmes qui charpissent de vieux cordages pour en faire de l'étoupe.


ETOUPILLES. f. (Art milit. & Pyrotechnie) espece de meche composée de trois fils de coton du plus fin, bien imbibée d'eau-de-vie, ou de poulverin ou poudre écrasée, qui sert dans l'artillerie & dans les feux d'artifice.

Maniere de faire l'étoupille. " On prend trois fils de meche de coton du plus fin, & on observe qu'il n'y ait ni noeuds ni bourre. On les trempe dans de l'eau où l'on aura fait fondre un peu de salpetre, pour affermir l'étoupille. On roule & déroule cette petite meche dans du poulverin humecté d'eau-de-vie ; après cela on la met sécher sur une planche.

Pour juger de la bonté de l'étoupille, on en prend un bout d'environ un pié de longueur, & il faut que mettant le feu à un bout, il se porte en même tems à l'autre : s'il n'agit que lentement, c'est une preuve que la meche n'est pas bien imbibée de poulverin, ou qu'elle n'est pas seche.

L'étoupille sert à jetter des bombes sans mettre le feu à la fusée. On en prend deux bouts d'environ trente pouces de longueur, que l'on attache en croix sur la tête de la fusée, où l'on fait quatre petites entailles ; ce qui forme sept bouts qui tombent dans la chambre du mortier, que l'on charge de poudre seulement, sans terre. On peut cependant se servir d'un peu de fourrage pour arranger la bombe. Lorsqu'on met le feu à la lumiere du mortier, il se communique à l'étoupille, qui le porte à la fusée. De cette maniere la bombe ne peut jamais crever dans le mortier, puisque la fusée ne prend feu que quand elle en est sortie. Le service de la bombe est bien plus promt, puisqu'il faut beaucoup moins de tems pour charger le mortier, qu'avec les précautions ordinaires.

On se sert aussi très-utilement de l'étoupille pour tirer le canon. On en prend un bout dont une partie s'introduit dans la lumiere, & l'autre se couche de la longueur d'un ou deux pouces sur la piece. Au lieu d'amorcer comme à l'ordinaire, on met le feu à l'étoupille, qui le porte avec tant de précipitation à la charge, qu'il n'est pas possible de se garantir du boulet ; au lieu qu'en amorçant avec de la poudre, on apperçoit de loin le feu de la traînée, ce qui donne le tems d'avertir avant que le boulet parte : c'est ce que font les sentinelles que l'on pose exprès pour crier bas, lorsqu'ils voyent mettre le feu au canon. D'ailleurs l'étoupille donne moins de sujétion que l'amorce, lorsqu'il pleut ou qu'il fait beaucoup de vent ".


ETOUPILLERv. act. en termes d'Artificier, c'est garnir les artifices des étoupilles nécessaires pour la communication du feu, & l'attacher avec des épingles ou de la pâte d'amorce. Dictionn. de Trév.


ETOURDIadj. (Morale) celui qui agit sans considérer les suites de son action ; ainsi l'étourdi est souvent exposé à tenir des discours inconsidérés.

Il se dit aussi au physique, de la perte momentanée de la réflexion, par quelque coup reçû à la tête : il tomba étourdi de ce coup. On le transporte par métaphore à une impression subitement faite, qui ôte pour un moment à l'ame l'usage de ses facultés : il fut étourdi de cette nouvelle, de ce discours.


ETOURDISSEMENTS. m. (Medecine) C'est le premier degré du vertige : ceux qui en sont affectés, se sentent la tête lourde, pesante ; semblent voit tourner pour quelques momens les objets ambians, & sont un peu chancelans sur leurs piés : symptomes qui se dissipent promtement, mais qui peuvent être plus ou moins fréquens.

Cette affection est souvent le commencement du vertige complet ; elle est quelquefois l'avant-coureur de l'apoplexie, de l'épilepsie ; elle est aussi très-communément un symptome de l'affection hypocondriaque, hystérique, des vapeurs. Voyez en son lieu l'article de chacune de ces maladies. (d)


ETOURNEAUsturnus, s. m. (Hist. nat. Ornith.) oiseau dont le mâle pese trois onces & demie, & la femelle seulement trois onces. Cet oiseau a neuf pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'au bout des pattes, & huit pouces trois quarts, si on ne prend la longueur que jusqu'à l'extrémité de la queue : l'envergure est de seize pouces. L'étourneau est de la grosseur du merle, & lui ressemble par la figure du corps : son bec a un pouce trois lignes de longueur depuis la pointe jusqu'à l'angle de la bouche ; il est plus large & plus applati que celui des merles & des grives. Le bec de l'étourneau mâle est d'un jaune plus pâle que celui de la femelle : dans l'un & dans l'autre la partie supérieure se trouve égale à la partie inférieure : la langue est dure, tendineuse & fourchue : l'iris des yeux a une couleur de noisette, excepté la partie supérieure, qui est blanchâtre : il y a une membrane sous les paupieres : les pattes ont une couleur de safran, ou une couleur de chair : les ongles sont noirâtres ; le doigt extérieur tient au doigt du milieu par sa premiere phalange : les jambes sont couvertes de plumes en entier : la pointe des plumes est jaunâtre dans celles du dos & du cou, & de couleur cendrée dans celles qui sont sous la queue : quelquefois la pointe des plume est noire, avec une teinte de bleu ou de pourpre, qui change à différens aspects. On reconnoît le mâle par la couleur de pourpre, qui est plus apparente sur le dos ; par la couleur du croupion, qui tire plus sur le verd ; & par les taches du bas-ventre, dont le nombre est plus grand que dans la femelle. Les grandes plumes des ailes sont brunes ; mais les bords de la troisieme & de celles qui suivent, jusqu'à la dixieme, & de celles qui se trouvent depuis la quinzieme jusqu'à la derniere, sont d'un noir plus obscur. Les petites plumes qui recouvrent les grandes, sont luisantes ; la pointe de celles du dernier rang est jaune : les petites plumes du dessous de l'aile sont de couleur brune, excepté les bords, qui ont du jaune-pâle : la queue a trois pouces de longueur ; elle est composée de douze plumes qui sont brunes, à l'exception des bords, dont la couleur est jaunâtre. La femelle niche dans des trous d'arbres ; elle pond quatre ou cinq oeufs, qui sont d'un bleu-pâle mêlé de verd.

Les étourneaux se nourrissent de scarabées, de petits vers, &c. Ils vont en bandes ; ils se mêlent avec quelques especes de grives, mais ils ne les suivent pas lorsqu'elles passent en d'autres pays. On trouve quelquefois des variétés dans les oiseaux de cette espece ; on en a vû en Angleterre deux blancs, & un autre dont la tête étoit noire, & le reste du corps blanc. L'étourneau apprend assez bien à parler. Willughby, Ornith. Voyez SANSONNET, OISEAU. (I)

ETOURNEAU, gris-étourneau, (Manége, Marech.) nom d'une sorte de poil, qui par la ressemblance de sa couleur avec celle du plumage de l'oiseau que l'on appelle ainsi, nous a portés à accorder au cheval qui en est revêtu, cette même dénomination. Les chevaux étourneaux, selon les idées qui préoccupoient les anciens, rarement ont les yeux bons ; & à mesure que la couleur de leur poil passe, ils se rallentissent & ont peu de valeur. Ce poil mêlé d'une couleur jaunâtre, n'est pas si fort estimé. Voyez à l'article POIL, le cas que l'on doit faire de ces judicieuses observations. (e)


ETRANGEadj. Il se dit de tout ce qui est ou nous paroît contraire aux notions que nous nous sommes formées des choses, d'après des expériences bien ou mal faites.

Ainsi quand nous disons d'un homme qu'il est étrange, nous entendons que son action n'a rien de commun avec celle que nous croyons qu'un homme sensé doit faire en pareil cas : de-là vient que ce qui nous semble étrange dans un tems, cesse quelquefois de nous le paroître quand nous sommes mieux instruits. Une affaire étrange, est celle qui nous offre un concours de circonstances auquel on ne s'attend point, moins parce qu'elles sont rares, que parce qu'elles ont une apparence de contradiction ; car si les circonstances étoient rares, l'affaire, au lieu d'être étrange, seroit étonnante, surprenante, singuliere, &c.


ETRANGERS. m. (Droit polit.) celui qui est né sous une autre domination & dans un autre pays que le pays dans lequel il se trouve.

Les anciens Scythes immoloient & mangeoient ensuite les étrangers qui avoient le malheur d'aborder en Scythie. Les Romains, dit Cicéron, ont autrefois confondu le mot d'ennemi avec celui d'étranger : peregrinus antea dictus hostis. Quoique les Grecs fussent redevables à Cadmus, étranger chez eux, des sciences qu'il leur apporta de Phénicie, ils ne purent jamais sympathiser avec les étrangers les plus estimables, & ne rendirent point à ceux de cet ordre qui s'établirent en Grece, les honneurs qu'ils méritoient. Ils reprocherent à Antisthene que sa mere n'étoit pas d'Athenes ; & à Iphicrate, que la sienne étoit de Thrace : mais les deux philosophes leur répondirent que la mere des dieux étoit venue de Phrygie & des solitudes du mont Ida, & qu'elle ne laissoit pas d'être respectée de toute la terre. Aussi la rigueur tenue contre les étrangers par les républiques de Sparte & d'Athenes, fut une des principales causes de leur peu de durée.

Alexandre au contraire ne se montra jamais plus digne du nom de grand, que quand il fit déclarer par un édit, que tous les gens de bien étoient parens les uns des autres, & qu'il n'y avoit que les méchans seuls que l'on devoit réputer étrangers.

Aujourd'hui que le commerce a lié tout l'univers, que la politique est éclairée sur ses intérêts, que l'humanité s'étend à tous les peuples, il n'est point de souverain en Europe qui ne pense comme Alexandre. On n'agite plus la question, si l'on doit permettre aux étrangers laborieux & industrieux, de s'établir dans notre pays, en se soûmettant aux lois. Personne n'ignore que rien ne contribue davantage à la grandeur, la puissance & la prospérité d'un état, que l'accès libre qu'il accorde aux étrangers de venir s'y habituer, le soin qu'il prend de les attirer, & de les fixer par tous les moyens les plus propres à y réussir. Les Provinces-unies ont fait l'heureuse expérience de cette sage conduite.

D'ailleurs on citeroit peu d'endroits qui ne soient assez fertiles pour nourrir un plus grand nombre d'habitans que ceux qu'il contient, & assez spacieux pour les loger. Enfin s'il est encore des états policés où les lois ne permettent pas à tous les étrangers d'acquérir des biens-fonds dans le pays, de tester & de disposer de leurs effets, même en faveur des régnicoles ; de telles lois doivent passer pour des restes de ces siecles barbares, où les étrangers étoient presque regardés comme des ennemis. Art. de M(D.J.)

ETRANGER, (Jurispr.) autrement aubain. Voyez AUBAIN & REGNICOLE.

ETRANGER se dit aussi de celui qui n'est pas de la famille. Le retrait lignager a lieu contre un acquéreur étranger, pour ne pas laisser sortir les biens de la famille.

ETRANGER, (droit) voyez ci-dev. au mot DROIT, à l'article DROIT ETRANGER, & aux différens articles du droit de chaque pays. (A)


ETRANGLEMENTS. m. (Hydr.) On entend par ce mot l'endroit d'une conduite où le frottement est si considérable, que l'eau n'y passe qu'avec peine. (K)


ETRANGLERv. act. c'est ôter la vie en comprimant le canal de la respiration : en ce sens on ne peut étrangler qu'un animal ; cependant on étrangle une fusée, une manche, & en général tout corps creux dont on retrécit la capacité en quelque point de sa longueur.

ETRANGLER, en termes d'Artificiers ; c'est retrécir l'orifice d'un cartouche, en le serrant d'une ficelle.


ETRANGUILLONS. m. (Manége, Maréch.) maladie qui dans le cheval est précisément la même que celle que nous connoissons, relativement à l'homme, sous le nom d'esquinancie. Quelque grossiere que paroisse cette expression, adoptée par tous les auteurs qui ont écrit sur l'Hippiatrique, ainsi que par tous les Maréchaux, elle est néanmoins d'autant plus significative, qu'elle présente d'abord l'idée du siége & des accidens de cette maladie.

Je ne me perdrai point ici dans des divisions semblables à celles que les Medecins ont faites de l'angine, sous le prétexte d'en caractériser les différentes especes. Les différentes dénominations d'esquinancie, de kynancie, de parasquinancie, & de parakynancie, ne nous offriroient que de vaines distinctions qui seroient pour nous d'une ressource d'autant plus foible, que je ne vois pas que la medecine du corps humain en ait tiré de grands avantages, puisque Celse, Arctoec, Aëtius, & Hippocrate même, leur ont prêté des sens divers. Ne nous attachons donc point aux mots, & ne nous livrons qu'à la recherche & à la connoissance des choses.

On doit regarder l'étranguillon comme une maladie inflammatoire, ou plûtôt comme une véritable inflammation ; dès lors elle ne peut être que du genre des tumeurs chaudes, & par conséquent de la nature du phlegmon, ou de la nature de l'érésypele. Cette inflammation saisit quelquefois toutes les parties de la gorge en même tems, quelquefois aussi elle n'affecte que quelques-unes d'entr'elles. L'engorgement n'a-t-il lieu que dans les glandes jugulaires, dans les graisses, & dans le tissu cellulaire qui garnit extérieurement les muscles ? alors le gonflement est manifeste, & l'étranguillon est externe. L'inflammation au contraire réside t-elle dans les muscles mêmes du pharynx, du larynx, de l'os hyoïde, de la langue ? le gonflement est moins apparent, & l'étranguillon est interne.

Dans les premiers cas, les accidens sont legers, la douleur n'est pas considérable, la respiration n'est point gênée, la déglutition est libre ; & les parties affectées étant d'ailleurs exposées & soûmises à l'action des médicamens que l'on peut y appliquer sans peine, l'engorgement a rarement des suites funestes, & peut être plus facilement dissipé. Il n'en est pas de même lorsque l'inflammation est intérieure ; non-seulement elle est accompagnée de douleur, de fievre, d'un violent battement de flanc, d'une grande rougeur dans les yeux, d'une excrétion abondante de matiere écumeuse ; mais l'air, ainsi que les alimens, ne peuvent que difficilement enfler les voies ordinaires qui leur sont ouvertes ; & si le mal augmente, & se répand sur la membrane qui tapisse l'intérieur du larynx & du pharynx, & sur les glandes qu'elle renferme, l'obstacle devient tel, que la respiration & la déglutition sont totalement interceptées ; & ces fonctions essentielles étant entierement suspendues, l'animal est dans le danger le plus pressant.

Notre imprudence est communément la cause premiere de cette maladie. Lorsque nous exposons à un air froid un cheval qui est en sueur, nous donnons lieu à une suppression de la transpiration : or les liqueurs qui surchargent la masse, se déposent sur les parties les moins disposées à résister à leur abord ; & les portions glanduleuses de la gorge, naturellement assez lâches, & abreuvées d'une grande quantité d'humeur muqueuse, sont le plus fréquemment le lieu où elles se fixent. 2°. Dès que nous abreuvons un cheval aussi-tôt après un exercice violent, & que nous lui présentons une eau vive & trop froide, ces mêmes parties en souffrant immédiatement l'impression, la boisson occasionne d'une part le resserrement soudain de toutes les fibres de leurs vaisseaux, & par une suite immanquable, celui des pores exhalans, & des orifices de leurs tuyaux excrétoires. D'un autre côté, elle ne peut que procurer l'épaississement de toutes les humeurs contenues dans ces canaux, dont les parois sont d'ailleurs assez fines & assez déliées pour que les corpuscules frigorifiques agissent & s'exercent sur les liqueurs qui y circulent. Ces premiers effets, qui produisent dans l'homme une extinction de voix ou un enrouement, se déclarent dans le cheval par une toux sourde, à laquelle souvent tous les accidens ne se bornent pas. Les liqueurs étant retenues & arrêtées dans les vaisseaux, celles qui y affluent font effort contre leurs parois, tandis qu'ils n'agissent eux-mêmes que sur le liquide qui les contraint : celui-ci pressé par leur réaction, gêné par les humeurs en stase qui s'opposent à son passage, & poussé sans-cesse par le fluide qu'il précede, se fait bientôt jour dans les vaisseaux voisins. Tel qui ne reçoit, pour ainsi dire, que les globules séreuses, étant forcé, admet les globules rouges ; & c'est ainsi qu'accroît l'engorgement, qui peut encore être suivi d'une grande inflammation, vû la distension extraordinaire des solides, leur irritation, & la perte de leur souplesse ensuite de la rigidité qu'ils ont acquise.

Ces progrès ne surprennent point, lorsqu'on réfléchit qu'il s'agit ici des parties garnies & parsemées de nombre de vaisseaux préposés à la séparation des humeurs, dont l'excrétion empêchée & suspendue, doit donner lieu à de plus énormes ravages. En effet, l'irritation des solides ne peut que s'étendre & se communiquer des nerfs de la partie à tout le genre nerveux : il y a donc dès-lors une augmentation de mouvement dans tout le système des fibres & des vaisseaux. De plus, les liqueurs arrêtées tout-à-coup par le resserrement des pores & des tuyaux excrétoires, refluent en partie dans la masse, à laquelle elles sont étrangeres ; elles l'alterent incontestablement, elles détruisent l'équilibre qui doit y regner. En faut-il davantage pour rendre la circulation irréguliere, vague & précipitée dans toute son étendue ; pour produire enfin la fievre, & en conséquence la dépravation de la plûpart des fonctions, dont l'excrétion parfaite dépend toûjours de la régularité du mouvement circulaire ?

Un funeste enchaînement de maux dépendant les uns des autres, & ne reconnoissant qu'une seule & même cause, quoique legere, entraîne donc souvent la destruction & l'anéantissement total de la machine, lorsqu'on ne se précautionne pas contre les premiers accidens, ou lorsqu'on a la témérité d'entreprendre d'y remédier sans connoître les lois de l'économie animale, & sans égard aux principes d'une saine Thérapeutique.

Toutes les indications curatives se réduisent d'abord ici à favoriser la résolution. Pour cet effet on vuidera les vaisseaux par d'amples saignées à la jugulaire, que l'on ne craindra pas de multiplier dans les esquinancies graves. On prescrira un régime délayant, rafraîchissant : l'animal sera tenu au son & à l'eau blanche ; on lui donnera des lavemens émolliens régulierement deux ou trois fois par jour ; & la même décoction préparée pour ces lavemens, mêlée avec son eau blanche, sera une boisson des plus salutaires. Si la fievre n'est pas considérable, on pourra lui administrer quelques legers diaphorétiques, à l'effet de rétablir la transpiration, & de pousser en-dehors, par cette voie, l'humeur surabondante.

Les topiques dont nous userons, seront, dans le cas d'une grande inflammation, des cataplasmes de plantes émollientes ; & dans celui où elle ne seroit que foible & legere, & où nous appercevrions plûtôt un simple engorgement d'humeurs visqueuses, des cataplasmes résolutifs. Lors même que le mal résidera dans l'intérieur, on ne cessera pas les applications extérieures ; elles agiront moins efficacement, mais elles ne seront pas inutiles, puisque les vaisseaux de toutes ces parties communiquent entr'eux, & répondent les uns aux autres.

Si la squinancie ayant été négligée dès les commencemens, l'humeur forme extérieurement un dépôt qui ne puisse se terminer que par la suppuration, on mettra en usage les cataplasmes maturatifs, on examinera attentivement la tumeur, & on l'ouvrira avec le fer aussi-tôt que l'on y appercevra de la fluctuation. Il n'est pas possible de soulager ainsi l'animal dans la circonstance où le dépôt est interne ; tous les chemins pour y arriver, & pour reconnoître précisément le lieu que nous devrions percer, nous sont interdits : mais les cataplasmes anodyns fixés extérieurement, diminueront la tension & la douleur. Nous hâterons la suppuration, en injectant des liqueurs propres à cet effet dans les naseaux de l'animal, & qui tiendront lieu des gargarismes que l'on prescrit à l'homme ; comme lorsqu'il s'agira de résoudre, nous injecterons des liqueurs résolutives. Enfin la suppuration étant faite & le dépôt abcédé, ce que nous reconnoîtrons à la diminution de la fievre, à l'excrétion des matieres mêmes, qui flueront en plus ou moins grande quantité de la bouche du cheval ; à une plus grande liberté de se mouvoir, &c. nous lui mettrons plusieurs fois par jour des billots enveloppés d'un linge roulé en plusieurs doubles, que nous aurons trempés dans du miel rosat.

Toute inflammation peut se terminer par-là en gangrene, & l'esquinancie n'en est pas exempte. On conçoit qu'alors le mal a été porté à son plus haut degré. Tous les accidens sont beaucoup plus violens. La fievre, l'excrétion des matieres visqueuses, qui précede la sécheresse de la langue & l'aridité de toute la bouche ; l'inflammation & la rougeur des yeux, qui semblent sortir de leur orbite ; l'état inquiet de l'animal, l'impossibilité dans laquelle il est d'avaler, son oppression, tout annonce une disposition prochaine à la mortification. Quand elle est formée, la plûpart de ces symptomes redoutables s'évanoüissent, le battement de flanc est appaisé, la douleur de la gorge est calmée, la rougeur de l'oeil dissipée, l'animal, en un mot, plus tranquille ; mais on ne doit pas s'y tromper, l'abattement occasionne plûtôt ce calme & cette tranquillité fausse & apparente, que la diminution du mal. Si l'on considere exactement le cheval dans cet état, on verra que ses yeux sont ternes & larmoyans, que le battement de ses arteres est obscur ; & que du fond du siége de la maladie s'échappent & se détachent des especes de filandres blanchâtres, qui ne sont autre chose que des portions de la membrane interne du larynx & du pharynx, qui s'exfolie : car la gangrene des parties internes, principalement de celles qui sont membraneuses, est souvent blanche.

Ici le danger est extrème. On procédera à la cure par des remedes modérément chauds, comme par des cordiaux tempérés : on injectera par les naseaux du vin dans lequel on aura délayé de la thériaque, ou quelques autres liqueurs spiritueuses : on appliquera extérieurement des cataplasmes faits avec des plantes résolutives les plus fortes, & sur lesquels on aura fait fondre de l'onguent styrax ; & l'on préviendra l'anéantissement dans lequel la difficulté d'avaler précipiteroit inévitablement l'animal, par des lavemens nutritifs.

Quant à l'obstacle qui prive l'animal de la faculté de respirer, on ne peut frayer un passage à l'air, auquel la glotte n'en permet plus, qu'en faisant une ouverture à la trachée, c'est-à-dire en ayant recours à la bronchotomie ; opération que j'ai pratiquée avec succès, & que j'entrepris avec d'autant plus de confiance, qu'elle a été premierement tentée sur les animaux : car Avensoër parmi les Arabes, ne la recommanda sur l'homme qu'après l'expérience qu'il en fit lui-même sur une chevre.

Il s'agissoit d'un cheval réduit dans un état à m'ôter tout espoir de le guérir, au moins par le secours des remedes. Il avoit un battement de flanc des plus vifs : l'oeil appercevoit sensiblement à l'insertion de l'encolure dans le poitrail, une fréquence & une intermittence marquée dans la pulsation des carotides. Les arteres temporales, ou du larmier, me firent sentir aussi ce que dans l'homme on appelle un pouls caprisant. Les veines angulaires & jugulaires étoient extrèmement gonflées : le cheval étoit comme hors d'haleine, & pouvoit à peine se soûtenir ; ses yeux étoient vifs, enflammés, &, pour ainsi parler, hors des orbites ; ses naseaux fort ouverts ; sa langue brûlante & livide, sortoit de la bouche ; une matiere visqueuse, gluante & verdâtre, en découloit : il n'avaloit aucune sorte d'alimens ; les plus liquides, dont quelque tems auparavant une partie passoit dans le pharynx, tandis que celle qui ne pouvoit pas enfiler cette voie naturelle, revenoit & se dégorgeoit par les naseaux, n'outre-passoient plus la cloison du palais : l'inflammation étoit telle enfin, que celle de l'intérieur du larynx fermant l'ouverture de la glotte, occasionnoit la difficulté de respirer, pendant que celle qui attaquoit les autres parties, étoit la cause unique de l'impossibilité de la déglutition.

Dans des maladies aiguës & compliquées, il faut parer d'abord aux accidens les plus pressans ; des circonstances urgentes ne permettent pas le choix du tems, & la nécessité seule détermine. L'animal étoit prêt à suffoquer, je ne pensai donc qu'à lui faciliter la liberté de la respiration. Je m'armai d'un bistouri, d'un scalpel, & je me munis d'une cannule de plomb que je fis fabriquer sur le champ ; j'en couvris l'entrée avec une toile très-fine, & j'attachai aux anneaux dont elle étoit garnie sur les côtés du pavillon, un lien, dans le dessein de l'assujettir dans la trachée.

Le cheval, pendant ces préparatifs, étoit tombé, je fus contraint de l'opérer à terre ; je le pouvois d'autant plus aisément, que sa tête n'y reposoit point, & que cette opération est plus facile dans l'animal que dans l'homme, en ce que, 1° l'étendue de son encolure présente un plus grand espace ; & parce qu'en second lieu, non-seulement le diametre du canal que je voulois ouvrir est plus considérable, mais il est moins enfoncé & moins distant de l'enveloppe extérieure.

La partie moyenne de l'encolure fut le lieu qui me parut le plus convenable pour mon opération, attendu qu'en ne m'adressant point à la portion supérieure, je m'éloignois de l'inflammation, qui pouvoit avoir gagné une partie de la trachée ; & que plus près de la portion inférieure, je courois risque d'ouvrir des rameaux artériels & veineux provenant des carotides & des jugulaires, & qui par des variations fréquentes, sont souvent en nombre infini dispersées à l'extérieur de ce conduit.

J'employai ensuite un aide, auquel j'ordonnai de pincer conjointement avec moi, & du côté opposé, la peau, à laquelle je fis une incision de deux travers de doigts de longueur. Je n'intéressai que les tégumens ; & les muscles étant à découvert, je les séparai seulement pour voir la trachée-artere, à laquelle je fis une ouverture dans l'intervalle de deux de ses anneaux, avec un scalpel tranchant des deux côtés. L'air sortit aussi-tôt impétueusement par cette nouvelle issuë, & cet effort me prouve que la glotte étoit presqu'entierement fermée ; & que la petite quantité de celui qui arrivoit dans les poumons par l'inspiration, s'y raréfioit, & ne pouvoit plus s'en échapper. Le soulagement que l'animal en ressentit, fut marqué. Dès cette grande expiration, & au moyen des mouvemens alternatifs qui la suivirent, il fut moins inquiet, moins embarrassé. Ces avantages me flaterent, & j'apportai toutes les attentions nécessaires pour assûrer le succès de mon opération.

La fixation de la cannule étoit un point important ; il falloit l'arrêter de maniere qu'elle ne put entrer ni sortir toute entiere dans la trachée ; accident qui auroit été de la derniere fatalité, soit par la difficulté de l'en retirer, soit par les convulsions affreuses qu'elle auroit infailliblement excitées par son impression sur une membrane d'ailleurs si sensible, que la moindre partie des alimens qui se détourne des voies ordinaires, & qui s'y insinue, suscite une toux qui ne cesse qu'autant que par cette même toux l'animal parvient à l'expulser.

Mais les liens que j'avois déjà attachés aux anneaux, me devenoient inutiles ; la forme & les mouvemens du cou du cheval, rendoient ma précaution insuffisante. J'imaginai donc d'ôter les bandelettes, & je pratiquai deux points de suture, un de chaque côté, qui prit dans ces mêmes anneaux, & dans les levres de la plaie faite au cuir. La cannule ainsi assûrée, je procédai au pansement, qui consista simplement dans l'application d'un emplâtre fenétré fait avec de la poix, par conséquent très-agglutinatif, que je plaçai, comme un contentif & un défensif capable de garantir la plaie de l'accès de l'air extérieur ; & je n'eus garde de mettre en usage la charpie, dont quelques filamens auroient pû s'introduire dans la trachée. Ce n'étoit point encore assez, les points de suture maintenant la cannule de façon à s'opposer à son entrée totale dans le conduit, qu'elle tenoit ouvert ; mais sa situation pouvoit être changée par les différentes attitudes de la tête de l'animal, qui étant muë en-haut & en-avant, auroit pû la tirer hors du canal : aussi prévins-je cet inconvénient, en assujettissant cette partie par une martingale attachée d'un côté à un surfaix qui entouroit le corps du cheval, & de l'autre à la muserole du licou ; ensorte que je le contraignis à tenir sa tête dans une position presque perpendiculaire. Je lui fis ensuite une ample saignée à la jugulaire seulement, dans l'intention d'évacuer ; & le même soir j'en pratiquai une autre à la saphene, c'est-à-dire à la veine du plat de la cuisse, dans la vûe de solliciter une révulsion.

La cannule demeura cinq jours dans cet état. Les principaux accidens disparurent insensiblement ; & je ne doute point que cet amandement, qui fut visible deux heures même après que j'eus opéré, ne soit dû à la facilité que j'avois donnée au cheval d'inspirer & d'expirer, quoiqu'artificiellement ; l'anxiété, l'agitation, & enfin l'anéantissement dans lequel il étoit, provenant sans-doute en partie de la contrainte & de la difficulté de la respiration ; contrainte qui causoit une intermission de la circulation dans les poumons ; & intermission qui ne pouvoit que retarder & même empêcher la marche & la progression du fluide dans tout le reste du corps, puisque toute la masse sanguine est nécessairement obligée de passer par ce viscere.

L'animal fut néanmoins encore trois jours après l'opération, sans recouvrer la faculté d'avaler des alimens d'aucune espece, & sans pouvoir respirer par le larynx. Je pris pendant cet intervalle de tems, le parti de le soûtenir par des lavemens de lait, tantôt pur, & tantôt coupé avec de l'eau dans laquelle je faisois bouillir une ou deux têtes de mouton, jusqu'à l'entiere séparation de la chair & des os. L'effet de ces lavemens ne pouvoit être que salutaire, puisqu'ils étoient très-capables de tempérer l'ardeur des entrailles, & qu'une quantité de sucs nutritifs s'introduisoit toûjours dans le sang par la voie des vaisseaux lactés qui partent des gros intestins, & que j'ai apperçûs très-distinctement dans le cheval.

Telles étoient les ressources legeres dont je profitois : j'en avois encore moins pour placer des gargarismes, cependant essentiels & nécessaires, dès qu'il falloit calmer l'ardeur & la sécheresse des parties du gosier, les détendre, diminuer l'espece d'oblitération de leurs orifices excréteurs, & rétablir enfin le cours de la circulation. J'injectai à cet effet par la bouche & par les naseaux une décoction d'orge, dans laquelle je mettois du miel-rosat & une petite dose de sel de Saturne. L'injection par la bouche poussoit la liqueur jusqu'à la cloison du palais, & jusque sur la base de la langue ; & celle que j'adressois dans les naseaux, s'étendoit par les arriere-narines jusque sur les parties enflammées de l'arriere-bouche, qu'elle baignoit & qu'elle détrempoit. Je laissai encore dans la bouche de l'animal, des billots que je renouvellois toutes les deux heures, & que j'avois entourés d'une éponge fortement imbuë de cette même décoction. Mes voeux furent remplis le quatrieme jour ; les alimens liquides commencerent à passer, ce que je reconnus en voyant descendre la liqueur injectée le long de l'oesophage, dont la dilatation est sensible à l'extérieur dans le tems de la déglutition ; & lorsque je bouchois la cannule, l'air expiré frappoit & échauffoit ma main au moment où je la portois à l'orifice externe des naseaux. Je retirai donc cet instrument, & je mis sur la plaie de la trachée-artere, qui, autant que j'en pus juger, fut fermée dans l'espace de trois jours, un plumaceau trempé dans une décoction vulnéraire & du miel-rosat. J'eus la précaution de le bien exprimer, dans la crainte qu'il n'en entrât dans le conduit, & je couvris le tout d'un grand plumaceau garni de baume d'arcéus, que je tentai d'assujettir par un large collier ; mais le soir je trouvai mon appareil dérangé, & la difficulté de le maintenir me fit changer de méthode. Je crus n'entrevoir aucun danger à procurer la réunion des tégumens, j'y pratiquai un point de suture qui fut suffisant ; car cette réunion commençoit à avoir lieu dans les angles. Je chargeai la plaie d'un plumaceau enduit du même baume, & j'appliquai par-dessus ce plumaceau un emplâtre contentif : aussi le succès répondit à mon attente ; il ne survint point d'emphyseme, accident que j'avois à redouter, & la plaie de la peau fut cicatrisée le sixieme jour, ce qui en fait en tout onze depuis celui de l'opération.

J'ai dit que dès le quatrieme les alimens liquides commençoient à passer. Je fis donc présenter au cheval de l'eau-blanche avec le son ; il n'en but qu'une seule gorgée, & je continuai toûjours les lavemens, quoiqu'enfin il parvînt à boire plus aisément & plus copieusement de l'eau, dans laquelle je fis mettre de la farine de froment : le tout pour réparer la longue abstinence, & pour rappeller ses forces. Je ne cessai point encore les gargarismes ; l'inflammation des parties intérieures avoit été si considérable, que je crus devoir prolonger & réitérer sans-cesse mes injections, & elles étoient si convenables, qu'il survint une sorte de mortification à toutes ces parties.

En effet, l'ardeur s'étant calmée, le pouls étoit concentré & conservoit son irrégularité ; les yeux, de vifs & ardens qu'ils étoient, devinrent mornes & larmoyans ; la sensibilité des parties affectées paroissoit moindre, ou plûtôt le cheval sembloit moins souffrir, mais il étoit dans un état d'abattement qui ne me présageoit rien que de funeste. J'ajoûtai à mes injections quelques gouttes d'eau-de-vie, & la mortification que je soupçonnois se déclara par le signe pathognomonique ; car je vis sortir par la bouche une humeur purulente, jointe à plusieurs petits filamens blanchâtres, tels que ceux dont j'ai parlé.

Après la chûte de cette espece d'escharre, les parties affectées devinrent de nouveau sensibles : j'en jugeai par la crainte & par la répugnance que l'animal avoit pour les injections. Je substituai le vin à l'eau-de-vie, ce qui les rendit plus douces, & plus appropriées à des parties vives & exulcérées. Enfin au bout de vingt jours je le purgeai : cinq jours après je réitérai la purgation ; ensorte que l'opération, les deux saignées qui lui succéderent, les lavemens nourrissans, le lait, le son, la farine de froment, l'eau blanche, les gargarismes & les deux breuvages purgatifs, furent les remedes qui procurerent la guérison radicale d'une maladie qui disparut au bout d'un mois.

C'est assûrément au tempérament de l'animal que doit se rapporter la cessation de la mortification, ainsi que l'exfoliation & la cicatrisation des parties ulcérées. La nature opere en général de grandes merveilles dans les chevaux ; elle seconde même les intentions de ceux qui la contrarient sans la connoître, & qui ne savent ni la consulter ni la suivre ; car on peut dire hautement, à la vûe de l'ignorance des Maréchaux, que lorsqu'ils se vantent de quelques succès, ils ne les doivent qu'aux soins qu'elle a eus de rectifier leurs procédés & leurs démarches. D'ailleurs l'expérience nous démontre que dans cet animal les plaies se réunissent plus aisément que dans l'homme ; la végétation, la régénération des chairs est plus promte & plus heureuse, elle est même souvent trop abondante ; les ulceres, les abcès ouverts y dégénerent moins fréquemment en fistules : son sang est donc mieux mêlangé, il est plus fourni de parties gélatineuses, douces & balsamiques ; il circule avec plus de liberté, se dépure plus parfaitement, est moins sujet à la dissolution & à la dépravation que le sang humain, perverti & souvent décomposé par un mauvais régime & par des excès.

Ces réflexions néanmoins ne prouvent essentiellement rien contre l'analogie du méchanisme du corps de l'homme & de l'animal : elle est véritablement constante. S'éloigner de la route qui conduit à la guérison de l'un, & chercher de nouvelles voies pour la guérison de l'autre, c'est s'exposer à tomber dans des écarts continuels. La science des maladies du corps humain présente à l'Hippiatrique une abondante moisson de découvertes & de richesses, nous devons les mettre à profit ; mais la Medecine ne doit pas se flater de les posséder toutes : l'Hippiatrique cultivée à un certain point, peut à son tour devenir un thrésor pour elle. (e)


ETRAQUES. f. (Marine) c'est la largeur d'un bordage. Etraque de gabord, premiere étraque, c'est la largeur du bordage qui est entaillé dans la quille. (Z)


ETRAVES. f. (Marine) L'étrave est une ou plusieurs pieces de bois courbes qu'on assemble à la quille, ou plûtôt au ringeot par une empature, comme les pieces de quille le sont les unes avec les autres ; elle termine le vaisseau par l'avant. On la fait ordinairement de deux pieces empatées l'une à l'autre.

Les empatures de l'étrave ont de longueur au moins quatre fois l'épaisseur de la quille.

Comme les bordages & les préceintes de l'avant vont se terminer sur l'étrave, on y fait une rablure pour les recevoir. Voyez, Planche IV. de Marine, fig. 1. n°. 3. la situation de l'étrave.

On a coûtume de piéter l'étrave, c'est-à-dire qu'on la divise en piés suivant une ligne perpendiculaire. Ces divisions sont très-commodes dans l'armement, pour connoître le tirant d'eau des vaisseaux à l'avant.

La largeur de l'étrave est égale à la largeur de la quille par le bas ; son épaisseur en cet endroit est aussi égale à l'épaisseur de la quille, mais elle augmente en-haut de quatre lignes & demie par pouce de largeur.

Pour avoir la hauteur de l'étrave, plusieurs constructeurs prennent un quart de la longueur de la quille, ou un peu moins ; d'autres un dixieme ou un douzieme de la longueur totale du vaisseau.

Il vaut mieux établir la hauteur de l'étrave en additionnant la hauteur du creux, le relevement du premier pont en-avant, la distance du premier au second pont, de planche en planche, l'épaisseur du bordage du second pont, la distance du second au troisieme pont, l'épaisseur du bordage du troisieme pont, la tonture du barrot du troisieme pont à l'endroit du coltis, & deux fois la hauteur du feuillet des sabords de la troisieme batterie.

Il est clair que, comme l'étrave doit s'étendre de toute la hauteur du vaisseau, la somme des différentes hauteurs que nous venons de marquer, doit donner celle de l'étrave ; mais ces hauteurs ne sont point les mêmes pour les vaisseaux de différent rang, & chaque constructeur les peut changer suivant ses différentes vûes. Mais en suivant la méthode ci-dessus, il sera aisé de l'appliquer à tous vaisseaux de différentes grandeurs : voici cependant un exemple pour la rendre plus sensible sur un vaisseau de cent dix pieces de canon.

Il est bon d'observer que pour les frégates qui n'ont qu'un pont, il faut additionner le creux, le relevement du pont en-avant, la hauteur du chateau d'avant, de planche en planche, l'épaisseur du bordage de ce château, & le bouge du barrot du château à l'endroit du coltis ; ce qui donnera la hauteur de l'étrave pour ces sortes de bâtimens.

A l'égard de l'échantillon de cette piece, c'est-à-dire sa grosseur, on la regle sur la grandeur du vaisseau.

Dans un vaisseau de 176 piés de long, elle a d'épaisseur sur le droit un pié cinq pouces, & de largeur sur le tour un pié neuf pouces.

Dans un vaisseau de 150 piés de long, elle a d'épaisseur sur le droit 1 pié 2 pouces 5 lignes, & de largeur sur le tour un pié six pouces huit lignes.

Dans un vaisseau de 96 piés de long, son épaisseur dix pouces, sa largeur un pié deux pouces six lignes.

La proportion entre ces trois grandeurs est aisée à trouver. (Z)


ETRAYERS(Jurispr.) suivant des extraits des registres de la chambre des comptes, dont Bacquet fait mention en son traité du droit d'aubaine, chap. jv. sont les biens demeurés des aubains & épaves (c'est-à-dire étrangers venus de fort loin) qui sont demeurans dans le royaume, & vont de vie à trépas sans hoirs naturels de leur corps nés dans le royaume.

Ces mêmes extraits portent qu'étrayers sont pareillement les biens des bâtards qui vont de vie à trépas sans hoirs naturels de leur corps, & que tels biens appartiennent au roi. Voyez ci-après ETREJURES, qui a quelque rapport à étrayer. (A)


ÊTRES. m. (Métaph.) notion la plus générale de toutes, qui renferme non-seulement tout ce qui est, a été, ou sera, mais encore tout ce que l'on conçoit comme possible. On peut donc définir l'être ce à quoi l'existence ne répugne pas. Un arbre qui porte fleurs & fruits dans un jardin est un être ; mais un arbre caché dans le noyau ou dans le pepin n'en est pas moins un, en ce qu'il n'implique point qu'il vienne au même état. Il en est de même du triangle tracé sur le papier, ou seulement conçu dans l'imagination.

Pour arriver à la notion de l'être, il suffit donc de supposer unies des choses qui ne sont point en contradiction entr'elles, pourvû que ces choses ne soient point déterminées par d'autres, ou qu'elles ne se déterminent point réciproquement. C'est ce qu'on appelle l'essence par laquelle l'être est possible. Voyez ESSENCE, ATTRIBUT, MODE.

ETRE FEINT, c'est un être auquel nous supposons que l'existence ne répugne pas, quoiqu'elle lui répugne en effet. Cela arrive par exemple, lorsque notre imagination combine des parties qui semblent s'ajuster, mais dont le tout ne pourroit néanmoins subsister. Un peintre peut joindre une tête d'homme à un corps de cheval, & à des piés de bouc ; mais un peu d'attention à la disproportion des organes, montre que leur assemblage ne produiroit pas un être vivant. Cependant comme on ne sauroit absolument démontrer l'impossibilité de ces êtres, on les laisse dans la classe des êtres ; & il faut les nommer êtres feints.

ETRE IMAGINAIRE, c'est une espece de représentation qu'on se fait de choses purement abstraites, qui n'ont aucune existence réelle, ni même possible. L'idée de l'espace & du tems sont ordinairement de ce genre. Les infiniment petits des Mathématiciens sont des êtres purement imaginaires, qui ne laissent pas d'avoir une extrème utilité dans l'art d'inventer. Une telle notion imaginaire met à la place du vrai une espece d'être, qui le représente dans la recherche de la vérité ; c'est un jetton dans le calcul, auquel il faut bien prendre garde de ne pas donner une valeur intrinseque, ou une existence réelle. Voy. DIFFERENTIEL, INFINI, &c.

ETRE EXTERNE, c'est celui qui a une relation quelconque avec un être donné.

ETRE SINGULIER, voyez INDIVIDU.

ETRE UNIVERSEL, c'est celui qui n'a pas toutes ses déterminations, mais qui ne contient que celles qui sont communes à un certain nombre d'individus ou d'especes. Il y a des degrés d'universalité qui vont en augmentant à mesure qu'on diminue le nombre des déterminations, & qui vont en diminuant quand les déterminations se multiplient. Les êtres universaux qui ne sont autre chose que les genres & les especes, se forment par abstraction, lorsque nous ne considérons que les qualités communes à certains êtres, pour en former une notion sous laquelle ces êtres soient compris. La fameuse question de l'existence à parte rei des universaux, qui a fait tant de bruit autrefois, mérite à peine d'être indiquée aujourd'hui. Pierre & Paul existent : mais où existe l'idée générale de l'homme, ailleurs que dans le cerveau qui l'a conçûe ? Voyez ABSTRACTION.

ETRE ACTUEL, c'est celui qui existe avec toutes ses déterminations individuelles, & on l'appelle ainsi par opposition au suivant.

ETRE POTENTIEL ou EN PUISSANCE, c'est celui qui n'existe pas encore, mais qui a ou peut avoir sa raison suffisante dans des êtres existans : c'est ce qu'on appelle la puissance prochaine. Mais quand les êtres qui renferment la raison suffisante de quelques autres n'existent pas encore eux-mêmes, la puissance des êtres qui en doivent résulter est dite éloignée ; & cela plus ou moins, à proportion de l'éloignement où sont de l'existence les êtres qui renferment leur raison d'existence. Une semence féconde à laquelle il ne manque que le tems & la culture, est dans la puissance prochaine de devenir la plante ou l'arbre qu'elle contient ; mais les plantes de même espece qui viendront de la semence produite par la plante qui est encore cachée elle-même dans sa semence, ne sont que dans une puissance éloignée.

ETRE POSITIF, c'est celui qui consiste dans une réalité, & non dans une privation. La vûe, par exemple, la lumiere, sont des êtres positifs qui désignent des choses réelles dans les sujets où ils se trouvent.

ETRE PRIVATIF, c'est celui qui n'exprime qu'un défaut, & l'absence de quelque qualité réelle : tels sont l'aveuglement, les ténebres, la mort. On transforme souvent par une notion imaginaire ces privations en êtres réels, & on leur donne gratuitement des attributs positifs : cependant c'est un abus, & l'être privatif n'est autre chose que la négation de tout ce qui convient à l'être positif.

ETRE PERMANENT, c'est celui qui a toutes ses déterminations essentielles à la fois. Un horloge est un être permanent, dont toutes les parties existent ensemble.

ETRE SUCCESSIF, c'est celui dont les déterminations essentielles sont successives : tel est le mouvement, dont une détermination n'existe qu'après l'autre.

ETRE SIMPLE, COMPOSE, FINI, INFINI, NECESSAIRE, CONTINGENT, VRAI ; voyez-en les articles. Article de M. FORMEY.

ETRE MORAL, (Droit nat.) Les êtres moraux sont certaines modifications attachées aux choses, soit essentiellement par la volonté divine, soit par institution humaine pour le bonheur & l'avantage des hommes dans la société, autant qu'elle est susceptible d'ordre & de beauté, par opposition à la vie des bêtes.

Tous les êtres moraux essentiellement attachés aux choses, peuvent être réduits à deux, le droit & l'obligation : c'est-là du moins le fondement de toute moralité, car on ne reconnoît rien de moral, soit dans les actions, soit dans les personnes, qui ne vienne ou de ce que l'on a droit d'agir d'une certaine maniere, ou de ce que l'on y est obligé.

Les êtres moraux qui ont eté produits par l'institution divine, ne peuvent être anéantis que par le créateur : ceux qui procedent de la volonté des hommes, s'abolissent par un effet de la même volonté, sans pourtant que la substance physique des personnes reçoive en elle-même le moindre changement. Par exemple, quand un gentilhomme est dégradé, il ne perd que les droits de la noblesse ; tout ce qu'il tenoit de la nature subsiste toujours en son entier : c'est ce qu'exprime si bien le beau mot de Démetrius de Phalere, lorsqu'on eut appris à ce philosophe que les Athéniens avoient renversé ses statues ; mais, répondit-il, ils n'ont pas renversé la vertu en considération de laquelle ils me les avoient dressées. Article de M(D.J.)

ETRE SENSITIF ou AME, voyez EVIDENCE.

ETRE SUPREME, Dieu, premiere cause, intelligence par essence. Voyez EVIDENCE.


ETRECIRETRECIR

ETRECIR, (S'-) action du cheval qui diminue, en se resserrant lui-même, l'espace sur lequel on l'exerce, & qui fausse ainsi les lignes qu'il devroit décrire. Voyez RETRECIR & ELARGIR. (e)


ETRENNERv. n. parmi les Commerçans & surtout les Détailleurs, c'est commencer à vendre. Ne voulez-vous pas m'étrenner, je n'ai encore rien vendu. (G)


ETRENNESS. f. (Hist. anc. & mod.) présens que l'on fait le premier jour de l'année. Nonius Marcellus en rapporte sous les Romains l'origine à Tatius roi des Sabins, qui régna dans Rome conjointement avec Romulus, & qui ayant regardé comme un bon augure le présent qu'on lui fit le premier jour de l'an de quelques branches coupées dans un bois consacré à Strenua déesse de la force, autorisa cette coûtume dans la suite, & donna à ces présens le nom de strenae. Quoi qu'il en soit, les Romains célébroient ce jour-là une fête de Janus, & honoroient en même tems Junon ; mais ils ne le passoient pas sans travailler, afin de n'être pas paresseux le reste de l'année. Ils se faisoient réciproquement des présens de figues, de dattes, de palmier, de miel, pour témoigner à leurs amis qu'ils leur souhaitoient une vie douce & agréable. Les cliens, c'est-à-dire ceux qui étoient sous la protection des grands, portoient ces sortes d'étrennes à leurs patrons, & y joignoient une petite piece d'argent. Sous l'empire d'Auguste, le sénat, les chevaliers, & le peuple, lui présentoient des étrennes, & en son absence ils les déposoient au capitole. On employoit le produit de ces présens à acheter des statues de quelques divinités, l'empereur ne voulant point appliquer à son profit les libéralités de ses sujets : de ses successeurs, les uns adopterent cette coutûme, d'autres l'abolirent ; mais elle n'en eut pas moins lieu entre les particuliers. Les premiers chrétiens la desapprouverent, parce qu'elle avoit trait aux cérémonies du Paganisme, & qu'on y mêloit des superstitions : mais depuis qu'elle n'a plus eu pour but que d'être un témoignage d'estime ou de vénération, l'Eglise a cessé de la condamner. Voyez AN. (G)

ETRENNE, (Comm.) se dit, parmi les Marchands, de la premiere marchandise qu'ils vendent chaque jour. Ils disent en ce sens : voilà mon étrenne : cette étrenne me portera bonheur. Dict. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)


ETREPER(Jurisprud.) vieux mot qui signifioit extirper, arracher. Voyez Beaumanoir, ch. xljx. lviij. & les chap. xxvj. & xxviij. du premier livre des établissemens. (A)


ETRÉSILLONen Architecture, piece de bois serrée entre deux dosses, pour empêcher l'éboulement des terres dans la fouille des tranchées d'une fondation. On nomme encore étrésillon, une piece de bois assemblée à tenon & mortaise avec deux crochets, qu'on met dans les petites rues, pour retenir à demeure des murs qui bouclent & déversent. Ces étrésillons, qu'on nomme aussi étançons, servent encore à retenir les pié-droits & plates-bandes des portes & des croisées, lorsqu'on reprend par sous-oeuvre un mur de face, ou qu'on remet un poitrail à une maison. Ainsi étrésillonner, c'est retenir les terres & les bâtimens avec des dosses & des couches debout, & des étrésillons en-travers. (P)


ETRIERS. m. (Manége) espece de grand anneau de fer ou d'autre métal, forgé & figuré par l'éperonnier, pour être suspendu par paire à chaque selle au moyen de deux étrivieres (voyez ETRIVIERES) ; & pour servir, l'un à présenter un appui au pié gauche du cavalier lorsqu'il monte en selle & qu'il met pié à terre, & tous les deux ensemble à soûtenir ses piés ; ce qui non-seulement l'affermit, mais le soulage d'une partie du poids de ses jambes quand il est à cheval.

On ne voit des vestiges d'aucune sorte d'appui pour les piés du cavalier, ni dans les colonnes, ni dans les arcs, ni dans les autres monumens de l'antiquité, sur lesquels sont représentés nombre de chevaux, dont toutes les parties des harnois sont néanmoins parfaitement distinctes. Nous ne trouvons encore ni dans les auteurs grecs & latins, ni dans les auteurs anciens des dictionnaires & des vocabulaires, aucun terme qui désigne l'instrument dont nous nous servons à cet égard, & qui fait parmi nous une portion de l'équipage du cheval : or le silence de ces mêmes auteurs, ainsi que celui des marbres & des bronzes, nous a porté à conclure que les étriers étoient totalement inconnus dans les siecles reculés, & que les mots stapes, stapia, stapeda, bistapia, n'ont été imaginés que depuis que l'on en a fait usage.

Xenophon dans les leçons qu'il donne pour monter à cheval, nous en offre une preuve. Il conseille au cavalier de prendre de la main droite la criniere & les rênes, de peur qu'en sautant il ne les tire avec rudesse ; & telle est la méthode de nos piqueurs lorsqu'ils sautent sur le cheval. Quand le cavalier, dit-il, est appesanti par l'âge, son écuyer doit le mettre à cheval à la mode des Perses. Enfin il nous fait entendre dans le même passage, qu'il y avoit de son tems des écuyers qui dressoient les chevaux, de maniere qu'ils se baissoient devant leurs maîtres pour leur faciliter l'action de les monter. Cette marque de leur habileté, qu'il vante beaucoup, trouveroit de nos jours plus d'admirateurs dans nos foires que dans nos manéges.

Raphael Volaterran, dans son épitre à Xenophon in re equestri, nous développe la maniere des écuyers des Perses, & les secours qu'ils donnoient à leurs maîtres ; ils en soûtenoient, dit-il, les piés avec leurs dos.

Pollux & Vegece confirment encore notre idée. Si quelqu'un, selon le premier, veut monter à cheval, il faut qu'il y monte, ou plûtôt qu'il y descende, de dessus un lieu élevé, afin qu'il ne se blesse point lui-même en montant ; & il doit faire attention de ne point étonner & gendarmer le cheval par l'effort de son poids & par sa chûte : sur quoi Camérarius a prétendu que le cheval nud ou harnaché, devoit être accoûtumé à s'approcher du montoir, soit qu'il fût de pierre, de bois, ou de quelqu'autre matiere solide. Quant à Vegece (liv. I. de re militari) il nous fait une description de l'usage que les anciens faisoient des chevaux de bois qu'ils plaçoient en été dans les champs ; & en hyver dans les maisons. Ces chevaux servoient à exercer les jeunes gens à monter à cheval ; ils y sautoient d'abord sans armes, tantôt à droite, tantôt à gauche, & ils s'accoûtumoient ensuite insensiblement à y sauter étant armés.

Les Romains imiterent les Grecs dans l'un & l'autre de ces points. De semblables chevaux de bois étoient proposés à la jeunesse qui s'exerçoit par les mêmes moyens, & qui parvenoit enfin à sauter avec autant d'adresse que de legereté sur toutes sortes de chevaux. A l'égard des montoirs, il y en avoit à quantité de portes. Porchachi dans son livre intitulé funerali antichi, rapporte une inscription dans laquelle le montoir est appellé suppedaneum, & qu'il trouva gravée sur un monument très-endommagé en allant de Rome à Tivoli. La voici :

Dis. ped. sacrum.

Ciuriae dorsiferae & cluniferae

Ut insultare & desultare,

Commodetur. Pub. Crassus mulae

Suae Crassae bene merenti

Suppedaneum hoc, cum risu pos.

La précaution de construire des montoirs aux différentes portes & même, si l'on veut, d'espaces en espaces sur les chemins, n'obvioit pas cependant à l'inconvénient qui résultoit de l'obligation de descendre & de remonter souvent à cheval en voyage ou à l'armée ; sans-doute que cette action étoit moins difficile pour les Romains qui étoient en état d'avoir des écuyers : mais comment ceux qui n'en avoient point & que l'âge ou des infirmités empêchoient d'y sauter, pouvoient-ils sans aucune aide parvenir jusque sur leurs chevaux ?

Ménage en s'étayant de l'autorité de Vossius, a soûtenu que S. Jérôme est le premier auteur qui ait parlé des étriers. Il fait dire à ce saint, que lorsqu'il reçut quelques lettres, il alloit monter à cheval & qu'il avoit déjà le pié dans l'étrier, in bistapia : mais ce passage ne se trouve dans aucune de ses épitres. Le P. de Montfaucon en conteste la réalité, ainsi que celle de l'épitaphe d'un romain, dont le pié s'étant engagé dans l'étrier, fut traîné si long-tems par son cheval qu'il en mourut. Sans-doute que cette inscription que tout au moins il regarde comme moderne, ainsi que beaucoup de savans, est la même que celle qui suit :

D. M.

Quisquis lecturus accedis,

Cave si amas, at si non

Amas, pensicula miser qui

Sine amore vivit dulce exit

Nihil ; at ego tam dulce

Anhelans me incaute perdidi,

Et amor fuit

Equo dum aspectus formosiss.

Durmioniae puellae Virgunculae

Summa polvoria placere cuperem

Casu desiliens pes haesit stapiae

Tractus inferri.

In rem tuam maturè propera.

Vale.

Le même P. de Montfaucon, après avoir témoigné sa surprise de ce que des siecles si renommés & si vantés ont été privés d'un secours aussi utile, aussi nécessaire, & aussi facile à imaginer, se flate d'en avoir découvert la raison. " La selle n'étoit alors, dit-il, " qu'une piece d'étoffe qui pendoit quelquefois les deux côtés presque jusqu'à terre. Elle étoit doublée & souvent bourrée. Il étoit difficile d'y attacher des étriers qui tinssent bien, soit pour monter à cheval, soit pour s'y tenir ferme & commodément. On n'avoit pas encore l'art de faire entrer du bois dans la construction des selles : cela paroît dans toutes celles que nous voyons dans les monumens. Ce n'est que du tems de Théodose que l'on remarque que les selles ont un pommeau, & que selon toutes les apparences, le fond en étoit une petite machine de bois. C'est depuis ce tems-là qu'on a inventé les étriers, quoiqu'on ne sache pas précisément le tems de leur origine ".

Il est certain que l'époque ne nous en est pas connue ; mais j'observerai que leur forme varia sans-doute, selon le goût des siecles & des pays où ils furent fabriqués. L'avidité de nos ayeux pour les ornemens, leur fit bien-tôt perdre de vûe la véritable destination de ces parties du harnois de monture. Une rose en filigrame, qu'on pouvoit à peine discerner de deux pas, & que la moindre éclaboussure enfoüissoit ; des nervures d'une grosseur disproportionnée pour porter sur un étrier la décoration d'un édifice gothique que l'on admiroit, une multitude d'angles aigus, de tranchans, d'enroulemens entassés, formoient à leurs yeux une composition élégante qui leur déroboit les défectuosités les plus sensibles.

La moins considérable étoit un poids superflu ; elle frappa nos prédécesseurs : mais en élaguant pour y remédier, ils conserverent quelques ornemens, & ils supprimerent des parties d'où dépendoit la sûreté du cavalier. Nous les avons rétablies : on découvre néanmoins encore dans nos ouvrages de ce genre des restes & des traces de ce mauvais goût. Nous employons, par exemple, beaucoup de tems à former des moulures qui disparoissent aux yeux, ou que nous n'appercevons qu'à l'aide de la boue qui en remplit & qui en garnit les creux ; nous creusons les angles rentrans quelquefois même aux dépens de la solidité ; nous pratiquons enfin des arêtes vives, aussi déplacées que nuisibles à la propreté.

Quoi qu'il en soit, on doit distinguer dans l'étrier, l'oeil, le corps, la planche, & la grille.

L'oeil n'est autre chose que l'ouverture dans laquelle la courroie ou l'étriviere qui suspend l'étrier est passée.

Le corps comprend toutes les parties de l'anneau qui le forme, à l'exception de celles sur lesquelles le pié se trouve assis.

Celles-ci composent la planche, c'est-à-dire cette espece de quadre rond, ou oval, ou quarré long, ou d'autre forme quelconque, dont le vuide est rempli par la grille ; & la grille est cet entrelas de verges de même métal que l'étrier, destinée à servir d'appui aux piés du cavalier, & à empêcher qu'ils ne s'engagent dans le quadre résultant de la planche avec laquelle elles sont fortement soudées.

Il n'y a pas long-tems que nos étriers étoient sans grille. Des accidens pareils à celui qu'éprouva l'amant infortuné dont j'ai rapporté l'épitaphe prétendue, nous persuaderent de leur nécessité : quelques éperonniers cependant se contenterent de ramener contre le centre les parties de la planche, qui forment l'avant & l'arriere de l'étrier ; mais ce moyen endommagea d'un autre côté le soulier de la botte, & rendit la tenue des étriers beaucoup plus difficile.

On en caractérise assez souvent les différentes sortes, eu égard aux différentes figures qui naissent de divers enlacemens des grilles. Nous disons des étriers à coeur, à quarreaux, treffles, à armoiries, lorsque les grilles en sont formées par des verges contournées en coeur, en treffles, en quarreaux, ou lorsqu'elles représentent les armoiries de ceux à qui les étriers appartiennent.

L'oeil doit être situé au-haut du corps, & tiré de la même piece de métal par la forge. On le perce d'abord avec le poinçon, pour faciliter l'entrée des bouts ronds & quarrés de la bigorne par le secours de laquelle on l'aggrandit. Sa partie supérieure faite pour reposer sur l'étriviere, doit être droite, cylindrique, & polie au moins dans toute la portion de sa surface, qui doit porter & appuyer sur le cuir : elle doit être droite ; parce que la courroie naturellement plate ne sauroit être pliée en deux sens sous la traverse qu'elle soûtient, sans que les bords n'en soient plus tendus que le milieu, ou le milieu plus que les bords. Il faut qu'elle soit cylindrique, parce que cette forme est la moins disposée à couper ou à écorcher ; & c'est par cette même raison qu'elle doit être polie : il est de plus très-important que les angles intérieurs soient vuidés à l'équerre pour loger ceux du cuir, & que les faces intérieures soient arrondies & lissées, puisque ce même cuir y touche & frotte fortement contr'elle. Du reste la traverse ne peut avoir moins de deux lignes de diametre ; autrement elle seroit exposée à manquer de force ; & moins d'un pouce & quelques lignes de longueur dans oeuvre, l'étriviere que l'oeil doit recevoir ayant communément un pouce au moins de largeur.

Il est encore des étriers dont l'oeil est une partie séparée & non forgée avec le corps ; il lui est simplement assemblé par tourillon. Cette méthode eut sans-doute lieu en faveur de ceux qui chaussent leurs étriers sans attention ; peut-être espéroit-on que l'étriviere tordue ou tournée à contre-sens se détordroit elle-même, ou reviendroit dans son sens naturel dans les instans où le pié ne chargeroit pas l'étrier : mais alors le trou qui traverse le corps dans le point le plus fatigué, l'affoiblit nécessairement ; en second lieu, le tourillon foible par sa nature est exposé à un frottement qui en hâte bien-tôt la destruction ; enfin le cavalier a le désagrément, pour peu qu'il n'appuie que legerement sur la planche, de voir l'étrier tourner sans-cesse à son pié, l'oeil présenter sa carne à la jambe, & y porter souvent des atteintes douloureuses.

Le corps nous offre une espece d'anse dont les bouts seroient allongés, & dont l'oeil est le sommet ainsi que le point de suspension. Il faut que de l'un & de l'autre côté de cet oeil les bras de l'anse soient égaux par leur forme, leur longueur, leur largeur, & leur épaisseur, & qu'ils soient pliés également. Nos éperonniers les arrondissent en jonc de trois lignes de diametre pour les selles de chasse, & de quatre lignes pour les chaises de poste. L'anse est en plein cintre, les côtés sont droits & paralleles, le tout dans le même plan que l'oeil.

Communément & au bout des deux bras au-dessus des boutons, de même diametre, qui les terminent, on soude la planche & la grille.

La planche est alors faite de deux demi-cerceaux de verge de fer équarrie, sur trois ou quatre lignes de hauteur & deux & demi de largeur. Ils composent ensemble un cercle ou un oval peu différent du cercle, dont le grand diametre ne remplit pas l'entre-deux des bras par lui-même ; mais il se trouve pour cet effet prolongé de cinq ou six lignes par les bouts de ces cerceaux repliés, pour former un collet avec la principale piece de la grille soudée avec eux & entr'eux deux. Il est essentiel dans cette construction que les parties qui forment la grille soient soudées d'une même chaude pour chaque côté. Si l'éperonnier use de rivets pour assembler les portions de la grille, il ne doit pas se dispenser de les souder de même : il peut néanmoins en assembler quelques pointes avec la planche par mortaise, pourvû que ce ne soit pas près du corps.

Le fer de la grille est ordinairement tiré sur losange, & posé sur les angles aigus. L'angle d'où naît la surface où le pié doit prendre son appui, sera néanmoins ravalé, pour ne pas nuire à la semelle de la botte. Il est bon que le milieu de la grille soit médiocrement bombé en contre-haut, la tenue de l'étrier en devient plus aisée. Quand à la planche, elle sera horisontale, les bras du corps s'éleveront perpendiculairement, leur plan la divisera également par moitié, l'oeil enfin se trouvera dans ce même plan & dans la direction du centre de gravité du tout ; sans ces conditions l'étrier se présenteroit toûjours défectueusement au cavalier, & il tendroit plûtôt à le fatiguer qu'à le soulager & à l'affermir.

L'étrier que nous appellons étrier quarré, ne tire pas sa dénomination de la forme quarrée de sa planche ; car elle pourroit être ronde ou ovale, & nous ne lui conserverions pas moins ce nom. Il ne differe des autres étriers dont nous avons parlé, que parce que sa planche est tirée du corps même, & non soudée à ce corps. Pour cet effet les bras se biffurquent à un pouce ou deux au-dessus de la planche, chacun dans un plan croisé, à celui du corps ; & les quatre verges qui résultent de ces deux biffurcations, équarries comme celle des planches ordinaires, sont repliées en-dedans pour imiter le collet de la planche soudée : à six lignes de-là elles sont encore repliées d'équerre en-dehors : à quinze ou seize lignes de ce second angle, elles sont encore repliées d'équerre pour être abouties par soudure. Tous ces plis sont dans le même plan. La traverse principale de la grille est aussi refendue en fourche par les deux bouts. Ses fourchons sont soudés aux faces intérieures des parties qui représentent les collets, c'est-à-dire qui sont comprises entre le premier & le second retour d'équerre depuis la biffurcation du corps. Les autres pieces de la grille sont assemblées par soudure avec la traverse & par mortaise dans la planche.

La largeur de l'étrier mesurée sur la grille entre les deux bras du corps, doit surpasser de quelques lignes seulement la plus grande largeur de la semelle de la botte. A l'égard de la hauteur entre le cintre & le milieu de la grille, il faut qu'elle soit telle qu'elle ne soit ni trop ni trop peu considérable. Dans le premier cas le pié pourroit passer tout entier au-travers, & le talon feroit alors l'office d'un crochet, qu'un cavalier desarçonné dans cette conjoncture ne pourroit désaisir sans secours ; & dans le second, le pié plus épais à la boucle du soulier qu'ailleurs, pourroit aussi s'engager. Cette mesure ne peut donc être déterminée avec justesse ; mais chacun peut aisément reconnoître si les étriers qu'on lui propose lui conviennent. Il ne s'agit que de les présenter à son pié chaussé de sa botte dans tous les sens possibles ; & si l'on se sent pris & engagé, on doit les rejetter comme des instrumens capables de causer les accidens les plus funestes.

L'étrier ébauché de près à la forge, doit être fini à la lime douce ; & ensuite s'il est de fer, étamé, argenté, ou doré, & enfin bruni. S'il est de quelque beau métal, il n'est question que de le mettre en couleur & de le brunir ; car après cette derniere opération, il donnera moins de prise à la boue, & sera plus facilement maintenu dans l'état de netteté qui doit en faire le principal ornement.

Dans quelques pays, comme en Italie & principalement en Espagne, quelques personnes se servent d'étriers figurés en espece de sabot, & formés par l'assemblage de six bouts de planche de quelque bois fort & leger. Les deux latérales sont profilées pour en recevoir une troisieme, qui compose la traverse par laquelle le tout est suspendu. Une quatrieme recouvre le dessus du pié. La cinquieme termine le sabot en-avant ; & le pié tout entier trouve sur l'inférieure ou sur la sixieme, une assiette commode. On peut doubler de fourrure ces sortes d'étriers, qui peuvent avoir leur utilité malgré le peu d'élégance de leur forme.

Les Selliers appellent étriers garnis, ceux dont la planche est rembourrée. Cette précaution a sans-doute été suggérée par l'envie de flater la délicatesse des personnes du sexe.

Dans nos manéges nous comprenons sous le nom seul de chapelet, les étrivieres & les étriers. Voyez ETRIVIERES.

Ajuster les étriers, ou les mettre à son point, c'est donner à l'étriviere une longueur telle que l'étrier soit à une hauteur mesurée, & que le pié du cavalier puisse porter & s'appuyer horisontalement sur la grille. Voyez Ibid.

Retrousser les étriers, c'est les suspendre en-arriere & les élever de maniere qu'il soit impossible à l'animal inquiet & tourmenté par les mouches, d'y engager un de ses piés lorsqu'il cherche à se débarrasser des insectes qui le piquent & qui le fatiguent. Voyez ETRIERES.

Tenir l'étrier. Cette expression a deux sens : nous l'employons pour désigner l'action de tenir l'étrier, à l'effet d'aider à quelqu'un à monter en selle, & pour désigner l'adresse & la fermeté du cavalier qui ne laisse échapper ni l'un ni l'autre dans les mouvemens les plus rudes & les plus violens l'animal. On tient dans le premier cas de l'étriviere droite avec la main gauche, la main droite étant occupée à tenir le cheval par le montant de la têtiere de la bride. On doit faire attention de ne tirer & de ne peser sur l'étriviere, que lorsque le cavalier a mis le pié à l'étrier opposé. A mesure qu'il s'éleve sur ce même étrier gauche, on augmente insensiblement l'appui sur l'étriviere, de façon que les forces résultantes d'une part du poids du cavalier, & de l'autre de la puissance avec laquelle l'aide s'employe, soient tellement proportionnées que la selle ne tourne point. Nombre de palefreniers mal-adroits & incapables de connoître les raisons de cet accord & de cette proportion nécessaires, devancent l'action du cavalier ; ils déplacent la selle au moyen de leur premier effort, & l'attirent à eux ; le cavalier par son poids la ramene ensuite à lui ; & de ce frottement sur le dos de l'animal, d'où résulte pour lui un sentiment souvent desagréable, naissent fréquemment les desordres d'un cheval devenu par cette seule raison difficile au montoir. Il arrive de plus que très-souvent ces mêmes palefreniers, dans la main gauche desquels réside la grande force dont ils sont doués, sont en quelque sorte contraints de roidir en même tems la main droite, tirent de leur côté ou en-arriere la tête de l'animal ; & l'obligent naturellement eux-mêmes à tourner & à se défendre. Voyez MONTOIR. Lorsque le cavalier est en selle, l'aide doit présenter l'étrier à son pié droit dans un sens où l'étriviere ne soit pas tordue.

L'adresse de tenir l'étrier ou les étriers, dans le second sens, dépend de la fermeté du cavalier, ses étriers étant parfaitement ajustés à son point, & cette fermeté ne consiste point, ainsi que plusieurs ignorans l'imaginent, dans la force de l'appui sur ces mêmes étriers, & dans celle des cuisses & des jarrets, mais dans l'aisance avec laquelle le cavalier les laisse, pour ainsi parler, badiner à son pié sans un déplacement notable, & dans ce grand équilibre & cette justesse qui caractérisent toûjours l'homme de cheval.

Perdre les étriers, est une expression qui présente une idée directement contraire à celle que nous offre celle-ci. Lorsque les étriers ont échappé aux piés du cavalier, nous disons qu'il ne les a pas tenus, ou qu'il les a perdus ; ce qui signifie une seule & même chose. Le trop de longueur des étriers occasionne souvent cette perte, & plus souvent encore l'incertitude ; l'ébranlement du corps du cavalier, & son peu de tenue.

Faire perdre les étriers. Les sauts, les contre-tems d'un cheval peuvent faire perdre les étriers. Faire perdre les étriers à son adversaire : cette périphrase étoit usitée en parlant de ceux qui combattoient autrefois. Rien n'étoit plus glorieux dans un tournoi, lorsque d'un coup de lance on ébranloit si fort son ennemi, qu'il étoit forcé de perdre les étriers.

Peser sur les étriers : cet appui est la plus douce des aides confiées aux jambes du cavalier ; mais elle n'a d'efficacité qu'autant qu'elle est employée sur un cheval sensible : elle produit alors l'effet qui suit l'approche des gras de jambes sur un cheval moins fin : celle-ci se donne de la part du cavalier, en pliant insensiblement & par degré les genoux, jusqu'à ce que les gras de jambe soient plus ou moins près du corps de l'animal, ou le touchent entierement selon le besoin. L'autre s'administre au contraire en étendant la jambe, & en effaçant ou en diminuant le pli leger que l'on observe dans le genou de tout homme bien placé à cheval, lorsqu'il n'agit point des jambes. Toutes les deux operent sur le derriere de l'animal, & le chassent en-avant également. Le cavalier ne peut s'étendre & peser sur les étriers, qu'il n'en résulte une legere pression de ses jambes contre le corps du cheval ; & c'est cette pression bien moindre que la premiere, qui détermine le derriere en-avant, quand elle est effectuée sur les deux étriers à raisons égales, & de côté quand elle n'a lieu que sur un d'eux. On conçoit sans-doute que cette aide ne demande que l'extension de la cuisse & de la jambe, & non que le cavalier panche son corps de côté, & soit par conséquent totalement de travers. Quelque générale que soit cette maniere dans les éleves des maîtres les plus renommés, & dans ces maîtres eux-mêmes, il est constant que c'est un défaut qui prive non-seulement l'action du cavalier de la grace qu'accompagnent toûjours l'aisance & la facilité, mais qui s'oppose encore à la liberté des mouvemens auxquels on sollicite l'animal, & que l'on desire de lui imprimer.

Chausser les étriers. Pour les chausser parfaitement, on y doit mettre le pié, ensorte qu'il dépasse simplement d'environ un pouce l'avant de la planche : de plus, le pié doit nécessairement porter horisontalement sur le milieu de la grille, sans appuyer plus fortement sur le dedans que sur le dehors, ou sur le dehors que sur le dedans. Le vice le plus commun est d'enfoncer tellement le pié, que le talon touche & répond à l'arriere de la planche ; outre le spectacle desagréable qu'offre une pareille position, il est à craindre que le pié ne s'engage enfin si fort, que le cavalier ne puisse l'en tirer. Une seconde habitude non moins repréhensible & aussi fréquente, est celle de peser infiniment plus sur un côté de l'étrier, que sur l'autre ; la jambe alors paroît estropiée ; en pesant en effet sur le dehors, la cheville du pié se trouve faussée en-dehors, nous en avons un exemple dans presque tous nos académistes ; & en pesant sur le dedans, la cheville est faussée en-dedans. Si l'on faisoit plus d'attention à la situation des éleves qui commencent, & si, conformément à des principes puisés dans leur propre conformation, on leur enseignoit les moyens de soûtenir, de relever sans force la pointe des piés, & de les maintenir toûjours horisontalement ; nous n'aurions pas ce reproche à leur faire. Quelques écuyers, ou plûtôt quelques personnes, qui ne doivent ce titre qu'à l'ignorance de ceux qui leur font la grace de le leur accorder, tombent dans le défaut opposé au premier. La pointe de leur pié n'outre-passe pas la planche ; elle est au contraire fixée sur la grille, & elle est beaucoup plus basse & plus près de terre que le talon : 1°. par cette position qui blesse les yeux des spectateurs, ils attirent l'étrier en-arriere de la ligne perpendiculaire sur laquelle il doit être : en second lieu, l'étrier porté en-arriere, leurs jambes en sont plus rapprochées du corps de l'animal qu'ils endurcissent, & que leurs talons relevés & armés du fer effrayent ; ainsi elles sont sans-cesse en action sans que le cavalier s'en apperçoive, & insensiblement le cheval acquiert un degré d'insensibilité si considérable, qu'il méconnoît les aides, & n'obéit plus qu'aux châtimens.

Mettre le pié à l'étrier. Rien ne paroît plus simple que de mettre le pié à l'étrier ; on diroit à cet effet qu'il suffit d'élever la cuisse & la jambe, & d'enfiler cet anneau : mais cette action demande beaucoup de précaution. Je débuterai par les réflexions que me suggere la méthode de la plus grande partie des maîtres : ils doivent excuser ma sincérité en faveur de l'utilité dont elle peut être au public ; & si j'ai la témérité de les condamner sur des points que le créat le plus novice ne doit pas ignorer, je me plais à croire que ces points ne leur ont échappé, que vû la contention de leur esprit, captivé par les seules grandes difficultés que nous avons à vaincre dans notre art. Pour procurer à l'écolier la facilité de mettre le pié à l'étrier, ils commencent par lui imposer une loi, qui ne doit être prescrite qu'aux postillons, ou à ceux qui montent à cheval en bottes fortes ; ils lui ordonnent en effet de saisir l'étriviere au-dessus de l'oeil de l'étrier avec la main droite : l'éleve est donc obligé de se baisser pour suivre le précepte : dans ce même instant sa main gauche armée des rênes, de la gaule, & des crins, se trouve élevée au-dessus de sa tête ; son corps incliné forme une sorte de demi-cercle, & c'est dans cette situation qu'on exige qu'il porte le pié à l'étrier, c'est-à-dire presque à la hauteur de sa main. On comprendra sans peine qu'une pareille épreuve n'offre tout au moins rien de gracieux à la vûe, sans parler de l'effort que le commençant fait, dans l'idée de se conformer à un principe nécessaire, pour favoriser l'entrée d'un soulier large & quarré dans l'anneau que la main sert alors à fixer, mais qui dans les autres circonstances ne doit point être adopté. Le pié une fois dans l'étrier, ils lui commandent de s'élever de terre sans aucune autre considération. Supposons à-présent que le cavalier près du cheval & vis-à-vis de son épaule, ait les rênes, la gaule dans la main, & se soit muni d'une suffisante quantité de crins ; j'imagine qu'en lui conseillant de porter le pié droit en-arriere, de fixer tout son poids sur ce pié, & de lever le pié gauche, celui-ci parviendra très-aisément à la hauteur de l'étrier, qu'il enfilera sans obstacle & sans contrainte, le corps demeurant dans une position droite, la tête étant élevée, & le cavalier conservant cet état de force & de liberté dont il ne doit jamais sortir. J'irai plus loin, j'examinerai comment cet écolier a chaussé ce même étrier ; si son pié est engagé trop avant, je l'instruirai des inconvéniens qui en résultent. Le premier est de blesser, d'étonner, ou de gendarmer le cheval, en appliquant la pointe contre son ventre ; ce qui est encore une des principales raisons de la crainte & de l'aversion que les chevaux, & principalement les poulains, témoignent lorsqu'on veut les monter. Le second est de chasser l'étrier & l'étriviere contre le corps de l'animal : dès-lors le cavalier ne peut rencontrer une assiette pour assûrer le poids de son corps, qu'il ne peut élever qu'autant que l'étrier est sur une ligne perpendiculaire ; & son pié reposant d'ailleurs sur sa partie concave, & par conséquent sur sa partie la plus foible, il ne peut perdre & quitter terre sans risquer de tomber en-arriere & de se renverser. Le pié doit donc porter à plat sur l'étrier par sa portion la plus large qui est marquée par le commencement des phalanges. Voyez MONTER A CHEVAL. Je conviens qu'un tel écuyer qui permet à ses académistes de profiter d'un montoir de pierre pour monter en selle, ou tel autre qui souffre qu'un palefrenier prête la main à ses éleves, & y soûtienne leur jambe gauche pour qu'ils puissent sauter & s'y jetter à la maniere des piqueurs & des maquignons, dédaignent de semblables soins ; mais ces soins sont-ils utiles & nécessaires ? c'est ce dont déposeront leurs propres disciples, par la grace avec laquelle ils profiteront du secours des étriers lorsqu'ils en feront usage en montant à cheval, & ce que nous laissons d'ailleurs à décider à tous ceux qui, sans partialité, tenteront la solution de cette demande. (e)

ETRIER, (Ostéolog.) un des quatre osselets de la cuisse du tambour, ainsi nommé à cause de sa ressemblance avec un étrier. Voyez-en la figure dans Vesale & du Verney.

On le divise en tête, en jambes ou branches, & en base. Sa base qui, à la maniere des anciens étriers, n'est point percée, bouche la fenêtre ovale dans laquelle elle est comme enchâssée. Sa tête est jointe à l'os orbiculaire. Les deux branches de cet osselet ne sont point parfaitement égales ; la postérieure est ordinairement un peu plus longue, plus courbe & plus grosse ; elles sont creusées toutes les deux par une rainure qui se continue sous la tête de l'étrier. Sa situation est presque horisontale ; sa tête est tournée du côté de la membrane du tambour, & sa base est attachée au fond de la caisse.

L'espace enfermé entre sa base & ses branches, est tapissé d'un périoste très-délié, & parsemé de vaisseaux, selon les observations de Ruysch.

L'étrier est couché, par rapport à la situation de l'homme considéré comme étant debout. Sa tête est en-dehors, auprès de l'extrémité de la jambe de l'enclume. Sa base est en-dedans ; & enchâssée dans la fenêtre ovale. La jambe longue est couchée en-arriere, & la courte en-devant, toutes les deux dans un même plan. Par-là on connoîtra facilement si un étrier est du côté droit ou du côté gauche.

Ingrassias & Colombus s'attribuent tous deux la découverte de cet osselet ; mais malgré leurs prétentions, cette découverte paroît plûtôt devoir être attribuée à Eustachi, & la maniere dont il s'exprime est trop précise pour qu'on le soupçonne d'en imposer. " Je peux me rendre ce témoignage, dit-il, qu'avant que qui que ce fût eût parlé de l'étrier, ni que qui que ce fût l'eût décrit, je le connoissois très-bien ; je l'avois fait voir à plusieurs personnes à Rome, & même je l'avois fait graver en cuivre ".

L'étrier n'a qu'un muscle, décrit premierement par Varole, mais d'une maniere très-défectueuse, puisqu'il ne décrit que ce seul muscle dans l'oreille interne. Casserius le trouva en 1601 dans le cheval & dans le chien, le représenta d'après ces animaux, & le prit avec assez de raison pour un ligament. En effet, dans l'homme c'est un muscle tendineux, petit, court, passablement gros, & caché dans la petite pyramide osseuse du fond de la caisse. La cavité qu'il occupe, touche de fort près le conduit osseux de la portion dure du nerf auditif. Il se termine par un tendon grêle, qui sort de la moitié osseuse par le petit trou dont la pointe de la pyramide est percée. Ce tendon, en sortant du trou, se tourne en-devant, & s'attache au cou de l'étrier, du côté de la jambe la plus grande & la plus courbe de cet osselet. Nous ignorons l'usage de l'étrier, & vraisemblablement nous l'ignorerons toûjours. Article de M(D.J.)

ETRIER, terme de Chirurgie, bandage dont on se sert pour la saignée du pié. Il se fait avec une bande longue d'une aulne & demie ou environ, large de deux travers de doigt, roulée à un chef. Le chirurgien qui est assis, ou qui a un genou en terre, après avoir réuni la plaie, & avoir posé la compresse, qu'il soûtient avec le pouce de la main gauche, si c'est au pié droit, prend le globe de la bande, dont il laisse pendre l'extrémité de la longueur d'un pié : il pose ce bout sur son genou, & l'assujettit par le talon du malade : il conduit alors le globe sur la compresse, pour faire un circulaire de devant en-arriere autour de la partie inférieure de la jambe. On vient croiser sur la compresse ; on passe sous la plante du pié, & on revient sous la malléole interne : on conduit le globe de bande postérieurement, pour croiser le tendon d'Achille ; & quand on est parvenu sur la malléole externe, on dégage le bout qui étoit sous le talon. On le releve sur la compresse, & on le conduit sur la malléole externe, pour le noüer avec l'autre extrémité de la bande. Ce bandage représente un étrier, d'où lui vient son nom. Si la bande se trouve trop longue, on employe le superflu à faire quelques circonvolutions qui croisent les premieres. Il faut noüer les deux bouts de la bandes antérieurement sur le coup de pié, afin que le malade ne soit point incommodé du noeud en se couchant sur le côté, comme il arriveroit, si le noeud étoit fait sur la malléole externe, comme quelques personnes le pratiquent. Il ne faut pas négliger les plus petites choses, lorsqu'elles peuvent procurer de l'aisance aux malades. Voyez le pié gauche de la figure 1. Planche XXX. de Chirurgie. (Y)

ETRIER, en Architecture, espece de lien de fer coudé quarrément en deux endroits, qui sert à retenir par chaque bout une chevetre de charpente assemblée à tenon dans la solive d'enchevétrure, & sur laquelle l'étrier est attaché. Il sert aussi à armer une poutre qui est éclatée.

ETRIER, (Marine) C'est un des chaînons des cadenes de haubans, qu'on cheville sur une seconde précinte, afin de renfoncer ces cadenes. (Z)

ETRIERS, (Marine) Ce sont de petites cordes dont les bouts sont joints ensemble par des épissures. On s'en sert pour faire couler une vergue ou quelqu'autre chose au haut des mâts, le long d'une corde. On s'en sert aussi dans les chaloupes, pour tenir l'aviron au tolet. (Z)


ETRIERES. f. (Manége) petit morceau de cuir d'environ un pan & demi de longueur, & dont la largeur est d'environ dix lignes, placé à chaque côté de la selle, à l'effet de tenir les étriers suspendus & relevés en-arriere. Il est fixé par son extrémité supérieure en-arriere & à côté de la bande de fer qui fortifie l'arçon de derriere, & à environ cinq doigts de la pointe de ce même arçon. Il est fendu dans son milieu, & son extrémité inférieure est terminée par un bouton, qui n'est autre chose qu'un morceau de cuir plus épais, arrondi & percé, dans le trou duquel on fait passer cette même extrémité ; après quoi on pratique une legere fente ou une très-petite ouverture à l'étriere que l'on replie par le bout, pour insinuer ce bout dans la fente : & de ce replis résulte une sorte de noeud qui retient le bouton. Lorsque l'on veut relever ou retrousser l'étrier, on passe dans un des bras de l'espece d'anse que nous offre son corps (voyez ETRIER), l'étriere, dont on arrête ensuite l'extrémité inférieure, en l'engageant par le bouton dans la grande fente qui en occupe le milieu.

Il faut observer ici, 1°. que le cuir dont il s'agit, doit être cloué de maniere qu'il tombe perpendiculairement, & qu'il suive la direction des pointes de l'arçon dont il dépend. Quelques selliers dans les petites villes le placent horisontalement, & l'arrêtent par son milieu, après en avoir fendu l'une des extrémités. Cette pratique est défectueuse, en ce que d'une part l'étrier étant retroussé, est porté si fort en-arriere & en haut, que le moindre heurt de l'animal contre un corps dur, le blesseroit essentiellement ; & que de l'autre les deux doubles de cuir, dont les deux extrémités se replient pour embrasser l'étrier, font une saillie trop considérable & difforme. 2°. Il est important que les clous servant à fixer l'étriere, soient minces & legers : parce que dans le cas où, par l'imprudence d'un palefrenier, l'étrier étant suspendu, l'animal seroit accroché dans sa marche, & retenu par l'étriviere ; on doit préférer que l'étriere cede plûtôt que l'étriviere, dont le cheval pourroit emporter la boucle ; & d'ailleurs la solidité que l'on doit exiger, ne va pas jusqu'à une résistance telle, qu'elle pourroit, dans de semblables circonstances, obliger l'animal à un effort dont ses membres pourroient aussi se ressentir.

On retrousse les étriers pour prévenir des accidens fâcheux, souvent occasionnés par la négligence d'un cavalier, qui, en descendant de cheval, les laisse imprudemment dans la position où ils se trouvent. Il peut arriver en effet que l'animal tourmenté & inquiété par les mouches, & cherchant à s'en délivrer, engage l'un de ses piés de derriere dans l'étrier, & s'estropie dans les mouvemens qu'il fait pour le débarrasser. Quelques cavaliers les relevent sur la selle, dont ils ne craignent pas sans-doute de gâter le siége ; d'autres les retroussent sur le cou du cheval, sans redouter les contusions qui résulteroient du frottement de l'animal à l'endroit sur lequel ils reposent. Mais outre ces inconvéniens, ils ne sont point assez assûrés, & peuvent en retombant donner lieu à celui dont j'ai d'abord parlé.

Il est des personnes qui, eu égard à l'usage des étrieres, les nomment trousse-étriers, porte-étriers. (e)


ETRILLES. f. (Manége, Maréchall.) instrument de fer emmanché de bois, un de ceux que le palefrenier employe pour panser un cheval.

L'étrille passée plusieurs fois à poil & à contre-poil avec vîtesse & legereté sur toutes les parties apparentes du corps du cheval, qui ne sont pas doüées d'une trop grande sensibilité, ou occupées par les racines des crins, détache la boue, la crasse, la poussiere, ou toutes autres malpropretés qui ternissent le poil de cet animal, & nuisent à sa santé. Elle livre à l'effet de la brosse, qu'elle précede dans le pansement, ce qu'elle ne peut enlever ; & elle sert à nettoyer ce second instrument, chaque fois qu'on a brossé quelque partie. Voyez PANSER.

On donne en divers lieux diverses formes aux étrilles. Celles que nombre d'éperonniers françois appellent du nom d'étrilles à la lyonnoise, semblent à tous égards mériter la préférence. Nous en donnerons une exacte description, après avoir détaillé les parties que l'on doit distinguer dans l'étrille en général, par comparaison à celle à laquelle je m'arrête : nous indiquerons les plus usitées entre celles qui sont connues.

Les parties de l'étrille sont le coffre & ses deux rebords, le manche, sa soie empattée, & sa virole ; les rangs, leurs dents, & leurs empatemens, le couteau de chaleur, les deux marteaux : enfin les rivets qui lient & unissent ces diverses pieces, pour en composer un tout solide.

Le coffre n'est autre chose qu'une espece de gouttiere résultante du relevement à l'équerre des deux extrémités opposées d'un plan quarré-long. Dans l'étrille à la lyonnoise il présente un quarré-long de tole médiocrement épaisse, dont la largeur est de six à sept pouces, & la longueur est huit à dix. Cette longueur se trouve diminuée par deux ourlets plats que fait l'ouvrier on repliant deux fois sur elles-mêmes les deux petites extrémités de ce quarré-long ; & ces ourlets larges de deux lignes, & dont l'épaisseur doit se trouver sur le dos de l'étrille, & non en-dedans, sont ce que l'on nomme les rebords du coffre. A l'égard des deux extrémités de ce parallélogramme bien applani, elles forment les deux côtés égaux & opposés de ce même coffre, lorsqu'elles ont été taillées en dents, & repliées à l'équerre sur le plan de l'étrille ; & ces côtés doivent avoir dix ou douze lignes de hauteur égale dans toute leur longueur.

Le manche est de boüis, d'un pouce six ou dix lignes de diametre, & long d'environ quatre ou cinq pouces. Il est tourné cylindriquement, & strié dans toute sa circonférence par de petites cannelures espacées très-près les unes des autres, pour en rendre la tenuë dans la main plus ferme & plus aisée, & il est ravalé à l'extrémité par laquelle la soie doit y pénétrer, à cinq ou six lignes de diametre, à l'effet d'y recevoir une virole qui en a deux ou trois de largeur, & qui n'y est posée que pour la défendre contre l'effort de cette soie, qui tend toûjours à le fendre. Il est de plus placé à angle droit sur le milieu d'une des grandes extrémités, dans un plan qui feroit avec le dos du coffre un angle de vingt à vingt-cinq degrés. Il y est fixé au moyen de la patte, qui se termine en une soie assez longue pour l'enfiler dans le sens de sa longueur, & être rivé au-delà. Cette patte forgée avec sa soie, selon l'angle ci dessus, & arrêtée sur le dos du coffre par cinq rivets au moins, ne sert pas moins à le fortifier qu'à l'emmancher : aussi est-elle refendue sur plat en deux lames d'égale largeur, c'est-à-dire de cinq ou six lignes chacune, qui s'étend en demi S avec symmétrie, l'une à droite & l'autre à gauche. Leur union, d'où naît la soie, & qui doit recevoir le principal rivet, doit être longue & forte ; & leur épaisseur, suffisante à deux tiers de ligne par-tout ailleurs, doit augmenter insensiblement en approchant du manche, & se trouver de trois lignes au moins sur quatre de largeur à la naissance de la soie, qui peut être beaucoup plus mince, mais dont il est important de river exactement l'extrémité.

Les deux parois verticales du coffre, & quatre lames de fer également espacées & posées de champ sur son fond parallelement aux deux parois, composent ce que nous avons nommé les rangs. Trois de ces lames sont, ainsi que celles qui font partie du coffre, supérieurement dentées, & ajustées de maniere que toutes leurs dents toucheroient en même tems par leurs pointes, un plan sur lequel on reposeroit l'étrille. Celle qui ne l'est point, & qui constitue le troisieme rang, à compter dès le manche, est proprement ce que nous disons être le couteau de chaleur. Son tranchant bien dressé ne doit pas atteindre au plan sur lequel portent les dents ; mais il faut qu'il en approche également dans toute sa longueur : un intervalle égal à leur profondeur d'une ligne plus ou moins, suffit à cet effet. Chacun de ces rangs est fixé par deux rivets qui traversent le coffre, & deux empatemens qui ont été tirés de leurs angles inférieurs par le secours de la forge. Ces empatemens sont ronds ; ils ont six à sept lignes de diametre, & nous les comptons dans la longueur des lames, qui de l'un à l'autre bout est la même que celle du coffre. Il est bon d'observer que ces quatre lames ainsi appliquées, doivent être forgées de façon que tandis que leurs empatemens sont bien assis, il y ait un espace d'environ deux lignes entre leur bord inférieur & le fond du coffre, pour laisser un libre passage à la crasse & à la poussiere que le palefrenier tire du poil du cheval, & dont il cherche à dégager & à nettoyer son étrille, en frappant sur le pavé ou contre quelqu'autre corps dur.

C'est pour garantir ses rebords & ses carnes des impressions de ces coups, que l'on place à ses deux petits côtés, entre les deux rangs les plus distans du manche, un morceau de fer tiré sur quarré, de quatre ou cinq lignes, long de trois ou quatre pouces, refendu, selon sa longueur, jusqu'à cinq lignes près de ses extrémités, en deux lames d'une égale épaisseur, & assez séparées pour recevoir & pour admettre celle du coffre à son rebord. Ces morceaux de fer forment les marteaux : la lame supérieure en est coupée & raccourcie, pour qu'elle ne recouvre que ce même rebord ; & l'autre est couchée entre les deux rangs, & fermement unie au coffre par deux ou trois rivets. Les angles de ces marteaux sont abattus & arrondis comme toutes les carnes de l'instrument, sans exception, & afin de parer à tout ce qui pourroit blesser l'animal en l'étrillant. Par cette même raison les dents qui représentent le sommet d'un triangle isoscele assez allongé, ne sont pas aiguës jusqu'au point de piquer : nulle d'entr'elles ne s'éleve au-dessus des autres. Leur longueur doit être proportionnée à la sensibilité de l'animal auquel l'étrille est destinée. Elles doivent, en passant au-travers du poil, atteindre à la peau, mais non la déchirer. La lime à tiers-point, dont on se sert pour les former, doit aussi être tenue par l'ouvrier très-couchée sur le plat des lames, afin que leurs côtés & leurs fonds dans l'intervalle qui les sépare, présentent un tranchant tel que celui du couteau de chaleur ; c'est-à-dire un tranchant fin & droit, sans être affilé ou en état de couper, & elles seront espacées de pointe à pointe d'une ligne tout au plus.

Toute paille, cerbe, fausse ou mauvaise rivure, faux-joint ou dent fendue, capable d'accrocher les crins du cheval, ou le poil, sont des défectuosités nuisibles, & qui tendent à donner atteinte au plus bel ornement de cet animal.

Entre les especes d'étrilles les plus usitées, il en est dans lesquelles on compte sept rangs, le couteau de chaleur en occupant le milieu : les rebords en sont ronds, le dos du coffre voûté, & les rangs élevés sur leurs empatemens, jusqu'à laisser six ou sept lignes d'espace entr'eux & le fond du coffre. Leurs marteaux n'ont pas deux lignes de grosseur & de saillie, & ils sont placés entre le deuxieme & troisieme rang. La patte du manche est enfin refendue en trois lames, dont les deux latérales ne peuvent être considérées que comme une sorte d'enjolivement.

Il est évident, 1°. que ce septieme rang n'est bon qu'à augmenter inutilement le poids & le volume de cet instrument. 2°. L'espace entre le fond & les rangs est non-seulement excessif, puisque quand il seroit d'une seule ligne, cette ligne suffiroit pour empêcher l'adhésion de la crasse, & pour en faciliter l'expulsion ; mais il est encore réellement préjudiciable, parce que les rangs peuvent être d'autant plus facilement couchés & détruits, que les tiges de leurs empatemens sont plus longues. 3°. Les marteaux étant aussi minces & aussi courts, ne méritent pas même ce nom ; situés entre le second & le troisieme rang, ils ne sauroient & par leur position & par leur saillie garantir les rebords & les carnes. 4°. Ces rebords ronds n'ont nul avantage sur les rebords plats, & n'exigent que plus de tems de la part de l'ouvrier. Enfin la patte ne contribuant pas à fortifier le coffre, ne remplit qu'une partie de sa destination.

Il est encore d'autres étrilles dans lesquelles les rangs sont seulement dentés jusqu'à la moitié de leur longueur, tandis que de l'autre moitié ils représentent un couteau de chaleur opposé dans chaque rang, & répondent à la moitié dentée de l'autre. Communément l'ouvrier forme les rangs droits sur leurs bords supérieurs & inférieurs. Ces rangs formés droits, il en taille en dents la moitié ; mais soit par ignorance, soit par paresse ou par intérêt, il s'épargne le tems & la peine de ravaler le tranchant du reste, & dès-lors l'appui du couteau sur le poil s'oppose à ce que les dents parviennent à la peau. Je conviens qu'un ouvrier plus intelligent ou de meilleure foi, peut, en ravalant les tranchans, obvier à cette défectuosité. Cette pratique néanmoins ne m'offre aucune raison de préférence sur la méthode que je conseille, car elle sera toûjours plus compliquée, & d'ailleurs l'expérience démontre qu'un couteau de chaleur occupant toute la longueur de l'étrille, n'est pas moins efficace que les six moitiés qui entrent dans cette derniere construction.

Au surplus, & à l'égard des ouvriers qui blanchissent à la lime le dos du coffre, nous dirons que ce soin est assez déplacé relativement à un semblable instrument ; & nous ajoûterons encore qu'il peut apporter un obstacle à sa durée, l'impression de la forge, dont ils dépouillent le fer en le limant, étant un vernis utile qui l'auroit long-tems défendu des atteintes de la rouille. (e)


ETRILLERETRILLER


ETRIPER(Manége) mot bas, terme proscrit, & qui ne devroit pas trouver une place dans cet ouvrage ; c'est par cette raison que je renvoie le lecteur qui en desirera une explication, au dictionnaire de Trévoux. (e)

ETRIPER, (Corderie) se dit d'un cordage dont les filamens s'échappent de tous côtés.


ETRIVIERES. f. (Manége) courroie de cuir par laquelle les étriers sont suspendus. Telle est la définition que nous trouvons dans le dictionnaire de Trévoux.

On pourroit accuser les auteurs de ce vocabulaire d'avoir ici mis très-mal-à-propos en usage une figure qu'ils connoissent sous le nom de pléonasme ; car si le terme de courroie présente toûjours l'idée d'un cuir coupé en bandes, il s'ensuit que cette maniere de s'exprimer, courroie de cuir, est évidemment redondante. Il est vrai que deux lignes plus bas on lit dans le même article cette observation très-importante, & très-digne d'être transmise à la postérité par la voie de leur ouvrage : A la poste aux ânes de Montreau, il n'y a que des étrivieres de corde. Mais cette distinction d'étriviere de corde & d'étriviere de cuir, suggérée par des notions acquises dans cette même poste, ne doit point autoriser celle de courroie de cuir & de courroie de corde ; ainsi la redondance n'en est pas moins certaine.

Quoi qu'il en soit, les courroies que nous employons communément à l'effet de suspendre & de fixer les étriers à une hauteur convenable, & qui varie selon la taille du cavalier, sont de la longueur d'environ quatre piés & demi, & leur largeur est d'environ un pouce.

Plusieurs personnes donnent au cuir d'Angleterre la préférence, & prétendent que les étrivieres faites de ce cuir résistent beaucoup plus, & sont moins sujettes à s'allonger. Je conviendrai de ce premier fait d'autant moins aisément, qu'il est démenti par l'expérience. Le cuir d'Angleterre n'est jamais à ces égard d'un aussi bon usage que le cuir d'Hongrie rasé, passé en alun, au sel & au suif ; & si quelques-unes des lanieres que l'on en tire, paroissent susceptibles d'allongement, ce n'est qu'aux Selliers que nous devons nous en prendre. La plûpart d'entr'eux se contentent en effet de couper une seule longueur de cuir dont ils forment une paire d'étrivieres. Celui qui a été enlevé du côté de la croupe, a une force plus considérable que celui qui a été pris du côté de la tête ; & de-là l'inégalité constante des étrivieres. Chacune d'elles doit donc être faite d'une seule laniere coupée dans le cuir du dos & de la croupe à côté l'une de l'autre, pour être placée ensuite dans le même sens ; & comme l'étriviere du montoir, chargée du poids entier du cavalier, soit qu'il monte à cheval, soit qu'il en descende, ne peut conséquemment à ce fardeau que subir une plus grande extension, il est bon de la porter de tems en tems au hors-montoir, & de lui substituer celle-ci : par ce moyen elles parviennent toutes les deux au période dernier & possible de leur allongement, & elles maintiennent dès-lors les étriers à une égale hauteur.

Du reste cette précaution n'est nécessaire qu'autant que nous persévererons dans l'idée que l'on doit toûjours & absolument monter à cheval & en descendre du côté gauche ; car si, la raison l'emportant sur le préjugé, on prenoit le parti d'y monter & d'en descendre indifféremment à gauche & à droite, elle deviendroit inutile, & l'attention de varier cette action de maniere à charger les étrivieres également & aussi souvent l'une que l'autre, suffiroit incontestablement. Voyez EXERCICES & MONTOIR.

A une de leurs extrémités, c'est-à-dire à celle qui naît du cuir pris dans la croupe, est une boucle à ardillon fortement bredie. On perce l'autre d'un nombre plus ou moins considérable de trous. Pour cet effet on marque avec le compas sur une de ces lanieres, la distance de ces trous que l'on pratique avec l'emporte-piece. Cette distance n'est point fixée, & l'ouvrier à cet égard ne suit que son caprice ; il doit néanmoins considérer que si tous les trous sont espacés d'un pouce dans toute la longueur du cuir percé, il sera bien plus difficile au cavalier de rencontrer le point juste qui lui convient, que s'ils étoient faits à un demi-pouce les uns des autres. La premiere laniere étant percée, on l'étend sur l'autre, de façon qu'elles se répondent exactement, soit dans leur largeur, soit dans leur longueur, & l'on passe ensuite un poinçon dans chacun des trous que l'on a pratiqués, pour marquer le lieu précis sur lequel, relativement à la seconde, l'emporte-piece doit agir.

Le porte-étriviere est une boucle quarrée dépourvûe d'ardillon, qui doit être placée de chaque côté de la selle, le plus près qu'il est possible de la pointe de devant de l'arçon, & maintenue par une bonne chape de fer qui embrasse la bande, & qui est elle-même arrêtée par un fil-de-ser rivé de part & d'autre. Ce fil-de-fer est infiniment plus stable qu'un simple clou, qui joue & badine après un certain tems dans l'ouverture qu'il s'est frayée, & qui peut d'un côté laisser échapper la chape, & de l'autre occasionner la ruine de l'arçon. Quant à la position de la boucle contre la pointe de devant de ce même arçon, elle favorise l'assiette du cavalier, qui dès-lors n'est point rejetté trop en-arriere, & qui occupe toûjours le milieu de la selle ; & cette boucle que l'on a substituée aux anciens porte-étrivieres attachés fixement à l'arçon de devant & à la bande, & qui blessoient souvent & l'homme & l'animal, ne doit pas être moins mobile que toutes celles qui soûtiennent les contre-sanglots.

L'extrêmité percée de l'étriviere qu'elle doit recevoir, sera introduite, 1° dans un bouton coulant que l'on fera glisser jusqu'à l'autre bout ; 2° dans l'oeil de l'étrier ; 3° dans le même bouton, afin que les deux doubles de l'étriviere y soient insérés ; 4° dans cette boucle, de façon qu'elle revienne & sorte du côté du quartier. Cette opération faite, le sellier bouclera & fixera cette laniere, en insérant indifféremment l'ardillon de la boucle bredie dans un des trous percés, jusqu'à ce qu'un cavalier quelconque le mette à son point.

Je ne sai quel est le motif qui a pû déterminer à bannir depuis peu les boutons coulans : ils peuvent, j'en conviens, s'opposer à la facilité d'accourcir ou d'allonger l'étriviere ; mais cet obstacle est-il si considérable, qu'il doive en faire proscrire l'usage ?

Le moyen de reconnoître la juste hauteur à laquelle doit être placé l'étrier, est de le saisir avec une main, d'étendre l'autre bras le long de l'étriviere, & de l'allonger ou de la raccourcir jusqu'à ce que cette laniere & l'étrier soient ensemble de la longueur de ce même bras ; c'est-à-dire que l'extrémité des doigts portée d'une part jusque sous le quartier, le dessous de la grille atteigne l'aisselle même du cavalier. C'est ainsi que communément nous mettons les étriers à notre point ; & cette mesure est dans le justesse requise, relativement à des hommes bien proportionnés. Ensuite nous faisons remonter la boucle de l'étriviere très-près de celle qui forme le porte-étriviere, afin qu'elle n'endommage pas par un frottement continuel la pointe de l'arçon, le panneau, le quartier, & ne blesse point l'animal & le cavalier, dont elle pourroit, avec les trois doubles de cuir qui l'avoisinent, offenser le genou. Nous rapprochons enfin de la traverse supérieure de l'oeil de l'étrier, le bouton coulant destiné à maintenir exactement l'union des deux doubles apparens qui résultent de l'étriviere ainsi ajustée.

Les étrivieres dont nous nous servons dans nos manéges, ont environ cinq piés & demi de longueur, & la même largeur que les autres ; elles sont passées dans un anneau de fer suspendu & attaché à une chape de cuir que l'on place & que l'on accroche au pommeau de la selle. Ces étrivieres, les étriers, cet anneau & cette chape forment ensemble ce que nous nommons précisément un chapelet. Chacun des éleves auxquels nous permettons l'usage des étriers, en a un qu'il transporte d'une selle à l'autre, à mesure qu'il change de cheval. Quelqu'ancienne que soit la pratique du chapelet dans les écoles, elle n'est pas sans inconvénient. En premier lieu, elle nous astraint à admettre toûjours un pommeau dans la construction des selles à piquer. 2°. L'anneau & les boucles des étrivieres, qui descendent, une de chaque côté, sur le siége & sur les quartiers, le long de la batte de devant, peuvent endommager & le siége & cette même batte. 3°. Il résulte de cette même boucle relevée le plus près qu'il est possible de l'anneau, ainsi que des trois doubles de cuir qui regnent à l'endroit où l'étriviere est bouclée, un volume très-capable de blesser ou d'incommoder le cavalier. Enfin, avec quelque précision qu'il ait ajusté & fixé ses étriers à une hauteur convenable sur une selle, cette précision n'est plus la même, eu égard aux autres selles qu'il rencontre, parce que si la batte de devant se trouve plus basse, l'étriviere est trop longue ; comme si la batte se trouve trop élevée, l'étriviere est trop raccourcie.

Toutes ces considérations m'ont déterminé à rechercher les moyens d'obvier à ces points divers. Au lieu de faire du pommeau un porte-étriviere, je suspends les étrivieres à la bande, comme dans les selles ordinaires ; mais je substitue à la boucle sans ardillon, c'est-à-dire au porte-étriviere connu & usité, une platine A de fer d'environ une ligne d'épaisseur ; sa longueur est de quatre pouces & demi : à son extrémité supérieure est un oeil demi-circulaire, & inférieurement elle est entr'ouverte par une châsse longue d'un pouce & demi, large d'environ huit ou neuf lignes. Les montans de cette chasse doivent avoir au moins deux lignes de largeur. Cette platine est engagée par son oeil dans une chape semblable à celle dont j'ai fait mention, & qui est également rivée dans la bande qu'elle embrasse : aussi la traverse droite de cet oeil doit-elle être arrondie, ainsi que la traverse inférieure de la platine ; sans cette précaution, la premiere détruiroit inévitablement & avec le tems la chape dans laquelle ce nouveau porte-étriviere est reçû, tandis que la seconde porteroit une véritable atteinte au crochet auquel elle donne un appui. Ce crochet B peut être aussi large que la châsse a d'ouverture. Il est composé d'une platine de fer aussi mince que l'autre, & il est inférieurement terminé par un oeil demi-circulaire, dont la partie la plus basse doit être formée en jonc droit, au moins de deux lignes & demie de diametre : & tellement allongée, qu'entre les deux angles intérieurs il y ait un intervalle de quatorze ou quinze lignes. Ces pieces doivent être forgées sans soudure. Une courroie d'environ deux piés & demi de longueur est ici suffisante. On la passe d'abord dans l'oeil du crochet ; on en plie l'extrémité sur la traverse droite & ronde qui en forme la partie inférieure, & on la bredit immédiatement au-dessous. On insere ensuite son autre extrémité dans l'oeil de l'étrier, & dans une boucle à ardillon près de laquelle elle est ourdie, & qui sert à fixer l'étriviere à un certain point, au moyen de l'introduction de cet ardillon dans un des trous percés à l'extrémité inférieure de la laniere, qui dans la plus grande portion de son étendue est simple, & non à deux doubles. Dans cet état on accroche les étrivieres aux porte-étriers, avec d'autant plus de facilité qu'ils sont très-mobiles, & qu'en soûlevant les quartiers de la selle on les apperçoit sur le champ ; & pour que le crochet ne se dégage point de la châsse qui le contient, il est muni d'un petit ressort fixement attaché par deux rivets près de la partie supérieure de son oeil, & qui s'éleve en s'éloignant du montant, pour s'appliquer à la pointe.

Par cette méthode on remédie à tous les inconvéniens qui résultent des chapelets suspendus au pommeau, ainsi que de ceux dont on se servoit autrefois, & qui embrassoient toute la batte. Si l'on a attention dans la construction de ces nouveaux porte-étrivieres, de les forger exactement d'une même longueur, & de les adapter à toutes les selles du manége, il est certain que les étrivieres décrochées aisément en appliquant un doigt contre le ressort, qui dès-lors est rapproché du montant, seront transportées d'une selle à l'autre, sans que leur longueur puisse jamais en être augmentée ou diminuée, pourvû néanmoins qu'elles ayent subi l'extension dont elles sont d'abord susceptibles, & que les platines des crochets soient toutes égales. Ici nous supprimons totalement les boutons coulans, puisqu'ils ne seroient d'aucune utilité, vû la simplicité de chaque étriviere. On comprend sans-doute que cette invention peut avoir lieu indistinctement sur toutes sortes de selles ; elle a été adoptée par une foule d'étrangers que l'usage & l'habitude ne tyrannisent point, & qui ont fait sans peine céder l'un & l'autre à l'avantage d'avoir toûjours la même paire d'étrivieres, sur quelque selle qu'ils montent.

Dans les manéges où les éleves ne peuvent monter à cheval que par le secours d'un étrier (voyez ETRIERS), on place le chapelet au pommeau : les étrivieres & les deux étriers sont ensemble du côté gauche. Le palefrenier pese sur la batte, pour obvier à ce que la selle ne tourne ; & lorsque le cavalier est en selle, on enleve le chapelet. Quelquefois aussi ce même chapelet est inutile, en ce qu'il ne lui reste qu'un seul étrier & qu'une seule étriviere passée dans l'anneau suspendu à la chape de cuir. Cette maniere de présenter aux disciples un appui pour qu'ils puissent s'élever jusque sur l'animal, ne seroit nullement condamnable, si l'on étoit attentif à mesurer la hauteur de l'étrier à la taille de chaque disciple ; mais le tems qu'exigeroit cette précaution, engage à passer très-legerement sur ce point d'autant plus important, qu'il est impossible qu'un cavalier monte à cheval avec grace, si l'étrier n'est point à une hauteur proportionnée. Je préférerai donc toûjours à cet égard une simple courroie d'environ cinq piés, non repliée, & bredie à son extrémité insérée dans l'oeil de l'étrier. Cette courroie est présentée de façon que cette même extrémité touche du côté du montoir en-arriere de la batte, tandis que le palefrenier placé au hors-montoir, maintient le reste de la laniere sur le pommeau & en-avant de cette même batte ; & peut par la simple action d'élever ou d'abaisser la main, élever ou abaisser l'étrier au gré & selon la volonté & le desir du disciple.

Les étrivieres ne sont point placées dans les selles de poste, comme dans les autres. Voyez PORTE-ETRIVIERES. Voyez aussi SELLE. (e)


ETROITadj. (Gram.) terme relatif à la dimension d'un corps ; c'est le correlatif de large. Si cette dimension considérée dans un objet, relativement à ce qu'elle est dans un autre que nous prenons pour mesure, ne nous paroît pas assez grande, nous disons qu'il est étroit. Quelquefois c'est l'usage que nous-mêmes faisons de la chose, qui nous la fait dire large ou étroite : nous sommes alors un des termes de la comparaison. Large est le correlatif d'étroit. Les termes large & étroit ne présentant rien d'absolu, non plus qu'une infinité de termes semblables, ce qui est large pour l'un, est étroit pour l'autre ; & réciproquement. Etroit s'employe au moral & au physique, l'on dit un canal étroit & un esprit étroit.

ETROIT, adj. (Jurispr.) en cette matiere signifie ce qui se prend à la lettre & en toute rigueur, comme droit étroit. Voyez ci-devant DROIT ETROIT.

On dit aussi qu'un juge a fait d'étroites inhibitions, pour dire des défenses séveres.

Etroit conseil, ou conseil étroit, voyez au mot CONSEIL ETROIT. (A)

ETROIT de boyau, (Manége, Maréchall.) expression assez impropre, par laquelle on a prétendu désigner un cheval qui manque de corps, & dont le ventre s'éleve du côté du train de derriere, à-peu-près comme celui des lévriers. L'animal qui peche ainsi dans sa conformation, étoit anciennement appellé estrac, esclame.

Ce défaut est directement opposé à celui des chevaux auxquels nous reprochons d'avoir un ventre de vache. (e)


ETRONÇONNER(Jardinage) est le même qu'ébotter, étêter. Voyez ETETER.


ETROPES. f. (Marine) On donne ce nom en général à des bouts de cordes épissés, à l'extremité desquels on a coûtume de mettre une cosse de fer (espece d'anneau) pour accrocher quelque chose.

ETROPE, GERSEAU, HERSE DE POULIE, (Marine) C'est une corde qui est bandée autour d'un moufle ou arcasse de poulie, tant pour la renforcer & empêcher qu'elle n'éclate, que pour suspendre la poulie aux endroits où elle veut être amarrée.

ETROPES DE MARCHE-PIE, (Marine) Ce sont des anneaux de corde qui font le tour de la vergue, au bout desquels & dans une cosse passent les marche-piés. Ils ont chacun un cep de mouton pour roidir ces marche-piés, les saisissant vers le bout de la vergue.

ETROPES D'AFFUT, (Mar.) Ce sont des herses avec des cosses, qui sont passées au bout de derriere du fond de l'affut d'un canon, où l'on accroche les palans. (Z)


ETROUSSES. f. (Jurispr.) signifie adjudication faite en justice. Ce terme n'est plus guere usité que dans les provinces. On dit l'étrousse d'un bail judiciaire, l'étrousse des fruits, &c.

Etrousse est aussi un droit seigneurial dû à la seigneurie de Linieres en Berry, qui est d'un certain nombre de deniers plus ou moins considérable, selon l'état & facultés des habitans. Ce droit se paye pour l'étrousse & malétrousse. Voyez le gloss. de M. de Lauriere, au mot étrousse. (A)


ETRUSQUE(ACADEMIE) Hist. mod. société de savans qui s'assemblent à Cortone ville de Toscane. Elle ne fut fondée que pendant l'automne de 1727, par quelques gentilshommes qui cultivoient les Belles-Lettres & l'étude des antiquités. Pour favoriser le même genre d'Etudes, ils firent acquisition du beau cabinet de l'abbé Onofrio Baldelli, & y ajoûterent une ample bibliotheque. Ils ouvrirent ce double thrésor au public, dans un appartement du palais de son altesse royale, qui est à Cortone. Les académiciens ont pris le nom d'Etrusques, qui convient au but de leur établissement, puisqu'ils s'appliquent principalement à rassembler ce qu'on peut déterrer des monumens des Umbres, des Pelasges, & des Etrusques, qui habitoient l'ancienne Etrurie. Leur symbole est aussi relatif à ce but ; c'est un trépié pythique avec un serpent autour, & le mot ou la devise, obscurâ de re lucida pango, pris de Lucrece, & qui fait allusion à l'explication des antiquités, que se proposent ces académiciens. Ils s'assemblent tous les mois, & font des discours sur des matieres d'érudition. La poésie est exclue de leurs assemblées, parce qu'ils croyent qu'elle détourne l'esprit de la recherche de la vérité. Un grand nombre de savans & de beaux esprits de toute l'Italie, principalement parmi la noblesse, s'est empressé à entrer dans ce corps, dont le nombre est maintenant fixé à cent. Plusieurs étrangers ont désiré d'y être aggrégés. Le célebre Buonarotti fut choisi pour président perpétuel ; cependant ils ont une dignité particuliere qu'ils renouvellent tous les ans sous le nom de Lucumon, qui étoit le titre des chefs des douze anciennes républiques étrusques. Biblioth. italiq. tom. IV. & V. (G)


ETTINGEN(Géogr. mod.) ville du cercle de Franconie en Allemagne : elle est située sur le Mein.


ETUAILLESS. f. (Fontaines salantes) c'est ainsi qu'on appelle des magasins où l'on dépose le sel en grain.


ETUDES. f. (Arts & Sciences) terme générique qui désigne toute occupation à quelque chose qu'on aime avec ardeur ; mais nous prenons ici ce mot dans le sens ordinaire, pour la forte application de l'esprit, soit à plusieurs Sciences en général, soit à quelqu'une en particulier.

Je n'encouragerai point les hommes à se dévouer à l'étude des Sciences, en leur citant les rois & les empereurs qui menoient à côté d'eux dans leurs chars de triomphe, les gens de lettres & les savans. Je ne leur citerai point Phraotès traitant avec Apollonius comme avec son supérieur, Julien descendant de son throne pour aller embrasser le philosophe Maxime, &c. ces exemples sont trop rares & trop singuliers pour en faire un sujet de triomphe : il faut vanter l'étude par elle-même & pour elle-même.

L'étude est par elle-même de toutes les occupations celle qui procure à ceux qui s'y attachent, les plaisirs les plus attrayans, les plus doux & les plus honnêtes de la vie ; plaisirs uniques, propres en tout tems, à tout âge & en tous lieux. Les lettres, dit l'homme du monde qui en a le mieux connu la valeur, n'embarrassent jamais dans la vie ; elles forment la jeunesse, servent dans l'âge mûr, & réjouissent dans la vieillesse ; elles consolent dans l'adversité, & elles rehaussent le lustre de la fortune dans la prospérité ; elles nous entretiennent la nuit & le jour ; elles nous amusent à la ville, nous occupent à la campagne, & nous délassent dans les voyages : Studia adolescentiam alunt.... Cicer. pro Archia.

Elles sont la ressource la plus sûre contre l'ennui, ce mal affreux & indéfinissable, qui dévore les hommes au milieu des dignités & des grandeurs de la cour. Voyez ENNUI.

Je fais de l'étude mon divertissement & ma consolation, disoit Pline, & je ne sai rien de si fâcheux qu'elle n'adoucisse. Dans ce trouble que me cause l'indisposition de ma femme, la maladie de mes gens, la mort même de quelques-uns, je ne trouve d'autre remede que l'étude. Véritablement, ajoûte-t-il, elle me fait mieux comprendre toute la grandeur du mal, mais elle me le fait aussi supporter avec moins d'amertume.

Elle orne l'esprit de vérités agréables, utiles ou nécessaires ; elle éleve l'ame par la beauté de la véritable gloire, elle apprend à connoître les hommes tels qu'ils sont, en les faisant voir tels qu'ils ont été, & tels qu'ils devroient être ; elle inspire du zele & de l'amour pour la patrie ; elle nous rend plus humains, plus généreux, plus justes, parce qu'elle nous rend plus éclairés sur nos devoirs, & sur les liens de l'humanité :

C'est par l'étude que nous sommes

Contemporains de tous les hommes,

Et citoyens de tous les lieux.

Enfin c'est elle qui donne à notre siecle les lumieres & les connoissances de tous ceux qui l'ont précédé : semblables à ces vaisseaux destines aux voyages de longs cours, qui semblent nous approcher des pays les plus éloignés, en nous communiquant leurs productions & leurs richesses.

Mais quand l'on ne regarderoit l'étude que comme une oisiveté tranquille, c'est du moins celle qui plaira le plus aux gens d'esprit, & je la nommerois volontiers l'oisiveté laborieuse d'un homme sage. On sait la réponse du duc de Vivonne à Louis XIV. Ce prince lui demandoit un jour à quoi lui servoit de lire : " Sire, lui répondit le duc, qui avoit de l'embonpoint & de belles couleurs, la lecture fait à mon esprit ce que vos perdrix font à mes joues ". S'il se trouve encore aujourd'hui des détracteurs des Sciences, & des censeurs de l'amour pour l'étude, c'est qu'il est facile d'être plaisant, sans avoir raison, & qu'il est beaucoup plus aisé de blâmer ce qui est louable, que de l'imiter ; cependant, graces au ciel, nous ne sommes plus dans ces tems barbares où l'on laissoit l'étude à la robe, par mépris pour la robe & & pour l'étude.

Il ne faut pas toutefois qu'en chérissant l'étude, nous nous abandonnions aveuglement à l'impétuosité d'apprendre & de connoître ; l'étude a ses regles, aussi bien que les autres exercices, & elle ne sauroit réussir, si l'on ne s'y conduit avec méthode. Mais il n'est pas possible de donner ici des instructions particulieres à cet égard : le nombre de traités qu'on a publiés sur la direction des études dans chaque science, va presqu'à l'infini ; & s'il y a bien plus de docteurs que de doctes, il se trouve aussi beaucoup plus de maîtres qui nous enseignent la méthode d'étudier utilement, qu'il ne se rencontre de gens qui ayent eux-mêmes pratiqué les préceptes qu'ils donnent aux autres. En général, un beau naturel & l'application assidue surmontent les plus grandes difficultés.

Il y a sans-doute dans l'étude des élémens de toutes les sciences, des peines & des embarras à vaincre ; mais on en vient à bout avec un peu de tems, de soins & de patience, & pour lors on cueille les roses sans épines. L'on dit qu'on voyoit autrefois dans un temple de l'île de Scio, une Diane de marbre dont le visage paroissoit triste à ceux qui entroient dans le temple ; & gai à ceux qui en sortoient. L'étude fait naturellement ce miracle vrai ou prétendu de l'art. Quelque austere qu'elle nous paroisse dans les commencemens, elle a de tels charmes ensuite, que nous ne nous séparons jamais d'elle sans un sentiment de joie & de satisfaction qu'elle laisse dans notre ame.

Il est vrai que cette joie secrette dont une ame studieuse est touchée, peut se goûter diversement, selon le caractere différent des hommes, & selon l'objet qui les attache ; car il importe beaucoup que l'étude roule sur des sujets capables d'attacher. Il y a des hommes qui passent leur vie à l'étude de choses de si mince valeur, qu'il n'est pas surprenant s'ils n'en recueillent ni gloire ni contentement. César demanda à des étrangers qu'il voyoit passionnés pour des singes, si les femmes de leurs pays n'avoient point d'enfans. L'on peut demander pareillement à ceux qui n'étudient que des bagatelles, s'ils n'ont nulle connoissance de choses qui méritent mieux leur application. Il faut porter la vûe de l'esprit sur des études qui le récréent, l'étendent, & le fortifient, parce qu'elles récompensent tôt ou tard du tems que l'on y a employé.

Une autre chose très-importante, c'est de commencer de bonne-heure d'entrer dans cette noble carriere. Je sai qu'il n'y a point de tems dans la vie auquel il ne soit louable d'acquérir de la science, comme disoit Séneque ; je sai que Caton l'ancien étoit fort âgé lorsqu'il se mit à l'étude du grec ; mais malgré de tels exemples, il me paroît que d'entreprendre à la fin de ses jours d'acquérir l'habitude & le goût de l'étude, c'est se mettre dans un petit chariot pour apprendre à marcher, lorsqu'on a perdu l'usage de ses jambes.

On ne peut guere s'arrêter dans l'étude des Sciences sans décheoir : les muses ne font cas que de ceux qui les aiment avec passion. Archimede craignit plus de voir effacer les doctes figures qu'il traçoit sur le sable, que de perdre la vie à la prise de Syracuse ; mais cette ardeur si louable & si nécessaire n'empêche pas la nécessité des distractions & du délassement : aussi peut-on se délasser dans la variété de l'étude ; elle se joue avec les choses faciles, de la peine que d'autres plus sérieuses lui ont causée. Les objets différens ont le pouvoir de réparer les forces de l'ame, & de remettre en vigueur un esprit fatigué. Ce changement n'empêche pas que l'on n'ait toûjours un principal objet d'étude auquel on rapporte principalement ses veilles.

Je conseillerois donc de ne pas se jetter dans l'excès dangereux des études étrangeres, qui pourroient consumer les heures que l'on doit à l'étude de sa profession. Songez principalement, vous dirai-je, à orner la Sparte dont vous avez fait choix ; il est bon de voir les belles villes du monde, mais il ne faut être citoyen que d'une seule.

Ne prenez point de dégoût de votre étude, parce que d'autres vous y surpassent : A moins que d'avoir l'ambition aussi déréglée que César, on peut se contenter de n'être pas des derniers : d'ailleurs les échelons inférieurs sont des degrés pour parvenir à de plus hauts.

Souvenez-vous sur-tout de ne pas regarder l'étude comme une occupation stérile ; mais rapportez au contraire les Sciences qui font l'objet de votre attachement, à la perfection des facultés de votre ame, & au bien de votre patrie. Le gain de notre étude doit consister à devenir meilleurs, plus heureux & plus sages. Les Egyptiens appelloient les bibliotheques le trésor des remedes de l'ame : l'effet naturel que l'étude doit produire, est la guérison de ses maladies.

Enfin vous aurez sur les autres hommes de grands avantages, & vous leur serez toûjours supérieur, si en cultivant votre esprit dès la plus tendre enfance par l'étude des sciences qui peuvent le perfectionner, vous imitez Helvidius Priscus, dont Tacite nous a fait un si beau portrait. Ce grand homme, dit-il, très-jeune encore, & déja connu par ses talens, se jetta dans des études profondes ; non, comme tant d'autres, pour masquer d'un titre pompeux une vie inutile & desoeuvrée, mais à dessein de porter dans les emplois une fermeté supérieure aux évenemens. Elles lui apprirent à regarder ce qui est honnête, comme l'unique bien ; ce qui est honteux, comme l'unique mal ; & tout ce qui est étranger à l'ame, comme indifférent. Article de M(D.J.)

ETUDES, (Littérat.) On désigne par ce mot les exercices littéraires usités dans l'instruction de la jeunesse ; études grammaticales, études de Droit, études de Medecine, &c. faire de bonnes études.

L'objet des études a été fort différent chez les différens peuples & dans les différens siecles. Il n'est pas de mon sujet de faire ici l'histoire de ces variétés, on peut voir sur cela le traité des études de M. Fleury. Les études ordinaires embrassent aujourd'hui la Grammaire & ses dépendances, la Poésie, la Rhétorique, toutes les parties de la Philosophie, &c.

Au reste, je me borne à exposer ici mes réflexions sur le choix & sur la méthode des études qui conviennent le mieux à nos usages & à nos besoins ; & comme le latin fait le principal & presque l'unique objet de l'institution vulgaire, je m'attacherai plus particulierement à discuter la conduite des études latines.

Plusieurs savans, grammairiens & philosophes, ont travaillé dans ces derniers tems à perfectionner le système des études ; Locke entr'autres parmi les Anglois ; parmi nous M. le Febvre, M. Fleury, M. Rollin, M. du Marsais, M. Pluche, & plusieurs autres encore, se sont exercés en ce genre. Presque tous ont marqué dans le détail ce qui se peut faire en cela de plus utile, & ils paroissent convenir à l'égard du latin, qu'il vaut mieux s'attacher aujourd'hui, se borner même à l'intelligence de cette langue, que d'aspirer à des compositions peu nécessaires, & dont la plûpart des étudians ne sont pas capables. Cette thèse, dont j'entreprends la défense, est déja bien établie par les auteurs que j'ai cités, & par plusieurs autres également savans.

Un ancien maître de l'université de Paris, qui en 1666 publia une traduction des captifs de Plaute, s'énonce bien positivement sur ce sujet dans la préface qu'il a mise à ce petit ouvrage. " Pourquoi, dit-il, " faire perdre aux écoliers un tems qui est si précieux, & qu'ils pourroient employer si utilement dans la lecture des plus riches ouvrages de l'antiquité ?.... Ne vaudroit-il pas mieux occuper les enfans dans les colléges, à apprendre l'Histoire, la Chronologie, la Géographie, un peu de Géométrie & d'Arithmétique, & sur-tout la pureté du latin & du françois, que de les amuser de tant de regles & instructions de Grammaire ?... Il faut commencer à leur apprendre le latin par l'usage même du latin, comme ils apprennent le françois, & cet usage consiste à leur faire lire, traduire & apprendre les plus beaux endroits des auteurs latins ; afin que s'accoûtumant à les entendre parler, ils apprennent eux-mêmes à parler leur langage ". C'est ainsi que tant de femmes, sans étude de grammaire, apprennent à bien parler leur langue, par le moyen simple & facile de la conversation & de la lecture ; & c'est de même encore que la plûpart des voyageurs apprennent les langues étrangeres.

Un autre maître de l'université qui avoit professé aux Grassins, publia une lettre sur la même matiere en 1707 : j'en rapporterai un article qui vient à mon sujet. " Pour savoir l'allemand, l'italien, l'espagnol, le bas-breton, l'on va demeurer un ou deux ans dans le pays où ces langues sont en usage, & on les apprend par le seul commerce avec ceux qui les parlent ? qui empêche d'apprendre aussi le latin de la même maniere ? & si ce n'est par l'usage du discours & de la parole, ce sera du moins par l'usage de la lecture, qui sera certainement beaucoup plus sûr & plus exact que celui du discours. C'est ainsi qu'en usoient nos peres il y a quatre ou cinq cent ans ".

M. Rollin, traité des études, p. 128. préfere aussi pour les commençans l'explication des auteurs à la pratique de la composition ; & cela parce que les thèmes, comme il le dit, " ne sont propres qu'à tourmenter les écoliers par un travail pénible & peu utile, & à leur inspirer du dégoût pour une étude qui ne leur attire ordinairement de la part des maîtres que des reprimandes & des châtimens ; car, poursuit-il, les fautes qu'ils font dans leurs thèmes étant très-fréquentes & presqu'inévitables, les corrections le deviennent aussi : au lieu que l'explication des auteurs, & la traduction, où ils ne produisent rien d'eux-mêmes, & ne font que se prêter au maître, leur épargnent beaucoup de tems, de peines & de punitions ".

M. le Febvre est encore plus décidé là-dessus : voici comme il s'explique dans sa méthode, pag. 20. Je me gardai bien, dit-il, de suivre la maniere que l'on suit ordinairement, qui est de commencer par la composition. Je me suis toûjours étonné de voir pratiquer une telle méthode pour instruire les enfans dans la connoissance de la langue latine ; car cette langue, après tout, est comme les autres langues : cependant qui a jamais oüi dire qu'on commence l'hébreu, l'arabe, l'espagnol, &c. par la composition ? Un homme qui délibere là-dessus, n'a pas grand commerce avec la saine raison ".

En effet, comment pouvoir composer avant que d'avoir fait provision des matériaux que l'on doit employer ? On commence par le plus difficile ; on présente pour amorce à des enfans de sept à huit ans, les difficultés les plus compliquées du latin, & l'on exige qu'ils fassent des compositions en cette langue, tandis qu'ils ne sont pas capables de faire la moindre lettre en françois sur les sujets les plus ordinaires & les plus connus.

Quoi qu'il en soit, M. le Febvre suivit uniquement la méthode simple d'expliquer les auteurs, dans l'instruction qu'il donna lui-même à son fils ; il le mit à l'explication vers l'âge de dix ans, & il le fit continuer de la même maniere jusqu'à sa quatorzieme année, tems auquel mourut cet enfant célebre, qui entendoit alors couramment les auteurs grecs & latins les plus difficiles : le tout sans avoir donné un seul instant à la structure des themes, qui du reste n'entroient point dans le plan de M. le Febvre, comme il est aisé de voir par une réflexion qu'il ajoûte à la fin de sa méthode : " Où pouvoient aller, dit-il, de si beaux & de si heureux commencemens ! Que n'eût-on point fait, si cet enfant fût parvenu jusqu'à la vingtieme année de son âge ! combien aurions-nous lû d'histoires greques & latines, combien de beaux auteurs de morale, combien de tragédies, combien d'orateurs ! car enfin le plus fort de la besogne étoit fait "

Il ne dit pas, comme on voit, un seul mot des thèmes ; il ne parle pas non plus de former son fils à la composition latine, à la poésie, à la rhétorique. Peu curieux des productions de son éleve ; il ne lui demande, il ne lui souhaite que du progrès dans la lecture des anciens, & il se tient parfaitement assûré du reste : bien différent de la plûpart des parens & des maîtres, qui veulent voir des fruits dans les enfans, lorsqu'on n'y doit pas encore trouver des fleurs. Mais en cela moins éclairés que M. le Febvre, ils s'inquietent hors de saison, parce qu'ils ne voyent pas, comme lui, que la composition n'est proprement qu'un jeu pour ceux qui sont consommés dans l'intelligence des auteurs, & qui se sont comme transformés en eux par la lecture assidue de leurs ouvrages. C'est ce qui parut bien dans mademoiselle le Febvre, si connue dans la suite sous le nom de madame Dacier : on sait qu'elle fut instruite, comme son frere, sans avoir fait aucun thème ; cependant quelle gloire ne s'est-elle pas acquise dans la littérature greque & latine ? Au reste, approfondissons encore plus cette matiere importante, & comparons les deux méthodes, pour en juger par leurs produits.

L'exercice littéraire des meilleurs colléges, depuis sept à huit ans jusqu'à seize & davantage, consiste principalement à se former à la composition du latin ; je veux dire à lier bien ou mal en prose & en vers quelques centaines de phrases latines : habitude du reste qui n'est presque d'aucun usage dans le cours de la vie. Outre que telle est la sécheresse & la difficulté de ces opérations stériles, qu'avec une application constante de huit ou dix ans de la part des écoliers & des maîtres, à peine est-il un tiers des disciples qui parviennent à s'y rendre habiles ; je dis même parmi ceux qui achevent leur carriere : car je ne parle point ici d'une infinité d'autres qui se rebutent au milieu de la course, & pour qui la dépense déjà faite se trouve absolument perdue.

En un mot, rien de plus ordinaire que de voir de bons esprits cultivés avec soin, qui, après s'être fatigués dans la composition latine depuis six à sept ans jusqu'à quinze ou seize, ne sauroient ensuite produire aucun fruit réel d'un travail si long & si pénible ; au lieu qu'on peut défier tous les adversaires de la méthode proposée, de trouver un seul disciple conduit par des maîtres capables, qui ait mis envain le même tems à l'explication des auteurs, & aux autres exercices que nous marquerons plus bas. Aussi plusieurs maîtres des pensions & des colléges reconnoissent-ils de bonne foi le vuide & la vanité de leur méthode, & ils gémissent en secret de se voir asservis malgré eux à des pratiques déraisonnables qu'ils ne sont pas toûjours libres de changer.

Tout ce qu'il y a de plus ébloüissant & de plus fort en faveur de la méthode usitée pour le latin, c'est que ceux qui ont le bonheur d'y réussir & d'y briller, doivent faire pour cela de grands efforts d'application & de génie ; & qu'ainsi l'on espere avec quelque fondement qu'ils acquerront par-là plus de capacité pour l'éloquence & la poésie latine : mais nous l'avons déjà dit, & rien de plus vrai, ceux qui se distinguent dans la méthode régnante, ne font pas le tiers du total. Quand il seroit donc bien constant qu'ils dûssent faire quelque chose de plus par cette voie, conviendroit-il de négliger une méthode qui est à la portée de tous les esprits, pour s'entêter d'une autre toute semée d'épines, & qui n'est faite que pour le petit nombre, dans l'espérance que ceux qui vaincront la difficulté, deviendront un jour de bons latinistes ? En un mot, est-il juste de sacrifier la meilleure partie des étudians, & de leur faire perdre le tems & les frais de leur éducation, pour procurer à quelques sujets la perfection d'un talent qui est le plus souvent inutile, & qui n'est presque jamais nécessaire ?

Mais que diront nos antagonistes, si nous soûtenons avec M. le Febvre, que le moyen le plus efficace pour arriver à la perfection de l'éloquence latine, est précisément la méthode que nous conseillons, je veux dire la lecture constante, l'explication & la traduction perpétuelle des auteurs de la bonne latinité ? On ignore absolument, dit ce grammairien célebre, la véritable route qui mene à la gloire littéraire ; route qui n'est autre que l'étude exacte des anciens auteurs. C'est, dit-il encore, cette pratique si féconde qui a produit les Budés, les Scaligers, les Turnebes, les Passerats, & tant d'autres grands hommes : Viam illam planè ignorant quâ majores nostros ad aeternae famae claritudinem pervenisse videmus. Quaenam illasit fortassè rogas, vir clarissime ? Nulla certè alia quàm veterum scriptorum accurata lectio. Ea Budaeos & Scaligeros ; ea Turnebos, Passeratos, & tot ingentia nomina edidit. Epist. xlij. ad D. Sarrau.

Schorus, auteur allemand, qui écrivoit il y a deux siecles sur la maniere d'apprendre le latin, étoit bien dans les mêmes sentimens. " Rien, dit-il, de plus contraire à la perfection des études latines, que l'usage où l'on est de négliger l'imitation des auteurs, & de conduire les enfans au latin plûtôt par des compositions de collége, que par la lecture assidue des anciens " : Neque verò quicquam pernitiosiùs accidere studiis linguae latinae potest, quàm quod neglectâ omni imitatione, pueri à suis magistris magis quàm à Romanis ipsis latinitatem discere cogantur. Antonii Schori libro de ratione docendae & discendae linguae latinae, page 34.

Aussi la méthode qu'indiquent ces savans, étoit proprement la seule usitée pour apprendre le latin, lorsque cette langue étoit si répandue en Europe, qu'elle y étoit presque vulgaire ; au tems, par exemple, de Charlemagne & de S. Louis. Que faisoit-on pour lors autre chose, que lire ou expliquer les auteurs ? N'est-ce pas de-là qu'est venu le mot de lecteur, pour dire professeur ? & n'est-ce pas enfin ce qu'il faut entendre par le praelectio des anciens latinistes ? terme qu'ils employent perpétuellement pour désigner le principal exercice de leurs écoles, & qui ne peut signifier autre chose que l'explication des livres classiques. Voyez les colloques d'Erasme.

D'ailleurs, il n'y avoit anciennement que cette voie pour devenir latiniste : les dictionnaires françois-latins n'ont paru que depuis environ deux cent ans ; avant ce tems-là il n'étoit pas possible de faire ce qu'on appelle un thème, & il n'y avoit pas d'autre exercice de latinité que la lecture ou l'explication des auteurs. Ce fut pourtant, comme dit M. le Febvre, ce fut cette méthode si simple qui produisit les Budés, les Turnebes, les Scaligers. Ajoûtons que ce fut cette méthode qui produisit madame Dacier.

Quoi qu'il en soit, il est visible qu'on doit plus attendre d'une instruction grammaticale suivie & raisonnée, où les difficultés se développent à mesure qu'on les trouve dans les livres, que d'un fatras de regles isolées, le plus souvent fausses & mal conçûes ; & qui, bien que décorée du beau nom de principes, ne sont au vrai que les exceptions des regles générales, ou, si l'on veut, les caprices d'une syntaxe mal développée.

Au reste, l'exercice de l'explication est tout-à-fait indépendant des difficultés compliquées dont on régale des enfans qui commencent. En effet, ces difficultés se trouvent rarement dans les auteurs ; elles ne sont, pour ainsi dire, que dans l'imagination & dans les recueils de ces prétendus méthodistes, qui loin de chercher le latin, comme autrefois, dans les ouvrages des anciens, se sont frayés une route à cette langue, par de nouveaux détours où ils brusquent toutes les difficultés du françois ; route scabreuse & comme impratiquable, en ce que les tours, les expressions & les figures des deux langues ne s'accordant presque jamais en tout, il a fallu, pour aller du françois au latin, imaginer une espece de méchanique fondée sur des milliers de regles ; mais regles embrouillées, & le plus souvent impénétrables à des enfans, jusqu'à ce que le bénéfice des années & le sentiment que donne un long usage, produisent à la fin dans quelques uns une mesure d'intelligence & d'habileté que l'on attribue faussement à la pratique de ces regles.

Cependant il est des observations raisonnables que l'on doit faire sur le système grammatical, & qui réduites pour les commençans à une douzaine au plus, forment des regles constantes pour fixer les rapports les plus communs de concordance & de régime ; & ces regles fondamentales clairement expliquées, sont à la portée des enfans de sept à huit ans. Celles qui sont plus obscures, & dont l'usage est plus rare, ne doivent être présentées aux étudians que lorsqu'ils sont au courant des auteurs latins. D'ailleurs, la plûpart de ces regles n'ont été occasionnées que par l'ignorance où l'on est, tant des vrais principes du latin, que de certaines expressions abrégées qui sont particulieres à cette langue ; & qui une fois bien approfondies, comme elles le sont dans Sanctius, Port-royal & ailleurs, ne présentent plus de vraie difficulté, & rendent même inutiles tant de regles qu'on a faites sur ces irrégularités apparentes. La briéveté qu'exige un article de dictionnaire, ne me permet pas de m'étendre ici là-dessus ; mais je compte y revenir dans quelque autre occasion.

J'ajoûte que l'un des grands avantages de cette nouvelle institution, c'est qu'elle épargneroit bien des châtimens aux enfans ; article délicat dont on ne parle guere, mais qui mérite autant ou plus qu'un autre d'être bien discuté. Je trouve donc qu'il y a sur cela de l'injustice du côté des parens & du côté des maîtres ; je veux dire trop de mollesse de la part des uns, & trop de dureté de la part des autres.

En effet, les maîtres de la méthode vulgaire, bornés pour la plûpart à quelque connoissance du latin, & entêtés follement de la composition des thèmes, ne cessent de tourmenter leurs éleves, pour les pousser de force à ce travail accablant ; travail qui ne paroît inventé que pour contrister la jeunesse, & dont il ne résulte presqu'aucun fruit. Premier excès qu'il faut éviter avec soin.

Les parens, d'un autre côté, bien qu'inquiets, impatiens même sur les progrès de leurs enfans, n'approuvent pas pour l'ordinaire qu'on les mene par la voie des punitions. En vain le sage nous assûre que l'instruction appuyée de la punition ; fait naître la sagesse ; & que l'enfant livré à ses caprices devient la honte de sa mere (Prov. xxjx. 16.) ; que celui qui ne châtie pas son fils, le hait véritablement (ibid. xiij. 24.) ; que celui qui l'aime, est attentif à le corriger, pour en avoir un jour de la satisfaction. Ecclésiastiq. xxx. 1.

En vain il nous avertit que si on se familiarise avec un enfant, qu'on ait pour lui de la foiblesse & des complaisances, il deviendra comme un cheval fougueux, & fera trembler ses parens ; qu'il faut par conséquent le tenir soûmis dans le premier âge, le châtier à-propos tant qu'il est jeune, de peur qu'il ne se roidisse jusqu'à l'indépendance, & qu'il ne cause un jour de grands chagrins. Ibid. xxx. 8. 9. 10. 11. 12. En vain S. Paul recommande aux peres d'élever leurs enfans dans la discipline & dans la crainte du seigneur. Ephes. vj. 4.

Ces oracles divins ne sont plus écoutés : les parens, aujourd'hui plus éclairés que la sagesse même, rejettent bien loin ces maximes ; & presque tous aveugles & mondains, ils voyent avec beaucoup plus de plaisir les agrémens & l'embonpoint de leurs enfans, que le progrès qu'ils pourroient faire dans les habitudes vertueuses.

Cependant la pratique de l'éducation sévere est trop bien établie & par les passages déjà cités, & par les deux traits qui suivent, pour être regardée comme un simple conseil. Il est dit au Deutéronome xxj. 18. &c. que s'il se trouve un fils indocile & mutin, qui, au mépris de ses parens, vive dans l'indépendance & dans la débauche, il doit être lapidé par le peuple, comme un mauvais sujet dont il faut délivrer la terre. On voit d'un autre côté que le grand prêtre Héli, pour n'avoir pas arrêté les desordres de ses fils, attira sur lui & sur sa famille les plus terribles punitions du Ciel. Liv. I. des Rois, ch. ij.

Il est donc certain que la mollesse dans l'éducation peut devenir criminelle ; qu'il faut par conséquent une sorte de vigilance & de sévérité pour contenir les enfans, & pour les rendre dociles & laborieux : c'est un mal, j'en conviens, mais c'est un mal inévitable. L'expérience confirme en cela les maximes de la sagesse ; elle fait voir que les châtimens sont quelquefois nécessaires, & qu'en les rejettant tout-à-fait on ne forme guere que des sujets inutiles & vicieux.

Quoi qu'il en soit, le meilleur, l'unique tempérament qui se présente contre l'inconvénient des punitions, c'est la facilité de la méthode que je propose ; méthode qui, avec une application médiocre de la part des écoliers, produit toûjours un avancement raisonnable, sans beaucoup de rigueur de la part des maîtres. Il s'en faut bien qu'on en puisse dire autant de la composition latine ; elle suppose beaucoup de talent & beaucoup d'application, & c'est la cause malheureuse, mais la cause nécessaire, de tant de châtimens qu'on inflige aux jeunes latinistes, & que les maîtres ne pourront jamais supprimer, tant qu'ils demeureront fideles à cette méthode.

Il est donc à souhaiter qu'on change le système des études ; qu'au lieu d'exiger des enfans avec rigueur des compositions difficiles & rebutantes, inaccessibles au grand nombre, on ne leur demande que des opérations faciles, & en conséquence rarement suivies des corrections & du dégoût. D'ailleurs la jeunesse passe rapidement ; & ce qu'il faut savoir pour entrer dans le monde, est d'une grande étendue. C'est pour cette raison qu'il faut saisir au plus vîte le bon & l'utile de chaque chose, & glisser sur tout le reste ; ainsi le premier âge doit être employé par préférence à faire acquisition des connoissances les plus nécessaires. Qu'est-ce en effet que l'éducation, si ce n'est l'apprentissage de ce qu'il faut savoir & pratiquer dans le commerce de la vie ? or peut-on remplir ce grand objet, en bornant l'instruction de la jeunesse au travail des thèmes & des vers ? On sait que tout cela n'est dans la suite d'aucun usage, & que le fruit qui reste de tant d'années d'études, se réduit à peine à l'intelligence du latin : je dis à peine, & je ne dis pas assez. Il n'est guere de latiniste qui n'avoue de bonne foi que le talent qu'il avoit acquis au collége pour composer en prose & en vers, ne lui faisoit point entendre couramment les livres qu'il n'avoit pas encore étudiés. Chacun, dis-je, avoue qu'après ses brillantes compositions, Horace, Virgile, Ovide, Tite-Live & Tacite, Cicéron & Tribonien, ont souvent mis en défaut toute sa latinité. Il falloit donc s'attacher moins à faire des vers inutiles, qu'à bien pénétrer ces auteurs par la lecture & par la traduction ; ce qui peut donner tout-à-la-fois ces deux degrés également nécessaires & suffisans, intelligence facile du latin, éloquence & composition françoise.

Pour entrer dans le détail d'une instruction plus utile, plus facile, & plus suivie, je crois qu'il faut mettre les enfans fort jeunes à l'A, B, C : on peut commencer dès l'âge de trois ans ; & pourvû qu'on leur fasse de ce premier exercice un amusement plûtôt qu'un travail, & qu'on leur montre les lettres suivant les nouvelles dénominations déjà connues par plusieurs ouvrages, ils liront ensuite couramment & de bonne heure, tant en françois qu'en latin : on fera bien d'y joindre le grec & le manuscrit. Du reste, trois ou quatre ans seront bien employés à fortifier l'enfant sur toute sorte de lecture, & ce sera une grande avance pour la suite des études, où il importe de lire aisément tout ce qui se présente. C'est un premier fondement presque toûjours négligé ; il en résulte que les progrès ensuite sont beaucoup plus lents & plus difficiles. Je voudrois donc mettre beaucoup de soin dans les premiers tems, pour obtenir une lecture aisée, & une prononciation forte & distincte ; car c'est-là, si je ne me trompe, l'un des meilleurs fruits de l'éducation. Quoi qu'il en soit, si l'on donne aux enfans, comme livre de lecture, les rudimens latins-françois, ils seront assez au fait à six ans pour expliquer d'abord le catéchisme historique, puis les colloques familiers, les histoires choisies, l'appendix du P. Jouvency, &c.

Le maître aura soin, dans les premiers tems, de rendre son explication fort littérale ; il fera sentir la raison des cas & les autres variétés de Grammaire ; prenant tous les jours quelques phrases de l'auteur, pour y montrer l'application des regles. On explique de même, à proportion de l'âge & des progrès des enfans, tout ce qui est relatif à l'Histoire & à la Géographie, les expressions figurées, &c. à quoi on les rend attentifs par diverses interrogations. Ainsi la principale occupation des étudians, durant les premieres années, doit être d'expliquer des auteurs faciles, avec l'attention si bien recommandée par M. Pluche, de répéter plusieurs fois la même leçon, tant de latin en françois que de françois en latin : après même qu'on a vû un livre d'un bout à l'autre, & non par lambeaux, comme c'est la coûtume, il est bon de recommencer sur nouveaux frais, & de revoir le même auteur en entier. On sent bien qu'il ne faut pas suivre pour cela l'usage établi dans les colléges, d'expliquer dans le même jour trois ou quatre auteurs de latinité ; usage qui accommode sans-doute le libraire, & peut-être le professeur, mais qui nuit véritablement au progrès des enfans, lesquels embarrassés & surchargés de livres, n'en étudient aucun comme il faut ; outre qu'ils les perdent, les vendent & les déchirent, & constituent des parens (quelquefois indigens) en frais pour en avoir d'autres.

Au surplus, je conseille fort, contre l'avis de M. Pluche, d'expliquer d'abord à la lettre, & conséquemment de faire la construction ; laquelle est, comme je crois, très-utile, pour ne pas dire indispensable, à l'égard des commençans.

Quant à l'exercice de la mémoire, je ne demanderois par coeur aux enfans que les prieres & le petit catéchisme, avec les déclinaisons & conjugaisons latines & françoises : mais je leur ferois lire tous les jours, à voix haute & distincte, des morceaux choisis de l'histoire, & je les accoûtumerois à répéter sur le champ ce qu'ils auroient compris & retenu ; quand ils seroient assez forts, je leur ferois mettre le tout par écrit. Du reste, je les appliquerois de bonne heure à l'écriture, vers l'âge de six ans au plûtard ; & dès qu'ils sauroient un peu manier la plume, je leur ferois copier plusieurs fois tout ce qu'il y a d'irrégulier dans les noms & dans les verbes, des prétérits & supins, des mots isolés, &c. Ensuite à mesure qu'ils acquerreroient l'expédition de l'écriture, je leur ferois écrire avec soin la plûpart des choses qu'on leur fait apprendre, comme les maximes choisies, le catéchisme, la syntaxe, & la méthode ; les vers du P. Buffier pour l'Histoire & la Géographie, & enfin les plus beaux endroits des Auteurs. Ainsi j'exigerois d'eux beaucoup d'écriture nette & lisible, mais je ne leur demanderois guere de leçons, persuadé qu'elles sont presque inutiles, & qu'elles ne laissent rien de bien durable dans la mémoire.

Par cette pratique habituelle & continuée sans interruption pendant toutes les études, on s'assûreroit aisément du travail des écoliers, qui reculent presque toûjours pour apprendre par coeur, & dont on ne sauroit empêcher ni découvrir la négligence à cet égard, à moins qu'on ne mette à cela un tems considérable, qu'on peut employer plus utilement. D'ailleurs, bien que l'écriture exige autant d'application que l'exercice de la mémoire, elle est néanmoins plus satisfaisante & plus à la portée de tous les sujets ; elle est en même tems plus utile dans le commerce de la vie, & sur-tout elle suppose la résidence & l'assiduité ; en un mot, elle fixe le corps & l'esprit, & donne insensiblement le goût des livres & du cabinet : au lieu que le travail des leçons ne donne le plus souvent que de l'ennui.

Outre l'explication des bons auteurs, & la répétition du texte latin, faite, comme on l'a dit, sur l'explication françoise, on occupera nos jeunes latinistes à traduire de la prose & des vers ; mais au lieu de prendre, suivant la coûtume, des morceaux détachés de l'explication journaliere, je pense qu'il vaut mieux traduire un livre de suite, en poussant toûjours l'explication qui doit aller beaucoup plus vîte. Le brouillon & la copie de l'écolier seront écrits posément, avec de l'espace entre les lignes, pour corriger ; opération importante, qui est autant du maître que du disciple, & à laquelle il faut être fidele. La version sera donc corrigée avec soin, tant pour l'orthographe que pour le françois ; après quoi elle sera mise au net sur un cahier propre & bien entretenu.

Ces pratiques formeront peu-à-peu les enfans, non seulement aux tours de notre langue, mais encore plus à l'écriture ; acquisition précieuse, qui est propre à tous les états & à tous les âges.

Il seroit à souhaiter qu'on en fit un exercice classique, & qu'on y attachât des prix à la fin de l'année. J'ajoûterai sur cela, qu'au lieu de longs barbouillages qu'on exige en pensums, il vaudroit mieux demander chaque fois un morceau d'écriture correcte, &, s'il se peut, élégante.

A l'égard du grec, l'application qu'on y donne est le plus souvent infructueuse, sur-tout dans les colléges, où l'on exige des thèmes avec la position des accens : on pourroit employer beaucoup mieux le tems qu'on perd à tout cela ; c'est pourquoi j'en voudrois décharger la jeunesse, persuadé qu'il suffit à des écoliers de lire le grec aisément, & d'acquérir l'intelligence originale des mots françois qui en sont dérivés. Si cependant on étoit à portée de suivre le plan du P. Giraudeau, on se procureroit par sa méthode une intelligence raisonnable des auteurs grecs, le tout sans se fatiguer, & sans nuire aux autres études.

Mais travail pour travail, il vaudroit encore mieux étudier quelque langue moderne, comme l'italien, l'espagnol, ou plûtôt l'anglois, qui est plus utile & plus à la mode : la grammaire angloise est courte & facile ; on se met au fait en peu d'heures. A la vérité la prononciation n'est pas aisée, non-seulement par la faute des Anglois, qui laissent leur orthographe dans une imperfection, une inconséquence qu'on pardonneroit à peine à un peuple ignorant, mais encore par la négligence de ceux qui ont fait leurs grammaires & leurs dictionnaires, & qui n'ont pas indiqué, comme ils le pouvoient, la valeur actuelle de leurs lettres, dans une infinité de mots où cette valeur est différente de l'usage ordinaire. M. King, maître de langues à Paris, remédie aujourd'hui à ce défaut ; il montre l'anglois avec beaucoup de méthode, & il en facilite extrèmement la lecture & la prononciation.

Au reste, un avantage que nous avons pour l'anglois, & qui nous manque pour le grec, c'est que la moitié des mots qui constituent la langue moderne, sont pris du françois ou du latin ; presque tous les autres sont pris de l'allemand. De plus, nous sommes tous les jours à portée de converser avec des Anglois naturels, & de nous avancer par-là dans la connoissance de leur langue. La gazette d'Angleterre qu'on trouve à Paris en plusieurs endroits, est encore un moyen pour faciliter la même étude. Comme cette feuille est amusante, & qu'elle roule sur des sujets connus d'ailleurs ; pour peu qu'on entende une partie, on devine aisément le reste ; & cette lecture donne peu à peu l'intelligence que l'on cherche.

La singularité de cette étude, & la facilité du progrès, mettroient de l'émulation parmi les jeunes gens, à qui avanceroit davantage ; & bientôt les plus habiles serviroient de guides aux autres. Je conclus enfin que, toutes choses égales, on apprendroit plus d'anglois en un an que de grec en trois ans ; c'est pourquoi comme nous avons plus à traiter avec l'Angleterre qu'avec la Grece, que d'ailleurs il n'y a pas moins à profiter d'un côté que de l'autre, après le françois & le latin, je conseillerois aux jeunes gens de donner quelques momens à l'anglois.

J'ajoûte que notre empressement pour cette langue adouciroit peut-être nos fiers rivaux, qui prendroient pour nous, en conséquence, des sentimens plus équitables ; ce qui peut avoir son utilité dans l'occasion.

Du reste, il est des exercices encore plus utiles au grand nombre, & qui doivent faire partie de l'éducation ; tels sont le Dessein, le Calcul & l'Ecriture, la Géométrie élémentaire, la Géographie, la Musique, &c. Il ne faut sur cela tout au plus que deux leçons par semaine ; on y employe souvent le tems des récréations, & l'on en fait sur-tout la principale occupation des fêtes & des congés. Si l'on est fidele à cette pratique depuis l'âge de huit à neuf ans jusqu'à la fin de l'éducation, on fera marcher le tout à la fois, sans nuire à l'étude des langues ; & l'on aura le plaisir touchant de voir bien des sujets réussir à tout. C'est une satisfaction que j'ai eu moi-même assez souvent. Aussi je soûtiens que tous ces exercices sont moins difficiles & moins rebutans que des thèmes, & qu'ils attirent aux écoliers beaucoup moins de punitions de la part des maîtres.

Depuis l'âge de douze ans jusqu'à quinze & seize, on suivra le système d'études exposé ci-dessus ; mais alors les enfans prépareront eux-mêmes l'explication. Pour cela on leur fournira tous les secours, traductions, commentaires, &c. L'usage contraire m'a toûjours paru déraisonnable ; il est en effet bien étrange que des maîtres qui se procurent toutes sortes de facilités pour entrer dans les livres, s'obstinent à refuser les mêmes secours à de jeunes écoliers. Au surplus, ces enfans seront occupés à diverses compositions françoises & latines : sur quoi l'une des meilleures choses à faire en ce genre, est de donner des morceaux d'auteurs à traduire en françois ; donnant ensuite tantôt la version même à remettre en latin, tantôt des thèmes d'imitation sur des sujets semblables. On pourra les appliquer également à d'autres compositions latines, pourvû que tout se fasse dans les circonstances & avec les précautions qui conviennent. Je ne puis m'empêcher de placer ici quelques réflexions que fait sur cela M. Pluche, tom. VI. du Spectacle de la Nature, pag. 125.

" S'il est, dit-il, de la derniere absurdité d'exiger des enfans de composer en prose dans une langue qu'ils ne savent pas, & dont aucune regle ne peut leur donner le goût ; il n'est pas moins absurde d'exiger de toute une troupe, qu'elle se mette à méditer des heures entieres pour faire huit ou dix vers, sans en sentir la structure ni l'agrément : il vaudroit mieux pour eux avoir écrit une petite lettre d'un style aisé, dans leur propre langue, que de s'être fatigué pour produire à coup sûr de mauvais vers, soit en latin soit en grec.

Il est sensible que plusieurs courront les mêmes risques dans le travail des amplifications & des pieces d'éloquence, où il faut que l'esprit fournisse tout de lui-même, le fonds & le style : peu y réussissent ; s'il s'en trouve six dans cent, quelle vraisemblance y a-t-il à exiger des autres de l'invention, de l'ordonnance, du raisonnement, des images, des mouvemens, & de l'éloquence ? C'est demander un beau chant à ceux qui n'ont ni musique ni gosier.... Lorsqu'une heureuse facilité de concevoir & de s'énoncer encourage le travail des jeunes gens, & inspire plus de hardiesse au maître, je voudrois principalement insister sur ce qui a l'air de délibération ou de raisonnement ; j'aurois fort à coeur d'assujettir un beau naturel à ce goût d'analyse, à cet esprit méthodique & aisé, qui est recherché & applaudi dans toutes les conditions, puisqu'il n'y a aucun état où il ne faille parler sur le champ, exposer un projet, discuter des inconvéniens, & rendre compte de ce qu'on a vû, &c. "

Quoi qu'il en soit, il est certain que des enfans bien dirigés par la nouvelle méthode, auront vû dans leur cours d'étude quatre fois plus de latin qu'on n'en peut voir par la méthode vulgaire. En effet, l'explication devenant alors le principal exercice classique, on pourra expédier dans chaque séance au moins quarante lignes d'auteur, prose ou vers ; & toûjours, comme on l'a dit, en répétant de latin en françois, puis de françois en latin, l'explication faite par le maître ou par un écolier bien préparé : travail également efficace pour entendre le latin, & pour s'énoncer en cette langue. Car il est visible qu'après s'être exercé chaque jour pendant huit ou dix ans d'humanités à traduire du françois en latin, & cela de vive voix & par écrit, on acquerrera mieux encore qu'à présent la facilité de parler latin dans les classes supérieures, supposé qu'on ne fît pas aussi-bien d'y parler françois. Ce travail enfin, continué depuis six ans jusqu'à quinze ou seize, donnera moyen de voir & d'entendre presque tous les auteurs classiques, les plus beaux traités de Cicéron, plusieurs de ses oraisons, Virgile & Horace en entier ; de même que les Instituts de Justinien, le Catéchisme du concile de Trente, &c.

En effet, loin de borner l'instruction des humanistes à quelques notions d'Histoire & de Mythologie, institution futile, qui ne donne guere de facilité pour aller plus loin, on ouvrira de bonne heure le sanctuaire des Sciences & des Arts à la jeunesse : & c'est dans cette vûe, qu'on joindra aux livres de classe plusieurs traités dogmatiques : dont la connoissance est nécessaire à de jeunes littérateurs ; mais de plus on leur fera connoître, par une lecture assidue, les auteurs qui ont le mieux écrit en notre langue, Poëtes, Orateurs, Historiens, Artistes, Philosophes ; ceux qui ont le mieux traité la Morale, le Droit, la Politique, &c. En même tems, on entretiendra, comme on a dit, & cela dans toute la suite des études, l'Arithmétique & la Géométrie, le Dessein, l'Ecriture, &c.

Il est vrai que pour produire tant de bons effets, il ne faudroit pas que les enfans fussent distraits, comme aujourd'hui, par des fêtes & des congés perpétuels, qui interrompent à chaque instant les exercices & les études : il ne faudroit pas non plus qu'ils fussent détournés par des représentations de théatre ; rien ne dérange plus les maîtres & les disciples, & rien par conséquent de plus contraire à l'avancement des écoliers, lors même qu'ils n'ont d'autre étude à suivre que celle du latin. Ce seroit bien pis encore dans le système que je propose.

Du reste, on pourroit accoûtumer les jeunes gens à paroître en public, mais toûjours par des exercices plus faciles, & qui fussent le produit des études courantes. Il suffiroit pour cela de faire expliquer des auteurs latins, de faire déclamer des pieces d'éloquence & de poësie françoise ; & l'on parviendroit au même but, par des démonstrations publiques sur la sphere, l'Arithmétique, la Géométrie, &c.

Je ne dois pas oublier ici que le goût de mollesse & de parure, qui gagne à-présent tous les esprits, est une nouvelle raison pour faciliter le système des études, & pour en ôter les embarras & les épines. Ce goût dominant, si contraire à l'austérité chrétienne, enleve un tems infini aux travaux littéraires, & nuit par conséquent aux progrès des enfans. Un usage à desirer dans l'éducation, ce seroit de les tenir fort simplement pour les habits ; mais sur-tout (qu'on pardonne ces détails à mon expérience) de les mettre en perruque ou en cheveux courts, & des plus courts, jusqu'à l'âge de quinze ans. Par-là on gagneroit un tems considérable, & l'on éviteroit plusieurs inconvéniens, à l'avantage des enfans & de ceux qui les gouvernent : ceux-ci alors, moins détournés pour le superflu, donneroient tous leurs soins à la culture nécessaire du corps & de l'esprit ; ce qui doit être le but des parens & des maîtres.

Quoi qu'il en soit, les dernieres années d'humanités, employées tant à des lectures utiles & suivies, qu'à des compositions choisies & bien travaillées, formeroient une continuité de rhétorique dans un goût nouveau ; rhétorique dont on écarteroit avec soin tout ce qui s'y trouve ordinairement d'inutile & d'épineux. Pour cela, on feroit composer le plus souvent dans la langue maternelle ; & loin d'exercer les jeunes rhéteurs sur des sujets vagues, inconnus, ou indifférens, on n'en choisiroit jamais qui ne leur fussent connus & proportionnés. Je ne voudrois pas même donner de versions, si ce n'est tout au plus pour les prix, sans les expliquer en pleine classe ; & cela parce que la traduction françoise étant moins un exercice de latinité qu'un premier essai d'éloquence, déjà bien capable d'arrêter les plus habiles, si on laisse des obscurités dans le texte latin, on amortit mal-à-propos la verve & le génie de l'écolier, lequel a besoin de toute sa vigueur & de tout son feu pour traduire d'une maniere satisfaisante.

Je ne demanderois donc à de jeunes rhétoriciens que des traductions plus ou moins libres, des lettres, des extraits, des récits, des mémoires, & autres productions semblables, qui doivent faire toute la rhétorique d'un écolier ; productions après tout qui sont plus à la portée des jeunes gens, & plus intéressantes pour le commun des hommes, que les discours bouffis qu'on imagine pour faire parler Hector & Achille, Alexandre & Porus, Annibal & Scipion, César & Pompée, & les autres héros de l'Histoire ou de la Fable.

Au reste, c'est une erreur de croire que la Rhétorique soit essentiellement & uniquement l'art de persuader. Il est vrai que la persuasion est un des grands effets de l'éloquence ; mais il n'est pas moins vrai que la Rhétorique est également l'art d'instruire, d'exposer, narrer, discuter, en un mot, l'art de traiter un sujet quelconque d'une maniere tout-à-la-fois élégante & solide. N'y a-t-il point d'éloquence dans les récits de l'Histoire, dans les descriptions des Poëtes, dans les mémoires de nos académies, &c ? Voyez ELOQUENCE, ELOCUTION.

Quoi qu'il en soit, l'éloquence n'est point un art isolé, indépendant, & distingué des autres arts ; c'est le complément & le dernier fruit des arts & des connoissances acquises par la réflexion, par la lecture, par la fréquentation des Savans, & surtout par un grand exercice de la composition ; mais c'est moins le fruit des préceptes, que celui de l'imitation & du sentiment, de l'usage & du goût : c'est pourquoi les compositions françoises, les lectures perpétuelles, & les autres opérations qu'on a marquées étant plus instructives, plus lumineuses que l'étude unique & vulgaire du latin, seront toûjours plus agréables & plus fécondes, toûjours enfin plus efficaces pour atteindre au vrai but de la Rhétorique.

Quant à la Philosophie, on la regarde pour l'ordinaire comme une science indépendante & distincte de toute autre ; & l'on se persuade qu'elle consiste dans une connoissance raisonnée de telle & telle matiere : mais cette opinion pour être assez commune, n'en est pas moins fausse. La Philosophie n'est proprement que l'habitude de réflechir & de raisonner, ou si l'on veut, la facilité d'approfondir & de traiter les Arts & les Sciences. Voyez PHILOSOPHIE.

Suivant cette idée simple de la vraie Philosophie, elle peut, elle doit même, se commencer dès les premieres leçons de grammaire, & se continuer dans tout le reste des études. Ainsi le devoir & l'habileté du maître consistent à cultiver toûjours plus l'intelligence que la mémoire ; à former les disciples à cet esprit de discussion & d'examen qui caractérise l'homme philosophe ; & à leur donner, par la lecture des bons livres, & par les autres exercices, des notions exactes & suffisantes pour entrer d'eux-mêmes ensuite dans la carriere des Sciences & des Arts. Il faut en un mot fondre de bonne heure, identifier, s'il est possible, la philosophie avec les humanités.

Cependant malgré cette habitude anticipée de réflexion & de raisonnement, il est toûjours censé qu'il faut faire un cours de philosophie ; mais il seroit à souhaiter pour les écoliers & pour les maîtres, que ce cours fût imprimé. La dictée, autrefois nécessaire, est devenue, depuis l'impression, une opération ridicule. En effet, il seroit beaucoup plus commode d'avoir une Philosophie bien méditée & qu'on pût étudier à son aise dans un livre, que de se fatiguer à écrire de médiocres cahiers toûjours pleins de fautes & de lacunes.

Nous nous servons avec fruit de la même bible, de la vulgate qui est commune à tous les Catholiques ; on pourroit avoir de même sur les Sciences des traités uniformes, composés par des hommes capables, & qui travailleroient de concert à nous donner un corps de doctrine aussi parfait qu'il est possible ; le tout avec l'agrément & sous la direction des supérieurs. Pour lors, le tems qui se perd à dicter s'employeroit utilement à expliquer & à interroger : & par ce moyen, une seule classe de deux heures & demie tous les jours hors les dimanches & fêtes, suffiroit pour avancer raisonnablement ; ce qui donneroit aux maîtres & aux disciples le tems de préparer leurs leçons, & de varier leurs études.

Il y a plus à retrancher dans la Logique, qu'on n'y sauroit ajoûter ; il me semble qu'on en peut dire à-peu-près autant de la Métaphysique. La Morale est trop négligée ; on pourroit l'étendre & l'approfondir davantage. A l'égard de la Physique, il en faudroit aussi beaucoup élaguer ; négliger ce qui n'est que de contension & de curiosité, pour se livrer aux recherches utiles & tendantes à l'économie. Elle devroit embrasser, je ne dirai pas l'Arithmétique & les élémens de Géométrie, qui doivent venir long-tems auparavant, mais l'Anatomie, le Calendrier, la Gnomonique, &c. le tout accompagné des figures convenables pour l'intelligence des matieres.

On exposeroit les questions clairement & comme historiquement, donnant pour certain ce qui est constamment reconnu pour tel par les meilleurs Philosophes ; le tout appuyé des preuves & des réponses aux difficultés. Tout ce qui n'auroit pas certain caractere d'évidence & de certitude, seroit donné simplement comme douteux ou comme probable. Au reste, loin de faire son capital de la dispute, & de perdre le tems à réfuter les divers sentimens des Philosophes, on ne disputeroit jamais sur les vérités connues, parce que ces controverses sont toûjours déraisonnables, & souvent même dangereuses. A quoi bon soûtenir thèse sur l'existence de Dieu, sur ses attributs, sur la liberté de l'homme, la spiritualité de l'ame, la réalité des corps, &c. N'avons-nous pas sur tout cela des points fixes auxquels on doit s'en tenir comme à des vérités premieres ? Ces questions devroient être exposées nettement dans un cours de philosophie, où l'on rassembleroit tout ce qui s'est dit là-dessus de plus solide, mais où elles seroient traitées d'une maniere positive, sans qu'il y eût d'exercice reglé pour les attaquer ni pour les défendre, comme il n'en est point pour disputer sur les propositions de Géométrie.

Il est encore bien des questions futiles que l'on ne devroit pas même agiter. Le premier homme a-t-il eu la Philosophie infuse ? La Logique est-elle un art ou une science ? Y a-t-il des idées fausses ? A-t-on l'idée de l'impossible ? Peut-il y avoir deux infinis de même espece ? Enfin l'universel à parte rei, le futur contingent, le malum quà malum, la divisibilité du continu, &c. sont des questions également inutiles, & qui ne méritent guere l'attention d'un bon esprit.

Un cours bien purgé de ces chimeres scholastiques, mais fourni de toutes les notions intéressantes sur l'Histoire naturelle, sur la Méchanique, & sur les Arts utiles, sur les moeurs & sur les lois, se trouveroit à la portée des moindres étudians ; & pour lors, avec le seul secours du livre & du professeur, ils profiteroient de tout ce qu'il y a de bon dans la saine Philosophie ; le tout sans se fatiguer dans la répétition machinale des argumens, & sans faire la dépense ni l'étalage des theses, qui, à le bien prendre, servent moins à découvrir la vérité qu'à fomenter l'esprit de parti, de contention, & de chicane.

Comme le but des soûtenans est plûtôt de faire parade de leur étude & de leur facilité, que de chercher des lumieres dans une dispute éclairée, ils se font un point d'honneur de ne jamais démordre de leurs assertions ; & moins occupés des intérêts de la vérité que du soin de repousser leurs assaillans, ils employent tout l'art de la Scholastique & toutes les ressources de leur génie, pour éluder les meilleures objections, & pour trouver des faux-fuyans dont ils ne manquent guere au besoin ; ce qui entretient les esprits dans une disposition vicieuse, incompatible avec l'amour du vrai, & par conséquent nuisible au progrès des Sciences.

Je ne voudrois donc que peu ou point de thèses : j'aimerois mieux des examens fréquens sur les divers traités qu'on fait apprendre ; examens réitérés, par exemple, tous les trois mois, avec l'attention de répéter dans les derniers ce qu'on auroit vû dans les précédens : ce seroit un moyen plus efficace que les thèses, pour tenir les écoliers en haleine, & pour prévenir leur négligence. En effet, les thèses ne venant que de tems à autre, quelquefois au bout de plusieurs années, il n'est pas rare qu'on s'endorme sur son étude, & cela parce qu'on ne voit rien qui presse : on se promet toûjours de travailler dans la suite ; mais comme on n'est pas pressé, & que l'on voit encore bien du tems devant soi, la paresse le plus souvent l'emporte, insensiblement le tems coule, la tâche augmente, & à la fin on se tire comme on peut.

Les examens fréquens dont je viens de parler serviroient à réveiller les jeunes gens. Ce seroit là comme le prélude des examens généraux & décisifs que l'on fait subir aux candidats, & qui sont toûjours plus redoutables pour eux que l'épreuve des thèses. Au surplus, il conviendroit pour le bien de la chose, & pour ne point déconcerter les sujets mal-à-propos, de s'en tenir aux traités actuels dont on feroit l'objet de leurs études, de les examiner sur cela seul, & le livre à la main, sans chercher des difficultés éloignées non contenues dans l'ouvrage dont il s'agit. Que ces traités fussent bien complets & bien travaillés, comme on le suppose, ils contiendroient tout ce que l'on peut souhaiter sur chaque matiere ; & c'est pourquoi un éleve possédant bien son livre, & répondant dessus pertinemment, devroit toûjours être censé capable, & comme tel admis sans difficulté.

Il regne sur cela un abus bien digne de réforme. Un examinateur à tort & à-travers propose des questions inutiles, des difficultés de caprice que l'étudiant n'a jamais vûes, & sur lesquelles on le met aisément en défaut. Ce qu'il y a de plus fâcheux encore & de plus affligeant, c'est que les hommes n'estimant d'ordinaire que leurs propres opinions, & traitant presque tout le reste d'ignorance ou d'absurdité, l'examinateur rapporte tout à sa maniere de penser, il en fait en quelque sorte un premier principe, & la commune mesure de la doctrine & du mérite. Malheur au répondant qui a sucé des opinions contraires ; souvent avec bien de l'étude & du talent il ne viendra pas à bout de contenter son juge. On sait que Newton & Nicole s'étant présentés à l'examen furent tous les deux refusés ? & cela chacun dans un genre où il égaloit dès-lors ce qu'il y avoit de plus célebre en Europe.

Il vaut donc mieux qu'un disciple ait sa tâche connue & déterminée ; & que remplissant cette tâche, il puisse être tranquille & sûr du succès ; avantage qu'on n'a pas à présent.

Quoi qu'il en soit, ceux qui dans l'éducation proposée quitteroient leurs études vers l'âge de quatorze ans, ne se trouveroient pas, comme aujourd'hui, dans un vuide affreux de toutes les connoissances qui peuvent former d'utiles citoyens, ils seroient dèslors au fait de l'Ecriture & du Calcul, de la Géographie, & de l'Histoire, &c. A l'égard du latin, ils entendroient suffisamment les auteurs classiques ; & les traductions perpétuelles qu'ils auroient faites de vive voix & par écrit, pendant bien des années, leur auroient déjà donné du style & du goût pour écrire en françois. D'ailleurs ils connoîtroient par une fréquente lecture nos historiens & nos poëtes ; & ils auroient même, pour la plupart, une heureuse habitude de réflexion & de raisonnement, capable de leur donner une entrée facile aux langues étrangeres & aux sciences les plus relevées. Ainsi quand ils n'auroient pas beaucoup d'acquis pour la composition latine, ils ne laisseroient pas d'en être au point où doivent être des enfans destinés à des emplois difficiles : au lieu que dans l'éducation présente, si l'on ne réussit pas dans les thèmes & les vers, on ne réussit dans rien ; & dès-là, quelque génie qu'on ait d'ailleurs, on passe le plus souvent pour un sujet inepte ; ce qui peut influer sur le reste de la vie.

A l'égard de ceux qui suivroient jusqu'au bout le nouveau plan d'éducation, il est visible qu'ils seroient de bonne heure au point de capacité nécessaire pour être admis ensuite parmi les gens polis & lettrés, puisqu'à l'âge de dix-sept ou dix-huit ans ils auroient, outre les étymologies greques, une profonde intelligence du latin, & beaucoup de facilité pour la composition françoise ; ils auroient de plus l'Ecriture élégante & l'Arithmétique, la Géométrie, le Dessein, & la Philosophie : le tout joint à un grand usage de notre littérature. Les gens qui brillent le plus de nos jours avoient-ils plus d'acquis à pareil âge ; Combien d'illustres au contraire qui sont parvenus plus tard à ce nécessaire honnête & suffisant, malgré l'application constante qu'ils ont donnée à leurs études !

Quel peut donc enfin, & quel doit être le but de la réforme proposée ? C'est de rendre facile & peu coûteuse, non-seulement la littérature latine & françoise, mais encore plusieurs autres exercices autant ou plus utiles, & qu'il est presque impossible de lier avec la pratique ordinaire ; c'est d'éviter aux parens la perte affligeante de ce que leur coûte une éducation manquée ; & c'est enfin d'épargner aux enfans les châtimens & le dégoût, qui sont presque inséparables de l'institution vulgaire.

Du reste, je l'ai dit ci-devant, & je crois pouvoir le répéter ici, l'éducation doit être l'apprentissage de ce qu'il faut savoir & pratiquer dans le commerce de la société. Qu'on juge à présent de l'éducation commune ; & qu'on nous dise si les enfans, au sortir du collége, ont les notions raisonnables que doit avoir un homme instruit & lettré. Qu'on fasse attention d'autre part que des enfans amenés, comme on l'a dit, au point d'entendre aisément Ciceron, Virgile, & Tribonien, & de les traduire avec une sorte de goût, au point de posséder, par une lecture assidue, les auteurs qui ont le mieux écrit en notre langue, & de manier avec facilité le Calcul, le Dessein, l'Ecriture, &c. que ces enfans, dis-je, auroient alors une aptitude générale à tous les emplois ; & qu'ils pourroient choisir par conséquent dans les diverses professions, ce qui s'accorderoit le mieux à leurs intérêts ou à leurs penchans.

Un autre avantage important, c'est qu'on épargneroit par cette voie plusieurs années à la jeunesse ; attendu que les sujets, toutes choses égales, seroient alors plus formés & plus capables à quinze & seize ans, qu'ils ne sauroient l'être à vingt par l'institution latine usitée de nos jours.

Je ne puis dissimuler mon étonnement de ce que tant d'académies que nous avons dans le royaume, au lieu d'examiner les divers projets d'éducation, & d'exposer ensuite au Public ce qu'il y a sur cela de plus exact & de plus vrai, laissent à de simples particuliers le soin d'un pareil examen, & ne prennent pas la moindre part à une question littéraire qui ressortit à leur tribunal.

Ce seroit ici le lieu d'entrer dans quelque détail sur les instructions & les études relatives aux moeurs : mais cet article qui seroit long, ne convient qu'à un traité complet sur l'éducation (& ce n'est pas de quoi il s'agit à présent : nous en pourrons dire quelque chose dans la suite en parlant des moeurs. Du reste, nous avons là-dessus un ouvrage de M. de Saint-Pierre que je crois fort supérieur à tout ce qui s'est écrit dans le même genre ; il est intitulé, Projet pour perfectionner l'éducation : je ne puis mieux faire que d'y renvoyer les lecteurs. J'ajoûterai seulement la citation suivante.

" Les législateurs de Lacédémone & de la Chine, ont presque été les seuls qui n'ayent pas crû devoir se reposer sur l'ignorance des peres ou des maîtres, d'un soin qui leur a paru l'objet le plus important du pouvoir législatif. Ils ont fixé dans leurs lois le plan d'une éducation détaillée, qui pût instruire à fond les particuliers sur ce qui faisoit ici bas leur bonheur ; & ils ont exécuté ce que, dans la théorie même, on croit encore impossible, la formation d'un peuple philosophe. L'histoire ne nous permet point de douter que ces deux états n'ayent été très-féconds en hommes vertueux. Théorie des sentimens agréables, page 192. " Cet article est de M. FAIGUET, maître de pension à Paris. L'auteur de l'article COLLEGE ne peut, il l'ose dire, que se féliciter beaucoup de voir tout ce qu'il a avancé il y a trois ans dans ce dernier article, appuyé aujourd'hui si solidement & sans restriction par les réflexions & l'expérience d'un homme de mérite, qui s'occupe depuis longtems & avec succès de l'instruction de la jeunesse. Voyez aussi CLASSE, EDUCATION, &c.

ETUDES MILITAIRES. On peut voir au mot ECOLE MILITAIRE quelles doivent être ces études. Nous ajoûterons ici les réflexions suivantes, que M. Leblond nous a communiquées, & qu'il avoit déjà données au Public dans le mercure d'Août 1754.

Plan des différentes matieres qu'on doit enseigner dans une école de Mathématique militaire. Une école de Mathématique instituée pour un régiment ou pour de jeunes officiers, doit avoir pour objet de les instruire par regles & par principes des parties de cette science nécessaires à l'Art militaire.

Elle doit différer, à bien des égards, d'une école destinée à former de simples géometres & des physiciens. Dans celle-ci, le professeur doit travailler à mettre ses éleves en état de s'élever aux spéculations les plus sublimes de la haute Géométrie. Dans celle-là, il faut qu'il se borne aux objets qui ont un rapport immédiat à la science militaire ; qu'il s'applique à les rendre d'un accès facile aux jeunes officiers, & à faire ensorte qu'ils puissent remplir dans le besoin, avec intelligence & distinction, les fonctions d'Ingénieur & d'Artilleur.

C'est dans cet esprit que l'on a rédigé le plan que l'on va exposer. Les différentes matieres qu'on y propose d'enseigner, renferment assez exactement les véritables élémens de l'Art de la guerre. On croit qu'il est important de les fixer ; parce qu'un Professeur, dont le goût se porteroit vers des objets plus brillans, mais moins utiles aux Militaires, pourroit s'y livrer & négliger les connoissances dont ils ont le plus de besoin. Cet inconvénient, auquel on ne fait peut-être pas assez d'attention, est pourtant très-considérable ; & l'on ne peut y remédier qu'en réglant l'ordre & la matiere des leçons, relativement au but ou à l'objet de l'établissement de l'école.

Un plan de cette espece, qui, outre le détail des matieres que le professeur doit enseigner, contiendroit encore l'énumération des livres les plus propres à mettre entre les mains des Militaires, pour leur faire acquérir les connoissances dont ils ont besoin sur chacune de ces matieres, pourroit être d'une grande utilité. Les jeunes gentilshommes répandus dans les provinces, dans les régimens & dans les lieux où il n'y a point d'école de Mathématique, pourroient, en étudiant successivement & avec ordre les différens ouvrages indiqués dans ce plan, se former eux-mêmes dans la science de la guerre & dans les parties des Mathématiques dont elle exige la connoissance.

On est fort éloigné de croire que le plan qu'on propose, réponde entierement à ces vûes : on le donne comme un essai qu'on pourra perfectionner dans la suite, si l'on trouve qu'il puisse mériter quelque attention. On le soûmet aux observations & aux réflexions des personnes également instruites de la Géométrie & de l'Art militaire, qui voudront bien l'examiner. On l'a divisé en dix articles, qu'on peut regarder comme autant de classes particulieres.

Article premier. Comme l'Arithmétique sert d'introduction à la Géométrie & aux autres parties des Mathématiques, & qu'elle est également utile dans la vie civile & militaire, on en donnera les premiers élémens, c'est-à-dire les quatre premieres regles. On y ajoûtera les principales applications qui peuvent servir à en rendre l'usage familier. On traitera aussi de la regle de trois ou de proportion.

On aura soin de faire entrer les commençans dans l'esprit de ces diverses opérations, & de les leur faire démontrer, pour qu'ils contractent l'habitude de ne rien faire par routine, ou sans en savoir la raison.

2. Après l'explication des premieres regles de l'Arithmétique, on traitera de la Géométrie : & comme un traité trop étendu pourroit lasser aisément l'attention de jeunes officiers, peu accoûtumés aux travaux qui demandent quelque contention d'esprit, on se bornera d'abord aux choses les plus faciles & les plus propres à les familiariser avec ce nouveau genre d'étude, & à les mettre en état de passer à la Fortification. L'abrégé de la Géométrie de l'officier, ou l'équivalent, peut suffire pour remplir cet objet.

3. On commencera la Fortification par l'explication de ses regles & de ses principes : on ne parlera d'abord que de la réguliere. L'on donnera tout ce qui appartient à l'enceinte des places de guerre, & la construction de leurs différens dehors.

On aura soin de joindre aux plans des ouvrages de la Fortification, les coupes ou profils pris de différens sens, pour ne rien omettre de tout ce qui peut contribuer à en donner des idées précises & exactes.

L'explication suivie de la troisieme édition du livre intitulé, Elémens de fortification, &c. depuis le commencement jusqu'au chapitre ou à l'article des systèmes de fortification exclusivement, peut remplir l'objet qu'on propose ici.

4. A la suite de cette premiere partie de la Fortification, on donnera quelque teinture du lavis des plans. Cette occupation, utile à plusieurs égards, peut rendre l'étude de la Fortification plus agréable & plus intéressante ; mais on aura soin de faire observer aux jeunes officiers, que ce n'est point par des plans bien lavés que les personnes instruites jugent du mérite & de l'habileté de ceux qui les présentent, mais par des explications nettes & précises sur la forme, l'emplacement, la construction, les usages & propriétés des différens ouvrages marqués sur ces plans. C'est pourquoi on les excitera à s'occuper plus sérieusement de la théorie de la Fortification que du lavis des plans, qu'on peut regarder comme une espece de délassement des autres études qui demandent plus d'attention.

5. Après les préliminaires de Géométrie & de Fortification, on reviendra à cette premiere science, que l'on sera en état alors de traiter avec plus d'étendue. On donnera d'abord tout l'essentiel des élémens, & ensuite la Géométrie-pratique dans un grand détail. On ne négligera rien pour mettre les commençans en état d'exécuter toutes les différentes opérations qui se font sur le terrein, soit pour le tracé des figures, soit pour lever des plans, des cartes, &c.

La Géométrie élémentaire & pratique de M. Sauveur, que l'on vient d'imprimer, peut servir à remplir ces différens objets. Les élémens de cet auteur, quoique très courts, contiennent néanmoins toutes les principales propositions qui servent de base aux différentes parties des Mathématiques. Il a sû réunir ensemble le mérite de la clarté, de la facilité, & de la briéveté. A l'égard de sa Géométrie-pratique, on y trouve tous les détails nécessaires pour travailler sur le papier & sur le terrein. Par ces différentes raisons, on croit cet ouvrage très-propre à une école de l'espece dont il s'agit. Lorsqu'il sera bien entendu, on passera aux Méchaniques & à l'Hydraulique.

6. On ne propose pas de donner des traités bien étendus de ces deux matieres ; il suffira, pour la premiere, de se borner à l'explication & aux usages des machines simples, & des composées qui peuvent s'entendre aisément. A l'égard de l'Hydraulique, on donnera les principes pour comprendre les effets des machines ordinaires mises en mouvement par l'action des liquides & des fluides ; tels sont les moulins à eau, à vent, les pompes, &c. On enseignera aussi à mesurer la dépense des eaux jaillissantes, la quantité que peuvent donner les courans, les rivieres, à évaluer la force de leur action contre les obstacles qu'on peut leur opposer, &c.

Il sera aussi très-convenable de donner la théorie du mouvement des corps pesans, pour expliquer celle du jet des bombes, qu'un officier ne doit guere ignorer. L'Abrégé de Méchanique de M. Trabaud a presque toute l'étendue nécessaire pour remplir ces différens objets. Il s'agira seulement d'en appliquer les principes à la résolution des problèmes les plus propres à en faire voir l'utilité & à en faciliter l'usage & l'intelligence. La premiere partie du nouvel ouvrage du même auteur, intitulé, le mouvement des corps terrestres considéré dans les machines, &c. peut servir de supplément, à cet égard, à son abrégé de Méchanique.

Si quelqu'un doutoit de l'utilité de ces connoissances pour un officier, on lui répondroit qu'à la vérité elles sont moins indispensables que la Géométrie & les Fortifications, mais que cependant il peut se trouver, & qu'il se trouve en effet plusieurs circonstances à la guerre, où l'on en éprouve la nécessité. Il s'agira par exemple de mouvoir des fardeaux très-pesans, de mettre du canon en batterie, de le relever lorsqu'il est tombé ou que son affut est brisé, de le transporter dans des lieux élevés par des passages difficiles, où les mulets & les chevaux ne peuvent être d'aucun usage, &c.

Pour l'Hydraulique, elle peut servir à pratiquer des inondations aux environs d'une place, d'un camp ou d'un retranchement, pour les rendre moins accessibles ; à saigner des rivieres, des ruisseaux, à détourner leurs cours, à donner aux ouvrages qu'on oppose à leur action les dimensions nécessaires pour qu'ils puissent résister à leur impression, & enfin à beaucoup d'autres choses que l'usage de l'art de la guerre peut faire rencontrer souvent.

7. Les parties des Mathématiques qu'on propose de traiter dans les articles précédens, peuvent être regardées comme les seules nécessaires dans une école composée d'officiers. Lorsqu'elles seront bien entendues, il ne s'agira plus que d'en faire l'application aux différentes branches de l'Art militaire auxquelles elles servent de fondement.

La fortification irréguliere ayant été omise d'abord à cause de sa difficulté, on y reviendra après les Méchaniques & l'Hydraulique.

On expliquera auparavant les différens systèmes de Fortification proposés par les ingénieurs les plus célebres. On en examinera les avantages & les défauts, & l'on fera entrer les commençans dans les vûes des inventeurs de ces systèmes. On tâchera par là de les accoûtumer à raisonner par principes sur la Fortification : c'est presque le seul avantage qu'on puisse tirer de l'étude de ces différentes constructions.

Pour la fortification irréguliere, on la traitera avec toute l'étendue qu'elle mérite par son importance : on expliquera fort en détail ses regles générales & particulieres ; &, pour les rendre plus sensibles, on les appliquera à diverses enceintes auxquelles on supposera les différentes irrégularités qui peuvent se rencontrer le plus ordinairement. On examinera les fortifications de nos meilleures places, pour faire voir la maniere dont ces regles s'y trouvent observées, & pour faire juger de la position des dehors dans les terreins irréguliers.

On ne peut guere indiquer de livres où l'on trouve tous ces objets traités ou discutés comme il conviendroit qu'ils le fussent. Mais l'on pourra s'en former des idées assez exactes, en joignant, si l'on veut, aux Elémens de fortification, dont on a déjà parlé, la Fortification d'Ozannam, le premier & le second volume des Travaux de Mars, par Alain Manesson Mallet ; l'Architecture militaire moderne, par Sébastien Fernandès de Medrano ; ce que dit M. Rozard de la fortification irréguliere dans son Traité de la nouvelle fortification françoise ; l'Architecture militaire, par le Chevalier de Saint-Julien ; le Parfait ingénieur françois, &c.

On traitera aussi de la fortification des camps, de la construction des lignes, & des retranchemens, de celle des redoutes, fortins, &c. qu'on fait souvent en campagne.

On fera tracer tous ces différens ouvrages sur le terrein, & l'on donnera la maniere d'en déterminer la grandeur, relativement aux usages auxquels ils peuvent être destinés, & au nombre de troupes qu'ils doivent contenir.

8. Comme la science de l'Artillerie est une des plus essentielles à l'Art militaire, & qu'elle influe également dans la guerre des siéges & dans celle de campagne, on donnera un précis de tout ce qu'elle a de plus intéressant pour tous les officiers.

Les Mémoires d'artillerie de M. de Saint-Remi sont l'ouvrage le plus complet & le plus étendu sur cette matiere ; mais comme ils sont remplis de beaucoup de détails peu importans & peu nécessaires à la plûpart des officiers, on se contentera de donner un extrait de ce qu'ils contiennent de plus généralement utile ; ou bien l'on se servira du premier volume des Elémens de la guerre des siéges, qui traite des armes en usage dans les armées, depuis l'invention de la poudre à canon.

9. Après l'Artillerie, on donnera tout ce qui concerne le détail de l'attaque & de la défense des places. On pourra se servir pour cet effet du second & du troisieme volume des Elémens de la guerre des siéges, que nous venons de citer ; du traité de M. le Maréchal de Vauban, sur la même matiere ; & de l'Ingénieur de campagne, par M. de Clairac. On trouve dans ce dernier ouvrage beaucoup de regles, d'observations, & d'exemples sur l'attaque & la défense des petits lieux, comme bourgs, villages, châteaux, &c. qui peuvent être d'un grand usage à tous les officiers à qui l'attaque ou la défense de ces sortes de postes est ordinairement confiée.

10. On traitera aussi de la Castramétation ; on donnera les regles générales qui doivent toûjours s'observer dans l'arrangement ou la disposition des camps. On pourra se servir pour cet effet de l'Essai sur la Castramétation, imprimé chez Jombert en 1748. On terminera ce cours d'étude par un abrégé de Tactique, & un précis des ordonnances ou réglemens militaires.

On ne peut indiquer d'autre livre, pour servir de base aux leçons de Tactique, que l'Art de la guerre, par M. le Maréchal de Puységur. Il est vraisemblable que cette matiere ne sera pas traitée d'abord d'une maniere aussi parfaite qu'on pourroit le desirer, mais il est très-important de l'essayer ; car en faisant des efforts pour la rendre intéressante, on pourra disposer insensiblement les esprits à ce genre d'étude, & parvenir à en donner le goût.

Lorsqu'il se trouvera plusieurs régimens dans un même lieu, les Officiers de ces régimens seront invités d'assister aux leçons de Tactique ; & ils pourront y communiquer leurs réflexions ou leurs observations sur l'exécution des différentes évolutions & manoeuvres enseignées dans l'ouvrage de l'illustre auteur que nous venons de citer. C'est un moyen très-propre à exciter l'émulation des jeunes officiers, à les engager à réfléchir sur les opérations militaires, & à en étudier les regles & les principes ; & ce sont ces différens avantages qui doivent résulter d'une école établie pour les former dans la science de la guerre.

On pourra, dans le cours des leçons de Tactique, faire usage du Commentaire sur Polybe, par M. le Chevalier de Folard ; mais on choisira les endroits où cet auteur donne des préceptes sur les différentes actions des armées, & l'on ne le suivra point dans les digressions & les paragraphes moins importans, qui se trouvent dans son ouvrage, dont l'examen ou la discussion demanderoit trop de tems. Le Professeur aura soin d'indiquer à ceux qui voudront s'occuper de cette matiere, les autres livres dont la lecture peut être la plus utile ; tels sont les Mémoires de Montécuculli, de M. de Feuquieres ; le Parfait capitaine, par M. le duc de Rohan ; les Réflexions militaires, par M. le Marquis de Santa-Cruz ; l'Art de la guerre, par Vautier ; M. de Quincy ; l'Exercice de l'infanterie, par M. Botté, &c.

A l'égard des réglemens militaires, on se servira pour les expliquer, de l'abrégé contenu dans la troisieme édition du livre intitulé, Elémens de l'art militaire, par M. d'Héricourt : on aura soin d'y ajoûter les ordonnances & les instructions postérieures à cette édition. Cette matiere est extrèmement importante à tous les officiers, tant pour connoître les droits attribués à leurs différens grades, que pour la régularité du service & l'observation de la police militaire. (Q)

ETUDE, (Jurispr.) c'est ainsi qu'on appelle l'endroit où les clercs d'un procureur, ou un procureur même travaille, tient ses sacs & ses papiers. On dit, une grande étude, une bonne étude, &c.

ETUDE, terme de Peinture. On a vû jusqu'à présent que presque tous les termes employés dans l'art de Peinture, ont deux significations ; & cela n'est pas étonnant. La langue d'une nation est formée avant que les Arts y soient arrivés à un certain degré de perfection. Ceux qui les premiers pratiquent ces Arts, commencent par se servir des mots dont la signification est générale ; mais à mesure que l'art se perfectionne, il crée sa langue, & adapte à des significations particulieres une partie des mots généraux ; enfin il en invente. C'est alors que plus les Arts sont méchaniques, plus ils ont besoin de termes nouveaux, & plus ils en créent ; parce que leur usage consiste dans une plus grande quantité d'idées qui leur sont particulieres. L'art poétique a peu de mots qui lui soient consacrés ; des idées générales peuvent exprimer ce qui constitue les ouvrages qu'il produit. La seule partie de cet art qu'on peut appeller méchanique, comprend la mesure des vers, & les formes différentes qu'on leur donne ; & celle-là seule aussi a des mots qui ne peuvent être en usage que pour elle, comme rime, sonnet, rondeau, &c. La peinture en a davantage, parce que la partie méchanique en est plus étendue : cependant elle tient encore tellement aux idées universelles, que le nombre des mots qui lui sont propres est assez borné. Peut-être pourroit-on mettre la Musique au troisieme rang, &c. mais pour ne pas m'écarter de mon sujet, le mot étude, dans l'art dont il est question, signifie premierement l'exercice raisonné de toutes les parties de l'art ; ensuite il signifie le résultat de cet exercice des différentes parties de la Peinture ; c'est-à-dire qu'on appelle études, les essais que le Peintre fait en exerçant son art.

Dans la premiere signification, ce mot comprend tout ce qui constitue l'art de la Peinture. Il faut que l'Artiste qui s'y destine, ou qui le professe, ne néglige l'étude d'aucune de ses parties ; & l'on pourroit, autorisé par la signification peu bornée de ce seul mot, former un traité complet de Peinture ; mais le projet de cet ouvrage, & l'ordre plus commode qu'on y garde, s'y opposent. Ainsi je renvoye le lecteur, pour le détail des connoissances qui doivent être un objet d'étude pour les Peintres, aux articles de Peinture répandus dans ce Dictionnaire : cependant pour que celui-ci ne renvoye pas totalement vuides ceux qui le consulteront, je dirai ce que l'on ne sauroit trop recommander à ceux qui se destinent aux Beaux-Arts, & sur-tout à la Peinture.

La plus parfaite étude est celle de la nature ; mais il faut qu'elle soit éclairée par de sages avis, ou par les lumieres d'une raison conséquente & réfléchie. La nature offre dans le physique & dans le moral les beautés & les défauts, les vertus & les vices. Il s'agit de fonder sur ce mêlange des principes qui décident le choix qu'on doit faire ; & l'on doit s'attacher à les rendre si solides, qu'ils ne laissent dans l'esprit de l'artiste éclairé, & dans le coeur de l'homme vertueux, aucune indécision sur la route qu'ils doivent tenir. Pour ce qui est de la seconde signification du mot étude, il est encore général à certains égards ; & si l'on appelle ainsi tous les essais que font les Peintres pour s'exercer, ils les distinguent cependant par d'autres noms : par exemple, s'ils s'exercent sur la figure entiere, ils nomment cet essai académie ; ainsi le mot étude est employé assez ordinairement pour les parties différentes dessinées ou peintes. On dit : une étude de tête, de mains, de piés, de draperie, de paysage ; & l'on nomme esquisse le projet d'un tableau, soit qu'il soit tracé, dessiné, ou peint : on appelle ébauche ce même projet dont l'exécution n'est que commencée, & généralement tout ouvrage de Peinture qui n'est pas achevé. Cet article est de M. WATELET.


ETUDIANSETUDIANS

Voyez ECOLES DE DROIT, & aux mots BACHELIER, DOCTEUR EN DROIT, DROIT, FACULTE DE DROIT, LICENTIE, PROFESSEUR EN DROIT. (A)


ETUIS. m. espece de boîte qui sert à mettre, à porter, & à conserver quelque chose. Il y a de grands étuis pour les chapeaux, les uns de bois & les autres de carton. Les étuis à cure-dens, à aiguilles & à épingles, sont de petits cylindres, creusés en dedans, avec un couvercle, dans lesquels on enferme ces petits ustensiles de propreté ou de couture.

Il s'en fait d'or, d'argent, ou piqués de clous de ces deux métaux ; & d'autres encore de bois, d'yvoire, ou de carton couvert de cuir.

Les différentes especes d'étuis sont en si grand nombre, qu'il seroit impossible de les décrire toutes.


ETUVES. f. en Architecture, c'est la piece de l'appartement du bain échauffée par des poëles. Les anciens appelloient hypocaustes, les fourneaux soûterrains qui servoient à échauffer leurs bains. Voyez BAINS.

Palladio parle de la coûtume que les anciens avoient d'échauffer leurs appartemens par des tuyaux non-apperçûs, qui partant d'un même foyer, passoient à-travers des murs, & portoient la chaleur dans les différentes pieces d'un bâtiment : on ne sait trop si c'étoit un usage ordinaire chez eux, ou seulement une curiosité ; mais quelques auteurs prétendent que cette maniere de pratiquer les étuves étoit bien au-dessus de celle d'Allemagne, pour le profit & pour l'usage. (P)

ETUVE D'OFFICE. Voyez OFFICE. (P)

ETUVE, (Chapelier) lieu fermé que l'on échauffe afin d'y faire sécher quelque chose.

Les Chapeliers font secher leurs chapeaux dans des étuves, à deux reprises différentes ; savoir, la premiere fois, après qu'ils ont été dressés & mis en forme en sortant de la foulerie ; & la seconde, après qu'ils les ont tirés de la teinture. Voyez CHAPEAU.

ETUVE, en Confiserie, est un ustensile en forme de petit cabinet, où il y a, par étage, diverses tablettes de même fil d'archal, pour soûtenir ce qu'on y veut faire sécher. Voyez la Planche du Confiseur.

ETUVE, en terme de Raffinerie en sucre, est une piece de fonte de trois piés de long sur deux de large, vuide sur une surface & par un bout : on la renverse, ce bout sans bords tourné du côté de la cheminée. Elle est scellée sur des grillons ou supports de fer, au-dessus des grillons où l'on fait le feu. Il y a plusieurs de ces étuves dans une raffinerie, destinées à communiquer de la chaleur dans les greniers où elle est nécessaire. Celle qui sert à échauffer l'étuve où l'on fait sécher les pains, est couverte de plusieurs lits de tole, pour ralentir la chaleur qui seroit excessive, seulement aux environs du foyer. Voyez SUCRE & RAFFINERIE.

ETUVE, s'entend encore, en terme de Raffineur de sucre, de l'endroit où l'on met étuver le sucre en pains ; c'est une espece de chambre à-peu-près quarrée, où il y a des solives d'étage en étage, à deux piés l'une de l'autre. Ces solives sont couvertes de lattes attachées par les deux bouts à la distance environ de quatre pouces : il n'y a que celles du milieu qui ne tiennent point sur les solives, parce qu'il est plus facile d'arranger les pains dans les coins de l'étuve. A mesure que l'on emplit les étages, on place, en venant des deux côtés, au milieu, où l'on laisse un espace vuide de sept à 8 pouces, qui sert à faire monter la chaleur jusqu'au haut de l'étuve, afin que les pains soient tous étuvés dans le même tems. Il faut faire un feu toujours égal. Si dans les premiers jours on en faisoit, il seroit à craindre que l'eau du pain ne tombât dans la pâte, ce qui le feroit fouler, & donneroit beaucoup de peine à refaire : si on en fait trop, une grande quantité de pains rougiront au lieu de blanchir.


ETUVÉES. f. en terme de cuisine, est le nom qu'on donne à une sorte de préparation de poisson, que l'on fait cuire dans de bon vin, avec oignons, champignons, & épices ; le tout ensemble sur un grand feu dont on fait monter la flamme dans la casserole poissonniere, ou autre ustensile dont on se sert pour lors, afin de brûler le vin.


ETUVERen terme de Cirier, c'est mettre dans un lit des cierges nouvellement jettés, afin de concentrer la chaleur & de la réduire au degré nécessaire, pour recevoir les impressions qu'il faut donner à la cire.


ETYMOLOGIES. f. (Lit.) c'est l'origine d'un mot. Le mot dont vient un autre mot s'appelle primitif, & celui qui vient du primitif s'appelle dérivé. On donne quelquefois au primitif même le nom d'étymologie ; ainsi l'on dit que pater est l'étymologie de pere.

Les mots n'ont point avec ce qu'ils expriment un rapport nécessaire ; ce n'est pas même en vertu d'une convention formelle & fixée invariablement entre les hommes, que certains sons réveillent dans notre esprit certaines idées. Cette liaison est l'effet d'une habitude formée dans l'enfance à force d'entendre répéter les mêmes sons dans des circonstances à-peu-près semblables : elle s'établit dans l'esprit des peuples ; sans qu'ils y pensent ; elle peut s'effacer par l'effet d'une autre habitude qui se formera aussi sourdement & par les mêmes moyens. Les circonstances dont la répétition a déterminé dans l'esprit de chaque individu le sens d'un mot, ne sont jamais exactement les mêmes pour deux hommes ; elles sont encore plus différentes pour deux générations. Ainsi à considérer une langue indépendamment de ses rapports avec les autres langues, elle a dans elle-même un principe de variation. La prononciation s'altere en passant des peres aux enfans : les acceptions des termes se multiplient, se remplacent les unes les autres ; de nouvelles idées viennent accroître les richesses de l'esprit humain ; il faut détourner la signification primitive des mots par des métaphores ; la fixer à certains points de vûe particuliers, par des inflexions grammaticales ; réunir plusieurs mots anciens, pour exprimer les nouvelles combinaisons d'idées. Ces sortes de mots n'entrent pas toûjours dans l'usage ordinaire : pour les comprendre, il est nécessaire de les analyser, de remonter des composés ou dérivés aux mots simples ou radicaux, & des acceptions métaphoriques au sens primitif. Les Grecs qui ne connoissoient guere que leur langue, & dont la langue, par l'abondance de ses inflexions grammaticales & par sa facilité à composer des mots, se prêtoit à tous les besoins de leur génie, se livrerent de bonne heure à ce genre de recherches, & lui donnerent le nom d'étymologie, c'est-à-dire, connoissance du vrai sens des mots ; car signifie le vrai sens d'un mot, d', vrai.

Lorsque les Latins étudierent leur langue, à l'exemple des Grecs, ils s'apperçurent bien-tôt qu'ils la devoient presque toute entiere à ceux-ci. Le travail ne se borna plus à analyser les mots d'une seule langue, à remonter du dérivé à sa racine ; on apprit à chercher les origines de sa langue dans des langues plus anciennes, à décomposer non plus les mots, mais les langues : on les vit se succéder & se mêler, comme les peuples qui les parlent. Les recherches s'étendirent dans un champ immense ; mais quoiqu'elles devinssent souvent indifférentes pour la connoissance du vrai sens des mots, on garda l'ancien nom d'étymologie. Aujourd'hui les Savans donnent ce nom à toutes les recherches sur l'origine des mots ; & c'est dans ce sens que nous l'employerons dans cet article.

L'Histoire nous a transmis quelques étymologies, comme celles des noms des villes ou des lieux auxquels les fondateurs ou les navigateurs ont donné, soit leur propre nom, soit quelque autre relatif aux circonstances de la fondation ou de la découverte. A la reserve du petit nombre d'étymologies de ce genre, qu'on peut regarder comme certaines, & dont la certitude purement testimoniale ne dépend pas des regles de l'art étymologique, l'origine d'un mot est en général un fait à deviner, un fait ignoré, auquel on ne peut arriver que par des conjectures, en partant de quelques faits connus. Le mot est donné ; il faut chercher dans l'immense variété des langues, les différens mots dont il peut tirer son origine. La ressemblance du son, l'analogie du sens, l'histoire des peuples qui ont successivement occupé la même contrée, ou qui y ont entretenu un grand commerce, sont les premieres lueurs qu'on suit : on trouve enfin un mot assez semblable à celui dont on cherche l'étymologie. Ce n'est encore qu'une supposition qui peut être vraie ou fausse : pour s'assûrer de la vérité, on examine plus attentivement cette ressemblance ; on suit les altérations graduelles qui ont conduit successivement du primitif au dérivé ; on pese le plus ou le moins de facilité du changement de certaines lettres en d'autres ; on discute les rapports entre les concepts de l'esprit & les analogies délicates qui ont pû guider les hommes dans l'application d'un même son à des idées très-différentes ; on compare le mot à toutes les circonstances de l'énigme : souvent il ne soûtient pas cette épreuve, & on en cherche un autre ; quelquefois (& c'est la pierre de touche des étymologies, comme de toutes les vérités de fait) toutes les circonstances s'accordent parfaitement avec la supposition qu'on a faite ; l'accord de chacune en particulier forme une probabilité ; cette probabilité augmente dans une progression rapide, à mesure qu'il s'y joint de nouvelles vraisemblances, & bien-tôt, par l'appui mutuel que celles-ci se prêtent, la supposition n'en est plus une, & acquiert la certitude d'un fait. La force de chaque vraisemblance en particulier, & leur réunion, sont donc l'unique principe de la certitude des étymologies, comme de tout autre fait, & le fondement de la distinction entre les étymologies possibles, probables, & certaines. Il suit de-là que l'art étymologique est, comme tout art conjectural, composé de deux parties, l'art de former les conjectures ou les suppositions, & l'art de les vérifier ; ou en d'autres termes l'invention & la critique : les sources de la premiere, les regles de la seconde, sont la division naturelle de cet article ; car nous n'y comprendrons point les recherches qu'on peut faire sur les causes primitives de l'institution des mots, sur l'origine & les progrès du langage, sur les rapports des mots avec l'organe qui les prononce, & les idées qu'ils expriment. La connoissance philosophique des langues est une science très-vaste, une mine riche de vérités nouvelles & intéressantes. Les étymologies ne sont que des faits particuliers sur lesquels elle appuie quelquefois des principes généraux ; ceux-ci, à la vérité, rendent à leur tour la recherche des étymologies plus facile & plus sûre ; mais si cet article devoit renfermer tout ce qui peut fournir aux étymologistes des conjectures ou des moyens de les vérifier, il faudroit qu'il traitât de toutes les Sciences. Nous renvoyons donc sur ces matieres aux articles GRAMMAIRE, INTERJECTION LANGUE, ANALOGIE, MELANGE, ORIGINE & ANALYSE DES LANGUES, METAPHORE, ONOMATOPEE, ORTOGRAPHE, SIGNE, &c. Nous ajoûterons seulement, sur l'utilité des recherches étymologiques, quelques réflexions propres à désabuser du mépris que quelques personnes affectent pour ce genre d'étude.

Sources des conjectures étymologiques. En matiere d'étymologie, comme en toute autre matiere, l'invention n'a point de regles bien déterminées. Dans les recherches où les objets se présentent à nous, où il ne faut que regarder & voir, dans celles aussi qu'on peut soûmettre à la rigueur des démonstrations, il est possible de prescrire à l'esprit une marche invariable qui le mene sûrement à la vérité : mais toutes les fois qu'on ne s'en tient pas à observer simplement ou à déduire des conséquences de principes connus, il faut deviner ; c'est-à-dire qu'il faut, dans le champ immense des suppositions possibles, en saisir une au hasard, puis une seconde, & plusieurs successivement, jusqu'à ce qu'on ait rencontré l'unique vraie. C'est ce qui seroit impossible, si la gradation qui se trouve dans la liaison de tous les êtres, & la loi de continuité généralement observée dans la nature, n'établissoient entre certains faits, & un certain ordre d'autres faits propres à leur servir de causes, une espece de voisinage qui diminue beaucoup l'embarras du choix, en présentant à l'esprit une étendue moins vague, & en le ramenant d'abord du possible au vraisemblable ; l'analogie lui trace des routes où il marche d'un pas plus sûr : des causes déjà connues indiquent des causes semblables pour des effets semblables. Ainsi une mémoire vaste & remplie, autant qu'il est possible, de toutes les connoissances relatives à l'objet dont on s'occupe, un esprit exercé à observer dans tous les changemens qui le frappent, l'enchaînement des effets & des causes, & à en tirer des analogies ; sur-tout l'habitude de se livrer à la méditation, ou, pour mieux dire peut-être, à cette rêverie nonchalante dans laquelle l'ame semble renoncer au droit d'appeller ses pensées, pour les voir en quelque sorte passer toutes devant elles, & pour contempler, dans cette confusion apparente, une foule de tableaux & d'assemblages inattendus, produits par la fluctuation rapide des idées, que des liens aussi imperceptibles que multipliés amenent à la suite les unes des autres ; voilà, non les regles de l'invention, mais les dispositions nécessaires à quiconque veut inventer, dans quelque genre que ce soit ; & nous n'avons plus ici qu'à en faire l'application aux recherches étymologiques, en indiquant les rapports les plus frappans, & les principales analogies qui peuvent servir de fondement à des conjectures vraisemblables.

1°. Il est naturel de ne pas chercher d'abord loin de soi ce qu'on peut trouver sous sa main. L'examen attentif du mot même dont on cherche l'étymologie, & de tout ce qu'il emprunte, si j'ose ainsi parler, de l'analogie propre de sa langue, est donc le premier pas à faire. Si c'est un dérivé, il faut le rappeller à sa racine, en le dépouillant de cet appareil de terminaisons & d'inflexions grammaticales qui le déguisent ; si c'est un composé, il faut en séparer les différentes parties : ainsi la connoissance profonde de la langue dont on veut éclaircir les origines, de sa grammaire, de son analogie, est le préliminaire le plus indispensable pour cette étude.

2°. Souvent le résultat de cette décomposition se termine à des mots absolument hors d'usage ; il ne faut pas perdre, pour cela, l'espérance de les éclaircir, sans recourir à une langue étrangere : la langue même dont on s'occupe s'est altérée avec le tems ; l'étude des révolutions qu'elle a essuyées fera voir dans les monumens des siecles passés ces mêmes mots dont l'usage s'est perdu, & dont on a conservé les dérivés ; la lecture des anciennes chartes & des vieux glossaires en découvrira beaucoup ; les dialectes ou patois usités dans les différentes provinces, qui n'ont pas subi autant de variations que la langue polie, ou qui du moins n'ont pas subi les mêmes, en contiennent aussi un grand nombre : c'est là qu'il faut chercher.

3°. Quelquefois les changemens arrivés dans la prononciation effacent dans le dérivé presque tous les vestiges de sa racine. L'étude de l'ancien langage & des dialectes, fournira aussi des exemples des variations les plus communes de la prononciation ; & ces exemples autoriseront à supposer des variations pareilles dans d'autres cas. L'ortographe, qui se conserve lorsque la prononciation change, devient un témoin assez sûr de l'ancien état de la langue, & indique aux étymologistes la filiation des mots, lorsque la prononciation la leur déguise.

4°. Le problème devient plus compliqué, lorsque les variations dans le sens concourent avec les changemens de la prononciation. Toutes sortes de tropes & de métaphores détournent la signification des mots ; le sens figuré fait oublier peu-à-peu le sens propre, & devient quelquefois à son tour le fondement d'une nouvelle figure ; ensorte qu'à la longue le mot ne conserve plus aucun rapport avec sa premiere signification. Pour retrouver la trace de ces changemens entés les uns sur les autres, il faut connoître les fondemens les plus ordinaires des tropes & des métaphores ; il faut étudier les différens points de vûe sous lesquels les hommes ont envisagé les différens objets, les rapports, les analogies entre les idées, qui rendent les figures plus naturelles ou plus justes. En général, l'exemple du présent est ce qui peut le mieux diriger nos conjectures sur le passé ; les métaphores que produisent à chaque instant sous nos yeux les enfans, les gens grossiers, & même les gens d'esprit, ont dû se présenter à nos peres ; car le besoin donne de l'esprit à tout le monde : or une grande partie de ces métaphores devenues habituelles dans nos langues, sont l'ouvrage du besoin : les hommes pour designer aux autres les idées intellectuelles & morales, ne pouvant employer que les noms des objets sensibles : c'est par cette raison, & parce que la nécessité n'est pas délicate, que le peu de justesse des métaphores n'autorise pas toûjours à les rejetter des conjectures étymologiques. Il y a des exemples de ces sens détournés, très-bisarres en apparence, & qui sont indubitables.

5°. Il n'y a aucune langue dans l'état actuel des choses qui ne soit formée du mélange ou de l'altération de langues plus anciennes, dans lesquelles on doit retrouver une grande partie des racines de la langue nouvelle : lorsqu'on a poussé aussi loin qu'il est possible, sans sortir de celle-ci, la décomposition & la filiation des mots, c'est à ces langues étrangeres qu'il faut recourir. Lorsqu'on sait les principales langues des peuples voisins, ou qui ont occupé autrefois le même pays, on n'a pas de peine à découvrir quelles sont celles d'où dérive immédiatement une langue donnée, parce qu'il est impossible qu'il ne s'y trouve une très-grande quantité de mots communs à celle-ci, & si peu déguisés que la dérivation n'en peut être contestée : c'est ainsi qu'il n'est pas nécessaire d'être versé dans l'art étymologique, pour savoir que le françois & les autres langues modernes du midi de l'Europe se sont formées par la corruption du latin mêlé avec le langage des nations qui ont détruit l'Empire romain. Cette connoissance grossiere, où mene la connoissance purement historique des invasions successives du pays, par différens peuples, indiquent suffisamment aux étymologistes dans quelles langues ils doivent chercher les origines de celle qu'ils étudient.

6°. Lorsqu'on veut tirer les mots d'une langue moderne d'une ancienne, les mots françois, par exemple, du latin, il est très-bon d'étudier cette langue, non-seulement dans sa pureté & dans les ouvrages des bons auteurs, mais encore dans les tours les plus corrompus, dans le langage du plus bas peuple & des provinces. Les personnes élevées avec soin & instruites de la pureté du langage, s'attachent ordinairement à parler chaque langue, sans la mêler avec d'autres : c'est le peuple grossier qui a le plus contribué à la formation des nouveaux langages ; c'est lui qui ne parlant que pour le besoin de se faire entendre, néglige toutes les lois de l'analogie, ne se refuse à l'usage d'aucun mot, sous prétexte qu'il est étranger, dès que l'habitude le lui a rendu familier ; c'est de lui que le nouvel habitant est forcé, par les nécessités de la vie & du commerce, d'adopter un plus grand nombre de mots ; enfin c'est toûjours par le bas peuple que commence ce langage mitoyen qui s'établit nécessairement entre deux nations rapprochées, par un commerce quelconque, parce que de part & d'autre, personne ne voulant se donner la peine d'apprendre une langue étrangere, chacun de son côté en adopte un peu, & cede un peu de la sienne.

7°. Lorsque de cette langue primitive plusieurs se sont formées à la fois dans différens pays, l'étude de ces différentes langues, de leurs dialectes, des variations qu'elles ont éprouvées ; la comparaison de la maniere différente dont elles ont altéré les mêmes inflexions, ou les mêmes sons de la langue mere, en se les rendant propres ; celle des directions opposées, si j'ose ainsi parler, suivant lesquelles elles ont détourné le sens des mêmes expressions ; la suite de cette comparaison, dans tout le cours de leur progrès, & dans leurs différentes époques, serviront beaucoup à donner des vûes pour les origines de chacune d'entr'elles : ainsi l'italien & le gascon qui viennent du latin, comme le françois, présentent souvent le mot intermédiaire entre un mot françois & un mot latin, dont le passage eût paru trop brusque & trop peu vraisemblable, si on eût voulu tirer immédiatement l'un de l'autre, soit que le mot ne soit effectivement devenu françois que parce qu'il a été emprunté de l'italien ou du gascon, ce qui est très-fréquent, soit qu'autrefois ces trois langues ayent été moins différentes qu'elles ne le sont aujourd'hui.

8°. Quand plusieurs langues ont été parlées dans le même pays & dans le même tems, les traductions réciproques de l'une à l'autre fournissent aux étymologistes une foule de conjectures précieuses. Ainsi pendant que notre langue & les autres langues modernes se formoient, tous les actes s'écrivoient en latin ; & dans ceux qui ont été conservés, le mot latin nous indique très-souvent l'origine du mot françois, que les altérations successives de la prononciation nous auroient dérobée : c'est cette voie qui nous a appris que métier vient de ministerium ; marguillier, de matricularius, &c. Le dictionnaire de Ménage est rempli de ces sortes d'étymologies, & le glossaire de Ducange en est une source inépuisable. Ces mêmes traductions ont l'avantage de nous procurer des exemples constatés d'altérations très-considérables dans la prononciation des mots, & de différences très-singulieres entre le dérivé & le primitif, qui sont sur-tout très-fréquentes dans les noms des saints ; & ces exemples peuvent autoriser à former des conjectures auxquelles, sans eux, on n'auroit osé se livrer. M. Freret a fait usage de ces traductions d'une langue à une autre, dans sa dissertation sur le mot dunum, où, pour prouver que cette terminaison celtique signifie une ville, & non pas une montagne, il allegue que les Bretons du pays de Galles ont traduit ce mot dans le nom de plusieurs villes, par le mot de caër, & les Saxons par le mot de burgh, qui signifient incontestablement ville : il cite en particulier la ville de Dumbarton, en gallois, Caërbriton ; & celle d'Edimbourg, appellée par les anciens Bretons Dun-eden, & par les Gallois d'aujourd'hui Caër-eden.

9°. Indépendamment de ce que chaque langue tient de celles qui ont concouru à sa premiere formation, il n'en est aucune qui n'acquiere journellement des mots nouveaux, qu'elle emprunte de ses voisins & de tous les peuples avec lesquels elle a quelque commerce. C'est sur-tout lorsqu'une nation reçoit d'une autre quelque connoissance ou quelque art nouveau, qu'elle en adopte en même tems les termes. Le nom de boussole nous est venu des Italiens, avec l'usage de cet instrument. Un grand nombre de termes de l'art de la Verrerie sont italiens, parce que cet art nous est venu de Venise. La Minéralogie est pleine de mots allemands. Les Grecs ayant été les premiers inventeurs des Arts & des Sciences, & le reste de l'Europe les ayant reçûs d'eux, c'est à cette cause qu'on doit rapporter l'usage général parmi toutes les nations européennes, de donner des noms grecs à presque tous les objets scientifiques. Un étymologiste doit donc encore connoître cette source, & diriger ses conjectures d'après toutes ces observations, & d'après l'histoire de chaque art en particulier.

10°. Tous les peuples de la terre se sont mêlés en tant de manieres différentes ; & le mélange des langues est une suite si nécessaire du mélange des peuples, qu'il est impossible de limiter le champ ouvert aux conjectures des étymologistes. Par exemple, on voudra du petit nombre de langues dont une langue s'est formée immédiatement, remonter à des langues plus anciennes : souvent même quelques-unes de ces langues seront totalement perdues : le celtique, dont notre langue françoise a pris plusieurs racines, est dans ce cas ; on en rassemblera les vestiges épars dans l'irlandois, le gallois, le bas breton, dans les anciens noms des lieux de la Gaule, &c. le saxon, le gothique, & les différens dialectes anciens & modernes de la langue germanique, nous rendront en partie la langue des Francs. On examinera soigneusement ce qui s'est conservé de la langue des premiers maîtres du pays, dans quelques cantons particuliers, comme la basse Bretagne, la Biscaye, l'Epire, dont l'âpreté du sol & la bravoure des habitans ont écarté les conquérans postérieurs. L'histoire indiquera les invasions faites dans les tems les plus reculés, les colonies établies sur les côtes par les étrangers, les différentes nations que le commerce ou la nécessité de chercher un asyle, a conduits successivement dans une contrée. On sait que le commerce des Phéniciens s'est étendu sur toutes les côtes de la Méditerranée, dans un tems où les autres peuples étoient encore barbares ; qu'ils y ont établi un très-grand nombre de colonies ; que Carthage, une de ces colonies, a dominé sur une partie de l'Afrique, & s'est soûmis presque toute l'Espagne méridionale. On peut donc chercher dans le phénicien ou l'hébreu un grand nombre de mots grecs, latins, espagnols, &c. On pourra par la même raison supposer que les Phocéens établis à Marseille, ont porté dans la Gaule méridionale plusieurs mots grecs. Au défaut même de l'histoire on peut quelquefois fonder ses suppositions sur les mélanges de peuples plus anciens que les histoires même. Les courses connues des Goths & des autres nations septentrionales d'un bout de l'Europe à l'autre ; celles des Gaulois & des Cimmériens dans des siecles plus éloignés ; celles des Scythes en Asie, donnent droit de soupçonner des migrations semblables, dont les dates trop reculées seront restées inconnues, parce qu'il n'y avoit point alors de nations policées pour en conserver la mémoire, & par conséquent le mélange de toutes les nations de l'Europe & de leurs langues, qui a dû en résulter. Ce soupçon, tout vague qu'il est, peut être confirmé par des étymologies qui en supposeront la réalité, si d'ailleurs elles portent avec elles un caractere marqué de vraisemblance ; & dès-lors on sera autorisé à recourir encore à des suppositions semblables, pour trouver d'autres étymologies. , traire le lait, composé de l' privatif & de la racine , lait ; mulgeo & mulceo en latin, se rapportent manifestement à la racine milk ou mulk, qui signifie lait dans toutes les langues du Nord ; cependant cette racine n'existe seule ni en grec ni en latin. Les mots styern, suéd. star, ang. , gr. stella, latin, ne sont-ils pas évidemment la même racine, ainsi que le mot , la lune, d'où mensis en latin : & les mots moon, ang. maan, dan. mond, allem. ? Des étymologies si bien vérifiées, m'indiquent des rapports étonnans entre les langues polies des Grecs & des Romains, & les langues grossieres des peuples du Nord. Je me prêterai donc, quoiqu'avec réserve, aux étymologies d'ailleurs probables qu'on fondera sur ces mêlanges anciens des nations, & de leurs langages.

11°. La connoissance générale des langues dont on peut tirer des secours pour éclaircir les origines d'une langue donnée, montre plûtôt aux étymologistes l'espace où ils peuvent étendre leurs conjectures, qu'elle ne peut servir à les diriger ; il faut que ceux-ci tirent de l'examen du mot même dont ils cherchent l'origine, des circonstances ou des analogies sur lesquelles ils puissent s'appuyer. Le sens est le premier guide qui se présente : la connoissance détaillée de la chose exprimée par le mot, & de ses circonstances principales, peut ouvrir des vûes. Par exemple, si c'est un lieu, sa situation sur une montagne ou dans une vallée ; si c'est une riviere, sa rapidité, sa profondeur ; si c'est un instrument, son usage ou sa forme ; si c'est une couleur, le nom des objets les plus communs ; les plus visibles auxquels elle appartient ; si c'est une qualité, une notion abstraite, un être en un mot, qui ne tombe pas sous les sens, il faudra étudier la maniere dont les hommes sont parvenus à s'en former l'idée, & quels sont les objets sensibles dont ils ont pû se servir pour faire naître la même idée dans l'esprit des autres hommes, par voie de comparaison ou autrement. La théorie philosophique de l'origine du langage & de ses progrès, des causes de l'imposition primitive des noms, est la lumiere la plus sûre qu'on puisse consulter ; elle montre autant de sources aux étymologistes, qu'elle établit de résultats généraux, & qu'elle décrit de pas de l'esprit humain dans l'invention des langues. Si l'on vouloit entrer ici dans les détails, chaque objet fourniroit des indications particulieres qui dépendent de sa nature, de celui de nos sens par lequel il a été connu, de la maniere dont il a frappé les hommes, & de ses rapports avec les autres objets, soit réels, soit imaginaires. Il est donc inutile de s'appesantir sur une matiere qu'on pourroit à peine effleurer ; l'article ORIGINE DES LANGUES, auquel nous renvoyons, ne pourra même renfermer que les principes les plus généraux : les détails & l'application ne peuvent être le fruit que d'un examen attentif de chaque objet en particulier. L'exemple des étymologies déjà connues, & l'analogie qui en résulte, sont le secours le plus général dont on puisse s'aider dans cette sorte de conjectures, comme dans toutes les autres, & nous en avons déjà parlé. Ce sera encore une chose très-utile de se supposer soi-même à la place de ceux qui ont eu à donner des noms aux objets, pourvû qu'on se mette bien à leur place, & qu'on oublie de bonne-foi tout ce qu'ils ne devoient pas savoir ; on connoîtra par soi-même, avec la difficulté, toutes les ressources & les adresses du besoin pour la vaincre : l'on formera des conjectures vraisemblables sur les idées qu'ont voulu exprimer les premiers nomenclateurs, & l'on cherchera dans les langues anciennes les mots qui répondent à ces idées.

12°. Je ne sai si en matiere de conjectures étymologiques, les analogies fondées sur la signification des mots, sont préférables à celles qui ne sont tirées que du son même. Le son paroît appartenir directement à la substance même du mot ; mais la vérité est que l'un sans l'autre n'est rien, & qu'ainsi l'un & l'autre rapport doivent être perpétuellement combinés dans toutes nos recherches. Quoi qu'il en soit, non-seulement la ressemblance des sons, mais encore des rapports plus ou moins éloignés, servent à guider les étymologistes du dérivé à son primitif. Dans ce genre rien peut-être ne peut borner les inductions, & tout peut leur servir de fondement, depuis la ressemblance totale, qui, lorsqu'elle concourt avec le sens, établit l'identité des racines jusqu'aux ressemblances les plus legeres ; on peut ajoûter, jusqu'au caractere particulier de certaines différences. Les sons se distinguent en voyelles & en consonnes, & les voyelles sont breves ou longues. La ressemblance dans les sons suffit pour supposer des étymologies, sans aucun égard à la quantité, qui varie souvent dans la même langue d'une génération à l'autre, ou d'une ville à une ville voisine : il seroit superflu d'en citer des exemples. Lors même que les sons ne sont pas entierement les mêmes, si les consonnes se ressemblent, on n'aura pas beaucoup d'égard à la différence des voyelles ; effectivement l'expérience nous prouve qu'elles sont beaucoup plus sujettes à varier que les consonnes : ainsi les Anglois, en écrivant grace comme nous, prononcent grece. Les Grecs modernes prononcent ita & épsilon, ce que les anciens prononçoient èta & upsilon : ce que les Latins prononçoient ou, nous le prononçons u. On ne s'arrête pas même lorsqu'il y a quelque différence entre les consonnes, pourvû qu'il reste entr'elles quelqu'analogie, & que les consonnes correspondantes dans le dérivé & dans le primitif, se forment par des mouvemens semblables des organes ; ensorte que la prononciation, en devenant plus forte ou plus foible, puisse changer aisément l'une en l'autre. D'après les observations faites sur les changemens habituels de certaines consonnes en d'autres, les Grammairiens les ont rangées par classes, relatives aux différens organes qui servent à les former : ainsi le p, le b & l'm sont rangés dans la classe des lettres labiales, parce qu'on les prononce avec les levres (Voy. au mot LETTRES, quelques considérations sur le rapport des lettres avec les organes). Toutes les fois donc que le changement ne se fait que d'une consonne à une autre consonne du même organe, l'altération du dérivé n'est point encore assez grande pour faire méconnoître le primitif. On étend même ce principe plus loin ; car il suffit que le changement d'une consonne en une autre soit prouvé par un grand nombre d'exemples, pour qu'on se permette de le supposer ; & véritablement on a toûjours droit d'établir une supposition dont les faits prouvent la possibilité.

13°. En même tems que la facilité qu'ont les lettres à se transformer les unes dans les autres, donne aux étymologistes une liberté illimitée de conjecturer, sans égard à la quantité prosodique des syllabes, au son des voyelles, & presque sans égard aux consonnes mêmes, il est cependant vrai que toutes ces choses, sans en excepter la quantité, servent quelquefois à indiquer des conjectures heureuses. Une syllabe longue (je prends exprès pour exemple la quantité, parce que qui prouve le plus prouve le moins) ; une syllabe longue autorise souvent à supposer la contraction de deux voyelles, & même le retranchement d'une consonne intermédiaire. Je cherche l'étymologie de pinus ; & comme la premiere syllabe de pinus est longue, je suis porté à penser qu'elle est formée des deux premieres du mot picinus, dérivé de pix ; & qui seroit effectivement le nom du pin, si on avoit voulu le définir par la principale de ses productions. Je sai que l'x, le c, le g, toutes lettres gutturales, se retranchent souvent en latin, lorsqu'elles sont placées entre deux voyelles ; & qu'alors les deux syllabes se confondent en une seule, qui reste longue : maxilla, axilla, vexillum, texela, mala, ala ; velum, tela.

14°. Ce n'est pas que ces syllabes contractées & réduites à une seule syllabe longue, ne puissent, en passant dans une autre langue, ou même par le seul laps de tems, devenir breves : aussi ces sortes d'inductions sur la quantité des syllabes, sur l'identité des voyelles, sur l'analogie des consonnes, ne peuvent guere être d'usage que lorsqu'il s'agit d'une dérivation immédiate. Lorsque les degrés de filiation se multiplient, les degrés d'altération se multiplient aussi à un tel point, que le mot n'est souvent plus reconnoissable. En vain prétendroit-on exclure les transformations de lettres en d'autres lettres très-éloignées. Il n'y a qu'à supposer un plus grand nombre d'altérations intermédiaires, & deux lettres qui ne pouvoient se substituer immédiatement l'une à l'autre, se rapprocheront par le moyen d'une troisieme. Qu'y a-t-il de plus éloigné qu'un b & un v ? cependant le b a souvent pris la place de l'u consonne ou du digamma éolique. Le digamma éolique, dans un très-grand nombre de mots adoptés par les Latins, a été substitué à l'esprit rude des Grecs, qui n'est autre chose que notre h, & quelquefois même à l'esprit doux ; témoin , vesper , ver, &c. De son côté l's a été substituée dans beaucoup d'autres mots latins, à l'esprit rude des Grecs ; , super,, ; sex, , sus, &c. La même aspiration a donc pû se changer indifféremment en b & en s. Qu'on jette les yeux sur le Vocabulaire hagiologique de l'abbé Chatelain, imprimé à la tête du Dictionnaire de Menage, & l'on se convaincra par les prodigieux changemens qu'ont subi les noms des saints depuis un petit nombre de siecles, qu'il n'y a aucune étymologie, quelque bizarre qu'elle paroisse, qu'on ne puisse justifier par des exemples avérés ; & que par cette voie on peut, au moyen des variations intermédiaires multipliées à volonté, démontrer la possibilité du changement d'un son quelconque, en tout autre son donné. En effet, il y a peu de dérivation aussi étonnante au premier coup d'oeil, que celle de jour tirée de dies ; & il y en a peu d'aussi certaine. Qu'on réfléchisse de plus que la variété des métaphores entées les unes sur les autres, a produit des bisarreries peut-être plus grandes, & propres à justifier par conséquent des étymologies aussi éloignées par rapport au sens, que les autres le sont par rapport au son. Il faut donc avoüer que tout a pû se changer en tout, & qu'on n'a droit de regarder aucune supposition étymologique comme absolument impossible. Mais que faut-il conclure de-là ? qu'on peut se livrer avec tant de savans hommes à l'arbitraire des conjectures, & bâtir sur des fondemens aussi ruineux de vastes systèmes d'érudition ; ou bien qu'on doit regarder l'étude des étymologies comme un jeu puérile, bon seulement pour amuser des enfans ? Il faut prendre un juste milieu. Il est bien vrai qu'à mesure qu'on suit l'origine des mots, en remontant de degré en degré, les altérations se multiplient, soit dans la prononciation, soit dans les sons, parce que, excepté les seules inflexions grammaticales, chaque passage est une altération dans l'un & dans l'autre ; par conséquent la liberté de conjecturer s'étend en même raison. Mais cette liberté, qu'est-elle ? sinon l'effet d'une incertitude qui augmente toûjours. Cela peut-il empêcher qu'on ne puisse discuter de plus près les dérivations les plus immédiates, & même quelques autres étymologies qui compensent par l'accumulation d'un plus grand nombre de probabilités, la distance plus grande entre le primitif & le dérivé, & le peu de ressemblance entre l'un & l'autre, soit dans le sens, soit dans la prononciation. Il faut donc, non pas renoncer à rien savoir dans ce genre ; mais seulement se résoudre à beaucoup ignorer. Il faut, puisqu'il y a des étymologies certaines, d'autres simplement probables, & quelques-unes évidemment fausses, étudier les caracteres qui distinguent les unes des autres, pour apprendre, sinon à ne se tromper jamais, du moins à se tromper rarement. Dans cette vûe nous allons proposer quelques regles de critique, d'après lesquelles ou pourra vérifier ses propres conjectures & celles des autres. Cette vérification est la seconde partie & le complément de l'art étymologique.

Principes de critique pour apprécier la certitude des étymologies. La marche de la critique est l'inverse, à quelques égards, de celle de l'invention : toute occupée de créer, de multiplier les systèmes & les hypotheses, celle-ci abandonne l'esprit à tout son essor, & lui ouvre la sphere immense des possibles ; celle-là au contraire ne paroît s'étudier qu'à détruire, à écarter successivement la plus grande partie des suppositions & des possibilités ; à rétrécir la carriere, à fermer presque toutes les routes, & à les réduire, autant qu'il se peut, au point unique de la certitude & de la vérité. Ce n'est pas à dire pour cela qu'il faille séparer dans le cours de nos recherches ces deux opérations ; comme nous les avons séparées ici, pour ranger nos idées sous un ordre plus facile : malgré leur opposition apparente, elles doivent toûjours marcher ensemble dans l'exercice de la méditation ; & bien loin que la critique, en modérant sans-cesse l'essor de l'esprit, diminue sa fécondité, elle l'empêche au contraire d'user ses forces, & de perdre un tems utile à poursuivre des chimeres : elle rapproche continuellement les suppositions des faits ; elle analyse les exemples, pour réduire les possibilités & les analogies trop générales qu'on en tire, à des inductions particulieres, & bornées à certaines circonstances : elle balance les probabilités & les rapports éloignés, par des probabilités plus grandes & des rapports plus prochains. Quand elle ne peut les opposer les uns aux autres, elle les apprécie ; où la raison de nier lui manque, elle établit la raison de douter. Enfin elle se rend très-difficile sur les caracteres du vrai, au risque de le rejetter quelquefois, pour ne pas risquer d'admettre le faux avec lui. Le fondement de toute la critique est un principe bien simple, que toute vérité s'accorde avec tout ce qui est vrai ; & que réciproquement ce qui s'accorde avec toutes les vérités, est vrai : de-là il suit qu'une hypothese imaginée pour expliquer un effet, en est la véritable cause, toutes les fois qu'elle explique toutes les circonstances de l'effet, dans quelque détail qu'on analyse ces circonstances ; & qu'on développe les corollaires de l'hypothèse. On sent aisément que l'esprit humain ne pouvant connoître qu'une très-petite partie de la chaîne qui lie tous les êtres, ne voyant de chaque effet qu'un petit nombre de circonstances frappantes, & ne pouvant suivre une hypothèse que dans ses conséquences les moins éloignées, le principe ne peut jamais recevoir cette application complete & universelle, qui nous donneroit une certitude du même genre que celle des Mathématiques. Le hasard a pû tellement combiner un certain nombre de circonstances d'un effet, qu'elles correspondent parfaitement avec la supposition d'une cause qui ne sera pourtant pas la vraie. Ainsi l'accord d'un certain nombre de circonstances produit une probabilité, toûjours contrebalancée par la possibilité du contraire dans un certain rapport, & l'objet de la critique est de fixer ce rapport. Il est vrai que l'augmentation du nombre des circonstances augmente la probabilité de la cause supposée, & diminue la probabilité du hasard contraire, dans une progression tellement rapide, qu'il ne faut pas beaucoup de termes pour mettre l'esprit dans un repos aussi parfait que le pourroit faire la certitude mathématique elle-même. Cela posé, voyons ce que fait le critique sur une conjecture ou sur une hypothèse donnée. D'abord il la compare avec le fait considéré, autant qu'il est possible, dans toutes ses circonstances, & dans ses rapports avec d'autres faits. S'il se trouve une seule circonstance incompatible avec l'hypothèse, comme il arrive le plus souvent, l'examen est fini : si au contraire la supposition répond à toutes les circonstances, il faut peser celle-ci en particulier, discuter le plus ou le moins de facilité avec laquelle chacune se prêteroit à la supposition d'autres causes ; estimer chacune des vraisemblances qui en résultent, & les compter, pour en former la probabilité totale. La recherche des étymologies a, comme toutes les autres, ses regles de critique particulieres, relatives à l'objet dont elle s'occupe, & fondées sur sa nature. Plus on étudie chaque matiere, plus on voit que certaines classes d'effets se prêtent plus ou moins à certaines classes de causes ; il s'établit des observations générales, d'après lesquelles on exclut tout-d'un-coup certaines suppositions, & l'on donne plus ou moins de valeur à certaines probabilités. Ces observations & ces regles peuvent sans-doute se multiplier à l'infini ; il y en auroit même de particulieres à chaque langue & à chaque ordre de mots ; il seroit impossible de les renfermer toutes dans cet article, & nous nous contenterons de quelques principes d'une application générale, qui pourront mettre sur la voie : le bon sens, la connoissance de l'histoire & des langues, indiqueront assez les différentes regles relatives à chaque langue en particulier.

1°. Il faut rejetter toute étymologie, qu'on ne rend vraisemblable qu'à force de suppositions multipliées. Toute supposition enferme un degré d'incertitude, un risque quelconque ; & la multiplicité de ces risques détruit toute assûrance raisonnable. Si donc on propose une étymologie dans laquelle le primitif soit tellement éloigné du dérivé, soit pour le sens, soit pour le son, qu'il faille supposer entre l'un & l'autre plusieurs changemens intermédiaires, la vérification la plus sûre qu'on en puisse faire sera l'examen de chacun de ces changemens. L'étymologie est bonne, si la chaîne de ces altérations est une suite de faits connus directement, ou prouvés par des inductions vraisemblables ; elle est mauvaise, si l'intervalle n'est rempli que par un tissu de suppositions gratuites. Ainsi quoique jour soit aussi éloigné de dies dans la prononciation, qu'alfana l'est d'equus ; l'une de ces étymologies est ridicule, & l'autre est certaine. Quelle en est la différence ? Il n'y a entre jour & dies que l'italien giorno qui se prononce dgiorno, & le latin diurnus, tous mots connus & usités ; au lieu que fanacus, anacus, aquus pour dire cheval, n'ont jamais existé que dans l'imagination de Menage. Cet auteur est un exemple frappant des absurdités, dans lesquelles on tombe en adoptant sans choix, ce que suggere la malheureuse facilité de supposer tout ce qui est possible : car il est très-vrai qu'il ne fait aucune supposition dont la possibilité ne soit justifiée par des exemples. Mais nous avons prouvé qu'en multipliant à volonté les altérations intermédiaires, soit dans le son, soit dans la signification, il est aisé de dériver un mot quelconque de tout autre mot donné : c'est le moyen d'expliquer tout, & dèslors de ne rien expliquer ; c'est le moyen aussi de justifier tous les mépris de l'ignorance.

2°. Il y a des suppositions qu'il faut rejetter, par ce qu'elles n'expliquent rien ; il y en a d'autres qu'on doit rejetter, parce qu'elles expliquent trop. Une étymologie tirée d'une langue étrangere n'est pas admissible, si elle rend raison d'une terminaison propre à la langue du mot qu'on veut éclaircir ; toutes les vraisemblances dont on voudroit l'appuyer, ne prouveroient rien, parce qu'elles prouveroient trop : ainsi avant de chercher l'origine d'un mot dans une langue étrangere, il saut l'avoir décomposé, l'avoir dépouillé de toutes ses inflexions grammaticales, & réduit à ses élémens les plus simples. Rien n'est plus ingénieux que la conjecture de Bochart sur le nom d'insula Britannica, qu'il dérive de l'hébreu Baratanac, pays de l'étain, & qu'il suppose avoir été donné à cette île par les marchands phéniciens ou carthaginois, qui alloient y chercher ce métal. Notre regle détruit cette étymologie : Britannicus est un adjectif dérivé, où la Grammaire latine ne connoît de radical que le mot britan. Il en est de même de la terminaison celtique magum, que Bochart fait encore venir de l'hébreu mohun, sans considérer que la terminaison um ou us (car magus est aussi commun que magum) est évidemment une addition faite par les Latins, pour décliner la racine celtique mag. La plûpart des étymologistes hébraïsans ont été plus sujets que les autres à cette faute ; & il faut avoüer qu'elle est souvent difficile à éviter, sur-tout lorsqu'il s'agit de ces langues dont l'analogie est fort compliquée & riche en inflexions grammaticales. Tel est le grec, où les augmens & les terminaisons déguisent quelquefois entierement la racine. Qui reconnoîtroit, par exemple, dans le mot le verbe , dont il est cependant le participe très-régulier ? S'il y avoit un mot hébreu hemmen, qui signifiât comme , arrangé ou joint, il faudroit rejetter cette origine pour s'en tenir à la dérivation grammaticale. J'ai appuyé sur cette espece d'écueil, pour faire sentir ce qu'on doit penser de ceux qui écrivent des volumes d'étymologies, & qui ne connoissent les langues que par un coup-d'oeil rapide jetté sur quelques dictionnaires.

3°. Une étymologie probable exclut celles qui ne sont que possibles. Par cette raison, c'est une regle de critique presque sans exception, que toute étymologie étrangere doit être écartée, lorsque la décomposition du mot dans sa propre langue repond exactement à l'idée qu'il exprime : ainsi celui qui guidé par l'analogie de parabole, parallogisme, &c. chercheroit dans la préposition greque l'origine de parasol & parapluie, se rendroit ridicule.

4°. Cette étymologie devroit être encore rebutée par une autre regle presque toûjours sûre, quoiqu'elle ne soit pas entierement générale : c'est qu'un mot n'est jamais composé de deux langues différentes, à moins que le mot étranger ne soit naturalisé par un long usage avant la composition ; ensorte que ce mot n'ait besoin que d'être prononcé pour être entendu : ceux même qui composent arbitrairement des mots scientifiques, s'assujettissent à cette regle, guidés par la seule analogie, si ce n'est lorsqu'ils joignent à beaucoup de pédanterie beaucoup d'ignorance ; ce qui arrive quelquefois : c'est pour cela que notre regle a quelques exceptions.

5°. Ce sera une très-bonne loi à s'imposer, si l'on veut s'épargner bien des conjectures frivoles, de ne s'arrêter qu'à des suppositions appuyées sur un certain nombre d'inductions, qui leur donnent déjà un commencement de probabilité, & les tirent de la classe trop étendue des simples possibles : ainsi quoiqu'il soit vrai en général que tous les peuples & toutes les langues se sont mêlés en mille manieres, & dans des tems inconnus, on ne doit pas se préter volontiers à faire venir de l'hébreu ou de l'arabe le nom d'un village des environs de Paris. La distance des tems & des lieux est toûjours une raison de douter ; & il est sage de ne franchir cet intervalle, qu'en s'aidant de quelques connoissances positives & historiques des anciennes migrations des peuples, de leurs conquêtes, du commerce qu'ils ont entretenu les uns chez les autres ; & au défaut de ces connoissances, il faut au moins s'appuyer sur des étymologies déjà connues, assez certaines, & en assez grand nombre pour établir un mélange des deux langues. D'après ces principes, il n'y a aucune difficulté à remonter du françois au latin, du tudesque au celtique, du latin au grec. J'admettrai plus aisément une étymologie orientale d'un mot espagnol, que d'un mot françois ; parce que je sai que les Phéniciens & sur-tout les Carthaginois, ont eu beaucoup d'établissemens en Espagne ; qu'après la prise de Jérusalem sous Vespasien, un grand nombre de Juifs furent transportés en Lusitanie, & que depuis toute cette contrée a été possédée par les Arabes.

6°. On puisera dans cette connoissance détaillée des migrations des peuples, d'excellentes regles de critique, pour juger des étymologies tirées de leurs langues, & apprécier leur vraisemblance : les unes seront fondées sur le local des établissemens du peuple ancien ; par exemple, les étymologies phéniciennes des noms de lieu seront plus recevables, s'il s'agit d'une côte ou d'une ville maritime, que si cette ville étoit située dans l'intérieur des terres : une étymologie arabe conviendra dans les plaines & dans les parties méridionales de l'Espagne ; on préférera pour des lieux voisins des Pyrenées, des étymologies latines ou basques.

7°. La date du mêlange des deux peuples, & du tems où les langues anciennes ont été remplacées par de nouvelles, ne sera pas moins utile ; on ne tirera point d'une racine celtique le nom d'une ville bâtie, ou d'un art inventé sous les rois francs.

8°. On pourra encore comparer cette date à la quantité d'altération que le primitif aura dû souffrir pour produire le dérivé ; car les mots, toutes choses d'ailleurs égales, ont reçu d'autant plus d'altération qu'ils ont été transmis par un plus grand nombre de générations, & sur-tout que les langues ont essuyé plus de révolutions dans cet intervalle. Un mot oriental qui aura passé dans l'espagnol par l'arabe, sera bien moins éloigné de sa racine que celui qui sera venu des anciens Carthaginois.

9°. La nature de la migration, la forme, la proportion, & la durée du mêlange qui en a résulté, peuvent aussi rendre probables ou improbables plusieurs conjectures ; une conquête aura apporté bien plus de mots dans un pays, lorsqu'elle aura été accompagnée de transplantation d'habitans ; une possession durable, plus qu'une conquête passagere ; plus lorsque le conquérant a donné ses lois aux vaincus, que lorsqu'il les a laissés vivre selon leurs usages : une conquête en général, plus qu'un simple commerce. C'est en partie à ces causes combinées avec les révolutions postérieures, qu'il faut attribuer les différentes proportions dans le mêlange du latin, avec les langues qu'on parle dans les différentes contrées soûmises autrefois aux Romains ; proportions d'après lesquelles les étymologies tirées de cette langue auront, tout le reste égal, plus ou moins de probabilité ; dans le mêlange, certaines classes d'objets garderont les noms que leur donne le conquérant ; d'autres, celui de la langue des vaincus ; & tout cela dépendra de la forme du gouvernement, de la maniere dont l'autorité & la dépendance sont distribuées entre les deux peuples ; des idées qui doivent être plus ou moins familieres aux uns ou aux autres, suivant leur état, & les moeurs que leur donne cet état.

10°. Lorsqu'il n'y a eu entre deux peuples qu'une simple liaison sans qu'ils se soient mêlangés, les mots qui passent d'une langue dans l'autre sont le plus ordinairement relatifs à l'objet de cette liaison. La religion chrétienne a étendu la connoissance du latin dans toutes les parties de l'Europe, où les armes des Romains n'avoient pû pénétrer. Un peuple adopte plus volontiers un mot nouveau avec une idée nouvelle, qu'il n'abandonne les noms des objets anciens, auxquels il est accoûtumé. Une étymologie latine d'un mot polonois ou irlandois, recevra donc un nouveau degré de probabilité, si ce mot est relatif au culte, aux mysteres, & aux autres objets de la religion. Par la même raison, s'il y a quelques mots auxquels on doive se permettre d'assigner une origine phénicienne ou hébraïque, ce sont les noms de certains objets relatifs aux premiers arts & au commerce ; il n'est pas étonnant que ces peuples, qui les premiers ont commercé sur toutes les côtes de la Méditerranée, & qui ont fondé un grand nombre de colonies dans toutes les îles de la Grece, y ayent porté les noms des choses ignorées des peuples sauvages chez lesquels ils trafiquoient, & sur-tout les termes de commerce. Il y aura même quelques-uns de ces mots que le commerce aura fait passer des Grecs à tous les Européens, & de ceux-ci à toutes les autres nations. Tel est le mot de sac, qui signifie proprement en hébreu une étoffe grossiere, propre à emballer les marchandises. De tous les mots qui ne dérivent pas immédiatement de la nature, c'est peut-être le plus universellement répandu dans toutes les langues. Notre mot d'arrhes, arrhabon, est encore purement hébreu, & nous est venu par la même voie. Les termes de Commerce parmi nous sont portugais, hollandois, anglois, &c. suivant la date de chaque branche de commerce, & le lieu de son origine.

11°. On peut en généralisant cette derniere observation, établir un nouveau moyen d'estimer la vraisemblance des suppositions étymologiques, fondées sur le mélange des nations & de leurs langages ; c'est d'examiner quelle étoit au tems du mélange la proportion des idées des deux peuples ; les objets qui leur étoient familiers, leur maniere de vivre, leurs arts, & le degré de connoissance auquel ils étoient parvenus. Dans les progrès généraux de l'esprit humain, toutes les nations partent du même point, marchent au même but, suivent à-peu-près la même route ; mais d'un pas très-inégal. Nous prouverons à l'article LANGUES, que les langues dans tous les tems sont à-peu-près la mesure des idées actuelles du peuple qui les parle ; & sans entrer dans un grand détail, il est aisé de sentir qu'on n'invente des noms qu'à mesure qu'on a des idées à exprimer. Lorsque des peuples inégalement avancés dans leurs progrès se mêlent, cette inégalité influe à plusieurs titres sur la langue nouvelle qui se forme du mêlange. La langue du peuple policé plus riche, fournit au mélange dans une plus grande proportion, & le teint, pour ainsi dire, plus fortement de sa couleur : elle peut seule donner les noms de toutes les idées qui manquoient au peuple sauvage. Enfin l'avantage que les lumieres de l'esprit donnent au peuple policé, le dédain qu'elles lui inspirent pour tout ce qu'il pourroit emprunter des barbares, le goût de l'imitation que l'admiration fait naître dans ceux-ci, changent encore la proportion du mêlange en faveur de la langue policée, & contrebalancent souvent toutes les autres circonstances favorables à la langue barbare, celle même de la disproportion du nombre entre les anciens & les nouveaux habitans. S'il n'y a qu'un des deux peuples qui sache écrire, cela seul donne à sa langue le plus prodigieux avantage ; parce que rien ne fixe plus les impressions des mots dans la mémoire, que l'écriture. Pour appliquer cette considération générale, il faut la détailler ; il faut comparer les nations aux nations sous les différens points de vûe que nous offre leur histoire, apprécier les nuances de la politesse & de la barbarie. La barbarie des Gaulois n'étoit pas la même que celle des Germains, & celle-ci n'étoit pas la barbarie des Sauvages d'Amérique ; la politesse des anciens Tyriens, des Grecs, des Européens modernes, forment une gradation aussi sensible ; les Mexicains barbares, en comparaison des Espagnols (je ne parle que par rapport aux lumieres de l'esprit), étoient policés par rapport aux Caraibes. Or l'inégalité d'influence des deux peuples dans le mélange des langues, n'est pas toûjours relative à l'inégalité réelle des progrès, au nombre des pas de l'esprit humain, & à la durée des siecles interposés entre un progrès & un autre progrès ; parce que l'utilité des découvertes, & sur-tout leur effet imprévû sur les moeurs, les idées, la maniere de vivre, la constitution des nations & la balance de leurs forces, n'est en rien proportionnée à la difficulté de ces découvertes, à la profondeur qu'il faut percer pour arriver à la mine & au tems nécessaire pour y parvenir : qu'on en juge par la poudre & l'imprimerie. Il faut donc suivre la comparaison des nations dans un détail plus grand encore, y faire entrer la connoissance de leurs arts respectifs, des progrès de leur éloquence, de leur philosophie, &c. voir quelle sorte d'idées elles ont pû se préter les unes aux autres, diriger & apprécier ses conjectures d'après toutes ces connoissances, & en former autant de regles de critique particulieres.

12°. On veut quelquefois donner à un mot d'une langue moderne, comme le françois, une origine tirée d'une langue ancienne, comme le latin, qui, pendant que la nouvelle se formoit, étoit parlée & écrite dans le même pays en qualité de langue savante. Or il faut bien prendre garde de prendre pour des mots latins, les mots nouveaux, auxquels on ajoûtoit des terminaisons de cette langue ; soit qu'il n'y eût véritablement aucun mot latin correspondant, soit plûtôt que ce mot fût ignoré des écrivains du tems. Faute d'avoir fait cette legere attention, Ménage a dérivé marcassin de marcassinus, & il a perpétuellement assigné pour origine à des mots françois de prétendus mots latins, inconnus lorsque la langue latine étoit vivante, & qui ne sont que ces mêmes mots françois latinisés par des ignorans : ce qui est en fait d'étymologie, un cercle vicieux.

13°. Comme l'examen attentif de la chose dont on veut expliquer le nom, de ses qualités, soit absolues, soit relatives, est une des plus riches sources de l'invention ; il est aussi un des moyens les plus sûrs pour juger certaines étymologies : comment fera-t-on venir le nom d'une ville, d'un mot qui signifie pont, s'il n'y a point de riviere ? M. Freret a employé ce moyen avec le plus grand succès dans sa dissertation sur l'étymologie de la terminaison celtique dunum, où il réfute l'opinion commune qui fait venir cette terminaison d'un prétendu mot celtique & tudesque, qu'on veut qui signifie montagne. Il produit une longue énumération des lieux, dont le nom ancien se terminoit ainsi : Tours s'appelloit autrefois Caesarodunum ; Leyde, Lugdunum Batavorum ; Tours & Leyde sont situés dans des plaines. Plusieurs lieux se sont appellés Uxellodunum, & uxel signifioit aussi montagne ; ce seroit un pléonasme. Le mot de Noviodunum, aussi très-commun, se trouve donné à des lieux situés dans des vallées ; ce seroit une contradiction.

14°. C'est cet examen attentif de la chose qui peut seul éclairer sur les rapports & les analogies que les hommes ont dû saisir entre les différentes idées, sur la justesse des métaphores & des tropes, par lesquels on a fait servir les noms anciens à désigner des objets nouveaux. Il faut l'avoüer, c'est peut-être par cet endroit que l'art étymologique est le plus susceptible d'incertitude. Très-souvent le défaut de justesse & d'analogie ne donne pas droit de rejetter les étymologies fondées sur des métaphores ; je crois l'avoir dit plus haut, en traitant de l'invention : il y en a sur-tout deux raisons ; l'une est le versement d'un mot, si j'ose ainsi parler, d'une idée principale sur l'accessoire ; la nouvelle extension de ce mot à d'autres idées, uniquement fondée sur le sens accessoire sans égard au primitif, comme quand on dit un cheval ferré d'argent ; & les nouvelles métaphores entées sur ce nouveau sens, puis les unes sur les autres, au point de présenter un sens entierement contradictoire avec le sens propre. L'autre raison qui a introduit dans les langues des métaphores peu justes, est l'embarras où les hommes se sont trouvés, pour nommer certains objets qui ne frappoient en rien le sens de l'oüie, & qui n'avoient avec les autres objets de la nature, que des rapports très-éloignés. La nécessité est leur excuse. Quant à la premiere de ces deux especes de métaphores si éloignées du sens primitif, j'ai déjà donné la seule regle de critique sur laquelle on puisse compter ; c'est de ne les admettre que dans le seul cas où tous les changemens intermédiaires sont connus ; elle resserre nos jugemens dans des limites bien étroites, mais il faut bien les resserrer dans les limites de la certitude. Pour ce qui regarde les métaphores produites par la nécessité, cette nécessité même nous procurera un secours pour les vérifier : en effet, plus elle a été réelle & pressante, plus elle s'est fait sentir à tous les hommes, plus elle a marqué toutes les langues de la même empreinte. Le rapprochement des tours semblables dans plusieurs langues très-différentes, devient alors une preuve que cette façon détournée d'envisager l'objet, étoit aussi nécessaire pour pouvoir lui donner un nom, qu'elle semble bizarre au premier coup-d'oeil. Voici un exemple assez singulier, qui justifiera notre regle. Rien ne paroît d'abord plus étonnant que de voir le nom de pupilla, petite fille, diminutif de pupa, donné à la prunelle de l'oeil. Cette étymologie devient indubitable par le rapprochement du grec , qui a aussi ces deux sens, & de l'hébreu bath-ghnaïn, la prunelle, & mot pour mot la fille de l'oeil : à plus forte raison ce rapprochement est-il utile pous donner un plus grand degré de probabilité aux étymologies, fondées sur des métaphores moins éloignées. La tendresse maternelle est peut-être le premier sentiment que les hommes ayent eu à exprimer ; & l'expression en semble indiquée par le mot de mama ou ama, le plus ancien mot de toutes les langues. Il ne seroit pas extraordinaire que le mot latin amare en tirât son origine. Cette opinion devient plus vraisemblable, quand on voit en hébreu le même mot amma, mere, former le verbe amam, amavit ; & il est presque porté jusqu'à l'évidence, quand on voit dans la même langue rekhem, uterus, former le verbe rakham, vehementer amavit.

15°. L'altération supposée dans les sons, forme seule une grande partie de l'art étymologique, & mérite aussi quelques considérations particulieres. Nous avons déjà dit (8°.) que l'altération du dérivé augmentoit à mesure que le tems l'éloignoit du primitif, & nous avons ajoûté, toutes choses d'ailleurs égales, parce que la quantité de cette altération dépend aussi du cours que ce mot a dans le public. Il s'use, pour ainsi dire, en passant dans un plus grand nombre de bouches, sur-tout dans la bouche du peuple, & la rapidité de cette circulation équivaut à une plus longue durée ; les noms des saints & les noms de baptême les plus communs en sont un exemple ; les mots qui reviennent le plus souvent dans les langues, tels que les verbes être, faire, vouloir, aller, & tous ceux qui servent à lier les autres mots dans le discours, sont sujets à de plus grandes altérations ; ce sont ceux qui ont le plus besoin d'être fixés par la langue écrite. Le mot inclinaison dans notre langue, & le mot inclination, viennent tous deux du latin inclinatio. Mais le premier qui a gardé le sens physique est plus ancien dans la langue ; il a passé par la bouche des Arpenteurs, des Marins, &c. Le mot inclination nous est venu par les philosophes scholastiques, & a souffert moins d'altérations. On doit donc se préter plus ou moins à l'altération supposée d'un mot, suivant qu'il est plus ancien dans la langue, que la langue étoit plus ou moins formée, étoit sur-tout ou n'étoit pas fixée par l'écriture lorsqu'il y a été introduit ; enfin suivant qu'il exprime des idées d'un usage plus ou moins familier, plus ou moins populaire.

16°. C'est par le même principe que le tems & la fréquence de l'usage d'un mot se compensent mutuellement pour l'altérer dans le même degré. C'est principalement la pente générale que tous les mots ont à s'adoucir ou à s'abréger qui les altere. Et la cause de cette pente est la commodité de l'organe qui les prononce. Cette cause agit sur tous les hommes : elle agit d'une maniere insensible, & d'autant plus que le mot est plus répeté. Son action continue, & la marche des altérations qu'elle a produites, a dû être & a été observée. Une fois connue, elle devient une pierre de touche sûre pour juger d'une foule de conjectures étymologiques ; les mots adoucis ou abregés par l'euphonie ne retournent pas plus à leur premiere prononciation que les eaux ne remontent vers leur source. Au lieu d'obtinere, l'euphonie a fait prononcer optinere ; mais jamais à la prononciation du mot optare, on ne substituera celle d'obtare. Ainsi dans notre langue, ce qui se prononçoit comme exploits, tend de jour en jour à se prononcer comme succès, mais une étymologie où l'on feroit passer un mot de cette derniere prononciation à la premiere ne seroit pas recevable.

17°. Si de ce point de vûe général on veut descendre dans les détails, & considérer les différentes suites d'altérations dans tous les langages que l'euphonie produisoit en même tems, & en quelque sorte parallelement les unes aux autres dans toutes les contrées de la terre ; si l'on veut fixer aussi les yeux sur les différentes époques de ces changemens, on sera surpris de leur irrégularité apparente. On verra que chaque langue & dans chaque langue chaque dialecte, chaque peuple, chaque siecle, changent constamment certaines lettres en d'autres lettres, & se refusent à d'autres changemens aussi constamment usités chez leurs voisins. On conclura qu'il n'y a à cet égard aucune regle générale. Plusieurs savans, & ceux en particulier qui ont fait leur étude des langues orientales, ont, il est vrai, posé pour principe que les lettres distinguées dans la grammaire hébraïque & rangées par classes sous le titre de lettres des mêmes organes, se changent réciproquement entr'elles, & peuvent se substituer indifféremment les unes aux autres dans la même classe ; ils ont affirmé la même chose des voyelles, & en ont disposé arbitrairement, sans-doute parce que le changement des voyelles est plus fréquent dans toutes les langues que celui des consonnes, mais peut-être aussi parce qu'en hébreu les voyelles ne sont point écrites. Toutes ces observations ne sont qu'un système, une conclusion générale de quelques faits particuliers démentie, par d'autres faits en plus grand nombre. Quelque variable que soit le son des voyelles, leurs changemens sont aussi constans dans le même tems & dans le même lieu que ceux des consonnes ; les Grecs ont changé le son ancien de l'n & de l'u en i ; les Anglois donnent, suivant les regles constantes, à notre a l'ancien son de l'hêta des Grecs : les voyelles font comme les consonnes partie de la prononciation dans toutes les langues, & dans aucune langue la prononciation n'est arbitraire parce qu'en tous lieux on parle pour être entendu. Les Italiens sans égard aux divisions de l'alphabet hébreu qui met l'iod au rang des lettres du palais, & l'l au rang des lettres de la langue, changent l'l précédé d'une consonne en ï tréma ou mouillé foible qui se prononce comme l'ïod des Hébreux : platea, piazza, blanc, bianco. Les Portugais dans les mêmes circonstances changent constamment cet l en r, branco. Les François ont changé ce mouillé foible ou i en consonne des Latins, en notre j consonne, & les Espagnols en une aspiration gutturale. Ne cherchons donc point à ramener à une loi fixe des variations multipliées à l'infini dont les causes nous échappent : étudions-en seulement la succession comme on étudie les faits historiques. Leur variété connue, fixée à certaines langues, ramenée à certaines dates, suivant l'ordre des lieux & des tems, deviendra une suite de piéges tendus à des suppositions trop vagues, & fondées sur la simple possibilité d'un changement quelconque. On comparera ces suppositions au lieu & au tems, & l'on n'écoutera point celui qui, pour justifier dans une étymologie Italienne un changement de l'l latin précédé d'une consonne en r, allégueroit l'exemple des Portugais & l'affinité de ces deux sons. La multitude des regles de critique qu'on peut former sur ce plan, & d'après les détails que fournira l'étude des grammaires, des dialectes & des révolutions de chaque langue, est le plus sûr moyen pour donner à l'art étymologique toute la solidité dont il est susceptible ; parce qu'en général la meilleure méthode pour assûrer les résultats de tout art conjectural, c'est d'éprouver toutes ses suppositions en les rapprochant sans-cesse d'un ordre certain de faits très-nombreux & très-variés.

18°. Tous les changemens que souffre la prononciation ne viennent pas de l'euphonie. Lorsqu'un mot, pour être transmis de génération en génération, passe d'un homme à l'autre, il faut qu'il soit entendu avant d'être répeté ; & s'il est mal-entendu, il sera mal répeté : voilà deux organes & deux sources d'altération. Je ne voudrois pas décider que la différence entre ces deux sortes d'altérations puisse être facilement apperçue. Cela dépend de savoir à quel point la sensibilité de notre oreille est aidée par l'habitude où nous sommes de former certains sons, & de nous fixer à ceux que la disposition de nos organes rend plus faciles (voyez OREILLE) : quoi qu'il en soit, j'insérerai ici une réflexion qui, dans le cas où cette différence pourroit être apperçue, serviroit à distinguer un mot venu d'une langue ancienne ou étrangere d'avec un mot qui n'auroit subi que ces changemens insensibles que souffre une langue d'une génération à l'autre, & par le seul progrès des tems. Dans ce dernier cas c'est l'euphonie seule qui cause toutes les altérations. Un enfant naît au milieu de sa famille & de gens qui savent leur langue. Il est forcé de s'étudier à parler comme eux. S'il entend, s'il répete mal, il ne sera point compris, ou bien on lui fera connoître son erreur, & à la longue il se corrigera. C'est au contraire l'erreur de l'oreille qui domine & qui altere le plus la prononciation, lorsqu'une nation adopte un mot qui lui est étranger, & lorsque deux peuples différens confondent leurs langages en se mêlant. Celui qui ayant entendu un mot étranger le répete mal, ne trouve point dans ceux qui l'écoutent de contradicteur légitime, & il n'a aucune raison pour se corriger.

19°. Il résulte de tout ce que nous avons dit dans le cours de cet article, qu'une étymologie est une supposition ; qu'elle ne reçoit un caractere de vérité & de certitude que de sa comparaison avec les faits connus ; du nombre des circonstances de ces faits qu'elle explique ; des probabilités qui en naissent, & que la critique apprécie. Toute circonstance expliquée, tout rapport entre le dérivé & le primitif supposé produit une probabilité, aucun n'est exclus ; la probabilité augmente avec le nombre des rapports, & parvient rapidement à la certitude. Le sens, le son, les consonnes, les voyelles, la quantité, se prêtent une force réciproque. Tous les rapports ne donnent pas une égale probabilité. Une étymologie qui donneroit d'un mot une définition exacte, l'emporteroit sur celle qui n'auroit avec lui qu'un rapport métaphorique. Des rapports supposés d'après des exemples, cédent à des rapports fondés sur des faits connus, les exemples indéterminés aux exemples pris des mêmes langues & des mêmes siecles. Plus on remonte de degrés dans la filiation des étymologies, plus le primitif est loin du dérivé ; plus toutes les ressemblances s'alterent, plus les rapports deviennent vagues & se réduisent à de simples possibilités, plus les suppositions sont multipliées. Chacune est une source d'incertitude ; il faut donc se faire une loi de ne s'en permettre qu'une à la fois, & par conséquent de ne remonter de chaque mot qu'à son étymologie immédiate ; ou bien il faut qu'une suite de faits incontestables remplisse l'intervalle entre l'un & l'autre, & dispense de toute supposition. Il est bon en général de ne se permettre que des suppositions déjà rendues vraisemblables par quelques inductions. On doit vérifier par l'histoire des conquêtes & des migrations des peuples, du commerce, des arts, de l'esprit humain en général, & du progrès de chaque nation en particulier, les étymologies qu'on établit sur les mêlanges des peuples & des langues ; par des exemples connus, celles qu'on tire des changemens du sens, au moyen des métaphores ; par la connoissance historique & grammaticale de la prononciation de chaque langue & de ses révolutions, celles qu'on fonde sur les altérations de la prononciation : comparer toutes les étymologies supposées, soit avec la chose nommée, sa nature, ses rapports & son analogie avec les différens êtres, soit avec la chronologie des altérations successives, & l'ordre invariable des progrès de l'euphonie. Rejetter enfin toute étymologie contredite par un seul fait, & n'admettre comme certaines que celles qui seront appuyées sur un très-grand nombre de probabilités réunies.

20°. Je finis ce tableau raccourci de tout l'art étymologique par la plus générale des regles, qui les renferme toutes ; celle de douter beaucoup. On n'a point à craindre que ce doute produise une incertitude universelle ; il y a, même dans le genre étymologique, des choses évidentes à leur maniere ; des dérivations si naturelles, qui portent un air de vérité si frappant, que peu de gens s'y refusent. A l'égard de celles qui n'ont pas ces caracteres, ne vaut-il pas beaucoup mieux s'arrêter en-deçà des bornes de la certitude, que d'aller au-delà ? Le grand objet de l'art étymologique n'est pas de rendre raison de l'origine de tous les mots sans exception, & j'ose dire que ce seroit un but assez frivole. Cet art est principalement recommandable en ce qu'il fournit à la Philosophie des matériaux & des observations pour élever le grand édifice de la théorie générale des langues ; or pour cela il importe bien plus d'employer des observations certaines, que d'en accumuler un grand nombre. J'ajoûte qu'il seroit aussi impossible qu'inutile de connoître l'étymologie de tous les mots : nous avons vû combien l'incertitude augmente dès qu'on est parvenu à la troisieme ou quatrieme étymologie, combien on est obligé d'entasser de suppositions, combien les possibilités deviennent vagues ; que seroit-ce si l'on vouloit remonter au-delà ? & combien cependant ne serions-nous pas loin encore de la premiere imposition des noms ? Qu'on refléchisse à la multitude de hasards qui ont souvent présidé à cette imposition ; combien de noms tirés de circonstances étrangeres à la chose, qui n'ont duré qu'un instant, & dont il n'a resté aucun vestige. En voici un exemple : un prince s'étonnoit en traversant les salles du palais, de la quantité de marchands qu'il voyoit. Ce qu'il y a de plus singulier, lui dit quelqu'un de sa suite, c'est qu'on ne peut rien demander à ces gens là, qu'ils ne vous le fournissent sur le champ, la chose n'eût-elle jamais existé. Le prince rit ; on le pria d'en faire l'essai : il s'approcha d'une boutique, & dit : Madame, vendez-vous des.... des falbalas ? La marchande, sans demander l'explication d'un mot qu'elle entendoit pour la premiere fois, lui dit : oui, Monseigneur, & lui montrant des prétintailles & des garnitures de robes de femme ; voilà ce que vous demandez ; c'est cela même qu'on appelle des falbalas. Ce mot fut répeté, & fit fortune. Combien de mots doivent leur origine à des circonstances aussi legeres, & aussi propres à mettre en défaut toute la sagacité des étymologistes ? Concluons de tout ce que nous avons dit, qu'il y a des étymologies certaines, qu'il y en a de probables, & qu'on peut toûjours éviter l'erreur, pourvû qu'on se résolve à beaucoup ignorer.

Nous n'avons plus pour finir cet article qu'à y joindre quelques réflexions sur l'utilité des recherches étymologiques, pour les disculper du reproche de frivolité qu'on leur fait souvent.

Depuis qu'on connoît l'enchaînement général qui unit toutes les vérités ; depuis que la Philosophie ou plûtôt la raison, par ses progrès, a fait dans les sciences, ce qu'avoient fait autrefois les conquêtes des Romains parmi les nations ; qu'elle a réuni toutes les parties du monde littéraire, & renversé les barrieres qui divisoient les gens de lettres, en autant de petites républiques étrangeres les unes aux autres, que leurs études avoient d'objets différens : je ne saurois croire qu'aucune sorte de recherches ait grand besoin d'apologie : quoi qu'il en soit, le développement des principaux usages de l'étude étymologique, ne peut être inutile ni déplacé à la suite de cet article.

L'application la plus immédiate de l'art étymologique, est la recherche des origines d'une langue en particulier : le résultat de ce travail, poussé aussi loin qu'il peut l'être sans tomber dans des conjectures trop arbitraires, est une partie essentielle de l'analyse d'une langue, c'est-à-dire de la connoissance complete du système de cette langue, de ses élémens radicaux, de la combinaison dont ils sont susceptibles, &c. Le fruit de cette analyse est la facilité de comparer les langues entr'elles sous toutes sortes de rapports, grammatical, philosophique, historique, &c. (voyez au mot LANGUE, les deux articles ANALYSE & COMPARAISON DES LANGUES). On sent aisément combien ces préliminaires sont indispensables pour saisir en grand & sous son vrai point de vûe la théorie générale de la parole, & de la marche de l'esprit humain dans la formation & les progrès du langage ; théorie qui, comme toute autre, a besoin pour n'être pas un roman, d'être continuellement rapprochée des faits. Cette théorie est la source d'où découlent les regles de cette grammaire générale qui gouverne toutes les langues, à laquelle toutes les nations s'assujettissent en croyant ne suivre que les caprices de l'usage, & dont enfin les grammaires de toutes nos langues ne sont que des applications partielles & incomplete s (voyez GRAMMAIRE GENERALE). L'histoire philosophique de l'esprit humain en général & des idées des hommes, dont les langues sont tout à la fois l'expression & la mesure, est encore un fruit précieux de cette théorie. Tout l'article LANGUES, auquel je renvoye, sera un développement de cette vérité, & je n'anticiperai point ici sur cet article. Je ne donnerai qu'un exemple des services que l'étude des langues & des mots, considérée sous ce point de vûe, peut rendre à la saine philosophie, en détruisant des erreurs invétérées.

On sait combien de systèmes ont été fabriqués sur la nature & l'origine de nos connoissances ; l'entêtement avec lequel on a soûtenu que toutes nos idées étoient innées ; & la multitude innombrable de ces êtres imaginaires dont nos scholastiques avoient rempli l'univers, en prétant une réalité à toutes les abstractions de leur esprit ; virtualités, formalités, degrés métaphysiques, entités, quiddités, &c. &c. &c. Rien, je parle d'après Locke, n'est plus propre à en détromper, qu'un examen suivi de la maniere dont les hommes sont parvenus à donner des noms à ces sortes d'idées abstraites ou spirituelles, & même à se donner de nouvelles idées par le moyen de ces noms. On les voit partir des premieres images des objets qui frappent les sens, & s'élever par degrés jusqu'aux idées des êtres invisibles & aux abstractions les plus générales : on voit les échelons sur lesquels ils se sont appuyés ; les métaphores & les analogies qui les ont aidés, sur-tout les combinaisons qu'ils ont faites de signes déjà inventés, & l'artifice de ce calcul des mots par lequel ils ont formé, composé, analysé toutes sortes d'abstractions inaccessibles aux sens & à l'imagination, précisément comme les nombres exprimés par plusieurs chiffres, sur lesquels cependant le calculateur s'exerce avec facilité. Or de quel usage n'est pas dans ces recherches délicates l'art étymologique, l'art de suivre les expressions dans tous leurs passages d'une signification à l'autre, & de découvrir la liaison secrette des idées qui a facilité ce passage ? On me dira que la saine métaphysique & l'observation assidue des opérations de notre esprit doit suffire seule pour convaincre tout homme sans préjugé, que les idées, même des êtres spirituels, viennent toutes des sens : on aura raison ; mais cette vérité n'est-elle pas mise en quelque sorte sous les yeux d'une maniere bien plus frappante, & n'acquiert-elle pas toute l'évidence d'un point de fait, par l'étymologie si connue des mots spiritus, animus, , rouakh, &c. pensée, délibération, intelligence, &c. Il seroit superflu de s'étendre ici sur les étymologies de ce genre, qu'on pourroit accumuler ; mais je crois qu'il est très-difficile qu'on s'en occupe un peu d'après ce point de vûe : en effet, l'esprit humain en se repliant ainsi sur lui-même pour étudier sa marche, ne peut-il pas retrouver dans les tours singuliers que les premiers hommes ont imaginés pour expliquer des idées nouvelles en partant des objets connus, bien des analogies très-fines & très-justes entre plusieurs idées, bien des rapports de toute espece que la nécessité toûjours ingénieuse avoit saisis, & que la paresse avoit depuis oubliés ? N'y peut-il pas voir souvent la gradation qu'il a suivie dans le passage d'une idée à une autre, dans l'invention de quelques arts ? & par-là cette étude ne devient-elle pas une branche intéressante de la métaphysique expérimentale ? Si ces détails sur les langues & les mots dont l'art étymologique s'occupe, sont des grains de sable, il est précieux de les ramasser, puisque ce sont des grains de sable que l'esprit humain a jettés dans sa route, & qui peuvent seuls nous indiquer la trace de ses pas (voyez ORIGINE DES LANGUES). Indépendamment de ces vûes curieuses & philosophiques, l'étude dont nous parlons, peut devenir d'une application usuelle, & prêter à la Logique des secours pour appuyer nos raisonnemens sur des fondemens solides. Locke, & depuis M. l'abbé de Condillac, ont montré que le langage est véritablement une espece de calcul, dont la Grammaire, & même la Logique en grande partie, ne sont que les regles ; mais ce calcul est bien plus compliqué que celui des nombres, sujet à bien plus d'erreurs & de difficultés. Une des principales est l'espece d'impossibilité où les hommes se trouvent de fixer exactement le sens des signes auxquels ils n'ont appris à lier des idées que par une habitude formée dans l'enfance, à force d'entendre répéter les mêmes sons dans des circonstances semblables, mais qui ne le sont jamais entierement ; ensorte que ni deux hommes, ni peut-être le même homme dans des tems différens, n'attachent précisément au même mot la même idée. Les métaphores multipliées par le besoin & par une espece de luxe d'imagination, qui s'est aussi dans ce genre créé de faux besoins, ont compliqué de plus en plus les détours de ce labyrinthe immense, où l'homme introduit, si j'ose ainsi parler, avant que ses yeux fussent ouverts, méconnoît sa route à chaque pas. Cependant tout l'artifice de ce calcul ingénieux dont Aristote nous a donné les regles, tout l'art du syllogisme est fondé sur l'usage des mots dans le même sens ; l'emploi d'un même mot dans deux sens différens fait de tout raisonnement un sophisme ; & ce genre de sophisme, peut-être le plus commun de tous, est une des sources les plus ordinaires de nos erreurs. Le moyen le plus sûr, ou plûtôt le seul de nous détromper, & peut-être de parvenir un jour à ne rien affirmer de faux, seroit de n'employer dans nos inductions aucun terme, dont le sens ne fût exactement connu & défini. Je ne prétens assûrément pas qu'on ne puisse donner une bonne définition d'un mot, sans connoître son étymologie ; mais du moins est-il certain qu'il faut connoître avec précision la marche & l'embranchement de ses différentes acceptions. Qu'on me permette quelques réflexions à ce sujet.

J'ai crû voir deux défauts régnans dans la plûpart des définitions répandues dans les meilleurs ouvrages philosophiques. J'en pourrois citer des exemples tirés des auteurs les plus estimés & les plus estimables, sans sortir même de l'Encyclopédie. L'un consiste à donner pour la définition d'un mot l'énonciation d'une seule de ses acceptions particulieres : l'autre défaut est celui de ces définitions dans lesquelles, pour vouloir y comprendre toutes les acceptions du mot, il arrive qu'on n'y comprend dans le fait aucun des caracteres qui distinguent la chose de toute autre, & que par conséquent on ne définit rien.

Le premier défaut est très-commun, sur-tout quand il s'agit de ces mots qui expriment les idées abstraites les plus familieres, & dont les acceptions se multiplient d'autant plus par l'usage fréquent de la conversation, qu'ils ne répondent à aucun objet physique & déterminé qui puisse ramener constamment l'esprit à un sens précis. Il n'est pas étonnant qu'on s'arrête à celle de ces acceptions dont on est le plus frappé dans l'instant où l'on écrit, ou bien la plus favorable au système qu'on a entrepris de prouver. Accoûtumé, par exemple, à entendre loüer l'imagination, comme la qualité la plus brillante du génie ; saisi d'admiration pour la nouveauté, la grandeur, la multitude, & la correspondance des ressorts dont sera composée la machine d'un beau poëme : un homme dira, j'appelle imagination cet esprit inventeur qui sait créer, disposer, faire mouvoir les parties & l'ensemble d'un grand tout. Il n'est pas douteux que si dans toute la suite de ses raisonnemens, l'auteur n'employe jamais dans un autre sens le mot imagination (ce qui est rare), l'on n'aura rien à lui reprocher contre l'exactitude de ses conclusions : mais qu'on y prenne garde, un philosophe n'est point autorisé à définir arbitrairement les mots. Il parle à des hommes pour les instruire ; il doit leur parler dans leur propre langue, & s'assujettir à des conventions déjà faites, dont il n'est que le témoin, & non le juge. Une définition doit donc fixer le sens que les hommes ont attaché à une expression, & non lui en donner un nouveau. En effet un autre jouira aussi du droit de borner la définition du même mot à des acceptions toutes différentes de celles auxquelles le premier s'étoit fixé : dans la vûe de ramener davantage ce mot à son origine, il croira y réussir, en l'appliquant au talent de présenter toutes ses idées sous des images sensibles, d'entasser les métaphores & les comparaisons. Un troisieme appellera imagination cette mémoire vive des sensations, cette représentation fidele des objets absens, qui nous les rend avec force, qui nous tient lieu de leur réalité, quelquefois même avec avantage, parce qu'elle rassemble sous un seul point de vûe tous les charmes que la nature ne nous présente que successivement. Ces derniers pourront encore raisonner très-bien, en s'attachant constamment au sens qu'ils auront choisi ; mais il est évident qu'ils parleront tous trois une langue différente, & qu'aucun des trois n'aura fixé toutes les idées qu'excite le mot imagination dans l'esprit des françois qui l'entendent, mais seulement l'idée momentanée qu'il a plû à chacun d'eux d'y attacher.

Le second défaut est né du desir d'éviter le premier. Quelques auteurs ont bien senti qu'une définition arbitraire ne répondoit pas au probleme proposé, & qu'il falloit chercher le sens que les hommes attachent à un mot dans les différentes occasions où ils l'employent. Or, pour y parvenir, voici le procédé qu'on a suivi le plus communément. On a rassemblé toutes les phrases où l'on s'est rappellé d'avoir vû le mot qu'on vouloit définir ; on en a tiré les différens sens dont il étoit susceptible, & on a tâché d'en faire une énumération exacte. On a cherché ensuite à exprimer, avec le plus de précision qu'on a pû, ce qu'il y a de commun dans toutes ces acceptions différentes que l'usage donne au même mot : c'est ce qu'on a appellé le sens le plus général du mot ; & sans penser que le mot n'a jamais eu ni pû avoir dans aucune occasion ce prétendu sens, on a crû en avoir donné la définition exacte. Je ne citerai point ici plusieurs définitions où j'ai trouvé ce défaut ; je serois obligé de justifier ma critique ; & cela seroit peut-être long. Un homme d'esprit, même en suivant une méthode propre à l'égarer, ne s'égare que jusqu'à un certain point ; l'habitude de la justesse le ramene toûjours à certaines vérités capitales de la matiere ; l'erreur n'est pas complete , & devient plus difficile à développer. Les auteurs que j'aurois à citer sont dans ce cas ; & j'aime mieux, pour rendre le défaut de leur méthode plus sensible, le porter à l'extrème ; & c'est ce que je vais faire dans l'exemple suivant.

Qu'on se représente la foule des acceptions du mot esprit, depuis son sens primitif spiritus, haleine, jusqu'à ceux qu'on lui donne dans la Chimie, dans la Littérature, dans la Jurisprudence, esprits acides, esprit de Montagne, esprit des lois, &c. qu'on essaye d'extraire de toutes ces acceptions une idée qui soit commune à toutes, on verra s'évanouir tous les caracteres qui distinguent l'esprit, dans quelque sens qu'on le prenne, de toute autre chose. Il ne restera pas même l'idée vague de subtilité ; car ce mot n'a aucun sens, lorsqu'il s'agit d'une substance immatérielle ; & il n'a jamais été appliqué à l'esprit dans le sens de talent, que d'une maniere métaphorique. Mais quand on pourroit dire que l'esprit dans le sens le plus général est une chose subtile, avec combien d'êtres cette qualification ne lui seroit-elle pas commune ? & seroit-ce là une définition qui doit convenir au défini, & ne convenir qu'à lui ? Je sai bien que les disparates de cette multitude d'acceptions différentes sont un peu plus grandes, à prendre le mot dans toute l'étendue que lui donnent les deux langues latine & françoise ; mais on m'avouera que si le latin fût resté langue vivante, rien n'auroit empêché que le mot spiritus n'eût reçu tous les sens que nous donnons aujourd'hui au mot esprit. J'ai voulu rapprocher les deux extrémités de la chaîne, pour rendre le contraste plus frappant : il le seroit moins, si nous n'en considérions qu'une partie ; mais il seroit toûjours réel. A se renfermer même dans la langue françoise seule, la multitude & l'incompatibilité des acceptions du mot esprit sont telles, que personne, je crois, n'a été tenté de les comprendre ainsi toutes dans une seule définition, & de définir l'esprit en général. Mais le vice de cette méthode n'est pas moins réel, lorsqu'il n'est pas assez sensible pour empêcher qu'on ne la suive : à mesure que le nombre & la diversité des acceptions diminue, l'absurdité s'affoiblit ; & quand elle disparoît, il reste encore l'erreur. J'ose dire que presque toutes les définitions où l'on annonce qu'on va définir les choses dans le sens le plus général, ont ce défaut, & ne définissent véritablement rien ; parce que leurs auteurs, en voulant renfermer toutes les acceptions du mot, ont entrepris une chose impossible : je veux dire, de rassembler sous une seule idée générale des idées très-différentes entr'elles, & qu'un même mot n'a jamais pû désigner que successivement, en cessant en quelque sorte d'être le même mot.

Ce n'est point ici le lieu de fixer les cas où cette méthode est necessaire, & ceux où l'on pourroit s'en passer, ni de développer l'usage dont elle pourroit être, pour comparer les mots entr'eux. Voyez MOTS & SYNONYMES.

On trouveroit des moyens d'éviter ces deux défauts ordinaires aux définitions, dans l'étude historique de la génération des termes & de leurs révolutions : il faudroit observer la maniere dont les hommes ont successivement augmenté, resserré, modifié, changé totalement les idées qu'ils ont attachées à chaque mot ; le sens propre de la racine primitive, autant qu'il est possible d'y remonter, les métaphores qui lui ont succédé ; les nouvelles métaphores entées souvent sur ces premieres, sans aucun rapport au sens primitif. On diroit : " tel mot, dans un tems, a reçu cette signification ; la génération suivante y a ajoûté cet autre sens ; les hommes l'ont ensuite employé à désigner telle idée ; ils y ont été conduits par analogie ; cette signification est le sens propre ; cet autre est un sens détourné, mais néanmoins en usage ". On distingueroit dans cette généalogie d'idées un certain nombre d'époques : spiritus, souffle, esprit, principe de la vie ; esprit, substance pensante ; esprit, talent de penser, &c. chacune de ces époques donneroit lieu à une définition particuliere ; on auroit du moins toûjours une idée précise de ce qu'on doit définir ; on n'embrasseroit point à la fois tous les sens d'un mot ; & en même tems, on n'en exclueroit arbitrairement aucun ; on exposeroit tous ceux qui sont reçus ; & sans se faire le législateur du langage, on lui donneroit toute la netteté dont il est susceptible, & dont nous avons besoin pour raisonner juste.

Sans-doute, la méthode que je viens de tracer est souvent mise en usage ; sur-tout lorsque l'incompatibilité des sens d'un même mot est trop frappante ; mais, pour l'appliquer dans tous les cas, & avec toute la finesse dont il est susceptible, on ne pourra guere se dispenser de consulter les mêmes analogies, qui servent de guides dans les recherches étymologiques. Quoi qu'il en soit, je crois qu'elle doit être générale, & que le secours des étymologies y est utile dans tous les cas.

Au reste, ce secours devient d'une nécessité absolue, lorsqu'il faut connoître exactement, non pas le sens qu'un mot a dû ou doit avoir, mais celui qu'il a eû dans l'esprit de tel auteur, dans tel tems, dans tel siecle : ceux qui observent la marche de l'esprit humain dans l'histoire des anciennes opinions, & plus encore ceux qui, comme les Théologiens, sont obligés d'appuyer des dogmes respectables sur les expressions des livres révélés, ou sur les textes des auteurs témoins de la doctrine de leur siecle, doivent marcher sans-cesse le flambeau de l'étymologie à la main, s'ils ne veulent tomber dans mille erreurs. Si l'on part de nos idées actuelles sur la matiere & ses trois dimensions ; si l'on oublie que le mot qui répond à celui de matiere, materia, , signifioit proprement du bois, & par métaphore, dans le sens philosophique, les matériaux dont une chose est faite, ce fonds d'être qui subsiste parmi les changemens continuels des formes, en un mot ce que nous appellons aujourd'hui substance, on sera souvent porté mal-à-propos à charger les anciens philosophes d'avoir nié la spiritualité de l'ame, c'est-à-dire d'avoir mal répondu à une question que beaucoup d'entr'eux ne se sont jamais faite. Presque toutes les expressions philosophiques ont changé de signification ; & toutes les fois qu'il faut établir une vérité sur le témoignage d'un auteur, il est indispensable de commencer par examiner la force de ses expressions, non dans l'esprit de nos contemporains & dans le nôtre, mais dans le sien & dans celui des hommes de son siecle. Cet examen fondé si souvent sur la connoissance des étymologies, fait une des parties les plus essentielles de la critique : nous exhortons à lire, à ce sujet, l'Art critique du célebre Leclerc ; ce savant homme a recueilli dans cet ouvrage plusieurs exemples d'erreurs très-importantes, & donne en même tems des regles pour les éviter.

Je n'ai point encore parlé de l'usage le plus ordinaire que les savans ayent fait jusqu'ici de l'art étymologique, & des grandes lumieres qu'ils ont crû en tirer, pour l'éclaircissement de l'Histoire ancienne. Je ne me laisserai point emporter à leur enthousiasme : j'inviterai même ceux qui pourroient y être plus portés que moi, à lire la Démonstration évangélique, de M. Huet ; l'Explication de la Mythologie, par Lavaur ; les longs Commentaires que l'évêque Cumberland & le célebre Fourmont ont donnés sur le fragment de Sanchoniathon ; l'Histoire du Ciel, de M. Pluche, les ouvrages du P. Pezron sur les Celtes, l'Atlantique de Rudbeck, &c. Il sera très-curieux de comparer les différentes explications que tous ces auteurs ont données de la Mythologie & de l'Histoire des anciens héros. L'un voit tous les patriarches de l'ancien Testament, & leur histoire suivie, où l'autre ne voit que des héros Suédois ou Celtes ; un troisieme des leçons d'Astronomie & de Labourage, &c. Tous présentent des systèmes assez bien liés, à-peu-près également vraisemblables, & tous ont la même chose à expliquer. On sentira probablement, avant d'avoir fini cette lecture, combien il est frivole de prétendre établir des faits sur des étymologies purement arbitraires, & dont la certitude seroit évaluée très-favorablement en la réduisant à de simples possibilités. Ajoûtons qu'on y verra en même tems que si ces auteurs s'étoient astreints à la séverité des regles que nous avons données, ils se seroient épargné bien des volumes. Après cet acte d'impartialité, j'ai droit d'appuyer sur l'utilité dont peuvent être les étymologies, pour l'éclaircissement de l'ancienne histoire & de la Fable. Avant l'invention de l'Ecriture, & depuis, dans les pays qui sont restés barbares, les traces des révolutions s'effacent en peu de tems ; & il n'en reste d'autres vestiges que les noms imposés aux montagnes, aux rivieres, &c. par les anciens habitans du pays, & qui se sont conservés dans la langue des conquérans. Les mélanges des langues servent à indiquer les mélanges des peuples, leurs courses, leurs transplantations, leurs navigations, les colonies qu'ils ont portées dans des climats éloignés. En matiere de conjectures, il n'y a point de cercle vicieux, parce que la force des probabilités consiste dans leur concert ; toutes donnent & reçoivent mutuellement : ainsi les étymologies confirment les conjectures historiques, comme nous avons vû que les conjectures historiques confirment les étymologies, par la même raison celles-ci empruntent & répandent une lumiere réciproque sur l'origine & la migration des arts, dont les nations ont souvent adopté les termes avec les manoeuvres qu'ils expriment. La décomposition des langues modernes peut encore nous rendre, jusqu'à un certain point, des langues perdues, & nous guider dans l'interprétation d'anciens monumens, que leur obscurité, sans cela, nous rendroit entierement inutiles. Ces foibles lueurs sont précieuses, sur-tout lorsqu'elles sont seules : mais il faut l'avoüer ; si elles peuvent servir à indiquer certains évenemens à grande masse, comme les migrations & les mêlanges de quelques peuples, elles sont trop vagues pour servir à établir aucun fait circonstancié. En général, des conjectures sur des noms me paroissent un fondement bien foible pour asseoir quelque assertion positive ; & si je voulois faire usage de l'étymologie, pour éclaircir les anciennes fables & le commencement de l'histoire des nations, ce seroit bien moins pour élever que pour détruire : loin de chercher à identifier, à force de suppositions, les dieux des différens peuples, pour les ramener ou à l'Histoire corrompue, ou à des systèmes raisonnés d'idolatrie, soit astronomique, soit allégorique, la diversité des noms des dieux de Virgile & d'Homere, quoique les personnages soient calqués les uns sur les autres, me feroit penser que la plus grande partie de ces dieux latins n'avoient, dans l'origine, rien de commun avec les dieux grecs ; que tous les peuples assignoient aux différens effets qui frappoient le plus leurs sens, des êtres pour les produire & y présider ; qu'on partageoit entre ces êtres fantastiques l'empire de la nature, arbitrairement, comme on partageoit l'année entre plusieurs mois ; qu'on leur donnoit des noms relatifs à leurs fonctions, & tirés de la langue du pays, parce qu'on n'en savoit pas d'autre ; que par cette raison le dieu qui présidoit à la Navigation s'appelloit Neptunus, comme la déesse qui présidoit aux fruits s'appelloit Pomona ; que chaque peuple faisoit ses dieux à part & pour son usage, comme son calendrier ; que si dans la suite on a crû pouvoir traduire les noms de ces dieux les uns par les autres, comme ceux des mois, & identifier le Neptune des Latins avec le Poseidon des Grecs, cela vient de la persuasion où chacun étoit de la réalité des siens, & de la facilité avec laquelle on se prêtoit à cette croyance réciproque, par l'espece de courtoisie que la superstition d'un peuple avoit, en ce tems là, pour celle d'un autre : enfin j'attribuerois en partie à ces traductions & à ces confusions de dieux, l'accumulation d'une foule d'avantures contradictoires sur la tête d'une seule divinité ; ce qui a dû compliquer de plus en plus la Mythologie, jusqu'à ce que les Poëtes l'ayent fixée dans des tems postérieurs.

A l'égard de l'Histoire ancienne, j'examinerois les connoissances que les différentes nations prétendent avoir sur l'origine du monde ; j'étudierois le sens des noms qu'elles donnent dans leurs récits aux premiers hommes, & à ceux dont elles remplissent les premieres générations ; je verrois dans la tradition des Germains, que Theut fut pere de Mannus ; ce qui ne veut dire autre chose sinon que Dieu créa l'homme ; dans le fragment de Sanchoniathon, je verrois, après l'air ténébreux & le cahos, l'esprit produire l'amour ; puis naître successivement les êtres intelligens, les astres, les hommes immortels ; & enfin d'un certain vent Colpias & de la Nuit, Aeon & Protogonos, c'est-à-dire mot pour mot, le tems (que l'on représente pourtant comme un homme) & le premier homme ; ensuite plusieurs générations, qui désignent autant d'époques des inventions successives des premiers Arts. Les noms donnés aux chefs de ces générations sont ordinairement relatifs à ces Arts, le chasseur, le pêcheur, le bâtisseur ; & tous ont inventé les Arts dont ils portent le nom. A-travers toute la confusion de ce fragment, j'entrevois bien que le prétendu Sanchoniathon n'a fait que compiler d'anciennes traditions qu'il n'a pas toûjours entendues : mais dans quelque source qu'il ait puisé, peut-on jamais reconnoître dans son fragment un récit historique ? Ces noms, dont le sens est toûjours assujetti à l'ordre systématique de l'invention des Arts, ou identique avec la chose même qu'on raconte, comme celui de Protogonos, présentent sensiblement le caractere d'un homme qui dit ce que lui ou d'autres ont imaginé & crû vraisemblable, & répugnent à celui d'un témoin qui rend compte de ce qu'il a vû ou de ce qu'il a entendu dire à d'autres témoins. Les noms répondent aux caracteres dans les comédies, & non dans la société : la tradition des Germains est dans le même cas ; on peut juger par là ce qu'on doit penser des auteurs qui ont osé préférer ces traditions informes, à la narration simple & circonstanciée de la Genèse.

Les Anciens expliquoient presque toûjours les noms des villes par le nom de leur fondateur ; mais cette façon de nommer les villes est-elle réellement bien commune ? & beaucoup de villes ont-elles eu un fondateur ? N'est-il pas arrivé quelquefois qu'on ait imaginé le fondateur & son nom d'après le nom de la ville, pour remplir le vuide que l'Histoire laisse toûjours dans les premiers tems d'un peuple ? L'étymologie peut, dans certaines occasions, éclaircir ce doute. Les Historiens grecs attribuent la fondation de Ninive à Ninus ; & l'histoire de ce prince, ainsi que de sa femme Sémiramis, est assez bien circonstanciée ; quoiqu'un peu romanesque. Cependant Ninive, en hébreu, langue presque absolument la même que le chaldéen, Nineveh, est le participe passif du verbe navah, habiter ; & suivant cette étymologie, ce nom signifieroit habitation, & il auroit été assez naturel pour une ville, sur-tout dans les premiers tems, où les peuples bornés à leur territoire, ne donnoient guere un nom à la ville, que pour la distinguer de la campagne. Si cette étymologie est vraie, tant que ce mot a été entendu, c'est-à-dire jusqu'au tems de la domination persane, on n'a pas dû lui chercher d'autre origine, & l'histoire de Ninus n'aura été imaginée que postérieurement à cette époque. Les Historiens grecs qui nous l'ont racontée, n'ont écrit effectivement que long-tems après ; & le soupçon que nous avons formé, s'accorde d'ailleurs très-bien avec les livres sacrés, qui donnent Assur pour fondateur à la ville de Ninive. Quoi qu'il en soit de la vérité absolue de cette idée, il sera toûjours vrai qu'en général, lorsque le nom d'une ville a, dans la langue qu'on y parle, un sens naturel & vraisemblable, on est en droit de suspecter l'existence du prince qu'on prétend lui avoir donné son nom, sur-tout si cette existence n'est connue que par des auteurs qui n'ont jamais sû la langue du pays.

On voit assez jusqu'où & comment on peut faire usage des étymologies, pour éclaircir les obscurités de l'Histoire.

Si, après ce que nous avons dit pour montrer l'utilité de cette étude, quelqu'un la méprisoit encore, nous lui citerions l'exemple des Leclerc, des Leibnitz, & de l'illustre Freret, un des Savans qui ont sû le mieux appliquer la Philosophie à l'érudition. Nous exhortons aussi à lire les Mémoires de M. Falconet ; sur les étymologies de la langue françoise (Mémoire de l'Académie des Belles-Lettres, tome XX.), & sur-tout les deux Mémoires que M. le Président de Brosses a lûs à la même académie, sur les étymologies ; titre trop modeste, puisqu'il s'y agit principalement des grands objets de la théorie générale des langues, & des raisons suffisantes de l'art de la parole. Comme l'auteur a bien voulu nous les communiquer, nous en avons quelquefois profité, & nous en eussions profité plus souvent, s'il ne fût pas entré dans notre plan de renvoyer la plus grande partie des vûes profondes & philosophiques dont ils sont remplis, aux articles LANGUES, LETTRES, ONOMATOPEE, METAPHORE, &c. Voyez ces mots.

Nous concluerons donc cet article, en disant, avec Quintilien : ne quis igitur tam parva fastidiat elementa... quia interiora velut sacri hujus adeuntibus apparebit multa rerum subtilitas, quae non modò acuere ingenia, sed exercere altissimam quoque eruditionem possit.


ETYMOLOGIQU(ART), Littérat. c'est l'art de remonter à la source des mots, de débrouiller la dérivaison, l'altération, & le déguisement de ces mêmes mots, de les dépouiller de ce qui, pour ainsi dire, leur est étranger, de découvrir les changemens qui leur sont arrivés, & par ce moyen de les ramener à la simplicité de leur origine.

Il est vrai que les changemens & les altérations que les mots ont soufferts sont si souvent arrivés par caprice ou par hasard, qu'il est aisé de prendre une conjecture bizarre pour une analogie réguliere. D'ailleurs il est difficile de retourner dans les siecles passés, pour suivre les variations & les vicissitudes des langues. Avoüons encore, que la plûpart des savans qui s'attachent à l'étude étymologique ont le malheur de se former des systèmes, suivant lesquels ils interpretent, d'après leur dessein particulier, les mêmes mots, conformément au sens qui est le plus favorable à leurs hypothèses.

Cependant malgré ces inconvéniens, l'art étymologique ne doit point passer pour un objet frivole, ni pour une entreprise toûjours vaine & infructueuse. Quelque incertain qu'on suppose cet art, il a, comme les autres, ses principes & ses regles. Il fait une partie de la littérature dont l'étude peut être quelquefois un secours, pour éclaircir l'origine des nations, leurs migrations, leur commerce, & d'autres points également obscurs par leur antiquité. De plus, on ne sauroit débrouiller la formation des mots qui fait le fondement de l'art, si l'on n'en examine les relations avec le caractere de l'esprit des peuples & la disposition de leurs organes ; objet, sans-doute, digne de l'esprit philosophique.

Concluons que l'art étymologique ne peut être méprisé, ni par rapport à son objet, qui se trouve lié avec la connoissance de l'homme, ni par rapport aux conjectures qu'il partage avec tant d'autres arts nécessaires à la vie.

Enfin il n'est pas impossible, au milieu de l'incertitude & de la sécheresse de l'étude étymologique, d'y porter cet esprit philosophique qui doit dominer partout, & qui est le fil de tous les labyrinthes. Voyez l'article ETYMOLOGIE, Article de M. Chevalier DE JAUCOURT.


EU(Gram.) Il y a quelques observations à faire sur ces deux lettres, qui se trouvent l'une auprès de l'autre dans l'écriture.

1°. Eu, quoiqu'écrit par deux caracteres, n'indique qu'un son simple dans les deux syllabes du mot heureux, dit M. l'abbé de Dangeau, Opusc. p. 10. & de même dans feu, peu, &c. & en grec , fertile.

Non me carminibus vincet, nec thracius Orpheus.

Virg. ecl. jv. v. 55.

où la mesure du vers fait voir qu'Orpheus n'est que de deux syllabes.

La grammaire générale de Port-royal a remarqué il y a long-tems, que EU est un son simple, quoique nous l'écrivions avec deux voyelles, chap. 1. Car, qui fait la voyelle ? c'est la simplicité du son, & non la maniere de désigner le son par une ou par plusieurs lettres. Les Italiens désignent le son ou par le simple caractere u ; ce qui n'empêche pas que ou ne soit également un son simple, soit en italien, soit en françois.

Dans la diphthongue au contraire on entend le son particulier de chaque voyelle, quoique ces deux sons soient énoncés par une seule émission de voix, a-i, e-i, i-é, pitié ; u-i, nuit, bruit, fruit : au lieu que dans feu vous n'entendez ni l'e ni l'u ; vous entendez un son particulier, tout-à-fait différent de l'un & de l'autre : & ce qui a fait écrire ce son par des caracteres, c'est qu'il est formé par une disposition d'organes à-peu-près semblable à celle qui forme l'e & à celle qui forme l'u.

2°. Eu, participe passif du verbe avoir. On a écrit heu, d'habitus ; on a aussi écrit simplement u, comme on écrit a, il a : enfin on écrit communément eu, ce qui a donné lieu de prononcer e-u ; mais cette maniere de prononcer n'a jamais été générale. M. de Callieres, de l'Académie françoise, secrétaire du cabinet du feu roi Louis XIV. dans son traité du bon & du mauvais usage des manieres de parler, dit qu'il y a bien des courtisans & quantité de dames qui disent j'ai eu, qui est, dit-il, un mot d'une seule syllabe, qui doit se prononcer comme s'il n'y avoit qu'un u. Pour moi je crois que puisque l'e dans eu ne sert qu'à grossir le mot dans l'écriture, on feroit fort bien de le supprimer, & d'écrire u, comme on écrit il y a, à, ô ; & comme nos peres écrivoient simplement i, & non y, ibi. Villehardoüin, page 4. maint conseil i ot, c'est-à-dire y eut ; & pag. 63. mult i ot.

3°. Eu s'écrit par oeu dans oeuvre, soeur, boeuf, oeuf. On écrit communément oeil, & l'on prononce euil, & c'est ainsi que M. l'abbé Girard l'écrit.

4°. Dans nos provinces méridionales, communément les personnes qui, au lieu de leur idiome, parlent françois, disent j'ai veu, j'ai creu, pourveu, seur, &c. au lieu de dire vu, cru, pourvu, sur, &c. ce qui me fait croire qu'on a prononcé autrefois, j'ai veu ; & c'est ainsi qu'on le trouve écrit dans Villehardoüin & dans Vigenere. Mais aujourd'hui qu'on prononce vû, crû, &c. le prote de Poitiers même & M. Restaut ont abandonné la grammaire de M. l'abbé Regnier, & écrivent simplement échû, mû, su, vû, voulu, bû, pourvû, &c. Gramm. de M. Restaut, sixieme édit. pag. 238. & 239. (F)

EU, (Géogr. mod.) ville de la haute Normandie, en France ; elle est située dans un vallon, sur la Brille. Long. 19. 5. 3. lat. 50. 2. 52.


EUBAGESS. m. (Hist. anc.) étoient une classe de prêtres ou philosophes chez les anciens Celtes ou Gaulois. Chorier pense que les eubages sont les mêmes que les druides & les saronides de Diodore : d'autres pensent que les eubages sont ceux que Strabon, liv. IV. p. 196. appelle évates ou vates. Sur ce principe, il y a lieu de conjecturer qu'il devroit avoir écrit eugages ; étant très-facile de prendre R pour T. Voyez EVATES.

Quoi qu'il en soit, les eubages paroissent avoir été une classe différente des druides. Voyez DRUIDES, Dict. de Trév. & Chambers. (G)


EUBOULIES. f. (Mythol.) déesse du bon conseil ; elle avoit un temple à Rome. Son nom est formé de , bien, & de , conseil.


EUCHARISTIES. f. (Théol.) du grec , action de graces ; sacrement de la loi nouvelle, ainsi nommé parce que Jesus-Christ, en l'instituant dans la derniere cene, prit du pain, & rendant graces à son pere, benit ce pain, le rompit, le distribua à ses apôtres, en leur disant, ceci est mon corps ; & que c'est le principal moyen par lequel les Chrétiens rendent graces à Dieu, par Jesus-Christ.

On l'appelle aussi cene du Seigneur, parce qu'il fut institué dans la derniere cene ; communion, parce que c'est le lien d'unité du corps de Jesus-Christ & de l'Eglise ; Saint Sacrement, & parmi les Grecs, les Saints mysteres par excellence, parce que c'est le principal des signes des choses sacrées établi par Jésus-Christ ; viatique, parce qu'il est particulierement nécessaire pour fortifier les fideles dans le passage de cette vie à l'autre. Les Grecs l'appellent synaxe ou eulogie, parce que c'est le lien de l'assemblée du peuple, & la source des bénédictions de Dieu sur les Chrétiens. Voyez COMMUNION, SACREMENT, MYSTERE, VIATIQUE, &c.

Les Théologiens catholiques définissent l'eucharistie, un sacrement de la loi nouvelle, qui, sous les especes ou apparences du pain & du vin, contient réellement, véritablement, & substantiellement le corps & le sang de Notre-Seigneur Jesus-Christ, pour être la nourriture spirituelle de nos ames, en y entretenant la vie de la grace. Ils la considerent aussi comme un sacrifice proprement dit, dans lequel Jesus-Christ est offert à Dieu son pere par le ministere des prêtres, & renouvellé, d'une maniere non sanglante, le sacrifice sanglant qu'il fit de sa vie sur l'arbre de la croix, pour la rédemption du genre humain. Par ce sacrifice de la nouvelle loi, les mérites de la mort & passion de Jesus-Christ sont appliqués aux fideles ; & on l'offre dans l'Eglise catholique ; pour les vivans & pour les morts. Voyez SACREMENT & SACRIFICE.

La matiere de ce sacrement est le pain de froment & le vin ; la discipline de l'église latine est de consacrer avec du pain azyme ou sans levain : celle de l'église greque est de se servir de pain levé ; l'un & l'autre est indifférent pour la validité du sacrement. C'est un précepte de tradition ecclésiastique, de mêler un peu d'eau dans le vin ; la pratique en est constante parmi les Grecs & les Latins ; & elle est confirmée par S. Cyprien & par les autres peres. Ce mélange figure l'union des fideles avec Jesus-Christ.

La forme de ce sacrement sont ces paroles de Jesus-Christ, pour le pain, ceci est mon corps ; pour le vin, ceci est le calice de mon sang, ou c'est mon sang ; paroles que le prêtre prononce, non pas en son propre nom, mais au nom de Jesus-Christ ; & par la vertu desquelles le pain & le vin sont transsubstantiés, ou changés au corps & au sang de Jesus-Christ. Voyez TRANSUBSTANTIATION.

Les évêques & les prêtres ont toûjours été les seuls ministres ou consécrateurs de l'eucharistie ; mais anciennement les diacres la distribuoient aux fideles ; & ils pourroient encore aujourd'hui la dispenser, par ordre de l'évêque.

Depuis l'institution de l'eucharistie, les Chrétiens ont, de tout tems, célébré ce mystere dans leurs assemblées religieuses, dans lesquelles les évêques ou les prêtres bénissoient du pain & du vin, & le distribuoient aux assistans, comme étant devenu par la consécration le vrai corps & le vrai sang de J. C. De-là le respect qu'ils ont eu pour l'eucharistie, & l'adoration qu'ils lui ont rendue, comme on peut s'en convaincre par les prieres qui, dans toutes les lithurgies, suivent les paroles de la consécration, & qui sont autant d'actes ou de témoignages d'adoration, & de monumens de la foi des peuples. Les cathécumenes & les pénitens n'assistoient point à la consécration de l'eucharistie, & ne participoient point à sa réception. Jusqu'au douzieme siecle, les fideles la recevoient sous les deux especes du pain & du vin, tant dans l'église latine que dans l'église greque. Cette derniere a retenu son ancien usage ; mais l'église latine a adopté celui de n'administrer l'eucharistie aux simples fideles, que sous l'espece du pain. Le retranchement de la coupe, ou de l'espece du vin, a occasionné les guerres les plus sanglantes en Bohème dans le quinzieme siecle, & l'on en agita le rétablissement au concile de Trente ; mais enfin la discipline présente de l'église, à cet égard, a prévalu. Voyez HUSSITES & TABORITES.

La présence réelle de Jesus-Christ dans l'eucharistie, a été premierement attaquée dans le neuvieme siecle, par Jean Scot, dit Erigene ou l'Hibernois, qui avoit été précepteur de Charles le Chauve. Cet écrivain, que les Protestans ont voulu faire passer pour un grand génie, n'étoit qu'un scholastique très-obscur dans ses expressions, & dont l'ouvrage sur l'eucharistie, connu à peine de trois ou quatre de ses contemporains, seroit demeuré dans un éternel oubli, si les Calvinistes ne l'en eussent tiré, pour se prévaloir de son autorité ; mais au fond, elle n'est pas en elle-même d'un grand poids ; & le style embrouillé de cet auteur ne décide pas une controverse si importante.

Bérenger, archidiacre d'Angers, excita un peu plus de rumeur dans le onzieme siecle. Il nia ouvertement la présence réelle & la transubstantiation : On tint, tant en France qu'en Italie, divers conciles où il fut cité ; il y comparut, fut convaincu d'erreurs ; il les retracta & y retomba ; enfin, après différentes variations, il mourut catholique en 1083, si l'on en croit Clavius, l'auteur de la chronique de S. Martin, Hildebert du Mans, & Baltride évêque de Dol, auteurs contemporains de Bérenger. Voyez BERENGARIENS.

Dans le seizieme siecle, les Protestans ont attaqué l'eucharistie ; mais tous ne s'y sont pas pris de la même maniere. Luther & ses sectateurs, en reconnoissant la présence réelle de Jesus-Christ dans l'eucharistie, ont rejetté la transubstantiation, soûtenant que la substance du pain & du vin demeuroit avec le corps & le sang de Jesus-Christ. Voyez CONSUBSTANTIATION & IMPANATION.

Zuingle au contraire a enseigné que l'eucharistie n'étoit que la figure du corps & du sang de Jésus-Christ, à laquelle on donnoit le nom des choses dont elle est la figure. Voyez ZUINGLIENS.

Enfin Calvin a prétendu que l'eucharistie renferme seulement la vertu du corps & du sang de Jesus-Christ, & qu'on ne le reçoit dans ce sacrement que par la foi, & d'une maniere toute spirituelle : les Anglicans ont adopté cette derniere doctrine ; & l'on peut voir, dans la belle histoire des variations écrite par M. Bossuet, quel partage ces diverses opinions ont occasionné parmi les Protestans. Voyez CALVINISME & CALVINISTES.

A entendre Calvin, ses premiers sectateurs & les ministres calvinistes, le dogme de la présence réelle universellement établi dans l'église romaine, n'étoit rien moins qu'une idolatrie manifeste & suffisante pour autoriser le schisme qui en a séparé une grande partie de l'Allemagne & tout le nord de l'Europe ; & cependant, par une inconséquence évidente, ce même Calvin & ses sectateurs n'ont pas fait difficulté de communiquer, en matiere de religion, avec les Luthériens, qui font profession de croire la présence réelle. Voyez LUTHERIENS.

Jamais dispute n'a été agitée avec plus de chaleur que celle de la présence réelle. Jamais question n'a été plus enveloppée de subtilités de la part des novateurs, ni mieux & plus profondément discutée de celle des Catholiques. Nous allons donner un précis des principales raisons de part & d'autre.

Les Catholiques prouvent la vérité de la présence réelle par deux voies ; l'une qu'ils appellent de discussion, l'autre, qu'ils appellent de prescription.

La voie de discussion consiste à prouver la vérité de la présence réelle, par les textes de l'Ecriture qui regardent la promesse de l'eucharistie, son institution, & l'usage de ce sacrement : ceux qui concernent la promesse sont ces paroles de Jesus-Christ, en S. Jean, chap. VI. . 54. & suiv. si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, & ne buvez son sang, vous n'aurez point ma vie en vous : ma chair est véritablement viande, & mon sang est véritablement breuvage. Celui qui mange ma chair & qui boit mon sang demeure en moi & moi en lui. Les paroles de l'institution sont celles-ci, en S. Matt. chap. XXVI. vers. 26. S. Marc, XIV. vers. 22. S. Luc, chap. XXII. vers. 19. prenez & mangez, ceci est mon corps ; prenez & buvez, ceci est mon sang ou le calice de mon sang. Enfin les textes, où il s'agit de l'usage de l'eucharistie, se trouvent dans la premiere épître de S. Paul aux Corinthiens, chap. XX. vers. 16. Le calice que nous bénissons n'est-il pas la communication du sang de Jesus-Christ ? & le pain que nous rompons n'est-il pas la participation du corps du Seigneur ? & dans le chap. suiv. vers. 27. après avoir rapporté les paroles de l'institution, l'apôtre ajoûte : ainsi quiconque aura mangé ce pain ou bû le calice du Seigneur indignement, sera coupable de la profanation du corps & du sang du Seigneur.

Ces textes, disent les Catholiques, ne peuvent s'entendre que littéralement & dans le sens propre. C'est ainsi que les Capharnaïtes, & les apôtres même, entendirent les paroles de la promesse ; & Jesus-Christ ne dit pas un mot pour les détromper sur le fond de la chose ; quoiqu'ils se trompassent sur la maniere dont Jesus-Christ devoit donner son corps à manger & son sang à boire : ils pensoient en effet qu'il en seroit de la chair & du sang de Jésus-Christ comme des alimens ordinaires, & qu'ils les recevroient dans leur forme naturelle & physique ; idée qui fait horreur & qui les révolta. Mais Jesus-Christ sans leur expliquer la maniere sacramentelle dont il leur donneroit sa chair pour viande, & son sang pour breuvage, n'en promet pas moins qu'il leur donnera l'un & l'autre réellement ; & les Calvinistes conviennent que dans ces passages il s'agit du vrai corps & du vrai sang de Jesus-Christ.

Le pain & le vin ne sont ni signes naturels ni signes arbitraires du corps & du sang de Jesus-Christ ; & les paroles de l'institution seroient vuides de sens, si sans avoir préparé l'esprit de ses disciples, le Sauveur eût employé une métaphore aussi extraordinaire pour leur dire, qu'il leur donnoit le pain & le vin comme des signes ou des figures de son corps & de son sang. Enfin les paroles qui concernent l'usage de l'eucharistie ne sont pas moins précises ; il n'y est mention ni de symboles, ni de signes, ni de figures, mais du corps & du sang de Jesus-Christ, & de la profanation de l'un & de l'autre, quand on reçoit indignement l'eucharistie.

D'ailleurs, ajoûtent-ils, comment les peres, pendant neuf siecles entiers, ont-ils entendu ces paroles, non pas dans les écrits polémiques, ou dans des ouvrages de controverse, mais dans leurs catécheses ou instructions aux cathécumenes, dans leurs sermons & leurs homélies au peuple ? Comment, pendant le même espace de tems, les fideles ont-ils entendu ces textes ? Que croyoient-ils ? Que pensoient-ils ? Lorsque dans la célébration fréquente des saints mysteres, le prêtre ou le diacre leur présentant l'eucharistie, disant, corpus Christi, voilà ou ceci est le corps de Jesus-Christ, ils répondoient amen, il est vrai ; si, comme le supposent les Calvinistes, les uns & les autres ne croyoient pas la présence réelle, le langage des peres & celui du peuple n'étoit qu'un langage évidemment faux & illusoire. Les Pasteurs, comme le remarque très-bien l'auteur de la perpétuité de la foi, auroient sans-cesse employé des expressions qui énoncent précisément & formellement la présence réelle de Jesus-Christ dans l'eucharistie, pour n'enseigner qu'une présence figurée & métaphorique ; & les peuples, de leur côté, intimement convaincus que Jesus-Christ n'étoit pas réellement présent dans l'eucharistie, auroient conçû leur profession de foi dans des termes qui énonçoient formellement la réalité de sa présence. Cette double absurdité est inconcevable dans la pratique.

La voie de prescription consiste à prouver, que depuis la naissance de l'Eglise, jusqu'au tems où Bérenger a commencé à dogmatiser, l'Eglise greque & latine ont constamment & unanimement professé la foi de la présence réelle, & l'ont encore professée depuis Bérenger jusqu'à Calvin, & depuis Calvin jusqu'à nous : c'est ce qu'ont démontré nos controversistes par la tradition non interrompue des peres de l'Eglise, par les décisions des conciles, par toutes les liturgies des églises d'Orient & d'Occident, par la confession même des sectes, qui se sont séparées de l'Eglise, telles que les Nestoriens, les Eutychiens, &c. ils ont amené les Calvinistes à ce point. On connoit l'époque de la naissance de votre erreur sur la présence réelle : vous l'avez empruntée des Vaudois, des Petrobrusiens, des Henriciens ; vous remontez jusqu'à Bérenger, ou tout au plus, jusqu'à Jean Scot. Vous êtes donc venus troubler l'Eglise dans sa possession. Et quels titres avez-vous pour la combattre ? Voyez HENRICIENS, &c.

Les Protestans répondent : 1°. que les preuves tirées de l'Ecriture ne sont pas décisives ; & que les textes allégués par les Catholiques peuvent aussi-bien se prendre dans un sens métaphorique, que ceux-ci : Genes. chap. XLVI. vers. 2. les sept vaches grasses & les sept épis pleins sont sept années d'abondance : & dans Daniel, chap. XXII. vers. 28. ce prophete expliquant à Nabuchodonosor ce que signifioit la statue colossale qu'il avoit vûe en songe, il lui dit, vous êtes la tête d'or ; ou ce que Jesus-Christ dit dans la parabole de l'yvraie, en S. Matt. chap. XXIII. celui qui seme le bon grain, c'est le Fils de l'homme ; le champ, c'est le monde ; la bonne semence, ce sont les enfans du royaume ; l'yvraie, ce sont les méchans ; l'ennemi qui l'a semée, est le diable ; la moisson est la consommation des siecles ; les moissonneurs sont les anges ; & S. Paul, en parlant de la pierre d'où coulerent des sources d'eau pour desaltérer les Israëlites dans le desert, dit dans la premiere épître aux Corinthiens, chap. X. vers. 4. or la pierre étoit le Christ. Toutes ces expressions, ajoûtent-ils, sont évidemment métaphoriques : donc, &c.

On leur replique avec fondement, que la disparité est des plus sensibles, & elle se tire de la nature des circonstances, de la disposition des esprits, & des regles du langage établies & reçûes parmi tous les hommes sensés. Pharaon & Nabuchodonosor demandoient l'explication d'un songe : le premier demandoit à Joseph ce que signifioient ces sept vaches grasses & ces sept épis pleins qu'il avoit vûs pendant son sommeil : il ne pouvoit donc prendre que dans un sens de signification & de figure la réponse de Joseph. Il en est de même de Nabuchodonosor, par rapport à Daniel ; ce monarque auroit perdu le sens commun, s'il eût imaginé qu'il étoit réellement la tête d'or de la statue qu'il avoit vûe en songe : mais il comprit d'abord que cette tête pouvoit bien être une figure de sa propre personne & de son empire ; comme les autres portions de la même statue, composées les unes d'argent, les autres d'airain, celles-ci de fer, celles-là d'argile, étoient des symboles de différens autres princes & de leurs monarchies. Jesus-Christ proposoit & expliquoit une parabole dont le corps étoit allégorique, & qui renfermoit nécessairement un sens d'application. Personne ne pouvoit s'y méprendre : enfin S. Paul développoit aux fideles une figure de l'ancien Testament. Les esprits étoient suffisamment disposés à ne pas prendre le signe pour la chose signifiée ; mais il n'en est pas ainsi de ces paroles que Jesus-Christ adressa à ses apôtres, ceci est mon corps, ceci est mon sang. Le pain & le vin ne sont pas signes naturels du corps & du sang ; & si Jesus-Christ en eût fait alors des signes d'institution ou de convention, les regles ordinaires du langage & du bon sens ne lui eussent pas permis de substituer à l'autre un de ces termes qui n'auroient eu qu'un rapport arbitraire ou d'institution ; par exemple, on ne dit pas que du lierre soit du vin, parce qu'il devient signe de vin à vendre, par la convention & l'institution des hommes ; on ne dit point qu'une branche d'olivier est la paix, parce que, en conséquence des idées convenues, elle est le signe de la paix. Les apôtres n'étoient nullement prévenus ; J. C. n'avoit préparé leurs esprits par aucune exposition ou convention préliminaire : ils devoient donc nécessairement entendre ses paroles dans le sens auquel il les prononçoit ; c'est-à-dire dans le sens propre & littéral. Ces raisons qui sont simples & à la portée de tout le monde, n'ont pas paru telles à un écrivain, qui, après avoir vécû long-tems parmi les Catholiques, & pensé comme eux, s'est depuis retiré chez les Anglicans, dont il a épousé presque toutes les erreurs. Il qualifie le livre de la Perpétuité de la foi, qui contient ces raisonnemens & beaucoup d'autres semblables : de Triomphe de la dialectique sur la raison. C'est au lecteur à juger de la justesse de cette application.

II. A la chaîne de tradition qu'on leur oppose, les Protestans objectent qu'il n'y a point ou presque point de pere qui n'ait déposé en faveur du sens figuratif & métaphorique, & qui n'ait dit que l'eucharistie même après la consécration, est figure, signe, antitype, symbole, pain, & vin. Mais toutes ces chicanes que les Calvinistes ont rebattues en mille manieres, se détruisent aisément par cette seule solution ; que l'eucharistie étant composée de deux parties, l'une extérieure & sensible, l'autre intérieure & intelligible, il n'est pas étonnant que les peres se servent souvent d'expressions qui ne conviennent à ce sacrement que selon ce qu'il a d'extérieur ; comme on dit une infinité de choses des hommes, qui ne leur conviennent que selon leurs vêtemens. Ainsi l'eucharistie étant tout-à-la-fois, quoique sous différens rapports, figure & vérité, image & réalité, les peres ne laissent pas de donner aux symboles, même après la consécration, les noms de pain & de vin, & ceux d'image & de figure ; puisque d'un côté les noms suivant ordinairement l'apparence extérieure & sensible, la nature du langage reçû parmi les hommes nous porte à ne les pas changer, lorsque ces apparences ne sont pas changées, & que de l'autre, par les mots d'image & de figure, ils n'entendent point une image & une figure vuide, mais une figure & une image qui contiennent réellement ce qu'elles réprésentent. En effet, quand les peres s'expliquent sur la partie intérieure & intelligible de l'eucharistie, c'est-à-dire sur l'essence & la nature du sacrement, ils s'expriment d'une maniere si nette & si précise, qu'ils ne laissent aucun lieu de douter qu'ils n'ayent admis la présence réelle. Ils enseignent, par exemple, que les symboles ayant été consacrés & faits eucharistie par les prieres que le Verbe de Dieu nous a enseignées, sont la chair & le sang de ce même Jesus-Christ qui a été fait homme pour l'amour de nous. S. Justin, ij. apologie. Que l'agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, est présent sur la table sacrée ; qu'il est immolé par les prêtres sans effusion de sang, & que nous prenons véritablement son précieux corps & son précieux sang. Gelase de Cyzique, d'après le premier concile de Nicée. Que Jesus-Christ ayant dit du pain, ceci est mon corps ; qui osera en douter desormais ? & lui-même ayant dit ; ceci est mon sang ; qui oseroit en entrer en doute, en disant que ce n'est pas son sang ? Il a autrefois changé l'eau en vin en Cana de Galilée ; pourquoi ne méritera-t-il pas d'être crû, quand il change le vin en son sang ? S. Cyrille de Jérusalem, catech. jv. Que par la parole de Dieu & l'oraison, le pain est changé tout-d'un-coup au corps du Verbe par le Verbe, selon ce qui a été dit par le Verbe même : ceci est mon corps. S. Grég. de Nyss. orat. catech. Que le créateur & le maître de la nature, qui produit du pain de la terre, fait ensuite son propre corps de ce pain ; parce qu'il le peut & l'a promis : & celui qui de l'eau a fait du vin, fait aussi du vin son sang. S. Gaudence évêque de Brescia, in Exod. tract. ij. Que le saint-Esprit fait que le pain commun proposé sur la table, devient le propre corps que Jesus-Christ a pris dans son incarnation. S. Isidore de Damiette, ép. cjx. Que l'eucharistie est le corps & le sang du Seigneur, même pour ceux qui le mangeant indignement, mangent & boivent leur jugement. S. August. liv. V. du baptême contre les Donatistes, chap. viij. Que nous croyons que le corps qui est devant nous, n'est pas le corps d'un homme commun & semblable à nous, & le sang de même ; mais que nous le recevons comme ayant été fait le propre corps & le propre sang du Verbe qui vivifie toutes choses. S. Cyrille d'Alexandrie explicat. du ij. de ses anathem. Que le prêtre invisible (J. C.) change par une puissance secrette les créatures visibles en la substance de son corps & de son sang, en disant : prenez & mangez, ceci est mon corps. S. Eucher ou S. Césaire, homél. v. sur la pâque. Que le saint-Esprit étant invisiblement présent par le bon plaisir du Pere & la volonté du Fils, fait cette divine opération ; & par la main du prêtre il consacre, change, & fait les dons proposés (c'est-à-dire le pain & le vin), le corps & le sang de Jesus-Christ. Germain patriarche de Constantinople, dans sa théorie des mysteres. Que le pain & le vin ne sont point figures du corps & du sang de Jesus-Christ, mais que c'est le corps même déifié de Jesus-Christ ; Notre-Seigneur ne nous ayant pas dit, ceci est la figure de mon corps, mais ceci est mon corps ; & n'ayant pas dit de même, ceci est la figure de mon sang, mais ceci est mon sang. S. Jean de Damas, de la foi orthod. lib. IV. chap. xjv. Il ne seroit pas difficile d'accumuler de pareils passages des peres, des conciles, des auteurs ecclésiastiques, & des théologiens, jusqu'au xvj. siecle, pour former une suite de tradition constante, & de montrer que tous ont pensé que les symboles sont changés, transmués, transélémentés, transsubstantiés au corps & au sang de Jesus-Christ. Dire après cela que ces peres & ces écrivains n'ont parlé que par métaphore, ou, comme l'auteur que nous avons cité ci-dessus, qu'il n'y a aucun de ces passages sur lequel on ne puisse disputer ; c'est plûtôt aimer la dispute, que se proposer la recherche de la vérité, & contester qu'il fasse clair en plein jour. La doctrine & le langage des peres sur la présence réelle, ne peuvent paroître équivoques qu'à des esprits prévenus & déterminés à trouver des figures dans les discours les plus simples.

Les ministres calvinistes ne l'ont que trop bien senti ; & pour éluder le poids d'une pareille autorité, ils ont imaginé différens systèmes, qui tendent tous à prouver que la créance de la présence réelle n'a pas été la foi de la primitive église & de l'antiquité. Les uns, comme Blondel dans son éclaircissement sur l'eucharistie, ont fait naître l'opinion de la transubstantiation long-tems après Berenger : les autres, comme Aubertin, le ministre de la Roque, & M. Basnage, ont remonté jusqu'au vij. siecle, où ils ont prétendu que contre la foi des six premiers siecles, Anastase religieux du mont Sinaï, avoit enseigné le premier que ce que nous recevons dans l'eucharistie n'est pas l'antitype, mais le corps de Jesus-Christ ; que cette innovation fut embrassée par Germain patriarche de Constantinople en 720, par S. Jean de Damas en 740, par les peres du ij. concile de Nicée en 787, par Nicéphore patriarche de Constantinople en 806 ; que le même langage passa d'orient en occident, comme il paroît par les livres que Charlemagne fit faire au concile de Francfort en 794. Pour sentir l'absurdité de ce système, il suffit de se rappeller que depuis S. Ignace le martyr & S. Justin, tous les peres grecs dont nous avons cité quelques-uns, avoient enseigné constamment que l'eucharistie étoit le vrai corps & le vrai sang de Jesus-Christ, que l'orient étoit plein des ouvrages de ces peres, & des liturgies de S. Basile & de S. Chrysostome, où la présence réelle est si clairement énoncée. Anastase le Sinaïte n'a donc rien innové en tenant précisément le même langage que les auteurs qui l'avoient précédé.

Quant à l'occident, Aubertin oubliant qu'il a attribué à un concile nombreux & célebre, tel que celui de Francfort, l'introduction du dogme de la présence réelle, lui donne une origine encore plus récente. Il pretend que Paschase Ratbert d'abord moine, puis abbé de Corbie, dans un traité du corps & du sang du Seigneur, qu'il composa vers l'an 831, & dédia à Charles-le-Chauve en 844, rejetta le sens de la figure, admis jusqu'alors par tous les fideles, & y substitua celui de la réalité, fruit de son imagination ; que cette nouveauté prit si rapidement en moins de deux siecles, que lorsque Bérenger voulut revenir au sens de la figure, on lui opposa comme immémorial le consentement de toute l'Eglise décidée pour le sens de la réalité. Mais 1°. puisqu'il s'agissoit de constater l'antiquité de l'un ou l'autre de ces deux sentimens, Bérenger qui vivoit au xj. siecle étoit-il si éloigné du neuvieme & si peu instruit, qu'il ne pût reclamer contre l'innovation de Paschase Ratbert, & même la démontrer ? Dans tous les conciles où il a comparu, s'est-il jamais défendu autrement que par des subtilités métaphysiques ; a-t-il jamais allégué le fait de Ratbert à Lanfranc & à ses autres adversaires, qui lui opposoient perpétuellement l'antiquité ? C'eût été un moyen aussi court qu'il étoit simple, pour décider cette importante question.

2°. Supposons pour un moment que Berenger ne fût pas instruit, ou ne voulût pas user de tous ses avantages ; le système d'Aubertin & des ministres n'en est pas moins absurde : car le changement qu'ils supposent, introduit par Ratbert dans la créance de l'Eglise universelle sur l'eucharistie, s'est fait brusquement & tout-à-coup, ou insensiblement & par degrés. Or ces deux suppositions sont également fausses. En premier lieu, il faut bien peu connoître les hommes, leurs passions, leur caractere, leur attachement à leurs opinions en matiere de religion, pour avancer qu'un particulier sans autorité, tel qu'un simple religieux, puisse tout-à-coup, & pour ainsi parler, du jour au lendemain, changer la créance publique de tout l'Univers pendant neuf siecles sur un point de la derniere conséquence, & d'un usage aussi général, aussi journalier pour le peuple que pour les savans, sans que les premiers se soûlevent, sans que les autres reclament, sans que les évêques & les pasteurs s'opposent au torrent de l'erreur. C'est une prétention contraire à l'expérience de tous les siecles. Combien de sang répandu dans l'Orient pour la dispute des images infiniment moins importante ? & que de guerres & de carnages dans le xvj. siecle, lorsque les Luthériens & les Calvinistes ont voulu faire prédominer leurs opinions ! Les hommes du siecle de Ratbert auroient été d'une espece bien singuliere, & totalement différente du caractere des hommes qui les ont précédés & qui les ont suivis. Encore une fois, il faut ne les point connoître, pour avancer qu'ils se laissent troubler plus tranquillement dans la possession de leurs opinions, que dans celle de leurs biens. Dans l'hypothèse des Calvinistes, Paschase Ratbert étoit un novateur décidé ; & cependant ce novateur aura été protégé des princes, cru des peuples sur sa parole, chéri des évêques avec lesquels il a assisté à plusieurs conciles, respecté des savans qui seront demeurés en silence devant lui. Luther & Calvin qui, selon les ministres, ramenoient au monde la vérité, & qui ont été accueillis bien différemment, auroient été bien embarrassés eux-mêmes à nous expliquer ce prodige.

Reste donc à dire que le sentiment de Paschase, combattu d'abord par quelques personnes, séduisit insensiblement & par degrés la multitude à la faveur des ténebres du x. siecle, qu'on a appellé un siecle de plomb & de fer. Mais d'abord ces adversaires de Paschase qu'on fait sonner si haut, se réduisent à ce Jean Scot dont nous avons déjà parlé, à un Heribald auteur très-obscur, à un anonyme, à Raban Maur, & à Ratramne ou Bertramne ; & ces trois derniers qui ont reconnu la présence réelle aussi expressément que Paschase, ne disputoient avec lui que sur quelques conséquences de l'eucharistie, sur une erreur de fait, sur quelques mots mal-entendus de part & d'autres, qui ne touchoient point au fond de la question : tandis que Paschase avoit pour lui Hincmar archevêque de Reims, Prudence évêque de Troyes, Flore diacre de Lyon, Loup abbé de Ferrieres, Christian Drutmar, Walfridus, les prélats les plus célebres, & les auteurs les plus accrédités de ce tems-là. Ce neuvieme siecle, que les Calvinistes prennent tant de plaisir à rabaisser, a été encore plus fécond en grands hommes instruits de la véritable doctrine de l'Eglise, & capables de la défendre. On y compte en Allemagne S. Unny archevêque de Hambourg, apôtre du Danemark & de la Norvege ; Adalbert, un de ses successeurs ; Brunon archevêque de Cologne, Willelme archevêque de Mayence, Francon & Burchard évêques de Wormes, Saint Udalric évêque d'Augsbourg, S. Adalbert archevêque de Prague, qui porta la foi dans la Hongrie, la Prusse, & la Lithuanie ; S. Boniface & S. Brunon, qui la prêcherent aux Russiens. En Angleterre on trouve S. Dunstan archevêque de Cantorberi, Etelvode évêque de Winchester, & Oswald évêque de Worcester : en Italie, les papes Etienne VIII. Léon VII. Marin, Agapet II. & un grand nombre de savans évêques : en France, Etienne évêque d'Autun, Fulbert évêque de Chartres, S. Mayeul, S. Odon, S. Odilon, premiers abbés de Clugny : en Espagne, Gennadius évêque de Zamore, Attilan évêque d'Asturie, Rudeimde évêque de Compostelle ; & cela sous le regne d'empereurs & de princes zélés pour la foi. Or soûtenir que tant de grands hommes, dont la plûpart avoient vécu dans le neuvieme siecle, & pouvoient avoir été témoins, ou avoir connu les témoins de l'innovation introduite par Ratbert, l'ayent favorisée dans l'esprit des peuples ; c'est se joüer de la crédulité des lecteurs.

Une derniere considération qui démontre que les Protestans sont venus troubler l'Eglise catholique dans sa possession ; c'est que si cette derniere eût innové au jx. siecle dans la foi sur l'eucharistie, les Grecs qui se sont séparés d'elle vers ce tems-là, n'eussent pas manqué de lui reprocher sa défection. Or c'est ce qu'ils n'ont jamais fait : car peu de tems après que Léon IX. eut condamné l'hérésie de Berenger, Michel Cerularius patriarche de Constantinople, publia plusieurs écrits, où il n'oublia rien de ce qui pouvoit rendre odieuse l'Eglise latine ; il l'attaqua entr'autres avec chaleur sur la question des azymes, qui ne fait rien au fond du mystere, & allegue la diversité des sentimens des deux églises sur ce point, comme un des principaux motifs du schisme, sans dire un mot sur la présence réelle.

Dans le concile de Florence, où l'on traita de la réunion des Grecs, l'empereur de Constantinople & les évêques ses sujets agiterent toutes les questions sur lesquelles on étoit divisé, & en particulier celle qui regardoit les paroles de la consécration ; mais il ne fut pas mention de celle de la transubstantiation, ni de la présence réelle. Les grecs & les Latins étoient donc dans cette persuasion commune, que dans l'une & l'autre église il ne s'étoit introduit aucune innovation sur cet article : car dans la disposition où étoient alors les esprits depuis plus de trois cent ans, si cette innovation eût commencé chez les Grecs à Anastase le Sinaïte, ou chez les Latins à Paschase Ratbert, ils n'auroient pas manqué de se la reprocher réciproquement. Dira-t-on que pour le bien de la paix & pour étouffer dans sa naissance quelque secte ennemie du dogme de la présence réelle, les deux églises convinrent de concert de ce point : mais en premier lieu, la réunion moins conclue que projettée à Florence ne fut pas durable, & Marc d'Ephèse, Cabasilas, & les autres évêques grecs qui rompirent les premiers l'accord, loin de combattre la présence réelle, la soûtiennent ouvertement dans leurs écrits, comme en conviennent les plus éclairés d'entre les Protestans ; & entr'autres Guillaume Forbes évêque d'Edimbourg, dans le chap. jv. du liv. prem. de ses considerationes aequae & pacificae controversiarum hodiernarum de sacramento eucharistiae. En second lieu, pour que l'église greque eût pû former quelque accusation à cet égard contre l'église romaine, pouvoit-elle saisir une occasion plus favorable pour acquérir de nouveaux défenseurs à cette imputation, que la naissance de l'hérésie des sacramentaires. En vain ces derniers s'efforcerent en 1570 d'extorquer de Jéremie patriarche de Constantinople, quelque témoignage favorable à leur erreur. Il leur répondit nettement : On rapporte sur ce point plusieurs choses de vous, que nous ne pouvons approuver en aucune sorte. La doctrine de la sainte Eglise est donc, que dans la sacrée cene, après la consécration & bénédiction le pain est changé & passé au corps même de Jesus-Christ, & le vin en son sang, par la vertu du Saint-Esprit : & ensuite, le propre & véritable corps de Jesus-Christ est contenu sous les especes du pain levé. La même chose est attestée par Gaspard Pucerus historien & medecin célebre ; par Sandius anglois, dans son miroir de l'Europe, chap. xxij ; par Grotius dans l'examen de l'apologie de Rivet : mais ce que la bonne-foi de Jéremie avoit refusé aux théologiens de la confession d'Augsbourg, l'avarice d'un de ses successeurs Cyrille Lucar l'accorda aux largesses d'un ambassadeur d'Angleterre ou de Hollande à la Porte. Il osa faire publier une profession de foi, conforme aux erreurs des Protestans sur la présence réelle. Cette piece fut condamnée dans un synode tenu à Constantinople en 1638, par Cyrille de Berée successeur de Lucar ; & dans un autre tenu en 1642, sous Parthenius successeur de Cyrille de Berée. L'église greque a encore donné de nouvelles preuves de la conformité de sa foi avec l'église latine, sur la présence réelle de Jesus-Christ dans l'eucharistie, par les conciles tenus à Jérusalem & à Bethléem ; le premier en 1668, & l'autre en 1672. Les actes en sont déposés dans la bibliotheque de S. Germain-des-Prés, & imprimés dans les deux premiers volumes du grand ouvrage de l'abbé Renaudot, intitulé de la perpétuité de la foi, où l'on trouve aussi tous les témoignages des Maronites, des Arméniens, des Syriens, des Cophtes, des Jacobites, des Nestoriens, des Russes ; en un mot de toutes les sectes qui se sont séparées de l'église romaine, ou qui sont encore en différend sur quelques points avec l'église greque, qu'elles reconnoissent néanmoins pour leur tige.

Les savans s'appercevront aisément que nous n'avons fait qu'abréger ici & proposer en gros les principaux argumens de nos controversistes, & les difficultés les plus spécieuses des Protestans. Le but de cette analyse est de suggérer cette réflexion à ceux de nos lecteurs qui n'ont jamais approfondi cette matiere. Il s'agit ici d'un mystere : qu'en a-t-on crû dans tous les tems & dans la société établie par Jesus-Christ, pour regler les sentimens des Chrétiens en matiere de religion ? Alors la chose se réduit à une pure question de fait, aisée à décider par les monumens que nous venons d'indiquer : car si l'on veut rendre la raison seule arbitre du fond de cette dispute, nous convenons qu'elle est un abysme de difficultés, & nous n'écrivons ni pour les renouveller, ni pour les multiplier. Voyez Bellarmin, les cardinaux du Perron, de Richelieu, M. de Vallembourg, Mr Bossuet, hist. des variat. exposition de la foi, avert. & instruct. pastor. Arnauld, Nicole, Pelisson, & la perpétuité de la foi. (G)


EUCHITESS. m. pl. Euchitae, (Hist. ecclés.) anciens hérétiques ainsi nommés du grec , priere, parce qu'ils soûtenoient que la priere seule étoit suffisante pour se sauver ; se fondant sur ce passage mal entendu de S. Paul aux Thessaloniciens, chap. v. vers. 17. sine intermissione orate, priez sans relâche : en conséquence & pour vacquer à cet exercice continuel de l'oraison, ils bâtissoient dans les places publiques des maisons, qu'ils appelloient adoratoires. Les Euchites rejettoient les sacremens de baptême, d'ordre, & de mariage, & suivoient les erreurs des Massaliens dont on leur donnoit quelquefois le nom, aussi-bien que celui d'enthousiastes. On les condamna au concile d'Ephèse tenu en 431.

S. Cyrille d'Alexandrie, dans une de ses lettres, reprend vivement certains moines d'Egypte, qui sous prétexte de se livrer tout entiers à la contemplation & à la priere, menoient une vie oisive & scandaleuse. On estime encore aujourd'hui beaucoup dans les sectes d'Orient ces hommes d'oraison, & on les éleve souvent aux plus importans emplois. Chambers. (G)


EUCHOLOGES. m. euchologium, (Hist. ecclés. & Liturgie) d'un mot grec, qui signifie à la lettre un discours pour prier ; formé d', priere, & de , discours.

L'euchologe est un des principaux livres des Grecs où sont renfermées les prieres & les bénédictions dont ils se servent dans l'administration des sacremens, dans la collation des ordres, & dans leurs liturgies ou messes : c'est proprement leur rituel, & l'on y trouve tout ce qui a rapport à leurs cérémonies.

M. Simon a remarqué dans quelques-uns de ses ouvrages, qu'on fit à Rome sous le pontificat d'Urbain VIII. une assemblée de plusieurs théologiens catholiques fameux, pour examiner cet euchologe ou rituel. Le P. Morin qui y fut présent, en parle aussi quelquefois dans son livre des ordinations. La plûpart des théologiens se réglant sur les opinions des docteurs scholastiques, voulurent qu'on réformât ce rituel grec sur celui de l'église romaine, comme s'il eût contenu quelques hérésies, ou plûtôt des choses qui rendoient nulle l'administration des sacremens. Luc Holstenius, Leon Allatius, le P. Morin & quelques autres qui étoient savans dans cette matiere, remontrerent que cet euchologe étoit conforme à la pratique de l'église greque, avant le schisme de Photius ; & qu'ainsi on ne pouvoit le condamner, sans condamner en même tems toute l'ancienne église orientale. Leur avis prévalut. Cet euchologe a été imprimé plusieurs fois à Venise en grec, & l'on en trouve aussi communément des exemplaires manuscrits dans les bibliotheques. Mais la meilleure édition & la plus étendue, est celle que le P. Goar a publié en grec & en latin, à Paris, avec quelques augmentations & d'excellentes notes. Chambers. (G)


EUCINA(Hist. mod.) ordre de chevalerie qui fut établi, selon quelques-uns, l'an 722 par Garcias Ximenès roi de Navarre. Sa marque de distinction étoit, à ce que l'on dit, une croix rouge sur une chaîne ; & s'il étoit vrai qu'il eût existé, ce seroit le plus ancien de tous les ordres de chevalerie ; mais on en doute avec fondement. On peut voir sur l'institution des ordres militaires les mots CHEVALERIE & ORDRES MILITAIRES. (G)


EUDOXIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) branche ou division des Ariens ainsi nommée de son chef Eudoxe patriarche, premierement d'Antioche, puis de Constantinople, où il favorisa l'Arianisme de tout son pouvoir auprès des empereurs Constance & Valens.

Les Eudoxiens suivoient les mêmes erreurs que les Aétiens & les Eunomiens, soûtenant, comme eux, que le fils de Dieu avoit été créé de rien, & qu'il avoit une volonté distincte & différente de celle de son pere. Voyez AETIENS & EUNOMIENS. (G)


EUFRAISEeufrasia, s. f. (Hist. nat. bot.) genre de plantes à fleur monopétale & anomale, qui présente une sorte de muffle à deux levres ; celle du dessus est relevée & découpée en plusieurs parties, celle du dessous est divisée en trois parties dont chacune est recoupée en deux autres. Il sort du calice un pistil qui entre comme un clou dans la partie postérieure de la fleur : ce pistil devient dans la suite un fruit ou une coque oblongue qui est partagée en deux loges, & qui renferme de petites semences. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

EUFRAISE, (Mat. méd.) cette plante passe pour un bon ophthalmique : mais on peut avancer que c'est une vertu réellement imaginaire ; & on peut l'avancer avec d'autant plus d'assûrance, que c'est à l'eau qu'on distille de cette plante, que cette propriété est attribuée ; car l'eufraise étant absolument inodore, l'eau d'eufraise est de l'eau exactement privée de toute vertu médicinale particuliere. Voyez EAUX DISTILLEES.

Quelques personnes se servent de l'eufraise séchée en guise de tabac, pour fumer dans les maladies des yeux. Mais il est encore fort clair que l'excrétion de la salive excitée par la fumée de l'eufraise, ne fait pas une évacuation plus salutaire que si elle étoit excitée par la fumée de toute autre plante inodore. L'eau d'eufraise entre dans le collyre roborant de la pharmacopée de Paris. (b)


EUGENIAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plantes à fleur en rose, composée ordinairement de quatre pétales faits en forme de capuchon, & disposés en rond. Le calice devient un fruit mou, ou une baie arrondie un peu sillonnée & surmontée d'une couronne. Ce fruit renferme un noyau un peu épais. Nova plantarum americanarum genera, par M. Micheli. (I)


EULOGIES. f. dans l'histoire de l'église. Quand les Grecs ont coupé un morceau de pain pour le consacrer, ils taillent le reste en petits morceaux, & les distribuent à ceux qui n'ont pas encore communié, ou les envoyent à ceux qui sont absens ; & ces morceaux sont ce qu'ils appellent eulogies.

Ce mot est grec, composé de , bene, bien, & , je dis, c'est-à-dire benedictum, béni.

Pendant plusieurs siecles l'eglise latine a eu quelque chose de semblable aux eulogies, & c'est de-là qu'est venu l'usage du pain béni.

On donnoit pareillement le nom d'eulogie à des gateaux que les fideles portoient à l'église pour les faire bénir.

Enfin l'usage de ce terme passa aux présens qu'on faisoit à quelqu'un, sans aucune bénédiction. Voyez le Jésuite Greetser dans son traité de benedictionibus & maledictionibus, liv. II. ch. xxij. xxjv. &c. où il traite à fond des eulogies.

Il paroît par un passage de Bollandus sur la vie de S. Melaine, ch. jv. que les eulogies étoient non-seulement du pain, mais encore toutes sortes de mets bénis, ou présentés pour l'être. Depuis, toutes sortes de personnes bénissoient & distribuoient les eulogies ; non-seulement les évêques & les prêtres, mais encore les hermites, quoique laïcs, le pratiquoient. Les femmes pouvoient aussi envoyer des eulogies, comme il paroît par la vie de S. Vaulry, ch. iij. n°. 14 ; dans les Bollandistes, Acta sanct. Jan. tom. I. page 20.

Le vin envoyé en présent étoit aussi regardé comme eulogie. De plus, Bollandus remarque que l'Eucharistie même étoit appellée eulogie. Acta sanct. Jan. tom. II. p. 199. Chambers. (G)


EUMECES(Hist. nat.) pierre fabuleuse qui se trouvoit dans la Bactriane ; elle ressembloit à un caillou : on croyoit que mise sous la tête elle rendoit des oracles, & apprenoit à celui qui dormoit, ce qui s'étoit passé pendant son sommeil. Pline, Hist. nat. lib. XXXVII. cap. x.


EUMÉNIDÉESadj. pris sub. (Mythol.) fêtes que les Athéniens célébroient en l'honneur des Euménides. La seule chose que nous en sachions, c'est qu'il étoit défendu aux esclaves & autres domestiques d'y prendre part.


EUMÉNIDESS. f. (Myth.) On dit que les furies furent ainsi appellées après qu'Oreste eut expié le meurtre de sa mere. Il est vrai qu'elles cesserent alors de le tourmenter, à la sollicitation de Minerve ; mais elles avoient ce surnom long-tems avant cet évenement. Jupiter se sert des Euménides pour châtier les vivans, ou plûtôt pour tourmenter les morts. Elles ont dans les Poëtes une figure effrayante ; elles portent des flambeaux, des serpens sifflent sur leurs têtes, leurs mains sont ensanglantées. Il y avoit près de l'Aréopage un temple consacré aux Euménides : les Athéniens les appelloient les déesses vénérables.


EUMETRES(Hist. nat.) pierre d'un verd de porreau, consacrée à Bélus & vénérée par les Assyriens, qui s'en servoient à des superstitions.


EUMOLPIDESS. m. (Myth.) prêtres de Cérès : ils avoient le pouvoir dans Athenes d'initier aux mysteres de cette déesse, & d'en exclure. Cette excommunication se faisoit avec des sermens exécrables ; elle ne cessoit que quand ils le jugeoient à-propos. Ils étoient appellés Eumolpides, d'Eumolpe roi des Thraces, qui fut tué dans un combat où il secouroit les Eleusins contre les Athéniens.


EUNOFIUS(Hist. nat.) pierre connue des anciens, qu'on croit être la même chose que l'aetite ou pierre d'aigle.


EUNOMIENSS. m. pl. (Hist. eccl.) secte d'hérétiques qui parurent dans le jv. siecle. C'étoit une branche des Ariens, ainsi nommée d'Eunome leur chef, qui ajoûta plusieurs hérésies à celles d'Arius. Cet homme fut fait évêque de Cyzique vers l'an 360, & enseigna d'abord ses erreurs en secret, puis ouvertement, ce qui le fit chasser de son siége. Les Ariens tenterent inutilement de le placer sur celui de Samosate : Valens le rétablit sur celui de Cyzique ; mais après la mort de cet empereur il fut condamné à l'exil, & mourut en Cappadoce.

Eunome soûtenoit entr'autres choses, qu'il connoissoit Dieu aussi parfaitement que Dieu se connoissoit lui-même ; que le Fils de Dieu n'étoit Dieu que de nom ; qu'il ne s'étoit pas uni substantiellement à l'humanité, mais seulement par sa vertu & par ses opérations ; que la foi toute seule pouvoit sauver, quoique l'on commît les plus grands crimes, & qu'on y perséverât. Il rebaptisoit ceux qui avoient été déjà baptisés au nom de la Trinité ; haïssant si fort ce mystere, qu'il condamnoit la triple immersion dans le baptême. Il se déchaîna aussi contre le culte des martyrs, & l'honneur rendu aux reliques des saints. Les Eunomiens soûtinrent aussi les mêmes erreurs : on les appelloit autrement Troglodytes. Voyez TROGLODYTES. Dictionn. de Trévoux & Chambers. (G)


EUNOMIO-EUPSYCHIENSS. m. pl. (Hist. eccl.) secte d'hérétiques du jv. siecle, qui se séparerent des Eunomiens pour une question de la connoissance ou science de Jesus-Christ, quoiqu'ils en conservassent d'ailleurs les principales erreurs. Voyez EUNOMIENS.

Nicéphore parle des Eunomio-Eupsychiens, liv. XII. ch. xxx. comme étant les mêmes que Sozomene appelle Eutychiens, liv. VII. ch. xvij. Suivant ce dernier historien, le chef de cette secte étoit un eunomien appellé Eutyche, & non pas Eupsyche, comme le prétend Nicéphore : cependant ce dernier auteur copie Sozomene dans le passage où il s'agit de ces hérétiques, ce qui prouve que tous deux parlent de la même secte ; mais il n'est pas facile de décider lequel des deux se trompe. M. de Valois, dans ses notes sur Sozomene, s'est contenté de remarquer cette différence, sans rien prononcer ; & Fronton du Duc en a fait autant dans ses notes sur Nicéphore. Voyez le dictionn. de Trévoux & Chambers. (G)


EUNUQUES. m. (Medecine, Hist. anc. & mod.) Ce mot est synonyme de châtré ; il est employé par conséquent pour désigner un animal mâle à qui l'art a ôté la faculté d'engendrer : il est cependant d'usage que l'on ne donne le nom d'eunuque qu'aux hommes à qui l'on a fait subir cette privation, & on se sert ordinairement du mot châtré pour les animaux. Voyez CASTRATION. Toutefois les Italiens ont retenu les mots castrato, castrati, par lesquels ils distinguent les hommes qui ont été faits eunuques dans leur enfance, pour leur procurer une voix nette & aiguë. Voyez CASTRATI.

Eunuque est un mot grec, qui signifie proprement celui à qui les testicules ont été coupés, détruits : les Latins l'appellent castratus, spado.

Comme celui d'eunuque est particulierement employé pour signifier un homme châtré, ainsi qu'il vient d'être dit, c'est sous cette acception qu'il va faire la matiere de cet article ; & pour ne rien laisser à desirer, elle sera tirée pour la plus grande partie de l'Histoire naturelle de M. de Buffon, tome jv. de l'édition in -12.

La castration, ainsi que l'infibulation, ne peuvent avoir d'autre origine que la jalousie, dit cet illustre auteur ; ces opérations barbares & ridicules ont été imaginées par des esprits noirs & fanatiques, qui, par une basse envie contre le genre-humain, ont dicté des lois tristes & cruelles où la privation fait la vertu, & la mutilation le mérite.

Les Valésiens, hérétiques arabes, faisoient un acte de religion, non-seulement de se châtrer eux-mêmes, d'après Origene, mais encore de traiter de la même façon, de gré ou de force, tous ceux qu'ils rencontroient. Epiphan. haeres. lviij.

On ne peut rien imaginer de bizarre & de ridicule sur ce sujet que les hommes n'ayent mis en pratique, ou par passion ou par superstition. La castration est aussi devenue un moyen de punition pour certains crimes ; c'étoit la peine de l'adultere chez les Egyptiens.

L'usage de cette opération est fort ancien, & généralement répandu. Il y avoit beaucoup d'eunuques chez les Romains. Aujourd'hui dans toute l'Asie & dans une partie de l'Afrique, on se sert de ces hommes mutilés pour garder les femmes. En Italie cette opération infâme & cruelle n'a pour objet que la perfection d'un vain talent. Les Hottentots coupent un testicule à leurs enfans, dans l'idée que ce retranchement les rend plus legers à la course. Dans d'autres pays les pauvres mutilent leurs enfans pour éteindre leur postérité, & afin que ces enfans ne se trouvent pas un jour dans la misere & dans l'affliction où se trouvent leurs parens, lorsqu'ils n'ont pas de pain à leur donner.

Il y a plusieurs especes de castrations. Ceux qui n'ont en vûe que la perfection de la voix, se contentent de couper les deux testicules ; mais ceux qui sont animés par la défiance qu'inspire la jalousie, ne croiroient pas leurs femmes en sûreté si elles étoient gardées par des eunuques de cette espece : ils ne veulent que ceux auxquels on a retranché toutes les parties extérieures de la génération.

L'amputation n'est pas le seul moyen dont on se soit servi : autrefois on empêchoit l'accroissement des testicules sans aucune incision ; l'on baignoit les enfans dans l'eau chaude & dans des décoctions de plantes ; ensuite on pressoit & on froissoit les testicules avec les doigts, assez long-tems pour en meurtrir toute la substance ; & on en détruisoit ainsi l'organisation. D'autres étoient dans l'usage de les comprimer avec un instrument : on prétend que ce dernier moyen de priver de la virilité ne fait courir aucun risque pour la vie.

L'amputation des testicules n'est pas fort dangereuse, on la peut faire à tout âge ; cependant on préfere le tems de l'enfance. Mais l'amputation entiere des parties extérieures de la génération est le plus souvent mortelle, si on la fait après l'âge de quinze ans : & en choisissant l'âge le plus favorable, qui est depuis sept ans jusqu'à dix, il y a toûjours du danger. La difficulté que l'on trouve de sauver ces sortes d'eunuques dans l'opération, les rend bien plus chers que les autres : Tavernier dit que les premiers coûtent cinq ou six fois plus en Turquie & en Perse. Chardin observe que l'amputation totale est toûjours accompagnée de la plus vive douleur ; qu'on la fait assez sûrement sur les jeunes gens, mais qu'elle est très-dangereuse, passé l'âge de 15 ans ; qu'il en échappe à peine un quart ; & qu'il faut six semaines pour guérir la playe. Pietro della Valle dit au contraire, que ceux à qui on fait cette opération en Perse, pour punition du viol & d'autres crimes du même genre, en guérissent fort heureusement, quoique avancés en âge ; & qu'on n'applique que des cendres sur la plaie : nous ne savons pas si ceux qui subissoient autrefois la même peine en Egypte, comme le rapporte Diodore de Sicile, s'en tiroient aussi heureusement : selon Thévenot, il périt toûjours un grand nombre de negres, que les Turcs soûmettent à cette opération, quoiqu'ils prennent des enfans de huit ou dix ans.

Outre ces eunuques negres, il y a d'autres eunuques à Constantinople, dans toute la Turquie, en Perse, &c. qui viennent pour la plûpart du royaume de Golconde, de la presqu'île en deçà du Gange, des royaumes d'Assan, d'Aracan, de Pégu, & de Malabar, où le teint est gris ; du golfe de Bengale, où ils sont de couleur olivâtre : il y en a de blancs de Géorgie & de Circassie, mais en petit nombre. Tavernier dit, qu'étant au royaume de Golconde en 1657, on y fit jusqu'à vingt-deux mille eunuques. Les noirs viennent d'Afrique, principalement d'Ethiopie ; ceux-ci sont d'autant plus recherchés & plus chers, qu'ils sont plus horribles : on veut qu'ils ayent le nez fort plat, le regard affreux, les levres fort grandes & fort grosses, & sur-tout les dents noires & écartées les unes des autres. Ces peuples ont communément les dents belles ; mais ce seroit un défaut pour un eunuque noir, qui doit être un monstre des plus hideux.

Les eunuques auxquels on n'a laissé que les testicules, ne laissent pas de sentir de l'irritation dans ce qui leur reste, & d'en avoir le signe extérieur, même plus fréquemment que les autres hommes : cette partie qui leur a été laissée n'a cependant pris qu'un très-petit accroissement, si la castration leur a été faite dès l'enfance ; car elle demeure à-peu-près dans le même état où elle étoit avant l'opération, Un eunuque fait à l'âge sept ans, est, à cet égard, à vingt ans, comme un enfant de sept ans : ceux au contraire, qui n'ont subi l'opération que dans le tems de la puberté, ou un peu plus tard, sont à-peu-près comme les autres hommes.

" Il y a des rapports singuliers entre les parties de la génération & celles de la gorge, continue M. de Buffon ; les eunuques n'ont point de barbe ; leur voix, quoique forte & perçante, n'est jamais d'un ton grave ; la correspondance qu'ont certaines parties du corps humain, avec d'autres fort éloignées & fort différentes, & qui est ici si marquée, pourroit s'observer bien plus généralement ; mais on ne fait point assez d'attention aux effets, lorsqu'on ne soupçonne pas qu'elles en peuvent être les causes : c'est sans-doute par cette raison qu'on n'a jamais songé à examiner avec soin ces correspondances dans le corps humain, sur lesquelles cependant roule une grande partie du jeu de la machine animale : il y a dans les femmes une grande correspondance entre la matrice, les mammelles, & la tête ; combien n'en trouveroit-on pas d'autres, si les grands medecins tournoient leurs vûes de ce côté-là ? Il me paroît que cela seroit plus utile que la nomenclature de l'Anatomie ".

Les Medecins n'ont pas autant négligé l'observation de ces rapports, que M. de Buffon semble le penser ici. Ceux qui sont versés dans la Medecine savent que cette observation est au contraire une de celles qui les a le plus occupés de tous les tems dès le siecle d'Hippocrate ; mais les souhaits de M. de Buffon, à cet égard, fussent-ils absolument fondés, nous pourrions dès-à présent les regarder comme accomplis. Nous avons des ouvrages modernes qui ont précisément pour objet ces correspondances entre différentes parties du corps humain, ou dans lesquels il en est traité par occasion ; on peut citer comme une production du premier genre le Specimen novi Medicinae conspectus, à Paris, chez Guérin ; & la thèse de M. Bordeu, medecin de l'université de Montpellier, docteur-régent de la faculté de Medecine de Paris, dans laquelle il se propose d'examiner an omnes corporis partes digestioni opitulentur, 1752. & y conclut pour l'affirmative. Un ouvrage du second genre, est une autre thèse de ce dernier, en forme de dissertation sur la question utrum Aquitaniae minerales aquae morbis chronicis ? 1754, où l'on trouve d'excellentes choses, particulierement sur les correspondances dont il s'agit.

" On observera, dit M. de Buffon en finissant sur la matiere dont il s'agit, que cette correspondance entre la voix & les parties de la génération, se reconnoît non-seulement dans les eunuques, mais aussi dans les autres hommes, & même dans les femmes ; la voix change dans les hommes à l'âge de puberté, & les femmes qui ont la voix forte sont soupçonnées d'avoir plus de penchant à l'amour ".

C'est ainsi que le grand physicien qui vient de nous occuper se borne à donner l'histoire des faits, lorsque les causes paroissent cachées : cette conduite est sans-doute bien imitable pour tous ceux qui écrivent en ce genre.

Mais la reserve que l'on doit avoir à entreprendre de rendre raison des phénomènes singuliers que présente la nature, doit-elle être tellement générale qu'elle tienne toûjours l'imagination enchaînée ? La foiblesse de la vûe n'est pas une raison pour ne point faire usage de ses yeux ; lors même qu'on est réduit à marcher à tâtons, on arrive quelquefois à son but. Ainsi il semble qu'il doive être permis de tenter des explications : quelque peu d'espérance qu'on ait de le faire avec succès, il suffit de n'en être pas absolument privé, & qu'il puisse être utile de réussir ; ce qui a lieu, ce semble, lorsqu'on donne pour fondement aux explications des principes reçûs, qu'elles ne sont que des conséquences qu'on en tire, & qu'on peut faire une application avantageuse de ces conséquences. C'est dans cette idée que l'on croit être autorisé à proposer ici un sentiment sur la cause du changement qui survient à la voix des enfans mâles, dès qu'ils atteignent l'âge de puberté, & par conséquent sur la raison pour laquelle les femmes & les eunuques n'éprouvent point ce changement.

Ce sentiment a pour base l'opinion de M. Ferrein sur le méchanisme de la voix. Ce célebre anatomiste l'attribue, comme on sait, aux vibrations des bords de la glotte, semblables à celles qui s'observent dans les instrumens à cordes : ce sentiment est admis par plusieurs physiologistes, & a droit de figurer en effet parmi les hypothèses ingénieuses & plausibles ou au moins soûtenables.

Il en est, selon ce systême, des bords de la glotte, que l'auteur appelle rubans, parce que ceux-là sont comme des cordes plates ; il en est de ces bords comme des cordes dans les instrumens, où elles sont les moyens du son : puisque ces rubans produisent des sons plus hauts ou plus bas, à proportion qu'ils sont plus ou moins tendus par les organes propres à cet effet, qu'ils sont par conséquent susceptibles de vibrations plus ou moins nombreuses. Ces sons doivent aussi être aigus ou graves, tout étant égal, à proportion que ces rubans sont gros ou grêles, de même que les instrumens à cordes produisent des sont aigus ou graves, selon la différente grosseur des cordes dont ils sont montés.

Cela supposé, nous considérerons, 1°. que le fluide séminal qui est préparé dans les testicules à l'âge de puberté, n'est pas destiné seulement à servir pour la génération, hors de l'individu qui le fournit, mais qu'il a aussi une très-grande utilité, entant qu'il est repompé de ses reservoirs par les vaisseaux absorbans, & que porté dans la masse des humeurs, il s'unit à celle avec laquelle il a le plus d'analogie, qui est sans-doute la lymphe nourriciere, à en juger par les effets simultanés ; qu'il donne à cette lymphe, que l'on pourroit plûtôt appeller l'essence des humeurs, la propriété de fournir à l'entretien, à la réparation des élémens du corps, de ses fibres premieres, d'une maniere plus solide, en fournissant des molécules plus denses que celles qu'elles remplacent. 2°. Que ce fluide rend ainsi la texture de toutes les parties plus forte, plus compacte ; ce qui établit dès-lors la différence de constitution entre les deux sexes. 3°. Que cette augmentation de forces dans les fibres qui composent le corps des mâles, est une cause surajoûtée à celle qui produit l'augmentation de forces commune aux deux sexes, entant que celle-ci n'est que l'effet du simple accroissement, par laquelle cause surajoûtée se forme une sorte de rigidité dans les fibres des hommes en puberté, qui leur devient propre. 4°. Que c'est cette rigidité, tout étant égal, qui rend les hommes plus robustes, plus vigoureux en général que les femmes, plus susceptibles qu'elles de supporter la fatigue, la violence même des exercices, des travaux du corps, &c. Ne s'ensuit-il pas de-là que cette rigidité s'établissant proportionnément dans toutes les parties du corps, dans l'état naturel, ne doit rendre nulle part les changemens qui s'ensuivent, aussi sensibles que dans les organes dont la moindre altération fait appercevoir plus aisément que dans les autres, une différence marquée dans l'exercice de leurs fonctions ? ces organes sont, sans contredit, les bords de la glotte, relativement aux modifications des sons qu'ils ont la faculté de produire par leurs vibrations causées par le frottement des colonnes ou filets d'air qui agissent comme un archet, in modum plectri, sur ces bords membraneux & flexibles : ceux-ci devenus plus épais, plus forts, par la cause surajoûtée qui est commune à tous les organes dans les mâles, c'est-à-dire l'addition du fluide séminal à la lymphe nourriciere, doivent être ébranlés plus difficilement, & n'être susceptibles, caeteris paribus, que d'un moindre nombre de vibrations, mais plus étendues : par conséquent les sons qu'elles produisent doivent être moins aigus, & ensuite devenir graves de plus en plus, en raison inverse de l'augmentation d'épaisseur & de rigidité dans les fibres qui composent les cordes vocales : ce qu'il falloit établir pour l'explication dont il s'agit. Delà s'ensuit celle de tout ce qui a rapport au phénomène principal, qui est le changement de la voix, dans le tems où la semence commence à se séparer dans les testicules.

On se rend aisément raison de ce que les eunuques n'éprouvent pas ce changement à cet âge ; ils suivent, à tous égards, le sort des femmes : le corps de ceux-là, comme de celles-ci, ne se fortifie que par la cause unique de l'accroissement qui leur est commune ; ils restent par conséquent débiles, foibles comme elles ; avec une voix grêle, comme elles, ils sont privés, comme elles, de la marque ostensive de virilité, qui est la barbe, pour l'accroissement de laquelle il faut apparemment un fluide nourricier plus plastique, tel que celui qui est préparé dans le corps des mâles, en un plus grand degré de force systaltique dans les solides en général ; force qui produit cet effet au menton & d'autres proportionnés, dans toutes les parties du corps, tels qu'une plus grande vigueur dans les muscles, plus d'activité dans les organes des secrétions, &c.

Ces conjectures sur les causes du défaut de barbe, semblent d'autant plus fondées, que l'on voit les hommes d'un tempérament délicat & comme féminin, n'avoir presque point ou très-peu de cette sorte de poil ; & au contraire, les femmes vigoureuses & robustes avoir au menton, sur la levre supérieure sur tout, des poils assez longs & assez forts pour qu'on puisse leur donner aussi le nom de barbe ; car on doit observer, à ce sujet, que toutes les femmes ont du poil sur ces parties du visage, comme sur plusieurs autres parties du corps ; mais que ce poil est ordinairement follet & peu sensible, sur-tout aux blondes ; que les hommes ont aussi du poil sur presque toutes les parties du corps, mais plus fort, tout étant égal, que celui des femmes ; qu'il en est cependant de celles-ci qui sont plus velues que certains hommes, dont il en est qui ont très-peu de poil, les eunuques sur-tout, à proportion qu'ils sont d'un tempérament plus délicat, plus efféminé, & vice versâ. C'est de cette observation qu'est né le proverbe, vir pilosus & fortis & luxuriosus : voilà par conséquent encore une sorte de correspondance entre les poils & les parties de la génération ; d'où on peut tirer une conséquence avantageuse à l'explication donnée : d'où on est toûjours plus en droit de conclure que la différente complexion semble faire toute la différence dans les deux sexes ; & que la complexion plus forte dans les hommes dépend principalement du recrément séminal. Mais sur toutes ces particularités, voyez POIL.

Nous finirons ces recherches sur la nature de la cause qui vient d'être établie, concernant les suites de la séparation de la liqueur spermatique, à l'égard de la voix sur-tout, en appuyant la théorie qui a été donnée de ces effets, par les observations suivantes. Les adultes à qui les testicules ont été emportés, par accident ou de toute autre maniere, deviennent efféminés, perdent peu-à-peu les forces du corps, la barbe ; en un mot leur tempérament dégénere entierement : mais le changement est sur-tout sensible par rapport à la voix, qui de mâle, de grave qu'elle étoit, devient grêle, aiguë, comme celle des femmes. Boerhaave, Comment. in propr. instit. §. 658. fait mention d'un soldat qui avoit éprouvé tous ces effets, après avoir perdu les testicules par un coup de feu. Les jeunes gens qui contractent la criminelle habitude d'abuser d'eux-mêmes par la mastupration : ou qui se livrent trop tôt & immodérément à l'exercice vénérien, en s'énervant par ces excès d'évacuation de semence dont ils frustrent la masse des humeurs, perdent souvent la voix, ou au moins discontinuent de la prendre grave, & si elle n'avoit pas encore eu le tems de devenir telle, elle reste grêle & aiguë comme celle des femmes, plus long-tems qu'il n'est naturel ; ce qui ne se répare quelquefois jamais bien, si la cause de ce desordre est devenue habituelle, parce que toutes les autres parties du corps restent foibles à proportion, &c. Voyez MASTUPRATION.

Les grandes maladies, qui causent un amaigrissement considérable, qui jettent dans le marasme, produisent aussi des changemens dans la voix, la rendent aiguë, grêle, dans ceux-mêmes qui l'avoient le plus grave ; changement qu'il faut bien distinguer, & qui est réellement bien différent de la foiblesse de la voix, qui est aussi très-souvent un autre effet des mêmes causes alléguées. Ces changemens du ton habituel de la voix, qui viennent d'être rapportés, ne pouvant être attribués qu'au défaut de réparation dans les parties solides, dans les fibres en général, & en particulier dans celles qui composent les bords de la glotte, dans lesquels la diminution de volume est proportionnée à celle qui se fait dans toutes les autres parties, ne laissent, ce semble, presqu'aucun doute sur la vérité de l'explication que l'on vient de proposer, qui paroît d'ailleurs être susceptible de quelque utilité, sans aucun inconvénient dans la pratique médicinale, par les conséquences ultérieures qu'elle peut fournir, concernant les différens effets des mêmes maladies comparées dans les deux sexes, dans les mâles enfans & adultes, dans les eunuques, concernant la disposition à certaines maladies, qui se trouve plus dans un de ces états que dans un autre : on se bornera ici à en citer un exemple, d'où on peut tirer la conséquence pour bien d'autres. Selon Pison, tome II. page 384. les eunuques & les femmes ne sont pas sujets à la goutte, non plus que les jeunes gens, avant de s'être livrés à l'exercice vénérien. En effet, les observations contraires sont très-rares, &c. Voyez SEMENCE, VOIX, UTTEUTTE. (d)

EUNUQUES, eunuchi, s. m. pl. (Hist. ecclés.) est aussi le nom qu'on donnoit à une secte d'hérétiques qui avoient la manie de se mutiler, non-seulement eux-mêmes & ceux qui adhéroient à leurs sentimens, mais encore tous ceux qui tomboient entre leurs mains.

Quelques-uns croyent que le zele inconsidéré d'Origene donna occasion à cette secte. Il est probable aussi qu'une fausse idée de la perfection chrétienne, prise d'un texte de S. Matthieu mal entendu, contribua à accréditer cette extravagance. On donna aussi à ces hérétiques le nom de Valésiens. Voyez VALESIENS. Chambers. (G)


EUOUAmot barbare formé des six voyelles qui entrent dans les deux mots saeculorum amen. C'est sur les lettres de ce mot qu'on trouve indiquées dans les pseautiers & les antiphoniers, les notes par lesquelles, dans chaque ton & dans les diverses modifications de chaque ton, il faut terminer les versets des pseaumes ou des cantiques. (S)


EUPATOIRES. f. eupatorium, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur composée de plusieurs fleurons, auxquels tiennent des filamens longs & fourchus. Ces fleurons sont découpés & portés sur des embryons, & soûtenus par un calice long, cylindrique, & écailleux : chaque embryon devient dans la suite une semence garnie d'une aigrette. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

EUPATOIRE FEMELLE, bidens, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs pour l'ordinaire en fleurons, composées de plusieurs pétales découpés qui tiennent à un embryon, & qui sont entourées d'un calice. Quelquefois il y a des fleurs en demi-fleurons : l'embryon devient une semence terminée par des pointes. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


EUPETALOS(Hist. nat.) pierre dont parle Pline, qui étoit de quatre couleurs, & que de Boot regarde comme une opale.


EUPHÉMIES. f. (Belles-Lettres) , mot composé de , bien, & , je dis ; nom des prieres que les Lacédémoniens adressoient aux dieux : elles étoient courtes & dignes du nom qu'elles portoient, car ils leur demandoient seulement ut pulchra bonis adderent : " qu'ils pussent ajoûter la gloire à la vertu ". Renfermer en deux mots toute la morale des philosophes grecs, pour en faire l'objet de ses voeux, cela ne pouvoit se trouver qu'à Lacédemone. Art. de M(D.J.)


EUPHÉMISMES. m. , de , bien, heureusement, & de , je dis. L'euphémisme est un trope, puisque les mots n'y sont pas pris dans le sens propre : c'est une figure par laquelle on déguise à l'imagination des idées qui sont ou peu honnêtes, ou desagréables, ou tristes, ou dures ; & pour cela on ne se sert point des expressions propres qui exciteroient directement ces idées. On substitue d'autres termes qui réveillent directement des idées plus honnêtes ou moins dures ; on voile ainsi les premieres à l'imagination, on l'en distrait, on l'en écarte ; mais par les adjoints & les circonstances, l'esprit entend bien ce qu'on a dessein de lui faire entendre.

Il y a donc deux sortes d'idées qui donnent lieu de recourir à l'euphémisme.

1°. Les idées deshonnêtes.

2°. Les idées desagréables, dures ou tristes.

A l'égard des idées deshonnêtes, on peut observer que, quelque respectable que soit la nature & son divin auteur, quelques utiles & quelques nécessaires même que soient les penchans que la nature nous donne, nous avons à les regler ; & il y a bien des occasions où le spectacle direct des objets & celui des actions nous émeut, nous trouble, nous agite. Cette émotion qui n'est pas l'effet libre de notre volonté, & qui s'éleve souvent en nous malgré nous-mêmes, fait que lorsque nous avons à parler de ces objets ou de ces actions, nous avons recours à l'euphémisme : par-là nous ménageons notre propre imagination ; & celle de ceux à qui nous parlons, & nous donnons un frein aux émotions intérieures. C'est une pratique établie dans toutes les nations policées, où l'on connoît la décence & les égards.

En second lieu, pour ce qui regarde les idées dures, desagréables, ou tristes, il est évident que lorsqu'elles sont énoncées directement par les termes propres destinés à les exprimer, elles causent une impression desagréable qui est bien plus vive que si l'on avoit pris le détour de l'euphémisme.

Il ne sera pas inutile d'ajoûter ici quelques autres réflexions, & quelques exemples en faveur des personnes qui n'ont pas le livre des tropes, où il est parlé de l'euphémisme, article 15. p. 164.

Les personnes peu instruites croyent que les Latins n'avoient pas la délicatesse dont nous parlons ; c'est une erreur.

Il est vrai qu'aujourd'hui nous avons quelquefois recours au latin ; pour exprimer des idées dont nous n'osons pas dire le nom propre en françois ; mais c'est que comme nous n'avons appris les mots latins que dans les livres, ils se présentent en nous avec une idée accessoire d'érudition & de lecture qui s'empare d'abord de l'imagination ; elle la partage ; elle l'enveloppe ; elle écarte l'image deshonnête, & ne la fait voir que comme sous un voile. Ce sont deux objets que l'on présente alors à l'imagination, dont le premier est le mot latin qui couvre l'idée obscène qui le suit ; au lieu que comme nous sommes accoûtumés aux mots de notre langue, l'esprit n'est pas partagé : quand on se sert des termes propres, il s'occupe directement des objets que ces termes signifient. Il en étoit de même à l'égard des Grecs & des Romains : les honnêtes gens ménageoient les termes, comme nous les ménageons en françois, & leur scrupule alloit même quelquefois si loin, que Ciceron nous apprend qu'ils évitoient la rencontre des syllabes, qui jointes ensemble, auroient pû réveiller des idées deshonnêtes : cum nobis non dicitur, sed nobiscum ; quia si ita diceretur, obsceniùs concurrerent litterae. (Orator. c. xlv. n. 154.)

Cependant je ne crois pas que l'on ait postposé la préposition dont parle Ciceron par le motif qu'il en donne ; sa propre imagination l'a séduit en cette occasion. Il y a en effet bien d'autres mots tels que tenus, enim, verò, quoque, ve, que, pour &, &c. que l'on place après les mots devant lesquels ils devroient être énoncés selon l'analogie commune.

C'est une pratique dont il n'y a d'autre raison que la coûtume, du moins selon la construction usuelle, dabat hanc licentiam consuetudo. Cic. orat. n. 155. c. xlvj. Car selon la construction significative, tous ces mots doivent précéder ceux qu'ils suivent ; mais pour ne point contredire cette pratique, quand il s'agit de faire la construction simple, on change verò en sed, & au lieu de enim, on dit nam, &c.

Quintilien est encore bien plus rigide sur les mots obscènes ; il ne permet pas même l'euphémisme, parce que malgré le voile dont l'euphémisme couvre l'idée obscène, il n'empêche pas de l'appercevoir. On il ne faut pas, dit Quintilien, que par quelque chemin que ce puisse être, l'idée obscène parvienne à l'entendement. Pour moi, poursuit-il, content de la pudeur romaine, je la mets en sûreté par le silence ; car il ne faut pas seulement s'abstenir des paroles obscènes, mais encore de la pensée de ce que ces mots signifient, Ego Romani pudoris more contentus, verecundiam silentio vindicabo. Quint. Just. l. VIII. c. 3. n. 3. Obscenitas verò non à verbis tantùm abesse debet, sed à significatione. Ib. l. VI. c. iij. DE RISU, n. 5.

Tous les anciens n'étoient pas d'une morale aussi sévere que celle de Quintilien ; ils se permettoient au moins l'euphémisme, & d'exciter modestement dans l'esprit l'idée obscène.

" Ne devrois-tu pas mourir de honte, dit Chremès à son fils, d'avoir eu l'insolence d'amener à mes yeux, dans ma propre maison, une... ? Je n'ose prononcer un MOT DESHONNETE en présence de ta mere, & tu as bien osé commettre une action infâme dans notre propre maison ".

Non mihi per fallacias, adducere ante oculos.... Pudet dicere hâc presente VERBUM TURPE, at te id nullo modo puduit facere. Terenc. Heaut. act. V. sc. jv. v. 18.

" Pour moi j'observe & j'observerai toûjours dans mes discours la modestie de Platon, dit Cicéron ".

Ego servo & servabo Platonis verecundiam. Itaque tectis verbis, ea ad te scripsi, quae apertissimis aiunt Stoici. Illi, etiam crepitus, aiunt aequè liberos ac ructus, esse opportere. Cic. l. IX. epist. 22.

Aequè eâdem modestiâ, potiùs cùm muliere fuisse, quam concubuisse dicebant. Varro, de ling. latin. l. V. sub fine.

Mos fuit res turpes & foedas prolata honestiorum convertier dignitate. Arnob. l. V.

C'étoit par la même figure qu'au lieu de dire je vous abandonne, je vous quitte ; les anciens disoient souvent, vivez, portez-vous bien, vivez forêts.

Omnia vel medium fiant mare, vivite sylvae,

Virg. E. VIII. v. 58.

Et dans Térence, And. act. IV. sc. ij. v. 13. Pamphile dit, " J'ai souhaité d'être aimé de Glycerie ; mes souhaits ont été accomplis ; que tous ceux qui veulent nous séparer SOIENT EN BONNE SANTE ". Valeant qui inter nos dissidium volunt. Il est évident que valeant n'est pas au sens propre ; il n'est dit que par euphémisme. Madame Dacier traduit valeant par s'en aillent bien loin ; je ne crois pas qu'elle ait bien rencontré.

Les anciens disoient aussi avoir vécu, avoir été, s'en être allé, avoir passé par la vie, vitâ functus. Fungi, or, signifie passer par, dans un sens métaphorique, être délivré de, s'être acquité de, au lieu de dire être mort. Le terme de mourir leur paroissoit en certaines occasions un mot funeste.

Les anciens portoient la superstition jusqu'à croire qu'il y avoit des mots dont la seule prononciation pouvoit attirer quelque malheur, comme si les paroles, qui ne sont qu'un air mis en mouvement, pouvoient produire naturellement par elles-mêmes quelqu'autre effet dans la nature, que celui d'exciter dans l'air un ébranlement qui, se communiquant à l'organe de l'oüie, fait naître dans l'esprit des hommes les idées dont ils sont convenus par l'éducation qu'ils ont reçûe.

Cette superstition paroissoit encore plus dans les cérémonies de la religion ; on craignoit de donner aux dieux quelque nom qui leur fût desagréable : c'est ce qui se voit dans plusieurs auteurs. Je me contenterai de ce seul passage du poëme séculaire d'Horace : " ô Ilythie, dit le choeur des jeunes filles à Diane, ou si vous aimez mieux être invoquée sous le nom de Lucine ou sous celui de Génitale "

Lenis Ilythia, tuere matres,

Sive tu Lucina probas vocari,

Seu Genitalis.

Horat. carm. saecul.

On étoit averti au commencement du sacrifice ou de la cérémonie, de prendre garde de prononcer aucun mot qui pût attirer quelque malheur ; de ne dire que de bonnes paroles, bona verba fari ; enfin d'être favorable de la langue, favete linguis, ou linguâ, ou ore ; & de garder plûtôt le silence que de prononcer quelque mot funeste qui pût déplaire aux dieux ; & c'est de-là que favete linguis signifie par extension, faites silence

Favete linguis. Horat. l. II. od. j.

Ore favete omnes. Virg. Aenéid. l. V. v. 71.

Dicamus bona verba, venit natalis, ad aras

Quisquis ades, linguâ, vir, mulierque fave.

Tibull. l. II. el. ij. v. 1.

Prospera lux oritur, linguisque, animisque favete,

Nunc dicenda, bono, sunt bona verba, die.

Ovid. Fast. l. I. v. 71.

Par le même esprit de superstition ou par le même fanatisme, lorsqu'un oiseau avoit été de bon augure, & que ce qu'on devoit attendre de cet heureux présage, étoit détruit par un augure contraire, ce second augure n'étoit pas appellé mauvais augure, on le nommoit l'autre augure, par euphémisme, ou l'autre oiseau ; c'est pourquoi ce mot alter, dit Festus, veut dire quelquefois contraire, mauvais.

ALTER & pro bono ponitur, ut in auguriis, altera cùm appellatur AVIS, quae utique prospera non est. Sie ALTER nonnunquam pro adverso dicitur & malo. Fest. voce ALTER.

Il y avoit des mots consacrés pour les sacrifices, dont le sens propre & littéral étoit bien différent de ce qu'ils signifioient dans ces cérémonies superstitieuses : par exemple, mactare, qui veut dire magis auctare, augmenter davantage, se disoit des victimes qu'on sacrifioit. On n'avoit garde de se servir alors d'un mot qui pût exciter dans l'esprit l'idée funeste de la mort ; on se servoit par euphémisme de mactare, augmenter, soit que les victimes augmentassent alors en honneur, soit que leur volume fût grossi par les ornemens dont on les paroit, soit enfin que le sacrifice augmentât l'honneur qu'on rendoit aux dieux.

De même au lieu de dire on brûle sur les autels, ils disoient, les autels croissent par des feux, adolescunt ignibus arae. Virg. Georg. l. IV. v. 379. car adolere & adolescere signifient proprement croître ; & ce n'est que par euphémisme qu'on leur donne le sens de brûler.

Nous avons sur ces deux mots un beau passage de Varron : Mactare verbum est sacrorum, dictum, quasi magis augere ac adolere, unde & magmentum, quasi majus augmentum ; nam hostiae tanguntur molâ salsâ, & tum immolatae dicuntur : cùm verò ictae sunt ; & aliquid & illis in aram datum est, mactatae dicuntur per laudationem, itemque boni hominis significationem. Varr. de vitâ pop. rom. l. II. dans les fragmens.

Dans l'Ecriture-sainte le mot de bénir est employé quelquefois au lieu de maudire, qui est précisément le contraire. Comme il n'y a rien de plus affreux à concevoir que d'imaginer quelqu'un qui s'emporte jusqu'à des imprécations sacrileges contre Dieu même, on se sert de bénir par euphémisme, & les circonstances font donner à ce mot le sens contraire.

Naboth n'ayant pas voulu rendre au roi Achab une vigne qui étoit de l'héritage de ses peres, la reine Jezabel, femme d'Achab, suscita deux faux témoins qui déposerent que Naboth avoit blasphémé contre Dieu & contre le roi : or l'Ecriture, pour exprimer ce blasphème, fait dire aux témoins que Naboth a béni Dieu & le roi : viri diabolici dixerunt contra eum testimonium coram multitudine ; benedixit Naboth Deum & regem. Reg. III. cap. xxj. v. 10. & 13. Le mot de bénir est employé dans le même sens au livre de Job, c. j. v. 5.

C'est ainsi que dans ces paroles de Virgile, auri sacra fames, se prend par euphémisme pour execrabilis. Tout homme condamné au supplice pour ses mauvaises actions, étoit appelle sacer, dévoüé ; de-là, par extension autant que par euphémisme, sacer signifie souvent méchant, exécrable : homo sacer is est quem populus judicavit, ex quo quivis homo malus atque improbus sacer appellari solet, parce que tout méchant mérite d'être dévoüé, sacrifié à la justice.

Cicéron n'a garde de dire au sénat que les domestiques de Milon tuerent Clodius : ils firent, dit-il, ce que tout maître eût voulu que ses esclaves eussent fait en pareille occasion. Cic. pro Milone, n. 29.

La mer Noire, sujette à de fréquens naufrages, & dont les bords étoient habités par des hommes extrèmement féroces, étoit appellée Pont-Euxin, c'est-à-dire mer hospitaliere, mer favorable à ses hôtes, , hospitalis. C'est ce qui fait dire à Ovide que le nom de cette mer est un nom menteur :

Quem tenet Euxini mendax cognomine littus.

Ovid. Trist. l. V. el. x. v. 13.

Malgré les mauvaises qualités des objets, les anciens qui personnifioient tout, leur donnoient quelquefois des noms flateurs, comme pour se les rendre favorables, ou pour se faire un bon présage ; ainsi c'étoit par euphémisme & par superstition, que ceux qui alloient à la mer que nous appellons aujourd'hui mer Noire, la nommoient mer hospitaliere, c'est-à-dire mer qui ne nous sera point funeste, où nous serons reçûs favorablement, quoiqu'elle soit communément pour les autres une mer funeste.

Les trois furies, Alecto, Tisiphone & Mégere, ont été appellées Euménides, , c'est-à-dire douces, bienfaisantes, benevolae. On leur a donné ce nom par euphémisme, pour se les rendre favorables. Je sai bien qu'il y a des auteurs qui prétendent que ce nom leur fut donné quand elles eurent cessé de tourmenter Oreste ; mais cette aventure d'Oreste est remplie de tant de circonstances fabuleuses, que j'aime mieux croire que les furies étoient appellées Euménides avant qu'Oreste fût venu au monde : c'est ainsi qu'on traite tous les jours de bonnes les personnes les plus aigres & les plus difficiles, dont on veut appaiser l'emportement ou obtenir quelque bienfait.

Il y a bien des occasions où nous nous servons aussi de cette figure pour écarter des idées desagréables, comme quand nous disons le maître des hautes-oeuvres, ou que nous donnons le nom de velours-maurienne à une sorte de gros drap qu'on fait en Maurienne, contrée de Savoie, & dont les pauvres Savoyards sont habillés. Il y a aussi une grosse étoffe de fil qu'on honore du nom de damas de Caux.

Nous disons aussi Dieu vous assiste, Dieu vous bénisse, plûtôt que de dire, je n'ai rien à vous donner.

Souvent pour congédier quelqu'un on lui dit : voilà qui est bien, je vous remercie, au lieu de lui dire, allez-vous-en. Souvent ces façons de parler, courage, tout ira bien, cela ne va pas si mal, &c. sont autant d'euphémismes.

Il y a, sur-tout en Medecine, certains euphémismes qui sont devenus si familiers qu'ils ne peuvent plus servir de voile, les personnes polies ont recours à d'autres façons de parler (F)


EUPHONIES. f. terme de Grammaire, prononciation facile. Ce mot est grec, , R R. , bene, & , vox ; ainsi euphonie vaut autant que voix bonne, c'est-à-dire prononciation facile, agréable. Cette facilité de prononciation dont il s'agit ici, vient de la facilité du méchanisme des organes de la parole. Par exemple, on auroit de la peine à prononcer ma ame, ma épée ; on prononce plus aisément mon ame, mon épée. De même on dit par euphonie ; mon amie, & même m'amie au lieu de ma amie.

C'est par la raison de cette facilité dans la prononciation, que pour éviter la peine que cause l'hiatus ou bâillement toutes les fois qu'un mot finit par une voyelle, & que celui qui suit commence par une voyelle, on insere entre ces deux voyelles certaines consonnes qui mettent plus de liaison, & par conséquent plus de facilité dans le jeu des organes de la parole. Ces consonnes sont appellées lettres euphoniques, parce que tout leur service ne consiste qu'à faciliter la prononciation. Ces mots prosum, profui, profueram, &c. sont composés de la préposition pro & du verbe sum ; mais si le verbe vient à commencer par une voyelle, on insere une lettre euphonique entre la préposition & le verbe ; le d est alors cette lettre euphonique, pro-d-est, pro-d-eram, pro-d-ero, &c. Ce service des lettres euphoniques est en usage dans toutes les langues, parce qu'il est une suite naturelle du méchanisme des organes de la parole.

C'est par la même cause que l'on dit m'aime-t-il ? dira-t-on ? Le t est la lettre euphonique ; il doit être entre deux divisions, & non entre une division & une apostrophe, parce qu'il n'y a point de lettre mangée : mais il faut écrire va-t'en, parce que le t est-là le singulier de vous. On dit va-t'en, comme on dit allez-vous en, allons-nous en. V. APOSTROPHE.

On est un abregé de homme ; ainsi comme on dit l'homme, on dit aussi l'on, si l'on veut : l interrompt le bâillement que causeroit la rencontre de deux voyelles, i, o, si on, &c.

S'il y a des occasions où il semble que l'euphonie fasse aller contre l'analogie grammaticale, on doit se souvenir de cette réflexion de Cicéron, que l'usage nous autorise à préférer l'euphonie à l'exactitude rigoureuse des regles : impetratum est à consuetudine, ut peccare suavitatis causâ liceret. Cic. Orat. c. xcvij. (F)


EUPHORBES. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante de la classe des tithymales ; elle est ainsi nommée, dit-on, d'Euphorbe, medecin du roi Juba, & frere du célebre Antoine Musa, medecin d'Auguste ; mais Saumaise a prouvé que cette plante étoit connue sous ce nom long-tems avant le medecin du roi de Lybie.

Voici ses caracteres : sa fleur, son fruit & son lait ressemblent à ceux du tithymale ; sa forme est anguleuse, de même que dans le cierge ; elle est ornée de piquans, & presque dénuée de feuilles. Boerhaave & Miller en comptent dix à douze especes, & ce dernier auteur y joint la maniere de les cultiver ; mais nous ne parlerons que de l'espece d'où découle la gomme dite euphorbe. Elle s'appelle euphorbium antiquorum verum dans Commellin, hort. med. Amst. 23. & par les Malais scadidacalli. Hort. malab. vol. II. tab. lxxxj. &c.

C'est un arbrisseau qui vient dans les terres sablonneuses, pierreuses & stériles des pays chauds, à la hauteur de dix piés & davantage. Sa racine est grosse, se plonge perpendiculairement dans la terre, & jette des fibres de tous côtés ; elle est ligneuse intérieurement, couverte d'une écorce brune en-dehors, & d'un blanc de lait en dedans. Sa tige qui est simple, a trois ou quatre angles ; elle est comme articulée & entrecoupée de différens noeuds, & les angles sont garnis d'épines roides, pointues, droites, brunes & luisantes, placées deux à deux. Elle est composée d'une écorce épaisse, verte-brune, & d'une pulpe humide, blanchâtre, pleine de lait, & sans partie ligneuse. Elle se partage en plusieurs branches dénuées de feuilles, à moins qu'on ne veuille donner le nom de feuilles à quelques petites appendice s rondes, épaisses, laiteuses, placées sur les bords seules à seules sous les épines, & portées sur des queues courtes, épaisses, applaties, vertes & laiteuses.

Les fleurs naissent principalement du fond des sinuosités qui se trouvent sur les bords anguleux & entre les épines ; elles sont au nombre de trois ensemble, portées sur un petit pédicule d'environ un demi-pouce, cylindrique, verd, laiteux, épais & droit. La fleur du milieu est la plus grande, & s'épanoüit la premiere, les autres ensuite, lesquelles sont sur la même ligne, portées sur de très-petits pédicules, ou même elles n'en ont point du tout.

Ces fleurs sont composées d'un calice d'une seule piece, renflé, ridé, coloré, partagé en cinq quartiers, & qui ne tombent pas ; elles ont cinq pétales de figure de poire, convexes, épais, placés dans les échancrures du calice, & attachés par leur base au bord du calice. Du milieu de ces fleurs s'élevent des étamines au nombre de cinq ou six, fourchues, rouges par le haut, sans ordre. Le pystil est un style simple qui porte un petit embryon arrondi, triangulaire, & chargé de trois stygmates. Lorsque les fleurs paroissent, les appendices feuillées ou ces petites feuilles tombent.

Il succede à ces fleurs des fruits ou des capsules à trois loges, applaties, laiteuses, vertes d'abord, & qui en partie rougissent un peu dans la suite, d'un goût astringent. Ces capsules contiennent trois graines rondes, cendrées extérieurement, blanchâtres intérieurement. On trouve souvent dans les sacs de peau dans lesquels on apporte la graine d'euphorbe, des fragmens de cette plante, des morceaux d'écorce, des capsules séminales & des fleurs desséchées, qui peuvent servir à confirmer la description qu'on vient de lire de cet arbuste.

Il croît en Afrique, en Lybie, aux îles Canaries, à Malabar, & dans d'autres endroits des Indes orientales. Il est par-tout rempli d'un suc laiteux, très-âcre & très-caustique, qui en distille dans quelque endroit qu'on y fasse une incision. On donne à ce suc caustique, desséché & endurci, le même nom de la plante. Voyez les deux articles suivans. Article de M(D.J.)

EUPHORBE, s. f. (Hist. nat. des drogues) gomme-résine en gouttes ou en larmes, sans odeur, d'un jaune-pâle ou de couleur d'or, brillantes ; tantôt rondes, tantôt oblongues, branchuës & caverneuses ; d'un goût très-âcre, caustique, & provoquant des nausées.

L'euphorbe ne se dissout point dans l'eau commune ; les huiles, l'esprit de terebenthine, l'esprit de vin, l'eau-de-vie, n'en dissolvent qu'une legere portion, & la plus huileuse. Le vin, le vinaigre, n'en dissolvent pas beaucoup davantage. L'esprit de nitre, l'esprit de vitriol, le pénetrent sans ébullition, & l'amollissent sans le dissoudre. Le suc de citron dépuré en dissout une partie gommeuse, & la sépare d'avec sa partie terrestre. Enfin l'huile de tartre en tire une forte teinture. Toutes ces diverses expériences ont fait mettre l'euphorbe au rang des gommes, & non des résines.

Le scadidacalli des Malabares paroît être l'arbrisseau qui donnoit l'euphorbe des anciens ; mais il est vraisemblable que celle qu'on reçoit en Europe, vient de plusieurs especes du même genre de plante ; car les Anglois tirent leur euphorbe des îles Canaries ; les Hollandois, de Malabar ; les Espagnols, les Italiens, les François, de Salé au royaume de Fez.

Dans tous ces pays là on perce l'arbrisseau de loin avec une lance ; ou bien on se couvre le visage pour faire ces incisions, afin d'éviter d'être incommodé par l'exhalaison subtile & pénétrante du suc laiteux, volatil & caustique qui sort de la plante en grande quantité. Ce suc est souvent reçû dans des peaux de moutons, où il se durcit en gomme jaune, tirant sur le blanc, friable, & qu'on nous apporte en petits morceaux.

On recommande de choisir l'euphorbe pure, nette, pâle, âcre, & d'une saveur brûlante. Article de M(D.J.)

EUPHORBE, (Pharm. & Mat. med.) Nous n'employons aujourd'hui cette gomme-résine que dans les préparations externes, & jamais dans celles qui sont destinées pour l'intérieur, à cause de sa grande causticité.

Quelques auteurs ont cependant prétendu la corriger ; soit en la faisant infuser dans de l'huile d'amandes douces, & ensuite dans du suc de citron ; soit en la faisant dissoudre dans du vinaigre, la filtrant & la rapprochant en consistance solide ; soit en l'enfermant dans un citron ou dans un coing, que l'on couvroit de pâte & qu'on faisoit cuire au four ; soit enfin en la faisant dissoudre dans de l'acide vitriolique foible, & la faisant dessécher : mais on peut dire que toutes ces corrections, ou sont insuffisantes, ou énervent le remede au point de le rendre inutile. Il est donc beaucoup plus sûr de ne point employer l'euphorbe pour l'usage intérieur ; puisque ses effets sont dangereux, & que d'ailleurs nulle observation particuliere ne nous engage à risquer ce danger en faveur de quelque vertu singuliere.

L'euphorbe est un violent purgatif hydragogue, qui, à la dose de quatre ou cinq grains, fait des ravages si étonnans, qu'on doit plus le regarder comme un poison, que comme un médicament : appliqué extérieurement, c'est un épipastique.

Mesué ne le recommande qu'à l'extérieur dans la résolution des nerfs, dans leur convulsion, leur engourdissement, leur tremblement, & toutes leurs autres affections, qu'il regardoit comme froides. Il le recommande aussi dans les douleurs de foie & de la rate : pour cet effet on le broye avec de l'huile, & on en frotte la région de ces visceres. Fernel dit que ce remede est excellent contre la scyatique & la paralysie. Herman dit qu'il s'en servoit avec succès pour fondre les tumeurs skirrheuses.

On vante beaucoup l'euphorbe pulvérisé dans la carie des os, & il est très-usité dans ce cas ; on saupoudre les os cariés avec l'euphorbe seul, ou mêlé avec partie égale d'iris de Florence, ou d'aristoloche ronde. Voyez CARIE.

L'euphorbe est un puissant sternutatoire ; on doit même éviter de s'en servir dans cette vûe, à cause de sa trop grande activité, qui est telle qu'il fait souvent éternuer jusqu'au sang. C'est aussi ce qui fait qu'il est très-incommode à pulvériser ; car pour peu qu'en respire le pileur, il est attaqué d'un éternument violent qui dure plusieurs heures : on a donc soin de l'arroser dans le mortier avec un peu d'huile d'olive ou d'amande douce, pour éviter cet inconvénient. Le mieux est, malgré cette ressource, de ne faire cette opération que dans un mortier couvert. Voyez PILER.

On prépare une huile d'euphorbe avec cinq onces de vin, dix onces d'huile, demi-once d'euphorbe, faisant cuire le tout jusqu'à ce que le vin & l'humidité soient exhalés. Cette huile peut être employée dans les maladies ci-dessus énoncées.

L'euphorbe entre dans l'onguent d'arthanita, & dans les emplâtres diabotanum, de ranis, & vésiccatoire. (b)


EUPHRADES. f. (Myth.) génie qui présidoit aux festins. L'on mettoit sa statue sur les tables pour s'exciter au plaisir.


EUPHRATE(Géog. anc. & mod.) grand fleuve qui prend sa source au mont Ararat dans l'Arménie, & se jette dans le golfe Persique, après s'être joint au Tigre.


EUPHRONES. f. (Myth.) déesse de la nuit. Son nom est composé de , bien, & de , conseil, c'est-à-dire qui donne bon conseil.


EUPHROSINES. f. (Myth.) l'une des trois graces, celle qui représente le plaisir.


EUPLOÉadj. pris subst. (Myth.) surnom de Vénus, protectrice des voyageurs par mer. Il y avoit sur une montagne près de Naples, un temple consacré à Vénus Euploé.


EURE(Géog. mod.) riviere qui prend sa source au Perche, en France ; elle se jette dans la Seine, un peu au-dessus du Pont-de-l'Arche.


EUREOS(Hist. nat.) pierre semblable à un noyau d'olive ; elle étoit striée ou remplie de cannelures. Boece de Boot croit que c'est la même chose que ce que les modernes appellent pierre judaïque.


EURIPES. m. (Belles-Lett.) nom qu'on donnoit aux canaux pleins d'eau, qui ceignoient les anciens cirques. Tous ceux de la Grece avoient leurs euripes ; mais celui du cirque de Sparte, formé par un bras de l'Eurotas, acquit ce nom par excellence. C'étoit-là que tous les ans les Ephebes, c'est-à-dire les jeunes Spartiates qui sortoient de leur seizieme année, se partageoient en deux troupes, l'une sous le nom d'Hercule, l'autre sous le nom de Lycurgue ; & que chacune entrant dans le cirque par deux ponts opposés, elles venoient se livrer sans armes un combat, où l'amour de la gloire excitoit dans ce moment entre les deux partis, une animosité qui ne différoit guere de la fureur. L'acharnement y étoit si grand, qu'à la force des mains ils ajoûtoient celle des ongles & des dents, jusqu'à se mordre, pour décider de la victoire ; jamais ce combat ne se terminoit, qu'un des deux partis n'eût jetté l'autre dans l'Euripe. Il faut entendre là-dessus Cicéron, qui eut la curiosité d'aller voir ce spectacle à Lacédémone. Voici ses propres termes : Adolescentium greges Lacedaemone vidimus ipsi, incredibili contentione certantes, pugnis, calcibus, unguibus, morsu denique, ut exanimarentur prius, quàm se victos faterentur.

Voilà comme les jeunes Lacédémoniens montroient ce qu'ils pourroient faire un jour contre l'ennemi. Aussi les autres peuples couroient à la victoire, quand ils la voyoient certaine ; mais les Spartiates couroient à la mort, quand même elle étoit assûrée, dit Séneque ; & il ajoûte, turpe est cuilibet viro fugisse, Laconi vero deliberasse ; c'est une honte à qui que ce soit d'avoir pris la fuite, mais c'en est une à un Lacédémonien d'y avoir seulement songé. Cet article est de M(D.J.)

EURIPE, (l') s. m. Géog. petit détroit de la mer Egée si serré, qu'à peine une galere y peut passer, sous un pont qui le couvre entre la citadelle & le donjon de Négrepont. Tous les anciens géographes, historiens, naturalistes, & les poëtes même, ont parlé du flux & du reflux de l'Euripe ; les uns selon le rapport qu'on leur en avoit fait, & les autres sans l'avoir peut-être considéré assez attentivement en divers tems & en divers quartiers de la Lune. Mais enfin le P. Babin jésuite nous en a donné, dans le siecle passé, une description plus exacte que celle des écrivains qui l'ont précédé ; & comme cette description est insérée dans les voyages de M. Spon, qui sont entre les mains de tout le monde, j'y renvoye le lecteur.

Le docteur Placentia, dans son Egeo redivivo, dit que l'Euripe a des mouvemens irréguliers pendant dix-huit ou dix-neuf jours de chaque mois, & des mouvemens réguliers pendant onze jours, & qu'ordinairement il ne grossit que d'un pié, & rarement de deux piés. Il dit aussi que les auteurs ne s'accordent pas sur le flux & le reflux de l'Euripe ; que les uns disent qu'il se fait deux fois, d'autres sept, d'autres onze, d'autres douze, d'autres quatorze fois en vingt-quatre heures : mais que Loirius l'ayant examiné de suite pendant un jour entier, il l'avoit observé à chaque six heures d'une maniere évidente, & avec un mouvement si violent, qu'à chaque fois il pouvoit faire tourner alternativement les roues d'un moulin. Hist. nat. génér. & part. tom. I. pag. 489. Voyez GOUFFRE.

J'ajoûterai seulement que S. Justin & S. Grégoire de Nazianze se sont trompés, quand ils ont écrit qu'Aristote étoit mort de chagrin de n'avoir pû comprendre la cause du flux & du reflux de l'Euripe ; car outre que l'histoire témoigne que ce philosophe accusé faussement d'impiété, & se souvenant de l'injustice faite à Socrate, aima mieux s'empoisonner que de tomber entre les mains de ses ennemis ; il n'est pas plus vraisemblable qu'un homme tel qu'Aristote soit mort de la douleur de n'avoir pû expliquer un phénomene de la nature, qu'il le seroit que cette raison abrégeât les jours d'un petit-maître. L'ignorance éclairée & l'ignorance abécédaire ne troublent pas plus l'une que l'autre la tranquillité de l'ame. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EURIPIDES. m. (Hist. anc.) coup de dés qui valoit quarante. Cette dénomination vient ou d'Euripide qui fut un des quarante magistrats qui succéderent aux trente tyrans, & qui l'institua ; ou de ses collegues, qui par affection pour lui, donnerent son nom à ce coup de dés victorieux.


EUROPE(Géog.) grande contrée du monde habité. L'étymologie qui est peut-être la plus vraisemblable, dérive le mot Europe du phénicien urappa, qui dans cette langue signifie visage blanc ; épithete qu'on pourroit avoir donné à la fille d'Agénor soeur de Cadmus, mais du moins qui convient aux Européens, lesquels ne sont ni basanés comme les Asiatiques méridionaux, ni noirs comme les Africains.

L'Europe n'a pas toûjours eu ni le même nom, ni les mêmes divisions, à l'égard des principaux peuples qui l'ont habité ; & pour les sous-divisions, elles dépendent d'un détail impossible, faute d'historiens qui puissent nous donner un fil capable de nous tirer de ce labyrinthe.

Mais loin de considérer dans cet article l'Europe telle que l'ont connue les anciens, dont les écrits sont parvenus jusqu'à nous, je ne veux dire ici qu'un seul mot de ses bornes.

Elle s'étend dans sa plus grande longueur depuis le cap de Saint-Vincent en Portugal & dans l'Algarve, sur la côte de l'Océan atlantique, jusqu'à l'embouchure de l'Obi dans l'Océan septentrional, par l'espace de 1200 lieues françoises de 20 au degré, ou de 900 milles d'Allemagne. Sa plus grande largeur, prise depuis le cap de Matapan au midi de la Morée jusqu'au Nord-Cap, dans la partie la plus septentrionale de Norwege, est d'environ 733 lieues de France de 20 au degré pareillement, ou de 550 milles d'Allemagne. Elle est bornée à l'orient par l'Asie ; au midi par l'Afrique, dont elle est séparée par la mer Méditerranée ; à l'occident par l'Océan atlantique, ou occidental, & au septentrion par la mer Glaciale.

Je ne sai si l'on a raison de partager le monde en quatre parties, dont l'Europe en fait une ; du moins cette division ne paroît pas exacte, parce qu'on n'y sauroit renfermer les terres arctiques & les antarctiques, qui bien que moins connues que le reste, ne laissent pas d'exister & de mériter une place vuide sur les globes & sur les cartes.

Quoi qu'il en soit, l'Europe est toûjours la plus petite partie du monde ; mais, comme le remarque l'auteur de l'esprit des lois, elle est parvenue à un si haut degré de puissance, que l'histoire n'a presque rien à lui comparer là-dessus, si l'on considere l'immensité des dépenses, la grandeur des engagemens, le nombre des troupes, & la continuité de leur entretien, même lorsqu'elles sont le plus inutiles & qu'on ne les a que pour l'ostentation.

D'ailleurs il importe peu que l'Europe soit la plus petite des quatre parties du monde par l'étendue de son terrein, puisqu'elle est la plus considérable de toutes par son commerce, par sa navigation, par sa fertilité, par les lumieres & l'industrie de ses peuples, par la connoissance des Arts, des Sciences, des Métiers, & ce qui est le plus important, par le Christianisme, dont la morale bienfaisante ne tend qu'au bonheur de la société. Nous devons à cette religion dans le gouvernement un certain droit politique, & dans la guerre un certain droit des gens que la nature humaine ne sauroit assez reconnoître, en paroissant n'avoir d'objet que la félicité d'une autre vie, elle fait encore notre bonheur dans celle-ci.

L'Europe est appellée Celtique dans les tems les plus anciens. Sa situation est entre le 9 & le 93 degré de longitude, & entre le 34 & le 73 de latitude septentrionale. Les Géographes enseigneront les autres détails au lecteur. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EUROPÉENadj. heures européennes, en Chronologie & Astronomie. Voyez HEURE.


EUROTAS(Géog. & Hist. anc.) riviere du Péloponese, ou de la Morée de nos jours, fameuse à plusieurs égards, & en particulier pour avoir baigné les murs de Sparte. On l'appelle aujourd'hui Vasilipotamos.

Les Lacédémoniens publierent que la déesse Vénus, après avoir passé ce fleuve, y avoit jetté ses brasselets & autres ornemens de femme dont elle étoit parée, & avoit pris ensuite la lance & le bouclier pour se montrer en cet état à Lycurgue, & se conformer à la magnanimité des dames de Sparte.

Ce fleuve est toûjours tellement semé de roseaux magnifiques, qu'il ne faut pas s'étonner qu'Euripide dans son Helene le surnomme Callidonax. Les jeunes Spartiates en faisoient usage pour coucher dessus, & même on les obligeoit d'aller les cueillir avec leurs mains sans couteau & sans autre instrument : c'étoit-là leurs matelas & leurs lits de plume.

L'Eurotas est encore, comme dans les beaux jours de la Grece, couvert de cygnes d'une si grande beauté, qu'on ne peut s'empêcher d'avoüer que c'est avec raison que les Poëtes lui ont donné l'épithete d'olorifer :

Taygetique phalanx, & oloriferi Eurotae

Dura manus.... dit Stace.

Autrefois cette riviere se partageoit en plusieurs bras ; mais aujourd'hui on seroit bien embarrassé de discerner celui qui s'appelloit Euripe, c'est-à-dire ce canal où se donnoit tous les ans le combat des Ephebes ; car le Vasilipotamos n'est guere plus gros en été près de Misitra, que ne l'est la riviere des Gobelins à Paris.

Mais admirons sur-tout la destinée de ce fleuve, par ce qu'en a dit Séneque. Hanc Spartam Eurotas amnis circumfluit, qui pueritiam indurat, ad futurae militiae patientiam : les Lacédémoniens y plongeoient leurs enfans, pour les endurcir de bonne-heure aux fatigues de la guerre, & les Turcs s'y baignent dans l'espérance de gagner le royaume des cieux. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EURYALÉS. f. (Myth.) une des trois gorgones, fille de Phorcys & soeur de Meduse ; elle n'étoit sujette ni à la vieillesse ni à la mort.


EURYNOMES. m. (Myth.) un des dieux infernaux ; il se repaissoit des cadavres. Il étoit représenté dans le temple de Delphes, par une statue noire, assise sur la peau d'un vautour, & montrant les dents.


EURYSTERNONadj. pris subst. (Myth.) qui a la poitrine large ; surnom de la Terre. Elle avoit un temple dans l'Achaïe, proche d'Egé. Sa prêtresse étoit veuve d'un seul mari, & ne pouvoit en épouser un autre.


EURYTHMIE(Arts lib.) c'est, en Architecture, Peinture, & Sculpture, selon Vitruve, une certaine majesté & élégance qui frappe dans la composition des différens membres ou parties d'un bâtiment, ou d'un tableau, qui résulte des justes proportions qu'on y a gardées. Voyez PROPORTION.

Ce mot est grec, & signifie littéralement une harmonie dans toutes les parties ; il est composé de , bien, & , rhythmus, cadence ou convenance des nombres, sons, & autres choses semblables. V. RHYTHMUS.

Cet auteur met l'eurithmie au nombre des parties essentielles de l'Architecture ; il la décrit comme une chose qui consiste dans la beauté de la construction, ou l'assemblage des différentes parties de l'ouvrage qui en rendent l'aspect agréable : par exemple, quand la hauteur répond à la largeur, & la largeur à la longueur, &c. Dict. de Trév. & Chambers.


EUSEBIES. f. (Myth.) c'est ainsi que les Grecs appelloient la Piété qu'ils avoient divinisée.


EUSEBIENSS. m. pl. (Hist. eccles.) nom qu'on donna dans le jv. siecle à une faction d'Ariens, à cause de la faveur & de la protection que leur obtint de l'empereur Constance, Eusebe d'abord évêque de Béryte, puis de Nicomédie, & enfin patriarche de Constantinople ; qu'il ne faut pas confondre avec Eusebe évêque de Césarée, que plusieurs écrivains ont aussi accusé d'Arianisme, mais que plusieurs autres ont tâché d'en justifier, mais qui ne fut jamais chef de parti. Voyez ARIANISME & ARIENS. (G)


EUSTACHE(L'ISLE DE SAINT-) Géog. mod. île de l'Amérique septentrionale : c'est la plus forte des Antilles, par sa situation. Long. 17. 40. lat. 16. 40.


EUSTATHIENSS. m. plur. (Hist. eccles.) est un nom que l'on donna aux catholiques d'Antioche, dans le quatrieme siecle, à l'occasion du refus qu'ils firent de ne recevoir aucun autre évêque que Saint Eustathe, que les Ariens avoient déposé.

Ce nom leur fut donné pendant l'épiscopat de Paulin, que les Ariens substituerent à Eustathe vers l'an 330, lorsqu'ils commencerent à tenir des assemblées particulieres. Vers l'an 350, Léontius de Phrygie appellé l'Eunuque, qui étoit Arien, & qui fut installé sur le siége d'Antioche, desira que les Eustathiens fissent leur service dans son église ; ce qui fut accepté : & ainsi l'église d'Antioche servit indifféremment aux Ariens & aux Catholiques.

Ce que nous venons de dire donna lieu à deux établissemens, qui ont toûjours subsisté depuis dans l'Eglise. Le premier fut la psalmodie à deux choeurs ; cependant M. Baillet croit que s'ils instituerent la psalmodie à deux choeurs, ce fut à deux choeurs de Catholiques, & non pas par maniere de réponse au choeur des Ariens. Le second fut la doxologie, Gloria Patri & Filio, & Spiritui sancto. Voyez DOXOLOGIE.

Cette conduite qui sembloit renfermer une espece de communion avec les Ariens, choqua beaucoup de Catholiques, qui commencerent à tenir des assemblées particulieres, & formerent ainsi le schisme d'Antioche.

S. Flavien évêque d'Antioche en 381, & Alexandre un de ses successeurs en 482, procurerent entre les Eustathiens & le corps de l'église d'Antioche, une réunion dont Théodoret a raconté les circonstances. Dict. de Trév. & Chambers. (G)

EUSTATHIENS, est aussi le nom donné à des hérétiques qui s'éleverent dans le quatrieme siecle, & qui tirerent leur nom d'un moine appellé Eustathius, si follement entêté de son état, qu'il condamnoit tous les autres états de vie. Baronius croit que c'est le même qu'un moine d'Arménie que S. Epiphane appelle Eutactus.

Les erreurs & les pratiques de cet hérésiarque que Socrate, Sozomene, & M. Fleury sur leur autorité, ont confondu avec Eustathe, évêque de Sébaste, qui vivoit aussi dans le quatrieme siecle, sont rapportées à ces chefs par les peres du concile de Gangres en Paphlagonie, tenu l'an 376. Eustathe & ses sectateurs y sont accusés ; 1°. de condamner le mariage, & de séparer les femmes d'avec leurs maris ; 2°. de quitter les assemblées publiques de l'Eglise, pour en tenir de particulieres ; 3°. de se reserver les oblations à eux seuls ; 4°. de séparer les serviteurs de leurs maîtres & les enfans de leurs parens, sous prétexte de leur faire mener une vie plus austere ; 5°. de permettre aux femmes de s'habiller en hommes ; 6°. de mépriser les jeunes de l'Eglise, & d'en pratiquer d'autres à leur fantaisie, même le jour du dimanche ; 7°. de croire qu'il étoit défendu en tout tems de manger de la viande ; 8°. de rejetter les oblations des prêtres mariés ; 9°. de mépriser les chapelles bâties en l'honneur des martyrs, leurs tombeaux, & les assemblées pieuses qu'y tenoient les fideles ; 10°. de soûtenir qu'on ne peut être sauvé sans renoncer effectivement à la possession de tous ses biens. Le concile fit contre ces erreurs & superstitions, vingt canons qui ont été insérés dans le code des canons de l'Eglise universelle. Dupin, Bibliot. des auteurs ecclésiast. du quatrieme siecle. Fleury, Hist. ecclésiast. tom. IV. liv. XVII. tit. xxxv. (G)


EUSTYLES. m. (Architect.) est une espece d'édifice dont les colonnes sont placées à la distance la plus convenable l'une de l'autre ; l'intervalle entre les deux colonnes étant précisément deux diametres & un quart d'une colonne, excepté celles qui sont dans le milieu des faces devant & derriere, qui sont éloignées les unes des autres de trois diametres.

Ce mot est grec & composé de , benè, bien, & de , colonne.

L'eustyle tient le milieu entre le picnostyle & l'aréostyle. Voyez PICNOSTYLE, &c.

Vitruve, liv. III. chap. ij. observe que l'eustyle est de toutes les manieres de placer les colonnes celle qu'on approuve le plus, & qu'elle surpasse toutes les autres en commodité, en beauté, & en force. Voy. le Dictionn. de Trév. & Chambers. (P)


EUSUGAGUEN(Géog. mod.) ville de la province d'Héa, au royaume de Maroc, en Afrique.


EUTERPES. f. (Mythol.) celle des muses qui présidoit aux instrumens à vent ; on la représentoit couronnée de fleurs, joüant de la double flûte, & ayant l'amour à ses genoux. On lui attribue l'invention de la tragédie ; & en conséquence, on ajoûte à ses attributs un masque & une massue.


EUTHANASIES. f. (Théol.) mort heureuse, ou passage doux & tranquille, sans douleur, de ce monde en l'autre. Voyez MORT.

Ce mot est formé du grec , benè, bien, & de , mort. (G)


EUTHENIES. f. (Mythol.) c'est ainsi que les Grecs appelloient l'abondance qu'ils avoient divinisée, mais qui n'eut jamais chez eux ni de temple ni d'autel.


EUTIM(Géog. mod.) ville du Holstein en Allemagne.


EUTYCHIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques qui refusoient d'admettre deux natures en Jésus-Christ, & qui tirerent leur nom d'Eutychès, archimandrite ou abbé d'un monastere célebre de Constantinople, & qui vivoit dans le cinquieme siecle.

L'aversion qu'Eutychès avoit pour le Nestorianisme le précipita dans un excès opposé & non moins dangereux. On croit que quelques passages de S. Cyrille d'Alexandrie, qui soûtint vivement l'unité de personne contre Nestorius, engagerent Eutychès à soûtenir l'unité de nature ; mais ces passages bien entendus ne lui sont nullement favorables, comme on peut voir dans M. Witasse, Traité de l'incarnation, part. II. quaest. vj. art. 1. sect. 3.

Cet hérésiarque soûtint d'abord que le Verbe, en descendant du ciel, avoit apporté son corps qui n'avoit fait que passer dans celui de la sainte Vierge, comme par un canal ; ce qui approchoit de l'hérésie d'Apollinaire. Mais il retracta cette proposition dans le synode de Constantinople, où sa doctrine fut d'abord condamnée par Flavien ; mais on ne put le faire convenir que le corps de Jesus-Christ fût de même substance que les nôtres ; au contraire, il paroît qu'il n'en admettoit qu'un phantastique, comme les Valentiniens & les Marcionites. Il n'étoit pas ferme & conséquent dans ses opinions, car il sembla qu'il reconnoissoit en Jesus-Christ deux natures, même avant l'union hypostatique ; conséquence qu'il tiroit apparemment des principes de la philosophie de Platon, qui suppose la préexistence des ames : aussi Eutychès croyoit-il que l'ame de Jesus-Christ avoit été unie à la divinité avant l'incarnation. Mais il ne voulut jamais admettre de distinction de deux natures en Jesus-Christ après l'incarnation, disant que la nature humaine avoit été alors absorbée par la nature divine, comme une goutte de miel qui, tombant dans la mer, ne périroit pas, mais seroit engloutie. Voyez la dissertation du pere Hardoüin de sacramento altaris, dans laquelle cet auteur développe très-nettement tous les sentimens des Eutychiens.

Quoique cette hérésie eût été condamnée dans le synode qui fut tenu à Constantinople en 448, & dont nous avons déjà parlé, Eutychès ne laissa pas que de trouver des partisans & des défenseurs : soûtenu du crédit de Chrysaphe, premier eunuque du palais impérial, de l'activité de Dioscore son ami, patriarche d'Alexandrie, & des fureurs d'un archimandrite syrien nommé Barsumas, il fit convoquer en 449 un concile à Ephese, qui n'est connu dans l'Histoire que sous le nom de brigandage, à cause des violences qu'y exercerent les Eutychiens, dont le chef y fut justifié ; mais son erreur fut examinée de nouveau & anathématisée dans le concile général de Chalcédoine tenu en 451 : les légats du pape S. Léon qui y assisterent, soûtinrent que ce n'étoit point assez de définir qu'il y a deux natures en Jesus-Christ ; mais ils insisterent fortement à ce que, pour ôter toute équivoque, on ajoûtât ces mots, sans être changées, confondues, ni divisées.

Mais cette décision du concile de Chalcédoine, quoiqu'elle fût l'ouvrage de plus de cinq à six cent évêques, n'arrêta pas les progrès de l'Eutychianisme : quelques évêques d'Egypte qui avoient assisté à ce concile, publierent ouvertement à leur retour, que S. Cyrille y avoit été condamné & Nestorius absous ; ce qui causa de grands desordres : plusieurs, par attachement à la doctrine de S. Cyrille, refusoient de se soûmettre aux decrets du concile de Chalcédoine, qu'ils y croyoient faussement opposés.

Cette hérésie qui fit de grands ravages dans tout l'Orient, se divisa à la longue en plusieurs branches. Nicéphore n'en compte pas moins de 12 ; les uns étoient appellés schematici ou apparentes, parce qu'ils attribuoient à Jesus-Christ un corps phantastique ; d'autres Théodosiens, du nom de Théodose, évêque d'Alexandrie ; d'autres Jacobites, du nom d'un certain Jacob ou Jacques, Jacobus, de Syrie ; cette branche s'établit elle-même en Arménie, où elle subsiste encore. Voyez JACOBITES.

Les autres principales sont celles des Théopaschites, qui prétendoient que dans la passion de J.C. c'étoit la divinité qui avoit souffert ; les Acéphales, c'est-à-dire sans chef ; les Sévériens, ainsi nommés d'un moine appellé Sévere, qui monta sur le siége d'Antioche en 513 ; on les appella encore Corrupticoles & Incorrupticoles. Voyez ces mots. Les Séveriens se partagerent encore en cinq factions, savoir les Agnoëtes ou Agnoïtes ; les partisans de Paul, , c'est-à-dire les noirs, les angélites ; enfin les Adriates & les Cononites. Trévoux, Chambers, & l'Hist. ecclesias. (G)

EUTYCHIENS, s. m. pl. (Hist. ecclesiast.) étoit aussi le nom d'une autre secte d'hérétiques moitié Ariens & moitié Eunomiens, qui commença à paroître à Constantinople dans le quatrieme siecle.

Les Eunomiens à Constantinople disputoient alors vivement entr'eux, savoir si le fils de Dieu connoît le jour & l'heure du jugement dernier ; les uns se fondoient principalement sur ce passage de l'évangile de S. Matth. chap. xxjv. vers. 36. ou plûtôt sur celui de S. Marc, chap. xiij. vers. 32. où il est dit que le fils ne le connoît pas, mais qu'il n'y a que le pere. Eutychius ne fit pas difficulté de soûtenir, même par écrit, que le fils connoissoit le dernier jour : ce sentiment déplaisant aux savans du parti d'Eunomius, il se sépara d'eux, & se retira vers Eunomius qui étoit alors en exil.

Cet hérétique pensa comme Eutychius, que le fils n'ignoroit rien de ce que le pere sait, & le reçut à sa communion. Eunomius étant mort bien-tôt après, le chef des Eunomiens à Constantinople refusa d'admettre Eutychius, qui pour cette raison forma une secte particuliere de ceux qui s'attacherent à lui, & qui furent nommés eutychiens.

Ce même Eutychius avec un certain Theophronius contemporain de Sozomene, furent les auteurs de tous les changemens que les Eunomiens firent dans l'administration du baptême : ils consistoient, selon Nicéphore, à le donner par une seule immersion, & à l'administrer, non pas au nom de la Trinité, mais en mémoire de la mort de Jesus-Christ.

Nicéphore appelle le chef de cette secte Eupsychius, & non Eutychius, & ses sectateurs Eunomioeupsychiens. V. EUNOMIOEUPSYCHIENS. Chamb. (G)


EVACUANTadj. (Thérapeutique & M. méd.) Le mot d'évacuant pris dans son sens le plus général, convient à tout médicament, ou à tout autre agent artificiel par le secours duquel on procure l'expulsion de quelqu'humeur ou de quelqu'excrément hors du corps humain.

Les évacuans se divisent en chirurgicaux & en pharmaceutiques. La classe des premiers comprend la saignée, les diverses scarifications, les sangsues, les vésicatoires, les cauteres, les setons, la paracenthese, l'ouverture des abcès, &c.

Les évacuans pharmaceutiques, qui sont plus connus sous ce nom que les précédens, sont des médicamens qui chassent hors du corps divers excrémens ramassés dans leurs réservoirs particuliers, & qui provoquent, augmentent ou entretiennent les excrétions.

Ces évacuans prennent différens noms, selon qu'ils affectent différens couloirs. On appelle vomitifs ceux qui agissent sur l'estomac, & déterminent son évacuation par la bouche ; purgatifs, ceux qui poussent les matieres par en-bas ; sudorifiques & diaphorétiques, ceux qui excitent les sueurs ou la transpiration ; diurétiques, ceux qui augmentent l'écoulement des urines ; expectorans, ceux qui provoquent les crachats ; salivans, ceux qui provoquent le flux de bouche ou l'excrétion de la salive ; errhins, ceux qui déterminent une évacuation séreuse par les narines. Voyez les articles particuliers.

Les anciens divisoient ces derniers évacuans en généraux & en particuliers. Les généraux, disoient-ils, évacuent efficacement une région particuliere, & par communication tout le reste du corps ; ils en reconnoissoient trois de cette espece, les vomitifs, les purgatifs, & les sudorifiques. Les particuliers étoient ceux qu'ils prétendoient n'évacuer qu'une certaine partie ; ainsi les diurétiques étoient censés décharger la partie convexe du foie ; les errhins le cerveau, &c. Mais cette division étoit vaine & absolument mal-entendue ; car il n'est aucune évacuation qui ne puisse être regardée comme générale dans un certain sens. La déplétion des vaisseaux, & sur-tout une détermination d'humeur vers un couloir quelconque (détermination qui constitue dans la plûpart des cas l'effet le plus intéressant des évacuations), pouvant procurer des changemens généraux dans le système entier des vaisseaux & sur toute la masse des humeurs, tandis que réciproquement l'évacuation de l'estomac, des intestins, & même celle de la peau, peuvent ne pas s'étendre au-delà de l'affection particuliere de ces parties, du moins par rapport à la matiere évacuée, & sans avoir égard à leurs actions organiques, que les anciens ne faisoient pas entrer en considération.

La division la plus générale des médicamens, est celle qui les distingue en évacuans & en altérans ; ceux-ci différent des premiers, que nous venons de définir, en ce qu'ils n'agissent que d'une façon bien moins sensible, soit sur les solides, soit sur les fluides, qu'ils sont censés affecter de plusieurs différentes façons. Voyez ALTERANT.

C'est principalement à-propos des évacuans que les Medecins se sont occupés de cette grande question de théorie thérapeutique ; savoir l'explication de cette propriété des divers médicamens, qui leur fait affecter certains organes plûtôt que d'autres, qui rend le tartre stibié vomitif, le sel de Glauber purgatif, le nitre diurétique, l'alkali volatil sudorifique, & le mercure salivant, &c. Voyez MEDICAMENT.

Quelles sont les affections, les symptomes, les signes qui indiquent ou qui contre-indiquent les évacuans ? Comment faut-il préparer les différens sujets ; & dans les différens cas, à l'administration des évacuans ? Ces problemes thérapeutiques ne peuvent se résoudre d'une maniere générale. Voyez les articles particuliers, sur-tout VOMITIF, PURGATIF, SUDORIFIQUE (b)


EVACUEREVACUER

Le terme d'évacuer s'employe ordinairement pour une espece de retraite volontaire, faite en vertu d'une capitulation ou de quelque traité de paix. (Q)


EVALUATIONS. f. (Gramm.) prix que l'on met à quelque chose, suivant sa valeur. On fait à la monnoie l'évaluation des especes, à proportion de leur poids & de leur titre. On fait faire par des arbitres l'évaluation des marchandises. En Hydraulique on appelle l'évaluation des eaux, le produit de leur dépense. Voyez DEPENSE.


EVALUERv. a. estimer une chose son juste prix.

EVALUER, (Architect.) c'est en général dans l'estimation des ouvrages, en régler le prix par compensation, eu égard à la matiere, à la forme, & même à des altérations, qui ayant été faites par ordre, ne sont plus en existence. (P)


EVANGÉLISER(Jurisp.) vieux terme du palais, qui signifioit vérifier un procès ou un sac, pour s'assurer s'il étoit complet. Cette vérification s'appelloit aussi évangile. Ces expressions, tout impropres qu'elles sont, avoient été adoptées par les anciennes ordonnances : celle de Louis XII. du mois de Mars 1498, art. 99. veut que les greffiers rendent aux parties leurs sacs & productions, après avoir grossoyé la sentence ; ou s'il en est appellé, les clorre & évangéliser. On auroit dû dire les évangéliser & les clorre, parce que la vérification du sac se faisoit avant de le clorre. C'étoit afin que les parties ne pûssent rien retirer de leurs productions, ni y ajoûter ; & que le juge d'appel vît sur quelles pieces on avoit jugé en premiere instance. François I. par son ordonnance donnée à Ys-sur-Thille au mois d'Octobre 1535, ch. xviij. art. 15. réitéra la même injonction aux greffiers, de faire porter les procès dont il avoit été appellé, clos, évangélisés & scellés, le plus diligemment que faire se pourroit, par un seul messager, si faire se pouvoit. Présentement cette évangélisation ou vérification ne se fait plus ; on rend aux parties leurs productions, sans les vérifier ni les clorre. Il est vrai qu'autrefois, avant de conclure un procès en la cour, on faisoit la collation ou vérification des pieces ; mais depuis long-tems, pour plus promte expédition, on reçoit le procès & on admet les parties à conclure, comme en procès par écrit : on ajoûte seulement à la fin de l'appointement de conclusions, ces mots, sauf à faire collation, c'est-à-dire sauf à vérifier si les productions principales sont complete s. Il y a encore quelques provinces où l'on se sert de ce terme évangéliser, pour dire vérifier, rendre authentique. Par exemple, en Limosin on appelle évangéliser un testament olographe, lorsqu'il est déposé chez un notaire, & rendu solemnel. Voyez ci-après EVANGILE & EVANGELISTE. (A)


EVANGÉLISTES. m. (Hist. littér.) On nomme ainsi dans les académies ou compagnies littéraires, celui des académiciens sur qui tombe le sort pour être témoin & inspecteur du scrutin, ou pour y tenir la place d'un officier absent ; ainsi il peut y avoir plusieurs évangélistes à un scrutin.

EVANGELISTES, adj. masc. plur. (Hist. ecclés. & Théolog.) terme particulierement consacré pour désigner les quatre apôtres que Dieu a choisis & inspirés pour écrire l'évangile ou l'histoire de Notre-Seigneur Jesus-Christ, & qui sont S. Matthieu, S. Marc, S. Luc, & S. Jean. Voyez EVANGILE.

Ce mot est composé d', bene, & d', j'annonce une nouvelle ; c'est-à-dire porteur de bonnes nouvelles. C'est dans ce sens que Cicéron dit à Atticus : ô suaves epistolas tuas uno tempore mihi datas duas : quibus evangelia quae reddam nescio, deberi quidem planè fateor.

Dans la primitive Eglise on donnoit aussi le nom d'évangéliste à ceux qui annonçoient l'évangile aux peuples, étant choisis pour cette fonction par les apôtres, qui ne pouvoient pas par eux-mêmes publier le christianisme par tout le monde. Mais ces évangélistes n'étoient point attachés à un troupeau particulier, comme les évêques ou les pasteurs ordinaires ; ils alloient par-tout où les envoyoient les apôtres, & revenoient vers eux quand ils s'étoient acquités de leur commission : aussi étoit-ce une fonction extraordinaire qui a cessé avec celle des apôtres, à moins qu'on ne veuille leur comparer nos missionnaires. Voyez MISSIONNAIRES.

Quelques interpretes pensent que c'est dans ce sens que le diacre S. Philippe est appellé évangéliste dans les actes des apôtres, ch. xxj. v. 8., & que S. Paul écrivant à Timothée, lui recommande (ch. jv. v. 5.) de remplir les fonctions d'évangéliste. Le même apôtre, dans son épître aux Ephésiens (ch. jv. v. 11.), met les évangélistes après les apôtres & les prophetes. M. de Tillemont a employé le mot évangéliste dans le même sens. " Beaucoup de ceux qui embrasserent alors la foi, dit cet auteur, remplis de l'amour d'une sainte philosophie, commencerent à distribuer leurs biens aux pauvres, & ensuite allerent en différentes contrées faire l'office d'évangélistes, prêcher Jesus-Christ à ceux qui n'en avoient pas encore entendu parler, & leur donner les livres sacrés des évangiles, &c. ". (G)

EVANGELISTES, (Jurisp.) suivant l'ancien style du palais, sont ceux qui vérifient un procès ou un sac, pour connoître si les productions sont complete s, & si l'on n'y a rien ajoûté ou retranché. Les notaires-secrétaires du roi près les cours de parlement, étoient autrefois ainsi nommés évangélistes, à cause qu'ils évangélisoient & vérifioient les procès, tant ceux qui étoient apportés en la cour, que ceux qui se mettoient sur le bureau, en les conférant ou collationnant avec le procès ou extrait du rapporteur. Ils sont ainsi appellés dans le style du parlement de Toulouse, par Gabriel Cayron, liv. IV. tit. x. pag. 670. On donne présentement ce nom aux conseillers qui font la fonction d'assistans près du rapporteur, pour vérifier s'il dit vrai. On nomme quelquefois deux rapporteurs pour une même affaire, & en ce cas le second est appellé évangéliste. Quand on rapporte un procès dans toutes les regles, il y a deux conseillers-assistans aux côtés du rapporteur, dont l'un tient l'inventaire, & l'autre les pieces ; & après que le rapporteur a exposé les faits & les moyens, l'un lit les clauses des pieces produites, l'autre les inductions qui en sont tirées. Dans les procès qui ont été vûs des petits commissaires, les commissaires tiennent lieu d'évangélistes à l'égard du rapporteur, attendu qu'ils ont déjà vû les pieces. On appelle aussi évangélistes à la chambre des comptes, les deux conseillers-maîtres qui sont chargés, l'un de suivre le compte précedent, l'autre de vérifier les acquits, pendant qu'un conseiller-auditeur rapporte un compte. Voyez EVANGILE & EVANGELISER. (A)


EVANGILES. m. (Théol.) du grec , heureuse nouvelle. C'est le nom que les Chrétiens donnent aux livres canoniques du nouveau Testament, qui contiennent l'histoire de la vie, des miracles, de la mort, de la résurrection & de la doctrine de Jesus-Christ, qui a rapporté aux hommes l'heureuse nouvelle de leur réconciliation avec Dieu.

Les églises grecque & latine, & les sociétés protestantes ne reconnoissent que quatre évangiles canoniques ; savoir ceux de S. Matthieu, de S. Marc, de S. Luc, & de S. Jean.

S. Matthieu écrivit le premier l'évangile vers l'an 41 de l'ere chrétienne, en hébreu ou en syriaque, qui étoit la langue vulgaire alors en usage dans la Palestine : on croit que ce fut à la priere des Juifs nouvellement convertis à la foi. S. Epiphane ajoûte que ce fut par un ordre particulier des apôtres. Le texte original de S. Matthieu fut traduit en grec de très-bonne heure. Quelques auteurs ecclésiastiques attribuent cette version à S. Jacques, d'autres à S. Jean : ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle est très-ancienne. La version latine ne l'est guere moins ; elle est exacte & fidele, mais le nom de son auteur est inconnu. Le texte hébreu se conservoit encore du tems de S. Epiphane & de S. Jérôme, & quelques savans ont prétendu qu'il s'est conservé parmi les Syriens ; cependant en comparant le syriaque qui subsiste aujourd'hui, avec le grec, il est aisé de se convaincre que le premier n'est qu'une traduction de celui-ci, comme le prouve M. Mille dans ses prolégomenes, pag. 1237 & suiv.

Quelques-uns ont conjecturé que S. Marc écrivit son évangile en latin, parce qu'il le composa à Rome sur ce qu'il avoit appris de S. Pierre, & pour satisfaire aux desirs des Chrétiens de cette Eglise : ce fut vers l'an 44 de Jesus-Christ. Cependant S. Augustin & S. Jérôme attestent que tous les évangiles, à l'exception de celui de S. Matthieu, avoient été écrits primitivement en grec ; & d'ailleurs du tems de S. Marc la langue greque n'étoit pas moins familiere à Rome que la latine. Au reste la dispute seroit bientôt terminée, s'il étoit sûr que les cahiers de l'évangile de S. Marc qu'on conserve à Prague, & l'évangile entier de cet apôtre, qu'on garde précieusement à Venise, sont l'original écrit de la main de S. Marc ; car le P. dom Bernard de Montfaucon, dans le journal de son voyage d'Italie, chap. jv. pag. 55 & suiv. atteste qu'après avoir soigneusement examiné ce dernier manuscrit, il a reconnu qu'il étoit écrit en caracteres latins. Au reste, comme ce n'est qu'en 1355 que l'empereur Charles IV. ayant trouvé à Aquilée l'original de S. Marc écrit, disoit-on, de sa main, en sept cahiers, il en détacha deux qu'il envoya à Prague ; & que l'original de Venise n'est conservé dans cette république que depuis l'an 1420, ainsi que M. Fontanini l'a prouvé dans une lettre au P. de Montfaucon, insérée dans le même journal, ces prétendus originaux ne décident rien contre l'antiquité & l'authenticité du texte grec, reconnue & attestée par les anciens peres.

S. Luc étoit originaire d'Antioche (où il fut converti par S. Paul), & par-là dès l'enfance exercé à parler & à écrire en grec, que le regne des Séleucides avoit rendu la langue dominante dans sa patrie. Il s'attacha à S. Paul, qu'il suivit dans ses voyages ; ce qui a fait penser à Tertullien que saint Paul étoit le véritable auteur de l'évangile qui porte le nom de S. Luc ; & à saint Grégoire de Nazianze, que saint Luc l'écrivit, se confiant sur le secours de S. Paul. D'autres ont prétendu qu'il l'écrivit sous la direction de S. Pierre. Mais on n'a aucune preuve positive de toutes ces assertions ; & S. Luc n'insinue nulle part que ces apôtres l'ayent porté à écrire, ni qu'ils lui ayent dicté son évangile. Estius & Grotius croyent que S. Luc écrivit son évangile vers l'an 63 de J. C. l'opinion la plus suivie & la mieux appuyée, est, qu'il l'écrivit en grec en faveur des églises de Macédoine & d'Achaïe, vers la 53e année de l'ere chrétienne. Son style est plus pur & plus correct que celui des autres évangelistes, quoiqu'on y rencontre des tours de phrase qui tiennent du syriaque sa langue maternelle, & même du génie de la langue latine, si l'on en croit Grotius dans ses prolégomenes sur cet évangéliste.

Les critiques ne sont pas d'accord sur l'année précise ni sur le lieu où saint Jean composa son évangile. Plusieurs ont avancé que ce fut à Ephese, après son retour d'exil dans l'île de Pathmos, une des Sporades dans la mer Egée, d'autres soûtiennent que ce fut à Pathmos même. Plusieurs manuscrits grecs portent qu'il l'écrivit trente-deux ans après l'Ascension de Jesus-Christ ; d'autres lisent trente, & d'autres lisent trente-un ans : les uns en fixent l'époque sous l'empire de Domitien, les autres sous celui de Trajan. L'opinion la plus commune est que l'évangile de S. Jean fut écrit après son retour de Pathmos, vers l'an 98 de Jesus-Christ, la premiere année de Trajan, soixante-cinq ans après l'Ascension du Sauveur, & que l'évangéliste étoit alors âgé d'environ quatre-vingt-quinze ans. Quoi qu'il en soit, aux instances de ses disciples, des évêques & des églises d'Asie, il se détermina à écrire son évangile, pour l'opposer aux hérésies naissantes de Cerinthe & d'Ebion, qui nioient la divinité du Verbe ; à l'incrédulité des Juifs, & aux idées des Platoniciens & des Stoïciens : quoique M. le Clerc & d'autres modernes croyent qu'il avoit emprunté de Platon ce qu'il dit du Verbe divin ; mais sa doctrine sur ce point est bien différente de celle des Platoniciens. Voyez PLATONICIENS.

S. Jean avoit écrit son évangile en grec, & on le conservoit encore en original dans l'église d'Ephese au septieme siecle, au moins au quatrieme, ainsi que l'atteste Pierre d'Alexandrie. Les Hébreux le traduisirent bientôt en hébreu, c'est-à-dire en syriaque, & la version latine remonte aussi jusqu'à l'antiquité la plus reculée.

La canonicité de ces quatre évangiles est démontrée par le soin & la vigilance avec lesquelles les églises apostoliques en ont conservé des exemplaires originaux ou des copies authentiques ; par les décisions de différens conciles ; & notamment de celui de Trente ; par le concours unanime des peres & des auteurs ecclésiastiques, à n'en point reconnoître d'autres ; & enfin par la confession même des sectes séparées de l'Eglise romaine. Les Sociniens même les reconnoissent, quoiqu'ils tentent d'en altérer le sens par des interprétations arbitraires & forcées. Voyez SOCINIENS.

Les hérétiques, sur-tout dans les tems les plus reculés, ne se sont pas contentés de rejetter tous ou quelques-uns de ces évangiles, où se trouvoit la réfutation de leurs erreurs ; mais ils en ont encore supposé de faux & d'apocryphes, qui fussent favorables à leurs prétentions. Au catalogue de ces évangiles apocryphes, nous joindrons sur chacun d'eux une observation abregée, mais suffisante pour en donner une idée au commun des lecteurs.

Entre ces évangiles apocryphes & sans autorité, dont les uns sont venus jusqu'à nous, & les autres sont entierement perdus, on compte :

1°. L'évangile selon les Hébreux.

2°. L'évangile selon les Nazaréens.

3°. L'évangile des douze Apôtres.

4°. L'évangile de S. Pierre.

Les critiques conjecturent que ces quatre évangiles ne sont que le même sous différens titres, c'est-à-dire l'évangile de S. Matthieu, qui fut corrompu de bonne-heure par les Nazaréens hérétiques ; ce qui porta les Catholiques à abandonner aussi de bonne-heure l'original hébreu ou syriaque de S. Matthieu, pour s'en tenir à la version greque, qu'on regardoit comme moins suspecte, ou moins susceptible de falsification.

5°. L'évangile selon les Egyptiens.

6°. L'évangile de la naissance de la sainte Vierge : on l'a en latin.

7°. L'évangile de S. Jacques, qu'on a en grec & en latin, sous le titre de protévangile de S. Jacques.

8°. L'évangile de l'enfance de Jesus : on l'a en grec & en arabe.

9°. L'évangile de S. Thomas : c'est le même que le précédent.

10°. L'évangile de Nicodème : on l'a en latin.

11°. L'évangile éternel.

12°. L'évangile de S. André.

13°. L'évangile de S. Barthelemi.

14°. L'évangile d'Apellés.

15°. L'évangile de Basilide.

16°. L'évangile de Cérinthe.

17°. L'évangile des Ebionites.

18°. L'évangile des Encratites, ou de Tatien.

19°. L'évangile d'Eve.

20°. L'évangile des Gnostiques.

21°. L'évangile de S. Marcion : c'est le même que celui qui est attribué à S. Paul.

22°. L'évangile de S. Paul : le même que celui de Marcion.

23°. Les petites & les grandes interrogations de Marie.

24°. Le livre de la naissance de Jesus, qu'on croit avoir été le même que le protévangile de S. Jacques.

25°. L'évangile de S. Jean, autrement livre du trépas de la sainte Vierge.

26°. L'évangile de S. Matthias.

27°. L'évangile de la perfection.

28°. L'évangile des Simoniens.

29°. L'évangile selon les Syriens.

30°. L'évangile selon Tatien : le même que celui des Encratites. Voyez ENCRATITES.

31°. L'évangile de Thadée, ou de S. Jude.

32°. L'évangile de Valentin, c'est le même que l'évangile de la vérité.

33°. L'évangile de vie, ou l'évangile du Dieu vivant.

34°. L'évangile de S. Philippe.

35°. L'évangile de S. Barnabé.

36°. L'évangile de S. Jacques le majeur.

37°. L'évangile de Judas Iscariote.

38°. L'évangile de la vérité, qui est le même que celui de Valentin.

39°. Les faux évangiles de Leucius, de Seleucus, de Lucianus, d'Hesychius.

Tel est le catalogue des évangiles apocryphes, que M. Fabricius nous a donné dans son ouvrage intitulé codex apocryphus novi Testamenti. Il s'agit maintenant d'en tracer une notice abrégée d'après ce savant écrivain & d'après le P. Calmet, dans sa dissertation sur les évangiles apocryphes.

I°. Les quatre premiers évangiles apocryphes, savoir l'évangile selon les Hébreux, l'évangile des Nazaréens, l'évangile des douze apôtres, & l'évangile de S. Pierre, paroissent n'avoir été que l'évangile même de S. Matthieu ; mais altéré par diverses particularités qu'y avoient inseré les chrétiens hébraïsans, & qu'ils disoient avoir apprises de la bouche des apôtres, ou des premiers fideles. Les Ebionites le corrompirent encore par des additions & des retranchemens favorables à leurs erreurs. Dès le tems d'Origene, cet évangile ainsi interpolé ne passoit plus pour authentique, & Eusebe le compte parmi les ouvrages supposés. Quelques peres en ont cité des passages, qui ne se trouvent ni dans le texte grec de S. Matthieu, ni dans le latin de la vulgate : par exemple, S. Jérôme sur l'épître aux Ephésiens, en rapporte cette sentence, Ne soyez jamais dans la joie, sinon lorsque vous voyez votre frere dans la charité : S. Clément d'Alexandrie (Stromat. lib. I.) en cite ces paroles, Celui qui admirera regnera, & celui qui regnera se reposera. Origene sur S. Jean fait dire à Jesus-Christ, suivant l'évangile des Hébreux : Ma mere, le S. Esprit m'a pris par un de mes cheveux, & m'a transporté sur la haute montagne du Thabor. S. Jerôme, liv. III. contre Pelage, ch. j. rapporte qu'on lisoit dans le même évangile, que la mere de Jesus & ses freres lui disoient : Voilà Jean qui baptise pour la rémission des péchés, allons nous faire baptiser par lui. Mais Jesus leur répondit : Quel mal ai-je fait pour me faire baptiser par lui ? si ce n'est que cela même que je viens de dire ne soit un péché d'ignorance. D. Calmet rapporte encore dans le corps de son commentaire, un assez bon nombre d'autres passages tirés de cet évangile, que les chrétiens hébraïsans nommoient aussi l'évangile des apôtres, prétendant l'avoir reçû du collége des apôtres. On l'appelloit aussi l'évangile des Nazaréens, parce qu'il étoit entre les mains des premiers Chrétiens nommés Nazaréens, de Nazareth, patrie de J. C. Ce nom qui n'avoit d'abord rien d'injurieux, le devint ensuite parmi les Chrétiens mêmes, qui l'appliquerent à une secte opiniâtrément attachée aux cérémonies de la loi, qu'elle croyoit absolument nécessaires au salut. L'évangile de S. Pierre étoit à l'usage des Docetes, hérétiques du ij. siecle, qui prétendoient que Jesus-Christ n'étoit né, n'avoit souffert, & n'étoit mort qu'en apparence. Voyez DOCETES & NAZAREENS. Quelques peres font aussi mention d'un ouvrage adopté par Héracléon ami de Valentin, & intitulé la prédication de S. Pierre, qui paroît avoir été le même que l'évangile de S. Pierre. Il ne nous reste des quatre évangiles dont nous venons de parler, que des fragmens cités par les peres & les interpretes. Le corps de ces ouvrages ne subsiste plus depuis très-longtems.

II. L'évangile selon les Egyptiens passe pour le plus ancien des évangiles purement apocryphes. Son existence est attestée par S. Clément pape, ep. ij. §. 12. S. Clément d'Alexandrie, stromat. lib. III. Saint Epiphane, heraes. 62. Saint Jérôme, proaem. in Matth. & d'autres écrivains ecclésiastiques. M. Grabe juge qu'il fut écrit par les chrétiens d'Egypte, avant que S. Luc eût écrit le sien ; & qu'il a en vûe l'ouvrage des Egyptiens, lorsqu'à la tête de son évangile il dit, que plusieurs avant lui avoient tenté d'écrire l'histoire des commencemens du Christianisme. M. Mille prétend qu'il a été composé en faveur des Esseniens qui, selon lui, furent les premiers & les plus parfaits chrétiens de l'Egypte. Quoi qu'il en soit, voici quelques traits singuliers de cet ouvrage. S. Clément pape cite de cet évangile, qu'un certain homme ayant demandé à Jesus-Christ quand le monde devoit finir, le Sauveur lui répondit : Lorsque deux ne seront qu'un, quand ce qui est au-dehors sera au-dedans, & lorsque l'homme & la femme ne seront ni mâle ni femelle. S. Clément d'Alexandrie ajoûte, & lorsque vous foulerez aux piés les habits de votre nudité. Au rapport de ce dernier auteur (stromat. lib. III.) on lisoit dans le même évangile, que Salomé ayant demandé à Jesus-Christ : Jusqu'à quand les hommes mourront-ils ? Jesus lui répondit : Tant que vous autres femmes produirez des enfans. J'ai donc bien fait de n'avoir point d'enfans, repliqua Salomé ? Mais le Sauveur lui dit : Nourrissez-vous de toutes sortes d'herbes, à l'exception de celle qui est amere. Clément d'Alexandrie en cite encore ces paroles : Je suis venu pour détruire les oeuvres de la femme, c'est-à-dire l'amour & la génération. Maximes dont les hérétiques des premiers tems, ennemis du mariage, & livrés aux excès les plus dénaturés, ne manquoient pas d'abuser. Cet évangile est absolument perdu, à l'exception des fragmens qu'on vient de lire.

III. L'évangile de la naissance de la Vierge. On en connoît jusqu'à trois ; & nous en avons encore deux entiers. Le principal est le protévangile attribué à S. Jacques le mineur, évêque de Jérusalem. On l'a en grec & en latin. Le second est l'évangile de la nativité de la Vierge, qu'on a en latin, & qui n'est qu'un abrégé du protévangile. Le troisieme ne se trouve plus. Mais S. Epiphane (haeres. 26. n. 12.) en cite un trait fabuleux & très-remarquable : c'est que Zacharie pere de Jean-Baptiste, étant dans le temple où il offroit l'encens, vit un homme qui se présenta devant lui avec la forme d'un âne. Etant sorti du temple, il s'écria : Malheureux que vous êtes, qu'est-ce que vous adorez ! Mais la figure qu'il avoit vûe lui ferma la bouche, & l'empêcha d'en dire davantage. Après la naissance de Jean-Baptiste, Zacharie ayant recouvré l'usage de la parole, publia cette vision ; & les Juifs pour l'en punir, le firent mourir dans le temple. C'est peut-être une pareille rêverie qui a fait penser à quelques payens, que les Juifs adoroient une tête d'âne ; comme le rapporte Tacite, lib. V. hist. Voy. cette conjecture développée par M. Morin, qui cite le trait rapporté par S. Epiphane, dans les mémoires de l'acad. des Inscriptions, tom. I. pag. 142. & suiv. Au reste, ces faux évangiles dont le protévangile paroît être l'original, sont très-anciens, puisqu'ils sont cités comme apocryphes par les peres des premiers siecles, & que Tertullien & Origene y font quelquefois allusion.

IV. L'évangile de l'enfance de Jesus a été fort connu des anciens. C'est un recueil des miracles qu'on suppose opérés par Jesus-Christ depuis sa plus tendre enfance, dans son voyage en Egypte, & après son retour à Nazareth jusqu'à l'âge de douze ans. Nous l'avons en arabe, avec une version latine d'Henri Sikius. M. Cotelier en a aussi donné un fragment en grec. Voici quelques échantillons des fables & des absurdités que contient ce faux évangile. On y rapporte la naissance de Jesus-Christ, avec ces circonstances : que Joseph ayant couru à Bethléem chercher une sage femme, & étant revenu avec elle à la caverne où Marie s'étoit retirée, il la trouva accouchée, & l'enfant enveloppé de langes & couché dans la crêche : que la sage-femme, qui étoit lépreuse, ayant touché l'enfant, fut aussi-tôt guérie de la lépre : que l'enfant fut circoncis dans la caverne, & son prépuce conservé par la même femme dans un vase d'albâtre, avec des onguens précieux ; & que c'est ce même vase qui fut acheté par Marie la Pécheresse, qui oignit les piés du Sauveur. On ajoûte que Jesus fut présenté au temple, accompagné d'anges qui l'environnoient comme autant de gardes : que les mages étant venus à Bethléem, suivant la prédiction de Zoroastre, Marie leur donna une des bandes, avec lesquelles elle enveloppoit le petit Jesus ; & que cette bande ayant été jettée dans le feu, en fut tirée entiere & sans avoir été endommagée. Suivent la fuite de la sainte famille & son séjour en Egypte. Ce séjour dure trois ans, & est signalé par une foule de miracles qui ne sont écrits nulle part ailleurs ; tels que ceux-ci : une jeune épousée qui étoit devenue muette, recouvra la parole en embrassant le petit Jesus : un jeune homme changé en mulet, reprit sa premiere forme : deux voleurs nommés Titus & Dumacus, ayant laissé passer Joseph & Marie sans leur faire de mal, Jesus-Christ leur prédit que l'un & l'autre seroit attaché en croix avec lui. De retour à Bethléem, il opere bien d'autres prodiges. Deux épouses d'un même mari avoient chacune un enfant malade : l'une s'adressa à Marie, en obtint une bandelette de Jesus, l'appliqua sur son fils, & le guérit. L'enfant de sa rivale mourut : grande jalousie entr'elles. La mere de l'enfant mort jette le fils de l'autre dans un four chaud ; mais il n'en ressent aucun mal : elle le précipite ensuite dans un puits, & on l'en retire sain & sauf. Quelques jours après, cette mégere tombe elle-même dans ce puits, & y périt. Une femme avoit un enfant nommé Judas, possédé du démon ; c'est Judas Iscariote : on l'apporta près de Jesus, à qui le possédé mordit le côté, & fut guéri ; c'est ce même côté qui fut percé de la lance à la passion. Un jour, des enfans joüant avec Jesus, faisoient de petits animaux d'argile ou de terre : Jesus en faisoit comme eux ; mais il les animoit, ensorte qu'ils marchoient, bûvoient, & mangeoient. Ce miracle est rapporté dans l'alcoran, sura 3. & 5. & dans le livre intitulé toldos Jesu. Joseph alloit avec Jesus par les maisons de la ville, travaillant de son métier de charpentier ou menuisier ; tout ce qui se trouvoit trop long ou trop court, Jesus l'accourcissoit ou l'allongeoit suivant le besoin. Jesus s'étant mêlé avec des enfans qui joüoient, les changea en boucs, puis les remet en leur premier état. Un jour de sabbat Jesus fit une petite fontaine avec de la terre, & mit sur ses bords douze petits moineaux de même matiere. On avertit Ananie que Jesus violoit le sabbat ; il accourut, & vit avec étonnement que les petits moineaux de terre s'envoloient. Le fils d'Ananie ayant voulu détruire la fontaine, l'eau disparut, & Jesus lui dit que sa vie disparoîtroit de même : aussi-tôt il sécha & mourut. On y raconte encore qu'un maître d'école de Jérusalem ayant souhaité d'avoir Jesus pour disciple ; Jesus lui fit diverses questions qui l'embarrasserent, & lui prouverent que son disciple en savoit infiniment plus que lui : ensuite Jesus récita seul l'alphabet ; le maître interdit l'ayant voulu frapper, sa main devint aride, & il mourut sur le champ. Enfin Jesus âgé de douze ans, paroît au temple au milieu des docteurs, qu'il étonna par ses questions & ses réponses, non-seulement sur la loi, mais encore sur la Philosophie, l'Astronomie, & sur toutes sortes de sciences. Joseph & Marie le ramenent à Nazareth, où il demeure jusqu'à l'âge de trente ans, cachant ses miracles & étudiant la loi. Tel est le précis des principales choses contenues dans le texte arabe, traduit par Sikius. Le fragment grec traduit par M. Cotelier, differe un peu quant à l'ordre des miracles & quant aux circonstances ; mais il renferme encore plus d'impertinences, & des contes plus ridicules.

V. L'évangile de Nicodème n'a pas été connu des anciens, pas même de Paul Orose & de Grégoire de Tours, qui ne le citent jamais sous ce titre, quoiqu'ils citent les actes de Pilate, avec lesquels l'évangile de Nicodème a beaucoup de conformité. De-là M. Fabricius, de apocryph. nov. Testam. p 215. conjecture avec beaucoup de vraisemblance, que ce sont les Anglois qui ont forgé l'évangile de Nicodème tel que nous l'avons, surtout depuis qu'ils ont voulu faire passer Nicodème pour leur premier apôtre. En effet le latin dans lequel cet ouvrage est écrit est très-barbare, & de la plus basse latinité. Il rapporte toute l'histoire du procès, de la condamnation, de la mort & de la résurrection de Jesus-Christ, avec mille circonstances fabuleuses ; & il finit par ces termes : Au nom de la très-sainte Trinité ; fin du récit des choses qui ont été faites par notre Sauveur Jesus-Christ, & qui a été trouvé par le grand Théodose empereur, dans le prétoire de Pilate, & dans les écrits publics. Fait l'an xjx de Tibere, le xvij. d'Hérode roi de Galilée, le 8. des calendes d'Avril, le 23. Mars de la ccij. olympiade, sous les princes des Juifs, Anne & Caïphe. Tout cela a été écrit en hébreu par Nicodème.

VI. L'évangile éternel est encore plus moderne : c'est la production d'un religieux mendiant du xiij. siecle ; elle fut condamnée par Alexandre IV. & brûlée, mais secrettement, de peur de causer du scandale aux freres. Cet auteur qui avoit tiré son titre de l'apocalypse, où il est dit, chap. xjv. 6. qu'un ange porte l'évangile éternel & le publie dans toute la terre & à tous les peuples du monde, prétendoit que l'évangile de Jesus-Christ, tel que nous l'avons, seroit aboli ou du moins abregé, comme la loi de Moyse l'a été par l'évangile, quant à ses cérémonies & à ses lois judicielles.

VII. L'évangile de S. André n'est connu que par le decret du pape Gélase, qui l'a relegué parmi les livres apocryphes.

VIII. L'évangile de S. Barthelemi fut aussi condamné par le pape Gélase. Saint Jérôme & Bede en font mention. D. Calmet pense que ce n'étoit autre chose que l'évangile de S. Matthieu, qui, selon Eusebe & quelqu'autres, avoit été porté dans les Indes par S. Barthelemi, où Pantaenus le trouva & le rapporta à Alexandrie. Mais si c'eût été l'évangile pur & non altéré de S. Matthieu, le pape Gélase l'auroit-il condamné ?

IX. L'évangile d'Apellés est connu dans Saint Jérôme & dans Bede, non comme un évangile nouveau, composé exprès par cet hérésiarque, mais, comme quelqu'un des anciens évangiles qu'il avoit corrompu à sa fantaisie, pour soûtenir & accréditer ses erreurs.

X. L'évangile de Basilide étoit en effet un ouvrage composé par ce chef de secte, & intitulé de la sorte par un homme qui proposoit sans détour ses visions & ses erreurs, sans vouloir les mettre à l'abri de quelque grand nom, comme faisoient les autres hérétiques, qui supposoient des évangiles sous le nom des apôtres. M. Fabricius conjecture que cet évangile de Basilide n'étoit autre chose qu'une espece de commentaire fait par cet hérésiarque sur les quatre évangiles, & distribué en vingt-quatre livres, dont on a quelques fragmens dans le spicilége de M. Grabe. Basilide se vantoit d'avoir appris sa doctrine de Glaucias interprete de S. Pierre, & la donnoit par conséquent avec confiance comme la doctrine même du chef des apôtres.

XI. L'évangile de Cérinthe est, selon S. Epiphane, haeres. 51. un de ceux qui avoient été écrits par les premiers chrétiens avant que Saint Luc écrivît le sien. Le même pere semble dire ailleurs que Cérinthe se servoit de l'évangile de S. Matthieu, altéré sans-doute relativement à ses erreurs. Et dans un autre endroit, il rapporte que les Alogiens attribuoient à ce novateur l'évangile de S. Jean. Mais l'erreur étoit grossiere, puisque S. Jean n'écrivit son évangile que pour combattre l'hérésie de Cérinthe. Il ne nous reste plus rien de l'évangile de ce dernier. Voyez ALOGIENS.

XII. L'évangile des Ebionites étoit l'évangile de S. Matthieu, aussi altéré en plusieurs endroits, pour favoriser leur dogme contraire à la divinité de J. C. par exemple celui-ci, qu'après avoir été baptisé par Jean-Baptiste, Jesus-Christ étant sorti de l'eau, le saint-Esprit parut sur lui & entra en lui sous la forme d'une colombe ; alors on oüit une voix du ciel qui disoit : Vous êtes mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis ma complaisance : & encore, je vous ai engendré aujourd'hui. Il nous reste encore quelques autres fragmens peu considérables de cet évangile, cité par S. Epiphane, haeres. 30. chap. xv. n°. 16 & 21. Voyez EBIONITES.

XIII. L'évangile des Encratites n'étoit que les quatre évangiles fondus en un seul par Tatien ; & selon Théodoret, haeretic. fabul. lib. I. cap. xx. les catholiques des provinces de Syrie & de Cilicie s'en servoient aussi bien que les Encratites. Au reste il n'étoit pas reconnu par l'Eglise pour authentique. Voyez ENCRATITES.

XIV. L'évangile d'Eve étoit en usage parmi les Gnostiques, & contenoit beaucoup d'obscénités, dont on peut voir le détail dans S. Epiphane, haeres. 26. n. 2. 3. 5. 8. & 11. Voyez GNOSTIQUES.

XV. L'évangile des Gnostiques étoit moins un livre particulier, qu'une collection de tous les évangiles faux & erronnés, composés avant eux ou par eux-mêmes : tels que les évangiles d'Eve, de Valentin, d'Apellés, de Basilide, de l'enfance de Jesus, &c.

XVI. L'évangile de Marcion n'étoit que l'évangile de Saint Luc, tronqué & altéré suivant la fantaisie de Marcion & de ses sectateurs. On a des exemples de ces altérations dans Tertullien, dans Saint Epiphane ; & D. Calmet les a remarquées exactement dans son commentaire sur les évangiles. Voyez MARCIONITES.

XVII. L'évangile de Saint Paul est moins un livre réel & apocryphe, qu'une falsification de titre de la façon des Marcionites, qui attribuoient à Saint Paul l'évangile de Saint Luc. L'erreur au reste eût été peu importante, s'ils n'eussent corrompu dans des matieres essentielles l'évangile même de Saint Luc, le seul qu'ils admettoient, mais défiguré à leur maniere.

XVIII. Les Interrogations de Marie. Les Gnostiques avoient deux livres de ce nom ; l'un intitulé, les grandes Interrogations de Marie, l'autre, les petites Interrogations de Marie. Ces deux ouvrages étoient également un tissu d'infamies écrites par ces fanatiques, dont le culte consistoit principalement en impuretés monstrueuses.

XIX. Le livre de la Naissance du Sauveur étoit un ouvrage apocryphe que le pape Gélase condamna sous un même titre, avec celui de la Vierge & de la Sage-femme. Don Calmet conjecture que c'étoit à-peu-près le même que le protévangile de S. Jacques, où l'on raconte la naissance du Sauveur, & l'épreuve que la Sage-femme voulut faire de l'intégrité de Marie après l'enfantement.

XX. L'Evangile de S. Jean, ou le livre du trépas de la Vierge, est condamné dans le decret de Gelase, & se trouve encore en grec dans quelques bibliotheques : quelques manuscrits l'attribuent à S. Jacques, frere du Seigneur, & d'autres à S. Jean l'Evangéliste.

XXI. L'Evangile de Saint Matthias est connu par les peres, qui n'en ont cité que le nom : on a aussi des actes apocryphes de S. Matthias, & des traditions ou maximes qu'on croit extraites du faux évangile qui couroit autrefois sous le nom de cet apôtre, & dont plusieurs anciens hérétiques, entr'autres les Carpocratiens, abusoient pour autoriser leurs erreurs. Voy. CARPOCRATIENS.

XXII. L'Evangile de la perfection ; ouvrage obscene, production des Gnostiques, qui avoient le front de se donner ce nom, qui à la lettre signifie un homme parfait, quoiqu'ils fussent, par leurs déréglemens, les plus abominables de tous les hommes.

XXIII. L'Evangile des Simoniens, ou des disciples de Simon le Magicien, étoit distribué en quatre livres ou tomes remplis d'erreurs & d'extravagances imaginées par ces hérétiques qui combattoient la création, la providence, le mariage, la génération, la loi, & les prophetes. C'est tout ce qu'on en sait par les constitutions apostoliques, liv. VI. ch. xvij, & par la préface des canons arabiques du concile de Nicée, tome II. concil. pag. 386. Voyez SIMONIENS.

XXIV. L'Evangile selon les Syriens, dont l'existence a été attestée par S. Jérôme & par Eusebe, étoit probablement le même que l'évangile des Nazaréens, ou l'évangile hébreu de S. Matthieu, dont se servoient les Chrétiens de Syrie & des provinces voisines ; & nous avons déjà remarqué que ces deux évangiles n'étoient pas entierement purs & sans altération.

XXV. L'Evangile de Tatien étoit une espece de concorde des quatre évangiles. Tatien, qui, après avoir été disciple de S. Justin, étoit tombé dans l'erreur, avoit retranché les généalogies & tout ce qui prouvoit que Jesus-Christ étoit né de la race de David selon la chair : cette altération ne se trouvant pas dans l'harmonie ou concorde qui porte le nom de Tatien, dans les bibliotheques des peres, montre que ce n'est point le véritable évangile de Tatien, mais l'harmonie d'Ammonius d'Alexandrie. Tatien écrivit son évangile en grec, & il est perdu. Théodoret en parle haeretic. fabular. lib. I. c. xx.

XXVI. L'Evangile de Thadée ou de S. Jude, se trouve condamné dans le decret du pape Gelase : M. Fabricius doute qu'il ait jamais existé ; & l'on n'en connoît aucun exemplaire.

XXVII. L'Evangile de Valentin ou des Valentiniens, qui l'appelloient aussi l'évangile de vérité, étoit un recueil de tous leurs dogmes, ou plûtôt de leurs impertinences. Voici comme il débutoit : l'ame, ou la pensée, d'une grandeur indestructible, ou indéfectible par son élévation, souhaite le salut aux indestructibles qui sont parmi les prudens, les psychiques, ou les animaux, les charnels & les mondains : je vais vous parler de choses ineffables, secrettes, & qui sont élevées au-dessus des cieux, qui ne peuvent être entendues ni par les principautés, ni par les puissances, ni par les sujets, ni par aucuns autres que par l'entendement immuable, &c. Tout le reste étoit du même ton emphatique. S. Epiphane nous a détaillé les rêveries des Valentiniens, haeres. 31. leur chef prétendoit tenir sa doctrine de Theudas, ami de S. Paul. Voyez VALENTINIENS.

XXVIII. L'Evangile de vie ou l'évangile vivant, étoit à l'usage des Manichéens, sur le témoignage de Photius, cod. 85. Voyez MANICHEENS.

XXIX. L'Evangile de S. Philippe : les Manichéens s'en servoient encore. Les Gnostiques en avoient aussi un sous le même titre. S. Epiphane, haeres. 26. n°. 13. en rapporte ce fragment, où l'on entrevoit les abominations de ces hérétiques : le Seigneur m'a découvert ce que l'ame devoit dire lorsqu'elle seroit arrivée dans le ciel, & ce qu'elle devoit répondre à chacune des vertus célestes. Je me suis reconnue & recueillie ; & je n'ai point engendré d'enfans au prince de ce monde, au démon ; mais j'ai extirpé ses racines : j'ai réuni les membres ensemble : je connois qui vous êtes, étant moi-même du nombre des choses célestes ; ayant dit ces choses, on la laisse passer : que si elle a engendré des enfans, on la retient jusqu'à ce que ses enfans soient revenus à elle, & qu'elle les ait retirés des corps qu'ils animent sur la terre. Voyez GNOSTIQUES.

XXX. L'Evangile de S. Barnabé. Tout ce qu'on en sait, c'est qu'un ouvrage composé sous ce titre, apparemment par des hérétiques, est mis au nombre des livres apocryphes, & condamné comme tel par le pape Gelase.

XXXI. L'Evangile de S. Jacques le Majeur. Il fut, dit-on, découvert en Espagne, en 1595, sur une montagne du royaume de Grenade, avec dix-huit livres écrits sur des plaques de plomb, dont quelques-unes étoient de cet apôtre ; entr'autres une messe des apôtres avec son cérémoniel, & une histoire évangélique. Le pape Innocent XI. condamna tous ces faux écrits en 1682.

XXXII. L'Evangile de Judas Iscariote avoit été composé par les Caïnites, pour soûtenir leurs impiétés. Ils reconnoissoient un premier principe, ou une vertu supérieure à celle du créateur, & disoient que Caïn, les Sodomites, Coré, & Judas Iscariote lui-même, qui seul entre les apôtres avoit connu ce mystere d'iniquité, avoient combattu en faveur de ce premier principe, contre la vertu du créateur. On voit qu'ils n'étoient pas délicats sur le choix de leurs patriarches. Ce faux évangile, dont les anciens ont beaucoup parlé, est absolument perdu. Voyez CAÏNITES.

XXXIII. L'Evangile de la vérité, est le même que celui de Valentin ou de ses disciples, dont nous avons parlé plus haut.

XXXIV. Les faux Evangiles de Leucius, Lucianus, Seleucus, & Hezychius, sont ou de simples corruptions des vrais évangiles, ou quelques-uns des évangiles apocryphes dont nous venons de rendre compte. M. Grabe, dans ses notes sur S. Irénée, liv. I. chapitre xvij. dit qu'il a trouvé dans la bibliotheque du collége de Christ, à Oxford, un exemplaire du faux évangile de Lucius ; & il en rapporte un fragment, qui contient l'histoire du maître d'école de Jérusalem, narrée dans l'évangile de l'enfance de Jesus. Voyez ci-dessus, article IV.

Nous ne pouvons mieux terminer ce détail emprunté & abrégé de la dissertation de Don Calmet, sur les évangiles apocryphes, que par une réflexion qui est toute à l'avantage des quatre évangiles que l'Eglise catholique, & même les sectes chrétiennes, reconnoissent pour authentiques. Outre que ceux-ci ont pour eux le témoignage uniforme & constant d'une société toûjours subsistante depuis plus de dix-sept siecles, intéressée à discerner & à conserver les monumens qui contiennent le dépôt de sa créance & de sa morale, & qu'elle n'a jamais manqué de réclamer contre l'introduction des faux évangiles, soit en les condamnant & les excluant de son canon, soit en les combattant par la plume des peres, soit en montrant la nouveauté de leur origine, soit en remarquant les caracteres de supposition qui les distinguent des livres divinement inspirés, soit enfin en montrant l'opposition qui regne entre sa doctrine & les erreurs des évangiles apocryphes : il suffit de jetter de bonne foi les yeux sur les uns & sur les autres, pour se convaincre que la sagesse & la vérité ont présidé à la composition des livres saints admis par l'église, tandis que les faux évangiles sont évidemment l'ouvrage du fanatisme & du mensonge. Les mysteres contenus dans les évangiles authentiques sont à la vérité au-dessus de la raison, mais ils ne sont ni extravagans ni indignes de la majesté de Dieu, comme les rêveries qu'on rencontre dans les évangiles apocryphes. Les miracles racontés par nos évangélistes ont tous une fin bonne, loüable, & sainte, & moins encore la santé des corps que la sainteté des ames, la conversion des pécheurs, la manifestation de la vérité. Les prodiges imaginés par les falsificateurs ne semblent faits que pour l'ostentation : les circonstances puériles & ridicules dont ils sont accompagnés, suffisent pour les décréditer. Enfin la doctrine des moeurs est si belle, si pure, si sainte dans les écrits des apôtres, qu'elle est l'objet de l'admiration de ceux mêmes qui la pratiquent le moins ; & la morale des faux évangélistes est marquée au coin de la débauche & de l'infamie. Ce parallele seul suffiroit à tout esprit sensé, pour décider, quand nous n'aurions pas d'ailleurs une certitude de traditions & de témoignages les plus respectables, pour constater l'origine & l'authenticité de nos évangiles. (G)

EVANGILE, (Hist. ecclés.) est aussi le nom que les Grecs donnent à leur livre d'office, où sont contenus, selon l'ordre de leur calendrier & de leur année ecclésiastique, les évangiles qu'ils lisent dans leurs églises, dont le premier est l'évangile de S. Jean qu'ils lisent de suite, à la reserve de trois jours qu'ils prennent d'un autre évangile, & ils commencent cette lecture le dimanche de Pâques, lisant ce jour-là : in principio erat verbum, & ainsi de suite. Ils commencent le lendemain de la Pentecôte l'évangile de S. Matthieu qu'ils continuent, à la reserve de quelques jours qu'ils prennent d'un autre évangéliste ; c'est ce qu'on peut voir traité assez au long par Allatius, dans sa I. Dissertation des livres ecclésiastiques qui sont en usage chez les Grecs. Chambers. (G)

* EVANGILES, adj. pris substantiv. (Mythol.) fêtes que les Ephésiens célébroient en l'honneur d'un berger qui leur avoit indiqué les carrieres d'où l'on tira les marbres qui furent employés à la construction du temple de Diane ; ce berger s'appelloit Pixodore. On changea son nom en celui de l'Evangéliste ; on lui faisoit tous les mois des sacrifices ; on alloit en procession à la carriere. On dit que ce fut le combat de deux béliers qui donna lieu à la découverte de Pixodore : l'un de ces deux beliers ayant évité la rencontre de son adversaire, celui-ci alla si rudement donner de la tête contre une pointe de rocher qui sortoit de terre, que cette pointe en fut brisée ; le berger ayant considéré l'éclat du rocher, trouva que c'étoit du marbre. Au reste, on appelloit ailleurs évangiles ou évangélies, toutes les fêtes qu'on célébroit à l'occasion de quelque bonne nouvelle : dans ces fêtes, on faisoit des sacrifices aux dieux ; on donnoit des repas à ses amis, & l'on réunissoit toutes les sortes de divertissemens.

EVANGILE, (Jurisprud.) dans l'ancien style du palais, signifioit la vérification que les greffiers font des procès qu'ils reçoivent, pour s'assûrer si toutes les pieces y sont. Le terme d'évangile a été ainsi employé abusivement dans ce sens, pour exprimer une chose sur la vérité de laquelle on devoit compter comme sur une parole de l'évangile. L'ordonnance de Charles IX. du mois de Janvier 1575, art. 4. à la fin, enjoint aux greffiers de donner tous les sacs des procès criminels, informations, enquêtes, & autres choses semblables, aux messagers, jurés, & reçus au parlement, & ajoûte que pour l'évangile, lesdits greffiers auront sept sols 6 deniers tournois seulement ; & la cour, par son arrêt de vérification, ordonna que lesdits greffiers, ou leurs commis, seroient tenus de clorre & de corder tout-à-l'entour les sacs, & les sceller en sorte qu'ils ne puissent être ouverts, dont ils seront payés par les parties, pour les clorre, évangéliser, corder & sceller, à raison de 6 sols parisis pour chaque procès ; ainsi d'évangile on a fait évangéliser ; on a aussi tiré de-là le mot évangéliste. Voyez ci-devant EVANGELISER & EVANGELISTE. (A)


EVANOUIRv. n. (Algebre) On dit que l'on fait évanoüir une inconnue d'une équation, quand on la fait disparoître de cette équation, en y substituant la valeur de cette inconnue. Voyez EQUATION.

Quand il y a plusieurs inconnues dans un problème, une des difficultés de la solution consiste à faire évanoüir les inconnues, qui empêchent de reconnoître la nature & le degré de ce problème. (E)

Avant que de parler des opérations par lesquelles on fait évanoüir les inconnues, il est nécessaire de dire un mot de celle par laquelle on fait évanoüir les fractions. Rien de plus simple ; on reduit toutes les fractions au même dénominateur (voyez FRACTION) ; on donne ce même dénominateur aux quantités non fractionnaires qui peuvent se trouver dans l'équation, ensuite on supprime ce dénominateur, ce qui est permis, puisque des quantités qui sont égales étant divisées par une même, sont égales entr'elles. Par exemple, soit a + x/h + x2/c - f = k/h, on aura a h (c - f)/h (c - f) + x (c - f)/h (c - f) + x2 h/h (c - f) = k (c - f)/h (c - f) ; & a h c - a h f + x c - x f + x2 h = k c - k f. Voyez REDUCTION, CONSTRUCTION, &c.

Il est bon aussi de dire un mot de l'opération par laquelle on fait évanoüir les radicaux, lorsqu'ils ne sont que du second degré. Par exemple, si on a a + = x2, on aura x2 - a = x, & (x2 - a)2 = x ; de même si on a a + x = x2 + y, on aura d'abord (x2 - a + )2 = x, équation qu'on peut changer en celle-ci (x2 - a)2 + y + 2 (x2 - a) = x ; & = y ; on voit évidemment que par cette méthode on fera disparoître à chaque opération au moins un radical, & qu'ainsi on les fera successivement disparoître tous. A l'égard du cas où il y a plusieurs radicaux de différente espece, nous en parlerons plus bas. (O)

Cela posé, si l'on a deux équations, & dans chacune de ces équations une quantité inconnue d'une dimension, on peut faire évanoüir l'une de ces deux inconnues, en faisant une égalité de ses différentes valeurs tirées de chaque équation ; par exemple, si l'on a d'une part a + x = b + y, & d'une autre part c x + d y = 4 g ; de la premiere équation on tirera x = b + y - a, & l'on déduira de la seconde x = (4 g - d y)/c, ce qui donnera cette équation b + y - a = (4 g - d y)/c, d'où x est évanoüie.

Si la quantité qu'il s'agit de faire évanoüir est d'une dimension dans une des équations, & qu'elle en ait plusieurs dans l'autre, il faut substituer dans cette autre équation la valeur de cette inconnue, prise dans la premiere : par exemple, si l'on avoit x y y = a3 & x3 + y3 = b b y - a a x, on tireroit de la premiere équation x = a3/ (y y) ; & mettant cette valeur en la place de x dans la seconde équation, elle deviendroit a9/ y6 + y3 = b b y - a5/ (y y), où x ne paroît plus.

Quand il arrive que dans aucune des deux équations, la quantité inconnue n'est d'une seule dimension, il faut trouver dans chaque équation la valeur de la plus grande puissance de cette inconnue ; & si ces puissances ne sont pas les mêmes, on multipliera l'équation qui contient la plus petite puissance de cette inconnue par la quantité que l'on se propose de faire évanoüir, ou par son quarré ou son cube, &c. jusqu'à ce que cette quantité ait la même puissance qu'elle a dans l'autre équation : après quoi l'on fait une équation des valeurs de ces puissances ; d'où résulte une nouvelle équation, dans laquelle la plus haute puissance de la quantité que l'on veut faire évanoüir, est diminuée de quelque degré, & en répétant une pareille opération, l'on fera évanoüir enfin cette quantité : par exemple, si x x + a x = b y y, & a x y - c x x = d3, & qu'il s'agisse de faire évanoüir x, la premiere équation donnera x x = b y y - a x, & la seconde produira x x = (a x v - d3)/ c ; d'où naîtra cette équation b y y - a x = (a x y - d3)/ c, dans laquelle x est réduite à une dimension ; on peut par conséquent la faire évanoüir, en suivant la méthode que l'on a déjà expliquée.

Pareillement, si y3 = x y y + a b x, & y y = x x - x y + c c, pour faire évanoüir y, on multipliera la derniere équation par y, qui deviendra alors y3 = y x x - x y2 + c c y, de même dimension que la premiere ; ainsi x y y + a b x = y x x - x y2 + c c y, où y est réduite à deux dimensions. Ensuite par le moyen de cette derniere équation & de la plus simple des équations données y y = x x - x y + c c, on pourra faire évanoüir entierement y, en observant ce qui a été dit ci-dessus.

S'il y a plusieurs équations & autant de quantités inconnues, alors pour faire évanoüir une quantité inconnue, il faut aller par degrés. Supposons que les équations a x = y z, x + y = z, 5 x = y + 3 z, & que l'on veuille faire évanoüir z, de la premiere équation a x = y z, on tire x = (y z)/a ; & substituant cette valeur de x dans la seconde ou la troisieme équation, on aura les équations (y z)/a + y = z, & (5 y z)/a = y + 3 z ; d'où l'on peut enfin faire évanoüir z, comme ci-dessus.

Quand la quantité inconnue a plusieurs dimensions, il est quelquefois fort embarrassant de la chasser ; mais les exemples suivans, que l'on peut regarder comme autant de regles, diminueront beaucoup le travail.

1°. x étant évanoüie des équations a x x + b x + c = 0, & f x x + g x + h = 0, il vient X a h + X b f + X c = 0.

2°. La même inconnue x étant évanoüie des équations a x3 + b x x + c x + d = 0, & f x x + g x + h = 0, on en tire X a h h + X f h + X + X d f = 0.

3°. Les équations a x4 + b x3 + c x x +d x +e = 0, & f x x + g x + h = 0, dont on fera évanoüir x, donneront X a h3 + X b f h h + X X d f h + X e f f - X e f g g = 0, &c.

Par exemple, pour faire évanoüir x, ou pour la chasser des équations x x + 5 x - 3 y y = 0, & 3 x x - 2 x y + 4 = 0, on substituera respectivement dans la premiere regle, pour les quantités a, b, c, & f, g, h, les quantités 1, 5, - 3 y y & 3, - 2 y, + 4, en observant très-exactement de mettre, comme il convient, les signes + & - ; ce qui donnera X 4 + X 15 + X - 3 y y = 0, ou 16 + 40 y + 72 y y + 300 - 90 y3 + 69 y4 = 0.

De même, pour chasser y des équations y3 - x y y - 3 x = 0, & y y + x y - x x + 3 = 0, on n'a qu'à substituer dans la seconde regle, pour les quantités a, b, c, d, f, g, h, les quantités suivantes 1, - x, 0, - 3 x ; 1, x, - x x +3 ; & il vient X - X - + 3 x x X x x + X - 3 x = 0 ; effaçant ensuite ce qui se détruit, & multipliant, on a 27 - 18 x x + 3 x4, - 9 x x + x6, + 3 x4, - 18 x2, + 12 x4 = 0. Enfin ordonnant les termes, l'équation devient x6 + 18 x4 - 45 x x + 27 = 0.

Ces regles, qui se trouvent dans l'arithmétique universelle de M. Newton, peuvent être appliquées & portées à des degrés quelconques ; mais alors le calcul devient très-pénible, quoiqu'il y ait eu quelques personnes qui se soient donné la peine de chercher une regle générale, pour chasser d'une équation des quantités inconnues élevées à des degrés quelconques. Mais l'application de la regle générale aux cas particuliers est souvent beaucoup plus embarrassante, qu'il ne le seroit de faire évanoüir les inconnues par la méthode ordinaire.

M. Newton n'a point démontré comment il a découvert ces regles, parce qu'elles sont une conséquence très-simple de ce qui a été dit ; par exemple, on a dans le premier cas x x + (b x)/a + c/a = 0 ; & x x + (g x)/f + h/f = 0, par conséquent (b x)/a + c/a = (g x)/f + h/f : d'où l'on tire x = (a h - c f)/(b f - a g) ; & si l'on met cette valeur de x dans l'équation a x x + b x + c = 0, on trouvera + + c = 0 ; & après avoir délivré cette équation de fractions, & l'avoir réduite à ses plus simples termes, elle deviendra X a h + X b f + X c = 0. Les deux autres regles se découvriront de la même maniere ; mais le travail croîtra à proportion des degrés des inconnues. (E)

A ces méthodes, pour faire évanoüir les inconnues, nous ajoûterons les observations suivantes.

Si l'on a, par exemple, y3 = x y y + a b x & y3 = q x x + f x y + c3, c'est-à-dire deux équations où y monte au même degré ; on aura d'abord x y y + a b x = q x x + f x y + c3 ; équation où y ne monte plus qu'au second degré, & d'où l'on tire y y = (q x x + f x y + c3 - a b x)/x, & y3 = (y q x x + f x y2 + c y3 - a b x y)/x = q x x + f x y + c3 = x y y + a b x ; on aura donc les deux équations,

x y y + a b x = q x x + f x y + c3,

x y y + a b x = (y q x x + f x y2 + c y3 - a b x y)/x,

qui ne montent plus qu'au second degré, & qu'on abaissera à un degré plus bas, par la méthode employée ci-dessus pour abaisser les deux équations données du troisieme degré à deux autres du second. Cet exemple bien entendu & bien médité suffira pour enseigner à résoudre tous les autres ; car en général ayant deux équations en y du degré m, ou qu'on peut mettre toutes deux au degré m, si on veut faire évanoüir y, on tirera d'abord de la comparaison des deux équations données une équation du degré m - 1, d'où l'on tirera une valeur de y(m - 1) en y(m - 2) ; & cette valeur de y(m - 1) étant substituée dans l'une des deux équations primitives, on aura une nouvelle équation en y(m - 1). Ainsi, au lieu des deux équations primitives en ym, on en aura deux en y(m - 1), sur lesquelles on opérera de même, & ainsi de suite.

Lorsqu'on sera arrivé à deux équations où y ne sera plus qu'au second degré, on peut, par la méthode précédente, abaisser encore ces équations à deux du premier, & alors le problème n'aura aucune difficulté ; ou bien on peut résoudre ces équations du second degré par la méthode ordinaire (voyez EQUATION), comparer ensuite les valeurs de y qui en résulteront, ôter enfin les radicaux du second degré par la méthode expliquée plus haut ; & il n'y aura plus qu'une inconnue sans radicaux.

On peut encore s'y prendre de la maniere suivante, pour faire en général évanoüir y de deux équations quelconques ; on remarquera que les deux équations doivent avoir un diviseur commun ; on supposera donc qu'elles en ayent un ; on divisera la plus haute équation par la seconde, la seconde par le reste, le premier reste par le second, &c. suivant les regles connues pour trouver le plus grand diviseur commun de deux quantités (voyez DIVISEUR), jusqu'à ce qu'on arrive à un reste qui ne contienne plus de y ; on fera ce reste = 0, & on aura l'équation cherchée où il n'y aura plus qu'une inconnue. Ce reste supposé égal à zéro, donnera diviseur pour commun aux deux équations l'équation linéaire ou du premier degré en y, qui dans ce cas aura été le diviseur de la derniere opération.

Quand il y a plus de deux inconnues, par exemple, x, y, z, &c. on réduit d'abord les inconnues à une de moins ; on fait évanoüir x ou y, &c. en traitant z & les autres comme une constante ; ensuite on réduit les inconnues restantes à une de moins, & ainsi du reste. Cela n'a aucune difficulté.

Dès qu'on sait réduire toutes les inconnues à une seule, il n'y a plus de difficulté pour faire évanoüir les radicaux quelconques, par exemple, soit + = a, & x + = c, on fera = z, ou x = z2, = t, ou y + a = t3, = q, ou y + b = q5, & on aura les équations suivantes : x = z2, y + a = t3, y + b = q5, z + t = a, x + q = c, desquelles on fera évanoüir t, z, q, ce qui les réduira à des équations sans radicaux, où il n'y aura plus que x & y. Voyez RADICAL, RACINE, EXTRACTION, &c.

Au reste il y a bien des cas où l'on peut par de simples élevations de puissances faire évanoüir les radicaux ; ainsi la méthode précédente n'est que pour les cas dans lesquels ces élevations de puissances ne suffiroient pas, ou demanderoient trop de dextérité pour être employées d'une maniere convenable. (O)


EVANOUISSEMENTEVANOUISSEMENT

ÉVANOUISSEMENT, subst. masc. (Médecine) foiblesse qui saisit la tête & le coeur d'un animal, qui suspend tous ses mouvemens, & lui dérobe les objets sensibles. Ce mot répond à l' d'Hippocrate, & présente absolument la même idée. L'évanoüissement a ses degrés ; les deux extrèmes sont la défaillance & la syncope. Voyez SYNCOPE & DEFAILLANCE.

Les évanoüissemens sont beaucoup plus rares parmi les brutes, que dans l'espece humaine ; la tête, dans les brutes a moins de sympathie avec le coeur. La Nevrographie comparée de Willis expliqueroit aisément ce phénomène ; mais elle ne s'accorde pas avec les observations de Lancisy, dans son traité de corde & anevrysmatibus, prop. 47. & suiv. Il suffit d'admettre que les nerfs cardiaques différent dans l'homme & dans les autres animaux, comme M. de Senac l'insinue, dans son Traité du coeur, tome I. p. 126. Il est dangereux de croire avec Willis, chap. xxij. de sa Description des nerfs, que ces variétés de l'origine des nerfs cardiaques constituent les différences de l'esprit dans l'homme, le singe, & les autres quadrupedes.

Tout ce qui corrompt & qui épuise le sang ou les esprits animaux ; tout ce qui trouble les fonctions du cerveau, ou les mouvemens du coeur, peut anéantir, pour quelque tems, les sensations & les forces de l'animal.

Les causes les plus ordinaires de l'évanoüissement de la part des fluides, sont une diminution subite & considérable de la masse du sang, par de grandes hémorrhagies, des évacuations abondantes, par les sueurs ou par les selles ; la raréfaction du sang, par des bains chauds, par des enyvrans, par des sudorifiques ; une trop grande quantité de ce fluide, qui se porte vers la tête ou le coeur, & dont ces organes ne peuvent se débarrasser, comme dans les sujets pléthoriques, dans ceux qui arrêtent imprudemment une évacuation critique, ou qui, après s'être échauffés, boivent à la glace, & prennent des bains frais ; la dégénération du sang, & peut-être des esprits que produisent les morsures venimeuses, les poisons, les narcotiques, le scorbut, la cachexie, les pâles couleurs, les fievres intermittentes, les fievres pourprées & pestilentielles, &c. le défaut des esprits, dont quelque obstacle empêche la secrétion, ou l'influx vers le coeur ; les exercices violens, le manque de nourriture, les passions vives, les études pénibles, l'usage immodéré des plaisirs, & leur extrème vivacité ; une situation perpendiculaire ou trop renversée, peut jetter les malades dans des défaillances, en empêchant le sang de monter dans les carotides, ou de revenir par les jugulaires. Lower croit que la sérosité qui se sépare du plexus-choroïde, au lieu d'être reçue dans l'entonnoir, peut, quand la tête est trop panchée en arriere, tomber dans le quatrieme ventricule, & presser la moëlle allongée : mais on ne peut soûtenir ce systême, à moins de supposer la rupture des vaisseaux lymphatiques, qui partant du plexus-choroïde, vont se terminer à la glande pituitaire, vaisseaux que Cowper a décrits dans l'appendice de son Anatomie.

Charles Pison dit que la fluxion de la sérosité du cerveau sur le nerf de la sixieme paire implanté dans le coeur, est la cause de la plus funeste de toutes les syncopes qui détruit l'homme dans un instant. Il faut remarquer que la huitieme paire du cerveau, ou la paire vague est la même que celle qui est désignée par la sixieme paire de Charles Pison. Galien ne reconnoissoit que sept paires de nerfs du cerveau ; Vesal en a connu dix, & a conservé le nombre de sept : Spigel en a fait huit, en ajoûtant les nerfs olfactifs ; mais la sixieme paire dans ces diverses énumérations, étoit toûjours la paire vague, & c'est du côté gauche de cette paire que part le nervulus cordis décrit par Vesal.

Les causes de l'évanoüissement, qui attaquent les parties solides, sont les abcès de la moëlle allongée, ou des nerfs du cerveau ; les blessures de la moëlle épiniere, des nerfs, des tendons ; les vertiges, les affections histériques & hypocondriaques, les douleurs extrèmes ; les blessures du coeur, ses ulceres, ses abcès, ses inflammations, ses vices de conformations ; la graisse dont il est surchargé quelquefois vers sa base ; l'hydropisie du péricarde, & son adhésion au coeur (qui peut bien n'être pas aussi dangereuse qu'on croit, comme M. Dionis l'a observé dans sa dissertation sur la mort subite) ; les anevrysmes de l'aorte & de l'artere pulmonaire, les ossifications, les polypes, les tumeurs extérieures qui resserrent les gros vaisseaux ; les varices, dans les personnes qui ont trop d'embonpoint.

On peut appeller évanoüissemens sympathiques, ceux que produisent les abcès des principaux visceres, épanchemens de sang dans le bas-ventre ou dans d'autres cavités, les hydropisies, l'évacuation précipitée des eaux des hydropiques, ainsi que des matieres purulentes dans les abcès ouverts ; les vices dans l'estomac qui rejette les alimens, ou qui ne les digere pas bien ; les matieres vermineuses, qui irritent les tuniques de l'estomac ; les excrétions du bas-ventre supprimées, les membres sphacelés, la repercussion du venin dartreux ou de la petite vérole vers l'intérieur du corps ; les odeurs fortes, mais encore plus les suaves, dans les histériques ; tout ce qui arrête les mouvemens du diaphragme & des muscles intercostaux, les embarras considérables du poumon. Cette derniere classe renferme les défauts de la dilatation, les dilatations & les constrictions violentes, qu'excitent dans les poumons un air trop raréfié, un air excessivement dense, ou froid & humide ; les vapeurs qu'exhalent des soûterreins méphitiques, ou des lieux inaccessibles depuis long-tems à l'air extérieur.

Il seroit aisé de rendre cette énumération plus longue ; mais il faut négliger toutes les causes que l'observation ne peut faire connoître, comme la convulsion & la paralysie des gros vaisseaux, &c. M. Michelotti, page 6. de la préface de son traité de separatione fluidorum, dit que sans le secours des Mathématiques on ne peut discerner les causes obscures de l'évanouissement. Pour résoudre les problèmes qui ont rapport à ces causes, il ne faut quelquefois employer que les notions les plus simples ; mais presque toûjours il faudroit avoir une analyse fort supérieure à l'analyse connue, qui abrégeât des calculs qu'un trop grand nombre d'inconnues rend impraticables, ou admettre de nouveaux principes méchaniques qui diminuassent le nombre de ces inconnues.

Si l'on supposoit dans les vaisseaux sanguins une certaine inflexibilité qui rendit leur diamêtre constant, la même quantité de sang qui eût conservé plus long-tems la vie & les forces de l'animal dans la flexibilité de l'état naturel, ne peut le garantir alors d'un épuisement total & d'une langueur mortelle. Telle est la substance d'une proposition que Bellini a donnée sans démonstration dans le traité de missione sanguinis, qui fait partie des opuscules adressés à Pitcairn. Il est évident que dans cette supposition le sang passeroit avec bien plus de facilité dans les veines que dans les vaisseaux secrétoires, dont les plis, la longueur & la flexibilité lui opposeroient une résistance beaucoup plus grande ; donc toutes les secrétions seroient fort diminuées, & par conséquent celle des esprits animaux ne seroit plus assez abondante pour entretenir la circulation. Je crois que de semblables propositions ne prouvent pas plus l'utilité des Mathématiques dans la Medecine, que la supputation des choses critiques dans les maladies, ne prouve le besoin de l'Arithmétique.

Les passions & l'imagination ont beaucoup de force sur les personnes d'un tempérament délicat ; ce pouvoir est inexplicable, aussi-bien que l'observation singuliere de Juncker, qui assûre que l'évanoüissement est plus promt & plus décidé quand l'homme succombe à la crainte de l'avenir, que quand il est frappé d'un mal présent. Peut-être Juncker a fait cette comparaison pour favoriser le système de Stahl, qui explique avec une facilité suspecte plusieurs bisarreries apparentes dans les causes de la syncope.

Dans l'évanoüissement profond ou dans la syncope les arteres ne battent point, la respiration est obscure ou insensible, ce qui le distingue de l'apoplexie ; on ne voit point de mouvemens convulsifs considérables, comme dans l'épilepsie ; les fortes passions hystériques en différent aussi, non-seulement par le pouls, mais encore par la rougeur du visage, par un sentiment de suffocation qui prend le gosier, &c.

On explique ordinairement le vertige & le tintement d'oreille, qui précédent l'évanoüissement, par la pression des arteres voisines sur les nerfs optiques & acoustiques ; mais on a beaucoup de peine à concevoir comment ces arteres peuvent presser les nerfs, lorsqu'elles sont épuisées après de grandes hémorrhagies : l'expérience de Baglivi paroit venir au secours. Cet auteur observant la circulation du sang dans la grenouille, remarqua que lorsque l'animal étoit près d'expirer, le mouvement progressif du sang se rallentissoit, & se changeoit en un mouvement confus des molécules du fluide vers les bords du vaisseau. Cette expérience fait connoître que l'affoiblissement du coeur augmente la pression latérale dans les arteres capillaires.

Le poids de l'estomac & des intestins produit un tiraillement incommode, quand l'antagonisme des muscles du bas-ventre & du diaphragme cesse, de même que la pésanteur des extrémités fatigue les muscles qui y sont attachés, lorsqu'ils ne se font plus équilibre. Un pouls petit, rare & intermittent, découvre l'atonie des arteres, la langueur des forces vitales, & la grandeur des obstacles qui retardent la circulation. L'aphonie précede quelquefois la perte des autres fonctions, sans-doute à cause de la sympathie des nerfs récurrens avec les nerfs cardiaques. Le refroidissement & la pâleur des extrémités viennent de l'affaissement de membranes des vaisseaux capillaires, qui ne sont plus frappés d'un sang chaud & actif. La respiration est insensible, parce que le mouvement du diaphragme & des muscles intercostaux est suspendu. Caelius Aurelianus, morborum acutorum, lib. II. cap. xxxij. vers. finem, & Walaeus, ont observé des mouvemens irréguliers & convulsifs dans les levres. On doit regarder ces légeres convulsions d'un côté de la bouche, comme l'effet de la paralysie des muscles du côté opposé. La matiere de la sueur & de la transpiration insensible, condensée par le froid, se rassemble en petites gouttes gluantes, qui s'échappent à-travers les pores de la peau, en plus grande abondance aux endroits où le tissu de la peau est plus délié ; aux tempes, au cou, vers le cartilage xyphoïde. Quand l'évanoüissement est mortel par sa durée, ou à la suite d'une longue maladie, le cou se tourne ; & la couleur du visage tirant sur le verd, annonce le commencement de la putréfaction des humeurs. Que si le malade revient d'un long évanoüissement, il pousse de profonds soupirs : ce mouvement automatique est nécessaire pour ranimer la circulation du sang.

Hippocrate nous apprend, aphorisme xlj. du deuxieme livre, que ceux qui s'évanoüissent fréquemment, fortement & sans cause manifeste meurent subitement. Il faut bien prendre garde à ces trois conditions, comme Galien le prouve par divers exemples dans son commentaire sur cet aphorisme. On voit la raison de cet aphorisme dans le détail des causes de l'évanoüissement. On voit aussi pourquoi des personnes qui s'évanoüissent fréquemment, tombent ensuite dans des fievres inflammatoires. Aretée a observé que des gens qui ont été attaqués de syncope, ont quelquefois des légeres inflammations, la langue seche ; qu'ils ne peuvent suer ; qu'ils sont engourdis, & souffrent une espece de contraction : ceux-là, dit-il, tombent dans la consomption.

Une perte de sang excessive après un accouchement laborieux & des efforts imprudens, la suppression des vuidanges, jettent souvent dans des défaillances mortelles. Il y a peu à espérer, quand la syncope succede à la suffocation hystérique ; il y a moins de danger lorsqu'elle l'accompagne. De fréquentes défaillances sont de très-mauvais augure au commencement des maladies aiguës & des fievres malignes, ou lorsqu'elles tendent à la crise qui les termine ; cependant les malades ne sont pas alors absolument desespérés. Les plus terribles syncopes sont celles qu'occasionnent une ardeur & une douleur insupportables dans les petites véroles, au tems de la suppuration ; un violent accès de colere, un émétique dans un homme déjà affoibli ; l'érosion de l'estomac par les vers, dans les enfans ; l'irritation du poumon par la fumée du charbon, ou par un air infecté ; le reflux des gangrenes seches & humides ; le virus cancereux. On a vû des syncopes qui ont duré jusqu'à trente-six heures, sans qu'elles ayent été suivies de la mort. Les défaillances dans les maladies chroniques, sont moins dangereuses que dans les maladies aiguës ou dans les fievres malignes. En général l'habitude diminue le danger, & l'examen de la cause doit regler le prognostic.

Aretée a fort bien remarqué que le traitement de la syncope étoit fort difficile, & demandoit une extrème prudence de la part du medecin.

Dans les évanouissemens légers on se contente de jetter de l'eau fraîche sur le visage ; on frotte les levres de sel commun ; on applique sur la langue du poivre ou du sel volatil ; on approche des narines du vinaigre fort, de l'eau de la reine d'Hongrie ; on employe les sternutatoires, & on relâche les habits lorsqu'ils sont trop serrés. Il n'est pas inutile de frotter les paupieres avec quelques gouttes d'une eau spiritueuse ; d'appliquer sur la poitrine & sur les autres parties, des linges trempés dans quelqu'eau fortifiante. Si ces secours sont inefficaces, il faut secoüer le malade, l'irriter par des frictions, des impressions douloureuses, préférables aux forts spiritueux. Il faut craindre pourtant l'effet d'une grande agitation dans des corps épuisés. La premiere impression du chaud & du froid, est aussi avantageuse que l'application continue peut être nuisible. Des noyés ont été rappellés à la vie par la chaleur du soleil, du lit, des bains. On étend quelquefois le corps sur le pavé froid ; on fait tomber de fort haut & par jets de l'eau froide sur les membres.

Un officier qui avoit couru la poste plusieurs jours de suite pendant les grandes chaleurs, arriva à Montpellier, & en descendant de cheval, tomba dans un évanoüissement qui résista à tous les remedes ordinaires. M. Gauteron, l'auteur des mémoires sur l'évaporation des liquides pendant le froid, imprimé avec ceux de l'académie royale des Sciences, année 1709, fut appellé, & lui sauva la vie en le faisant plonger dans un bain d'eau glacée.

On se sert encore de lavemens acres, & avec de la fumée de tabac ; mais on peut les négliger tant qu'il reste des signes de vie, & il ne faut pas y avoir recours que l'évanoüissement n'ait duré au moins un quart-d'heure. Riviere recommande la vapeur du pain chaud sortant du four. Les syncopes hypocondriaques & hystériques demandent des remedes foetides, tels que le castoréum, le sagapénum, &c. La teinture de succin est utile dans les défaillances produites par l'agitation des nerfs.

C'est une maxime générale, qu'il ne faut jamais saigner dans l'évanoüissement actuel. On peut s'en écarter quelquefois, pourvû que le corps ne soit pas engourdi par le froid, & que le pouls ne soit pas entierement éteint ; lorsque le poumon a été resserré tout-à-coup par le froid, ou dilaté par une violente raréfaction, dans la pléthore, dans certaines épilepsies, dans des affections hystériques : mais ce remede ne doit être tenté qu'avec une extrème circonspection, & lorsque tous les autres sont inutiles.

Quand les malades ont recouvré l'usage de la déglutition, il faut leur faire avaler un trait d'excellent vin vieux, ou d'une eau aromatique & spiritueuse, telle que l'eau de cannelle, de mélisse, &c.

Dans la suppression des regles ou des vuidanges, il faut employer sagement les emménagogues, & ne pas user de stimulans trop forts, crainte de suffoquer la malade ; & dans les maladies aiguës il faut éviter ce qui dérangeroit l'opération de la nature, en excitant des purgations ou d'autres excrétions. Il faut se défier de la vertu cordiale qu'on donne à l'or, aux pierres précieuses, au bésoard oriental. Un verre de bon vin prévient les défaillances que la saignée produit dans les personnes trop sensibles. Quand le malade est parfaitement remis, il faut employer des remedes qui résolvent le sang disposé à se coaguler, qui pourroit causer des fievres inflammatoires.

Il faut arrêter l'évacuation des eaux des hydropiques, quand ils tombent en défaillance. Il faut aussi resserrer le ventre à mesure que les eaux s'écoulent quand on fait la paracentese dans le bas-ventre : il faut détourner du sommeil d'abord après les défaillances. La saignée est indispensable, quand le coeur & les gros vaisseaux sont embarrassés par la pléthore. Dans les corps affoiblis par les évacuations, il faut disposer le malade dans une situation horisontale ; le repos, de legeres frictions, une nourriture aisée à digérer, animée par un peu de vin, suffisent pour le rétablir. Dans les épuisemens il faut prendre des bouillons de veau préparés au bain-marie, avec la rapure de corne de cerf, des tranches de citron, un peu de macis, & une partie de vin. Le vin vieux & le chocolat sont de bons restaurans. Lorsque le sang est disposé à former des concrétions, on peut faire usage de bouillons de vipere, de l'infusion de la racine d'esquine dans du petit-lait, &c. De petites saignées dans le commencement, une vie sage & réglée, un exercice modéré, conviennent dans le cas des varices & des anévrysmes. Les anévrysmes & les vices du coeur n'ont que des remedes palliatifs, quoique Lower donne la recette d'un cataplasme, dont l'application dissipa les symptomes que produisoient, dit-il, des vers engendrés dans le péricarde, & qui rongeoient le coeur. Dans les défaillances qui accompagnent les fievres putrides & malignes, on donnera les absorbans, les testacées, les cordiaux legers, les eaux de chardon beni, de scordium. On tiendra les couloirs de l'urine & de la transpiration ouverts, le ventre libre : on aura recours aux vésicatoires & aux aromates tempérés. On peut donner séparément dans les fievres colliquatives, les acides de citron, d'orange, de limon, le vinaigre & les absorbans ; les anodyns même sont quelquefois nécessaires. M. Chirac a fort vanté les émétiques & les purgatifs, indispensables dans beaucoup de cas ; mortels dans les épuisemens, plénitudes de sang, maladies du coeur, &c.

On connoît les remedes du scorbut, des poisons, des hémorrhagies. Pour calmer le desordre que les passions excitent, il faut joindre à la saignée des boissons chaudes & délayantes. Dans les blessures des membranes, des nerfs & des tendons, il faut dilater les membranes par de grandes incisions, couper les tendons & les nerfs, ou y éteindre le sentiment. Un auteur très-célebre ordonne la saignée dans les maladies hypocondriaques ; il veut encore que dans certaines épilepsies, dans des maux hystériques, on associe avec la saignée les remedes qui donnent des secousses aux nerfs. L'application de cette regle paroît très-délicate, & demande beaucoup de sagacité. Dans les super-purgations il faut donner le laudanum & du vin aromatisé chaud, pendant le jour, de la thériaque à l'entrée de la nuit. Il seroit dangereux de suivre des pratiques singulieres, & d'imiter, par exemple, dans toutes les syncopes qui viennent de la suppression des menstrues, Forestus & Faber, qui nous assûrent qu'une syncope de cette espece fut guérie par un vomitif.

Aretée a crû que dans les maladies du coeur l'ame s'épuroit, se fortifioit, & pouvoit lire dans l'avenir ; mais sans porter la crédulité si loin, on peut trouver un sujet de spéculation fort vaste dans la différente impression que l'évanoüissement fait sur les hommes. Il est des personnes que le sentiment de leur défaillance glace d'effroi, d'autres qui s'y livrent avec une espece de douceur. Montagne étoit de ces derniers, comme il nous l'apprend liv. II. de ses essais, ch. vj. Il est donc des hommes qui ne frémissent pas à la vûe de leur destruction ; M. Addison a pourtant supposé le contraire dans ces vers admirables de son Caton :

- Whence this secret dread and inward horror,

Of falling into nought ? Why shrinks the soul

Back on her self, and startles at destruction ?

'Tis the Divinity that stirs within us,

'Tis Heaven it self, that points out an hereafter,

And intimates eternity to Man.

Mais comment pouvons-nous craindre de tomber dans le néant (of falling into nought), si nous avons une conviction intime de notre immortalité (and intimates eternity to man) ? Il me paroît qu'il est inutile de chercher de nouvelles preuves de l'immortalité de l'ame, quand on ne doute point que ce ne soit une vérité révélée.

Je remarquerai en finissant, que M. Haller dans le commentaire qu'il a fait sur le methodus discendi medicinam de Boerhaave, à l'article de la Pathologie, indique un traité de Lipothymiâ, ou de la défaillance, par J. Evelyn, imprimé avec l'ouvrage de cet auteur sur les médailles anciennes & modernes. Mais M. Haller a été trompé ; c'est une digression sur la physionomie, qui fait partie du livre anglois d'Evelyn, imprimé à Londres, in-fol. en 1697. Cet article est de M. BARTHES, docteur en Medecine de la faculté de Montpellier.


EVANTESS. f. (Hist. anc.) c'étoient des prêtresses de Bacchus : on les nommoit ainsi, parce qu'en célébrant les Orgies elles couroient comme si elles avoient perdu les sens, en criant Evan, Evan : ohé Evan. Voyez BACCHANALES.

Ce mot vient de , qui est un nom de Bacchus.


EVAPORATIONS. f. (Physiq. part. Aérologie) Quoiqu'il y ait peu de mots qui aient chez les auteurs des acceptions plus variées que celui-ci, on peut cependant dire en général, qu'on lui donne principalement deux significations. Quelquefois il se prend pour l'opération particuliere, par laquelle on expose les corps à une chaleur plus ou moins forte, pour les priver en tout ou en partie de leur humidité. On lui donne cette signification dans ces manieres de parler : L'évaporation des dissolutions des sels doit être conduite lentement, si l'on veut obtenir de beaux crystaux. L'évaporation se fait par le moyen du feu. L'évaporation, considérée dans ce sens, appartient à la Chimie.

Le même mot se prend souvent pour le passage ou l'élévation de certains corps dans l'atmosphere. Dans ce sens on peut dire, l'évaporation de l'eau a lieu dans les gelées les plus fortes. C'est sous ce point de vûe que nous devons considérer l'évaporation dans cet article. Commençons par en donner une idée aussi claire qu'il nous sera possible.

Presque tous les corps liquides & la plûpart des solides exposés à l'air, par l'action de ce fluide seule, ou aidée d'une chaleur modérée, s'élevent peu-à-peu dans l'atmosphere, les uns totalement ; d'autres seulement en partie : ce passage, ou cette élévation totale ou partiale des corps dans l'atmosphere, les Physiciens l'appellent évaporation. Les corps élevés dans l'air par l'évaporation, s'y soûtiennent dans un el état, qu'ils sont absolument invisibles, jusqu'à ce que par quelque changement arrivé dans l'atmosphere, leurs particules se réunissent en de petites masses qui troublent sensiblement la transparence de l'air ? par exemple, l'air est (comme nous le ferons voir dans la suite) en tout tems plein d'eau qui s'y est élevée par évaporation, & y demeure invisible jusqu'à ce que de nouvelles circonstances réunissent ses molécules dispersées, en de petites masses qui troublent sensiblement sa transparence. C'est ce qui distingue l'évaporation de l'élevation dans l'atmosphere de certains corps petits & legers, tels que la poussiere, qui ne s'y élevent & ne s'y soûtiennent que par l'impulsion méchanique de l'air agité ; qui conservent dans l'air leur même volume, leur opacité, & retombent dès que l'air cesse d'être agité.

L'élevation de certains corps dans l'atmosphere, produite par un degré de chaleur suffisant pour les décomposer, ou par l'ustion même, a un plus grand rapport avec l'évaporation. Les particules élevées par ces moyens dans l'air, sont de la même nature que celles qui s'y élevent par l'évaporation ; elles s'y soûtiennent aussi dans un tel état de division, qu'elles sont parfaitement invisibles. Par exemple, le soufre en brûlant se décompose ; l'acide vitriolique & le principe inflammable dont il étoit composé (voy. SOUFRE), dégagés l'un de l'autre, s'élevent dans l'atmosphere & y deviennent invisibles. Par la calcination, les métaux imparfaits se décomposent ; leur principe inflammable s'éleve dans l'atmosphere. Les matieres animales ou végétales, privées de leurs parties volatiles libres & de l'eau surabondante, exposées au degré de feu nécessaire pour les analyser, se décomposent ; & par cette décomposition, il se dégage des principes volatiles, propres à s'élever & se soûtenir dans l'atmosphere. Par ces exemples il est clair que l'évaporation ne differe point essentiellement de l'élevation des particules volatiles dégagées par l'application d'une chaleur suffisante, pour décomposer les corps, ou par l'ustion ; que ces opérations ne font que disposer les corps à l'élevation de certaines de leurs parties ; qu'au reste les particules qui s'élevent dans l'air par cette voie, sont de la même nature, & s'y soûtiennent de même que celles qui s'y élevent par évaporation : cependant l'usage a voulu qu'on n'appellât point évaporation, l'élevation des particules détachées par ces opérations qui décomposent les corps ; il a restreint la signification de ce mot à l'élevation des parties volatiles libres & dégagées de principes qui puissent les fixer, & qui pour s'élever dans l'atmosphere, ou ne demandent aucune chaleur artificielle, ou demandent seulement une chaleur modérée, qui n'excede guere celle de l'eau bouillante. Ce que j'ai dit jusqu'ici me paroît suffisant pour donner une idée exacte de ce qu'on entend par évaporation. Entrons actuellement en matiere, & considérons premierement quels sont les corps susceptibles d'évaporation, & quelle est la nature des particules qui s'élevent par cette voie dans l'atmosphere.

Parmi les corps susceptibles d'évaporation, les liquides tiennent sans-doute le premier rang ; la plûpart de ces corps exposés à l'air libre, s'évaporent sans le secours d'aucune chaleur étrangere, & même dans les plus fortes gelées : mais il y en a aussi qui ne sont susceptibles d'évaporation, qu'autant qu'ils sont exposés à une chaleur plus ou moins forte. Ainsi, par exemple, les huiles grasses exposées à l'air libre à l'abri des rayons du soleil, ne souffrent pas une évaporation sensible : mais exposés à la chaleur de l'eau bouillante, elles s'évaporent, & de plus acquierent par une ébullition continuée, la propriété de s'évaporer sans le secours d'une chaleur étrangere ; propriété qu'elles acquierent de même en rancissant. L'huile de tartre par défaillance, & la plûpart des eaux meres exposées à l'air libre, attirent l'humidité de l'air, bien loin de s'évaporer : mais une chaleur plus ou moins forte, & qui n'excede pas le degré de l'eau bouillante, les fait évaporer. L'acide vitriolique est aussi sujet à l'évaporation ; mais il demande pour s'évaporer une chaleur d'autant plus forte, qu'il est plus concentré : de sorte que quand il est bien concentré, il faut pour l'élever dans l'atmosphere un degré de chaleur, qui va presque à faire rougir le vaisseau dans lequel il est contenu. Les liqueurs qui s'évaporent avec le plus de rapidité sont principalement l'eau pure, les vins, l'esprit-de-vin, l'éther vitriolique & nitreux, l'esprit volatil de sel ammoniac, l'acide nitreux fumant, l'acide sulphureux ; le dernier est si volatil, que suivant le témoignage de Stahl (obs. & animad. ccc. §. 37.) exposé à l'air libre, il s'évapore vingt fois plus vîte qu'une égale quantité d'esprit-de-vin le mieux rectifié : cet acide paroît s'évaporer plus rapidement que tous les liquides que je viens de nommer ; les autres, à-peu-près suivant l'ordre dans lequel je les ai placés. M. de Mairan a prouvé par des expériences, que l'esprit-de-vin s'évapore huit fois plus rapidement que l'eau. Voyez sa dissert. sur la glace.

Les corps solides, tirés des animaux & des végétaux, sont aussi pour la plûpart sujets à l'évaporation ; & même plusieurs matieres minérales n'en sont pas exemptes. Ainsi la terre qu'on appelle proprement humus, est susceptible d'évaporation. La soude, les sels neutres à base-saline, à base-terreuse, à base-métallique, perdent aussi par l'évaporation ; mais je doute qu'ils puissent perdre par cette voie autre chose que leur eau de crystallisation ; & je pense que nous devons encore suspendre notre jugement sur ce qu'avancent quelques auteurs, que le sublimé corrosif, la lune cornée, & les autres sels neutres qui peuvent se sublimer dans les vaisseaux fermés, peuvent aussi s'élever & se soûtenir dans l'atmosphere sans se décomposer. Le mercure & l'arsenic des boutiques, ou, pour parler avec plus d'exactitude, la chaux du régule d'arsenic, le minéral singulier de nature en même tems acide & vitriolique, paroissent aussi devoir trouver place parmi les corps susceptibles d'évaporation.

L'eau, l'air, le principe inflammable & des molécules de nature terreuse, sont en général les matieres qui s'élevent dans l'atmosphere par l'évaporation. Faisons en particulier quelques réflexions sur chacune de ces matieres.

Il y a long-tems que les Physiciens ont remarqué que l'eau faisoit la matiere principale de l'évaporation. Pour se convaincre de cette vérité, il a suffi de remarquer que les corps liquides ou humides étoient les plus susceptibles d'évaporation, & que les particules qui s'élevent par cette voie de presque tous les corps, même solides, reçûes & amassées dans des vaisseaux convenables, se présentoient sous une forme liquide. Or l'eau étant la base de tous les liquides de la nature, il étoit facile d'en déduire que les corps perdoient principalement de l'eau par l'évaporation. Il n'y a pas plus de difficulté par rapport à l'air : ce fluide étant contenu abondamment dans toute sorte d'eau, il est clair qu'il doit s'élever avec elle dans l'atmosphere. Nous verrons dans la suite que cet air rendu élastique par la chaleur, contribue à accélérer l'évaporation de l'eau.

Par l'évaporation il s'éleve aussi dans l'atmosphere des molécules de nature terreuse : mais ces molécules sont par elles-mêmes incapables de s'élever dans l'air ; elles n'acquierent cette propriété, qu'autant qu'elles contractent une union intime avec des molécules d'eau. Ainsi, par exemple, les terres pures, animales ou végétales, bien loin d'être susceptibles d'évaporation, résistent au contraire à la plus grande violence du feu : ces mêmes terres combinées avec l'eau, dans les huiles, les sels acides, les sels alkalis volatils, deviennent propres à s'élever avec elle dans l'atmosphere.

Ce que je viens de dire des molécules terreuses, se peut appliquer au principe inflammable. Les molécules de ce corps principe sont à la vérité très-déliées, & s'élevent dans l'air avec une extrême facilité, lorsqu'elles sont libres & dégagées : mais il est tellement fixé dans tous les corps, où il n'est pas combiné avec l'eau, qu'il ne s'y trouve jamais libre & propre à s'élever dans l'atmosphere par une évaporation proprement dite ; on le trouvera, au contraire, constamment combiné avec l'eau dans tous les corps, d'où il peut s'élever dans l'air par cette voie. Mais quoique le principe inflammable ne s'éleve point seul dans l'atmosphere par une évaporation proprement dite ; cependant combiné d'une certaine maniere avec les molécules terreuses & l'eau, il rend ces corps susceptibles d'une évaporation beaucoup plus rapide. C'est une vérité connue des Chimistes, & qu'il seroit aisé de prouver par un grand nombre d'exemples : je me contenterai d'alléguer celui de l'acide sulphureux volatil. L'acide vitriolique est moins volatil que les autres ; il s'évapore même plus difficilement que l'eau, quoiqu'il ne soit pas concentré : combinez cet acide d'une certaine maniere avec le principe inflammable, il en résulte l'acide sulphureux volatil, dont l'évaporation est, comme nous l'avons dit plus haut, vingt fois plus rapide que celle de l'esprit-de-vin.

Ce que je viens d'avancer, que le principe inflammable ne s'éleve point seul dans l'atmosphere par l'évaporation, paroîtra peut-être sujet à une difficulté. On pourra m'objecter que plusieurs métaux imparfaits exposés à l'air libre, se rouillent, ou, ce qui revient au même, perdent leur principe inflammable sans le secours d'aucune chaleur étrangere ; & qu'au moins dans ce cas, le principe inflammable peut s'élever dans l'atmosphere seul & par une véritable évaporation : mais il n'est pas difficile de répondre à cette difficulté. Pour la résoudre il suffit de remarquer que, dans ce cas, le principe inflammable ne s'éleve pas dans l'atmosphere par une simple évaporation ; mais qu'avant de s'y élever, il souffre une opération préliminaire, une calcination qu'on appelle par voie humide. V. ROUILLE. L'eau que l'air dépose sur les métaux, aidée peut-être de l'acide universel répandu dans l'air, les attaque insensiblement, les décompose ; & dégageant le principe inflammable de la terre qui le fixoit, elle le rend propre à s'élever avec elle dans l'atmosphere.

Si les réflexions que je viens de faire sur les terres pures & le principe inflammable sont justes ; si ces corps principes ne s'élevent dans l'atmosphere par l'évaporation proprement dite, qu'autant que l'eau se trouve combinée avec eux ; ne sommes-nous pas en droit d'en conclure que l'eau doit être regardée, pour ainsi dire, comme la base ou le fondement de toute évaporation ? On doit seulement en excepter celle du mercure ; encore pourroit-on soupçonner, avec le célebre M. Roüelle (Voyez ses cahiers, ann. 1747), que l'eau qui se trouve unie à ce fluide, contribue beaucoup à le rendre évaporable ; & que ce n'est qu'en lui enlevant cette eau, qu'on peut par des opérations assez simples, & qui n'alterent pas sa nature, lui donner un degré de fixité, tel qu'il résiste pendant long-tems à un feu assez violent.

De quelle maniere, par quel méchanisme singulier les particules dont nous venons de parler, peuvent-elles s'élever dans l'atmosphere & s'y soûtenir ? Ces particules & celles du fluide dans lequel elles s'élevent, se refusant par leur extrème ténuité aux sens & aux expériences, les Physiciens ont tâché de répondre à cette question par des hypothèses : mais ces hypothèses quoique très-ingénieuses, paroissent toutes avoir le défaut général de ces sortes de systèmes, d'être gratuites & de s'éloigner de la nature. Nous allons donner une idée aussi exacte qu'il nous sera possible, de ces différentes suppositions, & marquer en même tems les difficultés qu'elles paroissent souffrir. L'Encyclopédie étant destinée à transmettre à la postérité les connoissances, ou, si l'on veut, les idées de ce siecle, je me crois aussi obligé de transcrire ici ce que j'ai donné sur cette matiere, dans un mémoire qui doit être imprimé à la fin des mémoires de l'académie des Sciences, pour l'année 1751.

Les corps susceptibles d'évaporation s'évaporent d'autant plus rapidement, qu'ils sont plus échauffés. C'est sans-doute cette observation toute simple qui a donné lieu à l'hypothèse la plus généralement adoptée, sur le méchanisme de l'évaporation. On a supposé que les molécules d'eau étant raréfiées par la chaleur, ou, ce qui revient au même, par l'adhésion des particules ignées, leur pesanteur spécifique diminuoit à tel point, que les molécules, devenues plus legeres que l'air, pouvoient s'élever dans ce fluide, jusqu'à ce qu'elles fussent parvenues à une couche de l'atmosphere, dont la pesanteur spécifique fût égale à la leur. Les vapeurs, dit s'Gravesande (Elém. de Phys. prem. édit. §. 2543,), s'élevent en l'air & sont soûtenues à différentes hauteurs, suivant la différence de leur constitution, aussi bien que de celle de l'air ; & à cette occasion il cite le parag. 1477, où il dit : Si on suppose que le fluide & le solide sont de même gravité spécifique, ce corps ne montera ni ne descendra, mais restera suspendu dans le fluide à la hauteur où on l'aura mis.

Les paroles de cet homme respectable que je viens de rapporter, suffiront pour donner une idée précise de ce sentiment. Tâchons de faire voir en peu de mots qu'il est contraire à l'observation. Je demanderai premierement aux physiciens qui adoptent cette opinion, quel degré de chaleur ils croyent nécessaire pour raréfier les molécules d'eau, au point qu'elles deviennent spécifiquement plus legeres que l'air. S'ils consultent les observations, ils seront obligés de fixer ce degré beaucoup au-dessous du terme de la glace, puisque la glace s'évapore même dans les froids les plus rigoureux. Voyez la diss. sur la glace de M. de Mairan, p. 308. Or je ne crois pas que personne puisse de bonne-foi regarder ce degré de chaleur comme capable de rendre le volume des molécules d'eau huit cent fois plus grand ; & pour peu qu'on y refléchisse, on s'appercevra bien-tôt qu'il seroit très-aisé de prouver le contraire. Il est vrai que M. Musschenbroeck a tâché de faire voir par un calcul, que la chaleur du terme de la glace étoit capable de raréfier les molécules d'eau, jusqu'à les rendre spécifiquement plus legeres que l'air. Voici son raisonnement. " Nous avons vû que la vapeur de l'eau bouillante est 14000 fois plus rare que l'eau même ; or la chaleur de cette vapeur est alors au thermometre de 212 degrés. La chaleur de l'été en plein midi de 90 degrés ; par conséquent la vapeur de l'eau ainsi échauffée, sera alors 5943 fois plus rare que l'eau ; & si l'on suppose que la chaleur du thermometre est de 32 degrés, il faudra que la vapeur soit 2113 fois plus rare que l'eau : or l'air n'est d'ordinaire que 600, 700, ou 800 fois plus rare que l'eau, & par conséquent la vapeur sera encore plus rare que l'air. Mais il gele lorsque le thermometre est au 32 degré ; par conséquent la vapeur pourra sortir de l'eau & de la glace en hyver, & s'élever ensuite dans l'air ". Essais de Physique, pag. 739. Mais il est clair que ce célebre physicien s'est trompé dans cet endroit ; & sans m'arrêter à combattre le fond de son calcul, je me contenterai de faire observer, que si au lieu du thermometre de Farenheit, qui met le terme de la glace au 32 degré, il s'étoit servi du thermometre de M. de Reaumur, qui met le même terme au zéro, il auroit conclu du même calcul que la chaleur du terme de la glace étoit incapable de raréfier les molécules d'eau en aucune maniere.

D'ailleurs, quand bien même on accorderoit pour un moment la possibilité de cette supposition, il n'en seroit pas plus difficile de faire voir que la nature n'est point d'accord avec ce sentiment : en effet, cette opinion exclut toute idée d'uniformité dans la répartition des vapeurs sur toute l'étendue de l'atmosphere. Elle suppose nécessairement qu'en été, dans les grandes chaleurs, les particules d'eau très-raréfiées devroient s'élever fort haut, & abandonner la partie de l'atmosphere qui avoisine la terre ; qu'au contraire en hyver, ces mêmes particules condensées & plus pesantes, devroient se trouver en beaucoup plus grande quantité proche de la terre qu'en été : or tout le contraire a lieu, comme je l'ai prouvé dans le mémoire que j'ai déjà cité. Ces remarques me paroissent suffisantes pour faire voir que si les molécules d'eau s'élevent dans l'air, ce n'est pas parce qu'elles deviennent spécifiquement plus legeres que celles de ce fluide, & qu'on ne doit pas croire que les particules, en s'élevant & se soûtenant dans l'atmosphere, suivent les mêmes lois qu'un corps solide répandu dans ce fluide. Je ne m'arrêterai pas davantage à combattre cette opinion, croyant qu'il seroit inutile de s'attacher à entasser un grand nombre d'argumens contre ces sortes de suppositions, que les Physiciens négligent de plus en plus, & que leurs auteurs même défendent avec peu de chaleur.

M. Hamberger a senti le défaut de vraisemblance de l'hypothèse que nous venons de combattre ; & l'ayant réfutée solidement dans ses élémens de Physique, & dans sa belle dissertation sur les causes de l'élévation des vapeurs, il lui substitue une autre hypothèse qui lui paroît plus conforme aux observations, mais qui examinée suivant les lois de la saine Physique, me semble souffrir pour le moins autant de difficultés que la premiere. " Si nous supposons, dit-il p. 57 de la Dissertation que nous venons de citer, que la molécule susceptible d'évaporation, tandis qu'elle est encore contiguë au corps dont elle s'efforce de s'éloigner, est environnée dans sa surface intérieure de particules ignées, & par sa partie supérieure contiguë à l'air, dans cette supposition, le feu & l'air étant des fluides plus legers que la molécule, lui adhéreront ; donc ils agiront sur elle, mais inégalement. L'air agira avec plus de force que le feu, à cause de la différence qui se trouve entre les gravités spécifiques de ces deux fluides : par conséquent, la molécule susceptible d'évaporation, tendra vers les deux parties opposées, par une réaction inégale, c'est-à-dire avec plus de force vers le haut que vers le bas ". C'est ainsi qu'il expliquoit le méchanisme du passage d'une molécule évaporable dans l'air ; mais cette explication me paroît sujette à des objections auxquelles il seroit difficile de satisfaire. En effet, M. Hamberger suppose qu'une molécule qui est à la surface d'un corps évaporable, de l'eau, par exemple, s'éleve dans l'air parce qu'elle adhere plus à l'air, qui est supérieur, qu'aux particules ignées qui la ceignent inférieurement ; mais dans cette explication, il fait entierement abstraction de la cohésion des molécules d'eau entr'elles : or quels corps pourra-t-on de bonne foi supposer se toucher & avoir une force de cohésion, si l'on refuse de reconnoître que les molécules d'eau assemblées en masse se touchent & s'attirent réciproquement par une force de cohésion ? Voyez COHESION.

M. Hamberger paroît lui-même reconnoître tacitement le peu de vraisemblance de cette explication ; puisque dans l'édition de 1750 de ses Elémens de Physique, que j'ai entre les mains, il n'avance plus que cette élévation des particules évaporables soit due à leur adhésion plus grande à l'air qui est au-dessus, qu'aux molécules ignées qui les ceignent inférieurement. Il se contente de dire en général, que les molécules ignées passant des corps chauds dans l'air plus froid que les corps, elles entraînent avec elles les particules évaporables. Mais malgré cette modification, l'hypothèse n'en est pas plus d'accord avec les observations. Si on suppose avec M. Hamberger, que l'évaporation se fait par le passage des particules ignées des corps évaporables, dans l'air plus froid que ces corps, il s'ensuivra nécessairement qu'il n'y aura point d'évaporation, toutes les fois que les corps qui en sont susceptibles seront aussi froids ou plus froids que l'air ; ce qui est évidemment contraire à l'observation.

Dans l'ouvrage que nous venons de citer, M. Hamberger fait encore une addition plus essentielle à sa premiere hypothèse ; il y avance que les particules évaporables qui sont à la superficie des corps, passent dans l'air par voie de dissolution, modo solutionis (Elémens de Physique, §. 477.) & à cette occasion, il cite le paragraphe 242, où il se propose d'expliquer le méchanisme de la dissolution, & où il détermine la maniere dont les particules du corps dissous s'arrangent dans les interstices des molécules du dissolvant. M. Hamberger n'est pas le seul qui ait dit que l'évaporation se faisoit par une espece de dissolution : plusieurs physiciens ayant adopté, comme lui, une hypothèse sur la dissolution, ont crû expliquer le méchanisme de l'évaporation, en disant qu'il étoit semblable à celui de la dissolution. Pour combattre les systèmes de ces auteurs sur l'évaporation, il faudroit donc commencer par examiner les différentes hypothèses qu'ils ont adoptées sur le méchanisme de la dissolution ; mais cet examen appartient proprement à la Chimie, & sera fait par M. Venel à l'article MENSTRUE, beaucoup mieux que je ne pourrois le faire. Je me contenterai de dire ici, qu'il me paroit que jusqu'à présent les Physiciens ne nous ont donné sur ce sujet que de pures suppositions ; & que c'est une chose généralement reçue des Chimistes éclairés, juges compétens dans cette matiere, que ces hypothèses des Physiciens sont très-éloignées d'être d'accord avec les phénomènes de la dissolution.

Après avoir expliqué la maniere dont les particules évaporables se détachent de la superficie des corps, & passent dans l'air, M. Hamberger se sert d'une nouvelle supposition, pour expliquer le méchanisme par lequel les molécules s'élevent dans l'atmosphere : il pense que l'air est échauffé par les vapeurs ; que cet air chargé de vapeurs, devenu plus chaud, & par conséquent plus rare & plus leger que l'air environnant, s'éleve nécessairement, & par son mouvement entraîne avec lui les vapeurs : mais cette seconde partie de son hypothèse a encore le défaut de supposer que les molécules évaporables ne s'élevent dans l'atmosphere qu'autant que les corps desquels elles se détachent sont plus chauds que l'air environnant ; ce qui est, comme nous l'avons déjà remarqué, contraire à l'observation journaliere.

Après cet examen des principales hypothèses que les Physiciens nous ont données sur l'évaporation, je crois, comme je l'ai déjà dit, devoir rendre compte de ce que j'ai donné moi-même sur cette matiere. C'est ce que je vais faire en transcrivant une partie de mon mémoire, pour en expliquer clairement le dessein : je commence par quelques remarques sur le mot dissolution.

" Le mot dissolution est employé par les Chimistes, pour signifier des choses très-différentes. Quelquefois ils s'en servent pour exprimer l'action du dissolvant sur le corps qui s'y dissout. C'est dans ce sens qu'ils disent que la dissolution du sel dans l'eau se fait par l'action des molécules d'eau, qui, comme autant de coins, s'insinuent entre les molécules du sel, ou parce que les molécules d'eau ont une affinité particuliere avec les particules du sel. Dans d'autres circonstances, ils se servent du mot dissolution, pour signifier le mélange singulier qui résulte de la suspension du corps dissous dans le dissolvant. On attache cette idée au mot dissolution, lorsqu'on dit la dissolution du cuivre dans l'huile de vitriol est bleue. C'est dans ce dernier sens que j'employerai ordinairement le mot dissolution dans ce mémoire. S'il m'arrive de lui donner la premiere signification, j'aurai soin de le déterminer par les termes qui l'accompagneront.

Nous n'avons jusqu'ici aucune connoissance certaine sur le méchanisme de la dissolution, considérée comme l'action du dissolvant. Les meilleurs Chimistes prétendent que la nature du mêlange singulier du dissolvant, & du corps dissous qui constitue l'état de dissolution, est mieux connue, & qu'il consiste dans l'union intime des dernieres molécules de ces deux corps. Mais comme cette considération n'est point essentielle à mon objet, je ne m'arrêterai point à examiner les expériences qui semblent démontrer la vérité de ce sentiment. Il me suffira de remarquer que ce mélange singulier, qui constitue l'état de dissolution, est caractérisé par une propriété sensible à laquelle on peut le reconnoître.

Cette qualité sensible, c'est la transparence. Ainsi, de l'aveu de tous les Chimistes, lorsqu'un corps solide ou fluide est suspendu dans un fluide, de sorte que du mélange de ces deux corps, il en résulte un fluide homogene & transparent, alors on peut dire que les deux corps sont mêlés dans l'état d'une véritable dissolution. Si au contraire un corps solide divisé en molécules très-subtiles, est suspendu dans un fluide transparent, de sorte que du mélange de ces deux corps, il résulte un tout hétérogene opaque ; alors on peut assûrer qu'il n'y a point de véritable dissolution, & que le corps solide est suspendu dans le fluide, dans l'état que les Chimistes appellent état de simple division méchanique. De même si deux fluides sont mêlés ensemble, de sorte que leurs molécules, quoique très subtiles, ne soient cependant pas si intimement unies, qu'elles ne conservent encore leurs propriétés particulieres ; le fluide qui résulte du mélange de ces deux fluides, n'est point homogene. Les réfractions différentes que la lumiere souffre en le traversant, le rendent opaque, quoique composé de deux fluides transparens ; & dans ce cas, il n'y a point de véritable dissolution ; ces deux fluides sont mêlés dans l'état de simple division méchanique.

Après ce que je viens de dire sur la dissolution, on concevra aisément le dessein de ce mémoire. Le voici en peu de mots. Personne n'ignore que l'eau peut se charger de sel, & le soûtenir dans l'état de véritable dissolution. On sait de plus que le mélange d'eau & de sel a certaines propriétés particulieres ; que par exemple, une certaine quantité d'eau à un degré de chaleur donné, ne peut tenir en dissolution qu'une quantité de sel déterminée ; qu'étant saoulée de sel à un degré de chaleur donné, elle en pourroit dissoudre de nouveau, si on l'échauffoit davantage ; qu'au contraire, si elle venoit à se refroidir, elle laisseroit nécessairement précipiter une partie du sel qu'elle tenoit en dissolution. Appliquez au mélange d'air & d'eau, qui constitue notre atmosphere, ce que je viens de dire sur les dissolutions des sels dans l'eau, c'est-là le principal objet de la premiere partie de ce mémoire. Je me propose donc de faire voir que l'air de notre atmosphere contient toûjours de l'eau dans l'état de véritable dissolution ; qu'une quantité d'air déterminée à un degré de chaleur donné, ne peut tenir en dissolution qu'une certaine quantité d'eau ; qu'étant saoulé d'eau à un degré de chaleur donné, il en pourroit dissoudre de nouvelle, si on l'échauffoit davantage ; qu'au contraire, si étant saoulé d'eau à un degré de chaleur donné, il vient à se refroidir, il laisse nécessairement précipiter une partie de l'eau qu'il tenoit en dissolution. "

ARTICLE PREMIER. L'eau souffre dans l'air une véritable dissolution. " Cette proposition peut facilement se démontrer par une expérience connue de tout le monde, mais à laquelle on n'avoit pas fait toute l'attention qu'elle mérite. Il s'agit seulement de mettre un jour d'été de la glace dans un verre bien sec. Le verre s'obscurcit bientôt après ; ses parois extérieures se couvrent d'une infinité de petites bulles d'eau. L'eau qui, dans cette expérience, s'attache en très-grande quantité aux parois du verre, se trouvoit donc suspendue dans l'air qui l'environnoit, & comme elle ne troubloit point sa transparence, cette expérience réussissant par le tems le plus serein, il est clair qu'elle y étoit contenue dans l'état d'une véritable dissolution. Ce sont les premieres réflexions que j'ai faite sur cette expérience, qui m'ont conduit de conséquence en conséquence, à toutes les propositions que je tâcherai d'établir dans ce mémoire. "

ART. II. Cette dissolution a les mêmes propriétés que la dissolution de la plûpart des sels dans l'eau. " L'air échauffé à un degré de chaleur donné, ne peut tenir en dissolution qu'une quantité d'eau déterminée. Si étant chargé de cette quantité d'eau, il vient à se refroidir, il laisse précipiter une partie de l'eau qu'il tenoit en dissolution (a) Si au contraire

(a) " J'employe dans ce mémoire les mots précipiter & précipitation dans le sens des Chimistes, pour signifier le passage de l'état de véritable dissolution d'un corps dans un menstrue à l'état de simple division méchanique ". Des corps qui de l'état de dissolution ont passé à celui de division méchanique, les uns tombent au fond de la liqueur, d'autres se ramassent à sa surface, d'autres y restent suspendus.

il s'échauffe, il en peut dissoudre davantage. L'expérience qui suit me paroit démontrer évidemment la vérité de ce que je viens d'avancer.

Vers le commencement du mois d'Août de l'année derniere, le tems étant fort serein, je pris une bouteille ronde de verre blanc : je la bouchai exactement ; elle ne contenoit que de l'air, dont la chaleur étoit ce jour là au vingtieme degré du thermometre de M. de Reaumur : je laissai cette bouteille sur ma fenêtre, & quelques jours après j'observai le matin, que le froid de la nuit ayant fait descendre mon thermometre au quinzieme degré, ce froid avoit déjà fait précipiter une partie de l'eau dissoute dans l'air renfermé dans ma bouteille. Cette eau étoit ramassée en petites gouttelettes, à la partie supérieure, qui étant la plus exposée, devoit se refroidir la premiere. Après cette premiere observation, je transportai ma bouteille sur la plate-forme de notre observatoire ; je l'y fixai sur le porte-lunette de la machine parallactique, je mis au même endroit un thermometre : visitant ma bouteille tous les matins, j'observai qu'au 15e degré, il se formoit une petite rosée dans l'intérieur & à la partie supérieure de la bouteille, & que cette rosée étoit d'autant plus considérable, que le froid de la nuit avoit fait descendre le thermometre plus bas ; enfin vers le sixieme dégré, la rosée qui se formoit dans l'intérieur de la bouteille étoit si considérable, que j'ai cru pouvoir en conclure, qu'une grande partie du poids de l'air, au moins en été, doit être attribuée à l'eau qu'il tient en dissolution. Lorsque la chaleur étoit assez forte, l'air contenu dans la bouteille dissolvoit dans le jour l'eau qui s'étoit précipitée pendant la nuit.

Voici une autre expérience qui, dans le fond, ne différe point de la précédente, & qui demande beaucoup moins de tems. Je prends un jour d'été un globe de verre blanc (b) ; je bouche exactement son ouverture (c) ; examinant ce globe avec toute l'attention possible, on n'y peut pas découvrir une seule gouttelette d'eau. Ce globe étant ainsi préparé, je le place sur un grand gobelet plein d'eau refroidie presqu'au terme de la glace, de maniere qu'une partie du globe soit contiguë à l'eau : après avoir laissé les choses dans cet état pendant trois ou quatre minutes, je retire le globe, & ayant essuyé la partie mouillée, qui étoit contigue à l'eau, on la trouve couverte intérieurement de petites gouttes d'eau : cette eau se redissout à mesure que le globe se réchauffe ; ensuite laissant échauffer l'eau contenue dans le gobelet, & y exposant le globe à diverses reprises, on observe que moins l'eau du gobelet est froide, moins est grande la quantité d'eau qui se précipite, & qu'enfin au-dessus d'un certain degré, il ne se précipite plus rien. Dans cette expérience, je mets seulement une partie du globe dans l'eau froide, afin de concentrer dans un petit espace l'eau qui se précipite : si on plongeoit le globe tout entier dans l'eau froide, l'eau qui se précipiteroit ne seroit pas en assez grande quantité pour être bien sensiblement étendue sur toute la surface intérieure du globe.

On pourroit penser que, quoique je ne me serve que de globes tout neufs, l'air auroit cependant pû y porter des particules d'eau qui, étendues sur toute la surface du globe, ne s'appercevroient pas & ne deviendroient sensibles dans cette expérience, que parce que l'inégalité de chaleur des parois du globe les feroit se ramasser dans l'endroit le plus froid. Cette idée pourroit faire douter, si l'expérience dont il s'agit est effectivement démonstrative ; c'est pourquoi j'ai cru qu'il ne seroit pas inutile de prévenir cette objection par l'expérience qui suit. J'ai pris un globe de verre, bouché comme je l'ai dit ci-dessus : dans l'expérience dont il s'agit, l'eau refroidie au huitieme degré, produisoit une précipitation bien sensible sur la partie du globe qui lui étoit contigue. Au dixieme degré, il ne se faisoit aucune précipitation : l'eau étant froide à ce degré, j'ai exposé ce globe au soleil. Il est certain que dans ce dernier cas, la chaleur des parties du globe qui étoient hors de l'eau, surpassoit plus la chaleur de la partie du globe qui étoit contigue à l'eau, que lorsque le globe étoit dans la chambre, & que l'eau étoit froide au huitieme degré : cependant il ne se faisoit aucune précipitation ; d'où il résulte, que l'inégalité de chaleur des différentes parties du globe, ne suffit pas pour produire cet effet ; que par conséquent les gouttelettes d'eau, qui dans cette expérience se précipitent sur la partie du globe contigue à l'eau froide, n'étoient point auparavant étendues sur toute la surface intérieure du globe ; & en un mot, que cette expérience démontre effectivement ce que nous avions dessein de prouver.

Nous avons démontré dans l'article précédent, que l'eau se soûtient dans l'air, dans l'état d'une véritable dissolution (d). Maintenant si l'on pese attentivement toutes les circonstances des deux expériences que je viens de rapporter, on sera obligé de convenir qu'elles démontrent tout ce que nous avons avancé au commencement de cet article. Nous devons encore remarquer, que de même que les sels en se crystallisant, retiennent une partie de l'eau qui les tenoit en dissolution, ainsi l'eau qui se précipite, retient une partie de l'air qui la tenoit en dissolution : de même que plusieurs sels privés de leur eau de crystallisation, la reprennent s'ils sont exposés à l'air ; ainsi l'eau dépouillée, s'il est permis de parler ainsi, de son air de crystallisation, le reprend bientôt après : d'où il suit qu'il y a une parfaite analogie entre la dissolution des sels dans l'eau, & celle de l'eau dans l'air ; de sorte que le physicien, qui pourra développer le méchanisme de la dissolution des sels dans l'eau, expliquera en même tems le méchanisme de l'élevation & de la suspension de l'eau dans l'air & donnera, pour ainsi dire, la clé de l'explication entiere & exacte de la formation de plusieurs météores ".

Quoique les deux articles de mon mémoire, que je viens de transcrire, paroissent suffisans pour établir ce que je m'étois proposé, que l'eau se soûtient dans l'air dans l'état de dissolution, & que cette dissolution a les mêmes propriétés que celle des sels dans l'eau : je crois cependant qu'il ne sera pas inutile d'ajoûter le troisieme article, sur la maniere de déterminer les causes qui font varier la quantité d'eau que l'air tient en dissolution, parce que les

(b) " Je me sers de globes tout neufs, afin qu'on ne puisse pas soupçonner qu'on y ait mis de l'eau. Plus ce globe est grand, plus le succès de cette expérience est manifeste, la surface des globes n'augmentant pas dans la même raison que la quantité d'air qu'ils contiennent.

(c) Je mets premierement sur l'ouverture un morceau de carte, ensuite plusieurs couches de cire fondue ; par-dessus la cire je mets du lut ordinaire bien étendu & bien séché sans aucune crevasse : enfin je couvre le tout d'un linge enduit d'un lut fait avec le blanc d'oeuf & la chaux.

(d) Outre l'eau véritablement dissoute, l'air contient souvent de l'eau surabondante qui trouble sa transparence, & forme les nuées & les brouillards. On voit bien qu'il ne s'agit ici que de la premiere.

expériences rapportées dans cet article, confirment encore cette théorie.

ARTICLE III. Maniere de déterminer les causes qui font varier la quantité d'eau que l'air libre tient en dissolution. " L'air de notre atmosphere ne contient pas toûjours la même quantité d'eau en dissolution : deux causes principales, le vent & la chaleur, la font varier très-considérablement. Avant de passer au détail des observations que j'ai faites sur ce sujet, je dois premierement expliquer ce que j'entends par degré de saturation de l'air ; décrire l'expérience dont je me sers pour la déterminer, & reconnoître le plus ou le moins d'eau que l'air tient en dissolution.

Nous avons démontré plus haut que l'air peut dissoudre d'autant plus d'eau, qu'il est plus chaud. Cela posé, on conçoit aisément qu'il y a en tout tems un certain degré de feu auquel l'air seroit saoulé d'eau. J'appelle ce degré, degré de saturation de l'air. Supposons, pour me rendre plus clair, que le 28 d'Août l'air de l'atmosphere tienne en dissolution une quantité d'eau telle qu'il en seroit saoulé au dixieme degré : ce jour-là l'air pourroit être refroidi jusqu'à ce degré, sans qu'il se précipitât aucune partie de l'eau qu'il tient en dissolution : refroidi à ce degré, il ne pourroit dissoudre de nouvelle eau ; refroidi au-dessous de ce degré, il lâcheroit nécessairement une partie de l'eau qu'il tenoit en dissolution ; & il en laisseroit précipiter une quantité d'autant plus grande, que le froid seroit plus fort : dans ce cas le dixieme degré sera appellé le degré de saturation de l'air. Il est clair que plus le degré de saturation est élevé, plus l'air tient d'eau en dissolution ; d'où il suit qu'en observant chaque jour le degré de saturation de l'air, examinant en même tems les circonstances du tems, on peut aisément parvenir à la connoissance des causes qui font varier la quantité d'eau que l'air tient en dissolution. Voici l'expérience facile dont je me sers pour déterminer le degré de saturation de l'air, supposé que le degré soit au-dessus du terme de la glace. (e)

Je prends de l'eau refroidie, au point de faire précipiter sensiblement l'eau que l'air tient en dissolution sur les parois extérieures du vaisseau dans lequel elle est contenue. Je mets de cette eau dans un grand verre bien sec, y plongeant la boule d'un thermometre, afin d'observer son degré de chaleur (f) : je la laisse échauffer d'un demi-degré, après quoi je la transporte dans un autre verre. Si à ce nouveau degré l'eau dissoute dans l'air se précipite encore sur les parois extérieures du verre, je continue de laisser échauffer l'eau de demi-degré en demi-degré, jusqu'à ce que j'aye saisi le degré au-dessus duquel il ne se précipite plus rien. Ce degré est le degré de saturation de l'air. Par exemple, le soir du 5 Octobre 1752, la chaleur de l'air étant au treizieme degré, l'eau qu'il tenoit en dissolution commençoit à se précipiter sur le verre refroidi au cinquieme degré & demi : au-dessus de ce degré la surface extérieure du verre restoit seche ; au-dessous de ce degré, l'eau qui se précipitoit de l'air sur le verre, étoit d'autant plus considérable, que le verre étoit plus froid. Il est clair que ce jour-là le degré de saturation de l'air étoit un peu au-dessus du cinquieme degré & demi, puisque refroidi à ce degré, il commençoit à laisser précipiter une partie de l'eau qu'il tenoit en dissolution. On peut donc, au moyen de cette expérience, déterminer en différens tems le degré de saturation de l'air, & ainsi reconnoître les causes qui font varier la quantité d'eau qu'il tient en dissolution ".

Je ne dois point oublier ici de parler d'une objection qui m'a été proposée par un habile physicien, & qui au premier coup-d'oeil paroît renverser la théorie que je viens de tâcher d'établir. Voici l'objection. Suivant les expériences de quelques physiciens, l'eau s'évapore dans le vuide ; elle peut donc s'élever sans le secours de l'air, sans y être soûtenue, comme je l'ai dit dans l'état de dissolution. Mais si le physicien avoit fait attention que l'eau contient une quantité immense d'air dont on ne peut la purger entierement, & qu'elle ne peut s'évaporer sans que l'air qu'elle contient se développe, il auroit aisément remarqué que cette objection renferme un paradoxe, & qu'il est impossible qu'un espace contenant de l'eau qui s'évapore, reste parfaitement vuide d'air.

Jusqu'ici nous avons examiné quels sont les corps susceptibles d'évaporation, quelle est la nature des particules qui s'élevent dans l'air par cette voie, par quelles suppositions les physiciens avoient tâché d'expliquer le méchanisme de l'évaporation ; enfin dans la partie du mémoire que je viens de transcrire, j'ai considéré l'état dans lequel l'eau évaporée se trouvoit suspendue en l'air ; & j'ai tâché de faire voir qu'elle y étoit suspendue dans l'état de dissolution, & que cette dissolution avoit les mêmes propriétés que celle de la plûpart des sels dans l'eau. Pour achever ce qui concerne cette matiere, il nous reste seulement à parler des causes qui accélerent ou retardent l'évaporation, & à rechercher l'utilité générale de cette propriété singuliere de la plus grande partie des corps, par laquelle ils peuvent s'élever dans l'atmosphere.

Personne n'ignore que la chaleur est la cause qui accélere le plus l'évaporation ; ainsi les corps susceptibles d'évaporation, exposés au soleil ou à l'action du feu, s'évaporent d'autant plus rapidement, qu'ils sont plus échauffés. Ces corps ne peuvent être échauffés, sans communiquer leur chaleur à l'air environnant. Cet air étant échauffé, son degré de chaleur devient plus éloigné de son degré de saturation ; il acquiert donc par-là plus d'activité à dissoudre les particules évaporables, & à s'en charger. Remarquons encore avec M. Hamberger, que l'air contigu aux corps évaporables, lorsqu'il est échauffé par l'action du feu, devient plus rare & plus leger, s'éleve & se renouvelle continuellement ; & que ce renouvellement continuel de l'air ne contribue pas peu à accélerer l'évaporation.

L'air contenu en grande quantité & sous une forme non-élastique dans l'intérieur des corps susceptibles d'évaporation, est encore un agent qui, mis en action par la chaleur, contribue à accélérer l'évaporation : c'est ce qu'on observe tous les jours dans l'éolipyle. Ce vase à demi-plein d'eau étant mis sur le feu jusqu'à ce que l'eau bouille, l'air contenu dans cette eau recouvrant par la chaleur son élasticité, s'en dégage, s'échappe avec rapidité par l'ouverture étroite de ce vaisseau, & entraîne peu-à-peu toute l'eau dans laquelle il étoit contenu. Dans ce cas il est visible que l'air extérieur ne peut point agir sur l'eau contenue dans l'éolipyle, & que l'évaporation de cette eau est entierement dûe au développement de l'air qui y étoit contenu. Voyez EOLIPYLE.

Le vent naturel ou artificiel accélere aussi l'évaporation ;

(e) Quoiqu'au moyen de cette expérience on ne puisse déterminer le plus ou moins d'eau que l'air tient en dissolution, que pour les tems où le degré de saturation est au-dessus du terme de sa glace, je crois cependant que personne ne me contestera que les conclusions que j'en tire, ne puissent aussi s'appliquer aux tems où ce degré est au-dessous du terme de sa glace.

(f) Pour faire cette expérience avec facilité & exactitude, on doit se servir de thermometre à esprit-de-vin, dont la boule & le tuyau soient aussi petits qu'il est possible. Les thermometres dont je me sers, sont gradués sur l'échelle de M. de Réaumur ".

ce qui paroît dépendre principalement du renouvellement continuel de l'air qui environne les corps.

Indépendamment de la chaleur & du vent, diverses circonstances de l'atmosphere peuvent encore augmenter ou diminuer la rapidité de l'évaporation. Par rapport à ces circonstances de l'atmosphere, qui sont favorables ou contraires à l'évaporation, nous pouvons établir, d'après l'observation de cette regle générale, que plus le degré de chaleur de l'air est au-dessus de son degré de saturation, plus l'évaporation est rapide. Cela posé, pour déterminer les circonstances dans lesquelles l'évaporation est plus ou moins rapide, il suffira d'observer dans quelles circonstances le degré de chaleur de l'air est plus éloigné de son degré de saturation.

Pendant la nuit le degré de chaleur de l'air est ordinairement de beaucoup plus près du degré de saturation, que dans le jour ; quelquefois même l'air se refroidit pendant la nuit jusqu'au degré de saturation ou au-delà, comme je l'ai fait voir dans la seconde partie de mon mémoire : aussi observe-t-on que l'évaporation est beaucoup moins rapide pendant la nuit que dans le jour. Il y a encore une autre cause qui concourt à rendre l'évaporation plus lente dans la nuit que pendant le jour ; c'est que dans la nuit l'air est ordinairement moins agité.

La rapidité de l'évaporation souffre encore beaucoup de variétés, suivant la direction du vent. Le vent de nord est celui par lequel le degré de chaleur de l'air est le plus éloigné de son degré de saturation. C'est aussi par le vent que l'évaporation est la plus rapide ; au moins puis-je l'assûrer avec certitude du bas Languedoc, où je l'ai observé, & il est vraisemblable que ce doit être la même chose dans presque toute l'Europe. Après le nord vient le nord-oüest, qu'on appelle ici magistral, en Italie maestro ; c'est le plus salutaire, & celui qui regne le plus dans le bas Languedoc. Lorsqu'il souffle dans ce pays, l'air y est un peu plus chargé d'eau que par le vent de nord ; mais il est encore très-siccatif, c'est-à-dire favorable à l'évaporation. Le sud-est, qui vient directement de la mer, est le vent par lequel le degré de chaleur de l'air est le plus près de son degré de saturation ; aussi l'évaporation est-elle moins rapide lorsqu'il souffle, que par tout autre vent.

On voit par ce que nous venons de dire, qu'il n'y a point d'uniformité dans l'évaporation ; que suivant les différens états de l'atmosphere, elle est plus ou moins rapide, quelquefois nulle ; & que même il arrive certaines nuits que l'air se refroidissant au-delà du degré de saturation, les corps évaporables augmentent du poids de l'eau que l'air dépose sur eux. La constitution de l'air étant donc aussi variable, il n'est pas possible de déterminer la quantité d'eau qui peut s'élever dans l'atmosphere dans l'espace d'un jour, ni même pendant une année. M. Musschenbroeck a déterminé sur ses observations faites à Leyde, & sur celles de M. Sedileau, faites en France, qu'année moyenne l'eau contenue dans un bassin quarré de plomb, diminuoit à-peu-près de 28 pouces de hauteur, & que par conséquent l'évaporation alloit à cette quantité ; mais ce n'est qu'un à-peu-près, l'évaporation étant d'un tiers plus considérable certaines années que d'autres, comme il paroît par les observations de M. Sedileau. Voyez l'Essai de Physique, pag. 775. Voyez aussi FLEUVE, PLUIE, &c.

Tous les animaux, tous les végétaux, une partie des minéraux, la terre qu'on appelle proprement humus, qui formée des débris des animaux & des végétaux, fournit en même tems la matiere prochaine de ces corps ; enfin l'eau : toutes ces substances sont, comme nous l'avons dit plus haut, susceptibles d'évaporation. Cette multitude immense de corps auxquels s'étend cette propriété, nous fait assez comprendre qu'elle appartient en quelque maniere à l'économie générale de notre globe : &, en effet, c'est au moyen de cette propriété que l'eau, qui fait la base de tous les corps vivans, est reportée & distribuée sans-cesse sur toute la surface de la terre, contre sa pente naturelle, qui la porte à se ramasser toute entiere dans les endroits de la terre qui sont les moins éloignés de son centre : par elle les matieres animales & végétales, parvenues par la pourriture au dernier degré de leur résolution, s'élevent dans l'atmosphere, pour être reportées ensuite à la terre, & servir à la construction de nouveaux êtres. C'est en considérant cette circulation admirable, qu'on peut prendre, avec quelques physiciens, une idée aussi grande que juste de l'utilité premiere & pour ainsi dire cosmique du fluide qui environne notre globe. Finissons en appliquant à ce fluide la pensée de Virgile sur l'ame du monde :

Scilicet huc reddi deinde ac resoluta referri

Omnia, nec morti esse locum. Géorg. lib. IV.

Cet article est de M. LE ROI, docteur en Medecine de la faculté de Montpellier, & de la société royale des Sciences de la même ville.

EVAPORATION, (Chimie) L'évaporation est un moyen chimique dont l'usage est très-étendu ; il consiste à dissiper par le moyen du feu, en tout ou en partie, un liquide exposé à l'air libre, & qui tient en dissolution une substance, laquelle n'est ni volatile, ni altérable au degré de feu qui opere la dissipation de ce liquide.

On a recours à l'évaporation pour opérer la séparation dont nous venons de parler, toutes les fois qu'on ne se met point en peine du liquide relevé par le feu : lorsqu'on veut le retenir au contraire dans une vûe philosophique, médicinale ou économique, comme dans l'examen chimique d'un liquide composé ; dans la préparation des sirops aromatiques & alkali-volatils, & dans la concentration d'une teinture, on doit avoir recours à la distillation. Voyez DISTILLATION. Aussi n'est-ce proprement que l'eau que l'on sépare de diverses substances moins volatiles, dans les cas où l'évaporation est la plus employée.

L'évaporation a sur la distillation cet avantage singulier, qu'elle opere la séparation qu'on se propose, en beaucoup moins de tems que la distillation ne l'opere, soit que l'air contribue matériellement à cet effet, soit qu'il dépende uniquement de la liberté qu'ont les vapeurs de se raréfier dans l'air libre jusqu'à la dissipation absolue, c'est-à-dire jusqu'à la destruction de toute liaison aggrégative (voyez le mot CHIMIE, par ex.) ; ainsi on doit mettre en oeuvre ce moyen simple & abregé, toutes les fois qu'une des circonstances énoncées ci-dessus ne s'oppose point à son emploi.

Le degré de feu étant égal, une évaporation est d'autant plus rapide, que le liquide à évaporer est exposé à l'air libre sous une plus grande surface ; & au contraire.

On dissipe par l'évaporation l'eau surabondante à la dissolution d'un sel ; & une partie de l'eau de la dissolution, pour disposer ce sel à la crystallisation. Voyez SEL & CRYSTALLISATION. La cuite des sirops, celle des robs, des gelées, des électuaires, &c. la préparation des extraits des végétaux, la dessiccation du lait, &c. s'exécutent par l'évaporation.

Quoique le degré de feu auquel on exécute ces diverses opérations, soit assez leger, puisqu'il ne peut excéder la chaleur dont est susceptible l'eau bouillante chargée de diverses matieres, cependant l'eau bouillante, & même l'eau agitée moins sensiblement par un degré de chaleur inférieur, attaque la composition intérieure de plusieurs substances, & surtout de certains sels & de certains extraits. Voyez EXTRAIT, voyez aussi SEL. Il faut dans ces cas exécuter l'évaporation à une foible chaleur.

On a communément recours au bain-marie dans ces occasions ; & ce secours est non-seulement très-commode à cet égard, mais il devient même quelquefois nécessaire lorsqu'on est obligé de se servir de vaisseaux de terre ou de verre, qu'on n'expose au feu nud qu'avec beaucoup de risque. On est dans le cas de se servir indispensablement de vaisseaux de terre ou de verre, lorsque les matieres à traiter s'altéreroient en attaquant les vaisseaux de métal. Les dissolutions de sel qu'on veut disposer à la crystallisation par l'évaporation, se traitent toûjours dans des vaisseaux de terre ou de verre. Voyez VAISSEAUX, voyez SEL.

On exécute des évaporations dans toute la latitude du feu chimique, qui s'étend depuis le degré le plus foible (voyez FEU) jusqu'à l'ébullition des liquides composés, qui sont les sujets ordinaires des évaporations, c'est-à-dire des dissolutions plus ou moins rapprochées de divers sels, des décoctions de végétaux ou de substances animales, &c. L'évaporation qui s'opere par la seule chaleur de l'atmosphere, est connue dans l'art sous le nom d'évaporation insensible. Notre célebre M. Roüelle a employé l'évaporation insensible avec un très-grand avantage dans ses travaux sur les sels. Voyez SEL, voyez CRYSTALLISATION. Elle n'est pratiquable que sur ces substances ; tous les autres composés solubles dans l'eau, éprouveroient dans les mêmes circonstances un mouvement intestin qui les dénatureroit. Voyez FERMENTATION.

Les lois de manuel, selon lesquelles il faut hâter, retarder ou suspendre l'évaporation, se déduisent des différentes vûes qu'on se propose en l'employant, & se trouvent dans les articles particuliers où il s'agit de produits chimiques ou pharmaceutiques obtenus par ce moyen. Voyez CRYSTALLISATION, EXTRAIT, SIROP, ROB, GELEE, &c. (b)


EVAPORERv. act. (Docimast.) ou faire fumer une coupelle, se dit de la dessiccation qu'on lui donne en la mettant renversée sous la moufle une heure avant que d'y mettre le régule, si elle est faite de cendres de bois, parce qu'il y reste presque toûjours une petite portion d'alkali qui attire l'humidité de l'air. Celles qui sont faites de cendres d'os d'animaux, ne veulent pas être recuites pendant si long-tems, parce qu'elles ne retiennent pas l'humidité aussi fortement ; elles ne contiennent que celle qui se répand assez uniformément dans tous les corps environnés de l'atmosphere, qu'elles prennent à la vérité en assez grande quantité par leur qualité d'absorbans. On peut constater la présence de l'humidité dans les coupelles, par la distillation ; mais ce n'est pas pour la leur enlever seulement qu'on les évapore, c'est encore pour dissiper quelques portions de phlogistique qui peut y être, soit de la part des liqueurs mucilagineuses, avec lesquelles on pelote la cendrée pour l'humecter, ou des petites molécules de charbon que la calcination n'aura pû détruire : ainsi faute d'évaporer la coupelle, il peut arriver ou que le plomb soit enlevé par petites gouttes, par l'expansion des vapeurs aqueuses sortant avec impétuosité de la coupelle, ou réduit par le phlogistique qu'il y trouve ; ce qui occasionnant une effervescence & un boursoufflement, fait fendre la coupelle. Quand les vapeurs sont en petite quantité, le plomb ne fait que se trémousser & changer de place ; ensorte qu'il se répand quelquefois. Voyez COUPELLE & AFFINAGE, au mot ESSAI. Cet article est de M. DE VILLIERS.


EVASERv. act. (Art méchaniq.) c'est aggrandir l'ouverture, ensorte que l'orifice de la chose évasée soit plus étendu que son fond. On n'évase que ce qui étoit déjà ouvert.

EVASER, EVASE, (Jardin.) On dit qu'un arbre est trop évasé, quand il a trop de circonférence : on le dit de même d'une fleur. (K)


EVATESsubst. m. (Hist. anc.) c'étoit une branche ou division des druides, anciens philosophes celtiques. Voyez DRUIDES.

Strabon divise les philosophes bretons & gaulois en trois sectes ; les bardes, les évates, les druides. Il ajoûte que les bardes étoient poëtes & musiciens ; les évates, prêtres & naturalistes ; & les druides, moralistes aussi-bien que naturalistes : mais Marcellin, Vossius, & Hornius les réduisent tous à deux sectes, savoir, les bardes & les druides. Enfin César, liv. VI. les renferme tous sous le nom de druides.

Les évates ou vates de Strabon sont probablement ceux que d'autres auteurs & particulierement Ammien Marcellin appelle eubages ; mais M. Bouche, dans son Histoire de Provence, liv. I. chap. ij. les distingue. " Les vates, dit-il, étoient ceux qui prenoient soin des sacrifices & des autres cérémonies de la religion ; & les eubages passoient leur tems à la recherche & à la contemplation des mysteres de la nature. Voyez EUBAGES ". Chambers. (G)


EVAUX(Géog. mod.) ville du Bourbonnois, en France. Long. 20. 10. lat. 46. 15.


EVÊCHÉS. m. (Hist. ecclés. & Jurisprud.) est l'église ou le bénéfice d'un évêque ; ces sortes de bénéfices sont séculiers & du nombre de ceux que l'on appelle consistoriaux : ils ont dignité & jurisdiction spirituelle annexées.

Quelquefois par le terme d'évêché on entend le siége d'un évêque, c'est-à-dire le lieu où est son église : quelquefois on entend singulierement la dignité d'évêque ; mais on dit plus régulierement en ce sens épiscopat.

Evêché signifie aussi le diocèse ou territoire soûmis à la jurisdiction spirituelle d'un évêque.

Enfin on se sert quelquefois du terme d'évêché, pour exprimer la demeure de l'évêque ou palais épiscopal.

Les évêchés sont les premiers & les plus anciens de tous les offices & bénéfices ecclésiastiques.

L'institution des premiers évêchés est presque aussi ancienne que la naissance de l'Eglise.

Le plus ancien est celui de Jérusalem, où S. Pierre fut cinq ans, depuis l'an 34 de Notre-Seigneur, & où il mit en sa place S. Jacques le mineur.

Le second qui fut établi, fut celui d'Antioche, où S. Pierre demeura sept ans, puis y mit Evodius.

Le troisieme, dans l'ordre des tems, est celui de Rome, dont S. Pierre jetta les fondemens l'an 45 de Jesus-Christ.

Ainsi Jérusalem & Antioche ont été successivement le premier évêché en dignité ou principal siége de l'Eglise ; mais Rome est ensuite devenue la capitale de la Chrétienté.

L'évêché de Limoges fut fondé par S. Martial vers l'an 80.

S. Clément pape envoya vers l'an 94 des évêques en plusieurs lieux, comme à Evreux, à Beauvais ; il envoya S. Denis à Paris, & S. Nicaise à Roüen.

Les évêchés se multiplierent ainsi peu-à-peu dans tout le monde chrétien ; mais les érections des nouveaux évêchés devinrent sur-tout plus communes dans le xij. siecle, & dans le suivant ; car au commencement du xiij. siecle, ils étoient en si grand nombre du côté de Constantinople, que le pape, écrivant en 1206 au patriarche de cette ville, lui permit de conférer plusieurs évêchés à une même personne.

La pluralité des évêchés a cependant toûjours été défendue par les canons, de même que la pluralité des bénéfices en général ; mais on a été ingénieux dans tous les tems à trouver des prétextes de dispenses, pour posséder plusieurs évêchés ensemble, ou un évêché avec des abbayes. Ebroin évêque de Poitiers fut le premier en 850, qui posséda un évêché & une abbaye ensemble : les choses ont été poussées bien plus loin ; car le cardinal Mazarin évêque de Metz possédoit en même tems treize abbayes ; & quant à la pluralité des évêchés, Jannus Pannonius, un des plus habiles disciples du fameux professeur Guarini de Vérone, étoit à son décès évêque de cinq villes ; le cardinal de Joyeuse étoit tout-à-la-fois archevêque de Toulouse, de Roüen, & de Narbonne ; & il y a encore en Allemagne des princes ecclésiastiques qui ont jusqu'à quatre évêchés, & plusieurs abbayes.

L'étendue de chaque évêché n'étoit point d'abord limitée ; ce fut le pape Denis qui en fit la division en l'année 308.

Dans les premiers siecles de l'Eglise, chaque évêque étoit indépendant des autres ; il n'y avoit ni métropolitains, ni suffragans : il n'y avoit d'abord dans chaque province qu'un évêché, jusqu'à ce que le nombre des Chrétiens s'étant beaucoup accrû, on érigea plusieurs évêchés dans une même province civile, lesquels composerent ensemble une province ecclésiastique.

Le concile de Nicée tenu en 325, attribua à l'évêque de la métropole ou capitale de la province une supériorité sur les autres évêques comprovinciaux ; d'où est venu la distinction des évêchés métropolitains, que l'on a nommés archevêchés, d'avec les autres évêchés de la même province, qu'on appelle suffragans, à cause que les titulaires de ces évêchés ont droit de suffrage dans le synode métropolitain, ou plûtôt parce qu'anciennement ils assistoient à l'élection du métropolitain, qu'ils confirmoient son élection, & le consacroient.

Les métropoles sont ordinairement les seules églises qui ayent des suffragans ; il y a cependant quelques évêchés qui ont pour suffragans des évêques in partibus, que l'on donne à l'évêque diocésain pour l'aider dans ses fonctions.

Il y a aussi quelques évêchés qui ne sont suffragans d'aucun archevêché, mais sont soûmis immédiatement au saint Siége, comme celui de Québec en Canada.

Enfin il y a des pays qui ne sont d'aucun évêché, tels que la Martinique, la Guadeloupe, la Cayenne, Marigalande, Saint-Domingue, & autres îles françoises de l'Amérique, qui sont administrées pour le spirituel par plusieurs religieux de divers corps, qui en sont les pasteurs, & qui prennent leurs pouvoirs du siége ou de l'archevêque de Saint-Domingue, ville située dans la partie qui est aux Espagnols.

Le même concile de Nicée dont on a déjà parlé, porte encore que l'on doit observer les anciennes coûtumes établies dans l'Egypte, la Lybie, & la Pentapole ; ensorte que l'évêque d'Alexandrie ait l'autorité sur toutes ces provinces. Ce degré de jurisdiction attribué à certains évêchés sur plusieurs provinces, est ce que l'on a appellé patriarchat ou primatie.

L'autorité des conciles provinciaux suffisoit, suivant l'ancien droit, pour l'érection des évêchés & des métropoles ; mais depuis long-tems on n'en érige plus sans l'autorité du pape. Il faut aussi entendre les parties intéressées : savoir les évêques dont on veut démembrer le diocèse, le métropolitain auquel on veut donner un nouveau suffragant, le clergé & le peuple du nouveau diocèse que l'on veut former, le roi, & les autres seigneurs temporels. Ces nouveaux établissemens ne se peuvent faire en France sans lettres patentes du Roi, dûment enregistrées.

Lorsqu'un pays est ruiné par la guerre, ou autre calamité, on unit quelquefois l'évêché de ce pays à un autre, ou bien on transfere le siége de l'évêché dans une autre ville : ce qui doit se faire avec les mêmes formalités qu'une nouvelle érection.

Il y a en France dix-huit archevêchés métropolitains, & cent treize évêchés qui sont leurs suffragans. Ces évêchés ne sont pas partagés également entre les métropolitains ; car depuis long-tems, pour l'érection des métropoles, on a eu égard à la dignité des villes, plûtôt qu'au nombre d'évêchés suffragans : il n'y a cependant point d'archevêché, qui n'ait plusieurs évêchés suffragans.

Les évêchés étoient autrefois remplis par élection. Présentement en France, c'est le Roi qui y nomme.

Un évêque ne doit point sans cause légitime être transféré d'un évêché à autre.

Voyez BENEFICES CONSISTORIAUX, CONCORDAT, ELECTION, EVEQUE, NOMINATION ROYALE, PRAGMATIQUE. (A)

EVECHES ALTERNATIFS, sont ceux que l'on confere tour-à-tour à des catholiques & à des luthériens. Il y en a en Allemagne. Quand l'évêque est catholique, son grand-vicaire est protestant ; & vice versâ, quand l'évêque est protestant, son grand-vicaire est catholique. L'évêché d'Osnabruk est du nombre de ces évêchés alternatifs. (A)

EVECHE DIOCESAIN, voyez EVEQUE DIOCESAIN.

EVECHE IN PARTIBUS, voyez ci-après EVEQUE IN PARTIBUS.

EVECHE METROPOLITAIN ; voyez ARCHEVEQUE, & ci-après EVEQUE METROPOLITAIN, METROPOLE, METROPOLITAIN.

EVECHES SECULARISES, sont ceux qui ne sont plus en titre de bénéfices, & qui sont possédés par des laïcs ; ceux de Magdebourg & de Bremen en Allemagne, l'ont été, & ne sont plus considérés que comme des principautés séculieres qui appartiennent à des protestans. Tableau de l'Empire germaniq. page 89. (A)

EVECHE SUFFRAGANT, est celui qui est soûmis à une métropole. Voyez ce qui a été dit ci-devant sur les EVECHES en général, & ci-après EVEQUE METROPOLITAIN, METROPOLE, METROPOLITAIN. (A)

EVECHE VACANT, est celui qui n'est point rempli de fait, ou qui de droit est censé ne le pas être. Il est vacant de fait par la mort de l'évêque ; il est vacant de droit, par les mêmes causes qui font vaquer les autres bénéfices. Voyez REGALE, SIEGE, VACANT. (A)


EVECTIONS. f. (Astron.) est un terme que les anciens astronomes ont employé pour désigner ce qu'ils appelloient la libration de la lune. Voyez LIBRATION.

Dans la nouvelle astronomie, quelques astronomes ont employé ce mot pour désigner une des principales équations du mouvement de la lune, qui est proportionnelle au sinus du double de la distance de la lune au soleil, moins l'anomalie de la lune. Cette équation est de 1 degré 20 minutes, selon quelques auteurs ; selon d'autres, de 1° 16', 1° 18', &c. Sa quantité n'est pas encore exactement déterminée, ni par la théorie, ni par les observations ; mais après l'équation du centre, elle est la plus grande de toutes les équations de la lune, sans en excepter la variation, qui n'est qu'environ la moitié de celle-ci. Voyez VARIATION.

M. Mayer, dans ses nouvelles tables de la lune publiées dans le second volume des mémoires de l'académie de Gottingen, s'est servi du terme d'évection pour désigner l'équation dont il s'agit. C'est l'évection qui fait varier l'équation du centre dans les tables Newtoniennes de la lune, de plus de deux degrés & demi. Voyez EQUATION & LUNE. (O)

* EVECTIONS, evectiones, (Hist. anc.) c'étoit une permission écrite de l'empereur, ou des gouverneurs, ou des premiers officiers, sur laquelle on pouvoit courir la poste, sans bourse délier. On présentoit cette permission à toutes les stations. Si le chemin conduisoit au lieu de la résidence d'un gouverneur, il falloit avoir l'attention d'aller chez cet officier faire ratifier sa permission, qui marquoit & la durée du voyage, & le nombre des chevaux accordés au voyageur. Il y eut un tems où les gouverneurs mêmes avoient besoin d'un billet de franchise soussigné de l'empereur, ou du préfet du prétoire, ou de l'officier appellé dans le palais magister officiorum.


EVEILLERv. act. c'est interrompre le sommeil.


EVENEMENTS. m. (Gram.) terme par lequel on désigne, ou la production, ou la fin, ou quelque circonstance remarquable & déterminée dans la durée de toutes les choses contingentes. Mais peut-être ce terme est-il un des radicaux de la langue : & servant à définir les autres termes, ne se peut-il définir lui-même ? Voyez l'article DICTIONNAIRE. Voyez aussi à l'article ENCYCLOPEDIE, la maniere de fixer la notion des termes radicaux.

ÉVENEMENT, eventus, (Medecine) ; ce terme est employé pour signifier la fin d'une maladie, l'issue qu'elle a, bonne ou mauvaise.

Rien n'est plus nécessaire, & ne peut faire plus d'honneur à un medecin praticien, que de savoit prédire quel sera l'évenement dans une maladie ; car il est continuellement exposé à être interrogé à ce sujet : Prosper Alpin a donné une excellente doctrine sur l'art de prévoir & d'annoncer les évenemens des maladies, dans son livre de praesagienda vitâ & morte.

La vie est une maniere d'être déterminée du corps humain ; la maladie est aussi un état déterminé de ce même corps, différent de celui qui constitue la santé, & contraire à la vie : la maladie tend à la mort : il se fait par la condition, qui établit la maladie, un changement dans le corps, tel qu'il est en conséquence absolument différent de l'état de santé ; ainsi le corps n'est pas disposé dans la maladie, comme il est en santé. Le medecin compare les forces de la vie, telle qu'elle existe encore après l'établissement de la maladie, avec celle de la maladie même ; & il juge par cette comparaison si la cause de la maladie sera supérieure à celle de la vie ou non, c'est-à-dire si la maladie se terminera par la mort ou par le retour de la santé, ou par une autre maladie, ou par la seule conservation de la vie, sans espérance de santé : les signes par lesquels le medecin connoît ce qui doit arriver dans les maladies, & la maniere dont elles doivent se terminer, sont appellés prognostics. Voyez SIGNE, PROGNOSTIC. (d)


ÉVENTS. m. (Comm.) au sujet de l'aunage des étoffes de laine, signifie ce qui est donné par les auneurs au-delà de la juste mesure ; ce qui va à un pouce sur chaque aune. Le reglement des manufactures du mois d'Août 1669, veut que les auneurs mesurent les étoffes bois-à-bois & sans évent. Voyez POUCE-EVENT. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chamb. (G)

ÉVENT, est, dans l'Artillerie, une ouverture ronde ou longue, qui se trouve dans les pieces de canon & autres armes à feu, après que l'on en a fait l'épreuve avec la poudre, & qu'elles se trouvent défectueuses. Il y a des évents qui ne paroissent quelquefois que comme la trace d'un cheveu, & par où néanmoins l'air suinte & la fumée sort. On rebute ces piéces, & on leur casse les anses. Voyez ÉPREUVE. (Q)

* ÉVENTS terme de Fonderie, sont des tuyaux de cire adhérans à la figure, & qui étant renfermés dans le moule de potée, & fondus par la cuisson, ainsi que les cires de la figure, laissent dans le moule de potée des canaux qui servent à laisser une issue libre à l'air renfermé dans l'espace qu'occupoient les cires qui, sans cette précaution, étant comprimé par la descente du métal, romproit à la fin le moule, ou se jetteroit sur quelque partie de la figure. Voyez les Planches de la Fonderie des figures équestres.

ÉVENTS, en terme de Fondeur en sable, sont de petits canaux vuides, par où l'air contenu dans les moules, peut sortir à mesure que le métal fondu en prend la place : ils sont formés par des verges de laiton qui laissent leur empreinte dans les moules ou avec la branche. Voyez FONDEUR EN SABLE.

ÉVENTS, en terme de Raffinerie ; ce sont des conduits ménagés dans les fourneaux, au milieu, derriere les chaudieres, & sur les coins, pour donner issue aux fumées : & passer dans les cheminées.


ÉVENTAILinstrument qui sert à agiter l'air & à le porter contre le visage, pour le rafraîchir dans les tems chauds. La coûtume qui s'est introduite de nos jours parmi les femmes, de porter des éventails, est venue de l'Orient, où la chaleur du climat rend l'usage de cet instrument & des parasols presqu'indispensable. Il n'y a pas long-tems que les femmes européennes portoient des éventails de peau pour se rafraîchir l'été ; mais elles en portent aujourd'hui aussi-bien en hyver qu'en été, mais c'est seulement pour leur servir de contenance.

En Orient on se sert de grands éventails de plumes pour se garantir du chaud & des mouches. En Italie & en Espagne, on a de grands éventails quarrés, suspendus au milieu des appartemens, particulierement au-dessus des tables à manger, qui, par le mouvement qu'on leur donne & qu'ils conservent long-tems à cause de leur suspension perpendiculaire, rafraîchissent l'air en chassant les mouches.

Chez les Grecs on donne un éventail aux diacres dans la cérémonie de leur ordination ; parce que dans l'église greque, c'est une fonction des diacres que de chasser avec un éventail les mouches qui incommodent le prêtre durant la messe.

Vicquefort, dans sa traduction de l'ambassade de Garcias de Figueroa, appelle éventails certaines cheminées que les Persans pratiquent pour donner de l'air & du vent à leurs appartemens, sans quoi les chaleurs ne seroient pas supportables. Voyez -en la description dans cet auteur, pag. 38.

Présentement ce qu'on appelle en France, & presque par toute l'Europe, un éventail, est une peau très-mince, ou un morceau de papier, de taffetas, ou d'autre étoffe legere, taillée en demi-cercle, & montée sur plusieurs petits bâtons & morceaux de diverses matieres, comme de bois, d'ivoire, d'écaille de tortue, de baleine, ou de roseau.

Les éventails se font à double ou à simple papier.

Quand le papier est simple, les fleches de la monture se collent du côté le moins orné de peinture ; lorsqu'il est double, on les coud entre les deux papiers, déjà collés ensemble, par le moyen d'une espece de longue aiguille de laiton, qu'on appelle une sonde. Avant de placer les fleches, ce qu'on appelle monter un éventail, on en plie le papier, ensorte que le pliage s'en fasse alternativement en-dedans & en-dehors.

Ayez pour cet effet une planchette bien unie, faite en demi-cercle, un peu plus grand que le papier d'éventail ; que du centre il en parte vingt rayons égaux, & creusés de la profondeur de demi-ligne ; prenez alors l'éventail, & le posez sur la planchette ; le milieu d'en-bas appliqué sur le centre de la planchette ; fixez-le avec un petit clou ; puis l'arrêtant de maniere qu'il ne puisse vaciller, soit avec quelque chose de lourd mis par en-haut sur les bords, soit avec une main ; de l'autre pressez avec un liard ou un jetton le papier, dans toute sa longueur, aux endroits où il correspond aux rayes creusées à la planche : quand ces traces seront faites, déclouez & retournez l'éventail la peinture en-dessus ; marquez les plis tracés, & en pratiquez d'autres entre eux, jusqu'à ce qu'il y en ait le nombre qui vous convient : ce pliage fait, déployez le papier, & ouvrez un peu les deux papiers de l'éventail à l'endroit du centre ; ayez une sonde de cuivre plate, arrondie par le bout, & large d'une ligne ou deux ; tatonnez & coulez cette sonde jusqu'en-haut, entre chaque pli formé où vous avez à placer les brins de bois de l'éventail : cela fait, coupez entierement la gorge du papier fait en demi-cercle ; puis étalant les brins de votre bois, présentez-en chacun au conduit formé par la sonde entre les deux papiers ; quand ils seront tous distribués, collez le papier de l'éventail sur les deux maîtres brins ; fermez-le ; rognez tout ce qui excede les deux bâtons, & le laissez ainsi fermé jusqu'à ce que ce qui est collé soit sec, après quoi l'éventail se borde.

Les fleches se trouvent prises assez solidement dans chaque pli, qui a environ un demi-pouce de large : ces fleches qu'on nomme assez communément les bâtons de l'éventail, sont toutes réunies par le bout d'en-bas, & enfilées dans une petite broche de métal, que l'on rive des deux côtés : elles sont très-minces, & ont quatre à cinq lignes de largeur jusqu'à l'endroit où elles sont collées au papier ; au-delà, elles ne sont larges au plus que d'une ligne, & presqu'aussi longues que le papier même : les deux fleches des extrémités sont beaucoup plus larges que les deux autres, & sont collées sur le papier qu'elles couvrent entierement, quand l'éventail est fermé : le nombre des fleches ou brides ne va guere au-delà de vingt-deux : les montures des éventails se font par les maîtres Tabletiers, mais ce sont les Eventaillistes qui les plient & qui les montent.

Les éventails médiocres sont ceux dont il se fait la plus grande consommation : on les peint ordinairement sur des fonds argentés avec des feuilles d'argent fin, battu & préparé par les Batteurs d'or : on en fait peu sur des fonds dorés, l'or fin étant trop cher, & le faux trop vilain. Pour appliquer les feuilles d'argent sur le papier, aussi-bien que pour faire des ployés, on se sert de ce que les Eventaillistes appellent simplement la drogue, de la composition de laquelle ils font grand mystere, quoiqu'il semble néanmoins qu'elle ne soit composée que de gomme, de sucre candi & d'un peu de miel, fondus dans de l'eau commune, mêlée d'un peu d'eau-de-vie : on met la drogue avec une petite éponge ; & lorsque les feuilles d'argent sont placées dessus, on les appuie legerement avec le pressoir, qui n'est qu'une pelote de linge fin remplie de coton : si l'on employe des feuilles d'or, on les applique de même.

Lorsque la drogue est bien seche, on porte les feuilles aux batteurs, qui sont ou des relieurs ou des papetiers, qui les battent sur la pierre avec le marteau ; ce qui brunit l'or & l'argent, & leur donne autant d'éclat que si le brunissoir y avoit passé. Voyez les figures de l'Eventailliste.

ÉVENTAIL, en terme d'Orfévre en grosserie, est un tissu d'osier en forme d'écran, qu'on met au-devant du visage, & au milieu duquel on a pratiqué une espece de petite fenêtre, pour pouvoir examiner de près l'état où est la soudure, & le degré de chaleur qui lui est nécessaire.

ÉVENTAIL, (Jardinage, est un rideau de charmille qui couvre, qui masque quelqu'objet. On dit, un arbre en éventail. (K)

ÉVENTAIL, terme d'Emailleur) c'est une petite platine de fer-blanc ou de cuivre, de sept ou huit pouces de diametre, qui se termine en pointe par en-bas, où elle est emmanchée dans une espece de queue de bois. Cet éventail empêche l'ouvrier d'être incommodé par le feu de la lampe à laquelle il travaille : il se place entre l'ouvrier & la lampe, dans un trou percé à un pouce ou deux du tuyau de verre, par où le vent du soufflet excite le feu de la lampe. Voyez EMAIL.


ÉVENTAILLISTES. masc. marchand qui fait & vend des éventails. On a dit autrefois Eventailler.

La communauté des maîtres Eventaillistes n'est pas fort ancienne : leurs statuts sont postérieurs à la déclaration de 1673, par laquelle Louis XIV. érigea plusieurs nouvelles communautés dans Paris.

Anciennement les Doreurs sur cuir eurent des contestations avec les marchands Merciers & les Peintres, pour la peinture, monture, fabrique, & vente des éventails, il leur fut fait défenses en 1674, de prendre d'autre qualité que celle de Doreur sur cuir, & de troubler les Merciers dans la possession où ils étoient de faire peindre & dorer les éventails par les Peintres & Doreurs, & de les faire monter par qui ils voudroient.

Peu-après cet arrêt, la nouvelle communauté des Eventaillistes fut érigée, & reçut ses réglemens, suivant lesquels il est arrêté que la communauté sera régie par quatre jurés, dont deux seront renouvellés tous les ans au mois de Septembre, dans une assemblée à laquelle tous les maîtres peuvent assister sans distinction.

On ne peut être reçû maître sans avoir fait quatre ans d'apprentissage, & avoir fait le chef-d'oeuvre : néanmoins les fils de maîtres sont dispensés du chef-d'oeuvre, ainsi que les compagnons qui épousent des veuves ou des filles de maîtres.

Les veuves joüissent des priviléges de leur défunt mari, tant qu'elles restent en viduité ; cependant elles ne peuvent pas prendre de nouveaux apprentifs. Voyez le dictionn. & les réglem. du Comm.


ÉVENTERÉVENTER

ÉVENTER, (Chasse) On dit, éventer la voie ; c'est quand elle est si vive que le chien la sent, sans mettre le nez à terre, ou quand après un long défaut, les chiens ont le vent du cerf qui est sur le ventre dans une enceinte. On dit aussi, éventer un piége, c'est-à-dire faire ensorte de lui ôter l'odeur, parce que si le renard, ou la bête que l'on veut prendre, en a le vent, il n'en approchera jamais ; & pour éventer le piége, on le fait tremper vingt-quatre heures en eau courante ou claire, & on le frotte avec des plantes odoriférantes, comme serpolet, thin sauvage, & autres.

ÉVENTER, ÉVENTE, EXPOSE A L'AIR, (Jard.) Des racines éventées sont très-mauvaises & très-nuisibles à la reprise des jeunes plans.

ÉVENTER un bateau ; terme de Riviere, qui signifie dégager un bateau qui se trouve pressé entre deux autres.


ÉVENTILER(Jurisp.) terme de Pratique, qui signifie la même chose que ventiler ; ce dernier terme est le plus usité. Voyez VENTILATION & VENTILER. (A)

ÉVENTILLER, v. pas. (Faucon) se dit de l'oiseau lorsqu'il se secoue en se soûtenant en l'air. On dit qu'un oiseau s'éventille, lorsqu'il s'égaie & prend le vent.


EVÊQUEepiscopus, (Hist. ecclés. & Jurisp.) est un prélat du premier ordre qui est chargé en particulier de la conduite d'un diocèse pour le spirituel, & qui, conjointement avec les autres prélats, participe au gouvernement de l'Eglise universelle.

Sous le terme d'évêques sont aussi compris les archevêques, les primats, patriarches, & le pape même, lesquels sont tous des évêques, & ne sont distingués par un titre particulier des simples évêques, qu'à cause qu'ils sont les premiers dans l'ordre de l'épiscopat, dans lequel il y a plusieurs degrés différens par rapport à la hiérarchie de l'Eglise, quoique par rapport à l'ordre les évêques ayent tous le même pouvoir chacun dans leur diocèse.

Le titre d'évêques vient du grec , & signifie surveillant ou inspecteur. C'est un terme emprunté des payens ; car les Grecs appelloient ainsi ceux qu'ils envoyoient dans leurs provinces, pour voir si tout y étoit dans l'ordre.

Les Latins appelloient aussi episcopos ceux qui étoient inspecteurs & visiteurs du pain & des vivres : Cicéron avoit eu cette charge, episcopus orae campaniae.

Les premiers chrétiens emprunterent donc du gouvernement civil le terme d'évêques, pour désigner leurs gouverneurs spirituels ; & appellerent diocèse la province gouvernée par un évêque, de même qu'on appelloit alors de ce nom le gouvernement civil de chaque province.

Le nom d'évêque a été donné par S. Pierre à Jesus-Christ : il étoit aussi quelquefois appliqué à tous les prêtres en général, & même aux laïcs peres de famille.

Mais depuis long-tems, suivant l'usage de l'Eglise, ce nom est demeuré propre aux prélats du premier ordre qui ont succédé aux apôtres, lesquels furent les premiers évêques institués par J. C.

On les appelle aussi ordinaires, parce que leurs droits de jurisdiction & de collation pour les bénéfices leur appartiennent de leur chef & jure ordinario, c'est-à-dire suivant le droit commun.

Les évêques sont les vicaires de Jesus-Christ, les successeurs des apôtres, & les princes des prêtres : ils possedent la plénitude & la perfection du sacerdoce dont Jesus-Christ a été revêtu par son pere ; desorte que quand un évêque communique quelque portion de son pouvoir à des ministres inférieurs, il conserve toûjours la suprème jurisdiction & la souveraine éminence dans les fonctions hiérarchiques.

Ils sont les premiers pasteurs de l'Eglise établis pour la sanctification des hommes, étant les successeurs de ceux auxquels Jesus-Christ a dit : Allez, prêchez à toutes les nations, en leur enseignant de garder tout ce que je vous ai dit.

Il appartient à chacun d'eux d'ordonner dans son diocèse les ministres des autels, de confier le soin des ames aux pasteurs qui doivent travailler sous leurs ordres ; c'est pourquoi ils doivent, suivant le droit commun, avoir l'institution des bénéfices & la disposition de toutes les dignités ecclésiastiques.

Chaque évêque exerce seul la jurisdiction spirituelle sur le troupeau qui lui est confié, & tous ensemble ils gouvernent l'Eglise.

La dignité d'évêque est très-respectable, puisque leur institution est divine, leurs fonctions sacrées ; & leur succession non interrompue. L'épiscopat est le plus ancien & le plus éminent de tous les bénéfices : c'est la source de tous les ordres & de toutes les autres fonctions ecclésiastiques.

Jesus-Christ dit en parlant des apôtres leurs prédécesseurs, que qui les écoute, l'écoute, & que qui les méprise, le méprise.

Ils sont les peres & les premiers docteurs de l'Eglise, auxquels toute puissance a été donnée dans le ciel & sur la terre, pour lier & délier en tout ce qui a rapport au spirituel.

Les apôtres ayant prêché l'évangile dans de grandes villes, y établissoient des évêques pour instruire & fortifier les fideles, travailler à en augmenter le nombre, gouverner ces églises naissantes, & pour établir d'autres évêques dans les villes voisines, quand il y auroit assez de chrétiens pour leur donner un pasteur particulier. Je vous ai laissé à Crete, dit saint Paul à Tite, afin que vous gouverniez le troupeau de Jesus-Christ, & que vous établissiez des prêtres dans les villes où la foi se répandra. Par le terme de prêtres il entend en cet endroit les évêques, ainsi que la suite de la lettre le prouve.

Le nombre des évêques s'est ainsi multiplié à mesure que la religion chrétienne a fait des progrès. Pendant les premiers siecles de l'Eglise, c'étoient les évêques des villes voisines qui en établissoient de nouveaux dans les villes où ils le croyoient nécessaire ; mais depuis huit ou neuf cent ans il ne s'est guere fait d'établissement de nouveaux évêchés sans l'autorité du pape. Il faut aussi entendre les autres parties intéressées, & en France il faut que l'autorité du roi intervienne. Voyez ce qui a été dit ci-devant à ce sujet au mot EVECHE.

Le pape, comme successeur de Saint Pierre, est le premier des évêques ; la prééminence qu'il a sur eux est d'institution divine. Les autres évêques sont tous successeurs des apôtres ; mais les distinctions qui ont été établies entr'eux par rapport aux titres de patriarches, de primats & de métropolitains, sont de droit ecclésiastique.

S. Paul, dans son épître j. à Timothée, dit que si quis episcopatum desiderat, bonum opus desiderat. Les évêchés n'étoient alors considérés que comme une charge très-pesante ; il n'y avoit ni honneurs ni richesses attachés à cette place, ainsi l'ambition ni l'intérêt ne les faisoient point rechercher : plusieurs par un esprit d'humilité, se cachoient lorsqu'on les venoit chercher pour être évêques.

A l'égard des qualités que S. Paul desire dans un évêque : oportet, dit-il, episcopum irreprehensibilem esse, unius uxoris virum, sobrium, castum, ornatum, prudentem, pudicum, hospitalem, doctorem, non vinolentum, non percussorem, sed modestum ; non litigiosum, non cupidum, sed suae domui benè praepositum, filios habentem subditos cum omni castitate.

Ces termes, unius uxoris virum, signifient qu'il falloit n'avoir été marié qu'une fois, parce que l'on n'ordonnoit point de bigames : d'autres entendent par-là que l'évêque ne doit avoir qu'une seule église, qui est considérée comme son épouse.

C'est une tradition de l'Eglise, que depuis l'Ascension de Notre Seigneur les apôtres vécurent dans le célibat : on élevoit cependant souvent à l'épiscopat & à la prêtrise des hommes mariés ; ils étoient obligés dès-lors, ainsi que les diacres, de vivre en continence, & de ne plus regarder leurs femmes que comme leurs soeurs. La discipline de l'église latine n'a jamais varié sur cet article. Les femmes d'évêques se trouvent nommées dans quelques anciens écrits, episcopae, à cause de la dignité de leurs maris.

Mais peu-à-peu dans l'église latine on ne choisit plus d'évêques qui fussent actuellement mariés, & telle est encore la discipline présente de l'église latine : on n'admet pas à l'épiscopat, non plus qu'à la prêtrise, celui qui auroit été marié deux fois.

Dans les églises schismatiques, telles que l'église grecque, les évêques & prêtres sont mariés.

On trouve dans l'histoire ecclésiastique plusieurs exemples de prélats qui furent élus entre les laïcs, tels que S. Nicolas & S. Ambroise ; mais ces élections n'étoient approuvées que quand l'humilité de ceux que l'on choisissoit pour pasteurs, étoit si universellement reconnue, qu'on n'avoit pas lieu de craindre qu'ils s'enorgueillissent de leur dignité ; & bientôt on n'en choisit plus qu'entre les clercs.

Les évêques doivent, suivant le concile de Trente, être nés en légitime mariage, & recommandables en moeurs & en science : ce concile veut aussi qu'ils soient âgés de trente ans ; mais en France il suffit, suivant le concordat, d'avoir vingt-sept ans commencés. On trouve quelques exemples d'évêques qui furent nommés étant encore fort jeunes. Le comte Héribert, oncle de Hugues Capet, fit nommer à l'archevêché de Rheims son fils qui n'étoit âgé que de cinq ans ; ce qui fut confirmé par le pape Jean X. Ces exemples singuliers ne doivent point être tirés à conséquence.

Le concordat veut aussi que celui qui est promû à l'évêché, soit docteur ou licentié en Théologie, ou en Droit civil ou canonique : il excepte ceux qui sont parens du roi, ou qui sont dans une grande élévation. Les religieux mendians qui, par la regle de leur ordre, ne peuvent acquérir de degrés, sont aussi exceptés. L'ordonnance de Blois & celle de 1606, ont confirmé la disposition du concordat par rapport aux degrés que doivent avoir les évêques : le concordat n'explique pas si ces degrés doivent être pris dans une université du royaume ; mais on l'a ainsi interprété, en conformité de l'usage du royaume.

Il n'est pas absolument nécessaire que l'évêque ait obtenu ses degrés avec toutes les formes ; il suffit qu'il ait obtenu des degrés de grace, c'est-à-dire de ceux qui s'accordent avec dispense de tems d'étude & de quelques exercices ordinaires ; mais les grades de privilége accordés par lettres du pape & de ses légats, ne suffiroient pas en France.

L'ordonnance de Blois, article 1. porte que le roi ne nommera aux prélatures qu'un mois après la vacance d'icelles ; qu'avant la délivrance des lettres de nomination, les noms des personnes seront envoyés à l'évêque diocèsain du lieu où ils auront étudié les cinq dernieres années ; ensemble aux chapitres des églises & monasteres vacans, lesquels informeront respectivement de la vie, moeurs & doctrine, & de tout feront procès-verbaux qu'ils enverront à Sa Majesté.

L'article 2. porte qu'avant l'expédition des lettres de nomination, les archevêques & les évêques nommés seront examinés sur leur doctrine aux saintes lettres, par un archevêque ou évêque que Sa Majesté commettra ; appellés deux docteurs en Théologie, lesquels enverront leurs certificats de la capacité ou insuffisance desdits nommés. L'article 1. de l'édit de 1606 y est conforme.

Mais ces dispositions n'ont point eu d'execution, ou ne sont point assez exactement observées. On a toléré pendant quelques années que les nonces du pape, qui n'ont aucune jurisdiction en France, reçussent la profession de foi du nommé à l'évêché, & fissent l'information de ses vie, moeurs & capacité, & de l'état des bénéfices, ce qui est contraire au droit des ordinaires, & a été défendu par un arrêt de réglement du parlement de Paris, du 12 Décembre 1639.

L'usage des autres églises n'est pas par-tout semblable à celui de France : quelques-unes suivent la session xxij. du concile de Trente, suivant laquelle, au défaut de degrés, il suffit que l'évêque ait un certificat donné par une université, qui atteste qu'il est capable d'enseigner les autres ; & si c'est un régulier, qu'il ait l'attestation de ses supérieurs.

Les canons veulent que celui qu'on élit pour évêque soit au moins soûdiacre. Le concile de Trente veut que l'évêque soit prêtre six mois avant sa promotion ; mais le concordat, qui fait l'énumération des qualités que doivent avoir ceux qui sont nommés par le roi, n'exige point qu'ils soient prêtres ni soûdiacres ; & l'ordonnance de Blois suppose qu'un simple clerc peut être nommé évêque sans être dans les ordres sacrés. En effet, l'art. 8. de cette ordonnance veut que dans trois mois, à compter de leurs provisions, les évêques soient tenus de se faire promouvoir aux saints ordres ; & que si dans trois autres mois ils ne se sont mis en devoir de le faire, ils soient privés de leur église, sans autre déclaration, suivant les saints decrets.

Pour ce qui est de la nomination des évêques dans les premiers siecles de l'Eglise, ils étoient élus par le clergé & le peuple. On ne devoit sacrer que ceux que le clergé élisoit & que le peuple desiroit ; mais le métropolitain & l'évêque de la province devoient instruire le peuple, afin qu'il ne se portât point à demander des personnes indignes ou incapables de remplir une place si éminente.

Les laïcs conserverent long-tems le droit d'assister aux élections, & même d'y donner leur suffrage ; mais la confusion que causoit ordinairement la multitude des électeurs, & la crainte que le peuple n'eût pas le discernement nécessaire pour les qualités que doit avoir un évêque, firent que l'on n'admit plus aux élections que le clergé : on en fit un decret formel dans le huitieme concile général, tenu à Constantinople en 869 ; ce qui fut suivi dans l'église d'Occident comme dans celle d'Orient. On défendit en même tems de recevoir pour évêques ceux qui ne seroient nommés que par les empereurs ou par les rois. Ce changement n'empêcha pas que l'on ne fût obligé de demander le consentement & l'approbation des souverains, avant que de sacrer ceux qui étoient élus ; on suivoit cette regle même par rapport aux papes, qui ont été long-tems obligés d'obtenir le consentement des successeurs de Charlemagne.

Pour ce qui est des évêchés de France, nos rois de la premiere race en disposoient, à l'exclusion du peuple & du clergé ; il est du moins certain que depuis Clovis jusqu'à l'an 590, il n'y eut aucun évêque installé, sinon par l'ordre ou du consentement du roi : on procédoit cependant à une élection, mais ce n'étoit que pour la forme.

Dans le septieme siecle nos rois disposoient pareillement des évêchés. Le moine Marculphe, qui vivoit en ce siecle, rapporte la formule d'un ordre ou précepte par lequel le roi déclaroit au métropolitain, qu'ayant appris la mort d'un tel évêque, il avoit résolu, de l'avis des évêques & des grands, de lui donner un tel pour successeur. Il rapporte aussi la formule d'une requête des citoyens de la ville épiscopale, par laquelle ils demandoient au roi de leur donner pour évêque un tel, dont ils connoissoient le mérite ; ce qui fait voir que l'on attendoit le choix, ou du moins le consentement du peuple.

Louis le Débonnaire rendit aux églises la liberté des élections ; mais par rapport aux évêchés, il paroît que ce prince y nommoit, comme avoit fait Charlemagne ; que Charles le Chauve en usa aussi de même, & que ce ne fut que sous les successeurs de celui-ci que le droit d'élire les évêques fut rétabli pendant quelque tems en faveur des villes épiscopales. Les chapitres des cathédrales étant devenus puissans, s'attribuerent l'élection des évêques ; mais il falloit toûjours l'agrément du roi.

Depuis l'an 1076 jusqu'en 1150, les papes avoient excommunié une infinité de personnes, & fait périr plusieurs millions d'hommes par les guerres qu'ils susciterent pour enlever aux souverains l'investiture des évêchés, & donner l'élection aux chapitres.

Il paroît que c'est à-peu-près dans le même tems que les évêques commencerent à se dire évêques par la grace de Dieu ou par la miséricorde de Dieu, divinâ miseratione. Ce fut un évêque de Coutances qui ajoûta le premier, en 1347 ou 1348, en tête de ses mandemens & autres lettres, ces mots, & par la grace du saint siége apostolique, en reconnoissance de ce qu'il avoit été confirmé par le pape.

Pour revenir aux nominations des évêchés, le pape Pie II. & cinq de ses successeurs combattirent pendant un demi-siecle pour les ôter aux chapitres & les donner au roi. Tel étoit le dernier état en France avant le concordat fait entre Léon X. & François I.

Par ce traité les élections pour les prélatures furent abrogées, & le droit d'y nommer a été transféré tout entier au roi, sur la nomination duquel le pape doit accorder des bulles, pourvû que celui qui est nommé ait les qualités requises.

Le roi doit nommer dans les six mois de la vacance : si la personne n'a pas les qualités requises par le concordat, & que le pape refuse des bulles, le roi doit en nommer une autre dans trois mois, à compter du jour que le refus qui a été fait des bulles dans le consistoire, a été signifié à celui qui les sollicitoit. Si dans ces trois mois le roi ne nommoit pas une personne capable, le pape, aux termes du concordat, pourroit y pourvoir, à la charge néanmoins d'en faire part au roi, & d'obtenir son agrément ; mais il n'y a pas d'exemple que le pape ait jamais usé de ce pouvoir.

Celui que le roi a nommé évêque, doit dans neuf mois, à compter de ses lettres de nomination, obtenir des bulles, ou justifier des diligences qu'il a faites pour les obtenir ; autrement il demeure déchû de plein droit du droit qui lui étoit acquis en vertu de ses lettres.

Si le pape refusoit sans raison des bulles à celui qui est nommé par le roi, il pourroit se faire sacrer par le métropolitain, suivant l'ancien usage, ou se pourvoir au parlement, où il obtiendroit un arrêt en vertu duquel le nommé joüiroit du revenu, & conféreroit les bénéfices dépendans de son évêché.

Le nouvel évêque peut, avant d'être sacré, faire tout ce qui dépend de la jurisdiction spirituelle : il a la collation des bénéfices & l'émolument du sceau ; mais il ne peut faire aucune des choses quae sunt ordinis, comme de donner les ordres, imposer les mains, faire le saint chrême.

Les conciles veulent que l'évêque se fasse sacrer ou consacrer, ce qui est la même chose, trois mois après son institution ; que s'il differe encore trois mois, il soit privé de son évêché. L'ordonnance de Blois veut aussi que les évêques se fassent sacrer dans le tems porté par les constitutions canoniques.

Anciennement tous les évêques de la province s'assembloient dans l'église vacante pour assister à l'élection, & pour sacrer celui qui avoit été élu. Lorsqu'ils étoient partagés sur ce sujet, on suivoit la pluralité des suffrages. Il y avoit des provinces où le métropolitain ne pouvoit consacrer ceux qui avoient été élus, sans le consentement du primat. Quand ils ne pouvoient tous s'assembler, il suffisoit qu'il y en eût trois qui consacrassent l'élu, du consentement du métropolitain qui avoit droit de confirmer l'élection. Ce réglement du concile de Nicée, renouvellé par plusieurs conciles postérieurs, a été observé pendant plusieurs siecles. Il est encore d'usage de faire sacrer le nouvel évêque par trois autres évêques ; mais il n'est pas nécessaire que le métropolitain du pourvû fasse la consécration. Cette cérémonie se fait par les évêques auxquels les bulles sont adressées par le pape.

Les métropolitains sont sacrés, comme les autres évêques, par ceux à qui les bulles sont adressées.

Voici les principales cérémonies qu'on observe dans l'Eglise latine pour la consécration d'un évêque. Cette consécration doit se faire un dimanche dans l'église propre de l'élu, ou du moins dans la province, autant qu'il se peut commodément. Le consécrateur doit être assisté au moins de deux autres évêques : il doit jeûner la veille, & l'élu aussi. Le consécrateur étant assis devant l'autel, le plus ancien des évêques assistans lui présente l'élu, disant : l'Eglise catholique demande que vous éleviez ce prêtre à la charge de l'épiscopat. Le consécrateur ne demande point s'il est digne, comme on faisoit du tems des élections, mais seulement s'il y a un mandat apostolique, c'est-à-dire la bulle principale qui répond du mérite de l'élu, & il la fait lire. Ensuite l'élu prête serment de fidélité au saint siége, suivant une formule dont il se trouve un exemple dès le tems de Grégoire VII. On y a depuis ajoûté plusieurs clauses, entr'autres celle d'aller à Rome rendre compte de sa conduite tous les quatre ans, ou du moins d'y envoyer un député ; ce qui ne s'observe point en France.

Alors le consécrateur commence à examiner l'élu sur sa foi & ses moeurs, c'est-à-dire sur ses intentions pour l'avenir ; car on suppose que l'on est assûré du passé. Cet examen fini, le consécrateur commence la messe : après l'épître & le graduel il revient à son siége ; & l'élu étant assis devant lui, il l'instruit de ses obligations, en disant : un évêque doit juger, interpréter, consacrer, ordonner, offrir, baptiser & confirmer. Puis l'élu s'étant prosterné, & les évêques à genoux, on dit les litanies, & le consécrateur prend le livre des évangiles, qu'il met tout ouvert sur le cou & sur les épaules de l'élu. Cette cérémonie étoit plus facile du tems que les livres étoient des rouleaux, volumina ; car l'évangile ainsi étendu, pendoit des deux côtés comme une étole. Le consacrant met ensuite ses deux mains sur la tête de l'élu, avec les évêques assistans, en disant : recevez le saint Esprit. Cette imposition des mains est marquée dans l'Ecriture, I. Tim. c. jv. v. 14 ; & dans les constitutions apostoliques, liv. VIII. c. jv. il est fait mention de l'imposition du livre, pour marquer sensiblement l'obligation de porter le joug du seigneur & de prêcher l'évangile. Le consécrateur dit ensuite une préface, où il prie Dieu de donner à l'élu toutes les vertus dont les ornemens du grand-prêtre de l'ancienne loi étoient les symboles mystérieux ; & tandis que l'on chante l'hymne du S. Esprit, il lui fait une onction sur la tête avec le saint chrême ; puis il acheve la priere qu'il a commencée, demandant pour lui l'abondance de la grace & de la vertu, qui est marquée par cette onction. On chante le pseaume 132. qui parle de l'onction d'Aaron, & le consécrateur oint les mains de l'élu avec le saint chrême : ensuite il bénit le bâton pastoral, qu'il lui donne pour marque de sa jurisdiction. Il bénit aussi l'anneau, & le lui met au doigt en signe de sa foi, l'exhortant de garder l'Eglise sans tache, comme l'épouse de Dieu. Ensuite il lui ôte de dessus les épaules le livre des évangiles, qu'il lui met entre les mains, en disant : prenez l'évangile, & allez prêcher au peuple qui vous est commis ; car Dieu est assez puissant pour vous augmenter sa grace.

Là se continue la messe : on lit l'évangile, & autrefois le nouvel évêque prêchoit, pour commencer d'entrer en fonction : à l'offrande il offre du pain & du vin, suivant l'ancien usage ; puis il se joint au consécrateur, & acheve avec lui la messe, où il communie sous les deux especes, & debout. La messe achevée, le consécrateur bénit la mitre & les gants, marquant leurs significations mystérieuses ; puis il inthronise le consacré dans son siége. Ensuite on chante le Te Deum ; & cependant les évêques assistans promenent le consacré par toute l'église, pour le montrer au peuple. Enfin il donne la bénédiction solemnelle. Pontifical. rom. de consecrat. episcop. Fleury, instit. au Droit ecclés. tom. I. part. I. c. xj. pag. 110. & suiv.

Autrefois l'évêque devoit, deux mois après son sacre, aller visiter son métropolitain, pour recevoir de lui les instructions & les avis qu'il jugeoit à-propos de lui donner.

L'évêque étant sacré doit prêter en personne serment de fidélité au roi : jusqu'à ce serment la régale demeure ouverte. Voyez SERMENT DE FIDELITE.

On trouve dans les anciens auteurs quelques passages, qui peuvent faire croire que dès les premiers siecles de l'Eglise les évêques portoient quelque marque extérieure de leur dignité ; l'apôtre S. Jean, & S. Jacques premier évêque de Jérusalem, portoient une lame d'or sur la tête, ce qui étoit sans-doute imité des pontifes de l'ancienne loi, qui portoient sur le front une bande d'or sur laquelle le nom de Dieu étoit écrit.

Les ornemens épiscopaux sont la mitre, la crosse, la croix pectorale, l'anneau, les sandales : l'évêque peut faire porter devant lui la croix dans son diocese ; mais il ne peut pas la faire porter dans le diocese d'un autre évêque, parce que la croix levée est un signe de jurisdiction.

Il n'y a communément que les archevêques qui ayent droit de porter le pallium, néanmoins quelques évêques ont ce droit par une concession speciale du pape. Voyez PALLIUM.

Quelques évêques ont encore d'autres marques d'honneur singulieres ; par exemple, suivant quelques auteurs, l'évêque de Cahors a le privilége dans certaines cérémonies de dire la messe, ayant sur l'autel l'épée nue, le casque, & les gantelets, ce qui est relatif aux qualités qu'il prend de baron & de comte. Plusieurs évêques d'Allemagne, qui sont princes souverains, en usent de même.

En France il y a six évêques ou archevêques qui sont pairs ecclésiastiques ; savoir, trois ducs & trois comtes (voyez PAIRS) ; la plûpart des autres évêques possedent aussi de grandes seigneuries attachées à leur évêché. C'est de-là qu'ils ont été admis dans les conseils du roi ; & dans les parlemens le respect que l'on a pour leur ministere, a engagé à leur donner dans les assemblées le premier rang, qui, sous les rois de la premiere race, appartenoit à la noblesse.

On ne croit pourtant pas que ce soit à cause de leurs seigneuries, qu'on leur a donné la qualité de monseigneur, qu'ils sont en usage de se donner entre eux ; il paroit plûtôt qu'elle vient du terme senior, qui, dans la primitive église, étoit le titre commun à tous les évêques & à tous les prêtres : on les appelloit ainsi seniores ou senieurs, parce qu'on choisissoit ordinairement les plus anciens des fideles pour gouverner les autres : on les qualifioit aussi de très-saints, très-pieux, & très-vénérables ; présentement on leur donne le titre de révérendissime.

A l'égard de l'usage où l'on est de désigner chaque évêque par le nom de la ville où est le siége de son église, comme M. de Paris, M. de Troyes, au lieu de dire M. l'archevêque de Paris, M. l'évêque de Troyes, ce n'est pas d'aujourd'hui que cela se pratique. En effet Calvin dans son livre intitulé la maniere de réformer l'Eglise, a dit dès l'an 1548, quoiqu'en raillant, Monsieur d'Avranches, en parlant de Robert Cenalis.

Il étoit d'usage autrefois de se prosterner devant eux & de leur baiser les piés, ce qui ne se pratique plus qu'à l'égard du pape : mais il est encore demeuré de cet usage, que quand l'évêque marche étant revêtu de ses ornemens épiscopaux, il donne de la main des bénédictions que les assistans reçoivent à genoux.

Les nouveaux évêques, après leur sacre, font ordinairement une entrée solemnelle dans la ville épiscopale & dans leur église ; plusieurs avoient le droit d'être portés en pompe par quatre des principaux barons ou vassaux de leur évêché, appellés dans quelques titres casati majores ou homines episcopi : dans quelques diocèses ces vassaux doivent à l'évêque une gouttiere ou cierge d'un certain poids.

Par exemple, les seigneurs de Corbeil, de Montlhéri, la Ferté-Alais, & de Montjay, devoient à l'église de Paris un cierge, & étoient tenus de porter l'évêque, aussi-bien que les seigneurs de Torcy, Tournon, Lusarche, & Conflans Ste Honorine : il est dit aussi dans quelques anciens aveux, que le seigneur de Bretigni étoit un de ceux qui devoient porter l'évêque à son entrée.

Les évêques d'Orléans se sont toûjours maintenus en possession de faire solennellement leur entrée, & ont de plus le privilége en cette occasion de délivrer des criminels ; ce privilége qu'ils tiennent de la piété de nos rois, avoit reçu ci-devant beaucoup d'extension. Les criminels venoient alors de toutes parts se rendre dans les prisons d'Orléans pour y obtenir leur grace, ce qui a été restraint par un édit du mois de Novembre 1753, dont nous parlerons ci-après au mot GRACE.

Quelques évêques joüissent dans leur église d'un droit de joyeux avenement, semblable à celui dont le Roi est en possession à son avenement à la couronne. M. Loüet en donne un exemple de l'évêque de Poitiers, qui fut confirmé dans ce droit par arrêt du parlement en 1531.

On trouve aussi qu'en 1350 l'évêque de Clermont avoit interdit son diocese, faute de payement des redevances qu'il prétendoit pour son joyeux avenement ; le roi Jean manda par lettres patentes à son bailli d'Auvergne, de faire assigner le prélat pour lever l'interdit, n'étant permis à personne, dit-il dans ces lettres, d'interdire aucune terre de son domaine.

Les canons défendent aux évêques d'être long-tems hors de leur diocèse, & ne leur permettent pas de faire leur résidence ordinaire hors de la ville épiscopale ; c'est pourquoi Philippe le Long ordonna en 1319 qu'il n'y auroit dorénavant nuls prélats au parlement, ce prince faisant, dit-il, conscience de les empêcher de vaquer au gouvernement de leur spiritualité.

Dans la primitive église les évêques n'ordonnoient rien d'important sans consulter le clergé de leur diocèse, presbyterium, & même quelquefois le peuple. Il étoit facile alors d'assembler tous les clercs du diocèse, vû qu'ils étoient presque toûjours dans la ville épiscopale.

Lorsque l'on eut établi des prêtres à la campagne, ce qui arriva vers l'an 400, on n'assembla plus tout le clergé du diocèse que dans des cas importans, comme on fait aujourd'hui pour les synodes diocésains ; mais les évêques continuerent à prendre l'avis de tous les ecclésiastiques qui faisoient leur résidence dans la ville épiscopale, ce qui paroit établi par plusieurs conciles des v. & vj. siecles, qui veulent que l'évêque prenne l'avis de tous les abbés, prêtres, & autres clercs.

Dans la suite le clergé de la cathédrale vêcut en commun avec l'évêque, & forma une espece de monastere ou de séminaire dont l'évêque étoit toûjours le supérieur ; le chapitre fut regardé comme le conseil ordinaire & nécessaire de l'évêque ; tel étoit encore l'ordre observé du tems d'Alexandre III. mais depuis, les chanoines ont insensiblement perdu le droit d'être le conseil nécessaire de l'évêque, si ce n'est pour ce qui concerne le service de l'église cathédrale ; pour ce qui est du gouvernement du diocèse, l'évêque prend l'avis de ceux que bon lui semble.

La jurisdiction qui appartient aux évêques de droit divin, ne consiste que dans le pouvoir d'enseigner, de remettre les péchés, d'administrer aux fideles les sacremens, & de punir par des peines purement spirituelles ceux qui violent les lois de l'Eglise.

Suivant les lois romaines les évêques n'avoient aucune jurisdiction contentieuse, même entre les clercs ; mais les empereurs établirent les évêques arbitres nécessaires des causes d'entre les clercs & les laïcs ; cette voie d'arbitrage fut insensiblement convertie en jurisdiction : les princes séculiers, par considération pour les évêques, ont beaucoup augmenté les droits de leur jurisdiction, en leur attribuant un tribunal contentieux pour donner plus d'autorité à leurs décisions sur les affaires ; ils leur ont aussi accordé, par grace spéciale, la connoissance des affaires personnelles intentées contre les clercs, tant au civil qu'au criminel.

A l'égard des affaires entre laïcs pour choses temporelles, Constantin le Grand ordonna que quand une partie voudroit se soûmettre à l'avis de l'évêque, l'autre partie seroit obligée d'y déférer, & que les jugemens de l'évêque seroient irréformables, ce qui rendoit les évêques juges souverains ; cette loi fut insérée au code théodosien, liv. XVI. tit. x. de episcopali aud. Justinien ne la mit pas dans son code, mais le crédit des évêques sous les deux premieres races de nos rois, la part qu'ils eurent à l'élection de Pepin, la grande considération que Charlemagne avoit pour eux, firent que nos rois renouvellerent le privilége accordé aux évêques par Constantin : on en fit une loi qui se trouve dans les capitulaires, tom. I. liv. VI. cap. ccclxvj.

L'ignorance des x. xj. & xij. siecles donna lieu aux évêques d'accroître beaucoup leur jurisdiction contentieuse ; ils étoient devenus les juges ordinaires des pupilles, des mineurs, des veuves, des étrangers, des prisonniers, & autres semblables personnes ; ils connoissoient de l'exécution de tous les contrats où l'on s'étoit obligé sous la religion du serment, de l'exécution des testamens, enfin de presque toutes les affaires.

Mais à mesure que l'on est devenu plus éclairé, les choses sont rentrées dans l'ordre ; la jurisdiction contentieuse des évêques a été réduite, à l'égard des laïcs, aux matieres purement spirituelles, & à l'égard des clercs, aux affaires personnelles.

Les évêques ont divers officiers pour exercer leur jurisdiction contentieuse ; savoir, un official, un vice-gérent, un promoteur, un vice-promoteur, & autres officiers nécessaires. Jusqu'au xij. siecle, les évêques exerçoient eux-mêmes leur jurisdiction sans officiaux ; présentement ils se reposent ordinairement de ce soin sur leur official, ce qui n'empêche pas que quelques-uns n'aillent une fois, à leur avenement, tenir l'audience de l'officialité ; il y en a nombre d'exemples, & entr'autres à Paris celui de M. de Bellefonds archevêque, lequel fut installé le 2 Juin 1746 à l'officialité, & y jugea deux causes avec l'avis du doyen & chapitre de N. D. Voyez JURISDICTION ECCLESIASTIQUE, OFFICIAL, VICE-GERENT, PROMOTEUR.

Les conciles & les ordonnances imposent aux évêques l'obligation de visiter en personne leur diocèse, & de faire visiter par leurs archidiacres les endroits où ils ne pourront aller en personne. Voyez VISITE.

L'évêque fait par lui ou par ses grands-vicaires tous les actes qui sont de jurisdiction volontaire & gracieuse, tels que les dimissoires, la collation des bénéfices, les unions, l'approbation des confesseurs, vicaires, prédicateurs, maîtres d'école ; la permission de célebrer pour les prêtres étrangers, la permission de faire des quêtes dans le diocèse ; la bénédiction des églises, chapelles, cimetieres & leur reconciliation ; la visite des églises paroissiales & autres lieux saints, celle des choses qui y sont contenues & qui sont requises pour le service divin ; la visite des personnes & celle des monasteres de religieuses ; les dispenses touchant l'ordination des clercs ; les dispenses des voeux, des irrégularités, des bans de mariage, enfin ce qui concerne les censures & les absolutions. Voyez JURISDICTION VOLONTAIRE.

Il y a certaines fonctions que les évêques doivent remplir par eux-mêmes, comme de donner la confirmation & les ordres, bénir le saint chrême & les saintes huiles, consacrer les évêques, &c.

Lorsqu'un évêque se trouve hors d'état de remplir les devoirs de l'épiscopat à cause de ses infirmités, ou pour quelqu'autre raison, on lui donne un coadjuteur avec future succession. Le co-adjuteur doit travailler avec lui au gouvernement du diocèse. Le pape en accordant des bulles au co-adjuteur sur la nomination du roi, fait le co-adjuteur évêque in partibus infidelium, afin qu'il puisse être sacré & conférer les ordres. Voyez CO-ADJUTEUR.

Les évêques sont soûmis, comme les autres sujets du roi, à la jurisdiction séculiere en matiere civile ; à l'égard des matieres criminelles, un évêque ne peut être jugé pour le délit commun que par le concile de la province, composé de douze évêques, & auquel doit présider le métropolitain ; mais pour le cas privilégié, les évêques sont comme les autres ecclésiastiques sujets à la jurisdiction royale ; & s'il arrive qu'un évêque cause quelque trouble dans l'état par ses actions, par ses paroles ou par ses écrits, le parlement, & même les juges royaux inférieurs, peuvent arrêter le trouble & en empêcher les suites, tant par saisie du temporel que par des amendes, decret, & autres voies de droit selon les circonstances.

La translation d'un évêque d'un siége à un autre, fut pratiquée pour la premiere fois dans le iij. siecle en la personne d'Alexandre évêque de Jérusalem ; elle fut ensuite défendue au concile d'Alexandrie en 340, & au concile de Sardique en 347. Etienne VII. fit déterrer le corps de Formose son prédécesseur, & lui fit faire son procès sous prétexte qu'il avoit été transféré de l'évêché de Porto à celui de Rome ; ce qu'il supposoit n'avoir point encore eu d'exemple, Cette action fut improuvée par le concile tenu à Rome l'an 901 ; Sergius III. entreprit de la justifier.

Les conciles ont toûjours condamné les translations qui seroient faites par des motifs d'ambition, de cupidité ou d'inconstance ; mais ils les ont permises lorsqu'elles sont faites pour le bien de l'Eglise. Autrefois un évêque ne pouvoit être transféré d'un siége à un autre, que par ordre d'un concile provincial ; mais dans l'usage présent une dispense du pape suffit avec le consentement du roi.

Un évêque, suivant les canons, devient irrégulier en certains cas ; par exemple, s'il a ordonné l'épreuve du fer chaud ou autre semblable, s'il a autorisé un jugement à mort ou s'il a assisté à l'exécution. (A)

En Allemagne, la plûpart des évêchés sont électifs. Ce sont les chapitres des cathédrales ou métropoles, ordinairement composés de nobles, qui ont le droit d'élire un d'entr'eux à la pluralité des voix, ou bien de le postuler ; cette élection ou postulation confere à celui sur qui elle tombe la dignité de prince de l'empire, la supériorité territoriale, le droit de séance & de suffrage à la diete de l'Empire ; & celui qui a été élû ou postulé reçoit pour les états qui lui sont soûmis l'investiture de l'empereur, & joüit de ses droits comme prince de l'Empire, indépendamment de la confirmation du pape dont il a besoin comme évêque.

Le traité de paix de Westphalie a apporté un grand changement dans les évêchés d'Allemagne ; il y en eut un grand nombre de sécularisés en faveur de plusieurs princes protestans : c'est en vertu de ce traité que la maison de Brandebourg possede l'archevêché de Magdebourg, celui de Halberstadt, de Minden, &c. la maison de Holstein celui de Lubeck, &c. L'évêché d'Osnabrug est alternativement possedé par un catholique romain, & par un prince de la maison de Brunswick-Lunebourg qui est protestante. (-)

EVEQUE-ABBE ; les abbés prenoient anciennement ce titre, apparemment parce qu'ils joüissoient de plusieurs droits semblables à ceux des évêques.

EVEQUE ACEPHALE, est celui qui ne releve d'aucun métropolitain, mais qui est soûmis immédiatement au saint siége.

EVEQUE ASSISTANT ; on donne ce titre à Rome à quelques évêques qui entrent dans des congrégations du saint office.

EVEQUES-CARDINAUX, signifioit d'abord évêque propre ou en chef, on donna ce titre aux évêques auxquels fut accordé le privilége d'être mis au nombre des cardinaux de l'église romaine, c'est-à-dire qui étoient incardinati seu intra cardines ecclesiae. Il y avoit des prêtres & des diacres cardinaux avant qu'il y eût des évêques-cardinaux ; ce ne fut que sous le pontificat d'Etienne IV. Anastase le Bibliothécaire dit que ce pape obligea les sept évêques-cardinaux à célebrer tour-à-tour, tous les dimanches, sur l'autel de S. Pierre. Ces évêques, dans le xj. siecle, prenoient séance dans les assemblées ecclésiastiques devant les autres évêques, même devant les archevêques & les primats ; dans le siecle suivant les cardinaux-prêtres & les diacres s'attribuerent le droit de siéger après les cardinaux évêques. Voyez pour le surplus au mot CARDINAUX.

EVEQUE CATHEDRAL, cathedralis : on appelloit ainsi les évêques qui étoient à la tête d'un diocèse, à la différence des chorévêques qui étoient d'un ordre inférieur.

EVEQUE COMMENDATAIRE, c'étoit celui qui tenoit un évéché en commande, comme cela se pratiquoit abusivement tandis que le saint siége fut transferé à Avignon. Il n'y avoit presque point de cardinal qui n'eût un ou plusieurs évêchés en commande, ce qui fut défendu par le concile de Trente.

EVEQUE DE LA COUR : on donne quelquefois ce titre au grand aumônier du roi. Voyez GRAND-AUMONIER.

EVEQUE DIOCESAIN, est celui qui a le gouvernement du diocèse dont il s'agit ; lui seul peut faire, ou donner pouvoir de faire, quelqu'acte de jurisdiction spirituelle dans son diocèse. Voyez DIOCESAIN & JURISDICTION ECCLESIASTIQUE.

EVEQUE IN PARTIBUS INFIDELIUM, ou comme on dit souvent par abréviation, évêque in partibus, est celui qui est promû à un évêché situé dans les pays infideles. Cet usage a commencé du tems des croisades, où il parut nécessaire de donner aux villes soûmises aux Latins des évêques de leur communion, qui conserverent leurs titres, même après qu'ils en furent chassés ; on continua cependant de leur nommer des successeurs. Les incursions faites par les Barbares, & principalement par les Musulmans, avant empêché ces évêques de prendre possession de leurs églises & d'y faire leurs fonctions, le concile in trullo leur conserva leur rang & leur pouvoir pour ordonner des clercs & présider dans l'église.

On les appelle aussi quelquefois évêques titulaires ou nulla tenentes, quoiqu'on dût plûtôt les appeller évêques non titulaires.

Ces évêques in partibus ont causé beaucoup de trouble dans les derniers siecles, ce qui a donné lieu à plusieurs réglemens pour en reformer les abus.

Ceux qui sont donnés pour suffragans à quelque évêque ou archevêque, sont regardés d'un oeil plus favorable.

Dans l'assemblée du clergé de 1655, il fut résolu que les évêques in partibus ne seroient point appellés aux assemblées particulieres des évêques ; que l'on feroit à Rome les instances nécessaires, afin que le pape ne leur donnât point de commission à exécuter dans le royaume ; que M. le chancelier seroit prié de ne point donner des lettres patentes pour l'exécution des brefs adressés à ces évêques, & que quand il seroit nécessaire de les entendre dans les assemblées, tant générales que particulieres, on leur donneroit une place séparée de celle des évêques de France ; mais que cette délibération n'auroit point lieu, tant à l'égard des co-adjuteurs nommés à des évêchés de France avec future succession, que des anciens évêques qui se seroient démis de leur évêché. Voyez les mémoires du Clergé.

EVEQUE METROPOLITAIN, ou archevêque, est celui dont le siege est dans une métropole, & qui a sous lui des évêques suffragans. Voy. ARCHEVEQUE, METROPOLE, METROPOLITAIN.

EVEQUES nulla tenentes, Voyez EVEQUES IN PARTIBUS.

EVEQUES TITULAIRES, Voyez EVEQUES IN PARTIBUS.

Sur les évêques Voyez Lancelot, Instit. lib. I. tit. v. Voyez aussi les Textes de Droit civil & canonique, indiqués par Jean Thaumas & par Brillon, en leurs dictionnaires ; Rebuffe, en sa Pratique bénéficiale, part. I. chap. forma vic. archiep. depuis le nombre 31. jusqu'à 136. Fontanon, tome I. Voyez les Mémoires du Clergé, aux différens titres indiqués dans l'abrégé. (A)


EVERGETE(Hist. anc.) surnom qui signifie bienfaiteur ou bienfaisant, & qui a été donné à plusieurs princes. Les anciens donnerent d'abord cette épithete à leurs rois, pour quelques bienfaits insignes, par lesquels ces princes avoient marqué ou leur bienveillance pour leurs sujets, ou leur respect envers les dieux. Dans la suite, quelques princes prirent ce surnom, pour se distinguer des autres princes qui portoient le même nom qu'eux. Les rois d'Egypte, par exemple, successeurs d'Alexandre, ont presque tous porté le nom de Ptolemée ; ce fut le troisieme d'entr'eux qui prit le surnom d'évergete, pour se distinguer de son pere & de son ayeul ; & cela, dit S. Jérome parce qu'ayant fait une expédition militaire dans la Babylonie, il reprit les vases que Cambyse avoit autrefois enlevés des temples d'Egypte, & les leur rendit. Son petit-fils Ptolemée Phiscon, prince cruel & méchant, affecta aussi le surnom d'évergete mais ses sujets lui donnerent le nom de kakergetes, c'est-à-dire malfaisant. Quelques rois de Syrie, des empereurs romains après la conquête de l'Egypte, & quelques souverains, ont été aussi surnommés évergetes, comme il paroît par des médailles & d'autres monumens. Chambers. (G)


EVERHAM(Géog. mod.) ville du Worcestershire, en Angleterre. Elle est située sur l'Avon. Long. 15. 44. lat. 52. 10.


ÉVERRERv. act. (Chasse) opération qu'on fait aux jeunes chiens, quand ils ont un peu plus d'un mois ; elle consiste à leur tirer le filet ou nerf de la langue, qu'on nomme ver, d'où l'on a fait éverrer. On prétend que cette opération fait prendre corps au chien, & l'empêche de mordre.


EVERRIATEURS. m. (Hist. anc.) c'est ainsi qu'on appelloit l'héritier d'un homme mort ; ce nom lui venoit d'une cérémonie qu'il étoit obligé de faire après les funérailles, & qui consistoit à balayer la maison, s'il ne vouloit pas y être tourmenté par des lemures. Ce balayement religieux s'appelloit everrae, mot composé de la préposition ex & du verbe verro, je balaye.


EVIAN(Géog. mod.) ville du duché de Chablais, en Savoie ; elle est située sur le lac de Geneve. Long. 24. 15. lat. 46. 23.


EVICTIONS. f. (Jurispr.) signifioit la même chose que garantie, ou action en garantie : on confondoit ainsi cette action, avec la cause qui la produit parmi nous. L'éviction est la privation qu'un possesseur souffre de la chose dont il étoit en possession, soit à titre de vente, donation, legs, succession, ou autrement.

L'éviction a lieu pour des meubles, lorsqu'ils sont revendiqués par le propriétaire, & pour des immeubles, soit que le propriétaire les reclame, ou que le détenteur soit assigné en déclaration d'hypotheque, par un créancier hypothécaire.

Il n'y a d'éviction proprement dite, que celle qui est faite par autorité de justice ; toute autre dépossession n'est qu'un trouble de fait, & non une véritable éviction.

On peut néanmoins être aussi évincé d'une acquisition par retrait féodal, lignager, ou conventionnel, & si le retrait est bien fondé, y acquiescer, sans attendre une condamnation.

Un bénéficier peut aussi être évincé par dévolut.

Si celui qui est évincé a un garant, il doit lui dénoncer l'éviction ; & dans ce cas, l'éviction peut donner lieu à la restitution du prix, & à des dommages & intérêts. Voyez DENONCIATION & GARANTIE.

C'est une maxime en Droit, que quem de evictione tenet actio, eundem agentem repellit exceptio.

La plûpart des autres textes de droit qui parlent de l'éviction, doivent être appliqués à la garantie ou action en garantie. Voyez au digeste de evictionibus. (A)


EVIDENCES. f. (Métaphysiq.) le terme évidence signifie une certitude si claire & si manifeste par elle-même, que l'esprit ne peut s'y refuser.

Il y a deux sortes de certitude ; la foi, & l'évidence.

La foi nous apprend des vérités qui ne peuvent être connues par les lumieres de la raison. L'évidence est bornée aux connoissances naturelles.

Cependant la foi est toûjours réunie à l'évidence ; car sans l'évidence, nous ne pourrions reconnoître aucun motif de crédibilité, & par conséquent nous ne pourrions être instruits des vérités surnaturelles.

La foi nous est enseignée par la voie des sens ; ses dogmes ne peuvent être exposés que par l'entremise des connoissances naturelles. On ne pourroit avoir aucune idée des mysteres de la foi les plus ineffables, sans les idées même des objets sensibles ; on ne pourroit pas même, sans l'évidence, comprendre ce que c'est que certitude, ce que c'est que vérité, ni ce que c'est que la foi : car sans les lumieres de la raison, les vérités révélées seroient inaccessibles aux hommes.

L'évidence n'est pas dans la foi ; mais les vérités que la foi nous enseigne sont inséparables des connoissances évidentes. Ainsi la foi ne peut contrarier la certitude de l'évidence ; & l'évidence, bornée aux connoissances naturelles, ne peut contrarier la foi.

L'évidence résulte nécessairement de l'observation intime de nos propres sensations : comme on le verra par le détail suivant.

Ainsi j'entens par évidence, une certitude à laquelle il nous est aussi impossible de nous refuser, qu'il nous est impossible d'ignorer nos sensations actuelles. Cette définition suffit pour appercevoir que le pyrrhonisme général est de mauvaise foi.

Les sensations séparées ou distinctes de l'image des objets, sont purement affectives ; telles sont les odeurs, le son, les saveurs, la chaleur, le froid, le plaisir, la douleur, la lumiere, les couleurs, le sentiment de résistance, &c. Celles qui sont représentatives des objets nous font appercevoir la grandeur de ces objets, leur forme, leur figure, leur mouvement, & leur repos ; elles sont toûjours réunies à quelques sensations affectives, surtout à la lumiere, aux couleurs, à la résistance, & souvent à des sentimens d'attrait ou d'aversion, qui nous les rendent agréables ou desagréables. De-plus, si on examine rigoureusement la nature des sensations représentatives, on appercevra qu'elles ne sont elles-mêmes que des sensations affectives réunies & ordonnées de maniere qu'elles forment des sensations de continuité ou d'étendue. En effet, ce sont les sensations simultanées de lumiere, de couleurs, de résistance, qui produisent l'idée d'étendue. Lorsque j'apperçois, par exemple, une étendue de lumiere par une fenêtre, cette idée n'est autre chose que les sensations affectives que me causent chacun en particulier, & tous ensemble en même tems, les rayons de lumiere qui passent par cette fenêtre. Il en est de même lorsque j'apperçois l'étendue des corps rouges, blancs, jaunes, bleus, &c. car ces idées représentatives ne sont produites aussi que par les sensations affectives que me causent ensemble les rayons colorés de lumiere que ces corps refléchissent. Si j'applique ma main sur un corps dur, j'aurai des sensations de résistance qui répondront à toutes les parties de ma main, & qui pareillement composent ensemble une sensation représentative d'étendue. Ainsi les idées représentatives d'étendue ne sont composées que de sensations affectives de lumiere ou de couleurs, ou de résistance, rassemblées intimement, & senties les unes comme hors des autres, de maniere qu'elles semblent former une sorte de continuité qui produit l'idée représentative d'étendue, quoique cette idée elle-même ne soit pas réellement étendue. En effet, il n'est pas nécessaire que les sensations qui la forment soient étendues ; il suffit qu'elles soient senties chacune en particulier distinctement, & conjointement toutes ensemble dans un ordre de continuité.

Nous connoissons nos sensations en elles-mêmes, parce qu'elles sont des affections de nous-mêmes, des affections qui ne sont autre chose que sentir. Ainsi nous devons appercevoir que sentir n'est pas la même chose qu'une étendue réelle, telle que celle qui nous est indiquée hors de nous par nos sensations : car on conçoit assez la différence qu'il y a entre sentir & étendue réelle. Il n'est donc pas de la nature du mode sensitif d'étendue, d'être réellement étendu : c'est pourquoi l'idée que j'ai de l'étendue d'une chambre représentée dans un miroir, & l'idée que j'ai de l'étendue d'une chambre réelle, me représentent également de l'étendue ; parce que dans l'une & l'autre de ces deux idées, il n'y a également que l'apparence de l'étendue. Aussi les idées représentatives de l'étendue nous en imposent-elles parfaitement dans le rêve, dans le délire, &c. Ainsi cette apparence d'étendue doit être distinguée de toute étendue réelle, c'est-à-dire de l'étendue des objets qu'elle nous représente. D'où il faut conclure aussi que nous ne voyons point ces objets en eux mêmes, & que nous n'appercevons jamais que nos idées ou sensations.

De l'idée représentative d'étendue, résultent celles de figure, de grandeur, de forme, de situation, de lieu, de proximité, d'éloignement, de mesure, de nombre, de mouvemens, de repos, de succession de tems, de permanences, de changemens, de rapports, &c. Voyez SENSATIONS.

Nous reconnoîtrons que ces deux sortes de sensations, je veux dire les sensations simplement affectives, & les sensations représentatives, forment toutes nos affections, toutes nos pensées, & toutes nos connoissances naturelles & évidentes.

Nous ne nous arrêterons pas aux axiomes auxquels on a recours dans les écoles, pour prouver la certitude de l'évidence ; tels sont ceux-ci : on est assûré que le tout est plus grand que sa partie ; que deux & deux font quatre ; qu'il est impossible qu'une chose soit & ne soit pas en même tems. Ces axiomes sont plûtôt des résultats que des connoissances primitives ; & ils ne sont certains que parce qu'ils ont un rapport nécessaire avec d'autres vérités évidentes par elles-mêmes.

Connoissances naturelles primitives, évidentes. Il est certain, 1°. que nos sensations nous indiquent nécessairement un être en nous qui a la propriété de sentir ; car il est évident que nos sensations ne peuvent exister que dans un sujet qui a la propriété de sentir.

2°. Que la propriété de sentir est une propriété passive, par laquelle notre être sensitif se sent lui-même, & par laquelle il est assûré de son existence, lorsqu'il est affecté de sensations.

3°. Que cette propriété passive est radicale & essentielle à l'être sensitif : car, rigoureusement parlant, c'est lui-même qui est cette propriété, puisque c'est lui-même qui se sent, lorsqu'il est affecté de sensations. Or il ne peut pas se sentir soi-même, qu'il ne soit lui-même celui qui peut se sentir : ainsi sa propriété de se sentir est radicalement & essentiellement inséparable de lui, n'étant pas lui-même séparable de soi-même. De plus, un sujet ne peut recevoir immédiatement aucune forme, aucun accident, qu'autant qu'il en est susceptible par son essence. Ainsi des formes ou des affections accidentelles ne peuvent ajoûter à l'être sensitif que des qualités accidentelles, qu'on ne peut confondre avec lui-même, c'est à-dire avec sa propriété de sentir, par laquelle il est sensible ou sensitif par essence.

Cette propriété ne peut donc pas résulter de l'organisation du corps, comme l'ont prétendu quelques philosophes : l'organisation n'est pas un état primitif de la matiere ; car elle ne consiste que dans des formes que la matiere peut recevoir. L'organisation du corps n'est donc pas le principe constitutif de la capacité passive de recevoir des sensations. Il est seulement vrai que dans l'ordre physique nous recevons toutes nos sensations par l'entremise de l'organisation de notre corps, c'est-à-dire par l'entremise du méchanisme des sens & de la mémoire, qui sont les causes conditionnelles des sensations des animaux ; mais il ne faut pas confondre les causes, ni les formes accidentelles, avec les propriétés passives radicales des êtres.

4°. Que les sensations ne sont point essentielles à l'être sensitif, parce qu'elles varient, qu'elles se succedent, qu'elles diminuent, qu'elles augmentent, qu'elles cessent : or ce qui est séparable d'un être n'est point essentiel à cet être.

5°. Que les sensations sont les formes ou les affections dont l'être sensitif est susceptible par sa faculté de sentir ; car cette propriété n'est que la capacité de recevoir des sensations.

6°. Que les sensations n'existent dans l'être sensitif qu'autant qu'elles l'affectent actuellement & sensiblement ; parce qu'il est de l'essence des sensations d'affecter sensiblement l'être sensitif.

7°. Qu'il n'y a que nos sensations qui nous soient connues en elles-mêmes ; que toutes les autres connoissances que nous pouvons acquérir avec évidence ne nous sont procurées que par indication, c'est-à-dire par les rapports essentiels ou par les rapports nécessaires qu'il y a entre nos sensations & notre être sensitif, entre les sensations & les objets de nos sensations, & entre les causes & les effets ; car nous ne connoissons notre être sensitif, que parce qu'il nous est indiqué par nos sensations. Nous ne connoissons les causes de nos sensations, que parce que nos sensations nous assûrent qu'elles sont produites par ces causes : nous ne connoissons les objets de nos sensations que parce qu'ils nous sont représentés par nos sensations. Deux sortes de rapports constituent l'évidence indicative ; les rapports essentiels, & les rapports nécessaires. Les rapports essentiels consistent dans les liaisons des choses qui ne peuvent exister les unes sans les autres : tel est le rapport qu'il y a entre les effets & leurs causes, par exemple, entre le mouvement & la cause motrice, & pareillement aussi entre le mouvement & le mobile. Mais ces rapports essentiels ne se trouvent pas entre les causes & les effets, ni entre les sujets sur lesquels s'operent les effets, & ces effets mêmes, ni entre le sujet & la cause ; car le mobile peut n'être pas mû, & la cause motrice peut aussi ne pas mouvoir : mais quand le mouvement existe, il établit, au moins alors un rapport nécessaire entre les uns & les autres ; & ce rapport nécessaire forme ainsi une évidence à laquelle nous ne pouvons nous refuser.

8°. Que nous ne connoissons avec évidence les êtres qui nous sont indiqués par nos sensations que par leurs propriétés, qui ont une liaison essentielle ou nécessaire avec nos sensations ; parce que ne connoissant que nos sensations en elles-mêmes, & que les êtres qui nous sont indiqués par nos sensations n'étant pas eux-mêmes nos sensations, nous ne pouvons pas connoître ces êtres en eux-mêmes.

9°. Que la simple faculté passive par laquelle l'être sensitif peut être affecté de sensations n'est point elle-même la propriété active, ou la cause qui lui produit les sensations dont il est affecté. Car une propriété purement passive n'est pas une propriété active.

10°. Qu'en effet, l'être sensitif ne peut se causer à lui-même aucune sensation : il ne peut, par exemple, quand il sent du froid, se causer par lui-même la sensation de chaleur.

11°. Que l'être sensitif a des sensations desagréables dont il ne peut se délivrer ; qu'il voudroit en avoir d'agréables qu'il ne peut se procurer. Il n'est donc que le sujet passif de ses sensations.

12°. Que l'être sensitif ne pouvant se causer à lui-même ses sensations, elles lui sont causées par une puissance qui agit sur lui, & qui est réellement distincte de lui-même.

13°. Que l'être sensitif est dépendant de la puissance qui agit sur lui, & qu'il lui est assujetti.

14°. Qu'il n'y a nulle intelligence, ou nulle combinaison d'idées du present & du passé, sans la mémoire ; parce que sans la mémoire, l'être sensitif n'auroit que la sensation de l'instant présent, & ne pourroit réunir à cette sensation aucune de celles qu'il a déjà reçûes. Ainsi nulle liaison, nul rapport mutuel, nulle combinaison d'idées ou sensations remémoratives, & par conséquent nulle appréhension consécutive, ou nulle fonction intellectuelle de l'être sensitif.

15°. Que l'être sensitif ne tire point de lui les idées ou les sensations dont il se ressouvient ; parce qu'il n'existe en lui d'autres sensations que celles dont il est affecté actuellement & sensiblement. Ainsi on ne peut, dans l'ordre naturel, attribuer à l'être sensitif des idées permanentes, habituelles, innées, qui puissent subsister dans l'oubli actuel de ces idées ; car l'oubli d'une idée ou sensation est le néant de cette même sensation, & le ressouvenir d'une sensation est la réproduction de cette sensation : ce qui indique nécessairement une cause active qui reproduit les sensations dans l'exercice de la mémoire.

16°. Que nous éprouvons que les objets que nous appellons corps ou matiere sont eux-mêmes dans l'ordre naturel les causes physiques de toutes les différentes idées représentatives, des différentes affections, du bonheur, du malheur, des volontés, des passions, des déterminations de notre être sensitif, & que ces objets nous instruisent & nous affectent selon des lois certaines & constantes. Ces mêmes objets, quels qu'ils soient, & ces lois sont donc dans l'ordre naturel des causes nécessaires de nos sentimens, de nos connoissances, & de nos volontés.

17°. Que l'être sensitif ne peut par lui-même ni changer, ni diminuer, ni augmenter, ni défigurer les sensations qu'il reçoit par l'usage actuel des sens.

18°. Que les sensations représentatives que l'ame reçoit par l'usage des sens, ont entr'elles des différences essentielles & constantes qui nous instruisent sûrement de la diversité des objets qu'elles représentent. La sensation représentative d'un cercle, par exemple, differe essentiellement, & toûjours de la même maniere, de la sensation représentative d'un quarré.

19°. Que l'être sensitif distingue les sensations les unes des autres, par les différences que les sensations elles-mêmes ont entr'elles. Ainsi le discernement, ou la fonction par laquelle l'ame distingue les sensations & les objets représentés par les sensations, s'exécute par les sensations mêmes.

20°. Que le jugement s'opere de la même maniere ; car juger, n'est autre chose qu'appercevoir & reconnoître les rapports, les quantités, & les qualités ou façons d'être des objets : or ces attributs font partie des sensations représentatives des objets ; une porte fermée fait naître la sensation d'une porte fermée ; un ruban blanc, la sensation d'un ruban blanc ; un grand bâton & un petit bâton vûs ensemble, font naître la sensation du grand bâton & la sensation du petit bâton : ainsi juger qu'une porte est fermée, qu'un ruban est blanc, qu'un bâton est plus grand qu'un autre, n'est autre chose que sentir ou appercevoir ces sensations telles qu'elles sont. Il est donc évident que ce sont les sensations elles-mêmes qui produisent les jugemens. Ce qu'on appelle conséquences dans une suite de jugemens, n'est que l'accord des sensations, apperçû relativement à ces jugemens. Ainsi toutes ces appréhensions ou apperceptions ne sont que des fonctions purement passives de l'être sensitif. Il paroît cependant que les affirmations, les négations & les argumentations marquent de l'action dans l'esprit : mais c'est notre langage, & surtout les fausses notions puisées dans la logique scholastique, qui nous en imposent. La logique des colléges a encore d'autres défauts, & surtout celui d'apprendre à convaincre par la forme des syllogismes. Une bonne logique ne doit être que l'art de faire appercevoir dans les sensations, ce que l'on veut apprendre aux autres ; mais ordinairement le syllogisme n'est pas, pour cet effet, la forme de discours la plus convenable. Tout l'art de la vraie Logique ne consiste donc qu'à rappeller les sensations nécessaires, à réveiller & à diriger l'attention, pour faire découvrir dans ces sensations ce qu'on veut y faire appercevoir. Voyez SENSATIONS, §. Déduction.

21°. Qu'il n'y a pas de sensations représentatives simples ; par exemple, la sensation d'un arbre renferme celle du tronc, des branches, des feuilles, des fleurs : & celles-ci renferment les sensations d'étendue, de couleurs, de figures, &c.

22°. Que de plus, les sensations ont entr'elles par la mémoire une multitude de rapports que l'ame apperçoit, qui lient diversement toutes les sensations les unes aux autres, & qui, dans l'exercice de la mémoire, les rappellent à l'ame, selon l'ordre dans lequel elles l'intéressent actuellement ; ce qui regle ses recherches, ses examens, & ses jugemens. Il est certain que la remémoration suivie & volontaire dépend de la liaison intime que les idées ont entr'elles, & que cette appréhension consécutive est suscitée & dirigée par l'intérêt même que nous causent les sensations ; car c'est l'intérêt qui rend l'esprit attentif aux liaisons par lesquelles il passe d'une sensation à une autre. Si l'idée actuelle d'un fusil intéresse relativement à la chasse, l'esprit est aussi-tôt affecté de l'idée de la chasse ; si elle l'intéresse relativement à la guerre, il sera affecté de l'idée de la guerre, & ne pensera pas à la chasse. Si l'idée de la guerre l'intéresse relativement à un ami qui a été tué à la guerre, il pense aussi-tôt à cet ami. Si l'idée de son ami l'intéresse relativement à un bienfait qu'il en a reçû, il sera dans l'instant affecté de l'idée de ce bienfait, &c. Ainsi chaque sensation en rappelle une autre, par les rapports qu'elles ont ensemble, & par l'intérêt qu'elles reveillent ; ensorte que l'induction & l'ordre de la remémoration ne sont que les effets des sensations mêmes.

La contemplation ou l'examen n'est qu'une remémoration volontaire, dirigée par quelque doute intéressant : alors l'esprit ne peut se décider qu'après avoir acquis par les différentes sensations qui lui sont rappellées, les connoissances dont il a besoin pour s'instruire, ou pour appercevoir le résultat ou la totalité des avantages ou des desavantages, qui peuvent, dans les délibérations, le décider ou le déterminer à acquiescer ou à se désister.

La conception ou la combinaison des idées ou sensations qui affectent en même tems l'esprit, & qui l'intéressent assez pour fixer son attention aux unes & aux autres, n'est qu'une remémoration simultanée, & une contemplation soûtenue par l'intérêt que ces sensations lui causent. Alors toutes ces sensations concourent, par les rapports intéressans & instructifs que l'esprit y apperçoit, à former un jugement ou une décision ; mais cette décision sera plus ou moins juste, selon que l'esprit a saisi ou apperçû plus ou moins exactement l'accord & le produit qui doivent résulter de ces sensations. L'être sensitif n'a donc encore, dans tous ces exercices, d'autre fonction que celle de découvrir dans ses sensations, ce que les sensations qui l'intéressent lui font elles-mêmes appercevoir ou sentir exactement & distinctement.

On a de la peine à comprendre comment le méchanisme corporel de la mémoire fait renaître régulierement à l'ame, selon son attention, les sensations par lesquelles elle exerce dans la remémoration ses fonctions intellectuelles. Cependant ce méchanisme de la mémoire peut devenir intelligible, en le comparant à celui de la vision. Les rayons de lumiere qui frappent l'oeil en même tems, peuvent faire voir d'un même regard une multitude innombrable d'objets, quoique l'ame n'apperçoive distinctement, dans chaque instant, que ceux qui fixent son attention. Mais aussi-tôt qu'elle est déterminée de même par son attention vers d'autres objets, elle les apperçoit distinctement, & se détache de ceux qu'elle voyoit auparavant. Ainsi, de tous les rayons de lumiere qui partent des objets, & qui se réunissent sur l'oeil, il n'y en a que fort peu qui ayent leur effet par rapport à la vision actuelle : mais comme ils sont tous également en action sur l'oeil, ils peuvent tous également se prêter dans l'instant à l'attention de l'ame, & lui procurer distinctement des sensations qu'elle n'avoit pas, ou qu'elle n'avoit que confusément auparavant. Les radiations des esprits animaux établies par l'usage des sens dans les nerfs, & qui forment un confluent au siége de l'ame où elles sont toûjours en action, peuvent de même procurer à l'ame, selon son attention, toutes les sensations qu'elle reçoit, ou ensemble, ou successivement dans l'exercice de la remémoration.

23°. Que les sensations successives que nous pouvons recevoir par l'usage des sens & de la mémoire, se correspondent ou se réunissent les unes aux autres, conformément à la représentation des objets corporels qu'elles nous indiquent. Si j'ai une sensation représentative d'un morceau de glace, je suis assuré que si je touche cette glace, j'aurai une sensation de dureté ou de résistance, & une sensation de froid.

24°. Qu'il y a entre les sensations & les objets, & entre les sensations mêmes, des rapports certains & constans, qui nous instruisent sûrement des rapports que les objets ont entr'eux, & des rapports qu'il y a entre ces objets & nous ; que la sensation ; par exemple, que nous avons d'un corps en mouvement, change continuellement de relations à l'égard des sensations que nous avons aussi des corps qui environnent ce corps qui est en mouvement, & que par son mouvement, ce même corps produit dans les autres corps des effets conformes aux sensations que nous avons de ces corps ; c'est-à-dire que nous sommes assûrés par l'expérience que les corps agissent les uns sur les autres, conformément aux sensations que nous avons de leur grosseur, de leur figure, de leur pesanteur, de leur consistance, de leur souplesse, de leur rigidité, de leur proximité ou de leur éloignement, de la vîtesse & de la direction de leur mouvement ; qu'un corps moû, par exemple, cédera à l'action d'un corps dur & fort pesant qui appuyera sur lui ; qu'un corps mû rapidement cassera un corps fragile qu'il rencontrera ; qu'un corps dur & aigu percera un corps tendre contre lequel il sera poussé fortement ; qu'un corps chaud me causera une sensation de chaleur, &c. Ensorte qu'il y a une correspondance certaine entre les corps & les sensations qu'ils nous procurent, entre nos sensations & les divers effets que les corps peuvent opérer les uns sur les autres, & entre les sensations présentes & les sensations qui peuvent naître en nous par tous les différens mouvemens & les différens effets des corps : d'où résulte une évidence ou une certitude de connoissances à laquelle nous ne pouvons nous refuser, & par laquelle nous sommes continuellement instruits des sensations agréables que nous pouvons nous procurer, & des sensations desagréables que nous voulons éviter. C'est dans cette correspondance que consistent, dans l'ordre naturel, les regles de notre conduite, nos intérêts, notre science, notre bonheur, notre malheur, & les motifs qui forment & dirigent nos volontés.

25°. Que nous distinguons les sensations que nous retenons, ou qui nous sont rappellées par la mémoire, de celles que nous recevons par l'usage actuel des sens. C'est par la distinction de ces deux sortes de sensations, que nous jugeons de la présence des objets qui affectent actuellement nos sens, & de l'absence de ceux qui nous sont rappellés par la mémoire. Ces deux sortes de sensations nous affectent différemment, lorsque les sens & la mémoire agissent ensemble régulierement pendant la veille ; ainsi nous les distinguons sûrement par la maniere dont les unes & les autres nous affectent en même tems. Mais pendant le sommeil, lorsque nous rêvons, nous ne recevons des sensations que par la mémoire dont l'exercice est en grande partie intercepté, & nous n'avons pas, par l'usage actuel des sens, de sensations opposées à celles que nous recevons par la mémoire ; celles-ci fixent toute l'attention de l'esprit, & le tiennent dans l'illusion, de maniere qu'il croit appercevoir les objets mêmes de ses sensations.

26°. Que dans le concours de l'exercice des sens & de l'exercice de la mémoire, nous sommes affectés par les sensations que nous retenons, ou qui nous sont rappellées par la mémoire, de maniere que nous reconnoissons que nous avons déjà eu ces sensations ; ensorte qu'elles nous instruisent du passé, qu'elles nous indiquent l'avenir, qu'elles nous font appercevoir la durée successive de notre existence & celle des objets de nos sensations, & qu'elles nous assûrent que nous les avons toutes reçûes primitivement par l'usage des sens, & par l'entremise des objets qu'elles nous rappellent, & qui ont agi sur nos sens. En effet nous éprouvons continuellement, par l'exercice alternatif des sens & de la mémoire sur les mêmes objets, que la mémoire ne nous trompe pas, lorsque nous nous ressouvenons que ces objets nous sont connus par la voie des sens. La mémoire, par exemple, me rappelle fréquemment le ressouvenir du lit qui est dans ma chambre, & ce ressouvenir est vérifié par l'usage de mes sens toutes les fois que j'entre dans cette chambre. Mes sens m'assûrent donc alors de la fidélité de ma mémoire, & il n'y a réellement que l'exercice de mes sens qui puisse m'en assûrer : ainsi l'exercice de nos sens est le principe de toute certitude, & le fondement de toutes nos connoissances. La certitude de la mémoire dans laquelle consiste toute notre intelligence, ne peut donc être prouvée que par l'exercice des sens. Ainsi les causes sensibles qui agissent sur nos sens, & qui sont les objets de nos sensations, sont eux-mêmes les objets de nos connoissances, & la source de notre intelligence, puisque ce sont eux qui nous procurent les sensations par lesquelles nous sommes assûrés de l'existence & de la durée de notre être sensitif, & de l'évidence de nos raisonnemens. En effet, c'est par la mémoire que nous connoissons notre existence successive ; & c'est par le retour des sensations que nous procurent les objets sensibles, par l'exercice actuel des sens, que nous sommes assûrés de la fidélité de notre mémoire. Ces objets sont donc la source de toute évidence.

27°. Que la mémoire ou la faculté qui rappelle ou fait renaître les sensations, n'appartient pas essentiellement à l'être sensitif ; que c'est une faculté ou cause corporelle & conditionnelle, qui consiste dans l'organisation des corps des animaux : car la mémoire peut être troublée, affoiblie, ou abolie par les maladies ou dérangemens de ces corps.

28°. Que l'intelligence de l'être sensitif est assujettie aux différens états de perfection & d'imperfection de la mémoire.

29°. Que les rêves, les délires, la folie, l'imbécillité, ne consistent que dans l'exercice imparfait de la mémoire. Un homme couché à Paris, qui rêve qu'il est à Lyon, qu'il y voit la chapelle de Versailles, qu'il parle au vicomte de Turenne, est dans l'oubli de beaucoup d'idées qui dissiperoient ses erreurs : il ne se ressouvient pas alors qu'il s'est couché le soir à Paris, qu'il est dans son lit, qu'il est privé de la lumiere du jour, que la chapelle de Versailles est fort éloignée de Lyon, que le vicomte de Turenne est mort, &c. Ainsi sa mémoire qui lui rappelle Lyon, la chapelle de Versailles, le vicomte de Turenne, est alors en partie en exercice & en partie interceptée : mais à son réveil, & aussi-tôt que sa mémoire est en plein exercice, il reconnoît toutes les absurdités de son rêve.

Il en est de même du délire & de la folie : car ces états de déréglement des fonctions de l'esprit, ne consistent aussi que dans l'absence ou privation d'idées intermédiaires dont on ne se ressouvient pas, ou qui ne sont pas rappellées régulierement par le méchanisme de la mémoire. Dans la folie de cet homme, qui se croyoit le pere éternel, la mémoire ne lui rappelloit point, ou foiblement, les connoissances de son pere, de sa mere, de son enfance, de sa constitution humaine, qui auroient pû prévenir ou dissiper une idée si absurde & si dominante, rappellée fortement & fréquemment par la mémoire. Toute prévention opiniâtre dépend de la même cause, c'est-à-dire d'un déréglement ou d'une imperfection du méchanisme de la mémoire, qui ne rappelle pas régulierement, & avec une égale force, les idées qui doivent concourir ensemble à produire & à régler nos jugemens. Les écarts de l'esprit, dans les raisonnemens de bonne foi, ne consistent encore que dans une privation d'idées intermédiaires oubliées ou méconnues ; & alors nous ne nous appercevons pas même que ces connoissances nous manquent.

L'imbécillité dépend aussi de la mémoire, dont l'exercice est si lent & si défectueux, que l'intelligence ne peut être que très-bornée & très-imparfaite.

Le déréglement moral, qui est une espece de folie, résulte d'un méchanisme à-peu-près semblable : car lorsque le méchanisme des sens & de la mémoire cause quelques sensations affectives, trop vives & trop dominantes, ces sensations forment des goûts, des passions, des habitudes, qui subjuguent la raison ; on n'aspire à d'autre bonheur qu'à celui de satisfaire des goûts dominans & des passions pressantes. Ceux qui ont le malheur d'être, par la mauvaise organisation de leur corps, livrés à des sentimens ou sensations affectives, trop vives ou habituelles, s'abandonnent à des déréglemens de conduite, que leur raison ni leur intérêt bien entendu ne peuvent réprimer. Leur intelligence n'est uniquement occupée qu'à découvrir les ressources & les moyens de satisfaire leurs passions. Ainsi le déréglement moral est toûjours accompagné du déréglement d'intelligence.

30°. Que la mémoire peut nous rappeller les sensations dans un autre ordre & sous d'autres formes, que nous ne les avons reçûes par l'usage des sens.

Les Peintres qui représentent des tritons, des nayades, des sphynx, des lynx, des centaures, des satyres, réunissent, par la mémoire, des parties de corps humain à des parties de corps de bêtes, & forment des objets imaginaires. Les Physiciens qui entreprennent d'expliquer des phénomenes dont le méchanisme est inconnu, se représentent des enchaînemens de causes & d'effets, dont ils se forment des idées représentatives du méchanisme de ces phénomenes, lesquelles n'ont pas plus de réalité que celles des tritons & des nayades.

31°. Que les sensations changées ou variées, ou diversement combinées par la mémoire, ne produisent que des idées factices, formées de sensations que nous avons déjà reçûes par l'usage des sens. C'est pourquoi les Poëtes n'ont pû nous représenter le Tartare, les Champs élysées, les Dieux, les Puissances infernales, &c. que sous des formes corporelles ; parce qu'il n'y a pas d'autres idées représentatives, que celles que nous avons reçûes par la voie des sens. Il en est de même de toutes les abstractions morales, telles sont les idées abstraites factices de bonheur, de malheur, de passions en général ; elles ne sont compréhensibles que par le secours des sensations affectives que nous avons éprouvées par l'usage des sens. Il en est de même encore de toutes les abstractions relatives, morales, ou physiques : telles sont la bonté, la clémence, la justice, la cruauté, l'estime, le mépris, l'aversion, l'amitié, la complaisance, la préférence, le plus, le moins, le meilleur, le pire, &c. car elles tiennent & se rapportent toutes à des objets corrélatifs sensibles. La bonté, par exemple, tient à ceux qui font du bien, & se rapporte à ceux qui le reçoivent, & aux bienfaits qui sont les effets de la bonté. Or tous ces objets ne sont connus que par les sensations, & c'est de ces objets même que se tire l'idée abstraite factice de bonté en général. Les idées factices de projets, de conjectures, de probabilités, de moyens, de possibilités, ne sont encore formées que d'objets sensibles diversement combinés, & dont l'esprit ne peut pas toûjours saisir sûrement tous les rapports réels qu'ils ont entr'eux. Il est donc évident qu'il ne peut naître en nous aucunes idées factices, qui ne soient formées par le ressouvenir des sensations que nous avons reçûes par la voie des sens.

32°. Que ces idées factices, produites volontairement ou involontairement, sont la source de nos erreurs.

33°. Qu'il n'y a que les sensations telles que nous les recevons, ou que nous les avons reçûes par l'usage des sens, qui nous instruisent sûrement de la réalité & des propriétés des objets, qui nous procurent ou qui nous ont procuré ces sensations ; car il n'y a qu'elles qui soient complete s, régulieres, immuables, & absolument conformes aux objets.

34°. Que des idées innées ou des idées que l'ame se produiroit elle-même sans l'action d'aucune cause extrinseque, ne procureroient à l'ame aucune évidence de la réalité d'aucun être, ou d'aucune cause distincte de l'ame même ; parce que l'ame seroit elle-même le sujet, la source & la cause de ces idées, & qu'elle n'auroit par de telles idées aucun rapport nécessaire avec aucun être distinct d'elle-même. Ces idées seroient donc à cet égard destituées de toute évidence. Ainsi les idées innées ou essentielles qu'on a voulu attribuer aux parties de la matiere, ne leur procureroient aucune apperception d'objets extrinseques, ni aucunes connoissances réelles.

35°. Qu'une sensation abstraite générale n'est que l'idée particuliere d'un attribut commun à plusieurs objets, déjà connus par des sensations complete s & représentatives de ces objets ; or chacun ayant cet attribut, qui leur est commun par similitude ou ressemblance, on s'en forme une idée factice & sommaire d'unité, quoiqu'il soit réellement aussi multiple ou aussi nombreux qu'il y a d'êtres à qui il appartient. La blancheur de la neige, par exemple, n'est pas une seule blancheur ; car chaque particule de la neige a réellement & séparément sa blancheur particuliere. L'esprit qui ne peut être affecté que de fort peu de sensations distinctes à-la-fois, réunit & confond ensemble les qualités qui l'affectent de la même maniere, & se forme de ces qualités, qui existent réellement & séparément dans chaque être, une idée uniforme & générale. Ainsi l'esprit ne conçoit les idées sommaires ou générales, que pour éviter un détail d'idées particulieres dont il ne peut pas être affecté distinctement en même tems. C'est donc l'imperfection ou la capacité trop bornée de l'esprit, qui le force à avoir des idées abstraites générales. Il en est de même des idées abstraites particulieres ou bornées à un seul objet. Un homme fort attentif, par exemple, à la saveur d'un fruit, cesse de penser dans cet instant à la figure, à la grosseur, à la couleur, & aux autres qualités de ce fruit ; parce que l'esprit ne peut être en même tems affecté attentivement que de très-peu de sensations. Il n'y a que l'intelligence par essence, l'Etre suprème, qui exclue les idées abstraites, & qui réunisse dans chaque instant & toûjours les connoissances détaillées, distinctes & complete s de tous les êtres réels & possibles, & de toutes leurs dépendances.

36°. Qu'on ne peut rien déduire sûrement & avec évidence, d'une sensation sommaire ou générale, qu'autant qu'elle est réunie aux sensations complete s, représentatives, & exactes des objets auxquels elle appartient. Par exemple, l'idée abstraite, générale, factice de justice, qui renferme confusément les idées abstraites de justice retributive, distributive, attributive, arbitraire, &c. n'établit aucune connoissance précise, d'où l'on puisse déduire exactement, sûrement & évidemment d'autres connoissances, qu'autant qu'elle sera réduite aux sensations claires & distinctes des objets auxquels cette idée abstraite & relative doit se rapporter. De-là il est facile d'appercevoir le vice du système de Spinosa. Selon cet auteur, la substance est ce qui existe nécessairement ; exister nécessairement est une idée abstraite, générale, factice, d'où il déduit son système. La substance, autre idée abstraite, n'est exprimée que par ces mots ce qui, lesquels ne signifient aucune sensation claire & distincte : ainsi tout ce qu'il établit n'est qu'un tissu d'abstractions générales, qui n'a aucun rapport exact & évident avec les objets réels auxquels appartiennent les idées abstraites, générales, factices, de substance & d'existence nécessaire.

37°. Que nos sensations nous font appercevoir deux sortes de vérités ; des vérités réelles, & des vérités purement spéculatives ou idéales. Les vérités réelles sont celles qui consistent dans les rapports exacts & évidens, qu'ont les objets réels avec les sensations qu'ils procurent. Les vérités purement idéales sont celles qui ne consistent que dans les rapports que les sensations ont entr'elles : telles sont les vérités métaphysiques, géométriques, logiques, conjecturales, qu'on déduit d'idées factices, ou d'idées abstraites générales. Les rêves, le délire, la folie produisent aussi des vérités idéales ; parce que dans ces cas l'esprit n'est décidé de même que par les rapports que les sensations dont il est affecté alors, ont entr'elles. Un homme qui en rêvant croit être dans un bois où il voit un lion, est saisi de la peur, & se détermine idéalement à monter sur un arbre pour se mettre en sûreté ; l'esprit de cet homme tire des conséquences justes de ses sensations, mais elles n'en sont pas moins fausses relativement aux objets de ces mêmes sensations. Les vérités idéales ne consistent donc que dans les rapports que les sensations ont entr'elles, séparément des objets réelles de ces sensations.

Telles sont les vérités qui résultent des idées factices, & celles qui résultent des idées sommaires ou générales, lesquelles ne sont aussi elles-mêmes que des idées factices. En effet il est évident que ces idées factices n'ont aucun rapport avec les objets, tels qu'on les a apperçûs par l'usage des sens : ainsi les vérités qu'elles présentent ne peuvent nous instruire de la réalité & des propriétés des objets, ni des propriétés & des fonctions de l'être sensitif, qu'autant que nous saisissons des rapports réels & exacts entre les objets mêmes & nos sensations, & entre nos sensations & notre être sensitif. La certitude de nos connoissances naturelles ne consiste donc que dans l'évidence des vérités réelles.

38°. Que ce sont les idées factices & les idées abstraites générales qui font méconnoître l'évidence, & qui favorisent le pyrrhonisme ; parce que les hommes livrés sans discernement à des idées factices, à des idées abstraites générales, & à des idées telles qu'ils les ont reçûes par l'usage des sens, tirent de ces diverses idées des conséquences qui se contrarient : d'où il semble qu'il n'y a aucune certitude dans nos connoissances. Mais tous ceux qui seront assujettis dans la déduction des vérités réelles, aux sensations telles qu'ils les ont reçûes par l'usage des sens, conviendront toûjours de la certitude de ces vérités. Une regle d'arithmétique soûmet décisivement les hommes dans les disputes qu'ils ont entr'eux sur leurs intérêts ; parce qu'alors leur calcul a un rapport exact & évident avec les objets réels qui les intéressent. Les hommes ignorans & les bêtes se bornent ordinairement à des vérités réelles, parce que leurs fonctions sensitives ne s'étendent guere au-delà de l'usage des sens : mais les savans beaucoup plus livrés à la méditation, se forment une multitude d'idées factices & d'idées abstraites générales qui les égarent continuellement. Ainsi on ne peut les ramener à l'évidence, qu'en les assujettissant rigoureusement aux vérités réelles ; c'est-à-dire aux sensations des objets, telles qu'on les a reçûes par l'usage des sens. Alors toute idée factice disparoît, & toute idée sommaire ou générale se réduit en sensations particulieres ; car nous ne recevons par la voie des sens que des sensations d'objets particuliers. L'idée générale n'est qu'un résultat ou un ressouvenir imparfait & confus de ces sensations, qui sont trop nombreuses pour affecter l'esprit toutes ensemble & distinctement. Une similitude ou quelque autre rapport commun à une multitude de sensations différentes, forme tout l'objet de l'idée générale, ou du ressouvenir confus de ces sensations. C'est pourquoi il faut revenir à ces mêmes sensations en détail & distinctement, pour les reconnoître telles que nous les avons reçûes par la voie des sens, qui est l'unique source de nos connoissances naturelles, & l'unique principe de l'évidence des vérités réelles.

Il est vrai cependant que relativement aux bornes de l'esprit, les idées sommaires sont nécessaires ; elles classent & mettent en ordre les sensations particulieres, elles favorisent & reglent l'exercice de la mémoire : mais elles ne nous instruisent point ; leurs causes organiques sont, dans le méchanisme corporel de la mémoire, ce que sont les liasses de papier bien arrangées dans les cabinets des gens d'affaires ; l'étiquette ou le titre de chaque liasse, marque celles où l'on doit trouver les pieces que l'on a besoin d'examiner. Les noms & les idées sommaires d'être, de substance, d'accident, d'esprit, de corps, de minéral, de végétal, d'animal, &c. sont les étiquettes & les liasses, où sont arrangées les radiations des esprits animaux qui reproduisent les sensations particulieres des objets : ainsi elles renaissent avec ordre, lorsque nous voulons examiner ces objets pour les connoître exactement.

39°. Que nous ne connoissons les rapports nécessaires entre nos sensations & les objets réels de nos sensations, qu'autant que nous en sommes suffisamment instruits par la mémoire ; car, sans le ressouvenir du passé, nous ne pouvons juger sûrement de l'absence ou de la présence des objets qui nous sont indiqués par nos sensations actuelles. Nous ne pouvons pas même distinguer les sensations que nous recevons par la mémoire, de celles qui nous sont procurées par la présence actuelle des objets. Par exemple, dans le rêve, dans le délire, dans la folie, nous croyons que les objets absens, qui nous sont rappellés par la mémoire, sont présens ; que nous les appercevons par l'usage actuel de nos sens, que nous les voyons, que nous les touchons, que nous les entendons ; parce que nous n'avons alors aucune connoissance du passé qui nous instruise sûrement de l'absence de ces objets. Nous n'avons que le ressouvenir de leur présence & de leur apperception par la voie des sens ; car soit que la mémoire nous les rappelle distinctement sous la forme que nous les avons apperçûs par les sens, soit qu'elle les confonde sous différentes formes qui les diversifient, elle ne nous rappelle dans tous ces cas que des idées que nous avons reçûes par la voie des sens. Ainsi dans l'oubli des connoissances qui peuvent nous instruire de l'absence des objets dont nous nous ressouvenons, nous jugeons que ces objets sont présens, & que nous les appercevons par l'usage actuel des sens ; parce que nous ne les connoissons effectivement que par la voie des sens, & que nous n'avons aucune connoissance actuelle qui nous instruise de leur absence. Les rêves nous jettent fréquemment dans cette erreur. Mais nous la reconnoissons sûrement à notre réveil, lorsque la mémoire est rétablie dans son exercice complet. Nous reconnoissons aussi que l'illusion des rêves ne contredit point la certitude des connoissances que nous avons acquises par l'usage des sens ; puisque cette illusion ne consiste que dans des idées représentatives d'objets que nous n'avons connus que par cette voie. Si les rêves nous trompent, ce n'est donc pas relativement à la réalité de ces objets ; car nous sommes assûrés que notre erreur n'a existé alors que par l'oubli de quelques connoissances, qui nous auroient instruits de la présence ou de l'absence de ces mêmes objets. En effet nous sommes forcés à notre reveil de reconnoître que dans les rêves, l'exercice corporel de la mémoire est en partie intercepté par un sommeil imparfait.

Cet état nous découvre plusieurs vérités : 1°. que le sommeil suspend l'exercice de la mémoire, & qu'un sommeil parfait l'intercepte entierement : 2°. que l'exercice de la mémoire s'exécute par le méchanisme du corps, puisqu'il est suspendu par le sommeil, ou l'inaction des facultés organiques du corps : 3°. que dans l'état naturel, l'ame ne peut suppléer en rien par elle-même aux idées dont elle est privée par l'interception de l'exercice corporel de la mémoire ; puisqu'elle est absolument assujettie à l'erreur pendant les rêves, & qu'elle ne peut ni s'en appercevoir, ni s'en délivrer : 4°. que l'ame ne peut se procurer aucune idée, & qu'elle n'a point d'idées innées, puisqu'elle n'a en elle aucune faculté, aucune connoissance, aucune intelligence par lesquelles elle puisse par elle-même se desabuser de l'illusion des rêves : 5°. qu'il lui est inutile de penser pendant le sommeil, puisqu'elle ne peut avoir alors que des idées erronées & chimériques, qui changent son état, & forment un autre homme qui ignore dans ce moment s'il a déjà existé, & ce qu'il étoit auparavant.

40°. Que nous sommes aussi assûrés de l'existence, de la durée, de la diversité, & de la multiplicité des corps, ou des objets de nos sensations, que nous sommes assûrés de l'existence & de la durée de notre être sensitif. Car les objets sensibles font le fondement de nos connoissances, de notre mémoire, de notre intelligence, de nos raisonnemens, & la source de toute évidence. En effet nous ne parvenons à la connoissance de l'existence de notre être sensitif, que par les sensations que nous procurent les objets sensibles par l'usage des sens, & nous ne sommes assûrés de la fidélité de notre mémoire, que par le retour des sensations qui nous sont procurées de nouveau par l'exercice actuel des sens ; car c'est l'exercice alternatif de la mémoire & des sens sur les mêmes objets, qui nous sont représentés par nos sensations, qui nous assûrent que la mémoire ne nous trompe point, lorsqu'elle nous rappelle le ressouvenir de ces objets. C'est donc par les sensations qui nous sont procurées par les objets, que ces objets eux-mêmes & leur durée nous sont indiqués, que nous avons acquis les connoissances qui nous sont rappellées par la mémoire, & que la fidélité de la mémoire nous est prouvée avec certitude. Or sans la certitude de la fidélité de la mémoire, nous n'aurions aucune évidence de l'existence successive de notre être sensitif, ni aucune certitude dans nos jugemens. Nous ne pourrions pas même distinguer sûrement l'existence actuelle de notre être sensitif, d'avec celle de nos sensations, ni d'avec celle des causes de nos sensations, ni d'avec celle des objets de nos sensations. Nous ne pourrions pas non plus déduire une vérité d'une autre vérité, car la déduction suppose des idées consécutives qui exigent certitude dans la mémoire. Sans la mémoire, l'être sensitif n'auroit que la sensation, ou l'idée de l'instant actuel ; il ne pourroit pas tirer de cette sensation la conviction de sa propre existence ; car il ne pourroit pas développer les rapports de cette suite d'idées, je pense, donc je suis. Il sentiroit, mais il ne connoîtroit rien ; parce que sans la mémoire il ne pourroit réunir le premier commencement avec le premier progrès d'une sensation ; il seroit dans un état de stupidité, qui excluroit toute attention, tout discernement, tout jugement, toute intelligence, toute évidence de vérités réelles ; il ne pourroit ni s'instruire, ni s'assûrer, ni douter de son existence, ni de l'existence de ses sensations, ni de l'existence des causes de ses sensations, puisqu'il ne pourroit rien observer, rien démêler, rien reconnoître ; toutes ses idées seroient dévorées par l'oubli, à mesure qu'elles naîtroient ; tous les instans de sa durée seroient des instans de naissance, & des instans de mort ; il ne pourroit pas vérifier attentivement son existence par le sentiment même de son existence, ce ne seroit qu'un sentiment confus & rapide, qui se déroberoit continuellement à l'évidence.

Il est évident aussi que nous ne pouvons pas plus douter de la durée de l'existence des corps, ou des objets de nos sensations, que de la durée de notre propre existence ; car nous ne pouvons être assûrés de la durée de notre existence que par la mémoire, & nous ne pouvons être instruits avec certitude par la mémoire, qu'autant que nous sommes certains qu'elle ne nous trompe pas : or nous ne sommes assûrés de la fidélité de notre mémoire, que parce que nous l'avons vérifiée par le retour des sensations que les mêmes objets nous procurent de nouveau par l'exercice actuel des sens. Ainsi la certitude de la fidélité de notre mémoire suppose nécessairement la durée de l'existence de ces mêmes objets, qui nous procurent en différens tems les mêmes sensations par l'exercice des sens. Nous ne sommes donc assûrés de la durée de notre existence, que parce que nous sommes assûrés par l'exercice alternatif de la mémoire & des sens, de la durée de l'existence des objets de nos sensations ; nous ne pouvons donc pas plus douter de la durée de leur existence, que de la durée de notre existence propre. L'égoisme, ou la rigueur de la certitude réduite à la connoissance de moi-même, ne seroit donc qu'une abstraction captieuse, qui ne pourroit se concilier avec la certitude même que j'ai de mon existence : car cette certitude ne consiste que dans mes sensations qui m'instruisent de l'existence des corps, ou des objets de mes sensations, avec la même évidence qu'elles m'instruisent de mon existence. En effet, l'évidence avec laquelle nos sensations nous indiquent notre être sensitif, & l'évidence avec laquelle les mêmes sensations nous indiquent les corps, est la même ; elle se borne de part & d'autre à la simple indication, & n'a d'autre principe que nos sensations, ni d'autre certitude que celle de nos sensations mêmes ; mais cette certitude nous maîtrise & nous soûmet souverainement.

Cependant ne pourroit-on pas alléguer encore quelques raisons en faveur de l'égoisme métaphysique ? Ne m'est-il pas évident, me dira-t-on, qu'il y a un rapport essentiel entre mes sensations & mon être sensitif ? Ne m'est-il pas évident aussi qu'il n'y a pas un rapport aussi décisif entre mes sensations & les objets de mes sensations ? J'avoue néanmoins qu'il m'est évident aussi que je ne suis pas moi-même la cause de mes sensations. Mais ne me suffit-il pas de reconnoître une cause qui agisse sur mon être sensitif, indépendamment d'aucun objet sensible, & qui me cause des sensations représentatives d'objets qui n'existent pas ? N'en suis-je pas même assûré par mes rêves, où je crois voir & toucher les objets de mes sensations ? car j'ai reconnu ensuite que ces sensations étoient illusoires : cependant j'étois persuadé que je voyois & que je touchois ces objets. Ne puis-je pas quand je veille être trompé de même par mes sensations ? Je suis donc plus assûré de mon existence que de l'existence des objets de mes sensations : je ne connois donc avec évidence que l'existence de mon être sensitif, & celle de la cause active de mes sensations.

Voilà, je crois, les raisons les plus fortes qu'on puisse alléguer en faveur de l'égoisme. Mais avant qu'elles puissent conduire à cette évidence exclusive, qui borne sincerement un égoiste à la seule certitude de l'existence de son être sensitif, & de l'existence de la cause active de ses sensations, il faut qu'il soit assûré évidemment par sa mémoire, de son existence successive ; car sans la certitude de la durée de son existence, il ne peut pas avoir une connoissance sûre & distincte des rapports essentiels qu'il y a entre ses sensations & son être sensitif, & entre ses sensations & la cause active de ses sensations ; il ne pourra pas s'appercevoir qu'il a eu des sensations qui l'ont trompé dans ses rêves, & il ne sera pas plus assûré de son existence successive, que de l'existence des objets de ses sensations : ainsi il ne peut pas plus douter de l'existence de ces objets, que de son existence successive. S'il doutoit de son existence successive, il anéantiroit par ce doute toutes les raisons qu'il vient d'alléguer en faveur de son égoisme ; s'il ne doute pas de son existence successive, il reconnoît les moyens par lesquels il s'est assûré de la fidélité de sa mémoire : ainsi il ne doutera pas plus de l'existence des objets sensibles, que de son existence successive, & de son existence actuelle. Ceux qui opinent en faveur de l'égoisme, doivent donc au moins s'appercevoir que le tems même qu'ils employent à raisonner, contredit leurs raisonnemens.

Mon ame, vous direz-vous, ne peut-elle pas être toûjours dans un état de pure illusion, où elle seroit réduite à des sensations représentatives d'objets qui n'existent point ? Ne peut-elle pas aussi avoir sans l'entremise d'aucun objet réel, des sensations affectives qui l'intéressent, & qui la rendent heureuse ou malheureuse ? Ces sensations ne seroient-elles pas les mêmes que celles que je suppose qu'elle reçoit par l'entremise des objets qu'elles me représentent ? Ne suffiroient-elles pas pour exciter mon attention, pour exercer mon discernement & mon intelligence, pour me faire appercevoir les rapports que ces sensations auroient entr'elles, & les rapports qu'elles auroient avec moi-même ? d'où résulteroit du moins une évidence idéale, à laquelle je ne pourrois me refuser. Mais vous ne pouvez vous dissimuler qu'en vous supposant dans cet état, vous ne pouvez avoir aucune évidence réelle de votre durée, ni de la vérité de vos jugemens, & que vous ne pouvez pas même vous en imposer par les raisonnemens que vous faites actuellement ; car ils supposent non-seulement des rapports actuels, mais aussi des rapports successifs entre vos idées, lesquels exigent une durée que vous ne pouvez vérifier, & dont vous n'auriez aucune évidence réelle : ainsi vous ne pouvez pas sérieusement vous livrer à ces raisonnemens. Mais si votre pyrrhonisme vous conduit jusqu'à douter de votre durée, ne soyez pas moins attentif à éviter les dangers que vos sensations vous rappellent, de crainte d'en éprouver trop cruellement la réalité ; leurs rapports avec vous sont des preuves bien prévenantes de leur existence & de la vôtre.

Mais toûjours il n'est pas moins vrai, dira-t-on, qu'il n'y a point de rapport essentiel entre mes sensations & les objets sensibles, & qu'effectivement les sensations nous trompent dans les rêves : cette objection se détruit elle-même. Comment savez-vous que vos sensations vous ont trompé dans les rêves ? N'est-ce pas par la mémoire ? Or la mémoire vous assûre aussi que vos sensations ne vous ont point trompé rélativement à la réalité des objets, puisqu'elles ne vous ont représenté que des objets qui vous ont auparavant procuré ces mêmes sensations par la voie des sens. S'il n'y a pas de rapport essentiel entre les objets & les sensations, les connoissances que la mémoire vous rappelle, vous assûrent au moins que dans notre état actuel il y a un rapport conditionnel & nécessaire. Vous ne connoissez pas non plus de rapport essentiel entre l'être sensitif & les sensations, puisqu'il n'est pas évident que l'être sensitif ne puisse pas exister sans les sensations. Vous avouerez aussi, par la même raison, qu'il n'y a pas de rapport essentiel entre l'être sensitif & la cause active de nos sensations. Mais toûjours est-il évident par la réalité des sensations, qu'il y a au moins un rapport nécessaire entre notre être sensitif & nos sensations, & entre la cause active de nos sensations & notre être sensitif. Or un rapport nécessaire connu nous assûre évidemment de la réalité des corrélatifs. Le rapport nécessaire que nous connoissons entre nos sensations & les objets sensibles, nous assûre donc avec évidence de la réalité de ces objets, quels qu'ils soient ; je dis quels qu'ils soient, car je ne les connois point en eux-mêmes, mais je ne connois pas plus mon être sensitif : ainsi je ne connois pas moins les corps ou les objets sensibles, que je ne me connois moi-même. De plus nos sensations nous découvrent aussi entre les corps, des rapports nécessaires qui nous assûrent que les propriétés de ces corps ne se bornent pas à nous procurer des sensations ; car nous reconnoissons qu'ils sont eux-mêmes des causes sensibles, qui agissent réciproquement les unes sur les autres ; ensorte que le système général des sensations est une démonstration du système général du méchanisme des corps.

La même certitude s'étend jusqu'à la notion que j'ai des êtres sensitifs des autres hommes ; parce que les instructions vraies que j'en ai reçûes, & que j'ai vérifiées par l'exercice de mes sens, établissent un rapport nécessaire entre les êtres sensitifs de ces hommes, & mon être sensitif. En effet je suis aussi assûré de la vérité de ces instructions que j'ai confirmées par l'exercice de mes sens, que de la fidélité de ma mémoire, que de la connoissance de mon existence successive, & que de l'existence des corps ; puisque c'est par la même évidence que je suis assûré de la vérité de toutes ces connoissances. En effet la vérification des instructions que j'ai reçûes des hommes, me prouve que chacun d'eux a, comme moi, un être sensitif qui a reçû les sensations ou les connoissances qu'il m'a communiquées, & que j'ai vérifiées par l'usage de mes sens.

41°. Qu'un être sensitif ; qui est privativement & exclusivement affecté de sensations bornées à lui, & qui ne sont senties que par lui-même, est réellement distinct de tout autre être sensitif. Vous êtes assûré, par exemple, que vous ignorez ma pensée ; je suis assûré aussi que j'ignore la vôtre : nous connoissons donc avec certitude que nous pensons séparément, & que votre être sensitif & le mien sont réellement & individuellement distincts l'un de l'autre. Nous pouvons, il est vrai, nous communiquer nos pensées par des paroles, ou par d'autres signes corporels, convenus, & fondés sur la confiance ; mais nous n'ignorons pas qu'il n'y a aucune liaison nécessaire entre ces signes & les sensations, & qu'ils sont également le véhicule du mensonge & de la vérité. Nous n'ignorons pas non plus quand nous nous en servons, que nous n'y avons recours que parce que nous savons que nos sensations sont incommunicables par elles-mêmes : ainsi l'usage même de tels moyens est un aveu continuel de la connoissance que nous avons de l'incommunicabilité de nos sensations, & de l'individualité de nos ames. On est convaincu par-là de la fausseté de l'idée de Spinosa sur l'unité de substance dans tout ce qui existe.

42°. Que les êtres sensitifs ont leurs sensations à part, qui ne sont qu'à eux, & qui sont renfermées dans les bornes de la réalité de chaque être sensitif qui en est affecté ; parce qu'un être qui se sent soi-même ne peut se sentir hors de lui-même, & qu'il n'y a que lui qui puisse se sentir soi-même : d'où il s'ensuit évidemment que chaque être sensitif est simple, & réellement distinct de tout autre être sensitif. Les bêtes mêmes sont assûrées de cette vérité ; elles savent par expérience qu'elles peuvent s'entre-causer de la douleur, & chacune d'elles éprouve qu'elle ne sent point celle qu'elle cause à une autre : c'est par cette connoissance qu'elles se défendent, qu'elles se vengent, qu'elles menacent, qu'elles attaquent, qu'elles exercent leurs cruautés dans les passions qui les animent les unes contre les autres ; & celles qui ont besoin pour leur nourriture d'en dévorer d'autres, ne redoutent pas la douleur qu'elles vont leur causer.

43°. Qu'on ne peut supposer un assemblage d'êtres qui ayent la propriété de sentir, sans reconnoître qu'ils ont chacun en particulier cette propriété ; que chacun d'eux doit sentir en son particulier, à part, privativement & exclusivement à tout autre ; que leurs sensations sont réciproquement incommunicables par elles-mêmes de l'un à l'autre ; qu'un tout composé de parties sensitives, ne peut pas former une ame ou un être sensitif individuel ; parce que chacune de ses parties penseroit séparément & privativement les unes aux autres ; & que les sensations de chacun de ces êtres sensitifs n'étant pas communicables de l'un à l'autre, il ne pourroit y avoir de réunion ou de combinaisons intimes d'idées, dans un assemblage d'êtres sensitifs, dont les divers états ou positions varieroient les sensations, & dont les diverses sensations de chacun d'eux seroient inconnues aux autres. De-là il est évident qu'une portion de matiere composée de parties réellement distinctes, placées les unes hors des autres, ne peut pas former une ame. Or toute matiere étant composée de parties réellement distinctes les unes des autres, les êtres sensitifs individuels ne peuvent pas être des substances matérielles.

44°. Que les objets corporels qui occasionnent les sensations, agissent sur nos sens par le mouvement.

45°. Que le mouvement n'est pas un attribut essentiel de ces objets ; car ils peuvent avoir plus ou moins de mouvement, & ils peuvent en être privés entierement ; or ce qui est essentiel à un être en est inséparable, & n'est susceptible ni d'augmentation, ni de diminution, ni de cessation.

46°. Que le mouvement est une action ; que cette action indique une cause ; & que les corps sont les sujets passifs de cette action.

47°. Que le sujet passif, & la cause qui agit sur ce sujet passif, sont essentiellement distincts l'un de l'autre.

48°. Que nous sommes assûrés en effet par nos sensations, qu'un corps ne se remet point par lui-même en mouvement lorsqu'il est en repos, & n'augmente jamais par lui-même le mouvement qu'il a reçu : qu'un corps qui en meut un autre, perd autant de son mouvement que celui-ci en reçoit ; ainsi, rigoureusement parlant, un corps n'agit pas sur un autre corps ; l'un est mis en mouvement, par le mouvement qui se sépare de l'autre ; un corps qui communique son mouvement à d'autres corps, n'est donc pas lui-même le mouvement, ni la cause du mouvement qu'il communique à ces corps.

49°. Que les corps n'étant point eux-mêmes la cause du mouvement qu'ils reçoivent, ni de l'augmentation du mouvement qui leur survient, ils sont réellement distincts de cette cause.

50°. Que les corps ou les objets qui occasionnent nos sensations par le mouvement, n'étant eux-mêmes ni le mouvement ni la cause du mouvement, ils ne sont pas la cause primitive de nos sensations ; car ce n'est que par le mouvement qu'ils sont la cause conditionnelle de nos sensations.

51°. Que notre ame ou notre être sensitif ne pouvant se causer lui-même ses sensations & que les corps ou les objets de nos sensations n'en étant pas eux-mêmes la cause primitive, cette premiere cause est réellement distincte de notre être sensitif, & des objets de nos sensations.

52°. Que nous sommes assûrés par nos sensations, que ces sensations elles-mêmes, tous les effets & tous les changemens qui arrivent dans les corps, sont produits par une premiere cause ; que c'est l'action de cette même cause qui vivifie tous les corps vivans, qui constitue essentiellement toutes les formes actives, sensitives, & intellectuelles ; que la forme essentielle & active de l'homme, entant qu'animal raisonnable, n'est point une dépendance du corps & de l'ame dont il est composé ; car ces deux substances ne peuvent agir, par elles-mêmes, l'une sur l'autre. Ainsi on ne doit point chercher dans le corps ni dans l'ame, ni dans le composé de l'un & de l'autre, la forme constitutive de l'homme moral, c'est-à-dire du principe actif de son intelligence, de sa force d'intention, de sa liberté, de ses déterminations morales, qui le distinguent essentiellement des bêtes. Ces attributs résultent de l'acte même du premier principe de toute intelligence & de toute activité ; de l'acte de l'Etre suprème qui agit sur l'ame, qui l'affecte par des sensations, qui exécute ses volontés décisives, & qui éleve l'homme à un degré d'intelligence & de force d'intention, par lesquelles il peut suspendre ses décisions, & dans lesquelles consiste sa liberté. Cette premiere cause, & son action qui est une création continuelle, nous est évidemment indiquée ; mais la maniere dont elle agit sur nous, les rapports intimes entre cette action & notre ame, sont inaccessibles à nos lumieres naturelles ; parce que l'ame ne connoît pas intuitivement le principe actif de ses sensations, ni le principe passif de sa faculté de sentir : elle n'apperçoit sensiblement en elle d'autre cause de ses volontés & de ses déterminations que ses sensations mêmes.

53°. Que la cause primitive des formes actives sensitives, intellectuelles, est elle-même une cause puissante, intelligente & directrice ; car les formes actives qui consistent dans des mouvemens & dans des arrangemens des causes corporelles ou instrumentales, d'où résultent des effets déterminés, sont elles-mêmes des actes de puissance, d'intelligence, de volonté directrice. Les formes sensitives dans lesquelles consistent toutes les différentes sensations de lumiere, de couleur, de bruit, de douleur, de plaisir, d'étendue, &c. ces formes par lesquelles toutes ces sensations ont entr'elles des différences essentielles, par lesquelles les êtres sensitifs les distinguent nécessairement les unes des autres, & par lesquelles ils sont eux-mêmes assujettis à ces sensations, sont des effets produits dans les êtres sensitifs par des actes de puissance, d'intelligence, & de volonté décisive, puisque les sensations sont les effets de ces actes, qui par les sensations mêmes qu'ils nous causent, sont en nous la source & le principe de toute notre intelligence, de toutes nos déterminations, & de toutes nos actions volontaires. Les formes intellectuelles dans lesquelles consistent les liaisons, les rapports & les combinaisons des idées, & par lesquelles nous pouvons déduire de nos idées actuelles d'autres idées ou d'autres connoissances, consistent essentiellement aussi dans des actes de puissance, d'intelligence, & de volonté décisive ; puisque ces actes sont eux mêmes la cause constitutive, efficiente, & directrice de nos connoissances, de notre raison, de nos intentions, de notre conduite, de nos décisions. La réalité de la puissance, de l'intelligence, des intentions ou des causes finales, nous est connue évidemment par les actes de puissance, d'intelligence, d'intentions & de déterminations éclairées que nous observons en nous-mêmes ; ainsi on ne peut contester cette réalité. On ne peut pas contester non plus que ces actes ne soient produits en nous par une cause distincte de nous-mêmes : or une cause dont les actes produisent & constituent les actes mêmes de notre puissance, de notre intelligence, est nécessairement elle-même puissante & intelligente ; & ce qu'elle exécute avec intelligence, est de même nécessairement décidé avec connoissance & avec intention. Nous ne pouvons donc nous refuser à l'évidence de ces vérités que nous observons en nous-mêmes, & qui nous prouvent une puissance, une intelligence, & des intentions décisives dans tout ce que cette premiere cause exécute en nous & hors de nous.

54°. Que chaque homme est assûré par la connoissance intime des fonctions de son ame, que tous les hommes & les autres animaux qui agissent & se dirigent avec perception & discernement, ont des sensations & un être qui a la propriété de sentir ; & que cette propriété rend tous les êtres sensitifs susceptibles des mêmes fonctions naturelles purement relatives à cette même propriété ; puisque dans les êtres sensitifs, la propriété de sentir n'est autre chose que la faculté passive de recevoir des sensations, & que toutes les fonctions naturelles, relatives à cette faculté, s'exercent par les sensations mêmes. Des êtres réellement différens par leur essence, peuvent avoir des propriétés communes. Par exemple, la substantialité, la durée, l'individualité, la mobilité, &c. sont communs à des êtres de différente nature. Ainsi la propriété de sentir n'indique point que l'être sensitif des hommes & l'être sensitif des bêtes soient de même nature. Nos lumieres naturelles ne s'étendent pas jusqu'à l'essence des êtres. Nous ne pouvons en distinguer la diversité, que par des propriétés qui s'excluent essentiellement les unes les autres. Nos connoissances ne peuvent s'étendre plus loin que par la foi. En effet j'apperçois dans les animaux l'exercice des mêmes fonctions sensitives que je reconnois en moi-même ; ces fonctions en général se reduisent à huit, au discernement, à la remémoration, aux relations, aux indications, aux abstractions, aux déductions, aux inductions, & aux passions. Il est évident que les animaux discernent, qu'ils se ressouviennent de ce qu'ils ont appris par leurs sensations ; qu'ils apperçoivent les relations ou les rapports qu'il y a entr'eux & les objets qui les intéressent, qui leur sont avantageux ou qui leur sont nuisibles : qu'ils ont des sensations indicatives qui les assûrent de l'existence des choses qu'ils n'apperçoivent pas par l'usage actuel des sens ; que la seule sensation, par exemple, d'un bruit qui les inquiete, leur indique sûrement une cause qui leur occasionne cette sensation ; qu'ils ne peuvent avoir qu'une idée abstraite générale de cette cause quand ils ne l'apperçoivent pas ; que par conséquent ils ont des idées abstraites : que leurs sensations actuelles les conduisent encore par déduction ou raisonnement tacite à d'autres connoissances ; que, par exemple, un animal juge par la grandeur d'une ouverture & par la grosseur de son corps s'il peut passer par cette ouverture. On ne peut pas non plus douter des inductions que les animaux tirent de leurs sensations, & d'où resultent les déterminations de leurs volontés : on apperçoit aussi qu'ils aiment, qu'ils haïssent, qu'ils craignent, qu'ils esperent, qu'ils sont susceptibles de jalousie, de colere, &c. qu'ils sont par conséquent susceptibles de passions. On apperçoit donc effectivement dans les animaux l'exercice de toutes les fonctions dont les êtres sensitifs sont capables dans l'ordre naturel par l'entremise des corps.

55°. Que les volontés animales, ou purement sensitives, ne consistent que dans les sensations, & ne sont que les sensations elles-mêmes, entant qu'elles sont agréables ou désagréables à l'être sensitif ; car vouloir, est agréer une sensation agréable ; ne pas vouloir, est desagréer une sensation desagréable ; être indifférent à une sensation, c'est n'être affecté ni agréablement ni desagréablement par cette sensation. Agréer & desagréer sont de l'essence des sensations agréables ou desagréables : car une sensation qui n'est pas agréée n'est pas agréable, & une sensation qui n'est pas desagréée n'est pas desagréable. En effet, une sensation de douleur qui ne seroit pas douloureuse, ne seroit point une sensation de douleur ; une sensation de plaisir qui ne seroit pas agréable ; ne seroit pas une sensation de plaisir. Il faut juger des sensations agréables & desagréables, comme des autres sensations : or quand l'ame est affectée de sensations de rouge, ou de blanc, ou de verd, &c. elle sent & connoît nécessairement ces sensations telles qu'elles sont ; elle voit nécessairement rouge, quand elle a une sensation de rouge. Elle agrée de même nécessairement, quand elle a une sensation qui lui est agréable ; car vouloir ou agréer n'est autre chose que sentir agréablement : ne pas vouloir ou desagréer n'est de même autre chose que sentir desagréablement. Nous voulons joüir des objets qui nous causent des sensations agréables, & nous voulons éviter ceux qui nous causent des sensations desagréables ; parce que les sensations agréables nous plaisent, & que nous sommes lésés par les sensations desagréables ou douloureuses : ensorte que notre bonheur ou notre malheur n'existe que dans nos sensations agréables ou desagréables. C'est donc dans les sensations que consiste, dans l'ordre naturel, tout l'intérêt qui forme nos volontés ; & les volontés sont elles-mêmes de l'essence des sensations. Ainsi vouloir ou ne pas vouloir, ne sont pas des actions de l'être sensitif, mais seulement des affections ; c'est-à-dire des sensations qui l'intéressent agréablement ou desagréablement.

Mais il faut distinguer l'acquiescement & le désistement décisif, d'avec les volontés indécises. Car l'acquiescement & le désistement consistent dans le choix des sensations plus ou moins agréables, & dans le choix des objets qui procurent les sensations, & qui peuvent nous être plus ou moins avantageux, ou plus ou moins nuisibles par eux-mêmes. L'être sensitif apperçoit par les différentes sensations qui produisent en lui des volontés actuelles, souvent opposées, qu'il peut se tromper dans le choix quand il n'est pas suffisamment instruit ; alors il se détermine par ses sensations mêmes à examiner & à déliberer avant que d'opter & de se fixer décisivement à la joüissance des objets qui lui sont plus avantageux, ou qui l'affectent plus agréablement. Mais souvent ce qui est actuellement le plus agréable, n'est pas le plus avantageux pour l'avenir ; & ce qui intéresse le plus, dans l'instant du choix, forme la volonté décisive dans les animaux, c'est-à-dire la volonté sensitive dominante, qui a son effet exclusivement aux autres.

56°. Que nos connoissances évidentes ne suffisent pas, sans la foi, pour nous connoître nous-mêmes, pour découvrir la difference qui distingue essentiellement l'homme ou l'animal raisonnable, des autres animaux : car, à ne consulter que l'évidence, la raison elle-même assujettie aux dispositions du corps, ne paroîtroit pas essentielle aux hommes, parce qu'il y en a qui sont plus stupides, plus féroces, plus insensés que les bêtes ; & parce que les bêtes marquent dans leurs déterminations, le même discernement que nous observons en nous-mêmes, sur-tout dans leurs déterminations relatives au bien & au mal physiques. Mais la foi nous enseigne que la sagesse suprème est elle-même la lumiere, qui éclaire tout homme venant en ce monde ; que l'homme par son union avec l'intelligence par essence, est élevé à un plus haut degré de connoissance qui le distingue des bêtes ; à la connoissance du bien & du mal moral, par laquelle il peut se diriger avec raison & équité dans l'exercice de sa liberté ; par laquelle il reconnoît le mérite & le démérite de ses actions, & par laquelle il se juge lui-même dans les déterminations de son libre arbitre, & dans les décisions de sa volonté.

L'homme n'est pas un être simple, c'est un composé de corps & d'ame ; mais cette union périssable n'existe pas par elle-même ; ces deux substances ne peuvent agir l'une sur l'autre. C'est l'action de Dieu qui vivifie tous les corps animés, qui produit continuellement toute forme active, sensitive, & intellectuelle. L'homme reçoit ses sensations par l'entremise des organes du corps, mais ses sensations elles-mêmes & sa raison sont l'effet immédiat de l'action de Dieu sur l'ame ; ainsi c'est dans cette action sur l'ame que consiste la forme essentielle de l'animal raisonnable : l'organisation du corps est la cause conditionnelle ou instrumentale des sensations, & les sensations sont les motifs ou les causes déterminantes de la raison & de la volonté décisive.

C'est dans cet état d'intelligence & dans la force d'intention, que consiste le libre arbitre, considéré simplement en lui-même. Ce n'est du moins que dans ce point de vûe que nous pouvons l'envisager & le concevoir, relativement à nos connoissances naturelles ; car c'est l'intelligence qui s'oppose aux déterminations animales & spontanées, qui fait hésiter, qui suscite, soûtient & dirige l'intention, qui rappelle les regles & les préceptes qu'on doit observer, qui nous instruit sur notre intérêt bien entendu, qui intéresse pour le bien moral. Nous appercevons que c'est moins une faculté active, qu'une lumiere qui éclaire la voie que nous devons suivre, & qui nous découvre les motifs légitimes & méritoires qui peuvent regler dignement notre conduite. C'est dans ces mêmes motifs, qui nous sont présens, & dans des secours surnaturels que consiste le pouvoir que nous avons de faire le bien & d'éviter le mal : de même que c'est dans les sensations affectives déreglées, qui forment les volontés perverses, que consiste aussi le pouvoir funeste que nous avons de nous livrer au mal & de nous soustraire au bien.

Il y a dans l'exercice de la liberté plusieurs actes qui, considérés séparément, semblent exclure toute liberté. Lorsque l'ame a des volontés qui se contrarient, qu'elle n'est pas suffisamment instruite sur les objets de ses déterminations, & qu'elle craint de se tromper, elle suspend, elle se décide à examiner & à délibérer, avant que de se déterminer : elle ne peut pas encore choisir décisivement, mais elle veut décisivement délibérer. Or cette volonté décisive exclut toute autre volonté décisive, car deux volontés décisives ne peuvent pas exister ensemble ; elles s'entr'anéantiroient, elles ne seroient pas deux volontés décisives ; ainsi l'ame n'a pas alors le double pouvoir moral d'acquiescer ou de ne pas acquiescer décisivement à la même chose : elle n'est donc pas libre à cet égard. Il en est de même lorsqu'elle choisit décisivement ; car cette décision est un acte simple & définitif, qui exclut absolument toute autre décision. L'ame n'a donc pas non plus alors le double pouvoir moral de se décider ou de ne se pas décider pour la même chose : elle n'est pas libre dans ce moment ; ainsi elle n'a pas, dans le tems où elle veut décisivement délibérer, ni dans le tems où elle se détermine décisivement, le double pouvoir actuel d'acquiescer & de se désister, dans lequel consiste la liberté ; ce qui paroît en effet exclure toute liberté. Mais il faut être fort attentif à distinguer les volontés indécises des volontés décisives. Quand l'ame a plusieurs volontés indécises qui se contrarient, il faut qu'elle examine & qu'elle délibere ; or c'est dans le tems de la délibération qu'elle est réellement libre, qu'elle a indéterminément le double pouvoir d'être décidée, ou à se refuser ou à se livrer à une volonté indécise, puisqu'elle délibere effectivement, ou pour se refuser, ou pour se livrer décisivement à cette volonté, selon les motifs qui la décideront après la délibération.

Les motifs naturels sont de deux sortes, instructifs & affectifs ; les motifs instructifs nous déterminent par les lumieres de la raison ; les motifs affectifs nous déterminent par le sentiment actuel, qui est la même chose dans l'homme que ce qu'on appelle vulgairement instinct dans les bêtes.

La liberté naturelle est resserrée entre deux états également opposés à la liberté même : ces deux états sont l'invincibilité des motifs & la privation des motifs. Quand les sensations affectives sont trop pressantes & trop vives relativement aux sensations instructives & aux autres motifs actuels, l'ame ne peut, sans des secours surnaturels, les vaincre par elle-même. La liberté n'existe pas non plus dans la privation d'intérêts & de tout autre motif ; car dans cet état d'indifférence les déterminations de l'ame, si l'ame pouvoit alors se déterminer, seroient sans motif, sans raison, sans objet : elles ne seroient que des déterminations spontanées, fortuites, & entierement privées d'intention pour le bien ou pour le mal, & par conséquent de tout exercice de liberté & de toute direction morale. Les motifs sont donc eux-mêmes de l'essence de la liberté ; c'est pourquoi les Philosophes & les Théologiens n'admettent point de libre arbitre versatile par lui-même, ni de libre arbitre nécessité immédiatement par des motifs naturels ou surnaturels.

Dans l'exercice tranquille de la liberté, l'ame se détermine presque toûjours sans examen & sans délibération, parce qu'elle est instruite des regles qu'elle doit suivre sans hésiter. Les usages légitimes établis entre les hommes qui vivent en société, les préceptes & les secours de la religion, les lois du gouvernement qui intéressent par des récompenses ou par des châtimens, les sentimens d'humanité, tous ces motifs réunis à la connoissance intime du bien & du mal moral, à la connoissance naturelle d'un premier principe auquel nous sommes assujettis, & aux connoissances révelées, forment des regles qui soûmettent les hommes sensés & vertueux.

La loi naturelle se présente à tous les hommes, mais ils l'interpretent diversement ; il leur faut des regles positives & déterminées pour fixer & assûrer leur conduite. Ainsi les hommes sages ont peu à examiner & à délibérer sur leurs intérêts dans le détail de leurs actions morales ; dévoués habituellement à la regle & à la nécessité de la regle, ils sont immédiatement déterminés par la regle même.

Mais ceux qui sont portés au déréglement par des passions vives & habituelles, sont moins soûmis par eux-mêmes à la régle, qu'attentifs à la crainte de l'infamie & des punitions attachées à l'infraction de la regle. Dans l'ordre naturel, les intérêts ou les affections se contrarient ; on hésite, on délibere, on répugne à la regle ; on est enfin décidé ou par la passion qui domine, ou par la crainte des peines.

Ainsi la régle qui guide les uns suffit dans l'ordre moral pour les déterminer sans hésiter & sans délibérer ; au lieu que la contrariété d'intérêt qui affecte les autres, résiste à la regle ; d'où naît l'exercice de la liberté animale, qui est toûjours dans l'homme un desordre, un combat intenté par des passions trop vives, qui résultent d'une mauvaise organisation du corps, naturelle ou contractée par de mauvaises habitudes qui n'ont pas été réprimées. L'ame est livrée alors à des sensations affectives, si fortes & si discordantes, qu'elles dominent les sensations instructives qui pourroient la diriger dans ses déterminations ; c'est pourquoi on est obligé dans l'ordre naturel de recourir aux punitions & aux châtimens les plus rigoureux, pour contenir les hommes pervers.

Cette liberté animale ou ce conflit de sensations affectives qui bornent l'attention de l'ame à des passions illicites, & aux peines qui y sont attachées, c'est-à-dire au bien & au mal physique ; cette prétendue liberté, dis-je, doit être distinguée de la liberté morale ou d'intelligence, qui n'est pas obsédée par des affections déréglées ; qui rappelle à chacun ses devoirs envers Dieu, envers soi-même, envers les autres ; qui fait appercevoir toute l'indignité du mal moral, de l'iniquité du crime, du déréglement ; qui a pour objet le bien moral, le bon ordre, l'observation de la regle, la probité, les bonnes oeuvres, les motifs ou les affections licites, l'intérêt bien entendu. C'est cette liberté qui fait connoître l'équité, la nécessité, les avantages de la regle ; qui fait chérir la probité, l'honneur, la vertu, & qui porte dans l'homme l'image de la divinité : car la liberté divine n'est qu'une pure liberté d'intelligence. C'est dans l'idée d'une telle liberté, à laquelle l'homme est élevé par son union avec l'intelligence divine, que nous appercevons que nous sommes réellement libres ; & que dans l'ordre naturel nous ne sommes libres effectivement, qu'autant que nous pouvons par notre intelligence diriger nos déterminations morales, appercevoir, examiner, apprécier les motifs licites qui nous portent à remplir nos devoirs, & à résister aux affections qui tendent à nous jetter dans le déréglement : aussi convient-on que dans l'ordre moral les enfans, les fous, les imbécilles ne sont pas libres. Ces premieres vérités évidentes sont la base des connoissances surnaturelles, les premiers développemens des connoissances naturelles, les vérités fondamentales des Sciences, les lois qui dirigent l'esprit dans le progrès des connoissances, les regles de la conduite de tous les animaux dans leurs actions relatives à leur conservation, à leurs besoins, à leurs inclinations, à leur bonheur, & à leur malheur.


EVIENadj. (Myth.) surnom de Bacchus : on dit qu'il lui resta d'une exclamation de joie que son pere, transporté d'admiration, poussa en lui voyant défaire un géant. Evius vient des mots grecs , courage, mon fils.


EVIERS. m. (Maçon) pierre creusée & percée d'un trou, avec grille, qu'on place à hauteur d'appui dans une cuisine, pour laver la vaisselle & en faire écouler l'eau : c'est aussi un canal de pierre qui sert d'égoût dans une cour ou une allée. (P)


EVINCERv. act. (jurisprud.) c'est déposséder quelqu'un juridiquement d'un héritage ou autre immeuble. On peut être évincé en plusieurs manieres, comme par une demande en complainte, ou par une demande en desistement ; par une demande en déclaration d'hypotheque, par une saisie réelle, par un retrait féodal ou lignager, ou par un remeré ou retrait conventionnel : bien entendu que dans tous ces cas le possesseur n'est point évincé de plein droit en vertu des procédures faites contre lui ; il ne peut l'être juridiquement qu'en vertu d'un jugement qui adjuge la demande, & dont il n'y ait point d'appel, ou qui soit passé en force de chose jugée. (A)


EVIRÉadj. en terme de Blason, se dit d'un lion ou autre animal qui n'a point de marque par où l'on puisse connoître de quel sexe il est.


EVITÉES. f. (Marine) c'est la largeur que doit avoir le lit ou le canal d'une riviere pour fournir un libre passage aux vaisseaux. C'est aussi un espace de mer où le vaisseau peut tourner à la longueur de ses amarres. Chaque vaisseau qui est à l'ancre doit avoir son évitée, c'est-à-dire de l'espace pour tourner sur son cable, sans que rien l'en empêche. (Z)


EVITERv. neut. (Marine) On dit qu'un vaisseau a évité, lorsqu'étant mouillé il a changé de situation bout pour bout à la longueur de son cable, sans avoir levé ses ancres ; ce qui arrive au changement de vent ou de marée : & dans les ports où il y a beaucoup de vaisseaux & pas assez d'espace pour qu'ils puissent éviter sans se choquer les uns contre les autres, on les amarre devant & derriere, pour les retenir & les empêcher de tourner ; ce qu'ils feroient s'ils n'avoient que leurs ancres devant le nez.

Eviter au vent, se dit d'un vaisseau lorsqu'il présente sa proue au vent.

Eviter à marée, c'est lorsque le vaisseau présente l'avant ou courant de la mer, à la longueur de ses amarres. (Z)


EVITERNES. m. (Myth.) divinité à laquelle les anciens sacrifioient des boeufs roux : c'est tout ce que nous en savons. Les dieux de Platon, ceux qu'il regardoit comme indissolubles, & comme n'ayant point eu de commencement & ne devant point avoir de fin, sont appellés par cet auteur Eviternes ou Evintegres.


EVITERNITÉS. f. (Métaphys.) durée qui a un commencement, mais qui n'a point de fin.


EVOCATION(Littér.) opération religieuse du paganisme, qu'on pratiquoit au sujet des manes des morts. Ce mot désigne aussi la formule qu'on employoit pour inviter les dieux tutélaires des pays où l'on portoit la guerre, à daigner les abandonner & à venir s'établir chez les vainqueurs, qui leur promettoient en reconnoissance des temples nouveaux, des autels & des sacrifices. Article de M(D.J.)

EVOCATION des dieux tutélaires, (Littérat. Hist. anc.) Les Romains, entr'autres peuples, ne manquerent pas de pratiquer cette opération religieuse & politique, avant la prise des villes, & lorsqu'ils les voyoient réduites à l'extrémité : ne croyant pas qu'il fût possible de s'en rendre les maîtres tant que leurs dieux tutélaires leur seroient favorables, & regardant comme une impiété dangereuse de les prendre pour ainsi dire prisonniers, en s'emparant par force de leurs temples, de leurs statues, & des lieux qui leur étoient consacrés, ils évoquoient ces dieux de leurs ennemis ; c'est-à-dire qu'ils les invitoient par une formule religieuse à venir s'établir à Rome, où ils trouveroient des serviteurs plus zélés à leur rendre les honneurs qui leur étoient dûs.

Tite-Live, livre V. décad. j. rapporte l'évocation que fit Camille des dieux Véïens, en ces mots : " C'est sous votre conduite, ô Apollon Pythien, & par l'instigation de votre divinité, que je vais détruire la ville de Véïes ; je vous offre la dixieme partie du butin que j'y ferai. Je vous prie aussi, Junon, qui demeurez présentement à Véïes, de nous suivre dans notre ville, où l'on vous bâtira un temple digne de vous ".

Mais le nom sacré des divinités tutélaires de chaque ville étoit presque toûjours inconnu aux peuples, & révelé seulement aux prêtres, qui, pour éviter ces évocations, en faisoient un grand mystere, & ne les proféroient qu'en secret dans les prieres solemnelles : aussi pour lors ne les pouvoit-on évoquer qu'en termes généraux, & avec l'alternative de l'un ou de l'autre sexe, de peur de les offenser par un titre peu convenable.

Macrobe nous a conservé, Saturn. lib. III. c. jx. la grande formule de ces évocations, tirée du livre des choses secrettes des Sammoniens : Sérénus prétendoit l'avoir prise dans un auteur plus ancien. Elle avoit été faite pour Carthage ; mais en changeant le nom, elle peut avoir servi dans la suite à plusieurs autres villes, tant de l'Italie que de la Grece, des Gaules, de l'Espagne & de l'Afrique, dont les Romains ont évoqué les dieux avant de faire la conquête de ces pays-là. Voici cette formule curieuse.

" Dieu ou déesse tutélaire du peuple & de la ville de Carthage, divinité qui les avez pris sous votre protection, je vous supplie avec une vénération profonde, & vous demande la faveur de vouloir bien abandonner ce peuple & cette cité ; de quitter leurs lieux saints, leurs temples, leurs cérémonies sacrées, leur ville ; de vous éloigner d'eux ; de répandre l'épouvante, la confusion, la négligence parmi ce peuple & dans cette ville : & puisqu'ils vous trahissent, de vous rendre à Rome auprès de nous ; d'aimer & d'avoir pour agréables nos lieux saints, nos temples, nos sacrés mysteres ; & de me donner, au peuple romain & à mes soldats, des marques évidentes & sensibles de votre protection. Si vous m'accordez cette grace, je fais voeu de vous bâtir des temples & de célébrer des jeux en votre honneur ".

Après cette évocation ils ne doutoient point de la perte de leurs ennemis, persuadés que les dieux qui les avoient soûtenus jusqu'alors ; alloient les abandonner, & transférer leur empire ailleurs. C'est ainsi que Virgile parle de la desertion des dieux tutélaires de Troye, lors de son embrasement :

Excessêre omnes, adytis, arisque relictis,

Dî quibus imperium hoc steterat....

Aeneïd. lib. II.

Cette opinion des Grecs, des Romains, & de quelques autres peuples, paroît encore conforme à ce que rapporte Josephe, liv. VI. de la guerre des Juifs, ch. xxx. que l'on entendit dans le temple de Jérusalem, avant sa destruction, un grand bruit, & une voix qui disoit, sortons d'ici ; ce que l'on prit pour la retraite des anges qui gardoient ce saint lieu, & comme un présage de sa ruine prochaine : car les Juifs reconnoissoient des anges protecteurs de leurs temples & de leurs villes.

Je finis par un trait également plaisant & singulier. qu'on trouve dans Quinte-Curce, liv. IV. au sujet des évocations. Les Tyriens, dit-il, vivement pressés par Alexandre qui les assiégeoit, s'aviserent d'un moyen assez bizarre pour empêcher Apollon, auquel ils avoient une dévotion particuliere, de les abandonner. Un de leurs citoyens ayant déclaré en pleine assemblée qu'il avoit vû en songe ce dieu qui se retiroit de leur ville, ils lierent sa statue d'une chaîne d'or, qu'ils attacherent à l'autel d'Hercule leur dieu tutélaire, afin qu'il retînt Apollon. Voyez les mém. de l'acad. des Inscript. tom. V. Article de M(D.J.)

EVOCATION des manes, (Littérat.) c'étoit la plus ancienne, la plus solemnelle, & en même tems celle qui fut le plus souvent pratiquée.

Son antiquité remonte si haut, qu'entre les différentes especes de magie que Moyse défend, celle-ci y est formellement marquée : Nec sit... qui quaerat à mortuis veritatem. L'histoire qu'on répete si souvent à ce sujet, de l'ombre de Samuël évoquée par la magicienne, fournit une autre preuve que les évocations étoient en usage dès les premiers siecles, & que la superstition a presque toûjours triomphé de la raison chez tous les peuples de la terre.

Cette pratique passa de l'Orient dans la Grece, où on la voit établie du tems d'Homere. Loin que les Payens ayent regardé l'évocation des ombres comme odieuse & criminelle, elle étoit exercée par les ministres des choses saintes. Il y avoit des temples consacrés aux manes, où l'on alloit consulter les morts ; il y en avoit qui étoient destinés pour la cérémonie de l'évocation. Pausanias alla lui-même à Héraclée, ensuite à Phygalia, pour évoquer dans un de ces temples une ombre dont il étoit persécuté. Périandre, tyran de Corinthe, se rendit dans un pareil temple qui étoit chez les Thesprotes, pour consulter les manes de Mélisse.

Les voyages que les Poëtes font faire à leurs héros dans les enfers, n'ont peut-être d'autre fondement que les évocations, auxquelles eurent autrefois recours de grands hommes pour s'éclaircir de leur destinée. Par exemple, le fameux voyage d'Ulysse au pays des Cymmériens, où il alla pour consulter l'ombre de Tyrésias ; ce fameux voyage, dis-je, qu'Homere a décrit dans l'Odyssée, a tout l'air d'une semblable évocation. Enfin Orphée qui avoit été dans la Thesprotie pour évoquer le phantôme de sa femme Euridice, nous en parle comme d'un voyage d'enfer, & prend de-là occasion de nous débiter tous les dogmes de la Théologie payenne sur cet article : exemple que les autres Poëtes ont suivi.

Mais il faut remarquer ici que cette maniere de parler, évoquer une ame, n'est pas exacte ; car ce que les prêtres des temples des manes, & ensuite les magiciens, évoquoient, n'étoit ni le corps ni l'ame, mais quelque chose qui tenoit le milieu entre le corps & l'ame, que les Grecs appelloient , les Latins simulacrum, imago, umbra tenuis. Quand Patrocle prie Achille de le faire enterrer, c'est afin que les images legeres des morts, , ne l'empêchent pas de passer le fleuve fatal.

Ce n'étoit ni l'ame ni le corps qui descendoient dans les champs élysées ; mais ces idoles. Ulysse voit l'ombre d'Hercule dans ces demeures fortunées, pendant que ce héros est lui-même avec les dieux immortels dans les cieux, où il a Hébé pour épouse. C'étoit donc ces ombres, ces spectres ou ces manes, comme on voudra les appeller, qui étoient évoqués.

De savoir maintenant si ces ombres, ces spectres ou ces manes ainsi évoqués apparoissoient, ou si les gens trop crédules se laissoient tromper par l'artifice des prêtres, qui avoient en main des fourbes pour les servir dans l'occasion, c'est ce qu'il n'est pas difficile de décider.

Ces évocations, si communes dans le paganisme, se pratiquoient à deux fins principales ; ou pour consoler les parens & les amis, en leur faisant apparoître les ombres de ceux qu'ils regrettoient ; ou pour en tirer leur horoscope. Ensuite parurent sur la scene les magiciens, qui se vanterent aussi de tirer par leurs enchantemens ces ames, ces spectres ou ces phantômes de leurs demeures sombres.

Ces derniers, ministres d'un art frivole & funeste, vinrent bientôt à employer dans leurs évocations les pratiques les plus folles & les plus abominables ; ils alloient ordinairement sur le tombeau de ceux dont ils vouloient évoquer les manes ; ou plûtôt, selon Suidas, ils s'y laissoient conduire par un bélier qu'ils tenoient par les cornes, & qui ne manquoit pas, dit cet auteur, de se prosterner dès qu'il y étoit arrivé. On faisoit là plusieurs cérémonies, que Lucain nous a décrites en parlant de la fameuse magicienne nommée Hermonide ; on sait ce qu'il en dit :

Pour des charmes pareils elle garde en tous lieux

Tout ce que la nature enfante d'odieux ;

Elle mêle à du sang qu'elle puise en ses veines,

Les entrailles d'un lynx, &c.

Dans les évocations de cette espece, on ornoit les autels de rubans noirs & de branches de cyprès ; on y sacrifioit des brebis noires : & comme cet art fatal s'exerçoit la nuit, on immoloit un coq, dont le chant annonce la lumiere du jour, si contraire aux enchantemens. On finissoit ce lugubre appareil par des vers magiques, & des prieres qu'on récitoit avec beaucoup de contorsions. C'est ainsi qu'on vint à bout de persuader au vulgaire ignorant & stupide, que cette magie avoit un pouvoir absolu, non-seulement sur les hommes, mais sur les dieux mêmes, sur les astres, sur le soleil, sur la lune, en un mot, sur toute la nature. Voilà pourquoi Lucain nous dit :

L'univers les redoute, & leur force inconnue

S'éleve impudemment au-dessus de la nue ;

La nature obéit à ses impressions,

Le soleil étonné sent mourir ses rayons,

....

Et la lune arrachée à son throne superbe,

Tremblante, sans couleur, vient écumer sur l'herbe.

Personne n'ignore qu'il y avoit dans le paganisme différentes divinités, les unes bienfaisantes & les autres malfaisantes, à qui les magiciens pouvoient avoir recours dans leurs opérations. Ceux qui s'adressoient aux divinités malfaisantes, professoient la magie goétique, ou sorcellerie dont je viens de parler. Les lieux soûterreins étoient leurs demeures ; l'obscurité de la nuit étoit le tems de leurs évocations ; & des victimes noires qu'ils immoloient, répondoient à la noirceur de leur art.

Tant d'extravagances & d'absurdité établies chez des nations savantes & policées, nous paroissent incroyables ; mais indépendamment du retour sur nous mêmes, qu'il seroit bon de faire quelquefois, l'étonnement doit cesser, dès qu'on considere que la magie & la théologie payenne se touchoient de près, & qu'elles émanoient l'une & l'autre des mêmes principes. Voyez MAGIE, GOETIE, MANES, LEMURES, ENCHANTEMENS, &c. Article de M(D.J.)

EVOCATION, (Jurisprud.) est appellée en Droit litis translatio ou evocatio ; ce qui signifie un changement de juges, qui se fait en ôtant la connoissance d'une contestation à ceux qui devoient la juger, selon l'ordre commun, & donnant à d'autres le pouvoir d'en décider.

Plutarque, en son traité de l'amour des peres, regarde les Grecs comme les premiers qui inventerent les évocations & les renvois des affaires à des siéges étrangers ; & il en attribue la cause à la défiance que les citoyens de la même ville avoient les uns des autres, qui les portoit à chercher la justice dans un autre pays, comme une plante qui ne croissoit pas dans le leur.

Les lois romaines sont contraires à tout ce qui dérange l'ordre des jurisdictions, & veulent que les parties puissent toûjours avoir des juges dans leur province, comme il paroît par la loi juris ordinem, au code de jurisdict. omn. jud. & en l'auth. si verò, cod. de jud. ne provinciales recedentes à patriâ, ad longinqua trahantur examina. Leur motif étoit que souvent l'on n'évoquoit pas dans l'espérance d'obtenir meilleure justice, mais plûtôt dans le dessein d'éloigner le jugement, & de contraindre ceux contre lesquels on plaidoit à abandonner un droit légitime, par l'impossibilité d'aller plaider à 200 lieues de leur domicile : commodiùs est illis (dit Cassiodore, liv. VI. c. xxij.) causam perdere, quàm aliquid per talia dispendia conquirere, suivant ce qui est dit en l'auth. de appellat.

Les Romains considéroient aussi qu'un plaideur faisoit injure à son juge naturel, lorsqu'il vouloit en avoir un autre, comme il est dit en la loi litigatores, in principio, ff. de recept. arbitr.

Il y avoit cependant chez eux des juges extraordinaires, auxquels seuls la connoissance de certaines matieres étoit attribuée ; & des juges pour les causes de certaines personnes qui avoient ce qu'on appelloit privilegium fori aut jus revocandi domum.

Les empereurs se faisoient rendre compte des affaires de quelques particuliers, mais seulement en deux cas ; l'un, lorsque les juges des lieux avoient refusé de rendre justice, comme il est dit en l'authentique ut differant judices, c. j. & en l'authentique de quaestore, §. super hoc ; l'autre, lorsque les veuves, pupilles & autres personnes dignes de pitié, demandoient elles-mêmes l'évocation de leur cause, par la crainte qu'elles avoient du crédit de leur partie.

Capitolin rapporte que Marc Antonin, surnommé le philosophe, loin de dépouiller les juges ordinaires des causes des parties, renvoyoit même celles qui le concernoient au sénat.

Tibere vouloit pareillement que toute affaire, grande ou petite, passât par l'autorité du sénat.

Il n'en fut pas de même de l'empereur Claude, à qui les historiens imputent d'avoir cherché à attirer à lui les fonctions des magistrats, pour en retirer profit.

Il est parlé de lettres évocatoires dans le code théodosien & dans celui de Justinien, au titre de decurionibus & silentiariis ; mais ces lettres n'étoient point des évocations, dans le sens où ce terme se prend parmi nous : c'étoient proprement des congés que le prince donnoit aux officiers qui étoient en province, pour venir à la cour ; ce que l'on appelloit évocare ad comitatum.

Il faut entendre de même ce qui est dit dans la novelle 151 de Justinien : ne decurio aut cohortalis perducatur in jus, citrà jussionem principis. Les lettres évocatoires que le prince accordoit dans ce cas, étoient proprement une permission d'assigner l'officier, lequel ne pouvoit être autrement assigné en jugement, afin qu'il ne fût pas libre à chacun de le distraire trop aisément de son emploi.

En France les évocations trop fréquentes, & faites sans cause légitime, ont toûjours été regardées comme contraires au bien de la justice ; & les anciennes ordonnances de nos rois veulent qu'on laisse à chaque juge ordinaire la connoissance des affaires de son district. Telles sont entr'autres celles de Philippe-le-Bel, en 1302 ; de Philippe de Valois, en 1344 ; du roi Jean, en 1351 & 1355 ; de Charles V. en 1357 ; de Charles VI. en 1408, & autres postérieurs.

Les ordonnances ont aussi restraint l'usage des évocations à certains cas, & déclarent nulles toutes les évocations qui seroient extorquées par importunité ou par inadvertance, contre la teneur des ordonnances.

C'est dans le même esprit que les causes sur lesquelles l'évocation peut être fondée, doivent être mûrement examinées, & c'est une des fonctions principales du conseil. S'il y a lieu de l'accorder, l'affaire est renvoyée ordinairement à un autre tribunal ; & il est très-rare de la retenir au conseil qui n'est point cour de justice, mais établi pour maintenir l'ordre des jurisdictions, & faire rendre la justice dans les tribunaux qui en sont chargés.

Voici les principales dispositions que l'on trouve dans les ordonnances sur cette matiere.

L'ordonnance de Décembre 1344, veut qu'à l'avenir il ne soit permis à qui que ce soit de contrevenir aux arrêts du parlement.... ni d'impétrer lettres aux fins de retarder ou empêcher l'exécution des arrêts, ni d'en poursuivre l'enthérinement, à peine de 60 l. d'amende.... Le roi enjoint au parlement de n'obéir & obtempérer en façon quelconque a telles lettres, mais de les déclarer nulles, iniques & subreptices, ou d'en référer au roi, & instruire sa religion de ce qu'ils croiront être raisonnablement fait, s'il leur paroît expédient.

Charles VI. dans une ordonnance du 15 Août 1389, se plaint de ce que les parties qui avoient des affaires pendantes au parlement, cherchant des subterfuges pour fatiguer leurs adversaires, surprenoient de lui à force d'importunité, & quelquefois par inadvertance, des lettres closes ou patentes, par lesquelles contre toute justice, elles faisoient interdire la connoissance de ces affaires au parlement, qui est, dit Charles VI. le miroir & la source de toute la justice du royaume, & faisoient renvoyer ces mêmes affaires au roi, en quelque lieu qu'il fût ; pour remédier à ces abus, il défend très-expressément au parlement d'obtempérer à de telles lettres, soit ouvertes ou closes accordées contre le bien des parties, au grand scandale & retardement de la justice, contre le style & les ordonnances de la cour, à moins que ces lettres ne soient fondées sur quelque cause raisonnable, de quoi il charge leurs consciences : il leur défend d'ajoûter foi, ni d'obéir aux huissiers, sergens d'armes & autres officiers porteurs de telles lettres, ains au contraire, s'il y échet, de les déclarer nulles & injustes, ou au moins subreptices ; ou que s'il leur paroît plus expédient, selon la nature des causes & la qualité des personnes, ils en écriront au roi & en instruiront sa religion sur ce qu'ils croyent être fait en telle occurrence.

L'ordonnance de Louis XII. du 22 Décembre 1499 s'explique à-peu-près de même, au sujet des lettres de dispense & exception, surprises contre la teneur des ordonnances ; Louis XII. les déclare d'avance nulles, & charge la conscience des magistrats d'en prononcer la subreption & la nullité, à peine d'être eux-mêmes desobéissans & infracteurs des ordonnances.

L'édit donné par François I. à la Bourdaisiere le 18 Mai 1529, concernant les évocations des parlemens pour cause de suspicion de quelques officiers, fait mention que le chancelier & les députés de plusieurs cours de parlement, lui auroient remontré combien les évocations étoient contraires au bien de la justice ; & l'édit porte que les lettres d'évocations seront octroyées seulement aux fins de renvoyer les causes & matieres dont il sera question au plus prochain parlement, & non de les retenir au grand conseil du roi, à moins que les parties n'y consentissent, ou que le roi pour aucunes causes à ce mouvantes, n'octroyât de son propre mouvement des lettres pour retenir la connoissance de ces matieres audit conseil. Et quant aux matieres criminelles, là où se trouvera cause de les évoquer, François I. ordonne qu'elles ne soient évoquées, mais qu'il soit commis des juges sur les lieux jusqu'au nombre de dix.

Le même prince par son ordonnance de Villers-Coterets, art. 170, défend au garde des sceaux de bailler lettres pour retenir par les cours souveraines la connoissance des matieres en premiere instance ; ne aussi pour les ôter de leur jurisdiction ordinaire, & les évoquer & commettre à autres, ainsi qu'il en a été grandement abusé par ci-devant.

Et si, ajoûte l'art. 171, lesdites lettres étoient autrement baillées, défendons à tous nos juges d'y avoir égard ; & il leur est enjoint de condamner les impétrans en l'amende ordinaire, comme de fol appel, tant envers le roi qu'envers la partie, & d'avertir le roi de ceux qui auroient baillé lesdites lettres, pour en faire punition selon l'exigence des cas.

Le chancelier Duprat qui étoit en place, sous le même regne, rendit les évocations beaucoup plus fréquentes ; & c'est un reproche que l'on a fait à sa mémoire d'avoir par-là donné atteinte à l'ancien ordre du royaume, & aux droits d'une compagnie dont il avoit été le chef.

Charles IX. dans l'ordonnance de Moulins, art. 70, déclare sur les remontrances qui lui avoient été faites au sujet des évocations, n'avoir entendu & n'entendre qu'elles ayent lieu, hors les cas des édits & ordonnances, tant de lui que de ses prédécesseurs, notamment en matieres criminelles ; esquelles il veut que, sans avoir égard aux évocations qui auroient été obtenues par importunité ou autrement, il soit passé outre à l'instruction & jugement des procès criminels ; à moins que les évocations, soit au civil ou au criminel, n'eussent été expédiées pour quelques causes qui y auroient engagé le roi de son commandement, & signées par l'un de ses secrétaires d'état ; & dans ces cas, il dit que les parlemens & cours souveraines ne passeront outre, mais qu'elles pourront faire telles remontrances qu'il appartiendra.

L'ordonnance de Blois, art. 97, semble exclure absolument toute évocation faite par le roi de son propre mouvement ; Henri III. déclare qu'il n'entend doresnavant bailler aucunes lettres d'évocation, soit générales ou particulieres, de son propre mouvement ; il veut que les requêtes de ceux qui poursuivront les évocations soient rapportées au conseil privé par les maîtres des requêtes ordinaires de l'hôtel qui seront de quartier, pour y être jugées suivant les édits de la Bourdaisiere & de Chanteloup, & autres édits postérieurs ; que si les requêtes tendantes à évocation se trouvent raisonnables, parties oüies & avec connoissance de cause, les lettres seront octroyées & non autrement, &c. Il déclare les évocations qui seroient ci-après obtenues, contre les formes susdites, nulles & de nul effet & valeur ; & nonobstant icelles, il veut qu'il soit passé outre à l'instruction & jugement des procès, par les juges dont ils auront été évoqués.

L'édit du mois de Janvier 1597, registré au parlement de Bretagne le 26 Mai 1598, borne pareillement en l'art. 12, l'usage des évocations aux seuls cas prévûs par les ordonnances publiées & vérifiées par les parlemens ; l'art. 13. ne voulant que le conseil soit occupé ès causes qui consistent en jurisdiction contentieuse, ordonne qu'à l'avenir telles matieres qui y pourroient être introduites, seront incontinent renvoyées dans les cours souveraines, à qui la connoissance en appartient, sans la retenir, ne distraire les sujets de leur naturel ressort & jurisdiction.

Et sur les plaintes qui nous sont faites, dit Henri IV. en l'art. 15, des fréquentes évocations qui troublent l'ordre de la justice, voulons qu'aucunes ne puissent être expédiées que suivant les édits de Chanteloup & de la Bourdaisiere, & autres édits sur ce fait par ses prédécesseurs, & qu'elles soient signées par l'un des secrétaires d'état & des finances qui aura reçû les expéditions du conseil, ou qu'elles n'ayent été jugées justes & raisonnables, par notredit conseil, suivant les ordonnances.

L'édit du mois de Mai 1616, art. 9, dit : Voulons & entendons, comme avons toûjours fait, que les cours souveraines de notre royaume soient maintenues & conservées en la libre & entiere fonction de leurs charges, & en l'autorité de jurisdiction qui leur a été donnée par les rois nos prédécesseurs.

La déclaration du dernier Juillet 1648 porte, art. 1, que les réglemens sur le fait de la justice portés par les ordonnances d'Orléans, Moulins & Blois, seront exactement exécutées & observées suivant les vérifications qui en ont été faites en nos compagnies souveraines, avec défenses, tant aux cours de parlement qu'autres juges, d'y contrevenir : elle ordonne au chancelier de France de ne sceller aucunes lettres d'évocation que dans les termes de droit, & après qu'elles auront été résolues sur le rapport qui en sera fait au conseil du roi par les maîtres des requêtes qui seront en quartier ; parties oüies, en connoissance de cause.

La déclaration du 22 Octobre suivant porte, art. 14, que pour faire connoître à la postérité l'estime que le roi fait de ses parlemens, & afin que la justice y soit administrée avec l'honneur & l'intégrité requise, le roi veut qu'à l'avenir les articles 91, 92, 97, 98 & 99 de l'ordonnance de Blois, soient inviolablement exécutés ; ce faisant, que toutes affaires qui gissent en matiere contentieuse, dont les instances sont de-présent ou pourront être ci-après pendantes, indécises & introduites au conseil, tant par évocation qu'autrement, soient renvoyées comme le roi les renvoye par-devant les juges qui en doivent naturellement connoître, sans que le conseil prenne connoissance de telles & semblables matieres ; lesquelles sa majesté veut être traitées par-devant les juges ordinaires, & par appel ès cours souveraines, suivant les édits & ordonnances, &c.

Le même article veut aussi qu'il ne soit délivré aucunes lettres d'évocation générale ou particuliere, du propre mouvement de sa majesté ; ains que les requêtes de ceux qui poursuivront lesdites évocations soient rapportées au conseil par les maîtres des requêtes qui seront en quartier, pour y être jugées suivant les édits, & octroyées, parties oüies, & avec connoissance de cause & non autrement.

Il est encore ordonné que lesdites évocations seront signées par un secrétaire d'état ou des finances qui aura reçu les expéditions, lorsque les évocations auront été délibérées ; que les évocations qui seront ci-après obtenues contre les formes susdites, sont déclarées nulles & de nul effet & valeur, & que nonobstant icelles, il sera passé outre à l'instruction & jugement des procès par les juges dont ils auront été évoqués : & pour faire cesser les plaintes faites au roi à l'occasion des commissions extraordinaires par lui ci-devant décernées, il révoque toutes ces commissions, & veut que la poursuite de chaque matiere soit faite devant les juges auxquels la connoissance en appartient.

Les lettres patentes du 11 Janvier 1657, annexées à l'arrêt du conseil du même jour, portent que le roi ayant fait examiner en son conseil, en sa présence, les mémoires que son procureur général lui avoit présentés de la part de son parlement, concernant les plaintes sur les arrêts du conseil que l'on prétendoit avoir été rendus contre les termes des ordonnances touchant les évocations, & sur des matieres dont la connoissance appartient au parlement : sa majesté ayant toûjours entendu que la justice fût rendue à ses sujets par les juges auxquels la connoissance doit appartenir suivant la disposition des ordonnances, & voulant même témoigner que les remontrances qui lui avoient été faites sur ce sujet, par une compagnie qu'elle a en une particuliere considération, ne lui ont pas moins été agréables que le zele qu'elle a pour son service lui donne de satisfaction ; en conséquence, le roi ordonne que les ordonnances faites au sujet des évocations seront exactement gardées & observées ; fait très-expresses inhibitions & défenses à tous qu'il appartiendra d'y contrevenir, ni de traduire ses sujets par-devant d'autres juges que ceux auxquels la connoissance en appartient suivant les édits & ordonnances, à peine de nullité des jugemens & arrêts qui seront rendus au conseil, & de tous dépens, dommages & intérêts contre ceux qui les auront poursuivis & obtenus ; en conséquence, le roi renvoye à son parlement de Paris les procès spécifiés audit arrêt, &c.

On ne doit pas non plus omettre que sous ce regne, ces évocations s'étant aussi multipliées, le Roi par des arrêts des 23 Avril, & 12 & 26 Octobre 1737, & 21 Avril 1738, a renvoyé d'office aux siéges ordinaires, un très-grand nombre d'affaires évoquées au conseil, ou devant des commissaires du conseil ; & ensuite il fut expédié des lettres patentes qui furent enregistrées, par lesquelles la connoissance en fut attribuée, soit à des chambres des enquêtes du parlement de Paris, soit à la cour des aydes ou au grand-conseil, suivant la nature de chaque affaire.

On distingue deux sortes d'évocations ; celles de grace, & celles de justice.

On appelle évocations de grace, celles qui ont été ou sont accordées par les rois à certaines personnes, ou à certains corps ou communautés, comme une marque de leur protection, ou pour d'autres considérations telles que les committimus, les lettres de garde-gardienne, les attributions faites au grand-conseil des affaires de plusieurs ordres religieux, & de quelques autres personnes.

Les évocations de grace sont ou particulieres, c'est-à-dire bornées à une seule affaire ; ou générales, c'est-à-dire accordées pour toutes les affaires d'une même personne ou d'un même corps.

L'ordonnance de 1669, art. 1, du titre des évocations, & l'ordonnance du mois d'Août 1737, art. 1, portent qu'aucune évocation générale ne sera accordée, si ce n'est pour de très-grandes & importantes considérations qui auront été jugées telles par le roi en son conseil ; ce qui est conforme à l'esprit & à la lettre des anciennes ordonnances, qui a toûjours été de conserver l'ordre commun dans l'administration de la justice.

Il y a quelques provinces où les committimus & autres évocations générales n'ont point lieu ; ce sont celles de Franche-Comté, Alsace, Roussillon, Flandre & Artois.

Il y a aussi quelques pays qui ont des titres particuliers pour empêcher l'effet de ces évocations, ou pour les rendre plus difficiles à obtenir, tels que ceux pour lesquels on a ordonné qu'elles ne pourront être accordées qu'après avoir pris l'avis du procureur général ou d'autres officiers.

Dans d'autres pays, les évocations ne peuvent avoir lieu pour un certain genre d'affaires, comme en Normandie & en Bourgogne, où l'on ne peut évoquer les decrets d'immeubles hors de la province.

On nomme évocation de justice, celle qui est fondée sur la disposition même des ordonnances, comme l'évocation sur les parentés & alliances qu'une des parties se trouve avoir, dans le tribunal où son affaire est portée.

C'est une regle générale, que les exceptions que les lois ont faites aux évocations mêmes de justice, s'appliquent à plus forte raison aux évocations qui ne sont que de grace ; ensorte qu'une affaire qui par sa nature ne peut pas être évoquée sur parentés & alliances, ne peut l'être en vertu d'un committimus ou autre privilége personnel.

Quant à la forme dans laquelle l'évocation peut être obtenue, on trouve des lettres de Charles V. du mois de Juillet 1366, où il est énoncé que le roi pour accélérer le jugement des contestations pendantes au parlement entre le duc de Berry & d'Auvergne, & certaines églises de ce duché, les évoqua à sa personne, vivae vocis oraculo. Il ordonna que les parties remettroient leurs titres par-devant les gens de son grand-conseil, qui appelleroient avec eux autant de gens de la chambre du parlement qu'ils jugeroient à propos, afin qu'il jugeât cette affaire sur le rapport qui lui en seroit fait.

Ces termes vivae vocis oraculo paroissent signifier que l'évocation fut ordonnée ou prononcée de la propre bouche du roi, ce qui n'empêcha pas que sur cet ordre ou arrêt, il n'y eût des lettres d'évocation expédiées ; en effet, il est dit que les lettres furent présentées au parlement, qui y obtempéra du consentement du procureur général, & le roi jugea l'affaire.

Ainsi les évocations s'ordonnoient dès-lors par lettres patentes, & ces lettres étoient vérifiées au parlement ; ce qui étoit fondé sur ce que toute évocation emporte une dérogation aux ordonnances du royaume, & que l'ordre qu'elles ont prescrit pour l'administration de la justice, ne peut être changé que dans la même forme qu'il a été établi.

Il paroît en effet, que jusqu'au tems de Louis XIII. aucune évocation n'étoit ordonnée autrement ; la partie qui avoit obtenu les lettres, étoit obligée d'en présenter l'original au parlement, lequel vérifioit les lettres ou les retenoit au greffe, lorsqu'elles ne paroissoient pas de nature à être enregistrées. Les registres du parlement en fournissent nombre d'exemples, entr'autres à la date du 7 Janvier 1555, où l'on voit que cinq lettres patentes d'évocation, qui furent successivement présentées au parlement pour une même affaire, furent toutes retenues au greffe sur les conclusions des gens du roi.

Plusieurs huissiers furent decretés de prise-de-corps par la cour, pour avoir exécuté une évocation sur un duplicata ; d'autres, en 1591 & 1595, pour avoir signifié des lettres d'évocation au préjudice d'un arrêt du 22 Mai 1574, qui ordonnoit l'exécution des précédens reglemens, sur le fait de la présentation des lettres d'évocation, sans duplicata.

Les évocations ne peuvent pas non plus être faites par lettres missives, comme le parlement l'a observé en différentes occasions, notamment au mois de Mars 1539, où il disoit, que l'on n'a accoûtumé faire une évocation par lettres missives, ains sous lettres patentes nécessaires.

On trouve encore quelque chose d'à-peu-près semblable dans les registres du parlement, au 29 Avril 1561, & 22 Août 1567, & encore à l'occasion d'un arrêt du conseil de 1626, portant évocation d'une affaire criminelle, le chancelier reconnut l'irrégularité de cette évocation dans sa forme, & promit de la retirer ; n'y ayant, dit-il, à l'arrêt d'évocation que la signature d'un secrétaire d'état, & non le sceau.

L'expérience ayant fait connoître que plusieurs plaideurs abusoient souvent de l'évocation même de justice, quoiqu'elle puisse être regardée comme une voie de droit, on l'a restrainte par l'ordonnance du mois d'Août 1669, & encore plus par celle de 1737.

1°. L'évocation sur parentés & alliances, n'a pas lieu à l'égard de certains tribunaux ; soit par un privilége accordé aux pays où ils sont établis, comme le parlement de Flandre & les conseils supérieurs d'Alsace & de Roussillon ; soit parce que ces tribunaux ont été crées expressément pour de certaines matieres, qu'on a crû ne pouvoir leur être ôtées pour l'intérêt d'une partie, comme les chambres des comptes, les cours des monnoies, les tables de marbre, & autres jurisdictions des eaux & forêts.

Cette évocation n'est pas non plus admise à l'égard des conseils supérieurs, établis dans les colonies françoises ; mais les édits de Juin 1680, & septembre 1683, permettent à ceux qui ont quelque procès contre un président ou conseiller d'un conseil supérieur, de demander leur renvoi devant l'intendant de la colonie, qui juge ensuite l'affaire, avec un autre conseil supérieur, à son choix.

2°. Il y a des affaires qui, à cause de leur nature, ne sont pas susceptibles d'évocation, même pour parentés & alliances.

Telles sont les affaires du domaine ; celles des pairies & des droits qui en dépendent, si le fond du droit est contesté ; celles où il s'agit des droits du roi, entre ceux qui en sont fermiers ou adjudicataires.

Tels sont encore les decrets & les ordres ; ce qui s'étend suivant l'ordonnance de 1737, tit. j. art. 25, à toute sorte d'oppositions aux saisies réelles ; parce qu'étant connexes nécessairement à la saisie réelle, elles doivent être portées dans la même jurisdiction ; soit que cette saisie ait été faite de l'autorité d'une cour ou d'un juge ordinaire, ou qu'elle l'ait été en vertu d'une sentence d'un juge de privilége. La même regle a lieu pour toutes les contestations formées à l'occasion des contrats d'union, de direction, ou autres semblables.

3°. L'évocation ne peut être demandée que par celui qui est actuellement partie dans la contestation qu'il veut faire évoquer, & du chef de ceux qui y sont parties en leur nom & pour leur intérêt personnel.

Il suit de-là, que celui qui a été seulement assigné comme garant, ou pour voir déclarer le jugement commun, ne peut pas être admis à demander l'évocation, si l'affaire n'est véritablement liée avec lui ; comme il est expliqué plus en détail par les articles 30, 31, & 32 de l'ordonnance de 1737.

Il suit encore du même principe, qu'on ne peut évoquer du chef des procureurs généraux, ni des tuteurs, curateurs, syndics, directeurs des créanciers, ou autres administrateurs, s'ils ne sont parties qu'en cette qualité, & non pour leur intérêt particulier.

En matiere criminelle, un accusé ne peut évoquer du chef de celui qui n'est pas partie dans le procès, quoiqu'il fût intéressé à la réparation du crime, ou cessionnaire des intérêts civils : il n'est pas admis non plus à évoquer du chef de ses complices ou co-accusés ; s'il est decreté de prise-de-corps, il ne peut demander l'évocation qu'après s'être mis en état.

4°. Il a encore été ordonné avec beaucoup de sagesse, que l'évocation n'auroit pas lieu dans plusieurs cas, à cause de l'état où la contestation que l'on voudroit faire évoquer, se trouve au tems où l'évocation est demandée ; comme lorsqu'on a commencé la plaidoierie ou le rapport, ou qu'on n'a fait signifier l'acte pour évoquer, que dans la derniere quinzaine avant la fin des séances d'une cour, ou d'un semestre pour celles qui servent par semestre.

Une partie qui, après le jugement de son affaire, ne demande l'évocation que lorsqu'il s'agit de l'exécution de l'arrêt rendu avec elle, ou de lettres de requête civile prise pour l'attaquer, ne peut y être reçue, à moins qu'il ne soit survenu depuis l'arrêt de nouvelles parentés, ou autre cause légitime d'évocation. De même, celui qui n'étant point partie en cause principale n'est intervenu qu'en cause d'appel, ne peut évoquer, si ce n'est qu'il n'ait pû agir avant la sentence.

La partie qui a succombé sur une demande en évocation, n'est plus admise à en former une seconde dans la suite de la même affaire, s'il n'est survenu de nouvelles parentés ou de nouvelles parties ; & si la seconde demande en évocation étoit encore rejettée, elle seroit condamnée à une amende plus forte, & en d'autres peines, selon les circonstances.

Telles sont les principales restrictions qui ont été faites aux évocations mêmes, qui paroissent fondées sur une considération de justice, & sur la crainte qu'une des parties n'eût quelque avantage sur l'autre, dans un tribunal dont plusieurs officiers sont ses parens ou alliés. Si l'un d'eux s'étoit tellement intéressé pour elle, qu'il eût fait son affaire propre de sa cause, les parens & alliés de cet officier serviroient aussi à fonder l'évocation. Mais l'ordonnance de 1737 a prescrit une procédure très-sommaire, pour les occasions où l'on allegue un pareil fait ; & il faut pour l'établir, articuler & prouver trois circonstances ; savoir, que l'officier ait sollicité les juges en personne, qu'il ait donné ses conseils, & qu'il ait fourni aux frais. Le défaut d'une de ces trois circonstances suffit pour condamner la partie qui a soûtenu ce fait en une amende, & quelquefois à des dommages & intérêts, & d'autres réparations.

Au surplus, pour que la partie qui demande l'évocation ait lieu d'appréhender le crédit des parens ou alliés de son adversaire dans un tribunal, il faut qu'ils soient dans un degré assez proche pour faire présumer qu'ils s'y intéressent particulierement ; qu'ils soient en assez grand nombre pour faire une forte impression sur l'esprit des autres juges ; enfin qu'ils soient actuellement dans des fonctions qui les mettent à portée d'agir en faveur de la partie, à laquelle ils sont attachés par les liens du sang ou de l'affinité. C'est dans cet esprit que les ordonnances ont fixé les degrés, le nombre, & la qualité des parens & alliés qui pourroient donner lieu à l'évocation

A l'égard de la proximité, tous les ascendans ou descendans, & tous ceux des collatéraux, qui speciem parentum & liberorum inter se referunt, c'est-à-dire les oncles ou grands-oncles, neveux ou petits-neveux, donnent lieu à l'évocation : mais pour les autres collatéraux, la parenté ou l'alliance n'est comptée pour l'évocation que jusqu'au troisieme degré inclusivement ; au lieu que pour la récusation, elle s'étend au quatrieme degré en matiere civile, & au cinquieme en matiere criminelle.

Les degrés se comptent suivant le droit canonique. Voyez au mot DEGRE DE PARENTE.

On ne peut évoquer du chef de ses propres parens & alliés, si ce n'est qu'ils fussent parens ou alliés dans un degré plus proche de l'autre partie.

Une alliance ne peut servir à évoquer, à moins que le mariage qui a produit cette alliance ne subsiste au tems de l'évocation, ou qu'il n'y ait des enfans de ce mariage ; l'espece d'alliance qui est entre ceux qui ont épousé les deux soeurs, ne peut aussi servir à évoquer que lorsque les deux mariages subsistent, ou qu'il reste des enfans d'un de ces mariages, ou de tous les deux.

Le nombre des parens ou alliés nécessaire pour évoquer, est reglé différemment, eu égard au nombre plus ou moins grand d'officiers, dont les cours sont composées, & à la qualité de celui du chef duquel on peut évoquer. C'est ce qu'on peut voir par le tableau suivant.

A l'égard de la qualité de chaque parent ou allié qui peut donner lieu à l'évocation, il faut qu'il ait actuellement séance & voix délibérative dans sa compagnie, ou qu'il y soit avocat général ou procureur géneral.

On fait même une différence entre les officiers ordinaires, & ceux qui ne sont pas obligés de faire un service assidu & continuel ; tels que les pairs, les conseillers d'honneur, & les honoraires, lesquels, en quelque nombre qu'ils soient, ne se comptent que pour un tiers du nombre requis pour évoquer ; comme pour quatre, quand il faut douze parens ou alliés ; pour trois, quand il en faut dix ; pour deux, quand il en faut six ou huit ; & pour un, quand il en faut trois, quatre, ou cinq.

Les pairs & les conseillers d'honneur ne peuvent donner lieu à évoquer que du parlement de Paris ; & les maîtres des requêtes, que du parlement & du grand-conseil, quoique les uns & les autres ayent entrée dans tous les parlemens.

On ne compte plus pour l'évocation les parens ou alliés qui seroient morts depuis la cédule évocatoire, ou qui auroient quitté leurs charges : s'ils sont devenus honoraires, on les compte en cette qualité seulement. S'il arrive aussi que la partie du chef de laquelle on demandoit l'évocation cesse d'avoir intérêt dans l'affaire, on n'a plus d'égard à ses parentés & alliances.

L'objet des lois a encore été de prévenir les inconvéniens des demandes en évocation, en établissant une procédure simple & abregée pour y statuer.

C'est au conseil des parties qu'elles sont examinées ; mais il y a des procédures qui doivent se faire sur les lieux, dont la premiere est la cédule évocatoire.

On appelle ainsi un acte de procédure par lequel la partie, qui veut user de l'évocation, déclare à son adversaire qu'elle entend faire évoquer l'affaire de la cour où elle est pendante ; attendu que parmi les officiers de cette cour, il a tels & tels parens ou alliés : le même acte contient une sommation de consentir à l'évocation & au renvoi en la cour, où il doit être fait suivant l'ordonnance ; ou à une autre, si elle lui étoit suspecte.

La forme de cet acte & celle des autres procédures qui doivent être faites sur les lieux, se trouvent en détail dans l'ordonnance de 1737.

L'évocation sur parentés & alliances est réputée consentie, soit qu'il y ait un consentement par écrit, soit que le défendeur ait reconnu dans sa réponse les parentés & alliances, sans proposer d'autres moyens pour empêcher l'évocation, soit enfin qu'il ait gardé le silence pendant le délai prescrit par l'ordonnance ; dans chacun de ces cas, le demandeur doit obtenir des lettres d'évocation consentie, dans un tems fixé par la même ordonnance, faute de quoi le défendeur peut les faire expédier aux frais de l'évoquant.

Les cédules évocatoires sont de droit réputées pour non avenues ; & les cours peuvent passer outre au jugement de l'affaire, sans qu'il soit besoin d'arrêt du conseil.

1°. Lorsque l'affaire n'est pas de nature à être évoquée, ou lorsque l'évocation est fondée sur les parentés & alliances d'un procureur général, d'un tuteur, ou autre administrateur, qui ne sont parties qu'en cette qualité.

2°. Lorsqu'on n'a pas observé certaines formalités nécessaires pour la validité de l'acte de cédule évocatoire, & qui sont expliquées dans les articles 38, 39, 60, 70, & 78, de l'ordonnance de 1737.

3°. Lorsque l'évocation est signifiée dans la quinzaine, avant la fin des séances ou du semestre d'une cour.

4°. Quand l'évoquant s'est désisté avant qu'il y ait eu assignation au conseil.

En d'autres cas il est nécessaire d'obtenir un arrêt du conseil, pour juger si l'évocation est du nombre de celles prohibées par l'ordonnance.

1°. Quand la cédule évocatoire a été signifiée, depuis le commencement de la plaidoierie ou du rapport.

2°. Quand l'évocation est demandée trop tard par celui, ou du chef de celui qui a été assigné en garantie, ou pour voir déclarer l'arrêt commun ; ou quand auparavant la signification de la cédule évocatoire, il a cessé d'être engagé dans l'affaire que l'on veut évoquer par une disjonction, ou de quelque autre maniere.

3°. Quand l'évoquant n'a pas fait apporter au greffe les enquêtes & autres procédures, dans les délais portés par l'ordonnance.

Pour éviter les longueurs d'une instruction, l'ordonnance de 1737 a permis dans ces cas au défendeur d'obtenir, sur sa simple requête, un arrêt qui le met en état de suivre son affaire dans le tribunal où elle est pendante ; ce qui a produit un grand bien pour la justice, en faisant cesser promtement & sans autre formalité, un grand nombre d'évocations formées dans la vûe d'éloigner le jugement d'un procès.

S'il ne s'agit d'aucun des cas dont on vient de parler ; on instruit l'instance au conseil, dans la forme qui est expliquée par les articles 28, 45, 53, 54, 58 & 65, de l'ordonnance de 1737.

Si la demande en évocation se trouve bien fondée, l'arrêt qui intervient évoque la contestation principale, & la renvoye à une autre cour, pour y être instruite & jugée, suivant les derniers erremens.

Autrefois le conseil renvoyoit à celle qu'il jugeoit le plus à-propos de nommer ; mais l'ordonnance a établi un ordre fixe, qui est toûjours observé, à moins qu'il ne se trouve quelque motif supérieur de justice qui oblige le conseil de s'en écarter, ce qui est très-rare.

Le renvoy se fait donc,

Du parlement de Paris, au grand-conseil, ou au parlement de Roüen.

Du parlement de Roüen, à celui de Bretagne.

Du parlement de Bretagne, à celui de Bordeaux.

Du parlement de Bordeaux, à celui de Toulouse.

De celui de Toulouse, au parlement de Pau ou d'Aix.

Du parlement d'Aix, à celui de Grenoble.

Du parlement de Grenoble, à celui de Dijon.

Du parlement de Dijon, à celui de Besançon.

De celui de Besançon, à celui de Metz.

De celui de Metz, au parlement de Paris.

De la cour des aides de Paris, à celles de Roüen ou de Clermont.

De la cour des aides de Clermont, au parlement de Bretagne, comme cour des aides.

De celle de Clermont, à celle de Paris.

Du parlement de Bretagne, comme cour des aides, à celle de Bordeaux.

De celle de Bordeaux, à celle de Montauban.

De celle de Montauban, à celle de Montpellier.

De celle de Montpellier, à celle d'Aix.

De celle d'Aix, au parlement de Grenoble, comme cour des aides.

Du parlement de Grenoble, comme cour des aides à celui de Dijon, comme cour des aides.

Du parlement de Dijon, comme cour des aides, à la cour des aides de Dole.

De celle de Dole, au parlement de Metz, comme cour des aides.

Et du parlement de Metz, comme cour des aides, à la cour des aides de Paris.

Si la demande en évocation paroît mal fondée, on ordonne que sans s'arrêter à la cédule évocatoire, les parties continueront de procéder en la cour, dont l'évocation étoit demandée, & l'évoquant est condamné aux dépens, en une amende envers le roi, & une envers la partie, quelquefois même en ses dommages & intérêts.

Telles sont les principales regles que l'on suit pour les demandes en évocations, qui ne peuvent être jugées qu'au conseil.

Dans les compagnies semestres, ou qui sont composées de plusieurs chambres, lorsqu'un de ceux qui ont une cause ou procès, pendant à l'un des semestres, ou en l'une des chambres, y est président ou conseiller, ou que son pere, beau-pere, fils, gendre, beau-fils, frere, beau-frere, oncle, neveu, ou cousin-germain, y est président ou conseiller, la contestation doit être renvoyée à l'autre semestre, ou à une autre chambre de la même cour, sur une simple requête de la partie qui demande ce renvoy, communiquée à l'autre partie, qui n'a que trois jours pour y repondre, & l'on y prononce dans les trois jours suivans : ce qui s'observe aussi, lorsque dans le même semestre ou dans la même chambre, une des parties a deux parens au troisieme degré, ou trois, jusqu'au quatrieme inclusivement.

S'il arrive dans une compagnie semestre, que par un partage d'opinions, ou par des recusations, il ne reste pas assez de juges dans un semestre, pour vuider le partage, ou pour juger le procès, ils sont dévolus de plein droit à l'autre semestre ; mais toutes les fois qu'il ne reste pas assez de juges, soit dans cette compagnie, soit dans celles qui se tiennent par chambres & non par semestres, pour vuider le partage, il faut s'adresser au conseil pour en faire ordonner le renvoi à une autre cour, & alors il commence ordinairement par ordonner que le rapporteur & le compartiteur envoyeront à M. le chancelier, les motifs de leurs compagnies, qui sont ensuite envoyés à la cour, à laquelle le partage est renvoyé par un deuxieme arrêt.

Ce sont les cours supérieures qui connoissent des demandes en évocation, ou en renvoi d'une jurisdiction de leur ressort dans une autre, soit pour des parentés & alliances, soit à cause du défaut de juges en nombre suffisant, ou pour suspicion ; c'est une des fonctions attachées à l'autorité supérieure qu'elles exercent au nom du roi, & les ordonnances leur laissent le choix de la jurisdiction de leur ressort où l'affaire doit être renvoyée.

On ne peut évoquer des présidiaux sur des parentés & alliances, que dans les affaires dont ils connoissent en dernier ressort ; & il faut, pour pouvoir demander l'évocation, qu'une des parties soit officier du présidial, ou que son pere, son fils, ou son frere y soit officier, sans qu'aucun autre parent ni aucun allié puisse y donner lieu.

Elle se demande par une simple requête, qui est signifiée à l'autre partic ; & il y est ensuite statué, sans autres formalités, sauf l'appel au parlement du ressort, & le renvoi se fait au plus prochain présidial, non suspect.

Les regles que l'on a expliquées ci-dessus sur les matieres & les personnes qui ne peuvent donner lieu à l'évocation, s'appliquent aussi aux demandes en renvoi d'un semestre d'une chambre ou d'une jurisdiction à un autre, ou en évocation d'un présidial.

Les causes & procès évoqués doivent être jugés par les cours auxquelles le renvoi en a été fait suivant les lois, coûtumes, & usages des lieux d'où ils ont été évoqués, n'étant pas juste que le changement de juges change rien à cet égard à la situation des parties, & si l'on s'écartoit de cette regle, elles pourroient se pourvoir au conseil contre le jugement.

L'évocation pour cause de connexité ou litispendance a lieu lorsque le juge supérieur, déjà saisi d'une contestation, attire à lui une autre contestation pendante dans un tribunal inférieur, qui a un rapport nécessaire avec la premiere, ensorte qu'il soit indispensable de faire droit sur l'un & l'autre dans le même tribunal ; mais il faut que cette connexité soit bien réelle, sinon les parties pourroient se pourvoir contre le jugement qui auroit évoqué.

Messieurs des requêtes de l'hôtel du palais à Paris, peuvent aussi, dans le cas d'une connexité véritable, évoquer les contestations pendantes devant d'autres juges, même hors du ressort du parlement de Paris : à l'égard des requêtes du palais des autres parlemens, elles n'en usent qu'à l'égard des juges du ressort du parlement où elles sont établies.

Les juges auxquels toutes les affaires d'une certaine nature ont été attribuées, comme la chambre du domaine, la table de marbre, &c. aussi-bien que ceux auxquels on a attribué la connoissance de quelque affaire particuliere, ou de toutes les affaires d'une personne ou communauté, évoque pareillement les affaires qui sont de leur compétence, & celles qui y sont connexes ; mais la partie qui ne veut pas déférer à l'évocation, a la voie de se pourvoir par l'appel, si le tribunal qui a évoqué, & celui qui est dépouillé par l'évocation, sont ressortissans à la même cour : s'ils sont du ressort de différentes cours, & que celles-ci ne se concilient pas entr'elles, dans la forme portée par l'ordonnance de 1667, pour les conflits entre les parlemens & les cours des aydes qui sont dans la même ville, il faut se pourvoir en réglemens de juges au conseil ; & il en est de même, s'il s'agit de deux cours.

L'évocation du principal, est, quand le juge supérieur, saisi de l'appel d'une sentence qui n'a rien prononcé sur le fond de la contestation, l'évoque & y prononce, afin de tirer les parties d'affaire plus promtement ; ce qui est autorisé par l'ordonnance de 1667, tit. vj. art. 2. qui défend d'évoquer les causes, instances, & procès pendans aux siéges inférieurs, ou autres jurisdictions, sous prétexte d'appel ou connexité, si ce n'est pour juger définitivement à l'audience, & sur le champ, par un seul & même jugement.

L'ordonnance de 1670, tit. xxvj. art. 5. ordonne la même chose pour les évocations en matiere criminelle : la déclaration du 15 Mai 1673, art. 9. a même permis, dans les appellations de decret & de procédures appointées en la tournelle, lorsque les affaires seront legeres & ne mériteront pas d'être instruites, d'évoquer le principal, en jugeant, pour y faire droit définitivement, comme à l'audience, après que les informations auront été communiquées au procureur général, & l'instruction faite suivant l'ordonnance du mois d'Août 1670.

L'ordonnance de la Marine, tit. ij. art. 14. permet aux officiers des siéges généraux d'amirauté, d'évoquer indistinctement des juges inférieurs, les causes qui excéderont la valeur de 3000 liv. lorsqu'ils seront saisis de la matiere par l'appel de quelque appointement ou interlocutoire donné en premiere instance. (A)


EVOCATOIRE(Jurisp.) se dit de ce qui sert de fondement à une évocation. Les parentés au degré de l'ordonnance, sont des causes évocatoires. On fait signifier aux parties une cédule évocatoire, c'est-à-dire un acte par lequel on demande au conseil du roi qu'une instance pendante dans une cour, soit évoquée dans une autre, attendu les parentés & alliances qu'une des parties a avec un certain nombre des juges. Voyez CEDULE & EVOCATION. (A)


EVOLI(Géog. mod.) petite ville du royaume de Naples, en Italie.


EVOLUTION(LES), qu'on appelle aussi motions, sont dans l'Art militaire, les différens mouvemens qu'on fait exécuter aux troupes pour les former ou mettre en bataille, pour les faire marcher de différens côtés, les rompre ou partager en plusieurs parties, les réunir ensuite, & enfin pour leur donner la disposition la plus avantageuse pour combattre, suivant les circonstances dans lesquelles elles peuvent se trouver.

L'infanterie & la cavalerie ont chacune leurs évolutions particulieres. La cavalerie peut, en rigueur, exécuter tous les différens mouvemens de l'infanterie ; mais on se borne ordinairement dans les évolutions de la cavalerie, aux mouvemens qui lui sont les plus utiles, relativement à ses différens usages.

Il est très-essentiel que les troupes soient bien exercées aux évolutions, pour exécuter facilement toutes celles qui leur sont ordonnées. Il en est, disoit Démetrius de Phalere, suivant que Polybe le rapporte, d'une armée comme d'un édifice. Comme celui-ci est solide lorsqu'on a soigneusement travaillé en détail sur toutes les parties qui le composent ; de même une armée est forte lorsque chaque compagnie, chaque soldat a été instruit avec soin de tout ce qu'il doit faire.

L'officier particulier, dit M. Bottée, doit savoir les mêmes choses que le soldat, & connoître de plus les usages particuliers de chaque évolution, pour se servir des moyens les plus simples dans l'exécution des ordres qui peuvent lui être donnés par ses supérieurs ; car rien n'est plus nécessaire à l'heureux succès des entreprises, que l'habileté des officiers particuliers. C'étoit-là, selon Polybe, le sentiment de Scipion.

Toutes les nations policées ont eu dans tous les tems des regles pour la formation, l'arrangement, & les mouvemens des troupes. Sans la connoissance & la pratique de ces regles, une troupe de gens de guerre ne seroit qu'une masse confuse, dont toutes les parties s'embarrasseroient réciproquement.

Par le moyen des évolutions on remédie à cet inconvénient. On donne à toutes les parties d'une troupe des mouvemens réguliers, qui la maintiennent toûjours dans l'ordre qu'elle doit observer, tant pour soûtenir les efforts de l'ennemi, qu'afin que les différentes parties qui le composent puissent concourir également à en augmenter la force & la solidité.

Les évolutions de l'infanterie sont plus aisées à exécuter que celles de la cavalerie ; car, outre que le cheval ne se meut pas de tout sens avec la même facilité qu'un homme à pié, l'inégalité de ses deux dimensions, c'est-à-dire de sa largeur & de sa longueur, oblige à différentes attentions pour le faire tourner dans une troupe ; attentions qui ne seroient point nécessaires pour faire mouvoir de la même maniere un homme à pié.

On donnera dans cet article le détail des principales évolutions de l'infanterie, qui servent, pour ainsi dire, de regles ou de modeles à celles de la cavalerie, & on le terminera par un précis de celles de la cavalerie.

ÉVOLUTIONS DE L'INFANTERIE.

Observations préliminaires.

I. Toute troupe qu'on assemble pour quelqu'objet que ce soit, doit d'abord être mise en bataille, c'est-à-dire former des rangs & des files. Voyez RANGS & FILES.

Si l'on place plusieurs rangs de suite les uns derriere les autres, les files seront composées d'autant d'hommes qu'il y aura de rangs. Voyez BATAILLON.

Lorsqu'une troupe est en bataille, dans l'ordre où elle doit combattre, les files & les rangs sont serrés autant qu'il est possible pour donner plus de force à la troupe, en réunissant ainsi toutes ses parties pour en former une espece de corps solide.

Dans cet état de pression, la troupe ne se meut pas aussi facilement que s'il y avoit quelqu'intervalle entre les rangs & les files. C'est pourquoi lorsqu'il ne s'agit pas d'attaquer l'ennemi ou d'en soûtenir les efforts, les hommes de la troupe ou du bataillon peuvent être dans une situation moins gênante pour marcher plus commodément & plus legerement.

De cette considération naissent deux sortes de dispositions de files & de rangs ; savoir, des files serrées & ouvertes, & des rangs serrés & ouverts.

Les files sont serrées, lorsque les soldats de chaque rang se pressent tellement les uns & les autres, qu'il ne leur reste que la liberté du coude pour se servir de leurs armes.

Lorsque les soldats d'un même rang sont ainsi pressés, on peut évaluer environ à deux piés l'espace qu'ils occupent chacun dans le rang. Si l'on veut faire serrer les soldats en marchant, autant qu'il est possible, cet espace peut se reduire à 18 pouces ; mais alors bien des officiers croyent qu'ils sont trop gênés pour se servir aisément de leurs armes : & comme ils ne sont pas dans le bataillon pour présenter uniquement leur corps à l'ennemi, qu'ils ont besoin de l'usage de leurs bras, il suit de-là qu'on ne doit serrer les files qu'autant qu'on le peut sans aucun inconvénient à cet égard.

Lorsque les files sont ouvertes, il doit y avoir entr'elles, pour l'exécution des différens mouvemens dont on parlera dans la suite, un espace égal, ou à-peu-près égal, à celui qu'elles occupent étant serrées.

Ainsi l'épaisseur d'une file serrée étant à-peu-près de deux piés, les files auront à-peu-près ce même intervalle entr'elles lorsqu'elles seront ouvertes.

Il y a des cas particuliers où les files sont beaucoup plus ouvertes, comme lorsqu'il s'agit de faire l'exercice, ou le maniement des armes, d'occuper un espace déterminé avec peu de troupes, &c. mais il n'est point question alors de les faire manoeuvrer comme si elles étoient en présence de l'ennemi. C'est pourquoi ces différens cas qui sortent de la loi générale, ne peuvent être ici d'aucune considération.

Si l'union ou la pression des files est nécessaire pour donner de la solidité à un corps de troupes, il est clair que celle des rangs ne l'est pas moins, & par conséquent qu'ils doivent se serrer les uns sur les autres autant qu'il est possible pour se soûtenir réciproquement. Il seroit à souhaiter pour la solidité de la troupe, qu'ils fussent, pour ainsi dire, collés les uns sur les autres ; mais alors la troupe ne pourroit marcher qu'avec beaucoup de peine & pendant peu de tems. Si on la suppose immobile, ou qu'on veuille la faire tirer arrêtée, elle pourra se tenir ainsi, afin que le quatrieme rang, si elle a quatre rangs, puisse tirer sans incommoder le premier, c'est-à-dire que le bout des fusils des soldats du quatrieme rang dépasse les hommes du premier (voyez EMBOITEMENT) : mais il s'agit de marcher, il faut que l'épaisseur du rang, en y comprenant l'intervalle qui le sépare du rang qui suit immédiatement, soit d'environ trois piés. Dans cette position, on dit que les rangs sont serrés à la pointe de l'épée (a), parce que le bout des épées des soldats de chaque rang touche le devant de la jambe des soldats du rang qui est derriere.

Cette pression de rang ne devroit se faire que lorsqu'on est prêt à combattre, ou qu'on veut marcher dans l'ordre propre au combat, parce qu'elle gêne toûjours un peu la marche du soldat, & que d'ailleurs il ne faut qu'un instant pour faire serrer à la pointe de l'épée quatre ou cinq rangs éloignés les uns des autres, par exemple, de 12 piés ; car alors le dernier rang n'est éloigné du premier que de huit toises. C'est pourquoi, comme il est remarqué dans une note de l'Art de la guerre de M. le maréchal de Puysegur (tom. I. pag. 194.), si l'ennemi est à 15 ou 16 toises, la troupe qui a ses rangs ouverts a encore le tems de se serrer avant d'être jointe par l'ennemi, & à plus forte raison si l'on en est à une plus grande distance. On observe dans la note qu'on vient de citer, qu'il y a cependant une attention à faire sur ce sujet, " c'est que s'il y avoit de la cavalerie à portée, comme elle peut marcher fort vîte, il faut se serrer plûtôt ; mais il n'y a que les Hussards ou de la cavalerie de pareille espece, qui puissent parcourir cent pas, qui font 50 toises, avant que votre bataillon ait serré ses rangs, le dernier n'ayant que huit toises à parcourir ".

On peut voir dans l'article 5. tom. I. du dixieme chapitre de l'Art de la guerre, les différens inconvéniens qui resultent de marcher toûjours à rangs serrés. Quel que puisse être l'usage contraire, comme un usage ne tient pas lieu de raison, nous croyons que ceux qui liront avec attention ce que M. le maréchal de Puysegur a écrit sur ce sujet, douteront au moins de la plûpart des avantages qu'on attribue à la méthode de marcher & de faire toutes les évolutions à rangs serrés.

Quoi qu'il en soit, comme les évolutions que nous allons expliquer, exigent dans différens cas que les rangs soient un peu ouverts, nous appellerons rangs ouverts, ceux qui avec leur intervalle occuperont un espace double de celui qu'ils occupent étant serrés, c'est-à-dire six piés ou environ.

L'ordonnance du 6 Mai 1755, prescrit douze piés ou six pas de deux piés chacun pour l'intervalle des rangs ouverts. C'est à-peu-près la même distance qu'on observoit autrefois en conformité du réglement du 2 Mars 1703, rapporté dans le code militaire de M. Briquet.

Ce seroit peut-être ici le lieu d'examiner quel est le nombre des rangs qu'on doit donner à une troupe d'infanterie, pour lui donner la formation la plus avantageuse pour le combat ; mais c'est ce qu'on ne peut guere fixer par des raisonnemens solides & démonstratifs.

(a) L'expression de serrer les rangs à la pointe de l'épée, commence à n'être plus d'un usage général dans les troupes. On lui substitue celle de serrer les rangs en-avant.

La raison de ce changement, c'est que le Roi ayant ordonné de renouveller les ceinturons de l'Infanterie (ce qui doit être fini dans l'espace de trois ans), les nouveaux ceinturons seront faits de maniere que le soldat portera l'épée sur le côté le long de la cuisse, à-peu-près de la même maniere qu'on porte les couteaux de chasse. Or lorsque toute l'Infanterie portera ainsi l'épée, l'expression de serrer les rangs à la pointe de l'épée, ne sera plus exacte, parce que les soldats de chaque rang ne pourront plus toucher le bout des épées du soldat du rang qui les précédera. Cependant comme cette expression est ancienne, & qu'il ne seroit pas impossible qu'elle prevalût sur la nouvelle, nous continuerons de nous en servir, mais ne lui donnant la même signification qu'a celle de serrer les rangs en-avant, par laquelle on entend qu'il faut les serrer autant qu'il est possible les uns sur les autres, sans gêner la marche du soldat.

Tout le monde convient qu'il faut nécessairement plusieurs rangs les uns derriere les autres, pour que la troupe ou le bataillon soit capable de résistance, & d'attaquer avec fermeté une troupe qu'il veut combattre. Mais cette considération ne fixe pas le nombre de ces rangs.

L'usage a beaucoup varié sur ce sujet. Chez les Grecs la phalange étoit à seize de hauteur, c'est-à-dire qu'elle avoit seize rangs de soldats (voyez PHALANGE) : chez les Romains, les corps particuliers d'infanterie étoient à dix de hauteur. En France, ainsi que dans le reste de l'Europe, du tems de M. de Turenne & de Montecuculli, l'infanterie étoit rangée en bataille sur huit & sur six rangs.

Ce dernier général dit dans ses mémoires, qu'il faut que l'infanterie soit à six de hauteur, afin qu'elle puisse faire un feu continuel dans l'occasion. S'il y avoit moins de six rangs, dit cet auteur célebre, le premier ne pourroit pas avoir rechargé quand le dernier auroit tiré ; ainsi le feu ne seroit pas continuel : & si au contraire il y en avoit plus de six, le premier seroit obligé de perdre du tems, & d'attendre que les derniers eussent tiré pour recommencer.

Si le feu continuel par rangs avoit été la seule raison qui eût fait mettre l'infanterie à six de hauteur du tems de Montecuculli, on auroit dû l'arranger sur trois depuis la suppression des mousquets (voyez MOUSQUET ], c'est-à-dire depuis environ 1704 ; car l'expérience a prouvé qu'on peut aisément tirer deux coups de fusils contre un de mousquet.

C'est pourquoi trois rangs de soldats armés de fusils, seront en état de tirer autant de coups dans le même tems, que six rangs de même nombre d'hommes armés de mousquets, c'est-à-dire de faire également un feu continuel par rangs. Mais ce petit nombre de rangs n'a pas paru suffisant pour donner de la solidité au bataillon. L'usage plûtôt que le raisonnement, semble avoir décidé depuis longtems que l'infanterie doit être en bataille sur quatre rangs. Cependant comme il y a des occasions où une plus grande profondeur est nécessaire, & que c'est au général à en juger, il paroîtroit assez naturel de s'en rapporter à lui pour la fixation du nombre de rangs sur lequel il veut combattre, & de n'avoir un ordre général que pour mettre les troupes uniformément en bataille dans toutes les occasions ordinaires.

Cette observation paroît d'autant mieux fondée, que la plûpart des évolutions dont on va donner le détail, consistent à augmenter & à diminuer le front & la profondeur du bataillon ; ce qui suppose que le nombre des rangs sur lesquels on met une troupe en bataille n'est jamais fixé invariablement.

On peut répondre à cela, que l'objet de ces évolutions est principalement de faire marcher les troupes dans toutes sortes de passages & de défilés, & pour cet effet de réduire leur front ordinaire à la largeur du lieu où elles doivent passer, ce qui ne peut se faire qu'en augmentant le nombre des rangs de la troupe, &c. Mais il y a un grand nombre d'autres circonstances à la guerre, où la profondeur du bataillon doit varier ; comme, par exemple, dans l'attaque des postes, des retranchemens ; lorsqu'il s'agit de rompre une troupe, de forcer un passage, &c. Dans ces occasions, il est clair que les troupes doivent avoir plus de profondeur que lorsqu'elles se bornent à se fusiller ou à se passer réciproquement par les armes ; car dans ce dernier cas leur trop de hauteur peut nuire, & nuit effectivement à la célérité & à la sûreté de leur feu. Voyez EMBOITEMENT.

Il suit de ces différentes observations, que peut-être seroit-il avantageux d'avoir deux ordres de bataille différens ; savoir, l'un pour paroitre dans les revûes & pour tirer, & l'autre pour charger la bayonnette au bout du fusil.

Dans le premier, il seroit suffisant de mettre les troupes à trois de hauteur conformément à l'instruction du 14 Mai 1754, qui porte : que toutes les fois que l'infanterie prendra les armes, pour quelqu'occasion que ce soit, elle soit formée sur trois rangs.

Dans le second ordre on pourroit, en suivant la même instruction, mettre les troupes sur six rangs, ainsi qu'elle le prescrit lorsqu'il s'agit de les exercer aux évolutions.

L'ordre de bataille sur six rangs, qui étoit en usage du tems de M. de Turenne, comme nous l'avons déjà observé, est sans-doute meilleur pour charger l'ennemi que celui de quatre rangs. Cependant comme ce dernier est le plus généralement établi par l'usage, & qu'il tient d'ailleurs une espece de milieu entre les deux ordres de trois & de six rangs dont on vient de parler, ce sera celui dont on se servira dans cet article, où l'on trouvera d'ailleurs les regles nécessaires pour le changer comme on voudra, c'est-à-dire pour mettre une troupe qui est en bataille sur quatre rangs, sur un plus grand ou un plus petit nombre de rangs.

Après ces notions générales sur l'arrangement & la formation des troupes, nous allons entrer dans le détail des principales motions ou évolutions du bataillon : mais nous observerons auparavant qu'elles peuvent être considérées de trois manieres différentes.

1°. En mouvemens qui s'exécutent homme par homme.

2°. En mouvemens qui se font par tout le bataillon ensemble.

Et 3°. en mouvemens qui s'exécutent par différentes parties ou divisions du bataillon.

Les mouvemens qui s'exécutent homme par homme, sont ceux que les hommes qui composent le bataillon font chacun en particulier, indépendamment les uns des autres. Ils se meuvent néanmoins tous ensemble, de la même maniere & dans le même tems ; mais chacun exécute son mouvement en entier, sans considérer celui de son camarade que pour le faire uniformément avec lui.

Les mouvemens qui se font par tout le bataillon ensemble, sont ceux dans lesquels on le considere comme un corps solide ou un seul tout, dont toutes les parties se meuvent par un mouvement commun. Chaque homme n'agit alors que comme partie du tout, en suivant le mouvement ou la détermination générale de tout le bataillon.

Enfin les mouvemens par parties ou par divisions, sont ceux dans lesquels chaque division se meut avec les hommes qui la composent, comme dans les mouvemens de la troupe entiere ; & cela sans considérer le mouvement particulier des autres parties que pour agir uniformément avec elles lorsqu'elles se meuvent toutes du même sens ou de la même maniere.

ARTICLE II.

Du mouvement d'homme par homme. Le mouvement d'homme par homme a pour objet de faire trouver la face du bataillon de tel côté que l'on veut, sans lui faire changer de terrein, ce qui sert à le faire marcher vers la droite ou vers la gauche, ou en-arriere.

Ce mouvement peut s'exécuter également, les files & les rangs étant serrés ou ouverts.

Nous supposerons sur les Planches, que les files & les rangs sont serrés ; & afin que les figures occupent moins d'espace, nous prendrons une partie du bataillon pour la représentation du bataillon entier.

Soit donc (fig. 1. Pl. I. des évolutions) le bataillon A B C D, ou une de ses parties quelconque, rangée en bataille sur quatre rangs ; les soldats sont marqués par de gros points noirs, qui désignent le centre de l'espace qu'ils occupent : comme on suppose qu'ils se touchent, il ne faudroit pas d'intervalle entr'eux ; mais alors les figures seroient trop confuses. On a tiré sur chacun de ces points une petite ligne droite, pour exprimer les armes du soldat & le côté où il fait face, qu'on a supposé être le haut de la planche.

Si l'on veut que cette troupe fasse face du côté du flanc droit B C, on fait le commandement à droite ; alors tous les hommes de la troupe tournent sur eux-mêmes, jusqu'à ce qu'ils ayent en face le terrein opposé au flanc droit B C de la troupe, fig. 2.

Pour faire ce mouvement, les soldats s'appuient sur une seule jambe, & tournent sur un talon comme sur un pivot. On pourroit tourner également sur l'une ou l'autre jambe ; mais l'usage a décidé pour la gauche : ainsi c'est sur cette jambe que tournent tous les hommes du bataillon. Ils doivent commencer & achever ce mouvement sans interruption, & dans le même tems le faire brusquement, sans que les armes & les bras changent de situation.

Suivant l'instruction du 14 Mai 1754, il doit y avoir un intervalle de deux pouces entre les deux talons de chaque soldat.

Il est évident que si l'on fait exécuter quatre fois de suite ce même mouvement, & toûjours de même sens, que le quatrieme remettra le bataillon dans sa premiere position ; & que tous les hommes qui le composent, auront chacun décrit la circonférence d'un cercle, dont chaque mouvement particulier est le quart. Ce mouvement s'appelloit autrefois par cette raison, quart de tour à droite ou à gauche ; à-présent on le nomme simplement à-droite ou à-gauche.

Il est d'usage lorsqu'on fait faire à-droite à une troupe, de lui faire exécuter les quatre parties de ce mouvement : ainsi au premier commandement à droite, la troupe fait face au terrein du flanc droit ; au second, elle fait face à la queue du bataillon ; au troisieme, au terrein du flanc gauche ; & au quatrieme, elle se remet dans sa premiere position.

La deuxieme figure de la I. Planche représente la troupe qui a fait un à-droite.

La troisieme figure de la même Planche, la même troupe qui a fait deux à-droite.

La quatrieme, la troupe qui en a fait trois : le quatrieme à-droite, qui la remet dans sa premiere position, peut être représenté par la premiere figure.

Il est évident que les mêmes mouvemens que l'on vient d'expliquer pour faire tourner le bataillon vers sa droite, peuvent s'exécuter également en tournant vers la gauche.

Pour cet effet, la troupe étant en bataille (fig. 1. Pl. I.), le commandant dit à gauche ; alors chaque soldat tourne à gauche, comme il tournoit à droite dans le mouvement précédent : ce qui peut être représenté par la quatrieme figure, &c.

REMARQUES.

I. Ayant expliqué les quatre mouvemens à droite, il est aisé, sans le secours de nouvelles figures, de concevoir la maniere dont les mêmes mouvemens s'exécutent à gauche ; c'est pourquoi on a crû qu'il étoit inutile de les multiplier sans nécessité à cette occasion. On se contentera de même dans la suite de ne donner des figures que pour les mouvemens d'un seul côté, c'est-à-dire pour la droite ou pour la gauche.

II. Le tour entier que l'on exécute par quatre à-droite, comme on vient de l'expliquer, peut se faire en deux fois, en faisant faire un demi-tour par un seul mouvement à tous les soldats du bataillon.

Pour cet effet, on commande au bataillon de faire demi-tour à droite (c'est ainsi qu'on s'exprime pour faire décrire une demi-circonférence à tous les soldats de la troupe ou du bataillon) ; alors en se tournant vers la droite, & faisant le demi-tour d'un seul mouvement sur le talon gauche, ils font face au côté opposé au front du bataillon. Un second demi-tour exécuté de même, les remet dans leur premiere position.

Le demi-tour à gauche s'exécute également, en faisant tourner les hommes de la troupe vers la gauche, au lieu de la droite.

L'instruction du 14 Mai 1754 ordonne d'exécuter ce mouvement en trois tems : au premier, le soldat doit porter le pié droit derriere le gauche, les deux talons à quatre pouces de distance l'un de l'autre : au deuxieme, le soldat doit tourner sur les deux talons, jusqu'à ce qu'il fasse face du côté opposé ; & au troisieme, reporter le pié droit à côté du gauche.

III. Lorsqu'une troupe a fait un mouvement à droite ou à gauche, & qu'on veut qu'elle reprenne sa premiere position, on lui dit remettez vous ; ce que la troupe exécute en faisant un mouvement opposé à celui qu'elle a d'abord fait, ou en revenant sur ses pas de la même maniere.

Ainsi la troupe ayant d'abord fait, par exemple, un demi-tour à droite, elle se remettra en faisant un demi-tour à gauche ; & si elle en avoit fait un à gauche, elle se remettroit en en faisant un autre à droite.

Si elle a fait un à-droite ou un à-gauche, elle se remettra de même, par un autre quart de tour opposé au premier, c'est-à-dire à gauche ou à droite.

IV. On ne fait point faire trois quarts de tour par un seul commandement ; parce que les hommes de la troupe auroient trop de peine à l'exécuter de suite & avec exactitude.

V. Ce mouvement des à-droite & des à-gauche s'enseigne ordinairement dans l'exercice ou le maniement des armes, auquel il paroît appartenir particulierement ; parce qu'il n'est pas possible de faire faire l'exercice sans le secours de cette évolution, attendu qu'elle apprend à se tourner de tous les sens pour charger le fusil, le manier, & le présenter : mais son usage indispensable dans l'exercice, n'empêche point qu'elle ne soit comprise dans les différentes motions du bataillon, dont elle est la premiere & la plus simple. On a crû par cette raison qu'elle devoit précéder ici les autres, d'autant plus que l'on ne parle point du maniement des armes dans cet article.

ARTICLE III.

De la maniere de serrer le bataillon. On serre le bataillon en avançant les files & les rangs les uns sur les autres, & on l'ouvre en les éloignant pour lui donner plus de front ou plus de profondeur.

Il faut supposer que le bataillon dont on veut serrer les rangs, les a d'abord assez éloignés les uns des autres, pour qu'ils puissent s'approcher davantage : car il est évident que s'ils étoient à trois piés de distance, c'est-à-dire serrés à la pointe de l'épée, le mouvement dont il s'agit seroit impossible.

Il faut aussi pour serrer les files, qu'elles soient assez distantes les unes des autres pour qu'on puisse les approcher davantage, c'est-à-dire qu'elles occupent un espace de plus de deux piés dans le rang.

On peut serrer le bataillon de plusieurs manieres :

Pour serrer le bataillon par rangs en avant, on ordonnera au premier de ne pas bouger ; & aux autres de s'approcher de ce rang, jusqu'à une distance déterminée quelconque.

Le second rang doit marcher très-lentement, afin que les autres serrent insensiblement, & que tout le resserrement des rangs soit fait dans le même tems.

La cinquieme figure représente une partie du bataillon en bataille à rangs ouverts, & qui n'a point fait de mouvement.

La figure sixieme fait voir ce même bataillon dont les quatre derniers rangs ont serré sur le premier ; de maniere que le second s'étant approché du premier, le troisieme a pris la place du second ; & que le quatrieme s'étant approché du troisieme, le cinquieme a pris la place qu'occupoit le troisieme rang.

Il est clair que par ce mouvement, le bataillon a diminué de moitié l'espace qu'il occupoit en hauteur ou en profondeur.

Dans cette figure, les points noirs représentent les hommes après le resserrement du bataillon ; & les zéros, les places qu'occupoient ceux du quatrieme & cinquieme rang, lesquelles demeurent vuides par le serrement des rangs de la troupe sur le premier.

On se servira de ces deux sortes de points dans les figures suivantes, & on les employera dans le même sens.

REMARQUES.

I. Il est assez d'usage dans les différens mouvemens que l'on fait exécuter aux troupes, pour les exercer aux évolutions, & lorsque la manoeuvre ou l'évolution qu'on veut leur faire exécuter ensuite, ne demande pas une position ou un arrangement différent de celui que le bataillon avoit d'abord, de le faire remettre après chaque mouvement dans sa premiere position : ainsi après avoir fait serrer les rangs en avant, on les fait ouvrir en arriere, pour les remettre comme ils étoient d'abord.

Pour cet effet on ordonne au premier de ne point bouger ; on fait faire aux autres demi-tour à droite, & on les fait marcher chacun en avant, jusqu'à ce qu'ils occupent le même terrein sur lequel ils avoient d'abord été placés. On fait faire ensuite à ces rangs demi-tour à gauche, pour faire face du même côté que le premier rang : & la troupe est ainsi remise dans sa premiere position.

Dans ce mouvement, les rangs qui vont en avant pour se remettre marchent d'un pas égal : mais le second ne se met en mouvement, que lorsque le premier s'est avancé de l'intervalle qui doit être entre les rangs. Le troisieme, que quand le second s'est avancé de la même quantité ; & ainsi du quatrieme.

II. On peut faire serrer les rangs en avant en marchant. Pour cet effet le premier rang marche très-doucement, ou il fait des pas d'environ un pié ; les autres rangs vont plus vîte, ou ils font de plus grands pas, jusqu'à ce qu'ils soient entierement serrés les uns sur les autres.

Pour serrer le bataillon par rangs en arriere, on ordonne au dernier rang A B (fig. 7.) de ne pas bouger, & aux quatre autres de faire demi-tour à droite ; ce que les lignes qui représentent les armes ou le devant des rangs font voir exécuté dans la figure.

On fait ensuite serrer ces rangs sur le dernier A B, de même maniere que dans le mouvement précédent : ce qui étant fait (fig. 8.), on ordonne aux quatre premiers rangs de faire demi-tour à gauche, pour faire face au terrein opposé au front du bataillon. Ce qui est exécuté, fig. 9.

Par ce mouvement, ce bataillon laisse vers le front une étendue vuide, égale à celle qu'il occupe après l'avoir exécuté, & il diminue l'espace qu'il occupoit en profondeur de la moitié, comme dans le mouvement précédent.

Pour faire remettre le bataillon, on commandera au dernier rang de ne point bouger, & l'on ordonnera aux autres de marcher en-avant, jusqu'à ce qu'ils ayent repris chacun leur premiere position.

Pour serrer le bataillon par rangs sur son centre, on le supposera sur cinq rangs en bataille, ou sur un autre nombre quelconque impair.

On ordonnera au rang du milieu A B (fig. 10.) de ne pas bouger ; on fera faire demi-tour à droite au premier & deuxieme rang ; on les fera ensuite marcher, ainsi que le quatrieme & cinquieme rangs, pour serrer sur le troisieme A B : ce qui étant fait, le premier & deuxieme rangs feront demi-tour à gauche, pour faire face au même côté que le reste du bataillon.

REMARQUES.

I. Il est aisé de serrer le bataillon par la même méthode, sur tel rang que l'on veut ; il suffit d'ordonner au rang sur lequel on veut serrer, de ne pas bouger, & de faire avancer sur lui les autres, comme on vient de l'exécuter.

II. Pour remettre le bataillon dans son premier ordre, ou sa premiere position, on ordonnera aux deux derniers rangs de faire demi-tour à droite, ensuite de marcher, ainsi qu'aux deux autres de la tête pour reprendre le terrein qu'ils occupoient d'abord. Lorsque les deux derniers rangs y seront parvenus, ils feront demi-tour à gauche, & la troupe sera alors dans son premier état.

Pour serrer le bataillon par files, c'est-à-dire pour diminuer l'étendue de son front, il faut, comme on l'a déjà remarqué, que les files soient assez espacées les unes des autres, pour qu'elles puissent se rapprocher ; car il est évident que si elles sont si proches, que les soldats n'ayent que la liberté du coude, c'est-à-dire si chaque file n'occupe qu'environ deux piés, le resserrement ne seroit pas possible. Nous supposerons dans les exemples suivans, qu'elles ont quatre piés de largeur, y compris l'épaisseur des hommes de la file ; c'est environ deux piés d'intervalle de l'une à l'autre. Les suppositions différentes qu'on pourra faire à cet égard, ne changeront rien à l'exécution des mouvemens que l'on va expliquer.

Nous avons dit qu'on serre le bataillon par files sur la droite, sur la gauche, & sur le centre ; ces différens mouvemens n'ont, pour ainsi dire, besoin ni d'explication, ni de figures, après ce qu'on a vû ci-devant sur la maniere de serrer les rangs du bataillon.

En effet, il n'y a qu'à regarder les files comme des rangs, & faire ensuite sur ces files considérées comme rangs, les mêmes opérations par lesquelles on a serré les rangs.

Ainsi pour serrer le bataillon A B C D (fig. 11.) sur la file B C de la droite, il faut commander à cette file de ne pas bouger ; à toutes les autres de faire à-droite & de s'approcher, ou se serrer ensuite sur B C.

La figure 12. fait voir ce mouvement exécuté. On ordonne après cela à toutes les files qui ont marché, de faire à-gauche, pour faire face du même côté que la file B C ; & l'on a le bataillon serré sur cette file, réduit à la moitié de son front. Fig. 13.

On serrera le bataillon de la même maniere sur la file de la gauche.

Pour le serrer sur la file du centre E F (fig. 14.), on ordonnera à cette file de ne pas bouger, aux files de la droite de faire à-gauche sur le talon droit, & à celles de la gauche de faire à-droite sur le talon gauche ; après quoi on commandera aux files de la droite & de la gauche, de se serrer sur la file du centre E F ; les files de la droite partiront du pié droit, & celles de la gauche du pié gauche : elles marcheront le pas ordinaire sur celles du centre, & elles s'arrêteront successivement à mesure qu'elles joindront celle qui les précede.

On fera ensuite remettre les files de la droite & de la gauche dans la même position que celle du centre, en faisant faire un à-droite sur le talon droit, aux files de la droite, & un à-gauche sur le talon gauche, aux files de la gauche ; alors tout le bataillon fera face du même côté A B, & il aura diminué également son étendue vers la droite & la gauche.

REMARQUES.

I. Il est évident qu'on serrera de la même maniere le bataillon sur telle autre file qu'on voudra.

II. On peut serrer le bataillon de pié ferme sur telle de ses files que l'on veut, comme on vient de l'expliquer ; mais on peut aussi le serrer de même en marchant ; alors les files s'approchent en marchant autant qu'il est possible, de celle sur laquelle elles doivent se serrer.

ARTICLE IV.

Des différentes manieres d'ouvrir le bataillon. Les mouvemens nécessaires pour ouvrir le bataillon sont absolument les mêmes que ceux qui servent à le serrer ; mais ils s'exécutent en sens contraire. Ainsi on peut ouvrir le bataillon :

Pour ouvrir le bataillon A B C D (fig. 15.) par rangs en-avant, on ordonne au dernier rang D C de ne point bouger ; aux autres de marcher en-avant.

On observe de ne faire marcher le second rang, qu'après que le premier est avancé d'une distance convenable ; le troisieme, qu'après que le deuxieme a marché un peu en-avant ; & ainsi des autres rangs.

Lorsque le premier rang est aussi avancé qu'on le veut, & qu'ils se trouvent à-peu-près également espacés ou distans les uns des autres, le commandant du bataillon leur ordonne de s'arrêter, en disant halte.

La figure fait voir ce mouvement achevé ; le premier rang A B C étant parvenu en F G, le dernier n'a point bougé.

Les zéros marquent la place que le second & le quatrieme rangs occupoient avant de marcher en-avant.

On suppose dans la figure que l'on a doublé l'intervalle des rangs : ainsi le premier A B s'est avancé d'un intervalle A F : égal à la profondeur du bataillon ; le second s'est avancé du premier à la distance d'un intervalle, double de celui qui étoit d'abord entre les rangs ; le troisieme est venu occuper la place A B du premier ; & le quatrieme, celle du troisieme ; le cinquieme D C n'a pas bougé.

On ouvrira de la même maniere le bataillon par rangs en-arriere.

On ordonnera au premier rang de ne pas bouger ; on fera faire demi-tour à droite aux autres rangs ; & l'on commandera ensuite au dernier rang de marcher devant lui autant qu'on le jugera nécessaire ; & aux autres rangs de marcher à sa suite comme dans le mouvement pour ouvrir les rangs en-avant.

Lorsqu'on les trouvera assez avancés, on leur ordonnera de s'arrêter & de faire demi-tour à gauche, pour faire face du même côté que le premier rang.

Pour ouvrir le bataillon A B C D (figure 16.) en-avant & en-arriere, on ordonnera au rang du centre F G de ne point bouger ; & à ceux de derriere, de faire demi-tour à droite. On fera ensuite marcher les premiers & derniers rangs en-avant ; dans le même tems, autant qu'on le jugera nécessaire ; on les fera ensuite arrêter en disant halte. On commandera aux derniers rangs de faire demi-tour à gauche : alors le bataillon A C B D occupera l'espace H I L K, c'est-à-dire qu'il aura augmenté en-avant & en-arriere l'espace qu'il occupoit d'abord.

Pour ouvrir les bataillons par files, il faut regarder les rangs comme des files, en faisant faire à droite ou à gauche aux files, suivant les mouvemens qu'elles doivent faire en-avant ou en-arriere ; & faisant ensuite tout ce qui a été pratiqué ci-devant pour ouvrir les rangs du bataillon ; on ouvrira également les files.

Ainsi pour ouvrir le bataillon X (fig. 17.) par files vers la droite, on ordonnera à la file A B de la gauche de ne pas bouger, & aux autres de faire à-droite. On les fera ensuite marcher en-avant ; observant que la seconde ne se mette en marche, que lorsque la premiere aura fait quelques pas en avant. La troisieme de même après la deuxieme ; ainsi de suite. Lorsque la file de la droite sera assez avancée, on ordonnera à toutes les files de s'arrêter, ou de faire halte ; on fera faire à gauche, sur le talon droit, à toutes les files, excepté la premiere A B qui n'a pas bougé ; & le bataillon fera face alors du même côté A C.

On ouvrira de la même maniere le bataillon par files vers la gauche, & vers la droite & la gauche en même tems, en ordonnant à la file du centre de ne pas bouger, &c.

Il est évident que par ce mouvement on augmente le front du bataillon, de la même maniere que par celui de l'article précédent, on augmente sa profondeur : c'est pourquoi si l'on veut faire écarter les files, de maniere que leur intervalle soit double de celui qu'elles ont ordinairement quand elles sont serrées, il faut que la file de la droite, si l'on ouvre le bataillon de ce côté, marche devant elle d'un espace égal à celui du front de la troupe ; & que les autres qui la suivent reglent leurs pas, de maniere qu'elles laissent insensiblement entr'elles un intervalle double de celui qu'elles avoient d'abord.

Si l'on vouloit que l'intervalle des files devînt triple ou quadruple, &c. il faudroit que la file du flanc du bataillon, du côté qu'on veut l'ouvrir, s'avançât d'un espace triple ou quadruple, &c. du front qu'il avoit avant ce mouvement.

Lorsqu'on veut doubler l'intervalle des files, ou au lieu de deux petits pas d'un pié & demi qu'elles occupent étant serrées, leur en donner un de quatre, le soldat qui suit la premiere file qui marche en avant sur la droite ou la gauche du bataillon, commence à marcher au troisieme pas de la file qui le précede : au cinquieme, lorsque l'intervalle des files doit être triple, &c. & cela afin que toutes les files marchent ensemble, & que le mouvement soit plus promtement exécuté.

REMARQUE.

Dans les différens mouvemens exécutés dans les articles précédens, on a toûjours observé de faire marcher les soldats en avant, & non pas de côté, ou par pas obliques, afin de rendre ces mouvemens plus simples & plus réguliers. On se dispense néanmoins quelquefois de cette simplicité de mouvement, qui n'est pas, à la vérité, d'une nécessité absolue, mais qu'il est bon de conserver pour accoûtumer les troupes à exécuter avec grace & précision les commandemens qu'on leur fait pour changer leur ordre de bataille ou leur premiere formation. Cette méthode est d'ailleurs très-ancienne, puisqu'elle étoit observée dans les mouvemens de la phalange des Grecs.

ARTICLE V.

De la maniere de doubler les rangs & les files d'une troupe ou d'un bataillon, & de les dédoubler.

Doubler les rangs d'une troupe, ce n'est pas lui en donner huit lorsqu'elle n'en a que quatre ; & doubler les files, ce n'est pas non plus si elles sont, par exemple, au nombre de 120 en former 240 ; mais doubler les rangs, c'est doubler le nombre d'hommes de chaque rang ; & doubler les files, c'est également doubler le nombre d'hommes dont elles sont composées.

Ainsi si l'on a un bataillon dans lequel les rangs soient de 120 hommes ; doubler les rangs de ce bataillon, c'est les mettre à 240 ; & doubler les files, si elles sont à quatre hommes, c'est les mettre à huit.

Il est évident qu'en doublant les rangs, on augmente le front du bataillon de moitié : mais qu'on diminue aussi ses files de moitié, & qu'en doublant les files, on diminue le front du bataillon de moitié, mais qu'on augmente sa hauteur de moitié : car comme le bataillon est composé de deux dimensions, savoir, de son étendue de front, & de sa hauteur ou profondeur, & que dans les différens mouvemens, dont nous venons de parler, on n'y ajoûte pas de nouveaux soldats ; il est clair qu'on ne peut augmenter une dimension qu'aux dépens de l'autre, c'est-à-dire le front que par la hauteur, & celle-ci par le front.

Comme ces manoeuvres d'augmenter & de diminuer les rangs & les files du bataillon se font plus commodément, & par cette raison plus ordinairement en les augmentant ou diminuant de la moitié, que si on les augmentoit ou diminuoit de toute autre partie, elles ont été appellées doublemens & dédoublemens : de-là vient qu'on les énonce par ces expressions, doubler & dédoubler les rangs, doubler & dédoubler les files.

Ces différentes évolutions ont pour objet d'étendre ou de resserrer le bataillon, pour augmenter la force de l'une ou de l'autre de ses dimensions, suivant le terrein qu'il doit occuper, & la position de l'ennemi qu'il doit combattre. On va donner la maniere de les exécuter.

On peut doubler les rangs en avant & en arriere, & les différentes manoeuvres de faire ce mouvement, peuvent, suivant M. Bottée, se réduire à cinq principales.

1°. Par rangs.

2°. Par demi-files.

3°. Par quart de files.

4°. Sur les aîles.

5°. En-dedans ou dans le centre.

Par le premier doublement, on double l'intervalle des rangs en doublant leur étendue.

Par le deuxieme, on conserve le même intervalle des rangs en les doublant.

Par le troisieme, on partage la troupe en deux parties, lorsqu'elle a beaucoup de hauteur, ensorte qu'il y a entre ces deux parties un intervalle capable de contenir plusieurs rangs.

Par le quatrieme, on ouvre les files lorsqu'elles sont trop serrées, de maniere qu'on puisse passer dans les intervalles, & l'on met les chefs de demi-files au premier rang.

Enfin le cinquieme, c'est lorsque les files sont trop serrées, & qu'on veut que le premier rang occupe les aîles ou les flancs du bataillon.

PREMIER PROBLEME.

Doubler les rangs à droite en-avant.

On commandera au premier & au troisieme rangs de ne point bouger, & au deuxieme & au dernier de marcher ensemble ; savoir, le second, pour entrer dans les intervalles des hommes du premier, & le quatrieme, pour entrer de même dans le troisieme.

Pour entrer ainsi les uns dans les autres, chaque soldat du second rang va se placer à la droite de son chef de file dans le premier, de même chaque soldat du quatrieme à la droite du troisieme rang qui est dans la même file.

Si le doublement se faisoit à gauche, chaque soldat du deuxieme & quatrieme rang se placeroit à la gauche du soldat qui est vis-à-vis de lui dans le rang qui doit être doublé.

Si la troupe étoit sur un plus grand nombre de rangs que quatre, par exemple sur six, il faudroit ordonner alors au premier, au troisieme & au cinquieme de ne point bouger, ou ce qui est plus commode, ordonner, comme on le fait dans l'usage ordinaire, aux rangs impairs de ne point bouger, & aux autres, c'est-à-dire aux rangs pairs, de doubler, &c.

On double plus communément les rangs à gauche qu'à droite, mais ce mouvement n'a pas plus de difficulté d'un côté que de l'autre.

Soit la troupe ou le bataillon A B C D, (fig. 18.), dont on veut doubler les rangs à droite, on commandera donc au premier A B, & au troisieme E F, ou aux rangs impairs, de ne point bouger, & aux deux autres, de doubler ; savoir, le second G H, dans le premier A B, & le dernier D C, dans le troisieme E F ; alors les soldats de G H iront se mettre chacun à la droite de leur chef de file dans le rang A B, pendant que ceux de D C feront de même dans E F.

Pour faire remettre cette troupe dans sa premiere position, on dira : rangs qui avez doublé, remettez-vous ; alors les rangs qui ont doublé, font demi-tour à droite sur le talon droit, lorsque le doublement a été fait à droite, comme on le suppose ici, & à gauche sur le talon gauche, lorsqu'il a été fait à gauche ; & au mot de marche, les soldats des rangs qui ont doublé, partant du pié gauche, font autant de pas pour reprendre les places qu'ils occupoient d'abord, qu'ils en font pour joindre les rangs qu'ils ont doublé.

Lorsqu'ils y sont parvenus, on leur ordonne de s'arrêter, & ensuite de faire face en tête par un demi-tour à droite sur le pié droit, ou par un demi-tour à gauche sur le talon gauche.

On doublera de la même maniere les rangs en arriere ; & pour cet effet, on fera entrer le troisieme rang dans le quatrieme, & le premier dans le second.

REMARQUES.

I. Plusieurs officiers font remettre par un à-droite ou par un à-gauche, les rangs qui ont doublé ; & cela, parce que les soldats de ces rangs n'ont pas ordinairement assez de place dans les rangs qu'ils ont doublés, pour faire commodément le demi-tour à droite ou à gauche : d'ailleurs la marche en devient un peu plus aisée, le soldat se présentant alors plus directement à la ligne oblique qu'il doit décrire pour se remettre, & que de plus, il ne s'agit plus, lorsqu'il est parvenu à son premier poste, que de faire un à-gauche sur le talon gauche, pour faire face à son chef de file.

II. Il est évident que pour doubler les rangs, il faut qu'ils soient en nombre pair dans le bataillon ; c'est pourquoi s'il devient en nombre impair, comme, par exemple cinq ou sept, on supprimeroit le dernier rang, & l'on en formeroit des files à la droite ou à la gauche du bataillon.

II. PROBLEME.

Doubler les rangs par demi-files à droite en-avant.

Soit le bataillon A B C D (fig. 19.), rangé à l'ordinaire sur quatre rangs, on ordonnera aux deux premiers A B, E F, de ne pas bouger, & l'on fera aux autres ce commandement : à droite par chefs de demi-files, doublez vos rangs en-avant ; alors les soldats du troisieme rang G H, qui est formé ou composé des chefs de demi-files, avanceront pour se mettre chacun à la droite de leurs chefs de files dans le premier rang ; ceux du quatrieme le suivront, & se placeront derriere eux dans le second rang.

Pour les faire remettre, on ordonnera aux rangs qui ont doublé, de faire demi-tour à droite ou à gauche, & alors les soldats du quatrieme rang sortiront du second pour aller reprendre leur premier poste ; ceux du troisieme les suivront pour aller aussi reprendre leur premier terrein ; lorsqu'ils y seront parvenus les uns & les autres, on leur fera faire face en tête par un demi-tour à droite sur le talon droit. Voyez sur ce mouvement la premiere remarque du problème précédent, sur la maniere de faire remettre les rangs qui ont doublé ; elle peut également s'appliquer ici.

On doublera de la même maniere les rangs par demi-files à gauche, & par demi-files en-arriere, à droite ou à gauche.

III. PROBLEME.

Doubler les rangs par quarts de files en-avant.

Si la troupe ou bataillon est rangé sur quatre rangs, ce mouvement est absolument le même que le premier de cet article : si on le suppose sur un plus grand nombre de rangs, comme, par exemple, sur huit, elle se réduira au précédent.

Pour cet effet, on le supposera partagé en deux troupes de quatre rangs chacune : la premiere sera composée des quatre premiers rangs A B, E F, G H, & I L ; & la seconde, des quatre derniers K M, N P, R S, & C D, (fig. 20.)

On doublera les deux premiers rangs A B & E F, par demi-files à droite ou à gauche, c'est-à-dire par les deux rangs G H & I L.

On doublera de même les deux rangs K M & N P par les demi-files qui forment les rangs R S & C D, & l'on aura le bataillon, dont les rangs seront doublés par quarts de files en-avant.

On fera remettre chaque rang dans sa premiere position comme dans le second mouvement de cet article.

Il est évident que ce mouvement s'exécutera en-arriere avec la même facilité qu'en-avant : il en sera de même de celui de doubler les rangs sur le centre ou sur les quarts de files du milieu, par quarts de files de la tête & de la queue, ou bien sur la tête & sur la queue, par quarts de files du milieu.

IV. PROBLEME.

Doubler les rangs en-avant par demi-files sur les aîles.

Soit le bataillon ou une partie du bataillon A B, C D (fig. 21.), rangés sur quatre rangs, & dont on veut doubler les rangs en-avant par demi-files sur les aîles.

On commandera aux deux premiers rangs A B, E F, de ne point bouger, & aux deux derniers G H & D C, de se serrer à la pointe de l'épée : on fera faire à droite à chacun de ces demi-rangs de la droite, & à gauche à chacun de ceux de la gauche : on fera ensuite marcher ces demi-rangs devant eux, jusqu'à ce que les files du centre ou du milieu L M & N P, soient à la droite & à la gauche des demi-files du bataillon, c'est-à-dire L M à la droite de C F, & N P à celle de A F.

On fera faire après cela un à droite & un à-gauche à ces demi-rangs ainsi avancés, & on les fera marcher devant eux jusqu'à ce qu'ils soient dans la direction des deux rangs A B & E F, qui n'ont point bougé.

Un mouvement opposé à celui qu'on vient de décrire, les fera remettre dans leur premiere position.

Il est évident qu'on doublera de la même maniere les rangs en-arriere ; car si l'on fait faire un demi-tour à droite ou à gauche à la troupe, pour qu'elle fasse face à la queue du bataillon, on pourra alors regarder les derniers rangs comme les premiers, & ceux-ci comme les derniers : il ne s'agit plus après cela que de répeter ou exécuter sur la troupe, ainsi tournée, le mouvement qu'on vient d'expliquer.

On pourra ainsi doubler, par ce même problème, les rangs en-avant ou en-arriere par quarts de files.

Pour exécuter ce mouvement, la troupe doit être rangée sur huit, douze, seize, &c. de hauteur, c'est-à-dire que le nombre de ses rangs doit être multiple de quatre, ou qu'il puisse se diviser par quatre : supposons le bataillon C D E F (fig. 22.), rangé sur huit de hauteur, on imaginera une ligne droite quelconque A B, qui le partagera en deux troupes de quatre de hauteur chacune.

On regardera chacune de ces troupes, comme une troupe dont il faut doubler les rangs par demi-files sur les aîles ; ce qu'on exécutera facilement par le moyen du problème précédent.

Il est évident que ce mouvement ayant été exécuté sur chacune des deux parties du bataillon C D E F, dans le même tems ce bataillon aura doublé ses rangs par quarts de files sur les aîles.

La figure rend cela trop sensible pour s'y arrêter plus long-tems.

On doublera également les rangs de cette même troupe par quarts de files de la tête & de la queue.

Pour cet effet, on considérera encore la troupe ou le bataillon A B C D (fig. 23.), qu'on suppose toûjours à huit de hauteur, divisé en deux troupes particulieres de quatre rangs chacune ; on ordonnera aux quatre rangs du milieu de ne point bouger, & l'on fera doubler les deux premiers rangs de la troupe de la tête, c'est-à-dire le premier & le second, par demi-files de cette troupe sur les aîles en-arriere : on fera également doubler les deux derniers rangs de la seconde troupe en-avant par demi-files sur les aîles ; & lorsque ce mouvement sera exécuté sur chacune des deux troupes, ce qui doit se faire dans le même tems, la troupe entiere aura doublé ses files par quarts de files de la tête & de la queue, ce qui est évident.

Dans la figure les deux premiers demi-rangs de la tête à droite, ont fait à droite pour s'avancer vers la droite ; & ceux de la gauche, à gauche pour s'avancer aussi de ce côté : les deux derniers demi-rangs de la queue, ont fait aussi chacun le même mouvement.

Les lignes ponctuées représentent le chemin qu'ils font à droite & à gauche, pour aller occuper les aîles des quatre rangs du milieu.

On doublera encore les files par quarts de files sur les aîles en tête & en queue, en se servant de la même méthode ; car supposant toûjours la troupe à huit de hauteur, & divisée en deux troupes de quatre rangs chacune, le troisieme & le quatrieme rang de la premiere partie, doubleront le premier & le deuxieme en-avant, par demi-files sur les aîles ; le cinquieme & le sixieme, c'est-à-dire les deux premiers de la deuxieme troupe, doubleront également les deux derniers en-arriere, par demi-files sur les aîles, &c.

V. PROBLEME.

Doubler les rangs en-dedans par demi-files.

Pour exécuter ce mouvement, soit la troupe A B C D (fig. 24.) ; on ordonnera aux deux derniers rangs, si la troupe est rangée sur quatre rangs, comme on le suppose ici, aux trois derniers, si elle est sur six, &c. de ne point bouger, & aux deux premiers rangs de faire à-droite & à-gauche par demi-rang : chaque demi-rang de la tête marchera ensuite devant lui, c'est-à-dire ceux de la droite, vers la droite, ceux de la gauche, vers ce côté, & cela jusqu'à ce que les files du centre de la droite & de la gauche débordent la droite ou la gauche des deux derniers rangs, qui n'ont point bougé de l'épaisseur d'une file. On fait faire après cela face en tête par un à-droite & un à-gauche aux deux rangs qui ont marché ; & l'on fait avancer les deux derniers dans l'intervalle qui se trouve ainsi entre les deux parties des premiers, & le mouvement est achevé (fig. 25.).

Ce mouvement s'exécutera en-arriere avec la même facilité ; car faisant faire face à tous les rangs à la queue du bataillon, par un demi-tour à droite ou à gauche, les deux derniers rangs pourront alors être regardés comme les premiers : c'est pourquoi ce qu'on vient d'expliquer pour doubler ces rangs en-dedans, s'appliquera également à doubler les deux derniers rangs de la même maniere.

Pour doubler les rangs en-dedans par quarts de files, lorsque la troupe A B C D (fig. 26.) est, par exemple, à huit de hauteur.

On la considérera comme séparée en deux parties, chacune de quatre de hauteur ; & alors on fera pour chaque partie ce qui vient d'être enseigné ci-devant. La figure 26 représente ce mouvement exécuté.

On a marqué par des zéros la place qu'occupoient les rangs qui ont doublé.

On doublera également les rangs du centre en-dedans, par quarts de files de la tête & la queue.

Pour cet effet on fera marcher à droite les quatre demi-rangs du centre de la droite, & à gauche ceux de la gauche, jusqu'à ce que les files du centre de ces rangs se trouvent dans l'alignement de la file de la droite & de la gauche des rangs de la tête & de la queue : après quoi on fera faire un demi-tour à droite aux deux rangs de la tête ; on les fera marcher devant eux, pour aller se placer dans l'intervalle des deux premiers demi-rangs du centre, où étant parvenus, ils feront face en tête par un demi-tour à gauche. Pendant que ces deux rangs s'avanceront ainsi vers le troisieme & le quatrieme, le septieme & le huitieme marcheront devant eux, pour aller se mettre à la hauteur du cinquieme & du sixieme rang : lorsqu'ils y seront arrivés, le mouvement dont il s'agit sera exécuté. Voyez la figure 27.

On doublera de même les rangs de la tête & de la queue par quarts de files du centre ou du milieu.

Pour faire ce mouvement (fig. 28.) on fera marcher sur la droite & sur la gauche chacun des demi-rangs de la droite & de la gauche du premier & du second rang ; & de même ceux du septieme & du huitieme, qui marcheront en-avant jusqu'à ce que les files du centre qui les terminent, se trouvent dans l'alignement des files de la droite & de la gauche des rangs du centre, &c.

ARTICLE VI.

Du doublement des files. Tout ce que l'on a dit sur le doublement des rangs, peut s'appliquer au doublement des files, & s'exécuter de la même maniere.

Car si l'on fait faire à-droite ou à-gauche aux rangs d'une troupe en bataille, elle fera face à l'une de ses ailes ; & alors les files pourront, comme on l'a déjà dit, être considérées comme des rangs, & les rangs comme des files.

C'est pourquoi on pourra doubler les files en autant de manieres qu'on a doublé les rangs ; savoir

1°. Par files à droite & à gauche.

2°. Par files en tête.

3°. Par files en queue.

4°. Par tête & par queue.

5°. En-dedans.

Pour doubler les files à droite & à gauche, il faut que les rangs soient assez ouverts pour qu'un autre rang puisse se placer dans leur intervalle.

Il faut remarquer que ce qu'on appelle ici doubler les files, s'exprimeroit plus exactement par doubler le nombre des rangs, puisqu'on ne sauroit doubler le nombre d'hommes des files, qu'on ne double le nombre des rangs de la troupe ou du bataillon ; mais comme il ne s'agit pas d'introduire de nouveaux termes dans les évolutions, mais de bien expliquer ceux qui sont en usage, nous entendons donc par doubler les files, doubler leur étendue, ou le nombre d'hommes dont on les avoit composées d'abord.

Lorsque les rangs sont serrés à la pointe de l'épée, & qu'on ne veut point les ouvrir, on ne peut doubler les files que par l'une des quatre dernieres manieres qu'on vient de déterminer, c'est-à-dire par tête ou par queue, par tête & par queue, & en-dedans. Quand ils sont ouverts, on peut se servir de toutes les différentes manieres du doublement ; mais c'est tout au plus dans l'exercice, dit M. Bottée : car comme les dernieres sont moins simples que la premiere, celle-ci doit être préférée toutes les fois qu'on veut imiter les mouvemens ou les manoeuvres qu'on exécute à la guerre.

PREMIER PROBLEME.

Un bataillon ou une troupe quelconque étant en bataille, doubler les files à droite.

Soit la troupe A B C D (fig. 29.) rangée sur quatre rangs, il s'agit de doubler ses files à droite.

Si les rangs de cette troupe sont serrés, on les fera ouvrir par ce commandement : ouvrez vos rangs. Alors le premier rang marchera en-avant de trois fois l'espace nécessaire pour l'intervalle d'un rang & son épaisseur, c'est-à-dire, dans cet exemple, de 9 piés : le second s'avancera seulement de 6, & le troisieme de 3 : le dernier ne bougera pas.

Si la troupe étoit rangée sur six rangs, le premier s'avanceroit de 15 piés, le second de 12, le troisieme de 9, le quatrieme de 6, le cinquieme de 3, & le sixieme ne bougeroit point.

On suppose dans la figure que les rangs sont ouverts, & qu'il ne s'agit plus que de faire doubler les files.

On ordonnera pour cet effet aux files qui doivent être doublées, de ne point bouger. Ces files sont la premiere à droite, lorsque le doublement se fait à droite ; puis la troisieme, la cinquieme, la septieme, &c. afin que les files qui doivent être doublées, se trouvent chacune entre celles qui doivent doubler.

On commandera ensuite aux files qui doivent doubler, de faire à-droite sur le talon gauche, & d'entrer dans celles qui n'ont point bougé à leur droite ; ce qui peut se faire de deux manieres.

1°. Lorsque les chefs de files qui doublent, se mettent devant les chefs de files qui sont doublés.

2°. Lorsque les chefs de files qui doublent, se mettent derriere ceux des files qu'on veut doubler.

Cette derniere méthode paroît préférable à la premiere, parce qu'il est plus aisé aux chefs de files qui doivent doubler, de se placer directement derriere ceux des files qu'on veut doubler, que de se mettre directement devant eux : c'est aussi celle qui est d'un usage plus commun. Mais quelle que soit celle de ces deux manieres qu'on adopte, les files qui doublent doivent toûjours entrer dans celles qu'elles doivent doubler en partant du pié gauche, & en marchant de côté sans tourner le corps.

Ce mouvement peut s'exécuter sans que les files qui doivent doubler fassent à-droite, sur-tout lorsque le doublement se fait en-avant ; car on peut faire marcher les soldats, pour leur faire joindre les files qu'ils doivent doubler, par un pas oblique ou de côté. Mais le mouvement qu'on leur fait d'abord faire à droite, les met en état de marcher plus facilement, & par conséquent avec plus de grace, pour s'avancer dans les files qu'ils doivent doubler.

Quoi qu'il en soit, chaque soldat doit observer d'occuper le milieu de l'intervalle qui se trouve entre les hommes des files qui sont doublées.

Lorsque les files qui doublent sont ainsi entrées dans celles qu'elles doivent doubler, on les fait arrêter en disant, halte.

Si elles ont fait un à-droite pour s'avancer dans les files voisines, on leur fait faire face en tête par un à-gauche sur le talon gauche.

Pour faire reprendre à la troupe son premier arrangement, on ordonne aux files qui ont été doublées de ne point bouger, & l'on fait aux autres ce commandement : à gauche, remettez vos files.

Alors les files qui ont doublé font à-gauche, & elles vont, en marchant de côté, reprendre la place qu'elles avoient d'abord occupée, &c.

Il est évident qu'on doublera les files à gauche de la même maniere, en faisant faire du côté du flanc gauche ce que l'on vient de faire exécuter vers le droit.

Lorsque les files sont doublées, il est clair que l'on a diminué le nombre des hommes du front du bataillon de moitié : si après cela elles se trouvent encore en nombre pair, & qu'on les redouble une seconde fois, elles seront quadruplées, & le front du bataillon réduit au quart de celui qu'il avoit d'abord ; ce qui est évident.

SECOND PROBLEME.

Doubler les files par demi-rangs vers l'aîle droite ou gauche.

Soit la troupe ou le bataillon A B C D (fig. 30.) dont on veut doubler les files par demi-rangs ; par exemple, de la gauche A D vers la droite B C.

On commandera aux demi-rangs de la droite de ne pas bouger, & à ceux de la gauche de faire à-droite sur le talon gauche, & de marcher ensuite tous ensemble de côté, pour entrer dans les intervalles des demi-rangs qu'ils doivent doubler ; savoir le premier dans le milieu de l'intervalle du premier & du second demi-rang de la droite ; le second dans l'intervalle des second & troisieme, &c. Lorsqu'ils seront exactement placés derriere les demi-rangs dont ils doivent doubler les files, on leur fera faire face en tête par un à-gauche.

On fera remettre la troupe dans sa premiere position, en ordonnant aux demi-rangs qui ont doublé de faire à-gauche ; & de marcher ensuite de côté, en faisant face à l'aile gauche, pour aller reprendre leur premier poste à cette aile : lorsqu'ils y seront parvenus, on leur commandera de faire halte ou de s'arrêter, & on leur fera faire face en tête par un à-droite.

Il est évident qu'on doublera les files de la gauche par demi-rangs de la droite, de la même maniere.

REMARQUES.

Au lieu de faire marcher par le côté les demi-rangs qui doivent doubler les files des autres, ainsi que les auteurs qui ont écrit sur la Tactique, le prescrivent ; on pourroit, ayant d'abord fait faire un demi-tour à droite ou à gauche à ces demi-rangs, les faire marcher ensuite devant eux, c'est-à-dire faisant face à la queue du bataillon, jusqu'au milieu de l'intervalle des rangs dont ils doivent doubler les files ; après quoi leur faisant faire à droite ou à gauche pour faire face à l'aile dans laquelle ils doivent entrer, leur ordonner de marcher dans l'intervalle des demi-rangs de cette aile, jusqu'à ce que les chefs de files de ces demi-rangs soient parvenus dans la premiere file de la droite ou de la gauche de ce bataillon : alors les demi-rangs qui auront ainsi marché, feront face en tête par un à-droite ou un à-gauche.

Ce mouvement s'exécuteroit de cette maniere avec plus de grace, de régularité & de facilité, qu'en faisant marcher les soldats de côté, comme il est enseigné dans les différens traités d'évolutions. Voyez la figure 31.

II. Il est clair qu'au lieu de doubler ainsi les files en-dedans, c'est-à-dire en faisant placer les chefs de files des demi-rangs qui doivent doubler, derriere ceux des demi-rangs qui ne doivent pas bouger, on peut faire ce mouvement en-avant, en faisant placer les chefs de files des demi-rangs qui doivent marcher, devant les demi-rangs dont les files doivent être doublées, &c.

TROISIEME PROBLEME.

Doubler les files à droite ou à gauche par quarts de rangs.

Ce problème peut être considéré comme entierement semblable au précédent, & par conséquent il peut s'exécuter de la même maniere.

Pour le démontrer, soit le bataillon A B C D (fig. 32.) dont on veut doubler les files par quarts de rangs à droite.

On imaginera la troupe partagée en deux parties égales X & Y, par une ligne droite F G, tirée de la tête à la queue.

Alors les quarts de rangs de la troupe entiere seront les demi-rangs de la moitié de chacune de ces deux parties ; c'est pourquoi doublant les files de ces parties par demi-rang à droite, il est évident qu'on aura doublé les files de la troupe entiere par quarts de rangs à droite ; ce qu'il falloit exécuter.

Il est évident que ce mouvement s'exécutera de la même maniere à gauche, & qu'il partage la troupe en deux parties, éloignées l'une de l'autre de l'étendue d'un quart de rang.

QUATRIEME PROBLEME.

A droite & à gauche, par quarts de rangs des ailes, doubler les files sur les quarts de rangs du milieu.

Il s'agira, comme dans le problème précédent, de considérer la troupe comme divisée en deux parties égales par une ligne tirée de la tête à la queue, & de faire doubler les files de la gauche des demi-rangs de la droite, par les demi-rangs de la droite de cette partie ; & les files de la droite des demi-rangs de la gauche, par les demi-rangs de la gauche de cette partie, & le mouvement sera exécuté. Voyez la figure 33.

CINQUIEME PROBLEME.

A droite & à gauche, par quarts de rangs du milieu, doubler les files des quarts de rangs des ailes.

Pour exécuter ce mouvement, on considérera encore la troupe comme divisée en deux parties égales par le centre ; & l'on doublera les files des demi-rangs à droite, de la partie de la droite, par les demi-rangs de la gauche de cette même partie ; & les files des demi-rangs à gauche, de la partie de la gauche, par les demi-rangs de la droite de cette même partie.

Par ce dernier mouvement la troupe se trouve séparée en deux parties éloignées l'une de l'autre de l'intervalle d'un demi-rang. Voyez la figure 34.

SIXIEME PROBLEME.

Doubler les files en tête ou en-avant.

On suppose toûjours la troupe rangée sur un nombre de files pair, c'est-à-dire qui peuvent se diviser exactement en deux parties égales.

Soit la troupe A B C D (figure 35.) dont on veut doubler les files en-avant. Ce mouvement peut s'exécuter vers la droite B C ou la gauche A D : nous supposerons qu'on veut le faire vers B C.

On commandera à la file B C de ne point bouger, ainsi qu'à la troisieme, cinquieme, septieme, & ainsi de suite ; ensorte que chaque file qui doit se mouvoir, se trouve toûjours entre deux files qui ne bougent point.

On fera ensuite marcher en-avant les files qui doivent doubler, jusqu'à ce que les serre-files débordent le premier rang de l'intervalle qui est entre les rangs.

On commandera à toutes les files qui auront marché de faire à-droite, & de s'avancer devant elles jusqu'à ce qu'elles soient chacune vis-à-vis la file qu'elles avoient à droite, & qui n'a pas bougé ; ce qui étant exécuté, on leur fera faire face en tête par un à-gauche, & le mouvement proposé sera achevé.

Pour faire remettre cette troupe dans sa premiere position, les files qui auront doublé feront à gauche, & elles marcheront devant elles jusqu'à ce qu'elles soient parvenues vis-à-vis le milieu des intervalles des files qu'elles ont doublées, là elles feront à gauche, pour faire face à la queue du bataillon ; & elles marcheront ensuite devant elles, pour reprendre leur premiere place entre les files qui n'ont point bougé. Elles feront après cela face en tête par un demi-tour à droite.

Ce mouvement s'exécutera de la même maniere à gauche.

REMARQUES.

I. Il est d'usage, avant de doubler les files en-avant, de faire serrer les rangs à la pointe de l'épée. Cette attention, qui n'est point absolument nécessaire, donne néanmoins plus de facilité pour executer ce mouvement avec précision : car les soldats n'ayant entr'eux que l'intervalle dont ils ont besoin pour marcher, sont moins exposés à se déranger de l'ordre qu'ils doivent observer.

II. On peut doubler de la même maniere les files en-arriere.

Car ayant fait faire demi-tour à droite ou à gauche aux files qui doivent doubler, elles n'ont plus qu'à faire les mêmes manoeuvres en-arriere qu'on vient de leur faire faire en-avant.

III. On doublera aussi, en suivant la méthode de ce problème, les files en-avant & en-arriere, ou en tête & en queue en même tems.

Pour cet effet on supposera la troupe partagée en deux parties égales par une ligne droite, parallele à la tête ou à la queue du bataillon, qui coupera les files en deux également : alors il ne s'agira plus que de doubler la partie de la tête par les files de cette partie en-avant, & de doubler celle de la queue en-arriere ; ce qui étant fait, la troupe aura doublé ses files en-avant & en-arriere.

SEPTIEME PROBLEME.

Doubler les files en-dedans vers la droite ou vers la gauche.

Soit le bataillon A B C D (fig. 36.) dont on veut doubler les files en-dedans vers la droite B C.

On distinguera d'abord les files qui doivent doubler, de celles qui doivent être doublées : ces dernieres sont dans ce problème les premiere, troisieme, cinquieme, &c. On ordonnera à ces files, c'est-à-dire à celles qui doivent être doublées, de s'ouvrir en-avant & en arriere, jusqu'à ce que les demi-files de la tête débordent le premier rang de l'intervalle qui doit être entre les rangs, & que celles de la queue débordent également le dernier rang.

Ce mouvement étant exécuté, les files qui doivent doubler font à droite, & elles vont ensuite occuper la place ou l'intervalle laissé par les files qui se sont ouvertes, & qui doivent être doublées.

Lorsqu'elles sont parvenues dans la direction des demi-files qui ont marché en-avant & en-arriere, on leur fait faire face en tête par un à-gauche, & le mouvement est achevé.

Pour remettre la troupe, les files qui ont doublé font à-gauche, & ensuite elles vont reprendre leur premiere place, & les files qui se sont ouvertes en-avant & en-arriere font les mouvemens nécessaires pour reprendre leur premiere place ; c'est-à-dire que celles qui ont été en-avant font un demi-tour à droite ou à gauche pour faire face à la queue du bataillon, & marcher ensuite vers le centre pour reprendre la place qu'elles y occupoient d'abord, pendant que celles qui se sont ouvertes en-arriere ; marchent en-avant, pour se rejoindre aux précédentes.

VIII. PROBLEME.

Doubler les files par demi-rangs.

On peut doubler les files par demi-rangs.

1°. En-avant, ou en-arriere.

2°. Par la tête, & par la queue en même tems.

3°. En-dedans.

Soit la troupe F G H K (fig. 37.) dont on veut doubler les files par demi-rangs en-avant, par exemple vers la droite G K.

Ce doublement peut se faire de deux manieres.

Dans la premiere, tous les demi-rangs de la droite G K doivent marcher en-avant jusqu'à ce que les serre-files débordent les chefs de files des demi-rangs de la gauche de l'intervalle qui doit être entre les rangs. Après quoi l'on fait faire à-droite aux demi-rangs de la gauche, & on les fait marcher devant eux jusqu'à ce qu'ils soient parvenus derriere les demi-rangs qui ont marché en-avant, lorsqu'ils en occupent exactement la place, on leur fait faire face en tête par un à-gauche, & le mouvement est achevé.

Dans la seconde maniere les demi-rangs de la droite ne doivent pas bouger. A l'égard de ceux de la gauche, on les fait marcher en-avant jusqu'à ce que les serre-files débordent les chefs de files des demi-rangs de la droite de l'intervalle qui doit être entre les rangs. On commande alors aux demi-rangs qui ont marché, de faire à-droite, & d'aller devant eux jusqu'à ce que la file qui mene la tête se trouve alignée sur la file de la droite qui n'a point bougé, & les autres files qui la suivent, sur toutes celles qui composent les demi-rangs de la droite. Alors on ordonne aux files qui ont marché de faire à-gauche pour faire face à la tête du bataillon, & le mouvement est exécuté.

REMARQUES.

I. Cette seconde maniere de doubler les files par demi-rangs est plus simple que la premiere, parce qu'il n'y a que la moitié du bataillon qui se meut, pour exécuter le mouvement dont il s'agit ; au lieu que dans la premiere, la troupe entiere a besoin de se mouvoir : mais on peut faire exécuter les mouvemens de chacune de ces parties dans le même tems.

II. On ne parlera pas de la maniere de faire remettre la troupe après qu'elle a exécuté le mouvement précédent. Cette opération paroît trop aisée pour s'arrêter à la détailler. On en usera de même dans les mouvemens suivans.

Il est évident que le mouvement qu'on vient d'expliquer s'exécutera à gauche comme on vient de le faire à droite ; & qu'on doublera aussi également les files en-arriere ou en queue par demi-rangs de la même maniere, qu'en avant ou en tête.

Pour les doubler en-dedans, par exemple vers la droite.

Les demi-rangs de la droite s'ouvriront en-avant & en-arriere, c'est-à-dire que les demi-files des demi-rangs de la tête marcheront en-avant jusqu'à ce que les serre-files de ces demi-rangs débordent les chefs de files des demi-rangs de la gauche, de l'intervalle qui doit être entre les rangs, & les demi-files des demi-rangs de la queue feront demi-tour à-droite pour faire face à la queue.

Ces demi-rangs marcheront ensuite devant eux, sur le derriere du bataillon, jusqu'à ce qu'ils débordent le dernier des demi-rangs qui doivent doubler les files, de l'intervalle qu'on doit laisser entre les rangs.

On fera faire demi-tour à gauche à ces demi-rangs pour qu'ils fassent face en tête, & l'on commandera aux demi-rangs qui doivent doubler, de faire à droite & de marcher ensuite devant eux pour aller se placer dans l'intervalle des demi-rangs de la tête & de la queue de la droite du bataillon. Lorsqu'ils y seront parvenus, on leur fera faire face en tête par un à-gauche, & le mouvement sera exécuté.

On doublera de la même maniere les files de la gauche en-dedans par demi-rangs de la droite.

IX. PROBLEME.

Doubler les files par quarts de rangs.

Ce problème peut s'exécuter en autant de manieres que le précédent & par les mêmes mouvemens.

Soit la troupe ou le bataillon A B C D (fig. 38.) dont on veut doubler les files, par exemple à droite en-avant, par quarts de rangs.

On le supposera partagé en deux également de la tête à la queue par une ligne droite quelconque FG.

On considérera alors chaque moitié comme une troupe particuliere dont les demi-rangs seront les quarts de rangs de la troupe entiere.

Présentement si l'on fait doubler les files de chaque demi-troupe par demi-rangs vers la droite, il est évident que la troupe ou le bataillon préposé A B C D aura doublé ses files par quarts de rangs à droite.

On voit par cet exemple qu'il ne s'agit dans ce problème que de répéter les mêmes manoeuvres du précédent. C'est pourquoi l'on se dispensera, pour abréger, d'entrer dans un plus grand détail des autres mouvemens qui le concernent.

Pour doubler les files de la même troupe en tête ou en queue, à-droite & à-gauche par quarts de rangs du milieu.

On la supposera encore divisée en deux parties égales par la ligne droite F G (fig. 39.) qui coupe les rangs en deux également.

On ordonnera aux quarts de rangs de la droite & à ceux de la gauche de ne point bouger, & aux quarts de rangs du milieu de marcher en-avant, jusqu'à ce que leurs serre-files débordent les chefs de files des quarts de rangs de la droite & de la gauche, de l'intervalle qui est entre les rangs.

On commandera alors aux quarts de rangs du milieu vers la droite, de faire à-droite, & à ceux de la gauche de faire à-gauche, & de marcher ensuite devant eux jusqu'à ce qu'ils soient vis-à-vis les quarts de rangs dont ils doivent doubler les files.

Lorsqu'ils seront exactement placés vis-à-vis ces files, on leur fera faire face en tête ; savoir, aux quarts du milieu à-droite par un à-gauche, & à ceux de la gauche par un à-droite, & le mouvement sera exécuté.

Il est évident que ce mouvement s'exécutera en arriere de la même façon.

Par ce mouvement la troupe se trouve partagée en deux parties à droite & à gauche, éloignées l'une de l'autre de l'intervalle d'un demi-rang.

Si l'on veut doubler les files du milieu à droite & à gauche par quarts de rangs des aîles, il faut faire faire à ces quarts de rangs ce qu'on vient de faire exécuter à ceux du milieu.

On doublera de même les files sur les aîles, par tête & par queue ; par quarts de rangs du milieu, soit à droite ou à gauche, ou bien à droite & à gauche en même tems. On les doublera également par quarts de rangs en-dedans soit vers la droite ou vers la gauche, soit en-avant ou en-arriere, & soit enfin par la tête & par la queue. Tout cela paroît trop aisé à exécuter après ce qui précede, pour s'y arrêter plus long-tems.

ARTICLE VII.

Des Conversions.

Nous avons déjà expliqué en quoi consiste le mouvement appellé conversion. Voyez CONVERSION. C'est pourquoi il ne s'agit guere ici que d'en donner la figure.

Soit pour cet effet le bataillon A B C D (fig. 40.) qui a fait un quart de conversion à gauche sur le soldat A de la gauche du premier rang.

On a marqué par des zéros la place des soldats de ce bataillon avant le quart de conversion, & par des points noirs à l'ordinaire celle qu'ils occupent chacun après l'exécution des quarts de conversion ; c'est-à-dire lorsque le bataillon est parvenu en A E F G où il fait face à l'aîle gauche de la premiere position.

Le rectangle ou quarré long A I K H, représente l'espace ou le terrein qu'il occuperoit s'il faisoit un second quart de conversion, & ALMN, le lieu où il se trouveroit s'il en exécutoit un troisieme. Un quatrieme quart de conversion remettroit le bataillon dans sa premiere position.

Si l'on tire la diagonale A C du rectangle ou quarré long A B C D, & que du point A pris pour centre & de l'intervalle de cette diagonale, on décrive l'arc C F, il exprimera le chemin du serre-file du flanc opposé à celui sur lequel se fait le mouvement. C'est pourquoi si l'on acheve de décrire la circonférence du cercle dont A C est le rayon, elle renfermera le terrein nécessaire pour exécuter la conversion entiere du bataillon A B C D.

Si l'on tire la diagonale A F de la seconde position du bataillon, on verra facilement que l'angle F A C, formé par les deux diagonales A C & A F, est droit, & qu'ainsi dans chaque quart de conversion le soldat du dernier rang de la file de l'aîle opposée au mouvement, décrit un quart de circonférence dans chaque quart de conversion, comme tous les autres soldats du bataillon.

Dans le quart de conversion l'aîle qui soûtient, c'est-à-dire la file dans laquelle se trouve le pivot, & les files voisines jusqu'au tiers à-peu-près du front du bataillon, doivent marcher très-lentement, & observer le mouvement de l'aîle opposée pour se regler sur elle, de maniere que les rangs soient toûjours en ligne droite, comme s'ils étoient autant de lignes inflexibles mouvantes autour du centre ou du pivot.

Le quart de conversion s'exécute d'autant plus aisément que les troupes sont placées sur moins de rangs, que ces rangs sont moins étendus, & qu'ils sont plus serrés les uns sur les autres.

ARTICLE VIII.

De la conversion avec pivot au centre. Comme on trouve dans le quart de conversion tout ce qui concerne la conversion entiere, il suffira de considérer ici le quart de conversion, lorsque le pivot est au centre.

Cette espece particuliere de quart de conversion, en prenant pour pivot le soldat du centre du premier rang, se nomme ordinairement le moulinet, quelquefois aussi conversion centrale ; on peut l'exécuter pour plusieurs raisons.

1°. Parce que dans cette manoeuvre il faut moins de terrein pour tourner le bataillon, que s'il tournoit sur un de ses angles, & qu'il peut se rencontrer des terreins serrés & coupés, où un bataillon auroit à peine l'espace nécessaire pour tourner, le pivot étant au centre, & dans lesquels il ne l'auroit pas, si le pivot étoit à un de ses angles.

2°. Pour accélérer l'exécution du quart de conversion. Car en prenant le pivot au centre, on diminue la moitié du chemin que font les soldats, lorsque le pivot est aux flancs ; & l'on diminue par conséquent de moitié le tems du mouvement : ce qui est très-important dans plusieurs occasions, principalement, " lorsque l'ennemi marchant pour tomber sur le flanc qui est toûjours le plus proche de lui, & qui est celui sur lequel il faut que le bataillon tourne pour lui faire front, ce flanc demeure long-tems exposé ; & le bataillon court risque d'être attaqué avant qu'il ait achevé son tour : auquel cas il ne peut soûtenir le choc ". Art de la guerre, de M. le maréchal de Puysegur, tome I. page 258.

3°. Pour maintenir des troupes qui marchent en colonne, ou les unes derriere les autres, sur la même direction où on les a mises d'abord ; & cela si par quelques raisons on est obligé de leur faire faire un quart de conversion, pour faire face à un flanc de la marche, & qu'ensuite on leur fasse faire un autre quart de conversion pour reprendre leur chemin. Si on fait tourner ces bataillons sur le centre, on ne change pas la direction de leur marche, parce que les pivots restent sur la même ligne ; ce qui n'arrive pas lorsqu'on fait le quart de conversion en prenant l'un des angles pour pivot ; c'est ce qui peut se démontrer très-aisément de cette maniere.

Soient les bataillons A B, A B, &c. (fig. 41.) qui marchent à la suite l'un de l'autre dans la ligne droite X Y, qui passe par leur centre. Si l'on suppose que chaque bataillon fasse un quart de conversion sur le centre, pour faire face à l'un de ses flancs, par exemple au flanc A, ils seront portés en a b, a b, &c. si on leur fait faire ensuite un autre quart de conversion, dans le sens opposé au premier, c'est-à-dire de gauche à droite ; si le premier a été fait de droite à gauche, il est évident que tous ces bataillons reprendront leur premiere position.

Si G H (fig. 42) est la direction du chemin que suivent les mêmes bataillons A B, A B, &c. & que le flanc gauche, par exemple, dans ces bataillons soit sur cette ligne, si on leur fait faire face en flanc par un quart de conversion de droite à gauche, ils seront placés sur la même ligne en a b, a b, &c. & si ensuite on veut les remettre en marche, suivant leur premiere direction, on ne pourra le faire qu'en leur faisant exécuter un quart de conversion de gauche à droite, sur l'angle opposé au premier pivot : alors ils se trouveront placés en C D, C D. &c. où les gauches c C &c. sont éloignées de leur premiere position de l'intervalle du front du bataillon. Comme on suppose l'ennemi sur le flanc gauche de la marche de ces bataillons, cette manoeuvre en approche les bataillons de l'étendue de leur front : si elle étoit répétée deux fois, ils s'en approcheroient de deux fois cette même étendue ; ce qui seroit un inconvénient fort considérable.

Si l'on veut faire reprendre aux troupes en marche leur premiere direction, elles ne sont plus en ligne droite les unes à la suite des autres, principalement s'il y a un grand nombre de troupes en marche, & qu'il n'y en ait qu'une partie qui ait fait la manoeuvre qu'on vient d'expliquer : dans ces sortes de circonstances, le quart de conversion, le pivot au centre, est donc plus avantageux que celui qui est à l'un des angles ; il s'agit de donner la maniere de l'exécuter.

On prend pour pivot le chef de file qui est au milieu ou au centre du bataillon : on considere ensuite la troupe comme séparée ou divisée en deux parties ; à l'une desquelles on fait faire le quart de conversion en-avant, & à l'autre en-arriere. La file où est le pivot est celle qui termine la partie du bataillon qui fait le quart de conversion en-avant, laquelle partie l'exécute de la même maniere qu'on l'a expliqué ci-devant : le plus difficile de cette manoeuvre se fait par la partie du bataillon qui fait le quart de conversion en arriere.

Cette partie fait d'abord un demi-tour à droite, pour faire face à la queue du bataillon, & ensuite un quart de conversion du même côté que le fait l'autre partie du même bataillon, c'est-à-dire qu'elle le fait à droite, si la premiere partie le fait de ce côté, ou à gauche, si cette même partie l'a fait vers la gauche.

Supposons que le bataillon A B D E, (fig. 43.) qui fait le quart de conversion sur le centre C, le fasse de droite à gauche, le chef de file placé au milieu ou au centre du premier rang A B, servira de pivot ; & la partie du bataillon de la droite de la file C M, fera le quart de conversion en-avant de droite à gauche, à la maniere ordinaire, c'est-à-dire que cette partie C B D M viendra se placer en C F G N, par un quart de conversion de droite à gauche.

Pendant le tems que cette moitié du bataillon fera cette manoeuvre, l'autre, après avoir fait un demi-tour à droite, fera un quart de conversion de droite à gauche : ce qu'il y a de particulier dans ce mouvement, c'est que le soldat M, serre-file de la file de la droite du milieu du bataillon dans sa premiere position, qui devroit servir de pivot au quart de conversion de la partie C A E M du bataillon, ne le peut, parce que le bataillon se trouveroit alors avoir ses deux parties séparées entr'elles de l'intervalle de la hauteur ou profondeur du bataillon.

Pour éviter cet inconvénient, le soldat C, qui a servi de pivot au quart de conversion de la premiere partie du bataillon, en sert encore à la seconde. Pendant qu'il tourne avec la droite du bataillon, le soldat marqué M décrit un quart de cercle autour du pivot C, tel qu'il est marqué dans la figure. Les autres soldats de la partie A C M B, en font de même, en se jettant sur la droite, & en marchant de maniere que chaque demi-rang de la gauche se trouve toûjours en ligne droite avec les demi-rangs de la droite. Lorsque cette partie aura décrit le quart de conversion, celle de la gauche aura ainsi également fait le sien ; c'est pourquoi il ne s'agira plus que de lui faire faire un demi-tour à gauche, pour que tout le bataillon entier se trouve faire face du même côté I F.

REMARQUES.

I. On peut faire faire non-seulement le quart de conversion à un bataillon, sur un pivot pris au milieu ou au centre du premier rang, mais encore à tel endroit de la troupe qu'on veut, comme au tiers ou au quart. Il suffit pour cet effet d'exécuter tout ce qu'on vient d'expliquer pour le quart de conversion sur le centre, & d'observer que la file où l'on prendra le pivot termine la partie de la troupe qui fait le quart de conversion en avant. Mais on remarquera qu'en changeant ainsi la position du pivot, il en résulte quelque changement au terrein que la troupe occupe ; c'est-à-dire qu'elle se trouve après le quart de conversion plus avancée ou reculée que si on avoit pris le pivot au centre : c'est pourquoi lorsqu'il n'y a pas de raison particuliere pour changer ainsi la position du pivot, il paroît qu'il est plus à propos, pour conserver le même terrein autant qu'il est possible, de prendre plûtôt le pivot au centre du bataillon que dans tout autre point, conformément à la méthode que l'on vient d'expliquer, qui est la plus usitée & la plus simple.

II. Le pivot pourroit aussi être pris dans celui des rangs que l'on voudroit du bataillon, comme au troisieme, au quatrieme, &c. en avertissant seulement les rangs qui se meuvent dans la même file, de faire aussi leur quart de conversion autour de lui. Mais cette méthode n'est pas d'usage, à cause de son peu d'utilité.

III. Lorsqu'un bataillon est en bataille, & qu'on veut le faire marcher sur l'un de ses flancs par deux divisions, chacune de la moitié du front du bataillon, on peut, comme le dit M. le maréchal de Puysegur, faire exécuter à chacune de ces parties un quart de conversion sur le centre, c'est-à-dire sur deux pivots pris chacun au milieu de chaque demi-rang du front du bataillon. Lorsque ce mouvement est exécuté, les deux divisions du bataillon se mettent en marche, observant de garder toûjours la même distance entr'elles, afin qu'elles puissent se mettre en bataille exactement, par un autre quart de conversion sur le centre, exécuté dans un sens opposé au premier.

Par ce mouvement, on diminue le chemin que feroient les soldats les plus éloignés du pivot, si on faisoit le quart de conversion ordinaire ; & on se tourne ainsi en bien moins de tems.

ARTICLE IX.

Des conversions à plusieurs pivots, ou par différentes divisions du bataillon. On appelle divisions d'une troupe ou d'un bataillon, les différentes parties dans lesquelles on le partage. Voyez DIVISION.

Pour faire tourner le bataillon sur plusieurs pivots à la fois, il faut qu'il soit rompu ou partagé en divisions : & toutes les divisions tournant ensemble du même côté, par un quart de conversion, elles font face à l'un des flancs du bataillon, & elles se trouvent placées les unes derriere les autres ; ce qui les met en état de marcher vers le terrein du flanc du bataillon auquel elles font face.

Le quart de conversion à plusieurs pivots ou par divisions, demande quelques observations particulieres dont voici les deux principales.

1°. Il faut que les divisions du bataillon ayent plus d'étendue de la droite à la gauche que de profondeur de la tête à la queue ; parce que le quart de conversion, après qu'il est fait, mettant les files de chaque division dans la direction des rangs, il arriveroit, si les files occupoient plus d'espace que les rangs, étant serrées autant qu'elles peuvent l'être, qu'elles ne pourroient être renfermées dans l'étendue du front du bataillon : c'est pourquoi le quart de conversion par division seroit alors impossible.

Soit supposé, par exemple, un bataillon de 480 hommes, à huit de hauteur, les rangs seront de 60 hommes : supposons qu'on veuille le rompre par dix divisions, elles auront chacune 6 hommes de front & 8 de profondeur. Si on les conçoit à la suite l'une de l'autre, les files de ces dix divisions seront ensemble de dix fois 8 hommes, c'est-à-dire de 80. Mais le front du bataillon n'étant que de 60, les 80 hommes de file ne pourront se tenir dans cette même étendue : donc &c.

2°. En supposant les divisions plus étendues en largeur qu'en profondeur, comme dans la troupe A B C D, (fig. 44.) divisée en trois parties égales, A E, E F, & F B, il arrivera encore très-souvent que si chaque homme décrit exactement le quart de cercle, comme on le décrit dans le quart de conversion ordinaire, que les soldats les plus éloignés du pivot de chaque division, anticiperont sur le terrein de la division voisine ; ce qui ne peut manquer de rendre leur mouvement impossible, ou du moins très-défectueux.

La figure précédente rend cet inconvénient très-sensible. On a tracé les quarts de cercle que décrivent les chefs de files & les serre-files, qui terminent la droite de chacune de ces divisions.

Or l'on voit que les arcs qui marquent le chemin des serre-files, anticipent sur le terrein des divisions de leur droite ; ce qui fait voir que ces serre-files doivent être fort gênés ou embarrassés dans l'exécution de leur mouvement.

Cette observation a été faite par M. le maréchal de Puysegur, dans son Traité de l'Art de la guerre.

L'inspection de la figure 45, dans laquelle on a marqué le bataillon précédent arrêté au milieu de son mouvement, suffit pour en démontrer la justesse.

On a tracé dans cette figure le chemin que fait chaque soldat de la droite du premier & du dernier rang de chaque division, afin de faire voir que le premier rang de toutes ces divisions fait son mouvement sans aucun obstacle ; mais qu'il n'en est pas de même des soldats de la droite des trois derniers rangs de chaque division, qui étant plus éloignés du pivot que les soldats de la gauche du premier rang, ne peuvent passer le premier front du bataillon ou la ligne sur laquelle sont les pivots sans se rompre. C'est pourquoi les soldats de ces droites, au lieu de se tenir toûjours derriere leurs chefs de files, doivent aller droit devant eux jusqu'à ce que la droite de chacun de ces derniers rangs ait passé au-delà du pivot de la division qui le suit immédiatement à droite. Alors ils peuvent s'ouvrir ou se jetter sur leur droite autant qu'il est nécessaire pour bien achever leur mouvement, en se redressant sur la gauche de leur division, dont les soldats ont dû exécuter le quart de conversion sans être obligés de s'ouvrir ni de se resserrer.

Plus la troupe qui fait ainsi le quart de conversion sur plusieurs pivots a de rangs, & plus il faut d'attention pour le faire exécuter exactement.

M. le maréchal de Puysegur remarque encore à ce sujet, que si l'on s'apperçoit de quelqu'imperfection dans l'exécution de ce mouvement, on ne doit pas l'attribuer aux troupes qui le font, mais au mouvement même qui ne peut se faire sans qu'il y paroisse un peu de confusion ; mais qu'il n'en est pas pour cela moins utile, parce que cette espece d'irrégularité ne paroît que dans le tems du mouvement : car aussi-tôt qu'il est fini, les troupes se trouvent en bataille comme elles doivent l'être sur des lignes droites.

Du mouvement d'un bataillon sur sa droite ou sur sa gauche sans s'allonger, ou sans augmenter l'étendue de son front. On trouve dans l'Art de la guerre de M. le maréchal de Puysegur, la description d'un mouvement propre à faire marcher, lorsqu'on est proche de l'ennemi, un bataillon sur l'un de ses flancs, sans augmenter l'étendue du front du bataillon, ou sans s'allonger de droite à gauche.

Dans la circonstance de la proximité de l'ennemi, il n'est pas possible de faire le quart de conversion ordinaire pour se mouvoir vers la droite ou la gauche du bataillon, parce que l'ennemi pourroit l'attaquer pendant le mouvement ou avant qu'il fût remis en bataille, auquel cas il pourroit le défaire très-facilement.

Pour éviter cet inconvénient, M. de Puysegur suppose un bataillon de dix compagnies rangées sur six rangs de douze hommes chacun, & il propose de faire faire un quart de conversion à droite ou à gauche par demi-rang de compagnie, c'est-à-dire dans cet exemple par six hommes ; alors chaque compagnie forme deux rangs vers la droite ou la gauche du bataillon. Et dans cet état, on peut le faire marcher vers l'un de ces deux côtés sans qu'il augmente l'étendue de son front (pourvû que toutes les files observent entr'elles en marchant la même distance), & le faire remettre ensuite dans sa premiere position en un instant.

Si le bataillon a marché ainsi vers la droite, on lui fera faire face en tête par un quart de conversion à gauche, que feront chacun des demi-rangs de compagnies qui en ont fait un à droite ; ou bien comme le dit M. le maréchal de Puysegur, chaque partie qui a fait le quart de conversion pour faire face à droite, achevera le cercle entier, & elle fera ensuite demi-tour à gauche, &c. Voyez l'Art de la guerre, tome I. p. 265. & la fig. 2. de la pl. 13. du même livre.

REMARQUES.

I. Pour faire ce mouvement tel qu'on vient de l'expliquer, il faut que les rangs ayent un intervalle égal au front des demi-rangs de chaque compagnie. Si cet intervalle est plus petit, il faut fixer le nombre d'hommes de chaque rang qui doivent tourner, ou faire le quart de conversion à droite ou à gauche, relativement à l'espace qui est entre les rangs.

II. Si la troupe étoit à quatre de hauteur, il est évident que ce mouvement se réduiroit à doubler les files à droite ou à gauche, & ensuite à faire marcher le bataillon vers celui de ces côtés qu'on voudroit, & le faire ensuite remettre en dédoublant les files.

ARTICLE X.

De la contre-marche. On appelle contre-marche, la marche qu'on fait faire à des soldats d'une troupe ou d'un bataillon, dans un sens opposé à la position des autres soldats de la même troupe.

Ainsi dans la contre-marche, une partie du bataillon marche vers la queue du bataillon, ou vers la droite ou la gauche, c'est-à-dire dans un sens ou une direction opposée à la face du bataillon : aussi le nom de contre-marche est-il composé de contre & de marche, qui est la même chose que si on disoit marche contraire, ou contre les uns & les autres.

La contre-marche se fait de plusieurs façons.

1°. Par files à droite ou à gauche.

2°. Par rangs à droite ou à gauche.

La contre-marche sert à placer la tête du bataillon à la queue, sans se servir du quart de conversion qui fait changer de terrein au bataillon, c'est-à-dire qui le place à la droite ou à la gauche de sa premiere position, & qui d'ailleurs ne peut se faire lorsqu'on est à portée de l'ennemi, parce qu'il pourroit tomber sur le flanc du bataillon pendant le mouvement, & le détruire ou le dissiper très-facilement dans cet état. Elle sert aussi à changer la position du bataillon, c'est-à-dire à lui faire occuper un autre terrein à sa droite ou à sa gauche, d'une maniere plus simple & plus sûre que par le quart de conversion.

S'il faut se retirer de devant l'ennemi " rien n'est plus dangereux (dit M. Bottée, Exercice de l'infanterie) que de commander le demi-tour à droite ; à peine le soldat entend-t-il ce commandement qu'il fuit en confusion. Dans la contre-marche, il est occupé du soin de garder son rang & sa file, ce qui le dissipe d'une partie de sa crainte. Il se rassûre quand il voit que celui qui le commande manoeuvre toûjours, & ne s'abandonne point au sort. De même, s'il faut tourner tête à l'ennemi (dit ce même auteur) qui marche à vous pour vous attaquer en queue, vous ne le pouvez faire de bonne grace & promtement que par la contre-marche : car le demi-tour de conversion demande trop de tems, vous fait prêter le flanc, & outre cela, vous laissez votre premier terrein à droite ou à gauche, si vous tournez sur une aîle. Si vous vous contentez de faire demi-tour à droite, vos chefs de files se trouvent en queue, aussi-bien que les officiers qui doivent être à la tête ".

Par la contre-marche, on évite ces inconvéniens. Malgré cet avantage, comme elle exige que les files soient ouvertes, elle n'est plus guere d'usage à présent, ainsi que nous l'avons déjà observé au mot CONTRE-MARCHE.

Elien, auquel on renvoye dans cet endroit, en traite avec un grand détail. M. de Bombelles s'est aussi fort étendu sur cette manoeuvre, dans son Traité des évolutions militaires. Il prétend que pour peu qu'on en connût l'utilité, l'on prendroit un soin particulier d'accoûtumer l'infanterie à la savoir parfaitement. Il est vrai que presque tous les auteurs militaires paroissent en faire cas, & qu'ils donnent tous la maniere de l'exécuter. M. Bottée qui avoit de l'expérience dans la guerre, & qui s'étoit acquis beaucoup de distinction dans la place de major du régiment de la Fere, regarde cette évolution comme fort utile. Par toutes ces considérations, nous croyons devoir en donner une idée plus détaillée que nous ne l'avons fait au mot CONTRE-MARCHE.

La contre-marche se fait 1°. en conservant le même terrein, 2°. en gagnant du terrein, & 3°. en le perdant.

PREMIER PROBLEME.

Faire la contre-marche par files, en conservant le même terrein.

Cette évolution peut se faire également à droite & à gauche : nous supposerons qu'on veut la faire à gauche.

Soit pour cet effet, le bataillon A B C D (fig. 46.) dont les files sont ouvertes de maniere à laisser passer un soldat dans leur intervalle. On commandera à tous les chefs de file, c'est-à-dire aux soldats du premier rang A B, de faire demi-tour à gauche sur le pié gauche, pour se placer, par ce mouvement, dans l'intervalle des files ; après quoi on leur ordonnera de marcher : ce qu'ils feront devant eux dans l'intervalle ou l'ouverture des files, jusqu'à ce qu'ils soient parvenus à la place du dernier rang. Pendant que le premier gagnera ainsi la queue du bataillon, les autres rangs s'avanceront successivement jusqu'à la place du premier, où étant arrivés, ils feront de même un demi-tour à gauche, & ils suivront le premier rang pour se placer derriere lui, comme dans leur premiere position.

Ce mouvement étant ainsi exécuté, le premier rang se trouvera placé sur le terrein du dernier, le second sur celui du troisieme, le troisieme sur celui du second, & le quatrieme sur le terrein du premier.

Lorsque les troupes sont exercées à faire ce mouvement, on leur ordonne de l'exécuter en disant : à gauche, ou bien, à droite par files, faites la contre-marche. A ce premier commandement, les chefs de file font demi-tour à droite ou à gauche.

On dit ensuite, marche. A ce second commandement, toutes les files se mettent en marche, pour occuper le terrein des rangs qu'elles doivent remplir.

Lorsqu'elles y sont parvenues, on leur ordonne de s'arrêter, en disant, halte.

La contre-marche se fera par files à droite, de la même maniere.

REMARQUES.

I. On fait remettre le bataillon par une seconde contre-marche, exécutée dans le même sens ou du même côté que la premiere, c'est-à-dire à droite, si la premiere a été faite à droite, &c.

II. Quelques auteurs font avancer deux pas aux chefs de file, avant de leur faire faire le demi-tour à droite ou à gauche ; mais ces pas en avant ne sont pas nécessaires. Au contraire, il paroît plus simple de laisser le premier rang à la même place, & de lui faire faire à-droite ou à-gauche ; parce que, par ce mouvement, il se trouve d'abord dans l'intervalle où il doit marcher, c'est-à-dire, entre la file qu'il quitte & celle qui la suit immédiatement du côté où se fait la contre-marche.

III. Nous avons dit que la contre-marche exigeoit que les files fussent ouvertes, & que c'étoit là un des principaux inconvéniens que les tacticiens modernes trouvoient dans l'exécution de ce mouvement. Mais, comme le dit M. de Bombelle, lorsqu'un régiment sera bien exercé, il fera presque aussi facilement la contre-marche à files & rangs serrés, que quand ils sont ouverts, pourvû néanmoins qu'on ne presse pas les files autant qu'on le fait aujourd'hui, c'est-à-dire que relativement à l'ancien usage, on laisse assez d'espace à chaque soldat dans le rang, pour qu'il ait la liberté de charger & de tirer facilement. D'ailleurs, comme l'épaisseur d'un homme, mesurée de la poitrine au dos, est assez ordinairement la moitié de l'étendue qu'il occupe de front, ou d'un coude à l'autre, si dans l'exécution de la contre-marche, les soldats qui veulent passer dans les intervalles des files, se mettent, lorsqu'elles sont serrées, un peu de côté, & que ceux de ces files en fassent de même, par un à-droite ou un à-gauche, il est clair que le passage entre les files n'aura rien de difficile ni d'embarrassant.

SECOND PROBLEME.

A droite ou à gauche par files ; faire la contre-marche en quittant ou en perdant le terrein, ou la file après soi.

Supposons qu'un bataillon A B C D, (fig. 47.) s'éloigne de l'ennemi, en s'avançant sur le terrein X, que A B soit le premier rang ou la tête de ce bataillon.

Supposons aussi que l'ennemi qui vient du terrein Y poursuive ce bataillon.

Si l'on fait avancer le premier rang A B, pour occuper la place du dernier, c'est-à-dire si l'on exécute la contre-marche, conformément au problème précédent, le bataillon ne changera pas de terrein, mais seulement de position.

Si le premier rang A B restant dans la même place, les autres vont se mettre derriere lui, il est évident alors que le bataillon abandonnera le terrein occupé par les derniers rangs, & qu'ainsi il quitte ou il perd ce terrein.

Il est aisé, après cette explication, de comprendre en quoi consiste la contre-marche en quittant ou en perdant le terrein. C'est cette contre-marche que les anciens appelloient évolution macédonique, parce qu'elle avoit été imaginée par les Macédoniens.

Pour exécuter cette contre-marche, le premier rang A B fait demi-tour à droite, si la contre-marche doit se faire à droite, & à gauche, si elle se fait de ce côté, afin de faire face à la queue du bataillon. Nous supposerons que la contremarche se fait à droite.

Lorsque le premier rang A B a fait ce mouvement, il reste à la même place, & les soldats des autres rangs passent successivement à la droite des chefs de files & dans leur intervalle, de maniere que chaque soldat va se placer derriere son chef de file, comme dans la premiere disposition du bataillon ; c'est-à-dire que les soldats du second rang G H, vont se placer derriere le premier en I L ; ceux du troisieme M N, en O P ; & ceux du quatrieme D C, en R S.

Lorsqu'ils sont ainsi tous arrivés dans les places ou sur le terrein qu'ils doivent occuper, ils font demi-tour à droite sur le pié droit pour faire face du même côté que les chefs de file, c'est-à-dire au terrein de la queue du bataillon qu'ils viennent de quitter.

Il est évident que cette contre-marche se fera à gauche, de la même maniere qu'on vient de l'expliquer pour la droite : toute la différence qu'il y aura, c'est que les soldats des rangs qui suivent le premier, au lieu de passer à la droite des chefs de files, pour aller se placer derriere eux, passent à la gauche.

Pour faire remettre la troupe ou le bataillon, on ordonne au premier rang de faire demi-tour à droite, & on commande aux autres rangs d'aller se placer derriere leurs chefs de files, comme dans le premier mouvement, pour y reprendre leur premiere position. Ils font ensuite un demi-tour à droite pour faire face du même côté que le premier rang.

III. PROBLEME.

A-droite par files ; faire la contre-marche en gagnant le terrein.

Soit le bataillon A B C D (fig. 48), dont le premier rang est A B, qui s'avance sur le terrein X, & qui par conséquent fait face à ce terrein. Soit supposé que l'ennemi poursuit ce bataillon & qu'il s'approche de la queue, la contre-marche en gagnant du terrein consiste à faire revenir le bataillon sur ses pas, de maniere que le dernier rang D C restant à la même place, les autres viennent se mettre devant lui en s'approchant de l'ennemi de la hauteur du bataillon : on dit alors qu'on gagne du terrein, parce que l'on s'approche de l'ennemi ; au lieu que dans la contre-marche précédente on dit qu'on en perd, par la raison que le bataillon s'en éloigne, & qu'il lui quitte ou abandonne le terrein qu'il occupoit.

Cette contre-marche étoit appellée chez les anciens évolution laconique, parce qu'elle est de l'invention des Lacédémoniens.

Résolution. On ordonne au premier rang A B de faire demi-tour à droite, & à la troupe de marcher : ce qui se fait par ce commandement, marche.

Alors chaque soldat du premier rang s'avance vers la queue du bataillon ; savoir, le premier de la droite, en marchant à côté de la file de la droite, & les autres dans les intervalles des files qui les joignent immédiatement de ce même côté.

Lorsque le premier rang a ainsi passé l'intervalle qui est entre lui & le second, le second fait aussi demi-tour à droite, & tous les soldats dont il est composé marchent à la suite de ceux du premier rang, en observant de s'en tenir toûjours éloigné de la distance qui doit être entre les rangs, ou de les suivre le plus près qu'il est possible, si les rangs sont serrés à la pointe de l'épée, ce qui donne plus de facilité à exécuter cette contre-marche avec précision.

Quand les soldats du second rang ont passé le troisieme rang, ceux de ce dernier rang font demi-tour à droite, & ils suivent ceux du second jusqu'à ce qu'ils ayent passé le quatrieme rang : alors on fait faire halte à tout le bataillon, & le mouvement est exécuté.

REMARQUES.

I. Le premier rang ne doit s'avancer au-delà du dernier, que de l'épaisseur du bataillon. C'est pourquoi si l'on suppose que les rangs étant serrés occupent un pas de trois piés, le premier rang ne marchera au-delà du dernier que de trois de ces pas.

II. Comme les soldats du premier rang, & ceux des rangs qui le suivent, ayant fait demi-tour à droite, se trouvent à côté de la file qu'ils occupoient d'abord, & qu'ils marchent ensuite devant eux, il suit de-là qu'après l'exécution de la contre-marche le bataillon se trouve plus avancé sur le terrein de sa droite, de l'épaisseur d'un homme, que dans sa premiere position.

III. Cette contre-marche peut s'exécuter aisément à files serrées.

IV. Elle s'exécutera à gauche de la même maniere qu'à droite ; toute la différence qu'il y aura, c'est qu'il faudra faire d'abord le demi-tour à gauche au lieu de le faire à droite.

Pour faire remettre la troupe ou le bataillon, on ordonnera aux soldats du premier rang de faire demi-tour à gauche, & de marcher ensuite devant eux dans les intervalles des files des autres rangs, pour aller reprendre leur premier terrein A B. Lorsqu'ils auront passé le second rang, les soldats de ce rang feront aussi le demi-tour à gauche, & ils suivront ceux du premier. Le troisieme rang fera de même à l'égard du second, & ils marcheront tous jusqu'à ce qu'ils ayent repris leur premiere position, &c.

IV. PROBLEME.

A droite par chefs de files & de demi-files, faire la contre-marche.

Soit le bataillon A B C D (fig. 49.) rangé sur six de hauteur, auquel on veut faire faire la contremarche par chefs de files & de demi-files, c'est-à-dire par les soldats du premier rang A B & du quatrieme E F.

Il faut considérer la troupe comme divisée en deux également, par une ligne droite quelconque E H, qui coupe les files en deux également, & ordonner ensuite à chaque demi-troupe, considérée comme troupe entiere, de faire la contre-marche du premier problème, ou celle du second ou du troisieme.

Si l'on veut exécuter celle du premier, les chefs des files & ceux de demi-files feront demi-tour à droite sur le pié droit ; ce qui étant fait, les chefs de files marcheront devant eux jusqu'au terrein du troisieme rang, & les chefs de demi-files jusqu'à celui du sixieme. Chaque demi-file suivra son chef de file, ensorte que le premier rang occupera la place du troisieme, le troisieme celle du premier : le second se retrouvera sur son même terrein, mais seulement plus à droite de l'épaisseur d'un homme. Le quatrieme rang occupera la place du sixieme, le sixieme celle du quatrieme, & le cinquieme se retrouvera, comme le second, sur son terrein.

Par cette contre-marche les chefs de files se trouvent chefs de demi-files, & ceux-ci chefs de files.

Cette évolution s'exécutera à gauche de la même maniere qu'à droite. Il est clair qu'elle est exactement conforme à celle du premier problème, c'est pourquoi on ne s'y arrêtera pas davantage.

On ne parlera pas non plus de la contre-marche par chefs de demi-files & par serre-files, qui n'a pas plus de difficulté ; ni de celle par quart de files, qu'on reduira, en supposant les files divisées en quatre parties, à celle des contre-marches qu'on voudra, expliquées dans les trois premiers problèmes précédens.

De la contre-marche par rangs. Après avoir expliqué la contre-marche par files, il est aisé de concevoir la maniere d'exécuter cette évolution par rangs ; car faisant faire à droite ou à gauche au bataillon, les rangs deviennent des files, avec lesquelles on peut faire les mêmes évolutions des précédens problèmes. Mais comme malgré cette identité de mouvemens, les Tacticiens traitent ordinairement de la contre-marche par rangs comme de celle par files, nous croyons par cette considération devoir entrer dans quelques détails particuliers sur la contre-marche par rangs, quoique ce détail nous paroisse assez peu utile lorsqu'on a bien conçu les trois premiers problèmes de cette évolution par files.

V. PROBLEME.

A droite par rangs, faire la contre-marche.

Ce problème a pour objet de faire passer la droite du bataillon à la gauche, ou la gauche à la droite.

Il peut se résoudre en conservant le même terrein ou en le quittant, pour en occuper un pareil sur la droite ou sur la gauche.

Nous supposerons d'abord que la troupe doit conserver le même terrein.

Soit le bataillon A B C D (fig. 50.) dont on veut transporter la droite B C, à la gauche A D par la contre-marche.

Pour exécuter cette évolution, tout le bataillon fera d'abord à droite sur le talon droit ; le pié droit restera sur l'alignement de chaque rang, & le corps se trouvera en-dehors.

On commandera ensuite au bataillon de marcher. Au commandement, chaque soldat de la file B C de la droite, marchera directement devant lui un ou deux petits pas, & il fera après demi-tour à droite sur le talon droit, pour se trouver vis-à-vis l'intervalle du rang qui suit le sien. Ils marcheront ensuite tous ensemble, chacun dans l'intervalle opposé, suivis de tous les soldats de leur rang, qui feront chacun demi-tour à droite dans le même endroit du premier : ils marcheront ainsi jusqu'à ce qu'ils soient parvenus sur le terrein de la file A D de la gauche, où étant arrivés on fera arrêter le bataillon par ce commandement, halte. On lui ordonnera ensuite de faire à droite sur le pié droit, pour qu'il fasse face en tête, & le mouvement sera exécuté.

La contre-marche s'exécutera à gauche par rangs de la même maniere.

Pour cet effet les soldats de la file A D de la gauche feront d'abord à gauche : ensuite ils avanceront un ou deux petits pas, & ils feront demi-tour à gauche sur le pié gauche. Ils marcheront après cela dans les intervalles des rangs, suivis des soldats des rangs auxquels ils appartiennent ; jusqu'à ce qu'ils soient sur le terrein de la file B C de la droite, & ils acheveront ce mouvement comme le précédent.

REMARQUE.

Lorsqu'une troupe fait la contre-marche par rangs, le premier A B peut marcher dans l'intervalle qui le sépare du second, comme on l'a enseigné dans le problème précédent ; mais il peut marcher aussi en dehors du rang, & cela en faisant demi-tour à gauche sur le pié gauche ; alors le pié gauche des soldats reste dans l'alignement du rang, & leur corps est en-dehors. Les autres rangs faisant le même mouvement, marchent ; savoir, le second dans l'intervalle qui le sépare du premier ; le troisieme dans l'intervalle qui le sépare du second, & ainsi de suite.

En exécutant ainsi la contre-marche, la troupe se trouve plus avancée vers la tête de l'intervalle ou de l'espace qu'un homme occupe dans le rang ; & en la faisant de la premiere maniere, elle se trouve reculée ou éloignée de la tête du même espace, qu'on peut évaluer environ à un pié & demi ou deux piés.

VI. PROBLEME.

Faire la contre-marche par rangs en changeant de terrein, ou, comme on le dit ordinairement, en gagnant le terrein.

La troupe qui veut faire la contre-marche par rangs en changeant de terrein, peut en changer en se plaçant sur le terrein de sa droite, ou sur celui de sa gauche. Nous supposerons que c'est vers la gauche.

On commencera l'exécution de cette contre marche comme dans le problème précédent ; mais au lieu de faire arrêter les soldats de la file B C de la droite (fig. 51.), sur le terrein A D de celle de la gauche, on les fera avancer au-delà en F G, c'est-à-dire jusqu'à ce que les soldats des différens rangs du bataillon qui forment la file A D, se retrouvent sur leur même terrein A D.

On fera alors arrêter toute la troupe, & on lui fera faire à droite sur le pié droit, pour qu'elle fasse face en tête comme dans sa premiere position.

La troupe ou le bataillon changera de terrein de la même maniere sur la droite, par une contre-marche exécutée vers ce côté, comme on vient de l'expliquer vers la gauche.

VII. PROBLEME.

Faire la contre-marche par demi-rangs, partant des ailes ou des flancs du bataillon.

Soit le bataillon ou la troupe A B C D (fig. 52.) : on la supposera divisée en deux également par une ligne droite quelconque E F, tirée de la tête à la queue du bataillon. Alors il ne s'agira plus, pour résoudre le problème proposé, que de faire exécuter à la moitié de la troupe à droite, la contre-marche à gauche par rangs, & à la partie de la gauche, la contre-marche à droite aussi par rangs, expliquée au cinquième problème.

Ainsi, pour exécuter cette contre-marche, on ordonnera aux demi-rangs à droite de faire à droite, & à ceux de la gauche de faire à gauche.

Les soldats de la file B C de la droite avanceront ensuite un ou deux petits pas, ainsi que les soldats de la file A D de la gauche.

Ils feront ensuite les uns & les autres un demi-tour ; savoir, ceux de la droite, à droite sur le pié droit ; & ceux de la gauche, à gauche sur le pié gauche. Ils avanceront après cela dans les intervalles des rangs suivis des soldats des demi-rangs, qui feront le demi-tour à droite & à gauche où les premiers l'ont fait, & ils marcheront jusqu'à ce qu'ils soient parvenus de part & d'autre sur le terrein des deux files du centre G H & I K. Lorsqu'ils y seront arrivés, les demi-rangs de la droite feront à droite, & ceux de la gauche à gauche, pour faire face du même côté ; ce qui étant fait le mouvement sera exécuté.

Il est évident que l'on fera la contre-marche de la même maniere par demi-rangs partant du centre, par quarts de rangs, &c.

ARTICLE XI.

De la maniere de border la haie, & de former des haies.

Nous avons déjà dit que border la haie ou se mettre en haie, c'est disposer plusieurs rangs ou plusieurs files sur une ligne droite. Voyez BORDER LA HAIE. Ce qui a donné lieu au nom que porte cette évolution, c'est qu'on se sert effectivement du mouvement dans lequel elle consiste, pour disposer une troupe le long d'une rue, d'un retranchement, &c.

Former des haies, c'est, dit M. de Bombelles (traité des évolutions militaires), composer plusieurs haies avec un nombre donné de files.

Ainsi on peut former des haies par compagnie, & par telle autre division que l'on veut.

M. Bottée ne fait point de distinction entre l'expression de border la haie & de former des haies, ce qui est assez conforme à l'usage ; mais il paroît qu'il devroit être rectifié à cet égard, pour ne point exposer les officiers à regarder ces deux évolutions comme ne faisant qu'un même mouvement.

Pour éviter cet inconvénient, nous allons en parler séparement.

PREMIER PROBLEME.

Par rangs border la haie.

Soit le bataillon ou la troupe A B C D (fig. 53.) à laquelle on veut faire border la haie par rangs.

On commencera par faire ouvrir les rangs en-avant, ensorte que leur intervalle soit à-peu-près égal à l'étendue de chaque rang.

On fera faire ensuite un quart de conversion à chaque rang & du même côté, c'est-à-dire à droite ou à gauche, après quoi la troupe ne formera qu'un seul rang L H (fig. 54.).

Pour faire remettre le bataillon, on fait faire demi-tour à droite au rang, ou à la haie L H (fig. 54.), & ensuite un quart de conversion à tous les rangs particuliers dont il est composé, & dans le sens opposé à celui qu'ils ont fait d'abord ; après quoi faisant serrer les rangs en-arriere, la troupe se trouvera dans sa premiere position.

II. PROBLEME.

A droite par rangs, border la haie en tête.

Pour faire cette évolution, tous les rangs qui suivent le premier, doivent faire à-droite, & aller ensuite se placer sur l'alignement du premier A B (fig. 55.) ; savoir, le second immédiatement à côté en E F ; le troisieme à côté du second, &c.

REMARQUE.

M. Bottée dit que cette évolution ne vaut rien, lorsque les rangs sont fort grands ; la raison en est sans-doute la lenteur de son exécution, & la difficulté de faire arriver tous ces différens rangs en même tems sur l'alignement du premier A B.

Si l'on suppose que le bataillon soit composé de quatre rangs de cent vingt hommes chacun, il aura 40 toises de front, en donnant 2 piés à chaque homme dans le rang. Lorsque ces quatre rangs seront réduits à un seul, ils occuperont une étendue de 240 toises ; & comme les lignes obliques que décrivent les soldats du quatrieme rang seront encore plus grandes que cette étendue, il est aisé de concevoir qu'il faudroit un tems considérable à ces soldats pour parcourir un aussi grand espace.

Si malgré cet inconvénient on veut exécuter cette évolution, elle se fera à gauche de la même maniere qu'on vient de l'enseigner à droite ; elle se fera aussi également en queue, à droite & à gauche en tête, & de même en queue : dans cette derniere maniere on diminue le tems de son exécution de moitié.

III. PROBLEME.

A droite par files, border la haie en tête.

Cette évolution est absolument la même que celle du premier problème, en regardant les files comme des rangs, c'est-à-dire après avoir fait faire à-droite ou à-gauche au bataillon.

Ainsi pour exécuter ce mouvement, on fera d'abord serrer les rangs, & l'on fera ouvrir les files d'un intervalle à-peu-près égal à leur longueur ou leur étendue.

Ensuite on fera décrire, en même tems, un quart de conversion à droite à toutes les files, chaque chef de file étant pris pour pivot ; alors elles ne formeront qu'un seul rang à la tête du bataillon. Voyez la fig. 56.

Ce mouvement s'exécutera de la même maniere à gauche. Il se fera aussi également en queue ; mais alors ce seront les serre-files qui serviront de pivot au quart de conversion que feront chacune des différentes files du bataillon.

IV. PROBLEME.

Une troupe ou un bataillon étant rangé en bataille à l'ordinaire, en former des haies.

Pour former des haies il faut diviser les rangs du bataillon en autant de parties égales qu'on veut avoir de haies ; & faisant ensuite border la haie à chaque partie, on aura autant de haies que les rangs auront de divisions.

Ainsi si l'on veut former deux haies, il faut diviser les rangs en deux également ; si l'on en veut trois, en trois, &c.

Si l'on veut former des haies par compagnies il faut diviser les rangs par compagnie, & l'on aura autant de haies qu'il y aura de compagnies.

Soit la troupe ou le bataillon A B C D (fig. 57.) auquel on veut faire former, par exemple, quatre haies.

On divisera les rangs en quatre parties égales, & on les ouvrira en-arriere, ensorte que leur intervalle soit égal au front de chaque division, c'est-à-dire dans cet exemple au quart du rang A B.

On fera faire après cela demi-tour à droite à tout le bataillon.

Ensuite si l'on veut former les haies à gauche ; comme dans la figure, on prendra pour pivot les soldats qui terminent à gauche les divisions de chaque rang, & on fera faire un quart de conversion à gauche sur ces pivots à chaque division.

Lorsque ce mouvement sera exécuté, la troupe formera quatre haies, qui feront face à gauche, comme il est représenté dans la figure 56, où les zéros marquent la place des soldats avant le quart de conversion de chacune des divisions des rangs, & les points noirs les mêmes soldats formant les quatre haies demandées.

Pour remettre le bataillon, on fera faire demi-tour à droite aux haies, pour qu'elles fassent face à la droite B C. Chaque division fera ensuite un quart de conversion à droite, sur les mêmes pivots que celui qu'elle a fait à gauche, ce qui étant exécuté, la troupe sera alors dans sa premiere position.

REMARQUES.

Si les rangs du bataillon sont divisés par compagnies, & que chaque compagnie soit de quarante hommes rangés sur quatre rangs, elles auront dix hommes de front.

Si le front du bataillon est ainsi divisé de dix en dix hommes, & les rangs espacés de l'intervalle que ces dix hommes occupent dans le rang, il est clair qu'en faisant former des haies à tout le bataillon, chaque haie sera composée d'une compagnie, & qu'ainsi on aura formé des haies par compagnie.

II. Si l'on vouloit former les haies vers la droite du bataillon, le premier soldat de la droite de chaque division serviroit de pivot ; & toutes les divisions feroient chacune un quart de conversion à droite sur ce pivot : alors toutes les haies feroient face à la droite du bataillon.

V. PROBLEME.

Augmenter & diminuer le nombre des rangs d'une troupe en bataille, par le moyen de l'évolution précédente.

Soit la troupe ou le bataillon A B C D (fig. 58.) rangé sur quatre rangs, & qu'on veut mettre sur cinq.

On divisera les rangs en cinq parties égales ; & après les avoir ouverts de l'intervalle de chaque division, comme on le voit par les quatre rangées de zéros dans la figure 57, on leur fera former cinq haies par la méthode du problème précédent. Elles sont marquées par les points noirs de la figure.

Supposant qu'on ait formé ces haies de droite à gauche, on leur fera faire demi-tour à droite, pour qu'elles fassent face au flanc droit.

On divisera ensuite chaque haie en cinq parties égales, & on les fera serrer de maniere qu'il n'y ait entre les haies qu'un espace égal à l'étendue de chaque division.

On commandera après cela aux divisions de former des rangs ; ce qu'elles feront en décrivant un quart de conversion de droite à gauche.

Elles formeront alors les cinq rangs représentés dans la figure par le premier A B du bataillon, & par les quatre lignes ponctuées E F, G H, I L, & M N.

Les quarts de cercle ponctués expriment le chemin du soldat de la droite de chaque division des haies pour former des rangs ; & les quarts de cercle en lignes pleines, ceux qui ont été décrits par les soldats de la droite des divisions des rangs, pour former les haies.

Pour diminuer par la même méthode le nombre des rangs d'un bataillon, soit la troupe A B C D (fig. 59.) rangée sur quatre rangs qu'on veut réduire à trois.

On divisera chaque rang en trois parties égales, pour en former autant de haies représentées par les trois lignes de points noirs A R, S T, & V X.

On divisera ensuite ces haies en autant de parties égales que l'on veut former de rangs, c'est-à-dire en trois dans ces exemples ; & après avoir augmenté leur intervalle de l'espace nécessaire pour le front de chaque division, ou avoir fait avancer S T en FG & V X en H I, on leur fera former des rangs qui occuperont l'étendue marquée par les lignes A M, NO & P Q.

REMARQUES.

I. Pour que cette évolution puisse s'exécuter avec précision, il faut que le nombre d'hommes des rangs du bataillon, & celui des haies, puissent se diviser exactement en autant de parties égales que l'on veut avoir de rangs.

Si le rang A B de la troupe A B C D (figure 59.) avoit été de cinquante hommes, on n'auroit pû en former trois divisions égales ; s'il avoit été de quarante-huit, on auroit eu trois divisions de seize hommes chacune. Ces divisions auroient formé, avec les quatre rangs de la troupe, des haies de soixante quatre hommes, dont on ne peut non plus prendre le tiers ; ce qui fait voir que la méthode précédente de changer le nombre des rangs d'une troupe, n'est pas générale ; comme le disent plusieurs auteurs, & notamment M. Bottée dans son traité des évolutions.

Lorsque les rangs peuvent être partagés en autant de parties égales qu'on en veut former, les haies seront toûjours susceptibles d'être divisées par le même nombre, parce qu'elles en seront multiples, ou qu'elles contiendront chaque division de rang autant de fois qu'il y aura de rang.

C'est pourquoi la seule condition qu'exige le problème précédent pour être général, lorsqu'il s'agit d'augmenter le nombre des rangs d'une troupe ou d'un bataillon c'est que le rang puisse être divisé en autant de parties égales que l'on veut avoir de rangs ? mais pour le diminuer ce n'est pas assez de cette premiere condition, il faut encore que les haies se divisent par le même nombre.

Quelque nécessaires que soit cette circonstance, elle ne paroît pas avoir été remarquée par les écrivains militaires.

II. Il y a des méthodes différentes dans plusieurs circonstances, pour changer le nombre des rangs du bataillon, c'est-à-dire pour les augmenter & pour les diminuer. Voici les exemples qu'en donne M. Bottée.

" Etant à 4 se mettre à 2 étant à 8 se mettre à 4, étant à 16 se mettre à 8, étant à 20 se mettre à 10, étant à 24 se mettre à 12, étant à 12 se mettre à 6, étant à 6 se mettre à 3, étant à 18 se mettre à 9, doublez les rangs par demi-files.

Au contraire, dit cet auteur, étant à 2 se mettre à 4, de 4 à 8, de 8 à 16, de 10 à 20, de 5 à 10, de 12 à 24, de 6 à 12, de 3 à 6 : doublez les files par le côté ou en queue.

Etant à 4 se mettre à 6 ou à 12 : à 3 à 9, & à 18 : triplez les files, vous serez à 12 : doublez les rangs par demi-files, vous serez à 6 : doublez-les encore de même, vous serez à 3 ; puis triplez les files, vous serez à 9 : enfin doublez les files, vous serez à 18.

Pour se remettre à 15 de hauteur, lorsqu'on est à 4, il faut se mettre à 5 par la regle générale " (c'est ainsi que M. Bottée appelle la méthode du problème précédent) ; " & à 15 en triplant les files ".

III. Malgré la simplicité & la facilité de ces méthodes, on peut en trouver d'autres dont l'éxécution, dans plusieurs cas, ne souffrira pas plus de difficulté.

Par exemple, si l'on a une troupe rangée sur quatre rangs, & qu'on veuille la mettre à cinq, on divisera les rangs en cinq parties égales : on fera marcher la cinquieme partie de la droite ou de la gauche du bataillon en arriere, jusqu'à ce que le premier rang de cette partie dépasse le dernier des quatre autres, de l'intervalle qui doit être entre les rangs : on fera faire un quart de conversion à cette partie, de maniere que son dernier rang devenu le premier, soit dans l'alignement du flanc des quatre autres du même côté : on ouvrira les rangs de la cinquieme partie, & on leur fera border la haie, & faire ensuite un quart de conversion, pour former le cinquieme rang demandé.

Cette méthode sera toûjours très facile pour augmenter d'un rang le nombre des rangs d'un bataillon : elle peut servir aussi à les augmenter de deux rangs, en faisant sur deux divisions des rangs ce que l'on vient de faire sur une, mais elle a l'inconvénient de déranger l'ordre & l'arrangement des soldats d'une même compagnie ; inconvenient auquel on fait beaucoup plus d'attention à-présent qu'autrefois, & dont la rectification est vraisemblablement dûe aux observations de M. le maréchal de Puységur sur ce sujet. Voyez le chapitre xj. de l'art de la guerre de cet illustre auteur, tom. I. sur l'arrangement des compagnies & des officiers dans le bataillon.

Pour diminuer de même le nombre des rangs d'une troupe ou d'un bataillon ; par exemple, pour le mettre à trois lorsqu'il est à quatre.

On divisera le dernier rang C D (figure 60.) en deux également ; on leur fera faire demi-tour à droite, & l'on fera décrire un quart de conversion à chaque demi-rang CE, DF vers les ailes, les extrémités C & D étant prises chacune pour pivot. Ce mouvement étant exécuté, le demi-rang C E de la droite occupera la ligne droite C G, & celui de la gauche, DH.

On fera avancer ces demi-rangs d'un petit pas ou environ, & on les partagera en trois parties égales. On fera décrire un quart de conversion à chacune de ces parties ; savoir, à celle de la droite CG, à droite sur le talon gauche & à celle de la gauche D H, à gauche sur le talon droit ; & on leur ordonnera de marcher en avant, pour aller se placer à côté des ailes des trois premiers rangs ; &c.

IV. Ce mouvement peut être un peu long à exécuter lorsque les rangs du bataillon sont fort étendus ; car s'ils occupent, par exemple, un espace de quarante toises, les demi rangs en occuperont vingt ; & les soldats E & F les plus éloignés des pivots C & D, décriront chacun dans le quart de conversion des lignes d'environ soixante toises, ce qui ne peut manquer de rendre leur mouvement fort lent ? mais on peut en abreger l'exécution en faisant faire à-droite à la moitié du dernier rang de la droite, & à-gauche à celle de la gauche ; après quoi les faisant marcher devant eux, de maniere que lorsque chaque tiers du demi-rang aura dépassé les files de la droite & de la gauche, il fasse un quart de conversion pour aller se placer à la droite & à la gauche des trois premiers rangs qui n'ont bougé, &c.

V. Il faut observer que pour que ce mouvement se fasse exactement, il faut que le nombre des soldats des rangs puisse se diviser en six parties égales ; autrement il y aura des divisions inégales qui rendront le mouvement dont il s'agit moins régulier.

ARTICLE XII.

De la formation des Bataillons.

I. Du bataillon quarré. La formation ordinaire du bataillon sur deux dimensions inégales, est la plus ordinaire & la meilleure, lorsqu'on a plusieurs bataillons à placer les uns à côté des autres, ou lorsque les flancs ne peuvent être attaqués ? mais si l'on est exposé aux attaques de l'ennemi de différens côtés à-la fois, & dans un pays découvert, la forme ordinaire du bataillon n'est pas propre à en distribuer ou partager la force également ; il faut donc dans ces circonstances s'appliquer à réunir les soldats, pour les mettre en état de s'aider réciproquement pour soûtenir les efforts de l'ennemi de tous les différens côtés qu'il peut attaquer.

De toutes les figures qu'on peut faire prendre alors au bataillon pour faire feu de tous côtés, la plus simple, & celle qui a été la plus estimée & la plus pratiquée jusqu'à présent, est celle du quarré (voyez BATAILLON QUARRE), où l'on a donné la maniere de trouver par le calcul le côté de ce bataillon, lorsque le nombre d'hommes dont on veut le composer, est donné. Il s'agit d'expliquer ici la méthode de changer sa forme ordinaire en quarré par des mouvemens réguliers.

PREMIER PROBLEME.

Un bataillon ou une troupe quelconque d'Infanterie étant en bataille, en former un bataillon quarré à centre plein.

On suppose que celui qui veut faire exécuter cette évolution à une troupe, fait l'extraction de la racine quarrée, pour trouver le côté du nombre quarré donné, ou, ce qui est la même chose, du nombre d'hommes dont le bataillon est composé.

Résolution. On commencera par trouver par le calcul le côté du quarré donné, ou le côté du plus grand quarré contenu dans le nombre d'hommes donné, lorsque ce nombre ne forme pas un quarré parfait.

On mettra ensuite la troupe par différens doublemens de files, à la hauteur la plus approchante qu'on pourra de celle qu'elle doit avoir étant disposée en quarré.

On prendra après cela la différence du front auquel elle sera réduite à celui qu'elle doit avoir dans le quarré ? & l'on fera marcher cette différence sur le derriere de la troupe, pour y former autant de rangs qu'il sera nécessaire pour rendre les files de la troupe égales aux rangs, lorsque le nombre d'hommes dont elle sera composée, sera un quarré parfait ; ou pour former autant de rangs qu'on pourra, lorsqu'il ne le sera pas.

Soit, par exemple, un bataillon de 400 hommes rangés à quatre de hauteur, ou sur quatre rangs dont on veut former un bataillon quarré. Les rangs seront de cent hommes chacun, & les files de quatre.

On cherchera la racine quarrée de ce nombre, & l'on trouvera 20 pour sa valeur, sans reste ; ce qui fait voir que le nombre proposé, 400, est un quarré parfait : en effet, 20 multipliés par 20, donnent 400 pour produit.

Cette premiere opération fait voir que lorsque le bataillon sera disposé en quarré, ses rangs & ses files seront chacun de 20 hommes, racine quarrée de 400.

On doublera les files autant de fois qu'on le pourra, pour approcher de la hauteur du nombre 20.

Après le premier doublement, les rangs seront réduits à 50 hommes, & les files en auront huit.

En doublant les files encore une fois, les rangs auront vingt-cinq hommes, & les files seize, nombre le plus approchant de vingt qu'il est possible de trouver de cette maniere ; car si on les doubloit encore une fois, elles seroient à trente-deux, qui excede ou surpasse le nombre vingt qu'elles doivent avoir. D'ailleurs ce dernier doublement ne pourroit plus s'exécuter, à cause du nombre impair vingt-cinq auquel le second doublement a réduit les rangs, dont on ne peut prendre la moitié.

La troupe ou le bataillon étant par le second doublement à vingt-cinq de front & seize de hauteur, on ôtera de vingt-cinq le nombre d'hommes vingt du front du quarré ; il restera cinq files de seize hommes chacune, qu'on fera marcher à la queue de la troupe, & dont on formera quatre rangs de vingt hommes chacun, &c.

Il est évident que par cette formation on construira toutes sortes de bataillons quarrés à centre plein ; lorsque le nombre d'hommes qu'on aura, sera un quarré parfait.

Cette même regle pourra même avoir lieu, quel que soit le nombre d'hommes du bataillon ; il en résultera seulement quelque petite différence dans ses deux dimensions, lorsque les hommes dont il sera composé n'auront point de racine quarrée exacte, ou, ce qui est la même chose, ne formeront point un quarré parfait.

Soit, par exemple, un bataillon de 480 hommes, dont la racine quarrée est 21 avec le reste 39.

Supposons qu'on veuille en former un bataillon quarré à centre plein.

Supposons aussi que ce bataillon soit d'abord rangé sur quatre rangs de 120 hommes chacun.

On doublera deux fois les files pour les mettre à seize, comme dans l'exemple précédent : les rangs seront réduits par ce doublement à trente soldats.

On ôtera de ce nombre trente le côté du quarré vingt-un ; il restera neuf files de seize hommes chacune, qu'on fera passer à la queue, pour y former autant de rangs qu'elles contiennent de fois vingt-un, c'est-à-dire six rangs, qui étant ajoûtés aux seize premiers, feront vingt-deux rangs : ainsi le bataillon formera dans cette position un quarré long qui différera très-peu du quarré, & qui en aura les mêmes propriétés & la même force, attendu que ses deux dimensions ne différeront que d'un seul homme ; l'une ayant vingt-un soldats, & l'autre vingt-deux, il reste après cette formation dix-huit hommes, dont on peut former un peloton sur quelqu'un des angles du bataillon.

On n'entre point dans le détail de la formation des rangs qu'on place à la queue du front de la troupe, pour rendre sa hauteur égale à ce front. On peut le faire de différentes manieres ; la plus simple & la plus courte, paroît être de faire faire d'abord demi-tour à droite à la partie du bataillon qui doit se poster ou se placer derriere l'autre partie ; & ensuite de faire marcher au dernier rang devenu le premier, un pas en-avant, & de lui faire faire un quart de conversion qui le place derriere la partie du bataillon dont il vient d'être séparé ; faire avancer de même le second rang, ou l'avant-dernier, à côté du premier, &c.

On peut former le bataillon à centre plein d'une autre maniere, en faisant former des haies au bataillon, avec lesquelles on puisse ensuite former autant de rangs qu'il est nécessaire pour que les hommes de ces rangs soient en nombre égal à celui des files ; ce qui étant exécuté, il est évident qu'on a le bataillon quarré.

Soit, par exemple, le bataillon donné de quatre cent hommes, dont le front est de cent, c'est-à-dire qui est rangé à quatre de hauteur. La racine quarrée de ce nombre est vingt. On formera autant de haies que ce nombre est contenu dans le front cent, c'est-à-dire cinq dans cet exemple. Chacune de ces haies sera de quatre-vingt hommes : si on leur fait former des rangs par la vingtieme partie de ce nombre, qui est quatre, il est évident que le bataillon aura pour front cinq fois quatre hommes, qui font vingt, & que chaque file sera aussi de vingt.

Dans les cas où les divisions ne seroient pas justes, c'est-à-dire dont le front du bataillon ne contiendroit pas exactement la racine quarrée du nombre d'hommes dont il est composé, on se serviroit, dit M. Bottée qui enseigne cette formation du bataillon quarré, de la derniere division à gauche, pour former les rangs & les files qui manqueroient.

Cet auteur donne une autre maniere de former le bataillon quarré à centre plein, qui paroît plus simple que les précédentes, & qui s'exécute par un seul commandement.

Il s'agit de rompre le bataillon par divisions égales à la racine quarrée du nombre d'hommes dont est le bataillon, & de faire ensuite serrer les rangs à la pointe de l'épée.

Ainsi le bataillon étant, par exemple, de quatre cent hommes, dont la racine quarrée est vingt, & ce bataillon étant à quatre de hauteur, on le rompra par divisions de vingt soldats de front, c'est-à-dire en cinq parties, qui étant placées les unes derriere les autres, les rangs serrés à la pointe de l'épée donneront le bataillon quarré, qui aura vingt hommes de front & autant de profondeur.

Si le nombre d'hommes du bataillon que l'on veut former en quarré, n'est pas un quarré parfait ; qu'il soit, par exemple, de 480, dont la racine quarrée est entre 21 & 22 ; si ce bataillon est à quatre de hauteur, ses rangs seront de 120 hommes : on le rompra par divisions de 21 hommes, racine du plus grand quarré contenu dans 480.

Il y aura cinq divisions du front de 21, & une sixieme de 15. Ces cinq premieres divisions étant placées les unes derriere les autres, serrées à la pointe de l'épée, formeront une troupe de vingt-un hommes de front, & de vingt de hauteur ou profondeur. A l'égard de la sixieme, de quinze de front, on la placera à la queue, en formant avec le nombre d'hommes qu'elle contient, autant de rangs qu'on pourra, c'est-à-dire deux dans cet exemple : il restera dix-huit hommes dont on pourra former des pelotons sur les angles, ou un dernier rang plus ouvert que les autres ; ce qui peut se faire sans inconvénient.

Lorsque le bataillon quarré à centre plein est formé, il s'agit de lui faire faire face de tous côtés, de maniere que chaque côté ait exactement la même défense & le même feu.

Rien n'est plus aisé que de donner cette disposition aux quatre premiers rangs qui forment les côtés extérieurs du quarré : mais il n'en est pas de même pour la leur donner conjointement avec les côtés intérieurs.

Voici la méthode que prescrit M. Bottée pour cet effet.

Il faut d'abord faire présenter les armes en tête & en queue par demi-files.

Ensuite faire marquer par deux sergens, l'un en tête & l'autre en queue, les hommes qui doivent faire à-droite, & ceux qui doivent faire à-gauche ; savoir,

Au premier rang, un de l'aile gauche à gauche.

Au second, deux à gauche & un à droite.

Au troisieme, trois à gauche & deux à droite, & ainsi de suite dans le même ordre sur chaque demi-file de la tête & de la queue.

Pour aller plus vîte on peut mettre deux sergens à chaque aile, dont l'un disposera les soldats de chaque demi-file de la tête, dans l'ordre qu'on vient d'expliquer ; & l'autre ceux de la queue, &c.

Il faut observer, 1°. à l'égard des demi-files du bataillon qui font face en queue, que leur aile gauche est dans la file de l'aile droite qui fait face en tête, & l'aile droite dans la file de la gauche des demi-files de la tête.

2°. Que quand les files ou les rangs sont en nombre impair, il est indifférent que le rang du milieu se tourne pour faire face à la queue du bataillon, ou qu'il reste dans sa premiere position, parce qu'il se trouvera toûjours que le soldat du milieu de ce rang fera indifféremment face en tête ou en queue, & que les deux parties ou les deux moitiés du même rang feront, l'une face à droite, & l'autre face à gauche.

Nous n'entrerons pas dans un plus grand détail sur le bataillon quarré à centre plein.

Il est aisé d'observer que ce bataillon, pour peu qu'il soit un peu considérable, ne peut se mouvoir que très-difficilement ; que les soldats des rangs intérieurs au-delà du quatrieme, ne peuvent faire usage de leur feu, & que le canon ne peut manquer d'y causer beaucoup de desordre.

Par ces differentes considérations nous ne parlerons point des autres bataillons à centre plein ; c'est-à-dire, ni des triangulaires, ronds, octogones, rhombes, &c. nous renvoyons ceux qui voudront en étudier la formation, au livre de M. Bottée, intitulé Etudes militaires.

Des bataillons à centre vuide. Les bataillons à centre vuide ont un plus grand front que les pleins, & par conséquent ils peuvent opposer un plus grand feu à l'ennemi : l'on peut d'ailleurs enfermer dans leur intérieur, ou dans le vuide qui est au centre, l'artillerie, le thrésor de l'armée, des bagages, & différentes autres choses que l'on veut conserver, & dont on veut dérober la connoissance à l'ennemi.

Formation du bataillon quarré à centre vuide. Soit supposé un bataillon ordinaire A B C D (fig. 61.) de quatre cent hommes, non compris les grenadiers & le piquet, rangé sur quatre rangs de cent hommes chacun.

On partagera le front A B en huit divisions égales, ou à-peu-près égales, s'il ne peut se partager exactement dans ce nombre de parties.

Par exemple, le front A B étant de cent hommes, sa huitieme partie est de douze, & l'on a le reste quatre, c'est-à-dire que douze est contenu huit fois dans cent avec le reste quatre.

Pour faire disparoître ce reste quatre, on marquera les deux divisions du centre E F, de treize hommes chacune, ainsi que la division B G de la droite, & A H de la gauche.

On ordonnera ensuite à tout le bataillon de faire demi-tour à droite, afin que lorsque le quarré sera formé, le premier rang se trouve en-dehors du bataillon.

On commandera aux deux divisions du centre, que l'on considérera comme une seule division E F, de ne point bouger, & au reste du front de la droite & de la gauche, de faire ensemble un quart de conversion, savoir, au reste du front de la droite, devenu gauche par le demi-tour à droite, de faire un quart de conversion à droite ; & au côté de la gauche, devenu droite, de le faire à gauche.

Ce mouvement étant exécuté, l'on a trois côtés du bataillon ; pour avoir le quatrieme, il ne s'agit plus que de replier une partie des deux côtés qui viennent de faire un quart de conversion, de maniere qu'ils forment le quatrieme côté opposé à la division du centre.

Pour cet effet, on ordonne aux deux premieres divisions, de chacun de ces côtés, de ne point bouger, & aux divisions X & Y, qui les terminent, de faire ensemble un quart de conversion qui les joigne ensemble en V, pour fermer le bataillon.

Par ce dernier mouvement, les quatre côtés du bataillon sont formés, comme la figure le fait voir.

On ordonne à tous les hommes du bataillon de faire demi-tour à droite, pour faire face en-dehors du bataillon.

Le bataillon, après ces différens mouvemens, n'est pas encore entierement formé ; les angles ayant des espaces vuides, il faut les remplir pour qu'il soit régulierement quarré.

Pendant que le bataillon se forme de la maniere qu'on vient d'expliquer, les officiers des grenadiers & ceux du piquet, partagent chacun leur troupe en deux parties égales ; ce qui fait quatre troupes ou quatre pelotons (voyez PELOTONS), avec lesquels on remplit les angles du bataillon.

Pour évaluer le nombre d'hommes nécessaires pour remplir chacun de ces espaces, il faut en déterminer les dimensions.

Pour cet effet, soit l'un de ces angles rentrans à remplir a b c (fig. 62.) on imaginera une parallele f g au côté a b, à la distance de ce côté de deux piés, c'est-à-dire de l'épaisseur d'une file : on imaginera de même une autre parallele h l au côté b c, également éloignée de ce côté : on prolongera par la pensée les lignes qui forment les deux fonds du bataillon, jusqu'à ce qu'elles se rencontrent en d. On aura alors le quadrilatere f l h d à remplir.

Si l'on suppose que les rangs soient serrés à la pointe de l'épée, ils occuperont chacun avec leur intervalle un espace de trois piés ; ce qui donnera neuf piés pour la dimension d f ou h l, qui est égale à l'épaisseur des quatres rangs du bataillon, & sept piés pour l'autre d h ou f l, qui a deux piés de moins.

Présentement il faut observer que les hommes qui doivent remplir le quadrilatere f l h d, doivent former des rangs des côtés d f & d h, & que comme chaque soldat occupe dans le rang un espace à-peu-près de deux piés, le côté d f pourra contenir cinq hommes de front, & le côté d h, quatre en se serrant un peu sur a b & c g.

Ainsi il faudra huit hommes pour garnir les deux côtés d f & d h du quadrilatere f l h d, & le soldat qui sera en d, appartiendra également à chacun des côtés d f & d h.

On formera trois rangs en-dedans de ce quadrilatere, derriere chacun des deux premiers, à la distance de trois piés de ces premiers ; le tout ainsi qu'on le voit dans la figure où les points blancs ou les zéros représentent les soldats du peloton que l'on veut former.

On aura dix-sept hommes pour remplir l'angle dont il s'agit : on leur fera présenter les armes, comme les petites lignes tirées sur les zéros l'indiquent. A l'égard du soldat du sommet d, il peut indifféremment présenter ses armes du côté d f ou d h, ou suivant la diagonale du petit quadrilatere d f h l.

REMARQUES.

I. Si le bataillon proposé étoit à plus ou moins de hauteur, on évalueroit le nombre d'hommes dont on auroit besoin pour en remplir les angles, de la même maniere qu'on vient de le faire, en considérant quelles seroient les deux dimensions du quadrilatere qu'on voudroit remplir.

II. Lorsque le nombre d'hommes qu'on a pour chaque peloton des angles du quarré, est plus grand qu'il n'est nécessaire pour les remplir, on peut faire entrer dans le vuide du bataillon l'excédent, pour servir d'une espece de réserve propre à suppléer aux hommes qui pourroient ensuite manquer aux troupes ou pelotons auxquels ils appartiennent.

III. Il y a une autre maniere plus simple de former le bataillon quarré, sans avoir la peine de remplir les angles, comme dans la formation précédente.

Pour cet effet, il faut comprendre les grenadiers & le piquet dans les divisions du bataillon, en mettant à l'ordinaire les grenadiers à la droite du bataillon, & le piquet à la gauche.

Supposons le bataillon de treize compagnies, y compris les grenadiers, & regardant le piquet comme une autre compagnie, on aura quatorze compagnies de front : comme ce nombre de compagnies ne peut se partager exactement en huit divisions d'un nombre de compagnies complete s, on les divisera en cinq parties ; savoir, la premiere division à droite de deux compagnies ; la seconde, de trois ; la troisieme, de quatre ; la quatrieme, de trois ; & la cinquieme, de deux : cela posé, on fera faire demi-tour à droite à tout le bataillon : on ordonnera à la division du centre de ne point bouger, & aux deux autres divisions de la droite & de la gauche, de faire un quart de conversion, comme dans la formation précédente ; alors chaque division de deux compagnies, de la droite & de la gauche, fera un autre quart de conversion pour former le quarré.

Ce qui étant exécuté, on fera avancer les deux côtés du quarré de la droite & de la gauche en-dedans le bataillon, jusqu'à ce que le dernier rang de chacun de ces côtés, qui étoit le premier avant le demi-tour à droite, se trouve dans le prolongement ou l'alignement des files qui terminent la droite & la gauche de la division du centre, & le bataillon sera alors formé.

Si l'on suppose que les compagnies soient de quarante hommes, & qu'elles soient à quatre de hauteur, elles auront chacune dix hommes de front : la division du centre, composée de quatre compagnies, aura quarante hommes de front ; les deux côtés qui ont chacun trois compagnies, auront trente hommes de front ; mais étant entrées dans le bataillon, elles augmentent leur front de quatre hommes de l'aîle droite de la tête & autant de la queue, ce qui fait que ces côtés ont chacun trente-huit hommes de front ; mais les soldats de la droite & de la gauche de la tête & de la queue, qui augmentent le front des côtés, diminuent par-là la tête & la queue de deux soldats : donc il n'en reste que trente-huit pour ces côtés ; donc, &c.

REMARQUE.

L'instruction du 14 May 1754, se sert à-peu-près de cette même methode pour changer le bataillon ordinaire en colonne.

Cette colonne ou ce bataillon est à six de hauteur ; il est fermé du côté de la queue par le piquet : les grenadiers sont à la tête en-dehors ; ils ne font partie d'aucun des côtés du bataillon, & ils peuvent par conséquent se porter également vers celui de ces côtés qu'on juge à-propos. Voyez l'instruction qu'on vient de citer.

Il y a plusieurs autres manieres de former le bataillon quarré à centre vuide ; on se bornera à en ajoûter ici une, qui paroît plus générale que celle qu'on vient d'expliquer, mais aussi qui exige la connoissance de l'extraction de la racine quarrée que cette derniere ne suppose point.

Soit une troupe d'infanterie d'un nombre quelconque d'hommes, comme de douze cent, dont on veut faire un bataillon quarré, qui paroisse, par exemple, de trois mille six cent hommes ; il s'agit d'abord de trouver la hauteur qu'on doit donner à ce corps de troupes.

On commencera par extraire la racine quarrée de trois mille six cent : on la trouvera de soixante : on multipliera ce nombre par deux, ce qui donnera cent vingt pour le produit : on multipliera aussi soixante moins deux, ou cinquante-huit par deux, ce qui donnera cent seize, qui étant ajoûtés à cent vingt, font deux cent trente-six : ce nombre est le front que doivent former les douze cent hommes proposés en bataille, pour les transformer ensuite en bataillon quarré.

Le front du bataillon ou de la troupe de douze cent hommes, étant ainsi trouvé, on aura sa hauteur ou le nombre de ses rangs, en divisant douze cent par deux cent trente-six, c'est-à-dire la somme ou le nombre de tous les hommes de la troupe, par le nombre de ceux qui forment le front ; faisant cette division, on trouvera le nombre de cinq pour le quotient : c'est le nombre des rangs que doit former la troupe proposée : il reste vingt hommes, qu'on pourra, après la formation du bataillon, placer en pelotons à quelques-uns de ses angles pour le couvrir, ou mettre dans le vuide ou le centre, pour servir à remplacer les pertes que peut faire le bataillon.

Maintenant pour former le bataillon quarré, on fera mettre la troupe de douze cent hommes à cinq de hauteur : on la divisera ensuite en quatre parties ; savoir, la premiere à droite de cinquante-huit hommes de front, la seconde de soixante, la troisieme de cinquante-huit, & la quatrieme de soixante.

On fera faire demi-tour à droite à la partie de la droite & aux deux de la gauche, & l'on ordonnera à ces trois parties de faire un quart de conversion ; savoir, à la premiere de la droite, à droite, c'est-à-dire vers la gauche de la premiere position, & aux deux parties de la gauche, à gauche ou vers la droite de leur premiere position.

Ce premier mouvement étant exécuté, il ne s'agira plus pour former le bataillon quarré, que de faire faire à la derniere division, un deuxieme quart de conversion dans le même sens que le premier ; alors les divisions soixante & soixante seront opposées, ainsi que celles de cinquante-huit & cinquante-huit, qu'on fera entrer dans le bataillon, jusqu'à-ce que les premiers rangs de ces parties, devenus les derniers par le demi-tour à droite, se trouvans dans l'alignement des files qui terminent la droite & la gauche des deux derniers de soixante.

On fera faire après cela face en-dehors aux divisions qui ont fait le demi-tour à droite, & l'on aura le bataillon quarré demandé, qui paroîtra de trois mille six cent hommes, dont chaque côté sera de soixante hommes, & la hauteur de cinq.

Si l'on fixoit la hauteur ou le nombre des rangs de chaque côté du bataillon ; si l'on vouloit par exemple que les troupes y fussent à six de hauteur, il faudroit diviser le nombre d'hommes donnés douze cent par six. On auroit deux cent hommes pour chaque rang ou pour le front du bataillon à réduire en quarré.

Pour le faire, il faut ajoûter à ce nombre quatre unités, ce qui donnera deux cent quatre, dont le quart cinquante-un sera le côté du quarré demandé.

On le formera comme le précédent en divisant le front réel deux cent en quatre parties, dont la premiere sera de quarante-neuf hommes, la seconde de cinquante-un, la troisieme de quarante-neuf, & la quatrieme de cinquante-un.

Si l'on vouloit mettre le bataillon quarré à quatre de hauteur, il faudroit donner d'abord cette hauteur à la troupe proposée douze cent, ajoûter quatre unités à son front trois cent, ce qui fera trois cent-quatre, dont le quart soixante-seize sera le côté du quarré cherché. On le formera comme les précédens, en divisant le front en quatre parties, dont la premiere & la troisieme ayent deux unités de moins que la seconde & la quatrieme.

Si l'on veut savoir quel est le plus grand quarré apparent qu'on peut former avec une troupe d'un nombre d'hommes donnés, comme par exemple de douze cent, il est clair que ce plus grand quarré sera celui où les rangs de la troupe seront simples, c'est-à-dire dont chaque côté ne sera formé que d'un seul rang. C'est pourquoi comme le nombre d'hommes proposés composent le front de la troupe entiere, il faudra lui ajoûter quatre unités, ce qui donnera douze cent-quatre, dont le quart trois cent-un sera le côté du quarré qu'on pourra former avec douze cent hommes, & qui seroit, s'il étoit plein, de quatre-vingt-dix mille six cent-un hommes.

Après la formation du bataillon quarré, on pourroit à l'imitation de la plûpart des auteurs qui ont écrit sur les évolutions, donner celle des autres bataillons, comme celle des triangulaires, des ronds, des octogones, &c. Mais comme il ne doit pas être question ici d'un traité complet sur cette matiere, on reserve ce détail pour un ouvrage particulier, que l'on se propose de donner incessamment sur cette matiere, & qui aura pour titre Elémens des Evolutions, ou Motions militaires de l'Infanterie. On terminera ce long article par l'explication du mouvement appellé le Passage du défilé, ou du pont.

ARTICLE XIII.

Du Passage du défilé ou du pont.

Lorsqu'une troupe marche en ordre de bataille sur un grand front, & qu'elle est obligée de passer dans un lieu plus étroit, il faut nécessairement qu'elle se rompe pour proportionner son front à l'étendue ou à la largeur du passage ou du défilé dans lequel elle doit entrer. Ce passage est appellé défilé, lorsqu'il ne permet d'y passer que six ou huit hommes de front ; & comme la plûpart des ponts qu'on rencontre en campagne, & qu'on fait exprès pour le passage des troupes, n'ont guere plus de largeur, de-là vient apparemment que le mouvement nécessaire pour faire passer une troupe dans ces sortes de lieux étroits, a été appellé le passage du défilé ou du pont.

Il y a des défilés plus petits & d'autres plus larges ; la méthode de faire passer une troupe par un défilé capable de contenir six ou huit hommes de front, s'applique aisément à tous les autres défilés.

Il est évident qu'on peut faire passer un défilé à une troupe, par sa droite, sa gauche, ou son centre ; mais la meilleure façon est de le lui faire passer par le centre, ce qui s'exécute aisément lorsque le défilé a de largeur le double de la hauteur de la troupe ou du bataillon, parce qu'on peut alors faire passer en même tems une file de la droite & de la gauche, qui faisant ensemble un quart de conversion pour entrer dans le défilé, forment un rang du double de la hauteur de la troupe ; ce qui en fait avancer également les deux parties de la droite & de la gauche dans le défilé.

Soit A B C D (fig. 63.) un bataillon auquel on veut faire passer le pont XY de douze piés de largeur ; c'est-à-dire qui ne permet le passage qu'à six hommes de front à-la-fois. Soit supposé ce bataillon à trois de hauteur, & que le centre se trouve placé exactement devant le milieu du pont.

On prendra dans le centre une division de six hommes ; de façon qu'il y en ait trois du côté de la droite, & autant de celui de la gauche. On fera avancer cette division sur le pont, & l'on ordonnera au côté de la droite du reste du bataillon de faire à-gauche, & à celui de la gauche de faire à-droite ; chacune de ces aîles s'avancera ensuite d'un petit pas vers le centre, pour que les files qui suivent immédiatement celles de la droite & de la gauche de la division du centre qui occupe le pont, se trouvent dans le prolongement de ces files. Alors la file de la gauche de l'aîle droite, & celle de la droite de l'aîle gauche, feront chacune un quart de conversion pour former un rang de six hommes, qui marchera à la suite de la division du centre ; les autres files de chacune des aîles feront le même mouvement pour suivre les deux files précédentes ; & lorsqu'elles seront ainsi les unes derriere les autres, le bataillon formera une colonne dont le front sera double de la hauteur de la troupe, & la profondeur de la moitié du front du bataillon.

Cette colonne s'avance directement au-delà du pont autant qu'on le juge nécessaire pour pouvoir lui faire reprendre aisément son premier ordre de bataille.

On plante assez ordinairement des jalons a & b, dans l'alignement des deux côtés du pont, pour que la colonne ne s'écarte point dans sa marche de cette direction.

Lorsqu'on la trouve suffisamment avancée, on lui ordonne de s'arrêter.

On commande à la division du centre de ne point bouger ; aux demi-rangs de la droite de la colonne, de faire à-droite, & à ceux de la gauche, de faire à-gauche, & de former ensuite chacun un quart de conversion, savoir la division des demi-rangs de la droite à droite, & celle des demi-rangs de la gauche à gauche, pour aller reprendre leur premiere position à la droite & à la gauche de la division du centre, & la troupe se trouve ainsi remise dans le même ordre de bataille où elle étoit avant le passage du pont ou du défilé. Voyez la seconde disposition de la fig. 63.

Cette évolution peut s'exécuter encore de la maniere suivante, par laquelle on augmente plus promtement le front de la division du centre, ce qui peut être plus avantageux lorsqu'on est à portée d'être attaqué au-delà du passage ou du défilé.

Soit encore (fig. 64) le bataillon A B C D qui doit passer le pont ou le défilé XY. On suppose que le centre de ce bataillon se trouve exactement placé vis-à-vis le milieu du défilé, qui peut contenir de front le double d'hommes de la hauteur du bataillon. On suppose aussi que ce bataillon est à trois de hauteur.

On marquera la division du centre composée dans ces exemples de six files dont trois seront du côté de la droite, & trois du côté de la gauche.

On fera avancer ces six files dans le défilé, & l'on ordonnera au reste des demi-rangs de la droite de faire à gauche, & à celui de la gauche de faire à-droite.

Alors les files de ces demi-rangs feront face l'une à l'autre ; & à mesure que celles du centre avanceront, celles de la droite & de la gauche qui suivent immédiatement la division du centre, marcheront jusqu'à ce qu'elles le trouvent dans l'alignement des files qui la terminent à droite & à gauche. Lorsqu'elles y seront parvenues, elles feront un quart de conversion de part & d'autre pour former un rang, & elles suivront la division du centre ; les autres files qui les suivent feront le même mouvement, comme dans l'exemple précédent. Mais ce qui rend cette évolution différente, c'est qu'au lieu de faire avancer la division du centre assez au-delà du défilé pour que tout le bataillon soit en colonne, on ne la fait marcher qu'à une distance un peu plus grande que le double de la hauteur du bataillon, & l'on ordonne à la division égale qui la suit, c'est-à-dire dans cet exemple aux trois rangs qui la suivent immédiatement, composés de trois files du côté droit, & d'autant de files du côté gauche, de faire à-droite & à-gauche par demi-rang, & de marcher ensuite devant eux pour aller se placer à la droite & à la gauche de la division du centre.

Les trois rangs qui les suivent immédiatement font le même mouvement, & de cette maniere la troupe se reforme à droite & à gauche par des divisions de la hauteur du bataillon. Voyez la seconde disposition de la figure 64.

REMARQUES

I. Pour exercer les troupes à cette évolution, on fait placer à quatre ou cinq toises en-avant du centre six sergens à droite & autant à gauche, faisant face les uns aux autres.

Ils laissent entr'eux la largeur qu'on veut supposer à un défilé, & l'on y fait passer le bataillon de la maniere qu'on vient de l'expliquer. On le fait reformer ensuite par la premiere ou la seconde des deux méthodes précédentes.

II. Il est évident que dans cette évolution on ne dérange point l'ordre des soldats, ni des compagnies. Elles se trouvent ensemble en colonne comme dans l'ordre de bataille ordinaire au bataillon.

III. Lorsque le défilé n'a de largeur que pour le passage d'une file de front, c'est-à-dire pour trois soldats, si le bataillon est à trois de hauteur, pour quatre s'il est à quatre, &c. on le passe par files de cette maniere.

On fait marcher les trois files du centre dans le défilé, & l'on fait faire à-gauche à l'aîle droite, & à-droite à l'aîle gauche. La file qui suit immédiatement à droite la division du centre, fait un petit pas en-avant, & un quart de conversion à gauche, qui la met à la suite des divisions du centre avec lesquelles elle s'avance dans le défilé.

La file de la droite de l'aîle gauche s'avance aussi d'un petit pas comme la précédente, & elle se met à sa suite par un quart de conversion à droite.

Chacune des files de l'aîle droite & de l'aîle gauche du bataillon, fait alternativement le même mouvement pour entrer dans le défilé. Lorsque la premiere de la gauche de l'aîle droite se trouve au-delà, elle fait à droite, & elle marche devant elle jusqu'au serre-file où le soldat de la queue dépasse d'environ un petit pas le serre file de la droite de la division du centre. Alors elle fait un quart de conversion à gauche pour aller reprendre sa premiere position à côté de la file de la droite du centre.

La file de la droite de l'aîle gauche qui la suit immédiatement, fait aussi-tôt sa sortie du défilé, ou lorsqu'elle a joint la queue de la division du centre, un à-gauche. Ensuite elle marche devant elle, pour que le soldat qui la termine dépasse d'environ un pié le serre-file de la file de la gauche du centre ; puis elle fait un quart de conversion à droite pour reprendre sa premiere position à la gauche de la division du centre.

Ensuite la file de la droite qui suit immédiatement, va se replacer à la droite de la même maniere ; celle de la gauche qui suit à la gauche, & toutes les files de la droite & de la gauche faisant ainsi le même mouvement, le bataillon se trouve reformé au-delà du défilé, comme dans la seconde méthode précédente.

IV. Quoique dans le passage du défilé précédent, on dise qu'on ne fait passer qu'une ou deux files, suivant sa largeur, il est aisé néanmoins d'observer, qu'il y en passe réellement autant que le défilé peut contenir d'hommes de front. Mais ces files ne sont point celles de la premiere disposition du bataillon. Elles sont formées des rangs qui deviennent files dans le défilé, comme les files y deviennent rangs. Or il n'y passe qu'un de ces rangs à la fois, composé d'une ou deux files, c'est-à-dire qu'il n'y passe qu'une ou deux files de la premiere position : mais il y en passe autant de la seconde, que la largeur du défilé peut en contenir.

V. Lorsqu'on a un bataillon en bataille sur quatre ou six de hauteur, on peut le mettre en colonne ou lui donner beaucoup plus de profondeur que de front, en se servant de l'évolution précédente, c'est-à-dire en faisant d'abord mouvoir le centre en-avant, & lui donnant pour front celui que doit avoir la colonne, & le faisant suivre ensuite par les aîles de la droite & de la gauche du bataillon de la même maniere que pour le passage du défilé ou du pont.

M. Bottée, après avoir traité fort au long du passage du défilé, termine l'article où il en fait mention, par les réfléxions suivantes que nous croyons devoir rapporter.

" Ces choses paroissent si simples, dit cet auteur, qu'on croiroit qu'il est presque superflu de les écrire ; mais ceux qui ont fait la guerre, connoissent de quelle importance il est de défiler avec ordre. On gagne un tems considérable par-là, & rien n'est plus précieux que le tems devant l'ennemi, soit pour ménager sa retraite, soit pour s'assûrer de la victoire ".

Notre intention étoit de terminer ici cet article ; mais l'ordonnance sur l'exercice de l'infanterie du 6 Mai 1755, qui vient de paroître, nous engage, pour le rendre plus complet, à y ajoûter la formation de deux colonnes dont elle fait mention, c'est-à-dire de la colonne d'attaque, & de celle de retraite.

De la colonne d'attaque. Avant d'expliquer cette évolution, il faut observer :

1°. Que les bataillons, depuis la réforme faite après la paix d'Aix-la-Chapelle en 1748, sont de douze compagnies de quarante hommes chacune, en y comprenant deux sergens & un tambour, & qu'ils ont de plus une compagnie de grenadiers de quarante-cinq hommes.

2°. Que les douze premieres compagnies qui forment le bataillon sont réunies deux à deux ; ensorte qu'elles divisent le bataillon en six parties, ou divisions de deux compagnies chacune, non compris les grenadiers.

Deux compagnies réunies sont appellées compagnies couplées, & le corps qui en résulte se nomme peloton.

Il suit de-là que le bataillon est composé de six pelotons, & d'une compagnie de grenadiers ; elle doit être immédiatement à la droite du bataillon quand il est formé par la droite, & à la gauche lorsqu'il est formé par la gauche.

Le piquet du bataillon est toûjours, lorsque le bataillon est en bataille, au côté ou au flanc opposé à celui qu'occupent les grenadiers. Voyez PIQUET.

Les bataillons auxquels on veut faire former la colonne dont il s'agit ici, ou qu'on veut exercer aux autres évolutions, doivent être à six de hauteur, suivant l'ordonnance du 6 Mai 1755, qui confirme en cela la disposition de l'instruction du 14 Mai 1754. Cette colonne doit être de deux bataillons.

Formation de la colonne d'attaque. Soient les deux bataillons A B & C D (fig. 65.) rangés en bataille sur la même ligne, & éloignés l'un de l'autre de l'intervalle que les piquets, qu'on a supprimés dans cette figure, devroient occuper.

Ces deux bataillons sont divisés en pelotons, dans l'ordre prescrit par les reglemens qu'on vient de citer ; savoir le premier peloton à la droite du bataillon A B, formé par la droite ; le second à la gauche, &c. & les grenadiers G à la droite du 1er peloton.

Le second bataillon formé par la gauche, a son premier peloton à la gauche, le second à l'aîle droite, & la compagnie de grenadiers à la gauche.

Le piquet du premier bataillon devroit être à la gauche de ce bataillon, & celui du second à la droite du sien ; ils ne s'y trouvent point, parce que lorsqu'on veut former la colonne, on le fait rentrer dans le bataillon.

Pour cet effet, le major ayant fait le calcul de la force des deux bataillons, en y comprenant les piquets, fait avertir les commandans des pelotons de les égaliser, en les mettant à un même nombre de files, lequel il fixera ; & chaque commandant de peloton doit en faire informer les officiers de serre-file.

" Aussi-tôt après cet avertissement, les capitaines des piquets leur feront faire demi-tour à droite, marcher huit pas en-arriere de deux piés chacun, & faire ensuite à-droite & à-gauche, pour aller se disperser derriere leur bataillon, chaque soldat à portée de sa compagnie.

Les commandans des pelotons dont le nombre des files excédera celui que le major aura fixé, feront passer cet excédent derriere le sixieme rang ; & dans les pelotons qui auront moins de files qu'il n'aura été ordonné, les officiers de serre-file feront entrer le nombre de soldats nécessaires pour les complete r, prenant de préférence ceux de leur peloton qui étoient de piquet, & après eux ceux des compagnies les plus voisines qui ne seront point employés. "

Pendant cette opération, le major fait ouvrir les bataillons à droite & à gauche, autant qu'il est nécessaire pour y introduire les files qui doivent servir à égaliser les pelotons.

A l'égard des soldats surnuméraires qui ne sont point admis dans les pelotons, dès que le major fait les commandemens nécessaires pour former la colonne, ils font à-droite & à-gauche pour aller se former sur trois rangs au centre de l'intervalle des bataillons, c'est-à-dire vers V, " Ils doivent être commandés par un lieutenant, s'ils ne sont pas plus de trente hommes ; & par un capitaine avec un lieutenant, s'ils sont en plus grand nombre ; & ces officiers seront de ceux qui étoient auparavant de piquet, les autres se trouvant à leurs compagnies ".

Après cette préparation le major commandera.

1. Prenez garde à vous pour former la colonne d'attaque.

2. Je parle aux premiers pelotons.

3. Marche.

Au dernier commandement, les premiers pelotons de chacun des deux bataillons A B & C D, marcheront en-avant, en F & en H, par huit pas redoublés (a), qui font seize piés, ou environ cinq pas de trois piés.

Le premier F fera ensuite à gauche, & le second H à droite, & ils marcheront après cela pour se réunir en X & Y, vis-à-vis le centre de leur intervalle ; où s'étant joints, ils feront face en tête, & ils marcheront en-avant vers T, T ; pour former la tête de la colonne.

Les troisiemes pelotons de chaque bataillon feront de même que les deux précédens, huit pas redoublés en-avant, aussi-tôt que ces pelotons auront passé devant eux, & ils marcheront ; savoir, celui du bataillon de la droite par son flanc gauche, & celui de la gauche par le flanc droit, pour suivre les deux premiers pelotons, & se réunir derriere eux, après avoir fait face en tête étant arrivés en X & Y.

Cette manoeuvre se fera de même successivement par les cinquiemes pelotons de chaque bataillon, puis par les sixiemes, les quatriemes, & les deuxiemes. Comme ces derniers doivent fermer la colonne, ils ne marchent point d'abord en-avant ; mais aussi-tôt que les quatriemes pelotons les ont dépassés, le premier A avance en Z par le flanc gauche, le second B par le flanc droit ; & lorsqu'ils se sont ainsi réunis, ils font face en tête, & ils marchent à la suite des quatriemes pelotons.

REMARQUES.

I. Il est évident qu'au lieu de faire passer ainsi successivement les pelotons devant le front du bataillon, on peut les faire passer à la queue, c'est-à-dire derriere le sixieme rang : pour cet effet il suffit de commander aux deux bataillons de faire demi-tour à droite, avant de leur ordonner de marcher.

" Les officiers & sergens des premiers pelotons qui sont en serre-file, iront joindre au premier commandement ceux qui sont à la tête de leur premier rang ; ceux des deuxiemes pelotons passeront en serre-file : dans les autres pelotons, ils ne quitteront leur place ordinaire que lorsque leur peloton ayant longé le front du bataillon, la file de la gauche ou de la droite arrivera derriere le peloton qui le précede ; alors ils s'arrêteront pour se trouver tous en colonne lorsqu'elle sera formée, observant de s'y partager également, afin d'occuper les flancs de tous les pelotons. A l'égard des commandans des bataillons, ils se placeront à la tête de la colonne ". Ordonn. du 6 Mai 1755.

(a) On appelle pas redoublés, des pas de deux piés, qu'on doit faire dans le tems qu'on feroit un pas ordinaire, c'est-à-dire pendant la durée d'une seconde. Voyez PAS.

III. Le peloton composé des soldats surnuméraires, se placera en S derriere la colonne, à quatre pas de deux piés en-arriere de son dernier rang : ce peloton sera sur trois rangs.

IV. La compagnie G de grenadiers du bataillon A B de la droite, ayant fait à-gauche au commandement de marche, occupera successivement le vuide que le départ des pelotons laissera à sa gauche, & elle arrivera ainsi sur le flanc droit de la queue de la colonne, au dernier rang de laquelle elle appuiera la file gauche de son premier rang à deux pas de deux piés, en-dehors de l'éloignement du flanc droit de la colonne ; comme on le voit en G. A l'égard des grenadiers du bataillon de la gauche C D, ils viendront se placer de même en G sur le front gauche, à la queue de la colonne. Ces deux compagnies ont, dans la figure, plus de front que les pelotons ; parce qu'elles sont à trois de hauteur, & qu'elles sont plus nombreuses que les autres du bataillon.

V. Les tambours, à l'exception de deux qui se tiendront aux deux côtés de la colonne, se placeront à droite & à gauche du peloton surnuméraire S.

VI. La colonne ainsi formée, aura deux pelotons de front & six de profondeur ; c'est-à-dire environ vingt-quatre soldats de front, & trente-six de profondeur.

VII. La colonne se divise en trois sections ; la premiere, composée des premiers & troisiemes pelotons ; la seconde, des cinquiemes & sixiemes ; & la derniere, des quatriemes & deuxiemes. Ces sections, soit en marchant ou lorsque la colonne est arrêtée, doivent toûjours conserver quatre pas de deux piés, de distance entr'elles.

On peut voir dans l'ordonnance du 6 Mai 1755, que nous avons presque copiée jusqu'ici, quels sont les signaux prescrits pour la faire marcher de différens sens, & la maniere de la rompre pour la remettre en bataille.

Ceux qui connoissent le traité de la colonne de M. le chevalier de Folard, s'appercevront aisément que la précédente a beaucoup de rapport à celle que propose cet habile officier. Elle n'en differe guere.

1°. Qu'en ce que M. de Folard compose la sienne depuis un bataillon jusqu'à six, & que celle dont il s'agit n'en doit avoir que deux.

Et 2°. en ce que cet auteur veut qu'on introduise des armes de longueur dans les corps qui composent sa colonne, comme des especes de piques ou de pertuisanes de onze piés de long. Ces armes doivent être dispersées, de maniere qu'au premier rang de chaque section, & aux deux premieres files des flancs, ou (comme l'auteur les appelle) des faces de la colonne, il y ait un piquier entre deux fusiliers, afin de fraiser ainsi d'armes de longueur les côtés extérieurs de la colonne ; pour en rendre l'approche plus respectable à la cavalerie.

Il est certain qu'un corps d'infanterie comme la colonne, armé & disposé de même, ne pourra être entamé que très-difficilement par de la cavalerie, qu'il pourra percer, & culbuter les autres corps qui lui seront opposés, rangés à la methode ordinaire sur un grand front & peu de profondeur : c'est principalement dans ces sortes de cas, c'est-à-dire lorsqu'on peut approcher de l'ennemi & le charger, que l'on peut tirer de grands avantages de la colonne : car s'il s'agit d'action de feu, elle y est moins propre que le bataillon ordinaire, à cause de l'épaisseur de ses files, & du peu d'étendue de son front. " Aussi M. de Folard dit-il, que le propre de la colonne est dans l'action ; qu'il ne s'agit pas de tirailler, mais d'en venir d'abord aux coups d'armes blanches, & de joindre l'ennemi ; parce qu'alors le feu n'a plus lieu & qu'il n'y en a aucun à essuyer " Traité de la colonne, pag. 18.

Pour former la colonne, suivant M. le chevalier de Folard, il ne s'agit que de doubler, tripler, quadrupler, & quintupler les files ; c'est-à-dire les hausser ou les baisser, selon la force & la foiblesse des corps.

La méthode qui lui paroît la plus simple pour cet effet, consiste à diviser le bataillon en autant de sections & sur autant de files ou de rangs de front, qu'on en veut mener à la charge.

M. de Folard suppose le bataillon de 550 fusiliers, les grenadiers compris. Ce nombre lui paroît le plus parfait pour former le bataillon. Il suppose aussi qu'il est à cinq de hauteur ; ce qui est la moindre que le bataillon puisse avoir pour le choc.

Cela posé, l'armée étant en bataille sur deux lignes & une reserve, " la cavalerie sur les ailes, & l'infanterie au centre ; la distribution, l'ordonnance des troupes, & le choix des corps qui doivent former les colonnes sur le front étant fait, on séparera les grenadiers de chacun de ces corps ; on commencera par ce commandement :

A vous bataillons.

Attention.

A droite par manches (a) triplez vos files.

Au commandement, premierement la manche du centre du bataillon rentre dans celle de la droite, le premier rang derriere le premier, le second derriere le second, & ainsi des autres.

En même tems la manche de la gauche entre dans les deux premieres manches jointes ensemble ; le premier rang derriere le premier de la manche du centre, le deuxieme derriere le deuxieme, & ainsi du reste : de sorte que chaque bataillon se trouve à quinze de hauteur, étant rare qu'il y ait des surnuméraires. "

M. de Folard suppose que le bataillon ainsi mis en colonne, aura trente files de front. Il est évident qu'il en auroit trente-trois au lieu de trente : mais ce savant officier prend ici un nombre rond, qui approche très-sensiblement de la force du bataillon.

" Au commandement précédent, les deux ou les trois compagnies de grenadiers, supposé que la colonne soit de plus de deux bataillons, se porteront à la queue de la derniere section, chacune à cinq ou six de hauteur ". Voyez cette colonne, figure 66. des évolutions, divisée en trois sections avec les grenadiers à la queue.

Si les grenadiers ne font pas corps avec la colonne, c'est qu'il faut toûjours, dit M. de Folard, séparer un corps d'élite & de réputation ; que d'ailleurs comme les bataillons ordinaires ne peuvent résister au choc de la colonne, quand même leur épaisseur seroit triple de celle qu'on leur donne communément, lorsqu'elle les a rompus, on peut faire partir les grenadiers après les fuyards, les jetter dans les intervalles des bataillons ou des escadrons, ou pour tout autre usage que les commandans des colonnes jugeront à-propos.

" Si l'on veut former deux colonnes d'une seule, ou la couper en deux de tête à queue, on fait ce commandement :

A droite & à gauche formez deux colonnes.

Marche.

Halte.

Ce commandement se fait lorsqu'après avoir percé une ligne, on veut profiter de cet avantage pour tomber à droite & à gauche sur les flancs des bataillons qui sont à côté, & qui soûtiennent encore contre ceux qui leur sont opposés. Ce mouvement ne doit se faire que lorsque la premiere ligne tient ferme encore aux endroits où il n'y a

(a) M. de Folard appelle manche, le tiers du front du bataillon : ainsi le bataillon a trois manches ; savoir celle de la droite, celle du centre, & celle de la gauche.

pas de colonnes. Traité de la colonne, page 70. Voyez ce traité & le livre intitulé, sentimens d'un homme de guerre sur le nouveau système du chevalier de Folard, par rapport à la colonne, &c. Voyez aussi la préface du sixieme volume du commentaire sur Polybe.

De la colonne de retraite. La colonne de retraite ne differe guere de celle d'attaque. Elle est composée de même de deux bataillons, divisés chacun en six pelotons, rangés à la file les uns des autres, à-peu-près dans le même ordre que dans cette premiere colonne.

Ainsi le front de la colonne de retraite est de deux pelotons, comme celui de la colonne d'attaque & sa profondeur est de six.

Dans cette colonne, les deux piquets de chaque bataillon ne sont pas confondus dans les bataillons, comme dans la précédente. Leur poste est à la tête & à la queue de la colonne, avec les grenadiers de chaque bataillon qui sont placés immédiatement devant le piquet qui appartient à leur bataillon.

Pour donner une idée de la formation de cette colonne, on supposera deux bataillons divisés dans leurs pelotons, comme dans la colonne précédente, rangés en bataille sur la même ligne, les grenadiers à la droite du bataillon de la droite, & le piquet à la gauche ; les grenadiers du bataillon de la gauche à gauche, & le piquet à la droite.

On fera d'abord marcher en-avant les grenadiers & le piquet du bataillon de la droite ; savoir les grenadiers de six pas de deux piés, & le piquet de trois des mêmes pas. La compagnie des grenadiers s'étant ainsi avancée, fait à-gauche, & elle marche ensuite par son flanc gauche, pour aller se placer, par un à-droite, sur le piquet de son bataillon.

A l'égard du piquet du bataillon de la gauche, on lui fait faire demi-tour à droite, ainsi qu'aux pelotons des deux bataillons, à l'exception néanmoins des deuxiemes pelotons qui terminent à gauche le bataillon de la droite, & à droite celui de la gauche. Les grenadiers de ce dernier bataillon font aussi le même mouvement.

Le piquet du bataillon de la gauche, après le demi-tour à droite, fait un certain nombre de pas redoublés devant lui, pour s'éloigner de sa premiere position d'un espace à-peu-près égal au front de son bataillon afin qu'il y ait un intervalle suffisant pour former la colonne, entre cette premiere position & celle à laquelle il sera parvenu. Il va ensuite se placer, par deux quarts de conversion à gauche, vis-à-vis le piquet du bataillon de la droite.

Pendant ce tems-là, les cinq pelotons de chaque bataillon qui ont fait demi-tour à droite, font ensemble un quart de conversion qui les met en face les uns des autres ; c'est-à-dire que ceux du bataillon de la droite le font à droite, & ceux du bataillon de la gauche, à gauche. La compagnie de grenadiers qui y est jointe le fait également, en suivant les pelotons de son bataillon avec lesquels il est en bataille.

Lorsque ce mouvement est achevé, les deuxiemes pelotons qui n'ont point bougé font l'un à-gauche, & l'autre à-droite, & ils marchent après l'un & l'autre pour se rejoindre derriere le piquet, & la compagnie de grenadiers du bataillon de la droite ; & tout de suite, ils font à droite & à-gauche, pour se retrouver face en tête.

Les autres pelotons des deux bataillons, que le quart de conversion a mis en face les uns des autres, s'approchent ensuite, de maniere que le dernier rang de ceux du bataillon de la droite se trouve aligné sur la file droite du second peloton de ce bataillon qui fait face en tête, & que le dernier rang de ceux du bataillon de la gauche le soit également sur la file gauche du second peloton de ce même bataillon.

Lorsque tout ceci est exécuté, les grenadiers du bataillon de la gauche se détachent de ce bataillon, & ils avancent par un pas oblique de gauche à droite, jusqu'à ce que la premiere file de la gauche soit alignée & joignant le rang extérieur du piquet du même bataillon. Ils font alors un quart de conversion qui leur fait couvrir le piquet de leur bataillon.

REMARQUES.

I. Il est évident, que par la formation que l'on vient d'expliquer, les cinq pelotons de chaque bataillon qui composent les flancs ou les faces de la colonne, laissent entr'eux un intervalle égal à l'excès du front des deux pelotons de la tête, c'est-à-dire des deuxiemes pelotons de chaque bataillon, sur le double de leur hauteur.

C'est pourquoi si ces pelotons ont ensemble 24 hommes de front, qui occupent environ 48 piés d'étendue, les bataillons, à 6 de hauteur, en auront 15 de profondeur, les rangs étant serrés à la pointe de l'épée : ainsi il y aura, dans cette supposition, un intervalle de 18 piés entre les deux flancs de la colonne.

II. Il suit aussi de la formation précédente de la colonne de retraite, que le front des deuxiemes pelotons de chaque bataillon, ne doit jamais être plus petit que le double de la hauteur de chaque bataillon. C'est apparemment par cette raison que l'ordonnance du 6 Mai 1755 porte, que si les deuxiemes pelotons des deux bataillons formoient ensemble moins de seize files, l'on y joindroit autant de files prises dans les quatriemes pelotons, qu'il seroit nécessaire pour les porter jusqu'à ce nombre. (a)

III. Lorsque la colonne est entierement formée, on fait faire demi-tour à droite à tous les hommes dont elle est composée, à l'exception de la compagnie de grenadiers, du piquet du bataillon de la droite, & des deuxiemes pelotons de chaque bataillon qui forment la tête ou plûtôt la queue de la colonne : puisque cette colonne a pour objet de se retirer de devant l'ennemi, lesquels doivent continuer de faire face en tête. On observe seulement de faire faire face en-dehors aux deux files de la droite & de la gauche de ces pelotons, & cela par un à-droite & un à-gauche, afin que toute la longueur des flancs de la colonne ne forme qu'un seul & même rang en-dehors.

Les grenadiers & le piquet du bataillon de la gauche, lesquels sont devant le côté de la colonne opposé à celui que forment les deuxiemes pelotons de deux bataillons, font aussi face en-dehors de cette colonne.

IV. Il est évident que la colonne de retraite peut marcher de tous les sens, comme celle d'attaque. Voyez dans l'ordonnance du 6 Mai 1755, les différens commandemens pour la former, la maniere de la rompre, de la mettre en bataille, &c. Article de M. LE BLOND.

ÉVOLUTIONS DE LA CAVALERIE. Le nombre des auteurs qui ont écrit sur les évolutions de la cavalerie n'est pas fort considérable, & il n'y a guere que M. le maréchal de Puységur qui soit entré dans un détail raisonné sur ce sujet. On ne prétend point donner ici un traité sur cette matiere ; on se propose seulement d'expliquer les regles & les principes des manoeuvres qui servent de fondement ou d'élémens à tous les mouvemens que la cavalerie peut exécuter.

Ces manoeuvres peuvent se réduire aux suivantes.

(a) Ce nombre, suivant M. de Folard, est le plus petit front que la colonne puisse avoir. La colonne " dit cet auteur, peut se maintenir dans sa force depuis trente files ou trente-quatre, même jusqu'à seize ", il croit défectueux tout nombre plus grand ou plus petit. Tr. de la colonne, page 9.

1°. A serrer & à ouvrir les files & les rangs.

2° Au demi-tour à droite ou à gauche, qu'on appelle aussi volte-face.

3°. Aux à droite & aux à gauche par division du front de l'escadron.

4°. A la demi-conversion que la plûpart des auteurs modernes appellent caracole.

5°. A faire marcher l'escadron par différentes divisions, pour le faire défiler, & le remettre ensuite en bataille.

Et 6°. à doubler & à dédoubler les rangs de l'escadron.

I. PROBLEME.

Un escadron étant en bataille, lui faire serrer ou ouvrir ses files.

Lorsque l'escadron étant en bataille, si les cavaliers occupent chacun plus de trois piés, on peut les faire serrer les uns sur les autres, pour les réduire à cette distance.

Pour le faire, il faut observer que les chevaux ne peuvent pas tourner sur eux-mêmes dans le rang, comme le font les soldats dans le bataillon, à cause de l'inégalité de leurs deux dimensions, à moins que les files ne soient plus ouvertes que l'étendue de la longueur du cheval ; ce qu'on ne suppose point ici : c'est pourquoi la méthode pratiquée pour cet effet dans l'infanterie ne peut avoir lieu dans la cavalerie.

Quand même les files seroient plus espacées que de la longueur d'un cheval, on ne pourroit les serrer qu'à cette distance, en faisant tourner les chevaux du même côté, & en les faisant ensuite serrer les uns sur les autres ; ce qui laisseroit encore occuper aux files environ 7 piés ou 7 piés & demi de largeur. Il faut donc avoir recours à une autre méthode : elle consiste, comme les chevaux ont la faculté d'aller de côté, à les faire serrer les uns sur les autres, en marchant un peu de côté ; c'est ce qui s'exécute très-promtement & très-facilement, lorsque les chevaux sont un peu dressés à cette manoeuvre.

Il est clair qu'on peut ouvrir les files de la même maniere, lorsqu'on les trouve trop serrées. A l'égard des rangs, s'ils sont plus éloignés les uns des autres qu'il ne convient, on fait avancer les derniers sur le premier ; & s'il s'agit de les ouvrir, le premier avance, & ceux qui le suivent prennent ensuite telle distance qu'on juge à-propos.

SECOND PROBLEME.

Un escadron étant en bataille, lui faire faire face du côté opposé à son front, ou, ce qui est le même, lui faire exécuter le demi-tour à droite.

Voyez DEMI-TOUR A DROITE, où l'on a donné la maniere d'exécuter ce mouvement en doublant le nombre des rangs de l'escadron, pour laisser aux chevaux l'espace nécessaire pour tourner dans le rang, & en faisant rentrer ensuite les rangs les uns dans les autres, &c.

Il est aisé d'observer que par ce mouvement le premier rang devient le dernier ; ce qui est un inconvénient assez considérable, qu'on ne peut néanmoins éviter que par le quart de conversion : mais ce dernier mouvement a celui de faire changer la troupe de terrein, & d'exiger d'ailleurs de part & d'autre de l'escadron des intervalles égaux à son front.

Il y a une autre maniere de faire tourner l'escadron de la tête à la queue, qui peut aussi servir à faire marcher la troupe par l'un de ses flancs ; ce qui ne se peut point par le demi-tour à droite qu'on a déjà expliqué. Cette méthode consiste à diviser le front de l'escadron en divisions qui ayent au moins la longueur du cheval, & à faire tourner ensuite ces divisions, & comme on fait tourner les soldats sur eux-mêmes dans l'infanterie, pour faire à droite ou à-gauche : on va en donner l'exemple dans le problème suivant.

TROISIEME PROBLEME.

Faire à droite ou à gauche par divisions du front de l'escadron, pour faire volte-face ou le demi-tour à droite, & pour marcher par la droite ou par la gauche de l'escadron.

Comme le seul obstacle qui empêche le cavalier de se tourner dans le rang, ainsi que le fait le soldat, n'est autre chose que la longueur du cheval qui a plus de deux fois sa largeur, il faut, pour remédier à cet inconvénient, prendre dans le rang un nombre de cavaliers suffisant pour que le front surpasse la longueur du cheval ; considérant ensuite ces cavaliers comme formant un seul corps inflexible, on pourra les faire tourner tous ensemble dans le rang, de la même maniere qu'on le fait dans le quart de conversion & les à droite & les à gauche de l'infanterie.

On a déjà observé que chaque cavalier occupe, à-peu-près, trois piés de largeur dans le rang, & que la longueur du cheval est d'environ 7 piés ou 7 piés & demi : il suit de-là que deux cavaliers joints ensemble n'occupent que 6 piés de front, & par conséquent qu'ils ne peuvent tourner dans le rang, parce que ce front est plus petit que la longueur du cheval. Mais trois cavaliers, qui occupent un espace de 9 piés, peuvent le faire ; & à plus forte raison, quatre, cinq, six, sept, &c. cavaliers.

Si l'on fait tourner des divisions de trois cavaliers, les rangs qu'elles formeront après avoir fait le quart du tour, ne seront qu'à la distance d'environ un pié & demi les uns des autres, & par conséquent trop près pour pouvoir marcher en-avant, sans que les chevaux se donnent des atteintes. Cette grande proximité ne permettroit pas non plus que les divisions fissent ensemble leur mouvement ; elles s'embarrasseroient trop les unes & les autres dans son exécution. Il faudroit, pour éviter cet inconvénient, qu'elles le fissent successivement.

Mais si l'on fait tourner ensemble quatre cavaliers, ils occuperont un espace de douze piés ; & comme le cheval n'en a qu'environ sept & demi, les rangs que ces divisions formeront, après avoir fait la moitié du demi-tour, seront éloignés les uns des autres d'environ quatre piés & demi. Alors ces divisions peuvent tourner ensemble, & marcher en-avant, sans aucune difficulté.

Si l'on fait les divisions de cinq cavaliers, les rangs qu'elles formeront après avoir tourné à droite ou à gauche, auront à-peu-près sept piés & demi d'intervalle, c'est-à-dire environ la longueur d'un cheval ; si elles sont de six cavaliers, cet intervalle sera de dix piés, & si elles sont de sept, d'environ douze piés. Cette derniere distance est celle que M. le maréchal de Puységur prétend qu'il doit y avoir entre les rangs ; c'est pourquoi il regarde le mouvement dont il s'agit par divisions de sept cavaliers, comme plus parfait que par tout autre nombre.

Cependant comme le mouvement par quatre cavaliers s'exécute aisément, que ce nombre est moins difficile à compter que toute autre division, l'usage le plus ordinaire des troupes étant de marcher ou de défiler par quatre, il suit de-là que ces divisions peuvent, pour ainsi dire, se former elles-mêmes : ce sera, par cette raison, le mouvement par quatre qu'on expliquera ici ; mais ce qu'on en dira pourra s'appliquer à toute autre division d'un plus grand nombre de cavaliers.

Soit la figure 67, (a) une partie quelconque de

(a) On a marqué dans cette figure & dans les deux sui vantes, les chevaux par leur projection perpendiculaire sur le terrein ; on distingue par-là plus aisément le mouvement des chevaux & l'espace qu'ils occupent, que s'ils étoient représentés en élévation ou en perspective.

l'escadron rangé sur deux rangs A B & C D ; divisés par quatre cavaliers. Chaque division est marquée par des points qui forment une espece d'accollade qui renferme les quatre cavaliers qui doivent manoeuvrer ensemble.

Pour que cette troupe fasse à-droite, il faut que le cavalier de la droite de chaque division soûtienne, ainsi qu'on s'exprime ordinairement, c'est-à-dire qu'il serve de pivot, & que les autres fassent autour de lui un quart de conversion.

L'expérience fait voir qu'il n'y a rien de plus aisé à exécuter que ce mouvement. Le cavalier qui soûtient n'a autre chose à faire qu'à ployer, pour ainsi dire, son cheval de maniere qu'il suive le mouvement de ceux qui tournent avec lui ; ce qui est facile lorsque les chevaux sont accoûtumés dans l'escadron, où ils prennent l'habitude de marcher à côté les uns des autres, & à la même hauteur.

La figure 68. fait voir le mouvement exécuté & le nouvel ordre qui en résulte. La troupe est alors sur autant de rangs qu'il y a de divisions dans le rang, lesquels font face à la droite de l'escadron. Si l'on fait un second à-droite, la troupe fera face à la queue de l'escadron. Voyez la figure 69.

Les deux à-droite precédens qu'on a supposé être exécutés en deux tems, peuvent être faits par un seul mouvement sans interruption, comme dans l'infanterie. Alors si les officiers veulent passer à la tête de l'escadron, ils tournent autour de l'un des flancs ; mais si l'on fait le demi-tour en deux tems, il se trouve, après le premier à-droite, des ouvertures dans la profondeur de l'escadron, comme on le voit dans la figure 68, par où les officiers peuvent passer. Le second à-droite reforme l'escadron vers la queue, de la même maniere qu'il l'étoit à la tête avant le mouvement.

REMARQUES.

I. Il faut observer que le demi-tour à droite de la maniere qu'on vient de le supposer exécuté, change un peu le terrein de l'escadron ; car par ce mouvement on laisse à sa gauche un espace presqu'égal au front de chaque division, ou capable de contenir trois chevaux lorsque les divisions sont de quatre cavaliers. On a marqué cet espace dans la figure 69, par la représentation ponctuée des chevaux qui l'occupoient d'abord ; mais on gagne vers la droite de l'escadron un espace de pareille étendue.

II. Il se fait aussi quelques changemens dans le dedans ou l'intérieur de l'escadron, mais seulement dans l'arrangement des hommes de chaque rang. Les chiffres par lesquels on a marqué les hommes dans la premiere position (fig. 67), font voir dans la figure 69. en quoi consiste cette espece de dérangement.

III. Si l'on veut faire ce même mouvement à gauche, c'est le cavalier de la gauche de chaque division qui sert de pivot : il tourne sur le pié de devant du montoir, qui est le gauche, & les autres cavaliers de la même division tournent autour de lui & avec lui, comme dans le quart de conversion. Il est évident qu'on peut faire le demi-tour à gauche d'un seul mouvement continu, comme à droite.

IV. Par le mouvement qu'on vient d'expliquer, une ligne de cavalerie, c'est-à-dire une suite d'escadrons placés en ligne droite à côté les uns des autres, peut tourner pour marcher sur sa droite ou sur sa gauche, dans le tems nécessaire, à quatre ou six cavaliers pour décrire un quart de conversion. C'est pourquoi comme l'exécution de ce mouvement demande très-peu de tems, c'est celui, dit M. le maréchal de Puysegur, dont il faut se servir comme le plus sûr & le plus promt, lorsqu'on est près de l'ennemi & qu'on est obligé de s'ouvrir sur la droite ou sur la gauche.

5. Au lieu de faire des divisions qui obligent de compter, comme de cinq ou de six, &c. cavaliers, on peut diviser le front de chaque compagnie en deux parties, & faire le mouvement précédent sur la droite ou sur la gauche par demi-compagnie.

Si l'on a, par exemple, un escadron de quatre compagnies de trente-six hommes chacune ; ces compagnies formées sur trois rangs auront douze hommes de front, & l'escadron en aura quarante-huit.

Pour faire tourner cet escadron à droite, ou pour le faire marcher sur sa droite, on commandera à droite par six, ou par demi-compagnie ; & le mouvement étant exécuté, la troupe ou l'escadron marchera sur sa droite par un front de trois demi-compagnies, c'est-à-dire dans cet exemple de dix-huit hommes.

Si l'on veut que ces trois demi-compagnies se joignent sans intervalle, il faut avoir attention que les rangs ne soient éloignés les uns des autres, avant le mouvement, que de 18 piés ou de la distance nécessaire pour mettre six cavaliers à côté les uns des autres.

De la conversion. Les conversions se font, dans la cavalerie, de la même maniere que dans l'infanterie : il n'y a de différence que dans les termes du commandement.

Ce qu'on appelle quart de conversion dans l'infanterie, se nomme assez ordinairement caracole dans la cavalerie. Quelques auteurs donnent néanmoins le nom de caracole à la demi-conversion ou au demi-tour que fait l'escadron considéré comme corps inflexible, pour faire face à sa queue ; alors le quart de conversion est appellé demi-caracole, mais ce dernier terme est peu usité : on dit plus communément faire marcher sa gauche ou sa droite, suivant que le quart de conversion doit se faire de l'un ou de l'autre côté.

Pour exécuter le quart de conversion ou la demi-caracole, on fait arrêter la troupe, si elle est en marche, par ce commandement, halte : & l'on dit ensuite, si le quart de conversion doit se faire à droite, doucement la droite, marche la gauche ; de-là vient que ce mouvement est appellé faire marcher sa gauche.

Si la demi-caracole doit se faire à gauche, on fait ce commandement : doucement la gauche, marche la droite.

Comme ces dernieres expressions sont équivoques, en ce qu'elles peuvent s'appliquer au mouvement de l'escadron par la droite ou par la gauche, & qu'elles ne sont point prescrites par les ordonnances, on croit qu'il est plus à-propos d'exprimer la demi-caracole par le terme de quart de conversion, comme le fait l'ordonnance du 22 Juin 1755 sur l'exercice de la cavalerie.

Le terme de caracole n'a pas toûjours exprimé le demi-tour à droite ou à gauche de l'escadron : on le donnoit autrefois à un mouvement de chaque file, qui se faisoit successivement par le flanc de l'escadron : on l'employoit pour insulter un escadron ennemi mal monté, ou qui ne pouvoit quitter son terrein.

Dans ce mouvement chacune des files se détachoit successivement de l'escadron, & elle alloit passer devant l'ennemi en serpentant, & en faisant des passades à droite & à gauche pour ôter la mire à ceux qu'elle insultoit ; elle revenoit ensuite par l'autre flanc de l'escadron, & passant derriere, elle reprenoit sa premiere position.

Lorsqu'on vouloit exécuter ce mouvement, l'officier qui commandoit l'escadron faisoit ce commandement : à moi l'aîle droite par caracole à gauche en faisant front en queue.

On disoit, en faisant front en queue, parce que la file pour se remettre, tournoit insensiblement le front vers la queue pour l'aller regagner & passer derriere.

La caracole se faisoit aussi par quart de rang ; alors chaque quart alloit passer successivement devant l'escadron ennemi, en faisant des décharges de mousqueton ou de pistolet, & il alloit ensuite se reformer ou reprendre sa premiere place par le derriere ou la queue de l'escadron.

Ce détail sur ce qui regarde la caracole, peut servir de supplément à ce qu'on en a dit au mot CARACOLE, où l'on en a parlé un peu trop brièvement.

De la demi-conversion sur le centre.

Nous avons déjà observé que le demi-tour à droite ou à gauche avoit l'inconvénient de faire du premier rang de l'escadron le dernier, & du dernier le premier ; que la demi-conversion n'avoit pas ce même défaut, mais qu'elle exigeoit de grands intervalles à droite & à gauche de l'escadron, & qu'elle en changeoit le terrein.

On peut remédier à ces deux inconvéniens, en faisant tourner l'escadron sur son centre de la même maniere qu'on fait tourner le bataillon dans l'infanterie.

Pour cet effet, l'escadron étant divisé en deux parties, si l'on veut que la demi-conversion se fasse de gauche à droite, la partie de la gauche ne bougera point, & l'on fera faire le demi-tour à droite à l'autre partie, par divisions de quatre, cinq ou six hommes de front. Alors les deux moitiés de l'escadron se trouveront distantes l'une de l'autre à-peu-près de l'intervalle d'une des divisions de celle qui a fait le demi-tour à droite. On fait ensuite ce commandement : A droite sur le centre faites un quart de conversion.

Le cavalier qui est à la droite du premier rang de la partie de la gauche qui n'a pas bougé, sert de pivot au mouvement de cette partie qui fait le quart de conversion à l'ordinaire. L'autre tourne en même tems du même sens & sur le même pivot, mais en conservant toûjours le même intervalle qui l'en sépare.

Lorsque la premiere partie a fait son quart de conversion, la seconde a fait le sien également ; elle fait face au côté opposé à celui de la premiere, & elle en est éloignée de l'intervalle du front d'une des divisions avec lesquelles elle a d'abord fait le demi-tour à droite.

Pour faire face du même côté que la premiere moitié de l'escadron, elle fait encore le demi-tour à droite par les mêmes divisions de son front. Lorsque ce mouvement est exécuté, l'intervalle qui la séparoit de la premiere partie de l'escadron, se trouve rempli, toute la troupe fait face du même côté, qui dans cet exemple est le côté droit.

Il est évident que ce mouvement peut s'exécuter de la même maniere tant à gauche qu'à droite.

Pour rendre ce mouvement plus aisé à concevoir, nous nous servirons de la figure 70, tirée de l'art de la guerre de M. le maréchal de Puységur, tome I. page 274.

Elle represente un escadron de cinquante-six hommes de front, composé de quatre compagnies de quarante-deux cavaliers chacune.

Les deux compagnies de la droite ont fait à-droite par demi-compagnie, c'est-à-dire par des divisions de sept cavaliers : ce qui les a éloignés des deux autres de l'intervalle A B F H, égal à-peu-près au front de sept cavaliers.

Les lignes ponctuées, K M & I N, représentent le terrein que l'escadron occupera ; après avoir fait le quart de conversion sur le centre ou le pivot. A.

La moitié de l'escadron à gauche viendra se placer par son mouvement autour de A, en A I L K. Les cavaliers O & P décriront, pour cet effet, les quarts de cercle O K & P L.

La moitié de l'escadron à droite, tournant en même tems sur le point A, le cavalier B se trouvera en C, lorsque le quart de cercle sera décrit, le cavalier D en E, & celui qui est en H en G. A l'égard des cavaliers R & S, ils seront en M & N, & ils auront décrit les arcs R M & S N.

Ainsi après le quart de conversion achevé, la moitié de l'escadron à droite occupera l'espace C G N M ; elle sera séparée de la gauche par les lignes A I & C G, & elle fera face à la gauche de l'escadron.

Pour lui faire faire face à droite, comme le fait la moitié qui est à la gauche, on lui fera exécuter le demi-tour à droite par les mêmes divisions avec lesquelles elle a d'abord fait ce même mouvement, c'est-à-dire par demi-compagnie ou par divisions de sept cavaliers de front. Alors la premiere division, dont le pivot est en C, occupera l'espace ou l'intervalle A C, & l'escadron sera ainsi formé sur le flanc droit, sans intervalle au centre.

Si l'on veut que l'escadron fasse tête à la queue, il est clair qu'au lieu du quart de conversion, il faut lui faire exécuter le demi-tour entier tout de suite ; après quoi les deux compagnies qui ont fait d'abord à droite par divisions de demi-compagnie, n'ont qu'à faire encore une fois ce même mouvement, pour faire face du même côté que les deux autres, & pour se rejoindre avec elles sans intervalle.

Par ce mouvement on fait tourner l'escadron, sans qu'il change de terrein, & l'on conserve toûjours le premier rang à la tête. Comme le rayon du cercle n'est alors que la moitié du front de l'escadron, les quarts de cercle que décrivent les cavaliers ne sont que la moitié de ceux qu'ils décriroient, si l'on prenoit pour rayon le front entier. C'est pourquoi le quart de conversion & la demi-conversion sur le centre s'exécutent dans un tems une fois plus court, que quand le pivot est à l'un des angles de l'escadron.

Maniere de faire marcher & défiler l'escadron par différentes divisions, & de le reformer. Les différentes divisions en usage dans l'infanterie pour mouvoir ou faire marcher le bataillon, comme les manches, demi-manches, pelotons ou sections, &c. ne sont point connues dans la cavalerie. On se sert de divisions plus naturelles, & ce sont celles des quatre compagnies dont l'escadron est ordinairement composé.

Comme il est difficile de trouver des terreins ou des chemins assez larges pour que l'escadron puisse marcher en bataille, c'est-à-dire les quatre compagnies rangées à côté les unes des autres sur la même ligne droite, on est obligé de le rompre en différentes parties, qui sont, lorsqu'on le peut, les quatre compagnies dont il est formé. On ne défile sur un front plus petit que celui d'une compagnie, que lorsque les lieux où l'escadron doit passer, ne permettent pas de faire autrement.

La premiere regle pour faire mouvoir ou marcher une troupe de cavalerie, est, dit l'ordonnance du 22 Juin 1755, de s'éloigner le moins qu'il est possible de l'ordre de bataille, & de préférer les manoeuvres par lesquelles on peut se reformer le plus promtement & avec moins de chemin.

Supposons un escadron de cent vingt hommes, ou de quatre compagnies de trente cavaliers chacune, rangés sur trois rangs ; il aura quarante hommes de front, & chaque compagnie en aura dix.

Comme le cavalier occupe trois piés dans le rang, le front de cet escadron sera de vingt toises : en les rompant par compagnies, & les mettant à la suite les unes des autres, elles formeront ensemble douze rangs de dix hommes chacun.

Les rangs aussi serrés qu'il est possible pour marcher, ne peuvent guere occuper moins de douze piés ou de deux toises, en joignant ensemble la longueur du cheval, & l'intervalle qui sépare les rangs les uns des autres ; c'est pourquoi les douze rangs occuperont environ 24 toises d'étendue. (a)

Les quatre compagnies à la suite les unes des autres auront trois intervalles, lesquels, en comprenant le rang des officiers à la tête de chaque compagnie, peuvent s'évaluer chacun environ à l'épaisseur de deux rangs, ou à quatre toises ; par conséquent les trois ensemble font douze toises. Ces toises ajoutées aux vingt-quatre précédentes, donnent environ trente-six toises pour la longueur de l'escadron, en marchant par compagnie, comme il en occupe vingt en bataille, lorsqu'il reprendra cette premiere disposition, il lui restera seize toises pour l'intervalle qui le séparera de l'escadron voisin.

Si l'on veut réduire cet intervalle à la moitié du front de l'escadron, c'est-à-dire à dix toises, comme le prescrivent le projet d'instruction pour la cavalerie, inséré dans le code militaire par M. Briquet, & l'ordonnance du 22 Juin 1755 ; on y parviendra aisément en serrant un tant-soit-peu les rangs & les intervalles des compagnies, ou bien de la maniere suivante.

On considérera les officiers qui sont à la tête de chaque compagnie, comme formant un rang ; ainsi l'on aura quatre rangs d'officiers, qui joints aux douze des cavaliers, font ensemble seize rangs. On partagera trente toises ou 180 piés, c'est-à-dire l'espace qu'occupe le front du bataillon, avec l'intervalle de dix toises, en seize parties égales, & l'on aura onze piés pour l'épaisseur de chaque rang ; ce qui est un espace suffisant pour que les chevaux marchent aisément les uns derriere les autres sans se donner d'atteintes.

Si l'escadron est plus fort qu'on ne le suppose ici, il est évident qu'on trouvera de la même maniere quelle doit être l'épaisseur de chaque rang, pour que la troupe n'occupe, en marchant par compagnie, qu'une fois & demie la longueur ou l'étendue de son front.

Quoique la marche de l'escadron par compagnie soit plus avantageuse pour réunir la troupe, ou la mettre en bataille plus facilement que lorsqu'elle marche sur de plus petites divisions, néanmoins comme on est obligé de se régler là-dessus, suivant les différens passages qu'on rencontre, il arrive qu'on fait quelquefois défiler l'escadron par un cavalier, par deux, par quatre, &c.

Pour défiler par un, le premier cavalier du premier rang de la compagnie de la droite ou de la gauche, c'est-à-dire du côté par où l'on veut commencer le mouvement, marche en-avant ; le deuxieme vient prendre sa place, & le suit : les autres en font de même successivement.

Lorsque le premier rang a ainsi défilé, le second en fait de même, & ensuite le troisieme.

La seconde compagnie, ou celle qui suit immédiatement celle qui a d'abord défilé, se met de même à la suite de la premiere ; elle est suivie de la troisieme, & celle-ci de la quatrieme.

Si la troupe marche par deux, les deux premiers cavaliers de la droite ou de la gauche du premier rang de la compagnie de la droite ou de la gauche, marchent d'abord en-avant ; le troisieme & le quatrieme viennent ensuite par un à-droite ou un à-gauche par deux (b), prendre la place des deux premiers, & ils se mettent à leur suite. Les autres cavaliers du même rang en font de même deux à deux, ainsi que ceux du second rang, puis ceux du troisieme. Les autres compagnies de l'escadron défilent ensuite successivement, de la même maniere que la premiere.

Si la troupe marche par quatre, les quatre premiers cavaliers de la premiere compagnie de la droite ou de la gauche, suivant le côté par où l'on veut commencer les mouvemens, avancent d'abord droit devant eux : les autres du même rang font un à-droite ou un à-gauche par quatre, & ils se mettent successivement à la suite des quatre premiers : les cavaliers du second & du troisieme rang de la même compagnie en font de même, puis ceux de la seconde, & ensuite ceux de la troisieme & de la quatrieme.

Il faut observer que si les compagnies qui composent l'escadron sont de trente hommes, comme on l'a supposé dans cet article, on ne pourroit faire défiler les rangs par quatre, par ce qu'ils ne se diviseroient pas exactement par ce nombre, mais qu'il faudroit les faire défiler par cinq ; c'est-à-dire par demi-front de compagnie ; ce qui se fait de la même maniere que par quatre.

Pour reformer l'escadron, supposant qu'il marche par compagnie, la premiere, comme le porte l'ordonnance du 22 Juin 1755, se portera legerement huit pas en avant, pendant que celle qui suit fera à-gauche, & tout de suite à-droite pour se former à la gauche de la premiere. Les deux autres continueront à marcher devant elles, jusqu'à ce que chacune étant arrivée où celle qui la précede a fait à-gauche, elle n'ait plus que l'espace nécessaire pour exécuter ce mouvement ; & elle fera ensuite à-droite par compagnie, lorsque son premier rang sera arrivé à la hauteur de la gauche de la compagnie qui la précede.

Lorsque l'escadron a défilé par deux ou par quatre, on reforme successivement chaque compagnie, & ensuite l'escadron par la réunion de ces compagnies en bataille.

Pour reformer une compagnie qui défile, par exemple, par un, on la fera d'abord marcher par deux, ensuite par quatre, si le nombre d'hommes de chaque rang le permet, c'est à-dire si les rangs contiennent plusieurs fois quatre exactement : dans ce cas on formera la compagnie en-avant, en faisant d'abord arrêter la premiere division, pendant que les autres du même rang se placeront successivement à côté les unes des autres. Lorsque le premier rang sera formé, le second se formera de même, & ensuite le troisieme.

Si les quatre compagnies font ensemble ce mouvement, elles se trouveront formées dans le même tems, & elles pourront après cela former l'escadron, comme on l'a vû ci-devant.

Si la compagnie est de trente hommes rangés sur trois rangs ; comme chaque rang sera de dix hommes, il ne pourra se diviser par quatre ; c'est pourquoi pour reformer la compagnie qui aura défilé par un, on la fera d'abord marcher par deux, & l'on reformera les rangs par deux, comme on vient de l'expliquer par quatre. Tout l'inconvénient de ce mouvement, c'est qu'il est plus long que lorsqu'on peut d'abord reformer les compagnies par quatre.

PROBLEME.

Doubler les rangs de l'escadron ou d'une troupe quelconque de cavalerie, ou les dédoubler.

Nous avons déjà observé dans les évolutions de

(a) On peut diminuer environ 4 piés ou une toise de cette étendue, parce que le dernier rang n'a d'épaisseur que la longueur du cheval.

(b) Comme il n'est pas possible que deux cavaliers dont le front est de 6 piés, tournent dans le rang, il faut qu'avant de faire ce mouvement ils gagnent deux ou trois piés de terrein du côté où ils doivent tourner afin d'avoir l'espace nécessaire pour le faire.

l'infanterie, que l'expression de doubler les rangs, ne signifioit pas d'en doubler le nombre, mais seulement celui des hommes de chaque rang.

La maniere de doubler les rangs dans la cavalerie, n'est pas la même que dans l'infanterie, parce que les cavaliers sont toûjours trop serrés dans le rang, pour pouvoir introduire un nouveau cavalier entre deux.

Mais cette évolution se fait très aisément & très-simplement par le moyen des à-droite & des à-gauche par divisions de rangs.

On peut doubler les rangs dans la cavalerie, par la droite, par la gauche, & par l'un & l'autre côté en même tems. On ne donnera ici que cette derniere méthode, l'exécution des deux autres n'aura pas plus de difficulté.

Soit supposé une troupe de cavalerie de 120 maîtres, rangée sur deux rangs qu'on veut réduire à un seul, & cela par la droite & par la gauche en même tems.

On divisera le second rang en deux également. La moitié de la droite fera à-gauche par divisions de cinq cavaliers ; & celle de la gauche, à-droite par les mêmes divisions.

Ces deux demi-rangs marcheront ensuite devant eux ; savoir, celui de la droite, jusqu'à ce que sa derniere division déborde le premier rang d'environ 3 piés, ou de l'épaisseur d'un cheval ; & celui de la gauche, jusqu'à ce que sa derniere division déborde également la gauche du premier rang de la même quantité.

Alors les divisions du demi-rang de la droite feront à-droite, & celles de la gauche à-gauche ; & elles marcheront devant elles jusqu'à ce qu'elles soient dans l'alignement du premier rang.

Il est clair que si l'on avoit quatre rangs de cavalerie, on les réduiroit à deux de cette même maniere.

REMARQUES.

I. Pour exécuter ce mouvement, il est nécessaire que les rangs soient éloignés les uns des autres du front, au moins des divisions de chaque demi-rang ; c'est-à-dire, dans l'exemple précédent, où les divisions sont de cinq cavaliers, qu'il faut que les rangs ayent au moins quinze piés d'intervalle.

II. Au lieu de faire les divisions des demi-rangs de cinq cavaliers, on les auroit pû prendre de trois ; mais alors ces divisions, en marchant vers la droite & la gauche, auroient été un peu trop serrées les unes sur les autres pour pouvoir marcher aisément. On n'auroit pû prendre ces divisions de quatre hommes, parce que le demi-rang étant de quinze cavaliers ne peut se diviser exactement par quatre.

III. On peut par cette méthode augmenter le front d'un escadron dont les rangs sont en nombre impair, ou, ce qui est la même chose, diminuer le nombre de ces rangs.

Si l'on a, par exemple, une troupe de cavalerie sur trois rangs, & qu'on veuille la réduire à deux, on partagera le troisieme rang en quatre parties égales ; on fera marcher les deux de la droite à la droite des deux premiers rangs, & celles de la gauche à la gauche des mêmes rangs, & l'on aura ainsi l'escadron en bataille sur deux rangs.

Pour dédoubler les rangs. Si l'on a une troupe de cavalerie sur un rang, & qu'on veuille en former deux, on la divisera en deux parties égales : on fera marcher l'une de ces parties trois ou quatre pas de trois piés en-avant. Si l'on suppose que ce soit la moitié du premier rang à droite qui ait marché en-avant, celle de la gauche fera à-droite par division de trois, quatre ou cinq hommes, suivant que le demi-rang se divisera exactement par l'un de ces nombres. Le demi-rang de la gauche marchera ensuite derriere celui de la droite, jusqu'à ce que sa premiere division se trouve derriere les quatre ou cinq cavaliers de la droite, suivant que cette division sera de quatre ou cinq hommes.

Lorsque le demi-rang de la gauche aura ainsi marché, on lui fera faire à-droite par les mêmes divisions par lesquelles on l'a d'abord fait tourner à gauche, & il se trouvera placé derriere le premier, & faisant face du même côté.

Par cette méthode, si la troupe est sur quatre rangs, on la reduira également à deux.

On peut observer par ce qu'on vient de dire sur le doublement & le dédoublement des rangs, que c'est avec raison que M. le maréchal de Puysegur dit dans son livre de l'Art de la guerre, que par le moyen du quart de tour à droite ou à gauche par divisions de rangs, la cavalerie peut exécuter les mêmes mouvemens que l'infanterie.

On n'entrera point ici dans un plus grand détail sur les évolutions ou manoeuvres de la cavalerie ; on croit avoir donné les plus essentielles & les plus fondamentales : on renvoye pour toutes les autres aux ordonnances militaires concernant la cavalerie, & particulierement à celle du 22 Juin 1755. Cet article est de M. LE BLOND.

EVOLUTIONS NAVALES, (Marine) Ce sont les différens mouvemens qu'on fait exécuter aux vaisseaux de guerre pour les former ou mettre en bataille, les faire naviger, les rompre, les réunir, &c. Voici les élémens de cet art important.

Avant de donner les plans de tous les mouvemens que peuvent faire les armées navales, il faut commencer par une regle qu'on met en pratique dans toutes les différentes évolutions, qui prouve que le chemin le plus court que puisse faire un navire pour en joindre un autre, & par conséquent pour prendre le poste qui lui est destiné, par rapport à un autre navire qui doit lui servir d'objet, est d'arriver sur lui, autant qu'il pourra, en le tenant toûjours au même rhumb de vent.

Méthode générale pour joindre un vaisseau qui est sous le vent, par la route la plus courte, fig. 1. Pour mettre cette regle en exécution, il faut relever avec un compas de variation le navire sur lequel vous devez vous régler ; & en faisant votre route, le tenir toûjours au même air de vent que vous l'avez relevé : la figure démontre que c'est la voie la plus courte que vous puissiez faire. Par exemple, si le vaisseau A qui chasse, parcourt la ligne A N, & le vaisseau B qui est chassé, la ligne B N, de telle sorte qu'ils se trouvent toûjours sur des lignes CD, GH, IK, LM, paralleles à AB, ils sont toûjours dans le même rhumb l'un à l'égard de l'autre, & ils se rencontreront au point N, où les lignes AN & B N concourent. Ici le vaisseau A, le vent étant au nord, a relevé le vaisseau B au sud delui ; il le doit toûjours tenir au même air de vent, soit en arrivant ou venant au vent, selon qu'il reste de l'arriere, ou qu'il gagne de l'avant de vaisseau B : par cette manoeuvre il arrivera au point C lorsque ledit navire sera au point D, qui sera toûjours au sud de lui : de même il sera au point E, lorsque l'autre viendra en F, & ils se tiendront toûjours dans le même rhumb ; & ainsi des autres points, jusqu'à ce qu'ils se joignent en N, jonction des deux lignes.

J'ai dit qu'il faut que le navire A arrive ou tienne le vent, pour peu qu'il sorte du rhumb auquel il a relevé le vaisseau qu'il doit joindre ; ce qui ne se peut faire que lorsque le navire B gagne de l'avant ou reste de l'arriere ; supposant qu'il fasse toûjours la même route ; si le vaisseau B va de l'avant, il restera plus du côté de l'est ; & il faudra que le chasseur tienne le vent, pour l'avoir toûjours au rhumb relevé, & il le joindra plus loin en parcourant la ligne AO ; mais si le vaisseau chassé reste de l'arriere, il reste plus à l'oüest : alors il faudra que le vaisseau A arrive, jusqu'à ce qu'il remette le vaisseau B au sud, rhumb relevé, & il le joindra au pont M en parcourant la ligne A M ; ce qui prouve qu'il faut avoir à chaque instant l'oeil sur le compas.

Il faut remarquer que si le vaisseau A se doit mettre par le travers du vaisseau B dans une autre colonne, il faut tenir le bâtiment B au même air de vent, comme nous venons de dire ; & quand il sera à la distance requise, il tiendra la route du général : mais s'il doit se mettre dans la même ligne, & si c'est de l'avant du vaisseau B, il doit le tenir un peu plus sous le vent ; s'il doit se mettre de l'arriere, il le tiendra un peu plus au vent : l'expérience de l'officier doit décider cette route sans erreur sensible, par un coup-d'oeil réglé par la pratique.

Maniere de connoître si on est au vent ou sous le vent d'un autre vaisseau à la voile, figure 2. Dans les différens mouvemens d'une armée navale, une des principales attentions qu'on doit avoir, est d'éviter les abordages : ils sont rares de vent arriere ou largue, un coup de gouvernail en garantit : mais lorsque deux vaisseaux courent au plus près, l'un amuré stribord, & l'autre bas-bord, & qu'ils sont l'un contre l'autre ; l'entêtement de vouloir passer au vent, ou l'incertitude de la manoeuvre que l'on doit faire, si l'on n'a pas de l'expérience, jette souvent dans de fâcheux accidens, & dans des embarras dont on a que trop de peine à se tirer.

Pour ne courir aucun risque, il faut relever de bonne-heure, avec un compas de variation, le navire qui vient à votre rencontre ; s'il vous reste dans la perpendiculaire au lit du vent, les deux vaisseaux sont également au vent, & se rencontreroient, si l'un des deux ne prenoit le parti d'arriver ; ce qu'il faut cependant toûjours faire sans balancer. Cette figure fera mieux connoître ce qui en est. Les vaisseaux A & B vont au plus près d'un vent du nord, l'un amuré stribord, & l'autre bas-bord ; ils se trouvent est & oüest l'un de l'autre, qui est la ligne A B perpendiculaire au lit du vent F G ; s'ils font toûjours la même route, & qu'ils parcourent l'un la ligne A E, & l'autre la ligne B E, avec des circonstances semblables, c'est-à-dire tenant également le plus près, & allant également vîte, ils se rencontreront au point E, puisqu'ils parcourent deux lignes égales, & que les angles E B G & E A G sont égaux.

Si le vaisseau C va à l'encontre du vaisseau B avec les mêmes circonstances, & que la ligne C H qui est tirée du vaisseau C perpendiculaire au vent, ne rencontre pas le vaisseau B, & que cette ligne passe du côté d'où le vent vient ; le vaisseau C fera la ligne C F, & arrivera au point F, lorsque l'autre sera au point E, & il se trouvera au vent de la quantité F E égale à la ligne B H ; au contraire, le vaisseau D dont la ligne D I tirée perpendiculaire au vent, ne rencontre pas le vaisseau B, & passe sous le vent, c'est-à-dire du côté du sud, sera sous le vent du vaisseau B, & viendra au point G lorsque le vaisseau B arrivera au point E, & il sera sous le vent de la quantité G E, égale à B I.

Ainsi lorsqu'on fera exactement toutes ces observations, & qu'on relevera de bonne-heure le vaisseau qui court sur vous, on aura le tems d'arriver pour éviter l'abordage ; ce qu'on doit faire sans obstination, sur-tout lorsqu'il est question d'un pavillon, ou d'un capitaine plus ancien. Il est dangereux d'attendre trop tard pour arriver ; on n'y est plus à tems, lorsqu'on est à une certaine distance ; & pour lors le seul parti qu'il y ait à prendre, c'est que les deux vaisseaux donnent vent devant.

Figure 3. Cette figure sert à démontrer que le plus court chemin qu'on puisse faire pour aller à un vaisseau qu'on chasse, & sur lequel on peut mettre le cap sans lovoyer, est de se tenir toûjours au même air de vent auquel on l'a relevé aussi-tôt qu'on l'a découvert. Je suppose que le vent est à l'est, & que le navire qu'on chasse est au nord-oüest de vous à six lieues, c'est-à-dire que le chasseur est au point A, & le chassé en B ; s'il prend chasse en faisant le nord-oüest, dont la ligne A 2 marque le chemin, en faisant le nord-oüest comme lui, il reste toûjours au même air de vent ; & le plus court chemin d'aller à lui, est de suivre la même ligne. Si vous lui gagnez une lieue sur trois lieues, quand il aura fait ses trois, vous en aurez fait quatre ; il est certain que quand il aura fait dix-huit, vous en aurez fait vingt-quatre, que vous aurez gagné sur lui les six lieues qu'il avoit d'avance sur vous, & que vous le joindrez au point 2 : on voit par-là qu'il vous faut faire plus de chemin sur cet air de vent pour le joindre, que sur tous les autres qu'il peut courir : qu'il fasse, par exemple, le nord nord-oüest en parcourant la ligne B R ; lorsqu'il arrivera au point N, le chasseur sera en S ; & il lui restera au nord-oüest, la ligne NS étant parallele à la ligne B A, qui est au nord-oüest ; lorsqu'il sera au point L, l'autre arrivera en T, & ils seront toûjours sud-est & nord-oüest l'un de l'autre.

Il n'y a qu'à jetter la vûe sur ces différentes positions & figures, pour voir que toutes les lignes des différens triangles sont toutes des nord-oüest ; & lorsque le vaisseau chassé seroit au point R, le chasseur l'y joindra, l'ayant toûjours tenu au même air de vent : mais il aura fait moins de chemin pour l'attraper, puisque le vaisseau B n'aura fait que seize lieues & demie, & le navire A un peu plus de vingt-deux. Il arrivera la même chose, lorsque le navire B prendra chasse à l'oüest-nord-oüest, en parcourant la ligne B 10 ; parce que cet air de vent est à la même distance du nord-oüest, que le nord-nord-oüest dont je viens de parler : toute la différence qu'il y aura, c'est que dans la chasse du nord-nord-oüest, le chasseur fera sa route entre le nord-oüest quart de nord & le nord-nord-oüest, & dans la chasse de l'oüest-nord-oüest, le chasseur courra entre le nord-oüest quart d'oüest, & l'oüest-nord-oüest. L'on voit par cette démonstration, que plus le vaisseau chassé s'éloignera de la ligne du nord-oüest, moins le chasseur aura de chemin à faire pour le joindre ; s'il veut s'enfuir en faisant le nord, il parcourt B G, où il sera joint, & le chasseur fera le nord quart de nord-oüest prenant quelques degrés vers le nord-oüest, décrivant la ligne A G, où vous voyez qu'il lui reste toûjours au nord-oüest, & qu'il le joindra après avoir couru dix-huit lieues 2/3, pendant que le chassé n'en fera que quatorze : mais s'il prenoit chasse au nord-nord-est, il décriroit la ligne B 3, & le chasseur, A 3 qui est le nord prenant un peu de l'oüest, & il le joindra quand il aura fait près de quatorze lieues, & l'autre dix & 1/3 ; mais il reste toûjours au nord-oüest, comme il est facile à remarquer. Il faut avec le compas le relever à chaque instant, & tenir le vent, ou arriver, selon qu'on supposeroit que le vaisseau chassé va de l'avant, ou reste de l'arriere.

Utilité du quarré pour les mouvemens d'une armée navale, fig. 4. Pour faciliter les mouvemens d'une armée, & pour éviter l'embarras d'avoir toûjours un compas devant les yeux, il faut avoir sur le gaillard de l'arriere un grand quarré A B C D, dont la ligne EF réponde à la quille du vaisseau, de telle maniere que le point E soit du côté de la proue, & le point F du côté de la poupe : la ligne F E représente donc toûjours la route que tient le vaisseau ; la ligne G H marque son travers ; & quand le vaisseau est au plus près, les diagonales C A, D B, marquent, l'une la route que tiendra le vaisseau quand il aura reviré, & l'autre son travers. Mais pour tirer plus d'utilité de ce quarré, il faut partager en seize rhumbs.

Dans cette figure quatrieme on suppose le vent au nord soufflant du point N, lorsque le vaisseau I court au plus près sur la ligne I E, l'amure à basbord, l'angle N I E faisant un angle de six rhumbs de vents ; lorsqu'il aura reviré, il courra sur la diagonale B D, l'angle N I D étant égal à l'angle N I E, & par conséquent de six rhumbs ; & l'autre diagonale A C sera par son travers.

Ce quarré bien compris sera d'un grand usage pour tenir facilement son poste dans une armée, & il sera fort aisé à l'officier qui se promene sur le pont, de voir d'un coup-d'oeil s'il y est. J'en montrerai l'utilité dans tous les différens mouvemens où l'on pourra le mettre en pratique.

Ce quarré peut être encore fort utile, sans avoir besoin de compas, dans la proposition précédente, démontrée dans la deuxieme figure ; le vent vient du point N, & le lit du vent est la ligne N M. Le navire I court au plus près l'amure à bas-bord, faisant la route I E ; le navire K court au plus près l'amure à stribord, faisant la route K E, parallele à la diagonale B D. Selon ce qui a été dit plus haut, tirez sur votre quarré la perpendiculaire au lit du vent, qui sera la ligne K L ; ce qui sera facile, en faisant l'angle E I K de deux rhumbs de vent, ou de vingt-deux degrés trente minutes supplément de six rhumbs, ou de soixante-sept degrés trente minutes valeur de l'angle N I E ; si les deux navires I & K faisant route, restent toûjours dans la même perpendiculaire au lit du vent I K, ou dans la même parallele à cette ligne, ils se rencontreront au point E, & s'aborderont.

Ordre de marche au plus près du vent sur une ligne. Pour faire marcher l'armée au plus près du vent sur une ligne, un pavillon rayé blanc & rouge au bout de la vergue d'artimon, figure 5. L'armée faisant route au plus près du vent, le général marche le premier à la tête de toute la ligne, tous les vaisseaux marcheront sur une même ligne dans les eaux du général, en faisant le même air de vent ; ils se serreront jusqu'à deux tiers de cable si le tems le permet, pour connoître avec le quarré de la quatrieme figure, si l'on est exactement dans les eaux du général sur lequel on doit se regler.

Il faut le tenir précisément par la ligne I E, & vous n'en sortirez pas en tenant le même air de vent que lui.

Maniere de revirer par la contre-marche dans l'ordre de marche au plus près du vent sur une ligne, fig. 6. Le général dans l'ordre de marche étant à la tête de la ligne, les navires qui le suivent le voyant revirer, vont tous revirer dans ses eaux les uns après les autres ; on ne fait aucun signal pour ce mouvement : on doit observer exactement de passer toûjours sous le vent d'un navire que l'on suit qui aura reviré, & de bien regler sa bordée avant que de donner vent devant ; ensorte qu'elle ne soit ni trop longue, ni trop courte, afin que les distances soient toûjours bien observées. Chacun se trouvera après avoir reviré plûtôt sous le vent du vaisseau qui aura reviré avant lui, qu'au vent, étant le seul moyen pour bien serrer la ligne & garder l'ordre de marche. Pour cet effet il faut donner vent devant aussi-tôt que vous couvrez le bossoir de dessous le vent du vaisseau qui aura reviré avant vous, au cas qu'il soit dans son poste ; car s'il n'y étoit pas, il ne faut pas vous regler sur lui, mais à son chef de division dans les eaux de qui il faut revirer ; ce que l'on connoîtra facilement par la ligne I E du quarré.

Dans l'ordre de marche au plus près du vent sur une ligne, fig. 7. Lorsqu'on revire tous en même tems, & que l'arriere-garde devient avant-garde, maniere de se mettre en ligne au plus près du vent.

Pour avertir tous les vaisseaux de revirer en même tems sans faire la contre-marche, un pavillon de Malte au bâton du pavillon du petit mât de hune.

Pour faire donner vent devant à tous les vaisseaux en même tems, un pavillon bleu au même endroit, & ôter le pavillon de Malte.

L'armée qui couroit d'un vent de nord à l'est-nord-est, l'amure à bas-bord sur la ligne B A, vient de revirer pour courir à l'O. N. O. l'amure à stribord, l'arriere-garde devant faire l'avant-garde, & chaque vaisseau met le cap à la route qu'il doit faire pour aller prendre son poste dans la ligne C D.

Pour exécuter ce mouvement avec quelque ordre, il faut que le vaisseau B 9 serve de regle à toute l'armée ; que chaque navire, le général excepté, aille se mettre dans ses eaux ; & qu'y étant arrivé, il coure au plus près comme lui. Ledit navire 9 qui étoit le dernier de la ligne A B doit, dès qu'il a reviré, s'aller mettre à la tête de la ligne C D, & prendre son poste, qui est supposé au point 9, de l'arriere du commandant ; lorsqu'il y est arrivé, il est de la prudence du capitaine qui le commande, de carguer de voiles, ou de mettre en panne, lorsqu'il croit avoir laissé l'espace que doivent occuper les autres vaisseaux de l'arriere-garde, lequel espace doit être pris depuis le point B 9 où il a reviré.

On voit en jettant les yeux sur la figure, que chaque navire de la ligne B A, numérotée depuis 1 jusqu'à 9, doit s'aller placer dans la ligne C D, à son même numéro, en suivant les lignes ponctuées qui marquent la route que chacun doit tenir.

Ils doivent sur-tout avoir la précaution de ménager leur voilure, ensorte que chaque navire passe toûjours de l'arriere de celui qui doit être devant lui dans la ligne C D, & le tienne à une distance raisonnable, afin de ne le point couper & d'éviter les abordages, qui sont plus à craindre pour les vaisseaux de cette nouvelle avant-garde, que pour ceux du corps de bataille & de l'arriere-garde, ceux-ci devant seulement observer de mettre plus de voile, comme ayant plus de chemin à faire pour prendre leur poste. Vous voyez, par exemple, que le commandant 1 qui doit parcourir la ligne A C, pour se mettre à la tête de C D, a la plus longue course à faire, & par conséquent le plus de voile à mettre, & après lui les vaisseaux 2, 3, &c.

Ainsi le plus ou moins de chemin doit décider de la voilure qu'on doit faire.

Dans l'ordre de marche au plus près du vent sur une ligne pour revirer vent arriere, & prendre lof pour lof, un pavillon rouge au bout de la vergue d'artimon, & un pavillon blanc sous les barres du perroquet d'artimon.

Si ayant reviré & pris lof pour lof, on veut mettre l'armée en ligne au plus près du vent, & que l'avant-garde fasse l'arriere-garde, un pavillon rayé blanc & rouge au bout de la vergue d'artimon, en ôtant les autres pavillons.

Ce mouvement se fait de la même maniere que le précédent ; il n'y a que la différence de revirer vent arriere, au lieu de le faire vent devant : ce qui met l'armée plus sous le vent. Du reste chaque vaisseau va prendre son poste dans la ligne C D, en observant les mêmes circonstances ci-dessus détaillées.

Si le général, après avoir fait revirer en même tems tous les vaisseaux de la ligne A B, fig. 8. remet le pavillon de Malte à la place du pavillon bleu, il faut que toute l'armée fasse l'O. N. O. & coure au plus près stribord dans l'ordre où elle se trouve, & que tous les navires se tiennent les uns à l'égard des autres, par le même air de vent où ils étoient avant qu'ils eussent reviré ; c'est-à-dire que faisant l'E. N. E. au plus près bas-bord, chaque vaisseau doit tenir à l'E. N. E, celui qui est à stribord de lui, & qui doit être devant lui lorsqu'on sera en ligne, l'amure à basbord, & à la même distance qu'il étoit dans la ligne A B. Le quarré peut être utile pour ce mouvement. Il faut que le vaisseau qui est au milieu du quarré, & qui parcourt la ligne I E, qui est l'O. N. O. tienne les vaisseaux qui sont à stribord de lui par la ligne IC, & ceux qui sont à bas-bord par la ligne I A, la diagonale A C étant supposée E. N. E. & O. S. O. en observant ces circonstances ; toute l'armée sera E. N. E. & O. S. O. & arrivera toute en même tems dans la ligne F E, chacun au point marqué ; & dans la ligne D C, où l'on suppose que le général fait signe de virer : pour lors toute l'armée se trouvera en ligne au plus près du vent, l'amure à bas-bord, telle que vous la voyez en D C.

Dans l'ordre de marche au plus près du vent sur une ligne, pour revirer vent arriere & prendre lof pour lof, un pavillon rouge au bout de la vergue d'artimon, & un pavillon blanc sous les barres du perroquet d'artimon.

Pour faire tenir tous les vaisseaux dans l'ordre où ils se trouvent après avoir reviré, un pavillon de Malte au bâton de pavillon du petit mât d'hune.

Lorsque l'armée a pris lof pour lof, la manoeuvre est la même que celle dont on vient de parler, quand elle a donné vent devant. Dans l'ordre de marche au plus près du vent sur une ligne, pour avertir tous les vaisseaux de revirer en même tems, un pavillon au bâton de pavillon du petit mât d'hune.

Pour faire donner vent devant à tous les vaisseaux, en même tems un pavillon bleu au même endroit, & ôter le pavillon de Malte.

Pour faire courir tous les vaisseaux dans l'ordre où ils se trouvent après avoir reviré, un pavillon de Malte au bâton de pavillon du petit mât d'hune, & ôter le pavillon bleu.

Pour faire revirer tous les vaisseaux en même tems, un pavillon bleu au même endroit, & ôter le pavillon de Malte.

Ordre de marche sur trois colonnes. Pour mettre l'armée dans l'ordre de marche sur trois colonnes au plus près du vent, un pavillon blanc à croix bleue au bout de la vergue d'artimon, fig. 9.

L'armée marchant au plus près sur trois colonnes, les commandans seront à la tête, & les vaisseaux se serreront jusqu'à deux tiers de cable, si le tems le permet. Les commandans, qui sont les vaisseaux A C E, doivent se tenir, les uns à l'égard des autres, sur la perpendiculaire de la ligne du plus près qu'ils courent : comme l'armée a le cap à l'E. N. E. d'un vent de nord, les lignes A C, C E, doivent être N. N. O. & S. S. E. si l'armée couroit l'O. N. O. l'amure à stribord, ces lignes seroient N. N. E. & S. S. O.... ainsi des autres rhumbs de vent où l'on peut courir. Chaque navire des trois colonnes se tiendra au même air de vent.

Pour déterminer la distance d'une colonne à l'autre, le vaisseau A, qui est à la tête de la colonne sous le vent, doit avoir le vaisseau D, qui est à la queue de la colonne du milieu, sur la perpendiculaire de la ligne du vent ; & il en est de même du vaisseau C, qui est à la tête de la colonne du milieu, qui doit aussi avoir le vaisseau F de la queue de la colonne du vent, sur la perpendiculaire du vent, c'est-à-dire que si le vent est au nord, les lignes A D, C F, doivent être est & oüest, supposé que les deux colonnes de vent serrent la file, & gardent les distances ordonnées, ce qui est de conséquence dans ce mouvement.

On doit observer toutes ces circonstances qui paroîtront absolument nécessaires, lorsqu'il faudra revirer par la contre-marche ; chaque navire voit par le quarré ; s'il est dans son poste, c'est-à-dire s'il a les vaisseaux de sa colonne par la ligne I E ; les vaisseaux qui doivent être par son travers dans les autres colonnes, doivent lui répondre par la ligne G H, & les têtes doivent avoir les queues des colonnes par la ligne R L, l'armée marchant l'amure à-bas-bord ; mais si elle est amurée stribord, ce doit être la ligne P Q, fig. 4.

Ordre de marche par trois colonnes au plus près du vent. Pour revirer par la contre-marche, un pavillon mi-parti blanc & rouge au bâton du petit mât d'hune, fig. 10.

Le vaisseau A de la colonne A B, qui est sous le vent, revirera le premier, & tous ceux de la même colonne revireront successivement dans ses eaux au point A ; les deux autres colonnes continueront leur bordée jusqu'à ce que la tête C de la colonne du milieu se trouve au point G, c'est-à-dire jusqu'à ce que le vaisseau A lui reste par l'air de vent perpendiculaire à celui sur lequel ledit vaisseau A court, qui faisant l'O. N. N. l'amure à stribord, il doit lui rester au S. S. O. qui sera la ligne G H ; car en même tems que le navire C parcourt la ligne C G, le vaisseau A arrive au point H ; alors le vaisseau C, donne vent devant, & le reste de la colonne C D vient pareillement revirer au point G ; pendant ce tems-là, la colonne du vent E F court toûjours l'amure à-bas-bord, jusqu'à ce que la tête E arrive au point I, & voye les deux vaisseaux C & A l'un par l'autre dans les points LK, c'est-à-dire lorsqu'ils lui restent au S. S. O. qui est l'air de vent perpendiculaire à celui sur lequel ils courent, qui est la ligne I K ; ces trois têtes doivent arriver en même tems aux points I L K ; ces lignes A K, CG, plus G L & E I étant égales.

En observant ces mouvemens avec exactitude, les commandans se trouvent de front après avoir reviré, aussi-bien que tous les navires de chaque colonne, & l'armée se trouvera sur les colonnes K M, L N, IO, dans le même ordre qu'auparavant.

Il paroît par la figure, que la colonne de dessous le vent coupe les deux du vent ; mais si on examine cette marche, on trouvera dans l'exécution que la chose n'arrive pas, parce qu'en même tems que le vaisseau A parcourt A H, le navire D arrive au point T ; & pendant que le même vaisseau A parcourt H S, qui est ou qui doit être la jonction des deux colonnes, le navire D arrive en S, en même tems que le navire A ; ainsi pour que le vaisseau A passe de l'arriere du vaisseau D, à une distance raisonnable, il faut qu'il ménage sa voilure, & que le vaisseau D serre sa file.

A l'égard de la colonne du vent, avant que celle de dessous le vent l'ait jointe, le navire F est au point I où il doit revirer ; comme la distance de la colonne du milieu à celle du vent est la même, elle ne la coupera pas plus qu'elle n'a été coupée par celle de dessous le vent ; mais pour bien exécuter ce mouvement, il faut que les vaisseaux de chaque colonne serrent leur file à la distance ordonnée.

Pour savoir par le quarré (fig. 4.) quand les têtes des deux colonnes du vent doivent revirer, ce doit être aussi-tôt que le vaisseau C a le vaisseau A par la ligne IC du quarré.

Ordre de marche sur trois colonnes au plus près du vent. Pour avertir les vaisseaux des trois colonnes de revirer en même tems sans faire la contre-marche, un pavillon de Malte au bâton de pavillon du petit mât d'hune.

Pour faire donner vent à tous les vaisseaux en même tems, un pavillon bleu au même endroit, & ôter le pavillon de Malte, fig. 11.

Pour faire courir tous les vaisseaux dans l'ordre où ils se trouvent après avoir reviré, un pavillon de Malte au bâton de pavillon du petit mât d'hune, & ôter le pavillon bleu. Pour faire donner vent devant à tous les vaisseaux en même tems, un pavillon bleu au même endroit, & ôter le pavillon de Malte.

Les vaisseaux des trois colonnes A B, C D, E F, ont reviré tous en même tems, & courent d'un vent nord à l'O. N. O. l'amure à stribord, parcourant les lignes de la figure ; il faut dans ce mouvement, qui est le même que celui de la fig. 7. excepté que dans celle-là, l'armée est sur une ligne, & dans celle-ci sur trois colonnes ; il faut, dis-je, que chacun observe les mêmes circonstances que j'y ai dites, qui sont que les navires de chaque colonne courent dans le même ordre où ils se trouvent, & qu'ils se tiennent les uns à l'égard des autres par le même air de vent, & la même distance où ils étoient avant qu'ils eussent reviré, par exemple, que chaque colonne soit E. N. E. & O. S. O, qui est la ligne du plus près bas-bord, afin que la colonne A B arrive en même tems sur la ligne G H, la colonne C D sur la ligne I K, & la colonne E F sur la ligne L M ; dans cet instant, le général faisant signal à l'armée de revirer une seconde fois tous en même tems, les colonnes G H, I K, L M, se trouveront formées dans le même ordre, & telles qu'elles étoient : ces observations sont plus détaillées dans la figure 8.

L'armée marchant sur trois colonnes, le général au milieu de son escadre ; maniere de faire mettre en bataille l'escadre de dessous le vent, mettant de panne un pavillon blanc au dessus de la vergue d'artimon, figure 12. L'escadre A B, qui est sous le vent, met en panne ; l'escadre C D du milieu va faire le corps de bataille, & l'escadre E F du vent va prendre l'avant-garde en formant la ligne B E ; pour faire ce mouvement avec ordre & régularité, il faut avoir un point fixe, sur lequel on puisse gouverner pour aller prendre son poste par le plus court chemin & sans embarras ; dans celui-ci le navire D, qui est à la queue de la colonne du milieu, a ce point fixe à-peu-près, en l'imaginant à la distance de deux tiers de cable de l'avant du vaisseau A qui est en panne, pour s'aller mettre devant lui sur la même ligne à la distance de ces deux tiers de cable. L'expérience donnera très-peu d'erreur pour ce point imaginaire, & tous les navires de sa colonne doivent se régler sur lui, gouverner au même air de vent, & le tenir à la même distance, & toûjours sur la ligne E. N. E. & O. S. O. puisque la colonne couroit à l'E. N. E. au plus près : sur ce principe ils arriveront tous en même tems sur la ligne de bataille B E ; à l'égard de la colonne du vent, il faut que le vaisseau F, qui est à la queue, gouverne toûjours au vent du vaisseau C, qui est à la tête de la colonne du milieu, qui est de se régler sur lui, de gouverner au vent pour lui passer au vent à une distance raisonnable, c'est-à-dire un demi-cable à-peu-près, & tous les vaisseaux de sa colonne, doivent faire comme ceux de la colonne du milieu, qui est de se régler sur lui, de gouverner au même rhumb de vent, de le tenir à la même distance, & que toute l'escadre en marchant soit toûjours E. N. E. & O. S. O. le coup-d'oeil est plus beau, & le mouvement plus gracieux d'arriver tous en même tems, pour former la ligne de combat B E ; comme l'escadre F E a une fois plus de chemin à faire que l'escadre C D, il faut qu'elle force de voiles le plus qu'elle pourra, & que la colonne du milieu regle sa voilure pour faire une fois moins de chemin que la colonne du vent.

L'armée marchant sur trois colonnes, maniere de la faire mettre en bataille. L'escadre dessous le vent prenant l'avant-garde, un pavillon bleu au bout de la vergue d'artimon, & ajoûter un pavillon rayé blanc & bleu sous les barres du mât du perroquet d'artimon, figure 13.

L'escadre A B qui est sous le vent, va prendre l'avant-garde de la ligne B H, & occuper l'intervalle G H ; l'escadre du milieu va former le corps de bataille, & occuper l'intervalle I L, & l'escadre E F du vent, va prendre l'arriere-garde, & se mettre dans la place de l'escadre A B : dans cette évolution l'escadre A B a la plus longue course à faire & au plus près, & par conséquent elle doit forcer de voiles pour prendre l'avant-garde le plûtôt qu'elle pourra : dans ce mouvement les deux colonnes du vent n'ont pas de véritable point fixe, sur quoi se régler pour aller prendre leur poste ; elles peuvent se servir d'un point imaginaire, qui tiendra, sans erreur sensible, la place du point fixe : il faut que le navire C, de la tête de la colonne du milieu, donne chasse au point K, qui doit être pris à la distance de deux tiers de cable de la poupe du vaisseau B, qui est à la queue de la colonne de dessous le vent ; cette distance est l'intervalle ordonné entre chaque navire ; ainsi aussi-tôt que le signal est fait pour ce mouvement, le vaisseau C doit relever avec un compas le point K, & sachant à quel rhumb il lui reste, il doit toûjours tenir ce point au même air de vent ; de cette maniere, lorsque le navire B arrivera en G, qui sera son poste, le navire C arrivera en L, qui sera le sien ; & là, il fera l'E. N. E. comme l'avant-garde : tous les navires de la colonne C D, doivent se régler en marchant sur leur tête C, & se tenir tous E. N. E. & O. S. O. les uns des autres, & à la même distance. En suivant cette regle, cette colonne courra à-peu-près à l'est, & fera beaucoup moins de voile que la colonne de dessous le vent, ayant beaucoup moins de chemin à faire, & larguant pour aller prendre son poste : la colonne du vent fera la même manoeuvre que la colonne du milieu, & le navire E de la tête, relevera le point M qui est à deux tiers de cable de la poupe du vaisseau D, & lui donnera chasse, le tenant toûjours au même air de vent qu'il l'a relevé : lorsque le vaisseau D arrivera au point I, qui sera son poste dans la ligne de combat, le navire E arrivera au point A, qui sera le sien dans la même ligne ; & toute la colonne E F du vent observant les mêmes circonstances, c'est-à-dire se tenant E. N. E. & O. S. O. les uns des autres, & à la même distance qu'ils étoient, cette colonne E F du vent fera presque vent arriere, mettant le cap au S. S. E. & fera peu de voile, ayant beaucoup moins de chemin à faire que les deux autres colonnes : il est facile de voir que, si au lieu de donner chasse au point imaginaire M & K, on donnoit chasse aux corps des navires D B, le navire C rencontreroit le vaisseau B au point L, & le vaisseau E rencontreroit le navire D au point N ; qui est la jonction des deux lignes de route ; à quoi on remédie en donnant la chasse aux points K & M, puisque cette manoeuvre donne le tems aux vaisseaux B & D de passer de l'avant, & aux vaisseaux C & E ; de se mettre de l'arriere-d'eux, qui est leur poste, & de faire ensuite l'E. N. E. comme l'avant-garde.

L'armée marchant sur trois colonnes, maniere de la faire mettre en bataille. L'escadre de dessous le vent revirant de bord pour prendre l'arriere-garde & pour prendre le moins de chemin qu'on pourra, un pavillon blanc au bout de la vergue d'artimon, & ajoûtant le pavillon Hollandois au bout du petit mât d'hune, fig. 13.

La colonne A B de dessous le vent, revirera de bord pour aller prendre l'arriere-garde ; l'escadre du milieu D C, va faire le corps de bataille ; & l'escadre du vent E F, doit forcer de voiles pour prendre l'avant-garde.

Dans cette évolution, le vaisseau A de la tête de la colonne de dessous le vent étant également au vent, comme le vaisseau D de la queue de la colonne du milieu, devroit le rencontrer au point K : ainsi il faudra que ce vaisseau A ménage sa voilure, & manoeuvre de maniere qu'il n'aborde pas le vaisseau D, mais qu'il lui passe sous le vent à une distance raisonnable ; & le vaisseau D aura soin de serrer sa file pour éviter l'abordage, comme on a vû dans la figure neuvieme.

Ainsi l'escadre A B se trouvera placée en K M, & l'escadre D C en I L : dans tout ce tems-là le vaisseau F de la queue de la colonne du vent, a dû donner chasse à un point imaginaire pris environ à la distance de deux tiers de cable de l'avant du vaisseau C : ainsi le navire F arrivera en G aussi-tôt que le navire C arrivera en L. Tous les autres vaisseaux de la colonne F E doivent se régler sur le vaisseau F, gouverner au même rhumb, le tenir à la même distance, & toûjours en E. N. E. & O. S. O. comme on a vû fig. 11.

L'ordre d'une armée qui force un passage, fig. 15. & 16. Quelques-uns veulent qu'on mette l'armée qui passe un détroit, sur deux colonnes, les moindres vaisseaux de guerre à la tête & les plus gros à la queue, & que les brûlots & les bâtimens de charge soient entre les deux lignes.

Je trouve néanmoins quelque difficulté dans cet ordre, parce que si les deux colonnes sont fort éloignées, elles pourront être séparées par quelque accident, ou coupées. Si elles sont peu éloignées, elles seront doublées, c'est-à-dire que l'ennemi les attaquant de part & d'autre les mettra l'une & l'autre entre deux feux.

J'aimerois donc mieux ranger l'armée qui force un passage en ordre de retraite, en repliant un peu les aîles de part & d'autre pour leur donner moins d'étendue ; de cette maniere, l'armée ne pourroit être attaquée de nulle part, sans y avoir de quoi se défendre.

Ordre de retraite, fig. 17 & 18. Quand une armée est obligée de faire retraite à la vûe de l'ennemi, on la range sur l'angle obtus B A C, comme on le voit dans la figure. Le général A est au milieu & au vent ; la partie A B de l'armée qui est à la gauche du général, est rangée sur la ligne du plus près stribord, & la partie A C sur la ligne du plus près basbord ; les brûlots & les bâtimens de charge sont au milieu.

Cette maniere de ranger l'armée dans la retraite me paroît très-bonne, comme le représente la figure 17, parce que les ennemis ne peuvent pas s'approcher des vaisseaux fuyards, sans se mettre sous le feu de ceux qui sont plus au vent.

Ainsi les vaisseaux ennemis D ne pourront pas s'approcher des vaisseaux E, sans se mettre sous le feu du général A & de ses matelots.

Si on appréhendoit que l'armée en cet ordre ne fût trop étendue, on pourroit un peu replier ses deux aîles, & lui donner la figure d'une demi-lune au milieu de laquelle un convoi pourroit être en sûreté.

L'ordre d'une armée qui garde un passage, fig. 19. Pour garder efficacement un passage, il faut avoir une armée qui soit presque double de celle qu'on veut empêcher de passer : alors on la divisera en deux parties, qui croiseront l'une d'un côté du passage & l'autre de l'autre. Ainsi pour garder le détroit A E par où on veut empêcher que l'armée C D ne passe ; on fera croiser l'escadre A B du côté A du détroit, & l'escadre E F de l'autre ; puis quand l'ennemi C D se présentera au passage, l'escadre E F qui se trouvera au vent, fondra vent arriere sur lui, tandis que l'escadre A B tiendra le vent pour le couper.

De cette maniere, il sera impossible à l'escadre C D d'échapper, quelque manoeuvre qu'elle fasse.

Si on ne prend pas ces précautions, & que l'armée qui garde le passage se trouve être sous le vent, comme A B ; l'armée C D, en tenant un peu aussi le vent, pourra ranger le côté E du détroit, & échapper.

Si l'armée qui garde le passage se trouve au vent, comme E F, l'armée C D larguera un peu plus, pour ranger le côté A du détroit ; & mille accidens assez ordinaires à la mer lui pourront donner lieu d'amuser l'ennemi, jusqu'à ce que la nuit survienne.

Du vent de nord-oüest, fig. 20. L'armée rangée sur six colonnes, faisant vent arriere, le cap au sud-est, les généraux E D F se tiendront les uns à l'égard des autres sur la perpendiculaire du vent, & en avant chacun des deux colonnes qui le suivent.

Pour mettre l'armée sur six colonnes vent arriere, le général E sera à la tête de ses deux colonnes, & un peu en-avant de ces deux matelots, qui formera le corps de bataille. Les deux autres commandans seront, savoir l'avant-garde D à la droite du général, & en-avant de ses deux colonnes, & l'arriere-garde F à sa gauche, aussi à la tête de ses deux colonnes ; & tous les trois généraux se tiendront sur la perpendiculaire I L de la route qu'ils font. Il est important, dans cet ordre de marche, que le général E se trouve à la distance requise des deux autres commandans D & E, afin que tous les vaisseaux de l'armée puissent prendre leur poste sur la ligne I L, comme il est ici marqué par les lignes ponctuées : quand le général E aura le dernier vaisseau G de la colonne du dedans de l'arriere-garde, au troisieme air de vent de lui, il tiendra de même le vaisseau H au troisieme air de vent : l'intervalle des colonnes, par cette observation, sera telle qu'il convient pour mettre les vaisseaux en ligne de combat, du côté qu'il plaira au général.

Cette évolution n'est point employée dans les signaux de M. de Tourville, quoiqu'elle le soit dans les ordres qu'il employe, & qu'elle paroisse fort bonne.

Du vent d'est, fig. 21. Mettre l'armée vent arriere sur six colonnes, en sorte que les deux commandans soient, à l'égard du général, sur les deux côtés du plus près ; sa voir celui de la droite pour se mettre l'amure à stribord ; le cap au nord-nord-est ; & celui de la gauche ; l'amure à bas-bord, le cap au sud-sud-est.

Le général B qui est sous le vent, à la tête de ses deux colonnes, & en avant de ses deux matelots, formera le corps de bataille ; les deux autres commandans A & C seront, à son égard, sur les deux plus près du vent d'est, savoir celui de la droite au nord-nord-est, & celui de la gauche, au sud-sud-est : de cette maniere, l'armée sera parée pour être en bataille du côté qu'on voudra, mais plus promtement que dans la figure précédente ; parce que les trois généraux mettant en panne, ou faisant petite voile, tous les vaisseaux de leurs escadres viendront occuper leur poste dans les intervalles marqués sur les lignes B A & B C, qui se trouveront, par cette situation, dans l'ordre de marche le plus avantageux pour se mettre en bataille lorsqu'on est vent arriere.

Les distances qui doivent se trouver entre les colonnes seront proportionnées à leur longueur ; si le navire D de la colonne de dedans de l'avant-garde se met au nord-est du général B, ou au quatrieme air de vent de lui, ainsi que le marque la ligne rouge, il faudra que le navire E de la colonne du dedans de l'arriere-garde observe la même chose à l'égard du général B, se tenant au sud-est de lui.

Cette évolution n'est point employée dans les signaux de M. de Tourville, quoiqu'elle soit dans les ordres qu'il employe, & qu'elle paroisse fort bonne. Cet article est tiré d'un Manuscrit qui m'a été communiqué par une personne bien intentionnée pour la perfection de cet Ouvrage, & qui avoit été long-tems à portée d'acquérir des connoissances sûres de tout ce qui concerne la Marine.


EVONIMOIDES. m. (Botan.) arbrisseau très-flexible du Canada, & très commun aux environs de Québec ; il s'éleve considérablement, par le secours des arbres voisins autour desquels il s'entortille tantôt de droite à gauche, & tantôt de gauche à droite. Quoiqu'il soit dépourvû de mains & de vrilles, il embrasse cependant les autres arbres si fortement, qu'à mesure qu'ils grossissent il paroît s'enfoncer & s'ensevelir dans leur écorce & leur substance : de sorte qu'en comprimant & resserrant les vaisseaux qui portent le suc nourricier, il empêche qu'il ne s'y distribue, & les fait enfin périr. Si dans son voisinage il ne rencontre point d'arbre pour s'élever, il se tortille sur lui-même. On pourroit rapporter cette plante au rang des fusains, autrement bonnets de prêtre. Je ne sai pourquoi M. Danty d'Isnard en a fait un genre particulier dans les Mém. de l'académie des Sciences, ann. 1716, où il donne son caractere & ses especes : nous ne le suivrons point dans ces minuties. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EVORA(Géog. mod.) capitale de l'Alentéjo, en Portugal. Long. 10. 25. lat. 38. 28.

EVORA DE MONTE, (Géog. mod.) ville de l'Alentéjo en Portugal.


EVREUX(Géog. mod.) ville de la haute Normandie, en France ; elle est située sur l'Iton. Long. 17. 48. 39. lat. 49. 1. 24.


EVUIDERv. act. en Architecture ; c'est tailler à jour quelque ouvrage de pierre ou de marbre, comme des entre-las ; ou de menuiserie, comme des panneaux de clôture de choeur, d'oeuvre, de tribune, &c. autant pour rendre ces panneaux plus legers, que pour voir à-travers. (P)

EVUIDER, en terme de Cloutier-Faiseur d'aiguilles courbes ; c'est faire une petite coulisse au-dessus ou au-dessous du trou pour contenir le fil, & l'empêcher de s'écarter à droite ou à gauche, pour le rendre d'égale grosseur avec le corps de l'aiguille ; autrement il déchireroit la partie que l'aiguille n'auroit point assez ouverte.

EVUIDER, en terme de Chauderonnier ; c'est mettre la derniere main à l'ouvrage, dégager les contours, pincer les angles, & leur donner plus de grace.

* EVUIDER, (Ouvriers en fer) Ce terme se prend encore en un sens particulier chez les ouvriers en fer. Ils évuident au marteau, à la lime, à la meule, & à la polissoire, lorsqu'au lieu de laisser à un instrument tranchant, ou autre piece, une surface plane, ils creusent plus ou moins cette surface, & la rendent concave.

EVUIDER, en terme de Cornetier, est l'opération par laquelle on forme les dents d'un peigne par le moyen d'un guide-âne qui en scie une, pendant qu'une autre lame moins avancée, comme nous l'avons dit à son article, trace la suivante. C'est par ce moyen qu'on garde une même distance entre toutes les dents d'un peigne.


EVUIDOIRS. m. (Lutherie) outil dont les Facteurs d'instrumens à vent se servent pour accroître en-dedans les trous de ces instrumens qui forment les tons ; il consiste en une meche de perce, emmanchée dans une poignée comme une lime. Voyez les figures dans les Planches de Lutherie.


EX-VOTO(Littér.) cette expression latine que l'usage a fait passer dans notre langue, désigne & les offrandes promises par un voeu, & les tableaux qui représentent ces offrandes ; à l'exemple des Payens qui en ornoient leurs temples, & qui quelquefois y employoient leurs meilleurs artistes.

Ces sortes de tableaux portoient chez les Romains le nom d'ex-voto ; parce que la plûpart étoient accompagnés d'une inscription qui finissoit par ces deux mots ex-voto, pour marquer que l'auteur rendoit public un bienfait reçu de la bonté des dieux, ou qu'il s'acquitoit de la promesse qu'il avoit faite à quelque divinité dans un extrème danger, dont il étoit heureusement échappé. Voyez TABLEAU VOTIF.

Comme l'usage des ex-voto est tombé depuis longtems, même en Italie, & qu'il n'y a que de pauvres peintres qui s'en occupent pour de misérables pélerins, on ne peut s'empêcher d'être touché du triste sort du Cavedone, ce célebre éleve d'Annibal Carrache, qui après s'être attiré l'admiration des plus grands maîtres, éprouva tant de malheurs dans sa famille, que ses rares talens s'affoiblirent au point qu'il se vit réduit à peindre des ex-voto pour subsister, & enfin obligé de demander lui-même publiquement l'aumône. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EXACERBATIONS. f. (Medecine) Voyez REDOUBLEMENT, PAROXYSME ou ACCES, MALADIE, FIEVRE.


EXACTEURS. m. (Hist. anc.) c'étoit, 1°. un domestique chargé de poursuivre le remboursement des dettes de son maître. 2°. Un autre domestique qui avoit l'oeil sur les ouvriers. 3°. Un officier de l'empereur qui hâtoit le recouvrement de l'impôt appellé pecuniarum fiscalium ; on le nommoit aussi compulsor. 4°. Un autre officier qui suivoit les patiens au supplice, & qui veilloit à ce que l'exécution se fit, ainsi qu'elle avoit été ordonnée par les juges. Celui-ci s'appelloit exactor supplicii.


EXACTIONsub. f. (Jurisprud.) c'est l'abus que commet un officier public qui exige des émolumens au-delà de ce qui lui est dû. (A)


EXACTITUDES. f. (Morale) terme relatif à des regles prescrites ou à des conditions acceptées. L'exactitude est en général la conformité rigoureuse à ces regles & à ces conditions.


EXAGERATIONS. f. figure de Rhétorique par laquelle on augmente ou l'on amplifie les choses, en les faisant paroître plus grandes qu'elles ne sont par rapport à leurs qualités bonnes ou mauvaises. Voyez HYPERBOLE.

Ce mot est formé d'exaggero, j'exagere, qui est composé de la préposition ex, & d'agger, un monceau, une élevation de terre. (G)

EXAGERATION, en Peinture, est une méthode de représenter les choses d'une maniere trop chargée & trop marquée, soit par rapport au dessein, soit par rapport au coloris, ou à la position des objets.

L'exagération n'est permise, soit dans la forme, soit dans la couleur des objets, que lorsqu'elle les fait paroître tels qu'ils sont, du point d'où ils doivent être vûs, autrement c'est toûjours un vice. (R)

Mais il est souvent difficile d'éviter ce vice : le peintre qui réussit en ce genre, & qui ne fait point sortir l'objet de son caractere, doit, entr'autres talens, être doüé d'une profonde connoissance des effets de la perspective & de l'effet des couleurs : cette connoissance est absolument nécessaire dans tous les grands ouvrages, où l'on ne peut s'empêcher d'employer l'exagération du dessein, celle de la forme des objets, & celle du ton des couleurs, soit dans les clairs, soit dans les ombres, à cause de la superficie du fond sur lequel on travaille, de la distance où l'ouvrage doit être vû, & du tems qui fait toûjours perdre beaucoup du brillant des couleurs. Voilà l'artifice merveilleux qui, dans les distances proportionnées à la grandeur des tableaux, soûtient le caractere des objets particuliers, & du tout ensemble. Personne, peut-être, n'a rendu cette savante exagération, plus heureuse & plus sensible, que Rubens l'a fait dans les grandes machines. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EXAGONEvoyez HEXAGONE.


EXAHEDREvoyez HEXAHEDRE & CUBE.


EXALTATIONEXALTATION

Les victoires d'Héraclius ayant forcé Siroès, fils & successeur de Cosroès, à demander la paix, une des principales conditions du traité, fut la restitution de la sainte-croix. On raconte qu'Héraclius voulut la conduire lui-même à Jérusalem, & qu'y étant arrivé, il la chargea sur ses épaules pour la porter avec plus de pompe sur le Calvaire : on ajoûte qu'étant à la porte qui mene à cette montagne, il ne put avancer tant qu'il fut revêtu des habits impériaux enrichis d'or & de pierreries, mais qu'il porta très-facilement la croix dès qu'il eut pris, par le conseil du patriarche Zacharie, des habits plus simples & plus modestes.

Telle est l'opinion commune sur l'origine de cette fête : cependant long-tems avant le regne d'Héraclius, on en célebroit une dans l'église greque & latine en l'honneur de la croix sous le même nom d'exaltation, en mémoire, de ce que J. C. dit, en parlant de sa mort, en S. Jean, chap. xij. vers. 32. Lorsque j'aurai été exalté, j'attirerai toute chose à moi ; & encore chap. viij. vers. 28. Quand vous aurez exalté le fils de l'homme, vous connoîtrez qui je suis. Le pere du Sollier assûre que M. Chastelain pensoit que cette fête avoit été instituée à Jérusalem du moins 240 ans avant Héraclius.

Il est certain qu'on en célebroit une du tems de Constantin, ou peu de tems après, à laquelle on pourroit donner le nom d'exaltation ; car Nicephore rapporte qu'on y célebroit la fête de la dédicace du temple bâti par sainte Helene, & consacré le 14 de Septembre de l'an 335, jour auquel on en renouvelloit tous les ans la mémoire ; il ajoûte que cette fête fut aussi appellée l'exaltation de la croix, à cause d'une cérémonie qu'y pratiquoit l'évêque de Jérusalem, qui montant sur un lieu éminent, bâti exprès en maniere de tribune, que les Grecs appelloient les mysteres sacrés de Dieu ou la sainteté de Dieu, y élevoit la sainte-croix pour l'exposer à la vûe du peuple & à sa vénération. Chambers. (G)

EXALTATION, (Algeb.) Quelques auteurs se sont servis de ce mot, en parlant des puissances, pour designer ce qu'on appelle autrement leur élevation ; mais ce dernier mot est beaucoup plus usité, & l'autre doit être proscrit comme inutile. Voyez ELEVATION. (O)

EXALTATION, (Jurisprud.) est l'élévation de quelqu'un à une dignité ecclésiastique ; mais ce terme est devenu propre pour la papauté : l'exaltation du pape est la cérémonie que l'on fait à son couronnement, lorsqu'on le met sur l'autel de S. Pierre. (A)

EXALTATION, (Chimie) terme figuré, ou plûtôt sans signification déterminée, employé par les anciens chimistes, pour exprimer toute purification, atténuation, amélioration, augmentation d'énergie, de vertu, &c.

C'étoit des sels & des soufres exaltés, qui faisoient les odeurs & les saveurs agréables ; la vertu alexipharmaque narcotique des médicamens, &c.

Ce jargon n'est point vieilli en Medecine : on dit fort bien encore dans les écoles & dans les consultations, bile exaltée, sucs exaltés, sels & soufres exaltés, &c. & la plûpart de ceux qui prononcent ces mots, croyent bonnement designer par-là des êtres réels. (b)

EXAMEN de conscience, (Théolog.) revûe exacte qu'un pécheur fait de sa vie passée, afin d'en reconnoitre les fautes & de s'en confesser.

Tous les Théologiens qui ont écrit du sacrement de pénitence, & particulierement les anciens peres, ont beaucoup insisté sur la nature & les qualités de cet examen, comme sur une voie nécessaire pour préparer & conduire le pécheur au repentir sincere de ses fautes. S. Ignace martyr le réduit à cinq points, 1°. rendre grace à Dieu de ses bienfaits : 2°. lui demander les graces & les lumieres nécessaires pour connoître & distinguer nos fautes : 3°. repasser dans notre mémoire toutes nos occupations, actions, pensées, paroles (à quoi il faut ajoûter les omissions), afin de découvrir en quoi nous avons offensé Dieu : 4°. à lui en demander pardon, & concevoir un regret sincere de l'avoir offensé : 5°. à former une ferme résolution de ne plus l'offenser à l'avenir, & prendre toutes les précautions nécessaires pour nous préserver du péché, & en fuir les occasions. (G)

EXAMEN, (Jurisp.) est l'épreuve de la capacité d'une personne qui se présente pour acquérir un état ou remplir quelque fonction qui demande une certaine capacité.

Ainsi dans les Arts & Métiers, les aspirans à la maîtrise subissent un examen, & doivent faire leur chef-d'oeuvre.

Ceux qui se présentent pour avoir la tonsure ou pour prendre les ordres, pour obtenir le visa de l'évêque sur des provisions, sont ordinairement examinés ; voyez l'édit de 1695.

Les étudians dans les universités subissent aussi plusieurs examens, avant d'obtenir leurs degrés : celui qui, après avoir soûtenu ses examens & autres actes probatoires, a été refusé, s'il prétend que ce soit injustement, peut demander un examen public.

Ceux qui sont pourvûs de quelque office de justice, sont examinés sur ce qui concerne leur état, à moins qu'ils ne soient dispensés de l'examen, en considération de leur capacité bien connue d'ailleurs.

Si l'officier passe d'une charge ou place à une autre, qui demande plus de capacité ou quelque connoissance particuliere, il doit subir un nouvel examen. Voyez la Rocheflavin, des parlemens, liv. VI. ch. xxviij. (A)

EXAMEN A FUTUR, voyez ENQUETE D'EXAMEN A FUTUR.


EXAMILIONS. m. (Hist. mod.) muraille célebre que l'empereur Manuel Paléologue fit élever sur l'isthme de Corinthe : elle avoit six milles de longueur : elle couvroit le Péloponnèse contre les incursions des barbares : elle partoit du port Lechée, & s'étendoit jusqu'au port de Cenchrée. Amurat second la démolit : les Vénitiens la reconstruisirent en quinze jours : elle fut renversée pour la seconde fois par Beglerbey, & ne fut point relevée.


EXAMINATEURS. m. (Jurisp.) Voyez COMMISSAIRE AU CHASTELET, COMMISSAIRE ENQUETEUR, & au mot ENQUETEUR. (A)


EXAMINEREXAMINER


EXANGUINadj. en Anatomie, se dit des vaisseaux qui ne renferment point la partie rouge du sang.

Il y a quatre sortes de vaisseaux exanguins ; savoir, les vaisseaux chylidoques, les vaisseaux lymphatiques, les vaisseaux nerveux, & les vaisseaux secrétoires. M. Quesnay, ess. phys. sur l'économie animale. Voyez CHYLIDOQUES, NERVEUX, &c.


EXANTHEMES. m. (Medecine) , dérive de , qui signifie efflorescere, fleurir, d'où les Latins ont appellé les exanthemes, efflorescentiae, efflorescences ; c'est un terme employé pour exprimer l'éruption (qui se fait sur la peau) des humeurs viciées, dans le corps humain, qui se portent de l'interieur à la surface, & y forment des taches qui ne s'élevent pas au-dessus du niveau de la peau, ou de petites tumeurs de différentes especes, de la couleur des tégumens, ou d'une couleur différente.

Puisque les exanthemes, proprement dits, paroissent essentiellement sur la peau ; il s'ensuit donc que la matiere morbifique, qui les forme, a son siege dans les vaisseaux cutanés, & que cette matiere est de nature à ne pas y couler librement, & à y faire naître conséquemment des obstructions, soit parce que le fluide, qui est propre à ces vaisseaux, a trop de consistance, pêche par épaississement ; soit parce qu'il y a pénétré par erreur de lieu, errore loci, une humeur plus grossiere qui en a dilaté, forcé les orifices, & en a engorgé le canal trop étroit, pour les recevoir dans l'état naturel (voyez ERREUR DE LIEU) ; soit parce qu'ils ont été resserrés, retrécis par quelque cause que ce soit : ces différentes causes, propres à produire des exanthemes, peuvent être internes & externes ; ainsi après de grandes sueurs, qui ont fait perdre au sang ses parties les plus fluides, il se forme des pustules prurigineuses par des humeurs privées de véhicule, épaissies, arrêtées dans les vaisseaux cutanés : il se forme des taches rouges ou pourprées, sur la surface du corps, lorsque le sang a perdu sa consistance au point que ses globules rouges puissent pénétrer dans les vaisseaux secrétoires de la peau, où ils ne pourroient pas être admis, lorsque le fluide a sa consistance actuelle : les matieres acres, qui sont portées dans les vaisseaux cutanés, ou qui sont appliquées au-dehors sur les tégumens, peuvent aussi produire des exanthemes en causant des constrictions, des irritations dans les tuniques de ces vaisseaux, qui en diminuent la capacité, y arrêtent les humeurs : dans ces trois sortes de cas, il y a toûjours défaut de méabilité dans les fluides, soit par une mauvaise qualité qui leur est propre, soit par l'état contre nature des solides qui les contiennent, soit par le concours du vice des parties contenues & contenantes. Voyez TACHE, PUSTULE, GALE, &c.

Les exanthemes fébriles sont ceux qui méritent le plus d'attention, parce qu'ils sont le plus souvent formés d'un dépôt de matiere critique, que la fievre porte dans les vaisseaux de la peau : cette matiere s'y arrête & les obstrue, parce qu'elle n'est pas assez atténuée pour couler librement dans toute leur étendue : il conste, par des observations faites sur des cadavres, qu'il se fait aussi quelquefois de semblables dépôts critiques, qui forment des especes d'exanthemes sur la surface des parties internes ; dans ces cas la fievre ne se termine pas par le retour de la santé ni par la mort, mais elle dégénere en une autre maladie : il est évident par conséquent, que la cause efficiente de cette éruption exanthémateuse, est la nature ou la force de la vie, qui fait circuler les humeurs dans les vaisseaux, qui sépare de la masse les fluides viciés, & qui les porte dans des vaisseaux proportionnés à leur densité, à leur mobilité, & au degré de mouvement avec lesquels ils se présentent à leur orifice ; ce qui s'opere conséquemment par un méchanisme semblable à celui des secrétions : les exanthemes sont différens, selon la différente nature de la matiere morbifique, quelquefois ils sont rouges, parce qu'ils sont formés par un sang inflammatoire, épais, qui engorge les vaisseaux cutanés, & d'autres fois ils sont jaunâtres ou de couleur de la peau, parce que la matiere de l'engorgement est un fluide séreux ou lymphatique, qui pêche de même par l'épaississement : c'est aussi de ces différences que les fievres exanthémateuses prennent leurs différens noms ; telles sont les scarlatines, les pétéchiales rouges, pourprées, les miliaires, la rougeole, la petite vérole. Voyez chacun de ces mots en son lieu, sur-tout le dernier, & l'article de la FIEVRE ERUPTOIRE. (d)


EXARQUES. m. (Hist. eccles.) titre de dignité ecclésiastique dans les premiers siecles de l'Eglise.

On donnoit le nom d'exarque à l'évêque de la principale ville d'un diocèse, c'est-à-dire comme ce mot le signifioit alors, de plusieurs provinces ecclésiastiques ; c'est ce que les Latins appellent depuis primat, & les Grecs patriarche. Voyez PATRIARCHE & PRIMAT.

Il y avoit en Orient autant d'exarques que de diocèses : le premier étoit celui d'Asie, & résidoit à Ephese. Polycrate évêque de cette ville présida au concile d'Asie, tenu au sujet de la question de la pâque ; ce qui montre que l'exarchat de cette ville n'étoit pas fondé sur des conditions purement humaines.

Il ne nous reste pas de preuves si éclatantes dans l'antiquité de deux autres exarchats, Césarée en Cappadoce & Héraclée en Thrace. Nous voyons seulement que Firmilien évêque de Césarée, avoit attiré un grand nombre d'évêques de son parti contre le pape Etienne, dans la dispute sur la rébaptisation des hérétiques.

Le patriarche d'Antioche ayant travaillé longtems à diminuer l'autorité des exarques, la fit abolir dans le concile de Chalcédoine. Il ne leur resta que la qualité d'exarques, avec un rang de distinction après les cinq patriarches, mais sans aucune jurisdiction sur les métropolitains de leur diocese. L'évêque de Constantinople s'empara aussi de la jurisdiction des exarques du Pont & de l'Asie : ce dernier exarchat fut, à la vérité, rétabli par un édit du tyran Basilic ; mais l'empereur Zénon, presqu'aussitôt après, rendit au patriarche de Constantinople les droits dont il joüissoit sur cette province. Thomass. discipl. eccles. part. j. liv. I. chap. viij.

Bingham, orig. eccles. tom. I. liv. II. ch. vij. §. 2. remarque qu'on appelloit autrefois les patriarches exarques d'un diocèse, c'est-à-dire d'un grand gouvernement de la ville capitale duquel ils étoient évêques, & qu'on donnoit aux métropolitains le titre d'exarques d'une province ; d'où il conclut que l'exarque étoit la même chose que le patriarche, ce qui est vrai dans le fond, pour les tems qui ont précédé le concile de Chalcédoine ; mais depuis, le nom d'exarque n'a plus été qu'un vain titre, leurs honneurs & leur jurisdiction ayant été attribués aux patriarches.

Le nom d'exarque est encore usité parmi les Grecs modernes, pour signifier un député, un délégué ; par exemple, ceux que le patriarche envoye en diverses provinces, pour voir si l'on y a observé les canons ecclésiastiques, si les évêques font leur devoir, & si les moines sont dans la regle. Goar, in not. ad offic. Constantinop. (G)

EXARQUE, s. m. (Hist. anc.) dans l'antiquité étoit un nom que donnoient les empereurs d'Orient, à certains officiers qu'ils envoyoient en Italie en qualité de lieutenans ou plûtôt de préfets, pour défendre la partie de l'Italie qui étoit encore sous leur obéissance, particulierement la ville de Ravenne, contre les Lombards qui se sont rendus maîtres de la plus grande partie de l'Italie.

L'exarque faisoit sa résidence à Ravenne ; cette ville avec celle de Rome étoit tout ce qui restoit aux empereurs en Italie.

Le patricien Boethius, connu par son traité de consolatione philosophiae, fut le premier exarque. Il fut nommé en 568 par Justin le jeune. Les exarques subsisterent pendant 185 ans, & finirent à Eutychius, sous l'exarquat duquel Astulphe ou Astolphe, roi de Lombardie, s'empara de la ville de Ravenne.

Le pere Papebroch, dans son propylaeum ad acta sanct. Maii, a fait une dissertation sur le pouvoir & les fonctions de l'exarque d'Italie à l'élection & à l'ordination du pape.

Heraclius, archevêque de Lyon, descendant de l'illustre maison de Montboissier, fut créé par l'empereur Fréderic exarque de tout le royaume de Bourgogne : dignité qui jusque-là étoit inconnue par-tout ailleurs qu'en Italie, & particulierement dans la ville de Ravenne. Menestrier, hist. de Lyon.

Homere, Philon & d'autres anciens auteurs, donnent pareillement le nom d'exarques au choriste ou maître des musiciens dans les anciens choeurs, ou à celui qui chante le premier : car le mot ou ; signifie également commencer & commander. Voyez CHOEUR. Chambers. (G)


EXASTYLES. m. terme d'Architecture ; ce mot vient du grec, & se dit d'un portique ou porche qui a six colonnes de front, comme le porche de la Sorbonne, à Paris. (P)


EXCAVATIONdans l'Architecture, c'est l'action de creuser & d'enlever la terre des fondemens d'un bâtiment. Palladio dit, qu'il faut creuser jusqu'à 1/6 de la hauteur de tout le bâtiment.


EXCEDANT(Commerce) ce qui est au-delà de la mesure.

On appelle en terme de Commerce, excedant d'aunage, ce que l'on donne ou ce qui est dû au-delà de l'aunage ordinaire, en aunant des étoffes, toiles & autres marchandises qui se mesurent & se vendent à l'aune. On dit aussi bénéfice d'aunage & plus souvent bon d'aunage. Voyez BENEFICE & BON D'AUNAGE. Dictionn. de Commerce.


EXCELLENCES. f. (Hist. mod.) est une qualité ou titre d'honneur qu'on donne aux ambassadeurs & à d'autres personnes qu'on ne qualifie pas de celui d'altesse ; parce qu'ils ne sont pas princes, mais qu'ils sont au dessus de toutes les autres dignités inférieures. Voyez QUALITE.

En Angleterre & en France on ne donne ce titre qu'aux ambassadeurs : mais il est fort commun en Allemagne & en Italie. Autrefois ce titre étoit réservé pour les princes du sang des différentes maisons royales ; mais ils l'ont abandonné pour prendre celui d'altesse, parce que plusieurs grands seigneurs prenoient celui d'excellence. Voyez ALTESSE.

Les ambassadeurs ne sont en possession de ce titre que depuis 1593, quand Henri IV. roi de France envoya le duc de Nevers en ambassade auprès du pape, où il fut d'abord complimenté du titre d'excellence. Dans la suite on donna le même nom à tous les ambassadeurs résidens dans cette cour, d'où cet usage s'est répandu dans les autres. Voyez AMBASSADEUR.

Les ambassadeurs de Venise ne joüissent de ce titre que depuis 1636, tems auquel l'empereur & le roi d'Espagne consentirent à le leur donner.

Les ambassadeurs des têtes couronnées ne veulent point donner ce titre aux ambassadeurs des princes d'Italie, où cet usage n'est point établi.

La cour de Rome n'accorde jamais la qualité d'excellence à aucun ambassadeur quand il est ecclésiastique, parce qu'elle la regarde comme un titre séculier. Les regles ordinaires & l'usage du mot excellence ont varié un peu par rapport à la cour de Rome. Autrefois les ambassadeurs de France à Rome, donnoient le titre d'excellence à toute la famille du pape alors régnant, au connétable Colonne, au duc de Bracciano, & aux fils aînés de tous ces seigneurs, de même qu'aux ducs Savelli, Cesarini, &c.... mais à présent ils sont plus réservés à cet égard ; cependant ils traitent toûjours d'excellence toutes les princesses romaines.

La cour de Rome de son côté, & les princes romains donnent ce même titre au chancelier, aux ministres & secrétaires d'état, & aux présidens des cours souveraines en France, aux présidens des conseils d'Espagne, au chancelier de Portugal, & à ceux qui remplissent les premieres places dans les autres états, pourvû qu'ils ne soient point ecclésiastiques.

Le mot excellence étoit autrefois le titre que portoient les rois & les empereurs : c'est pourquoi Anastase le bibliothécaire appelle Charlemagne son excellence. On donne encore ce titre au sénat de Venise ; où après avoir salué le doge sous le titre de sérénissime, on qualifie les sénateurs de vos excellences.

Le liber diurnus pontif. rom. traite d'excellence les exarques & les patriciens. Voyez TITRE.

Les François & les Italiens ont renchéri sur la simple excellence, & en ont fait le mot excellentissime & excellentissimo, qui a été donné par plusieurs papes, rois, &c. mais le mot excellentissime n'est plus d'usage en France. Wiquefort & Chambers. (G)


EXCELLENTadj. (Gram.) terme de comparaison, qui marque le dernier degré possible de bonté physique ou morale. Il n'y a rien de mieux que ce qui est excellent. Il se dit du tout ou d'une de ses parties ; de l'être entier ou de quelqu'une de ses qualités.


EXCENTRICITÉS. f. (Astronom.) proprement est la distance qui est entre les centres de deux cercles ou spheres qui n'ont pas le même centre. Voyez EXCENTRIQUE. Ce mot n'est guere usité en ce sens.

Excentricité, dans l'ancienne Astronomie, est la distance qu'il y a entre le centre de l'orbite d'une planete, & le corps autour duquel elle tourne. Voyez PLANETE.

Les astronomes modernes qui ont précédé Kepler, à compter depuis Copernic, croyoient que les planetes décrivoient autour du soleil non des ellipses, mais des cercles, dont le soleil n'occupoit pas le centre. Il ne leur étoit pas venu en pensée d'imaginer d'autres courbes que des cercles ; mais comme ils avoient observé que le diametre du soleil étoit tantôt plus grand, tantôt plus petit, & que le soleil étoit 7 à 8 jours de plus dans les signes septentrionaux que dans les méridionaux, ils en concluoient avec raison que le soleil n'occupoit pas le centre de l'orbite terrestre, mais un point hors de ce centre, tel que la terre étoit tantôt plus près, tantôt plus loin du soleil. Kepler vint, & prouva que les planetes décrivoient sensiblement autour du soleil des ellipses dont cet astre occupoit le foyer. Voyez ELLIPSE. PLANETE, KEPLER, SYSTEME, &c.

Excentricité, dans la nouvelle Astronomie, est la distance qui se trouve entre le centre C de l'orbite elliptique d'une planete (Pl. astron. fig. 1.), & le centre du soleil S, c'est-à-dire la distance qui est entre le centre de l'ellipse & son foyer. On l'appelle aussi excentricité simple.

L'excentricité double est la distance qu'il y a entre les deux foyers de l'ellipse ; qui est égale à deux fois l'excentricité simple, ou l'excentricité tout court. Voyez FOYER & ELLIPSE, &c.

Trouver l'excentricité du soleil. Puisque le plus grand demi-diametre apparent du soleil est au plus petit comme 32' 43" est à 31' 48", ou comme 1963" à 1898" ; la distance la plus grande du soleil à la terre sera à la plus petite comme 1963 est à 1898. Voyez APPARENT, DISTANCE & VISION. Donc puisque P S + S A = P A = 3861 (Planche astronom. fig. 1.) le rayon C P sera 1930 ; & par conséquent S C = P C - P S = 32. Donc C P étant 100000, C S sera trouvée = 1658.

Donc, l'excentricité du Soleil ou de la terre S C étant une petite partie du crayon CP, l'orbite elliptique de la terre ne doit pas s'éloigner beaucoup de la forme circulaire. Ainsi il n'est pas étonnant qu'un calcul fait sur le pié d'un cercle excentrique, réponde à-peu-près aux observations faites grossierement, comme elles l'étoient avant la perfection des instrumens astronomiques. Cependant on s'apperçoit facilement que les observations répondent beaucoup mieux encore à l'hypothèse elliptique, & c'est celle que tous les astronomes suivent aujourd'hui.

L'excentricité de l'orbite terrestre paroît être toûjours la même, ou plûtôt les inégalités qu'on y observe sont très-petites. Il n'en est pas ainsi de celle de la lune qui est sujette à des variations continuelles & très-sensibles. On remarque aussi quelques changemens dans celles de Saturne, de Jupiter, &c. Voyez TERRE, SATURNE, JUPITER, LUNE, &c. Voy. aussi EQUATION, EVECTION, &c. (O)


EXCENTRIQUEadj. en Géométrie, se dit de deux cercles ou globes qui, quoique renfermés l'un dans l'autre, n'ont cependant pas le même centre, & par conséquent ne sont point paralleles ; par opposition aux concentriques qui sont paralleles, & ont un seul & même centre. Voyez CONCENTRIQUE.

EXCENTRIQUE, s. m. dans la nouvelle Astronomie, ou cercle excentrique, est un cercle comme P D A E (Planch. astronom. fig. 1.) décrit du centre de l'orbite d'une planete C, & de la moitié de l'axe C E, comme rayon. Voyez EXCENTRICITE.

L'excentrique ou cercle excentrique, dans l'ancienne Astronomie de Ptolomée, étoit la véritable orbite de la planete même, qu'on supposoit décrite autour de la terre & excentrique à la terre : on l'appelloit aussi déférent, parce que dans l'ancienne Astronomie ce cercle étoit imaginé se mouvoir autour du centre C, & emporter en même tems un autre cercle nommé EPICYCLE, dont le centre étoit comme attaché à la circonférence du déférent, & dans lequel la planete étoit supposée se mouvoir. Voyez DEFERENT, EPICYCLE.

Au lieu des cercles excentriques autour de la terre, les modernes font décrire aux planetes des orbites elliptiques autour du soleil : ce qui explique toutes les irrégularités de leurs mouvemens & leurs distances différentes de la terre, &c. d'une maniere plus exacte & plus naturelle. Voyez ORBITE, PLANETE, &c.

L'anomalie de l'excentrique, chez plusieurs astronomes modernes, est un arc du cercle excentrique comme A K compris entre l'aphélie A & la ligne droite K L, qui, passant par le centre de la planete K, est tirée perpendiculairement à la ligne des apsides A P. Voyez ANOMALIE.

Equation excentrique, dans l'ancienne Astronomie, est la même chose que la prostaphérese. Voyez ce mot.

Le lieu excentrique de la planete dans son orbite, est le point de son orbite où elle est rapportée étant vûe du soleil. Voyez HELIOCENTRIQUE & GEOCENTRIQUE. (O)


EXCEPTERv. act. terme relatif à quelque loi commune. L'exception est des choses qui ne sont pas sous la loi. Ce terme pourroit bien être encore un de ceux qu'on ne peut définir.


EXCEPTION(Jurisprud.) signifie quelquefois reserve, comme quand quelqu'un donne tous ses biens à l'exception d'une maison ou autre effet qu'il se reserve. Celui qui dit tout purement & simplement n'excepte rien. (A)

Exception, est aussi quelquefois une dérogeance à la regle en faveur de quelques personnes dans certains cas : on dit communément qu'il n'y a point de regle sans exception, parce qu'il n'y a point de regle, si étroite soit elle, dont quelqu'un ne puisse être exempté dans des circonstances particulieres ; c'est aussi une maxime en Droit, que exceptio firmat regulam, c'est-à-dire qu'en exemptant de la regle celui qui est dans le cas de l'exception, c'est tacitement prescrire l'observation de la regle pour ceux qui ne sont pas dans un cas semblable. (A)

Exception, signifie aussi moyen & défense : on comprend sous ce terme toutes sortes de défenses. Il y a des exceptions proprement dites, telles que les exceptions dilatoires & déclinatoires qui ne touchent point le fond, & d'autres exceptions péremptoires qui sont la même chose que les défenses au fond. (A)

EXCEPTION D'ARGENT NON COMPTE, non numeratae pecuniae, est la défense de celui qui a reconnu avoir reçu une somme, quoiqu'il ne l'ait pas réellement reçue.

Suivant l'ancien droit romain, cette exception pouvoit être proposée pendant cinq ans ; par le droit nouveau ce délai est reduit à deux ans, à l'égard des reconnoissances pour prêt, vente, ou autre cause semblable ; mais la loi ne donne que trente jours au débiteur, pour se plaindre du défaut de numération des especes dont il a donné quittance.

Comme dans le cas d'une reconnoissance surprise sans numération d'especes, il pourroit arriver que le créancier laissât passer les deux ans de peur qu'on ne lui opposât le défaut de numération, la loi permet au débiteur de proposer cette exception par forme de plainte, de la retention injuste faite par le créancier d'une obligation sans cause.

Cette exception étoit autrefois reçue dans toute la France, suivant le témoignage de Rebuffe.

Présentement elle n'est reçue dans aucun parlement du royaume contre les actes authentiques, lorsqu'ils portent qu'il y a eu numération d'especes en présence des notaires, le débiteur n'a dans ce cas que la voie d'inscription de faux.

A l'égard des actes qui ne font point mention de la numération en présence des notaires, l'usage n'est pas uniforme dans tous les parlemens.

L'exception est encore reçue en ce cas dans tous les parlemens de droit écrit, mais elle s'y pratique diversement.

Au parlement de Toulouse elle est reçue pendant dix ans : mais si elle est proposée dans les deux ans, c'est au créancier à prouver le payement, au lieu que si elle n'est proposée qu'après les deux ans ; c'est au débiteur à prouver qu'il n'a rien reçu.

Au parlement de Grenoble, c'est toûjours au débiteur à prouver le défaut de numération.

Dans celui de Bordeaux elle est reçue pendant 30 ans, mais il faut que la preuve soit par écrit ; & l'exception n'est pas admise contre les contrats qui portent numération réelle.

La coûtume de Bretagne, art. 280, accorde une action pendant deux ans à celui qui a reconnu avoir reçu, lorsque la numération n'a pas été faite.

On tient pour maxime, en général, que l'exception d'argent non compté n'est pas reçue au parlement de Paris, même dans les pays de droit écrit de son ressort, ce qui reçoit néanmoins quelque explication.

Il y a d'abord quelques coûtumes dans le ressort de ce parlement, qui admettent formellement l'exception dont il s'agit, même contre une obligation ou reconnoissance authentique, mais c'est au débiteur à prouver le défaut de numération ; telles sont les coûtumes d'Auvergne, ch. xviij. art. 4. & 5 la Marche, art. 99.

Dans les autres lieux du ressort de ce même parlement, où il n'y a point de loi qui admette l'exception, elle ne laisse pas d'être aussi admise, mais avec plusieurs restrictions ; savoir, que c'est toûjours au débiteur à prouver le défaut de numération, quand même il seroit encore dans les deux années ; il faut aussi qu'il obtienne des lettres de rescision contre sa reconnoissance dans les dix ans à compter du jour de l'acte ; & suivant l'ordonnance de Moulins & celle de 1667, il ne peut être admis à prouver par témoins, le défaut de numération d'especes, contre une reconnoissance par écrit, encore qu'il fût question d'une somme moindre de 100 livres, à moins qu'il n'y ait déjà un commencement de preuve par écrit ; & si c'est un acte authentique qui fasse mention de la numération d'especes à la vûe des notaires, il n'y a en ce cas, comme on l'a déjà dit, que la voie d'inscription de faux. (A)

EXCEPTION CIVILE, suivant le droit romain, étoit celle qui dérivoit du droit civil, c'est-à-dire de la loi, telles que les exceptions de la falcidie, de la trébellianique, de discussion & de division, à la différence des exceptions prétoriennes qui n'étoient fondées que sur les édits du préteur, telles que les exceptions de dol, quod vi, quod metûs causâ vel jurisjurandi. (A)

EXCEPTION DECLINATOIRE, est celle par laquelle le défendeur, avant de proposer ses moyens au fond, décline la jurisdiction du juge devant lequel il est assigné, & demande son renvoi devant son juge naturel, ou devant le juge de son privilége, ou autre juge qui doit connoître de l'affaire par préférence à tous autres.

Les exceptions déclinatoires doivent être proposées avant contestation en cause ; autrement on est reputé avoir procédé volontairement devant le juge, & on n'est plus recevable à décliner. Voyez DECLINATOIRE & RETENTION. (A)

EXCEPTION DE LA CHOSE JUGEE, exceptio rei judicatae, c'est la défense que l'on tire de quelque jugement. Voyez CHOSE JUGEE. (A)

EXCEPTION DILATOIRE, est celle qui ne touche pas le fond ; mais tend seulement à obtenir quelque délai. Par exemple, celui qui est assigné comme héritier, peut demander un délai pour délibérer s'il n'a pas encore pris qualité.

De même celui auquel on demande le payement d'une dette avant l'échéance, peut opposer que l'action est prématurée.

Ces sortes d'exceptions sont purement dilatoires, c'est-à-dire qu'elles ne détruisent pas la demande ; mais il y en a qui peuvent devenir péremptoires, telle que l'exception par laquelle la caution demande la discussion préalable du principal obligé ; car si par l'évenement le principal obligé se trouve solvable, la caution demeure déchargée.

Celui qui a plusieurs exceptions dilatoires les doit proposer toutes par un même acte, excepté néanmoins la veuve & les héritiers d'un défunt, qui ne sont tenus de proposer leurs autres exceptions qu'après que le délai pour délibérer est expiré. Voyez l'ordonnance de 1667, tit. v. art. 6. & titre vj. & jx. (A)

EXCEPTION DE DISCUSSION ET DE DIVISION, sont celles par lesquelles un obligé reclame le bénéfice de discussion ou celui de division. Voyez DISCUSSION & DIVISION. (A)

EXCEPTION DE DOL exceptio doli mali, est la défense de celui qui oppose qu'on l'a trompé. Cette exception est perpétuelle, suivant le droit romain, quoique l'action de dol soit sujette à prescription. (A)

EXCEPTION de dote cautâ non numeratâ, est une espece particuliere d'exception d'argent non nombré, qui est propre pour la dot lorsque le mari en a donné quittance comme s'il l'avoit reçue, quoiqu'il n'y ait pas eu de numération réelle de deniers.

La novelle 100 donne dix ans au mari pour proposer cette exception. Voyez DOT. (A)

EXCEPTION NEGATOIRE, est la défense qui consiste seulement dans la dénégation de quelque point de fait ou de droit. Voyez DENEGATION. (A)

EXCEPTION PEREMPTOIRE, est celle qui détruit l'action ; on l'appelle aussi défense ou moyen au fond ; tel est le payement de la dette qui est demandée, tels sont aussi les moyens résultans d'une transaction, d'une rénonciation ou d'une prescription, par vertu de laquelle le défendeur doit être déchargé de la demande.

Les exceptions péremptoires peuvent être proposées en tout état de cause. (A)

EXCEPTION PERPETUELLE ; on appelle quelquefois ainsi l'exception péremptoire, parce qu'elle tend à libérer pour toûjours le débiteur ; à la différence de l'exception dilatoire, qui ne fait qu'éloigner pour un tems le jugement de la demande.

On peut aussi entendre par exception perpétuelle, celle qui peut être proposée en tout tems, comme sont la plûpart des exceptions, lesquelles sont perpétuelles de leur nature, suivant la maxime temporalia ad agendum perpetua sunt ad excipiendum. Les exceptions perpétuelles prises en ce sens, sont opposées à celles qui ne peuvent être opposées après un certain tems, telles que sont toutes les exceptions dilatoires, l'exception d'argent non compté, & celle de la dot non payée. (A)

EXCEPTION PERSONNELLE, est celle qui est accordée à quelqu'un en vertu d'un titre ou de quelque considération qui lui sont personnels ; par exemple, si on a accordé une remise personnelle à un de plusieurs obligés solidairement, cette grace dont il peut seul exciper ne s'étend point aux autres co-obligés, lesquels peuvent être poursuivis chacun solidairement. Voyez ci-après EXCEPTION REELLE. (A)

EXCEPTION PRETORIENNE. Voyez ci-devant EXCEPTION CIVILE. (A)

EXCEPTION REELLE, est celle qui se tire ex visceribus rei, & qui est inhérente à la chose, telle que l'exception de dol, l'exception de la chose jugée, & plusieurs autres semblables : ces sortes d'exceptions peuvent être opposées par tous ceux qui ont intérêt à la chose, soit co-obligés ou cautions ; ainsi lorsqu'un des coobligés a transigé avec le créancier, les autres coobligés peuvent exciper contre lui de la transaction, quoiqu'ils n'y ayent pas été parties. (A)

EXCEPTION TEMPORAIRE, ou comme quelques-uns l'appellent improprement, exception temporelle, est celle dont l'effet ne dure qu'un tems, telles que les exceptions dilatoires, ou qui ne peut être proposée que pendant un certain tems, comme l'exception d'argent non compté.

Sur les exceptions en général, voyez au digeste, au code & aux institut. les titres de exceptionibus ; l'ordonnance de 1667, tit. jx. Dumolin, style du parlement, chapit. xiij. Le Bret, de l'ancien ordre des jugemens, ch. lxxxij. Henris, tom. II. liv. IV. quest. 68. (A)


EXCÈSS. m. (Grammaire) au physique, c'est la différence de deux quantités inégales.

Au moral, l'acception n'est pas fort différente. On suppose pareillement une mesure à laquelle les qualités & les actions peuvent être comparées ; & c'est par cette comparaison qu'on juge qu'il y a excès ou défaut.

EXCES, s. m. (Commerce) signifie quelquefois ce qui excede une mesure, c'est-à-dire ce qui est au-delà de la dimension ou capacité qu'elle doit avoir.

Ce terme n'est guere en usage en ce sens que dans les bureaux des cinq grosses fermes du roi, établis sur les ports de mer, pour y recevoir les droits de sortie des vins & eaux-de-vie qu'on y embarque pour l'étranger.

Les commis de ces bureaux appellent excès, ce que les barriques contiennent au-delà des cinquante veltes, qui est le pié ordinaire sur lequel le tarif regle les droits de sortie. Ainsi quand la barrique est de 60 veltes, l'excès est de dix veltes, que le commis fait payer à raison de tant par velte, à proportion du droit que les cinquante veltes ont payé. Voy. VELTE. Dictionn. de Comm. de Trév. & Chamb. (G)


EXCESTER(Géog. mod.) ville d'Angleterre, située sur la riviere d'Ex. Long. 14. 10. lat. 50. 52.


EXCIPERv. neut. (Jurisprud.) signifie quelquefois fournir des exceptions proprement dites ; il signifie aussi quelquefois employer une piece pour sa défense : on dit, par exemple, exciper d'une rénonciation, d'une quittance ; il n'est pas permis d'exciper du droit d'autrui, c'est-à-dire de vouloir se faire un moyen d'une chose qui n'intéresse qu'un tiers, & non celui qui en excipe. (A)


EXCIPIENTS. m. (Pharmacie) On désigne par ce nom une substance, soit molle, soit liquide, qui sert à rassembler & à lier les différens ingrédiens d'une composition pharmaceutique, ou qui fournit un véhicule ou une enveloppe à une drogue simple.

L'excipient d'une medecine est ordinairement de l'eau commune ; celui d'une opiate, d'une masse de pilules, d'un bol, une conserve ou un syrop ; celui d'un julep ou d'une potion cordiale, une eau distillée, &c. Voyez ces articles particuliers.

Un liquide destiné à recevoir une ou plusieurs drogues, est également appellé du nom d'excipient, soit qu'elles soient solubles par ce liquide, soit qu'elles ne le soient pas.

L'excipient des compositions sous forme solide, n'en dissout jamais les ingrédiens.

1°. L'excipient doit toûjours ou concourir à remplir l'indication qu'on se propose dans la prescription du médicament dont il fait partie, ou pour le moins être indifférent.

2°. Il ne doit point avoir la propriété de détruire ou d'altérer la vertu des médicamens qu'il reçoit. On ne doit point, par exemple, incorporer des matieres alkalines, soit ferreuses, soit salines, avec un excipient acide, &c. On commet une faute de cette espece, lorsqu'on se sert du syrop de limon pour excipient dans la préparation de la confection hyacinte, qui contient des alkalis terreux, & qui doit à ces matieres absorbantes ses propriétés les plus connues ; car l'acide du citron se combinant avec ces substances, en détruit la vertu absorbante autant qu'il est en lui. Voyez CONFECTION HYACINTHE au mot CONFECTION.

On trouvera à l'article FORMULE, les lois générales des mélanges pharmaceutiques. (b)


EXCISES. f. (Hist. mod. & Comm.) est une entrée ou impôt mis sur la biere, l'aile ou biere douce, le cidre, & autres liqueurs faites pour les vendre, dans le royaume d'Angleterre, dans la principauté de Galles, & dans la ville de Berwick, sur la riviere de Twed. Voyez IMPOT.

L'impôt de l'excise fut d'abord accordé au roi Charles second par un acte du parlement en l'année 1660, pour la vie de ce prince seulement : mais il a été continué & augmenté par différens parlemens sous les différens princes qui ont regné depuis, & il a été étendu à l'Ecosse. Cet impôt dans l'état où il est actuellement, est sur le pié de 4 s. 9 d. par tonneau de biere forte ou d'aile, & de 1 s. 6. d. pour petite biere.

Maintenant comme on accorde aux Brasseurs pour le remplissage de la biere trois tonneaux sur 23, pour l'aile ou biere douce, deux sur 22 ; l'excise exact d'un tonneau de forte biere monte à 4 s. 1 d. 2/3 : celui de l'aile ou biere douce, 4 s. 3 d. 3/4, & celui de la petite biere à 1 s. 1 d. 1 q. 14/15.

L'excise est une des plus considérables branches du revenu du roi : anciennement ce droit étoit affermé : mais à présent il est régi pour le roi par sept commissaires qui demeurent au bureau général de l'excise, reçoivent tout le produit de l'excise de la biere, de l'aile, & autres liqueurs, & du dreche, qui se perçoit sur toute l'Angleterre, & le portent au thrésor. Voyez ECHIQUIER.

Leurs appointemens sont de 800 liv. par an, & ils s'obligent par serment de ne recevoir de droits ou de salaire que du roi seulement. On peut appeller des commis de l'excise à cinq autres qu'on nomme les commissaires des appels.

Le nombre des officiers qui sont employés dans cette branche des revenus est fort grand. Outre les commissaires ci-dessus & leurs officiers sub ordonnés, comme les porte-registres, les ambulans, &c... il y a un auditeur de l'excise avec ses commis, &c... un porte-registre, un secrétaire, un solliciteur, un caissier, un receveur, un clerc des assûrances, un concierge, un portier, un arithméticien pour l'argent, un jaugeur général, des chiffreurs généraux avec leurs assistans, des ambulans, un sécrétaire pour les marchandises qui ne se transportent pas, des examinateurs, un secrétaire pour les journaux qui ont été examinés, des chiffreurs, des examinateurs, &c... pour la distillerie de Londres pour le vinaigre, le cidre, &c. Il y a aussi des examinateurs pour le dreche, des intendans généraux & autres, de la brasserie de Londres, avec des assistans & autres officiers au nombre de cent, des intendans généraux, & autres pour la distillerie de Londres, avec d'autres officiers au nombre de 40, un collecteur, & un intendant pour les liqueurs qu'on fait venir, avec un intendant de débarquement à la douanne, &c.

Les appointemens annuels de tous les officiers de l'excise montent suivant le calcul de M. Chamberlayne à 23650 livres.

De plus il y a dans les provinces cinquante collecteurs & 150 inspecteurs, avec un grand nombre d'officiers inférieurs appellés jaugeurs ou collecteurs de l'excise ; ce qui augmente le nombre de ceux qui sont employés à la perception de ce revenu, jusqu'au nombre de 2000.

L'excise sur la biere, l'aile, & les autres liqueurs qui sont sujettes à ce droit, même en tems de guerre, monte à 1100000 livres par an, & est perçû sur 300000 personnes ou environ.

L'impôt sur le dreche avec l'impôt qu'on a ajoûté sur le cidre, &c. monte entre six à sept cent mille livres par an, & se perçoit sur une plus grande quantité de monde que le premier.

Et cependant toute la dépense faite pour le recueillement de ces droits, ne monte pas à vingt sols pour livre sterling : ce qu'on regarde comme une exactitude & une économie, dont on ne peut pas trouver d'exemple dans aucuns revenus perçus soit dans ce pays, soit par-tout ailleurs.

Tel est le prix ou le produit exact des différentes impositions de l'excise.

Chambers. (G)


EXCLAMATIONS. f. figure de Rhétorique ; par laquelle l'orateur élevant la voix, & employant une interjection soit exprimée soit sous-entendue, fait paroître un mouvement vif de surprise, d'indignation, de pitié, ou quelqu'autre sentiment excité par la grandeur & l'importance d'une chose.

Telle est celle-ci ô ciel ! ô terre ! &c. & celle-ci de Ciceron contre Catilina, ô tems ! ô moeurs ! Le sénat connoît ce traître, le consul le voit, & il vit ! Que dis-je ? il vit, il ose paroître dans le sénat ! Et cette autre dans l'oraison pour Caelius : Proh, dii immortales ! cur interdum in hominum sceleribus maximis, aut connivetis, aut praesentis fraudis poenas in diem reservatis ?

En françois les interjections ô, hélas, ô Dieu ! &c. sont les caracteres de l'exclamation. En latin on se sert de celle-ci, ô, heu, eheu ! ah ! proh superi, proh Deûm atque hominum fidem ! quelquefois cependant l'interjection est sous-entendue, comme miserum me ! hoccine saecullum ! L'interjection est le langage ordinaire de l'admiration & de la douleur. Voyez INTERJECTION. Chambers. (G)


EXCLUSIF(Jurisprud.) signifie qui a l'effet d'exclure. On appelle droit ou privilége exclusif, celui qui est accordé à quelqu'un pour faire quelque chose, sans qu'aucune autre personne ait la liberté de faire le semblable. Clause exclusive, est celle qui défend d'employer quelque chose en certains usages ou au profit de certaines personnes ; voix exclusive dans les élections, est celle qui tend à empêcher que quelqu'un ne soit élu. Voyez EXCLUSION. (A)


EXCLUSIONS. f. en Mathématique. La méthode des exclusions est une maniere de résoudre les problèmes en nombre, en rejettant d'abord & excluant certains nombres comme n'étant pas propres à la solution de la question. Par cette méthode le problème est souvent résolu avec plus de promtitude & de facilité. M. Frenicle mathématicien fort habile, qui vivoit du tems de Descartes, est un de ceux qui s'est le plus servi de cette methode d'exclusion. " M. Frenicle étoit le plus habile homme de son tems dans la science des nombres ; & alors vivoient MM. Descartes, de Fermat de Roberval, Wallis, & d'autres, qui égaloient ou peut-être surpassoient tous ceux qui les avoient précédés. La conjoncture du tems avoit beaucoup aidé ces grands génies à se perfectionner dans cette science. Car la plûpart des savans s'en piquoient alors ; & elle devint tellement à la mode, que non-seulement les particuliers, mais même les nations différentes se faisoient des défis sur la solution des problèmes numériques : ce qui a donné occasion à M. Wallis de faire imprimer en l'année 1658 le livre intitulé Commercium epistolicum, où l'on voit les défis que les Mathématiciens de France faisoient à ceux d'Angleterre ; les réponses des uns, les répliques des autres, & tout le procédé de leur dispute. Dans ces combats d'esprit, M. de Frenicle étoit toûjours le principal tenant, & c'étoit lui qui faisoit le plus d'honneur à la nation françoise.

Ce qui le faisoit le plus admirer, c'étoit la facilité qu'il avoit à résoudre les problèmes les plus difficiles, sans néanmoins y employer l'Algebre, qui donne un très-grand avantage a ceux qui savent s'en servir. MM. Descartes, de Fermat, Wallis, & les autres, avoient bien de la peine avec toute leur algebre, à trouver la solution de plusieurs propositions numériques, dont M. de Frenicle, sans l'aide de cette science, venoit aisément à bout par la seule force de son génie, qui lui avoit fait inventer une méthode particuliere pour cette sorte de problèmes. Je vous déclare ingénûment, dit M. de Fermat dans une de ses lettres imprimées dans le recueil de ses ouvrages, que j'admire le génie de M. de Frenicle qui sans l'Algebre pousse si avant dans la connoissance des nombres ; & ce que j'y trouve de plus excellent, consiste dans la vîtesse de ses opérations. M. Descartes ne l'admiroit pas moins : son arithmétique, dit-il au pere Mersenne, en parlant de M. de Frenicle, doit être excellente, puisqu'elle le conduit à une chose où l'analyse a bien de la peine à parvenir. Et comme le remarque l'auteur de la vie de M. Descartes, ce jugement est d'un poids d'autant plus grand, que M. Descartes étoit moins prodigue d'éloges, particulierement en écrivant au P. Mersenne, à qui il avoit coutume de confier librement ses pensées. Enfin l'on ne peut rien dire de plus avantageux que ce que le célebre M. de Fermat, qui connoissoit aussi-bien que personne la force de tous ceux qui se mêloient alors de la science des nombres, dit dans une de ses lettres où, parlant de quelque chose qu'il avoit trouvée : Il n'y a, dit-il, rien de plus difficile dans toutes les Mathématiques ; & hors M. de Frenicle, & peut-être M. Descartes, je doute que personne en connoisse le secret. De M. Descartes, il n'en est pas bien assuré ; mais il répond de M. de Frenicle.

Cette méthode si admirable qui va, dit M. Descartes, ou l'analyse ne peut aller qu'avec bien de la peine, est celle que M. de Frenicle, qui l'avoit inventée appelloit la méthode des exclusions. Quand il avoit un problème numérique à résoudre, au lieu de chercher à quel nombre les conditions du problème proposé conviennent, il examinoit au contraire à quels nombres elles ne peuvent convenir ; & procédant toûjours par exclusion, il trouvoit enfin le nombre qu'il cherchoit. Tous les mathématiciens de son tems avoie une envie extrème de savoir cette méthode ; & entre autres M. de Fermat prie instamment le pere Mersenne, dans une de ses lettres, d'en obtenir de M. de Frenicle la communication. Je lui en aurois dit-il, une très-grande obligation, & je ne ferois jamais difficulté de l'avoüer. Il ajoûte qu'il voudroit avoir mérité par ses services, cette faveur, & qu'il ne désespere pas de la payer par quelques inventions qui peut-être lui seront nouvelles.

Quelqu'instance que l'on en ait faite à M. de Frenicle, il n'a jamais voulu pendant sa vie donner communication de cette méthode : mais après sa mort elle se trouva dans ses papiers ; & c'est un des traités que l'on a donnés dans le recueil intitulé divers ouvrages de Mathématique & de Physique, par MM. de l'Academie royale des Sciences, à Paris 1693. Comme c'est une méthode de pratique, & qu'en fait de pratique on a bien plûtôt fait d'instruire par des exemples que par des préceptes ; M. de Frenicle ne s'arrête pas à donner de longs préceptes pour tous les cas différens qui peuvent se rencontrer ; mais après avoir établi en peu de mots dix regles générales, il en montre l'application par dix exemples choisis & assez étendus ". Mém. de l'Acad. des Sciences 1693. p. 50, 51, 52. On ne dit ici rien davantage de cette méthode, parce qu'il seroit difficile de donner en peu de paroles une idée assez claire de cette suite de dénombremens & d'exclusions, en quoi elle consiste : il la faut voir dans le livre même : d'ailleurs depuis que les méthodes de l'Algebre sont devenues familieres & ont été perfectionnées, elle n'est plus d'usage, & ne peut être que de simple curiosité. (O)


EXCOMMUNICATIONS. f. (Hist. anc.) séparation de communication ou de commerce avec une personne avec laquelle on en avoit auparavant. En ce sens, tout homme exclus d'une société ou d'un corps, & avec lequel les membres de ce corps n'ont plus de communication, peut être appellé excommunié ; & c'étoit une peine usitée en certains cas parmi les Payens, & qui étoit infligée par leurs prêtres. On défendoit à ceux qu'on excommunioit, d'assister aux sacrifices, d'entrer dans les temples ; on les livroit aux démons & aux Eumenides avec des imprécations terribles : c'est ce qu'on appelloit sacris inter-dicere, diris devovere, execrari. La prêtresse Théano, fille de Menon, fut louée de n'avoir pas voulu dévouer Alcibiade aux furies, quoique les Athéniens l'eussent ordonné ; & les Eumolpides, qui en ce point obéirent au peuple, furent très-blâmés, parce qu'on n'en devoit venir à cette peine qu'aux dernieres extrémités. Elle passa chez les Romains, mais avec la même reserve ; & nous n'en voyons guere d'exemples que celui du tribun Ateius, qui n'ayant pû empêcher Crassus de porter la guerre chez les Parthes, courut vers la porte de la ville par laquelle ce général devoit sortir pour se mettre à la tête des troupes ; & là jettant certaines herbes sur un brasier, il prononça des imprécations contre Crassus. La plus rigoureuse punition qu'infligeassent les druides chez les Gaulois, c'étoit, dit César liv. VI. d'interdire la communion de leurs mysteres à ceux qui ne veulent point acquiescer à leur jugement. Ceux qui sont frappés de cette foudre, passent pour scélérats & pour impies ; chacun fuit leur rencontre & leur entretien. S'ils ont quelqu'affaire, on ne leur fait point justice, ils sont exclus des charges & des dignités, ils meurent sans honneur & sans crédit. On pouvoit pourtant, par le repentir & après quelques épreuves, être rétabli dans son premier état ; cependant si l'on mouroit sans avoir été réhabilité, les druides ne laissoient pas d'offrir un sacrifice pour l'ame du défunt. (G)

EXCOMMUNICATION, (Théologie) peine ecclésiastique par laquelle on sépare & prive quelqu'un de la communication ou du commerce qu'il étoit auparavant en droit d'avoir avec les membres d'une société religieuse. Voyez COMMUNION.

L'excommunication, en général, est une peine spirituelle fondée en raison, & qui opere les mêmes effets dans la société religieuse, que les châtimens infligés par les lois pénales produisent dans la société civile. Ici les législateurs ont senti qu'il falloit opposer au crime un frein puissant ; que la violence & l'injustice ne pouvoient être réprimées que par de fortes barrieres ; & que dès qu'un citoyen troubloit plus ou moins l'ordre public, il étoit de l'intérêt & de la sûreté de la société, qu'on privât le perturbateur d'une partie des avantages, ou même de tous les avantages dont il jouissoit à l'abri des conventions qui font le fondement de cette société : de-là les peines pécuniaires ou corporelles, & la privation de la liberté ou de la vie, selon l'exigence des forfaits. De même dans une société religieuse, dès qu'un membre en viole les lois en matiere grave, & qu'à cette infraction il ajoûte l'opiniâtreté, les dépositaires de l'autorité sacrée sont en droit de le priver, proportionnellement au crime qu'il a commis, de quelques-uns ou de tous les biens spirituels auxquels il participoit antérieurement.

C'est sur ce principe, également fondé sur le droit naturel & sur le droit positif, que l'excommunication restreinte à ce qui regarde la religion, a eu lieu parmi les Payens & chez les Hébreux, & qu'elle l'a encore parmi les Juifs & les Chrétiens.

L'excommunication étoit en usage chez les Grecs, les Romains & les Gaulois, comme on l'a vû par l'article précédent ; mais plus cette punition étoit terrible ; plus les lois exigeoient de prudence pour l'infliger : au moins Platon dans ses lois, liv. VII. la recommande-t-il aux prêtres & aux prêtresses.

Parmi les anciens Juifs on séparoit de la communion pour deux causes, l'impureté légale, & le crime. L'une & l'autre excommunication étoit décernée par les prêtres, qui déclaroient l'homme souillé d'une impureté légale ; ou coupable d'un crime. L'excommunication pour cause d'impureté cessoit lorsque cette cause ne subsistoit plus, & que le prêtre déclaroit qu'elle n'avoit plus lieu. L'excommunication pour cause de crime ne finissoit que quand le coupable reconnoissant sa faute, se soûmettoit aux peines qui lui étoient imposées par les prêtres ou par le sanhédrin. Tout ce que nous allons dire roulera sur cette derniere sorte d'excommunication.

On trouve des traces de l'excommunication dans Esdras, liv. I. c. x. v. 8. Un Caraïte cité par Selden, liv. I. c. vij. de synedriis, assûre que l'excommunication commença à n'être mise en usage chez les Hébreux que lorsque la nation eut perdu le droit de vie & de mort sous la domination des princes infideles. Basnage, hist. des Juifs, liv. V. ch. xviij. art. 2. croit que le sanhédrin ayant été établi sous les Macchabées, s'attribua la connoissance des causes ecclésiastiques & la punition des coupables ; que ce fut alors que le mélange des Juifs avec les nations infideles, rendit l'exercice de ce pouvoir plus fréquent, afin d'empêcher le commerce avec les Payens, & l'abandon du Judaïsme. Mais le plus grand nombre des interpretes présume avec fondement que les anciens Hébreux ont exercé le même pouvoir & infligé les mêmes peines qu'Esdras, puisque les mêmes lois subsistoient ; qu'il y avoit de tems en tems des transgresseurs, & par conséquent des punitions établies. D'ailleurs ces paroles si fréquentes dans les Livres saints écrits avant Esdras, anima quae fuerit rebellis adversus Dominum, peribit, delebitur ; (& selon l'hébreu) exscindetur de populo suo, ne s'entendent pas toûjours de la mort naturelle, mais de la séparation du commerce ou de la communication in sacris.

On voit l'excommunication constamment établie chez les Juifs au tems de Jesus-Christ, puisqu'en S. Jean, ch. jx. v. 22. xij. v. 42. xvj. v. 2. & dans S. Luc, chap. vj. v. 22. il avertit ses apôtres qu'on les chassera des synagogues. Cette peine étoit en usage parmi les Esséniens. Josephe parlant d'eux dans son histoire de la guerre des Juifs, liv. II. chap. xij, dit " qu'aussi-tôt qu'ils ont surpris quelqu'un d'entr'eux dans une faute considérable, ils le chassent de leur corps ; & que celui qui est ainsi chassé, fait souvent une fin tragique : car comme il est lié par des sermens & des voeux qui l'empêchent de recevoir la nourriture des étrangers, & qu'il ne peut plus avoir de commerce avec ceux dont il est séparé, il se voit contraint de se nourrir d'herbages, comme une bête, jusqu'à ce que son corps se corrompe, & que ses membres tombent & se détachent. Il arrive quelquefois, ajoûte cet historien, que les Esséniens voyant ces excommuniés prêts à périr de misere, se laissent toucher de compassion, les retirent & les reçoivent dans leur société, croyant que c'est pour eux une pénitence assez sévere que d'avoir été réduits à cette extrémité pour la punition de leurs fautes ". Voyez ESSENIENS.

Selon les rabbins, l'excommunication consiste dans la privation de quelque droit dont on joüissoit auparavant dans la communion ou dans la société dont on est membre. Cette peine renferme ou la privation des choses saintes, ou celle des choses communes, ou celle des unes & des autres tout à-la-fois ; elle est imposée par une sentence humaine, pour quelque faute ou réelle ou apparente, avec espérance néanmoins pour le coupable de rentrer dans l'usage des choses dont cette sentence l'a privé. Voyez Selden, liv. I. ch. vij. de synedriis.

Les Hébreux avoient deux sortes d'excommunications, l'excommunication majeure, & l'excommunication mineure : la premiere éloignoit l'excommunié de la société de tous les hommes qui composoient l'Eglise : la seconde le séparoit seulement d'une partie de cette société, c'est-à-dire de tous ceux de la synagogue ; ensorte que personne ne pouvoit s'asseoir auprès de lui plus près qu'à la distance de quatre coudées, excepté sa femme & ses enfans. Il ne pouvoit être pris pour composer le nombre de dix personnes nécessaire pour terminer certaines affaires. L'excommunié n'étoit compté pour rien, & ne pouvoit ni boire ni manger avec les autres. Il paroît pourtant par le talmud, que l'excommunication n'excluoit pas les excommuniés de la célébration des fêtes, ni de l'entrée du temple, ni des autres cérémonies de religion. Les repas qui se faisoient dans le temple aux fêtes solemnelles, n'étoient pas du nombre de ceux dont les excommuniés étoient exclus ; le talmud ne met entr'eux & les autres que cette distinction, que les excommuniés n'entroient au temple que par le côté gauche, & sortoient par le côté droit ; au lieu que les autres entroient par le côté droit, & sortoient par le côté gauche : mais peut-être cette distinction ne tomboit-elle que sur ceux qui étoient frappés de l'excommunication mineure.

Quoi qu'il en soit, les docteurs juifs comptent jusqu'à vingt-quatre causes d'excommunication, dont quelques-unes paroissent très-legeres, & d'autres ridicules ; telles que de garder chez soi une chose nuisible ; telles qu'un chien qui mord les passans, sacrifier sans avoir éprouvé son couteau en présence d'un sage ou d'un maître en Israël, &c. L'excommunication encourue pour ces causes, est précedée par la censure qui se fait d'abord en secret ; mais si celle-ci n'opere rien, & que le coupable ne se corrige pas, la maison du jugement, c'est-à-dire l'assemblée des juges, lui dénonce avec menaces qu'il ait à se corriger : on rend ensuite la censure publique dans quatre sabbats, où l'on proclame le nom du coupable & la nature de sa faute ; & s'il demeure incorrigible, on l'excommunie par une sentence conçûe en ces termes : qu'un tel soit dans la séparation ou dans l'excommunication, ou qu'un tel soit séparé.

On subissoit la sentence d'excommunication ou durant la veille ou dans le sommeil. Les juges ou l'assemblée, ou même les particuliers, avoient droit d'excommunier, pourvû qu'il y eût une des 24 causes dont nous avons parlé, & qu'on eût préalablement averti celui qu'on excommunioit, qu'il eût à se corriger ; mais dans la regle ordinaire c'étoit la maison du jugement ou la cour de justice qui portoit la sentence de l'excommunication solemnelle. Un particulier pouvoit en excommunier un autre ; il pouvoit pareillement s'excommunier lui-même, comme, par exemple, ceux dont il est parlé dans les Actes, ch. xxiij. v. 12. & dans le second livre d'Esdras, ch. x. v. 29. qui s'engagent eux-mêmes, sous peine d'excommunication, les uns à observer la loi de Dieu, les autres à se saisir de Paul mort ou vif. Les Juifs lançoient quelquefois l'excommunication contre les bêtes, & les rabbins enseignent qu'elle fait son effet jusque sur les chiens.

L'excommunication qui arrivoit pendant le sommeil, étoit lorsqu'un homme voyoit en songe les juges qui par une sentence juridique l'excommunioient, ou même un particulier qui l'excommunioit ; alors il se tenoit pour véritablement excommunié, parce que, selon les docteurs, il se pouvoit faire que Dieu, ou par sa volonté, ou par quelqu'un de ses ministres, l'eût fait excommunier. Les effets de cette excommunication sont tous les mêmes que ceux de l'excommunication juridique, qui se fait pendant la veille.

Si l'excommunié frappé d'une excommunication mineure, n'obtenoit pas son absolution dans un mois après l'avoir encourue, on la renouvelloit encore pour l'espace d'un mois ; & si après ce terme expiré il ne cherchoit point à se faire absoudre, on le soûmettoit à l'excommunication majeure, & alors tout commerce lui étoit interdit avec les autres ; il ne pouvoit ni étudier ni enseigner, ni donner ni prendre à loüage. Il étoit réduit à-peu-près dans l'état de ceux auxquels les anciens Romains interdisoient l'eau & le feu. Il pouvoit seulement recevoir sa nourriture d'un petit nombre de personnes ; & ceux qui avoient quelque commerce avec lui durant le tems de son excommunication, étoient soûmis aux mêmes peines ou à la même excommunication ; selon la sentence des juges. Quelquefois même les biens de l'excommunié étoient confisqués & employés à des usages sacrés, par une sorte d'excommunication nommée cherem, dont nous allons dire un mot. Si quelqu'un mouroit dans l'excommunication, on ne faisoit point de deuil pour lui, & l'on marquoit, par ordre de la justice, le lieu de sa sépulture, ou d'une grosse pierre ou d'un amas de pierres, comme pour signifier qu'il avoit mérité d'être lapidé.

Quelques critiques ont distingué chez les Juifs trois sortes d'excommunications, exprimées par ces trois termes, niddui, cherem, & schammata. Le premier marque l'excommunication mineure, le second la majeure, & le troisieme signifie une excommunication au-dessus de la majeure, à laquelle on veut qu'ait été attachée la peine de mort, & dont personne ne pouvoit absoudre. L'excommunication niddui dure 30 jours. Le cherem est une espece de réaggravation de la premiere ; il chasse l'homme de la synagogue, & le prive de tout commerce civil. Enfin le schammata se publie au son de 400 trompettes, & ôte toute espérance de retour à la synagogue. On croit que le maranatha dont parle S. Paul, est la même chose que le schammata ; mais Selden prétend que ces trois termes sont souvent synonymes, & qu'à proprement parler les Hébreux n'ont jamais eu que deux sortes d'excommunications, la mineure & la majeure.

Les rabbins tirent la maniere & le droit de leurs excommunications, de la maniere dont Débora & Barac maudissent Meroz, homme qui, selon ces docteurs, n'assista pas les Israélites. Voici ce qu'on en lit dans le Livre des juges, ch. v. v. 23. Maudissez Meroz, dit l'ange du Seigneur : maudissez ceux qui s'asseyeront auprès de lui, parce qu'ils ne sont pas venus au secours du Seigneur avec les forts. Les rabbins voyent évidemment, à ce qu'ils prétendent, dans ce passage, 1°. les malédictions que l'on prononce contre les excommuniés ; 2°. celles qui tombent sur les personnes qui s'asseyent auprès d'eux plus près qu'à la distance de quatre coudées ; 3°. la déclaration publique du crime de l'excommunié, comme on dit dans le texte cité, que Meroz n'est pas venu à la guerre du Seigneur ; 4°. enfin la publication de la sentence à son de trompe, comme Barac excommunia, dit-on, Meroz au son de 400 trompettes : mais toutes ces cérémonies sont récentes.

Ils croyent encore que le patriarche Hénoch est l'auteur de la formule de la grande excommunication dont ils se servent encore à-présent, & qu'elle leur a été transmise par une tradition non interrompue depuis Hénoch jusqu'aujourd'hui. Selden, liv. IV. ch. vij. de jure natur. & gent. nous a conservé cette formule d'excommunication, qui est fort longue, & porte avec elle des caracteres évidens de supposition. Il y est parlé de Moyse, de Josué, d'Elisée, de Giezi, de Barac, de Meroz, de la grande synagogue, des anges qui président à chaque mois de l'année, des livres de la loi, des 390 préceptes qui y sont contenus, &c. toutes choses qui prouvent que si Hénoch en est le premier auteur, ceux qui sont venus après lui y ont fait beaucoup d'additions.

Quant à l'absolution de l'excommunication, elle pouvoit être donnée par celui qui avoit prononcé l'excommunication, pourvû que l'excommunié fût touché de repentir, & qu'il en donnât des marques sinceres. On ne pouvoit absoudre que présent celui qui avoit été excommunié présent. Celui qui avoit été excommunié par un particulier, pouvoit être absous par trois hommes à son choix, ou par un seul juge public. Celui qui s'étoit excommunié soi-même, ne pouvoit s'absoudre soi-même, à moins qu'il ne fût éminent en science ou disciple d'un sage ; hors ce cas, il ne pouvoit recevoir son absolution que de dix personnes choisies du milieu du peuple. Celui qui avoit été excommunié en songe, devoit encore employer plus de cérémonies : il falloit dix personnes savantes dans la loi & dans la science du talmud ; s'il ne s'en trouvoit pas autant dans le lieu de sa demeure, il devoit en chercher dans l'étendue de quatre mille pas ; s'il ne s'y en rencontroit point assez, il pouvoit prendre dix hommes qui sûssent lire dans le Pentateuque ; ou, à leur défaut, dix hommes, ou tout au moins trois. Dans l'excommunication encourue pour cause d'offense, le coupable ne pouvoit être absous que la partie lésée ne fût satisfaite : si par hasard elle étoit morte, l'excommunié devoit se faire absoudre par trois hommes choisis, ou par le prince du sanhédrin. Enfin c'est à ce dernier qu'il appartient d'absoudre de l'excommunication prononcée par un inconnu. Sur l'excommunication des Juifs on peut consulter l'ouvrage de Selden, de Synedriis ; Drusius, de novem sect. lib. III. c. xj. Buxtorf, epist. hebr. le P. Morin, de poenit. la continuat. de l'hist. des Juifs, par M. Basnage ; la dissertation de dom Calmet sur les supplices des Juifs ; & son dictionnaire de la Bible, au mot EXCOMMUNICATION.

Les Chrétiens dont la société doit être, suivant l'institution de Jesus-Christ, très-pure dans la foi & dans les moeurs, ont toûjours eu grand soin de séparer de leur communion les hérétiques & les personnes coupables de crimes. Relativement à ces deux objets, on distinguoit dans la primitive Eglise l'excommunication médicinale de l'excommunication mortelle. On usoit de la premiere envers les pénitens que l'on séparoit de la communion, jusqu'à ce qu'ils eussent satisfait à la pénitence qui leur étoit imposée.

La seconde étoit portée contre les hérétiques, & les pécheurs impénitens & rebelles à l'Eglise. C'est à cette derniere sorte d'excommunication que se rapportera tout ce qui nous reste à dire dans cet article. Quant à l'excommunication médicinale, voyez PENITENCE & PENITENS.

L'excommunication mortelle en général est une censure ecclésiastique qui prive un fidele en tout, ou en partie, du droit qu'il a sur les biens communs de l'Eglise, pour le punir d'avoir desobéi à l'Eglise dans une matiere grave. Depuis les decrétales, on a distingué deux especes d'excommunication ; l'une majeure, & l'autre mineure. La majeure est proprement celle dont on vient de voir la définition, par laquelle un fidele est retranché du corps de l'Eglise, jusqu'à ce qu'il ait mérité par sa pénitence d'y rentrer. L'excommunication mineure est celle qui s'encourt par la communication avec un excommunié d'une excommunication majeure, qui a été légitimement dénoncée. L'effet de cette derniere excommunication ne prive celui qui l'a encourue que du droit de recevoir les sacremens, & de pouvoir être pourvû d'un bénéfice.

Le pouvoir d'excommunier a été donné à l'Eglise dans la personne des premiers pasteurs ; il fait partie du pouvoir des clés que Jesus-Christ même conféra aux apôtres immédiatement & dans leur personne aux évêques, qui sont les successeurs des apôtres. Jesus-Christ, en S. Matthieu, ch. xviij. . 17 & 18. a ordonné de regarder comme un payen & un publicain, celui qui n'écouteroit pas l'Eglise. S. Paul usa de ce pouvoir, quand il excommunia l'incestueux de Corinthe ; & tous les apôtres ont eu recours à ce dernier remede, quand ils ont anathématisé ceux qui enseignoient une mauvaise doctrine. L'Eglise a dans la suite employé les mêmes armes, mais en mêlant beaucoup de prudence & de précautions dans l'usage qu'elle en faisoit ; il y avoit même différens degrés d'excommunication, suivant la nature du crime & de la desobéissance. Il y avoit des fautes pour lesquelles on privoit les fideles de la participation au corps & au sang de Jesus-Christ, sans les priver de la communion des prieres. L'évêque qui avoit manqué d'assister au concile de la province, ne devoit avoir avec ses confreres aucune marque extérieure de communion jusqu'au concile suivant, sans être cependant séparé de la communion extérieure des fideles de son diocèse, ni retranché du corps de l'Eglise. Ces peines canoniques étoient, comme on voit, plûtôt médicinales que mortelles. Dans la suite, l'excommunication ne s'entendit que de l'anathème, c'est-à-dire du retranchement de la société des fideles ; & les supérieurs ecclésiastiques n'userent plus avec tant de modération des foudres que l'Eglise leur avoit mis entre les mains.

Vers le neuvieme siecle on commença à employer les excommunications pour repousser la violence des petits seigneurs qui, chacun dans leurs cantons, s'étoient érigés en autant de tyrans ; puis pour défendre le temporel des ecclésiastiques, & enfin pour toutes sortes d'affaires. Les excommunications encourues de plein droit, & prononcées par la loi sans procédures & sans jugement, s'introduisirent après la compilation de Gratien, & s'augmenterent pendant un certain tems d'année en année. Les effets de l'excommunication furent plus terribles qu'ils ne l'avoient été auparavant ; on déclara excommuniés tous ceux qui avoient quelque communication avec les excommuniés. Grégoire VII. & quelques-uns de ses successeurs, pousserent l'effet de l'excommunication jusqu'à prétendre qu'un roi excommunié étoit privé de ses états, & que ses sujets n'étoient plus obligés de lui obéir.

Ce n'est pas une question, si un souverain peut & doit même être excommunié en certains cas graves, où l'Eglise est en droit d'infliger des peines spirituelles à ses enfans rebelles, de quelque qualité ou condition qu'ils soient : mais aussi comme ces peines sont purement spirituelles, c'est en connoître mal la nature & abuser du pouvoir qui les inflige, que de prétendre qu'elles s'étendent jusqu'au temporel, & qu'elles renversent ces droits essentiels & primitifs, qui lient les sujets à leur souverain.

Ecoutons sur cette matiere un écrivain extrèmement judicieux, & qui nous fera sentir vivement les conséquences affreuses de l'abus du pouvoir d'excommunier les souverains, en prétendant soûtenir les peines spirituelles par les temporelles : c'est M. l'abbé Fleuri, qui dans son discours sur l'histoire ecclésiastique, depuis l'an 600 jusqu'à l'an 1200, s'exprime ainsi : " J'ai remarqué que les évêques employoient le bras séculier pour forcer les pécheurs à pénitence, & que les papes avoient commencé plus de deux cent ans auparavant à vouloir par autorité regler les droits des couronnes ; Grégoire VII. suivit ces nouvelles maximes, & les poussa encore plus loin, prétendant ouvertement que, comme pape, il étoit en droit de déposer les souverains rebelles à l'Eglise. Il fonda cette prétention principalement sur l'excommunication. On doit éviter les excommuniés, n'avoir aucun commerce avec eux, ne pas leur parler, ne pas même leur dire bonjour, suivant l'apôtre S. Jean, ép. II. c. j : donc un prince excommunié doit être abandonné de tout le monde ; il n'est plus permis de lui obéir, de recevoir ses ordres, de l'approcher ; il est exclus de toute société avec les Chrétiens. Il est vrai que Grégoire VII. n'a jamais fait aucune décision sur ce point ; Dieu ne l'a pas permis : il n'a prononcé formellement dans aucun concile, ni par aucune decrétale, que le pape ait droit de déposer les rois ; mais il l'a supposé pour constant, comme d'autres maximes aussi peu fondées, qu'il croyoit certaines. Il a commencé par les faits & par l'exécution.

Il faut avoüer, continue cet auteur, qu'on étoit alors tellement prévenu de ces maximes, que les défenseurs de Henri IV. roi d'Allemagne se retranchoient à dire, qu'un souverain ne pouvoit être excommunié. Mais il étoit facile à Grégoire VII. de montrer que la puissance de lier & de délier a été donnée aux apôtres généralement, sans distinction de personne, & comprend les princes comme les autres. Le mal est qu'il ajoûtoit des propositions excessives. Que l'Eglise ayant droit de juger des choses spirituelles, elle avoit, à plus forte raison, droit de juger des temporelles : que le moindre exorciste est au-dessus des empereurs, puisqu'il commande aux démons : que la royauté est l'ouvrage du démon, fondé sur l'orgueil humain ; au lieu que le sacerdoce est l'ouvrage de Dieu : enfin que le moindre chrétien vertueux est plus véritablement roi, qu'un roi criminel ; parce que ce prince n'est plus un roi, mais un tyran : maxime que Nicolas 1er. avoit avancée avant Grégoire VII. & qui semble avoir été tirée du livre apocryphe des constitutions apostoliques, où elle se trouve expressément. On peut lui donner un bon sens, la prenant pour une expression hyperbolique, comme quand on dit, qu'un méchant homme n'est pas un homme : mais de telles hyperboles ne doivent pas être réduites en pratique. C'est toutefois sur ces fondemens que Grégoire VII. prétendoit en général, que suivant le bon ordre c'étoit l'Eglise qui devoit distribuer les couronnes & juger les souverains, & en particulier il prétendoit que tous les princes chrétiens étoient vassaux de l'église romaine, lui devoient prêter serment de fidélité & payer tribut.

Voyons maintenant les conséquences de ces principes. Il se trouve un prince indigne & chargé de crimes, comme Henri IV. roi d'Allemagne ; car je ne prétens point le justifier. Il est cité à Rome pour rendre compte de sa conduite ; il ne comparoît point. Après plusieurs citations, le pape l'excommunie : il méprise la censure. Le pape le déclare déchû de la royauté, absout ses sujets du serment de fidélité, leur défend de lui obéir, leur permet ou leur ordonne d'élire un autre roi. Qu'en arrivera-t-il ? Des séditions, des guerres civiles dans l'état, des schismes dans l'Eglise. Allons plus loin : Un roi déposé n'est plus un roi : donc, s'il continue à se porter pour roi, c'est un tyran, c'est-à-dire un ennemi public, à qui tout homme doit courir sus. Qu'il se trouve un fanatique, qui ayant lû dans Plutarque la vie de Timoléon ou de Brutus, se persuade que rien n'est plus glorieux que de délivrer sa patrie ; ou qui prenant de travers les exemples de l'Ecriture, se croye suscité comme Aod, ou comme Judith, pour affranchir le peuple de Dieu : voilà la vie de ce prétendu tyran exposée au caprice de ce visionnaire, qui croira faire une action héroïque, & gagner la couronne du martyre. Il n'y en a, par malheur, que trop d'exemples dans l'histoire des derniers siecles ; & Dieu a permis ces suites affreuses des opinions sur l'excommunication, pour en desabuser au moins par l'expérience.

Revenons donc aux maximes de la sage antiquité. Un souverain peut être excommunié comme un particulier. je le veux ; mais la prudence ne permet presque jamais d'user de ce droit. Supposé le cas, très-rare, ce seroit à l'évêque aussi-bien qu'au pape, & les effets n'en seroient que spirituels ; c'est-à-dire qu'il ne seroit plus permis au prince excommunié de participer aux sacremens, d'entrer dans l'église, de prier avec les fideles, ni aux fideles d'exercer avec lui aucun acte de religion : mais les sujets ne seroient pas moins obligés de lui obéir en tout ce qui ne seroit point contraire à la loi de Dieu. On n'a jamais prétendu, au moins dans les siecles de l'Eglise les plus éclairés, qu'un particulier excommunié perdît la propriété de ses biens, ou de ses esclaves, ou la puissance paternelle sur ses enfans. Jesus-Christ, en établissant son évangile, n'a rien fait par force, mais tout par persuasion, suivant la remarque de S. Augustin ; il a dit que son royaume n'étoit pas de ce monde, & n'a pas voulu se donner seulement l'autorité d'arbitre entre deux freres ; il a ordonné de rendre à César ce qui étoit à César, quoique ce César fût Tibere, non-seulement payen, mais le plus méchant de tous les hommes ; en un mot il est venu pour réformer le monde, en convertissant les coeurs, sans rien changer dans l'ordre extérieur des choses humaines. Ses apôtres & leurs successeurs ont suivi le même plan, & ont toûjours prêché aux particuliers d'obéir aux magistrats & aux princes, & aux esclaves d'être soûmis à leurs maîtres bons ou mauvais, chrétiens ou infideles ".

Plus ces principes sont incontestables, & plus on a senti, sur-tout en France, que par rapport à l'excommunication il falloit se rapprocher de la discipline des premiers siecles, ne permettre d'excommunier que pour des crimes graves & bien prouvés ; diminuer le nombre des excommunications prononcées de plein droit ; réduire à une excommunication mineure la peine encourue par ceux qui communiquent sans nécessité avec les excommuniés dénoncés ; & enfin soûtenir que l'excommunication étant une peine purement spirituelle, elle ne dispense point les sujets des souverains excommuniés de l'obéissance dûe à leur prince, qui tient son autorité de Dieu même ; & c'est ce qu'ont constamment reconnu non-seulement les parlemens, mais même le clergé de France, dans les excommunications de Boniface VIII. contre Philippe-le-Bel ; de Jules II. contre Louis XII ; de Sixte V. contre Henri III ; de Grégoire XIII. contre Henri IV ; & dans la fameuse assemblée du clergé de 1682.

En effet, les canonistes nouveaux qui semblent avoir donné tant d'étendue aux effets de l'excommunication, & qui les ont renfermées dans ce vers technique :

Os, orare, vale, communio, mensa negatur.

c'est-à-dire qu'on doit refuser aux excommuniés la conversation, la priere, le salut, la communion, la table, choses pour la plûpart purement civiles & temporelles ; ces mêmes canonistes se sont relâchés de cette sévérité par cet autre axiome aussi exprimé en forme de vers :

Vtile, lex, humile, res ignorata, necesse.

qui signifie que la défense n'a point de lieu entre le mari & la femme, entre les parens, entre les sujets & le prince ; & qu'on peut communiquer avec un excommunié si l'on ignore qu'il le soit, ou qu'il y ait lieu d'espérer qu'en conversant avec lui, on pourra le convertir ; ou enfin quand les devoirs de la vie civile ou la nécessité l'exigent. C'est ainsi que François premier communiqua toûjours avec Henri VIII. pendant plus de dix ans, quoique ce dernier souverain eût été solennellement excommunié par Clément VII.

De-là le concile de Paris, en 829, confirme une ordonnance de Justinien, qui défend d'excommunier quelqu'un avant de prouver qu'il est dans le cas où, selon les canons, on est en droit de procéder contre lui par excommunication. Les troisieme & quatrieme conciles de Latran & le premier concile de Lyon, en 1245, renouvellent & étendent ces reglemens. Selon le concile de Trente, sess. 25. c. iij. de reform. l'excommunication ne peut être mise en usage qu'avec beaucoup de circonspection, lorsque la qualité du délit l'exige, & après deux monitions. Les conciles de Bourges en 1584, de Bordeaux en 1583, d'Aix en 1585, de Toulouse en 1590, & de Narbonne en 1609, confirment & renouvellent le decret du concile de Trente, & ajoûtent qu'il ne faut avoir recours aux censures, qu'après avoir tenté inutilement tous les autres moyens. Enfin la chambre ecclésiastique des états de 1614, défend aux évêques ou à leurs officiaux, d'octroyer monitions ou excommunications, sinon en matiere grave & de conséquence. Mém. du clergé, tom. VII. pag. 990. & suiv. 1107. & suiv.

Le cas de l'excommunication contre le prince pourroit avoir lieu dans le fait, & jamais dans le droit ; car par la Jurisprudence reçûe dans le royaume, & même par le clergé, les excommunications que les papes décernent contre les rois & les souverains, ainsi que les bulles qui les prononcent, sont rejettées en France comme nulles. Mém. du clergé, tom. VI. pag. 998. & 1005.

Elles n'auroient par conséquent nul effet, quant au temporel. C'est la doctrine du clergé de France, assemblé en 1682, qui dans le premier de ses quatre fameux articles, déclara que les princes & les rois ne peuvent être, par le pouvoir des clés, directement ou indirectement déposés, ni leurs sujets déliés du serment de fidélité. Doctrine adoptée par tout le clergé de France, & par la faculté de Théologie de Paris. Libert. de l'église gallic. art. 15.

" On ne peut excommunier les officiers du roi, dit M. d'Héricourt, lois ecclesiast. de France, part. I. ch. xxij. art. 27. " pour tout ce qui regarde les fonctions de leurs charges. Si les juges ecclésiastiques contreviennent à cette loi, on procede contre eux par saisie de leur temporel. Le seul moyen qu'ils puissent prendre, s'ils se trouvent lésés par les juges royaux inférieurs, c'est de se pourvoir au parlement ; si c'est le parlement dont les ecclésiastiques croyent avoir quelque sujet de se plaindre, ils doivent s'adresser au roi ; ce qui n'auroit point de lieu, si un juge royal entreprenoit de connoître des choses de la foi, ou des matieres purement spirituelles, dont la connoissance est reservée en France aux tribunaux ecclésiastiques : car dans ce cas les juges d'église sont les vengeurs de leur jurisdiction, & peuvent se servir des armes que l'Eglise leur met entre les mains ".

Comme nous ne nous proposons pas de donner ici un traité complet de l'excommunication, nous nous contenterons de rapporter les principes les plus généraux, les plus sûrs, & les plus conformes aux usages du royaume sur cette matiere.

Lorsque dans une loi ou dans un jugement ecclésiastique on prononce la peine de l'excommunication, la loi ou le jugement doivent s'entendre de l'excommunication majeure qui retranche de la communion des fideles.

L'excommunication est prononcée ou par la loi qui déclare que quiconque contreviendra à ses dispositions, encourra de plein droit la peine de l'excommunication, sans qu'il soit besoin qu'elle soit prononcée par le juge ; ou elle est prononcée par une sentence du juge. Les canonistes appellent la premiere excommunication, datae sententiae ; & la seconde, excommunication ferendae sententiae. Il faut néanmoins observer que comme on doit toûjours restraindre les lois pénales, l'excommunication n'est point encourue de plein droit, à moins que la loi ou le canon ne s'exprime sur ce sujet d'une maniere si précise, que l'on ne puisse douter que l'intention du législateur n'ait été de soûmettre par le seul fait à l'excommunication ceux qui contreviendront à la loi.

Les excommunications prononcées par la loi, n'exigent point de monitions préalables ou monitoires ; mais les excommunications à prononcer par le juge, en exigent trois faites dans des intervalles convenables. Voyez MONITOIRE.

On peut attaquer une excommunication, ou comme injuste, on comme nulle : comme injuste, quand elle est prononcée pour un crime dont on est innocent, ou pour un sujet si leger, qu'il ne mérite pas une peine si grave : comme nulle, quand elle a été prononcée par un juge incompétent, pour des affaires dont il ne devoit pas prendre connoissance, & quand on a manqué à observer les formalités prescrites par les canons & les ordonnances. Néanmoins l'excommunication, même injuste, est toûjours à craindre ; & dans le for extérieur, l'excommunié doit se conduire comme si l'excommunication étoit légitime.

Le premier effet de l'excommunication est que l'excommunié est séparé du corps de l'Eglise, & qu'il n'a plus de part à la communion des fideles. Les suites de cette séparation sont que l'excommunié ne peut ni recevoir ni administrer les sacremens, ni même recevoir après sa mort la sépulture ecclésiastique, être pourvû de bénéfices pendant sa vie ou en conférer, ni être élû pour les dignités, ni exercer la jurisdiction ecclésiastique. On ne peut même prier pour lui dans les prieres publiques de l'Eglise : & de-là vient qu'autrefois on retranchoit des dyptiques les noms des excommuniés. Voy. DYPTIQUES. Il est même défendu aux fideles d'avoir aucun commerce avec les excommuniés : mais comme le grand nombre des excommunications encourues par le seul fait, avoient rendu très-difficile l'exécution des canons qui défendent de communiquer avec des excommuniés, le pape Martin V. fit dans le concile de Constance une constitution qui porte, qu'on ne sera obligé d'éviter ceux qui sont excommuniés par le droit, ou par une sentence du juge, qu'après que l'excommunication aura été publiée, & que l'excommunié aura été dénoncé nommément. On n'excepte de cette regle que ceux qui sont tombés dans l'excommunication pour avoir frappé un clerc, quand le fait est si notoire qu'on ne peut le dissimuler, ni le pallier par aucune excuse quelque qu'elle puisse être. La dénonciation des excommuniés nommément, doit se faire à la messe paroissiale pendant plusieurs dimanches consécutifs ; & les sentences d'excommunication doivent être affichées aux portes des églises, afin que ceux qui ont encouru cette peine soient connus de tout le monde. Depuis la bulle de Martin V. le concile de Bâle renouvella ce decret, avec cette différence que, suivant la bulle de Martin V. on n'excepte de la loi, pour la dénonciation des excommuniés, que ceux qui ont frappé notoirement un clerc, qu'on est obligé d'éviter dès qu'on sait qu'ils ont commis ce crime ; au lieu que le concile de Bâle veut qu'on évite tous ceux qui sont excommuniés notoires, quoiqu'ils n'ayent pas été publiquement dénoncés. Cet article du concile de Bâle a eté inséré dans la pragmatique sans aucune modification, & répété mot pour mot dans le concordat. Cependant on a toûjours observé en France de n'obliger d'éviter les excommuniés que quand ils ont été nommément dénoncés, même par rapport à ceux dont l'excommunication est connue de tout le monde, comme celle des personnes qui font profession d'hérésie. Voyez CONCORDAT & PRAGMATIQUE.

Avant que de dénoncer excommunié celui qui a encouru une excommunication latae sententiae, il faut le citer devant le juge ecclésiastique, afin d'examiner le crime qui a donné lieu à l'excommunication, & d'examiner s'il n'y auroit pas quelque moyen légitime de défense à proposer. Au reste, ceux qui communiquent avec un excommunié dénoncé, soit pour le spirituel, soit pour le temporel, n'encourent qu'une excommunication mineure.

Dès qu'un excommunié dénoncé entre dans l'Eglise, on doit faire cesser l'office divin ; en cas que l'excommunié ne veuille pas sortir, le prêtre doit même abandonner l'autel ; cependant s'il avoit commencé le canon, il devroit continuer la sacrifice jusqu'à la communion inclusivement, après laquelle il doit se retirer à la sacristie pour y réciter le reste des prieres de la messe : tous les canonistes conviennent qu'on doit en user ainsi.

Dans la primitive Eglise, la forme d'excommunication étoit fort simple : les évêques dénonçoient aux fideles les noms des excommuniés, & leur interdisoient tout commerce avec eux. Vers le jx. siecle, on accompagna la fulmination de l'excommunication d'un appareil propre à inspirer la terreur : douze prêtres tenoient chacun une lampe à la main, qu'ils jettoient à terre & fouloient aux piés : après que l'évêque avoit prononcé l'excommunication, on sonnoit une cloche, & l'évêque & les prêtres proféroient des anathèmes & des malédictions. Ces cérémonies ne sont plus guere en usage qu'à Rome, où tous les ans le jeudi-saint, dans la publication de la bulle in coena Domini (voyez BULLE), l'on éteint & l'on brise un cierge : mais l'excommunication en soi n'est pas moins terrible & n'a pas moins d'effet, soit qu'on observe ou qu'on omette ces formalités.

L'absolution de l'excommunication étoit anciennement réservée aux évêques : maintenant il y a des excommunications dont les prêtres peuvent relever : il y en a de réservées aux évêques, d'autres au pape. L'absolution du moins solemnelle de l'excommunication est aussi accompagnée de cérémonies. Lorsqu'on s'est assûré des dispositions du pénitent, l'évêque à la porte de l'église, accompagné de douze prêtres en surplis, six à sa droite & six à sa gauche, lui demande s'il veut subir la pénitence ordonnée par les canons, pour les crimes qu'il a commis ; il demande pardon, confesse sa faute, implore la pénitence, & promet de ne plus tomber dans le desordre : ensuite l'évêque assis & couvert de sa mitre récite les sept pseaumes avec les prêtres, & donne de tems en tems des coups de verge ou de baguette à l'excommunié, puis il prononce la formule d'absolution qui a été déprécative jusqu'au xiij. siecle, & qui depuis ce tems là est impérative ou conçue en forme de sentence ; enfin il prononce deux oraisons particulieres, qui tendent à rétablir le pénitent dans la possession des biens spirituels dont il avoit été privé par l'excommunication. A l'egard des coups de verges sur le pénitent, le pontifical qui prescrit cette cérémonie, comme d'usage à Rome, avertit qu'elle n'est pas reçue par-tout, & ce fait est justifié par plusieurs rituels des églises de France, tels que celui de Troyes en 1660, & celui de Toul en 1700.

Lorsqu'un excommunié a donné avant sa mort des signes sinceres de repentir, on peut lui donner après sa mort l'absolution des censures qu'il avoit encourues.

Comme un excommunié ne peut ester en jugement, on lui accorde une absolution indicielle ou absolutio ad cautelam, pour qu'il puisse librement poursuivre une affaire en justice : cette exception n'est pourtant pas reçue en France dans les tribunaux séculiers. C'est à celui qui a prononcé l'excommunication, ou à son successeur, qu'il appartient d'en donner l'absolution. Sur toute cette matiere de l'excommunication, on peut consulter le pere Morin, de poenit. Eveillon, traité des censures ; M. Dupin, de antiq. eccles. discipl. dissert. de excomm. l'excellent ouvrage de M. Gibert, intitulé, usage de l'église gallicane, contenant les censures ; les lois ecclésiast, de France, par M. d'Héricourt, premiere part. chap. xxij. & le nouvel abregé des mémoires du clergé, au mot censures. (G)

Lisez aussi le traité des excommunications, par Collet Dijon 1689, in -12. & qui a été réimprimé depuis à Paris. Cette matiere est digne de l'attention des souverains, des sages, & des citoyens. On ne peut trop refléchir sur les effets qu'ont produit les foudres de l'excommunication, quand elles ont trouvé dans un état des matieres combustibles : quand les raisons politiques les ont mises en oeuvre, & quand la superstition des tems les ont souffertes. Grégoire V. en 998, excommunia le roi Robert, pour avoir épousé sa parente au quatrieme degré ; mariage en soi légitime, & des plus nécessaires au bien de l'état. Tous les évêques qui eurent part à ce mariage, allerent à Rome faire satisfaction au pape : les peuples, les courtisans mêmes se séparerent du roi ; & les personnes qui furent obligées de le servir, purifierent par le feu, toutes les choses qu'il avoit touchées.

Peu d'années après en 1092, Urbain II. excommunia Philippe I. petit-fils de Robert, pour avoir quitté sa parente. Ce dernier prononça sa sentence d'excommunication dans les propres états du roi, à Clermont en Auvergne, où sa sainteté venoit chercher un asyle ; dans ce même concile où elle prêcha la croisade, & où pour la premiere fois le nom de pape fut donné au chef de l'Eglise, à l'exclusion des évêques qui le prenoient auparavant. Tant d'autres monumens historiques, que fournissent les siecles passés sur les excommunications, & les interdits des royaumes, ne seroient cependant qu'une connoissance bien stérile, si on n'en chargeoit que sa mémoire. Mais il faut envisager de pareils faits d'un oeil philosophique, comme des principes qui doivent nous éclairer, & pour me servir des termes de M. d'Alembert, comme des recueils d'expériences morales faites sur le genre humain. C'est de ce côté là que l'histoire devient une science utile & précieuse. Voy. HISTOIRE. Addition de M(D.J.)


EXCOMPTou ESCOMPTE, s. m. pecuniae remissio, (Jurisp.) est la remise que fait le porteur d'une lettre ou billet de change d'une partie de la dette, lorsqu'il en demande le payement avant l'échéance, ou que la dette est douteuse & difficile à exiger. L'excompte differe du change en ce que celui-ci se paye d'avance, au lieu que l'escompte se paye à mesure que l'on s'acquite : l'escompte est souvent un détour que l'on prend pour colorer l'usure.

On appelle aussi excompte dans le Commerce, lorsqu'un marchand prend de la marchandise à crédit pour trois, six, neuf, douze ou quinze mois, à la charge d'en faire l'excompte à chaque payement, c'est-à-dire de rabattre sur le billet deux & demi pour cent, qui tiennent lieu d'intérêt, à-proportion qu'il paye, Voyez le parfait négociant de Savary, Barrême, & ci-après EXCOMPTER, & ci-devant ESCOMPTE. (A)


EXCOMTEou ESCOMPTER, verb. act. (Jurisprud.) c'est faire l'escompte ou diminution d'une somme sur une lettre ou billet de change.

On appelle aussi excompter, vendre de ces sortes d'effets sur la place, au-dessous de leur valeur, pour acquiter quelque dette. Voyez ci-dessus EXCOMPTE. (A)


EXCORIATIONS. f. (Medecine) dépouillement de l'épiderme ou du repli de la peau, tant des parties externes que des parties internes, par quelque cause que ce soit.

Comme toutes les parties doüées de mouvement & de sentiment, sont revêtues ou de l'épiderme, ou d'une membrane fine & déliée qui les tapisse, ou de mucosité qui leur sert de liniment ; cette épiderme, cette membrane fine, cette mucosité, peuvent être emportées par des accidens, des frottemens externes, ou par des remedes internes corrosifs ! en un mot, l'épiderme s'excoriera par toute force capable de produire cette abrasion, comme par frottement violent, par des matieres acres, par le croupissement des humeurs, la colliquation, la mortification, la brûlure.

La partie dépouillée ressent alors de la douleur, de la chaleur, de l'ardeur, de la cuisson, de l'inflammation : elle se desseche, se retire, répand une tumeur tenue rougeâtre, se revêt ensuite d'une croute, jette du pus, s'ulcere, & forme une escharre.

On préviendra le mal en oignant la partie exposée à un frottement violent, de quelque corps gras, pour la garantir. On guérit le mal par la suppression des causes de l'excoriation, en couvrant la partie excoriée d'un topique huileux, onctueux, balsamique, ami des nerfs ; en l'étuvant avec un liquide un peu astringent & antiputride ; en évitant tout attouchement, & l'exposition à l'air nud : dans les excoriations internes, il faut injecter ou prendre les remedes les plus adoucissans.

Voilà qui suffit pour les excoriations en général ; mais il survient fréquemment aux enfans en particulier, des rougeurs & des excoriations en différentes parties du corps, sur-tout derriere les oreilles, au cou & aux cuisses. Il est bon d'indiquer ici le traitement de ces sortes d'excoriations, qui sont très-communes.

Celles des cuisses proviennent ordinairement de l'acrimonie de l'urine, qui à force de passer sur l'épiderme l'enleve, & insensiblement laisse la peau délicate de ces jeunes créatures à découvert. On guérira ces excoriations, en bassinant doucement deux ou trois fois par jour les parties excoriées avec de l'eau tiede, qui dissoudra & emportera avec elle les sels acrimonieux qui en sont cause. On peut aussi délayer dans l'eau de la céruse réduite en poudre fine, de la craie ou de l'ardoise calcinée, & l'appliquer sur la partie excoriée après la lotion.

Mais si l'inflammation & l'excoriation étoient considérables, il seroit à-propos d'user en fomentation, deux ou trois fois par jour, de la solution de trochisques de blanc de rhasis dans de l'eau de plantain ; l'on aura soin en même tems de ne rien épargner pour que les parties soient seches, & pour qu'elles ne se frottent point les unes contre les autres ; ce que l'on obtiendra en employant un peu d'onguent dessicatif rouge ou de diapompholyx, & en interposant entre les parties des morceaux de vieux linge fin, chaud & sec, C'est à la nourrice à avoir ce soin & à y veiller avec attention. L'enfant ne sait que crier & pleurer ; celui du riche comme celui du pauvre, celui du prince, comme celui du berger. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EXCORTICATIONS. f. (Pharmacie) est l'action de dépouiller quelque chose de sa peau ou écorce ; on l'appelle aussi décortication. Voyez ECORCE & DECORTICATION.


EXCREMENTS. m. (Medecine) excrementum : ce terme est employé dans un sens plus ou moins étendu : il signifie, en général, toute matiere soit solide, soit fluide, qui est évacuée du corps des animaux, parce qu'elle est surabondante, ou inutile, ou nuisible.

Le sang menstruel est une matiere excrémentitielle rejettée des vaisseaux de la matrice, où il étoit ramassé en trop grande quantité. Les matieres fécales sont poussées hors du corps où elles ne peuvent être d'aucune utilité pour l'économie animale, étant dépouillées de toutes les parties qui pourroient contribuer à la formation du chyle. L'urine, la matiere de la transpiration, sont aussi séparées de la masse des humeurs, où elles ne pourroient que porter la corruption, qu'elles commencent à contracter elles-mêmes. Presque toutes les humeurs excrémentitielles sont formées des recrémens, qui ont degénéré à force de servir aux différens usages du corps. Voyez RECREMENT, SECRETION.

Le mot excrément, employé seul, est plus particulierement destiné à désigner la partie grossiere, le marc des alimens & des sucs digestifs, dont l'évacuation se fait par le fondement : on y comprend aussi vulgairement l'urine : ce sont les excrémens les plus abondans du corps humain, sous forme sensible. Voyez DEJECTION, TRANSPIRATION, URINE. (d)

EXCREMENS, (Chim.) Voyez FECALE (Matiere).

EXCREMENS, (Chimie & Alchimie) Les Alchimistes n'ont pas laissé que de travailler sur les excrémens humains ; on a prétendu en tirer un sel auquel on a attribué de très-grandes vertus : il faut, dit-on, pour cela prendre des excrémens après qu'ils ont été séchés au soleil de l'été. On fait brûler cette matiere jusqu'à ce qu'elle devienne noire ; on en remplit des creusets ou pots, & on la réduit en cendres au feu le plus violent, & de ces cendres on tire un sel fixe. Ou bien, on prend des excrémens humains desséchés, on les arrose avec de l'urine épaissie par l'évaporation ; on laisse putréfier ce mêlange, ensuite on le met en distillation ; on mêle ensemble les différens produits qu'on a obtenus, & on réitere plusieurs fois le même procédé. Ce travail est très-dégoûtant & d'une parfaite inutilité. Voy. Teichmeyeri instit. chimic. p. 172. & l'aurea catena Homeri.


EXCREMENTEUXEXCREMENTIEL, EXCREMENTITIEL, adj. sont des épithetes synonymes, que l'on donne en Medecine à toutes les matieres qui sont de la nature des excrémens en général. Voyez EXCREMENT. (d)


EXCRETEUREXCRETEUR


EXCRETIONS. f. terme de Medecine, qui sert à exprimer en général l'action par laquelle les différentes humeurs, qui ont été séparées du sang, sont portées hors des organes secrétoires. Voyez SECRETION, EXCRETOIRE, GLANDE.

Le mot excrétion, est aussi employé pour signifier particulierement l'expulsion des matieres fécales, des urines, des sueurs.

On donne aussi quelquefois le nom d'excrétion à la matiere même évacuée. Voyez EXCREMENT. (d)


EXCROISSANCES. f. (Medecine) se dit en général de toute tumeur contre nature, qui se forme par le méchanisme de l'accroissement sur la surface des parties du corps ; ainsi les verrues sont des excroissances, comme les fics, les polypes, les sarcomes, &c. Voyez VERRUE, FIC, POLYPE, SARCOME. (d)


EXCURSIONS. f. terme d'Astronomie. Les cercles d'excursion sont des cercles paralleles à l'écliptique, & placés à une telle distance de ce grand cercle, qu'ils renferment ou terminent l'espace des plus grandes excursions ou deviations des planetes par rapport à l'écliptique. Ces excursions doivent être fixées à environ 7 degrés, parce que les orbites des planetes sont fort peu inclinées à l'écliptique, de sorte que la zone qui renferme toutes ces orbites n'a qu'environ sept degrés de largeur d'un côté, & de l'autre. Voyez INCLINAISON, CERCLE.

Les points où une planete est dans sa plus grande excursion, se nomment limites. Voyez LIMITE. (O)


EXCUSATIONS. f. (Jurisprudence) se dit des raisons & moyens que quelqu'un allegue pour être déchargé d'une tutele, curatelle, ou autre charge publique. Voyez TUTELE, CURATELLE.

Lorsqu'on s'excuse seulement de comparoître en personne en justice, cette excuse s'appelle une exoine. Voyez EXOINE. (A)


EXCUSES. f. (Grammaire) raison ou prétexte qu'on apporte à celui qu'on a offensé, pour affoiblir à ses yeux la faute qu'on a commise.


EXEATS. m. (Juris.) terme latin usité comme françois, en matiere ecclésiastique, pour exprimer la permission qu'un évêque donne à un prêtre de sortir du diocese où il a été ordonné. Le concile de Nicée, can. 16. & 17. celui d'Antioche, can. 3. & celui de Chalcédoine défendent aux clercs de quitter l'église où ils ont été ordonnés, sans la permission de l'évêque ; les évêques des autres diocèses ne doivent point leur permettre de célebrer la messe ni de faire aucune autre fonction ecclésiastique s'ils ne font apparoir de leur exeat, autrement ils doivent être renvoyés à leur propre évêque. S'ils s'obstinent à ne point se ranger à ce devoir, ils encourent l'excommunication. Le concile de Verneuil en 844, renouvelle le decret du concile de Chalcédoine. Le dimissoire est différent de l'exeat, le premier étant une permission d'aller recevoir la tonsure ou quelqu'ordre ecclésiastique, dans un autre diocèse que celui où on est né. Les supérieurs réguliers donnent aussi à leurs religieux une espece d'exeat, pour aller d'un couvent dans un autre ; mais dans l'usage cela s'appelle une obédience. Voyez DIMISSOIRE, OBEDIENCE, RELIGIEUX. (A)


EXEBENUM(Hist. nat.) pierre d'un blanc éclatant, & dont Pline dit que les Orfévres se servoient pour polir l'or. Hist. nat. lib. XXXVII. cap. x.


EXÉCRATIONS. f. (Gramm.) c'est l'expression de l'aversion la plus forte que l'ame soit capable de concevoir. Il se prend aussi pour ces sortes de sermens, par lesquels on appelle sur les autres ou sur soi les vengeances du ciel les plus terribles.


EXECUTERv. act. (Gramm.) ou réduire en acte. Il se dit au physique & au moral. On exécute un ouvrage ; on exécute une résolution, un projet, &c.


EXÉCUTEUREXÉCUTEUR

On l'appelle exécuteur de la haute justice, parce que les hauts-justiciers, ce qui comprend aussi les juges royaux, sont les seuls qui ayent ce que l'on appelle jus gladii, droit de mettre à mort.

On l'appelle aussi d'un nom plus doux, maître des hautes oeuvres ; à cause que la plûpart des exécutions à mort, ou autres peines afflictives, se font sur un échafaud ou au haut d'une potence, échelle ou pilori.

Mais le nom qu'on lui donne vulgairement est celui de bourreau. Quelques-uns tiennent que ce mot est celtique ou ancien gaulois ; &, en effet, les bas Bretons, chez lesquels ce langage s'est le mieux conservé sans aucun mélange, se servent de ce terme, & dans le même sens que nous lui donnons. D'autres le font venir de l'italien sbirro ou birro, qui signifie un archer ou satellite du prevôt, dont la fonction est réputée infâme. On en donne encore d'autres étymologies, mais qui n'ont rien de vraisemblable.

Il n'y avoit point de bourreau ou exécuteur en titre chez les Israélites ; Dieu avoit commandé à ce peuple que les sentences de mort fussent exécutées par tout le peuple, ou par les accusateurs du condamné, ou par les parens de l'homicide, si la condamnation étoit pour homicide, ou par d'autres personnes semblables, selon les circonstances. Le prince donnoit souvent à ceux qui étoient auprès de lui, & sur-tout aux jeunes gens, la commission d'aller mettre quelqu'un à mort, on en trouve nombre d'exemples dans l'Ecriture ; & loin qu'il y eût aucune infamie attachée à ces exécutions, chacun se faisoit un mérite d'y avoir part.

Il y avoit aussi chez les Juifs des gens appellés tortores, qui étoient établis pour faire subir aux criminels les tortures ou peines auxquelles ils étoient condamnés : quelquefois ils se servoient de certains satellites de leurs préfets, nommés spiculatores, parce qu'ils étoient armés d'une espece de javelot ou pique ; mais il semble que l'on ne se servoit de ceux-ci que lorsqu'il s'agissoit de mettre à mort sur le champ, comme de couper la tête, & non pas lorsqu'il s'agissoit de foüetter, ou faire souffrir autrement les criminels : c'est de-là que l'exécuteur de la haute justice est nommé parmi nous en latin tortor, spiculator : on l'appelle aussi carnifex.

Chez les Grecs cet office n'étoit point méprisé, puisqu'Aristote, liv. VI. de ses Politiques, chap. dernier, le met au nombre des magistrats. Il dit même que par rapport à sa nécessité, on doit le tenir pour un des principaux offices.

Les magistrats romains avoient des ministres ou satellites appellés lictores, licteurs, qui furent institués par Romulus, ou même, selon d'autres, par Janus ; ils marchoient devant les magistrats, portant des haches enveloppées dans des faisceaux de verges ou baguettes. Les consuls en avoient douze ; les proconsuls, préteurs & autres magistrats en avoient seulement six ; ils faisoient tout-à-la-fois l'office de sergent & de bourreau. Ils furent nommés licteurs, parce qu'ils lioient les piés & les mains des criminels avant l'exécution ; ils délioient leurs faisceaux de verges, soit pour foüetter les criminels, soit pour trancher la tête.

On se servoit aussi quelquefois d'autres personnes pour les exécutions ; car Ciceron, dans la septieme de ses Verrines, parle du portier de la prison, qui faisoit l'office de bourreau pour exécuter les jugemens du préteur ; aderat, dit-il, janitor carceris, carnifex praetoris, mors, terrorque sociorum, & civium lictor. On se servoit même quelquefois du ministere des soldats pour l'exécution des criminels, non-seulement à l'armée, mais dans la ville même, sans que cela les deshonorât en aucune maniere.

Adrien Beyer, qui étoit pensionnaire de Roterdam, fait voir dans un de ses ouvrages, dont l'extrait est au journal des Savans de 1703, p. 88. qu'anciennement les juges exécutoient souvent eux-mêmes les condamnés ; il en rapporte plusieurs exemples tirés de l'histoire sacrée & profane ; qu'en Espagne, en France, Italie & Allemagne, lorsque plusieurs étoient condamnés au supplice pour un même crime, on donnoit la vie à celui qui vouloit bien exécuter les autres ; qu'on voit encore au milieu de la ville de Gand deux statues d'airain d'un pere & d'un fils convaincus d'un même crime, où le fils servit d'exécuteur à son pere ; qu'en Allemagne, avant que cette fonction eût été érigée en titre d'office, le plus jeune de la communauté ou du corps de ville en étoit chargé ; qu'en Franconie c'étoit le nouveau marié ; qu'à Reutlingue, ville impériale de Suabe, c'étoit le conseiller dernier reçu ; & à Stedien, petite ville de Thuringe, celui des habitans qui étoit le dernier habitué dans le lieu.

On dit que Witolde, prince de Lithuanie, introduisit chez cette nation que le criminel condamné à mort eût à se défaire lui-même de sa main, trouvant étrange qu'un tiers, innocent de la faute, fût employé & chargé d'un homicide ; mais suivant l'opinion commune, on ne regarde point comme un homicide, ou du moins comme un crime, l'exécution à mort qui est faite par le bourreau, vû qu'il ne fait qu'exécuter les ordres de la justice, & remplir un ministere nécessaire.

Puffendorf, en son traité du droit de la nature & des gens, met le bourreau au nombre de ceux que les lois de quelques pays excluent de la compagnie des honnêtes gens, ou qui ailleurs en sont exclus par la coûtume & l'opinion commune ; & Beyer, que nous avons déjà cité, dit qu'en Allemagne la fonction de bourreau est communément jointe au métier d'écorcheur ; ce qui annonce qu'on la regarde comme quelque chose de très-bas.

Il y a lieu de croire que ce qu'il dit ne doit s'appliquer qu'à ceux qui font les exécutions dans les petites villes, & qui ne sont apparemment que des valets ou commis des exécuteurs en titre établis dans les grandes villes ; car il est notoire qu'en Allemagne ces sortes d'officiers ne sont point réputés infâmes, ainsi que plusieurs auteurs l'ont observé : quelques-uns prétendent même qu'en certains endroits d'Allemagne le bourreau acquiert le titre & les priviléges de noblesse, quand il a coupé un certain nombre de têtes, porté par la coûtume du pays.

Quoi qu'il en soit de ce dernier usage, il est certain que le préjugé où l'on est en France & ailleurs à cet égard, est bien éloigné de la maniere dont le bourreau est traité en Allemagne. Cette différence est sur-tout sensible à Strasbourg, où il y a deux exécuteurs, l'un pour la justice du pays, l'autre pour la justice du roi : le premier, qui est allemand, y est fort considéré : l'autre au contraire, qui est françois, n'y est pas mieux accueilli que dans les autres villes de France.

Les gens de ce métier sont aussi en possession de remettre les os disloqués ou rompus, quoique le corps des Chirurgiens se soit souvent plaint de cette entreprise ; il est intervenu différentes sentences qui ont laissé le choix à ceux qui ont des membres disloqués ou démis, de se mettre entre les mains des Chirurgiens, ou en celles du bourreau pour les fractures ou luxations seulement, à l'exclusion de toutes autres opérations de Chirurgie : il en est de même en France dans la plûpart des provinces.

Beyer dit encore que quelques auteurs ont mis au nombre des droits régaliens, celui d'accorder des provisions de l'office d'exécuteur. Il ajoûte que ceux qui ont droit de justice, n'ont pas tous droit d'avoir un exécuteur, mais seulement ceux qui ont merum imperium, qu'on appelle droit de glaive ou justice de sang.

En France, le roi est le seul qui ait des exécuteurs de justice, lesquels sont la plûpart en titre d'office ou par commission du roi. Ces offices, dit Loyseau, sont les seuls auxquels il n'y a aucun honneur attaché ; ce qu'il attribue à ce que cet office, quoique très-nécessaire, est contre nature. Cette fonction est même regardée comme infâme ; c'est pourquoi quand les lettres du bourreau sont scellées, on les jette sous la table.

Les seigneurs qui ont haute-justice, n'ont cependant point de bourreau, soit parce qu'ils ne peuvent créer de nouveaux offices, soit à cause de la difficulté qu'il y a de trouver des gens pour remplir cette fonction. Lorsqu'il y a quelqu'exécution à faire dans une justice seigneuriale, ou même dans une justice royale pour laquelle il n'y a pas d'exécuteur, on fait venir celui de la ville la plus voisine.

Barthole sur la loi 2. ff. de publicis judiciis, dit que si l'on manque de bourreau, le juge peut absoudre un criminel, à condition de faire cette fonction, soit pour un tems, soit pendant toute sa vie ; & dans ce dernier cas celui qui est condamné à faire cette fonction, est proprement servus poenae : il y en a un arrêt du parlement de Bordeaux, du 13 Avril 1674. Voyez la Peyrere, lett. E.

Si le juge veut contraindre quelqu'autre personne à remplir cette fonction, il ne le peut que difficilement. Gregorius Tolosanus dit, vix potest. Paris de Puteo, en son traité de syndico, au mot manivoltus, dit que si on prend pour cela un mendiant ou autre personne vile, il faut lui payer cinq écus pour son salaire, quinque aureos.

Il s'éleva en l'échiquier tenu à Rouen à la S. Michel 1312, une difficulté par rapport à ce qu'il n'y avoit point d'exécuteur, ni personne qui en voulût faire les fonctions. Pierre de Hangest, qui pour lors étoit bailli de Rouen, prétendit que cela regardoit les sergens de la vicomté de l'eau ; mais de leur part ils soûtinrent avec fermeté qu'on ne pouvoit exiger d'eux une pareille servitude ; que leurs prédécesseurs n'en avoient jamais été tenus, & qu'ils ne s'y assujettiroient point ; qu'ils étoient sergens du roi, & tenoient leurs sceaux de Sa Majesté ; que par leurs lettres il n'étoit point fait mention de pareille chose. Ce débat fut porté à l'échiquier, où présidoit l'évêque d'Auxerre, où il fut décidé qu'ils n'étoient pas tenus de cette fonction ; mais que dans le cas où il ne se trouveroit point d'exécuteur, ils seroient obligés d'en aller chercher un, quand bien même ils iroient au loin, & que ce seroit aux dépens du roi, à l'effet de quoi le receveur du domaine de la vicomté de Rouen seroit tenu de leur mettre entre les mains les deniers nécessaires.

Cependant un de mes confreres, parfaitement instruit des usages du parlement de Rouen, où il a fait long-tems la profession d'avocat, m'a assûré qu'on tient pour certain dans ce parlement, que le dernier des huissiers ou sergens du premier juge peut être contraint, lorsqu'il n'y a point de bourreau, d'en faire les fonctions. Comme ces cas arrivent rarement, on ne trouve pas aisément des autorités pour les appuyer.

En parcourant les comptes & ordinaires de la prévôté de Paris, rapportés par Sauval, on trouve que c'étoient communément des sergens à verge du châtelet qui faisoient l'office de tourmenteur juré du roi au châtelet de Paris. Ce mot tourmenteur venoit du latin tortor, que l'on traduit souvent par le terme de bourreau. Ces tourmenteurs jurés faisoient en effet des fonctions qui avoient beaucoup de rapport avec celles du bourreau. C'étoient eux, par exemple, qui faisoient la dépense & les préparatifs nécessaires pour l'exécution de ceux qui étoient condamnés au feu ; ils fournissoient aussi les demi-lames ferrées ou on exposoit les têtes coupées sur l'échafaud : enfin on voit qu'ils fournissoient un sac pour mettre le corps de ceux qui avoient été exécutés à mort, comme on voit par les comptes de 1439, 1441 & 1449.

Cependant il est constant que cet office de tourmenteur juré n'étoit point le même que celui de bourreau : ce tourmenteur étoit le même officier que l'on appelle présentement questionnaire.

Il est vrai que dans les justices où il n'y a point de questionnaire en titre, on fait souvent donner la question par le bourreau. On fait néanmoins une différence entre la question préparatoire & la question définitive ; la premiere ne doit pas être donnée par la main du bourreau, afin de ne pas imprimer une note d'infamie à celui qui n'est pas encore condamné à mort : c'est apparemment l'esprit de l'arrêt du 8 Mars 1624, rapporté par Basset, tome I. liv. VI. tit. xij. ch. ij. qui jugea que la question préparatoire ne devoit pas être donnée par le bourreau, mais par un sergent ou valet du concierge : il paroit par-là qu'il n'y avoit pas de questionnaire en titre.

Pour revenir au châtelet, les comptes dont on a déjà parlé justifient que les tourmenteurs jurés n'étoient pas les mêmes que le bourreau ; celui-ci est nommé maître de la haute justice du roi, en quelques endroits exécuteur de la haute justice & bourreau.

Ainsi dans un compte du domaine de 1417, on couche en dépense 45 s. parisis payés à Etienne le Bré, maître de la haute justice du roi notre sire, tant pour avoir fait les frais nécessaires pour faire bouillir trois faux monnoyeurs, que pour avoir ôté plusieurs chaînes étant aux poutres de la justice de Paris, & les avoir rapportées en son hôtel : c'étoit le langage du tems.

Dans un autre compte de 1425, on porte 20 sols payés à Jean Tiphaine, exécuteur de la haute justice, pour avoir dépendu & enterré des criminels qui étoient au gibet.

Le compte de 1446 fait mention que l'on paya à Jean Dumoulin, sergent à verge, qui étoit aussi tourmenteur juré, une somme pour acheter à ses dépens trois chaînes de fer pour attacher contre un arbre près du Bourg-la-Reine, & là pendre & étrangler trois larrons condamnés à mort. On croiroit jusque-là que celui qui fit tous ces préparatifs, étoit le bourreau ; mais la suite de cet article fait connoître le contraire, car on ajoûte : & pour une échelle neuve où lesdits trois larrons furent montés par le bourreau qui les exécuta & mit à mort, &c.

En effet, dans les comptes des années suivantes il est parlé plusieurs fois de l'exécuteur de la haute justice, lequel, dans un compte de 1472, est nommé maître des hautes-oeuvres ; & l'on voit que le fils avoit succédé à son pere dans cet emploi : & en remontant au compte de 1465, on voit qu'il avoit été fait une exécution à Corbeil.

On trouve encore dans le compte de 1478, que l'on paya à Pierre Philippe, maître des basses-oeuvres, une somme pour avoir abattu l'échafaud du pilori, avoir rabattu les tuyaux où le sang coule audit échafaud, blanchi iceux & autres choses semblables, qui ont assez de rapport aux fonctions de l'exécuteur de la haute justice : ce qui pourroit d'abord faire croire que l'on a mis, par erreur, maître des basses-oeuvres pour maître des hautes-oeuvres ; mais tout bien examiné, il paroît que l'on a en effet entendu parler du maître des basses-oeuvres que l'on chargeoit de ces réparations, sans-doute comme étant des ouvrages vils que personne ne vouloit faire, à cause du rapport que cela avoit aux fonctions du bourreau.

Du tems de saint Louis il y avoit un bourreau femelle pour les femmes : c'est ce que l'on voit dans une ordonnance de ce prince contre les blasphémateurs, de l'année 1264, portant que celui qui aura mesfait ou mesdit, sera battu par la justice du lieu tout de verges en appert ; c'est à sçavoir li hommes par hommes, & la femme par seules femmes, sans présence d'hommes. Traité de la Pol. tome I. p. 546.

Un des droits de l'exécuteur de la haute justice, est d'avoir la dépouille du patient, ce qui ne s'est pourtant pas toûjours observé par-tout de la même maniere ; car en quelques endroits les sergens & archers avoient cette dépouille, comme il paroît par une ordonnance du mois de Janvier 1304, rendue par le juge & courier de la justice séculiere de Lyon, de l'ordre de l'archevêque de cette ville, qui défend aux bedeaux ou archers de dépouiller ceux qu'ils mettoient en prison, sauf au cas qu'ils fussent condamnés à mort, à ces archers d'avoir les habits de ceux qui auroient été exécutés.

L'exécuteur de la haute justice avoit autrefois droit de prise, comme le roi & les seigneurs, c'est-à-dire de prendre chez les uns & les autres, dans les lieux où il se trouvoit, les provisions qui lui étoient nécessaires, en payant néanmoins dans le tems du crédit qui avoit lieu pour ces sortes de prises. Les lettres de Charles VI. du 5 Mars 1398, qui exemptent les habitans de Chailly & de Lay près Paris, du droit de prise, défendent à tous les maîtres de l'hôtel du roi, à tous ses fourriers, chevaucheurs (écuyers), à l'exécuteur de la haute justice, & à tous nos autres officiers, & à ceux de la reine, aux princes du sang, & autres qui avoient accoutumé d'user de prises, d'en faire aucunes sur lesdits habitans. L'exécuteur se trouve là, comme on voit, en bonne compagnie.

Il est encore d'usage en quelques endroits, que l'exécuteur perçoive gratuitement certains droits dans les marchés.

Un recueil d'ordonnances & style du châtelet de Paris, imprimé en 1530, gothique, fait mention que le bourreau avoit à Paris des droits sur les fruits, verjus, raisins, noix, noisettes, foin, oeufs & laine ; sur les marchands forains pendant deux mois ; un droit sur le passage du Petit-pont, sur les chasse-marées, sur chaque malade de S. Ladre, en la banlieue ; sur les gateaux de la veille de l'Epiphanie ; cinq sols de chaque pilorié ; sur les vendeurs de cresson, sur les pourceaux, marées, harengs : que sur les pourceaux qui couroient dans Paris, il prenoit la tête ou cinq sols, excepté sur ceux de S. Antoine. Il prenoit aussi des droits sur les balais, sur le poisson d'eau douce, chenevis, senevé ; & sur les justiciés tout ce qui est au-dessous de la ceinture, de quelque prix qu'il fût. Présentement la dépouille entiere du patient lui appartient.

Sauval en ses antiquités de Paris, tome II. p. 457. titre des redevances singulieres dûes par les ecclésiastiques, dit que les religieux de S. Martin doivent tous les ans à l'exécuteur de la haute justice cinq pains & cinq bouteilles de vin, pour les exécutions qu'il fait sur leurs terres ; mais que le bruit qui court que ce jour-là ils le faisoient dîner avec eux dans le refectoire, sur une petite table que l'on y voit, est un faux bruit.

Que les religieux de sainte Genevieve lui payent encore cinq sols tous les ans le jour de leur fête, à cause qu'il ne prend point le droit de havée, qui est une poignée de chaque denrée vendue sur leurs terres.

Que l'abbé de Saint-Germain-des-Prés lui donnoit autrefois, le jour de S. Vincent patron de son abbaye, une tête de pourceau, & le faisoit marcher le premier à la procession.

Que du tems que les religieux du Petit-Saint-Antoine nourrissoient dans leur porcherie près l'église des pourceaux qui couroient les rues, & que ceux qui en nourrissoient à Paris n'osoient les faire sortir, tout autant que le bourreau en rencontroit, il les menoit à l'hôtel-Dieu, & la tête étoit pour lui, ou bien on lui donnoit cinq sous ; que présentement il a encore quelques droits sur les denrées étalées aux halles & ailleurs les jours de marché.

Ces droits, dont parle Sauval, sont ce que l'on appelle communément havage, & ailleurs havée, havagium, havadium, vieux mot qui signifie le droit que l'on a de prendre sur les grains dans les marchés autant qu'on en peut prendre avec la main. Le bourreau de Paris avoit un droit de havage dans les marchés, & à cause de l'infamie de son métier, on ne lui laissoit prendre qu'avec une cuillere de fer-blanc, qui servoit de mesure. Ses préposés qui percevoient ce droit dans les marchés, marquoient avec la craie sur le bras ceux & celles qui avoient payé ce droit, afin de les reconnoître : mais comme la perception de ce droit occasionnoit dans les marchés de Paris beaucoup de rixe entre les préposés du bourreau & ceux qui ne vouloient pas payer ou se laisser marquer, il a été supprimé pour Paris depuis quelques années.

L'exécuteur de la haute-justice de Pontoise avoit aussi le même droit ; mais par accommodement il appartient présentement à l'hôpital-général.

Il y a néanmoins encore plusieurs endroits dans le royaume où le bourreau perçoit ce droit ; & dans les villes mêmes où il n'y a pas de bourreau, lorsque celui d'une ville voisine vient y faire quelque exécution, ce qui est ordinairement un jour de marché, il perçoit sur les grains & autres denrées son droit de havage ou havée.

L'exécuteur ne se saisit de la personne du condamné qu'après avoir oui le prononcé du jugement de la condamnation.

Il n'est pas permis de le troubler dans ses fonctions, ni au peuple de l'insulter ; mais lorsqu'il manque à son devoir, on le punit selon la justice.

Sous Charles VII. en 1445, lors de la ligue des Armagnacs pour la maison d'Orléans contre les Bourguignons ; le bourreau étoit chef d'une troupe de brigands ; il vint offrir ses services au duc de Bourgogne, & eut l'insolence de lui toucher la main. M. Duclos, en son histoire de Louis XI. fait à cette occasion une réflexion, qui est que le crime rend presque égaux ceux qu'il associe.

Lorsque les fureurs de la ligue furent calmées, & que les affaires eurent repris leur cours ordinaire, le bourreau fut condamné à mort pour avoir pendu le célebre président Brisson, par ordre des ligueurs, sans forme de procès.

Il n'est pas permis au bourreau de demeurer dans l'enceinte de la ville, à moins que ce ne soit dans la maison du pilori, où son logement lui est donné par ses provisions : comme il fut jugé par un arrêt du parlement du 31 Août 1709.

Cayron, en son style du parlement de Toulouse, l. II. tit. jv. dit que l'exécuteur de la haute-justice doit mettre la main à tout ce qui dépend des excès qui sont capitalement punissables ; comme à la mort, fustigation & privation de membres, tortures, gehennes, amendes honorables, & bannissement en forme, la hart au cou ; car, dit-il, ce sont des morts civiles.

Cette notion qu'il donne des exécutions qui doivent être faites par la main du bourreau, n'est pas bien exacte ; le bourreau doit exécuter tous les jugemens, soit contradictoires ou par contumace, qui condamnent à quelque peine, en portant mort naturelle ou civile, ou infamie de droit : ainsi c'est lui qui exécute tous les jugemens emportant peine de mort ou mutilation de membres, marque & fustigation publique, amende honorable in figuris. Il exécute aussi le bannissement, soit hors du royaume, ou seulement d'une ville ou province, lorsque ce bannissement est précédé de quelque autre peine, comme du foüet, ainsi que cela est assez ordinaire ; auquel cas, après avoir conduit le criminel jusqu'à la porte de la ville, il lui donne un coup de pié au cul en signe d'expulsion.

Le bourreau n'assiste point aux amendes honorables qu'on appelle seches.

Ce n'est point lui non plus qui fait les exécutions sous la custode, c'est-à-dire dans la prison ; telles que la peine du carcan & du foüet, que l'on ordonne quelquefois pour de legers délits commis dans la prison, ou à l'égard d'enfans qui n'ont pas encore atteint l'âge de puberté : ces exécutions se font ordinairement par le questionnaire, ou par quelqu'un des geoliers ou guichetiers.

Pour ce qui est de la question ou torture, voyez ce qui en a été dit ci-devant.

Enfin le bourreau exécute toutes les condamnations à mort, rendues par le prévôt de l'armée ; il exécute aussi les jugemens à mort, ou autre peine afflictive, rendus par le conseil de guerre, à l'exception de ceux qu'il condamne à être passés par les armes, ou par les baguettes. (A)

EXECUTEUR DE L'INDULT, (Jurisprud.) Voyez INDULT.

EXECUTEUR TESTAMENTAIRE, est celui que le défunt a nommé, par son testament ou codicille, pour exécuter ce testament ou codicille, & autres dispositions de derniere volonté.

Il n'étoit pas d'usage chez les Romains de nommer des exécuteurs testamentaires, les lois romaines croyoient avoir suffisamment pourvû à l'exécution des testamens, en permettant aux héritiers de prendre possession, & accordant diverses actions aux légataires & fidei-commissaires, & en privant de l'hérédité les héritiers qui seroient refractaires aux volontés du défunt.

Dans les pays coûtumiers, où les dispositions universelles ne sont toutes que des legs sujets à délivrance, on a introduit l'usage des exécuteurs testamentaires, pour tenir la main à l'éxécution des dernieres volontés du défunt ; il n'y a presque point de coûtume qui ne contienne quelque disposition sur cette matiere.

Toutes personnes peuvent être nommées exécuteurs testamentaires, sans distinction d'âge, de sexe, ni de condition : ainsi les Mineurs adultes & capables d'affaires, les fils de famille, les femmes même en puissance de mari, peuvent être nommés pour une exécution testamentaire.

Il y a des exécuteurs testamentaires honoraires, c'est-à-dire qui ne sont chargés que de veiller à l'exécution du testament, & non pas de l'exécuter eux-mêmes ; & dans ce cas ceux qui sont chargés de l'exécution effective, peuvent être appellés exécuteurs testamentaires onéraires, pour les distinguer des premiers qui ne sont point comptables.

Quoique les exécuteurs testamentaires soient ordinairement nommés par testament ou codicille, on distingue encore deux autres sortes d'exécuteurs testamentaires, les uns qu'on appelle légitimes, & d'autres datifs.

Le légitime est celui auquel la loi donne le pouvoir de tenir la main à l'exécution de certaines dispositions, tel que l'évêque ou son économe, & au défaut de l'évêque le métropolitain, pour procurer le payement des legs pieux en faveur des captifs, & pour la nourriture & entretien des pauvres, suivant les lois 28 & 49. cod. de episc. & la novelle 131. c. xj.

L'exécuteur testamentaire datif est celui que le juge nomme lorsque le cas le requiert ; comme on voit en la loi 3. ff. de alimentis, où il est dit que le juge peut charger un d'entre les héritiers, de fournir seul les alimens légués.

Les lois romaines ne donnent point à l'évêque l'exécution des autres dispositions à cause de mort, pas même des autres legs pieux ; il peut seulement procurer l'exécution des dispositions pieuses, lorsque l'exécuteur testamentaire néglige de le faire.

Le droit canon va beaucoup plus loin, car il autorise l'évêque à s'entremettre de l'exécution de tous les legs pieux, soit lorsqu'il n'y a pas d'exécuteur testamentaire, ou que celui qui est nommé néglige de faire exécuter les dispositions pieuses.

C'est sur ce fondement que quelques interpretes de droit ont décidé, que les juges d'Eglise peuvent connoître de l'exécution des testamens ; ce qui a même été adopté dans quelques coûtumes : mais cela a été réformé par l'ordonnance de 1539, qui réduit les juges d'église aux causes spirituelles & ecclésiastiques ; & les évêques ne sont point admis en France à s'entremettre de l'exécution des legs pieux.

La charge ou commission d'exécuteur testamentaire n'est qu'un simple mandat, sujet aux mêmes regles que les autres mandats, excepté que celui-ci au lieu de prendre fin par la mort du mandant, qui est le testateur, ne commence au contraire qu'après sa mort.

L'exécuteur testamentaire nommé par testament ou codicille, n'a pas besoin d'être confirmé par le juge ; le pouvoir qu'il tient du testateur & de la loi ou coûtume du lieu, lui suffit. Il ne peut pas non plus dans sa fonction excéder le pouvoir que l'un & l'autre lui donnent.

La fonction d'exécuteur testamentaire étant une charge privée, il est libre à celui qui est nommé de la refuser, sans qu'il ait besoin pour cela d'aucune excuse ; & en cas de refus, il ne perd pas pour cela le legs qui lui est fait, à moins qu'il ne paroisse fait en considération de l'exécution testamentaire ; de sorte que s'il accepte ce legs, il ne peut plus refuser la fonction dont il est le prix.

Il ne peut plus aussi se démettre de cette charge, lorsqu'il l'a acceptée, à moins qu'il ne survienne quelque cause nouvelle.

Il doit apporter dans sa commission toute l'attention qui dépend de lui, & par conséquent il est responsable de son dol & de ce qui arriveroit par sa faute & par sa négligence, sans néanmoins qu'il soit tenu des fautes legeres.

Un exécuteur testamentaire qui ne seroit chargé que de procurer l'exécution de quelque disposition sans avoir aucun maniement des deniers, comme cela se voit souvent en pays de Droit écrit, n'est pas obligé de faire inventaire, ni de faire aucune autre diligence que ce qui concerne sa commission.

Au contraire, en pays coûtumier où il est saisi de certains biens du défunt, il doit aussi-tôt qu'il a connoissance du testament, faire procéder à l'inventaire, les héritiers présomptifs présens, ou dûment appellés ; & en cas d'absence de l'un d'eux, il doit y appeller le procureur du roi ou de la justice du lieu.

Dans quelques coûtumes, l'exécuteur testamentaire n'est saisi que des meubles & effets mobiliers, comme à Paris ; dans d'autres, comme Berri & Bourbonnois : ils sont saisis des meubles & conquêts.

D'autres coûtumes encore restraignent de diverses manieres le maniement que doit avoir l'exécuteur testamentaire.

Le testateur peut pareillement le restraindre, comme bon lui semble, par son testament ou codicille.

Il est aussi du devoir de l'exécuteur testamentaire en pays coûtumier, de faire vendre les meubles par autorité de justice, de faire le recouvrement des dettes actives & des deniers qui proviennent tant des meubles que des dettes actives, & du revenu des immeubles, qu'il a droit de toucher, dans certaines coûtumes, pendant l'année de son exécution testamentaire. Il doit acquiter d'abord les dettes passives & mobiliaires, ensuite les legs.

Si les deniers dont on vient de parler ne suffisent pas pour acquiter les dettes & les dispositions du testateur, l'exécuteur testamentaire peut vendre des immeubles jusqu'à dûe concurrence, ainsi que le décident plusieurs coûtumes ; en le faisant néanmoins ordonner avec les héritiers, faute par eux de fournir des deniers suffisans pour acquiter les dettes mobiliaires & legs.

Le pouvoir que l'exécuteur testamentaire tient du défunt ou de la loi, lui est personnel ; de sorte qu'il ne peut le communiquer ni le transférer à un autre. Ce pouvoir finit par la mort de l'exécuteur testamentaire, quand elle arriveroit avant que sa commission soit finie. Il n'est point d'usage d'en faire nommer un autre à sa place ; c'est à l'héritier à achever ce qui reste à faire.

Lorsque le défunt a nommé plusieurs exécuteurs testamentaires, ils ont tous un pouvoir égal, & doivent agir conjointement ; néanmoins en cas que l'un d'eux soit absent hors du pays, l'autre peut valablement agir seul.

Pendant l'année que dure la commission de l'exécuteur testamentaire, les légataires des choses ou sommes mobiliaires, peuvent intenter action contre lui pour avoir payement de leur legs, pourvû que la délivrance en soit ordonnée avec l'héritier. Il peut aussi retenir par ses mains le legs mobilier qui lui est fait.

Il ne peut point demander de salaire, quand même il n'auroit point de legs, le mandat étant de sa nature gratuit.

Après l'année révolue, l'exécuteur testamentaire doit rendre compte de sa gestion, à moins que le testateur ne l'en eût dispensé formellement.

S'il y a plusieurs exécuteurs testamentaires, ils doivent tous rendre compte conjointement, sans néanmoins qu'ils soient tenus solidairement du reliquat, mais seulement chacun personnellement pour leur part & portion. Le compte peut être rendu à l'amiable, ou devant des arbitres ; ou si les parties ne s'arrangent pas ainsi, l'exécuteur testamentaire peut être poursuivi par justice.

Les coûtumes & les anciennes ordonnances ne sont pas d'accord entr'elles sur le juge devant lequel en ce cas doit être rendu ce compte ; les unes veulent que ce soit le juge royal ; d'autres admettent la concurrence & la prévention entre les juges royaux & ceux des seigneurs ; quelques coûtumes en donnent la connoissance au juge d'église, soit exclusivement, ou par prévention.

Présentement les juges d'église ne connoissent plus de ces matieres ; & suivant l'ordonnance de 1667, le comptable doit être poursuivi devant le juge qui l'a commis, ou s'il n'a pas été nommé par justice, devant le juge de son domicile.

L'exécuteur testamentaire doit porter en recette tout ce qu'il a reçu ou dû recevoir, sauf la reprise de ce qu'il n'a pas reçu ; il peut porter en dépense tout ce qu'il a dépensé de bonne-foi ; il en est même crû à son serment, pour les menues dépenses dont on ne peut pas tirer de quittance ; il peut aussi y employer les frais du compte, attendu que c'est à lui à les avancer.

S'il y a un reliquat dû par l'exécuteur testamentaire, ou par les héritiers, les intérêts en sont dûs, à compter de la clôture du compte ; s'il est arrêté à l'amiable, ou si le compte est rendu en justice, à compter de la demande.

Quand l'exécuteur testamentaire est nommé par justice, ou qu'il accepte la commission par un acte authentique, il y a de ce jour hypotheque sur ses biens ; hors ces cas, l'hypotheque n'est acquise contre lui que du jour des condamnations. Il en est de même de l'hypotheque qu'il peut avoir sur les biens de la succession. Voyez les lois civiles, tit. des testam. Ricard, des donat. part. II. c. j. & s. les arrêtés de M. de Lamoignon ; & Furgoles, tr. des testam. t. IV. com. x. sect. 14. (A)


EXÉCUTION(Jurisprud.) signifie l'accomplissement d'une chose, comme l'exécution d'un acte, d'un contrat, d'un jugement, soit sentence ou arrêt.

EXECUTION, signifie aussi quelquefois saisie, discussion de biens d'un débiteur pour se procurer le payement de ce qu'il doit.

EXECUTION DE BIENS, voyez SAISIE-EXECUTION, SAISIE GAGERIE, SAISIE REELLE.

EXECUTION DEFINITIVE d'un acte ou d'un jugement, est l'accomplissement qui est fait purement & simplement des clauses ou dispositions qu'il renferme sans qu'il y ait lieu de rien repéter dans la suite ; à la différence de l'exécution provisoire qui peut être révoquée par le jugement définitif. Mais si ce jugement confirme ce qui avoit été ordonné par provision, on ordonne en ce cas que l'exécution provisoire demeurera définitive, c'est-à-dire qu'elle demeurera sans retour. (A)

EXECUTION DES JUGEMENS, voyez JUGEMENS.

EXECUTION DE MEUBLES, voyez GAGERIE, SAISIE & EXECUTION, SAISIE GAGERIE.

EXECUTION PAREE, parata executio, c'est-à-dire celle qui est toute prête, & que l'on peut faire en vertu de l'acte tel qu'il est, sans avoir besoin d'autre formalité ni d'autre titre.

En vertu d'un titre qui emporte exécution parée, on peut faire un commandement, & ensuite saisir & exécuter ; saisir réellement.

Ces contrats & jugemens qui sont en forme exécutoire emportent exécution parée contre l'obligé ou le condamné ; mais ils n'ont pas d'exécution parée contre leurs héritiers légataires, biens tenans, & autres ayant cause, qu'on n'ait fait déclarer ce titre exécutoire contre eux. C'est pourquoi on dit ordinairement que le mort exécute le vif, mais que le vif n'exécute pas le mort.

L'usage est pourtant contraire en Normandie, suivant l'art. 129 du reglement de 1666. Voyez le recueil de quest. de M. Bretonnier, avec les additions au mot grosse de contrat. (A)

EXECUTION PROVISOIRE, est celle qui est faite par provision seulement, en vertu d'un jugement provisoire, & en attendant le jugement définitif. Voyez ce qui est dit ci-dessus à l'article EXECUTION DEFINITIVE. (A)

EXECUTION-SAISIE, voyez SAISIE.

EXECUTION TESTAMENTAIRE, c'est l'accomplissement qui est fait par l'exécuteur testamentaire des dernieres volontés d'un défunt portées par son testament ou codicille. Voyez ce qui est dit ci-dessus à l'article EXECUTEUR TESTAMENTAIRE. (A)

EXECUTION TORTIONNAIRE, Voyez SAISIE TORTIONNAIRE.

EXECUTION MILITAIRE, c'est le massacre d'une ville ou le ravage d'un pays, qu'on permet à des soldats lorsque la ville ou le pays ont refusé de payer les contributions. Voyez CONTRIBUTION. (Q)

EXECUTION, s. f. (Opera) on se sert de ce terme pour exprimer la façon dont la musique vocale & instrumentale sont rendues. Il est difficile de bien connoître une composition musicale de quelque espece qu'elle soit, si on n'en a pas entendu l'exécution. C'est de cet ensemble que dépend principalement l'impression de plaisir, ou d'ennui. La meilleure composition en musique paroit desagréable, insipide, & même fatigante, avec une mauvaise exécution.

En 1669 l'abbé Perrin & Cambert rassemblerent tout ce qu'ils pûrent trouver de musiciens à Paris, & ils firent venir des voix du Languedoc pour former l'établissement de l'opera. Lulli qui par la prévoyance de M. Colbert, fut bientôt mis à leur place, se servit de ce qu'il avoit sous sa main. Le chant & l'orchestre étoient dans ces commencemens ce que sont tous les Arts à leur naissance. L'opera italien avoit donné l'idée de l'opera françois : Lulli qui étoit Florentin, étoit musicien comme l'étoient de son tems les célebres compositeurs de delà les monts, & il ne pouvoit pas l'être davantage. Les exécutans qui lui auroient été nécessaires, s'il l'avoit été plus, étoient encore loin de naître. Ses compositions furent donc en proportion de la bonne musique de son tems, & de la force de ceux qui devoient les exécuter.

Comme il avoit beaucoup de génie & de goût, l'art sous ses yeux, & par ses soins, faisoit toûjours quelques progrès ; & à mesure qu'il le voyoit avancer, son génie aussi faisoit de nouvelles découvertes, & créoit des choses plus hardies. Despotique sur son théatre & dans son orchestre, il récompensoit les efforts, & punissoit à son gré le défaut d'attention & de travail. Tout plioit sous lui : il prenoit le violon des mains d'un exécutant qu'il trouvoit en faute, & le lui cassoit sur la tête sans que personne osât se plaindre ni murmurer.

Ainsi l'exécution de son tems fut poussée aussi loin qu'on devoit naturellement l'attendre ; & la distance étoit immense de l'état où il trouva l'orchestre & le chant, à l'état où il les laissa.

Cependant ce que nous nommons très-improprement le récitatif (voyez RECITATIF), fut la seule partie de l'exécution qu'il porta & qu'il pouvoit porter jusqu'à une certaine perfection ; il forma à son gré les sujets qu'il avoit, dans un genre que personne ne pouvoit connoître mieux que lui ; & comme il avoit d'abord saisi une sorte de déclamation chantante qui étoit propre au genre & à la langue, il lui fut loisible de rendre suffisante pour son tems l'exécution de cette partie, sur un théatre dont il étoit le maître absolu, & avec des sujets qu'il avoit formés, qui tenoient tout de lui, & dont il étoit à la fois le créateur & l'oracle suprème.

Mais l'exécution de la partie instrumentale & du chant devoit s'étendre dans la suite aussi loin que pouvoit aller l'art lui-même ; & cet art susceptible de combinaisons à l'infini, ne faisoit alors que de naître. Par conséquent l'orchestre de Lulli, quoiqu'aussi bon qu'il fût possible, n'étoit encore lorsqu'il mourut qu'aux premiers élémens. On a beau quelquefois sur cet article employer la charlatanerie pour persuader le contraire, tout le monde sait que du vivant de Lulli, les violons avoient besoin de recourir à des sourdines pour adoucir dans certaines occasions ; il leur falloit trente répétitions, & une étude pénible, pour joüer passablement des morceaux qui paroissent aujourd'hui aux plus foibles écoliers sans aucune difficulté. Voyez ORCHESTRE.

Qu'on ne m'oppose point les sourdines dont on se sert quelquefois dans les orchestres d'Italie. Ce n'est point pour faire les doux qu'on y a recours. C'est pour produire un changement de son, qui fait tableau dans certaines circonstances, comme lorsqu'on veut peindre l'horreur d'un cachot sombre, d'une caverne obscure, &c.

De même le chant brillant, leger, de tableau, de grande force, les choeurs de divers desseins, & à plusieurs parties enchaînées les unes aux autres, qui produisent de si agréables effets, ces duo, ces trio savans & harmonieux, ces ariettes qui ont presque tout le saillant des grands aria d'Italie, sans avoir peut-être aucuns des défauts qu'on peut quelquefois leur reprocher ; toutes ces différentes parties enfin de la musique vocale trouvées de nos jours, ne pouvoient venir dans l'esprit d'un compositeur qui connoissoit la foiblesse de ses sujets. Le récitatif d'ailleurs, la grande scene suffisoit alors à la nation à laquelle Lulli devoit plaire. Les poëmes immortels de Quinault étoient tous coupés pour la déclamation : la cour & la ville étoient contentes de ce genre ; elles n'avoient ni ne pouvoient avoir l'idée d'un autre.

L'art s'est depuis développé : les progrès qu'il a faits en France sont en proportion avec ceux qu'il a faits en Italie, où l'on a naturellement une plus grande aptitude à la musique ; & comme les compositions de Pergolese, de Hendel, de Leo, &c. sont infiniment au-dessus de celles du Carissimi, de Corelli, &c. de même celles de nos bons maîtres françois d'aujourd'hui sont fort supérieures à celles qu'on admiroit sur la fin du dernier siecle. L'exécution a suivi l'art dans ses différentes marches ; leurs progrès ont été & dû être nécessairement les mêmes. Les routes trouvées par les compositeurs ont dû indispensablement s'ouvrir pour les exécutans ; à mesure que l'art de la navigation a pris des accroissemens par les nouvelles découvertes qu'on a faites, il a fallu aussi que la manoeuvre devînt plus parfaite. L'une a été une suite nécessaire de l'autre.

Ainsi en examinant de sang froid & avec un peu de réflexion les différences successives d'un genre destiné uniquement pour le plaisir ; en écartant les déclamations que des intérêts secrets animent ; en se dépouillant enfin des préjugés que l'habitude, & l'ignorance seules accréditent, on voit qu'il n'est rien arrivé de nos jours sur la Musique, qui ne lui soit commun avec tous les autres arts. La Peinture, la Poésie, la Sculpture, dans toutes leurs différentes transmigrations des Grecs chez les Romains, de chez les Romains dans le reste de l'Italie, & enfin dans toute l'Europe, ont eu ces mêmes développemens. Mais ces arts ont avancé d'un pas plus rapide que la Musique, parce que leur perfection dépendoit du génie seul de ceux qui ont composé. La Musique au contraire ne pouvoit parvenir à la perfection, que lorsque l'exécution auroit été portée à un certain point, & il falloit au génie le concours d'un très-grand nombre d'artistes différens que le tems pouvoit seul former. M. Rameau a saisi le moment : il a porté l'exécution déjà préparée en France par le travail & l'expérience de plus de soixante ans, à un degré de perfection égal à celui de ses compositions dramatiques. Voyez CHANTEUR, ORCHESTRE, OPERA. (B)


EXÉCUTOIRE(Jurisprud.) se dit de tout ce qui peut être mis à exécution, comme un acte ou un contrat exécutoire, une sentence, arrêt, ou autre jugement exécutoire.

EXECUTOIRE DE DEPENS, est une commission en parchemin accordée par le juge, & délivrée par le greffier, laquelle permet de mettre à exécution la taxe qui a été faite des dépens.

Lorsque c'est la partie qui obtient l'exécutoire, cela s'appelle lever l'exécutoire ; lorsque le juge en accorde d'office contre une partie civile ou sur le domaine du roi ou de quelqu'autre seigneur pour les frais d'une procédure criminelle, cela s'appelle décerner exécutoire. Voyez les art. 16 & 17 du tit. xxv. de l'ordonnance de 1670.

Les exécutoires qui sont accordés par les juges royaux & autres juges inférieurs, sont intitulés du nom du juge : ceux qui émanent des cours souveraines, sont intitulés du nom du roi.

Celui qui n'est pas content de l'exécutoire, peut en interjetter appel de même que de la taxe ; excepté pour les exécutoires émanés des cours souveraines, où l'on pourvoit par appel de la taxe & par opposition seulement contre l'exécutoire, supposé qu'il n'ait pas été délivré contradictoirement, Voyez CONTRAINTE PAR CORPS, DEPENS & ITERATO. (A)

EXECUTOIRE (forme), est celle qui est nécessaire pour mettre un acte à exécution, comme à Paris, qu'il soit en parchemin, & intitulé du nom du juge ; cette forme n'est pas par-tout la même. Voyez le recueil de quest. de Bretonnier, avec les additions au mot GROSSE. (A)

EXECUTOIRE NONOBSTANT L'APPEL, c'est-à-dire ce qui peut être mis à exécution, sans que l'appel puisse l'empêcher ; dans les jugemens qui doivent avoir une exécution provisoire, on met ordinairement à la fin ces mots, ce qui sera exécuté nonobstant l'appel, & sans préjudicier, c'est-à-dire que l'appel n'empêchera pas l'exécution, mais que cette exécution provisoire ne fera pas de préjugé contre l'appel. (A)

EXECUTOIRE PAR PROVISION, c'est ce que l'on n'exécute qu'à la charge de rendre en définitive s'il y échet. V. ci-devant EXECUTION DEFINITIVE. (A)


EXEDRESS. f. (Hist. anc.) étoient anciennement les lieux où les Philosophes, les Rhéteurs, les Sophistes avoient coûtume de tenir leurs conférences & de disputer entr'eux.

Ce mot vient du grec , qui signifie la même chose. M. Perrault croit que les exedres étoient des especes de petites académies où les gens de Lettres s'assembloient. Voyez ACADEMIE.

Cependant Budée prétend que ce que les anciens appelloient exedres, répondoit plûtôt à ce que nous appellons chapitres dans les cloîtres ou dans les églises collégiales. (G)


EXEGESEEXEGESE

EXEGESE, s. f. (Hist. & Belles-Lettr.) se dit d'une explication ou exposition de quelques paroles par d'autres qui ont le même sens, quoiqu'elles n'ayent pas le même son.

Ainsi plusieurs interpretes de la Bible croyent que dans les passages de l'Ecriture où l'on trouve abba pater, dont le premier est syriaque, & le second est latin ou grec, ce dernier n'est ajoûté que par exegese, & pour faire entendre ce que le premier signifie. Voyez AB. Chambers. (G)


EXEGETESS. m. (Hist. anc.) étoient chez les Athéniens des personnes savantes dans les lois, que les juges avoient coûtume de consulter dans les causes capitales.

Ce mot est grec, , & vient d', je conduis. Les exegetes étoient les interpretes des lois. Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)


EXEGETIQUES. f. terme de l'ancienne Algebre ; c'est ainsi que Viete appelle l'art de trouver les racines des équations d'un problème, soit en nombres, soit en lignes, selon que le problème est numérique ou géométrique. Voyez RACINE, EQUATION, &c. Voyez aussi EXEGESE. (O)


EXEMPLAIREadj. (Jurisp.) se dit de la substitution qui est faite par les parens à leurs enfans tombés en démence. Cette substitution a été surnommée exemplaire, parce qu'elle a été introduite à l'exemple de la pupillation. Voyez SUBSTITUTION. (A)


EXEMPLES. m. (Morale) action vicieuse ou vertueuse qu'on se propose d'éviter ou d'imiter.

L'exemple est d'une grande efficace, parce qu'il frappe plus promtement & plus vivement que toutes les raisons & les préceptes ; car la regle ne s'exprime qu'en termes vagues, au lieu que l'exemple fait naître des idées déterminées, & met la chose sous les yeux, que les hommes croyent beaucoup plus que leurs oreilles.

Bien des gens regardent comme un instinct de la seule nature, ou comme l'effet de la constitution des organes, la force des exemples, & le penchant de l'homme à imiter ; mais ce ne sont pas là les seules causes de la pente qui nous porte à nous modeler sur les autres, l'éducation y a sans-doute la plus grande part.

Il est difficile que les mauvais exemples n'entraînent l'homme, s'ils sont fréquens à sa vûe, & s'ils lui deviennent familiers. Un des plus grands secours pour l'innocence, c'est de ne pas connoître le vice par les exemples de ceux que nous fréquentons. M. de Bussi répétoit souvent, qu'à force de ne trouver rien qui vaille dans son chemin, on ne devient rien qui vaille soi-même. Il faut un grand courage pour se soûtenir seul dans les sentiers de la vertu, quand on est entouré de gens qui ne les suivent point. D'ailleurs dans les états où les moeurs sont corrompues, la plûpart des hommes ne tirent point de fruit du petit nombre de bons exemples qu'ils voyent ; & dans l'éloignement ils se contentent de rendre avec froideur quelque justice au mérite.

Dans les divers gouvernemens, les principes de leur constitution étant entierement différens, non-seulement les exemples de bien & de mal ne sont pas les mêmes, mais les souverains ne sauroient se modeler les uns sur les autres d'une maniere utile, fixe & durable ; c'est ce que Corneille fait si bien dire à Auguste :

Les exemples d'autrui suffiroient pour m'instruire,

Si par l'exemple seul on pouvoit se conduire ;

Mais souvent l'un se perd où l'autre s'est sauvé,

Et par où l'un périt, un autre est conservé.

Enfin dans toutes les conjonctures de la vie, avant que de prendre les exemples pour modeles, il faut toûjours les examiner sur la loi, c'est-à-dire sur la droite raison : c'est aux actions à se former sur elle, & non pas à elle à se plier pour être conforme aux actions. Article de M(D.J.)

EXEMPLE, (Belles-Lettr.) argument propre à la Rhétorique, par lequel on montre qu'une chose arrivera ou se fera d'une telle maniere, en apportant pour preuve un ou plusieurs évenemens semblables arrivés en pareille occasion.

Si je voulois montrer, dit Aristote, liv. II. de la Rhétorique, que Denis de Syracuse ne demande des gardes que pour devenir le tyran de sa patrie, je dirois que Pisistrate demanda des gardes ; & que dès qu'on lui en eut accordé, il s'empara du gouvernement d'Athenes ; j'ajoûterois que Théagene fit la même chose à Mégare : j'alléguerois ensuite les autres exemples de ceux qui sont parvenus à la tyrannie par cette voie, & j'en conclurois que quiconque demande des gardes, en veut à la liberté de sa patrie.

On résout cet argument en montrant la disparité qui se rencontre entre les exemples & la chose à laquelle on veut les appliquer. (G)


EXEMPTadj. (Gramm.) terme relatif à quelque loi commune, qui n'oblige point celui qu'on en dit exempt.

EXEMPT DE L'ORDINAIRE, (Jurispr.) se dit de certains monasteres, chapitres & autres ecclésiastiques soit séculiers ou réguliers, qui ne sont pas soûmis à la jurisdiction de l'évêque diocésain, & relevent de quelqu'autre supérieur ecclésiastique, tel que le métropolitain ou le pape. Voyez ci-après EXEMPTION. (A)

EXEMPT, (Jurispr.) est aussi un officier dans certains corps de cavalerie, qui commande en l'absence du capitaine & des lieutenans. Ces officiers ont sans-doute été appellés exempts, parce qu'étant au-dessus des simples cavaliers, ils sont dispensés de faire le même service. Les exempts, pour marque de leur autorité, portent un bâton de commandement qui est d'ébene, garni d'yvoire par les deux bouts ; c'est ce que l'on appelle le bâton d'exempt. Quelquefois par ce terme, bâton d'exempt, on entend la place même d'exempt.

Il y a des exempts dans les compagnies des gardes du corps, qui sont des places considérables.

Il y a aussi des exempts dans la compagnie de la connétablie, lesquels sont chargés, avec les autres officiers de cette compagnie, de notifier les ordres de MM. les maréchaux de France pour les affaires du point d'honneur, & d'arrêter ceux qui sont dans le cas de l'être, en vertu des ordres qui leur sont donnés pour cet effet.

Il y a pareillement des exempts dans le corps des maréchaussées, dans la compagnie de robe-courte, dans la compagnie du guet à cheval, & même dans celle du guet à pié. Ces exempts sont ordinairement chargés de notifier les ordres du roi & de faire les captures, soit en exécution d'ordres du roi directement, ou en vertu de quelque decret ou contrainte par corps. Les exempts de maréchaussée n'ont pas le pouvoir d'informer, comme il fut jugé par arrêt du grand-conseil du 2 Avril 1616. (A)


EXEMPTION(Jurisprud.) est un privilége qui dispense de la regle générale.

EXEMPTION DE TAILLES, c'est le privilége de ne point payer de tailles, qui appartient aux ecclésiastiques, aux nobles & autres privilégiés. Voyez TAILLES.

EXEMPTION DE TUTELE, c'est la décharge de la fonction de tuteur. (A)

EXEMPTION DE L'ORDINAIRE, est le droit que quelques monasteres, chapitres & autres ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers, ont de n'être point soûmis à la jurisdiction spirituelle de l'ordinaire, c'est-à-dire de leur évêque diocésain.

Dans les premiers siecles de l'Eglise tous les ecclésiastiques de chaque diocèse étoient soûmis à leur évêque diocésain, comme ils le sont encore de droit commun. Personne alors n'étoit exempt de la jurisdiction spirituelle de l'évêque ; monasteres, religieux, abbés, chanoines réguliers & autres, tout étoit soûmis à l'évêque.

On trouve dans le v. siecle plusieurs priviléges accordés aux grands monasteres, qui ont quelque rapport avec les exemptions proprement dites. Ces monasteres étoient la plûpart fondés, ou du moins gouvernés par des abbés d'une grande réputation, qui s'attiroient la vénération des fideles ; les évêques en devinrent jaloux, ce qui donna lieu aux abbés de se soustraire à l'autorité de leur évêque : les uns ne voulurent reconnoître pour supérieur que le métropolitain, patriarche ou primat ; d'autres eurent recours au pape, qui les prit sous sa protection.

Les chapitres, qui étoient pour la plûpart composés de réguliers, voulurent aussi avoir part à ces exemptions ; ce qui eut lieu beaucoup plus tard par rapport aux chapitres séculiers.

La plus ancienne exemption connue en France, est celle du monastere de Lerins, qui fut faite par le concile d'Arles en 455.

Les évêques eux-mêmes ont accordé quelques exemptions ; témoin celle de l'abbaye de S. Denis en 657, qui fut faite par Landry, évêque de Paris, du consentement de son chapitre & des évêques de la province. Il paroît néanmoins que l'usage ne fut pas toûjours uniforme sur ce point en France ; car les exemptions, tant des chapitres que des monasteres, étoient inconnues sous le regne de Pepin, comme il paroît par le concile de Vernon, tenu en 755.

En Orient les exemptions de l'ordinaire, avec soûmission au patriarche ou au métropolitain, furent très-communes : on en trouve des exemples dès le vj. siecle.

Les priviléges ou exemptions ainsi accordés à quelques monasteres, étoient confirmés en France par les rois ; on en trouve les formules dans Marculphe, où l'on voit que ces exemptions n'avoient pas alors pour but de soustraire les monasteres à la jurisdiction spirituelle de l'évêque, mais seulement d'empêcher que l'évêque allant trop souvent dans le monastere avec une suite nombreuse, ne troublât le silence & la solitude qui y doivent regner, ut quieta sint monasteria : c'est le motif ordinaire des anciennes chartes d'exemptions. C'est aussi pour empêcher les évêques de se mêler du temporel du monastere, & afin de permettre aux religieux de se choisir un abbé, pourvû qu'il fût béni par l'évêque du lieu ; d'ordonner que l'évêque ne pourroit punir les fautes commises dans le cloître par les religieux, que quand les abbés auroient négligé de le faire ; & de ne pas permettre que l'on exigeât de l'argent pour l'ordinaire, ou pour la consécration des autels.

On rapporte à la vérité quelques chartes des vij. viij. & jx. siecles, par lesquelles des monasteres paroissoient avoir été entierement affranchis par les papes de la jurisdiction spirituelle de l'évêque ; mais les plus habiles critiques regardent ces concessions comme supposées, & ce ne fut guere que vers le xj. siecle que les papes commencerent à exempter quelques monasteres de la jurisdiction spirituelle des évêques.

Ces exemptions furent révoquées au concile de Lyon en 1025, & blâmées par saint Bernard, qui vivoit sur la fin du xj. siecle & au commencement du xij. & par saint François, qui vivoit peu de tems après ; ce qui suppose qu'elles n'étoient point ordinaires en France : il n'est même point parlé alors d'exemptions pour les chapitres séculiers ; & en effet ceux qui sont exempts ne rapportent pour la plûpart que des titres postérieurs au xij. siecle.

Quelque purs qu'ayent pû être les motifs qui ont donné lieu à ces exemptions, il est certain que les exemptions perpétuelles sont contraires à l'ordre naturel & au droit commun ; & que si on les a faites pour un bien, elles produisent aussi souvent de grands inconvéniens, sur-tout lorsque les exempts ne sont soûmis à aucune puissance dans le royaume, comme au métropolitain ou au primat, & qu'ils sont soûmis immédiatement au saint siége.

Les premiers fondateurs des ordres mendians firent gloire d'être soûmis à tous leurs supérieurs ecclésiastiques ; ceux qui sont venus ensuite, guidés par d'autres vûes, ont obtenu des exemptions.

Elles furent sur-tout multipliées pendant le schisme d'Avignon ; les papes & les antipapes en accordoient chacun de leur part, pour attirer ou conserver les monasteres ou les chapitres dans leur parti.

Toutes ces exemptions accordées depuis le commencement du schisme, furent révoquées par Martin V. avec l'approbation du concile de Constance.

Les évêques tenterent inutilement au concile de Latran de faire réduire tous les moines au droit commun : on révoqua seulement quelques priviléges des mendians.

On demanda aussi la révocation des exemptions au concile de Trente ; mais le concile se contenta de réprimer quelques abus, sans abolir les exemptions.

L'ordonnance d'Orléans avoit déclaré tous les chapitres séculiers & réguliers soûmis à l'évêque, nonobstant toute exemption ou privilége ; mais l'ordonnance de Blois, & les édits postérieurs qui y sont conformes, paroissent avoir autorisé les exemptions, lorsqu'elles sont fondées sur des titres valables.

La possession seule, quoiqu'ancienne & paisible, est insuffisante pour établir une exemption. Cette maxime est fondée sur l'autorité des papes S. Grégoire le Grand, de Nicolas I. & Innocent III. sur celle des conciles, entr'autres du troisieme concile de Ravenne, en 1314 ; de ceux de Tours, en 1236 ; & de Vorcester, en 1240 ; sur les textes du droit canon & l'autorité des glossateurs. Elle a été aussi établie par Cujas & Dumolin, & par MM. les avocats généraux Capel, Servin, Bignon, Talon.

Mais quoique la possession ne suffise pas seule pour établir une exemption, elle suffit seule pour détruire une exemption, parce que le retour au droit commun est toûjours favorable.

Les actes énonciatifs du titre d'exemption, & ceux même qui paroissent le confirmer, sont pareillement insuffisans pour établir seuls l'exemption ; il faut rapporter le titre primordial.

Les conditions nécessaires pour la validité de ce titre, sont qu'il soit en forme authentique, selon l'usage du tems où il a été fait ; que l'évêque y ait consenti, ou du moins qu'il y ait été appellé, & que le roi ait approuvé l'exemption : enfin qu'il n'y ait aucune clause abusive dans la bulle d'exemption.

Si les clauses abusives touchent la substance de l'acte, elles le rendent entierement nul : si au contraire la clause ne touche pas le fond, elle est nulle, sans vicier le reste de l'acte.

On distingue deux sortes d'exemptions, les unes personnelles, les autres réelles. Les premieres sont celles accordées à un particulier, ou aux membres d'une communauté. Les exemptions réelles sont celles qui sont accordées en faveur d'une église séculiere ou réguliere. Ces deux sortes d'exemptions sont ordinairement réunies dans le même titre.

Toute exemption étant contraire au droit commun, doit être renfermée strictement dans les termes de l'acte, & ne peut recevoir aucune extension.

En France, lorsque les chapitres séculiers qui sont exempts de l'ordinaire, sont en possession d'exercer sur leurs membres une jurisdiction contentieuse, & d'avoir pour cet effet un official, on les maintient ordinairement dans leur droit & possession, & en ce cas l'appel de l'official du chapitre ressortit à l'officialité de l'évêque.

Du reste les chapitres exempts sont sujets à la jurisdiction de l'évêque, pour la visite & pour tout ce qui dépend de sa jurisdiction volontaire.

Ils ne peuvent aussi refuser à l'évêque les droits honorifiques qui sont dûs à sa dignité, comme d'avoir un siége élevé près de l'autel, de donner la bénédiction dans l'église, & d'obliger les chanoines à s'incliner pour recevoir la bénédiction.

Quelques chapitres ont été maintenus dans le droit de visiter les paroisses de leur dépendance, à la charge de faire porter à l'évêque leurs procès-verbaux de visite pour ordonner sur ces procès-verbaux ce qu'il jugeroit à-propos.

Lorsque l'official de ces chapitres séculiers ne fait pas de poursuite contre les délinquans dans le tems prescrit par le titre du chapitre, la connoissance des délits est dévolue à l'official de l'évêque.

La jurisdiction des réguliers est toûjours bornée à l'étendue de leur cloître ; & ceux qui commettent quelque délit hors du cloître, sont sujets à la jurisdiction de l'ordinaire.

L'évêque peut contraindre les religieux vagabonds, même ceux qui se disent exempts, de rentrer dans leur couvent ; il peut même employer contr'eux à cet effet les censures ecclésiastiques, s'ils refusent de lui obéir.

Les cures qui se trouvent dans l'enclos des monasteres, chapitres ou autres églises exemptes, sont sujettes à la visite de l'ordinaire ; & le religieux ou prêtre commis à la desserte des sacremens, & chargé de faire les fonctions curiales, dépend de l'évêque en tout ce qui concerne ces fonctions & l'administration des sacremens.

Quelqu'exemption que puissent avoir les séculiers & réguliers, ils sont toûjours soûmis aux ordonnances de l'évêque pour tout ce qui regarde l'ordre général de la police ecclésiastique, comme l'observation des jeûnes & des fêtes, les processions publiques & autres choses semblables, que l'évêque peut ordonner ou retrancher dans son diocèse, suivant le pouvoir qu'il en a par les canons.

Les exempts séculiers ou réguliers ne peuvent confesser les séculiers sans la permission de l'évêque diocésain, qui peut limiter le lieu, les personnes, le tems & les cas, & révoquer les pouvoirs quand il le juge à-propos.

Les exempts ne peuvent aussi prêcher, même dans leur propre église, sans s'être présentés à leur évêque : ils ne pourroient le faire contre sa volonté ; & si c'est en sa présence, même dans leur église, ils doivent attendre sa bénédiction. Pour prêcher dans les autres églises ils ont besoin de sa permission, qui est révocable ad nutum.

Lorsque les exempts abusent de leurs priviléges, ils doivent en être privés, suivant la doctrine du concile de Latran, en 1215 ; de celui de Sens, en 1269 ; d'Avignon, en 1326, & de Saltzbourg, en 1386.

Ils peuvent même quelquefois en être privés sans en avoir abusé, lorsque les circonstances des tems, des lieux & des personnes exigent quelque changement. Voyez le traité de exemptionibus de Jacobus de Canibus, & celui de Baldus ; les Mémoires du Clergé, tom. I. & VI. la Bibliot. can. tom. I. p. 603. Preuves des libertés, tom. II. ch. xxxviij. Fevret, traité de l'Abus, liv. III. ch. j. les Lois ecclésiastiques de d'Héricourt, part. I. ch. xj. (A)


EXEMPTIONS(Finances) c'est un privilége qui dispense d'une imposition, d'une contribution, ou de toute autre charge publique & pécuniaire, dont on devroit naturellement supporter sa part & portion.

Une exemption de cette espece est donc une exception à la regle générale, une grace qui déroge au droit commun.

Mais comme il est juste & naturel, que dans un gouvernement quelconque, tous ceux qui participent aux avantages de la société, en partagent aussi les charges ; il ne sauroit y avoir en finances d'exemption absolue & purement gratuite ; toutes doivent avoir pour fondement une compensation de services d'un autre genre, & pour objet le bien général de la société.

La noblesse a prodigué son sang pour la patrie ; voilà le dédommagement de la taille qu'elle ne paye pas. Voyez TAILLE, NOBLESSE.

Les magistrats veillent pour la sûreté des citoyens, au maintien du bon ordre, à l'exécution des lois ; leurs travaux & leurs soins compensent les exemptions dont ils jouissent.

Des citoyens aussi riches que desintéressés, viennent gratuitement au secours de la patrie, réparent en partie la rareté de l'argent, ou remplacent par le sacrifice de leur fortune, des ressources plus onéreuses au peuple ; c'est au peuple même à les dédommager par des exemptions qu'ils ont si bien méritées.

Des étrangers nous apportent de nouvelles manufactures, ou viennent perfectionner les nôtres ; il faut qu'en faveur des fabriques dont ils nous enrichissent, ils soient admis aux prérogatives des regnicoles que l'on favorise le plus.

Des exemptions fondées sur ces principes, n'auront jamais rien d'odieux, parce qu'en s'écartant, à certains égards, de la regle générale, elles rentreront toûjours, par d'autres voies, dans le bien commun.

Ces sortes de graces & de distinctions, n'exciteroient & ne justifieroient les murmures du peuple, & les plaintes des citoyens, hommes d'état, qu'autant qu'il arriveroit que par un profit, par un intérêt pécuniaire, indépendant d'une exemption très-avantageuse, le bénéfice de la grace excéderoit de beaucoup les sacrifices que l'on auroit fait pour s'en rendre digne ; la véritable compensation suppose nécessairement de la proportion : il est donc évident que dès qu'il n'y en aura plus entre l'exemption dont on joüit & ce que l'on aura fait pour la mériter, on est redevable du surplus à la société ; elle est le centre où tous les rayons doivent se réunir ; il faut s'en séparer ou contribuer dans sa proportion à ses charges. Quelqu'un oseroit-il se dire exempt de coopérer au bien commun ? on peut seulement y concourir différemment, mais toûjours dans la plus exacte égalité.

S'il arrivoit que la naissance, le crédit, l'opulence, ou d'autres considérations étrangeres au bien public, détruisissent, ou même altérassent des maximes si précieuses au gouvernement, il en résulteroit, contre la raison, la justice & l'humanité, que certains citoyens joüiroient des plus utiles exemptions, par la raison même qu'ils sont plus en état de partager le poids des contributions, & que la portion infortunée seroit punie de sa pauvreté même, par la surcharge dont elle seroit accablée.

Que les exemptions soient toûjours relatives, jamais absolues, & l'harmonie générale n'en souffrira point la plus legere atteinte ; tout se maintiendra dans cet ordre admirable, dans cette belle unité d'administration, qui dans chaque partie, apperçoit, embrasse & soûtient l'universalité.

Ces principes ont lieu, soit que les exemptions portent sur les personnes, soit qu'elles favorisent les choses.

On n'exempte certains fonds, certaines denrées, certaines marchandises des droits d'entrée, de ceux de sortie, des droits locaux, qu'en faveur du commerce, de la circulation, de la consommation, & toûjours relativement à l'intérêt que l'on a de retenir ou d'attirer, d'importer ou d'exporter le nécessaire ou le superflu.

Il ne faut pas au surplus confondre les priviléges & les exemptions.

Toutes les exemptions sont des priviléges, en ce que ce sont des graces qui tirent de la regle générale les hommes & les choses à qui l'on croit devoir les accorder.

Mais les priviléges ne renferment pas seulement des exemptions.

Celles-ci ne sont jamais qu'utiles & purement passives, en ce qu'elles dispensent seulement de payer ou de faire une chose ; au lieu que les priviléges peuvent être à la foi utiles ou honorifiques, où tous les deux ensemble, & que non-seulement ils dispensent de certaines obligations, mais qu'ils donnent encore quelquefois le droit de faire & d'exiger. Voyez PRIVILEGE pour le surplus des idées qui les distinguent & les caractérisent.


EXEQUATURS. m. (Jurisprud.) terme latin qui, dans le style des tribunaux, s'étoit long-tems conservé, comme s'il eût été françois. C'étoit une ordonnance qu'un juge mettoit au bas d'un jugement émané d'un autre tribunal, portant permission de le mettre à exécution dans son ressort ; c'étoit proprement un pareatis. Voyez PAREATIS. (A)


EXERCICES. m. (Art milit.) On entend par ce terme, dans l'art de la guerre, tout ce qu'on fait pratiquer aux soldats, pour les rendre plus propres au service militaire.

Ainsi l'exercice consiste non-seulement dans le maniement des armes & les évolutions, mais encore dans toutes les autres choses qui peuvent endurcir le soldat, le rendre plus fort & plus en état de supporter les fatigues de la guerre.

Dans l'usage ordinaire, on restraint le terme d'exercice au maniement des armes ; mais chez les Romains, on le prenoit dans toute son étendue. Les exercices regardoient les fardeaux, qu'il falloit accoûtumer les soldats à porter ; les différens ouvrages qu'ils étoient obligés de faire dans les camps & dans les siéges, & l'usage & le maniement de leurs armes.

Les fardeaux que les soldats romains étoient obligés de porter, étoient fort pesans ; car outre les vivres qu'on leur donnoit, suivant Cicéron, pour plus de quinze jours, ils portoient différens ustensiles, comme une scie, une corbeille, une bêche, une hache, une marmite pour faire cuire leurs alimens, trois ou quatre pieux pour former les retranchemens du camp, &c. Ils portoient aussi leurs armes qu'ils n'abandonnoient jamais, & dont ils n'étoient pas plus embarrassés que de leurs mains, dit l'auteur que nous venons de citer. Ces différens fardeaux étoient si considérables, que l'historien Josephe dit, dans le second livre de la guerre des Juifs contre les Romains, qu'il y avoit peu de différence entre les chevaux chargés & les soldats romains.

Les travaux des siéges étoient fort pénibles, & ils regardoient uniquement les soldats.

" Durant la paix on leur faisoit faire des chemins, construire des édifices, & bâtir même des villes entieres, si l'on en croit Dion Cassius, qui l'assûre de la ville de Lyon. Il en est ainsi de la ville de Doesbourg dans les Pays-Bas, & dans la Grande-Bretagne, de cette muraille dont il y a encore des restes, & d'un grand nombre de chemins magnifiques ". Nieuport, coût. des Rom.

L'exercice des armes se faisoit tous les jours, en temps de paix & de guerre, par tous les soldats, excepté les vétérans. On les accoûtumoit à faire vingt milles de chemin d'un pas ordinaire en cinq heures d'été, & d'un pas plus grand, vingt-quatre milles dans le même tems. On les exerçoit aussi à courir, afin que dans l'occasion ils pûssent tomber sur l'ennemi avec plus d'impétuosité, aller à la découverte, &c. à sauter, afin de pouvoir franchir les fossés qui pourroient se rencontrer dans les marches & les passages difficiles : on leur apprenoit enfin à nager. " On n'a pas toûjours des ponts pour passer des rivieres : souvent une armée est forcée de les traverser à la nage, soit en poursuivant l'ennemi, soit en se retirant : souvent la fonte des neiges, ou des orages subits, sont enfler les torrens, & faute de savoir nager, on voit multiplier les dangers. Aussi les anciens Romains, formés à la guerre par la guerre même, & par des périls continuels, avoient-ils choisi pour leur champ de Mars un lieu voisin du Tibre : la jeunesse portoit dans ce fleuve la sueur & la poussiere de ses exercices, & se délassoit en nageant de la fatigue de la course ". Vegece, trad. de M. de Sigrais.

Pour apprendre à frapper l'ennemi, on les exerçoit à donner plusieurs coups à un pieu. " Chaque soldat plantoit son pieu de façon qu'il tint fortement, & qu'il eût six piés hors de terre : c'est contre cet ennemi qu'il s'exerçoit, tantôt lui portant son coup au visage ou à la tête, tantôt l'attaquant par les flancs, & quelquefois se mettant en posture de lui couper les jarrets, avançant, reculant & tâtant le pieu avec toute la vigueur & l'adresse que les combats demandent. Les maîtres d'armes avoient sur-tout attention que les soldats portassent leurs coups sans se découvrir ". Vegece, même trad. que ci-dessus.

On peut voir dans cet auteur le détail de tous les autres exercices des soldats romains : ils étoient d'un usage général ; les capitaines & les généraux mêmes ne s'en dispensoient pas dans les occasions importantes. Plutarque rapporte, dans la vie de Marius, que ce général desirant d'être nommé pour faire la guerre à Mithridate, " combattant contre la débilité de sa vieillesse, ne failloit point à se trouver tous les jours au champ de Mars, & à s'y exerciter avec les jeunes hommes, montrant son corps encore dispos & leger pour manier toutes sortes d'armes, & piquer chevaux ". Trad. d'Amyot.

Ce même auteur rapporte aussi que Pompée, dans la guerre civile contre César, exerçoit lui-même ses troupes, " & qu'il travailloit autant sa personne, que s'il eût été à la fleur de son âge ; ce qui étoit de grande efficace pour assûrer & encourager les autres de voir le grand Pompée, âgé de cinquante-huit ans, combattre à pié tout armé, puis à cheval dégaigner son épée sans difficulté, pendant que son cheval couroit à bride-abattue, & puis la rengaigner tout aussi facilement ; lancer le javelot, non-seulement avec dextérité, de donner à point nommé, mais aussi avec force, de l'envoyer si loin que peu de jeunes gens le pouvoient passer ". Vie de Pompée d'Amyot.

Il est aisé de sentir les avantages qui résultoient de l'usage continuel de ces exercices. Les corps étoient en état de soûtenir les fatigues extraordinaires de la guerre, & il arrivoit ; comme le dit Josephe, que chez les Romains la guerre étoit une méditation, & la paix un exercice.

L'auteur de l'histoire de la milice françoise dit, avec beaucoup de vraisemblance, qu'il y a lieu de conjecturer que dès l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules il y avoit exercice pour les soldats. " Il est certain, dit-il, qu'on faisoit des revûes dans ce qu'on appelloit le champ de Mars, & qui fut depuis appellé le champ de Mai. On y examinoit avec soin les armes des soldats ; pour voir si elles étoient en état ; & cette attention marque qu'on ne négligeoit pas les autres choses qui pouvoient contribuer aux succès de la guerre.

On commence à voir sous la troisieme race, dès le tems de Philippe I. ce que j'ai appellé, dit toûjours le P. Daniel, l'exercice général (c'est celui qui consiste à accoûtumer les soldats au travail & à la fatigue). Ce fut vers ce tems-là que commencerent les tournois, où les seigneurs & les gentilshommes s'exerçoient à bien manier un cheval, à se tenir fermes sur leurs étriers, à bien dresser un coup de lance, à se servir du bouclier, à porter & à parer les coup d'épées, à s'accoûtumer à supporter le faix du harnois, & aux autres choses utiles & nécessaires pour bien combattre dans les armées : mais pour ce qui est de l'exercice particulier, qui consiste dans les divers mouvemens qu'on fait faire aux troupes dans un combat, je n'ai rien trouvé d'écrit sur ce sujet jusqu'au tems de Louis XI. " Histoire de la milice françoise, tom. I. pag. 376.

" Nous remarquons aujourd'hui, dit l'illustre & profond auteur des considérations sur les causes de la grandeur des Romains, " que nos armées périssent beaucoup par le travail immodéré des soldats ; & cependant c'étoit par un travail immense que les Romains se conservoient. La raison en est je crois, dit cet auteur, que leurs fatigues étoient continuelles ; au lieu que nos soldats passent sans-cesse d'un travail extrème à une extrème oisiveté, ce qui est la chose du monde la plus propre à les faire périr. Nous n'avons plus une juste idée des exercices du corps. Un homme qui s'y applique trop nous paroît méprisable, par la raison que la plûpart de ces exercices n'ont plus d'autre objet que les agrémens ; au lieu que chez les anciens, tous, jusqu'à la danse, faisoit partie de l'Art militaire " Considération sur la grandeur des Romains, &c.

L'invention de la poudre à canon a été la cause de la cessation totale, pour ainsi dire, de tous les exercices propres à endurcir le corps & à le fortifier pour supporter les grands travaux. Avant cette époque, la force particuliere du corps caractérisoit le héros : on ne négligeoit rien pour se mettre en état de se servir d'armes fort pesantes. " On voit encore aujourd'hui dans l'abbaye de Roncevaux les massues de Roland & d'Olivier, deux de ces preux si fameux dans nos romanciers du tems de Charlemagne. Cette espece de massue est un bâton gros comme le bras d'un homme ordinaire ; il est long de deux piés & demi ; il a un gros anneau à un bout, pour y attacher un chaînon ou un cordon fort, afin que cette arme n'échappât pas de la main ; & à l'autre bout du bâton sont trois chaînons, auxquels est attaché une boule de fer du poids de huit livres, avec quoi on pouvoit certainement assommer un homme armé, quelque bonnes que fussent ses armes, quand le bras qui portoit le coup étoit puissant. Il n'y a point d'hommes de ce tems assez forts pour manier une telle arme : c'est qu'alors on exerçoit dès la plus tendre jeunesse les enfans à porter à la main des poids fort pesans ; ce qui leur fortifioit le bras ; & par l'habitude ils y acquéroient une force extraordinaire : ce qu'on ne fait plus depuis plusieurs siecles ". Hist. de la milice franç. par le P. Daniel.

C'est par des exercices de cette espece qu'ils acquéroient cette force de bras qui produisoient ces coups extraordinaires ; qu'on a beaucoup de peine à croire aujourd'hui. Voyez EPEE.

Les armes que l'usage de la poudre a introduites dans les armées, n'exigeant aucun effort considérable, on s'est insensiblement deshabitué de tous les exercices qui pouvoient augmenter la force du corps, & l'endurcir aux travaux. On ne craint point de dire qu'on porte un peu trop loin aujourd'hui la négligence à cet égard : de-là vient que notre jeune noblesse, quoique pleine de valeur & d'envie de se signaler à la guerre, soûtiendroit difficilement une longue suite de travaux rudes & pénibles, le corps n'y étant point assez accoûtumé. On sait combien nos cuirasses, si legeres en comparaison de l'armure des anciens gendarmes, paroissent incommodes par leur poids : quels qu'en soient l'utilité & la nécessité, on s'en débarrasseroit souvent dans l'action même, si les reglemens n'obligeoient point à les porter. Le defaut d'exercices fatigans est la cause de cette espece de mollesse. " Aussi, dit le P. Daniel, excepté la médiocre fatigue de l'académie où passent les jeunes gens de condition, & qui consiste à s'accoûtumer à manier un cheval, à en souffrir les secousses, à faire des armes, & à quelques autres exercices, les soldats, soit cavaliers, soit fantassins, sont pour la plûpart des fainéans que l'aversion pour le travail & l'appas de la licence engagent au service, dont plusieurs y périssent, soit par la foiblesse de leur tempérament, soit parce qu'ils sont déjà usés de débauche. Ils ne portent pour la plûpart que leurs armes, beaucoup plus legeres que celles des anciens, qui outre les offensives en avoient de défensives, c'est-à-dire des casques, des cuirasses, des boucliers. Dans les campemens & dans les siéges où ils n'ont guere que le travail des tranchées, ils demeurent oisifs la plûpart du tems. Les plus gros travaux se font par des paysans qu'on fait venir des villages circonvoisins. Je ne parle point ici des officiers dont la plûpart se piquent autant de luxe, de délicatesse, de bonne-chere, que de valeur & d'application aux fonctions de leurs charges. Quelle différence tout cela doit-il mettre entre nos troupes & celles des anciens Romains " ! Histoire de la milice franç. tom. II. pag. 601.

L'exercice des troupes de l'Europe aujourd'hui, consiste uniquement dans le maniement des armes & dans les évolutions. Voyez EVOLUTION.

Le maniement des armes, qu'on appelle communément l'exercice, comme nous l'avons déjà dit, a pour objet d'habituer les soldats à se servir avec grace, promtitude, & accord, des armes propres à l'infanterie, c'est-à-dire du fusil avec la bayonnette au bout, qui est aujourd'hui la seule arme du soldat.

Cet exercice renferme plusieurs choses arbitraires. Ses regles générales, suivant M. Bottée, sont de faire observer au soldat une contenance fiere, noble, & aisée. Or comme il est possible que des mouvemens qui paroissent aisés & naturels aux uns, ne le soient pas également aux yeux des autres ; que des tems & des positions que les uns jugent nécessaires, les autres les croyent inutiles : il arrive de-là que l'exercice n'a point encore eu de regles fixes & invariables parmi nous (a) : regles cependant qui ne seroient pas fort difficiles à trouver, si l'on vouloit se renfermer dans le pur nécessaire à cet égard, c'est-à-dire réduire le maniement des armes aux seuls mouvemens que le soldat peut exécuter devant l'ennemi, & ne pas s'attacher à faire paroître une troupe par une cadence & une mesure de mouvemens, plus propre, dit M. le maréchal de Puysegur, à donner de l'attention aux spectateurs, qu'à remplir l'objet capital, qui est d'apprendre aux soldats comment ils doivent se servir de leurs armes un jour d'action. Art de la guerre, t. I. pag. 131.

Ce même auteur, après avoir donné un projet d'exercice qui renferme tout ce qu'il y a d'utile dans le maniement des armes, observe qu'il y a bien d'autres choses dont il faut que les soldats soient instruits ; " que le principal objet du maniement des armes doit être de bien montrer au soldat comment il doit charger promtement son fusil, soit avec la cartouche ou en se servant de son fourniment pour mettre la poudre dans le canon, soit que la bayonnette soit au bout ou non ; comment il doit conduire son feu dans les occasions où il peut se trouver ; de l'accoûtumer à ne jamais tirer sans ordre, & sans regarder où il tire, afin de ne pas faire des décharges mal-à-propos, ainsi que cela arrive tous les jours aux troupes qui ne sont pas instruites de cette maniere ; de le faire tirer au blanc contre une muraille, afin qu'il voye le progrès qu'il fait... & comme on est obligé de charger le fusil, soit debout, ou un genou en terre, il faut que ces deux manieres de le faire entrent dans ce qui regarde le maniement des armes ". Art de la guerre, tom. I. pag. 137. & 138.

Ajoûtons à ces différentes observations, qu'il seroit peut-être très-utile de faire connoître au soldat toutes les différentes pieces du fusil, afin qu'il puisse le démonter, le nettoyer, & s'appercevoir plus facilement des réparations dont cette arme peut avoir besoin pour être en état de service.

Il seroit encore à-propos d'apprendre aux soldats à bien mettre la pierre au fusil, pour qu'elle frappe à-peu-près vers le milieu de la batterie : car on sait que lorsque les pierres sont trop longues, elles cassent au premier coup, & que quand elles sont trop courtes, elles ne font point de feu.

Plusieurs militaires très-intelligens prétendent aussi qu'il faudroit accoûtumer les soldats à ne pas s'effrayer des chevaux qui s'avanceroient sur eux avec impétuosité. L'expérience fait voir qu'un homme résolu, suffit seul pour détourner un cheval, emporté ou échappé, de son chemin : c'est pourquoi des soldats bien exercés à voir cette manoeuvre, seroient plus disposés à faire ferme contre une troupe de cavalerie qui voudroit les mettre en desordre.

C'est le sentiment particulier de M. le marquis de Santa-Crux. Cet illustre & savant officier général dit sur ce sujet, " que les officiers d'infanterie doivent, en présence de leurs soldats, faire monter sur un cheval fort & robuste, tel homme qu'on voudra choisir, qui viendra fondre ensuite sur un fantassin, qui l'attendra de pié ferme, seulement un bâton à la main ; & ils verront qu'en ne faisant que voltiger le bâton aux yeux du cheval, ou en le touchant à la tête, ce cheval fera un écart sans vouloir avancer, à moins qu'il ne soit dressé à ce manége. De-là les officiers, continue M. le marquis de Santa-Crux, prendront occasion de représenter

(a) Ceci étoit écrit avant l'ordonnance du 6 Mai 1755, qui décide définitivement tout ce qui a rapport à l'exercice de l'infanterie.

aux soldats, que si un cheval s'effarouche d'un homme qui tient ferme, n'ayant qu'un bâton à la main, à plus forte raison ils trouveront que les efforts de la cavalerie sont inutiles contre des bataillons serrés, dont les bayonnettes, les balles & l'éclat des armes, la fumée & le bruit de la poudre sont plus capables d'épouvanter les chevaux ". Reflex. milit. tome. III. pag. 85.

A l'exercice concernant le maniement des armes, on a ajoûté l'exercice du feu, comme le nomme l'instruction du 14 Mai 1754 : exercice très-essentiel, qui consiste à accoûtumer les troupes à tirer ensemble, ou séparément, par section, pelotons, &c. suivant qu'on le juge à-propos. Voyez FEU.

Le fond & la forme de notre exercice ordinaire est fort ancien. Il paroît être imité de celui des Grecs, rapporté par Elien dans son traité de Tactique. Le P. Daniel croit que nous l'avons rétabli & perfectionné sur le modele des Hollandois & cela sur ce que M. de Montgomeri de Corboson, qui vivoit sous Charles IX. & Henri III. parlant dans son traité de la milice françoise, de l'exercice particulier des soldats décrit par Elien, le compare avec celui qui se faisoit alors en Hollande sous le comte Maurice, & non point avec celui qui se faisoit en France.

On trouve dans le livre intitulé le Maréchal de bataille, par Lostelneau, imprimé en 1647, l'exercice & les évolutions en usage dans les troupes du tems de Louis XIII.

Louis XIV. donna un reglement sur ce sujet en 1703. Comme les troupes avoient encore alors des mousquets & des piques, on fut obligé de le réformer peu de tems après, à cause de la suppression de ces deux armes, ce qui arriva vers l'année 1704. Ce reglement accommodé à l'usage des troupes armées de fusils, qu'on trouve dans le code militaire de M. Briquet & dans beaucoup d'autres livres, a été assez constamment & uniformément observé par toute l'infanterie, jusqu'à l'ordonnance du 7 Mai 1750, qui a introduit beaucoup de changemens dans l'ancien exercice. Voyez cette ordonnance, l'instruction concernant son exécution donnée en 1753 ; celle du 14 Mai 1754, qui rassemble tout ce qui avoit été précédemment ordonné sur cette matiere ; & l'ordonnance du 6 Mai 1755. Voyez aussi, page 131 de l'art de la guerre par M. le maréchal de Puysegur, tom. I. à quoi l'on peut réduire le maniement des armes, pour ne rien faire d'inutile.

Les majors des places doivent, suivant les reglemens militaires, faire faire l'exercice général aux troupes de la garnison une fois le mois ; & les majors des régimens d'infanterie, deux fois la semaine aux soldats des compagnies qui ne sont pas de garde. Ordonn. de Louis XIV. du 12 Oct. 1661.

A cet exercice, nécessaire pour apprendre aux soldats le maniement des armes dont ils se servent, M. le Marquis de Santa-Crux voudroit qu'on ajoûtât les exercices généraux qui peuvent les rendre plus propres aux différens travaux qu'ils ont à faire dans les armées. " Il faut, dit cet auteur, accoûtumer les soldats à remuer la terre, à faire les fascines & à les poser ; à planter des piquets, à savoir se servir de gabions pour se retrancher en formant le fossé, le parapet, & la banquette dans l'endroit que les ingénieurs auront tracé, ou le parapet & la banquette seulement, prenant la terre en-dedans de la même maniere que cela se pratique dans les tranchées pour les attaques des places ; car lorsqu'il est besoin de faire de semblables travaux, sur-tout à la vûe de l'ennemi, les troupes qui ne s'y sont pas exercées se trouvent embarrassées & les font imparfaitement ou trop lentement. Reflexions milit. tom. I. p. 393. de la trad. de M. de Vergy.

Ce même auteur veut aussi qu'on accoûtume les soldats à conserver dans les marches, le pain qu'on leur distribue pour un certain tems, parce qu'on voit dans divers corps un si grand desordre à ce sujet, " que dès le premier jour les soldats vendent leur pain ou le jettent pour n'avoir pas la peine de le porter ; & après ils sont obligés de voler pour vivre, ou ils sont bien malades faute de nourriture, ou la faim les fait deserter ". Même vol. que ci-devant, p. 398.

Cet auteur veut encore qu'on instruise les fantassins à monter en croupe de la cavalerie, parce que cela est souvent nécessaire pour les passages des rivieres, les marches précipitées, &c. Il observe aussi " que les anciens apprenoient aux soldats à manier les armes des deux mains, & qu'il ne seroit pas inutile que le soldat sût tirer de la main gauche, dans les défenses des murailles & des retranchemens qui ont un angle fort obtus vers la droite, ou lorsqu'étant à cheval il est nécessaire de tirer vers le côté droit : qu'il y auroit également de l'avantage à exercer les cavaliers à se servir de la main gauche pour le sabre, sur-tout lorsque dans les escarmouches l'ennemi lui gagne ce côté-là, parce qu'alors ils ne peuvent pas se servir du sabre avec la main droite, à moins qu'il ne soit si long, qu'il puisse blesser de la pointe.

Les germains, du tems qu'ils n'étoient pas moins guerriers qu'ils le sont aujourd'hui, dit toûjours M. de Santa-Crux, accoûtumoient leurs troupes à souffrir la faim, la soif, la chaleur, & le froid. Platon ajoûte à ce conseil celui de les accoûtumer à la dureté du lit ; à l'égard de ce dernier, les entrepreneurs ont grand soin qu'il soit observé : quant aux autres, quoique les accidens de la guerre y exposent assez de tems en tems, il est certain que si dans une longue paix on n'est pas exposé nécessairement à essuyer quelque fatigue, il faudroit s'accoûtumer à celle que le métier force souvent d'endurer, &c. "

Quant à la cavalerie, M. de Santa-Crux veut que les cavaliers exercent leurs chevaux à franchir des fossés, à grimper sur des montagnes, & à galoper dans les bois, afin que ces différens obstacles ne les arrêtent point dans l'occasion ; que les chevaux soient habitués à tourner promtement de l'une & de l'autre main ; qu'on les empêche de ruer, de peur qu'ils ne mettent les escadrons en desordre ; qu'on évite avec soin qu'ils ne prennent le mords aux dents, & qu'ils ne jettent les cavaliers par terre ou qu'ils ne les emportent malgré eux au milieu des ennemis. A ces avis généraux, tirés de Xénophon dans son traité du général de la Cavalerie, M. de Santa-Crux ajoûte qu'il faut accoûtumer les chevaux à ne pas s'épouvanter de la fumée, du bruit de la poudre, de celui des tambours & des trompettes dont on se sert dans les armées : il propose aussi de mettre aux chevaux des brides qui les obligent à tenir la tête un peu élevée, afin que les cavaliers soient plus couverts ; d'avoir des étriers un peu courts, parce qu'en s'appuyant dessus on a plus de force, & qu'on peut allonger plus facilement le corps & le bras pour frapper, &c. Voyez le xxviij. & le xxjx. chapitres des réflex. milit. de M. de Santa-Crux, tom. I.

Les exercices de la cavalerie dont on vient de parler, sont des exercices généraux qui peuvent lui être très-utiles ; mais à l'égard de celui qui concerne le maniement des armes, soit à pié soit à cheval, qu'on appelle ordinairement l'exercice de la cavalerie, nous renvoyons à l'ordonnance du 22 Juin 1755. Nous observerons seulement ici sur ce sujet, qu'un point très-essentiel dans cet exercice, c'est de bien accoûtumer la cavalerie à marcher ensemble, de maniere que les différens rangs de l'escadron se meuvent comme s'ils formoient un corps solide, sans déranger leur ordre dans aucun cas. Cette méthode, dit la Nouë dans ses disc. milit. " donne un grand fondement à la victoire. " C'est par-là que du tems de cet auteur, la cavalerie allemande avoit la réputation d'être la meilleure de l'Europe. Les rangs de cette cavalerie ne paroissoient pas seulement serrés en marchant & en combattant, " ains collés les uns avec les autres, ce qui procede, dit ce savant officier, d'une ordinaire accoûtumance qu'ils ont de se tenir toûjours en corps, ayant appris, tant par connoissance naturelle que par épreuve, que le fort emporte toûjours le foible. Et ce qui rend bon témoignage, ajoûte-t-il, qu'ils ne faillent guere en ceci, est que quand ils sont rompus, ils se retirent & fuyent sans se séparer, étant tous joints ensemble ". Discours milit. du seigneur de la Nouë, pag. 310.

Terminons cet article par quelques réflexions de M. le chevalier de Folard, sur l'exercice des troupes pendant la paix.

" Dans la paix, la paresse, la négligence, & le relâchement des lois militaires, sont d'une très-grande conséquence pour un état ; car la guerre survenant, on en reconnoît aussi-tôt le mal, & ce mal est sans remede. Ce ne sont plus les mêmes soldats ni les mêmes officiers. Les peines & les travaux leur deviennent insupportables ; ils ne voyent rien qui ne leur paroisse nouveau, & ne connoissent rien des pratiques des camps & des armées. Si la paix n'a pas été assez longue pour faire oublier aux vieux soldats qu'ils vivoient autrefois selon les lois d'une discipline reglée & exacte, on peut leur en rappeller la pratique par des moyens doux & faciles ; mais si la paix a parcouru un espace de plusieurs années, ces vieux soldats, qui sont l'ame & l'esprit des corps où ils ont vieilli, seront morts ou renvoyés comme inutiles, obligés de mendier leur pain, à moins qu'ils n'entrent aux invalides : mais cette ressource ne se trouve pas dans tous les royaumes, & en France même elle n'est pas trop certaine : souvent une infirmité feinte, aidée de la faveur, y usurpe une place qui n'a été destinée qu'aux infirmités réelles : les autres, qui ne sont venus que vers la fin d'une guerre, auront oublié dans la paix, ce qu'ils auront acquis d'expérience dans les exercices militaires, & entreront en campagne très-corrompus & très-ignorans. Les vieux officiers seront retirés ou placés ; s'il en reste quelques-uns dans les corps, ils passeront (si la corruption ne les a pas gagnés) pour des radoteurs & des censeurs incommodes parmi cette foule de jeunes débauchés & de fainéans sans application & sans expérience. Ceux qui aimeront leur métier sans l'avoir pratiqué, pour être venus après la guerre, seront en si petit nombre, qu'ils se verront sans pouvoir, sans autorité, inconnus à la cour ; & ce sera une espece de prodige s'ils peuvent échapper aux railleries & à l'envie des autres, dont la conduite est différente de la leur. Je ne donne pas ceci, dit M. de Folard, comme une chose qui peut arriver, mais comme un fait d'expérience journaliere.... Mais faut-il beaucoup de tems pour corrompre la discipline militaire & les moeurs des soldats & des officiers ? Bien des gens, sans aucune expérience du métier, se l'imaginent : ils se trompent ; un quartier d'hyver suffit.... Les délices de Capoue sont célebres dans l'histoire : ce ne fut pourtant qu'une affaire de cinq mois d'hyver ; & ces cinq mois firent plus de tort aux Carthaginois, que la bataille de Cannes n'en avoit fait aux Romains ".

Pour éviter ces inconvéniens, M. de Folard propose " de former plusieurs camps en été, où les officiers généraux exerceroient eux-mêmes leurs troupes dans les grandes manoeuvres de la guerre, c'est-à-dire dans la Tactique, que les soldats non plus que les officiers, ne peuvent apprendre que par l'exercice. On formeroit par cette méthode des soldats expérimentés, d'excellens officiers, & des généraux capables de commander les armées ". Comment. sur Polybe, vol. II. p. 286. & suiv. C'est ce qu'on observe en France depuis quelques années, & dans quelques autres états de l'Europe. Moyen excellent pour entretenir les troupes dans l'habitude des travaux militaires, & pour faire acquérir aux officiers supérieurs l'usage du service & du commandement. (Q)

A ces réflexions générales de M. le Blond sur les exercices, M. d'Authville a cru pouvoir ajoûter les observations particulieres qui suivent.

Pour concevoir tout ce qu'on doit enseigner & apprendre aux exercices, on doit se représenter les troupes suivant leurs différentes especes & dans tous les différens cas où elles peuvent se trouver : on réunit ces cas sous quatre points de vûe.

1°. Lorsqu'elles sont sous les armes pour s'instruire de ce qu'elles doivent faire dans toutes les circonstances de la guerre.

2°. Lorsque pour les endurcir & les fortifier, on les fait ou travailler ou marcher.

3°. Lorsque loin de l'ennemi elles sont sous les armes, soit en marche, soit pour passer des revûes, soit pour faire des exercices de parade, pour rendre des honneurs, faire des réjoüissances, ou assister à des exécutions.

4°. Lorsqu'en présence de l'ennemi, elles attendent l'occasion de le combattre avec avantage, le cherchent, l'attaquent, le poursuivent, ou font retraite.

Pour parvenir à rendre le soldat capable de remplir tous ces objets, les exercices doivent être très-fréquens ; c'est le plus sûr moyen d'établir & maintenir dans les armées une bonne discipline.

Il faut s'appliquer à entretenir les anciens soldats dans l'usage de tout ce qu'ils ont appris & de tout ce qu'ils ont fait pendant la guerre, & les instruire sur les nouvelles découvertes faites au profit des armes, qui sont ordinairement le fruit & la suite des progrès faits à la guerre ; on doit avec encore plus de soin former les nouveaux soldats, & les exercer plus souvent dans tout ce que les uns & les autres sont obligés de savoir.

Les exercices se renferment en cinq parties principales :

1°. Maniement des armes propres à chaque espece de troupes, on y doit comprendre l'art de monter à cheval. Voyez MANIEMENT DES ARMES, & tout ce qui a rapport à l'ÉQUITATION.

2°. La marche, mouvement par lequel une troupe, soit à pié soit à cheval, se porte avec ordre en-avant ou de tout autre côté. Voyez MOUVEMENT.

3°. Les évolutions : on entend par-là tous les changemens de figure qu'on fait subir à une troupe. Voy. EVOLUTION.

4°. Le travail, qui consiste dans la construction des retranchemens, forts, ou d'autres ouvrages faits pour l'attaque & défense des places & des camps, & dans le transport des choses qui y sont nécessaires.

5°. La connoissance des signaux, tels que les divers sons de la trompette, des tambours, &c. Voyez SIGNAUX.

L'ordonnance du 6 Mai, quant aux exercices de l'infanterie, & celle du 22 Juin 1755, en ce qui concerne la cavalerie, sont si étendues qu'il seroit impossible de les rapporter ici. Avant que de fixer ce qui doit être exécuté dans les exercices, le ministere de la guerre a cru qu'il devoit consulter chaque corps de troupes en particulier ; pour cet effet il a été adressé à tous les régimens de cavalerie & d'infanterie depuis la paix, & successivement d'année en année, des instructions sur lesquelles les épreuves ont été faites des meilleurs moyens d'exercer les troupes, suivant que la derniere guerre en avoit fait sentir la nécessité, & suivant le génie de la nation : sur ces instructions les commandans des corps, après avoir pris l'avis des officiers, ont fait leurs observations, qui ont été examinées par le ministre de la guerre dans des assemblées d'officiers généraux ; & sur le compte qu'il en a rendu au Roi, il a plû à Sa Majesté rendre les ordonnances dont on vient de parler.

Ces ordonnances contiennent les titres suivans :

Si nous surpassons les anciens en adresse, en agilité, il faut convenir qu'ils nous étoient bien supérieurs en force, puisqu'ils s'appliquoient sans-cesse à la Gymnastique, & à fortifier leurs soldats.

On trouve ci-dessus, en abrégé, les différens exercices des Romains : pour ce qui est des Grecs, dont la Tactique d'Elien renferme tous les exercices, un officier fort savant nous en promet une traduction dans peu de tems avec des notes ; elle sera précédée d'un discours sur la milice des Grecs en général.

S'il est d'une indispensable nécessité que toutes les troupes en général soient constamment exercées aux différentes manoeuvres de la guerre, on peut assûrer que cette loi oblige plus essentiellement la cavalerie que l'infanterie : non-seulement le cavalier doit savoir tout ce qu'on fait pratiquer au simple fantassin ; destiné à un genre de combat différent, il faut encore qu'il s'y forme avec la plus grande attention, & qu'il y forme en même tems son cheval : il faut qu'il apprenne à manier ce cheval & à le conduire avec intelligence ; qu'il l'accoûtume à l'obéissance & à la docilité ; qu'il le dresse à un grand nombre de mouvemens particuliers ; que par des soins vigilans, il entretienne & augmente la force & la vigueur naturelle de cet animal, sa souplesse & sa legereté, & qu'il le rende capable de partager tous les sentimens dont il est lui-même tour-à-tour animé, soit à l'aspect de l'ennemi, soit au commencement du combat, soit dans la poursuite : il n'est rien de plus dangereux pour un cavalier, que de monter un cheval mal dressé : la perte de sa vie & de son honneur le punit très-souvent de sa négligence à cet égard.

La Grece divisée en autant de républiques qu'elle contenoit de villes un peu considérables, offroit autour de leur enceinte, le spectacle singulier & frappant d'une multitude d'habitans incessamment occupés à la lutte, au saut, au pugilat, à la course, au jeu du disque : ces exercices particuliers servoient de préparation à un exercice général de toute la nation, qui se renouvelloit tous les quatre ans en Elide (proche de la ville de Pise, autrement dite Olympie), & formoit la brillante solemnité des jeux olympiques. Si l'on réflechit sur le caractere des personnages illustres, à qui l'on attribue le rétablissement de ces jeux, on verra qu'ils étoient purement politiques, & qu'ils avoient moins pour objet ou la religion ou l'amour des fêtes, que d'inspirer aux Grecs une utile activité, qui les tînt toûjours préparés à la guerre.

Les exercices dans lesquels il falloit exceller, pour entrer dans la carriere olympique, entretenoient le corps agile, souple, leger, & procuroient aux Grecs une vigueur & une adresse qui les rendoit supérieurs à leurs ennemis.

C'est dans la même vûe & pour les mêmes raisons, que furent institués les jeux pythiques. Les amphictions, les députés des principales villes de la Grece y présidoient, & regloient tout ce qui pouvoit contribuer à la sûreté & à la pompe de la fête.

Quant aux Romains, moins éloignés de nos tems, l'on sait que chacune de leurs immenses conquêtes a été le fruit de leurs exercices, & de l'attention qu'ils apportoient à former des soldats.

On accoûtumoit les soldats romains, comme on l'a dit plus haut à faire vingt milles de chemin d'un pas ordinaire en cinq heures d'été, & d'un pas plus grand, vingt-quatre milles dans le même tems : ces pas comparés à ceux que prescrit la nouvelle ordonnance, leur sont égaux, suivant l'exacte supputation des heures, des milles, & des piés. Voyez PAS.

L'hyver comme l'été, les cavaliers romains étoient régulierement exercés tous les jours ; & lorsque la rigueur de la saison empêchoit qu'on ne pût le faire à l'air, ils avoient des endroits couverts, destinés à cet usage. On les dressoit à sauter sur des chevaux de bois, tantôt à droite, tantôt à gauche ; premierement sans armes, ensuite tout armés, & la lance ou l'épée à la main : après que les cavaliers s'étoient ainsi exercés seul à seul, ils montoient à cheval, & on les menoit à la promenade. Là on leur faisoit exécuter tous les mouvemens qui servent à attaquer & à poursuivre en ordre : si on leur montroit à plier, c'étoit pour leur apprendre à se reformer promtement, & à retourner à la charge avec la plus grande impétuosité. On les accoûtumoit à monter & à descendre rapidement par les lieux les plus roides & les plus escarpés, afin qu'ils ne pussent jamais se trouver arrêtés par aucune difficulté du terrein.

Enfin les exercices des Romains (au rapport de Josephe, liv. III. ch. vj.) ne différoient en rien des véritables combats : ils pouvoient, ajoûte-t-il, se nommer batailles non sanglantes, & leurs batailles des exercices sanglans.

L'histoire nous fait voir une des principales causes des succès d'Annibal, dans le relâchement où les Romains étoient tombés après la premiere guerre punique.

Vingt ans de négligence ou d'interruption dans leurs exercices ordinaires, les avoient tellement énervés & rendus si peu propres aux manoeuvres de la guerre, qu'ils ne purent tenir contre les Carthaginois, & qu'ils furent défaits autant de fois qu'ils oserent paroître devant eux en bataille rangée : ce ne fut que par l'usage des armes qu'ils sortirent peu-à-peu de l'état de foiblesse & d'abattement où les avoit réduits le mauvais emploi qu'ils avoient fait du repos de la paix : de sages généraux firent revivre dans les légions l'esprit romain, en y rétablissant l'ancienne discipline & l'habitude des exercices : alors leur courage se ranima ; & l'expérience leur ayant donné de nouvelles forces, d'abord ils arrêterent les progrès rapides de l'ennemi, ensuite ils balancerent ses succès, enfin ils en devinrent les vainqueurs. Scipion fut un de ceux qui contribua davantage à un si promt changement : il ne croyoit pas qu'il y eût de meilleur moyen pour assûrer la victoire à ses troupes, que de les exercer sans relâche. C'est dans cette occupation qu'on le voit goûter les premiers fruits de la prise de Carthagene ; moins glorieux d'une si brillante conquête, qu'ardent à se préparer de nouveaux triomphes, tout le tems qu'il campa sous les murs de cette place, fut employé aux différens exercices militaires. Le premier jour, toutes les légions armées faisoient en courant un espace de quatre milles ; le second, les soldats au-devant de leurs tentes s'occupoient à nettoyer & à polir leurs armes ; le troisieme, ils se combattoient les uns les autres avec des especes de fleurets ; le quatrieme étoit donné au repos des troupes, après quoi les exercices recommençoient dans le même ordre qu'auparavant.

Un historien éclairé nous a conservé le détail des mouvemens que Scipion faisoit faire à sa cavalerie : il accoûtumoit chaque cavalier séparément à tourner sur sa droite & sur sa gauche ; à faire des demi-tours à droite & à gauche ; il instruisoit ensuite les escadrons entiers à exécuter de tous côtés, & avec précision, les simples, doubles & triples conversions ; à se rompre promtement, soit par les aîles, soit par le centre, & à se reformer avec la même legereté : il leur apprenoit sur-tout à marcher à l'ennemi avec le plus grand ordre, & à en revenir de même. Quelque vivacité qu'il exigeât dans les diverses manoeuvres des escadrons, il vouloit que les cavaliers gardassent toûjours leurs rangs, & que les intervalles fussent exactement observés : il pensoit, dit Polybe, qu'il n'y a rien de plus dangereux pour la cavalerie, que de combattre quand elle a perdu ses rangs.

Si les Grecs & les Romains ont surpassé tous les anciens peuples par leur constante application au métier de la guerre, on peut dire avec autant de vérité, que depuis treize cent ans, les François l'emportent par le même endroit sur le reste de l'Europe ; mais comme ils n'ont acquis cette supériorité qu'à la faveur de fréquens exercices, ils doivent pour se la conserver, persister dans la pratique d'un moyen qui peut, lui seul, maintenir leur réputation sur des fondemens inébranlables : les joûtes & les tournois, genre de spectacle dans lequel la nation françoise s'est distinguée avec tant d'éclat, entretenoient parmi cette noblesse qui a toûjours été la force & l'appui de l'état, l'adresse, la vigueur & l'intelligence nécessaires dans la guerre. L'ordonnance de ces fêtes célebres avoit quelque ressemblance avec les jeux olympiques des Grecs ; mais l'on peut assûrer que l'établissement de nos camps d'exercice, remplacera les anciens spectacles de nos peres, mais avec d'autant plus d'utilité pour l'état.

Une raison bien puissante, si l'on veut y faire attention, pour prouver la nécessité des exercices, est que tous les desordres qui arrivent dans les troupes, & les malheurs qu'éprouvent souvent les armées, viennent ordinairement de l'inaction du soldat : l'histoire est remplie d'exemples de cette vérité.

Les soldats d'Annibal, on ne sauroit trop le redire, accoûtumés à endurer la faim, la soif, le froid, le chaud, & les plus rudes fatigues de la guerre, ne se furent pas plûtôt plongés dans les délices de la Campanie, qu'on vit la paresse, la crainte, la foiblesse & la lâcheté, prendre la place du courage, de l'ardeur, de l'intrépidité, qui peu de tems avant avoient porté la terreur jusqu'aux portes de Rome. Un seul hyver passé dans l'inaction & dans la débauche, en fit des hommes nouveaux, & coûta plus à Annibal que le passage des Alpes & tous les combats qu'il avoit donnés jusqu'alors.

Les exercices des François, qui après les Grecs & les Romains, ont été sans contredit les plus grands guerriers, sont fort anciens ; si l'on en juge par les avantages qu'ils remporterent sur les Romains mêmes, & par les armes anciennes qui se trouvent dans tous les magasins d'artillerie, & dont il n'auroit pas été possible de se servir sans une habitude continuelle.

L'histoire de la premiere & de la seconde race de nos rois ne nous apprend rien de particulier au sujet de leurs exercices. On ne peut que former des conjectures sur ce que nous offre actuellement le bon ordre qu'on remarque dans les armées de Clovis, de Pepin, & de Charlemagne. La description des armes dont parlent Procope & Grégoire de Tours, ne nous laisse pas douter que les premiers François ne dûssent être bien exercés, pour se servir de l'épée, de la halebarde, de la massue, de la fronde, du maillet, & de la hache.

Ces armes, pour s'en servir avec avantage, exigeoient des exercices, comme on vient de le dire : mais lorsque, depuis l'invention de la poudre on y substitua des armes à feu, il fallut changer ces exercices & les rendre encore plus fréquens, pour éviter de funestes accidens & pour s'en servir avec adresse. Addition de M. D'AUTHVILLE.

EXERCICE DE LA MANOEUVRE, (Marine) c'est la démonstration & le mouvement de tout ce qu'il faut faire pour appareiller un vaisseau, mettre en panne, virer, arriver, mouiller, &c. (Z)

EXERCICE, (Medecine, Hygiène) Ce mot, dans le sens dont il s'agit, est employé pour exprimer l'action par laquelle les animaux mettent leur corps en mouvement, ou quelqu'une de ses parties, d'une maniere continuée pendant un tems considérable, pour le plaisir ou pour le bien de la santé.

Cette action s'opere par le jeu de muscles, qui sont les seuls organes par le moyen desquels les animaux ont la faculté de se transporter d'un lieu dans un autre, de mouvoir leurs membres conformément à tous leurs besoins. Voyez MUSCLE.

On restreint cependant la signification d'exercice en général, à exprimer l'action du corps à laquelle on se livre volontairement & sans une nécessité absolue, pour la distinguer du travail, qui est le plus souvent une action du corps à laquelle on se porte avec peine, qui nuit à la santé & qui accélere le cours de la vie, par l'excès qui en est souvent inséparable.

L'expérience fit connoître à ceux qui firent les premiers quelqu'attention à ce qui peut être utile ou nuisible à la santé, que l'exercice du mouvement musculaire est absolument nécessaire pour la conserver aux hommes & aux animaux qui sont susceptibles de cette action. En conséquence de cette observation la sage antiquité, pour exciter les jeunes gens à exercer leur corps, à le fortifier & à le disposer à soûtenir les fatigues de l'agriculture & de la guerre, jugea nécessaire de proposer des prix pour ceux qui se distingueroient dans les jeux établis à cet effet. C'est dans la même vûe que Cyrus, parmi les soins qu'il prenoit pour l'éducation des Perses, leur avoit fait une loi de ne pas manger avant d'avoir exercé leur corps par quelque genre de travail.

L'utilité de l'exercice étant ainsi reconnue, détermina bientôt les plus anciens medecins à rechercher les moyens de la pratiquer, les plus convenables & les plus avantageux à l'économie animale. D'après des observations, multipliées à ce sujet, ils parvinrent à donner des regles, des préceptes sur les différentes manieres de s'exercer ; de contribuer par ce moyen à conserver sa santé & à se rendre robuste : ils en firent un art qu'ils appellerent gymnastique medicinale, qui fit partie de celui qui a pour objet d'entretenir l'économie animale dans son état naturel, c'est-à-dire de l'hygiène, parce qu'ils rangerent le mouvement du corps parmi les choses les plus nécessaires à la vie, dont le bon ou le mauvais usage contribue le plus à la conserver saine, ou à en altérer l'intégrité. Il fut mis au nombre de ce qu'on appelle dans les écoles les six choses non-naturelles. Voyez HYGIENE & GYMNASTIQUE.

Le moyen le plus efficace pour favoriser les excrétions, c'est sans-doute le mouvement du corps opéré par l'exercice ou le travail, parce qu'il ne peut pas avoir lieu sans accélérer le cours des humeurs, sans augmenter les causes de leur fluidité & de la chaleur naturelle : d'où doit s'ensuivre une élaboration, une coction plus parfaite, qui disposent chaque humeur particuliere à se séparer du sang, à se distribuer & à couler avec plus de facilité dans ses propres conduits ; ensorte que les humeurs excrémentitielles étant portées dans leurs couloirs, & ensuite jettées hors de ces conduits ou du corps même, en quantité proportionnée au mouvement qui en a facilité la sécrétion (sur-tout celle de la transpiration insensible, par le moyen de laquelle la masse des humeurs se purifie & se décharge des ruines de tous les recrémens, de la sérosité surabondante, dégénérée, lixivielle, plus que par toute autre excrétion), l'excrétion en général se fait avec d'autant plus de regle, qu'elle a été davantage préparée par le mouvement du corps, entant qu'il a empêché ou corrigé l'épaississement vicieux que les humeurs animales, pour la plûpart, & le sang sur-tout, sont disposés naturellement à contracter, dès qu'elles sont moins agitées que la vie saine ne le requiert ; entant qu'il a déterminé tous les fluides artériels à couler plus librement du centre à la circonférence (ce qui rend aussi leur retour plus facile), d'où doit résulter un plus grand abord de la sérosité excrémentitielle vers toute l'habitude du corps où elle doit être évacuée.

Ainsi l'exercice & le travail procurent la dissipation de ce qui, au grand détriment de l'économie animale, resteroit dans le corps par le défaut de mouvement.

L'exercice contribue pareillement à favoriser l'ouvrage de la nutrition. L'observation journaliere prouve que la langueur dans le mouvement circulaire, empêche que l'application du suc nourricier des parties élémentaires ne se fasse comme il faut pour la réparation des fibres simples, qui ont perdu plus qu'elles ne peuvent recouvrer. C'est ce dont on peut se convaincre, si l'on considere ce qui arrive à l'égard de deux jeunes gens nés de mêmes parens, avec la même constitution apparente, qui embrassent deux genres de vie absolument opposés ; dont l'un s'adonne à des occupations de cabinet, à l'étude, à la méditation, mene une vie absolument sédentaire, tandis que l'autre prend un parti entierement opposé, se livre à tous les exercices du corps, à la chasse, aux travaux militaires. Quelle différence n'observe-t-on pas entre ces deux freres ? celui-ci est extrèmement robuste, résiste aux injures de l'air, supporte impunément la faim, la soif, les fatigues les plus fortes, sans que sa santé en souffre aucune altération ; il est fort comme un Hercule : le premier au contraire est d'un tempérament très-foible, d'une santé toûjours chancelante, qui succombe aux moindres peines de corps ou d'esprit ; il devient malade à tous les changemens de saison, de la température de l'air même : c'est un homme aussi délicat qu'une jeune fille valétudinaire. Cette différence dépend absolument de l'habitude contractée pour le mouvement dans l'un, & pour le repos dans l'autre.

Cependant l'exercice & le travail produisent de très-mauvais effets dans l'économie animale, lorsqu'ils sont pratiqués avec excès ; ils ne peuvent pas augmenter le mouvement circulaire du sang, sans augmenter le frottement des fluides contre les solides, & de ceux-ci entr'eux. Ces effets, dès qu'ils sont produits avec trop d'activité ou d'une maniere trop durable, disposent toutes les humeurs à l'alkalescence, à la pourriture. Lorsque quelqu'un a fait une course violente, & assez longue pour le fatiguer beaucoup, sa transpiration, sa sueur, sont d'une odeur fétide ; l'urine qu'il rend ensuite est extrèmement rouge, puante, âcre, brûlante, par conséquent semblable à celle que l'on rend dans les maladies les plus aiguës. Le repos du corps & de l'esprit, & le sommeil, étoient les remedes que conseilloient dans ce cas les anciens medecins, dit le commentateur des aphorismes de Boerhaave.

L'exercice continu, sans être même excessif, contribue beaucoup à hâter la vieillesse, en produisant trop promtement l'oblitération des vaisseaux nourriciers, en faisant perdre leur fluidité aux humeurs plastiques qu'ils contiennent, en desséchant les fibres musculaires, en ossifiant les tuniques des gros vaisseaux : tous ces effets sont aisés à concevoir.

Ainsi les mouvemens du corps trop continués pouvant nuire aussi considérablement à l'économie animale saine, il est aisé de conclure qu'ils doivent produire le même effet, même sans être excessifs, dans le cas où il y a trop d'agitation dans le corps par cause de maladie.

L'exercice ne doit donc pas être employé comme remede dans les maladies qui sont aiguës de leur nature, ou dans celles qui deviennent telles : tant qu'elles subsistent dans cet état, où il y a toûjours trop de mouvement absolu ou respectif aux forces des malades, il ne faut pas ajoûter à ce qui est un excès.

Mais lorsque l'agitation causée par la maladie, cesse, que la convalescence s'établit ; & même dans les fievres lentes, hectiques, qui ne dépendent souvent que de legers engorgemens habituels dans les extrémités artérielles, qui forment de petites obstructions dans les visceres du bas-ventre, des tubercules peu considérables dans les poumons ; l'exercice est très-utile dans ces différens cas, pourvû que l'on en choisisse le genre convenable à la situation du malade ; qu'il soit reglé à proportion des forces, & varié suivant les besoins. Voyez dans les oeuvres de Sydenham, les grands éloges qu'il donne, d'après une longue expérience dans la pratique, à l'exercice employé pour la curation de la plûpart des maladies chroniques, & particulierement à l'équitation. Voyez aussi EQUITATION.

Les moyens d'exercer le corps de différentes manieres, se réduisent à-peu-près aux suivans ; mais en les désignant il convient d'en distinguer les différens genres : les uns sont actifs, d'autres sont purement passifs, & d'autres mixtes. Dans les premiers le mouvement est entierement produit par les personnes qui s'exercent : dans les seconds le mouvement est entierement procuré par des causes qui agissent sur les personnes à exercer. Dans les derniers, ces personnes operent différens mouvemens de leur corps, & en reçoivent en même tems des corps sur lesquels ils sont portés.

Parmi les exercices du premier genre, il y en a qui sont propres à exercer toutes les parties du corps, comme les jeux de paume, du volant, du billard, de la boule, du palet ; la chasse, l'action de faire des armes, de sauter par amusement. Dans tous ces exercices on met en mouvement tous les membres ; on marche, on agit des bras ; on plie, on tourne le tronc, la tête en différens sens ; on parle avec plus ou moins de véhémence ; on crie quelquefois, &c. Il y en a qui ne mettent en action que quelques parties du corps seulement, comme la promenade, l'action de voyager à pié, de courir, qui exercent principalement les extrémités inférieures ; l'action de ramer, de joüer du violon, d'autres instrumens à corde, qui mettent en action les muscles des extrémités supérieures ; les différens exercices de la voix & de la respiration, qui renferment l'action de parler beaucoup, de déclamer, de chanter, de joüer des différens instrumens à vent, produisent le jeu des poumons ; ainsi des autres moyens d'exercice, que l'on peut rapporter à ces différentes especes.

Le second genre de moyens propres à procurer du mouvement au corps, qui doivent être sans action de la part de ceux qui sont exercés, renferme l'agitation opérée par le branle d'un berceau, par la gestation ; par les différentes voitures, comme celles d'eau, les litieres, les différens coches ou carosses, &c.

Le dernier genre d'exercice, qui participe aux deux précédens, regarde celui que l'on fait étant assis, sans autre appui, sur une corde suspendue & agitée, ce qui constitue la branloire ; & le jeu qu'on appelle l'escarpolette : l'équitation avec différens degrés de mouvement, tel que le pas du cheval, le trot, le galop, & autres sortes de moyens qui peuvent avoir du rapport à ceux-là, dans lesquels on est en action de différentes parties du corps pour se tenir ferme, pour se garantir des chûtes, pour exciter à marcher, pour arrêter, pour refréner l'animal sur lequel on est monté ; ainsi on donne lieu en même tems au mouvement des muscles, & on est exposé aux ébranlemens, aux secousses dans les entrailles sur-tout ; aux agitations plus ou moins fortes de la machine, ou de l'animal sur lequel on est porté ; d'où résulte véritablement un double effet, dont l'un est réellement actif, & l'autre passif.

Le premier genre d'exercice ne peut convenir qu'aux personnes en santé, qui sont robustes ; ou à ceux qui ayant été malades, infirmes, se sont accoûtumés par degrés aux exercices violens.

Le second genre doit être employé par les personnes foibles, qui ne peuvent soûtenir que des mouvemens modérés & sans faire dépense de forces, dont au contraire ils n'ont pas de reste. L'utilité de ce genre d'exercice se fait sentir particulierement à l'égard des enfans qui, pendant le tems de la plus grande foiblesse de l'âge, ne peuvent se passer d'être presque continuellement agités, secoüés ; & qui, lorsqu'on les prive du mouvement pendant un trop long tems, témoignent par leurs cris le besoin qu'ils en ont ; cris qu'ils cessent en s'endormant, dès qu'on leur procure suffisamment les avantages attachés aux différens exercices qui leur conviennent, tels que ceux de l'agitation accompagnée de douces secousses, & du branle dans le berceau, par l'effet duquel le corps de l'enfant qui y est contenu, étant porté contre ses parois alternativement d'un côté à l'autre, en éprouve des compressions répétées sur sa surface, qui tiennent lieu du mouvement des muscles. Ceux qui ont été affoiblis par de longues maladies, sont pour ainsi dire redevenus enfans : ils doivent presqu'être traités de même qu'eux pour les alimens & l'exercice, c'est-à-dire que ceux-là doivent être de très-facile digestion, & celui-ci de nature à n'exiger aucune dépense de forces de la part des personnes qui en éprouvent l'effet.

Le dernier genre peut convenir aux personnes languissantes, qui, sans avoir beaucoup de forces, peuvent cependant mettre un peu d'action dans l'exercice & l'augmenter par degrés, à proportion qu'elles reprennent de la vigueur ; qui ont besoin d'être exposées à l'air renouvellé & d'éprouver des secousses modérées, pour mettre plus en jeu le système des solides & la masse des humeurs ; ce qui doit être continué jusqu'à ce qu'on puisse soûtenir de plus grands efforts, & passer aux exercices dans lesquels on produit soi-même tout le mouvement qu'ils exigent.

On doit observer en général, dans tous les cas où l'on se propose de faire de l'exercice pour le bien de la santé, de choisir, autant qu'il est possible, le moyen qui plaît davantage, qui recrée l'esprit en même tems qu'il met le corps en action ; parce que, comme dit Platon, la liaison qui est entre l'ame & le corps, ne permet pas que le corps puisse être exercé sans l'esprit, & l'esprit sans le corps. Pour que les mouvemens de celui-ci s'operent librement, il faut que l'ame, libre de tout autre soin plus important, de toute contention étrangere à l'occupation présente, distribue aux organes la quantité nécessaire de fluide nerveux : il faut par conséquent que l'esprit soit affecté agréablement par l'exercice, pour qu'il se prête à l'action qui l'opere, & réciproquement le corps doit être bien disposé, pour fournir au cerveau le moyen qui produit la tension des fibres de cet organe, au degré convenable pour que l'ame agisse librement sur elles, & en reçoive de même les impressions qu'elles lui transmettent.

Il reste encore à faire observer deux choses nécessaires pour que l'exercice en général soit utile & avantageux à l'économie animale ; savoir, qu'il faut régler le tems auquel il convient de s'exercer, & la durée de l'exercice.

L'expérience a prouvé que l'exercice convient mieux avant de manger, & sur-tout avant le dîner. On peut aisément se rendre raison de cet effet, par tout ce qui a été dit des avantages que produisent les mouvemens du corps. Pour qu'ils puissent dissiper le superflu de ce que la nourriture a ajoûté à la masse des humeurs, il faut que la digestion soit faite dans les premieres & dans les secondes voies, & que ce superflu soit disposé à être évacué ; c'est pourquoi l'exercice ne peut convenir que long-tems après avoir mangé ; c'est pourquoi il convient mieux avant le dîner qu'avant le souper : ainsi l'exercice, en rendant alors plus libre le cours des humeurs, les rend aussi plus disposées aux secrétions, prépare les différens dissolvans qui servent à la dissolution des alimens, & met le corps dans la disposition la plus convenable à recevoir de nouveau la matiere de sa nourriture. C'est sur ce fondement que Galien conseille un repos entier à ceux dont la digestion & la coction se font lentement & imparfaitement, jusqu'à ce qu'elles soient achevées ; sans-doute parce que l'exercice pendant la digestion précipite la distribution des humeurs, avant que chacune d'elles soit élaborée dans la masse, & ait acquis les qualités qu'elle doit avoir pour la fonction à laquelle elle est destinée : d'où s'ensuivent des acidités, des engorgemens, des obstructions. Un leger exercice après le repas, peut cependant être utile à ceux dont les humeurs sont si épaisses, circulent avec tant de lenteur, qu'elles ont continuellement besoin d'être excitées dans leur cours, dans le cas dont il s'agit sur-tout, pour que les sucs digestifs soient séparés & fournis en suffisante quantité : les digestions fougueuses veulent absolument le repos.

Pour ce qui est de la mesure qu'il convient d'observer à l'égard de la durée de l'exercice, on peut se conformer à ce que prescrit Galien sur cela, lib. II. de sanitate tuendâ, cap. ult. Il conseille de continuer l'exercice, 1° jusqu'à ce qu'on commence à se sentir un peu gonflé ; 2° jusqu'à ce que la couleur de la surface du corps paroisse s'animer un peu plus que dans le repos ; 3° jusqu'à ce qu'on se sente une legere lassitude ; 4° enfin jusqu'à ce qu'il survienne une petite sueur, ou au moins qu'il s'exhale une vapeur chaude de l'habitude du corps : lequel de ces effets qui survienne, il faut, selon cet auteur, discontinuer l'exercice ; il ne pourroit pas durer plus long-tems sans devenir excessif, & par conséquent nuisible.

Cela est fondé en raison, parce que le premier & le second de ces signes annoncent que le cours des humeurs est rendu suffisamment libre du centre du corps à sa circonférence & dans tous les vaisseaux de la peau, & que la transpiration est disposée à s'y faire convenablement. Le troisieme prouve que l'on a fait une dépense suffisante de forces ; & le quatrieme, que le superflu des humeurs se dissipe, & qu'ainsi l'objet de l'exercice à cet égard est rempli.

On ne peut pas finir de traiter ce qui regarde l'exercice, sans dire un mot sur les lieux où il convient de le faire préférablement, lorsqu'on a le choix. Celse conseille fort que la promenade se fasse en plein air, à découvert, & au soleil plûtôt qu'à l'ombre, si on n'est pas sujet à en prendre mal à la tête, attendu que les rayons solaires contribuent à déboucher les pores, à faciliter l'insensible perspiration ; mais si on ne peut pas s'exposer sans danger au soleil, on doit se mettre à couvert par le moyen des arbres ou des murailles, plûtôt que sous un toît, pour que l'on soit toûjours dans un lieu où l'air puisse être aisément renouvellé, & les mauvaises exhalaisons emportées, &c.

Il resteroit en core bien des choses à détailler sur le sujet qui fait la matiere de cet article ; mais les bornes de l'ouvrage auquel il est destiné, ne permettent pas de lui donner plus d'étendue. On le termine donc en indiquant les ouvrages qui peuvent fournir plus d'instruction sur tout ce qui a rapport à ce vaste sujet ; ainsi voyez Galien, qui en traite fort au long dans ses écrits ; Celse, dans le premier livre de ses oeuvres ; Lommius, qui a fait le commentaire de ce livre ; Cheyne, dans son ouvrage de sanitate infirmorum tuendâ ; Hoffman en plusieurs endroits de ses oeuvres, & particulierement dans sa dissertation sur les sept lois médicinales, qu'il propose comme regles absolument nécessaires à observer pour conserver la santé. Voyez aussi le commentaire des aphorismes de Boerhaave, par l'illustre Wanswieten, passim. Tous les institutionnistes, tels que Sennert, Riviere, &c. peuvent être utilement consultés sur le même sujet, dans la partie de l'Hygiène où il en est traité. (d)

EXERCICES, (Manége) s'applique particulierement ou principalement aux choses que la noblesse apprend dans les académies.

Ce mot comprend par conséquent l'exercice du cheval, la danse, l'action de tirer des armes & de voltiger, tous les exercices militaires, les connoissances nécessaires pour tracer & pour construire des fortifications, le dessein & généralement tout ce que l'on enseigne & tout ce que l'on devroit enseigner dans ces écoles.

On dit : ce gentilhomme a fait tous ses exercices avec beaucoup d'applaudissement.

On ne voit aucune époque certaine. d'où l'on puisse partir pour fixer avec quelque précision le tems de l'établissement de ces colléges militaires qui sont sous la protection du roi, & sous les ordres de M. le grand écuyer, de qui tous les chefs d'Académie tiennent leurs brevets.

Ce qu'il y a de plus constant & de plus avéré est l'ignorance dans laquelle nous avons ignominieusement langui pendant les siecles qui ont précédé les regnes de Henri III. & de Henri IV. Jusque-là notre nation ne peut se flatter d'avoir produit un seul homme de cheval & un seul maître. Cette partie essentielle de l'éducation de la noblesse n'étoit, à notre honte, confiée qu'à des étrangers qui accouroient en foule pour nous communiquer de très-foibles lumieres sur un art que nous n'avions point encore envisagé comme un art, & que François I. le pere & le restaurateur des Sciences & des Lettres avoit laissé dans le néant, d'où il s'étoit efforcé de tirer tous les autres. D'une autre part ceux des gentilshommes auxquels un certain degré d'opulence permettoit de recourir aux véritables sources, s'acheminoient à grands frais vers l'Italie, & y portoient assez inutilement des sommes considérables, soit qu'ils bornassent leurs travaux & leur application à de legeres notions qu'ils croyoient leur être personnellement & indispensablement nécessaires, soit qu'ils ne fussent pas exempts de cet amour propre & de cette présomption si commune de nos jours, qui ferment tous les chemins qui conduisent au savoir ; nul d'entr'eux ne revenoit en état d'éclairer la patrie. Elle seroit plongée dans les mêmes ténebres, & nous aurions peut-être encore besoin des secours de nos voisins, si une noble émulation n'eût inspiré les S. Antoine, les la Broüe, & les Pluvinel. Ces hommes célebres, dont le souvenir doit nous être cher, après avoir tout sacrifié pour s'instruire sous le fameux Jean-Baptiste Pignatelli, aux talens duquel l'école de Naples dut la supériorité qu'elle eut constamment sur l'académie de Rome, nous firent enfin part des richesses qu'ils avoient acquises, & par eux la France fut peuplée d'écuyers François, qui l'emporterent bien-tôt sur les Italiens mêmes.

L'état ne se ressentit pas néanmoins des avantages réels qui auroient dû suivre & accompagner ces succès. On en peut juger par le projet qui termine les instructions que donne Pluvinel à Louis XIII. dans un ouvrage que René de Menou de Charnisay, écuyer du roi, & gouverneur du duc de Mayenne, crut devoir publier après sa mort. Pluvinel y dévoile avec une fermeté digne de lui, les raisons qui s'opposent invinciblement à la splendeur des académies & à l'avancement des éleves ; & l'on peut dire que ses expressions caractérisent d'une maniere non équivoque cette sincérité philosophique, également ennemie de l'artifice & de l'adulation, qui lui mérita l'honneur d'être le sous-gouverneur, l'écuyer, le chambellan ordinaire, & un des favoris de son roi ; sincérité qui déplairoit & révolteroit moins, si la gloire d'aimer la vérité ne cédoit pas dans presque tous les hommes à la satisfaction de ne la jamais entendre.

Ceux qui sont à la tête de ces établissemens n'ont, selon lui, d'autre but que leur profit particulier. Il est conséquemment impossible qu'ils allient exactement leurs devoirs avec de semblables motifs. La crainte d'être obligés de soûtenir leurs équipages sans secours, & au dépens de leurs propres biens, les engage à tolérer les vices des gentilshommes pour les retenir dans leurs écoles, & pour y en attirer d'autres. Il s'agiroit donc à la vûe des dépenses immenses auxquelles les chefs d'académie sont assujettis, de les désintéresser à cet égard, en leur fournissant des fonds qui leur procureroient & les moyens d'y subvenir, & la facilité de recevoir & d'agréer de pauvres gentilshommes que des pensions trop fortes en éloignent. Pluvinel propose ensuite la fondation d'une académie dans quatre des principales villes du royaume, c'est-à-dire à Paris, à Lyon, à Tours, & à Bordeaux. Il détaille les parties que l'on doit y professer ; il indique en quelque façon les reglemens qui doivent y être observés soit pour les heures, soit pour le genre des exercices. Il s'étend sur les devoirs des maîtres & sur les excellens effets que produiroit infailliblement une entreprise qu'il avoit suggerée à Henri IV. & dont ce grand monarque étoit prêt à ordonner l'exécution, lorsqu'une main meurtriere nous le ravit. Enfin toutes les sommes qu'il demande au roi se réduisent à celle de 30000 liv. par année, prélevée sur les pensions qu'il fait à la noblesse, ou affectée sur les bénéfices ; & si les gentilshommes, continue-t-il, élevés dans ces écoles venoient à transgresser les ordonnances, leurs biens seroient confisqués au profit de ces colléges d'armes, afin que peu-à-peu leurs revenus augmentant, la noblesse qui gémit dans la pauvreté, y fût gratuitement nourrie & enseignée.

On ne peut qu'applaudir à des vûes aussi sages ; elles auroient été sans-doute remplies, si la mort eût permis à Pluvinel de joüir plus long-tems de la confiance de son prince. Il y a lieu de croire encore que les reproches qu'il fait aux écuyers de son tems sont légitimes. L'intérêt & le devoir se concilient rarement, & il n'est qu'un fond inépuisable d'amour pour la patrie qui puisse porter à se consacrer de sens froid à un état dans lequel on est nécessairement contraint d'immoler l'un à l'autre. Tel fut le sort de Salomon de la Broüe. Cette illustre & malheureuse victime de l'honneur & du zele se trouva sans ressource, sans appui, n'ayant aucune retraite, & ne possédant, pour me servir de ses propres termes, qu'un mauvais caveçon usé prêt à mettre au croc. Accablé de vieillesse, d'infirmités & de misere, il eut néanmoins le courage de mettre au jour un ouvrage utile & précieux. Les grands hommes ont seuls le droit de se vanger ainsi ; mais les témoignages qu'ils laissent à la postérité de leurs travaux & de leurs mérites, sont en même tems des monumens honteux de l'ingratitude & des injustices qu'ils éprouvent.

Quelque considérable que pût être alors la somme de 30000 liv. par année, somme qui proportionnément au tems où nous vivons, formeroit aujourd'hui, eu égard à une semblable fondation, un objet très-modique, je ne doute point que la noblesse gratifiée par le prince, & les bénéficiers, n'eussent supporté avec une sorte d'empressement cette imposition & cette charge. Premierement elle étoit répartie sur un trop grand nombre de personnes, pour que chacune d'elles en particulier pût en être blessée, & souffrir de cette diminution : en second lieu les gentilshommes auroient incontestablement saisi cette circonstance, pour prouver par leur soûmission & par leur zele à contribuer à l'éducation de leurs pareils, combien ils étoient dignes de la faveur du souverain & des récompenses dont ils joüissoient. Enfin les bénéficiers eux-mêmes poussés par cet esprit de religion qui doit tous les animer, n'auroient peut-être recherché que les voies de concourir avec efficacité à élever un édifice dont le vice devoit être banni, & dans lequel la vertu devoit être cultivée, inspirée & chérie.

Rien n'est plus énergique que le discours que Lucien met dans la bouche de Solon ; ce Syrien qui nous a laissé des traits marqués d'une philosophie épurée, pour rappeller l'idée de l'ancienne vertu des Athéniens, fait parler ainsi le législateur dans un de ses dialogues. " Nous croyons qu'une ville ne consiste pas dans l'enclos de ses murailles, mais dans le corps de ses habitans ; c'est pourquoi nous avons plus de soin de leur éducation que des bâtimens & des fortifications. En leur apprenant à se gouverner dans la paix & dans la guerre, nous les rendons invincibles & la cité imprenable. Après que les enfans sont sortis de dessous l'aîle de leurs meres, & dès qu'ils commencent à avoir le corps propre au travail & l'esprit capable de raison & de discipline, nous les prenons sous notre conduite, & nous exerçons l'un & l'autre. Nous croyons que la nature ne nous a pas fait tels que nous devons être, & que nous avons besoin d'instruction & d'exercice pour corriger nos défauts, & pour accroître nos avantages. Semblables à ces jeunes plantes que le jardinier soûtient avec des bâtons, & couvre contre les injures de l'air jusqu'à ce qu'elles soient assez fortes pour supporter le chaud & le froid, & résister aux vents & aux orages. Alors on les taille, on les redresse, on coupe les branches superflues pour leur faire porter plus de fruit, on ôte les bâtons & les couvertures pour les endurcir & pour les fortifier ".

Avec de tels principes, & une attention aussi scrupuleuse à former & à instruire la jeunesse, il n'est pas étonnant que les Grecs ayent été par les lois, par les sciences, & par les armes, un des plus fameux peuples de l'antiquité. Les Romains les imiterent en ce point. Dès l'âge de dix-sept ans ils exerçoient leurs enfans à la guerre ; & pendant tout le tems qu'ils étoient adonnés aux exercices militaires, ils étoient nourris aux dépens de la république ou de l'état. Ils s'appliquoient de plus à en regler le coeur, à en éclairer l'esprit ; c'est ainsi qu'ils devinrent dans la suite les maîtres du monde, & qu'ils étendirent par leurs moeurs autant que par leurs victoires, un empire dont la grandeur fut la récompense de leur sagesse.

Je ne sai si l'examen de la plûpart des jeunes gens qui sortent de nos académies ne nous rappelleroit pas l'exemple que nous propose Xenophon dans un enfant qui croyoit avoir tout appris, & posséder toutes les parties de la science de la guerre, tandis qu'il n'avoit puisé dans l'école que la plus legere teinture de la Tactique, & qu'il n'en avoit remporté qu'une estime outrée de lui-même accompagnée d'une parfaite ignorance. Je ne rechercherai point si l'on peut & si l'on doit comparer les progrès qu'ils y ont faits avec ceux de leurs premieres années (voyez les mots COLLEGE & ETUDE) ; & si ces mêmes progrès se bornent pour les uns & pour les autres à imiter leurs maîtres dans leurs vêtemens & dans leurs manieres, à être très-mal placés à cheval par la raison qu'ils y sont à leur aise, à tenir leurs coudes en l'air, à agir sans-cesse des bras, sans penser aux saccades que produisent des mouvemens ainsi desordonnés, & sous le prétexte d'éviter un air affecté, à se vanter par-tout de fautes & d'exploits qu'ils n'ont jamais faits, à loüer leur adresse sur les sauteurs qu'ils n'ont pas même montés, à parler de la force de leurs jarrêts, à méconnoître jusqu'aux premiers principes qui indiquent le plat de la gourmette, à retenir des mots impropres qu'ils regardent comme des mots reçus, comme celui de dégeler des chevaux, que quelques-uns par une élégante métaphore substituent au mot dénoüer ; à faire usage enfin de quelques termes généraux qu'ils appliquent toûjours mal, & sur le souvenir desquels ils se fondent pour persuader, ainsi que l'enfant dont parle Xenophon, qu'ils ont acquis par la profondeur de leur savoir l'autorité de juger du mérite des maîtres, & de couronner les uns aux dépens des autres ; tous ces détails nous entraîneroient trop loin, & m'écarteroient infailliblement de mon but. Les plus grands législateurs ont envisagé comme un point important du gouvernement, l'éducation de la jeunesse ; ce seul point m'arrête & m'occupe. Voüé par goût à son instruction, & non par nécessité, je crois pouvoir espérer que toutes les idées que me suggéreront le bien & l'avantage public, ne seront point suspectes : un objet aussi intéressant doit mettre en effet la franchise à l'abri des reproches de l'indiscrétion dont elle est souvent accompagnée : & pour me prémunir d'ailleurs contre les efforts d'une basse jalousie dont on n'est que trop souvent contraint de repousser vivement les traits, je proteste d'avance contre toute imputation absurde, & contre toute maligne application.

Tout vrai citoyen est en droit d'attendre des soins généreux de sa patrie ; mais les jeunes gens, & surtout la noblesse, demandent une attention spéciale. " La fougue des passions naissantes, dit Socrate, donne à cet âge tendre les secousses les plus violentes : il est nécessaire d'adoucir l'âpreté de leur éducation par une certaine mesure de plaisir ; & il n'est que les exercices où se trouve cet heureux mélange de travail & d'agrément, dont la pratique constante puisse leur agréer & leur plaire ". Ces exercices sont purement du ressort des académies. Or dès que dans ces écoles nous sommes certains par ce mélange heureux, de pouvoir parer au dégoût qu'inspireroit naturellement une carriere toûjours hérissée d'épines, au milieu desquelles on n'appercevroit pas la moindre fleur, il ne nous reste qu'à chercher les moyens d'y mettre un ordre, & de donner à ces établissemens une forme qui en assûre à jamais l'utilité.

Académie. Architecture. Je ne prétends point que nous devrions nécessairement imiter dans la construction de nos académies la splendeur de ces lieux, autrefois appellés gymnases, ou les magnifiques éphébées que l'on remarquoit au milieu des portiques des thermes, & qui étoient destinés aux différens exercices, qui faisoient parmi les anciens l'occupation & l'amusement de la jeunesse. Si les maisons qui en tiennent lieu parmi nous, étoient des édifices stables & perpétuellement consacrés à ce seul objet, sans-doute qu'elles annonceroient au-dehors & à l'intérieur la grandeur du souverain dont le nom en décore l'entrée. Quand on considere cependant l'immensité dont devroient être ces colléges militaires, eu égard au terrein que demandent des maneges couverts & découverts (voyez MANEGE), des écuries pour les chevaux sains & pour les chevaux malades (voyez ECURIE), des fenils & des greniers pour les approvisionnemens de toute espece, des cours différentes pour y construire des forges (voyez FORGES), des travails (voyez TRAVAIL), & pour y déposer les fumiers ; des appartemens pour les écuyers, pour les officiers & pour les domestiques de l'hôtel, pour les cuisines, les offices & les salles à manger, des salles d'exercices, des chapelles, des logemens multipliés & appropriés aux divers âges des pensionnaires, à leur état, à leur faculté, à leur suite plus ou moins nombreuse, &c. on est étonné que l'on ait imaginé pouvoir rassembler & réunir toutes ces vûes dans des lieux souvent si resserrés, qu'à peine certains particuliers pourroient-ils y établir & y fixer leur domicile. Il seroit par conséquent à souhaiter que les villes, qui ont l'avantage de renfermer dans leur sein de semblables écoles, fussent tenues de construire & d'entretenir des bâtimens convenables, & toûjours affectés à ces colléges ; non-seulement les éleves y seroient plus décemment, mais l'état en général se ressentiroit des sommes qu'une foule d'étrangers, également attirés par l'attention avec laquelle ces sortes d'établissemens seroient alors soûtenus & envisagés, & par la réputation de ceux qui en seroient les chefs, répandroient dans le royaume ; & chacune de ces villes en particulier seroit par leur abord & par l'affluence des académistes nationaux, amplement dédommagée des dépenses dans lesquelles elles auroient été primordialement engagées. Je conviens que ces premiers frais seroient au-dessus des forces des villes de la plûpart des provinces ; mais de pareils projets ne peuvent avoir leur exécution que dans de grandes villes, soit parce qu'il est plus facile d'y fixer d'excellens maîtres en tout genre, soit parce qu'elles trouvent plus aisément en elles-mêmes, & dans leur propre opulence, les ressources nécessaires. Le vaste édifice élevé depuis peu par la ville de Strasbourg, & le plan de celui dont la ville d'Angers se propose de jetter incessamment les fondemens, nous en offrent une preuve. D'ailleurs si telle étoit leur impuissance que cette loi leur fût réellement à charge, & qu'elles en souffrissent véritablement, on pourroit exiger une sorte de contribution des villes & des provinces que leur proximité mettroit en quelque façon dans le district de ces académies ; car dès que ces mêmes provinces profiteroient de ces écoles, il est juste qu'elles y concourent proportionnément à leurs facultés.

Chefs d'académie. L'opinion de ceux qui limitent les devoirs des chefs d'académie dans l'enceinte étroite de leur manege, seroit-elle un préjugé dont ils ne pourroient revenir ? Pluvinel & la Broue ne pensoient pas ainsi ; ils étendoient ces devoirs à tout, & se recrioient avec raison l'un & l'autre sur la difficulté de rencontrer des hommes d'un mérite assez éminent pour les remplir.

Exercices du corps. Ne fournir à de jeunes gens dans le manege que des instructions qui n'ont pour tout fondement qu'une aveugle routine, & ne les faire agir que conséquemment à ce que nous pratiquons nous-mêmes simplement par habitude, c'est leur proposer notre ignorance pour modele, c'est leur faire envisager l'art par des difficultés qu'il leur sera impossible de surmonter, & que des maîtres qui enseignent ainsi, n'ont jamais eux-mêmes vaincues. L'exécution est d'une nécessité indispensable, j'en conviens ; nos écoles doivent être pourvûes de chevaux de toute espece, susceptibles de tous les mouvemens possibles, dressés à toutes sortes d'airs ; il est de plus important que nous leur suggérions plus ou moins de finesse, que nous les approprions à la force & à l'avancement de nos éleves, que nous les divisions en différentes classes, pour ainsi dire, afin de faire insensiblement parcourir à nos disciples cette sorte d'échelle, s'il m'est permis d'user de cette expression, qui marque les différentes gradations des lumieres & des connoissances : or croira-t-on que toutes ces attentions puissent avoir lieu par le secours de la pratique seule, & imaginera-t-on sérieusement qu'il soit permis de former une liaison, un enchaînement utile de principes, dès qu'on n'en est pas éclairé soi-même ? Que résulteroit-il d'une école dont le chef ne rapporteroit d'autre titre de son savoir, qu'une expérience toûjours stérile, dès qu'elle est informe, ou dont tout le mérite consisteroit dans le frivole avantage, ou plûtôt dans la honte réelle d'avoir inutilement vieilli ; d'un côté ce même maître deviendroit avec raison le juste objet du mépris des personnes instruites ? & de l'autre les académistes doüés de la faculté de se mouvoir, & non de réfléchir & d'observer, seroient à-peu-près à cet égard semblables à ces machines & à ces automates qui n'agissent que sans choix & par ressort. Saint Evremont dit, que les docteurs de morale s'en tiennent ordinairement à la théorie, & descendent rarement à la pratique. Ne pourroit-on pas appliquer le sens contraire de cette vérité à la plûpart des écuyers ? Il est cependant certain que sans la théorie, sans des préceptes dont le cheval atteste sur le champ, dès qu'ils sont mis en usage, la certitude & l'évidence par son obéissance & par sa soumission ; il est absolument impossible de montrer, d'applanir, & d'abréger les routes de la science, d'assûrer les pas des éleves, & de créer des sujets. Des leçons particulieres sur les principes de l'art, données chaque jour de travail, à une heure fixe, aux commençans, par les maîtres chargés de les initier, aux disciples plus avancés, par le chef même de l'école, seroient donc essentielles & faciliteroient l'intelligence des maximes, qu'on ne peut entierement développer dans le cours de l'exercice. Mais bien loin de satisfaire la curiosité des académistes, on blâme communément, dans la plus grande partie d'entr'eux, le desir loüable de s'instruire ; quels que soient les vains dehors dont on se pare, on a toûjours un sentiment intime & secret de son insuffisance : on redoute donc les épreuves, on élude jusqu'aux moindres questions ; parce qu'elles sont la pierre de touche de la capacité, & qu'elles ne peuvent que provoquer la chûte du masque dont on se couvre.

Les courses de tête & de bague sont sans-doute utiles. Ces sortes de jeux militaires, qui de tous ceux que l'on pratiquoit autrefois sont les seuls en usage parmi nous, donnent à de jeunes gens de l'adresse, de la vigueur, & excitent en eux une noble émulation : on ne devroit néanmoins les y exercer que lorsqu'ils se sont fortifiés dans l'école, & non avant de les avoir parfaitement confirmés dans les leçons du galop & du partir ; il semble même qu'il seroit plus avantageux de leur présenter alors, dans des évolutions de cavalerie, dans les différentes dispositions dont un escadron est susceptible, dans des conversions, dans des marches, des contre-marches, dans des doublemens de rangs ou de file, enfin dans le maniement des armes à cheval, une image non moins agréable & plus instructive des vraies manoeuvres de la guerre. Les effets qui suivroient cette nouvelle attention, prévaudroient inévitablement sur ceux qui résultent des courses dont il s'agit, & de ces jours d'enrubannemens, voués d'autant plus inutilement à la satisfaction des spectateurs, que les ornemens dont on décore les chevaux, ainsi que la parure des cavaliers, ne sont très-souvent dans le tableau galant que l'on s'empresse d'offrir, que des ombres défavorables qui mettent dans un plus grand jour les défauts des uns & des autres.

Les évolutions militaires à pié, la danse, les exercices sur le cheval de bois, & l'escrime, sont encore des occupations indispensables ; mais les succès en tout genre dépendent également des éleves & des maîtres. Il importeroit donc que des écuyers eussent les yeux sans-cesse fixés sur les travaux des premiers. Quant aux maîtres, c'est aux chefs des académies à en faire le choix ; & ce choix ne pourra être juste, qu'autant qu'il leur appartiendra d'en décider non conséquemment au titre dont ils sont revêtus, mais conséquemment aux connoissances étendues qu'ils doivent avoir.

Je ne peux me dispenser de m'élever ici contre la tyrannie du préjugé & de l'éducation. J'ignore en effet par quel aveuglement on contraint tous les hommes à renoncer, dès leurs premieres années, à une ambi-dextérité qui leur est naturelle, & à laisser languir leur main gauche dans une sorte d'inaction. Il n'est pas douteux que toutes les parties doubles sont en même proportion dans les corps régulierement organisés ; leur décomposition ne nous y laisse appercevoir aucune cause d'inégalité, & nous voyons que celles dont nous faisons un usage pareillement constant, ne different entr'elles ni par l'agilité, ni par la force : ce n'est donc qu'à l'oisiveté presque continuelle de la main gauche, que nous devons attribuer son inaptitude ; elle n'a d'autre source dans les hommes qui se servent communément de la main droite, que l'affluence toûjours moins considérable des esprits dans une partie qui agit moins fréquemment que l'autre ; & si elle nous frappe d'une maniere sensible dans ceux mêmes que nous désignons par le terme de gauchers, il est certain que nous ne pouvons en accuser que nos propres yeux, habitués à ne considérer principalement que des mouvemens opérés par la droite. Ces réflexions devroient nous fortifier contre une opinion & contre une coûtume commune à toutes les nations, mais peut-être aussi ridicule que celle qui tendroit à la recherche ou à l'emploi des moyens de priver les enfans de la faculté d'entendre des deux oreilles ensemble. Quelques peuples, à la vérité plus sensés & convaincus de l'utilité dont deux mains doivent être à l'homme, s'en sont affranchis pendant un tems. Platon, de leg. liv. VII. en se recriant sur l'idée singuliere des meres & des nourrices, attentives à gêner les mouvemens des mains des enfans, tandis qu'elles sont indifférentes à l'égard de ceux de leurs jambes, recommandoit à tous les princes l'observation d'une loi formelle, qui astraignoit tous les Scythes à tirer de l'arc également des deux mains. Nous voyons encore qu'un certain nombre de soldats de la tribu de Benjamin, qui dans une occasion importante en fournit sept cent à ses alliés, étoient dressés à combattre de l'une & de l'autre. Mais le préjugé l'a emporté ; & il a tellement prévalu, qu'Henri IV. lui-même congédia cinq de ses gendarmes, sans égard à leur bravoure, & par la seule considération de l'abandon dans lequel ils laissoient leur main droite, & de la préférence qu'ils donnoient à leur main gauche. Il seroit tems sans-doute que la raison triomphât de l'usage, & que la nature rentrât dans tous ses droits ; on en retireroit de véritables avantages : d'ailleurs, dans une foule de circonstances, des enfans doués d'une adresse égale, & ambi-dextres à tous les exercices, ne se verroient pas, après la perte de leur bras droit, dans la triste impuissance, ou dans une étonnante difficulté, de satisfaire leurs besoins au moyen d'une main qui leur reste, mais qui par une suite d'une éducation mal-entendue n'est plus, pour ainsi dire, en eux qu'un membre inutile & superflu.

Les soins qu'exigent les uns & les autres de ces objets seroient néanmoins insuffisans. Ce n'est pas un corps, ce n'est pas une ame que l'on dresse, dit Montagne, c'est un homme, il n'en faut pas faire à deux. Il s'agiroit d'éclairer en même tems l'esprit, & de former le coeur des jeunes gens.

Exercice de l'esprit. L'étude de la Géométrie élémentaire est la seule à laquelle nos académistes sont astraints, rarement outre-passent-ils les définitions des trois dimensions, considérées ensemble ou séparément ; & le nombre de ceux qui seroient en état de démontrer comment d'un point donné hors d'une ligne donnée, on tire une perpendiculaire sur cette ligne, est très-petit. Quant à l'architecture militaire, quelques plans fort irrégulierement tracés, non sur le terrein, mais sur le papier, d'après ceux qui leur sont fournis par les maîtres, & dont les lavis n'annoncent d'aucune maniere les progrès qu'ils ont faits dans le dessein, sont les uniques opérations auxquelles tout leur savoir se réduit.

Des leçons importantes, si on les avoit forcés d'y apporter l'application nécessaire, & s'ils en eussent exactement suivi le fil, ne peuvent donc que leur être nuisibles, en ce qu'elles ne servent qu'à seconder en eux l'importune démangeaison que presque tous les hommes ont de discourir sur ce qu'ils ignorent, & sur des points dont ils n'entreprendroient assûrément pas de parler, s'ils ne les avoient jamais effleurés.

Rien n'est aussi plus singulier que l'oubli dans lequel on laisse la science du cheval ; l'éleve le mieux instruit sait à peine, au sortir de nos écoles, en nommer & en indiquer les différentes parties. D'où peut naître le mépris que quelques écuyers ou, pour parler plus vrai, que presque tous les écuyers en général témoignent hautement pour des travaux qu'ils abandonnent aux maréchaux, & par le secours desquels ils développeroient néanmoins la conformation extérieure & intérieure de l'animal, les maladies auxquelles il est en proie, leurs causes, leurs symptomes & les remedes qui peuvent en opérer la guérison ? Il me semble que renoncer à ces connoissances, c'est vouloir s'avilir non-seulement en s'assujettissant dans des circonstances critiques au caprice & à l'ignorance d'un ouvrier, qu'ils devroient conduire & non consulter, mais en se bornant à la portion la moins utile de leur profession ; portion qui en seroit encore envisagée comme la moins noble, si les hommes mesuroient la noblesse par l'utilité. Il en est de même des lumieres qui concernent les embouchures & la construction des harnois, des selles, &c. Ils s'en rapportent aux selliers & à l'éperonnier, & ne se reservent, en un mot, que l'honneur d'entreprendre d'inviter un animal, dont le méchanisme & les ressorts leur sont connus, à des mouvemens justes quelquefois par le hasard, mais le plus souvent forcés & contraires à sa nature. Il suit de ce dedain marqué pour les recherches les plus essentielles, que ces mêmes maîtres dès qu'ils ne sont pas éclairés sur ce que peut l'animal & sur ce qu'il ne peut, ne sauroient en asservir constamment l'action aux nombres, aux tems & aux mesures dont elle est susceptible : ainsi la partie du manege qu'ils ont embrassée par préférence, est absolument imparfaite entre leurs mains. Voyez MANEGE. On doit en second lieu, après l'éducation qu'ils ont reçûe, présumer que les moyens d'acquérir leur seroient plus faciles qu'à des ouvriers dont on n'a mû que le bras, & dont l'esprit est en quelque façon condamné à demeurer toûjours brut & oisif. Or tant que leur vanité se croira intéressée à morceller & à démembrer l'art qu'ils professent, pour ne s'attacher encore que foiblement à ce qui dans ce même art les satisfait & les amuse ; il est certain qu'il ne parviendra jamais dans aucune de ses branches au degré d'accroissement, & au période lumineux où il seroit également possible & avantageux de le porter. Que toutes les parties en soient en effet exactement cultivées, chacune d'elles sera moins éloignée de la perfection, & elles recevront les unes des autres un nouveau jour & de nouveaux appuis : alors nous vanterons plûtôt notre raison éclairée par des principes sûrs, que cette vaine habitude, qui n'a de l'expérience que le nom, & qui comme une espece de manteau très à la mode, est communément le vêtement de l'amour-propre & l'enveloppe de l'ignorance : alors nous plierons beaucoup plus aisément & avec plus de succès l'animal à toutes nos volontés, parce que nous saurons ne le travailler que conformément aux lois de sa propre structure : outre le savant usage que nous en ferons, nous n'aurons pas à nous reprocher notre impuissance en ce qui regarde sa conservation, & en ce qui concerne la multiplication de l'espece. Nous formerons des sujets utiles à l'état, utiles à eux-mêmes, capables de rendre les services les plus essentiels dans l'administration des haras, & de préserver le royaume de ces pertes fréquentes qui le plongent dans un épuisement total, & auxquelles il sera sans-cesse exposé, jusqu'à ce qu'on remédie à l'impéritie des maréchaux, mal véritablement plus funeste & plus redoutable par sa constance & par ses effets, que les épidémies les plus cruelles.

L'éducation des académies peche encore par notre peu d'attention à tourner l'esprit des jeunes gens, sur les objets qui doivent principalement occuper le reste de leur vie. On ne leur donne pas la moindre idée des devoirs qu'ils contracteront. Ils entrent dans des régimens, sans savoir qu'il est un code & des élémens de l'Art militaire. Ils n'ont aucun maître qui leur explique, & qui puisse leur faire extraire avec fruit les bons ouvrages relatifs au métier auquel on les destine, tels que les principes de la guerre du maréchal de Puysegur, les commentaires sur Polybe du chevalier Folard, les mémoires de Feuquieres, &c. ensorte qu'ils ne cheminent dans leur corps, que parce que l'ancienneté, & non le mérite, y regle les rangs, & qu'ils n'y vivent que dans cette dépendance aveugle faite pour le soldat, mais non pour des gentilshommes dont l'obéissance sage & raisonnée est dans la suite un titre de plus pour commander dignement.

La réalité des ressources qu'ils trouvent dans les langues étrangeres, sur-tout dans celles des pays qui sont le théatre ordinaire de nos guerres, nous impose l'obligation d'attacher à nos écoles des professeurs en ce genre. Nous devrions y joindre des maîtres versés dans la connoissance des intérêts des diverses nations. Tels de nos éleves apportent en naissant un esprit de souplesse & d'intrigue, fait pour démêler & pour mouvoir les différens ressorts des gouvernemens ; la moindre culture les eût rendus propres à de grandes choses, aux négociations les plus épineuses & qui demandent le plus d'adresse ; mais ce même génie, qui d'un oeil actif & perçant eût pénétré le fond des affaires les plus délicates, & en eût découvert en un moment toutes les faces & toutes les suites, se perd & s'égare dès qu'il est négligé, & ne nous montre dans ces hommes, dont les talens restent enfoüis, que des politiques obscurs, dignes à peine d'occuper une place dans ces cercles, ou par une sorte de délire une foule de sujets oisifs apprécient, reglent, & prédisent ce qui se passe dans l'intérieur du cabinet des souverains.

L'étude de l'Histoire seconderoit nos vûes à cet égard, d'autant plus que les gentilhommes confiés à nos soins sont dans un âge où, non-seulement il leur convient de l'apprendre, mais où il leur appartient d'en juger. Il en est de cette science comme de toutes les autres, elles ne sont profitables qu'autant qu'elles nous deviennent propres. Non vitae pourroient dire les enfans dans les colléges, sed scholae discimus (Sen. ep. 106. in fine) : ne nous occupons donc point à surcharger vainement leur mémoire ; ce que l'on dépose uniquement entre les mains de cette gardienne infidele n'est d'aucune valeur, parce que savoir par coeur n'est pas savoir ; ce qu'on sait véritablement, on en dispose, & d'ailleurs la date de la ruine de Carthage doit moins attacher un jeune homme que les moeurs d'Annibal & de Scipion. Observons encore que le jugement humain est éclairé par la fréquentation du monde ; or de jeunes gens trouvent dans ces archives, où les actions des hommes sont consacrées, un monde qui n'est plus, mais qui semble exister & revivre encore pour eux ? elles ne nous offrent selon un des plus beaux génies de notre siecle, " qu'une vaste scene de foiblesses, de fautes, de crimes, d'infortunes, parmi lesquelles on voit quelques vertus & quelques succès, comme on voit des vallées fertiles dans une longue chaîne de rochers & de précipices ". Le théatre sur lequel nous joüons nous-mêmes un rôle plus ou moins brillant, ne présente que ce spectacle à qui sait l'envisager ; mais l'histoire, en nous rappellant à des jours que la nuit des tems nous auroit infailliblement dérobés, multiplie les exemples & nous fait participer à des faits & à des révolutions dont la vie la plus longue ne nous auroit jamais rendus les témoins : par elle nos connoissances & nos affections s'étendent encore, nos vûes bien loin d'être bornées & concentrées sur les objets qui frappent nos yeux, embrassent tout l'univers ; & ce livre énorme qui constate la variation perpétuelle & surprenante de tant d'humeurs, de sectes, d'opinions, de lois & de coûtumes, ne peut enfin que nous apprendre à juger sainement des nôtres.

La religion & la probité s'étayent mutuellement & ne se séparent point : que l'on inspire à la jeunesse des sentimens d'honneur, elle ne s'écartera point des principes, qui, dès sa plus tendre enfance, doivent avoir été imprimés dans son coeur. Mais on doit substituer à des pratiques ridicules, à des démonstrations superstitieuses, à des déchiremens de vêtemens, à des actes de manie & de desespoir, à toutes les inépties, en un mot, dans lesquelles consistent toutes les instructions que la plûpart des jeunes gens reçoivent dans certains colléges, & qui les menent plûtôt à l'idiotisme ou au mépris de la religion qu'au ciel, des leçons sur des vérités importantes qu'on leur a laissé ignorer ; ils y puiseront la vraie science des moeurs, & la connoissance de cette vertu aimable & non farouche, qui ne se permet que ce qu'elle peut se permettre, & qui sait joüïr & posséder.

Quand aux maîtres de Musique & d'Instrumens, le délassement ainsi que le desir & le besoin de plaire les ont rendus nécessaires. On ne réussit dans le commerce du monde, que sous la condition d'être utile, ou sous la condition d'y mettre de l'agrément ; celle-ci suppose encore une politesse simple, douce, & aisée, sans laquelle les talens n'ont aucun prix, & que des enfans n'acquerront qu'en renonçant à tous les plis de la premiere éducation, & en apprenant ce qu'ils n'ont jamais appris, c'est-à-dire à penser, à parler & à se taire.

Tel est en général le but que l'on devroit se proposer dans toutes les académies. Je conviens qu'élevées sur un semblable plan, il seroit assez difficile qu'elles fussent nombreuses ; mais six écoles de cette espece seroient d'un secours réel à l'état, ne s'entre-détruiroient point les unes & les autres, & se soûtiendroient d'elles-mêmes sans des faveurs telles que celles que demandoit Pluvinel, sur-tout si les agrémens des emplois militaires dépendoient du séjour & des progrès que des éleves y auroient faits.

Je dois au surplus déclarer ici, que je n'ai prétendu blâmer que les abus & non les personnes. Je sai que les intérêts, ou plûtôt la vanité des hommes, se trouvent étroitement liés avec ceux de l'erreur ; mais la vraie philosophie ne respecte que la vérité, & n'en médite que le triomphe. D'ailleurs je me suis cru d'autant plus autorisé à en prendre ici la défense, que les écoles que je propose répondroient pleinement aux vûes supérieures d'un ministre, qui, par l'établissement de l'école militaire, nous a prouvé que les grands hommes d'état s'annoncent toûjours par des monumens utiles & durables. (e)


EXERESEen Chirurgie, est une opération par laquelle on tire du corps humain quelque matiere étrangere, inutile, & même pernicieuse.

Ce mot est grec, ; il vient du verbe , eruo, extraho, j'ôte, je retire.

L'exerese se fait de deux façons : par extraction, quand on tire du corps quelque chose qui s'y est formée ; & par détraction, quand on tire du corps quelque chose qui y a été introduite par-dehors.

L'opération de la taille ou lythotomie, l'accouchement forcé, &c. sont de la premiere classe ; & la sortie d'une balle, d'un dard, seroit de la seconde. Quelques auteurs ne donnent le nom de détraction, à l'action de tirer un corps étranger qui est entré par-dehors, que lorsqu'on est obligé de faire une incision à une partie opposée à celle par où le corps étranger s'est introduit ; cette distinction n'est pas de grande utilité.

Le point important pour se bien conduire ici, est d'examiner avec attention, 1°. quelle est la partie dont on veut tirer quelque chose, & s'éclairer sur la structure de cette partie : 2°. quels sont les corps étrangers que l'on veut faire sortir, quelle est leur forme & leur nature, s'ils sont durs, mous, friables, compressibles, ronds, quarrés, ovoïdes, triangulaires, &c. 3°. quels sont les différens instrumens qu'on y peut employer, & choisir les plus propres à ce dessein, ou en imaginer de plus parfaits : 4°. quand il faudra les mettre en usage, & comment.

On a donné les autres principes généraux qui concernent l'opération de l'exerese, au mot CORPS ETRANGERS. (Y)


EXERGUES. f. (Hist. anc. & mod.) signifie, chez les Médaillistes, un mot, une devise, une date, &c. qu'on trouve quelquefois dans les médailles au-dessous des figures qui sont représentées. Voyez MEDAILLE, LEGENDE, &c.

Ce mot est dérivé des mots grecs , de, & , ouvrage.

Les exergues sont ordinairement au revers des médailles, cependant il y en a qui sont sur le devant ou sur la face.

Les lettres ou les chiffres qui se trouvent dans l'exergue des médailles, signifient pour l'ordinaire ou le nom de la ville dans laquelle elles ont été frappées, ou la valeur de la piece de monnoie : celle-ci seulement S. C. marquent par quelle autorité elles ont été fabriquées. Chambers. (G)


EXFOLIATIFterme de Chirurgie, remede propre à faire exfolier les os cariés, c'est-à-dire à faire séparer par feuilles la carie de la partie saine. Voyez CARIE & EXFOLIATION.

On nomme tuyau exfoliatif, un instrument qui perce l'os en le ratissant, & en enlevant plusieurs feuilles les unes après les autres. La tige & la mitte de cet instrument ne different point de celles du trépan couronné, puisqu'ils se montent sur l'arbre du trépan de même que la couronne. Voyez cette structure au mot TREPAN. La partie inférieure du trépan exfoliatif est une espece de lame inégalement quarrée, épaisse de deux lignes dans sa partie supérieure, un peu moins dans l'inférieure ; large d'environ six lignes & demie, & longue d'un pouce. Du milieu de la partie inférieure de cette lame sort une petite meche d'une ligne de longueur pour le plus, qui d'une base un peu large se termine par une pointe. Cette petite mêche sert de pivot à toute la machine. Cette lame, qui est tout-à-fait semblable au vilebrequin des Tonneliers, qu'ils appellent leur perçoir, doit avoir six tranchans opposés, deux sur les parties latérales de la lame, deux à sa partie inférieure, & deux aux deux côtés de la petite meche. Ces tranchans sont formés par de véritables biseaux tournés de droite à gauche, afin de couper de gauche à droite.

Cette lame doit être d'un bon acier, mais la trempe doit en être douce : telle est la trempe par paquets, qui est celle qui convient le mieux pour les instrumens qui doivent agir sur des corps durs ; & si les ouvriers voyent qu'elle soit encore trop dure, ils ont le soin de donner un recuit bleu, pour adoucir la trempe & la rendre moins aigre.

L'usage du trépan exfoliatif n'est pas fréquent ; il peut cependant trouver son utilité, & il ne faut pas le soustraire de l'arcenal de Chirurgie, ou quelques praticiens le regardent comme inutile. Voyez la fig. 4. Pl. XVI. (Y)


EXFOLIATIONen Chirurgie, est la séparation des parties d'un os qui s'écaille, c'est-à-dire qui se détache par feuilles ou par lames minces. Voyez Os.

Ce mot est composé des mots latins ex, & folium, feuille.

Quand une partie de la surface du crane a été à nud pendant quelque tems, elle est sujette à l'exfoliation : l'usage de la poudre céphalique ne sert de rien pour avancer l'exfoliation. Dionis.

On ne doit point trop hâter la guérison des blessures faites aux os ; mais on doit laisser aux os le tems de se rétablir d'eux-mêmes ; ce qu'ils font quelquefois sans exfoliation, sur-tout dans les enfans.

On ne peut pas guérir les caries des os sans exfoliation. Voyez CARIE. Les os découverts ne s'exfolient pas toûjours ; on a vû des dénudations considérables qui ont duré six mois avec suppuration, où la surface de l'os s'est revivifiée au lieu de s'exfolier ; on peut lire à ce sujet des observations de M. de la Peyronie, insérées dans un mémoire de M. Quesnay sur les exfoliations du crane, dans le premier volume des mémoires de l'acad. royale de Chirurgie. On trouvera dans ce même mémoire plusieurs observations qui montrent l'usage du trépan perforatif pour accélerer l'exfoliation & pour l'empêcher ; l'usage de la rugine & des couronnes du trépan pour procurer l'exfoliation ; les cas où il a fallu employer le ciseau & le maillet de plomb pour enlever à plusieurs reprises des portions d'os altérées, & les obstacles particuliers qui peuvent retenir & engager une piéce d'os qui doit se séparer.

C'étoit une opinion commune & reçue parmi les anciens, que tous les os découverts doivent s'exfolier ; c'est pourquoi ils tenoient pendant long-tems les levres de la plaie écartées l'une de l'autre, en attendant cette exfoliation. L'expérience & la raison ont détruit ce préjugé, & ont fait voir qu'en temponnant les plaies où les os sont simplement découverts, on en retarde la guérison, & l'on expose les blessés à des accidens fâcheux : ce n'est pas cependant que l'exfoliation des os ne soit presque toûjours l'ouvrage de la pure nature : & que la plûpart des précautions qu'on prend pour produire cette exfoliation, ne soient d'ordinaire inutiles ou nuisibles : il faut dire hautement ces sortes de vérités.

En effet, combien de fois voit-on des chirurgiens, qui, pendant des mois entiers, même pendant des années entieres, se flatent vainement de parvenir à l'exfoliation d'une partie de quelque os, par le charpi sec, l'esprit-de-vin, les caustiques, & la rugine, tandis que d'autres sans tous ces secours, voyent en peu de tems une heureuse exfoliation se produire chez leurs malades, c'est qu'alors la nature étoit elle-même l'artiste de l'exfoliation. Le plus grand secret du chirurgien est de laisser agir cette nature, d'observer ses démarches, de ne pas contrecarrer ses opérations, de conserver à la partie sa chaleur naturelle, ou de l'augmenter quand elle est languissante. Il n'y a pas seulement de la droiture, mais du bon sens, à reconnoître dans les Arts les plus utiles, les bornes & les limites de leur puissance. Les habiles gens qui professent de tels arts n'y perdent rien, & les fripons trouvent moins de dupes. Addition de M(D.J.)

On donne aussi le nom d'exfoliation, à la séparation d'une membrane, d'un tendon, & autres parties molles, froissées & meurtries par quelque cause extérieure, ou altérées par l'impulsion de l'air à l'occasion d'une plaie, ou par des matieres purulentes ; le défaut de cette séparation dans cette derniere circonstance est une cause de fistule. Voyez FISTULE. (Y)


EXHALAISONS. f. (Physiq.) fumée ou vapeur qui s'exhale ou qui sort d'un corps, & qui se répand dans l'air. Voyez EMANATIONS.

Les mots d'exhalaison & de vapeur se prennent d'ordinaire indifféremment l'un pour l'autre ; mais les auteurs exacts les distinguent. Ils appellent vapeurs, les fumées humides qui s'élevent de l'eau & des autres corps liquides ; exhalaisons, les fumées seches qui viennent des corps solides, comme la terre ; le feu, les minéraux, les soufres, les sels, &c. Voyez VAPEUR.

Les exhalaisons, prises dans ce dernier sens, sont des corpuscules ou écoulemens secs, qui s'élevent des corps durs & terrestres, soit par la chaleur du soleil, soit par l'agitation de l'air, soit par quelque autre cause. Les corpuscules parviennent jusqu'à une certaine hauteur dans l'air, où se mêlant avec les vapeurs, ils forment les nuages, pour retomber ensuite en rosée, en brouillard, en pluie, &c. Voyez ATMOSPHERE, NUAGE, PLUIE, Voyez aussi EVAPORATION.

Les exhalaisons nitreuses & sulfureuses sont la principale matiere du tonnerre, des éclairs, & des divers autres météores qui s'engendrent dans l'air. Voyez TONNERRE, ECLAIR, &c.

M. Newton prétend que l'air vrai & permanent est formé par des exhalaisons élevées des corps les plus durs & les plus compacts. Voyez AIR. Harris & Chambers.

On voit quelquefois, dit M. Musschenbroeck, flotter dans l'air de fort grandes traînées d'exhalaisons qui sont d'une seule & même espece ; elles different seulement, quant à la figure qu'elles avoient auparavant dans la terre, en ce que, de corps solides qu'elles étoient, elles sont devenues fluides ; ou bien en ce que de fluides denses qu'elles étoient, elles ont été réduites en un fluide plus rare, & dont les parties se trouvant alors séparées les unes des autres, peuvent flotter dans l'air & y rester suspendues : elles doivent par conséquent avoir conservé plusieurs des propriétés qu'elles avoient auparavant ; savoir celles qui n'ont pas été changées par la raréfaction : elles auront donc aussi les mêmes forces qu'elles avoient déjà, lorsqu'elles étoient encore un corps solide ou un fluide plus dense ; & ces forces seront aussi les mêmes que celles qu'elles auront, lorsqu'elles se trouveront changées en une masse semblable à celle qu'elles formoient avant que d'être raréfiées. On n'aura pas de peine à concevoir que la chose doit être ainsi, lorsqu'on viendra à considérer qu'il s'évapore beaucoup d'eau en été dans un jour, & que cette eau s'éleve dans l'air. Lors donc qu'on se représente cette portion d'air qui couvre un grand lac, ou qui se trouve au-dessus de la mer, on doit concevoir alors que cette partie de l'atmosphere se charge en un jour d'une grande quantité de vapeurs, surtout s'il ne fait pas beaucoup de vent. Il arrive quelquefois que le mont Vésuve & le mont Etna exhalent une fumée d'une épaisseur affreuse, & qu'ils vomissent dans l'air une grande quantité de soufre ; ce qui y fait naître de gros nuages de soufre. Après une bataille sanglante & où il y a eu beaucoup de monde de tué, les corps, que l'on enterre alors ordinairement les uns proche des autres, & peu profondément, doivent exhaler une très-mauvaise odeur lorsqu'ils viennent à se corrompre ; & ces exhalaisons qui tiennent de la nature du phosphore, ne cessent de s'élever chaque jour dans l'air en très-grande quantité, au-dessus de l'endroit où ces cadavres se trouvent enterrés. (On peut juger de-là, pour le dire en passant, combien est pernicieuse notre méthode d'enterrer dans les églises, & même dans des cimetieres au milieu des grandes villes). De grands champs où l'on n'a semé qu'une seule sorte de graine, remplissent l'air qui se trouve au-dessus d'eux, d'un nuage d'exhalaisons qui sont par-tout de même nature.

Ces amas de vapeurs ou d'exhalaisons d'une même espece qui se font dans l'air & le remplissent, sont poussés par le vent d'un lieu dans un autre, où ils rencontrent d'autres parties de nature différente qui se sont aussi élevées dans l'air, & avec lesquelles ils se confondent. Il faut donc alors qu'il naisse de ce mélange les mêmes effets, ou des effets semblables à ceux que nous pourrions observer si l'on versoit ou mêloit dans un verre des corps semblables à ceux qui constituent ces vapeurs. Qu'il seroit beau & utile en même tems, de connoître les effets que produiroient plusieurs corps par le mélange que l'on en feroit ! Mais les Philosophes n'ont encore fait que fort peu de progrès dans ces sortes de mélanges ; car les corps que l'on a divisés en leurs parties, & mêlés ensuite ensemble ou avec d'autres, sont jusqu'à présent en très-petit nombre. Puis donc que l'atmosphere contient des parties de toute sorte de corps terrestres qui y nagent & qui se rencontrent, il faut que leur mélange y produise un très-grand nombre d'effets que l'art n'a pû encore nous découvrir ; par conséquent il doit naître dans l'atmosphere une infinité de phénomenes que nous ne saurions encore ni comprendre ni expliquer clairement. Il ne seroit pourtant pas impossible de parvenir à cette connoissance, si l'on faisoit un grand nombre d'expériences sur les mélanges des corps ; matiere immense puisqu'un petit nombre de corps peuvent être mêlés ensemble d'un très-grand nombre de manieres, comme il paroît évidemment par le calcul des combinaisons. Il est donc entierement hors de doute que les météores doivent produire un grand nombre de phénomenes, dont nous ne comprendrons jamais bien les causes, & sur lesquels les Philosophes ne feront jamais que des conjectures. Voyez METEORES.

Il y a quelquefois, continue M. Musschenbroeck, de violens tremblemens de terre, qui font fendre & crever de grosses croûtes pierreuses de la grandeur de quelques milles, & qui se trouvoient couchées sous la surface de la terre. Ces croûtes empêchoient auparavant les exhalaisons de certains corps situés encore plus profondément, de s'échapper & de sortir de dessous la terre ; mais aussi-tôt que ces especes de voûtes se trouvent rompues & brisées, les passages sont comme ouverts pour les vapeurs, qui venant alors à s'élever dans l'air, y produiront de nouveaux phénomenes. Ces phénomenes dureront aussi longtems que durera la cause qui les produit, & ils cesseront dès que cette même cause se trouvera consumée. Mussch. essai de Physique, §. 1471-1493. Voyez VOLCAN.

On peut voir dans l'essai sur les poisons, du docteur Mead, comment & par quelle raison les vapeurs minérales peuvent devenir empoisonnées. Voyez POISON, & l'article suivant.

On trouve dans les Naturalistes plusieurs exemples des effets de ces exhalaisons malignes : voici ce qui est rapporté dans l'histoire de l'académie des Sciences pour l'année 1701 : Un maçon qui travailloit auprès d'un puits dans la ville de Rennes, y ayant laissé tomber son marteau, un manoeuvre qui fut envoyé pour le chercher fut suffoqué avant d'être arrivé à la surface de l'eau ; la même chose arriva à un second qui descendit pour aller chercher le cadavre, & il en fut de même d'un troisieme : enfin on y descendit un quatrieme à moitié yvre, à qui on recommanda de crier dès qu'il sentiroit quelque chose : il cria bien vîte dès qu'il fut près de la surface de l'eau, & on le retira aussi-tôt ; mais il mourut trois jours après. Il dit qu'il avoit senti une chaleur qui lui dévoroit les entrailles. On descendit ensuite un chien, qui cria dès qu'il fut arrivé au même endroit, & qui s'évanoüit dès qu'il fut en plein air ; on le fit revenir en lui jettant de l'eau, comme il arrive à ceux qui ont été jettés dans la grotte du chien proche de Naples. Voyez GROTTE. On ouvrit les trois cadavres, après les avoir retirés avec un croc, & on n'y remarqua aucune cause apparente de mort ; mais ce qu'il y a de plus singulier, c'est que depuis plusieurs années on buvoit de l'eau de ce puits, sans qu'elle fît aucun mal.

Autre fait rapporté dans l'histoire de l'académie des Sciences, ann. 1710. Un boulanger de Chartres avoit mis dans sa cave, dont l'escalier avoit 36 degrés, sept à huit poinçons de braise de son four. Son fils, jeune homme fort & robuste, y étant descendu avec de nouvelle braise & de la lumiere, la lumiere s'éteignit au milieu de l'escalier ; il remonta, la ralluma, & redescendit. Dès qu'il fut dans la cave, il cria qu'il n'en pouvoit plus, & cessa bientôt de crier. Son frere, aussi fort que lui, descendit à l'instant ; il cria de même qu'il se mouroit, & peu de tems après ses cris finirent : sa femme descendit après lui, une servante ensuite, & ce fut toûjours la même chose. Cet accident jetta la terreur dans tout le voisinage, & personne ne se pressoit plus de descendre dans la cave. Un homme plus hardi que les autres, persuadé que les quatre personnes qui étoient descendues dans la cave n'étoient pas mortes, voulut aller les secourir ; il cria & on ne le revit plus. Un sixieme homme demanda un croc pour retirer ces corps sans descendre en-bas ; il retira la servante, qui ayant pris l'air, fit un soupir & mourut. Le lendemain un ami du boulanger voulant retirer ces corps avec un croc, se fit descendre dans la cave par le moyen d'une corde, & recommanda qu'on le retirât dès qu'il crieroit. Il cria bien vîte ; mais la corde s'étant rompue, il retomba, & quelque diligence qu'on fît pour renoüer la corde, on ne put le retirer que mort. On l'ouvrit : il avoit les meninges extraordinairement tendues, les lobes du poumon tachetés de marques noirâtres, les intestins enflés & gros comme le bras, enflammés & rouges comme du sang ; & ce qu'il y avoit de plus singulier, tous les muscles des bras, des cuisses & des jambes comme séparés de leurs parties. Le magistrat prit connoissance de ce fait, & on consulta des medecins. Il fut conclu que la braise qui avoit été mise dans la cave, étoit sans-doute mal éteinte ; & que comme toutes les caves de Chartres abondent en salpetre, la chaleur de la braise avoit sans-doute fait élever du salpetre une vapeur maligne & mortelle ; qu'il falloit par conséquent jetter dans la cave une grande quantité d'eau, pour éteindre le feu & arrêter le mal, ce qui fut exécuté : ensuite de quoi on descendit dans la cave un chien avec une chandelle allumée ; le chien ne mourut point, & la chandelle ne s'éteignit point : preuve certaine que le péril étoit passé.

A ces deux faits nous pouvons en ajoûter un troisieme, rapporté par le docteur Connor dans les dissert. medic. physiq. Quelques personnes creusoient la terre dans une cave à Paris, croyant y trouver un thrésor caché : après qu'elles eurent travaillé quelque tems, la servante étant descendue pour appeller son maître, les trouva dans la posture de gens qui travailloient ; mais ils étoient morts. Celui qui tenoit la beche, & son compagnon qui rejettoit la terre avec la pelle, étoient tous deux sur pié, & sembloient encore occupés à leur travail : la femme de l'un d'eux étoit assise sur ses genoux, comme si elle eût été lasse, ayant sa tête appuyée sur ses mains, dans la posture de quelqu'un qui rêve profondément, & un jeune homme avoit son haut-de-chausses bas, & sembloit faire ses nécessités sur le bord de la fosse, ayant les yeux fixés en terre : enfin tous paroissoient dans des attitudes & des actions naturelles ; les yeux ouverts & la bouche béante, de maniere qu'ils sembloient encore respirer ; mais ils étoient roides comme des statues, & froids comme marbre. Chambers. (O)

EXHALAISONS MINERALES ou MOUPHETES, habitus minerales, mephitis, &c. (Hist. nat. minéral.) Il part des veines ou filons métalliques, sur tout lorsqu'ils sont proches de la surface de la terre, des vapeurs qui se rendent sensibles, & qui dans l'obscurité de la nuit paroissent quelquefois enflammées. La même chose arrive dans le sein de la terre, au fond des galeries & soûterreins des mines dont on tire les métaux, charbons de terre & autres substances minérales. Ces vapeurs ou exhalaisons s'échappent par les fentes, crevasses & cavités qui se trouvent dans les roches ; elles sont de différentes especes, & produisent des effets tout différens. Tantôt elles échauffent l'air si considérablement, qu'il est impossible que les ouvriers puissent continuer leurs travaux sous terre ; cela arrive sur-tout durant les grandes chaleurs, où l'air extérieur de l'atmosphere n'étant pas agité par le vent, reste dans un état de stagnation qui empêche l'air contenu dans les soûterreins de se renouveller & de circuler librement. Les ouvriers sont fort incommodés de ces exhalaisons ; elles excitent chez eux des toux convulsives, & leur donnent la phthisie, la pulmonie, des paralysies, & d'autres maladies qui contribuent à abréger leurs jours : souvent même l'effet en est encore plus promt, & les pauvres mineurs sont tout-d'un-coup suffoqués par ces vapeurs dangereuses.

Ces exhalaisons paroissent comme un brouillard qui s'éleve dans les soûterreins des mines ; quelquefois elles ne s'élevent que jusqu'à cinq ou six pouces au-dessus du sol de la mine ; d'autres fois elles s'annoncent en affoiblissant peu-à-peu, & même éteignant tout-à-fait les lampes des ouvriers : elles se manifestent aussi sous la forme de filament ou de toiles d'araignées, qui en voltigeant s'allument à ces lampes, & produisent, comme nous l'avons remarqué à l'article CHARBON FOSSILE, les effets de la poudre à canon ou du tonnerre. Voyez cet article. Mais le phénomene le plus singulier que les exhalaisons nous présentent, c'est celui que les mineurs nomment ballon. On prétend qu'on voit à la partie supérieure des galeries des mines, une espece de poche arrondie, dont la peau ressemble à de la toile d'araignée. Si ce sac vient à se crever, la matiere qui y étoit renfermée se répand dans les soûterreins, & fait périr tous ceux qui la respirent. Voyez le dictionn. de Chambers. Les mineurs anglois croyent que ce ballon est formé par les émanations, qui partent de leurs corps & de leurs lumieres, s'élevent vers la partie supérieure des galeries soûterreines, s'y condensent, & se couvrent à la longue d'une pellicule, au-dedans de laquelle elles se corrompent & deviennent pestilentielles : au reste chacun est le maître d'en penser ce qu'il voudra.

Les exhalaisons minérales, quoique toûjours pernicieuses, n'ont cependant point toutes le même degré de malignité. Les minéralogistes allemands nomment schwaden les plus mauvaises ; elles se font sentir principalement dans les mines d'où l'on tire des minéraux sujets à se décomposer par le contact de l'air, telles que les terres alumineuses & sulphureuses ; & ceux dans la composition desquels il entre beaucoup d'arsenic, comme sont les mines d'argent rouges & blanches, les mines d'étain, les mines de fer arsénicales, les pyrites arsénicales blanches, les mines de colbalt, &c. d'où l'on voit que la malignité de ces exhalaisons ou mouphetes, vient de l'arsenic dont elles sont chargées ; & il y a lieu de croire que ce qui les excite, est l'espece de fermentation que cause la chaleur soûterraine.

Heureusement ces exhalaisons ne regnent pas toûjours dans les mines ; il y en a qui ne s'y font sentir que dans de certains tems ; d'autres ne se manifestent qu'accidentellement, c'est-à-dire lorsque les ouvriers viennent à percer avec leurs outils dans des fentes ou cavités, dans lesquelles des minéraux arsénicaux ont été décomposés, ou bien qui ont servi de retraite à des eaux croupies, à la surface desquelles ces exhalaisons se présentent quelquefois sous la forme d'une vapeur bleuâtre, qui sort par le mouvement causé à ces eaux, & se répand dans les soûterreins par les passages qu'on lui a ouverts ; elle est souvent accompagnée d'une odeur très-fétide. Il ne faut point confondre avec les mouphetes que nous venons de décrire, les exhalaisons qui regnent dans certaines mines, où l'on a été obligé de mettre le feu, afin de détacher le minéral de la roche dans laquelle il se trouve enveloppé ; comme cela se pratique quelquefois, & sur-tout dans les mines d'étain. On sent aisément que par cette opération il doit s'exciter dans les soûterreins des vapeurs & fumées, qu'il seroit très-dangereux de respirer.

Il y a d'autres exhalaisons minérales qui, sans être arsénicales, ne laissent point que d'être très-dangereuses, & de produire de funestes effets ; telles sont celles qui sont sulphureuses, & par lesquelles, pour parler le langage de la Chimie, l'acide sulphureux volatil est dégagé ; souvent elles font périr ceux qui ont le malheur d'y être exposés. Celles dont il est parlé dans l'article CHARBON FOSSILE sont de cette espece. Il y a lieu de croire qu'il en est de même de celles qui se font sentir en Italie, dans la fameuse grotte du chien, &c.

Souvent il se fait à la surface de la terre, & dans son intérieur, des exhalaisons très-sensibles & très-considérables : elles se montrent sur-tout le matin, dans le tems que la rosée tombe ; & à la suite de ces exhalaisons, les mineurs trouvent les filons des mines qui sont dans le voisinage stériles, dépourvus du minéral qu'ils contenoient, & semblables à des os cariés ou à des rayons de miel ; pour lors ils disent qu'ils sont venus trop tard. C'est-là proprement ce qu'on nomme exhalaison, exhalatio, en allemand ausswitterng. Quelquefois l'effet en est plus rapide, les vapeurs paroissent enflammées, elles sortent de la terre accompagnées d'une épaisse fumée, & produisent des éruptions, à la suite desquelles les veines métalliques se trouvent détruites. Ces phénomenes semblent avoir la même cause que les volcans. Voyez cet article. Enfin il y a encore des exhalaisons ou vapeurs que l'on appelle inhalationes, en allemand einwitterung ; on désigne par-là les vapeurs qui regnent dans les soûterreins des mines qui ont été long-tems abandonnées, & à la suite desquelles quelques auteurs disent qu'on trouve une matiere visqueuse ou gélatineuse, attachée aux parois des soûterreins, dont par la suite des tems il se forme des minéraux métalliques. Quoi qu'il en soit, il paroît qu'il n'est point douteux que les exhalaisons qui s'excitent dans les entrailles de la terre, ne contribuent infiniment à la formation des métaux, ou du moins à la composition & décomposition des minéraux métalliques, puisqu'il est aisé de voir que par leur moyen il se fait continuellement des dissolutions, qui ensuite sont suivies de nouvelles combinaisons. Pour peu qu'on fasse réflexion à ce qui vient d'être dit, on verra que les exhalaisons minérales jouent un grand rôle dans la nature, & sur-tout pour la crystallisation & la minéralisation. Voyez ces deux articles. Il y a aussi tout lieu de croire que c'est à ces exhalaisons minerales que toutes les pierres colorées sont redevables de leurs couleurs ; parce que les parties métalliques mises dans l'état de vapeurs, sont atténuées au point de pouvoir pénétrer les substances les plus dures & les plus compactes. C'est le sentiment du célebre Kunckel.

M. Lehman, savant minéralogiste, a fait un excellent commentaire allemand sur un assez mauvais traité des mouphetes de Théobald. Il finit son commentaire par conclure, que les exhalaisons minérales ou mouphetes ne sont autre chose " qu'un corps composé d'une terre très-atténuée, d'un soufre très-subtil, & d'un sel très-volatil, qui produit sur les roches & pierres, dans le sein de la terre, la même chose que le levain produit sur la pâte, c'est-à-dire qu'il pénetre, développe, mûrit, & augmente.

Les exhalaisons minérales étant aussi dangereuses & incommodes qu'on l'a vû dans cet article, on prend un grand nombre de précautions pour en garantir les ouvriers, & pour faciliter la circulation de l'air dans les soûterreins. On se sert pour cela des percemens, quand il est possible de les pratiquer, c'est-à-dire qu'on ouvre une galerie horisontale au pié d'une montagne ; & cette galerie fait, avec les bures ou puits perpendiculaires de la mine, une espece de syphon qui favorise le renouvellement de l'air. Mais de toutes les méthodes qu'on puisse employer, il n'en est pas de plus sûre que la machine de Sutton. Voyez cet article. (-)


EXHALATOIRES. f. (Fontaine salante) c'est une sorte de construction particuliere aux salines de Rosieres. Derriere les poesles il y a des poeslons qui ont vingt-un piés de long sur cinq de large ; & derriere ces poeslons, une table de plomb à-peu-près de même longueur & largeur, sur laquelle sont établies plusieurs lames de plomb, posées de champ de la hauteur de quatre pouces. Ces lames forment plusieurs circonvallations, & la machine entiere s'appelle exhalatoire. La destination de l'exhalatoire est d'évaporer quelques parties de l'eau douce, en profitant de la chaleur qui sort par les tranchées ou cheminées de la grande poesle, & de dégourdir l'eau avant qu'elle tombe dans la grande chaudiere.


EXHAUSSEMENTS. m. (Architect.) c'est une hauteur ou une élevation ajoûtée sur la derniere plinte d'un mur de face, pour rendre l'étage en galetas plus logeable. On dit aussi qu'une voûte, qu'un plancher, &c. a tant d'exhaussement. (P)


EXHAUSTIONS. f. terme de Mathématiques. La méthode d'exhaustion est une maniere de prouver l'égalité de deux grandeurs, en faisant voir que leur différence est plus petite qu'aucune grandeur assignable ; & en employant, pour le démontrer, la réduction à l'absurde.

Ce n'est pourtant pas parce que l'on y réduit à l'absurde, que l'on a donné à cette méthode le nom de méthode d'exhaustion : mais comme l'on s'en sert pour démontrer qu'il existe un rapport d'égalité entre deux grandeurs, lorsqu'on ne peut pas le prouver directement, on se restraint à faire voir qu'en supposant l'une plus grande ou plus petite que l'autre, on tombe dans une absurdité évidente : afin d'y parvenir, on permet à ceux qui nient l'égalité supposée, de déterminer une différence à volonté ; & on leur démontre que la différence qui existeroit entre ces grandeurs (en cas qu'il y en eût) seroit plus petite que la différence assignée ; & qu'ainsi cette différence ayant pû être supposée d'une petitesse qui, pour ainsi dire, épuisât toute grandeur assignable, c'est une nécessité de convenir que la différence entre ces grandeurs s'évanoüit véritablement. Or c'est cette petitesse indicible, inassignable, & qui épuise toute grandeur quelconque, qui a fait donner à la méthode présente le nom de méthode d'exhaustion, du mot latin exhaustio, épuisement.

La méthode d'exhaustion est fort en usage chez les anciens géometres, comme Euclide, Archimede, &c. Elle est fondée sur ce théorème du dixieme livre d'Euclide, que des quantités sont égales lorsque leur différence est plus petite qu'aucune grandeur assignable ; car si elles étoient inégales, leur différence pourroit être assignée ; ce qui est contre l'hypothèse.

C'est d'après ce principe qu'on démontre que, si un polygone régulier d'une infinité de côtés est inscrit ou circonscrit à un cercle, l'espace qui constitue la différence entre le cercle & le polygone s'épuisera & diminuera par degrés ; de sorte que le cercle deviendra égal au polygone. Voyez QUADRATURE, POLYGONE, &c. Voyez aussi LIMITE, INFINI, &c. (E)

Le calcul différentiel n'est autre chose que la méthode d'exhaustion des anciens, réduite à une analyse simple & commode ; c'est la méthode de déterminer analytiquement les limites des rapports ; la métaphysique de cette méthode est expliquée très-clairement au mot DIFFERENTIEL.


EXHÉRÉDATIONS. f. (Jurispr.) est une disposition, par laquelle on exclut entierement de sa succession ou de sa légitime en tout ou en partie, celui auquel, sans cette disposition, les biens auroient appartenu comme héritier, en vertu de la loi ou de la coûtume, & qui devoit du moins y avoir sa légitime.

Prononcer contre quelqu'un l'exhérédation, c'est exheredem facere, c'est le deshériter. Ce terme deshériter signifie néanmoins quelquefois déposséder ; & deshéritance n'est point synonyme d'exhérédation, il signifie seulement dessaisine ou dépossession.

Pour ce qui est du terme d'exhérédation, on le prend quelquefois pour la disposition qui ôte l'hoirie, quelquefois aussi pour l'effet de cette disposition, c'est-à-dire la privation des biens que souffre l'héritier.

Dans les pays de droit écrit, tous ceux qui ont droit de légitime doivent être institués héritiers, du moins pour leur légitime, ou être deshérités nommément, à peine de nullité du testament ; de sorte que dans ces pays l'exhérédation est tout-à-la-fois une peine pour ceux contre qui elle est prononcée, & une formalité nécessaire pour la validité du testament, qui doit être mise à la place de l'institution, lorsque le testateur n'institue pas ceux qui ont droit de légitime.

En pays coûtumier où l'institution d'héritier n'est pas nécessaire, même par rapport à ceux qui ont droit de légitime, l'exhérédation n'est considérée que comme une peine.

La disposition qui frappe quelqu'un d'exhérédation est réputée si terrible, qu'on la compare à un coup de foudre : c'est en ce sens que l'on dit, lancer le foudre de l'exhérédation ; ce qui convient principalement lorsque le coup part d'un pere justement irrité contre son enfant, & qui le deshérite pour le punir.

L'exhérédation la plus ordinaire est celle que les pere & mere prononcent contre leurs enfans & autres descendans ; elle peut cependant aussi avoir lieu en certains pays contre les ascendans, & contre les collatéraux, lorsqu'ils ont droit de legitime, soit de droit ou statutaire.

Mais une disposition qui prive simplement l'héritier de biens qu'il auroit recueillis, si le défunt n'en eût pas disposé autrement, n'est point une exhérédation proprement dite.

Il y a une quatrieme classe de personnes sujettes à une espece d'exhérédation, qui sont les vassaux ; comme on l'expliquera en son rang.

Toutes ces différentes sortes d'exhérédations sont expresses ou tacites.

Il y a aussi l'exhérédation officieuse.

Suivant le droit romain, l'exhérédation ne pouvoit être faite que par testament, & non par un codicille ; ce qui s'observoit ainsi en pays de droit écrit : au lieu qu'en pays coûtumier il a toûjours été libre d'exhéréder par toutes sortes d'actes de derniere volonté. Mais présentement, suivant les articles 15 & 16 de l'ordonnance des testamens, qui admettent les testamens olographes entre enfans & descendans, dans les pays de droit écrit ; il s'ensuit que l'exhérédation des enfans peut être faite par un tel testament, qui n'est, à proprement parler, qu'un codicille.

On va expliquer dans les subdivisions suivantes, ce qui est propre à chaque espece d'exhérédation. (A)

EXHEREDATION DES ASCENDANS : dans les pays où les ascendans ont droit de légitime dans la succession de leurs enfans ou autres descendans, comme en pays de droit écrit & dans quelques coûtumes, ils peuvent être deshérités pour certaines causes par leurs enfans ou autres descendans, de la succession desquels il s'agit.

Quoique cette exhérédation ne soit permise aux enfans, que dans le cas où les ascendans ont grandement démérité de leur part, on doit moins en ces cas la considérer comme une peine prononcée de la part des enfans, que comme une simple privation de biens dont les ascendans se sont rendus indignes, car il ne convient jamais aux enfans de faire aucune disposition dans la vûe de punir leurs pere & mere ; c'est un soin dont ils ne sont point chargés : ils doivent toûjours les respecter, & se contenter de disposer de leurs biens, suivant que la loi le leur permet.

Le droit ancien du digeste & du code, n'admettoit aucune cause pour laquelle il fût permis au fils d'exhéréder son pere.

A l'égard de la mere, la loi 28 au code de inoff. testam. en exprime quelques-unes, qui sont rappellées dans la novelle 115 dont on va parler.

Suivant cette novelle, chap. jv. les ascendans peuvent être exhérédés par leurs descendans, pour différentes causes qui sont communes au pere & à la mere, & autres ascendans paternels & maternels ; mais le nombre des causes de cette exhérédation n'est pas si grand que pour celle des descendans, à l'égard desquels la novelle admet quatorze causes d'exhérédation ; au lieu qu'elle n'en reconnoît que huit à l'égard des ascendans. Ces causes sont :

1°. Si les ascendans ont par méchanceté procuré la mort de leurs descendans ; il suffit même qu'ils les ayent exposés & mis en danger de perdre la vie par quelque accusation capitale ou autrement, à moins que ce ne fût pour crime de lese-majesté.

2°. S'ils ont attenté à la vie de leurs descendans, par poison, sortilége, ou autrement.

3°. Si le pere a souillé le lit nuptial de son fils en commettant un inceste avec sa belle-fille ; la novelle ajoûte, ou en se mêlant par un commerce criminel avec la concubine de son fils ; parce que, suivant le droit romain, les concubines étoient, à certains égards, au niveau des femmes légitimes : ce qui n'a pas lieu parmi nous.

4°. Si les ascendans ont empêché leurs descendans de tester des biens dont la loi leur permet la disposition.

5°. Si le mari, par poison ou autrement, s'est efforcé de procurer la mort à sa femme, ou de lui causer quelque aliénation, & vice versâ pour la femme à l'égard du mari ; les enfans dans ces cas peuvent deshériter celui de leur pere, mere, ou autre ascendant qui seroit coupable d'un tel attentat.

6°. Si les ascendans ont négligé d'avoir soin de leur descendant, qui est tombé dans la démence ou dans la fureur.

7°. S'ils négligent de racheter leurs descendans qui sont detenus en captivité.

8°. Enfin l'enfant orthodoxe peut deshériter ses ascendans hérétiques ; mais comme on ne connoît plus d'hérétiques en France, cette regle n'est plus guere d'usage. Voyez ce qui est dit ci-après de l'exhérédation des descendans. (A)

EXHEREDATION DES COLLATERAUX, est celle qui peut être faite contre les freres & soeurs & autres collatéraux qui ont droit de légitime, ou quelqu'autre reserve coûtumiere.

Les lois du digeste & du code qui ont établi l'obligation de laisser la légitime de droit aux freres & soeurs germains ou consanguins, dans le cas où le frere institueroit pour seul héritier une personne infame, n'avoient point reglé les causes pour lesquelles, dans ce même cas, ces collatéraux pourroient être deshérités. C'est ce que la novelle 22, ch. xlvij. a prévû. Il y a trois causes.

1°. Si le frere a attenté sur la vie de son frere.

2°. S'il a intenté contre lui une accusation capitale.

3°. Si par méchanceté il lui a causé ou occasionné la perte d'une partie considérable de son bien.

Dans tous ces cas, le frere ingrat peut être deshérité & privé de sa légitime ; il seroit même privé, comme indigne, de la succession ab intestat ; & quand le frere testateur n'auroit pas institué une personne infame, il ne seroit pas nécessaire qu'il instituât ou deshéritât nommément son frere ingrat. Il peut librement disposer de ses biens sans lui rien laisser, & sans faire mention de lui.

Ce que l'on vient de dire d'un frere, doit également s'entendre d'une soeur.

Dans les pays coûtumiers où les collatéraux n'ont point droit de légitime, il n'est pas nécessaire de les instituer ni deshériter nommément ; ils n'ont ordinairement que la reserve coûtumiere des propres qui est à Paris des quatre quints, & dans d'autres coûtumes plus ou moins considérable.

L'exhérédation ne peut donc avoir lieu en pays coûtumier, que pour priver les collatéraux de la portion des propres, ou autres biens que la loi leur destine, & dont elle ne permet pas de disposer par testament.

La reserve coûtumiere des propres ou autres biens, ne pouvant être plus favorable que la légitime, il est sensible que les collatéraux peuvent être privés de cette reserve pour les mêmes causes qui peuvent donner lieu à priver les collatéraux de leur légitime, comme pour mauvais traitemens, injures graves, & autres causes exprimées en la novelle 22. (A)

EXHEREDATION DES DESCENDANS, voyez ci-après EXHEREDATION DES ENFANS.

EXHEREDATION cum elogio, est celle qui est faite en termes injurieux pour celui qui est deshérité ; comme quand on le qualifie d'ingrat, de fils dénaturé, débauché, &c. Le terme d'éloge se prend dans cette occasion en mauvaise part : c'est une ironie, suivant ce qui est dit dans la loi 4, au code théodos. de legitim. hered.

Les enfans peuvent être exhérédés cum elogio, lorsqu'ils le méritent. Il n'en est pas de même des collatéraux ; l'exhérédation prononcée contre eux cum elogio, annulle le testament, à moins que les faits qui leur sont reprochés par le testateur ne soient notoires. Voyez Mornac, sur la loi 21. cod. de inoff. testam. Bardet, liv. I. ch. xiij. & tome II. liv. II. ch. xviij. Journ. des aud. tom. I. liv. I. ch. xxxjv. (A)

EXHEREDATION DES ENFANS & autres descendans, est une disposition de leurs ascendans qui les prive de la succession, & même de leur légitime : car ce n'est pas une exhérédation proprement dite que d'être réduit à sa légitime, & il ne faut point de cause particuliere pour cela.

Si l'on considere d'abord ce qui s'observoit chez les anciens pour la disposition de leurs biens à l'égard des enfans, on voit qu'avant la loi de Moyse les Hébreux qui n'avoient point d'enfans, pouvoient disposer de leurs biens comme ils jugeoient à-propos ; & depuis la loi de Moyse, les enfans ne pouvoient pas être deshérités ; ils étoient même héritiers nécessaires de leur pere, & ne pouvoient pas s'abstenir de l'hérédité.

Chez les Grecs l'usage n'étoit pas uniforme ; les Lacédemoniens avoient la liberté d'instituer toutes sortes de personnes au préjudice de leurs enfans, même sans en faire mention ; les Athéniens au contraire ne pouvoient pas disposer en faveur des étrangers, quand ils avoient des enfans qui n'avoient pas démérité, mais pouvoient exhéréder leurs enfans desobéissans & les priver totalement de leur succession.

Suivant l'ancien droit romain, les enfans qui étoient en la puissance du testateur, devoient être institués ou deshérités nommément ; au lieu que ceux qui étoient émancipés devenant comme étrangers à la famille, & ne succedant plus, le pere n'étoit pas obligé de les instituer ou deshériter nommément ; il en étoit de même des filles & de leurs descendans. Quand à la forme de l'exhérédation, il falloit qu'elle fût fondée en une cause légitime ; & si cette cause étoit contestée, c'étoit à l'héritier à la prouver ; mais le testateur n'étoit pas obligé d'exprimer aucune cause d'exhérédation dans son testament.

Les édits du préteur qui formerent le droit moyen, accorderent aux enfans émancipés, aux filles & leurs descendans, le droit de demander la possession des biens comme s'ils n'avoient pas été émancipés, au moyen de quoi ils devoient être institués ou deshérités nommément, afin que le testament fût valable.

Ces dispositions du droit prétorien furent adoptées par les lois du digeste & du code, par rapport à la nécessité d'institution ou exhérédation expresse de tous les enfans sans distinction de sexe ni d'état.

Justinien fit néanmoins un changement par la loi 30. au code de inoff. testam. & par la novelle 18. ch. j. par lesquelles il dispensa d'instituer nommément les enfans & autres personnes qui avoient droit d'intenter la plainte d'inofficiosité, ou de demander la possession des biens contra tabulas, c'est-à-dire les descendans par femme, les enfans émancipés & leurs descendans, les ascendans & les freres germains ou consanguins, turpi personâ institutâ ; il ordonna qu'il suffiroit de leur laisser la légitime à quelque titre que ce fût, même de leur faire quelque libéralité moindre que la légitime, pour que le testament ne pût être argué d'inofficiosité. Cette loi, au surplus, ne changea rien par rapport aux enfans étant en la puissance du testateur.

Ce qui vient d'être dit ne concernoit que le pere & l'ayeul paternel, car il n'en étoit pas de même de la mere & des autres ascendans maternels ; ceux-ci n'étoient pas obligés d'instituer ou deshériter leurs enfans & descendans ; ils pouvoient les passer sous silence, ce qui opéroit à leur égard le même effet que l'exhérédation prononcée par le pere. Les enfans n'avoient d'autre ressource en ce cas, que la plainte d'inofficiosité, en établissant qu'ils avoient été injustement prétérits.

La novelle 115, qui forme le dernier état du droit romain sur cette matiere, a suppléé ce qui manquoit aux précédentes lois : elle ordonne, ch. iij. que les peres, meres, ayeuls & ayeules, & autres ascendans, seront tenus d'instituer ou deshériter nommément leurs enfans & descendans ; elle défend de les passer sous silence ni de les exhéréder, à moins qu'ils ne soient tombés dans quelqu'un des cas d'ingratitude exprimés dans la même novelle ; & il est dit que le testateur en fera mention, que son héritier en fera la preuve, qu'autrement le testament sera nul quant à l'institution ; que la succession sera déférée ab intestat, & néanmoins que les legs & fideicommis particuliers, & autres dispositions particulieres, seront exécutées par les enfans devenus héritiers ab intestat.

Suivant cette novelle, il n'y a plus de différence entre les ascendans qui ont leurs enfans en leur puissance, & ceux qui n'ont plus cette puissance sur leurs enfans ; ce qui avoit été ordonné pour les héritiers siens, a été étendu à tous les descendans sans distinction.

A l'égard des causes pour lesquelles les descendans peuvent être exhérédés, la novelle en admet quatorze.

1°. Lorsque l'enfant a mis la main sur son pere ou autre ascendant pour le frapper, mais une simple menace ne suffiroit pas.

2°. Si l'enfant a fait quelqu'injure grave à son ascendant, qui fasse préjudice à son honneur.

3°. Si l'enfant a formé quelqu'accusation ou action criminelle contre son pere, à moins que ce ne fût pour crime de lese-majesté ou qui regardât l'état.

4°. S'il s'associe avec des gens qui menent une mauvaise vie.

5°. S'il a attenté sur la vie de son pere par poison ou autrement.

6°. S'il a commis un inceste avec sa mere : la novelle ajoûte, ou s'il a eu habitude avec la concubine de son pere ; mais cette derniere disposition n'est plus de notre usage, comme on l'a déjà observé en parlant de l'exhérédation des ascendans.

7°. Si l'enfant s'est rendu dénonciateur de son pere ou autre ascendant, & que par là il lui ait causé quelque préjudice considérable.

8°. Si l'enfant mâle a refusé de se porter caution pour délivrer son pere de prison, soit que le pere y soit detenu pour dettes ou pour quelque crime tel, qu'on puisse accorder à l'accusé son élargissement en donnant caution ; & tout cela doit s'entendre supposé que le fils ait des biens suffisans pour cautionner son pere, & qu'il ait refusé de le faire.

9°. Si l'enfant empêche l'ascendant de tester.

10°. Si le fils, contre la volonté de son pere, s'est associé avec des mimes ou bateleurs & autres gens de théatre, ou parmi des gladiateurs, & qu'il ait persévéré dans ce métier, à moins que le pere ne fût de la même profession.

11°. Si la fille mineure, que son pere a voulu marier & doter convenablement, a refusé ce qu'on lui proposoit pour mener une vie desordonnée ; mais si le pere a négligé de marier sa fille jusqu'à 25 ans, elle ne peut être deshéritée, quoiqu'elle tombe en faute contre son honneur, ou qu'elle se marie sans le consentement de ses parens, pourvû que ce soit à une personne libre.

Les ordonnances du royaume ont reglé autrement la conduite que doivent tenir les enfans pour leur mariage : l'édit du mois de Février 1556 veut que les enfans de famille qui contractent mariage sans le consentement de leurs pere & mere, puissent être exhérédés sans espérance de pouvoir quereller l'exhérédation ; mais l'ordonnance excepte les fils âgés de 30 ans & les filles âgées de 25, lorsqu'ils se sont mis en devoir de requérir le consentement de leurs pere & mere : l'ordonnance de 1639 veut que ce consentement soit requis par écrit, ce qui est encore confirmé par l'édit de 1697.

12°. C'est encore une autre cause d'exhérédation, si les enfans négligent d'avoir soin de leurs pere, mere, ou autre ascendant, devenus furieux.

13°. S'ils négligent de racheter leurs ascendans detenus prisonniers.

14°. Les ascendans orthodoxes peuvent deshériter leurs enfans & autres descendans qui sont hérétiques. Les exhérédations prononcées pour une telle cause avoient été abolies par l'édit de 1576, confirmé par l'article 31 de l'édit de Nantes ; mais ce dernier édit ayant été révoqué, cette regle ne peut plus guere être d'usage en France.

Il n'est pas nécessaire en pays coûtumier, pour la validité du testament, d'instituer ou deshériter nommément les enfans & autres descendans ; mais ils peuvent y être deshérités pour les mêmes causes que la novelle 115 admet ; & lorsque l'exhérédation est declarée injuste, tout le testament est nul comme fait ab irato, à l'exception des legs pieux faits pour l'ame du défunt, pourvû qu'ils soient modiques. Voy. au digeste liv. XXVIII. tit. ij. au code liv. VI. tit. xxviij. aux instit. liv. II. tit. xiij. Furgole, tr. des testamens, tom. III. ch. viij. sect. 2. (A)

EXHEREDATION DES FRERES & SOEURS. Voyez ci-devant EXHEREDATION DES COLLATERAUX.

EXHEREDATION OFFICIEUSE, est celle qui est faite pour le bien de l'enfant exhérédé, & que les lois mêmes conseillent aux peres sages & prudens, comme dans la loi 19. §. 2. ff. de curator. furioso dandis.

Suivant la disposition de cette loi, qui a été étendue aux enfans dissipateurs, le pere peut deshériter son enfant qui se trouve dans ce cas, & instituer ses petits-enfans, en ne laissant à l'enfant que des alimens, & cette exhérédation est appellée officieuse. V. FURIEUX & PRODIGUE. (A)

EXHEREDATION DES PERE & MERE. Voyez ci-devant EXHEREDATION DES ASCENDANS.

EXHEREDATION TACITE, est celle qui est faite en passant sous silence dans le testament, celui qui devoit y être institué ou deshérité nommément ; c'est ce que l'on appelle plus communément prétérition. Voyez PRETERITION. (A)

EXHEREDATION DES VASSAUX ; c'est ainsi que les auteurs qui ont écrit sous les premiers rois de la troisieme race, ont appellé la privation que le vassal souffroit de son fief, qui étoit confisqué au profit du seigneur. L'origine de cette expression vient de ce que dans la premiere institution des fiefs, les devoirs réciproques du vassal & du seigneur marquoient, de la part du vassal, une révérence & obéissance presqu'égale à celle d'un fils envers son pere, ou d'un client envers son patron ; & de la part du seigneur, une protection & une autorité paternelle ; de sorte que la privation du fief qui étoit prononcée par le seigneur dominant contre son vassal, étoit comparée à l'exhérédation d'un fils ordonnée par son pere. Voyez le factum de M. Husson, pour le sieur Aubery seigneur de Montbar.

On voit aussi dans les capitulaires & dans plusieurs conciles à peu-près du même tems, que le terme d'exhérédation se prenoit souvent alors pour la privation qu'un sujet pouvoit souffrir de ses héritages & autres biens de la part de son seigneur : haec de liberis hominibus diximus, ne fortè parentes eorum contra justitiam fiant exhaeredati, & regale obsequium minuatur, & ipsi haeredes propter indigentiam mendici vel latrones, &c. (A)


EXHIBITIONS. f. (Jurisprud.) signifie l'action de montrer des pieces. L'exhibition a beaucoup de rapport avec la communication qui se fait sans déplacer ; la communication a cependant un effet plus étendu ; car on peut exhiber une piece en la faisant paroître simplement, au lieu que communiquer, même sans déplacer, c'est laisser voir & examiner une piece. (A)


EXHORTATIONS. f. (Gramm.) discours par lequel on se propose de porter à une action quelqu'un qui est libre de la faire ou de ne pas la faire, ou du moins qu'on regarde comme tel.


EXHUMATIONS. f. (Jurisprud.) action d'exhumer. Voyez EXHUMER.

On ne peut en faire aucune sans ordonnance de justice. Le concile de Reims, tenu en 1583, défend d'exhumer les corps des fideles sans la permission de l'évêque. Mais cette disposition ne doit s'appliquer que quand il s'agit d'exhumer tous les ossemens qui sont dans une église ou dans un cimetiere, pour en faire un lieu profane. Lorsqu'il s'agit d'exhumer quelqu'un, soit pour le transférer dans quelqu'autre lieu où il a choisi sa sépulture, ou pour visiter le cadavre à l'occasion de quelque procédure criminelle, l'ordonnance du juge royal suffit, c'est-à-dire une sentence rendue sur les conclusions du ministere public. Voyez les mém. du Clergé, tom. III. pag. 405. 409. & 452. tom. VI. pag. 375. 378. & 1123. & tom. XII. pag. 449. & SEPULTURE. (A)


EXHUMERv. act. (Gramm.) c'est tirer un cadavre de la terre, ce qui se fait quelquefois licitement, comme lorsque les lois l'ordonnent.

On lit dans Brantome & dans le dictionnaire de Trévoux, qu'après la mort de Charles Quint, il fut arrêté à l'inquisition, en présence du roi Philippe II. son fils, que son corps seroit exhumé & brûlé comme hérétique, parce que ce prince avoit tenu quelques propos legers sur la foi. Ces peuples sont bien revenus de cette barbarie, comme il le paroît par les propositions avantageuses qu'ils ont faites récemment à M. Linnaeus.


EXHYDNAsorte d'ouragan. Voyez OURAGAN.


EXIGENCES. f. (Jurisprud.) signifie ce que les circonstances demandent que l'on fasse. Il y a beaucoup de choses qui doivent être suppléées par le juge suivant l'exigence du cas. (A)


EXIGERv. act. (Gramm.) c'est demander une chose qu'on a droit d'obtenir, & que celui à qui on la demande a de la répugnance à accorder. On dit il exige le payement de cette dette. On peut exiger, même d'un ministre d'état, qu'il soit d'une probité scrupuleuse.


EXIGIBLEadj. (Jurisprud.) se dit d'une dette dont le terme est échû & le payement peut être demandé ; ce qui est dû, n'est pas toûjours exigible ; il faut attendre l'échéance ; jusque-là, dies cedit, dies non venit. (A)


EXIGUES. f. (Jurisprud.) c'est l'acte par lequel celui qui a donné des bestiaux à cheptel, se départ du bail & demande au preneur exhibition, compte, & partage des bestiaux. Ce mot vient d'exiguer. Voy. ci-après EXIGUER. (A)


EXIGUER(Jurisprud.) qu'on dit aussi exiger ou exequer, terme dont on se sert dans les coûtumes de Nivernois, Bourbonnois, Berry, Sole, & autres lieux où les baux à cheptel sont en usage, pour exprimer que l'on se départ du cheptel, & que l'on demande exhibition, compte & partage des bestiaux qui avoient été donnés au preneur à titre de cheptel.

Quelques-uns tirent ce mot ab exigendis rationibus, à cause qu'au tems de l'exigue ou résolution du cheptel, le bailleur & le preneur entrent en compte ; mais cette étymologie n'est pas du goût de Ragueau, lequel en son glossaire au mot exiguer, dit que c'est è stabulis educere pecudes ; que chez les Romains on se servoit de ce mot exigere, pour dire faire sortir les bestiaux de l'étable, & qu'en effet lorsqu'on veut se départir du cheptel, on fait sortir les bestiaux de l'étable du preneur auquel on les avoit confiés.

La coûtume de Bourbonnois, art. 553, dit que quand bêtes sont exigées & prises par le bailleur, le preneur a le choix, dans huit jours de la prisée à lui notifiée & déclarée, de retenir les bêtes ou de les délaisser au bailleur pour le prix que celui-ci les aura prisées.

M. Despommiers dit sur cet article, n°. 3. & suivans, qu'en simple cheptel selon la forme de l'exiguë prescrite en cet article, soit que le bailleur ou le preneur veulent exiguer, le preneur doit commencer par rendre le nombre de bêtes qu'il a reçûes selon l'estimation ; après quoi on partage le profit & le croît si aucun y a ; que l'estimation ne transfere pas au preneur la propriété des bestiaux ; qu'elle est faite uniquement pour connoître au tems de l'exiguë s'il y a du profit ou de la perte ; que cette estimation est si peu une vente, qu'on a soin de stipuler dans les baux à cheptel, que le preneur au tems de l'exiguë sera tenu de rendre même nombre & mêmes especes de bestiaux qu'il a reçûs, & pour le même prix.

Cet auteur remarque encore que l'exiguë du bétail donné en cheptel avec le bail de métairie, ne se fait pas à volonté ; qu'on ne peut le faire qu'après l'expiration du bail de métairie, le cheptel étant un accessoire de ce bail.

A l'égard du simple cheptel, la coûtume de Berry, tit. xvij. art. 1. & 2, dit que le bailleur & le preneur ne peuvent exiguer avant les trois ans passés, à compter du tems du bail, & si le bail est à moitié, avant les cinq ans.

Celle de Nivernois, ch. xxj. art. 9. dit que le bailleur peut exiguer, demander compte & exhibition de son bétail, & icelui priser une fois l'an, depuis le dixieme jour devant la nativité de S. Jean-Baptiste jusqu'audit jour exclus, & non en autre tems. Que si le preneur traite mal les bêtes, le bailleur les peut exiguer toutes fois qu'il y trouvera faute sans forme de justice, sauf toutefois au preneur de répéter ses intérêts au cas que le bailleur a tort, ou en autre tems que le coûtumier. Mais, comme l'observe Coquille sur l'art. 9. du ch. xxj. de la coûtume de Nivernois, cela dépend de la regle générale des sociétés, qui défend de les dissoudre à contre-tems, & ne veut pas non plus que l'on soit contraint de demeurer en société contre son gré.

Ainsi la clause apposée dans le cheptel, que le bailleur pourra exiguer toutes fois & quantes, doit être interprétée benignement & limitée à un tems commode ; desorte que le bailleur ne peut exiguer en hyver, ni au fort des labours ou de la moisson.

Coquille à l'endroit cité, remarque encore que la faculté d'exiguer toutes fois & quantes, doit être réciproque & commune au preneur, qu'autrement la société seroit léonine.

Lorsqu'un métayer après l'expiration de son bail est sorti du domaine ou métairie sans aucun empêchement de la part du propriétaire, ce dernier n'est pas recevable après l'an à demander l'exiguë ou remise de ses bestiaux, quoiqu'il justifie de l'obligation du preneur ; n'étant pas à présumer que le maître eût laissé sortir son métayer sans retirer de lui les bestiaux, & qu'il eût gardé le silence pendant un an.

Mais quand les bestiaux sont tenus à cheptel par un tiers, l'action du bailleur pour demander l'exiguë dure 30 ans.

La coûtume de Nivernois, ch. xxj. art. 10. porte qu'après que le bailleur aura exigué & prisé les bêtes, le preneur a dix jours par la coûtume pour opter de retenir les bêtes suivant l'estimation, ou de les laisser au bailleur ; que si le preneur garde les bestiaux, il doit donner caution du prix, qu'autrement le bailleur le pourra garder pour l'estimation.

L'article 11. ajoûte que quand le preneur a fait la prisée dans le tems à lui permis, le bailleur a le même tems & choix de prendre ou laisser les bestiaux.

La coûtume de Berry dit que si le bétail demeure à celui qui exiguë & prise, il doit payer comptant ; que si le bétail demeure à celui qui souffre la prisée, il a huitaine pour payer.

L'article 551. de la coûtume de Bourbonnois charge le preneur qui retient les bestiaux de donner caution du prix, autrement les bêtes doivent être mises en main tierce. Voyez CHEPTEL. (A)


EXILS. m. (Hist. anc.) bannissement. Voyez l'article BANNISSEMENT.

Chez les Romains le mot exil, exilium, signifioit proprement une interdiction, ou exclusion de l'eau & du feu, dont la conséquence naturelle étoit, que la personne ainsi condamnée étoit obligée d'aller vivre dans un autre pays, ne pouvant se passer de ces deux élémens. Aussi Ciceron, ad Heren. (supposé qu'il soit l'auteur de cet ouvrage) observe que la sentence ne portoit point précisément le mot d'exil, mais seulement d'interdiction de l'eau & du feu. Voyez INTERDICTION.

Le même auteur remarque que l'exil n'étoit pas à proprement parler un châtiment, mais une espece de refuge & d'abri contre des châtimens plus rigoureux : exilium non esse supplicium, sed perfugium portusque supplicii. Pro Caecin. Voy. PUNITION ou CHATIMENT.

Il ajoûte qu'il n'y avoit point chez les Romains de crime qu'on punît par l'exil, comme chez les autres nations : mais que l'exil étoit une espece d'abri où on se mettoit volontairement pour éviter les chaînes, l'ignominie, la faim, &c.

Les Athéniens envoyoient souvent en exil leurs généraux & leurs grands hommes, soit par jalousie de leur mérite, soit par la crainte qu'ils ne prissent trop d'autorité. Voyez OSTRACISME.

Exil se dit aussi quelquefois de la relégation d'une personne dans un lieu, d'où il ne peut sortir sans congé. Voyez RELEGATION.

Ce mot est dérivé du mot latin exilium, ou de exul, qui signifie exilé ; & les mots exilium ou exul sont formés probablement d'extra solum, hors de son pays natal.

Dans le style figuré, on appelle honorable exil, une charge ou emploi, qui oblige quelqu'un de demeurer dans un pays éloigné & peu agréable.

Sous le regne de Tibere, les emplois dans les pays éloignés étoient des especes d'exils mystérieux. Un évêché en Irlande, ou même une ambassade, ont été regardés comme des especes d'exils : une résidence ou une ambassade dans quelque pays barbare, est une sorte d'exil. Voyez le Dictionnaire de Trévoux & Chambers. (G)


EXILLES(Géog. mod.) ville de Piémont ; elle appartient au Briançonnois ; elle est située sur la Daire. Long. 24. 35. lat. 45. 5.


EXIMERv. act. (hist. & droit publ. d'Allemagne) On nomme ainsi en Allemagne l'action par laquelle un état ou membre immédiat de l'empire est soustrait à sa jurisdiction, & privé de son suffrage à la diete. Les auteurs qui ont traité du droit public d'Allemagne, distinguent deux sortes d'exemption, la totale & la partielle. La premiere est celle par laquelle un Etat de l'empire en est entierement détaché, au point de ne plus contribuer aux charges publiques, & de ne plus reconnoître l'autorité de l'Empire ; ce qui se fait ou par la force des armes, ou par cession. C'est ainsi que la Suisse, les Provinces-Unies des Pays-Bas, le landgraviat d'Alsace, &c. ont été eximés de l'Empire dont ces états relevoient autrefois. L'exemption partielle est celle par laquelle un état est soustrait à la jurisdiction immédiate de l'Empire, pour n'y être plus soûmis que médiatement ; ce qui arrive lorsqu'un état plus puissant en fait ôter un autre plus foible de la matricule de l'Empire, & lui enleve sa voix à la diete ; pour lors celui qui exime doit payer les charges pour celui qui est eximé, & ce dernier de sujet immédiat de l'Empire, devient sujet médiat, ou landsasse. Voyez cet article. (-)


EXINANITIONS. f. (Medecine) Ce terme signifie la même chose qu'évacuation : il est employé de même pour désigner l'action par laquelle il sort quelque matiere du corps en général, ou de quelqu'une de ses parties, soit par l'opération de la nature, soit par celle de l'art. Voyez EVACUATION. (d)


EXISTENCES. f. (Métaphys.) Ce mot opposé à celui de néant, plus étendu que ceux de réalité & d'actualité, opposés, le premier à l'apparence, & le second à la possibilité simple ; synonyme de l'un & de l'autre, comme un terme général l'est des termes particuliers qui lui sont subordonnés (voyez SYNONYME), signifie dans sa force grammaticale, l'état d'une chose entant qu'elle existe. Mais qu'est-ce qu'exister ? quelle notion les hommes ont-ils dans l'esprit lorsqu'ils prononcent ce mot ? & comment l'ont-ils acquise ou formée ? La réponse à ces questions sera le premier objet que nous discuterons dans cet article : ensuite, après avoir analysé la notion de l'existence, nous examinerons la maniere dont nous passons de la simple impression passive & interne de nos sensations, aux jugemens que nous portons sur l'existence même des objets, & nous essayerons d'établir les vrais fondemens de toute certitude à cet égard.

De la notion de l'existence. Je pense, donc je suis, disoit Descartes. Ce grand homme voulant élever sur des fondemens solides le nouvel édifice de sa philosophie, avoit bien senti la nécessité de se dépouiller de toutes les notions acquises, pour appuyer desormais toutes ses propositions sur des principes dont l'évidence ne seroit susceptible ni de preuve ni de doute ; mais il étoit bien loin de penser que ce premier raisonnement, ce premier anneau par lequel il prétendoit saisir la chaîne entiere des connoissances humaines, supposât lui-même des notions très-abstraites, & dont le développement étoit très-difficile ; celles de pensée & d'existence. Locke en nous apprenant, ou plûtôt en nous démontrant le premier que toutes les idées nous viennent des sens, & qu'il n'est aucune notion dans l'esprit humain à laquelle il ne soit arrivé en partant uniquement des sensations, nous a montré le véritable point d'où les hommes sont partis, & où nous devons nous replacer pour suivre la génération de toutes leurs idées. Mon dessein n'est cependant point ici de prendre l'homme au premier instant de son être, d'examiner comment ses sensations sont devenues des idées, & de discuter si l'expérience seule lui a appris à rapporter ses sensations à des distances déterminées, à les sentir les unes hors des autres, & à se former l'idée d'étendue, comme le croit M. l'abbé de Condillac ; ou si, comme je le crois, les sensations propres de la vûe, du toucher, & peut-être de tous les autres sens, ne sont pas au contraire nécessairement rapportées à une distance quelconque les unes des autres, & ne présentent pas par elles-mêmes l'idée de l'étendue. Voyez IDEE, SENSATION, VUE, TOUCHER, SUBSTANCE SPIRITUELLE. Je n'ai pas besoin de ces recherches : si l'homme à cet égard a quelque chemin à faire, il est tout fait long-tems avant qu'il songe à se former la notion abstraite de l'existence ; & je puis bien le supposer arrivé à un point que les brutes mêmes ont certainement atteint, si nous avons droit de juger qu'elles ont une ame. Voyez AME DES BETES. Il est au moins incontestable que l'homme a sû voir avant que d'apprendre à raisonner & à parler ; & c'est à cette époque certaine que je commence à le considérer.

En le dépouillant donc de tout ce que le progrès de ses réflexions lui a fait acquérir depuis, je le vois, dans quelqu'instant que je le prenne, ou plûtôt je me sens moi-même assailli par une foule de sensations & d'images que chacun de mes sens m'apporte, & dont l'assemblage me présente un monde d'objets distincts les uns des autres, & d'un autre objet qui seul m'est présent par des sensations d'une certaine espece, & qui est le même que j'apprendrai dans la suite à nommer moi. Mais ce monde sensible, de quels élémens est-il composé ? Des points noirs, blancs, rouges, verds, bleus, ombrés ou clairs, combinés en mille manieres, placés les uns hors des autres, rapportés à des distances plus ou moins grandes, & formant par leur contiguité une surface plus ou moins enfoncée sur laquelle mes regards s'arrêtent ; c'est à quoi se réduisent toutes les images que je reçois par le sens de la vûe. La nature opere devant moi sur un espace indéterminé, précisément comme le peintre opere sur une toile. Les sensations de froid, de chaleur, de résistance, que je reçois par le sens du toucher, me paroissent aussi comme dispersées çà & là dans un espece à trois dimensions dont elles déterminent les différens points ; & dans lequel, lorsque les points tangibles sont contigus, elles dessinent aussi des especes d'images, comme la vûe, mais à leur maniere, & tranchées avec bien moins de netteté. Le goût me paroît encore une sensation locale, toûjours accompagnée de celles qui sont propres au toucher, dont elle semble une espece limitée à un organe particulier. Quoique les sensations propres de l'oüie & de l'odorat ne nous présentent pas à-la-fois (du moins d'une façon permanente) un certain nombre de points contigus qui puissent former des figures & nous donner une idée d'étendue, elles ont cependant leur place dans cet espace, dont les sensations de la vûe & du toucher nous déterminent les dimensions ; & nous leur assignons toûjours une situation, soit que nous les rapportions à une distance éloignée de nos organes, ou à ces organes mêmes. Il ne faut pas omettre un autre ordre de sensations plus pénétrantes, pour ainsi dire, qui rapportées à l'intérieur de notre corps, en occupant même quelquefois toute l'habitude, semblent remplir les trois dimensions de l'espace, & porter immédiatement avec elles l'idée de l'étendue solide. Je ferai de ces sensations une classe particuliere, sous le nom de tact intérieur ou sixieme sens, & j'y rangerai les douleurs qu'on ressent quelquefois dans l'intérieur des chairs, dans la capacité des intestins, & dans les os mêmes ; les nausées, le mal-aise qui précede l'évanoüissement, la faim, la soif, l'émotion qui accompagne toutes les passions ; les frissonnemens, soit de douleur, soit de volupté ; enfin cette multitude de sensations confuses qui ne nous abandonnent jamais, qui nous circonscrivent en quelque sorte notre corps, qui nous le rendent toûjours présent, & que par cette raison, quelques métaphysiciens ont appellées sens de la coexistence de notre corps. Voyez les articles SENS & TOUCHER. Dans cette espece d'analyse de toutes nos idées purement sensibles, je n'ai point rejetté les expressions qui supposent des notions réfléchies, & des connoissances d'un ordre bien postérieur à la simple sensation : il falloit bien m'en servir. L'homme réduit aux sensations n'a point de langage, & il n'a pû les désigner que par les noms des organes dont elles sont propres, ou des objets qui les excitent ; ce qui suppose tout le système de nos jugemens sur l'existence des objets extérieurs, déjà formé. Mais je suis sûr de n'avoir peint que la situation de l'homme réduit aux simples impressions des sens, & je crois avoir fait l'énumération exacte de celles qu'il éprouve : il en résulte que toutes les idées des objets que nous appercevons par les sens, se réduisent, en derniere analyse, à une foule de sensations de couleur, de résistance, de son, &c. rapportées à différentes distances les unes des autres, & répandues dans un espace indéterminé, comme autant de points dont l'assemblage & les combinaisons forment un tableau solide (si l'on peut employer ici ce mot dans la même acception que les Géometres), auquel tous nos sens à-la-fois fournissent des images variées & multipliées indéfiniment.

Je suis encore loin de la notion de l'existence, & je ne vois jusqu'ici qu'une impression purement passive, ou tout au plus le jugement naturel par lequel plusieurs métaphysiciens prétendent que nous transportons nos propres sensations hors de nous-mêmes, pour les répandre sur les différens points de l'espace que nous imaginons. Voyez SENSATION, VUE & TOUCHER. Mais ce tableau composé de toutes nos sensations, cet univers idéal n'est jamais le même deux instans de suite ; & la mémoire qui conserve dans le second instant l'impression du premier, nous met à portée de comparer ces tableaux passagers, & d'en observer les différences. (Le développement de ce phénomene n'appartient point à cet article, & je dois encore le supposer, parce que la mémoire n'est pas plus le fruit de nos réflexions que la sensation même. Voyez MEMOIRE). Nous acquérons les idées de changement & de mouvement. (Remarquez que je dis idée, & non pas notion ; voyez ces deux articles). Plusieurs assemblages de ces points colorés, chauds ou froids, &c. nous paroissent changer de distance les uns par rapport aux autres, quoique les points eux-mêmes qui forment ces assemblages, gardent entr'eux le même arrangement ou la même coordination. Cette coordination nous apprend à distinguer ces assemblages de sensations par masses. Ces masses de sensations coordonnées, sont ce que nous appellerons un jour objets ou individus. Voy. ces deux mots. Nous voyons ces individus s'approcher, se fuir, disparoître quelquefois entierement, ou pour reparoître encore. Parmi ces objets ou grouppes de sensations qui composent ce tableau mouvant, il en est un qui, quoique renfermé dans des limites très-étroites en comparaison du vaste espace où flottent tous les autres, attire notre attention plus que tout le reste ensemble. Deux choses sur-tout le distinguent, sa présence continuelle, sans laquelle tout disparoît, & la nature particuliere des sensations qui nous le rendent présent : toutes les sensations du toucher s'y rapportent, & circonscrivent exactement l'espace dans lequel il est renfermé. Le goût & l'odorat lui appartiennent aussi ; mais ce qui attache notre attention à cet objet d'une maniere plus irrésistible, c'est le plaisir & la douleur, dont la sensation n'est jamais rapportée à aucun autre point de l'espace. Par-là cet objet particulier, non-seulement devient pour nous le centre de tout l'univers, & le point d'où nous mesurons toutes les distances, mais nous nous accoûtumons encore à le regarder comme notre être propre ; & quoique les sensations qui nous peignent la lune & les étoiles, ne soient pas plus distinguées de nous que celles qui se rapportent à notre corps, nous les regardons comme étrangeres, & nous bornons le sentiment du moi à ce petit espace circonscrit par le plaisir & par la douleur ; mais cet assemblage de sensations auxquelles nous bornons ainsi notre être, n'est dans la réalité, comme tous les autres assemblages des sensations, qu'un objet particulier du grand tableau que forme l'univers idéal.

Tous les autres objets changent à tous les instans, paroissent & disparoissent, s'approchent & s'éloignent les uns des autres, & de ce moi, qui, par sa présence continuelle, devient le terme nécessaire auquel nous les comparons. Nous les appercevons hors de nous, parce que l'objet que nous appellons nous, n'est qu'un objet particulier, comme eux, & parce que nous ne pouvons rapporter nos sensations à différens points d'un espace, sans voir les assemblages de ces sensations les uns hors des autres ; mais quoiqu'apperçûs hors de nous, comme leur perception est toûjours accompagnée de celle du moi, cette perception simultanée établit entr'eux & nous une relation de présence qui donne aux deux termes de cette relation, le moi & l'objet extérieur, toute la réalité que la conscience assûre au sentiment du moi.

Cette conscience de la présence des objets n'est point encore la notion de l'existence, & n'est pas même celle de présence ; car nous verrons dans la suite que tous les objets de la sensation ne sont pas pour cela regardés comme présens. Ces objets dont nous observons les distances & les mouvemens autour de notre corps, nous intéressent par les effets que ces distances & ces mouvemens nous paroissent produire sur lui, c'est-à-dire par les sensations de plaisir & de douleur dont ces mouvemens sont accompagnés ou suivis. La facilité que nous avons de changer à volonté la distance de notre corps aux autres objets immobiles, par un mouvement que l'effort qui l'accompagne nous empêche d'attribuer à ceux-ci, nous sert à chercher les objets dont l'approche nous donne du plaisir, à éviter ceux dont l'approche est accompagnée de douleur. La présence de ces objets devient la source de nos desirs & de nos craintes, & le motif des mouvemens de notre corps, dont nous dirigeons la marche au milieu de tous les autres corps, précisément comme un pilote conduit une barque sur une mer semée de rochers & couverte de barques ennemies. Cette comparaison, que je n'employe point à titre d'ornement, sera d'autant plus propre à rendre mon idée sensible, que la circonstance où se trouve le pilote, n'est qu'un cas particulier de la situation où se trouve l'homme dans la nature, environné, pressé, traversé, choqué par tous les êtres : suivons-la. Si le pilote ne pensoit qu'à éviter les rochers qui paroissent à la surface de la mer, le naufrage de sa barque, entre-ouverte par quelqu'écueil caché sous les eaux, lui apprendroit sans-doute à craindre d'autres dangers que ceux qu'il apperçoit ; il n'iroit pas bien loin non plus, s'il falloit qu'en partant il vît le port où il desire arriver. Comme lui, l'homme est bientôt averti par les effets trop sensibles d'êtres qu'il avoit cessé de voir, soit en s'éloignant, soit dans le sommeil, ou seulement en fermant les yeux, que les objets ne sont point anéantis pour avoir disparu, & que les limites de ses sensations ne sont point les limites de l'univers. De-là naît un nouvel ordre de choses, un nouveau monde intellectuel, aussi vaste que le monde sensible étoit borné. Si un objet emporté loin du spectateur par un mouvement rapide, se perd en fin dans l'éloignement, l'imagination suit son cours au-delà de la portée des sens, prévoit ses effets, mesure sa vîtesse ; elle conserve le plan des situations relatives des objets que les sens ne voyent plus ; elle tire des lignes de communication des objets de la sensation actuelle à ceux de la sensation passée, elle en mesure la distance, elle en détermine la situation dans l'espace ; elle parvient même à prévoir les changemens qui ont dû arriver dans cette situation, par la vîtesse plus ou moins grande de leur mouvement. L'expérience vérifie tous ses calculs, & dès-là ces objets absens entrent, comme les présens, dans le système général de nos desirs, de nos craintes, des motifs de nos actions, & l'homme, comme le pilote, évite & cherche des objets qui échappent à tous ses sens.

Voilà une nouvelle chaîne & de nouvelles relations par lesquelles les êtres supposés hors de nous se lient encore à la conscience du moi, non plus par la simple perception simultanée, puisque souvent ils ne sont point apperçûs du-tout, mais par la connexité qui enchaîne entr'eux les changemens de tous les êtres & nos propres sensations, comme causes & effets les uns des autres. Comme cette nouvelle chaîne de rapports s'étend à une foule d'objets hors de la portée des sens, l'homme est forcé de ne plus confondre les êtres mêmes avec ses sensations, & il apprend à distinguer les uns des autres, les objets présens, c'est-à-dire renfermés dans les limites de la sensation actuelle, & liés avec la conscience du moi par une perception simultanée ; & les objets absens, c'est-à-dire des êtres indiqués seulement par leurs effets, ou par la mémoire des sensations passées ; que nous ne voyons pas, mais qui par un enchaînement quelconque de causes & d'effets, agissent sur ce que nous voyons, que nous verrions s'ils étoient placés dans une situation & à une distance convenable, & que d'autres êtres semblables à nous voyent peut-être dans le moment même ; c'est-à-dire encore que ces êtres, sans nous être présens par la voie des sensations, forment entr'eux, avec ce que nous voyons & avec nous-mêmes, une chaine de rapports, soit d'actions réciproques, soit de distance seulement ; rapports dans lesquels le moi étant toûjours un des termes, la réalité de tous les autres nous est certifiée par la conscience de ce moi.

Essayons à-présent de suivre la notion de l'existence dans les progrès de sa formation. Le premier fondement de cette notion est la conscience de notre propre sensation, & le sentiment du moi qui résulte de cette conscience. La relation nécessaire entre l'être appercevant & l'objet apperçû, considéré hors du moi, suppose dans les deux termes la même réalité ; il y a dans l'un & dans l'autre un fondement de cette relation, que l'homme, s'il avoit un langage, pourroit désigner par le nom commun d'existence ou de présence ; car ces deux notions ne seroient point encore distinguées l'une de l'autre.

L'habitude de voit reparoître les objets sensibles après les avoir perdus quelque tems, & de retrouver en eux les mêmes caracteres & la même action sur nous, nous a appris à connoître les êtres par d'autres rapports que par nos sensations, & à les en distinguer. Nous donnons, si j'ose ainsi parler, notre aveu à l'imagination qui nous peint ces objets de la sensation passée avec les mêmes couleurs que ceux de la sensation présente, & qui leur assigne, comme celle-ci, un lieu dans l'espace dont nous nous voyons environnés ; & nous reconnoissons par conséquent entre ces objets imaginés & nous, les mêmes rapports de distance & d'action mutuelle que nous observons entre les objets actuels de la sensation. Ce rapport nouveau ne se termine pas moins à la conscience du moi que celui qui est entre l'être apperçû & l'être appercevant ; il ne suppose pas moins dans les deux termes la même réalité, & un fondement de leur relation qui a pû être encore désigné par le nom commun d'existence ; ou plûtôt l'action même de l'imagination, lorsqu'elle représente ces objets avec les mêmes rapports d'action & de distance, soit entr'eux soit avec nous, est telle, que les objets actuellement présens aux sens, peuvent tenir lieu de ce nom général, & devenir comme un premier langage qui renferme sous le même concept la réalité des objets actuels de la sensation, & celle de tous les êtres que nous supposons répandus dans l'espace. Mais il est très-important d'observer que ni la simple sensation des objets présens, ni la peinture que fait l'imagination des objets absens, ni le simple rapport de distance ou d'activité réciproque, commun aux uns & aux autres, ne sont précisément la chose que l'esprit voudroit désigner par le nom commun d'existence ; c'est le fondement même de ces rapports, supposé commun au moi, à l'objet vû & à l'objet simplement distant, sur lequel tombent véritablement & le nom d'existence & notre affirmation, lorsque nous disons qu'une chose existe. Ce fondement commun n'est, ni ne peut être connu immédiatement, & ne nous est indiqué que par les rapports différens qui le supposent : nous nous en formons cependant une espece d'idée que nous tirons par voie d'abstraction du témoignage que la conscience nous rend de nous-mêmes & de notre sensation actuelle ; c'est-à-dire que nous transportons en quelque sorte cette conscience du moi sur les objets extérieurs, par une espece d'assimilation vague, démentie aussi-tôt par la séparation de tout ce qui caractérise le moi, mais qui ne suffit pas moins pour devenir le fondement d'une abstraction ou d'un signe commun, & pour être l'objet de nos jugemens. Voyez ABSTRACTION & JUGEMENT.

Le concept de l'existence est donc le même dans un sens, soit que l'esprit ne l'attache qu'aux objets de la sensation, soit qu'il l'étende sur les objets que l'imagination lui présente avec des relations de distance & d'activité, puisqu'il est toûjours primitivement renfermé dans la conscience même du moi généralisé plus ou moins. A voir la maniere dont les enfans prêtent du sentiment à tout ce qu'ils voyent, & l'inclination qu'ont eue les premiers hommes à répandre l'intelligence & la vie dans toute la nature ; je me persuade que le premier pas de cette généralisation a été de prêter à tous les objets vûs hors de nous tout ce que la conscience nous rapporte de nous même, & qu'un homme, à cette premiere époque de la raison, auroit autant de peine à reconnoître une substance purement matérielle, qu'un matérialiste en a aujourd'hui à croire une substance purement spirituelle, ou un cartésien à recevoir l'attraction. Les différences que nous avons observées entre les animaux & les autres objets, nous ont fait retrancher de ce concept l'intelligence, & successivement la sensibilité. Nous avons vû qu'il n'avoit été d'abord étendu qu'aux objets de la sensation actuelle, & c'est à cette sensation rapportée hors de nous, qu'il étoit attaché, ensorte qu'elle en étoit comme le signe inséparable, & que l'esprit ne pensoit pas à l'en distinguer. Les relations de distance & d'activité des objets à nous, étoient cependant apperçûes ; elles indiquoient aussi avec le moi un rapport qui supposoit également le fondement commun auquel le concept de l'existence emprunté de la conscience du moi, n'étoit pas moins applicable ; mais comme ce rapport n'étoit présenté que par la sensation elle-même, on ne dut y attacher spécialement le concept de l'existence, que lorsqu'on reconnut des objets absens. Au défaut du rapport de sensation, qui cessoit d'être général, le rapport de distance & d'activité généralisé par l'imagination, & transporté des objets de la sensation actuelle à d'autres objets supposés, devint le signe de l'existence commun aux deux ordres d'objets, & le rapport de sensation actuelle ne fut plus que le signe de la présence, c'est-à-dire d'un cas particulier compris sous le concept général d'existence.

Je me sers de ces deux mots pour abréger, & pour designer ces deux notions qui commencent effectivement à cette époque à être distinguées l'une de l'autre, quoiqu'elles n'ayent point encore acquis toutes les limitations qui doivent les caractériser dans la suite. Les sens ont leurs illusions, & l'imagination ne connoît point de bornes ; cependant, & les illusions des sens & les plus grands écarts de l'imagination, nous présentent des objets placés dans l'espace avec les mêmes rapports de distance & d'activité, que les impressions les plus régulieres des sens & de la mémoire. L'expérience seule a pû apprendre à distinguer la différence de ces deux cas, & à n'attacher qu'à l'un des deux le concept de l'existence. On remarqua bien-tôt que parmi ces tableaux, il y en avoit qui se représentoient dans un certain ordre, dont les objets produisoient constamment les mêmes effets qu'on pouvoit prévoir, hâter ou fuir, & qu'il y en avoit d'autres absolument passagers, dont les objets ne produisoient aucun effet permanent, & ne pouvoient nous inspirer ni craintes ni desirs, ni servir de motifs à nos démarches. Dès-lors ils n'entrerent plus dans le système général des êtres au milieu desquels l'homme doit diriger sa marche, & l'on ne leur attribua aucun rapport avec la conscience permanente du moi, qui supposât un fondement hors de ce moi. On distingua donc dans les tableaux des sens & de l'imagination, les objets existans des objets simplement apparens, & la réalité de l'illusion. La liaison & l'accord des objets apperçus avec le système général des êtres déjà connus, devint la regle pour juger de la réalité des premiers, & cette regle servit aussi à distinguer la sensation de l'imagination dans les cas où la vivacité des images & le manque de points de comparaison auroient rendu l'erreur inévitable, comme dans les songes & les délires : elle servit aussi à démêler les illusions des sens eux mêmes dans les miroirs, les réfractions, &c. & ces illusions une fois constatées, on ne s'en tint plus à séparer l'existence de la sensation ; il fallut encore séparer la sensation du concept de l'existence, & même de celui de présence, & ne la regarder plus que comme un signe de l'une & de l'autre, qui pourroit quelquefois tromper. Sans developper avec autant d'exactitude que l'ont fait depuis les philosophes modernes, la différence de nos sensations & des êtres qu'elles représentent, sans savoir que les sensations ne sont que des modifications de notre ame, & sans trop s'embarrasser si les êtres existans & les sensations forment deux ordres de choses entierement séparés l'un de l'autre, & liés seulement par une correspondance plus ou moins exacte, & relative à de certaines lois, on adopta de cette idée tout ce qu'elle a de pratique. La seule expérience suffit pour diriger les craintes, les desirs, & les actions des hommes les moins philosophes, relativement à l'ordre réel des choses, telles qu'elles existent hors de nous, & cela ne les empêche pas de continuer à confondre les sensations avec les objets mêmes, lorsqu'il n'y a aucun inconvénient pratique. Mais malgré cette confusion, c'est toûjours sur le mouvement & la distance des objets, que se reglent nos craintes, nos desirs, & nos propres mouvemens : ainsi l'esprit dut s'accoûtumer à séparer totalement la sensation de la notion d'existence, & il s'y accoûtuma tellement, qu'on en vint à la séparer aussi de la notion de présence, ensorte que ce mot présence, signifie non-seulement l'existence d'un objet actuellement apperçû par les sens, mais qu'il s'étend même à tout objet renfermé dans les limites où les sens peuvent actuellement appercevoir, & placé à leur portée, soit qu'il soit apperçû ou non.

Dans ce système général des êtres qui nous environnent, sur lesquels nous agissons, & qui agissent sur nous à leur tour, il en est que nous avons vûs paroître & reparoître successivement, que nous avons regardés comme parties du système où nous sommes placés nous mêmes, & que nous cessons de voir pour jamais : il en est d'autres que nous n'avons jamais vûs, & qui se montrent tout-à-coup au milieu des êtres, pour y paroître quelque tems & disparoître enfin sans retour. Si cet effet n'arrivoit jamais que par un transport local qui ne fît qu'éloigner l'objet pour toûjours de la portée de nos sens, ce ne seroit qu'une absence durable : mais un médiocre volume d'eau, exposé à un air chaud, disparoît sous nos yeux sans mouvement apparent ; les arbres & les animaux cessent de vivre, & il n'en reste qu'une très-petite partie méconnoissable, sous la forme d'une cendre legere. Par-là nous acquérons les notions de destruction, de mort, d'anéantissement. De nouveaux êtres, du même genre que les premiers, viennent les remplacer ; nous prévoyons la fin de ceux-ci en les voyant naître, & l'experience nous apprendra à en attendre d'autres après eux. Ainsi nous voyons les êtres se succéder comme nos pensées. Ce n'est point ici le lieu d'expliquer la génération de la notion du tems, ni de montrer comment celle de l'existence concourt avec la succession de nos pensées à nous la donner. Voyez SUCCESSION, TEMS & DUREE. Il suffit de dire que lorsque nous avons cessé d'attribuer aux objets ce rapport avec nous, qui leur rendoit commun le témoignage que nos propres pensées nous rendent de nous-mêmes, la mémoire, en nous rappellant leur image, nous rappelle en même tems ce rapport qu'ils avoient avec nous dans un tems, où d'autres pensées qui ne sont plus, nous rendoient témoignage de nous-mêmes, & nous disons que ces objets ont été ; la mémoire leur assigne des époques & des distances dans la durée comme dans l'étendue. L'imagination ne peut suivre le cours des mouvemens imprimés aux corps, sans comparer la durée avec l'espace parcouru ; elle conclura donc du mouvement passé & du lieu présent, de nouveaux rapports de distance qui ne sont pas encore ; elle franchira les bornes du moment où nous sommes, comme elle a franchi les limites de la sensation actuelle. Nous sommes forcés alors de détacher la notion d'existence de tout rapport avec nous & avec la conscience de nos pensées qui n'existe pas encore, & qui n'existera peut-être jamais. Nous sommes forcés de nous perdre nous-mêmes de vûe, & de ne plus considérer pour attribuer l'existence aux objets que leur enchaînement avec le système total des êtres, dont l'existence ne nous est, à la vérité, connue que par leur rapport avec la nôtre, mais qui n'en sont pas moins indépendans, & qui n'existeront pas moins, lorsque nous ne serons plus. Ce système, par la liaison des causes & des effets, s'étend indéfiniment dans la durée comme dans l'espace. Tant que nous sommes un des termes auquel se rapportent toutes les autres parties par une chaîne de relations actuelles, dont la conscience de nos pensées présentes est le témoin, les objets existent. Ils ont existé, si pour en retrouver l'enchaînement avec l'état présent du système, il faut remonter des effets à leurs causes ; ils existeront, s'il faut au contraire descendre des causes aux effets : ainsi l'existence est passée, présente, ou future, suivant qu'elle est rapportée par nos jugemens à différens points de la durée.

Mais soit que l'existence des objets soit passée, présente, ou future, nous avons vû qu'elle ne peut nous être certifiée, si elle n'a ou par elle-même, ou par l'enchaînement des causes & des effets, un rapport avec la conscience du moi, ou de notre existence momentanée. Cependant quoique nous ne puissions sans ce rapport assûrer l'existence d'un objet, nous ne sommes pas pour cela autorisés à la nier, puisque ce même enchaînement de causes & d'effets établit des rapports de distance & d'activité entre nous & un grand nombre d'êtres, que nous ne connoissons que dans un très-petit nombre d'instans de leur durée, ou qui même ne parviennent jamais à notre connoissance. Cet état d'incertitude ne nous présente que la simple notion de possibilité, qui ne doit pas exclure l'existence, mais qui ne la renferme pas nécessairement. Une chose possible qui existe, est une chose actuelle ; ainsi toute chose actuelle est existente, & toute chose existente est actuelle, quoiqu'existence & actualité ne soient pas deux mots parfaitement synonymes, parce que celui d'existence est absolu, & celui d'actualité est correlatif de possibilité.

Jusqu'ici nous avons développé la notion d'existence, telle qu'elle est dans l'esprit de la plûpart des hommes, ses premiers fondemens, la maniere dont elle a été formée par une suite d'abstractions de plus en plus générales, & différentiée d'avec les notions qui lui sont relatives ou subordonnées. Mais nous ne l'avons pas encore suivie jusqu'à ce point d'abstraction & de généralité où la Philosophie l'a portée. En effet, nous avons vû comment le sentiment du moi, que nous regardons comme la source de la notion d'existence, a été transporté par abstraction aux sensations mêmes regardées comme des objets hors de nous ; comment ce sentiment du moi a été généralisé en en séparant l'intelligence & tout ce qui caractérise notre être propre ; comment ensuite une nouvelle abstraction l'a encore transporté des objets de la sensation à tous ceux dont les effets nous indiquent un rapport quelconque de distance ou d'activité avec nous-mêmes. Ce degré d'abstraction a suffi pour l'usage ordinaire de la vie, & la Philosophie seule a eu besoin de faire quelques pas de plus, mais elle n'a eu qu'à marcher dans la même route ; car puisque les relations de distance & d'activité ne sont point précisément la notion de l'existence, & n'en sont en quelque sorte que le signe nécessaire, comme nous l'avons vû ; puisque cette notion n'est que le sentiment du moi transporté par abstraction, non à la relation de distance, mais à l'objet même qui est le terme de cette abstraction, on a le même droit d'étendre encore cette notion à de nouveaux objets, en la resserrant par de nouvelles abstractions, & d'en séparer toute relation avec nous de distance & d'activité, comme on en avoit précédemment séparé la relation de l'être apperçu à l'être appercevant. Nous avons reconnu que ce n'étoit plus par le rapport immédiat des êtres avec nous, mais par leur liaison avec le système général, dont nous faisons partie, qu'il falloit juger de leur existence. Il est vrai que ce système est toûjours lié avec nous par la conscience de nos pensées présentes ; mais il n'est pas moins vrai que nous n'en sommes pas parties essentielles, qu'il existoit avant nous, qu'il existera après nous, & que par conséquent le rapport qu'il a avec nous n'est point nécessaire pour qu'il existe, & l'est seulement pour que son existence nous soit connue : par conséquent d'autres systèmes entierement semblables peuvent exister dans la vaste étendue de l'espace, isolés au milieu les uns des autres, sans aucune activité réciproque, & avec la seule relation de distance, puisqu'ils sont dans l'espace. Et qui nous a dit qu'il ne peut pas y avoir aussi d'autres systèmes composés d'êtres qui n'ont pas, même entr'eux, ce rapport de distance, & qui n'existent point dans l'espace ? Nous ne les concevons point. Qui nous a donné le droit de nier tout ce que nous ne concevons pas, & de donner nos idées pour bornes à l'univers ? Nous-mêmes sommes-nous bien sûrs d'exister dans un lieu, & d'avoir avec aucun autre être des rapports de distance ? Sommes-nous bien sûrs que cet ordre de sensations rapportées à des distances idéales les unes des autres, correspondent exactement avec l'ordre réel de la distance des êtres existans ? Sommes-nous bien sûrs que la sensation qui nous rend témoignage de notre propre corps, lui fixe dans l'espace une place mieux déterminée, que la sensation qui nous rend témoignage de l'existence des étoiles, & qui, nécessairement détournée par l'aberration, nous les fait toûjours voir où elles ne sont pas ? Voyez SENSATION & SUBSTANCE SPIRITUELLE. Or si le moi, dont la conscience est l'unique source de la notion d'existence, peut n'être pas lui-même dans l'espace, comment cette notion renfermeroit-elle nécessairement un rapport de distance avec nous ? Il faut donc encore l'en séparer, comme on en a séparé le rapport d'activité & celui de sensation. Alors la notion d'existence sera aussi abstraite qu'elle peut l'être, & n'aura d'autre signe que le mot même d'existence ; ce mot ne répondra, comme on le voit, à aucune idée ni des sens ni de l'imagination, si ce n'est à la conscience du moi, mais généralisée & séparée de tout ce qui caractérise non-seulement le moi, mais même tous les objets auxquels elle a pû être transportée par abstraction. Je sai bien que cette généralisation renferme une vraie contradiction, mais toutes les abstractions sont dans le même cas, & c'est pour cela que leur généralité n'est jamais que dans les signes & non dans les choses (voyez IDEE ABSTRAITE) : la notion d'existence n'étant composée d'aucune autre idée particuliere que de la conscience même du moi, qui est nécessairement une idée simple, étant d'ailleurs appliquable à tous les êtres sans exception, ce mot ne peut être, à proprement parler, défini, & il suffit de montrer par quels degrés la notion qu'il désigne a pû se former.

Je n'ai pas cru nécessaire pour ce développement, de suivre la marche du langage & la formation des noms qui répondent à l'existence, parce que je regarde cette notion comme fort antérieure aux noms qu'on lui a donnés, quoique ces noms soient un des premiers progrès des langues. Voyez LANGUES & VERBE SUBSTANTIF.

Je ne traiterai pas non plus de plusieurs questions agitées par les Scholastiques sur l'existence, comme si elle convient aux modes, si elle n'est propre qu'à des individus, &c. La solution de ces questions doit dépendre de ce qu'on entend par existence, & il n'est pas difficile d'y appliquer ce que j'ai dit. Voyez IDENTITE, SUBSTANCE, MODE, DIVIDUVIDU. Je ne me suis que trop étendu, peut-être, sur une analyse beaucoup plus difficile qu'elle ne paroîtra importante ; mais j'ai cru que la situation de l'homme dans la nature au milieu des autres êtres, la chaîne que ses sensations établissent entr'eux & lui, & la maniere dont il envisage ses rapports avec eux, devoient être regardés comme les fondemens mêmes de la Philosophie, sur lesquels rien n'est à négliger. Il ne me reste qu'à examiner quelle sorte de preuves nous avons de l'existence des êtres extérieurs.

Des preuves de l'existence des êtres extérieurs. Dans la supposition où nous ne connoîtrions d'autres objets que ceux qui nous sont présens par la sensation, le jugement par lequel nous regarderions ces objets comme placés hors de nous, & répandus dans l'espace à différentes distances, ne seroit point une erreur ; il ne seroit que le fait même de l'impression que nous éprouvons, & il ne tomberoit que sur une relation entre l'objet & nous, c'est-à-dire entre deux choses également idéales, dont la distance seroit aussi purement idéale & du même ordre que les deux termes. Car le moi auquel la distance de l'objet seroit alors comparé, ne seroit jamais qu'un objet particulier du tableau que nous offre l'ensemble de nos sensations, il ne nous seroit rendu présent, comme tous les autres objets, que par des sensations, dont la place seroit déterminée relativement à toutes les autres sensations qui composent le tableau, & il n'en différeroit que par le sentiment de la conscience, qui ne lui assigne aucune place dans un espace absolu. Si nous nous trompions alors en quelque chose, ce seroit bien plûtôt en ce que nous bornons cette conscience du moi à un objet particulier, quoique toutes les autres sensations répandues autour de nous soient également des modifications de notre substance. Mais puisque Rome & Londres existent pour nous lorsque nous sommes à Paris, puisque nous jugeons les êtres comme existans indépendamment de nos sensations & de notre propre existence, l'ordre de nos sensations qui se présentent à nous les unes hors des autres, & l'ordre des êtres placés dans l'espace à des distances réelles les unes des autres, forment donc deux ordres de choses, deux mondes séparés, dont un au moins (c'est l'ordre réel) est absolument indépendant de l'autre. Je dis un au moins, car les réflexions, les réfractions de la lumiere, & tous les jeux de l'Optique, les peintures de l'imagination, & sur-tout les illusions des songes, nous prouvent suffisamment que toutes les impressions des sens, c'est-à-dire les perceptions des couleurs, des sons, du froid, du chaud, du plaisir & de la douleur, peuvent avoir lieu, & nous représenter autour de nous des objets, quoique ceux-ci n'ayent aucune existence réelle. Il n'y auroit donc aucune contradiction à ce que le même ordre des sensations, telles que nous les éprouvons, eût lieu sans qu'il existât aucun autre être ; & de-là naît une très-grande difficulté contre la certitude des jugemens que nous portons sur l'ordre réel des choses, puisque ces jugemens ne sont & ne peuvent être appuyés que sur l'ordre idéal de nos sensations.

Tous les hommes qui n'ont point élevé leur notion de l'existence, au-dessus du degré d'abstraction par lequel nous transportons cette notion des objets immédiatement sentis, aux objets qui ne sont qu'indiqués par leurs effets & rapportés à des distances hors de la portée de nos sens (voyez la premiere partie de cet article), confondent dans leurs jugemens ces deux ordres de choses. Ils croyent voir, ils croyent toucher les corps, & quant à l'idée qu'ils se forment de l'existence des corps invisibles, l'imagination les leur peint revêtus des mêmes qualités sensibles ; car c'est le nom qu'ils donnent à leurs propres sensations, & ils ne manquent pas d'attribuer ainsi ces qualités à tous les êtres. Ces hommes-là quand ils voyent un objet où il n'est pas, croyent que des images fausses & trompeuses ont pris la place de cet objet, & ne s'apperçoivent pas que leur jugement seul est faux. Il faut l'avoüer, la correspondance entre l'ordre des sensations & l'ordre des choses est telle sur la plûpart des objets dont nous sommes environnés, & qui font sur nous les impressions les plus vives & les plus relatives à nos besoins, que l'expérience commune de la vie ne nous fournit aucun secours contre ce faux jugement, & qu'ainsi il devient en quelque sorte naturel & involontaire. On ne doit donc pas être étonné que la plûpart des hommes ne puissent pas imaginer qu'on ait besoin de prouver l'existence des corps. Les philosophes qui ont plus généralisé la notion de l'existence, ont reconnu que leurs jugemens & leurs sensations tomboient sur deux ordres de choses très-différens, & ils ont senti toute la difficulté d'assûrer leurs jugemens sur un fondement solide. Quelques-uns ont tranché le noeud en niant l'existence de tous les objets extérieurs, & en n'admettant d'autre réalité que celle de leurs idées : on les a appellés Egoistes & Idéalistes. Voyez EGOISME & IDEALISME. Quelques-uns se sont contentés de nier l'existence des corps & de l'univers matériel, & on les a nommés Immatérialistes. Ces erreurs sont trop subtiles, pour être fort répandues ; à peine en connoît-on quelques partisans, si ce n'est chez les philosophes Indiens, parmi lesquels on prétend qu'il y a une secte d'Egoistes. C'est le célebre évêque de Cloyne, le docteur Berkeley, connu par un grand nombre d'ouvrages tous remplis d'esprit & d'idées singulieres, qui, par ses dialogues d'Hylas & de Philonoüs, a dans ces derniers tems réveillé l'attention des Métaphysiciens sur ce système oublié. Voyez CORPS. La plûpart ont trouvé plus court de le mépriser que de lui répondre, & cela étoit en effet plus aisé. On essayera dans l'article IMMATERIALISME, de refuter ses raisonnemens, & d'établir l'existence de l'univers matériel : on se bornera dans celui-ci à montrer combien il est nécessaire de lui répondre, & à indiquer le seul genre de preuves dont on puisse se servir pour assûrer non-seulement l'existence des corps, mais encore la réalité de tout ce qui n'est pas compris dans notre sensation actuelle & instantanée.

Quant à la nécessité de donner des preuves de l'existence des corps & de tous les êtres extérieurs ; en disant que l'expérience & le méchanisme connu de nos sens, prouve que la sensation n'est point l'objet, qu'elle peut exister sans aucun objet hors de nous, & que cependant nous ne voyons véritablement que la sensation, l'on croiroit avoir tout dit, si quelques métaphysiciens, même parmi ceux qui ont prétendu refuter Berkeley, n'avoient encore recours à je ne sai qu'elle présence des objets par le moyen des sensations, & à l'inclination qui nous porte involontairement à nous fier là-dessus à nos sens. Mais comment la sensation pourroit-elle être immédiatement & par elle-même un témoignage de la présence des corps, puisqu'elle n'est point le corps, & sur-tout puisque l'expérience nous montre tous les jours des occasions où cette sensation existe sans les corps ? Prenons celui des sens, auquel nous devons le plus grand nombre d'idées, la vûe. Je vois un corps, c'est-à-dire que j'apperçois à une distance quelconque une image colorée de telle ou telle façon ; mais qui ne sait que cette image ne frappe mon ame que parce qu'un faisceau de rayons mûs avec telle ou telle vîtesse est venu frapper ma retine, sous tel ou tel angle ? qu'importe donc de l'objet, pourvû que l'extrémité des rayons, la plus proche de mon organe, soit mûe avec la même vîtesse & dans la même direction ? Qu'importe même du mouvement des rayons, si les filets nerveux qui transmettent la sensation de la retine au sensorium, sont agités des mêmes vibrations que les rayons de lumiere leur auroient communiquées ? Si l'on veut accorder au sens du toucher une confiance plus entiere qu'à celui de la vûe, sur quoi sera fondée cette confiance ? Sur la proximité de l'objet & de l'organe ? Mais ne pourrai-je pas toûjours appliquer ici le même raisonnement que j'ai fait sur la vûe ? N'y a-t-il pas aussi depuis les extrémités des papilles nerveuses, répandues sous l'épiderme, une suite d'ébranlemens qui doit se communiquer au sensorium ? Qui peut nous assûrer que cette suite d'ébranlemens ne peut commencer que par une impression faite sur l'extrémité extérieure du nerf, & non par une impression quelconque qui commence sur le milieu ? En général, dans la méchanique de tous nos sens, il y a toûjours une suite de mouvemens transmis par une suite de corps dans une certaine direction, depuis l'objet qu'on regarde comme la cause de la sensation jusqu'au sensorium, c'est-à-dire jusqu'au dernier organe, au mouvement duquel la sensation est attachée ; or dans cette suite, le mouvement & la direction du point qui touche immédiatement le sensorium, ne suffit-il pas pour nous faire éprouver la sensation, & n'est-il pas indifférent à quel point de la suite le mouvement ait commencé, & suivant quelle direction il ait été transmis ? N'est-ce pas par cette raison, que quelle que soit la courbe décrite dans l'atmosphere par les rayons, la sensation est toûjours rapportée dans la direction de la tangente de cette courbe ? Ne puis-je pas regarder chaque filet nerveux par lequel les ébranlemens parviennent jusqu'au sensorium, comme une espece de rayon ? Chaque point de ce rayon ne peut-il pas recevoir immédiatement un ébranlement pareil à celui qu'il auroit reçû du point qui le précede, & dans ce cas n'éprouverons-nous pas la sensation, sans qu'elle ait été occasionnée par l'objet auquel nous la rapportons ? Qui a pu même nous assûrer que l'ébranlement de nos organes est la seule cause possible de nos sensations ? En connoissons-nous la nature ? Si par un dernier effort on réduit la présence immédiate des objets de nos sensations à notre propre corps, je demanderai en premier lieu, par où notre corps nous est rendu présent ; si ce n'est pas aussi par des sensations rapportées à différens points de l'espace ; & pourquoi ces sensations supposeroient plûtôt l'existence d'un corps distingué d'elles, que les sensations qui nous représentent des arbres, des maisons, &c. & que nous rapportons aussi à différens points de l'espace. Pour moi je n'y vois d'autre différence, sinon que les sensations rapportées à notre corps sont accompagnées de sentimens plus vifs ou de plaisir ou de douleur ; mais je n'imagine pas pourquoi une sensation de douleur supposeroit plus nécessairement un corps malade, qu'une sensation de bleu ne suppose un corps réfléchissant des rayons de lumiere. Je demanderai en second lieu, si les hommes à qui on a coupé des membres, & qui sentent des douleurs très-vives qu'ils rapportent à ces membres retranchés, ont par ces douleurs un sentiment immédiat de la présence du bras ou de la jambe qu'ils n'ont plus. Je ne m'arrêterai pas à réfuter les conséquences qu'on voudroit tirer de l'inclination que nous avons à croire l'existence des corps malgré tous les raisonnemens métaphysiques ; nous avons la même inclination à répandre nos sensations sur la surface des objets extérieurs, & tout le monde sait que l'habitude suffit pour nous rendre les jugemens les plus faux presque naturels. Voyez COULEUR. Concluons qu'aucune sensation ne peut immédiatement, & par elle-même, nous assûrer de l'existence d'aucun corps.

Ne pourrons-nous donc sortir de nous-mêmes & de cette espece de prison, où la nature nous retient enfermés & isolés au milieu de tous les êtres ? Faudra-t-il nous réduire avec les idéalistes à n'admettre d'autre réalité que notre propre sensation ? Nous connoissons un genre de preuves, auquel nous sommes accoûtumés à nous fier ; nous n'en avons même pas d'autre pour nous assûrer de l'existence des objets, qui ne sont pas actuellement présens à nos sens, & sur lesquels cependant nous n'avons aucune espece de doute : c'est l'induction qui se tire des effets pour remonter à la cause. Le témoignage, source de toute certitude historique, & les monumens qui confirment le témoignage, ne sont que des phénomenes qu'on explique par la supposition du fait historique. Dans la Physique, l'ascension du vif-argent dans les tubes par la pression de l'air, le cours des astres, le mouvement diurne de la terre, & son mouvement annuel autour du soleil, la gravitation des corps, sont autant de faits qui ne sont prouvés que par l'accord exact de la supposition qu'on en a faite avec les phénomenes observés. Or, quoique nos sensations ne soient ni ne puissent être des substances existantes hors de nous, quoique les sensations actuelles ne soient ni ne puissent être les sensations passées, elles sont des faits ; & si en remontant de ces faits à leurs causes, on se trouve obligé d'admettre un système d'êtres intelligens ou corporels existans hors de nous, & une suite de sensations antérieures à la sensation actuelle, enchaînées à l'état antérieur du système des êtres existans ; ces deux choses, l'existence des êtres extérieurs & notre existence passée, seront appuyées sur le seul genre de preuves dont elles puissent être susceptibles : car puisque la sensation actuelle est la seule chose immédiatement certaine, tout ce qui n'est pas elle ne peut acquérir d'autre certitude que celle qui remonte de l'effet à sa cause.

Or on peut remonter d'un effet à sa cause de deux manieres : ou le fait dont il s'agit n'a pû être produit que par une seule cause qu'il indique nécessairement, ou qu'on peut démontrer la seule possible par la voie d'exclusion ; & alors la certitude de la cause est précisément égale à celle de l'effet : c'est sur ce principe qu'est fondé ce raisonnement, quelque chose existe : donc de toute éternité il a existé quelque chose ; & tel est le vrai fondement des démonstrations métaphysiques de l'existence de Dieu. Cette même forme de procéder s'employe aussi le plus communément dans une hypothèse avoüée, & d'après des lois connues de la nature : c'est ainsi que les lois de la chûte des graves étant données, la vîtesse acquise d'un corps nous indique démonstrativement la hauteur dont il est tombé. L'autre maniere de remonter des effets connus à la cause inconnue, consiste à deviner la nature précisément comme une énigme, à imaginer successivement une ou plusieurs hypothèses, à les suivre dans leurs conséquences, à les comparer aux circonstances du phénomene, à les essayer sur les faits comme on vérifie un cachet en l'appliquant sur son empreinte : ce sont-là les fondemens de l'art de déchiffrer, ce sont ceux de la critique des faits, ceux de la Physique ; & puisque ni les êtres extérieurs, ni les faits passés n'ont, avec la sensation actuelle, aucune liaison dont la nécessité nous soit démontrée, ce sont aussi les seuls fondemens possibles de toute certitude au sujet de l'existence des êtres extérieurs & de notre existence passée. Je n'entreprendrai point ici de développer comment ce genre de preuves croît en force depuis la vraisemblance jusqu'à la certitude, suivant que les degrés de correspondance augmentent entre la cause supposée & les phénomenes ; ni de prouver qu'elle peut donner à nos jugemens toute l'assûrance que nous desirons : cela doit être exécuté aux articles CERTITUDE & PROBABILITE. A l'égard de l'application de ce genre de preuves à la certitude de la mémoire, & à l'existence des corps, voyez IDENTITE PERSONNELLE, MEMOIRE, & IMMATERIALISME.

EXISTENCE, SUBSISTANCE, (Grammaire) Il ne faut pas confondre ces deux mots : l'existence se donne par la naissance ; la subsistance, par les alimens. Le terme d'exister, dit à ce sujet l'abbé Girard, n'est d'usage que pour exprimer l'évenement de la simple existence : & l'on employe celui de subsister, pour désigner un évenement de durée qui répond à cette existence, ou à cette modification. Exister ne se dit que des substances, & seulement pour en marquer l'être réel : subsister s'applique aux substances & aux modes, mais toûjours avec un rapport à la durée de leur être. On dit de la matiere, de l'esprit, des corps, qu'ils existent. On dit des états, des ouvrages, des affaires, des lois, & de tous les établissemens qui ne sont ni détruits, ni changés, qu'ils subsistent. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EXITERIESadj. pris subst. (Myth.) fêtes que les Grecs célébroient par des sacrifices & des voeux adressés aux dieux, lorsque leurs généraux étoient sur le point de se mettre en marche contre quelque ennemi. Les particuliers avoient aussi leurs exitéries qu'ils fêtoient, lorsqu'ils partoient pour quelque voyage.


EXJIou ECIJA, (Géog. mod.) ville de l'Andalousie, en Espagne ; elle est située sur le Xenil. Long. 13. 23. lat. 37. 22.


EXMOUTH(Géog. mod.) ville de la province de Devon en Angleterre. Long. 14. 20. lat. 50. 35.


EXOCATACELES. m. (Hist. anc.) dans l'antiquité étoit une dénomination générale, sous laquelle on comprenoit plusieurs grands officiers de l'église de Constantinople ; comme le grand-économe, le grand-chapelain, le grand-maître de la chapelle, le gardien de l'argenterie, le grand-garde des archives, le maître de la petite chapelle, & le premier avocat de l'église. Chambers. (G)


EXOCIONITESS. m. pl. nom donné aux Ariens d'un lieu appellé Exocionium, dans lequel ils se retirerent & tinrent leurs assemblées, après que Théodose le grand les eut chassés de Constantinople. (G)


EXODES. m. (Théol. & Hist. sacrée) livre canonique de l'ancien Testament, le second des cinq livres de Moyse. Voyez PENTATEUQUE.

Ce nom, dans son origine greque, signifie à la lettre voyage ou sortie ; & on le donne à ce livre, pour marquer celle des enfans d'Israel hors de l'Egypte sous la conduite de Moyse. Il contient l'histoire de tout ce qui se passa dans le desert, depuis la mort de Joseph jusqu'à la construction du tabernacle, pendant cent quarante ans.

Les Hébreux l'appellent veelle semoth, des premiers mots qui le commencent, & qui signifient en latin haec sunt nomina, suivant leur coûtume de désigner les livres de l'Ecriture, non par des titres généraux qui en désignent le contenu, mais par les premiers mots de chacun de ces livres. Voy. BIBLE. (G)

EXODE, exodium, (Théol.) dans les septante signifie la fin ou la conclusion d'une fête. Voy. FETE.

Ce mot signifioit proprement le huitieme jour de la fête des tabernacles, qu'on célébroit principalement en mémoire de l'exode ou de la sortie d'Egypte, & du séjour des Israélites dans le desert.

EXODE, s. f. (Littérat.) en latin exodia ; poëme plus ou moins châtié, accompagné de chants & de danses, & porté sur le théatre de Rome pour servir de divertissement après la tragédie.

Les plaisanteries grossieres s'étant changées en art sur le théatre des Romains, on joüa l'Atellane, comme on joue aujourd'hui parmi nous la piece comique à la suite de la piece sérieuse. Le mot exode, exodia, signifie issues. Ce nom lui fut donné à l'imitation des Grecs, qui nommoient exodion le dernier chant après la piece finie. L'auteur étoit appellé exodiarius, l'exodiaire. Il entroit sur le théatre à la fin des pieces sérieuses, pour dissiper la tristesse & les larmes qu'excitent les passions de la tragédie, & il joüoit cependant la piece comique avec le même masque & les mêmes habits qu'il avoit eus dans la piece sérieuse.

Mais ce qui caractérisoit particulierement l'exode étoit la licence & la liberté qu'on avoit dans cette piece d'y joüer sous le masque, jusqu'aux empereurs mêmes. Cette liberté qui permettoit de tout dire dans les bacchanales, cette liberté qui existoit dans toutes les fêtes & dans tous les jeux, cette liberté que les soldats prenoient dans les triomphes de leurs généraux, enfin cette liberté qui avoit régné dans l'ancienne comédie greque, se trouvoit ainsi dans les exodes ; non-seulement les exodiaires y contrefaisoient ce qu'il y avoit de plus grave, & le tournoient en ridicule, mais ils y représentoient hardiment les vices, les débauches, & les crimes des empereurs, sans que ceux-ci osassent ni les empêcher, ni les punir.

Ils jugerent apparemment qu'il étoit de la bonne politique de laisser ce foible dédommagement à un peuple belliqueux, prêt à secouer le joug à la premiere occasion, & d'ailleurs à un peuple fier & actif, qui depuis peu de tems avoit perdu l'empire, & qui n'avoit plus ni de magistrats à nommer, ni de tribuns à écouter. Sylla, homme emporté, mena violemment les Romains à la liberté ; Auguste rusé tyran, les conduisit doucement à la servitude : pendant que sous Sylla la république reprenoit des forces, tout le monde crioit à la tyrannie ; & pendant que sous Auguste la tyrannie se fortifioit par les jeux du cirque & les spectacles, on ne parloit que de liberté.

On connoît les débauches de Tibere, & on sait le malheur d'une dame de condition appellée Mallonia, qui accusée d'adultere par l'ordre de ce prince, parce qu'elle n'avoit pas voulu répondre à ses infamies, s'ôta la vie d'elle-même après lui avoir reproché son impureté, Obscoenitate ori hirsuto atque olido seni clare exprobatâ : ce reproche ne manqua pas d'être relevé dans l'exode qui fut chantée à la fin d'une piece atellane. On entendit avec plaisir l'exodiaire s'arrêter & peser long-tems sur ce bon mot, hircum vetulum Capreis naturam ligurire ; bon mot qui se répandit dans tout Rome, & qui fut appliqué généralement à l'empereur. Suétone, vie de Tibere, chap. xlv.

On sait que Néron, entr'autres crimes, avoit empoisonné son pere, & fait noyer sa mere ; le comédien Datus chanta en grec, à la fin d'une piece atellane, adieu mon pere, adieu ma mere ; mais en chantant adieu mon pere, il représenta par ses gestes une personne qui boit ; & en chantant adieu ma mere, il imita une personne qui se débat dans l'eau, & qui se noye ; & ensuite il ajoûta, Pluton vous conduit à la mort, en représentant aussi par ses gestes le sénat que ce prince avoit menacé d'exterminer. Suet. vie de Néron, ch. xxxjx. Voyez ATELLANES.

Dans ces sortes d'exodes ou de satyres, on inséroit encore souvent des couplets de chansons répandus dans le public, dont on faisoit une nouvelle application aux circonstances du tems. L'acteur commençoit les premiers vers du vaudeville connu, & tous les spectateurs en chantoient la suite sur le même ton. L'empereur Galba étant entré dans Rome, où son arrivée ne plaisoit point au peuple, l'exodiaire entonna la chanson qui étoit connue, venit io simus à villâ, le camard vient des champs : alors tout le monde chanta la suite, & se fit un plaisir de la répéter avec des acclamations toûjours nouvelles. Suétone, vie de Galba.

Quelquefois on redemandoit dans une seconde représentation l'exode qui avoit déjà été chantée, & on la faisoit rejoüer, sur-tout dans les provinces, où l'on n'en pouvoit pas toûjours avoir de nouvelles. C'est ce qui fait dire à Juvenal :

.... Tandemque redit ad pulpita notum

Exodium. Sat. iij. . 174.

Les exodes se joüerent à Rome plus de 550 ans, sans avoir souffert qu'une legere interruption de quelques années ; & quoique sous le regne d'Auguste elles déplussent aux gens de bon goût, parce qu'elles portoient toûjours des marques de la grossiereté de leur origine, cependant elles durerent encore long-tems après le siecle de cet empereur. Enfin elles ont ressuscité à plusieurs égards parmi nous : car quel autre nom peut-on donner à cette espece de farce, que nous appellons comédie italienne, & dans quel genre d'ouvrage d'esprit peut-on placer des pieces où l'on se moque de toutes les regles du théatre ? des pieces où dans le noeud & dans le dénoüement, on semble vouloir éviter la vraisemblance ? des pieces où l'on ne se propose d'autre but que d'exciter à rire par des traits d'une imagination bizarre ? des pieces encore où l'on ose avilir, par une imitation burlesque, l'action noble & touchante d'un sujet dramatique ? Qu'on ne dise point, pour la défense de cette Thalie barbouillée, qu'on l'a vû plaire au public autant que les meilleures pieces de Racine & de Moliere : je répondrois que c'est à un public mal composé, & que même dans ce public il y a quantité de personnes qui connoissent très-bien le peu de valeur de ce comique des halles ; en effet, quand la conjoncture ou la mode qui l'a fait naître sont passés, les comédiens ne font plus reparoître cette même farce, qui leur avoit attiré tant de concours & d'applaudissemens. Voyez FARCE & PARODIE. Article de M(D.J.)

EXODE signifioit aussi une ode, hymne, ou cantique, par lequel on terminoit chez les anciens une fête, ou un repas. (G)


EXODIAIRES. m. (Littér.) dans l'ancienne tragédie romaine, étoit un bouffon ou farceur qui paroissoit sur le théatre quand la tragédie étoit finie, & formoit ce qu'on appelloit l'exodium, ou la conclusion du spectacle, pour divertir les spectateurs. Voyez EXODE. (G)


EXOINE(Jurisprud.) signifie excuse de celui qui ne comparoît pas en personne en justice, quoiqu'il fût obligé de le faire.

Quelques-uns tirent l'étymologie de ce terme de sunnis, qui dans les capitulaires signifie empêchement, d'où l'on a fait sonniare, & ensuite exoniare, pour dire, tirer d'embarras ; d'autres font venir exoine d'un autre mot barbare, exidoniare, quasi non esse idoneum se adfirmare : ne pourroit-on pas sans tirer les choses de si loin, le faire venir d'exonerare, parce que l'exoine tend à la décharge de l'absent ?

Il est parlé d'essoine ou exoine, ce qui est la même chose, dans les établissemens de S. Louis, ch. jx. On y voit qu'alors l'essoine étoit pour le défendeur ce que le contremant étoit pour le demandeur qui demandoit lui-même la remise. Voyez aussi Beaumanoir, ch. iij. & l'auteur du grand coûtumier, livre III. chapitre vij.

L'exoine a lieu quand celui qui devoit comparoître en personne devant le juge, ne peut pas y venir pour cause de maladie, blessure, ou autre empêchement légitime, tel que la difficulté des chemins lorsqu'ils sont impraticables, ou lorsque la communication est interrompue par une inondation, par la guerre, par la contagion, &c. Dans tous ces cas celui qui veut se servir de l'exoine doit donner procuration spéciale devant notaire à une personne qui vient proposer son exoine, & qui affirme pour lui qu'il ne peut pas venir. La procuration doit contenir le nom de la ville, bourg ou village, paroisse, rue & maison où l'exoiné est retenu. Si c'est pour cause de maladie, il faut rapporter un certificat d'un medecin d'une faculté approuvée, qui doit déclarée la qualité de la maladie ou blessure, & que l'exoiné ne peut se mettre en chemin sans péril de la vie ; & la vérité de ce certificat doit être attestée par serment du medecin devant le juge du lieu, dont il sera dressé procès-verbal qui sera joint à la procuration.

On donne quelquefois le nom d'exoine aux certificats & pieces qui contiennent l'exoine ou excuse ; ces pieces doivent être communiquées au ministere public & à la partie civile, s'il y en a une, & on permet aux uns & aux autres d'informer de la vérité de l'exoine.

On peut proposer son exoine en matiere civile, comme en matiere criminelle.

Celui qui propose l'exoine n'est pas obligé de donner caution de représenter l'exoiné, ni d'affirmer qu'il est venu exprès pour proposer l'exoine. L'effet de l'exoine, quand il est jugé valable, est que l'absent est dispensé de comparoître tant que la cause de l'exoine subsiste ; mais dès qu'elle cesse, il doit se représenter. Voyez le titre ij, de l'ordonnance criminelle. (A)


EXOINER(Jurisprud.) signifie excuser ou proposer l'excuse de quelqu'un qui ne comparoît pas en personne en justice comme il étoit obligé de le faire. Ce terme paroît venir du latin exonerare, décharger. Voyez ci-dessus EXOINE. (A)


EXOINEUR(Jurisprud.) est celui qui est porteur de l'excuse d'un autre, ou qui propose son excuse au sujet de ce qu'il ne paroît pas en personne en justice. Voyez ci-dessus EXOINE & EXOINER. (A)


EXOLICETUS(hist. nat.) on la nomme aussi hexecantholithus, pierre fort petite qui se trouvoit, dit-on, en Lybie, au pays des Troglodites, dans laquelle on distinguoit 40 couleurs. Voyez Plinii hist. nat. lib. XXXVII. chap. x.


EXOMIDES. f. (hist. anc.) vêtement des Grecs, qui leur serroit étroitement le corps, & leur laissoit les épaules découvertes. Les esclaves, les domestiques, & le petit peuple porterent l'exomide chez les Romains ; ils y ajoûterent seulement un manteau : il fut aussi à l'usage du théatre. A Lacédémone, les hommes s'en couvrirent, les femmes ailleurs. Il seroit difficile parmi nos vêtemens d'aujourd'hui d'en trouver un qu'on pût comparer à l'exomide. Voyez ENDROMIS.


EXOMOLOGESES. f. (Théolog. & hist. eccl.) confession ; mot dérivé du grec. Ce terme est fort usité dans l'histoire ecclésiastique des premiers siecles ; mais il paroît employé en différens sens dans les écrits des peres. Quelquefois il se prend pour toute la pénitence publique, tous les exercices & les épreuves par lesquelles on faisoit passer les pénitens jusqu'à la réconciliation que leur accordoit l'Eglise. C'est en ce sens que Tertullien dit lib. de Poenit. ch. jx. Exomologesis prosternendi & humilificandi hominis disciplina est... de ipso quoque habitu atque victu mandat, sacco & cineri incubare, corpus sordibus obscurare, animum moeroribus dejicere. Et les Grecs ont donné souvent ce nom à toute la pénitence.

Les occidentaux l'ont restraint plus particulierement à la partie de ce sacrement qu'on nomme confession. Ainsi S. Cyprien dans son épître aux prêtres & aux diacres, se plaignant qu'on reçoit trop facilement ceux qui sont tombés pendant la persécution, & que sans pénitence, ni exomologese, ni imposition des mains, on leur donne l'eucharistie ; S. Cyprien, dis-je, prend le mot d'exomologese, non pour toute la pénitence comme Tertullien, mais pour une partie, c'est-à-dire suivant la signification du mot grec, pour une confession qui pouvoit se faire après avoir achevé la pénitence avant que de recevoir l'imposition des mains : mais on ne sait si cette confession étoit secrette ou publique. Fleury, hist. ecclés. tom. II. liv. VI. tit. xlij. Voyez CONFESSION.

Il paroît cependant que l'Eglise n'a jamais exigé de confession publique pour les fautes cachées, comme on le voit par les capitulaires de Charlemagne, & par les canons de divers conciles. (G)


EXOMPHALES. f. terme de Chirurgie, est un nom général qui comprend toutes les especes de descentes ou de tumeurs qui surviennent au nombril par le déplacement des parties solides qui sont renfermées dans la capacité du bas-ventre. Ainsi les auteurs ont mis mal-à-propos au nombre des hernies de l'ombilic des tumeurs humorales qui n'ont point de caractere particulier pour être situées en cette partie. L'hydromphale est une tumeur aqueuse à l'ombilic, qui ne présente pas d'autre indication que l'oedeme dont il est une espece. Voyez OEDEME. Nous en dirons autant du pneumatomphale ou tumeur venteuse de l'ombilic. Voyez EMPHYSEME du varicomphale. Voyez VARICE, &c.

Les parties internes qui forment une tumeur extérieure après avoir passé par l'anneau de l'ombilic, sont l'intestin & l'épiploon. Si l'intestin sort seul, c'est un enteromphale ; l'épiploon seul forme l'épiplomphale ; & la tumeur formée par l'épiploon & par l'intestin conjointement, se nomme entéro-épiplomphale.

Cette maladie ne differe des autres hernies que par sa situation ; elle a les mêmes indications ; elle produit les mêmes symptomes ; elle est susceptible des mêmes accidens : nous en parlerons au mot HERNIE.

La réduction des parties qui forment cette hernie, est l'intention principale qu'on doit se proposer dans son traitement. Voyez REDUCTION.

Lorsque les parties sont réduites, il faut les contenir avec un bandage convenable. Voyez BRAYER.

On se sert pour maintenir les parties réduites dans la hernie ombilicale, d'un fil de fer ou de laiton assez fort, contourné comme on le voit fig. 3. Planche VI. de Chirurgie. On le garnit de bourre, & on le revêt de futaine ou de chamois : on employe plus communément le brayer, figure 7. Chirurg. Planche XXIX.

On voit dans le second volume des mémoires de l'académie royale de Chirurgie un bandage méchanique pour l'exomphale. M. Suret qui en est l'auteur, a placé dans la pelote du bandage des ressorts, au moyen desquels le ventre est toûjours également comprimé dans ses différens mouvemens. Ce bandage a été trouvé très-utile & fort ingénieux : la méchanique en est empruntée de l'horlogerie. M. Suret est toûjours fort louable d'en avoir fait l'application à son bandage. (Y)

EXOMPHALE, (Manege, Maréch.) ce n'est point par la simple connoissance que j'ai acquis de la disposition & de l'arrangement des parties contenues dans la cavité abdominale du cheval, & conséquemment à l'analogie, que je prétens que la hernie dont il s'agit, peut avoir lieu dans l'animal : j'en ai vû qui en étoient réellement attaqués, & il seroit assez inutile d'entreprendre de démontrer par des raisonnemens la certitude & la possibilité d'un fait dont d'autres yeux que les miens peuvent avoir été témoins. Il ne seroit pas moins superflu de détailler les moyens de remédier à cette maladie, en quelque façon incurable, soit que l'on envisage les différens efforts auxquels tout cheval utile est exposé, soit que l'on considere les embarras qu'occasionneroient & la nécessité d'opérer la rentrée de l'intestin, car l'animal n'est pas susceptible de l'épiplomphale, & l'importance de maintenir cet intestin rentré, par le secours d'un bandage qu'on ne parviendroit jamais à assujettir parfaitement. Cette hernie se manifeste par une tumeur circonscrite, & plus ou moins considérable, mais toûjours sensible & douloureuse au tact & à la compression ; elle a son siége à l'endroit de l'anneau ombilical. Il est étonnant qu'aucun auteur n'en ait fait mention ; ceux qu'un défaut aussi essentiel a trompés, seroient sans-doute en droit de leur reprocher leur silence. (e)


EXOPHTHALMIES. f. (Med.) maladie particuliere des yeux.

Ce mot grec qui est expressif, & que je suis obligé d'employer, signifie sortie de l'oeil hors de son orbite ; mais il ne s'agit pas de ces yeux gros & élevés qui se rencontrent naturellement dans quelques personnes, ni de cette espece de forjettement de l'oeil, qui arrive à la suite de la paralysie de ses muscles, ni enfin de ces yeux éminens & saillans, rendus tels par les efforts d'une difficulté de respirer, d'un tenesme, d'un vomissement, d'un accouchement laborieux, & par toutes autres causes, qui interceptant en quelque maniere la circulation du sang, le retiennent quelque tems dans les veines des parties supérieures.

Nous entendons ici par exophthalmie (& d'après Maitrejan, qui en a seul bien parlé) la grosseur & éminence contre nature du globe de l'oeil, qui s'avance quelquefois hors de l'orbite, sans pouvoir être recouvert des paupieres, & qui est accompagnée de violentes douleurs de l'oeil & de la tête, de fievre, & d'insomnie, avec inflammation aux parties extérieures & intérieures de l'oeil. Cette triste & cruelle maladie demande quelques détails.

Elle est causée par un promt dépôt d'une humeur chaude, âcre, & visqueuse, qui abreuvant le corps vitré, l'humeur aqueuse, & toutes les autres parties intérieures du globe, les altere, & souvent les détruit. La chaleur & l'acrimonie de cette humeur se manifestent par l'inflammation intérieure de toutes les parties de l'oeil, & par la douleur qui en résulte. Son abondance ou sa viscosité se font connoître par la grosseur & l'éminence du globe de l'oeil, qui n'est rendu tel que par le séjour & le défaut de circulation de cette humeur.

Il paroît que le corps vitré est augmenté outre mesure par l'extrème dilatation de la prunelle, que l'on remarque toûjours dans cette maladie. Il paroît aussi, que l'humeur aqueuse est semblablement augmentée, par la profondeur ou l'éloignement de l'uvée, & par l'éminence de la cornée transparente.

Le globe de l'oeil ne peut grossir extraordinairement, & s'avancer hors de l'orbite, sans que le nerf optique, les muscles de l'oeil, & toutes ses membranes, ne soient violemment distendus. Voilà d'où vient l'inflammation de tout le globe de l'oeil, la violente douleur qu'éprouve le malade, la fievre, l'insomnie, &c.

L'exophthalmie fait quelquefois des progrès très-rapides ; & quand elle est parvenue à son dernier période, elle y demeure long-tems. Ses effets sont, que l'oeil revient rarement dans sa grosseur naturelle, que la vûe se perd ou diminue considérablement.

Soit que cette maladie soit produite par fluxion, ou par congestion, si le malade continue de sentir des élancemens de douleurs terribles, sans intervalle de repos, l'inflammation croît au-dedans & au-dehors, les membranes qui forment le blanc de l'oeil, se tuméfient extraordinairement, les paupieres se renversent, le flux de larmes chaudes & âcres succede, & finalement l'oeil se brouille ; ce qui est un signe avant-coureur de la suppuration des parties internes, & de leur destruction.

Après la suppuration faite, la cornée transparente s'ulcere, & les humeurs qui ont suppuré au-dedans du globe, s'écoulent. Alors les douleurs commencent à diminuer, & l'oeil continue de suppurer, jusqu'à ce que toutes les parties altérées soient mondifiées ; ensuite il diminue au-delà de sa grosseur naturelle, & enfin il finit par se cicatriser.

Il arrive souvent que l'humeur qui cause cette maladie, ne vient pas à suppurer, mais s'atténue, se résout insensiblement, & reprend le chemin de la circulation ; dans ce cas, la douleur & les autres accidens se calment, l'oeil se remet quelquefois dans sa grosseur naturelle, ou ce qui est ordinaire, demeure plus petit. La vûe cependant se perd presque toûjours, parce que le globe de l'oeil ne peut s'étendre si violemment, sans que ses parties intérieures ne souffrent une altération qui change leur organisation, sans que le corps vitré ne se détruise, & sans que le crystallin ne se corrompe, de même que dans les cataractes purulentes.

Le traitement de l'exophthalmie demande les remedes propres à vuider la plénitude, à détourner l'humeur de la partie malade, à adoucir & à corriger cette humeur viciée. Ainsi la saignée du bras doit être répetée suivant la grandeur du mal & les forces du malade : on ouvre ensuite la jugulaire & l'artere des temples du même côté ; on applique des vésiccatoires devant ou derriere les oreilles ; on fait un cautere au-derriere de la tête, ou on y passe un séton. Les émolliens, adoucissans & rafraîchissans sont nécessaires pendant tout le cours de la maladie ; mais tous ces remedes généraux doivent être administrés avec ordre & avec prudence.

Il ne faut pas non plus négliger les topiques convenables, les renouveller souvent, & les appliquer tiedes, soit pour relâcher la peau, soit pour tempérer l'inflammation extérieure de l'oeil, car ils ne servent de rien pour l'inflammation intérieure.

Lorsque le mal est sur son déclin, ce qu'on connoît par la diminution de l'inflammation & de la douleur, on se sert alors des topiques résolutifs, c'est-à-dire de ceux qui, par leurs parties subtiles, volatiles & balsamiques, échauffent doucement l'oeil, atténuent & subtilisent les humeurs, & les disposent à reprendre le chemin de la circulation. C'est aussi sur le déclin de la maladie, & quand la fievre est appaisée, qu'on doit commencer à purger le malade par intervalles & à petites doses, en employant en même tems les décoctions de sarsepareille & de squine.

Si dans le cours du mal on s'apperçoit que les accidens ne cedent point aux remedes, & que l'oeil se dispose à suppurer, on doit se servir de topiques en forme de cataplasme, pour avancer davantage la suppuration : on les appliquera chaudement sur l'oeil malade, & on les renouvellera trois ou quatre fois le jour.

Quand le pus est formé, & même quelquefois avant qu'il le soit entierement, on épargnera de cruelles douleurs au malade, en ouvrant l'oeil avec la lancette, en perçant avec art la cornée le plus bas qu'il est possible, & dans le lieu le plus propre à procurer l'écoulement des humeurs purulentes.

A mesure que le globe se vuide, il se flétrit, & les douleurs diminuent à proportion que les parties altérées se mondifient : on panse ensuite l'oeil avec les collyres détersifs & mondifians, jusqu'à ce que l'ouverture soit disposée à se cicatriser ; alors on se sert de dessicatifs, & l'on pourvoit à l'excroissance de chair, qui survient quelquefois après l'ouverture ou après l'ulcération de la cornée. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EXORBITANTadj. (Gramm.) terme qui n'est guere relatif qu'à la quantité numérique : c'est l'excessif de cette quantité. Ainsi on dit : il exige de moi une somme exorbitante. Voyez EXCES.


EXORCISMES. m. (Théol. & Hist. eccles.) priere ou conjuration dont on se sert pour exorciser, c'est-à-dire chasser les démons des corps des personnes qui en sont possédées, ou pour les préserver du danger. Voyez DEMON.

Ce mot est tiré d'un mot grec qui signifie adjurare, conjurare, conjurer. Dans la plûpart des dictionnaires on fait exorcisme & conjuration synonymes ; cependant la conjuration n'est proprement qu'une partie de l'exorcisme, & l'exorcisme est la cérémonie entiere, la conjuration n'étant que la formule par laquelle on ordonne au démon de sortir.

Les exorcismes sont en usage dans l'église romaine ; on en peut distinguer d'ordinaires, qui ont lieu dans les cérémonies du baptême & dans la bénédiction de l'eau qui se fait tous les dimanches ; & d'extraordinaires qu'on fait sur les démoniaques, contre les maladies, les insectes, les orages, &c.

Si l'on en croit l'historien Josephe, Salomon avoit composé des charmes & des exorcismes très-puissans contre les maladies ; mais le silence de l'Ecriture sur cet article, a plus de poids que l'autorité de Josephe. Ce qu'il y a de certain, c'est que l'usage des exorcismes est aussi ancien que l'Eglise, Jesus-Christ même, ses apôtres & ses disciples, & depuis les évêques, les prêtres & les exorcistes, l'ont pratiqué dans tous les siecles. M. Thiers, dans son traité des superstitions, rapporte différentes formules de ces exorcismes, & cite en particulier l'exemple de S. Grat, qui par le moyen des exorcismes, obtint de Dieu qu'il n'y auroit plus de rats dans le pays d'Aost, ni à trois milles à la ronde. Le même auteur pense qu'on peut encore aujourd'hui se servir des exorcismes pour une bonne fin, contre les rats, les souris, les chenilles, les sauterelles, le tonnerre, &c. mais il assûre que pour cela il faut avoir le caractere requis & approuvé par l'Eglise ; se servir des mots & des prieres qu'elle autorise, sans quoi ces exorcismes sont des abus & des superstitions.

Dans les tems où les épreuves avoient lieu, les exorcismes y entroient pour quelque chose, on exorcisoit l'eau froide ou bouillante, le fer chaud, le pain, &c. avec lesquels devoit se faire l'épreuve. Ces pratiques étoient fréquentes en Angleterre du tems d'Edoüard III. le pain ainsi exorcisé se nommoit corsned. Lendinbrock rapporte des exemples d'exorcismes avec le pain d'orge, d'autres avec le pain & le fromage qu'on faisoit avaler à l'accusé tenu de se justifier. On croit que c'est de-là qu'est venue cette imprécation populaire : que ce morceau m'étrangle, si je ne dis pas la vérité. Voyez ÉPREUVE, ORDALIE, &c. Dictionn. de Trévoux & Chambers.

On trouve aussi dans Delrio, disquisit. magic. les formules des exorcismes usités en pareil cas. (G)

EXORCISME MAGIQUE, (Divinat.) formule dont se servent les magiciens ou sorciers pour conjurer, c'est-à-dire attirer ou chasser les esprits avec lesquels ils prétendent avoir commerce.

Nous tirerons tout ce qu'on va lire sur cette matiere du mémoire de M. Blanchard de l'académie des Belles-Lettres, concernant les exorcismes magiques, & qu'on trouve dans le XII. vol. des mémoires de cette académie.

" Agrippa, dit cet académicien, rapporte trois manieres de conjurer les esprits ; la premiere naturelle, qui se fait par le moyen des mixtes avec lesquels ils ont de la sympathie ; la seconde qui est céleste, se fait par le moyen des corps célestes, dont on employe la vertu pour attirer ou pour chasser les esprits ; la troisieme qui est divine & la plus forte, se fait par le moyen des noms divins & des cérémonies sacrées : cette derniere conjuration ne lie pas seulement les esprits, mais aussi toutes sortes de créatures, les déluges, les tempêtes, les incendies, les serpens, les maladies épidémiques, &c.

Il y a outre cela des fumigations propres pour attirer les esprits, & il y en a d'autres pour les chasser ; il faut savoir les mêler & s'en servir à-propos. Les anciens magiciens ont crû que l'homme en vertu des sacremens qui lui sont propres, peut commander aux esprits, & les contraindre de lui obéir ; parce qu'en usant de ces instrumens sacrés, il tient la place des dieux, & est en quelque sorte élevé à leur ordre. Comme ces instrumens sacrés viennent des dieux qui les donnent aux hommes, il ne faut pas s'étonner s'ils ont une vertu qui les éleve au-dessus des esprits. Le livret intitulé, enchiridion Leonis papae, a servi à gâter les esprits, quoiqu'il n'y ait rien que de bon, dit M. Blanchard, dans les oraisons qu'il contient ; mais la grande quantité de croix dont il est plein, marque de la superstition ".

L'auteur ajoûte qu'il a lû dans cet ouvrage une conjuration pour se mettre à couvert de toutes les armes offensives, qui lui paroît illicite, parce qu'elle confond témérairement les noms adorables de Dieu, & les instrumens sacrés de la passion de Jesus-Christ, avec les noms des saints & les instrumens de leur martyre.... On trouve dans le même livret des paroles attribuées à Adam, lorsqu'il descendit aux lymbes, & l'on prétend que tout homme qui les porte écrites sur lui, n'a rien à craindre dans quelque danger qu'il se trouve ; on assûre même qu'en les mettant sur un boeuf ou sur un mouton, le boucher ne pourra les tuer.

Parmi les croix qui doivent accompagner les exorcismes magiques, il doit y en avoir de rouges, faites avec du sang de l'index ou du pouce, à certains tems de la Lune, à certaines heures de la nuit, à des jours marqués ; d'autres noires avec du charbon beni : toutes pratiques superstitieuses & condamnables. Il en est de même de la verveine, & de l'usage de la cueillir, en se tournant du côté de l'orient, en appuyant la main gauche sur l'herbe, en prononçant certaines paroles. Les cercles sont encore d'un grand usage dans toutes ces opérations : on les trace avec de la craie exorcisée : ils sont employés pour renfermer les esprits, afin qu'ils ne nuisent ni à l'opérateur, ni aux assistans. Tout le monde sait l'analogie de la figure circulaire avec l'unité qui est le symbole parfait de Dieu. La différence de ces cercles consiste dans les noms & les figures qui y sont ou différentes, ou indifféremment placées, & ce changement a ses raisons dans les proportions numériques.

On ne rapportera de tous ces exorcismes, que celui qui se fait sur le livre magique ; piece suffisante pour faire juger que ces extravagances sont l'ouvrage de quelques théologiens ignorans & impies. En voici la formule :

" Je vous conjure tous, & je vous commande à tous tant que vous êtes d'esprits, de recevoir ce livre qui vous est dédié, afin qu'autant de fois qu'on le lira, vous ayez à paroître sans délai, & en forme humaine douce & agréable, à ceux qui liront ce livre, en telle façon qu'il leur plaira, soit en général, soit en particulier, c'est-à-dire un ou plusieurs, au desir du lecteur, sans nuire ni faire aucun mal à qui que ce soit de la compagnie, ni au corps, ni à l'ame, ni à moi qui le commande ; qu'aussi-tôt que la lecture en sera faite, vous ayez à comparoître, ou plusieurs, ou un en particulier, au choix de l'exorcisant, sans bruit, sans éclat, rupture, tonnerre ni scandale, sans illusion, mensonge ou fascination : je vous en conjure par tous les noms de Dieu qui sont écrits dans ce livre. Que si celui ou ceux qui seront appellés, ne peuvent apparoître, ils seront tenus d'en envoyer d'autres, qui diront leur nom, & pourront faire leur même fonction & exercer leur pouvoir, & qui feront un serment solemnel & inviolable d'obéir aux ordres du lecteur incontinent & aussi-tôt qu'il voudra, sans qu'il ait besoin d'autre secours, aide, ou force, & autorité. Venez donc au nom de toute la cour céleste, & obéissez au nom du pere, du fils, & du saint-esprit. Ainsi soit-il. Levez-vous, & venez par la vertu de votre roi, & par les sept couronnes de vos rois, & par les chaînes sulphurées, sous lesquelles tous les esprits & démons sont arrêtés dans les enfers. Venez, & hâtez-vous de venir devant ce cercle, pour répondre à mes volontés, faire & accomplir tout ce que je desire. Venez donc, tant de l'orient que de l'occident, du midi & du septentrion, & de quelque part que vous soyez. Je vous en conjure par la vertu & par la puissance de celui qui est trois & un, qui est éternel & co égal, qui est un Dieu invisible, consubstanciel, qui a créé le ciel, la terre & la mer, & tout ce qu'ils contiennent, par sa parole ".

L'opinion commune, est que les exorcismes & les conjurations magiques sont conçûes en des termes barbares & inintelligibles ; celui-ci n'est pas du nombre, on n'y voit que trop clairement le mêlange des objets les plus respectables de notre religion avec les extravagances, pour ne rien dire de plus, de ces visionnaires. On attribue celui-ci à Arnaud de Villeneuve : seulement pour en entendre les dernieres paroles, il est bon de savoir que les magiciens faisoient présider quatre de ces esprits aux quatre parties du monde ; c'étoient comme les empereurs de l'univers. Celui qui présidoit à l'orient étoit nommé Lucifer, celui de l'occident Astharoth, celui du midi Leviathan, & celui du septentrion Amaimon, & il y avoit pour chacun d'eux des exorcismes particuliers & un exorcisme général, que M. Blanchard n'a pas jugé à-propos de rapporter.

Comme les esprits ne sont pas toûjours d'humeur à obéir, & sont rebelles aux ordres, on a tiré de la cabale un exorcisme plus absurde que tous les autres, qui donne des charges & des dignités aux démons ; qui les menace de les dépouiller de leurs emplois, & de les précipiter au fond des enfers, comme s'ils avoient une autre demeure. Il faut observer que, selon les magiciens, le pouvoir de chacun de ces esprits est borné ; qu'il seroit inutile de l'invoquer pour une chose qui ne seroit pas de sa portée ; & qu'il faut donner à chacun pour sa peine, une récompense qui lui soit agréable : par exemple, Lucifer qu'on évoque le lundi dans un cercle, au milieu duquel est son nom, se contente d'une souris ; Nembroth reçoit la pierre qu'on lui jette le mardi ; Astharoth est appellé le mercredi, pour procurer l'amitié des grands, & ainsi de suite.

Au reste ces exorcismes des magiciens modernes sont tous accompagnés de profanations des noms de Dieu & de J. C. excès que n'ont pas même connu les payens, qui dans leurs conjurations magiques n'abusoient pas des noms de la divinité, ni des mysteres de leur religion. Mém. de l'acad. des Inscript. tome XII. pag. 51. & suiv. (G)


EXORCISTES. m. (Théolog.) dans l'Eglise romaine, c'est un clerc tonsuré qui a reçû les quatre ordres mineurs, dont celui d'exorciste fait partie.

On donne aussi ce nom à l'évêque, ou au prêtre délégué par l'évêque, tandis qu'il est occupé à exorciser une personne possédée du démon. Voy. EXORCISME.

Les Grecs ne considéroient pas les exorcistes comme étant dans les ordres, mais simplement comme des ministres. S. Jerôme ne les met pas non plus au nombre des sept ordres. Cependant le pere Goar, dans ses notes sur l'euchologe, prétend prouver par divers passages de saint Denys & de saint Ignace martyr, que les Grecs ont reconnu cet ordre. Dans l'église latine, les exorcistes se trouvent au nombre des ordres mineurs après les acolythes : & la cérémonie de leur ordination est marquée, tant dans le jv. concile de Carthage, can. 7. que dans les anciens rituels. Ils recevoient le livre des exorcismes de la main de l'évêque, qui leur disoit en même tems : Recevez ce livre, l'apprenez par mémoire, & ayez le pouvoir d'imposer les mains aux énergumenes, soit baptisés, soit catéchumenes : formule qui est toûjours en usage.

M. Fleury parle d'une espece de gens chez les Juifs, qui couroient le pays, faisant profession de chasser les démons par des conjurations qu'ils attribuoient à Salomon : on leur donnoit aussi le nom d'exorcistes. Il en est fait mention dans l'évangile, dans les actes des apôtres, & dans Josephe. S. Justin martyr, dans son dialogue contre Tryphon, reproche aux Juifs que leurs exorcistes se servoient, comme les gentils, de pratiques superstitieuses dans leurs exorcismes, employant des parfums & des ligatures : ce qui fait voir qu'il y avoit aussi parmi les payens des gens qui se mêloient d'exorciser les démoniaques. Lucien en touche quelque chose.

Dans l'église catholique il n'y a plus que des prêtres qui fassent la fonction d'exorcistes, encore ce n'est que par commission particuliere de l'évêque. Cela vient, dit M. Fleury, de qui nous empruntons ceci, de ce qu'il est rare qu'il y ait des possédés, & qu'il se commet quelquefois des impostures, sous prétexte de possession du démon ; ainsi il est nécessaire de les examiner avec beaucoup de prudence. Dans les premiers tems, les possessions étoient fréquentes, sur-tout entre les payens ; & pour marquer un plus grand mépris de la puissance des démons, on donnoit la charge de les chasser à un des plus bas ministres de l'église : c'étoit eux aussi qui exorcisoient les catéchumenes. Leurs fonctions, suivant le pontifical, sont d'avertir le peuple, que ceux qui ne communioient point, fissent place aux autres ; de verser l'eau pour le ministere ; d'imposer les mains sur les possédés. Il leur attribue même la grace de guérir les maladies. Institution au droit eccles. tom. I. chap. vj. pag. 62. (G)


EXORDEexordium, s. m. (Belles-Lettres) premiere partie du discours, qui sert à préparer l'auditoire & à l'instruire de l'état de la question, ou du moins à la lui faire envisager en général.

Ce mot est formé du latin ordiri, commencer, par une métaphore tirée des Tisserands, dont on dit, ordiri telam, c'est-à-dire commencer la toile en la mettant sur le métier, & disposant la chaîne de maniere à pouvoir la travailler.

L'exorde dans l'art oratoire, est ce qu'on nomme dans une piece de théatre prologue, en musique prélude, & dans un traité dialectique préface, avant-propos, en latin proemium.

Cicéron définit l'exorde une partie du discours, dans laquelle on prépare doucement l'esprit des auditeurs aux choses qu'on doit leur annoncer par la suite. L'exorde est une partie importante, qui demande à être travaillée avec un extrème soin : aussi les orateurs l'appellent-ils difficillima pars orationis.

On distingue deux sortes d'exordes ; l'un modéré, où l'orateur prend, pour ainsi dire, son tour de loin ; l'autre véhément, où il entre brusquement & tout-à-coup en matiere : dans le premier on prépare & l'on conduit les auditeurs par degrés, & comme insensiblement, aux choses qu'on va leur proposer ; dans le second l'orateur étonne son auditoire, en paroissant lui-même transporté de quelque passion subite. Tel est ce début d'Isaïe, imité par Racine dans Athalie :

Cieux, écoutez ; terre, prête l'oreille.

ou celui-ci de Cicéron contre Catilina :

Quousque tandem abuter, Catilina, patientiâ nostrâ ?

Les exordes brusques sont plus convenables dans les cas d'une joie, d'une indignation extraordinaires, ou de quelqu'autre passion extrèmement vive : hors de-là, ils seroient déplacés : cependant nous avons des exemples de panégyriques d'orateurs fameux, qui entrent en matiere dès la premiere phrase, & pour ainsi dire, dès le premier mot, sans qu'aucune passion l'exige : tel est celui de Gorgias, qui commence son éloge de la ville & du peuple d'Elis par ces mots : Elis, beata civitas : & celui de saint Grégoire de Nazianze, à la loüange de saint Athanase : Athanasium laudans virtutem laudabo. Les exordes brusques & précipités étoient plus conformes au goût & aux moeurs des Grecs qu'au goût & aux moeurs des Romains.

Les qualités de l'exorde sont, 1°. la convenance, c'est-à-dire le rapport & la liaison qu'il doit avoir avec le reste du discours, auquel il doit être comme la partie est au tout, ensorte qu'il n'en puisse être détaché ni adapté dans une occasion différente, & peut-être contraire. Les anciens orateurs paroissent avoir été peu scrupuleux sur cette regle ; quelquefois leurs exordes n'ont rien de commun avec le reste du discours, si ce n'est qu'ils sont placés à la tête de leurs harangues.

2°. La modestie ou une pudeur ingénue, qui intéresse merveilleusement les auditeurs en faveur de l'orateur, & lui attire leur bienveillance. C'est ce que Cicéron loue le plus dans l'orateur Crassus : fuit enim in L. Crasso pudor quidam, qui non modo non obesset ejus orationi, sed etiam probitatis commendatione prodesset ; & il raconte de lui-même, qu'au commencement de ses harangues, un trouble involontaire agitoit son esprit, & qu'un tremblement universel s'emparoit de ses membres. Un air simple & naturel porte un caractere de candeur, qui fraie le chemin à la persuasion.

3°. La briéveté, c'est-à-dire qu'un exorde ne doit point être trop étendu, & encore moins chargé de détails inutiles ; ce n'est pas le lieu d'approfondir la matiere, ni de se livrer à l'amplification : il ne doit pas non plus être tiré de trop loin, tels que ceux de ces deux plaidoyers burlesques de la comédie des plaideurs, où les prétendus avocats remontent jusqu'au cahos, à la naissance du monde, & à la fondation des empires, pour parler du vol d'un chapon.

4°. Enfin le style doit en être périodique, noble, grave, mesuré ; c'est la partie du discours qui demande à être la plus travaillée, parce qu'étant écoutée la premiere, elle est aussi plus exposée à la critique. Aussi Cicéron a-t-il dit : vestibula aditusque ad causam facias illustres.

L'exorde est regardé par tous les Rhéteurs, comme une partie essentielle du discours ; cependant autrefois devant l'aréopage, on parloit sans exorde, sans mouvemens, sans péroraison, selon Julius Pollux ; mais il faut se souvenir que le tribunal de l'aréopage, si respectable d'ailleurs, n'étoit pas un juge sans appel sur le bon goût & sur les regles de l'éloquence. Voyez AREOPAGE. (G)


EXOSTOSE, (Med.) est une tumeur extraordinaire qui vient à un os, & qui est fréquente dans les maladies vénériennes. Voyez OS.

Les scorbutiques & les écroüelleux sont aussi fort sujets aux exostoses. Pour guérir les exostoses, il faut combattre la cause intérieure par les spécifiques, ou par les remedes généraux, s'il n'y a point de spécifique connu contre le principe de la maladie. Les causes d'exostose peuvent être détruites, & le vice local subsister ; on le voit journellement dans le gonflement des os par le virus vénérien. Il y a des exostoses qui suppurent, & dont la situation permet qu'on en fasse l'ouverture & l'extirpation : on peut employer dans ce cas tous les moyens dont on a parlé dans l'article de la carie & de l'exfoliation. Voyez ces mots.

En effet, le traité des maladies des os contient beaucoup d'observations importantes sur la nature, les causes & les moyens curatifs de l'exostose en particulier. L'auteur décrit ainsi la maniere d'attaquer les exostoses qui n'ont point fondu par le traitement de la vérole, ou de toute autre cause interne.

On doit découvrir la tumeur de l'os en faisant une incision cruciale ; on emporte une partie des angles, on panse à sec, on leve l'appareil le lendemain, & on se sert du trépan perforatif ; on fait plusieurs trous profonds & assez près les uns des autres, observant qu'ils occupent toute la tumeur qu'on veut emporter. On se sert ensuite d'un ciseau ou d'une gouge bien coupante, & d'un maillet de plomb avec lequel on frappe modérément, pour couper tout ce qui a été percé par le perforatif. Ces trous affoiblissent l'os ; il se coupe plus facilement, sans courir aucun risque de l'éclater en le coupant avec le ciseau. C'est un moyen dont se servent les Menuisiers pour éviter que leur bois ne s'éclate en travaillant avec le ciseau.

Si la tumeur est considérable, & qu'il faille répéter les coups de ciseau ou de maillet, on peut remettre le reste de l'opération au lendemain, parce que les coups réitérés pourroient ébranler la moelle au point de causer par la suite un abcès. Quand on a tout enlevé, on panse l'os comme il a été dit ; & pour que l'exfoliation soit promte, on applique dessus la dissolution du mercure faite par l'eau-forte ou par l'esprit de nitre ; c'est un des meilleurs remedes qu'on puisse employer : on ne préfere le feu que lorsque la carie est profonde, qu'elle est avec vermoulure ou excroissance de chair considérable. (Y)


EXOTÉRIQUEEXOTÉRIQUE

Les anciens philosophes avoient une double doctrine ; l'une externe, publique ou exotérique ; l'autre interne, secrette ou ésotérique. La premiere s'enseignoit ouvertement à tout le monde, la seconde étoit reservée pour un petit nombre de disciples choisis. Ce n'étoit pas différens points de doctrine que l'on enseignoit en public ou en particulier, c'étoit les mêmes sujets, mais traités différemment, selon que l'on parloit devant la multitude ou devant les disciples choisis. Les philosophes des tems postérieurs composerent quelques ouvrages sur la doctrine cachée de leurs prédécesseurs, mais ces traités ne sont point parvenus jusqu'à nous ; Eunape, dans la vie de Porphyre, lui en attribue un, & Diogene de Laërce en cite un de Zacynthe. Voyez ECLECTISME.

Les Grecs appelloient du même nom les secrets des écoles & ceux des mysteres, & les philosophes n'étoient guere moins circonspects à révéler les premiers, qu'on l'étoit à communiquer les seconds. La plûpart des modernes ont regardé cet usage comme un plaisir ridicule, fondé sur le mystere, ou comme une petitesse d'esprit qui cherchoit à tromper. Des motifs si bas ne furent pas ceux des philosophes : cette méthode venoit originairement des Egyptiens, de qui les Grecs l'emprunterent ; & les uns & les autres ne s'en servirent que dans la vûe du bien public, quoiqu'elle ait pû par la suite des tems dégénérer en petitesse.

Il n'est pas difficile de prouver que cette méthode venoit des Egyptiens, c'est d'eux que les Grecs tirerent toute leur science & leur sagesse. Hérodote, Diodore de Sicile, Strabon, Plutarque, tous les anciens auteurs en un mot ; sont d'accord sur ce point : tous nous assûrent que les prêtres égyptiens, qui étoient les dépositaires des sciences, avoient une double philosophie ; l'une secrette & sacrée, l'autre publique & vulgaire.

Pour juger quel pouvoit être le but de cette conduite, il faut considérer quel étoit le caractere des prêtres égyptiens. Elien rapporte que dans les premiers tems ils étoient juges & magistrats. Considérés sous ce point de vûe, le bien public devoit être le principal objet de leurs soins dans ce qu'ils enseignoient, comme dans ce qu'ils cachoient ; en conséquence ils ont été les premiers qui ont prétendu avoir communication avec les dieux, qui ont enseigné le dogme des peines & des récompenses d'une autre vie, & qui, pour soûtenir cette opinion, ont établi les mysteres dont le secret étoit l'unité de Dieu.

Une preuve évidente que le but des instructions secrettes étoit le bien public, c'est le soin que l'on prenoit de les communiquer principalement aux rois & aux magistrats. " Les Egyptiens, dit Clément d'Alexandrie, ne révelent point leurs mysteres indistinctement à toutes sortes de personnes ; ils n'exposent point aux prophanes leurs vérités sacrées ; ils ne les confient qu'à ceux qui doivent succéder à l'administration de l'état, & à quelques-uns de leurs prêtres les plus recommandables par leur éducation, leur savoir & leurs qualités ".

L'autorité de Plutarque confirme la même chose. " Les rois, dit-il, étoient choisis parmi les prêtres ou parmi les hommes de guerre. Ces deux états étoient honorés & respectés, l'un à cause de sa sagesse, & l'autre à cause de sa bravoure ; mais lorsqu'on choisissoit un homme de guerre, on l'envoyoit d'abord au collége des prêtres, où il étoit instruit de leur philosophie secrette, & où on lui dévoiloit la vérité cachée sous le voile des fables & des allégories ".

Les mages de Perse, les druides des Gaules & les brachmanes des Indes, tous semblables aux prêtres égyptiens, & qui comme eux participoient à l'administration publique, avoient de la même maniere & dans la même vûe leur doctrine publique & leur doctrine secrette.

Ce qui a fait prendre le change aux anciens & aux modernes sur le but de la double doctrine, & leur a fait imaginer qu'elle n'étoit qu'un artifice pour conserver la gloire des sciences & de ceux qui en faisoient profession, a été l'opinion générale que les fables des dieux & des héros avoient été inventées par les sages de la premiere antiquité, pour déguiser & cacher des vérités naturelles & morales, dont ils vouloient avoir le plaisir de se réserver l'explication. Les philosophes grecs des derniers tems sont les auteurs de cette fausse hypothèse, car il est évident que l'ancienne Mythologie du Paganisme naquit de la corruption de l'ancienne tradition historique ; corruption qui naquit elle-même des préjugés & des folies du peuple, premier auteur des fables & des allégories : ce qui dans la suite donna lieu d'inventer l'usage de la double doctrine, non pour le simple plaisir d'expliquer les prétendues vérités cachées sous l'enveloppe de ces fables, mais pour tourner au bien du peuple les fruits mêmes de sa folie & de ses préjugés.

Les législateurs grecs furent les premiers de leur nation qui voyagerent en Egypte. Comme les Egyptiens étoient alors le peuple le plus fameux dans l'art du gouvernement, les premiers Grecs qui projetterent de réduire en société civile les différentes hordes ou tribus errantes de la Grece, allerent s'instruire chez cette nation savante, des principes qui servent de fondement à la science des législateurs, & ce fut le seul objet auquel ils s'appliquerent : tels furent Orphée, Rhadamante, Minos, Lycaon, Triptoleme, &c. C'est-là qu'ils apprirent l'usage de la double doctrine, dont l'institution des mysteres, une des parties des plus essentielles de leurs établissemens politiques, est un monument remarquable. Voyez les dissertations sur l'union de la Religion, de la Morale & de la Politique, tirées de Varburton par M. de Silhoüete, tom. II. dissert. viij. Art. de M. FORMEY.


EXOTIQUE(Jardin.) se dit d'une plante étrangere, d'un fruit. Cette plante est exotique.


EXPANSIBILITÉS. f. (Physique) propriété de certains fluides, par laquelle ils tendent sans-cesse à occuper un espace plus grand. L'air & toutes les substances qui ont acquis le degré de chaleur nécessaire pour leur vaporisation, comme l'eau au-dessus du terme de l'eau bouillante, sont expansibles. Il suit de notre définition, que ces fluides ne sont retenus dans de certaines bornes que par la force comprimante d'un obstacle étranger, & que l'équilibre de cette force avec la force expansive, détermine l'espace actuel qu'ils occupent. Tout corps expansible est donc aussi compressible ; & ces deux termes opposés n'expriment que deux effets nécessaires d'une propriété unique dont nous allons parler. Nous traiterons dans cet article.

Premierement, de l'expansibilité considérée en elle-même & comme une propriété mathématique de certains corps, de ses lois, & de ses effets.

Secondement, de l'expansibilité considérée physiquement, des substances auxquelles elle appartient, & des causes qui la produisent.

Troisiemement, de l'expansibilité comparée dans les différentes substances auxquelles elle appartient.

Quatriemement, nous indiquerons en peu de mots les usages de l'expansibilité, & la part qu'elle a dans la production des principaux phénomenes de la nature.

De l'expansibilité en elle-même, de ses lois, & de ses effets. Un corps expansible laissé à lui-même, ne peut s'étendre dans un plus grand espace & l'occuper uniformément tout entier, sans que toutes ses parties s'éloignent également les unes des autres : le principe unique de l'expansibilité est donc une force quelconque, par laquelle les parties du fluide expansible tendent continuellement à s'écarter les unes des autres, & lutent en tout sens contre les forces compressives qui les rapprochent. C'est ce qu'exprime le terme de répulsion, dont Newton s'est quelquefois servi pour la désigner.

Cette force répulsive des particules peut suivre différentes lois, c'est-à-dire qu'elle peut croître & décroître en raison de telle ou telle fonction des distances des particules. La condensation ou la réduction à un moindre espace, peut suivre aussi dans tel ou tel rapport, l'augmentation de la force comprimante ; & l'on voit au premier coup-d'oeil que la loi qui exprime le rapport des condensations ou des espaces à la force comprimante, & celle qui exprime le rapport de la force répulsive à la distance des particules, sont relatives l'une à l'autre, puisque l'espace occupé, comme nous l'avons déjà dit, n'est déterminé que par l'équilibre de la force comprimante avec la force répulsive. L'une de ces deux lois étant donnée, il est aisé de trouver l'autre. Newton a la premier fait cette recherche (liv. II. des principes, prop 23.) ; & c'est d'après lui que nous allons donner le rapport de ces deux lois, ou la loi générale de l'expansibilité.

La même quantité de fluide étant supposée, & la condensation inégale, le nombre des particules sera le même dans des espaces inégaux ; & leur distance mesurée d'un centre à l'autre, sera toûjours en raison des racines cubiques des espaces ; ou, ce qui est la même chose, en raison inverse des racines cubiques des condensations : car la condensation suit la raison inverse des espaces, si la quantité du fluide est la même ; & la raison directe des quantités du fluide, si les espaces sont égaux.

Cela posé : soient deux cubes égaux, mais remplis d'un fluide inégalement condensé ; la pression qu'exerce le fluide sur chacune des faces des deux cubes, & qui fait équilibre avec l'action de la force comprimante sur ces mêmes faces, est égale au nombre des particules qui agissent immédiatement sur ces faces, multiplié par la force de chaque particule. Or chaque particule presse la surface contiguë avec la même force avec laquelle elle fuit la particule voisine : car ici Newton suppose que chaque particule agit seulement sur la particule la plus prochaine ; il a soin, à la vérité, d'observer en même tems que cette supposition ne pourroit avoir lieu, si l'on regardoit la force répulsive comme une loi mathématique dont l'action s'étendit à toutes les distances, comme celle de la pesanteur, sans être arrêtée par les corps intermédiaires. Car dans cette hypothése il faudroit avoir égard à la force répulsive des particules les plus éloignées ; & la force comprimante devroit être plus considérable pour produire une égale condensation ; la force avec laquelle chaque particule presse la surface du cube, est donc la force même déterminée par la loi de répulsion, & par la distance des particules entr'elles ; c'est donc cette force qu'il faut multiplier par le nombre des particules, pour avoir la pression totale, sur la surface, ou la force comprimante. Or ce nombre à condensation égale seroit comme les surfaces ; à surfaces égales, il est comme les quarrés des racines cubiques du nombre des particules, ou de la quantité du fluide contenu dans chaque cube, c'est-à-dire comme les quarrés des racines cubiques des condensations ; ou, ce qui est la même chose, en raison inverse du quarré des distances des particules, puisque les distances des particules sont toûjours en raison inverse des racines cubiques des condensations. Donc la pression du fluide sur chaque face des deux cubes, ou la force comprimante, est toûjours le produit du quarré des racines cubiques des condensations, ou du quarré inverse de la distance des particules, par la fonction quelconque de la distance, à laquelle la répulsion est proportionnelle.

Donc, si la répulsion suit la raison inverse de la distance des particules, la pression suivra la raison inverse des cubes de ces distances, ou, ce qui est la même chose, la raison directe des condensations. Si la répulsion suit la raison inverse des quarrés des distances, la force comprimante suivra la raison inverse des quatriemes puissances de ces distances, ou la raison directe des quatriemes puissances des racines cubiques des condensations ; & ainsi dans toute hypothèse ; en ajoûtant toûjours à l'exposant quelconque n de la distance, qui exprime la loi de répulsion, l'exposant du quarré ou le nombre 2.

Et réciproquement pour connoître la loi de la répulsion, il faut toûjours diviser la force comprimante par le quarré des racines cubiques des condensations ; ou, ce qui est la même chose, soustraire toûjours 2 de l'exposant qui exprime le rapport de la force comprimante à la racine cubique des condensations : car on aura par-là le rapport de la répulsion avec les racines cubiques des condensations, & l'on sait que la distance des centres des particules suit la raison inverse de ces racines cubiques.

D'après cette regle, il sera toûjours aisé de connoître la loi de la répulsion entre les particules d'un fluide, lorsque l'expérience aura déterminé le rapport de la condensation à la force comprimante : ainsi les particules de l'air, dont on sait que la condensation est proportionnelle au poids qui le comprime (voyez AIR), se fuient avec une force qui suit la raison inverse de leurs distances.

Il y a pourtant une restriction nécessaire à mettre à cette loi : c'est qu'elle ne peut avoir lieu que dans une certaine latitude moyenne entre l'extrème compression & l'extrème expansion. L'extrème compression a pour bornes le contact, où toute proportion cesse, quoiqu'il y ait encore quelque distance entre les centres des particules. L'expansion, à la vérité, n'a point de bornes mathématiques ; mais si elle est l'effet d'une cause méchanique interposée entre les particules du fluide, & dont l'effort tend à les écarter, on ne peut guere supposer que cette cause agisse à toutes les distances ; & la plus grande distance à laquelle elle agira, sera la borne physique de l'expansibilité. Voilà donc deux points où la loi de la répulsion ne s'observe plus du tout : l'un à une distance très-courte du centre des particules, & l'autre à une distance très-éloignée ; & il n'y a pas d'apparence que cette loi n'éprouve aucune irrégularité aux approches de l'un ou de l'autre de ces deux termes.

Quant à ce qui concerne le terme de la compression : si l'attraction de cohésion a lieu dans les petites distances, comme les phénomenes donnent tout lieu de le croire (voyez TUYAUX CAPILLAIRES, REFRACTION DE LA LUMIERE, COHESION, INDURATION, GLACE, CRYSTALLISATION DES SELS, RAPPORTS CHIMIQUES, &c.) ; il est évident au premier coup-d'oeil que la loi de la répulsion doit commencer à être troublée, dès que les particules en s'approchant atteignent les limites de leur attraction mutuelle, qui agissant dans un sens contraire à la répulsion, en diminue d'abord l'effet & le détruit bientôt entierement, même avant le contact ; parce que croissant dans une proportion plus grande que l'inverse du quarré des distances, tandis que la répulsion n'augmente qu'en raison inverse des distances simples, elle doit bientôt surpasser beaucoup celle-ci. De plus, si comme nous l'avons supposé, la répulsion est produite par une cause méchanique, interposée entre les particules, & qui fasse également effort sur les deux particules voisines pour les écarter, cet effort ne peut avoir d'autre point d'appui que la surface des particules ; les rayons, suivant lesquels son activité s'étendra, n'auront donc point un centre unique, mais ils partiront de tous les points de cette surface ; & les décroissemens de cette activité ne seront relatifs aux centres mêmes des particules, que lorsque les distances seront assez grandes pour que leur rapport, avec les dimensions des particules, soit devenu inassignable ; & lorsqu'on pourra sans erreur sensible, regarder la particule toute entiere comme un point. Or, dans la démonstration de la loi de l'expansibilité, nous n'avons jamais considéré que les distances entre les centres des particules, puisque nous avons dit qu'elles suivoient la raison inverse des racines cubiques des condensations. La loi de la répulsion, & par conséquent le rapport des condensations avec les forces comprimantes, doit donc être troublée encore par cette raison, dans le cas où la compression est poussée très-loin. Et je dirai en passant, que si l'on peut porter la condensation de l'air jusqu'à ce degré, il n'est peut-être pas impossible de former d'après cette idée des conjectures raisonnables sur la tenuité des parties de l'air, & sur les limites de leur attraction mutuelle.

Quant aux altérations que doit subir la loi de la répulsion aux approches du dernier terme de l'expansion, quelle que soit la cause qui termine l'activité des forces répulsives à un certain degré d'expansion, peut-on supposer qu'une force dont l'activité décroît suivant une progression qui par sa nature n'a point de dernier terme, cesse cependant tout-à-coup d'agir sans que cette progression ait été altérée le moins du monde dans les distances les plus voisines de cette cessation totale ? & puisque la Physique ne nous montre nulle part de pareils sauts, ne seroit-il pas bien plus dans l'analogie, de penser que ce dernier terme a été préparé dès long-tems par une espece de correction à la loi du décroissement de la force ; correction qui la modifie peut-être à quelque distance qu'elle agisse, & qui fait de la loi des décroissemens une loi complexe, formée de deux ou même de plusieurs progressions différentes, tellement inégales dans leur marche, que la partie de la force qui suit la raison inverse des distances, surpasse incomparablement dans toutes les distances moyennes les forces reglées par les autres lois, dont l'effet sera insensible alors ; & qu'au contraire ces dernieres l'emportent dans les distances extrèmes, & peut-être aussi dans les extrèmes proximités ?

Les observations prouvent effectivement que la loi des condensations proportionnelles aux poids dont l'air est chargé, cesse d'avoir lieu dans les degrés extrêmes de compression & d'expansion. On peut consulter là-dessus les physiciens qui ont fait beaucoup d'expériences sur la compression de l'air, & ceux qui ont travaillé sur le rapport des hauteurs du barometre à la hauteur des montagnes. Voyez AIR, MACHINE PNEUMATIQUE, ROMETREETRE. On a de plus remarqué avec raison à l'article ATMOSPHERE, que si les condensations de l'air étoient exactement proportionnelles aux poids qui le compriment, la hauteur de l'atmosphere devroit être infinie ; ce qui ne sauroit s'accorder avec les phénomenes. Voyez ATMOSPHERE.

Quelle que soit la loi, suivant laquelle les parties d'un corps expansible se repoussent les unes les autres, c'est une suite de cette répulsion que ce corps forcé par la compression à occuper un espace moindre, se rétablisse dans son premier état, quand la compression cesse, avec une force égale à la force comprimante. Un corps expansible est donc élastique par cela même (voyez ELASTICITE), mais tout corps élastique n'est point pour cela expansible ; témoin une lame d'acier. L'élasticité est donc le genre. L'expansibilité & le ressort sont deux especes ; ce qui les caractérise essentiellement, c'est que le corps expansible tend toûjours à s'étendre, & n'est retenu que par des obstacles étrangers : le corps à ressort ne tend qu'à se rétablir dans un état déterminé ; la force comprimante est dans le premier un obstacle au mouvement, & dans l'autre un obstacle au repos. Je donne le nom de ressort à une espece particuliere d'élasticité, quoique les Physiciens ayent jusqu'ici employé ces deux mots indifféremment l'un pour l'autre, & qu'ils ayent dit également le ressort de l'air & l'élasticité d'un arc ; & je choisis pour nommer l'espece le mot de ressort, plus populaire que celui d'élasticité, quoiqu'en général, quand de deux mots jusque-là synonymes, on veut restraindre l'un à une signification particuliere, on doive faire attention à conserver au genre le nom dont l'usage est le plus commun, & à désigner l'espece par le mot scientifique. Voyez SYNONYMES. Mais dans cette occasion, il se trouve que le nom de ressort n'a jamais été donné par le peuple, qu'aux corps auxquels je veux en limiter l'application ; parce que le peuple ne connoit guere ni l'expansibilité ni l'élasticité de l'air : ensorte que les savans seuls ont ici confondu deux idées sous les mêmes dénominations. Or le mot d'élasticité est le plus familier aux savans.

Il est d'autant plus nécessaire de distinguer ces deux especes d'élasticité, qu'à la réserve d'un petit nombre d'effets, elles n'ont presque rien de commun, & que la confusion de deux choses aussi différentes, ne pourroit manquer d'engager les Physiciens qui voudroient chercher la cause de l'élasticité en général dans un labyrinthe d'erreurs & d'obscurités. En effet, l'expansibilité est produite par une cause qui tend à écarter les unes des autres les parties des corps ; dès-lors elle ne peut appartenir qu'à des corps actuellement fluides, & son action s'étend à toutes les distances, sans pouvoir être bornée que par la cessation absolue de la cause qui l'a produite. Le ressort, au contraire, est l'effet d'une force qui tend à rapprocher les parties des corps, écartées les unes des autres ; il ne peut appartenir qu'à des corps durs ; & nous montrerons ailleurs qu'il est une suite nécessaire de la cause qui les constitue dans l'état de dureté. Voyez GLACE, INDURATION, SSORTSORT. Par cela même que cette cause tend à rapprocher les parties des corps, la nature des choses établit pour borne de son action le contact de ces parties, & elle cesse de produire aucun effet sensible, précisément lorsqu'elle est la plus forte.

On pourroit pousser plus loin ce parallele ; mais il nous suffit d'avoir montré que l'expansibilité est une espece particuliere d'élasticité, qui n'a presque rien de commun avec le ressort. J'observerai seulement qu'il n'y a & ne peut y avoir dans la nature que ces deux especes d'élasticité ; parce que les parties d'un corps, considérées les unes par rapport aux autres, ne peuvent se rétablir dans leurs anciennes situations, qu'en s'approchant ou en s'éloignant mutuellement. Il est vrai que la tendance qu'ont les parties d'un fluide pesant à se mettre de niveau, les rétablit aussi dans leur premier état lorsqu'elles ont perdu ce niveau ; mais ce rétablissement est moins un changement d'état du fluide, & un retour des parties à leur ancienne situation respective, qu'un transport local d'une certaine quantité de parties du fluide en masse par l'effet de la pesanteur ; transport absolument analogue au mouvement d'une balance qui se met en équilibre. Or, quoique ce mouvement ait aussi des lois qui lui sont communes avec les mouvemens des corps élastiques, ou plûtôt avec tous les mouvemens produits par une tendance quelconque (Voyez TENDANCE), il n'a jamais été compris sous le nom d'élasticité ; parce que ce dernier mot n'a jamais été entendu que du rétablissement de la situation respective des parties d'un corps, & non du retour local d'un corps entier dans la place qu'il avoit occupé.

L'expansibilité ou la force par laquelle les parties de fluides expansibles se repoussent les unes les autres, est le principe des lois qui s'observent soit dans la retardation du mouvement des corps qui traversent des milieux élastiques, soit dans la naissance & la transmission du mouvement vibratoire excité dans ces mêmes milieux. La recherche de ces lois n'appartient point à cet article. Voyez RESISTANCE DES FLUIDES & SON.

De l'expansibilité considérée physiquement, des substances auxquelles elle appartient, des causes qui la produisent ou qui l'augmentent. L'expansibilité appartient à l'air, voyez AIR : elle appartient aussi à tous les corps dans l'état de vapeur ; voyez VAPEUR : ainsi l'esprit-de-vin, le mercure, les acides les plus pesans, & un très-grand nombre de liquides très-différens par leur nature & par leur gravité spécifique, peuvent cesser d'être incompressibles, acquérir la propriété de s'étendre comme l'air en tout sens & sans bornes, de soûtenir comme lui le mercure dans le barometre, & de vaincre des résistances & des poids énormes. Voyez EXPLOSION & POMPE A FEU. Plusieurs corps solides même, après avoir été liquéfiés par la chaleur, sont susceptibles d'acquérir aussi l'état de vapeur & d'expansibilité, si l'on pousse la chaleur plus loin : tels sont le soufre, le cinnabre plus pesant encore que le soufre, & beaucoup d'autres corps. Il en est même très-peu qui, si on augmente toûjours la chaleur, ne deviennent à la fin expansibles, soit en tout, soit en partie : car dans la plûpart des mixtes, une partie des principes devenus expansibles à un certain degré de chaleur, abandonnent les autres principes, tandis que ceux-ci restent fixes ; soit qu'ils ne soient pas susceptibles de l'expansibilité, soit qu'ils ayent besoin pour l'acquérir d'un degré de chaleur plus considérable.

L'énumeration des différens corps expansibles, & l'examen des circonstances dans lesquelles ils acquierent cette propriété, nous présentent plusieurs faits généraux. Premierement, de tous les corps qui nous sont connus (car je ne parle point ici des fluides électriques & magnétiques, ni de l'élément de la chaleur ou éther dont la nature est trop ignorée), l'air est le seul auquel l'expansibilité paroisse au premier coup-d'oeil appartenir constamment ; & cette propriété, dans tous les autres corps, paroit moins une qualité attachée à leur substance, & un caractere particulier de leur nature, qu'un état accidentel & dépendant de circonstances étrangeres. Secondement, tous les corps, qui de solides ou de liquides deviennent expansibles, ne le deviennent que lorsqu'on leur applique un certain degré de chaleur. Troisiemement, il est très-peu de corps qui ne deviennent expansibles à quelque degré de chaleur : mais ce degré n'est pas le même pour les différens corps. Quatriemement, aucun corps solide ne devient expansible par la chaleur, sans avoir passé auparavant par l'état de liquidité. Cinquiemement, c'est une observation constante, que le degré de chaleur auquel une substance particuliere devient expansible, est un point fixe & qui ne varie jamais, lorsque la force qui presse la surface du liquide n'éprouve aucune variation. Ainsi le terme de l'eau bouillante, qui n'est autre que le degré de chaleur nécessaire pour la vaporisation de l'eau (Voyez le mémoire de M. l'abbé Nollet sur le bouillonnement des liquides, mém. de l'acad. des Sc. 1748.), reste toûjours le même, lorsque l'air comprime également la surface de l'eau. Sixiemement, si l'on examine les effets de l'application successive des différens degrés de température à une même substance, telle par exemple que l'eau, on la verra d'abord, si le degré de température est au-dessous du terme zéro du thermometre de M. de Reaumur, dans un état de glace ou de solidité. Quand le thermometre monte au-dessus du zéro, cette glace fond & devient un liquide. Ce liquide augmente de volume comme la liqueur du thermometre elle-même, à mesure que la chaleur augmente ; & cette augmentation a pour terme la dissipation même de l'eau, qui réduite en vapeur, fait effort en tout sens pour s'étendre, & brise souvent les vaisseaux où elle se trouve resserrée : alors si la chaleur reçoit de nouveaux accroissemens, la force d'expansion augmentera encore, & la vapeur comprimée par la même force occuperoit un plus grand espace. Ainsi l'eau appliquée successivement à tous les degrés de température connus, passe successivement par les trois états de corps solide (Voyez GLACE), de liquide (Voyez LIQUIDE), & de vapeur ou de corps expansible. Voyez VAPEUR. Chacun des passages d'un de ces états à l'autre, répond à une époque fixe dans la succession des différentes nuances de température ; les intervalles d'une époque à l'autre, ne sont remplis que par de simples augmentations de volume ; mais à chacune de ces époques, la progression des augmentations du volume s'arrête pour changer de loi, & pour recommencer une marche relative à la nature nouvelle que le corps semble avoir revêtue. Septiemement, si de la considération d'un seul corps, & des changemens successifs qu'il éprouve par l'application de tous les degrés de température, nous passons à la considération de tous les corps comparés entr'eux & appliqués aux mêmes degrés de température, nous en recueillons qu'à chacun de ces degrés répond dans chacun des corps un des trois états de solide, de liquide, ou de vapeur, & dans ces états un volume déterminé : qu'on peut ainsi regarder tous les corps de la nature comme autant de thermometres dont tous les états & les volumes possibles marquent un certain degré de chaleur ; que ces thermometres sont construits sur une infinité d'échelles & suivent des marches entierement différentes : mais qu'on peut toûjours rapporter ces échelles les unes aux autres, par le moyen des observations qui nous apprennent que tel état d'un corps & tel autre état d'un autre corps, répondent au même degré de chaleur ; ensorte que le degré qui augmente le volume de certains solides, en convertit d'autres en liquides, augmente seulement le volume d'autres liquides, rend expansibles des corps qui n'étoient que dans l'état de liquidité, & augmente l'expansibilité des fluides déjà expansibles.

Il résulte de ces derniers faits, que la chaleur rend fluides des corps, qui sans son action seroient restés solides ; qu'elle rend expansibles des corps qui resteroient simplement liquides, si son action étoit moindre ; & qu'elle augmente le volume de tous les corps tant solides que liquides & expansibles. Dans quelque état que soient les corps, c'est donc un fait général que la chaleur tend à en écarter les parties, & que les augmentations de leur volume, leur fusion & leur vaporisation, ne sont que des nuances de l'action de cette cause, appliquée sans-cesse à tous les corps, mais dans des degrés variables. Cette tendance ne produit pas les mêmes effets sensibles dans tous les corps ; il faut en conclure qu'elle est inégalement contre-balancée par l'action des forces qui en retiennent les parties les unes auprès des autres, & qui constituent leur dureté ou leur liquidité, lorsqu'elles ne sont pas entierement surpassées par la répulsion que produit la chaleur. Je n'examine point ici quelle est cette force, ni comment elle varie dans tous les corps. Voyez GLACE & INDURATION. Il me suffit qu'on puisse toûjours la regarder comme une quantité d'action, comparable à la répulsion dans chaque distance déterminée des particules entr'elles, & agissant dans une direction contraire.

Cette théorie a toute l'évidence d'un fait, si on ne veut l'appliquer qu'aux corps qui passent sous nos yeux d'un état à l'autre ; nous ne pouvons douter que leur expansibilité, ou la répulsion de leurs parties, ne soit produite par la chaleur, & par conséquent par une cause méchanique au sens des Cartésiens, c'est-à-dire dépendante des lois de l'impulsion, puisque la chaleur qui n'est jamais produite originairement que par la chûte des rayons de lumiere, ou par un frottement rapide, ou par des agitations violentes dans les parties internes des corps, a toûjours pour cause un mouvement actuel. Il est encore évident que la même théorie peut s'appliquer également à l'expansibilité du seul corps que nous ne voyons jamais privé de cette propriété, je veux dire de l'air. L'analogie qui nous porte à expliquer toûjours les effets semblables par des causes semblables, donne à cette idée l'apparence la plus séduisante ; mais l'analogie est quelquefois trompeuse : les explications qu'elle nous présente ont besoin, pour sortir du rang des simples hypothèses, d'être développées, afin que le nombre & la force des inductions suppléent au défaut des preuves directes. Nous allons donc détailler les raisons qui nous persuadent que l'expansibilité de l'air n'a pas d'autre cause que celle des vapeurs, c'est-à-dire la chaleur ; que l'air ne differe de l'eau à cet égard, qu'en ce que le dégré, qui réduit les vapeurs aqueuses en eau & même en glace, ne suffit pas pour faire perdre à l'air son expansibilité ; & qu'ainsi, l'air est un corps que le plus petit degré de chaleur connu met dans l'état de vapeur : comme l'eau est un fluide que le plus petit degré de chaleur connu au-dessus du terme de la glace met dans l'état de fluidité, & que le degré de l'ébullition met dans l'état d'expansibilité.

Il n'est pas difficile de prouver que l'expansibilité de l'air ou la répulsion de ses parties, est produite par une cause méchanique, dont l'effort tend à écarter chaque particule de la particule voisine, & non par une force mathématique inhérente à chacune d'elles, qui tendroit à les éloigner toutes les unes des autres, comme l'attraction tend à les rapprocher, soit en vertu de quelque propriété inconnue de la matiere, soit en vertu des lois primitives du Créateur : en effet, si l'attraction est un fait démontré en Physique, comme nous nous croyons en droit de le supposer, il est impossible que les parties de l'air se repoussent par une force inhérente & mathématique. C'est un fait que les corps s'attirent à des distances auxquelles jusqu'à présent on ne connoit point de bornes ; Saturne & les cometes, en tournant autour du Soleil, obéissent à la loi de l'attraction : le Soleil les attire en raison inverse du quarré des distances ; ce qui est vrai du Soleil, est vrai des plus petites parties du Soleil, dont chacune pour sa part, & proportionnellement à sa masse, attire aussi Saturne suivant la même loi. Les autres planetes, leurs plus petites parties & les particules de notre air, sont doüées d'une force attractive semblable, qui dans les distances éloignées ; surpasse tellement toute force agissante suivant une autre loi, qu'elle entre seule dans le calcul des mouvemens de tous les corps célestes : or il est évident que si les parties de l'air se repoussoient par une force mathématique, l'attraction bien loin d'être la force dominante dans les espaces célestes, seroit au contraire prodigieusement surpassée par la répulsion ; car c'est un point de fait, que dans la distance actuelle qui se trouve entre les parties de l'air, leur répulsion surpasse incomparablement leur attraction : c'est encore un fait que les condensations de l'air sont proportionnelles aux poids, & que par conséquent la répulsion des particules décroît en raison inverse des distances, & même, comme Newton l'a remarqué, dans une raison beaucoup moindre, si c'est une loi purement mathématique ; donc les décroissemens de l'attraction sont bien plus rapides, puisqu'ils suivent la raison inverse du quarré des distances ; donc si la répulsion a commencé à surpasser l'attraction, elle continuera de la surpasser, d'autant plus que la distance deviendra plus grande ; donc si la répulsion des parties de l'air étoit une force mathématique, cette force agiroit à plus forte raison à la distance des planetes.

On n'a pas même la ressource de supposer que les particules de l'air sont des corps d'une nature différente des autres, & assujettis à d'autres lois ; car l'expérience nous apprend que l'air a une pesanteur propre ; qu'il obéit à la même loi qui précipite les autres corps sur la terre, & qu'il fait équilibre avec eux dans la balance. Voyez AIR. La répulsion des parties de l'air a donc une cause méchanique, dont l'effort suit la raison inverse de leurs distances : or l'exemple des autres corps rendus expansibles par la chaleur, nous montre dans la nature une cause méchanique d'une répulsion toute semblable : cette cause est sans-cesse appliquée à l'air ; son effet sur l'air, sensiblement analogue à celui qu'elle produit sur les autres corps, est précisément l'augmentation de cette force d'expansibilité ou de répulsion, dont nous cherchons la cause ; & de plus, cette augmentation de force est exactement assujettie aux mêmes lois que suivoit la force avant que d'être augmentée. Il est certain que l'application d'un degré de chaleur plus considérable à une masse d'air, augmente son expansibilité ; cependant les physiciens qui ont comparé les condensations de l'air aux poids qui les compriment, ont toûjours trouvé ces deux choses exactement proportionnelles, quoiqu'ils n'ayent eu dans leurs expériences aucun égard au degré de chaleur, & quel qu'ait été ce degré. Lorsque M. Amontons s'est assûré (Mém. de l'Acad. des Scienc. 1702.) que deux masses d'air, chargées dans le rapport d'un à deux, soûtiendroient, si on leur appliquoit un égal degré de chaleur, des poids qui seroient encore dans le rapport d'un à deux ; ce n'étoit pas, comme on le dit alors, une nouvelle propriété de l'air qu'il découvroit aux Physiciens ; il prouvoit seulement que la loi des condensations proportionnelles aux poids, avoit lieu dans tous les degrés de chaleur ; & que par conséquent, l'accroissement qui survient par la chaleur à la répulsion, suit toûjours la raison inverse des distances.

Si nous regardons maintenant la répulsion totale qui répond au plus grand degré de chaleur connu, comme une quantité formée par l'addition d'un certain nombre de parties a, b, c, e, f, g, h, i, &c. qui soit le même dans toutes les distances ; il est clair que chaque partie de la répulsion croît & décroît en même raison que la répulsion totale, c'est-à-dire en raison inverse des distances, & que chacun des termes sera (a b c)/(d, d, d,) &c. or il est certain qu'une partie de ces termes, dont la somme est égale à la différence de la répulsion du grand froid au plus grand chaud connu, répondent à autant de degrés de chaleur ; ce seront, si l'on veut, les termes a, b, c, e : or comme le dernier froid connu peut certainement être encore fort augmenté ; je demande si, en supposant qu'il survienne un nouveau degré de froid, la somme des termes qui composent la répulsion totale, ne sera pas encore diminuée de la quantité f/d, & successivement par de nouveaux degrés de froid des quantités g/d & h/d : je demande à quel terme s'arrêtera cette diminution de la force répulsive toûjours correspondante à une certaine diminution de la chaleur, & toûjours assujettie à la loi des distances inverses, comme la partie de la force qui subsiste après la diminution : je demande en quoi les termes g, h, i, different des termes a, b, c ; pourquoi différentes parties de la force répulsive, égales en quantité, & reglées par la même loi, seroient attribuées à des causes d'une nature différente ; & par quelle rencontre fortuite des causes entierement différentes produiroient sur le même corps des effets entierement semblables & assujettis à la même loi. Conclure de ces réflexions, que l'expansibilité de l'air n'a pas d'autre cause que la chaleur, ce n'est pas seulement appliquer à l'expansibilité d'une substance la cause qui rend une autre substance expansible ; c'est suivre une analogie plus rapprochée, c'est dire que les causes de deux effets de même nature, & qui ne different que du plus au moins, ne sont aussi que la même cause dans un degré différent : prétendre au contraire que l'expansibilité est essentielle à l'air, parce que le plus grand froid que nous connoissions, ne peut la lui faire perdre, c'est ressembler à ces peuples de la zone torride, qui croyent que l'eau ne peut cesser d'être fluide, parce qu'ils n'ont jamais éprouvé le degré de froid qui la convertit en glace.

Il y a plus : l'expérience met tous les jours sous les yeux des Physiciens, de l'air qui n'est en aucune maniere expansible ; c'est cet air que les Chimistes ont démontré dans une infinité de corps, soit liquides, soit durs, qui a contracté avec leurs élémens une véritable union, qui entre comme un principe essentiel dans la combinaison de plusieurs mixtes, & qui s'en dégage, ou par des décompositions & des combinaisons nouvelles dans les fermentations & les mélanges chimiques, ou par la violence du feu : cet air ainsi retenu dans les corps les plus durs, & privé de toute expansibilité, n'est-il pas précisément dans le cas de l'eau, qui combinée dans les corps n'est plus fluide, & cesse d'être expansible à des degrés de chaleur très-supérieurs au degré de l'eau bouillante, comme l'air cesse de l'être à des degrés de chaleur très-supérieurs à celle de l'atmosphere ? Qu'au degré de chaleur de l'eau bouillante, l'eau soit dégagée des autres principes par de nouvelles combinaisons, elle passera immédiatement à l'état d'expansibilité : de même l'air dégagé & rendu à lui-même dans la décomposition des mixtes, n'a besoin que du plus petit degré de chaleur connu, pour devenir expansible : il le deviendra encore, sans l'application d'un intermede chimique, par l'effet de la seule chaleur, lorsqu'elle sera assez forte pour vaincre l'union qu'il a contractée avec les principes du mixte : c'est précisément de la même maniere que l'eau se sépare dans la distillation, des principes avec lesquels elle est combinée, parce que malgré son union avec eux, elle est encore réduite en vapeurs, par un degré de chaleur bien inférieur à celui qui pourroit élever les autres principes : or dans l'un & l'autre phénomene, c'est également la chaleur qui donne à l'air & à l'eau toute leur expansibilité, & il n'y a aucune différence que dans le degré de chaleur qui vaporise l'une & l'autre substance ; degré qui dépend bien moins de leur nature particuliere, que de l'obstacle qu'oppose à l'action de la chaleur l'union qu'elles ont contractée avec les autres principes, ensorte que presque toûjours l'air a besoin, pour devenir expansible, d'un degré de chaleur fort supérieur à celui qui vaporise l'eau. Il résulte de ces faits, 1°. que l'air perd son expansibilité par son union avec d'autres corps, comme l'eau perd, dans le même cas, son expansibilité & sa liquidité ; 2°. qu'ainsi, ni l'expansibilité, ni la fluidité n'appartiennent aux élémens de ces deux substances, mais seulement à la masse ou à l'aggrégation formée de la réunion de ces élémens, comme l'a remarqué M. Venel dans son mémoire sur l'analyse des eaux de Selters (Mém. des corresp. de l'acad. des Sciences, tome II.) ; 3°. que la chaleur donne également à ces deux substances l'expansibilité, par laquelle leur union, avec les principes des mixtes, est rompue ; 4°. enfin, que l'analogie entre l'expansibilité de l'air & celle de l'eau, est complete à tous égards ; que par conséquent, nous avons eu raison de regarder l'air comme un fluide actuellement dans l'état de vapeur, & qui n'a besoin, pour y persévérer, que d'un degré de chaleur fort au-dessous du plus grand froid connu. Si je me suis un peu étendu sur cette matiere, c'est afin de porter le dernier coup à ces suppositions gratuites de corpuscules branchus, de lames spirales, dont on composoit notre air, & afin de substituer à ces rêveries, honorées si mal-à-propos du nom de méchanisme, une théorie simple, qui rappelle tous les phénomenes de l'expansibilité dans différentes substances, à ce seul fait général, que la chaleur tend à écarter les unes des autres les parties de tous les corps. Je n'entreprends point d'expliquer ici la nature de la chaleur, ni la maniere dont elle agit : le peu que nous savons sur l'élément qui paroît être le milieu de la chaleur, appartient à d'autres articles. V. CHALEUR, FEU, FROID, MPERATURETURE. Nous ignorons si cet élément est, ou n'est pas lui même un fluide expansible, & qu'elles pourroient être en ce dernier cas les causes de son expansibilité ; car je n'ai prétendu assigner la cause de cette propriété, que dans les corps où elle est sensible pour nous. Quant à ces fluides qui se dérobent à nos sens, & dont l'existence n'est constatée que par leurs effets, comme le fluide magnétique, le fluide électrique, & l'élément même de la chaleur, nous connoissons trop peu leur nature, & nous ne pouvons en parler autrement que par des conjectures ; à la vérité, ces conjectures semblent nous conduire à penser qu'au moins le fluide électrique est éminemment expansible. Voyez les articles FEU ELECTRIQUE, MAGNETISME, ÉTHER, & TEMPERATURE.

Quoique l'expansibilité des vapeurs & de l'air, doive être attribuée à la chaleur comme à sa véritable cause, ainsi que nous l'avons prouvé, l'expérience nous montre une autre cause capable, comme la chaleur d'écarter les parties du corps, de produire une véritable répulsion, & d'augmenter du moins l'expansibilité, si elle ne suffit pas seule pour donner aux corps cette propriété ; ce qui ne paroît effectivement pas par l'expérience. Je parle de l'électricité : on sait que deux corps également électrisés se repoussent mutuellement, & qu'ainsi un système de corps électriques fourniroit un tout expansible : on sait que l'eau électrisée sort par un jet continu de la branche capillaire d'un syphon, d'où elle ne tomboit auparavant que goutte à goutte ; l'électricité augmente donc la fluidité des liqueurs, & diminue l'attraction de leurs parties, puisque c'est par cette attraction que l'eau se soûtient dans les tuyaux capillaires (voyez TUYAUX CAPILLAIRES) : on ne peut donc douter que l'électricité ne soit une cause de répulsion entre les parties de certains corps, & qu'elle ne soit capable de produire un certain degré d'expansibilité, soit qu'on lui attribue une action particuliere, indépendante de celle du fluide de la chaleur, soit qu'on imagine, ce qui est peut-être plus vraisemblable, qu'elle produit cette répulsion par l'expansibilité que le fluide électrique reçoit lui-même du fluide de la chaleur, comme les autres corps de la nature.

Plusieurs personnes seront peut-être étonnées de me voir distinguer ici la répulsion produite par l'électricité, de celle dont la chaleur est la véritable cause ; & peut-être regarderont-elles cette ressemblance dans les effets de l'une & de l'autre, comme une nouvelle preuve de l'identité qu'elles imaginent entre le fluide électrique & le fluide de la chaleur, qu'elles confondent très-mal à-propos avec le feu, avec la matiere du feu, & avec la lumiere, toutes choses cependant très-différentes. Voyez FEU, LUMIERE, LOGISTIQUEIQUE. Mais rien n'est plus mal fondé que cette identité prétendue entre le fluide électrique & l'élément de la chaleur. Indépendamment de la diversité des effets, il suffit pour se convaincre que l'un de ces élémens est très-distingué de l'autre, de faire réflexion que le fluide de la chaleur pénetre toutes les substances, & se met en équilibre dans tous les corps, qui se communiquent tous réciproquement les uns par les autres, sans que jamais cette communication puisse être interrompue par aucun obstacle : le fluide électrique, au contraire, reste accumulé dans les corps électrisés & autour de leur surface, s'ils ne sont environnés que des corps qu'on a appellés électriques par eux-mêmes, c'est-à-dire qui ne transmettent pas l'électricité, du moins de la même maniere que les autres corps ; comme l'air est de ce nombre, le fluide électrique a besoin, pour se porter d'un corps dans un autre, & s'y mettre en équilibre, de ce qu'on appelle un conducteur (voyez CONDUCTEUR) ; & c'est à la promtitude du rétablissement de l'équilibre, dûe peut-être à la prodigieuse expansibilité de ce fluide, qu'il faut attribuer l'étincelle, la commotion, & les autres phénomenes qui accompagnent le rétablissement subit de la communication entre le corps électrisé en plus, & le corps électrisé en moins. Voyez ELECTRICITE & COUP FOUDROYANT. J'ajoûte que si le fluide électrique communiquoit universellement d'un corps à l'autre, comme le fluide de la chaleur, ou même s'il traversoit l'air aussi librement qu'il traverse l'eau, il seroit resté à jamais inconnu, comme il le seroit nécessairement pour un peuple de poissons, quelque philosophes qu'on pût les supposer ; le fluide existeroit, mais aucun des phénomenes de l'électricité ne seroit produit, puisqu'ils se réduisent tous à l'accumulation du fluide électrique aux environs de certains corps, & à la communication interrompue ou rétablie entre les corps qui peuvent être pénétrés par ce fluide.

Puisque l'électricité est une cause de répulsion très-différente de la chaleur, il est naturel de se demander si elle agit suivant la même loi de la raison inverse des distances, ou suivant une autre loi. On n'a point encore fait les observations nécessaires pour décider cette question : mais les Physiciens doivent à MM. le Roi & d'Arcy, l'instrument qui peut les mettre un jour en état d'y répondre. Voyez au mot ELECTROMETRE, l'ingénieuse construction de cet instrument, qui peut servir à donner de très-grandes lumieres sur cette partie de la Physique. Personne n'est plus capable que les inventeurs de profiter du secours qu'ils ont procuré à tous les Physiciens ; & puisque M. le Roy s'est chargé de plusieurs articles de l'Encyclopédie qui concernent l'électricité, j'ose l'inviter à nous donner la solution de ce problème au mot REPULSION ELECTRIQUE.

J'ai dit qu'il ne paroissoit pas par l'expérience que l'électricité seule pût rendre expansible aucun corps de la nature ; & cela peut sembler étonnant au premier coup-d'oeil, vû les prodigieux effets du fluide électrique & l'action tranquille de la chaleur, lors même qu'elle suffit pour mettre en vapeur des corps assez pesans. Je crois pourtant que cette différence vient de ce que dans la vérité, la répulsion produite par l'électricité est si foible en comparaison de celle que produit la chaleur, qu'elle ne peut jamais que diminuer l'adhérence des parties, mais non la vaincre, & faire passer le corps, comme le fait la chaleur, de l'état de liquide à celui de corps expansible. On se tromperoit beaucoup, si l'on jugeoit des forces absolues d'un de ces fluides pour écarter les parties des corps par la grandeur & la violence de ses effets apparens. Les effets apparens ne dépendent pas de la force seule, mais de la force rendue sensible par les obstacles qu'elle a rencontrés. J'ai déjà remarqué que tous les phénomenes de l'électricité venoient du defaut d'équilibre dans le partage du fluide entre les différens corps & de son rétablissement subit : or ce défaut d'équilibre n'existeroit pas, si la communication étoit continuelle. C'est pour cette raison que le fluide électrique ne produiroit aucun effet sensible dans l'eau, quoiqu'il n'en eût pas une force moins réelle. Nous sommes par rapport à l'élément de la chaleur, précisément dans le cas où nous serions par rapport au fluide électrique, si nous vivions dans l'eau. La communication de l'élément de la chaleur se fait sans obstacle dans tous les corps ; & quoiqu'il ne soit pas actuellement en équilibre dans tous, cette rupture d'équilibre est plûtôt une agitation inégale, & tout au plus une condensation plus ou moins grande dans quelques portions d'un fluide répandu par-tout, qu'une accumulation forcée d'un fluide dont l'activité soit retenue par des obstacles impénétrables. L'équilibre d'agitation & de condensation entre les différentes portions du fluide de la chaleur, se rétablit de proche en proche & sans violence ; il a besoin du tems, & n'a besoin que du tems. L'équilibre dans le partage du fluide électrique entre les différens corps se rétablit par un mouvement local & par une espece de transvasion subite, dont l'effet est d'autant plus violent, que le fluide étoit plus inégalement partagé. Cette transvasion ne peut se faire qu'en supprimant l'obstacle, & en rétablissant la communication, & dès que l'obstacle est supprimé, elle se fait dans un instant inassignable. Enfin le rétablissement de l'équilibre entre les parties du fluide électrique, se fait d'une maniere analogue à celle dont l'eau se précipite pour reprendre son niveau, lorsqu'on ouvre l'écluse qui la retenoit, & il en a toute l'impétuosité. Le rétablissement de l'équilibre entre les différentes portions du fluide de la chaleur, ressemble à la maniere dont une certaine quantité de sel se distribue uniformément dans toutes les portions de l'eau qui le tient en dissolution, & il en a le caractere lent & paisible. La prodigieuse activité du fluide électrique, ne décide donc rien sur la quantité de répulsion qu'il est capable de produire ; & puisqu'effectivement l'électricité n'a jamais pû qu'augmenter un peu la fluidité de l'eau sans jamais la réduire en vapeur, nous devons conclure que la répulsion produite par l'électricité est incomparablement plus foible que celle dont la chaleur est la cause : nous sommes fondés par conséquent à regarder la chaleur comme la vraie cause de l'expansibilité, & à définir l'expansibilité, considérée physiquement, l'état des corps vaporisés par la chaleur.

De l'expansibilité comparée dans les différentes substances auxquelles elle appartient. On peut comparer l'expansibilité dans les différentes substances, sous plusieurs points de vûe. On peut comparer 1°. la loi de l'expansibilité, ou des décroissemens de la force répulsive dans les différens corps ; 2°. le degré de chaleur où chaque substance commence à devenir expansible : 3°. le degré d'expansibilité des différens corps, c'est-à-dire le rapport de leur volume à leur masse, au même degré de chaleur.

A l'égard de la loi qui suit la répulsion dans les différens corps expansibles, il paroît presque impossible de s'assûrer directement par l'expérience, qu'elle est dans tous les corps la même que dans l'air. La plûpart des corps expansibles qu'on pourroit soûmettre aux expériences, n'acquierent cette propriété que par un degré de chaleur assez considérable, & rien ne seroit si difficile que d'entretenir cette chaleur au même point, aussi-long-tems qu'il le faudroit pour les soûmettre à nos expériences. Si l'on essayoit de les charger successivement, comme l'air, par différentes colonnes de mercure, le refroidissement produit par mille causes & par la seule nécessité de placer le vaisseau sur un support, & d'y appliquer la main ou tout autre corps qui n'auroit point le même degré de chaleur, viendroit se joindre au poids des colonnes pour condenser la vapeur : or comment démêler la condensation produite par l'action des poids, de la condensation produite par un refroidissement dont on ne connoît point la mesure ? Les vapeurs de l'acide nitreux très-concentré & surchargé de phlogistique, auroient à la vérité cet avantage sur les vapeurs aqueuses, qu'elles pourroient demeurer expansibles à des degrés de chaleur au-dessous même de celle de l'atmosphere dans des jours très-chauds. Mais de quelle maniere s'y prendroit-on pour les comprimer dans une proportion connue ; puisque le mercure, le seul de tous les êtres qu'on pût employer à cet usage, ne pourroit les toucher sans être dissous avec une violente effervescence qui troubleroit tous les phénomenes de l'expansibilité ?

On lit dans les essais de physique de Musschenbroeck, §. 1330, que des vapeurs élastiques produites par la pâte de farine, comprimées par un poids double, ont occupé un espace quatre fois moindre. Mais j'avoue que j'ai peine à imaginer comment ce célebre physicien a pû exécuter cette expérience avec les précautions nécessaires pour la rendre concluante, c'est-à-dire en conservant la vapeur, le vaisseau, les supports du vaisseau, & la force comprimante, dans un degré de chaleur toûjours le même. De plus, on sait que ces mêmes vapeurs qui s'élevent des corps en fermentation, sont un mélange d'air dégagé par le mouvement de la fermentation, & d'autres substances volatiles ; souvent ces substances absorbent de nouveau l'air avec lequel elles s'étoient élevées, & forment par leur union chimique avec lui un nouveau mixte, dont l'expansibilité peut être beaucoup moindre, ou même absolument nulle. Voyez les articles EFFERVESCENCE & CLYSSUS. M. Musschenbroeck n'entre dans aucun détail sur le procédé qu'il a suivi dans cette expérience ; & je présume qu'il s'est contenté d'observer le rapport de la compression à l'espace, sans faire attention à toutes les autres circonstances qui peuvent altérer l'expansibilité de la vapeur : car s'il eût tenté d'évaluer ces circonstances, il eût certainement trouvé trop de difficultés pour ne pas rendre compte des moyens qu'il auroit employés pour les vaincre ; peut-être même auroit-il été impossible d'y réussir.

Il est donc très-probable que l'expérience ne peut nous apprendre si les vapeurs se condensent ou non, comme l'air, en raison des forces comprimantes, & si leurs particules se repoussent en raison inverse de leurs distances : ainsi nous sommes réduits sur cette question à des conjectures pour & contre.

D'un côté la chaleur étant, comme nous l'avons prouvé, la cause de l'expansibilité dans toutes les substances connues, on ne peut guere se défendre de croire que cette cause agit dans tous les corps, suivant la même loi ; d'autant plus que toutes les différences qui pourroient résulter des obstacles que la contexture de leurs parties & les lois de leur adhésion mettroient à l'action de la chaleur, sont absolument nulles, dès que les corps sont une fois dans l'état de vapeur : les dernieres molécules du corps sont alors isolées dans le fluide, où elles nagent ; elles ne résistent à son action que par leur masse ou leur figure, qui étant constamment les mêmes, ne forment point des obstacles variables en raison des distances, & qui ne peuvent par conséquent altérer par le mélange d'une autre loi, le rapport de l'action propre de la chaleur avec la distance des molécules sur lesquelles elle agit. D'ailleurs l'air sur lequel on a fait des expériences, n'est point un air pur ; il tient toûjours en dissolution une certaine quantité d'eau, & même d'autres matieres, qu'il peut aussi soûtenir au moyen de leur union avec l'eau. Voyez ROSEE. La quantité d'eau actuellement dissoute par l'air, est toûjours relative à son degré de chaleur. Voyez EVAPORATION & HUMIDITE. Ainsi la proportion de l'air à l'eau dans un certain volume d'air, varie continuellement ; cependant cette différente proportion ne change rien à la loi des condensations, dans quelque état que soit l'air qu'on soûmet à l'expérience. Il est naturel d'en conclure, que l'expansibilité de l'eau suit la même loi que celle de l'air, & que cette loi est toûjours la même, quelle que soit la nature du corps exposé à l'action de la chaleur.

De l'autre côté on peut dire que l'eau ainsi élevée & soûtenue dans l'air par la simple voie de vaporisation, c'est-à-dire par l'union chimique de ses molécules avec celles de l'air, n'est, à proprement parler, expansible que par l'expansibilité propre de l'air, & peut être assujettie à la même loi, sans qu'on puisse rigoureusement en conclure, que l'eau devenue expansible par la vaporisation proprement dite, & par une action de la chaleur qui lui seroit appliquée immédiatement, ne suivroit pas des lois différentes. On peut ajoûter qu'il y a des corps qui ne se conservent dans l'état d'expansibilité, que par des degrés de chaleur très-considérables & très-supérieurs à la chaleur qu'on a jusqu'ici appliquée à l'air. Or quoique la chaleur dans un dégré médiocre produise entre les molécules des corps une répulsion qui suit la raison inverse des distances, il est très possible que la loi de cette répulsion change lorsque la chaleur est poussée à des degrés extrèmes, ou son action prend peut-être un nouveau caractere ; ce qui donneroit une loi différente pour la répulsion dans les différens corps.

Aucune des deux opinions n'est appuyée sur des preuves assez certaines pour prendre un parti. J'avouerai pourtant que je panche à croire la loi de répulsion uniforme dans tous les corps. Tous les degrés de chaleur que nous pouvons connoître, sont vraisemblablement bien loin des derniers degrés dont elle est susceptible, dans lesquels seuls nous pouvons supposer que son action souffre quelque changement ; & quoique l'uniformité de la loi dans l'air uni à l'eau, quelle que soit la proportion de ces deux substances, ne suffise pas pour en tirer une conséquence rigoureuse, généralement applicable à tous les corps ; elle prouve du moins que le corps expansible peut être fort altéré dans la nature & les dimensions de ses molécules, sans que la loi soit en rien dérangée ; & c'en est assez pour donner à la proposition générale bien de la probabilité.

Mais si l'on peut avec vraisemblance supposer la même loi d'expansibilité pour tous les corps, il s'en faut bien qu'il y ait entr'eux la même uniformité, par rapport au degré de chaleur dont ils ont besoin pour devenir expansibles. J'ai déjà remarqué plus haut que ce commencement de la vaporisation des corps comparé à l'échelle de la chaleur, répondoit toûjours au même point pour chaque corps placé dans les mêmes circonstances, & à différens points pour les différens corps ; ensorte que si l'on augmente graduellement la chaleur, tous les corps susceptibles de l'expansibilité parviendront successivement à cet état dans un ordre toûjours le même. On peut représenter cet ordre que j'appelle l'ordre de vaporisation des corps, en dressant, d'après des observations exactes, une table de tous ces points fixes, & former ainsi une échelle de chaleur bien plus étendue que celle de nos thermometres. Cette table, qui seroit très-utile aux progrès de nos connoissances sur la nature intime des corps, n'est point encore exécutée : mais les Physiciens en étudiant le phénomene de l'ébullition des liquides, & les Chimistes en décrivant l'ordre des produits dans les différentes distillations Voyez ÉBULLITION & DISTILLATION), ont rassemblé assez d'observations pour en extraire les faits généraux, qui doivent former la théorie physique de l'ordre de vaporisation des corps. Voici les faits qui résultent de leurs observations.

1°. Un même liquide dont la surface est également comprimée, se réduit en vapeur & se dissipe toûjours au même degré de chaleur : de-là la constance du terme de l'eau bouillante. Voyez EBULLITION & le mémoire de M. l'abbé Nollet. 2°. La vaporisation n'a besoin que d'un moindre degré de chaleur, si la surface du liquide est moins comprimée, comme il arrive dans l'air raréfié par la machine pneumatique ; au contraire, la vaporisation n'a lieu qu'à un plus grand degré de chaleur, si la pression sur la surface du liquide augmente, comme il arrive dans le digesteur ou machine de Papin. Voyez DIGESTEUR. Delà l'exacte correspondance entre la variation legere du terme de l'eau bouillante & les variations du barometre. 3°. L'eau qui tient en dissolution des matieres qui ne s'éleve point au même degré de chaleur qu'elle, ou même qui ne s'élevent point du-tout, a besoin d'un plus grand degré de chaleur pour parvenir au terme de la vaporisation ou de l'ébullition. Ainsi pour donner à l'eau bouillante un plus grand degré de chaleur, on la charge d'une certaine quantité de sels. Voyez l'article BAIN-MARIE. 4°. Au contraire l'eau, ou toute autre substance unie à un principe qui demande une moindre chaleur pour s'élever, s'éleve aussi à un degré de chaleur moindre qu'elle ne s'éleveroit sans cette union. Ainsi l'eau unie à la partie aromatique des plantes monte à un moindre degré de chaleur dans la distillation que l'eau pure ; c'est sur ce principe qu'est fondé le procédé par lequel on rectifie les eaux & les esprits aromatiques. Voyez RECTIFICATION. Ainsi l'acide nitreux devient d'autant plus volatil, qu'il est plus surchargé de phlogistique ; & le même phlogistique uni dans le soufre avec l'acide vitriolique, donne à ce mixte une volatilité que l'acide vitriolique seul n'a pas. 5°. Les principes qui se séparent des mixtes dans la distillation, en acquérant l'expansion vaporeuse, ont besoin d'un degré de chaleur beaucoup plus considérable que celui qui suffiroit pour les réduire en vapeur s'ils étoient purs & rassemblés en masse ; ainsi dans l'analyse chimique le degré de l'eau bouillante n'enleve aux végétaux & aux animaux qu'une eau surabondante, instrument nécessaire de la végétation & de la nutrition, mais qui n'entre point dans la combinaison des mixtes dont ils sont composés. V. ANALYSE VEGETALE & ANIMALE. Ainsi l'air qu'un degré de chaleur très-au-dessous de celui que nous appellons froid, rend expansible, est cependant l'un des derniers principes que le feu sépare de la mixtion de certains corps. 6°. L'ordre de la vaporisation des corps ne paroit suivre dans aucun rapport l'ordre de leur pesanteur spécifique.

Qu'on se rappelle maintenant la théorie que nous avons donnée de l'expansibilité. Nous avons prouvé que la cause de l'expansibilité des corps est une force par laquelle la chaleur tend à écarter leurs molécules les unes des autres, & que cette force ne differe que par le degré de celle qui change l'aggrégation solide en aggrégation fluide, & qui dilate les parties de tous les corps dont elle ne détruit pas l'aggrégation. Cela posé, le point de vaporisation de chaque corps, est celui où la force répulsive produite par la chaleur commence à surpasser les obstacles ou la somme des forces qui retenoient les parties des corps les unes auprès des autres. Ce fait général comprend tous ceux que nous venons de rapporter. En effet, ces forces sont, 1°. la pression exercée sur la surface du fluide par l'atmosphere ou par tout autre corps : 2°. la pesanteur de chaque molécule : 3°. la force d'adhésion ou d'affinité qui l'unit aux molécules voisines, soit que celles-ci soient de la même nature ou d'une nature différente. L'instant avant la vaporisation du corps, la chaleur faisoit équilibre avec ces trois forces. Donc si on augmente l'une de ces forces, soit la force comprimante de l'atmosphere, soit l'union qui retient les parties d'un même corps auprès les unes des autres sous une forme aggrégative, soit l'union chimique qui attache les molécules d'un principe aux molécules d'un autre principe plus fixe, la vaporisation n'aura lieu qu'à un degré de chaleur plus grand. Si la force qui unit deux principes est plus grande que la force qui tend à les séparer, ils s'éleveront ensemble, & le point de leur vaporisation sera relatif à la pesanteur des deux molécules élémentaires unies, & à l'adhérence que les molécules combinées du mixte ont les unes aux autres, & qui leur donne la forme aggrégative ; & comme les molécules du principe le plus volatil sont moins adhérentes entr'elles que celles du principe plus fixe, il doit arriver naturellement qu'en s'interposant entre celles-ci, elles en diminuent l'adhérence, que l'union aggrégative soit moins forte, & qu'ainsi le terme de vaporisation du mixte soit mitoyen entre les termes auxquels chacun des principes pris solitairement commence à s'élever. Des trois forces dont la somme détermine le degré de chaleur nécessaire à la vaporisation de chaque corps, il y en a une, c'est la pesanteur absolue de chaque molécule, qui ne sauroit être appréciée, ni même fort sensible pour nous. Ainsi la pression sur la surface du fluide étant à-peu-près constante, puisque c'est toûjours celle de l'atmosphere, avec lequel il faut toûjours que les corps qu'on veut élever par le moyen de la chaleur communiquent actuellement (voyez DISTILLATION), l'ordre de vaporisation des corps doit être principalement relatif à l'union qui attache les unes aux autres les molécules des corps ; c'est ce qui est effectivement conforme à l'expérience, comme on peut le voir à l'article DISTILLATION. Enfin cet ordre ne doit avoir aucun rapport avec la pesanteur spécifique des corps, puisque cette pesanteur n'est dans aucune proportion, ni avec la pesanteur absolue de chaque molécule, ni avec la force qui les unit les unes aux autres.

Il suit de cette théorie, que si on compare l'expansibilité des corps sous le troisieme point de vûe que nous avons annoncé, c'est-à-dire si l'on compare le degré d'expansion que chaque corps reçoit par l'application d'un nouveau degré de chaleur, & le rapport qui en résultera de son volume à son poids ; cet ordre d'expansibilité des corps considéré sous ce point de vûe, sera très-différent de l'ordre de leur vaporisation. En effet, aussi-tôt qu'un corps a acquis l'état d'expansion, les liens de l'union chimique ou aggrégative qui retenoient ses molécules sont entierement brisés, ces molécules sont hors de la sphere de leur attraction mutuelle ; & cette derniere force, qui dans l'ordre de vaporisation devoit être principalement considérée, est entierement nulle & n'a aucune part à la détermination de l'ordre d'expansibilité. La pesanteur propre à chaque molécule devient donc la seule force, qui, avec la pression extérieure toûjours supposée constante, fait équilibre avec l'action de la chaleur. La résistance qu'elle lui oppose est seulement un peu modifiée par la figure de chaque molécule, & par le rapport de sa surface à sa masse, s'il est vrai que le fluide auquel nous attribuons l'écartement produit par la chaleur, agisse sur chaque molécule par voie d'impulsion ; or cette force & la modification qu'elle peut recevoir, n'étant nullement proportionnelles à l'union chimique ou aggrégative des molécules, il est évident que l'ordre d'expansibilité des corps ne doit point suivre l'ordre de vaporisation, & que tel corps qui demande, pour devenir expansible, un beaucoup plus grand degré de chaleur qu'un autre, reçoit pourtant d'un même degré de chaleur une expansion beaucoup plus considérable ; c'est ce que l'expérience, vérifie d'une maniere bien sensible dans la comparaison de l'expansibilité de l'eau & de celle de l'air. On suppose ordinairement que l'eau est environ huit cent fois plus pesante spécifiquement que l'air ; admettons qu'elle le soit mille fois davantage, il s'ensuit que l'air pris au degré de chaleur commun de l'atmosphere, & réduit à n'occuper qu'un espace mille fois plus petit, seroit aussi pesant que l'eau. Appliquons maintenant à ces deux corps le même degré de chaleur, celui où le verre commence à rougir. Une expérience fort simple rapportée dans les leçons de Physique de M. l'abbé Nollet, prouve que l'eau à ce degré de chaleur occupe un espace quatorze mille fois plus grand. Cette expérience consiste à faire entrer une goutte d'eau dans une boule creuse, garnie d'un tube, dont la capacité soit environ 14000 fois plus grande que celle de la goutte d'eau, ce qu'on peut connoître aisément par la comparaison des diametres ; à faire ensuite rougir la boule sur des charbons ; & à plonger l'extrémité du tube dans un vase plein d'eau : cette eau monte & remplit entierement la boule, ce qui prouve qu'il n'y reste aucun air, & que par conséquent la goutte d'eau en remplissoit toute la capacité. Mais par une expérience toute semblable, on connoît que l'air au même degré de chaleur qui rougit le verre, n'augmente de volume que dans le rapport de trois à un. Et comme cet air par son expansion remplit déjà un volume mille fois plus grand que celui auquel il faudroit le réduire pour le rendre spécifiquement aussi pesant que l'eau, il faut multiplier le nombre de 3, ou, ce qui est la même chose, diviser celui de 14000 par mille, ce qui donnera le rapport des volumes de l'eau à celui de l'air, à poids égal, comme 14 à 3 ; d'où l'on voit combien l'expansibilité du corps le plus difficilement expansible, surpasse celle du corps qui le devient le plus aisément.

L'application de cette partie de notre théorie à l'air & à l'eau, suppose que les particules de l'eau sont beaucoup plus legeres que celles de l'air, puisqu'étant les unes & les autres isolées au milieu du fluide de la chaleur, & ne résistant guere à son action que par leur poids, l'expansion de l'eau est si supérieure à celle de l'air : cette supposition s'accorde parfaitement avec l'extrème différence que nous remarquons entre les deux fluides, par rapport au degré de leur vaporisation : les molécules de l'air, beaucoup plus pesantes, s'élevent beaucoup plûtôt que celles de l'eau, parce que leur adhérence mutuelle est bien plus inférieure à celle des parties de l'eau, que leur pesanteur n'est supérieure. Plus on supposera les parties de l'eau petites & legeres, plus le fluide sera divisé sous un poids égal en un grand nombre de molécules ; plus l'élément de la chaleur, interposé entr'elles, agira sur un grand nombre de parties, plus son action s'appliquera sur une grande surface, les poids qu'il aura à soûlever restant les mêmes, & par conséquent plus l'expansibilité sera considérable. Mais il ne s'ensuit nullement delà, que le corps ait besoin d'un moindre degré de chaleur, pour être rendu expansible. Si l'on admet, avec Newton, une force attractive qui suive la raison inverse des cubes des distances : comme il est démontré que cette attraction ne seroit sensible qu'à des distances très-petites, & qu'elle seroit infinie au point de contact ; il est évident, 1°. que l'adhérence résultante de cette attraction, est en partie relative à l'étendue des surfaces par lesquelles les molécules attirées peuvent se toucher, puisque le nombre des points de contact est en raison des surfaces touchantes : 2°. que moins le centre de gravité est éloigné des surfaces, plus l'adhésion est forte : en effet, cette attraction qui est infinie au point de contact, ne peut jamais produire qu'une force finie, parce que la surface touchante n'est véritablement qu'un infiniment petit ; la molécule entiere est par rapport à elle un infini, dans lequel la force se partage en raison de l'inertie du tout : si cette molécule grossissoit jusqu'à un certain point, il est évident que tout ce qui se trouveroit hors des limites de la sphere sensible de l'attraction cubique, seroit une surcharge à soûtenir pour celle-ci, & pourroit en rendre l'effet nul : si au contraire la molécule se trouve toute entiere dans la sphere d'attraction, toutes ses parties contribueront à en augmenter l'effet, & plus le centre de gravité sera proche du contact, moins cette force qui s'exerce au contact sera diminuée par la force d'inertie des parties de la molécule les plus éloignées : or plus les molécules, dont un corps est formé, seront supposées petites, moins le centre de gravité de chaque molécule est éloigné de leur surface, & plus elles ont de superficie, relativement à leur masse.

Concluons que la petitesse des parties doit d'abord retarder la vaporisation, puis augmenter l'expansibilité, quand une fois les corps sont dans l'état de vapeur.

Je ne dois pas omettre une conséquence de cette théorie sur l'ordre d'expansibilité des corps, comparé à l'ordre de leur vaporisation : c'est qu'un degré de chaleur qui ne suffiroit pas pour rendre un corps expansible, peut suffire pour le maintenir dans l'état d'expansibilité. En effet, je suppose qu'un ballon de verre ne soit rempli que d'eau en vapeur, & qu'on plonge ce ballon dans de l'eau froide : comme le froid n'a point une force positive pour rapprocher les parties des corps (voyez FROID), il en doit être de cette eau comme de l'air, qui, lorsqu'il ne communique point avec l'atmosphere, n'éprouve aucune condensation en se refroidissant. L'attraction des parties de l'eau ne peut tendre à les rapprocher, puisqu'elles ne sont point placées dans la sphere de leur action mutuelle : leur pesanteur, beaucoup moindre que celle des parties de l'air, ne doit pas avoir plus de force pour vaincre l'effort d'un degré de chaleur, que l'air soûtient sans se condenser. La pression extérieure est nulle ; l'eau doit donc rester en état de vapeur dans le ballon, quoique beaucoup plus froide que l'eau bouillante, ou du moins elle ne doit perdre cet état que lentement & peu-à-peu, à mesure que les molécules qui touchent immédiatement au verre adhérent à sa surface refroidie, & s'y réunissent avec les molécules qui leur sont contiguës, & ainsi successivement, parce que toutes les molécules, par leur expansibilité même, s'approcheront ainsi les unes après les autres de la surface du ballon, jusqu'à ce qu'elles soient toutes condensées. Il est cependant vrai que dans nos expériences ordinaires, dès que la chaleur est au-dessus du degré de l'eau bouillante, les vapeurs aqueuses redeviennent de l'eau ; mais cela n'est pas étonnant ; puisque la pression de l'atmosphere agit toûjours sur elles pour les rapprocher, & les remet par-là dans la sphere de leur action mutuelle, quand l'obstacle de la chaleur ne subsiste plus.

On voit par-là combien se trompent ceux qui s'imaginent que l'humidité qu'on voit s'attacher autour d'un verre plein d'une liqueur glacée, est une vapeur condensée par le froid : cet effet, de même que celui de la formation des nuages, de la pluie, & de tous les météores aqueux, est une vraie précipitation chimique par un degré de froid qui rend l'air incapable de tenir en dissolution toute l'eau dont il s'étoit chargé par l'évaporation dans un tems plus chaud ; & cette précipitation est précisément du même genre que celle de la crême de tartre, lorsque l'eau qui la tenoit en dissolution s'est refroidie. Voyez HUMIDITE & PLUIE.

On sent aisément combien une table qui représenteroit, d'après des observations exactes, le résultat d'une comparaison suivie des différentes substances, & l'ordre de leur expansibilité, pourroit donner de vûes aux Physiciens, sur-tout si on y marquoit toutes les différences entre cet ordre & l'ordre de leur vaporisation. Je comprendrois dans cette comparaison des différentes substances par rapport à l'expansibilité, la comparaison des différens degrés d'expansibilité entre l'air, qui contient beaucoup d'eau, & l'air qui en contient moins, ou qui n'en contient point du tout. Musschenbroeck a observé que l'air chargé d'eau a beaucoup plus d'élasticité qu'un autre air, & cela doit être, du-moins lorsque la chaleur est assez grande pour réduire l'eau même en vapeur ; car il pourroit arriver aussi qu'au-dessous de ce degré de chaleur, l'eau dissoute en l'air & unie à chacune de ses molécules, augmenta encore la pesanteur par laquelle elles résistent à la force qui les écarte. D'ailleurs comme on n'a point encore connu les moyens que nous donnerons à l'article humidité, pour savoir exactement combien un air est plus chargé d'eau qu'un autre air (voyez HUMIDITE) ; on n'a point cherché à mesurer les différens degrés d'expansibilité de l'air, suivant qu'il contient plus ou moins d'eau, sur-tout au degré de la température moyenne de l'atmosphere : il seroit cependant aisé de faire cette comparaison par un moyen assez simple ; il ne s'agiroit que d'avoir une cloche de verre assez grande pour y placer un barometre, & d'ôter toute communication entre l'air renferme sous la cloche & l'air extérieur ; la cire, ou mieux encore, le lut gras des Chimistes, qui ne fourniroient à l'air aucune humidité nouvelle, seroient excellens pour cet usage : on auroit eu soin de placer sous la cloche une certaine quantité d'alkali fixe du tartre bien sec, & dont on connoîtroit le poids. On sait que l'air ayant moins d'affinité avec l'eau que cet alkali, celui-ci se charge peu-à-peu de l'humidité qui étoit dans l'air : si donc, en observant de faire l'expérience dans une chambre, dont la température soit maintenue égale, afin que les variations d'expansibilité, provenantes de la chaleur, ne produisent aucun mécompte ; si, à mesure que l'alkali absorbe une certaine quantité d'eau, le barometre hausse ou baisse, on en conclura que l'air en perdant l'eau qui lui étoit unie, devient plus ou moins expansible ; & l'on pourra toûjours, en pesant l'alkali fixe, connoître par l'augmentation de son poids le rapport de la quantité d'eau que l'air a perdue au changement qui sera arrivé dans son expansibilité : il faudra faire l'expérience en donnant à l'air différens degrés de chaleur ; pour s'assûrer si le plus ou le moins d'eau augmente ou diminue l'expansibilité de l'air dans un même rapport, qu'elle que soit la chaleur ; & d'après ces différens rapports constamment observés, il sera aisé d'en construire des tables : l'exécution de ces tables peut seule donner la connoissance exacte d'un des élémens qui entre dans la théorie des variations du barometre ; & dès-lors il est évident que ce travail est un préalable nécessaire à la recherche de cette théorie.

Des usages de l'expansibilité, & de la part qu'elle a dans la production des plus grands phénomenes de la nature. 1°. C'est par l'expansibilité que les corps s'élevent dans la distillation & dans la sublimation ; & c'est l'inégalité des degrés de chaleur, nécessaires pour l'expansibilité des différens principes des mixtes, qui rend la distillation un moyen d'analyse chimique. Voyez DISTILLATION.

2°. C'est l'expansibilité qui fournit à l'art & à la nature les forces motrices les plus puissantes & les plus soudaines. Indépendamment des machines où l'on employe la vapeur de l'eau bouillante (voyez l'article EAU) ; l'effort de la poudre à canon (voyez POUDRE A CANON), les dangereux effets de la moindre humidité qui se trouveroit dans les moules où l'on coule les métaux en fonte, les volcans & les tremblemens de terre, & tout ce qui, dans l'art & dans la nature, agit par une explosion soudaine dans toutes les directions à la fois, est produit par un fluide devenu tout-à-coup expansible. On avoit autrefois attribué tous ces effets à l'air comprimé violemment, puis dilaté par la chaleur : mais nous avons vû plus haut, que l'air renfermé dans un tube de verre rougi au feu, n'augmente de volume que dans le rapport de trois à un ; or une augmentation beaucoup plus considérable, seroit encore insensible en comparaison de la prodigieuse expansion que l'eau peut recevoir. L'air que le feu dégage des corps, dans lesquels il est combiné, pourroit produire des effets un peu plus considérables ; mais la quantité de cet air est toûjours si petite, comparée à celle de l'eau qui s'éleve des corps au même degré de chaleur, qu'on doit dire avec M. Rouelle, que dans les différentes explosions, attribuées communément à l'air par les Physiciens, si l'air agit comme un, l'eau agit comme mille. La promtitude & les prodigieux effets de ces explosions ne paroîtront point étonnans, si l'on considere la nature de la force expansive & la maniere dont elle agit. Tant que cette force n'est employée qu'à lutter contre les obstacles qui retiennent les molécules des corps appliquées les unes contre les autres, elle ne produit d'autre effet sensible, qu'une dilatation peu considérable ; mais dès que l'obstacle est anéanti, par quelque cause que ce soit, chaque molécule doit s'élancer avec une force égale à celle qu'avoit l'obstacle pour la retenir, plus le petit degré de force, dont la force expansive a dû surpasser celle de l'obstacle : chaque molécule doit donc recevoir un mouvement local d'autant plus rapide, qu'il a fallu une plus grande force pour vaincre l'obstacle ; c'est cet unique principe qui détermine la force de toutes les explosions : ainsi plus la chaleur nécessaire à la vaporisation est considerable, & plus l'explosion est terrible ; chaque molécule continuera de se mouvoir dans la même direction avec la même vîtesse, jusqu'à ce qu'elle soit arrêtée ou détournée par de nouveaux obstacles ; & l'on ne connoît point les bornes de la vîtesse que les molécules des corps peuvent recevoir par cette voie au moment de leur expansion. L'idée d'appliquer cette réflexion à l'éruption de la lumiere à sa prodigieuse rapidité, se présente naturellement. Mais j'avoue que j'aurois peine à m'y livrer, sans un examen plus approfondi ; car cette explication, toute séduisante qu'elle est au premier coup-d'oeil, me paroît combattue par les plus grandes difficultés. Voyez INFLAMMATION & LUMIERE.

3°. C'est l'expansibilité de l'eau qui, en soûlevant les molécules de l'huile embrasée, en les divisant, en multipliant les surfaces, multiplie en même raison le nombre des points embrasés à la fois, produit la flamme, & lui donne cet éclat qui la caractérise. Voyez FLAMME.

4°. L'inégale expansibilité produite par l'application d'une chaleur différente aux différentes parties d'une masse de fluide expansible, rompt par-là même l'équilibre de pesanteur entre les colonnes de ce fluide, & y forme différens courans : cette inégalité de pesanteur entre l'air chaud & l'air froid, est le fondement de tous les moyens employés pour diriger les mouvemens de l'air à l'aide du feu (voyez FOURNEAU & VENTILATEUR A FEU) : elle est aussi la principale cause des vents. Voyez VENT.

5°. Cette inégalité de pesanteur est plus considérable encore, lorsqu'un fluide, au moment qu'il dévient expansible, se trouve mêlé avec un fluide dans l'état de liquidité : de-là l'ébullition des liquides par les vapeurs, qui se forment dans le fond du vase qui les contient ; de-là l'effervescence qui s'observe presque toûjours dans les mélanges chimiques au moment où les principes commencent à agir l'un sur l'autre pour se combiner, soit que cette effervescence n'ait d'autre cause que l'air, qui se dégage d'un des deux principes ou de tous les deux, comme il arrive le plus souvent. (voyez EFFERVESCENCE), soit qu'un des deux principes soit lui-même en partie réduit en vapeur dans le mouvement de la combinaison, comme il arrive, suivant M. Rouelle, à l'esprit de nitre, dans lequel on a mis dissoudre du fer ou d'autres matieres métalliques. De-là les mouvemens intestins, les courans rapides qui s'engendrent dans les corps actuellement en fermentation, & qui par l'agitation extrème qu'ils entretiennent dans toute la masse, sont l'instrument puissant du mêlange intime de toutes ses parties, de l'atténuation de tous les principes, des décompositions & des recompositions qu'ils subissent.

6°. Si le liquide avec lequel se trouve mêlé le fluide devenu expansible, a quelque viscosité, cette viscosité soûtiendra plus ou moins long-tems l'effort des vapeurs, suivant qu'elle est elle-même plus ou moins considérable : la totalité du mélange se remplira de bulles, dont le corps visqueux formera les parois, & l'espace qu'elle occupe s'augmentera jusqu'à ce que la viscosité des parties soit vaincue par le fluide expansible ; c'est cet effet qu'on appelle gonflement. Voyez GONFLEMENT.

7°. Si tandis qu'un corps expansible tend à occuper un plus grand espace, le liquide dont il est environné, acquiert une consistance de plus en plus grande, & parvient enfin à opposer par cette consistance, un obstacle insurmontable à l'expansion du corps en vapeur ; le point d'équilibre entre la résistance d'un côté & la force expansive de l'autre, déterminera & fixera la capacité & la figure des parois, formera des ballons, des vases, des tuyaux, des ramifications ou dures ou flexibles, toûjours relativement aux différentes altérations de l'expansibilité d'un côté, de la consistance de l'autre ; ensorte que ces vaisseaux & ces ramifications s'étendront & se compliqueront à mesure que le corps expansible s'étendra du côté où il ne trouve point encore d'obstacle, en formant une espece de jet ou de courant, & que le liquide, en se durcissant à l'entour, environnera ce courant d'un canal solide : il n'importe à quelle cause on doive attribuer ce changement de consistance, ou cette dureté survenue dans le liquide, dont le corps expansible est environné, soit au seul refroidissement (voyez VERRERIE), soit à la crystallisation de certaines parties du liquide (voyez VEGETATION CHIMIQUE), soit à la coagulation, ou à ces trois causes réunies, ou peut-être à quelqu'autre cause inconnue. Voyez GENERATION & MOLECULES ORGANIQUES.

8°. Il résulte de tout cet article, que presque tous les phénomenes de la physique sublunaire sont produits par la combinaison de deux forces contraires ; la force qui tend à rapprocher les parties des corps ou l'attraction, & la chaleur qui tend à les écarter, de même que la physique céleste est toute fondée sur la combinaison de la pesanteur & de la force projectile : j'employe cette comparaison d'après M. Needham, qui a le premier conçu l'idée d'expliquer les mysteres de la génération par la combinaison des deux forces attractive & répulsive (voyez les observations microscopiques de M. Needham, sur la composition & la décomposition des substances animales & végétales). Ces deux forces se balançant mutuellement, se mesurent exactement l'une l'autre dans le point d'équilibre, & il suffiroit peut-être de pouvoir rapporter une des deux à une mesure commune & à une échelle comparable, pour pouvoir soûmettre au calcul la physique sublunaire, comme Newton y a soûmis la physique céleste. L'expansibilité de l'air nous en donne le moyen, puisque par elle nous pouvons mesurer la chaleur depuis le plus grand froid jusqu'au plus grand chaud connu, en comparer tous les degrés à des quantités connues, c'est-à-dire à des poids, & par conséquent découvrir la véritable proportion entre un degré de chaleur & un autre degré. Il est vrai que ce calcul est moins simple qu'il ne paroît au premier coup-d'oeil. Ce n'est point ici le lieu d'entrer dans ce détail. Voyez TEMPERATURE & THERMOMETRE. J'observerai seulement, en finissant, que plusieurs physiciens ont nié la possibilité de trouver exactement cette proportion, quoique M. Amontons ait depuis long-tems mesuré la chaleur par les différens poids que soûtient le ressort de l'air. Cela prouve que bien des vérités sont plus près de nous, que nous n'osons le croire. Il y en a dont on dispute, & qui sont déjà démontrées ; d'autres qui n'attendent pour l'être qu'un simple raisonnement. Peut-être que l'art de rapprocher les observations les unes des autres & d'appliquer le calcul aux phénomenes, a plus manqué encore aux progrès de la Physique, que les observations mêmes.


EXPANSIONS. f. en Physique, est l'action par laquelle un corps est étendu & dilaté, soit par quelque cause extérieure, comme celles de la raréfaction ; soit par une cause interne, comme l'élasticité. Voy. DILATATION, RAREFACTION, ELASTICITE.

Les corps s'étendent par la chaleur ; c'est pourquoi leurs pesanteurs spécifiques sont différentes, suivant les différentes saisons de l'année. Voyez PESANTEUR SPECIFIQUE, EAU, &c. Voyez aussi PYROMETRE & EXTENSION. Voyez ci-dessus EXPANSIBILITE. Chambers.

EXPANSION, (Anat.) signifie prolongement, continuation ; c'est ainsi que l'on dit expansion membraneuse, ligamenteuse, musculeuse : cette derniere répond précisément au platysma myoïdès des Grecs. C'est une idée très physiologique de considérer toutes les fibres du corps animal comme des expansions d'autres fibres ; ainsi les fibres du cerveau ne sont que des développemens & des expansions des vaisseaux sanguins qui y aboutissent. Les nerfs sont des expansions des fibres du cerveau, & les fibres de tous les vaisseaux sont à leur tour des expansions des dernieres ramifications des nerfs. (g)


EXPECTANTadj. pris subst. (Jurisp.) est celui qui attend l'accomplissement d'une grace qui lui est dûe ou promise, tel que celui qui a l'agrément de la premier charge vacante, ou celui qui a une expectative sur le premier bénéfice qui vaquera. Il y a quelquefois plusieurs expectans sur un même collateur, l'un en vertu de ses grades, un autre en vertu d'un indult, un autre pour le serment de fidélité. Voy. EXPECTATIVE, GRADUE, INDULT, &c. (A)


EXPECTATIVES. f. (Jurisp.) en matiere bénéficiale, ou grace expectative, est l'espérance ou droit qu'un ecclésiastique a au premier bénéfice vacant, du nombre de ceux qui sont sujets à son expectative.

On ne connut point les expectatives tant que l'on observa l'ancienne discipline de l'Eglise, de n'ordonner aucun clerc sans titre : chaque clerc étant attaché à son église par le titre de son ordination, & ne pouvant sans cause légitime être transféré d'une église à une autre, aucun d'entr'eux n'étoit dans le cas de demander l'expectative d'un bénéfice vacant.

Il y eut en Orient dès le v. siecle quelques ordinations vagues & absolues, c'est-à-dire faites sans titre, ce qui fut défendu au concile de Chalcedoine, & cette discipline fut conservée dans toute l'Eglise jusqu'à la fin du xj. siecle ; mais on s'en relâcha beaucoup dans le xij. en ordonnant des clercs sans titre, & ce fut la premiere cause qui donna lieu aux graces expectatives & aux reserves ; deux manieres de pourvoir d'avance aux bénéfices qui viendroient à vaquer dans la suite.

Adrien IV. qui tenoit le saint siége vers le milieu du xij. siecle, passe pour le premier qui ait demandé que l'on conférât des prébendes aux personnes qu'il désignoit. Il y a une lettre de ce pape qui prie l'évêque de Paris, en vertu du respect qu'il doit au successeur du chef des apôtres, de conférer au chancelier de France la premiere dignité ou la premiere prébende qui vaqueroit dans l'église de Paris. Les successeurs d'Adrien IV regarderent ce droit comme attaché à leur dignité, & ils en parlent dans les decrétales comme d'un droit qui ne pouvoit leur être contesté.

Les expectatives qui étoient alors usitées, étoient donc une assûrance que le pape donnoient à un clerc, d'obtenir un bénéfice lorsqu'il seroit vacant ; par exemple ; la premiere prébende qui vaqueroit dans une telle église cathédrale ou collégiale. Cette forme de conférer les bénéfices vacans ne fut introduite que par degrés.

D'abord l'expectative n'étoit qu'une simple recommandation que le pape faisoit aux prélats en faveur des clercs qui avoient été à Rome, ou qui avoient rendu quelque service à l'Eglise. Ces recommandations furent appellées mandata de providendo, mandats apostoliques ; expectatives, ou graces expectatives.

Les prélats déférant ordinairement à ces sortes de prieres, par respect pour le saint siége, elles devinrent si fréquentes que les évêques, dont la collation se trouvoit gênée, négligerent quelquefois d'avoir égard aux expectatives que le pape accordoit sur eux.

Alors les papes, qui commençoient à étendre leur pouvoir, changerent les prieres en commandemens ; & aux lettres monitoriales qu'ils donnoient d'abord seulement, ils en ajoûterent de préceptoriales, & enfin y en joignirent même d'exécutoriales, portant attribution de jurisdiction à un commissaire pour contraindre l'ordinaire à exécuter la grace accordée par le pape, ou pour conférer, au refus de l'ordinaire ; & pour le contraindre on alloit jusqu'à l'excommunication : cela se pratiquoit dès le xij. siecle. Etienne, évêque de Tournai, fut nommé par le pape, exécuteur des mandats ou expectatives adressés au chapitre de S. Agnan, & il déclara nulles les provisions qui avoient été accordées par ce chapitre au préjudice des lettres apostoliques.

Les expectatives s'accordoient si facilement à tous venans, que Grégoire IX. fut obligé en 1229 d'y insérer cette clause, si non scripsimus pro alio. Il régla aussi que chaque pape ne pourroit donner qu'une seule expectative dans chaque église. Ses successeurs établirent ensuite l'usage de révoquer au commencement de leur pontificat, les expectatives accordées par leurs prédécesseurs, afin d'être plus en état de faire grace à ceux qu'ils voudroient favoriser.

L'usage des expectatives & des reserves ne s'étendit pas d'abord sur les bénéfices électifs, mais seulement sur ceux qui étoient à la collation de l'ordinaire ; mais peu-à-peu les papes s'approprierent de diverses façons la collation de presque tous les bénéfices.

La facilité avec laquelle les papes accordoient ces expectatives, fut cause que la plus grande partie des diocèses devint deserte, parce que presque tous les clercs se retiroient à Rome pour y obtenir des bénéfices.

La pragmatique sanction ou ordonnance qui fut publiée par S. Louis en 1268, abolit indirectement les expectatives & mandats apostoliques, en ordonnant de conserver le droit des collateurs & des patrons. Quelques-uns ont voulu révoquer en doute l'authenticité de cette piece, sous prétexte qu'elle n'a commencé à être citée que dans le xvj. siecle, mais elle paroît certaine, & en effet elle a été comprise au nombre des ordonnances de S. Louis dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, qui s'imprime au Louvre par ordre du Roi.

Quelque tems après saint Louis, on se plaignit en France des expectatives & des mandats ; le célebre Durant, évêque de Mende, les mit au nombre des choses qu'il y avoit lieu de reformer dans le concile général : cependant celui qui fut assemblé à Vienne en 1311, n'eut aucun égard à cette remontrance, & les papes continuerent de disposer des bénéfices, comme ils faisoient auparavant.

L'autorité des fausses decrétales, qui s'accrut beaucoup sous Clément V. & Boniface VIII. contribua encore à multiplier les graces expectatives.

Mais dans le tems que les mandats & les reserves étoient ainsi en usage, les papes en accordoient ordinairement à ceux qui étudioient dans les universités. Boniface VIII. conféra souvent des bénéfices aux gens de Lettres, ou leur accorda des expectatives pour en obtenir.

L'université de Paris envoya elle-même en 1343 au pape Clément VI. la liste de ceux de ses membres auxquels elle souhaitoit que le pape accordât de ces graces.

Pendant le schisme qui partagea l'Eglise depuis la mort de Grégoire XI. les François s'étant soustraits à l'autorité des papes, de l'une & de l'autre obédience, firent plusieurs réglemens contre les reserves, les expectatives & les mandats apostoliques. Il y a entr'autres des lettres de Charles VI. données à Paris le 7 Mai 1399, qui portent qu'en conséquence de la soustraction de la France à l'obédience de Benoît XIII. on pourvoiroit par élection aux bénéfices électifs ; & que les ordinaires conféreroient ceux qui étoient de leur collation, sans avoir égard aux graces expectatives données par Clément VII. par Benoît XIII. & par leurs prédécesseurs.

Mais ces réglemens ne furent exécutés que pendant cette séparation, qui ne fut pas de longue durée ; & l'expectative des gradués étoit si favorablement reçûe en France, que l'assemblée des prélats françois, tenue en 1408, s'étant soustraite à l'obédience des deux papes, ordonna en même tems que l'on conféreroit des bénéfices à ceux qui étoient compris dans la liste de l'université.

Le concile tenu à Basle en 1438, révoqua toutes les graces expectatives, laissant seulement au pape la faculté d'accorder une fois en sa vie un mandat pour un seul bénéfice, dans les églises où il y a plus de dix prébendes ; & deux mandats, dans les églises où il y a cinquante prébendes ou plus. Il ordonne aussi de donner la troisieme partie des bénéfices à des gradués, docteurs, licentiés ou bacheliers dans quelque faculté. C'est-là l'origine du droit des gradués, qu'on appelle aussi expectative des gradués, parce qu'en vertu de leurs grades ils requierent d'avance le premier bénéfice qui viendra à vaquer. Voyez GRADUE.

La pragmatique sanction faite à Bourges dans la même année, abolit entierement les graces expectatives, & rétablit les élections.

Mais par le concordat passé entre Léon X. & François I. on renouvella le réglement qui avoit été fait au concile de Basle, par rapport aux expectatives & mandats apostoliques.

Depuis, le concile de trente a condamné en général toutes sortes de mandats apostoliques & de lettres expectatives, même celles qui avoient été accordées aux cardinaux.

Il ne reste plus en France de graces expectatives que par rapport aux gradués, aux indultaires, aux brevetaires de joyeux avenement, de serment de fidélité, & de premiere entrée : il faut néanmoins excepter l'église d'Elna, autrement de Perpignan, dans laquelle le pape donne à des chanoines encore vivans des coadjuteurs, sub expectatione futurae praebendae ; mais cette église est du clergé d'Espagne, & ne se conduit pas selon les maximes du royaume.

La disposition du concile de Trente, qui abolit nommément les expectatives accordées aux cardinaux, jointe à l'abrogation génerale, a fait douter si le concile ne comprenoit pas les souverains aussi-bien que les cardinaux ; mais les papes & la congrégation du concile ont déclaré le contraire en faveur des empereurs d'Allemagne, en leur conservant le droit de présenter à un bénéfice de chaque collateur de leur dépendance, qui est ce que l'on appelle droit de premiere priere.

Cet usage a passé d'Allemagne en France dans le xvj, siecle, & Henri III. par des lettres patentes du 9 Mars 1577, vérifiées au grand-conseil, mit les brevets de joyeux avenement au nombre des droits royaux. Voyez JOYEUX AVENEMENT.

Les brevets de joyeux avenement sont des especes de mandats par lesquels le roi nouvellement parvenu à la couronne, ordonne à l'évêque ou au chapitre qui confere les prébendes de l'église cathédrale, de conférer la premiere dignité ou la premiere prébende de la cathédrale qui vaquera, à un clerc capable qui est nommé par le brevet du roi.

L'indult des officiers du parlement de Paris est aussi une espece de mandat, par lequel le roi, en vertu du pouvoir qu'il a reçû du saint siége, nomme un clerc, officier ordinaire du parlement de Paris, ou un autre clerc capable, sur la présentation de l'officier du parlement à un collateur du royaume, ou à un patron ecclésiastique, pour qu'il dispose en sa faveur du premier bénéfice qui vaquera à sa collation ou à sa présentation.

L'usage des mandats accordés par le pape aux officiers du parlement de Paris sur la recommandation des officiers de cette compagnie, commença dès la fin du xiij. siecle : on voit un rôle de ces nominations dès l'an 1305. Benoît XII. Boniface IX. Jean XXIII. & Martin V. donnerent aux rois de France des expectatives pour les officiers du parlement : ce droit se regle présentement suivant les bulles de Paul III. & de Clément IX. Voyez INDULT.

Les brevetaires de serment de fidélité, dont le droit a été établi par une déclaration du dernier Avril 1599, vérifiée au grand-conseil, sont encore des expectans ; le brevet de serment de fidélité étant de même une espece de mandat ou grace expectative, par lequel le roi ordonne au nouvel évêque, après qu'il lui a prêté serment de fidélité, de conférer la premiere prébende de l'église cathédrale à sa collation, qui vaquera par mort, au clerc capable d'en être pourvû, qu'il est nommé par le brevet. Voyez SERMENT DE FIDELITE.

Enfin nos rois sont en possession immémoriale de conférer par forme d'expectative une prébende, après leur premiere entrée dans les églises dont ils sont chanoines. Le parlement confirme ce droit, comme étant fondé sur des traités particuliers ou sur des usages fort anciens.

Quelques évêques jouissent d'un droit semblable à leur avenement à l'épiscopat, notamment l'évêque de Poitiers.

Sur les graces expectatives on peut voir Rebuffe, prax. benef. part. I. de expectativo ; Franc. Marc, tome I. quest. 1100. & 1186 ; Chopin, de sacr. lib. I. tit. iij. n. 18. les traités faits par Joa. Staphileus, Ludovic. Gomesius, & Joan. Nic. Gimonteus. Voyez aussi les mém. du Clergé, premiere édit. tome II. part. II. tit. xj. les lois ecclés. de d'Héricourt, part. I. chap. viij. & suiv. le recueil de jurispr. can. au mot Expert. (A)


EXPECTORANTadj. (Méd. Thérap.) on désigne par cette épithete les remedes ou médicamens propres à faciliter, procurer, rétablir l'expectoration ordinaire, ou la toux, qui est l'expectoration violente. Voyez EXPECTORATION, TOUX.

Les expectorans peuvent être regardés par conséquent comme des purgatifs de la poitrine, qui servent à préparer les humeurs, dont l'excrétion doit se faire dans les voies de l'air pulmonaire, qui rendent ces humeurs (attachées aux parois de ces cavités, ou répandues dans les cellules, dans les ramifications des bronches) susceptibles d'être évacuées, jettées hors des poumons par le moyen de l'expectoration ; qui excitent, qui mettent en jeu les organes propres à cette fonction.

Pour que les matieres excrémentitielles ou morbifiques, qui doivent être évacuées par les vaisseaux aériens, soient susceptibles de sortir aisément des conduits excrétoires, ou des cavités cellulaires bronchiques dans lesquelles on les conçoit extravasées, elles doivent avoir une consistance convenable : lorsqu'elles sont trop épaisses, trop visqueuses, elles sortent difficilement des canaux, qu'elles engorgent avant leur excrétion ; ou, lorsqu'elles en sont sorties, qu'elles sont répandues dans les cellules & dans les ramifications des bronches, qu'elles sont adhérentes aux parois de ces vaisseaux aériens de la trachée artere même, elles résistent à être enlevées par l'impulsion de l'air dans les efforts de l'expectoration, & même de la toux : il est donc nécessaire d'employer des moyens qui donnent à ces humeurs la fluidité qui leur manque, en les délayant, en les atténuant au point de rendre leur excrétion ou leur expulsion faciles.

On peut remplir ces indications par des médicamens appropriés, employés sous différentes formes, comme celles de bouillons, d'aposemes, de tisanes, de juleps : mais comme aucun des remedes ainsi composés, n'est susceptible d'être porté immédiatement dans les vaisseaux aériens des poumons, & qu'ils ne produisent leurs effets qu'en agissant comme tous les altérans, c'est-à-dire entant qu'ils sont portés dans la masse des humeurs, & qu'ils en changent les qualités ; on ne peut pas regarder ces remedes comme expectorans proprement dits ; on ne doit donner exactement ce nom qu'à ceux, qui, étant retenus dans la bouche, dans le gosier, tels que les loochs, les tablettes, peuvent par leurs exhalaisons fournir à l'air (qui passe par ces cavités avant d'entrer dans les poumons) des particules dont il se charge, & qu'il porte immédiatement dans les cavités de ce viscere, où elles agissent par leurs différentes qualités sur les parois de ces cavités, ou sur les matieres qui y sont extravasées : les vapeurs humides, émollientes, résolutives ou irritantes, portées dans les poumons, avec l'air inspiré, agissent à peu-près de la même maniere pour favoriser l'expectoration.

Les autres remedes que l'on employe comme expectorans, en les faisant parvenir aux poumons par les voies du chyle, ne doivent être regardés comme purgatifs de ce viscere, que comme la décoction de tabac, la teinture de coloquinte (qui purgent quoique seulement appliqués extérieurement), sont placées parmi les purgatifs des intestins : on ne peut rendre raison de l'opération des remedes qui ne servent à l'expectoration, qu'après avoir été mêlés auparavant dans la masse des humeurs, qu'en leur supposant une propriété spécifique, une analogie qui les rend plus susceptibles de développer leur action dans les glandes ou les cavités bronchiques, que dans les autres parties du corps (voyez MEDICAMENT) ; à moins que l'on ne dise que les humeurs, qui doivent faire la matiere de l'expectoration, ne font que participer aux changemens que les remedes, dont il s'agit, ont opéré dans toute la masse des fluides : mais la plûpart des remedes employés comme expectorans, produisent des effets trop promts, pour que l'on puisse les attribuer ainsi à une opération générale.

On ne doit pas confondre, ainsi qu'on le fait souvent, les remedes béchiques avec les expectorans, attendu que ceux-là sont particulierement destinés à calmer l'irritation, qui cause la toux, lorsqu'elle est trop violente ; qu'elle n'est pas nécessaire pour favoriser l'évacuation des matieres excrémentitielles ou morbifiques des poumons ; & qu'elle ne consiste qu'en efforts inutiles & très-fatigans, occasionnés par cette irritation excessive. Les béchiques qui sont indiqués dans ce cas, ne sont pas employés pour procurer l'expectoration, mais au contraire pour corriger le vice qui excite mal-à-propos le jeu de cette fonction, puisqu'il l'excite sans l'effet pour lequel elle doit être exercée. Les béchiques, en général, agissent en incrassant, en émoussant les humeurs trop atténuées, & dont l'acrimonie piquante irrite la tunique nerveuse qui tapisse les voies de l'air dans les poumons ; au lieu que les expectorans produisent leurs effets en incisant, en divisant les mucosités pulmonaires, en irritant les vaisseaux qui en font l'excrétion, les organes qui en operent l'expulsion : ils sont même quelquefois employés à cette derniere fin, de maniere à agir seulement aux environs de la glotte, dont la sensibilité met en jeu tous les instrumens de l'expectoration laborieuse, c'est-à-dire de la toux ; dans ce cas on peut comparer les expectorans aux suppositoires : Hippocrate connoissoit l'usage de cette espece de remedes, propres à procurer l'évacuation des matieres morbifiques contenues dans les poumons. Dans le cas d'abcès de ce viscere, il conseilloit, lorsque le tems critique approchoit, c'est-à-dire lorsque la suppuration étoit achevée, d'employer du vin, du vinaigre mêlé avec du poivre, des liqueurs acres en gargarisme, des errhins & autres stimulans propres à vuider l'abcès, & à en chasser la matiere hors des poumons par l'expectoration.

Comme il y a des maladies bien différentes entre elles, qui exigent l'usage des expectorans, les différens médicamens que l'on employe sous ce nom, ont des qualités plus ou moins actives ; on doit par conséquent les choisir d'après les différentes indications. Les maladies aiguës ou chroniques, avec fievre, telles que la peripneumonie, la phthisie, ne comportent que les plus doux, ceux qui produisent leurs effets sans agiter, sans échauffer, comme les décoctions de racine de réglisse, de feuilles de bourache, le suc de celle-ci, les infusions de fleurs de sureau ; les potions huileuses avec les huiles d'amandes douces, de lin, récentes ; les dissolutions de manne, de miel, de sucre dans les décoctions ou infusions précédentes ; de blanc de baleine récent dans les bouillons gras, dans les huiles susdites, &c.

Les forts apéritifs, propres à inciser, à briser la viscosité des humeurs muqueuses, tels que sont les aposemes, les tisanes de racines apéritives, des bois sudorifiques ; les différentes préparations de soufre, d'antimoine ; diaphorétiques, &c. conviennent aux maladies chroniques, sans fievre, comme le catarrhe, l'asthme : on trouvera sous les noms de ces différentes maladies, une énumération plus détaillée des médicamens indiqués pour chacune d'entr'elles, les différentes formes sous lesquelles on les employe, & les précautions qu'exige leur usage dans les différens cas. On ne peut établir ici aucune regle générale, ainsi voyez TOUX, PERIPNEUMONIE, PHTHISIE, RHUME, CATARRHE, ASTHME, & autres maladies qui ont rapport à celles-ci. (d)


EXPECTORATIONS. f. expectoratio (Medec.) ; ce terme est composé de la préposition ex, de, & du substantif pectus, poitrine ; ainsi il est employé pour exprimer la fonction par laquelle les matieres excrémentitielles des voies de l'air, dans les poumons, en sont chassées & portées dans la bouche, ou tout d'un trait hors du corps, en traversant cette derniere cavité ; c'est la purgation de la poitrine & des parties qui en dépendent, dans l'état de santé & dans celui de maladie.

Comme cette purgation se fait par le haut, elle a été mise par les anciens au nombre des évacuations du genre de l'anacatharse ; Hippocrate lui a même spécialement donné ce nom (5. aphor. 8.) , purgatio per sputa.

L'expectoration est donc une sorte d'expulsion de la matiere des crachats tirés des cavités pulmonaires, dont l'issue est dans le gosier ; c'est une espece de crachement, soit qu'il se fasse volontairement, soit qu'il se fasse involontairement, par l'effet de la toux : mais tout crachement n'est pas une expectoration. Voyez CRACHAT, TOUX.

L'éjection de la salive, qui ne doit point avoir lieu dans l'économie animale bien reglée, ne peut aussi être regardé comme une expectoration ; cette dénomination-ci ne convient absolument qu'à l'évacuation des humeurs muqueuses, destinées à lubrifier toutes les parties de la poitrine exposées au contact de l'air respiré ; lesquelles humeurs étant de nature à perdre la fluidité avec laquelle elles se séparent ; & à s'épaissir de maniere qu'elles ne peuvent pas être absorbées & portées dans la masse des fluides, s'accumulent & surabondent au point qu'elles fatiguent les canaux qui les contiennent, ou par leur volume, en empêchant le libre cours de l'air dans ses vaisseaux, ou par leur acrimonie, effet du séjour & de la chaleur animale, en irritant les membranes qui tapissent les voies de l'air. Ces différentes causes sont autant de stimulus, qui excitent la puissance motrice à mettre en jeu les organes propres à opérer l'expectoration ; de sorte qu'il en est de cette matiere excrémentitielle, comme de la mucosité des narines, de la morve : cette mucosité se séparant continuellement dans les organes secrétoires de la membrane pituitaire, pour la défendre aussi du contact de l'air, est continuellement renouvellée ; pur conséquent il y en a de surabondante, qui doit être évacuée par l'éternuement ou par l'action de se moucher. Voyez MORVE, ETERNUEMENT, MOUCHER. Il est donc très-naturel qu'il existe dans l'économie animale un moyen de jetter hors du corps les humeurs lubrifiantes, qui surabondent dans les voies de l'air, plus ou moins, selon le tempérament sec ou humide ; ce moyen est l'expectoration : ainsi il n'y a que l'excès ou le défaut qui fassent des lésions dans cette fonction, qui est très-nécessaire par elle-même dans l'état de santé, entant qu'elle s'exerce d'une maniere proportionnée aux besoins établis par la constitution propre à chaque individu : cependant il faut convenir, qu'en général ils se font naturellement très-peu sentir : mais il n'en est pas de même dans un grand nombre de maladies, soit qu'elles ayent leur siége dans les poumons, ou que la matiere morbifique y soit portée, déposée de quelqu'autre partie ou de la masse même des humeurs. Il arrive très-souvent que la nature opere des crises très-salutaires par le moyen de l'expectoration : les observations à ce sujet ont fourni au divin Hippocrate la matiere d'un grand nombre de prognostics & de regles dans la pratique médicinale. Voyez ses oeuvres passim.

Le méchanisme de l'expectoration s'exerce donc par l'action des organes de la respiration ; la glotte s'étant fermée pour un instant, pendant lequel les muscles abdominaux se contractent, se roidissent, pressent les visceres du bas-ventre vers l'endroit où ils trouvent moins de résistance ; c'est alors vers la poitrine où le diaphragme, dans son état de relâchement, est poussé dans la cavité du thorax, il y forme une voûte plus convexe, qui presse les poumons vers la partie supérieure de cette cavité, en même tems que les muscles qui servent à l'expiration abbaissent fortement & promtement les côtes ; & par conséquent toutes les parois de la poitrine s'appliquent fortement contre les poumons, les compriment en tout sens, en expriment l'air qui est poussé de toutes les cellules bronchiques, de toutes les bronches mêmes, vers la trachée artere : mais l'orifice de celle-ci se trouvant fermé, la direction de l'air (mû avec force selon l'axe de toutes les voies aériennes) change par la résistance qu'il trouve à sortir ; il se porte obliquement contre les parois ; il leur fait essuyer une sorte de frottement qui ébranle, qui emporte ce qui est appliqué contre ces parois, avec une adhésion susceptible de céder aisément ; qui entraîne par conséquent la mucosité surabondante. Dans le même instant que l'effort a enlevé ainsi quelque portion de cette humeur, la glotte vers laquelle cette matiere est portée, s'ouvre avec promtitude pour la laisser passer, sans interrompre le courant d'air qui l'emporte de la trachée artere dans la bouche, & quelquefois tout d'un trait hors de cette derniere cavité, par conséquent hors du corps : ce dernier effet a lieu, lorsque la matiere dont se fait l'expulsion est d'un petit volume (mais assez pesante par sa densité, d'où elle a plus de mobilité) qu'elle se trouve située par des efforts précédens près de l'ouverture de la trachée-artere, c'est-à-dire dans ce canal même ou dans les troncs des bronches. Dans le cas, au contraire, où la matiere excrémenteuse se trouve située dans les cellules ou dans les plus petites ramifications bronchiques, c'est-à-dire dans le fonds des cavités aériennes des poumons, il faut souvent plus d'un effort expectorant pour l'en tirer ; il faut qu'elle soit ébranlée & élevée par secousses, avant d'être mise à portée d'être jettée hors des poumons : on peut cependant concevoir aussi un moyen par lequel elle peut être tirée & expulsée d'un seul trait, même de l'extrémité des bronches, si l'on se représente que l'air comprimé avec force & subitement par les organes expiratoires, sort comme s'il étoit sucé, pompé des plus petites ramifications & des cellules qui les terminent ; d'où il doit se faire, que les matieres qui en sont environnées, soient entraînées avec lui, & suivant l'impétuosité du torrent qu'il forme, dont le cours ne se termine que dans la bouche ou dans l'air extérieur.

L'expectoration, pour être naturelle, c'est-à-dire conforme à ce qui se doit faire dans l'état de santé, doit être libre & se faire sans effort ; elle differe par conséquent de la toux ; qui est une expulsion forcée (excitée indépendamment de la volonté, opérée par des efforts convulsifs,) des matieres étrangeres ou excrémenteuse ou morbifiques, contenues dans les vaisseaux aériens des poumons ; c'est une expectoration laborieuse & (comme on dit dans les écoles, mais improprement) contre-nature, puisqu'elle est alors un véritable effort, que la naturé même opere pour produire un effet salutaire, qui est la purgation des poumons : il est comme des tranchées, qui disposent à l'excrétion des matieres fécales. L'on doit même souvent regarder la toux, par rapport à l'évacuation, comme un tenesme de la poitrine, entant que les mouvemens violens en quoi consiste la toux, ne sont que des efforts sans effet, c'est-à-dire qui tendent seulement à expulser quelque chose des poumons, sans qu'il se fasse aucune autre expulsion réelle que celle de l'air. La toux peut aussi être regardée comme une préparation à l'expectoration : on peut dire que les secousses qu'elle opere servent à donner de la fluidité aux matieres qui engorgent les glandes bronchiques ; qu'elle facilite & procure l'excrétion de ces matieres des vaisseaux qui composent ces glandes ; & qu'elle enleve enfin ces excrémens, & les jette hors du corps. Par ces considérations ne doit-on pas regarder la toux comme le plus puissant de tous les remedes expectorans ? Voyez TOUX, EXPECTORANT, BECHIQUE, ASTHME, PERIPNEUMONIE, PHTHISIE. (d)


EXPEDIENTS. m. (Jurisprud.) en style de Palais signifie un arrangement fait pour l'expédition d'une affaire. Ce terme vient ou de celui d'expédier, ou du latin expediens, qui signifie ce qui est à-propos & convenable.

Il y a deux sortes d'expédiens : l'un, qui est un accord volontaire signé des parties ou de leurs procureurs ; l'autre, qui est l'appointement ou arrangement fait par un ancien avocat ou un procureur, devant lequel les parties se sont retirées en conséquence de la disposition de l'ordonnance, qui veut que l'on en use ainsi dans certaines matieres, ou en conséquence d'un jugement qui a renvoyé les parties devant cet avocat ou procureur pour en passer par son avis.

Cet accord ou avis est qualifié par les ordonnances d'expédient ; c'est une voie usitée pour les affaires legeres.

L'origine de cet usage paroît venir d'un réglement du parlement, du 24 Janvier 1735, qui enjoignoit aux procureurs d'aviser ou faire aviser par conseil, dans quinzaine, si l'affaire est soûtenable ou non, & au dernier cas de passer l'appointement ou expédient.

L'ordonnance de 1667, tit. vj. contient plusieurs dispositions au sujet des matieres qui se vuident par expédient ; c'est le terme de palais.

Elle veut que les appellations de déni de renvoi & d'incompétence soient incessamment vuidées par l'avis des avocats & procureurs généraux, & les folles intimations & desertions d'appel, par l'avis d'un ancien avocat, dont les avocats ou les procureurs conviendront ; que ceux qui succomberont seront condamnés aux dépens, qui ne pourront être modérés, mais qu'ils seront taxés par les procureurs des parties sur un simple mémoire.

Dans les causes qui se vuident par expédient, la présence du procureur n'est point nécessaire lorsque les avocats sont chargés des pieces.

Les qualités doivent être signifiées avant que d'aller à l'expédient, & les prononciations rédigées & signées aussi-tôt qu'elles auront été arrêtées.

En cas de refus de signer par l'avocat de l'une des parties, l'appointement ou expédient doit être reçu, pourvû qu'il soit signé de l'avocat de l'autre partie & du tiers, sans qu'il soit besoin de sommation ni autre production.

Les appointemens ou expédiens sur les appellations qui ont été vuidées par l'avis d'un ancien avocat, ou par celui des avocats & procureurs généraux, sont prononcés & reçûs à l'audience sur la premiere sommation, s'il n'y a cause légitime pour l'empêcher.

Au châtelet, & dans plusieurs autres tribunaux, lorsqu'on demande à l'audience la réception de ces sortes d'accords & arrangemens, on les qualifie d'expédiens ; au parlement on les qualifie d'appointemens, Voyez DISPOSITIF & APPOINTEMENT. Voyez aussi Imbert en sa pratique, liv. II. chap. ij. & les notes de Guenois, sur le chapitre xiij. où il remarque que les expédiens pris entre les procureurs, ne peuvent être retractés par les parties, & ne sont sujets à desaveu à moins qu'il n'y ait du dol. Voyez aussi Bornier sur le tit. vj. de l'ordonnance de 1667, art. 4. & suiv. (A)


EXPEDIERv. act. (Jurisprud.) signifie délivrer une grosse, expédition, ou copie collationnée d'un acte public & authentique. On expédie en la chancellerie de Rome des bulles & provisions, de même qu'en la grande & en la petite chancellerie on expédie diverses lettres & commissions. Les greffiers expédient des grosses, expéditions, & copies des arrêts, sentences, & autres jugemens. Les commissaires, notaires, huissiers, expédient chacun en droit soi les procès-verbaux & autres actes qui sont de leur ministere. Voyez EXPEDITION. (A)

EXPEDIER, faire une chose avec diligence. On expédie des affaires, quand on les termine promtement : on expédie des personnes, quand on traite avec elles diligemment des affaires qu'on a avec elles.

EXPEDIER, signifie quelquefois faire partir des marchandises. On dit en ce sens expédier un voiturier, un vaisseau, un ballot pour quelque ville. Dictionn. de Commerce.


EXPEDITEURSS. m. (Commerce) On nomme ainsi à Amsterdam une sorte de commissionnaires, à qui les marchands qui font le commerce par terre avec les pays étrangers, comme l'Italie, le Piémont, Geneve, la Suisse, & plusieurs villes d'Allemagne, ont coûtume de s'adresser pour y faire voiturer leurs marchandises.

Les expéditeurs ont des voituriers qui ne charrient que pour eux d'un lieu à un autre, & une correspondance reglée avec d'autres expéditeurs qui demeurent dans les villes par où les marchandises doivent passer, qui ont soin de les faire voiturer plus loin, & ainsi successivement jusqu'au lieu de leur destination.

Lorsqu'un marchand a disposé sa marchandise, il l'envoye chez son expéditeur avec un ordre signé de sa main, contenant à qui & où il doit l'envoyer. Les expéditeurs la font conduire par leurs gens, ont soin d'en faire la déclaration dans la derniere place de la domination des Hollandois ; & quelque tems après ils donnent au marchand un compte des frais de sortie & de voiture, à quoi ils ajoûtent un droit de commission plus ou moins fort, suivant l'éloignement des lieux. Ce droit est ordinairement d'une demi richedale ou vingt-cinq sous par schispont de 300 livres, lorsque les marchandises sont pour Cologne, Francfort, Nuremberg, Leipsik, Breslaw, Brunswik, & autres places à-peu-près également distantes d'Amsterdam ; pour celles qui sont plus éloignées, on en augmente la commission à proportion.

C'est aussi à ces expéditeurs, que s'adressent les négocians d'Amsterdam lorsqu'ils attendent des marchandises de leurs correspondans étrangers, & qu'elles leur doivent venir par terre. Alors, en leur en donnant une note, ces expéditeurs ont soin d'en faire les déclarations, & d'en payer les droits d'entrée, ce qui épargne bien des lettres, des démarches, & du tems aux commerçans. Dictionn. de Comm. Trév. & Chambers.


EXPÉDITIONEXPÉDITION

EXPEDITION D'UN ACTE, (Jurisprud.) se prend quelquefois pour la rédaction qui en est faite ; quelquefois pour la grosse, ou autre copie qui est tirée sur la minute. Les greffiers & notaires distinguent la grosse d'une simple expédition ; la grosse est en forme exécutoire ; l'expédition est de même tirée sur la minute, mais elle a de moins la forme exécutoire. On distingue l'expédition qui est tirée sur la minute, de celle qui est faite sur la grosse. La premiere fait une foi plus pleine du contenu en la minute : l'autre ne fait foi que du contenu en la grosse, & n'est proprement qu'une copie collationnée sur la grosse.

On peut lever plusieurs expéditions d'un même acte, soit pour la même personne, ou pour les différentes parties qui en ont besoin.

Il y a eu un tems où l'on faisoit une différence entre une copie collationnée à la minute, d'avec une expédition tirée sur la minute ; parce que les expéditions proprement dites, se faisoient sur un papier différent de celui qui servoit aux copies collationnées. Mais depuis que les notaires sont obligés de se servir du même papier pour tous leurs actes, l'expédition & la copie tirée sur la minute sont la même chose.

Dans les pays où il n'y a point de grosse en forme, la premiere expédition en tient lieu ; & dans ces mêmes pays, il faut rapporter la premiere expédition pour être colloquée dans un ordre ; comme ailleurs il faut rapporter la grosse. On distingue en ce cas la premiere expédition de la seconde, ou autres subséquentes.

EXPEDITION DE COUR DE ROME, voyez ci-après EXPEDITIONNAIRES. (A)

EXPEDITION, s. f. (Art milit.) est la marche que fait une armée pour aller vers quelque lieu éloigné commettre des hostilités. (Q)

EXPEDITION MARITIME, (Marine) se dit d'une campagne des vaisseaux de guerre ou marchands, soit pour quelque entreprise, soit pour le commerce, soit pour des découvertes. (Z)

EXPEDITION, (Comm.) s'entend souvent chez les marchands, & sur-tout chez les banquiers, des lettres qu'ils écrivent chaque ordinaire à leurs correspondans. D'autres se servent du mot dépêches. Voyez DEPECHES. Dict. de Comm.

EXPEDITION, (Ecriture) on employe ce terme pour exprimer le style le plus vif de l'écriture. Il y a cinq sortes d'expéditions ; la ronde ou grosse de procureur ; la minute des procédures ou d'affaires ; la coulée panchée, liée de pié en tête, généralement suivie de tout le monde ; la coulée mêlée de ronde ; & la bâtarde liée en tête seulement. Voyez les Planches, où vous trouverez des modeles de toutes ces sortes d'écriture.


EXPÉDITIONNAIRESEXPÉDITIONNAIRES

Ils ont aussi le droit exclusif de solliciter les mêmes expéditions dans la légation d'Avignon, & autres légations qui peuvent être faites en France.

On les appelloit autrefois banquiers-solliciteurs de cour de Rome ; on les a depuis appellés banquiers-expéditionnaires de cour de Rome & des légations. La déclaration du 30 Janvier 1675, leur a donné le titre de conseillers du roi. On les appelle quelquefois pour abréger, simplement banquiers en cour de Rome.

On distingue par rapport à eux trois tems ou états différens ; savoir celui qui a précédé l'édit de 1550, appellé l'édit des petites dates ; celui qui a suivi cet édit, jusqu'à celui du mois de Mars 1673, par lequel ils ont été établis en titre d'office ; & le troisieme tems est celui qui a suivi cet édit.

D'abord pour ce qui est du premier tems, c'est-à-dire celui qui a précédé l'édit de 1550, il faut observer que tandis que les Romains étoient maîtres des Gaules, il n'y avoit de correspondance à Rome pour les affaires ecclésiastiques ou temporelles, que par le moyen des argentiers ou banquiers, appellés argentarii, nummularii, & trapezitae.

La fonction de ces argentiers ayant fini avec l'empire romain, des marchands d'Italie, trafiquant en France, leur succéderent pour la correspondance à Rome.

Mais ce ne fut que vers le douzieme siecle, que les papes commencerent à user du droit qu'ils ont présentement dans la collation des bénéfices de France.

Les marchands italiens trafiquant en France, & qui avoient des correspondances à Rome, étoient appellés Lombards, ou Caorsins, ou Caoursins, Caorsini, Caturcini, Carvasini, & Corsini.

Quelques-uns prétendent qu'ils furent nommés Caorsins, parce qu'ils vinrent s'établir à Cahors ville de Quercy, où étoit né le pape Jean XXII. qui occupoit le saint-siége à Avignon depuis 1316 jusqu'en 1334, mais ce surnom de Caorsins étoit plus ancien, puisque S. Louis fit une ordonnance en 1268, pour chasser de ses états tous ces Caorsins & Lombards, à cause des usures énormes qu'ils commettoient.

D'autres croyent que ce fut une famille de Florence appellée Caorsina, qui leur donna ce nom.

Mais il est plus probable que ces Caoursins étoient de Caours ville de Piémont, & que l'on a pû quelquefois appeller de ce nom singulier tous les Italiens & les Lombards qui faisoient commerce en France.

En effet on les appelloit plus communément Lombards, Italiens, & Ultramontains.

Du tems des guerres civiles d'Italie, les Guelphes qui se retirerent à Avignon & dans le pays d'obédience, étant favorisés des papes dont ils avoient soûtenu le parti, se mêlerent de faire obtenir les graces & expéditions de cour de Rome ; on les appella mercatores & scambiatores domini papae, comme le témoigne Matthieu Paris, lequel vivoit vers le milieu du treizieme siecle ; ce fut-là l'origine des banquiers-expéditionnaires de cour de Rome, qui furent depuis appellés institores bullarum & negotiorum imperii romani.

Dans ce premier tems, ceux qui se mêloient en France de faire obtenir les graces & expéditions de cour de Rome, étoient de simples banquiers qui n'avoient aucun caractere particulier pour solliciter les expéditions de cour de Rome ; ils n'avoient point serment à justice, d'où il arrivoit de grands inconvéniens.

Les abus qui se commettoient par ces banquiers & à la daterie de Rome touchant la résignation des bénéfices, étoient portés à tel point que le clergé s'en plaignit hautement.

Ce fut à cette occasion qu'Henri II. donna au mois de Juin 1550, l'édit appellé communément des petites dates, parce qu'il fut fait pour en réprimer l'abus. M. Charles Dumolin a fait sur cet édit un savant commentaire. Cet édit ordonna entr'autres choses, que les banquiers & autres qui s'entremettoient dans le royaume des expéditions qui se font en cour de Rome & à la légation, seroient tenus dans un mois après la publication de cet édit, de faire serment pardevant les juges ordinaires du lieu de leur demeure, de bien & loyalement exercer ledit état ; & défenses furent faites à tous ecclésiastiques de s'entremettre de cet état de banquier & expéditionnaire de cour de Rome, ou législation. On regarde communément cet édit comme une loi qui a commencé à former la compagnie des banquiers-expéditionnaires de cour de Rome.

Ceux qui étoient ainsi reçûs par le juge, ne prenoient encore alors d'autre titre que celui de banquiers ; & comme ils étoient immatriculés, on les surnomma dans la suite matriculaires, pour les distinguer de ceux qui furent établis quelque tems après par commission du roi, & de ceux qui furent créés en titre d'office.

Les démêlés qu'Henri II. eut avec la cour de Rome, donnerent lieu à une déclaration du 3 Septembre 1551, registrée le 7 du même mois, portant défenses à toutes personnes, banquiers & autres, d'envoyer à Rome aucun courier pour y faire tenir or & argent, pour obtenir des provisions de bénéfices, & autres expéditions. Cette défense dura environ quinze mois. Pendant ce tems, les évêques donnoient des provisions des abbayes de leur diocèse, sur la nomination.

Henri II. donna un autre édit le premier Février 1553, qui fut registré le 15 du même mois, portant défenses à toutes personnes de faire l'office de banquier-expéditionnaire en cour de Rome sans la permission du roi. C'est la premiere fois que l'on trouve ces banquiers qualifiés d'expéditionnaire en cour de Rome. Au reste, il paroît que cet édit n'eut pas alors d'exécution par rapport à la nécessité d'obtenir la permission du roi, & que les banquiers matriculaires reçus par les juges ordinaires, continuerent seuls alors à solliciter toutes expéditions en cour de Rome.

Le nombre de ces banquiers matriculaires n'étoit fixé par aucun reglement ; il dépendoit des juges d'en recevoir autant qu'ils jugeoient à-propos, & ces banquiers étoient tous égaux en fonction, c'est-à-dire qu'il étoit libre de s'adresser à tel d'entr'eux que l'on vouloit pour quelque expédition que ce fût.

Au commencement du dix-septieme siecle, quelques personnes firent diverses tentatives, tendantes à restraindre cette liberté, & à attribuer à certains banquiers, exclusivement aux autres, le droit de solliciter seuls les expéditions des bénéfices de nomination royale.

La premiere de ces tentatives fut faite en 1607 par Etienne Gueffier, lequel fut commis & député à la charge de banquier-solliciteur, sous l'autorité des ambassadeurs du roi en la cour de Rome, pour expédier lui seul les affaires consistoriales & matieres bénéficiales de la nomination & patronage du roi, sans qu'aucun autre s'en pût entremettre, & pour jouir de tous les droits & émolumens que l'on a coûtume de payer pour telles expéditions.

Les banquiers & solliciteurs d'expéditions de cour de Rome, demeurans tant ès villes de France que résidans en cour de Rome, se pourvûrent au conseil du roi, en révocation du brevet accordé au sieur Gueffier ; les agens généraux du clergé de France intervinrent, & se joignirent aux banquiers ; & sur le tout il y eut arrêt du conseil le 22 Octobre 1609, par lequel le roi permit à tous ses sujets de s'adresser à tels banquiers & solliciteurs que bon leur sembleroit, comme il s'étoit pratiqué jusqu'alors, nonobstant le brevet du sieur Gueffier, qui fut revoqué & annullé ; & le roi enjoignit à ses ambassadeurs en cour de Rome, de faire garder en toutes expéditions de France en cour de Rome l'ancienne liberté & regles prescrites par les ordonnances.

Il y eut une tentative à-peu-près semblable, faite en 1615 par un sieur Eschinard, qui obtint un brevet du roi pour être employé seul, sous l'autorité des ambassadeurs de France résidans à Rome, aux expéditions de toutes matieres qui se traiteroient en cour de Rome pour le service du roi, avec qualité d'expéditionnaire du roi en cour de Rome, sans néanmoins préjudicier à la liberté des autres expéditionnaires, en ce qui regardoit les expéditions des autres sujets du roi.

Les banquiers & solliciteurs de cour de Rome de toutes les villes de France & les agens généraux du clergé, ayant encore demandé la revocation de ce brevet, il fut ordonné par arrêt du conseil du 25 Janvier 1617 qu'il seroit rapporté, & qu'il seroit libre de s'adresser à tel banquier que l'on voudroit pour toutes sortes d'expéditions.

Enfin par un autre arrêt du conseil du 30 des mêmes mois & an, il fut défendu d'exécuter de prétendus statuts ou reglemens, faits par l'ambassadeur de France à Rome le premier Novembre 1614, de l'autorité qu'il disoit avoir du roi. Ce reglement contenoit l'établissement d'un certain nombre de banquiers pour la sollicitation des expéditions poursuivies par les sujets du roi, & plusieurs autres choses contraires à la liberté des expéditions, & singulierement à l'arrêt de 1609 dont l'exécution fut ordonnée par celui-ci, & en conséquence qu'il seroit libre de s'adresser à tel banquier que l'on jugeroit à-propos.

L'établissement des banquiers-expéditionnaires en titre d'office, fut d'abord tenté par un édit du 22 Avril 1633, portant création de huit offices de banquiers-expéditionnaires en cour de Rome dans la ville de Paris ; de quatre en chacune des villes de Toulouse & de Lyon ; & de trois en chacune des villes de Bordeaux, d'Aix, de Rouen, Dijon, Rennes, Grenoble, & Metz. Cet édit fut publié au sceau le 22 Juin de la même année : mais sur la requête que les agens généraux du clergé présenterent au roi le 25 du même mois de Juin, il intervint arrêt du conseil le 10 Décembre suivant, par lequel il fut sursis à l'exécution de cet édit.

Le nombre des banquiers matriculaires s'étant trop multiplié, tant à Paris que dans les autres villes du royaume, Louis XIII. par son édit du mois de Novembre 1637, portant reglement pour le contrôle des bénéfices, ordonna (art. 2.) qu'avenant vocation des charges & commissions des banquiers-solliciteurs d'expéditions de cour de Rome & de la légation, par la démission ou le décès de ceux qui exerçoient alors lesdites charges, en vertu des commissions à eux octroyées par les juges royaux, ils seroient éteints & supprimés jusqu'à ce qu'ils fussent réduits au nombre de quarante-six ; savoir douze en la ville de Paris, cinq en celle de Lyon, quatre à Toulouse & autant à Bordeaux, & deux en chacune des villes de Rouen, Rennes, Aix, Grenoble, Dijon, Metz, & Pau.

Ceux qui exerçoient alors ladite charge de banquier dans les autres villes, furent supprimés.

Défenses furent faites à tous juges & officiers royaux de donner dorénavant aucune commission, ni de recevoir aucune personne à l'exercice de ladite charge de banquier, à peine de nullité.

Il fut aussi ordonné par le même édit, que quand les banquiers des villes dans lesquelles on en avoit conservé seroient réduits au nombre spécifié par l'édit, il seroit pourvû par le roi aux places qui deviendroient ensuite vacantes, par des commissions qui seroient données gratuitement.

Cet édit fut registré au grand-conseil le 7 Septembre 1638 ; mais il ne le fut au parlement que le 2 Août 1649, lorsqu'on y apporta la déclaration du mois d'Octobre 1646, qui y fut registrée sur lettres de surannation avec l'édit de 1637, pour les articles qui ne sont pas revoqués par la déclaration de 1646.

Cette déclaration contient plusieurs dispositions par rapport aux banquiers en cour de Rome ; mais elle ne fait point mention de la légation : ce qui paroît n'être qu'un oubli, les reglemens postérieurs ayant tous compris la légation aussi bien que la cour de Rome.

L'article 2. veut que les banquiers-expéditionnaires puissent exercer leurs charges, ainsi qu'ils le pouvoient faire avant l'édit du contrôle, nonobstant les reglemens portés par icelui, & conformément à ce qui est contenu en la déclaration.

L'édit du 22 Avril 1633, qui avoit le premier ordonné la création d'un certain nombre de banquiers-expéditionnaires en titre d'office, n'ayant point eu d'exécution, on revint sur ce projet en 1655 ; & il paroît qu'il y eut à ce sujet deux édits, tous deux datés du mois de Mars de ladite année.

L'un de ces édits portoit création de douze offices de banquiers-expéditionnaires de cour de Rome dans la ville de Paris : cet édit est rapporté par de Chales, en son dictionnaire ; il paroît néanmoins qu'il n'eut pas lieu ; on ne voit même pas qu'il ait été enregistré.

L'autre édit daté du même tems, & qui fut registré au parlement le 20 du même mois, portoit création de douze offices de banquiers royaux expéditionnaires en cour de Rome pour tout le royaume, auxquels on attribua le pouvoir de faire expédier en cour de Rome les bulles & provisions de tous les bénéfices qui sont à la nomination du roi, comme archevêchés, évêchés, abbayes, prieurés conventuels, dignités, pensions sans cause ; avec défenses aux autres banquiers de se charger directement ou indirectement de l'envoi en cour de Rome d'aucunes lettres de nomination, démission, profession de foi, procès-verbaux, & autres procès servant à obtenir des provisions & bulles, sur peine de nullité, interdiction de leurs charges, & 4000 liv. d'amende. L'édit déclaroit nulles toutes les provisions de bénéfices & bulles, au dos desquelles le certificat de l'un de ces douze banquiers ne se trouveroit pas apposé, & les bénéfices impétrables ; avec défenses aux juges d'y avoir aucun égard, & aux notaires & sergens de mettre les impétrans de ces bulles en possession des bénéfices, à peine d'interdiction & de nullité desdites possessions. Enfin il étoit enjoint aux secrétaires des commandemens de sa majesté, d'insérer dans les brevets & lettres de nomination aux bénéfices qui s'expédieroient, la clause que les impétrans feroient expédier leurs bulles & provisions par l'un des banquiers créés par cet édit.

Il y eut encore un autre édit du mois de Janvier 1663, portant création de banquiers-expéditionnaires en cour de Rome & de la légation : cet édit est rappellé dans celui du mois de Décembre 1689, dont on parlera ci-après.

Mais il paroît que toutes ces différentes créations de banquiers-expéditionnaires en titre d'office, n'eurent pas lieu ; la fonction de banquier-expéditionnaire de cour de Rome étoit alors remplie par des avocats au parlement, faisant la profession & étant sur le tableau.

Ce ne fut que depuis l'édit du mois de Mars 1673, qu'il y en eut un en titre d'office ; & c'est ici que commence le troisieme tems ou état que l'on a distingué par rapport aux banquiers-expéditionnaires. Cet édit fut registré dans les différens parlemens.

Le préambule porte entr'autres choses, que les abus qui se commettoient journellement dans les expéditions concernant l'obtention des signatures, bulles, & provisions de bénéfices, & autres actes apostoliques qui s'expédioient pour les sujets du roi en la cour de Rome & légation d'Avignon, étoient montés à tel point, que l'on avoit vû débiter publiquement plusieurs écrits de cour de Rome faux & altérés, & fort souvent des dispenses de mariage fausses ; ce qui avoit causé de grands procès, même troublé le repos des consciences, & renversé entierement l'état & la sûreté des familles : qu'ayant trouvé que ce desordre provenoit de ce que plusieurs particuliers, sous prétexte de matricules obtenues des juges & officiers royaux, même des personnes sans qualité ni caractere, s'étoient ingérés de faire cette fonction qui s'étend aux affaires les plus importantes du royaume, & pour leurs peines, salaires, & vacations, exigeoient impunément tels droits que bon leur sembloit ; que pour y apporter remede, il avoit été créé en titre d'office des banquiers-expéditionnaires de cour de Rome par édit du mois de Mars 1655, suivant lequel il devoit y en avoir douze à Paris ; mais que cet édit n'avoit pas été exécuté, ce nombre n'étant pas suffisant.

En conséquence, par cet édit de 1673 il fut créé en titre d'office formé & héréditaire un certain nombre de banquiers expéditionnaires de cour de Rome & de la légation, savoir pour Paris vingt ; pour chacune des autres villes où il y a parlement, & pour celle de Lyon, quatre, & deux pour chacune des autres villes où il y a présidial. L'édit leur donne le droit de solliciter seuls & à l'exclusion de tous autres, & faire expédier à leur diligence, par leurs correspondans, toutes sortes de rescrits, signatures, bulles, & provisions, & généralement tous actes concernans les bénéfices & autres matieres pour tous les sujets du roi qui sont de la jurisdiction spirituelle de la cour de Rome & de la légation. Cette restriction fut mise alors, parce que cet édit fut donné avant la révocation de celui de Nantes, tems auquel les Religionnaires étoient tolérés dans le royaume.

L'expédition des actes dont on vient de parler, est attribuée aux banquiers-expéditionnaires, de quelque qualité que puissent être ces actes, & de quelque maniere qu'il soit besoin de les expédier, soit en chambre (c'est-à-dire apostolique), ou en chancellerie, par voie secrette, ou autrement.

L'édit défend à tous matriculaires, commissionnaires, & autres, de se charger à l'avenir directement ou indirectement d'aucun envoi en cour de Rome & en la légation, & de s'entremettre de solliciter lesdites expéditions, à peine de punition exemplaire ; même à tous particuliers de se servir du ministere d'autres banquiers que ceux qui furent alors créés, à peine de 1000 liv. d'amende pour chaque contravention ; & tous rescrits & actes apostoliques qui auroient été obtenus après le 15 Mai suivant, furent déclarés nuls, avec défenses à tous juges d'y avoir égard, ni de reconnoître d'autres banquiers que ceux créés par cet édit, à peine de desobéissance.

Ces nouveaux offices furent d'abord exercés par commission, suivant un arrêt du conseil du 29 Avril de la même année, portant qu'il y seroit commis en attendant la vente, savoir trois en la ville de Paris, deux à Lyon, & deux à Toulouse ; ensorte qu'il y avoit alors deux sortes de banquiers-expéditionnaires ; les uns matriculaires, c'est-à-dire qui avoient eu un matricule du juge : les autres, commissionnaires qui avoient une commission du roi pour exercer un des nouveaux offices.

Un arrêt du conseil du 29 Septembre 1674, défendit aux banquiers matriculaires & commissionnaires, & autres personnes de la province de Bretagne, de se charger d'expéditions pour aucuns bénéfices, ou personnes hors de cette province.

Il y eut encore le 11 Novembre suivant un arrêt du conseil, qui ordonna l'exécution de l'édit du mois de Mars 1673, & de la déclaration du mois d'Octobre 1646.

Le nombre des banquiers-expéditionnaires, créés par l'édit du mois de Mars 1673, fut réduit par une déclaration du 30 Janvier 1675, à douze pour Paris, trois pour chacune des villes de Toulouse & de Bordeaux, deux à Rouen, Aix, Grenoble, Dijon, Metz & Pau, & quatre à Lyon. Cette même déclaration leur attribue le titre de conseillers du roi banquiers-expéditionnaires de cour de Rome & de la légation.

L'édit du mois de Décembre 1689, rétablit & créa huit offices héréditaires d'expéditionnaires de cour de Rome & des légations dans la ville de Paris, un à Toulouse, deux à Rouen, Metz, Grenoble, Aix, Dijon, & Pau, pour faire, avec les anciens établis dans lesdites villes, un seul & même corps dans chacune des villes de leur établissement, aux mêmes honneurs, priviléges, prérogatives, droits de committimus, franc-salé dont joüissoient les anciens, & à eux attribués par l'édit de création du mois de Janvier 1663, & la déclaration du mois de Janvier 1675.

Par un autre édit du mois de Janvier 1690, on supprima les huit offices de conseillers-banquiers-expéditionnaires de cour de Rome & des légations, créés par édit de Mars 1679, supprimés par la déclaration du 30 Janvier 1675, & rétablis par l'édit du mois de Décembre 1689, pour servir en la ville de Paris ; & les fonctions, honneurs, droits, priviléges, & émolumens attribués à ces huit offices, furent unis aux douze offices conservés, avec confirmation de leurs droits & priviléges ; le tout moyennant finance.

Ces huit offices supprimés en 1690, furent rétablis par édit du mois de Septembre 1691, pour faire avec les douze anciens le nombre de vingt, aux mêmes honneurs, droits, & priviléges attribués par les précédens édits.

L'édit du mois d'Août 1712 porte, entr'autres choses, création d'un office de banquier-expéditionnaire thrésorier de la bourse commune, par augmentation dans ladite communauté ; mais la compagnie ayant acquis en commun cet office, fait exercer la fonction de thrésorier par celui de ses membres, qui est choisi à cet effet : au moyen de quoi il n'y a présentement à Paris que vingt banquiers-expéditionnaires.

Pour ce qui est des offices semblables qui avoient été créés dans plusieurs villes des provinces, les banquiers-expéditionnaires de Paris en ayant acquis en commun la plus grande partie, la déclaration du 9 Octobre 1712 leur donna un délai pour commettre à ces offices ; en attendant ils ont commis à l'exercice des personnes capables, résidantes dans les villes pour lesquelles ces offices avoient été créés. Par la déclaration du 3 Août 1718, le roi dit qu'ayant été informé que les banquiers-expéditionnaires de Paris ont grande attention de ne commettre à l'exercice de ces offices de banquiers-expéditionnaires qui leur appartiennent dans les provinces, que de bons sujets & capables d'en bien remplir les fonctions, il proroge de six années le délai qui leur avoit été accordé par la déclaration du 9 Octobre 1712, pour commettre à ces offices de province ; & depuis ce tems ce délai a été prorogé de six années en six années jusqu'à présent.

Pour être reçu banquier-expéditionnaire en cour de Rome, il faut :

1°. Etre âgé de 25 ans, suivant l'édit de Novembre 1637, art. 11. &. la déclaration du mois d'Octobre 1646, art. 10.

2°. Les mêmes articles veulent aussi qu'ils soient personnes laïques, non officiers, ni domestiques d'aucuns ecclésiastiques ; l'édit du mois de Juin 1551, avoit déjà défendu à tous ecclésiastiques de s'entremettre dans cet état.

3°. Suivant l'art. 33. des statuts de 1678, & de 1699, il faut être reçu avocat dans un Parlement.

4°. Il leur étoit aussi défendu par l'art. 11. de l'édit de 1637, de posséder ni exercer conjointement deux charges de contrôleur, banquier & notaire, même le pere & le fils, oncle, gendre & neveu, deux freres, beaux-freres, ou cousins-germains, tenir & exercer en même tems lesdites charges de contrôleur, banquier & notaire, comme aussi qu'aucun banquier ne se chargera en même tems des procurations & autres actes, pour envoyer en cour de Rome ou à la légation, si le notaire qui auroit reçu lesdits actes, où l'un d'iceux étoit son pere, fils, frere, beau frere, gendre, oncle, neveu, ou cousin-germain, &c.

Mais cette disposition fut modifiée lors de l'enregistrement au grand-conseil, qui restraint ces défenses aux parens des contrôleurs & banquiers seulement, & non des notaires ; & à l'égard des actes reçus par des notaires, parens des banquiers, l'arrêt d'enregistrement ordonne que cette défense n'aura pas lieu.

Enfin la déclaration de 1646, art. 2. ayant ordonné que les banquiers-expéditionnaires feroient leurs fonctions avec la même liberté qu'ils avoient avant l'édit du contrôleur ; on en doit encore conclure que les incompatibilités, dont on a parlé, n'ont plus lieu, ni les défenses faites par rapport aux actes reçus par les notaires parens des banquiers-expéditionnaires.

Les offices de banquiers-expéditionnaires sont seulement incompatibles avec les charges de greffier des insinuations ecclésiastiques, & de notaire apostolique ; du reste, elles sont compatibles avec toutes autres charges honorables.

5°. L'article 2. de l'édit de 1637, & l'art. 10. de la déclaration de 1646, veulent que ceux qui se présentent pour être reçus, ayent été clercs ou commis de banquiers de France pendant l'espace de cinq ans, ou de cour de Rome pendant l'espace de trois ans, dont ils seront tenus de rapporter des certificats : qu'autrement leurs réceptions seront déclarées nulles, & qu'il leur est défendu de faire expédier aucunes provisions, à peine de 2000 liv. d'amende, & tous dépens, dommages & intérêts des parties ; mais ces dispositions ne s'observent plus, n'ayant point été rappellées par l'édit du mois de Mars 1673, qui a créé les banquiers-expéditionnaires en titre d'office, & fixé leur capacité.

6°. L'article 2. de l'édit de 1637, ordonnoit qu'on ne reçût que ceux qui seroient trouvés capables, après avoir été examinés par les banquiers, qui seroient commis par le chancelier : cet examen se fait présentement par toute la compagnie des banquiers-expéditionnaires, qui donne au récipiendaire un certificat sur sa capacité, & un consentement sur sa réception, suivant l'article 33. des statuts de 1678 & 1699.

7°. Le même art. & le 10. de la déclaration de 1646, ordonnoient encore que ceux qui seroient reçus, donneroient caution & certificateurs solvables de la somme de 3000 liv. devant les baillifs & sénéchaux du lieu de leur résidence ; ce qui ne s'observe plus.

8°. Enfin ils doivent prêter serment devant les baillifs & sénéchaux du lieu, suivant l'art. 2. de l'édit de 1637 ; l'édit du mois de Juin 1550, vouloit que ceux qui exerçoient alors, fissent dans un mois serment devant les juges ordinaires du lieu de leur demeure, de bien & loyaument exercer ledit état ; de faire loyal registre, & même serment, qu'incontinent qu'ils auroient reçu les procurations pour faire expédier, ils prendroient la date d'icelles & les noms des notaires, témoins inscrits, & le lieu de la confection de ces procurations, &c.

Il est défendu à toutes autres personnes sans caractere, de s'immiscer en la fonction de banquier-expéditionnaire, soit par eux ou par personnes interposées, de procurer ou solliciter les expéditions de cour de Rome, & aux parties d'y employer autres que les banquiers, à peine de faux, & aux juges d'avoir aucun égard à celles qui n'auront pas été expédiées à la diligence & sollicitation desdits banquiers, & qui n'auront pas été par eux cotées & enregistrées, comme il est ordonné, lesquelles expéditions sont déclarées nulles, & les bénéfices obtenus sur icelles, impétrables : c'est la disposition expresse de l'art. 12. de l'édit de 1637.

Il est cependant permis par le même article, à ceux qui voudront envoyer exprès en cour de Rome, & y employer leurs amis qui y sont résidens, de le faire, pourvû que les pieces, sujettes au contrôle, ayent été contrôlées, & toutes pieces, mémoires & expéditions enregistrées & cotées par l'un des banquiers de France, chacun en son département.

L'article 7 de la déclaration de 1646, ajoûte une condition, qui est que les procurations ad resignandum, & autres actes, pour envoyer en cour de Rome, soient enregistrés au greffe des insinuations, & que les signatures apostoliques, ainsi obtenues, soient ensuite vérifiées & reconnues par des banquiers, ou autres personnes dignes de foi à ce connoissans, devant un juge royal, & qu'elles soient registrées èsdits registres.

L'article 2. de la déclaration du 3 Août 1718, qui forme à cet égard le dernier état, porte que le roi n'entend point empêcher les parties de dépêcher à Rome ou à Avignon, des couriers extraordinaires, ou d'y aller elles-mêmes, pour retention de dates & expéditions de bulles & signature ; en chargeant néanmoins, avant le départ du courier, le registre d'un banquier-expéditionnaire, de l'envoi qui sera fait ; lequel envoi contiendra sommairement les noms de l'impétrant, du bénéfice & du diocèse, le genre de vacance, le nom du courier, & l'heure de son départ : & si c'est la partie elle même qui fait la course, il en doit être fait mention ; le tout, à peine de nullité.

L'article suivant porte encore que S. M. n'entend pas non plus empêcher les parties, présentes en cour de Rome ou dans la ville d'Avignon, de faire expédier en leur faveur toutes bulles, rescrits, & autres graces, qui leur seront accordées, à la charge par lesdites parties, de les faire vérifier & certifier véritables par deux desdits banquiers-expéditionnaires, avant l'obtention des lettres d'attache, dans les cas où il est nécessaire d'en obtenir, & avant de les faire fulminer, le tout, à peine de nullité.

Il est néanmoins défendu par l'art. 4. aux parties, présentes en cour de Rome ou dans la ville d'Avignon, de faire expédier sur vacance par mort, aucunes provisions en leur faveur, des bénéfices situés dans les provinces du royaume, sujettes à la prévention du pape & des légations, à moins qu'il n'apparoisse de l'avis donné auxdites parties, de la vacance des bénéfices par le registre de l'un desdits banquiers, qui en aura été préalablement chargé ; le tout, à peine de nullité.

L'ambassadeur de France à Rome, avoit fait le premier Novembre 1614, de prétendus statuts ou reglemens, pour les banquiers-expéditionnaires, suivant l'autorité qu'il disoit en avoir du roi ; mais par arrêt du conseil du 30 Janvier 1617, il fut défendu de les exécuter, comme contenant plusieurs choses contraires à la liberté des expéditions, & singulierement à l'arrêt de 1609, dont on a déjà parlé.

Les banquiers-expéditionnaires dresserent aussi eux-mêmes en 1624 d'autres statuts, pour la discipline de leur compagnie, & obtinrent au mois de Février de la même année des lettres patentes, portant confirmation de ces statuts, adressées au parlement, où ils en demanderent l'enregistrement ; mais les notaires apostoliques y ayant formé opposition en 1626, il intervint un arrêt de reglement entr'eux, le 10 Février 1629, sur productions respectives & sur les conclusions du ministere public, par lequel, sans s'arrêter aux lettres patentes du mois de Février 1624, & aux statuts attachés sous le contre-scel desdites lettres, ni à l'opposition formée par les notaires apostoliques à l'enregistrement de ces lettres, les parties furent mises hors de cour : l'arrêt contient néanmoins plusieurs dispositions de reglemens pour les notaires apostoliques & pour les banquiers ; mais comme il ne fait, à l'égard de ces derniers, que rappeller les dispositions de l'édit de 1550, il est inutile de les rapporter d'après cet arrêt.

Depuis ce tems, la compagnie des banquiers en cour de Rome a obtenu le 5 Mars 1678 un arrêt du conseil, portant omologation de statuts, composés de 34 articles ; en date du 29 Janvier précédent ; il y a encore d'autres statuts du 15 Mai 1699, composés de 44 articles, omologués par un arrêt du conseil du 21 Août suivant ; & par un autre arrêt du conseil du 3 Juillet 1703, il leur a encore été donné de nouveaux statuts & reglemens en 21 articles, pour servir de supplément aux anciens.

Les fonctions & droits des banquiers-expéditionnaires ont encore été reglés par divers édits, déclarations, lettres patentes, & arrêts de reglemens, dont on va faire l'analyse.

D'abord, pour ce qui est de leurs registres, l'édit du mois de Juin 1550 leur ordonne de faire bon & loyal registre de la date des procurations pour faire expédier, des noms des notaires & témoins inscrits, & le lieu de la confection, ensemble du jour qu'ils auront envoyé ces procurations à Rome ou à la légation ; qu'ils seront aussi tenus de signer au-dessous chaque expédition qu'ils feront & enregistreront, afin que les parties en puissent prendre des extraits ; que les banquiers enregistreront le jour & l'heure que les couriers partiront pour faire expéditions à Rome ou à la légation, il est aussi enjoint aux banquiers d'enregistrer la réponse qu'ils auront eue de leurs solliciteurs en cour de Rome, aussi-tôt qu'ils l'auront reçue, ou du moins lorsqu'ils recevront les signatures & bulles des expéditions, & que faute de ce, il n'y sera ajoûté aucune foi : l'édit prononce aussi des peines contre ceux qui auront falsifié les registres des banquiers.

L'article 3. de l'édit de 1637, leur ordonne pareillement de faire bon & loyal registre, qui contienne au moins 300 feuilles, & avant d'y écrire aucun acte d'expéditions apostoliques, de le présenter à l'archevêque ou évêque diocésain, ou à son vicaire ou official, ou au lieutenant général de la sénéchaussée ou bailliage du lieu, lesquels feront coter de nombre tous les feuillets du registre, parapheront & feront parapher chaque feuillet par leur greffier, & signeront avec eux l'acte qui sera écrit à la fin du dernier feuillet, contenant le nombre des feuillets du registre, le jour qu'il aura été paraphé, & quel quantieme est le registre ; le tout à peine de faux contre les banquiers, de 3000 liv. d'amende, & de tous dommages & intérêts des parties : l'usage est présentement de faire parapher ces registres par le lieutenant général. L'article 6 de la déclaration de 1646, porte qu'au défaut du lieutenant général du bailliage ou sénéchaussée, on s'adressera au juge royal en chef plus prochain du lieu.

Suivant l'article 4 du même édit de 1637, & l'article 5 de la déclaration de 1646, les banquiers-expéditionnaires doivent écrire en l'une des pages de chaque feuillet de leur registre le jour de l'envoi, avec articles cotés de nombres continus, qui contiendront en sommaire la substance de chaque acte bénéficiaire, & de toute autre commission pour expéditions apostoliques, bénéficiales, & autres, dont ils seront chargés, le jour & le lieu de la confection de l'acte, du contrôle & enregistrement d'icelui, les noms des parties, notaires, témoins, contrôleurs & commettans & ensuite des jours d'envoi, le jour de l'arrivée du courier ordinaire & extraordinaire ; & en l'autre page, vis-à-vis de chaque article, ils doivent pareillement écrire le jour de réception, la date, le quantieme livre & feuillet du registrata de l'expédition, avec le jour du consens, si aucun y a, & le nom du notaire qui l'aura étendu, ou la substance sommaire du refus ou empêchement de l'expédition ; ils doivent aussi coter chaque expédition apostolique de leur nom & résidence, du n°. de l'article de commission d'icelle, du nom de leur correspondant, & du jour qu'ils l'auront délivrée, le signer ou faire signer par leur commis ; & en cas de refus en cour de Rome ou empêchement, les banquiers seront obligés d'en délivrer aux parties certificat ; le tout sous pareille peine de 6000 l. d'amende, & de tous dépens, dommages & intérêts des parties. L'amende a depuis été réduite à 3000 liv. par l'article 7 de la déclaration de 1646. Le surplus de l'article est encore observé.

L'article 6 du même édit de 1637, défend aux banquiers-expéditionnaires d'avoir plus d'un registre, ni d'enregistrer aucun acte d'expédition apostolique sur un nouveau registre, que le précédent ne soit entierement rempli, à peine de punition corporelle contre les banquiers, privation de leurs charges, 6000 liv. d'amende, dépens, dommages & intérêts des parties. Il leur est enjoint de représenter leurs registres aux archevêques & évêques de leur résidence, & au procureur général du grand-conseil, tant à Paris, qu'en tous autres lieux où ledit conseil tiendra sa séance ; à tous les autres procureurs généraux du roi, & à leur substitut en la ville de Lyon, lorsqu'ils en seront par eux requis, pour voir s'ils y ont gardé la forme prescrite par cet édit, sans néanmoins que sous ce prétexte ils puissent être désaisis de leur registre.

On peut, en vertu de lettres de compulsoire & arrêt rendu sur icelles, compulser les registres des banquiers en cour de Rome, comme il fut jugé par un arrêt rendu en la grand'chambre le 10 Février 1745, rapporté dans le XIII. tome des mémoires du clergé.

On peut encore sur la forme en laquelle doivent être ces registres, voir l'ordonnance de M. le lieutenant civil du 31 Janvier 1689.

Voilà pour ce qui concerne les registres des banquiers-expéditionnaires.

Pour ce qui est des autres réglemens qui concernent leurs fonctions, l'édit du mois de Juin 1550 ordonne que les banquiers, en délivrant les expéditions par eux faites, seront tenus de mettre & écrire leurs noms & demeures, à peine d'être privés pour toûjours de l'exercice dudit état de banquier dans le royaume, d'amende arbitraire, & dommages & intérêts des parties.

Ce même édit déclare que si les banquiers contreviennent à ces dispositions, ou faisoient faute autrement en leur charge & registre, il seroit procédé contr'eux par emprisonnement de leur personne, jusqu'à pleine satisfaction des dommages & intérêts des parties, & de punition corporelle, s'il y échet, avec défense à tous ecclésiastiques de s'entre-mettre de cet état de banquier, & expéditions de cour de Rome ou légation.

L'édit de 1637, art. 13. & la déclaration de 1646, art. 11. défendent aux banquiers de se charger à même jour d'envoi pour diverses personnes de l'expédition d'un même bénéfice, soit par même ou divers genres de vacance ; & il leur est enjoint de faire signer leur commettant en leur registre, s'il est présent, l'article de la commission par lui donnée pour le fait des bénéfices, s'il sait signer, sinon qu'ils feront mention qu'il a déclaré ne savoir signer. Cette premiere partie de l'article ne s'observe plus ; l'article ajoûte que s'ils ont été chargés par des personnes absentes, ils en coteront les noms, qualités & demeures en l'article de la commission ; le tout à peine de 2000 liv. d'amende, & des dépens, dommages & intérêts des parties.

Comme quelques banquiers, moyennant certaines sommes dont ils composoient avec les parties, faisoient ensorte que le courier, étant à une ou deux journées de la ville de Rome, fît porter le paquet qui lui étoit recommandé, par quelque postillon ou autre, qui par une diligence extraordinaire le devançoit d'un jour, pour prévenir ceux qui par le même courier avoient donné charge & commission d'obtenir le même bénéfice, ce qu'ils appelloient faire expédier par avantage : l'article 14 de l'édit de 1637, qui prévoit ce cas, défend très-expressément à tous banquiers de faire porter aucuns paquets ni mémoires par avantage & gratification, à peine de faux, & de 3000 liv. d'amende. Il est enjoint à tous couriers de porter ou faire porter, & rendre en un même jour dans la ville de Rome, toutes les lettres, mémoires, & paquets dont ils auront été chargés en un même voyage, sans se retarder, faire ou prendre aucun avantage en faveur des uns, & au préjudice des autres, à peine de pareille amende, & de tous dépens, dommages & intérêts des parties, auxquelles il est défendu de se servir de provisions prises & obtenues par tels avantages : ces provisions sont déclarées nulles ; & il est défendu aux juges d'y avoir aucun égard.

Les banquiers ne doivent, suivant l'article 15 du même édit, recevoir aucunes procurations ni autres actes sujets à contrôle, ni les envoyer en cour de Rome, ni à la légation, s'il ne leur apparoît qu'ils ayent été contrôlés & enregistrés ; ils doivent les coter de leurs noms & numero, à peine de nullité, de 2000 livres d'amende contre le banquier, en cas de contravention, dépens, dommages & intérêts des parties.

L'article suivant, réitere les défenses qui avoient déjà été faites par l'édit de 1550 aux banquiers d'envoyer des mémoires, & de donner charge de retenir date sur résignations, si par le même courier & par le même paquet, ils n'envoyent les procurations, à peine de privation de leurs charges, 3000 livres d'amende, & d'autre plus grande peine à l'arbitrage du juge.

L'article 12 de la déclaration de 1646 réitere les mêmes défenses : l'édit de 1637 déclare de plus aussi nulles, toutes provisions par résignation qui auront été expédiées & délivrées au correspondant de Rome, après la mort du résignant, & plus de six mois après le jour d'envoi, comme étant grandement suspectes d'avoir été expédiées sur procurations envoyées après le décès, ou pendant l'extrème maladie du résignant, après avoir sur mémoire fait retenir la date, à moins que l'impétrant ne fasse voir que contre sa volonté, & sans fraude ni connivence, l'expédition a été retardée à Rome, ou qu'il y a eu quelque autre empêchement légitime.

Il est ordonné par l'article 24 du même édit de 1637, que les banquiers qui seront convaincus d'avoir commis quelque fausseté, anti-date, ou autre malversation en leurs charges, seront punis comme faussaires à la discrétion des juges, même par privation de leurs charges ; mais afin qu'ils ne soient pas témérairement & impunément calomniés, l'édit veut que personne ne soit reçû à s'inscrire en faux contre leurs registres & expéditions faites par leur entremise, qu'auparavant il ne se soûmette par acte reçu au greffe de la jurisdiction ordinaire, ou de celle en laquelle le différend des parties sera pendant, à la peine de la calomnie, amende extraordinaire envers le roi, & en tous les dépens, dommages & intérêts du banquier, au cas que le demandeur en faux succombe en la preuve de son accusation, sans que ces peines & amendes puissent être modérées par les juges.

La déclaration de 1646. article 12, défend de faire expédier aucunes provisions en cour de Rome pour bénéfices non consistoriaux, & qui ne sont pas de la nomination du roi, sur procurations surannées, à peine de nullité.

L'ordonnance de 1667, tit. xv. art. 8. porte qu'il ne sera ajoûté foi aux signatures & expéditions de cour de Rome, si elles ne sont vérifiées, & que la vérification se fera par un simple certificat de deux banquiers expéditionnaires, écrit sur l'original des signatures & expéditions, sans autre formalité.

L'édit de 1673, enjoint aux banquiers expéditionnaires de garder & observer exactement les ordonnances au sujet des sollicitations & obtentions de toutes sortes d'expéditions de cour de Rome & de la légation sous les peines y contenues, ensemble de mettre au dos de chacun des actes qu'ils auront fait expédier leur certificat signé d'eux, contenant le jour de l'envoi & de la reception, à peine de nullité des actes, dépens, dommages & intérêts des parties.

Enfin la déclaration du 3 Août 1718, dont on a déja parlé, contient encore plusieurs autres réglemens pour les fonctions des banquiers expéditionnaires.

L'article 5 ordonne que les banquiers expéditionnaires de Paris feront seuls, & à l'exclusion de tous autres banquiers, expédier les bulles de provision des archevêchés, évêchés, abbayes & de tous autres bénéfices du royaume étant à la nomination du roi ; qu'ils pourront aussi faire expédier toutes sortes de provisions de bénéfices, dispenses de mariage, & autres expéditions de cour de Rome pour toutes les provinces du royaume, & que les banquiers établis dans les autres villes, ne pourront travailler que pour les bénéfices situés & les personnes étant dans le ressort où ils sont établis, à peine de 3000 livres d'amende.

Pour prevenir toute contravention aux reglemens, & procurer au public la facilité des expéditions, l'article 6 de la même déclaration ordonne, que les banquiers expéditionnaires, soit en titre ou par commission, ne pourront s'absenter tous à la fois, & dans le même tems, de la ville dans laquelle ils ont été établis par les réglemens, à peine de 500 livres d'amende, & de tous dépens, dommages & intérêts des parties auxquelles, en cas d'absence de tous les banquiers de la ville, il est permis de se pourvoir devant le lieutenant général, ou autre premier juge du principal siége, & en cas d'absence ou empêchement de celui-ci, devant le plus ancien officier du siége suivant l'ordre du tableau, pour y déclarer l'envoi qu'ils desirent faire, & sommairement les noms de l'impétrant du bénéfice & du diocèse, le genre de vacance, & le nom de la personne par le ministere de laquelle ils desirent faire l'envoi, dont il leur sera donné acte & permission de faire l'envoi par la personne par eux choisie, après qu'il sera apparu au lieutenant général, ou autre premier officier, de l'absence de tous les banquiers par un procès-verbal de perquisition de leurs personnes, lequel sera dressé par deux notaires royaux ou un notaire royal en présence de deux témoins, avec sommation auxdits banquiers de se trouver dans une heure devant le lieutenant général.

Enfin l'article 7 porte que si les propriétaires de ces offices négligent de les faire remplir trois mois après la vacance, il y sera pourvû par des commissions du grand sceau. &c.

Comme les banquiers expéditionnaires qui sont employés dans cette profession, ne peuvent quelquefois expédier par eux-mêmes toutes les affaires dont ils sont chargés, il leur est permis par l'article 25 de l'édit de 1637 pour leur soulagement, d'avoir près d'eux en la ville de leur résidence un ou plusieurs commis laïques pour exercer leur charge en leur absence, maladies, ou empêchement, sans néanmoins avoir de registre séparé.

On a même vû ci-devant que suivant l'édit de 1737, & la déclaration de 1646, il falloit avoir été clerc ou commis d'un banquier expéditionnaire pendant un certain tems pour être reçû en cette charge, mais cela ne s'observe plus.

Les droits & émolumens des banquiers-expéditionnaires de cour de Rome ont été reglés par plusieurs édits & déclarations, & par des tarifs arrêtés au conseil, notamment par les édits des 22 Avril 1633, Mars 1655 & 1673, par la déclaration du 30 Janvier 1675, & le tarif arrêté au conseil le 25 Mai de la même année, lequel fut réformé au conseil le 4 Septembre 1691, & augmenté des droits portés par l'édit des mêmes mois & an, l'arrêt du conseil du 3 Juillet 1703, contenant de nouveaux statuts, l'édit de Juin 1713, & les lettres-patentes ou déclaration du 3 Août 1718.

La bourse commune qui a lieu entr'eux, avoit été ordonnée dès 1655 par l'édit du mois de Mars de ladite année ; ce qui fut confirmé par un arrêt du conseil du 15 Mai 1676, & par l'édit du mois de Janvier 1690.

Depuis l'établissement de la bourse commune, il y avoit un trésorier de la dite bourse, dont les fonctions furent réglées par un arrêt du conseil du 22 Janvier 1697. Cette fonction n'étoit point encore érigée en titre d'office, mais par édit du mois d'Août 1712, il fut créé un vingt-unieme office de banquier-expéditionnaire, thrésorier de la bourse commune ; & cet office ayant été acquis par la compagnie des banquiers-expéditionnaires de la ville de Paris, est exercé par celui que la compagnie nomme à cet effet.

Les priviléges des banquiers expéditionnaires consistent,

1°. En l'exemption de tutele, curatelle, commission, & de toutes autres charges publiques, qui leur a été accordée par l'article 26. de l'édit de 1637, qui porte que c'est pour leur donner moyen d'exercer leurs charges avec assiduité, & sans distraction.

2°. L'édit du mois de Mars 1678 les décharge de plus nommément de la collecte des deniers royaux, & de guet & garde.

3°. L'édit de 1637, art. 26, leur donne aussi droit de committimus aux requêtes du palais du parlement de leur résidence pour les causes qui concerneront la conservation de leurs priviléges, & les droits dépendans & attribués à leur emploi. Ce droit de committimus a depuis été étendu à toutes les causes personnelles & mixtes des banquiers-expéditionnaires, & leur a été confirmé par la déclaration du 30 Janvier 1675.

4°. La même déclaration leur attribue le droit de franc-salé, & confirme tous leurs autres droits & privileges portés par les précédens édits.

Ils ont encore été confirmés par une déclaration du 3 Août 1718, qui rappelle les précédens réglemens, & explique plusieurs de leurs dispositions.

Au mois de Juin 1703, il y eut un édit portant création en titre d'office de 20 conseillers contrôleurs des expéditions de cour de Rome, & des légations pour la ville de Paris, & de quatre pour chacune des villes de Toulouse, Bordeaux, Rouen, Aix, Grenoble, Lyon, Dijon, Metz & Pau, pour contrôler & enregistrer toutes les expéditions de cour de Rome, & des légations.

Ces offices de contrôleurs, tant pour Paris que pour les autres villes & les droits qui y étoient attribués, furent réunis par déclaration du 3 Juillet 1703 aux vingt offices de banquiers-expéditionnaires de la ville de Paris, avec faculté à eux de commettre un certain nombre d'entr'eux pour faire à Paris les fonctions de ces offices, & de les faire exercer dans les provinces par qui bon leur sembleroit, après que ceux qu'ils auroient commis auroient prêté serment devant le juge des lieux.

Ces mêmes offices de contrôleurs furent ensuite supprimés par édit du mois de Juin 1713 ; mais le même édit créa en titre d'office formé, & à titre de survivance, 20 offices d'inspecteurs-vérificateurs des expéditions de cour de Rome & de la légation pour Paris, & quatre pour chacune des villes de Toulouse, Bordeaux, Roüen, Aix, Grenoble, Lyon, Dijon, Metz & Pau. Cet édit contient aussi quelques réglemens pour les droits des banquiers-expéditionnaires.

Enfin par édit du mois d'Octobre suivant, les inspecteurs-vérificateurs furent supprimés, les contrôleurs furent rétablis avec les droits & privileges portés par l'édit de Juin 1703, & ces offices & droits de contrôleurs furent réunis, moyennant finance, aux vingt offices de banquiers-expéditionnaires établis à Paris.

Il avoit été créé au mois d'Août 1709 des gardes des archives des banquiers-expéditionnaires en cour de Rome, lesquels furent unis à la compagnie desdits banquiers par déclarations des 18 Avril 1710, & 4 Février 1711 ; ils en furent désunis par l'édit du mois d'Août 1712, qui porte aussi création de l'office de thrésorier de la bourse commune, & par une déclaration du 9 Octobre suivant ces gardes des archives furent supprimés.

Sur les banquiers-expéditionnaires de cour de Rome & des légations, voyez les mémoires du clergé aux endroits que l'abrégé indique sous le mot banquiers-expéditionnaires ; le traité de l'usage & pratique de cour de Rome, attribué à Perard Castel, avec les notes de Dunoyer ; les lois ecclésiastiques de d'Hericourt, seconde partie, tit. de la forme des provisions ; la bibliotheque canonique au mot BANQUIER, & la jurisprudence canonique au même titre. (A)


EXPÉRIENCES. f. terme abstrait, (Philosophie) signifie communément la connoissance acquise par un long usage de la vie, jointe aux réflexions que l'on a faites sur ce qu'on a vû, & sur ce qui nous est arrivé de bien & de mal. En ce sens, la lecture de l'Histoire est fort utile pour nous donner de l'expérience ; elle nous apprend des faits, & nous montre les évenemens bons ou mauvais qui en ont été la suite & les conséquences. Nous ne venons point au monde avec la connoissance des causes & des effets ; c'est uniquement l'expérience qui nous fait voir ce qui est cause & ce qui est effet, ensuite notre propre réflexion nous fait observer la liaison & l'enchaînement qu'il y a entre la cause & l'effet.

Chacun tire plus ou moins de profit de sa propre expérience, selon le plus ou le moins de lumieres dont on a été doüé en venant au monde.

Les voyages sont aussi fort utiles pour donner de l'expérience ; mais pour en retirer cet avantage, on doit voyager avec l'esprit d'observation.

Homere, au commencement de l'Odyssée, voulant nous donner une grande idée de son héros, nous dit d'abord qu'Ulysse avoit vû plusieurs villes, & qu'il avoit observé les moeurs de divers peuples. Voici comment Horace a rendu les vers d'Homere :

Dic mihi, musa, virum, captae post tempora Trojae,

Qui mores hominum multorum vidit & urbes.

Art poét. vers. 141.

Ainsi quand on dit d'un homme qu'il a de l'expérience, qu'il est expérimenté, qu'il est expert, on veut dire qu'outre les connoissances que chacun acquiert par l'usage de la vie, il a observé particulierement ce qui regarde son état. Il ne faut pas séparer le fait de l'observation : pour être un officier expérimenté, il ne suffit pas d'avoir fait plusieurs campagnes, il faut les avoir faites avec l'esprit d'observation, & avoir sû mettre à profit ses propres fautes & celles des autres.

La raison qui doit nous inspirer beaucoup de confiance en l'expérience, c'est que la nature est uniforme aussi-bien dans l'ordre moral que dans l'ordre physique ; ainsi toutes les fois que nous voyons les mêmes causes, nous devons nous attendre aux mêmes effets, pourvû que les circonstances soient les mêmes.

Il est assez ordinaire que deux personnes qui sont de sentiment différent, alleguent chacun l'expérience en sa faveur : c'est l'observateur le plus exact, le plus desintéressé & le moins passionné qui seul a raison. Souvent les passions sont des lunettes qui nous font voir ce qui n'est pas, ou qui nous montrent les objets autrement qu'ils ne sont. Il est rare que les jeunes gens qui entrent dans le monde, ne tombent pas en inconvénient faute d'expérience. Après les dons de la nature, l'expérience fait le principal mérite des hommes.

En Physique le mot expérience se dit des épreuves que l'on fait pour découvrir les différentes opérations & le méchanisme de la Nature. On fait des expériences sur la pesanteur de l'air, sur les phosphores, sur la pierre d'aimant, sur l'électricité, &c. La pratique de faire des expériences est fort en usage en Europe depuis quelques années, ce qui a multiplié les connoissances philosophiques, & les a rendues plus communes ; mais ces épreuves doivent être faites avec beaucoup de précision & d'exactitude, si l'on veut en recueillir tout le fruit qu'on en doit attendre : sans cette précaution, elles ne serviroient qu'à égarer. Les spéculations les plus subtiles & les méditations les plus profondes ne sont que de vaines imaginations, si elles ne sont pas fondées sur des expériences exactes. (F)

EXPERIENCE, (Philosophie nat.) est l'épreuve de l'effet qui résulte de l'application mutuelle ou du mouvement des corps naturels, afin de découvrir certains phénomenes, & leurs causes. Voyez EXPERIMENTAL.

EXPERIENCE, , (Medecine) c'est la connoissance acquise par des observations assidues & par un long usage, de tout ce qui peut contribuer à la conservation de la santé & à la guérison des maladies. Voyez EMPIRISME & EMPIRIQUE.

Expérience se dit aussi de l'épreuve que font les Medecins sur le corps humain ou sur celui de quelqu'animal, d'un moyen, d'une opération, d'une drogue dont ils ont lieu de croire, par le raisonnement, que l'usage peut être utilement appliqué contre quelque maladie, ou dont ils cherchent à connoître le bon ou le mauvais effet. Voyez DROGUE, REMEDE, OPERATION. (d)


EXPÉRIMENTALadj. (Philosophie nat.) On appelle Philosophie expérimentale, celle qui se sert de la voie des expériences pour découvrir les lois de la Nature. Voyez EXPERIENCE.

Les anciens, auxquels nous nous croyons fort supérieurs dans les Sciences, parce que nous trouvons plus court & plus agréable de nous préférer à eux que de les lire, n'ont pas négligé la physique expérimentale, comme nous nous l'imaginons ordinairement : ils comprirent de bonne heure que l'observation & l'expérience étoient le seul moyen de connoitre la Nature. Les ouvrages d'Hippocrate seul seroient suffisans pour montrer l'esprit qui conduisoit alors les philosophes. Au lieu de ces systèmes, sinon meurtriers, du moins ridicules, qu'a enfantés la medecine moderne, pour les proscrire ensuite, on y trouve des faits bien vûs & bien rapprochés ; on y voit un système d'observations qui sert encore aujourd'hui, & qui apparemment servira toûjours de base à l'art de guérir. Or je crois pouvoir juger par l'état de la Medecine chez les anciens, de l'état où la Physique étoit parmi eux, & cela pour deux raisons : la premiere, parce que les ouvrages d'Hippocrate sont les monumens les plus considérables qui nous restent de la physique des anciens ; la seconde, parce que la Medecine étant la partie la plus essentielle & la plus intéressante de la Physique, on peut toûjours juger avec certitude de la maniere dont on cultive celle-ci, par la maniere dont on traite celle-là. Telle est la Physique, telle est la Medecine ; & réciproquement telle est la Medecine, telle est la Physique. C'est une vérité dont l'expérience nous assûre, puisqu'à compter seulement depuis le renouvellement des Lettres, quoique nous pûssions remonter plus haut, nous avons toûjours vû subir à l'une de ces sciences les changemens qui ont altéré ou dénaturé l'autre.

Nous savons d'ailleurs que dans le tems même d'Hippocrate, plusieurs grands hommes, à la tête desquels on doit placer Démocrite, s'appliquerent avec succès à l'observation de la Nature. On prétend que le medecin envoyé par les habitans d'Abdere pour guérir la prétendue folie du philosophe, le trouva occupé à disséquer & à observer des animaux ; & l'on peut deviner qui fut jugé le plus fou par Hippocrate, de celui qu'il alloit voir, ou de ceux qui l'avoient envoyé. Démocrite fou ! lui qui, pour le dire ici en passant, avoit trouvé la maniere la plus philosophique de joüir de la Nature & des hommes ; savoir d'étudier l'une & de rire des autres.

Quand je parle, au reste, de l'application que les anciens ont donnée à la physique expérimentale, je ne sai s'il faut prendre ce mot dans toute son étendue. La physique expérimentale roule sur deux points qu'il ne faut pas confondre, l'expérience proprement dite, & l'observation. Celle-ci, moins recherchée & moins subtile, se borne aux faits qu'elle a sous les yeux, à bien voir & à détailler les phénomenes de toute espece que le spectacle de la Nature présente : celle-là au contraire cherche à la pénétrer plus profondément, à lui dérober ce qu'elle cache ; à créer, en quelque maniere, par la différente combinaison des corps, de nouveaux phénomenes pour les étudier : enfin elle ne se borne pas à écouter la Nature, mais elle l'interroge & la presse. On pourroit appeller la premiere, la physique des faits, ou plûtôt la physique vulgaire & palpable ; & réserver pour l'autre le nom de physique occulte, pourvû qu'on attache à ce mot une idée plus philosophique & plus vraie que n'ont fait certains physiciens modernes, & qu'on le borne à désigner la connoissance des faits cachés dont on s'assûre en les voyant, & non le roman des faits supposés qu'on devine bien ou mal, sans les chercher ni les voir.

Les anciens ne paroissent pas s'être fort appliqués à cette derniere physique, ils se contentoient de lire dans la Nature ; mais ils y lisoient fort assidument, & avec de meilleurs yeux que nous ne nous l'imaginons : plusieurs faits qu'ils ont avancés, & qui ont été d'abord démentis par les modernes, se sont trouvés vrais quand on les a mieux approfondis. La méthode que suivoient les anciens en cultivant l'observation plus que l'expérience, étoit très-philosophique, & la plus propre de toutes à faire faire à la Physique les plus grands progrès dont elle fût capable dans ce premier âge de l'esprit humain. Avant que d'employer & d'user notre sagacité pour chercher un fait dans des combinaisons subtiles, il faut être bien assûré que ce fait n'est pas près de nous & sous notre main, comme il faut en Géométrie réserver ses efforts pour trouver ce qui n'a pas été résolu par d'autres. La Nature est si variée & si riche, qu'une simple collection de faits bien complete avanceroit prodigieusement nos connoissances ; & s'il étoit possible de pousser cette collection au point que rien n'y manquât, ce seroit peut-être le seul travail auquel un physicien dût se borner ; c'est au moins celui par lequel il faut qu'il commence, & voilà ce que les anciens ont fait. Ils ont traité la Nature comme Hippocrate a traité le corps humain ; nouvelle preuve de l'analogie & de la ressemblance de leur physique à leur medecine. Les plus sages d'entr'eux ont fait, pour ainsi dire, la table de ce qu'ils voyoient, l'ont bien faite, & s'en sont tenus-là. Ils n'ont connu de l'aimant que sa propriété qui saute le plus aux yeux, celle d'attirer le fer : les merveilles de l'Electricité qui les entouroient, & dont on trouve quelques traces dans leurs ouvrages, ne les ont point frappés, parce que pour être frappé de ces merveilles il eût fallu en voir le rapport à des faits plus cachés que l'expérience a sû découvrir dans ces derniers tems ; car l'expérience, parmi plusieurs avantages, a entre autres celui d'étendre le champ de l'observation. Un phénomene que l'expérience nous découvre, ouvre nos yeux sur une infinité d'autres qui ne demandoient, pour ainsi dire, qu'à être apperçûs. L'observation, par la curiosité qu'elle inspire & par les vuides qu'elle laisse, mene à l'expérience ; l'expérience ramene à l'observation par la même curiosité qui cherche à remplir & à serrer de plus en plus ces vuides ; ainsi on peut regarder en quelque maniere l'expérience & l'observation comme la suite & le complément l'une de l'autre.

Les anciens ne paroissent avoir cultivé l'expérience que par rapport aux Arts, & nullement pour satisfaire, comme nous, une curiosité purement philosophique. Ils ne décomposoient & ne combinoient les corps que pour en tirer des usages utiles ou agréables, sans chercher beaucoup à en connoître le jeu ni la structure. Ils ne s'arrêtoient pas même sur les détails dans la description qu'ils faisoient des corps ; & s'ils avoient besoin d'être justifiés sur ce point, ils le seroient en quelque maniere suffisamment par le peu d'utilité que les modernes ont trouvé à suivre une méthode contraire.

C'est peut-être dans l'histoire des animaux d'Aristote qu'il faut chercher le vrai goût de physique des anciens, plûtôt que dans ses ouvrages de physique, où il est moins riche en faits & plus abondant en paroles, plus raisonneur & moins instruit ; car telle est tout-à-la-fois la sagesse & la manie de l'esprit humain, qu'il ne songe guere qu'à amasser & à ranger des matériaux, tant que la collection en est facile & abondante : mais qu'à l'instant que les matériaux lui manquent, il se met aussi-tôt à discourir ; ensorte que réduit même à un petit nombre de matériaux, il est toûjours tenté d'en former un corps, & de délayer en un système de science, ou en quelque chose du moins qui en ait la forme, un petit nombre de connoissances imparfaites & isolées.

Mais en reconnoissant que cet esprit peut avoir présidé jusqu'à un certain point aux ouvrages physiques d'Aristote, ne mettons pas sur son compte l'abus que les modernes en ont fait, durant les siecles d'ignorance qui ont duré si long-tems, ni toutes les inepties que ses commentateurs ont voulu faire prendre pour les opinions de ce grand homme.

Je ne parle de ces tems ténébreux, que pour faire mention en passant de quelques génies supérieurs, qui abandonnant cette méthode vague & obscure de philosopher, laissoient les mots pour les choses, & cherchoient dans leur sagacité & dans l'étude de la Nature des connoissances plus réelles. Le moine Bacon,trop peu connu & trop peu lû aujourd'hui, doit être mis au nombre de ces esprits du premier ordre ; dans le sein de la plus profonde ignorance, il sut par la force de son génie s'élever au-dessus de son siecle, & le laisser bien loin derriere lui : aussi fut-il persécuté par ses confreres, & regardé par le peuple comme un sorcier, à-peu-près comme Gerbert l'avoit été près de trois siecles auparavant, pour ses inventions méchaniques : avec cette différence que Gerbert devint pape, & que Bacon resta moine & malheureux.

Au reste le petit nombre de grands génies qui étudioient ainsi la Nature en elle-même, jusqu'à la renaissance proprement dite de la Philosophie, n'étoient pas vraiment adonnés à ce qu'on appelle physique expérimentale. Chimistes plûtôt que physiciens, il paroissent plus appliqués à la décomposition des corps particuliers, & au détail des usages qu'ils en pouvoient faire, qu'à l'étude générale de la Nature. Riches d'une infinité de connoissances utiles ou curieuses, mais détachées, ils ignoroient les lois du mouvement ; celles de l'Hydrostatique, la pesanteur de l'air dont ils voyoient les effets, & plusieurs autres vérités qui sont aujourd'hui la base & comme les élémens de la physique moderne.

Le chancelier Bacon,Anglois comme le moine, (car ce nom & ce peuple sont heureux en philosophie), embrassa le premier un plus vaste champ : il entrevit les principes généraux qui doivent servir de fondement à l'étude de la Nature, il proposa de les reconnoître par la voie de l'expérience, il annonça un grand nombre de découvertes qui se sont faites depuis. Descartes qui le suivit de près, & qu'on accusa (peut-être assez mal-à-propos) d'avoir puisé des lumieres dans les ouvrages de Bacon,ouvrit quelques routes dans la physique expérimentale, mais la recommanda plus qu'il ne la pratiqua ; & c'est peut-être ce qui l'a conduit à plusieurs erreurs. Il eut, par exemple, le courage de donner le premier des lois du mouvement ; courage qui mérite la reconnoissance des Philosophes, puisqu'il a mis ceux qui l'ont suivi, sur la route des lois véritables ; mais l'expérience, ou plûtôt, comme nous le dirons plus bas, des réflexions sur les observations les plus communes, lui auroient appris que les lois qu'il avoit données étoient insoûtenables. Descartes, & Bacon lui-même, malgré toutes les obligations que leur a la Philosophie, lui auroient peut-être été encore plus utiles, s'ils eussent été plus physiciens de pratique & moins de théorie ; mais le plaisir oisif de la méditation & de la conjecture même, entraîne les grands esprits. Ils commencent beaucoup & finissent peu ; ils proposent des vûes, ils prescrivent ce qu'il faut faire pour en constater la justesse & l'avantage, & laissent le travail méchanique à d'autres, qui éclairés par une lumiere étrangere, ne vont pas aussi loin que leurs maîtres auroient été seuls : ainsi les uns pensent ou rêvent, les autres agissent ou manoeuvrent : & l'enfance des Sciences est longue, ou, pour mieux dire, éternelle.

Cependant l'esprit de la physique expérimentale que Bacon & Descartes avoient introduit, s'étendit insensiblement. L'académie del Cimento à Florence, Boyle & Mariotte, & après eux plusieurs autres, firent avec succès un grand nombre d'expériences : les académies se formerent & saisirent avec empressement cette maniere de philosopher : les universités plus lentes, parce qu'elles étoient déjà toutes formées lors de la naissance de la physique expérimentale, suivirent long-tems encore leur méthode ancienne. Peu-à-peu la physique de Descartes succéda dans les écoles à celle d'Aristote, ou plûtôt de ses commentateurs. Si on ne touchoit pas encore à la vérité, on étoit du-moins sur la voie : on fit quelques expériences ; on tenta de les expliquer : on auroit mieux fait de se contenter de les bien faire, & d'en saisir l'analogie mutuelle : mais enfin il ne faut pas espérer que l'esprit se délivre si promtement de tous ses préjugés. Newton parut, & montra le premier ce que ses prédécesseurs n'avoient fait qu'entrevoir, l'art d'introduire la Géométrie dans la Physique, & de former, en réunissant l'expérience au calcul, une science exacte, profonde, lumineuse, & nouvelle : aussi grand du-moins par ses expériences d'optique que par son système du monde, il ouvrit de tous côtés une carriere immense & sûre ; l'Angleterre saisit ses vûes ; la société royale les regarda comme siennes dès le moment de leur naissance : les académies de France s'y prêterent plus lentement & avec plus de peine, par la même raison que les universités avoient eue pour rejetter durant plusieurs années la physique de Descartes : la lumiere a enfin prévalu : la génération ennemie de ces grands hommes, s'est éteinte dans les académies & dans les universités, auxquelles les académies semblent aujourd'hui donner le ton : une génération nouvelle s'est élevée ; car quand les fondemens d'une révolution sont une fois jettés, c'est presque toûjours dans la génération suivante que la révolution s'acheve ; rarement en-deçà, parce que les obstacles périssent plûtôt que de céder ; rarement au-delà, parce que les barrieres une fois franchies, l'esprit humain va souvent plus vîte qu'il ne veut lui-même, jusqu'à ce qu'il rencontre un nouvel obstacle qui l'oblige de se reposer pour long-tems.

Qui jetteroit les yeux sur l'université de Paris, y trouveroit une preuve convaincante de ce que j'avance. L'étude de la géométrie & de la physique expérimentale commencent à y regner. Plusieurs jeunes professeurs pleins de savoir, d'esprit, & de courage (car il en faut pour les innovations, même les plus innocentes), ont osé quitter la route battue pour s'en frayer une nouvelle ; tandis que dans d'autres écoles, à qui nous épargnerons la honte de les nommer, les lois du mouvement de Descartes, & même la physique péripatéticienne, sont encore en honneur. Les jeunes maîtres dont je parle forment des éleves vraiment instruits, qui, au sortir de leur philosophie, sont initiés aux vrais principes de toutes les sciences physico-mathématiques, & qui bien loin d'être obligés (comme on l'étoit autrefois) d'oublier ce qu'ils ont appris, sont au contraire en état d'en faire usage pour se livrer aux parties de la Physique qui leur plaisent le plus. L'utilité qu'on peut retirer de cette méthode est si grande, qu'il seroit à souhaiter ou qu'on augmentât d'une année le cours de Philosophie des colléges, ou qu'on prit dès la premiere année le parti d'abréger beaucoup la Métaphysique & la Logique, auxquelles cette premiere année est ordinairement consacrée presque toute entiere. Je n'ai garde de proscrire deux sciences dont je reconnois l'utilité & la nécessité indispensable ; mais je crois qu'on les traiteroit beaucoup moins longuement, si on les réduisoit à ce qu'elles contiennent de vrai & d'utile ; renfermées en peu de pages elles y gagneroient, & la Physique aussi qui doit les suivre.

C'est dans ces circonstances que le Roi vient d'établir dans l'université de Paris une chaire de physique expérimentale. L'état présent de la Physique parmi nous, le goût que les ignorans mêmes témoignent pour elle, l'exemple des étrangers, qui joüissent depuis long-tems de l'avantage d'un tel établissement, tout sembloit demander que nous songeassions à nous en procurer un semblable. L'occasion ne fut jamais plus favorable pour affermir dans un corps aussi utile & aussi estimable que l'université de Paris, le goût de la saine Physique, qui s'y répand avec tant de succès depuis plusieurs années. Le mérite reconnu de l'académicien qui occupe cette chaire, nous répond du succès avec lequel il la remplira. Je suis bien éloigné de lui tracer un plan que sa capacité & son expérience lui ont sans-doute déjà montré depuis long-tems. Je prie seulement qu'on me permette quelques réflexions générales sur le véritable but des expériences. Ces réflexions ne seront peut-être pas inutiles aux jeunes éleves, qui se disposent à profiter du nouvel établissement si avantageux au progrès de la Physique. Les bornes & la nature de cet article m'obligeront d'ailleurs à abréger beaucoup ces réflexions, à ne faire que les ébaucher, pour ainsi dire, & en présenter l'esprit & la substance.

Les premiers objets qui s'offrent à nous dans la Physique, sont les propriétés générales des corps, & les effets de l'action qu'ils exercent les uns sur les autres. Cette action n'est point pour nous un phénomene extraordinaire : nous y sommes accoûtumés dès notre enfance : les effets de l'équilibre & de l'impulsion nous sont connus, je parle des effets en général ; car pour la mesure & la loi précise de ces effets, les Philosophes ont été long-tems à la chercher, & plus encore à la trouver : cependant un peu de réflexion sur la nature des corps, jointe à l'observation des phénomenes qui les environnoient, auroient dû, ce me semble, leur faire découvrir ces lois beaucoup plûtôt. J'avoue que quand on voudra résoudre ce problème métaphysiquement & sans jetter aucun regard sur l'univers, on parviendra peut-être difficilement à se satisfaire pleinement sur cet article, & à démontrer en toute rigueur qu'un corps qui en rencontre un autre doit lui communiquer du mouvement : mais quand on fera attention que les lois du mouvement se réduisent à celles de l'équilibre, & que par la nature seule des corps il y a antérieurement à toute expérience & à toute observation un cas d'équilibre dans la nature, on déterminera facilement les lois de l'impulsion qui résultent de cette loi d'équilibre. Voyez EQUILIBRE. Il ne reste plus qu'à savoir si ces lois sont celles que la nature doit observer. La question seroit bien-tôt décidée, si on pouvoit prouver rigoureusement que la loi d'équilibre est unique ; car il s'en suivroit de-là que les lois du mouvement sont invariables & nécessaires. La Métaphysique aidée des raisonnemens géométriques fourniroit, si je ne me trompe, de grandes lumieres sur l'unité de cette loi d'équilibre ; & parviendroit peut-être à la démontrer (voyez EQUILIBRE) : mais quand elle seroit impuissante sur cet article, l'observation & l'expérience y suppléeroient abondamment. Au défaut des lumieres que nous cherchons sur le droit, elles nous éclairent au moins sur le fait, en nous montrant que dans l'univers, tel qu'il est, la loi de l'équilibre est unique ; les phénomenes les plus simples & les plus ordinaires nous assûrent de cette vérité. Cette observation commune, ce phénomene populaire, si on peut parler ainsi, suffit pour servir de base à une théorie simple & lumineuse des lois du mouvement : la physique expérimentale n'est donc plus nécessaire pour constater ces lois, qui ne sont nullement de son objet. Si elle s'en occupe, ce doit être comme d'une recherche de simple curiosité, pour réveiller & soûtenir l'attention des commençans, à-peu-près comme on les exerce dès l'entrée de la Géométrie à faire des figures justes, pour avoir le plaisir de s'assûrer par leurs yeux de ce que la raison leur a déjà démontré : mais un physicien proprement dit, n'a pas plus besoin du secours de l'expérience pour démontrer les lois du mouvement & de la Statique, qu'un bon géometre n'a besoin de regle & de compas pour s'assûrer qu'il a bien résolu un problème difficile.

La seule utilité véritable que puissent procurer au physicien les recherches expérimentales sur les lois de l'équilibre, du mouvement, & en général sur les affections primitives des corps, c'est d'examiner attentivement la différence entre le résultat que donne la théorie & celui que fournit l'expérience, & d'employer cette différence avec adresse pour déterminer, par exemple, dans les effets de l'impulsion, l'altération causée par la résistance de l'air ; dans les effets des machines simples, l'altération occasionnée par le frottement & par d'autres causes. Telle est la méthode que les plus grands physiciens ont suivie, & qui est la plus propre à faire faire à la Science de grands progrès : car alors l'expérience ne servira plus simplement à confirmer la théorie ; mais différant de la théorie sans l'ébranler, elle conduira à des vérités nouvelles auxquelles la théorie seule n'auroit pû atteindre.

Le premier objet réel de la physique expérimentale sont les propriétés générales des corps, que l'observation nous fait connoître, pour ainsi dire, en gros, mais dont l'expérience seule peut mesurer & déterminer les effets ; tels, sont, par exemple, les phénomenes de la pesanteur. Aucune théorie n'auroit pû nous faire trouver la loi que les corps pesans suivent dans leur chûte verticale, mais cette loi une fois connue par l'expérience, tout ce qui appartient au mouvement des corps pesans, soit rectiligne soit curviligne, soit incliné soit vertical, n'est plus que du ressort de la théorie ; & si l'expérience s'y joint, ce ne doit être que dans la même vûe & de la même maniere que pour les lois primitives de l'impulsion.

L'observation journaliere nous apprend de même que l'air est pesant, mais l'expérience seule pouvoit nous éclairer sur la quantité absolue de sa pesanteur : cette expérience est la base de l'Aérométrie, & le raisonnement acheve le reste. Voyez AREOMETRIE.

On sait que les fluides pressent & résistent quand ils sont en repos, & poussent quand ils sont en mouvement ; mais cette connoissance vague ne sauroit être d'un grand usage. Il faut, pour la rendre plus précise & par conséquent plus réelle & plus utile, avoir recours à l'expérience ; en nous faisant connoître les lois de l'Hydrostatique, elle nous donne en quelque maniere beaucoup plus que nous ne lui demandons : car elle nous apprend d'abord ce que nous n'aurions jamais soupçonné, que les fluides ne pressent nullement comme les corps solides, ni comme feroit un amas de petits corpuscules contigus & pressés. Les lois de la chûte des corps, la quantité de la pesanteur de l'air ; sont des faits que l'expérience seule a pû sans-doute nous dévoiler, mais qui après tout n'ont rien de surprenant en eux-mêmes : il n'en est pas ainsi de la pression des fluides en tout sens, qui est la base de l'équilibre des fluides. C'est un phénomene qui paroît hors des lois générales, & que nous avons encore peine à croire, même lorsque nous n'en pouvons pas douter : mais ce phénomene une fois connu, l'Hydrostatique n'a guere besoin de l'expérience : il y a plus, l'Hydraulique même devient une science entierement ou presqu'entierement mathématique ; je dis presqu'entierement, car quoique les lois du mouvement des fluides se déduisent des lois de leur équilibre, il y a néanmoins des cas où l'on ne peut réduire les unes aux autres qu'au moyen de certaines hypothèses, & l'expérience est nécessaire pour nous assûrer que ces hypothèses sont exactes & non arbitraires.

Ce seroit ici le lieu de faire quelques observations sur l'abus du calcul & des hypothèses dans la Physique, si cet objet n'avoit eté déjà rempli par des géometres mêmes qu'on ne peut accuser en cela de partialité. Au fond, de quoi les hommes n'abusent-ils pas ? on s'est bien servi de la méthode des Géometres pour embrouiller la Métaphysique : on a mis des figures de Géométrie dans des traités de l'ame ; & depuis que l'action de Dieu a été réduite en théorèmes, doit-on s'étonner que l'on ait essayé d'en faire autant de l'action des corps ? Voyez DEGRE.

Que de choses n'aurois-je point à dire ici sur les Sciences qu'on appelle physico-mathématiques, sur l'Astronomie physique entr'autres, sur l'Acoustique, sur l'Optique & ses différentes branches, sur la maniere dont l'expérience & le calcul doivent s'unir pour rendre ces Sciences le plus parfaites qu'il est possible ; mais afin de ne point rendre cet article trop long, je renvoie ces réflexions & plusieurs autres au mot PHYSIQUE, qui ne doit point être séparé de celui-ci. Je me bornerai pour le présent à ce qui doit être le véritable & comme l'unique objet de la physique expérimentale ; à ces phénomènes qui se multiplient à l'infini, sur la cause desquels le raisonnement ne peut nous aider, dont nous n'appercevons point la chaîne, ou dont au-moins nous ne voyons la liaison que très-imparfaitement, très-rarement, & après les avoir envisagés sous bien des faces : tels sont, par exemple, les phénomenes de la Chimie, ceux de l'électricité ; ceux de l'aimant, & une infinité d'autres. Ce sont-là les faits que le physicien doit sur-tout chercher à bien connoître : il ne sauroit trop les multiplier ; plus il en aura recueilli, plus il sera près d'en voir l'union : son objet doit être d'y mettre l'ordre dont ils seront susceptibles, d'expliquer les uns par les autres autant que cela sera possible, & d'en former, pour ainsi dire, une chaîne où il se trouve le moins de lacunes que faire se pourra ; il en restera toûjours assez ; la nature y a mis bon ordre. Qu'il se garde bien sur-tout de vouloir rendre raison de ce qui lui échappe ; qu'il se défie de cette fureur d'expliquer tout, que Descartes a introduite dans la Physique, qui a accoûtumé la plûpart de ses sectateurs à se contenter de principes & de raisons vagues, propres à soûtenir également le pour & le contre. On ne peut s'empêcher de rire, quand on lit dans certains ouvrages de Physique les explications des variations du barometre, de la neige, de la grêle, & d'une infinité d'autres faits. Ces auteurs, avec les principes & la méthode dont ils se servent, seroient du-moins aussi peu embarrassés pour expliquer des faits absolument contraires ; pour démontrer, par exemple, qu'en tems de pluie le barometre doit hausser, que la neige doit tomber en été & la grêle en hyver, & ainsi des autres. Les explications dans un cours de Physique doivent être comme les réflexions dans l'Histoire, courtes, sages, fines, amenées par les faits, ou renfermées dans les faits mêmes par la maniere dont on les présente.

Au reste, quand je proscris de la Physique la manie des explications, je suis bien éloigné d'en proscrire cet esprit de conjecture, qui tout-à-la-fois timide & éclairé conduit quelquefois à des découvertes, pourvû qu'il se donne pour ce qu'il est, jusqu'à ce qu'il soit arrivé à la découverte réelle : cet esprit d'analogie, dont la sage hardiesse perce au-delà de ce que la nature semble vouloir montrer, & prévoit les faits, avant que de les avoir vûs. Ces deux talens précieux & si rares, trompent à la vérité quelquefois celui qui n'en fait pas assez sobrement usage : mais ne se trompe pas ainsi qui veut.

Je finis par une observation qui sera courte, n'étant pas immédiatement de l'objet de cet article, mais à laquelle je ne puis me refuser. En imitant l'exemple des étrangers dans l'établissement d'une chaire de physique expérimentale qui nous manquoit, pourquoi ne suivrions-nous pas ce même exemple dans l'établissement des trois autres chaires très-utiles, qui nous manquent entierement, une de Morale, une de Droit public, & une d'Histoire, trois objets qui appartiennent en un certain sens à la philosophie expérimentale, prise dans toute son étendue. Je suis certainement bien éloigné de mépriser aucun genre de connoissances ; mais il me semble qu'au lieu d'avoir au collége royal deux chaires pour l'Arabe ; qu'on n'apprend plus ; deux pour l'Hébreu, qu'on n'apprend guere ; deux pour le Grec, qu'on apprend assez peu, & qu'on devroit cultiver davantage ; deux pour l'Eloquence, dont la nature est presque le seul maître, on se contenteroit aisément d'une seule chaire pour chacun de ces objets ; & qu'il manque à la splendeur & à l'utilité de ce collége une chaire de Morale, dont les principes bien développés intéresseroient toutes les nations ; une de Droit public, dont les élémens même sont peu connus en France ; une d'Histoire enfin qui devroit être occupée par un homme tout-à-la-fois savant & philosophe, c'est-à-dire par un homme fort rare. Ce souhait n'est pas le mien seul ; c'est celui d'un grand nombre de bons citoyens ; & s'il n'y a pas beaucoup d'espérance qu'il s'accomplisse, il n'y a du moins nulle indiscrétion à le proposer. (O)


EXPERTSS. m. pl. (Jurispr.) sont des gens versés dans la connoissance d'une science, d'un art, d'une certaine espece de marchandise, ou autre chose ; lesquels sont choisis pour faire leur rapport & donner leur avis sur quelque point de fait d'où dépend la décision d'une contestation, & que l'on ne peut bien entendre sans le secours des connoissances qui sont propres aux personnes d'une certaine profession.

Par exemple, s'il s'agit d'estimer des mouvances féodales, droits seigneuriaux ; droits de justice & honorifiques, on nomme ordinairement des seigneurs & gentilshommes possédant des biens & droits de même qualité ; & pour l'estimation des terres labourables, des labours, des grains, & ustensiles de labour, on prend pour experts des laboureurs ; s'il s'agit d'estimer des bâtimens, on prend pour experts des architectes, des maçons, & des charpentiers, chacun pour ce qui est de leur ressort ; s'il s'agit de vérifier une écriture, on prend pour experts des maîtres écrivains ; & ainsi des autres matieres.

Les experts sont nommés dans quelques anciens auteurs juratores, parce qu'ils doivent prêter serment en justice avant de procéder à leur commission ; & comme on ne nomme des experts que sur des matieres de fait, de-là vient l'ancienne maxime : ad quaestionem facti respondent juratores, ad quaestionem juris respondent judices ; c'est aussi de-là qu'ils sont appellés parmi nous jurés, ou experts jurés. Mais présentement cette derniere qualité ne se donne qu'aux experts qui sont en titre d'office, quoique tous experts doivent prêter serment.

L'usage de nommer des experts nous vient des Romains ; car outre les arpenteurs, mensores, qui faisoient la mesure des terres, & les huissiers-priseurs, summarii, qui estimoient les biens, on prenoit aussi des gens de chaque profession pour les choses dont la connoissance dépendoit des principes de l'art. Ainsi nous voyons en la novelle 64, que l'estimation des légumes devoit être faite par des jardiniers de Constantinople, ab hortulanis & ipsis horum peritiam habentibus ; ce que l'on rend dans notre langue par ces termes, & gens à ce connoissans.

Les experts étoient choisis par les parties, comme il est dit en la loi hac edictali per eos quos utraque pars elegerit ; on leur faisoit prêter serment suivant cette même loi, interposito sacramento ; & la novelle 64 fait mention que ce serment se prêtoit sur les évangiles, divinis nimirum propositis evangeliis.

Ils sont qualifiés d'arbitres dans quelques lois, quoique la fonction d'arbitres soit différente de celle des experts, ceux-ci n'étant point juges.

Le droit canon admet pareillement l'usage des experts, puisqu'au chap. vj. de frigidis & maleficiatis, il est dit qu'on appelle des matrones pour avoir leurs avis : volens habere certitudinem pleniorem, quasdam matronas suae parochiae providas & honestas ad tuam praesentiam evocasti.

En France autrefois il n'y avoit d'autres experts que ceux qui étoient nommés par les parties, ou qui étoient nommés d'office par le juge, lorsqu'il y avoit lieu de le faire.

Nos rois voulant empêcher les abus qui se commettoient dans les mesurages & prisées de terres, visites & rapports en matiere de servitude, partages, toisés, & autres actes dépendans de l'architecture & construction, créerent d'une part des arpenteurs jurés, & de l'autre des jurés maçons & charpentiers, en toutes les villes du royaume.

La création des jurés-arpenteurs fut faite par Henri II. par édit du mois de Février 1554, portant création de six offices d'arpenteurs & mesureurs des terres dans chaque bailliage, sénéchaussée, & autres ressorts. Henri III. par autre édit du mois de Juin 1575, augmenta ce nombre d'arpenteurs de quatre en chacune desdites jurisdictions ; il leur attribua l'hérédité & la qualité de prudhommes-priseurs de terres. Il y en eut encore de créés sous le titre d'experts-jurés-arpenteurs dans toutes les villes où il y a jurisdiction royale, par édit du mois de Mai 1689. Tous ces arpenteurs-priseurs de terres furent supprimés par édit du mois de Décembre 1690, dont on parlera dans un moment.

D'un autre côté Henri III. avoit créé par édit du mois d'Octobre 1574, des jurés-maçons & charpentiers en toutes les villes du royaume, pour les visites, toisés, & prisées des bâtimens, & tous rapports en matiere de servitude, partage, & autres actes semblables.

Il y eut aussi au mois de Septembre 1668, un édit portant création en chaque ville du ressort du parlement de Toulouse, de trois offices de commissaires-prudhommes-experts jurés, pour procéder à la vérification & estimation ordonnées par justice des biens & héritages saisis réellement, à la liquidation des dégâts, pertes, & déterioration, à l'audition & clôture des comptes de tutele & curatelle.

Mais la plûpart des offices créés par ces édits ne surent pas levés à cause des plaintes qui furent faites contre ceux qui avoient été les premiers pourvûs de ces offices : c'est pourquoi l'ordonnance de 1667, tit. xxj. art. 11. ordonna que les juges & les parties pourroient nommer pour experts des bourgeois ; & qu'en cas qu'un artisan fût intéressé en son nom, il ne pourroit être pris pour expert qu'un bourgeois.

Mais comme il arrivoit tous les jours que des personnes sans expérience suffisante s'ingéroient de faire des rapports dans des arts & métiers dont ils n'avoient ni pratique ni connoissance, Louis XIV. crut devoir remédier à ces desordres, en créant des experts en titre ; ce qu'il fit par différens édits.

Le premier est celui du mois de Mai 1690, par lequel il supprima les offices de jurés-maçons & charpentiers créés par l'édit du mois de Décembre 1574, & autres édits & déclarations qui auroient pû être donnés en conséquence ; & par le même édit il créa en titre d'office héréditaire pour la ville de Paris cinquante experts jurés ; savoir vingt-cinq bourgeois ou architectes, qui auront expressément & par acte en bonne forme, renoncé à faire aucunes entreprises directement par eux, ou indirectement par personnes interposées, ou aucunes associations avec des entrepreneurs, à peine de privation de leur charge ; & vingt-cinq entrepreneurs maçons, ou maîtres ouvriers : & à l'égard des autres villes, il créa six jurés-experts dans celles où il y a parlement, chambre des comptes, cour des aides ; trois dans celles où il y a généralité, & autant dans celles où il y a présidial, avec exemption de tutele, curatelle, logement de gens de guerre, & de toutes charges de ville & de police ; & en outre pour ceux de Paris, le droit de garde-gardienne au châtelet de Paris.

Il est dit que les pourvûs de ces offices pourront être nommés experts ; savoir ceux de la ville de Paris, tant dans la prevôté & vicomté, que dans toutes les autres villes & lieux du royaume ; ceux des villes où il y a parlement, tant dans ladite ville que dans l'étendue du ressort du parlement ; ceux des autres villes, chacun dans les lieux de leur établissement ; & dans le ressort du présidial ou autre jurisdiction ordinaire de ladite ville, pour y faire toutes les visites, rapports des ouvrages, tant à l'amiable qu'en justice : en toute matiere pour raison des partages, licitations, servitudes, alignemens, périls imminens, visites de carriere, moulins à vent & à eau, cours d'eaux, & chaussées desdits moulins, terrasses & jardinages, toisés, prisées, estimation de tous ouvrages de maçonnerie, charpenterie, couverture, menuiserie, sculpture, peinture, dorure, marbre, serrurerie, vitrerie, plomb, pavé, & autres ouvrages & réception d'iceux, & généralement de tout ce qui concerne & dépend de l'expérience des choses ci-dessus exprimées ; avec défenses à toutes autres personnes de faire aucuns rapports & autres actes qui concernent ces sortes d'opérations, & aux parties de convenir d'autres experts, aux juges d'en nommer d'autres d'office, & d'avoir égard aux rapports qui pourroient être faits par d'autres.

Ce même édit ordonne qu'il sera fait un tableau des cinquante experts, distingué en deux colonnes, l'une des vingt-cinq experts-bourgeois-architectes, l'autre des vingt-cinq experts -entrepreneurs. Il regle leurs salaires & vacations ; ordonne qu'ils prêteront serment devant le juge des lieux ; qu'à Paris les vingt-cinq experts-entrepreneurs feront tour-à-tour toutes les semaines la visite de tous les atteliers & bâtimens qui se construisent dans la ville & fauxbourgs ; qu'ils seront à cet effet assistés de six maîtres maçons, pour faire leur rapport des contraventions qu'ils remarqueront, dont les amendes seront perçûes par le fermier du domaine ; qu'on ne recevra aucun maître maçon, que les jurés-experts -entrepreneurs n'ayent été mandés pour être présens à l'expérience & chef-d'oeuvre des aspirans, & qu'ils n'ayent été certifiés capables par deux desdits jurés, & par le plus ancien ou celui qui sera député de la premiere colonne, qui assistera, si bon lui semble, au chef-d'oeuvre.

Il y avoit déjà des greffiers de l'écritoire, pour écrire les rapports des experts ; le nombre en fut augmenté par cet édit. Voyez GREFFIERS DE L'ECRITOIRE.

Le second édit, donné par Louis XIV. sur cette matiere, est celui du mois de Juillet de la même année, donné en interprétation du précédent. Il porte création en chaque ville du royaume où il y a bailliage, sénéchaussée, viguerie, ou autre siége & jurisdiction royale, de trois experts, & un greffier de l'écritoire dans chacune de ces villes pour recevoir leurs rapports.

Le troisieme édit est celui du mois de Décembre de la même année, par lequel Louis XIV. supprima les offices d'arpenteurs-priseurs de terre, créés par édits des mois de Février 1554 & Juin 1575 ; & en leur place il créa en titre d'office trois experts-priseurs & arpenteurs jurés dans chacune des villes où il y a parlement, chambre des comptes, & cour des aides, & aussi dans les villes de Lyon, Marseille, Orléans, & Angers, pour faire avec les six experts jurés, créés par édit du mois de Mai précédent, pour chacune des villes où il y a parlement, chambre des comptes, & cour des aides, le nombre de neuf experts -priseurs & arpenteurs jurés ; & avec les trois créés par le même édit, pour les villes de Lyon, Marseille, Orléans, & Angers, le nombre de six experts -priseurs & arpenteurs jurés ; création de deux dans les villes où il y a généralité ou présidial, pour faire avec les trois créés par le premier édit le nombre de cinq, & un quatrieme dans les autres villes où il y en avoit déjà trois : ensorte que tous ces experts, à l'exception de ceux de Paris, fussent dorénavant experts-priseurs & arpenteurs jurés, pour faire seuls, à l'exclusion de tous autres, tout ce qui est porté par l'édit du mois de Mai 1690 ; comme aussi tous les arpentages, mesurages, & prisées de terres, vignes, prés, bois, eaux, îles, patis, communes, & toutes les autres fonctions attribuées aux arpenteurs-priseurs par les édits de 1554 & 1575. Voy. ARPENTEURS.

Le quatrieme édit est celui du mois de Mars 1696, portant création d'offices d'experts -priseurs & arpenteurs jurés, par augmentation du nombre fixé par les édits des mois de Mai, Juillet, & Décembre 1690. Au moyen de ces différentes créations, il y a présentement à Paris soixante experts jurés ; savoir trente experts-bourgeois, & trente experts-entrepreneurs.

L'édit de 1696 porte aussi création de deux offices de priseurs nobles dans chaque évêché de la province de Bretagne. Dans le même tems il y eut un semblable édit adressé au parlement de Roüen, & un autre au parlement de Grenoble.

Il avoit été créé des offices de petits-voyers, dont les fonctions, par édit du mois de Novembre 1697, furent unies à celles des experts créés par édits de 1689, 1690, & 1696.

En conséquence de ces édits, on avoit établi des experts jurés dans le duché de Bourgogne & dans les pays de Bresse, Bugey, & Gex, de même que dans les autres provinces du royaume. Mais sur les remontrances des états de la province de Bourgogne, ces officiers furent supprimés par édit du mois d'Août 1700, tant pour cette province, que pour les pays de Bresse, Bugey, & Gex.

Les maîtres Graveurs-Ciseleurs de Paris sont experts en titre, pour vérifications & ruptures des scellés.

Lorsqu'il s'agit d'écriture, on nomme des maîtres écrivains experts pour les vérifications.

Dans toutes les villes où il y a des experts en titre, les parties ne peuvent convenir, & les juges ne peuvent nommer d'office que des experts du nombre de ceux qui sont en titre, à moins que ce ne soit sur des matieres qui dépendent de connoissances propres à d'autres personnes : par exemple s'il s'agit de quelque fait de commerce, on nomme pour experts des marchands ; si c'est un fait de banque, on nomme des banquiers.

Le procès-verbal que font les experts pour constater l'état des lieux ou des choses qu'ils ont vûs, s'appelle rapport ; & quand on ordonne qu'une chose sera estimée à dire d'experts, cela signifie que les experts diront leur avis sur l'estimation, & estimeront la chose ce qu'ils croyent qu'elle peut valoir.

Lorsque la contestation est dans un lieu où il n'y a point d'experts en titre, on nomme pour experts les personnes le plus au fait de la matiere dont il s'agit.

Suivant l'ordonnance de 1667, titre xxij. les jugemens qui ordonnent que des lieux & ouvrages seront vûs, visités, toisés, ou estimés par experts, doivent faire mention expresse des faits sur lesquels les rapports doivent être faits, du juge qui sera commis pour procéder à la nomination des experts, recevoir leur serment & rapport, comme aussi du délai dans lequel les parties devront comparoir pardevant le commissaire.

Si au jour de l'assignation une des parties ne compare pas, ou est refusante de convenir d'experts, le commissaire en doit nommer un d'office pour la partie absente ou refusante, pour procéder à la visite avec l'expert nommé par l'autre partie. Si les deux parties refusent d'en nommer, le juge en nomme aussi d'office, le tout sauf à recuser ; & si la recusation est jugée valable, on en nomme d'autres à la place de ceux qui ont été recusés.

Le commissaire doit ordonner par le procès-verbal de nomination des experts, le jour & l'heure pour comparoir devant lui & faire le serment ; ce qu'ils seront tenus de faire sur la premiere assignation ; & dans le même tems on doit leur remettre le jugement qui a ordonné la visite, à laquelle ils doivent vacquer incessamment.

Les juges & les parties peuvent nommer pour experts des experts -bourgeois ; & en cas qu'un artisan soit intéressé en son nom contre un bourgeois, on ne peut prendre pour tiers qu'un expert -bourgeois.

Il est de la regle que les experts doivent faire rédiger leur rapport sur le lieu par leur greffier, & signer la minute avant de partir de dessus le lieu. Voyez l'ordonnance de Charles IX. de l'an 1567.

Les experts doivent délivrer au commissaire leur rapport en minute, pour être attaché à son procès-verbal ; & transcrit dans la même grosse ou cahier.

Si les experts sont contraires en leur rapport, le juge doit nommer d'office un tiers qui sera assisté des autres en la visite ; & si tous les experts s'accordent, ils ne donnent qu'un seul avis & par un même rapport, sinon ils donnent leur avis séparément.

L'ordonnance abroge l'usage de faire recevoir en justice les rapports d'experts, & dit seulement que les parties peuvent les produire ou les contester, si bon leur semble. La production dont parle l'ordonnance, ne se fait que quand l'affaire est appointée ; l'usage est de demander l'entérinement du rapport : ce que le juge n'ordonne que quand il trouve le rapport en bonne forme, & qu'il n'y a pas lieu d'en ordonner un nouveau.

Il est défendu aux experts de recevoir aucun présent des parties, ni de souffrir qu'ils les défrayent ou payent leur dépense, directement ou indirectement, à peine de concussion & de 300 livres d'amende applicable aux pauvres des lieux. Les vacations des experts doivent être taxées par le commissaire.

La partie la plus diligente peut faire donner au procureur de l'autre partie, copie des procès-verbaux & rapports d'experts ; & trois jours après poursuivre l'audience sur un simple acte, si l'affaire est d'audience, ou produire le rapport d'experts, si le procès est appointé.

Les experts ne sont point juges ; leur rapport n'est jamais considéré que comme un avis donné pour instruire la religion du juge ; & celui-ci n'est point astreint à suivre l'avis des experts.

Si le rapport est nul, ou que la matiere ne se trouve pas suffisamment éclaircie, le juge peut ordonner un second, & même un troisieme rapport. Si c'est une des parties qui requiert le nouveau rapport, & que le juge l'ordonne, ce rapport doit être fait aux dépens de la partie qui le demande. Voyez l'article 184. de la coûtume de Paris, & les coûtumes de Nivernois, Bourbonnois, Melun, Estampes, & Montfort.

Pour ce qui concerne la fonction des experts en matiere de faux principal ou incident, ou de reconnoissance en matiere criminelle, lorsque l'on a recours à la preuve par comparaison d'écriture, voyez l'ordonnance du faux du mois de Juillet 1737, FAUX & RECONNOISSANCE. (A)

EXPERT-ARCHITECTE ou EXPERT-BOURGEOIS, est celui qui n'est point entrepreneur de bâtimens. Voyez ce qui en est dit ci-devant.

EXPERT-ARPENTEUR-MESUREUR-PRISEUR, étoit un expert destiné à mesurer & estimer les terres, prés, bois, &c. Ces experts-arpenteurs ont été supprimés. Voy. ce qui en est dit ci-devant au mot EXPERT.

EXPERT-BOURGEOIS, est différent d'un bourgeois que l'on nomme pour expert. Avant qu'il y eût des experts en titre, on nommoit pour experts des bourgeois, comme cela se pratique encore dans les pays où il n'y a pas d'experts. Mais depuis la création des experts, dans les pays où il y en a, on entend par expert-bourgeois, un expert en titre qui n'est pas entrepreneur de bâtimens. Voyez ci-devant EXPERT.

EXPERT-JURE, est celui qui est en titre d'office. Voyez ci-devant EXPERT.

EXPERT-NOBLE ; il en fut créé par édit de 1696. Voyez ce qui en est dit ci-devant au mot EXPERT.

EXPERT NOMME D'OFFICE, est celui que le juge nomme pour une partie absente, ou qui refuse d'en nommer, ou pour les deux parties, lorsqu'elles n'en nomment point, ou enfin qu'il nomme pour tiers-expert, lorsque les parties ne s'accordent pas sur le choix.

EXPERT SURNUMERAIRE ou SURNUMERAIRE : quelques auteurs appellent ainsi le tiers-expert, parce qu'il est nommé outre le nombre ordinaire.

EXPERT TIERS, est celui dont les parties conviennent, ou que le juge nomme d'office, pour départager les experts qui sont d'avis différent. (A)


EXPIATIONS. f. (Théologie) C'est l'action de souffrir la peine décernée contre le crime, & par conséquent d'éteindre la dette ou de satisfaire pour une faute ; ainsi l'on dit qu'un crime est expié par l'effusion du sang de celui qui l'a commis. Voyez LUSTRATION, PROPITIATION, SATISFACTION.

Les Catholiques romains croyent que les ames de ceux qui meurent sans avoir entierement satisfait à la justice divine, vont après la mort dans le purgatoire, pour expier les restes de leurs péchés. Voyez PURGATOIRE.

Expiation se dit aussi des cérémonies par lesquelles les hommes se purifient de leurs péchés, & en particulier des sacrifices offerts à la divinité, pour lui demander pardon & implorer sa miséricorde. Voy. SACRIFICE.

La fête de l'expiation chez les Juifs, que quelques traducteurs appellent le jour du pardon, se célébroit le dixieme jour du mois de Tisri, qui répondoit à une partie de nos mois de Septembre & d'Octobre. On s'y préparoit par un jeûne ; & ensuite le grand-prêtre revêtu de ses habits sacerdotaux, après avoir offert un boeuf en sacrifice, recevoit du peuple deux boucs & un bélier, qui lui étoient présentés à l'entrée du tabernacle ou du temple. Il tiroit le sort sur ces deux boucs, en mêlant deux billets dans l'urne, l'un pour le Seigneur, & l'autre pour azazel, c'est-à-dire pour le bouc qui devoit être conduit hors du camp ou de la ville chargé des péchés du peuple, & appellé hircus emissarius, bouc émissaire, & par les Hébreux azazel. Voyez APOPOMPEE & AZAZEL.

Le grand-prêtre immoloit pour le péché le bouc qui étoit destiné par le sort à être offert au Seigneur, & réservoit celui sur lequel le sort du bouc émissaire étoit tombé : ensuite prenant l'encensoir, du feu sacré des holocaustes, & d'un encens préparé qu'il jettoit dessus, il entroit dans le sanctuaire, y faisoit sept aspersions du sang du bouc qu'il avoit immolé ; après quoi il revenoit dans le tabernacle ou dans le temple, & y faisant des aspersions de ce même sang, & en arrosant les quatre coins de l'autel des holocaustes. Le sanctuaire, le tabernacle & l'autel étant ainsi purifiés, le grand-prêtre se faisoit amener le bouc émissaire, mettoit sa main sur la tête de cet animal, confessoit ses péchés & ceux du peuple, & prioit Dieu de faire retomber sur cette victime les malédictions & la peine qu'ils avoient méritées. Le bouc étoit alors conduit dans un lieu desert, où il étoit mis en liberté, &, selon quelques-uns, précipité. Le grand-prêtre quittant alors ses habits, se lavoit dans le lieu saint ; puis les ayant repris, il offroit en holocauste deux béliers, l'un pour le peuple, & l'autre pour lui-même. Il mettoit sur l'autel la graisse du bouc immolé pour le péché du peuple ; après quoi tout le reste de cette victime étoit porté hors du camp, & brûlé par un homme qui ne rentroit dans le camp qu'après s'être purifié en se lavant : celui qui avoit conduit le bouc émissaire dans le desert, en faisoit de même. Telle étoit l'expiation solemnelle pour tout le peuple parmi les Hébreux. Les Juifs modernes y ont substitué l'immolation d'un coq. Outre cette expiation générale, leurs ancêtres avoient encore plusieurs expiations particulieres pour les péchés d'ignorance, soit pour les meurtres involontaires, soit pour les impuretés légales, soit par des sacrifices, soit par des ablutions ou des aspersions : on en peut voir l'énumération & le détail dans le chap. xvj. & plusieurs autres endroits du Lévitique.

Les Chrétiens qui se sont lavés du sang de l'Agneau sans tache, n'ont point eu d'autres cérémonies d'expiation particuliere, que celle de l'application des mérites de ce sang répandu sur le Calvaire, laquelle se fait par les sacremens, & en particulier par le sacrifice de la messe, qui est un même sacrifice que celui du sacrifice de la croix ; les cérémonies, comme l'aspersion de l'eau benite, n'étant que des signes extérieurs de la purification intérieure qu'opere en eux le S. Esprit. On expie ses péchés par la satisfaction, c'est-à-dire par les oeuvres de pénitence qu'on pratique & qu'on accomplit par les mérites de Jesus-Christ. Voyez SATISFACTION, MERITE. &c. (G)

EXPIATION, (Littérature) acte de religion établi généralement dans le Paganisme pour purifier les coupables & les lieux qu'on croyoit souillés, ou pour appaiser la colere des dieux qu'on supposoit irrités.

La cérémonie de l'expiation ne s'employa pas seulement pour les crimes, elle fut pratiquée dans mille autres occasions différentes ; ainsi ces mots si fréquens chez les anciens, expiare, lustrare, purgare, februare, signifioient faire des actes de religion pour effacer quelque faute ou pour détourner des malheurs, à l'occasion des objets que la folle superstition présentoit comme de sinistres présages. Tout ce qui sembloit arriver contre l'ordre de la nature, prodiges, monstres, signes célestes, étoit autant de marques du courroux des dieux ; & pour en éviter l'effet, on inventa des cérémonies religieuses qu'on crut capables de l'éloigner. Comme on se forma des dieux tels que les inspiroit ou la crainte ou l'espérance, on établit à leur honneur un culte où ces deux passions trouverent leur compte : il ne faut donc pas être surpris de voir tant d'expiations en usage parmi les Payens. Les principales, dont je vais parler en peu de mots, se faisoient pour l'homicide, pour les prodiges, pour purifier les villes, les temples & les armées. On trouvera dans le recueil de Graevius & de Gronovius, des traités pleins d'érudition sur cette matiere.

1°. De toutes les sortes d'expiations, celles qu'on employoit pour l'homicide, étoient les plus graves dès les siecles héroïques. Lorsque le coupable se trouvoit d'un haut rang, les rois eux-mêmes ne dédaignoient pas de faire la cérémonie de l'expiation : ainsi dans Apollodore, Copréus qui avoit tué Iphite, est expié par Eurysthée roi de Mycenes ; dans Hérodote, Adraste vient se faire expier par Crésus roi de Lydie ; Hercule est expié par Céix roi de Trachine ; Oreste, par Démophoon roi d'Athenes ; Jason, par Circé, souveraine de l'île d'Aea. Apollodore, Argonautic. lib. IV. nous a laissé un grand détail de la cérémonie de cette derniere expiation, qu'il est inutile de transcrire.

Cependant tous les coupables de meurtre involontaire n'expioient pas leur faute avec tant d'appareil ; il y en avoit qui se contentoient de se laver simplement dans une eau courante : c'est ainsi qu'Achille se purifia après avoir tué le roi des Léleges. Ovide parle de plusieurs héros qui avoient été purifiés de cette maniere ; mais il ajoûte qu'il faut être bien crédule pour se persuader qu'on puisse être purgé d'un meurtre à si peu de frais :

Ah nimiùm faciles qui tristia crimina caedis

Flumineâ tolli posse putatis aquâ.

Fast. lib. II. 45.

Les Romains, dans les beaux jours de la république, avoient pour l'expiation de l'homicide des céremonies plus sérieuses que les Grecs. Denys d'Halicarnasse rapporte comment Horace fut expié pour avoir tué sa soeur ; voici le passage de cet historien : " Après qu'Horace fut absous du crime de parricide, le roi, convaincu que dans une ville qui faisoit profession de craindre les dieux, le jugement des hommes ne suffit pas pour absoudre un criminel, fit venir les pontifes, & voulut qu'ils appaisassent les dieux & les génies, & que le coupable passât par toutes les épreuves qui étoient en usage pour expier les crimes où la volonté n'avoit point eu de part. Les pontifes éleverent donc deux autels, l'un à Junon protectrice des soeurs, l'autre au génie du pays. On offrit sur ces autels plusieurs sacrifices d'expiation, après lesquels on fit passer le coupable sous le joug ".

La seconde sorte d'expiation publique avoit lieu dans l'apparition des prodiges extraordinaires, & étoit une des plus solemnelles chez les Romains. Alors le sénat, après avoir consulté les livres sibyllins, ordonnoit des jours de jeûne, des fêtes, des prieres, des sacrifices, des lectisternes, pour détourner les malheurs dont on se croyoit menacé ; toute la ville étoit dans le deuil & dans la consternation, tous les temples étoient ornés, les sacrifices expiatoires renouvellés, & les lectisternes préparés dans les places publiques. Voyez LECTISTERNE.

La troisieme sorte d'expiation se pratiquoit pour purifier les villes. La plûpart avoient un jour marqué pour cette cérémonie, elle se faisoit à Rome le 5 de Février. Le sacrifice qu'on y offroit, se nommoit amburbium, selon Servius ; & les victimes que l'on immoloit, s'appelloient amburbiales, au rapport de Festus. Outre cette fête, il y en avoit une tous les cinq ans pour expier tous les citoyens de la ville ; & c'est du mot lustrare, expier, que cet espace de tems a pris le nom de lustre. Les Athéniens porterent encore plus loin ces sortes de purifications, car ils en ordonnerent pour les théatres & pour les places où se tenoient les assemblées publiques.

Une quatrieme sorte d'expiation, étoit celle des temples & des lieux sacrés : si quelque criminel y mettoit les piés, le lieu étoit profané, il falloit le purifier. Oedipe exilé de son pays, alla par hasard vers Athenes, & s'arrêta dans un bois sacré près du temple des Euménides ; les habitans sachant qu'il étoit criminel l'obligerent aux expiations nécessaires. Ces expiations consistoient à couronner des coupes sacrées, de laine récemment enlevée de la toison d'une jeune brebis ; à des libations d'eau tirées de trois sources ; à verser entierement & d'un seul jet la derniere libation, le tout en tournant le visage vers le soleil : enfin il falloit offrir trois fois neuf branches d'olivier (nombre mystérieux), en prononçant une priere aux Euménides. Oedipe, que son état rendoit incapable de faire une pareille cérémonie, en chargea Ismene sa fille.

La cinquieme & derniere sorte d'expiation publique, étoit celle des armées, qu'on purifioit avant & après le combat : c'est ce qu'on nommoit armilustrie. Homere décrit au premier livre de l'Iliade, l'expiation qu'Agamemnon fit de ses troupes. Voyez ARMILUSTRIE.

Outre ces expiations, il y en avoit encore pour être initié aux grands & petits mysteres de Cérès, à ceux de Mythra, aux Orgies, &c. Il y en avoit même pour toutes les actions de la vie un peu importantes, les noces, les funérailles, les voyages. Enfin le peuple recouroit aux purifications dans tout ce qu'il estimoit être de mauvais augure, la rencontre d'une belette, d'un corbeau, d'un lievre ; un songe, un orage imprévû, & pareilles sottises. Il est vrai que pour ces sortes d'expiations particulieres il suffisoit quelquefois de se laver ou de changer d'habits ; d'autrefois on employoit l'eau, le sel, l'orge, le laurier & le fer pour se purifier :

Et vanum ventura hominum genus omina noctis

Farre pio placant, & saliente sale.

Tibull. lib. III. eleg. jv. vers. 5.

On croiroit, après ce détail, que tout sans exception s'expioit dans le Paganisme ; cependant on se tromperoit beaucoup, car il paroît positivement par un passage tiré du livre des Pontifes, que cite Cicéron (leg. lib. II.) qu'il y avoit chez les Romains, comme chez les Grecs, des crimes inexpiables : sacrum commissum quod neque expiari poterit, impiè commissum est : quod expiari poterit, publici sacerdotes expianto. Tel est ce passage décisif, auquel je crois pouvoir ajoûter ici le commentaire de l'auteur de l'Esprit des lois, parce que son parallele entre le Christianisme & le Paganisme sur les crimes inexpiables, est un des plus beaux morceaux de cet excellent livre ; il mériteroit d'être gravé au frontispice de tous les ouvrages théologiques sur cette importante matiere.

" La religion payenne (dit M. de Montesquieu), cette religion qui ne défendoit que quelques crimes grossiers, qui arrêtoit la main & abandonnoit le coeur, pouvoit avoir des crimes inexpiables ; mais une religion qui enveloppe toutes les passions, qui n'est pas plus jalouse des actions que des desirs & des pensées ; qui ne nous tient point attachés par quelques chaînes, mais par un nombre innombrables de fils ; qui laisse derriere elle la justice humaine, & commence une autre justice ; qui est faite pour mener sans-cesse du repentir à l'amour, & de l'amour au repentir ; qui met entre le juge & le criminel un grand médiateur, entre le juste & le médiateur un grand juge : une telle religion ne doit point avoir de crimes inexpiables. Mais quoiqu'elle donne des craintes & des espérances à tous, elle fait assez sentir que s'il n'y a point de crime qui par sa nature soit inexpiable, toute une vie peut l'être ; qu'il seroit très-dangereux de tourmenter la miséricorde par de nouveaux crimes & de nouvelles expiations ; qu'inquiets sur les anciennes dettes, jamais quittes envers le seigneur, nous devons craindre d'en contracter de nouvelles, de combler la mesure, & d'aller jusqu'au terme où la bonté paternelle finit ". Esprit des lois liv. XXIV. ch. xiij.

Laissons au lecteur éclairé par l'étude de l'Histoire, les réflexions philosophiques qui s'offriront en foule à son esprit sur l'extravagance des expiations de tous les lieux & de tous les tems ; sur leur cours, qui s'étendit des Egyptiens aux Juifs, aux Grecs, aux Romains, &c. sur leurs différences, conformes aux climats & au génie des peuples : en un mot, sur les causes qui ont perpétué dans tout le monde la superstition du culte à cet égard, & qui ont fait prospérer le moyen commode de contracter des dettes, & de les acquiter par de vaines cérémonies.

Je sache peu de cas où l'on ait tourné les idées religieuses de l'expiation au bien de la nature humaine. En voici pourtant un exemple que je ne puis passer sous silence. Les argiens, dit Plutarque, ayant condamné à mort quinze cent de leurs citoyens, les Athéniens qui en furent informés, frémirent d'horreur, & firent apporter les sacrifices d'expiation, afin qu'il plût aux dieux d'éloigner du coeur des Argiens une si cruelle pensée. Ils comprirent sans-doute que la sévérité des peines usoit les ressorts du gouvernement ; qu'elle ne corrigeoit point les fautes ou les crimes dans leurs principes, & qu'enfin l'atrocité des lois en empêchoit souvent l'exécution. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


EXPILATIONEXPILATION

Ce délit chez les Romains étoit appellé crimen expilatae haereditatis, & non pas furtum, c'est-à-dire larcin, parce que l'hérédité étant jacente, il n'y a encore personne à qui on puisse dire que le larcin soit fait. L'héritier n'est pas dépossédé des effets soustraits, tant qu'il n'en a pas encore appréhendé la possession ; & par cette raison l'action de l'avoir appellée actio furti, n'y avoit pas lieu : on usoit dans ce cas d'une poursuite extraordinaire contre celui qui étoit coupable de ce délit.

Cette action étoit moins grave que celle appellée actio furti ; elle n'étoit pas publique, mais privée : c'est-à-dire que celui qui l'intentoit, ne poursuivoit que pour son intérêt particulier, & non pour la vengeance publique.

Le jugement qui intervenoit, étoit pourtant infamant ; c'est pourquoi cette poursuite ne pouvoit être intentée que contre des personnes contre lesquelles on auroit pû intenter l'action furti, si l'hérédité eût été appréhendée, ainsi cette action n'avoit pas lieu contre la femme qui avoit détourné quelques effets de la succession de son mari : il y avoit en ce cas une action particuliere contr'elle, appellée actio rerum amatarum, dont le jugement n'étoit pas infamant.

Au reste la peine du délit d'expilation d'hérédité étoit arbitraire chez les Romains, comme elle l'est encore parmi nous.

Outre la restitution des effets enlevés, & les dommages & intérêts que l'on accorde à l'héritier, celui qui a soustrait les effets peut être condamné à quelque peine afflictive, & même à mort, ce qui dépend des circonstances ; comme, par exemple, si c'est un domestique qui a soustrait les effets.

L'héritier qui, après avoir répudié la succession, en a soustrait quelques effets, peut être poursuivi pour cause d'expilation d'hérédité.

A l'égard du conjoint survivant, ou des héritiers du prédécédé qui recelent quelques effets, voyez RECELE. Voyez le titre du digeste expilatae haereditatis. (A)


EXPIRATIONS. f. expiratio (Physiolog.) c'est une partie essentielle de l'action par laquelle s'exerce la respiration ; c'est celle qui fait sortir des poumons l'air qui y a pénétré pendant l'inspiration. Voyez RESPIRATION.

Expiration, quand on joint l'épithete de derniere, signifie la même chose que la mort. C'est cette derniere action du corps qui s'exerce, non par une force qui dépende de la volonté, ou qui soit l'effet de la vie, mais par une force qui lui est commune avec tous les corps, même inanimés ; ainsi l'air est chassé de la poitrine dans ce dernier instant, parce que les forces de la vie cessant d'agir, & les muscles intercostaux étant rendus comme paralytiques par le défaut d'influence du fluide nerveux, les segmens cartilagineux des côtes, qui ont été flechis & bandés par l'action de ces muscles, se redressent par leur propre ressort, dans le moment qu'elle cesse ; ils rabaissent les côtes en même tems que le diaphragme se relâche & remonte dans la poitrine ; ce qui en diminue la capacité en tous sens, & en exprime l'air pour la derniere fois. Voyez MORT. (d)

EXPIRATION, (Comm.) fin du terme accordé, jugé ou convenu pour faire une chose ou pour s'acquiter d'une dette.

On dit l'expiration d'un arrêt de surseance, l'expiration des lettres de répi, l'expiration d'une promesse, d'une lettre de change, d'un billet payable au porteur. Dictionn. de Commerce.


EXPIRER(Comm.) finir, être à la fin ou au bout du terme, en parlant d'écrits ou de conventions, pour l'exécution desquels il y a un terme préfix. On dit en ce sens, votre promesse est expirée, il y a long-tems que j'en attends le payement. Il faut faire son protêt, faute de payement d'une lettre de change, dans les dix jours de faveur ; on court trop de risque de les laisser expirer. Dictionn. de Commerce.


EXPLÉTIFEXPLÉTIVE, adj. terme de Grammaire. On dit, mot explétif (méthode greque, liv. viij. c. xv. art. 4 ; & l'on dit particule explétive. Servius (Aenaeid. vers. 424.) dit, expletiva conjunctio, & l'on trouve dans Isidore, liv. I. chap. xj. conjunctiones expletivae. Au lieu d'explétif & d'explétive, on dit aussi superflu, oisif, surabondant.

Ce mot explétif vient du latin explere, remplir. En effet, les mots explétifs ne servent, comme les interjections, qu'à remplir le discours, & n'entrent pour rien dans la construction de la phrase, dont on entend également le sens, soit que le mot explétif soit énoncé ou qu'il ne le soit pas.

Notre moi & notre vous sont quelquefois explétifs dans le style familier : on se sert de moi quand on parle à l'impératif & au présent : on se sert de vous dans les narrations, Tartuffe, dans Moliere, act. iij. sc. 2. voyant Dorine, dont la gorge ne lui paroissoit pas assez couverte, tire un mouchoir de sa poche, & lui dit :

.... Ah, mon Dieu, je vous prie,

Avant que de parler, prenez -moi ce mouchoir !

& Marot a dit :

Faites-les moi les plus laids que l'on puisse ;

Pochez cet oeil, fessez -moi cette cuisse.

Ensorte que lorsque je lis dans Térence (Heaut. act. j. sc. 4. vers. 32.), fac me ut sciam, je suis fort tenté de croire que ce me est explétif en latin, comme notre moi en françois.

On a aussi plusieurs exemples du vous explétif, dans les façons de parler familieres : il vous la prend, & l'emporte, &c. Notre même est souvent explétif : le roi y est venu lui-même : j'irai moi-même, ce même n'ajoûte rien à la valeur du mot roi, ni à celle de je.

Au troisieme livre de l'Enéide de Virgile, vers 632. Achéménide dit qu'il a vû lui-même le Cyclope se saisir de deux autres compagnons d'Ulysse, & les dévorer :

Vidi, ego-met, duo de numero, &c.

Où vous voyez qu'après vidi & après ego, la particule met n'ajoûte rien au sens, ainsi met est une particule explétive, dont il y a plusieurs exemples : ego-met narrabo (Térence, Adelphes, act. iv. sc. 3. vers. 13.), & dans Cicéron, au liv. V. épitr. jx. Vatinius prie Cicéron de le recevoir tout entier sous sa protection, suscipe me-met totum ; c'est ainsi qu'on lit dans les manuscrits.

La syllabe er, ajoûtée à l'infinitif passif d'un verbe latin, est explétive, puisqu'elle n'indique ni tems, ni personne, ni aucun autre accident particulier du verbe, il est vrai qu'en vers, elle sert à abrévier l'i de l'infinitif, à fournir un dactyle au poëte ; c'est la raison qu'en donne Servius sur ce vers de Virgile :

Dulce caput, magicas invitam accingi-er artes.

III. En. v. 493.

Accingier, id est, praeparari, dit Servius ; ACCINGIER autem ut ad infinitum modum ER addatur, ratio efficit metri ; nam cum in eo ACCINGI ultima sit longa, additâ ER syllabâ, brevis fit (Servius : ibid.) Mais ce qui est remarquable, & ce qui nous autorise à regarder cette syllabe comme explétive, c'est qu'on en trouve aussi des exemples en prose : Vatinius cliens, pro se causam DICIER vult, apud Cic. liv. V. ad familiares, epist. jx. Quand on ajoûte ainsi quelque syllabe à la fin d'un mot, les Grammairiens disent que c'est une figure qu'ils appellent paragoge.

Parmi nous, dit M. l'abbé Regnier, dans sa grammaire, pag. 565. in -4°. il y a aussi des particules explétives ; par exemple, les pronoms me, te, se, joints à la particule en, comme quand on dit : je m'en retourne, il s'en va ; les pronoms moi, toi, lui, employés par repétition : s'il ne veut pas vous le dire, je vous le dirai, moi ; il ne m'appartient pas, à moi, de me mêler de vos affaires ; il lui appartient bien, à lui, de parler comme il fait, &c.

Ces mots enfin, seulement, à tout hasard, après tout, & quelqu'autres, ne doivent souvent être regardés que comme des mots explétifs & surabondans, c'est-à-dire des mots qui ne contribuent en rien à la construction ni au sens de la proposition, mais ils ont deux services.

1°. Nous avons remarqué ailleurs que les langues se sont formées par usage & comme par une espece d'instinct, & non après une délibération raisonnée de tout un peuple ; ainsi quand certaines façons de parler ont été autorisées par une longue pratique, & qu'elles sont reçues parmi les honnêtes gens de la nation, nous devons les admettre, quoiqu'elles nous paroissent composées de mots redondans & combinés d'une maniere qui ne nous paroît pas réguliere.

Avons-nous à traduire ces deux mots d'Horace, sunt quos, &c. au lieu de dire, quelques-uns sont qui, &c. nous devons dire, il y en a qui, &c. ou prendre quelqu'autre tour qui soit en usage parmi nous.

L'académie Françoise a remarqué que dans cette phrase : c'est une affaire où il y va du salut de l'état, la particule y paroît inutile, puisque où suffit pour le sens ; mais, dit l'académie, ce sont là des formules dont on ne peut rien ôter (remarques & décisions de l'acad. Franç. chez Coignard, 1698.) : la particule ne est aussi fort souvent explétive, & ne doit pas pour cela être retranchée : j'ai affaire, & je ne veux pas qu'on vienne m'interrompre ; je crains pourtant que vous ne veniez : que fait là ce ne ? c'est votre venue que je crains ; je devrois donc dire simplement, je crains que vous veniez : non, dit l'académie, il est certain, ajoûte-t-elle, aussi-bien que Vaugelas, Bouhours, &c. qu'avec craindre, empêcher, & quelqu'autres verbes, il faut nécessairement ajoûter la négative ne : j'empêcherai bien que vous ne soyez du nombre, &c. Remarq. & décis. de l'acad. pag. 30.

C'est la pensée habituelle de celui qui parle, qui attire cette négation : je ne veux pas que vous veniez ; je crains, en souhaitant que vous ne veniez pas : mon esprit tourné vers la négation, la met dans le discours. Voyez ce que nous avons dit de la syllepse & de l'attraction, au mot CONSTRUCTION, tom. IV. pag. 78 & 79.

Ainsi le premier service des particules explétives, c'est d'entrer dans certaines façons de parler consacrées par l'usage.

Le second service, & le plus raisonnable, c'est de répondre au sentiment intérieur dont on est affecté, & de donner ainsi plus de force & d'énergie à l'expression. L'intelligence est promte ; elle n'a qu'un instant, spiritus quidem promptus est ; mais le sentiment est plus durable ; il nous affecte, & c'est dans le tems que dure cette affection, que nous laissons échapper les interjections, & que nous prononçons les mots explétifs, qui sont une sorte d'interjection, puisqu'ils sont un effet du sentiment.

C'est à vous à sortir, vous qui parlez.

Moliere.

Vous qui parlez, est une phrase explétive, qui donne plus de force au discours.

Je l'ai vû, dis-je, vû, de mes propres yeux vû,

Ce qu'on appelle vû.

Moliere, Tartuffe, act. v. sc. 3.

Et je ne puis du tout me mettre dans l'esprit,

Qu'il ait osé tenter les choses que l'on dit. Id. ib.

Ces mots, vû de mes yeux, du tout, sont explétifs, & ne servent qu'à mieux assûrer ce que l'on dit : je ne parle pas sur le témoignage d'un autre ; je l'ai vû moi-même ; je l'ai entendu de mes propres oreilles : & dans Virgile, au neuvieme livre de l'Enéide, vers 457.

Me, me adsum qui feci, in me convertite ferrum.

Ces deux premiers me ne sont là que par énergie & par sentiment : elocutio est dolore turbati, dit Servius. (F)


EXPLICITEadj. (Gramm. & Théolog.) terme de l'école ; expliqué, développé. Le contraire & correlatif est implicite, qui signifie ce qui n'est pas distinctement exprimé. On dit, volonté explicite, volonté implicite.

Volonté explicite, est une volonté bien expresse & bien marquée. Volonté implicite au contraire est celle qui se manifeste moins par des paroles que par des circonstances & par des faits. On dit de même, foi explicite, foi implicite.

La foi explicite, de la maniere qu'on l'entend d'ordinaire, est un acquiescement formel à chacune des vérités que l'Eglise nous propose ; au lieu que la foi implicite est un acquiescement vague, indéterminé, mais respectueux & sincere, pour tout ce qui peut faire l'objet de notre croyance. C'est ce qu'on appelle la foi du charbonnier.

La plûpart des hommes n'ont proprement qu'une foi implicite ; ils n'ont communément ni assez d'intelligence, ni assez de loisir, pour discuter tant de propositions que les théologiens nous présentent comme des dogmes, & dont la connoissance approfondie est nécessaire pour la foi explicite, prise au sens le plus étendu. Mais ils ont presque tous plus de tems & de pénétration qu'il n'en faut pour saisir le dogme explicite & fondamental que le Sauveur nous recommande ; je veux dire la confiance ou la foi que nous devons avoir en sa parole, en sa puissance, & en sa mission.

C'est principalement dans ce dernier sens que le mot foi est employé dans le nouveau-Testament, comme on pourroit le prouver ici par la citation d'un grand nombre de passages. C'est meme sur la foi que nous devons avoir en J. C. qu'est fondée celle que nous devons à l'Eglise, dès qu'il est certain qu'elle a parlé, nous devons nous soûmettre sans reserve : mais le respect que les décisions de l'Eglise exigent de nous, ne doit être donné qu'à des décisions incontestables, & non à de simples opinions débattues parmi les Scholastiques. C'est sur quoi les fideles ne sauroient être trop attentifs. Voyez FOI, EGLISE, &c. Cet article est de M. FAIGUET.


EXPLOITS. m. (Jurisprud.) signifie en général tout acte de justice ou procédure fait par le ministere d'un huissier ou sergent ; soit judiciaire, comme un exploit d'ajournement, qu'on appelle aussi exploit d'assignation ou de demande ; soit les actes extrajudiciaires, tels que les sommations, commandemens, saisies, oppositions, dénonciations, protestations, & autres actes semblables.

Quelques-uns prétendent que le terme d'exploit vient du latin explicare, seu expedire ; mais il vient plûtôt de placitum, plaid : on disoit aussi par corruption plaitum, & en françois plet. On disoit aussi explacitare se, pour se tirer d'un procès, & de-là on a appellé exploits ou exploite, les actes du ministere des huissiers ou sergens qui sont ex placito, ou pour exprimer que ces actes servent à se tirer d'une contestation.

Les formalités des exploits d'ajournemens & citations sont reglées par le titre ij. de l'ordonnance de 1667 : quoique ce titre ne parle que des ajournemens, il paroît que sous ce terme l'ordonnance a compris toutes sortes d'exploits du ministere des huissiers ou sergens, même ceux qui ne contiennent point d'assignation, tels que les commandemens, oppositions, &c.

On ne voit pas en effet que cette ordonnance ait reglé ailleurs la forme de ces autres exploits ; & dans le titre xxxiij. des saisies & exécutions, art. 3, elle ordonne que toutes les formalités des ajournemens seront observées dans les exploits de saisie & exécution, & sous les mêmes peines ; ce qui ne doit néanmoins s'entendre que des formalités qui servent à rendre l'exploit probant & authentique, & à le faire parvenir à la connoissance du défendeur, lesquelles formalités sont communes à tous les exploits en général ; mais cela ne doit pas s'entendre de certaines formalités qui sont propres aux ajournemens, comme de donner assignation au défendeur devant un juge compétent, de déclarer le nom & la demeure du procureur qui est constitué par le demandeur.

Il est vrai que l'ordonnance n'a pas étendu nommément aux autres exploits les formalités des ajournemens, comme elle l'a fait à l'égard des saisies & exécutions, mais il paroît par le procès-verbal, & par les termes mêmes de l'ordonnance, que l'esprit des rédacteurs a été de comprendre sous le terme d'ajournement toutes sortes d'exploits, & qu'ils fussent sujets aux mêmes formalités, du moins pour celles qui peuvent leur convenir, l'ordonnance n'ayant point parlé ailleurs de ces différentes sortes d'exploits, qui sont cependant d'un usage trop fréquent, pour que l'on puisse présumer qu'ils ayent été oubliés.

C'est donc dans les anciennes ordonnances, dans ce que celle de 1667 prescrit pour les ajournemens, & dans les ordonnances, édits, & déclarations postérieures que l'on doit chercher les formalités qui sont communes à toutes sortes d'exploits.

Les premieres ordonnances de la troisieme race qui font mention des sergens ne se servent pas du terme d'exploits en parlant de leurs actes ; ces ordonnances ne disent pas non plus qu'ils pourront exploiter, mais se servent des termes d'ajourner, exécuter, exercer leur office.

La plus ancienne ordonnance où j'aye trouvé le terme d'exploit, est celle du roi Jean, du pénultieme Mars 1350, où il dit que les sergens royaux n'auront que huit sols par jour quelque nombre d'exploits qu'ils fassent en un jour, encore qu'ils en fassent plusieurs, & pour diverses personnes ; qu'ils donneront copie de leur commission au lieu où ils feront l'exploit, & aussi copie de leurs rescriptions s'ils en sont requis ; le terme de rescriptions semble signifier en cet endroit la même chose qu'exploit rédigé par écrit.

Pendant la captivité du roi Jean, le dauphin Charles, en qualité de lieutenant général du royaume, fit une ordonnance au mois de Mars 1356, dont l'article 9 porte que les huissiers du parlement, les sergens à cheval, & autres en allant faire leurs exploits menoient grand état, & faisant grande dépense aux frais des bonnes gens pour qui ils faisoient les exploits ; qu'ils alloient à deux chevaux pour gagner plus grand salaire, quoique s'ils alloient pour leurs propres affaires, ils iroient souvent à pié, ou seroient contents d'un cheval ; le prince en conséquence regle leurs salaires, & il défend à tous receveurs, gruyers, ou vicomtes d'établir aucuns sergens ni commissaires, mais leur enjoint qu'ils fassent faire leurs exploits & leurs exécutions par les sergens ordinaires des bailliages ou prévôtés. Ces exploits étoient comme on voit des contraintes ou actes du ministere des sergens.

Dans quelques anciennes ordonnances, le terme d'exploits se trouve joint à celui d'amende. C'est ainsi que dans une ordonnance du roi Jean du 25 Septembre 1361, il est dit que certains juges ont établi plusieurs receveurs particuliers pour recevoir les amendes, compositions, & autres exploits qui se font pardevant eux. Il sembleroit que le terme exploit signifie en cet endroit une peine pécuniaire, comme l'amende, à moins que l'on n'ait voulu par-là désigner les frais des procès-verbaux, & autres actes qui se font devant le juge, & que l'on ait désigné le coût de l'acte par le nom de l'acte même. Le terme d'exploit se trouve aussi employé en ce sens dans plusieurs coûtumes, & il est évident que l'on a pû comprendre tout-à-la-fois sous ce terme un acte fait par un huissier ou sergent, & ce que le défendeur devoit payer pour les frais de cet acte.

L'ordonnance de Louis XII. du mois de Mars 1498, parle des exploits des sergens & de ceux des sous-sergens ou aides : elle déclare nuls ceux faits par les sous-sergens ; & à l'égard des sergens, elle leur défend de faire aucuns ajournemens ou autres exploits sans records & attestations de deux témoins, ou d'un pour le moins, sous peine d'amende arbitraire, en grandes matieres ou autres dans lesquelles la partie peut emporter gain de cause par un seul défaut. L'ordonnance de 1667 obligeoit encore les huissiers à se servir de records dans tous leurs exploits ; mais cette formalité a été abrogée au moyen du contrôle, & n'est demeurée en usage que pour les exploits de rigueur, tels que les commandemens recordés qui précedent la saisie réelle, les exploits de saisie réelle, les saisies féodales, demandes en retrait lignager ; emprisonnemens, &c.

L'article 9 de l'ordonnance de 1539, porte que suivant les anciennes ordonnances, tous ajournemens seront faits à personne ou domicile en présence de records & de témoins qui seront inscrits au rapport & exploit de l'huissier ou sergent, & sur peine de dix livres parisis d'amende. Le rapport ou exploit est en cet endroit l'acte qui contient l'ajournement. On appelloit alors l'exploit rapport de l'huissier, parce que c'est en effet la relation de ce que l'huissier a fait, & qu'alors l'exploit se rédigeoit entierement sur le lieu ; présentement l'huissier dresse l'exploit d'avance, & remplit seulement sur le lieu ce qui est nécessaire.

Cette ordonnance de 1539 n'oblige pas de libeller toutes sortes d'exploits, mais seulement ceux qui concernent la demande & l'action que la novelle 112 appelle libelli conventionem, & que nous appellons exploit introductif de l'instance, à quoi l'ordonnance de 1667 paroît conforme.

L'édit de Charles IX. du mois de Janvier 1573, veut que les huissiers & sergens fassent registre de leurs exploits en bref pour y avoir recours par les parties en cas qu'elles ayent perdu leurs exploits ; cette formalité ne s'observe plus, mais les registres du contrôle y suppléent.

Les formalités des exploits sont les mêmes dans tous les tribunaux tant ecclésiastiques que séculiers : elles sont aussi à-peu-près les mêmes en toutes matieres personnelles, réelles, hypothécaires, ou mixtes, civiles, criminelles, ou bénéficiales, sauf le libelle de l'exploit, qui est différent selon l'objet de la contestation.

Dans la Flandre, l'Artois, le Haynaut, l'Alsace, & le Roussillon, on donnoit autrefois des assignations verbalement & sans écrit, mais cet usage a été abrogé par l'édit du mois de Février 1696, & la premiere regle à observer dans un exploit, est qu'il doit être rédigé par écrit à peine de nullité.

Il y a néanmoins encore quelques exploits qui se font verbalement, tels que la clameur de haro : les garde-chasses assignent verbalement à comparoître en la capitainerie ; les sergens verdiers, les sergens dangereux, & les messiers donnent aussi des assignations verbales ; mais hors ces cas, l'exploit doit être écrit.

Il n'est pas nécessaire que l'exploit soit entierement écrit de la main de l'huissier ou sergent qui le fait ; il peut être écrit de la main de son clerc ou autre personne. Bornier prétend que l'exploit ne doit pas être écrit de la main des parties ; mais cela ne doit s'entendre que dans le cas où l'exploit seroit rédigé sur le lieu, parce que les parties ne doivent pas être présentes aux exécutions, afin que leur présence n'anime point leur adversaire.

Les huissiers ou sergens sont seulement dans l'usage d'écrire de leur propre main, tant en l'original qu'en la copie de l'exploit, leurs noms & qualités, & le nom de la personne à laquelle ils ont parlé & laissé copie de l'exploit ; ce qu'ils observent pour justifier qu'ils ont donné eux-mêmes l'exploit. Il n'y a cependant point de reglement qui les assujettisse à écrire aucune partie de l'exploit de leur propre main.

Il est vrai que l'article 14. du titre ij. de l'ordonnance de 1667, qui veut que les huissiers sachent écrire & signer, semble d'abord supposer qu'il ne suffit pas qu'ils signent l'exploit, qu'il faudroit aussi qu'ils en écrivissent le corps de leur propre main : mais l'article ne le dit pas expressément, & les nullités ne se suppléent pas. L'ordonnance n'a peut-être exigé que les huissiers sachent écrire, qu'afin qu'ils lisent & signent l'exploit en plus grande connoissance de cause, & qu'ils soient en état d'écrire la réponse ou déclaration que le défendeur peut faire sur le lieu au moment qu'on lui donne l'exploit, & d'écrire les autres mentions convenables suivant l'exigence des cas, supposé qu'ils n'eussent personne avec eux par qui ils pussent faire écrire ces sortes de réponses ou mentions : il est mieux néanmoins que l'huissier remplisse du moins de sa main le parlant à, c'est-à-dire la mention de la personne à laquelle il a parlé en donnant l'exploit, & les réponses, déclarations, & autres mentions qui peuvent être à faire.

Au reste il est nécessaire, à peine de nullité, que les huissiers ou sergens signent l'original & la copie de leur exploit.

Il est défendu aux huissiers & sergens, par plusieurs arrêts de reglemens de faire faire aucune signification par leurs clercs, à peine de faux, notamment par un arrêt du 22 Janvier 1606 ; & par un reglement du 7 Septembre 1654, article 14. il est défendu aux procureurs, sous les mêmes peines, de recevoir aucunes significations que par les mains des huissiers : mais ce dernier reglement ne s'observe pas à la rigueur ; les huissiers envoyent ordinairement par leurs clercs les significations qui se font de procureur à procureur.

Depuis 1674 que le papier timbré a été établi en France, tous exploits doivent être écrits sur du papier de cette espece, à peine de nullité. Il faut se servir du papier de la généralité & du tems où se fait l'exploit ; l'original & la copie doivent être écrits sur du papier de cette qualité. Il y a pourtant quelques provinces en France, où l'on ne s'en sert pas.

Tous exploits doivent être rédigés en françois, à peine de nullité, conformément aux ordonnances qui ont enjoint de rédiger en françois tous actes publics.

On doit aussi, à peine de nullité, marquer dans l'exploit la date de l'année, du mois, & du jour auquel il a été fait. On ne trouve cependant point d'ordonnance qui enjoigne d'y marquer la date du mois & de l'année : mais cette formalité est fondée en raison, & l'ordonnance de Blois la suppose nécessaire, puisque l'article 173 de cette ordonnance, enjoint aux huissiers de marquer le jour & le tems de devant ou après midi. Il est vrai que cet article ne parle que des exploits contenant exécution, saisie, ou arrêt, qui sont en effet presque les seuls où l'on fasse mention du tems de devant ou après midi. A l'égard des autres exploits, il suffit d'y marquer la date de l'année, du mois, & du jour, comme cela se pratique dans tous les actes publics : ce qui a été sagement établi, tant pour connoître si l'huissier avoit alors le pouvoir d'instrumenter, & si l'exploit a été fait en un jour convenable, que pour pouvoir juger si les poursuites étoient bien fondées lorsqu'elles ont été faites.

On ne peut faire aucuns exploits les jours de dimanche & de fêtes à moins qu'il n'y eût péril en la demeure, ou que le juge ne l'eût permis en connoissance de cause ; hors ces cas, les exploits faits un jour de dimanche ou de fête sont nuls, comme il est attesté par un acte de notoriété de M. le lieutenant civil le Camus, du 5 Mai 1703 : mais suivant ce même acte, on peut faire tous exploits pendant les vacations & jours de ferie du tribunal.

La plûpart des exploits commencent par la date de l'année, du mois, du jour ; il n'est pourtant pas essentiel qu'elle soit ainsi au commencement : quelques huissiers la mettent à la fin, & cela paroît même plus régulier, parce que l'exploit pourroit n'avoir pas été fini le même jour qu'il a été commencé.

Il n'y a point de reglement qui oblige de marquer dans les exploits à quelle heure ils ont été faits ; l'ordonnance de Blois ne l'ordonne même pas pour les saisies : il seroit bon cependant que l'heure fût marquée dans tous les exploits, pour connoître s'ils n'ont pas été donnés à des heures indûes ; car ils doivent être faits de jour : quelques praticiens ont même prétendu que c'étoit de-là que les exploits d'assignation ont été nommés ajournement ; mais ce mot signifie assignation à certain jour.

Pour ce qui est du lieu où l'exploit est fait, quoiqu'il ne soit pas d'usage de le marquer à la fin comme dans les autres actes, il doit toûjours être exprimé dans le corps de l'exploit ; si l'huissier instrumente dans le lieu de sa résidence ordinaire, & que l'exploit soit donné à la personne, il doit marquer en quel endroit il l'a trouvé ; si c'est à domicile, il doit marquer le nom de la rue ; s'il se transporte dans un autre lieu que celui de sa résidence, il doit en faire mention.

L'étendue du ressort dans lequel les huissiers & sergens peuvent exploiter, est plus ou moins grande ; selon le titre de leur office. Voyez HUISSIERS & SERGENS.

L'exploit doit contenir le nom de celui à la requête de qui il est fait ; mais cette personne ne doit pas y être présente : cela est expressément défendu par l'ordonnance de Moulins, article 32. qui porte que les huissiers ne pourront aucunement s'accompagner des parties pour lesquelles ils exploiteront, qu'elles pourront seulement y envoyer un homme de leur part, pour désigner les lieux & les personnes ; auquel cas celui qui sera ainsi envoyé, y pourra assister sans suite & sans armes.

L'ordonnance ne donne point de recours à la partie contre l'huissier, pour raison des nullités qu'il peut commettre ; c'est pour cela qu'on dit communément, à mal exploité point de garant : cependant lorsque la nullité est telle qu'elle emporte la déchéance de l'action, comme en matiere de retrait lignager, l'huissier en est responsable.

Les huissiers doivent, à peine de nullité, marquer dans l'exploit leur nom, surnom, & qualités, la jurisdiction où ils sont immatriculés, la ville, rue, & paroisse où ils ont leur domicile, & cela tant en la copie qu'en l'original de l'exploit ; ils sont même dans l'usage d'écrire leurs qualités, matricule & demeure de leur propre main, pour faire voir qu'ils ont eux-mêmes dressés l'exploit : mais il n'y a pas de reglement qui l'ordonne.

Ils doivent aussi, à peine de nullité, marquer dans l'exploit le domicile & la qualité de la partie : ce n'est pourtant pas une nullité d'omettre quelqu'une des qualités des parties, pourvû que les personnes soient désignées de maniere à ne pouvoir s'y méprendre.

Outre le domicile actuel, la partie fait quelquefois par l'exploit élection de domicile chez le procureur qu'elle constitue, ou chez quelqu'autre personne.

Tous exploits doivent être faits à personne ou domicile, & faire mention en l'original & en la copie, de ceux auxquels l'exploit a été laissé : le tout à peine de nullité & d'amende. Il est d'usage que l'huissier remplit cette mention de sa propre main.

Les exploits concernant les droits d'un bénéfice, peuvent cependant être faits au principal manoir du bénéfice ; comme aussi ceux qui concernent les droits & fonctions des offices ou commissions, peuvent être faits au lieu où s'en fait l'exercice.

Quand les huissiers ou sergens ne trouvent personne au domicile, ils sont tenus, sous les peines susdites, d'attacher leurs exploits à la porte, & d'en avertir le proche voisin par lequel ils font signer l'exploit, & s'il ne le veut ou ne le peut faire, ils en doivent faire mention ; & en cas qu'il n'y eût point de proche voisin, il faut faire parapher l'exploit par le juge, & dater le jour du paraphe ; & en son absence ou refus, par le plus ancien praticien, auxquels il est enjoint de le faire sans frais.

Tous huissiers & sergens doivent mettre au bas de l'original de leurs exploits, les sommes qu'ils ont reçues pour leur salaire, à peine d'amende.

Enfin ils sont obligés de faire contrôler leurs exploits dans trois jours de leur date, à peine de nullité des exploits d'amende contre les huissiers. Voyez CONTROLE. (A)

EXPLOIT D'AJOURNEMENT, c'est une assignation : on comprend cependant quelquefois sous ce terme, toutes sortes d'exploits. Voyez AJOURNEMENT.

EXPLOIT D'ASSIGNATION, est celui qui ajourne la partie à comparoître devant un juge ou officier public. Voyez AJOURNEMENT & ASSIGNATION.

EXPLOIT CONTROLE, est celui qui est enregistré sur les registres du contrôle, & sur lequel il est fait mention du contrôle.

EXPLOIT DE COUR, est un avantage ou acte que l'on donne à la partie comparante, contre celle qui fait défaut de présence, on défaut de plaider, ou de satisfaire à quelque appointement. Voyez la coûtume de Bretagne, art. 159. Sedan, 321.

EXPLOIT DOMANIER, c'est la saisie féodale dont use le seigneur sur le fief pour lequel il n'est pas servi : elle est ainsi appellée dans la coûtume de Berri, tit. v. art. 25.

EXPLOIT DE JUSTICE ou DE SERGENT, c'est le nom que quelques coûtumes donnent aux actes qui sont du ministere des sergens. Voyez la coûtume de Bretagne, article 77, 92, 229. Berri, tit. ij. art. 29. & 32.

EXPLOIT LIBELLE, est celui qui contient le sujet de la demande, & les titres & moyens, du moins sommairement.

EXPLOIT NUL, est celui qui renferme quelque défaut de forme, tel que l'exploit est regardé comme non fait.

EXPLOIT in palis, est une forme particuliere d'exploit, usitée entre les habitans du comté d'Avignon & les Provençaux. Il y a des bateliers sur le bord d'une riviere, qui fait la séparation de ces deux pays : ces bateliers sont obligés de recevoir tous les exploits qu'on leur donne, & de les rendre à ceux auxquels ils sont adressés ; c'est ce que l'on appelle un exploit in palis. Voyez Desmaisons, let. A. n. 4.

EXPLOIT DE RETRAIT, c'est une demande en retrait.

EXPLOIT DE SAISIE, c'est le procès-verbal de saisie.

EXPLOIT DU SEIGNEUR, c'est la saisie féodale. Voyez les coûtumes de Montargis, Dreux, Berri, Orléans, & ci-devant EXPLOIT DOMANIER.

EXPLOIT VERBAL, est celui qui est fait sans écrit. Les cas où les exploits ne peuvent être ainsi faits, sont marqués ci-devant au mot EXPLOIT.

Sur les exploits en général, voyez Imber, Papon, Bornier. (A)


EXPLOITABLEadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui peut être exploité.

On appelle bois exploitables, ceux qui sont en âge d'être exploités, c'est-à-dire coupés.

Biens exploitables, sont ceux qui peuvent être saisis Meubles exploitables, sont ceux qui peuvent être saisis & exécutés. Il y a en ce sens deux sortes de meubles qui ne sont point exploitables ; savoir ceux qui tiennent à fer & à clou, & sont mis pour perpétuelle demeure, lesquels ne peuvent être saisis qu'avec le fonds : les autres sont ceux que l'on est obligé de laisser à la partie saisie, tels que le lit, les ustensiles de labour, & autres choses reservées par l'ordonnance. Voyez EXECUTION, MEUBLES, SAISIE. (A)


EXPLOSIONS. f. en Physique, se dit proprement du bruit que fait la poudre à canon quand elle s'enflamme, ou en général l'air, quand il est chassé ou dilaté avec violence : c'est pour cela que le mot explosion se dit aussi du bruit qui se fait quelquefois lorsqu'on excite la fermentation dans des liqueurs en les mêlant ensemble. Il paroît que l'explosion vient de l'effort de l'air qui, resserré auparavant, se dilate tout-d'un-coup avec force. Mais comment l'inflammation de la poudre & le mélange de deux liqueurs produisent-ils cette dilatation subite & bruyante ? comment & pourquoi l'air étoit-il auparavant resserré ? voilà ce qu'on n'explique point, &, à parler vrai, ce qu'on ignore parfaitement. Voyez POUDRE A CANON, FERMENTATION, &c. Voyez ci-devant EXPANSIBILITE. (O)

EXPLOSION, (Chimie) voyez FULMINATION.


EXPONENTIELadj. (Géomet. transcend.) Quantité exponentielle, est une quantité élevée à une puissance dont l'exposant est indéterminé & variable. Voyez EXPOSANT.

Il y a des quantités exponentielles de plusieurs degrés ou de plusieurs ordres. Quand l'exposant est une quantité simple & indéterminée, on l'appelle une quantité exponentielle du premier degré.

Quand l'exposant est lui-même une exponentielle du premier degré, alors la quantité est une exponentielle du second degré.

Ainsi zy est une exponentielle du premier degré, parce que la quantité y est une quantité simple : mais zxy est une quantité exponentielle du second degré, parce que xy est une exponentielle du premier degré. De même zxyy est une exponentielle du troisieme degré, parce que l'exposant xyyen est une du second.

Il faut remarquer de plus que dans les quantités exponentielles, la quantité élevée à l'exposant variable peut être constante comme dans y a, ou variable comme dans y x ainsi on peut encore à cet égard distinguer les quantités exponentielles en différentes especes.

La théorie des quantités exponentielles est expliquée avec beaucoup de clarté dans un mémoire qu'on trouvera au tome I. du recueil des oeuvres de M. J. Bernoulli, Lausanne 1743. Le calcul des quantités exponentielles, de leurs différentielles, &c. se nomme calcul exponentiel. On peut aussi voir les regles de ce calcul expliquées dans la premiere partie du traité du calcul intégral de M. de Bougainville. Au reste, c'est à M. Jean Bernoulli que la Géométrie doit la théorie du calcul exponentiel, branche du calcul intégral devenue depuis si féconde.

Outre les quantités exponentielles dont les exposans sont réels, il y en a aussi dont les exposans sont imaginaires ; & ces quantités sont sur-tout fort utiles dans la théorie des sinus & des cosinus des angles. Voyez SINUS.

La méthode générale pour trouver aisément les différentielles des quantités exponentielles, c'est de supposer ces exponentielles égales à une nouvelle inconnue, de prendre ensuite les logarithmes de part & d'autre, de différentier, & de substituer ; ainsi faisant yx = z, on aura x log. y = log. z ; donc dx x log. y + (x d y)/y = (d z)/z. Voy. LOGARITHME. Donc d z ou d (yx) = z d x log. y + (z x d y)/y = yx d x log. y + (x yx d y)/y. Donc si on a à différentier ax ; comme a est alors égal à y, & que d y = 0, on aura pour différentielle ax d x x log. a ; & ainsi des autres.

Courbe exponentielle, est celle qui est exprimée par une équation exponentielle. Voyez COURBE.

Les courbes exponentielles participent de la nature des algébriques & des transcendantes ; des premieres, parce qu'il n'entre dans leur équation que des quantités finies ; & des dernieres, parce qu'elles ne peuvent pas être représentées par une équation algébrique. Car dans les courbes à équations algébriques, les exposans sont toûjours des nombres déterminés & constans, au lieu que dans les équations des courbes exponentielles les exposans sont variables. Par exemple, a y = x2 est l'équation d'une courbe algébrique ; y = ax est l'équation d'une courbe exponentielle ; cette équation y = ax signifie qu'une ordonnée quelconque y, est à une ordonnée constante que l'on prend pour l'unité, comme une constante a élevée à un exposant indiqué par le rapport de l'abscisse x à la ligne que l'on prend pour l'unité, est la ligne prise pour l'unité, élevée à ce même exposant. C'est pourquoi si on prend b pour cette ligne qui représente l'unité, l'équation y = ax réduite à une expression & à une traduction claire, revient à celle-ci y/b = ax/b/bx/b ; l'équation y = ax est celle de la logarithmique. Voyez LOGARITHMIQUE. De même y = xy signifie y/b = xy/b/by/b ; & ainsi des autres.

Equation exponentielle, est celle dans laquelle il y a des quantités exponentielles, &c. Ainsi y = zx est une équation exponentielle.

On résoud les équations exponentielles par logarithmes, lorsque cela est possible. Par exemple, si on avoit ax = b, x étant l'inconnue, on auroit x log. a = log. b & x = (log. b)/(log. a) ; de même si on avoit a c(x + 2) + b cx + 1 + g cx = k, on en tireroit l'équation cx (a c 2 + b c + g) = k, & x logarith. c + logarith. (a c 2 + b c + g) = log. k ; d'où l'on tirera x. Mais il y a une infinité de cas où on ne pourra trouver x que par tâtonnement, par exemple, si on avoit ax + b 2 x = c, &c. Voyez LOGARITHME.

C'est par les équations exponentielles qu'on pratique dans le calcul intégral l'opération qui consiste à repasser des logarithmes aux nombres. Soit, par exemple, cette équation logarithmique x = log. y, supposant que c soit le nombre qui a pour logarithme 1, on aura 1 = log. c & x log. c = x = log. y. Donc (V. LOGARITHME) log. cx = log. y, & cx = y. (O)


EXPORLE(Jurisp.) voyez ESPORLE.


EXPORTATIONTRANSPORT, dans le Commerce, est l'action d'envoyer des marchandises d'un pays à un autre. Voyez COMMERCE.

On transporte tous les ans de l'Angleterre une quantité immense de marchandises ; les principales sortes sont le blé, les bestiaux, le fer, la toile, le plomb, l'étain, le cuir, le charbon, le houblon, le lin, le chanvre, les chapeaux, la biere, le poisson, les montres, les rubans.

Les seuls ouvrages de laine qu'on transporte tous les ans, sont évalués à deux millions de livres sterl. & le plomb, l'étain & le charbon, à 500000 livres sterl. Voyez LAINE.

La laine, la terre à dégraisser, &c. sont des marchandises de contrebande, c'est-à-dire qu'il est défendu de transporter. Voyez COMMERCE & CONTREBANDE. Pour les droits de sortie, voyez IMPOT, DROITS, &c. Chambers.


EXPOSANTS. m. (Algebre) Ce terme a différentes acceptions selon les différens objets auxquels on le rapporte. On dit, l'exposant d'une raison, l'exposant du rang d'un terme dans une suite, l'exposant d'une puissance.

L'exposant d'une raison (il faut entendre la géométrique, car dans l'Arithmétique ce qu'on pourroit appeller de ce nom, prend plus particulierement celui de différence) : l'exposant donc d'une raison géométrique est le quotient de la division du conséquent par l'antécédent. Ainsi dans la raison de 2 à 8, l'exposant est 8/2 = 4 ; dans celle de 8 à 2, l'exposant est 2/8 = 1/4, &c. Voyez PROPORTION.

C'est l'égalité des exposans de deux raisons qui les rend elles-mêmes égales, & qui établit entr'elles ce qu'on appelle proportion. Chaque conséquent est alors le produit de son antécédent par l'exposant commun. Il semble donc, pour le dire en passant, qu'ayant à trouver le quatrieme terme d'une proportion géométrique, au lieu du circuit qu'on prend ordinairement, il seroit plus simple de multiplier directement le troisieme terme par l'exposant de la premiere raison, au moins quand celui-ci est un nombre entier. Par exemple, dans la proportion commencée 8. 24 : : 17. *, le quatrieme terme se trouveroit tout-d'un coup, en multipliant 17 par l'exposant 3 de la premiere raison ; au lieu qu'on prescrit de multiplier 24 par 17, & puis de diviser le produit par 8. Il est vrai que les deux méthodes exigent également deux opérations, puisque la recherche de l'exposant suppose elle-même une division ; mais dans celle qu'on propose, ces deux opérations, s'exécutant sur des termes moins composés, en seroient plus courtes & plus faciles. Voyez REGLE DE TROIS.

L'exposant du rang est, comme cela s'entend assez, le nombre qui exprime le quantieme d'un terme dans une suite quelconque. On dira, par exemple, que 7 est l'exposant du rang du terme 13 dans la suite des impairs ; que celui de tout autre terme T de la même suite est (T + 1)/2 ; & plus généralement que l'exposant du rang d'un terme pris où l'on voudra dans une progression arithmétique quelconque, dont le premier terme est désigné par p, & la différence par d, est (T - p)/d + 1.

On nomme exposant, par rapport à une puissance, un chiffre (en caractere minuscule) qu'on place à la droite & un peu au-dessus d'une quantité, soit numérique, soit algébrique, pour désigner le nom de la puissance à laquelle on veut faire entendre qu'elle est élevée. Dans a 4, par exemple, 4 est l'exposant qui marque que a est supposé élevé à la quatrieme puissance.

Souvent, au lieu d'un chiffre, on employe une lettre ; & c'est ce qu'on appelle exposant indéterminé. an est a élevé à une puissance quelconque désignée par n. Dans a, n désigne le nom de la racine qu'on suppose extraite de la grandeur a, &c.

Autrefois, pour représenter la quatrieme puissance de a, on écrivoit a a a a ; expression incommode, & pour l'auteur, & pour le lecteur, sur-tout lorsqu'il s'agissoit de puissances fort élevées. Descartes vint, qui à cette répétition fastidieuse de la même racine substitua la racine simple, surmontée vers la droite de ce chiffre qu'on nomme exposant, lequel annonce au premier coup d'oeil combien de fois elle est censée répétée après elle-même.

Outre l'avantage de la briéveté & de la netteté, cette expression a encore celui de faciliter extrèmement le calcul des puissances de la même racine, en le réduisant à celui de leurs exposans, lesquels pouvant d'ailleurs être pris pour les logarithmes des puissances auxquelles ils se rapportent, les font participer aux commodités du calcul logarithmique. Dans l'exposé qui va suivre du calcul des exposans des puissances, nous aurons soin de ramener chaque résultat à l'expression de l'ancienne méthode, comme pour servir à la nouvelle de démonstration provisionnelle ; renvoyant pour une démonstration plus en forme à l'article LOGARITHME, qui est en droit de la revendiquer.

Multiplication. Faut-il multiplier am par an ? On fait la somme des deux exposans, & l'on écrit a(m + n). En effet que m = 3, & n = 2 ; am+n = a3+2 = a5 = aaaaa = a a a x .

Division. Pour diviser am par an, on prend la différence des deux exposans, & l'on écrit a(m - n). En effet que m = 5, & n = 2 ; a(m - n) = a (5 - 2) = a 3 = a a a = (a a a a a)/(a a).

Si n = m, l'exposant réduit devient 0, & le quotient est a 0 = 1 ; car (au lieu de n, substituant m qui lui est égale par supposition) a 0 = a(m - m) = am/am = 1.

Si n > m, l'exposant du quotient sera négatif. Par exemple, que m = 2, & n = 5 ; a(m - n) = a (2 - 5) = a-3. Mais qu'est-ce que a(-3) ? Pour le savoir, interrogeons l'ancienne méthode. a-3 est donné pour l'expression de a a/a a a a a = 1/ a a a = a1/3. Ce qui fait voir qu'une puissance négative équivaut à une fraction, dont le numérateur étant l'unité, le dénominateur est cette puissance même devenue positive : comme réciproquement une puissance positive équivaut à une fraction, dont le numérateur est encore l'unité, & le dénominateur cette même puissance devenue négative. En général a+m = 1/a+m. On peut donc sans inconvénient substituer l'une de ces deux expressions à l'autre : ce qui a quelquefois son utilité.

Elévation. Pour élever am à la puissance dont l'exposant est n, on fait le produit des deux exposans, & l'on écrit a(m X n)... En effet que m = 2, & n = 3 ; a(m X n) = a (2 x 3) = a 6 = a a a a a a = a a x a a x a a.

Extraction. Comme cette opération est le contraire de la précédente ; pour extraire la racine n de am, on voit qu'il faut diviser m par n, & écrire a m/n En effet que m = 6, & n = 3 ; am/n = a6/3 = a2 = a a = a a a a a a.

On peut donc bannir du calcul les signes radicaux qui y jettent souvent tant d'embarras, & traiter les grandeurs qu'ils affectent comme des puissances, dont les exposans sont des nombres rompus. Car a = a1/n ; a-m = a-m/n, &c.

On ne dit rien de l'addition, ni de la soustraction ; parce que ni la somme, ni la différence de deux puissances de la même racine, ne peuvent se rappeller à un exposant commun, & qu'elles n'ont point d'expression plus simple que celle-ci, am + an. Mais elles ont d'ailleurs quelques propriétés particulieres, que je ne sache pas avoir jusqu'ici été remarquées, quoiqu'elles puissent trouver leur application. Elles ne seront point déplacées en cet article.

Premiere propriété. La différence de deux puissances quelconques de la même racine, est toûjours un multiple exact de cette racine diminuée de l'unité, c'est-à-dire que (am - an)/(a - 1) donne toûjours un quotient exact.

(43 - 41)/3 = (64 - 4)/3 = 60/3 = 20

(43 - 40)/3 = (64 - 1)/3 = 63/3 = 21 sans reste.

Observez en passant que dans le premier exemple 43 - 41 = 60 = . Ce qui n'est point un hasard, mais une propriété constante de la différence des troisieme & premiere puissances, laquelle est toûjours égale au produit continu des trois termes consécutifs de la progression naturelle, dont le moyen est la premiere puissance même ou la racine.

a3 - a1 = X X .

Seconde propriété. La différence de deux puissances quelconques de la même racine est un multiple exact de cette racine augmentée de l'unité, quand la différence des exposans des deux puissances est un nombre pair ; c'est-à-dire que (am - an)/(a + 1) donne un quotient exact, quand m - n exprime un nombre pair.

(43 - 41)/5 = (64 - 4)/5 = 60/5 = 12, sans reste, parce que 3 - 1 = 2, nombre pair.

Mais (43 - 40)/5 = (64 - 1)/5 = 63/5 laisse un reste, parce que 3 - 0 = 3 n'est pas un nombre pair.

Troisieme propriété. La somme de deux puissances quelconques de la même racine est un multiple exact de cette racine augmentée de l'unité, quand la différence des exposans des deux puissances est un nombre impair ; c'est-à-dire que (am + an)/(a + 1) donne un quotient exact, quand m - n exprime un nombre impair. (43 + 40)/5 = (64 + 1)/5 = 65/5 = 13, sans reste, parce que 3 - 0 = 3, nombre impair.

Mais (43 + 41)/5 = (64 + 4)/5 = 68/5 laisse un reste, parce que 3 - 1 = 2 n'est pas nombre impair.

Démonstration commune.

Si l'on compare am ± an, considéré d'une part comme dividende avec a ± 1, consideré de l'autre comme diviseur, il en résulte quatre combinaisons différentes ; savoir,

am + an/a - 1 (am - an/a - 1 (am - an/a + 1 (am + an/a + 1.

Maintenant, si l'on vient à effectuer sur chacune la division indiquée, on trouvera (& c'est une suite des lois générales de la division algébrique)

1°. Que dans toutes les hypothèses, les termes du quotient (supposé exact) sont par ordre les puissances consécutives & décroissantes de a, depuis & y compris a(m - 1) jusqu'à an inclusivement ; d'où il suit que le nombre des termes du quotient exact, ou, ce qui est la même chose, l'exposant du rang de son dernier terme est m - n.

2°. Que dans les deux premieres hypothèses les termes du quotient ont tous le signe +, & que dans les deux dernieres ils ont alternativement & dans le même ordre les signes + & - ; de sorte que le signe + appartient à ceux dont l'exposant du rang est impair, & le signe - à ceux dont l'exposant du rang est pair.

3°. Que, pour rendre la division exacte, le dernier terme du quotient doit avoir le signe - dans les premiere & troisieme hypothèses, & le signe + dans la seconde & dans la quatrieme.

La figure suivante met sous les yeux le résultat des deux derniers articles. La ligne supérieure représente l'ordre des signes qui affectent les divers termes du quotient, relativement aux quatre différentes hypothèses, l'inférieure marque le signe que doit avoir dans chacune le dernier terme du quotient, pour rendre la division exacte.

I. hypothèse Seconde Troisieme Quatrieme

+.+.+. &c. +.+.+. &c. +.-.+.-. &c. +.-.+.-. &c.

- + - +

La seule inspection de la figure fait voir que la division exacte ne peut avoir lieu dans la premiere hypothèses ; puisqu'elle exige le signe - au dernier terme du quotient, & que tous y ont le signe + ; que par une raison contraire elle a toûjours lieu dans la seconde ; qu'elle l'a dans la troisieme, quand l'exposant du rang du dernier terme, où (suprà) m - n est pair ; & dans la quatrieme, quand m - n est impair.

J'ai remarqué (& d'autres sans-doute l'auront fait avant moi) que la différence des troisieme & premiere puissances de la même racine est égale au produit continu de trois termes consécutifs de la progression naturelle, dont le moyen est la premiere puissance même ou la racine... r3 - r1 = X X .

Cette propriété au reste dérive d'une autre ultérieure. Les exposans des deux puissances étant quelconques, pourvû que leur différence soit 2, on a généralement rm - rn = X X ;... & la démonstration en est aisée. Car dans le second membre le produit des extrèmes est r r - 1 : or si l'on multiplie le terme moyen rn par r r - 1, on aura r(n + 2) - rn : mais r(n + 2) = rm, puisque (par supposition) m - n = 2, d'où m = n + 2.

Ceci est peu de chose en soi : mais n'en pourroit-on pas faire usage, pour résoudre avec facilité toute équation d'un degré quelconque, qui aura ou à qui on pourra donner cette forme xm - xn - a = 0, de sorte que m - n y soit = 2, & dans une des racines sera un nombre entier.

En effet, cherchant tous les diviseurs ou facteurs de a, & pour plus de commodité les disposant par ordre deux à deux, de façon que chaque paire contienne deux facteurs correspondans de a, comme on voit ici ceux de 12...1/12.2/6.3/4.... on est assûré qu'il s'en trouvera une paire qui sera x .

xn

Choisissant donc dans la ligne inférieure (que je suppose contenir les plus grands facteurs) ceux qui sont des puissances du degré n, ou bien il ne s'en trouvera qu'un, & dès-là sa nieme racine sera la valeur de x, ou il s'en trouvera plusieurs ; & alors les comparant avec leurs co-facteurs, on se déterminera pour celui dont le co-facteur est le produit de sa nieme racine diminuée de l'unité par la même racine augmentée de l'unité. Par exemple,

Soit l'équation à résoudre... x 5 - x 3 - 3000 = 0, on trouve que les facteurs de 3000 sont par ordre, 1 2 3 4 5 6 8 10 12 15 20

3000. 1500. 1000. 750. 600. 500. 375. 300. 250. 200. 150.

24 25 30 40 50.

125. 120. 100. 75. 60.

En consultant, si on le juge nécessaire, la table des puissances, on trouve que la ligne inférieure ne contient que deux cubes, 1000 & 125. Le premier ne peut convenir, parce que son co-facteur est 3, & que ( étant 10) il devroit être X = 9 X 11 = 99 : mais le second convient parfaitement, parce que d'un côté sa racine cubique étant 5, de l'autre son co-facteur est 24 = 4 X 6 = X ... On a donc x = 5.

Reste à trouver le moyen de donner à toute équation proposée la forme requise, c'est-à-dire de la réduire à ses premier, troisieme, & dernier termes ; de façon que les deux premiers soient sans coefficiens, & les deux derniers négatifs. C'est l'affaire des Algébristes, & pour eux une occasion précieuse d'employer utilement l'art des transformations, s'il va jusque-là.

Il est au moins certain que dans les cas où l'on pourra ainsi transformer l'équation, la méthode qu'on propose ici aura lieu, pourvû qu'une des racines de l'équation soit un nombre entier. On convient que cette méthode ne s'étend jusqu'ici qu'à un très-petit nombre de cas, puisqu'on n'a point encore, & qu'on n'aura peut-être jamais de méthode générale pour réduire les équations à la forme & à la condition dont il s'agit : mais on ne donne aussi la méthode dont il s'agit ici, que comme pouvant être d'usage en quelques occasions. Article de M. RALLIER DES OURMES.

Il ne nous reste qu'un mot à ajoûter à cet excellent article, sur le calcul des exposans. Que signifie, dira-t-on, cette expression a(- m) ? Quelle idée nette présente-t-elle à l'esprit ? Le voici. Il n'y a jamais de quantités négatives & absolues en elles-mêmes. Elles ne sont telles, que relativement à des quantités positives dont on doit ou dont on peut supposer qu'elles sont retranchées ; ainsi a(- m) ne désigne quelque chose de distinct, que relativement à une quantité an exprimée ou sousentendue ; en ce cas a(- m) marque que si on vouloit multiplier an par a(- m), il faudroit retrancher de l'exposant n autant d'unités qu'il y en a dans m ; voilà pourquoi a(- m) équivaut à a 1/ m, ou à une division par am : a(- m) n'est autre chose qu'une maniere d'exprimer a 1/ m, plus commode pour le calcul. De même a 0 n'indique autre chose que am x a(- m) ou am/am = 1 ; a0 indique, suivant la notion des exposans, que la quantité a ne doit plus se trouver dans le calcul ; & en effet elle ne s'y trouve plus : comme a(- m) indique que la quantité a doit se trouver dans le calcul avec m dimensions de moins, & qu'en général elle doit abaisser de m dimensions la quantité algébrique où elle entre par voie de multiplication. Voyez NEGATIF.

Passons aux exposans fractionnaires. Que signifie a 1/2 ? Pour en avoir une idée nette, je suppose a = b b ; donc a 1/2 est la même chose que (b b) 1/2 : or dans (b b)3, par exemple, l'exposant indique que b doit être écrit un nombre de fois triple du nombre de fois qu'il est écrit dans le produit (b b) ; & comme il y est écrit deux fois (b b), il s'ensuit que (b b)3 indique que b doit être écrit 6 fois ; donc (b b)3 est égal à b 6 ; donc par la même raison (b b) 1/2 indique que b doit être écrit la moitié de fois de ce qu'il est écrit dans la quantité b b ; donc il doit être écrit une fois ; donc (b b) 1/2 = b ; donc a1/2 = b = .

Il n'y aura pas plus de difficulté pour les exposans radicaux, dont très-peu d'auteurs ont parlé. Que signifie, par exemple, a 2 ? Pour le trouver, on remarquera que 2 n'est point un vrai nombre, mais une quantité dont on peut approcher aussi près qu'on veut, sans l'atteindre jamais ; ainsi supposons que p/q exprime une fraction par laquelle on approche continuellement de 2 ; a 2 aura pour valeur approchée la quantité a p/q, dans laquelle p & q seront des nombres entiers qu'on pourra rendre aussi exacts qu'on voudra, jusqu'à l'exactitude absolue exclusivement. Ainsi a 2 indique proprement la limite d'une quantité, & non une quantité réelle ; c'est la limite de a élevé à un exposant fractionnaire qui approche de plus en plus de la valeur de . Voyez EXPONENTIEL, LIMITE, &c. (O)


EXPOSÉadj. (Jurispr.) en style de chancellerie & de palais, signifie le narré du fait qui est allégué pour obtenir des lettres de chancellerie, ou pour obtenir un arrêt sur requête. Quand les lettres sont obtenues sur un faux exposé, on ne doit point les entériner ; & si c'est un arrêt, les parties intéressées doivent y être reçûes opposantes. (A)


EXPOSEREXPOSER

Cette derniere maniere d'exposer en vente sa marchandise, est ce qu'on appelle colportage, & est défendue par les statuts de presque toutes les communautés des Arts & Métiers de Paris. Voyez COLPORTAGE & COLPORTER. Dictionn. du Comm. (G)


EXPOSITIONEXPOSITION

Ce crime est puni de mort, suivant l'édit d'Henri II. vérifié au parlement le 4 Mars 1556 (voyez Jul. Clarus, & ejus annot. qu. lxxxiij. n. 7.) ; mais on s'est un peu relâché de cette rigueur, & l'on se contente ordinairement de faire foüetter & marquer ceux qui sont convaincus de ce crime.

Ceux qui en sont complices, soit pour avoir porté l'enfant, ou pour avoir sû qu'on devoit l'exposer, sont aussi punissables, selon les circonstances.

La facilité que l'on a présentement de recevoir dans l'hôpital des enfans-trouvés tous les enfans que l'on y amene, sans obliger ceux qui les conduisent de déclarer d'où ils viennent, fait que l'on n'entend plus parler de ce crime dans cette ville. Voyez ENFANT EXPOSE. (A)

EXPOSITION D'UN FAIT, est le récit de quelque chose qui s'est passé.

EXPOSITION DE MOYENS, se dit pour établissement des moyens ou raisons qui établissent la demande. Une requête, un plaidoyer, une piece d'écriture, contiennent ordinairement d'abord l'exposition du fait, & ensuite celle des moyens. (A)

EXPOSITION DE PART, voyez ci-devant EXPOSITION D'ENFANT & ENFANS EXPOSES. (A)

EXPOSITION DE BATIMENT, en Architecture ; c'est la maniere dont un bâtiment est exposé par rapport au soleil & aux vents. La meilleure exposition, selon Vitruve, est d'avoir les encoignures opposées aux vents cardinaux du monde.

EXPOSITION ou SOLAGE. Voyez ASPECT, ESPALIER, FRUITIER, &c.


EXPRESSIONS. f. (Algebre). On appelle en Algebre expression d'une quantité, la valeur de cette quantité exprimée ou représentée sous une forme algébrique. Par exemple, si on trouve qu'une inconnue x est = , a & b étant des quantités connues, sera l'expression de x. Une équation n'est autre chose que la valeur d'une même quantité présentée sous deux expressions différentes. Voyez EQUATION. (O)

EXPRESSION, (Belles-Lettres) en général est la représentation de la pensée.

On peut exprimer ses pensées de trois manieres ; par le ton de la voix, comme quand on gémit ; par le geste, comme quand on fait signe à quelqu'un d'avancer ou de se retirer ; & par la parole, soit prononcée, soit écrite. Voyez ELOCUTION.

Les expressions suivent la nature des pensées ; il y en a de simples, de vives, fortes, hardies, riches, sublimes, qui sont autant de représentations d'idées semblables : par exemple, la beauté s'envole avec le tems, s'envole est une expression vive, & qui fait image ; si l'on y substituoit s'en va, on affoibliroit l'idée & ainsi des autres.

L'expression est donc la maniere de peindre ses idées, & de les faire passer dans l'esprit des autres. Dans l'Eloquence & la Poésie l'expression est ce qu'on nomme autrement diction, élocution, choix des mots qu'on fait entrer dans un discours ou dans un poëme.

Il ne suffit pas à un poëte ou à un orateur d'avoir de belles pensées, il faut encore qu'il ait une heureuse expression ; sa premiere qualité est d'être claire, l'équivoque ou l'obscurité des expressions marque nécessairement de l'obscurité dans la pensée :

Selon que notre idée est plus ou moins obscure.

L'expression la suit ou moins nette ou plus pure ;

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,

Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Boil. Art poét.

Un grand nombre de beautés des anciens auteurs, dit M. de la Mothe, sont attachées à des expressions qui sont particulieres à leur langue, ou à des rapports qui ne nous étant pas si familiers qu'à eux, ne nous font pas le même plaisir. Voyez ELOCUTION, DICTION, STYLE, LATINITE, &c. (G)

EXPRESSION, (Opéra). C'est le ton propre au sentiment, à la situation, au caractere de chacune des parties du sujet qu'on traite. La Poésie, la Peinture & la Musique sont une imitation. Comme la premiere ne consiste pas seulement en un arrangement méthodique de mots, & que la seconde doit être tout autre chose qu'un simple mélange de couleurs, de même la Musique n'est rien moins qu'une suite sans objet de sons divers. Chacun de ces arts a & doit avoir une expression, parce qu'on n'imite point sans exprimer, ou plûtôt que l'expression est l'imitation même.

Il y a deux sortes de Musique, l'une instrumentale, l'autre vocale, & l'expression est nécessaire à ces deux especes, de quelque maniere qu'on les employe. Un concerto, une sonate, doivent peindre quelque chose, ou ne sont que du bruit, harmonieux, si l'on veut, mais sans vie. Le chant d'une chanson, d'une cantate, doit exprimer les paroles de la cantate & de la chanson, sinon le musicien a manqué son but ; & le chant, quelque beau qu'il soit d'ailleurs, n'est qu'un contre-sens fatiguant pour les oreilles délicates.

Ce principe puisé dans la nature, & toûjours sûr pour la Musique en général, est encore plus particulierement applicable à la musique dramatique ; c'est un édifice régulier qu'il faut élever avec raison, ordre & symmétrie : les symphonies & le chant sont les grandes parties du total, la perfection de l'ensemble dépend de l'expression répandue dans toutes ses parties.

Lulli a presqu'atteint à la perfection dans un des points principaux de ce genre. Le chant de déclamation, qu'il a adapté si heureusement aux poëmes inimitables de Quinaut, a toûjours été le modele de l'expression dans notre musique de récitatif. Voyez RECITATIF. Mais qu'il soit permis de parler sans déguisement dans un ouvrage consacré à la gloire & au progrès des Arts. La vérité doit leur servir de flambeau ; elle peut seule, en éclairant les Artistes, enflammer le génie, & le guider dans des routes sûres vers la perfection. Lulli qui a quelquefois excellé dans l'expression de son récitatif, mais qui fort souvent aussi l'a manquée, a été très-fort au-dessous de lui-même dans l'expression de presque toutes les autres parties de sa musique.

Les fautes d'un foible artiste ne sont point dangereuses pour l'art ; rien ne les accrédite, on les reconnoît sans peine pour des erreurs, & personne ne les imite : celles des grands maîtres sont toûjours funestes à l'art même, si on n'a le courage de les développer. Des ouvrages consacrés par des succès constans, sont regardés comme des modeles ; on confond les fautes avec les beautés, on admire les unes, on adopte les autres. La Peinture seroit peut-être encore en Europe un art languissant, si en respectant ce que Raphaël a fait d'admirable, on n'avoit pas osé relever les parties défectueuses de ses compositions. L'espece de culte qu'on rend aux inventeurs ou aux restaurateurs des Arts, est assûrément très-légitime ; mais il devient un odieux fanatisme, lorsqu'il est poussé jusqu'à respecter des défauts que les génies qu'on admire auroient corrigés eux-mêmes, s'ils avoient pû les reconnoître.

Lulli donc, qui en adaptant le chant françois déjà trouvé, à l'espece de déclamation théatrale qu'il a créée, a tout-d'un-coup saisi le vrai genre, n'a en général répandu l'expression que sur cette seule partie : ses symphonies, ses airs chantans de mouvement, ses ritournelles, ses choeurs, manquent en général de cette imitation, de cette espece de vie que l'expression seule peut donner à la Musique.

On sait qu'on peut citer dans les opera de ce beau génie des ritournelles qui sont à l'abri de cette critique, des airs de violon & quelques choeurs qui ont peint, des accompagnemens même qui sont des tableaux du plus grand genre. De ce nombre sont sans-doute le monologue de Renaud, du second acte d'Armide ; l'épisode de la haine, du troisieme ; quelques airs de violon d'Isis, le choeur, Atys lui-même, &c. Mais ces morceaux bien faits sont si peu nombreux en comparaison de tous ceux qui ne peignent rien & qui disent toûjours la même chose qu'ils ne servent qu'à prouver que Lulli connoissoit assez la nécessité de l'expression, pour être tout-à-fait inexcusable de l'avoir si souvent négligée ou manquée.

Pour faire sentir la vérité de cette proposition, il faut la suivre dans sa musique instrumentale & dans sa musique vocale. Sur la premiere il suffit de citer des endroits si frappans, qu'ils soient seuls capables d'ouvrir les yeux sur tous les autres. Tel est, par exemple, l'air de violon qui dans le premier acte de Phaéton sert à toutes les métamorphoses de Protée ; ce dieu se transforme successivement en lion, en arbre, en monstre marin, en fontaine, en flamme. Voilà le dessein brillant & varié que le poëte fournissoit au musicien. Voyez l'air froid, monotone & sans expression, qui a été fait par Lulli.

On regarde comme très-défectueux le quatrieme acte d'Armide ; on se demande avec surprise depuis plus de 60 ans, comment un poëte a pû imaginer un acte si misérable. Seroit-il possible que sur ce point, si peu contesté, on fût tombé dans une prodigieuse erreur ? & quelqu'un oseroit-il prétendre aujourd'hui que le quatrieme acte d'Armide, reconnu généralement pour mauvais, auroit paru peut-être, quoique dans un genre différent, aussi agréable que les quatre autres, si Lulli avoit rempli le plan fourni par Quinault ? Avant de se récrier sur cette proposition (que pour le bien de l'art on ne craint pas de mettre en-avant), qu'on daigne se ressouvenir qu'il n'y a pas trente ans qu'on s'est avisé d'avoir quelque estime pour Quinault ; qu'avant cette époque, & sur-tout pendant la vie de Lulli, qui joüissoit de la faveur de la cour & du despotisme du théatre, toutes les beautés de leurs opera étoient constamment rapportées au musicien ; & que le peu de vices que le défaut d'expérience des spectateurs y laissoit appercevoir, étoit sans examen rejetté sur le poëte. On sait que Quinault étoit un homme modeste & tranquille, que Lulli n'avoit pas honte de laisser croire à la cour & au public, fort au-dessous de lui. Après cette observation, qu'on examine Armide ; qu'on réfléchisse sur la position du poëte & du musicien, sur le dessein donné, & sur la maniere dont il a été exécuté.

L'amour le plus tendre, déguisé sous les traits du dépit le plus violent dans le coeur d'une femme toute-puissante, est le premier tableau qui nous frappe dans cet opera. Si l'amour l'emporte sur la gloire, sur le dépit, sur tous les motifs de vengeance qui animent Armide, quels moyens n'employera pas son pouvoir (qu'on a eu l'art de nous faire connoître immense) pour soûtenir les intérêts de son amour ? Dans le premier acte, son coeur est le joüet tour-à-tour de tous les mouvemens de la passion la plus vive : dans le second elle vole à la vengeance, le fer brille, le bras est prêt à frapper ; l'amour l'arrête, & il triomphe. L'amant & l'amante sont transportés au bout de l'univers ; c'est-là que la foible raison d'Armide combat encore ; c'est-là qu'elle appelle à son secours la haine qu'elle avoit crû suivre, & qui ne servoit que de prétexte à l'amour. Les efforts redoublés de cette divinité barbare cedent encore la victoire à un penchant plus fort. Mais la haine menace : outre les craintes si naturelles aux amans, Armide entend encore un oracle fatal qui, en redoublant ses terreurs, doit ranimer sa prévoyance. Telle est la position du poëte & du musicien au quatrieme acte.

Voilà donc Armide livrée sans retour à sa tendresse. Instruite par son art de l'état du camp de Godefroy, joüissant des transports de Renaud ; elle n'a que sa fuite à craindre ; & cette fuite, elle ne peut la redouter qu'autant qu'on pourra détruire l'enchantement dans lequel sa beauté, autant que le pouvoir de son art, a plongé son heureux amant. Ubalde cependant & le chevalier Danois s'avancent ; & cet épisode est très-bien lié à l'action principale, lui est nécessaire, & forme un contre-noeud extrèmement ingénieux. Armide, que je ne puis pas croire tranquille, va donc développer ici tous les ressorts, tous les efforts, toutes les ressources de son art, pour arrêter les deux seuls ennemis qu'elle ait à craindre. Tel est le plan donné, & quel plan pour la musique ! Tout ce que la magie a de redoutable ou de séduisant, les tableaux de la plus grande force, les images les plus voluptueuses, des embrasemens, des orages, des tremblemens de terre, des fêtes brillantes, des enchantemens délicieux ; voilà ce que Quinault demandoit dans cet acte : c'est là le plan qu'il a tracé, que Lulli auroit dû suivre, & terminer en homme de génie par un entr'acte, dans lequel la magie auroit fait un dernier effort terrible, pour contraster avec la volupté qui devoit régner dans l'acte suivant.

Qu'on se représente cet acte exécuté de cette maniere, & qu'on le compare avec le plat assemblage des airs que Lulli y a faits ; qu'on daigne se ressouvenir de l'effet qu'a produit une fête très-peu estimable par sa composition, qui y a été ajoûtée lors de la derniere reprise, & qu'on décide ensuite s'il est possible à un poëte d'imaginer un plus beau plan, & à un musicien de le manquer d'une façon plus complete .

C'est donc le défaut seul d'expression dans la musique de cette partie d'Armide, qui l'a rendue froide, insipide, & indigne de toutes les autres. Telle est la suite sûre du défaut d'expression du musicien dans les grands desseins qui lui sont tracés : c'est toûjours sur l'effet qu'on les juge ; exprimés, ils paroissent sublimes ; sans expression, on ne les apperçoit pas, ou s'ils font quelque sensation, c'est toûjours au desavantage du poëte.

Mais ce n'est pas seulement dans ses symphonies que Lulli est repréhensible sur ce point ; ses chants, à l'exception de son récitatif, dont on ne parle point ici, & qu'on se propose d'examiner ailleurs (voyez RECITATIF), n'ont aucune expression par eux-mêmes, & celle qu'on leur trouve n'est que dans les paroles auxquelles ils sont unis. Pour bien développer cette proposition, qui heurte de front un préjugé de près de quatre vingt ans, il faut remonter aux principes.

La Musique est une imitation, & l'imitation n'est & ne peut être que l'expression véritable du sentiment qu'on veut peindre. La Poésie exprime par les paroles, la Peinture par les couleurs, la Musique par les chants ; & les paroles, les couleurs, les chants doivent être propres à exprimer ce qu'on veut dire, peindre ou chanter.

Mais les paroles que la Poésie employe, reçoivent de l'arrangement, de l'art, une chaleur, une vie qu'elles n'ont pas dans le langage ordinaire ; & cette chaleur, cette vie doivent acquérir un chant, par le secours d'un second art qui s'unit au premier, une nouvelle force, & c'est-là ce qu'on nomme expression en Musique. On doit donc trouver dans la bonne Musique vocale, l'expression que les paroles ont par elles-mêmes ; celle qui leur est donnée par la poésie ; celle qu'il faut qu'elles reçoivent de la musique ; & une derniere qui doit réunir les trois autres, & qui leur est donnée par le chanteur qui les exécute.

Or, en général, la musique vocale de Lulli, autre, on le répete, que le pur récitatif, n'a par elle-même aucune expression du sentiment que les paroles de Quinault ont peint. Ce fait est si certain, que sur le même chant qu'on a si long-tems crû plein de la plus forte expression, on n'a qu'à mettre des paroles qui forment un sens tout-à-fait contraire, & ce chant pourra être appliqué à ces nouvelles paroles, aussi-bien pour le moins qu'aux anciennes. Sans parler ici du premier choeur du prologue d'Amadis, où Lulli a exprimé éveillons-nous comme il auroit fallu exprimer endormons-nous, on va peindre pour exemple & pour preuve un de ses morceaux de la plus grande réputation.

Qu'on lise d'abord les vers admirables que Quinault met dans la bouche de la cruelle, de la barbare Méduse :

Je porte l'épouvante & la mort en tous lieux,

Tout se change en rocher à mon aspect horrible.

Les traits que Jupiter lance du haut des cieux,

N'ont rien de si terrible

Qu'un regard de mes yeux.

Il n'est personne qui ne sente qu'un chant qui seroit l'expression véritable de ces paroles, ne sauroit servir pour d'autres qui présenteroient un sens absolument contraire ; or le chant que Lulli met dans la bouche de l'horrible Méduse, dans ce morceau & dans tout cet acte, est si agréable, par conséquent si peu convenable au sujet, si fort en contre-sens, qu'il iroit très-bien pour exprimer le portrait que l'amour triomphant feroit de lui-même. On ne représente ici, pour abreger, que la parodie de ces cinq vers, avec les accompagnemens, leur chant & la basse. On peut être sûr que la parodie très-aisée à faire du reste de la scene, offriroit par-tout une démonstration aussi frappante.


EXPULSERterme de Medecine, chasser avec effort, pousser hors les humeurs, &c.

EXPULSER, terme de Pratique, chasser avec une sorte de violence & par autorité de justice : expulser se dit sur-tout d'un propriétaire qui voulant occuper sa maison par lui-même, force un locataire à la lui céder avant l'expiration de son bail. Voy. EVINCER.

L'usage est communément à Paris, qu'au cas d'expulsion par le propriétaire ou par l'acquéreur, on accorde six mois de joüissance gratuite au locataire, comme en dédommagement des dépenses qu'il a faites pour s'arranger dans la maison qu'on lui ôte, & de celles qu'il doit faire ensuite pour s'arranger dans une autre ; ce qui fort souvent n'est pas susceptible de compensation.

Quoi qu'il en soit, la faculté que la loi donne en certains cas d'expulser un locataire avant le terme convenu, paroît absolument contraire à l'essence de tous les baux : car enfin la destination, la nature, & la propriété d'un bail, c'est d'assûrer de bonne-foi au locataire l'occupation actuelle d'une maison pour un tems limité, à la charge par lui de payer certaine somme toutes les années, mais avec égale obligation pour les contractans, de tenir & d'observer leurs conventions réciproques, l'un de faire joüir, & l'autre de payer, &c.

Quand je m'engage à donner ma maison pour six ans, je conserve il est vrai la propriété de cette maison, mais je vends en effet la joüissance des six années ; car le loüage & la vente sont à-peu-près de même nature, suivant le droit romain ; ils ne different proprement que dans les termes ; & comme dit Justinien, ces deux contrats suivent les mêmes regles de droit : locatio & conductio proxima est emptioni & venditioni, iisdemque juris regulis consistit. Lib. III. instit. tit. xxv. Or quand une chose est vendue & livrée, on ne peut plus la revendiquer, l'acheteur est quitte en payant, & il n'y a plus à revenir : de-là dépendent la tranquillité des contractans & le bien général du commerce entre les hommes ; sans cela nulle décision, nulle certitude dans les affaires.

La faculté d'occuper par soi-même accordée au propriétaire malgré la promesse de faire joüir, portée dans le bail, est donc visiblement abusive & contraire au bien de la société. C'est ce qu'on nomme le privilége bourgeois ; c'est, à proprement parler, le privilége de donner une parole & de ne la pas tenir : pratique odieuse, par laquelle on accoûtume les hommes à la fraude & à se joüer des stipulations & des termes. Outre que par-là on fait pancher la balance en faveur d'une partie au desavantage de l'autre ; puisque tandis qu'on accorde au propriétaire la faculté de reprendre sa maison, on refuse au locataire la liberté de résilier son bail.

Au surplus si cette prérogative est injuste, elle est en même tems illusoire ; puisque le propriétaire pouvant y renoncer par une clause particuliere, les locataires qui sont instruits ne manquent point d'exiger la renonciation : ce qui anéantit dès lors le prétendu droit bourgeois ; droit qu'il n'est pas possible de conserver, à moins qu'on ne traite avec des gens peu au fait de ces usages, & qui soient induits en erreur par les notaires, lesquels au reste manquent essentiellement au ministere qui leur est confié, quand ils négligent de guider les particuliers dans la passation des baux & autres actes.

Un avocat célebre m'a fait ici une difficulté. Le notaire, dit-il, doit être impartial pour les contractans : or il cesseroit de l'être si, contre les vûes & l'intérêt du propriétaire, il instruisoit le preneur de toutes les précautions dont la loi lui permet l'usage pour affermir sa location. Tant pis pour lui s'il ignore ces précautions ; que ne s'instruit-il avant que de conclure ? que ne va-t-il consulter un avocat, qui seul est capable de le diriger ?

Il n'est pas difficile de répondre à cette difficulté : on avoue bien que le notaire doit être impartial, c'est un principe des plus certains ; mais peut-on le croire impartial, quand il n'avertit pas un locataire de l'insuffisance d'un bail qui ne lui assûre point un logement sur lequel il compte, & qui est souvent d'une extrème conséquence pour sa profession, sa fabrique, ou son commerce ? Peut-on le croire impartial, quand il cache les moyens de remédier à cet inconvénient, & qu'il n'exige pas les renonciations autorisées par la loi ? On veut que le moindre particulier, avant que d'aller chez un notaire, fasse une consultation d'avocat pour les affaires les plus simples : on veut donc que les citoyens passent la moitié de leur vie chez les gens de pratique. On sent que l'intérêt fait parler en cela contre l'évidence & la justice ; que sur la difficulté dont il s'agit, un notaire peut aussi-bien qu'un avocat donner des instructions suffisantes ; & l'on sent encore mieux qu'il le doit, en qualité d'officier public, chargé par état d'un ministere de confiance, qui suppose nécessairement un homme integre & capable, lequel se doit également à tous ceux qui l'employent, & dont la fonction est de donner aux actes l'authenticité, la forme & la perfection nécessaire pour les rendre valides.

Le notaire en faisant un bail doit donc assûrer autant qu'il est possible, l'exécution de toutes les clauses qui intéressent les parties ; il doit les interroger pour démêler leurs intentions, leur expliquer toute l'étendue de leurs engagemens ; & en un mot puisque la promesse de faire jouir, faite par le propriétaire, ne suffit pas pour l'obliger, s'il ne renonce expressément au privilége qu'il a de ne la pas tenir, il est de la religion du notaire d'insérer cette renonciation dans tous les baux, jusqu'à ce qu'une législation plus éclairée abroge tout-à-fait la prérogative bourgeoise, & donne à un bail quelconque toute la force qu'il doit avoir par sa destination, en suivant l'intention des parties contractantes.

Au surplus notre jurisprudence paroît encore plus déraisonnable, en ce qu'elle attribue à l'acquéreur d'une maison le droit d'expulser un locataire malgré la renonciation du vendeur au droit bourgeois : car enfin sur quoi fondé peut-on accorder l'expulsion dans ce dernier cas ? L'acquéreur supposé ne peut pas avoir plus de droit que n'en avoit le premier maître ; l'un ne peut avoir acquis que ce que l'autre a pû vendre : or l'ancien propriétaire ayant cedé la jouissance de sa maison pour un nombre d'années, ayant même renoncé, comme on le suppose, au droit d'occuper par lui-même & d'expulser son locataire pour quelque cause que ce puisse être, cette jouissance ne lui appartient plus ; & il n'en sauroit disposer en faveur d'un autre. Ainsi lié par ses engagemens & par ses renonciations, il ne peut plus vendre sa maison sans une reserve bien formelle en faveur du locataire ; reserve essentielle & tacite, qui, quand elle ne seroit pas énoncée dans le contrat de vente, ne perd rien pour cela de sa force, attendu que suivant les termes employés dans plusieurs baux, & suivant l'esprit dans lequel ils sont tous faits, le fonds & la superficie de la maison deviennent l'hypotheque du locataire. En un mot, l'ancien propriétaire ne peut vendre de sa maison que ce qui lui appartient, que ce qu'il n'a pas encore vendu, je veux dire la propriété ; il la peut vendre véritablement cette propriété, mais avec toutes les servitudes, avec toutes les charges qui y sont attachées, & auxquelles il est assujetti lui-même : telle est entr'autres la promesse de faire joüir, stipulée par un bail antérieur, & fortifiée des renonciations usitées en pareil cas ; promesse par conséquent qui n'oblige pas moins l'acquéreur que le propriétaire lui-même.

Au surplus, si l'usage que nous suivons facilite la vente & l'achat des maisons dans les villes, comme quelques-uns me l'ont objecté bien legerement, quelle gêne & quelle inquiétude ne jette-t-il pas dans toutes les locations, lesquelles au reste sont infiniment plus communes, & dès-là beaucoup plus intéressantes. D'ailleurs, si le privilége bourgeois étoit une fois aboli, on n'y penseroit plus au bout de quelques années, & les maisons se vendroient comme auparavant, comme on vend tous les jours les maisons de campagne & les terres, sans qu'il y ait jamais eu de privilége contre le droit des locataires.

De tout cela il résulte que le prince législateur étant proprement le pere de la patrie, tous les sujets étant réputés entr'eux comme les enfans d'une même famille, le chef leur doit à tous une égale protection : qu'ainsi toute loi qui favorise le petit nombre des citoyens au grand dommage de la société, doit être censée loi injuste & nuisible au corps national ; loi qui par conséquent demande une promte réforme. Telle est la prérogative dont il s'agit, & dont il est aisé de voir l'injustice & l'inconséquence.

Au reste il n'est pas dit un mot du privilége bourgeois dans la coûtume de Paris. La pratique ordinaire que nous suivons sur cela, vient originairement des Romains, dont la gloire plus durable que leur empire, a long-tems maintenu des usages que la sagesse & la douceur du Christianisme doivent, ce me semble, abolir.

Quoi qu'il en soit, les instituteurs de ce privilége, tant ceux qui l'ont introduit dans le droit romain, que ceux qui, ébloüis par ce grand nom, l'ont ensuite adopté parmi nous ; tous, dis-je, ont été des gens distingués, des gens en place, des gens en un mot qui possédoient des maisons ; lesquels entraînés par le mouvement imperceptible de l'intérêt, ont écouté avec complaisance les allégations du propriétaire qui leur étoient favorables, & qui en conséquence leur ont paru décisives : au lieu qu'à peine ont-ils prêté l'oreille aux représentations du locataire, qui tendoient à restraindre leurs prérogatives, & qu'ils ont rejettées presque sans examen. De sorte que ces rédacteurs, éclairés sans-doute & bien intentionnés, mais séduits pour lors par un intérêt mal-entendu, ont déposé dans ces momens le caractere d'impartialité, si nécessaire dans la formation des lois : c'est ainsi qu'ils ont établi sur la matiere présente des regles qui répugnent à l'équité naturelle, & qu'un législateur philosophe & desintéressé, un Socrate, un Solon, n'auroit jamais admises.

J'ai voulu savoir s'il y avoit dans les pays voisins un privilége bourgeois pareil au nôtre, j'ai sû qu'il n'existoit dans aucun des endroits dont j'ai eu des instructions ; seulement en Prusse, l'usage est favorable à l'acquéreur, mais nullement à l'ancien propriétaire. En Angleterre & dans le comtat Venaissin, l'usage est absolument contraire au nôtre ; & la réponse que j'en ai eue de vive voix & par écrit, porte qu'un bail engage également le propriétaire, l'acquéreur, les administrateurs, & autres ayant cause, à laisser joüir les locataires jusqu'au terme convenu ; pourvû que ceux-ci de leur côté observent toutes les clauses du bail : jurisprudence raisonnable & décisive, qui prévient à coup sûr bien des embarras & des procès.

Au surplus, j'ai insinué ci-devant que les propriétaires n'avoient dans le privilége bourgeois qu'un intérêt mal-entendu ; nouvelle proposition que je veux démontrer sensiblement : il suffit d'observer pour cela que si cette prérogative étoit abrogée, & que les locataires fussent pour toûjours délivrés des sollicitudes & des pertes qui en sont les suites ordinaires, ils donneroient volontiers un cinquantieme en sus des loyers actuels. Dans cette supposition qui n'est point gratuite, ce seroit une augmentation de trente livres par année sur une maison de quinze cent livres de loyer, ce seroit soixante francs d'augmentation sur une maison de trois mille livres ; ce qui feroit en cinquante ans cinq cent écus sur l'une, & mille écus sur l'autre : or peut-on évaluer l'avantage du privilége dont il s'agit, & dont l'usage est même assez rare par les raisons qu'on a vûes ; peut-on, dis-je, évaluer cet avantage à des sommes si considérables, indépendamment des pertes que le propriétaire essuie de son côté par les embarras & les frais de procédure, dédommagement des locataires, &c. ?

Sur cela, c'est aux bons esprits à décider si l'usage du privilége bourgeois n'est pas véritablement dommageable à toutes les parties intéressées, & par conséquent, comme on l'a dit, à toute la société.

Mais je soûtiens de plus, que quand il y auroit du desavantage pour quelques propriétaires dans la suppression de ce privilége, ce ne seroit pas une raison suffisante pour arrêter les dispensateurs de nos lois ; parce qu'outre que la plus grande partie des sujets y est visiblement lésée, cette partie est en même tems la plus foible, & cependant la plus laborieuse & la plus utile. C'est elle qui porte presque seule la masse entiere des travaux nécessaires pour l'entretien de la société, & c'est conséquemment la partie qu'il faut le plus ménager, pour l'intérêt même des propriétaires : vérité que notre jurisprudence reconnoît bien dans certains cas ; par exemple, lorsqu'elle permet au locataire de retroceder un bail, malgré la clause qui l'assujettit à demander pour cela le consentement du maître. C'est que les juges instruits par l'expérience & par le raisonnement, ont senti que l'intérêt même du propriétaire exigeoit cette tolérance, le plus souvent nécessaire pour la sûreté des loyers.

Les anciens législateurs qui ont admis la prérogative bourgeoise, ne comprenoient pas sans-doute que l'utilité commune des citoyens devoit être le fondement de leurs lois, & devoit l'emporter par conséquent sur quelques intérêts particuliers. Ils ne considéroient pas non plus qu'au même tems qu'ils étoient propriétaires, plusieurs de leurs proches & de leurs amis étoient au contraire dans le cas de la location, que plusieurs de leurs descendans y seroient infailliblement dans la suite, & qu'ils travailloient sans y penser contre leur patrie & contre leur postérité. Article de M. FAIGUET.


EXPULSIFadj. terme de Chirurgie ; espece de bandage dont on se sert pour chasser en-dehors le pus du fond d'un ulcere fistuleux ou caverneux, & donner occasion à la cavité de se remplir de bonnes chairs, ou pour procurer le recolement des parois. Ce bandage n'est que contentif des compresses graduées nommées expulsives. Voyez COMPRESSES.

On observe dans ce bandage, que les circonvolutions de la bande s'appliquent de façon qu'elles compriment du fond de l'ulcere vers son ouverture. (Y)


EXPULSIONS. f. (Jurisp.) en terme de Palais, signifie la force que l'on employe pour faire sortir quelqu'un d'un endroit où il n'a pas droit de rester. Le procès-verbal d'expulsion est le récit de ce qui se passe à cette occasion : il est ordinairement fait en vertu d'un jugement ou ordonnance qui permet l'expulsion. On expulse un locataire ou fermier qui est à fin de bail & qui ne veut pas sortir, ou faute de payement des loyers & fermages : le jugement qui permet l'expulsion autorise ordinairement aussi à mettre les meubles sur le carreau. On expulse aussi un possesseur intrus, qui est condamné à quitter la joüissance d'un héritage. Voyez CONGE, FERMIER, LOCATAIRE, RESILIATION. (A)

EXPULSION, s. f. (Medecine) ce terme signifie la même chose qu'excrétion, évacuation ; c'est l'action par laquelle la nature décharge le corps de quelque matiere récrémentitielle ou morbifique, soit par la voie des selles ou des urines, soit par tout autre organe secrétoire & excrétoire. Voyez les art. EXCRETION, EVACUATION, DEJECTION, CRISE. (d)


EXSPECTATIONS. f. (Medecine) c'est un terme emprunté du latin par les Medecins, qui en général, ne l'employent même que rarement : il est presque affecté à la doctrine de Stahl & de ses sectateurs, dans les écrits desquels on le trouve souvent, soit qu'ils l'adoptent sous certaines significations, soit qu'ils le rejettent sous d'autres.

En effet, ce mot peut être pris dans différentes acceptions, qui ont cependant cela de commun, qu'elles servent toutes à désigner le genre de conduite du malade ou du medecin dans le cours de la maladie, qui consiste en ce que l'un ou l'autre évite, plus ou moins, d'influer sur l'évenement qui la termine, laisse agir la nature, ou attend ses opérations pour se déterminer à agir.

On peut donc distinguer plusieurs sortes d'expectations : la premiere peut être considérée, par rapport au malade, entant qu'elle a lieu, ou parce qu'il n'y a pas d'autre parti à prendre, ou parce qu'il prend celui-là de propos délibéré, c'est-à-dire, dans le premier cas, lorsqu'il n'est pas à portée de recevoir des secours de l'art, ou qu'il n'est pas en état, en disposition de s'en fournir par quelque cause que ce soit : dans le second cas, lorsqu'il est dans l'idée que les secours sont inutiles ou nuisibles, & qu'il s'obstine à ne vouloir point en recevoir. Comme il y a bien des maladies qui se sont guéries par la nature seule livrée à elle-même, une telle conduite, toute hasardeuse & imprudente qu'elle est, peut être par conséquent suivie d'un heureux succès dans bien des occasions ; c'est par cette considération que Stahl n'a pas craint d'établir dans une dissertation, qu'il existe une medecine interne, c'est-à-dire des moyens de guérir les maladies indépendamment d'aucun secours de l'art ; ergò existit medicina sine medico, conclud cet auteur.

L'exspectation de cette premiere espece peut aussi être considérée, par rapport au medecin, comme ayant lieu dans le cas où il affecte de ne point employer des remedes, des médicamens, dans le traitement des maladies, ou pour mieux dire, lorsqu'il ne les traite point, & qu'il se borne à être spectateur oisif des efforts de la nature, à en attendre les effets.

L'exspectation ainsi conçue à l'égard du malade & du medecin, est une attente pure & simple ; elle n'est autre chose qu'une véritable inaction, de laquelle on ne peut aucunement dire qu'elle soit une méthode de traiter les maladies. Nous verrons dans la suite ce qu'on doit penser d'une telle conduite, qui est directement opposée à celle que tiennent ceux dont le système les porte à ne compter que sur les secours de l'art pour la guérison des maladies.

L'exspectation de la seconde espece ne differe de la précédente, que par les apparences d'un traitement sous lesquelles on la masque ; elle n'est pas plus méthodique, quoiqu'elle puisse quelquefois être plus fondée en raison : elle a donc lieu, lorsqu'un medecin ayant pour principe, dans la pratique, de tout attendre de la nature pour la guérison de la maladie, cache sa défiance des secours de l'art, par l'usage des seuls remedes qui sont sans conséquence, & qui ne produisent presque d'autre effet que celui d'amuser les malades, & de remplir le tems en attendant l'évenement des maladies.

La même chose peut avoir lieu, lorsque le medecin trop ignorant, en général, pour savoir ordonner des remedes à-propos, ou ne connoissant pas le genre de maladie qu'il a à traiter, est assez timide ou assez prudent pour éviter de nuire, lorsqu'il ne peut pas être utile, & se borne aussi à ne faire que gagner du tems & à soûtenir la confiance du malade en paroissant travailler à sa guérison, sans faire réellement rien de ce qui peut contribuer à la procurer.

L'exspectation dans ce dernier cas, est proprement ce que les Latins appellent cunctatio ; c'est un retardement motivé ; c'est le rôle du temporiseur sage & adroit qui attend à connoître avant d'agir, qui ne se détermine point tant qu'il ne voit pas clair, & qu'il espere d'avoir des indications plus décidées à suivre.

Ces différens traitemens, quoique sans conséquence dans la supposition, sont souvent suivis d'un heureux succès, dont le medecin se fait honneur & profit, tandis qu'il n'a, tout au plus, d'autre mérite que celui d'avoir laissé agir la nature, de ne l'avoir pas troublée dans ses opérations. C'est la considération de pareilles cures, qui a fourni à Stahl le sujet d'une dissertation inaugurale, de curatione aequivocâ, dans laquelle il diminue très-considérablement le très-grand nombre de prodiges en fait de guérisons, que l'on attribue souvent, même de bonne foi, aux secours de l'art. Il prouve que les medecins anodyns sont des vrais exspectans, sans s'en douter, sans savoir même en quoi consiste l'exspectation, sans en connoître le nom : ils n'ordonnent que des remedes doux, benins, des petites saignées, des purgatifs legers, des juleps, des eaux distillées qui ne produisent que peu de changemens dans la disposition des malades, qui n'empêchent pas, ne troublent pas l'opération de la nature, quoiqu'ils soient le plus souvent placés sans être indiqués, & même contre ce qui est indiqué.

Enfin, l'exspectation de la troisieme espece peut être regardée comme un moyen d'observer ce que la nature fait dans les maladies, en reconnoissant son autocratie (voyez NATURE), en lui laissant le tems d'agir conformément aux lois de l'économie animale, sans s'opposer aux efforts de cette puissance motrice par des remedes qui pourroient produire des changemens contraires à ce qu'elle fait pour détruire la cause morbifique (voy. COCTION) ; en attendant qu'elle donne le signal de lui fournir des secours par les phénomènes indiquans ; ensorte que les medecins qui prennent cette sorte d'exspectation pour regle dans le traitement des maladies, ne restent dans l'inaction qu'autant qu'il faut pour être déterminés à agir de concert avec la nature.

Telle est la méthode que suivoit & qu'enseigne, dans toutes ses oeuvres admirables, le grand Hippocrate, curatio methodica ; c'est donc mal-à-propos que l'on reprocheroit à ceux qui s'y conforment dans leur pratique, d'être des spectateurs oisifs : ce n'est que cette sage exspectation qu'a célebrée & recommandée la fameux Stahl, en proscrivant toute autre inaction dans le traitement des maladies, qui ne seroit pas fondée sur les regles qui établissent le concours de la nature & de l'art, dans tous les cas où celui-ci peut être utile.

Pour se convaincre que la grande maxime, l'expecta de cet auteur, ne mérite pas le ridicule qu'on a voulu y attacher, en ne jugeant, pour ainsi dire, que sur l'étiquette du sac, on n'a qu'à lire avec attention son commentaire sur le traité de Gédeon Harvé de curatione morborum per exspectationem ; on y verra qu'il n'a fait qu'insister sur la pratique des anciens, qui étoit toute fondée sur l'observation, à la faveur de laquelle ils attendoient, à la vérité, les effets qui fournissent les indications pour se déterminer à agir ; mais qui agissoient lorsqu'ils jugeoient que les secours pouvoient être utiles, à plus forte raison lorsqu'ils leur paroissoient nécessaires ; qui voyoient par consequent dans la plûpart des préceptes du pere de la Medecine, des conseils d'agir, mais après l'attente du tems favorable, des mouvemens préparatoires aux crises annoncées par la marche de la nature étudiée, connue par une longue suite d'observations ; crises, que l'art peut favoriser, diriger, mais qu'il ne peut pas suppléer, parce que la nature seule opere les coctions qui doivent nécessairement précéder les crises. Voyez COCTION.

Il n'est pas moins aisé de justifier les modeles que se proposent les partisans de l'exspectation méthodique dont il s'agit actuellement, & de les justifier par leurs propres écrits, des imputations des modernes systématiques ; ceux-ci, sans égard pour les observations des anciens, pour les regles que ceux-ci ont établies d'après l'étude de la nature, de la vraie physique du corps humain, regardent cette doctrine (avec autant d'injustice, de hardiesse & d'ignorance qu'Asclepiade le fit autrefois), comme une longue méditation sur la mort : ils croyent qu'Hippocrate & ses sectateurs n'agissoient point dans le cours des maladies, ne fournissoient aucun secours, & se bornoient à observer, à peindre la nature aux prises avec la cause morbifique ; à attendre l'évenement, sans concourir à faire prendre aux maladies une tournure avantageuse ; & cela, parce que ces anciens maîtres ne se hâtoient pas, comme on fait de nos jours, d'ordonner des remedes sans attendre qu'ils fussent indiqués par les phénomènes de la maladie : parce qu'ils ne faisoient pas dépendre, comme on fait de nos jours, la guérison des maladies de la seule action des remedes ; parce qu'ils n'avoient point de méthode de traiter indépendante de l'observation de chaque maladie en particulier ; parce qu'ils n'avoient point de regle générale d'après laquelle ils dûssent, par exemple, saigner ou purger dans les fievres continues, alternis diebus, sans examiner si la disposition actuelle du malade comportoit l'usage des remedes qu'ils employoient.

Mais toutes ces raisons, bien loin de fournir des conséquences contre ce grand medecin, ne peuvent servir, lorsqu'on les examine sans prévention, qu'à démontrer l'imprudence de la pratique impérieuse des modernes, & établir, par opposition, la sagesse de la méthode modeste & circonspecte des anciens : celle-ci n'est continuellement occupée à observer, que pour agir avec connoissance de cause, que pour ne pas employer des secours, sans qu'ils soient indiqués par la nature même qui en a besoin, c'est-à-dire par l'état actuel de la maladie qui les exige, par la disposition aux effets qu'ils doivent opérer.

Il faut cependant convenir que sur ces principes ils agissoient très-peu, parce que la nature ayant la faculté par elle-même de guérir la plûpart des maladies, présente très-rarement des occasions de suppléer à son défaut par le secours de l'art : ils ne les employoient donc que pour aider dans les besoins bien marqués : ils ne connoissoient pas une infinité de moyens de l'aider sans la troubler, parce que leur matiere médicale étoit encore très-bornée, & réduite à des drogues presque toutes très-fortes, très-actives : s'il avoient eu nos minoratifs, ils auroient moins craint de purger ; ils en auroient fait usage pour favoriser, pour soûtenir la disposition de la nature, sa vergence à procurer une évacuation de la matiere morbifique par la voie des selles ; mais ils ne connoissoient pas ces minoratifs ; ils ne pouvoient donc pas agir dans bien des cas où nous pouvons le faire, pour aider la nature dans ses opérations ; ils connoissoient encore moins l'art de ne faire qu'amuser par des secours inutiles, sans conséquence : la medecine politique n'étoit pas encore inventée, & substituée à la vraie medecine : on n'avoit pas encore l'adresse de savoir s'attribuer, comme on fait à présent, l'honneur d'une cure qu'on n'a pas même sû favoriser, à laquelle on a peut-être eu la mal-adresse de s'opposer, en contrariant la nature qui travailloit à la procurer : ensorte que cette puissance médicatrice a souvent à surmonter tous les obstacles de la guérison, autant par rapport au traitement de la maladie, qu'à la maladie elle-même.

Les principes de la méthode exspectante des anciens, que l'on trouve répetée par-tout dans tous leurs ouvrages, étoient bien différens, ainsi qu'il a été ci-dessus établi. Le divin Hippocrate les a admirablement rédigés dans ses aphorismes : & les a ainsi réduits en regles faciles à suivre, & solidement appuyées sur son recueil d'observations concernant les maladies épidémiques ; regles qui ont été adoptées par le plus grand nombre des medecins qui l'ont suivi, convaincus par leurs propres observations, de la vérité de celles de leur chef.

C'est donc d'après ces regles que l'on doit juger les anciens ; que l'on doit voir si leur spéculation ne menoit qu'à l'inaction, ne tendoit qu'à faire des spectateurs oisifs : il suffira, pour le sujet dont il s'agit ici, d'ouvrir le livre des aphorismes, & d'examiner quelques-uns de ceux qui se présentent : ne voit-on pas, par exemple, que dans l'aphoris. jx. sect. 2. cet auteur recommande qu'avant de purger les malades, on rende leur corps fluide, c'est-à-dire qu'on dispose aux excrétions les humeurs morbifiques, en les délayant suffisamment, en favorisant la coction de ces humeurs, afin qu'elles puissent sortir avec facilité : ce précepte ne renferme-t-il pas des conseils d'agir ? n'annonce-t-il pas que l'art doit favoriser & procurer la purgation ? mais en même tems notre auteur veut qu'on attende le tems convenable pour la procurer : voilà donc aussi un conseil d'exspectation ; mais elle n'est pas oisive cette exspectation, puisqu'il entend qu'on employe le tems à préparer le corps à l'évacuation qui doit suivre.

Telle est la maniere dont ce grand maître établit ses regles : maniere raisonnée, qui a servi de fondement à la medecine dogmatique, qui lui a fait connoître les exceptions à ces mêmes regles, lorsqu'elles en ont été susceptibles ; ainsi, par rapport à celle qui vient d'être rapportée, comme il est des cas dans lesquels la préparation à la purgation n'est pas nécessaire, lorsque l'humeur morbifique est abondante & disposée à pouvoir être évacuée tout de suite ; il recommande (aphor. xxjx. sect. 2.) que, les choses étant ainsi, même au commencement des maladies, l'on se hâte de procurer l'évacuation de cette humeur : il condamne l'exspectation dans ce cas, comme pouvant être nuisible, sans être en contradiction avec lui-même, à l'égard de l'aphor. xxij. sect. 1. dans lequel il établit expressément, que l'on doit seulement purger les humeurs qui sont cuites, & non pas celles qui sont encore crues, & qu'il faut bien se garder de purger au commencement des maladies : dans le premier cas, il suppose que la coction n'est pas nécessaire, que les humeurs morbifiques ont actuellement les qualités qu'elle pourroit leur donner : il n'y a donc pas de disposition plus favorable à attendre : dans le second cas, cette disposition à l'excrétion des humeurs n'existe pas ; il y a donc lieu à l'exspectation pour préparer à la coction, & donner le tems à ce qu'elle se fasse avant que d'agir, pour procurer l'évacuation : il donne une leçon bien plus importante (aphor. xxj. sect. 1.), qui prouve d'une maniere convaincante, qu'il étoit bien éloigné de ne conseiller qu'une exspectation oisive : cette leçon consiste à faire observer qu'il est très-nécessaire de prendre garde au cours que la nature donne aux humeurs : d'où elles viennent : où elles vont, & d'en procurer l'évacuation par les voies vers lesquelles elles tendent : il faut donc agir dans ce cas : pour procurer cette évacuation ; mais il ne faut pas le faire sans considération ; il faut attendre que les humeurs à évacuer se soient portées dans les couloirs qui leur conviennent, & en favoriser, en procurer l'excrétion par ces mêmes couloirs.

On pourroit rapporter un très-grand nombre d'autres preuves de ce que l'on a avancé ci-devant, tirées de toutes les parties des ouvrages du prince des Medecins, pour démontrer qu'en recommandant l'exspectation dans plusieurs cas, il ne se proposoit point de défendre l'usage des secours de l'art, mais il le perfectionnoit, en la faisant servir à le diriger, en le subordonnant à l'observation des phénomenes que l'expérience a appris être propres à indiquer les cas, où ces secours peuvent être employés utilement : en un mot, en établissant que c'est la nature qui guérit les maladies : qu'elle n'a besoin du medecin, que pour l'aider à les guérir plûtôt, plus sûrement & plus agréablement, lorsqu'elle ne se suffit pas à elle-même pour cet effet ; que celui qui fait les fonctions de medecin, peut tout au plus se flater d'avoir bien secondé cette puissance dans les cures qu'il paroît opérer, parce qu'il est par conséquent très-rare que l'art soit utile dans le traitement des maladies, parce que ses véritables regles, qui ne doivent-être dictées que par l'observation, sont très-peu connues, parce qu'il n'est de vrais medecins que ceux qui les connoissent, & qui sont persuadés que la principale science du guérisseur consiste à bien étudier & à bien savoir quid natura faciat & ferat, & à ne faire que concourir avec elle.

On ne peut s'assûrer de ce que la nature s'efforce de faire, & de ce qui peut résulter de ses efforts, qu'en attendant les phénomenes qui indiquent le tems où on peut placer les remedes avec succès (voyez SIGNE, INDICATION ; c'est par cette considération que le célebre Hoffman (tom. III. sect. 11. chap. xj. vers. 7.), regarde l'exspectation méthodique, comme un grand secret pour réussir dans la pratique de la Medecine. Cette exspectation, qui non-seulement n'est pas une inaction pure & simple, ni une spéculation oisive, mais une conduite éclairée du medecin, qui influe réellement sur l'évenement des maladies, & qui tend à le rendre heureux : conduite qui consiste à attendre de la nature le signal d'agir : lorsqu'elle peut le donner à propos, & à employer ce tems d'attente à préparer par des moyens convenables, qui n'excitent aucun trouble, aucun mouvement extraordinaire, les changemens, à l'opération desquels il se propose de concourir ensuite par des moyens plus actifs, plus propres à procurer les excrétions, les crises, si elles ont besoin d'être excitées : à laisser ces mouvemens salutaires à eux-mêmes, lorsque la préparation suffit pour que les coctions, les crises s'effectuent autant qu'il est nécessaire, lorsque la nature est assez forte, &, pour ainsi dire, en assez bonne santé (quoique dans un corps où sont des causes morbifiques) pour se suffire à elle-même ainsi qu'elle fait dans presque tous les sujets robustes, bien constitués, qui guérissent si souvent de bien des maladies considérables, sans secours de medecins, mais non pas sans ceux de la medecine naturelle, que la divine Providence a attachée à la seule disposition de la machine animale, mise en oeuvre par une puissance motrice, toûjours portée à éloigner tout ce qui peut nuire à la conservation de l'individu, même dans les efforts qui paroissent être le plus contraire à cette conservation : puissance, dont l'essence est autant inconnue, que ses opérations sont évidentes & assez généralement utiles, pour qu'on doive y avoir égard. C'est sur ce fondement que porte absolument la doctrine de l'exspectation, qui consiste par conséquent à observer l'ordre le plus constant de ces opérations, ce qui les précede & ce qui les suit : doctrine dont les connoissances qui la forment, ne peuvent qu'être acquises avec beaucoup de peine, & par une étude continuelle de l'histoire des maladies, recueillie par les grands maîtres qui ont suivi cette doctrine ; par une extrème application à observer, à recueillir, à comparer les faits, ainsi qu'ils l'ont pratiqué eux-mêmes : c'est le seul moyen que l'on ait pour parvenir à être aussi utiles qu'eux au genre humain, présent & futur.

Mais c'est un moyen trop difficile à employer, pour qu'il n'ait pas été négligé, & même rejetté par ceux qui ont voulu abreger le chemin qui conduit à la réputation & à la fortune : la facilité de faire des systèmes, de les adopter, d'en imposer au public, pour qui le rideau est toûjours tiré sur les vérités qui caractérisent la science médicinale, a fourni l'expédient : on a étudié la physique du corps humain dans le cadavre, mais non pas celle du corps vivant, qui paroît être généralement plus ignorée que jamais : on s'est montré plus savant dans les écoles, dans les livres, depuis la découverte de la circulation du sang ; mais on n'a presque rien fait pour l'avancement de l'art de guérir ; on a multiplié les remedes à l'infini : on en a même trouvé de nouveaux, mais il n'y a pas moins de maladies mortelles, de maladies longues, incurables. Tous ces défauts ne peuvent raisonnablement être attribués qu'à l'abandon qu'on a fait de la route tenue par les anciens, c'est-à-dire de l'observation à la faveur de laquelle ils avoient fait de très-grand progrés, en très-peu de tems : progrès qui ont été suspendus, dès qu'on a cessé d'observer ; par conséquent, depuis plusieurs siecles, & particulierement depuis que l'on ne s'est occupé dans l'étude de la Medecine, que des productions de l'imagination, auxquelles on s'est efforcé de soûmettre, d'adapter la pratique de l'art ; depuis qu'on fait consister cet art dans le seul usage des remedes, dont on ne tire l'indication que de l'idée que l'on se forme sur la nature de la cause morbifique : idée le plus souvent conçûe d'après les hypothèses que l'on a embrassées : enfin depuis que l'on ne fait aucune attention aux différens mouvemens salutaires, ou tendans à l'être, qui s'operent dans le cours des maladies, indépendamment d'aucun secours, aux efforts de la puissance conservatrice, pour le bien de son individu (voyez EFFORT), & que l'on trouble tout dans l'ordre des maturations, des coctions, des crises, qui sont les opérations par lesquelles les maladies les plus violentes peuvent être terminées heureusement, même sans aucun secours, dont le défaut, par conséquent, est bien moins nuisible que le mauvais usage ; d'oû on seroit fondé à conclure, que l'abus de la Medecine a rendu cette science plus pernicieuse que secourable à l'humanité.

Mais comment a-t-on jamais sû que la nature seule pouvoit produire de bons effets, si ce n'est par le moyen de l'observation ? & a-t-on pû observer ces effets, sans laisser à elle-même la cause qui les produit ? Il a donc fallu attendre pour observer : on ne peut, par conséquent, réparer tous les défauts de la pratique de nos jours, qu'en rétablissant l'exspectation, à la faveur de laquelle seule, on peut apprendre à agir avec méthode ; pour secourir les hommes dans leurs maladies, & sans laquelle on ne parviendra jamais à rendre l'art de guérir, digne de son nom, & aussi utile au genre humain, qu'il est susceptible de l'être. Voyez MEDECINE, METHODE CURATIVE, &c. (d)


EXSUCTIONS. f. Ce terme est employé par M. Quesnay, essai physiq. pour signifier l'extraction qui se fait du suc des alimens, par le méchanisme de la digestion. Voyez DIGESTION. (d)


EXTASES. f. (Théolog.) ravissement de l'esprit hors de son assiete naturelle, ou situation dans laquelle un homme est transporté hors de lui-même, de maniere que les fonctions de ses sens sont suspendues.

Le ravissement de S. Paul jusqu'au troisieme ciel, étoit ce que nous appellons extase. L'histoire ecclésiastique fait foi que plusieurs saints ont été ravis en extase pendant des journées entieres. C'est un état réel, trop bien attesté pour qu'on puisse douter de son existence.

Mais comme le mensonge & l'imposture s'efforcent de copier la vérité, & d'abuser de choses d'ailleurs innocentes, il est bon d'observer que les faux mystiques, les enthousiastes, les fanatiques ont supposé des extases, pour tâcher d'autoriser leurs rêveries ou leurs impiétés. Le faux prophete Mahomet persuada aux Arabes ignorans que les accès d'épilepsie auxquels il étoit sujet, étoient autant d'extases où il recevoit des révélations divines. (G)

EXTASE, s. m. (Medecine) Ce terme, dérivé du grec, est employé sous différentes significations par les auteurs ; Hippocrate s'en sert en plusieurs endroits de ses ouvrages, pour marquer une aliénation d'esprit très-considérable, un délire complet, tel que celui des phrénétiques, des maniaques. Voyez les coaques, text. 486. lib. II. les prorethiques, XVI. 12. 13. 14.

Sennert, prax. medic. lib. I. part. II. cap. xxx. parle aussi de l'extase en différens sens ; il lui donne entr'autres, avec Scaliger, celui d'enthousiasme, quoique très-impropre. Voyez ENTHOUSIASME.

L'usage a prévalu d'appeller extase une maladie soporeuse en apparence, mais mélancolique en effet, dans laquelle ceux qui en sont affectés, sont privés de tout sentiment & de tout mouvement, semblent morts, & paroissent quelquefois roides comme une statue, sans l'être, autant que dans le tetane & le catochus ; ils n'ont par conséquent pas la flexibilité des cataleptiques : ils en sont distingués d'ailleurs, en ce qu'ils avoient avant l'attaque, l'esprit fortement occupé de quelqu'objet, & qu'ils se le rappellent souvent apres l'accès extatique. Ils ont cependant cela de commun, que s'ils sont debout, ils restent dans cette situation immobiles, & de même de toute autre attitude dans laquelle ils peuvent être surpris par l'attaque. Voyez CATALEPSIE.

Nicolas Tulpius, Henri de Hers & autres, rapportent des observations, par lesquelles ils assûrent avoir vû des filles & de jeunes hommes passionnément amoureux tomber dans l'extase, par le chagrin de ce qu'on leur refusoit l'objet de leur passion, & n'en revenir que parce qu'on leur crioit qu'on la satisferoit. La dévotion produit aussi quelquefois cet effet, comme il en conste par l'observation du Capucin, dont parle le même Henri de Hers. M. de Sauvage dit dans ses classes de maladies, avoir vû en 1728 à Montpellier, un homme qui ayant oüi dire qu'on devoit le faire prendre pour le traduire en prison, en fut si frappé de peur, qu'il en perdit le mouvement & le sentiment : on avoit beau crier, l'interroger, le pincer, il ne bougeoit ni ne disoit mot ; il tenoit les yeux à demi-ouverts, retenant toûjours la même attitude dans laquelle il avoit été saisi d'épouvante.

Les saignées, les émétiques, les clysteres acres, irritans ; les sternutatoires, les cauteres actuels ; tous ces remedes employés avec prudence, séparément ou conjointement, selon que le cas l'exige, peuvent remplir toutes les indications dans cette maladie. On doit avoir attention de ne faire d'abord usage que des moins violens : en passant par degrés aux plus actifs. (d)


EXTENSEURadj. pris subst. (Anat.) est le nom d'un muscle qui produit le mouvement des os, que les Anatomistes appellent extension.

Ce mouvement est opposé à la flexion, & devient même une flexion en sens contraire, si la forme de l'articulation ne s'y oppose, comme on le voit dans les splenius & complexus, dans les cubitaux & radiaux externes, dans les extenseurs des doigts du pié, &c.

Les muscles extenseurs des doigts de la main & du pié, n'ont point d'autre nom que celui qu'ils tirent de leur fonction. M. Morgagni observe que les muscles du pouce & des autres doigts de la main, surtout les extenseurs, présentent beaucoup de variétés dans les différens sujets, pour ce qui regarde le nombre & la distribution de leurs tendons, & qu'on ne peut en promettre une description bien certaine. Voyez ses adversar. anat. II. pag. 40. On peut appliquer cette remarque aux extenseurs des orteils, comme nous verrons plus bas.

L'extenseur commun des doigts de la main, vient de la partie postérieure & inférieure du condyle externe de l'humerus ; il sort d'une gaine tendineuse qui enveloppe & pénetre les muscles anconé, radial & cubital externes : il se divise en trois portions charnues, terminées par trois tendons qui passent sous le ligament annulaire commun externe du poignet. Un quatrieme tendon qui va au petit doigt, mais qu'on ne trouve pas toûjours, passe pour un anneau particulier du même ligament. Les extrémités de ces tendons s'inserent aux tubercules oblongs & transverses des parties supérieures externes des têtes des secondes phalanges ; ensuite elles s'écartent latéralement en deux bandelettes qui se réunissent encore, & s'attachent aux faces convexes des troisiemes phalanges près de leurs bases.

L'extenseur propre du petit doigt est enveloppé dans son principe de la gaine tendineuse du coude, dont il est parlé ci-dessus. Il est attaché le long de la moitié supérieure externe de l'os du coude. Son tendon divisé superficiellement dans le trajet sur le dos de la main, accompagne le quatrieme tendon de l'extenseur commun, & s'unit avec lui sur le quatrieme os du métacarpe.

L'extenseur propre de l'index, qu'on appelle aussi indicateur, vient par un principe tendineux de la partie externe & moyenne du cubitus, au-dessous de l'attache du grand extenseur du pouce. Il est encore un peu attaché au ligament inter-osseux ; il se termine par un tendon qui passe par le ligament annulaire des tendons de l'extenseur commun, & qui s'unit avec le tendon de ce muscle qui va au doigt index, au-dessus de la tête du premier os du métacarpe.

Le petit extenseur du pouce de la main vient de la partie externe & presque supérieure de l'os du coude ; il s'attache ensuite au ligament inter-osseux, forme un tendon qui passe dans le sinus antérieur de la tête inférieure du rayon, & s'unit avec le tendon du grand extenseur du pouce, sur la partie convexe de la base de la seconde phalange.

Le grand extenseur du pouce de la main, tire son origine de la partie externe & moyenne du cubitus ; il s'attache aussi au ligament inter-osseux, & à la partie moyenne du radius. Son tendon passe sous le ligament transversal externe du poignet ; & après s'être uni avec le tendon du petit extenseur ; va se terminer à la partie convexe de la troisieme phalange, près la base.

Le long extenseur des doigts du pié, vient du côté externe de la tête du tibia, de l'épine antérieure de la tête du péroné ; de la partie supérieure du ligament inter-osseux : il est attaché le long de la face interne du péroné. En passant sous le ligament annulaire commun, il se divise en quatre tendons qui se portent sur la face supérieure des quatre derniers orteils.

Le court extenseur des orteils vient de la partie supérieure & antérieure du calcaneum & de l'astragal ; il se divise en quatre tendons, dont le premier s'attache à la partie convexe de la premiere phalange du pouce. Les autres tendons forment dans les trois doigts suivans, avec les tendons du long extenseur, des tendons communs qui s'inserent aux secondes phalanges de ces doigts : de-là les tendons des deux extenseurs se séparent ; & s'unissant derechef, se terminent aux troisiemes phalanges.

L'extenseur propre du pouce est attaché aux trois quarts supérieurs de la face interne du péroné, à la partie voisine du ligament inter-osseux, & un peu à l'extrémité inférieure du tibia. Son tendon s'insere à la partie supérieure de la premiere tête de la derniere phalange du pouce.

Cowper, & après lui Douglas, ont admis un court extenseur du gros orteil ; mais ce muscle, par leur description, semble faire partie du court extenseur des orteils, ainsi que l'a pensé M. Albinus. Voyez son ouvrage intitulé, Historia musculorum hominis, pag. 603.

Il est aisé d'expliquer l'extension libre de chaque doigt de la main, & l'extension nécessairement simultanée des quatre doigts du pié après le pouce, par la différence des extenseurs des doigts de la main & du pié. La myographie comparée du chien, donnée par M. Douglas, explique aussi la simultanéité de l'extension des doigts de cet animal.

On trouvera la comparaison des muscles extenseurs & fléchisseurs, dans l'article FLECHISSEUR. (g)


EXTENSIBILITÉS. f. (Phys.) est la propriété que certains corps ont de pouvoir souffrir de l'extension. Ce mot se dit principalement des cordes, des métaux, &c. Voyez DUCTILITE & EXTENSION.


EXTENSIONS. f. (Phys.) en parlant des corps, est la même chose qu'étendue. Voyez ETENDUE.

EXTENSION signifie aussi la même chose que dilatation, expansion, raréfaction. Voyez ces mots.

On voit une preuve bien sensible de l'extension des métaux par la chaleur, à la machine de Marly : toutes les barres qui servent à communiquer le mouvement des roues, varient tellement de longueur, qu'on a été obligé de faire plusieurs trous à l'endroit de leur jonction, pour les ajuster entr'elles à proportion de leur longueur. Supposant deux tiers de ligne pour l'allongement d'une barre de fer de six piés, ce seroit six pouces sur cent toises ; ce qui produiroit dans le jeu des pistons un dérangement considérable, sans la précaution dont on vient de parler. La chaleur, ainsi que le froid, doivent par cette raison déranger souvent les horloges de clocher : la même raison peut influer quelquefois sur les montres de poche. D'habiles artistes ayant remarqué que l'extension du fer parle chaud, est à celle du cuivre comme 3 à 5, ont employé cette idée d'une maniere ingénieuse pour donner aux verges des pendules une forme telle, qu'elles ne souffrent point d'extension par la chaleur. Voici en général & en peu de mots une idée des moyens qu'ils ont employés pour cela. Ils ont attaché la verge de fer à la partie supérieure d'un cylindre de laiton : ce cylindre est fixement attaché par sa partie inférieure ; il se dilate de bas en-haut, tandis que la verge se dilate de haut en-bas ; & en faisant la longueur du tuyau à celle de la verge, comme 3 à 5, il est visible que le tuyau sera autant dilaté de bas en-haut, que la verge de haut en-bas, & qu'ainsi la distance de l'extrémité inférieure de la verge à l'extrémité inférieure & fixe du tuyau, sera constante, donc si le point autour duquel la verge oscille, est placé près de l'extrémité inférieure du tuyau, le pendule conservera une longueur constante. Voyez PENDULE, & les mémoires de l'acad. 1741. Voyez aussi les leç. de Phys. de M. l'abbé Nollet, tome IV. pag. 365. &c. & l'article EXPANSIBILITE.

EXTENSION enfin se dit des métaux ductiles, qui étant frappés ou tirés, sont étendus par cette opération, & occupent une plus grande surface ou une plus grande longueur qu'auparavant, sans occuper proprement un plus grand espace, parce qu'ils perdent en solidité & en profondeur, ce qu'ils gagnent en superficie. Voyez DUCTILITE. (O)

EXTENSION se dit aussi, en Medecine, des membres que l'on allonge aux approches du sommeil, du froid fébrile, & des accès d'hystéricité. C'est l'espece de mouvement du corps que les Latins appellent pandiculatio, qui est presque toûjours accompagnée du bâillement.

L'allongement des membres se fait principalement par l'action de tous leurs muscles extenseurs. Il semble, dit M. Haller dans une note sur le §. 628. des institutions de Boerhaave, que l'action des muscles fléchisseurs, qui est presque continue, & qui est dominante même pendant le sommeil ; ensorte qu'elle détermine la figure, l'attitude du corps pendant ce tems-là, gêne & plie tellement les troncs des vaisseaux sanguins & des nerfs, qu'il est nécessaire que les muscles extenseurs se mettent en action pour les dégager, en donnant aux membres un état contraire à celui de flexion, dans lequel ils sont le plus long-tems, c'est-à-dire en les étendant ; ce qui met les vaisseaux dans une direction égale, & rend plus libre le mouvement des humeurs qui y sont contenues ; la distribution des esprits est aussi conséquemment plus facile dans les nerfs, qui sont alors exempts de toute compression. Voyez MUSCLE. (d)

EXTENSION, (Med.) allongement des fibres du corps humain par des causes externes ou internes.

Quoique nous ignorions d'où procede la cohésion mutuelle des élémens qui constituent la fibre, nous savons par expérience que le principe qui les unit, peut augmenter ou diminuer. Il en est des fibres du corps humain comme des parties de fer qu'on allonge en forme de fil, ou comme d'une corde d'instrument de musique, qui s'allonge avec des poids jusqu'au moment de la rupture. Nos fibres sont pareillement susceptibles d'allongement & d'accourcissement avec élasticité. Voyez FIBRE.

Nos vaisseaux qui sont composés de fibres, sont également capables de se prêter à l'impulsion du fluide ; & peuvent être distendus jusqu'à un certain point sans rupture. Il faut donc qu'il y ait non-seulement dans les fibres solides, mais dans les membranes, les vaisseaux, & les visceres qui en sont formés, une faculté d'allongement, d'accourcissement, & de ressort, un degré fixe & déterminé de cohésion jusqu'à un certain point. Or le défaut, ou l'excès de cette cohésion dans les fibres, qui leur permet d'être distendues jusqu'à un certain point, peut donner naissance à une infinité de desordres.

La trop grande extension des fibres, des vaisseaux, & des visceres du corps humain, peut être occasionnée 1°. par une trop grande plénitude, un amas d'humeurs, la compression, l'obstruction, la suppression des évacuations, la violence de la circulation, le manque de soûtien ou de point d'appui dans les blessures. 2°. Elle peut être produite semblablement par des vents, l'inflammation, la constipation, l'hydropisie, l'oedème, l'empième, &c. Dans tous ces cas, il faut détruire les causes qui produisent l'abord de liquides dans leurs canaux, ou qui les y retiennent, & si l'on n'y peut parvenir, tirer l'humeur contenue par une nouvelle ouverture.

Les suites de la trop grande extension des parties du corps humain, sont palpables par les effets de la torture, de la rétention d'urine, & même par la grossesse. En effet, dans les états de l'Europe où se donne la question, ce tourment inutile & barbare qui fait frémir l'humanité, il y a des pays, où, après avoir suspendu des criminels, on leur attache au bout des piés des poids de centaines de livres, qu'on augmente par degrés. Il résulte de cette distension excessive, une espece de paralysie sur les parties inférieures qui deviennent immobiles pendant plusieurs jours. La même chose arrive à la vessie, qui n'est plus capable de se resserrer, quand elle a souffert une trop violente distension par une ischurie ; enfin la peau & la membrane adipeuse du bas-ventre, sont si considérablement distendues dans les femmes grosses, qu'après qu'elles ont été délivrées, cette peau reste flasque & ridée toute leur vie.

La trop grande distension arrive encore dans les luxations, les fractures, les efforts avec résistance, le soulevement d'un poids, une courbure trop forte, & autres efforts semblables, dans lesquels cas, les parties trop tendues, demandent à être remises dans leur état naturel, avant qu'elles soient rompues. La trop grande extension des muscles, des tendons, des ligamens, qu'on éprouve dans les maladies convulsives & spasmodiques, exige la guérison particuliere de ces maladies.

Lorsque les vaisseaux du cerveau ont été rompus par une excessive distension, ils déchargent les fluides qu'ils contenoient, d'où naissent une infinité d'accidens, depuis le vertige jusqu'à l'apoplexie la plus complete . Les seuls remedes consistent dans la saignée, la révulsion, le trépan, &c. pour l'évacuation des humeurs extravasées.

On empêche que les vaisseaux foibles ne soient distendus à l'excès par les fluides qu'ils contiennent, au moyen d'une compression générale ; car plus la fibre est tiraillée, & plus elle s'affoiblit. Ainsi les bandages & les appareils qui pressent sur la chair, en donnant aux vaisseaux une espece de soûtien & de point d'appui, font ce que ne sauroient faire les solides trop affoiblis, c'est-à-dire, qu'ils s'opposent à la distension des vaisseaux.

La distension qui vient de la trop grande sécheresse & rigidité des fibres, se guérit par les émolliens, les humectans, les adoucissans, les gras.

Les fibres distendues par quelque cause que ce soit, acquierent de la dureté, de la résistance, de la maigreur, ensuite perdent leur élasticité ; ou se rompent. Leur contact mutuel est moins pressé, les interstices des membranes deviennent plus grands, & laissent passer les humeurs qu'ils devroient retenir : les cavités des vaisseaux s'étrécissent, & enfin se ferment. Les nerfs éprouvent la douleur, la stupeur, la paralysie : la partie où les liquides abordent, se tuméfie, s'appesantit, jaunit, ou pâlit.

Après qu'on a détruit les causes de la trop grande extension, il faut rapprocher les parties & les soûtenir ; mais le relâchement qui en résulte, quand il a été extrèmement violent, est un mal incurable. Article de M(D.J.)

EXTENSION, terme de Chirurgie, action par laquelle on étend, en tirant à soi, une partie luxée ou fracturée, pour remettre les os dans leur situation naturelle. Elle se fait avec les mains, les lacqs ou autres instrumens convenables. Elle suppose toûjours la contre-extension par laquelle on retient le corps, pour l'empêcher de suivre la partie qu'on tire.

Pour bien faire l'extension & la contre-extension, il faut que les parties soient tirées & retenues avec égale force ; & que les forces qui tirent & qui retiennent, soient, autant qu'il est possible, appliquées aux parties mêmes qui ont besoin de l'extension & de la contre-extension. Les extensions doivent se faire par degrés, & on les proportionne à l'éloignement des parties, & à la force des muscles qui résistent à l'extension. Si l'on tiroit tout-à-coup avec violence, on couroit risque de déchirer & de rompre les muscles, parce que leurs fibres n'auroient point eu le tems de ceder à la force qui les allonge. Si les mains ne suffisent pas, on employe les lacqs. Voyez LACQS. (Y)

EXTENSION, en Musique, est, selon Aristoxene, une des quatre parties de la mélopée, qui consiste à soûtenir long-tems le même son : nous l'appellons aujourd'hui tenue. Voyez TENUE. (S)


EXTENUATIONS. f. (Belles-Lettres) figure de Rhétorique, par laquelle on diminue une chose à dessein. Par exemple, si un adversaire qualifie une action de crime énorme, de méchanceté exécrable, on l'appelle simplement une faute, une fragilité pardonnable. Cette figure est opposée à l'hyperbole. Voyez HYPERBOLE. (G)

EXTENUATION, sub. f. (Medecine) en latin extenuatio : c'est une sorte de maigreur qui arrive en peu de tems, par l'affaissement des vaisseaux de tout le corps en général, après de grandes évacuations, de fortes dissipations d'humeurs quelconques. Voyez MAIGREUR, AFFAISSEMENT. (d)


EXTERNEou EXTÉRIEUR, adj. (Phys.) est un terme relatif qui se dit de tout ce qui est au-dehors d'un corps. La surface d'un corps, c'est-à-dire cette partie qui paroît & se présente aux yeux ou au toucher, est la partie externe du corps.

Dans ce sens, externe est opposé à interne ou intérieur. Voyez INTERNE.

EXTERNES, (angles) en Géométrie, sont les angles de toute figure rectiligne, qui n'entrent point dans sa formation, mais qui sont formés par ses côtés prolongés au-dehors. Voyez ANGLE, TERNEERNE.

Les angles externes d'un poligone quelconque pris ensemble sont égaux à quatre angles droits. Dans un triangle, l'angle externe D O A (Planch. Géom. fig. 76.) est égal à la somme des angles intérieurs opposés y, z. Voyez TRIANGLE. Ces propositions sont démontrées par-tout. (E)

EXTERNE, adj. (Anat.) terme relatif, qu'on prend dans le sens connu de tout le monde, quand on dit par exemple tégumens externes : M. Winslow appelle externe ce qui est le plus éloigné d'un plan qu'on imagine partager également tout le corps en partie droite, & en partie gauche, & interne, ce qui en est le plus proche ; c'est ainsi qu'on oppose les muscles externes, & internes. Hippocrate donne le nom d'externes aux parties les plus éloignées du coeur. (g)


EXTINCTIONS. f. (Phys.) est l'action d'éteindre, c'est-à-dire d'anéantir ou de détruire le feu, la flamme ou la lumiere. Voyez LUMIERE, FLAMME. &c.

Boerhaave nie qu'il y ait proprement rien qui soit capable d'éteindre le feu : c'est, dit-il, un corps sui generis, d'une nature immuable, & nous ne pouvons pas plus le détruire que nous ne pouvons le créer. Voyez FEU.

Cela peut être ; mais il n'en est pas moins vrai qu'on arrête l'action de cette matiere qui forme ce que nous appellons le feu. Ainsi dire que l'eau n'éteint pas le feu, parce qu'elle ne détruit pas la matiere du feu, c'est éluder la difficulté au lieu de la résoudre.

Les sectateurs d'Aristote expliquent l'extinction du feu par le principe d'antipéristase ou de contrariété ; ainsi, disent-ils, l'eau chasse le feu, parce que les qualités de l'eau sont contraires à celles du feu ; l'une étant froide & humide, & l'autre chaud & sec. Mais outre que ce n'est pas là une explication, puisqu'elle ne rend point raison de cette contrariété, elle ne paroît pas même satisfaisante pour ceux qui se contentent de mots vuides de sens ; car le feu est éteint avec l'eau chaude aussi-bien qu'avec l'eau froide, &c. Voyez ANTIPERISTASE.

Quelques modernes apportent deux causes plus plausibles de l'extinction du feu ; savoir la dissipation, comme quand les matieres qui lui servent d'aliment sont dispersées par un vent trop violent ; & la suffocation, quand il est tellement comprimé qu'il ne peut plus conserver son mouvement libre, comme il arrive quand on jette de l'eau dessus.

On sent bien que cette explication est encore très-legere & très-vague. Avoüons franchement que nous ignorons pourquoi l'eau éteint le feu, comme nous ignorons pourquoi une pierre tombe, pourquoi nous remuons nos doigts, & la cause de cent autres phénomenes aussi communs, & aussi inexplicables pour nous. (O)

EXTINCTION, (Jurisprud.) s'applique en cette matiere à différens objets, savoir :

Extinction de la chandelle : c'est lorsqu'on fait une adjudication à l'extinction de petites bougies ou chandelles, comme cela se pratique dans les fermes du Roi. Voyez CHANDELLE ETEINTE.

Extinction d'une charge fonciere, réelle, ou hypothéquaire ; c'est lorsqu'on amortit quelque charge qui étoit imposée sur un fonds.

Extinction du doüaire ; c'est lorsque la femme & les enfans qui avoient droit de joüir du doüaire, sont décédés, ou que l'on a composé avec eux, & racheté le doüaire.

Extinction d'une famille ; c'est lorsqu'il n'en reste plus personne.

Extinction d'un fidei-commis, ou d'une substitution ; c'est lorsque le fidei-commis ou substitution est fini, soit parce tous les degrés sont remplis, & que les biens deviennent libres, soit parce qu'il ne se trouve plus personne habile à recueillir les biens en vertu de la disposition.

Extinction de ligne directe, ou collatérale ; c'est lorsque dans une famille une ligne se trouve entierement défaillante, c'est-à-dire qu'il n'en reste plus personne.

Extinction de nom ; c'est lorsqu'il ne se trouve plus personne de ce nom.

Extinction d'une rente ; c'est lorsqu'une rente est amortie ou remboursée.

Extinction d'une servitude ; c'est quand un héritage est déchargé de quelque servitude qui y étoit imposée.

Extinction d'une substitution, voyez ci-dessus, Extinction d'un fidei-commis. (A)


EXTIRPATIONS. f. est un terme de Chirurgie, qui signifie couper entierement une partie, comme une loupe, un polype, un cancer, &c.

L'amputation du bras dans l'article, est une extirpation de l'extrémité supérieure. V. AMPUTATION.


EXTISPICES. m. (Antiquité) inspection des entrailles des victimes, dont les anciens tiroient des présages pour l'avenir. Varron & Nonius dérivent ce mot de exta & specio. Voyez ANTHROPOMANTIE, ARUSPICES.

Si l'on ajoûtoit foi aux conjectures de Mercerus, de Selden, & de Lomeyer sur le sacrifice d'Abel, & à celles du rabbin Eliezer sur les Teraphim, on feroit remonter les extispices jusqu'au tems des patriarches. Il est au-moins douteux que cette espece de divination se soit introduite chez les Juifs ; les passages de l'Ecriture qu'on allegue pour le prouver, regardent seulement les Chaldéens ; cependant Jac. Lydius assûre que les extispices ont passé des prêtres juifs aux Gentils. Voyez ses Agonistica sacra, p. m. 60.

On ne voit dans les poëmes d'Homere aucun vestige de cette divination, si ce n'est peut-être dans le douzieme livre de l'Odyssée, vers 394-6 ; il l'a pourtant connue, s'il faut en croire Eustathe, dont la note sur le vers 221 du dernier livre de l'Iliade est citée par Feith, p. m. 131 de ses antiquitates homericae. Feith auroit pu citer encore le commentaire d'Eustathe sur le vers 63 du premier livre de l'Iliade, les remarques de Didyme aux mêmes endroits, Hesychius au mot . Mais une autorité bien plus décisive est celle de Galien, qui explique de même que ces grammairiens l' du vers 63 du premier livre de l'Iliade. Voyez le V. tom. de l'éd. greque de Bâle des oeuvres de Galien, p. 41. Les extispices étoient connus long-tems avant Homere. Herodote, liv. II. nous apprend que Ménélas, après la guerre de Troie, étant retenu en Egypte par les vents contraires, sacrifia à sa barbare curiosité deux enfans des naturels du pays, & chercha dans leurs entrailles l'éclaircissement de sa destinée. Ce fait, & plusieurs autres recueillis par Geusius, à la fin de la premiere partie de son traité sur les victimes humaines, prouvent évidemment que Peucerus s'est trompé lorsqu'il a cru qu'Heliogabale avoit le premier eu recours à l'Anthropomantie. Voyez Peucerus de divinatione, p. m. 371.

Vitruve, chap. jv. liv. I. donne aux extispices une origine bien vraisemblable : il dit que les anciens considéroient le foie des animaux qui passoient dans les lieux où ils vouloient bâtir ou camper ; après en avoir ouvert plusieurs, s'ils trouvoient généralement les foies des animaux gâtés, ils concluoient que les eaux & la nourriture ne pouvoient être bonnes en ce pays-là, desorte qu'ils l'abandonnoient aussi-tôt. On ne sera pas surpris que les anciens donnassent au foie une attention particuliere, si l'on considere qu'ils attribuoient à ce viscere la sanguification : cette opinion est très-ancienne. Martinus, dans son cadmus graeco-phoenix, veut que cubbada, nom que les habitans d'Amathonte donnoient au sang, vienne de l'hébreu caved, qui veut dire foie. Le P. Thomassin a approuvé cette conjecture dans son glossaire hébraïque ; ce qui la confirme & le rapproche du sujet que nous traitons, c'est que S. Grégoire de Nazianze croit que l'art des extispices est venu des Chaldéens & des Cypriots.

Bulengerus, tom. I. de ses opuscules, p. 318, fait dire à Onosander, in strategicis, que c'étoit la coûtume, avant que de fixer un camp, de considérer les entrailles des victimes pour s'assûrer de la salubrité de l'air, des eaux, & de la nourriture du pays. Onosander dans son stratégique, ne dit rien de semblable, quoiqu'il parle du choix d'un lieu sain pour l'assiette d'un camp. P. m. 16. 17.

M. Peruzzi, tom. I. des mém. de l'acad. de Cortone, p. 46. dit que la sagacité qui fait pressentir aux animaux les changemens de tems, a pû faire croire aux anciens qu'ils portoient encore plus loin la connoissance de l'avenir. Il observe que, se erano buone (le interiora) dà cio ne argomentavano una perfetta costitusione d'aria, e benigno influsso di stelle, chi rendesse, cibi salubri, e tenesse lontane le malattie, che il più delle volte dalla cattiva qualità dé medesimi provengano, e parimente mali auguri, quando era il contrario, ne argomentavano. Ce passage développe la pensée de Démocrite, qui soûtenoit que les entrailles des victimes présageoient par leur couleur & leurs qualités, une constitution saine ou pestilentielle, la stérilité même ou l'abondance. Voyez Cicéron, liv. I. de divinat. chapit. lvij.

Hippocrate, de vict. acut. nous apprend que les principes de l'art des extispices n'étoient pas invariables : il semble que les systèmes des Philosophes, les fourberies des prêtres & des magistrats ont obscurci les premieres notions de cet art, fruit précieux des observations faites pendant une longue suite de siecles. En effet, Apollonius de Tyane dans Philostrate, lib. VII. ch. vij. s. 15. prétend que les chevreaux & les agneaux doivent être préférés pour les extispices, aux coqs & aux cochons, parce qu'ils sont plus tranquilles, & que le sentiment de la mort, plus foible chez eux, n'altere point ces mouvemens naturels qui revelent l'avenir. On pouvoit dire avec la même vraisemblance, que l'extrème irritabilité rendoit les mouvemens naturels bien plus énergiques & plus sensibles, & c'est sans-doute ce qui a déterminé certains peuples à regarder comme plus prophétiques les entrailles des coqs, des cochons & des grenouilles. Par une suite de son système, Appollonius soutient que les hommes sont de tous les animaux, les moins propres à faire connoître l'avenir par l'inspection de leurs visceres. Cette conséquence, qu'il eût été à souhaiter que tous les hommes eussent adoptée, étoit directement contraire à l'opinion générale. Voyez Porphyre, de abstin. lib. II. art. 51.

La friponnerie des prêtres payens, & leur ignorance, nous doivent faire suspendre notre jugement sur ces victimes auxquelles on ne trouva point de coeur, dont parlent Cicéron, Pline, Suétone, Julius Obsequens, Capitolinus, Plutarque, &c. Les incisions superficielles des visceres retardoient les entreprises, quoique tout promît d'ailleurs un succès heureux. Le P. Hardouin, sur Pline, tom. I. p. 627. col. 2. imagine qu'alors ces visceres étoient blessés imprudemment par le couteau du victimaire. Peut-être y avoit-il aussi de la fourberie de la part des sacrificateurs. Les regles particulieres que les anciens suivoient dans les extispices sont si incertaines, qu'il est inutile de s'y arrêter. Tous les compilateurs, par exemple, & sur-tout Alex. ab Alexandro, tome II. p. m. 346-9. Peucerus, de divinat. p. m. 361. assûrent qu'on n'a jamais douté qu'un foie double, ou dont le lobe appellé caput jecinoris étoit double, ne présageât les plus heureux évenemens. On lit pourtant dans l'Oedipe de Seneque, vers 359. 360 que ç'a toûjours été un signe funeste pour les états monarchiques.

Ac, semper omen unico imperio grave ;

En capita paribus bina consurgunt toris.

Voyez les notes de Delrio & de Farnabius sur ces vers, où ils étendent cette regle à tous les états, se fondant sur les témoignages de divers auteurs. Il reste à examiner si le principe fondamental de la divination par extispice, a moins d'incertitude que les détails de cet art qui sont parvenus jusqu'à nous.

Personne n'a regardé cela comme une question, j'ose dire que c'en est une, & qu'elle tient aux questions les plus curieuses & les plus difficiles de la philosophie ancienne.

Les partisans de cette divination ont fait valoir l'argument tiré du consentement général des peuples, qui ont tous eu recours aux extispices. Voyez Cicéron, de div. 1. La foiblesse de cet argument est reconnue. Voyez Bayle, continuation des pensées sur la comete, §. 32. Par ce que nous avons dit de l'origine des extispices, on voit que quelques anciens avoient des idées très-philosophiques sur l'influence du climat. Il est évident qu'on n'a pû appliquer les extispices, qui avoient d'abord servi à s'assûrer de la salubrité d'une contrée, & tout au plus de sa fertilité : il est évident, dis-je, qu'on n'a pû les appliquer aux accidens de la vie humaine, qu'en supposant que le climat décidoit des moeurs, des tempéramens, & des esprits, dont les variétés dans un monde libre doivent changer les évenemens.

D'un autre côté ceux qui soûtenoient le fatalisme le plus rigoureux, étoient par là-même obligés de reconnoître que cette divination est possible ; car puisque tout est lié par une chaîne immuable, on est forcé de concevoir qu'une certaine victime a un rapport avec la fortune du particulier qui l'immole, rapport que l'observation peut déterminer.

Le système de l'ame du monde favorisoit aussi les extispices ; les Stoïciens, à la vérité, ne vouloient pas que la Divinité habitât dans chaque fibre des visceres, & y rendit ses oracles ; ils aimoient mieux supposer une espece d'harmonie préétablie entre les signes que présentoient les entrailles des animaux, & les évenemens qui répondoient à ces signes. V. Cicéron, de divin. I. chap. lij. Mais quoique ces philosophes renonçassent à une application heureuse & évidente de leurs principes, c'étoit une opinion assez répandue, que cette portion de la Divinité qui occupoit les fibres des animaux, imprimoit à ces fibres des mouvemens qui découvroient l'avenir. Stace le dit formellement. Theb. liv. VIII. v. 178.

Aut caesis saliat quod numen in extis

& Porphyre y fait allusion, quand il dit que le philosophe s'approchant de la divinité qui réside dans ses entrailles, , y puisera des assûrances d'une vie éternelle ; & quelques philosophes pensoient que les ames séparées des animaux répondoient à ceux qui consultoient leurs visceres. Mais le plus grand nombre attribuoit ces signes prophétiques aux démons, ou aux dieux d'un ordre inférieur ; c'est ainsi qu'ont pensé Apulée & Martianus Capella. Lactance & Minutius Felix ont attribué l'aruspicine aux anges pervers ; cette opinion, autant que les raisons politiques, a déterminé l'empereur Théodose à donner un édit contre les extispices.

Je finis par une réflexion de l'Epictete d'Arien, liv. I. ch. xvij. qui est très-belle ; mais il est assez singulier qu'elle soit dans la bouche d'un aruspice. Les entrailles des victimes annoncent, dit-il, à celui qui les consulte, qu'il est parfaitement libre, que s'il veut faire usage de cette liberté, il n'accusera personne & ne se plaindra point de son sort ; il verra tous les évenemens se plier à la volonté de Dieu & à la sienne. (g)


EXTORNEEXTORNER, (Commerce) termes de teneurs de livres : ils se disent, mais improprement, des fautes que l'on fait par de fausses positions. Les véritables termes sont restorne & restorner. Voyez RESTORNE & RESTORNER. Dict. de Com.


EXTORQUERv. act. (Jurisprud.) c'est tirer quelque chose par force ou par importunité, comme quand on tire de quelqu'un un consentement forcé par caresses ou par menaces ; un testament ou autre acte est extorqué, quand on s'est servi de pareilles voies pour le faire signer. Les actes extorqués sont nuls par le défaut de consentement libre de la part de celui qui les souscrit, & à cause de la suggestion & captation de la part de celui qui a cherché à se procurer ces actes. Voyez CAPTATION, CONTRAINTE, FORCE, MENACES, SUGGESTION. (A)


EXTORSIONS. f. (Jurispr.) se dit des émolumens excessifs que certains officiers de justice pourroient tirer d'autorité de ceux qui ont affaire à eux, ce que l'on appelle plus communément concussion.

Ce terme se dit aussi des actes que l'on peut faire passer à quelqu'un par crainte ou par menaces. Voyez EXTORQUER. (A)


EXTRA(Jurisp.) est un terme latin dont on se sert ordinairement pour désigner les decrétales en les citant par écrit, pour dire qu'elles sont extra corpus juris, parce que dans le tems que cette maniere de les citer fut introduite, le corps de Droit canon ne consistoit encore que dans le decret de Gratien.

EXTRA est aussi, en style de Palais, une abréviation du terme extraordinaire. Au parlement, les causes qui ne sont pas employées dans les rôles des provinces, sont portées à des audiences extraordinaires ; ce que l'on désigne en mettant sur le dossier, extra, pour dire extraordinaire. (A)


EXTRA TEMPORA(Jurisprud.) est une expression purement latine, qui est de style dans la chancellerie romaine, pour signifier une dispense, par laquelle le pape permet de prendre les ordres hors les tems de l'année prescrits par les canons, & sans garder les interstices de droit. Voyez INTERSTICES. Ces tems prescrits pour la réception des ordres sacrés sont les quatre semaines qu'on appelle quatre-tems. Voyez QUATRE-TEMS. (A)


EXTRACTIONS. f. (Arithm. & Algeb.) L'extraction des racines est la méthode de trouver les racines des nombres ou quantités données. Voyez RACINE.

Le quarré, le cube, & les autres puissances d'une racine ou d'un nombre, se forment de la multiplication de ce nombre par lui-même plus ou moins de fois, selon que la puissance est d'un degré plus ou moins élevé. Voyez PUISSANCE.

La multiplication forme les puissances, l'extraction des racines les abaisse, & les réduit à leurs premiers principes ou à leurs racines ; desorte qu'on peut dire que l'extraction des racines est à la formation des puissances par la multiplication, ce que l'analyse est à la synthèse.

Ainsi 4 multiplié par 4, donne 16, quarré de 4, ou produit de 4 par lui-même. 16 multiplié par 4, donne 64, cube de 4, ou produit de 4 par son quarré. C'est ainsi que se forment les puissances.

Aussi la racine quarrée de 16 est-elle 4 ; car 4 est le quotient de 16 divisé par 4 : la racine cubique de 64 est pareillement 4 ; car 4 est le quotient de 64 divisé par 16, quarré de 4. C'est-là ce qu'on entend par l'extraction des racines.

Par conséquent extraire la racine quarrée, cubique, &c. d'un nombre donné, par exemple, 16 ou 64, c'est la même chose que trouver un nombre, par exemple 4, qui multiplié une ou deux fois, &c. par lui-même, forme la puissance donnée. Voy. PUISSANCE. Harris & Chambers.

Extraction des racines quarrée & cubique.

De la racine quarrée. Extraire la racine quarrée d'un nombre, c'est décomposer un nombre quelconque, de façon que l'on trouve un nombre moindre, lequel multiplié par lui-même, produise exactement le premier, ou du moins en approche le plus qu'il est possible. Cette regle est d'usage en plusieurs cas ; je me contente d'en rapporter un exemple, pour faire juger des autres. Un officier commande un détachement de 625 hommes, dont il veut faire un bataillon quarré : pour cela il n'a qu'à extraire la racine quarrée de 625 ; il trouvera, s'il a le tems & le talent, qu'il faut mettre 25 hommes de front & autant sur les côtés, c'est-à-dire qu'il faut mettre 25 rangs de 25 hommes chacun.

Sur quoi j'observe que l'extraction des racines étant proprement la décomposition d'un produit formé par une ou plusieurs multiplications, il faut considérer d'abord la génération de ce produit, & c'est ce que nous allons faire.

Si je multiplie 25 par 25, j'ai le quarré 625. Que fais-je pour avoir ce produit ? je multiplie 2 dixaines & 5 unités par 2 dixaines & 5 unités ; & pour cela je prends d'abord le quarré des unités, en disant 5 fois 5 ou 5 x 5 font 25.

je pose 5 & retiens 2 ; puis je multiplie une fois les dixaines 2 par les unités 5, lorsque je dis 5 x 2 font 10 & 2 retenus font 12, que je pose à gauche de mon 5.

Je multiplie une seconde fois les dixaines 2 par les unités 5, lorsque je dis 2 x 5 font 10, je pose 0 & retient 1. Enfin je multiplie les dixaines 2 par elles-mêmes, ce qui me donne le quarré de ces dixaines, en disant, 2 x 2 font 4, & 1 de retenue font 5, que je pose à gauche du 0. J'ajoûte ces sommes, & j'ai le produit 625 dont on propose de tirer la racine quarrée ; c'est-à-dire qu'il s'agit de trouver le nombre qui, multiplié par lui-même, a formé le quarré 625. Mais avant que de commencer cette opération, on doit avoir la table suivante sous ses yeux, ou plûtôt dans sa mémoire.

Cela posé, je partage mon nombre total 625 en deux tranches, comme l'on voit ci-à-côté. La premiere tranche à gauche qui pourroit avoir deux chiffres, peut aussi n'en avoir qu'un ; mais toutes les autres tranches à droite sont nécessairement de deux chiffres ; & pour le démontrer, prenons les plus petits chiffres possibles, par exemples 100. Si on multiplie 100 par 100, on aura le quarré 1, 00, 00 en trois tranches, dont la premiere à gauche n'a qu'un chiffre, tandis que les autres en ont deux. Prenons à-présent les plus grands chiffres possibles, 999. Si on les multiplie par eux-mêmes, on aura le quarré 99, 80, 01, qui fait trois tranches chacune de deux chiffres, & non davantage. Au surplus les différentes tranches, suivant le système de la progression décuple, expriment les unités, dixaines, centaines, &c. de la racine totale.

Ces premieres notions une fois établies, je dis ; la racine quarrée de 6 est 2 pour 4 ; voilà déjà nos dixaines trouvées ; je les pose en forme de quotient à côté de 625, comme l'on voit dans l'exemple : puis je les quarre en disant, 2 x 2 font 4, & je tire ce quarré 4 de la premiere tranche 6, disant, 4 de 6 reste 2.

Il faut observer que ces deux dixaines dont j'ai formé le quarré font 20 ; & qu'ainsi en disant 2 x 2 font 4, 4 de 6 reste 2, c'est comme si je disois 20 x 20 font 400, 400 de 600 reste 200.

Je baisse à-présent le 2 de la seconde tranche 25 : ce qui fait avec mon premier 2, résidu de mon 6, 22 ; Je m'attache ensuite à chercher le second chiffre de la racine totale ; & comme dans le produit de la multiplication ci-dessus exposée, j'ai employé deux fois les dixaines 2, autrement une fois 4 dixaines multipliées par les unités 5, j'y dois trouver la même somme ou quantité, en décomposant, pour l'extraction de la racine.

Je prends donc deux fois les dixaines 2, ce qui fait 4 dixaines : j'écris ce 4 sous le 2 de ma seconde tranche, & je dis : en 22 combien de fois 4 ? il y est 5 & reste 2, qui avec le 5 de la seconde tranche, que je n'ai point baissé, pour éviter l'embarras ; fait 25, c'est-à-dire le quarré juste des unités 5 que je cherchois, & que je viens de trouver pour second chiffre de la racine totale 25 : je pose donc 5 en forme de quotient à côté du 2 déjà trouvé auparavant.

Je forme le quarré 25 de ces unités 5 ; puis je multiplie les mêmes unités 5 par le double 4 des dixaines 2, & je tire ces deux produits de ma derniere tranche & du résidu de la premiere, c'est-à-dire de 225, ci ... 225

en disant 5 x 5 font 25, 25 de 25 reste 0

& retiens 2 ; 5 x 4 font 20 & 2 de retenus font 22, 22 de 22 reste 0. 000

Ces deux produits se tirant exactement sans aucun reste, je conclus que la racine quarrée de 625 est tout juste 25. Pour derniere preuve je multiplie 25 par 25 ; & retrouvant le produit 625, je demeure pleinement convaincu que mon opération est exacte.

Mais voici une autre méthode que je préfere, à plusieurs égards. On commence l'opération à l'ordinaire pour la premiere tranche ; la différence ne paroît qu'à la seconde, & elle est la même dans toutes les suivantes. Au lieu donc de tirer deux fois nos dixaines 2, c'est-à-dire 4 dixaines, & de dire, comme on fait communément, pour trouver le second chiffre d'une racine, en 22 combien de fois 4, il y est 5 ; ne prenons que la moitié 11 du nombre 22 ; ne prenons aussi que la moitié de nos 4 dixaines, c'est-à-dire, ne tirons qu'une fois nos dixaines 2 de notre moitié. 11. Ecrivons 2 sous 11 en cette sorte, ... 11

& disons, en 11 combien de fois 2, il

s'y trouve 5 fois, comme 4 s'est trouvé 5 fois en 22, 2 étant à 11 comme 4 à 22. 2

Je pose donc 5 pour second chiffre de la racine totale du quarré 625 ; mais comme ce 5 pourroit quelquefois être trop fort, je le pose séparément, comme chiffre que je dois éprouver : & alors, pour vérifier s'il est bon, & sans examiner si je pourrai tirer du dernier résidu le quarré 25 des unités 5, quarré qui doit encore se trouver en 625, puisqu'il y est entré par la multiplication ; je procede tout de suite à la preuve : pour cela je multiplie 25 par 25 ; & trouvant au produit 625, je m'assûre que la racine quarrée de 625 est tout juste 25.

Si la somme à décomposer, ou dont on cherche la racine, au lieu de 625 n'étoit, par exemple, que 620, pour lors le procédé donneroit encore 25 pour racine totale ; mais venant à la preuve, & multipliant 25 par 25, on auroit le produit 625 plus fort que 620 : on verroit par-là que le chiffre à éprouver 5, qu'on auroit mis pour second chiffre de la racine totale, seroit un peu trop fort. On mettroit donc 4, & l'on en feroit l'épreuve en multipliant 24 par 24 ; on tireroit le quarré 576 de 620, en cette sorte, ... 620

& l'on verroit pour lors avec certitude

que la racine quarrée de 620 est 24, outre

le résidu 44, qui fait une espece de fraction dont il ne s'agit pas ici.

576 44

Si après avoir mis 4 pour second, troisieme, quatrieme chiffre d'une racine, ce 4 se trouvoit encore trop fort par l'épreuve qu'on en feroit, alors au lieu de 4 on ne mettroit que 3, & l'on viendroit à la preuve, comme on a vû ci-dessus.

Cette maniere d'extraire est préférable, en ce qu'elle diminue les nombres sur lesquels on opere, & qu'il y a toûjours moins à tâtonner. C'est-là proprement l'avantage de cette méthode, laquelle est sur-tout bien commode pour l'extraction de la racine cubique, où elle abrege beaucoup l'opération ; c'est pourquoi il est bon de s'y accoûtumer dès la racine quarrée, il est plus facile de l'employer ensuite dans l'extraction de la racine cubique.

Au reste la démonstration qu'on vient de voir de l'extraction de la racine quarrée, & que je n'applique ici qu'à un quarré de deux tranches dont la racine ne contient que des dixaines & des unités ; cette démonstration, dis-je, convient également à un nombre plus grand, dont la racine contiendroit des centaines, des mille, &c. en y appliquant les décompositions & les raisonnemens qu'on a vûs ci-dessus. Il suffit, en Arithmétique, de convaincre & d'éclairer l'esprit sur les propriétés & les rapports des petits nombres que l'on découvre par-là plus facilement, & qui sont absolument les mêmes dans les plus grands nombres, quoique plus difficiles à débrouiller.

D'ailleurs je n'ai prétendu travailler ici que pour les commençans, qui ne trouvent pas toûjours dans les livres ni dans les explications d'un maître de quoi se satisfaire, & je suis persuadé que plusieurs verront avec fruit ce que je viens d'exposer ci-dessus. Si quelques-uns n'en ont pas besoin, je les en félicite, & les en estime davantage.

Le plus grand résidu possible d'une racine quarrée, est toûjours le double de la racine même ; ainsi la racine quarrée de 8 étant 2 pour 4, le plus grand résidu possible de la racine 2 est 4, double de 2.

La racine quarrée de 15 étant 3 pour 9, le plus grand résidu possible de la racine 3 est 6, double de 3.

La racine quarrée de 24 étant 4 pour 16, le plus grand résidu possible de la racine 4 est 8, double de 4, & ainsi de tous les autres cas.

De la racine cubique. On peut dire à-peu-près de la racine cubique ce que nous avons dit de la racine quarrée ; extraire la racine cubique, c'est décomposer un nombre quelconque, de façon que l'on trouve un nombre moindre, lequel étant multiplié d'abord par lui-même, & ensuite par son quarré, ou par le produit de la premiere multiplication, donne exactement le premier nombre proposé, ou du moins en approche le plus qu'il est possible. Ainsi extraire la racine cubique de 15625, c'est trouver par une décomposition méthodique la racine cubique 25, laquelle étant multipliée d'abord par elle-même, produit le quarré 625, & multipliée une seconde fois par son quarré 625, forme le cube 15625.

On a trouvé, en examinant les rapports & la progression des nombres, que cette multiplication double de 25 par 25, & de 25 par son quarré 625, produit premierement le cube des dixaines 2 du nombre proposé 25 ; cube qui fait 8000, parce que le 2 dont il s'agit est 20. Or 20 x 20 font le quarré 400, 20 x 400 font le cube 8000.

Secondement, cette cubification produit le triple du quarré des dixaines 2, multiplié par les unités 5, ce qui fait 6000 ; & cela, parce que le 2 dont il s'agit est véritablement 2 dixaines 20. Or en le quarrant, & disant 20 x 20, on a 400, en triplant ce quarré 400, on a 1200, en multipliant ce produit 1200 par les unités 5, on a 6000.

Troisiemement, cette cubification de 25, & ainsi à proportion de toute autre, produit le triple 60 des dixaines 2 ; triple 60 multiplié par le quarré 25 des unités 5, ce qui fait 1500.

Enfin cette cubification produit le cube 125 des unités 5. Ces quatre produits partiels, savoir :

Au reste la génération de ces divers produits est plus difficile à démontrer dans les deux multiplications que l'on employe pour former un nombre cube, que dans la seule multiplication que l'on employe pour former un nombre quarré. La raison en est, que dans ces deux multiplications les produits partiels se confondant entr'eux, & rentrant les uns dans les autres, on ne les découvre guere que par la décomposition, au moins tant qu'on employe l'arithmétique vulgaire.

On sait par la pratique & par l'examen, que ces divers produits résultent nécessairement de ces deux multiplications par une propriété qui leur est essentielle, & qui suffit, lorsqu'elle est connue, pour convaincre & pour éclairer. Il ne s'agit donc que de savoir procéder à la décomposition d'un nombre quelconque, & d'en tirer ces différens produits d'une maniere facile & abrégée, ce qui a son utilité dans l'occasion.

Par exemple, on dit qu'un bloc de marbre quarré de tous sens a 15625 pouces cubes ; & sur cela on demande quelle est sa longueur, largeur, & profondeur. Je le trouve, en tirant la racine cubique de 15625. Pour cela je partage ce nombre en deux tranches, dont la premiere à gauche n'a que deux chiffres, la seconde en a trois. La premiere tranche à gauche peut avoir trois, ou deux, ou même un seul chiffre ; mais les suivantes doivent toûjours être complete s, & toûjours de trois chiffres, ni plus ni moins : c'est ce que l'on peut vérifier aisément par le produit cubique des nombres 100 & 999 ; produit qui donne d'un côté 1, 000, 000, & de l'autre 997, 002, 999.

Je dis donc, la racine cubique de 15 est 2 pour 8 ; j'écris 2 en forme de quotient, comme l'on voit ci-à-côté ; puis je tire de la premiere tranche 15 le cube de ce 2, en disant 2 x 2 font 4, 2 x 4 font 8, c'est-à-dire 8 mille : or 8 mille tirés de 15 mille, reste 7 mille que j'écris au-dessous de 15, comme l'on voit dans l'exemple.

Ensuite, pour trouver le second chiffre de la racine totale, & ainsi du troisieme, quatrieme, &c. en supposant le nombre à décomposer beaucoup plus grand, je baisse le 6 de la seconde tranche, lequel avec le 7 résidu de la premiere à gauche fait 76 ; puis je prens 12 triple du quarré du premier chiffre trouvé 2, j'écris ce nombre 12 sous 76 ; & je dis, en 76 combien de fois 12, il y est 6 pour 72, & reste 4, lequel avec les 25 qui restent de la seconde tranche, fait 425, sur lesquels je dois tirer le triple du premier chiffre 2 dixaines, c'est-à-dire 60 multiplié par le quarré 36 du second chiffre trouvé, ou chiffre éprouvable 6, dont le produit 2160 ne se peut tirer du reste 425, sans parler du cube 216 du même chiffre 6 ; cube qui devroit encore être contenu dans le reste 425.

Je vois donc que le chiffre à éprouver 6 que j'ai trouvé pour second chiffre de la racine totale, & que j'avois mis à part, ne convient en aucune sorte. J'éprouve donc le chiffre 5 ; & pour cela je dis 5 x 12 font 60, 60 tirés de 76, reste 16, lesquels avec le reste 25 de la seconde tranche font 1625

Je forme à présent le triple du premier chiffre 2 dixaines, c'est-à-dire 60 multiplié par le quarré 25 du second chiffre 5, je tire le produit 1500 de 1625, après quoi reste 125 ; ce qui fait justement le cube des unités 5, que je dois encore tirer.

Je vois par-là que la racine cubique du nombre 15625 est 25 sans reste, & qu'ainsi je puis poser 5 en forme de quotient pour second chiffre de la racine totale.

Pour derniere preuve je prends le cube de 25 ; & retrouvant 15625, je ne puis plus douter que mon opération ne soit exacte.

Mais sans tirer tous ces produits partiels ensemble ou séparément, on peut prendre un chemin plus court, comme on l'a marqué en parlant de la racine quarrée ; on dira donc, en se servant du nombre proposé, la racine cubique de 15 est 2 pour 8 ; j'écris 2 en forme de quotient, j'en forme le cube 8 que je tire de la premiere tranche 15, en disant 2 x 2 font 4, 2 x 4 font 8 ; 8 de 15, reste 7. Voilà l'opération faite pour la premiere tranche, & le cube du premier chiffre 2 tiré.

Pour trouver maintenant le second chiffre de la racine totale, & ainsi du troisieme, quatrieme, &c. en supposant le nombre proposé plus grand : je ne triple point, comme ci-devant, le quarré 4 du premier chiffre 2, ce qui feroit 12. Je ne prens que le tiers de cette somme, c'est-à-dire que je prens simplement le quarré 4 du chiffre 2, sans le tripler. En récompense, & pour conserver la proportion, après avoir baissé le premier chiffre 6 de la seconde tranche, lequel avec le 7 résidu de la premiere fait 76 : je n'en prens que le tiers 25 ; de même qu'au lieu de 12, je ne prens que 4 ; j'écris ce 4 sous 25, comme on voit ci-dessus ; & pour lors je dis, en 25 combien de fois 4, il y est 6, comme 12 est six fois en 76. Je pose donc 6 pour second chiffre de ma racine ; mais comme 6 n'est proprement qu'un chiffre à éprouver, dont je ne suis pas sûr ; je le pose à l'écart pour m'en souvenir, & je fais mon épreuve.

Ayant donc trouvé 26 pour racine totale, je vois bien qu'il y a un résidu dans le nombre proposé : résidu qui doit satisfaire aux deux autres produits que je néglige de tirer : savoir le triple du premier chiffre 2 dixaines, ou 60 multiplié par le quarré 36 du chiffre à éprouver 6 ; plus le cube 216 du même 6. Mais encore un coup je néglige la formation & la soustraction de ces derniers produits qui sont les moins considérables ; & dès que j'ai trouvé un nombre pour le second, troisieme, ou quatrieme chiffre d'une racine, je procede à la cubification de tous les chiffres que j'ai trouvés pour racines ; & je tire le produit, s'il est possible, de toutes les tranches dont j'ai fait l'extraction.

Ainsi, dans l'exemple proposé ayant trouvé 26, je cubifie 26, c'est-à-dire que je multiplie 26 par lui-même, & que je multiplie ensuite le quarré 676 par le même 26 ; & trouvant alors 17576 pour cube de 26, je vois que je ne le saurois tirer de mes deux tranches 15625, ce qui m'est une preuve que le chiffre à éprouver 6 de la racine trouvé 26 est trop fort. Je prens alors le chiffre inférieur 5 pour l'éprouver, ce qui fait la racine totale 25. Je cubifie ce dernier nombre 25 ; & trouvant le produit ou le cube 15625, qui se peut tirer sans reste des deux tranches 15-625, je vois avec évidence que la racine cubique de 15625 est tout juste 25.

Si le nombre proposé au lieu de 15625, n'étoit que 15620, le procédé donneroit encore 25 pour racine ; mais alors le cube 15625 de la racine 25, ne se pouvant tirer de 15620, je verrois évidemment que 25 n'est pas au juste la racine cubique de 15620 ; je mettrois donc pour second chiffre 4 au lieu de 5, ce qui feroit 24 pour racine totale ; je l'éleverois au cube, & je tirerois le cube 13824 de 15620 ; & pour lors je verrois, à n'en pouvoir douter, que la racine cubique de 15620 est 24, outre le reste 1796, lequel fait une espece de fraction dont on peut tirer la racine cubique par des procédés connus ; mais dont je ne parlerai point ici, pour ne pas allonger davantage ce morceau qui paroîtra peut-être déjà trop étendu.

Au reste, ce qu'on vient d'exposer ici sur de petits nombres, peut s'appliquer à tous les autres cas, & pourra même répandre quelque lumiere sur ces opérations difficiles que je n'ai point encore vûes traitées d'une maniere satisfaisante, & que j'ai fait comprendre à des enfans de dix ans par le seul moyen de l'arithmétique employée ci-dessus.

Le plus grand résidu possible d'une racine cubique est la racine elle-même multipliée par 6, & outre cela le plus grand résidu possible de la racine immédiatement inférieure. Par exemple, la racine cubique de 26 étant 2 pour 8, le résidu 18 est le plus grand résidu possible de la racine 2. Or ce résidu est formé du sextuple 12 de la racine 2, & du plus grand résidu possible 6 de la racine inférieure.

La racine cubique de 63 étant 3 pour 27, le résidu 36 est le plus grand résidu possible de la racine 3 ; or ce résidu est formé du sextuple 18 de la racine 3, & du plus grand résidu possible 18 de la racine inférieure 2.

La racine cubique de 124 étant 4 pour 64, le résidu 60 est le plus grand résidu possible de la racine 4 ; or ce résidu est formé du sextuple 24 de la racine 4, & du plus grand résidu possible 36 de la racine inférieure 3 ; & ainsi des autres. Cet article est de M. FAIGUET, maître de pension à Paris.

Lorsqu'un nombre n'a pas de racine exacte, il est facile d'approcher aussi près qu'on veut de la racine par le moyen du calcul décimal, sur quoi voyez les articles APPROXIMATION & DECIMAL. Il ne s'agit que d'ajoûter au nombre proposé un certain nombre de zéros, & d'extraire ensuite la racine à l'ordinaire.

Il y a des cas, tels que ceux où la racine n'est pas exacte, où il est plus commode d'indiquer l'extraction. Alors on se sert de ce signe , auquel on ajoûte l'exposant de la puissance, s'il ne s'agit pas de la puissance seconde, car dans ce cas on le sousentend quelquefois. Ainsi ou signifient racine quarrée ; , racine cubique, &c. Voyez RACINE.

Au lieu d'extraire la racine quarrée-quarrée, on peut extraire deux fois la quarrée, parce que = . Au lieu d'extraire la racine cubo-cubique, on peut extraire la racine cubique, & ensuite la racine quarrée, car = . Il y en a qui n'appellent point ces racines cubo-cubiques, mais quadrato-cubiques. Il faut observer la même regle dans les autres cas, où les exposans des puissances ne sont pas des nombres premiers entr'eux.

Preuve de l'extraction des racines. 1°. Preuve de la racine quarrée. Multipliez la racine trouvée par elle-même ; ajoûtez au produit le reste, s'il y en a un ; & dites que l'opération a été bien faite, si vous avez une somme égale à celle dont on vous avoit proposé d'extraire la racine quarrée.

2°. Preuve de la racine cubique. Multipliez la racine trouvée par elle-même, & le produit par la racine. Ajoûtez à ce dernier produit le reste, s'il y en a un ; & concluez que l'extraction a été bien faite, s'il vous vient une somme égale à celle dont vous aviez à extraire la racine cubique.

Il n'y a point d'extractions de racine, dont la preuve ne se fasse de cette maniere.

Extraire les racines des quantités algébriques. Le signe radical annonce seul d'une maniere évidente l'extraction des racines des quantités algébriques simples. Ainsi est a, est ac, est 3 ac, est 7 a a x. Pareillement a4/c c est a a/c, a4 b b/c c est a a b/c, 9 a a z z/25 b b est 3 a z /5 b, 4/9 est 2/3, est 2 b2/3 a, & a a b b est a b. On a aussi b a a c c ou b x a a c c = b x ac = abc ; & 3 c 9 a a z z/25 b b = 3 c X 3 a z/5 b = 9 a c z/5 b, & /c 4 b b x4/81 a a = /c X 2 b x x/9 a ou 2 a b x x + 6 b x3/9 a c. Je dis que dans ces cas l'extraction est évidente ; parce qu'on voit du premier coup-d'oeil que les quantités proposées ont été engendrées par la multiplication des racines qu'on leur attribue, & que a a = a x a, a a c c = a c x a c, 9 a a c c = 3 a c x 3 a c, &c. Mais lorsque les quantités algébriques sont complexes ou sont composées de plusieurs termes, alors l'extraction s'en fait comme celle des nombres.

Soit proposé d'extraire la racine quarrée de a a + 2 a b + b b. Ecrivez d'abord à la racine la racine quarrée du premier terme a a, savoir a. Soustrayez le quarré de a, il restera 2 a b + b b. Pour trouver le reste de la racine, divisez le second terme 2 a b, par le double de a ou par 2 a ; & dites en 2 a b, combien de fois 2 a, vous trouverez b de fois ; b sera donc le second terme de la racine cherchée. Multipliez b par 2 a + b, & soustrayez le produit. La soustraction faite, il ne reste rien : d'où il s'ensuit que a + b est la même racine exacte de a a + 2 a b + b b.

a a + 2 a b + b b | a + b

- a a

0 + 2 a b + b b

- 2 a b - b b

0 0

Soit proposé d'extraire la racine quarrée de a4 + 6 a3 b + 5 a a b b - 12 a b3 + 4 b4. Mettez d'abord au quotient la racine quarrée a a du premier terme a4. Soustrayez le quarré de a a, il restera 6 a3 b + 5 a a b b - 12 a b3 + 4 b4. Dites en 6 a3 b, combien de fois 2 a a, vous trouverez 3 a b ; écrivez donc 3 a b à la racine. Multipliez 3 a b par 2 a a + 3 a b, & soustrayez le produit 6 a3 b + 9 a a b b. La soustraction faite, il restera - 4 a a b b - 12 a b5 + 4 b4. Continuez l'opération, & dites derechef en - 4 a a b b - 12 a b3, combien de fois 2 a a + 6 a b, ou le double des deux premiers termes, vous trouverez - 2 b b. Ecrivez donc à la racine - 2 b b ; multipliez - 2 b b par 2 a a + 6 a b - 2 b b, & soustrayez ce produit. La soustraction faite, il ne restera plus rien.

D'où il s'ensuit que la racine cherchée est a a + 3 a b - 2 b b. Voici l'opération tout au long.

a4 + 6 a3 b + 5 a a b b - 12 a b3 + 4 b4 | a a + 3 a b - 2 b b

- a4___

0 - 6 a3 b + 5 a a b b - 12 a b3 + 4 b4

+ 6 a3 b - 9 a a b b_____________

0 - 4 a a b b - 12 a b3 + 4 b4

+ 4 a a b b +12 a b3 - 4 b4

0 0 0______________________________________________

Pareillement la racine quarrée de x x - a x + 1/4 = x - 1/2 ; celle de y4 + 4 y3 - 8 y + 4 = 2 y + 2 y - 2 ; celle de 16 a4 - 24 a a x x + 9 x4 + 12 bb xx - 16 aa bb + 4 b4 = 3 xx - 4 aa + 2 bb : comme il paroît par ce qui suit.

x x - a x + 1/4 a a | x - 1/2 a

- x x__

0 - a x + 1/4 a a_________________

0 0___________________________________________________________

9 x4 - 24 a2 x2 + 16 a4

+ 12 b2 x2 - 16 a a b b | 3 x2 - 4 a a + 2 b b

+ 4 b4

- 9 x4__________________

0 - 24 a2 a2 + 16 a4

+ 12 b2 x2 - 16 a2 b b

+ 4 b4______

0 0______________________________________________________________

y4 + 4 y3 - 8 y + 4 | y y + 2 y - 2

- y4_________________________

0 + 4 y3 + 4 y y______________

0 - 4 y y

- 4 y y - 8 y + 4_______

0 0 0________________________________________________________

Soit proposé d'extraire la racine cubique de a 3 + 3 a a b + 3 a b b + b 3. Voici comment cette opération se fait,

__a3 + 3 a a b + 3 a b b + b3 | a + b

_- a3___________________

3 a a | + 3 a a b | b_____

a3 + 3 a a b + 3 a b b + b3

0 0 0_______________________________________________________

Extrayez la racine cubique du premier terme a3, & vous aurez a ; mettez donc a à la racine. Soustrayez le cube de a ou a3, il restera 3 a a b + 3 a b b + b3. Dites : combien de fois le quarré de a multiplié par 3, est-il dans 3 aab ? Il vous viendra b de fois ; écrivez donc b à la racine. Soustrayez de a3 + 3 a a b + 3 a b b + b3, le cube de a + b. La soustraction faite, il ne vous restera plus rien ; donc a + b est la racine que vous cherchiez. Pareillement z + 2 z - 4 sera la racine cubique de z6 + 6 z5 - 40 z3 + 96 z - 64 ; & ainsi des racines des puissances plus élevées. (E)

Sur l'extraction des racines des équations, voyez CAS IRREDUCTIBLE, EQUATION, RACINE, &c.

On peut extraire facilement par logarithmes les racines des quantités numériques ; c'est la méthode de tous les calculateurs. Voyez LOGARITHME.

Extraire la racine d'une quantité irrationnelle. Soit, par exemple, 3 - 2 2, dont on veut extraire la racine quarrée, on supposera que x - y soit la racine cherchée, & on aura x x + y - 2 x y = 3 - 2 2 ; & faisant les parties rationnelles égales aux rationnelles, & les irrationnelles aux irrationnelles, on aura x x + y = 3, x y = 2 ; d'où l'on tire x2 = 2/ y, & 2/ y + y = 3 ; donc y y - 3 y = - 2, & y = 3/2 ± 1/2 = 1 ou 2 ; donc x2 = 1 ou 2 ; donc 1 - 2, ou 2 - 1, est la quantité cherchée. On peut appliquer cette méthode aux cas plus composés. Voyez la science du calcul du P. Reyneau, l'Analyse démontrée du même auteur, l'Algebre de M. Clairaut, & d'autres ouvrages.

C'est par cette méthode d'extraire les racines des quantités irrationnelles, qu'on trouve souvent la racine commensurable d'une équation du troisieme degré ; car + exprimant la racine d'une telle équation, si on trouve x + y pour la racine cubique de a + b, x - y sera la racine cubique de a - b ; ainsi la racine cherchée de l'équation sera 2 x ; mais lorsque la racine est commensurable, il est plus court de la chercher par le moyen des diviseurs du dernier terme.

En général l'artifice de la méthode pour extraire les racines des quantités irrationnelles, c'est de les supposer égales à un polynome composé de radicaux & de quantités rationnelles inconnues, selon qu'on le jugera le plus convenable. On formera ensuite autant d'équations qu'on aura pris d'inconnues, & chacune de ces équations doit avoir des racines commensurables, si le polynome qui représente la racine a été bien choisi. Ainsi la résolution de ces équations n'aura aucune difficulté.

Au reste le mot extraction se dit plus proprement & plus ordinairement de l'opération par laquelle on trouve les racines des quantités algébriques ou numériques, que de celle par laquelle on trouve les racines des équations, le mot racine ayant deux sens très-différens dans ces deux cas. Voyez RACINE. (O)

EXTRACTION ou DESCENDANCE, en Généalogie, signifie la souche ou la famille dont une personne est descendue. Voyez DESCENDANCE & GENEALOGIE. Il faut qu'un candidat prouve la noblesse de son extraction, pour être admis dans quelqu'ordre de chevalerie ou dans certains chapitres, &c. Voyez CHEVALIER, ORDRE, &c.

EXTRACTION, NAISSANCE ou GENEALOGIE, Voyez NAISSANCE & GENEALOGIE.

EXTRACTION, en Chirurgie, est une opération par laquelle, à l'aide de quelqu'instrument ou de l'application de la main, on tire du corps quelque matiere étrangere qui s'y étoit formée, ou qui s'y est introduite contre l'ordre de la nature.

Telle est l'extraction de la pierre, qui se forme dans la vessie ou dans les reins, &c. Voyez PIERRE. Voyez aussi LYTHOTOMIE.

L'extraction appartient à l'exérèse, comme l'espece à son genre. Voy. EXERESE & CORPS ETRANGERS.

EXTRACTION, (Chimie) L'extraction est une opération chimique par laquelle on sépare d'un mixte, d'un composé ou d'un sur-composé, un de leurs principaux constituans, en appliquant à ces corps un menstrue convenable. Cette opération a été appellée par plusieurs chimistes, solution partiale. L'extraction est le moyen général par lequel s'exécute cette analyse si utile à la découverte de la constitution intérieure des corps, que nous avons célébrée dans plusieurs articles de ce Dictionnaire, sous le nom d'analyse menstruelle. Voyez ANALYSE MENSTRUELLE, au mot MENSTRUE. (b)


EXTRADOSS. m. (Coupe des pierres) c'est la surface extérieure d'une voûte lorsqu'elle est réguliere, comme l'intrados, soit qu'elle lui soit parallele ou non. La plûpart des voûtes des ponts antiques étoient extradossées d'égale épaisseur. Le pont Notre-Dame à Paris est ainsi extradossé. (D)


EXTRADOSSÉadject. en Architecture. On dit qu'une voûte est extradossée, lorsque le dehors n'en est pas brut, & que les queues des pierres en sont coupées également, ensorte que le parement extérieur est aussi uni que celui de la doüelle, comme à la voûte de l'église de S. Sulpice à Paris. (P)


EXTRAIREtirer quelque chose d'une autre. Voyez EXTRACTION. En termes de Commerce, il signifie faire le dépouillement d'un journal ou de quelqu'autre livre à l'usage des marchands & banquiers, pour voir ce qui leur est dû par chaque particulier, ou les sommes qu'ils en ont reçûes à-compte. (G)


EXTRAITS. m. (Belles-Lettr.) se dit d'une exposition abregée, ou de l'épitome d'un plus grand ouvrage. Voyez EPITOME.

Un extrait est ordinairement plus court & plus superficiel qu'un abregé. Voyez ABREGE.

Les journaux & autres ouvrages périodiques qui paroissent tous les mois, & où l'on rend compte des livres nouveaux, contiennent ou doivent contenir des extraits des matieres les plus importantes, ou des morceaux les plus frappans de ces livres. Voyez JOURNAL. (G)

L'extrait d'un ouvrage philosophique, historique, &c. n'exige, pour être exact, que de la justesse & de la netteté dans l'esprit de celui qui le fait. Exprimer la substance de l'ouvrage, en présenter les raisonnemens ou les faits capitaux dans leur ordre & dans leur jour, c'est à quoi tout l'art se réduit ; mais pour un extrait discuté, combien ne faut-il pas réunir de talens & de lumieres ? Voyez CRITIQUE.

On se plaignoit que Bayle en imposoit à ses lecteurs, en rendant intéressant l'extrait d'un livre qui ne l'étoit pas : il faut avouer que la plûpart de ses successeurs ont bien fait ce qu'ils ont pû pour éviter ce reproche ; rien de plus sec que les extraits qu'ils nous donnent, non-seulement des livres scientifiques, mais des ouvrages littéraires.

Nous ne parlerons point des extraits dont l'ignorance & la mauvaise foi ont de tout tems inondé la Littérature. On voit des exemples de tout ; mais il en est qui ne doivent point trouver place dans un ouvrage sérieux & décent, & nous ne devons nous occuper que des journalistes estimables. Quelques-uns d'entr'eux, par égard pour le public, pour les auteurs & pour eux-mêmes, se font une loi de ne parler des ouvrages qu'en historiens du bon ou du mauvais succès, ne prenant sur eux que d'en exposer le plan dans une froide analyse. C'est pour eux que nous hasardons ici quelques réflexions que nous avons faites ailleurs sur l'art des extraits, appliquées au genre dramatique, comme à celui de tous qui est le plus généralement connu & le plus legerement critiqué.

La partie du sentiment est du ressort de toute personne bien organisée ; il n'est besoin ni de combiner ni de réflechir pour savoir si l'on est émû, & le suffrage du coeur est un mouvement subit & rapide. Le public à cet égard est donc un excellent juge. La vanité des auteurs mécontens peut bien se retrancher sur la legereté françoise, si contraire à l'illusion, & sur ce caractere enjoüé qui nous distrait de la situation la plus pathétique, pour saisir une allusion ou une équivoque plaisante. La figure, le ton, le geste d'un acteur, un bon mot placé à propos, ou tel autre incident plus étranger encore à la piece, ont quelquefois fait rire où l'on eût dû pleurer ; mais quand le pathétique de l'action est soûtenu, la plaisanterie ne se soûtient point : on rougit d'avoir ri, & l'on s'abandonne au plaisir plus décent de verser des larmes. La sensibilité & l'enjouement ne s'excluent point, & cette alternative est commune aux François avec les Athéniens, qui n'ont pas laissé de couronner Sophocle. Les François frémissent à Rodogune, & pleurent à Andromaque : le vrai les touche, le beau les saisit ; & tout ce qui n'exige ni étude ni réflexion, trouve en eux de bons critiques. Le journaliste n'a donc rien de mieux à faire que de rendre compte de l'impression générale pour la partie du sentiment. Il n'en est pas ainsi de la partie de l'art ; peu la connoissent, & tous en décident : on entend souvent raisonner là-dessus, & rarement parler raison. On lit une infinité d'extraits & de critiques des ouvrages de théatre ; le jugement sur le Cid est le seul dont le goût soit satisfait ; encore n'est-ce qu'une critique de détail, où l'académie avoue qu'elle a suivi une mauvaise méthode en suivant la méthode de Scudéri. L'académie étoit un juge éclairé, impartial & poli, peu de personnes l'ont imitée ; Scudéri étoit un censeur malin, grossier, sans lumieres, sans goût : il a eu cent imitateurs.

Les plus sages, effrayés des difficultés que présente ce genre de critique, ont pris modestement le parti de ne faire des ouvrages de théatre que de simples analyses : c'est beaucoup pour leur commodité particuliere, mais ce n'est rien pour l'avantage des Lettres. Supposons que leur extrait embrasse & développe tout le dessein de l'ouvrage, qu'on y remarque l'usage & les rapports de chaque fil qui entre dans ce tissu, l'analyse la plus exacte & la mieux détaillée sera toûjours un rapport insuffisant dont l'auteur aura droit de se plaindre. Rappellons-nous ce mot de Racine, ce qui me distingue de Pradon, c'est que je sai écrire : cet aveu est sans-doute très-modeste ; mais il est vrai du moins que nos bons auteurs different plus des mauvais par les détails & le coloris, que par le fond & l'ordonnance.

Combien de situations, combien de traits, de caracteres que les détails préparent, fondent, adoucissent, & qui révoltent dans un extrait ? Qu'on dise simplement du Misantrope qu'il est amoureux d'une coquette qui joue cinq ou six amans à-la-fois ; qu'on dise de Cinna qu'il conseille à Auguste de garder l'empire, au moment où il médite de le faire périr comme usurpateur ; quoi de plus choquant que ces disparates ? mais qu'on lise les scenes où le Misantrope se reproche sa passion à lui-même, où Cinna rend raison de son dessein à Maxime, on trouvera dans la nature ce qui choquoit la vraisemblance. Il n'est point de couleurs qui ne se marient, tout l'art consiste à les bien nuer, & ce sont ces nuances qu'on néglige de faire appercevoir dans les linéamens d'un extrait. On croit avoir assez fait, quand on a donné quelques échantillons du style ; mais ces citations sont très-équivoques, & ne laissent présumer que très-vaguement de ce qui les précede ou les suit, vû qu'il n'est point d'ouvrage où l'on ne trouve quelques endroits au-dessus ou au-dessous du style général de l'auteur. On est donc injuste sans le vouloir, peut-être même par la crainte de l'être, lorsqu'on se borne au simple extrait & à l'analyse historique d'un ouvrage de théatre. Que penseroit-on d'un critique qui, pour donner une idée du S. Jean de Raphaël, se borneroit à dire qu'il est de grandeur naturelle, porté sur une aigle, tenant une table de la main gauche, & une plume de la main droite ? Il est des traits sans-doute dont la beauté n'a besoin que d'être indiquée pour être sentie ; tel est, par exemple, le cinquieme acte de Rodogune : tel est le coup de génie de ce peintre qui, pour exprimer la douleur d'Agamemnon au sacrifice d'Iphigénie, l'a représenté le visage couvert d'un voile ; mais ces traits sont aussi rares que précieux. Le mérite le plus général des ouvrages de Peinture, de Sculpture, de Poésie, est dans l'exécution ; & dès qu'on se bornera à la simple analyse d'un ouvrage de goût, pour le faire connoître, on sera aussi peu raisonnable que si l'on prétendoit sur un plan géométral faire juger de l'architecture d'un palais. On ne peut donc s'interdire équitablement dans un extrait littéraire, les réflexions & les remarques inséparables de la bonne critique. On peut parler en simple historien des ouvrages purement didactiques, mais on doit parler en homme de goût des ouvrages de goût. Supposons que l'on eût à faire l'extrait de la tragédie de Phedre ; croiroit-on avoir bien instruit le public, si, par exemple, on avoit dit de la scene de la déclaration de Phedre à Hyppolite :

" Phedre vient implorer la protection d'Hyppolite pour ses enfans, mais elle oublie à sa vûe le dessein qui l'amene. Le coeur plein de son amour, elle en laisse échapper quelques marques. Hyppolite lui parle de Thésée, Phedre croit le revoir dans son fils ; elle se sert de ce détour pour exprimer la passion qui la domine : Hyppolite rougit & veut se retirer : Phedre le retient, cesse de dissimuler, & lui avoue en même tems la tendresse qu'elle a pour lui, & l'horreur qu'elle a d'elle-même ".

Croiroit-on de bonne-foi trouver dans ses lecteurs une imagination assez vive pour suppléer aux détails qui font de cette esquisse un tableau admirable ? Croiroit-on les avoir mis à portée de donner à Racine les éloges qu'on lui auroit refusés en ne parlant de ce morceau qu'en simple historien ?

Quand un journaliste fait à un auteur l'honneur de parler de lui, il lui doit les éloges qu'il mérite, il doit au public les critiques dont l'ouvrage est susceptible, il se doit à lui-même un usage honorable de l'emploi qui lui est confié : cet usage consiste à s'établir médiateur entre les auteurs & le public ; à éclairer poliment l'aveugle vanité des uns, & à rectifier les jugemens précipités de l'autre. C'est une tâche pénible & difficile ; mais avec des talens, de l'exercice & du zele, on peut faire beaucoup pour le progrès des Lettres, du goût & de la raison. Nous l'avons déjà dit, la partie du sentiment a beaucoup de connoisseurs, la partie de l'art en a peu, la partie de l'esprit en a trop. Nous entendons ici par esprit, cette espece de chicane qui analyse tout, & même ce qui ne doit pas être analysé.

Si chacun de ces juges se renfermoit dans les bornes qui lui sont prescrites, tout seroit dans l'ordre : mais celui qui n'a que de l'esprit, trouve plat tout ce qui n'est que senti : celui qui n'est que sensible, trouve froid tout ce qui n'est que pensé ; & celui qui ne connoît que l'art, ne fait grace ni aux pensées ni aux sentimens, dès qu'on a péché contre les regles : voilà pour la plûpart des juges. Les auteurs de leur côté ne sont pas plus équitables ; ils traitent de bornés ceux qui n'ont pas été frappés de leurs idées, d'insensibles ceux qu'ils n'ont pas émûs, & de pédans ceux qui leur parlent des regles de l'art. Le journaliste est témoin de cette dissention, c'est à lui d'être le conciliateur. Il faut de l'autorité, dira-t-il, oüi sans-doute ; mais il lui est facile d'en acquérir. Qu'il se donne la peine de faire quelques extraits, où il examine les caracteres & les moeurs en philosophe, le plan & la contexture de l'intrigue en homme de l'art, les détails & le style en homme de goût : à ces conditions, qu'il doit être en état de remplir, nous lui sommes garans de la confiance générale. Ce que nous venons de dire des ouvrages dramatiques, peut & doit s'appliquer à tous les genres de Littérature. Voyez CRITIQUE. Cet article est de M. MARMONTEL.

EXTRAIT, (Jurispr.) signifie ce qui est tiré d'un acte ou d'un registre, ou autre piece. Quelquefois on entend par cet extrait un abregé, quelquefois une copie entiere.

EXTRAIT BAPTISTAIRE, est une expédition d'un acte de baptême tiré sur le registre destiné à écrire ces sortes d'actes. Voyez BAPTEME & REGISTRES.

EXTRAIT LEGALISE, est celui dont la vérité est attestée par une personne supérieure à celle qui a délivré l'extrait. Voyez LEGALISATION.

EXTRAIT DE MARIAGE, est une expédition ou copie authentique d'un acte de célébration de mariage, tiré sur le registre destiné à écrire les mariages. Voyez MARIAGE & REGISTRE DES MARIAGES.

EXTRAIT SUR LA MINUTE, est une expédition tirée sur la minute même d'un acte, à la différence de ceux qui sont tirés seulement sur une expédition ou sur une copie collationnée. Le premier, c'est-à-dire celui qui est tiré sur la minute, est le plus authentique.

EXTRAIT MORTUAIRE, est l'expédition d'un acte mortuaire, c'est-à-dire la mention qui est faite du décès de quelqu'un sur le registre destiné à cet effet. Voyez MORTUAIRE & REGISTRES MORTUAIRES.

EXTRAIT D'UN PROCES, est l'abrégé d'un procès, c'est-à-dire un mémoire qui contienne la date de toutes les pieces, & le précis de ce qui peut servir à la décision du procès. Les rapporteurs ont ordinairement un extrait à la main, pour soulager leur mémoire, lorsqu'ils font le rapport d'un procès. Le secrétaire du rapporteur fait communément son extrait du procès, pour soulager le rapporteur ; mais le rapporteur doit voir les choses par lui-même, & ne doit pas se fier à l'extrait de son secrétaire, qui peut être infidele, soit par inadvertance, ou pour favoriser une des parties au préjudice de l'autre. Le rapporteur doit donc régulierement faire lui-même son extrait, ou si bien vérifier celui de son secrétaire, qu'il puisse attester les faits par lui-même. On voit dans le style des cours, des lettres patentes du roi de l'année 1625, pour dispenser un conseiller de faire lui-même ses extraits, à cause qu'il avoit la vûe basse. Ceux qui se servent de l'extrait de leur secrétaire, font ordinairement, en le vérifiant, un extrait à leur maniere, & plus concis, qu'on appelle le sous-extrait.

EXTRAIT DES REGISTRES, c'est ce qui est tiré de quelque registre public. Cet intitulé se met en tête des expéditions des jugemens qui ne sont délivrés qu'en abregé, c'est-à-dire qui ne sont pas en forme exécutoire. Les extraits des registres des baptêmes, mariages, sépultures, &c. sont ordinairement des expéditions entieres des actes qu'ils contiennent. Voyez EXPEDITION, REGISTRES & JUGEMENT.

EXTRAIT DE SEPULTURE, voyez EXTRAIT MORTUAIRE.

EXTRAIT DE BATARD dans quelques coûtumes, comme Boulenois, Hainaut & Montreuil, signifie le droit que les seigneurs hauts-justiciers ont de partager entr'eux les biens d'un bâtard décédé sans hoirs & ab intestat. Voyez ESTRAYERES. (A)

EXTRAIT, (Chimie, Pharmacie, & Thérapeutique) Ce mot pris dans le sens chimique le plus général, signifie un principe quelconque, séparé par le moyen d'un menstrue d'un autre principe, avec lequel il étoit combiné, ou pour le définir en deux mots, le produit de l'extraction. Voyez EXTRACTION.

Le nom d'extrait est beaucoup plus usité dans un sens moins général, & il est presque restreint par l'usage à designer une matiere particuliere, retirée de certaines substances végétales, par le moyen de l'eau.

Le menstrue aqueux, qui est l'instrument de cette séparation, ou se trouve dans la plante même, ou on le prend du dehors : dans le premier cas, qui est celui des plantes aqueuses, on les écrase & on les exprime ; par-là on obtient un suc chargé par dissolution réelle de la partie extractive, & par contusion de la fécule de la plante, & de sa résine particuliere, lorsqu'elle est résineuse. Si on applique une eau étrangere à une plante, on en fait l'infusion ou la décoction, & ensuite l'expression : la liqueur fournie par ces opérations, est aussi ordinairement troublée, par la présence de quelques matieres non dissoutes : or ce n'est que la matiere réellement dissoute, combinée chimiquement avec l'eau, qui est le véritable extrait dont il s'agit ici. Voyez SUC, INFUSION, DECOCTION, CULECULE.

Pour préparer un extrait, c'est-à-dire pour le retirer de l'eau, & le séparer des parties étrangeres ou féculentes, on n'a donc qu'à prendre certaines infusions, certaines décoctions, certains sucs, les défoequer par la résidence, par la filtration à-travers la chausse, ou les clarifier par le blanc-d'oeuf (voyez DEFECATION, FILTRATION, CLARIFICATION), & évaporer ensuite, à feu doux, ordinairement au bain marie, jusqu'à la consistance appellée d'extrait mou, ou simplement d'extrait ; expression suffisamment exacte, parce qu'on ne réduit que rarement les extraits sous forme solide.

La consistance d'extrait, est l'état de la mollesse à-peu-près, moyen entre la consistance sirupeuse, & la consistance des tablettes, ou l'état solide (voyez SIROP, TABLETTES). On apprend suffisamment par l'habitude, à saisir quelques signes sensibles, auxquels on reconnoît cet état, qui est essentiel à la perfection de l'extrait, & sur-tout à sa conservation ; il faut que le doigt éprouve quelque résistance, en pressant un extrait refroidi ; il doit laisser à sa surface une pression durable, & s'en détacher sans en rien emporter, c'est-à-dire ne pas coller.

L'extrait que nous voulons désigner ici, est d'une couleur noirâtre, & d'une saveur plus ou moins amere, toûjours mêlée d'un goût de résine, ou de caramel. Les substances végétales, qui fournissent un pareil extrait, sont les racines, les tiges, les bois, les écorces, les plantes, celles des fruits & des semences, & enfin les fleurs.

L'extrait, considéré généralement comme la matiere des décoctions par l'eau de ces substances végétales ; ou comme leur suc clarifié, épaissi, & auquel convient la description que nous venons d'en faire, peut contenir diverses substances ; savoir, toutes les matieres végétales, solubles par l'eau (voyez EAU, Chimie), le corps doux, le mucilage, & les autres especes du corps muqueux : mais les substances retirées par l'évaporation des décoctions & des sucs végétaux, ne sont appellés extraits, qu'autant qu'une certaine substance particuliere, savoir, celle qui donne lieu à cet article, y prédomine.

Cette substance particuliere, appellée spécialement extrait, est mal connue des Chimistes. Voici cependant les propriétés auxquelles on la reconnoît : l'extrait, proprement dit, a éminemment cette saveur amere, suivie d'un arriere-goût de sucre brûlé, que nous avons énoncé plus haut. Distillé à la violence du feu (dans des vaisseaux très-élevés, car il se gonfle facilement, voyez DISTILLATION) ; il donne à-peu-près les mêmes principes qu'une plante purement extractive (voyez ANALYSE VEGETALE, au mot VEGETAL) ; il est combustible : on retrouve dans ses cendres, comme dans celles d'une plante de l'alkali fixe, du tartre vitriolé & du sel marin : lorsqu'il est bien desséché, il est en partie soluble par l'esprit de vin ; mais ce qui le caractérise proprement, c'est son universalité dans toutes les substances que nous avons nommées plus haut. Les différentes especes de corps muqueux, se trouvent dans un petit nombre de ces substances, & y sont comme accidentelles ou étrangeres : l'extrait est le principe de la composition intérieure des organes de la plante ; il est cette matiere générale, qui se retire par l'eau de toute feuille, racine, &c. Comme ce n'est ordinairement que dans des vûes pharmaceutiques qu'on prépare des extraits, & qu'on n'a pas observé que le mélange des substances muqueuses altérât la vertu médicinale de l'extrait proprement dit ; on ne se met point en peine de les en séparer, excepté qu'elles n'empêchassent que le médicament ne fût de garde ; car dans ce cas, ou il faudroit les séparer, ou renoncer à posséder sous la forme d'extrait, la matiere médicamentale d'une pareille plante : on ne s'avise point, par exemple, de préparer l'extrait de guimauve, par cette derniere raison.

Mais si on vouloit préparer un extrait dans des vûes philosophiques, il faudroit tâcher de le séparer de ces diverses substances ; ce qui n'est pas aisé : l'unique moyen que nous connoissons aujourd'hui, c'est de partager le tems pendant lequel on applique l'eau, ou d'en varier la chaleur, & d'observer dans quel tems ou à quel degré se sépare la substance qu'on veut rejetter, & celle qu'on veut retenir.

Les extraits renferment sous un petit volume tous les principes utiles des substances, dont la vertu médicinale ne résidoit point dans des principes volatils, dissipés par la décoction ou l'évaporation, ou dans des parties terreuses ou résineuses, séparées par la défoecation, ou épargnées par le menstrue aqueux.

Les plantes aromatiques, & celles qui contiennent un alkali volatil libre, ne doivent donc point être exposées aux opérations qui fournissent des extraits ; au moins ne doit-on pas espérer de concentrer toute la vertu de la plante dans l'extrait : on ne doit pas non plus se proposer d'extraire, par le moyen de l'eau, les parties médicamenteuses des substances, qui n'operent que par leurs racines ; c'est ainsi qu'on ne doit point substituer la décoction ou l'extrait de jalap à sa poudre. Certaines écorces très-terreuses, comme le quinquina, peuvent être dans plusieurs cas, des remedes bien différens de ces matieres données en substance, à cause de l'effet absorbant dû à leur terre, qui ne passe qu'en petite quantité dans l'extrait.

Certains végétaux inodores, tels que le sené, l'ellébore, qui sont des purgatifs très-efficaces, donnés en substance ou en infusion, fournissent des extraits qui ne purgent que très-foiblement : les roses perdent aussi, par une longue évaporation, leur vertu purgative ; quelques autres au contraire, tels que l'écorce de sureau, donnent des extraits qui retiennent toute leur vertu purgative.

Le principal avantage que nous fournissent les remedes réduits sous la forme d'extraits, c'est la facilité de les conserver, & de les faire prendre aux malades.

L'extrait est toûjours une préparation officinale. On trouve dans diverses pharmacopées plusieurs extraits composés. La pharmacopée de Paris n'a retenu que l'extrait panchymagogue. Voyez PANCHYMAGOGUE.

Les sels de la Garaye sont des extraits. Voyez HYDRAULIQUE, (Chimie).

Certains sucs épaissis, comme le cachou, l'hypocistis, l'opium, & l'aloès, sont des extraits solides ; voyez ces articles. La thériaque céleste est un extrait composé. Voyez THERIAQUE.

Outre les médicamens dont nous venons de parler, on connoît encore sous le nom d'extrait, plusieurs préparations pharmaceutiques, tirées des substances métalliques ; mais ces préparations sont plus connues sous le nom de teinture (voyez SUBSTANCES METALLIQUES & TEINTURE) : le seul extrait de Mars est spécialement connu sous ce nom. Voyez FER. (b)

EXTRAIT, dans le Commerce, a diverses significations.

Il signifie 1°. un projet de compte qu'un négociant envoye à son correspondant, ou un commissionnaire à son commettant, pour le vérifier.

2°. Ce qui est tiré d'un livre ou d'un registre d'un marchand. L'extrait d'un journal forme un mémoire.

3°. C'est aussi un des livres dont les marchands & banquiers se servent dans leur commerce : on l'appelle autrement livre de raison, & plus ordinairement le grand livre. Voyez LIVRE. Chambers.


EXTRAJUDICIAIREadj. (Jurispr.) se dit des actes qui non-seulement sont faits hors jugement & non coram judice pro tribunali sedente, mais aussi qui ne font point partie de la procédure & instruction.

Ce terme extrajudiciaire est opposé à judiciaire ; ainsi une requisition est judiciaire, ou se fait judiciairement, quand elle est formée sur le barreau. Les assignations, défenses, & autres procédures tendantes à instruire l'affaire & à en poursuivre le jugement, sont aussi des actes judiciaires, c'est-à-dire formés par la voie judiciaire ; au lieu qu'un simple commandement, une sommation, un procès-verbal, & autres actes semblables, quoique faits par le ministere d'un huissier ou sergent, sont des actes extrajudiciaires, lorsqu'ils ne contiennent point d'assignation.

Les actes judiciaires ou procédures tombent en péremption ; au lieu que les actes extrajudiciaires ne sont sujets qu'à la prescription. (A)


EXTRAORDINAIREadj. signifie quelque chose qui n'arrive pas ordinairement. Voyez ORDINAIRE.

Couriers extraordinaires, sont ceux qu'on dépêche exprès dans les cas pressans.

Ambassadeur ou envoyé extraordinaire, est celui qu'on envoye pour traiter & négocier quelqu'affaire particuliere & importante ; comme un mariage, un traité, une alliance, &c. ou même à l'occasion de quelque cérémonie, pour des complimens de condoléance, de congratulation, &c. Voyez AMBASSADEUR & ORDINAIRE.

Une gazette, un journal, ou des nouvelles extraordinaires, sont celles qu'on publie après quelque évenement important, qui en contiennent le détail & les particularités, qu'on ne trouve point dans les nouvelles ordinaires. Les auteurs des gazettes se servent de post-scripts ou supplémens, au lieu d'extraordinaires. Chambers.

EXTRAORDINAIRE, (Jurisprud.) signifie souvent procédure criminelle. Quelquefois les procureurs mettent ce mot sur leurs dossiers, pour dire que la cause n'est point au rôle d'aucune province, mais doit se poursuivre à une audience extraordinaire.

Audience extraordinaire, est celle que le juge donne en un autre tems que celui qui est accoûtumé.

Frais extraordinaires de criées, voyez CRIEES & FRAIS.

Jugement à l'extraordinaire, c'est-à-dire celui qui est rendu sur une instruction criminelle.

Procédure extraordinaire, c'est en général la procédure criminelle ; il faut néanmoins observer ce qui est dit dans l'article suivant.

Reglement à l'extraordinaire, c'est lorsque le juge ordonne que les temoins seront recollés & confrontés ; car jusque-là la procédure, quoique criminelle, n'est pas réputée vraiment extraordinaire.

Reprendre l'extraordinaire, c'est lorsqu'après avoir renvoyé les parties à l'audience sur la plainte & information, ou même avoir converti les informations en enquêtes, on ordonne, attendu de nouvelles charges qui sont survenues, que les témoins seront récolés & confrontés.

Voie extraordinaire, c'est la procédure criminelle. Prendre la voie extraordinaire, c'est se pourvoir par plainte, information, &c. au lieu que la voie ordinaire est celle d'une simple demande civile. (A)


EXTRAVAGANTES(Jurispr.) est le nom que l'on donne aux constitutions des papes, qui sont postérieures aux clémentines : elles ont été ainsi appellées quasi vagantes extra corpus juris, pour dire qu'elles étoient hors du corps de droit canonique, lequel ne comprenoit d'abord que le decret de Gratien ; ensuite on y ajoûta les decrétales de Grégoire IX. le sexte de Boniface VIII. & les clémentines. Enfin les extravagantes ont été elles-mêmes insérées dans le corps de droit canonique ; elles sont placées à la suite des clémentines, à la fin du troisieme tome, qu'on appelle communément le sexte, ou liber sextus decretalium de Boniface VIII.

Il y a deux sortes d'extravagantes, savoir celles de Jean XXII. & les extravagantes communes.

Les extravagantes de Jean XXII. sont vingt épîtres decrétales ou constitutions de ce pape, qui ont été distribuées sous quatorze titres sans aucune division par livres, attendu la briéveté de la matiere. On ignore précisément en quel tems cette collection parut. Son auteur mourut en 1334.

François de Pavinis, Guillaume de Montelauduno & Zenzelinus de Cassan, ont fait des gloses & apostilles sur ces extravagantes.

Celles qu'on appelle extravagantes communes sont des épîtres, decrétales ou constitutions de divers papes qui tinrent le saint-siége, soit avant Jean XXII. ou depuis ; elles sont divisées par livres comme les decrétales, & l'on y a suivi le même ordre de matieres : mais comme il ne s'y trouve aucune constitution sur les mariages, qui font l'objet du quatrieme livre des decrétales, on a supposé que le quatrieme livre des extravagantes communes manquoit, de sorte qu'il n'y a que quatre livres qui sont intitulés premier, second, troisieme, & cinquieme.

Ces extravagantes n'ont par elles-mêmes en France aucune autorité, si ce n'est autant qu'elles se trouvent conformes aux ordonnances de nos rois & aux usages du royaume ; de sorte qu'elles sont rejettées toutes les fois qu'elles se trouvent contraires aux libertés de l'église gallicane, ou à notre droit françois. (A)


EXTRAVASATIONEXTRAVASION, s. f. (Medecine) sont des termes synonymes en Medecine, qui signifient une effusion hors des vaisseaux, de quelque humeur que ce soit pour le corps humain ; soit qu'elle se soit répandue dans le tissu des parties, comme le sang dans l'échymose ; ou dans quelque grande cavité, comme la sérosité dans l'hydropisie.

L'un & l'autre de ces mots sont formés du latin extra, dehors, & vasa, vaisseau ; ils ne différent que par la terminaison, qui est arbitraire.

L'extravasation peut être causée par une replétion extraordinaire, ou une trop forte distension, qui dilate trop les orifices des vaisseaux, ou en déchire les parois. Voyez PLETHORE.

L'excoriation & l'érosion des parties contenantes peut aussi donner lieu à l'épanchement des parties contenues. Voyez ACRIMONIE. Il peut aussi être une suite de la saignée, des contusions, lorsque le sang se répand entre chair & cuir. Voyez ÉCHYMOSE.

Les remedes propres à prévenir l'extravasation ou à la corriger, ne peuvent être déterminés que relativement aux différentes causes qui peuvent la produire, ou qui l'ont produite : tels sont la saignée, les évacuans contre la pléthore, les adoucissans contre l'acrimonie, les résolutifs contre la contusion, &c.

Lorsque l'extravasation est suivie d'un épanchement considérable d'humeurs dans quelque cavité, le remede le plus sûr est de se hâter d'en faire l'évacuation, par le moyen des opérations propres à cet effet ; telles que celle du trépan pour l'intérieur du crâne, l'empyeme pour l'intérieur de la poitrine, la paracenthese pour l'intérieur du bas-ventre, la ponction pour l'hydrocele, &c. Voyez TREPAN, EMPYEME, PARACENTHESE, PONCTION, &c. (d)


EXTRÈME(Géom.) Quand une ligne est divisée, de maniere que la ligne entiere est à l'une de ses parties, comme cette même partie est à l'autre, on dit en Géométrie que cette ligne est divisée en moyenne & extrème raison. Voici comme on trouve cette division : Soit la ligne donnée A B = a (Pl. géom. fig. 64. n. 1.) ; soit le grand segment x, le petit sera a - x ; alors par l'hypothèse a : x : : x : a - x. Donc a a - a x = x x, par conséquent a a = x x + a x ; & en ajoûtant 1/4 a a de chaque côté, pour faire de x x + a x + 1/4 aa un quarré parfait, l'équation sera 5/4 a a = x x + a x + 1/4 a a.

Or, puisque la derniere quantité est exactement un quarré, sa racine x + 1/2 a = ; & par transposition on trouvera -1/2 a = x. Cela posé, sur A B = a, élevez à angles droits CB = 1/2 a ; ensuite tirez C A, dont le quarré est égal à 2 + 2 = 5/4 a a. Donc A C = ; avec A C décrivez l'arc A D, vous aurez C A = C D ; ainsi B D = C D - C B = - 1/2 a = x. Portez donc B D sur la ligne A B, depuis B jusqu'en E ; & la ligne A B sera coupée en moyenne & extrème raison au point E.

Cela ne peut pas se faire exactement par les nombres ; mais si on veut avoir une approximation raisonnable, il faut ajoûter ensemble le quarré d'un nombre quelconque, & le quarré de sa moitié, & extraire par approximation la racine quarrée de toute la somme ; d'où ôtant la moitié de la grandeur donnée, le reste sera le plus grand segment. Voyez APPROXIMATION, EXTRACTION, & l'article EQUATION, &c. (E)

EXTREMES d'une proportion, sont le premier & le quatrieme terme. Voyez PROPORTION & MOYEN.


EXTRÈME-ONCTIONS. f. (Théol.) sacrement de l'église catholique, institué pour le soulagement spirituel & corporel des malades, auxquels on le donne en leur faisant diverses onctions d'huile bénite par l'évêque, qu'on accompagne de diverses prieres qui expriment le but & la fin de ces onctions. Sa matiere est l'huile, & sa forme la priere. Voyez SACREMENT, ONCTION, FORME, MATIERE, &c.

Les Protestans ont retranché l'extrème-onction du nombre des sacremens, contre le témoignage formel de l'Ecriture & la pratique constante de l'Eglise pendant seize siecles.

On l'appelle extrème-onction, parce que c'est la derniere des onctions que reçoit un chrétien, ou qu'on ne la donne qu'à ceux qui sont à l'extrémité, ou au moins dangereusement malades. Dans le treizieme siecle on la nommoit onction des malades, unctio infirmorum, & on la leur donnoit avant le viatique ; usage qui, selon le P. Mabillon, ne fut changé que dans le treizieme siecle, mais qu'on a pourtant conservé ou rétabli depuis dans quelques églises, comme dans celle de Paris.

Les raisons que ce savant bénédictin apporte de ce changement, c'est que dans ce tems-là il s'éleva plusieurs opinions erronées, qui furent condamnées dans quelques conciles d'Angleterre. On croyoit, par exemple, que ceux qui avoient une fois reçu ce sacrement, s'ils venoient à recouvrer la santé, ne devoient plus avoir de commerce avec leurs femmes, ni prendre de nourriture, ni marcher nuds piés : quoique toutes ces idées fussent fausses & très-mal fondées, on aima mieux, pour ne pas scandaliser les simples, attendre à l'extrémité pour conférer ce sacrement ; & cet usage a prévalu. On peut voir sur cette matiere les conciles de Worcester & d'Excester en 1287 ; celui de Winchester en 1308, & le P. Mabillon, act. SS. bened. saec. iij. pag. 1.

La forme de l'extrème-onction étoit autrefois indicative & absolue ; comme il paroît par celle du rit ambrosien, citée par S. Thomas, S. Bonaventure, Richard de Saint-Victor, &c. Arcudius, liv. V. de extrem. unct. cap. v. en rapporte aussi de semblables, usitées chez les Grecs : cependant généralement chez ceux-ci elle a été déprécative, ou comme en forme de priere ; celle qu'on lit dans l'euchologe, pag. 417, commence par ces mots, Pater sancte, animarum & corporum medice, &c. Celle de l'église latine est aussi déprécative depuis plus de 600 ans : on trouve celle-ci dans un ancien rituel manuscrit de Jumiege, qui a au moins cette antiquité : Per istam unctionem & suam piissimam misericordiam indulgeat tibi Dominus quidquid peccasti per visum, &c. qu'on trouve dans tous les rituels faits depuis ; & ainsi des autres oraisons, relatives aux onctions qui se font sur les différentes parties du corps du malade.

Ce sacrement est en usage dans l'église greque & dans tout l'Orient, sous le nom de l'huile sainte. Les Orientaux l'administrent, avec quelques circonstances différentes de celles qu'employent les Latins ; car prenant littéralement ces paroles de l'apôtre S. Jacques dans son épître, ch. v. . 4, Infirmatur quis in vobis ? Inducat presbyteros ecclesiae, & orent super eum ungentes eum oleo in nomine Domini, &c. ils n'attendent pas que les malades soient à l'extrémité, ni même en danger ; mais ceux-ci vont eux-mêmes à l'église ; où on leur administre ce sacrement toutes les fois qu'ils sont indisposés : c'est ce que leur reproche Arcudius, lib. V. de extrem. unct. cap. ult. Cependant le P. Goar en reconnoissant la réalité de cet usage dans les églises orientales, dit que cette onction n'est pas sacramentelle, mais cérémonielle, & donnée aux malades dans l'intention de leur rendre la santé ; comme on a vû quelquefois dans l'église latine, des évêques & de saints personnages employer à la même fin les onctions d'huile benite, ainsi qu'il paroît par une lettre d'Innocent I. à Decentius, rapportée dans le tome II. des conciles, pag. 1248. Outre cela les Grecs assemblent plusieurs prêtres & jusqu'au nombre de sept pour des raisons mystiques & allégoriques, qu'on peut voir dans Arcudius & dans Siméon de Thessalonique. Il paroît par le sacramentaire de S. Grégoire, de l'édition du P. Menard, page 253, que dans l'église latine on employoit aussi plusieurs prêtres ; mais l'usage présent est qu'un seul prêtre confere validement ce sacrement.

Le P. Dandini, dans son voyage du Mont-Liban, distingue deux sortes d'onctions chez les Maronites ; l'une qu'on appelle l'onction avec l'huile de la lampe : mais cette onction, dit-il, n'est pas celle du sacrement qu'on n'administroit ordinairement qu'aux malades qui étoient à l'extrémité ; parce que cette huile est consacrée seulement par un prêtre, & qu'on la donne à tous ceux qui se présentent, sains ou malades indifféremment, même au prêtre qui officie. L'autre espece d'onction, suivant cet auteur, n'est que pour les malades ; elle se fait avec de l'huile que l'évêque seul consacre le jeudi-saint, & c'est à ce qu'il paroît leur onction sacramentelle.

Mais cette onction avec l'huile de la lampe est en usage non-seulement chez les Maronites, mais dans toute l'église d'Orient, qui s'en sert avec beaucoup de respect. Il ne paroît pas même qu'ils la distinguent du sacrement de l'extrème-onction, si ce n'est comme l'observe le P. Goar, qu'ils la regardent comme une simple cérémonie pour ceux qui sont en santé, & comme un sacrement pour les malades. Ils ont dans les grandes églises une lampe dans laquelle on conserve l'huile pour les malades ; & ils appellent cette lampe la lampe de l'huile jointe à la priere. (G)


EXTREMIS(Jurispr.) on appelle in extremis, le dernier tems de la vie, où quelqu'un est atteint d'une maladie dont il est décédé.

Les dispositions de derniere volonté, faites in extremis, sont quelquefois suspectes de suggestion ; ce qui dépend des circonstances. Voyez TESTAMENT, SUGGESTION.

Les mariages célébrés in extremis avec des personnes qui ont vécu ensemble dans la débauche, sont nuls quant aux effets civils. Voyez MARIAGE. (A)


EXTRÉMITÉS. f. (Gramm.) est la partie qui est la derniere & la plus éloignée d'une chose, ou qui la finit & la termine.

C'est en ce sens qu'on employe ce mot dans les phrases suivantes. Les extrémités d'une ligne sont des points. On ne peut pas aller d'une extremité à l'autre, sans passer par le milieu.

EXTREMITES DU CORPS HUMAIN (les) Medec. doivent être observées dans les maladies, sur-tout dans celles qui sont aiguës ; parce qu'elles peuvent fournir un grand nombre de signes prognostics très-importans pour juger de l'évenement. Il n'arrive jamais que les hommes meurent sans qu'il se fasse quelque changement notable dans l'extérieur des extrémités : on peut y considérer principalement la chaleur, le froid, la couleur, le mouvement & la situation respectivement à l'état naturel.

C'est toûjours un bon signe dans les maladies aiguës, que les extrémités ayent une chaleur tempérée, égale à celle de toutes les autres parties, avec souplesse dans la peau. On peut trouver les extrémités ainsi chaudes dans les fievres les plus malignes ; mais cette chaleur n'est pas également répandue dans toutes les parties du corps, comme lorsque les extrémités sont moins chaudes que le tronc : d'ailleurs les hypocondres sont ordinairement durs dans ce cas-là, & l'habitude du corps n'est pas également souple dans toutes ses parties ; c'est ce qui distingue la chaleur qui n'est pas un bon signe d'avec celle qui l'est : une chaleur même brûlante n'est pas un mauvais signe, lorsqu'elle est également répandue dans tout le corps, & par conséquent aux extrémités ; c'est le propre des fievres ardentes malignes de ne pas échauffer plus qu'à l'ordinaire les extrémités ; c'est aussi un signe de malignité, que les extrémités s'échauffent & se refroidissent en peu de tems ; c'est un signe mortel dans les maladies aiguës, qui épuisent promtement les forces. L'extrème chaleur, avec rougeur & inflammation de ces parties, est un bon signe dans ces mêmes maladies : une chaleur douce, tempérée, avec moiteur ou même avec un sentiment d'humidité, qui tend à se refroidir dans toute l'habitude du corps, mais particulierement dans les extrémités, qui se trouve jointe à une fievre continue, doit être très-suspecte ; parce qu'il y a lieu de craindre que la chaleur ne soit renfermée dans les visceres : la chaleur douce égale que l'on observe dans les hectiques, ne se conserve pas ; elle augmente considérablement après qu'ils ont pris des alimens, & elle se fait particulierement sentir dans le creux des mains : d'ailleurs la chaleur dans la fievre hectique, produit presque toûjours une sorte de crasse sur la peau.

Le froid des extrémités dans les maladies aiguës, est toûjours un très-mauvais signe, à moins que la nature ne prépare une crise, ce qui s'annonce par les bons signes qui concourent avec le froid de ces parties : lorsqu'elles sont froides, que les autres parties sont brûlantes avec sécheresse, & que ces symptomes sont accompagnés d'une grande soif, c'est un signe de malignité dans la maladie : si on a peine à dissiper le froid des extrémités par les moyens convenables pour les réchauffer, & sur-tout si on ne peut pas parvenir à leur redonner de la chaleur, c'est un très-mauvais signe, qui devient même mortel & annonce une fin prochaine, si en même tems ces parties deviennent livides & noires. Voyez FROID FEBRILE.

C'est toûjours un très-bon signe dans les maladies aiguës, que les extrémités conservent leur couleur naturelle. La couleur rouge & enflammée de quelques parties du corps que ce soit, est aussi un bon signe, si elle provient d'un dépôt critique qui se soit fait dans ces parties. La couleur livide & noire des extrémités, sur-tout si le froid s'y joint, est un signe mortel.

C'est aussi un très-mauvais signe, que le malade agite continuellement & d'une maniere extraordinaire ses piés & ses mains, ou qu'il les découvre quoiqu'ils soient froids.

On doit de même très-mal augurer d'un malade qui se tient constamment renversé avec les extrémités tant supérieures qu'inférieures, toûjours étendues. Voyez SITUATION DU CORPS dans les maladies, & les prognostics qu'on doit tirer de leur différence. Voy. l'excellent ouvrage de Prosper Alpin, de praesagienda vitâ & morte, dont cet article est extrait. (d)

EXTREMITES, (Peinture) Ce qu'on nomme les extrémités en Peinture, sont sur-tout les mains & les piés : la tête qui devroit être comprise dans la signification de ce terme, est un objet si important dans cet art, que les principes qui y ont rapport font une partie séparée, & demandent des réflexions particulieres. Les mains & les piés contribuent beaucoup à la justesse de l'expression, & en augmentent la force. Ces extrémités sont susceptibles de graces qui leur sont particulieres. Les mains d'une figure pourroient être exactement conformées ; elles pourroient être dans une exacte proportion avec la figure, & ne pas offrir ces agrémens dont certains détails de leur conformation les embellissent : ces beautés se font remarquer plus sensiblement dans les mains des femmes ; l'embonpoint rend leurs parties arrondies ; il forme dans les endroits où les muscles s'attachent, de petites cavités, qui en marquant la place des jointures, en adoucissent les mouvemens. La sécheresse qu'occasionne l'apparence des os, est heureusement voilée ; & les formes, sans être détruites, sont adoucies. Je dirois la même chose des piés, si l'on pouvoit espérer aujourd'hui de se faire comprendre, en avançant que la petitesse extrème dont les femmes recherchent l'apparence dans leur chaussure, est aussi éloignée de la beauté que la grosseur excessive dont elles veulent se garantir. Peut-on de sens-froid se resoudre à admirer des bases, sur lesquelles chancelle le poids qu'elles doivent soûtenir ? On voit à tout instant un corps énorme chercher en marchant sur deux pivots, un équilibre que la moindre distraction doit lui faire perdre ; & pour cela on détruit dans les tourmens d'une chaussure gênante & douloureuse, la forme des doigts & du coup-de-pié. Il arrive de-là que, si l'on desire d'un peintre qu'il représente une Vénus au bain, ou les graces nues, il fera de vains efforts pour trouver des modeles dont les piés ne soient pas défigurés. Il résulte encore de cette folie, que si l'artiste donne pour proportion aux piés de ces mêmes graces, la longueur de la tête qui est la juste mesure qu'ils doivent avoir, le sexe jaloux de ses avantages est obligé ou de blâmer des beautés qui consistent dans la justesse des proportions, ou d'avoüer qu'il ne possede pas lui-même cette perfection.

Voilà ce qui regarde les graces des extrémités. Pour l'expression qu'elles peuvent ajoûter aux actions, il est aisé d'en voir l'effet dans celui que nos habiles comédiens font sur nous lorsque leurs gestes sont absolument conformes à ce qu'ils doivent sentir & à ce qu'ils récitent. Dans les douleurs la contraction des nerfs se fait sentir avec une expression effrayante dans les mains & dans les piés : ces parties qui sont composées de plusieurs jointures, & par conséquent de plusieurs nerfs rassemblés, offrent dans un espace peu étendu l'action répétée que produit une même cause ; chaque doigt reçoit sa portion de la douleur dont les nerfs sont atteints ; & cette communication des affections de l'ame aux mouvemens du corps, si rapide par la voie des nerfs, devient plus visible & plus sensible par des effets multipliés.

Les artistes doivent donc mettre leurs soins non-seulement à bien connoître la justesse des proportions des extrémités, mais encore ce qui dans leur conformation produit des graces, & dans leurs mouvemens fait sentir la juste expression. Voyez PROPORTION, FIGURE. Cet article est de M. WATELET.

EXTREMITES, (Man. & Maréch.) nous entendons proprement par extrémités dans un cheval, la portion inférieure de ses quatre jambes : ainsi nous disons, un cheval dont les crins, la queue, & les extrémités sont noires. (e)


EXUBERANCES. f. (Belles-Lett.) en Rhétorique & en matiere de style, signifie une abondance inutile & superflue, par laquelle on employe beaucoup plus de paroles qu'il n'en faut pour exprimer une chose. Voyez PLEONASME.


EXULCÉRATIONen Medecine, est l'action de causer ou de produire des ulceres. Voyez ULCERE.

Ainsi l'arsenic exulcere les intestins : les humeurs corrosives exulcerent la peau. Voyez CORROSION, EROSION.

On applique quelquefois ce mot à l'ulcere lui-même ; mais plus généralement à ces érosions qui emportent la substance des parties, & forment des ulceres. Voyez EROSION.

Les exulcérations dans les intestins sont des marques de poison. Chambers. Voyez POISON.


EYMET(Géog. mod.) petite ville du Périgord en France ; elle appartient au Sarladois ; elle est située sur le Drot.


EYND'HOUE(Géog. mod.) ville du Brabant hollandois, aux Pays-bas ; elle est située sur la Drommel. Long. 23. 5. lat. 51. 28.


EYNEZAT(Géog. mod.) ville de l'Auvergne en France ; elle est de la généralité de Riom.


EZAGUEN(Géog. mod.) ville de la province d'Habat, au royaume de Fez en Afrique.


EZZAL(Géog. mod.) province d'Afrique ; elle est du royaume de Tripoli.